Collection marabout service

Afin de vous informer de toutes ses publications, marabout édite des catalogues régulièrement mis à jour. Vous pouvez les obtenir gracieu- sement auprès de votre libraire habituel. Pour les épreuves de français et de culture générale chez Marabout.

— 100 livres en un seul (MS 87). — 50 mots clés de la culture générale contemporaine (MS 97). — 50 mots clés de la culture générale classique (MS 1200). — 100 grandes citations politiques expliquées (MS 73). — 100 grandes citations expliquées (MS 89). — 100 grandes citations historiques expliquées (MS 98). — 50 grandes citations philosophiques expliquées (MS 99). — 100 grandes citations littéraires expliquées (MS 103). — 50 grandes citations du théâtre et du cinéma expliquées (MS 96). — 1 000 citations pour les examens et concours (MS 75). — 100 expressions latines usuelles (MS 1205). — 50 modèles de dissertations (MS 53). — 50 modèles de commentaires composés (MS 50). — 50 modèles de résumés de textes (MS 51 ). — Panorama de la littérature française (MS 101). — 25 grands romans français résumés et commentés (MS 100). — Baudelaire. Étude des Fleurs du Mal, collection «Œuvres majeures» (MS 55). — Flaubert. Étude de Madame Bovary, Salammbo, L'Éduca- tion sentimentale, collection « Œuvres majeures » (MS 99). — Camus. Étude de L'Étranger, La Peste, Les Justes, La Chute, collection « Œuvres majeures » (MS 57). — Molière. Étude de Dom Juan, Tartuffe, collection «Œuvres majeures» (MS 54). — 12 poèmes de Baudelaire, collection «Textes expliqués» (MS 1204). — 12 poèmes de Verlaine, collection «Textes expliqués» (MS 1208). — Tester et enrichir son vocabulaire (MS 104). — Tester et enrichir sa mémoire (MS 128). — Tester et enrichir son orthographe (MS 1201). — Tester et enrichir son anglais (MS 1202). — Tester et enrichir sa culture générale (MS 1202). — Tester et enrichir ses connaissances en littérature (MS 1203). Marie-Paule BERRANGER

12 poèmes de Rimbaud

analysés et commentés

MARABOUT © 1993, Marabout,

Toute reproduction d 'un extra quelconque de ce livre par quelque procédé que ce soit, et notamment par photocopie du microfilm, est interdite sans autorisation écrite de l'éditeur. J'emploie le mot de cruauté dans le sens d'appétit de vie, de vigueur cosmique et de nécessité implacable, dans le sens gnostique de tourbillon de vie qui désire les ténèbres, dans le sens de cette douleur hors de la nécessité iné- luctable de laquelle la vie ne saurait s'exercer. Antonin Artaud, « Lettres sur la cruauté », dans Le Théâtre et son double.

INTRODUCTION

Voici analysés, commentés, douze poèmes de Rimbaud choisis parmi ceux que l'institution scolaire sollicite le plus souvent (« Aube »), quelquefois (« Mémoire ») ... ou presque jamais («Mauvais sang»). Cette sélection forcé- ment discutable, puisque la totalité de l'œuvre donne aussi sens à ses éléments, tente de construire l'image d'une trajectoire poétique de grande amplitude, plus continue qu'il n'y paraît. Chaque grande partie de ce livre s'organise autour d'étapes déterminantes dans l'art poétique de Rimbaud, mais il ne faudrait pas en déduire que l'œuvre est divisible en périodes bien tranchées : on l'a cru ; on en est revenu. Rien ne permet d'affirmer que Rimbaud explore les ressources du poème en prose quand il en a fini avec le vers : seule la succession inhérente à la présentation oblige à les juxtaposer. Les adieux successifs du poète n'excluent jamais ce qu'il appelle « des petites lâchetés en retard » et qui sont autant de poèmes d'une écriture qu'il juge dépassée, à laquelle il cède cependant. Après avoir parcouru à grandes enjambées les moments clés de cette vie exigeante où le XX siècle a puisé les épisodes d'un véritable mythe, le livre propose douze lectures, par- fois de simples notes au fil du texte, destinées à donner les informations nécessaires à l'élucidation ; parfois des lectures «méthodiques» ou des commentaires composés rédigés. Deux objectifs guident ces études : mettre à la disposition du plus grand nombre de lycéens et d'étudiants débutants les avancées considérables récentes de la critique rimbal- dienne, et, surtout, montrer quelques orientations qui per- mettent d'organiser cette foisonnante information. Les explications textuelles sont ponctuées d'intermèdes, notices qui proposent des rappels factuels d'ordre historique ou s'attachent à des aspects plus marginaux de l'œuvre (la correspondance, les sources textuelles). Une bibliographie générale regroupe à la fin les principales éditions de Rim- baud et signale, en fonction du niveau de spécialisation du lecteur, les études essentielles. Une discographie permettra à chacun de se confronter très concrètement à la métrique et à la prosodie à travers les choix qu'implique toute lecture à haute voix.

Ce livre tente de saisir... l'insaisissable et le fuyant: une création en ses métamorphoses. Il s'agit de rompre avec la lecture « pittoresque » de Rimbaud : je ne me suis donc pas donné la liberté de fragmenter les textes en plusieurs parties, ni d'en prélever des extraits, persuadée qu'ils sont dialec- tiques, polyphoniques, et changent gravement de sens à être ainsi découpés. Isoler la troisième partie de «Mémoire», c'est ramener l'entreprise poétique à un témoignage anec- dotique codé. Or, les poèmes de Rimbaud sont des configu- rations mouvantes comme celles d'un kaléidoscope... «À chaque être, plusieurs autres vies me semblaient dues » dit généreusement Rimbaud. On ne s'étonnera pas qu'il en ait vécu simultanément plusieurs... ni qu'il échappe à ce volume : comment désirer mettre sous clé celui qui fut, selon la belle formule de René Char, le « passant considé- rable » ?

PREMIÈRE PARTIE

LA VIE FABULEUSE D' LA FAMILLE

«Je serais bien l'enfant abandonné... » écrit Rimbaud. Car la famille lui est pesante. Arthur Rimbaud est né à Charle- ville en 1854. Son père, Frédéric Rimbaud, capitaine d'infanterie, est parti définitivement à la naissance d'Isa- belle, quand Arthur avait six ans : avant, il y a eu la cam- pagne de Crimée, la garnison — au total, Rimbaud l'a peu connu et cette absence, même s'il s'en félicite, est fortement ressentie. Le « dégagement rêvé» est peut-être la trace d'une «démission» paternelle mythifiée. La mère, Vitalie Cuif, se retrouve avec un rôle plutôt ingrat ; poèmes et correspondance lui donnent de « doux » noms : la Sorcière, la Vampire, la mère Rimbe, la Daromphe. Au départ de son mari, elle se drape dans le deuil et le devoir, silhouette noire et rigide, soucieuse de la respectabilité de la famille. Menant à la baguette ses quatre enfants dont elle reste seule responsable, elle leur impose une stricte disci- pline religieuse et l'économie la plus sévère. Rimbaud, à l'adolescence, lui prête de sombres intentions à son égard, notamment de le pousser à la faute pour l'effacer de la famille comme une tache, en l'oubliant dans un pen- sionnat. Mais il reviendra toujours à Roche, la propriété des parents de sa mère, entre deux épisodes agités de sa vie; c'est à sa mère qu'il fait appel, et pas en vain, pour financer l'édition d'Une saison en enfer, négocier avec la famille de Verlaine à Paris, venir l'arracher au marasme à Londres. Il semble pour le moins qu'une certaine solidarité les unisse. Du frère aîné d'un an, Frédéric, il a peu à attendre : quelques après-midi partagés sur les bords de la rivière, mais pas d'autre complicité. Quant aux sœurs, l'une, Vitalie, de quatre ans plus jeune, meurt à dix-sept ans d'une synovie tuberculeuse; l'autre, Isabelle, il la retrouve surtout, semble-t-il, à la fin de sa vie : elle l'accompagne dans son agonie, joue le jeu de ses ultimes rêves d'aventure, reçoit confidence de ses dernières «illuminations». Fidèle, trop peut-être, elle veille ensuite jalousement sur l'œuvre, sur- veille les projets d'édition, propose coupures et falsifica- tions, pour ôter de l'œuvre de son frère ce qui heurte les bons sentiments. Elle tente, avec son mari, Paterne Berri- chon, de gérer une image bien pensante d'un Rimbaud repenti et chrétien jusqu'à la dernière heure. Ambivalence de Rimbaud... la famille est décrite comme la paralysie, la menace d'impuissance, l'origine du vice. Le doute qui l'habite, l'oscillation entre des extrêmes, il en rend responsables, semble-t-il, le retrait du père et la rigidité castratrice de la mère. Pourtant, il y a aussi quelques images tendres d'enfants penchés sur les belles images, de mélan- colie des jours de pluie, de rêveries au bord de la Meuse.

JEAN-ARTHUR, ÉLÈVE RIMBAUD

L'école (l'Institution Rossat, puis, à partir de 1865, le col- lège de Charleville) est le lieu où Rimbaud respire : là s'ouvre un autre monde révélé par les livres qui permettent d'échapper au quotidien régulier et morne. Rimbaud rafle les prix et se fait remarquer par sa piété. Dès huit ans, il écrit de petites pièces (une sorte de fantaisie, puis, en 1868, des vers latins au Prince impérial à l'occasion de sa première communion). Plus significatifs, à partir de quinze ans, ses vers latins: «Ver erat» (Le «Songe de l'écolier») connaît les honneurs de la publication dans le Bulletin de l'Académie de Douai (n° 2), puis «Jamque novus» («L'Ange et l'enfant») et «Jugurtha» paraissent dans les numéros 11 et 22. L'école lui donne une formation déterminante en ce que les méthodes acquises là orienteront sa recherche poétique; ainsi la récitation où il excelle (il faut l'arrêter lorsqu'il récite l' Enéide en latin) le dote d'un prodigieux bagage de vers et d'images mémorisées. La rhétorique et ses exercices canoniques (cf. p. 72) lui ont donné des outils de création, une virtuosité sur lesquels il s'appuie : certes, il lui faudra, pour devenir poète, désapprendre la mécanique artificielle, mais il tient le système... Il possède donc une vaste culture livresque complétée dans des moments de vacances forcées, durant la guerre de 1871, lorsque l'école a fermé ses portes. « Alchimie du verbe » (cf. p. 202) donne idée de cette boulimie qui privilégie la poésie et une culture populaire, volontairement orientée vers les confins de la littérature. Mais l'intérêt pour la musique est là aussi. Et un poète ne doit-il pas savoir assez de botanique pour sortir des lys et des roses parnassiens? Les «belles images », les caricatures, les gravures et tableaux reproduits en noir et blanc dans les magazines captent son imagination. L'école lui permet aussi de rencontrer un jeune professeur, son professeur de rhétorique, , avec lequel il correspond de plus en plus amicalement. Ses lettres, où il recopie ses premières tentatives de poète, sont un précieux document et, pour lui, l'occasion de prendre conscience, en les formulant pour autrui, de ses aspirations et de sa personnalité. Izambard lui présente Paul Demeny, un poète un peu plus âgé, avec lequel il entre aussi en cor- respondance, espérant grâce à lui être imprimé à Paris. Cependant, lorsqu'il a épuisé les ressources du milieu sco- laire, Rimbaud n'a d'autre souci que de s'en échapper. Il ne veut pas redevenir le bon élève qu'il a été, quand l'école rouvre ses portes, ni céder aux sollicitations maternelles. Il ne sera donc pas bachelier mais, quelques années plus tard, on le voit s'informer du programme dans le projet, inabouti, de s'inscrire en candidat libre. EXILÉ DANS SA PATRIE Rimbaud, s'adressant à son jeune professeur, Izambard, qui encourage ses ambitions poétiques, exprime sa révolte contre son milieu, sa ville natale où sa vie lui semble s'engluer. Haine de la bêtise, rejet de ces Homais-Mata- mores excités par l'odeur de la guerre aboutissent à une for- mule de haute portée.

