LE PASSANT DU MATIN © 1989, éditions Jean-Claude Lattès JEAN-LUC GENDRY

LE PASSANT DU MATIN

CHAPITRE 1

Le lieutenant lui avait dit : « Si votre moto ne peut pas sui- vre, on ne pourra pas vous attendre. Le peloton n'a plus les moyens de traîner. » Depuis deux jours, il traînait en queue de peloton, avec des ratés interminables, des soubresauts, des reprises inattendues qui lui donnaient un fol espoir. Les autres rigolaient sous leurs lunettes et leurs casques. Cette amitié née sous les bombes des stukas et les balles traçantes des mitrail- leuses, cette fraternité des vingt-six hommes au combat, dans la poussière des routes, l'odeur chaude des champs de blé, la fraîcheur des nuits à la belle étoile se dissolvaient bêtement sous l'ironie facile de ceux dont les machines tournaient rond. Il n'y a rien à faire avec les Français, la rigolade leur tient lieu d'habillage. Ils font les mariolles. La plus grande déroute de leur histoire. La plus fantastique défaite jamais subie par une armée, donnée encore un mois plus tôt pour la première du monde. Et ils rient encore. Pour la première fois depuis un an, il les détesta et se détesta de les critiquer. Son moteur ne mar- chait plus que sur trois pattes. L'écart sur les derniers s'agran- dissait à vue d'œil. Ils lui avaient dit : « Tu nous rejoindras au prochain cantonnement. Direction Saumur, Bordeaux, Saint- Jean-de-Luz. » Ils auraient aussi bien dit : Périgueux, et Montauban. Qu'est-ce qu'ils en savaient ? Il n'y avait plus d'ordres. Depuis la Somme, on naviguait au jugé. On avait couru d'abord après le chef d'escadron. Puis après la brigade. Et l'état- major de la division. Mais personne n'y croyait plus : c'était des mots. Des rêves fous, du temps de paix. Quand il y avait encore des supérieurs qui dominaient d'un air souverain et mystérieux des plans complexes capables de dérouter l'ennemi. Des voitu- res avec fanion. Des képis étoilés. Des garde-à-vous. Et des saluts solennels. On se les donnait maintenant soi-même, les ordres. Et on filait au sud sans barguigner. Parce que vingt-six vivants de moins, ou vingt-six prisonniers de plus, ce n'était pas ça qui aurait changé le sort de la guerre. Il n'y avait que ceux qui n'avaient pas encore vu les chasseurs allemands, en piqué, leur sirène affolante, la précision de leurs tirs pour raconter des salades. Et croire qu'avec trois charrues en travers de la route on allait gêner les Panzers. Il y avait de quoi rire. A quoi jouait-on ? A la petite guerre, au jeu de pistes ? Ceux qui avaient vu la première Panzer de Guderian entre Abbeville et Charle- ville, la progression coordonnée des chars et des fantassins autoportés, la couverture aérienne du fleuve d'acier, la rapi- dité des retournements de fronts, la sûreté des transmissions de l'armée en marche, ceux-là savaient que le courage désarmé n'avait plus que la valeur d'un suicide. Il essaya de relancer les gaz. Mais il ne faisait qu'encras- ser l'engin. Tout à coup, le moteur s'éteignit doucement. Et dans un grand silence la machine en roue libre ralentit progressive- ment et s'arrêta. Il poussa l'engin vers le talus, puis se mit sur pied. Ses jambes engourdies et lourdes, le calme tranquille de la campagne lui donnèrent le sentiment d'un nouveau monde. A l'horizon, le nuage du peloton s'éloignait. On n'entendait déjà plus le bruit des moteurs. La paix du coin le surprit. Pas une voiture, pas une charrette en vue. A Amboise, les camarades avaient choisi d'emprunter une route parallèle au fleuve. Les flots de réfugiés encombraient les axes. Mais sur les transver- sales on eût pu se croire encore pendant les vacances d'autre- fois. Au pied de la levée, la Loire glissait, sereine et pure : à peine troublée parfois d'un remous, ou du saut d'un poisson gobant une mouche, la surface de l'eau renvoyait la lumière du ciel, la course des nuages et l'ombre projetée de la rive d'en face. Nicolas ôta ses gants, son casque, ouvrit sa vareuse, par- courut des yeux la ligne des collines, le ciel radieux et éprouva un sentiment d'intense libération. Depuis près d'un an qu'il vivait sous les ordres, c'était la première fois qu'il devait choi- sir sa route et décider. Il se sentit désemparé, mais heureux de l'être. Il aperçut alors en contrebas un pêcheur qui ajustait sa ligne. Il le héla : — Oh ! A combien le prochain village ? L'autre le considéra avec méfiance, souleva son chapeau de paille, se gratta la tête, et grommela, avec un accent rocailleux : — P't'être bien une demi-lieue... P't'être un peu moins. — Y a-t-il un garagiste ? Je suis en panne. — L'est p't'être bien parti, lui aussi, marmonna le paysan. Nicolas se mit en marche. « Je les rattraperai, pensait-il, sur la route de Saumur, puisque l'escadron se regroupe là-bas. A l'entrée d'un bourg, ils feront le plein. Ils casseront la croûte et la vie reprendra comme avant. » Mais plus il s'efforçait de croire qu'il retrouverait dans quelques heures le peloton, moins son désir d'y parvenir s'affirmait clairement. Aux premières maisons du village, il s'arrêta, observa la rue vide, les fenêtres fermées. Il voyait aux vitres des rideaux de dentelle dans leurs embrasses ; des pots de géraniums sur les balustres. Il avança prudemment, comme s'il commettait une inconvenance. D'une ruelle qui descendait au fleuve, un chien sortit qui ne prêta nullement attention à lui, traversa la route, longea les maisons. On eût dit qu'il cherchait lui aussi son chemin. Nicolas avança encore, aperçut un chat en maraude qui le regarda effrayé. Jusqu'à la place de l'église, il ne ren- contra pas âme qui vive. Le pays semblait abandonné, et pour- tant rien n'indiquait que les habitants l'eussent quitté. La pompe à essence n'était pas fermée. Des brouettes chargées demeuraient devant les portes. La balayeuse municipale dor- mait devant le monument aux morts. Tout à coup, un vrombissement assourdissant au ras des toits le rendit à la réalité. En rase-mottes, des avions descen- daient le cours du fleuve. Nicolas courut jusqu'au milieu de la place pour tenter de les apercevoir. Un grondement qui gran- dissait rapidement en annonçait d'autres. Brusquement, sur- gissant au-dessus des maisons, trois nouveaux avions à croix noire avalèrent l'espace et la lumière en hurlant. L'ombre des ailes le recouvrit une seconde. Il n'eut pas le temps de crier ni de se jeter au sol. Le fracas des moteurs entra en lui, le paralysa. Sottement il pensa : « Je ne suis pas mort », puis : « La guerre continue. » Et enfin seulement : « Il ne faut pas rester là, il faut se mettre à l'abri. » Il courut vers le premier porche venu, poussa le vantail qu'il referma précipitamment derrière lui, se retourna et alors seulement aperçut au bout d'une lon- gue pelouse bordée de roses la demeure que protégeaient ces murs. C'était un majestueux manoir Louis XVI entouré de grands arbres qui, au gré de la brise, promenaient leurs feuil- les sur la façade de pierre blanche. Par les hautes portes- fenêtres, largement ouvertes, il apercevait, de l'autre côté de la propriété, des terrasses qui descendaient vers la Loire. Nulle voix, nul bruit. La demeure, elle aussi, paraissait abandonnée mais vivante et heureuse. L'alerte avait peut-être conduit ses habitants dans les caves ? Il s'approcha, puis se décida à entrer. Dans le grand hall en dalles noires et blanches, le soleil péné- trait largement. Des chapeaux de paille ornés de rubans repo- saient sur un guéridon. Des foulards et des gants sur une chaise. Une cravache et des bottes dans un coin. Un escalier solennel montait à droite vers les étages et à gauche le hall ouvrait sur une enfilade de salons, d'où l'on découvrait le fleuve. Nicolas y entra avec hésitation. Il appela. Personne ne répondit. Alors il s'enhardit et pénétra dans un grand salon blanc et or écla- tant de fraîcheur, qui donnait sur une terrasse bordée de vases de pierre, débordant de pivoines. La lumière éclatante du val faisait chanter la soie rose des murs et des rideaux, les dessins du tapis des Gobelins, des canapés et des médaillons à la reine, les dorures des glaces et des cadres. Nicolas regarda son uni- forme sale et poussiéreux, ses leggings maculés de cambouis. Que faisait-il là ? Il gagna la terrasse, découvrit le parc qui, après trois larges degrés garnis de fleurs, s'ouvrait sur une pelouse descendant jusqu'au fleuve. La splendeur tranquille de ce décor d'eau et de verdure s'accordait à la majesté du silence troublé par les piaillements d'hirondelles haut dans le ciel. Il eût fallu suspendre cet instant exceptionnel de calme et d'har- monie. Nicolas hésita. Les avions allaient-ils revenir ? Allaient- ils détruire les ponts de Tours ? Il observa la rive sud du fleuve. Très loin en aval, autour d'une voiture couverte de matelas et de valises, quelques personnes s'agitaient, ajustaient les ten- deurs et les sangles. Il voyait aussi passer quelques bicyclet- tes lourdement chargées. Mais cela ne sentait ni la hâte ni la fuite. Le paysage entier semblait hors des drames du temps. Nicolas revint dans le salon, s'assit dans une bergère près de la cheminée et s'abandonna au plaisir d'admirer la perfec- tion du décor. Des pastels de Nattier aux ruines romaines d'Hubert Robert, d'une sanguine de Greuze à une nature morte de Chardin, chaque tableau, chaque objet avait été choisi pour la place qu'il occupait. Une table à ouvrage près de lui conser- vait des pelotes de laine, un tricot inachevé, un dé, des ciseaux. En dessous plusieurs journaux zébrés de coups de crayons rouge et bleu témoignaient des réactions du lecteur. Il prit un Figaro daté du 10 juin et lut : «... La bataille de la Somme enga- gée