LE MAROC Mediterraneen LA TROISIEME DIMENSION

Collection dirigée par Habib EL MAL KI

Collection Germ Dirigée par Habib El Malki

Le Maroc Méditerranéen

LA TROISIEME DIMENSION

Avec le concours du Conseil Municipal de la ville de Tétouan

~ Editions le fennec © Editions le Fennec 193 Avenue Hassan II Casablanca Maroc Couverture A. Jaride Photo Editions Lif M. Khajji SOMMAIRE

Présentation 7

Rapport nOl Le Maroc méditerranéen, l'envers du décor 13 Mohamed Naciri

Rapport n02 Les enclaves espagnoles et l'économie du Maroc méditerranéen 37 Fouad Zaim Commentaire Larbi Ben Othmane 87 Commentaire Jamal Amiar 97

Rapport n03 La dimension géo-politique du Maroc Méditerranéen 103 Mohamed Bennouna Commentaire Abdelhouab Maalmi 117

Rapport n04 Le tourisme sur la côte méditerranéenne, aménagement touristique ou promotion immobilière 121 Mohamed Berriane

Rapport de Synthèse 163 Omar Azziman

Déclaration de Tétouan 171 ;." ~ ,

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Le présent ouvrage inaugure une série à paraître aux éditions Le Fennec sous la direction du Pr. Habib El Malki. Il reprend les actes de la première rencontre scien­ tifique du Groupement d'Etudes et de Recherches sur la Méditerranée (G.E.R.M), organisée à Tétouan, en collabo­ ration avec le conseil municipal de cette ville, les 12-13 et 14 octobre 1990, sur le thème «le Maroc méditerranéen, la troisième dimension». La rencontre de Tétouan 1 a donné lieu à la présenta­ tion de trois rapports introductifs: Le Maroc méditerra­ néen. -l'envers du décor du Pro Mohamed Naciri ; Les en­ claves espagnoles et l'économie du Maroc méditerranéen du Pro Fouad Zaïm; La dimension géopolitique du Maroc méditerranéen du Pro Mohamed Bennouna. Le bureau exécutif du G.E.R.M a jugé opportun d'adjoindre à ces trois rapports scientifiques, un quatrième, portant sur Le tourisme sur la côte méditerranéenne. aménagement touris­ tique et promotion immobilière dont l'auteur est le Pro Mo­ hamed Berriane. 8 MAROC MEDITERRANEEN

Qu'est ce qui de nos jours fait du Maroc méditerra­ néen un sous-espace périphérique au sein de l'espace na­ tional ? Comment le Maroc, pays à la fois atlantique, sa­ harien et méditerranéen, en est-il arrivé à occulter, à ce point, sa troisième dimension? Quel rôle jouent les en­ claves espagnoles du littoral méditerranéen dans une telle marginalité? Quelles sont les conditions d'un renouveau de la façade méditerranéenne marocaine ? Quelles fonc­ tions pourrait à l'avenir jouer le Maroc méditerranéen dans la perspective de la construction maghrébine et dans celle d'une rénovation des rapports Nord-Sud èn Médi­ terranée Occidentale ? Telles sont les interrogations qui ont formé la trame des travaux de la rencontre du G.E.R.M. de Tétouan I. Le rapport introductif "du Pro Mohamed Naciri débute sur un constat, présent à l'esprit de tous les participants durant les deux journées que durèrent les travaux et qui reviendra telle une litanie dans les débats: «La Méditer­ ranée est tellement peu présente, voire entièrement gom­ mée dans l'imaginaire de la plupart des marocains, qu'on est tenté de se demander si le Maroc est bien un pays mé­ diterranéen». Quelles en sont, fondamentalement, les rai­ sons s'interroge M. Naciri; sont-elles d'ordre physique (disposition du relief du ), historique (zone de confrontation séculaire avec l'envahisseur espagnol, portu­ gais...), économique (région de faibles ressources, minée par l'économie de contrebande), politique (forte aspiration à l'autonomie et émergence du régionalisme), humaine (partie du pays la plus dense et la plus prolifique démo­ graphiquement)? En fait toutes ces raisons interfèrent pour réduire le Maroc méditerranéen au statut de double périphérie. «Il serait paradoxal, clame M. Naciri, qu'au moment où le pays retrouve sa dimension saharienne et alors que sa vocation atlantique s'affirme que la troisième dimension, celle de la Méditerranée, essentielle à son PRESENTATION 9

équilibre, ne soit que l'envers du décor des deux autres. L'espace méditerranéen du Maroc, sa société et son éco­ nomie, influeront, selon le cours qu'ils prendront, profon­ e dément, sur le devenir du Maroc du XXI siècle». Le deuxième rapport, celui du Pro Fouad Zaïm, porte plus particulièrement sur les effets et l'étendue de la do­ mination commerciale qu'exercent les enclaves espagnoles Sur leur arrière-pays méditerranéen. Les fonctions écono­ miques des enclaves sont analysées, décortiquées; celles-ci ne sont, à vrai dire, ni des espaces de production, ni véri­ tablement des places financières, mais des marchés francs voués à l'échange et au négoce, d'immenses «bazars à ciel Ouvert», centrés sur leur port dont elles tirent leur raison d'être. Ceuta et Melilla, la première plus que la seconde, sont des foyers, à nuls autres pareils, d'une contreband.e aux multiples visages dont les ondes se propagent très loin à l'intérieur du pays. Les effets de cette domination com­ merciale sont éminemment perceptibles à l'échelle de tout le Maroc méditerranéen; effets sur le tissu des petites et moyennes industries, sur le milieu rural environnant, transformé en «banlieue maraîchère», sur la pêche maro­ caine dans les eaux méditerranéennes. Mais effets égale­ ment au niveau national, sur les plans monétaire et finan­ cier d'abord, du fait que les enclaves sont des foyers im­ portants du change illégal; sur le plan commercial, sur­ tout, car la contrebande issue des enclaves ne manque pas d'affecter, parfois très sérieusement, certaines branches industrielles, à l'instar de l'industrie du matériel et appa­ reillage électrique et électronique. Le Pro Mohamed Bennouna, insérera, plus globalement, le Maroc méditerranéen dans sa dimension géopolitique. Le propos deM. Bennouna n'est en fait pas d'expliciter les raisons qui firent que les «marocains se sont repliés sur leur espace atlantique, dirigeant résolument leur regard et leurs énergies vers leur 10 MAROC MEDITERRANEEN prolongement saharien» mais de prospecter les constantes géopolitiques du Maroc et les conditions d'un retour à l'«équilibre naturel». Un tel équilibre passe aux yeux de M. Bennouna par deux préalables: il s'agit d'abord pour le Maroc de parfaire la libération de la côté méditerranéenne en débarrassant celle-ci de ces «excroissances malignes de l'Espagne en Afrique du Nord» que sont Ceuta, Melilla et les îlots, tout en prenant, en toute hypothèse, compte des «intérêts des populations», dans le cadre du respect universel des droits de l'homme. Le Maroc se doit également d'instituer des relations de coopération et de bon voisinage avec l'Est, c'est-à-dire avec l'Algérie et l'ensemble maghrébin, et rattraper ainsi le «temps perdu» en manoeuvres de tout genre qui ont fini par s'annuler dans un jeu complexe d'illusions. C'est à ces conditions seulement que le Maroc méditerranéen pourra se préparer au nouveau contexte des relations entre le Maghreb et l'Europe et retrouver enfin sa fonction de terre de convergence et de fécondation des cultures. C'est enfin la problématique du tourisme sur le littoral méditerranéen qu'aborde pertinemment le travail du Pro Mohamed Berriane. On y apprend que si l'aménagement - du moins un certain type d'aménagement - du littoral est déjà amorcé sur la «côte tétouanaise», il l'est nettement moins sur la côte du Rif occidental, central et . Sur la côte de Tétouan, l'aménagement a revêtu pen­ dant longtemps - années soixante et soixante dix - la forme de villages de vacances à gestion étrangère mais a tendu à prendre de plus en plus, dans les années quatre­ vingt, la forme de-complexes «touristiques» résidentiels. Entre. Ceuta et Tétouan, l'occupation du littoral est d'ores et déjà quasiment, continue. Mais les retombées sur l'économie locale, notamment en termes d'emplois créés, PRESENTATION 11

Sont dérisoires et les dégâts environnementaux parfois dramatiques. Les leçons de l'«aménagemenb> de la côte tétouanaise Sont sans doute à méditer, quant au devenir du reste du littoral méditerranéen marocain. A l'issue de cette première rencontre marquée par des débats très riches, le Pro Omar Azziman a présenté un rapport de synthèse où il a mis l'accent essentiellement sur le constat et les perspectives. Le constat permet de relever que la situation du Ma­ roc Méditerranéen mérite une attention particulière. Un bilan des causes et des manifestations a été fait. Les contraintes naturelles, économiques et sociales s'ajoutent aux causes historiques et politiques qui freinent le développement de la région. Le rapport circonscrit les fronts d'action essentiels à mettre en oeuvre pour la relance de la méditerranée, la consolidation de l'espace maghrébin et le développement de la coopération inter-régionale. La Déclaration de Tétouan du 14 octobre 1990, a Conclu les actes de cette première Rencontre, où le Pro Habib El Malki Président du GERM, souligne que le Maroc, terre de diversité, d'échange et de contact, est une entité à trois dimensions: des racines sahariennes, une dimension atlantique et une dimension méditerranéenne chargée d'histoire et de potentialités. La déclaration met en exergue la nécessité de repenser cette troisième dimension en prenant en considération l'approfondissement de dialogue hispano-marocain, la promotion de la coopération décentralisée - Nord du Ma­ roc - Sud de l'Espagne; et l'édification des infrastructures de base à même de permettre le développement du Maroc Méditerranéen. Le Pro El Malki conclut cette déclaration par deux propositions du GERM: la première porte sur une ré- 12 MAROC MEDITERRANEEN flexion pour la création d'une région économique médi­ terranéenne. La deuxième concerne la création d'un Centre Régio­ nal de Recherches et de Développement intégré du Maroc Méditerranéen chargé de recenser les potentialités de dé­ veloppement de la région. Mohamed Naciri1

Le Maroc Méditerranéen, l'envers du Décor

La Méditerranée est tellement peu présente, voire en­ tièrement gommée dans l'imaginaire de la plupart des marocains, qu'on est tenté de se demander si le Maroc est bien un pays méditerranéen. Cette interrogation pourra étonner, car elle occulte, d'une part, la réalité géogra­ phique d'une côte longue de 530 kilomètres dont 80 pour le seul détroit de Gibraltar, et fait peu de cas, d'autre part, des influences climatiques et des caractéristiques biogéographiques méditerranéennes qui marquent profon­ dément l'ensemble du pays. Cette situation paradoxale de la réalité d'un fait géo­ graphique majeur du Nord du pays et de la représentation mentale qui en est faite par la population, pose un double problème: celui de l'importance relative

1. Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II, Rabat. 14 MOHAMED NACIRI

à la Méditerranée a~ Nord, aux steppes arides à l'Est, et aux immensités sahariennes au Sud. Une telle configuration du relief isole donc le littoral méditerranéen de l'intérieur du pays, de la partie la plus riche et la plus dynamique de l'économie et de la société marocaine. Cet isolement s'accentue encore par le système dominant des pentes particulièrement accentuées par la proximité des crêtes de la côte et les hauteurs du relief atteignant des altitudes allant de 800 à 1000 mètres près de la ligne du rivage. Il en résulte des vallées profondes, dont les oueds ont un régime torrentiel, et qui se termi­ nent par de petites plaines, isolées elles-mêmes par l'avancée de la montagne qui surplombe directement la mer ne laissant qu'un ruban de plage, étroit et discontinu. La communication entre ces plaines s'avère particulière­ ment difficile, les routes empruntent les crêtes parallèles au rivage ou profitent de l'ouverture de quelques· rares vallées pour pénétrer à l'intérieur de la chaîne. D'autres contraintes pèsent sur cet espace: sols pauvres très sensibles à l'érosion du fait de leur nature géologique et de la pente forte des versants; végétation dégradée par une exploitation humaine activée du fait d'un rapide accroissement démographique; forêts s'effilochant sur leurs bordures comme un tissu dont la surface se réduit avec une rapidité remarquable.: seuls restent des groupements épars de massifs forestiers et de matorral, témoins de la richesse de la végétation. Sur ce fond d'environnement dégradé, de paysannerie pléthorique, de villes en crise, l'économie de l'espace mé­ diterranéen du Maroc est dominé par les effets pervers de trois phénomènes: la contrebande avec les ((presidios» es­ pagnols, séquelles d'une colonisation séculaire ; la culture du kif dont l'extension ne cesse de gagner du terrain, et la double émigration vers les villes et à l'étranger qui don­ nent, directement ou indirectement, une impulsion accélé- L'ENVERS DU DECOR 1.6

rée à l'urbanisation. Le littoral méditerranéen, étroite frange d'une ving­ taine de kilomètres à l'Ouest s'élargit vers l'Est: il gagne en espace ce qu'il perd en conditions climatiques favo­ rables et en richesse de végétation. La circulation des hommes est plus facile, mais la pénétration de l'aridité est plus forte car 'l'effet écran des montagnes se réduit puis s'estompe. Les potentialités agricoles et industrielles sont plus importantes, mais l'éloignement des centres de déci­ sion situés sur la cOte atlantique constitue une contrainte énorme. Les relations du littoral avec l'arrière-pays connaissent au Maroc une inversion. L'intérieur est plus doté que le littoral. Sur les rivages de la Méditerranée européenne, la mise en contact de la mer et de la montagne a créé une situation différente qui s'est traduite par une diversité remarquable de paysages, elle multiplie la variété des sites, favorisant les implantations urbaines avec le développement des activités de récréation et de villégia­ ture, impulsant l'essor de grandes villes portuaires, de métropoles actives et cosmopolites. De telles évolutions ont joué en faveur du littoral devenu attrayant et riche, par ses activités de production, d'échanges et de services. Par contraste, l'intérieur vidé de ses hommes, abandonné aux espaces forestiers, à une agriculture aux conditions diffi­ ciles et à une vie urbaine plus restreinte, paraît moins fa­ vorisé. Au Maroc, le littoral est pauvre et enclavé, l'intérieur ouvert et riche de virtualités. Pourtant des similitudes de l'une à l'autre rive de la Méditerranée existent. Les mêmes handicaps ont contrarié l'action humaine. Les avantages plus ou· moins compa­ rables ont été pourtant diversement exploités. Quelle est dans ces conditions la part des contraintes et celles des potentialités ? Des facteurs historiques, une organisation sociale, une évolution économique et politique accentuent- 16 MOHAMED NACIRI

ils les premières et. minimisent-ils les seconds? Ou, s'agit­ il de types d'articulations des unes et des autres qui abou­ tissent à tisser des relations spécifiques entre le littoral et l'intérieur, à partir d'un complexe de facteurs et de la manière dont ceux-ci s'imbriquent, de telle sorte qu'une tendance globale émerge et s'impose avec l'évolution? Démêler cet écheveau pourrait paraitre comme un pur exercice académique. Le rapport entre contingences et déterminations retentit pourtant sur l'organisation de l'espace et sur la manière dont il est vécu, représenté mentalement et géré avec plus ou moins d'efficacité. Est­ ce donc une affaire de culture, de rapports des individus aux milieux dans lesquels ils vivent directement qui dé­ terminent les modalités de l'organisation de l'espace.? Ou s'agit-il de relations plus vastes, régionales et nationales qui ont commandé l'évolution du littoral méditerranéen au Maroc dans ses rapports avec le reste du pays, d'une part, et des proximités ibériques, d'autre part?

J. Le poids du passé, les déterminants de longue durée Expliquer les contrastes d'évolution actuelle du littoral méditerranéen dans ses rapports avec l'intérieur du pays, en recourant à des évènements qui se sont déroulés il y a cinq siècles, paraît relever d'une recherche curieuse de causalité; pourtant, on ne peut occulter la dimension his­ torique de l'évolution passée sans courir le risque de ne rien comprendre au temps présent. 1. Un réseau urbain à l'échelle continentale En effet, il faut remonter au XIVe siècle pour saisir l'originalité des villes du littoral méditerranéen. Elles étaient, par leur position, à l'articulation du commerce transsaharien et du commerce maritime européen dans la Méditerranée. Les flux commerciaux sud-nord, dont celui de l'or ramené des pays de l'Afrique sub-saharienne, avaient structuré puissamment le réseau urbain du Maroc L'ENVERS DU DECOR 17

qui était organisé en fonction de ces échanges à longue distance. La prospérité de villes comme Sebta et Melilla et d'autres villes de la côte mettait le littoral méditerranéen au coeur du dispositif commercial de la Méditerranée. Ces ports n'étaient pas seulement l'exutoire du commerce sa­ harien: ils jouaient en plus, un rôle déterminant dans l'échange du Maroc avec les villes du bassin occidental de la Méditerranée et au-delà du Moyen-Orient. Or, un évènement majeur marquant le renversement des rapports de force entre l'Espagne et le Portugal, d'une part, et le Maroc d'autre part, s'est soldé par l'occupation en 1415 de la ville la plus active et la plus prometteuse en termes socio-culturel, économique et politique, la ville de Sebta: cet avant-port de Fès avait les structures qui le prédestinaient à devenir une cité-Etat, à l'instar des villes italiennes. Ses habitants avaient la mystique du travail et de l'organisation, le sens de l'Etat et le rayonnement loin­ tain qui assurait son développement. Ses relations avec les autres villes étaient si importantes que Salé, sur la façade atlantique, avait donné son nom à l'une des portes Nord de la ville. Le xve n'a pas connu uniquement cette perte irrémédiable de Sebta et l'interruption à travers elle du commerce avec la Méditerranée. Une autre ville, Melilla n'a pas tardé à tomber entre les mains des Espagnols à la fin de ce siècle. Ces deux villes sont encore le témoin d'un vif antagonisme avec l'arrière-pays et l'on verra que le rOle actuel de ces «présides» dans la crise du littoral méditerranéen reste indéniable. 2. La destructuration de la société urbaine On pourra objecter que l'occupation de deux villes même stratégiques comme Melilla, à l'Est, et Sebta, à l'entrée du détroit de Gibraltar, ne pouvait pas stériliser l'ensemble du littoral méditerranéen du Maroc. Mais quand on mesure l'ampleur de la confrontation avec les portugais, les espagnols, les anglais, ce n'est pas seulement 18 MOHAMED NACIRI

en termes d'occupation de centres actifs, mais en destruc­ tion tout le long de ces cinq siècles, d'organismes urbains qui ont connu leurs heures de gloire au moyen-âge. C'est ainsi que Badis a complètement disparu, ainsi que d'autres villes au centre du littoral méditerranéen. La confronta­ tion avec ce danger externe a provoqué deux phéno­ mènes: la rétraction de la vie urbaine vers la ville de Tétouan et de Tanger, à l'Ouest, et à l'Est. La vie rurale allait l'emporter alors qu'une vie urbaine active promettait une extension des villes et le développement de leur économie. Par ailleurs, même les villes qui ont connu une permanence historique ont subi des invasions qui ont détruit leurs structures urbaines. La ville de Tanger a été vidée de sa population et occupée par l'Angleterre pen­ dant près d'un siècle; elle était devenue une ville anglaise avec son organisation communale, ses formes d'activités et d'échanges, son mode de vie caractéristique des traditions britanniques. Cette longue interruption retentit encore sur les formes de citadinité de cette ville, marquées d'un par­ ticularisme qui a été aggravé pendant le xxe siècle par le statut international de la ville. Cette ville du Détroit, qui aurait pu devenir l'une des grandes métropoles de la mé­ diterranée n'a pas encore trouvé la voie d'un développe­ ment durable qui lui fera surmonter une crise dont on ne voit pas encore l'issue et qui dure depuis l'indépendance du pays en 1956. Cette longue évolution n'a pas marqué uniquement les organismes urbains. Elle a affecté profondément la vie rurale et l'organisation de la société rifaine. En effet, tout au long de cinq siècles, la confrontation n'a guère cessé entre les forces venues de l'extérieur et les populations autochtones mobilisées par les confrèries religieuses dans les zaouias, ces lieux à la fois spirituels et de luttes contre l'ennemi envahisseur. Le pouvoir central, après le Makh­ zen, avait pris l'habitude de déléguer à ces populations la L'ENVERS DU DECOR 19 mission de défendre la côte. Il n'intervenait qu'épisodiquement pour assiéger Melilla et Sebta sans réussir à les prendre. Ce rôle de défenseur des «Toukhoumes», c'est-à-dire des marches du pays, avait valu aux com~unautés tribales un double avantage: une exemption d'impôts et une autonomie à l'égard du pouvoir central. Cette tradition reste vivace chez la population, et explique un certain nombre d'évènements comme la guerre du Rif livrée à l'Espagne au début du siècle et l'émergence d'un régionalisme qui a été renforcé, para­ doxalement, par l'émigration à l'étranger.

Il. La rupture du protectorat et l'obsession des frontières L'établissement de la frontière entre la «Zone Nord» Occupée par l'Espagne et la «Zone Sud» domaine du pro­ tectorat français a été l'aboutissement de processus sécu­ laires de conquête du littoral méditerranéen par les Portu­ gais d'abord, relayés ensuite par l'Espagne. La conquête du dernier bastion de la présence musul­ mane dans ce dernier pays, avec la chute de Grenade en 1492, paraît comme une étape dans la poussée ibérique qui s'est conclue par l'occupation du Nord du Maroc au xxe siècle.

J. Les conséquences du faible développement de la «Puissance Colonisatrice» Or, le protectorat espagnol, aboutissement de cet anta­ gonisme séculaire entre les deux pays, s'est traduit fonda­ mentalement par des préoccupations de caractère militaire et géopolitique. L'objectif était l'occupati,on et le contrôle de la partie du pays que l'Espagne avait considérée comme sa zone d'influence, à la suite du partage colonial de la fin e 8 du XIX et du début du xx siècle. L'occupation visait davantage à contrôler militairement l'ensemble du Rif, pauvre en matières premières, que d'entreprendre une mise en valeur coloniale, au-dessus des moyens du capita- 20 MOHAMED NAeIRI lisme espagnol d'alors. En effet, l'Espagne n'avait pas les attributs d'une puissance coloniale comme la France, ni sur le plan économique, ni sur le plan militaire. Elle avait failli, d'ailleurs, être chassée de son nouveau protectorat à la suite de la guerre du Rif Qui s'est soldée par un échec cuisant de l'armée espagnole à la bataille d'Anoual, gagnée par Mohamed Ben Abdelkrim El Khattabi en juillet 1920. Cette défaite a obligé les Espagnols à se retrancher dans leurs «Présides» et à demander l'aide de la France, in­ Quiète elle-même des conséquences de cette première guerre de libération du xxe siècle, sur son propre pro­ tectorat. La conjugaison de l'effort militaire des forces des deux armées a fini par mettre fin à une longue lutte Qui a cessé en 1925. L'intervention de la France s'est effectuée principale­ ment par la voie terrestre, à partir de la frontière entre les deux zones des protectorats français et espagnol. Elle a aggravé, par les méfaits de la guerre, la coupure du monde rifain du reste du pays. Comme la zone littorale méditerranéenne n'a pas trouvé d'exutoire dans le cadre d'une intégration économique avec l'Espagne, les relations avec l'intérieur ont été réduites aux échanges avec l'immédiat arrière-pays rural du Rif. Ces circonstances et t~entrée de l'Espagne dans une longue crise politique à partir des années trente ayant abouti à la guerre civile et à la dictature de Franco, ont renforcé le caractère militaire de l'occupation espagnole et l'exploitation «min,ière» de la seule matière première du pays: les forêts, au risque de déclencher un début de déforestation. Une petite mine de fer, près de , a donné lieu à une extraction de mi­ nerai destiné à l'exportation. Aucune tentative de trans­ formation sur place n'a été entreprise. Les villes ont connu, certes, un regain d'activité: bases de départ pour la conquête du pouvoir par les Fran­ Quistes et bases-arrières pour l'effort de guerre, elles ont L'ENVERS DU DECOR 21 connu un embryon d'industries diverses: agro-alimentaire, chimie, construction et travaux publics, fabrication de pa­ pier. L'ensemble de ces industries étaient localisées à Té­ touan, capitale administrative des autorités du Protecto­ rat ; elles étaient orientées vers la satisfaction de la de-· mande locale, principalement de la colonie espagnole, secondairement de la population autochtone. On aurait pu penser que devant une zone aussi réduite 2 (20 313 km ) en majorité montagneuse, sans possibilité d'échange actif avec le littoral, les villes côtières allaient développer une articulation plus étroite avec le littoral du Sud-Est de l'Espagne. Elles auraient compensé les limites de leur rayonnement vers l'intérieur en développant des relations, mêmes inégales, mais actives, avec les villes es­ pagnoles toutes proches. Le stade de développement de l'Espagne entre les deux guerres et la situation politique interne de ce pays n'a probablement pas permis l'établissement d'un processus d'intégration plus avancée. Aussi, une certaine autonomie allait-elle résulter de cette situation pour la ville de Tétouan où les premières indus­ tries s'étaient implantées en 1920. La vétusté de ces in­ dustries comme les conditions objectives qui contrarient leur développement ont fait de cette ville une espèce d'enclave, du fait des difficultés de ses relations avec le reste de la zone du protectorat espagnol. 2. L'inversion des flux d'échange Le tracé de la frontière entre les deux zones de pro­ tectorats, allant de la côte atlantique à l'Ouest, à l'embouchure de la Moulouya à l'Est, à travers des espaces complémentaires, séparant dans le Rif central des unités naturelles qui ont des relations d'échanges traditionnelles, a entraîné une active contrebande de part et d'autre de cette ligne de séparation entre les deux protectorats. La COupure de la zone espagnole du reste du pays a été ren­ forcée par l'établissement plus au Sud, d'un axe 22 MOHAMED NACIRI d'échanges de produits et de circulation des hommes à peu près parallèle au tracé de la frontière et reliant la côte at­ lantique, de Rabat-Salé à Oujda et à l'Algérie. L'axe des échanges traditionnels entre le littoral et l'intérieur était, pendant des siècles, d'orientation sud­ nord; avec les Protectorats espagnols et français, la cir­ culation la plus active devient ouest-est, créant un effet d'isolement contraignant pour la partie du littoral médi­ terranéen contrôlé par l'Espagne. Cette situation devait entraîner l'orientation des flux humains et économiques de la zone espagnole soit vers l'Est, dans la mesure où la partie méditerranéenne du protectorat français et, au-delà, de l'Algérie connUt une croissance active; en effet, la population rifaine allait orienter ses flux migratoires vers la basse Moulouya, mais surtout vers l'Oranie où la colonisation agricole appréciait la main-d'oeuvre rifaine. Par ailleurs, un autre courant attire les flux migratoires vers la zone internationale de Tanger où les services et les activités portuaires et de pêche attiraient la main-d'oeuvre rurale. Zone franche, Tanger exerçait une -attraction sur les commerçants et fa­ vorisait tous les trafics et les activités d'échanges licites et illicites. La configuration de la frontière avec le Protectorat français avait donc infléchi les relations vers une orienta­ tion parallèle à l'axe Rabat-Oujda. Bien que les échanges aient été plus faibles sur la façade méditerranéenne, des relations se sont nouées entre les -deux extrémités de la zone du Protectorat espagnol, Melilla et Nador d'une part, Sebta et Tétouan de l'autre, au-delà, vers Tanger. Axe in­ verse assurément beaucoup moins actif mais qui va mar­ quer l'orientation des échanges humains, économiques et même financiers après l'unification du pays en 1956, à l'indépendance. L'ENVERS DU DECOR 23

III. Les tentatives d'intégration du littoral méditerranéen à l'axe économique Ouest-Est (Casablanca-Oujda) A la veille de l'indépendance la situation du littoral méditerranéen se présentait de la manière suivante: - à l'ouest, l'enclave de Tanger, zone extravertie de statut internationnal ; - au centre, occupant la plus grande partie du littoral mé~iterranéen et allant de la façade atlantique à la rive gauche de la basse Moulouya, un quadrilatère de 40 à 80 kilomètres de large, selon les endroits, et de près de 350 kilomètres de long, constitue la zone du protectorat espa­ gnol ; - à l'est, la partie du littoral méditerranéen appartenant à la zone du protectorat français entre la frontière algé­ rienne et l'embouchure de la Moulouya est large de quelques dizaines de kilomètres de côte permettant l'accès à la mer. Le littoral méditerranéen relevait donc de trois auto­ rités distinctes. Le statut de la partie centrale, occupée par l'Espagne, se compliquait par l'existence des deux enclaves de Sebta et Melilla, considérées comme villes de souverai­ neté, distinctes du reste du Protectorat.

J. Un double processus d'intégration : Externe e.t Interne Ces conditions étaient pour le moins défavorables à l'intégration du littoral à l'espace national dominé alors par les intérêts stratégiques et économiques des puissances coloniales ; Trois évolutions avaient marqué les trois entités: - La zone du protectorat espagnol a connù une faible croissance économique et a développé une amorce d'intégration avec la métropole ibérique qui était alors, elle-même, dans une situation économique difficile: au­ tarcie et sous-développement étaient ses caractéristiques essentielles. La tendance était donc au repliement sur les 24 MOHAMED NAeIRI

ressources de la zone et de leur exploitation sur place, destinées en partie à l'exportation, en partie à la consom­ mation interne. C'est donc un cas d'évolution intermé­ diaire entre la zone internationale de Tanger et la zone du protectorat français. - La zone internationale de Tanger était ouverte sur le commerce international et son économie était essentielle­ ment basée sur les mouvements spéculatifs du capital fi­ nancier, sur le commerce et la spéculation sur les terrains et sur les importations des produits de consommation. Ville cosmopolite, elle avait développé une contrebande active, particulièrement en direction des deux protec­ torats, mais aussi, sur un plan beaucoup plus large en Méditerranée. Les activités tertiaires et de services avaient induits une prospérité factice qui allait montrer, en dis­ paraissant avec l'indépendance et l'intégration juridique de la ville, combien la ville de Tanger était disjointe de l'espace économique national. Par conséquent, par son statut comme par la nature de son économie, la zone in­ ternationale de Tanger évoluait dans le cadre d'une zone franche complètement extravertie. Elue comme résidence par des écrivains, des romanciers, des voyageurs à l'affUt du dépaysement, des aventuriers de tout acabit, la ville de Tanger renforçait ainsi sa spécificité de cité ouverte à tous vents. - La zone du protectorat français sur la façade méditerra­ néenne a connu une évolution inverse. Elle était articulée sur deux espaces contrastés. L'étroitesse du littoral et l'élargissement vers le sud se traduit par la présence d'une frange méditerranéenne étriquée entre la côte et le petit massif montagneux des Beni-Snassène, dotée de potentia­ lités agricoles grâce à l'irrigation; le versant sud de ce petit ensemble montagneux s'ouvre largement sur une immensité de plateaux d'une forte aridité, domaines de l'alfa, du nomadisme et de ressources minières. Une entité L'ENVERS DU DECOR 25

