Modernisation agricole, développement économique et changement social Le riz, la terre et l’homme à

Jean-Luc Maurer

Éditeur : Graduate Institute Publications Année d'édition : 1986 Édition imprimée Date de mise en ligne : 24 mars 2015 ISBN : 9782130396222 Collection : International Nombre de pages : 328 ISBN électronique : 9782940549351

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Référence électronique MAURER, Jean-Luc. Modernisation agricole, développement économique et changement social : Le riz, la terre et l’homme à Java. Nouvelle édition [en ligne]. Genève : Graduate Institute Publications, 1986 (généré le 08 septembre 2016). Disponible sur Internet : . ISBN : 9782940549351.

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© Graduate Institute Publications, 1986 Creative Commons - Attribution-NonCommercial-NoDerivs 3.0 Unported - CC BY-NC-ND 3.0 1

La modernisation d'une agriculture entraîne toujours une diversification de l'économie et un renforcement de la différenciation sociale. Condition première d'un développement économique équilibré pour les uns, cause majeure d'un changement social inégalitaire pour les autres, cette stratégie fait l'objet d'un bilan controversé dans tous les grands pays d'Asie où elle a été appliquée. Prenant l'Indonésie comme étude de cas, cet ouvrage établit un diagnostic précis et nuancé sur ce problème fondamental. Il s'articule essentiellement autour d'une analyse comparative très minutieuse de quatre villages du centre sud de Java. Par le biais d'une approche interdisciplinaire originale, il montre toute la complexité des relations existant entre l'homme, la terre et le travail dans une des régions rizicoles les plus densément peuplées de la planète. N'hésitant pas à rentrer de la manière la plus concrète dans l'économie domestique des familles villageoises, il révèle l'étonnante subtilité des stratégies de survie élaborées par une des paysanneries les plus admirables du monde. Le fait de situer cette étude de villages dans le contexte plus large de l'évolution politique, économique et sociale du pays de 1971 à 1981 permet finalement de relier le niveau d'observation micro-régional au cadre d'analyse macro-national. Cet ouvrage comble indiscutablement une lacune importante dans les études sur le monde rural indonésien. Au-delà de l'utilité immédiate qu'il aura pour tous ceux qui s'intéressent au grand archipel, il devrait également toucher l'audience beaucoup plus large des nombreux étudiants, chercheurs et praticiens travaillant sur les problèmes de modernisation agricole dans le Tiers Monde.

JEAN-LUC MAURER

En 1986 Jean-Luc Maurer est chargé de cours et chercheur à l'Institut universitaire d'études du développement de Genève. Titulaire d'un doctorat de l'Institut universitaire de hautes études internationales, il travaille depuis une quinzaine d'années sur la problématique des pays en développement, principalement dans le domaine de la socio- économie rurale. Spécialiste de l'Indonésie où il a longuement vécu pour mener à bien l'essentiel de ses recherches, il a également acquis une vaste expérience des problèmes d'autres pays d'Asie, d'Afrique, d'Amérique latine et d'Océanie où il a effectué de nombreuses missions et des séjours répétés. 2

SOMMAIRE

Préface Pierre Gourou

Avant-propos

Introduction De la problématique au terrain d’enquête

Première partie

Avant-terrain : vue d’ensemble et cadrage progressif du sujet La situation politique, économique et sociale de l’Indonésie en 1971 La place changeante de l’agriculture dans l’économie indonésienne Une stratégie de « révolution verte » concentrée sur Java La société paysanne javanaise de Raffles à Geertz Le terrain villageois : problèmes de méthode et méthodes d’enquête

Deuxième partie. Terrain : quatre villages du cœur du Kejawèn

Préambule

Chapitre I. Tirtonirmolo : le sawah des portes de la ville de Milieu naturel et potentiel agricole Espace exigu, multitude humaine Seuils et catégories de propriété foncière Occupation principale et activités annexes

Chapitre II. Tirtonirmolo (suite) : Calendrier agricole et utilisation des terres Le programme BIMAS : un bilan local Gros plan sur la raffinerie sucrière de Madukismo

Chapitre III. Tirtonirmolo (fin) : Clivages politiques et valeurs culturelles Du lurah au buruh : une galerie de dix portraits En guise de conclusion : un condensé des problèmes-clefs

Chapitre IV. Timbulhardjo : le sawah du centre de la plaine de Bantul Environnement et population Structure de la propriété foncière Profil de l’emploi Rythmes et performances agricoles Diagnostic sur le programme BIMAS Du culturel au politique : un survol en piqués. Deux villageois d’exception sous la loupe Epilogue : les leçons de l’analyse comparative 3

Chapitre V. Wukirsari : le tegal des contreforts du plateau de Gunung Kidul L’homme et son milieu La répartition des terres L’éventail des activités La production agricole Le tour des autres problèmes Cinq différents niveaux de vie Les enseignements à tirer

Chapitre VI. Argodadi : le pekarangan des berges de la rivière Progo Conditions naturelles et densités démographiques Seuils fonciers et accès à la terre Gamme des diverses occupations professionnelles Tour d’horizon de l’agriculture et de ses problèmes. Pauvreté économique et tendances socio-politiques Echantillon tiercé de stratégies locales de survie Remarques finales : confirmations et comparaisons

Sommaire

Troisième partie

Après-terrain : tentative de synthèse et ouverture progressive Essai d’interprétation globale du dilemme rural javanais La situation politique, économique et sociale de l’Indonésie en 1981

Conclusion Modernisation agricole, développement économique et changement social

Bibliographie

Glossaire

Cartes 4

NOTE DE L’ÉDITEUR

Cet ouvrage a été publié pour la première fois en 1986, dans la collection Publications de l'Institut de hautes études internationales, Genève, aux Presses universitaires de France, Paris (ISBN 2-13-039622-4). 5

Préface

Pierre Gourou

1 Préfacer le présent ouvrage est un grand honneur pour moi. Je l'ai lu et étudié avec passion, en éprouvant le sentiment justifié de m'enrichir, à chaque page, par ma lecture. Je reviendrai plus loin sur le contenu de l'œuvre de J.-L. Maurer ; mais je voudrais d'abord insister sur les qualités de ce livre, né d'un esprit profondément et sincèrement voué à l'étude des pays en voie de développement et à la solution de leurs problèmes. En toutes ses parties l'ouvrage témoigne de l'intérêt viscéral que l'auteur prend à ses recherches. Il les mène avec sympathie et chaleur. Il ne se décourage pas devant certaines constatations affligeantes ; il est, à juste titre, convaincu de la possibilité d'y porter remède ; il pense, en tous cas, que le premier pas, l'approche indispensable, est une étude honnête et approfondie. J.-L. Maurer s'est donné les moyens de la réussite ; il a maîtrisé la langue parlée, il a noué les relations les plus confiantes avec les experts javanais et avec ses informateurs villageois ; il a fait de longs séjours sur le terrain et dépouillé une bibliographie exhaustive. Il sait communiquer au lecteur la joie qu'il a éprouvée à voir vivre les paysans javanais et à comprendre leur mode de vie.

2 Grâce à J.-L. Maurer nous pénétrons dans l'intimité de campagnes javanaises. Prenons le village de Tirtonirmolo, près de Yogyakarta, qui a particulièrement retenu l'attention de l'auteur. Le fait brutal, essentiel : le village compte 2 600 habitants par kilomètre carré de surface générale. Cette énorme densité ne se justifie pas par l'industrie ; elle repose fondamentalement sur la riziculture inondée, source de toute l'économie locale. Certes, les conditions naturelles sont propices ; le climat est chaud toute l'année, la saison des pluies est généreuse (mais la saison sèche est bien affirmée) ; dérivés de roches volcaniques, les sols sont fertiles et meubles ; le terroir villageois est une plaine sans obstacle de relief. Cependant, pour atteindre 2 600 habitants par km2 (et les nourrir), il faut à la population des techniques de production intensives et des encadrements corrects. Les techniques de production : il est normal de faire ici trois récoltes de riz en douze mois (ou cinq en vingt-quatre mois) ; cela est possible seulement par un large usage d'engrais chimiques et par une irrigation perfectionnée. Ces techniques de production peuvent être appliquées grâce à des encadrements assurant le bon fonctionnement du 6

réseau d'irrigation, la diffusion des améliorations agricoles, la distribution des semences améliorées, des engrais chimiques et des pesticides, l'activité du commerce.

3 Soigneusement analysées par J.-L. Maurer, les techniques de production méritent quelques précisions. L'irrigation d'abord : elle est assurée, à partir d'un barrage, par 2 300 m de canaux principaux, 4 800 de canaux secondaires, 27 000 de canaux tertiaire (sur lesquels se branchent les artérioles desservant les rizières) ; finesse de ce système, en un village qui couvre seulement 460 hectares. Pour mener sur le même sol trois récoltes en douze mois, il faut un calendrier agricole très serré et fidèlement respecté, que le repiquage rend possible : grâce au repiquage l'année agricole compte l'équivalent de quinze mois solaires. Par son agriculture intensive, Tirtonirmolo peut produire plus de riz qu'il n'en consomme et disposer d'un excédent commercial.

4 Ainsi s'expliquent les indices, soigneusement relevés par J.-L. Maurer, d'un certain adoucissement de la condition paysanne. Le plus frappant de ces indices : près de la moitié des habitations sont faites de briques, de tuiles et de dalles de terre cuite ; douze pour cent seulement sont entièrement bâties de matières végétales traditionnelles. Bien sûr, le tableau n'est pas idyllique, mais Tirtonirmolo (et bien d'autres villages avec lui) ne connaissent pas la misère qui frappe des terroirs comme le massif calcaire de Gunung Kidul, où l'irrigation est impossible. Tirtonirmolo bénéficie d'autre part de la contiguïté de la grande ville de Yogyakarta, débouché privilégié pour ses divers produits. Mais le croît démographique, soigneusement étudié par J.-L. Maurer, est tel que l'avenir économique pourrait être sérieusement compromis si l'industrialisation ne prenait un élan décisif. La « transmigration » vers les « îles extérieures » ne saurait être d'un grand secours.

5 Il faut être reconnaissant à l'auteur d'avoir apporté sur ces sujets, et sur tant d'autres, des analyses approfondies. Son livre mérite le respect, - et une large diffusion.

AUTEUR

PIERRE GOUROU Bruxelles Juin 1985 7

Avant-propos

Pour Mihimana et à la mémoire de « Ibu » Romana Ratih Soesilo

1 La recherche de terrain sur laquelle est basée cette étude, comme la rédaction du volumineux travail qui en a résulté puis sa publication sous une forme abrégée dans le présent ouvrage, n'auraient jamais été possibles sans le soutien scientifique et financier de plusieurs institutions, ni la collaboration et l'amitié de beaucoup plus de personnes que celles à qui je peux décemment rendre hommage dans le cadre restreint de cet avant- propos.

2 En premier lieu, rien n'eut été entrepris ni réalisé sans la généreuse bourse de recherche conjointement octroyée par la Coopération Technique Suisse et l'Institut Africain de Genève. Une fois sur le terrain, le parrainage de l'Institut Indonésien des Sciences (LIPI) et l'appui actif de l'Ambassade de Suisse en Indonésie m'ont grandement facilité les choses. Enfin, c'est grâce à l'effort financier commun d'un pool d'institutions suisses comprenant l'Institut Universitaire de Hautes Etudes Internationales, l'Institut Universitaire d'Etudes du Développement, l'Université de Genève, la Fondation Eckenstein et le Fonds National de la Recherche Scientifique que cet ouvrage a pu être publié.

3 Parmi tous ceux – maîtres, collègues et amis – envers lesquels je suis redevable, je me bornerai à mentionner Gilbert Etienne, éminent connaisseur des problèmes du développement rural asiatique, sans la confiance et la conscience duquel rien n'aurait jamais commencé ni abouti ; Jacques Freymond, ancien directeur de l'IUHEI ; Pierre Bungener, Roy Preiswerk et Jacques Forster, directeurs successifs de l'IUED ; Gustav Papanek, alors membre du Harvard Advisory Group ; Masri Singarimbun et Mubyarto, tous deux professeurs à l'Université Gadjah Mada de Yogyakarta ; Terence et Valerie Hull, puis Chris Manning, mes aînés en recherche attachés à l'Australian National University de Canberra ; Mas Amin Yitno et Mas Susetiyo, mes précieux assistants de recherche ; les familles Yap Dumanauw et Gunawan, refuges de chaleur humaine dans les moments difficiles ; Pak Burdjo, chef du village de Tirtonirmolo et Pak Hardjo, admirable paysan du village de Timbulhardjo, au nom de tous les villageois javanais importunés sans la patience et la science desquels ce travail n'eut jamais vu le jour ; Pierre Gourou, ancien professeur au Collège de France, à qui je dois comme beaucoup d'autres ma vocation tropicaliste ; Denys Lombard, directeur d'études à l'EHESS de Paris, auquel tous les 8

indonésianistes francophones doivent énormement ; Ibu Romana Ratih Soesilo, mon professeur d'indonésien, remarquable femme de tête et de cœur malheureusement trop tôt disparue ; enfin, Françoise Berlioz, qui a dactylographié à la perfection l'énorme manuscrit initial.

4 Les nombreuses autres personnes de par le vaste monde que je sais m'avoir soutenu tout au long de ce combat douteux comprendront très certainement que je ne puisse toutes les nommer. Je serai par contre impardonnable de ne pas évoquer pour conclure la dette que j'ai à l'égard des miens qui ont beaucoup enduré et prodigué plus encore, et sans lesquels rien ne serait. Que tous voient dans cet ouvrage un modeste gage de ma reconnaissance. 9

Introduction

De la problématique au terrain d’enquête

1 Cet ouvrage est la version fortement abrégée d’une volumineuse étude, elle-même aboutissement d’une très longue recherche s’étalant sur une quinzaine d’années.

2 C’est en effet vers 1968 que nous commençâmes à nous intéresser de près aux problèmes de développement économique et de modernisation sociale du « Tiers Monde ». A cette époque, la communauté internationale des théoriciens et des praticiens de tous poils penchés sur leur étude était déjà toute bruissante de la grande « querelle des anciens et des modernes » opposant les tenants de « la croissance d’abord » aux partisans de « l’équité avant tout ». Les sociétés non-occidentales étant essentiellement rurales et paysannes, c’est bien évidemment le problème de la modernisation agricole qui était habituellement au centre de la controverse. Toutefois, l’extension rapide et bruyante de la stratégie technicienne dite de « révolution verte » avait relancé cette dernière sous une forme plus antagoniste et passionnée que jamais. Le choix du thème de notre recherche était donc tout trouvé : elle serait consacrée à l’analyse des conditions et des conséquences économiques et sociales de la modernisation agricole dans les pays en voie de développement.

3 Restait alors encore à identifier l’étude de cas particulière qui illustrerait le mieux une problématique aussi générale. Nous savions déjà depuis longtemps qu’elle serait asiatique. En effet, non seulement avions-nous toujours été fortement attiré par la profondeur historique et la richesse des civilisations de ce vaste continent auquel l’humanité doit tant, mais encore, la question de la modernisation agricole était-elle devenue une nécessité particulièrement urgent et vitale pour la majeure partie des pays pauvres et surpeuplés le constituant. Nous la voulions par ailleurs tropicale, après que Pierre Gourou ait su nous sensibiliser par ses écrits aux problèmes spécifiques de ces régions. Or, d’un côté, celles faisant partie de l’espace indien avaient déjà été l’objet de nombreuses études rurales de ce type alors que celles appartenant au monde chinois demeuraient très difficiles d’accès pour des raisons essentiellement politiques. En revanche, à égale distance de ces deux géants, intégralement située dans la ceinture intertropicale et fascinante par sa diversité passée et présente, la région carrefour du 10

sud-est asiatique, tout à la fois pont entre les continents d’Asie et d’Australie et porte entre les océans Indien et Pacifique, offrait, à tout point de vue, des perspectives plus intéressantes.

4 Dès lors, le choix de l’Indonésie, le plus grand archipel du monde qui — selon la phrase célèbre de Douwes Dekker — « se tortille autour de l’équateur comme une ceinture d’émeraudes », s’imposait presque de lui-même. Quatre raisons majeures le justifiaient à notre sens pleinement. Premièrement, bien qu’il ait été de fort loin le plus peuplé de la région, ait pesé d’un poids politique et stratégique très supérieur à celui de ses voisins immédiats et ait disposé d’un énorme potentiel économique, tant agricole que minier, ce grand pays restait relativement sous-étudié. Deuxièmement, la situation de développement le caractérisant était le produit d’un long processus historique original et complexe passant par une floraison pré-coloniale aussi riche que variée, une colonisation inégale mais remarquablement précoce et traumatisante dans certaines régions, un réveil nationaliste brusque et virulent suivi d’une lutte de libération âpre et dévastatrice et enfin, une indépendance difficile, pleine d’écueils, de tensions et de conflits, ayant vu le régime populiste tiers-mondiste et socialisant du flamboyant être remplacé, dans le sang des communistes, par l’« Ordre Nouveau » militaro-technocrate et pro- occidental de l’énigmatique . Troisièmement, ce dernier s’était précisément attelé, dès son arrivée au pouvoir, à un effort de reconstruction et de développement économique sans précédent, plaçant la modernisation agricole et l’autosuffisance alimentaire au rang de ses préoccupations primordiales. Quatrièmement, la langue indonésienne, sans être aussi simple que l’affirmaient certains, présentait tout de même un degré de complexité moindre que la majorité des langues tonales à écriture non- romanisée de la péninsule indochinoise et pouvait donc être assimilée suffisamment rapidement pour se lancer dans une recherche de terrain.

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CARTE 1 : L’Indonésie, pont entre l’Asie et l’Australie et porte entre l’Océan Indien et l’Océan Pacifique

5 Cette dernière dura 18 mois, de novembre 1972 à Mai 1974. Elle fut suivie par une courte phase d’étude comparative d’environ deux mois en Malaisie et d’un mois en Thaïlande. En Indonésie, douze village furent analysés à fond, dont dix à Java et deux à Sumatra, alors qu’une enquête approfondie sur le secteur des plantations était également réalisée dans plusieurs provinces des deux îles et plus particulièrement à Sumatra Nord. En Malaisie, certaines enquêtes dispersées furent menées à bien sur les deux côtes de la péninsule, à Malaka, Penang et Province Wellesley, Kedah, Trengganu et Kelantan alors qu’en Thaïlande, elles furent principalement concentrées dans la région de la plaine centrale, avec une brève incursion du côté de Chiang Maï. Par la suite, de 1976 à 1982, nous eûmes la chance de pouvoir séjourner en Indonésie plusieurs semaines chaque année, à l’occasion de missions de courte durée effectuées un peu partout dans l’archipel pour le compte de l’agence suisse de coopération au développement. Cela nous a indubitablement permis de ne pas trop perdre contact avec les réalités du pays et de continuer à suivre d’assez près son expérience de modernisation agricole.

6 Le présent ouvrage ne reprend pas, loin s’en faut, l’intégralité de l’énorme quantité de matériel accumulé pendant toutes ces années puisqu’il ne porte que sur quatre des dix villages javanais initialement étudiés, ceux de la région de Yogyakarta. Un tel choix s’explique par le fait que ce sont tout d’abord les villages à l’étude desquels nous avons consacré le plus de temps et où l’analyse comparative s’avère la plus pertinente, mais aussi les seuls dont nous ayons véritablement pu continuer à suivre l’évolution grâce aux brèves visites que nous ne manquâmes jamais d’y faire lors de chacune de nos fréquentes escales à Yogyakarta pendant la décennie écoulée. Ceci dit, le terrain de base sur lequel repose cette étude villageoise comparative est relativement lointain. 12

7 C’est pour pallier à ce problème que nous avons adopté une approche classique consistant à partir du général pour y revenir au terme d’un long détour dans le particulier et avons inscrit la recherche de terrain constituant la poutre maîtresse de cette étude dans une perspective historique plus « globale » qui couvre entièrement la décennie des années 70, particulièrement cruciale et significative pour le développement indonésien. En fait, nous avons tout simplement emprunté à la technique cinématographique en décidant de procéder par rétrécissements et élargissements successifs et progressifs du champ de vision. Après un vaste « traveling panorama » sur la situation générale de l’Indonésie en 1971, on procèdera donc à un rapide mouvement plongeant de « zoom avant » qui débouchera sur un très long « gros plan » sur les problèmes de modernisation agricole et de développement rural au niveau de la sphère villageoise, puis on enclenchera le « zoom arrière » nous permettant de terminer par un nouveau « traveling panorama » sur l’état du pays en 1981, au bout de dix années de croissance soutenue. 13

Première partie 14

Avant-terrain : vue d’ensemble et cadrage progressif du sujet

La situation politique, économique et sociale de l’Indonésie en 1971

1 L’année 1971 marque un tournant important dans l’histoire de l’Indonésie post- sukarnienne. Elle est, en effet, jalonnée par toute une série d’événements politiques, économiques et sociaux majeurs qui ne peuvent manquer de la singulariser.

2 Sur le plan politique, le plus déterminant d’entre eux réside dans la tenue, début juillet, des deuxièmes élections parlementaires de l’histoire du pays. Les premières en date remontaient à 1955, année qui marquait déjà le dixième anniversaire d’une indépendance proclamée à la veille de la capitulation japonaise et le sixième des accords de la Haye ayant mis fin à la guerre de libération nationale contre le colonisateur hollandais. Quatre grands partis, représentant les principales orientations socio-politiques indonésiennes, s’étaient alors répartis de manière à peu près égale le gros des suffrages, le PNI des nationalistes arrivant légèrement en tête devant le MASJUMI des musulmans modernistes, lui-même suivi de près par le NU des coreligionnaires conservateurs qui précédait de peu le PKI des communistes. Cette clarification du rapport de force n’avait en rien contribué à résoudre le problème de l’instabilité gouvernementale chronique qui affectait la jeune république depuis sa naissance, ni à éliminer les rébellions endémiques d’origines diverses menaçant sans arrêt son intégrité territoriale. C’est précisément pour se donner les moyens de faire face à toutes ces graves difficultés, selon lui largement imputables à un système parlementaire d’inspiration occidentale totalement inadapté aux traditions et aux conditions politico-culturelles indonésiennes, que Sukarno avait finalement réussi, entre 1957 et 1958, à imposer au pays les principes de gouvernement lui tenant depuis toujours à cœur. La « démocratie dirigée » était née.

3 Décrire en quelques mots cette fascinante machine de Tinguely institutionnelle, à ranger dans l’arsenal hétéroclite des tentatives de modernisation politique de type « troisième voie » dont a été témoin le Tiers-Monde depuis 1945, quelque part entre les socialismes authentiques d’aspiration communautaire et les capitalismes d’état les plus 15

bureaucratiques, constitue une véritable gageure. Au risque de simplifier, disons qu’elle reposait, au premier chef, sur un régime présidentiel de type archi-populiste, qu’elle fonctionnait principalement au nationalisme romantique teinté de démagogie et d’autoritarisme et qu’elle visait essentiellement à sauvegarder une unité nationale problématique et à essayer de produire une ambitieuse synthèse unanimiste entre les grands courants socio-politiques susmentionnés. Son inauguration ouvrait une période troublée et presque surréaliste, caractérisée, sur le plan international, par l’engagement de plus en plus actif et remarqué de l’Indonésie dans le camp des pays anti-impérialistes — ainsi que son rapprochement concomitant avec la Chine — le tout ponctué de deux conflits régionaux majeurs à propos de l’Irian Occidental et de la , et, sur le plan national, par l’affirmation croissante de l’armée comme acteur prépondérant du jeu politique et la montée progressive des antagonismes entre les forces progressistes et conservatrices écartelant la société indonésienne, le marxisme à une extrémité et l’ à l’autre. Si la fuite en avant dans laquelle il s’était lancé eut finalement pour effet de créer une unité nationale solide et presque miraculeuse, Sukarno, le maître dalang charismatique et volontariste à l’automne de sa vie, fut submergé par les forces incontrôlables qu’il avait déclenchées et échoua cruellement dans sa tentative pathétique de conciliation entre des visions du monde par trop incompatibles. Dès le début des années 60, il était évident que le vieux rêve de syncrétisme politico-culturel le hantant ne se réaliserait jamais. L’histoire s’accéléra et la polarisation d’une société de plus en plus fébrile s’accentua progressivement pour atteindre un paroxysme irréversible à partir de 1963/64, quand le PKI, sûr de sa force, déclencha une âpre lutte de classe dans les campagnes javanaises en décidant l’application unilatérale de la loi agraire de 1960, restée jusque là lettre morte1, et exigea ouvertement la création d’une milice populaire armée. Trop de lourds nuages s’étaient accumulés dans le ciel indonésien pour que l’on ne sentit pas le dénouement tout proche en cette folle année 1965 que Sukarno, triste ironie de l’histoire, avait pompeusement baptisée « Vivere Pericoloso ! ». L’orage éclata le dernier soir du mois de septembre.

CARTE 2 : L’atomisation insulaire indonésienne

CARTES DE L’INDONÉSIE EN 1975 PRINCIPALES ILES ET VILLES MAJEURES DE L’ARCHIPEL

4 Bien que chacun soit plus ou moins au courant des événements dramatiques qui ouvrirent alors l’une des périodes les plus sombres de l’histoire indonésienne, leur interprétation 16

est encore à ce jour très controversée. Tentative délibérée de coup d’état préparé et exécuté par le Parti communiste avec l’aval de Sukarno, comme le présente la version officielle du régime militaro-technocrate actuellement au pouvoir, ou règlement de compte strictement interne à l’armée par lequel une poignée d’officiers progressistes voulut prévenir et déjouer le putsch que préparaient les généraux conservateurs, comme le prétendent certains de ses plus farouches détracteurs, il est difficile de trancher. La vérité se situe vraisemblablement quelque part entre ces deux extrêmes. Quoiqu’il en soit, la presse du PKI eut la maladresse d’approuver explicitement le principe du coup dès le surlendemain matin, et il fut prouvé par la suite que certains membres des jeunesses communistes avaient participé au massacre des généraux qui n’avaient pas été tués au moment de leur enlèvement. Cela fut amplement suffisant pour signer son arrêt de mort. Le général Suharto, un des seuls officiers supérieurs à ne pas avoir été sur la liste des conspirateurs, et dont le rôle dans cette obscure affaire est, selon certains analystes, encore plus flou que tout le reste, assuma sur le champ le commandement de l’armée laissé vaquant et, manœuvrant avec une extraordinaire finesse, rétablit facilement l’ordre sans effusion de sang dans la capitale. Après une relative accalmie, les choses prirent en revanche une tournure effroyable en province. Certaines unités de choc de l’armée organisèrent, avec l’aide des jeunesses islamiques fanatisées et d’autres éléments conservateurs, une véritable chasse aux sorcières communistes. Un terrible vent de folie meurtrière, à mi-chemin entre l’amuk et le jihad, souffla pendant plusieurs mois d’affilée sur l’archipel. Quand il retomba plus d’un demi-million d’Indonésiens avaient été odieusement massacrés, et plusieurs centaines de milliers d’autres avaient été ou allaient être arrêtés et incarcérés dans des geôles dont certains ne ressortiraient que quinze années plus tard. Le PKI, décimé, traqué, était sur le point d’être banni et anéanti alors que Sukarno, malade et prématurément vieilli, indirectement compromis dans une sale affaire où il avait été manipulé et s’était enlisé, dénonçant avec courage l’holocauste des communistes et vilipendé pour cela par le front des étudiants conservateurs, était à la veille de perdre le pouvoir. Un premier pas important fut franchi dans cette direction le 11 mars 1966 quand il signa, sous la contrainte, l’ordre conférant à Suharto la responsabilité de restaurer l’ordre public et la sécurité. L’ORLA, l’« Ordre Ancien », cédait la place à l’ORBA, l’« Ordre Nouveau ».

5 Il fallut cependant encore exactement deux ans pour dépouiller le père de l’indépendance nationale de tous les attributs de son pouvoir. La chose se fit une nouvelle fois « à la javanaise », d’une manière subtile, progressive et feutrée, en respectant même une certaine apparence de légalité. Après avoir interdit le PKI, fait arrêter tous les principaux ministres du dernier cabinet ministériel de Sukarno, purgé l’administration et l’armée de tous les éléments communistes ou nationalistes de gauche et s’être entouré d’une nouvelle équipe de politiciens, de militaires et de technocrates partageant ses vues, Suharto convoqua un parlement épuré et docile qui lui conféra, en mars 1967, le titre de président en exercice jusqu’à ce que les élections législatives promises soient organisées. La dernière mesure décisive mettant un terme à cette situation ambigüe de dualité du pouvoir exécutif fut prise en mars 1968, lors de la session parlementaire suivante, quand le nouvel homme fort du pays fut élu, à l’unanimité, président en titre pour un mandat de cinq ans, selon les termes de la constitution de 1945. Trois mois plus tard, Suharto mit en place son premier cabinet ministériel de développement et, alors que Sukarno, dont les plus extrémistes demandaient avec insistance le procès, abandonné de tous et placé en résidence surveillée, se rapprochait inexorablement du tombeau, il put se consacrer 17

entièrement à la préparation des élections qu’il s’était engagé à tenir, conformément au principe de souveraineté populaire sous-tendant la constitution de 1945 et à l’esprit des Pancasila2 sur lesquels elle reposait et dont il s’était naturellement réclamé dès l’origine de son action. Il s’agissait, par ce biais, de donner à son régime les apparences d’une démocratie aux yeux des pays occidentaux sur lesquels il comptait pour soutenir la nouvelle stratégie de développement et d’asseoir la légitimité de son pouvoir face aux partis politiques nationaux, avec lesquels il n’était d’ailleurs aucunement question de le partager. Pour cela, on fit tout d’abord adopter par le parlement des règles électorales garantissant une large marge de sécurité au gouvernement puisque le suffrage universel ne portait que sur 360 des 460 sièges à pouvoir, les 100 derniers membres du parlement — dont 75 devaient obligatoirement faire partie des forces armées — étant directement désignés par le président en personne. Ensuite, on s’appliqua à épurer la scène politique des éléments jugés indésirables en interdisant de vote tous ceux qui avaient été membres ou sympathisants du PKI désormais banni et à affaiblir, par tous les moyens, les autres grandes formations sorties vainqueurs du scrutin de 1955 en intervenant systématiquement dans leurs affaires internes, comme ce fut le cas pour le MASJUMI, devenu , ou pour le PNI. Finalement, on ressortit des tiroirs poussiéreux de la Démocratie Dirigée la vieille idée sukarnienne des « groupes fonctionnels » que l’on transforma, sous le nom de GOLKAR, en véritable machine de guerre électorale pro- gouvernementale. Ainsi bénéficiait-elle de moyens matériels et financiers énormes, de l’appui total de l’armée et également de celui, peut-être moins unanime et spontané, des fonctionnaires, à qui on laissait le choix peu enviable d’adhérer à la nouvelle organisation ou de démissionner. Après une campagne électorale marquée par de nombreuses irrégularités et pressions en tous genres, le scrutin eut finalement lieu le 3 juillet 1971. Les résultats dépassèrent largement les espérances du gouvernement puisque le GOLKAR obtenait à peu près les 2/3 des suffrages exprimés et des sièges à pourvoir, toutes les autres formations politiques indonésiennes sortant, à l’exception du NU, totalement laminées du scrutin. Fort de ce succès lui procurant une légitimité indiscutable et interprété comme une approbation populaire massive de la politique suivie depuis son accession au pouvoir, Suharto remania son équipe gouvernementale dès le mois de septembre en y faisant entrer une nouvelle fournée de ces technocrates, artisans du redressement économique national amorcé dès les toutes premières semaines d’existence de l’Ordre Nouveau.

6 Sur le plan économique, 1971, qui marque déjà le deuxième anniversaire de l’entrée en application du premier plan quinquennal de développement ou REPELITA I 1969/70-1973-743, est à plus d’un titre une année record au vu de laquelle les technocrates à la barre pensent obtenir la confirmation définitive du bien-fondé de leurs options. Cet optimisme relatif n’était pas sans fondement et, selon leurs critères d’évaluation, les dirigeants n’avaient effectivement pas de quoi être mécontents des résultats obtenus. Il faut dire que la situation économique héritée de Sukarno était quasiment catastrophique : une croissance annuelle moyenne du produit national brut à peine supérieure à 2 % sur la période 1960-66, un appareil de production globalement stagnant et même en pleine régression dans certains secteurs, un déficit budgétaire chronique atteignant quelques 300 % en 1965, une balance des paiements en déséquilibre constant, une hyper-inflation galopant à plus de 650 % en 1966, un endettement extérieur approchant deux milliards et demi de dollars et une devise s’échangeant au prix du papier sur le marché financier international4. Certes, l’Indonésie n’avait pas eu la tâche facile en 1949, car elle sortait exsangue et délabrée d’une longue période de guerres et de troubles. L’immense travail 18

de reconstruction nationale auquel aurait dû s’atteler le pays était d’autant moins facile que les caisses de l’Etat étaient vides et les hommes qualifiés fort peu nombreux. Ceci dit, rares avaient été les efforts réellement déployés pour attaquer sérieusement le problème de front. Comme le renforcement de l’unité nationale avait constitué d’emblée le principal défi posé à la république, le politique n’avait guère tardé à primer sur l’économique. Par la suite, l’instabilité gouvernementale et les rébellions endémiques de la période 1950-58 avaient gravement compromis une situation déjà peu brillante au départ, alors que la surenchère nationaliste et la fuite en avant de la Démocratie Dirigée avaient fini d’acheminer l’économie indonésienne jusqu’au gouffre au bord duquel elle se trouvait en 1965. Or, le même Benjamin Higgins, qui considérait l’Indonésie de Sukarno comme « l’échec numéro un parmi les principaux pays sous-développés » dans un ouvrage paru en 19685, ne parlait-il pas, dans un article daté de mars 1972, d’une « croissance régulière continue »6 pour qualifier la situation économique du pays lors de l’année écoulée ? Un aussi brusque renversement de tendance ne pouvait pas manquer de surprendre.

7 Pour en arriver là, l’équipe de conseillers économiques entourant Suharto avait mis immédiatement sur pied, sous l’égide vigilante du FMI, un vigoureux programme dit de» stabilisation ». Il visait essentiellement à libéraliser l’économie nationale et à lui rendre un minimum de crédibilité aux yeux des investisseurs privés étrangers dont on espérait vivement attirer les capitaux. Cependant, comme son succès dépendait aussi en grande partie d’une injection massive d’aide publique internationale, et qu’il fallait bien au moins s’engager à rembourser les énormes sommes dues avant de pouvoir obtenir de nouveau prêts, la toute première tâche consista à renégocier la dette extérieure. Son réaménagement total, assorti d’un moratoire assez souple, était acquis fin 1966, y compris avec les pays de l’Est. Les créditeurs occidentaux, regroupés pour la circonstance au sein du « club de Paris », décidèrent de continuer à soutenir activement une stratégie de développement correspondant parfaitement à leurs intérêts économiques et politiques. C’est ainsi que naquit, en 1967, le fameux IGGI ou Groupe Inter-Gouvernemental sur l’Indonésie. Il joua d’entrée de jeu un rôle prépondérant qui ne cessera d’aller en s’accentuant dans le financement de la croissance économique nationale. Entre 1967 et 1968, il avait donc été possible, sur cette base, de mener à bien le plan d’assainissement susmentionné. De facture on ne peut plus classique, il était basé sur toute une série de mesures d’austérité complémentaires comprenant une réforme fondamentale du système monétaire accompagnée d’une énorme dévaluation de la monnaie, une réduction sévère des dépenses publiques et du déficit budgétaire et la poursuite énergique d’une politique de stabilisation des prix. Bien que le déficit de la balance des paiements se soit, quant à lui, plutôt accentué, certains résultats tangibles n’avaient pas tardé à se faire sentir. Dès 1969, année où une étape symbolique importante fût franchie avec l’abaissement du taux d’inflation en dessous de la barre fatidique des 10 %, l’appareil de production montrait des signes de rétablissement et une certaine reprise de la croissance de l’ordre de 4 % était discernable7. Le premier REPELITA, préparé dans l’intervalle avec l’aide de la Banque Mondiale, et officiellement lancé au mois d’avril de cette même année, semblait donc partir sous de bons auspices. Tout en étant, selon les propres termes du président, basé sur une approche « simple et pragmatique », il ne se fixait pas moins comme principal objectif une ambitieuse autosuffisance rizicole pour 1974, soit une augmentation de la production de près de 50 % en l’espace de cinq ans8. 19

8 En décembre 1971, à environ mi-chemin de l’échéance, le bilan était globalement positif et relativement prometteur. D’un côté, le taux de croissance annuel du produit national brut dépassait 7 % alors que le taux d’inflation, calculé sur les douze mois précédents, tombait à 2.4 %9. De l’autre, dans tous les secteurs de l’économie, la production avait fait d’énormes progrès par rapport aux niveaux moyens atteints avant 1965 et l’on était même sensiblement en avance sur les projections du plan pour plusieurs produits clefs. C’était, en particulier, le cas pour le plus important des produits vivriers, le riz, dont la production, qui n’était que de 8.84 millions de tonnes (Mt) en 1965, atteignait 12.79 Mt en 1971, près de 300 000 tonnes au dessus des prévisions du REPELITA10. Les importations, qui dépassaient régulièrement 1 Mt par an entre 1960 et 196511 et grevaient de manière écrasante la balance commerciale du pays, étaient ramenées, de ce fait, à moins de 500 000 tonnes en 197112. A ce rythme, il était parfaitement possible d’atteindre en 1974 l’autosuffisance qui permettrait de libérer les précieuses devises dont le pays avait besoin pour acheter les biens d’équipement nécessaires à son développement. L’année 1971 marquait également un tournant important pour la production sucrière qui dépassait le million de tonnes, performance jamais plus réalisée depuis la période coloniale, quand Java était le second exportateur mondial après Cuba, et qui était de plus de 200 000 tonnes supérieure aux projections du plan13. Malgré cela, l’Indonésie, devenue depuis 1967 un importateur net de sucre, avait quand même dû acheter plus de 150 000 tonnes supplémentaires sur le marché international pour couvrir ses besoins14. Du côté des exportations agricoles traditionnelles comme le caoutchouc, l’huile de palme ou le café, même son de cloche : leur production était respectivement passée de 610 452 t, 141 200 t et 95 900 t en 1960 à 781 000 t, 250 000 t et 181 000 t en 1971 et les objectifs fixés étaient partout nettement battus15. Encore plus spectaculaires étaient les progrès réalisés dans le secteur forestier, en plein boom depuis trois ou quatre ans, puisque la production de bois tropical était passée d’environ 1.7 millions de mètres cubes (Mm3) en 1965 à plus de 13.7 Mm3 en 1971, près de trois fois plus que ce qui était prévu dans le REPELITA16. Même impression très positive du côté des exportations minières traditionnelles comme l’étain, la bauxite et le nickel dont la production était respectivement passée de 12 770 t, 701 200 t et 117 400 t en 1966 à 19 770 t, 1 237 600 t et 900 000 t en 1971, les résultats étant, une nouvelle fois, partout meilleurs que ce qui avait été envisagé dans les prévisions de la planification17. Quant au secteur pétrolier, il ne dérogeait pas lui non plus à la règle : la production de brut avait tout simplement triplé entre 1966 et 1971, passant de 107.7 millions de barils (Mbl) à 325.7 Mbl, la part de ce produit augmentant pendant le même laps de temps de 30 à 43 % de la valeur totale des exportations18. Cela plaçait alors l’Indonésie au 11e rang mondial des producteurs de pétrole, derrière le Nigeria et devant l’Algérie19. Finalement, le secteur industriel semblait également vouloir emboîter le pas à ce mouvement général de croissance, la production de tissus de coton — pour ne prendre que l’un des produits manufacturés les plus importants, tant d’un point de vue économique que social — étant par exemple passée de 316 millions de mètres (Mm) en 1968/69 à 732 Mm en 1971, alors que le plan ne prévoyait que 675 Mm dans son tableau de marche20.

9 Bref, les réalisations dépassaient les espérances dans quasiment tous les domaines, et une certaine euphorie régnait au sein de la « bourgeoisie administrative »21. Dans le domaine commercial, la valeur totale des exportations enregistrées en 1971/72 grimpait jusqu’à un niveau record de US $ 1 374 millions, contre US $ 634 millions en 196622. Dans le domaine monétaire, bien que la rupiah ait été dévaluée une nouvelle fois d’environ 9 % par rapport 20

à la devise américaine en août 1971 et accrochée de manière fixe à cette dernière au taux de 415 Rp pour 1 dollar, la confiance semblait être revenue. Dans le domaine financier, l’aide publique internationale affluait de plus en plus massivement, la seule contribution de l’IGGI ayant dépassé les US $ 634 millions pour l’année fiscale 1971/7223, alors que les capitaux privés étrangers venaient désormais volontiers s’investir dans une économie jugée saine et rentable, leur montant cumulé à partir de 1967 atteignant US $ 1 563 millions en juin 1971, dont plus d’un tiers en provenance des USA24. Certes, parallèlement, le déficit de la balance des paiements courants s’était dangereusement aggravé, passant de US $ 248 millions en 1965 à US $ 526 millions en 1971/7225, mais considérant apparemment tous les problèmes d’endettement et de dépendance à long terme résultant d’une telle stratégie de développement comme très secondaires, les technocrates qui l’avaient concoctée semblaient bien être, fin 1971, aussi satisfaits de la tournure prise par les événements sur le plan économique que leurs partenaires militaires sur le plan politique.

10 Sur le plan social, l’année 1971, dominée par l’organisation très attendue, au mois de septembre, du second recensement décennal de population depuis l’indépendance, procurait par contre nettement moins de sujets de satisfaction. Alors que le premier en date avait donné une population légèrement supérieure à 97 millions en 1961, le verdict annonçait cette fois-ci près de 119.3 millions26, ce qui correspondait à un taux de croissance annuel d’environ 2.3 %, il est vrai, nettement moins catastrophique que ce à quoi s’attendaient les plus pessimistes27. Toutefois, suite à la partition du Pakistan, l’Indonésie passait au cinquième rang mondial en matière de population, derrière la Chine, l’Inde, l’URSS et les USA, mais devant le Japon, le Brésil, le Bangladesh et le Nigeria 28. Par ailleurs, cette population continuait à être terriblement mal répartie entre les innombrables îles de l’archipel. Plus de 76 millions d’habitants, près de 2/3 de la population, s’entassaient, à raison de 565 par kilomètre carré en moyenne, sur Java et Madura, deux îles couvrant moins de 135 000 km2, soit à peine 7 % du territoire national29. Par contre, certaines des grandes « îles extérieures »30 comme Kalimantan (Bornéo indonésien) ou l’Irian (Nouvelle Guinée indonésienne) étaient, avec respectivement 9 et 2 habitants au kilomètre carré, pratiquement vides de population en dehors des zones côtières31. Avec des densités de 38 et 37, Sumatra, près de 21 millions d’habitants pour plus de 540 000 km2, et Sulawesi (Célèbes), plus de 8.5 millions d’habitants pour moins de 230 000 km2, occupaient une situation intermédiaire32. Certes, la croissance démographique de Java n’avait été que de 2.1 % pendant la période en question, les provinces rurales les plus densément peuplées tombant même parfois assez nettement en dessous de la barre des 2 %, ainsi que nous aurons l’occasion de le voir plus loin, alors qu’elle avait atteint 2.7 % pour l’ensemble des « îles extérieures » et même 3.2 % pour Sumatra pris séparément33. Globalement parlant, cela ne changeait toutefois pas fondamentalement la nature et l’acuité du déséquilibre. La fameuse « transmigration » indonésienne, programme de colonisation agraire visant à redistribuer une partie du surplus de population javanaise dans les « îles extérieures », qui n’avait guère touché plus de 700 000 personnes depuis son lancement par les Hollandais en 190534, continuait à ne représenter qu’une goutte d’eau dans la mer puisqu’il n’avait attiré que 18 870 « transmigrants » en 1971/7235. D’un autre côté, le programme national de planning familial, officiellement endossé par le gouvernement avec un minimum d’appui financier à partir de 1970 seulement, en était encore à ses premiers balbutiements en 197136. Bref, cette surpopulation aggravée de maldistribution continuait à constituer l’axe central autour duquel s’articulaient tous les principaux problèmes sociaux indonésiens. 21

11 Le très faible niveau de revenu moyen de la population demeurait indubitablement l’un des deux plus préoccupant d’entre eux. Avec un produit national brut par habitant d’environ 30 000 Rp en 197137 - soit un peu plus de US $ 72 - l’Indonésie restait l’un des pays les plus pauvres de la planète selon les classifications de la Banque Mondiale38. Circonstance aggravante, les disparités régionales étant énormes, autant au niveau des ressources disponibles que de la densité de population, cet indicateur partiel variait de 1 à 12 entre la plus pauvre et la plus riche des 26 provinces de l’archipel39. La situation n’était guère plus brillante du côté des salaires puisqu’une enquête menée dans le secteur des travaux publics donnait une moyenne nationale de 185 Rp par jour en 1971/7240, moins de 45 cents américains. On retrouvait, là aussi, de très fortes différences d’une région à l’autre, Java étant — mis à part — tout en bas de l’échelle, avec un niveau moyen de 125 Rp par jour seulement, contre 330 Rp pour Sumatra et 440 Rp pour Kalimantan41. Pour donner un ordre de grandeur, signalons simplement qu’à la même époque le prix moyen du riz sur les marchés ruraux javanais était d’environ 45 Rp le kilo42. Ce faible pouvoir d’achat se reflétait sur le plan nutritionnel puisque chaque Indonésien ne consommait que l’équivalent de 1 920 calories par jour en 197043, alors que la ration moyenne normale était estimée à 2 10044. Là aussi, de grosses différences régionales, une enquête de nutrition datant de la même année nous révélant que la ration journalière individuelle de riz était d’environ 250 gr à Java, contre plus de 400 gr à Sumatra45.

12 Le second problème social de taille était lié au chômage et au sous-emploi affectant une population active d’un peu plus de 41 millions46. Du côté du chômage complet, la situation n’était pas à proprement parler catastrophique puisqu’il touchait à peine 9 % de cette dernière47. Toutefois, comme c’est habituellement le cas dans les pays en voie de développement, le phénomène était beaucoup plus accentué en milieu urbain qu’en milieu rural et fortement plus répandu parmi les jeunes travailleurs âgée de 15 à 24 ans qu’au sein des autres classes d’âge48. Touchée au tout premier chef par cette plaie, la capitale Jakarta vers laquelle affluait de surcroît un important exode rural, essentiellement originaire de Java, attesté par un énorme accroissement démographique de 5.7 % entre 1961 et 197149. Ce phénomène d’urbanisation soutenue caractérisait au demeurant l’ensemble du pays puisque le pourcentage de la population vivant dans les villes était passé de 14.8 % à 17.4 % pendant la décennie écoulée entre les deux recensements50. En ce qui concerne le sous-emploi, phénomène particulièrement délicat à mesurer, les choses semblaient nettement plus alarmantes, surtout en milieu rural où, selon certaines informations fragmentaires, il affectait entre l/5e et 1/4 de la population active, les femmes au tout premier chef51.

13 Cette sous-utilisation du travail, combinée avec sa faible rémunération, semblait bien pouvoir être tenue pour largement responsable de la situation de pauvreté endémique dans laquelle se débattait encore une grande partie de la population indonésienne fin 1971, les habitants de Java peut-être plus que ceux de toute autre île. Fait aggravant, certaines analyses détaillées n’allaient pas tarder à monter, chiffres à l’appui, que la politique de croissance et d’austérité poursuivie par l’Ordre Nouveau entre 1966 et 1970 avait eu tendance à renforcer les inégalités et à accélérer le processus de différenciation et de polarisation sociale à Java dans trois direction complémentaires : détérioration du niveau de vie réèl des 40 % les plus pauvres de la population, élargissement du fossé séparant les riches des pauvres en milieu urbain et accentuation du déséquilibre existant entre l’enclave urbaine de la capitale et les provinces rurales de l’île52. Bien qu’étant globalement satisfait du bilan socio-économique, et totalement persuadé que la poursuite 22

d’une politique de croissance à rythme soutenu ne pouvait pas manquer d’avoir à terme d’importantes retombées sur les plus pauvres, le gouvernement commençait à se dire préoccupé par ces problèmes de distribution du revenu et de justice sociale, rendus encore plus insoutenable par la corruption régnante et la scandaleuse attitude ostentatoire des puissants y ayant un large accès, et estimait déjà devoir y accorder une attention plus grande dans le deuxième REPELITA 1974/75-1978/7953. En attendant, fidèle à sa vision diffusionniste du développement, il les reléguait à l’arrière-plan et continuait à profiter du calme plat caractérisant le climat politique pour poursuivre les objectifs essentiellement productivistes d’une stratégie de reconstruction économique prenant l’agriculture comme point de mire.

La place changeante de l’agriculture dans l’économie indonésienne

14 En 1971, le secteur primaire était toujours de fort loin le secteur le plus important de l’économie. Dans l’approche pragmatique et réaliste du nouveau gouvernement, il devait donc constituer « la base de tout effort de développement », pour reprendre les mots du REPELITA I54. Sa prépondérance s’exprimait aussi bien sur le plan de l’emploi qu’au niveau du produit national brut ou des recettes d’exportation. Toutefois, le léger effritement perceptible sur chacun de ces registres entre 1961 et 1971 était révélateur des changements structurels agitant en profondeur l’économie indonésienne. C’est ainsi que le pourcentage de la population vivant en milieu rural était tombé de près de trois points en l’espace de dix ans pour l’Indonésie prise dans son ensemble, passant de 85.2 % en 1961 à 82.5 % en 197155. Certes, le changement était déjà nettement moins accentué pour l’île de Java prise séparément qui, partant d’un degré d’urbanisation sensiblement plus élevé, voyait sa population rurale ne chuter que de 82.8 % à 82.0 % pendant le même laps de temps56. Beaucoup plus significatives étaient en revanche les variations ayant affecté la répartition sectorielle de la force de travail nationale entre les deux recensements, puisque l’agriculture n’occupait plus que 66.2 % de la population active en 1971, contre 73.6 % dix années plus tôt57. Là, le phénomène était précisément encore plus marqué pour Java analysé séparément où le pourcentage de la population employée dans le secteur primaire était tombé de 69.4 % à 61.4 % au cours de la décennie écoulée58. Des trois autres secteurs économiques ayant absorbé cet important déplacement de main-d’œuvre, c’est le secteur commercial qui avait assuré la part du lion, passant, pour tout le pays, de 8.9 % en 1961 à 13.5 % en 1971, alors que le secteur industriel n’augmentait que de 7.8 % à 9.9 % et celui des services de 9.7 % à 10.4 % seulement59. Ceci dit, en dépit de ces indices non- négligeables de « modernisation », les structures socio-économiques indonésiennes demeuraient très largement « traditionnelles », c’est-à-dire agricoles et rurales, puisque plus des 2/3 de la population nationale tiraient encore leur subsistance du travail de la terre et que plus de 4 personnes sur 5 vivaient toujours dans l’un des 50 000 et quelques villages que comptait alors l’archipel60.

15 L’étude des changements intervenus dans la décomposition du produit intérieur brut au cours de la décennie en question amenait au même type de conclusion. D’un côté, aux prix réels du marché, la part de l’agriculture et des activités assimilées avait fait une chute de près de dix points, tombant de 53.8 % en 1960 à 43.6 % en 197161. De l’autre, elle restait malgré tout près de deux fois et demi supérieure à celle du commerce, le second secteur par ordre d’importance, qui avait pourtant fait un bond impressionnant de 14.3 % 23

à 18.7 % pendant le même laps de temps, et pas loin de sept fois plus élevée que celle du secteur minier, au début d’un boom l’ayant fait passer de 3.6 % à 6.5 %62. Une décomposition plus poussée du secteur primaire montrait par ailleurs qu’à l’exception des sous-secteurs de l’exploitation forestière et de la pêche, dont la part dans le PIB passait respectivement de 2.3 % à 3.7 % et de 2.0 % à 3.0 % entre 1960 et 197163, tous les autres étaient affectés par cette baisse importante. C’est ainsi que la part des cultures de plantations tombait de 3.3 % à 2.7 %, celle de l’élevage de 4.8 % à 3.2 %, celle des cultures paysannes non vivrières de 7.2 % à 5.4 % et, surtout, celle des cultures paysannes vivrières de 34.3 % à 25.3 %64. Malgré cela, ce dernier sous-secteur agricole contribuait à lui seul en 1971 pour près de trois fois plus à la formation du PIB indonésien que l’ensemble du secteur manufacturier par exemple, dont la part n’était que de 9.4 %65. Bref, un rôle indubitablement déclinant mais encore largement dominant de l’agriculture dans la création de la richesse nationale ainsi que dans le processus de croissance économique en cours.

16 Même son de cloche du côté des recettes d’exportation puisque, si tous les produits agricoles amalgamés représentaient encore 48.4 % de leur valeur totale en 1971, occupant ainsi toujours de peu la première place devant le pétrole, menaçant second avec 41.2 %66, ils avaient tout de même perdu plus de dix points par rapport à leur niveau de 1960 qui les voyait caracoler en tête et largement distancer ce dernier avec 59.6 % contre 26.2 % seulemen67. Tous les principaux produits agricoles faisant partie du groupe des exportations dites « traditionnelles » de l’Indonésie participaient à ce tassement général. C’était en tout premier lieu le cas du caoutchouc, le plus important d’entre eux, dont la part dans les recettes d’exportation s’effondrait de 44.8 % à 17 % en l’espace de onze ans68. Cela lui valait non seulement de perdre, au profit du pétrole, la première place qu’il avait depuis longtemps l’habitude d’occuper au classement individuel des principales sources de devises étrangères du pays69, mais encore, d’être d’ores et déjà talonné de très près pour la seconde par les produits forestiers, alors à l’aube d’un boom auquel il n’allait guère pouvoir résister70. En ce qui concerne la contribution de chaque sous-secteur agricole à ces recettes d’exportation, c’était principalement celui des plantations qui s’avérait faire les frais du terrain perdu, sa part dégringolant de 25 % à 14 % entre 1963 et 197171, alors qu’entre ces deux mêmes dates, celui des « cultures paysannes »72 résistait sensiblement mieux en ne tombant que de 31.1 % à 24.5 % et que celui des produits forestiers faisait un spectaculaire bond en avant de 1 % à 13.5 %73. Là aussi donc, une importance de l’agriculture certes moindre que par le passé, mais néanmoins toujours aussi vitale pour la santé de l’économie indonésienne et l’équilibre de sa balance des paiements.

17 C’est après être arrivé à des conclusions similaires sur chacun des trois niveaux complémentaires d’évaluation rapidement esquissés dans ce paragraphe et avoir dressé un bilan global analogue que le gouvernement décida d’accorder la priorité à la réhabilitation et au développement du secteur primaire dans le premier REPELITA. Cette option allait bien au-delà d’une simple déclaration d’intention puisqu’il était prévu de consacrer près de 28 % des dépenses publiques du plan à l’agriculture et à l’irrigation, ce qui en faisait de loin le premier poste budgétaire de l’exercice quinquennal74. Au niveau des réalisations les choses allèrent bien de la sorte, 29.4 % des dépenses du budget de développement 1971/72, qui approchait les 155 milliards de rupiah, allant par exemple à ce secteur primordial75. Contrairement à ce qui est trop souvent le cas dans le nombreux pays du Tiers Monde ayant opté, au niveau de leur idéologie et de leur discours, pour un 24

développement centré sur l’agriculture, le gouvernement semblait donc bien vouloir se donner les moyens financiers de sa politique économique. Au vu des objectifs de production relativement ambitieux auxquels se résumait essentiellement ce premier plan, une telle mobilisation des ressources était loin d’être superflue. Il s’agissait en effet non seulement d’augmenter les recettes d’exportation en produisant plus de caoutchouc, d’huile de palme, de café, de thé ou de poivre, mais surtout de réduire les dépenses d’importations en tâchant de couvrir un peu mieux les besoins alimentaires du pays que cela n’avait été le cas depuis l’indépendance. Représentant par exemple en 1968 près de 30 % de la valeur totale des importations indonésiennes, les céréales alimentaires grevaient, en effet, lourdement l’équilibre de la balance des paiements76. C’est bien évidemment le riz qui en constituait la denrée essentielle, l’Indonésie, qui avait régulièrement acheté plus de 1 million de tonnes par année entre 1961 et 196477, c’est-à- dire à elle seule environ l/6e du volume total commercialisé sur le marché international78, s’étant depuis fort longtemps taillée la réputation de premier importateur mondial dans ce domaine79. La solution envisagée pour éliminer cette dépendance alimentaire chronique a déjà été rapidement évoquée plus haut : il s’agissait d’atteindre l’autosuffisance rizicole dans l’intervalle du premier REPELITA en passant d’une production de 10.52 Mt en 1969 à 15.42 Mt en 1974, soit une augmentation globale de 46.5 % à un rythme annuel moyen plus que soutenu dépassant les 9 %80. C’était d’ailleurs là l’objectif central avoué du plan, certains observateurs reprochant même au gouvernement d’en faire une fixation quasi obsessionnelle. La plupart d’entre eux remettaient en question le principe même de l’autosuffisance, en invoquant le risque de mauvaise allocation des ressources que pouvait représenter sa poursuite à une époque où le cours du riz montrait tous les signes d’une tendance structurelle durable à la baisse sur le marché international81. Il va de soi que ce type de critique émanait de la bouche ou de la plume d’économistes néo-libéraux bon-teint pour qui l’indépendance alimentaire d’un pays n’est pas une variable significative dont il faut tenir compte dans l’évaluation d’une politique nationale de développement. Du côté des observateurs se situant plutôt de l’autre côté du spectre idéologique, on ne voyait en règle générale rien à redire au principe en soi louable de l’autosuffisance alimentaire, mais on critiquait en revanche âprement les moyens mis en œuvre par le gouvernement indonésien pour l’atteindre. Voyons précisément plus en détails en quoi ils consistaient.

Une stratégie de « révolution verte » concentrée sur Java

18 L’ensemble des moyens mis en œuvre par les technocrates de l’ORBA et leurs conseillers étrangers pour atteindre la sacro-sainte autosuffisance rizicole constituait ce qu’il était déjà convenu d’appeler une « stratégie de révolution verte », label outrancier et malheureux s’il en est lancé par Lester Brown, l’un de ses chantres les plus dithyrambiques82. Il n’est pas question de revenir ici sur les origines et les objectifs de cette soi-disant révolution, car cela a fait l’objet d’innombrables ouvrages et articles à travers lesquels se sont exprimés à profusion tous les points de vue possibles et imaginables, de ceux qui y voyaient la panacée technicienne universelle au problème de la faim dans le Tiers-Monde83, à ceux qui n’y décelaient qu’un vaste complot contre- révolutionnaire à l’échelle planétaire, fomenté par les pays capitalistes néo-colonialistes et les grandes firmes multinationales de l’industrie agro-alimentaire avec la complicité 25

des régimes politiques pro-occidentaux d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine84. On se doit néanmoins de rappeler que toute la stratégie en question procédait d’une approche typiquement « schultzienne » du développement rural85 selon laquelle la nécessaire transformation de l’agriculture traditionnelle dépendait principalement de la mise à disposition, auprès de la paysannerie, d’une nouvelle technologie hautement productive et ce, à un coût suffisamment bas pour lui assurer le plus haut taux de profit possible86. Il s’agissait donc, en l’occurrence, non seulement de faciliter la distribution et l’adoption des nouvelles variétés de riz à hauts rendements (VHR), récemment mise au point par l’IRRI de Los Baños87, mais également des engrais chimiques et des pesticides importés sans lesquels il eût été absurde d’utiliser de telles semences. Cela impliquait évidemment la mise sur pied d’un réseau efficace de distribution de ces semences et intrants techniques, ainsi que d’un système de crédit institutionnel simple et fiable ; la fixation d’une politique de prix rizicoles souple, précise et avantageuse pour le paysan ; le développement rapide des capacités d’usinage, de transport et de stockage. Tout ceci n’avait de surcroît de sens que dans la mesure où le gouvernement investissait parallèlement, de manière massive et suivie, dans la réhabilitation et l’extension de l’infrastructure d’irrigation. Bref, on le conçoit aisément, une tâche passablement complexe et et ambitieuse, surtout à l’échelle d’un pays aussi vaste et fragmenté que l’Indonésie. Il était absolument exclu de pouvoir lancer un tel programme simultanément dans toutes les principales zones rizicoles de chacune des îles majeures de l’archipel. La nécessité d’une certaine concentration géographique de l’effort s’imposait d’elle-même. Le choix se porta tout naturellement sur Java.

19 Rien de particulièrement surprenant à cela. L’île de Java est en effet non seulement terriblement surpeuplée, aussi bien en termes absolus que relativement au reste de l’archipel, mais encore est-elle mise en valeur d’une manière hyper intensive proche de la surexploitation, avec tout ce que cela comporte de risques sur le plan écologique88. Les deux choses sont intimement liées et ne constituent en fait que les deux aspects complémentaires d’un seul et même phénomène où réside le nœud gordien du dilemme javanais. Nous reviendrons en détails sur ce problème-clef au terme de la très longue incursion que nous allons bientôt entamer au sein de la société villageoise et qui nous le fera toucher du doigt à maintes reprises. Au niveau de cette introduction, soulignons simplement que le dilemme en question n’est que l’aboutissement d’un très long processus historique d’interaction entre la croissance démographique d’un côté et une mise en valeur horizontale et verticale toujours plus intensive et minutieuse de la terre et de ses ressources de l’autre. Essayer de comprendre, et encore plus d’expliquer, la situation de l’agriculture javanaise contemporaine sans avoir avant tout recours à l’analyse historique est une entreprise risible irrémédiablement vouée à l’échec. Comme le dit dans son style admirable de limpidité le grand Lucien Febvre : « Le problème à traiter, c’est celui des rapports de l’Histoire et du Sol » ; ou, en s’excusant presque de devoir être légèrement plus abstrait : « des rapports du milieu et des sociétés humaines dans leur évolution historique »89. A l’origine du processus historique auquel il est fait allusion nous avons, à Java, un milieu naturel dont les conditions climatiques, pédologiques et hydrauliques sont, dans l’ensemble, potentiellement très favorables à l’agriculture et dont l’homme a su, fort tôt, tirer tous les avantages grâce, nous dirait Pierre Gourou, à des techniques d’encadrement et de production90 efficaces et raffinées, largement héritées de P» indianisation »91, mais adaptées puis améliorées localement. A son terme, après un épisode colonial particulièrement précoce, durable, exploiteur et 26

déstructurant92, nous avons une société rizicole parmi les plus remarquables de cette Asie tropicale qui en compte pourtant beaucoup, mais une société qui, malgré le véritable génie cultural et l’ardeur au labeur opiniâtre dont elle a toujours su faire preuve, n’arrive plus à couvrir les besoins alimentaires de ses fils, toujours plus nombreux ; une société acculée au bord de la malnutrition et de la famine qui semble bien avoir apparemment exploité jusque dans leurs ultimes détails toutes les possibilités que lui offrait sa technologie traditionnelle.

20 Paradoxalement, c’est bien cette île surpeuplée contribuant à l’essentiel du déficit alimentaire chronique du pays, cette île surexploitée où il était pratiquement exclu depuis très longtemps de pouvoir mettre en culture le moindre kilomètre carré de terre supplémentaire, qui offrait les meilleures perspectives à un programme d’intensification de la production rizicole basé sur une technologie de type « révolution verte ». Les résultats du grand recensement agricole de 1963 étaient on ne peut plus clairs à ce sujet. Sur les quelques 14.5 millions d’hectares de terre agricole recensés dans le pays cette année là93, près de 6.2 millions, pas loin de 43 %, se trouvaient à Java, couvrant environ 47 % de la superficie d’une île ne représentant même pas 7 % du territoire national94. Les terres cultivées par la paysannerie couvraient quant à elles près de 5.7 des 6.2 millions d’hectares en question, pas moins de 91.5 % du total, les cinq cent et quelque mille hectares restant étant occupés par les plantations95. Cette vaste superficie arable privée javanaise se subdivisait à son tour en différentes catégories de terres, les rizières humides (sawah) couvrant 2.53 millions d’hectares, près de 45 % du total, les champs secs (tegal) 2.22 millions d’hectares, un peu moins de 39.5 %, les jardins (pekarangan) 530 000 hectares, pas loin de 9.5 % et les champs essartés (ladang) 185 000 hectares, environ 3 % ; les quelques 180 000 hectares restant étant occupés par les cultures pérennantes, les pâturages, les bois, les bosquets de bambous et autres96. C’est donc bien la rizière humide qui dominait largement le paysage rural javanais. Elle représentait, au demeurant, 62 % de la superficie totale des rizières humides de tout le pays97. De plus, sur ces 2.53 millions d’hectares de rizière humide existant à Java, 1.65 million, environ 65 %, étaient irrigués, 820 000 autres hectares, à peine 33 % seulement, étant soit inondé, soit marécageux98. En 1963, la rizière irriguée concentrée sur cette seule île ne représentait d’ailleurs pas moins de 70 % du total de la superficie disponible dans tout l’archipel99. Toujours selon le même recensement agricole, 3.35 des 5.75 millions d’hectares de paddy récoltés en Indonésie cette année là, soit près de 60 %, le furent à Java100. Il était donc, somme toute, assez logique de lancer le programme d’intensification rizicole là où il était à la fois le plus nécessaire et le plus prometteur.

21 Ceci dit, le nouveau régime militaro-technocrate ne pouvait, en aucun cas, revendiquer la paternité des efforts fait pour tenter d’augmenter la production nationale de riz depuis l’indépendance. Un certain nombre d’expériences avaient déjà été tentées tout au long des quinze années où Sukarno avait présidé aux destinées du pays. Dès le début des années cinquante, un programme de vulgarisation agricole avait ainsi été mis sur pied. De facture classique, mais conçu de manière pragmatique et imaginative, il avait tant bien que mal fonctionné pendant près de neuf ans avant que l’absence de plus en plus chronique d’un soutien financier gouvernemental suffisant n’ait finalement raison de lui en 1959101. Il avait alors rapidement été remplacé par un système de centres de production rizicole pilotes connu sous le nom de « Plan Triennal » qui, mal conçu et mal géré, avait commencé à montrer des signes patents d’échec dès 1962/63102. C’est seulement à ce moment que l’expérience la plus intéressante et fructueuse avait vu le 27

jour. Elaborée par quelques enseignements idéalistes du fameux Institut Agricole de Bogor103 plus concernés que les autres par la condition du monde paysan indonésien, elle procédait d’une approche radicalement différente des problèmes d’innovation technologique en milieu rural. Vulgarisation agricole et animation rurale seraient pris en charge par des étudiants avancés qui iraient s’installer dans certains villages pilotes sélectionnés pour y vivre et travailler avec les paysans pendant toute la durée d’un cycle rizicole, essayant de les amener à adopter des techniques plus productives tout en apprenant de leur vaste savoir pratique et en étant à l’écoute directe de leurs problèmes quotidiens104. Débutant sur une échelle délibérément réduite destinée à en faciliter le succès initial, le programme fut inauguré lors de la saison des pluies 1963/64, 12 étudiants se répartissant entre 3 villages du district de Karawang, dans la grande plaine littorale septentrionale de Java Ouest. Il devint vite populaire auprès de la paysannerie du district concerné qui le baptisa du nom indonésien des cinq principes (panca usaha) sur lesquels il reposait : 1) amélioration du contrôle hydraulique, 2) amélioration des méthodes culturales, en particulier labour plus profond et repiquage plus serré et régulier, 3) utilisation de variétés de semences sélectionnées à hauts rendements (VHR), 4) utilisation d’engrais chimiques en quantité adéquate et 5) utilisation de pesticides pour réduire les pertes dues aux insectes et aux rongeurs. Les rendements augmentèrent en moyenne de 50 % dans les rizières touchées par le programme et ce, alors même que les nouvelles variétés naines dites « miracles » de l’IRRI n’avaient pas encore fait leur apparition dans les campagnes javanaises105. Devant ce succès prometteur, le Ministère de l’Agriculture, enthousiaste106, décida de prendre les choses en mains et de passer la surmultipliée. Lors de la saison des pluies 1964/65, 440 étudiants originaires de neuf institutions académiques différentes se déployèrent dans 220 villages, couvrant un périmètre rizicole supérieur à 10 000 ha107. Malgré les répercussions très négatives que les difficultés économiques croissantes du pays eurent sur la distribution des intrants techniques, ce programme étendu connu sous le nom de DEMAS, acronyme de DEmonstrasi MASsal ou Démonstration Massive, se solda également par un assez beau succès, les rendements de paddy à l’hectare étant passés des 3 tonnes traditionnelles à 5, 6, voire 7 tonnes dans les meilleurs cas108. Définitivement rassuré par ces percées encourageantes, le Ministère de l’Agriculture décida de passer au rythme de grande croisière que nécessitait urgemment la détérioration de la situation alimentaire du pays. Il se lança donc, tête baissée, dans la préparation de la campagne rizicole de la saison pluvieuse 1965/66 en élaborant un programme d’intensification fortement revu et corrigé que l’on rebaptisa du nom de BIMAS, acronyme de BImbingan MASsal ou Encadrement Massif.

22 Aussi bien d’un point de vue quantitatif que qualitatif, les innovations prévues s’avéraient fort peu conformes à l’esprit dans lequel le programme avait été conçu à l’origine et elles en altéraient même profondément la nature. Non seulement envisageait-on de couvrir plusieurs centaines de milliers d’hectares répartis dans tout l’archipel par l’intermédiaire de 1 200 étudiants seulement, saupoudrage insignifiant annonciateur des pires difficultés, mais encore abandonnait-on dans la foulée l’approche à ras-du-sol qui avait fait l’originalité et la force du programme initial, et dont le but était plutôt de convaincre le paysan de l’intérêt qu’il avait à adopter des nouvelles techniques de production en créant avec lui un rapport étroit d’égalité et de confiance, au profit d’une méthode plus verticale et coercitive qui l’obligerait à se conformer, de gré ou de force, aux normes prescrites. La nouvelle version du programme d’intensification rizicole se serait-elle soldée par un échec moins cuisant que cela n’a été le cas si les événements politiques ne s’étaient brusquement précipités de la manière que l’on sait pour transformer la saison des pluies 28

1965/66 en un long cauchemar sanglant ? Rien n’est moins sûr. En revanche, une chose est certaine, c’est que les résultats encourageants enregistrés lors des deux années précédentes n’étaient pas totalement étrangers au fait que les changements technologiques proposés à la paysannerie s’inscrivaient dans le cadre plus large d’un profond climat de changement institutionnel et social. De nombreux auteurs s’accordent à penser que les étudiants ne furent de bons vulgarisateurs que parce qu’ils purent également jouer les rôles d’animateurs, de défenseurs, de mobilisateurs, d’organisateurs et de conscientisateurs des communautés villageoises avec lesquelles ils travaillèrent. Or, seule l’effervescence qui régnait depuis 1963 dans une bonne partie des campagnes indonésiennes leur avait permis de jouer ces rôles multiples et complémentaires. La cause de toute cette agitation portait un nom dont la seule évocation suffisait, comme partout dans le Tiers-Monde, à allumer les passions, voire même à déchaîner les violences : la réforme agraire.

23 C’est dans le fameux discours politique prononcé à l’occasion du quatorzième anniversaire de l’indépendance nationale, le 17 août 1959, et passé à la postérité sous le nom sonnant le MANIPOL-USDEK, que Sukarno avait pour la première fois officiellement évoqué la nécessité de procéder à une réforme agraire109. Il faut dire que depuis le retour en force du PKI sur la scène politique sanctionné par les élections législatives de 1955, le syndicat paysan d’obédience communiste BTI s’était fait de plus en plus pressant pour demander sa promulgation. La situation agraire était toutefois très particulière en Indonésie. Malgré ses limites et ses défauts, le recensement agricole de 1963 en donnait une image assez précise110. Les quelques 12.2 millions d’exploitations agricoles recensées dans tout le pays couvraient une superficie totale d’environ 12.9 millions d’hectares soit, en moyenne, à peine plus d’un tout petit hectare pour chaque d’entre elles111. A côté de cela, on apprenait que 43.6 % de ces exploitations étaient inférieures à 0.5 ha et ne couvraient que 11.3 % de la superficie en question, alors que 53.9°% d’entre elles se situant dans la large fourchette allant de 0.5 ha à 5 ha occupaient 64.9 % des terres et que seules 2.5 % se trouvaient au dessus du seuil des 5 ha, ne contrôlant pas moins de 23.8 % du total disponible112. La concentration de la propriété foncière, quoique relativement modérée par rapport à la plupart des autres pays asiatiques113, était donc indéniable, mais c’est surtout sa formidable fragmentation qui frappait au premier chef. Cette fragmentation était d’ailleurs encore nettement plus accentuée à Java, puisque les 7.9 millions d’exploitations agricoles recensées, soit 65 % du total national, ne couvraient que 5.6 millions d’hectares — une moyenne tombant donc ici à tout juste 0.7 ha per unité114 — et que 52.2 % d’entre elles étaient inférieures à 0.5 ha, 27.1 % se situant entre 0.5 et 1 ha, 15.2 % entre 1 et 2 ha, 3.4 % entre 2 et 3 ha, 1.2 % entre 3 et 4 ha, 0.5 % entre 4 et 5 ha et 0.4 % seulement au dessus de 5 ha, chiffres laissant en revanche également présumer une concentration légèrement moindre115. Sur le plan régional, c’est la province de Java Central, le Territoire Spécial de Yogyakarta inclus, qui battait tous les records avec 92.6 % de ses exploitations agricoles inférieures à 1 ha116. Des perspectives de redistribution des terres à priori plus que limitées, surtout à Java. D’un côté, fort peu de grands propriétaires terriens, puisqu’un rapport détaillé daté de 1957 n’identifiait pas plus de 6 084 « landlords » situés au dessus du seuil des 10 ha de sawah dans toute l’île, 3 024 à Java Ouest, 2 169 à Java Est et 891 seulement à Java Central117. De l’autre, environ 40 % des exploitants agricoles javanais recensés en 1963 n’étaient pas des propriétaires, mais des fermiers mettant en valeur la terre des autres sous diverses formes de tenure foncière118, et l’on estimait en tout à plus de 3 millions le nombre des familles sans-terres vivant dans les vingt mille et quelques villages de l’île119. La disproportion était gigantesque. 29

Arithmétiquement parlant, seule une réforme agraire de type radical suivie d’une collectivisation des terres pouvait permettre de régler le problème.

24 La Loi Agraire finalement adoptée en plusieurs épisodes entre septembre et décembre 1960120 n’allait pas du tout dans ce sens, le qualificatif de « réformiste » lui seyant incontestablement mieux que celui de « révolutionnaire ». Partant du principe que la terre devait revenir à celui qui la travaillait et condamnant l’absentéisme foncier, elle fixait huit différents seuils d’expropriation variant, en fonction de la densité de population et de la productivité de la terre, de 15 ha de sawah et 20 ha de tegal dans les districts (kabupaten) ayant moins de 50 habitants par kilomètre carré à 5 ha de sawah et 6 ha de tegal dans ceux dépassant les 400 hab/km2121. La grande majorité des districts de Java se trouvait bien évidemment dans le dernier cas mais, vu les structures foncières existantes, le seuil d’expropriation fixé ne risquait pas de permettre le dégagement d’un surplus redistribuable bien important. La barre eût facilement pu être placée deux fois plus bas, ce qui aurait tout de même donné une marge de manœuvre plus appréciable au gouvernement. Malgré cela, le PKI et le BTI décidèrent de soutenir activement une réforme agraire certes modérée, mais interprétée comme un premier pas dans la bonne direction122. La chaîne des comités chargés de sa préparation et de son application fut mise en place dans tout le pays, du niveau central à celui des villages, dès septembre 1962 et mit exactement une année à établir le montant global du surplus redistribuable : 966 150 ha dont 337 445 à Java, Madura, Bali, Lombok et Sumbawa, les îles constituant les sept provinces où il avait été décidé de la lancer et de la parachever en priorité123. De nombreuses difficultés ne tardèrent toutefois pas à surgir, dues à la fois aux propriétaires expropriables, qui s’ingénièrent à trouver tous les moyens de fraude possibles et imaginables pour éviter la réquisition, s’y opposant même à l’occasion par la violence, et au gouvernement, qui ne put pratiquement jamais faire face aux engagements d’indemnisation pris au préalable. Devant cela, le PKI décida qu’il était temps d’accélérer le rythme d’application de la réforme agraire et lança, fin 1963, par l’intermédiaire du BTI, sa fameuse campagne d’occupation et de saisie unilatérale des terres redistribuables connue sous le nom de Gerakan Aksi Sefihak. Les propriétaires, s’appuyant sur certains groupuscules de choc liés à la fraction islamique la plus conservatrice du pays, répliquèrent du tac au tac par des « actions unilatérales » de leur cru visant à déloger par la force les paysans ayant mis la main sur leur terres. Bref, phénomène quasiment sans précédent dans l’histoire indonésienne, une véritable lutte de classes, assortie de multiples violences et morts d’hommes, se déclencha et secoua les campagnes javanaises pendant toute la durée de l’année 1964 124. Elle eut indéniablement pour effet d’accélérer de manière notoire le processus de redistribution des terres en cours puisque le gouvernement publiait, début 1965, un bilan provisoire selon lequel près de 300 000 ha, environ 88 % du surplus disponible à Java et dans les petites îles de la Sonde, avaient déjà été alloués125. Sur un plan plus général, elle contribua de manière décisive à emballer le mouvement de polarisation socio-politique dans lequel le pays était engagé et, partant, à précipiter les événements qui allaient marquer la fin de l’année 1965. Ces derniers mirent non seulement pratiquement fin à l’expérience de réforme agraire engagée, mais en annulèrent même certains des acquis majeurs. Les paysans affiliés de près ou de loin au BTI qui avaient reçu des terres furent parmi les premières victimes des massacres, les autres furent arrêtés, s’enfuirent de leur village ou préférèrent purement et simplement renoncer à leurs droits, de telle sorte que les anciens propriétaires purent récupérer une bonne partie de ce qui leur avait été supprimé. Le nouveau régime publia en 1970 un bilan revu et corrigé de la réforme agraire que l’on peut considérer comme définitif et dans 30

lequel il apparaît qu’environ 680 000 des quelques 940 000 ha redistribuables, c’est-à-dire un peu plus de 70 % seulement, furent effectivement redistribués à près de 867 000 bénéficiaires dans tout l’archipel126. A Java et dans les autres îles mineures faisant partie du groupe où elle fut appliquée en premier, les chiffres sont suffisamment instructifs pour qu’on les examine un peu plus en détails. D’un côté, on s’aperçoit que sur les 355 518 ha de terre redistribuables, 220 910 ha, plus de 62 %, appartenaient soit à l’Etat, soit aux principautés, alors que seulement 112 524 ha constituaient le surplus réquisitionné auprès de 8 967 paysans riches et que les 22 084 ha restant avaient été supprimés à 18 421 propriétaires absentéistes127, tout juste 1/3 de ceux qui avaient été recensés à l’origine128. De l’autre, on découvre que si la quasi totalité des terres provenant du domaine public ont effectivement été distribuées à près de 465 000 bénéficiaires, c’est loin d’être le cas pour celles prélevées sur la propriété privée, puisque seulement 65 132 ha du surplus réquisitionné auprès des « landlords » et 8 610 ha de la superficie confisquée aux absentéistes, respectivement 58 % et 39 % du total disponible dans chaque catégorie, furent allouées, à environ 130 000 personnes en tout129. Au bout du compte, on voit que cette réforme agraire, déjà éminemment modérée dans son principe, fut de surcroît fort loin d’avoir été appliquée dans son intégralité130. De toutes façons, elle ne constituait plus un point inscrit à l’ordre du jour dans la stratégie de développement rural de l’Ordre Nouveau.

25 D’inspiration économiciste et technocratique, les conceptions du nouveau régime en matière de modernisation agricole le poussaient tout naturellement à mettre l’accent sur les notions d’efficacité, de rationalité et de productivité, la croissance qui ne manquerait pas de découler de leur amélioration étant censée entraîner automatiquement à terme des retombées pour l’ensemble de la population villageoise. Armé de cette certitude diffusionniste éminemment mécaniste, on endossa donc simplement le programme BIMAS en cours en le vidant totalement du contenu social et politique à dimension humaine qui avait été à l’origine de son succès initial et en le réduisant à une simple formule technicienne verticale et autoritaire. L’armée des 1 200 soldats de la « révolution verte » qui s’éparpilla dans les campagnes indonésiennes dès septembre 1965 fut prise dans l’effroyable maelström rouge qui allait ensanglanter toutes les pluies de la mousson 1965/66 et dut battre en retraite devant la tournure prise par les événements. Elle fut définitivement démobilisée et renvoyée dans ses foyers lors de la saison sèche 1966. Du fait de la confusion régnante et de la totale désorganisation affectant une bonne partie de l’administration territoriale, le programme d’intensification de la saison pluvieuse 1966/67 se solda par un échec cuisant. En quête d’une nouvelle formule, le gouvernement essaya différentes variantes et l’on assista, selon l’expression imagée d’un auteur, à une véritable « épidémie de BIMAS » dans tout le pays entre 1967 et 1968131. Vers la mi-1967, on introduisit une distinction de taille entre le programme BIMAS, Encadrement Massif où les riziculteurs continuaient à obtenir leurs intrants techniques par le biais du crédit public à la production, et le programme INMAS, acronyme de INtensifikasi MASsal ou Intensification Massive, où ils y avaient recours volontairement sur une base de pur autofinancement. Début 1968, l’introduction dans les rizières indonésiennes des nouvelles variétés à hauts rendements IR 5 et 8 mises au point par l’IRRI de Los Banos et baptisées PB 5 et 8132 sur la scène locale, déboucha sur une distinction supplémentaire établie à l’intérieur des programmes BIMAS et INMAS entre la variante Baru, c’est-à-dire Nouvelle, où elles étaient utilisées, et la variante Biasa, c’est-à-dire Ordinaire, où elles ne l’étaient pas. A côté de ces quatre formes majeures du programme d’intensification, on trouvait, du niveau national au niveau local, une pléthore de variations mineures sur le même 31

thème133. Malgré toutes ces subtilités, la nature profonde du programme restait inchangée et les multiples rigidités qu’il comportait, en particulier au niveau d’une distribution des intrants techniques proche de la coercition, entraînèrent rapidement une certaine forme de résistance passive de la paysannerie à son égard134. Les effets ne tardèrent pas à se faire sentir : lors de la saison pluvieuse 1967/68, non seulement stagnât-il en termes de surface couverte, mais il déclina même au niveau des rendements moyens atteints135. Il fallait trouver d’urgence une solution de rechange. Au lieu de revenir au type de formule qui avait été à l’origine du succès initial du programme, le gouvernement, fidèle à ses options technocratiques en matière de développement rural, s’en éloigna encore plus en ayant recours à une solution archi-verticale d’association avec les grandes firmes multinationales de l’agrochimie.