Charleville, 25 août [18]70. Monsieur, Vous êtes heureux, vous, de ne plus habiter Charle- ville ! Ma ville natale est supérieurement idiote entre les petites villes de province. Sur cela, voyez-vous, je n'ai plus d'illusions. Parce qu'elle est à côté de Mézières, — une ville qu'on ne trouve pas, — parce qu'elle voit pérégriner dans ses rues deux ou trois cents piou- pious, cette benoîte population gesticule, prud'hom- mesquement spadassine, bien autrement que les assiégés de Metz et de Strasbourg ! C'est effrayant, les épiciers retraités qui revêtent l'uniforme! C'est épa- tant, comme ça a du chien, les notaires, les vitriers, les percepteurs, les menuisiers et tous les ventres, qui, chassepot au cœur, font du patrouillotisme aux portes de Mézières; ma patrie se lève!... Moi, j'aime mieux la voir assise; ne remuez pas les bottes ! c'est mon principe. Je suis dépaysé, malade, furieux, bête, renversé; j'espérais des bains de soleil, des promenades infinies, du repos, des voyages, des aventures, des bohémien- neries enfin; j'espérais surtout des journaux, des livres... Rien! Rien ! Le courrier n'envoie plus rien aux libraires ; Paris se moque de nous joliment ! pas un seul livre nouveau ! c'est la mort ! Me voilà réduit, en fait de journaux, à l'honorable «Courrier des Ardennes», propriétaire, gérant, directeur-rédacteur en chef et rédacteur unique : A. Pouillard ! Ce journal résume les aspirations, les vœux et les opinions de la population, ainsi jugez ! c'est du propre ! — On est exilé dans sa patrie ! [...] LES CASQUETTES DE PLOMB Rimbaud, dans une lettre à un jeune poète — Demeny —, expose son ressentiment à l'égard de sa mère. « Angoisse », un texte des Illuminations, dénonce encore « La Vampire » qui écrase toute aspiration et enferme le poète dans une « inhabileté fatale ».

Charleville (Ardennes), Août 1871.

Monsieur, Vous me faites recommencer ma prière : soit. Voici la complainte complète. Je cherche des paroles calmes : mais ma science de l'art n'est pas oien profonde. Enfin, voici : Situation du prévenu : j'ai quitté depuis plus d'un an la vie ordinaire pour ce que vous savez. Enfermé sans cesse dans cette inqualifiable contrée ardennaise, ne fréquentant pas un nomme, recueilli dans un travail infâme, inepte, obstiné, mystérieux; ne répondant que par le silence aux questions, aux apostrophes grossières et méchantes, me montrant digne dans ma position extra-légale, j'ai fini par provoquer d'atroces résolutions d'une mère aussi inflexible que soixante- treize administrations à casquettes de plomb. Elle a voulu m'imposer le travail perpétuel, à Charle- ville (Ardennes!). Une place pour tel jour, disait-elle, ou la porte. — Je refusai cette vie, sans donner mes raisons : c'eût été pitoyable. Jusqu'aujourd'hui, j'ai pu tourner ces échéances. Elle, en est venue à ceci : sou- haiter sans cesse mon départ inconsidéré, ma fuite! Indigent, inexpérimenté, je finirais par entrer aux éta- blissements de correction. Et, dès ce moment, silence sur moi ! Voilà le mouchoir de dégoût qu'on m'a enfoncé dans la bouche. C'est bien simple. [...] LE FUGUEUR

Les errances de l'enfant prodige ont frappé l'imagination à ce point que la vie de Rimbaud a fini par devenir ce roman qui voile parfois ses écrits. Rimbaud qui frôle l'asphyxie à Charleville — il a des mots assez durs contre sa ville natale et surtout contre Roche où la famille maternelle a sa propriété — rêve de «liberté libre ». Surtout, il s'est « reconnu poète» et brûle de ren- contrer les grands contemporains publiés et de se mesurer à eux : Charleville n'est pas un théâtre assez vaste pour les exploits dont il rêve. Le 29 août 1870 il part à Paris par le train. Sans billet, sans argent. Sitôt arrivé, le voilà en prison, une prison bien plus étroite encore que Charleville. Libéré grâce à Izambard qu'il a appelé au secours, il trouve refuge à Douai chez les tantes de celui-ci. Début septembre, pour tuer le temps, il commence à recopier ses poèmes. Fin septembre, à peine est-il arrivé à Charleville qu'il repart : le 6 octobre, il se dirige vers Charleroi, puis Bruxelles, et se retrouve à Douai, de nouveau chez les demoiselles Gindre. C'est l'occasion de compléter le «Cahier de Douai », pour Paul Demeny qui pourra peut-être l'aider à se faire impri- mer. Mais la «mère Rimbe» s'impatiente. En novembre, après intervention de la police, elle le fait renvoyer à Char- leville. L'école est fermée, la guerre rôde, les Allemands bientôt entrent dans Charleville. Lectures, promenades, bouillonnements d'impatience... Rimbaud ronge son frein jusqu'en février 1871 : le 25, il repart à Paris, mais la misère le renvoie à pied à Charleville. Le 18 mars 1871, la Com- mune est proclamée. La légende hésite : Rimbaud a-t-il été un communard actif? Il était de toute évidence un révolutionnaire de cœur, proche des rebelles par principe et idéal politique. Cependant, sa participation est douteuse : selon Delahaye, son ami de Charleville, et selon Verlaine, il serait revenu s'engager dans les corps francs de la caserne Babylone où on l'a ima- giné violé par le prolétariat en pleine orgie révolutionnaire ! La correspondance laisse entendre qu'un fort désir d'être au cœur de la mêlée n'a pu se réaliser : «[...] les colères folles me poussent vers la bataille de Paris, où tant de travailleurs meurent pourtant encore tandis que je vous écris! Travailler maintenant, jamais, jamais, je suis en grève. » (Lettre à Georges Izambard, 13 mai 1871, Charleville) Les poèmes, eux, ne sont pas douteux : « Chant de guerre parisien », « Les Mains de Jeanne-Marie », « Paris se repeuple »... disent avec violence la haine de la III Répu- blique, celle des nantis, de son armée, de son ordre moral. Rimbaud est-il ou non converti aux thèses socialistes de Proudhon, de Saint-Simon ? Il est en tout cas sensible à la misère, à l'injustice, à la répression ; du côté des travailleurs par choix idéologique, mais peut-être aussi par anarchisme profond du côté du trouble, de l'insurrection. Ce choix en tout cas concerne sa poétique (cf. p. 313). Charleville, Paris, Bruxelles, bientôt Londres, la poésie de Rimbaud est portée par la même hâte, la même volonté d'aller de l'avant que sa vie. «Le piéton de la grand'route » ne cessera plus de parcourir le monde. Au début, ses trajets sont aimantés par quelques figures poétiques de l'époque. TOUT CELA EST ENCORE ORDINAIRE

A , un ami de Charleville, Rimbaud envoie un témoignage concret sur sa vie à Paris (cf. p. 23 la suite de cette lettre). Tout l' emportement du poète apparaît dans la véhémence de cette prose, avec ses dérivés fantaisistes («Absomphe» pour absinthe, « Juinphe» pour Juin), ses régionalismes, ses termes crus («Parmerde»), son argot («geinte»). Même s'il regrette la fraîcheur du paysage ardennais, Rimbaud voue encore aux gémonies — et à l'occupant — sa ville natale.

Parmerde, Juinphe 72 Mon ami, Oui, surprenante est l'existence dans le cosmorama Arduan. La province, où on se nourrit de farineux et de boue, où l'on boit du vin du cru et de la bière du pays, ce n'est pas ce que je regrette. Aussi tu as raison de la dénoncer sans cesse. Mais ce lieu-ci : distillation, composition, tout étroitesses ; et l'été accablant : la chaleur n'est pas très amusante, mais de voir que le beau temps est dans les intérêts de chacun, et que cha- cun est un porc, je hais l'été, qui me tue quand il se manifeste un peu. J'ai une soif à craindre la gangrène : les rivières ardennaises et belges, les cavernes, voilà ce que je regrette. Il y a bien ici un lieu de boisson que je préfère. Vive l'académie d'Absomphe, malgré la mauvaise volonté des garçons ! C'est le plus délicat et le plus tremblant des habits, que l'ivresse par la vertu de cette sauge des glaciers, l'absomphe! Mais pour, après, se cou- cher dans la merde ! Toujours même geinte, quoi ! Ce qu'il y a de certain, c'est : merde à Perrin Et au comptoir de l'Univers, qu'il soit en face du square ou non. Je ne maudis pas 1 Univers, pourtant. — Je souhaite très fort que l'Ardenne soit occupée et pressurée de plus en plus immodérément. Mais tout cela est encore ordinaire. [...] PREMIER INTERMÈDE

LE PARNASSE

SUR LES HAUTEURS DE L'ART PUR

Le Parnasse est le nom de la montagne où siègent les dieux de l'inspiration et de l'art (Dionysos, Apollon, les Muses). C'est en toute modestie celui que se donnent les poètes qui rassemblent leurs œuvres dans les trois recueils collectifs (1866, 1871, 1876) intitulés Le Parnasse contemporain. En réaction contre les romantiques et le culte du moi souffrant, ils prétendent cultiver l'émotion, faire appel aux sensations par les ressources techniques de la poésie : d'où les recherches virtuoses sur les sonorités, le lexique souvent rare et savant, les rimes, les formes fixes. Théodore de Ban- ville, dans son Petit traité de versification en 1872, va jusqu'à exiger des rimes riches car «la rime est tout le vers »... Lassés des épanchements de Vigny, de Musset qui selon eux ont amolli la poésie, les parnassiens se révèlent après la révolution de 1848; leur production s'étale cependant tout au long de la seconde partie du siècle. Théophile Gautier peut faire figure de précurseur avec Émaux et camées en 1852. Dans la préface de Mademoiselle Maupin, il annonce la quête parnassienne d'un art lavé des compromissions politiques, libéré de la morale ou de la vérité : « Il n'y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car c 'est l'expression de quelque besoin, et ceux de l'homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature. » Leconte de Lisle en 1864 dans un article du Nain jaune réserve l'art, « luxe intellectuel », à une élite. Cette recherche formaliste d'un art épuré se pour- suit jusqu'en 1893 avec le recueil de sonnets des Trophées de José Maria de Heredia.

DES NOMS!...

Les grands maîtres du mouvement sont Leconte de Lisle (Poèmes antiques, 1852, Poèmes barbares, 1862), Théo- dore de Banville (Cariatides, 1842, Stalactites, 1846 ; sur- tout Odes funambulesques, 1857 où il cultive l'acrobatie verbale) ; François Coppée (Intimités, 1868) dont les dizains donneront lieu à de plus ou moins scatologiques parodies, des Dizains réalistes de Cros aux «coppées» de l'album zutique; Sully Prudhomme (Stances et Poèmes, 1865) sera même consacré par le premier Prix Nobel. Les parnassiens se regroupent en noyaux mouvants, autour de revues éphémères : la Revue fantaisiste de Catulle Men- dès (1861), la Revue du Progrès (1863-1864) de Xavier de Ricard, puis L'Art (1865-1866). Dans les recueils collectifs du Parnasse contemporain, publié chez Lemerre, auquel Rimbaud débutant aurait aimé collaborer, figurent Gautier, Banville, Leconte de Lisle, Verlaine, Mallarmé, Baudelaire, Heredia, Coppée, Catulle Mendès, Sully Prudhomme, Léon Dierx — dont Rimbaud s'inspire dans «». En 1871 apparaissent des épigones : Laprade, Glatigny, Mérat, Valade, Plessis, mais aussi Charles Cros, Anatole France.

ET RIMBAUD DANS TOUT CELA?