régionale s'était constituée ainsi d'une manière assez para­ doxale... Son émergence tient à la fois à son isolement à la périphérie du pays, mais aussi, à la présence d'une très vieille cité, Oujda, à quelques kilomètres de l'Algérie et à une soixantaine de kilomètres de la mer ; cette capitale au destin régional a bénéficié de ses liaisons ferroviaires et routières avec le pôle de croissance atlantique, Casablanca, grâce à la liaison de cette dernière ville à Alger par voie de chemin de fer. Elle a tiré partie aussi du mouvement des minerais venant des Hauts Plateaux et aboutissant au port de Rhazaouate (ex-Nemours) en Algérie, grâce à la voie ferrée qui reliait ce port à Colomb-Béchar au sud. Les retombées économiques de ces ressources variées al­ laient devenir des atouts importants à l'effort qui a été fait depuis l'indépendance pour consolider ces virtualités. A l'embryon d'industrialisation existante, à base agro-ali­ mentaire et minier, des perspectives de croissance allaient donc relier, grâce aux créations industrielles ultérieures, cette zone périphérique à l'ensemble de l'espace national. 2. Les tentatives de régionalisation: La région sans pou­ voir régional Au lendemain de l'indépendance, l'intégration juri­ dique de l'ensemble de ces trois espaces sous l'autorité d'un état souverain devait lever les obstacles contraignants qui maintenaient le littoral méditerranéen dans une situa­ tion de totale extraversion, d'enclavement, de stagnation, et d'isolement des centres de décision, situés sur la côte atlantique. L'impatience de voir traduire rapidement cette intégration était d'autant plus vif que l'un des mou­ vements de résistance contre le protectorat français était parti justement de la montagne du Rif, avec la connivence des autorités espagnoles. Cette impatience n'a pas tardé à s'exprimer dans un mouvement de révolte en 1959. Ces évènements ont attiré l'attention sur le retard de la zone du protectorat espagnol sur le reste du pays qui 26 MOHAMED NACIRI avait profité de la croissance consécutive aux investisse­ ments des capitaux qui ont afflué au Maroc, après la deuxième guerre mondiale. Cette disparité dans l'évolution n'a été qu'un des éléments de la crise qui allait affecter l'ensemble de la façade méditerranéenne du Maroc. Dans le déclenchement de cette crise, les éléments psychologiques n'étaient pas les moindres. En effet, les mod.alités d'intégration juridique et administrative, l'unification du pays en matière de règlementation s'est faite sur la base de l'extension à la «Zone Nord» de la lé­ gislation du Sud. Or, la législation française qui a sup­ planté les lois espagnoles a été reçue avec d'autant plus de frustration que celles-ci avaient moins de traditions cen­ tralisatrices que la première. Un domaine particulièrement sensible est la législation forestière. L'administration espagnole était plus souple à l'égard de la pratique de la culture sur brOlis, autorisant une utilisation plus laxiste des coupes forestières pour la menuiserie. La législation française était à l'opposé de cette attitude ; son extension au domaine méditerranéen apparaissait comme une injustice. Par ailleurs, toute l'élite administrative hispanophone s'est trouvée tout d'un coup déclassée, même si son intégration administrative a été réalisée. L'impossibilité d'accès à la langue 'de travail qu'est le français pour l'administration de l'indépendance disqualifiait la culture dominante dont la langue est l'arabe et le moyen de communication avec l'extérieur, l'espagnol; d'autant plus que cette langue était largement répandue, même dans les couches populaires..Par ailleurs, la suppression de tous les privilèges de la zone internatio­ nale de Tanger n'allait pas tarder à donner un tour plus concret à ce qui apparaissait plus une absorption ou une adjonction de territoire qu'une intégration sur un pied d'égalité avec l'ex-zone française. Le sentiment de supé­ riorité qu'avaient les élites de cette zone mettait, L'ENVERS DU DECOR 27 d'ailleurs, dans la même catégorie de territoires sous-dé­ veloppés l'Espagne et le nord du Maroc. Cette accumulation de malentendus, de frustration et de condescendance n'a pas tardé à réveiller les réactions traditionnelles d'autonomie de la population. Il ne faut pas oublier que la courte vie du protectorat n'a pas excédé 44 ans, à peine un peu plus d'une génération. Le pouvoir central a pris conscience de cette situa­ tion : deux projets, l'un à long terme, le projet Sebou, de­ vait étudier l'ensemble des problèmes qui se posaient dans le plus grand bassin-versant du pays s'étendant des som­ mets du Rif aux plateaux et montagnes du Moyen-Atlas, sur une vaste plaine vouée à l'irrigation: le Rharb. Ce projet ambitieux devait créer une vaste aire de moderni­ sation et intégrer le surplus des montagnes surpeuplées' du Rif, entre autre, tout en offrant un emploi complémen­ taire saisonnier pour les populations rurales qui restent dans leur village. Un autre projet, à plus court terme et intervenant à une échelle réduite, se proposait de promouvoir le «développement économique rural du Rif occidental» (Derro) dans le but de favoriser l'arboriculture et de lutter contre l'érosion due à l'importance de la surcharge hu­ maine. Plusieurs périmètres ont été ouverts dans le Rif et le Pré-Rif, non sans difficultés, notamment la méfiance des paysans, avant que le projet ne reçoive un accueil fa­ vorable. Malgré son succès incontestable, ses effets sont restés limités. Or, la crise économique et sociale ne cessait de s'approfondir à la fois pour des raisons internes et ex­ ternes. La population de l'ex-zone espagnole avait trouvé dans l'émigration vers l'Algérie un exutoire salutaire. La guerre d'Algérie avait contrarié d'abord ce flux migratoire qui cessa totalement avec le départ des colons français d'Algérie. Une émigration à l'étranger s'amorce, pour le 28 MOHAMED NACIRI travail dans les campagnes du Sud-Est de la France, sou­ vent avec d'anciens· colons du Maroc ou de l'Oranie, en Algérie. A partir du début des années 70 marqué par une double tentative de coup d'état, la nouvelle situation poli­ tique devait entraîner une double action: sur le terrain l'autorité s'est départie de son rigorisme dans l'application des législations concernant la forêt et l'extension de la culture du kif, dans une perspective de régulation sociale et politique. Sur un plan plus général, la planification régionale a abordé le problème des disparités entre crois­ sance inégale des différentes régions au Maroc, d'une ma­ nière plus globale, à l'échelle de l'ensemble du pays. Sept régions économiques ont été créées couvrant la totalité du territoire. La caractéristique commune de six régions sur sept est d'avoir une façade maritime. Le principe est d'intégrer des provinces ayant des atouts à la fois sur le plan de l'infrastructure et des potentialités, des atouts avec des provinces pauvres. C'est ainsi que le littoral méditer­ ranéen a été partagé de nouveau en trois parties, chacune dans un espace qui va de l'intérieur vers la côtè,· intégrant une grande ville, comme capitale régionale : la région du Nord-Ouest avec Rabat, la région du Centre avec Fès et la région Orientale avec Oujda. Il s'agit là d'un découpage en régions pour la planifi­ cation économique. Il résulte de la réunion d'un certain nombre (2 ou 3) de provinces, où la totalité du pouvoir de commandement, est entre les mains du Gouverneur, re­ présentant l'autorité centrale. L'inégalité des situations entre les provinces introduit une différence dans la prééminence des Gouverneurs: le Gouverneur de la province la plus riche, celle de la capi­ tale régionale, l'emporte de fait, dans les instances consultatives de la Région sur ses homologues. Les déci­ sions prises dans ce cadre réservent un traitement privilé- L'ENVERS DU DECOR 29 gié à la ville capitale au détriment du reste de la région. La région n'a, en fait, aucune influence déterminante. N'étant pas une collectivité locale, elle sert épisodique­ ment pour les besoins du Plan, tous les cinq ans, lui­ même étant un document d'orientation; ses décisions ne pouvant être opposées aux tiers, il reste une déclaration d'intention sans effet véritable sur les réalités. La volonté de lutte contre les disparités régionales, par exemple, ne parvient pas à s'inscrire dans les faits, la logique de concentration l'emportant sur les possibilités de lutte contre les déséquilibres régionaux. La région, étant sans pouvoir propre et contraignant, elle ne peut corriger les déséquilibres créés par l'histoire, la démographie et l'inégale répartition des ressources. Tout au plus, elle permet de saisir l'étendue de ces déséqui­ libres, en prendre conscience et tenter dans le long terme d'en corriger les conséquences les plus fâcheuses. En attendant, l'activité entreprise depuis deux décen­ nies a permis d'amorcer des évolutions favorables à une intégration du littoral méditerranéen dans l'espace écono­ mique du pays. Sa portée reste cependant limitée tant que des problèmes d'ordre symbolique, psychologique et poli­ tique ne sont pas résolus. Les investissements énormes nécessaires à l'établissement de relations faciles dans un pays de collines ou de montagnes sont à peine engagés pour rompre l'isolement d'une population nombreuse et dense (parfois plus de cent habitants au kilomètre carré). Sa pression sur la forêt continue d'une façon tout à fait préoccupante. De 1967 à 1987, des photos aériennes, prises donc à vingt ans d'intervalle, ont montré que 42% des forêts avaient dis­ paru devant la poussée du défrichement, afin de gagner de nouvelles terres à la culture. Depuis 1970, l'ampleur d'extension de la culture du Kif (chanvre indien) est sans précédent. Cantonnée à 30 MOHAMED NACIRI

.. l'origine dans une seule commune, celle de Kétama, elle déborde même les vallées irriguées pour s'installer sur les terres sans irrigation. L'enrichissement qui en résulte, parfois très rapide, attire de plus en plus de travailleurs vers les zones de culture. Or, le kif est interdit à la commercialisation, et à la consommation et non pas à la culture. Si l'on prend en considération l'effet de la contre­ bande sur l'économie des grandes villes du littoral, on comprend que l'effet des actions entreprises pour renfor­ cer leurs structures économiques reste limité. En effet, Tanger a connu une industrialisation importante dans le domaine du textile et de l'agro-alimentaire ; par contre la ville de Tétouan a connu une stagnation de ses industries; Nador et Oujda, plus à l'est, ont accru leur capacité in­ dustrielle (petite sidérurgie, agro-alimentaire, construc­ tion, production d'énergie, cimenterie, etc.). L'extension de l'irrigation dans les provinces de Oujda, Nador et Al­ Hoceima augmentent le potentiel agricole de l'Est du do­ maine méditerranéen. Partout l'activité touristique s'implante, d'une manière concentrée sur le littoral entre Sebta et Tétouan, d'une façon diffuse et sauvage parfois, gâchant des sites; l'investissement dans le tourisme est le fait de capitaux étrangers, les meilleurs sites, parfois même dans le do­ maine public, sont bradés ou aliénés à des notables de Casablanca, de Rabat ou de l'étranger. Or, les capitaux amassés par l'émigration à l'étranger ou dans le trafic du kif créent une véritable déstabilisa­ tion sociale et économique. Etant disponibles en abon­ dance, ils ne trouvent pas les structures d'accueil pour leur investissement dans le secteur productif. Aussi une pression formidable s'exerce-t-elle sur les terrains à co~struire et sur la construction; les banques de dépôt trouvent une aubaine dans ces disponibilités. Une petite L'ENVERS DU DECOR 31 ville comme Nador (62 000 habitants au dernier recense­ ment de 1982) est la deuxième place financière après Ca­ sablanca, grâce au dépôt des capitaux de l'émigration à l'étranger. Ces capitaux sont draînés vers Casablanca au détriment de l'investissement local. En fait, l'économie de la façade méditerranéenne du Maroc est dominée par un phénomène qui la déstabilise fondamentalement: la présence d'une frontière à la proximité de toutes les grandes villes: Tanger et Tétouan sont sous l'influence de la zone franche de Sebta et de Gibraltar; Nador et Oujda sont respectivement près de la frontière de la zone franche de Melilla et du territoire algérien. Cette proximité mine les efforts de production surtout des articles de consommation: électro-ménager, appareils audio-visuels, pièces détachées de toutes sortes, confection, articles ménagers, produits alimentaires condi­ tionnés, parfumeries, cigarettes, alcools, etc. Or, l'Etat a une politique ambiguë à l'égard de ce trafic. Les douanes font des contrOles sur les routes, à l'aval des marchés où tous ces articles sont vendus publi­ quement. Les bénéficiaires multiples de cette contrebande sont apparemment à l'abri. Fait remarquable, c'est la pro­ gression des marchés organisés de ces produits vers des villes du Sud: Taza, Fès, Rabat et même Casablanca. «L'intégration» du Maroc Méditerranéen se fait à recu­ lons. C'est la contrebande qui est en train d'envahir l'économie nationale et d'intégrer l'espace national à ses réseaux. Le projet d'intégration du littoral méditerranéen à l'espace économique de l'axe Casablanca-Oujda ne se fait donc pas dans le sens prévu par les planificateurs; du Sud vers le Nord, mais du Nord vers le Sud, par les vertus de l'économie de la contrebande. Est-ce que pour autant ces multiples trafics profitent à l'ensemble de la population ? La classe moyenne est en 32 MOHAMED NACIRI crise; elle est soit affaiblie par l'évolution du pouvoir d'achat, soit démoralisée par les fortunes rapides qui s'échafaudent. Des réactions de remise en cause d'une so­ ciété où les valeurs éthiques et religieuses sont menacées par la montée'de l'affairis~e et de l'argent gagné illici­ tement, se font jour. La frustration n'est pas uniquement le fait des laissés­ pour-compte de cette évolution. Ceux qui détiennent le pouvoir économique ne sont pas ceux qui exercent les res­ ponsabilités politiques ou occupent les postes de com­ mande dans la haute administration régionale. Ainsi les frustrations s'accumulent-elles et le sentiment d'exclusion s'approfondit-il. Il n'est pas étonnant dans ces conditions que des flambées de violence des années quatre-vingt aient plus affecté le littoral méditerranéen. Un diagnostic fait à la suite de recherches entreprises dans le Schéma de Développement et d'Aménagement Ré­ gional (S.D.A.R.) indique: ((La partie - Nord Littoral Méditeranéen - de la Région économique du Centre Nord, malgré le fait qu'elle soit soumise à la plupart des facteurs déterminants de cette zone, n'entre pas dans celle-ci». Les investigations réalisées par l'équipe du S.D.A.R. et parti­ culièrement l'enquête effectuée dans la province d'AI­ Hoceima en décembre 1984, ont montré qu'il existe un sentiment psychologique, plutôt lié à Tétouan, Tanger et Nador, qU'à la métropole régionale de Fès. Les flux de capitaux et d'hommes continuent à s'orienter principalement de l'Est vers l'Ouest, créant dans la péninsule tangitane (avec Tanger, Tétouan et Sebta) des phénomènes de polarisation. La liaison fixe à travers le détroit de Gibraltar et la création d'une nouvelle zone franche déclanchent, alors qu'elles sont encore en état de projet, une vive spéculation sur les terrains urbains jamais observée sur la façade méditerranéenne du Maroc. L'ENVERS DU DECOR ss

Conclusion La formation d'une véritable région semble se tremper sur les éléments constitutifs d'une entité régionale, ci­ mentée non seulement par la communauté des destins, mais aussi par les liens tissés par l'histoire, la géographie et les intérêts de la population. Le littoral méditerranéen constitue cette entité, mais ses relations avec l'intérieur se heurtent non seulement aux données de la nature, à l'évolution de l'Histoire, mais encore à la réalité écono­ mique et à l'exclusion politique. Le manque d'infrastructures efficaces de communica­ tions, du fait du relief montagneux en partie, mais aussi par manque de volonté, accentue l'effet d'enclavement; le littoral méditerranéen avait subi pendant des siècles les effets de la destruction de la société et de l'économie ur­ baine. Ces processus continuent aujourd'hui, sous une autre forme. Ce n'est pas la destruction physique pure et simple des villes qui est en jeu comme c'était le cas par le passé, mais c'est la destructuration de leur économie et de leur société par la drogue et la contrebande qui est le danger réel. Le gain facile, l'exacerbation des inégalités sociales, sont en train de miner le fondement de la so­ ciété; les aspirations à l'autonomie, voire la -résurgence des régionalismes, trouvent leurs racines dans le proche passé, mais aussi dans l'actualité de la centralisation du pouvoir politique. Un effet cumulatif de facteurs divers s'oriente donc vers le maintien du littoral méditerranéen dans des condi­ tions qui pèsent sur son intégration à l'espace national. Les conflits de pêche avec l'Espagne, le contentieux sur les présides, la pollution de ses cOtes exploitées d'une ma­ nière sauvage _par le tourisme, révèlent des contraintes qui risquent de faire du Maroc méditerranéen, le parent pauvre de la modernisation du Maroc, conduite ailleurs avec détermination et continuité. Il serait paradoxal qu'au 34 MOHAMED NACIRI moment où le pays retrouve sa dimension saharienne et alors que sa vocation atlantique s'affirme, que la troisième dimension celle de la Méditerranée, essentielle à son équi­ libre, ne soit que l'envers du décor des deux autres. L'espace méditerranéen du Maroc, sa société et son éco­ nomie influeront, selon le cours qu'ils prendront, profon­ dément sur le devenir du Maroc du XXIe siècle.

BIBLIOGRAPHIE

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Les enclaves espagnoles et l'économie du Maroc méditerranéen Effets et étendue d'une domination commerciale

Quelles sont, de nos jours, les fonctions économiques majeures de ces microcosmes territoriaux d'un autre âge que sont les enclaves espagnoles du littoral méditerranéen marocain ? Ceuta et Melilla sont-elles des enclaves indus­ trielles, productives, ou de simples espaces voués à l'échange et au transit? Sont-elles ce qu'il y a lieu d'appeler des places financières ou de simples plaques tournantes du change illégal ? Quelle est, aujourd'hui, du point de vue du trafic portuaire - de marchandises et de passagers - l'importance de Ceuta et de Melilla, dans la hiérarchie des «ports espagnols», en comparaison avec les principaux ports marocains ensuite ? Telles sont les ques­ tions auxquelles il nous semble utile de répondre avant d'aborder la problématique des rapports entre les enclaves et l'espace social et économique qui les environne. L'économie des enclaves plus ou moins appréhendée, il sera alors temps d'en mesurer les effets sur les équi­ libres économiques et sociaux de la région - le Maroc mé­ diterranéen - mais également, peut-être plus superficiel-

1. Université Hassan II, Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales. 38 FOUAD ZAIM lement, sur l'ensemble de l'économie du pays. Comment la contrebande - cette «forme économique» et base maté­ rielle d'existence essentielle du Maroc méditerranéen­ tisse-t'elle ses mailles à partir de ces foyers, à nuls autres pareils au Maroc, que sont Ceuta et Melilla? Est-il pos­ sible d'établir une typologie des différentes formes et mo­ dalités de la contrebande, des divers «profils» de contre­ bandiers ? Peut-on discerner des ondes, d'intensité va­ riable, dans le «rayonnement» commercial de Ceuta et Melilla? D'un autre côté, la contrebande ne se développe sans doute pas sans effets multiformes sur le tissu des pe­ tites et moyennes industries de la région, sur les circuits de commercialisation et de distribution locaux, sur le type d'agriculture pratiqué dans. l'arrière-pays des enclaves, sur la pêche marocaine en Méditerranée et le long du détroit, lesquels? Et au plan national quelles sont les implications monétaires et financières, commerciales, de la contrebande Qui sévit à partir des ports francs espagnols de la façade méditerranéenne? Quelle est l'ampleur du mal ? Quels secteurs industriels sont plus particulièrement touchés? Autant de questions auxquelles il n'a pas toujours été aisé de répondre tant la matière est informelle et les rares données chiffrées éparses et invérifiables.

A. Les fonctions économiques des enclaves

Al. Ni vil/es industrielles. ni places financières Il va de soi que ce n'est pas du côté de l'agriculture qu'il faut aller chercher un des fondements de l'économie des enclaves espagnoles du Maroc méditerranéen; et l'exiguïté des superficies de ces dernières - 19 km2 pour Melilla, quelques hectares pour les îlots - y est naturelle­ ment pour beaucoup. Pourtant il serait tout aussi erroné d'imaginer qu'il ne se pratique absolument ni agriculture, ni élevage, dans ces réduits et ce serait également mécon­ naître leur longue histoire car les Espagnols n'ont pas peu LES ENCLAVES ESPAGNOLES 39 fait pour étendre, autant qu'il leur était possible, leur «espace vitab>, d'abord agricole, ne serait-ce que pour atténuer une dépendance alimentaire trop exclusive, et longtemps problématique, à l'égard de la péninsule. Il existe ainsi de nos jours, à l'intérieur des enclaves, un es­ pace agricole,' fut-il dérisoire, des «exploitations agri­ coles» - fussent-elles plutôt de «grands jardins» - et cer­ taines formes d'élevage. A Ceuta, l'agriculture se pratique pour l'essentiel dans le «campo exterior», c'est-à-dire dans la zone s'étendant entre la ville et la frontière ma­ rocaine ; à Melilla surtout le long de la petite vallée du Rio de Oro (Oued Ferkhana). Au cours du dernier recen­ 2 sement agricole expagnol, effectué en 1982 , on a comp­ tabilisé dans les deux enclaves quelques 151 exploitations agricoles dotées de terres, dont 54 à Ceuta et 97 à Me­ 3 lilla , sur un espace agricole total de 1 115 hectares (841 à Ceuta et 274 à Melilla) dont le tiers seulement, soit 361 hectares (103 à Ceuta et 258 à Melilla) était cultivé (tier­ ras labradas)4. . Parmi ces 361 hectares de terres vérita­ blement cultivées, 242 ha l'étaient en sec (secano) et 119 ha en irrigué (regadio)" ; les cultures herbacées (céréales et légumineuses) dominent largement, puisqu'elles occu­ 6 paient 313 sur 361 ha . Enfin, il 'y a lieu de signaler l'existence dans les deux villes de nombreux élevages de 7 bovins, d'ovins, de caprins et de porcins . Mais tout cela n'ayant en définitive - tant du point de vue de la popula­ tion employée (moins de 2% de la population active) que

2. On peut avoir connaissance des résultats du Censo Agrario de 1982 dans l'Anuario Estadistico espagnol de 1988, de la p. 800 à la p. 815. 3. Ibid, p. 807. 4.. Ibid, p. 801. 5. Ibid, pp. 809-810. 6. Ibid, pp. 809-810. 7. On a recensé très exactement dans les deux villes 104. élevages de bovins (1564. têtes de bétail), 4.5 élevages d'ovins (1 687 têtes), 4.1 élevages de ca­ prins (1 036 têtes) et 85 élevages de porcins (2 863 têtes), ibid, pp. 812­ 814.. 40 FOUAD ZAIM du point de vue de la production (notoirement insuffi­ sante pour couvrir les besoins de la population des en­ claves), qu'un impact économique très restreint. Ceuta et Melilla sont également des villes très peu industrieuses. En 1985, dernière année pour laquelle on dispose de statistiques industrielles, à peine 1 344 per­ sonnes étaient - officiellement8 - occupées par l'industrie dans les deux enclaves (y compris dans l'énergie et l'eau, mais non compris la construction)9 , ce qui devait repré­ senter entre 6 et 7% de la population active occupée10 ; et encore ce chiffre était-il en régression par rapport à ceux des années 1981 et 1982 au cours desquelles l'industrie employait respectivement 1 533 et 1 507 personnes. Quatre branches d'activités semblent dominer, quand au nombre de travailleurs qu'elles occupent, aux sala~res qu'elles distribuent, à l'importance de leur production brute et à la valeur ajoutée qu'elles dégagent. Il s'agit en l'occurrence des branches alimentation, boissons et tabacs, énergie, papier, articles en papier, arts graphiques, édition et produits minéraux non métallurgiques. La_plupart des entreprises industrielles des enclaves sont des «petites et moyennes entreprises», sinon des entreprises artisanales, employant moins de 10 salariés11 (cf. tableau). A Ceuta et à Melilla, ce sont les industries dérivées de la pêche et les industries alimentaires qui dominent; elles emploient plus de la moitié de la population travaillant dans l'industrie et sont à l'origine de 50% de la valeur ajoutée dégagée par l'industrie. A Ceuta, il y a ainsi une usine de fabrication de conserves de poisson (produisant

8. n est très vraisemblable que ce chiffre, disponible dans l'Anuario Eata­ distico de Espana de l'année 1988 est infl!rieur l\ la rl!a1ité. L'emploi «au noir» est important dans les enclaves. 9. Espana, Anuario Estadistico, 1988, p. 739. 10. En 1984, la population active occupée dans les deux enclava était offi­ ciellement de 20 300 personnes (Anuario de 1988, p. 901). 11. Ruette R" Les enclaves espagnoles au Maroc, N.E.L., Paris, 1976. LES ENCLAVES ESPAGNOLES 41

1 200 tonnes par an), ainsi que des ateliers de salaisons, mais aussi une brasserie (fabrication de bière), une usine de fabrication de farines (les moulins de Ceuta), des fa­ briques de chocolats et confiseries, des distilleries, etc. ; à Melilla, il n'y a pas moins de huit usines de fabrication de conserves de poisson12.

CEUTA ET MELILLA. STATISTIQUES INDUSTRIELLES, 1985

Personnes Coût du Production Valeur occupées personnel brute ajoutée (nombre) (millions de (millions de (millions de Dtas) Dtas) Dtas)

Tota! Industrie l...... J!i L.n1 ~ ~

Alimentation, boissons et tabacs 704 721 4309 1 438 Energie 231 640 1412 415 Papier, articles de papier 101 150 330 277 Produits minéraux non métalliques 96 118 501 223 Eau 67 136 343 261 Industrie chimique 20 21 172 78 Fabrication de produits métalliques 37 27 107 54 Bois, charpentes, meubles 24 9 40 28 Textiles et confection 24 20 94 27 Matériel électrique et électronique 13 34 112 47 Autres 27 21 68 40

Source: Anuario Estadistico, Espana, 1988, pp. 739-757 L'importance de la branche «énergie» s'explique par l'existence à Ceuta de deux centrales thermiques et de cinq autres à Melilla. Enfin, on trouve également à Ceuta des ateliers de montage de téléviseurs, des ateliers de réparation mécanique, des entrepôts frigorifiques, des ma­ nufactures textiles, et, à Melilla, des ateliers de réparation de navires de pêches, ainsi qu'une petite industrie des

12. La plu. Il'ande con.erverie de paillon. de Melilla .'appelle Saladero. et emploie une main-d'oeuvre ellentiellement marocaine, à dominante fémi­ nine. 42 FOUAD ZAIM cuirs et peaux dépendante pour sa matière première de l'arrière-pays13. En définitive, même si l'activité industrielle des enclaves ne devrait pas être mésestimée, ce n'est assurément pas de ce côté-là aussi, que se trouve l'essentiel de ce qui fait l'économie des enclaves. Enfin, Ceuta et Melilla ne sont manifestement pas ce qu'on pourrait appeler des places financières. Ainsi, selon les statistiques espagnoles relatives aux dépôts privés dans le système bancaire à la fin de l'année 1987, 75,7 milliards de pesetas (46,2 milliards à Ceuta et 29,5 milliards à Me­ lilla) étaient déposés dans le système bancaire des deux enclaves, réparties entre les banques privées (46 milliards de pesetas) et les caisses d'épargne (29,7 milliards). Ce montant global des dépôts n'a rien d'exceptionnel, il re­ présente à peine 0,29% des dépôts privés dans le système bancaire espagnol. Il est très inférieur à ceux des villes comme Malaga (492,2 milliards), Cadiz (360 milliards) ou Almeria (186,5 milliards) qui ne sont pas réputées pour être des places financières d'importance.

DEPOTS DU SECTEUR PRIVE DANS LE SYSTEME BANCAIRE (AU 31 Déc. 1987)

• en milliards de pesetas .

Total Banques Caisses systeme % privées % d'Epargne % bancaire

Ceula 46.2 0,18 28.5 0.19 17,7 0,17 Melilla 29,5 0,11 17.5 0,12 12,0 0,12 Malaga 432,2 1.89 256.9 1,75 217,0 2,17 Cadil 359.4 1,38 180,3 1,16 189,1 1,86 AIIIH.~riil 186,5 0,72 66,9 0.46 64,9 0,64

ESPAGNE 25 986,~ 100,00 14 706,6 100,00 \0 142,2 100,00 -_."-"-- Source: Espana. Anuario Esladislico, 198X. pp. 875-X77

13. Rezette R., op. dt" pp. 92-95. LES ENCLAVES ESPAGNOLES 43

A2 Une fonction commerciale dominante Si l'économie des enclaves espagnoles n'est et ne pou­ vait naturellement pas être fondée sur l'agriculture - et pas même sur la pêche dont le produit n'est pourtant pas négligeable -, si l'industrie et la production industrielle ­ alimentaire et dérivés de la pêche pour l'essentiel - y re­ présentent quelque chose d'annexe et de subsidiaire, si les activités financières n'y sont apparemment ni plus ni moins florissantes qu'ailleurs, les enclaves espagnoles du Maroc méditerranéen sont, par contre, des places émi­ nemment marchandes. Ceuta et Melilla, la première sans doute infiniment plus que la seconde, sont quelque chose comme d'immenses bazars à ciel ouvert. Tout ou presque, y' scande la primauté de l'échange, du négoce, du mercan­ tile, entre autres : - Les quantités impressionnantes de marchandises qui, an­ nuellement, sont déversées dans les deux ports francs pour y être écoulées; notamment à Ceuta où il a été déchargé une moyenne annuelle de 2,4 millions de tonnes au cours de la décennie 1978-1987, tandis que Melilla recevait une moyenne dix fois moindre, 0,24 millions de tonnes au cours de la même période. - L'importance de la population ac~ive qui est employée dans les services, c'est-à-dire en l'occurrence essentielle­ ment dans les activités commerciales, et qui représente à Ceuta et à Melilla l'écrasante majorité de la population active, plus de 80%, alors que les services emploient à peine 42% de la population active en Espagne. - La faiblesse des charges fiscales en général, notamment de celles pesant sur les activités commerciales. En effet, sans être des «paradis fiscaux» véritablementl 4, les en-

14. En fait, s'il y a indéniablement, en général, exemption ou atténuation significative de la fiscalité d'Etat, notamment des impôts et taxes prélevés par le Service des Douanes pour le compte de l'Etat, les charges munici­ pales (et provinciales) sont à Ceuta et à Melilla assez lourdes. Les droits municipaux consistent essentiellement en un pourcentage ad valorem sur FOUAD ZAIM claves n'en jouissent pas moins de par leur caractère de «ports francs», d'un régime fiscal d'exception, fait d'exemptions et de réductions d'impôts: exemption de l'impôt sur le chiffre d'affaires, de l'impôt sur les trans": ferts de biens, de l'impôt de luxe, des droits de douane à l'importation et à l'exportation, de l'impôt sur la fabrica­ tion des alcools, bières et boissons, de l'impôt sur les pro­ duits pétroliers et leurs dérivés; réductions de 50% sur l'impôt relatif aux activités commerciales et industrielles, sur l'impôt relatif aux revenus des sociétés et autres per­ sonnes morales, de l'impôt sur le revenu des personnes physiques et de l'impôt sur les transferts de patri­ moines... 15 CEUTA ET MELILLA POPULATION ACTIVE SELON LE SECTEUR ECONOMIQUE· 1981 • (en pourcentage)

Ceuta Melilla Espagne

Agriculture (y compris la pêche) 2,3 1,5 18,7 Industrie 7,6 8,8 26.2 Construction 8,7 5,7 10,3 Services 81,5 84 41,8 Non classés 2,4

100,00 100,00 100,00

Source: - Censo de Poblacion de 1981, lome IV, Resultados Municipales, I.N.E (Instilulo Nalional de Estadistico) Madrid, pp. 1228-1232. . Espana, Anuario Estadistico, 1988, p. 159. - Enfin, la multitude de locaux-établissements que comp­ tent les deux enclaves et qui sont affectés en majorité au commerce. Le nombre de locaux-établissements actifs était en 1980 de 2 359 à Ceuta et de 2 330 à Melilla, pour l'essentiel des locaux commerciaux employant moins de 5 l6 personnes . les marchandises entries et consommées sur place. 15. Ruette R., cit., pp. 110-l1S. 16. «Anuario Esta

C'est ainsi qu'à Ceuta et à Melilla, tout, ou presque, se vend ou s'achète, des monnaies espagnole et marocaine jusque parfois aux douaniers qui donnent accès aux deux enclaves. Et tout ce qui se vend ou s'achète est d'abord importé, souvent de la péninsule, mais parfois de bien plus loin, de Taïwan, de Corée du Sud, de Singapour, de Hong-Kong, du Japon, de Chine Populaire... Ceuta· et Melilla sont en effet centrées sur leur port; elles ne se­ raient rien sans leur port. Quotidiennement, notamment à Ceuta, des navires, pleins à ras bords, déversent en fran­ chise des milliers de tonnes de marchandises, de toutes natures, de toutes les origines. Plusieurs fois par jour, les f.erries, ou les douanes marocaines, lâchent leurs lots de voyageurs d'un genre particulier, touristes d'un jour, le temps d'un rush sur quelques magasins d'appareillage électronique, électrique... le temps d'un achat, une caméra, un appareil photo, une vidéo, Quelques cartouches de ci­ garettes, des bouteilles d'alcool ou simplement... un plein d'essence. A.3 - Le dynamisme du port de Ceuta, le déclin de celui de Melilla De nos jours, l'importance de Ceuta et Melilla en tant que ports est complètement inégale. Ceuta est sans doute de par l'intensité de son trafic maritime un «port espa­ gnol» parmi les plus importants, comparable à bien des égards aux plus grands de la péninsule (Barcelone, Bilbao, Tarragona, Algesiras...). Le port de Melilla, Qui eOt son heure de gloire, tant Qu'il servait d'exutoire au minerai de fer d'Ouichane, est depuis au moins deux décennies un port en déclin. Ainsi, au cours des dix dernières années (1978­ 1987)17, Ceuta vient fréquemment au premier rang,

17. Le dernier «Anuario Eatadiatico. de l'Eapagne dillponible ellt celui de 1988 qui contient lei donnHi ltatiatiquell de l'année 1987. 46 FOUAD ZAIM s'agissant du nombre des embarcations marchandes entrées 18 dans son port ; seuls les ports d'Algésiras, de Las Palmas et de Santa-Cruz de Ténérife enregistrent un nombre d'entrées du même ordre, quoique le plus souvent infé­ l9 rieur ; La rade de Ceuta a accueilli, depuis 1978, une moyenne annuelle d'environ 9 000 embarcations par an ­ au moment où le port de Barcelone accueillait une 20 moyenne de 7 250 embarcations par an - ce qui repré­ sente 9%, en moyenne annuelle du trafic global, des em­ 21 barcations marchandès des ports espagnols . Cela étant, il faut préciser qu'une partie substantielle du trafic maritime de Ceuta est constituée par les navires effectuant la na­ vette avec Algésiras; en effet, sur 7 415 entrées enregis­ trées en 1987, 4 498 concernaient la liaison Algésiras­ Ceuta, soit 60%, tandis que les 2 917 autres avaient trait à des navires en provenance de ports autres qu'espagnols. Depuis 1956, le trafic maritime du port de Ceuta n'a cessé de s'intensifier - malgré quelques années «creuses» (1960­ 1962, 1968-1970) liées à des périodes de tension entre le Maroc et l'Espagne - passant d'une moyenne de 5 700 entrées par an au cours des années 1960 à une moyenne de 7 400 pour les années 1970, enfin à une moyenne de 8 ...800 entrées par an au cours des années 1980. Les années 1986 et 1987 ont vu cependant ce trafic décroître quelque peu (respectivement 7 232 et 7 415 entrées) sans que cela soit pour autant spécifique à Ceuta puisque l'ensemble du trafic maritime espagnol aura accusé un fléchissement durant ces deux années-là.