26 L’adoption de cette nouvelle formule baptisée BIMAS Gotong Royong, du nom de la pratique communautaire résiduelle d’« entraide mutuelle » encore très vivace dans les villages indonésiens136, avait principalement deux raisons. D’une part, l’ambitieuse autosuffisance rizicole prévue pour 1974 dans le cadre du premier REPELITA nécessitait que le programme d’intensification soit rapidement étendu à la totalité de la superficie potentielle où il pouvait être appliqué, une tâche gigantesque que l’administration ne se sentait pas en mesure de mener à bien toute seule. De l’autre, l’expérience pilote d’épandage aérien de pesticides réalisée en 1966 sur 30 000 ha de rizières à Célèbes Sud par la firme suisse CIBA avait donné des résultats positifs jugés fort satisfaisants et prometteurs aux yeux des nouveaux responsables économiques nationaux137. Ils décidèrent donc de signer avec cette dernière un contrat de plus de 15 millions de dollars par lequel elle s’engageait à prendre quasi entièrement en main lors de la saison des pluies 1968/69 toute l’organisation du programme d’intensification sur une superficie de 300 000 ha de rizières également répartie entre les trois grandes provinces rurales de Java 138. D’autres firmes agrochimiques étrangères, parmi lesquelles Hoechst (RFA) et Mitsubishi (Japon), furent bientôt également associées à un programme qui, administrativement trop rigide, vertical, voire autoritaire, fort mal conçu sous de nombreux aspects socio-économiques ou logistiques et plus que discutable d’un point de vue agro-écologique, rencontra d’emblée une farouche opposition au sein de la paysannerie javanaise139. Il fut néanmoins poursuivi et même largement étendu puisqu’il couvrait plus d’un million d’hectares lors de la saison pluvieuse 1969/70, plus de 90 % de cette surface étant concentrée sur Java140. A noter au passage que CIBA se taillait la part du lion dans ce juteux marché avec un périmètre d’action de 400 000 ha englobant quelques 4 000 villages141. Alors que la presse jakartanaise se faisait l’écho d’un énorme scandale financier sous-jacent à toute l’opération et que des bruits persistants faisant état des multiples aberrations du programme et d’un mécontentement paysan croissant filtraient quotidiennement des campagnes, le gouvernement décida subitement en mai 1970, suite à une visite éclair et incognito sur le terrain du président Suharto en personne, de mettre définitivement fin à cette décevante formule Gotong Royong.

27 Elle fut immédiatement remplacé dès la saison pluvieuse 1970/71 par une version dite « Perfectionnée » du programme ou BIMAS Yang Disempurnakan142. Contrairement à ce que pourrait laisser supposer un tel nom de baptême, il ne s’agissait nullement de quelques simples retouches cosmétiques, mais bien d’un changement de cap important. Sans aller jusqu’à reprendre les principaux facteurs qui avaient fait le succès de la formule initiale imaginée en 1963 par l’équipe d’universitaires de l’Institut Agricole de Bogor, ni surtout remettre la question des structures agraires à l’ordre du jour, on en revenait tout de 32

même à une conception plus souple, graduelle et judicieuse de la modernisation agricole. Progrès décisif, le paysan se voyait enfin replacé au centre du modèle et restitué son statut d’expert en problèmes agricoles, d’acteur économique responsable et de décideur rationnel. Il est d’ailleurs intéressant de noter que cette nouvelle approche n’avait pas germé dans le cerveau d’un technocrate urbanisé, mais était de nouveau à mettre au crédit d’une équipe d’universitaires, cette fois regroupée autour du Professeur Soedarsono Hadisapoetro, alors recteur à Yogyakarta de la Faculté d’Agriculture de l’Université Gadjah Mada. Concrètement, il s’agissait d’établir un système de crédit, de distribution des facteurs techniques de production et de stockage du paddy au niveau d’unités villageoises intégrées appelées BUUD143, ces dernières devant automatiquement se transformer, à plus ou moins long terme, en authentiques coopératives rurales, ou KUD144, dès que les communautés paysannes concernées auraient acquis les capacités leur permettant de prendre en charge et de gérer ses activités. En ce qui concerne le système de crédit envisagé, véritable pierre angulaire de la nouvelle formule, le bon y côtoyait le moins bon. Du côté des aspects positifs, le paysan, qui obtenait son crédit de la BRI145 pour six mois au faible taux d’intérêt mensuel de 1 %146, semblait désormais devoir être plus libre qu’auparavant pour décider de la quantité d’engrais chimiques dont il avait besoin, recevait à côté de ces derniers au titre du « coût de la vie » une somme d’argent en cash destinée à l’aider à tenir jusqu’à la récolte et pouvait à sa guise choisir de rembourser en espèces ou en nature, le prix officiel auquel son paddy serait acheté étant théoriquement déjà fixé par le BULOG147 au moment où il signait son contrat avec la banque. Du côté des aspects négatifs, une assez forte inégalité d’accès au crédit continuait à régner du simple fait que les propriétaires se voyaient offert la possibilité d’utiliser leur terre ou tout autre type de possession comme garantie alors que les métayers et les fermiers, ne bénéficiant pas d’un tel éventail, pouvaient comme ultime recours en être réduits à hypothéquer leur future production. Bref, en dépit d’un changement de cap salutaire et louable, le programme BIMAS formule « Perfectionnée » était loin d’être parfait et nombre de ses aspects restaient encore à perfectionner, la politique des prix le sous-tendant en tout premier lieu. Malgré ces lacunes, l’expérience pilote qui avait été réalisée dès la saison pluvieuse 1969/70 sur une superficie d’environ 75 000 ha intégralement située dans le Territoire Spécial de Yogyakarta ayant été jugée concluante, le gouvernement, soucieux de respecter les objectifs de production fixés dans le REPELITA I, donna son feu vert à une extension rapide et massive de la nouvelle formule du BIMAS à tout le pays148. Lors de la saison des pluies 1970/71, elle couvrait semble-t-il déjà plus d’un million d’hectares de rizières dont près de 90 % étaient situées à Java149. Du côté de la productivité agricole, les choses étaient au moins aussi encourageantes puisque les rendements moyens de paddy à l’hectare approchaient presque partout les 4 à 5 tonnes, un bond en avant plus qu’appréciable par rapport aux 2 ou 3 tonnes traditionnelles. Comme nous l’avons déjà vu précédemment, les conditions atmosphériques se mettaient de la partie et permettaient à l’Indonésie de produire en 1971 une récolte record de 12.8 Mt de riz assez sensiblement supérieure aux objectifs du plan. Les choses semblaient donc relativement bien parties et certains observateurs n’hésitaient d’ailleurs pas à prédire que la révolution technologique en cours dans la riziculture allait enfin permettre à la société paysanne javanaise de sortir du terrible dilemme population/alimentation dans lequel, selon la théorie « geertzienne » dominant alors encore largement la sociologie indonésienne du développement, elle avait commencé à s’enliser voilà plus de 150 ans, à peu près à l’époque où Raffles gouvernait provisoirement l’île.

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La société paysanne javanaise de Raffles à Geertz

28 La surprenante précocité des études rurales consacrées à Java est directement liée à l’ancienneté et à la nature du phénomène colonial ayant affecté l’île150. Bien que plusieurs d’entre-elles datent déjà du temps de la Compagnie des Indes Orientales151, Sir T.S. Raffles, le grand administrateur colonial visionnaire anglais qui allait bientôt fonder Singapour, fut incontestablement le premier occidental à nous livrer une étude scientifique aussi approfondie et exhaustive de la société javanaise. Le propos central du monumental ouvrage qu’il fit paraître en 1817 est connu152. Ayant rêvé d’inclure l’archipel indonésien dans un immense empire colonial anglais qui s’étendrait sans discontinuer de l’Inde des maharajahs à l’Australie des convicts, il y stigmatisait avec véhémence les effets catastrophiques de la politique mercantile hollandaise pour les populations indigènes et y défendait avec passion les réformes libérales introduites par ses soins pour lutter contre le féodalisme dont elles étaient victimes et améliorer leur niveau de vie. Ce faisant, il inaugurait la fonction « opérationnelle » que les études rurales indonésiennes allaient presque toutes continuer à revêtir pendant un siècle et demi : justifier une politique déjà mise en application ou identifier les éléments socio-culturels pouvant servir de base à l’élaboration d’une politique nouvelle. Par contre, raisonnant sur des données démographiques selon toute vraisemblance deux ou trois fois inférieures à la réalité153 et sacrifiant au mythe déjà tenace de l’infinie richesse de la terre tropicale javanaise154, il se singularisait en évoquant explicitement la sous-population de l’île, phénomène selon lui exclusivement imputable à une politique coloniale inique et oppressive155. On ne sera pas surpris d’apprendre qu’il fut le premier et le dernier des auteurs majeurs ayant marqué les études rurales javanaises à avoir tenu un tel raisonnement. Tous ceux qui lui succédèrent ne manquèrent, au contraire, quasiment jamais plus de placer le phénomène de surpopulation croissante affectant une société paysanne aux ressources agricoles limitées au centre de leurs analyses, l’imminence d’une catastrophe alimentaire et démographique devenant même un thème récurrent de la littérature sur Java156. Pour en finir avec Raffles, rappelons simplement que la politique interventionniste antiféodale qu’il avait appliquée à l’occasion de son bref interrègne (1811-1816) fut encore poursuivie pendant quelques années par les administrateurs hollandais partageant la même sensibilité libérale qui prirent sa relève, mais se solda finalement par un échec cuisant dont la fameuse Guerre de Java (1825-1830), révolte de type proto-nationaliste menée par une partie de l’aristocratie locale, constitue le point d’orgue.

29 Pendant tout le reste de la période coloniale, la finalité des études rurales demeure inchangée : il s’agit essentiellement d’arriver à mieux connaître et comprendre la société paysanne javanaise afin de l’administrer, de la manipuler, de la transformer, de la dominer et de l’exploiter de manière plus systématique et efficace157. Sur le plan strictement politique, le pendule oscilla dans un premier temps tout naturellement dans le sens inverse du volontarisme modernisateur des libéraux avec la mise en place dès 1830 du tristement célèbre « système des cultures » (kultuurstelsel) imaginé par Van den Bosch. Visant à maximiser les profits tirés d’une exploitation agricole intensifiée de l’île par une réduction drastique de tous les coûts non-productifs, il prétendait pouvoir éviter toute interférence directe au niveau de la sphère villageoise en s’appuyant entièrement sur le pouvoir intermédiaire légitime et renforcé de l’aristocratie féodale158. Le nouveau système s’avéra rapidement très profitable pour les finances d’une métropole batave que les 34

événements politiques troublés du premier quart de siècle avaient laissé exsangue159. Il fut par contre un échec complet au niveau des objectifs non-interventionnistes qu’il s’était fixé et eut des conséquences catastrophiques pour une société paysanne javanaise soumise à un régime d’abus et d’exactions sans précédent dont elle sortit plus bouleversée et affaiblie que jamais. Cette politique conservatrice anti-réformiste ne tarda pas à susciter des réactions très critiques au sein de l’opinion libérale hollandaise, qui découvrit avec honte le sort peu enviable que son gouvernement réservait, au nom du progrès, à la population indigène des colonies en lisant « Max Havelaar », le fameux roman autobiographique, publié en 1860, par Eduard Douwes Dekker160. On assista donc le plus logiquement du monde, à un nouveau mouvement de balance complet de la politique coloniale avec l’abandon progressif du « système des cultures » et l’adoption, en 1870, d’une loi agraire d’inspiration réformiste qui marquait le début de trente années de libéralisme pur161. Au nom d’une mission civilisatrice érigeant les principes de liberté et de prospérité au rang d’une véritable morale, il s’agissait bien cette fois-ci, de manière beaucoup plus explicite et élaborée que du temps de Raffles, de moderniser la société paysanne javanaise en la débarrassant de la chape de plomb féodale et même communautaire qui l’étouffait et la stérilisait afin de promouvoir un développement de l’individualisme qui favoriserait à son tour l’émergence d’un esprit salvateur d’entreprise, d’épargne, d’investissement et de profit de type capitaliste. Au tournant du siècle, force était cependant de reconnaître également l’échec total de cette expérience libérale, dont le seul effet majeur semblait malheureusement avoir été de stimuler une très forte augmentation du taux de croissance démographique et d’entraîner une grave détérioration parallèle du niveau de vie moyen de la population javanaise. Le spectre de la famine faisait même çi et là une apparition blafarde dans certaines provinces de l’île, amenant la couronne hollandaise à ordonner une commission d’enquête sur « l’état de l’économie indigène » et à avaliser, très rapidement, une nouvelle orientation de la politique coloniale.

30 Ce qui allait dès 1900 passer à la postérité sous le nom fort ambigu de « politique éthique » constituait plutôt un réajustement humanitaire et paternaliste du libéralisme modernisateur de la période précédente qu’un changement de cap complet162. Il s’agissait principalement, par le biais de mesures gouvernementales diverses que l’on regrouperait aujourd’hui sous le chapeau de « développement rural », d’améliorer le niveau de vie matériel et le bien-être social de la population javanaise tout en la protégeant momentanément des méfaits de la pénétration économique occidentale afin de lui permettre d’acquérir progressivement la capacité de se moderniser. A vrai dire, l’augmentation du pouvoir d’achat d’une clientèle coloniale aussi nombreuse n’était pas totalement négligeable pour une économie métropolitaine en crise ayant bien du mal à trouver des débouchés pour ses produits manufacturés sur un marché international saturé, mais notre propos se situe ailleurs. L’ère de la « politique éthique » s’accompagna en effet d’un essor sans précédent des études rurales javanaises163. Leur but était autant d’identifier les obstacles expliquant pourquoi la société villageoise ne s’était pas modernisé que les vecteurs permettant d’entrevoir comment elle pourrait le faire. En essayant d’éliminer les premiers et de développer les seconds, la « politique éthique » s’appuyant sur ces études rurales oscilla donc assez étrangement entre un interventionnisme ethnocentrique peu respectueux des valeurs traditionnelles et un idéalisme paternaliste soucieux de sauvegarder l’identité culturelle et la cohésion sociale des communautés villageoises. Toute la fameuse école du droit coutumier () de Leiden, dirigée par Cornelis van Vollenhoven, contribua largement à ce débat en 35

travaillant au niveau micro-social des structures foncières, des représentations religieuses et de l’organisation communautaire et familiale164. Au niveau macro-social, ce furent plutôt les économistes qui menèrent la réflexion théorique la plus intéressante. En partant de l’observation selon laquelle les méthodes et les concepts d’inspiration libérale utilisés pour l’analyse économique d’une société occidentale industrialisée comme la Hollande s’étaient avérés totalement inadaptés pour celle d’une société orientale colonisée comme Java, Julius H. Boeke, resté depuis lors le plus illustre d’entre-eux, énonçait dès 1910 les principes de base de ce qui allait devenir la théorie dite « dualiste » du développement.

31 Sans entrer dans le détail, et en restant donc nécessairement très schématique, disons simplement que selon lui, le monde tropico-colonial indonésien était caractérisé par l’existence de deux systèmes socio-économiques différenciés et juxtaposés : l’un, importé, moderne, efficace, matériellement prospère, en pleine croissance, bref, en un mot, développé, fonctionnait selon les règles de la compétition capitaliste et reposait sur les valeurs individualistes occidentales, alors que l’autre, autochtone, traditionnel, inefficace, matériellement pauvre, en pleine stagnation, bref, en un mot, sous-développé, fonctionnait selon les régies de l’harmonie précapitaliste et reposait sur les valeurs communautaires orientales165. Procédant d’une approche « kiplinguesque » du type « East is East and West is West and never the Twain shall meet », Boeke diagnostiquait en plus la totale irréversibilité et irréductibilité de cette dichotomie, condamnant la société indonésienne à ne malheureusement jamais pouvoir se moderniser dans un sens capitaliste166 et à devoir par conséquent continuer à subir les assauts répétés d’une pénétration occidentale la confinant à un espace de plus en plus réduit167. Pour tenter de contrecarrer cette évolution désastreuse et d’améliorer le niveau de vie matériel et le bien-être social de la population indigène, il préconisait, en bon humaniste partisan convaincu de la tendance paternaliste et conversationniste de la « politique éthique », de protéger ce qui subsistait des structures originales de la société villageoise javanaise, et même d’essayer de les rénover, un peu dans le sens de ce que Gandhi tentait de faire en Inde. D’emblée, la théorie dualiste proposée par Boeke suscita de très nombreuses critiques de la part de ses contemporains et ouvrit même en Hollande un débat animé et durable auquel la plupart des économistes ou sociologues connus apportèrent leur contribution. A notre sens, l’une des plus dévastatrices et convaincantes d’entre elles lui fut adressée sur le tard par l’un de ses anciens disciples, Dionijs Burger, grand spécialiste de la société paysanne javanaise et de son processus de colonisation. En deux mots, il reprochait tout bonnement à Boeke de ne pas avoir su reconnaître les signes évidents du développement capitaliste embryonnaire qui caractérisait certaines régions de l’Indonésie précoloniale, phénomène contredisant fondamentalement sa thèse. Pour lui, c’est bien la colonisation, particulièrement précoce à Java, qui avait stoppé net ce processus de développement et était directement responsable de la crise de la société villageoise contemporaine, chaque nouvelle réorientation politique d’inspiration libérale ou conservatrice s’étant en fin de compte soldée par une plus grande pénétration, une désarticulation plus profonde et une intégration plus étroite à l’économie métropolitaine. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, la théorie dualiste de Boeke, rapidement extirpée du ghetto scientifique néerlandais grâce à une traduction anglaise, n’a pas cessé de faire l’objet de nouvelles analyses critiques de la part de chercheurs en sciences sociales de spécialisations disciplinaires et régionales diverses168. Cela ne l’a nullement empêché de devenir l’une des théories dominantes en économie du développement ou en sociologie de la modernisation et d’être à l’origine de multiples analyses et 36

d’innombrables ouvrages. Son influence est évidemment encore plus marquante en ce qui concerne les études indonésiennes et on la retrouve même, sous une forme malheureusement quelque peu caricaturale et outrancière, dans deux des ouvrages de vulgarisation parmi les plus récents et connus169. La carrière de la « politique éthique » fut infiniment plus brève que la théorie dualiste qui la soutenait et elle se termina en queue de poisson dès la fin des années 20, au moment où le gouvernement hollandais commença à accorder toute son attention à la répression antinationaliste et à la lutte contre les effets catastrophiques de la grande crise mondiale sur l’économie éminemment extravertie de son empire colonial insulindien. Les japonais prirent bientôt sa relève et s’occupèrent à leur façon du niveau de vie matériel et du bien-être social de la population locale.

32 Interrompues par dix années d’occupation étrangère et de guerre anticoloniale, les études rurales indonésiennes reprennent de plus belle dès le début des années 50. Elles se situent bien évidemment dans un contexte politique différent, car le pays est désormais indépendant, mais leur nature et leur fonction restent les mêmes, le fait que les chercheurs hollandais aient été remplacés par des chercheurs américains ne changeant strictement rien à l’affaire. Pour les USA, qui ont eu l’intelligence de donner un coup de pouce décisif à la cause indépendantiste au moment où elle semblait définitivement compromise, la situation est claire : l’Indonésie est un pays très important, aussi bien sur le plan économique que stratégique, et il faut éviter à tout prix que les problèmes de développement auxquels il est confronté ne débouchent à terme sur une révolution politique et sociale qui le ferait basculer dans le camp communiste que la Chine vient tout juste de rejoindre170. Pour cela, il faut trouver le remède qui permettra de la moderniser et d’en faire un grand pays démocratique et prospère, ce qui implique nécessairement au préalable de diagnostiquer avec précision la nature de son mal. Cette tâche va être confiée à différentes équipes de chercheurs auxquelles aucun moyen ne va être refusé. La plus célèbre, talentueuse et prolifique de ces équipes sera chargée par le MIT de mener à bien entre 1952 et 1954 le fameux projet de recherche interdisciplinaire « Modjokuto » à Java Est. Bien qu’il ne fut pas directement chargé de l’étude de la société paysanne javanaise, l’anthropologue Clifford Geertz, l’un des six membres de cette époque171, publia en 1963 un petit ouvrage intitulé « Agricultural involution »172 qui allait profondément marquer les études rurales indonésiennes, et par extension, toute la sociologie de la modernisation agricole et du développement en général. Partant du dualisme de Boeke, mais poussant plus avant l’analyse, il y soutenait que la société paysanne javanaise du XXe siècle s’était enfermée dans un processus « d’involution agricole », « sorte de cul-de-sac de l’évolution »173, caractérisé par un phénomène d’expansion statique et un développement des rapports de production de type baroque dont le seul but était de permettre la reproduction de l’organisation sociale en assurant une espèce de « partage de la pauvreté »174. Ce processus, dont la colonisation était selon lui responsable, n’avait été rendu possible que grâce à la souplesse de l’écosystème de la rizière humide (sawah), largement dominant dans l’Indonésie « interne » — c’est-à-dire la majeure partie de Java, le sud de Bali et le sud-ouest de Lombok175 — capable d’absorber une pression démographique croissante et une main-d’œuvre toujours plus nombreuse par des augmentations minimes, mais continuelles de la productivité agricole. C’est surtout l’introduction et l’extension rapide de la culture de la canne à sucre, parfaitement adaptée à ce type d’écosystème, qui, en confinant la riziculture à un espace de plus en plus réduit et en obligeant la paysannerie javanaise à produire toujours plus par hectare pour essayer de maintenir son niveau de subsistance, avait déclenché dès 1830 ce cycle 37

involutioniste176. Ce phénomène avait par ailleurs revêtu une forme beaucoup plus achevée dans le Kejawèn, la partie relativement enclavée du centre méridional de l’île considérée comme le cœur de la civilisation hydro-agricole des formations étatiques précoloniales indo-javanaises, ou le sawah était encore plus répandu qu’ailleurs et où les Hollandais avaient donc développé en priorité leur industrie sucrière, que dans le Pasisir, le littoral nord-javanais, relativement moins favorable à la riziculture irriguée, ouvert depuis toujours sur le commerce inter-asiatique et touché de manière plus profonde par l’Islam, bref, de tradition beaucoup plus marchande et cosmopolite177. S’exprimant dans une société villageoise où les pratiques communautaires résiduelles d’entraide mutuelle et de consensus étaient encore fortement enracinées et où les relations semi-féodales de clientèle jouaient un rôle prépondérant, cette spirale involutioniste, plutôt que de déboucher comme elle aurait pu le faire ailleurs sur un accroissement des tensions et un éclatement rapide, avait engendré cette stratégie de survie solidaire que Geertz baptisait « pauvreté partagée » et qui consistait grosso modo à couper le gâteau disponible en parts toujours plus petites. Toutefois, toujours selon lui, les choses avaient désormais atteint un point critique et la catastrophe semblait proche car l’écosystème rizicole avait apparemment atteint son niveau de productivité plafond et ne pouvait donc plus continuer à absorber indéfiniment la croissance démographique d’une société paysanne arrivée au terme de son involution. La seule solution pour la sortir de l’impasse où elle s’était laissée acculer et éviter une explosion sociale aux conséquences incalculables résidait, d’après notre auteur, en une industrialisation rapide de l’économie indonésienne.

33 Expliquant à la fois pourquoi la société paysanne javanaise contemporaine était caractérisée par un double archaïsme d’ordre socio-économique et psycho-sociologique et comment il était possible d’envisager de la moderniser, cette théorie, certes très générale et fort ambitieuse, mais élégante et séduisante, reçut, dès sa parution, un accueil enthousiaste quasi unanime, auprès des théoriciens comme des praticiens. Elle allait en fait régner sans partage sur les études rurales javanaises pendant près de dix ans, et ce d’autant plus facilement que ces dernières tombèrent pratiquement au point mort en raison des événements politiques qui égrenèrent la décennie soixante. Ce n’est qu’au début des années 70, en particulier au moment où les premiers résultats des études rurales consacrées aux effets de la « révolution verte » à Java vont être publiés, que la théorie involutive de Geertz va commencer à être remise en question178. Par la suite, nombre d’ouvrages et d’articles critiques, dont les plus récents datent à peine de deux ou trois ans, en montreront, preuves à l’appui, les multiples préjugés, lacunes ou généralisations douteuses et, comme cette étude en fait partie, nous aurons maintes fois l’occasion de les mentionner ultérieurement179. En attendant, il ne faut pas oublier que tous les chercheurs qui se préparaient à leur terrain fin 60-début 70 ne pouvaient pas ne pas avoir été profondément influencés par une théorie « geertzienne » dont le schéma explicatif logique et séduisant joua un rôle non-négligeable de sécurisation intellectuelle face à la complexité entrevue d’une société paysanne javanaise encore distante. Cela explique en grande partie un certain acharnement de leur part à vouloir démontrer, dès leur retour de ce terrain, toutes les limites, voire les erreurs, d’une théorie qui s’était souvent avérée plus encombrante et déroutante qu’utile ou éclairante dans le cadre de leur recherche. Nous ne faisons pas, dans ce domaine, exception à la règle, et c’est bien l’esprit tout imbibé de Geertz, d’involution et d’obstacles à la modernisation agricole que nous nous préparions à entamer une recherche délibérément axée sur la sphère villageoise. 38

Le terrain villageois : problèmes de méthode et méthodes d’enquête

34 Partant de l’hypothèse selon laquelle la modernisation de l’agriculture traditionnelle javanaise « faisait problème », nous nous proposions donc d’étudier les « freins » qui entravaient sa croissance et son développement ainsi que les moyens devant être mis en œuvre pour avoir une chance de les éliminer. De manière largement inconsciente, mais non moins réelle pour autant, on se situait par conséquent assez clairement dans la ligne « modernisatrice et volontariste » classique des études rurales indonésiennes, avec tout ce que cela impliquait d’écueils. Par ailleurs, bien qu’il se soit essentiellement agi d’une recherche dans le domaine de la socio-économie rurale, tant notre formation académique que notre sensibilité philosophique nous imposaient une approche interdisciplinaire du problème, permettant non seulement l’analyse des éventuels « freins » techniques, économiques et sociaux à la modernisation agricole, mais également de leurs cousins politiques, culturels et religieux possibles. Notons au passage que, sans l’avoir vraiment tout à fait réalisé, on nageait donc aussi quelque peu dans les eaux troubles d’un ethnocentrisme néo-weberien des plus discutables. Finalement, il était évident qu’une telle approche nécessitait que l’étude soit menée à une échelle d’observation des phénomènes suffisamment réduite pour être maîtrisée par un seul homme mais suffisamment complexe pour être représentative de tous les problèmes existants, celle des communautés villageoises, encore relativement peu utilisée, s’avérant rapidement de loin la plus appropriée180. Bien qu’elle présente de nombreux avantages, nous étions bien conscients du fait que cette approche interdisciplinaire et micro-sociale n’était pas exempte de risques, les études villageoises s’étant souvent révélées être des gouffres de complexité dans lesquels les chercheurs occidentaux consciencieux ambitionnant d’aller « au fond des choses » sont précisément fréquemment restés prisonniers à vie. C’est la raison pour laquelle il nous semblait également nécessaire de ne pas totalement abandonner l’angle d’analyse macro-économique, seul à pouvoir permettre une remise en perspective et une interprétation significative des observations glanées au niveau micro- social. En d’autres termes, on essayait intuitivement de réaliser, avec nos moyens limités, l’ambitieuse approche méthodologique de synthèse que T. Scarlett Epstein qualifierait bientôt, dans un article lumineux publié en 1975, de « mariage idéal » en matière d’études de développement181. Tout ceci restait malgré tout délibérément fort souple, pour ne pas dire flou, et, sachant que nous serions vraisemblablement obligés de remettre en question une bonne partie de nos présupposés théoriques et de nos mécanismes de sécurisation intellectuelle, nous nous réservions explicitement le droit de pouvoir adapter, affiner, élaborer et spécifier notre approche méthodologique et nos méthodes d’enquête en fonction des conditions réelles du terrain.

35 En ce qui concerne ce dernier, nous étions à la fois boulimique et optimiste. Ayant placé la diversité culturelle indonésienne au centre de notre analyse, nous estimions qu’il était indispensable, pour pouvoir se faire une idée aussi complète que possible des multiples problèmes de modernisation agricole auquel ce pays était confronté, d’étudier plusieurs sociétés paysannes majeures, représentatives à la fois des principaux systèmes agro- techniques et des grandes régions ethno-géographiques de l’archipel. Certes, nous savions d’emblée que ce terrain serait essentiellement javanais, puisque c’est sur cette île que le secteur vivrier national nous concernant au premier chef était largement 39

concentré, mais nous envisagions également de mener des enquêtes plus brèves à Bali, puis, surtout, à Sumatra, pour couvrir le secteur des cultures commerciales d’exportation et des plantations, et même à Kalimantan, pour jeter un coup d’œil au secteur forestier. Nous dûmes bien évidemment abandonner une bonne partie de ces projets mais pûmes malgré tout étudier en profondeur deux villages sumatranais, l’un situé à Lampung Central et fondé en 1955 par des transmigrants javanais, l’autre chez les Batak Karo du nord du lac Toba, fameux pour leurs cultures maraîchères et horticoles, et consacrer quelques semaines à un bref survol de certaines parmi les plus importantes des nombreuses plantation nationalisées de Sumatra Nord. Cet ouvrage prenant au fil des ans de monumentales proportions, il a finalement été décidé de ne pas y inclure de manière formelle le terrain extra-javanais. En tout, nous consacrâmes donc environ 16 des 18 mois de terrain dont nous disposions en Indonésie à l’étude du processus de modernisation agricole affectant Java. Partant implicitement du modèle d’analyse théorique proposé par Geertz, il s’agissait essentiellement d’étudier à fond les conditions de développement de la riziculture (padi) et des cultures alimentaires secondaires (palawija) dans des zones agricoles où elles étaient en compétition directe avec la canne à sucre (tebu) pour l’occupation du sol, et de mener à bien cette recherche à la fois dans des régions géomorphologiques caractérisées par des conditions différentes du milieu naturel et dans des espaces géo-culturels marqués par des processus historiques dissemblables. Le but de l’exercice était donc de déceler dans quelle mesure l’opposition classique entre les cultures vivrières et les cultures commerciales, déjà largement responsable du processus séculaire d’involution identifié par Geertz, continuait à entraver d’une quelconque manière la modernisation de l’agriculture paysanne de subsistance à Java et jusqu’à quel point les différences socio-économiques et socio-culturelles caractérisant les principales sociétés paysannes de l’île influençaient la volonté ou la capacité de ces dernières à adopter de nouvelles techniques de production. Vaste programme. Par quel bout commencer ?

36 Administrativement, l’île de Java était divisé en 1972 en 5 provinces (propinsi ou Daerah Tingkat I), 24 municipalités urbaines (kotamadya), 82 districts ruraux ou régences (kabupateri), 1 522 sous-districts (kecamatari) et 21 470 villages (kelurahan ou desa)182. Historiquement et culturellement, nous avons vu que les Hollandais, reprenant en grande partie des catégories existant déjà à la période pré-coloniale, avaient pris l’habitude d’établir une distinction traditionnelle entre quatre régions : Sunda, le Kejawèn, le Pasisir et le Oost Hoek. Il nous suffisait donc de superposer ces deux types de variables géographiques pour obtenir une image déjà nettement plus claire des régions de l’île où nous devions mener enquête. Toutefois, le modèle géo-culturel emprunté in-extenso par Geertz aux Hollandais ne nous semblant plus totalement adapté à la situation contemporaine, il nous a semblé indispensable, au préalable, de le modifier assez sensiblement. En effet, si les limites du pays Sunda ne posent guère problème, ne serait-ce que parce qu’elles correspondent à une entité ethno-linguistique spécifique bien déterminée183, il n’en va pas de même pour les trois autres régions culturelles de Java. Pour ce qui est du Kejawèn, nous pensons, comme Hiroyoshi Kanô184, que sa frontière est nettement plus occidentale que ne l’indique Geertz dans son ouvrage et passe plutôt légèrement à l’est de Blitar qu’au sud de Pasuruan, ce qui a pour effet majeur d’en exclure et sa région. Par ailleurs, la catégorie du Oost Hoek, certainement très significative au XIXe siècle, quand toute la partie sud-est de Java n’avait pas encore été ouverte à la colonisation agraire, ne présente plus aucune spécificité particulière aujourd’hui qu’elle est largement peuplée de Maduranais et consacrée à des cultures 40

commerciales comme la canne à sucre ou le tabac. Comme elle est structurellement liée à la côte nord javanaise sous la plupart de ses aspects économiques, sociaux, culturels et politiques, nous avons décidé, pour les besoins de notre recherche, de simplifier le modèle géo-culturel classique en l’intégrant purement et simplement dans un Pasisir élargi. Les deux cartes superposées de la page précédente montrent bien les correspondances existant entre provinces administratives d’un côté et régions culturelles revues et corrigées de l’autre. Au bout du compte, dix villages furent étudiés en profondeur à Java, un à Sunda, cinq dans le Kejawèn et quatre dans le Pasisir. Sur le plan administratif, la répartition de ces dix villages était la suivante : deux à Java Ouest (JAwa BARat ou JABAR), deux à Java Central (JAwa TENGah ou JATENG), quatre dans le Territoire Spécial de Yogyakarta (Daerah Istimewa Yogyakarta ou DIY) et deux à Java Est (JAwa TIMur ou JATIM)185. Pour des raisons liées au volume, à la cohérence et à l’originalité de l’étude comparative, deux des dix villages en question, celui de Sunda, situé à l’ouest de Bogor (Java Ouest), et l’un des cinq du Kejawèn, situé à Klaten (Java Central), en furent exclus. Elle ne porta donc au bout du compte que sur huit villages seulement, quatre étant regroupés à Bantul, dans le cœur du Kejawèn, et les quatre autres étant dispersés sur le pourtour du Pasisir, de Karawang à Lumajang en passant par Pekalongan et Malang. Finalement, pour les besoins de la publication, nous dûmes encore couper dans ce volumineux matériel afin de ramener le manuscrit initial de 850 à 500 pages et décidâmes que l’amputation la moins compliquée et la plus cohérente consistait simplement à faire sauter les quatre villages du Pasisir. En dernière analyse, cet ouvrage ne repose donc que sur l’étude comparative des quatre villages du Kejawèn.

CARTE 3 : Correspondance entre les régions culturelles et les provinces administratives de Java

37 Nous aurons l’occasion de revenir ultérieurement plus en détail sur les raisons précises qui ont présidé au choix de chacun de ces quatre villages en particulier. Continuons pour l’instant à en rester au niveau plus général des problèmes de méthode et des méthodes d’enquête annoncés dans l’intitulé de ce paragraphe. Il s’avéra bien vite que le plus important de ces problèmes de méthode concernait le choix définitif de l’échelle d’observation significative au niveau micro-social. Habituellement, les villages javanais sont en effet à l’image de l’île : surpeuplés. Il n’est par exemple pas rare qu’un village couvrant moins de 500 hectares abrite plus de 5 000 personnes186. Si l’on a comme objectif l’analyse exhaustive de toutes les relations socio-économiques caractérisant une unité 41

d’habitat rural de cette taille, la monographie villageoise s’impose. Par contre, un chercheur solitaire qui a choisi de faire une étude villageoise comparative et dispose d’un temps limité pour la mener à bien peut difficilement aligner plusieurs monographies de ce type. Il nous fallait donc en l’occurrence à tout prix trouver une solution intermédiaire, un compromis méthodologique. La tâche nous fut facilité par le fait que ces grosses agglomérations rurales appelées kelurahan ou desa187 constituent plutôt des villages administratifs que des communautés villageoises au sens socio-anthropologique du terme. A Java, ces dernières se retrouvent au niveau du hameau, sous-unité administrative villageoise plus volontiers baptisée pedukuhan, ou simplement dukuh dans le Kejawèn et rukun kampung, ou kampung tout court, dans le Pasisir188. La taille des hameaux varie d’ailleurs beaucoup d’une région à l’autre, et si le nombre de familles nucléaires (keluarga) les composant dépasse rarement 250 dans le Kejawèn, il peut parfois atteindre plus de 800 dans le Pasisir189. Parallèlement, certains villages administratifs du Pasisir ne comptent que quatre ou cinq hameaux, alors qu’il est fréquent que ceux du Kejawèn se subdivisent en quinze ou seize sous-unités de ce type. Comme la plupart des données statistiques intéressantes pour notre propos n’étaient disponibles qu’au niveau du village administratif (kelurahan), mais que certains des phénomènes socio- économiques que nous voulions analyser en profondeur n’étaient observables qu’au niveau des hameaux (pedukuhan), nous avons du mettre sur pied une méthode d’enquête hybride permettant de couvrir simultanément les deux échelons. C’est ainsi que dans chacun des villages sélectionnés, nous avons tout d’abord fait le tour de la situation générale et collecté toutes les informations chiffrées ou non que nous pouvions obtenir de la part des responsables de l’administration locale, avant de choisir quatre hameaux représentatifs de l’éventail des problèmes identifiés afin d’y mener une enquête plus approfondie principalement axée sur les structures de la propriété foncière et de l’emploi. Pour ce faire, nous avons interviewé, à l’aide d’un questionnaire détaillé, un échantillon de douze à quinze chefs de famille (kepala keluarga) représentatif des différentes catégories socio-économiques du monde rural javanais par hameau.

38 Les pages qui suivent constituent le résultat de cette longue recherche de terrain. Il est donc temps, après ce vaste « traveling panorama » de la situation générale de l’Indonésie en 1971, de la place de l’agriculture dans l’économie indonésienne, des caractéristiques de la stratégie de « révolution verte » appliquée à Java, des études rurales sur la société paysanne javanaise et des problèmes de méthode, de s’immerger, grâce à un rapide mouvement plongeant de « zoom avant », dans le détail complexe de la vie quotidienne des villages du Kejawèn, afin d’aller essayer d’y voir, écouter et sentir de tout près comment les choses se passent vraiment en réalité.

NOTES

1. Sur la forme et le contenu de la Loi Agraire de 1960, on consultera en priorité SUDARGO GAUTAMA and BUDI HARSONO, Agrarian Law, , Padjadjaran Law School, Survey of Indonesian Economic Law, 1972, 122 pages. La meilleure analyse du rôle du PKI, par rapport à la réforme agraire, reste celle de Rex Mortimer, The indonesian communist party and land reform, 1959-1965, 42

Melbourne, Monash University, Monash Papers on Southeast Asia, 1972, 73 pages. Pour se faire rapidement une idée de la question, voir les articles de ERNST UTRECHT, « Land reform », Bulletin of Indonesian Economie Studies, Vol. V, N° 3, November 1969, pp. 71-88 et « Land reform and Bimas in », Journal of Contemporary Asia, Vol. 3, N° 2, 1973, pp. 149-164, ainsi que le papier de GERRIT HUIZER. Peasant mobilization and land reform in Indonesia, The Hague, Institute of Social Studies, Occasional Papers, N° 18, June 1972, 54 pages. 2. Les cinq principes énoncés par Sukarno le 1er juin 1945 qui constituent la base idéologique de l’état indonésien. Sur ce sujet fondamental se reporter au remarquable travail collectif de l’équipe de la revue Archipel publiée à Paris : Pantjasila, Trente années de débats politiques en Indonésie, Paris, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, Etudes Insulindiennes/ Archipel : 2, 1980, 427 pages. 3. Sur la signification de l’acronyme REPELITA se reporter au glossaire succinct se trouvant en fin d’ouvrage. Afin de se faire une idée propre sur la nature et le contenu de ce premier plan quinquennal de développement, voir : The First Five-Year Development Plan (1969/70-1973/74), Jakarta, Department of Information, February 1969, 3 volumes + related materials 6 books, 137 +140+180+144+145+82 pages. Pour une présentation succinte en français, voir BERNARD DORLÉANS, « Le Plan Quinquennal de Développement et les ressources de financement », in Bernard Dorléans, L’économie indonésienne (structures et conjoncture), Paris, La Documentation Française, Notes et Etudes Documentaires, N° 3 808-3 809, 1971, pp. 69-72. Egalement consulter, AN ECONOMIST IN INDONESIA, « The Five-Year Plan », Bulletin of Indonesian Economic Studies, Vol. V, N° 2, July 1969, pp. 70-79. Comme référence sera très souvent faite dans les pages qui suivent à cette véritable mine d’or qu’est la revue de l’Australian National University de Canberra, nous nous contenterons dorénavant dans les notes d’utiliser les initiales BIES, plutôt que son titre complet qui occupe pratiquement toute une ligne à lui seul. 4. Pour plus de détails sur tous ces aspects on se reportera en particulier à H.W. ARNDT, « Survey of recent developments », BIES, N° 4, June 1966, pp. 29-34. D’une manière plus générale, on consultera aussi avec profit : J.A.C. MACKIE, « The indonesian economy 1950-1963 », in Bruce Glassburner (Ed), The Economy of Indonesia, Selected Readings, Ithaca and London, Cornell University Press, 1971, pp. 16-69 ; DOUGLAS S. PAAUW, « From colonial to guided economy », in Ruth Th. McVey (Ed), Indonesia, New Haven (Conn.), HRAF Press, Survey of World Cultures, Yale University, Southeast Asia Studies, 1963, pp. 155-247 ; T.K. TAN, « Sukarnian economics », in T.K. Tan (Ed), Sukarno’s guided Indonesia, Brisbane, The Jacaranda Press, 1967, pp. 29-45. 5. BENJAMIN HIGGINS, Economic development, Principles, problems and policies, New York, W.W. Norton, 1968, p. 678. Pour se faire une idée du pessimisme croissant de cet économiste associé dès le début des années 50 aux efforts de développement indonésiens, consulter deux autres de ses ouvrages : Indonesia’s économie stabilization and development, New York, Institute of Pacific Relations, 1957, 179 pages et Indonesia : the crisis of the millstones, Princeton, Princeton University Press, 1963, 76 pages. 6. BENJAMIN HIGGINS, « Survey of recent developments », BIES, Vol. VIII, N° 1, March 1972, p.1. 7. Voir H.W. ARNDT, « Survey of recent developments », BIES, Vol. VI, N° 2, July 1970, p. 18 ainsi que H.W. ARNDT & C. ROSS, « The new national income estimates », BIES, Vol. VI, N° 3, November 1970, p. 55. 8. La production rizicole nationale devait passer de 10.52 millions de tonnes en 1969/70 à 15.42 millions de tonnes de 1973/74. Voir : The First Five-Year Development Plan (1969/70-1973/74), Jakarta, Department of Information, February 1969, Vol. 2A, p. 13. 9. Voir STEPHEN GRENVILLE, « Survey of recent developments », BIES, Vol. IX, N° 1, March 1973, pp. 23-28 ainsi que BENJAMIN HIGGINS, « Survey of recent developments », BIES, Vol. VIII, N° 1, March 1972, pp. 1-2. 43

10. Voir LEON A. MEARS & SALEH AFIFF, « A new look at the Bimas program and rice production », BIES, N° 10, June 1968, p. 32 ainsi que STEPHEN GRENVILLE, « Survey of recent developments », BIES, Vol. IX, N° 1, March 1973, p. 3 et The First Five-Year Development Plan, op. cit., Vol. 2A, p. 13. 11. J. PANGLAYKIM, D.H. PENNY & DAHLAN THALIB, « Survey of recent developments », BIES, N° 9, February 1968, p. 28. 12. STEPHEN GRENVILLE, « Survey of recent developments », BIES, Vol. IX, N° 1, March 1973, p. 3. 13. Voir PETER MCCAWLEY, « Survey of récent developments », BIES, Vol. VIII, N° 3, November 1972, p. 6 ainsi que MUBYARTO, « The sugar industry », BIES, Vol. V, N° 2, July 1969, pp. 37-41 et The First Five-Year Development Plan, op. cit., Vol. 2 A, p. 85. 14. MUBYARTO, « The Sugar industry », BIES, Vol. V, N° 2, July 1969, p. 53 et MUBYARTO, « The Sugar industry : from estate to smallholder cane production ? », BIES, Vol. XIII, N° 2, July 1977, p. 30. 15. Voir K.D. THOMAS & J. PANGLAYKIM, « Indonesian exports : performance and prospects 1950-1970, Part I », BIES, N° 5, October 1966, pp. 80, 91 et 94 ainsi que H.W. ARNDT, « Survey of recent developments », BIES, Vol. X, N° 2, July 1974, p. 23 et The First Five-Year Development Plan, op. cit., Vol. 2A, pp. 72-73, 78 et 86-88. 16. A ce sujet voir CHRIS MANNING, « The timber boom with spécial référence to East Kalimantan », BIES, Vol VII, N° 3, November 1971, pp. 30-60 ainsi que Statistik Indonesia 1974/1975, Jakarta, Biro Pusat Statistik, 1975, p. 212 et The First Five-Year Development Plan, op. cit., p. 109. 17. Voir H.W. ARNDT, « Survey of récent developments », BIES, Vol. VIII, N° 2, July 1972, p. 21 et The First Five-Year Development Plan, op. cit., pp. 61-62. 18. Voir H.W. ARNDT, « Survey of récent developments », BIES, Vol. VIII, N° 2, July 1972, p. 21 ainsi que M. SEMAY, « Oil and minerai developments », BIES, Vol. VIII, N° 3, November 1972, p. 131. 19. Statistical Yearbook 1973, New York, United Nations, Department of Economie and Social Affairs, 1974, pp. 170-171. 20. Voir H.W. ARNDT, « Survey of récent developments », BIES, Vol. VII, N° 1, March 1971, p. 10 ainsi que PETER MCCAWLEY, « Survey of récent developments », BIES, Vol. VIII, N° 3, November 1972, p. 8 et The First Five-Year Development Plan, op. cit., p. 29. 21. Concept intéressant proposé par GÉRARD CHALIAND dans un ouvrage lucide et dérangeant qui fera date : Mythes révolutionnaires du Tiers Monde, Guérillas et Socialismes, Paris, Editions du Seuil, L’Histoire Immédiate, 1976, 266 pages. 22. Voir ANNE BOOTH and BRUCE GLASSBURNER, « Survey of recent developments », BIES, Vol. XI, N° 1, March 1975, p. 2. ainsi que « Statistics », Table II, BIES, N° 11, October 1968, p. 117. 23. G.A. POSTHUMUS, « The Inter-Governmental Group on Indonesia », BIES, Vol. VIII, N° 2, July 1972, p. 55. 24. BENJAMIN HIGGINS, « Survey of recent developments », BIES, op. cit., p. 6. 25. Voir « Statistics », Table II, BIES, N° 11, October 1968, p. 117 ainsi que ANNE BOOTH and BRUCE GLASSBURNER, « Survey », BIES, op. cit., p. 2. 26. Statistik Indonesia 1970 & 1971, Djakarta, Biro Pusat Statistik, 1972, p. 23. 27. Sur ce problème fondamental pour l’avenir du pays, consulter en priorité, l’ouvrage de WIDJOJO NITISASTRO, le chef de file des technocrates indonésiens, Population trends in Indonesia, Ithaca and London, Cornell Univerisity Press, 1970, 266 pages. Voit également N. ISKANDAR : Some monographic studies on the population of Indonesia, Djakarta, Universitas Indonesia, Fakultas Ekonomi, Lembaga Demografi, 1970, 385 pages ; ALEX HUNTER, « Notes on indonesian population », BIES, N° 4, June 1966, pp. 36-49 ; PETER MCDONALD, « Fewer ? », BIES, Vol. VIII, N° 1, March 1972, pp. 69-76 ; R.M. SUNDRUM, « First glimpses of the 1971 Census », BIES, Vol. VIII, N° 2, July 1972, pp. 93-97 ; NATHAN KEYFITZ, « The long-term prospect for indonesian population », BIES, Vol. IX, N° 1, March 1973, pp. 107-109 ; TERENCE H. HULL and VALÉRIE J. HULL, « Indonesia », in John C. Caldwell (Ed), The persistence of high fertility, Population prospects in the third world, Canberra, The Australian National University, Research School of Social Studies, Department of Demography, 44

1980, pp. 827-894 ; BENJAMIN WHITE, « The économie importance of children in a javanese village », in Moni Nag (Ed), Population and social organisation, The Hague and Paris, 1975, pp. 127-146 et, du même auteur, le remarquable article « population, involution and employment in rural Java », Development and Change, Vol. 7, 1976, pp. 267-290. 28. Statistical Yearbook 1973, New York, United Nations, op. cit., pp. 67-73. 29. Statistik Indonesia 1970 & 1971, op. cit., p. 24. 30. Traduction libre du terme anglais « outer islands » qui se réfère à toutes les îles autres que Java et Madura. 31. Statistik Indonesia 1970 & 1971, op. cit., p. 24. 32. Ibid. Compte tenu de leurs écosystèmes souvent moins généreux pour l’homme, et parfois même carrément ingrats, il serait faux de considérer que des îles comme Sumatra ou Sulawesi sont sous-peuplées. Opposer la surpopulation javanaise au « désert indonésien » ainsi que le fait un journal pourtant réputé sérieux comme Le Monde (Dossiers et Documents, N° 75, Novembre 1980 p. 1) n’est ni plus, ni moins qu’une bourde grossière. Sur les relations subtiles existant entre le milieu physique et la densité de population voir, en priorité, la plupart des ouvrages de PIERRE GOUROU, qui accordent tous une place importante à cette question, et en particulier : Les pays tropicaux, Paris, PUF, Pays d’Outre-Mer, Etudes d’Outre-Mer, N° 3, 1969, (1947), 271 pages ; Leçons de géographie tropicale, Leçons données au Collège de France de 1947 à 1970, La Haye et Paris, Mouton, EPHE VIe Section, 1971, 323 pages ; La terre et l’homme en Extrême-Orient, Paris, Flammarion, Nouvelle Bibliothèque Scientifique, 1972, 275 pages ; Pour une géographie humaine, Paris, Flammarion, Nouvelle Bibliothèque Scientifique, 1973, 388 pages. Pour cerner d’encore plus près le sujet en question, consulter le chef d’oeuvre de KARL J. PELZER, Pioneer seulement in the asiatic tropics, Studies in land utilization and agricultural colonization in southeastern Asia, New York, American Geographical Society, Spécial Publication N° 29, 1948, 290 pages et du même auteur, « physical and human resource patterns », in Ruth T. McVey (Ed), Indonesia, op. cit., pp. 1-23. 33. Statistic Indonesia 1970 & 1971, op. cit., pp. 22-25. 34. JOAN M. HARDJONO, Transmigration in Indonesia, Kuala Lumpur, Oxford University Press, Oxford in Asia Current Affairs, 1977, pp. 18-19. Pour une information générale sur la politique de transmigration également consulter SURATMAN & PATRICK GUINESS, « The changing focus of transmigration », BIES, Vol. XIII, N° 2, July 1977, pp. 78-101 ainsi que COLIN MCANDREWS, « Transmigration in Indonesia : prospects and problems », Asian Survey, Vol. XVIII, N° 5, Mars 1978, pp. 458-472. 35. JOAN HARDJONO, Transmigration in Indonesia, op. cit., p. 31. 36. Concernant le Keluarga Berencana (KB), voir : T.H. REESE III, HARJONO SUYONO et SOEDARMADI, « The indonesian family planning program », BIES, Vol XI, N° 3, November 1975, pp. 104-116 et surtout TERENCE H. HULL, VALERIE J. HULL et MASRI SINGARIMBUN, Indonesia’s family planning program : background, achievements, challenges, Yogyakarta, Gadjah Mada University, Population Institute, July 1977, 140 pages. Pour une présentation succinte et vivante du problème, consulter PETER C. MUNCIE, Doctors and Dukuns, Puppets and Pills, A look at Indonesia’s family planning program, Washington, World Bank Group, 1972, 43 pages. Selon REESE, SUYONO et SOEDARMADI, « The indonesian family planning program », BIES, op. cit., p. 105, il n’y aurait eu que 181 276 nouveaux « accepteurs » pour tout le pays en 1970/71, contre 53 103 en 1969/70. 37. H.W. ARNDT, « Regional income estimates », BIES, Vol. IX, N° 3, November 1973, pp. 92-93. 38. Avec un PNB per capita arrondi à US $ 80, l’Indonésie se trouvait en 1971 au même niveau que le Tchad, la Birmanie, l’Ethiopie et l’Afghanistan, seulement suivie par la Somalie, le Bangladesh, la Haute Volta et le Mali à US $ 70 et par le Burundi et le Rwanda à US $ 60. Voir : World Bank Atlas 1973, Washington, IBRD, 1973, p. 5. 39. HENDRA ESMARA, « Régional income disparities », BIES, Vol. XI, N° 1, March 1975, p. 45. 40. H.W. ARNDT, « Regional wage differentials », BIES, Vol. VIII, N° 1, March 1972, pp. 89-92. 45

41. Ibid. 42. Statistik Indonesia 1975, Statistik Tahunan, Jakarta, Biro Pusat Statistik, December 1976, p. 979. 43. Statistical Yearbook for Asia and the Pacific 1973, Bangkok, United Nations, Economie and Social Commission for Asia and the Pacific (ESCAP), 1973, p. 146. 44. JANINE BLANC, « Les problèmes nutritionnels en Indonésie », Revue Tiers Monde, Tome XVI, N° 63, Juillet-Septembre 1975, p. 596. 45. INGRID PALMER, Rural poverty in Indonesia : with special reference to Java, Geneva, ILO, World Employment Program Research, Working Paper N° 7, July 1976, p. 5. Pour une analyse plus générale des problèmes de nutrition voir, du même auteur, Food and the new agricultural technology, Geneva, UNRISD, 1972, 85 pages. 46. Statistik Indonesia 1975, op. cit., pp. 122-123. 47. ROGER D. MONTGOMERY, « Migration, employment and unemployment in Java : changes from 1961 to 1971 with particular reference to the green revolution », Asian Survey, Vol. XV, N° 3, March 1975, pp. 225. A noter que ce taux de chomâge fort bas est calculé à partir des résultats de la Série C du recensement de 1971. La Série D, publiée ultérieurement, donne un taux de chomâge national beaucoup plus élevé, supérieur à 9 % de la population active. Beaucoup d’observateurs considèrent qu’il est fortement surestimé. Le résultat des enquêtes SUPAS et SAKERNAS de 1976 laissent à penser qu’il se situe à peu près à mi-chemin, aux alentours de 5 à 6 %. Pour plus de détails sur ce sujet voir H.W. ARNDT et R.M. SUNDRUM, « Employment, unemployment and under- employment », BIES, Vol. XVI, N° 3, November 1980, pp. 61-82. 48. Voir ROGER D. MONTGOMERY. « Migration », Asian Survey, op. cit., pp. 225-226 et H.W. ARNDT & R.M. SUNDRUM, « Employment », BIES, op. cit., pp. 64-67. 49. Statistik Indonesia 1970 & 1971, op. cit., p. 23. Pour plus de détails sur ce sujet, se reporter à l’intéressante étude de S.V. SETHURAMAN, Jakarta, Urban development and employment, Geneva, International Labour Office, A WEP Study, 1976, 154 pages. 50. DWIGHT Y. KING, « Social development in Indonesia : a macro analysis », Asian Survey, Vol. XIV, N° 10, October 1974, p. 926. Sur ces questions d’urbanisation, voir PAULINE D. MILINE, « Contemporary urbanization in Indonesia », in Y.M. Yeung & C.P. Lo (Ed), Changing South-East Asian cities : readings on urbanization, Singapore, Oxford University Press, Oxford in Asia University Readings, 1976, pp. 91-99. Concernant le problème très complexe des migrations internes qui recoupe largement celui de l’urbanisation, la littérature est très abondante. Voir en particulier GRAEME J. HUGO, « patterns of population movement to 1971 », in Robin J. Pryor, Migration and development in South-East Asia, A demographic perspective, Kuala Lumpur, Oxford University Press, Oxford in Asia College Texts, 1979, pp. 177-191 ; GEOFFREY MCNICOLL, « Internal migration in Indonesia : descriptive notes », Indonesia, N° 5, April 1968, pp. 29-92 ; R.M. SUNDRUM ,» Interprovincial migration », BIES, Vol. XII, N° 1, March 1976, pp. 70-92 et GRAEME HUGO, « Circular Migration », BIES, Vol. XIII, N° 3, November 1977, pp. 57-66. 51. H.W. ARNDT & R.M. SUNDRUM, « Employment », BIES, op. cit., pp. 68-71. Une estimation de nature plus globale citée par la Far Eastern Economic Review donnait 30 % de la population active indonésienne soit sous-employée, soit au chômage complet en 1974. Voir ANTHONY GOLDSTONE, « problems of a rarer breed », in « Indonesia’74 Focus », Far Eastern Economie Review, November 15, 1974, p. 12. 52. Consulter en tout premier lieu l’excellent article de DWIGHT Y. KING & PETER D. WELDON, « Income distribution and levels of living in Java, 1963-1970 », Economie Development and Cultural Change, Vol. 25, N° 4, July 1977, pp. 699-711. 53. Rencana Pembangunan Lima Tahun Kedua 1974/75-1978/79, Jakarta, Departemen Penerangan, Maret 1974, 4 bagian, 297 + 460 + 408 + 413 halaman. On trouve déjà quelques réflexions sur le contenu et les orientations du Second Plan Quinquennal dans H.W. ARNDT, « Survey of recent developments », BIES, Vol. IX, N° 2, July 1973, pp. 25-26. Pour une présentation succinte du 46

document, voir Stephen GRENVILLE, « Survey of recent developments », BIES, Vol. X, N° 1, March 1974, pp. 28-32. 54. Consulter The First Five-Year Development Plan, op. cit., Vol. 2A, p. 1 où il est spécifié que : « As the largest sector of the Indonesian economy the agricultural sector must form the foundation of any development effort ». 55. Voir ALEX HUNTER, « Notes on Indonesian population », BIES, N° 4, June 1966, p. 37 ainsi que Sensus Penduduk 1971, Série C, Tabel-Tabel Pendahuluan, Angka Sementara, Djakarta, Biro Pusat Statistik, Djuli 1972, p. 2. 56. W. BRAND, « The manpower situation in Indonesia », BIES, N° 11, October 1968, p. 49 et Sensus Penduduk 1971, op. cit., p. 4. 57. Voir DAVID O. DAPICE, « An overview of the indonesian economy », in Gustav F. Papanek (Ed), The Indonesian economy, New York, Praeger, Praeger Special Studies ; 1980, p. 9. 58. Ibid. Sur les questions complexes touchant à l’analyse de la force de travail indonésienne, voir également GAVIN W. JONES, « The growth and changing structure of the indonesian labour force, 1930-1981 », BIES, N° 4, June 1966. pp. 50-74 et, du même auteur, « Labour force developments since 1961 », in Anne Booth & Peter McCawley (Ed), The indonesian economy during the Soeharto era, Kuala Lumpur, Oxford University Press, East Asian Social Science Monographs, 1981, pp. 218-261. On peut également consulter W. BRAND, « The manpower situation », BIES, op. cit., pp. 48-72 ainsi que ROGER D. MONTGOMERY, « Migration, employement and unemployment in Java », Asian Survey, op. cit., pp. 221-233. 59. DAVID O. DAPICE, « An overview », in Gustav F. Papanek (Ed), The Indonesian economy, op. cit., p. 9. 60. Très exactement 50 235, selon les résultats de l’enregistrement de la population effectué en 1972, dont 21 470 à Java-Madura et 28 765 dans les îles extérieures. Voir Hasil Registrasi Penduduk 1972, Penduduk Jawa-Madura, Jakarta, Biro Pusat Statistik, Juli 1973, p. 41 et Hasil Registrasi Penduduk, Penduduk Luar Jawa, Jakarta, Biro Pusat Statistik, Juli 1973, p. 85. 61. ANNE BOOTH and BRUCE GLASSBURNER, « Survey of recent developments », BIES, Vol. XI, N° 1, March 1975, p. 30. 62. Ibid. 63. Ibid. 64. Ibid 65. Ibid. 66. H.W. ARNDT, « Survey of récent developments », BIES, Vol. VIII, N° 2, July 1972, p. 3. 67. KENNETH D. THOMAS & J. PANGLAYKIM, Indonesian exports, Performance and prospects 1950-1970, Rotterdam, Rotterdam University Press, 1967, p. 13. 68. THOMAS and PANGLAYKIM, Indonesian exports, op. cit., p. 13 et H.W. ARNDT « Survey », BIES, Vol. VIII, N° 2, op. cit., p. 3. 69. C’est entre 1925 et 1930 que le caoutchouc avait supplanté le sucre comme principal produit d’exportation, place que ce dernier occupait environ depuis 1880, époque à laquelle il avait détrôné le café qui était le produit-roi depuis le milieu du XVIIIe siècle. A ce sujet consulter : Changing economy in Indonesia, A selection of statistical source material from the early 19th century up to 1940, Initiated by W.M.F. MANSVELT, Re-edited and continued by P. Creutzberg, Volume I : Indonesia’s Export crops 1816-1940, The Hague, Martinus Nijhoff, 1975, 149 pages. 70. Voir CHRIS MANNING, « The timber boom », BIES, Vol. VII, N° 3, op. cit., pp. 30-60. 71. Statistik Indonesia 1970 & 1971, op. cit., p. 222. 72. Traduction libre de ce qui rentre dans la catégorie « smallholder products ». 73. Statistik Indonesia 1970 & 1971, op. cit., p. 222. 74. Voir à ce sujet : AN ECONOMIST IN INDONESIA, « The Five Year Plan », BIES, Vol. V, N° 2, July 1969, pp. 70-79. 47

75. Très exactement 45.6 milliards de rupiah. Voir H.W. ARNDT, « Survey of récent developments », BIES,Vol. VII, N° 1, March 1971, p. 28. 76. H.W. ARNDT, « Survey of recent developments », BIES, Vol. VI, N° 2, July 1970, p. 12. 77. « Statistics », BIES, Vol. V, N° 2, July 1969, p. 88. 78. Entre 1960 et 1964, le commerce international du riz a porté sur environ 6.5 millions de tonnes chaque année, soit moins de 4 % de la production mondiale qui tournait aux alentours de 165 millions de tonnes. ANDRÉ ANGLADETTE, Le riz, Paris, PUF, QSJ N° 305, 1967, p. 111 nous donne en trois lignes l’explication de ce phénomène : « quoique le riz constitue la seconde production céréalière du monde après le blé, les quantités mises en jeu dans le commerce international sont extrêmement faibles, les pays grands producteurs étant en même temps les pays gros consommateurs ». 79. Entre 1911 et 1941, les Indes Néerlandaises ont importé, en moyenne, environ 500 000 tonnes de riz par année. Ces importations n’ont dépassé la barre des 750 000 tonnes qu’à deux occasions, en 1917 et en 1921. A ce sujet voit « Statistics », BIES,Vol. V, N° 2, op. cit., p. 88. 80. The First Five-Year Development Plan, op. cit., Vol. 2A, pp. 10-49. 81. En fait, le prix du riz sur le marché international baissa continuellement entre le milieu de l’année 1968 et le milieu de l’année 1972 où une très mauvaise récolte à l’échelle mondiale le fit plus que doubler, déclenchant une véritable « crise du riz ». A ce sujet, voir : Rapport sur le riz 1974/75, Rome, FAO, 1975, 28 pages. 82. A l’époque haut fonctionnaire du Département de l’Agriculture des Etats Unis, Lester Brown travailla ensuite également pour le fameux Overseas Development Council (ODC). 83. L’ouvrage qui illustre de la manière la plus nette cette position est précisément celui de LESTER R. BROWN, Seeds of change, The green revolution and development in the 1970’s, New York, Praeger, 1970, 205 pages. 84. A ce sujet, voir l’article de HARRY M. CLEAVER JR ., « The contradictions of the green révolution », Monthly Review,Vol. 24, N° 2, June 1972, pp. 80-111. Voir également l’article de RICHARD FRANKE, « Solution to the Asian food crisis : “Green Revolution” or social révolution ? », Bulletin of Concerned Asian Scholars, Vol. 6, N° 4, November-December 1974, pp. 2-16 qui fait le tour de la question et de la littérature s’y rapportant d’une manière très complète. 85. Theodore W. Schultz, Professeur d’Economie à l’Université de Chicago, est l’un des principaux théoriciens néo-libéraux américains à s’être penché sur les problèmes de développement des sociétés agricoles traditionnelles du Tiers-Monde dès le début des années 50. 86. Voir à ce sujet l’ouvrage majeur de THÉODORE W. SCHULTZ, Transforming traditional agriculture, New Haven, Yale University Press, 1964, 212 pages. 87. L’International Rice Research Institute de Los Baños, aux Philippines, a été fondé en 1962 avec le soutien financier conjoint des Fondations Ford et Rockefeller. 88. Dans une lumineuse contribution à un ouvrage collectif datant de 1963 déjà cité dans les pages qui précèdent, Karl Pelzer nous dit : « Agricultural land use in those islands has already passed its limits of safety. Java has been without arable forest land since before World War II, and inroads made since then on its forest reserves — which should cover 30 instead of the présent 22.7 per cent of the area — have caused érosion and flood problems which can be checked only by reforestation of the most exposed land. » Consulter KARL J. PELZER, « The agricultural foundation », in Ruth T. McVey (Ed), Indonesia, op. cit., p. 121. 89. LUCIEN FEBVRE, La terre et l’évolution humaine, Introduction géographique à l’histoire, Paris, Albin Michel, L’Evolution de l’Humanité, 1970, p. 97. 90. Parmi ses nombreux ouvrages et articles, voir plus particulièrement, Pour une géographie humaine, Flammarion, Nouvelle Bibliothèque Scientifique, Paris, 1973, 388 p. et surtout son tout récent message d’espoir, Terres de bonne espérance, Le monde tropical, Pion, Terre Humaine, Paris, 1982, 456 pages. 48

91. C’est-à-dire l’extension de l’influence culturelle indienne qui toucha la majeure partie de l’archipel dès les premiers siècles de l’ère chrétienne. Le terme « indianisation » est préférable à celui plus souvent employé d’« hindouisation » quand l’on se réfère au phénomène culturel au sens large. Le second comporte en effet une connotation trop directement liée à la religion hindouiste à proprement parler, ou brahamanisme, alors que le boudhisme a joué un rôle au moins aussi important. 92. Contrairement à la majeure partie du reste de l’archipel insulindien, certaines petites îles des Molu-ques comme Amboine et Banda mises à part, Java fut en effet touché dès le début du XVIIe siècle par la colonisation hollandaise, puisque Batavia (Jakarta) fut fondé en 1619 déjà. Sur les différents systèmes d’exploitation successifs élaborés par les hollandais pour rentabiliser leur jardin tropical javanais les quatre ouvrages classiques suivants restent, malgré l’énorme quantité de matériel publié sur le sujet, la meilleure source d’information : CLIVE DAY, The policy and administration of the Dutch in Java, London, Oxford University Press, Oxford in Asia Historical Reprints, 1966 (1904), 434 p. ; A.D.A. de KAT ANGELINO, Le problème colonial, Les Indes-Néerlandaises, La Haye, Martinus Nijhoff, 1932, 791 p. ; JOHN S. FURNIVALL, Netherlands India, A study of plural economy, New York, Cambridge University Press and Macmillan Co, 1944, 503 p. et BERNARD H.M. VLEKKE, Nusantara, A History of Indonesia, The Hague, W. van Hoeve Ltd., 1965, 479 pages. 93. Le recensement donnait une superficie agricole de très exactement 14 474 712 ha, Moluques et Irian Occidental exclus. Voir, Sensus Pertanian 1963, Djakarta, Republic Indonesia, Biro Pusat Statistik, Biro III/Sensus, Penerbitan Terachir, non daté, p.l. A titre de comparaison notons qu’un rapport de la Banque Mondiale daté de 1974 donnait une surface cultivée de 17.5 millions d’hectares sur une superficie potentiellement utilisable de 60 millions d’hectares. Voir, Agricuttural Sector Survey Indonesia, Washington, IBRD, 1974, Vol. II, Annex 1, p. 1. 94. Voir Sensus Pertanian 1963, op. cit., p.l. Java et Madura, île annexe incluse dans la province de Java Est, couvrent très exactement 132 187 Km2, soit 6.94 % de la superficie nationale émergée estimée en 1975 à 1 904 569 Km2. A ce sujet voir Statistik Indonesia 1975, op. cit., p. 4. 95. Sensus Pertanian 1963, op. cit., p. I. 96. Ibid, pp. 13 et 19. 97. Ibid, p. 13. 98. Ibid, p. 15. 99. Ibid. Le petit tableau suivant résume la situation et fait nettement apparaître la place prépondérante de Java dans l’agriculture nationale.

100. Sensus Pertanian 1963, op. cit., p. 27. 101. Voir à ce sujet SOEDARSONO HADISAPOETRO, « Bimas Gotong Royong dan pembangunan pertanian », Agro Ekonomika, Tahun 1, N° 1, Djanuari 1970, p. 20. 49

102. En ce qui concerne le « plan Triennal », consulter en priorité INGRID PALMER, The new rice in Indonesia, Geneva, UNRISD, 1977, pp. 22-25. 103. Connu en Indonésie sous ses initiales d’IPB (Institut Pertanian Bogor). 104. Sur cette nouvelle expérience et son contenu voir E.A. ROEKASAH and DAVID PENNY, « Bimas : a new approach to agricultural extension in Indonesia », BIES, N° 7, June 1967, pp. 60-69 ; ALEXIS RIEFFEL, « The BIMAS Program for self-sufficiency in rice production », Indonesia, N° 8, October 1969, pp. 103-133 ; INGRID PALMER, The new rice in Indonesia, op. cit., pp. 25-31 et surtout RICHARD W. FRANKE, The green revolution in a Javanese village, Cambridge, Harvard University, Unpublished Ph. D. Thesis, 1972, pp. 19-33. 105. RICHARD FRANKE. The green revolution in a Javanese village, op. cit., p. 23. 106. ROEKASAH and PENNY, « Bimas », op. cit., p. 60, citent en exergue de leur article un haut fonctionnaire du Ministère de l’Agriculture qui dit : « This is the first government programme ever that has led me to hope that we have begun to solve the food production problem ». 107. ROEKASAH and PENNY, « Bimas », op. cit., p. 65 et I. PALMER, The new rice in Indonesia, op. cit., p. 26. 108. Ibid. 109. Voir à ce sujet, GERRIT HUIZER, Peasant mobilisation and land reform in Indonesia, op. cit., p. 31. 110. Le plus grave de ces défauts étant sans conteste le fait que le recensement agricole de 1963 ne prenait pas en considération les exploitations agricoles inférieures à 1 000 m2, pourtant fort nombreuses dans le pays, surtout à Java. Sur cette question, consulter ROGER MONTGOMERY and TOTO SUGITO, « Changes in the structure of farms and farming in Indonesia between Censuses, 1963-1973 : the issues of inequality and near-landlessness », Journal of Southeast Asian Studies, Vol XI, N° 2, September 1980, p. 351. De plus, le recensement ne portait pas sur une énumération et une classification des propriétés foncières, mais des exploitations agricoles (farms). 111. Sensus Pertanian 1963, op. cit., p. 2. Le mot « exploitation agricole » n’est certes pas très heureux dans ce contexte micro-parcellaire de subsistance, mais il constitue la meilleure traduction français du mot anglais « farm » qui est utilisé dans le recensement. 112. Ibid. 113. Voir à ce sujet MONTGOMERY and SUGITO. « Changes in the structure of farm », op. cit., pp. 358-359, qui font une comparaison de l’inégalité caractérisant les structures agraires de l’Indonésie, de l’Inde, des Philippines, de Sri Lanka, de la Thailande et de la Corée du Sud. 114. Sensus Pertanian 1963, op. cit., p. 3. 115. GERRIT HUIZER, Peasant mobilisation and land reform in Indonesia, op. cit., p. 35. 116. Voir ERNST UTRECHT, « Land reform and Bimas in Indonesia », op. cit., p. 151. 117. Ibid, p. 150. 118. GERRIT HUIZER, Peasant mobilisation, op. cit., p. 35. 119. Ibid, p. 36. D’après le recensement agricole de 1963, il y avait très exactement 21 087 villages (desa) à Java. Voir Sensus Pertanian 1963, op. cit., p. XII. 120. Pour plus de détails sur la loi, ses modalités d’adoption et d’application, voir SUDARGO GAUTAMA and BUDI HARSONO, Agrarian Law, op. cit., 122 pages. 121. A ce sujet voir GAUTAMA and HARSONO, Agrarian Law, op. cit., p. 41, ainsi que ERNST UTRECHT, « Land Reform in Indonesia », BIES, op. cit., p. 75, qui résume le problème des seuils 50

d’expropriation par rapport aux densités démographiques dans le petit tableau suivant :

122. La loi considérait d’ailleurs officiellement 2 ha comme la taille appropriée d’une exploitation agricole familiale. Voir GERRIT HUIZER, op. cit., pp. 32-33. 123. ERNST UTRECHT, « Land reform and Bimas in Indonesia », op. cit., p. 153. 124. Voir ERNST UTRECHT, « Land reform in Indonesia », BIES, op. cit., pp. 81-82. Dans sa thèse, The green révolution in a Javanese village, op. cit., p. 21, RICHARD FRANKE, citant Basuki Gunawan, écrit : « In areas of East and Central Java, men faced each other with clubs and machetes, poles and knives. Violence seemed unavoidable and deaths were reported ». 125. ERNST UTRECHT, « Land reform in Indonesia », BIES, op. cit., p. 85. 126. GERRIT HUIZER, Peasant mobilisation, op. cit., p. 49. 127. Ibid. 128. Qui étaient au nombre de 55 910 selon E. UTRECHT, « Land reform and Bimas », op. cit., p. 153. 129. GERRIT HUIZER, Peasant mobilisation, op. cit., p. 49. 130. De manière fort singulère, les avis provenant des horizons les plus divers convergent étonnement sur ces deux points. D’un côté, il est dit dans un rapport de la Banque Mondiale abondamment cité par GERRIT HUIZER, op. cit., p. 41, que : « However, the real issue is not this type of évasion but that under the Javanese conditions the ceiling was too high. Fixing the permissible retention at 5 hectares for Java was flying in the face of reality ». De l’autre, ERNST UTRECH, « Land reform and Bimas », op. cit., p. 153, écrit : « Admittedly, in Java, Madura, and Bali there had for a long time been few large holdings. But it would have been possible to create a land surplus twice as large by lowering the maxima for land allowed as a holding and by treating the 55 910 absentees less leniently ». 131. INGRID PALMER, The new rice in Indonesia, op. cit., p. 30. 132. Les initiales PB signifient Peta Baru ou Nouveau Peta, le Peta étant une variété indonésienne ayant servi à la mise au point des nouvelles semences améliorées de type IR. 133. BIMAS Gogo Rantjah soutenant la conversion des cultures de riz sèches en cultures humides là où les pluies le permettaient, BIMAS Berdikari dont les intrants étaient financés par les provinces ou par les paysans eux-mêmes, BIMAS spéciaux pour nourrir Jakarta ou Medan et une multitude de programmes BIMAS locaux. 134. A ce sujet, voir GARY HANSEN, Indonesia’s Green Revolution : the abandonnent of a non-market strategy towards change, New York, The Asia Society, SEADAG Papers, 1972-6, 18 pages ainsi que du même auteur, « Episodes in rural modernization : problems in the Bimas Program », Indonesia, N° 11, April 1971, pp. 63-81. Voir également LEON A. MEARS and SALEH AFFIFF, « A new look at the Bimas Program and rice production », BIES, N° 10, june 1968, pp. 29-47. 135. INGRID PALMER, The new rice in Indonesia, op. cit., p. 31. 136. Qui forme, avec les principes de délibération (mufakat ou mupakat) et de concensus (musjawarah ou musjawarat), les 3 piliers de la démocratie villageoise indonésienne que Sukarno voulait adapter à la vie politique nationale. Sur les pratiques en question, feuilleter l’ouvrage essentiel de KOENTJARA-NINGRAT (Ed), Villages in Indonesia, Ithaca, New York, Cornell University Press, 1967, 445 pages. En ce qui concerne leur application au niveau national lire certains des 51

grands textes de Sukarno qui se trouvent dans le livre de HERBERT FEITH and LANCE CASTLES (Ed), Indonesian political thinking 1945-1965, Ithaca and London, Cornell University Press, 1970, 505 pages. 137. Voir à ce sujet INGRID PALMER, The new rice in Indonesia, op. cit., pp. 33-34 ainsi que le dossier spécial que le quotidien National Zeitung de Bâle a consacré au problème dans sa rubrique Panorama du 24.XII. 1976. 138. GARY HANSEN, Indonesia’s green revolution, op. cit., p. 6. 139. Sur les problèmes rencontrés par le programme BIMAS Gotong Royong consulter SOEDARSONO HADISAPOETRO, « Bimas Gotong Royong », Agro-Ekonomika, op. cit., pp. 29-44 ; INGRID PALMER, The new rice, op. cit., pp. 31-36 ; GARY HANSEN, Indonesia’s green revolution, op. cit., pp. 6-16 et ACHMAD T. BIROWO , Bimas : a package program for intensification of food crop production in Indonesia, New York, The Asia Society, SEADAG Papers, 1975-4, 23 pages. 140. Kumpulan data pelaksanaan usaha intensifikasi BIMAS & INMAS padi selama PELITA I di Indonesia, Jakarta, Departemen Pertanian, Badan Pengendali BIMAS, September 1973, p. 14. 141. INGRID PALMER, The new rice, op. cit., pp. 33-36. Pour un son de cloche très différent de celui de I. Palmer, G. Hansen et surtout Richard Franke, voir GEORG GERSTER, « Swiss technology- Indonesian rice », Swiss Review of World Affairs,Vol. XIX, N° 10, January 1970, pp. 19-24. 142. Littéralement : « BIMAS que l’on a amélioré. » 143. Badan Usaha Unit Desa. 144. Koperasi Unit Desa. Sur le problème des coopératives en Indonésie, voir le numéro spécial que lui a consacré l’excellente revue Prisma, N° 6, Juli 1978. 145. Bank Rakjat Indonesia ou Banque du Peuple Indonésien. 146. Contre les 10 à 40 % du marché libre comme le souligne I. PALMER, The new rice, op. cit., p. 45. 147. Acronyme de Badan Urusan LOGistik ; l’agence centrale gouvernementale chargée de l’achat du riz, de la fixation de ses prix et de son stockage. 148. Plusieurs auteurs ne manquèrent pas de critiquer ce nouvel accès d’empressement bouillon de la part du gouvernement. HEINZ W. ARNDT, « Survey of récent development », BIES, Vol. VII, N° 1, March 1971, p. 17 note par exemple « It would seem, once again, an experimental scheme has been extended rather too soon to too large an area ». 149. Kumpulan data, op. cit., p. 20. 150. Rappelons que Java commença à être colonisé dès le début du XVIIe siècle alors que la majeure partie du reste de l’archipel indonésien ne le fut pas vraiment avant la fin du XIXe siècle. Ce décalage de près de trois siècles ne fut pas sans conséquences. 151. En particulier l’ouvrage de F. VALENTIJN, Oud en Nieuw Oost-Indien, publié en 1724-6 à Amsterdam, le rapport de DIRK VAN HOGENDORP, Berigt van den Tegenwoordigen Toestand der Bataafsche Bezittingen in Oost-Indien, publié à Delft en 1799 et celui de la Commission Coloniale daté de 1803. 152. THOMAS STAMFORD RAFFLES, The History of Java, Kuala Lumpur, Oxford University Press, Oxford in Asia Historical Reprints, 1978, 2 volumes, 479 + 291 pages + Appendix, Maps & Plates. 153. Le recensement organisé en 1815 par Raffles donnait une population totale de 4 615 270 habitants pour Java et Madura. Pour une évaluation montrant bien les lacunes de ce recensement voir WIDJOJO NITISASTRO, Population trends in Indonesia, op. cit., pp. 18-16. 154. « The soil of Java, though in many parts much neglected is remarkable for the abondance and variety of its productions. With very little care or exertion on the part of the cultivator, it yields all the wants of the island demand, and is capable of supplying ressources far above any thing that the indolence or ignorance of the people, either oppressed under the despotism of their own sovereigns, or harrassed by the rapacity of strangers, have yet permitted them to enjoy » : RAFFLES, The History of Java, op. cit., Vol 1, p. 107. Voir à ce sujet les quelques lignes vigoureuses que PIERRE GOUROU consacre au mythe de « l’inépuisable richesse » des sols tropicaux dans son ouvrage classique, Les pays tropicaux, Principes d’une géographie humaine et 52

économique, Paris, PUF, Pays d’Outre-Mer, 1969, p. 20. 11 cite en bas de page WILLIAM MARSDEN, l’auteur du magnifique ouvrage classique paru en 1783 dont Raffles s’est largement inspiré, The History of Sumatra, qui était déjà, quant à lui, beaucoup plus circonspect sur ce sujet. 155. « ... under a better System of government, or by a removal of a few of the checks that previously existed, Java might, in a short time, be expected to be better poepled » : Raffles, The History of Java, op. cit., p. 69. 156. En 1827, Du Bus de Gisignies prévoyait déjà que « dans de nombreuses années lorsque toute les terres disponibles auront été défrichées, la population qui couvrira la totalité de Java sera pratiquement identique à celle qui actuellement habite et cultive une partie de l’île, c’est-à-dire une population composée d’une foule de paysans innombrables, chacun exploitant pour se nourrir une parcelle minuscule, chacun ne produisant que du riz et rien d’autre pour un revenu comparable à celui du plus misérable journalier agricole ». Cité par JEAN-FRANÇOIS GUERMONPREZ, auteur d’un remarquable article de synthèse fort utile pour notre propos intitulé « La société paysanne javanaise et les études rurales : tendances récentes et courant dominant », ASEMI, Vol. IX, N° 1-2, 1978, p. 148. 157. J.F. GUERMONPREZ, « La société paysanne javanaise », op. cit., nous dit à ce propos p. 135 : « Dès lors, les études rurales constituent un moment du procès accéléré de transformation du paysan javanais, producteur de valeur d’usage, en producteur de valeur d’échange pour le marché mondial ». 158. Voir à ce sujet, D.H. BURGER, Structural changes in Javanese society : the village sphere, Ithaca, New York, Cornell University, Department of Far Eastern Studies, Southeast Asia Program, Modern Indonesia Project, Translation Series, 1957, pp. 6-7. 159. Entre 1831 et 1877 le trésor néerlandais reçut 823 millions de guilders de sa colonie indonésienne alors que le budjet annuel de la Hollande ne dépassait pas les 60 millions de guilders à cette époque. Voir à ce sujet, B.H.M. VLEKKE, Nusantara, op. cit., pp. 291-292. 160. MULTATULI, Max Havelaar, Paris, Editions Universitaires, 1968, 325 pages. 161. Voir à ce sujet, Indonesian Economics, The concept of dualism in theory and policy, The Hague, W. van Hoeve, 1966, p. 3-5. 162. L’avocat le plus efficace de cette nouvelle politique fut Conrad Theodor van Deventer qui publia en 1899 un fameux article intitulé « Een eereschuld », c’est-à-dire « Une dette d’honneur ». 163. La plus importante d’entre elles restant bien entendu la monumentale enquête sur « la diminution du bien-être de la population indigène », Onderzoek naar de mindere welvaart der inlandsche bevolking op Java en Madoera, Batavia, 1905-1920, 12 volumes en 19 parties. 164. Pendant toute cette époque troublée, l’école du droit coutumier de Leiden joua un rôle souvent très ambigu de soutien critique à la politique coloniale du gouvernement. Le cas le plus célèbre est sans nul doute celui du grand spécialiste de l’islam C. Snouck Hurgronje qui servit de conseiller anthropologique à l’armée coloniale dans son offensive finale contre l’interminable rebellion du pays atchinois, au tournant du XXe siècle. Voir à ce propos l’article de W.F. WERTHEIM, « La recherche contre-insurrectionnelle à l’aube du XXe siècle : Snouck Hurgronje et la guerre d’Atchin », in Jean Copans (Ed), Anthropologie et Impérialisme, Paris, François Maspéro, Bibliothèque d’Anthropologie, 1975, pp. 345-357. 165. Parmi les très nombreux écrits de BOEKE voir en priorité « Dualistic Economics », in Indonesian Economics, op. cit., pp. 167-192 ainsi que The structure of the Netherlands Indian economy, New York, Institute of Pacific Relations, 1942, 201 pages. 166. JAMES A.C. MACKIE, « The concept of Dualism and its Application to Indonesian Agriculture », in J.J. Fox, R.G. Garnaut, P.T. McCawley and J.A.C. Mackie (Ed), Indonesia : australian perspectives, Canberra, Australian National University, Research School of Pacific Studies, 1980, pp. 295-306. 167. Ibid. Voir également HANS-DIETER EVERS, « The challenge of diversity : basic concepts and theories in the study of South-East Asian Societies », in Hans-Dieter Evers (Ed), Sociology of South- 53

