Sur Les Rails Du Pouvoir. De Munich À Vichy, 1938-1942
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Jean Berthelot, né en 1897 à Reims, polytechnicien, est sorti premier de sa promotion comme Ingénieur Elève à l'Ecole Nationale Supérieure des Mines. Il appartient à la génération des grands techniciens qui, entre les deux guerres, ont posé les bases économiques de l'Europe en mutation. En 1939, il était Directeur général adjoint de la S.N.C.F. La rencontre d'Anatole de Monzie, bril- lant ministre des Travaux Publics de septembre 1938 à juin 1940, va l'entraî- ner, sans qu'il les ait cherchées, à des hautes fonctions au carrefour de la technique et de la politique. Directeur du Cabinet du ministre, il est appelé au poste de secrétaire d'État aux Commu- nications en septembre 1940, dans le gouvernement du Maréchal Pétain. Il y mène une double action pour recons- truire le réseau des transports dévasté par la guerre et pour soustraire aux occupants le maximum possible de ma- tériel français. Il donne sa démission en avril 1942, quand le retour de Laval au pouvoir lui donne la conviction de l'inu- tilité de ses efforts. Après la Libération, Jean Berthelot, subissant le sort com- mun des « épurés », passa en Haute Cour de Justice et fut libéré le jour même du jugement, en juillet 1946. Il occupe depuis des postes de Conseil ou d'Administrateur dans des sociétés s'intéressant à l'Amérique du Sud ou à l'Afrique noire. "L'HISTOIRE QUE NOUS VIVONS " JEAN BERTHELOT SUR LES RAILS DU POUVOIR (de Munich à Vichy) ROBERT LAFFONT 6, place Saint-Sulpice, 6 PARIS-VI Si vous désirez être tenu au courant des publications de l'éditeur de cet ouvrage, il vous suffit d'adresser votre carte de visite aux Éditions Robert LAFFONT. Service « Bul- letin », 6, place Saint-Sulpice, Paris-VI Vous recevrez régulièrement, et sans aucun engagement de votre part, leur bulletin illustré, où, chaque mois, se trouvent présentées toutes les nouveautés — romans français ou étrangers, documents et récits d'histoire, récits de voyage, biographies, essais — que vous trouverez chez votre libraire. © ROBERT LAFFONT, PARIS, 1968 Les pièces soi-disant authentiques de ce temps sont corrompues ; rien ne se publiait, lettres et journaux, que par l'ordre du maître : Bonaparte veillait aux articles du Moniteur ; ses préfets ren- voyaient des divers départements les récitations, les congratulations, les félicitations, telles que les autorités de Paris les avaient dictées et trans- mises, telles qu'elles exprimaient une opinion publique convenue, entièrement différente de l'opinion réelle. Écrivez l'histoire d'après de pareils documents ! En preuve de vos impartiales études, cotez les authentiques où vous avez puisé : vous ne citerez qu'un mensonge à l'appui d'un mensonge. CHATEAUBRIAND Mémoires d'outre-tombe. AVANT-PROPOS Anatole de Monzie, apprenant que j'étais compris dans l'équipe ministérielle de septembre 1940, écri- vit sur son agenda qu'il suivrait avec curiosité la marche de son ancien directeur de Cabinet « sur les rails du pouvoir ». Les loisirs que m'a généreusement octroyés la IVe République m'ont donné l'occasion de méditer sur mon aventure. Je suis donc allé à la recherche du temps passé au service de l'Etat; d'abord par exercice; et puis, dans la pensée que mes souvenirs pourraient, un jour, contribuer à l'explication de notre récente histoire, je me suis appliqué à les mettre en forme, sans cepen- dant m'attacher à les enchaîner dans la continuité. J'ai dit ce que j'ai vu. Le Pouvoir a pu nous condam- ner en vrac et sans appel. L'Histoire réformera ce jugement. Fresnes, Hiver 1944-1945. PREMIÈRE PARTIE ITINÉRAIRE DE PARIS A VICHY CHAPITRE PREMIER LA RÉPUBLIQUE CRÉPUSCULAIRE Entrée d'Anatole de Monzie dans le Cabinet Daladier le 21 août 1938. - Munich. - Les décrets-lois de novembre 1938. - La Grève générale du 30 novembre 1938. - L'annexion de la Tchécoslovaquie par Hitler et la réaction de la République. - Questions gouverne- mentales : le ministère de l'Armement, les Transports parisiens, les Pétroles. — La déclaration de guerre met d'accord les mous et les durs. Le 21 août 1938 je suis appelé au téléphone de Cahors par Anatole de Monzie. — C'est vous, Berthelot? — Oui, monsieur le Ministre. — Savez-vous que Frossard est démissionnaire? — On le dit, en effet. — Frossard a donc démissionné des Travaux Publics, et Ramadier du Travail. Alors Daladier vient de me téléphoner. Il m'a offert la succession de Ramadier au Travail. Je lui ai dit que je me sentais peu de goût pour ce ministère, mais que j'accepterais de retourner boulevard Saint-Germain. Pour cela, j'ai besoin de votre concours. Voulez-vous travailler avec moi? — Monsieur