18. Nous aurions eu sans doute à nuancer ce propos si nous avions pu tenir compte du tonnage des embarcations. Les annuaires statistiques espagnols récents ne les rapportent malheureusement pas. 19. Espana,Anuario Estadistico, 1988, INE, Madrid, 1989, p. 831. 20. Ibid, p. 831. 21. Ibid, p. 831. LES ENCLAVES ESPAGNOLES 47

Ceuta est aussi, et surtout, le second «port espagnol» quant au trafic de passagers. Seul parmi les ports espa­ gnols, celui d'Algésiras, lui dame le pion en la matière, du fait simplement que ce dernier voit débarquer sur les quais des passagers en provenance de Ceuta, mais égaIe­ ment de Tanger. C'est ainsi qu'au cours des cinq dernières années (1983-1987) une moyenne annuelle de 2 420 000 personnes, en majorité des marocains, ont transité par le port de Ceuta; 1 270 000 y ont annuellement débarqué, 22 1 150 000 en ont embarqué • A l'exception d'Algésiras, aucun autre «port espagnol» ne peut se prévaloir d'un trafic similaire, fut-ce celui de Barcelone, lequel vient au troisième rang, très loin derrière les ports du détroit avec un trafic, en 1987, de 757 000 passagers. Ainsi, le trafic passagers de Ceuta représentait en 1987 - qui ne. fut pourtant pas une année faste -21,3% du trafic passagers 23 des ports maritimes espagnols . Ceuta est également loin d'être un port secondaire s'agissant du trafic de marchandises qui s'y opère, même si de ce point de vue, certains ports de la péninsule - no­ tamment ceux de Bilbao, Barcelone, Gijon, Tarragona, Algésiras... - sont éminemment plus actifs. C'est ainsi qu'au cours des dernières années (la décennie 1978-1987), il a été déchargé sur les quais de Ceuta une moyenne an­ nuelle de plus de 2 400 000 tonnes de marchandises di­ verses, ce qui n'est pas négligeable surtout que certaines «bonnes années» (1981, 1983, 1985, 1987) ce volume a pu dépasser les 3 millions et même frôler (comme en 1983) 24 les 4 millions de tonnes • De ce côté-là aussi la progres-

22. Espana, Anuario Estadistico, 1984, 1985, 1986, 1987, 1988. 23. A titre de comparaison, le trafic de passagers au port de Tanger en 1987 avoisinait les 875 000 personnes (496 307 embarquées, 376461 débar­ quées). Ce trafic ne semble pas se d6velopper puisqu'ils étaient près d'un million de passagers à transiter par le port de Tanger en 1983. 24. Toujours à titre de comparaison, il a été déchargé au port de Casa­ blanca, en 1987, 5,45 millions de tonnes de marchandises. p".~. 1 48 FOUAD ZAIM

sion est très sensible, puisqu'au cours de la décennie pré­ cédente (1968-1977) le volume annuel moyen des mar­ chandises débarquées à Ceuta était de l'ordre de 660 000 tonnes. Evidemment, Ceuta est d'abord un déversoir de marchandises bien plus qu'un tremplin; ce qui est dé­ chargé est infIniment plus volumineux que ce qui en est exporté, environ 227 000 tonnes en moyenne annuene 26 entre 1978 et 1987 . Des marchandises provenant essen­ tiellement de la péninsule (à 90% en 1987), ce qui ne si­ gnifie évidemment pas qu'il s'agisse de productions à 90% espagnoles. Ceuta est enfin, un port pétrolier d'importance. Quatre compagnies - la [barol/a. depositos de Aceite Com­ bustible (créée en 1920), la Compania Espanola de Petro­ leos S.A. (1950), la Petro/ifera Ducar S.A.. Combustibles y Lubrifiantes et l'Atlas S.A.. Combustibles y Lubrifiantes ­ y disposent d'une trentaine de réservoirs et de nombreux oléoducs reliés aux quais, assurant le ravitaillement de centaines de navires en produits pétroliers. Cette fonction pétrolière du port de Ceuta fut mise à rude épreuve lors de la fermeture du Canal de Suez; depuis la réouverture 26 de ce dernier, la reprise en ce domaine, se fait attendre . Ceuta tire en définitive une partie essentielle de sa raison d'être, et de sa relative prospérité, de l'intensité de sa vie p'rtuaire. Le port est le poumon économique de la ville. Comme de tout temps, la position à nulle autre pa­ reille de Ceuta sur la rive sud du détroit, à quelques en­ cablures de l'Europe, fait de son port un point de passage idéal, ou transitent annuellement près de deux millions et demi de voyageurs et où sont débarquées des millions de tonnes de marchandises. Sans ce rush permanent de voya­ geurs - accentué chaque été par l'afflux massif des ma-

Tanger, à peine 541 000 tonn.l'ont été la même année. 26. Espana, Anuario E.tadi.tico, 1988. 26. Ruette, op. dt., pp. 78-80. LES ENCLAVES ESPAGNOLES 49 rocains travaillant à l'étranger - sans ce va-et-vient in­ cessant de navires marchands entre les deux rives du dé­ troit, Ceuta ne serait sans doute pas ce qu'elle est. Sa vo­ cation, il ne faut la rechercher nulle part ailleurs, elle est là, dans sa fonction de port de passage privilégié du dé­ troit. C'est une vocation que la ville remplit de nos jours au bénéfice de l'Espagne et de compagnies maritimes es­ pagno.les, mais c'est une vocation aussi vieille que la ville elle-même. Le port de Melilla, à la position nettement plus ex­ centrée est, évidemment, infiniment moins actif. En fait, le trafic de Melilla n'a cessé de régresser depuis l'indépendance du .Maroc. En 1955, 1 460 embarcations avaient accosté à Melilla, en 1987 à peine 800, et encore ne s'agit-il, le plus souvent, que de la navette effectuant la liaison avec Malaga, le trafic passagers y est également dérisoire en comparaison avec celui de Ceuta puisqu'à peine 350 000 personnes environ y ont annuellement tran­ sité entre 1983 et 1987. Enfin, le trafic de marchandises y a chuté nettement depuis que le port de Nador s'est pro­ gressivement substitué à celui de Melilla dans l'exportation du minerai de fer d'Ouichane. La vocation minière du port de Melilla est désormais révolue, sans doute à ja­ mais ; en 1965 encore, plus d'un million de tonnes - es':' sentiellement du minerai de fer - y était exporté, à peine 120 000 tonnes en moyenne annuellement depuis 1978, tândis qu'y étaient importées environ 237 500 tonnes de marchandises.

B. Les enclaves et l'économie du Maroc Méditerranéen, les mailles de la contrebande La situation géographique privilégiée des enclaves ­ notamment celle de Ceuta - et le régime exceptionnel de port franc dont elles bénéficient en ont indubitablement fait le foyer - peut-être inégalé au Maroc - d'une contre- 50 FOUAD ZAIM bande aux visages multiples, quasiment irrépressible, dont les ondes se propagent très loin à l'intérieur du pays, contrariant à des degrés divers les circuits de distribution et de commercialisation réguliers et les timides efforts de production locale et induisant, dans une certaine mesure, des effets pervers sur toute l'économie marocaine. BI - La contrebande, une composante majeure de l'équilibre socio-économique d'une région La contrebande à partir des enclaves espagnoles du littoral méditerranéen marocain n'est sans doute pas un phénomène récent. C'est une réalité au moins séculaire, qui est née et a pris forme à mesure que le Maroc s'ouvrait, au cours de la deuxième moitié du XIXe, au commerce européen et que se metamorphosaient les vieux presidios de garnisons pénitentiaires en entrepôts com­ merciaux. A l'aube de ce siècle, Ceuta, Melilla et les îlots étaient déjà intensément, au coeur d'un trafic d'armes et de munitions de guerre - lequel bénéficia largement au Rogui Bou Hmara dont la «capitale» était justement Sé­ louane aux portes de Melilla - qui ne contribua pas peu à 27 ce qu'on appela alors l'anarchie marocaine • De nos jours cependant, et depuis au moins les années soixante dix, le phénomène a incontestablement pris une dimension nouvelle. De confiné localement, il est devenu une donnée régionale et, dans une certaine mesure, natio­ nale. La èontrebande - autrement dit l'entrée illicite sur le territoire national de marchandises en violation de la lé­ gislation douanière, de la réglementation du commerce extérieur et des changes sur le territoire national de mar­ chandises n'ayant pas acquitté de droits en violation de la législation douanière - est en effet devenue, dans le Ma­ roc méditerranéen, une forme économique majeure, une

27. Kenbib M., «Contrebande d'armes et anarchie dans le Maroc pré-colo­ nial, 1844-1912», in Dar al Niaba, n' 4,1984, pp. 8-13. LES ENCLAVES ESPAGNOLES 51

composante essentielle de l'équilibre socio-économique de la région, un mode de vie en tant que tel. Là, entre Tan­ ger et Oujda, en passant par Fnideq, Tétouan, Ksar-el­ Kébir, Chefchaouen, Al Hoceïma, , , Nador. et ..., elle a tissé ses mailles occultes, enfanté ses réseaux d'approvisionnements parallèles et des marchés lo­ caux urbains et ruraux qui se nourrissent exclusivement de ses produits. Elle «emploie» - dans le cadre d'un mo­ dus videndi toujours renégocié avec les autorités - des milliers d'informels, du traditionnel petit passeur jusqu'au contrebandier professionnel. Elle est pour l'heure, quoiqu'on puisse en penser, la mère nourricière, peut-être principale de toute une région (les deux autres étant les transferts de l'immigration et la culture de la cannabis). Outre la présence multiséculaire des enclaves 'espa­ gnoles dotées depuis longtemps de la franchise portuaire, de nombreuses conditions, intrinsèques au Maroc médi­ terranéen, concourent, il est vrai, à favoriser l'extension des activités liées à la contrebande. Le Maroc méditerranéen - c'est-à-dire stricto sensu les provinces actuelles de Tétouan, Chefchaouen, Al Ho­ ceima et Nador28 - est une région singulièrement peu­ plée29 à l'instar des régions montagneuses du Maroc­ 9,5% de la population sur 2,8% du territoire national ­ avec une densité moyenne de peuplement (95 ha~/Km2)30

28. Il n'est pas interdit d'y adjoindre, dans un sens plus large, les provinces de Tanger - qui a cependant une frange atlantique tria importante - et d'Oujda, qui intègre une' part trop grande du Maroc oriental. 29. Les provinces de Tétouan, Chechaouen, Al-Hoceima et Nador, repré­ sentaient lors du dernier recensement (1982), avec 1917782 habitants, 9,42% de la population marocaine sur une supe1cie (20066 km2) équiva­ lant à 2,82% du territoire national (710 850 Km ). Si on adjoint les pro­ vincas de Tanger et Oujda, le nord marocain au sens large, abritait en 1982, 16,39% de marocains (3 134 774 h.) sur une superficie équivalant à 2 6,90% (41960 km ) du territoire national. Cf, Annuaire Statistique du Maroc, 1989. 30. Annuaire Statistique du Maroc, 1989. 52 FOUAD ZAIM nettement plus élevée que la moyenne nationale, malgré le relatif dépeuplement occasionné par une très forte émigration vers l'Europe. Pourtant, la nature y est plutôt parcimonieuse : les ressources sont limitées, du fait d'abord d'un relief éminemment montagneux - les 16 000 km2 de la chaîne rifaine -, les espaces agricoles cultivés des plus restreints et les terres irriguées rarissimes, no­ tamment à l'Est de la région (provinces d'Al Hoceima et de Nador), là où le climat est aride, les sols médiocres et érodés et les ressources en eau limitées. Depuis longtemps, la croissance démographique a rompu ici un équilibre précaire entre un milieu naturel particulièrement âpre et une paysannerie montagnarde ancienne et dense, acculant celle-ci soit à «inventer» des ressources annexes (culture du cannabis, contrebande...), soit à l'exode. Le Maroc mé­ diterranéen en est devenu très tôt une terre de migrations vers l'Algérie jusqu'aux années cinquante, vers les plaines et les villes du littoral atlantique et surtout vers l'Europe à partir du début des années soixante. Mais le Maroc méditerranéen est également de par sa situation, de par sa «vocation» est-on tenté d'écrire, une vieille terre de passage, un pont territoire31 vers l'Ibérie, vers l'Europe, et la contrebande trouve indéniablement dans ce type de zone - les zones de contact - un terrain de prédilection. Enfin, le Maroc méditerranéen, c'est aussi Q.n littoral long - de Ceuta à Saïdia - de près de 400 km (à vol d'oiseau), sans compter le littoral du détroit (82 km); un littoral, dans l'ensemble, accidenté où des fa­ laises abruptes tombent à même la mer, et qui dessine, naturellement, une myriade de petites criques, combien propices à l'épanouissement de la contrebande. Densité du peuplement, rareté de l'emploi, âpreté du relief, exiguité des terres cultivables, érosion des sols,

31. Kably M., «Société, pouvoir et religion au Maroc a\ la fin du Moyen­ Age (XIV-XV)>>, Maisonneuve et Larose, Paris, 1986, p. 52. LES ENCLAVES ESPAGNOLES 53

proximité des côtes espagnoles, longueur et aspect acci­ denté du littoral, en fait autant de conditions favorables au déploiement des activités de contrebande. B2. Contrebande et contrebandiers La contrebande à partir des enclaves revêt de nos jours des formes très diverses. Ses méthodes et ses tech­ niques, fruits d'une longue tradition et d'une ingéniosité toujours renouvelée, se sont multipliées et diversifiées. Il semblerait, autant qu'on ait pu en juger, qu'à chaque type de contrebande, corresponde généralement - sans qu'il s'agisse là d'une règle absolue - un «profil» spécifique de contrebandier, des méthodes d'infiltration particulières, des moyens matériels et humains déterminés, associés à des «productions réservées». Il est permis ainsi de distin­ guer en gros quatre types de contrebande et de contreban­ diers, même si l'appartenance à tel ou tel type n'est pas 32 toujours très évidente • 1. Une contrebande occasionnelle, pratiquée par défi­ nition de manière épisodique par des non-professionnels. Elle peut être le fait d'individus aux profils très divers: un travailleur marocain à l'étranger, «abonné» aux allers­ retours entre l'Europe et le Maroc, et gui transite toujours opportunément par Ceuta et Melilla, le temps de procéder

32. Nous nous sommes inspirés pour ces développements d'observations ef­ fectuées lOri de déplacements dans la région, mais également de quelques travaux d'inégale valeur, notamment le mémoire de Hajjami Thami, «Le phénomène de la contrebande au Maroc~, (Cycle Sup. de l'ENAP, Rabat, 1985), l'article de Oubeida Abdelwahed, «La contrebande à l'heure du li­ béralisme marocain~ (Kalima, n' 28, pp. 34-37). Il nous a. été agréable de puiser quelques informations dans des mémoires de licence réalisés à la Faculté de Droit de Rabat: ceux de Radi M., «L'influence de Melilla sur la région de Nador 1977-1978), de Sghier A., «Bab Nouadeur ou petite Ceuta au coeur de Tétouan (1977-1978), de Sardo A., «La problématique de la commercialisation des produits espagnols à Tétouan (1974-1975) et de Beni Aua A. et Labsioui M., «La contrebande et ses problèmes dans le nord et l'est du Maroc (1974-1976). 54 FOUAD ZAIM

l Quelques achats rémunérateurs; un fonctionnaire véreux d'une ville marocaine mitoyenne (ou non) des deux en­ claves (Tétouan, Nador...) bénéficiant d'amitiés ou de passe-droits Quelconques et Qui effectue trop fréQuem-. ment des «shoppings» dans l'une des deux villes franches. Enfin, très souvent, comme on a pu le constater de simples étudiants... Ce type de contrebande, Qui peut porter sur les produits les plus divers (alcool, cigarettes, téléviseurs, vidéos, etc.) est alors un moyen de se procurer une rentrée d'appoint, d'arrondir des fins de mois diffi­ ciles. Mais il n'est pas rare Que des «occasionnels», pris à leur propre jeu, se métamorphosent à la longue en petits passeurs permanents. 2. Une contrebande de subsistance pratiquée par une armada impressionnante de petits passeursss : des femmes le plus souvent - Que l'on peut voir chaque matin tra­ verser en cohorte les douanes de Bab Sebta et de Beni Enzar, sans aucun papier, recouvertes de la tête aux pieds, été comme hiver, sous l'oeil blasé et vagu~ment dés­ approbateur des douaniers tant Marocains Qu'Espagnols ­ des jeunes chômeurs fréquemment, des retraités et même parfois des enfants dont c'est là l'unique et ultime école. Cette forme de contrebande, une des formes de l'économie de survie - sans doute la plus répandue dans le Maroc méditerranéen - «emploie» le plus grand nombre de «contrebandiers» et constitue l'unique ressource de milliers de familles. Elle bénéficie, du fait Qu'elle joue un rôle, pour l'heure irremplaçable, de décompresseur social

SS. En raison du sujet même, les données chiffrées sur le nombre de contrebandien - en fait toue les chiffres relatifs à la contrebande - sont peu fiables, sinon parfois fantaisistes. Il y aurait eu, en 1980, à en croire des statistiques publiées par le Ministère du Commerce et de l'Industrie, quelques 100 000 contrebandien dans tout le Maroc, dont 20 000 à Nador, 20 000 à Tétouan, 10 000 à Tanger, autant à Oujda... Ces chiffres nous paraissent trop imprécis pour mériter d'être considérés autrement que comme des ordres de grandeur. Cf. T. Hajjami,op. cit. p. 6. LES ENCLAVES ESPAGNOLES 55

dans une région où l'emploi est ranSSlme, d'une relative ­ mais parfois combien versatile - bienveillance de la part des services douaniers et des autorités locales. Ainsi un jeune étudiant qui s'enquérait du point de vue des auto­ rités locales à l'égard de la contrebande déclarée à Té­ touan, s'est vu rétorquer simplement : 20 000 contreban­ 34 diers. c'est moins grave que 20 000 voleurs et brigands • La contrebande des petits passeurs mobilise des 35 moyens financiers et matériels limités , du fait qu'elle porte généralement sur les marchandises ne nécessitant qu'un -investissement modique, en l'occurence des produits de grande consommation générant des marges bénéfi­ ciaires réduites: café, thé, miel, riz, biscuits, confiseries, chocolats, couvertures, nappes, articles de toilette, par­ fums, montres de pacotille, friperie, verrerie, piles, ciga­ rettes, essence, etc. Enfin, elle utilise des moyens d'infiltration souvent classiques, à même les douanes ou à travers les monts avoisinant les enclaves: femmes drapées de couvertures et enlaçant des kilos de parfums, transport 36 à dos d'hommes ou dos de mulets spécialement dressés , 37 ou plus simplement autocars et taxis .

34. Beni Ana A. et Labsiou M., op. cit., p. 7. 35. Il ressortait d'une enquête effectuée en AoQt 1984, dans les provinces de Nador, Oujda et Tétouan, auprès de 60 contrebandiers, que 60% parmi eux étaient âgés de moins de 35 ans, n'avaient jamais fréquenté l'école et avaient au minimum 6 personnes à charge. Par ailleurs, 80% d'entre eux étaient au chômage ou exerçaient une activité temporaire. 70% em­ ployaient un capital inférieur à 3 000 Dhs j seuls quelques enquêtés dispo­ saient d'un capital supérieur à 5 000 Dhs j Cf., A. Oubeida, op. cit., p. 36 et T. Hajjami, op. cit., p. 36. 36. C'est là un procédé parmi les plus répandus. La marchandise déposée le jour dans des cachettes près de la frontière des deux enclaves est prise en charge la nuit par des passeurs, à dos d'hommes ou à dos de· mulets. Em­ ballés dans des sacs spéciaux pouvant contenir jusqu'à quarante kilos, les marchandises sont ainsi introduites à travers le relief accidenté et propice des environs des enclaves. La proximité de Fnideq et de Nador facilite ce genre de procédé. 37. Ce sont là des procédés évidemment connus des douaniers mais fré- 56 FOUAD ZAIM

3. Une grosse contrebande, pratiquée par de véritables professionnels, peu nombreux, organisés souvent en groupes spécialisés (dans tel ou tel type de marchandises) mettant en oeuvre des moyens financiers et matériels sub­ stantiels, jouissant d'un certain savoir-faire et générale­ ment de complicités leur permettant d'assurer la fluidité de leurs itinéraires et la pérennité de leurs réseaux. Ces passeurs et convoyeurs professionnels sont communément appelés dans la région al-bragdiaSS ou encore, plus rare­ ment, al-taliones (les Italiens) pour ceux que ne rebute pas l'utilisation de la violence à l'égard des douaniers. C'est cette forme de contrebande qui assure pour l'essentiel l'approvisionnement des principaux centres de redistribution (Fnideq et Nador) et d'écoulement (Tétouan, Ksar-el-Kébir, Berkane et Oujda ...) des marchandises frauduleuses. Elle utilise des moyens d'infiltration mo­ dernes : embarcations légères et maniables, véhicules spé­ cialement aménagés, «convois de nuit»..., mais n'hésite pas à recourir aux moyens les plus classiques pour le convoiement des marchandises: transport en autocars, ca­ mionnettes, etc. La grosse contrebande travaille généralement à la commande - effectuée par un boutiquier de Fnideq, de Tétouan de Ksar-el-Kébir ou d'Oujda... - en contrepartie d'une commission qui peut atteindre le tiers de la valeur des marchandises; le «métier» de commerçant en produits de la contrebande étant ainsi, presque toujours, distinct de celui de contrebandier-pourvoyeur.

quemment utilisés. Tous les voyageurs d'un autocar ou d'un taxi trans­ portant des marchandises de contrebande versent une quote-part au chauffeur qui se charge de négocier le chargement avec douaniers et gen­ darmes. SS. L'appellation fait vraisemblablement référence au terme de brigands. LES ENCLAVES ESPAGNOLES 57

Elle porte le plus souvent sur des productions considérées comme de luxe: téléviseurs, vidéos, chaînes Hi-Fi, appareillage électronique, caméras, antennes, autos-radios, électroménager, alcools, pièces détachées... Certains gros bonnets de la contrebande sont spécialisés dans le trafic de devises, de l'or et même de diamants. 4. Enfin, une contrebande susceptible d'être qualifiée de «scientifique» et qui, contrairement aux différentes formes de la contrebande classique, se réalise quasi-léga­ 39 lement , à même les bureaux de douane et sans dissimu­ lation des marchandises. Cette forme occulte, «évoluée» de contrebande semble avoir trouvé dans les lacunes de la réglementation douanière, dans l'imprécision de ses défi­ nitions40 et dans les imperfections de la formation des agents douaniers, le terrain de prédilection de ses activi­ tés. Elle est l'oeuvre d'opérateurs-contrebandiers d'un type nouveau qui se recrutent non plus parmi les chômeurs du nord marocain, mais plutôt parmi la bourgeoisie huppée

39. Il exilte un moyen lupplémentaire, quasi-légal, d'alimentation dei marchél de la contrebande. C'elt celui qui l'opère à travers la vente aux enchèrel publiquel dei marchanèilel sailiel. Le plui important en l'occurrence pour lei acheteurs ne lont pas lei produitl vendui mail lei quittances délivréel à l'occasion de ces ventel. Cel quittancel, une foil entre lei mainl d'un commerçant, permettent à ce dernier, tout en le pro­ tégeant, de continuer à alimenter Ion commerce par dei moyenl illicitel. A titre d'exemple, un commerçant de Rabat qui l'adjuge une affaire de par­ futnl danl une vente aux enchèrel de Bab Sebta continuera à l'alimenter en parfuml loit au marché de Tétouan loit à Fnideq, tout en étant couvert par la quittance contre lei autoritél de contrOle de Rabat. 40. Ainli le premier alinéa de l'article 282 du code dei douanel ne conlidère comme contrebande que lei mouvements de marchandilel faitl en dehors dei bureaux dei douanel et réalilél par dei navirel ou dei aéronefl ; ce qui revient à dire que lei camionl ou lei autrel véhiculel ne lont pas pril en conlidération et que les mouvements de marchandilel, mime frauduleux, mail réalilél danl l'enceinte dei bureaux de douane ne peuvent itre conli­ dérél comme infraction. de contrebande. Cf. A. Oubeida, op. cit., p. 19 58 FOUAD ZAIM des grandes villes de l'intérieur, des hommes d'affaires de Casablanca en particulier, rompus aux arcanes des codes et circulaires douaniers. La contrebande dite scientifique est basée essentielle­ ment sur la falsification de documents ainsi que sur les fausses déclarations sur la valeur, le poids, l'origine, la destination et l'espèce tarifaire réelles des marchandises en frêt. Elle tend généralement à minorer la valeur et le quantum des marchandises, à désigner une fausse position tarifaire pour le produit importé ou encore à solliciter, et à obtenir, le régime de l'«admission temporaire» - régime suspensif des droits et taxes, applicable en principe uni­ quement à des marchandises destinées à subir une trans­ 41 formation quelconque avant leur réexportation - pour des marchandises amenées à être commercialisées imomé­ diatement sur le marché intérieur. Cette forme de contrebande, qui suppose elle aussi le plus souvent - mais ce n'est pas une règle - une «protection», des complicités au sein de l'administration douanière ou un passe-droit quelconque n'est J2as parmi les moins répandues des formes de contrebande. Elle por­ terait sur plusieurs milliards de dirhams et ferait subir au Trésor public un préjudice considérable. Elle concerne pratiquement tous les ports et aéroports du pays et évi­ demment d'abord ceux de Casablanca, mais n'est vraisem­ blablement pas la plus usitée aux frontières des enclaves espagnoles du Maroc méditerranéen. Au nord, la contre­ bande classique semble avoir encore de beaux jours de­ vant elle.

41. Principaux avantages des codes d'investissement et régimes en douane, Ministère du Plan, Direction de la Planification, mai 1988, p. 19. LES ENCLAVES ESPAGNOLES 59

B3. L'aire de rayonnement Il serait erroné, à plus d'un titre, de penser que le rayonnement commercial qu'exercent les enclaves espa­ gnoles se limite à leur arrière-pays immédiat comme il serait exagéré de s'imaginer des circuits de distribution et de commercialisation inondés à l'échelle de tout le pays, par les marchandises de toutes origines déversées à Ceuta et Melilla. En fait, le rayonnement commercial des villes franches pourrait se comparer à une série d'ondes émises à partir de celles-ci et dont les effets décroisseraient à me­ sure que l'on s'en éloignerait vers l'intérieur du pays. 1. La première onde se situerait au niveau des villes frontalières, aux portes des enclaves, à quelques kilo­ mètres de Bab Sebta et de Beni Enzar (frontière de Me­ lilla). Il s'agit en l'occurence de Fnideq au nord-ouest et de Nador au nord-est. Ce sont-là des villes - en fait Fni­ deq est bien plus un gros bourg mal citadinisë2 qu'une ville - qui reçoivent le premier choc, des plaques tour­ nantes qui réceptionnent et redistribuent les marchandises de la contrebande dont elles 'sont la première étape. Pour l'essentiel, Fnideq, l'ancienne Castillego - véri­ 43 table cité-entrepôt, regorgeant de marchandises - vit de nos jours de sa proximité du marché franc de Ceuta dont elle n'est qu'un appendice artificiel. Nador également est largement dominée commercialement par Melilla, mais sans doute à une moindre échelle que Fnideq, ses res­ sources étant plus diversifiées: transferts de l'immigration, pêche, hinterland rural, etc. Les deux villes frontières ont en tout cas connu une croissance impres­ sionnante de leur population redevable en grande partie à leur fonction de centres redistributeurs des produits de contrebande, mais également au fait Qu'elles collectent le

42. Troin J.F., «Montagne8 et ville8 dan8 le Nord-Oue8t du Maroclt, Revue de l'Occident Musulman et de la Méditerranée, n • 41-42, 1986, p. 213. 43. Ibid. 60 FOUAD ZAIM ravitaillement plus ou moins clandestin des enclaves en produits vivriers : aussi de 3 015 habitants en 1960 la po­ pulation de Fnideq est-elle passée à 6 559 en 1971 (+53,7%), puis à 62 040 en 1982 (+56,2%)44. A Fnideq et à Nador, la contrebande a pignon sur rue. Contrebandiers et douaniers y coexistent dans une étrange promiscuité, faite de moments de relative permis­ sivité et de brefs sursauts répressifs. Au Souk Al Massira, le bazar de Fnideq - sans doute la plus grande concentra­ tion de boutiques écoulant des productions de contrebande du Maroc (l 320 boutiques à l'intérieur même du souk et 150 autres éparpillées en ville)45 - et à Nador - au marché municipal et au nouveau marché (plus de 1 000 boutiques) - des centaines de commerçants croulent littéralement sous les marchandises sorties des ports francs, submergés à lon­ gueur de journée de clients en provenance de tout le Maroc. C'est ici le règne, quasiment sans partage, du marché parallèle. 2. Le second niveau, la seconde onde, serait constitué essentiellement par Tétouan à l'ouest et Oujda à l'est, mais également, dans une certaine mesure, par Ksar-el-Kébir et Berkane. Certes, Tétouan et Oujda ne vivent pas uni­ quement de leur relative proximité de'Ceuta et Mélilla, il n'en demeure pas moins qu'une partie appréciable de leur «population active» dépend plus ou moins directement des revenus tirés de la contrebande. Dans les réseaux de la contrebande, Tétouan et Ksar­ el-Kébir à l'Ouest, Berkane et Oujda à l'Est, sont des places intermédiaires qu'approvisionnent directement Fni­ deq d'un côté et Nador de l'autre. L'axe Fnideq-Tétouan-

44. Centre d'Etudes et de Recherches Démographiques (CERD). La dyna­ mique démographique des centres urbains du Maroc, 1960-1982, Septembre 1987, Rabat. 45. Les données chiffrées relatives au nombre de boutiques ont été recueil­ lies par nous-mêmes auprès de l'Amine de chaque souk. LES ENCLAVES ESPAGNOLES 61

Ksar-el-Kébir est cependant incontestablement plus actif que l'axe du nord-est Nador-Berkane-Oujda, lequel ac­ cuse le déclin irrémédiable du trafic portuaire de Melilla: En 1987, il a ainsi été débarqué en volume 13 fois plus de marchandises à Ceuta qU'à Melilla, 3 500 000 tonnes pour la ville. franche du détroit, à peine 262 000 tonnes pour celle du Rif Orientar~6. En fait, c'est tout le Maroc médi­ terranéen qui est sous le giron commercial des enclaves espagnoles: à l'ouest, pas une ville, pas un bourg, qui n'ait son souk Sebta, à l'est pas un patelin qui n'abrite son souk Melilla. Les' principaux marchés de Tétouan, à savoir Bab rouader (la «petite Ceuta»), 765 boutiques et Hay al-Ma­ drassi, 480 à 500 boutiques, sont spécialisés presque ex­ clusivement dans les productions issues de Ceuta; les marchandises sont quasiment les mêmes que celles de Fni­ deq à la différence près qu'elles ont déjà renchéri de 10 à 20%. A Oujda, Souk Melilla, avec ses 400 échoppes, approvisionne l'Est marocain en productions de contrebande, mais également l'Ouest algérien. Au nord­ ouest, il est à noter le développement remarquable du Souk .Sebta de Ksar-el-Kébir qui, pour des raisons di­ verses, s'est activé au cours des cinq dernières années et compte de nos jours pas moins de 250 boutiques approvi­ sionnées au grand jour par les bragdia de Fnideq. Par contre, tout se passe comme si la chape douanière se faisait infiniment plus pesante et pointilleuse à mesure que l'on se rapproche de Tanger. Certes, l'on trouve bien dans le Grand Socco, à Ain Kteaout (rue du Mexique) ou dans le petit Socco, dans le Foundouk Al Chayra ou dans le Souk ad-dakhlani} de la ville quelques boutiques qui écoulent des marchandises en provenance de Fnideq, le phénomène n'est cependant en rien comparable et n'a en tout cas pas l'ampleur qu'il revêt à Tétouan. L'enjeu étant

46. Eapana, Anuario EatadiBtico, INE, 1988, pp. 831-833. 62 FOUAD ZAIM manifestement de protéger, derrière un barrage douanier efficace, d'une concurrence par trop déloyale, le tissu re­ lativement dense, et vulnérable, des industries de tranfor­ mation de la province et les milliers d'emplois qu'il pro­ cure: Tanger était ainsi en 1988, de par le nombre d'«établissements industriels» (301) et de par les effectifs employés (19 021) le quatrième foyer industriel du Maroc, 47 après .Casablanca, Rabat et Fès • 3. Enfin, la troisième et ultime onde est constituée par des cités situées nettement plus à l'intérieur du pays, à sa­ voir Kénitra, Rabat, Casablanca, Fès, Meknès, Taza, etc. Dans cet intérieur que les gens du nord appellent Ad-da­ khil, les effets dù rayonnement commercial des villes franches espagnoles se sont faits infiniment plus faibles, même s'ils ne sont pas inexistants Certaines kissarias de Kénitra (qui a également son Souk Sebta), de Rabat (Bab El Rad, Chicago) et de Casablanca (Joutia de Derb Gha­ lef, Kissaria't Benkirane...) abritent bien quelques com­ merces et nombre de camelots, écoulant entre autres, des marchandises de Ceuta ou de Melilla - Téléviseurs, vi­ déos, montres, lunettes, friperie... - et qu'approvisionnent généralement des pourvoyeurs empruntant les lignes d'autocars et de taxis en provenance de Tétouan et de Na­ dor, mais les quantités sont relativement dérisoires (à l'exception de la joutia de Derb Ghalef où le nombre d'échoppes écoulant les marchandises de Fnideq est loin d'être négligeable) et les prix sensiblement plus élevés. Ici, les circuits commerciaux réguliers ont manifestement re­ pris gain de cause. Une autre forme de contrebande pro­ lifère, celle qui s'effectue au sein même des ports à coup de fausses déclarations et de documents falsifiés.

47. Ministère du Commerce et de l'Industrie, Administration de l'industrie, Situation des industries de transformation (Exercice 1988), pp. 12-13. LES ENCLAVES ESPAGNOLES 63

4 8 .- Une économie locale dominée Les effets de ce rayonnement commercial sont depuis longtemps perceptibles dans les provinces limitrophes des enclaves (Tétouan et Nador) et en fait à l'échelle de tout le Maroc méditerranéen (provinces de Tétouan, Chef­ chaouen, Al-Hoceima et Nador). 1. Au niveau des provinces mitoyennes et du Maroc méditerranéen dans son ensemble, la domination commer­ ciale quasi-exclusive qu'exercent Ceuta et Melilla affecte sérieusement un tissu régional de petites et moyennes in­ dustries par ailleurs déjà bien peu étoffé. Bien rares sont en effet les «unités» industrielles - en l'occurrence le plus souvent ici des industries de transfor­ mation légères - qui peuvent éclore, survivre et prospérer dans un tel microcosme commercial, caractérisé par l'existence de circuits de -distribution et de commercialisa­ tion parallèles, suralimentés de production de contrebande. Le bas prix relatif des marchandises issues des villes franches et leur meilleure qualité - eu égard à ce qui se produit, on pourrait à terme se produire localement - in­ terdisent le plus souvent l'émergence et la survie de pe­ tites unités industrielles de transformation, du fait que nombre de produits qui seraient susceptibles d'être fabri­ qués localement - ceux dont la production ne nécessiterait pas à priori un investissement très massif: biscuits, conserves, chocolateries, confiseries, articles de toilette, de sport, verreries, couvertures, petite électronique, etc.­ sont introduits en quantités considérables à partir des en­ claves. D'où un double constat afférent au tissu industriel des provinces méditerranéennes, notamment celles limitrophes des villes franches: le «tissu» des petites et moyennes in­ dustries de transformation, en partie phagocyté par la proximité de Ceuta et de Melilla, n'arrive pas à se densi­ fier d'une manière significative. Sans doute cela n'est-il 64 FOUAD ZAIM pas redevable à la seule présence des enclaves - l'absence d'un grand port au voisinage de Tétouan (M'diq à 14 Km n'est qu'un simple petit port de pêche), l'éloignement et la difficulté des liaisons terrestres entre Nador et l'intérieur expliquent, entre autres raisons, le peu d'attrait qu'exercent les deux provinces auprès des investisseurs potentiels. Nul doute cependant qu'une telle proximité n'y contribue pour beaucoup. Ainsi du plus récent des rapports sur la situation des industries de transformation qui ait été publié par le Mi­ nistère du Commerce et de l'Industrie, il ressort que les provinces de Tétouan et de Nador abritaient avec 108 et 94 «unités» respectivement 2,1 % et 1,8% des établisse­ ments industriels du pays. Ce qui peut paraître non négli­ geable vu l'état des industries de transformation en dehors de la Wilaya de Casablanca. Ce qui l'est moins quand on sait que 30 à 40% de ces établissements industriels sont de simples boulangeries et que près de 60% emploient moins 48 de 10 ouvriers , les 202 établissements industriels des deux provinces participaient pour 5% à la valeur ajoutée et pour· 2,4% à l'emploi industriel national. Quant aux provinces d'Al Hoceïma et de Chefchaouen, elles appa­ raissent comme «sinistrées» du point de vue industriel au point que le nombre de leurs établissements - respective­ ment 28 et 3 est intégré aux diverses autres provinces. Enfin, s'il devait être tenu compte de tout le poids indus­ triel de Tanger, et subsidiairement de celui d'Oujda, le Maroc méditerranéen dans le sens le plus large, abritait à peine 12% des établissements industriels du pays contri­ buant pour Il% à la valeur ajoutée et pour 10% à l'emploi 49 industriel .