East Asia, Reading on social change and development, Kuala Lumpur, Oxford University Press, Oxford in Asia University Readings, 1980, pp. 2-3. 168. Outre le récent article de J.A.C. MACKIE, « The concept of dualism », op. cit., on se reportera en priorité à BENJAMIN HIGGINS, « The dualistic theory of underdeveloped areas », Ekonomi dan Keuangan Indonesia,Vol. VIII, N° 2, 1955, pp. 58-78 ; HIDEO YAMADA, « Boeke’s view of eastern society », The Developing Economies, Vol IV, N° 3, 1966, pp. 334-348 et YOICHI ITAGAKI, « A review of the concept of “dual economy” », The Developing Economies,Vol. VI, N° 2, 1968, pp. 143-151. Pour une critique marxiste on consultera ANDRÉ GUNDER FRANK, Le développement du sous-développement, Paris, François Maspéro, Textes à l’Appui, 1972, pp. 223-231. 169. BRIAN MAY, The Indonesian tragedy, London, Routledge & Kegan Paul, 1978, 438 pages et surtout ALLEN M. SIEVERS , The mystical world of Indonesia, Culture & economic development in conflict, Baltimore and London, The Johns Hopkins University Press, 1974, 425 pages, livre au titre évocateur dans lequel l’auteur soutient purement et simplement que l’Indonésie ne pourra jamais se développer tant que la « mentalité mystique » continuera à dominer la société indonésienne ! 170. Sur ces aspects des relations américano-indonésiennes, voir GEORGES MCTURNAN KAHIN, Nationalism and revolution in Indonesia, Ithaca and London, Cornell University Press, 1952, pp. 391-445. 171. En fait, l’ouvrage que CLIFFORD GEERTZ publia au terme de son étude à Modjokuto est le célèbre The religion of Java, Chicago, The University of Chicago Press, 1960, 392 pages. Il en concluait la préface par ces mots : « I... hope that in some way this book may contribute to the realization of their aspiration to build a strong, stable, prosperous and democratic “New Indonesia” ». Parmi les autres membres de l’équipe certains publièrent également des ouvrages qui firent date. Ce fut le cas pour ALICE DEWEY, Peasant marketing in Java, New York, The Free Press of Glencoe, 1962, 238 pages ; ROBERT R. JAY, Javanese villagers, Social relations in rural Modjokuto, Cambridge, The MIT Press, 1969, 468 pages et HILDRED GEERTZ, The Javanese family, A study of kinship and socialization, New York, The Free Press of Glencoe, 1961, 176 pages. 172. CLIFFORD GEERTZ, Agricultural involution, The processes of ecological change in Indonesia, Berkeley and Los Angeles, University of California Press, 1963, 176 pages. 173. L’expression est de J.F. GUERMONPREZ, « La société paysanne javanaise », op. cit., p. 136. 174. Geertz utilise l’expression de « shared poverty ». 175. Tout le reste de l’archipel constituant une « Indonésie externe » dominée par l’écosystème du champ essarté (ladang). A ce sujet, voir GEERTZ, Agricultural involution, op. cit., pp. 12-37. 176. C’est en effet surtout à partir de l’introduction du « système des cultures » que la canne à sucre commença à occuper une place prépondérante dans l’économie javanaise. 177. Pour une définition géographique très précise du Kejawèn et des trois autres régions économico-culturelles que les Hollandais avaient pris l’habitude de distinguer à Java, à savoir le pays Sunda, le Pasisir et le « Oost Hoek », consulter GEERTZ, Agricultural Involution, op. cit., pp. 38-46. Voir aussi VLEKKE, Nusantara, op. cit., pp. 80-106. 178. Les tous premiers rapports du fameux Agro-Economic Survey de Bogor ne commencent précisément à apparaître qu’en 1970 seulement. En fait la première à souligner certaines des lacunes majeures de la théorie involutive de Geertz fut vraisemblablement MARCO L. LYON, Bases of conflict in rural Java, Berkeley, University of California, Center of South and Southeast Asia Studies, Research Monograph Series, Research Monograph N° 3, 1970, 83 pages. 179. Mentionnons simplement déjà ici certains des auteurs les plus importants qui se sont exprimés sur ce sujet parmi lesquels : ERNST UTRECHT, « American sociologists in Indonesia », Journal of Contemporary Asia,Vol. 3, N° 1, 1973, pp. 39-45 ; BENJAMIN WHITE, « population, involution and employement in rural Java », Development and change,Vol. 7, 1976, pp. 267-290 ; ALBERT POLAK, « Agrarian developments on Lombok : an attempt to test Geertz’ concept of agricultural 54

involution », Tropical Man,Vol. V, 1972/73, pp. 18-45 ; OTTO D. VAN DEN MUIJZENBERG, « Involution or evolution in the Philippines », in H.D. Evers (Ed), Sociology of South-East-Asia, op. cit., pp. 209-219 ; MUBYARTO, « Involusi pertanian dan pemberantasan kemiskinan : Kritik terhadap Clifford Geertz », Prisma, N° 2, 1978, pp. 55-63 ; JENNIFER and PAUL ALEXANDER, « Sugar, rice and irrigation in colonial Java », Ethonohistory,Vol. 25, N° 3, Summer 1978, pp. 207-223 ; HIROYOSHI KANÖ, « The economic history of Javanese rural society : a reinterpretation », The Developing Economies,Vol. XVIII, N° 1, March 1980, pp. 3-22 et enfin WILLIAM L. COLLIER, « Agricultural evolution in Java », in Gary E. Hansen (Ed), Agricultural and rural development in Indonesia, Boulder, Colorado, Westview Press, Westview Special Studies in Social, Political and Economic Development, 1981, pp. 147-173. 180. Certes, nous disposions du fameux ouvrage de KOENTJARANINGRAT (Ed), Villages in Indonesia, Ithaca, New York, Cornell University Press, 1967, 445 pages. Toutefois, la quasi totalité du terrain qu’il couvrait était à la fois assez ancien et principalement extra-javanais. A noter l’excellent chapitre introductif de cet ouvrage dans lequel Koentjaraningrat fait l’inventaire des études sociales sur le monde rural indonésien. 181. T. SCARLETT EPSTEIN, « The ideal marriage between the Economist’s Macroapproach and the Social Anthropologist’s Microapproach to Development Studies », Economic Development and Cultural Change, Vol 24, N° 1, October 1975, pp. 29-45. Dans le même ordre d’idées consulter le merveilleux article du grand socio-anthropologue indien M.N. SRINIVAS, « Village studies, participant observation and social science research in India », Economic and Poiitical Weekly, Special Number, August 1975, pp. 1387-1394. 182. Ces données proviennent de Statistik Indonesia 1974/75, op. cit., p. 18 et de Hasil Registrasi Penduduk 1972, Penduduk Jawa-Madura, op. cit., p. 41. 183. Les Sundanais, sous-groupe ethnique considéré dans la littérature classique comme faisant partie de la branche dite « deutero-malaise » des migrations malaises, occupent la majeure partie de Java Ouest et sont principalement concentrés dans la région montagneuse des Priangan dont Bandung est la capitale. Sur le plan linguistique ils font partie - avec les Javanais, les Maduranais et les Balinais - de la branche ouest-indonésienne de la sous-famille dite « Hesperonésienne » de la famille Malayo-Polynésienne. A propos de toutes ces classifications ethnico-linguistiques et de leur validité, consulter le récent ouvrage exhaustif de PETER BELLWOOD, Man’s conquest of the Pacific, The prehistory of Southeast Asia and Oceania, Auckland and Sydney, Collins, 1978, 462 pages. Selon KOENTJARANINGRAT, Introduction to the poeples and cultures of Indonesia and Malaysia, Menlo Park (Ca.), Cummings Publishing Company, 1975, p. 99, les Sundanais étaient environ au nombre de 20 millions lors du recensement démographique de 1971. 184. HIROYOSHI KANÔ, , « The economic history of Javanese rural society : a reinterpretation », The Developing Economies, op. cit., pp. 5-6. 185. La cinquième et dernière province de Java étant le Territoire Spécial de la Capitale (Daerah Khusus Ibukota ou DKI), c’est-à-dire Jakarta. 186. Pour une liste donnant la population moyenne de chaque village pour chacun des districts ruraux de l’île, consulter Hasil Registrasi Penduduk 1972, Penduduk Jawa-Madura, op. cit., pp. 41-50. 187. Le mot kelurahan, qui est un terme administratif relativement récent dérivé du mot lurah, chef de village, est surtout employé dans le Kejawèn. Desa, qui est le mot indonésien traditionnel utilisé pour désigner un village en zone rurale, reste dominant dans tout le reste de l’île de Java et dans une bonne partie des autres îles de l’archipel. Il est cependant légèrement moins spécifique que le premier. 188. On retombe sur le même problème avec les mots dukuh et kampung. Le premier est plus précis que le second qui peut également signifier « quartier urbain ». 189. Chaque famille nucléaire compte, en moyenne, entre 4 et 5 membres à Java. La taille des hameaux varie donc entre quelques centaines et plusieurs milliers d’habitants selon les cas 55

Deuxième partie. Terrain : quatre villages du cœur du Kejawèn 56

Préambule

1 Une fois la décision prise d'entamer cette étude villageoise comparative sur la modernisation de l'agriculture paysanne javanaise par le Kejawèn, le choix de la région de Yogyakarta, qui en constitue le cœur historique profond, s'imposait presque de lui-même. C'est, en effet, bien au pied du majestueux complexe volcanique Merbabu-Merapi qui la domine que les premiers grands royaumes hydro-agricoles de la période indo-javanaise fleurirent dès le VII-VIIIe siècle, nous léguant des chefs-d'œuvre universels tels que les temples de Borobudur ou de Prambanan, témoignages immortels de leur niveau élevé de développement économique et technologique1. En fait, dès avant même avoir posé le pied sur le sol indonésien, nous savions déjà que, sitôt expédiée l'inévitable et fastidieuse corvée des démarches administratives qui ne manquerait pas de nous clouer pour quelques semaines à Jakarta, nos pas nous guideraient immédiatement à Yogyakarta pour une première étape importante et durable de la recherche. Il faut peut être préciser que, mis à part le très important élément historique susmentionné faisant de la société paysanne yogyanaise la dépositaire d'une des traditions agricoles les plus anciennes et raffinées d'Indonésie, trois autres facteurs déterminants, d'ordre démographique, agro- technique et tout bonnement pratique, avaient également présidé à cette présélection. Sur le plan démographique, nous avions en effet toujours implicitement considéré que l'étude des problèmes de modernisation agricole s'avèrerait infiniment plus révélatrice et pertinente dans les régions de Java où la pression de l'homme sur la terre était la plus élevée. Or, avec une population de plus de 2.5 millions pour une superficie de moins de 3 200 km2, le Territoire Spécial de Yogyakarta atteignait en 1972 une densité moyenne de 789 habitants au kilomètre carré le plaçant largement en tête des provinces rurales javanaises2. Sur le plan agro-technique, cette minuscule région présentait plusieurs avantages décisifs. Primo, en dépit de son exiguïté, elle était caractérisée par une très grande diversité de conditions naturelles, certains parmi les meilleurs terroirs irrigués de l'île n'étant souvent distants que de quelques kilomètres des pires zones latéritiques de l'archipel. Secundo, bien qu'elle ait toujours été chroniquement déficitaire sur le plan alimentaire3, la culture commerciale de la canne à sucre y était très développée et concurrençait fortement celle du paddy et des autres cultures vivrières secondaires pour l'occupation d'une superficie de sawah plus que limitée4. Tertio, elle constituait également le premier champ d'expérimentation de la toute nouvelle formule dite « perfectionnée » du programme BIMAS d'intensification de la production rizicole. Finalement, sur le plan 57

pratique, cette micro-province offrait le support logistique d'un appareil administratif « à taille humaine » et l'appui académique d'une très bonne université fourmillant de ruralistes de tous poils5. On pouvait difficilement rêver d'un meilleur cadre pour inaugurer cette recherche.

CARTE 4 : Le Daerah Istimewa Yogyakarta et ses subdivisions administratives

2 Ainsi que cela apparaît sur la carte ci-contre, le D.I. Yogyakarta se subdivise en une municipalité urbaine (kotamadya) et quatre districts ruraux (kabupaten). Ces derniers Sleman, Bantul, Kulon Progo et Gunung Kidul, bénéficient de conditions naturelles fort différentes. D'un côté, Sleman, situé en grande partie sur les contreforts fertiles du volcan Merapi, et Bantul, largement concentré dans la petite plaine alluviale que délimitent les deux rivières Progo et Opak, sont, dans l'ensemble, très favorables au développement d'une agriculture intensive. De l'autre, Kulon Progo, dont la majeure partie du territoire se trouve dans une région accidentée de collines, est déjà beaucoup plus problématique à cet égard, alors que Gunung Kidul, qui occupe une zone de plateau montagneuse, rocailleuse, aride et désolée, y est carrément très défavorable6. La stratégie de « révolution verte » touchant principalement les meilleures zones irriguées, notre étude villageoise devait donc nécessairement se concentrer sur Sleman ou Bantul. A travers une étude approfondie des indicateurs statistiques disponibles au niveau provincial et quelques visites éclairs de contrôle sur le terrain, nous portâmes très rapidement notre choix sur le second nommé. Tout d'abord, il présentait l'incomparable avantage d'offrir l'éventail le plus complet des situations agro-écologiques existant sur le plan local, puisque, si le sawah (rizière en eau) dominait largement dans la plaine centrale de Bantul, c'est le tegal (champ sec) qui était fortement prépondérant du côté des contreforts du plateau de Gunung Kidul et le pekarangan (jardin) qui primait plutôt sur les berges de la rivière Progo. Par ailleurs, avec une population de près de 580 000 personnes pour une 58

superficie d'environ 426 km2, il atteignait, en 1972, une densité moyenne de 1 355 habitants par kilomètre carré le plaçant non seulement en tête des quatre districts ruraux de Yogyakarta mais, par la même occasion, au second rang national, derrière Klaten à Java Central7. Finalement, la culture de la canne à sucre y était quasi entièrement circonscrite et la seule et unique raffinerie de la province y avait son siège. Last but not least, le fait de travailler sur un seul district facilitait très nettement la recherche, tant au niveau des formalités administratives qu'à celui des distances journalières à parcourir.

CARTE 5 : Le Kabupaten Bantul et ses subdivisions administratives

3 Comme le montre la carte ci-contre, le district de Bantul était subdivisé en 18 sous- districts (kecamatan) en 1972 8. Il s'agissait dès lors pour nous d'identifier, parmi les 75 villages administratifs (kelurahan) les composant, ceux où l'enquête serait la plus instructive9. Or, en étudiant attentivement tous les indicateurs statistiques glanés au bureau central du district, nous avions rapidement découvert avec beaucoup d'intérêt que le programme BIMAS semblait rencontrer un accueil très variable d'un sous-district à l'autre, et surtout, que cela n'avait apparemment pas grand chose à voir avec les conditions naturelles régnantes puisqu'il pouvait aussi bien s'avérer être un échec partiel dans de très bonnes zones de sawah irrigué qu'un succès relatif dans des périmètres agricoles beaucoup moins favorisés où dominait le tegal ou le pekarangan. C'était là une trouvaille majeure à élucider au plus vite. Comme nous avions par ailleurs l'intention d'analyser les problèmes de modernisation agricole dans chacun des trois différents systèmes agro-économiques susmentionnés, nous optâmes finalement pour une double méthode d'enquête. En tout, nous sélectionnerions quatre villages dans le district de Bantul. Les deux premiers seraient comparables en tout point au niveau de leurs très bonnes conditions naturelles de développement rizicole et le sawah y serait largement dominant, mais le programme BIMAS se solderait provisoirement par un échec flagrant dans l'un et par un indiscutable succès dans l'autre. Les deux derniers seraient à peu près 59

comparables au niveau de leurs conditions naturelles ingrates de développement rizicole, le tegal étant dominant dans l'un et le pekarangan dans l'autre, mais le programme BIMAS y rencontrerait malgré tout un accueil sensiblement différent. Grâce à cette approche mixte, empruntant à la géographie comme à l'économie, nous espérions bien évidemment pouvoir identifier toute la gamme des divers obstacles auxquels la modernisation agricole se heurtait dans le Kejawèn. Toutefois, suite à nos enquêtes statistiques préliminaires, nous étions déjà en mesure de formuler l'hypothèse de travail majeure selon laquelle l'étendue du succès du programme BIMAS dans un village était avant tout directement proportionnelle au nombre de villageois ayant les moyens économiques d'y adhérer, et dépendait donc, au premier chef, des conditions d'accès à la terre et de répartition de la propriété foncière. Après avoir longuement comparé les statistiques disponibles et passablement sillonné les routes du district, nous sélectionnâmes finalement quatre sous- districts : les kecamatan de Kasihan, Sewon, Imogiri Jk et Sedayu. La petite grille qui suit caractérise chacun d'entre eux par rapport à nos deux critères de sélection.

4 Dernière étape du processus, nous choisîmes en fin de compte, sur la base des indicateurs statistiques détaillés fournis par le bureau de chaque sous-district, le plus représentatif des villages administratifs le composant. Ce furent respectivement Tirtonirmolo, Timbulhardjo, Wukirsari et Argodadi.

NOTES

1. Voir à ce sujet B.H.M. VLEKKE, Nusantara, op. cit., pp. 35-79 ; GEORGES COEDÈS, Les états hindouisés d'Indochine et d'Indonésie, Paris, E. de Boccard, 1964, 494 pages et JACQUES DUMARÇAY, Borobudur, Kuala Lumpur, Oxford University Press, 1978, 72 pages. 2. Hasil Registrasi Penduduk 1972, Penduduk Jawa-Madura, op. cit., p. 47. 3. Voir à ce sujet MUBYARTO & ATJE PARTADIREDJA, « An Economic Survey of the Special Region of Jogyakarta », BIES, N° 11, October 1968, pp. 29-47, ainsi que MUBYARTO, « Economic developments in the D.I. Jogyakarta », BIES, Vol VI, N° 3, November 1970, pp. 14-32. 4. Inférieure à 50 000 ha. Voir Sensus Pertanian 1963, op. cit., p. 13. 5. Le nombre très élevé des études rurales menées dans le D.I. Yogyakarta est indubitablement lié de très étroite manière à ces raisons pratiques, en particulier la présence de l'Université Gadjah Mada sur le territoire. Notre préparation au terrain yogyanais était également facilitée par 60

l'existence d'une très belle étude socio-politique de SELOSOEMARDJAN, Social changes in Jogyakarta, Ithaca, New York, Cornell University Press, 1962, 440 pages. 6. Voir à ce sujet les quelques pages lumineuses que PIERRE GOUROU consacre à Gunung Kidul dans Leçons de géographie tropicale, Paris, Mouton, 1971, pp. 108-113. 7. Hasil Registrasi Penduduk 1972, Penduduk Jawa-Madura, op. cit., pp. 46-47. Les densités des trois autres kabupaten du DI Yogyakarta étaient de respectivement 1 119 hab/km 2 pour Sleman, 644 hab/km2 pour Kulon Progo et 387 hab/km2 pour Gunung Kidul. 8. Il y en avait 74 dans tout le DI Yogyakarta. Voir Statistik Indonesia 1974/75, op. cit., p. 18. 9. Il y en avait en tout 393 dans les quatre kabupaten ruraux du territoire. Voir Hasil Registrasi Penduduk 1972, op. cit., p. 47. 61

Chapitre I. Tirtonirmolo : le sawah des portes de la ville de Yogyakarta

1 Tirtonirmolo forme, conjointement avec trois autres villages, le sous-district de Kasihan, l’un des 18 que compte le district de Bantul. Le premier coup d’œil jeté sur une carte de la province révèle immédiatement sa nature suburbaine. C’est, en effet, le tout premier village sur lequel on tombe en sortant de l’agglomération yogyanaise par la route de Bantul, principal axe de communication asphalté menant, plein sud, vers la côte océane distante d’une trentaine de kilomètres1. On s’attend donc logiquement à une transition graduelle allant decrescendo de l’agitation urbaine à la « sérénité » rurale. En fait, il n’en est rien.

2 Pour atteindre Tirtonirmolo, il suffit de suivre la direction de Bantul, petite bourgade chef-lieu du district du même nom, située à environ dix kilomètres du centre ville, et, à la pancarte indiquant PG Madukismo, la grande et unique raffinerie sucrière de la région, de bifurquer à angle droit vers l’ouest. Jusqu’à ce carrefour atteint en à peine dix minutes de motocyclette, le bitume fondant sous la chaleur reste encombré à perte de vue par une multitude humaine bigarrée où dominent les bicyclettes et les triporteurs2, zigzaguant entre les chars à bœufs désespérément lents3, et à travers laquelle automobiles, taxis collectifs4 et bus de toutes tailles, bondés et souvent vétustes, essayent vaille que vaille de se frayer un chemin à grands coups klaxon, alors que les bas-côtés de la route demeurent en permanence lourds d’une foule compacte allant et venant tout le long d’une rangée ininterrompue de bâtiments administratifs, de maisons particulières, de boutiques chinoises et d’étals javanais. Bref, c’est bien encore Yogya5, son grouillement continu, ses bruits et ses odeurs, sa fureur tranquille. Puis, à cinquante mètres en avant, on aperçoit émergeant de la cohue le poteau indicateur en question. Tournant à droite sur une route secondaire étonnement calme, on franchit aussitôt le petit pont de pierre enjambant la rivière Winongo, sur les berges de laquelle des femmes lavent énergiquement leur linge tout en papotant.

3 De l’autre côté, on a l’impression très forte de pénétrer dans un monde différent. Absolument rien de graduel dans ce passage, la transition est brutale, nette comme une coupure, presque suspecte tant elle est évidente. Après avoir traversé la tranchée ombragée et rafraîchissante d’une ceinture pekarangan, opulents jardins à trois étages de végétation dissimulant discrètement l’habitat villageois aux yeux des passants6, on 62

débouche soudain sur l’espace ouvert et plat des sawah, magnifiques champs en eau, alignant à perte de vue les carrés jaunes et verts du damier cultural de paddy et de canne qui les recouvre7, au milieu duquel, presque incongrue, trône la masse énorme et grisâtre de l’usine de sucre dont la haute cheminée domine le panorama. C’est bien là l’image que l’on se faisait d’une campagne javanaise paisible et laborieuse, semblable à ces paysages immobiles et silencieux reproduits à l’infini sur les toiles bon marché vendues dans les magasins touristiques de Malioboro, la principale artère commerçante de la ville. Le pont sur la Winongo que l’on distingue encore en se retournant prend tout à coup les allures d’une espèce de sas permettant de s’extraire du milieu urbain pour s’immerger dans le milieu rural.

4 Alors que nous reprenons, une fois la surprise passée, notre route à la recherche du bureau de l’administration villageoise, l’angoisse relative qui nous avait jusque là étreint à la perspective de ce premier contact concret avec le monde rural indonésien fait progressivement place à un curieux sentiment d’assurance retrouvée. Finalement, tout cela semble correspondre assez étroitement au dualisme identifié par le vieux Boeke ou à la dichotomie classique entre ruralité et urbanité qu’affectionnent tous les sociologues contemporains se rattachant de près ou de loin à son école de pensée. Le fait qu’une partie non-négligeable de notre outillage théorique s’avère d’emblée opératoire signifie que l’on est moins démuni que prévu pour entreprendre l’analyse de la réalité sociale hermétique et complexe entrevue dans les livres. Nous ne tarderons guère à découvrir les fâcheuses limites de toutes ces belles théories simplificatrices, mais en attendant, c’est armé d’un optimisme à toute épreuve que l’on pousse les battants de la porte style « saloon » du long bâtiment blanc qui abrite l’administration locale et que l’on demande dans un indonésien approximatif au premier des fonctionnaires sur lequel on bute de bien vouloir nous indiquer lequel de ses collègues est le chef du village.

Milieu naturel et potentiel agricole

5 Dans ses frontières actuelles, le village de Tirtonirmolo a été fondé, ainsi que tous ceux de la province de Yogyakarta, à l’occasion de la réforme administrative de 19468. Il résulte en l’occurrence de l’amalgame de trois anciens villages : Bekelan, Mrisi et Padokan. Au même titre qu’eux, mais à un degré supérieur, il n’est donc qu’un village administratif9, la communauté villageoise à proprement parler ne se retrouvant une nouvelle fois véritablement qu’au niveau du hameau10. En 1972, Tirtonirmolo comptait 12 hameaux dont 4, Mrisi, Jogonan Lor, Padokan Lor et Dongkelan furent sélectionnés pour y mener le travail d’enqûete approfondi. Partout dans le village, les conditions topographiques, pédologiques et hydrauliques sont particulièrement favorables au développement d’une agriculture hautement productive, l’un des deux critères majeurs qui ont présidé à son choix. D’une superficie totale sensiblement supérieure à 464 ha, il est en effet situé dans une zone quasi uniformément plane11, légèrement inclinée dans le sens nord-sud, dont les sols sont en majeure partie composés de cendres volcaniques fertiles12. De plus, étant littéralement enserré entre deux rivières, la Bedog, affluent de la Progo, qui constitue sa frontière occidentale et la Winongo, affluent de l’Opak, qui délimite presque toute la longueur de sa frontière orientale, il bénéficie de très bonnes conditions d’irrigation. En javanais, Tirtonirmolo signifie d’ailleurs « eau pure »13. En 1972, 224 des quelques 239 ha de sawah du village, soit près de 94 %, jouissaient d’une irrigation pérenne grâce à plus de 34 kilomètres de canaux par gravité dépendant de 6 63

petits barrages de captage construits sur les deux rivières sus-mentionnées. Tout ce réseau, en excellent état, semblait être régulièrement entretenu et réparé14, phénomène auquel la raffinerie sucrière de Madukismo n’est pas totalement étrangère15. Pour en terminer avec ces problèmes hydrauliques, mentionnons qu’à une seule exception près, aucun conflit majeur relatif à l’irrigation ne fut soulevé pendant toute la durée de notre enquête à Tirtonirmolo16. En ce qui concerne les voies de communication, problème souvent crucial pour le développement rural, le village est là aussi relativement privilégié. Outre le fait qu’il n’est guère à plus de 5 kilomètres du centre ville auquel il est relié par une route asphaltée rejoignant celle de Bantul, il est traversé d’est en ouest par un axe en pierres concassées relativement carrossable qui permet de franchir la Bedog et de retomber plus au nord sur la grande artère menant à Wates, Kebumen et Cilacap. Finalement, il est entièrement quadrillé par un réseau très dense de petits chemins en terre battue praticables par tous les temps avec un deux roues, motorisé ou non (une carte détaillée de Tirtonirmolo est glissée dans la jaquette en fin d’ouvrage).

6 Que Tirtonirmolo ait un potentiel agricole plus que supérieur à la moyenne ressort clairement des chiffres : en 1972, sur une superficie totale de 464 ha17, le sawah en occupe très exactement 239.5 soit 51.6 %, le tegal 8.2 soit 1.8 % seulement et le pekarangan 174.1 soit 37.5 %. Même en tenant compe du fait qu’une proportion non-négligeable du pekarangan est occupé par les habitations, on réalise aisément le niveau extrême de mise en valeur d’un terroir dont 90.9 % de la superficie est directement productive à un degré ou à un autre. Les 42.2 ha représentant les 9.1 % restant sont des terres non-directement productives dont la majeure partie est occupée par l’usine de sucre qui couvre 28 ha à elle seule18. En étudiant attentivement ces premières statistiques récoltées au bureau du village et surtout en parcourant les chemins en terre battue bordant les sawah rectilignes ou serpentant à l’ombre des pekarangan pour en vérifier de visu l’exactitude, on se convainc très vite qu’il n’y a plus un seul mètre carré de terre disponible à Tirtonirmolo. Chaque recoin susceptible d’être cultivé et de produire à déjà été utilisé, même les diguettes étroites séparant les sawah où sont souvent alignées les longues tiges vert-clair des manioc !

7 Cette situation est d’ailleurs loin d’être récente comme l’a démontré Geerlz dans son ouvrage majeur19. D’où l’intérêt extrême pour le socio-économiste rural de mettre la main sur toute donnée chiffrée lui permettant de se faire une idée sur l’évolution historique du processus d’occupation des terres du village qu’il étudie. Nous eûmes la chance, en cherchant aux archives du bureau cadastral de la province les documents grâce auxquels nous pûmes reconstituer la carte détaillée du village20, de dénicher de telles statistiques datant de 1931. A quarante années d’intervalle, la comparaison s’avère pleine d’enseignements puisqu’entre 1931 et 1972 les surfaces de sawah et de tegal ont respectivement diminué de 16 et 5 ha, alors que celle de pekarangan augmentait quand à elle de 1.7 ha. Ce double phénomène s’explique d’une part, par le fait que l’ancienne usine sucrière qui existait exactement au même emplacement du temps des Hollandais, avant d’être détruite pendant la révolution, n’occupait que 10 ha, presque trois fois moins que l’actuel Madukismo21, et d’autre part, par le fait que la croissance de la population villageoise a entraîné une extension parallèle de la surface habitée et construite.

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Espace exigu, multitude humaine

8 Entre les mois de décembre 1971 et 1972, la population totale du village est passée de 11 655 à 11 967 personnes, soit une taux de croissance annuel brut de 2.67 % qui s’avère être énorme comparé à la moyenne régionale ou même à celle du district de Bantul22. Deux hypothèses, distinctes, mais complémentaires, peuvent être avancées pour tenter d’expliquer ce phénomène surprenant. L’une comme l’autre sont étroitement liées à nature suburbaine de Tirtonirmolo et à la présence sur son territoire de la raffinerie sucrière. La première est qu’en raison des possibilités d’emplois offertes aussi bien en ville qu’à l’usine Madukismo, le nombre des personnes venant se fixer chaque année dans le village est supérieur au nombre de celles le quittant. Elle est d’ailleurs en partie confirmée par les chiffres portant sur la période d’observation susmentionnée pendant laquelle sept nouvelles familles se sont installées à Tirtonirmolo, alors que trois seulement s’en allaient ailleurs23. La seconde est que ces conditions générales de vie relativement meilleures ont une incidence positive sur les taux de natalité et de mortalité infantile, le premier étant sensiblement plus élevé et le second légèrement plus bas que les moyennes régionales24. Bien qu’aucune enquête démographique systématique n’ait été faite qui permettrait de tirer des conclusions définitives et sérieuses allant dans ce sens, ce qui n’était d’ailleurs nullement le but de cette étude, certaines des données statistiques récoltées dans les quatre hameaux ayant fait l’objet d’une investigation plus approfondie apportent des éléments de preuve. Ainsi, entre 28 et 30 % des femmes de 20 à 29 ans avaient déjà eu plus de 3 enfants25, ce qui semble bien supérieur à ce que certains socio- démographes ont trouvé dans d’autres villages de la région26. Par ailleurs, à Padokan Lor et Dongkelan Kauman, les deux seuls hameaux où il a été possible d’obtenir des informations un tant soit peu complètes sur les naissances et les décès d’enfants, on a trouvé des taux bruts de natalité de respectivement 64 et 67‰ pour l’année 1972, alors que 6 enfants sur 65 décédaient avant d’atteindre l’âge de 1 an dans le premier, contre 6 sur 70 dans le second. Une nouvelle fois, ces chiffres sont suffisamment différents des moyennes habituelles que l’on trouve dans la province de Yogyakarta27 pour nous permettre de comprendre plus ou moins pourquoi le taux de croissance annuel de la population est si élevé dans ce village. Quoiqu’il en soit, l’effet majeur de cette particularité démographique sur la problématique du développement rural est que Tirtonirmolo, avec 2 579 habitants par kilomètre carré, atteignait déjà fin 72 une densité de population qui, à première vue, dépasse l’entendement28.

9 La première fois où l’on découvre, abasourdi, ce chiffre énorme, on s’empresse, pensant s’être trompé, de le recalculer une seconde fois. L’on doit pourtant bien se rendre à l’évidence de son exactitude. Alors, au fil des jours, on cherche à comprendre comment tant de monde peut survivre sur un espace aussi restreint. Cela devient bientôt le sujet de préoccupation majeur de la recherche, car plus on avance et plus on a l’impression que c’est, arithmétiquement parlant, impossible. Il y a tout d’abord le fait que la densité simple, calculée en divisant la population totale par la superficie totale du village, ne restitue pas dans toute son ampleur le problème de la pression de l’homme sur la terre. Il faudrait, pour cela, ne prendre en considération que la surface agricole directement productive, c’est à dire les terres arables29, sawah, tegal et pekarangan, mais en prenant soin de déduire de ce dernier l’espace occupé par les habitations et autres constructions. Si l’on se livre à un tel exercice, la superficie agricole productive de Tirtonirmolo n’est 65

plus que légèrement supérieure à 399 ha30 et la densité de population grimpe au chiffre plus « réaliste » de 2 998 habitants par kilomètre carré de terre arable.

10 Par ailleurs, il faut également ne pas perdre de vue le fait qu’une partie importante des terres les plus productives du village, le sawah en tout premier lieu, n’est pas la propriété privée des paysans mais, véritable domaine public villageois, est réservée à un usage officiel réglementé. Cette pratique est le résidu d’un long processus historique allant de l’indianisation31 à la politique coloniale de non-intervention dans la sphère villageoise et jusqu’à celle du gouvernement actuel en matière d’administration territoriale et régionale. En général, ces terres publiques sont divisées en trois catégories : la première, et la plus importante, est utilisée comme mode de rémunération des fonctionnaires élus de l’administration villageoise pendant la durée de leur mandat32, la seconde sert à procurer un revenu, sorte de pension de retraite, à ces mêmes officiels une fois qu’ils ne sont plus en exercice33, alors que la troisième est destinée à assurer une certaine autonomie financière au village3435. A Tirtonirmolo, ces terres publiques, si elles ne couvrent guère plus d’un hectare de pekarangan et un peu moins d’un demi hectare de tegal, occupent par contre 50.9 ha de sawah, soit 21.3 %, plus d’un cinquième de la surface totale dont dispose le village36. Si l’on veut donner une idée précise de l’importance de ce phénomène dans un village sur peuplé aux ressources limitées, il suffit de calculer la densité démographique sur la seule base des terres arabes privées : elle atteint alors le chiffre astronomique de 3 451 habitants par km2 en décembre 1972 ! A ce niveau de jonglerie arithmétique, on réalise qu’il est nécessaire, sous peine de se condamner à une incompréhension croissante, de reprendre contact avec la réalité économique et sociale en se penchant sur le problème, on ne peut plus concret, de la distribution effective de la propriété foncière villageoise.

Seuils et catégories de propriété foncière

11 En décembre 1972, les 11 967 habitants de Tirtonirmolo étaient répartis en 2 497 familles37 , dont 1 744, soit 69.9 %, avaient accès à la propriété foncière, le village ne comptant donc que légèrement plus de 30 % de foyers sans-terre seulement. En fait, cette moyenne ne reflète pas les variations importantes existant entre les hameaux telles qu’elles apparaissent clairement dans le tableau. I.1 où ont été regroupées les données collectées à ce sujet dans les quatre d’entre eux ayant fait l’objet d’une étude plus approfondie. 66

12 C’est ainsi que Jogonalan et, dans une moindre mesure, Padokan ont des proportions de familles sans-terre anormalement élevées. Il ne fait pratiquement aucun doute au regard de leur situation de contiguité avec la raffinerie sucrière qu’ils ont été les deux hameaux les plus sérieusement affectés par son extension en 1956. On voit donc quel type d’incidences sociales l’affectation nouvelle de quelques hectares de terre peut avoir dans un environnement rural aussi densément peuplé. Toute intéressante qu’elle puisse être, la classification dichotomique simpliste établissant la distinction entre les familles propriétaires et les familles sans-terre ne nous permet pas d’aller très avant dans la compréhension de la société villageoise. On devine intuitivement un tissu social d’une facture autrement plus complexe. La catégorie des familles propriétaires, pour ne prendre qu’elle à ce niveau de l’analyse, est évidemment loin d’être aussi homogène que cela apparaît dans le tableau I.1.

13 Sur les 1 744 familles propriétaires, seules 1 150, soit 65.9 %, ont accès au sawah, les autres ne se partageant que du pekarangan38, et le nombre de celles ayant accès aux deux à la fois n’excède pas 924, soit 52.9 %. Le tableau 1.2 donne une idée précise de ce phénomène et confirme les différences sensibles existant d’un hameau à l’autre. Par contre, il ne permet pas de répondre à la question qui, au fil des journées, devint peu à peu la seule pertinente : quel est le pourcentage de ces familles propriétaires disposant d’une superficie de terre suffisamment étendue pour pouvoir « s’en tirer » sans trop de difficultés majeures ? La question est loin d’être facile. Elle suppose que l’on puisse à la fois déterminer le seuil de propriété minimum en deçà duquel cela devient difficile, voire possible, et établir une équation permettant de comparer des catégories de terre n’ayant pas la même productivité. On entre alors dans le domaine du controversable et du controversé, celui où les définitions ont une importance cruciale. 67

14 Il y a eu beaucoup trop de malentendus concernant ce problème pour que l’on ne soit pas très explicite à propos du concept de seuil de propriété minimum rentable. Il doit tout d’abord être considéré comme un outil d’analyse imparfait, partiel et partial, qui permet d’appréhender la réalité sociale sous un angle spécifique, mais dont l’usage est limité, aussi bien dans l’espace que dans le temps. Il ne restitue donc qu’une partie de cette réalité sociale, car si l’accès à la propriété foncière est vraisemblablement l’indicateur socio-économique le plus important pour l’analyse de la société paysanne indonésienne, il est loin d’être le seul, vu le degré de diversification qu’ont atteint certaines économies villageoises. En tenant compte de ces divers éléments de relativisation, le seuil de propriété foncière que nous avons déterminé se définit comme suit : la surface minimum de terre au-delà de laquelle une famille paysanne moyenne de cinq personnes peut subvenir à tous ses besoins essentiels (alimentation, santé, éducation, confort, loisirs et sociabilité) pendant toute l’année et dégager un surplus, si faible soit-il, lui permettant de réinvestir d’une manière productive dans son exploitation sans qu’aucun de ses membres n’ait à recourir à des activités annexes. Cela ne signifie pas que les familles paysannes au- dessous de ce seuil de propriété ne peuvent pas subvenir à une grande partie de leurs besoins essentiels, mais que, pour ce faire, elles doivent précisément avoir recours à ces activités d’appoint qui consistent, la plupart du temps, en une location de force de travail en dehors de l’exploitation familiale39. C’est donc bien moins un seuil de propriété déterminant une quelconque « ligne de pauvreté » absolue ou relative40 que caractérisant un certain état d’indépendance socio-économique et surtout de sécurité psychologique. Selon cette définition, une famille située au-dessus du seuil doit par conséquent aussi bien pouvoir faire face à une récolte gâchée qu’à la maladie prolongée de l’un de ses membres, sans pour autant être amenée à mettre le doigt dans le cycle infernal de l’endettement. Après avoir longuement étudié la situation à Tirtonirmolo - et étant entendu que le fait de définir ce seuil par rapport à la catégorie de terre la plus répandue et la plus productive du village allait de soi - nous l’avons fixé à 0.5 ha de sawah41.

15 Paradoxalement, cela peut sembler être à la fois trop et trop peu, puisque les seuls auteurs qui, à notre connaissance, ont travaillé de manière récente dans le même district, avec une problématique semblable, ont déterminé des seuils de propriété minimum qui sont respectivement la moitié et le double du nôtre42. C’est pourtant, tout bien pesé, le notre qui nous semble le moins faux. Reste alors à déterminer l’équation qui nous 68

permettra de tenir également compte de la propriété du pekarangan en pouvant le ramener à un commun dénominateur en terme d’équivalent sawah. Rien n’est probablement plus compliqué, dans un village javanais, que de calculer la productivité du pekarangan en termes monétaires et nous n’avons d’ailleurs pas été en mesure de le faire systématiquement43. Fort heureusement, d’autres chercheurs se sont penchés récemment sur cet aspect déterminant de l’économie villageoise javanaise jusque-là par trop sous- estimé et sous-étudié44. Le résultat de leur minutieux travail permet de calculer qu’à Tirtonirmolo la productivité de pekarangan représente environ la moitié de celle du sawah 45. En clair, cela signifie qu’une famille moyenne qui n’a pas accès au sawah, mais est propriétaire d’un hectare de pekarangan atteint quand même le seuil d’indépendance socio-économique et de sécurité psychologique mentionné plus haut46. Naturellement, ce seuil peut également être atteint par combinaison des deux catégories de terre, ce qui est en général le cas pour les familles qui le dépassent47.

16 C’est seulement une fois ce seuil « agro-algébrique » fixé qu’il devient possible de délimiter les classes de propriété foncière et de dresser un premier bilan partiel et provisoire de la stratification sociale du village. On peut en distinguer essentiellement quatre à Tirtonirmolo. La première est composée de l’ensemble des familles propriétaire qui ont moins de 0.25 ha de terre en termes d’équivalent sawah. Elles constituent la petite paysannerie sub-marginale, ce qui signifie que, même en louant leur force de travail comme métayers partiels ou ouvriers agricoles et en s’activant dans du micro-commerce de détail afin de subvenir à leurs besoins les plus essentiels, ne serait-ce qu’alimentaires, elles ont en général beaucoup de mal à éviter de tomber dans le piège souvent irréversible de l’endettement et donc à ne pas hypothéquer leur minuscule propriété, puis la vendre, pour finalement grossir à terme la masse des sans-terre. La seconde comprend toutes les familles propriétaires qui ont entre 0.25 et 0.50 ha de terre en termes d’équilavent sawah48. C’est la petite paysannerie marginale qui, la plupart du temps, arrive tant bien que mal et grâce à une multitude d’activités annexes, à couvrir une bonne partie de ses besoins essentiels, mais qui se trouve presque toujours dans l’impossibilité de pouvoir dégager un surplus lui permettant de réinvestir productivement dans son exploitation et d’échapper progressivement aux tracas de l’insécurité quotidienne. La troisième regroupe les familles propriétaires qui ont encore la chance d’avoir entre 0.50 et 1.00 ha de terre en termes d’équivalent sawah49. C’est là que se trouve la paysannerie moyenne auto-suffisante dans le véritable sens du terme qui n’éprouve pas, sauf accident, de difficultés majeures à satisfaire ses besoins essentiels, et même parfois un peu plus superflus50, et peut dégager de manière assez régulière un surplus, en général réinvesti dans l’exploitation agricole elle-même, ou très souvent aussi dans l’éducation supérieure des enfants. Finalement, la quatrième et dernière catégorie n’englobe que les familles propriétaires ayant plus d’un hectare de terre en termes d’équivalent sawah. Bien que cela puisse surprendre le lecteur qui n’est pas familiarisé avec le contexte socio-agraire javanais, on a déjà à faire à la paysannerie aisée, voire riche, qui peut se permettre un certain luxe selon les standards villageois51, mais aussi agrandir son exploitation, thésauriser52 et prêter aux familles plus défavorisées à un taux d’intérêt substantiel. Encore une fois, cette typologie rigide ne constitue qu’un outil d’analyse destiné à pouvoir se faire une idée plus claire de la situation sociale villageoise, mais à ne manier qu’avec prudence, relativité et circonspection. Néanmoins, si on l’applique au cas de Tirtonirmolo et que l’on réduit les parcelles de pekarangan en termes d’équivalent sawah selon l’équation définie plus haut (0.5 S = 1.0 P), on découvre, avec une certaine stupéfaction, 69

que seulement 8.5 % des familles propriétaires du village sont situées au-dessus du seuil d’indépendance socio-économique et de sécurité psychologique.

17 Le tableau appelle plusieurs commentaires. Tout d’abord, on voit que le nombre de familles propriétaires de sawah, qui passent dans une catégorie foncière supérieure par appoint de pekarangan, n’est pas très élevé53. Cela est simplement dû au fait que la plupart des parcelles de pekarangan sont tellement minuscules, étant donné la densité de population du village, qu’elles ne peuvent en aucune façon jouer un rôle économique très déterminant54. Par ailleurs, on réalise aisément, vu l’importance numérique très faible des catégories de paysans riches (+ 1 ha) et moyens (0.5-1 ha) et la taille somme toute assez limitée de leurs exploitations55, que le phénomène de polarisation sociale est, relativement parlant, peu marqué à Tirtonirmolo. De fait, dans ce village où le pourcentage de familles sans terre n’est déjà que de 30.1 %, les 8.5 % des propriétaires qui sont au-dessus du seuil de 0.5 ha ne détiennent qu’environ 32 % de la superficie privée totale de pekarangan et de sawah, les 91.5 % qui sont au-dessous se partageant les 68.9 % restant. Il reste tout de même très surprenant de constater que la vaste majorité des familles situées au-dessous de ce seuil ne font même plus partie de la catégorie des petits paysans marginaux (0.25-0.50 ha), mais ont déjà intégré celle des petits paysans sub- marginaux (-0.25 ha). Les différentes tendances et les facteurs corrélatifs qui existent entre-elles se retrouvent au niveau des quatre hameaux étudiés plus en profondeur. Toutefois, le tableau 1.4 ci-contre confirme la situation sociale sensiblement plus favorable de Mrisi et dans une moindre mesure de Dongkelan Kauman par rapport à Padokan Lor et surtout à Jogonalan Lor. 70

18 Si l’on se rapporte aux définitions des quatre catégories foncières telles qu’elles ont été données plus haut, cela signifie, pour le village pris dans son ensemble, que sur 10 familles de paysans propriétaires, 9 doivent obligatoirement recourir à des activités annexes pour tenter de joindre les deux bouts et 7 n’y arriveront probablement pas, même en faisant cela. Qu’en est-il vraiment et, si tel est le cas, qu’advient-il alors des familles sans-terre qui, a priori tout du moins, semblent être dans une situation encore moins enviable, pour autant que cela soit possible.

Occupation principale et activités annexes

19 Dans la sphère villageoise javanaise, les problèmes d’emploi sont d’une extrême complexité. Les définitions classificatrices s’avèrent très rapidement être de grossières simplifications de la réalité. Il n’est, par exemple, pas possible de tracer une ligne bien tranchée entre la paysannerie moyenne autosuffisante, qui n’aurait aucune activité annexe à côté du travail sur l’exploitation familiale, et la petite paysannerie marginale, qui en aurait une multitude. En fait, c’est même bien souvent plutôt le contraire qui se produit, les familles les plus aisées ayant tendance à diversifier leurs activités économiques du simple fait qu’elles disposent du capital de base nécessaire à l’investissement initial, alors que les plus pauvres n’ont souvent pas d’autre alternative que de louer leur force de travail. Par ailleurs, il n’est pas rare que, pour de nombreuses familles de paysans marginaux et sub-marginaux peinant sur des exploitations agricoles microscopiques, les activités annexes aient tendance à devenir plus importantes en termes de revenu monétaire que l’occupation principale et à se substituer à cette dernière en fin de compte. II arrive même que cela soit le cas pour des familles de paysans moyens, voire riches. Vu la diversité des situations, le plus simple consiste à passer en revue toutes les activités professionnelles, autres que celle de paysan propriétaire exploitant, 71

habituellement exercées dans le village et à déterminer dans quelles conditions elles deviennent principales ou demeurent annexes.

20 Commençons par la plus prestigieuse de toutes qui consiste à faire partie du corps des fonctionnaires de l’administration villageoise et qui, du fait que ces élus locaux sont rémunérés pour leurs services en se voyant octroyer un droit d’usage sur une parcelle de terre publique pendant tout le temps de leur mandat, s’avère également être l’une des plus lucratives. A Tirtonirmolo, il y a en tout et pour tout 29 officiels villageois56 qui jouissent de l’usufruit de sawah public dont la superficie varie entre 3.5 ha pour le chef du village et 0.65 ha pour le moins bien loti des chefs de hameaux57. Ainsi, tous sans exception font au minimum partie de la paysannerie moyenne et certains d’entre eux, le chef du village en tout premier lieu, sont même bien plus riches que le plus riche des paysans propriétaires. Cela prouve que dans les villages du Kejawèn, il est paradoxalement parfois plus intéressant d’être un simple possesseur de terre qu’un petit propriétaire foncier58. Comme ce sont normalement les personnalités influentes, jouissant d’un minimum de popularité auprès de la population villageoise, qui sont élus à ces fonctions59 et qu’il y a, en général, une corrélation relativement étroite entre prestige socio-politique et pouvoir économique dans le monde rural indonésien60, les fonctionnaires villageois sont très souvent déjà propriétaires d’une parcelle privée sawah, même si la plupart du temps elle est d’une taille beaucoup plus restreinte que celle du domaine public qui leur est allouée61.

21 Même s’ils étaient simples paysans propriétaires exploitant auparavant, c’est leur travail de fonctionnaire qui devient l’occupation principale une fois qu’ils ont été élus, pour la bonne et simple raison qu’ils sont théoriquement astreints aux horaires de bureau de l’administration publique62. Certains d’entre eux continuent d’ailleurs, par intérêt ou par goût, à s’occuper personnellement d’au-moins une partie de leur sawah pendant les heures libres63, leur ex-occupation principale devenant ainsi activité annexe, mais la plupart, pour diverses raisons, n’y mettent pas les pieds64. Ils préfèrent louer leur terre à l’année soit à la raffinerie sucrière, soit à un ou plusieurs métayers pour s’adonner essentiellement à d’autres activités annexes, par exemple, de type commercial. Leurs revenus sont alors moindres, mais leurs soucis aussi. D’un autre côté, ils offrent ainsi la possibilité à quelques ouvriers agricoles ou paysans sub-marginaux de pouvoir mieux joindre les deux bouts. C’est là un luxe que les autres catégories de fonctionnaires travaillant pour l’administration publique ou pour des entreprises mixtes et privées ne sont pas en mesure de s’offrir vu que, contrairement aux cadres villageois, ils sont tout simplement salariés et que leurs salaires mensuels excédaient très rarement 10 000 rupiah (Rp) en 1972/7365. S’ils ont la chance d’être propriétaires d’une parcelle de sawah, si petite soit-elle, ils la mettent donc en valeur eux-mêmes, en tant qu’activité annexe, en dehors des heures de travail consacrées à leur occupation principale. Sinon, ils essayent eux aussi d’en louer une et de la travailler comme métayers.

22 Le seul problème en ce qui concerne le métayage dans un village comme Tirtonirmolo, est qu’il y a une multitude de candidats amateurs de terres à louer pour un nombre infime de parcelles disponibles. Pour ces raisons, il n’y avait en tout et pour tout que 67 métayers66, à temps partiel ou complet, en 1972/73 à Tirtonirmolo. Etant donné les conditions d’un marché où la demande de sawah excède de beaucoup l’offre, on peut les considérer comme de véritables privilégiés. D’ailleurs il n’y a pas de marché dans le sens où on l’entend habituellement et la plupart de ces métayers ont dégoté la parcelle qu’ils travaillent par relation personnelle avec son propriétaire, qu’elle soit d’ordre familial, 72

amical ou semi-féodal (patron-client)67. Les conditions de location n’en sont pas moins dures pour autant puisqu’en règle générale tous les frais d’investissement sont à charge du métayer qui donne au propriétaire la moitié de la récolte68. De plus, l’affaire entre les deux partenaires se faisant sur la base d’un accord verbal tacite et non pas d’un contrat officiel, écrit et enregistré, le locataire n’a aucune des garanties juridiques qui lui permettraient d’atteindre un seuil minimum de sécurité psychologique69. Il est encore moins question de parler d’indépendance socio-économique vu que pour atteindre le seuil que nous avons défini un métayer devrait travailler au bas mot 1 ha de sawah et que, sauf cas exceptionnel, la superficie des parcelles louées varie entre 500 et 1 000 m2 ! Dans de telles conditions, si le métayage peut, à la limite, constituer une activité annexe pour quelques paysans marginaux et sub-marginaux, ainsi qu’à une poignée de fonctionnaires salariés sans terre, on voit mal comment il peut devenir l’occupation principale de familles qui n’ont ni terre, ni salaire. Par conséquent, aussi bien pour la multitude de ceux qui ont toujours besoin de trouver une activité annexe, que pour la masse de ceux qui n’ont pas encore d’occupation principale, il ne reste de toute évidence qu’une seule alternative majeure : louer leur force de travail. Or, là aussi, les places sont chères.

23 Travailler, d’une manière régulière, comme ouvrier agricole70 dans le village n’est possible que s’il y a un nombre suffisamment important de paysans propriétaires exploitants ayant une parcelle de sawah assez grande pour devoir faire appel à de la main- d’œuvre extérieure au moment des gros travaux71. Etant donné que l’immense majorité d’entre eux sont des petits paysans marginaux et surtout sub-marginaux qui n’arrivent même pas à vivre de leur terre et sont par conséquent en quête permanente de revenus additionnels, la demande ne risque pas d’épuiser l’offre de main-d’œuvre. Par ailleurs, l’utilisation de plus en plus répandue des nouvelles variétés de paddy a, comme nous le verrons plus loin, des conséquences extrêmement fâcheuses sur l’emploi, en particulier celui des femmes. Tout cela ne contribue évidemment pas à stimuler la hausse des salaires journaliers qui pour six à huit bonnes heures de labeur dans le sawah72 variaient entre 50 et 100 Rp, selon la nature du travail accompli, en 1972/7373. En fait, avoir l’aubaine de pouvoir compter sur quelques jours de travail assuré chaque mois dans les sawah d’autrui devient également un privilège social qui ne peut résulter que de l’entretien d’un réseau de relations de type semi-féodal avec plusieurs propriétaires fonciers, dont on devient le prolétaire attitré. En deux mots : beaucoup de candidats, très peu d’élus.

24 Heureusement que d’un autre côté il y a la raffinerie sucrière, dont une grande partie du personnel d’ouvriers permanents74 se recrute dans les hameaux avoisinants et qui embauche de surcroît régulièrement des travailleurs journaliers75, surtout au moment des récoltes de canne. Ceci dit, elle ne peut naturellement pas fournir du travail à tous ceux qui en cherchent. Alors que font-ils ? Les plus doués et les plus débrouillards s’imposent comme artisans menuisiers-charpentiers76, un travail plus spécialisé qui rapportait 150 Rp par jour en 1972/73 ; ou alors ils montent un petit kiosque-boutique77 que tient leur femme78 où l’on peut acheter les cigarettes kretek une par une79 et le sel par paquets de dix grammes ; ou bien encore, ils mettent sur pied un petit élevage de canards, animal providence qui avale toutes les saletés qui traînent dans le sawah et produit des œufs très appréciés sur le marché80. Les autres font des paniers ou des nattes en bambou, travaillent le cuir81 et enduisent les batik de cire, à domicile, pour le compte d’entreprises de la ville, toutes activités rapportant rarement plus de 50 Rp par jour ou alors ils accomplissent mille petites travaux dans le hameau, la femme cousant82, cuisinant83, vendant84 et les enfants gardant les trois moutons du voisin, les canards, les petits frères et sœurs ou 73

pêchant dans la rivière85. Finalement, s’il y a vraiment pas moyen de gagner trois sous dans le village, on va en ville à pied et l’on travaille à casser des cailloux sur la route, ou, si l’on est assez costaud, à trimbaler les touristes et les citadins dans les triporteurs, sur lesquels on s’use la santé pour un bénéfice net excédant très peu souvent 100 Rp par jour ou par nuit86. On fait un peu de tout cela à la fois, un jour ouvrier, le lendemain vendeur, le troisième artisan, combinant ainsi à l’infini des gains microscopiques et enfilant inlassablement le chapelet des jours de l’année sans jamais savoir comment l’on nourrira sa famille en se levant chaque matin à l’aube. Il n’est bien sûr plus question d’occupation principale et d’activités annexes : toutes sont principales et toutes sont annexes à tour de rôle, au gré des circonstances.

25 Un admirable petit peuple, animé d’une hargne tranquille et émouvante, a mis au point et amélioré en permanence une stratégie de survie faite de trouvailles géniales et de détails imperceptibles. On comprend dès lors qu’essayer de répartir la population de cette fourmilière dans des catégories d’activités bien déterminées ne soit pas un exercice de tout repos. Il est pourtant indispensable si l’on veut acquérir une idée globale de la situation, des tendances, des lignes forces et des potentialités. Vu qu’il n’existe aucune statistique de ce type dans les archives du village, nous avons essayé de combler au moins partiellement le vide en recensant dans chacun des quatre hameaux étudiés en détail l’occupation principale de tous les chefs de famille87.

Le tableau I.5. regroupe les résultats de cette enquête88.

26 Le plus surprenant est de relever le faible nombre de chefs de famille propriétaires exploitants. Il faut d’ailleurs, pour qu’il soit pleinement significatif, le comparer dans chaque hameau à celui des propriétaires fonciers ayant accès au sawah89. On comprend alors pourquoi il y a une telle différence entre Mrisi et Jogonalan par exemple90. Cependant la corrélation la plus essentielle semble être liée à la superficie du sawah 74

puisque c’est également à Mrisi qu’il y a le moins de paysans sub-marginaux et le plus de paysans situés au-dessus du seuil d’indépendance socio-économique et de sécurité psychologique. En d’autres termes, cela signifie qu’il y a un nombre important de tout petits propriétaires qui, vu la taille microscopique de leur sawah, estiment plus rentable d’exercer une autre occupation principale que celle d’exploitant agricole. A Jogonalan et Padokan, les deux hameaux les plus perturbés par la construction de Madukismo, beaucoup trouvent un emploi comme petit fonctionnaire salarié ou ouvrier permanent de la raffinerie sucrière, alors qu’à Dongkelan, hameau particulier à plus d’un titre comme nous le verrons plus loin, c’est le travail du bois et surtout du batik qui prédomine91. Ceux de ces petits propriétaires qui en ont le temps mettent en valeur eux-mêmes leurs micro- sawah en tant qu’activité annexe, mais le plus souvent les horaires de travail auxquels ils sont astreints pour assurer le revenu quotidien maximum à leur famille les en empêche. Ce seront alors leurs femmes, leurs enfants, un de leurs frères, cousins ou oncles, qui s’en chargeront, au besoin en faisant appel périodiquement à de la main-d’œuvre salarié pour les gros travaux, mais toujours dans la mesure où ils n’ont pas accès à un type d’activité plus productive. Comme c’est souvent le cas92, il ne leur reste plus qu’à louer leur sawah à des voisins qui n’ont rien de plus rentable à faire et qui sont prêts à le travailler comme métayers. Cependant, la plupart du temps, ils préfèrent encore le louer directement à la raffinerie sucrière qui leur garantit une rente monétaire fixée à l’avance sans qu’ils aient à encourir un risque quelconque. Certaines de ces tendances ressortent clairement du tableau. I.6 qui fait le point de la situation en ce qui concerne les activités annexes de tous les chefs de famille actifs des quatre hameaux étudiés en détail. On y voit, en effet, que le pourcentage des fonctionnaires ou même des paysans en ayant une est autrement plus important que celui des ouvriers93. Ces derniers sont donc doublement désavantagés puisque, étant déjà obligés de louer leur force de travail pour subvenir aux besoins essentiels de leur famille, ils sont par-dessus le marché dans l’impossibilité de dégager le temps libre nécessaire à l’exercice d’une activité d’appoint. Par ailleurs, du fait qu’ils constituent l’immense majorité, le pourcentage moyen des chefs de famille exerçant effectivement une activité annexe se retrouve être fort bas à Tirtonirmolo94. 75

27 Malgré leur caractère partiel, ces deux tableaux donnent une idée relativement précise de la situation de l’emploi en 1973 à Tirtonirmolo, puisqu’ils portent sur plus d’un tiers des chefs de famille du village. Ils montrent avant toute autre chose que dans une société paysanne parcellaire aussi achevée, il y a bien peu de place pour les métayers ou les ouvriers agricoles et que les sans-terre et les paysans sub-marginaux n’obtiennent des emplois que grâce à la forte diversification de l’économie villageoise liée d’un côté aux activités de la raffinerie sucrière et de l’autre à la proximité de la ville95. Ils permettent également de commencer à se faire une idée sur le degré de raffinement des stratégies de survie élaborées par les familles villageoises les plus pauvres, qui consistent à toujours répartir le maximum du temps de travail disponible sur les activités les plus productives. Toutefois, ils sont totalement insuffisants si l’on veut essayer de pénétrer plus avant dans la logique interne de cette mécanique sociale, vu qu’ils ne concernent que l’activité des chefs de famille. Il est indispensable pour cela de ne pas hésiter à se lancer dans la micro- économie d’un échantillon de familles représentant à la fois les principales catégories sociales existant à Tirtonirmolo et les combinaisons d’occupations principales et d’activités annexes qui y sont les plus fréquentes. Or, il est impossible de pouvoir le faire sans aborder auparavant certains aspects économiques, sociaux et politiques plus globaux de la vie du village.

NOTES

1. Le village de Tirtonirmolo et la ville de Yogyakarta partagent d’ailleurs une frontière commune sur quelques centaines de mètres. 2. Connus sous le nom becak, ils font partie intégrante du paysage urbain javanais. 3. Appelés grobag, ils sont indissociables du paysage rural du Kejawèn. 4. Il arrive encore parfois que ces oplet soient de vieilles station-wagon américaines des années 50, qui brinquebalent de toute part et avancent « en crabe » sur les routes du fait de leur châssis faussé. Toutefois, depuis quelques années, ce sont principalement les mini et micro-bus japonais qui sont utilisés comme taxis collectifs dans toute l’Indonésie. 5. Diminutif par lequel les gens se réfèrent en général à Yogyakarta. 6. Les jardins entourent et abritent, en effet, l’habitat rural à Java. De ce fait, toute vue aérienne, photographie ou carte détaillée, donne une première idée assez précise de la pression démographique ambiante et du rapport homme/terre. Nous reviendrons ultérieurement en détails sur cet élément essentiel et par trop sous-estimé de l’écosystème javanais. Vu la fréquence avec laquelle nous nous y référerons, tout au long de cette étude, nous utiliserons désormais exceptionnellement le mot indonésien de pekarangan dans le texte. 7. Ces champs en eau peuvent être soit inondés, soit irrigués. Ce sont en fait les rizières humides, les wet ricefields des anglais, dans lesquelles il est possible de pratiquer d’autres cultures comme la canne, l’arachide, le soya ou le maïs. Comme pour les jardins, nous utiliserons désormais dans le texte le mot indonésien de sawah en ce qui les concerne. 8. A ce sujet voir SELOSOEMARDJAN, Social changes in Jogykarla, op. cit., pp. 87-99. 9. Kelurahan en indonésien ou kalurahan en javanais. 10. Pedukuhan, également abrégé dukuh. 76

11. Excepté pour quelques buttes de champs secs ou tegalan qui se trouvent entre Padokan et Mrisi, à l’ouest de la raffinerie. 12. Selon la « Detailed reconnaissance soil map of Yogykarta Province » établie par le Lembaga Penelitian Tanah de Bogor en 1971, les sols de Tirtonirmolo seraient en fait essentiellement des régosols gris et gris-bruns. 13. Composé de tirta (eau) et nirmâlâ (pure, sacrée, parfaite). Toutes les explications étymologiques de toponymes javanais, qui sont données au fil des chapitres de cette étude, sont basées sur le remarquable ouvrage de ELINOR C. HORNE, Javanese-English Dictionary, New Haven and London, Yale University Press, 1974, 728 pages. 14. Dans tout village indonésien, les canaux d’irrigation sont, en général, classés en trois catégories majeures. Les canaux primaires et secondaires constituent les principaux vecteurs de captage et de distribution. Ils sont habituellement cimentés sur une partie importante de leur longueur et ont une largeur variant entre 5 et 8 mètres. Ouvrages techniques coûteux, leur construction et leur entretien est du ressort de l’administration régionale qui, du village à la province, est reliée au Ministère compétent, en l’occurrence celui des Travaux Publics. Par contre les canaux tertiaires destinés à la distribution « fine » sont construits et entretenus par les paysans travaillant les sawah qu’ils alimentent selon un principe d’entraide mutuelle (gotong royong). Ils sont la plupart du temps en terre battue et leur largeur n’excède pas 2 mètres. Les canaux quaternaires sont les petites rigoles d’alimentation et d’évacuation que chaque propriétaire de sawah creuse lui-même. Sur les 34 095 mètres de canaux en service à Tirtonirmolo, il y a 2 365 m de canaux primaires, 4 815 m de canaux secondaires et 26 915 m de canaux tertiaires. 15. Il est certain que depuis la période coloniale, le système d’irrigation a toujours tendu à être meilleur dans les régions de Java où les compagnies sucrières étaient installées et possédaient, réquisitionnaient ou même louaient régulièrement les sawah. Voir à ce sujet l’excellent article exhaustif de ANNE BOOTH, « Irrigation in Indonesia - Part 1 », Bulletin of Indonesian Economic Studies, Vol XIII, N° 1, March 1977, p. 45. Par ailleurs, la présence de la raffinerie sur le territoire étant une source de revenus importante pour Tirtonirmolo, elle lui permet sans aucun doute de mieux avoir les moyens financiers d’entretenir un réseau d’irrigation que n’importe quel autre village du district. 16. Il est toutefois en général reconnu par les paysans de Tirtonirmolo que le sud du village jouit de conditions hydrauliques et pédologiques sensiblement meilleures que le nord, les rendements agricoles y étant par conséquent légèrement plus élevés. Cela explique certaines des différences existant entre des hameaux comme Mrisi et Dongkelan, ainsi que nous le verrons plus loin. Par ailleurs, si l’irrigation est globalement très satisfaisante, les problèmes sont plus nombreux et délicats au niveau du drainage, facteur qui n’est pas sans avoir une incidence assez grande sur les différences de productivité d’un sawah à l’autre. 17. A vrai dire, exactement 464.005 hectares. Bien que chaque mètre carré ait réellement une importance fondamentale dans les villages surpeuplés de Java, nous avons arrondi tous les chiffres de superficie à la décimale la plus proche après la virgule dans l’ensemble de cette étude afin de ne pas alourdir un texte déjà suffisamment dense et truffé de statistiques. 18. Le résidu est occupé par les routes et chemins (6.6 ha), les cimetières (kuburan) et mosquées ( mesjid) (4.6 ha), et les Terres du Sultanat (Sultanen Gronden) (3.0 ha). 19. CLIFFORD GEERTZ, Agricultural involution, op. cit.. 20. La carte du village n’ayant jamais été faite depuis sa fondation, en 1946, nous avons demandé à un assistant de la Faculté de Géographie de l’Université Gadjah Mada de bien vouloir la reconstituer en « re-collant » bout à bout sur sa planche à dessiner celles de Bekelan, Mrisi et Padokan, les trois anciens villages amalgamés pour former Tirtonirmolo lors de la réforme administrative. Cela nous a d’ailleurs permit d’en offrir une copie au bureau du village qui n’en possédait pas encore dans ses archives. 77

21. Dont la construction commencée en 1956 par les Allemands de l’Est ne fut achevée qu’en 1958, un an après les délais prévus. Cela n’est pour Madukismo que le début d’une série d’avatars sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir ultérieurement. Sur la carte du village, on voit nettement l’extension de la surface occupée par l’usine. 22. Qui sont respectivement de 1.1 % et de 1.3 % par an, entre 1961 et 1971. Une étude récente dans laquelle ont été relevés les taux de croissance de la population des villages situés sur les principaux axes routiers rayonnant autour de Yogya confirme d’ailleurs ce phénomène puisque, pendant la même décennie 61/71, celui de Tirtonirmolo se révèle être de 1.6 %, chiffre toujours nettement plus élevé que ceux de la province ou du district et probablement plus proche de la réalité que les 2.67 % indiqués dans le texte qui suit, calculés sur une période de temps trop brève pour être significative. Voir à ce sujet PETER F. MCDONALD & ALIP SONTOSUDARMO, Response to population pressure : The case of the Special Region of Yogyakarta, Yogyakarta, Gadjah Mada University Press, The Population Institute, 1976, 103 p. 23. Il est d’ailleurs intéressant de noter que 2 des familles qui se sont installées à Tirtonirmolo en 1972 vivent dans le hameau de Padokan Kidul où se trouve précisément le campus résidentiel de la raffinerie. Cette dernière employait en 1973 un staff de 68 cadres supérieurs, logés pour la plupart sur place par ses soins, et de 808 employés subalternes et ouvriers. 24. Il a déjà, en effet, été prouvé par des sociaux-démographes, ayant travaillé sur ces questions en Indonésie, qu’il y avait une corrélation positive entre niveau de vie et fertilité. Voir à ce sujet VALERIE J. HULL, The positive relation between economic class and family size in Java, Yogyakarta, Gadjah Mada University, The Population Institute, 1976, 115 p. 25. Très exactement 28.8 % à Mrisi, 29.7 % à Padokan Lor et 29.6 % à Dongkelan Kauman. 26. Voir à ce sujet : PETER MCDONALD and ALIP SONTOSUDARMO, Response to population pressure, op. cit., p. 41. 27. Ibid, p. 54 et 26-32. 28. La pression démographique atteint un tel degré d’acuité que l’homme est en concurrence directe avec le cheptel animal pour l’occupation du sol, comme nous aurons l’occasion de le voir en détails plus loin. 29. Si l’on s’en tient à la définition donnée par le Petit Robert, arable signifie cultivable et, par conséquent, non-arable, incultivable. Etant donné la variété des catégories de terres que l’on trouve dans les huit villages étudiés, il a été nécessaire, pour notre propos, d’aller un pas plus loin en distinguant les terres naturellement non-arables (pentes escarpées, arides ou rocailleuses, connues sous le nom de oro-oro, sols sablonneux formant une partie des terres adjacentes aux rivières, dans les méandres que forment celles-ci, appelés wedikengser, superficies couvertes par les cours d’eau ou les mares et étendues de forêts n’ayant pas été plantées dans un but d’exploitation systématique, mais parce que les sols sous-jacents sont simplement impropres à toute autre forme de croissance végétative), les terres techniquement non arables (surface dévolue aux habitations dans le pekarangan de chaque village, terres couvertes par les bâtiments communaux, les écoles et les usines ou par les routes, les chemins villageois et les terrains de sport) et les terres socialement, juridiquement ou même culturellement non arables (surfaces occupées par les mosquées, les églises, les temples et les cimetières ou terres propriété du sultanat appelées Sultanen Gronden). 30. Ce chiffre s’obtient en déduisant de la superficie totale du village égale à 464 hectares, les 42.23 hectares de terres non directement productives déjà mentionnées et occupées par la raffinerie (28 ha), les cimetières ou kuburan (4.36 ha), les routes, chemins et autres (6.61 ha), les mosquées ou mesjid (0.24 ha) et les Sultanen Gronden (3.01 ha) ainsi qu’une surface de 22.65 hectares de pekarangan représentant le terrain occupé par les 2 265 maisons que comptait le village en 1972, à raison d’une moyenne de 100 m2 par habitation. 31. Il y a de fait une corrélation très étroite entre la survivance de cette pratique et l’intensité du phénomène d’indianisation. C’est ainsi qu’à Java, on la retrouve sous sa forme la plus achevée 78

dans le Kejawèn, siège des grands royaumes agraires pré-islamiques, alors qu’elle n’est déjà plus que partielle sur le Pasisir et dans le Oost Hoek et qu’elle disparait dans la partie la plus occidentale du pays Sunda. Elle est également entièrement inconnue à Sumatra. Voilà qui non seulement confirme partiellement la pertinence de l’analyse « geertzienne » mais prouve une nouvelle fois la nécessité absolue d’aborder les problèmes de développement contemporain dans une optique historique et culturelle. 32. Ces terres sont connues sous le nom de bengkok ou lungguh. Les officiels élus qui se les voient attribuer en ont un droit d’usage limité dans le temps, mais elles sont bien évidemment inaliénables et intransmissibles. 33. Ces terres sont connues sous le nom de pengarem-arem. Le droit d’usage de la personne qui s’en voit attribuer une part s’éteint à sa mort. Elles reviennent alors dans le patrimoine commun du village et sont allouées à une autre personne ayant servi la communauté villageoise. 34. Ces terres connues sous le nom de kas desa sont la propriété du village en tant qu’entité administrative autonome et sont gérés par les élus locaux. Les revenus provenant de leur exploitation sont utilisés à des fins collectives (achat de matériel pour le bureau du village ou de matériel agricole utile à toute la communauté, etc.). 35. On ne retrouve ces trois catégories au grand complet que dans les villages du Kejawèn, comme cela a été indiqué plus haut. Dans les autres, où la pratique subsiste mais sous une forme incomplète, c’est en règle générale le lungguh seulement qui a été conservé ou même institué pour des raisons sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir. 36. Le sawah public se répartit de la manière suivante : 36.42 ha de lungguh, 7.88 ha de kas desa et 6.60 ha de pengarem-arem. Il est intéressant de noter qu’en 1931 l’addition des terres publiques des trois anciens villages qui ont été réunis pour former Tirtonirmolo couvrait 63.28 ha de sawah et 4.17 ha de tegal. Le sawah se décomposait en 42.74 ha de lungguh, 10.31 ha de pengarem-arem et 10.23 ha de kas desa. Il est fort probable qu’une partie du domaine communal a été vendu pour le compte du village lors de la construction de Madukismo en 1956, ce qui expliquerait cette diminution assez importante. C’est également selon toute vraisemblance ce qui s’est passé pour les Sultanen Gronden dont la superficie est passé de 7.6 à 3 ha entre 1931 et 1972. Peut-être, est-ce la pression démographique croissante qui a fait que dans le même laps de temps la superficie occupée par les cimetières (kuburari) soit passée de 5.17 à 4.36 hectares. On peut très bien comprendre que lorsqu’il n’y a pas de place pour les vivants, les morts puissent se serrer un peu pour la leur faire ! 37. Soit en moyenne 4.8 personnes par famille. 38. Le tegal joue un rôle insignifiant à Tirtonirmolo, mais dans d’autres villages il sera nécessaire d’en tenir également compte. 39. Nous classons dans la catégorie de ceux qui doivent louer partiellement ou entièrement leur force de travail pour permettre à leur famille de subsister aussi bien les villageois travaillant comme métayers (tani-buruh) ou ouvriers agricoles (buruh-tani) et autres (buruh) que ceux employés et salariés par l’administration publique (pegawai negeri) ou par des entreprises privées (pegawai swasta). Seuls échappent en fait à cette catégorie ceux qui travaillent pour leur propre compte comme les petits vendeurs (bakul) ou les petits artisans indépendants (tukang). Les fonctionnaires villageois (pamong desa) font, quant à eux, partie d’une catégorie à part sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir en détails plus loin. 40. Le calcul de ces seuils de pauvreté, qui est très à la mode dans certains milieux développementistes n’a qu’un intérêt scientifique des plus discutables pour ce qui est de l’étude des sociétés rurales non-occidentales. C’est par contre un exercice qui peut s’avérer utile en ce qui concerne la sensibilisation de l’opinion publique occidentale sur les questions d’aide au développement et de solidarité internationale. 41. A Tirtonirmolo, les rendements rizicoles tournent comme nous le verrons plus loin autour de 5 tonnes de paddy (padi kering giling) à l’hectare, ce qui, si l’on emploie la conversion officielle du 79

Ministère de l’Agriculture (100 : 52), donne 2 600 kilos de riz décortiqué (beras). Du fait que les conditions d’irrigation permettent de faire au moins deux récoltes de riz chaque année, une famille paysanne propriétaire d’un demi-hectare de sawah produira donc 2 600 kilos de riz décortiqué par an. En 1973, le kilo de riz de qualité n° 2 a atteint le prix moyen de 76 rupiah sur le marché de Yogyakarta. Cela donne donc à notre paysan un revenu annuel brut de 197 600 rupiah, soit légèrement plus de 477 dollars américains au taux de change pratiqué en 1973 (1 US $ = 414 Rp). Il ne commercialise évidemment pas tout son riz. A raison d’une ration moyenne de 350 grammes par jour et par personne, la famille auto-consomme environ 650 kilos par an, auquel il faut ajouter 100 kilos pour les semences, ainsi que pour les fêtes (), invitations, cadeaux et autres obligations socio-culturelles. Il lui reste donc un surplus commercialisable de 1 850 kilos de riz soit environ 140 000 Rp. Pour simplifier les choses, nous assumons que cette famille n’a pas recours à une main-d’œuvre extérieure salariée pour exploiter son sawah. Par contre, elle doit débourser environ 20 000 Rp par an pour l’achat des engrais et des pesticides qui lui permettent d’obtenir un tel rendement. Il lui reste en fin de compte 120 000 Rp par an, soit 10 000 Rp par mois, l’équivalent de moins de 25 dollars US. Une famille de cinq personnes dépense approximativement la moitié de cette somme chaque mois pour couvrir les frais d’éducation des enfants, payer les taxes et contributions locales et acheter les biens de première nécessité qu’elle ne produit pas (savon, tissu, huile, sel, sucre, etc.). Les 5 000 Rp restantes sont la garantie de l’indépendance socio-économique et de la sécurité psycholoque de la famille. S’il n’y a pas d’événement contraire majeur, du type mauvaise récolte ou maladie, ils sont épargnés et à terme utilisés pour améliorer l’habitat ou pour acheter des biens plus luxueux et coûteux, comme une lampe à pétrole, une radio ou une bicyclette, les trois signes extérieurs de richesse habituels d’une famille de paysans moyens. 42. Nous nous référons, en tout premier lieu, à DAVID H. PENNY and MASRI SINGARIMBUN, Population and Poverty in rural Java : some economic arithmetic from Sriharjo, Ithaca, New York, Cornell University, Department of Agricultural Economics, Cornell International Agricultural Development, Mimeograph 41, May 1972,115 p. Tous deux fixent à 1 200 kilos par an la quantité de riz nécessaire pour qu’une famille de 5 personnes puisse subvenir à ses besoins essentiels, alimentaires et autres. Cela correspond dans leur esprit à la notion populaire de « cukupan » qui signifie littéralement « avoir suffisamment, mais tout juste ». Ils définissent donc plutôt un seuil de subsistance minimum qui est beaucoup plus restrictif que celui que nous utilisons dans ce travail. Or, d’une manière assez surprenante, ils estiment que la limite de propriété foncière garantissant un état de « cukupan » est de un hectare de sawah le double de la nôtre. Cela s’explique du fait qu’ils basent leurs calculs sur des conditions d’irrigation ne permettant pas une double récolte annuelle et sur des rendements bien trop bas. Comme le note, à juste titre, ALAN STROUT, dans un article de revue concernant leur ouvrage (BIES, Vol. X, N° 2, July 1974, pp. 125-135), dans les conditions d’irrigation et de technologie agricole qui sont celles de Sriharjo aujourd’hui, 0.26 ha de sawah sont suffisant pour atteindre le « cukupan » tel qu’ils l’ont défini. C’est donc deux fois moins que ce que nous proposons mais, une nouvelle fois, cela correspond à une définition beaucoup plus restrictive. 43. Il faut pour cela choisir dans un seul hameau un échantillon de familles possédant des pekarangan de surface variable et comptabiliser pendant toute une année les fruits, légumes et tubercules vendus ou autoconsommés. C’est là le sujet d’une recherche en soi. Globalement, on peut indiquer que le recensement de tous les arbres du village a donné, en 1972 : 10 076 cocotiers (pohon kelapa), 1 649 jaquiers (nangka), 1 653 mlindjo, 300 orangers (pohon jeruk), 195 sawo, 171 blimbing, 155 manguiers (pohon mangga), 73 arbres à pain (sukun), 25 rambutan, 19 durian — le fruit le plus apprécié, le plus cher et le plus nauséabond de toute l’Insulinde — et d’innombrables goyaviers (Jambu). On voit donc, par exemple, que chaque famille propriétaire de pekarangan possède en moyenne 6 cocotiers. 80