depuis le 5 juin demeure encore indécise. Depuis cinq jours et cinq nuits, nos armées se battent héroïquement et font éprou- ver à l'ennemi des pertes considérables. Mais le nombre réduit de nos divisions ne permet pas de relèves suffisantes. La fati- gue, le manque de sommeil, les pertes diminuent leur puissance de résistance... » On indiquait plus loin que l'ennemi donnait de jour en jour plus d'ampleur à ses entreprises dont le front s'étendait de la Manche à l'Argonne. On parlait de percées blin- dées le long des côtes, au sud de Fécamp, en direction de la basse Seine, d'une ruée de Panzers en direction de la Marne et de Château-Thierry... Il devenait décidément de plus en plus difficile de croire que la bataille de la Somme fût tellement indé- cise alors qu'elle se livrait déjà de toutes parts à 150 kilomètres au sud de sa ligne de départ. « Mais quel jour sommes-nous ? se demanda Nicolas. Oui, nous sommes le 12, et ces commen- taires reflètent sans doute la situation du 9 au soir. » Depuis un mois, les événements s'étaient succédé à un rythme si pré- cipité qu'il avait perdu toute mesure du temps. Chaque jour avait paru un siècle et s'était cependant écoulé si vite qu'il se sentait aujourd'hui, comme les vieux, à la tête d'une histoire immense. Il revoyait le départ à 6 heures, dans l'aube du pre- mier matin. L'escadron marchait en échelon de tête et son peloton ouvrait la marche. On était un peu plus crispé que d'ordinaire, car dès 3 heures des bruits sourds, des grondements suivis d'explosions les avaient réveillés. Ils étaient sortis de la bara- que. Cela venait du nord, en direction de la Belgique, comme un immense convoi qui ébranlait la terre. On avait blagué. « Il faut bien qu'ils s'entraînent. » Mais le rire sonnait faux et l'on était resté la fin de la nuit, l'œil ouvert sur les châlits, à rece- voir le roulement d'orage grandissant comme l'annonce d'un grand lever de rideau. L'ordre de faire mouvement avait été reçu à 5 heures. On avait à la hâte bouclé les sacs, roulé les cou- vertures, ajusté les ceinturons et les cartouchières. Le lieute- nant avait fait monter les appareils de tir antiaérien sur les fusils-mitrailleurs des side-cars. Les maréchaux des logis avaient vérifié les armes et les paquetages, rappelé les consignes de pro- gression en état d'alerte. Puis le lieutenant avait levé la main, on avait mis les machines en marche, et à son signal les gars s'étaient ébranlés lentement, deux par deux, gardant bien les distances, la gorge un peu serrée, convaincus d'aller au-devant de quelque chose de redoutable. Et puis, en roulant, ils s'étaient habitués. L'air frais de cette aube claire leur donnait du courage. La route venait sagement à leur rencontre, comme au temps des manœu- vres d'entraînement. Les gars pensaient : « Les blés sont ici un peu en retard », ou : « Les vaches sont moins grosses que chez nous. » Il y avait longtemps qu'ils n'étaient pas retournés chez eux. Mais cela leur faisait plaisir de continuer à croire que, nulle part ailleurs, on ne pouvait trouver mieux. Mais, très vite, un bois de chênes, la pente heureuse d'un toit de grange, la robustesse d'un clocher leur donnaient le sentiment qu'ils traversaient là un joli pays et que les autres regretteraient bientôt d'avoir voulu le leur prendre. Ils s'amusaient d'affoler les lapins au sortir du gîte, de frôler parfois un vol d'hirondelles en chasse, de provo- quer au creux d'un vallon l'étonnement d'un village au réveil. On leur faisait des signes des mains, on les applaudissait, les plus jeunes couraient un instant à leur hauteur en criant des choses qu'ils n'entendaient pas, et ce rôle de guerrier impassible et honoré commençait à les combler, comme s'ils eussent été déjà à la tête d'innombrables victoires. Le ronflement des moteurs leur communiquait d'ailleurs le sentiment rassurant d'être une force indestructible. A 9 heures, ils avaient franchi la frontière et le douanier avait fait un salut militaire. Camus, qui roulait à sa hauteur, n'avait pas tardé à dire : « C'est moins bien que chez moi... » Mais à la traversée des villages, devant les battements de mains des Belges, les fleurs que les femmes leur jetaient, les « Vive la ! » qui jaillissaient, Camus disait aussi : « Ils sont quand même braves, ces Belges, je ne savais pas qu'ils nous aimaient autant... » Nicolas essayait d'arrêter sa pensée à ces pre- mières heures de marche triomphale, et de ne plus voir ce qui suivit le soir du premier jour, l'attente dans la nuit du premier choc, l'angoisse d'être perdus à l'extrême pointe d'un pays inconnu, les fusées mystérieuses partant des lignes adverses, les premiers tirs à balles traçantes, l'explosion des obus de mortier sur les camions-citernes de l'escadron... Il reprit le journal et lut en bas de la première page un entrefilet : « Winston Churchill reçoit le général de Gaulle. Hier, dimanche 9 juin, le Premier ministre de Grande-Bretagne, M. Winston Churchill, a reçu, à sa résidence de Downing Street, le général de Gaulle, sous-secrétaire d'État à la Guerre, accompagné de son officier d'ordonnance le lieutenant Geof- froy de Courcel. L'entretien a été consacré à l'examen des condi- tions de coopération des forces terrestres et aériennes des deux pays... » Nicolas resta songeur : ainsi Geoffroy de Courcel remplis- sait le rôle qui lui avait été proposé le 6 juin au matin... Il se revit arrivant d'Amiens en estafette de liaison, au P.C. du général Weygand au château de Vincennes. Le capitaine Gasser, officier d'ordonnance du Général, sous les ordres duquel il avait effectué quelques années plus tôt son service, s'était exclamé : — C'est le Ciel qui t'envoie, Nicolas ! Je cherche justement un garçon parlant parfaitement anglais pour accompagner à Londres notre nouveau secrétaire d'État à la Guerre, qui n'en dit pas un mot, et que l'on a cependant chargé d'assurer la liai- son avec le gouvernement britannique... — Mais je ne suis que maréchal des logis. — Aucune importance ! — Mais pourquoi ne choisissez-vous pas Courcel que je viens d'apercevoir au rez-de-chaussée ? Sa permission est ter- minée. Il repart ce soir à Beyrouth. Vous pourrez peut-être encore mettre la main sur lui... Nicolas était déjà revenu en pensée vers les gars du pelo- ton qui depuis ce matin 5 heures défendaient le passage de la rivière entre Amiens et Péronne. Les mitrailleuses de l'escadron avaient déjà par deux fois stoppé à l'aube des tentatives de fran- chissement de la 1 Panzer. Les fusils-mitrailleurs de Pelletier et de Malvoisin tenaient sous leur feu une petite île qui pou- vait servir d'abri aux assaillants. On espérait qu'enfin les Morane tant promis apparaîtraient dans le ciel pour couvrir l'escadron qui tenait une rive quatre fois trop longue pour lui. Ou que l'artillerie de la division d'appui daignerait enfin se manifester. Mais le lieutenant ne laissait pas trop d'espoir. Il disait que les stukas avaient écrasé le centre de régulation de Creil, que les quais de débarquement de Soissons étaient inu- tilisables, que le gros matériel restait en gare à bord des trains, soumis aux bombardements des escadrilles allemandes, qu'il ne restait donc plus qu'à tenir avec leurs propres moyens. Nicolas revoyait le visage des gars, couvert de sueur, l'œil collé à la ligne de mire... L'odeur des cartouchières, de la graisse à fusil, du cuir des brodequins... Il sourit. Si ses camarades l'avaient vu, à cet instant, dans l'enchantement de ce ravissant domaine... Un vent léger agitait les tentures. Le pétale d'une rose tomba sur le marbre d'une commode. Toute la demeure semblait pétrifiée dans l'attente. « J'entendrai bien, songea-t-il, sonner la fin de l'alerte. On pourra alors me dépanner... » Et il se replongea, ravi, dans la lecture du Figaro. Jean Giraudoux appelait gracieusement à l'héroïsme. Paul Valéry se lamentait sur l'incompréhension de notre sœur latine. Le général Weygand lançait aux troupes une proclamation pathétique. Même sous ces plumes officielles, le désarroi du dernier acte commençait à percer. On parlait du repli des ministères; les noms des différents châteaux de la Loire retrouvaient une actualité perdue depuis quatre siècles. On pouvait se croire revenu à l'année terrible du siège, à l'armée de Chanzy, au départ de Gambetta en ballon. Une voix de femme le fit soudain sursauter. Dans l'encadrement de la porte, il découvrit d'abord deux yeux gris-bleu d'une intense autorité, des cheveux fauves brossés à la diable. La voix coupante : — Je vous ai déjà demandé ce que vous faisiez ici ? Il se leva : — Je suis confus, dit-il, veuillez me pardonner. J'ai appelé. Il n'y avait personne. Je suis entré... (Le regard soutenait le sien sans faiblir.) Ma moto est tombée en panne à quelques kilomè- tres d'ici. Je cherchais un garagiste... Et puis les avions sont passés. J'ai voulu me mettre à l'abri. Elle le dévisageait sans ménagements, mais ne lui deman- dait pas de partir. Ils se regardaient en silence. Elle était légè- rement plus petite que lui et parfaitement proportionnée. Sa main droite jouait nerveusement avec son collier. Bien plus tard, Nicolas devait se souvenir qu'il l'avait, à l'instant même, trouvée irrésistible. Une légère robe d'été dessinait ses formes. Elle remarqua qu'il l'observait et soudain, d'une voix adoucie, rompit la glace : — Vous devez avoir soif et peut-être faim. Je vais deman- der que l'on vous serve. Et puis nous chercherons ensuite le garagiste. Entendez-vous cette ridicule petite sirène des pom- piers ? C'est la fin de l'alerte. Vous pouvez sortir de votre abri. Alors ils se mirent à rire. Elle le pria de s'asseoir, tira sur une chambrière, replaça