48. Situation des industries de transformation (exercice 1988), op. cit., pp. 12 et IS, cf. tableaux. 49. Ibid. cf. Tableaux. LES ENCLAVES ESPAGNOLES 65

SITUATION DES INDUSTRIES DE TRANSFORMATION PAR PROVINCE, 1988

économiques Nombre Effectif Product. Exportal. Valeur Investis- d'établi.- IOtaI ajoutée sernents I~~Provinces sements ou Préfectures Wilaya de Casablanca 2574 178114 41754 6508 13986 2013 Safi 101 17101 6485 4298 1434 360 EL Jadida 57 6856 6128 4535 1341 447 Kénitra 124 13915 3909 853 1297 171 Wilaya de Rabat 349 26726 3118 426 913 118 Fès 342 20249 3056 509 878 397 Tanger 301 19021 2798 472 818 294 Asadir 165 12978 2292 500 591 168 Nador 94 2610 2168 11 721 49 Meknès 136 9549 1944 289 505 59 Marrakech 172 10718 1865 473 535 118 Oujda 123 5929 1858 504 467 63 Télouan 108 6021 1737 84 551 82 Béni Mellal 27 5 118 1069 202 325 102 Larache 34 4757 871 224 270 38 Sellai 57 2637 649 78 127 35 Tan-Tan 6 1505 386 323 311 24 Sidi Kaccm 20 1 116 368 9 74 30 Khouribra 23 788 358 103 76 21 Essaouira 36 2207 286 60 54 9 Taroudant 14 2871 188 132 65 7 Timil 18 283 188 0 Il 1 Khémissct 14 1082 170 17 48 32 El Kclaa des Sraghna 8 254 141 6 5 2 Ben Slimanc 26 871 138 22 37 8 Taza 35 588 108 3 14 3 Autres provinces 79 1240 216 30 31 10

Total 5043 355104 84248 20671 25485 4661

Sour(.'e : Situation des induslrics de lransfonner, Excrcice 1988. Ministère du Commerce el de l'Industrie, Octobre 1989, pp. 12-13. 66 FOUAD ZAIM

Pourtant, le code des investissements industriels de 50 1983, toujours en vigueur en 1990 , prévoyait bien un 51 certain nombre de dispositions, a priori alléchantes ­ sous forme d'exonération d'impôts, de primes à l'achat de terrains... - pour les entreprises qui consentaient à investir dans les provinces considérées comme marginales d'un point de vue industriel. Le Maroc fut ainsi divisé en quatre zones d'inégal développement industrie152 et les provinces méditerranéennes - Tétouan (zone III) Chef­ chaouen, Al-Hoceima et Nador (Zone IV) - placées dans des zones (III et IV) amenées à bénéficier des encourage­ ments les plus significatifs.

50. Code des Investissements Industriels 1983 (édition 1990), Office pour le Développement Industriel (ODI), Rabat. 51. Dans le but d'encourager la déconcentration des investissements le CIl de 1983 prévoyait notamment: - Une exonération du droit d'importation, de la taxe spéciale et de la taxe sur les produits pour les entreprises qui consentaient à s'établir dans les zones III et IV. - Une exonération totale de l'IBP ou de l'IS pendant 5 ans et une réduc­ tion de 50% pendant les années suivantes (Zone IV). - Une exonération totale de l'impôt des patentes '(Zone III et IV). - Enfin une prise en charge partielle par l'Etat du coût du terrain affecté à l'entreprise industrielle: entre 25 et 50% dans la zone III en fonction du nombre d'emplois créés, 50% sans conditions de créations d'emplois dans la zone IV. 52. Les quatre zones étaient et demeurent: Zone 1: Préfecture de Casablanca-Anfa. Zone II : Préfectures de Hay Mohammadi-AIn Sebaa, Ben Msik-Sidi Oth­ man, AIn Chock-Hay Husani, Mohammedia-Zenata, Province de Bensli­ mane. Zone III: Préfecture de Rabat-Salé, Provinces d'Agadir, Fès, Kénitra, Marrakech, Meknès, Safi, Tanger et Tétouan. Zone IV: Al-Hoceima, Azilal, Beni-Mellal, Boujdour, Boulemane, Chef­ chaouen, EI-Jadida, El Kelia de Shragna, Errachidia, Essaouira, Es-Se­ mara, , Guelmim, Urane, Khénifra, Khémisset, Khouribga, Laayoune, Nador, Ouarzazate, Oued ed-Dehab, Oujda, Settat, Sidi Kacem, Tan-Tan, Taounate, Taroudant, Tata, Taza et Tiznit. LES ENCLAVES ESPAGNOLES 67

Les résultats - sans être négligeables puisque le nombre des établissements industriels des provinces de Tétouan et de Nador est passé respectivement de 59 et 57 «unités» en 198358 à 108 et 94 unités en 1988 - est loin d'être à la hauteur des encouragements consentis. Un «tissu» industriel Qui n'arrive pas à s'étoffer, ni d'ai~leurs à se diversifier. En effet, seules réussissent à survivre dans un tel environnement, généralement plutôt mal Que bien : - Les entreprises Qui se sont délibérément orientées vers des productions non susceptibles d'être concurrencées par les marchandises jssues des villes franches à l'instar des minoteries, laiteries, fabriques de matériaux de construc­ tion, unités textiles, fabriques de vêtements en cuir et maroquinerie, etc. - Les entreprises dont la production est destinée exclusi­ vement à l'exportation. C'est le cas notamment des nom­ breuses usines de confection (Gomatex, Marsavet, Modex, Vet-Nord...) de vêtements en cuirs et maroquinerie (Nor­ vecuir) et des fabriques de collants et chaussettes (Temasa) de la zone industrielle de Tétouan, à capitaux le plus sou­ vent allemands. A ce titre, la lecture du plus récent des Répertoires des Etablissements Industriels du Maroc - celui de 54 1987 - est édifiante: ::. Dans la province de Tétouan, les établissements indus­ triels qui, de par les effectifs employés et le chiffre d'affaires, méritent d'être signalés sont des minoteries (au nombre de 4), une sucrerie (Caamsa, 151 employés), une laiterie (Colinnord), des fabriques d'articles d'ameublement (Texnor et Eurafrica Textiles, 263 em-

58. Répertoire des entreprises de l'industrie de transformation, année 1988, Ministère du Commerce et de l'Industrie, pp. 82-84 et 102-104. 54. Répertoire des établissemente industriels de 1987, Ministère du Com­ merce et de l'Industrie. Le répertoire de 1988 serait sous presse. 68 FOUAD ZAIM

ployés) et de chaussettes et bas (Temasa, 548 employés), des manufactures de confection (Comatex, 300 employés; Marsavet, 200 employés; Vet-Nord, 250 employés; Mo­ dex, 200 employés, etc.), une usine de papier (Papelera de Tetuan, 450 employés), des fabriques de matériaux de construction (au nombre de 15), une cimenterie (Cementos Marroqui, 144 employés) et deux fabriques de produits chimiques (Forfora Marroqui et Coelma). - Dans la province de Nador, les établissements industriels qui comptent sont toujours des minoteries (Beni Enzar et Ennasr, 144 employés), une sucrerie (Sucrafor à Zaïo, 216 employés), une fabrique d'aliments composés (la Codesa, 46 employés), une entreprise importante de laminage et grosse forge (la Sonasid, 560 employés), des fabriques de matériaux de construction (au nombre de 12), trois ma­ nufactures de textile et bonneterie (Seltex, Nadotex, Ri­ fotes), trois conserveries de poissons de petite taille tra­ vaillant épisodiquement. - Al-Hoceima et sa province abritent une biscuiterie de piètre importance, quatre conserveries de poissons, géné­ ralement à cours de matière première (la Méditerranéenne, Salmac, Simpa, Somico), et une fabrique de glace hy­ drique. Enfin Chefchaouen et sa province n'abritent quasi­ ment aucune industrie, si ce n'est une filature de laine employant 25 personnes. En définitive et dans l'ensemble des quatre provinces méditerranéennes, un «tissu» d'industries et de produc­ tions très peu diversifiées où l'on ne trouve ni de grandes biscuiteries, ni de conserveries de fruits et légumes, ni de conserveries de poissons actives, ni de fabriques de verre­ rie ou de lustrerie, ni de fabriques de produits d'entretien et de beauté (shampoings, parfums) ou d'articles de sport, ni confiseries, chocolateries et encore moins des unités de montage d'appareils électriques et électroniques (radios, LES ENCLAVES ESPAGNOLES 69

téléviseurs, électro-ménager...) autant de petites et moyennes industries qui auraient pu vraisemblablement éclore sans la promiscuité, fâcheusement déterminante, des ports francs. 2. La présence de ces corps étrangers que sont les en­ claves n'est pas sans avoir, d'un autre côté, de profondes répercussions sur le milieu rural environnant, notamment sur les communes voisines55 qui, depuis longtemps, se sont muées en banlieues marafchèresS6 de Ceuta et Melilla. Les deux places espagnoles, peuplées de près de 150 000 ha­ bitants - compte-tenu de leur population marocaine - exi­ gent, il est vrai, outre les denrées alimentaires importées de la péninsule (charcuterie, fromages, conserves, vins, etc.) un important ravitaillement en produits maraîchers frais, en fruits, en oeufs et en viandes. Afin de répondre à cette intense demande de ravitaillement57 de la part de Ceuta et Melilla, les zones agricoles limitrophes (vallée du Rio de Oro et de l'Oued à l'Ouest de Melilla... ), semblent s'être spécialisées dans une division du travail à l'échelle locale - une sorte d'économie de banlieue - dans l'approvisionnement plus ou moins clandestin des enclaves en produits agricoles frais; quelque chose comme un im­ mense potager au service des places espagnoles. Quotidiennement, une multitude de femmes, de cy­ clistes, de navettes de taxis, de camions, de nombreux services de cars amènent de l'ensemble des provinces de Nador et de Tétouan où des régions voisines, par quantités fractionnées et à peine visibles, des pommes de terre, des choux, des tomates, des laitues, des oranges" des oeufs et

55. Il s'agit notamment des communes de , Farkhana, Beni Chicker, Auanen autour de Melilla et celles d'El Fendek, El Mellaliyine, Khemis Anfra, SelIUla, etc. autour de Ceuta. 56. L'expression est de J.F. Train, «Le Nord-Eat du Maroc: mise au point régionale», in RGM, n· 12, 1967, p. 27. 57. Ibid, p. 27. 70 FOUAD ZAIM de la volaille, du grain nécessaire à l'élevage des vaches laitières dans le périmètre urbain. Le bétail destiné à l'abattage gagne par des voies discrètes les frontières de Ceuta et de Melilla à partir desquelles il disparaît à ja­ mais. Ces multiples petits trafics permettent à toute une population de survivre. Les autorités sont contraintes de fermer les yeux sur ces flux issus d'une région densément peuplée. 3. Cet état de fait ne se limite pas aux produits de la terre et au bétail puisque les cOtes méditerranéennes ma­ rocaines fournissent également leur provende quotidienne aux enclaves. En effet, une partie, semble-t-il toujours significative, des produits de la pêche effectuée par des bateaux marocains - en particulier, mais pas· ex­ clusivement, ceux rattachés aux ports méditerranéens (M'diq, Al-Hoceima, Nador-Beni Enzar, Ras Keb­ dana...)- prend le chemin de Melilla et de Ceuta, où elle contribue à alimenter en matière première les nombreuses conserveries de poissons et les usines de salaisons. Le phé­ nomène ne date sans doute pas d'hier et avait eté signalé dès 1967, par J.F. Troin à propos de la pêche effectuée sur le littoral à Nador: Ces activités (de p~che) en dehors de la Sebkha de Bou Areg (Mare Chica), occupent. nous l'avons dit, 80 bateaux et plus de 600 fi­ lets ont été dénombrés sur les côtes de la pro­ vince de Nador. La production est d'environ 12 000 t de poisson par an dont 80% sont ven­ dus à Melilla. Mais l'organisation du circuit du poisson est anormale: la plus grande partie de la provende. pêchée dans les eaux marocaines est débarquée à Melilla. Les sardines en par­ ticulier, ayant payé leurs taxes au port espa­ gnol, rentrent ensuite dans le territoire de Na­ dor, comme il a été signalé plus haut. Depuis LES ENCLAVES ESPAGNOLES 71

de nombreuses années, Nador réclame la créa­ tion de sa propre halle aux poissons et 58 l'inversion de ce circuit de ravitai/lement . Les deux places espagnoles sont en effet de grosses consommatrices en poissons de toutes sortes (sardines, mulets, rougets, dorades, calmars, crevettes, langous­ tines...)- qui trouvent, faute d'un marché local rémuné­ rateur, plus difficilement acquéreurs en dehors des en­ claves - que leur livrent en partie les chalutiers sardiniers et autres palangriers marocains. Ces derniers profitent de la même occasion pour s'y ravitailler en carburant, en 59 glace , et parfois même pour y effectuer les travaux d'entretien et de réparation de leurs bateaux60 Dans ce circuit, le plus aberrant, à priori, est qu'une partie du produit de la pêche marocaine en Méditerranée, réalisée par des bateaux marocains, après avoir été débar­ quée à Melilla et à Ceuta, livrée à des conserveries de poissons espagnoles mais employant une main-d'oeuvre 61 presque entièrement marocaine , entre à nouveau, trans­ formée en conserves sur le territoire marocain pour ra­ vitailler Nador, Fnideq, Tétouan et leurs environs.

58. Troin, J.F., «Le Nord-Elt du Maroc: mile au point régionale», in RGM, n '12, 1967, pp. 22 et 29. 59. On peut lire danl une monographie de la province d'Al-Hoceima pu­ bliée par le Miniltère de l'intérieur et datée d'octobre 1981,'ce qui luit (parmi lei problèmes infrastructurels du port d'AI-Hocelma) : «Lei beloins actuell de la flotille de pêche locale en glace le chiffrent à 80t/j, alors que 1. fabrique locale ne produit que 12 à 20 t/j, ce qui amène la flotille à l'approvisionner auprès de Melilla et Ceuta, et qui occasionne une perte de journéel de travail et une fuite importante de devilel (p. 40)>>. 60. Dans la même monographie, on peut lire ceci également: «La cale lèche existante (du port d'Al-Hoceima) est exigul! et manque d'équipement adéquat pour recevoir lei chalutiers et lardiniers de taille courante (60 à 80 tx), ce qui oblige actuellement lei professionnels à emmener à Melilla ou Ceuta leurs bateaux pour qu'ils lubilsent les travaux d'entretien et de ré­ paration courants» p. 89. 61. Seddiki A., «Une visite à Melilla occupée» in AI Bayane du 8.04.1982, p. S. 72 FOUAD ZAIM

Sans doute cette fuite d'une part des produits de la pêche est-elle de nos jours moins systématique. La construction et la mise en exploitation à partir de 1978 du port de Nador-Beni Enzar - doté d'une halle de poissons, d'un entrepôt frigorifique et d'une fabrique de glace hy­ 62 drique - de ceux plus modestes de Ras Kebdana (1980­ 68 81) et d'El Jebha , ainsi que l'activité du port de pêche de M'diq ont limité l'hémorragie, sans toutefois arriver à l'arrêter. Le circuit que décrivait J.F. Troin est toujours en vigueur et explique - ne serait-ce qu'en partie64 - non seulement la faiblesse des quantités pêchées par les ba­ teaux marocains en Méditerranée (7,3% de l'ensemble de la pêche côtière marocaine en 1989) mais également la baisse de la production au cours des dernières années :

PORTS MEDITERRANEENS

Productlos de la pkbe cOtitre • 1916·1989 (es to..es) ~ 1986 1987 1988 1989

_Kebdana 6 S20 4461 4362 2992 Nodcr·Beni Enur 14601 11 693 8779 10639 AI Hocerma et Cala !ria 10468 16887 10010 9674 El Jebha 1 1S8 886 1194 1790 Ouodllou 76 6S 92 78 Monil 44 31 444 33 M'diq 48S2 SS60 3m SOIS

To'" porlI m6lilenm6enl • Poids 37 721 39 S83 288S2 30291 · Voleur (1 000

To"'N_ • PoidI 444 802 367 900 423061 410100 · Voleur (1 000 DII) 781 728 823 100 9SS 121 1 OIS 700

Sou.... :• Office NIlionoI cIoo PIc:hoa. Bu1Ieân AIlIIuoJ. 1989. pp. 7·IS - MiniaIke cIoo Pkt- Moritimel ., do 1. Morino Mon:honde.

62. AMIM, Annuaire Maritime et Industriel du Maroc. 68. Ibid. 64. Une autre cause en serait le déplacement des bancs de poiBBon vera l'Atlantique, notamment l'Atlantique-Sud. LES ENCLAVES ESPAGNOLES 73

Il explique également le marasme, pour ne pas dire la faillite - que corroborent les chiffres sur la destination des produits de la pêche du Ministère de la Pêche Mari­ time et de la Marine Marchande - des rares conserveries de poisson du littoral méditerranéen marocain (trois dans la province de Nador, quatre dans celle d'Al Hoceïma, une à Tétouan), lesquelles, faute de matière première ont Pour la plupart une activité des plus périodiques.

PORTS MEDITERRANEENS

Destination des produits de la pêche

Années 1986 1987 1988 1989

Production totale des ports méditerranéens 37 721 39 583 28 852 30291

Destination : - Consommation (sous forme de poisson frais) 33 221 39071 28 581 30100

- Conserve 3319 330 41 2

- Sous-produits (farine. huile•....) 55 17 - Congélation - - - -

- Salaison 580 182 175 172

Source: - Office National des Pêches. Bulletin Annuel. 1989. p. 7. 74 FOUAD ZAIM

B5 - Effets au niveau national A l'échelle nationale, les effets de la présence et du rayonnement commercial des ports francs espagnols sont certes moins perceptibles, et sans doute moins nocifs qu'ils ne le sont dans le Maroc méditerranéen, ils ne sont pour­ tant pas à mésestimer ainsi que nous allons pouvoir en ju­ ger. 1. Sur le plan monétaire et financier, si les enclaves espagnoles ne sont pas à vrai dire de véritables places financières - les dépôts privés dans le système bancaire (banques privées et caisses d'épargne) y représentaient en 1987 à peine 0,29% des dépôts privés dans le système 65 bancaire espagnol - elles sont par contre des foyers im­ portants de change illégal. De petites fortunes, en dirhams ou en devises fortes, s'y convertissent quotidiennement, avec une intensité démultipliée durant les mois d'été à l'occasion de la ruée annuelle des travailleurs marocains à l'étranger; et ce, au grand dam des institutions monétaires et financières nationales. Si le phénomène n'est sans doute pas récent, il n'en a pas moins pris une certaine ampleur depuis le début des années 1960, en corrélatio'n avec l'intensification de l'émigration marocaine vers l'Europe; d'autant que les provinces du Maroc méditerranéen limitrophes des en­ claves (Nador, Al Hoceïma, Tétouan...) furent de grosses pourvoyeuses en migrants et qu'une partie non négligeable de leur population vit pour l'essentiel des transferts ef­ fectués par ces derniers.

65. Espana, Anuario Estadistico, 1988, pp. 875-877. LES ENCLAVES ESPAGNOLES 75

Dès lors, annu~llement, des dizaines de milliers de travailleurs marocains à l'étranger transitent à leur retour d'Europe par Ceuta et Melilla et y échangent, tout ou partie, des devises qu'ils ramènent à des taux souvent lé­ gèrement supérieurs à ceux qui leur seraient offerts par les organismes bancaires nationaux. De même que des milliers de travailleurs, d'étudiants et de touristes maro­ cains en partance pour l'Europe, et généralement dépour­ vus d'autorisations de change officielles, s'y approvision­ nent, au grand jour, en contrepartie de dirhams, en de­ vises à des taux toujours prohibitifs. A l'intérieur des places espagnoles des banquiers am­ 66 bulants , souvent de simples intermédiaires - des rabat­ teurs - vous accostent dans certains cafés ou à même la 67 rue et vous échangent, à la vitesse de l'électronique ,' vos dirhams, avec lesquels ils acquièrent ensuite des devises fortes auprès des travailleurs marocains de retour d'Europe - devises qui sont ensuite écoulées sur le marché noir marocain à des taux très élevés. Le système peut at­ teindre un certain degré d'organisation lorsqu'est pratiquée ce que l'on pourrait appeler une sorte de compensation trans-frontière: elle consiste en ce qu'un acheteur de de­ vises à Nador par exemple se fasse remettre celles-ci di­ rectement à Melilla, et à ce qu'un acheteur de dirhams à Melilla se fasse remettre ceux-ci à Nador; elle permet de transiter par les douanes sans courir le risque de porter Sur soi l'argent échangé et est pratiquée généralement par des commerçants qui ont pignon sur rue des deux côtés de la frontière, à Nador et à Melilla. Il est évidemment quasi impossible, du fait même des modalités de ce type de trafic sur des monnaies, de présenter une estimation, un tant soit peu sérieuse, de la valeur des capitaux échangés

66. Rachdi O., «Nador en quête d'avenin, in Lamalif, n' 16, 1967, p. 14. 67. Seddiki A., «Une visite à Melilla occupée...•, in Al Bayane du 8 avril 1982, p. S. 76 FOUAD ZAIM illicitement au sein des enclaves. Il n'est qu'une seule vé­ ritable certitude: une masse sans doute considérable de devises «s'évapore» de la sorte, avant d'intégrer le système financier national, et s'en va alimenter «au nez et à la barbe» des autorités monétaires et financières concernées - Bank Al Maghrib, Office des Changes, Ministère des Finances... -, un marché occulte de devises fortes qui est à l'origine d'une hémorragie de capitaux non négligeable. Certes, depuis 1973, quelques mesures ont permis de circonscrire quelque peu le phénomène, notamment la démultiplication, dans certaines métropoles européennes (Paris, Bruxelles, Frankfort, Anvers...), de r~présentations de banques marocaines - en particulier la 68 Banque Centrale Populaire , mais également la B.M.C.E., la B.M.C.I. et plus récemment Wafabank et la BCM­ accordant un certain nombre d'avantages69 aux travailleurs marocains qui utilisent leurs services pour leurs transferts; le développement du transport aérien avec des tarifs spéciaux dissuadant le transit par les places espa­ gnoles ou encore l'obligation tacite - longtemps en cours à 70 la frontière de Melilla - de procéder au change d'une somme minimale de devises aux postes frontaliers. Ensemble de mesures qui ont peut":être contenu le mal, sans assurément l'éradiquer. 2. Sur le plan commercial, la contrebande qui sévit à partir des ports francs n'est pas sans avoir des effets per-

68. En 1988, sur 10 700, " millions de dirhams rapatriés par les travailleurs marocains à l'étranger, 6 005 millions soit 56,1% l'ont été par le biais de la Banque Populaire, le reste se partageant entre les autres banques (BMCE, BMCI, Crédit du Maroc, etc.). 69. Longtemps la Banque Populaire a offert à sa clientèle de T.M.E. un taux de change préférentiel, de nos jours l'avantage se réduit à un compte chèque rémunéré par un intérêt de 8% versé sur les transferts effectués. 70. Longtemps, notamment à la frontière de Melilla, la douane marocaine a obligé les travailleurs marocains revenant d'Europe, à échanger l'équivalent de 2 000 DH par année passée hors du pays. Cf. Rachidi O., op. cit., p. 15. LES ENCLAVES ESPAGNOLES 77

vers au niveau nat~onal. En effet, elle désorganise, très loin à l'intérieur du pays, les circuits de distribution et de commercialisation réguliers. Elle ne manque pas d'affecter sérieusement, sur le plan national, certains secteurs indus­ triels à l'instar de l'industrie textile ou encore celle du matériel et appareillage électrique et électronique. Elle constitue, du fait que son produit échappe pour l'essentiel aux droits de douane et au fisc, un manque à gagner sub­ stantiel pour le trésor public. C'est ainsi qu'en 1982, le chiffre d'affaires global de la contrebande avait été estimé comme de l'ordre de 4 à 5 milliards de dirhams, le manque à gagner pour le trésor étant cette année-là de 5 milliards de dirhams; ce qui re­ présentait alors 40% du montant des crédits à l'investissement (12,4 milliards de Oh) et plus du double des crédits réservés au titre de la Caisse de Compensa­ 71 tion . Quelques années plus tard, en 1986, selon des esti­ mations présentées comme fiables, la contrebande aurait atteint un flux de 5 à 6 milliards de dirhams - dont à peu 72 près un milliard pour le textile - avec un manque à ga­ gner du même ordre de grandeur en droits de douane et impôts pour le trésor; ce qui représentait alors l'équivalent de près du sixième du budget annuel du pays et - en terme de commerce extérieur - de près du quart des exportations (22 milliards de Oh) et de près du sixième des importations (34 milliards de Oh13). Enfin, plus récemment encore, en février 1990, le chiffre de 9

71. Hajjami T., Le phénomène de la contrebande au Maroc, op. dt., p. 6 ; Annuaire Statistique du Maroc de 1983, p. 393 (pour les dépenses d'investissement en 1982). 72. Anonyme, «Textilu, un milliard de contrebande», in Lamalif, n -176, 1986, p. 66. 13. Naciri M., «Les villes méditerranéennes du Maroc: entre frontières et périphériu», in Herodote, «Alertes en Méditerranée», n - 46, 1981, p. 132 j Annuaire Statistique du Maroc, 1987. Cf. également J.F. Clément, «Maroc: les atout. et le. défis de la monarchie», in Maghreb: les années de transition, éd. Muson, 1990. 78 FOUAD ZAIM milliards de dirhams de chiffre d'affaires aurait été avancé par le Ministre du Commerce et de l'Industrie, 7 M. Azmani, devant le conseil de gouvernement ., ce qui correspondait à l'équivalent des droits de douane perçus en 1988 (8,64 milliards de Oh) ou encore à la valeur glo­ bale des importations en provenance de la France, princi­ pal partenaire commercial du Maroc (8,69 milliards de Oh en 1988). Ces données globales et naturellement imprécises, qui sont censées concerner toutes les formes de contrebande, quelles qu'en soient Ces foyers, sont, cependant, aux dires même de ceux qui en sont à l'origine, des estimations par définition grossières, compte-tenu de la nature totalement informelle de la matière que l'on tente de quantifier. Cela étant, ils témoignent au moins d'une certaine amplification du phénomène, désormais reconnue officiellement. 75 Une récente note sur la contrebande , réalisée au dé­ but de l'année 1990 à la suite d'une série d'enquêtes par la Direction du Commerce Intérieur du Ministère du Com­ 76 merce et de l'Industrie - confirme l'étendue du phéno­ mène et permet de dégager des enseignements moins su- perficiels sur son impact au niveau national. . La note en question tente d'estimer le chiffre d'affaires de la contrebande par produits et types de pro­ duits. Partant des données connues sur la production totale et sur l'importation d'un produit ou d'une série de pro­ duits, ainsi que d'une estimation du chiffre d'affaires glo­ bal réalisé sur ceux-ci, l'étude en tire une estimation en

7•. Habriche M., «La contrebande des produits manufacturés tournerait autour de 9 milliards de dirhams», in AI Bayane, S février 1990. 75. Note sur la contrebande, Annexe II, estimation du chiffre d'affaire de la contrebande selon la première méthode, Direction du Commerce Intérieur, Ministère du Commerce et de l'Industrie, 1990. 76. Il ne nous a pas été possible d'avoir accès à l'ensemble de la note, nous n'avons pu disposer - ce qui est peut-être le plus utile - que des tableaux statistiques. LES ENCLAVES ESPAGNOLES 79

pourcentage et en v~leur de la contrebande. De la note de la Direction du Commerce Intérieur, il ressort que : a. les secteurs les plus affectés en parts de marché ­ pourcentage du chiffre d'affaires relevant de la contre­ bande - sont : - le matériel et appareillage électrique et électronique et notamment des produits tels que les magnétoscopes et cassettes vidéo (95% du chiffre d'affaires), les radios, ra­ dio-cassettes, chaines Hi-Fi, antennes T.V. et amplifica­ teurs d'antennes (90% du C.A.), les machines à calculer (90%), le petit appareillage électroménager (80%)77 et les cassettes audio (80%), les téléviseurs (60%). - Les soieries (80%). - Les instruments de précision, notamment les montres et les horloges (80%). - Les produits d'entretien et de beauté, particulièrement les parfums et autres produits féminins (60%). - Certains produits alimentaires, notamment le fromage (50%) et la chocolaterie (40%), ainsi queles-spiritueux (50%). b. Les secteurs les plus affectés du point de vue de la valeur globale des marchandises de contrebande écoulées sont: - Plus d'un milliard de dirhams: le matériel et appareil­ lage électrique et électronique ; le textile, la bonneterie et la confection. - Entre 0,5 et 1 milliard de dirhams: les produits d'entretien et de beauté (parfums, shampoings, rasoirs...). - Entre 0,25 et 0,5 milliard de dirhams : les produits de l'industrie alimentaire (fromage, confiserie, chocolaterie, biscuiterie, jus de fruits, riz...) plus les spiritueux.

77. Il s'agit principalement du petit 61edro-m6nager (Moulinex, robots de cuisine, etc.). 80 FOUAD ZAIM

- Entre 0,1 et 0,25 milliard de dirhams: les espadrilles, chaussures et autres articles chaussants; les pièces déta­ chées pour voitures, cycles et motocycles: la verrerie-lus­ trerie, les ouvrages en métaux (coutellerie, ustensiles de ménage...) et la quincaillerie.

Conclusion Cela étant, le Maroc méditerranéen serait-il condamné par on ne sait quelle fatalité à demeurer éternellement, fatidiquement, un fragment du territoire national sans présent et sans devenir, synonyme dans l'imaginaire col­ lectif de contrebande, mais également de drogue et d'émigration. " Au-delà du diagnostic - de plus en plus communé­ ment admis de nos jours - la frange méditerranéenne a-t­ elle véritablement une vocation, un rôle à jouer dans l'organisation spatio-économique du pays? Pourrait-elle redevenir pour le Maroc, au tournant du XXle siècle, dans le contexte géopolitique actuel et dans celui des rapports de force économiques caractérisant aujourd'hui le bassin de la Méditerranée occidentale -, ce qu'elle fut durant les siècles précédant le Xye, autrement dit un atout supplé­ mentaire dans la nouvelle redéfinition des rapports Nord­ Sud (Europe latine-Maghreb) et Sud-Sud (Union du Maghreb Arabe) qui, timidement encore, semblent se re­ dessiner à l'échelle de la Méditerranée occidentale. Il n'y a pas de région naturellement vouée, par l'on ne sait quel déterminisme géographique de mauvais aloi, à la marginalité et au dénuement. Même si la géographie phy­ sique, le relief, peuvent un moment être un handicap sé­ rieux, un ralentisseur pour le développement, ne serait-ce que par la multiplication des coOts infrastructurels qu'ils occasionnent nécessairement. N'a-t-on pas déjà vu de par le monde des régions autrement plus désolées et inhospi­ talières, désertiques et/ou montagneuses (le Massif Central LES ENCLAVES ESPAGNOLES 81

en France, la côte adriatique Yougoslave, le littoral anda­ lou...), devenir ou redevenir des régions attractives créa­ trices de richesses insoupçonnées et d'emplois, de par la seule ingéniosité des hommes. Au-delà de toute passion et de toute emphase, une «économie de substitution» à l'«économie de survie» (ba­ sée sur la trilogie infernale contrebande-kif-émigration) qui soit fondée sur les richesses et les lignes de force po­ tentielles de la région aurait des chances réelles d'éclore si l'imagination, la volonté politique, la mobilisation des énergies et des moyens matériels se donnaient in­ telligemment rendez-vous. Nul doute que la région ait des atouts et d'abord son littoral, long de près de cinq cents kilomètres, à quelques encablures de l'Europe communautaire. Il y a là en germe une fonction maritime à assumer, une vocation de terre de passage et de contact avec le monde occidentalo-méditer­ ranéen, fondée sur la pêche, les activités portuaires, le trafic maritime de marchandises et de passagers. Sans doute les quantités de poisson pêchées dans les eaux méditerranéennes du Maroc sont-elles aujourd'hui quelque chose de négligeable par rapport à la production réalisée sur les littoraux atlantiques: à peine 7 à 12% selon les an­ nées de la pêche côtière réalisée au niveau national entre 1980 et 1989. Sans doute les eaux méditerranéennes ne sont-elles pas parmi les plus poissonneuses du littoral marocain, ceux de l'Atlantique-Sud le sont infiniment plus. Mais il est certain que le poisson pêché sur la médi­ terranée marocaine est globalement d'une qualité supé­ rieure à celui pêché sur les ~Otes atlantiques; au cours des cinq dernières années la tonne de poisson pêchée en Mé­ diterranée avait une valeur moyenne de 4 226 Dh tandis que le prix moyen de la tonne de poisson pêchée sur l'ensemble des eaux maritimes marocaines était deux fois moindre, très exactement 2 133 Dh. La proportion de 82 FOUAD ZAIM

poisson benthique (bogue, merlu, loup, pageot, rouget, etc.) d'une valeur nettement supérieure à celle du poisson industriel (sardine, anchois, maquereaux, thonidés) est bien plus importante sur le littoral méditerranéen. Il y a là un gisement halieutique, riche en poissons de qualité, à exploiter si 'un certain nombre de conditions étaient ré­ unies : multiplication des quais de pêche, équipés en halles à poisson, en entrepôts frigorifiques, en fabriques de glace hydrique, en cales de halage et en ateliers de réparation et de maintenance. Surtout s'il était fait en sorte qu'une par­ tie de la pêche réalisée par les chalutiers marocains ne soit plus transbordée à Mellila et à Ceuta pour approvisionner les conserveries espagnoles, tandis que les conserveries de Nador et d'AI-Hoceima vivotent faute de matière pre­ mière. Une relance de la pêche côtière à partir des ports méditerranéens serait ainsi des plus opportunes, d'autant que le secteur est éminemment créateur d'emplois en mer et encore plus sur terre (conserveries, usines de salaison, fabriques de glace, entretien des chalutiers...). D'un autre côté il y aurait également un effort à faire au niveau de l'infrastructure portuaire. De nos jours le trafic maritime - mouvement de navires de commerce, de marchandises et de passagers - effectué dans les ports méditerranéens est quasiment insignifiant (entre 3 et 4,5% selon les années du trafic maritime des ports marocains entre 1980 et 1988). La nullité de ce trafic a diverses ex­ plications : le seul port de la façade méditerranéenne vé­ ritablement équipé pour accueillir des navires de com­ merce et de gros tonnage est celui de Nador-Beni Enzar ; et encore la part de celui-ci dans le trafic maritime réalisé au niveau national est-elle des plus modiques. M'diq et Al-Hoceima sont de simples ports de pêche, de plaisance ou de cabotage, sans parler d'El Jebha et de Ras Kebdana qui sont tout au plus des débarcadères. En outre l'ensemble de ces «ports», à l'exception de celui de Na- LES ENCLAVES ESPAGNOLES 83