44. Outre PENNY et SINGARIMBUN, op. cit., qui se sont également intéressés au pekarangan, on doit la contribution la plus intéressante dans ce domaine à : ANN STOLER, « Garden use and household economy in rural Java », Bulletin of Indonesian Economic Studies, Vol. XIV, N° 2, July 1978, pp, 85-101. 45. Cela correspond à une équation 0.5 S = 1.0 P. PENNY et SINGARIMBUN, op. cit., utilisent une équation 1.0 S = 1.0 P mais d’une part, ils sous-estiment la productivité du sawah (S) comme cela a été indiqué plus haut et d’autre part, nous tendons à penser que la productivité du pekarangan (P) est sensiblement plus élevée à Sriharjo, où les villageois ont l’habitude de produire du sucre de cocotier (gula kelapa), qu’à Tirtonirmolo, où ce n’est pas le cas. ANN STOLER, op. cit., estime que dans le village du district voisin de Kulon Progo où elle a mené sa recherche, la productivité du pekarangan varie, en termes monétaires, entre 112 000 et 367 400 Rp par hectare chaque année. A Tirtonirmolo, nous avons fixé cette productivité annuelle à la source moyenne de 200 000 Rp par hectare. Il faut noter que l’on ne parle ici que de productivité en termes monétaires, car si l’on prend en considération le temps de travail investi, il est certain que le pekarangan a une productivité de loin supérieure au sawah. 46. Nous aurions néanmoins, quant à nous, tendance à continuer de penser que dans l’esprit d’un paysan javanais, la propriété d’un hectare de sawah est, pour des raisons d’ordre socio-culturel, autrement plus valorisée que celle d’un hectare de pekarangan. 47. Par exemple, une famille moyenne qui a 0.3 ha de sawah et 0.4 ha de pekarangan arrive, par combinaison des deux selon l’équation 0.5 S = 1.0 P, juste au seuil d’indépendance socio- économique et de sécurité psychologique, soit une propriété foncière équivalente à 0.5 ha de sawah. 48. En fait, pour les besoins de la catégorisation statistique, entre 2 500 et 4 999.9 mètres carrés. 49. Pour les mêmes raisons que précédemment, entre 5 000 et 9 999.9 mètres carrés. 50. C’est à partir de cette catégorie de paysans moyens que les familles villageoises commencent à pouvoir se permettre des maisons entièrement en dur (murs en briques, toit en tuiles et sol en ciment). Par ailleurs, elles possèdent également en général une radio, une ou deux bicyclettes, ainsi que plusieurs lampes à pétroles. 51. Dans ces familles de paysans aisés, les maisons sont plus spacieuses et surtout mieux aménagées. De plus, c’est dans cette catégorie que l’on trouve aussi la majorité des propriétaires des petites motos japonaises, si populaires en Indonésie et dans tous les autres pays d’Asie du Sud Est. 52. Dès qu’ils le peuvent, les Javanais transforment leurs petites économies en or, auquel ils accordent, à juste titre d’ailleurs, une plus grande confiance. On peut acheter la plus infime quantité de métal jaune dans les innombrables boutiques spécialisées (toko mas) que compte toute petite ville de district. 53. 163 (316-153) de la première catégorie à la seconde, 98 (132-34) de la seconde à la troisième et 8 (16-8) de la troisième à la quatrième. 54. En fait, 63% des propriétaires de pekarangan ont des parcelles dont la superficie est inférieure à 1 000 m2. Cela est juste suffisant pour construire la maison et planter quelques arbres fruitiers dont la production n’est en général pas commercialisée. 55. D’après les statistiques officielles, fournies par le bureau du village, il n’y avait à Tirtonirmolo aucun propriétaire de sawah possédant plus de deux hectares par exemple. Il semble pourtant que ce soit le cas, puisque nous sommes tombés dans le hameau Padokan Lor sur un propriétaire qui avait un peu plus de 3 ha de sawah. Nous sommes cependant à peu près certain que personne ne dépasse cette limite dans tout le village. 56. Les plus importants des fonctionnaires villageois (pamong desa) sont par ordre décroissant le chef de village (lurah), le secrétaire de village (kepala bagian umum ou carik), le responsable des questions agricoles et hydrauliques (kepala bagian kemakmuran ou ulu-ulu), le responsable des questions sociales (kepala bagian sosial ou kamituwa), le responsable des questions de sécurité ( 81

kepala bagian keamanan ou jagabaya) et le responsable des questions religieuses (kepala bagian agama ou kaum). Le carik et le ulu-ulu ont chacun quatre assistants (pembantu) pour les seconder, alors que les trois autres responsables n’en ont qu’un seul chacun. Par ailleurs, il y a 12 chefs de hameaux (kepala dukuh). Il n’y a pas un organigramme standard d’administration que l’on retrouverait dans tous les villages javanais. Si le lurah est, en règle générale, toujours entouré des 5 principaux responsables susmentionnés, le nombre des chefs de hameaux et des assistants secondaires varie par contre assez fortement d’un village à l’autre en fonction de sa superficie et de sa population en ce qui concerne les premiers et de ses ressources naturelles et surtout financières pour ce qui est des seconds. 57. A côté du lurah, le carik a 2.74 ha, le ulu-ulu 3.07 ha, le kamituwa 2.63 ha, le jagabaya 2.44 ha et le kaum 2.22 ha. Chacun des 11 pembantu secondaires a pour sa part entre 0.65 et 0.98 ha, alors que le mieux loti des kepala dukuh a 1.12 ha. Avant la réforme administrative de 1946 les tâches étaient réparties d’une manière beaucoup moins fonctionnelle entre les élus locaux des 3 villages qui furent regroupés pour former Tirtonirmolo, à savoir Bekalan, Mrisi et Padokan. Il est également intéressant de noter que les trois ex-chefs de village avaient respectivement 3.43 ha, 3.93 ha et 4.08 ha, alors que tous leurs collaborateurs les plus directs (carik, ulu2, etc..) n’avaient pas plus de 1.5 ha en moyenne. On voit donc qu’un peu plus d’égalitarisme a aussi été introduit dans le corps des fonctionnaires villageois à cette occasion. 58. L’une des plaisanteries les plus répandues dans le monde rural javanais est de dire qu’il vaut mieux être lurah d’un village fertile et prospère que ministre ou même président, vu le niveau très bas des salaires de la fonction publique. Cette plaisanterie ne fait évidemment référence qu’aux revenus officiels ! 59. C’est tout du moins ce qui devait être le cas et il semble que cela l’a été jusqu’en 1965. A la suite des évènements sanglants liés à ce qu’il est convenu d’appeler « le Coup du 30 Septembre » ( G 30 S), un bon nombre de lurah communistes, militants ou simples sympathisants ont été éliminés et remplacés par des militaires et policiers à la retraite, originaires du village ou non, qui ont plutôt été imposés par les chefs de district qu’élus à cause de leur popularité. A Tirtonirmolo, ça n’est pas le cas puisque le lurah a été élu en 1946 lors de la réforme administrative. 60. Etant donné les avantages matériels et même non-matériels liés à la position de fonctionnaires villageois, les postes vacants sont très convoités et donnent lieu à des mini- campagnes électorales que seules des familles relativement aisées peuvent supporter vu les dépenses importantes de toutes sortes qu’elles impliquent. Dans ce domaine, les rares exceptions confirment la règle à notre avis. 61. Sur les 7 fonctionnaires villageois interviewés très en détail lors de notre travail d’enquête à Tirtonirmolo, dont le lurah, le ulu-ulu, le kaum et quatre kepala dukuh, un seul n’avait pas de sawah privé, tous les autres ayant des parcelles dont la superficie variait entre 1 500 et 6 285 m2. Par contre ils avaient tous les sept entre 400 et 5 600 m2 de pekarangan. 62. Ces horaires sont les suivants : du lundi au jeudi inclus de 7 h à 14 h non-stop, le vendredi de 7 h à 11 h pour permettre à ceux qui le désirent de se rendre à la mosquée et le samedi de 7 h à 12 h, en règle générale le dimanche étant jour férié. Les horaires sont plus impératifs pour les fonctionnaires travaillant au bureau du village que pour les chefs de hameaux qui s’acquittent de leur travail à domicile et ne se déplacent que lorsqu’ils sont envoyés à des réunions ou quand il y a des problèmes particuliers à régler. Tout le système reste néanmoins animé d’une élasticité dont le degré varie assez sensiblement d’un village à l’autre, mais si l’on veut être certain de rencontrer la personne que l’on cherche, il vaut mieux ne pas venir au bureau avant 9 h ou après 12 h. 63. En règle générale ces fonctionnaires-paysans travaillent eux-mêmes environ 1 ha de sawah soit avec l’aide des membres de leurs familles, soit en payant occasionnellement quelques ouvriers agricoles. S’ils sont propriétaires de plus d’un hectare, ils louent le surplus à des 82

métayers ou à l’usine sucrière. Selon leur fonction dans l’administration villageoise, il arrive même qu’ils empiètent fortement sur les horaires de bureau et accordent plus de temps à la mise en valeur de leur exploitation agricole qu’à leurs tâches officielles. Ils ont alors plutôt un profil de paysan-fonctionnaire. Habituellement, seuls les chefs de hameaux, et à la limite quelques assistants secondaires, dont la position n’est ni très importante, ni très convoitée, peuvent se permettre d’inverser ainsi l’ordre de leurs activités principales et annexes. 64. Certains n’y mettent pas les pieds pour la bonne et simple raison que n’étant pas fils de paysans, n’ayant pas de terres privées ou n’ayant jamais travaillé au sawah, ils ne les ont jamais mis auparavant et ne peuvent décemment pas s’initier à l’art complexe et minutieux de la riziculture irriguée du jour au lendemain. Cela pose toute la question de l’opportunité d’avoir des élus locaux ne connaissant rien aux problèmes agricoles dans un monde essentiellement paysan. Nous aurons l’occasion d’y revenir. D’autres, une fois qu’ils ont été élus et ont gravi un échelon important dans la hiérarchie sociale du village décident, pour des questions de prestige et de standing, de n’y plus mettre les pieds alors qu’ils y avaient jusqu’à présent passé le plus clair de leur temps. 65. Selon les statistiques officielles du bureau de village qui sont assez fiables dans ce domaine, il y avait très exactement 149 personnes classées dans la catégorie des fonctionnaires salariés en 72/73 à Tirtonirmolo, dont 104 appartenant à l’administration publique et 45 au secteur privé. Les premiers travaillent soit pour un service régional relié à un ministère technique, comme celui de l’Education (instituteurs du primaire), de la Santé (infirmiers) ou des Finances (employés de banque), soit à un échelon de l’administration territoriale supérieur au village (sub-district, district, province). La grande majorité des seconds travaillent pour la raffinerie sucrière de Madukismo. Leurs horaires de travail sont d’ailleurs beaucoup plus stricts que ceux des salariés de la fonction publique et ils ont de ce fait plus de difficultés à organiser leurs activités annexes. Dans un pays comme l’Indonésie où certaines personnes s’arrangent pour cumuler jusqu’à quatre occupations professionnelles journalières et où le temps représente véritablement de l’argent, le fait d’être fonctionnaire de l’Etat (pegawai negeri), et donc de toucher un salaire mensuel régulier tout en ayant beaucoup de temps libre, est un privilège inappréciable. 66. Les noms employés pour désigner les métayers varient beaucoup d’une région à l’autre en Indonésie. Dans les environs de Yogyakarta on se réfère généralement à eux comme étant des paysans-ouvriers (tani buruh), ou ce qui est plus exact des paysans partageant la récolte en deux parties (tani pemaroh ou tani bagi hasil). 67. Il arrive en effet de temps en temps qu’un métayer travaille la terre appartenant à l’un des membres de sa propre famille, en général une veuve trop âgée pour s’en occuper elle-même. C’est cependant la relation patron-client qui prédomine et vu la rareté des terres à louer, elle est même transmissible de père en fils dans la plupart des cas. 68. Nous avons cependant connu quelques rares cas à Tirtonirmolo où le métayer avait la chance de travailler le sawah d’un propriétaire contre une quantité forfaitaire de riz décortiqué fixée d’un commun accord avec lui et livrable après chaque récolte. C’était à chaque fois des arrangements à l’intérieur d’une même famille. Ce type d’accord est évidemment beaucoup plus intéressant pour le métayer, plutôt devenu sorte de fermier rente-fixe, car tout investissement additionnel de capital ou de travail dans le sawah est entièrement à son bénéfice. 69. Il faut néanmoins reconnaître qu’en règle générale les propriétaires respectent ces contrats oraux et qu’un métayer est assuré de pouvoir travailler la terre qu’il loue pendant de longues années. Sont-ce là des vestiges de relations communautaires si chères aux anthropologues sous quelques cieux que cela soit, ou plutôt l’expression de relations semi-féodales normales entre un patron et sa clientèle protégée ? Nous aurions tendance à privilégier la seconde explication. Quoiqu’il en soit les conflits relatifs à ce genre de questions semblent être assez rares à Tirtonirmolo. Il faut également dire que le nombre de contrats de métayage n’est pas très élevé. 83

70. A Java, l’ouvrier agricole est en général connu sous le nom de buruh-tani, ce qui signifie littéralement ouvrier-paysan, terme à ne pas confondre avec celui fort proche de paysan-ouvrier (tani-buruh) qui est souvent utilisé dans la région de Yogyakarta pour se référer à un métayer. 71. On considère en général que jusqu’à une superficie de 0.5 ha de sawah, une famille moyenne de paysans propriétaires exploitants n’a pas besoin de faire appel à de la main-d’œuvre extérieure pour autant que tous ses membres soient en âge de travailler et qu’ils consacrent la majeure partie de leur temps à s’occuper de l’exploitation agricole familiale. A vrai dire, des facteurs agro-techniques et socio-culturels font que la réalité est beaucoup plus complexe. Ainsi, même si les gros travaux de préparation de la rizière, tâche essentiellement masculine, peuvent être effectués par le père et l’un de ses fils par exemple, ils devront bien, s’ils ne sont pas propriétaires d’un animal de trait (buffle ou vache) et qu’ils en ont besoin d’un pour labourer leur sawah, le louer à quelqu’un d’autre. Par ailleurs, même si la mère et ses filles dirigent l’opération pénible du repiquage, tâche traditionnellement dévolue aux femmes, elles auront probablement recours, pour aller le plus vite possible, à la main-d’œuvre supplémentaire de voisins sur une base d’entraide mutuelle (gotong royong) et même au besoin en les payant. Nous aurons l’occasion de revenir en détail sur ces questions de main-d’œuvre agricole et sur les conséquences que la modernisation des techniques de production ont sur elles. 72. Afin d’éviter les grosses chaleurs, les horaires de travail dans le sawah sont, en règle générale, de 6-7 h à 11-12 h le matin et de 15-16 h à 17-18 le soir. 73. Il était rare qu’une repiqueuse salariée soit payée plus de 50 Rp par jour et nous avons même de nombreux exemples où elles ne recevaient que la moitié de cela. Par contre un très bon sarcleur-bineur (tani tjangkul) pouvait être payé jusqu’à 100 Rp. Il faut dire, chose importante, que tous les salaires d’ouvriers agricoles journaliers, qu’ils soient femmes ou hommes, s’entendent, en général, avec en plus, deux, voire trois, petits repas frugaux. 74. Les ouvriers permanents de Madukismo sont appelés karyawan pour les différencier des ouvriers non-permanents simplement dénommés buruh. Leur salaire mensuel excédait rarement 5 000 Rp. début 1973. 75. Ces travailleurs journaliers (buruh harian) n’étaient payés que 50 Rp par jour sans repas. 76. Les artisans sont appelés tukang, un terme qui marque bien qu’ils sont plus que de simples ouvriers (buruh) même si leur travail est sensiblement le même. Il y a toujours 2 ou 3 menuisiers- charpentiers (tukang kayu) dans chaque hameau. Ils font tous les petits travaux de réparation (maison, meubles, etc..) de la communauté et ont en général un volume d’activité assez stable. Il y avait par ailleurs 8 petites entreprises privées fabriquant des meubles en bois à Tirtonirmolo, en 1973. Elles employaient en tout guère plus d’une vingtaine de personnes. 77. Les tous petits commerçants, que l’on appelle dagang kecil en indonésien ou plus fréquemment bakul en javanais, ont la plupart du temps pour tout kiosque 2 ou 3 paniers de produits divers posés à même le sol au coin d’un sentier villageois ou au petit marché local. Leur bénéfice net s’élève rarement à plus de 50 Rp par jour. 78. A Java et en Indonésie, en général, ce sont surtout les femmes qui sont en charge des petites activités de commercialisation auxquelles peut se livrer la famille, que ce soit la vente du surplus des pekarangan ou l’achat des biens de première nécessité. Une plaisanterie javanaise dit que c’est la femme qui est le ministre de l’intérieur (Menteri Dalam Negeri). En fait, ce sont en général les hommes qui traitent les grosses opérations commes la vente de la récolte rizicole sur pied ou autre. 79. Cigarettes au clou de girofle très populaires dans toute l’Indonésie malgré leur prix relativement élevé. En 1973 un paquet de 10 coûtait entre 50 et 100 Rp selon la marque et la qualité. 80. Début 73, le prix d’achat d’un canard de race dite « mandarine » (itik ou bebek) s’élevait à 400 Rp. Il produisait 1 œuf par jour, 1 mois sur 2, soit 180 œufs par an vendus à environ 30 Rp pièce, soit un bénéfice net annuel supérieur à 5 000 Rp par canard. 84

81. Ils font en particulier des marionnettes pour le populaire théâtre d’ombres javanais (wayang kulit). 82. Pouvoir s’acheter une vieille machine à coudre et s’installer couturier (tukang jait) du hameau est une aubaine que beaucoup de familles voudraient bien voir se réaliser. 83. En règle générale, elles cuisinent les populaires petites galettes faites à base de soya (tempe ou tahu). Cela permettait de faire un bénéfice net d’environ 25 Rp par jour en avril 1973. Sinon elles fabriquent les délicieux beignets de manioc et de crevettes (kerupuk). Il y avait d’ailleurs une petite entreprise de kerupuk à Tirtonirmolo en 1973. Elle employait 3 personnes. 84. Elles peuvent parfaitement se rendre à pied au marché voisin, distant de plusieurs kilomètres, pour ne vendre en tout et pour tout que 5 œufs, 15 bananes, 2 papayes et 1 noix de coco. Il faut dire qu’elles en profitent pour acheter à meilleur prix, quelques biens de première nécessité qui coûtent une ou deux Rp de plus dans le village. A ce niveau de détail chaque centime compte et est, au demeurant, dûment compté. 85. Cela n’est que fort récemment que certains jeunes socio-démographes et socio- anthropologues se sont penchés attentivement sur le rôle éminemment important que jouent les enfants dans l’économie familiale javanaise. Leurs études sont non seulement d’une actualité brûlante mais, qui plus est, soulèvent des questions absolument fondamentales dans un pays où l’on essaye de promouvoir un planning familial rigoureux. Sur ce sujet, voir avant tout BENJAMIN WHITE, « The economic importance of children in a Javanese village », in Moni Nag (Ed), Population and social organization, The Hague, Mouton, 1975, pp. 127-146. 86. Il est extrêmement rare qu’un triporteur (becak) soit la propriété de celui que l’on voit s’échiner sur sa selle, vu que son prix variait entre 100 000 et 200 000 Rp, selon son état et sa qualité, en 1973. Il appartient en fait à l’une des grandes entreprises privées de la ville, toutes possédant plusieurs centaines de ces engins que les touristes trouvent si « typiques », qui le lui loue par tranche de 12 heures pour un prix forfaitaire. A Yogya, le montant de ce forfait s’élevait, début 73, à 150 Rp pour le jour et 100 Rp pour la nuit. Au locataire de se débrouiller pour gagner plus et faire un bénéfice net qui vaille la peine. Vu la concurrence, ça n’est pas chose facile. Le Président Sukarno considérait que c’était là, la forme la plus insupportable de ce qu’il appelait lui-même : « L’exploitation de l’homme par l’homme » (sic). Alors qu’ils constituent indubitablement le sous-prolétariat indonésien, on se réfère à eux non pas comme étant des ouvriers (buruh), mais doux euphémisme, des artisans (tukang). Pramoedya Ananta Toer, l’un des plus grands écrivains indonésiens contemporains, faisait cette réflexion terrible en ce qui concerne les soi-disants artisans-triporteurs (tukang becak) : « Aujourd’hui, nous avons des triporteurs qui sont une combinaison du cheval et du chauffeur et épargnent le coût du foin. A Jakarta, les hommes acceptent d’être des chevaux pour de l’argent ». (N.B. Notre propre traduction à partir du texte anglais). Voir : PRAMOEDYA ANANTA TOER, « Letter to a friend from the country », in Harry Aveling (Ed), Front Surabaya to Armageddon, Indonesian short stories, Singapore, Heinemann Educational Books, 1976, p. 69. 87. Pour ce faire, nous avons passé en revue pendant des heures la liste complète des familles vivant dans chaque hameau (pedukuhan) en demandant au chef de hameau (kepala dukuh), qui nous assistait tout au long de l’opération, de bien vouloir préciser l’occupation principale et les activités annexes de chacun des chefs de famille (kepala keluarga). Le risque d’erreur existe, mais il est relativement limité vu que le chef de hameau connaît intimement les quelques 200 familles dont il a la responsabilité administrative. 88. En ce qui concerne la catégorie des ouvriers, sont regroupés sous l’appellation « ouvrier village » (buruh desa) tous ceux qui n’ont pas besoin d’en sortir pour gagner leur vie, même si le travail qu’ils font vient à eux en provenance de la ville, comme les ouvriers du batik (buruh batik). Par opposition sont regroupés sous l’appelation « ouvrier-ville » (buruh kota) tous ceux qui doivent s’y rendre pour gagner leur vie comme les artisans-triporteurs (tukang becak). Par 85

ailleurs, la majorité des chefs de famille classés dans la catégorie « retraités et sans-emplois » sont des personnes âgées ne travaillant plus activement. 89. Le pourcentage des chefs de famille déclarant être principalement paysans-exploitants par rapport au nombre de propriétaires fonciers ayant accès au sawah est respectivement de 47.9 à Mrisi, 41.8 à Padokan, 22.8 à Jogonalan et 19.8 à Dongkelan. 90. Le tableau I.5 et les corrélations qu’il a avec les précédents apporte une nouvelle fois la preuve que Mrisi est le hameau ayant la structure sociale la moins déséquilibrée, relativement parlant. C’est aussi la confirmation que le village administratif (kelurahan) n’est qu’une unité fédérative sans grande cohésion à l’intérieur de laquelle, chaque hameau (pedukuhan), véritable communauté villageoise avec ses éléments de solidarité mais aussi de conflit, a une trajectoire socio-historique propre différente de celle des autres. 91. Dongkelan fait partie de la zone nord du village, celle qui est relativement moins fertile et moins bien irriguée. Par ailleurs, c’est le hameau le plus proche de la ville à laquelle il est en fait contigu. Ces deux éléments expliquent vraisemblablement que de nombreux propriétaires de petits sawah travaillent principalement comme ouvriers dans le village (buruh desa). C’est, en particulier, le cas pour toutes les femmes travaillant le batik à domicile, activité très répandue à Dongkelan. Il ne faut pas oublier qu’un grand nombre de chefs de famille sont des femmes veuves ou divorcées. Fin 1972, il y en avait très exactement 462 sur 2 497, soit presque l/5e pour tout le village de Tirtonirmolo. 92. Il suffit que ces activités soient très marginalement plus productives pour que le travail du sawah soit relégué à un rang secondaire, voire délaissé. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que dans chaque famille, il y a un volume d’activités non-productives à accomplir (éducation des enfants, cuisine, ménage, etc..) qui incombe, la plupart du temps, à la mère et aux filles et qui empiète sur le temps disponible pour les activités productives. 93. Très exactement 28.3% des fonctionnaires (36 sur 127) et 21.3% des paysans (29 sur 136) contre seulement 4.7% des ouvriers (21 sur 444). 94. De fait, il n’y a que 88 des 828 chefs de famille actifs du village soit 10.6% qui ont une activité secondaire. Ce pourcentage varie énormément d’un hameau à l’autre : il est de 11.5% à Mrisi (25 sur 217), 16.3% à Padokan (33 sur 202), 7.9% à Jogonalan (14 sur 201) et 6.7% à Dongkelan (14 sur 208). 95. Sans revenir sur la question du batik ou des becak, on peut noter que la proximité du marché urbain stimule aussi fortement tout un petit secteur informel d’activités de production alimentaire (œufs, fruits, légumes, galettes, gâteaux, etc…) et artisanale (paniers, poteries, etc…). 86

Chapitre II. Tirtonirmolo (suite) : Calendrier agricole et utilisation des terres

1 Comme tous ceux de la plaine de Bantul, les paysans de Tirtonirmolo sont des riziculteurs dans l’âme. Quand ils le peuvent, ils ne consacrent donc leur sawah qu’à la culture du paddy1, du premier janvier au trente et un décembre, arrivant parfois même à en tirer jusqu’à trois récoltes dans l’année. C’est cependant là chose assez peu fréquente, car il faut non seulement utiliser les variétés les plus précoces2 et planifier son calendrier agricole au jour près, mais encore, bénéficier de conditions climatiques, hydrauliques et pédagogiques particulièrement idéales. C’est la raison pour laquelle les monoculteurs de riz les plus acharnés et les plus chanceux arrivent rarement à dépasser une moyenne de cinq récoltes tous les deux ans. Voulant à la fois maximiser la rentabilité de leur sawah et ne pas en affecter la productivité par une pratique monoculturale trop absolue, une proportion non négligeable des paysans préfère intercaler une troisième culture vivrière d’appoint3 entre deux récoltes de paddy chaque année. Toutefois, la grande majorité d’entre eux se contente d’une double récolte annuelle, rythme probablement plus raisonnable aussi bien pour la terre que pour l’homme. En règle générale, il s’agit alors uniquement de paddy, mais il arrive que dans certains sawah du nord, où les conditions d’irrigation sont sensiblement moins bonnes, il faille remplacer le riz de saison sèche par du soya, de l’arachide, du maïs ou même, cas extrême, du manioc et des patates douces. Vu la diversité des situations, il est difficile d’établir le calendrier agricole du village, ce d’autant que la surface arable est ensemencée et récoltée en permanence et simultanément, un phénomène confirmé par le fait que repiqueuses et moissonneuses travaillent souvent à portée de voix dans des sawah contigüs. On peut néanmoins, en prenant comme point de départ avril, mois qui marque habituellement la transition entre la saison des pluies et la saison sèche4, distinguer trois phases majeures de quatre mois chacune dans le cycle agricole dominant le Tirtonirmolo. Le graphique II.1 montre à la fois leur enchaînement et la manière dont elles chevauchent la division symétrique de l’année en deux saisons. 87

2 Ce calendrier agricole concerne les paysans qui font trois cultures annuelles. Ceux qui en font deux préfèrent repousser le début des opérations de la seconde5 jusqu’à octobre- novembre, mois de transition entre les deux saisons où la plante bénéficie normalement de la combinaison d’humidité et d’ensoleillement la plus favorable6. Ceci dit, il nous permet déjà de deviner, tout schématique qu’il soit, que seule une planification minutieuse du temps donne la possibilité de faire trois récoltes annuelles. De fait, même s’il utilise des variétés à 90 jours, le paysan qui veut faire trois cultures de paddy dans l’année n’aura en tout et pour tout qu’un mois entre chacune d’entre elles pour moissonner, préparer sa pépinière, nettoyer son sawah, le labourer et le laisser se reposer, puis finalement repiquer, ce qui semble être exactement le laps de temps nécessaire7. Ceci apparaît clairement dans le tableau II.2 où ont été reportées les surfaces de paddy plantées et récoltées chaque mois pendant l’année agricole 70/71 à Tirtonirmolo. On y voit que les travaux de repiquage et de moissonnage sont largement concentrés sur les 3 premiers mois de chacun des trois cycles du calendrier agricole, le dernier, en l’occurrence juillet, novembre et mars, étant principalement réservé à la préparation des sawah en vue de la culture suivante8.

3 Le problème du calendrier agricole se complique encore singulièrement du fait que les paysans de Tirtonirmolo, comme la plupart de ceux du district de Bantul, ne sont pas entièrement libres de faire les cultures vivrières de leur choix, vu qu’ils doivent périodiquement le louer, entièrement ou partiellement, à la raffinerie sucrière de Madukismo. On est en droit de penser que ce système semi-obligatoire est un résidu des pratiques coloniales introduites par la Compagnie des Indes Orientales dès la moitié du XVIIIe siècle et renforcées par Van den Bosch en 1830 9. Il s’applique néanmoins fort heureusement sous une forme moins coercitive. En fait, l’usine a plus ou moins le droit de réquisitionner un quota annuel de sawah dans chaque village du district où les conditions naturelles sont favorables à la culture de la canne. Elle le fait par l’intermédiaire des fonctionnaires villageois qui sont chargés de se débrouiller pour fournir la superficie 88

requise. Cette dernière varie entre 30 et 50 hectares en ce qui concerne le village de Tirtonirmolo. En règle générale, cela ne pose pas trop de problèmes vu que le gros du quota requis est fourni par les fonctionnaires villageois eux-mêmes, qui prennent sur les terres publiques dont ils sont possesseurs. Ils évitent ainsi d’avoir à mener d’interminables négociations avec les paysans et ils préfèrent souvent louer leur sawah à la raffinerie, qui leur garantit un revenu fixe net, qu’à un ou plusieurs métayers avec lesquels ils doivent partager un certain nombre de risques. Ils font donc, paradoxalement, preuve à la fois d’un certain esprit de sacrifice communautaire à l’égard des paysans propriétaires réticents à louer leur sawah à la raffinerie et d’un profond égoïsme à l’égard des villageois sans terre qui cherchent à travailler comme métayers sur le sawah des autres. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons pour lesquelles il y a si peu de métayers à Tirtonirmolo10. Il arrive cependant régulièrement que malgré cette pratique le quota requis ne soit pas rempli et qu’il faille convaincre un certain nombre de paysans de bien vouloir louer au moins une petite de leur sawah pour l’atteindre. C’est habituellement la corvée des chefs de hameaux qui, soit au nom d’un principe de rotation équitable, sollicitent ceux qui n’ont pas loué leur terre depuis 2 ou 3 ans ou, invoquant la nécessité qu’il y a pour Madukismo d’exploiter un espace planté homogène de la manière la plus rationnelle possible, s’adressent à ceux dont le sawah est contigü à l’une des parcelles importantes déjà inclue dans le quota. Cela va rarement sans difficultés et pour tout dire, il y a même de telles résistances de la part de certains paysans que la négociation du quota est souvent l’un des épisodes les plus conflictuels de l’année11. Voyons quelles en sont les raisons.

4 Tout d’abord, la canne ayant un cycle végétatif très long, qui varie de 14 à 16 mois selon les espèces12, le paysan qui loue son sawah à l’usine rate en général trois récoltes vivrières. Cette dernière payait en 1973 un forfait de 125 kilos de sucre en poudre à l’hectare par mois de location, soit 17.5 qx pour 14 mois et 20 qx pour 16. Les responsables de Madukismo interviewés reconnaissaient eux-mêmes que les paysans n’avaient aucun intérêt économique à louer leur sawah à la raffinerie tant que le prix du kilo de sucre en poudre n’était pas le double de celui du kilo de riz sur le marché local13. Or, c’était loin d’être le cas puisque le prix moyen du sucre n’a atteint que 124 Rp en 1973, alors que celui du riz variait entre 70 et 83 Rp, selon la qualité14. En 1972/73, un petit paysan marginal 89

louant 0.25 ha de sawah, pendant 16 mois, à Madukismo, ne faisait donc au maximum qu’un gain net de 62 000 Rp alors que s’il avait, pendant le même laps de temps, récolté trois fois du paddy il aurait pu réaliser un gain brut plus de deux fois supérieur variant entre 136 000 et 161 850 Rp ! La perspective d’un manque à gagner aussi important peut signifier la catastrophe pour une famille paysanne de ce type et l’on comprend aisément ; qu’elle mette la plus mauvaise volonté du monde à s’y résoudre. Par ailleurs, s’il n’a que ce quart d’hectare de sawah et qu’il est obligé de le louer à la raffinerie il se retrouve pendant 16 mois à la même enseigne que la masse de ses voisins sans-terre et nous ne sommes pas loin de penser que les conséquences psychologiques qui en résultent sont toutes aussi graves que les inconvénients économiques susmentionnés pour un paysan dont le sawah est souvent la raison de vivre. De plus, l’épreuve à laquelle il est soumis ne prend pas fin au moment même où son sawah lui est restitué car, lui qui avait livré un champ prêt à être labouré, récupère un véritable champ de bataille dans lequel il doit investir plus de travail et de capital que d’ordinaire avant de pouvoir repiquer son paddy. Il perd donc sur toute la ligne et peut difficilement considérer que l’assolement triennal obligatoire auquel son sawah est ainsi soumis, tout bénéfique qu’il soit sur le plan écologique, constitue une compensation valable !

5 Voilà donc dans quels termes se pose, à Tirtonirmolo, le fameux dilemme classique entre cultures vivrières et commerciales. On le retrouve, sous une forme ou sous une autre, dans tous les villages du centre et de l’est de Java où la culture de la canne à sucre joue un rôle prépondérant et on découvre avec un certain effarement, à la fois combien l’héritage des structures mises en place par la colonisation peut être déterminant et combien l’intérêt économique de l’état peut heurter celui des communautés villageoises dans une société paysanne parcellaire aussi surpeuplée. Comme cela a déjà été mentionné à plusieurs reprises, c’est précisément cette surpopulation qui est en grande partie à l’origine de la mise en valeur sur-intensive de l’espace agricole à Tirtonirmolo. Le tableau II.3, situé à la page suivante, donne non seulement une idée précise de ce phénomène, mais également de l’importance relative des neuf cultures pratiquées dans le village, du niveau de productivité atteint dans chaque d’ente elles et de l’évolution générale de la production agricole entre 1969 et 1972. Il y a donc, bon an, mal an, au minimum plus d’une double récolte généralisée puisque le taux moyen d’intensité de culture15 calculé sur la période 69-72 est supérieur à 214 %16. On peut néanmoins relever l’existence d’une différence de 60 ha entre la surface totale récoltée en 1969, année plafond, et 1971, année plancher, et se demander à quoi une variation d’une telle amplitude ( ± 10 %) peut bien être due. Or, si l’on se reporte aux statistiques pluviométriques, on réalise que ces deux années sont respectivement la plus sèche et la plus humide de notre échantillon d’observation quadriennal. En d’autres termes, cela signifie qu’à Tirtonirmolo les cultures supportent sans trop de difficulté une année aussi sèche que 196917, mais sont par contre très sérieusement affectées quand il pleut trop, trop irrégulièrement et trop violemment, comme en 197118. D’après la plupart des paysans interrogés, les rendements rizicoles sont effectivement, en général, bien meilleurs lors de la première moisson que lors de la seconde19. Un tel phénomène n’est évidemment possible que dans un milieu agricole ayant atteint un degré de contrôle hydraulique fort avancé. C’est d’ailleurs cela qui permet d’expliquer pourquoi les cultures n’ont pas été plus fortement endommagées lors de la terrible saison sèche de 197220. D’un autre côté, cela confirme ce qui a déjà été mentionné plus haut, à savoir qu’à Tirtonirmolo les problèmes hydrauliques majeurs sont plutôt liés au drainage qu’à l’irrigation elle-même. 90

6 Le paddy reste bien sûr, et de fort loin, la culture dominante à Tirtonirmolo. Sa prépondérance tend même à s’accentuer puisqu’il couvrait presque 73 % de la surface totale récoltée en 1972 contre environ 60 % seulement lors des trois années précédentes. Nous aurons l’occasion de revenir en détail sur les causes et surtout sur les conséquences de cette monoculture croissante, l’une des caractéristiques majeures de ce qu’il est, à tort, convenu d’appeler la « révolution verte ». Il suffit de mentionner à ce stade qu’elle se fait principalement au détriment des cultures vivrières secondaires dont la surface totale récoltée a presque diminué de moitié entre 69 et 72, passant de 196 à 109 hectares seulement21, alors que, pour les raisons déjà énoncées plus haut, la place occupée par la canne à sucre demeure relativement inchangée22. Etant donné que les rendements de paddy n’ont pratiquement pas varié, oscillant entre 50 et 53 quintaux par hectare pendant les quatre années analysées23, il est assez logique d’en déduire que les 8.5 % de hausse de la production rizicole que l’on peut observer entre 69 et 72 sont uniquement la résultante de ce phénomène de substitution de cultures. Cette croissance fort modeste de la production rizicole, légèrement supérieure à 2 % par an, s’accompagne d’ailleurs d’une forte chute parallèle de plus de 47 % du volume de production des cultures vivrières secondaires qui l’annule intégralement24. Si l’on tient compte de ce phénomène de « vases communicants » qui échappe à de trop nombreux observateurs25, force est de conclure à une inquiétante stagnation de la croissance dans le secteur vivrier pendant les trois premières années du REPELITA I à Tirtonirmolo. On peut évidemment se dire que vu le niveau élevé de productivité rizicole déjà atteint en 196926, la chose n’a rien de très surprenant, même si la médiocrité des rendements de certaines autres cultures vivrières secondaires a, quant à elle, tout de même de quoi étonner27. Cependant, on se dit aussi que le but primordial du plan était précisément une très forte augmentation de la production rizicole permettant d’atteindre un degré d’autosuffisance alimentaire en 1974, raison pour laquelle le fameux programme national d’intensification, connu sous le nom de BIMAS-INMAS, maintes fois revu et corrigé depuis son lancement en 63-64, avait été une nouvelle fois totalement chamboulé en 70-71. Devant cette stagnation de la production vivrière, on est tout naturellement amené à se demander dans quelle mesure il a été suivi et ce qu’il a véritablement donné à Tirtonirmolo. 91

Le programme BIMAS : un bilan local

7 Au début de notre travail de terrain, en janvier 1973, dans la Région Spéciale de Yogyakarta, le programme BIMAS Perfectionné avait atteint son rythme de croisière. Il faut rappeler que c’est précisément dans cette province qu’il avait été lancé à titre expérimental dès 1969/70, quand l’échec de la formule précédente d’association avec les multinationales de la pétrochimie était devenu évident, avant d’être étendu à toute l’île de Java l’année suivante28. La distinction introduite en 1968 entre BIMAS Ordinaire et BIMAS Nouveau29 demeurait inchangée et correspondait en 1972 à deux formules de crédit type « package deal » d’un montant respectif de 8 636 et 13 562 Rp par hectare30. A côté de cela, d’importantes modifications étaient apportées concernant principalement l’amélioration et la simplification de la procédure de crédit31, l’introduction d’une plus grande marge de flexibilité et de choix pour le paysan32 et surtout la tentative de lier étroitement le programme d’intensification rizicole à la réorganisation et à la restructuration du système de coopératives agricoles33. Finalement le programme INMAS, en tout point semblable au BIMAS -la distinction entre formule ordinaire et ancienne incluse, mais l’octroi d’un crédit gouvernemental mis à part - continuait à fonctionner parallèlement. Etablir un tableau statistique rudimentaire montrant l’importance relative de chacune des quatre variantes du programme national d’intensification rizicole34 constitue une véritable gageure, même au niveau du village. En effet, si les données concernant les superficies de sawah incluses dans les deux variantes BIMAS sont assez fiables du simple fait que les paysans propriétaires ont obtenu un crédit gouvernemental pour lequel ils ont dû être dûment enregistrés et répertoriés, celles portant sur les deux variantes INMAS sont soit inexistantes, soit totalement fantaisistes35. Le tableau II.4 qui couvre la période 1969-1972 ne concerne donc que le programme BIMAS à proprement parler.

8 Trois constatations s’imposent. Tout d’abord le programme BIMAS reste très marginal à Tirtonirmolo, puisqu’il ne couvre jamais plus du quart de la surface récoltée chaque année. Par ailleurs, il reste stagnant, malgré le fait que la formule dite « perfectionnée » ait été définitivement adoptée dans le village à partir de la saison des pluies 1970/71. Finalement, le seul changement significatif est interne au programme lui-même et concerne le transfert progressif, mais à terme massif, des adhérents de la variante ordinaire à la variante nouvelle dès son introduction en 1968, la première étant quasi totalement délaissée en 1972. En fait, il paraît plausible que les mêmes paysans soient 92

passés d’une variante à l’autre. Etant donné la faible superficie de sawah couverte par le programme, on peut se demander quel est le nombre exact de participants à chaque campagne de crédit36, ce qui permettra de surcroît de se faire une idée de la taille moyenne de leur exploitation et de la catégorie de propriété foncière à laquelle ils appartiennent en majorité. De plus, comme chacune des deux variantes proposées correspond à une formule de crédit maximum à l’hectare différente et que les paysans ont théoriquement le choix de composer leur emprunt comme ils le jugent bon, il n’est pas inutile de savoir quel est le montant moyen des sommes empruntées et comment elles se répartissent très exactement entre facteurs techniques de production (engrais, pesticides) et subside financière « coût de la vie »37. Le tableau II.5 de la page précédente donne toutes ces informations pour chacune des 2 campagnes annuelles de crédit qui ont eu lieu en 1971 et 1972 dans le village.

9 Outre le niveau incroyablement élevé du taux de remboursement, ce qui frappe au tout premier chef c’est non seulement de constater combien large est le gouffre qui existe entre les objectifs fixés et les réalisations effectives, mais encore de découvrir qu’il est autrement plus important du côté des sommes d’argent créditées que de celui des surfaces de sawah couvertes puisque le pourcentage saisonnier moyen n’est que de 10.7° 7o pour les premières contre 26.7 % pour les secondes. Ce phénomène à priori bizarre tient au fait que la grande majorité des participants empruntent des sommes très inférieures au plafond maximum idéal par hectare sur la base duquel l’objectif financier à été calculé38. Cela apparaît d’ailleurs très clairement dans le tableau II.5 où l’on voit qu’en moyenne le paysan participant au programme BIMAS entre 71 et 72 à Tirtonirmolo possédait 5 267 m2 de sawah, mais n’empruntait que 2 687 Rp, soit environ 35 % seulement de la somme qu’il aurait pu emprunter en suivant à la lettre le menu proposé à ceux utilisant des variétés nouvelles39. De plus, le paysan semble être relativement plus intéressé par l’argent liquide que par les facilités de paiement concernant les facteurs techniques de production, puisqu’il emprunte 45 % du montant auquel il a théoriquement droit au titre du « coût de la vie » contre seulement 31 % de celui qui couvre principalement le prix des engrais et des pesticides40. Il ressort de tout cela que le paysan qui suivait la variante nouvelle du programme BIMAS à cette époque dans le village 93

n’empruntait que l’équivalent de 50 kilos d’urée et de 10 kilos de super-triphosphate41, soit moins de la moitié des quantités recommandées par le gouvernement42. On aura l’occasion de revenir plus loin sur la signification de cette situation singulière et de s’interroger sur ses causes et conséquences profondes. Cependant surgissent d’ores et déjà un certain nombre de questions du simple fait que les autorités se réfèrent souvent aux participants du programme BIMAS comme étant des paysans modernes et progressistes par opposition aux autres, plus rétifs à l’innovation technologique. Or, à Tirtonirmolo, bien que les participants au programme BIMAS ne représentent qu’entre 5 et 8 % du nombre total de propriétaires de sawah43, les rendements rizicoles moyens du village sont chaque année supérieurs à 5 tonnes de paddy à l’hectare par récolte, performance impossible à réaliser sans avoir recours aux engrais chimiques et aux pesticides. Pourquoi alors y-a-t’il si peu de participants, quel type de paysannat représentent-ils et surtout que font les non-participants pour que les rendements rizicoles du village restent aussi élevés ?

10 En fait, on a déjà partiellement répondu aux deux premières questions en indiquant plus haut que les participants au programme BIMAS, entre 1971 et 72 à Tirtonirmolo, possédaient en moyenne 5 627 m2 de sawah, alors que seuls 3.7 % des propriétaires y ayant accès dans le village avaient plus de 0.5 ha comme nous l’avons vu dans un précédent paragraphe. Bien entendu, ça n’est là qu’une moyenne gommant les différences et les extrêmes. C’est la raison pour laquelle il est intéressant de se procurer, au moins pour une campagne de crédit, la liste complète des participants indiquant au minimum pour chacun d’entre eux la superficie du sawah dont il est le propriétaire et la somme qu’il a empruntée. C’est ce que nous avons eu la chance de pouvoir obtenir pour la campagne 72/73 qui n’est pas incluse dans le tableau II.5, et qui battait son plein pendant le déroulement de notre enquête à Tirtonirmolo. Le tableau II.6 montre donc le nombre de paysans qui ont participé à cette campagne spécifique par catégorie de propriété foncière et rappelle également à des fins comparatives le nombre total de propriétaires de sawah appartenant à chacune de ces catégories dans le village.

11 Les catégories de paysans riches (+1.0 ha) et moyens (0.5 à 1.0 ha) participent donc massivement au programme BIMAS, alors que la paysannerie sub-marginale (-0.25 ha) y est très faiblement représentée. En fait, il n’y a en tout et pour tout que 2 participants qui ont moins de 1 000 m2 sur les 406 familles paysannes de cette sub-catégorie. Il est 94

également intéressant de noter que sur les 4 hameaux du village étudiés plus en détail, ceux qui fournissent le plus de participants au programme BIMAS lors de la saison des pluies 72/73 sont par ordre décroissant : Mrisi avec 12 inscrits, Dongkelan Kauman avec 9, Padokan Lor avec 6 et Jogonalan Lor avec 244. Cela confirme, si besoin était, la corrélation positive qui semble exister à Tirtonirmolo entre le degré de participation au programme national d’intensification rizicole et l’appartenance aux catégories sociales les moins défavorisées. Plus généralement, on peut aussi souligner le fait que le nombre total de participants à cette campagne de crédit spécifique est sensiblement en hausse par rapport aux précédentes. La surface couverte n’étant quant à elle que de 45.25 ha45, cela donne une superficie moyenne de sawah de 4 918 m2 par paysan inscrit seulement, ce qui constitue une légère régression comparé aux chiffres de 1971 et 1972. Finalement, en ce qui concerne le montant des sommes empruntées, on assiste à un tassement substantiel puisque la moyenne par participant n’est plus que de 2 573 Rp. Quand à l’attrait des participants pour le crédit en « cash », il se confirme, la somme susmentionnée se composant de 1 410 Rp seulement pour le financement des facteurs techniques de production contre 1 163 Rp au titre du « coût de la vie »46. Last but not least, si la quantité moyenne d’engrais chimiques47 empruntée n’est que de 106.9 kg par hectare, soit la moitié de ce qui est préconisé par le gouvernement, il y a une tendance très marquée à voir les quelques rares petites paysans marginaux et sub-marginaux qui participent au programme appliquer des quantités bien plus élevées que les gros propriétaires. C’est ainsi que sur les 12 participants qui ont emprunté une somme correspondant à plus de 200 kilos d’urée par hectare, 5 ont moins de 0.25 ha de sawah et 5 ont entre 0.25 et 0.50 ha, alors que sur les 7 qui ont emprunté une somme correspondant à moins de 50 kilos d’urée par hectare, 3 ont entre 0.50 et 1.00 ha et 3 ont plus d’un hectare48.

12 Au delà de ces quelques phénomènes d’ordre purement socio-économique, reste, étant donné le succès mitigé du programme BIMAS à Tirtonirmolo, à expliquer les rendements rizicoles si élevés du village. Certes, les paysans de la région de Yogyakarta sont d’admirables riziculteurs qui ont, depuis des siècles, affiné et peaufiné leur art jusque dans le moindre détail. Cependant, à côté de ce savoir traditionnel d’une très grande importance, il y a un facteur nouveau : l’immense majorité des paysans de Tirtonirmolo, même sans crédit gouvernemental, suivent le programme INMAS de manière indépendante depuis sa création en 1967 et utilisent pour la plupart des nouvelles variétés. Autrement dit, presque tous les riziculteurs ont recours aux engrais chimiques49, même ceux qui préfèrent continuer à utiliser des variétés locales de semences. Les quantités qu’ils appliquent sont d’ailleurs sensiblement les mêmes que celles des participants au programme BIMAS, soit en moyenne environ 100 kg par hectare, principalement sous forme d’urée. Malgré le fait qu’il existe ici et là un certain nombre de données chiffrées sur l’importance du programme INMAS dans le village, il vaut mieux, vu le degré de fiabilité, renoncer à les employer. Par contre, on obtient une confirmation partielle, mais beaucoup plus sérieuse, de la tendance sus-mentionnée quand on apprend qu’en 1972, près des 9/10 de la surface rizicole récoltée était constituée de nouvelles variétés50. La plupart des interviews réalisées auprès des paysans du village en font d’ailleurs foi.

13 Il convient maintenant d’évoquer les conséquences parfois insoupçonnées que l’introduction des variétés nouvelles du type IR peut avoir sur l’emploi dans les villages surpeuplés de Java comme Tirtonirmolo. Les quelques rares enquêtes menées dans ce domaine en Indonésie tendent à prouver que l’introduction des nouvelles espèces à temps 95

de maturation courts et à hauts rendements a eu une incidence globalement positive sur l’emploi agricole, non seulement parce qu’elles permettent la généralisation d’une double, voire d’une triple récolte annuelle dans les villages où la maîtrise de l’eau est adéquate, mais également à cause du fait qu’elles demandent beaucoup plus de soins d’entretien (épandages réguliers d’engrais et de pesticides, désherbages plus fréquents et contrôle quasi millimétrique permanent de la lame d’eau dans le sawah) pendant toute la période de croissance. Il y a cependant un revers à la médaille, car le volume de travail supplémentaire ainsi créé est en grande partie annulé par les effets négatifs que leur adoption entraîne au niveau des techniques de récolte.

14 Du temps où tous les sawah étaient encore uniquement repiqués avec des variétés locales, il n’y avait à Tirtonirmolo et dans tous les autres villages rizicoles de Java qu’une seule méthode de récolte. Les femmes de la communauté, à qui ce travail pénible était, pour des raisons socio-culturelles et mythologiques, traditionnellement dévolu, utilisaient pour ce faire une espèce de petit rasoir monté sur un bambou avec lequel elles coupaient les hautes tiges de paddy brin par brin, 10 cm au-dessous de la panicule, les liant ensuite en bottes laissées à sécher au soleil avant d’être engrangées51. Aboutissement apparemment logique du long processus d’involution agricole et de pauvreté partagée analysé par Geertz, chaque propriétaire dont le sawah était prêt à être récolté se devait de laisser participer à la moisson toutes les femmes qui le désiraient, pour autant qu’elles appartiennent à sa communauté villageoise52. Il était alors courant de voir 100 à 200 moissonneuses se répandre comme une nuée de sauterelles dans un sawah d’un hectare et le « nettoyer » en deux ou trois heures de labeur53. Le travail accompli était rémunéré en nature, la coutume étant que le propriétaire leur laissait entre 1/6 et 1/9 des bottes de paddy récoltées54 et qu’il était de leur privilège traditionnel de pouvoir choisir les plus belles et les mieux fournies qu’elles se répartissaient ensuite égalitairement. En fait, cette pratique, pur résidu historique d’une solidarité communautaire beaucoup plus étendue par le passé, avait peu à peu pris la forme d’une relation patron-client du type semi- féodal le plus classique, chaque propriétaire ayant toujours recours aux services des mêmes moissonneuses. Néanmoins, couplé avec l’utilisation d’un outil répartisseur d’emploi par excellence, elle présentait au moins l’avantage de garantir une marge de sécurité importante aux familles les plus pauvres de chaque village dont les moins démunies avaient le devoir d’assumer partiellement la subsistance, les plus riches étant évidemment les dernières à pouvoir y couper sous peine de subir une perte irréparable de prestige et de voir leur pouvoir être sérieusement contesté.

15 En fait, ce système de sécurité sociale subtilement javanais est encore très vivace partout où les variétés locales de riz n’ont pas totalement disparu, mais il est en très net recul, pour ne pas dire en voie de disparition, dans tous les villages où les variétés nouvelles sont devenues prépondérantes comme c’est le cas à Tirtonirmolo. Il y a à cela deux types de raisons : les unes d’ordre technique et les autres de nature économique. D’un côté, il s’est simplement avéré que le couteau à riz n’était pas l’outil de récolte le mieux adapté aux nouvelles variétés dont la tige est non seulement beaucoup plus courte, ce qui demande un effort physique autrement plus pénible, mais également d’une texture bien plus résistante, ce qui nécessite un mouvement plus énergique occasionnant de fortes pertes de grains, ces derniers, contrairement à ce qui est le cas pour les espèces locales, ayant une tendance à se détacher très facilement de leur panicule. L’alternative technologique la plus simple est d’utiliser la faucille et de couper le paddy à ras du sol par gerbes entières qui sont immédiatement battues sur place afin de réduire au minimum les 96

gaspillages dûs aux manipulations diverses et au transport55. Il est évident que cette technique de récolte est beaucoup plus rapide et permet par conséquent d’énormes économies de travail, la pénibilité du labeur excluant par ailleurs quasi entièrement le recours à la main-d’œuvre féminine. Comme d’un autre côté les obligations traditionnelles de partage de la pauvreté étaient depuis longtemps devenues très lourdes à supporter pour une paysannerie formée dans sa grande majorité de petits propriétaires parcellaires eux-mêmes à la limite du seuil de subsistance, comme les périodes de soudure entre les deux récoltes annuelles devenaient de plus en plus critiques pour de très nombreux paysans marginaux ou sub-marginaux et entraînaient un endettement croissant auprès d’usuriers ou d’exploiteurs locaux n’hésitant pas à leur acheter le paddy encore vert à des prix dérisoires56 et comme le nombre de villageois débrouillards en quête de travail et de revenus supplémentaires ne cessait d’augmenter, l’adoption, à un rythme plus ou moins forcé, des nouvelles variétés déboucha tout naturellement sur la disparition progressive de l’ancienne pratique de récolte mi-communautaire/mi-féodale et l’émergence simultanée d’une nouvelle forme capitaliste et marchande, puis son extension rapide à toute l’île de Java57. Elle consiste simplement de la part du paysan à vendre son paddy sur pied quelques jours avant qu’il arrive à maturité à un des nombreux entrepreneurs-récolteurs58 qui sillonnent les campagnes, évaluent les rendements, règlent sans délai en espèces sonnantes et trébuchantes et se chargent eux-mêmes de la moisson en amenant sur place leur propre équipe de travailleurs formée en général de jeunes ouvriers agricoles itinérants qu’ils emploient de manière semi-permanente à la saison. Chacun des deux partenaires y trouve son compte puisque dans une certaine mesure ils se partagent la part de la récolte qui était traditionnellement allouée aux femmes du village participant à la moisson. On voit donc très clairement que le programme gouvernemental d’intensification de la production vivrière à l’échelle nationale se traduit au niveau local, tout d’abord, par une diminution substantielle de l’offre d’emploi au moment des récoltes, phénomène dont sont au premier chef victimes toutes les femmes appartenant aux familles les plus pauvres du village et dont bénéficient une poignée d’hommes venus de l’extérieur, mais surtout, par une pénétration décisive des rapports capitalistes et marchands dans la sphère du secteur rizicole qui en était jusque là restée à l’écart et par une détérioration probablement irréversible des vestiges de cohésion et de solidarité communautaires59. En 1973, l’immense majorité des paysans propriétaires de Tirtonirmolo, riches, moyens ou pauvres avaient recours à cette méthode.

16 Ceci dit, on a toujours autant de difficultés à comprendre comment il se peut que la vaste majorité des paysans du village, quelle que soit la catégorie de propriétaires fonciers à laquelle ils appartiennent, utilise régulièrement tous les nouveaux facteurs techniques de production disponibles sur le marché, mais se refuse à recourir au crédit gouvernemental mis sur pied pour en faciliter l’acquisition. Le fonctionnaire villageois responsable des questions agricoles60 nous explique en deux mots ce phénomène à priori paradoxal. « C’est vrai », nous dit-il, « que le programme BIMAS, à proprement parler, ne rencontre pas un succès délirant à Tirtonirmolo. Par contre, les paysans du village sont dans leur ensemble très réceptifs à l’introduction des nouveaux facteurs techniques de production, en tout premier lieu des engrais chimiques61. Le problème est lié au fait que la plupart d’entre eux n’ont que très peu de terre, en moyenne 1 000 m2, et qu’ils n’ont donc pas besoin de bien grosses sommes d’argent pour les acheter, au maximum quelques centaines de rupiah. Ils préfèrent donc se débrouiller seuls pour trouver le capital nécessaire, à la limite en empruntant à un parent, un ami ou un voisin, que de passer par 97

la filière officielle qui implique des déplacements, des jeux d’écriture et des tracasseries administratives dont ils ne sont pas spécialement friands. Voilà pourquoi, la vaste majorité des paysans de Tirtonirmolo ont délibérement opté pour le programme INMAS, plus souple et moins contraignant ». On peut également ajouter à cette argumentation convaincante que la méfiance profonde de la paysannerie indonésienne à l’égard de tout ce qui est institutionnel et gouvernemental est loin d’avoir disparue62 et que les petits propriétaires hésitent surtout à adhérer au BIMAS du fait qu’ils doivent, pour ce faire, obtenir au préalable des autorités villageoises une sorte de certificat de solvabilité et très souvent donner en garantie le peu de biens qu’ils possèdent encore, y compris leur maison quand il s’agit de métayers. A Java, les plus pauvres ont en général un sens de la dignité qui leur interdit d’afficher leur misère et leurs problèmes s’ils peuvent l’éviter.

17 A Tirtonirmolo, tout se passe donc comme si il existait une espèce de seuil de crédit minimum en-deçà duquel les inconvénients inhérents à la procédure d’emprunt contrebalancent les avantages du programme BIMAS. Dans ces conditions, ce sont évidemment les paysans riches et moyens qui, relativement parlant, ont le plus grand intérêt à y participer. En effet, vu la taille de leur sawah, ils ont non seulement besoin de plus fortes quantités d’engrais ou de pesticides, mais ils obtiennent de surcroît, au titre du « coût de la vie », une somme substantielle d’argent liquide qu’ils utilisent la plupart du temps pour des dépenses de consommation non-productives peu conformes aux priorités définies par le programme d’intensification rizicole. A la limite, on pourrait même dire qu’ils sont les seuls à véritablement avoir les moyens d’emprunter via la filière officielle. Inversement, la proportion de petits paysans marginaux et, à fortiori, submarginaux, qui ont les moyens de le faire, reste très limitée, voire quasi-nulle. Pour des raisons économiques et psychologiques la plupart d’entre eux estiment simplement que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Le plus piquant dans tout cela, c’est que le programme BIMAS avait précisément à l’origine plutôt été prévu pour venir en aide aux petits paysans sans capital propre qui après deux ou trois années de participation et de meilleures récoltes seraient, financièrement parlant, suffisamment autonomes pour rejoindre le programme INMAS destiné aux paysans plus aisés. Il apparait donc qu’à Tirtonirmolo le système de crédit rural mis sur pied atteint en 1973 des résultats diamétralement opposés aux objectifs explicitement formulés quelques années plus tôt. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce problème dont les implications sont très graves, en examinant en particulier comment il se pose dans les trois autres villages du district de Bantul qui ont également été analysés.

Gros plan sur la raffinerie sucrière de Madukismo

18 Ce serait faire une grave injure au « King Sugar »63 que de ne pas lui accorder un tant soit peu d’attention après s’être étendu aussi longuement sur les bienfaits prodigués par , la déesse du riz. Comme la raffinerie de Madukismo impose dans une large mesure son propre rythme à la vie de tout le district de Bantul, il devient indispensable d’examiner son rôle, ses performances, son fonctionnement et son évolution en revenant tout d’abord sur les circonstances peu banales dans lesquelles elle vit le jour. La « Maison du Miel »64 eut, en effet, une naissance mouvementée. En ce temps là, le gouvernement indonésien entretenait des relations meilleures avec les démocraties populaires d’Europe de l’Est qu’avec les puissances ex-coloniales du monde occidental65. C’est la raison pour laquelle quand le Sultan de Yogyakarta66 envisagea de reconstruire une grande raffinerie 98

moderne pour remplacer les 17 qui existaient sur son territoire au temps des Hollandais et avaient été détruites pendant la révolution, on s’adressa aux Allemands de l’Est. Le contrat prévoyait que ces derniers construiraient entièrement une usine équipée de machines semi-automatiques de leur fabrication et la remettrait « clefs en main » aux autorités indonésiennes, seulement une fois après avoir effectué les tests initiaux de raffinage et avoir produit les premiers quintaux de sucre à partir de cannes plantées et récoltées dans le périmètre de la province de Yogya. Premier revers : les travaux de construction qui avaient débuté dans le courant de l’année 1956 et devaient se terminer un an plus tard ne furent achevés qu’en 58, avec près de douze mois de retard. Les déboires ne faisaient pourtant que commencer puisque le lendemain de son inauguration en grande pompe par le président Sukarno, la raffinerie sucrière la plus moderne d’Asie du Sud-Est ne put être mise en opération à cause des très graves erreurs commises par les ingénieurs est-allemands lors de la construction et du montage des machines67. Il fallut donc transporter à grands frais la canne plantée et prête à être récoltée dans le district de Bantul, vers une usine plus ancienne, située près de Surakarta, afin qu’elle ne soit par perdue et puisse être raffinée. L’épisode se solda par une perte sèche, aussi bien pour Madukismo que pour la paysannerie locale68. Après ces mauvais débuts, la raffinerie commença à véritablement fonctionner en 1960, mais n’atteignit son rythme de croisière que deux années plus tard. Le tableau II.7 donne une idée de sa capacité de production et de ses performances entre 1969 et 1972.

19 Au vu de ces chiffres, on pourrait en déduire que la surface récoltée chaque année semble s’être stabilisée aux environs de 2 000 ha alors qu’en fait elle continue d’augmenter régulièrement depuis 1972. C’est ainsi qu’en 1973, elle s’est élevée à 2 438 ha et qu’il était prévu de récolter 3 200 ha en 197469. Madukismo ne peut se permettre une telle extension qu’en débordant assez largement de ce qui a constitué jusqu’en 1972 son périmètre de travail traditionnel, à savoir les zones de sawah les plus fertiles et les mieux irriguées de la plaine méridionale de Yogyakarta, le district de Bantul lui fournissant, en fait, plus des 90 % de la surface réquisitionnée chaque année70. Cela signifie dans un premier temps qu’il faut aménager et relier au petit réseau ferroviaire privé qui permet d’acheminer rapidement la canne jusqu’à l’usine au moment de la récolte certaines zones plus ingrates situées du côté des marches occidentales et orientales de ce même district. C’est ainsi qu’à Wukirsari et Argodadi, les deux villages appartenant à cette catégorie qui seront analysés ultérieurement, la raffinerie venait juste de commencer ses opérations ou était sur le point de le faire lors de notre travail d’enquête en 1973, finançant même la construction de l’infrastructure d’irrigation nécessaire dans le second71. Cependant, les limites de la 99

surface exploitable dans le district de Bantul étant sur le point d’être atteintes et les autorités gouvernementales de la province faisant pression sur la raffinerie pour qu’elle participe encore plus activement à la mise en valeur hydraulique d’autres zones agricoles défavorisées, les responsables de Madukismo envisageaient déjà à cette époque de lancer quelques opérations pilote à Gunung Kidul, le plus pauvre des quatre districts que compte le Territoire Special de Yogyakarta et probablement l’une des situations de développement les plus critiques de tout le monde rural javanais72.

20 En dehors du fait qu’elle dépend bien évidemment avant tout de la surface de canne récoltée, la quantité de sucre granulé73 produit chaque année par Madukismo varie également d’une manière assez sensible en fonction des conditions climatiques. En fait, le phénomène n’est pas très marqué si l’on ne prend en considération que les rendements de canne. Bien que ce soit, selon toute vraisemblance, les fortes pluies et surtout les violentes rafales de vent74 qui sont à l’origine de la légère baisse que l’on peut observer en 1970, ces derniers restent relativement stables, se situant entre 90 et 100 tonnes de canne à l’hectare entre 1969 et 72. De telles normes sont très au-dessus de la moyenne nationale indonésienne qui, tout en représentant une chute considérable par rapport aux performances hollandaises des années 30, ne continue pas moins à constituer elle-même l’un des niveaux de productivité les plus élevés du monde75. Par contre, on voit très clairement l’incidence énorme que peut avoir le climat sur la teneur de la canne à sucre en comparant les rendements exprimés en produit raffiné qui s’écroulent à 65 qx/ha en 1970, année où l’excès de pluies s’est accompagné d’un ensoleillement médiocre, et remontent à 100 qx/ha en 1972, année où la combinaison de ses deux facteurs-clefs a été idéale. Il faut également noter qu’en dehors de la superficie de sawah qu’elle loue chaque année aux paysans du district, l’usine prend également en charge la récolte et le raffinage d’une superficie de canne supplémentaire dont la majeure partie appartient à des petits planteurs indépendants76. En 1972, par exemple, Madukismo a en fait récolté et raffiné une superficie totale de 2 125.76 ha dont 196.81 ha entrant dans cette catégorie. Avec respectivement 43 t/ha pour la canne et 43 qx/ha pour le sucre, le niveau de productivité y a été plus de moitié inférieur à celui atteint la même année par la raffinerie sur son propre périmètre de travail, alors que les pourcentages de teneur en sucre sont quant à eux restés sensiblement les mêmes77. Pour en revenir au village de Tirtonirmolo, notons que si le niveau de productivité atteint chaque année par Madukismo est tout à fait comparable aux chiffres moyens globaux mentionnés plus haut, les conditions climatiques, qu’elles soient aussi mauvaises qu’en 1970 ou aussi favorables qu’en 1972, y entraînent dans les deux cas des variations proportionnelles de rendement beaucoup plus marquées comme le montre le tableau II.8. Ceci confirme ce que nous avons déjà eu l’occasion de souligner précédemment en analysant la production rizicole, à savoir que les problèmes hydrauliques mineurs auxquels est confronté le village sont plutôt du domaine du drainage que de celui de l’irrigation, chose également vraie d’ailleurs, mais à un degré légèrement moindre, pour toute la plaine de Bantul semble-t-il. 100

21 Ceci dit, il convient de souligner que les raisons permettant d’expliquer les fortes variations locales des rendements de canne d’une récolte à l’autre, que ce soit à Tirtonirmolo ou dans tout autre village du district, sont probablement autant d’ordre agro-technique que chimique. En effet comme la plupart des raffineries sucrières indonésiennes, Madukismo pratique simultanément les deux méthodes classiques d’exploitation de la canne, la majeure partie de chaque récolte étant constituée de plants nouveaux qu’on ne laisse donner qu’une fois et qu’il vaut mieux ne couper qu’au bout de 16 mois seulement78, le reste étant le produit d’une deuxième pousse des souches laissées en terre l’année précédente qui arrivent à maturité au bout d’environ 12 mois déjà. La seconde méthode d’exploitation, dite des « plants espacés », donne bien évidemment des rendements de canne beaucoup plus bas que ceux de la première, dite des « plants annuels »79, et c’est précisément l’importance relative de chacune des deux lors de chaque récolte qui explique en partie les fortes variations annuelles de productivité que l’on peut observer au niveau local. Ces dernières s’annulant l’une l’autre expliquent par ailleurs pourquoi les rendements de canne restent relativement stables entre 1969 et 1972 au niveau du volume de production total de la raffinerie. Pour Tirtonirmolo les données statistiques de 1971 apparaissent ainsi :

22 On peut donc constater qu’environ 80% de la superficie de canne récoltée à Tirtonirmolo en 1971 était constituée de nouveau plants donnant des rendements de 50% supérieurs à ceux des secondes pousses qui couvraient les 20% restants. Ces proportions reflètent à peu de chose près l’importance relative de chacune des deux méthodes d’exploitation pour l’ensemble du périmètre de travail couvert par Madukismo chaque année. En fait, contrairement à ce qui est le cas pour la majorité des autres grands pays producteurs de 101

canne dans le monde, cette prépondérance énorme du plant annuel caractérise l’ensemble de l’industrie sucrière indonésienne et explique pourquoi les rendements y sont plus de deux fois supérieurs à ceux de Cuba par exemple. Cette option technologique plus intensive implique évidemment des frais d’exploitation supplémentaires et ne se justifie donc que dans une région où les conditions naturelles ambiantes (pédologiques, climatiques et hydrauliques) et l’abondance de main-d’œuvre bon marché garantissent à la fois des rendements élevés et des bas coûts de production. Java était l’endroit rêvé par excellence où introduire et développer un tel système d’exploitation80 et, depuis le moment où les planteurs bataves l’ont mis au point jusqu’à aujourd’hui, celui des plants espacés, dominant dans de nombreux autres pays producteurs, a toujours joué un rôle d’appoint très secondaire en Indonésie.

23 Nous avons eu l’occasion d’expliquer plus haut le système semi-coercitif par lequel Madukismo arrive à se procurer chaque année la superficie de terre indispensable à sa survie économique et de voir le type de problèmes que cela pose. En fait, afin d’éviter les conflits prévisibles relatifs à la terre, à l’eau et à la main-d’œuvre, mais aussi peut être pour définitivement rompre avec des pratiques d’inspiration purement coloniale particulièrement impopulaires, c’est un tout autre système qui avait été retenu à l’origine. Il avait, en effet, été décidé que l’usine ne s’occuperait que du raffinage, mais qu’elle octroierait une aide financière et une supervision technique aux paysans afin qu’ils plantent la canne, ces derniers s’engageant de leur côté à la lui vendre à un prix par quintal fixé d’avance, le montant du crédit initial étant déduit de la somme d’argent qui leur serait versée lors de l’opération finale du pesage81. Outre le fait que, grâce au génie peu commun des ingénieurs est-allemands, tout commença sous les pires auspices, les quelques petits planteurs qui avaient osé se lancer dans l’aventure en étant pour leur frais, la formule ne déchaîna pas un enthousiasme délirant auprès de la paysannerie et ceci pour deux raisons principales. D’une part, la mémoire collective des villageois javanais qui sait depuis les temps immémoriaux que la culture du riz a de fortes chances de garantir subsistance et indépendance, a par contre appris en l’espace d’un peu plus de deux siècles que celle de la canne signifiait la plupart du temps famine et exploitation. Le gouvernement maintenant d’autre part le prix du sucre artificiellement bas sur le marché interne n’a évidemment pas incité les paysans à planter moins de riz et plus de canne. Après quelques années d’hésitation qui se soldèrent par un lourd déficit financier pour la raffinerie, le système initial dut donc être abandonné et fut remplacé par celui qui était toujours en place au moment de nos enquêtes dans la région de Yogyakarta en 1973.

24 Du point de vue de Madukismo, son avantage essentiel sur le précédent système était qu’il devait lui permettre, en lui garantissant la disponibilité d’un périmètre de travail plus ou moins constant chaque année, de rentabiliser ses opérations et de mieux planifier son développement futur82. Cependant, les prix du sucre étant toujours aussi peu compétitifs par rapport à ceux du riz et les loyers offerts par la raffinerie, bien qu’ils aient été régulièrement ajustés83, correspondant à cet état de fait, les paysans montrèrent, dès le début, beaucoup de réticence à lui céder leur sawah, même à titre temporaire84. Les choses en étaient toujours là en 1973, mais les autorités villageoises exerçant de fortes pressions, ils étaient dans l’obligation d’obtempérer, leur mauvaise volonté se traduisant toutefois par des délais et des retards devenus monnaie courante qui se soldent par une augmentation des coûts d’opération, soit que l’usine doive louer la terre au delà des 14 mois habituels, soit qu’elle doive couper la canne avant qu’elle ait atteint sa pleine maturation, d’où une plus faible teneur en sucre et des rendements moins élevés85. Le 102

véritable revers de la médaille est cependant lié au fait que dans le nouveau système la responsabilité de toutes les opérations de production, de l’aménagement des sawah réquisitionnés86 au raffinage de la canne, incombait entièrement à Madukismo. La gestion devenant plus lourde et minutieuse et les opérations agricoles étant plus nombreuses, cela entraîne une hausse importante des frais de fonctionnement, ne serait-ce que parce qu’il devient indispensable d’augmenter les effectifs du personnel permanent et temporaire. En ce qui concerne la première catégorie, Madukismo employait 68 cadres supérieurs administratifs ou techniques et 808 employés subalternes en 197387. Bien qu’ayant un statut juridique d’entreprise privée88, la raffinerie applique plus ou moins l’échelle des salaires pratiquée par celles appartenant au secteur public nationalisé89. C’est ainsi que les salaires des employés permanents subalternes ont été augmentés de 182 Rp à 227.50 Rp par jour en avril 73. En fait, cette hausse importante de 25 % ne leur permit que d’éviter une forte baisse de leur pouvoir d’achat puisque le taux d’inflation calculé sur la base du prix des 10 produits de consommation essentiels90 avait atteint 22 % entre janvier et décembre 197291. En ce qui concerne les ouvriers journaliers saisonniers, la hausse a été sensiblement plus intéressante, variant de 35 % pour les manœuvres agricoles, dont le salaire est passé de 115 à 155.50 par jour, à 38 % pour les coupeurs, qui se sont vu octroyer 18 Rp par quintal de canne récolté au lieu des 13 Rp qu’ils recevaient auparavant92, la différence par rapport aux employés permanents se justifiant aisément au regard de l’insécurité de l’emploi à laquelle ces temporaires sont confrontés.