Il a envié, imité puis très vite parodié et raillé les parnas- siens. L'audace de Banville détournant «La Tristesse d'Olympio» de Victor Hugo lui a plu — il s'en servira bientôt... contre Banville. La virtuosité technique le séduit comme un jeu, une compétition pour bon élève — mais cela lui paraît vite facile, figé, conventionnel. Certes, il est d'accord avec Leconte de Lisle : « Le thème personnel et ses variations trop répétées ont épuisé l'attention » (Préface des Poèmes antiques, 1852), mais ce n'est pas le cisèlement des formes héritées qui peut longtemps servir d'alternative. L'idéal de l'Art pur et sa mystique de la Beauté de marbre lui paraissent dérisoires : « j'ai assis la Beauté sur mes genoux et je l'ai injuriée » (Une saison en enfer). Comment, après les massacres de la Commune, continuer de rêver d'une Poésie détachée des conditions faites à l'existence d'ici? Déjà la lettre à Paul Demeny de mai 1871 le pres- sent : on va à l'Inconnu par des formes neuves qui restent à inventer. Rimbaud, donc, se détache de la virtuosité parnassienne dans la mesure où elle est à elle-même sa propre fin. Il se situe cependant au cœur du débat poétique de son temps en pastichant puis transposant — de plus en plus férocement — les œuvres des parnassiens. « Ce qu 'on dit au poète à propos de fleurs» est déjà une réponse d'égal à égal aux conseils que Banville lui prodigue : non seulement Rimbaud n'est pas prêt à les suivre mais l'esthétique dont ils procè- dent lui paraît pure convention. C'est dans L'Album zutique auquel participe un « parnassien » — Charles Cros — que Rimbaud affiche sa rupture avec le Parnasse. Les parnassiens ont droit en 1867 et 1872 dans Le Parnas- siculet contemporain à la réponse de leurs dissidents. L'Album zutique, rédigé à la fin de 1871 à l'Hôtel des Étran- gers du quartier latin par vingt zutistes déchaînés — dont Rimbaud — est une charge féroce qui ne vise rien moins que la dégradation de la Beauté parnassienne (cf. p. 30). «L'UN S'APPELAIT VERLAINE, L'AUTRE C'ÉTAIT RIMBAUD ILS BUVAIENT DE L'ABSINTHE COMME ON BOIRAIT DE L'EAU...»

On a peut-être en mémoire la chanson de Barbara, et dans les yeux ce tableau fameux, Le Coin de table de Fantin- Latour (peint en 1872) où l'on voit toute une tablée d'artistes ; tout près de Verlaine au premier plan, le menton dans la main, le bel adolescent boudeur tourne le dos aux autres, vivante légende de la bohème parisienne et des poètes maudits.

A la table des poètes

Rimbaud est fasciné par les grands contemporains : il a lu les romantiques, connaît Hugo sur le bout de la langue, révère Baudelaire comme un dieu. Lecteur du Parnasse contemporain et de toutes les revues qui arrivent à la biblio- thèque de Charleville, il a découvert Leconte de Lisle, Gau- tier, et le maître le plus insolent, Banville. A lui, le premier, il écrit le 24 mai 1870 puis en août 1871. La première lettre est accompagnée de «Sensations, «Ophélie», «Credo in unam» (qui s'appellera ensuite «Soleil et chair»). C'est l'appel d'un disciple admiratif. La seconde lettre, après que Banville lui a répondu par quelques conseils attentifs et critiques, est déjà une parodie irrespectueuse où Rimbaud retourne au poète parisien ses propres critiques et lui montre la part de convention qui lui dicte ses remarques. « Ce qu 'on dit au poète à propos de fleurs» constitue en effet un art poétique fameusement impertinent. Charles Bretagne, un employé des Contributions directes de Charleville, épris de poésie, lui parle de son ami Verlaine et le lui fait lire : première illumination ! Rimbaud écrit en août 1871 à Verlaine une lettre ponctuée de poèmes. Ver- laine propose au jeune poète de venir le trouver. L'autre, qui rêve de gloire littéraire, n'attendait que cela; il se met donc en route en septembre 1871 avec les vers du «Bateau ivre» pour tout bagage. Son arrivée chez Verlaine (en fait chez les beaux-parents où Verlaine bientôt père vit encore avec sa jeune femme Mathilde) est un coup de tonnerre. Son physique et sa bru- talité délibérée de provincial timide font tout exploser sur son passage chez les Verlaine d'abord, puis dans la bohème littéraire qui l'héberge volontiers. Au dîner des Vilains Bonshommes où Verlaine l'entraîne, sa lecture du «Bateau ivre» l'impose d'un coup. Il ren- contre Charles Cros et son frère, le peintre Forain, Léon Valade, et participe aux séances ébouriffantes du cercle Zutique (cf. p. 29). Le voici adulé, convoité par Banville, Carjat le photographe, Cabaner le musicien, Verlaine — qui garde de près, de trop près son protégé, et le scandale peu à peu grandit. Rimbaud est considéré comme un pervers satanique, Ver- laine un corrupteur d'enfant. Commence entre eux une his- toire d'amour compliquée avec des poursuites, des fuites, des retrouvailles, tout un « désordre passionnel » qui laisse des séquelles dans la vie des deux poètes et modifie le cours de leur œuvre. En janvier 1872, la femme de Verlaine quitte son mari, emmenant leur jeune fils. Rimbaud accepte de quitter Paris pour Arras et Charleville. Ennui, lectures, lettres... Mathilde revient à Paris, mais Rimbaud aussi ! Il loge à l'hôtel rue Monsieur-le-Prince puis, en juin 1872, à l'hôtel de Cluny ; là, il écrit « Fêtes de la patience » et raconte sa vie nocturne dans ses lettres à Delahaye. Les démêlés conju- gaux de Verlaine et Mathilde le fatiguent : «assez vu»... Départ pour la Belgique. Allant avertir Verlaine de sa déci- sion par une lettre de rupture, Rimbaud le rencontre en che- LES OISEAUX ET LES CLOPORTES

La seconde partie de la lettre de « Juinphe 72 » citée p. 22 décrit vingt-quatre heures de la vie du poète : témoignage lyrique et facétieux (« travaince » est une déformation «ardennaise») sur la bohème mélancolique et «l'heure indicible» de Rimbaud: l'aube. Quelques phrases magni- fiques font entendre la prose rythmée, efficace et pressée d'Une saison en enfer.

[...]

Maintenant c'est la nuit que je travaince. De minuit à cinq heures du matin. Le mois passé, ma chambre, rue Monsieur-le-Prince, donnait sur un jardin du lycée Saint-Louis. Il y avait des arbres énormes sous ma fenêtre étroite. A trois heures du matin, la bougie pâlit : tous les oiseaux crient à la fois dans les arbres : c'est fini. Plus de travail. Il me fallait regarder les arbres, le ciel, saisis par cette heure indicible, pre- mière du matin. Je voyais les dortoirs du lycée, abso- lument sourds. Et, déjà, le bruit saccadé, sonore, délicieux des tombereaux sur les boulevards. — Je fumais ma pipe-marteau, en crachant sur les tuiles, car c'était une mansarde, ma chambre. A cinq heures, je descendais à l'achat de quelque pain ; c'est l'heure. Les ouvriers sont en marche partout. C'est l'heure de se soûler chez les marchands de vin, pour moi. Je ren- trais manger, et me couchais à sept heures du matin, quand le soleil faisait sortir les cloportes de dessous les tuiles. Le premier matin, en été, et les soirs de décembre, voilà ce qui m'a ravi toujours ici. Mais, en ce moment, j'ai une chambre jolie, sur une cour sans fond, mais de trois mètres carrés. — La rue Victor-Cousin fait coin sur la place de la Sorbonne par le café du Bas-Rhin et donne sur la rue Soufflot, à l'autre extrémité. — Là, je bois de l'eau toute la nuit, je ne vois pas le matin, je ne dors pas, j'étouffe. Et voilà. [...] RIEN N'EST PERDU A (A Bruxelles) Londres, Vendredi après-midi [4 juillet 1873] Reviens, reviens, cher ami, seul ami, reviens. Je te jure que je serai bon. Si j'étais maussade avec toi, c'est une plaisanterie où je me suis entêté ; je m'en repens plus qu'on ne peut dire. Reviens, ce sera bien oublié. Quel malheur que tu aies cru à cette plaisanterie ! Voilà deux jours que je ne cesse de pleurer. Reviens. Sois courageux, cher ami. Rien n'est perdu. Tu n'as qu'à refaire le voyage. Nous revivrons ici bien courageusement, patiemment. Ah ! je t'en supplie. C'est ton bien, d'ailleurs. Reviens, tu retrouveras toutes tes affaires. J'espère que tu sais bien à présentL'affreux qu'il moment n'y avait ! Mais rien toi, de quandvrai dans je te notre faisais discussion. signe de quitter le bateau, pourquoi ne venais-tu pas ? Nous avons vécu deux ans ensemble pour arriver à cette heure-là ! Que vas-tu faire ? Si tu veux ne pas revenir ici, veux-tu que j'aille te trouver où tu es ? Oui, c'est moi qui ai eu tort. Oh ! tu ne m'oublieras pas, dis ? Non, tu ne peux m'oublier. Moi, je t'ai toujours là. Dis, réponds à ton ami. Est-ce que nous ne devons plus vivre ensemble ? Sois courageux. Réponds-moi vite. Je ne puis rester ici plus longtemps. N'écoute que ton bon cœur. Vite, dis si je dois te rejoindre. A toi toute la vie RIMBAUD. Vite, réponds, je ne puis rester ici plus tard que lundi soir. Je n'ai pas encore un penny ; je ne puis mettre ça à la poste. J'ai confié à Vermersch tes livres et tes manuscrits. Si je ne dois plus te revoir, je m'engagerai dans la marine ou l'armée. O reviens, à toutes les heures je repleure. Dis-moi de te retrouver, j'irai, dis-le-moi, télégraphie-moi. Il faut que je parte lundi soir. Où vas-tu, que veux-tu faire ? min. Du coup, Verlaine le suit. A Charleville, à Bruxelles, le roman continue, avec des épisodes de vaudeville. Comme ce jour de juillet 1872 où Mathilde et sa mère viennent à Bruxelles exhorter Verlaine à rentrer au foyer. Il accepte mais, dans le train du retour, où Rimbaud s'est aussi glissé, il leur fausse compagnie. Tous deux filent à l'anglaise... et à Londres.