dor, est sous-équipé en ouvrages portuaires (grues, éléva­ teurs, chargeurs, remorqueurs, vedettes...) comme en ins­ tallations spécialisées (hangars, entrepôts frigorifiques, fa­ briques de glace...). Pour que le littoral méditerranéen re­ vive il faudrait construire d'autres ports de commerce ét de transit à l'instar de Nador-Beni Enzar, les sites ne manquent pas pour cela (à Oued Laou, El Jebha, Badis, Cala Iris, la baie d'AI-Hoceima...); mais il ne servirait assurément à rien de renforcer l'infrastructure portuaire si celle-ci demeurait enclavée derrière la barrière rifaine, déconnectée de l'intérieur du pays. Les ports sont indis­ sociables de leur substrat terrestre et leur renouveau passe par le renforcement et la rénovation du réseau routier qui lie la façade méditerranéenne aux villes de l'intérieur, Oued Laou à Tétouan, El Jebha et Al-Hoceima à Fès, Nador à Taza, Oujda et Fès. Comment ne pas penser également aux potentialités touristiques de la région. Il y a incontestablement là un gisement d'une exceptionnelle qualité. Le littoral médi­ terranéen est jalonné de dizaines de plages et d'une my­ riade de criques d'une rare beauté qui ne demandent qu'à être aménagées intelligemment. Sans doute cet aménage­ ment est-il. déjà amorcé sur la «côte de Tétouan» entre Fnideq et Cabo Negro, sous des formes diverses (Club Méditerranée, Hôtels-résidences, marinas...), mais partout les effets sur l'économie locale semblent minimes: «ces implantations multiformes... échappent à l'espace régional. Les leviers de commandes sont ici à Casablanca, à Rabat, à Fès, à l'étranger». Une politique touristique pour le lit­ toral méditerranéen se doit d'être intégrée à un plan de développement d'ensemble de la région afin d'éviter tout saupoudrage anarchique ainsi que les excès de la spécula­ tion foncière ; un tourisme qui soit créateur d'emplois d'abord pour les habitants de la région, qui soit respec­ tueux du cadre écologique et environnemental et qui ait 84 FOUAD ZAIM autant d'effets d'entraînement que possible sur l'économie de la région. L'agriculture pourrait aussi apporter sa contribution au renouveau du Maroc méditerranéen, fut-elle modeste. Sans doute les superficies cultivées ou susceptibles de l'être sont-elles très restreintes dans les provinces médite­ ranéennes et les terres irriguées encore plus. Sans doute la propriété est-elle ici morcelée, parfois à l'infini. Sans doute l'érosion a-t-elle fait dans certaines zones des dé­ gâts considérables. Mais la région dispose d'un réseau hy­ drographique relativement étoffé. N'a-t-on pas fréquem­ ment comparé le Rif à un «chateau d'eau» ? Si l'eau pou­ vait être mobilisée et utilisée plus judicieusement, si des méthodes de cultures et de labours. plus rationnelles étaient pratiquées, si certaines cultures pouvaient· être encouragées, si les capitaux nécessaires étaient savamment mobilisés, pourquoi la région ne pourrait-elle pas à terme s'autosuffire, comme c'est le cas de certaines zones d'Andalousie aux caractéristiques géo-morphologiques comparables, devenues de nos jours exportatrices de cer­ taines productions agricoles de type tropical. L'industrie des provinces méditerranéennes est certes de nos jours· bien embryonnaire. Les provinces de Nador et de Tétouan abritent bien des zones industrielles mais celles de Chefchaouen et d'AI-Hoceima sont à ce titre absolument sinistrées. L'ensemble subit la domination commerciale de Sebta et de Melilla, et bien rares sont les industries - en général ici des petites et moyennes entre­ prises de transformation - qui arrivent à prospérer dans un environnement commercial dominé par le marché pa­ rallèle. Dans les quatre provinces du Maroc méditerra­ néen, l'industrie procure à peine 8 000 emplois environ. Le développement de l'industrie de la région passe par une efficience plus grande du tissu des entreprises qui doit pouvoir devenir plus performant tant au niveau des LES ENCLAVES ESPAGNOLES 85

prix qu'au niveau de la qualité, par le renforcement des Z.I. de Tétouan et de Nador ainsi que la création de zones d'activité économique (Z.A.E.) à Chefchaouen et à AI­ Hoceima, par la multiplication des encouragements à la déconcentration des investissements. Mais rien de tout cela ne pourra émerger et se déve­ lopper, ni la pêche côtière, ni les activités portuaires, ni l'agriculture ni les zones industrielles et encore moins le tourisme si le problème de base, à savoir celui des com­ munications n'est pas réglé. Tant que le littoral méditerra­ néen demeurera enclavé, tant que l'état du réseau routier, dans les axes Nord-Sud et Est-Ouest, demeurera ce qu'il est, tant que le réseau des communications n'aura pas été renforcé et densifié, il serait vain d'imaginer une quel­ conque renaissance du Maroc méditerranéen. Reste en définitive le sempiternel problème de Ceuta et de Melilla. Ces dernières enclaves ne sont certes pas à l'origine de tous les maux de la région, mais elles y ont leur large part. Elles sont, nous l'avons vu, des foyers de contrebande et la plaque-tournante de toutes sortes de trafics (drogue, voitures volées, devises... ). Elles phagocy­ tent l'économie de la région et perturbent très loin à l'intérieur du pays les circuits de distribution et de commercialisation. Les effets de la contrebande sont de plus en plus nocifs et ne sont pas uniquement écono­ miques (mais également sociaux, sanitaires... ). Mais d'un autre côté, la contrebande est une base d'existence essen­ tielle pour une partie importante de la population. Imagi­ ner un instant que la récupération de Ceuta et de Melilla résoudrait les problèmes socio-économiques de la région, sans qu'entre-temps n'aient été créées les conditions de l'éclosion de nouvelles bases d'existences serait le plus grave des leurres. .,i- •. ~} ',.'

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Commentaire

Après la lecture du travail que le Professeur Fouad Zaïm a mis à notre disposition, je ne puis que lui exprimer mon admiration. Cette recherche est utile, opportune et vient à point nommé notamment pour celui qui a lu son ouvrage sur «le Maroc et son espace Méditerranéen» puisque si celui-ci a comblé un grand vide du point de vue de l'histoire écono­ mique et sociale. Il s'arrêtait à quelque chose près, là où commence et s'inscrit l'exposé qu'il nous soumet au­ jourd'hui. La réflexion et le fruit de sa recherche actuelle sont remarquables aussi par le fait qu'ils s'articulent autour ­ mais pas seulement - du phénomène de la contrebande comme révélateur de la réalité d'une région et comme outil explicatif de sa stagnation et de son dynamisme. Je n'aurais donc, pour ma part. à formuler que quelques réflexions et idées que ce travail m'a suggérées, peut-être aussi quelques éléments supplémentaires à verser au débat. Mon intervention voudrait dans un premier temps reve­ nir au travail lui-même, et dans un deuxième temps, traiter de quelques idées dans le but d'élargir le débat initié par M. Zaïm. Pour revenir donc à cette étude, j'avoue que j'ai été à 88 MOHAMED LARBI BEN OTHMANE plusieurs reprises surpris par la délimitation qu'elle fait de ce Maroc méditerranéen, expression très souvent utilisée et même soulignée en titre. Cet espace irait de Ksar Es-Se­ ghir à la Moulouya sinon comprendrait les quatre provinces de Tétouan, Chefchaouen, Al-Hoceima et Nador, ce qui re­ vient au même. Cette restriction ne me paraît conforme à aucune· réalité, ni géographique, ni historique, ni sociolo­ gique, ni même diplomatique. La province d'Oujda a bien un littoral méditerranéen, un arrière-pays méditerranéen, des populations méditerranéennes et le fait qu'elle s'étend vers le Sud n'enlève rien à tous ceux-ci de leur mé­ diterranéité. Il en est de même pour Tanger et de façon identique. D'ailleurs, certains traités internationaux éten­ dent la Mer Méditerranée à quelques miles au-delà du Détroit de Gibraltar et à certaines occasions le Portugal est compté parmi les pays méditerranéens. A titre anecdotique, les derniers Jeux Méditerranéens organisés au Maroc ont prévu des manifestations dans les villes de l'intérieur même .' il est vrai qu'à cette occasion avaient été curieuse­ ment oubliées Tanger et Oujda. Je voudrais aussi revenir sur le phénomène de la contrebande qui bien qu'assez sérieusement cer,!é laisse parfois une impression d'approche approximative. La gé­ néralisation est par moment surprenante. Le phénomène de III contrebande à Tanger me semble par exemple moins bien cerné " certes ailleurs, il est plus concentré, plus vi­ sible. A Tanger, il est sans doute plus important mais plus diffus, ses sources d'approvisionnement plus variées... De même, celui d'Oujda (décidément ce sont toujours les mêmes) ne semble pas avoir attiré votre attention non pas en relation avec Melilla, mais avec l'Algérie. Et pourtant, il y existe au même titre que les Souk Sebta et Souk Melilla, un Souk Djazaïr tout aussi florissant. J'aurai peut-être aussi souhaité une quantification ou au moins une tentative de quantification de ce phénomène COMMENTAIRE 89

qui sévit dans la région par rapport au reste du pays. Un phénomène me semble-t-il, n'est significatif que par rap­ port à un paramètre qui le rendrait plus parlant. Vous parlez du port de Casablanca, des ports du sud. mais quelle y est l'ampleur de la contrebande? De même. l'étude offre des précisions pertinentes sur les retombées du phénomène, mais les causes, les racines du mal me semblent avoir été peu dégagées. Je pense qu'il aurait été utile de tirer par exemple une corrélation entre les bas prix et la meilleure qualité des produits de la contrebande. d'une part, et les conditions de vie dans la région et le POuvoir d'achat des citoyens. d'autre part. Dans le même registre et en revenant au titre de l'étude qui porte sur l'économie du Maroc méditerranéen. il est au moins deux autres phénomènes qui me semblent caractéri­ ser aussi cette région et qui sont absents: celui de l'émigration traitée presque en filigrane et celui de la drogue. Deux phénomènes majeurs qui peut-être condition­ nent déjà le devenir de cette partie du pays. Le deuxième aspect de mon intervention aux termes de laquelle je voudrais vous soumettre quelques idées. s'articule autour de deux axes qui s'interfèrent et s'imbriquent. Ces deux axes ne peuvent être qu'incomplets l'un sans l'autre puisqu'ils impliquent les principaux pro­ blèmes qui caractérisent l'ensemble méditerranéen et les difficultés qui en sont l'expression. l/ s'agit des notions d'intégration et d'ouverture. 1. Intégration et ouverture Intégration et ouverture veulent dire d'abord désencla­ vement par rapport à l'ensemble du pays. C'est-à-dire rendre cette région comparable (et non identique) aux autres, la relier au reste du pays par des moyens de com­ munications rénovés et développer ses ressources. Mais là réside déjà une principale difficulté. Car au­ delà de la volonté politique. les moyens sont ce qu'ils sont. 90 MOHAMED LARBI BEN OTHMANE

Le Maroc n'est pas l'Allemagne d'octobre 1990. En bref. l'économie du pays. mtme si elle enregistre quelques avancées, demeure fragile et très vulnérable. La croissance n'a été en 1989 que de 2.5%. inférieure donc à la poussée démographique. Les prix connaissent une hausse qui dé­ passe les prévisions. La dette continue de peser lourdement sur les finances publiques : 30% des recettes en devises sont absorbés par le seul service de la dette extérieure. Les inégalités se creusent inexorablement et des milliers de di­ plômés demeurent sans emploi. Reste certainement le sec­ teur informel, qui, semble-t-il, représenterait 30% environ du PNB. Il n'est pas plus qu'un palliatif qui nous ramène par la grande porte à la région méditerranéenne. Cette région participe. en effet, de ce déficit écono­ mique mais de façon plus accentuée puisque l'essentiel du pouvoir économique. les richesses, les infrastructures et les industries se concentrent sur la façade atlantique, particu­ lièrement dans l'axe Kénitra-Casablanca. Elle participe aussi d'un autre déficit moins visible mais révélateur. celui ayant trait à la réflexion. Si globa­ lement certaines autres régions du pays font l'objet d'attention donnant lieu à des recherches. études ou mono­ graphies dont il n'est pas besoin ici de rappeler l'utilité. force est de constater que la façade méditerranéenne se situe, en l'occurrence, bien en retrait .. à l'inverse même sans doute de ce qui fut le cas durant la période "du Pro­ tectorat. Le désenclavement en question doit donc viser ces deux aspects ayant trait à l'économique et au social mais aussi à la réflexion et à la recherche. Du point de vue socio-économique. le déficit est notoire par rapport à certaines autres régions. Les infrastructures routières. sanitaires. éducatives sont insuffisantes pour une population dont la densité et le taux de prolifération sont les plus forts du pays d'après les statistiques officielles. Le taux d'augmentation urbaine connaftra entre 1990 et COMMENTAIRE 91

2025. une progression qui dépassera 75%. Or, qu'est-ce qui a été prévu pour y faire face? La région est déjà un haut lieu d'émigration et d'exode. La fuite des cerveaux en est aussi une autre caractéristique. Mais devant la fermeture de plus en plus hémertique des frontières de l'Europe n'y aura-t-il de recours que dans les débouchés offerts par la Contrebande ou de secours que dans l'attente des transferts des membres de la famille des travailleurs à l'étranger? Pourtant, les atouts et les ressources de la région existent. Sans parler de sa position privilégiée face et à proximité de l'Europe d'où possibilité d'encourager l'installation d'uniÏés productives, il est un indicateur qui Pourrait relativiser l'idée de carence des ressources. Ainsi, les dépôts bancaires sont outrancièrement défavorables dans le rapport dépôts/crédits comparé à celui des autres places sans exception du pays. Ainsi, pour un rapport na­ tional de 1 à 2 ou de Casablanca, Rabat, ou Fès respecti­ vement d'environ 1 à 1. de 1 à 3 et de 1 à 2, celui de Na­ dor est de 1 à 20. d'Al-Hoceima de 1 à 14, de Tétouan et Oujda de 1 à 5 et Tanger de 1 à 3. Il est à noter que ce déséquilibre est d'autant plus remarquable que les dépôts de Nador. par exemple. figurent parmi les trois. plus im­ portants du pays après Casablanca et Rabat. Quelles leçons en tirer? Sans doute un manque de '-préparation pour absorber les potentialités locales, doublé d'un manque d'intérêt. Ainsi, au moment où le pourtour méditerranéen fait l'objet de programmes environnementaux déjà avancés. si­ non en phase de réalisation ici ou là, tel le Plan bleu ou le Programme pour l'environnement dans la Méditerranée à l'instigation de la B.E.! et de la B.I.R.D et qui prévoient 3 à 6 milliards de dollars pour les prochaines années, la côte rifaine continue d'être ignorée. Les programmes tunisien, yougoslave, turc, vont bénéficier d'une aide accordée sous forme de donations. Il est vrai que la Tunisie, toute à sa 92 MOHAMED LARBI BEN OTHMANE

Méditerranée a déjà .constitué en ce sens «un portefeuille de projets». L'Algérie a soumis à l'étude un plan «mer bleu» pour aménager le littoral oranais. Où en sommes­ nous au moment où cette côte rifaine est considérée comme une «zone écologiquement sensible» et lorsque ces pro­ grammes de la BEI et de la Banque Mondiale se proposent d'injecter une quinzaine de milliards de dollars pour sau­ ver cette plus que jamais «mare nostrum». C'est pour cela que, à ces niveaux comme ailleurs, l'action doit rejoindre la réflexion et la recherche sans lesquelles il n'est pas de projets et encore moins de projets viables à long terme. Le désenclavement de et par la réflexion comme celui par l'action économique, sociale et culturelle consiste dès à présent à intégrer dans les schémas de pensée et de déci­ sion l'idée d'un ensemble méditerranéen susceptible de former un élément essentiel à l'équilibre national. En effet, si le développement harmonieux de notre façade méditer­ ranéenne, au m~me titre que celui de l'ensemble national, dépend d'une intégration économique fondée sur l'encouragement de pôles d'activités performants, il n'en demeure pas moins que ce désenclavement est seul suscep­ tible d'écarter l'inacceptable hypothèse d'une perpétuation de la régression de l'ensemble méditerranéen. Les schémas de pensée et de décision ne devraient pas y voir une demande fondée uniquement sur un sentiment de solidarité. Le désenclavement veut dire en ce sens, tout autant la prise en considértion des intér~ts bien compris de l'ensemble de l'entité nationale dès lors que l'on désire sé­ rieusement traiter les questions de l'émigration, de la contrebande, de la drogue et du sous-développement tech­ nologique, industriel ou agricole. La région méditerranéenne restera, si sa marginalisa­ tion persiste, doublement périphérique par rapport à son COMMENTAIRE 93

environnement cl la fois national et international. Le Maroc a formulé une demande d'adhésion à la CEE en juillet 1987. M~me si cette initiative consistait seulement à prendre date, n'aurait-elle pas plus de crédibilité si le pays présentait à l'Europe une façade plus dynamique, plus intégrée au tissu économique national. Depuis des années déjà, il a été dit que «l'avenir du Maroc sera méditerra~ néem). Comment le sera-t-il si sa façade nord persiste dans sa situation actuelle? En tout cas, il peut sembler hasardeux de compter exclusivement sur les atouts des di­ mensions atlantique et saharienne de l'ensemble national au détriment de la dimension méditerranéenne, pour intégrer le pays dans son aire géographique. ll. Suggestions Le désenclavement pour une meilleure intégration pa­ rait ainsi relever de la nécessité. Mais si cet objectif est clair, les chemins pour y parvenir ne le sont pas autant. Le but suppose une période de transition et la démarche re­ quiert la volonté d'atteindre l'égalisation des niveaux de développement entre les régions du pays. Il ne s'agit pas seulement d'une question relative à une équitable répartition des ressources, mais d'un saut qualitatif et quantitatif qui devrait ~tre à la mesure des enjeux économiques et sociaux et des responsabilités de l'Etat dans cette région. Le propos ici n'est pas de proposer une batterie de so­ lutions mais de soumettre au débat quelques réflexions qui peuvent servir une démarche visant une approche appropriée de l'enjeu méditerranéen. Ainsi, l'objectif majeur doit être le développement de la région. Ce développement doit être pensé comme un processus à long terme. Cela conduit à déployer des ef­ forts soutenus pendant une longue période pour amener la production et la satisfaction des besoins des populations à des niveaux acceptables. On peut se demander si ce pro­ cessus doit se conformer aux priorÙés formulées dans /lW' 94 MOHAMED LARBI BEN OTHMANE

stratégie nationale 1- Quoiqu'il en soit, il n'existe pas en la matière de panacée mais une multitude de voies possibles dont les meilleures sont tenues de prendre en compte la situation sociale, économique et politique à la fois de la région et de l'ensemble national. En effet, un effort plus poussé d'intégration doit re­ poser sur la plus grande coopération régionale. Certes, les progrès réalisés dans ce domaine sont jusqu'ici décevants faute de Moyens de communication appropriés et de re­ cherche de la complémentarité. Aussi, ne faut-il pas dé­ sormais opter pour une série de mesures partielles et progressives pour une meilleure utilisation des possibilités d'intégration économique et commerciale inter-régionale? Comme mesures concrètes, cette démarche devrait s'inscrire dans un programme d'actions, secteur par secteur, pour construire un «environnement propice» c'est-à-dire, un en­ semble d'éléments nécessaires pour stimuler la production et la productivité. Ne peut-on, en l'occurrence, avancer l'idée d'un «Fonds d'intégration régionale». Il est vrai, ce­ pendant, qu'envisager un tel Fonds d'intégration c'est exi­ ger une augmentation substantielle des flux de ressources et leur utilisation sur place. L'effort d'intégration doit aussi reposer sur la valori­ sation des ressources humaines tant il est évident que l'homme demeure la fin et les moyens de tout développe­ ment. Mais avec ce genre d'évidence on n'est pas loin de la pire grandiloquence. Ce type de discours est voué à l'échec si un consensus minimum n'est pas acquis et si la décision va toujours du sommet à la base. En tout cas, si le Maroc méditerranéen parvient à sortir de ses différents niveaux de marginalisation, ce sera parce que ses populations au­ ront pris elles-mêmes leur destinée en main. Cette conclusion peut paraitre surréaliste d'autant plus que la région est confrontée au double problème du sous­ développement face à un environnement national, en muta- COMMENTAIRE 95

tion et international difficile, et à une très forte croissance démographique. Pourtant, personne ne prendra en charge le développement de la région en dehors de ses propres po­ pulations. C'est en cela que la valorisation des ressources humaines est la pierre angulaire de tout processus de dé­ veloppement et par v6ie de conséquence de son ouverture et de sa meilleure intégration. Mais n'est-ce pas par cette série de constats et conclu­ sions ayant trait à l'égalisation des niveaux de développe­ ment avec les autres régions du pays, à l'effort requis pour le désenclavement, à la construction d'un environnement propice, à l'augmentation du flux de ressources et leur uti­ lisation sur place, à la valorisation des ressources hu­ maines, n'est-ce pas faire incomber à cette région médi­ terranéenne une responsabilité qui la dépasse en tant que telle? C'est sans doute pour cela que quelle que soit l'approche socio-économique pour considérer la région mé­ di!erranéenne comme un ensemble spécifique, elle ne peut valablement étre appréhendée en dehors et indépendamment de l'ensemble national et des atouts et difficultés qui le caractérisent. Celui-ci en fin de compte doit s'ouvrir à celle-là, celle-là doit s'intégrer à celui-ci.

Jamal Amiar

Commentaire

Mon intervention se voudrait être un commentaire-re­ lais à l'essai du Professeur Fouad Zaïm. Je voudrais donc ici prolonger la réflexion. poursuivre le diagnostic largement entamé par le Pro Zaîm sur les effets et l'étendue de la domination commerciale qu'exercent Sebta et Melilla sur le Maroc Méditerranéen en abordant à mon tour certains effets issus de cette domina­ tion. Je parlerai donc ici des déficits engendrés par cette situation,. des déficits sociaux et des· déficits d'intérêt avant de conclure par quelques interrogations et une pro­ position. Les déficits sociaux que l'on enregistre dans le Maroc Méditerranéen relèvent de trois dossiers sociaux principa­ lement : la drogue. l'émigration et la mobilisation sociale. Le Maroc Méditerranéen. nous le savons. est pauvre à priori. sans ressources majeures et fortement peuplé. De cette situation découle une certaine organisation sociale qui se traduit par un niveau de consommation de drogue important ainsi que l'existence d'une industrie de la drogue dont le chiffre d'affaires tourne autour du milliard de dollars (estimation PNUD/AFP). C'est un chiffre énorme pour un pays comme le n()tre .. 98 JAMALAMIAR

C'est assez d'argent pour créer des pouvoirs, jouer un rtJle majeur dans la vie politique et l'activité économique. Parmi les effets de cette situation, on sait par exemple que la ville de Nador vient au 2e rang du Maroc pour le montant des déptJts bancaires .. mais il y a bien sûr aussi à Nador de l'argent provenant des transferts des travailleurs marocains à l'étranger. Cela nous amène donc à parler des hommes et des femmes qui. originaires du nord du Maroc, ont dû aller à l'étranger pour trouver un gagne-pain. On estime le nombre des marocains originaires du Nord et travaillant à l'étranger à environ 100 000. Ces hommes et ces femmes qui se sont expatriés pour gagner leur vie auraient pu rester ici aussi et s'adonner au «Business» de la drogue. Cette situation, l'alternative drogue ou émigration, est, en gros. le choix qui se présente à un Marocain du Nord. La drogue et l'émigration sont les deux principales sources de revenus du Nord du Maroc. Comme nous l'a démontré le Professeur Zaim dans son essai. l'industrie est marginale, ainsi que la pêche ou l'artisanat. Seul, peut-être le chiffre d'affaires de certains réseaux de contrebande se rapproche des sommes brassées par le secteur de la drogue ou transférées par les travail­ leurs émigrés. A l'origine de cette situation. le manque d'opportunités dans le Maroc Méditerranéen pour les raisons invoquées plus haut. mais d'autres aussi que nous verrons plus bas. Effet global de cette situation, ce que l'on pourrait ap­ peler un faible niveau de mobilisation sociale .. c'est-à-dire une population peu intégrée dans les circuits culturels, hu­ mains. économiques ou politiques du pays .. une population qui nous semble écartée aussi des circuits d'une vie sociale normale : manque d'emplois à plein-temps, inexistence d'une vie intellectuelle. COMMENTAIRE 99

Donc aussi, logiquement peut-~tre, une population qui ne se sent pas concernée par les préoccupations des maro­ cains au sens large. A ces déficits sociaux (drogue, émigration, faible mo­ bilisation sociale), s'ajoute ce que l'on appellera ici un dé­ ficit d'intér~t, c'est-à-dire un manque d'intérêt de l'administration centrale pour le Maroc Méditerranéen. Ce manque d'intér~t a des illustrations concrètes: une maigre infrastructure de communications, une absence de réflexion sérieuse sur les potentialités économiques et tou­ ristiques de la région, des incohérences au niveau de la po­ litique de régionalisation, une culture ri/aine qu'on ne cherche pas à connaître, à développer, à partager, et enfin l'absence notable de personnalités du nord marocain dans les centres de pouvoir. Du côté des infrastructures, il n'est guère nécessaire de faire un dessin .. l'état des routes entre les villes de Tanger et de Tétouan, de Tanger et Al-Hoceima ou de Fès et Al­ Hoceima par exemple illustre cette situation. On sait l'importance des communications pour encoura­ ger ou décourager l'existence de véritables activités écono­ miques, le tourisme et les échanges. Du côté de l'économie, le tableau n'est guère brillant non plus. Les ports du nord sont petits et manquent de conserveries et de glace. D'un autre côté on a ·tellement p~ché les anchois au large de la méditerranée marocaine qu'il n'yen a plus aujourd'hui et la reconversion se fait difficilement. Du fait aussi de l'organisation du trafic maritime passagers dans le détroit de Gibraltar, Tanger est défavo­ risé par rapport à Sebta (2,5 millions de passagers contre 1/2 million). Les incohérences au niveau de la politique de dévelop­ pement régional sont aussi flagrantes. Hormis le fait qu'à Rabat on fait des codes d'investissements qui s'appliquent 100 JAMALAMIAR quasi uniformément à toutes les régions du pays, il y a d'autres décisions telles que, pour prendre le domaine tou­ ristique, la réduction de 25% dans les hôtels pour les na­ tionaux et résidents étrangers qui a de sérieux arguments contre elle .. le e,aractère saisonnier de l'activité touristique par exemple. Lorsqu'un hôtel travaille 10 semaines par an, faut-il nécessairement pendant la haute saison lui imposer d'accorder des réductions à la clientèle alors que 9 mois et 1/2 de vaches maigres l'attendent au tournant? Un autre exemple des incohérences de la politique de régionalisation, débarquer un container au port de Tanger est 40% plus cher que le faire à Casablanca. Ce ne sont pas de telles situations qui risquent de pro­ mouvoir le développement régional, encourager le dévelop­ pement du Maroc hors de la ceinture Kénitra-Casa-El Ja­ dida, et maintenant Jorf El Asfar. Autre exemple, celui de l'inexistence à Al-Hoceima d'une société d'aménagement touristique et foncière comme il existe la société d'aménagement de la baie d'Agadir ou de Tanger. Ces sociétés permettent de planifier et de pro­ mouvoir les investissements touristiques tout d'abord en ayant une autorité sur la gestion de l'espace. A Al-Hoceima, deux cas précis se sont posés dans lesquels de potentiels investisseurs n'ont pu acquérir des terrains à cause d'obstacles fonciers dont c'est justement le rôle de ces sociétés de surmonter. Autres illustrations ce manque d'intérêt du «Centre» pour la «périphérie méditerranéenne», l'existence d'une lé­ gislation forestière inadaptée, l'entêtement à vouloir consi­ dérer le Maroc Méditerranéen comme partie intégrante de l'axe Casa-Oujda dans les plans de développement, l'organisation des Jeux Méditerranéens au Maroc en 1983 qui n'a vu aucune manifestation se dérouler dans aucune ville du Maroc Méditerranéen, ainsi que les problèmes d'environnement largement ignorés au Nord. Sur ce point COMMENTAIRE .101

peu, voire rien n'a été fait durant l'été et l'automne 1990 pour nettoyer les plages «goudronnées» du littoral médi­ terranéen, de Restinga à Quemado, en passant par Cala Iris. n est certain que si plus de cadres et de personnalités originaires du Nord marocain avaient un pouvoir de déci­ sion sur ces choses, l'intérêt du «Centre» pour la «périphérie» serait plus important. Enfin, il y a la culture rifaine inconnue dans le reste du Maroc. Aucune mani/estation du type festival de Mar­ rakech, Moussems et autres évènements ne sont organisés pour sa promotion. épanouissement et di/fusion. Qui parmi nous ici a entendu parler de l'artisanat de Taghzout ou connaît des noms de chanteurs ri/ains ? Pour conclure, il reste à se demander quand un effort de développement plus égalitaire et un effort plus impor­ tant de l'intégration des di/férentes provinces du Maroc débutera? II n'est pas sain à terme que les différences entre régions continuent de se creuser. Une chose est sûre: pour désenclaver le Maroc médi­ terranéen. pour qu'il s'épanouisse. il va aussi falloir que selon les termes du Professeur Habib El Malki «notre ré­ flexion aussi se désenclave», intégrons la dimension médi­ tèrranéenne du Maroè à ses dimensions atlantique et saha­ rienne. Pour amorcer ce processus, il est évident aussi. comme les professeurs Naciri et Bennouna y font allusion dans leurs essais, que les dossiers de Sebta et de Melilla doivent être réglés, avec le souci de préserver les voies de la co­ opération avec l'Espagne. Le Maroc Méditerranéen ne peut éternellement continuer à vivre de contrebande, de trafic. de drogue, des transferts de ses enfants installés à l'étranger. 102 JAMALAMIAR

Car avec l'Espagne. présente à Sebta et Melilla. toute réflexion, tout effort à propos du futur du Maroc Médi­ terranéen est d'avance pipé. Mais conflit ne veut pas obligatoirement dire rupture ; avec Madrid (et Bruxelles), Rabat peut très bien envisager une décolonisation de Sebta et de Melilla assortie de la mise sur pied en commun d'un plan de développement et d'investissement pour le Maroc. A ce sujet, la coopération entre Marocains, Espagnols et Européens, apparaît à tous points de vues profitable aux différentes parties. Mohamed Bennouna1

La dimension géopolitique du Maroc Méditerranéen

La situation exceptionnelle du Maroc, entre la Médi­ terranée, l'Atlantique et le Sahara (terre de contact de l'Europe du monde arabe et de l'Afrique subsaharienne) a dessiné en grande partie les contours de sa civilisation et de son identité ainsi que sa stratégie sur la scène interna­ tionale. Force est de constater cependant que l'impact mé­ diterranéen a décliné au bénéfice des deux autres com­ posantes et que les marocains se sont repliés sur leur es­ pace atlantique, dirigeant résolument leur regard et leurs énergies vers leur prolongement saharien. Notre propos n'est pas d'expliciter cet état de fait2 mais de prospecter les constantes géopolitiques du Maroc et les conditions d'un retour à l'équilibre naturel. Il est certain que la côte méditerranéenne était vouée à· subir les aléas des convulsions andalouses et arabes et que, devant l'avancée chrétienne au Nord et l'expansion ottomane à l'Est, aux xve et XVIe siècle, elle ne pouvait que perdre sa vocation première de zone de contact et d'ouverture, et péricliter progressivement comme tout corps qui se re-

1. Université Hassan II, Rabat. 2. Voir à ce sujet l'excellent ouvrage de Fouad ZaYm 4

8. «Abdelkrim et la guerre du Rib - actes du colloque international d'études historiques et sociologiques, 18-20 janvier 1978 - F. Maspéro, éditeur, Paris, 1976. G. Ayache : «Les origines de la guerre du Rib, édi­ tions SMER, Rabat, 1981. LA DIMENSION GEOPOLITIQUE 105 tiques majeurs du Maroc et de s'en servir ultérieurement pour garantir la pérennité de ses possessions méditerra­ néennes. Après avoir réclamé en vain la cession de Mogador (principale ouverture du commerce transsaharien) en échange de son retrait de Tétouan, l'Espagne allait s'appuyer sur une disposition volontairement vague et am­ biguë. du traité de paix du 26 mai 1860 pour légitimer son dessein de couper le Maroc de son enracinement africain4. Il était prévu en effet à l'article 8 du traité de 1861 que «SM marocaine s'engage à concéder à perpétuité à SM catholique sur la cOte de l'océan, près de Santa Cruz, le territoire suffisant pour la formation d'un établissement de pêcherie comme celui que l'Espagne y possédait jadis. Afin de mettre à exécution ce qui a été convenu dans cet article les gouvernements de SM catholique et de SM marocaine se mettront préalablement d'accord et nommeront des commissaires de part et d'autre pour dési­ gner le territoire et les limites que cet établissement devra occuper». En dépit des tentatives du Maghzen pour racheter la Pêcherie mythique, les espagnols agiteront cet épouvantail Pour se faire reconnaître des droits sur Sidi Ifni, Puerto Cansado et enfin pour s'installer à Dakhla (Villa Cisneros) et proclamer un protectorat sur la «côte d'Afrique du Cap Blanc au Cap Bojador». Les préoccupations stratégiques espagn~les rejoignaient celles de l'administration française d'Algérie qui «envisage de doter la colonie d'une ouver­ ture sur l'Atlantique par le contrôle éventuel d.e Seguiet El Hamra»5. Nous voyons là les prémisses du partage colonial qui

4. J.L. Miege : «Le Maroc et l'Europe» (1830-1914), tome Il, Editions La­ porte, Rabat. 1989, p. 355-398. 5. Paul Isoart : «Réflexions sur les lieux juridiques unissant le Maroc au Sahara occidenta1». R.J.P.E.M., 1978, n' 4, p. 28 106 MOHAMED BENNOUNA allait aboutir, au début du siècle, à tracer des lignes arti­ ficielles, rompant les relations humaines et les courants d'échange entre les parties méditerranéenne, atlantique et saharienne du Maroc. Au lendemain de l'indépendance, ce jeu s'est poursuivi sous d'autres formes, en procédant no­ tamment à une adaptation du discours et des alliances aux nouvelles circonstances mondiales et régionales. Le lien que nous avons évoqué entre le Sud atlantique et le nord méditerranéen n'en persistait pas moins dans les calculs des stratèges espagnols, facilitant, dans une grande mesure le maintien de l'occupation des enclaves, à un moment où le Maroc se devait de donner la priorité à la récupération de ses provinces sahariennes. Ces précautions tactiques étant données l'objectif essentiel de la diplomatie maro­ caine demeure le retour à l'équilibre géopolitique naturel du pays, au sein duquel la dimension méditerranéenne devra jouer pleinement son rôle. L'admission de l'Espagne dans la communauté économique européenne, le 1er janvier 1986, et son intégration définitive dans l'alliance 6 atlantique, à la faveur du référendum du 12 mars 1986 , ne laissent d'autre choix au Maroc, pour parfaire, notam­ ment, la libération de sa côte méditerranéenne, que d'instituer des relations de bon voisinage et de coopération à l'Est.