25 Quoiqu’il en soit, tous ces facteurs entraînent des coûts de production croissants pour Madukismo. Or, la politique gouvernementale en la matière faisant que ces coûts ne sont pas immédiatement et intégralement répercutés sur les prix de détail du sucre, qui n’a augmenté que de 16 % sur le marché de Yogyakarta en 197293, les difficultés d’ordre financier restent un sujet de préoccupation constant. La direction laisse d’ailleurs clairement entendre que la plupart de ces problèmes sont inhérents à la nature profondément ambivalente de Madukismo qui, bien qu’étant juridiquement parlant une entreprise privée, serait plutôt amenée à suivre la politique d’un service public de développement rural, du simple fait qu’elle est la propriété du gouvernement régional. Concrètement cela signifie que si d’un côté on fait indéniablement pression sur la paysannerie locale pour qu’elle loue régulièrement et sans retard son sawah à l’usine, au besoin en faisant intervenir la bureaucratie villageoise, de l’autre on essaye de réduire au minimum cet aspect semi-coercitif très impopulaire en puisant surtout dans la réserve que constituent les terres dont cette dernière à la droit d’usage94. D’ailleurs, le manque à gagner que subissent de temps à autre certains petits propriétaires est justifié au nom du travail fourni en contrepartie à la masse importante des sans-terres, phénomène qui profite au demeurant principalement au village de Tirtonirmolo vu l’emplacement de l’usine95. On est donc confronté à un subtil jeu d’équilibre typiquement yogyanais qui exclut tout jugement catégorique manichéen sur le rôle « globalement » positif ou négatif de la raffinerie dans le processus de développement de la province. 103

NOTES

1. Le mot d’origine anglaise paddy est d’ailleurs une adaptation du malais padi qui contrairement à lui ne se réfère qu’à la plante quand elle est encore dans le sawah et non au riz non-décortiqué qui se dit gabah. Le riz une fois décortiqué s’appelle beras et c’est seulement quand il est cuit et prêt à être consommé que l’on emploie le mot nasi. Quand on pense que si la langue française n’avait pas emprunté le mot paddy aux anglais il n’y aurait qu’un seul et unique terme, riz, là où il y en a quatre en bahasa, on réalise rapidement l’importance du lien qui existe entre la linguistique, l’écologie et la société. 2. La durée de végétation la plus rapide est par exemple de 90 à 100 jours pour certaines espèces hybrides mises au point par le centre international de recherche sur le riz (IRRI) de Los Baños aux Phillipines. 3. Toutes les cultures que les anglo-saxons appellent « secondary food crops » sont regroupées sous le nom de palawija en Indonésie. Les plus importantes d’entre elles sont le maïs (jagung), l’arachide (kacang tanah), le soja (kedele), le manioc (ketala pohon ou ubi kayu), et les patates douces (ketala rambat ou ubi jalar). 4. On considère conventionnellement que la saison sèche commence début avril et se termine fin septembre dans le district de Bantul et dans tout le reste de la région de Yogyakarta. En fait les deux saisons ne sont pas aussi strictement délimitées. En règle générale, les 5 mois les plus pluvieux vont de novembre à mars, alors que la sécheresse est particulièrement marquée de mai à septembre. Les deux mois restants, avril et octobre, sont plutôt des mois de transition comme cela est indiqué sur le graphique II.1, le premier étant une sorte de prolongement de la saison pluvieuse dans la saison sèche et le second étant exactement le contraire. Cependant, il faut noter aussi qu’il y a de très fortes variations pluviométriques d’une année à l’autre qui font que certains décalages saisonniers peuvent se créer. C’est ainsi que la saison sèche a été tardive en 1969 (début mai-fin octobre) et préoce en 1971 (début avril-fin septembre), bien que dans les deux cas, elle ait eu une durée normale de six mois. Il arrive par contre qu’elle soit trop courte comme en 1970 (début juin-fin septembre) ou trop longue comme en 1972 (début avril-fin novembre). Ce type de dérèglement climatologique à des conséquences catastrophiques pour l’agriculture. Ce fut en particulier le cas en 1972, l’une des années les plus sèches depuis l’indépendance indonésienne, où il n’a pas plu une goutte d’eau dans le district de Bantul entre le 1er juin et le 31 octobre. 5. Pépinière et repiquage quand il s’agit de padi, semis direct lorsque l’on a affaire à des palawija. 6. Pour cette même raison, le début des opérations de la première culture n’est pas modifié. On a donc C1 en avril-mai et C2 en octobre-novembre, les périodes de moisson étant maintenues ou repoussées parallèlement. 7. Après la récolte, il faut environ 2 jours pour nettoyer un sawah de 1 ha de toute la paille qui y reste et préparer l’emplacement de la pépinière (50 à 100 m2) en le labourant et en l’inondant. Ensuite il faut 5 jours pour labourer le reste du sawah, à l’aide de buffles et à la main, et planter les semences dans la pépinière. Pendant les 20 jours suivants, on laisse les sawah se reposer et les semences pousser. Alors on le laboure à nouveau, en amollisant la terre jusqu’à ce qu’elle devienne très fine, et on l’inonde en ouvrant les vannes d’eau, toute cette opération consommant environ 3 jours. Finalement on attend encore 2 jours jusqu’à ce que l’eau du sawah devienne claire avant de transplanter et repiquer les semences qui sont alors depuis 25 jours dans la pépinière. Cette dernière et pénible opération occupe de 15 à 20 femmes pendant toute une longue journée de travail. Il s’est donc écoulé 32 jours entre le moment où la dernière 104

moissonneuse a quitté le sawah et celui où la dernière repiqueuse en sort. On voit donc que chaque jour est compté, ce d’autant que les paysans de Bantul utilisent aussi beaucoup de variétés semi-hâtives (105 à 120 j) qui sont plus résistantes aux pestes majeures. 8. Voir le graphique II. 1 où une ligne de subdivision a été tracée entre les trois premiers et le dernier mois de chacune des 3 phases du calendrier agricole. 9. Ce furent les fameux systèmes coloniaux dits des livraisons forcées puis des cultures obligatoires (Culturstelsel.) 10. La seconde étant que la majorité des propriétaires sont eux-mêmes des paysans marginaux ou sub-marginaux. 11. A noter que sur les 55 raffineries sucrières que comptait le pays en 1973, seules 5 n’étaient pas des entreprises d’état gérées par le gouvernement central. Madukismo, qui est l’une d’entre elles est la propriété du gouvernement régional. 12. Les nouvelles espèces utilisées par Madukismo (PS 8, PS 30 et PS 41) ont un temps de maturation sensiblement plus court que les espèces dites « javanaises » (POJ 3016 et POJ 3067), dérivées de celles initialement mises au point par les Hollandais, dans leur fameuses station expérimentale de Pasuruan (POJ =Proefstation Oest Java), qui continuent de constituer le gros de la récolte. 13. Ce qui selon eux aurait dû être le cas si le gouvernement avait contrôlé moins sévèrement la hausse du prix du sucre et mieux celle du prix du riz. 14. Toutes les données sur les prix proviennent des statistiques mensuelles compilées par le Biro Urusan LOGistik (BULOG) de la province de Yogyakarta à partir de relevés quotidiens effectués sur les différents marchés (pasar) de la ville. 15. En fait, il serait probablement plus juste de parler d’un taux d’intensité de récolte, puisque les surfaces plantées, mais non récoltées, pour cause de pestes ou d’autres dégâts naturels, ne sont pas comptabilisées dans ce calcul. S’il existait des statistiques nous permettant de le faire, il est certain que le taux moyen d’intensité de culture apparaîtrait encore plus élevé. Par ailleurs, le taux que nous utilisons est calculé sur la base d’une superficie arable de 247.62 ha composée de 239.45 ha de sawah et de 8.17 ha de tegal, le pekarangan, qui couvre 174.14 ha, mais joue un rôle mineur en ce qui concerne les 9 cultures indiquées dans le tableau II.3, n’étant pas pris en considération. Ce serait d’ailleurs impossible, car le peu de manioc ou de patate douce qui y est cultivé n’est en règle générale pas recensé. 16. Il est très exactement de 228.8 % en 69, de 211.5 % en 70, de 204.6 % en 71 et de 212.2 % en 72. 17. Année qui a été sèche en moyenne, mais pendant laquelle les précipitations ont été particulièrement régulières, graduelles et bien réparties entre les 12 mois. En fait, seuls les mois de juillet et août ont été absolument secs. 18. Il est, par exemple, encore tombé 176 mm d’eau en 15 jours pendant le mois de mai, supposé sec, et surtout 511 mm en 10 jours de pluies très violentes en octobre. 19. Quand il y a eu trop d’eau pendant la saison des pluies il semble que les pertes de paille et autres déchets soient beaucoup plus élevées lors de l’opération de séchage-décortiquage. La différence peut atteindre 10 kilos de riz par quintal de paddy. 20. Où il n’a pourtant pas plu une seule goutte d’eau entre le 1er juin et le 31 octobre. 21. La baisse a été particulièrement marquée pour le maïs, mais plus encore pour le soja, phénomène particulièrement regrettable vu le rôle majeur que cette plante joue dans l’équilibre nutritionnel des familles javanaises les plus pauvres, faibles consommatrices de viande, en raison de son fort contenu en protéines végétales. 22. Nous reviendrons un peu plus loin, en détail, sur les problèmes de production, de croissance et de gestion auxquels est confrontée la raffinerie de Madukismo, non seulement à Tirtonirmolo, mais dans tout le district de Bantul en général. 23. Il faut indiquer, à ce sujet, que si les chiffres concernant les surfaces récoltées sont relativement fiables dans les villages javanais, il n’en va pas toujours de même pour ce qui est des 105

rendements moyens qui sont souvent des généralisations à partir de parcelles de démonstration (Demplot) assez peu étendues, mais particulièrement bien entretenues, fumées et soignées ou, encore pire, de simples estimations. Toutefois, les chiffres obtenus auprès du responsable des questions agricoles du village (kepala bagian kemak-muran) ont été sérieusement confrontés aux données existantes aux échellons administratifs supérieurs (sous-district, district, province) et surtout correspondent en moyenne aux renseignements fournis par les paysans propriétaires- exploitants eux-mêmes. 24. Ce pourcentage a été obtenu en amalgamant la production des 7 cultures vivrières secondaires (palawija) qui passe de 346.5 tonnes en 1969 à 182.5 tonnes en 1972. En simples termes de quantité de produits alimentaires disponibles, cette baisse de 164 tonnes (346.5 - 182.5) fait plus que contrebalancer la hausse de 153.2 tonnes de paddy (1 957.1 - 1 803.9) auquel on assiste pendant le même laps de temps. Bien évidemment ce calcul des plus sommaires ne doit être considéré que comme un indicateur partiel vu qu’il ne tient pas compte du prix de chaque produit agricole. Si tel était le cas, le paddy serait légérement revalorisé, car il a non seulement une plus haute valeur que la plupart des autres produits d’un point de vue objectif (prix du marché), mais également d’un point de vue subjectif (valorisation socio-culturelle). 25. Il faut dire à leur « décharge » qu’ils se bornent en général à commenter les chiffres globaux de production nationale ou régionale et que le phénomène est moins transparent à ce niveau d’analyse macroéconomique vu que la hausse de production rizicole est également partiellement le résultat d’une augmentation des rendements de paddy contrairement à ce qui est le cas à Tirtonirmolo. 26. A titre de comparaison les rendements de paddy humide (padi sawah) ne sont en 1969 que de 35.3 quintaux à l’hectare pour Java-Madura, 37.9 pour la Province Spéciale de Yogyakarta, 46.0 pour le district de Bantul et 45.6 « seulement » pour le sous-district de Kasihan, dont Tirtonirmolo fait partie. Les deux premiers chiffres proviennent de Statistik Indonesia 1975, Jakarta, Biro Pusat Statistik, 1976, p. 442, alors que les deux derniers ont été obtenus auprès des autorités du kabupaten Bantul. 27. Si l’on prend la Thaïlande, pays voisin, comme exemple comparatif, on découvre que les rendements des principales cultures vivrières secondaires sont bien meilleurs qu’en Indonésie. En 1969 : maïs 24.5 qx/ha contre 9.4 qx/ha, manioc 161.3 qx/ha contre 74.0 qx/ha, arachide 13.3 qx/ha contre 7.2 qx/ha et soja 10.2 qx/ha contre 7.0 qx/ha. Par contre, les rendements de paddy indonésiens, riz humide (padi sawah) et riz sec (padi ladang) confondus, sont de loin supérieurs aux rendements thaï la même année : 29.4 qx/ha contre 18.5 qx/ha seulement. De fait, les paysans de Tirtonirmolo et des autres villages javanais, s’ils n’hésitent pas à investir énormément dans leur sawah, autant en travail qu’en capital, quand il s’agit de riz ont par contre tendance à toujours considérer en général que les cultures vivrières secondaires sont véritablement secondaires. Nous aurons l’occasion de revenir sur cette question. Les chiffres concernant les rendements Indonésiens indiqués plus haut sont tirés de Statistik Indonesia 1975, op. cit., pp. 441-448, alors que pour la Thaïlande ils proviennent de l’annexe statistique d’un rapport de la Banque Mondiale datant d’octobre 1974. 28. C’est d’ailleurs cette croissance à un rythme forcé qui est à l’origine de certains des problèmes les plus aigus auquel le programme a été confronté par la suite, ce qui prouve que les leçons des échecs précédents n’avaient pas encore été entièrement tirées et assimilées. 29. La seule différence entre le BIMAS Ordinaire (Biasa) et Nouveau (Baru) étant que dans le second seraient exclusivement utilisées les variétés semi-naines à hauts rendements mises au point par l’IRRI de Los Baños, les fameux IR 5 et IR 8. Il est à noter qu’en Indonésie, ces 2 espèces sont appelées PB 5 et PB 8, les initiales PB signifiant Peta Baru ou Nouvelle Peta, du nom de l’une des deux variétés, le Peta Indonésien qui vit le jour à Bogor, en 1941, et était à leur origine, l’autre étant le Dee-Geo-Woo-Gen, originaire de Taïwan. En fait, par la suite seront aussi utilisées dans le BIMAS Baru d’autres variétés comme le C4 des Philippines (1969) ou les Pelita I/1 et I/2 106

indonésiens (1971). Tout paysan utilisant d’autres variétés traditionnelles comme les fameux Rajalele et Cianjur ou mêmes locales améliorés comme le Bengawan, le Sigadis, le Jelita, le Sinta, le Dewi Ratih ou le Gembira étant automatiquement classé dans le programme BIMAS Ordinaire. 30. Les 2 « paquets de crédit » se décomposant de la manière suivante :

31. Les paysans faisaient désormais des demandes de crédit individuelles qui étaient contresignées par le chef du village, sorte de confirmation du fait qu’ils étaient bona fides. Les demandes étaient ensuite examinées et approuvées en un jour, les paysans acceptés recevant alors un coupon leur permettant de prendre livraison des engrais et pesticides dont ils avaient besoin auprès d’un marchand local agréé, la Banque du Peuple Indonésien (BRI) leur fournissant pour sa part le montant en espèces qu’ils avaient droit de toucher au titre du « coût de la vie ». Il faut ajouter à cela, que les propriétaires fonciers pouvaient utiliser leur terre comme nantissement, mais que les métayers se voyaient offrir la possibilité d’utiliser d’autres possessions (pekarangan, maison) et même leur production. 32. C’est ainsi qu’ils pouvaient, dans la limite des maximums fixés par hectare, choisir le montant de leur emprunt, ainsi que sa composition pour autant qu’ils utilisent quand même un minimum d’engrais et de pesticides, gage d’une amélioration de la productivité pour le gouvernement. 33. Les anciennes coopératives agricoles ou KOPERTA (KOperasi PERTAniari) avaient été un échec total, la dévaluation de 1966 leur portant, il est vrai, le coup de grâce. Dans le nouveau système proposé, également mis sur pied par le professeur Hadisapoetro et son équipe, les villages (kelurahari) étaient regroupés à raison de 5 à 8 par « Unité Villageoise » (Unit Desa), chacune d’entre elles couvrant de 600 à 1 000 ha de sawah et regroupant entre 1 800 et 3 000 paysans- exploitants. Chaque Unit Desa employait 3 personnes (1 clerc, 1 caissier et 1 responsable des questions agricoles) qui s’occupaient des activités de crédit sous la supervision de la Banque du Peuple Indonésien (Bank Rakjat Indonesia ou BRI). Finalement, chacune de ces Unit Desa était provisoirement constitué en une sorte de comité de coordination (Badan Usaha Unit desa ou BUUD) qui se transformerait en coopérative villageoise unitaire (Koperasi Unit Desa ou KUD) après quelques années de fonctionnement qand les villageois pourraient en assurer eux-mêmes la gestion. De fait chaque coopérative d’unité villageoise devait à terme devenir une coopérative agricole polyvalente, s’acquittant des tâches d’extension agricole, de crédit rural, de distribution des engrais ainsi que du décortiquage, de l’achat, du stockage et de la vente du riz. 34. Soit BIMAS BAru (BBA), BIMAS BIasa (BBI), INMAS BAru (IBA) et INMAS BIasa (IBI) dont on peut donner les définitions suivantes : BBA : variétés nouvelles et « paquet de crédit » gouvernemental à 13 562 Rp/ha 107

BBI : variétés ordinaires et « paquet de crédit » gouvernemental à 8 636 Rp/ha IBA : variétés nouvelles et pas de crédit gouvernemental IBI : variétés ordinaires et pas de crédit gouvernemental 35. Ceci est également valable à l’échelle nationale comme le souligne avec justesse A. T. BIROWO, BIMAS, a package program for intensification of food crop production in Indonesia, op. cit., p. 5. Il laisse même entendre que les réalisations du programme INMAS ont surtout servi à combler le fossé existant entre les objectifs et les réalisations du programme BIMAS. 36. Il y en a deux par an, correspondant aux deux récoltes annuelles de riz. 37. Ce « coût de la vie » (Cost of Living ou COL) est censé aider les paysans à tenir bon au moment de la jointure (paceklik) afin de ne pas être obligés de vendre leur paddy sur pied, pour un prix inférieur, à des commerçants privés. Nous aurons l’occasion de revenir sur cette pratique très répandue à Tirtonirmolo et dans de nombreux villages javanais qui est connue sous le nom de tebasan. 38. Si l’on prend la moyenne des 4 campagnes de crédit, l’objectif financier représente une somme de 11 842 Rp par hectare. Cette somme est d’ailleurs, à peu de chose près, équivalente à la moyenne des formules de crédit des deux variantes du programme BIMAS, soit 11 099 Rp. 39. La formule de crédit de la variante BIMAS Baru correspond à une somme de 13 562 Rp par hectare. Un paysan possédant 5 627 m2 de sawah a donc théoriquement droit à un crédit d’un montant maximum de 7 631 Rp. Or, il n’emprunte en moyenne que 2 687 Rp par saison, soit ±35 % de la somme à laquelle il peut prétendre. 40. La somme totale de 13 562 Rp par ha, allouée dans la variante BIMAS Baru, se subdivise en deux parties, 9 562 Rp pour les facteurs techniques de production et 4 000 Rp pour le « coût de la vie ». Un paysan possédant 5 627 m2 de sawah a donc droit à une somme maximum de 7 631 Rp dont 5 380 Rp pour les facteurs techniques de production et 2 251 Rp pour le « coût de la vie ». Or, selon les moyennes que nous avons calculé, il n’emprunte que 2 687 Rp, dont 1 671 Rp pour les facteurs techniques de production et 1 018 Rp pour le « coût de la vie », soit respectivement 31 % et 45 % des sommes auxquelles il peut prétendre. 41. Un sac de 50 kg d’urée (urea) ou de super-triphosphate (TSP) coûtait le même prix sur le marché indonésien en 72/73 : 1 330 Rp soit 26.6 Rp par kilo. Cinquante kilos d’urea et 10 kilos de TSP revenaient donc très exactement à 1 596 Rp. Les 75 Rp de différence ne permettaient donc pas d’acheter plus de 100 cl de diazinon et 5 gr de zinkphosphida, dont les prix étaient respectivement de 700 Rp/lt et de 45 Rp/100 gr. 42. Dans la variante BIMAS Baru, le Gouvernement recommandait l’utilisation de 200 kg d’urea, 45 kg de TSP, 2 lt de diazinon et 100 gr de zinkphosphida par hectare. Pour une superficie de 5 627 m 2 cela correspond respectivement à 112 kg d’urea, 25 kg de TSP, 1.12 lt de diazinon et 56 gr de zinkphosphida, soit deux fois plus d’engrais et dix fois plus de pesticides que n’en appliquait le paysan qui n’empruntait que 1 671 Rp pour payer les facteurs techniques de production dont il estimait avoir besoin. 43. Ils sont pour mémoire 1 150. 44. En fait, sur les 12 hameaux (dukuh) que compte le village de Tirtonirmolo, c’est Djeblog qui vient en tête avec 16 participants au programme BIMAS lors de la campagne de crédit 1972/73, Mrisi n’étant que second avec 12 participants. Au bas de l’échelle, c’est bien Jogonalan qui est dernier ex-aequo avec Beran. 45. Dont 43.80 ha en BIMAS Nouveau contre seulement 1.45 ha en BIMAS Ordinaire, ce qui confirme la désafection presque totale des paysans pour la seconde fourmule de crédit. 46. Certains participants allant même jusqu’à emprunter 3 fois plus en cash qu’en nature comme l’un d’entre eux qui, possédant 9 000 m2 de sawah, emprunte 4 400 Rp dont seulement 1 330 Rp pour les facteurs techniques de production, ce qui représente tout juste un sac de 50 kg d’engrais chimiques, contre 3 070 Rp au titre du « coût de la vie ». 47. Principalement de l’urée (urea). 108

48. Cela confirme certaines théories de socio-économie agricole qui soulignent la corrélation positive qui existe souvent entre la diminution de la superficie cultivée et l’augmentation de l’intensité avec laquelle elle est cultivée. Nous examinerons de plus près la question de savoir s’il y a des incidences au niveau des rendements dans la présentation des quelques interviews de paysans sélectionnés à titre d’exemple. Il est tout de même à priori surprenant de voir que le plus gros propriétaire participant à la campagne BIMAS 72/73 possède 45 000 m2 de sawah et n’emprunte que 10 700 Rp dont 2 660 Rp seulement pour les facteurs techniques de production, soit 100 kilos d’engrais en tout et pour tout, les 8 040 Rp restantes lui étant attribuées au titre du « coût de la vie » ! Il est plus que probable qu’il se procure une assez grande quantité d’engrais sur le marché libre ou en les rachetant à bas prix à ceux qui en ont emprunté trop et qu’il ne participe au programme BIMAS qu’en fonction du petit capital liquide qu’il peut réaliser et utiliser à d’autres fins. A l’opposé, deux des participants ayant 1 000 m2 de sawah ont emprunté l’équivalent de 25 kilos d’urée, soit 250 kg/ha, alors que deux autres possédant 1 500 m2 ont même emprunté l’équivalent de 50 kilos, soit plus de 330 kg/ha ! Dans les 4 cas, la composante « cash » du crédit étant inférieure, et parfois de très loin, à la composante en nature. 49. Certains ont, en fait, commencé à y avoir recours au début des années 50 dans le village. Par ailleurs, la plupart utilisent également du compost ainsi qu’un peu d’engrais d’origine animale quand ils ont quelques buffles, vaches ou moutons, ce qui est assez rare. Ils utilisent également presque tous de petites quantités de pesticides. Ils suivent, en fait, assez scrupuleusement les cinq principes de base (Panca Usaha) du bon riziculteur qui sont affichés dans tous les bureaux de village par les soins des services de vulgarisation agricole : 1) Bien contrôler le niveau hydraulique, c’est-à-dire : a - 1ère-6e semaine 2.5 à 5 cm b - 7e-10esemaine 5 à 7 cm c - 11e-14e semaine 7.5 à 10 cm d - 15e-7e semaine 10 à 0 cm. 2) Utiliser des variétés nouvelles. 3) Appliquer les engrais recommandés, a - Après avoir vidé le sawah de son eau entre la 3e et 4e semaine et avoir désherbé, b - Idem entre la 6e et 7e, c - Idem entre la 9e et 10e. 4) Avoir recours aux pesticides si nécessaire. 5) Observer les règles prescrites concernant : a - la pépinière qui doit avoir 120 x 130 cm, b - le repiquage des semences qui doit se faire tous les 25 cm. 50. Sur 282 hectares de paddy récolté, il y avait environ 200 ha en IR 5 et IR 8, 80 en Pelita et 60 en C4 contre 40 pour toutes les variétés traditionnelles ou locales améliorées amalgamées. Les rendements variaient entre 5 et 6 tonnes pour les premiers contre 3.5 à 4.5 tonnes pour les secondes. Une des raisons pour lesquelles les variétés IR n’étaient pas plus prépondérantes est due au fait qu’ils ne sont guère appréciés des consommateurs qui trouvent que ce type de riz est trop dur et n’a pas bon goût. Les variétés C4 et Pelita donnant des rendements sensiblement égaux et ayant une qualité légèrement supérieure, beaucoup de paysans préféraient les utiliser. Ceux d’entre eux qui persistaient à utiliser des variétés traditionnelles ne faisait pas automatiquement un mauvais calcul du fait qu’ils atteignaient tout de même des rendements remarquables de 4 t/ha, mais que le riz se vendait 30 à 40 % plus cher sur le marché local vu leur popularité auprès des consommateurs. Ces éléments économico-culinaires ne doivent pas être sous-estimés ou même rejettés comme cela est trop souvent le cas. Il suffit pour s’en convraincre d’entendre un javanais nous dire qu’il ne peut décidement pas manger tout ce que mangent les chinois ou les occidentaux, non pas parce qu’il est musulman, mais parce qu’il a une « langue javanaise » (lidah djawa). Nous aurons l’occasion de revenir sur la logique de l’utilisation des 109

variétés traditionnelles comme le délicieux Rajalele en analysant le village de Timbulharjo où il était encore assez répandu en 1972/73. 51. Dans la mythologie javanaise, le riz est traditionnellement associé aux concepts de fécondité et de fertilité et par voie de conséquence au sexe féminin. C’est la raison pour laquelle ce sont les femmes qui manipulent normalement la plante à proprement parler, du repiquage à la récolte, les hommes préparant quant à eux la terre. L’utilisation du couteau à riz appelé ani-ani a d’ailleurs également une explication d’ordre mythologique car Dewi Sri, la déesse du riz, est censée vivre dans les tiges de paddy qu’il convient donc de couper une à une avec la plus grande précaution pour ne pas l’effrayer ou, pire, l’offenser. 52. Etant entendu que la communauté villageoise se situe au niveau du hameau (pedukuhari) et non du village (kelurahan). 53. Dans certains cas, on a même observé jusqu’à 500 moissonneuses par hectare. Voir COLLIER, WIRADI & SOENTORO, « Recent changes in rice harvesting methods », Bulletin of Indonesian Economic Studies, Vol IX, N° 2, July 1973, p. 37. 54. Ce système traditionnel est appelé bawon à Java. Il est à noter que dans certains cas, la part des moissonneuses peut tomber jusqu’à l/15e de la récolte seulement. 55. Les gerbes sont battues sur une tôle ou un grillage incliné et les grains de paddy sont ensuite séparés des résidus de paille par simple vannage. Ensuite le paddy est laissé à sécher au soleil sur des nattes, le long des routes. L’importance des variétés locales par rapport aux nouvelles variétés peut donc être immédiatement déduite dans n’importe quelle région indonésienne de la simple comparaison visuelle entre la proportion de bottes de paddy (padi) et de grains de paddy (gabah) séchant le long des routes. 56. Ce système est connu sous le nom de ijon à Java, de hidjau qui signifie vert. Sur cette forme de crédit non-institutionnel particulièrement usuraire, voir ACE PARTADIREJA, « Rural credit : the ijon system », Bulletin of Indonesian Economic Studies, Vol X, N° 3, November 1974, pp. 54-71. 11 nous dit, entre autre que le coût de ces emprunts varie entre 8.5 % et 25 à 30 % par mois ! 57. On passe ainsi directement du bawon, mentionné plus haut, qui signifie « part », à ce que l’on appelle à Java le tebasan, de tebas qui peut être traduit par coupe/nettoyage. En fait il existe une troisième formule intermédiaire moins répandue connu sous le nom de ceblokan, qui est dérivé de tjeblok, signifiant « planter » en javanais. Dans ce système, un groupe de femmes repique et prend soin d’un sawah sans être rémunéré, mais en obtenant le droit de le récolter sans que personne d’autre ne puisse se joindre à elles. Leur part est alors de l/6e mais étant donné que leur nombre est limité chacune d’entre elles obtient plus que dans le bawon classique. 58. Ces personnages qui jouent un rôle de plus en plus prépondérant dans la vie rurale javanaise sont appelés des penebas, c’est-à-dire coupeurs/nettoyeurs. 59. Sur les effets sociaux du tebasan sur lesquels nous aurons l’occasion de revenir plusieurs fois, voir COLLIER et al, « Recent changes in rice harvesting methods », op. cit., ainsi que Y. HAYAMI & ANWAR HAFID, « Rice harvesting and welfare in rural Java », Bulletin of Indonesian Economic Studies, Vol XV, N° 2, July 1979, pp. 94-112, qui apportent quelques commentaires et corrections au premier. 60. Kepala bagian kemakmuran auquel on s’adresse en l’appelant plus simplement et plus familièrement Pak Makmur, ce qui signifie « Père Prospérité ». 61. Pour reprendre l’expression couramment employée en Indonésie, ils sont « pupuk minded » (sic !), le mot pupuk signifiant engrais. 62. Ce qui peut se comprendre ne serait-ce qu’au vu de l’échec des différentes formules qui avaient précédé le programme BIMAS Perfectionné. 63. Appellation utilisée par JACQUES FORSTER, « “King Sugar” Naissance et expansion de l’économie de plantation dans les Caraïbes », dans Le Village Piège, Urbanisation et agro-industrie sucrière en Côte d’Ivoire, Paris/Genève, PUF/IUED, Cahiers de l’IUED, N° 8-9, 1978, p. 309. L’auteur signale 110

d’ailleurs qu’il l’a lui-même emprunté au titre d’un chapitre de l’ouvrage de E. WILLIAMS, From Colombus to Castro, The history of the Caribbean 1492-1969, London, A. Deutsch, 1970. 64. Madukismo se compose de deux mots javanais, madu qui signifie miel et kismo qui signifie maison selon SELOSOEMARDJAN, Social changes in Yogyakarta, op. cit., p. 296. En fait, kisma signifiant aussi terre ou sol d’après ELINOR C. HORNE, Javanese-English Dictionary, op. cit., p. 287, Madukismo pourrait également se traduire par « miel de la terre ». 65. Pour mémoire, il faut se rappeler que l’Indonésie n’était sortie qu’en 1949 d’une longue guerre coloniale avec la Hollande et était en pleine campagne de revendication visant à la restitution par cette dernière de l’Irian Barat. Par ailleurs, avait eu lieu en 55 la conférence de Bandung dans la préparation de laquelle elle avait joué un rôle très important et qui marquait sont engagement dans le mouvement anti-impérialiste des non-alignés qui avait le soutien de Moscou. Cela n’est qu’en 1958 que Sukarno allait lancer l’ère de la « Démocratie Dirigée » et, en se radicalisant de plus en plus, se rapprocher graduellement de Pékin dont les relations avec le Kremlin avaient commencé à se dégrader la même année suite à l’échec du « Grand Bond en Avant ». Ce que d’aucuns ont appelé un peu abusivement « l’Axe Djakarta-Pékin » allait être rompu en 1965 avec l’arrivée des militaires au pouvoir qui inversèrent totalement le jeu d’alliances. 66. En l’occurrence le Sultan Hamengkubuwono IX. 67. En fait, beaucoup de ceux qui se réfèrent à cet épisode peu glorieux laissent entendre que les ingénieurs est-allemands ont purement et simplement installé à Madukismo des machines utilisées chez eux pour raffiner la betterave ! C’est peut être là une manière un peu caricaturale de relater les faits, même si elle ne manque pas de piquant. La vérité n’en est d’ailleurs pas très différente, puisqu’il semble que les « experts » est-allemands, qui manquaient en l’occurrence totalement d’expérience dans le domaine de la canne, aient monté des distilleuses qui bouillaient à plus de 100° C, ce qui est bien trop élevé et donnait un sucre roussi et rougeâtre totalement invendable. Cela suffit amplement à classer leur « performance » à un rang respectable dans le volumineux sottisier de la coopération technique des pays de l’est à l’égard du Tiers Monde, la palme revenant sans conteste possible à l’URSS (à tout seigneur, tout honneur) qui réussit en 1960 l’exploit sans précédent et jamais égalé depuis consistant à livrer des chasse-neige... à la Guinée ! 68. SELOSOEMARDJAN, Social changes in Yogyakarta, op. cit., pp. 296-298, donne quelques détails sur ce problème. 69. Interview avec l’ingénieur responsable des plantations (plantation manager). 70. Les 10% restant étant surtout situés dans le district de Sleman. 71. Il était prévu d’aménager à Argodadi 90 ha de sawah, le coût total de l’opération s’élevant à 5.5 millions de Rp amortis sur 5 à 6 ans. 72. La seule autre région de l’île confrontée à des difficultés aussi sérieuses (sécheresse, famine endémique et surpopulation) étant celle d’Indramayu, située au Nord-Ouest de Cirebon, sur la côté de la Mer de Java. 73. Expression traduisant le mieux le terme indonésien gula pasir. 74. Le vent est particulièrement néfaste pour les plantations de canne qu’il couche et enchevêtre parfois sur plusieurs hectares en l’espace de quelques minutes. 75. Entre 1935 et 1940, les Hollandais ont atteint chaque année des rendements variant entre 150 et 170 tonnes de canne par hectare. Selon l’Annuaire FAO de la production 1976, Rome, FAO, 1977, pp. 161-162, l’Indonésie aurait atteint en 1974, avec une moyenne de 81.4 tonnes de canne par hectare, le meilleur rendement mondial parmi les 15 pays ayant produit plus de 10 millions de tonnes. Suivraient de près trois pays industrialisés, l’Afrique du Sud avec 80.9 t/ha, l’Australie avec 80.6 t/ha et les USA avec 75.7 t/ha. Par contre, les autres pays en voie de développement étaient plus loin derrière aussi bien en Amérique Latine (Mexique 68.1 t/ha, Argentine 52.0 t/ha, 111

Cuba 44.0 t/ha, et Brésil 44.6 t/ha) qu’en Asie (Chine 69.7 t/ha, Thaïlande 52.1 t/ha, Philippines 52.0 t/ha, Inde 51.1 t/ha et Pakistan 37.0 t/ha). 76. En Indonésie on appelle la canne entrant dans cette catégorie tebu rakjat qui signifie littéralement « canne du peuple ». 77. Cela s’explique par le fait que les conditions climatiques sont les mêmes que pour la canne plantée par la raffinerie mais que les engrais et pesticides ne sont pratiquement pas utilisés. 78. En fait, la canne peut être coupée au bout de 12 mois mais elle n’a alors qu’un contenu en sucrose inférieur à 10% alors qu’en attendant 2 mois de plus il peut atteindre 14-15%. 79. La méthode des « plants espacés » est appelée « ratooning » en anglais, alors que les indonésiens utilisent le mot tunas qui signifie bourgeon-pousse. 80. L’industrie sucrière indonésienne est d’ailleurs restée jusqu’à ce jour principalement javanaise puisqu’en 1973, les 55 raffineries que compait le pays étaient toutes situées dans cette île. Ca n’est qu’en 1975 qu’a été inauguré la première raffinerie non-javanaise qui est située à Bone dans le sud de l’île de Célèbes (Sulawesi). 81. Voir à ce sujet SELOSOEMARDJAN, Social changes in Yogyakarta, op. cit., pp. 296-298. 82. Il permettait surtout de mettre sur pied un système d’exploitation de parcelles beaucoup plus étendues qu’auparavant et par conséquent de faire d’appréciables économies d’échelle. 83. Les loyers sont passés de 80 qx de canne par hectare, soit environ 8 à 10 quintaux de sucre raffiné en 1969 à 17.5 qx en 1973 pour une durée équivalente de 14 mois. Voir MUBYARTO, « The Sugar Industry », Bulletin of Indonesian Economic Studies, Vol V, N° 2, July 1969, p. 46. 84. Et à fortiori pour de plus longues périodes permettant à la raffinerie d’appliquer la méthode des « plants espacés » (ratooning). 85. A ce sujet voir MUBYARTO, « The Sugar Industry », op. cit., pp. 42-47. 86. Les sawah doivent être convertis en lignes parallèles de buttes et de fossés dont la profondeur et la longueur varie en fonction du système d’irrigation. De parfaitement plats qu’ils étaient, ils prennent, vus en coupe transversale, la forme de crénaux de chateaux-forts. Voir à ce sujet, MUBYARTO, « The Sugar Industry » op. cit., pp. 42-47. 87. Sur ces 808 employés subalternes permanents (karyawan), 212 étaient affectés aux plantations à proprement parler, 412 à l’entretien des installations et aux opérations de raffinage et 85 à la sécurité de l’usine. 88. En fait, bien qu’elle soit considérée comme la propriété du gouvernemental régional, c’est une entreprise privée (Perusahaan Swasta) dont la majorité des parts est détenue par le Sultan de Yogyakarta, Hamengkubowono IX qui demeure jusqu’à ce jour l’autorité suprême de la province. En tant que telle, Madukismo fait partie d’une association regroupant les 5 raffineries privée que comptait le pays en 1973. 89. L’association des raffineries sucrières privées n’est pas obligée de suivre à la lettre l’échelle des salaires qui est appliquée dans les entreprises de plantations étatiques (Perusahaan Negara Perkebunan ou PNP). Elle est par contre tenue de respecter les règles de base édictées par le Ministère de l’Intérieur (Departemen Dalam Negeri) en ce qui concerne les barêmes des loyers minimum à payer pour la location des terres. A ce sujet, voir MUBYARTO, « The Sugar Industry », op. cit., pp. 46-48. 90. Les 10 produits de consommation essentiels composant « le panier de la ménagère indonésienne » sont : le riz, le sucre, le sel, le poisson séché, le savon et la farine (1 kg de chaque), l’huile et l’essence (1 lt de chaque), le textile brut et le batik (1 m de chaque). Les prix de chacun d’entre eux est relevé chaque jour dans toutes les grandes villes du pays (kotamadya) par les enquêteurs-inspecteurs de l’agence nationale d’achat du riz, le BULOG (Biro Urusan LOGistik). C’est ce dernier qui compile les moyennes mensuelles et calcule les variations du taux d’inflation. 91. La somme additionnée de ces 10 produits de consommation essentiels est en effet passée de 1 063.30 Rp en janvier 72 à 1 299.42 Rp en décembre suivant. Le pire était malheureusement encore à venir puisque douze mois plus tard, la barre était à 2 103.78 Rp, soit un taux d’inflation 112

de 61.9 % pour la municipalité de Yogyakarta en 1973 ! Il faut cependant noter que ces taux calculés sur la base des informations recueillies par le BULOG contiennent certains éléments de pondération du fait que ce dernier tient également compte de la qualité des produits (3 espèces de riz, 2 sortes d’huile, de poisson séché, de savon et de textile brut). 92. En règle générale on calcule qu’un coupeur récolte en moyenne 10 quintaux de canne par jour, ce qui représente donc un salaire de 180 Rp seulement pour un travail on ne peut plus pénible. 93. Très exactement de 87.77 Rp le kilo en janvier à 101.88 Rp en décembre suivant. 94. Tanah lungguh ou bengkok. 95. SELOSOEMARDJAN, Social changes in Yogyakarta, op. cit., pp. 296-298, confirme d’ailleurs l’importance de ce phénomène quand il nous dit que la décision concernant l’emplacement de la raffinerie a donné lieu à de très nombreuses discussions et que c’est finalement le Sultan lui- même qui a dû trancher en choissant Tirtonirmolo. 113

Chapitre III. Tirtonirmolo (fin) : Clivages politiques et valeurs culturelles

1 Il est un autre domaine important de la vie villageoise où Madukismo semble avoir joué un rôle non négligeable : celui de la politique. C’est, en effet, seulement à partir de 1958-60, quand la construction de la raffinerie fut enfin terminée et le personnel permanent nécessaire à son fonctionnement engagé, que le PKI1, le Parti communiste indonésien, jusque-là quasiment absent de la scène politique locale, commença à se manifester. Selon la plupart des témoignages, les deux formations politiques qui arrivèrent en tête de la consultation à Tirtonirmolo lors des premières élections parlementaires de 1955 furent le PNI2, le Parti nationaliste indonésien, et le MASJUMI3, le Parti islamique moderniste, le premier étant plutôt dominant dans le sud du village, en particulier à Mrisi, et le second dans le nord, en tout premier lieu à Dongkelan Kauman4. L’ordre était d’ailleurs le même au niveau national, mais le PKI, sorti très affaibli de l’insurrection suite à l’affaire de Madiun en 19485, faisait un score remarquable autant qu’inattendu en arrivant en quatrième position, juste derrière le NU6, le Parti islamique traditionaliste7. La faible implantation du PKI à Tirtonirmolo, pendant la majeure partie des années 50, semble principalement due au fait qu’il était difficile à ce dernier de rassembler et d’organiser le prolétariat rural dans un village où plus de 70 % des familles avaient accès à la propriété foncière, même micro-parcellaire. Les choses changent radicalement dès le début de la décennie suivante, non pas à cause de la Loi Agraire votée en 1960 qui limite la propriété à 5 ha de sawah, vu que personne ne possède autant dans le village, mais parce que ce prolétariat, auparavant éparpillé et isolé dans les différents hameaux, travaille désormais en grande partie à Madukismo où il est concentré et organisé sous la houlette du PKI qui contrôle le syndicat d’entreprise. Il semble qu’en 1964 les élections à l’assemblée villageoise8 aient donné lieu à d’âpres luttes et que les élus communistes y aient, par la suite, joué un rôle très actif, bloquant en particulier une grande partie des initiatives prises par les fonctionnaires exécutifs9 dont la plupart, en place depuis 1946, appartenaient à l’une des deux grandes tendances politiques dominantes, le nationalime ou l’islam moderniste. Quand les militaires s’emparèrent du pouvoir, suite à la tentative de Coup du 30 Septembre 196510, et s’employèrent à systématiquement détruire le PKI, la répression s’abattit presque exclusivement sur Madukismo, alors que le village de Tirtonirmolo, à l’exception de Padokan et de 114

Jogonalan, les deux hameaux les plus prolétarisés où vivait précisément la majorité des ouvriers de l’usine, fut dans son ensemble relativement peu touché.

2 A ce stade de la présentation, une parenthèse s’impose afin d’expliquer combien difficile, voire parfois même impossible, a toujours été l’identification et l’interprétation des phénomènes de nature politique, au niveau de la sphère villageoise, dans l’Indonésie indépendante et pourquoi, si cela était déjà le cas pendant toute la période historique qui a précédé les funestes événements de 1965, les choses sont encore plus hermétiques depuis lors. En fait, l’implantation, dès la fin des années 40, des partis de masses représentant les quatre grandes tendances de la vie politique nationale11 ne peut être qualifiée que de progressive et superficielle. Progressive, car sortant de vingt années d’histoire mouvementée, allant de la répression coloniale12 au succès de la lutte révolutionnaire pour l’indépendance, en passant par l’occupation japonaise13, ils durent quasiment repartir de zéro pour réorganiser leur appareil et forger leur stratégie. Les partis politiques ne jouèrent par exemple aucun rôle actif quand, en 1946, eurent lieu les élections dans lesquelles fut choisie l’équipe de fonctionnaires dont la plupart sont encore aujourd’hui à la tête du village de Tirtonirmolo. Superficielle, car la loyauté de leurs partisans et de leur électorat n’est, en règle générale, pas uniquement liée à l’idéologie qu’ils prônent ou au programme qu’ils proposent mais dépend au moins autant des clivages et des conflits locaux qu’ils recouvrent et maquillent et dans lesquels c’est l’appartenance au clan, à la clientèle ou au hameau qui est déterminante14. En d’autres termes, tel notable local se ralliera au Parti islamique moderniste parce que son rival direct a déjà rejoint les rangs des nationalistes, toutes les familles de métayers dépendant d’un même propriétaire voteront comme lui et l’ensemble d’un hameau suivra le choix politique du chef qu’il a élu. C’est ainsi que l’actuel chef du village, originaire de Dongkelan et lui aussi élu en 1946 à l’âge de 25 ans, doit principalement son élection au fait qu’il s’est finalement retrouvé comme candidat unique des hameaux du nord face à deux concurrents rivaux originaires de Mrisi représentant ceux du sud15. On voit donc que toute l’histoire de Tirtonirmolo depuis sa fondation est marquée par une concurrence acharnée entre les deux hameaux de Dongkelan et Mrisi qui aspirent chacun à être le centre du pouvoir politique local. Le premier ayant toujours été, pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons ultérieurement, un fief islamique moderniste, sa population s’identifia tout naturellement massivement au MASJUMI, parti politique représentant cette tendance lors des élections législatives de 1955, le second prenant automatiquement le contre-pied en s’alignant sur le PNI, la seule autre organisation nationale ayant une envergure similaire à cette époque. Bien que les affinités d’ordre idéologique soient beaucoup plus déterminantes dans un cas que dans l’autre, il apparaît tout de même clairement que les motivations liées à des éléments de politique locale président toujours au moins partiellement aux choix électoraux dans les villages indonésiens. En fait, même le PKI n’arrivera pas à éliminer totalement cette composante non-idéologique au sein de ses propres troupes16. Le fait que le rôle des partis politiques de masse ait toujours dû être analysé sous ce double éclairage complémentaire n’a certes pas facilité le travail des observateurs de la société rurale indonésienne, de l’indépendance nationale jusqu’au milieu des années 60, mais il est par contre certain que leur implantation au niveau des communautés villageoises présente l’indiscutable avantage d’avoir offert un cadre institutionnel nouveau dans lequel les conflits locaux ont été canalisés, débattus et parfois résolus. 115

3 Cette appréciation relativement positive sur le rôle des partis politiques est loin d’être partagée par l’équipe militaro-technocrate qui s’empare progressivement des rouages du pouvoir à partir d’octobre 1965. Pour elle, ce sont, au contraire, ces derniers qui sont en grande partie responsables du marasme économique dans lequel se débat le monde rural indonésien depuis l’indépendance. Il faut donc limiter leur action au niveau des villages afin que la paysannerie puisse concentrer toute son énergie sur l’effort de production qui lui est demandé sans être perpétuellement impliquée dans des activités politiques perçues comme un obstacle majeur au développement. Il fut donc décidé que les organisations politiques n’auraient dorénavant plus le droit d’entretenir des sections permanentes en dessous du niveau administratif des districts (kabupaten), sauf au moment des campagnes pour les élections législatives, les masses populaires « flottant » totalement à l’écart de leur influence jugée néfaste entre ces périodes nécessairement fort limitées dans le temps17. De plus, non content de cela et précisément dans la perspective de la prochaine consultation électorale, le gouvernement s’ingénia à mettre sur pied les nouvelles règles lui permettant de contrôler à sa guise le jeu politique national. La première étape consista soit à totalement éliminer, soit à fortement épurer les formations politiques jugées indésirables. C’est ainsi qu’après avoir physiquement décimé, puis interdit le PKI18, les militaires s’employèrent à affaiblir le PNI, jugé trop sukarnien et, comme tel, accusé d’avoir au moins partiellement été impliqué dans le Coup de Septembre 6519. Les deux partis islamiques se virent quant à eux infliger un régime assez différent puisque le MASJUMI, représentant la tendance moderniste, interdit depuis 1958 à cause de sa participation active aux rebellions de Sumatra et de Célèbes20, fait que les militaires, qui avaient dû les mater, étaient loin de lui avoir pardonné, n’obtint pas la réhabilitation souhaitée et dut finalement se résoudre à reprendre ses activités sous l’étiquette nouvelle de PARMUSI21, alors que le NU, représentant le courant traditionaliste, sans conteste le partenaire le plus zélé de l’armée dans la chasse aux sorcières communistes qui ravagea toute l’île de Java de 65 à 6822, fut dédommagé du mal qu’il s’était alors donné en demeurant finalement la seule des quatre grandes formations politiques qui s’étaient partagées les voix des électeurs indonésiens en 1955 à être tolérée sous une forme pratiquement inchangée. Simultanément à ce que l’un des meilleurs spécialistes de la question n’a pas hésité à appeler une véritable « émasculation des partis politiques »23, l’Ordre Nouveau, reprenant à son compte, en l’adaptant aux exigences du moment, la vieille formule des « groupes fonctionnels » forgée par le président déchu à l’époque de la « Démocratie Dirigée »24, lança sa propre organisation, le GOLKAR25, en ne lésinant pas sur les moyens humains et matériels à mettre en œuvre pour que l’opération soit un succès. C’est ainsi qu’il fut dorénavant fait obligation à tous les fonctionnaires du secteur public26, du rang de ministre à celui de planton, d’adhérer au GOLKAR sous peine de sanctions, alors que tout l’appareil logistique de l’Etat était mobilisé et que d’énormes quantités d’argent étaient investies pour lui assurer une victoire confortable aux élections législatives finalement fixées à juillet 197127. Après une campagne électorale choc où les mesures d’intimidations furent largement employées28, le GOLKAR obtint 62.8 % des suffrages, devançant de très loin le NU avec 18.6 % alors que le PARMUSI tombait à 7.3 % et que le PNI s’effondrait à 6.9 %29. Une fois ce remarquable succès atteint, le gouvernement mit en pratique sa « théorie » de la « masse flottante », et la fièvre de la campagne électorale qui avait agité les villages indonésiens pendant quelques semaines retomba pour faire place à un calme retrouvé qui ne devrait pas être troublé avant la prochaine consultation30. De fait, ce calme est même tellement pesant qu’il est devenu pratiquement impossible pour celui qui n’est pas membre à part entière de la 116

communauté villageoise de percevoir tant soit peu clairement les conflits qui l’agitent. Ils existent pourtant mais, maintenant que les partis politiques ne sont plus là pour leur servir de vecteurs et d’amplificateurs, ils s’expriment sous une forme feutrée, dont le code de décryptage est assez hermétique et quand ils se résolvent c’est souvent d’une manière invisible et inaudible.

4 Ce phénomène caractérise Tirtonirmolo au même titre que tous les autres villages javanais. Cependant, bien que les sujets de conservation de nature politique soient plutôt tabou, on arrive, par des recoupements partiels, à reconstituer approximativement certains phénomènes locaux. Ainsi, lors des élections parlementaires de 1971, si le Parti gouvernemental GOLKAR, nouvellement créé, a remporté à peu de chose près, le même succès dans le village que sur le plan national, le PARMUSI, formation représentant la tendance islamique moderniste, est arrivée en seconde position avec un pourcentage de voix de trois à quatre fois supérieur à celui qu’elle avait obtenu à l’échelle du pays dans son ensemble, émergeant en fait comme seule force locale d’opposition tant soit peu sérieuse31. Cette nouvelle forme de polarisation politique ne peut s’expliquer qu’en tenant compte de la double signification que tout phénomène de ce type revêt dans un contexte local puisque, si le premier a semble-t-il fait le gros de ses voix dans le sud du village, le nord s’est quant à lui rallié, proportionnellement parlant, encore plus fortement à la seconde. A Dongkelan, là où les affinités idéologiques et religieuses étaient profondément ancrées, la loyauté de l’électorat envers le Parti islamique moderniste ne s’est donc pas démentie, même face au forcing de l’appareil étatique et Mrisi, le hameau concurrent qui votait traditionnellement pour la plus puissante des formations politiques rivales de ce dernier, n’a pas eu d’autre choix que de reporter ses voix, du PNI, désormais cantonné par la force des choses à un rôle mineur, sur les listes du GOLKAR soutenues par le gouvernement. On réalise donc progressivement que l’implantation solide et durable de l’islam moderniste à Tirtonirmolo demeure le facteur d’explication central sur lequel débouche toute tentative d’analyse socio-politique de la réalité villageoise. Il reste néanmoins à comprendre pourquoi ce phénomène politico-religieux est pareillement localisé, puisque près de 95 % de la population villageoise est d’obédience musulmane32.

5 Cela serait strictement impossible sans rappeler la spécificité et la diversité de l’islam indonésien. Chacun sait plus ou moins comment la religion du Prophète a été progressivement introduite dans l’archipel. La manière dont s’est déroulé ce processus d’islamisation explique à la fois que le phénomène ait, en règle générale, revêtu une forme beaucoup plus rigoureuse en milieu urbain ou marchand qu’en milieu rural ou paysan et que la profondeur de son implantation ait habituellement été inversement proportionnelle à celle des pratiques animistes et surtout indianisées qui l’avaient précédé. Ce qu’il y a de particulièrement intéressant dans le cas de Tirtonirmolo, c’est que nous sommes confrontés à un village semi-urbain faisant partie d’une région qui a été le premier centre de rayonnement des formations étatiques indianisées de Java. Comme dans le reste de la province de Yogyakarta, ce serait d’un côté plutôt -pour reprendre l’expression, ô combien imagée et significative, de ceux-là mêmes qui se reconnaissent comme tels - les « musulmans statistiques »33 qui prédominent à Tirtonirmolo alors que de l’autre, la proximité de la ville fait que les « musulmans orthodoxes »34, qui y sont puissants et bien organisés, jouent un rôle bien plus important que dans les autres villages de la région ayant un caractère plus essentiellement rural. En fait, on peut continuer à dépister la corrélation qui semble exister entre situation géographique et nature de l’Islam jusqu’à l’intérieur des frontières du village de Tirtonirmolo, car si les 117

premiers constituent indubitablement la majorité de sa population, les seconds sont surtout fortement implantés et particulièrement actifs à Dongkelan Kauman, de loin le plus urbain des douze hameaux qui le constituent. Si ce sont les partis politiques se réclamant de la tendance moderniste de l’islam qui y ont toujours fait un score électoral supérieur à la moyenne, c’est que la , organisation non-politique de même obédience35, y entretient depuis les années 20 une section des plus dynamiques. Cette dernière couvre un champ d’activité social absolument énorme allant des problèmes d’éducation à ceux de la santé de base en passant par toutes sortes d’actions d’assistance aux familles les plus déshéritées. Elle fait d’ailleurs de Dongkelan le hameau le plus actif et progressiste du village dans le domaine du développement social et culturel. Une bonne partie de ses habitants sont membres de l’organisation et, outre les instituteurs, les leaders informels et le chef du hameau, c’est en particulier le cas pour les deux élus locaux qui y résident : le chef du village et le responsable des questions religieuses. Ce dernier, en dehors du fait qu’il pourvoit en permanence aux frais d’éducation de deux enfants issus d’une famille très pauvre, laisse l’organisation, dont il est membre, utiliser quotidiennement une partie de sa maison comme salle de classe et lui a de surcroît donné gratuitement 1 000 m2 de sawah afin que les jeunes élèves puissent s’initier à l’art complexe de la riziculture36. Son action illustre parfaitement bien à la fois le type d’engagement personnel que la Muhammadiyah exige de ses membres ainsi que les conceptions assez avancées qu’elle a en matière d’éducation en milieu rural. A côté de cela, et bien qu’ils militent tous farouchement pour l’avancement de la foi islamique et les respects de ses principes sacrés, les musulmans modernistes savent également fort bien s’adapter aux circonstances locales et faire preuve d’un esprit de tolérance quasiment syncrétique vis-à-vis de pratiques javano-hindouistes que leurs frères plus traditionalistes n’hésitent en général pas à vouer unanimement aux pires gémonies. C’est ainsi qu’à Tirtonirmolo, non seulement ils ne s’opposent pas aux représentations de théâtre d’ombres, la forme d’expression artistique traduisant probablement le mieux la pérennité de certaines valeurs culturelles pré-islamiques dans la « mentalité » javanaise37, mais encore qu’ils les encouragent, la preuve la plus flagrante en étant que l’un des fils du responsable des questions religieuses du village faisait son apprentissage pour devenir montreur de marionnettes38 lors de notre travail de terrain en 1973.

6 Si certaines valeurs culturelles traditionnelles d’ordre spirituel restent par bonheur particulièrement vivaces39, d’autres, plus liées aux aspects matériels de la vie des communautés villageoises et par conséquent plus exposées aux assauts répétés de la « modernisation » subissent des mutations rapides et tendent même à disparaître. Paradoxalement, l’un des exemples les plus significatifs de ce phénomène touche au rôle changeant du bétail dans la société villageoise javanaise. Du temps des Hollandais, chaque famille paysanne acquérait, dès qu’elle en avait les moyens, des bovins qui servaient non seulement pour labourer le sawah mais aussi éventuellement pour tirer le lourd char en bois typique des villages javanais. A côté de son utilité pratique évidente, la vache bengala ou le buffle d’eau, constituant une des rares formes d’investissement et de capitalisation ostentatoire offerte au paysan, remplissait également une fonction symbolique importante, rehaussant le prestige social de son propriétaire. Véritable signe extérieur de richesse et indicateur de développement avant la lettre, le gros bétail était souvent logé à meilleure enseigne que nombre de villageois40. Avec la parcellisation croissante des terres et l’augmentation permanente de la population, le gros bétail est devenu à la fois de moins en moins utile et de plus en plus encombrant et coûteux à entretenir. Cette véritable compétition pour l’occupation de l’espace entre l’homme et l’animal a eu pour 118

conséquence une très forte diminution du cheptel bovin depuis l’indépendance41 A Tirtonirmolo, il ne restait, en 1972, que 344 vaches et 20 buffles, soit 0.3 tête de bétail par famille propriétaire de sawah42. Il faut dire que vu la taille quasi microscopique de la plupart de ces derniers, le labour animal devient un véritable exercice d’acrobatie. Cela explique d’ailleurs la forte prédominance numérique des vaches bengala qui, contrairement aux buffles d’eau, rois dans la rizière devenant très vulnérables dès qu’ils en sortent, peuvent également être utilisées pour le transport tracté. Etant donné que les villageois sont en quête permanente de toute nouvelle opportunité d’emploi, certains d’entre eux, appartenant en général à la catégorie des paysans sans terre ou des propriétaires sub-marginaux, se sont tout naturellement spécialisés dans l’élevage d’une ou deux têtes de bovins avec lesquels ils se louent quotidiennement à tous ceux qui ont un sawah à labourer ou des marchandises à transporter 43. Parallèlement à ce déclin du cheptel animal lié aux causes objectives énoncées plus haut, on a vu apparaître de nouvelles formes d’affirmation ostentatoire du prestige social et de la richesse matérielle dans les villages javanais. Dans un premier temps ce fut l’habitat, les briques, les tuiles et les madriers en teck remplaçant progressivement le bambou et la paille de riz, les dalles cimentées recouvrant petit à petit les sols en terre battue. Ce phénomène éminemment créateur d’emploi44 concerna tout d’abord les notables et les paysans riches, mais s’étendit bientôt aux catégories sociales moins favorisées qui elles aussi n’hésitèrent plus à investir dans le confort dès qu’elles purent se le permettre. Il était déjà très avancé à Tirtonirmolo où il ne restait plus, en 1972, que 12 % des maisons qui étaient encore intégralement construites en matériau végétal, contre 44 % en semi-dur et 44 % entièrement en dur45. Dans les années 50, c’est la bicyclette qui devint le nouvel indicateur du mieux-être socio-économique en milieu rural. Moyen de locomotion introduit en Indonésie par le colonisateur, dans le pays duquel il jouit d’une popularité probablement inégalée dans le monde, il devint vite et est resté l’instrument privilégié du petit commerce de détail inter-villageois. Il suffit pour s’en convaincre de voir 200 kilos d’énormes fruits du jaquier entassés dans les grands paniers fixés sur le porte bagage arrière d’un vélo et de savoir que les plus solides, de marque hollandaise ou anglaise, atteignaient des prix allant jusqu’à 200 000 Rp pièce sur le marché d’occasion en 197246. Cette année-là, il y avait très exactement 2 187 bicyclettes en circulation dans le village de Tirtonirmolo, soit presque une par famille. A partir des années 60, le poste à transistors fit son apparition dans les villages indonésiens où il devint rapidement un signe de prestige convoité. Jusqu’à présent, il est cependant resté à la portée d’un nombre relativement limité de familles puisque seules 487 des 2 497 vivant à Tirtonirmolo en 1972 en possédaient un. Depuis le début des années 70, c’est la motocyclette japonaise de petite cylindrée qui a pris le relais comme signe extérieur de richesse le plus flagrant, celui qui assoit définitivement, au propre et au figuré, le prestige social de son propriétaire47. On ne comptait que 149 engins de ce type à Tirtonirmolo en 1972, ce qui prouve, si besoin était, qu’il demeure l’apanage d’une infime catégorie de privilégiés parmi lesquels les fonctionnaires villageois sont les tout premiers à fièrement pétarader. L’évolution graduelle du symbole de prestige social contenue dans le paradigme vache → vélo → radio → moto montre à quel point les valeurs matérielles se sont modifiées et adaptées en l’espace de trente années de développement économique. On en reste cependant toujours à un niveau de généralisation et d’abstraction qui ne permet pas de véritablement appréhender la nature exacte des différenciations sociales existant à l’intérieur de la communauté villageoise et la diversité des stratégies de survie qui y correspondent. Le seul moyen qui reste à notre disposition pour y parvenir est d’abandonner l’approche 119

thématique qui a permis de faire le tour des aspects majeurs de la vie villageoise et de dresser un tableau vivant de la stratification sociale caractérisant Tirtonirmolo en dessinant une série de portraits individuels typiques48.

Du lurah au buruh : une galerie de dix portraits

7 A tout seigneur tout honneur, commençons les présentations par Pak Burdjo49, le chef du village, homme affable, raffiné, travailleur et compétent avec lequel nous avons noué des relations de profonde sympathie au fur et à mesure que progressait notre travail d’enquête à Tirtonirmolo50. Avant d’être élu, en 1946, dans les conditions mentionnées plus haut, il avait successivement terminé sa scolarité secondaire dans un établissement de la Muhammadiyah, organisation dont il est toujours membre actif, travaillé dans le comité social de Bekelan, son village, pendant toute la durée de l’occupation japonaise et combattu activement environ une année dans les rangs de la guérilla contre les Hollandais. Sa seule et unique épouse, qui n’a pas d’autre occupation que celle de maîtresse de maison et mère de famille, lui a donné quatre enfants dont l’un est mort en bas-âge. En 1973, les 3 autres sont adultes. L’aîné, 26 ans, a déjà fondé son propre foyer et travaille comme fonctionnaire à la raffinerie Madukismo depuis sa sortie de l’école secondaire51. La cadette, 23 ans, est en seconde année de licence à la Faculté d’Agriculture de l’Université Gadjah Mada et s’apprête à épouser un étudiant malaisien qui suit la même formation52. Le benjamin, 19 ans, termine ses études secondaires et compte bien entrer dans la même université que sa soeur. Pak Burdjo et sa femme ne suivent pas le programme de planning familial, car nous dit-il d’un air malicieux : « A 52 ans, je suis déjà vieux et peut être que je ne suis déjà plus fertile »53. La « famille » dont il a la charge se compose, parents et serviteurs inclus, de 9 personnes qui vivent toutes sous le même toit, à Dongkelan Kauman, dans la grande et belle maison entièrement en dur de construction récente dont il est propriétaire, probablement l’une des plus cossues du village en dehors de celles du campus de Madukismo, réservées aux cadres supérieurs de la raffinerie. Elle est entourée d’un vaste pekarangan d’une superficie de 2 000 m2, mais Pak Burdjo précise qu’il est propriétaire d’une autre parcelle de 1 800 m2 qui se trouve à Kersan, hameau situé au nord-ouest du village54. On peut y dénombrer 10 cocotiers et 30 bananiers dont la famille consomme environ 75 % de la production, alors que la majeure partie de celle provenant des 30 orangers et des 25 papayers que l’on y trouve également est vendue. En ce qui concerne le sawah, Pak Burdjo dispose, en tant que chef du village, de 3.5 ha faisant partie du domaine public de Tirtonirmolo. Il est en outre propriétaire d’une parcelle privée de 5 000 m2 héritée de ses grands-parents, mais il précise qu’il en laisse entièrement l’usufruit à sa mère, qui est encore en vie, raison pour laquelle il n’a d’ailleurs toujours par reçu le sawah de son père dont elle dispose également55. Il ne travaille absolument pas la terre, étant suffisamment occupé par ses fonctions administratives qui lui laissent peu de temps libre et n’en ayant de surcroît ni la capacité, ni le goût56. Il loue donc en permanence 1.4 ha à Madukismo, ce qui contribue à régler partiellement le problème épineux de la réquisition annuelle des sawah destinés à la canne, tout en lui assurant un revenu net et garanti non négligeable57, et laisse 17 métayers différents mettre en valeur les 2.1 ha restant sur la base d’un partage égal de la récolte58, ce qui lui rapporte également gros sans trop d’efforts59 en lui permettant parallèlement de créer de nombreux emplois et d’entretenir, par conséquent, une clientèle importante. Le revenu net total qu’il tire des 3.5 ha de sawah qui lui ont été 120

octroyés approche donc, une fois déduite la quantité de riz autoconsommée par la famille, près de (600 000 Rp par an60. Cela correspond, au taux de change pratiqué en 1973, à environ US $ 1 450, un revenu annuel plus de onze fois supérieur à l’estimation la plus optimiste de ce qu’à été le produit national brut par tête cette année-là61. Encore faudrait- il ajouter à cela les revenus provenant de la vente des produits du pekarangan, ainsi que les entrées d’argent liées aux fonctions officielles occupées par Pak Burdjo62 ou résultant des activités annexes mineures des autres membres de la famille63. On comprend donc dès lors aisément comment il lui est possible d’envoyer ses enfants à l’école secondaire et à l’université, de vivre dans une demeure de ce style, de posséder 2 motocyclettes, 4 bicyclettes et une radio et de garantir qu’il y ait de la viande sur la table familiale au moins deux fois par semaine. Etant donné qu’il n’est pas lui-même propriétaire foncier, force est de reconnaître que seule sa fonction administrative lui permet de vivre sur un tel pied. Il la remplit d’ailleurs avec une conscience professionnelle très supérieure à celle de nombreux autres chefs de village, ce qui lui vaut l’estime et le respect de tous ses administrés. Discret, courtois, disponible et souple il est, de par ses affinités socio- politiques64, particulièrement attentif au sort des plus défavorisés et aurait plutôt tendance, dans le rôle d’intermédiaire entre le pouvoir central et les communautés villageoises qui est le sien, à protéger ces dernières contre des mesures d’un bureaucratisme et d’une verticalité souvent affligeantes65. Ceci dit, il vit bien, très bien même, ce qui n’est pas automatiquement le cas pour tous les fonctionnaires villageois, certains de ceux qui occupent un rang subalterne menant en général un train d’existence sensiblement plus modeste.

8 Prenons par exemple le cas de Pak Hardjo, le chef du hameau de Mrisi, homme enjoué et ouvert, possédant un sens de l’hospitalité absolument débordant. En dépit d’une bonne humeur inaltérable un peu bon-enfant on sent qu’il exerce une indéniable autorité sur la communauté villageoise dont il est issu et au sein de laquelle il a toujours vécu. Fils de petit paysan et enfant d’une famille nombreuse, il n’a pas pu aller plus avant dans sa scolarité que la cinquième année d’école primaire. Après avoir travaillé dans le petit commerce pendant toute l’occupation japonaise, il fut élu sans problèmes en 1946, la même année que le chef du village, au poste qu’il occupe encore en 1973 à l’âge de 58 ans. Il ne fait aucun mystère du fait qu’il ne pratique pas sa religion islamique d’une manière très rigoureuse. Ses affinités mystico-javanaises transparaissent clairement quand il nous dit que Suharto ne pouvait être appelé qu’à de très hautes fonctions puisqu’un météorite est tombé il y a de cela dix ans sur son village natal, dans le nord du district de Bantul. Il a eu 10 enfants de son unique épouse, dont un mort en bas âge. Seul le troisième, un garçon aujourd’hui photographe, a terminé ses études secondaires, l’aînée, déjà âgée de 35 ans, étant institutrice primaire alors que les second et quatrième, également des filles, exercent des petites activités commerciales et que tous les autres vont encore à l’école, le plus jeune n’ayant que 9 ans. Pak Hardjo espère que parmi-eux s’en trouvera un qui pourra entrer à l’Université. Etant donné que les quatre premiers ont déjà tous fondé leur propre foyer66, il n’entretient plus que les cinq derniers, la maisonnée se composant donc de 7 personnes qui vivent dans une demeure en dur d’apparence solide et convenablement meublée67, bien que légèrement exigüe, dans laquelle la radio hurle à tue-tête en permanence. Elle est entourée d’un pekarangan de 1 200 m2 où l’on peut dénombrer 12 bananiers, 8 cocotiers, 3 jaquiers, 3 papayers et 1 goyavier, dont presque toute la production est autoconsommée. A côté de cela la famille possède une autre petite parcelle de 650 m2 à Yogyakarta même, ainsi que 3 chèvres, 25 poules, 3 bicyclettes et 1 121

machine à coudre qu’utilisent Ibu68 Hardjo ou l’une de ses filles pour effectuer des petits travaux de couture rémunérés dans le hameau. En tant que chef de ce hameau, Pak Hardjo dispose d’un sawah communal d’une superficie de 6 400 m269 auquel il convient d’ajouter une parcelle de 1 500 m2 qu’il a hérité en propre de son père. Il travaille lui-même sa terre avec l’aide de l’un de ses fils, car non seulement sa fonction administrative ne l’astreint pas, contrairement à certains autres élus locaux, à assurer une présence permanente quotidienne dans le bureau du village, mais, fils de paysan et paysan lui-même, il en a tout à la fois les capacités et le goût. Il doit néanmoins faire appel à de la main d’œuvre extrafamiliale pour les labours70 ainsi que pour le repiquage71 et le sarclage72 et emploie exclusivement des gens de Mrisi. Quand il ne loue pas son sawah à Madukismo, ce qui est précisément le cas cette année-là pour la plus grande de ses deux parcelles, il ne cultive que du paddy, mais se voit parfois contraint, soit pour des raisons climatiques, soit à cause des contingences du calendrier agricole73, à intercaler une culture secondaire, auquel cas il se rabat alors sur le soja ou les piments. Quoiqu’il en soit, il a définitivement décidé de s’en tenir à une simple pratique de double récolte annuelle afin de ne pas épuiser les sols et de maintenir des rendements élevés. Il nous dit être ainsi capable, en utilisant des nouvelles variétés du type IR ou C4 et en appliquant des quantités raisonnables d’engrais et de pesticides74, d’atteindre régulièrement un rendement moyen de 80 quintaux de paddy à l’hectare ! Devant notre étonnement à l’énoncé d’un tel chiffre, Pak Hardjo déclara que cela n’avait pourtant vraiment rien de bien extraordinaire puisqu’il avait même réussi à obtenir un rendement record de 120 qx/ha avec des semences IR 575 lors d’un concours de productivité rizicole organisé dans le village deux ans auparavant et dont il avait remporté haut la main le premier prix... l’une des trois chèvres que je pouvais voir se promener dans le pekarangan. Sur la base du rendement moyen indiqué qui semble donc être plausible, on peut calculer que grâce à ses talents d’agriculteur chevronné, il arrive à tirer d’un sawah de taille relativement modeste, une fois déduit l’autoconsommation familiale76, le coût de la main-d’œuvre extra-familiale77, celui des facteurs techniques de production78 et le montant de la taxe foncière 79, un revenu annuel net tournant aux alentours de 350 000 Rp80. Quand Madukismo occupe intégralement sa terre il ne reçoit plus qu’une somme légèrement inférieure à 150 000 Rp 81, ce qui représente un énorme manque à gagner qu’il a du mal, on le comprend, à accepter de gaieté de cœur82. Il s’estime néanmoins dans l’ensemble très heureux de son sort. De fait, il aurait plutôt mauvaise grâce à se plaindre car, selon notre définition des catégories foncières, il fait partie de cette paysannerie moyenne autosuffisante qui représente moins de 8 % des familles propriétaires du village et qui jouit d’une marge de sécurité suffisante pour se permettre de courir certains risques calculés, voire d’innover, ou pour faire face à la maladie subite de l’un de ses membres. On peut même considérer, vu la taille de son sawah et la manière dont il sait en maximiser à merveille la rentabilité, qu’il n’est pas loin d’appartenir à la paysannerie aisée, celle qui possède plus d’un hectare et ne constitue même pas 1 % des familles propriétaires de Tirtonirmolo. Certes, il ne vit pas sur le même pied que le chef du village, qui aurait plutôt le profil d’un riche paysan « absentéiste », et comme il a de surcroît une famille bien plus nombreuse, il ne peut pas se permettre le même luxe au niveau de l’habitat, se payer une et à fortiori plusieurs motocyclettes ou envisager systématiquement et sans que cela ne lui pose des problèmes financiers insolubles une formation universitaire pour ses enfants. Malgré tout, il est à compter au nombre des privilégiés et n’essaye d’ailleurs pas de le cacher ou de le nier le moins du monde. La situation des petits paysans marginaux qui possèdent entre un quart 122

et un demi-hectare de terre et représentant 18 % des familles propriétaires du village est déjà nettement moins florissante.

9 Parmi tant d’autres situations similaires penchons-nous sur celle de Pak Purwo du hameau de Padokan Lor. Il exploite lui-même un sawah de 3 885 m2 qui, nominalement, est toujours la propriété de sa mère83, au même titre que la maison dans laquelle vit toute la famille et que le pekarangan de 1 415 m2 qui l’entoure. Depuis le décès de son père, il assume en fait à lui seul la charge d’une maisonnée de 12 personnes84. En effet, bien que sa femme et lui n’aient pas encore atteint la quarantaine, ils n’utilisent aucun moyen contraceptif moderne et ont déjà 8 enfants qui ont tous survécu85 ; l’aîné, âgé de 15 ans, étant en deuxième année d’école secondaire inférieure. Il se contente en général d’une double récolte annuelle de paddy, mais arrive parfois à en faire cinq tous les deux ans. Bien qu’il ne participe pas au programme BIMAS, il utilise des nouvelles semences86, ainsi que des engrais chimiques et des pesticides87 en quantité adéquate, et réussit à tirer ainsi bon an mal an environ 2 750 kilos de riz décortiqué de son sawah, ce qui correspond à un excellent rendement supérieur à 68 quintaux de paddy par hectare88. Malgré cela, il ne lui reste, une fois déduit l’autoconsommation familiale89, le coût de la main d’œuvre extérieure90 et des facteurs techniques de production91 et le montant de la taxe foncière92, qu’un revenu annuel net assez maigre variant entre 80 000 et 90 000 Rp selon la méthode de récolte à laquelle il a eu recours93. Pak Purwo, qui n’a pas d’autres revenus agricoles annexes, les fruits de ses quelques arbres94 et les oeufs de ses rares poules 95 étant largement autoconsommés, estime qu’il lui faudrait un sawah d’environ un hectare pour pouvoir subvenir à tous les besoins de sa nombreuse famille. Heureusement pour lui, il a terminé sa scolarité secondaire inférieure et travaille également comme employé administratif permanent de la raffinerie sucrière. Son salaire mensuel de 7 500 Rp96 lui permet plus ou moins de doubler son revenu annuel net97 et de joindre tant bien que mal les deux bouts. C’est sans aucun nul doute cette double activité l’occupant dix heures par jour et sept jours par semaine98 qui explique pourquoi il vit dans une maison solide et relativement confortable et comment il a réussi à acheter trois bicyclettes et une radio, seuls signes extérieurs de richesse visibles. C’est également elle qui lui permet d’envoyer tous ses enfants à l’école et d’envisager des études universitaires pour les plus doués et les plus chanceux. Il n’en reste pas moins que la marge de sécurité de cette famille est des plus limitée et que la moindre maladie tant soit peu sérieuse de l’un de ses membres peut la précipiter dans le cycle infernal de l’endettement et de la misère. Les petits paysans marginaux de Tirtonirmolo qui, contrairement à Pak Purwo, n’ont pas d’autre activité annexe ou secondaire à côté de la culture de leur lopin de terre sont bien évidemment confrontés à une situation encore plus précaire. C’est ainsi que Pak Kromo, vieux paysan de 75 ans vivant à Mrisi, possède, à côté d’un pekarangan de 3 370 m2, un sawah de 3 010 m2 qu’il travaille intégralement avec deux de ses fils99. Ils ont bien du mal, une fois déduits les besoins alimentaires familiaux100 et malgré le fait que leurs coûts de production soient relativement faibles101, à en tirer un revenu annuel net supérieur à 45 000 Rp102. Même en tenant compte des petits revenus annexes provenant de la vente des fruits103, on comprend aisément que dans de telles conditions aucun de ses 12 enfants, dont 5 sont d’ailleurs morts en bas âge, n’ait pu terminer l’école primaire, lui-même étant pratiquement illettré. Il vit désormais seul, dans une petite maison de brique, mal entretenue, sombre et sale, le seul bien qu’il ait pu acquérir en ce bas monde étant une vieille bicyclette brinquebalante. A l’énoncé d’un tel tableau, on peut se demander quel sort est alors réservé aux petits paysans sub-marginaux qui possèdent moins d’un quart d’hectare de terre et représentant près de 74 % des familles propriétaires du village. 123

10 Au-dessous de ce seuil de propriété fatidique, il est pratiquement exclu qu’une famille paysanne arrive à joindre les deux bouts sans que l’un ou plusieurs de ses membres exercent des activités annexes. Ce sont alors souvent des qualités individuelles comme le sens de la débrouillardise, l’ardeur au travail ou la volonté de vivre mieux qui font la différence entre le petit propriétaire sub-marginal qui arrive à presque avoir le même niveau de vie qu’un paysan moyen et son homologue dont le sort est à peine plus enviable que celui de la majorité des sans-terre104. Pak Sabari illustre probablement le mieux ce type d’homme qui, par sa volonté de « gagneur », réussit non seulement à assurer une existence décente à sa famille, mais émerge aussi rapidement au sein de sa propre communauté villageoise comme l’exemple à suivre et le porte-parole des mécontents et des plus défavorisés. Paysan, fils de paysan, musulman rigoureux et membre actif de la Muhammadiyah, il vit à Dongkelan Kauman depuis sa naissance, voilà bientôt 35 ans. Sa femme lui a déjà donné 4 enfants, âgés de 10 à 2 ans, mais ils ont tous deux décidé de suivre dorénavant le programme de planning familial105. Pak Sabari espère être plus tard en mesure de pouvoir envoyer ses enfants à l’université, lui-même n’ayant pas dépassé le niveau de l’école secondaire inférieure. Sa famille, qui se compose donc de six membres, vit dans une petite maison propre et bien entretenue, mais loin d’être luxueuse : murs en briques et toit en tuiles, mais sol en terre battue. Elle est sise au milieu d’un pekarangan de 1 910 m2 qui est en fait la propriété de sa belle-mère. On y trouve quelques arbres fruitiers 106 dont environ la moitié de la production est commercialisée107. Il ne possède pas de gros bétail et seules 4 poules entrent ou sortent de la maison en picorant les brisures de riz dans les recoins. En ce qui concerne le sawah, les choses sont assez compliquées du fait que Pak Sabari est à la fois propriétaire, métayer et locataire. Il possède tout d’abord en propre 1 470 m2 dont une parcelle de 870 m2 héritée de son père108 et l’autre de 600 m2 qu’il a acheté en épargnant. A côté de cela, il travaille une superficie supplémentaire de 3 620 m 2, dont 2 120 m2 sur la base d’un partage égal de la récolte avec le propriétaire et les 1 500 m2 restant loués pour un prix forfaitaire annuel109. Finalement, sa belle-mère lui laisse l’usufruit d’une parcelle de 1 745 m2 qu’il loue en permanence à Madukismo mais dont il rétrocède 25 % du revenu à son beau-frère110. Il cultive donc en tout un peu plus d’un demi-hectare de sawah sur lequel il se contente de faire une double récolte annuelle de paddy111. Bien qu’il suive officiellement le programme BIMAS112 et applique les quantités d’engrais et de pesticides113 recommandées pour les nouvelles semences114, son rendement moyen n’est que d’environ 41-42 quintaux de paddy à l’hectare car une bonne partie de son sawah souffre d’une irrigation médiocre115. Selon nos estimations, Pak Sabari arrive au bout du compte - après avoir nourri sa famille116, réglé les coûts de production117 et les loyers118, puis versé leur part de la récolte aux propriétaires respectifs119 à tirer un revenu annuel net d’environ 55 000 Rp de son travail en tant qu’exploitant agricole aux rôles multiples120. Comme de son côté sa femme arrive à ramener 39 000 Rp supplémentaires dans la caisse du ménage en vendant au marché les légumes qu’elle cultive sur une petite parcelle de sawah très bien irriguée121, c’est donc plutôt sur un revenu net approchant des 100 000 Rp que la famille Sabari peut compter chaque année122. Cela ne permet certes pas de vivre sur un pied très somptueux et d’ailleurs, mis à part 2 vieilles bicyclettes, aucun objet utile de consommation revêtu d’un quelconque prestige n’encombre la maison. C’est simplement que Pak Sabari, homme austère, préfère faire des investissements productifs et utiliser son épargne pour louer une superficie de sawah supplémentaire123. Cela suffit à dénoter le caractère particulièrement entreprenant et dynamique du personnage. Il ne se cantonne d’ailleurs pas uniquement dans ce rôle, et en dehors des efforts qu’il déploie pour garantir le succès de cette stratégie personnelle de 124

survie particulièrement subtile, il met ses talents et sa fougue124 au service de la collectivité en jouant celui d’organisateur et de conscientisateur. Ainsi, lors de la dernière saison sèche, quand les paysans de Dongkelan ont commencé à se douter du fait que l’eau était répartie de manière inéquitable entre les différents hameaux, c’est lui qui en tant que porte-parole des mécontents est tout d’abord allé exiger du surveillant du barrage qu’il corrige immédiatement cette injustice avant de rappeler publiquement au fonctionnaire responsable des questions agricoles du village que c’était pour veiller à ce que de telles choses ne se produisent pas qu’il avait été élu au poste qu’il occupait125. A une autre occasion, pour protester contre le fait que Madukismo est toujours largement à la traîne en ce qui concerne le règlement des loyers des terres réquisitionnées, il a convaincu les paysans dont c’était le tour de louer leur sawah à la raffinerie de refuser d’obtempérer et de commencer à la place à repiquer leur paddy comme si de rien n’était, ce qu’ils ont d’ailleurs fait126. Une troisième fois, il a réussi à organiser les paysans disposant d’un surplus sucrier commercialisable de telle manière que l’intermédiaire venu de la ville pour s’en porter acquéreur s’est vu refuser fermement et unanimement une offre initiale de 90 Rp le kilo et a finalement dû se résoudre à augmenter les enchères jusqu’au niveau de 100 Rp qu’ils avaient initialement fixé entre eux127. Pak Sabari, esprit certes critique mais fort constructif128, est donc aussi actif dans la défense des intérêts collectifs que dans la poursuite de son propre mieux-être et sait faire preuve sur les deux tableaux de la même farouche détermination et du même courage effronté. Inutile de s’étendre plus avant sur le fait que le caractère public et direct de son engagement socio- politique constitue une exception129. L’ardeur opiniâtre qu’il déploie pour arriver à pouvoir envoyer un jour ses enfants à l’université ne l’est pas moins, et nombre de petits paysans sub-marginaux jouissant pourtant parfois d’une plus grande sécurité que lui s’en tirent beaucoup moins bien.

11 Prenons, par exemple, le cas de Pak Djiwal qui habite Jogonalan. Musulman orthodoxe, âgé de 30 ans, il a terminé l’école secondaire inférieure et travaille comme commis au bureau du cadastre de la municipalité de Yogyakarta. Sa femme lui a donné 3 enfants, mais l’un d’eux est mort peu de temps après sa naissance, les deux autres ayant respectivement 4 ans et 1 mois. Ils sont dorénavant en principe décidés à s’inscrire au planning familial, mais n’ont pas encore franchi le pas. Pour l’instant ils vivent donc à quatre dans une petite maison en semi-dur d’aspect très modeste qui appartient d’ailleurs toujours à sa mère. Elle occupe une bonne partie du minuscule pekarangan de 400 m2 où l’on ne trouve que 3 cocotiers et 2 papayers dont la production est largement autoconsommée. Il est également propriétaire d’un micro-sawah de 600 m2 hérité de son père130 et situé à Mrisi, mais il préfère le louer à un métayer que de le travailler lui-même, car il estime que ce champ est trop éloigné de son domicile131. En dehors des heures de bureau132, il cultive par contre lui-même en métayage un sawah de 700 m2 qui se trouve à Jogonalan, à deux pas de chez lui. Sans participer officiellement au programme BIMAS, il utilise des nouvelles semences Pelita 1 ainsi que des engrais qu’il se procure sur le marché libre133 et tire, à raison de deux récoltes annuelles, environ 360 kilos de riz décortiqué de cette parcelle134. Il en rétrocède bien entendu la moitié à son propriétaire, mais récupère de l’autre côté environ 170 kilos de son propre métayer. Il dispose donc chaque année en tout et pour tout de 350 kilos de riz, ce qui ne lui permet pas, une fois qu’il a nourri sa famille135, de pouvoir couvrir ses coûts de production136. Heureusement qu’il peut compter sur son salaire mensuel de 4 000 Rp ainsi que sur la ration de riz reçue du gouvernement comme tous les fonctionnaires de l’administration publique137. Après avoir revendu le riz d’assez mauvaise qualité dans laquelle cette dernière est en règle générale acquittée138, il 125

arrive péniblement à s’assurer un revenu annuel net tournant tout juste autour de 70 000 Rp139. C’est donc loin d’être l’abondance et cela se voit d’ailleurs au premier coup d’œil : intérieur sombre, peu soigné et vide de tout, à l’exception de la bicyclette qu’il utilise chaque jour pour faire l’aller-retour entre le village et la ville140. Malgré le fait que son sawah soit effectivement minuscule, il pourrait incontestablement assurer un niveau de vie sensiblement plus élevé à sa famille en travaillant lui-même la parcelle qu’il loue et/ ou en prenant en métayage une superficie plus grande, choses qui ne sont absolument pas incompatibles avec son emploi du temps141. Le problème est qu’avec Pak Djiwal l’on a affaire à un homme sans grand esprit d’initiative, un individu hésitant et battu d’avance142 , bref, le contraire de Pak Sabari qui ne vit pas seulement mieux sur le plan matériel, mais surtout d’une manière plus digne, et ce malgré le fait qu’il ne jouisse pas lui du facteur de sécurité ô combien envié que constitue un salaire mensuel garanti, aussi peu mirobolant soit-il. C’est pourtant bien sur ce dernier que notre petit fonctionnaire vivote, amorphe et résigné143.

12 Qu’en est-il alors du petit paysan sub-marginal qui n’a pas d’autre activité personnelle que de cultiver inlassablement un micro-sawah de taille équivalente ? Pak Darmo est l’un d’entre eux. Il vit à Padokan Lor et, à 50 ans, est père de 6 filles âgées de 20 à 5 ans dont aucune n’a jusqu’à présent été au-delà de l’école primaire, tout comme lui144. Il possède un pekarangan de 710 m2 dont, ce n’est pas surprenant, toute la production est autoconsommée145. Ce qui l’est par contre plus, c’est qu’il a réussi, à force d’épargner, à pouvoir acheter 2 vaches bengala146 qui ne sont pas tellement moins bien logées que leur propriétaire qui vit avec sa famille de 7 personnes dans une petite maison en semi-dur sombre et sans confort147. Il faut dire qu’elles sont soumises à rude épreuve car Pak Darmo les utilise pour labourer le micro-sawah de 615 m2 hérité de son père148 qu’il cultive de manière hyper-intensive puisqu’il fait régulièrement trois récoltes de paddy dans l’année 149. Il ne participe pas au programme BIMAS officiel, mais utilise néanmoins, comme tout le monde, des semences nouvelles C4 et Pelita 1 ainsi que des engrais et un peu de pesticides150 qu’il achète chez un détaillant privé. Il arrive ainsi à tirer de son sawah environ 550 kilos de riz décortiqué par an151, c’est-à-dire tout juste de quoi nourrir sa famille152. Tout insignifiants qu’ils puissent paraître, il lui reste alors encore à régler le montant des coûts de production153. En toute logique, il lui faudrait pour cela entretenir une activité personnelle annexe susceptible de lui assurer un revenu complémentaire mais, chose assez stupéfiante, il n’en a pas. Même s’il n’a pas la possibilité de prendre une parcelle de sawah en métayage, ce qui est plus que vraisemblable, on comprend par contre difficilement pourquoi il ne travaille pas comme ouvrier agricole, ce d’autant plus qu’étant propriétaire de 2 vaches, il peut effectuer des travaux de labour qui sont les mieux rémunérés154. D’autres petits propriétaires sub-marginaux pourtant mieux lotis que lui n’hésitent en tous cas pas à le faire155. Il y a là un mystère, même en tenant compte du fait que Pak Darmo est loin d’être un paysan plein d’idées et de fougue. Ce sont en fait sa femme et l’une de ses filles qui couvrent ce déficit en travaillant comme petites vendeuses de légumes et fruits au marché, activité qui leur laisse à chacune un bénéfice net de 50 Rp par jour. Le revenu familial annuel net, une fois déduit la consommation de riz, est donc inférieur à 25 000 Rp156, ce qui explique pourquoi ni la viande, ni les œufs ne viennent jamais améliorer l’ordinaire quotidien157. Or, faut-il le rappeler, on a toujours affaire à une famille de propriétaires fonciers, même si le qualificatif est outrancier vu la taille de son « domaine ». Est-il possible que les 30 % de familles sans-terre que compte Tirtonirmolo vivent dans des conditions encore plus mauvaises ? Il va de soi que la réponse est malheureusement affirmative mais encore s’agit-il d’ajouter qu’il y a toute 126

une graduation très subtile dans l’intensité de la pauvreté tant il est vrai qu’à Java le plus démuni des hommes trouve toujours encore plus misérable que lui. Ainsi, aussi incongru que cela puisse paraître, un paysan sans-terre qui a la chance de pouvoir travailler en tant que métayer même le plus microscopique sawah est souvent considéré comme un privilégie par nombre de ses semblables.

13 C’est le cas de Pak Mulyo, petit homme sec âgé de 39 ans, qui vit à Padokan depuis sa naissance. Se qualifiant lui-même de « musulman statistique » il avoue être totalement illettré, n’ayant jamais mis les pieds dans une école de sa vie. Deux des cinq enfants auxquels sa femme a donné naissance sont morts alors qu’ils étaient encore bébés. L’aînée des trois qui ont survécu est âgée de 14 ans. Elle n’a fait que 4 années d’école primaire et travaille depuis quatre ans à enduire les batik de cire. La famille se compose en tout de 5 personnes qui vivent entassées dans une toute petite maison bancale aux murs de bambou. Pak Mulyo est tout de même propriétaire du pekarangan de 250 m2 sur lequel elle est construite et où dix bananiers et un papayer trouvent encore la place de pousser. Outre le fait que le sawah qu’il a eu la chance de pouvoir prendre en métayage n’a qu’une superficie de 560 m2, il est considéré comme étant de la plus mauvaise qualité. Etant donné sa taille, il n’a pas trop de difficulté à le travailler seul avec l’aide de sa femme et de ses enfants, allant même jusqu’à le labourer à la main ! Il n’a pas encore adopté des semences nouvelles, mais utilise par contre une quantité d’engrais étonnement élevée158 et arrive ainsi à tirer 140 kilos de riz de la terre à chacune des trois récoltes annuelles qu’il enchaîne sans discontinuer159. Une fois qu’il a rétrocédé au propriétaire la part qui lui revient, il ne lui reste même pas de quoi nourrir sa famille pour six mois160. Alors, pour combler ce défit alimentaire et payer ses engrais161, il travaille comme ouvrier agricole pour 75 Rp par jour et se débrouille de façon à ne jamais être sans emploi. Sa femme et sa fille aînée font de même, travaillant sans répit le batik pour 50 Rp par jour, mais n’hésitant pas à « descendre »162 dans le sawah pour le même prix si l’occasion se présente. Ils arrivent donc ainsi tous trois, à force de mettre bout à bout des petits salaires journaliers, non seulement à combler le déficit alimentaire et à couvrir les coûts de production, mais encore à dégager un minuscule surplus financier d’environ 15 000 Rp par an163. La preuve : Pak Mulyo a finalement réussi à se payer un vélo et même... une radio ! La présence d’un tel objet dans un intérieur par ailleurs presque désert n’est pas très loin d’être choquante et l’on se demande par quel type de phénomène miraculeux il a bien pu y atterrir avant de réaliser que c’est précisément là le genre de question à laquelle il est impossible de trouver une réponse logique.

14 Elle ne se pose en tous cas pas en ce qui concerne Pak Medjo, ouvrier agricole de 46 ans vivant à Mrisi, vu qu’en dehors des quatre panneaux en bambou et des quelques tuiles de la misérable masure dans laquelle s’entasse sa famille de sept personnes, il ne possède strictement rien, pas même les 40 m2 de terre battue sur lesquels elle est simplement posée164. Trois des sept enfants, auxquels sa femme a donné naissance, n’ont pas survécu et sur les quatre rescapés aucun n’a jusqu’à présent dépassé le niveau de l’école primaire. L’aînée, déjà âgée de 22 ans, travaille à plein temps depuis l’âge de dix ans, étant devenue dès cet instant là un des pions majeurs dans la stratégie de survie familiale. L’équation de survie est à la fois simple et effrayante : Pak Medjo et les siens ont besoin d’environ 400 kilos de riz par an, même en se serrant la ceinture au maximum165. Pour cela, le père travaille comme ouvrier agricole dans le sawah des autres dès qu’il y a de l’embauche, car même s’il n’est payé que 75 Rp par jour, il obtient en supplément deux repas et a au moins le ventre à peu près plein. Si personne ne vient le solliciter, ce qui arrive un jour sur deux, 127

il fabrique un panier en bambou qu’il revend avec un bénéfice net d’environ 50 Rp166. De leur côté, sa femme et sa fille aînée ramènent 75 Rp supplémentaire presque chaque jour à la maison en se livrant à un micro-commerce de détail dans le hameau. Ils arrivent ainsi tous ensemble à gagner environ 40 000 Rp par an ce qui leur permet d’acheter leur 400 kilos de riz par petite quantité et leur laisse moins de 10 000 Rp pour couvrir, autant que faire se peut, tous leurs autres besoins167. C’est donc quasiment la misère noire, désespérée, sans issue, le lot de ceux qui se couchent la faim au ventre sans savoir comment ils pourront l’assouvir le lendemain, mais étant conscient que le moindre relâchement peut être fatal. Et pourtant Pak Medjo sourit, s’excusant même d’être aussi pauvre et de ne pas pouvoir nous recevoir comme il conviendrait, assis autour d’une table sur laquelle il y aurait thé et douceurs. Rester digne et fier, toujours, surtout face à un étranger.