Pauvre Cythère

Drôle de Cythère que cette grande ville du Progrès qui garde les ambitieuses constructions de l'Exposition Univer- selle comme le Crystal Palace à côté de la grande misère prolétarienne. Tout est à voir: lumières et reflets, architec- tures délirantes, mais aussi les bouges, les docks, les coupe- gorge. retrouvent à Londres les artistes qui s'étaient exilés pour échapper à la répression de la Com- mune; tous deux vivent chichement de l'argent envoyé par la mère de Verlaine, mais la misère n'exalte pas l'amour et leur relation se dégrade. Verlaine, maladivement velléitaire, ne peut s'empêcher de faire partager ses crises de conscience, ses remords, ses angoisses. Quand il est à Londres, il rêve de réconciliation avec Mathilde; dès qu'il àborde le continent, c'est pour constater l'impossibilité de la vie conjugale. Rimbaud réagit violemment, tantôt le rejetant, tantôt le retenant et accordant toutes les concessions. Déchirements, combats sordides : « L'amour est à réinven- ter, on le sait. » Cela ne favorise guère l'écriture. Pourtant, Verlaine compose alors Romances sans paroles. Rimbaud se lance, peut-être dès cette époque, dans des proses qui rejoindront les Illuminations. En 1872 et 73, la vie du couple devient sismique. Rimbaud fait appel à sa mère; à l'automne 1872, elle va voir à Paris la femme et la mère de Verlaine puis conseille à son fils de rentrer. Rimbaud obtempère. Décembre 1872, le voici à Charleville. Pas pour longtemps ! Verlaine malade appelle au secours. Retour à Londres. Ils vivent de leçons; Rim- baud, avide comme toujours de tout savoir («philomathe» dit plus tard Verlaine), fait des listes de mots anglais, langue dont les Illuminations portent discrètement l'empreinte. Verlaine reste tourmenté : si Mathilde lui intente un procès, sa vie scandaleuse lui sera reprochée. Il part et Rimbaud revient à Roche en avril 1873 dans la propriété familiale. De cette période datent les premiers textes d'Une saison en enfer qui s'appelle alors Livre païen ou Livre nègre et surgit donc comme une écriture de crise. Delahaye et lui se donnent rendez-vous régulièrement pour de longues conversations; Verlaine vient les rejoindre le dimanche à Bouillon, une petite ville des Ardennes, proche de la fron- tière belge. Le couple, en mai 1873, repart pour Londres, mais rien n'a changé, leur vie reste ce qu'elle était : précaire, conflic- tuelle. Les exilés communards se détournent de ce couple instable, trop scandaleux. Rimbaud voit Verlaine s'embarquer de nouveau pour Anvers le 3 juillet 1873; il tente vainement de le retenir. Verlaine, à peine embarqué, regrette déjà, écrit pour se jus- tifier. A Bruxelles, il fait peser sur sa femme un chantage au suicide : seule sa mère accourt. Par télégramme, il prévient Rimbaud qu'il va s'engager dans les troupes carlistes. Rim- baud le rejoint, excédé, pour lui signifier la rupture. C'est le trop fameux coup de pistolet du 10 juillet 1873. Rimbaud, blessé au poignet, escorté par un Verlaine armé, de plus en plus exalté, qui le poursuit jusqu'à la gare, finit par porter plainte. Il retirera sa plainte le 19 juillet. Bilan : deux ans de prison pour Verlaine, qui est incarcéré à la prison des Petits- Carmes à Bruxelles, puis à Mons, libéré dix-huit mois plus tard; une crise profonde pour Rimbaud qui se retrouve à Roche en août 1873 et écrit les textes violents, grinçants, d'Une saison en enfer. Roche signifie pour lui « les horribles travaux des champs» mais « la main à la plume vaut la main à la charrue. » Rim- baud travaille dans son grenier à son recueil : c'est le seul dont il poursuive l'achèvement jusqu'à la publication en octobre 1873. La rage le pousse à liquider dans ce texte ses illusions; il a à cœur d'en porter lui-même un exemplaire à Verlaine en prison. A Paris, devant l'accueil plutôt froid que lui réservent les artistes qu'il a naguère fréquentés, il laisse quelques exem- plaires à ses amis les plus proches, rentre ulcéré à Roche où il brûle ses brouillons et exemplaires de reste : il met ainsi le feu à ce chapitre de sa vie.

Poésie, dernier acte Après l'hiver 73-74 passé à Charleville, Londres l'attire de nouveau. Tente-t-il de répéter un air déjà connu ? En mars 1874, il essaie là-bas de vivre avec le poète Germain Nou- veau. De nombreux poèmes des Illuminations ont été reco- piés de la main de ce dernier, Rimbaud, toujours pressé, travaillant sans doute pendant ce temps à compléter le futur recueil. Mais Germain Nouveau rentre en France et Rim- baud tente de subsister seul par ses leçons de français. En juillet 1874, malade, il appelle sa famille à la rescousse; sa mère et Vitalie viennent à Londres et Rimbaud, fort obli- geamment, selon le journal de Vitalie, les conduit dans les musées et les grands magasins. Il reste seul jusqu'en décembre 1874 puis rentre à Charleville se mettre en règle avec les autorités militaires. Son frère, engagé, étant sous les drapeaux, il se voit exempté des obligations militaires. En 1875, Rimbaud est précepteur à Stuttgart : il pense tou- jours constituer en recueil les proses des deux dernières années. Malgré sa rancune et les souffrances passées, il ne refuse pas de rencontrer Verlaine qui, en février 1875, à sa sortie de prison, a obtenu de le voir... pour le convertir! Il est reçu comme on le devine : c'est bientôt l'empoignade. Rimbaud lui confie tout de même les feuillets volants où sont recopiées les Illuminations. Le geste n'est pas forcé- ment signe de pardon : c'est peut-être une invitation à payer pour se racheter en finançant l'édition. Verlaine retourné à Londres, joliment traité de «Loyola» dans les lettres de Rimbaud, se voit pressé d'adresser le manuscrit à Germain Nouveau pour publication à Bruxelles. Comme d'habitude, sitôt Verlaine a-t-il obtempéré qu'il le regrette,... mais ceci est une autre histoire, puisque commence ici le fameux roman du manuscrit des Illuminations. Dès lors, Rimbaud semble tourner le dos à son œuvre poé- tique. Pourtant, dès 1883, l'étude de Verlaine Les Poètes maudits a été publiée en livraisons successives dans la revue Lutèce et l'année suivante reprise en volume. Rimbaud y figure, avec des extraits de ses textes. Mais « La vie est la farce à mener par tous » et elle semble excéder le champ restreint de la transmutation artisanale des mots : Rimbaud se jette dans l'Inconnu, portant désormais la poésie dans les parcours du monde vivant. DEUXIÈME INTERMÈDE

VILAINS BONSHOMMES, ZUTISTES ET FUMISTES

« Les Vilains Bonshommes » était le nom que se donnaient en leurs réunions un peu débridées les artistes de la bohème parisienne. Verlaine en faisait partie ainsi que d'autres gens de lettres, peintres, musiciens. Après la Commune, impossible de se retrouver ensemble pour rire à l'unisson; le groupe se scinde. Les zutistes se retrouvent temporairement dans le quartier latin à l'Hôtel des Étrangers à partir d'octobre 1871. Pour passer le temps, ils rédigent un recueil collectif de facéties : L'Album zutique. En tout, trente pages de poèmes écrits à la main par les auteurs, émaillées de dessins, de caricatures, le tout dans un registre nettement obscène. Il y a là P. Verlaine, A. Rim- baud, G. Nouveau, Blémont, Valade, A. et Ch. Cros, J. Richepin, A. Gill, mais leurs poèmes sont signés du nom des victimes : Coppée, Daudet, etc. Les dizains et sonnets parnassiens sont parodiés, tournés en dérision. «La mort des cochons, paroles de Baudelaire, musique de M. Le Comte Auguste Mathias Villiers de l'Isle-Adam», c'est du tac au tac pour «La Mort des amants»; quant à «L'Idole» («Sonnet du trou du cul»), c'est une charge scatologique contre Albert Mérat écrite conjointement par Verlaine et Rimbaud. Les deux quatrains de Rimbaud, plus efficaces que ceux de son collègue, salis- sent méthodiquement les belles entités : le rêve, l'âme... En décembre. 1871, Rimbaud est mis à la porte du club ; il blesse le photographe Carjat d'un coup de canne épée après le dîner des Vilains Bonshommes, fin janvier 1872.

L'Album zutique, longtemps oublié, puis négligé, a été publié en fac-similé en 1961 (présentation, commentaires et transcription de P. Pia) puis reproduit en 1981.

La participation de Rimbaud à L'Album zutique a été long- temps considérée comme une facétie de potache ou de bohème imbibé d'absinthe. Mais les dérives de Rimbaud ne sont ni plus ni moins signifiantes que ses avancées. Et si l'on compare les parodies de l' Album, on voit que sa parti- cipation est autre chose qu'un pied de nez au formalisme parnassien : dégradation systématique de la perfection de l'art, du culte de la beauté, complaisance scatologique relè- vent ici d'une inversion du sens manifeste et du sens caché puisque l'obscénité affichée qui agresse le lecteur voile un autre propos. Ainsi les «Remembrances du vieillard idiot» où «remem- brement» indique une résurrection sexuelle inespérée... est aussi, sur un plan figuré, le remembrement du vers, de l'alexandrin mis à mal. L'alexandrin est ce «vieillard idiot», cette forme ancienne et gâteuse. Pire, c'est l'alexan- drin de Vir Hug que « idi inscrit comme en écho. L'obscénité sert ici de masque à un propos théorique finalement plus choquant, plus virulent et révolutionnaire que les vulgarités lexicales. Les « Fumistes » réunissent certains de ces « zutistes » et des personnages hauts en couleur de la fin du XIX siècle, comme Sapeck. Le terme est d'abord péjoratif : on le bran- dit contre les délires de l'écriture dite décadente, contre les Illuminations, contre la poésie obscure et raffinée de Mal- larmé — contre tout ce que ne comprend pas la bourgeoisie « cultivée » dans la poésie contemporaine. Bientôt les exclus revendiquent le terme : Rimbaud n'a-t-il pas parlé de ses ambitions passées comme d'une «énorme fumisterie»? Qu'à cela ne tienne: Félix Fénéon (l'«ordonnateur» des Illuminations dans La Vogue) projette Six nouvelles fumistes. E. Gardeau le définit comme «une espèce de folie inté- rieure, se traduisant au-dehors par d'imperturbables bouf- fonneries ». Facéties, humour, esprit de fantaisie (cf. déjà La Revue fantaisiste et les acrobaties funambulesques de Ban- ville), jeux verbaux, coq-à-l'âne et aberrations logiques colorent tout un vaste de la littérature et de la poésie de l'époque. Jusqu'à la peinture qui donne lieu aux expositions d'art incohérent, jusqu'à la musique où Satie, sans aucun doute, relève de cette verve et assure le relais avec le mou- vement Dada. Les Hydropathes (c'est-à-dire ceux que l'eau fait souffrir, club fondé en 1878) puis le Chat noir (cabaret fermé en 1898) donnent un support à ces groupes fluctuants : Incohé- rents, Jemenfoutistes, Zutistes, Fumistes — tous acteurs de ce que E. Gardeau identifie en 1887 comme un « tremble- ment de terre de l'esprit» ou « un tremblement de tête », anarchisme et chahut de l'art. « L'HOMME AUX SEMELLES DE VENT»

«L'homme aux semelles de vent» : cette expression est de Verlaine, lorsqu'il évoque Rimbaud, insatisfait — le poète se dit lui-même «pressé de trouver le lieu et la formule». Rimbaud voyage. Ces départs qui précèdent ce que le «mythe Rimbaud» appelle la Rupture, sont des sortes de tentatives avortées, des brouillons du grand voyage à venir. On croit voir une sorte d'affolement dans ces parcours, comme si Rimbaud tournait sur lui-même avant de trouver son Orient.

Fin avril 1875, il part pour l'Italie, par la Suisse, tombe malade à Milan, gagne le Sud. Victime d'insolation, ce «fils du soleil » doit être rapatrié le 15 juin 1875 par le Consul de France à Livourne. Répétiteur à Maison-Alfort, il envisage de se faire frère des écoles chrétiennes pour voyager en Extrême-Orient. Au printemps suivant, il est à Vienne, mais on lui vole tout son argent. Il rentre à Charleville. En mai, le voici à Bruxelles, à Rotterdam où il s'enrôle pour six ans dans l'armée coloniale. En route pour Sumatra, Batavia. Mais Rimbaud n'est déjà plus à bord : déserteur, il s'est embarqué sous un faux nom sur un navire écossais. Le Cap, Sainte Hélène. L'Irlande, Cork. Liverpool. Le Havre. Charleville. C'est l'hiver 1876-77.

Au printemps 1877, il repart à Cologne, recrute des volon- taires pour un agent hollandais ; Brême, Hambourg. Employé dans un cirque, il part en tournée à Stockholm et Copenhague. Charleville.

Puis à Marseille, il s'embarque à destination d'Alexandrie. Le voyage s'arrête pour lui à Civitavecchia. Malade, il est débarqué là. Rome, Marseille. Charleville. C'est l'hiver 1877-78.