I. Parfaire la libération de la côte méditerranéenne Alors que les enclaves ne sont pas d'un réel· intérêt économique pour l'Espagne, la persistance de leur occu­ pation prive le Maroc de sites portuaires privilégiés (ce

6. L'action de l'alliance atlantique se limite à la mer Méditerranée, à l'exclusion de l'Afrique du Nord. Les présides espagnolel ne lont pas inclus dans le dispositif de défense de l'OTAN. Quant à l'adhésion de l'Espagne à la CEE, elle n'a eu aucun impact, sur le statut des présides qui bénéficient du même régime dérogatoire, sur le plan économique, que celui qui leur était appliqué par l'Espagne. LA DIMENSION GEOPOLITIQUE 107

qui a entraîné des investissements à Tanger et à Nador), favorise tout un réseau de contrebande avec l'arrière-pays et détourne une partie de flux de passagers transitant par le Détroit de Gibraltar. C'est donc essentiellement au ni­ veau stratégique et politique qu'il convient d'apprécier la raideur excessive de la position espagnole à ce sujet. S'agissant «d'excroissances malignes de l'Espagne en 7 Afrique du Nord» , il est sans intérêt actuellement de s'appesantir sur les arguments d'ordre historique (ancien­ neté de la conquête) ou pseudo juridiques (existence de traités marocco-espagnols reconnaissant implicitement la présence espagnole) qui ont été balayés par le droit de la décolonisation (depuis la fameuse déclaration 1514 (xve) adoptée par l'assemblée générale des Nations-Unies le 14 décembre 1960). Et même s'il demeurait quelque doute, il a été levé par l'argumentation développée par l'Espagne elle-même aux Nations-Unies pour récupérer le rocher de Gibraltar (Ni le Traité d'Utrecht du 13 juillet 1713, ni même le principe d'autodétermination n'avaient de valeur à ses yeux)8. L'organisation universelle n'a fait que confirmer ces prétentions en recommandant l'ouverture de négociations entre les deux pays concernés9 et en rejetant le référendum organisé par la Grande-Bretagne en 1967 lO pour confirmer sa souveraineté sur le rocher • Ainsi, en la matière, les techniques bien connues de la colonisation de peuplement ne peuvent justifier l'occupation étrangère, "même par le biais d'une «consultation démocratique». Par

7. Robert Relllette: «Les enclaves espagnoles au Maroc», Nouvel1es Edi­ tions Latines, Paris, 1976, p. 73. Voir en général sur l'aspect juridique, R. Lauak: «Le contentieux territorial entre le Maroc et l'Espagne» ; Dar El Kitab, Casablanca, 197•. 8. La question de Gibraltar a été inscrite à l'ordre du jour du comité de décolonisation de l'ONU (Comité des 2.) depuis 1963. 9. Résolution 2070 de l'assemblée générale, adoptée le 16 décembre 1966 et réitérée, depuis cette date, à chaque session. 10. Assemblée Générale, résolution 2363 du 19 décembre 1967. 108 MOHAMMED BENNOUNA contre «les intérêts des populations» doivent être en toute hypothèse pris en compte et protégés dans le cadre du respect universel des droits de l'homme. Si la position de principe du Maroc pour la récupéra­ tion des enclaves coloniales espagnoles a été affirmée de façon constante depuis l'indépendance, il lui a fallu tenir compte du contexte plus large de ses relations avec son voisin du Nord et de la globalité du contentieux territorial en suspens. Dans un premier temps, la question des pré­ sides a servi surtout de moyen de pression pour desserrer l'étau espagnol au Sahara. Aussi le Maroc a-t-il décidé pour la première fois, le 25 janvier 1975, de saisir offi­ ciellement le comité de décolonisation des Nations-Unies de la question des enclavesll tout en intervenant devant 12 cet organe pour surseoir à son examen • Il n'en a pas moins poursuivi une campagne de sensibilisation de l'opinion internationale, en utilisant successivement les forums de l'organisation de l'unité africaine (Conseil des Ministres à AddiS-Abeba du 13 au 25 février 1975), de la Ligue des Etats arabes (Conseil de la Ligue le 26 avril 1975), de l'organisation de la Conférence Islamique (Cons'eil des Ministres des Affaires Etrangères à Jaddah du 12 au 15 juillet 1975), des non alignés (Conférence ministérielle à Lima du 25 au 30 aoOt 1975) et enfin de l'assemblée générale des Nations-Unies à l'automne sui­ 1S vant • Le thème de la récupération des présides revien-

11. Mémorandum adressé au président «du Comité des 24~, Document ONU A/AC -109/475 du 31 janvier 1975, cité par Rezette, p. 158 et s. 12. A. Ahmady : «Le détroit de Gibraltar - essai d'analyse de la situation géopolitique et du statut juridique» ; mémoire de DES, Casablanca, Oc­ tobre 1977, p. 65. 13. L'OUA a exprimé le 21 février 1975 «son entière solidarité avec le Royaume du Maroc pour la récupération des enclaves colonialés de sa côte Nord~ et a lancé «un appel pressant à l'Espagne pour accélérer le processus de décolonisation des enclaves et entamer des négociations à ce sujet avec le Maroc~. Le Consul de la ligue arabe a soutenu le 26 avril 1975 «de manière absolue LA DIMENSION GEOPOLITIQUE 109

dra épisodiquement dans les déclarations des chefs de la diplomatie marocaine, en fonction de la conjoncture des relations entre les deux pays riverains du Détroit, et il se heurtera constamment à une fin de non-recevoir de la délégation espagnole. Au lendemain de l'accord de Madrid du 14 novembre 1975, le Maroc a cherché à calmer les enchères en liant explicitement la récupération des enclaves à celle de Gi­ braltar, par référence à la logique élémentaire (on ne peut soutenir une chose et son contraire)14 et en avançant sub­ sidiairement un argument d'ordre stratégique, à savoir l'impossibilité pour la communauté internationale d'accepter que tous «les verrous» du détroit soient sous le contrOle d'un même pays15 . Il s'agissait en quelque sorte de conserver intacte la revendication légitime du Maroc, tout en se donnant un certain répit au Sud et en ouvrant la voie à une normali­ sation puis à une amélioration des relations bilatérales avec l'Espagne. Et de fait, des progrès sensibles ont été réalisés dans cette direction sans que cela ait fait évoluer en quoi que ce soit les questions territoriales pendantes.

les revendications du Royaume du Maroc pour la récupération de Sebta et Melillia, des îles Jaafaryines et des rochers d'Alhoceima et de Velez». L'OCI a décidé le 15 jui1let 1975 «D'apporter un soutien total au Royaume du Maroc dans sa revendication en vue du recouvrement de sa souveraineté sur les vi1les de Sebta et de Meli1lia et des îles marocaines qui leur sont an­ nexées». Les pays non alignés ont exprimé le 30 aoüt 1975 «leur soutien total aux revendications du Royaume du Maroc pour recouvrer les enclaves sous do­ mination espagnole» et «demandé à l'Espagne d'entrer en négociations di­ rectes avec le Maroc en vue de la restitution immédiate de ces enclaves». H. A l'appui de cet argument de logique, on peut citer l'institution de «l'estoppel», d'origine anglo-saxonne, qui rend opposable, dans des cir­ constances analogues, le comportement antérieur d'un Etat. 15. Conférence de presse donnée par SM. Hassan II le 25 novembre 1975. 110 MOHAMED BENNOUNA

Par contre, l'adhésion définitive de l'Espagne à l'alliance atlantique peut faire craindre que la question de Gibraltar ne passe au second plan par rapport aux intérêts communs hispano-britanniques dans la défense du flanc sud de 16 l'OTAN . Si on ajoute à ce tableau le recul de la puis­ sance soviétique et de son impact en méditerranée on se rend compte de toute la complexité de la question des présides et on comprend la prudence excessive dont fait preuve jusqu'à présent la diplomatie marocaine. En effet, il s'agit d'éviter toute dramatisation, notamment après les incidents qui ont opposé la communauté musulmane aux 17 autorités d'occupation en 1985-86 , et de suivre pas à pas les évolutions sur la rive nord afin de demeurer «dans le jeu». Pour ce faire,' il convient de susciter une procédure de dialogue, à l'instar des pourparlers engagés depuis 1980 18 entre la Grande-Bretagne et l'Espagne , et de rester vi­ gilant, par des protestations appropriées, chaque fois que ce dernier pays tente de modifier le statu quo, dans le sens d'une plus grande intégration des présides dans son espace national et d'une atteinte aux droits des autoch­ l9 tones marocains .

16. Le rocher est le siège du commandement de la zone GIBMED (Gibral­ tar Méditerranée) de l'OTAN qui dépend du commandement d~s forces na­ vales et de soutien Sud Europe (COMNAVSOUTH) qui ont leur quartier général à Naples (Italie). L'Espagne (référendum de 1986) est membre de l:alliance sans être incorporée dans la structure militaire intégrée. 17. Les incidents font suite à l'adoption par le gouvernement espagnol d'une nouvelle législation sur la nationalité qui vise en fait à réglementer la présence marocaine dans les présides. 18. Le Roi Hassan II a proposé en février 1987 : «la formation d'une cellule de réflexion qui se penche sur la question des enclaves, auxquelles il faut trouver une solution dans le cadre des droits imprescriptibles du Maroc et des intérêts vitaux de l'Espagne de la région». Contrairement à ce qu'écrit M. Naciri (les villes méditerranéennes du Maroc: entre frontières et péri­ phéries, Herodote,. 1987, n· 45, p. 139) «il ne nous semble pas qu'il s'agisse là d'un tournant dans la stratégie suivie jusque là en matière de revendication des présides». 19. Des projets de statuts de Sebta et Melillia et dei présidel mineures lont LA DIMENSION GEOPOLITIQUE 111

Bien que la proposition marocaine de créer une «cellule de réflexion» n'ait trouvé, pour l'instant, aucun écho de l'autre cOté du Détroit, il n'en demeure pas moins qu'elle fait son chemin et que le temps viendra où les deux riverains devront aborder de front la question des­ présides, ne serait-ce que pour la circonscrire dans ses véritables dimensions et éviter qu'elle ne puisse gêner ni la coopération économique, aux perspectives prometteuses, ni la collaboration nécessaire pour assurer la stabilité et la sécurité du Détroit. Il faudra en particulier mettre en oeuvre les disposi­ tions pertinentes de la Convention des Nations-Unies sur le Droit de la Mer, du 10 décembre 1982, qui imposent des obligations précises, en matière de sécurité et de pro­ tection de l'environnement, aux navires et aux aéronefs pendant le passage ou transit dans le Détroit (article 34). L'Espagne et le Maroc ne feraient ainsi que prolonger, dans les faits, les attitudes convergentes qu'elles ont ma­ nifestées, à l'occasion des débats et des négociations, pour Contenir la volonté délibérée des grandes puissances d'aligner le régime juridique des détroits sur celui de la haute mer20 • Le règlement définitif du problème de la souveraineté SUr les présides ne signifie pas que des aménagements adéquats ne puissent être imaginés pour garantir leur spé­ cificité, dans le respect des intérêts en cause. Le modèle de la décolonisation de Hong-Kong à l'horizon de 1997 devrait être médité à ce propos. La doctrine stratégique espagnole faisant du Détroit un trait d'union entre ses différents territoires (des Ba­ léares aux Canaries en passant par les possessions sur la débattus devant le parlement espagnol (les cortes) depuis 1986. 20. Voir les propositions des Etats-Unis (Document A/AC 138.SC II/L4, du 30 juillet 1971) et de l'Union Soviétique (Document A/AC 138/SC II/L7 du 25 juillet 1972) devant le comité des fonds marins. 112 MOHAMED BENNOUNA côte marocaine)21 devra être revue et corrigée pour tenir compte aussi bien de la nouvelle donne militaire (missiles à longue distance et sous-marins nucléaires) Que tenir compte aussi de l'inévitable relation de partenariat Qu'il sera nécessaire d'établir et de consolider avec le Maroc et au-delà avec le Maghreb. C'est dans ce contexte Que la côte méditerranéenne marocaine pourra jouer sa fonction traditionnelle et éminemment positive de zone de rappro­ chement, d'ouverture et de dialogue entre l'Occident et l'Orient.

II. Instituer des relations de coopération et de bon l'oi­ sinage à l'Est L'instauration de relations de bon vOIsmage et de co­ opération avec l'Algérie et l'ensemble maghrébin a été également handicapée jusqu'à présent aussi bien par les contentieux territoriaux Que par le déploiement de straté­ gieset de politiques d'alliances concurrentes. L'expérience du comité permanent consultatif magh­ rébin (1964-1974) reste dans les mémoires comme une vaine tentative d'occulter les divergences fondamentales (au niveau de la construction de l'Etat, des options socio­ économiques et des prétentions régionales) par l'accumulation d'études et de travaux d'experts Qui ne de­ vaient jamais, faute de volonté politique, voir le jour. Les accords de fraternité, de bon voisinage et de co­ opération conclus entre le Maroc et l'Algérie au cours des années 1969-70 laissaient pourtant espérer une relance de cette coopération par le règlement de la Question épineuse de la délimitation des frontières entre les deux pays. Mais il faudra laisser passer deux autres décennies pour Que la convention portant sur le tracé définitif de la frontière, signée à Rabat en juin 1972 (à l'occasion du sommet de

21. Bernard Labatu : «Le détroit de Gibraltar, noeud gardien de la straté­ gie espagnole», Revue stratégiqué n· l, 1987, p. 37-72. LA DIMENSION GEOPOLITIQUE 113

l'OUA), puisse entrer en vigueur (après la ratification par le Maroc en 1989). C'est que toute approche partielle, en la matière, est vouée à l'échec, car elle ne ferait que créer de nouveaux déséquilibres, consistant, en l'occurrence, en une nouvelle tentative de couper le Maroc de son envi':' ronnement africain naturel, par la création d'une entité artificielle, sous le patronage de l'Espagne et de l'Algérie. Une nouvelle ère conflictuelle va s'ouvrir (en 1974- 75) entre le Maroc et l'Algérie Qui subissent de plein fouet les effets de l'internationalisation de la question du Sahara. L'Espagne avait beau jeu d'utiliser cette situation ainsi que l'opposition des deux Etats leaders maghrébins (qui rompent leurs relations diplomatiques en février 1976) pour écarter tout débat et toute remise en cause de ses possessions coloniales. Le Maroc méditerranéen ne pouvait, dans ces conditions, que poursuivre le long repli sur lui-même, d'autant plus que la radicalisation du conflit saharien allait faire converger les efforts et les moyens vers le Sud. On peut regretter le temps perdu en manoeuvres diplomatiques et militaires de tous genres qui ont fini par s'annuler dans un jeu d'illusions où la poursuite de «l'avantage décisif» ne pouvait conduire qU'à l'épuisement mutuel. Si dans la conduite des affaires des peuples et des nations la nostalgie a toujours été mauvaise conseillère, le réalisme politique, par contre, aiguise le regard du déci­ deur désireux de tirer, avec courage et détermination, les conséquences de ces deux dernières décennies. En effet, les idéologies globales ont été démystifiées, les querelles territoriales n'ont servi que les puissances dominantes ex­ térieures, le déploiement massif de l'Europe au nord de la Méditerranée a rendu pitoyables les gesticulations au Sud, et le respect des Droits de l'Homme devient l'unique source de légitimation d'une action politique quelle qu'elle soit. 114 MOHAMED BENNOUNA

La reprise des relations diplomatiques entre le Maroc et l'Algérie, l'ouverture des frontières, l'expression, pour la première fois, de la volonté politique au niveau le plus élevé, de construire une union régionale entre les cinq pays du Maghreb, sont les signes précurseurs d'une nou­ velle approche qui permettra de transcender les lignes de partage politiques et administratives et d'entamer la phase des «réalisations tangibles et l'instauration de règles com­ munes» (traité de Marrakech du 17 février 1989 instituant l'Union du Maghreb Arabe). Pour le moment, l'UMA est une structure souple qui donne essentiellement aux chefs d'Etat l'occasion de se concerter à dates fixes (tous les six mois) ; elle ne dispose pas encore des institutions et de la marge d'autonomie l'autorisant à générer sa propre dynamique. Elle peut certes servir de cadre à un dépassement irréversible des séquelles de la colonisation, au cas où les maghrébins dé­ cident de garder la maîtrise de leur propre destinée et de ne pas se décharger des clefs de leur avenir sur le monde extérieur, fut-il incarné par une organisation universelle. En attendant, on n'a pas manqué de ressortir des dos­ siers du défunt C.P.C.M., de grands projets, comme la construction d'un gazoduc, depuis les champs algériens jusqu'à l'Europe, en transitant par le Maroc, le trans­ Maghreb express, et la compagnie Air-Maghreb, qui sont susceptibles de contribuer au désenclavement de la côte méditerranéenne marocaine et à la promotion de son développement. Par ailleurs, des flux, souvent informels, de produits se sont formés à la frontière algéro-maro­ caine, qu'il conviendra de canaliser dans l'optique d'une complémentarité entre le nord-est marocain et l'ouest al­ gérien. Mais, au-delà des appareils étatiques, les sociétés ci­ viles ont un rôle fondamental à jouer, au travers des as­ sociations scientifiques culturelles et scientifiques, afin de LA DIMENSION GEOPOLITIQUE 115

faire disparaître les préjugés nés de la méconnaissance des réalités du voisin et d'ancrer en profondeur dans les es­ prits les perspectives ouvertes par l'espace maghrébin. S'il faut répondre d'urgence aux défis de l'Europe, on ne doit pas perdre de vue Qu'il s'agit là d'un travail de longue haleine Qui doit prendre son inspiration et son souffle dans des forces et une créativité endogènes. En conclusion, le Maroc méditerranéen doit se pré­ parer au nouveau contexte des relations entre le Maghreb et l'Europe pour retrouver sa fonction traditionnelle de zone de convergence et de fécondation des cultures, tant il devient impératif d'extirper définitivement des rivages de la mer intérieure les relents du poison des croisades, des frustrations et des revanches illusoires Qui se terrent en­ Core malheureusement dans le labyrinthe de l'inconscient collectif. -,,'

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.1 Abdelhouab Maalmi

Commentaire

J'ai suivi avec beaucoup d'intér~t l'ensemble des communications et interventions qui ont été présentées ou faites depuis hier matin, et j'ai trouvé très judicieux le fait que l'on ait réservé pour la fin de notre rencontre la très intéressante communication que vient de présenter M. Bennouna et qui a porté sur la «Dimension géopolitique du Maroc méditerranéem). Pourquoi très judicieux? C'est en raison de la spéci­ ficité et de la richesse de l'approche géopolitique chaque fois qu'il s'agit d'analyser des problèmes faisant intervenir la géographie, l'homme et le politique. La communication de M. Bennouna dès lors ne peut que gagner à nos yeux, à ~tre replacée dans le contexte global de l'ensemble de ce qui a été dit jusqu'ici durant cette rencontre. Jusqu'ici en effet on a essayé d'écrire et d'expliquer la marginalisation de la dimension méditerranéenne du Ma­ roc, et d'en montrer les effets pervers. Par la m~me occasion, et pour ne pas verser dans le pessimisme, on a révélé l'existence de nombreuses poten­ tialités qui attendent à ~tre exploitées et mises au service de la renaissance du Maroc méditerranéen ainsi qu'à celui de la nation marocaine toute entière. 118 ABDELHOUAB MAALMI

L'approche géopolitique. pour être complète et signifi­ cative. eu égard à notre problématique ici. qui est à la fois une problématique de pensée et d'action. doit être une géo­ politique interne et externe. C'est-à-dire une géopolitique qui s'articule autour du concept de «facteurs de puissance», appliqué à la région méditerranéenne du Maroc et au Ma­ roc lui-même en tant qu'Etat-acteur dans le bassin mé­ diterranéen. L'analyse de puissance ne se limite pas aux facteurs de force. aux potentialités ou aux atouts. Elle s'intéresse également aux sources de faiblesse et aux rapports de force qui en découlent ainsi qu'aux relations de toutes sortes qui s'y rattachent. La communication de M. Bennouna a essayé de cerner le problème du déclin de la côte méditerranéenne maro­ caine son impact sur le devenir du Maroc et ce depuis le xve siècle. Et l'idéal. aux yeux de M. Bennouna. serait que le Maroc retrouve ce que celui-ci appelle «l'équilibre natu­ rel» pour redevenir une puissance méditerranéenne qui compte. c'est-à-dire active et influente en tout ce qui concerne les affaires de la méditerranée. L'auteur a décrit ce qui à ses yeux constitue les condi­ tions géopolitiques nécessaires à cette renaissance de la dimension méditerranéenne du Maroc. autrement dit : - une politique de libération des Présides dans le cadre du parachèvement de l'intégrité territoriale. - une politique de coopération et d'intégration avec les Etats voisins à l'Est. L'auteur n'a pas omis bien entendu de souligner les difficultés qui se soulèvent devant de telles politiques. En plus du caractère imprécis. flou. et peut être histo­ riquement douteux. du concept «d'équilibre naturel» intro­ duit par M. Bennouna. l'approche géopolitique appliquée dans cette communication nous paraît incomplète sur les points suivants : COMMENTAIRE 119

- Elle ignore presque totalement la géopolitique interne dont un aspect important a été largement décrit dans les deux communications précédentes: celle de M. Nadri (géographie humaine) et celle de M. Zaïm (géographie économique). Restent les relations politiques entre la Ré­ gion et le Centre qu'il faut clari/ier, et dont il faut analy­ ser le poids dans la marginalisation perçue du Nord ma­ rocain. Cette géopolitique interne ne peut que déteindre sur la géopolitique externe, c'est-à-dire sur la place de la façade méditerranéenne dans la stratégie régionale et internatio­ nale du Maroc. - La communication de M. Bennouna d'un autre côté met l'accent sur seulement deux aspects de la géographie du Maroc méditerranéen: la «position» qu'il qualifie d'exceptionnelle, alors qu'elle peut être aussi source de problèmes et de menaces, et la «morphologie» du relief (l'obstacle rifain et l'isolement qu'il entraîne). L'auteur né­ glige alors un troisième aspect, tout aussi impoftant, celui des possibilités portuaires par une analyse de la configu­ ration du littoral. Car une renaissance méditerranéenne du Maroc est, à mes yeux, tributaire dans une large mesure, de l'émergence d'une puissance navale marocaine à la me­ sure de la longueur de nos côtes et de la masse maritime que le Maroc contrôle. - Enfin, l'auteur passe complètement sous silence dans sa communication les rapports avec l'Europe: CEE, CSCE (réunion réduite à Palma-de-Majorque consacrée aux problèmes de la Mare Nostrum). Pourtant cette dimension est capitale. Elle aurait aidé à mesurer l'impact de la côte méditerranéenne sur la perception du Maroc, de son rôle, de ses intérêts et de ses craintes dans cette région. 120 ABDELHOUAB MAALMI

Conclusion - On peut dire que la Méditerranée est certainement absente dans notre conscience géopolitique. et que le Maroc n'a presque pas de présence en Méditerranée. C'est là une évidence qui a été largement décrite durant cette rencontre. - Aussi. à mon avis. est-ce par une conscience géopolitique à l'échelle nationale que le reste du Maroc peut se réconci­ lier avec le nord méditerranéen. J'entends par conscience géopolitique: · Une con~cience· des enjeux au niveau régional et interna­ tional. · Une conscience des moyens. surtout celle de la nécessité de la construction d'une puissance navale, marchande et militaire adéquate, · Une conscience de l'intérêt national dont relèvent les inté­ rêts régionaux. Il faut une vision complémentaire et glo­ bale des dimensions maritimes et terrestres de l'intérêt na­ tional. lequel ne prêche pas nécessairement le repli sur soi égoïste ou l'expansionnisme. mais l'ouverture et la coopéra­ tion. Mohamed Berriane1

Le Tourisme sur la côte méditerranéenne. Aménagement Touristique ou Promotion 'Immobilière ?

Introduction Le Nord du Maroc - essentiellement la ville de Tan­ ger et le littoral méditerranéen - occupe une place de choix dans le produit touristique marocain. La plupart des études et publications ayant comme thème le tourisme au Maroc intègrent obligatoirement cette région. Cet intérêt s'explique par le caractère pionnier des implantations tou­ ristiques sur une côte presque vide de toute installation à la veille du plan triennal 1965-67 et concentrant au­ jourd'hui plus de 14% de la capacité totale en lits hôteliers du pays. Il s'explique aussi par l'attrait de la ville du dé­ troit qui a hérité de son statut de ville internationale une tradition et un mythe de ville à visiter et à vivre. L'orientation de la côte vers l'activité touristique a été le résultat de plusieurs facteurs. Vers le milieu de la dé­ cennie 1960, les rives de la côte méditerranéenne font l'objet d'une intervention des pouvoirs publics se situant dans le cadre des recommandations des organismes finan­ ciers internationaux qui prônaient alors le tourisme comme

1. Université Mohammed V, Rabat. Figure 1. Implantations touristiques sur la côte méditerranéenne

Capacité d'hébergement homologué~ .. (en nombre de lits) .. ... , Q\ .. -Q\ .. ... 2500 " -. , J c... , .g littoral connaissant une forte " :: 400 fréquentation du tourisme national ~ 40 80, km ',., ~ 200 \ : ~ AMENAGEMENT TOURISTIQUE 123

secteur pouvant aider les pays du Tiers-Monde dans leurs efforts de développement. L'espace méditerranéen maro­ cain connaissait un marasme économique et social réel au lendemain de l'Indépendance2 et les planificateurs voyaient dans le tourisme une solution possible à ce ma­ rasme. En outre, la région se situait géographiquement sur le rivage méditerranéen et à proximité de l'Europe, et les premières vagues du tourisme de masse venaient lécher les rives sud de la méditerranée. Mais l'échec de cette politique touristique à destina­ tion de la clientèle étrangère a été à la mesure des espoirs placés dans le tourisme par les économistes et les planifi­ cateurs. Commercialement, ce ne fut, en fait, qu'un demi­ échec, dans la mesure où le tourisme national naissant va récupérer' de façon presque systématique les installations prévues pour le tourisme international tout en imprimant aux opérations d'aménagement touristique en Cours une orientation particulière. Le littoral méditerranéen marocain peut être divisé en trois ensembles (figure 1) : - Tanger et sa baie ainsi que la côte tétouanaise attirent l'essentiel des flux touristiques nationaux et internationaux se dirigeant vers le littoral méditerranéen marocain et ont bénéficié de la majorité des investissements consentis dans le Maroc nord au secteur touristique. - La côte du Rif central, correspondant aux provinces d'Al Hoceïma et de Chefchaouen est la plus enclavée car les versants du Rif arrivent jusqu'à la mer et les plaines côtières y sont relati - La côte orientale, pourvue de nombreux sites favorables au développement touristique, est encore peu exploitée. La fréquentation touristique y est surtout interne (Saïdia,

2. Voir la communication de M. Naciri à la rencontre de Tétouan du GERM, octobre 1990. 124 MOHAMED BERRIANE

Kariat Arkmane et Nador) alors que les intentions d'investissements n'y manquent pas. Globalement, nous pouvons donc dire, que le déve­ loppement du tourisme sur la côte méditerranéenne est encore à ses débuts, les potentialités touristiques immenses que recèle cette côte étant encore inexploitées. Mais là où des implantations touristiques ont eu lieu, la concentration spatiale atteint parfois des seuils critiques et plusieurs déséquilibres sont à déplorer. C'est la raison pour laquelle la réflexion qui suit est volontairement axée sur le littoral de Tétouan et la baie de Tanger, exemples types des pro­ blèmes, déséquilibres et glissements à éviter. Ces deux cas illustrent tout d'abord, un intéressant processus de «marocanisation» des structures d'accueil prévues au départ pour le tourisme international.

J. La Phase du tourisme international: de 1965 à 1973

A. - L'entrée des rivages méditerranéens du Maroc sur le marché touristique international Nous ne reviendrons pas sur les conditions de nais­ sance et de développement des stations de tourisme inter­ national déjà analysées par ailleurs (M. Berriane, 1980 et 1988). Il ne serait cependant pas inutile de rappeler la si­ tuation qui prévalait dans cette région au lendemain de l'Indépendance. Cette situation explique les choix des an­ nées 1960, mais rend aussi compréhensible l'évolution ré­ cente. Au lendemain de l'indépendance, Tanger connaît un marasme socio-économique dü à la baisse des activités héritées du régime international. La côte méditerranéenne, elle, souffrait d'un enclavement naturel, historique et éco­ -nomique. La dorsale calcaire du pays Jbala ainsi que les hautes crêtes du Rif s'ajoutent aux séquelles de la coupure politique sous les deux protectorats (réseau routier Nord­ Sud embryonnaire) pour isoler le littoral du reste du pays. AMENAGEMENT TOURISTIQUE 125

La vie économique est basée essentiellement sur une agriculture traditionnelle et vivrière: céréaliculture dans les plaines et polyculture à dominante arboricole sur les collines. Elle souffre, par ailleurs d'une faiblesse des acti­ vités maritimes avec de faibles prises de poissons (les plus forts tonnages sont acheminés vers Sebta et Mellila), un trafic portuaire presque nul et l'absence d'un port régional et d'une ville littorale. La principale ville, Tétouan, est en retrait par rapport au littoral. Al-Hoceima, principal port de pêche, manque d'équipements et de débouchés. Nador a surtout une activité de ravitaillement, les importations l'emportant sur les exportations. Devant cette situation difficile, aggravée vers l'Est par de très fortes densités de population, le planificateur dé­ Couvre les atouts d'un rivage méditerranéen susceptible de draîner une clientèle étrangère et par voie de conséquence de sortir la région du Nord de sa léthargie et de son en­ clavement. C'est ainsi que la côte méditerranéenne est choisie pour recevoir les premières implantations destinées au tourisme international et Tanger est équipé afin de garder une partie du flux international transitant par son poste­ frontière. 126 MOHAMED BERRIANE

1. La côte tétouanaise voit naître une série de stations bal­ néaires à gestion et clientèle étrangères. La côte méditerranéenne bénéficie pleinement des mesures prises lors de la rédaction du Plan de Développe­ ment de 1965-67 (M. Berriane, 1980). Pour attirer les promoteurs privés dans la région, l'Etat supporte de lourdes charges financières. Si les réductions des droits d'enregistrement, les facilités de crédit, les exonérations de droits de douanes pour les biens d'équipement importés étaient généralisés à toutes les «zones d'aménagement prioritaire» (ZAP), la prime d'équipement de l'Etat avan­ tageait nettement la côte méditerranéenne où elle pouvait atteindre 15% du montant de l'investissement. L'effort de l'Etat va s'étendre aux investissements di­ rects. Il participe au financement de 95% des lits créés au cours de cette première phase. Par le biais d'organismes financiers et de sociétés semi-publiques (Caisse de Dépôt et de Gestion, Royal Air Maroc, Office National Maro­ cain du Tourisme) l'Etat est présent dans plusieurs sociétés touristiques s'occupant de l'équipement hôtelier et de la gestion (Maroc-Tourist, Soèiété Marocaine pour le Développement Touristique, Société Africaine du Tou­ risme). C'est l'Etat également qui prend en charge les travaux de viabilisation et d'infrastructures en ouvrant routes principales et routes d'accès et en réalisant adduction d'eau, électricité, assainissement et communications. Tous ces efforts aboutissent à la naissance sur la côte de Tétouan, du Sud au Nord, des stations de Cabo Negro (Club Méditerranée et ensemble résidentiel de la SAT) de Mdiq (un village de vacances dans le centre même, le Ho­ liday Club et le complexe Kabyla à l'écart) et de Restinga (un complexe Maroc-Tourist et un Club Méditerranée). AMENAGEMENT TOURISTIQUE 127

2. Tanger est dotée de la première Société Nationale d'Aménagement Touristique Bénéficiant des mêmes mesures d'encouragement que la côte méditerranéenne, Tanger fut avantagée par une prime d'équipement fournie par l'Etat et pouvant aller jusqu'à 20% du montant de l'investissement total. Les différents encouragements aboutissent au développement des infrastructures d'accueil de la ville faisant d'elle la première ville du pays par sa capacité hôtelière jusqu'en 1977, année où elle fut détrônée par Agadir puis Marra­ kech. L'une des réalisations les plus importantes du Plan Triennal 1965-67 fut la création de la Société Nationale de l'Aménagement de la Baie de Tanger en 1967. Cette société avait un programme ambitieux au dépa;t puisqu'elle devait intervenir sur une vaste zone de 1 000 ha s'étendant le long d'une belle plage située à l'Est de la baie, avec un programme initial de 30 000 lits. Plusieurs types d'hébergement (hôtels de luxe, villages de vacances, campings, résidences touristiques) étaient prévus autour d'un lac artificiel devant recevoir des activités sportives, le tout s'organisant autour d'une marina. La réalisation de ces projets a nécessité des investissements importants ainsi que l'acquisition - par expropriation pour utilité pu­ blique - de tous les terrains indispensables au projet. L'essor touristique prévu a tourné court et le pro­ gramme initial est rapidement ramené à 10 000 lits (au lieu de 30 000) sur une aire de 350 ha'(à la place de 1 000 ha). A la fin des années 1970, sur les 10 000 lits définiti­ vement retenus, seuls 20% ont été réalisés soit un peu plus de 2 000 lits. Nous avons donc, sur la côte de Tétouan, la naissance d'une nouvelle zone d'accueil née du choix du tourisme Comme secteur prioritaire à la fin des années 1960. La mer étant le pôle d'attraction principal, c'est une région de séjour balnéaire où la formule du vil/age de vacances 128 MOHAMED BERRIANE l'emportait avec 70% des lits alors que la moyenne na­ tionale pour cette catégorie n'était que de 16%. A Tanger, le tourisme de passage prédominait et s'inscrivait avant tout dans le centre-ville moderne et en médina. Eloignés suffisamment de la ville, les implanta­ tions de grands établissements luxueux vers l'Est et les programmes de la SNABT visaient avant tout à retenir sur place une partie des touristes de passage, en créant les conditions nécessaires à un séjour balnéaire prolongé. B. Au cours de la décennie 1970 et de la première moitié de la décennie suivante la côte méditerranéenne et Tanger tombent dans l'oubli (1973-1983) 1. Très vite les Tours Opérateurs se détournent de la côte méditerranéenne. Après les premières années d'euphorie, la côte mé­ diterranéenne est vite abandonnée par les agences in­ ternationales qui se tournent vers les destinations mé­ ridionales. La nécessité de lancer sur le marché de façon régulière des destinations nouvelles, le succès de plus en plus grand du «produit hiven), les avantages commerciaux d'une 'station ouverte toute l'année - comme Agadir - et l'absence d'une animation spontanée dans un environne­ ment rural où les établissements touristiques sont isolés expliquent ce changement d'attitude des Tours Opérateurs vis-à-vis de la côte nord au profit d'Agadir. Ce change­ ment était prévisible dès le milieu des années 1970 et nous l'avions déjà analysé il y a une dizaine d'années (M. Berriane, 1980). Il faut dire que le choix de ces sites a été fait dans une certaine précipitation et sans études préalables, les secteurs côtiers aménagés - dans la pro­ vince de Tétouan - n'offrant les attraits climatiques méditerranéens qu'au cours d'une courte période estivale. De ce fait les rythmes des constructions se ralentissent dès le début des années 1970 pour s'arrêter définitivement AMENAGEMENT TOURISTIQUE 129

à la fin de la même décennie. Lancée vers 1962, les tra­ vaux de réalisation de la station de Restinga-Smir, dont le maître-d'oeuvre et le gestionnaire est Maroc-Tourist, sont terminés à 70% vers 1972 et vont observer une pause qui durera jusqu'en 1984-85. En 1977 une filiale, la SO­ GATOUR, est créée avec pour tâche la viabilisation des terrains encore vacants en vue de leur cession à des par­ ticuliers. C'est le début d'un changement de grande impor­ tance dans l'évolution de ces sociétés: les équipements réalisés ne sont plus gérés comme des établissements hôte• liers ou loués à des sociétés hôtelières comme le Club Mé­ diterranée. ils sont destinés à la vente aux particuliers. le plus souvent des nationaux. Durant la périoQe 1973-1984, peu de réalisations de grande envergure voient le jour. 4 hôtels totalisant 418 lits ont été créés mais mis à part le Golden Beach de Mdiq (4 étoiles et 162 lits), les autres établissements sont de pe­ tite taille et de catégories inférieures: deux ont été im­ plantés à Tétouan et le troisième à Martil. Durant une quinzaine d'années les stations de la côte tétouanaise ­ comme d'ailleurs celles d'AI-Hoceima - confiées rapide­ ment pour la plupart d'entre elles à des sociétés à gestion étrangère (Club Méditerranée) pour assurer un taux de remplissage convenable, continuent à fonctionner en vase clos sans la moindre extension ou nouvelle création. Seule exception, la Société Africaine de Tourisme (SAT), ter­ mine lentement son programme à Cabo Negro avec la réa­ lisation d'un terrain de golf accompagné de résidences secondaires. Cette réussite relative de Cabo Negro traduit déjà l'apparition d'une clientèle non visée au départ: l'estivant marocain. 2. A Tanger. une fois le périmètre de la SNABT. viabilisé les investisseurs se font longtemps attendre. Commencé dès 1967, le programme de mise en valeur touristique de la baie de Tanger enregistre aujourd'hui un 130 MOHAMED BERRIANE taux de réalisation remarquablement faible. En 1984, soit 17 ans après la création de la société, les infrastructures hôtelières et para-hôtelières se réduisent à deux hôtels de catégories supérieures de 900 lits, un village de vacances du Club Méditerranée de 800 lits (qui existait déjà avant la création de la société) et un camping couvrant 5 ha. Quant au grandiose projet de Marina, élément principal de cette opération, il attend toujours les financiers éven­ tuels. L'unique formule semblant bien prendre est celle des résidences collectives (bungalows et appartements) à louer. A la première unité prévue par le projet, la rési­ dence Marbel, est venue s'ajouter une deuxième la rési­ dence Sanaa. Elles totalisent toutes les deux l'équivalent de 2 000 lits. Là aussi, le succès de la formule est en rap­ port avec l'arrivée de la principale clientèle représentée par les touristes nationaux. Les raisons de cet échec sont nombreuses. Outre la crise des années 1973-74 qui a probablement joué un rôle essentiel au niveau de l'absence des investisseurs et non des touristes, celles avancées le plus couramment sont re­ latives au caractère saisonnier très prononcé, au manque d'enthousiasme des agences de voyages pour les destina­ tions nordiques et au désengagement de l'Etat en tant qu'investisseur direct. Mais on ne souligne pas suffisam­ ment - à notre avis - les problèmes d'environnement düs à la conception de l'aménagement lui~.même de cette baie et aux conflits ayant surgi entre le tourisme d'une part et les autres secteurs économiques de la ville d'autre part. Ces conflits sont nés du manque de vue d'ensemble et d'un aménagement plutôt sectoriel et ponctuel que global. Ils sont de trois sortes (figure 2). - Le conflit tourisme/activité portuaire entraîne la dégra­ dation de la plage de l'Est. support du projet. Le choix de la zone d'intervention de la société a été guidé par la qualité de la plage (sable fin et calme des f:}:::::J Tissu urbain Figure 1. Tfiur;,uu· t'f t'fI\ înulllt°llll'Ilf dau' b 'lait' dt, 'l';III;':l''' Faloise 1 C3 Plage ï , Limite du pénmètre de la SN.A BT , toun5tl~s 1 -- EtablIssements de 10 Baie , ~­ CampIng bd• Villas 1 .:...... " ~ Quartier Industne' 1 :I:I~~~:!!~ Aballo.... ':':ï<"cisboh·· ,,/ -..• Rejets Industriels - -.. Rejets des eaux polluées ," 1 Rejets des éooûts 1 • \ ,1 ~ \ \ \ f=-:::::l Plage en VOle d'amaiOrissement /----, / \ \ F..·l Enrochement 1 • Ouvro985 de protection de 10 plaoe " -- f:":\"::,l Envasement du lac artifiCiel ,~ ~W$~~; Mghougha o ZOO 400m --'------J M.