le Ministre, je suis très honoré, mais... — C'est bien simple, le voulez-vous? le pouvez-vous? — Certainement, monsieur le Ministre, je le désire- rais, mais... — Bon! Débrouillez-vous avec la S. N. C. F. Je serai demain après-midi à Paris. Formez le Cabinet et com- mencez à vous occuper de la grève des dockers de Mar- seille. En quelques secondes, de mon paisible métier ferro- viaire, j'ai été aiguillé sur les voies de la politique. Je n'ai jamais eu pour la politique la moindre passion. J'avais connu Monzie quelques années plus tôt dans son département du Lot à propos d'un problème technique : Il avait demandé aux chemins de fer de Paris-Orléans de réorganiser les transports routiers du Lot. Ses qua- lités humaines m'avaient séduit et, depuis, je n'avais cessé de le fréquenter. Mon premier souvenir de l'homme public, je le retrouve à quelques années en arrière, dans la salle des délibérations du Conseil général du Lot... Monzie, soli- dement calé dans son fauteuil présidentiel, le béret bas- que avancé en bataille sur les yeux, couvre l'Assemblée des notables d'un regard dominateur. — Ce département, je le porte à bout de bras, répète- t-il. Quand le débat se traîne dans le vague, Monzie inter- vient en maître. Le vocable d'éloquence s'applique mal à sa manière. Rien de l'académisme; des rapprochements inattendus, des images surprenantes accrochent l'attention; infail- lible dans le choix des mots, sans effort, Monzie est un artiste du verbe, d'un verbe asservi à la pensée. C'est l'un des premiers orateurs de ce temps. Ministre des Travaux Publics en 1925-1926, il est resté curieux des gens et choses du rail. Ce trait d'union fait que j'ai continué d'entretenir avec lui un commerce sans éclipse. De temps à autre, je suis convoqué rue de Vaugirard pour parler des affaires du Quercy. Un Monzie ne s'at- tarde pas au détail. Incessamment il change de thème, il improvise. S'agissait-il au départ du transport des fraises du Lot en wagons frigorifiques? On l'a déjà oublié, car il a fallu tout dire en peu de mots, sous peine de paraître importun. Ici, l'agilité d'esprit est reine. Les interlocuteurs de Monzie ne suivent pas le train. Nul ne connaît, ne comprend mieux que lui la géo- graphie politique de l'Europe. — Voyez-vous! dit-il au moment de Stresa, ce palto- quet de Laval qui veut prendre la succession de Briand ! L'homme d'esprit, le grand bourgeois pardonnait dif- ficilement à l'Auvergnat, moins cultivé, peu éloquent, d'être président du Conseil, alors que lui, malgré tous ses dons, n'avait pas encore joué un rôle à sa taille. Epris d'indépendance, non conformiste, sans clientèle partisane, étranger à la cuisine des couloirs, tel est Monzie parlementaire, et ceci explique cela. Il s'est peu montré à la Chambre du Front populaire. Profondément latin, il a pris position contre les sanc- tions imbéciles qui ont forgé l'Axe; politique clair- voyant, il a proclamé dès longtemps que l'Anschluss, ce serait la défaite de la France. Ses jugements, confirmés par les faits, lui ont valu un regain d'autorité, tandis qu'il s'est retiré dans une retraite volontaire. C'est l'heure où Daladier, lâché par l'aile gauche de sa majo- rité, va penser à Monzie. Septembre 1938 au 246, boulevard Saint-Germain. La grève des dockers de Marseille, qui empoisonnait le Gouvernement depuis un mois, s'est éteinte doucement, sans fracas de publicité. A. de Monzie a usé tour à tour de la négociation souriante et de la fermeté, guidé par un sûr instinct des hommes. Cette grève n'avait pas de vrais motifs professionnels ou, du moins, nul n'était capable de les exprimer en clair. Un beau jour, patrons et ouvriers s'étaient aperçus qu'ils ne parlaient pas le même langage; après quelques escarmouches, la grève. Il fallut ensuite la justifier et, pour cela, la poursuivre. Ramadier, trop consciencieux juriste, buta sur l'obs- tacle en s'obstinant à résoudre le conflit par des textes. De Monzie résolut plus simplement la crise pour l'avoir abordée par son côté humain. A. de Monzie est, lui aussi, un juriste. Mais sa sensi- bilité le guide plus sûrement que le droit. Il est d'abord un intuitif. C'est sans doute aussi une banalité de dire que Monzie est l'un des hommes les plus intelligents qui soient. Sa vivacité d'esprit, sa facilité lui ont valu une répu- tation de dilettante. Aucun reproche ne lui est plus pénible. Nul jugement n'est plus immérité. Car il aime à travailler solidement, sur un bon dossier, soigneuse- ment établi; il lit les pièces, les annote, demande des explications, réclame d'autres documents, et finalement condense ses réflexions dans des notes brèves et précises. On ne surprend pas sa signature. On ne l'a pas au bluff.