Ensuite, Hambourg, la Suisse, Roche pour l'été 1878. En octobre, nouveau départ pour la Suisse, Gênes, Alexan- drie avec, en poche, un contrat de travail à Larnaca (Chypre). Il y est directeur de carrières en 1879. Typhoïde, rapatriement. Retour à Roche pour l'été 1879, travaux des champs. A l'automne, il repart pour Alexandrie. Mais à Marseille, voici de nouveau la fièvre : retour à la case départ. Roche, hiver 1879-80.

«Un sieur Rimbaud, négociant» En mars 1880 a lieu le vrai départ pour Alexandrie. Pendant deux mois, il travaille à Chypre comme chef d'équipe construisant le palais du gouverneur sur le mont Troodos, à 2 100 mètres. D'emploi en emploi, il songe à l'Afrique — la rumeur parle aussi du meurtre d'un ouvrier, mais les mythes sont toujours généreux avec leurs héros. Il gagne en juillet 1880 Aden puis, après la traversée du désert Somali, la ville de Harrar au centre de l'Abyssinie. On est au début de décembre 1880. On l'y a vu marchand d'esclaves... ! Or les légendes ont un sens, celui d'une idéo- logie. La légende de Rimbaud marchand d'esclaves permet de renvoyer l'œuvre du poète et ses engagements révolu- tionnaires vers les idéalismes adolescents dont tout homme doit se défaire — une belle leçon pour la jeunesse séduite par les messages de révolte... Tout autre est l'enseignement de la correspondance assez abondante de Rimbaud avec les siens : il reste l'homme pressé par la grande insatisfaction, élancé toujours vers d'autres projets. L'ennui continue de le tarauder: «Je m'ennuie beaucoup, toujours ; je n 'ai même jamais connu personne qui s'ennuyât autant que moi. » Rimbaud pour- suivi par l'Ennui, Rimbaud poursuivant la fortune... Dès l'enfance, provocateur à dix ans, il répondait quand on lui demandait ce qu'il ferait plus tard : «Je serai rentier. » Écorcheur de bêtes? On voit bien que la revendication de la force primitive, l'éthique «sauvage» n'a rien à voir avec la violence exercée collectivement, officiellement, sans risque, au nom du Pouvoir. Le texte multiplie les chiasmes, les inversions ou alliances de mots : ruptures par rapport à l'expression prévisible qui illustrent l'inversion — ou la perversion — idéologique : ainsi «philosophie féroce» pourrait être antinomique si l'on considère que la philosophie vise la sagesse comme victoire de la pensée sur la pulsion, force civilisatrice opposée à la sauvagerie. De même «ignorants pour la science, roués pour le confort», quand c'est l'inverse qui constituerait la vertu dans la démocratie antique, apparaît comme perver- sion du système. Le chiasme final : «C'est la vraie marche. En avant, route!», où l'on attend plutôt «C'est la vraie route. En avant, marche », montre que ce départ, cette vraie marche sont des faux départs vers des culs-de-sac de la démocratie, ou une fuite en avant («En avant, toute» est aussi l'ordre qui fait monter le régime des moteurs du navire). «Au revoir ici, n'importe où» disait déjà que c'est la volonté d'aller qui dicte le chemin et non le but qui l'oriente. « Le drapeau va au paysage immonde » était dès le départ ambigu : il lui va = il s'accorde à lui, lui convient. Mais aussi il y va, préfigurait le mouvement qui l'emporte à la fin... Le texte, discours des soldats républicains choisis dans les masses paysannes, pour tenir en respect les prolétaires des villes et défendre l'ordre bourgeois colonialiste, montre Rimbaud extrêmement attentif à l'idéologie dominante, aux glissements désespérants du principe de la démocratie, mot qui sert d'alibi à la domination des forces brutales les plus réactionnaires. A travers ce discours des conscrits féroces, Rimbaud fustige l'illusion de Progrès : il n'y a ni progrès politique ni progrès social, seulement un «En avant, nous écraserons tout » aveugle et inepte. Les soldats de la III République sont présentés comme les mercenaires de toutes les répressions au service d'un capita- lisme monstrueux. L'issue est clairement prédite par la cynique grossièreté de la soldatesque, c'est «la crevaison pour le monde qui va » — «crevaison», nom dérivé du verbe familier, par son registre, sa « crudité » renchérit sur la logique de ruine, la fuite en avant, l'appétit de mort qui conduit ces troupes ignorantes. Tout le texte est mené « tam- bour battant», d'ailleurs, construit comme une musique militaire, une marche triomphale, grâce au parallélisme des attaques de paragraphe («Aux centres nous alimente- rons »[...]/« Aux pays poivrés et détrempés ! »... repris dans « au service des »/« Au revoir ici, n 'importe où »). Ainsi, la première phrase du texte rétrospectivement s'éclaire : le tambour étouffé par le patois renvoie au « tam- bour de la nouvelle harmonie » de « A une Raison » — à la révolution frôlée, rêvée qui devait établir sur terre le «nou- vel amour ». Cette aspiration véritablement progressiste a été couverte par la langue barbare, indistincte des forces répressives recrutées dans le terroir... DIXIÈME INTERMÈDE

LES IDÉES POLITIQUES DE RIMBAUD

Rimbaud est éduqué dans une famille de petits propriétaires terriens : la mère tient de ses parents une ferme à Roche qu'elle doit «faire valoir». La piété, les principes d'écono- mie, la rigueur morale, le Devoir règlent la vie quotidienne. Rimbaud, enfant, intègre d'abord les principes au point de se faire parfois le champion de la bonne cause ; il s'imprègne des grands textes de la religion et suit le caté- chisme, va à la messe avec sa mère, ses sœurs et son frère. Peu à peu, il rue dans les brancards et récuse les modèles proposés. Lorsqu'il a dix ans et qu'on lui demande ce qu'il veut faire, il répond : « Je veux être rentier » et ne cessera de poursuivre à travers ses pérégrinations en Abyssinie le moment lointain où il rentrera au pays, fortune faite. Dans ses premiers poèmes, Rimbaud met en scène la pau- vreté, l'enfance démunie, les orphelins affamés : par sensi- bilité personnelle mais aussi par choix poétique car il reprend à son compte une topique littéraire : « Les Pauvres gens » de Hugo, les petites vieilles abandonnées de Baude- laire, le peuple laborieux inspirent une certaine frange pro- gressiste de la poésie, et abondent dans les recueils de récitation scolaire. «Les Étrennes des orphelins », «Les Effarés » en procèdent directement. L'histoire va se charger de transformer cette inclination en analyse socio-politique : il remet alors en cause l'idéologie du Travail, de la Famille, de la Patrie qui bien avant le XX siècle nourrit et justifie la bourgeoisie catholique. Sur le travail, l'oscillation est nette : refus violent de se mettre au travail, de devenir — comme sa mère l'y engage — employé dans une administration quelconque — il lui fera quelques concessions, très éphémères, cherchant du travail dans les journaux sans en trouver durablement. Il donne à Londres, à Stuttgart, des cours de français pour vivre, puis signe des contrats commerciaux et se jette à corps perdu dans le commerce au Harrar, dans les expéditions aventu- reuses.

Mais le travail, lié à l'Ennui, n'est pas en soi une valeur morale. « La main à plume vaut la main à charrue » : le dis- crédit rejaillit sur le travail du poète. Tantôt Rimbaud le récuse, tantôt il avance comme un forcené, prend des réso- lutions de labeur suivi et sérieux (cf. dans «Jeunesse IV : « Tu en es encore à la Tentation d'Antoine. Mais tu te met- tras à ce travail»). De toute façon, ses listes de mots anglais et allemands, sa correspondance, le catalogue de ses lec- tures montrent que sa curiosité est insatiable et qu'il s'abîme littéralement dans le travail de création sans pou- voir faire autrement. Sa paresse un peu bohème est aussi cultivée comme un mythe, une élégance d'artiste. La famille, on l'a vu, est perçue comme un déterminisme étouffant. Si l'on en croit « Mémoire », « Mauvais sang », la correspondance, une scène capitale — la séparation du père et de la mère — et la rigueur maternelle condamnent Rim- baud au doute, à la solitude, à une marginalité coupable. Il n'est pour lui de «bonne» famille que choisie, spirituelle. Mais, dans la réalité, il existe une solidarité effective entre Rimbaud, sa mère, sa sœur. La patrie le dégoûte : Charleville a droit à ses quolibets — mais il en regrette le café et la bibliothèque quand il est à Roche. La guerre franco-allemande amène les Prussiens à Charleville; Rimbaud, Ardennais, n'arrive pas à sentir l'occupant comme l'ennemi à abattre : il se félicite de l'ani- mation que mettent dans la ville les soldats allemands, iro- nise sur le siège de Mézières et ne voit dans les combats proches que des obstacles à ses fugues. Mais la guerre ne contribue pas peu à l'émancipation idéo- logique du jeune homme : ce qu'il voit autour de lui l'amène à réfléchir sur l'injustice sociale, la nature du pouvoir, l'oppression des peuples par les États qui programment la consommation de leurs propres enfants. Les caricaturistes de presse lui donnent pour ses propres poèmes l'idée d'exploiter les contrastes, de forcer le trait jusqu'à la charge. Ainsi, «Le Mal », « L'Éclatante Victoire de Sarre- brück » témoignent de ce regard désabusé anti-nationaliste. La Commune soulève Rimbaud d'enthousiasme ; on le voit sinon mêlé aux événements, du moins très informé, suivant dans la presse l'évolution de l'insurrection, décryptant avec lucidité, malgré la censure et la propagande, les discours. La violence de ses réactions éclate immédiatement en poèmes qui sont autant d'invectives. Il traite, dans une lettre du 17 avril 1871 à Demeny, les assiégeants de « hargneux pour- ris»; de cette époque de la Commune date «Paris se repeuple» — nommé ensuite «L'Orgie parisienne» — «Orgie» étant le terme par lequel les anti-communards condamnent les insurgés, vus comme des bêtes déchaînées ; Rimbaud retourne l'injure et revendique excès et démesure. « Paris se repeuple » est-il le poème annoncé à Demeny le 15 mai 1871 sous le titre «Mort de Paris»? Quoi qu'il en soit, la véhémence y est à son comble et il ne fait aucun doute que les lâches qui repeuplent Paris sont des nantis qui rentrent rassurés après l'armistice avec la Prusse et, aussi, les Versaillais qui entrent dans la capitale pour la répression — c'est-à-dire la bourgeoisie d'affaires appuyée par l'armée. «Les Mains de Jeanne-Marie» publié pour la première fois par les surréalistes dans Littérature est à la gloire des femmes de la Commune. Rimbaud, dans sa correspondance, annonce qu'il lit avec enthousiasme «les fantaisies admi- rables de Jules Vallès et de Vermersch au Cri du peuple » (Lettre du 17 avril 1871). Il retrouvera ces deux écrivains engagés parmi les exilés à Londres. Dans sa lettre du 15 mai 1871 — n'est-il pas significatif que les lettres sur la Voyance soient contemporaines de la flambée parisienne? — il écrit: «[Le Poète] est chargé de l'humanité [...] il serait vraiment un multiplicateur de progrès. » Certes, il faut parfois se livrer à un véritable décodage pour retrouver le contenu révolutionnaire parfois très précis, de certains poèmes. C'est qu'on est après la Commune, en pleine période de répression, arrestations et déportations, que la censure et bientôt un régime «d'ordre moral» règnent. De toute façon, le projet poétique de Rimbaud implique une lisibilité du texte sur plusieurs plans séman- tiques simultanés et liés. On peut voir un tel contenu poli- tique dans «Le Cœur supplicié» — devenu le «Cœur du pitre » puis « Cœur volé » — mise en scène de la ville violée en un véritable chant de douleur parisien. De même « Vieux de la Vieille» célèbre la Commune (cf. les calembours comme «O Robinets» qui cachent une allusion au Maire du VI arrondissement, Robinet) ou dans «Orgie parisienne », on a pu mettre en évidence l'anagramme de orage, méta- phore de la tourmente révolutionnaire. Dans les Illumina- tions, « Après le déluge», «Soir historique», «Démo- cratie» entre autres, témoignent que Rimbaud ne s'est jamais départi de sa vision révolutionnaire, même si on ne peut à coup sûr prouver son attachement aux thèses de l'illuminisme social. S'il a lu Saint-Simon, Proudhon, Fou- rier, peu d'indices lexicaux attestent qu'il souscrive à leur message. Les silences de Rimbaud et son hermétisme ont permis des récupérations diverses de son œuvre. N'a-t-on pas fait de lui un marchand d'esclaves, à partir d'une lettre tronquée d'Ilg à Rimbaud, au Harrar? C'est Mario Matucci qui le premier a définitivement écarté cette légende. On sait aujourd'hui que Rimbaud demandait deux esclaves pour une expédi- tion; deux «sherpas» de l'époque — ce qui n'excuse ni Rimbaud ni les actuels amateurs de traking mais n'a rien à voir avec le commerce en question. A la suite des manipulations d' et de son mari (qui, en 1912, se garde de publier « Un cœur sous une soutane », texte en prose qu'on vient de lui signaler...), toute une série de commentateurs bien pen- sants ont voulu sauver Rimbaud des flammes de l'Enfer. Paul Claudel le salue comme un frère mystique, un esprit profondément torturé par l'engagement religieux et par une idée du Christ qui s'accommode mal des compromissions de l'Église. Stanislas Fumet, Suzanne Briet, André Thisse lui emboîtent le pas. Ce dernier, imprégné de Teilhard de Chardin, jésuite philosophe qui exerça une forte influence dans les années cinquante, conclut même une étude fort documentée sur le catholicisme au temps de Rimbaud par cette curieuse distinction entre le philosophe-Voyant et le poète Voyant : « il y a entre eux cette différence d'une foi consciente à une foi qui ne l'est pas.» Rimbaud croyant sans le savoir serait aussi «plus ou moins» adepte de la métempsycose et dans « Aube » ne poursuit plus la beauté dans ses voiles... mais le Christ. Gengoux, Jean Richet, élargissent le mysticisme de Rimbaud vers les sciences occultes, en font un illuminé-illuministe adepte de toutes les magies. Et l'on comprend ce qu'on risque à prendre telles quelles des formules comme «A chaque être plusieurs autres vies me semblaient dues » ou « Le Nombre... le cal- cul... » («Mauvais sang»). Ce qui paraît établi, c'est que Rimbaud rejette dans ses œuvres, violemment, l'action de l'Église, sa dérive loin du message christique, ses cérémonies, son alliance objective avec le pouvoir et l'exploitation. Quant aux religions, il s'interroge sur leurs présupposés idéologiques : anti-dogma- tique, il considère leur message, leurs conséquences histo- riques, les attitudes et comportements qu'elles génèrent (voir « L'Impossible » p. 330). Si l'on en croit Une saison en enfer et les Illuminations, il rejette la morale de la faute et de la rédemption, récuse le Dieu punisseur de la Bible, le péché originel, la culpabilité humaine ; il leur oppose l'Orient, une philosophie religieuse plus apaisée, puis critique, comme trop simple elle aussi, cette opposition Orient/Occident. Son œuvre ne fournit d'autre réponse que l'apologie de la révo- lution, contre-déluge qui recréera un monde humain, genèse à rebours qui vise le salut des exclus. Le « génie » poétique, tel qu'il l'envisage, apparaît comme une alternative au Christ. Son message est sans menace, sans calcul, sans mar- ché. Le seul mot d'ordre clair que toute l'œuvre martèle c'est «l'amour est à réinventer », amour corrosif, total, qui englobe l'amour chrétien — message d'ordre politique et religieux, révolutionnaire comme l'ont bien compris les sur- réalistes. Jamais Rimbaud ne changera d'avis sur les condi- tions matérielles qui sont faites à l'amour et à l'existence dans cette société : « Décidément, nous sommes hors du monde » («Nuit de l'enfer»); il écrit encore d'Abyssinie : « Nous sommes maintenant dégoûté de protester contre la situation qu 'on nous fait. »