Source: enquête de J'auteur. 198'1: 132 MOHAMED BERRIANE

eaux côtières), son étendue (1200 mètres de long sur 200 de large) et son éloignement relatif du centre-ville (4 ki­ lomètres). Or, cette plage va subir une érosion très active aboutissant à son amaigrissement poussé en matériaux sa­ bleux. Ce recul n'est apparemment pas récent puisque dès le début du projet les services concernés ont commandé une étude pour la protection de la plage. Mais il semble que cette tendance à l'appauvrissement progressif de la plage en sable se soit accéléré, coïncidant avec le prolon­ gement de la digue du port: en quelques années, 3 kilomètres de pl:;lge de sable situés entre l'embouchure de l'Oued Souani etle début des falaises du Cap Malabata sont détruits. Le prolongement de la digue du port, rendu nécessaire par l'augmentation continue du trafic, ignorant complètement le projet touristique en cours de réalisation en face aurait perturbé la dynamique de la circulation marine dans la baie. Les courants marins ont désormais tendance à prélever les sédiments de la plage au lieu de l'engraisser. Après avoir nettoyé la plage, la houle s'est attaquée aux fondations de l'hôtel Malabata et du Club Méditerranée. Pour lutter contre cette destruction systématique de la plage, support du projet touristique, on a construit tout d'abord, parallèlement aux deux établissements, un mur de protection qui s'est rapidement effondré ; les' services concernés ont alors engagé des travaux d'enrochement le long de ces hôtels qui n'ont servi à rien sinon à enlaidir le site. Ils se sont résolus, enfin, à implanter des ouvrages de protection à la fois perpendiculaires et parallèles à la côte pour délimiter des plages indépendantes, piéger le sable et éviter l'érosion, le tout soutenu par des apports artificiels de sable et des mesures de lutte contre l'érosion éolienne. AMENAGEMENT TOURISTIQUE 133

- Le conflit tourisme/activité industrielle pose le problème de la pollution Le périmètre d'intervention de la SNABT se situe en aval de la vieille zone industrielle dite de Moghagha (fi­ gure 2). Celle-~i regroupe vingt unités industrielles dé­ pourvues d'un réseau d'assainissement et dont certaines très polluantes, comme les teintureries, rejettent leurs ef­ fluents dans l'Oued Moghagha. Une deuxième zone in­ dustrielle nouvellement créée en bordure de la route de Tétouan plus en amont réunit 80 établissements bien pOurvus d'un réseau d'assainissement. Mais celui-ci fonc­ tionnant mal, plusieurs usines rejettent leurs eaux usées dans l'oued. De ce fait, l'oued Moghagha est le débouché de la totalité des établissements industriels de la vieille zone industrielle et d'une partie de ceux de la nouvelle zone. En outre, il reçoit les eaux de ruissellement char­ riant les déchets solides et les eaux polluées de surface rejetées par les usines ainsi que ceux pris sur une dé­ charge publique se trouvant en amont. Débouchant dans la baie de Tanger là où commence le périmètre de la société, il apporte suffisamment de rejets solides et liquides pour polluer la plage. . Plus à l'Ouest et en dehors du périmètre de la SNABT, l'oued Lihoudi arrive aussi en mer après avoir recueilli d'autres rejets auxquels vient s'ajouter une partie de ceux des égouts de la ville. De ce fait, la plage de Merkala est impraticable et ne manque pas de contaminer l'Est de la baie par la redistribution le long du littoral de tous ces effluents Le choix du périmètre d'intervention n'a pas tenu compte des activités économiques précédant le tourisme dans le temps et se trouvant en amont. Ce n'est qu'aujour'hui que la société, consciente de l'atteinte réelle à la qualité de la plage, demande le transfert de l'ancienne 134 MOHAMED BERRIANE

- L'envasement du lac artificiel L'animation de la zone touristique de la baie devait s'appuyer en grande partie sur le plan d'eau créé à grands frais. Ce lac articifiel de 25 ha a été aménagé dans la partie aval de l'Oued Melalah. Il est conçu pour permettre la baignade et quelques sports nautiques ainsi que pour accueillir par la suite un port de plaisance et servir d'appui à une marina (4 hôtels de 5000 lits, casinos, rési­ dences touristiques, palais des congrès, etc.). Or, quelque temps après son creusement, l'envasement de ce lac a commencé. Outre le mauvais fonctionnement du système qui devait régler le jeu des courants et ajuster le niveau du lac avec celui de la mer en fonction des ma­ rées, l'ensablement avance progressivement à partir de l'amont. Cet envasement est dO à deux types d'apports. L'oued Melalah venant des collines avoisinantes transporte d'importantes masses de sédiments venant se déposer dans le chenal d'entrée et combler la partie d'amont. Le versant Est du lac, au relief très chahuté soumis de ce fait à une érosion intense, envoie avec les eaux de ruissellement les sédiments qui se déposent au fond du lac. Ce processus était prévisible dès le départ du projet puisqu'en 1969, en pleins travaux d'aménagement, des précipitations excep­ tionnelles avaient charrié une grande masse de sédiments dans le plan d'eau. Les actions envisagées par une note technique préparée dès cette année pour lutter contre ces deux types d'apports étaient diverses: techniques connues de défense des sols à faible végétation, construction d'un barrage réservoir, aménagement d'une fosse à sédiments en amont, etc... Mais on n'envisage à aucun moment une intervention au niveau de tout le bassin versant de l'Oued Melalah. Les mesures proposées appréhendent le problème en aval et ne se préoccupent pas des inter-relations avec d'autres éléments du système AMENAGEMENT TOURISTIQUE 135

L'intervention de l'homme dans la baie de Tanger a entraîné de sérieux problèmes de dégradation du milieu dont souffre en priorité le tourisme. Cette intervention n'est ni massive (aussi bien les réalisations touristiques que­ les interventions industrielles ne présentent de surcharge pour l'environnement local), ni injustifiée (le projet tou­ ristique de la baie se justifie bien et l'extension du port est indispensable). Chacune de ces interventions considé­ rée isolément n'est pas maladroite ou anarchique. Le mal vient du fait que ces interventions ont été menées séparé­ ment sans coordination et sans vue d'ensemble. Suite à ces problèmes techniques de l'aménagement de la baie de Tanger et aux difficultés de commercialisation de la cOte méditerranéenne, ces deux régions d'accueil ayant misé à fond sur le tourisme international n'ont pas récolté les fruits d'efforts soutenus. Il faudra attendre le milieu des années 1980 pour assistet à une relance effec­ tive des deux régions. Phénomène original et insolite. cette relance est le fait du tourisme national.

II. L'arrivée en force du tourisme national de 1983 à nos jours - la mutation des projets touristiques en opérations immobilières· En 1983, la société Maroc-Tourist met en vente une partie du parc de logements prévu pour accueillir le tou­ risme international. 50 appartements et 42 chalets sont ainsi cédés à des particuliers de nationalité marocaine. Cette date constitue pour nous, de ce fait, une rupture symbolique dans l'évolution du tourisme sur le littoral Nord. Le remplacement progressif de la clientèle étrangère par des touristes nationaux est accompagné d'une remise en question du type d'aménagement même qui prévalait auparavant. 136 MOHAMED BERRIANE

L'importance du Nord parmi les destinations touris­ tiques fréquentées· par les Marocains remonte à l'avènement de l'Indépendance et même bien avant. A. Le Nord du pays a toujours exercé une fascination cer- . taine sur les habitants des autres régions Les raisons du succès du Nord auprès des populations de la principale zone de départ (Casablanca-Rabat-Fès) sont multiples. - Avec son statut de ville internationale, Tanger fascinait déjà au début de ce siècle les familles de la bourgeoisie commerçante de Fès. L'arrivée des premiers visiteurs étrangers remonte à l'époque où Tanger, ville consulaire et commerciale ouverte sur l'Afrique mais aussi sur la cul­ ture et la civilisation arabo-musulmanes, attirait entre autres des personnalités célèbres et des hommes de l«~ttres (P. Loti)3 , ainsi Que des curieux et des aventuriers. Ce tourisme naissant à Tanger concernait également une mi­ norité de Marocains. Ceux-là y venaient surtout l'été à la recherche d'un climat plus doux, mais ils étaient aussi at­ tirés par cette fenêtre sur le monde extérieur Que consti­ tuait Tanger. La ligne de chemin de fer gérée par la com­ pagnie franco-espagnole «Tanger-Fès» contribua sans doute dès 1927 à cette découverte de Tanger par les Fassi. Mais les activités commerciales Que le Maroc pré-colonial entretenait avec les ports de l'Europe méridionale et où Tanger jouait le rôle de débouché maritime, avaient tissé des relations assez étroites entre Fès et la ville du Détroit. Commerce, diplomatie et tourisme allaient de pair - Au lendemain de l'Indépendance on assiste à un véri­ table engouement des habitants de l'ex-zone française pour le Nord en général et Tanger en particulier. Cet es­ pace longtemps isolé du Maroc du fait de la frontière entre les deux Protectorats fait l'objet d'une véritable re-

3. Cette attraction sur les hommes de lettres, Tanger l'exerce toujours. AMENAGEMENT TOURISTIQUE 137

conquête de la part des populations du Sud. A cette raison d'ordre sentimental s'en ajoutait une autre d'ordre plutôt matériel. En effet, bien qu'intégrée au reste du pays, Tan­ ger continuait pendant les premières années de l'Indépendance (de 1957 à 1959) à offrir de nombreuses marchandises - issues des stocks de la période précédente et dont l'épuisement tardait curieusement - à des prix avantageux. Bref le déplacement vers la ville du Détroit était à la mode parmi, tous ceux qui avaient les moyens de couvrir les frais du déplacement. Découlant de cette tradition du voyage à la mode vers Tanger, considérée comme tête de pont vers l'Europe, d'autres raisons font leur apparition au cours de la décen­ nie 1970, en généralisant la visite obligée à Tétouan et à sa côte: - La commercialisation dans les villes du Nord des articles introduits illicitement dans le pays est un de ces nouveaux attraits. La pratique de la contrebande remonte à l'époque des deux Protectorats et s'est développée de façon soute­ nue après l'Indépendance et l'annulation en 1959 de la Charte Royale promulguée au profit de Tanger deux ans auparavant, mais c'est 'la présence espagnole à Sebta, zone franche, qui maintient ces flux de marchandises en di­ rection des centres urbains de la côte tétouanaise. Les files de voitures particulières originaires de Fès, Casablanca et Rabat, encombrant l'artère principale et les rues adja­ centes du Centre de Fnideq, à l'occasion des week-end, jours fériés et grandes vacances scolaires permettent d'apprécier le rôle joué par la contrebande dans la pro­ motion du Nord auprès des touristes marocains. Le voyage, qu'il soit de courte durée avec nuitée à Tétouan Ou séjour de longue durée sur la côte, donne lieu toujours à plusieurs visites à Fnideq pour l'achat d'appareils élec­ triques et d'articles électro-ménagers, vêtements, nourri­ ture, vaisselle, etc. 138 MOHAMED BERRIANE

- Avec la diffusion au sein de la société marocaine des habitudes de départ en vacances, les motivations purement touristiques viennent s'ajouter à tout ce qui précède et avantagent le Nord parmi les autres destinations. La Mé­ diterranée aux eaux plus calmes et plus chaudes est géné­ ralement préférée à l'Atlantique. L'ambiance particulière faite d'un mélange de traditions marocaines et d'héritages espagnols est particulièrement recherchée à Tanger et Té­ touan.. L'armature urbaine bien dense et les équipements touristiques réalisés pour le tourisme international et plus ou moins vacants sont aussi parmi les facteurs les plus décisifs. La fréquentation de la région par le tourisme in­ ternational est en elle-même un atout, dans la mesure où ce tourisme a contribué à la promotion de ces régions parmi les classes aisées, le visiteur étranger étant lui­ même perçu comme une attraction. Pour .les couches les moins aisées, le coOt de la vie relativement bas dans les villes du Nord donne à celles-ci la réputation d'être des destinations bon marché. C'est sur le rivage de la côte méditerranéenne, par exemple, que l'on rencontre encore de nos jours des sites où le camping sauvage est encore toléré. Cet attachement et cette valeur conférés aux lieux nous rendent compréhensibles la place de choix occupée par les villes du Nord parmi l'ensemble des destinations touristiques. Une fois les équipements programmés au cours de la première phase, terminés, ils furent progressi­ ~ement investis par les Marocains. Bien que les nuitées hôtelières ne représentent qu'une infime partie des flux touristiques internes nous pouvons les utiliser comme in­ dice révélateur de cette montée. En 1978, la part relative des nationaux dans le total des nuitées enregistrées à Té­ touan et sur son littoral était de 23% (M. Berriane, 1980). Aujourd'hui elle est de 38%. Mais si nous écartons les statistiques des villages de vacances (deux villages du Club AMENAGEMENT TOURISTIQUE 139

Méditerranée et un troisième dépendant autrefois d'un club belge, gérés et fréquentés avant tout par des étran­ gers, le pourcentage revenant aux Marocains passe à 67% avec des pointes de 70 à 80% pour le complexe Maroc­ Tourist de Restinga et de 70 à 85% pour les hôtels de la ville de Tétouan. Même en considérant tous les moyens d'hébergement - les villages de vacances compris - les nationaux avec 38% du total des nuitées arrivent en tête de toutes les autres nationalités, loin devant les français (17,6%). Ils commencent à fréquenter - bien que timide­ ment - les clubs à gestion étrangère. Ils ont fourni en 1987, 9,7% des nuitées de ces établissements soit 13% du total des nuitées marocaines passées dans la région cette même année. Il est bien évident que si nous pouvions prendre en compte également les nuitées passées dans les nombreux campings et les résidences secondaires de la côte d'une part et chez l'habitant à Tétouan d'autre part, cette présence des Marocains serait beaucoup plus impor­ tante. Ces deux modes d'hébergement (accueil chez les pa­ rents et amis et location chez l'habitant) étant prédomi­ nants à Tanger, les· chiffres fournis par les structures d'accueil homologuées sous-estiment ·considérablement la présence du touriste marocain dans la ville du Détroit. Cette présence descend, cependant, rarement au-dessous de 20%. De même si nous retenons l'estimation de 1 400 000 nuitées nationales proposées par le Groupe Huit dans le cadre du SDAU de Tanger - hypothèse que nous jugeons assez basse" - et que nous la cumulions avec les nuitées étrangères recensées dans les hôtels, soit au to­ tal 2 410 573 nuitées, nous obtenons un pourcentage de 60,2% pour les nuités des nationaux.

4. Cf. M. Berriane, Tourisme national et migrations de loisin au Maroc, Publications de la Faculté des Lettres de Rabat (sous presse). 140 MOHAMED BERRIANE

Cette demande va expliquer en grande partie la re­ prise réelle du moùvement de constructions à partir de 1984-1985, aussi bien sur la côte de la Péninsule Tingi­ tane que dans la baie de Tanger. B. La côte Tétouanaise connaît à partir du début de la dé­ cennie 1980 une véritable effervescence dans l'aménagement de nouveaux ensembles touristiques 1. La reprise du mouvement de constructions s'accompagne d'importantes mutations En supposant que la situation telle qu'elle se présentait jusqu'en 1984 soit le résultat des opérations d'aménagement ayant débuté avec le Plan Triennal 1965­ 67, nous pouvons la comparer à la situation prévisionnelle, une fois terminés les chantiers en cours. Cette dernière situation est approchée à partir de l'examen des dossiers des seuls projets réellement en chantier et de ceux dont certaines tranches sont déjà opérationnelles ainsi qu'à par­ tir des déclarations des promoteurs sur les capacités et les types d'hébergement prévus. De ce fait, les chiffres obte­ nus et résumés dans le tableau 1 ne sont pas définitifs, ne serait-ce qu'en raison des multiples modifications appor­ tées au projet initial au fur et à mesure de l'avancement des travaux. Pour revenir à notre comparaison, une fois terminés les chantiers en cours, l'accroissement de la capacité d'accueil offerte par la région serait de l'ordre de 148%. Il y a donc une sérieuse reprise de la construction après plus de 10 ans d'accalmie: Cette augmentation brutale du parc d'hébergement touristique s'accompagne de trois nou­ veautés : - L'affirmation d'un nouveau type d'hébergement (figure 3). Les réalisations des stations de la première génération étaient axées sur la formule du village de vacances à ges- Figure 3. Types d'héllcrllcments existants et prhisionnels sur le littoral tétouanais

Bachlr Zlkrl 1Rlo- Nlvro

Capacité existantl 0--- 500 Iils rn- -- 100 lits

Capacité additionnelle -_40001its ____ 1000 ____ 500 ____ 100 Rlstlnva G Type dhétlervemenr Smir

.. VllloVI dl yoconcu a ou compll.. 10ur..t1que liliTIillill Marina Appartements

HabitaI payllionnaire Rio-Sm.. (yillas,bul'valows) el collecllf \App. studio) Exlenslon­ - plus h~el I

Mdlq

­"" Cobo -"" ".. :.:::::: 1

Source: Enquête de l'auteur, 1987 142 MOHAMED BERRIANE

Tableau nO 1 EVOLUTION DE LA CAPACITE EN LITS ET DE LA STRUCTURE DES MOYENS D'HEBERGEMENT DE LA COTE DE TETOUAN

Tableau nO 1.1. Situation en 1984 (en nombre de lits)

Localisation Type d'hébergement Hôtels Résidences V.V.T. Restinga-Smir 230 1500 780 Rio Smir 138 356 - Mdiq 160 - 1242 Cabo Negro 42 1000 620

Total 570 2856 2642

Tableau n° 1.2. Projets en cours de réalisation en nombre de lits (Juillet 1989)

Localisation Type d'héberJ!ement Hôtels Résidences V.V.T. Rio Negro - 2200 - Restinga-Smir 380 4120 - Rio Smir 240 960 - Mdiq - 300 - Cabo Negro - 2200 -

Total 620 9780 -

Tableau nO 1.3. Projets déposés pour approbation en nombre de lits (Juillet 1989)

Localisation Type d'héberJ!ement Hôtels Résidences V.V.T. Rio Negro 800 2900 - Restinga-Smir 1700 4300 - Rio Smir - 800 - Mdiq 520 3218 - Cabo Negro . . .

Total 3020 10418 -

Source : enquête de l'auteur auprès de la délégation de l'habitat de Tetouan, de la Division des investissements du Ministère du Tourisme et sur le terrain (été 1988). AMENAGEMENT TOURISTIQUE 143

tion étrangère. Celui-ci représentait plus de 60% de la ca­ pacité totale de la région en 1978 et 43% en 1984. Au­ jourd'hui, un nouveau type que nous appellerons résiden­ tiel s'affirme de plus en plus. c'est ainsi que les ensembles d'appartements~ studios, chalets, bungalows et villas de différents standings qui représentaient 46,8% en 1984, vont constituer 76,6% du total des lits à la fin des travaux en cours. Si nous ne considérons que la capacité des chantiers en cours, les ensembles résidentiels individuels, ou semi-collectifs représentent 94% des lits en cours de réalisation. La capacité additionnelle prévisible par les projets déposés maintiendra un taux assez élevé de ce type d'hébergement; 77%. Le village de vacances, établissement par excellence du touriste étranger, verra son poids relatif baisser consi­ dérablement : 16% à la fin des travaux engagés et 8,8% en incluant les prévisions des projets en cours d'examen. L'hôtel classique, parent pauvre dès le départ, continuera à servir de support à des complexes touristiques où la ré­ sidence individuelle, collective ou semi-collective est la pièce maîtresse de l'ensemble. Il est bien certain que ce nouveau type d'hébergement n'est pas destiné exclusivement à la clientèle nationale, mais l'affectation des premières tranches laisse prévoir une fréquentation en majorité marocaine. La seconde ca­ ractéristique de ces réalisations, que l'on peut dénommer de la «deuxième génération», confirme cette conclusion. - La principale destination des nouveaux programmes est la vente à des particuliers marocains. La côte méditerranéenne a longtemps été connue par la prédominance de la gestion étrangère (Club Méditerra­ née). La tendance est à la privatisation des unités d'hébergement produites. Nous avons déjà vu Maroc­ Tourist se défaire d'une grande partie de ses appartements et châlets en organisant une vente aux enchères publiques. 144 MOHAMED BERRIANE

La plupart des chantiers de la deuxième phase une fois lancés, sont accompagnés de campagnes publicitaires dans la presse et la radio et tournées en grande partie vers le marché intérieur (cas de Soumaya-plage et de Marina­ Smir). Le standing des réalisations est très variable, mais les prix sont parfois extrêmement élevés, surtout pour les produits haut de gamme. Ceci ne semble pas se répercuter sur la demande existante et le rythme des réalisations n'est pas pour autant ralenti. - La troisième et dernière nouveauté concerne l'apparition d'un nouveau type de promoteur. Si, par le passé, n'intervenaient au niveau des inves­ tissements que des organismes semi-publics (SOMADET, SAT, MAROC-TOURIST) et au niveau de la gestion, surtout des sociétés étrangères (Club Méditerranée), nous assistons actuellement à une entrée remarquée des inves­ tisseurs privés nationaux. Sur les neuf projets en cours de réalisation, un seul est financé à 100% par des capitaux étrangers. Il s'agit du groupe INTERDEC HOLDING LIMITED à capitaux séoudiens et promoteur de MARINA-SMIR qui intervient sur une superficie de 65 ha et compte créer quelques 4 000 lits. Un deuxième projet est financé à 50% par des capitaux espagnols et concerne l'extension du complexe Kabila. Ces deux projets totalisent 50% de la capacité to­ tale en cours de réalisation (5 200 lits sur un total de 10 400). Le financement de trois autres projets est pris en charge par des capitaux étatiques. Il s'agit du complexe Al Andalous dont le promoteur est la SOGATOUR (filiale de la CDG) et du New Club (ex Holiday Club en cours d'extension) dernièrement acquis par la BNDE. Ces deux projets ne représentent que 7,7% du total de la capacité en cours de réalisation. AMENAGEMENT TOURISTIQUE 145

Le reste, soit 42% des lits attendus, est le fait de pro­ moteurs nationaux dont trois sont tétouanais et un origi­ naire de Fès. L'origine des autres promoteurs nationaux a été difficile à jdentifier, car ils se présentent sous forme de sociétés anonymes. Ces promoteurs s'adonnent en gé­ néral à diverses activités comme le commerce, l'industrie ou la pêche. Mais l'origine professionnelle la plus fré­ quente reste la promotion immobilière. L'arrivée dans le secteur touristique est souvent per­ çue comme une activité relevant de la promotion immobi­ lièreS. C'est ce qui explique sans doute la tendance à pré­ férer l'habitat résidentiel individuel (appartements et vil­ las), l'hôtel et ses annexes (loisirs et restauration) appa­ raissant comme l'alibi nécessaire à justifier «le caractère touristique». C'est particulièrement le cas d'un des plus grands complexes touristiques de Rio Negro où ne figure même pas l'hôtel alibi. Ces opérations de privatisation et de détournement sont aussi le fait d'organismes financiers publics. L'un d'eux aurait ainsi acquis d'importants ter­ rains destinés à la création d'un camping pour ensuite les lotir et les revendre en parcelles destinées à la construc­ tion. Ce même organisme aurait également entamé les procédures d'acquisition de plusieurs terrains dans les basses vallées d'Amsa et d'Azla en vue d'opérations de ". spéculation immobilière; ces vallées débouchent sur de belles plages au Sud de Martil où se tiennent chaque été de nombreux campings. Nous n'avons pas pu vérifier ces deux informations et nous les livrons ici au conditionnel. Face à ces situations, nous sommes en droit de nous interroger sur l'attitude des pouvoirs publics qui ferment les yeux sur un glissement plus que sensible d'un projet d'aménagement touristique vers de simples opérations im­ mobilières. Cette interrogation s'impose d'autant plus que

6. «De la promotion immobilière à caractère touristique. nous dira le col­ laborateur d'un de ces promoteurs. 146 MOHAMED BERRIANE la viabilisation des terrains de cette Zone d'Aménagement Prioritaire (ZAP) a nécessité de la part de l'Etat des ef­ forts considérables afin d'attirer le capital privé et que le problème du foncier d'une grande complexité, reste entier. Les pouvoirs publics étaient censés engager de véritables investissements touristiques susceptibles, entre autres, -de créer des emplois dont la région a grand besoin. La seule explication possible renvoie à la nécessité de relancer le mouvement de construction à n'importe quel prix afin de valoriser les terrains déjà viabilisés lors de la phase précé­ dente, ce Qui est loin d'être incontestable. Quoiqu'il en soit, cette privatisation progressive du littoral de Tétouan par le biais d'acquisitions particulières de résidences aboutit à trois importantes conséquences : - une marocanisation presque totale de la fréquentation du littoral, - la durcification progressive de tout le font de mer com­ pris entre Martil et FnideQ, - une sélection sociale très poussée des estivants qui fré­ quentent ce littoral: les couches inférieures des classes moyennes, les TME'et les jeunes Qui affluent chaque été vers les nombreux campings non organisés de la région doivent migrer chaque année un peu plus loin, car les es­ paces encore libres de constructions se retrécissent rapi­ dement. 2. L'implantation linéaire se confirme Il y a dix ans, nous avions insisté sur le caractère ponctuel des implantations touristiques de la côte de Té­ touan. Les installations touristiques n'occu'paient au total Que le l/lOe dessinant ainsi un linéaire discontinu entre le rivage et la route principale 28. Rappelant la discontinuité des installations datant de la fin des années 1970, la figure 4 annonce une occupation linéaire presque continue une fois terminés les chantiers en cours. Fi~urc -1. Implantations tOllri ... liqlll's ~lIr Il' lilltJr.1I ldo(l;lIui ... : ill\lTiplioTl "paliah: des deux phases. • Rio-Negro ~ t N

estingo Smir

CS] Côt. bal.e [S] eSte rocheu.e o Boil E---l Moroll lIIlII Agglom'ration Etablissement touristique

~ E.iltant(fln annhl 1970l ~ "En cour. d,aménaoeml/n: Ou d'là operotlonnll Capacitéen lits Pr',lllonnllll O~__---,4 km • ActuIli1

• Prolll 1\1. Ilerriane, \99 \ Source: EU'lu"I~ d~ l'aul~llr. IIJXX 148 MOHAMED BERRIANE

Dans le détail, les aménagements annoncés, ou en cours, frappent par leur aspect fortement linéaire. Ils s'inscrivent tous dans la bande de terre comprise entre la côte et la RP 28. Le projet de Marina-Smir pouvait avec' un peu d'imagination se prêter à un aménagement original prenant appui sur la Marina et le lac artificiel prévus pour se développer en profondeur vers l'intérieur des terres. Il se distingue en fait par une banale linéarité continuant celle de Restinga-Smir que nous avions critiquée vers la fin des années 1970 (M. Berriane, 1980). S'articulant au­ tour d'un port et d'un plan d'eau, il aligne sur trois kilo­ mètres de plages, hôtel, villas, appartements et complexes sportifs. Le seul élément cassant quelque peu cette mono­ tonie est le village du port qui s'inspire de l'agencement et de l'architecture des médinas et se présente sous une forme ramassée et non étalée. En Jllatière d'aménagement des littoraux, la notion d'aménagement dite en profondeur est encore ignorée sur le littoral méditerranéen. Si l'équipement de la côte Est de la Péninsule Tingi­ tane se continue selon ce type d'aménagement et avec le nouveau rythme des constructions, il aboutira rapidement à l'urbanisation totale et continue de tout le littoral com­ pris entre Mdiq et Rio Negro dans un premier temps et Martil et Fnideq dans un deuxième temps. En effet, vu les projets en cours de réalisation, le lit­ toral compris entre le centre de Mdiq au Sud et les envi­ rons de l'embouchure de l'Oued Negro au Nord ne com­ portera plus que quelques rares fenêtres sur la mer. Celles-ci sont appelées à disparaître si les projets déposés pour agréments sont retenus et réalisés. Les regards se tournent déjà, au sud de Martil en direction d'Azla, d'Amsa et au-delà de ces vallées de proximité en direction de Oued Laou. AMENAGEMENT TOURISTIQUE 149