quelques fleurs dans un vase, apprêta d'une main ses cheveux en passant devant une glace tout en lui demandant d'où il venait, ce qu'il avait vu, les combats aux- quels il avait participé, s'il préférait des œufs au plat ou des œufs brouillés ; du café,du thé ou du chocolat ; quelle était son unité, l'axe de repli de sa division; s'il pensait que l'on pouvait rétablir un front continu sur la Loire et ce qu'il déduisait du remaniement gouvernemental des derniers jours. — C'est très simple, Armand, dit-elle au vieux domestique en gilet vert qui avait répondu à son appel : quelques saucis- ses, des œufs, des fruits et tout ce que vous avez de chaud. Eh bien moi, continua-t-elle avec autorité, en s'asseyant devant lui, je pense, cher monsieur, que nous sommes en train de vivre les derniers subterfuges de comédiens sifflés... Nicolas allait répondre, mais elle continua, imperturbable. Il observait avec curiosité le modelé de ses lèvres, les fossettes qui à certaines syllabes se creusaient dans ses joues, le grain de beauté qui ornait sa pommette droite, le mouvement déli- cat des narines lorsqu'elle reprenait sa respiration, ce mélange de sensualité et de noblesse dont elle jouait avec un art accompli. — ... Croyez-vous que ce soit sérieux de se livrer depuis quelques jours à cette parade de gestes symboliques pour conjurer le sort et endormir les foules ? Rappel de deux vieil- lards hors d'usage pour prendre la tête des armées, travestis- sement de l'écroulement de Dunkerque en une brillante opération de réembarquement, injures publiques au roi des Belges, prières du gouvernement à Notre-Dame de , éli- mination du cabinet des hommes de Munich... qui cela trompe- t-il ? Les électeurs de Barcelonnette, et quelques millions de naïfs... Ce sont des trucs d'avocats, mais cela ne change rien aux réalités de la guerre, au fait que nous sommes en train de connaître en quinze jours la plus grande défaite de notre his- toire... Non, ne me dites pas le contraire... Les hasards de la vie m'ont fait partager, depuis quelques années, la vie de cer- tains de ces hommes. J'oserai dire que je les connais mieux qu'ils ne se connaissent eux-mêmes. Une femme situe la véri- table force d'un homme, et ses peurs, et ses faiblesses, et ses fantasmes bien avant qu'il n'ait cessé de se griser de mots et d'argumentations. Ceux qui nous gouvernent en ce moment tra- gique se sont complu à des carrières d'apparence. Ce sont des hommes de couloirs et d'antichambres, de prétoires et de commissions. Ils n'ont jamais cherché à gouverner les événe- ments, mais à disposer des hommes, à séduire, jour après jour, cyniquement, ceux qui leur permettaient d'accéder au pouvoir et de s'y maintenir. Elle rejeta en arrière, avec un mouvement de tête qui tra- hissait son mépris et son dépit, la masse de ses cheveux. — Il arrive parfois dans un bal que l'on se trompe de cavalier. Les yeux gris-bleu avaient quitté les siens et s'absorbaient dans la contemplation du jeu des doigts, des bagues et des bra- celets. Nicolas admira la finesse des poignets et des mains, le soin avec lequel l'une caressait l'autre. Brusquement, elle éclata de rire; elle paraissait tout à coup très jeune et très espiègle : — Je dois vous paraître follement habillée pour cette heure matinale.. — Nous sommes en effet très dépareillés, ajouta Nicolas en souriant. — Mais vous n'avez peut-être pas entendu les radios du matin. Elles annoncent fièrement : « Le président du Conseil se rend aux armées. » Le gouvernement a décidé hier de quitter la capitale et de s'installer temporairement à Tours, Langeais, Azay-le-Rideau, Cangé, Chissay... La République chez les hobe- reaux... Dominique Leca qui dirige le cabinet de m'a priée ce matin à l'aube de tenir ma propriété à la disposi- tion du gouvernement. Pour éviter de faire jaser, Paul descen- dra peut-être à Chissay qui est notre plus proche voisin. Mais d'autres puissants seigneurs en déroute vont m'honorer dans la journée de leurs valises et de leurs états d'âme. Les cuisi- niers sont sur les dents. Dans quelques heures, nous affiche- rons complet. Elle se leva comme un ressort et, les bras croisés sur la poitrine, arpenta rageusement la pièce. — C'est pitoyable, en être arrivés là. Que dira le pays ? Cha- que défaite entraîne avec elle le régime qui l'a engendrée, et c'est justice. Qui aurait osé défendre la stupidité de Napo- léon III se jetant dans le piège tendu à Ems par Bismarck ? précipitant une armée d'opérette commandée par des géné- raux de cour au-devant de celle qui avait réglé le sort de l'Autriche en quarante-huit heures à Sadowa ? Cette fois encore, que d'illusions sur l'état de nos forces ! Que d'igno- rances sur les nécessités d'une guerre moderne ! On deman- dera des comptes ! Et s'il était véritablement indispensable de s'élancer aussi légèrement il y a un an au-devant de cette apo- calypse. Déclarer la guerre pour pouvoir enfin la préparer, ce n'est pas d'une logique irréfutable... Je crains fort que Rey- naud et Mandel ne soient bientôt durement interpellés. Quant à ce pauvre Edouard... Le maître d'hôtel apparut et l'interrompit : — Que madame la Comtesse veuille bien me pardonner. C'est la questure de la Chambre, au téléphone. On demande à madame la Comtesse s'il lui resterait ce soir quelques cham- bres pour des présidents de groupes... — Ma parole, on prend ma maison pour un hôtel ! De qui s'agit-il au juste ? — MM. Flandin, Chichery, de Monzie, Marquet... Derrière le maître d'hôtel, Nicolas entendit une voix qui ironisait : — Décidément, Marie-Laure, tu n'auras jamais fini de nous envahir de tes mauvaises relations... Ah ! mais, tu n'es pas seule... Nous avons aussi l'armée... Une autre femme plus jeune et moins belle venait d'entrer. — Rassurez-vous, pour très peu de temps, répondit-il en souriant. Je m'appelle Nicolas Charpentier, maréchal des logis au 20e dragon... — Parfait, parfait, l'interrompit-elle... Voici Marie-Laure de Montades, ma sœur, et moi Gabrielle, présidente des cuisines, de l'intendance, de l'administration de ce noble domaine, et qui veut bien recevoir tous les réfugiés de la terre, mais pas un Parlement qui a la trouille au ventre... — Il ne s'agit, si je comprends bien, répliqua Marie-Laure, que des chefs de la majorité... Il est normal que l'on veuille les regrouper avec les ministres... — Car nous aurons aussi les ministres ? — Certains, je pense. — C'est un comble ! s'écria Gabrielle en levant les bras au ciel. Pour que tout le pays nous prête encore pendant vingt ans des sentiments républicains... — Que dois-je répondre ? murmura le maître d'hôtel, la per- sonne attend à l'appareil... — Eh bien, Armand, faites ce que Madame vous recom- mande de faire puisque notre famille semble se consacrer au culte d'un pouvoir défaillant... Un peu plus, un peu moins... Dès qu'ils furent seuls, Marie-Laure sourit à Nicolas : — Il ne faut pas lui en vouloir, dit-elle, Gabrielle adore son personnage de femme rustique et qui ne mâche pas ses mots. C'est le style chasse et palefrenier, le parler cru, le verbe haut... Mais un cœur d'or. Sa vie a été consacrée à mon père et à Mon- tades, où elle est née... et puis à élever notre plus jeune sœur. — Il serait préférable que je me retire maintenant, proposa Nicolas... — Ne soyez pas ridicule, je vous en prie. On va vous appor- ter votre déjeuner. Vous avez besoin de vous reposer. Le châ- teau et les communs comptent plus de cinquante chambres, vous avez le choix... Vous trouverez Armand dans l'aile droite du côté de l'office, il vous guidera. Je vous laisse, il faut que j'organise le cantonnement des souverains en fuite... — Vous aussi ? — Je vous choque ? Ne croyez pas qu'ils cherchent à met- tre seulement en sécurité les sceaux de la République. Seriez- vous républicain ? — Oh, je ne sais plus, soupira Nicolas, cela n'a plus telle- ment d'importance. — Que faisiez-vous avant de revêtir ce ravissant uniforme ? — Après Normale, le retour dans un lycée de province me paraissait un enterrement. J'ai cédé aux passions du moment, au désir de vivre à Paris, je suis entré à L'Écho de Paris. C'était l'hiver 1936. Lorsque Le Jour et Léon Bailby nous ont absorbé en 1938, j'ai suivi Kerillis et Pironneau à L'Époque, parce que c'était nouveau, que tout était à faire, mais aussi parce qu'il me semblait inconvenant de ne pas aider dans l'adversité deux hommes qui avaient dénoncé, dès 1933, le danger hitlérien. J'assurais aussi la critique littéraire de Candide, sous le nom de Panglos; je participais, en benjamin, au comité de lecture de Fayard... — Quel âge avez-vous ? — Vingt-six ans. Elle le regarda avec une moue admirative. — Mon Dieu, que vous êtes jeune... C'est merveilleux. Il se sentit un peu gêné. — Je suis tout de même né au XIX siècle... Juillet 1914, c'est une date symbolique. — En somme, poursuivit-elle, tous ceux qui vont débarquer ici dans quelques heures, vos journaux ont peu ou prou réclamé leur pendaison à la lanterne. C'est palpitant. Je vous garde, nous allons beaucoup nous amuser... Si vous avez besoin de quitter pour quelques heures ces vêtements provocants, demandez à Armand de vous sortir un pantalon de chasse et une chemise. Mes amis vont vous aduler, ils adorent être battus... Promenez- vous dans le parc, vous rencontrerez peut-être mon père, du côté de l'embarcadère. C'est là qu'il aime méditer. Si vous lui parlez littérature, il ne vous quittera plus. Elle s'éloigna d'un pas balancé et dans le tambour de la porte se retourna à demi, le considéra : — Peut-être aussi détestez-vous les femmes de mon espèce ? Elle disparut avant même qu'il eût pu protester. Et il le regretta.