BIBLIOGRAPHIE

Octave Mannoni, « Le Besoin d'interpréter». Voir Clé pour l'imaginaire ou l'autre scène, Paris, éd. du Seuil, «Le Champ freudien », 1969. Steve Murphy, Le Premier Rimbaud ou l'apprentissage de la subversion, éd. du CNRS/Presses Universitaires de Lyon, 1990. « Le Sacré-Cœur volé du poète » dans Lectures de Rimbaud, Revue de l'Université de Bruxelles, 1982, pp. 27-46. Anne-Emmanuelle Berger, «Chants d'amour parisiens de Rimbaud », dans Romantisme, n° 72, CDU-CEDES, 1991, pp. 61-74. Cecil A. Hackett, « L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple», Parade sauvage, n° 2, Charleville, 1985. Yves Denis, «Glose d'un texte de Rimbaud: "Après le déluge"», Les Temps modernes, Paris, 1968, pp. 1261 - 1276. Mario Matucci, Le Dernier voyage de Rimbaud en Afrique, Marcel Didier, 1962. «Sur Rimbaud en Abyssinie», Berenice, n° 2, 1981, pp. 107-116. Suzanne Briet, «La Bible dans l'œuvre de Rimbaud», Études rimbaldiennes, n° 1, 1968, pp. 87-129. Avant- siècle 6. TROISIÈME PARTIE

CHOIX DE POÈMES

Les poèmes contenus dans cette anthologie sont extraits du Cahier de Douai, des Poésies, des Vers nouveaux, des Déserts de l'amour, d'Une saison en enfer, des Illu- minations. VÉNUS ANADYOMÈNE

Comme d'un cercueil vert en fer blanc, une tête De femme à cheveux bruns fortement pommadés D'une vieille baignoire émerge, lente et bête, Avec des déficits assez mal ravaudés ; Puis le col gras et gris, les larges omoplates Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ; Puis les rondeurs des reins semblent prendre l'essor ; La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ; L'échine est un peu rouge, et le tout sent un goût Horrible étrangement ; on remarque surtout Des singularités qu'il faut voir à la loupe... Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ; — Et tout ce corps remue et tend sa large croupe Belle hideusement d'un ulcère à l'anus. LE MAL

Tandis que les crachats rouges de la mitraille Sifflent tout le jour par l'infini du ciel bleu ; Qu'écarlates ou verts, près du Roi qui les raille, Croulent les bataillons en masse dans le feu ; Tandis qu'une folie épouvantable, broie Et fait de cent milliers d'hommes un tas fumant ; — Pauvres morts ! dans l'été, dans l'herbe, dans ta joie, Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement!... — — Il est un Dieu, qui rit aux nappes damassées Des autels, à l'encens, aux grands calices d'or ; Qui dans le bercement des nosannah s'endort, Et se réveille, quand des mères, ramassées Dans l'angoisse, et pleurant sous leur vieux bonnet noir, Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir ! LES DOUANIERS

Ceux qui disent : Cré Nom, ceux qui disent macache, Soldats, marins, débris d'Empire, retraités Sont nuls, très nuls, devant les Soldats des Traités Qui tailladent l'azur frontière à grands coups d'hache. Pipe aux dents, lame en main, profonds, pas embêtés Quand l'ombre bave aux bois comme un mufle de vache Ils s'en vont, amenant leurs dogues à l'attache, Exercer nuitamment leurs terribles gaîtés ! Ils signalent aux lois modernes les faunesses. Ils empoignent les Fausts et les Diavolos. « Pas de ça, les anciens ! Déposez les ballots ! » Quand sa sérénité s'approche des jeunesses, Le Douanier se tient aux appas contrôlés ! Enfer aux Délinquants que sa paume a frôlés ! L'ORGIE PARISIENNE OU PARIS SE REPEUPLE

Ô lâches, la voilà ! dégorgez dans les gares ! Le soleil expia de ses poumons ardents Les boulevards qu'un soir comblèrent les Barbares. Voilà la Cité belle, assise à l'occident ! Allez ! on préviendra les reflux d'incendie, Voilà les quais ! voilà les boulevards ! voilà, Sur les maisons, l'azur léger qui s'irradie, Et qu'un soir la rougeur des bombes étoila. Cachez les palais morts dans des niches de planches ! L'ancien jour effaré rafraîchit vos regards. Voici le troupeau roux des tordeuses de hanches, Soyez fous, vous serez drôles, étant hagards ! Tas de chiennes en rut mangeant des cataplasmes. Le cri des maisons d'or vous réclame. Volez ! Mangez ! voici la nuit de joie aux profonds spasmes Qui descend dans la rue, ô buveurs désolés, Buvez ! Quand la lumière arrive intense et folle, Fouillant à vos côtés les luxes ruisselants, Vous n'allez pas baver, sans geste, sans parole, Dans vos verres, les yeux perdus aux lointains blancs, Avalez, pour la Reine aux fesses cascadantes ! Écoutez l'action des stupides hoquets Déchirants. Ecoutez sauter aux nuits ardentes Les idiots râleux, vieillards, pantins, laquais ! Ô cœurs de saleté, bouches épouvantables, Fonctionnez plus fort, bouches de puanteurs ! Un vin pour ces torpeurs ignobles, sur ces tables... Vos ventres sont fondus de hontes, ô Vainqueurs ! Ouvrez votre narine aux superbes nausées ! Trempez de poisons forts les cordes de vos cous ! Sur vos nuques d'enfants baissant ses mains croisées Le Poète vous dit : ô lâches, soyez fous ! Parce que vous fouillez le ventre de la Femme Vous craignez d'elle encore une convulsion Qui crie, asphyxiant votre nichée infâme Sur sa poitrine, en une horrible pression. Syphilitiques, fous, rois, pantins, ventriloques, qu'est-ce que ça peut faire à la putain Paris, Vos âmes et vos corps, vos poisons et vos loques? Elle se secouera de vous, hargneux pourris ! Et quand vous serez bas, geignant sur vos entrailles, Les flancs morts, réclamant votre argent, éperdus, La rouge courtisane aux seins gros de batailles Loin de votre stupeur tordra ses poings ardus ! Quand tes pieds ont dansé si fort dans les colères, Paris ! quand tu reçus tant de coups de couteau, Quand tu gis, retenant dans tes prunelles claires Un peu de la bonté du fauve renouveau, Ô cité douloureuse, ô cité quasi morte, La tête et les deux seins jetes vers l'Avenir Ouvrant sur ta pâleur ses milliards de portes, Cité que le Passé sombre pourrait bénir : Corps remagnétisé pour les énormes peines, Tu rebois donc la vie effroyable ! tu sens Sourdre le flux des vers livides en tes veines, Et sur ton clair amour rôder les doigts glaçants ! Et ce n'est pas mauvais. Tes vers, tes vers livides Ne gêneront pas plus ton souffle de Progrès Que les Stryx n'éteignaient l'œil des Cariatides Où des pleurs d'or astral tombaient des bleus degrés. Quoique ce soit affreux de te revoir couverte Ainsi ; quoiqu'on n'ait fait jamais d'une cité Ulcère plus puant à la Nature verte, Le Poète te dit : « Splendide est ta Beauté ! » L'orage t'a sacrée suprême poésie ; L'immense remuement des forces te secourt; Ton œuvre bout, la mort gronde, Cité choisie ! Amasse les strideurs au cœur du clairon lourd. Le Poète prendra le sanglot des Infâmes, La haine des Forçats, la clameur des maudits ; Et ses rayons d'amour flagelleront les Femmes. Ses strophes bondiront : voilà ! voilà ! bandits ! — Société, tout esj: rétabli : — les orgies Pleurent leur ancien râle aux anciens lupanars : Et les gaz en délire, aux murailles rougies, Flambent sinistrement vers les azurs blafards ! Mai 1871. LES MAINS DE JEANNE-MARIE