Seul le littoral compris entre Cabo Negro au Nord et Martil au Sud semble encore loin de la saturation. Mais si l'espace compris entre ces deux derniers centres n'est en­ core concerné par aucun projet, l'extension spatiale de Cabo Negro d'un côté et de Martil de l'autre convergent vers le même point le long de la côte. L'examen du cas de Cabo Negro précisera cette urbanisation du littoral. - Cabo Negro: une «urbanizacion» haut de gamme que se partagent «Gentils Membres» du Club Méditerranée et classes supérieures de Casablanca. Rabat et Fès. Accroché aux versants de Koudiat Taïfor et éloigné de l'axe routier P. 28, l'ensemble résidentiel de Cabo Ne­ gro rappelait lors de son lancement les «urbanizaciones» espagnoles. Il répond à cette définition dans la mesure où il est constitué par une série de réalisations (appartements, villas et terrains viabilisés à bâtir) se regroupant autour d'un centre d'animation commun (un petit hôtel, un res­ taurant et un centre commercial) respectant une unité architecturale (style méditerranéen) et qui sont dues à la même entreprise de promotion, la Société Africaine de Tourisme (SAT). Cette dernière (constituée par la Caisse de Dépôt et de Gestion et la Banque de Paris et des Pays-Bas>, s'occupe elle-même ou par le biais de filiales (comme la société AGENA) de la viabilisation, de la construction, de la promotion et de la vente de ses appartements; elle peut en assurer aussi la gestion. Dès le départ, la société a constitué une importante réserve foncière de' 500 ha le long du littoral aussi bien en direction de Martil que vers le Nord et prévoyait une capacité définitive de quelques 8 000 lits dont plus du 1/3 devait revenir à l'hôtellerie classique, le reste se répartissant entre des appartements (2 000 lits) et des lotissements de grandes surfaces (3 000 lits). L'animation et les activités sportives devaient s'articuler autour d'un golf de 18 trous et d'un port de 150 MOHAMED BERRIANE

plaisance. N'ayant pas défini, volontairement, un projet d'aménagement intégral et précis, pour pouvoir l'ajuster à l'évolution de la conjoncture touristique, la SAT a pu me­ ner à bien la valorisation de son périmètre d'intervention. C'est ainsi que la capacité hôtelière créée dans la première phase (un petit hôtel de 46 lits et deux hôtels plus impor­ tants gérés depuis par le Club méditerranée) n'a pas dé­ passé les 700 lits. Avec les appartements de la première phase (village AGENA), ces établissements hôteliers constituent le noyau initial et central de la station (figure 5 A 5 B). C'est là que nous rencontrons encore des tou­ ristes étrangers constitués essentiellement par les clients du Club Méditerranée. Les appartements de· ce noyau central sont déjà en majorité occupés par les estivants nationaux. Suivant l'évolution du marché, la société a, par contre, davantage développé son parc de résidences secondaires. Les résidences collectives (appartements des programmes Marco Polo, Nargis, Sainar) qui sont le fait de différentes sociétés ayant acquis des terrains auprès de la SAT, se si­ tuent dans la partie centrale qui connaît une certaine den­ sification du tissu. Le résidentiel individuel se. développe dans deux directions opposées. Vers le Nord, le lotis­ sement «le Coral» comporte des villas spacieuses et .. luxueuses dotées chacune d'une piscine privée et gravis­ sant sans peine les pentes sud-est de la montagne. Vers le Sud, le lotissement du golf est constitué de villas de même standing et se dirige vers Martil. Avec ses lots destinés à la construction, la société vi­ sait à la fois le marché international (en particulier le marché français) et le marché national constitué d'une part par «la fraction de population disposant de hauts re­ venus et d'autre part par la frange supérieure des résidents étrangers»6. Dès le départ la part du marché international

6. Rapport de la SAT (non daté). Figure S. Occupatiul1 du sol ;'l B. Situation cn 19X9 ,

Habitai coll'ctlf: - VillaQ' AQ.na <. HÔt.1 " P.1iI M.rou") -Nor9111, Soir or •~ HabitaI pa~llIonnair' ü;gl~ lotlnem.nt ~ Club M.dlt.rran'. ~ T.rroins d. t.nnil.1 IIrroin de oolf /--- .-\ 1 Noyau initial: lourllm' Inlernotlonal

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Ech.lI. approximatlv. o zoo 1\1. Ih·rriane. 1991 152 MOHAMED BERRIANE reste faible: 25% des ventes du premier lot de terrains pour villas et 15% des ventes d'appartements de la société AGENA jusqu'en 1979. Aujourd'hui, la majorité des 500 appartements et vil­ las que compte la station sont la propriété de marocains'­ Sur un échantillon d'une quarantaine de résidences, seuls 9,5% appartiennent à des étrangers, alors que les proprié­ taires originaires de Casablanca détiennent 41 %, les Fassi 14%, les Rbati 12,6% et les Tétouanais 10,6%. Parmi les locataires, Casablanca, Rabat et Fès totalisent presque 90% des personnes enquêtées. L'examen de l'appartenance socio-professionnelle des estivants enquêtés à Cabo Negro ne surprend guère puisque la quasi-totalité de l'échantillon appartient au secteur moderne supérieur. On note une prédominance des cadres supérieurs de l'administration et des agents de l'autorité (40%), suivis des commerçants et industriels (37%). Le visiteur de Cabo Negro repart avec l'agréable im­ pression d'une station de haut standing où l'incontestable réussite architecturale de l'ensemble et l'environnement de qualité sont à la hauteur du charme naturel du site. Mais le tarif du stationnement dans le parking, extrêmement 7 élevé pour le Maroc , probablement ainsi fixé pour dé­ courager ceux qui, motorisés voudraient accéder à cette plage, est là pour rappeler la sélection sociale très poussée de son contenu qui en fait un îlot de prospérité. C. Dans la baie de Tanger, la SNABT se convertit en pro­ moteur immobilier dès 1975. Nous avons déjà fait état de l'échec du projet d'aménagement de la baie de Tanger. Or, la société créée en 1967 existe toujours, et ce 21 ans après. Ceci s'explique

7. Alors que les droits de stationnement tournent autour de 1 à l,50 dh à Tétouan, ils sont de 10 dh à Cabo Negro 1 AMENAGEMENT TOURISTIQUE 153

en grande partie par les profondes modifications que les responsables de la société ont apportées progressivement au projet initial. La comparaison entre d'une part le plan du parcellaire rappelant les options de départ du projet (figure 6) et la carte de l'occupation du sol, dressée par nous-mêmes à partir d'une photographie aérienne récente (988) (figure 7) d'autre part, montre l'ampleur de ces modifications. Les affectations du sol du projet initial réservaient 39 îlots (sur 102) à l'hôtellerie, 45 aux résidences touris­ tiques collectives ou semi-collectives, Il aux bungalows, 5 aux villas et 2 aux villages de vacances. Or, force est de constater que les implantations hôtelières actuelles se li­ mitent à celles ayant été réalisées lors de la première phase (le village du Club Méditerranée, les deux hôtels Malabata et Tarik et le camping Tingis). Cette hôtellerie se confine à l'Est de la baie. Au niveau des résidences touristiques (<

Source:

o 480 ~ . FiO·6 Projet initiai de la S·N·A·B·T Fig.7 Occupation du sol dons Plon parcellaire le périmètre de 10 S·N·A·B·T ( Situation ou 13 -01-1989 ) g Hôtellerie Habitat péri - urbain ~ V·V·T ~ Usine ~ • ~ Résidences touristiques L31] Plage r::::I P:"':"] G:::J Bungalows G:::J Portie du kJc artificiel en voie de remblaiement [TI Comping ~' . Ouvraoes de protection de kJ plaoe Villas E3..: ::: Bois et espaces verts ..r=:::=:=t Loc artificiel Etablissement hôtelier ~ ~ L2EJ Espaces verts ~ Résidences touristiques ŒJ Comping [llJ]] centre de voconces [!iJ Villas III Autres implantations 156 MOHAMED BERRIANE

Le premier lotissement «Baie de Tangen), constitué de 135 lots de 300 à 600 m2 chacun, est lancé en 1973 au prix de 24 Dh le mètre carré viabilisé, soit 40% du prix de revient! Le deuxième «Bella Vista b, comprend 134 lots de 250 à 700 m2 est mis en vente en 1977 suivi du troisième et dernier «Bella Vista II)) Qui, lui, propose des lots allant jusqu'à 1 200 m2. Ces trois lotissements sont en grande partie terminés aujourd'hui et totalisent 368 rési­ dences sur 40 ha. Ils occupent des lots réservés initiale­ ment à l'hôtellerie. Ce changement de vocation de la société est destiné à rentabiliser les terrains viabilisés à grands frais. La société prend soin de garder à cette opération - ne serait-ce Que formellement - un aspect touristique puisque l'ordre de priorité dans ces ventes a été le suivant: les étrangers, les Marocains à l'étranger, les Marocains hors de Tanger et dans un dernier temps les Tangérois. Ceci était destiné à éviter Que le projet ne se transforme en une simple opé­ ration immobilière tournée vers la production de loge­ ments permanents. En réalité, la majorité de ces villas sont des résidences principales de Tangérois habitant à Tanger ou des maisons de rapport louées au prix fort au cours de l'année et/ou en été. Cette modification du projet initial, en transfor­ mant dans les faits une société nationale d'aménagement touristique en un simple promoteur immobilier, pose un problème juridique, l'exprop'riation des propriétaires d'origine ayant été menée pour cause d'utilité publique. Une partie des villas des trois lotissements est mise en location comme résidences d'été. Nous y avons rencontré des estivants Fassi et Casablancais. Quelques unes sont de véritables résidences secondaires appartenant à de riches commerçants des mêmes villes ou à des cadres supérieurs de Rabat. AMENAGEMENT TOURISTIQUE 157

La société maroco-belge qui avait créé à l'origine les résidences Marbel l, II et III ayant été dissoute à la fin des années 1970, les appartements et studios constituant ce complexe ont été totalement vendus à des particuliers dont la majorité sont des Fassi8. Une autre résidence «Sanaa»; a été aussi totalement privatisée. Dans ces deux résidences qui totalisent une capacité d'hébergement pour 2 100 personnes, les Fassi (45,5 %) des propriétaires), les Casa­ blancais (23,4%) et les Rbati (18%), contrôlent l'essentiel des lits avec une légère différence entre les deux rési­ dences. Plus ancienne et commercialisée avec une certaine précipitation en 1979, Marbel est contrôlée à plus de 50% par les familles de Fès. Sanaa par contre, a été lancée beaucoup plus tard - après les années 1980 - lorsque ce nouveau produit fut suffisamment connu parmi les Ma­ rocains et sa commercialisation a été étalée sur plusieurs années. De ce fait les habitants des autres villes comme Marrakech (4,9% des propriétaires de Sanaa), et Beni­ Mellal (4,5%) ainsi que des Tangérois émigrés (12%) ont pu acquérir aussi des appartements réduisant légèrement la part des trois villes principales de Fès, Casabianca et Ra­ bat. Il faut ajouter à cela l'inauguration en juillet 1988 de l'important centre de vacances appartenant à la Banque du Maroc «Bank Al Maghrib» sur deux lots totalisant 21 500 m2. Avec 13 villas, 20 appartements de standing, 2 piscines, un bois et un centre d'animation, cet ensemble reçoit 400 personnes parmi les cadres de la banque et leurs familles originaires pour la plupart de Rabat et Ca­ sablanca.

8. Le changement de nom d'un de ces trois ensembles Marbel symbolise cette mutation; l'appellation initiale 4lMarbel» issue du nom de la société Maroco-belge est devenue 4lBenta», la résidence ayant été acquise par deux associés fassi, Bennani et Tazi. 158 MOHAMED BERRIANE

Notons, enfin, quelques initiatives de particuliers qui, ayant bénéficié de lots dans la partie Ouest de la baie, ont érigé un ensemble d'immeubles dont les appartements sont destinés à la location estivale. L'emplacement de ces tours de sept étages entre d'une part les villas de la zone rési­ dentielle et d'autre part le rivage est peu heureux. Tous les autres projets contenus dans les dossiers de la SNABT sont enterrés et les riverains du lac artificiel ­ point fort du projet initial - réclament déjà son comble­ ment! Ayant bloqué momentanément le développement de la ville de Tanger vers l'Est, l'intervention de la société oriente actuellement l'extension spatiale de la ville dans cette même direction imprévue. Un véritable quartier ré­ sidentiel est en train de naître: à toutes les formes d'habitat déjà citées on prévoit d'ajouter l'implantation d'une école primaire, d'un local pour la police, d'un autre pour la poste et de centres commerciaux, etc. Comme la côte méditerranéenne occidentale, la baie de Tanger est désormais orientée vers l'accueil de la clientèle nationale. Les touristes étrangers se limitent aux seuls résidents du Club Méditerranée et aux groupes sé­ journant dans les hôtels de Tarik et Malabata. Le rem­ placement de la première clientèle pour qui les projets ont été initialement programmés, par la deuxième qui s'implante de différentes manières est une nouvelle donne du tourisme dans le Nord du Maroc. Ce processus de «reconquête» du Nord s'accompagne cependant de glisse­ ments regrettables vers des opérations immobilières, le tout se passant dans un climat de spéculation, de re­ cherche du profit facile et de connivence manifeste. AMENAGEMENT TOURISTIQUE 159

Conclusion Ecartelés entre les choix volontaristes de l'Etat qui visaient le tourisme international, d'un côté, et la demande pressante du tourisme national en résidences secondaires, de l'autre, les rivages des côtes méditerranéennes maro­ caines connaissent de nos jours une évolution assez in­ quiétante allant dans le sens de la dégradation de l'environnement, environnement qui est la base même de tout développement touristique. La première phase, marquée par l'irruption du tou­ risme international a été marquée par la faiblesse des re­ tombées économiques sur les milieux d'accueil. Les types d'aménagement et de gestion choisis (prédominance des villages de vacances à gestion étrangère de type Club Mé­ diterranée) ont été pour beaucoup dans cette faiblesse des retombées. C'est ainsi que les complexes touristiques, à cause de leurs grandes tailles et partant de leurs besoins énormes, doivent s'adresser directement à d'autres régions (en particulier Casablanca) qui fournissent l'essentiel des approvisionnements. Les achats sur le plan local se limi­ tant aux fruits et légumes et à quelques produits d'entretien ne représentent en valeur que 25 à 30% des dépenses. Ces établissements se caractérisent en outre par leur ambition d'autonomie et fournissent donc à leurs clients, à l'intérieur même du complexe, la totalité des équipements sportifs et des distractions, ainsi qu'une par­ tie non négligeable des besoins en commerces et services. De ce fait, on est frappé par la rareté des emplois induits. Restaurants, bazars, agences de voyages, guides touris­ tiques et transporteurs sont pratiquement inexistants sur la côte tétouanaise, exception faite du petit centre de Mdiq. Le caractère fortement saisonnier de l'industrie hôtelière telle qu'elle est pratiquée sur cette côte réduit considéra­ blement les possibilités de création d'emplois permanents, puisque tous les villages de vacances ferment d'octobre à 160 MOHAMED BERRIANE

mai. De ce fait, après plus de 20 ans d'existence, le tou­ risme est loin d'être le moteur de développement de cette région. Or, les investissements consentis pour développer le tourisme sur cette côte ont été très lourds. Devant le ralentissement des flux du tourisme inter­ national, la clientèle nationale s'est tournée vers cette ré­ gion, mais très vite elle s'est rendu compte que l'offre avait été conçue pour un touriste à haut revenu alors que la demande nationale émanait avant tout des classes moyennes et classes populaires. Devant ces difficultés, et pour attirer investisseurs et clientèles, deux évolutions sont perceptibles: Les projets d'aménagement touristique se transforment en opérations de promotions immobilières, sous la forme de simples lotissements pour des villas et des appartements destinés à la vente. Des facilités concernant les localisations sont accor­ dées aux investisseurs. C'est ainsi que les implantations à proximité immédiate du rivage se multiplient posant des problèmes de dégradation du milieu. L'urbanisation ex­ cessive, rapide et parfois anarchique du milieu naturel côtier est l'une des conséquences environnementales les plus dramatiques. Cette urbanisation aboutit à une durci­ fication irréversible du front de mer et à une privatisation de fait d'un espace appartenant au patrimoine national. Elle débouche également sur de graves atteintes à l'environnement (dégradation et recul des plages, dégrada­ tion de la dune bordière, pollution des eaux côtières et souterraines, surexploitation des ressources en eau, déna­ turation des sites, gaspillage des potentialités, etc.). AMENAGEMENT TOURISTIQUE 161

Les différentes interventions au coup par coup et échelonnées dans le temps entraînent de graves conflits entre le tourisme et d'autres activités comme l'industrie ou les ports. Le littoral méditerranéen, milieu à l'équilibre fragile, aurait gagné beaucoup à être traité de façon glo­ bale et intégrée dès le départ. Un long débat est ouvert depuis le début des années 1970 entre ceux qui pensent que le tourisme est une chance que doivent saisir les pays en voie de développe­ ment (création d'emplois, aménagement du territoire, cir­ culation des hommes et des capitaux, etc.) et ceux qui au contraire sont persuadés que le tourisme aboutit en fin de compte à une exploitation dangereuse de l'espace et à une banalisation des hommes et de leur cadre de vie. Au Maroc, le tourisme est devenu aujourd'hui une activité économique indispensable surtout en ces temps de difficultés de trésorerie de l'Etat. Néanmoins l'exemple de la côte méditerranéenne que nous avons présenté ici est assez représentatif des évolutions résultant d'une politique touristique inconsciente des risques de destruction de la base même de cette activité et qui est l'environnement. Il est également représentatif des cas où le tourisme choisi comme option de développement régional, s'il profite lar­ gement aux finances publiques grâce aux flux en devises, n'induit que de maigres revenus au niveau local. Sur la côte méditerranéenne marocaine le tourisme a sa place à côté d'autres activités économiques, mais la politique d'aménagement touristique doit être totalement repensée. 162 MOHAMED BERRIANE

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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Rapport de Synthèse

La mission dont j'ai été chargé est d'autant plus déli­ cate que les débats dont je dois rendre compte ont été particulièrement riches et instructifs, denses et enrichis­ sants. Aussi ai-je quelques scrupules à entreprendre une synthèse qui ne peut être que réductrice et appauvrissante. Pour surmonter cette gêne - mais non pour réduire les inévitables mutilations - je chercherai à m'en tenir aux idées directrices les plus saillantes et je m'efforcerai d'être aussi objectif que me le permettra ma subjectivité médi­ terranéenne. Auparavant, permettez-moi de faire quelques obser­ vations préliminaires de manière à préciser l'approche qui a été la nôtre et à lever quelques ambiguïtés. 1. Les discussions ont, par moments, révélé des hési­ tations et des flottements quant à l'objet de notre ren­ contre: sommes-nous venus parler du Maroc méditerra­ néen, de l'arrière-pays ou de la Méditerranée? La ré­ ponse me paraît contenue dans le titre même de notre rencontre: nous sommes venus traiter du Maroc Méditer­ ranéen non pas en lui-même, mais en tant qu'il constitue une dimension essentielle de notre être collectif, une par­ tie de nous mêmes. Nous devions donc prêter la plus grande attention à tout ce qui directement ou indirecte­ ment s'inscrit dans cette perspective: la situation de la ré- 164 OMAR AZZIMAN gion, ses rapports avec l'arrière-pays, ses rapports avec la Méditerranée, ses rapports avec l'extérieur (tant au Nord Qu'à l'Est). 2. Cette précision en commande une autre: notre tâche ne consistait pas à examiner le Maroc Méditerranéen à partir de Tétouan, d'AI-Hoceima ou de Nador. Nous devions d'un point de vue plus général et plus objectif traiter du Maroc méditerranéen à partir du Maroc tout entier et pour le Maroc tout entier car, au-delà des pro­ blèmes locaux et régionaux, l'enjeu porte sur une dimen­ sion de notre être Qui a façonné notre histoire et Qui est appelée à commander notre avenir. 3. Pour mener à bien cette mission de prospection et de reconnaissance Que nous nous sommes assignée, nous devions au préalable évincer les visions folkloriques et mutilantes Qui réduisent le Maroc méditerranéen à une terre de villégiature, un repaire de contrebandiers et de trafiquants de drogue. Le Maroc méditerranéen a une histoire des plus denses, une culture des plus riches, des ressources humaines et naturelles considérables, des po­ tentialités prometteuses. Il n'y a donc pas à s'arrêter à l'arbre Qui cache la forêt surtout Quand l'arbre se réduit à une pathologie sociale liée à une situation de crise. 4. Enfin, une précision quant à la finalité de nos tra­ vaux puisque la Question a été posée de savoir si nous sommes venus faire un diagnostic ou rechercher des re­ mèdes. En fait et à juste titre, nous avons fait les deux à la fois, dans l'ordre et dans le désordre, et je propose Que la synthèse de nos travaux s'articule précisément autour des constats et des perspectives.

I. Le Constat Le constat Que nous avons fait tient en deux mots: la situation du Maroc Méditerranéen est critique. Certes beaucoup reste à faire sur le plan des études et des re- RAPPORT DE SYNTHESE 165

cherches pour parvenir à une meilleure connaissance des problèmes mais les analyses faites ici, ne laissent aucun doute sur l'existence d'une crise dont nous avons examiné les causes et les manifestations. 1. Les manifestations sont encore trop présentes dans nos esprits pour qu'il y ait lieu de s'y attarder longuement. Nous avons pu constater l'enclavement paradoxal d'une région toute entière ouverte sur la mer et son degré d'isolement et de marginalisation. Nous avons pu mesurer la pauvreté, le retard et la précarité d'une économie des plus artificielles. Nous avons évoqué les problèmes d'émigration, d'exode rural et de dégradation urbaine. Nous avons pu observer le mal-être, la frustration et la dépossession d'une population maintenue à l'écart des centres de décision étatiques et non étatiques... et j'en passe... et j'en oublie... 2. Nous nous sommes davantage attardés sur les causes de la crise et sur les facteurs qui y contribuent. Nous ne pouvions passer sous silence les déterminants naturels et nous nous devions de prendre en considération l'état du relief, l'érosion du sol, l'étroitesse des plaines, la pauvreté des ressources... Mais nous ne pouvions rendre la géogra­ phie responsable de la crise, nous qui c.onnaissons le passé florissant du Maroc méditerranéen et qui savons que la nature est domptable moyennant plus d'imagination, plus d'efforts et plus d'argent. La part de responsabilité qui revient à l'histoire est certainement plus lourde. Depuis le xve siècle le Maroc méditerranéen est soumis à rude épreuve: il perd ses ports qui étaient aussi ses villes les plus florissantes et du même coup il perd sa vocation et entame une longue pé­ riode de déclin et de repli... La colonisation et le partage du Maroc en zones d'influence aggrave le mal, l'occupation espagnole renforce l'isolement des régions méditerranéennes sans compenser ni par une mise en va- 166 OMAR AZZIMAN leur de la zone ni par une intégration l'Espagne. La part de l'histoire est d'autant plus grande que l'épreuve dure encore: nous nous sommes longuement penchés sur Sebta et Mellila aujourd'hui et nous avons pu apprécier à quel point ces enclaves entravent le développement socio-éco­ nomique de la région, déstabilisent son économie et hy­ pothèquent son avenir. A son tour, l'économie contribue fortement à la crise. A plusieurs reprises nous avons relevé la carence des in­ frastructures et des équipements (routes, voies ferrées, ports, aéroports...), l'étroitesse du tissu industriel, les li­ mites et les dysfonctionnements des activités agricoles, les effets pervers du tourisme, le cancer de la contrebande et de la drogue ainsi que les effets sur les mentalités, les comportements de l'économie. Enfin, la politique y est aussi pour beaucoup: nous avons maintes fois relevé l'absence d'intérêt sérieux et soutenu pour le développement socio-économique de la région et l'incohérence des actions ponctuelles et secto­ rielles menées ici et là. Nous avons aussi relevé les consé­ quences d'une centralisation excessive des décisions et la non-participation des populations concernées ce qui ouvre un débat de fond sur les limites actuelles de la démocra­ tie... Bref, la crise est telle que nous en sommes arrivés à nous demander si le Maroc est encore un pays méditerra­ néen ou si en tournant le dos à la mer et en laissant péri­ cliter les régions côtières, il n'est pas en passe de perdre sa «troisième dimension». Mais bien que le tableau soit passablement noir, les ressources et les perspectives du Maroc méditerranéen autorisent bien des espoirs. RAPPORT DE SYNTHESE 167

II. Les Perspectives. S'il est vrai que la dimension méditerranéenne du Maroc a dans une large mesure commandé son histoire ­ et l'histoire de toute la région - les communications et les discussions ont montré, avec éclat, comment cette dimen­ sion méditerranéenne devient à nouveau chaque jour plus déterminante pour l'avenir de notre pays. Elle est déter­ minante pour la construction d'un espace maghrébin qui est avant tout un espace méditerranéen. Elle est détermi­ nante pour notre coopération avec le Nord et plus préci­ sément avec la Communauté Européenne au travers de l'Espagne. Elle est décisive parce qu'elle seule peut nous permettre de retrouver nos atouts géo-politiques, de re­ nouer avec notre vocation de terre de rencontre et de fé­ condation des cultures et de réhabiliter notre identité. plu­ rielle et pluridimensionnelle. Le Maroc méditerranéen ap­ paraît donc aujourd'hui comme une priorité dictée tant par l'évolution générale de la région que par la nécessité où nous sommes de «rester dans le jeu» et d'aborder le e XXI siècle avec les atouts requis. A présent que nous avons recouvré nos racines sahariennes, nous nous devons de réhabiliter notre vocation méditerranéenne. Il nous faut aujourd'hui regarder vers le nord et miser sur la Médi­ terranée. Il nous faut donc agir sans plus attendre et agir sur plusieurs fronts simultanément. 1. Il nous faut agir en vue de parfaire la libération du littoral méditerranéen par la récupération des enclaves dont nous connaissons bien, à présent, le rôle déstabilisa­ teur et démobilisant pour le développement socio-écono­ mique de la région. il nous faut agir de manière ferme et résolue en tenant compte des changements qui affectent la région et de la nécessité de préserver l'avenir... 2. Il nous faut aussi agir en vue d'appuyer, de soute­ nir et de consolider la construction du Maghreb qui peut contribuer à désenclaver le Maroc Méditerranéen et à lui 168 OMAR AZZIMAN

restituer sa vocation de trait d'union et d'espace d'échanges et de rencontres. 3. Il nous faut aussi travailler en vue de promouvoir une coopération inter-régionale et la construction d'ensembles régionaux tant en direction de l'Est qu'en di­ rection du Nord, étant entendu que ce type de coopération qui s'appuie sur l'histoire, la proximité géographique, la complémentarité économique et les affinités culturelles n'exclut nullement des formes de coopération plus vastes et plus étendues. 4. Sur le plan interne, il nous faut aborder très sé­ rieusement la question de l'intégration de la région au moyen d'études globales poussées qui tirent les enseigne­ ments des expériences précédentes et qui réservent la plus grande place tant aux spécificités régionales qu'à la parti­ cipation des populations concernées. Il nous faut donc rompre avec le coup par coup et le saucissonnage des pro­ blèmes pour aborder la question dans sa globalité com­ plexe en prenant en considération toutes les faiblesses et tous les atouts de la région. Mais au préalable, il nous faut tourner la page des antagonismes - vrais ou faux - entre le Maroc Méditerranéen et l'intérieur du pays tant sur le plan politique que psychologique. Le temps n'est plus aux réticences et à la méfiance, le temps n'est plus aux calculs et à la suspicion, le temps n'est plus aux doléances plain­ tives. Le temps est venu pour que le Maroc Méditerranéen se prenne en charge et pour que le Maroc tout entier mise ouvertement et clairement sur la Méditerranée. A quand la réalisation d'un tel programme ? Tout dé­ pendra de la vitesse à laquelle nous nous acheminerons vers la démocratie. En attendant, notre rencontre aura incontestablement fait oeuvre utile... Dans une ambiance constructive et se­ reine nous avons identifié quelques problèmes et recher­ ché quelques issues. Ce faisant, nous avons fourni au RAPPORT DE SYNTHESE 169

GERM des matériaux et des pistes pour d'autres études qui seront certainement faites, d'autres rencontres qui auront certainement lieu et qui nous permettront d'avancer et de progresser dans la réflexion.

Groupement d'Etudes et de Recherches sur la Méditerranée (GERM)

Déclaration de Tétouan 14 Octobre 1990

Le Maroc méditerranéen, en s'étendant de Tanger à Oujda, représente une composante essentielle de l'espace national. Au-delà des traits communs à toute cette région, et particulièrement la continuité géographique par le lit­ toral, les différences existantes entre l'Ouest, le Centre et l'Est sont révélatrices d'une grande diversité. Pendant longtemps, cette région a constitué avec ses villes anciennes, ses ports et ses rades, un trait d'union, une terre de passage et de contact entre l'Afrique Subsa­ harienne du Nord-Ouest, le Maroc intérieur et saharien et les peuples et cités-Etats marchands du pourtour médi­ terranéen. En effet, le Maroc par sa position géographique pri­ vilégiée, est une entité à trois dimensions : il vient de ré­ habiliter ses racines sahariennes, la dimension atlantique s'affermit dans une dynamique de modernisation, reste la dimension méditerranéenne chargée d'histoire et de poten­ tialités. Les spécificités de la région et le poids de l'héritage colonial sont à l'origine de grands projets intégrateurs (Derro, Sebou), ainsi que des expériences en cours au ni­ veau du développement local. Mais l'importance du retard 172 MAROC MEDITERRANEEN

accumulé par le passé, les incohérences de la pratique de développement régïonal, les besoins grandissants d'une population jeune expliquent le caractère limité des résul­ tats obtenus. Le Maroc méditerranéen connaît une croissance à plusieurs vitesses. Mais dans l'ensemble, il continue à jouer un rôle en deçà de ses multiples potentialités, favo­ risant par là la création de plusieurs zones de marginalité croissante. La prospérité de l'économie de contrebande, la dégra­ dation de l'environnement, le recul du patrimoine fores­ tier, le développement effréné de la spéculation immobi­ lière, l'intensification de l'exode interne, au détriment de l'arrière-pays, en direction de la côte: tous ces facteurs soulignent l'acuité des problèmes des provinces du Nord. Par ailleurs, la faiblesse de l'infrastructure de base avec la polarisation des flux d'échange entre le Sud-Ouest atlantique et l'Est - rendant appendiciaires les flux hori­ zontaux dans la région - aggravent le processus de désar­ ticulation du Maroc méditerranéen. Pour toutes ces raisons, le GERM, avec le soutien du Conseil Municipal de Tétouan, a organisé une rencontre du 12 au 14 octobre 1990 à Tétouan, sur le thème:

«Le Maroc méditerranéen: la troisième dimension».

Les participants, universitaires, cadres de l'Administration centrale, régionale et locale, élus, opéra­ teurS économiques privés, professions libérales, dans un esprit de dialogue et d'ouverture, ont souligné la nécessité de repenser la place et le rôle de cette troisièmedimen­ sion, en fonction des exigences du présent et de l'avenir, tant au niveau national, maghrébin que méditerranéen de façon plus générale. DECLARATION DE TETOUAN 173

Une démarche collective, solidaire, prenant en consi­ dération les aspirations des populations concernées, et sous-tendue par une vision globale, s'impose. Dans cette perspective, sept axes sont à prendre en considération : 1. L'approfondissement du dialogue hispano-marocain pour parfaire la libération de la côte méditerranéenne,. Dans ce sens, le modèle de décolonisation de Hong-Kong à l'horizon 1997, n'est-il pas à méditer? C'est pourquoi, il est opportun de : - d'une part régionaliser la coopération hispano-ma­ rocaine sur une base décentralisée en imaginant un modèle adapté pour asseoir une coopération porteuse entre le Nord du Maroc et le Sud de l'Espagne. D'autant plus que les traits communs (géographie physique, climat... ) et les atouts (tourisme, pêche, formation, création de pôles scientifiques et technologiques...) entre les deux sont nom­ breux. La région, les villes, les collectivités locales, confor­ mément à leur vocation, sont appelées à jouer un rôle moteur dans la mise en oeuvre de ce nouveau type de co­ opération décentralisée. - d'autre part créer, dans les provinces du Nord, un environnement favorable sur les plans politique, écono­ mique, financier et socio-culturel, pour faire de Ceuta et Mellila, une fois récupérées, des pôles de développement et de rayonnement tant à l'intérieur qU'à l'extérieur. 2. Le développement d'une économie portuaire capable de favoriser la constitution d'une flotte maritime. en tant que vecteur essentiel pouvant aider à la reconqu~te du Ma­ roc méditerranéen. Cette exigence est d'autant plus forte que le Maroc présente une double façade maritime. 174 MAROC MEDITERRANEEN

Sa satisfaction permettra de lever un handicap majeur et de favoriser un plus grand ancrage méditerranéen grâce au redéploiement du rôle du Maroc dans la région. 3. La poursuite de l'édification d'une infrastructure universitaire, d'enseignement et de formation, tournée vers la satisfaction des besoins du Maroc méditerranéen, pre­ nant en considération les particularités et la vocation de la région. 4. Le désenclavement programmé et volontaire de la région par la rénovation et le renforcement systématique des liaisons routières, ferrovières et aériennes, à la fois dans les axes Nod-Sud et Est-Ouest. 5. Le reboisement et la revivification de zones entières de la région trop dangereusement dégradées par l'extension désastreuse de l'érosion. Dans ce sens, des so­ lutions justes et opérationnelles sont à trouver pour clari­ fier la situation juridique foncière dans ce domaine. 6. Le développement des zones industrielles de Tanger, de Tétouan et de Nador, (de Ksar-el-Kébir et de Ber­ kane) et des procédures d'encouragement supplémentaires aux investissements dans les provinces d'Al-Hoceima et Chefchaouen. 7. La mise en oeuvre des potentialités touristiques de la région, dans le cadre d'un plan de développement d'ensemble du littoral méditerranéen et dans le respect intégral du cadre environnemental. En vue de faciliter la réalisation de ces objectifs, le GERM propose: 1. Une réflexion approfondie sur l'opportunité de créer une région économique proprement méditerranéenne que semble justifier l'histoire, la géographie physique et une problématique de développement commune aux pro­ vinces du Nord. DECLARATION DE TETOUAN 175

Instance de coordination, d'impulsion et de décision dans le cadre de l'approfondissement d'une décentralisa­ tion effective, cette région pourra jeter les bases d'un dé­ veloppment plus équilibré, moins excluant et plus réduc­ teur des inégalités. Comme elle .contribuera à renforcer le dialogue et la coopération avec les pays de la rive nord de la Méditerra­ née. et par là consolider la sécurité dans la région. Cette dynamique n'est pas sans retombées maghrébines. Elle in­ citera les cinq pays membres de l'UMA à faire de la Mé­ diterranée un espace de réflexion commune, un atout et une préoccupation partagée, dans les initiatives à entre­ prendre et la démarche à adopter. 2. La création d'un Centre Régional de Recherche et de Développement intégré du Maroc méditerranéen, sur la base d'une coordination étroite entre le GERM, le Conseil municipal de Tétouan et l'Université Abdelmalek Essaadi. Parmi les objectifs prioritaires du Centre: - le recensement des potentialités de développement de la région (agriculture, industrie, pêche, forêt, tou­ risme...); - l'inventaire des études, des institutions d'enseignement et de recherche, des. opérateurs écono­ miques et financiers, des membres des professions libé­ rales, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur, qui s'intéressent au Maroc méditerranéen ; - la prospection dans les pays maghrébins et de la rive nord de la Méditerranée des possibilités de soutien et de coopération pour la réalisation des projets qui seront ini­ tiés par le Centre. Achevé d'imprimer en Juin 1992 sur les presses de l'Imprimerie NAJAH EL JADIDA Casablanca Dépôt légal n0390/1992

Pourquoi une Collection GERM ?

Les publications sur le Maroc méditerranéen et la méditerranée sont très rares. Ceci s'explique par le peu d'intérêt accordé jusqu'à présent à cette dimension porteuse d'avenir! C'est pour combler cette lacune que le GERM, grâce à l'appui des Editions Le Fennec, se propose de créer cette nouvelle collection qui sera ali­ mentée non seulement par des actes et rencontres scientifiques organisés par le GERM mais aussi par d'autres études qui s'inscrivent dans la même problématique. Cette initiative exprime le souci de penser le Maroc méditerranéen dans son contexte régional et international. Une façon de réinventer l'histoire dans sa dimension prospective.

Le- Président du Germ est le Professeur Habib El Malki, qui est également Professeur à l'Université Mo­ hamed V à Rabat.

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