CHAPITRE 2

Lorsqu'il sortit sur la terrasse, le soleil était haut dans le ciel. Les cartels du salon sonnèrent 11 heures et Nicolas res- sentit à nouveau, presque voluptueusement, le contraste entre l'extraordinaire sérénité des lieux et l'inquiétude que l'avalan- che des événements faisait éprouver. La cloche de l'église égrena à son tour onze coups. Il eut envie de crier, d'appeler, de courir, de briser l'instant qu'il était en train de vivre ou de supplier au contraire qu'il se prolongeât. Au bas de la grande pelouse, un jardinier, en chapeau de paille et tablier bleu, tra- versa paisiblement en poussant une brouette. Un chien l'accom- pagnait. Une brume légère estompait les lignes de la rive opposée. Le mugissement tranquille d'une vache au pré. Le rou- coulement des tourterelles sur le toit des dépendances. Le pas prudent d'un chat sur le rebord de la terrasse. Tout portait le signe d'une paix et d'un repos incongrus. Nicolas descendit lentement l'escalier central des terras- ses, puis se retourna pour contempler l'imposante façade blan- che. L'ensemble parfait de cette architecture très française procurait un sentiment d'évidente beauté et de tranquille cer- titude. Des siècles de recherches, de conflits et de drames avaient permis d'atteindre cette maîtrise et d'aboutir à cette élégante simplicité. Le dépouillement des frontons, la pureté des lignes et des encorbellements, les proportions des hautes fenêtres, tout incarnait la paix et la noblesse, mais aussi l'assu- rance d'en détenir le maître mot. Presque à regret, il admira. A l'une des fenêtres du premier étage, une jeune fille en robe blanche l'observait. On apercevait aussi au rez-de- chaussée, allant et venant, deux caméristes qui préparaient sans doute la table de la salle à manger, et à l'aile gauche, grimpé sur un petit escabeau, un vieux majordome qui nettoyait avec soin une horloge d'angle. Nicolas regarda à nouveau la jeune fille qui ne détourna pas la tête. Elle était très jeune, très blonde et, pour autant que la distance permît d'en juger, d'une grande finesse de traits. Du haut de cette fenêtre, il était si facile de contempler avec distinction l'écroulement des empires et des républiques, l'affolement dérisoire des populations, l'agitation laborieuse du bon peuple... Domestiques, lingères, jardiniers, chauffeurs veillaient à conserver aux patriciens mains propres et gestes détachés. Nicolas s'en voulut de n'avoir cessé de composer. Depuis qu'il vivait avec les hommes du peloton, c'était la première fois que ses pensées venaient à nouveau l'assaillir. Le même uniforme, la même gamelle, les mêmes fati- gues, les mêmes joies avaient depuis neuf mois fait taire tout remords, aboli toute distance... Depuis le premier jour de la mobilisation, il avait tout à coup cessé de penser comme autre- fois qu'il avait trahi les siens. Parmi les autres, semblable aux autres, il s'était enfin senti en paix avec lui-même, heureux d'appartenir à la fraternité chaleureuse des hommes simples. Neuf mois d'exercices, de corvées, de gardes, de marches par- tagés. Neuf mois de retrouvailles. Pourquoi sa moto était-elle tombée en panne ? Pourquoi avait-il consenti à se détacher du lot ? Pourquoi avait-il accepté d'être promu maréchal des logis alors que, durant son service, il avait obstinément refusé de devenir élève officier à Saumur ? Il se suspecta à nouveau d'ambiguïté. Son père qui n'avait pas voulu quitter le Quercy le lui avait cependant bien prédit. « Si tu montes à Paris, Nico- las, tu finiras par faire le gracieux... » Il entendait la voix rocail- leuse qui prononçait « graciou ». Sous son béret, sous ses moustaches, son père avait eu raison. Qu'y avait-il de commun entre un petit normalien pauvre et la clientèle huppée de son journal ? Que de fois avait-il eu envie de chasser les marquises jacassantes qui apportaient à la rédaction leur participation au fonds de soutien du titre ? De rembarrer les jeunes bour- geois qui proposaient d'attaquer canne à la main les défilés du Front populaire ? La vigilance anti-allemande ne pouvait dis- penser d'autres réflexions. Kerillis, Pironneau et Pertinax affir- maient que l'heure des priorités avait depuis longtemps sonné et qu'il fallait d'abord survivre. Mais ne s'agissait-il pas d'un seul et même combat ? On ne défend bien que ce que l'on aime. Doriot le criait à Saint-Denis, à La Courneuve, à Billancourt, dans des salles bondées où bourgeois et ouvriers se serraient les coudes. Il le hurlait au Vel' d'Hiv' et à la Mutualité devant des foules où les travailleurs serraient la main des intellectuels et des professions libérales. Kerillis disait tout bas qu'il s'agis- sait là d'une bien dangereuse démagogie, qu'il fallait se méfier des musiques, des brassards et des ceinturons. Il s'adressait, lui, aux notables, à la hiérarchie traditionnelle, aux corps constitués, à ceux qui sont à même de saisir les grands problè- mes et d'infléchir à temps les grandes décisions. Il se méfiait de ce transfuge formé à Moscou et dont le patriotisme lui paraissait de bien fraîche date. Nicolas avait balancé. Il n'aurait pu dire ce qui l'avait retenu. Peut-être l'horreur de l'éloquence populaire, du lyrisme vulgaire des meetings, une méfiance ins- tinctive à l'égard des solutions trop simples et des conclusions carrées. Il se reprochait bien de préférer sur d'autres tréteaux Élec- tre, Ondine et La Guerre de Troie n'aura pas lieu, mais il ne par- venait pas à se déprendre de cette attirance. Ni Malraux, ni Brasillach ne lui paraissaient finalement très sérieux. L'enga- gement des mandarins, leur adhésion à des théories globales et définitives procédaient d'une pensée-spectacle à l'usage des gogos, d'un exhibitionnisme de mauvais aloi tout juste bon à faire monter les tirages. Il ne croyait pas sans doute que Gide et Valéry suffiraient à sauver la France, mais il ne pensait pas non plus que cela pût se faire sans eux. Nicolas tourna le dos au château, enfonça ses mains dans ses poches et marcha à grandes enjambées vers le petit bois qui le dissimulerait aux regards. Il n'était pas ici à sa place. Il avait envie de fuir, d'échapper au dilemme qui n'avait cessé, des années durant, de le poursuivre. Fort heureusement, l'uni- forme le dispenserait encore quelque temps des choix civils et des arbitrages hasardeux. Une allée de charmes et de noisetiers s'enfonçait vers le val. A l'ombre des branches, il retrouva la gaieté d'un permission- naire en escapade et se mit à fredonner le chant de l'escadron. Plus tard, il raconterait aux gars du peloton cette étrange mati- née. A l'embarcadère, Nicolas ne vit rien d'autre qu'un bateau qui tirait sur sa chaîne. Dans ce petit bras mort du fleuve, la fraîcheur était exquise, il s'étendit dans l'herbe et s'endormit. Lorsqu'une voix le tira de son sommeil, le poids de son corps était devenu extrême. Il eut du mal à surmonter l'écra- sement qui le clouait au sol et ouvrit enfin les yeux. Loin au-dessus de lui s'inscrivit sur le ciel le visage souriant et bien- veillant d'un vieillard qui ressemblait au duc de Guise. Sa barbe blanche en pointe, son feutre mousquetaire, sa pèlerine lui don- naient l'allure gaillarde et joyeuse de l'ancien chef de la Mai- son de France. — On m'a dit que je trouverais sans doute ici un sympa- thique éclopé. Il paraît que votre cheval a des ratés, mon cher... Nicolas s'appuya sur un coude, s'excusa, se mit sur pied. — Ne vous présentez pas, dit le vieux monsieur. Je vous connais par cœur. Cela fait vingt ans que mon premier geste, chaque matin, consiste à faire sauter la bande de L'Écho de Paris et de L'Époque. Je suis enchanté d'accueillir à Montades un jeune émule de Kerillis. Bienvenue, mon cher, et bon vent. Mais il ne faut pas non plus que j'oublie ma mission. Armand a déposé dans votre chambre, au deuxième étage, un costume de toile. Nous passons à table dans une demi-heure. Du moins ceux qui seront là. Car on ne peut demander l'impossible à un gouvernement qui s'évade... Cela fera un peu table d'hôte. Tout ce que je demande, c'est qu'on ne fasse pas aussi son courrier pendant les repas. Maintenant qu'ils n'ont plus de séance ! Ah ! ils nous ont fichus dans de beaux draps et ils doivent surtout chercher maintenant à refiler l'addition. Ils remontèrent vers le château. Parfois le vieux monsieur s'arrêtait pour qu'on l'écoutât mieux : — Lorsque Tardieu est parti, j'ai demandé à mes amis de ne pas renouveler mon mandat de sénateur. Je le détenais depuis 1912. Plus de vingt ans. Mais ce n'était pas le véritable motif, je n'étais plus d'accord. Nous venions de laisser passer notre dernière chance de sauver la paix. Car on peut bien fein- dre