15 En finissant le tour de notre galerie de portrait par Pak Mangun, vieil homme courbé et décharné de 75 ans, vivant à Padokan, seul avec sa femme aussi vieille et ratatinée que lui, dans une cahute en bambou aussi vieille et délabrée qu’eux deux, c’est paradoxalement à la fois une note de désespoir et d’espoir que nous voulons apporter. Leurs trois enfants sont morts et ils n’ont, en effet, rien au monde que ce pauvre abri et les 150 m2 de pekarangan qui l’entourent où ils ont trouvé moyen de planter 5 bananiers et même 1 papayer. Fils d’ouvrier agricole, il l’a lui-même été toute sa vie et doit bien, malgré l’âge et les douleurs, continuer à l’être s’il veut gagner le demi-kilo de riz de mauvaise qualité168 dont ils ont tous deux besoin pour vivre jusqu’au lendemain169. Il n’est bien sur plus du tout question de surplus financier ni même de besoins annexes à couvrir et parler de sécurité devient littéralement incongru. Alors oui, désespoir, car c’est la vie au fil du rasoir, au grain par grain, et le fait que le tombeau ne soit pas très éloigné rend le spectacle encore plus insupportable et révoltant. Brin d’espoir tout de même, car le fait qu’il soit encore en vie à son âge est la preuve flagrante, vivante, du génie discret et de la passion poignante que le grand peuple des déshérités de Java sait déployer dans son combat pour la survie.

En guise de conclusion : un condensé des problèmes- clefs

16 Après avoir, selon les formes javanaises, longuement pris congé de nos hôtes et amis en les remerciant de toute leur aide et en leur promettant de revenir, le moment de quitter Tirtonirmolo est arrivé. En nous éloignant du village, en franchissant une dernière fois le pont qui enjambe la Winongo et en voyant disparaître la cheminée de Madukismo derrière la crête doucement ondulante des cocotiers de Jogonalan, on tente de dresser mentalement un bilan provisoire et succinct de ce premier contact en profondeur avec le monde rural indonésien. Dans un premier temps, une impression de confusion extrême et un sentiment de vide total alternent à un rythme accéléré dans notre esprit. Alors, sournois, le découragement nous envahit : l’énorme masse d’informations recueillie pendant ces trois mois d’enquête quotidienne est trop compacte, écrasante et impénétrable pour pouvoir être traitée de manière à en tirer la substance signifiante. Puis, petit à petit, alors que l’on se faufile péniblement sur la motocyclette entre les obstacles de toute sorte qui encombrent la route, l’air frais aidant, le doute s’estompe, les problèmes majeurs émergent, s’ordonnant et s’articulant presque d’eux-mêmes, bref, une fiche signalétique du village prend progressivement forme. Les éléments de surprise et les 128

facteurs de contradiction y côtoient certitudes émergeantes ou confirmations partielles, entraînant automatiquement nouvelles interrogations et hypothèses reformulées.

17 Il faut bien admettre qu’en utilisant l’accès à la propriété foncière et la répartition de cette dernière comme révélateur-clef de la stratification sociale en milieu rural, on s’attendait dans le cas de Tirtonirmolo, village suburbain particulièrement surpeuplé, à découvrir une situation de polarisation très accentuée. La surprise provient donc du fait que, relativement parlant, il n’en est rien, puisque 70 % des familles du village sont propriétaires et que l’immense majorité d’entre elles possèdent moins de 0.5 ha de terre en termes d’équivalent sawah. En fait, les choses sont telles que même si elle était rigoureusement appliqué, la Loi Agraire de 1960 fixant le seuil d’expropriation à 5 ha de sawah dans ce type de région ne permettrait pas la redistribution du moindre mètre carré de terre aux quelques 30 % de familles qui en sont dépourvues pour la bonne et simple raison qu’aucun propriétaire ne possède autant à Tirtonirmolo. Si l’on décide de s’aventurer plus avant dans le domaine de la sociologie fiction, on réalise que même en abaissant le seuil d’expropriation du sawah privé à 1 ha, ce qui n’est pas totalement aberrant vu la qualité de l’irrigation et le degré de productivité de la terre170, le surplus foncier récupérable n’excède pas 10 ha et que même en y ajoutant les 50 ha de sawah communal du village et en redistribuant le tout aux familles sans-terre, chacune d’entre elles ne récupère en tout et pour tout qu’une micro-parcelle d’environ 800 m2171. Inutile dans ces conditions de préciser que les coûts économiques et surtout politiques d’une telle opération risqueraient de très fortement contrebalancer les bénéfices sociaux. Finalement, si l’on franchit le dernier échelon dans cet exercice hypothétique d’arithmétique foncière et que l’on répartisse sur la base la plus égalitaire possible la surface arable totale de Tirtonirmolo entre toutes les familles que comptait le village en 1972/73, chaque foyer se retrouve à la tête de 960 m2 de sawah et de 700 m2 de pekarangan 172. On est donc très largement en deçà du seuil d’indépendance économique et de sécurité psychologique qui nous a permis de délimiter nos catégories de propriétaires fonciers puisque l’on n’a plus affaire qu’à la dernière d’entre elles, la petite paysannerie sub- marginale173. En dépit de cela, il est indéniable que l’adoption de mesures visant à la redistribution de la propriété foncière ne serait, théoriquement parlant, pas strictement impossible à Tirtonirmolo mais d’une part, même la moins radicale d’entre elles, celle dont l’impact serait quasiment nul, devrait déjà aller au-delà des termes de la Loi Agraire de 1960 et d’autre part, toutes sans exception auraient pour effet de niveler à des degrés divers la société villageoise pour la transformer dans le cas le plus extrême en une communauté égalitariste dont tous les membres seraient strictement logés à la même enseigne, en dessous du seuil de subsistance minimum174. Il n’est donc pas besoin d’entrer dans le débat classique concernant l’utilité et la pertinence de telles spéculations eu égard au rapport de force politique caractérisant l’Indonésie contemporaine pour réaliser que la marge de manœuvre est infinitésimale pour ne pas dire inexistante dans un tel contexte socio-agraire175.

18 En tous les cas, s’il est un argument que personne ne peut décemment utiliser pour refuser de considérer l’éventualité d’une redistribution des terres à Tirtonirmolo, c’est bien celui de la faible productivité des petites exploitations agricoles. Nous avons, en effet, eu l’occasion de constater lors de nos interviews que non seulement les petits paysans sub-marginaux avaient tendance à cultiver plus intensivement leur micro-sawah que les propriétaires moyens, faisant plus volontiers trois récoltes annuelles que deux, mais que de surcroît, sauf cas exceptionnel résultant de mauvaises conditions 129

d’irrigation, ils atteignaient en règle générale des rendements à l’hectare comparables, voire supérieurs, à ceux de ces derniers. Pourtant, on a également découvert qu’il existait une corrélation positive très étroite entre la taille des exploitations agricoles et la participation au programme BIMAS de crédit gouvernemental, le succès très marginal de ce dernier s’expliquant précisément surtout en raison du fait que la petite paysannerie en est pour des raisons diverses pratiquement absente. On se souvient finalement que l’explication de ce double phénomène apparemment contradictoire, toute simple qu’elle soit, n’en revêt pas moins une importance elle aussi capitale puisqu’ayant ou non recours aux facilités du crédit officiel quasiment tous les riziculteurs de Tirtonirmolo utilisent depuis des années et quelle que soit la superficie de leur sawah ou leur mode de faire valoir des semences améliorées et des engrais chimiques en quantités sensiblement égales, raisons pour lesquelles ils sont d’ailleurs dans leur immense majorité considérés comme participant à la variante INMAS du programme national d’intensification de la production agricole. Ce sont tous ces facteurs qui, ajoutés à la situation très favorable dont jouit le village sur les plans pédologique et hydraulique, permettent de comprendre pourquoi le niveau de productivité moyen à l’hectare a toujours été supérieur à 50 quintaux de paddy depuis le milieu des années 60. Or, malgré cela, et même en prenant comme base de calcul la ration alimentaire journalière par personne la plus basse possible, Tirtonirmolo accuse globalement un déficit rizicole annuel chronique important 176. Comme par ailleurs les cultures vivrières secondaires ont fortement régressé devant l’extension de la superficie ensemencée en paddy et que la canne à sucre occupe bon an mal an 30 à 50 ha de sawah au grand dam des paysans qui estiment que les loyers sont bien trop bas, ce problème vital prend une acuité accrue, d’autant plus que les rendements rizicoles, probablement en raison du haut niveau de productivité déjà atteint, montrent une fâcheuse tendance à la stagnation sur la période d’observation 1969-1972. Il reste fort heureusement une marge de manœuvre non négligeable puisque certains paysans atteignent régulièrement des rendements moyens de 70 à 80 qx de paddy à l’hectare ou arrivent à systématiquement faire une triple récolte annuelle. Mais elle comporte également d’énormes risques écologiques qu’il serait fou de ne pas prendre en considération si l’on veut éviter que Dewi Sri, lassée que les hommes lui demandent toujours plus, se détourne d’eux et laisse rats et insectes envahir leur sawah. D’un autre côté, il est certain que le potentiel de productivité des pekarangan n’est pas totalement exploité et qu’il reste de très gros progrès à faire dans le domaine de l’élevage des poules et des canards pondeurs. Toutes ces possibilités doivent cependant être rapidement au moins partiellement exploitées car, étant donné le degré de surpopulation et le taux de croissance démographique élevé qui caractérisent ce village suburbain177, le déficit alimentaire pourrait fort bien prendre à très court terme des dimensions autrement plus inquiétantes178.

19 Nous avons précisément vu que les deux raisons majeures qui permettent de comprendre pourquoi la population de Tirtonirmolo s’accroît à un rythme très supérieur à la moyenne régionale sont d’une part, le fait que le village se trouve juste aux portes de la ville sur l’axe routier Yogya-Bantul et de l’autre, qu’il abrite sur son territoire la grande raffinerie sucrière de Madukismo. C’est donc principalement la diversification des activités économiques et l’offre accrue de petits emplois multiples que cela entraîne qui est à l’origine du processus. Il est à peu près certain que ce phénomène contrebalance entièrement la diminution d’emplois à laquelle doit faire face la communauté villageoise du fait de la modernisation de certaines techniques de production agricole. Par ailleurs, il explique en grande partie non seulement comment, en juxtaposant une multitude 130

d’activités annexes et secondaires, un aussi grand nombre de familles de petits paysans ou de sans-terre arrivent contre toute logique apparente à survivre et à s’en tirer parfois fort honorablement, mais aussi pourquoi, le village ne présente pas de cas de misère noire aussi fréquents que ce à quoi l’on pourrait s’attendre et va même jusqu’à refléter un certain bien être général, ne serait-ce qu’au niveau de son habitat. Peut-être même que cela nous permet de comprendre à la fois pourquoi, si l’on prend l’accès à la propriété foncière comme unique critère de stratification, la société villageoise semble relativement peu polarisée, les plus petits paysans sub-marginaux réussissant par ce biais à ne pas être obligé de devoir vendre leur sawah lors des moments difficiles, alors que les différences de revenus annuels nets sont énormes puisque nous avons vu qu’ils pouvaient varier de 1 à 50, voire à 100, entre le chef du village et les plus défavorisés de ses administrés. On doit rappeler à ce sujet combien le niveau de bien-être moyen de la communauté villageoise peut, en fonction de facteurs historiques divers, varier très profondément d’un hameau à l’autre. Cela constitue d’ailleurs la preuve fragrante du degré de diversité, non seulement socio-économique, mais également socio-culturel et socio-politique qui peut exister à l’intérieur d’un même village administratif comme nous avons pu le constater en découvrant le rôle éminemment positif que l’islam moderniste pouvait jouer sur le plan du développement local.

20 En y réfléchissant une seconde fois à tête reposée, il nous apparût cependant de plus en plus clairement que deux hypothèses de travail majeures ressortaient très nettement de cette étude villageoise et conditionnaient fortement la manière dont on allait poursuivre la recherche. La première concernant la corrélation qui semblait exister entre le degré de parcellisation de la propriété foncière du village et l’étendue du succès que le programme gouvernemental d’intensification de la production agricole y rencontrait et la seconde, celle qui paraissait être établie entre la nature des stratégies de survie élaborées par la population villageoise et la diversification des activités économiques résultant de la proximité urbaine. Il allait donc, par conséquent, de soi qu’il s’agissait maintenant de sélectionner un second village du district de Bantul, jouissant des mêmes conditions naturelles favorables à une riziculture intensive de haute productivité, mais qui soit à la fois moins proche de la ville de Yogyakarta et plus enthousiaste vis à vis du programme BIMAS. Ce fut Timbulhardjo.

NOTES

1. Portai Komunis Indonesia. 2. Portai Komunis Indonesia. 3. MASJUMI est l’acronyme de MAdjelis SJUriah Muslimin Indonesia qui signifie Conseil Consultatif des Musulmans d’Indonésie. 4. Dans ce contexte le mot kauman indique que le hameau est habité par une communauté de musulmans orthodoxes. Dans toutes les villes javanaises on retrouve un ou plusieurs quartiers portant ce nom. A Yogyakarta, par exemple, il se trouve dans le sous-district du Kraton. 131

5. En pleine guerre d'indépendance contre la Hollande, la tendance du PKI regroupée autour de Musso commet l'erreur de déclencher une rébellion contre le gouvernement républicain Sukarno-Hatta. Interprétée comme « un coup de couteau dans le dos », elle se solda par un échec cuisant. Voir à ce sujet le classique ouvrage de GEORGES MCTURNAN KAHIN, Nationalism and Revolution in Indonesia, Ithaca and London, Cornell University Press, 1952, pp. 290-300. 6. NU est l'abréviation de Nahdatul Ulama que l'on peut traduire librement par Ligue des Docteurs de la Religion. 7. Les résultats des élections parlementaires de 1955 furent les suivants en ce qui concerne les quatre plus grandes formations politiques :

Ces données sont reprises de la somme de HERBERT FEITH, The Decline of Constitutional Democracy in Indonesia, Ithaca and London, Cornell University Press, 1962, p. 434. 8. Les DPR - Desa, c’est-à-dire les Dewan Perwakilan Rakjat-Desa qui signifie les Parlements de Villages, furent institués lors de la réforme administrative de 1946. Ils tombèrent en désuétude à partir de fin 65 et furent définitivement abolis en 1973. 9. Ces derniers (pamong desa), bien qu’élus directement par la population villageoise, étaient responsables devant le DPR-Desa. Il semble que cette dualité ait posé pas mal de problèmes si l’on en croît SELOSOEMARDJAN, Social changes in Jogyakarta, op. cit., pp. 202-212. Depuis le début des années 70, les fonctionnaires villageois sont responsables devant l’autorité administrative supérieure (sous-district et district) et si la procédure s’est « dépolitisée » pour se bureaucratiser, ils n’en ont pas moins une marge de manœuvre bien plus large qu’auparavant. En d’autres termes leur pouvoir discrétionnaire a été fortement renforcé. 10. Le G 30 S (Gerakan 30 September) fut probablement à l’origine un coup strictement interne à l’armée dans lequel une poignée d’officiers nationalistes progressistes regroupés autour du Lt- Col. Untung éliminèrent les généraux les plus gradés qu’ils estimaient réactionnaires et corrompus. Le PKI, bien que n’étant pas directement impliqué dans la préparation de cette affaire, en approuva le principe, ce qui lui valut d’être accusé d’en avoir été l’instigateur. Voir à ce sujet le fameux document de Cornell: BENEDICT R. O’G ANDERSON and RUTH T. MCVEY, A preliminary analysis of the October 1, 1965, Coup in Indonesia, Ithaca, Cornell University Press, Modern Indonesia Project, Interim Report Series, 1971, 162 p. 11. Les indonésianistes politologues se réfèrent volontiers aux quatre tendances ou aliran majeures de la vie politique indonésienne à savoir le nationalisme, le communisme, l’islam moderniste et l’islam conservateur. De son premier essai politique écrit en 1926 et intitulé Nationalism, Islam and Marxism jusqu’à la politique dite du NASAKOM qu’il tenta d’imposer pendant la période de la Démocratie Dirigée allant de 1958 à 1965, Sukarno ne cessa de poursuivre inlassablement le même objectif consistant à trouver une voie syncrétique permettant de concilier les trois aliran : Nationalisme (NAS pour NASionalis), Religion (A pour Agama) et Communisme (KOM pour KOMunis). Sur ces aspects liés à l’idéologie sukarnienne voir les différents textes de ce dernier regroupés dans le remarquable ouvrage de HERBERT FEITH and LANCE CASTLES (Ed), Indonesian political Thinking 1945-1965, Ithaca and London, Cornell University Press, 1970, 505 p. 12. C’est à partir des révoltes communistes de 1926-1927 que la répression coloniale envers les différentes organisations politiques indonésiennes va devenir implacable. Elle atteindra un climax avec l’arrestation du Sukarno en 1930 qui donnera lieu au procès retentissant pendant lequel il prononcera sa fameuse plaidoirie-réquisitoire d’inspiration zolienne « Indonesia 132

menggugat ! » (« L’Indonésie accuse ! »). Voir à ce sujet le remarquable travail d’édition et de traduction réalisé par ROGER K. PAGET, Indonesia accuses ! Soekarno’s defense oration in the political trial of 1930, London and Kuala Lumpur, Oxford University Press, 1975, 153 p. Les partis représentant les différentes tendances politiques mentionnées plus haut qui avaient tous été très actifs pendant les années 20 furent à partir de cette date pratiquement réduits au silence jusqu’à l’arrivée de l’armée d’occupation japonaise en 1942. 13. Pendant cette dernière, qui dura jusqu’à la proclamation de l’indépendance nationale le 17 Août 1945, la plupart des organisations politiques majeures eurent la possibilité de reconstituer leur appareil, que ce soit officiellement comme les nationalistes et les musulmans ou clandestinement comme les socialistes et les communistes. La guerre d’indépendance qui ravagea l’île de Java de 45 à 49 causa cependant une assez grande confusion dans leurs rangs et les laissa désorganisés et affaiblis au seuil des années 50, au moment où il fallait qu’ils se lancent dans la phase de construction nationale. 14. SELOSOEMARDJAN, Social changes in Jogyakarta, op. cit., pp. 164-212, s’étend assez largement sur cette double signification des loyautés politiques au niveau local. Il faut : dire que ce phénomène n’est pas uniquement représentatif de la situation politique de l’Indonésie, d’autres pays d’Asie ou du « Tiers Monde » et qu’on le retrouve encore sous une forme extrêmement vivace dans de vieilles démocraties parlementaires européennes comme... la Suisse. Il suffit pour s’en convaincre de lire le passionnant ouvrage de ULI WINDISCH, Lutte de clans, lutte de classses, Chermignon, la politique au village, Lausanne, L’Age d’Homme, 1976, 328 p. 15. Les partis politiques ne jouèrent d’ailleurs aucun rôle dans cette élection qui eut lieu en pleine période révolutionnaire. L’élection de l’actuel chef de village fut facilitée par le fait qu’il était le fils du responsable des questions sociales (kamituwa) de Bekelan, l’une des trois entités administratives regroupées en 1946 pour constituer Tirtonirmolo. 16. Cela explique d’ailleurs probablement en partie pourquoi il sera si aisément décimé par l’armée entre 1965 et 1968. Pour devenir un parti de masse se réclamant de plus de 3 millions de membres et de 10 millions de sympathisants en 1965, D.N. Aidit et ses collègues du Politburo avaient semble-t-il négligé tout ce qui touche à la formation idéologique, pourtant cruciale pour une organisation de ce type. 17. Cette incroyable « théorie » dite de la « masse flottante » forgée par le général Ali Murtopo, l’idéologue socio-politique numéro un de l’Ordre Nouveau, est fondamentalement ancrée dans l’attitude traditionnelle faite de paternalisme et de mépris que l’aristocratie javanaise () a toujours entretenu vis à vis du petit peuple (rakjat) et qui part du principe énoncé dans l’adage usuel bien connu « rakjat masih bodoh », c’est-à-dire « le peuple est encore stupide et ignorant ». Voir, pour une interprétation percutante de cette idéologie, KEN WARD, « Indonesia’s modernisation : ideology and practice », in Rex Mortimer (Ed), Showcase state, The illusion of Indonesia’s “accelerated modernisation”, Sydney, Angus and Robertson, 1973, pp. 67-82. 18. Le PKI fut officiellement interdit d’activités politiques le 12 mars 1966. Les six mois qui précédèrent cette mesure sont sans aucun conteste parmi les plus sombres de l’histoire indonésienne. La répression sanglante et effroyable menée par les troupes de choc de l’armée avec l’aide des jeunesses islamiques fanatiques fit au moins un demi-million de morts, alors que 250 000 autres personnes furent arrêtées et emprisonnées, certaines, comme le grand écrivain Pramoedya Ananta Toer, n’ayant été relachées que fort tardivement après plus de 13 années de détention dans le sinistre camp de Buru. Sur ces évènements terribles, voir le reportage saisissant de PHILIPPE GAVI, « Contre-révolution en Indonésie », Les Temps Modernes, Janvier 1969, N ° 271, pp. 1153-1212. 19. Quand Sukarno mourut le 21 juin 1970, après près de 4 années de résidence surveillée passées à Bogor et à Jakarta, certains des personnages les plus extrémistes gravitant dans l’entourage de Suharto continuaient à exiger qu’il soit jugé pour son implication implicite dans le Coup de Septembre 65. De nombreux membres du PNI furent d’ailleurs arrêtés et emprisonnés à cause de 133

cela. L’Ordre Nouveau porta le coup final au Parti nationaliste quand il réussit grâce aux manipulations savantes d’Ali Murtopo, encore et toujours lui, à faire élire un homme accommodant à sa direction lors du Congrès de Semarang en Avril 1970. 20. Le Gouvernement Révolutionnaire de la République d’Indonésie ( Pemerintah Revolutioner Republik Indonesia ou PRRI) formé à (Sumatra Ouest) le 15 février 1958 comprenait les principaux leaders du MASJUMI dont et qui avaient tous deux été Premier Ministre sous Sukarno, le premier en 1951 et le second en 1956. Voir à ce sujet HERBERT FEITH, The decline of constitutional democracy in Indonesia, op. cit. 21. C’est en février 1968 que le MASJUMI devint le PARMUSI ou Parti des Musulmans Indonésiens ( PARtai MUSlimin Indonesia). Néanmoins pour l’affaiblir d’entrée, l’Ordre Nouveau interdit aux hommes qui avaient toujours été à la tête du mouvement moderniste indonésien depuis l’indépendance d’occuper des postes de responsabilité dans la nouvelle formation politique sous prétexte qu’ils avaient été membres du PRRI et finit même par nommer son leader par décret présidentiel en 1970 ! 22. Ansor, l’organisation de jeunesse du NU joua un rôle particulièrement actif dans les massacres de Java Central et Est. 23. OEY HONG LEE, « The emasculation of political parties », in Malcolm Caldwell (Ed), Ten year’s military terror in Indonesia, Nottingham, Spokesman Books, 1975, pp. 59-74. 24. Les conceptions (konsepsi) élaborées par Sukarno pour remplacer le régime de « démocratie parlementaire à l’occidentale » mis en place en 1950, qu’il jugeait incompatible avec les traditions politiques indonésiennes et qu’il tenait pour responsable de tous les maux auxquels le pays était confronté furent rendues publiques le 21 février 1957. Il proposait principalement de baser la vie politique nationale sur les principes de la démocratie villageoise indonésienne qui reposait sur les trois piliers que sont l’entraide mutuelle (gotong royong), la délibération communautaire (musjawarah) et la prise de décision par consensus (mupakat). C’est ainsi qu’il préconisait l’adoption d’un « Conseil National » où seraient représentés tous les « Groupes Fonctionnels » jouant un rôle important dans la société et d’un cabinet dont seraient membres des représentants de toutes les formations politiques importantes du pays y compris le PKI. Ces propositions entraînèrent une très forte opposition dans les milieux politiques, surtout du côté du MASJUMI et elles furent à l’origine du déclenchement de la rébellion militaire de l’Indonésie de l’Est qui prit le 2 mars de la même année le nom de , acronyme de PERjuangan seMESTA qui signifie mot à mot « lutte totale ». Ce n’est qu’après avoir maté les rébellions PRRI et PERMESTA que Sukarno mit en application ses nouvelles conceptions politiques et proclama la « Démocratie Dirigée » (Demo-krasi Terpimpin), le 17 août 1959, le jour anniversaire de l’indépendance nationale. 25. GOLKAR est l’acronyme de GOLongan KARya qui signifie précisément « Groupes Fonctionnels ». C’est une fédération assez lâche de groupements socio-professionnels de toute sorte allant des fonctionnaires gouvernementaux aux conducteurs de triporteurs. 26. Les Pamong Praja (« civil servant ») doivent en effet obligatoirement être affiliés au corps des fonctionnaires de l’Etat (KORPRI - KORps Pamong Republik Indonesia) qui en tant qu’organisation professionnelle fait automatiquement partie du GOLKAR. 27. Les premières PEMILU, acronyme de PEMILihan Umum qui signifie « Elections Générales », permirent entre autres à la firme automobile allemande Volkswagen de signer un contrat en or puisque le gouvernement indonésien lui commanda plus de 3 000 jeeps, afin que chacun des 3 177 chefs de sous-district (camat), que comptait le pays puisse sillonner sa circonscription et battre le rappel des troupes en faveur du GOLKAR. Ces voitures de couleur orange frappés de l’emblème de ce dernier qui représente un banian (waringin) sont ironiquement appelés par les paysans indonésiens « mobil pemilu » (voitures élections générales). Certaines ont cependant changé de couleur et ne servent plus qu’aux besoins privés des chefs de sous-district. 134

28. La campagne à l’américaine que le GOLKAR lanca dans tout le pays en recrutant pour ce faire force chanteurs à succès et acteurs populaires prit le nom significatif de « Safari ». Sur les différentes mesures coercitives qui l’accompagnèrent voir OEY HONG LEE, « The emasculation of political parties », op. cit., pp. 64-66 et surtout MASASHI NISHIHARA, GOLKAR and the Indonesian elections of 1971, Ithaca, Cornell University, Modern Indonesia Project, Monograph Series N° 56, 1972, 56 p. + tables. 29. Voir Pemilihan Umum 1971, Djakarta, Lembaga Pendidikan dans Konsultasi Pers, 1972, pp. 158-159. Pour la province de Yogyakarta (Daerah Istimewa Yogyakarta) prise séparement, il est à noter que le PARMUSI y a fait avec 9.3 % des voix le plus haut score des 5 circonscriptions de Java et que le NU y a fait avec 10.8 % le plus bas. Voir à ce sujet : A. VAN MARLE, « Indonesian Electoral Geography », in Oey Hong Lee (Ed), Indonesia after the 1971 elections, London, Oxford University Press, Hull Monograph on South-East Asia, N° 5, 1974, pp. 37-59. MASASHI NISHIHARA, GOLKAR and the Indonesian Elections of 1971, op. cit., attire aussi notre attention dans la table IX adjointe à son ouvrage sur le fait que le GOLKAR a eu un succès bien plus grand en milieu rural qu’urbain où il est moins facile d’enrégimenter et de contrôler les gens. Dans le D.I. Yogyakarta par exemple le GOLKAR n’a obtenu que 45.1 % des voix dans la municipalité (kotamadya), alors que le pourcentage a varié entre 62.6 % et 79.8 % dans les 4 districts ruraux (kabupaten), Bantul et Sleman, les deux qui partagent une frontière avec la ville, étant d’ailleurs les plus réticents ou les moins enthousiastes. 30. Les secondes PEMILU de l’ORBA (acronyme de ORder BAru ou Ordre Nouveau) eurent lieu en avril 1977. Entre temps le gouvernement avait procédé à une nouvelle « simplification » de la vie politique nationale en forçant les partis à se regrouper dans deux coalitions contre nature, le Parti Uni du Développement (Parlai Persatuan Pembangunan ou PPP) comprenant les 4 formations islamiques dont le NU et le PARMUSI et le Parti Démocratique Indonésien (Partai Demokrasi Indonesia ou PDI), organisation on ne peut plus hétéroclite où l’on trouvait pêle-mêle toutes les formations non-islamiques dont le PNI. Le GOLKAR remporta avec environ 62 % des voix une victoire sensiblement comparable à celle de 1971, mais le PPP émergea, avec un score frisant les 30 %, comme la seule force politique d’opposition significative. Sur la géographie électorale et la signification de cette polarisation politique voir entre autres Far Eastern Economic Review, Vol. 96, N° 19, May 13, 1977, pp. 8-10. 31. Cette tendance nous a été confirmée par le lurah du village lui-même. 32. En 1972, la population de Tirtonirmolo se composait confessionnellement de : 11 225 musulmans, 577 catholiques, 53 protestants et 2 hindouistes. 33. Ces « orang islam statistik » correspondent à la catégorie socio-culturelle des javanais que CLIFFORD GEERTZ analyse en détail dans son fameux ouvrage : The Religion of Java, Chicago, The University of Chicago Press, 1960, 392 p.. 34. C’est la variante analysée par le même auteur dans le même ouvrage. Cette distinction entre santri et abangan est devenue l’un des outils d’analyse classique qu’emploient la plupart des observateurs de la société javanaise. Comme toute dichotomie par trop rigide et analytique, elle ne doit cependant être utilisée qu’avec la plus grande prudence, comme une sorte de simplification, les anglophones diraient « over-simplification », permettant de faire le premier pas dans la compréhension de phénomènes bien plus complexes et subtils que ce qu’elle recouvre. Par définition, toute dichotomie est mystificatrice. On peut cependant noter que pour des raisons historiques souvent invoquées, la variante santri est plus forte dans le Pasisir ainsi qu’en milieu urbain et marchand alors que la variante abangan est dominante dans le Keja-wèn ainsi qu’en milieu rural et paysan. 35. Organisation fondée en 1912 à Yogyakarta par Kiaji Hadji Dahlan. Sur les raisons et les circonstances de cet événement important voir GEORGE MCTURNAN KAHIN, Nationalism and Revolution in Indonesia, op. cit., pp. 87-88, et surtout DELIAR NOER, The Modernist Muslim Movement in Indonesia 1900-1942, Kuala Lumpur, Oxford University Press, 1973, pp. 73-83. 135

36. Etant entendu qu’ils conservent de surcroît le fruit de leur travail. 37. Sur l’importance du wayang kulit, voir la remarquable étude de BENEDICT R. O’G. ANDERSON, Mythology and the tolerance of the Javanese, Ithaca, Cornell University, Modern Indonesia Project, Monograph Series N° 37, 1965, 77 p.. Voir également IR. SRI MULYONO, Human character in the wayang, Jakarta, Pustaka Wayang, 1977, 160 p.. 38. Celui que l’on appelle le dalang est non seulement le montreur, mais également le récitant et le chef d’orchestre, en un mot le maître de cérémonie. 39. C’est ainsi que de nombreux villageois des environs de Yogyakarta continuent à adhérer aux valeurs mystiques du kebatinan, ensemble de pratiques visant à la recherche du soi et de l’essence de la javanité. Voir à ce sujet NIELS MULDER, Mysticism and everyday life in contemporary Java, Cultural persistance and change, Singapore, Singapore University Press, 1978, 150 p.. 40. SELOSOEMARDJAN, Social changes in Jogyakarta, op. cit., p. 241, analyse déjà ce phénomène singulier et souligne que « for his cattle the farmer would build a large stable, often better in quality than his own house ». 41. Le même auteur note par exemple p. 242 qu’entre 1950 et 1956 le nombre de vaches a diminué de 176 910 à 146 957 pour toute la province de Yogyakarta. 42. En 1972, il y avait 1 150 propriétaires de sawah à Tirtonirmolo. Outre les vaches (sapi), et les buffles (kerbau), il y avait également dans le village cette même année 42 chèvres (kambing), 296 moutons (domba), 37 porcs (babi), 5 chevaux (kuda), 958 canards mandarins (itik), 174 canards Manille (entog), 9 oies (angsa), 200 poules de race (ayant ras) et 9 292 poules locales (ayam kampung). Si le gros bétail est pour des raisons d’espace disponible en perte de vitesse, il est à noter que la volaille est par contre en plein développement vu l’augmentation de la demande d’œufs de poules et de canards. 43. En 1972, la location d’une paire de buffles d’eau et de leur propriétaire pour labourer ( membad-jak) un sawah coûtait entre 300 et 400 Rp plus 1 à 2 repas selon la longueur de la journée de travail. 44. La fabrication des briques (batu merah) et des tuiles (genteng) à partir de boue séchée et cuite est le fait de petites entreprises artisanales qui emploient entre 4 et 10 personnes chacune. En 1972, le prix d’une brique était de 4 à 5 Rp et celui d’une tuile de 8 à 10 Rp. 45. Il n’y avait en 1972 que 2 265 maisons à Tirtonirmolo, ce qui signifie qu’environ 10 % des familles nucléaires du village, qui en comptait alors 2 497, ne possédaient pas de logis propre et habitaient chez des parents ou des amis. Sur ces 2 265 habitations, 995 étaient entièrement en dur, 985 en semi-dur et 285 en matériau végétal. 46. C’est-à-dire aussi cher qu’une petite motocyclette de 75 cm 3. Les bicyclettes de marque indonésienne ou asiatique coûtaient entre 30 000 et 50 000 Rp neuves. 47. Une Honda 90 cm3 neuve coûtait environ 250 000 Rp en 1973. Toutefois le fin du fin était et reste la Vespa italienne, robuste et silencieuse, véritable Rolls des villages indonésiens dont le prix atteignait presque un demi-million de Rp la même année. 48. La galerie de portraits qui suit ne restitue que 10 des 46 interviews qui ont été réalisées à Tirtonirmolo. La répartition des villageois interviewés par hameau d’origine et occupation principale est la suivante : 136

Nous avons rencontré passablement de difficultés à Jogonalan pour mobiliser le chef de hameau et rencontrer les villageois ce qui explique la différence. Nombreux sont ceux parmi ces 46 personnes qui ont une ou plusieurs activités annexes. Finalement en ce qui concerne les paysans propriétaires-exploitants, nous avons toujours essayé dans la mesure du possible d’interviewer un échantillon représentatif allant du plus riche au plus pauvre. 49. Pak est l’abréviation de Bapak, mot qui signifie père et que l’on emploie par déférence envers tout homme plus âgé à qui l’on s’adresse ou auquel on se réfère. 50. Bien qu’il ait toujours trouvé particulièrement cocasse et même par moment franchement « marrant » l’intérêt que ce grand landa(*) bruyant portait à son village, il a tout fait pour faciliter notre tâche. Les choses n’ont pas toujours été aussi simples dans certains des villages qui furent étudiés par la suite. Par ailleurs, quand ce fut à son tour d’être interviewé, il n’a jamais hésité à répondre sur un ton mi-sérieux, mi- amusé à toutes les questions que je lui posais, des plus indiscrètes jusqu’à celles qui lui semblaient les plus saugrenues. C’est un phénomène qui mérite d’être signalé car en règle générale les fonctionnaires villageois auraient plutôt tendance à dissimuler le fait qu’ils vivent mieux que la majorité de leurs administrés. Ce fut d’ailleurs le cas avec certains d’entre eux à Tirtonirmolo même. (*) Landa est l’abréviation du mot belanda qui signifie simplement Hollandais et que les villageois javanais utilisent pour désigner tout occidental à peau blanche ou plutôt rougeâtre. Certains d’entre eux après s’être fait expliquer le principe des différentes nationalités européennes, apportent une modification amusante en se référent aux landa inggris (Anglais) ou aux landa perantcis (Français). Nous étions donc un landa swis (Suisse). 51. En gros le système scolaire indonésien se divise en trois volets majeurs : a) 6 années d’école primaire (Sekolah Dasar ou SD) b) 3 années d’école secondaire inférieure (Sekolah Menengah Pertama ou SMP) c) 3 années d’école secondaire supérieure (Sekolah Menengah Atas ou SMA). 52. A noter qu’il y a de nombreux échanges de boursiers universitaires entre la Malaisie et l’Indonésie, les deux pays étant très proches l’un de l’autre à plus d’un titre depuis la fin de la politique de Konfrontasi lancée par Sukarno en 1963. Nous fûmes d’ailleurs invités à ce beau mariage interculturel qui eut lieu en deux temps au niveau de la coutume : javanaise pour commencer, malaise pour terminer. 53. Nombreux sont les gens de sa génération à faire cette réponse dont la formulation est encore plus délectablement javanaise dite en indonésien : « Munkin sudah tidak subur lagi ». 54. En 1973, le prix du pekarangan variait entre 125 et 250 Rp le m2 selon sa qualité et sa situation. Cela le mettait entre un million un quart et deux millions et demi l’hectare. 55. En 1973, le prix du sawah variait entre 150 et 200 Rp le m2 selon sa qualité, sa situation et surtout ses conditions d’irrigation. En 1968, les prix étaient de moitié inférieurs. 56. Il ne faut pas oublier que d’une part, il n’est pas fils de paysan, mais de fonctionnaire, et que de l’autre, il a travaillé dans l’administration dès la fin de sa scolarité. Néanmoins le fait de ne pas travailler la terre est pour un fonctionnaire villageois un signe supplémentaire de son prestige social et de son pouvoir économique. 137

57. Très exactement 260 400 Rp par an puisque Madukismo le payait 125 kilos de sucre raffiné par hectare et par mois et qu’il pouvait vendre ce sucre au prix de 124 Rp le kilo sur le marché de Yogyakarta en 1973. 58. La récolte est partagé 50/50 mais ce sont les métayers qui prennent entièrement en charge le coût des semences, engrais, pesticides et autres. On peut cependant noter avec surprise que Pak Burdjo a emprunté 13 600 Rp à la Bank Rakjat Indonesia lors de la campagne de crédit 1972/73 dont 9 610 en cash ! 59. A raison d’une double récolte annuelle et d’un rendement moyen de 50 qx de paddy à l’hectare, soit 26 qx de riz décortiqué (100 : 52), son sawah de 2.1 ha produit chaque année 109.2 qx de riz. Il en garde la moitié, soit 5 460 kilos, qui au prix moyen de 76 Rp/kilo en 1973 représentent une valeur brute de 414 960 Rp. Les 17 métayers se partagent la même somme qui correspond à leur part de la production. 60. La famille consomme 3 kilos de riz par jour soit 1 095 kilos par an. Il lui reste donc un surplus commercialisable de 4 365 kilos dont il peut tirer 331 740 Rp. Son revenu net une fois déduit la consommation de riz est donc de 592 140 Rp par année dont 260 400 Rp, soit 44 %, proviennent de la location de 1.4 ha de sawah à Madukismo et 331 740 Rp, soit 56 %, proviennent de la location de 2.1 ha de sawah à des métayers. 61. Voir à ce sujet SUMITRO DJOJOHADIKUSUMO, Indonesia dalam perkembangan dunia, Kini dan masa datang, Jakarta, LP 3 ES, 1976, p. 208 qui donne le chiffre de 53 050 Rp soit 128 US dollars. 62. Il touche une commission légale sur certains actes officiels qu’il paraphe et reçoit toutes sortes de cadeaux en nature de ses administrés (légumes, fruits, poulets, œufs, etc.). 63. Elles ne sont pas très élevées puisque l’un de ses enfants à déjà son propre foyer à charge et que les deux autres n’ont pas terminé leurs études. A noter que Pak Burdjo ne possède ni bétail, ni volaille. 64. Bien qu’il ait été obligé de devenir membre du GOLKAR, il est resté idéologiquement parlant très proche du PARMUSI auquel il appartenait auparavant, quand il s’appelait MASJUMI. 65. C’est ainsi qu’il ne veut pas obliger les paysans à suivre le programme BIMAS malgré le fait que les autorités du district de Bantul aient décidé que toute la surface de sawah de Tirtonirmolo devrait en faire partie. 66. Il a d’ailleurs déjà 11 petits enfants ! 67. Cela ne veut pas dire pour autant qu’elle soit luxueusement meublée, mais simplement que l’on y trouve des lits pour dormir, des chaises pour s’asseoir, une table pour prendre les repas et même 2 ou 3 fauteuils en rotin, une armoire et... un bureau. 68. Ibu signifie mère, terme que l’on emploie par déférence à l’égard de toute femme plus âgée à qui l’on s’adresse ou à laquelle on se réfère. Il arrive cependant fréquemment que l’on emploie aussi ce terme pour une femme du même âge que soi si elle a déjà enfanté. 69. Parmi tous les fonctionnaires villageois (pamong desa), il est celui qui a obtenu la plus petite parcelle de sawah iungguh, mais elle est par contre intégralement considérée comme terre agricole de première catégorie. Cette répartition des sawah en 4 classes (kelas) est principalement établie sur la base des conditions d’irrigation dont ils bénéficient. Instituée à l’origine par les Hollandais dans les années 20, pour des raisons fiscales, chaque classe de sawah correspondant à un barême d’imposition différent, elle n’a jamais été retouchée ou adaptée depuis. Les conditions d’irrigation ayant souvent elles-mêmes changées, la plupart du temps dans le sens d’une détérioration, de nombreux sawah initialement classés dans la première ou seconde classe et taxés en conséquence devraient en fait dorénavant faire partie de la troisième ou même de la quatrième. C’est le cas du sawah lungguh de Pak Hardjo qui devrait logiquement être déclassé de la 1ère à la 3ème catégorie du simple fait que le barrage dont il dépend a été partiellement détruit en 1950 et que les conditions d’irrigation sont de loin inférieures à ce qu’elles étaient auparavant. Il laisse entendre qu’il est donc doublement pénalisé puisqu’ayant reçu une parcelle de taille 138

médiocre, mais de très bonne qualité, il continue à payer des impôts fonciers relativement élevés qui ne correspondent plus à la réalité. 70. Ne possédant pas de gros bétail bovidé en propre, il doit pour les opérations de labour (membadjak) louer un couple de buffles et leur conducteur au prix de 300 Rp par jour. Afin d’éviter que les animaux ne peinent pendant les heures de plus grosse chaleur, ce sont en fait de courtes demi-journées de travail qui vont en règle générale de 7 à 11 h le matin et de 15 à 18 h le soir. Il ne fournit donc en ce qui concerne les prestations en nature qu’un seul et unique repas par « jour » au laboureur, ce qui lui coûte environ 50 Rp supplémentaires. Nous avons déjà vu plus haut que les opérations de labour se subdivisent en plusieurs sous-opérations, mais l’on peut néanmoins les amalgamer et calculer qu’il doit compter en tout une quinzaine de demi-journée de travail à 350 Rp pour préparer son sawah de 7 900 m2 avant chaque repiquage. A raison de 2 récoltes par an le labourage lui revient donc globalement à 10 500 Rp. 71. Les opérations de repiquage (menanam) sont effectuées en une journée de travail par une quinzaine de femmes. Il les paye pour cela 50 Rp par tête, mais les deux petits repas qu’il leur fournit en sus lui reviennent à peu près au même prix. A raison de 2 récoltes annuelles, il débourse donc pour le repiquage environ 3 000 Rp. 72. Pour ce qui est des opérations de binage (mencangkul ou mentjangkul) il emploie également une quinzaine d’ouvriers agricoles qui ont du travail pour 3 jours pleins dans son sawah. Il les paye 75 Rp par jour et leur donne 2 repas, qui lui coûtent 50 Rp par tête. Cela lui coûte donc en tout chaque année 11 250 Rp. Les opérations de sarclage-désherbage (matun) sont inclues dans cette somme. Il se charge lui-même de l’épandage des engrais et des pesticides, ainsi que de la supervision de toutes les opérations susmentionnées auxquelles il participe la plupart du temps directement. 73. Si Madukismo ne lui restitue par exemple son sawah qu’en plein milieu de la saison sèche. 74. Il applique à très peu de chose près les quantités d’engrais et de pesticides recommandées dans la variante Nouvelle du Programme BIMAS. C’est ainsi que lors de la saison humide 72/73, il a utilisé 25 kilos d’urée et 10 kilos de supertriphosphate (TSP) pour une superficie ensemencée en paddy de 1 500 m2, les 6 400 m2 restant étant loués à Madukismo et plantés en canne à sucre, alors que selon le barème BIMAS Baru susmentionnés, il aurait respectivement dû appliquer 30 kilos du premier et 6.75 kilos du second. On voit donc que la différence est infime, ce d’autant qu’il a également épandu dans son sawah 8 quintaux d’engrais organique d’origine animale (vache). Il suit par ailleurs également les consignes officielles en ce qui concerne les pesticides et traite ses semences avec de l’endrin avant de les mettre en pépinière. Lors de la campagne de crédit 72/73 son emprunt à la BRI s’est élevé à 1 330 Rp, soit l’équivalent de 50 kilos d’engrais à 26.6 Rp le kilo. A noter qu’il n’a pas emprunté d’argent en cash au titre du "coût de la vie". On peut donc considérer qu’il suit plus ou moins à la lettre la variante BIMAS Baru moins le COL (Cost Of Living) et que lorsqu’il cultive l’intégralité de ses 7 900 m2 en paddy il dépense environ 7 500 Rp pour les engrais et les pesticides, somme à laquelle il convient d’ajouter l’intérêt de 1 % par mois sur une demi-année soit 450 Rp. Il débourse donc chaque année une somme globale de 15 800 Rp pour ses facteurs techniques de production. 75. Il faut dire qu’il a obtenu ce rendement proprement faramineux sur une superficie très restreinte mais hautement travaillée, engraissée et traitée. Après avoir exclusivement utilisé du IR 5 et 8 pendant plusieurs années, il s’est tourné vers le C4. Néanmoins pour cette saison humide 72/73, il a décidé d’essayer une semence nouvelle du nom de RT 2 ( ?) que lui a procuré un ami. A première vue, les résultats ne semblent pas être concluant et il envisage d’utiliser exclusivement du Pelita la prochaine fois. Seul un paysan moyen peut se permettre de courir de tels risques d’innovation. 76. Selon Ibu Hardjo, la famille consomme 2 kilos de riz par jour, soit 730 kilos par an auxquels il faut rajouter les quantités de riz données au LSD (Lembaga Sosial Desa ou Organisation Sociale du Village) ou utilisées lors de cérémonies communautaire (bersih desa) ou familiales (circoncisions, 139

slametan, etc.). Si l’on tient compte de tout cela, il n’est probablement pas exagéré de conclure qu’environ 900 kilos de riz sont autoconsommés d’une manière ou d’une autre. 77. Il s’élève globalement à 24 750 Rp par an. 78. Qui atteint 15 800 Rp par an. 79. Cette taxe connue sous le nom de IPEDA, acronyme de Iuran PEmbangunan DAerah qui signifie Contribution au Développement Régional est calculée en fonction de différentes variables et ne doit pas représenter plus que 50 % du rendement net de la terre. Pak Hardjo payait environ 3 000 Rp par an pour ses 7 900 m2 de sawah en 1972. Sur ce sujet fort complexe voir ANNE BOOTH, « IPEDA - Indonesia’s land tax », Bulletin of Indonesian Economic Studies, Vol. X, N° 1, March 1974, pp. 55-81. 80. Un rendement de 80 qx de paddy à l’hectare lui donne sur une superficie de 0.79 ha une production de 63.2 qx par récolte, c’est-à-dire de 126.4 qx par an. Cela représente très exactement 6 573 kilos de riz décortiqué selon la conversion 100 : 52. Si l’on déduit les 900 kilos autoconsommés, il reste un surplus brut de 5 672 kilos qui au prix moyen de 76 Rp le kilo en 1973 équivalent à un revenu monétaire annuel brut de 431 072 Rp. Une fois défalqué de cette somme le coût cumulé du travail extra-familial, des facteurs techniques de production et de la taxe foncière soit 43 350 Rp, il reste avant la récolte un revenu semi-net de 387 722 Rp. Le montant final de son revenu net réel dépend ensuite de la méthode de récolte qu’il adopte. S’il fait appel à la main-d’œuvre féminine du hameau, ce qui se fait de moins en moins à Tirtonirmolo, le bawon lui coûtera l/10e de la production brute de paddy chaque année soit 1 264 kilos qui donneront 657 kilos de riz décortiqué à 76 Rp le kilo soit environ 50 000 Rp. Il lui restera donc en tout et pour tout 337 722 Rp à la fin du compte. Si par contre il vend son paddy sur pied au penebas, ils se partageront le bénéfice réalisé en évitant d’avoir recours au bawon et son revenu se situera aux alentours de 360 000 Rp. Cette seconde pratique est de loin la plus répandue dans le village. Elle permet de maximiser le gain étant donné que le riz atteint son prix le plus ; élevé sur le marché local pendant les 2 ou 3 semaines qui précèdent la récolte. 81. Au prix de 125 kilos de sucre raffiné par hectare loué chaque mois, Madukismo le paye 1 185 kilos par an. S’il revend l’intégralité de ce sucre sur le marché local au prix de 124 Rp/kilo, il obtient un revenu net de 146 580 Rp. A noter qu’en 72/73, au moment où a lieu la recherche, les choses ne sont pas aussi tranchées puisque Pak Hardjo ne loue que 0.64 ha à la raffinerie sucrière et cultive du paddy sur les 1 000 m2 restants. 82. En fait, il se trouve dans une situation ambigüe car si en tant que paysan il est indiscutablement lésé, en tant que fonctionnaire villageois il se doit de veiller à ce que les réquisitions annuelles de terre se fassent sans heurts, ni délais. A Mrisi, les choses sont assez simples de ce côté-là, car il y a 3 « blocs » de sawah déterminés d’une superficie respective de 7 ha, 7 ha et 9 ha dont l’un va automatiquement et par rotation chaque année à Madukismo. Ceux dont les terres sont inclues dans ces « blocs » ne sont donc même pas consultés et n’ont donc rien à dire. Le conflit latent existant entre la paysannerie et la raffinerie ressort très clairement quand Pak Hardjo nous dit qu’en plus de cela cette dernière à tendance à monopoliser toute l’eau disponible dans les canaux du village entre avril et août, période pendant laquelle la canne est transformée en sucre et où les machines tournent à plein rendement. 83. A Java, il est courant que ce soit un seul des membres de la famille qui conserve le titre de propriété foncière (petuk) alors qu’ils sont plusieurs a en partager de fait l’usufruit. Sur cette pratique, source de nombreuses erreurs d’appréciation, voir KOENTJARANINGRAT, « Tjelapar : a village in south-central Java », in Koentjaraningrat (Ed), Villages in Indonesia, Ithaca, Cornell University Press, 1967, pp. 250-251. 84. En fait, il pourvoit également aux besoins alimentaires de la famille de son frère unique qui se compose de 3 personnes, ce dernier ayant droit en tant que cohéritier à une part de la récolte même s’il ne participe pas aux travaux du sawah du fait de ses occupations professionnelles et de son éloignement. 140

85. L’un d’entre eux, phénomène assez répandu à Java, est, cependant albinos. Ces enfants sont en règle générale l’objet d’une attention et d’un amour décuplé au sein de la famille et de leur communauté. La croyance javano-mystique selon laquelle ce sont des êtres semi-surnaturels n’y est pas entièrement étrangère. 86. Après avoir régulièrement utilisé du PB 5 (IR 5) il s’est récemment tourné vers les espèces locales améliorées du type Pelita. Le Pelita 1 obtenu par croissement de PB 5 et de Shinta a meilleur goût que le Pelita 2 qui provient de celui de PB 5 et de Brengos Netep, toutes deux étant des variétés locales. 87. Il utilise 75 kilos d’urée pour ses 3 885 m 2 et peut donc être considéré comme un paysan suivant le programme INMAS Baru. Il pulvérise également 100 cc d’endrin par récolte sur son paddy. A noter que n’ayant pas recours au crédit officiel de la BRI, il achète ses engrais sur le marché privé où il les paye 30 Rp le kilo, alors que les paysans qui participent au programme gouvernemental l’obtiennent pour 26.6 Rp le kilo. 88. Il obtient 1 375 kilos de riz décortiqué par récolte soit, en utilisant la conversion 100 : 52, 26.4 qx de paddy pour 3 885 m2, ce qui correspond bien à un rendement moyen de 68 qx de paddy à l’hectare. 89. La famille consomme 3 kilos de riz par jour soit 1 095 par an, quantité à laquelle on peut facilement rajouter un bon quintal pour les fêtes, cadeaux et occasions diverses. Il lui reste donc une fois déduit ces 1 200 kilos un surplus brut de 1 550 kilos par an. 90. Il dépense, y compris la nourriture fournie, 4 200 Rp pour les labours, 2 250 Rp pour le binage- sarclage et 2 000 Rp pour le repiquage, ce qui donne un montant annuel total de 8 450 Rp. Il dépense donc proportionnellement moins que Pak Hardjo en ce qui concerne la main d’œuvre extra-familiale, mais ses deux fils aînés l’aident régulièrement dans le sawah. 91. Il paye 2 250 Rp d’engrais et 450 Rp de pesticides pour chaque récolte soit 5 400 Rp par an, somme à laquelle il convient d’ajouter environ 1 500 Rp pour les semences qu’il a acheté auprès du Service Agricole (Pertanian), soit en tout 6 900 Rp. 92. Il s’acquitte d’une IPEDA de 1 400 Rp par an. 93. Le surplus brut de 1 550 kilos de riz décortiqué qui lui reste une fois déduite l’autoconsommation familiale représente, à raison de 76 Rp/kilo, une valeur de 117 800 Rp. Il convient de déduire de cette somme les coûts de production divers mentionnés plus haut dont le montant total est de 16 750 Rp. Il lui reste donc très exactement 101 050 Rp par an. Un bawon de 1 /10e lui revient à 275 kilos de riz soit environ 20 000 Rp alors que s’il a recours au service du penebas il lui en coûtera moitié moins cher. En fait les choses sont encore plus compliqués que cela car comme beaucoup de paysans il utilise les 2 méthodes de récolte, bawon pour la superficie de paddy lui permettant de couvrir les besoins alimentaires de la famille et tebasan pour le reste. Quoiqu’il en soit son revenu annuel net reste dans la fourchette 80-90 000 Rp. 94. Il n’a sur son petit pekarangan que 20 bananiers, 10 cocotiers, 3 jaquiers, 2 mlindjo, 1 goyavier et 1 dinding. Il ne vend que la production de mlindjo, tout le reste étant autoconsommé. 95. Il a 20 poules de kampung et 2 canards. Il n’a par ailleurs pas de gros bétail bovidé. 96. Jusqu’en septembre 1972 il était payé 3 000 Rp en cash et la différence en nature (riz, sucre, batik et pétrole). Devant la forte augmentation du prix de tous ces produits de base et en raison du travail d’intendance que cela supposait Madukismo a préféré abandonner ce système et rémunérer ses employés en espèce uniquement. 97. Qui passe ainsi à 170-180 000 Rp par an, 80-90 000 Rp provenant du sawah et 90 000 Rp du salaire mensuel. 98. Il travaille tous, les jours de 7 h à 14 h à la raffinerie sauf le vendredi (7 h - 11 h) et le samedi (7 h - 12 h). En général après avoir déjeuné et fait la sieste, il travaille dans son sawah de 15 h à 18 h chaque jour et y passe une bonne partie de son dimanche. A signaler que n’étant pas musulman rigoureux, il n’observe pas très strictement la trêve du vendredi. 141

99. En fait, Pak Kromo étant déjà très âgé, se sont surtout ses deux fils qui se chargent du travail, en particulier des tâches les plus pénibles. L’un d’entre eux étant propriétaire d’une vache, ils ne font absolument pas appel à de la main-d’œuvre extra-familiale, même pour les labours. 100. En comptant, en plus de Pak Kromo, la famille des deux fils, ce sont 12 personnes qui dépendent de ce sawah pour leur nourriture quotidienne. A raison de 3 kilos par jour, l’autoconsommation annuelle s’élève à 1 095 kg auxquels il n’est pas superflu d’ajouter un petit quintal supplémentaire pour les occasions spéciales (fêtes, cérémonie, obligations communautaires, etc.). 101. Etant donné que la famille n’emploie aucune main-d’œuvre extérieure, les seuls coûts de production sont les facteurs techniques et la taxe foncière. Pak Kromo suit la variante ordinaire du programme BIMAS et dépense environ 1 600 Rp par an pour les engrais. Il a d’ailleurs emprunté une somme de 2 900 Rp à la BRI lors de la campagne de crédit 72/73 dont 1 330 Rp pour les engrais (50 kg) et 1 570 Rp en cash. Il utilise par ailleurs environ 0.5 lt d’endrin par année, ce qui lui revient à approximativement 400 Rp supplémentaires. Il paye en plus 176 Rp d’intérêt sur son emprunt à la BRI et 1 527 Rp d’IPEDA en 1973. On peut estimer que ses coûts de production s’élèvent à environ 3 700 Rp par an. 102. Le sawah produit environ 18 qx de riz décortiqué par an ce qui correspond à un bon rendement de 55 qx de paddy à l’hectare. Une fois déduit l’autoconsommation familiale de 1 200 kg il reste un surplus brut de 600 kg d’une valeur de 45 600 Rp dont il faut défalquer le montant des coûts de production annuels qui s’élèvent à 3 750 Rp. Il ne reste donc à Pak Kromo et à ses deux fils, après l’autoconsommation, qu’un revenu annuel net de 41 900 Rp qu’ils doivent encore se partager en trois ! 103. Il possède 20 cocotiers, 30 bananiers, 3 papayers et 5 jaquiers et ne vend que 80 % de la production des premiers et 40 % de celle des derniers. 104. Ce serait tomber dans un racisme à rebours malheureusement fort répandu dans les milieux « Tiers-Mondistes » paternalisateurs que de ne pas reconnaître qu’à Java comme en Suisse, les hommes sont différents les uns des autres et que certains ne montrent pas un entrain excessif pour le travail acharné, non en raison de quelconques causes structurelles, mais tout simplement par tempérament. Inversement, il est nécessaire pour lutter contre le racisme direct contenu dans le mythe encore tout puissant de la « fainéantise des indigènes » de rappeler inlassablement qu’une forte proportion des villageois javanais travaillent chaque jour autant, sinon plus, que la majorité des occidentaux. Ceci est d’autant plus important que ces idées reviennent à la mode sous une forme déguisée avec la « sociobiologie » d’un Edward Wilson. Sur le mythe de la « fainéantise des indigènes » voir l’ouvrage remarquable du grand sociologue malais , The myth of the lazy native, London, Frank Cass, 1977, 267 p.. Il appuie d’ailleurs sa démonstration sur l’étude de trois populations autochtones du sud-est asiatique : les Malais, les Philippins et les Javanais. 105. En fait Ibu et Pak Sabari ne sont pas trop enthousiastes en ce qui concerne les méthodes contraceptives modernes du type stérilet ou pilule et comptent en rester à la bonne vieille technique « naturelle » de l’abstinence sexuelle périodique (pantang berkala). A noter que cette technique est très répandue à Java, particulièrement parmi les plus pauvres et que la période d’abstinence peut souvent atteindre près de 2 ans. Voir à ce sujet DAVID PENNY and MASRI SINGARIMBUN, Population and poverty in rural Java: some economic arithmetic from Sriharjo, op. cit., pp. 58-59. 106. Très exactement 5 cocotiers, 2 jaquiers, 8 bananiers et 3 papayers. 107. Essayons à titre d’exemple de donner l’idée la plus précise possible de la valeur que cela représente : 1 cocotier produit en moyenne 60 cocos par an qui se vendent entre 15 et 20 Rp pièce, 1 papayer produit en moyenne 40 papayes par an qui se vendent entre 25 et 30 Rp pièce, 1 bananier produit un régime par an qui se vend entre 400 et 500 Rp, 1 jaquier produit en 142

moyenne 10 fruits par an qui se vendent entre 100 et 200 Rp. Pak Sabari possède 5 cocotiers, 2 jaquiers, 3 papayers et 8 bananiers et vend 25 % de la production des 3 premiers alors qu’il consomme toute celle des derniers. Son revenu annuel total après l’autoconsommation est donc d’environ 2 850 Rp. 108. Son père a partagé entre ses deux fils son sawah de 1 740 m2. Il s’en est tenu à la loi islamique selon laquelle tous les biens sont également répartis entre les enfants qu’ils soient de sexe masculin ou féminin. Au contraire, selon la loi coutumière javanaise (adat djawa) seuls les garçons peuvent hériter de la terre, l’aîné ayant en général une parcelle plus grande que les autres, alors que les filles se partagent tous les autres biens (maisons, mobilier, linge, bétail, etc.). Il y a de nombreuses combinaisons intermédiaires entre ces deux formes extrêmes, ce qui n’est pas fait pour simplifier les choses. 109. Les 1 500 m2 de sawah sont de mauvaise qualité (kelas IV) et il ne les loue donc que 4 000 Rp par an. En règle générale il loue pour 5 années consécutives et paye le prix de la location « cash » en avance, au moment où l’accord est conclu. Il est très difficile de louer de la terre cette manière dans le hameau si l’on a pas la confiance de la communauté. 110. Sa belle-mère a en effet laissé une parcelle plus petite à son fils (1 300 m2) qu’à sa fille (1 745 m2), Pak Sabari rétrocédant 1/4 du revenu du sawah de sa femme à son beau-frère afin de compenser. Madukismo payant la terre 125 kg de sucre raffiné par hectare et par mois et le sucre ayant une valeur moyenne de 124 Rp le kilo, Pak Sabari reçoit 32 453 Rp pour la location de cette parcelle. Il donne 1/4 de cette somme à son beau-frère et empoche la différence, soit 24 340 Rp. 111. Il arrive fréquemment à observer le rythme de 5 récoltes tous les 2 ans. 112. Lors de la campagne de crédit 72/73 il a emprunté 3 400 Rp à la BRI dont 1 330 en engrais et 2 070 en cash. 113. Il utilise très exactement 100 kilos d’urée par récolte pour son demi-hectare de paddy et ce depuis 1968. En ce qui concerne les pesticides, il applique 200 cc d’endrin et 2 onces de DDT mais, à l’instar de l’immense majorité des riziculteurs de Tirtonirmolo, uniquement à titre curatif. 114. Ainsi que la plupart de ses voisins il a successivement utilisé depuis 68 du PB 5 (IR 5), du C4 et enfin du Pelita 1 et 2. 115. En fait, l’irrigation est en moyenne de bien plus mauvaise qualité à Dongkelan Kauman que dans la plupart des autres hameaux du village. Tous les paysans y possédant un sawah ont déclaré que l’installation d’une ou deux pompes hydrauliques ne serait certainement pas superflue au vu des problèmes auxquels ils sont souvent confrontés pendant la saison sèche. En ce qui concerne les différentes parcelles que Pak Sabari cultive en paddy la situation, fort complexe, peut être résumée dans le tableau suivant :

A noter qu’il ne garde que la moitié de la production de la parcelle dont il est le métayer et que la quantité de riz dont il dispose en propre chaque année n’est donc plus que le 1 630 kilos. 116. Elle consomme 1.5 kg par jour soit environ 550 kilos par an auxquels il n’est pas exagéré d’ajouter 80 kg pour les besoins divers déjà mentionnés à plusieurs reprises. Il lui reste donc un surplus brut de 1 000 kilos d’une valeur de 76 000 Rp. 117. Selon les informations très détaillées qu’il nous a donné, ses frais de production par récolte sont les suivants : - labours : 2 450 Rp (1 laboureur / 7 jours de travail / 350 Rp / jour) - binage/sarclage : 1 400 Rp (2 ouvriers / 7 jours de travail / 100 Rp / jour) 143

- repiquage : 960 Rp (24 repiqueuses / 1 jour de travail / 40 Rp / jour) - nourriture : 4 000 Rp (pour les 3 catégories de travailleurs) - semences : 1 560 Rp (25 kilos à 60 Rp / kilo) - engrais : 4 200 Rp (six sacs de 25 kg à ±700 Rp le sac) (*) - pesticides : 300 Rp (approximativement) - intérêt BRI 200 Rp (3 400 Rp empruntés en 72/73 à 1 % pour 6 mois) - TOTAL : 15 070 Rp Il faut multiplier cette somme par le nombre de récoltes (2) et encore y ajouter le montant de l’ IPEDA qui s’est élevée à 655 Rp en 1972 ce qui donne un coût de production annuel total de 30 795 Rp. La valeur brute totale de sa production annuelle de riz étant de 165 832 Rp, on voit donc qu’il représente environ 20 % de cette dernière. (*) Il se procure 2 de ces sacs à travers le crédit BRI, ce qui lui revient à 1 330 Rp, et les 4 autres sur le marché libre, ce qui lui coûte 3 000 Rp, soit en tout 4 330 Rp et non 4 200. 118. Soit 4 000 Rp par an. 119. Soit la moitié de la récolte des 2 120 m2 dont il est le métayer. Cela représente une valeur de 41 876 Rp. On peut souligner le fait que Pak Sabari paye entièrement les frais de production de cette parcelle sauf l’IPEDA. Il n’a par contre aucune directive ou même conseil à recevoir du propriétaire en ce qui concerne la mise en valeur de cette parcelle. 120. Prenons la valeur de la quantité de riz qui lui reste après avoir déduit la part du propriétaire des 2 120 m2 de sawah ainsi que l’autoconsommation familiale, soit 76 000 Rp, l’équivalent d’une tonne de riz décortiqué. Comptons en faisant une moyenne approximative entre les 2 systèmes de récolte possibles, qu’elle lui revient à environ l/15e de la production brute, c’est-à-dire à approximativement 11 000 Rp. Une fois déduit cette somme, le montant total des coûts de production annuels (30 795 Rp) et le loyer des 1 500 m2 qu’il loue à l’année (4 000 Rp), il lui reste un revenu annuel net d’environ 30 000 Rp. Il faut ajouter à cela ce qu’il empoche pour la location des 1 745 m2 de sa belle-mère à Madukismo, soit 24 340 Rp. Il tire donc de son travail agricole un surplus financier de 55 000 Rp par an. 121. Cette activité lui rapporte un bénéfice net de 150 Rp par jour à raison de cinq jours de marché par semaine. 122. A côté de petit revenu provenant de la vente des produits du pekarangan, Pak Sabari arrive en effet à grappiller quelques milliers de rupiah supplémentaires chaque année en se lançant dans les petites activités commerciales consistant à vendre les surplus rizicoles ou sucriers du hameau parfois aussi loin que Semarang. 123. Quand il a l’occasion de louer une parcelle de sawah supplémentaire, mais qu’il ne dispose pas de la somme d’argent nécessaire pour conclure l’affaire, il n’hésite pas à vendre ses réserves alimentaires, quitte à ce que la famille se nourrisse pendant quelques temps sur le revenu que Ibu Sabari tire de la vente journalière des légumes. 124. Au cours de l’interview il parle d’ailleurs vite et beaucoup et n’hésite pas à employer des mots ou à émettre des jugements de valeurs que l’on entend rarement dans la bouche d’un paysan javanais. 125. En fait, il semble que le surveillant du barrage se soit laissé graissé la patte par un groupe de paysans qui avaient intérêt à ce que l’eau soit détournée dans leurs sawah. Nous apprenons de la bouche de Pak Sabari que les choses ne se sont d’ailleurs pas arrêté là, puisque des groupes de paysans ont organisé des manifestations pour protester contre le fonctionnaire villageois responsable des questions d’irrigation (kepala bagian kemakmuran) estimant que c’est à lui de régler ces problèmes de manière équitable et qu’il ne se donne pas assez de peine pour le faire. Ce dernier a finalement été obligé de placer un certain nombre de policiers et de soldats en faction dans les sawah pour qu’ils veillent à ce que les détournements d’eau cessent. Il faut dire que tous ces évènements peu commun ont eu lieu pendant la fameuse saison sèche de 1972 pendant laquelle hommes, bétail et plantes manquèrent d’eau. 144

126. La raffinerie règle les loyers en trois tranches successives de 1/4, 2/4, 1/4 et les retards sont monnaie courante du début à la fin. Suite à cette action Madukismo a protesté auprès des autorités villageoises puis a proposé d’indemniser les paysans pour le paddy qu’ils avaient déjà repiqués, mais ces derniers ont refusé de transiger. Lors de notre travail d’enquête à Tirtonirmolo, début 73, la raffinerie avait finalement du renoncer à réquisitionner ces sawah, mais n’avait toujours pas terminé de payer les paysans auprès desquels elle avait des dettes. 127. Le sucre cristal se vendant alors au prix de 114 Rp le kilo sur le marché de Yogyakarta. 128. Ainsi, il critique de manière assez sévère le nouveau système élaboré pour remettre sur pied les coopératives agricoles (BUUD/KUD), mais propose une solution intéressante qui consisterait à en décentraliser la gestion du niveau du village (kelurahan) à celui des hameaux [pedukuhan). 129. Les Indonésiens disent d’un homme comme Pak Sabari qu’il est berani, c’est-à-dire courageux, vaillant, brave, en d’autres termes qu’il n’a pas froid aux yeux. 130. Son père a suivi les principes islamiques en matière d’héritage en divisant son sawah de 2 400 m2 en quatre part égale, 600 m2 pour chaque enfant. 131. Selon la carte, la distance ne peut en aucune manière être supérieure à 2 km, ce qui a priori ne semble pas devoir être un obstacle surhumain surtout si comme lui on dispose d’une bicyclette. 132. Il travaille de 7 h à 14 h du lundi au jeudi, de 7 h à 11 h le vendredi et de 7 h à 12 h le samedi. 133. Il utilise 15 kg d’urée pour 700 m2 ce qui correspond à plus de 2 qx à l’hectare. Par contre il n’a encore jamais eu recours aux pesticides. 134. Soit un rendement frôlant 50 qx de paddy/hectare par récolte. 135. Elle consomme 0.75 kg par jour, soit environ 275 kilos par an. A noter qu’un tel niveau de consommation journalière correspond à des rations individuelles inférieures à 200 gr., ce qui est loin d’être un signe de richesse. Il faut ajouter à cette quantité de riz couvrant la consommation journalière une marge d’environ 25 kg pour les occasions spéciales. Il ne lui reste donc qu’un surplus commercialisable de 50 kilos par an. Cela représente une valeur monétaire de 3 800 Rp. 136. Il nous énumère ses coûts de production de la façon suivante : - labours : 1 200 Rp (1 laboureur / 2 jours de travail / 300 Rp par jour) - binage-sarclage : 400 Rp (1 ouvrier / 4 jours de travail / 100 Rp par jour) - repiquage : 280 Rp (7 repiqueuses / 1 jour de travail / 40 Rp par jour) - nourriture : 400 Rp (pour les 3 catégories de travailleurs) - semences 165 Rp ( ?) - engrais : 450 Rp (15 kg à 30 Rp le kilo) TOTAL : 2 895 Rp Il faut ajouter à cette somme 280 Rp d’IPEDA. Ses coûts de production annuels s’élèvent donc à 6 070 Rp. Il accuse donc un déficit annuel de 2 270 Rp puisque la valeur monétaire de son surplus rizicole n’est que le 3 800 Rp. 137. Cette ration est de 10 kg par mois pour chaque fonctionnaire auxquels s’ajoutent 10 kg supplémentaires pour chaque membre de sa famille. Pak Djiwal reçoit de cette manière 40 kg par mois. 138. Ce riz d’origine pakistanaise est revendu 50 Rp sur le marché. Pak Djiwal en tire donc 24 000 Rp par an. 139. A la somme d’argent provenant de la vente de ses rations de riz s’ajoute son salaire annuel de 48 000 Rp. Si l’on compte qu’une famille de cette taille ne peut pas faire autrement que de dépenser entre 3 et 5 000 Rp par mois pour tous les autres besoins essentiels non-encore couverts (nourriture, habillement, éclairage, lavage, éducation, etc.) on voit que sa marge de manœuvre est plus que réduite. 140. Il met environ 30 minutes pour couvrir les 5 à 6 km qui séparent son domicile du bureau où il travaille. 145

141. D’autant plus qu’il reconnait lui-même que l’idéal serait d’avoir un sawah de 4 000 m2. A titre de comparaison, rappelons que Pak Purwo, fonctionnaire à Madukismo astreint aux mêmes horaires, trouve quand même le temps de s’occuper de son sawah de 3 885 m2. Le fait que, contrairement à Pak Djiwal, il vive tout à côté de son lieu de travail quotidien n’explique à notre avis pas tout ! 142. Ces traits de caractère ressortent clairement au cours de l’interview : il ne sait pas ce que c’est que le programme BIMAS, ne se souvient pas quelles semences et engrais il utilise et comble de tout pour un fonctionnaire du Cadastre, il n’a aucune idée de ce qu’est un hectare ! 143. Ce qui ne veut nullement dire que tous les fonctionnaires fassent de même. Un exemple parmi tant d’autres prouvant le contraire est celui que fournissent Pak et Ibu Sutiardjo. Jeune couple d’instituteurs, ils gagnent un salaire mensuel cumulé de 14 000 Rp auquel s’ajoute une ration de riz de 45 kg. En dehors des heures de classe, Pak Sutiardjo s’occupe d’un sawah de 1 500 m2 qu’il a hérité de son père. Paysan très soigneux il en tire l’équivalent d’un rendement de 80 quintaux de paddy à l’hectare. Une fois payé ses coûts de production et déduit l’autoconsommation familiale, ils arrivent tous deux à tirer un revenu annuel net supérieur à 200 000 Rp. 144. Pour des raisons qu’il n’est pas nécessaire de mentionner tant elles sont évidentes, un paysan javanais fera malheureusement très rarement un sacrifice financier pour pousser l’une de ses filles au-delà de l’école primaire, même si elle en exprime le désir et en a les capacités. 145. Il possède 5 cocotiers, 10 bananiers, 3 papayers et 1 jaquier. 146. En 1975, une vache bengala adulte coûtait selon son âge, sa taille et son état physique entre 35 000 et 60 000 Rp. 147. Les murs de la maison sont en bambou tout comme ceux de l’étable. 148. Selon les règles de l’adat, c’est-à-dire que seuls les garçons ont hérité du sawah et que l’aîné a eu une parcelle légèrement plus grande (750 m2) que ses deux frères (615 m2). 149. Il est bien évident que la micro-taille de son sawah facilite une triple récolte annuelle, même si l’enchaînement des opérations agricoles nécessite toujours d’être quasiment chronométré. 150. Il épand 10 kg d’urée sur son sawah de 615 m2, ce qui est à mi-chemin entre les normes INMAS Baru et INMAS Biasa. Par contre, il n’utilise des pesticides qu’à titre curatif, quand cela devient indispensable et jamais plus que 75 ce d’endrin. 151. Ce qui correspond à un rendement par récolte de 70 qx de paddy/ha. 152. Elle consomme 1.5 kg de riz par jour ce qui donne au bout de l’année 547.5 kg... on voit ce qu’il reste dans le grenier ! 153. Etant donné qu’il possède du gros bétail, cultive un sawah minuscule et dispose d’une main- d’œuvre familiale féminine suffisante, il n’emploie aucun ouvrier agricole, il n’en a d’ailleurs par les moyens. Ses coûts de production annuels s’élèvent donc en tout et pour tout à un peu plus de 2 200 Rp par an dont 900 Rp pour les engrais, 635 Rp d’JPEDA et 630 Rp pour les semences. Malgré cela, il n’arrive pas à s’en acquitter facilement. 154. Entre 300 et 350 Rp par jour plus 1 ou 2 repas. Il aurait indiscutablement le temps de le faire une fois ses propres labours achevés, même à raison de trois récoltes par an. 155. Ansi Pak Wongso qui possède 1 500 m2 de sawah sur lesquels il fait 5 récoltes tous les deux ans profite du fait qu’il est le seul à avoir un couple de buffles dans le hameau de Jogonalan pour travailler comme laboureur pour tous ses voisins. Il gagne de cette manière 300 Rp par jour et nous assure que ça n’est pas le travail qui manque. De son côté, Pak Mulyadi qui est propriétaire d’un sawah supérieur à 1 000 m2 essaye de joindre les deux bouts en travaillant comme simple ouvrier agricole sur le champ des autres, s’assurant ainsi un salaire de 100 Rp supplémentaires par journée de labeur. 156. Les deux femmes assurent à la famille un revenu de 26 000 Rp par an en travaillant au marché 5 jours par semaine. Une fois déduit le montant des coûts de production mentionné plus haut, il ne reste même pas 24 000 Rp/an soit 2 000 Rp/mois, moins de 5 dollars américains au taux 146

de change pratiqué en 1973 (US $ 1 =Rp 414). Avec cette somme il faut couvrir tous les besoins annexes d’une famille de 7 personnes ! Au vu de tels chiffres surgit un autre mystère : comment Pak Darmo a pu réussir à acheter ses deux vaches ? Ce second mystère éclaircit d’ailleurs peut être en partie le premier : il a tellement eu de mal a acquérir ses animaux qu’il y tient comme à la prunelle de ses yeux et évite de les fatiguer inconsidérément. 157. En 1973, les œufs de poule se vendaient environ 25 Rp pièce et la viande de buffle près de 500 Rp le kilo sur le marché de Yogyakarta. 158. Pour chaque récolte 12 kg d’urée ce qui correspond à plus de 2 qx/ha ! 11 utilise aussi de l’engrais végétal et un peu de DDT. 159. Soit un rendement moyen par récolte de 48 qx de paddy à l’hectare, ce qui avec des semences ordinaires est tout à fait remarquable. 160. Il produit chaque année 420 kilos de riz, mais ne peut en garder que la moitié, 210, alors que sa famille qui consomme 1.25 kg par jour en a besoin de 456. Le déficit alimentaire est donc de 246 kg. 161. Qui lui coûtent 1 080 Rp par an. A côté de cela il ne paye que 38 Rp d’IPEDA pour son pekarangan. 162. Les Indonésiens utilisent volontiers le mot turun, descendre, quand ils parlent de se rendre au sawah. 163. Pak Mulyo peut au maximum, en travaillant 5 jours par semaine pendant les 52 que compte l’année, ramener au foyer un revenu net de 19 500 Rp. Sa femme et sa fille, pour qui le travail est encore plus difficile à dénicher, peuvent à elles deux, en étant employées 3 jours par semaine, sur toute l’année ajouter 15 600 Rp au revenu familial. Cela donne donc un revenu annuel total d’environ 35 000 Rp. Il sert tout d’abord à combler le déficit alimentaire qui s’élève à 246 kilos de riz soit 18 700 Rp puis à payer les engrais (1 080 Rp) et l’IPEDA (38 Rp) Il reste donc bien une somme de 15 000 Rp par an soit 1 250 Rp par mois, 3 dollars américains ! 164. Dans ce cas de pauvreté extrême, les villageois javanais laissent en règle générale la famille concernée s’installer gratuitement dans un coin de leur propre pekarangan. 165. Ibu Medjo nous dit ne faire cuire qu’un kilo de riz par jour, ce qui ne représente qu’une ration de riz de 140 gr par personne, moins de la moitié de celle qui a été utilisée pour calculer le niveau d’autoconsommation moyen d’une famille ordinaire. 166. Il ne peut tresser qu’un panier par jour qu’il vend 80 Rp desquels doivent être déduit 30 Rp pour le prix du bambou. 167. Le revenu familial a été calculé de la manière suivante : - Pak Medjo - 3 jours par semaine - ouvrier agricole - 75 Rp/joux - 52 semaines par an 11 700 Rp - 3 jours par semaine - fait des paniers - 50 Rp/jour - 52 semaines par an 7 800 Rp - Ibu Medjo et sa fille aînée - 5 jours par semaine - petites vendeuses de village - 75 Rp/jour - 52 semaines par an 19 500 Rp Revenu annuel Total 39 000 Rp Les 400 kilos de riz nécessaires pour survivre coûtant 30 400 Rp, il reste donc après avoir tout juste mangé, 8 600 Rp dans la caisse familiale, c’est-à-dire 715 Rp par mois, 1.7 dollars américain ! 168. A ce niveau de pauvreté, la qualité du riz n’a bien évidemment plus beaucoup d’importance, seule la quantité compte. 169. Au meilleur des cas, c’est-à-dire s’il est employé 6 jours par semaine tout au long de l’année, Pak Mangun gagne tout juste 20 000 Rp. Il est cependant nourri dans le sawah. 170. Ce seuil d’expropriation est le double de ce que nous avons défini dans l’équation 0.5 S = 1.0 P comme correspondant au seuil d’indépendance économique et de sécurité psychologique à Tirtonirmolo. Il va de soi que dans un village jouissant de moins bonnes conditions naturelles l’équation devrait être recalculée en fonction du niveau réel de productivité de la terre et que le seuil d’expropriation serait rehaussé en conséquence. 147

171. 60 ha répartis entre 753 familles de sans-terre. 172. Il y avait en 72/73 à Tirtonirmolo 2 497 familles qui théoriquement pouvaient se répartir 239.5 ha de sawah et 174.1 ha de pekarangan. En ce qui concerne ce dernier nous n’avons pas déduit par souci de simplification la surface occupée par les habitations que nous avons évalué à 22.65 ha dans un paragraphe précédent. 173. C’est-à-dire qui a moins de 0.25 ha de terre en termes d’équivalent sawah. 174. Selon notre équation 0.5 S = 1.0 P, le paysan qui possèderait 960 m 2 de sawah et 700 m2 de pekarangan à Tirtonirmolo aurait 1 310 m2 de terre en termes d’équivalent sawah. Avec un rendement moyen de 50 qx de paddy à l’hectare et à raison de 2 récoltes par an il produit 680 kilos de riz par an. Avec une ration alimentaire journalière de 350 gr par personne, une famille moyenne de 5 membres à déjà besoin de 640 kilos pour couvrir ses besoins. Encore faut-il payer les coûts de production... on voit ce qui peut rester pour couvrir tous les autres besoins familiaux ! 175. Cela n’est pas le cas dans tous les villages de Java. Le surplus de terre réquisitionnable est par exemple très important, même selon les termes modérés de la Loi Agraire de 1960, dans certains de ceux de la région de Krawang (Java Ouest). 176. En 1972, la production rizicole de Tirtonirmolo s’est élevée à 1 957.1 tonnes de paddy, soit 1 017.7 tonnes de riz décortiqué (100 : 52), beaucoup plus que les trois années précédentes. Si l’on prend comme ration alimentaire de base 250 gr/jour/personne, les besoins du village s’élevaient cette année-là à 1 092 tonnes puisque la population totale était de 11 976 habitants, et le déficit à couvrir à 74.3 tonnes. Avec une ration moyenne de 300 gr/j/p le déficit s’élève à 292.7 tonnes et avec une ration normale de 350 gr/j/p à 511.1 tonnes. 177. 1.6 % par an sur la période 1961/1971 et 2.7 % entre 1971 et 1972. 178. Si l’on prend comme taux de croissance démographique moyen un chiffre intermédiaire de 2 % par an, on obtient une population de 14 587 personnes en 1982. Au cas où la production rizicole serait égale à celle de 1972, le déficit annuel du village variera entre 313 et 845 t de riz selon que l’on adopte comme base de calcul des rations alimentaires de 0.25 kg/p/j ou de 0.35 kg/ p/j. Il n’y a que deux solutions pour réduite ou éliminer ce déficit : une augmentation des rendements à l’hectare ou une accélération du taux d’intensité des cultures. Admettons qu’en 1982 la surface récoltée soit la même qu’en 1972, soit 383 hectares. Il faudrait alors pour que le village soit autosuffisant que les rendements moyens soient de 66.8 qx de paddy à l’hectare dans l’hypothèse la plus haute. Si à l’opposé les rendements ne changent pas par rapport à 1972, il faudra, toujours pour couvrir la demande selon nos deux modèles de consommation, que la surface récoltée soit respectivement de 511 et de 716 ha, soit dans ce dernier cas une triple récolte annuelle généralisée ! Bien entendu, toutes les combinaisons intermédiaires entre hausse de la productivité et augmentation de l’intensité des cultures sont non seulement possibles mais encore bien plus probable que chacune de ces deux solutions extrêmes. Ainsi pour couvrir une consommation journalière de 0.30 kg/p/j il suffirait de produire 65 qx de paddy sur 472 ha de sawah. C’est probablement dans les limites du possible, mais cela implique d’une part, l’utilisation de plus en plus exclusive d’une ou deux variétés de riz à très hauts rendements seulement et d’autre part, l’adoption d’un rythme de culture toujours plus effréné, deux facteurs particulièrement propices au développement de pestes foudroyantes sur de très vastes superficies. En d’autres termes, devant la nécessité de produire toujours plus on risque un beau matin de se retrouver les mains complètement vides à Tirtonirmolo, nous verrons plus loin que cela a d’ailleurs été le cas en 1975-76. Cette question délicate des limites de l’écosystème et de l’équilibre à trouver pour éviter des catastrophes majeures se retrouve à un degré ou à un autre dans la plupart des villages javanais. 148

Chapitre IV. Timbulhardjo : le sawah du centre de la plaine de Bantul

1 Le bureau du village de Timbulhardjo n’est situé qu’à environ 8 km au sud du Kraton de Yogyakarta et, en coupant à travers champ, une fois que l’on a appris à ne plus se fourvoyer dans le dédale des petits sentiers en terre battue qui s’entrecroisent en tous sens, il ne se trouve guère à plus de 5 km de celui de Tirtonirmolo. Pourtant, quel contraste entre les deux villages ! Ici, finis le bruit et la fureur, l’agitation de la ville et le ronronnement de la raffinerie, on est au cœur de la plaine tranquille, à mi-chemin du volcan gris qui fume et de l’océan bleu qui moutonne. Le territoire de Timbulhardjo est bien traversé, de part en part, dans le sens nord-sud, par deux axes routiers secondaires asphaltés venant de Yogya, celui de l’ouest menant aux dunes impressionnantes de Parangtritis et celui de l’est se terminant en cul-de-sac à Imogiri, au pied de l’interminable escalier du tombeau des sultans, mais aucun ne voit passer, loin s’en faut, l’énorme trafic qui s’écoule, compact et permanent, sur la route de Bantul. D’ailleurs, le chef-lieu du district n’est lui-même distant que de 4 km du centre de Timbulhardjo qui forme, en compagnie de trois autres villages, le sous-district en Sewon, attenant à celui de Kasihan dont Tirtonirmolo fait partie. C’est cette proximité géographique qui rend encore plus saisissant le brusque passage du monde des cris à celui des chuchotements.