Jeanne-Marie a des mains fortes, Mains sombres que l'été tanna, Mains pâles comme des mains mortes. — Sont-ce des mains de Juana ? Ont-elles pris les crèmes brunes Sur les mares des voluptés ? Ont-elles trempé dans des lunes Aux étangs de sérénités ? Ont-elles bu des cieux barbares, Calmes sur les genoux charmants ? Ont-elles roulé des cigares Ou trafiqué des diamants ? Sur les pieds ardents des Madones Ont-elles fané des fleurs d'or ? C'est le sang noir des belladones Qui dans leur paume éclate et dort. Mains chasseresses des diptères Dont bombinent les bleuisons Aurorales, vers les nectaires ? Mains décanteuses de poisons ? Oh ! quel Rêve les a saisies Dans les pandiculations ? Un rêve inouï des Asies, Des Khenghavars ou des Sions ? — Ces mains n'ont pas vendu d'oranges, Ni bruni sur les pieds des dieux : Ces mains n'ont pas lavé les langes Des lourds petits enfants sans yeux. Ce ne sont pas mains de cousine Ni d'ouvrières aux gros fronts Que brûle, aux bois puant l'usine, Un soleil ivre de goudrons. Ce sont des ployeuses d'échinés, Des mains qui ne font jamais mal, Plus fatales que des machines, Plus fortes que tout un cheval ! Remuant comme des fournaises, Et secouant tous ses frissons, Leur chair chante des Marseillaises Et jamais les Eleisons ! Ça serrerait vos cous, ô femmes Mauvaises, ça broierait vos mains, Femmes nobles, vos mains infâmes Pleines de blancs et de carmins. L'éclat de ces mains amoureuses Tourne le crâne des brebis ! Dans leurs phalanges savoureuses Le grand soleil met un rubis ! Une tache de populace Les brunit comme un sein d'hier ; Le dos de ces Mains est la place Qu'en baisa tout Révolté fier ! Elles ont pâli, merveilleuses, Au grand soleil d'amour chargé, Sur le bronze des mitrailleuses A travers Paris insurgé ! Ah ! quelquefois, ô Mains sacrées, A vos poings, Mains où tremblent nos Lèvres jamais désenivrées, Crie une chaîne aux clairs anneaux ! Et c'est un soubresaut étrange Dans nos êtres, quand, quelquefois, On veut vous déhâler, Mains d'ange, En vous faisant saigner les doigts ! Ô saisons, ô châteaux Quelle âme est sans défauts ? Ô saisons, ô châteaux, J'ai fait la magique étude Du Bonheur, que nul n'élude. Ô vive lui, chaque fois Que chante son coq Gaulois. Mais ! je n'aurai plus d'envie, Il s'est chargé de ma vie. Ce Charme ! il prit âme et corps Et dispersa tous efforts. Que comprendre à ma parole ? Il fait qu'elle fuie et vole ! Ô saisons, ô châteaux ! [Et, si le malheur m'entraîne, Sa disgrâce m'est certaine. Il faut que son dédain, las ! Me livre au plus prompt trépas ! — Ô saisons, ô châteaux ! Quelle âme est sans défauts ?] L'ÉTERNITÉ

Elle est retrouvée. Quoi? — L'Éternité. C'est la mer allée Avec le soleil. Âme sentinelle, Murmurons l'aveu De la nuit si nulle Et du jour en feu. Des humains suffrages, Des communs élans Là tu te dégages Et voles sefon. Puisque de vous seules, Braises de satin, Le Devoir s'exhale Sans qu'on dise : enfin. Là pas d'espérance, Nul orietur. Science avec patience, Le supplice est sûr. Elle est retrouvée. Quoi ? — L'Éternité. C'est la mer allée Avec le soleil. Mai 1872. [I]

C'est certes la même campagne. La même maison rus- tique de mes parents : la salle même où les dessus de porte sont des bergeries roussies, avec des armes et des lions. Au dîner, il y a un salon avec des bougies et des vins et des boiseries rustiques. La table à manger est très grande. Les servantes ! Elles étaient plusieurs, autant que je m'en suis souvenu — Il y avait là un de mes jeunes amis anciens, prêtre et vêtu en prêtre, maintenant : c'était pour être plus libre. Je me souviens de sa chambre de pourpre, à vitres de papier jaune ; et ses livres, cachés, qui avaient trempé dans l'océan ! Moi j'étais abandonné, dans cette maison de campagne sans fin : lisant dans la cuisine, séchant la boue de mes habits devant les hôtes, aux conversations du salon : ému jusqu'à la mort par le murmure du lait du matin et de la nuit du siècle dernier. J'étais dans une chambre très sombre : que faisais-je ? Une servante vint près de moi : je puis dire que c'était un petit chien : quoiqu'elle fût belle, et d'une noblesse maternelle inexprimable pour moi : pure, connue, toute charmante ! Elle me pinça le bras. Je ne me rappelle même plus bien sa figure : ce n'est pas pour me rappeler son bras, dont je roulai la peau dans mes deux doigts; ni sa bouche, que la mienne saisit comme une petite vague désespérée, minant sans fin quelque chose. Je la renversai dans une corbeille de cous- sins et de toiles de navire, en un coin noir. Je ne me rap- pelle plus que son pantalon à dentelles blanches. — Puis, o désespoir, la cloison devint vaguement l'ombre des arbres ; et je me suis abîmé sous la tristesse amoureuse de la nuit. L'IMPOSSIBLE

Ah ! cette vie de mon enfance, la grande route par tous les temps, sobre surnaturellement, plus désintéressé que le meilleur des mendiants, fier de n'avoir ni pays, ni amis, quelle sottise c'était. — Et je m'en aperçois seulement ! — J'ai eu raison de mépriser ces bonshommes qui ne per- draient pas l'occasion d'une caresse, parasites de la pro- preté et de la santé de nos femmes, aujourd'hui qu'elles sont si peu d'accord avec nous. J'ai eu raison dans tous mes dédains : puisque je m'évade ! Je m'évade ! Je m'explique. Hier encore, je soupirais : « Ciel ! sommes-nous assez de damnés ici-bas! Moi j'ai tant de temps déjà dans leur troupe ! Je les connais tous. Nous nous reconnaissons tou- jours; nous nous dégoûtons. La charité nous est incon- nue. Mais nous sommes polis; nos relations avec le monde sont très-convenables.» Est-ce étonnant? Le monde ! les marchands, les naïfs ! — Nous ne sommes pas déshonorés. — Mais les élus, comment nous recevraient- ils ? Or il y a des gens hargneux et joyeux, de faux élus, puisqu'il nous faut de l'audace ou ae l'humilité pour les aborder. Ce sont les seuls élus. Ce ne sont pas des bénis- seurs ! M'étant retrouvé deux sous de raison — ça passe vite ! — je vois que mes malaises viennent de ne m'être pas figuré assez tôt que nous sommes à l'Occident. Les marais occi- dentaux ! Non que je croie la lumière altérée, la forme exténuée, le mouvement égaré... Bon! voici que mon esprit veut absolument se charger de tous les développe- ments cruels qu'a subis l'esprit depuis la fin de l'Orient... Il en veut, mon esprit ! ... Mes deux sous de raison sont finis! — L'esprit est autorité, il veut que je sois en Occident. Il faudrait le faire taire pour conclure comme je voulais. J'envoyais au diable les palmes des martyrs, les rayons de l'art, l'orgueil des inventeurs, l'ardeur des pillards; je retournais à l'Orient et à la sagesse première et éternelle. — Il paraît que c'est un rêve de paresse grossière ! Pourtant, je ne songeais guère au plaisir d'échapper aux souffrances modernes. Je n'avais pas en vue la sagesse bâtarde du Coran. — Mais n'y a-t-il pas un supplice réel en ce que, depuis cette déclaration de la science, le chris- tianisme, l'homme se joue, se prouve les évidences, se gonfle du plaisir de répéter ces preuves, et ne vit que comme cela ! Torture subtile, niaise ; source de mes diva- gations spirituelles. La nature pourrait s'ennuyer, peut- etre ! M. Prudhomme est né avec le Christ. N'est-ce pas parce que nous cultivons la brume! Nous mangeons la fièvre avec nos légumes aqueux. Et l'ivro- gnerie! et le tabac! et l'ignorance! et les dévouements! — Tout cela est-il assez loin de la pensée de la sagesse de l'Orient, la patrie primitive ? Pourquoi un monde moderne, si de pareils poisons s'inventent ! Les gens d'Église diront : C'est compris. Mais vous vou- lez parler de l'Éden. Rien pour vous dans l'histoire des peuples orientaux. — C'est vrai ; c'est à l'Éden que je son- geais ! Qu'est-ce que c'est pour mon rêve, cette pureté des races antiques ! Les philosophes : Le monde n'a pas d'âge. L'humanité se déplace, simplement. Vous êtes en Occident, mais libre d'habiter dans votre Orient, quelque ancien qu'il vous le faille, — et d'y habiter bien. Ne soyez pas un vaincu. Phi- losophes, vous êtes de votre Occident. Mon esprit, prends garde. Pas de partis de salut violents. Exerce-toi ! — Ah ! la science ne va pas assez vite pour nous ! — Mais je m'aperçois que mon esprit dort. S'il était bien éveillé toujours à partir de ce moment, nous serions bientôt à la vérité, qui peut-être nous entoure avec ses anges pleurant !... — S'il avait été éveillé jusqu'à ce moment-ci, c'est que je n'aurais pas cédé aux instincts délétères, à une époque immémoriale !... — S'il avait tou- jours été bien éveillé, je voguerais en pleine sagesse !... Ô pureté ! pureté ! C'est cette minute d'éveil qui m'a donné la vision de la puretéDéchirante ! — Parinfortune l'esprit ! on va à Dieu ! MATIN

N'eus-je pas une fois une jeunesse aimable, héroïque, fabuleuse, à écrire sur des feuilles d'or, — trop de chance ! Par quel crime, par quelle erreur, ai-je mérité ma faiblesse actuelle ? Vous qui préten- dez que des bêtes poussent des sanglots de chagrin, que des malades désespèrent, que des morts rêvent mal, tâchez de raconter ma chute et mon sommeil. Moi, je ne puis pas plus m'expliquer que le men- diant avec ses continuels Pater et Ave Maria. Je ne sais plus parler! Pourtant, aujourd'hui, je crois avoir fini la relation de mon enfer. C'était bien l'enfer; l'ancien, celui dont le fils de l'homme ouvrit les portes. Du même désert, à la même nuit, toujours mes yeux las se réveillent à l'étoile d'argent, toujours, sans que s'émeuvent les Rois de la vie, les trois mages, le cœur, l'âme, l'esprit. Quand irons-nous, par delà les grèves et les monts, saluer la naissance du travail nouveau, la sagesse nouvelle, la fuite des tyrans et des démons, la fin de la superstition, adorer — les premiers ! — Noël sur la terre ! Le chant des cieux, la marche des peuples ! Esclaves, ne maudissons pas la vie. APRÈS LE DÉLUGE