de croire aujourd'hui qu'on pouvait, en 1935, interdire le réarmement de l'Allemagne; entraver la remilitarisation de la rive gauche du Rhin en 1936 ; l'Anschluss à Pâques 1938 ; et le démantèlement de la Tchécoslovaquie à Munich, en septem- bre 1938. Je dis, moi, que ce qu'il fallait avant tout éviter, c'était l'avènement d'Hitler... après, c'était trop tard. Nous avions le moyen d'y parvenir. Il fallait saisir en avril 1932 la main que nous tendait le chancelier Brüning. Il venait un mois plus tôt de faire réélire le vieux maréchal Hindenburg à la présidence de la République. Non sans peine. Hitler et le communiste Thaelmann ne furent battus que d'une courte tête. Mais enfin, il y était arrivé. Son premier geste fut alors de se précipiter à Genève pour proposer à la S.D.N. une révision pacifique et contractuelle du traité de Versailles. — Et cette proposition ne fut pas acceptée ? demanda Nicolas. — Le plus étonnant, c'est que les principaux participants, MacDonald, Tardieu et l'ambassadeur extraordinaire des États- Unis, Norman Davis, en acceptèrent immédiatement le principe. Dans tous les pays occidentaux, la crise battait son plein, les cortèges de chômeurs grandissaient jour après jour, les extré- mistes de tous bords attisaient le mécontentement. La situa- tion devenait explosive. Brüning suppliait d'agir vite pour détourner le peuple allemand de l'aventure. On savait qu'il avait raison, mais comme toujours l'on se perdit dans des débats de procédure. Et puis... — Et puis ? — Une fois de plus, une échéance de politique intérieure vint tout remettre en cause. En mai, Tardieu fut battu aux élec- tions législatives. Édouard Herriot le remplaça à la présidence du Conseil et ne reprit la route de Genève qu'à la fin du mois, c'était trop tard. Le vieux président Hindenburg, effrayé par l'accélération de la crise, poussait le jour même le chancelier Brüning à démissionner et le remplaçait par le général Schlei- cher dont l'incapacité était cependant bien connue. C'est dans ce mois perdu que le sort de l'Europe a basculé. Ils marchèrent en silence. Charles de Montades prit Nico- las par le bras. Et, comme en se parlant à lui-même, il ajouta plus bas : — C'est un grand mystère, n'est-ce pas ? que celui de ces instants où les mains se tendent et ne se rejoignent pas. Tous les acteurs sont là. Ils ne demandent qu'à jouer la pièce, ils connaissent leur texte. Mais le destin se rit de ces personnages. Arrivé sur la terrasse du château, Charles de Montades redressa sa haute taille et contempla d'un air enjoué le splen- dide panorama. — Ce cadre d'Ancien Régime pour première étape d'une abdication, n'est-ce pas tout un programme ? Vous m'aiderez tout à l'heure, autour de la table, à bercer nos proconsuls de sujets anodins ou, mieux, à parler littérature. Proust, Duhamel, Mauriac, Martin du Gard, ce sont des valeurs éternelles. Écar- tons, si vous le voulez bien, France, Barrès, Aragon et Drieu, trop marqués. Attention au théâtre... Ces messieurs protègent parfois des sociétaires et des pensionnaires qui ont leurs têtes. Bourdet, Berstein, Guitry : prudence. Je m'en tiendrai à des généralités, ou encore à Shakespeare que personne ne connaît vraiment... Une complicité charmante s'était établie entre eux. Ils en oublièrent l'heure du communiqué. A midi, les voitures officielles commencèrent d'affluer. On avait improvisé des parkings dans les écuries. Un buffet avait été dressé dans l'ancienne sellerie pour les chauffeurs et les motards d'escorte. Les jardiniers avaient été adjoints aux cui- sines pour porter les bouteilles, les terrines, les pains de cam- pagne, les jambonneaux, et assurer dans les communs un service de base. Ils faisaient de leur mieux. Mais certains direc- teurs de ministère ou chargés de mission, refoulés du château et mêlés à la valetaille, se plaignaient amèrement de ne pas être traités selon leur rang et de subir dès la première étape une humiliante relégation. On parlait beaucoup d'essence, de pneus, d'itinéraires préservés; on s'interrogeait sur les bouchons des carrefours, la difficulté de doubler, les moyens de se procurer de l'argent liquide. Une nouvelle hiérarchie de préoccupations donnait à cette débâcle des pouvoirs publics un aspect pitto- resque et sordide. Un inspecteur des Finances, qui avait naguère négocié à Londres un traité très célèbre avec un chancelier de l'Échiquier, disait en aparté à son chauffeur : « On vient de m'indiquer qu'à la charcuterie du village, en entrant par- derrière, vous pourriez encore vous procurer quelques sau- cissons... » A la faveur des nouvelles arrivées, les bruits les plus divers se répandaient : on aurait vu des parachutistes, la nuit dernière, en forêt d'Orléans, les premières motos de Rommel auraient été aperçues dans les faubourgs de Louviers. Certains disaient que les chasseurs allemands avaient mitraillé les colonnes de réfugiés à Étampes et Arpajon. Des voix parlaient d'un air entendu du réduit breton comme d'une citadelle imprenable où les Anglais entassaient le meilleur de leurs forces, et un scep- tique qui se permit d'ironiser fut regardé avec une circonspec- tion particulière. Certains parlèrent de défaitistes et de 5 colonne, d'infiltrations ennemies au plus haut niveau... Ren- seignements pris, il ne s'agissait que d'un auditeur à la Cour des comptes, attaché au cabinet du ministre des Pensions, qui répétait un propos incertain d'un confrère de l'Intérieur; avant de boucler ce matin ses valises, l'homme avait eu au téléphone le préfet de Saint-Brieuc, qui attendait des instructions et n'avait encore aperçu aucun Tommy... — Je suis bien tranquille, affirmait un autre, pour galva- niser les énergies, Pétain et Weygand ont certainement encore plus d'un tour dans leur sac. Ce sont les hommes du dernier quart d'heure. Soyez gentil, passez-moi le beurre. Un conseiller d'ambassade qui avait suivi le Maréchal à Madrid, un an plus tôt, adopta à ce sujet un ton si réservé que d'aucuns furent troublés. — Mais, où sont mes caisses ? hurlait une sorte de maître de cérémonie, en veston noir et pantalon rayé, en bousculant tout le monde. J'avais demandé que le fourgon suive... Quelle pagaille... Comment ? sans importance ? Vous en parlez à votre aise, ce sont les archives de la présidence du Conseil, mon cher, et si nous ne les avons pas demain matin, je me demande bien comment nous travaillerons... — Mais le président n'est pas là, répondait un autre. A Orléans, il a bifurqué vers Briare. — Vers Briare, quelle drôle d'idée ? — Mais vous ne savez pas que le Grand Quartier s'est replié depuis deux jours à Briare et à La Charité ? — On dit que Churchill va rencontrer Paul Reynaud là-bas aujourd'hui même. Il y a vraiment un aéroport à Briare? — Au bulletin de 13 heures, le speaker vient d'indiquer que Paris est déclarée ville ouverte, annonça un garde mobile qui rapportait de nouveaux jambons de la cuisine. On fut soulagé, mais certains remarquèrent avec perti- nence que les Allemands n'en débouleraient que plus rapide- ment vers eux. — Il va tout de même bien falloir s'installer, dit d'un air triste un sexagénaire à cheveux blancs, visiblement fatigué et qui supportait mal la bousculade du buffet. — A moins que le corps diplomatique n'ait déjà tout pris, remarqua un chauffeur qui avait été doublé la veille, sur la route de Chartres, par un long cortège de luxueuses voitures américaines à pneus blancs. — Je vous laisse Luynes et Montrichard, disait un élégant jeune homme des Affaires étrangères à un austère conseiller d'État. Azay convient mieux à mon impératif de relations exté- rieures. — Et Chaumont ? A qui a été affecté Chaumont ? Chaumont a toujours porté chance, affirmait un érudit, les astrologues de Catherine de Médicis la suppliaient de ne jamais quitter... — Avez-vous vu mes valises ? demandait en passant le direc- teur général des Impôts. Le Mouvement des fonds s'en est chargé à la porte de Versailles et devait les déposer ici devant la grille d'entrée. C'est insensé, tout de même ! — Aviez-vous mis votre nom sur vos valises ? — J'ai fait trois fois le tour du monde; je n'ai jamais rien perdu, même pas une paire de gants. Et voilà qu'entre Paris et Amboise... Avouez tout de même... Et où dormirons-nous, ce soir ? Un ingénieur général de la S.N.C.F., qui accompagnait Dautry, indiqua qu'un train militaire préposé à cet effet sta- tionnerait le soir même dans une gare voisine. — Dormir dans un train ? Mais c'est un coupe-gorge, une folie ! s'exclama un ingénieur au corps des Mines qui accompa- gnait le ministre des Travaux publics. Il faudrait au moins un tunnel. Avez-vous un tunnel ? A proximité, on avait beau chercher, il