Environnement et population

2 Produit de l’amalgame en 1946 de 5 anciens villages - Sudimoro, Dadapan, Ren-deng, Kowen et Kepek -, Timbulhardjo1 était divisé, en 1973, en 16 hameaux dont 4, Kowen I, Bibis, Gabusan et Gatak furent retenus pour l’analyse approfondie. Les conditions naturelles de développement agricole y sont excellentes. Couvrant une superficie totale légèrement supérieure à 750 ha2, le village est situé dans une zone uniformément plane, mais naturellement inclinée vers le sud, dont les sols d’origine volcanique sont très fertiles3. Son territoire étant non seulement partiellement délimité par les deux importants affluents de l’Opak, la Winongo à l’ouest et la Code à l’est, mais encore intégralement traversé en son centre par les cours d’eau secondaires de la Guntur et de la Silayon, on comprend que l’irrigation ne constitue pas non plus un problème majeur. De fait, six petits ouvrages hydrauliques construits en différents points de ces rivières4 149

permettaient en 1972 d’irriguer de manière permanente près de 483 ha de sawah soit, comme à Tirtonirmolo, plus de 90 % de la superficie existante5. Finalement, proche de tout et enserré entre deux bonnes routes en dur, Timbulhardjo n’a à faire face à aucune difficulté notoire dans le domaine des transports ou des communications, même si certains chemins de l’intérieur ont tendance à devenir par trop boueux lors des pluies les plus fortes. Bref, un potentiel agro-économique apparemment aussi bon que dans le village précédent, les indications obtenues au bureau du sous-district donnant des rendements rizicoles moyens tournant régulièrement au-dessus de 50 qx de paddy à l’hectare étant d’ailleurs là pour le confirmer. En y regardant à deux fois, on découvre bientôt qu’il est même bien meilleur, puisqu’aucune bâtisse de la taille de Madukismo n’encombre le paysage et que par conséquent près de 99 % de la superficie totale du village est directement productive à un degré ou à un autre, le sawah occupant, en 1972, 522.2 ha soit 69.6 %, le pekarangan 209.5 ha soit 27.9 % et le tegal 10.6 ha seulement soit 1.4 %6. Le rapport sawah-pekarangan-tegal est donc bien plus favorable à Timbulhardjo qu’à Tirtonirmolo, aussi bien dans l’absolu qu’en termes relatifs7. L’étude de l’évolution historique du processus d’occupation des sols rendue possible grâce aux données chiffrées de 1931 que nous avons également pu nous procurer pour ce second village rend un verdict similaire. Nous serions en effet tenté de dire que les superficies de sawah et de tegal n’ont respectivement diminué que de 0.85 ha et 2.50 ha en l’espace de 40 ans à Timbulhardjo, phénomène dont l’amplitude est quasiment insignifiante comparé à Tirtonirmolo8. C’est bien évidemment la reconstruction de la raffinerie sucrière qui explique l’énorme différence puisque d’un autre côté on retrouve exactement la même tendance séculaire à voir l’espace habité grignoter progressivement l’espace agricole sous l’effet de la croissance démographique, l’augmentation de la superficie de pekarangan de 1.23 ha en étant la preuve irréfutable9 (une carte détaillée de Timbulhardjo est consultable en fin d’ouvrage).

3 La population de Timbulhardjo est passée de 12 555 à 12 752 personnes entre la fin des mois de décembre 1971 et 1972, soit un taux de croissance démographique de 1.57 %. Malgré la brièveté de la période d’observation, l’ordre de grandeur semble très plausible puisque le taux de croissance démographique du sous-district de Sewon pris dans son ensemble a été de 1.7 % par an pendant la période 1961-197110. Le phénomène est donc d’une part clairement plus accentué qu’au niveau du district de Bantul où, à fortiori, qu’à celui de la province de Yogyakarta11, mais de l’autre, il est apparemment nettement moins marqué qu’à Tirtonirmolo12. Cela s’explique très facilement du fait que si Timbulhardjo a un potentiel de développement indiscutablement très supérieur à la moyenne, son territoire n’est par contre pas adjacent à celui de la ville et n’abrite aucune grande entreprise susceptible de créer des emplois. On réalise toute la pertinence de ce dernier élément de corrélation en découvrant que les taux de croissance de la population sont fortement élevés dans des hameaux comme Dadapan, Gabusan, Sudimoro ou Ngentak, qui sont situés juste au bord des deux axes routiers asphaltés traversant le village et ont ainsi accès à des activités économiques un peu plus nombreuses et diversifiées13 que dans des hameaux comme Dagan, Kowen, Bibis ou Kepek qui se trouvent un peu à l’écart, au beau milieu des sawah14. Quoiqu’il en soit, ce qu’il y a de plus important dans tout cela pour notre propos est de noter que le rapport entre l’homme et la terre est, relativement parlant, beaucoup moins explosif à Timbulhardjo qu’à Tirtonirmolo. La densité de population moyenne calculée sur la base de la superficie totale du village n’y est en effet, en 1972, « que de » tout juste 1 700 habitants au kilomètre carré et elle ne grimpe « qu’à » 150

1 780 si l’on ne prend en considération que les terres arables véritablement productives15. Finalement, si l’on retranche encore les terres communales publiques destinées aux fonctionnaires villageois qui couvrent un peu plus de 101 ha de sawah, soit près de 20 % du total disponible16 dans tout le village, ainsi que la presque totalité du tegal17, la densité démographique par rapport à la seule surface arable privée n’atteint à Timbulhardjo « que » 2 105 habitants/km2, un chiffre d’environ 65 % inférieur à celui de Tirtonirmolo18. C’est la raison pour laquelle la découverte du profil de répartition de la propriété foncière est aussi surprenant.

Structure de la propriété foncière

4 Sur les 2 816 familles vivant à Timbulhardjo fin 197219, seules 1 068 soit 37.9 % avaient accès à la propriété foncière, la proportion des sans-terre étant supérieure à 62 %, deux fois plus qu’à Tirtonirmolo20. On retrouvait les mêmes ordres de grandeur dans les 4 hameaux étudiés plus en détail, à l’exception de l’un d’entre eux comme cela ressort clairement du tableau IV. 1 de la page suivante. Par ailleurs, nouvelle différence de taille avec le village précédent, la grande majorité des familles propriétaires ont accès à la fois au pekarangan et au sawah, le nombre de celles qui ne possèdent que l’un ou l’autre étant fort limité21. On voit dans le tableau IV.2 ci-contre que ce phénomène se reproduit à peu près uniformément au niveau de chacun des 4 hameaux sélectionnés. Etant donné le surprenant degré de concentration de la propriété foncière qui caractérise Timbulhardjo, on se doute bien que le profil de répartition de cette dernière entre les familles qui y ont encore accès à toutes les chances d’être totalement différent de ce qui a été observé dans le cas de Tirtonirmolo. C’est effectivement le cas, et le tableau IV.3 montre bien la formidable amplitude de cette différence. Précisons toutefois auparavant que pour passer à ce stade suivant de l’analyse, nous avons nullement besoin de changer quoi que ce soit aux différents critères de classification élaborés et définis précédemment, vu que les deux villages bénéficient de conditions de productivité de la terre pratiquement identiques22. Le seuil d’indépendance économique et de sécurité psychologique reste donc fixé à 0.5 ha de sawah ou son équivalent, l’équation de transformation du pekarangan en sawah à 0.5 S = 1.0 P et les 4 catégories de propriétaires fonciers demeurent la petite paysannerie sub- marginale possédant moins de 0.25 ha de terre, la paysannerie marginale entre 0.25 et 0.50 ha, la paysannerie moyenne autosuffisante de 0.50 à 1 ha et la paysannerie aisée ou riche contrôlant plus d’un hectare de sawah ou son équivalent. 151

5 Toujours en considérant l’accès à la propriété foncière comme le premier indicateur significatif pour analyser la stratification sociale en milieu rural, on voit que l’on se trouve confronté à une société villageoise déjà extrêmement polarisée, puisqu’en dehors du fait que 62.1 % des familles qui la composent sont totalement démunies de terre, 45.5 % de celles qui en possèdent se trouvent au-dessus du seuil des 0.5 ha et détiennent environ 78 % de la superficie privée totale de pekarangan et de sawah, alors que les 54.5 % qui sont au-dessous se partagent les 22 % restant. On peut de surcroît noter que la catégorie des petits paysans marginaux est beaucoup plus importante que celle des propriétaires de moins de 0.25 ha de terre, ce qui explique d’ailleurs pourquoi le nombre 152

de familles qui passent par appoint de pekarangan du deuxième au troisième groupe est nettement plus élevé que le total de celles qui se hissent du premier au second23. Tous ces éléments se liguent pour apporter la preuve que, géographiquement très proche de Tirtonirmolo et écologiquement similaire, Timbulhardjo semble en être aux antipodes sur le plan social24. Les données chiffrées récoltées au niveau des quatre hameaux et reproduites dans le tableau IV.4 confirment clairement cet état de fait, mais révèlent aussi définitivement, comme dans le précédent village, les différences non-négligeables qui peuvent exister entre eux, la polarisation sociale ayant par exemple atteint une forme beaucoup plus achevée à Bibis qu’à Gabusan. La question qui vient immédiatement à l’esprit, une fois que l’on a terminé de dresser un tel bilan, concerne l’emploi. Il ne s’agit d’ailleurs plus tant de découvrir quelles sont les activités secondaires permettant à la petite paysannerie sub-marginale de s’en tirer, vu qu’elle ne constitue pas, loin s’en faut, la catégorie sociale la plus surpeuplée, mais plutôt d’essayer de comprendre quelles sont les stratégies de survie que les centaines de familles villageoises dépourvues de terre ont bien pu élaborer, alors que la ville n’est tout de même pas à deux pas et qu’il n’y a aucune industrie locale offrant de débouchés importants.

Profil de l’emploi

6 Arriver à se faire une idée précise sur la répartition de la propriété foncière n’est déjà certes pas une sinécure de tout repos dans un village indonésien, mais réussir à y voir clair dans les questions d’emplois simples et multiples, principaux ou secondaires, est un véritable casse-tête... javanais. Timbulhardjo, n’échappe pas à cette règle, la situation de chaque famille apparaissant souvent comme spécifique, unique et particulièrement difficile à classer ou catégoriser. La solution la plus simple consiste, une nouvelle fois, à rapidement faire le tour de chacune des activités professionnelles autres que celle de paysan-propriétaire-exploitant, habituellement exercées dans le village, en essayant de 153

déterminer sa capacité à absorber la main-d’œuvre des familles sans-terre. En ce qui concerne le corps des fonctionnaires élus de l’administration villageoise qui se compose de 35 personnes à Timbulhardo25, cette dernière est fort limitée pour ne pas dire nulle. En effet, pour des raisons qui ont été énumérées en détail précédemment, ces postes fort convoités et lucratifs sont la plupart du temps accaparés par des villageois influents et prospères qui possèdent déjà des terres en propre. C’était d’ailleurs le cas des sept d’entre eux interviewés de manière approfondie lors du travail d’enquête au niveau des hameaux 26. Du fait que la superficie de sawah public dont dispose le village est passablement étendue, chacun des élus locaux reçoit en supplément l’usufruit d’une parcelle suffisamment importante pour le faire définitivement passer dans la catégorie des paysans riches, s’il n’en faisait pas déjà partie. En 1972, la taille de ces sawah apanages variait, en effet, de 0.91 ha pour le moins bien loti des chefs de hameaux à 4.98 ha pour le chef de village27, ce dernier pouvant ainsi presque être considéré comme un « landlord » selon les standards régionaux28. Si cette filière prestigieuse semble être pratiquement bouchée pour les villageois sans-terre, nombreux sont par contre ceux qui travaillent comme fonctionnaires salariés de l’administration publique soit au niveau des sous- districts, soit à Bantul dans les services du district, soit enfin dans divers organes reliés à la municipalité de Yogyakarta29. Tous rémunérés, mais n’étant, en règle générale, pas astreints à des horaires de travail draconiens, comme cela a déjà été souligné plus haut, ils disposent donc de suffisamment de temps libre pour louer une parcelle de sawah et à la travailler comme métayer. Or, la différence majeure qui distingue Timbulhardjo de Tirtonirmolo sur ce point particulier est que le fait d’en dénicher une ne fait pas nécessairement partie du domaine de l’impossible.

7 C’est là un point absolument crucial qui demande explication. Elle est à la fois simple et logique : une assez forte proportion des propriétaires fonciers du village étant des paysans moyens ou riches qui possèdent entre un demi et trois hectares de sawah, un bon nombre d’entre eux, en particulier les plus aisés, peuvent se permettre d’en louer une partie à un ou plusieurs métayers, entretenant ainsi sur le mode semi-féodal une fidèle clientèle. Des données chiffrées fournies par le secrétaire du village et surtout des enquêtes menées dans les quatre hameaux sélectionnés, il ressort qu’environ 200 chefs de famille travaillaient à temps partiel ou complet comme métayers à Timbulhardjo, c’est-à- dire trois fois plus qu’à Tirtonirmolo dont la population est à peu près semblable30. Avec son sawah apanage de 5 ha le chef du village fournit par exemple à lui seul du travail permanent à une quinzaine d’entre eux ! Ceci dit, le métayage reste tout de même une activité réservée à une minorité de privilégiés parmi les sans-terre. La plupart de ceux qui en sont exclus n’ont plus qu’à essayer de louer leur force de travail comme ouvrier agricole, mais là aussi, pour des raisons liées aux structures de la propriété foncière, la demande de main-d’œuvre extrafamiliale est beaucoup plus importante que dans le village précédent, même si elle est marquée par de très fortes fluctuations saisonnières et que le niveau général des salaires journaliers semble être sensiblement plus bas31. D’autres, plus doués de leurs mains ou d’esprit plus entreprenant, arrivent même à tirer parti de l’éloignement relatif de la ville et de l’absence partielle de concurrence qui en résulte, soit pour simplement se spécialiser comme artisans de village indépendants32, soit même, selon le capital de base dont ils peuvent disposer, pour monter une petite entreprise locale quelconque33 ou pour prendre en main une partie du petit commerce de redistribution au niveau des hameaux34. Tel un poison qui sécréterait son propre antidote, ce double phénomène est suffisant paradoxal pour être souligné. En effet, d’un 154

côté, une structure agraire très inégalitaire se révèle génératrice d’un assez grand nombre d’emplois agricoles extra-familiaux et de l’autre, la distance, toute modeste qu’elle soit, qui sépare le village du centre urbain stimule, dans un milieu à 100 % rural, le développement spontané de tout un minuscule secteur non-structuré qui contribue de manière non négligeable à compenser l’inexistence d’industrie ou de chantier important à portée de pas. Le tableau IV.5 de la page suivante donne une idée très précise de la situation et montre de surcroît la nature des corrélations sous-jascentes qui existent dans chacun d’entre eux entre le profil de répartition de la propriété foncière, l’importance de l’emploi agricole extra-familial et le degré de développement des activités commerciales35 .

8 C’est ainsi qu’à Bibis, hameau où les structures agraires sont les plus inégalitaires et où le capital est plus abondant, il y a beaucoup moins de fonctionnaires et de paysans indépendants36, mais bien plus de métayers, d’ouvriers agricoles, de petits commerçants et de... retraités37 qu’à Gabusan, hameau globalement plus pauvre mais où la situation sociale est nettement moins polarisée. Par ailleurs, si l’on prend la peine de comparer les chiffres résultant des enquêtes sur l’emploi menées de manière similaire dans chacun des deux villages, on réalise aisément le gouffre qui sépare Timbulhardjo, où les paysans indépendants, les métayers et les ouvriers agricoles sont prépondérants38, de Tirtonirmolo, où la proportion de fonctionnaires, d’ouvriers non-agricole et de petits commerçants est beaucoup plus élevée39. Ce passage de la semi-urbanité à la ruralité quasi complète s’accompagne tout naturellement d’une plus grande homogénéité et d’une moindre diversification des activités économiques. Pourtant, paradoxalement, le pourcentage des chefs de famille ayant une activité secondaire ou annexe déclarée est nettement plus important à Timbulhardjo qu’à Tirtonirmolo comme cela ressort du tableau IV.6 ci-contre40. Cela est simplement dû au fait que le nombre de salariés astreints à des horaires de travail fixes et réguliers de type administratif ou industriel se trouvant parmi-eux étant relativement faible, plus répandus sont ceux qui disposent du temps 155

libre nécessaire permettant de cumuler plusieurs activités41. Une nouvelle fois, par une subtile dialectique purement asiatique, le désavantage se transforme en avantage, le déséquilibre structurel sécrète son propre équilibre conjonctuel. Ne sont certainement pas étrangers à ce phénomène le flair et le savoir-faire que démontrent les villageois javanais en extrayant, quelle que soit la situation locale objective, le meilleur du pire pour élaborer leur stratégie de survie.

Rythmes et performances agricoles

9 En gros, les paysans de Timbulhardjo observent à peu de chose près les mêmes cadences et pratiques agricoles que leurs voisins de Tirtonirmolo. Cependant, différence majeure notoire par rapport au village précédent où beaucoup n’hésitaient pas à faire cinq récoltes tous les deux ans, voire trois dans l’année, fort rares sont ceux qui se risquent à dépasser le rythme classique de la double récolte annuelle. Les raisons habituellement invoquées pour justifier un tel choix sont la relative pénurie d’eau dont souffrent parfois les sawah pendant la saison sèche, ainsi que la nécessité de ne pas épuiser les sols en leur demandant trop ; mais on peut, sans trop s’avancer, émettre l’opinion que la pression démographique moins lourde et surtout la structure de la propriété foncière où dominent les exploitations de taille moyenne jouent un rôle tout aussi déterminant. Quoiqu’il en soit, il s’ensuit un léger décalage par rapport au calendrier agricole que nous avons reconstitué pour Tirtonirmolo : en règle générale et dans la mesure du possible, les gens préfèrent enchaîner deux cultures de paddy, le premier repiquage se faisant en pleine saison des pluies, entre novembre et janvier, et le second en avril et surtout mai, au tout début de la saison sèche42, mais ils remplacent volontiers la deuxième par de l’arachide ou de soja s’ils viennent à manquer d’eau, soit en raison de conditions pluviométriques défavorables, soit à cause d’un retard quelconque dans les travaux des champs43. Plus que des mots, les chiffres regroupés dans le tableau IV.7 ci-contre permettent de se faire une idée assez précise sur les points de similitude ou de divergence qui existent entre Timbul- hardjo et Tirtonirmolo. 156

10 Tout d’abord, conséquence on ne peut plus logique de ce qui a été souligné plus haut, le taux moyen d’intensité de culture est bien plus faible que dans le précédent village44. Calculé sur la période 1969-72, il n’est en effet que de 189 %, c’est-à-dire assez sensiblement inférieur à une double récolte annuelle généralisée45. On est cependant frappé par le fait que les variations annuelles sont non seulement marquées par une amplitude beaucoup plus élevée qu’à Tirtonirmolo puisqu’il y a une différence de près de 250 ha entre la surface totale récoltée en 1969, année plancher, et 1971, année plafond, mais encore, qu’elles s’exercent dans un sens diamétralement opposé puisque ces deux années sont aussi respectivement la plus sèche et la plus humide de notre échantillon quadriennal d’observation. Bien que, comme dans tout le reste de la plaine de Bantul, le drainage ne soit pas excellent, c’est donc bien plutôt l’irrigation elle-même qui constitue le problème hydraulique majeur à Timbulhardjo et qui, tout en demeurant d’une qualité fort supérieure à la moyenne régionale, s’avère toutefois beaucoup moins favorable que ce qui pouvait apparaître de prime abord au vu des seules statistiques officielles compilées par le bureau du village. Le fait que ce soit principalement la surface de paddy qui subisse les fluctuations annuelles mentionnées ci-dessus, alors que celle dévolue aux cultures vivrières secondaires reste relativement stable, confirme d’ailleurs pleinement le bien fondé d’une telle assertion. Par contre, la canne à sucre reste quant à elle totalement à l’écart d’un raisonnement de ce type.

11 Commençons par cette dernière. Le système qui en régit la culture étant en tout point semblable dans les deux villages, nous n’y reviendrons pas. Ce qui surprend au premier chef, c’est que la présence de la canne dans le paysage semble nettement moins écrasante à Timbulhardjo qu’à Tirtonirmolo même si, pour des raisons exposées en détail précédemment, elle est tout aussi amèrement ressentie par la paysannerie. Pourtant, elle occupe chaque année dans le premier entre 45 et 65 ha de sawah, c’est-à-dire en moyenne plus que dans le second ou elle se situait dans une fourchette allant de 30 à 50 ha. Nous avons à faire à un paradoxe apparent résultant d’un simple effet d’échelle car en 1971, les 65.6 ha de canne de Timbulhardjo ne représentent que 12.5 % de la surface totale de sawah du village46 alors que les 52.5 ha de Tirtonirmolo couvrent 21.9 % de cette dernière47. Le 157

phénomène est donc naturellement plus diffus d’un côté que de l’autre. Pour le reste, notons simplement que l’incidence des variations climatiques sur le niveau de productivité est sensiblement la même dans les deux villages, mais que les rendements à l’hectare exprimés aussi bien en canne brute qu’en sucre cristallisé sont, en règle générale et exception faite pour l’année 1972, légèrement meilleurs à Timbulhardjo comme cela ressort du tableau IV.8. Avant d’en terminer avec la canne à sucre, il convient de rappeler une nouvelle fois que les fluctuations annuelles de productivité sont au moins autant dues aux circonstances atmosphériques qu’à l’importance relative des plans nouveaux et espacés dans chaque récolte48.

12 Passons aux cultures vivrières pour souligner en tout premier lieu la remarquable stabilité du groupe de celles classées sous le dénominatif « secondaires » dont la surface récoltée varie de 113 ha en 1969 à 122 en 72. C’est là un des points de différence majeurs entre Timbulhardjo et Tirtonirmolo où elles étaient en plein déclin49. Notons également au passage la tendance intéressante qui consiste à voir les paysans se spécialiser de plus en plus sur la production de cultures semi-commerciales comme l’arachide et le soja au détriment de pures cultures alimentaires d’appoint comme le maïs ou le manioc, ce qui peut être interprété comme un signe de leur prospérité croissante et de la plus grande intégration au marché que cela entraîne. Nous avons vu que les insuffisances du système d’irrigation en saison sèche étaient à la fois responsables de cette persistance des cultures vivrières secondaires et des fluctuations annuelles importantes affectant la surface récoltée en paddy à Timbulhardjo. Malgré cela, la place de ce dernier dans la production agricole du village s’avère être encore plus prépondérante qu’à Tirtonirmolo puisque, même en 1969, alors qu’environ 200 ha semblent avoir souffert de la sécheresse, il représente encore plus de 80 % de la surface totale récoltée50. Comme d’un autre côté il ne dépasse que très rarement le niveau des 83-85 %51, on peut par contre penser que cette monoculture rizicole plus accentuée a atteint son potentiel d’extension maximum depuis un certain temps déjà, qu’elle s’est stabilisée et ne menace donc pas d’éliminer totalement ce qui reste des autres cultures vivrières, sauf amélioration substantielle du système d’irrigation. A notre avis, bien que le rythme agraire de Timbulhardjo soit nettement moins effréné que celui de Tirtonirmolo, le véritable taux moyen d’intensité de culture du village est selon toute vraisemblance sensiblement plus élevé que ce que nous indiquent les données chiffrées portant sur la surface récoltée. En d’autres termes, on n’est sûrement pas loin de tourner autour d’une double culture annuelle généralisée, même si pour des raisons climatiques et hydrauliques on assiste rarement à une double récolte complète chaque année52. Pour ce qui est de la main-d’œuvre agricole disponible, il ne 158

semble pas, du repiquage à la récolte53, que Timbulhardjo ait à faire face à des problèmes majeurs, sauf pendant la période des labours. En effet, bien que dans ce village à la fois plus rural et moins peuplé que le précédent les bovins soient en plus grand nombre54, il n’y avait, en 1973, que 339 vaches et 156 buffles, soit environ 0.5 tête de bétail par famille propriétaire de sawah55, ce qui restait nettement insuffisant et occasionnait délais coûteux et pertes de temps inutiles. Finalement, le dernier point de comparaison possible entre le système agraire de Timbulhardjo et celui de Tirtonirmolo concerne le niveau de productivité rizicole. Or, tournant régulièrement aux alentours de 50-53 qx de paddy à l’hectare par récolte, il est non seulement aussi élevé, mais montre de surcroît la même tendance à la stagnation sur la période d’observation 69-7256. Cette dernière couvrant une bonne partie du Premier Plan Quinquennal dont l’objectif prioritaire était, nous le savons, l’autosuffisance alimentaire, il devient particulièrement intéressant de se demander si le programme BIMAS, principal instrument mis sur pied pour en assurer la réalisation, a rencontré un succès aussi mitigé que dans le village précédent.

Diagnostic sur le programme BIMAS

13 Le tableau IV.9 nous apporte la preuve du contraire puisqu’il en ressort que le programme gouvernemental de crédit réalise, en termes relatifs, de 1969 à 1971, un score deux fois plus élevé à Timbulhardjo qu’à Tirtonirmolo et que cette différence passe même de 1 à 3 en 1972. En termes absolus, on voit donc que la surface de paddy incluse dans le programme, après avoir régulièrement atteint, entre 1969 et 1971, près de la moitié du total récolté, dépasse les 2/3 en 1972. De plus, la variante ordinaire, largement prépondérante en 1969, est progressivement délaissée pour la nouvelle dès son introduction et n’est pas loin d’avoir totalement disparu en 1972. Ainsi que cela a été fait pour le village précédent, le tableau IV. 10 ci-contre donne tous les détails du programme pour les quatre campagnes de crédit qui ont eu lieu en 1971 et 1972, les deux premières années d’application de la formule dite « perfectionnée » à Timbulhardjo. 159

14 Le programme BIMAS rencontre donc un succès incomparablement plus important à Timbulhardjo qu’à Tirtonirmolo puisque sur les deux années communes d’observation répertoriées, il couvre en moyenne chaque saison environ 48 % de la superficie totale de sawah dont dispose le village57 et regroupe 44 % des propriétaires de sawah qui y vivent58. Il est par ailleurs supérieur sur tous les registres majeurs susceptibles d’être analysés séparément. C’est ainsi que la différence existant entre les objectifs fixés et les réalisations effectuées, que ce soit au niveau des surfaces couvertes ou des crédits distribués, est loin d’être aussi accentuée et qu’à superficie égale, la somme moyenne empruntée par chaque participant est nettement plus élevée, même si elle demeure toujours relativement éloignée de ce à quoi il a en principe droit59. D’un autre côté, on peut noter que même le taux de remboursement des crédits est encore meilleur que dans le village précédent où il était pourtant déjà assez exceptionnel60. Cependant, au-delà de tous ces points de divergence, ce qui frappe évidemment le plus, c’est la profonde similitude entre les niveaux moyens de propriété des participants au programme BIMAS dans les deux villages. Le fait qu’il se situe également au-dessus de 0.5 ha de sawah à Timbulhardjo tendrait à confirmer l’étroite corrélation décelée dans le cas de Tirtonirmolo entre la densité de population des catégories foncières supérieures et le degré de participation du village dans le programme gouvernemental de crédit et expliquerait, par là même, pourquoi ce dernier rencontre un succès beaucoup plus important là où les structures agraires sont le plus inégalitaires et où il y a le plus grand nombre de paysans moyens et riches61. Examinons donc dans cette optique à travers le tableau IV. 11 ci-contre ce que donne la distribution des participants à la campagne de crédit 1972/73 par catégorie de propriété foncière.

15 Ces chiffres confirment pleinement la corrélation susmentionnée car si, chose remarquable, plus de 56 % des propriétaires de sawah du village suivent effectivement le programme BIMAS en 1972/73, les paysans moyens et riches le font d’une manière tellement massive qu’ils constituent plus de la moitié de ces participants. Autrement dit, plus les structures de répartition de la propriété foncière sont inégalitaires, plus il y a de paysans au-dessus du seuil d’indépendance économique et de sécurité psychologique et 160

plus le programme gouvernemental de crédit qui correspond mieux à leurs besoins a de chances d’être couronné de succès. A Timbulhardjo où 45 % des propriétaires fonciers sont dans ce cas62, il a non seulement entraîné, dès son origine, une très forte adhésion de la paysannerie, mais encore continuait-il à progresser régulièrement puisqu’il couvrait 325.8 ha de sawah lors de la campagne 1972/73, soit plus de 62 % de la superficie totale disponible63. Un rapide coup d’oeil sur le hameau d’origine de chacune des 535 personnes participant à cette dernière finit d’ailleurs de nous convaincre du bien fondé d’une telle interprétation puisque Bibis, celui où les structures agraires sont le plus polarisées, fournit avec 55 inscrits le plus gros contingent de tout le village, alors que Gabusan, celui où il y a le plus grand nombre de petits paysans, est en toute dernière position avec 16 seulement64. Ceci dit, il faut bien reconnaître que globalement, les propriétaires fonciers possédant moins de 0.5 ha de terre en termes d’équivalent sawah participent tout de même d’une manière plus active au programme BIMAS que ça n’était le cas à Tirtonir- molo. Est-ce à dire qu’il y aurait à Timbulhardjo une sorte d’effet d’entraînement incitant les paysans pauvres à copier les plus riches ? Nous aurions plutôt tendance à penser qu’il faut chercher l’explication de ce phénomène dans la nature plus essentiellement rurale du village.

16 En fait, les choses sont relativement évidentes : les paysans de Timbulhardjo n’ont pas la possibilité de pouvoir acheter leurs engrais ou leurs pesticides dans les nombreux petits magasins que l’on trouve dans le milieu suburbain où vivent leurs voisins de Tirtonirmolo. On comprend donc aisément qu’il soit plus commode et surtout moins coûteux, même pour le micro-riziculteur n’ayant besoin que d’une quantité infime d’engrais chimiques, d’avoir recours, malgré tous les inconvénients multiples que cela implique pour lui, au service de crédit gouvernemental dont le bureau se trouve à Sewon, à côté de celui du sous-district, que de se rendre en bus ou en bicyclette à Yogyakarta pour en acheter à un prix plus élevé65. En d’autres termes, l’éloignement de la ville fait que le choix auquel il est confronté est beaucoup plus limité. Dès lors, on peut s’étonner du fait que tous ne suivent pas le programme BIMAS. Que font donc les propriétaires des quelques 275 ha de paddy récoltés en 1972 qui n’ont pas jugé bon de le faire et pourquoi y-ont-ils renoncé ? Comme à Tirtonirmolo, on s’aperçoit tout d’abord rapidement que ce sont pratiquement tous des paysans INMAS appliquant sensiblement les mêmes quantités d’engrais chimiques à l’hectare que leurs collègues BIMAS66. Par contre, différence notoire, 161

une forte proportion d’entre eux suivent la variante ordinaire de ce programme, préférant continuer à utiliser des variétés locales ou régionales non-améliorées67. Ils invoquent pour se justifier maintes excellentes raisons hydrauliques, écologiques et gastronomiques sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir ultérieurement. Sur le plan économique l’alternative qu’ils ont choisie est loin d’être aberrante puisque, s’ils obtiennent effectivement des rendements d’environ 20 % inférieurs au niveau de productivité qu’ils atteindraient avec un IR 8 ou un C4, leur riz se vendait par contre approximativement 30 % plus cher sur le marché local en 197368. Quoiqu’il en soit, quasiment inexistante à Tirtonirmolo, cette résistance d’une partie de la paysannerie de Timbulhardjo à l’introduction massive et autoritaire des nouvelles variétés était loin d’être insignifiante, car sur les 848 ha de paddy récoltés en 1972, les variétés locales et régionales couvraient encore environ 150 ha, contre 570 ha pour les IR 5 et 8, 95 ha pour le C4 et 35 pour le Pelita69. Sachant que les fonctionnaires du programme BIMAS ont pour consigne de faire par tous les moyens pression sur les nouveaux candidats-participants pour qu’ils adoptent les semences améliorées caractérisant la variante nouvelle, il ne vient pas à l’idée des paysans du village qui refusent de le faire de souscrire à un emprunt officiel. Ils n’hésitent donc pas à se rendre en ville pour acheter les petites quantités d’engrais et de pesticides dont ils ont besoin70, preuve flagrante que le plus grand éloignement de cette dernière est un obstacle très relatif dans le domaine agro- économique et n’est en aucun cas suffisant pour décourager les plus résolus d’entre eux. Quand à dire si cette ruralité plus accentuée est elle même directement à l’origine de ce phénomène de résistance à ce qui est présenté par la propagande officielle comme un élément important de la modernisation agricole, c’est un pas qu’il est difficile de franchir d’une manière trop péremptoire, même si certains indicateurs nous permettent de penser qu’elle est loin d’y être étrangère.

Du culturel au politique : un survol en piqués.

17 Premier indice indiscutable allant dans le sens de ce qui précède : l’influence de la « modernité » urbaine de Yogyakarta sur les valeurs culturelles traditionnelles du Kejawèn est apparemment nettement moins perturbante à Timbulhardjo que ça n’était le cas à Tirtonirmolo. Sur le plan des valeurs matérielles par exemple, il est certain que les nouveaux signes extérieurs de prestige social y sont non seulement moins répandus mais, qui plus est, moins recherchés. De même que cela expliquait au moins en partie, ainsi que nous l’avons vu plus haut, pourquoi le bétail continuait à occuper une place relativement moins dévalorisée que dans le village précédent71, cela nous permet aussi de comprendre certaines des raisons pour lesquelles les villageois semblent attacher un peu moins d’importance aux conditions de confort de leur habitat ou à la possession d’une radio ou d’un deux roues72. En ce qui concerne les maisons, 57 % de celles que comptait Timbulhardjo en 1972 étaient encore entièrement construites en bois et bambou contre seulement 31 % intégralement en dur et 12 % en semi-dur73. Par ailleurs, on ne dénombrait que 1 589 bicyclettes pour tout le village lors du même recensement, soit guère plus d’une pour deux familles, proportion moitié moindre qu’à Tirtonirmolo. Cela est assez significatif quand on sait le rôle que ces simples machines peuvent jouer comme outil de travail indispensable dans le petit commerce agro-artisanal. Finalement, seules 348 familles possédaient un poste à transistors74 et le parc de motocyclettes se limitait en tout et pour tout à 48 de ces fougueux destriers « benzinophages »75. Bref, tout indique un 162

niveau de dépense ostentatoire nettement plus faible, phénomène que la plus grande inégalité sociale qui caractérise la communauté villageoise est loin d’expliquer intégralement.

18 Du côté des valeurs spirituelles, mêmes différences notoires. Ainsi, bien que 99 % de la population soit de confession islamique76, l’islam politique et militant, en particulier la tendance moderniste, est très faiblement implanté à Timbulhardjo. Nous avons plutôt à faire à un village typiquement abangan où les gens admettent volontiers presque tous être des « musulmans statistiques », où l’on voue un véritable culte à la « religion » du wayang 77 et où les associations mystiques pratiquant le kebatinan sont monnaie courante. Il y a bien sur comme toujours d’importantes variations d’un hameau à l’autre, et il n’est pas sans intérêt de noter que l’islam orthodoxe est sensiblement plus puissant à Bibis, celui où les structures sociales sont les plus inégalitaires, ou que la petite communauté catholique de Timbulhardjo qui se compose de 127 membres est presque entièrement localisée à Gabusan, celui où la stratification sociale est le moins polarisée. Cependant, pris dans son ensemble, ce village correspond indubitablement plus que le précédent à l’idée que l’on s’était faite du modèle culturel caractérisant la société paysanne du Kejawèn profond et il continue de vivre et de changer à son rythme propre, sans hâte excessive, largement étranger aux rumeurs de la ville qui se profile au loin78. Tout ceci a bien évidemment des incidences importantes au niveau politique.

19 En gros, il s’avère que Timbulhardjo a toujours voté assez massivement pour les organisations politiques de tendance nationaliste et laïcisante. C’est ainsi que l’actuel chef du village fut élu en 1963 avec le soutien du PNI, le Parti nationaliste indonésien, en obtenant 1 400 des 2 300 suffrages exprimés79 contre seulement 500 au candidat du MASJUMI représentant la tendance islamique moderniste80 et 400 à celui ayant l’aval du PKI, le Parti communiste indonésien81. En ce qui concerne cette dernière organisation, on peut noter que paradoxalement elle semble avoir été principalement implantée à Gabusan et Bibis, les deux hameaux qui sont socialement parlant les plus dissemblables dans notre échantillon d’observation en comportant quatre. Le chef du second, sympathisant communiste non-actif connu, fut d’ailleurs destitué et remplacé en 1965 par celui qui se trouve actuellement à sa tête82. Précédemment fonctionnaire du service de santé, cet homme jeune et dynamique a mis en pratique son expérience en prenant l’initiative de plaider activement et avec un certain succès la cause du programme national de planning familial auprès de ses administrés83. A ce propos, il faut souligner qu’en règle générale l’attitude de toute communauté villageoise à l’égard des différentes composantes de la politique gouvernementale de développement dépend dans une très large mesure de la personnalité du chef qu’elle s’est choisie et de l’ardeur qu’il met à s’en faire l’avocat. C’est la raison pour laquelle les candidats aux différents postes de fonctionnaires villageois doivent depuis quelques années passer un test d’aptitude organisé par les autorités de chaque district84. Officiellement, le but d’une telle politique de sélection est non seulement d’arriver à mettre en place les gens les plus compétents, mais également d’éliminer, dans toute la mesure du possible, les pratiques népotistes et clientélistes caractérisant habituellement les élections villageoises, l’appât des terres apanage récompensant le vainqueur les exacerbant parfois jusqu’au paroxysme85. Officieusement, il s’agit, ce faisant, d’éliminer les courroies de transmission dont la loyauté et la docilité ne sont pas garanties et de renforcer ainsi l’efficacité du réseau d’encadrement militaro-bureaucratique qui quadrille tout le pays. Ces interférences gouvernementales font qu’il n’est pas rare de tomber sur des hameaux et même sur des 163

villages administratifs flanqués de chefs qu’ils n’ont pas élus d’une manière totalement libre et qu’ils ne reconnaissent donc pas vraiment. C’est sûrement la cause de conflits latents et pernicieux qui sont dommageables pour la communauté villageoise prise dans son ensemble. A Timbulhardjo, on n’est pas exactement confronté à ce type de problème puisque tous les fonctionnaires villageois ont été élus avant que ne soit instituée la pratique des examens, la plupart l’ayant en fait été avant 1965 et certains étant même en place depuis la réforme administrative de 194686. Cependant, il semble que certains d’entre eux, parmi les plus importants, ne jouissent pas d’une grande estime en raison de leur incompétence, de leur style de vie ostentatoire parfois même jugé immoral, de leur âpreté au gain pour ne pas employer le mot corruption ou de leur peu d’entrain au travail 87. N’étant plus comme auparavant responsables devant l’assemblée villageoise, abolie depuis l’arrivée des militaires au pouvoir88, et ne devant finalement des comptes qu’à leurs supérieurs hiérarchiques directs, en dernière instance le chef de district, ils demeurent malgré tout en place, rarement critiqués ouvertement, mais cordialement méprisés de tous. Tout cela reste cependant diffus, imperceptible et feutré car, contrairement à Tirtonirmolo où l’islam moderniste constituait une force politique capable de canaliser et d’exprimer les conflits, rien ne vient a Timbulhardjo s’opposer à la toute puissance monolithique du GOLKAR, le Parti gouvernemental officiel qui a remplacé le PNI sur l’échiquier électoral. Pour en savoir plus il ne reste plus qu’à gratter patiemment le vernis des convenances javanaises en s’entretenant avec des villageois de toutes conditions jusqu’à ce que l’on ait la chance de tomber sur les quelques oiseaux rares, plus hardis ou moins soumis, mais surtout prêts à nous faire confiance en acceptant de se raconter.

Deux villageois d’exception sous la loupe

20 Sur les 47 personnes interviewées à Timbulhardjo89, il en est deux dont nous voudrions parler à tout prix. Différents l’un de l’autre à tout point de vue, ce sont, chacun dans son genre, des hommes remarquables dont la rencontre laisse non seulement dans la mémoire une trace profonde, mais donne sur le champ des raisons d’espérer dans la possibilité d’un avenir meilleur pour la paysannerie indonésienne90.

21 Le premier, appelons-le Pak Berani91, n’a peur ni des mots, ni des actes, ce qui ne l’empêche pas d’être javanais jusqu’au bout des doigts. Il est très vite devenu notre ami, celui chez qui nous prîmes l’habitude de nous rendre régulièrement, sans passer par l’intermédiaire des fonctionnaires du village, pour éclaircir tel ou tel point précis ou simplement pour discuter de tout et de rien, de la vie qui passe, du riz qui pousse ou de la folie des hommes, autour d’une tasse de thé et d’une assiette de galettes au soja. A vrai dire, il n’habite dans aucun des 4 hameaux sélectionnés, mais sa force de caractère justifie que l’on parle tout de même de lui en détail. Proche de la cinquantaine, Pak Berani demeure dans une vaste maison en dur sobrement meublée et dont toute fioriture est bannie. Sa femme, timide et effacée, lui a donné deux enfants qui ont déjà vingt ans, le garçon étant sur le point de terminer son diplôme dans une école de comptabilité bancaire et la fille ayant juste achevé sa formation d’infirmière. C’est d’ailleurs afin de leur donner un métier solide les rendant indépendants et les mettant à l’abri du besoin que les Berani ont décidé de ne pas avoir plus d’enfants et qu’ils ont investi la majeure partie du fruit de leur labeur dans les études de leur progéniture. Quant à eux, issus d’une longue lignée de paysans, ils le sont restés dans l’âme et dans le ventre. Toutefois, Pak 164

Berani a également été membre de l’assemblée villageoise pour le compte du PNI jusqu’en 1956 avant d’être élu cette année-là au poste de fonctionnaire villageois subalterne qu’il occupe encore aujourd’hui. Il bénéficie donc à ce titre de l’usufruit d’un sawah communal de 9 000 m2 qui s’ajoute à la parcelle de 4 000 m2 héritée de son père, ce qui le classe sans aucune discussion possible dans la catégorie des paysans aisés.

22 Ceci dit, en dehors des heures de présence au bureau du village, il passe le plus clair de son temps dans les champs à s’occuper lui-même de ses cultures. Son fils et sa femme l’assistent bien de temps à autre, mais il fait malgré tout régulièrement appel à la main- d’œuvre extra-familiale pour les gros travaux, d’autant plus qu’il ne possède pas de bétail bovin92. En règle générale, il fait une double récolte annuelle de paddy, mais si l’eau vient à manquer en saison sèche, il remplace la seconde par du soja, de meilleur rapport. Malgré les multiples pressions exercées sur lui par toutes les instances, il continue à utiliser presque exclusivement une variété javanaise93. Il explique d’une manière fort convaincante les raisons de son choix. Tout d’abord, il est hors de doute que les semences locales sont bien plus résistantes aux différentes maladies et autres fléaux que les nouveaux riz que le gouvernement veut imposer à tous, preuve en étant que la plupart de ses voisins qui les ont adoptées ont vu leur récolte être partiellement détruite par une attaque de minuscules sauterelles en 1973, alors qu’elles épargnaient la sienne94. De plus, elles demandent moins d’engrais ou de pesticides et nécessitent beaucoup moins de travail, surtout pour le sarclage95. Finalement, elles donnent un riz d’une qualité incomparablement supérieure qui réjouit autant le nez que le palais et, atteint un prix de vente bien plus élevé sur le marché local. Moindres pertes, dépenses plus faibles et plaisir de bien manger, Pak Berani n’hésite donc pas, d’autant plus qu’il nous assure atteindre régulièrement un rendement moyen d’environ 40 quintaux de paddy à l’hectare. Pour avoir de nos yeux vu dans le sawah les lourds épis de Rajalele prêts à être moissonnés se balancer lentement au vent de la plaine et la manière dont notre ami s’en occupait avec amour et fierté, nous n’en doutons guère. Le fait de devoir se passer des services du programme BIMAS ne lui fait ni chaud ni froid. Il estime d’ailleurs que les gens qui en ont la charge ne connaissent pas grand-chose en matière de riziculture et sont fort peu concernés par l’intérêt réel des paysans. Selon lui, le nouveau système soi-disant amélioré est même bien pire qu’auparavant, puisque les participants doivent désormais rembourser leurs emprunts en nature et que le prix d’achat du riz fixé par le gouvernement est de très loin inférieur à celui du marché libre96. Il préfère donc acheter en ville ses engrais et pesticides97, même s’ils coûtent plus cher98, et disposer de sa récolte comme il l’entend. L’un dans l’autre il en sort largement gagnant puisque une fois déduit la part de l’autoconsommation familiale99, le coût de la main-d’œuvre salariée100 et des facteurs techniques de production101 ainsi que le montant de la taxe foncière102, il lui reste un revenu annuel net d’environ 385 000 Rp103. Comme il possède de surcroît un petit pekarangan de 500 m2 qui lui permet de couvrir ses besoins en fruits et légumes104 ainsi qu’une trentaine de poules ordinaires lui donnant tous les œufs désirables, on comprend aisément qu’il ait non seulement pu payer les études de ses enfants et construire une maison solide, mais également acheter à force d’épargne la vespa rutilante qui trône au beau milieu de la pièce principale et le transistor qui égrène en permanence la musique monotone mais envoûtante d’un . Il est donc loin d’être à plaindre et le reconnaît d’ailleurs volontiers.

23 Tout ceci ne lui vaut pas que des amis dans le village, loin s’en faut. Paysan hors pair dont il faut bien admettre la science et le succès, il attise les jalousies. On lui reproche en 165

particulier de ne pas faire preuve d’esprit communautaire vu qu’en se singularisant avec son riz local il porte atteinte à la pratique quasi obligatoire des blocs de culture105. Il balaye cette critique en précisant qu’étant donné les conditions d’irrigation parfois difficiles, cette dernière est de toute façon absurde et inopérante et que, bizarrement, ses défenseurs les plus acharnés se recrutent surtout dans les rangs des propriétaires fonciers qui ne travaillent pas eux-mêmes leur sawah et sont donc fort mal placés pour parler de ce genre de problèmes106. Le fait qu’il soit lui-même un fonctionnaire villageois aggrave au demeurant son cas aux yeux des autorités vu qu’il est plutôt censé montrer l’exemple de la docilité passive aux autres paysans que de s’ériger en porte-parole de leur résistance. Cela est d’autant plus mal vu qu’il ne se gène pas pour stigmatiser les méthodes et habitudes des élus locaux dont il fait partie qui mènent selon lui dans le village un train de vie aussi peu respectable que celui des généraux de la ville et passent le plus clair de leur temps assis devant leur bureau, à « fabriquer » des statistiques107 afin que les réalisations correspondent aux objectifs venus d’en haut, au lieu de travailler dans les champs en s’enquérant des problèmes et besoins réels de leurs administrés108. Il admet avoir souvent honte109 en voyant le peu de cas que les autorités font des difficultés auxquelles les plus pauvres sont confrontés quotidiennement. Pour Pak Berani, on s’éloigne malheureusement de plus en plus de l’esprit des , humanisme étatique fait de démocratie authentique et de justice sociale, que le président Sukarno avait rêvé de voir régner sur son pays quand il proclama l’indépendance en 194 :5. C’est d’ailleurs en défendant ces principes de base qu’il avait déjà eu de sérieux démêlés avec le PKI au début des années 60 quand ce dernier, tout puissant à l’assemblée du district, essayait d’imposer sa volonté aux communautés villageoises sans tenir compte des différences d’opinion et c’est parce qu’il y adhère toujours profondément qu’il admet être resté fidèle au programme politique du PNI et du père de l’indépendance110, même s’il est bien obligé en tant que fonctionnaire d’être membre du GOLKAR. Il exprime à ce propos son peu d’estime pour ceux de ses collègues qui ont renié leurs principes et tourné sans hésitation leur veste par pur opportunisme. Bref, en tant qu’homme critique qui refuse de se prêter aux compromissions, il s’est forgé de solides inimitiés dans son entourage direct. Il en est parfaitement conscient et s’en accommode sans trop de difficultés, cherchant la force et la volonté nécessaire dans la méditation. En effet, bien qu’étant nominalement musulman et reconnaissant les multiples aspects positifs de cette religion, il se sent beaucoup plus d’affinités intellectuelles avec la philosophie bouddhiste, ce qui ne l’empêche pas d’adhérer également aux valeurs essentielles les plus remarquables qu’il décèle dans le christianisme111. On atteint véritablement avec lui les sommets du génie syncrétique javanais et, alors qu’il nous explique avec finesse et patience sa conception des relations entre les dieux et les hommes, on réalise avec enthousiasme et admiration le formidable potentiel de réflexion et d’action que recèle une telle richesse culturelle. Soudain, il abandonne les hautes sphères mystiques dans lesquelles nous évoluions pour nous inciter à déguster l’assiette de riz fumant et parfumé que Ibu Berani a préparé à sa demande112. Il a raison, à la première bouchée, même une langue de landa peut faire la différence. Heureux de nous avoir initié et converti au plaisir subtil du Rajalele il écrase sa kretek et savoure avec délice et fierté le fruit de son entêtement.

24 Tout autre est le tempérament de celui que nous surnommerons Pak Bijak113. Sa situation socio-économique est d’ailleurs également différente de celle de Pak Berani puisqu’il ne possède pas de terre en propre et n’est pas fonctionnaire villageois. Agé d’une quarantaine d’années, il a déjà 5 enfants et sa femme est enceinte du sixième. Catholiques fervents, les Bijak n’avaient pas jusque-là envisagé d’avoir recours à des moyens 166

contraceptifs, mais ils viennent de décider que la coupe était pleine et qu’elle se ferait stériliser aussitôt après son accouchement. Ils espèrent ainsi être en mesure de pouvoir assurer une formation universitaire à leurs enfants dont l’aîné, âgé de 17 ans, est déjà en première année d’école secondaire supérieure. Cette famille nombreuse de 7 personnes s’entasse dans une minuscule maison en dur située à Gabusan, juste au bord de la route asphaltée menant à Yogyakarta. A vrai dire, il n’y a pas beaucoup de place pour y vivre vu qu’une partie a été transformée en atelier et l’autre en échoppe. En effet, profitant de sa situation stratégique, Pak Bijak a monté à l’origine une petite entreprise de réparation de vélos dont il est à la fois le patron et le seul ouvrier. Les affaires marchant bien, il a réussi à épargner progressivement de quoi acheter quatre bicyclettes et surtout deux becak d’occasion114 qu’il loue à la journée pour un prix forfaitaire115. Il arrive ainsi à s’assurer un revenu net régulier d’environ 200 Rp par jour. De son côté, sa femme a ouvert un mini- magasin où elle vend quelques produits de première nécessité en quantités infimes, ce qui lui permet de verser en moyenne 150 Rp supplémentaires dans l’escarcelle familiale chaque soir. Tout ceci est déjà la preuve d’un esprit d’initiative et de débrouillardise assez remarquable, mais les choses ne s’arrêtent pas en aussi bon chemin. A Timbulhardjo, il n’est pas rare que les paysans qui ont besoin d’argent liquide pour une raison ou pour une autre louent tout ou partie de leur terre pour un nombre déterminé de mois ou d’années, le prix de location se calculant par récolte et se réglant comptant à l’avance en une seule fois. Pak Bijak s’arrange pour louer en permanence selon ce système environ un demi- hectare de sawah qu’il travaille avec l’aide de sa femme et de ses deux fils aînés. Au moment où nous l’avons interviewé, il avait en l’occurrence loué au prix moyen de 60 000 Rp par hectare et par récolte trois parcelles différentes mesurant respectivement 1 000, 1 500 et 2 500 m2, la première pour 10 récoltes, la seconde pour 5 et la troisième pour 6116. Pour ce faire, il n’hésite pas à se livrer à ce qu’il appelle lui-même, expression ô combien magnifique, « une spéculation sur les bicyclettes »117, vendant toutes celles qu’il est nécessaire de vendre afin de réaliser la somme lui permettant de louer la parcelle convoitée et les rachetant une fois la récolte vendue. C’est d’ailleurs après avoir réalisé plusieurs fois ce type d’opération qu’il a réussi à acquérir les deux becak qu’il possède aujourd’hui mais dont il se séparerait sans l’ombre d’un remord pour conclure une affaire similaire plus importante. Alliant un génie du business peu commun à de bonnes qualités de cultivateur, Pak Bijak, villageois sans-terre, arrive à la force du poignet et à la sueur de son front à garantir un niveau de vie fort décent à sa famille. En règle générale, il fait lui aussi deux récoltes annuelles de paddy se rabattant également sur le soja de préférence à l’arachide en cas de force majeure118. Paysan INMAS modèle, il utilise les nouvelles semences recommandées119, et applique les quantités d’engrais chimiques prescrites120, atteignant ainsi un bon rendement moyen tournant autour de 58 quintaux de paddy à l’hectare lors de chaque récolte. Il tire donc, une fois déduit le prix de location de la terre 121, l’autoconsommation familiale122, le coût de la main-d’œuvre salariée123 et des facteurs techniques de production124, un revenu annuel net d’environ 75 000 Rp de ses activités agricoles125. A notre avis les Bijak arrivent facilement à doubler cette somme de par leurs activités non-agricoles126, ce qui prouve bien une nouvelle fois combien il est difficile de savoir lesquelles sont principales et lesquelles sont secondaires. Quoiqu’il en soit, avec un revenu net total variant entre 160 000 et 165 000 Rp chaque année, ils sont dans une situation bien meilleure que de nombreuses familles de paysans sub-marginaux du village et nul doute qu’ils arrivent, à force de travail, d’ingéniosité et de volonté, à réaliser leur rêve : amener un ou deux de leurs enfants au terme de leurs études universitaires. D’un autre côté, il est évident qu’ils constituent une exception et, de fait, la plupart des autres 167

sans-terre que nous avons rencontré à Timbulhardjo étaient, comme à Tirtonirmolo, plutôt au bord du gouffre de la misère. Ainsi ce célibataire de 23 ans vivant à Kowen et gagnant 80 Rp par jour comme ouvrier agricole depuis qu’il a obtenu son diplôme de fin d’études secondaires ou pire encore, ce maçon de 33 ans vivant à Bibis et ramenant chaque soir 150 Rp dans un taudis sordide où ne piaillaient déjà plus que trois des six enfants auxquels sa femme avait donné naissance, triste, abattu, hébété. Alors oui, avouons-le, face à une telle détresse, des villageois comme Pak Berani ou Pak Bijak constituent, chacun à leur manière, les lueurs d’espoir auxquelles on a tendance à se raccrocher.

Epilogue : les leçons de l’analyse comparative

25 Rappelons-nous tout d’abord brièvement les critères majeurs qui ont présidé au choix de Timbulhardjo : vérifier, dans un village bénéficiant de conditions naturelles de développement agricole comparables à celles de Tirtonirmolo, l’existence des deux corrélations que nous y avions décelées, la première entre le degré de parcellisation de la propriété foncière et l’accueil réservé au programme BIMAS et, la seconde, entre la nature des stratégies de survie et la proximité du milieu urbain. Prenons les l’une après l’autre. Que vérifie-t-on en ce qui concerne la première ? Alors qu’à Tirtonirmolo où 30 % des familles étaient sans-terre, mais où 90 % des propriétaires possédaient moins d’un demi- hectare, le BIMAS ne regroupait en moyenne chaque saison que 6 % de ces derniers et ne couvrait que 17 % de la superficie de sawah, à Timbulhardjo où 60 % des familles sont sans-terre, mais où 45 % des propriétaires possèdent plus d’un demi-hectare, le BIMAS regroupe en moyenne chaque saison 44 % de ces derniers et couvre 48 % du sawah. II nous semble que les choses pourraient difficilement être plus claires. En schématisant, on a d’un côté un village de petits paysans déficitaires assez faiblement polarisé et de l’autre village de paysans moyens excédentaires très fortement polarisé. D’ailleurs, globalement, Tirtonirmolo accuse chaque année un déficit alimentaire127, alors que Timbulhardjo dégage un surplus important128. Cela n’a strictement rien à voir avec le niveau de productivité de la terre, qui est aussi élevé des deux côtés, et ce malgré le fait que la résistance à l’introduction des nouvelles variétés de riz soit beaucoup plus forte dans le second village, mais dépend simplement de l’étendue de la superficie arable par rapport à la densité de population129. A noter à ce sujet que si l’on se livre pour Timbulhardjo au même exercice hypothétique de redistribution des terres que celui expérimenté dans le cas de Tirtonirmolo, on n’obtient pas de résultats beaucoup plus probants, même s’ils semblent de prime abord sensiblement moins acrobatiques130. Ainsi, en fixant la barre d’expropriation à 1 ha et en réquisitionnant les terres communales, on arrive bien à dégager un important surplus de sawah d’environ 140 ha131, mais qui une fois redistribué entre les 1 748 familles sans-terre du village ne laisse que 800 m2 à chacune d’entre elles132 . Comme dans le village précédent, la solution est plutôt ailleurs, du côté d’une amélioration toujours possible de la productivité des sawah et des pekarangan133. Toutefois, comme ni le succès du BIMAS ni la résistance aux nouvelles variétés ne sont totalement étrangers à la plus grande ruralité du second village, on en vient à s’interroger sur la deuxième des corrélations sus-mentionnées qu’il s’agissait de vérifier.

26 Là aussi, la situation apparaît relativement transparente. Alors qu’à Tirtonirmolo, village de paysans sub-marginaux134 situé aux portes de la ville et abritant la grande raffinerie sucrière de Madukismo, la plupart des familles survivent en exerçant une multitude de 168

petites activités complémentaires rendues possibles grâce au fort degré de diversité atteint par l’économie locale, à Timbulhardjo, village de paysans moyens135 perdu au cœur de la plaine loin de toute industrie importante, la majorité de la population s’en tire en entretenant de plus étroites relations de clientèle avec les propriétaires fonciers qui lui garantissent de nombreux emplois de métayers, de fermiers ou d’ouvriers agricoles. C’est la raison pour laquelle la rémunération du travail dans le secteur primaire est sensiblement plus basse dans le deuxième village où la compétition pour l’embauche est nettement plus vive et où les gens acceptent d’être payés moins en contrepartie d’une certaine sécurité d’emploi. Dans l’ensemble, la survivance de ces pratiques résiduelles semi-communautaires/semi-féodales y est beaucoup plus nette et, parallèlement, la pénétration de rapports strictement capitalistes au niveau des travaux agricoles bien moins accentuée, ce phénomène étant particulièrement évident en ce qui concerne les récoltes136. La diversité des situations que l’on peut observer d’un hameau à l’autre dans les deux villages ainsi que les quelques exceptions à la règle que l’on peut déceler çi et là sont autant d’éléments qui renforcent et confirment à notre avis la tendance générale selon laquelle la stratégie de survie dominante sur le plan local est fonction directe du degré de ruralité existant ou d’urbanisation atteint. Tout cela va même plus loin. Nous ne sommes en effet pas loin de penser que ces divers facteurs sont tous liés et qu’il existe en réalité une corrélation globale entre nos deux corrélations partielles, même si nous ne sommes pas en mesure de pouvoir le prouver de manière irréfutable. En d’autres termes, il n’est pas impossible que la proximité de la ville et la présence de la raffinerie sucrière soient à l’origine des structures agraires plus égalitaires qui caractérisent Tirtonirmolo, car la création d’emplois due à cette diversification économique a permis aux petits paysans déficitaires de ne pas être obligés de vendre leur micro-sawah pour survivre, mais de continuer à le mettre en valeur en tant qu’activité complémentaire. Inversément, l’éloignement de la ville et 1 absence d’industrialisation seraient responsables des structures agraires plus polarisées de Timbulhardjo car, faute d’emplois supplémentaires du fait de cette non-diversification économique, les petits paysans déficitaires n’ont pu conserver leurs terres qui ont progressivement passé dans les mains d’une paysannerie moyenne et riche dont ils sont devenus les métayers et les ouvriers agricoles. Tout apparaît ainsi subitement plus clair et l’on a l’impression que le voile qui masquait la nature des interactions entre les rouages des mécanismes complexes du développement rural javanais commence à se lever. Il faut cependant reconnaître que nous nous sommes jusque-là limité pour les besoins de la comparaison socio-institutionnelle à une zone écologique homogène où domine le sawah et où les conditions naturelles sont très favorables au développement d’une agriculture intensive de haute productivité. Face à des conditions analogues dans la majorité des villages du centre de la plaine de Bantul, nombreux sont ceux de l’ouest et surtout du sud-est qui sont dotés d’écosystèmes autrement plus critiques. Wukirsari est l’un de ceux-là. 169

NOTES

1. Le mot Timbulhardjo est composé de timbul (devenir, émerger) et hardja (confortable, agréable à vivre). Voir ELINOR C. HORNE, Javanese-English Dictionary, op. cit. 2. Très exactement 750.3295 ha. 3. Ce sont comme à Tirtonirmolo des régosols gris et gris brun avec cependant une très large prédominance des derniers, qui sont légèrement plus fertiles, les premiers étant principalement situés le long des 2 rivières qui traversent le village, la Winongo à l’ouest et la Code à l’est. Les terres sont donc sensiblement de moins bonne qualité dans des hameaux frontières comme Gabusan, Gatak et Bibis que dans tous ceux du centre du village y compris Kowen. Voir « Detailed Reconnaissance Soil Map of Yogyakarta », op. cit. 4. Deux d’entre eux situés sur la Code permettaient d’irriguer 198.2 ha alors que deux autres se trouvant sur la Winongo alimentaient 197.7 ha supplémentaires. 5. Le sawah couvre très exactement 522.2 ha à Timbulhardjo. 6. Sawah, pekarangan et tegal couvrent donc 742.3 ha des 750.2 ha du village. Les 7.9 ha restant sont occupés de la manière suivante : cimetières (Kuburan) 3.9 ha, Terres du Sultanat (Sultanen Gronden) 1.2 ha, divers (routes, chemins, écoles) 2.8 ha. 7. Pour mémoire, à Tirtonirmolo les chiffres étaient les suivants : sawah 239.5 ha (51.6 %), pekarangan 174.1 ha (37.5 %) et tegal 8.2 ha (1.8 %). 8. Où les superficies de sawah et de tegal ont respectivement diminuées de 16 et de 5 ha. 9. Si la surface des Terres du Sultanat, déjà très faible en 1931, n’a pas changé d’un mètre carré en 1972 on peut noter que comme à Tirtonirmolo, celle dévolue aux cimetières a diminué de 0.63 ha, les morts faisant en quelque sorte la place aux vivants. 10. Voir à ce sujet PETER F. MCDONALD & ALIP SONTOSUDARMO, Response to population pressure: the case of the Special Region of Yogyakarta, op. cit., p. 73. 11. Ibid pp. 67 et 73. Pour mémoire ces taux de croissance annuels sont respectivement de 1.1 % pour la province et de 1.3 % pour le district entre 61 et 71. 12. Pour mémoire le taux de croissance annuel du village est de 1.6 % sur la période 61-71, mais de 2.69 % entre 1971 et 1972. 13. Par exemple, vente des produits du pekarangan ou atelier pour réparer les pneus de vélo crevés. 14. Les taux de croissance démographiques des deux groupes de hameaux susmentionnés ont été les suivants entre fin 71 et fin 72 : Dadapan 2.46%, Gabusan 2.13%, Sudimoro 2.02%, Ngentak 1.84% ; Dagan 0.90%, Kowen I 1.18%, Kowen II (-) 0.15%, Bibis 0.20%, Kepek 0.22%. 15. C’est-à-dire une fois déduit de la superficie totale de 750.23 ha, les 7.87 ha mentionnés plus haut et occupés par les cimetières et autres, ainsi que les 25.84 ha de pekarangan estimés, à raison de 100 m2 par habitation, devoir correspondre à l’espace construit du village. 16. Les 101.01 ha de sawah public se divisent de la manière suivante : 55.1 ha de lungguh, 38.0 ha de kas desa et 7.89 ha de pengarem-arem. On peut noter en passant que le village de Timbulhardjo qui dispose de 38.0 ha de kas desa a des moyens autres que celui de Tirtonirmolo qui ne conservait plus, après en avoir vendu la plus grande partie lors de l’extension de la raffinerie de sucre, que d’une superficie de 7.88 ha. D’ailleurs, contrairement à ce dernier, il disposait déjà d’une très belle carte villageoise que nous avons pu recopier in-extenso, d’un mobilier plus fourni et luxueux et de deux machines à calculer. De plus le bureau du village était en pleine phase de réfection et d’extension lors de notre travail d’enquête en mars-avril 1973. En 1973, le bilan 170

revenu-dépenses du village de Timbulhardjo était le suivant : REVENUS Rp — Terre « kas desa » - 17.6 ha loués à Madukismo 3 082 902 - 12.4 ha loués aux villageois (30 000 Rp/ha/an) 372 120 - total terre « kas desa » 3 455 022 — Autres sources de revenus - taxe sur transactions foncières 200 000 - taxe sur documents officiels (surat keterangan). 50 000 - part de l’IPEDA revenant au village 339 561 - aide annuelle de Madukismo 56 250 - surplus restant de 1972. 12 089 - total autres 757 900 TOTAL REVENUS 4 212 922 DÉPENSES - département chef du village (lurah) 120 000 - département secrétaire du village (k. b. umum) 3 531 391 - département social (k. b. sosial) 175 000 - département sécurité (k. b. keamanan) 135 000 - département agriculture (k. b. kemakmuran) 125 000 - département religion (k. b. agama) 60 000 - autres 66 531 TOTAL DÉPENSES 4 212 922 On voit donc que le gros des revenus vient du sawah kas desa et que le gros des dépenses sont affectés aux frais de fonctionnement et d’administration (k. b. umum), alors que les autres départements, qu’ils soient directement productif comme celui de l’agriculture ou à caractère social ou religieux, reçoivent fort peu. A noter que sur les 3.5 millions de Rp dépensés par le secrétaire du village, 1 700 000 l’ont été pour la réfection du bureau du village qui a encore coûté 2 millions supplémentaires en 1974. Quand on sait que la plupart des villageois se plaignent des conditions d’irrigation en saison sèche on se demande si cet argent n’aurait pas pu être utilisé d’une manière plus productive pour le bénéfice de la communauté prise dans son ensemble. La surface totale de sawah public n’a pas beaucoup varié depuis 1931 puisqu’elle était alors de 102.47 ha. Par contre, il y a eu des transferts intenses d’une catégorie à l’autre puisque le lungguh couvrait 65.59 ha, le kas desa 20.20 ha et le pengarem-arem 16.67 ha. 17. Le tegal public couvre, en effet, 9.93 des 10.57 ha que compte le village. Il se répartit comme suit : 1.01 ha de lungguh, 1.52 ha de pengarem-arem et 7.38 ha de kas desa. En 1931, il avait une superficie de 11.21 ha, la variation n’étant donc là non plus pas très importante bien qu’elle se soit accompagné des mêmes transferts internes qu’en ce qui concerne le sawah et que, là aussi, ce soit le kas desa qui ait augmenté. Il semble que lors du regroupement administratif de 1946, il y ait eu une volonté délibérée de donner aux nouveaux villages les moyens d’être autonomes sur le plan financier. 18. Qui, pour mémoire, était de 3 451 hab/km2. 19. Soit une moyenne de 4.5 personnes par famille. 20. Où elle n’était que de 30.1 %. Même en tenant compte de cas où la propriété paternelle a déjà de facto été divisée entre les enfants mais où les héritages n’ont pas été enregistrés, ou l’ont tous été au nom de l’un d’entre eux pour éviter les taxes et les paperasseries, le contraste est frappant. 21. A Tirtonirmolo près de 600 familles possédaient au moins une petite parcelle de pekarangan, même si elles n’avaient que cela. 171

22. Non seulement les rendements rizicoles du sawah sont presque semblables, tournant autour de 50 qx/ha par récolte, mais le rôle et la productivité du pekarangan sont également tout à fait comparables. 23. En fait, le nombre de familles qui passent ainsi du 2 e au 3 e groupe est tellement élevé (414-245 = 169) qu’il fait plus que contrebalancer le total de celles qui se hissent du 1er au 2e, le rendant ainsi apparemment négatif (388-412 = -12). Pour ce qui est du passage du 3e au 4e groupe le nombre de famille est de 32 (72-40). 24. Deux mots pour fixer clairement et définitivement de contraste : Tirtonirmolo : 30.1 % de sans-terre et 91.5 % des propriétaires au-dessous du seuil. Timbulhardjo : 62.1 % de sans-terre et 45.5 % des propriétaires au-dessus du seuil. 25. Outre le chef (lurah) et le secrétaire de village (carik) il y a 4 responsables de département (kepala bagian kemakmuran, sosial, keamanan et agama) secondés par 13 assistants (pembantu) ainsi que 16 chefs de hameaux (kepala dukuh). 26. Tous possédaient plus de 2 500 m2 de sawah en propre, le lurah ayant à lui seul 1.1 ha, dont 0.9 ha achetés, ainsi que 4 000 m2 de pekarangan. 27. Il est à noter que contrairement à ce qui était le cas à Tirtonirmolo, où régnait un certain égalitarisme entre les différents pamong desa, il y avait à Timbulhardjo une très forte différence entre le lurah et ses collaborateurs puisqu’après lui venait le k. b. kemakmuran avec 3.32 ha, le k. b. sosial avec 2.99 ha et le carik avec 2.88 ha. Par contre, seuls 4 d’entre-eux avaient moins d’un hectare. Il est également intéressant de souligner que les 5 anciens chefs de village de Sudimoro, Dadapan, Rendeng, Kowen et Kepek avaient respectivement 4.0 ha, 3.34 ha, 2.75 ha, 2.68 ha et 3.72 ha en 1931, aucun des autres fonctionnaires villageois n’ayant plus de 2 ha à cette époque-là. On voit donc que la taille des parcelles qui leur sont allouées à très sensiblement augmenté lors de la réforme administrative de 1946. 28. A titre de comparaison, le plus riche des propriétaires privés de Bibis, et probablement de tout le village, n’avait « que » 3.26 ha de sawah en 1973. 29. Selon les statistiques officielles il y avait en tout 117 fonctionnaires et employés à Timbulhardjo en 1973. La plupart travaillaient au niveau du sous-district de Sewon comme instituteurs, infirmiers ou autre, mais certains étaient également employés dans des kecamatan plus éloignés comme Imogiri. Par ailleurs un nombre non négligeable se rendaient chaque jour à Bantul, Madukismo ou même Yogya pour leur travail. Ceux travaillant en ville étaient employés par des « institutions » aussi diverses que l’Université Gadjah Mada ou la Compagnie Nationale des Chemins de Fer (Perusahaan Negara Kerata Api ou PNKA). 30. Il y avait 67 métayers pour une population de 11 967 personnes en 1973 à Tirtonirmolo. 31. Environ 80 Rp plus deux repas pour un bineur-sarcleur. 32. Menuisiers (tukang kayu), réparateurs de vélos (bengkel sepeda) ou même conducteur de triporteurs (tukang becak) sur des trajets locaux, Timbulhardjo-Bantul par exemple. 33. En 1973, il y avait très exactement 42 petites entreprises à Timbulhardjo dont 9 fabriquant des produits alimentaires (tempe, tahu, lèmpèng), 20 travaillant le bambou, 5 réparant des bicyclettes ainsi que 5 moulins à riz (RMU ou Rice Milling Unit) privés. Il en coûtait entre 125 et 150 Rp le quintal de faire décortiquer et polir son paddy à cette époque-là. 34. Petits kiosques où l’on trouve tous les produits de premières nécessité en toute petite quantité (dagang kecil, bakul-bakulan). 35. Cette enquête porte sur 4 des 16 hameaux du village et recense 681 des 2 816 familles qui y vivaient alors, soit environ 1/4 de la population. 36. Quand dans un hameau il y a plus de paysans que de propriétaires, cela signifie que plusieurs personnes de la famille, en général des enfants ou des frères, travaillent la terre qui est enregistrée au nom d’une seule d’entre-elles. 37. Ces retraités sont souvent de vieux paysans riches qui, soit louent leur terre à des métayers, soit en laissent l’usufruit à leurs enfants. 172

38. Ces trois catégories additionnées représentent à elles seules 63.2 % des familles recensées. 39. Pour mémoire, il y avait 14.4 % de fonctionnaires et 10.6 % de petits commerçants dans les 4 hameaux étudiés en détail. 40. A Tirtonirmolo, seuls 88 des 828 chefs de familles couverts par cette enquête déclaraient avoir une activité secondaire. 41. Cela est d’autant plus compréhensible que ces activités secondaires sont, pour la majeure part et dans les 2 villages, à classer dans le secteur primaire. 42. C’est ainsi, pour prendre une période d’observation similaire a celle que nous avons retenu pour Tirtonirmolo, que, sur les 910 ha de paddy ensemencés entre avril 1970 et mars 1971, 340 ha furent repiqués en mai et 520 ha pendant le trimestre allant de novembre 70 à janvier 71. 43. En ce qui concerne les cultures vivrières secondaires (palawija), les périodes des semis et des récoltes sont habituellement les suivantes dans toute la plaine de Bantul (entre parenthèses : durée moyenne de maturation) : - Maïs (3 mois) : semis en août-septembre récolte en novembre-décembre - Soja (3-4 mois) : semis de mai à septembre - Arachide (3-4 mois) : semis d’avril à septembre - Piment (5 mois) : semis d’avril à juin récolte de septembre à décembre - Légumes (environ 4 mois) : semis en mai-juin récolte en septembre-octobre - Manioc (6 mois) : semis en juin récolte en décembre - Patate douce (4 mois) : semis en septembre-octobre On voit donc que ce sont surtout des cultures de saison sèche. Pour ne prendre qu’un seul exemple important, celui du soja, on peut préciser que 45 des 55 ha ensemencés pendant la saison sèche 1969 l’ont été en mai alors que 75 des 85 ha en 1968 l’ont été en juillet-août. 44. Ou il était de 214 %. 45. Il est très exactement de 167.2 % en 69, de 184 % en 70, de 214.1 % en 71 et de 190.6 % en 1972. Il n’y a donc qu’en 1971 qu’il est supérieur à une double récolte annuelle. Ces taux annuels sont calculés sur la base d’une superficie arable de 532.8 ha dont 522.23 ha de sawah et 10.57 ha de tegal, le pekarangan, comme à Tirtonirmolo n’étant pas pris en compte. 46. Qui était de 522.23 ha. 47. Qui était de 247.62 ha. 48. C’est ainsi que sur les 65.6 ha de canne récoltés en 1971 à Timbulhardjo, 49.37 ha, soit 75 %, étaient constitués de nouveaux plants qui ont donné un rendement moyen de 111.8 t de canne et de 107.8 qx de sucre à l’hectare et les 16.23 ha restant, soit 25 %, de plants espacés qui ont donné un rendement moyen de 69 t de canne et de 718 qx de sucre à l’hectare. 49. Notons par contre que les rendements à l’hectare de toutes ces cultures vivrières secondaires sont comparables dans la médiocrité. C’est là une constante sur l’importance de laquelle nous aurons l’occasion de revenir. 50. 720 ha sur 891. 51. Le paddy occupe très exactement 80.8 % de la surface récoltée en 1969, 87.0 % en 1970, 83.7 % en 1971 et 83.5 % en 1972. 52. La seule étant 1971 comme nous l’avons vu plus haut. 53. Nous avons également vu précédemment combien l’offre de main-d’œuvre agricole était importante à Timbulhardjo. En ce qui concerne la récolte, il semble que le tebasan soit moins dominant qu’à Tirtonirmolo et que le bawon ait par conséquent conservé une place plus importante. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce phénomène qui est à la fois lié à la plus grande inégalité foncière et à la ruralité plus poussée qui caractérisent le village. 173