Aussitôt après que l'idée du Déluge se fut rassise, Un lièvre s'arrêta dans les sainfoins et les clochettes mouvantes et dit sa prière à l'arc-en-ciel à travers la toile de l'araignée. Oh ! les pierres précieuses qui se cachaient, — les fleurs qui regardaient déjà. Dans la grande rue sale les étals se dressèrent, et l'on tira les barques vers la mer étagée là-haut comme sur les gravures. Le sang coula, chez Barbe-Bleue, — aux abattoirs, — dans les cirques, où le sceau de Dieu blêmit les fenêtre. Le sang et le lait coulèrent. Les castors bâtirent. Les «mazagrans» fumèrent dans les estaminets. Dans la grande maison de vitres encore ruisselante les enfants en deuil regardèrent les merveilleuses images. Une porte claqua, et sur la place du hameau, l'enfant tourna ses bras, compris des girouettes et des coqs des clochers de partout, sous l'éclatante giboulée. Madame établit un piano dans les Alpes. La messe et les premières communions se célébrèrent aux cent mille autels de la cathédrale. Les caravanes partirent. Et le Splendide Hôtel fut bâti dans le chaos de glace et de nuit du pôle. Depuis lors, la Lune entendit les chacals piaulant par les déserts de thym, — et les églogues en sabots grognant dans le verger. Puis, dans la futaie vio- lette, bourgeonnante, Eucharis me dit que c'était le printemps. — Sourds, étang, — Écume, roule sur le pont, et par-dessus les bois; — draps noirs et orgues, — éclairs et tonnerre ; — montez et roulez ; — Eaux et tristesses, montez et relevez les Déluges. Car depuis qu'ils se sont dissipés, — oh les pier- res précieuses s'enfouissant, et les fleurs ou ver- tes ! — c'est un ennui ! et la Reine, la Sorcière qui allume sa braise dans le pot de terre, ne voudra jamais nous raconter ce qu'elle sait, et que nous ignorons. DÉPART

Assez vu. La vision s'est rencontrée à tous les airs. Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours. Assez connu. Les arrêts de la vie. — Ô Rumeurs et Visions ! Départ dans l'affection et le bruit neufs ! VILLES

[I] L'acropole officielle outre les conceptions de la barbarie moderne les plus colossales. Impossible d'exprimer le jour mat produit par le ciel immuablement gris, l'éclat impérial des bâtisses, et la neige éternelle du sol. On a reproduit dans un goût d'énormité singulier toutes les merveilles classiques de l'architecture. J'assiste à des expositions de peinture dans des locaux vingt fois plus vastes qu'Hampton-Court. Quelle peinture ! Un Nabuchodonosor norwégien a fait construire les escaliers des ministères; les subalternes que j'ai pu voir sont déjà plus fiers que des Brahmas et j ai tremblé à l'aspect des gardiens de colosses et officiers de constructions. Par le groupement des bâtiments en squares, cours et terrasses fermées, on a évincé les cochers. Les parcs représentent la nature primitive tra- vaillée par un art superbe. Le haut quartier a des parties inexplicables : un bras de mer, sans bateaux, roule sa nappe de grésil bleu entre des quais chargés de candé- labres géants. Un pont court conduit à une poterne immédiatement sous le dôme de la Sainte-Chapelle. Ce dôme est une armature d'acier artistique de quinze mille pieds de diamètre environ. Sur quelques points des passerelles de cuivre, des plates- formes, des escaliers qui contournent les halles et les piliers, j'ai cru pouvoir juger la profondeur de la ville! C'est le prodige dont je n'ai pu me rendre compte : quels sont les niveaux des autres quartiers sur ou sous l'acro- pole? Pour l'étranger de notre temps la reconnaissance est impossible. Le quartier commerçant est un circus d'un seul style, avec galeries à arcades. On ne voit pas de bou- tiques. Mais la neige de la chaussée est écrasée ; quelques nababs aussi rares que les promeneurs d'un matin de dimanche à Londres, se dirigent vers une diligence de diamants. Quelques divans de velours rouge : on sert des boissons polaires dont le prix varie de huit cents à huit mille roupies. A l'idée de chercher des théâtres sur ce cir- cus, je me réponds que les boutiques doivent contenir des drames assez sombres. Je pense qu'il y a une police ; mais la loi doit être tellement étrange, que je renonce à me faire une idée des aventuriers d'ici. Le faubourg aussi élégant qu'une belle rue de Paris est favorisé d'un air de lumière. L'élément démocratique compte quelque cent âmes. Là encore les maisons ne se suivent pas; le faubourg se perd bizarrement dans la campagne, le « Comté » qui remplit l'occident éternel des forêts et des plantations prodigieuses où les gentils- hommes sauvages chassent leurs chroniques sous la lumière qu'on a créée. VEILLÉES

I C'est le repos éclairé, ni fièvre ni langueur, sur le lit ou sur le pré. C'est l'ami ni ardent ni faible. L'ami. C'est l'aimée ni tourmentante ni tourmentée. L'aimée. L'air et le monde point cherchés. La vie. — Était-ce donc ceci ? — Et le rêve fraîchit.

II L'éclairage revient à l'arbre de bâtisse. Des deux extrémi- tés de la salle, décors quelconques, des élévations harmo- niques se joignent. La muraille en face du veilleur est une succession psychologique de coupes de frises, de bandes atmosphériques et d'accidences géologiques. — Rêve intense et rapide de groupes sentimentaux avec des êtres de tous les caractères parmi toutes les apparences.

III Les lampes et les tapis de la veillée font le bruit des vagues, la nuit, le long de la coque et autour du steerage. La mer de la veillée, telle que les seins d'Amélie. Les tapisseries, jusqu'à mi-hauteur, des taillis de dentelle, teinte d'émeraude, où se jettent les tourterelles de la veillée.

La plaque du foyer noir, de réels soleils des grèves : ah ! puits des magies ; seule vue d'aurore, cette fois. NOCTURNE VULGAIRE

Un souffle ouvre des brèches operadiques dans les cloisons, — brouille le pivotement des toits rongés, — disperse les limites des foyers, — éclipse les croi- sées. — Le long de la vigne, m'étant appuyé du pied à une gargouille, — je suis descendu dans ce carrosse dont l'époque est assez indiquée par les glaces convexes, les panneaux bombés et les sophas contournés — Corbillard de mon sommeil, isolé, maison de berger de ma niaiserie, le véhicule vire sur le gazon de la grande route effacée : et dans un défaut en haut de la glace de droite tournoient les blêmes figures lunaires, feuilles, seins ; — Un vert et un bleu très foncés envahissent l'image. Dételage aux environs d'une tache de gravier. — Ici, va-t-on siffler pour l'orage, et les Sodomes, et les Solymes, — et les bêtes féroces et les armées, — (Postillon et bêtes de songe reprendront-ils sous les plus suffocantes futaies, pour m'enfoncer jusqu'aux yeux dans la source de soie). — Et nous envoyer, fouettés à travers les eaux cla- potantes et les boissons répandues, rouler sur l'aboi des dogues... — Un souffle disperse les limites du foyer. BOTTOM

La réalité étant trop épineuse pour mon grand caractère, — je me trouvai néanmoins chez ma dame, en gros oiseau gris bleu s'essorant vers les moulures du plafond et traînant l'aile dans les ombres de la soirée. Je fus, au pied du baldaquin supportant ses bijoux adorés et ses chefs-d'œuvre physiques, un gros ours aux gencives violettes et au poil chenu de cha- grin, les yeux aux cristaux et aux argents des consoles. Tout se fit ombre et aquarium ardent. Au matin, — aube de juin batailleuse —, je courus aux champs, âne, claironnant et brandissant mon grief, jusqu à ce que les Sabines de la banlieue vinrent se jeter à mon poitrail. H

Toutes les monstruosités violent les gestes atroces d'Hortense. Sa solitude est la mécanique érotique, sa lassitude, la dynamique amoureuse. Sous la sur- veillance d'une enfance elle a été, à des époques nombreuses, l'ardente hygiène des races. Sa porte est ouverte à la misère. Là, la moralité des êtres actuels se décorpore en sa passion ou en son action — Ô terrible frisson des amours novices sur le sol sanglant et par l'hydrogène clarteux ! trouvez Hor- tense. MOUVEMENT

Le mouvement de lacet sur la berge des chutes du fleuve, Le gouffre à l'étambot, La célérité de la rampe, L'énorme passade du courant, Mènent par les lumières inouïes Et la nouveauté chimique Les voyageurs entourés des trombes du val Et du strom. Ce sont les conquérants du monde Cherchant la fortune chimique personnelle ; Le sport et le comfort voyagent avec eux ; Ils emmènent l'éducation Des races, des classes et des bêtes, sur ce Vaisseau. Repos et vertige A la lumière diluvienne, Aux terribles soirs d'étude. Car de la causerie parmi les appareils, — le sang, les fleurs, le feu, les bijoux, — Des comptes agités à ce bord fuyard, — On voit, roulant comme une digue au-delà de la route hydraulique motrice, Monstrueux, s'éclairant sans fin, — leur stock d'études ; — Eux chassés dans l'extase harmonique Et l'héroïsme de la découverte. Aux accidents atmosphériques les plus surprenants Un couple de jeunesse s'isole sur 1 arche, — Est-ce ancienne sauvagerie qu'on pardonne? Et chante et se poste. BIBLIOGRAPHIE

INITIATION

«La connaissance proprement dite, ou tout au moins la connais- sance approfondie, a peu de place dans les plaisirs inéprouvés [...]. Au départ il ne s'agit pas de comprendre mais bien d'aimer» André Breton, Flagrant Délit. Aimer Rimbaud consiste d'abord à le lire et le relire jusqu'à totale imprégnation : quand on a ses formules sur le bout de la langue, beaucoup de prétendues obscurités s'effacent par enchantement. Parmi les très nombreuses éditions de son œuvre, celle que Garnier Flammarion propose en trois volumes séparés me semble la plus accessible, sans que la rigueur y perde. Jean-Luc Steinmetz a pré- facé et commenté dans des notices courtes et bien conçues les textes donnés dans un ordre chronologique ; l'édition ne peut éviter d'isoler le factice recueil des derniers vers, intitulés ici «Vers nou- veaux», mais elle redonne à leur place les poèmes de l' Album zutique, des Stupra, les Proses johanniques et ces magnifiques proses méconnues, Les Déserts de l'amour. Parus en 1989, ces trois volumes contiennent : Poésies, Album zutique et Stupra Derniers Vers, Les Déserts de l'amour, Une saison en enfer Proses évangéliques, Illuminations. Jean-Luc Steinmetz a publié en 1991 une biographie de Rimbaud, aux éditions Tallandier: Arthur Rimbaud, une question de pré- sence.

On pourra compléter par ces quelques livres. Le premier, plus ancien, n'est en rien caduc; un poète éclaire la trajectoire d'un autre poète : c'est de Yves Bonnefoy, Arthur Rimbaud, aux édi- tions du Seuil, coll. «Les écrivains de toujours», 1960. Chez Seghers, Rimbaud est aussi présenté par un poète, Lionel Ray, en 1978.

Alain Borer corrige certaines idées reçues sur la «rupture» et le « second Rimbaud » dans Rimbaud. l'heure de la fuite, éd. Galli- mard Découvertes, 1991.

APPROFONDISSEMENTS

L'édition de la Pléiade d'Antoine Adam, en 1972, a beaucoup apporté dans l'élucidation de détail mais semble aujourd'hui dépassée sur certains points; elle succédait aux Œuvres complètes dans la même collection par Roland de Renéville et Jules Mouquet en 1946.

Si l'on veut tenir toute l'œuvre de Rimbaud, avec un appareil cri- tique en un seul volume, on peut utiliser l'édition Gallimard, « Poé- sie » proposée par Louis Forestier, avec une préface de René Char, celle constituée par Pascaline Mourier-Casile en Press-pocket (1990) ou l'édition Garnier faite par Suzanne Bernard et révisée par André Guyaux, en 1983. Ce dernier par ailleurs a donné sur les Illuminations les plus précieux renseignements à partir d'une étude renouvelée des manuscrits qui a permis de corriger certaines leçons fautives. Cette édition des Illuminations (La Baconnière, 1986) est évidemment à consulter, ainsi que les arguments qui amènent l'édi- teur à adopter un tout autre ordre pour ces proses à partir d'une réflexion sur la Poétique du fragment. Essai sur les Illuminations de Rimbaud, La Baconnière, 1986. Les Poésies ont été éditées à La Baconnière par Frédéric Eigeldin- ger et André Gendre, en 1981. L'édition des Œuvres poétiques par Cecil A. Hackett, en 1986, Imprimerie Nationale, donne accès aux textes en fac-similé ce qui est un avantage appréciable ! Alain Borer, dans Rimbaud en Abyssinie, éd. du Seuil, (coll. Fic-