fallait bien reconnaî- tre qu'avant les abords de Limoges on ne trouvait rien qui res- semblât... — Et de Tours à Angers, que diable, pour la nuit prochaine, nous sommes loin d'avoir tout épuisé : Villandry, Chenonceaux, Rigny-Ussé, Montgeoffroy, Brissac, Villoutreys, Fontevrault. — Ah non, je vous en prie, Fontevrault est une prison ! — Il suffirait d'évacuer et d'aménager. — Et Chinon... ? Mais Chinon est en ruine, vous le savez bien. — En ruine, mais depuis quand ? — Mais je ne sais pas, moi. Depuis Charles VII. Un directeur du ministère de l'Instruction publique pro- posa de réquisitionner les institutions religieuses et les cou- vents. C'était une suggestion qui méritait réflexion et qui ral- lia d'emblée de nombreux suffrages. L'idée d'être protégés par une clôture en rassurait plus d'un. — Mais où est le ministre de l'Intérieur ? — La délégation de signature du directeur du cabinet n'est- elle pas suffisante pour une réquisition ? — Mais le préfet lui-même, voyons... Et puis il s'agit d'abri- ter le gouvernement, ne l'oubliez pas. — Enfin, savez-vous oui ou non qui déjeune en ce moment au château ? On avait vu passer , Louis Marin, Raoul Dautry, Campinchi, , Charles Pomaret, Albert Chichery, Louis Rollin... — Mais qui est-ce, celui-là ? demandait un garde répu- blicain. — Louis Rollin ? C'est un vieil ami de Paul Reynaud. — Ah bon. — Où l'a-t-on casé ? — Aux Colonies. — Et Mandel alors ? Il n'a plus ni les Colonies, ni les P.T.T. ? — Mais non, puisqu'il est à l'Intérieur. — Vous êtes drôle, il ne peut pas tout avoir... — Et Monzie, où l'a-t-on mis cette fois-ci ? — Ah, ça ! vous n'avez pas vu qu'il a quitté le gouvernement, avec Daladier. Le remaniement du 6 juin avait surtout pour but de les éliminer. Ils réclamaient l'ouverture de pourparlers avec l'Italie, une plus grande latitude à l'égard de l'Angleterre... Pourriez-vous étendre, s'il vous plaît, la main vers le vin rouge ? Je vous remercie... et le cas échéant un appel à la médiation américaine... Reynaud a saisi l'occasion pour les balancer. Cela faisait six mois qu'il en rêvait. Quatre jours plus tard, Musso- lini nous déclarait la guerre... — Ah ! c'est fait, nous sommes en guerre avec l'Italie ? inter- rogea d'un air calme et indolent le directeur des Finances exté- rieures. — Mais décidément vous n'avez rien écouté, vous, depuis vingt-quatre heures... On l'a annoncé hier soir au bulletin de 20 heures... — Vous savez, il a fallu que j'aille récupérer mes clubs à Saint-Germain, j'ai passé quatre heures dans les embouteilla- ges. Je suis rentré à minuit. Il paraît qu'il y a un très bon golf à Bordeaux... — Pourquoi dites-vous Bordeaux ? Vous pensez vraiment qu'on descendra si bas ? — Je préférerais Chantaco et La Nivelle, dit un plaisantin. — Ce ne serait pas si bête, dit un troisième. Au moins là- bas, il y a des hôtels. Le sexagénaire, écroulé dans une stalle sur une balle de paille, soupirait : — Mais enfin, qui nous donnera pour ce soir nos billets de logement ? — C'est le secrétariat général de la Défense nationale qui s'occupe de cela, le général Caillau, et comme toujours c'est très mal organisé. Ce n'est pas pour dire du mal des militaires, mais enfin, ils auraient pu prévoir un peu tout cela... On en parle depuis le 16 mai. — Ah ! vous pensez que, déjà, le 16 mai ? — Mais enfin, d'où tombez-vous, c'est de notoriété publi- que. Il n'y avait plus rien entre Saint-Quentin et Paris. Les Alle- mands pouvaient arriver le soir même à la Concorde. Au cours de la conférence que Paul Reynaud a tenue à 11 heures ce jour- là, avec une partie des ministres, les présidents du Sénat et de la Chambre, le général Hering, le préfet Langeron et ceux qui se trouvaient là un peu au hasard, Villelume, Baudouin, Mar- gerie, Leca, Devaux et quelques autres, Paul Reynaud a pris la décision de transférer le gouvernement à Tours. Il le nie main- tenant, mais trente témoins peuvent l'attester. Le départ était fixé à 16 heures. Il y avait de l'affolement... — Vous avez assisté à la réunion ? — Oui, mais je compte sur vous pour garder... bien évidem- ment. En vérité, affolement, c'est trop peu dire, c'était une véri- table panique. « Pourquoi, suggéra quelqu'un, des bateaux de guerre de faible tirant d'eau ne remonteraient-ils pas la Seine et ne défendraient-ils pas la ville ? » Certains parlaient d'en appeler au pape. Un huissier entra à ce moment et porta à Villelume, à côté duquel j'étais assis, un petit papier qu'il me fit lire : « Demandez à Paul s'il a bien donné l'ordre de brûler les archives du Quai. Les secrétaires jettent les dossiers par les fenêtres du troisième étage directement dans la cour. Signé : Marie-Laure de Montades. » Le président a simulé l'étonnement, mais il n'y eut de sa part aucune marque d'indignation, voire même de réprobation. On suspendit un instant la séance. Je reverrai toute ma vie cette scène, Paul Reynaud et Mandel, livi- des sur le perron de l'hôtel du ministre, regardant les huissiers arroser d'essence les archives entassées sur la pelouse, attiser le feu avec des instruments de jardinage et crier en riant à leurs collègues des étages de viser juste... L'un d'entre eux proposa, pour aller plus vite, d'en jeter une partie à la Seine... Personne n'eut le courage de répondre. La fumée nous faisait tousser. Certains, tout bas, faisaient des mots : autodafé des illusions... Saint-Barthélemy des jurisconsultes... On apercevait autour du brasier Basdevant, Tarbe de Saint-Hardouin, Charveriat, Rochat, Beaumarchais, Croüy-Chanel, qui contemplaient, effon- drés, la consumation de quarante ans de consultations, de trai- tés, de conventions, de protocoles, de mémorandums, de notes verbales... « Mais où est Léger ? » demanda une voix perfide. Un nuage épais et noir montait dans le ciel. Les ministres s'épon- geaient. On regagna la salle du Conseil. « Demandez au prési- dent Herriot de convoquer la Chambre pour 15 h 30 », demanda alors Paul Reynaud... Lorsque nous sortîmes de séance, Mme de Montades se précipita en furie sur le président : « Paul, vous n'allez pas faire cela, la France ne se gouverne que de Paris... Je vous en supplie. Ressaisissez-vous. Écartez ceux qui vous ont desservi... Gamelin... Léger. » Nous sommes passés à table dans un état de tension indescriptible. Elle répétait inlas- sablement : « Si vous partez, Paul, vous ne reviendrez jamais... » Et peut-être aussi lui inspirait-elle, à son insu, le goût de satis- faire la tentation profonde qui était en lui. — Laquelle ? — Celle dont Baudelaire réclamait l'insertion dans la Décla- ration des droits de l'homme, celle de se contredire et de s'en aller. — Croyez-vous que Marie-Laure de Montades soit là aujourd'hui ? — Bien sûr, elle est arrivée hier et a convaincu son père de ne pas nous jeter tous à la rivière. C'est elle, n'en doutez pas, qui présidera tout à l'heure le déjeuner des ministres. Un grand remue-ménage se produisit tout à coup du côté de la forge et du cellier. Les gendarmes étendaient les bras, don- naient des coups de sifflet prolongés, dégageaient vaille que vaille un passage pour les voitures. On aperçut d'abord le cas- que blanc et les baudriers des estafettes de l'escorte, puis, fanion claquant au vent, deux longues limousines noires, sui- vies de voitures de police. Il y eut un peu de bousculade. — Mais non, ce n'est pas le président Lebrun, répondit Armand qui passait par là. Il est descendu chez M. et Mme de Latour-Valès au château de Cangé. Et comme on insistait, il ajouta d'un ton solennel : Ce sont, je pense, M. le président du Sénat et M. le président de la Chambre. Ce n'est pas trop tôt, les ministres ont l'estomac dans les talons. Et dame, certains fatiguent, il faut bien le dire. CHAPITRE 3

Nicolas retint son pas sur la dernière marche de l'escalier. Dans la cour d'honneur, avec un grand ronflement de moteur, les motos des gardes républicains décrivaient de larges cercles sur le gravier et dégageaient solennellement la voie de longues voitures. Des inspecteurs sautaient en marche, ouvraient des portières, surveillaient les alentours. Marie-Laure de Monta- des, très élégante dans une robe bleue à pois blancs, suivie de son père en tweed moutarde, s'avançait souverainement sur le perron pour accueillir Jules Jeanneney et Édouard Herriot qui s'extirpaient avec difficulté de leurs voitures respectives. Nicolas regretta de ne plus avoir à faire de papier pour l'édi- tion du soir. Le spectacle de ces deux éminences cacochymes, au pas incertain et à la tenue négligée, serrait un peu le cœur. C'était avec eux une France vieille et fripée qui traversait le hall et demandait asile. La voix abrupte et gouailleuse de Gabrielle murmura derrière lui : — C'est Hitler qui aurait peur s'il voyait cela. — Vous ne croyez pas si bien dire, murmura Nicolas. Lorsqu'il a vu pour la première fois Chamberlain et Daladier à Berchtesgaden il y a deux ans, il a tout de suite compris. Le soir même, il disait à Goering : « Il n'y a plus de raisons de se gêner. » Au milieu du hall, Herriot s'était arrêté. Il palpait ses poches, s'inquiétait. Marie-Laure de Montades s'enquit cour- toisement : — Avez-vous perdu quelque chose, cher président ? — Je crois bien que j'ai perdu ma pipe, dit Herriot très ennuyé. Un secrétaire qui serrait contre lui plusieurs porte- documents s'approcha. — Mais non, monsieur le Président, nous l'avons, elle est dans la première serviette avec le règlement et la composition des commissions. — Ah bon, je suis rassuré, soupira Herriot. Comme cela, on pourra fonctionner. Il reprit pesamment sa marche en s'appuyant sur le bras de Jeanneney. — On ne peut même pas dire, soupira Gabrielle, le vice s'appuyant sur le bras du crime... — N'oubliez pas, répondit Nicolas en souriant, que cet homme a parlé d'excellente manière de l'auteur de cette phrase et de son égérie. — Et pourtant la Récamier, c'est pas son style, car comme iceberg paraît-il, elle s'posait là. Ils se regardèrent en riant, et Nicolas trouva que décidé- ment cette maison ne manquait pas de truculence. Lorsque Nicolas pénétra dans le grand salon, l'atmosphère de joyeuses et bruyantes retrouvailles qui régnait sans retenue le surprit tout de même un peu. Ce n'était que claques dans le dos et amicales bourrades. On entendait : « Ah ! c'est toi, Camille, tu t'es levé dès l'aube... Et toi, Adrien, tu vas mettre bientôt le blazer et le pantalon blanc pour nous montrer les allées de Tourny... » Un grand gaillard au verbe coloré déchaî- nait particulièrement les rires : « Alors je lui ai dit, clamait-il, monsieur le garde champêtre, au nom de la République, moi Anatole de Monzie, président du conseil général du Lot et maire de Cahors, président de l'Association de défense et de soutien de la langue occitane, je vous demande instamment de bien vou- loir ne pas couper la France en deux et de retirer momentané- ment cette charrette qui barre notre chemin. Savez-vous ce qu'il me répond : "Monsieur le Président, j'ai appris ce matin à Mamers que vous déjeuniez chez M. . J'espérais bien qu'en descendant vous passeriez par ici... Et je tenais beau- coup à faire votre connaissance. C'est pour vous arrêter que j'ai barré la route. Quant aux Allemands... — Et pourquoi dian- tre ? — Parce qu'on m'a dit : Si ton fils, à la S.N.C.F., il passe pas contrôleur, adresse-toi à M. de Monzie. Il est tout-puissant... — Mais, depuis trois jours, je ne suis plus ministre... — Ah ! c'est bien le moment", qu'il répond... Et il se met à m'engueu- ler : "Si tout le monde faisait comme vous, s'il y avait plus du tout de ministres, à qui s'adresserait-on ? Ah ! ça c'est la meil- leure, plus ministre..." Il était furieux. » Dans l'embrasure d'une fenêtre, un petit homme blafard, flottant dans un veston noir démodé et un col à coins cassés, s'entretenait gravement avec un de ses collègues tout en sur- veillant étroitement l'assemblée. Sa raie au milieu, ses yeux glo- buleux et froids, son grand nez courbé faisaient penser à un corbeau triste qui aurait perdu ses ailes. Quelqu'un disait : — Béatrice l'accompagne-t-elle ? — Bien sûr, avec le directeur des Renseignements géné- raux, les fiches et les fichiers. Nicolas regardait de tous ses yeux cet homme étrange dont le comportement distant tranchait sur la jovialité ambiante et qui paraissait apercevoir au-delà des têtes ce que d'autres ne voyaient pas. Gabrielle suivit son regard : — Mandel fait peur, n'est-ce pas ? Nicolas ne répondit pas, mais poursuivit tout haut sa réflexion : — N'est-ce pas toujours stupéfiant, cette familiarité d'hom- mes qui apparemment se pourfendent mais en réalité se ménagent ? — On dirait une troupe de comédiens ravis de jouer leur répertoire et de s'échanger les rôles. — Peut-être assistons-nous à l'un des derniers entractes au foyer des artistes. Le grand craquement qui s'annonce va bou- leverser les cartes. On passa à table dans un joyeux tohu-bohu. Le marquis de Montades prit à sa droite Jules Jeanneney, et Marie-Laure le président Herriot. Les autres se placèrent à la diable selon leurs affinités. On pouvait cependant noter que Camille Chautemps et Louis Marin, en tant que ministres d'État, s'attribuaient d'office les places vides à la gauche des maîtres de maison. Par contre, Jean Ybarnegaray, qui eût pu prétendre au même hon- neur, s'asseyait modestement en bout de table, à côté de Marquet et de Monzie : — Le Sud-Ouest se regroupe, lança Pierre-Étienne Flandin... — Tu sais, dit Marquet à Flandin, Jean n'a pas besoin de nous, il ne se sent jamais seul. Comme il a engrossé toutes les bergères à la ronde, entre Saint-Jean-Pied-de-Port et Saint- Étienne-de-Baïgory, chaque fois que, dans la rue, on appelle : « Papa », il se retourne. Monzie renchérissait : — Nous avons raconté cela au maréchal Pétain. Et tu sais ce qu'il nous a répondu : « Pour moi, mes amis, il n'y a pas de danger, je suis sourd comme un pot. » — Ah ! c'est pour cela, enchaîna Chichery qui dégustait voluptueusement ses filets de sole, que le Maréchal m'a dit il y a quelques jours : « Monsieur Chichery, vous êtes bien prési- dent du groupe parlementaire radical-socialiste ? » Je lui dis : « Oui, monsieur le Maréchal ! — Eh bien, monsieur Chichery, vous direz à vos amis radicaux qu'ils n'ont pas assez fait pour la famille. Si mes responsabilités venaient à s'étendre, je ferais beaucoup pour la famille. Je créerais un ministère et je nom- merais là un homme qui aime les enfants... M. Ybarnegaray, par exemple. » Ils étaient tous hilares. Ybarnegaray se retourna vers Nicolas assis à son côté et qu'il prenait pour un membre de la famille : — Jeune homme, vous alerterez, je vous le demande, votre grand-père, sur la manière dont on parle maintenant à un minis- tre d'État, et vous lui ferez part de mon approbation : un Par- lement qui traite ses grands anciens avec si peu de respect ne mérite pas qu'on y siège. Comme la mise en boîte se détournait en direction de Poma- ret, à voix basse, Gabrielle dit à Nicolas : — Je me demande comment ma sœur peut passer sa vie dans ce milieu impossible. — Ils chahutent comme des enfants, répliqua Nicolas, est- ce si différent, d'une certaine manière, au Jockey, à l'Auto ou au Nouveau Cercle ? C'est le style qui change, c'est tout. Ces hommes entre eux répètent à longueur d'année. Ils essaient à blanc leurs trucs, leurs anecdotes, avant de s'en servir devant leurs électeurs et leurs administrés... Et puis c'est un contre- point sans doute indispensable de la vie de représentation. Un délassement derrière le décor. Tout en parlant, Nicolas remarqua qu'à plusieurs reprises, du centre de la table, laissant aller autour d'elle les propos des présidents, Marie-Laure fixait les yeux sur lui. Il soutint à un moment son regard jusqu'à ce qu'elle consentît à lui sourire. Cet échange muet ressemblait un peu à une connivence. Mais Nicolas éprouva aussi le sentiment qu'il s'agissait peut-être d'un message différent. — Votre jeune sœur est-elle hostile également à ces sortes de réunions ? demanda-t-il à Gabrielle. On ne la voit pas. — C'est un peu compliqué, répondit Gabrielle avec hésita- tion. Peut-être l'avez-vous aperçue dans le parc... Claire-Anne est très belle et très pure. Et rien ne l'indigne plus que cet étrange attrait de Marie-Laure pour les hommes du gouverne- ment, quelles que soient leurs tendances. Claire-Anne est encore très jeune, très intransigeante. Et ce n'est pas toujours facile de calmer les éclats d'Antigone. Lorsque Marie-Laure a divorcé... — Marie-Laure était mariée ? — A un petit nobliau du Maine-et-Loire qui n'aimait que ses chevaux et ses chiens. Après le divorce, Claire-Anne a refusé longtemps d'adresser la parole à Marie-Laure. Mais on ne résiste pas à la tendresse de notre père qui a besoin de ses trois filles, et retrouve en chacune d'elles un aspect des tendances contradictoires qui sont en lui. Nous nous regroupons toujours toutes les trois lorsqu'il s'agit de l'entourer et d'entretenir avec lui le culte de Montades. Il désespère de n'avoir pas encore de petits-enfants, et il va falloir nous décider un jour à lui faire plaisir. Il faut que Montades continue. Nicolas avait envie de poser mille questions mais, par dis- crétion, il se tut. Le regard de Marie-Laure s'arrêta à nouveau sur le sien. Soudain, sans tourner la tête, Gabrielle dit : — Marie-Laure vous fascine, n'est-ce pas ? Comme elle fas- cine tous les hommes. Cet appétit de plaire et d'exalter ceux qu'elle distingue, je ne connais pas encore d'hommes qui aient pu y résister. Paul Reynaud en est fou. Nicolas ne répondit pas. Et, tandis que les maîtres d'hôtel passaient les rôtis, on entendit Marie-Laure interpeller Adrien Marquet : — Mon cher ministre, disait-elle de sa voix magnifique, vous qui avez bien connu le président Jaurès, quel était à votre avis le secret de son éloquence ? — Chère amie, répliquait Marquet en caressant de son grand doigt son proéminent cartilage, je ne peux mieux vous répondre que par une anecdote. En juillet 1914, quelques semai- nes avant la déclaration de la guerre, j'ai fait partie de la délé- gation française qui accompagnait Jaurès au congrès de l'Inter- nationale socialiste à Stockholm. Sur le pont du navire que nous avions emprunté pour traverser du Danemark à Gôteborg, Jaurès faisait les cent pas et parlait fréquemment aux uns et aux autres. A un moment, il s'est approché de moi et m'a demandé : « Et vous, Marquet, qu'est-ce que vous faites dans le civil ? » Alors je lui ai répondu : « Je suis dentiste, monsieur le Président. — Ah ! vous êtes dentiste... C'est bien cela... Alors vous arrachez des dents ? — Oui, quelquefois, monsieur le Pré- sident. » Quelques minutes plus tard, nous sommes arrivés à Gôte- borg. La foule nous acclamait. Musiques, oriflammes, tribunes fleuries. Jaurès était à son affaire. On le poussa sur une estrade. Il fit un beau discours. Le grand discours sur la fraternité des peuples et le règne de la paix universelle. Il dénonça les menées bellicistes et, soudain, je l'entendis lancer dans une grande envolée : « ... et s'il le faut, mes amis, tous ensemble, nous nous réunirons pour arracher l'une après l'autre les dents de l'hydre de la guerre. » Lorsque les rires décrurent, on perçut distinctement la voix métallique de Mandel qui disait à son voisin : « Je crois bien qu'en 1918 Clemenceau n'eût jamais toléré de telles conver- sations. » Gabrielle se pencha vers Nicolas : — Marie-Laure sait que Marquet fait partie de l'alternance inéluctable. Elle le met en valeur, elle le cajole. — Et si avait été là, aurait-elle eu à son égard le même comportement ? — La question ne se pose pas ainsi. Pierre Laval s'est si catégoriquement opposé à la politique étrangère de Paul Reynaud que ma sœur n'eût jamais commis l'imprudence de lui offrir, en un pareil moment, l'hospitalité. Elle le regarda en souriant. — Dans quelques jours, vous ferais-je la même réponse ? A leur gauche, Pierre-Étienne Flandin disait à Anatole de Monzie : — Mais enfin, pourquoi n'as-tu pas quitté plus tôt le minis- tère ? Daladier, Chichery et toi, vous n'avez cessé de mettre en garde Reynaud contre des aventures belliqueuses, mal prépa- rées et très au-dessus de nos moyens, et jamais l'idée ne vous est venue de le menacer de votre retrait ? — Tu sais bien, répondait Monzie, qu'il n'avait pas de majo- rité et que, si les radicaux avaient agi ainsi, ils auraient déclen- ché une crise ministérielle inextricable... — Paul aurait été alors contraint, répliqua Flandin, de par- ler sérieusement avec nous... L'Alliance démocratique et la Fédération républicaine lui auraient demandé d'exposer réel- lement son plan de guerre et les moyens de l'appliquer; ce qu'à aucun moment vous n'avez exigé... — C'était Daladier qui s'occupait de cela, tu le sais bien, et nous lui faisions confiance. — C'est bien ce que je vous reproche. — Tu en parles à ton aise. Daladier, c'était une image. Les militaires avaient oublié qu'il avait tiré sur les Croix-de-Feu et les Anciens Combattants le 6 février 1934. Il avait sacrifié Frot, on n'en parlait plus. Les généraux disaient qu'il avait fait la guerre de 14 dans les tranchées, que c'était un homme résolu et un grand patriote. Son côté bougon et taciturne lui donnait l'air autoritaire. On pensait que c'était un homme courageux et déterminé, le « Taureau du Vaucluse » ! Et puis il avait reçu, que diable, le roi et la reine d'Angleterre ; la remontée de l'ave- nue Foch, au milieu d'un grand déploiement de cavalerie ; les petites princesses si adorables, les petites princesses à Windsor sur leurs gentils poneys à côté de leur bon papa; la photo des petites princesses dans toutes les devantures de la capitale ; les gens distingués finissaient par croire que Daladier sortait de Cambridge et d'Eton; il devenait intouchable, notre bon Édouard... Après deux ans de grèves et de débraillé, il redon- nait à la République un visage rassurant et musclé... — Tout de même, reprit Flandin, le 2 septembre 1939, lors- que Laval a demandé la réunion du Sénat en séance secrète parce qu'il avait compris qu'en demandant le vote des crédits militaires, le gouvernement se dispenserait de mettre en dis- cussion sa décision de déclarer la guerre, vous auriez pu sou- tenir son initiative et rappeler Edouard au respect des prescriptions les plus sacrées de la Constitution. — Tu oublies, mon vieux, que le même jour Frot, en notre nom à la Commission des finances de la Chambre, a fait préci- ser à Daladier que notre approbation des crédits de guerre n'impliquait pas le droit donné au gouvernement d'entrer en guerre sans notre accord. — Mais qui proteste le lendemain, continua Flandin, lors- que vous apprenez dans la matinée que le gouvernement se laisse entraîner par l'ultimatum anglais et n'a pas même la dignité de déposer le sien ? Lorsque vous vous apercevez que le sort du pays va s'engager sur sommation de l'huissier britannique ? Qui réclame le débat public qui aurait fait apparaître l'inexistence du pacte d'assistance automatique franco-polonais dont on nous rebattait cependant les oreilles ? Tu le sais bien, toi, Anatole, et plus que quiconque le savait : la France n'avait jamais signé et ratifié un traité qui l'engageât à garan- tir l'indépendance de la Pologne. Nous sommes entrés en guerre en plein mensonge et en pleine illégalité. — Écoute, Pierre-Étienne, ne remue pas le fer dans la plaie... Je suis le premier à me reprocher ma bonasserie congé- nitale. Il aurait fallu se fâcher, je le sais. Mais aurais-je été suivi ? Herriot lui-même avait mis une sourdine à la guerre des deux Édouard, Chautemps et Sarraut pensaient que cette fois Hitler se dégonflerait. Coulondre avait envoyé le 31 août de Berlin une lettre personnelle à Daladier dans ce sens. Elle est arrivée à 18 heures en plein Conseil des ministres. — Le lendemain matin, reprit Flandin, les troupes alleman- des franchissent à l'aube la frontière polonaise, et cela ne vous éclaire pas ? En vérité, Anatole, nous avons joué toi et moi à contretemps. C'est un an plus tôt qu'il fallait déployer notre énergie : il ne fallait pas aller à Munich. Ceux qui avaient à gau- che et à droite défendu avec le plus de ténacité l'idée de paix, Blum et Laval, étaient pour une fois d'accord et ont supplié Daladier de ne pas accompagner Chamberlain à Berchtesgaden où il avait décidé, sans nous consulter, de se rendre. Litvinov avait demandé à la Pologne et à la Roumanie le libre passage des troupes soviétiques pour défendre la Tchécoslovaquie. Mol- lement, peut-être, mais il l'avait demandé. Si nous avions appuyé cette démarche, les Polonais et les Roumains n'auraient sans doute pas pu refuser et Hitler, que Mussolini avait mis en garde, ne se serait pas engagé dans une guerre à deux fronts. Le tintement d'une fourchette sur un verre fit taire les conversations. Chautemps s'éclaircissait la voix avant de par- ler. Marquet murmura : Les liaisons les plus passionnées se nouent souvent au coeur du drame. Nicolas Charpentier et Marie-Laure de Montades n'échap- peront pas à la règle. Brillant journaliste, Nicolas vient de vivre des combats épuisants sous l'uniforme d'une armée bientôt vaincue. Egérie du président du Conseil, Paul Reynaud, Marie-Laure est la femme la plus en vue de la troisième République. Les hasards d'une guerre perdue vont les réunir, un matin de juin 1940, au château des Montades, près de Tours. C'est dans ce cadre hors du temps qu'ils vivront les derniers jours et les dernières folies du gouvernement en fuite vers Bordeaux : sous leurs yeux Chau- temps, Reynaud, Monzie, Lebrun, Weygand et combien d'autres, désemparés, lâches ou sublimes, jouent le spectacle saisissant d'hommes dépassés par l'Histoire. Née au coeur des événements où se joue le sort de la France, la passion entre ce jeune homme trop lucide et cette femme aristocra- tique a-t-elle encore une chance de s'épanouir ? Un style remarquable, une puissance d'évocation rare font de ce roman dans l'Histoire une éclatante réussite.

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