54. La densité démographique étant plus faible, la compétition entre l’homme et l’animal pour l’occupation des sols est moins tendue. Par ailleurs le village étant plus éloigné de la ville, les nouveaux signes extérieurs de prestige y jouent un rôle sensiblement moins important qu’à Tirtonirmolo ainsi que nous le verrons ultérieurement. 55. Il y avait 950 familles propriétaires de sawah à Timbulhardjo en 1972/73. Le rapport tête de bétail/famille propriétaire de sawah n’était que de 0.3 à Tirtonirmolo. Par contre, le rapport entre le cheptel bovin et la surface de sawah disponible dans chaque village était plus favorable à Tirtonirmolo où l’on avait 1.52 tête/ha (364 têtes : 239.5 ha) qu’à Timbulhardjo où l’on avait 0.95 tête/ha (495 têtes : 522.2 ha). A côté des bovins, il y avait à Timbulhardjo 48 chevaux (kuda), 12 porcs (babi), 265 chèvres (kam-bing), 60 moutons (domba), 76 oies (angsa) 112 canards de Manille (entog), 1 257 canards mandarins (itik ou bebek) et 10 903 poules (ayam). 56. Là encore le haut niveau déjà atteint explique en partie le phénomène. 57. Contre un peu moins de 17 % à Tirtonirmolo. 58. Contre un peu plus de 6 % à Tirtonirmolo. 59. Avec un sawah d’une superficie moyenne de 5 934 m2 chaque participant au programme BIMAS avait le droit d’emprunter une somme de 8 047 Rp dont 5 673 Rp au titre du coût des facteurs techniques de production et 2 374 Rp à celui du coût de la vie. Or, il n’empruntait que 3 675 Rp dont 2 330 Rp en nature et 1 345 Rp en espèces soit respectivement 45 %, 41 % et 56 % de ce à quoi il avait en principe droit. A Tirtonirmolo ces trois rapports étaient pour mémoire de 35 %, 31 % et 45 %. On voit donc dans les 2 villages une nette tendance à emprunter relativement plus ce à quoi l’on a droit en cash. L’emprunt en nature était par contre beaucoup plus élevé à Timbulhardjo puisqu’il représentait 87.6 kg d’engrais pour 5 934 m2 de sawah soit environ 60 % des quantités recommandées dans la variante nouvelle du programme. A Tirtonirmolo, cette proportion était inférieure à 50 %. 60. A noter que dans les deux cas un tel taux de remboursement s’explique principalement par le fait que ce sont les paysans les plus aisés qui empruntent au BIMAS et qu’ils ont donc les moyens de rembourser sans trop de difficultés. 61. A Timbulhardjo 30 % des propriétaires de sawah ont plus que 0.5 ha contre seulement 8.7 % à Tirtonirmolo. 62. Pour mémoire, cette proportion n’était que de 8.5 % à Tirtonirmolo. 63. Contre 19 % lors de la même campagne à Tirtonirmolo. Il était d’ailleurs en régression par rapport aux campagnes précédentes dans ce village. 64. Le nombre de participants originaires des 2 autres hameaux étudiés Kowen I et Gatak continue de confirmer cette tencance puisqu’ils étaient respectivement de 25 et 20 personnes. 65. Il paiera non seulement ses engrais 30 Rp le kilo au lieu de 26.6 Rp, mais s’il n’a pas de vélo devra débourser en plus 50 Rp pour l’aller-retour en bus ou en taxi-collectif (oplet). 66. Soit entre 100 et 150 kg/ha. 67. Le plus répandu est le célèbre Rajalele, rois des riz de Java Central. 68. On peut obtenir environ 4 t de paddy à l’hectare avec du Rajalele contre en moyenne 5 t avec un riz IR, mais le premier se vendait près de 100 Rp le kilo à Yogya en 1973 contre tout juste 70 Rp/kg pour le second. 69. A Timbulhardjo, les variétés locales représentaient donc encore l/5 e de la récolte en 1972 contre seulement 1/10e à Tirtonirmolo la même année. Cela explique en partie pourquoi le bawon était toujours très répandu. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’il variait entre 1/12e et l/15e de la récolte selon qu’il s’agissait de paddy de type IR ou de Rajalele (local). Il faut cependant dire que les variétés locales étaient déjà en nette voie de régression puisqu’elles couvraient aux alentours de 250 ha chaque année entre 1969 et 1971. 70. D’autant plus que beaucoup sont convaincus du fait que les engrais et pesticides distribués par la filière gouvernementale sont de bien moins bonne qualité que ceux que l’on peut se procurer sur le marché libre. Nous avons toujours pensé que c’était là un simple « truc » pour se 174

justifier de ne pas participer au BIMAS jusqu’au jour où nous avons découvert à la fin de notre séjour en Indonésie certaines informations tendant à prouver qu’il y avait peut-être un feu à l’origine de la fumée. 71. Nous disons bien que c’est un facteur d’explication partielle. Les autres sont d’une nature plus « objective » puisqu’il s’agit de la moindre densité démographique faisant que la compétition entre l’homme et l’animal pour l’occupation des sols est moins acharnée et des structures foncières plus inégalitaires qui permettent une fréquence plus élevée de grandes parcelles dans lesquelles le travail des buffles est plus pratique. 72. II y a là aussi d’autres facteurs explicatifs, le plus évident étant que vu le plus grand nombre de sans-terre et la diversification plus faible de l’économie il y a un degré moyen de richesse bien moindre qu’à Tirtonirmolo. 73. Il y avait 2 584 maisons à Timbulhardjo, dont 1 485 en matériau végétal, 797 en dur et 302 en semi-dur. Pour mémoire à Tirtonirmolo les proportions étaient respectivement de 12 %, 44 % et 44 %. 74. Contre 487 à Tirtonirmolo. 75. Contre 149 à Tirtonirmolo. 76. 12 625 des 12 752 personnes recensées en 1972. 77. Les villageois de Timbulhardjo sont très fiers de compter parmi eux le dalang Timbul, l’un des plus réputés de Java Central. 78. Une anecdote en apportera la preuve. Un matin, alors que nous arrivions au bureau du village sur notre moto, vers 9 h, comme tous les jours, nous tombons sur un groupe important de fonctionnaires et de paysans discutant en javanais de manière fort animée. Comme il était assez inhabituel qu’il règne une telle ambiance dans cet endroit plutôt calme et somnolent, nous nous enquérons de ce qui se passe. On nous dit que la veille, en fin d’après-midi, un landa chevelu a traversé tout le village entièrement nu sur sa bicyclette en empruntant la route qui mène de Yogyakarta aux dunes de Parangtritis. Cela déclencha bien naturellement un branle-bas dans Landernau. De partout affluèrent des témoignages et des plaintes de villageois qui avaient vu ou entendu parler. Ce matin-là, tout ce petit monde commentait donc avec gravité l’impudence, le manque d’égard et pour tout dire la barbarie étrange de monstre rosâtre et chevelu. Le village de Timbulhardjo venait de découvrir la signification réelle du phénomène « hippy » dont ils avaient bien entendu parler par des voisins ou amis vivant à Yogya ou Parangtritis, mais dont ils n’avaient jamais eu d’expérience directe. Le sinistre malotru qui s’est si glorieusement illustré ce jour-là serait probablement ravi d’apprendre qu’il n’a pas seulement outragé tout le village, mais également plongé dans un embarras cocasse un chercheur aussi landa que lui, obligé à chaque nouvelle interview d’expliquer pourquoi notre « civilisation » occidentale secrétait d’aussi exquises manières et comment elle pouvait permettre que certains de ses membres fassent preuve d’aussi peu de respect de la culture des gens qu’ils visitaient. 79. Il est bien évidemment membre du GOLKAR aujourd’hui et se défend assez étrangement d’avoir été membre du PNI, bien que de nombreux villageois en attestent. 80. Le MASJUMI était interdit en tant qu’organisation politique mais la tendance qu’il représentait continuait tout de même à s’exprimer au niveau des villages, semble-t-il. 81. C’est en 1963 que le PKI a lancé sa fameuse campagne de saisie unilatérale des terres en application de la loi agraire de 1960 restée jusque-là lettre morte. Etant donné que personne ne possède 5 ha de sawah à Timbulhardjo il n’y a pas eu de ces « aksi sepihak » dans le village. Il semble par contre que cela ait été le cas dans le village voisin de Bangunhardjo où il y avait beaucoup plus de propriétaires absentéistes vivant à Yogya. 82. Il n’a d’ailleurs pas été inquiété outre mesure et vit toujours dans le hameau où il travaille, nous a-t-on dit, comme coiffeur-barbier. 83. Nous avons eu l’impression que le nombre de familles suivant le K.B., particulièrement chez les fonctionnaires, était beaucoup plus élevé à Timbulhardjo qu’à Tirtonirmolo. Cela est peut-être 175

dû au fait que la moyenne d’âge des pamong desa y était plus basse. Malgré cela il y avait des exceptions notoires puisque le carik du village et le kepala dukuh de Kowen I, tous deux âgés de quarante et quelques années, avaient déjà respectivement 11 et 9 enfants ! La méthode contraceptive la plus répandue était le stérilet. 84. Ce test est surtout basé sur les connaissances générales (lecture, écriture, calcul, histoire des Pan-casila etc.). Par la suite les fonctionnaires villageois doivent de temps à autre suivre un cours de perfectionnement organisé également par les autorités de chaque district. 85. Cela se comprend aisément quand on sait par exemple que l’ex-lurah de Dadapan, l’une des 5 entités administratives qui ont été amalgamées pour former Timbulhardjo en 1946, a réussi à acheter pendant le temps où il était en fonction environ 4 ha de sawah et s’est fait par la suite construire l’une des plus belles maisons qu’il nous ait été donné de voir dans un village javanais. Similairement l’actuel lurah de Timbulhardjo venait de se faire construire une seconde maison lui ayant coûté 5 millions de Rp quand nous l’avons interviewé en juin 1973. Par ailleurs, sur les 7 fonctionnaires villageois interviewés en détail lors de notre travail dans les 4 hameaux du village, 3 étaient eux-mêmes fils d’anciens fonctionnaires villageois, 2 de fonctionnaires de Madukismo (mandor tebu), 1 d’un soldat de l’armée coloniale (K.N.I.L.) et seul le dernier était fils de paysan, ce qui est assez significatif ! 86. Sur les 7 fonctionnaires interviewés, 2 furent élus en 47, 1 en 48, 1 en 52, 1 en 56, 1 en 63 et le dernier, le chef de hameau de Bibis, en 65. 87. Ce qui est par exemple jugé immoral est de voir un fonctionnaire villageois profiter du pouvoir matériel et du prestige social que lui procure sa fonction pour jouer le joli-cœur ou le coq de village et prendre une seconde femme. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les villages javanais, sont souvent bruissants d’histoires tristes, dans lesquelles la femme d’un pamong desa est morte par chagrin d’amour (sakit hati) après que son mari ait pris une nouvelle épouse plus jeune et plus belle. 88. Les D.P.R. Desa ont définitivement été abolis en 1973. 89. Les 47 chefs de familles interviewés à Timbulhardjo se répartissent de la manière suivante entre les 4 hameaux analysés : 12 à Kowen et Bibis contre 11 à Gabusan et Gatak, le dernier étant originaire d’un hameau non inclus dans notre échantillon. Par ailleurs, comme dans le village précédent ainsi que dans les deux qui suivent nous avons choisi une palette représentative de l’éventail socio-économique de chaque hameau : paysans riches moyens et pauvres, fonctionnaires publics, employés, métayers et ouvriers divers. 90. Cette « rencontre avec des hommes remarquables », même si elle est moins épique que celle dont nous parle Gurdjieff, n’en constitue pas moins une des expériences humaines les plus enrichissantes que nous ayons vécu. 91. Berani signifie en indonésien brave, courageux, vaillant voire « gonflé » bref, quelqu’un qui n’a pas froid aux yeux. 92. Il utilise toujours les 2 mêmes ouvriers agricoles originaires de Bangunhardjo avec lesquels il entretient des relations très étroites de patron à client. Ils se chargent entièrement du labour, du binage et du sarclage de son sawah, mais il travaille en permanence en leur compagnie ainsi que nous avons pu le constater de visu. Pour le repiquage et la récolte il a recours à la main d’œuvre féminine de son hameau. Les frais que cela entraîne à chaque récolte sont les suivants : - Labours : 9 800 Rp (2 personnes / 14 jours de travail / 300 Rp de salaire et 50 Rp de nourriture par jour). - Binage/Sarclage : 5 600 Rp (2 personnes / 28 jours de travail / 50 Rp de salaire et 50 Rp de nourriture par jour). - Repiquage : 2 520 Rp (14 personnes / 2 jours de travail / 40 Rp de salaire et 50 Rp de nourriture par jour). - Récolte : 18 000 Rp (les moissonneuses se partagent 1/15e de la récolte qui tourne autour de 176

2 700 kg de riz décortiqué soit 180 kg qui atteint un prix d’environ 100 Rp I kilo sur le marché local). Il dépense donc en tout pour chaque récolte 35 920 Rp pour la main-d’oeuvre extra-familiale. A noter, point important, que si les laboureurs sont payés la même chose qu’à Tirtonirmolo, les bineurs-sarcleurs et les repiqueuses obtiennent des salaires sensiblement plus bas de respectivement 50 et 40 Rp par jour de travail contre 75 et 50 dans le village précédent. Par contre, ils reçoivent la même prestation en nature. Cette différence s’explique en grande partie par les relations plus semi-féodales que Pak Berani entretient avec ses ouvriers (sécurité d’emploi mais rémunération moindre du travail) ainsi que par l’offre d’emploi salarié beaucoup plus élevée qui caractérise Timbulhardjo en raison de sa plus forte polarisation sociale. 93. Le fameux Rajalele dont nous avons déjà parlé précédemment. 94. Cette maladie connue à Java sous le nom de hama wereng est l’une des plus répandues et dévastatrices de celles qui ravagent les sawah de l’île chaque année. Nous aurons malheureusement l’occasion d’en reparler maintes fois par la suite. Signalons déjà simplement ici que Pak Berani a attiré souvent notre attention lors des discussions multiples que nous avons avec lui en 1973 sur le fait que l’appauvrissement génétique auquel on assistait dans la riziculture javanaise, caractérisé par la tendance de plus en plus nette à ne plus avoir qu’une ou deux espèces nouvelles sur de vastes surfaces, était le plus beau cadeau que l’on pouvait faire aux pestes de toutes sortes qui auparavant avaient du mal à venir à bout du micro-patchwork de variétés auquel elles étaient confrontées. 95. En fait, il utilisait tout de même 2.5 quintaux d’urée par récolte dans son sawah de 1.3 ha, soit une quantité à peu près équivalente à celle recommandée dans la variante nouvelle du programme BIMAS. Achetant ses engrais en ville à 30 Rp/kg, cela lui revenait donc à 7 500 Rp. Par contre il appliquait effectivement très peu de pesticides, guère plus de 0.5 It d’endrin, qui lui revenait à 200 Rp par récolte. En ce qui concerne le sarclage, le Rajalele, riz très haut, à tendance à étouffer les mauvaises herbes lui-même. 96. En 1973, le gouvernement rachetait le riz de deuxième qualité 44 Rp le kilo alors qu’il se vendait plus de 70 Rp sur le marché libre. La perte n’était donc pas insignifiante puisque un paysan qui avait emprunté 4 400 Rp à la BRI devait rembourser 100 kilos de riz qu’il aurait vendu 7 000 Rp ! 97. Il s’y rend de toutes façons une fois par semaine pour visiter ses enfants, cela ne lui occasionne donc aucune dépense supplémentaire de transport. 98. 30 Rp/kg au lieu de 26.6 Rp/kilo. 99. La famille Berani ne se compose que de 4 personnes, mais consomme 1.5 kg de Rajalele par jour, ce qui représente presque une ration journalière individuelle de 400 grammes nettement supérieure à la moyenne que nous avons choisi comme base de nos calculs fixant le seuil de propriété minimum. La consommation annuelle directe est donc d’environ 550 kilos auxquels il convient d’ajouter une centaine de kilos supplémentaires pour les fêtes, obligations sociales et autres. L’autoconsommation familiale totale s’élève donc à 650 kilos. 100. Qui s’élève à 35 920 Rp par récolte soit à 71 840 Rp par an pour une double récolte. 101. 7 500 Rp d’engrais et 200 Rp de pesticides par récolte, soit 15 400 Rp par an. 102. Dont le montant n’est que de 4 000 Rp par an, nous dit-il. 103. Avec un rendement de 40 qx de paddy à l’hectare et en pratiquant une double récolte annuelle il tire 5 400 kg de riz décortiqué de son sawah de 1.3 ha chaque année. Le Rajalele qu’il produit se vendant 100 Rp le kilo, il a donc un revenu brut annuel de 540 000 Rp. Notons au passage que pour obtenir la même chose avec un riz IR il devrait produire 7 105 kilos de riz décortiqué valant 76 Rp le kilo, c’est-à-dire atteindre un rendement moyen d’environ 52.5 qx de paddy à l’hectare par récolte. Si l’on retranche de ce revenu brut 65 000 Rp d’autoconsommation, 71 840 Rp de main-d’œuvre salariée, 15 400 Rp de facteurs techniques de production et 4 000 Rp de taxe foncière, il reste très exactement un revenu annuel et de 383 320 Rp. 177

104. Il y a planté une dizaine de cocotiers, une vingtaine de bananiers, 3 papayers, 1 nangka et quelques autres arbres en 1 seul exemplaire. De plus il y fait pousser du manioc et des patates douces. 105. Introduite à Timbulhardjo en 1957 cette pratique consiste de la part des paysans qui travaillent des sawah situés dans le même bloc à se concerter et à décider d’un commun accord de tous cultiver la même chose en même temps, afin de joindre les efforts, de diminuer les coûts et de limiter les pestes. Elle n’a jamais cessée d’être appliquée à Bali par exemple où sa mise au point est du ressort des subak, les fameuses associations d’irrigation. 106. Il va de soi que la condition essentielle pour qu’un tel système fonctionne est que l’eau soit répartie équitablement de manière à ce que tous bénéficient plus ou moins des mêmes conditions d’irrigation, comme c’est le cas dans chaque subak balinais mais comme c’est loin d’être le cas à Timbulhardjo. 107. A Timbulhardjo dit-il, « kita buat statistik », ce qui signifie bien « nous fabriquons des statistiques », mais prend une connotation encore plus savoureuse en indonésien. 108. Selon lui, si les pamong desa daignant se salir les mains et surtout les pieds dans le sawah étaient plus nombreux, les choses iraient déjà un peu mieux, mais malheureusement la plupart d’entre eux, dès qu’ils sont élus, se gardent bien de s’abaisser à de telles activités. 109. Il se sent malu (honteux), un sentiment que les indonésiens ressentent fréquemment et expriment à tout bout de champ, même pour des choses apparemment très insignifiantes. 110. Avant que le gouvernement actuel ne pense à réhabiliter Sukarno en 1978 pour tenter d’enrayer la poussée des partis islamiques, seule force d’opposition tolérée, il n’était pas recommandé d’exhiber son portrait, même sur les murs de sa propre maison, raison pour laquelle de très nombreux paysans nationalistes l’avaient caché dans un endroit sûr, le remplaçant par celui du général Suharto. Ils l’ont tous ressorti depuis. 111. Deux anecdotes vécues situeront encore mieux le caractère génialement syncrétique de notre ami. Un jour, nous dit-il une fois, quand j’aurai épargné suffisamment d’argent, j’irai en pèlerinage à la Mecque afin de remplir mes devoirs de bon musulman, mais comme c’est un long voyage qui coûte cher et que, vu mon âge, je n’aurai pas la possibilité d’en faire un second, j’en profiterai pour m’arrêter à Bangkok pour faire le pèlerinage bouddhiste et pour pousser jusqu’à Rome, afin de faire le pèlerinage chrétien ! Une autre fois, alors que nous envisagions de faire un aller-retour en Suisse et que nous lui demandions quel cadeau de notre pays lui ferait le plus plaisir, il insista pour que nous lui ramenions une belle pierre trouvée au bord du lac dont nous lui avions parlé ! Les valeurs animistes ne sont donc pas négligées, elles non-plus. Pak Berani pratique d’ailleurs régulièrement le kebatinan. Toutefois l’évènement religieux qu’il ne manque jamais et auquel il attache le plus d’importance est la cérémonie du Waicak qui a lieu chaque année au Borobudur, vers la mi-mai, par une nuit de pleine lune, pour commémorer la naissance, l’illumination, la mort et le nirvana de Bouddha. 112. Offrir à manger, du riz, nourriture sacré, est le plus grand honneur qu’un paysan javanais puisse faire à son hôte, surtout s’il provient de son propre sawah. Il n’est bien évidemment pas possible de refuser en invoquant des prétextes futiles du type « Non merci, je viens de déjeuner ». Il arrive donc que l’on soit obligé d’ingurgiter stoïquement 3 ou 4 copieuses platées de riz dans la même matinée quand on visite un hameau. C’est une des raisons pour lesquelles les kilos superflus que les chercheurs occidentaux ne manquent en général pas de perdre pendant leur travail de terrain peuvent difficilement être imputés à une quelconque sous-alimentation dans un pays comme l’Indonésie. 113. En indonésien, bijak signifie capable, malin, débrouillard, bref, quelqu’un qui n’a pas les deux pieds dans le même sabot. 114. Qu’il avait payé respectivement 36 000 et 25 000 Rp, un becak neuf coûtant à cette époque-là au moins 50 000 Rp. 178

115. Très exactement 70 Rp par jour chacun, ce que le locataire gagne en plus étant pour sa poche. 116. Il a donc dû payer comptant à l’avance en une seule fois respectivement 60 000 Rp pour la première, 450 000 Rp pour la seconde 90 000 Rp pour la troisième. 117. Encore plus succulente en indonésien : « spekulasi sepeda ». 118. Les raisons qu’il invoque pour justifier ce choix sont que les semences d’arachide sont plus chères et plus difficiles à obtenir que celles de soja, que ce dernier demande moins de travail et constitue un meilleur complément au paddy pour ce qui est des sols. 119. En l’occurrence du IR 5. 120. 100 kg d’urée par récolte pour ses 5 000 m2. 121. Qui s’élève pour 2 récoltes sur un demi-hectare à 60 000 Rp par an. 122. La famille Bijak qui se compose de 7 membres consomme chaque jour 1.8 kg de riz soit environ 650 kilos par an auxquels il faut ajouter une cinquantaine de kilos supplémentaires pour les occasions extraordinaires soit en tout 700 kg. 123. En tout 35 720 Rp, dont 4 800 pour les labours, 2 400 pour le binage, 1 600 pour le sarclage- désherbage, 1 920 pour le repiquage, 3 000 pour la nourriture et 19 000 pour la moisson (bawon = 1/12e), ceci pour 2 récoltes. 124. En tout 6 480 Rp pour 2 récoltes dont 6 000 pour les engrais et 480 pour les pesticides. 125. Avec un rendement de 58 qx de paddy à l’hectare il tire à raison de 2 récoltes annuelles 3 000 kilos de riz décortiqué de son sawah de 0.5 ha soit au prix de 76 Rp le kilo, un revenu brut de 228 000 Rp. Après avoir déduit 53 200 Rp pour l’autoconsommation familiale (700 kg), 60 000 Rp pour la location de la terre, 35 720 Rp pour la main-d’œuvre salariée et 6 480 Rp pour les facteurs techniques de production, il lui reste très exactement un revenu annuel-net de 72 000 Rp. A noter qu’il ne paye pas lui-même les taxes foncières (IPEDA) des parcelles qu’il loue. 126. Sur la base d’un revenu régulier 5 jours par semaine, 52 semaines par an, elle gagne 39 000 Rp et lui 52 000 Rp, soit, en tout, 91 000 Rp annuellement pour le couple. 127. Variant selon la base de calcul entre 75 et 500 tonnes en 1972. 128. En 1972, la production rizicole de Timbulhardjo s’est élevée à 4 321.4 tonnes de paddy soit 2 247.1 tonnes de riz décortiqué (100 : 52). Si l’on prend une ration alimentaire de base de 250 grammes/jour/personne, les besoins du village s’élevaient cette année-là à 1 163.6 tonnes puisque la population totale était de 12 752 personnes et le surplus dégagé à 1 083.5 tonnes. Avec une ration moyenne de 300 gr/j/p le surplus tombe à 850.8 tonnes et il n’est plus que de 618.1 tonnes avec une ration moyenne de 350 gr/j/p. 129. En 1972, 11 967 personnes pour 399 ha à Tirtonirmolo, soit une densité d’environ 3 000 hab/ km2 contre 12 752 personnes pour 716.5 ha à Timbulhardjo soit une densité de 1 780 habitants/ km2. 130. Comme à Tirtonirmolo, la Loi Agraire de 1960 est inapplicable à Timbulhardjo vu que personne ne possède plus de 5 ha de sawah. D’un autre côté, si l’on se livre à une redistribution arithmétique égalitariste de la terre entre les 2 816 familles que comptait le village en 1972, chacune obtient 744 m2 de pekarangan et 1 855 m2 de sawah ce qui est tout de même plus qu’à Tirtonirmolo où les chiffres étaient respectivement de 700 et de 960 m2. 131. Le sawah communal couvre une superficie de 101 ha, auxquels s’ajoutent environ 40 ha réquisitionnés aux 72 propriétaires fonciers possédant plus d’un hectare. 132. Soit exactement la même chose qu’à Tirtonirmolo. 133. Surtout en ce qui concerne les palawija. D’un autre côté, si la production rizicole reste ce qu’elle était en 1972, le village ne dégagera plus aucun surplus en 2002 au rythme de croissance démographique qui est le sien. 134. Qui ont moins de 0.25 ha de sawah et n’ont donc pas besoin de faire appel à de la main- d’œuvre extra-familiale pour le mettre en valeur. 179

135. Qui ont entre 0.5 et 1.0 ha de sawah et font donc régulièrement appel à de la main-d’œuvre extérieure pour le mettre en valeur. 136. Le bawon étant encore très important à Timbulhardjo alors que le tebasan l’a presque entièrement remplacé à Tirtonirmolo. 180

Chapitre V. Wukirsari : le tegal des contreforts du plateau de Gunung Kidul

1 Le village de Wukirsari, déjà nettement plus isolé, se trouve à environ 17 km au sud du Kraton de Yogyakarta. Il constitue avec deux autres villages le sous-district d’Imogiri Jk1 dont le chef-lieu est la petite bourgade du même nom qui abrite les tombeaux des sultans2 . Pour arriver à Wukirsari il suffit de suivre la belle route asphaltée qui s’arrête au pied du monumental escalier permettant d’accéder à ces derniers pendant une quinzaine de kilomètres puis, alors que l’on est déjà sur le territoire du village dès que l’on a franchi le pont qui enjambe la grande rivière Opak, bifurquer brusquement à gauche dans un petit chemin en terre battue et en mauvaise caillasse qui s’enfonce sous la verdure des pekarangan et que l’on manque une fois sur deux. La fraîcheur bienfaisante est de courte durée car, au bout de quelques centaines de mètres, le chemin émerge de l’ombre, devient encore plus impraticable et commence à grimper légèrement dans un paysage de pierre et de poussière. Après deux petits kilomètres d’acrobatie motocycliste, on débouche sur un plateau intermédiaire à peine plus riant, puis l’on tourne à gauche dans un sentier où deux vélos ont du mal à se croiser avant de découvrir le tout petit bâtiment vétuste et minable que l’on nous dit être le bureau du village. A sa simple vue on comprend immédiatement que ça n’est pas l’opulence ici. Autour de nous, l’ocre et le gris dominent, peu de vert ou de jaune. Juste au sud, l’enceinte sacrée à l’intérieur de laquelle repose Sultan Agung3 se dessine nettement au sommet de la colline aride alors que vers l’est, le relief s’élève doucement en petites vagues bosselées jusqu’à l’horizon que barre la ligne inquiétante et hostile du plateau de Gunung Kidul4 qui poudroie.

L’homme et son milieu

2 Produit, à l’occasion de la réforme administrative de 1946, de l’amalgame entre 4 anciens villages, Pajimatan, Giriloyo, Singosaren et Pucung, Wukirsari était, en 1973, divisé en 16 hameaux, dont 4, Karang Kulon, Manggung, Bendo et Nogosari II furent sélectionnés en vue de l’analyse approfondie. Les conditions naturelles de développement agricole sont très variables. Médiocres mais encore acceptables dans toute la partie basse et plane du village, en particulier dans le quart nord-ouest proche de la rivière Opak, elles deviennent franchement mauvaises, voire exécrables, au fur et à mesure que l’on pénètre plus avant 181

dans la zone accidentée des collines de l’est et du sud qui représente près de 3/4 des quelques 1 430 ha5 que couvre Wukirsari 6. La qualité des sols correspondant assez étroitement aux variations du relief, on peut dire qu’en moyenne la majorité des terres du village sont peu fertiles, le qualificatif de stérile pouvant être employé pour une bonne partie d’entre-elles7. Pour ce qui est de l’irrigation, même son de cloche, puisqu’il n’y a en tout et pour tout à Wukir-sari que 40 ha de sawah bénéficiant de l’approvisionnement d’un réseau permanent, soit moins de 20 % de la superficie totale de cette catégorie de terres jugées les plus productives, elles-mêmes déjà fort peu étendues8. En effet, la concordance négative des facteurs topographiques, pédologiques et hydrauliques a pour principal résultat que le sawah n’occupe que 214.9 ha, soit 15 % seulement de la superficie totale du village, alors que le pekarangan couvre 415.5 ha, soit 29 %, et surtout le tegal 642.7 ha, soit près de 45 %9. On voit au premier coup d’œil combien le rapport sawah- pekarangan-tegal est défavorable comparé à celui des deux villages précédents. Comme de plus une partie non négligeable mais difficilement évaluable du tegal est en fait absolument incultivable vu la déclivité des terrains sur lesquels il se trouve, on réalise aisément la faiblesse du potentiel agricole de Wukirsari. De fait, rares sont les paysans du village qui peuvent faire deux récoltes annuelles, quant aux rendements rizicoles moyens ils ne dépassent sauf exception pour ainsi dire jamais le niveau de 30 quintaux de paddy à l’hectare dans les meilleurs sawah et de 15 quintaux dans les tegal les moins improductifs. On doit finalement rappeler que les communications sont difficiles dès que l’on s’enfonce à l’intérieur du village, certains des hameaux les plus orientaux étant même régulièrement isolés plusieurs jours d’affilée pendant la saison des pluies. Bref, un milieu naturel peu favorable à l’homme sur presque tous les registres.

CARTE 8 : Pekarangan (P), Sawah (S) et Tegal (T) à Wukirsari

3 C’est sans aucun doute en grande partie à cause de cela que la population de Wukirsari n’est passée que de 10 329 à 10 419 habitants entre décembre 1971 et 1972, soit un taux de croissance annuel de 0.87 % seulement10. Cela représente tout de même une densité 182

démographique de 729 habitants au kilomètre carré qui, même si elle peut paraître raisonnable par rapport aux ordres de grandeurs énormes auxquels nous avons été confrontés à Timbulhardjo et surtout à Tirtonirmolo11, n’en est pas moins hors de proportion avec le potentiel agricole du village12. Elle grimpe d’ailleurs à 833 hab/km2 si l’on ne prend en considération que la surface arable productive13 et à 956 hab/km2 si l’on retranche de surcroît les terres communales publiques destinées aux fonctionnaires villageois14. Que reste-t-il donc aux autres à se partager et comment le partage se fait-il ?

La répartition des terres

4 Sur les 2 352 familles que comptait Wukirsari fin 197215, 1 751 soit 74.5 % avaient accès à la propriété foncière, la proportion des sans-terre étant donc, avec 25.5 %, encore plus basse qu’à Tirtonirmolo16. La situation variait cependant énormément entre les quatre hameaux étudiés en détail17, le degré de polarisation par rapport au facteur terre tendant à être nettement moins marqué dans ceux de la partie occidentale du village comme Manggung ou Bendo qui jouissaient des conditions agricoles les moins défavorables ainsi qu’on peut le voir dans le tableau V.1.

5 Cette remarque demande toutefois à être réexaminée à la lumière des informations contenues dans le tableau V.2 ci-contre, car si une très forte proportion des familles propriétaires a effectivement accès au pekarangan, il n’en va pas de même pour le sawah ou le tegal. Pour ce qui est du sawah, la chose est on ne peut plus logique étant donné la superficie fort limitée qu’il occupe dans le village, alors qu’en ce qui concerne le tegal, cela résulte surtout de son inégale distribution entre les différents hameaux, les chiffres portant sur chacun d’entre eux confirmant d’ailleurs totalement ce double phénomène18. A noter à ce niveau déjà que l’existence à Wukirsari de trois différentes catégories de terre et des multiples possibilités de simple, double ou triple propriété que cela entraîne commence à singulièrement compliquer l’analyse par rapport aux deux villages étudiés précédemment où il n’y en avait que deux. 183

6 On découvre malheureusement bien vite que les difficultés ne s’arrêtent pas là. On ne peut en effet pas continuer à utiliser les outils d’analyse forgés pour Tirtonir-molo et appliqués tel quel à Timbulahrdjo, villages en tout point comparables où le sawah donnait des rendements moyens très élevés19 et le tegal était pratiquement inexistant20, dans un village critique comme Wukirsari où la productivité du premier est des plus médiocres21 et où le second est largement dominant22. Il faut donc établir une nouvelle équation appropriée de conversion entre les 3 catégories de terre et délimiter les nouveaux seuils de propriété foncière qui y correspondent. Après avoir tenu compte de toutes les variables susceptibles de jouer un rôle nous avons fixé pour Wukirsari le seuil charnière d’indépendance économique et de sécurité psychologique a un hectare de sawah23 ou son équivalent, évalué à un hectare de pekarangan24 ou deux hectares de tegal25, soit une équation de type 1.0 S =1.0 P = 2.0 T26. Cela signifie par conséquent qu’en termes d’équivalent sawah la paysannerie sub-marginale du village se situe en dessous de 0.5 ha, la paysannerie marginale entre 0.5 et 1.0 ha, la paysannerie moyenne entre 1.0 et 2.0 ha et la paysannerie riche au-dessus de 2.0 ha. Le tableau V.3 ci-contre donne une idée précise de la situation. 184

7 Toujours en raisonnant uniquement par référence au facteur terre, on peut dire que la société villageoise à laquelle on est confronté à Wukirsari est relativement peu polarisée puisque d’une part, 74.5 % des familles qui la composent ont accès à la propriété foncière et que de l’autre, seules 12 % d’entre elles se situent au-dessus du seuil des 1.0 ha, ne contrôlant qu’environ 35 % de la superficie totale de pekarangan, sawah et tegal, les 88 % qui sont au-dessous se partageant les 65 % restant27. La tendance déjà soulignée plus haut à avoir un degré de polarisation sensiblement plus fort dans les hameaux de l’intérieur du village comme Nogosari ou à la limite Karang Kulon, également confrontés aux conditions naturelles les plus défavorables, se confirme pleinement ainsi qu’on peut le constater dans le tableau V.4 de la page suivante.

8 Au vu de tous ces chiffres traduisant l’écrasante prépondérance de la petite paysannerie marginale et plus encore sub-marginale, une seule interrogation vient à l’esprit : comment toutes ces familles arrivent-elles à joindre les deux bouts dans un environnement aussi ingrat ? 185

L’éventail des activités

9 Les familles chanceuses voient l’un des leurs occuper une position dans le corps des fonctionnaires villageois, mais à Wukirsari comme partout ailleurs les places sont plus que limitées puisqu’il ne se composait que de 30 personnes en 197328. De plus, contrairement à ce qui était le cas à Tirtonirmolo et surtout à Timbulhardjo, être élu à un tel poste ne signifie pas automatiquement passer dans la catégorie des paysans riches, car les parcelles de terre octroyées comme mode de rémunération sont soit très peu productives, soit très peu étendues, et parfois même les deux à la fois. Ainsi, le chef du village ne dispose que de 1.5 ha de sawah de qualité moyenne alors que certains des assistants et des chefs de hameaux doivent se contenter de parcelles tournant aux alentours de 0.3 ha29. Moins lucratifs et prestigieux qu’ailleurs, ces postes semblent également faire l’objet d’une moindre convoitise et sur les 4 chefs de hameaux interviewés, un seul était le fils d’un ancien fonctionnaire villageois et possédait en propre un sawah de taille appréciable30. Déjà plus nombreux étaient les fonctionnaires salariés de l’administration publique, puisqu’on en comptait environ 150 dans tout le village, principalement des instituteurs de l’enseignement primaire et des employés du service de santé31. Finalement, liée à la présence du tombeau des sultans sur le territoire de Wukirsari, à noter une activité annexe originale exercée par un certain nombre de villageois : celle de serviteur des cours princières de Yogyakarta ou de Solo32.

10 Ceci dit, il est bien évident que ce sont les activités agricoles qui restent prépondérantes. Toutefois, étant donné la nature relativement égalitaire de structures foncières où domine la petite paysannerie, il y a assez peu de possibilités d’emploi pour les métayers ou pour les ouvriers agricoles dans le village. D’un côté, dans la partie occidentale qui bénéficie des meilleures conditions d’irrigation, on pratique bien une riziculture 186

sensiblement plus intensive et productive, mais la taille des sawah est tellement microscopique que la main-d’œuvre familiale suffit amplement à venir à bout du travail à accomplir. De l’autre, dans la partie centrale et orientale où l’eau est rare et la terre aride, chaque famille propriétaire dispose bien d’une exploitation beaucoup plus étendue mais où seule est possible une agriculture moins intensive basée sur des cultures vivrières secondaires comme le maïs et surtout le manioc qui demandent en fin de compte beaucoup moins de travail que le riz. En gros, et mis à part les quelques inévitables exceptions qui confirment la règle, la petite paysannerie locale a donc d’un côté comme de l’autre trop peu recours à de la main-d’œuvre extrafamiliale pour permettre à un bien grand nombre de villageois sans-terre, par exemple, de ne vivre exclusivement que du travail salarié des champs, et ne parlons pas du métayage, plus rare encore. Par ailleurs, la vaste majorité des familles d’exploitants agricoles, qu’elles soient plus proches des berges de la rivière Opak ou de l’arête du plateau de Gunung Kidul, ont beaucoup de mal à subsister de leur seule occupation principale et sont donc dépendants de sources de revenus complémentaires.

11 Les activités annexes susceptibles de les leur fournir varient elle aussi en grande partie en fonction de critères géo-économiques objectifs. C’est ainsi que dans les hameaux de l’ouest comme Bendo, Manggung ou Singosaren d’une part, on trouve beaucoup plus de petits commerçants33 du fait que la route principale Yogyakarta-Imogiri les traverse intégralement et de l’autre, on assiste à une assez forte activité dans le domaine de la fabrication des briques et surtout des tuiles à partir des boues de la rivière34. Par contre, dans les hameaux plus isolés du centre et de l’est comme Karang Kulon, Nogosari et Karangasem, une bonne partie de la population vit de l’artisanat, principalement batik et travail du cuir, le dernier nommé étant d’ailleurs réputé dans toute la région pour la qualité de ses wayang kulit35. Le tableau V.5 de la page précédente synthétise toutes ces informations et montre bien la nature des différences existant entre les 4 hameaux étudiés. 187

12 On voit de plus dans le tableau V.6 combien les activités secondaires ou annexes jouent un rôle important, surtout pour la petite paysannerie, dans un village dont les conditions agricoles sont aussi mauvaises que celles qui règnent à Wukirsari. Voyons précisément de plus près ce qu’elles sont vraiment.

La production agricole

13 Mis à part quelques rares exceptions se comptant sur les doigts d’une main dans les hameaux les mieux irrigués de l’ouest du village, les paysans de Wukirsari ne peuvent donc en général pas faire plus d’une récolte annuelle. La plupart de ceux qui ont un sawah font une culture de paddy, repiquant entre décembre et février, en pleine saison des pluies, et récoltant de mai à juin avant les mois les plus secs, mais beaucoup préfèrent plutôt planter à la place, et selon le même calendrier, de l’arachide, des haricots et pois divers ou du soja, cultures mieux adaptées ou moins risquées, qui demandent à la fois moins de travail et de capital, et rapportent, somme toute, à peu près la même chose vu la faiblesse des rendements rizicoles. Quant à ceux qui ont du tegal, ils doivent d’habitude se contenter d’une récolte de manioc, plantant aux mêmes dates et récoltant de juillet à septembre, mais il arrive régulièrement qu’ils intercalent d’une année sur l’autre une culture de maïs afin de ne pas épuiser des sols déjà peu fertiles. Du fait qu’il est de plus impossible de mettre en valeur une bonne partie de ce tegal, le taux moyen d’intensité de culture calculé sur la période 1969-72 atteint tout juste 58 %, soit une récolte annuelle sur à peine plus de la moitié de la surface arable théorique, ce qui est étonnamment bas pour un village javanais36. On peut cependant noter d’importantes variations annuelles liées aux conditions météorologiques, puisque si la superficie totale récoltée n’est que de 416 ha en 1969, année globalement la plus sèche de notre échantillon quadriennal d’observation, elle grimpe tout de même à respectivement 550 ha et 538 ha en 1970 et 1971, années plus humides, pour retomber à 483 ha en 1972, année où la saison sèche a de loin été la plus meurtrière37. Par ailleurs, on observe également une évolution intéressante en ce qui concerne l’importance relative de chaque type de culture puisque 188

si le paddy occupe encore, en 1969, 44.5 % de la surface récoltée contre 55.5 % aux palawija 38, la part de ces dernières passe à 70 % en 1972, alors que celle du premier dégringole à moins de 20 %, la canne introduite l’année précédente dans le village qui l’a remplacé dans une bonne partie des meilleurs sawah de l’ouest couvrant les 10 % restant39. Ce phénomène est suffisemment paradoxal pour que l’on examine plus en détail chacune de ces trois grandes catégories.

14 A tout seigneur tout honneur, prenons d’abord le cas du paddy. On se doute bien que les circonstances atmosphériques ne sont pas seules à pouvoir expliquer pourquoi sa surface récoltée a diminué de moitié entre 1969 et 1972, passant de 185 ha à 94 ha40. En fait, en 1970, le seul ouvrage hydraulique de Wukirsari assurant l’irrigation permanente d’une quarantaine d’hectares a été endommagé et comme le village, trop pauvre, n’avait pas les moyens financiers d’assurer sa réparation, il fut décidé après délibération communale que l’on louerait environ 80 ha de sawah à Madukismo pour deux années et que les propriétaires verseraient 15 % du loyer perçu dans une caisse publique où seraient récoltés les fonds destinés à effectuer les travaux nécessaires. Ainsi fut fait, et lors de notre travail d’enquête dans le village en 1973, le barrage avait été remis en état et le paddy avait retrouvé sa place prépondérante puisqu’il occupait près de 250 ha. Ceci dit la productivité rizicole reste très médiocre, les paysans tirant en moyenne de 30 à 35 qx de paddy à l’hectare de leur sawah entre 1969 et 1972. Les nouvelles variétés rencontrent d’ailleurs un succès très limité pendant toute cette période puisqu’en 1970, dernière année significative pour le paddy avant la location des terres à la raffinerie sucrière, sur 168 ha récoltés, 10 avaient été repiqués en IR 5, 58 en C4 et 100 en espèces locales. Parallèlement, le programme BIMAS reste fort marginal, ne couvrant en 1971, année record, que 34 des 133 hectares de paddy récoltés dans le village41. Par contre, une bonne partie des paysans suivent les cinq principes de culture recommandés par le gouvernement qui sont affichés en bonne et due place dans le bureau du village et appliquent, entre autre, des quantités d’engrais chimiques suffisantes pour être considérés comme des participants au programme INMAS. De plus, un déclic important semble se produire dès la fin du contrat avec Madukismo puisque 258 personnes empruntent au BIMAS pour la seule campagne de crédit 72/73. Ce sont au demeurant les seules données chiffrées sérieuses que nous ayons sur le programme de crédit gouvernemental pour ce village. Il couvre alors, chose surprenante, près de 234 ha, ce qui représente non seulement la quasi-totalité de la superficie ensemencée en paddy, mais également une moyenne de plus de 9 000 m2 de terre par participant42. Or, il y a moins de 215 ha de sawah dans tout le village et le nombre de paysans possédant une telle superficie doit tourner aux alentours de la dizaine. Une seule explication possible à ce phénomène paradoxal : profitant des bonnes conditions pluviométriques de la saison humide 1972/73, un certain nombre parmi les paysans riches et moyens possédant un tegal point trop médiocre ont décidé de se risquer à y cultiver du paddy et se sont par la même occasion lancés dans un emprunt auprès du BIMAS43. Par contre, la vaste majorité des petits paysans marginaux et sub-marginaux, ne pouvant se permettre le luxe de courir un tel double risque44, demeurent pratiquement totalement exclus de ce dernier. La meilleure preuve du bien fondé de cette interprétation provient du fait que ce sont les hameaux de l’intérieur du village, c’est-à-dire ceux où les structures agraires sont de loin les plus polarisées, qui fournissent le gros du contingent de participants au programme de crédit gouvernemental, alors que ceux bordant la rivière et la route, beaucoup plus égalitaires, le boudent sérieusement. Ainsi, en ce qui concerne notre échantillon de 4 189

hameaux, c’est Nogosari II qui arrive largement en tête avec 58 participants, alors que Karang Kulon n’en fournit que 3, Manggung 1 et Bendo... aucun45. Or, Nogosari est non seulement le hameau le plus éloigné de la route principale menant à Imogiri, et par conséquent celui où les paysans ont le moins de facilités pour se fournir en engrais sur le marché libre, mais encore et surtout celui où il y a la plus grande proportion de propriétaires moyens et riches possédant plus d’un hectare de terre en termes d’équivalent sawah, ce qui correspond bien au profil de l’emprunteur moyen lors de la saison des pluies 1972/7346. Le succès du programme BIMAS à Wukirsari n’est donc pas aussi remarquable qu’il pourrait y paraître à première vue, et le fait que la somme globale déboursée par la banque s’élève à 778 000 Rp, soit environ 3 015 Rp par emprunteur, les trois-quarts sous forme d’engrais47, ne change rien à ce diagnostic. En fait, une fois surmontées les difficultés qu’il y a à appréhender un écosystème complexe rendant l’analyse particulièrement délicate, on réalise que l’accueil réservé à la politique de modernisation agricole est, à Wukirsari comme ailleurs, directement proportionnel au nombre de paysans qui ont les moyens de l’accueillir48 et que l’on retombe en fin de compte une nouvelle fois sur le type de corrélation familière déjà identifiée et longuement disséquée dans les deux villages étudiés précédemment.

15 Pour ce qui est des cultures vivrières secondaires (palawija), la surface récoltée augmente donc d’environ 50 % entre 1969 et 1972, passant de 231 à 343 ha. Ce phénomène est à notre avis en grande partie dû au fait que les paysans, ayant loué leur sawah à Madukismo pour deux ans, se sont mis à cultiver des parcelles de tegal qu’ils ne se donnaient, en général, pas le mal de mettre en valeur vu leur escarpement et leur faible productivité49. C’est le manioc et les tubercules apparentés qui jouent le rôle le plus important à Wukirsari puisqu’elles occupaient 162 ha en 197250, contre seulement 120 pour l’arachide et les cultures similaires51 et 61 pour le maïs. Il est intéressant de souligner que les paysans du village n’aiment pas planter du soja, prétextant que cela a toujours porté malheur à ceux qui l’on fait. Les caprices de la moisson ne font d’ailleurs rien pour rendre cette superstition moins crédible, puisque 1971, seule année où une superficie importante de soja avoisinant les 50 ha a été récoltée, fut suivie de la terrible sécheresse de 1972. A côté de cela, certains n’hésitent pas, malgré le gros travail que cela représente par rapport à des cultures secondaires plus classiques, à cultiver du tabac qui couvrait à peu près 7 ha en 197252. Les rendements à l’hectare varient quant à eux assez peu d’une année à l’autre et demeurent pour la plupart fort médiocres en moyenne : 5 à 6 t pour le manioc et 6 à 7 qx pour l’arachide mais, tout de même 12 à 15 qx pour le maïs, ce qui est bien meilleur qu’à Tirtonirmolo ou Timbulhardjo par exemple53. Ce score positif est logique, les paysans peu gâtés par la nature des contreforts arides du plateau de Gunung Kidul apportant beaucoup plus de soins à une culture vivrière comme le maïs, vitale pour eux, que leurs voisins privilégiés de la belle plaine de Bantul. Ils y appliquent donc régulièrement des engrais verts et surtout du fumier animal, chose qui, il faut bien le dire, leur est rendue possible par l’importance des cheptels bovin, ovin et caprin du village. On ne comptait, en effet, pas moins de 932 vaches, 753 chèvres et 414 moutons à Wukirsari en 1972, la grande majorité de ces animaux vivant d’ailleurs dans les hameaux de l’intérieur comme Jatirejo, Karangtalun et surtout Nogosari qui venait largement en tête sur les trois registres et où presque chaque famille possédait un animal de chaque espèce54. Cela confirme doublement la corrélation existant à Java entre la densité démographique et le rôle du bétail telle qu’elle a déjà été relevée dans les deux villages précédents. Ici, les hommes, moins nombreux sur un territoire vaste aux ressources limitées, ont à la fois plus de place et de temps pour pouvoir s’adonner à des activités 190

d’élevage. Celui des moutons et des chèvres, directement lié aux conditions d’aridité du village, constitue indiscutablement une importante soupape de sécurité pour les paysans, même s’il n’est pas entièrement compatible avec la politique lucide de reboisement qui poursuivent les autorités gouvernementales dans les zones érodées les plus critiques de la province55. Celui des bovins ne pose heureusement pas le même type de problème, mais, lui aussi, est indirectement déterminé par la sécheresse ambiante qui seule permet d’expliquer pourquoi il n’y avait que 19 buffles dans le village en 1972, ces grands amateurs de boue fraîche, de même que leurs petits barboteurs de compères que sont les canards qui n’étaient qu’au nombre de 15, étant fort peu à l’aise dans un tel milieu56. Ceci dit, si l’on additionne les deux espèces de bovins, on réalise qu’il y a très exactement une tête de bétail par famille propriétaire de sawah ou de tegal, soit deux fois plus qu’à Timbulhardjo par exemple, ce qui donne déjà une idée plus concrète de l’importance agro-économique du phénomène. Nous aurons l’occasion de revenir ultérieurement sur sa signification socio-culturelle.

16 Venons-en, pour finir, à la canne à sucre. Nous avons vu plus haut les raisons pour lesquelles les paysans de Wukirsari avaient décidé en 1970 de louer une partie du sawah local à Madukismo. La raffinerie, toujours à l’affût de nouveaux périmètres de travail dans la plaine de Bantul57, accepte bien évidemment leur offre mais, après avoir inspecté les lieux, décide de jouer la prudence en ne cultivant que 35.3 ha à titre expérimental en 1971 au lieu des 80 ha proposés par les autorités villageoises. De plus, profitant de la position de force que lui procure le fait d’être sollicité, rôle pourtant assez inhabituel pour elle, et arguant de la mauvaise qualité des terres du village, du faible niveau de productivité rizicole et du risque qu’elle court en se lançant dans l’aventure, elle impose un prix de location très bas fixé à 90 000 Rp à l’hectare par an, soit environ deux fois moins que ce qu’elle paye dans des villages comme Tirtonirmolo ou Timbulhardjo. Tout en étant légèrement inférieurs à ceux des meilleures zones sucrières du district, les résultats obtenus en 1971 vont cependant s’avérer ne pas être si mauvais puisque les rendements à l’hectare atteignent 93.7 t de canne et 81.35 qx de sucre cristallisé, soit une teneur de 8.69 %. Face à cela, Madukismo ne pourra pas faire autrement que de céder aux pressions exercées par les élus locaux en augmentant le montant des loyers annuels à 120 000 Rp/ha pour la campagne de 1972. La surface plantée sera d’ailleurs également étendue à près de 46 ha, mais les craintes initiales des techniciens de la raffinerie s’avéreront fondées puisque la récolte de 1972 sera beaucoup moins mirifique que celle de l’année précédente comme on peut le voir dans le tableau V.7 ci-contre. L’effondrement général du niveau de productivité, qui affecte non seulement les secondes pousses mais également les nouveaux plants, constitue une nouvelle preuve irréfutable de la médiocrité des conditions agricoles régnant dans le village. Ces dernières déterminent à leur tour en grande partie un degré de pauvreté ambiant nettement plus marqué que dans les deux villages précédents. 191

Le tour des autres problèmes

17 Signes et indices d’un bien être économique et social très aléatoire sont légions à Wukirsari. Nous avons d’ailleurs déjà effleuré au fil des pages certains des plus importants. Rappelons en tout premier lieu le taux de croissance démographique fort bas qui caractérise le village et recouvre à la fois un faible rythme d’accroissement naturel et une propension élevée à la migration au sein des familles les plus démunies. Souvenons- nous également de l’état des finances d’un village qui n’a pas les moyens de payer les réparations d’infrastructure les plus urgentes et est loin d’assurer l’opulence aux fonctionnaires élus qui l’administrent. N’oublions finalement pas qu’une bonne partie de la population locale oublie le goût du bon riz blanc pur plusieurs mois par an pendant lesquels elle ne le consomme plus, au meilleur des cas, que mélangé à du maïs ou du manioc58. Si l’on se tourne maintenant du côté des nouveaux indicateurs de prestige social qui ont été utilisés dans l’analyse de Tirtonirmolo et Timbulhardjo, on obtient entière et totale confirmation de ce phénomène. C’est ainsi qu’en 1972, 58 % des maisons de Wukirsari étaient intégralement construites en matériau végétal, contre 22 % en semi-dur et seulement 20 % entièrement en dur59. Par ailleurs, on ne dénombrait pour tout le village que 20 motocyclettes60, 147 postes à transistors61 et, surtout, 810 bicyclettes, soit à peine plus d’une pour trois familles, proportion trois fois plus faible qu’à Tirtonirmolo par exemple. A noter à ce sujet que si le gros bétail était principalement localisé dans les hameaux de l’intérieur ainsi que nous l’avons vu précédemment, les deux roues, avec ou sans moteur, étaient quant à eux quasiment tous concentrés dans ceux de l’ouest bordant la route principale. Il y a bien à cela des raisons purement objectives, puisque les premiers, vastes et isolés, sont finalement plus facilement accessibles à pied et que les seconds, exigus et proches de tout, sont surpeuplés. Toutefois, ce clivage entre les deux grandes régions naturelles de Wukirsari n’est pas totalement vide de signification en termes d’analyse socio-économique et socio-culturelle car si d’un côté, la vache demeure toujours à la fois investissement productif et signe de prestige, c’est la bicyclette qui de l’autre occupe désormais cette double fonction. On retombe ainsi sur un schéma familier déjà décrit dans l’étude des deux villages précédents, mais en poussant plus avant les investigations sur ce troisième cas pratique, on découvre que la ligne de démarcation qui sépare les hameaux du fleuve de ceux des collines coupe également les domaines socio- religieux et socio-politique. 192

18 Plus de 99 % de la population de Wukirsari déclare officiellement adhérer à la religion islamique62, mais alors que règne une stricte orthodoxie à Bendo, Mang-gung ou Karang Kulon, les pratiques javano-mystiques auraient plutôt tendance à être dominantes du côté de Nogosari. C’est ainsi que lors de la cérémonie annuelle qui commémore la fondation de chaque communauté villageoise63, les gens du haut ont l’habitude d’organiser une représentation de théâtre d’ombre64, alors que pour ceux du bas, cette forme d’art profane est tout ce qu’il y a de plus méprisable et condamnable. D’ailleurs, toute la petite industrie domestique du wayang kulit est exclusivement dans les mains des familles abangan de l’intérieur, les santri de l’ouest répugnant à se salir les mains en faisant un travail aussi sacrilège. Plusieurs de ces derniers réprouvent d’ailleurs aussi de manière tout à fait explicite le culte javano-syncrétique qui est rendu à Sultan Agung et à ses descendants dans le sanctuaire d’Imogiri. Ces sensibilités religieuses divergentes correspondent bien évidemment à des loyautés politiques diamétralement opposées et largement conflictuelles. En effet, d’un côté, si le Parti nationaliste indonésien (PNI) qui était jusqu’à 1965-67 solidement implanté à Nogosari et dans les hameaux avoisinants y a été relayé par le Parti gouvernemental officier GOLKAR depuis les élections de 1971, de l’autre, Manggung, Karang Kulon et autres sont jusqu’à présent demeurés contre vents et marées d’indéfectibles fiefs de la formation politique représentant la tendance traditionaliste et conservatrice de l’islam (NU)65. A Karang Kulon par exemple, pas une seule maison visitée où l’on ne puisse dénoter la présence de sourates imprimées ou de calendriers coraniques marqués de son sigle suspendus aux murs. L’ambiance générale y est d’ailleurs très différente de celle à laquelle on est habitué, faite de suspiscion, de dissimulation et d’un relatif manque de courtoisie au demeurant fort peu javanais. Plus concrètement, cela se traduit d’ailleurs sur le plan des options en matière de développement par une attitude de rejet quasi-unanime des programmes gouvernementaux, qu’il s’agisse du crédit à la production ou de la prévention des naissances66. Aux antipodes de Karang Kulon, Nogosari II, hameau typique du Kejawèn profond ou, en 1973, plus de 40 % des propriétaires de sawah et de tegal participaient au BIMAS67 et près de 35 % des couples en âge de féconder utilisaient un moyen contraceptif68 . On a du mal à imaginer que deux communautés villageoises aussi dissemblables puissent faire partie du même village administratif, tout étendu qu’il soit. Examinons rapidement les stratégies de survie que certains de leurs membres respectifs ont élaboré.

Cinq différents niveaux de vie

19 Sur les 49 chefs de famille interviewés à Wukirsari69, prenons en 5, également répartis entre les hameaux du haut et du bas et représentant un éventail complet des niveaux de vie existants. Le premier, Pak Iro, est un paysan aisé âgé d’environ 55 ans qui vit à Nogosari II. N’ayant lui-même jamais mis pieds à l’école, il avoue qu’aucun de ses six enfants, dont le plus jeune a déjà dépassé la vingtaine, n’a terminé le cycle d’enseignement primaire. Deux d’entre eux ont déjà fondé leur propre foyer et la famille, désormais composée de six membres, vit dans une maison assez spacieuse et relativement confortable au toit recouvert de tuiles, mais dont les murs sont toujours en bambou et le sol en terre battue. Elle est entourée d’un pekarangan de 2 000 m2 où Pak Iro a planté une vingtaine de cocotiers dont il vend la moitié de la production et entre lesquels il cultive du manioc. A côté de cela il possède 2.5 ha de tegal, mais il n’en cultive réellement qu’un seul où il plante également, en règle générale, du manioc, se contentant de vendre de 193

temps à autre certains des arbres replantés sur le restant comme bois de chauffage70. Il tire en tout de ses terres sèches environ 5 tonnes de manioc par an. Finalement, il a hérité de son père 5 000 m2 de sawah sur lequel il arrive péniblement à faire tout juste une récolte annuelle de paddy. Ne repiquant pas en ligne71 et appliquant fort peu d’engrais72 il utilise des variétés locales et nouvelles en proportions égales73 et obtient approximativement 500 kilos de riz décortiqué par an, ce qui correspond à un rendement très faible inférieur à 20 quintaux de paddy à l’hectare. Bien que cette quantité de riz ne suffise même pas à assurer une ration journalière de 250 grammes à chacun des membres de la famille pendant toute l’année74, Pak Iro en vend néanmoins habituellement la moitié pour réaliser l’argent liquide dont il a besoin. Lui et les siens ne mangent donc du riz que six mois sur douze, se contentant le reste du temps d’une alimentation à base de manioc qui leur fait auto-consommer environ l/5e de leur production75. Disposant d’une main- d’œuvre familiale importante et possédant deux vaches en propre, il n’emploie aucun ouvrier agricole et arrive à tirer de sa terre, une fois déduit la part de l’auto- consommation76, le coût des engrais et des pesticides77 et le montant de la taxe foncière78, un revenu annuel net d’environ 90 000 Rp79. S’ajoutent à cela d’importants revenus annexes non-agricoles puisque Pak Iro est marchand d’oiseaux et que l’un de ses fils fabrique des wayang kulit. Le premier, mettant à profit la passion que les Javanais peuvent avoir à l’égard des tourterelles et autres volatiles roucouleurs80, se déplace souvent fort loin dans l’archipel pour les acquérir81. Il arrive, bon an mal an, à en revendre environ 300 sur le marché local82 au prix de 300 Rp pièce, ce qui lui assure un revenu annuel brut de 90 000 Rp duquel il faut déduire environ la moitié pour les coûts de déplacements et de transports. Le second arrive, en travaillant d’arrache pied, à achever deux marionnettes par semaine qu’il vend, non peinte83, 500 Rp pièce, mais, comme le kilo de cuir de buffle dont il a besoin lui coute à peu près la moitié, il fait au maximum un bénéfice annuel net de 25 000 Rp84. On voit donc au total que le revenu annuel net de la famille Iro varie entre 150 et 160 000 Rp85 ce qui la place indiscutablement dans la catégorie des villageois aisés. Elle possède d’ailleurs, outre les deux vaches susmentionnés, 2 bicyclettes et une radio, signes extérieurs de richesse on ne peut plus significatifs à Wukirsari. Ceci dit, il est non moins certain, ne serait-ce qu’au vu de son mode d’habitat et de consommation alimentaire, qu’elle est loin de vivre dans l’opulence. La preuve est donc faite que la paysannerie riche des contreforts arides de Gunung Kidul est loin de jouir d’un niveau de vie aussi élevé que celle résidant dans la plaine verdoyante de Bantul86.

20 Redescendons à Bendo, hameau qui précisément fait bien encore tout juste partie de cette fertile plaine irriguée, pour visiter Pak Siswo, villageois proche de la quarantaine qui est à la fois fonctionnaire du service de santé et paysan propriétaire exploitant. Sa femme a donné le jour à 5 enfants dont 2 sont morts en bas âge et le couple, qui se contente des trois survivants âgés de 12, 6 et 2 ans, utilise des méthodes contraceptives depuis la naissance du dernier87. Cette petite famille de 5 membres vit dans la modeste maison en semi-dur que la belle mère de Pak Siswo laisse à sa disposition. Il possède pourtant un minuscule pekarangan de 500 m2, mais il est situé trop loin, dans le village voisin de Srihardjo, et il préfère donc le louer à l’année à un métayer qui exploite la quinzaine de cocotiers le peuplant pour fabriquer du sucre, activité qui y est fort répandue88. A raison d’un kilo par jour vendu 110 Rp au marché, somme qui est partagée équitablement entre nos deux protagonistes, Pak Siswo s’assure ainsi un revenu annuel net tournant autour de 20 000 Rp. A côté de cela, il est également propriétaire d’un micro-sawah de 1 000 m2 sur lequel il fait une double récolte de paddy par an. Il le travaille intégralement lui-même 194

avec l’aide de sa femme et de son fils aîné, exception faite pour les labours vu qu’il ne possède pas de bétail. Utilisant des nouvelles variétés et des engrais chimiques depuis 196889, il arrive à en tirer environ 200 kilos de riz décortiqué par récolte, ce qui représente un rendement légèrement supérieur à 38 quintaux de paddy à l’hectare qui est fort honorable comparé à la moyenne du village de Wukirsari pris dans son ensemble90. En fait, Pak Siswo vend toujours son paddy sur pied à un entrepreneur en récoltes et arrive, une fois déduit les divers coûts de production91, à empocher un bénéfice annuel net d’environ 25 000 Rp92. En tout, il tire donc, chaque année de ses deux lopins de terre, un revenu de 45 000 Rp93, la famille se satisfaisant pour sa consommation alimentaire de 50 kilos de riz qu’il touche chaque mois en tant que fonctionnaire de l’administration publique94. Si l’on ajoute à cela un salaire mensuel en espèce de 4 000 Rp, la famille Siswo dispose en fin de compte, une fois l’estomac sommairement calé, d’approximativement 90 000 Rp pour essayer de couvrir tous les autres besoins auxquels elle doit faire face pendant les 365 jours du calendrier95. Le moindre superflu est donc banni, le seul bien matériel important que possède Pak Siswo étant le vélo délabré avec lequel il se rend au travail chaque jour. L’inflation permanente, qui touche tous les produits de première nécessité, ainsi que la volonté d’envoyer ses enfants à l’école et la nécessité de faire face à ses obligations communautaires font qu’il exclut définitivement l’idée de jamais pouvoir faire construire sa propre maison.

21 Passons du côté des sans-terre en restant tout d’abord près de la route principale d’Imogiri avec Pak Muhdi qui habite Manggung. Il vit avec sa femme et ses six enfants, dont l’aîné a 20 ans et le benjamin 4, dans une petite maison misérable et dénudée, au sol en terre battue et aux murs faits de claies en bambou. Mis à part les 200 m2 sur lesquels sa masure est posée, il ne possède strictement rien, pas un arbre, pas un meuble, pas un poulet. Toute la famille travaille ensemble à fabriquer des tuiles en terre cuite qu’elle vend 1.50 Rp pièce96. Les jours fastes, elle arrive à se faire 200, voire 250 Rp, mais le revenu journalier moyen tourne plutôt autour de 150 Rp97, juste de quoi acheter le kilo et demi de riz dont elle a besoin pour survivre, guère plus98. C’est la subsistance minimum, au fil du rasoir, sur un revenu global brut de 50 000 Rp par an. Il n’y a plus qu’à prier Allah de maintenir tout le monde à peu près en bonne santé, ce que fait d’ailleurs Pak Muhdi qui est un bon musulman et trouve encore moyen de remplir son devoir de zakat en entretenant dans la mesure de ses maigres moyens une vieille femme de ses voisins, veuve, seule, à demi-aveugle et démunie de tout, bref, encore plus pauvre que lui99. Remontons à mi-pente jusqu’à Karang Kulon, hameau central, pour rencontrer Mas Bisri dont le sort n’est guère plus enviable. Lui non plus ne possède rien d’autre en ce bas monde que la hutte en bambou dans laquelle il vit avec sa femme et son enfant âgé de trois ans. En fait, il passe le plus clair de son temps séparé des siens, s’usant la santé en ville à pédaler pour un grain journalier de 150 Rp sur un becak qui lui sert d’abri la nuit100. De son côté, seule à la maison, sa jeune femme enduit inlassablement de cire les futurs batik colorés, ajoutant ainsi chaque jour 50 Rp supplémentaires dans le maigre budjet familial101. Pour terminer, regrimpons rapidement jusqu’à Nogosari afin de visiter Ibu Yasmani, femme de 35 ans usée par le travail, qui en paraît facilement 50. Son mari ayant dû s’exiler à Lampung pour chercher un travail régulier, elle vit seule avec ses deux enfants âgés de 15 et 5 ans dans un misérable abri précaire et brinquebalant dont le toit de chaume est troué comme une passoire. Affectée d’une grave infection des yeux, elle ne peut plus travailler activement et toute la famille dépend uniquement pour sa survie des 80 Rp journalières que le fils aîné ramène au foyer en s’employant comme ouvrier agricole 102, la solidarité communautaire villageoise jouant un rôle d’appoint non négligeable. De 195

toute évidence on touche vraiment là le tréfond de la misère humaine et l’on est bien obligé de reconnaître que les pauvres des collines sont eux aussi encore plus pauvres que leurs congénères de la plaine.

Les enseignements à tirer

22 Inhabituellement sécurisant, presque insolite, est le sentiment qui nous anime en quittant Wukirsari : l’impression furtive mais tenace d’avoir en grande partie trouvé ce que l’on était venu chercher. En tout premier lieu, ce troisième village, des environs de Yogyakarta, choisi en fonction des mauvaises conditions naturelles auxquelles il était confronté, nous fournit la preuve irréfutable de l’incroyable diversité des situations de développement qui caractérise les villages d’un seul et même district, le meilleur et le pire n’étant souvent distant que de quelques kilomètres. Ici, la pauvreté rurale ne prend même plus la peine de se dissimuler comme au cœur de Bantul sous l’apparence trompeuse des opulents paysages agricoles qui ont valu à Java sa réputation toujours vivace de « Jardin de l’Orient »103, elle s’affiche crûment, sans hypocrisie ni décence aucune, dans l’aridité austère des contreforts de Gunung Kidul. A la vue de ce spectacle guère réjouissant, on en vient à réaliser bien plus concrètement ce que doit être la misère des villages traversés lors de certaines randonnées de reconnaissance effectuées dans le centre du plateau, en particulier de ceux situés dans la région lunaire de Gunung Seribu, véritable amoncellement de tas de pierres entre lesquels des hommes admirables essayent d’aménager de misérables tegalan latériques104.

23 A côté de cela, en dépit des différences énormes qui rendent très délicates les comparaisons entre des villages bénéficiant de conditions naturelles dissemblables et confirment que les extrapolations faites à partir d’une étude monographique sont à la fois hasardeuses et dangereusement simplificatrices, on retrouve à Wukirsari, second point majeur du bilan, le même genre de corrélations socio-économiques que celles identifiées auparavant dans le contexte écologique fort différent de Tirtonirmolo et de Timbulhardjo, que ce soit entre le degré de parcellisation de la propriété foncière et l’accueil réservé au programme gouvernemental de modernisation agricole ou entre le degré de ruralité et la nature des stratégies de survie élaborées par les communautés villageoises et leurs membres. C’est autant pour vérifier si cette tendance à voir certaines permanences socio-économiques transcendant les différences existant entre les divers écosystèmes javanais se confirmait, que pour tenter de couvrir l’éventail de ceux qui existent réellement dans le périmètre du district de Bantul, conditions minimale d’une compréhension plus globale et homogène de la situation régionale, que nous avons décidé, après avoir étudié deux villages bénéficiant de conditions naturelles favorables semblables dans lesquels le sawah était pratiquement omniprésent et un village situé dans un environnement beaucoup moins avantageux où le tegal dominait, d’en choisir un second qui soit aussi mal loti mais où le pekarangan serait cette fois l’élément prépondérant. Après avoir longuement étudié la question et passablement hésité sur le choix de ce quatrième et dernier village de la province de Yogyakarta, nous optâmes pour Argodadi. 196

NOTES

1. Jk est l’abréviation de Yogyakarta. Elle était utilisée à l’époque où nous faisions notre recherche de terrain pour distingur le sous-district de son homonyme adjacent d’Imogiri Sk qui, bien qu’étant situé sur le territoire du district de Bantul et donc du D.I. Yogyakarta, dépendait administrativement parlant du Sultanat de Surakarta, ville de Java Central distante de 60 km dont Sk était l’abréviation. Le sous-district de Kotagede, également situé dans le district de Bantul était pareillement séparé en deux. Cette situation quelque peu singulière résultait de la partition du Sultanat de Mataram en 1755. Il y a été remédié en 1976. Désormais Imogiri et Kotagede ne forment plus chacun qu’un seul sous-district unitaire. Cela facilite, entre autre, grandement le travail des chercheurs qui y opèrent. Il était en effet absolument exclu auparavant de pouvoir mener une enquête à Imogiri Sk ou Kotagede Sk et même d’obtenir une quelconque information sur l’un des deux ex-sous-districts avec un permis de recherche délivré par les autorités provinciales de Yogyakarta. Il fallait en effet passer par l’intermédiaire de Surakarta et obtenir par conséquent au préalable un permis de recherche valable pour la province de Java Central dont le Gouvernorat est situé à... Semarang ! 2. Tous les monarques de Mataram ainsi que leur famille sont ensevelis à Imogiri à commencer par Sultan Agung, fondateur de la dynastie au XVIIe, dont le tombeau se trouve sur le point culminant de la colline. Depuis la partition de 1755 les représentants des Sultanats de Yogyakarta et Surakarta sont enterrés dans deux mausolés séparés. 3. Le tombeau de Sultan Agung fait l’objet d’un culte syncrétique particulièrement fascinant. Les abangan javanais s’y rendent en foule compacte à dates fixes pour faire des incantations au grand monarque et lui demander de bien vouloir intercéder pour arranger mille choses diverses (maladies, naissances, mariages, récoltes, etc). 4. Gunung Kidul signifie littéralement « montagne du sud ». C’est aussi le nom du plus vaste et du plus misérable des 4 districts ruraux que compte la province de Yogyakarta. C’est sans nul doute également l’une des régions les plus pauvres de Java, sinon d’Indonésie. 5. Très exactement 1429.3775 ha. 6. Le mot Wukirsari est composé de wukir (montagne) et sari (essence). Wukirsari signifie donc « l’essence de la montagne », ce qui une nouvelle fois correspond parfaitement bien à la situation du village. On aurait difficilement pu trouver plus réaliste. 7. On trouve des régosols gris et bruns près de la rivière Opak, mais la majorité des terres du village sont composées de lithosols et de lathosols rouges. Voir « Detailed Reconnaissance Map... », op. cit. 8. Il faut ajouter à cela 26 ha approvisionnés par un système qualifié de « semi-permanent » et 65 ha inondés quand les conditions le permettent. 9. Sawah, pekarangan et tegal couvrent donc 1 273.1 ha des 1 429.3 ha du village. A côté d’environ 11 ha qui entrent dans la catégorie « divers » (routes, cimetières, mosquées, écoles, etc), 145 des 156 ha restant sont occupés par les Terres du Sultanat (Sultanen Gronden). L’énorme importance de ces dernières est évidemment liée à la présence du tombeau des sultans de Mataram sur le territoire du village. Elles sont surtout situées sur la grande colline qui se trouve au sud du village et qui est fort peu propice à l’agriculture. L’étude de l’évolution de l’occupation des terres entre 1932 et 1972 montre que le tegal a diminué de 5.53 ha en faveur du sawah ( + 0.91 ha), du pekarangan (+ 1.59) et surtout de la catégorie « divers » (+ 3.02 ha). A noter que, par rapport aux deux villages étudiés précédemment, les cimetières occupent une place beaucoup plus importante à Wukirsari (8.0 ha contre 4.3 à Tirtonirmolo et 3.9 à Timbulhardjo) et qu’ils ont 197

même eu tendance, contrairement à tout ce que nous avons vu jusqu’à présent à s’étendre de quelques centaines de m2 depuis 1932, ce qui prouve à la fois combien moindre est l’acuité du problème de la pression de l’homme sur la terre et combien médiocre est la qualité d’une bonne partie de cette dernière. 10. Contre 1.57 % à Timbulhardjo et 2.69 % à Tirtonirmolo pendant le même laps de temps. Rappelons-nous par ailleurs qu’entre 1961 et 1971, le taux de croissance démographique annuel a été de 1.3 % pour le district de Bantul et de 1.1. % pour la province de Yogyakarta. La faiblesse de la croissance de la population de Wukirsari est essentiellement due à la pauvreté ambiante du village qui se traduit par un faible taux d’accroissement naturel accompagné d’une assez forte migration vers les zones urbaines, en tout premier lieu Yogyakarta. Bien que faisant partie du district de Bantul, le village ressemble beaucoup plus sur ce plan comme sur d’autres à ceux du district de Gunung Kidul. Ainsi en 1971/72, 7 familles de Wukirsari, toutes en provenance des hameaux de l’intérieur, on transmigrées à Sumatra. 11. 2 579 hab/km2 à Tirtonirmolo et 1 700 hab/km2 à Timbulhardjo en 1972. 12. Puisque le tegal couvre 642.7 ha et qu’une bonne partie de ce dernier est totalement improductive. 13. C’est-à-dire une fois déduit de la superficie totale de 1 429.37 ha les 156.22 ha entrant dans la catégorie « divers » ainsi que les 22.02 ha de pekarangan occupés par les constructions à raison de 100 m2 par maison. 14. Le sawah public occupait, en 1972, 62.63 ha soit plus de 29 % du total disponible dans le village, beaucoup plus qu’à Tirtonirmolo ou Timbulhardjo. Il se divisait comme suit : 36.71 ha de lungguh, 9.32 ha de pengarem-arem et 16.60 ha de kas desa. Le tegal public couvrait quant à lui 98.60 ha, soit environ 15 % de la superficie existante, dont 14.87 ha de lungguh, 0.67 ha de pengarem- arem et 83.06 ha de kas desa. Au total les terres communales publiques couvrent donc 161.23 ha en 1972 à Wukirsari. En 1932, elles occupaient 169.9 ha dans les 4 villages qui furent regroupés par la suite pour former Wukirsari dont 65.77 ha de sawah et 104.13 ha de tegal. Comme dans les deux villages précédents, les variations qui ont pris place se sont effectuées à l’intérieur même de la catégorie des terres communales publiques, au détriment du lungguh qui occupait alors 51.66 ha de sawah et 82.37 ha de tegal et en faveur du kas desa qui ne couvrait que 6.86 ha de sawah et 10.80 ha de tegal. Le principe à la base de ces transferts était, comme dans les 2 villages précédents, de garantir une certaine autonomie financière aux nouvelles entités administratives. Malgré cela, les revenus de Wukirsari, village pourtant deux fois plus étendu que Timbulhardjo, équivalaient, en 1973, seulement à un peu plus de la moitié de ceux de ce dernier. Le bilan s’établissait comme suit : 198

Si l’on s’amuse à comparer ce bilan à celui de Timbulhardjo, les différences qui apparaissent ne peuvent que frapper. A Wukirsari, si 2/3 des revenus proviennent d’une assistance extérieure, principalement celle de Madukismo, 2/3 des dépenses sont effectuées dans le secteur agricole (k.b. kemakmuran). Au contraire à Timbulhardjo, 3/4 des revenus proviennent de la location des terres kas desa, mais 3/4 des dépenses sont effectuées dans les frais de fonctionnement, d’administration et de construction du bureau du village (k.b. umum). On a donc d’un côté un village assisté et dépendant qui essaye de ne pas gaspiller ses maigres ressources et les réinvestit de la manière la plus productive possible et de l’autre un village autonome qui n’hésite pas à se lancer dans des dépenses somptuaires peu productives. 15. Soit en moyenne de 4.4 personnes par famille. 16. Où il n’y avait pour mémoire que 30.1 % de familles sans terre. 17. Qui, il faut peut-être le rappeler, avaient été sélectionnés de manière à nous fournir une idée aussi complète que possible de l’éventail des situations agro-écologiques et socio-économiques existant dans le village. 18. Il est par exemple évident d’après le tableau V.2 que le tegal est dominant à Karang Kulon, hameau le plus oriental, alors qu’il occupe une place beaucoup moins prépondérante à Manggung et Bendo, hameaux situés près de la route et du fleuve. 19. Environ 50 quintaux de paddy à l’hectare. 20. Il occupait respectivement 1.76 % et 1.4 % de la superficie totale de Tirtonirmolo et Timbulardjo. 21. Environ 30 quintaux de paddy à l’hectare. 22. Il occupe 45 % de la superficie totale du village approximativement. 23. Pour recalculer cette nouvelle équation applicable à un milieu agricole beaucoup moins favorable que ceux de Tirtonirmolo ou de Timbulhardjo, nous sommes parti du même postulat de base que celui qui avait été utilisé dans les 2 précédents villages à savoir que, pour pouvoir couvrir tous ses besoins essentiels et avoir une marge de manœuvre financière qui lui permette de réinvestir productivement et de faire face à d’éventuels imprévus, une famille paysanne moyenne de 5 personnes devait s’assurer un revenu annuel brut tournant autour de 200 000 Rp. En 1972-73, on pouvait à Wukirsari sur 1 ha de sawah faire chaque année une récolte de paddy et 199

une d’arachide. La première, avec un rendement moyen de 30 qx/ha et un prix de vente moyen cette année-là de 76 Rp le kilo de riz décortiqué sur le marché local, rapportait très exactement 118.560 Rp. La seconde, avec un rendement moyen de 6 qx/ha et un prix de vente moyen cette année-là de 165 Rp le kilo d’arachide rapportait tout juste 99 000 Rp. Le revenu annuel brut d’une famille paysanne possédant 1 ha de sawah s’élevait donc à 217 560 Rp. 24. Nous avons considéré que le pekarangan avait à Wukirsari la même productivité moyenne que dans les deux villages précédents et qu’il permettait par conséquent à une famille paysanne possédant 1 ha de s’assurer un revenu annuel brut d’environ 20 000 Rp. 25. On pouvait, en 72/73, faire à Wukirsari une récolte annuelle de manioc sur le tegal. Avec un rendement moyen de 60 qx/ha vendu au prix moyen de 18 Rp le kilo sur le marché local à cette époque-là, une famille paysanne possédant 2 ha de tegal pouvait donc s’assurer un revenu annuel brut de 216 000 Rp. 26. Cette équation est donc l’équivalent pour les villages où prévalent de mauvaises conditions de développement agricole de celle fixée à 0.5 S = 1.0 P pour les villages où ces dernières sont bonnes. 27. A titre de comparaison, rappelons qu’à Tirtonirmolo, si 69.9 % des familles possédaient de la terre, 8.5 % des propriétaires fonciers seulement étaient au-dessus du seuil des 0.5 ha de sawah, contrôlant 32 % de la terre et 91.5 % au-dessous, contrôlant 68 % de la terre alors qu’à Timbulhardjo où il n’y avait que 37.9 % des familles qui possédaient de la terre, 45.5 % des propriétaires fonciers étaient au-dessus du seuil de 0.5 ha de sawah, contrôlant 78 % de la terre et 54.5 % au-dessous, contrôlant 22 % de la terre. 28. Outre le chef (lurah) et le secrétaire de village (carik ou kepala bagian umum), il y avait 4 responsables de départements sectoriels (kepala bagian kemakmuran, sosial, agama et keamanan) secondés par 8 assistants (pembantu), ainsi que 16 chefs de hameaux (kepala dukuh). 29. A noter que la taille des parcelles de tanah lungguh attribuées aux pamong desa est en grande partie fonction de leur qualité et de leur productivité. Le barème, qui est utilisé, est le suivant : coefficient 6 pour le lurah, 4 pour les 5 responsables de départements et 1 pour les assistants et les kepala dukuh. Il est intéressant de souligner qu’en 1931 les chefs des 4 villages qui ont été regroupés par la suite pour former Wukhsari avaient entre 2 et 3 ha de sawah lungguh à leur disposition. Là aussi on a donc assisté au phénomène inverse de celui qui a pris place à Timbulhardjo où la parcelle de sawah lungguh mise à disposition du lurah a fortement augmentée de taille lors de la réforme administrative de 1947. 30. Celui de Karang Kulon qui avait hérité de son père, ancien responsable du département de la sécurité (jagabaya ou k.b. keamanan), un sawah de 3 500 m2. 31. On comptait, en effet, 53 instituteurs et 20 infirmiers vivant sur le territoire du village en 1973. La plupart travaillaient à Imogiri, bourgade chef-lieu du sous-district. 32. Ces serviteurs appelés abdi dalem ont plus une fonction honorifique que tout autre chose. Ils auraient en tous cas bien du mal à vivre de cette occupation ayant un salaire fixe de ... 350 Rp par mois pour ceux qui servent la cour de Solo (Surakarta) et de ... 60 Rp par mois pour les malheureux qui sont au service de la cour de Yogyakarta ! Ils arrivent tout de même à côté de cela à se faire quelques pourboires supplémentaires en servant de guide aux touristes qui viennent visiter le tombeau de Sultan Agung les jours ouvrables (lundi et vendredi). Il va de soi que ce travail est tout à fait secondaire pour eux et qu’ils n’y consacrent guère plus de quelques heures par semaine ! On les comprend aisément vu la générosité de Leurs Altesses Royales. En 1972, 54 personnes exerçaient cette activité secondaire dans le village. 33. On ne comptait pas moins de 18 petites échoppes fixes (toko kecil) et 290 vendeurs ambulants (bakul) à Wukirsari en 1972. 34. Ces tuiles (genténg) sont tout d’abord séchées au soleil puis cuites dans des fours fabriqués localement et chauffés au bois, ce qui pose d’ailleurs par mal de problèmes vu le déboisement déjà catastrophe qui caractérise cette région de collines érodées et ravinées. Il y avait 25 petites 200

entreprises fabriquant les tuiles à Wukirsari en 1972, chacune d’entre elles employant entre 2 et 3 personnes. 35. Une statistique villageoise assez détaillée estimait qu’en 1972, 1 270 des femmes de Wukirsari contribuaient au moins partiellement au revenu de leur famille en travaillant le batik. Par ailleurs 164 personnes tiraient leur moyen d’existence principal ou secondaire de la fabrication des marionnettes utilisées dans le théâtre d’ombre javanais. A côté de cela on comptait la même année pour tout le village 3 forgerons, 11 tailleurs de pierres tombales, 64 menuisiers, 40 maçons, 3 réparateurs de bicyclettes et 6 coiffeurs. 36. La surface arable théorique totale de Wukirsari est de 857.6 ha et se compose de 214.9 ha de sawah et de 642.7 ha de tegal. Pour mémoire le même taux était de 214 % à Tirtonirmolo et de 189 % à Timbulhardjo. 37. Cela représente des taux d’intensité de culture de 48.5 % en 1969, 64.1 % en 1970, 62.8 % en 1971 et 56.3 % en 1972. 38. Cultures vivrières secondaires. 39. Nous revenons dans les pages qui suivent sur les raisons et circonstances de cette introduction tardive de la canne (tebu) à Wukirsari. 40. A noter qu’à Wukirsari on trouve à la fois du riz humide (padi sawah) et du riz sec (padi gogo), ce dernier étant cultivé sans irrigation dans les tegal qui dépendent uniquement des pluies de la mousson. Le second reste cependant très marginal puisqu’il n’occupait respectivement que 4 ha en 1969, 17 ha en 71 et 5 ha en 1972. Les rendements moyens de padi gogo varient entre 15 et 20 quintaux de paddy à l’hectare. 41. Sur ces 34 ha, 24 entraient dans la variante ordinaire du programme BIMAS (BIMAS Blasa) et n’étaient donc pas ensemencés en riz IR. 42. Il couvre, en fait, très exactement, selon le décompte de la BRI 233.96 ha dont 148.67 ha, soit 63.5 %, entrent dans la variante nouvelle du programme (BIMAS BAru) et 85.29 ha, soit 36.5°7o dans la variante ordinaire (BIMAS Blasa). Rappelons que la surface ensemencée en paddy couvre environ 250 ha, à ce moment-là. La surface moyenne par emprunteur est donc exactement de 9 068 m2. 43. On peut estimer qu’environ 80 à 100 ha de tegal ont été ensemencés en paddy lors de cette saison culturale, la plupart entre janvier et mars, c’est-à-dire dans la seconde moitié des six mois de pluies. Il est à noter que la BRI n’a pas fait de différence entre les deux catégories de terre en enregistrant les emprunts, ce qui ne facilite pas précisément la tâche de celui qui essaye de démêler cet imbroglio socio-économique. De plus, il n’est pas impossible que certains emprunteurs possédant à la fois du sawah et du tegal aient enregistré auprès de la banque la superficie totale additionnée des deux catégories de terre dont ils étaient propriétaires, même si par la suite ils n’en ont en fait cultivé qu’une partie en paddy. Bref, la complexité d’un écosystème où l’on a des cas de simple, double et triple propriété combiné avec le flou qui semble avoir caractérisé la procédure d’enregistrement des emprunts rendent les choses bien peu transparentes. 44. Pour beaucoup le premier risque étant simplement d’oser cultiver du paddy, le fait de contracter un emprunt auprès de la BRI ne venant qu’en seconde position. 45. Le second hameau fournisseur de participants au BIMAS, après Nogosari II qui arrive en tête de tout le village, n’est autre que son frère jumeau Nogosari I avec 50 personnes. Ainsi les deux Nogosari fournissent à eux seuls près de 42 % du total qui s’élève à 258 personnes. Viennent ensuite Karang Asem avec 39 participants et Karang Talun avec 27, tous deux également hameaux de l’intérieur. Le cas de Karang Kulon, hameau situé à mi-pente et nettement plus polarisé que Manggung ou Bendo, est un peu particulier, sa très faible participation s’expliquant en grande partie pour des raisons socio-politiques et socioculturelles. 46. Puisqu’il possède en moyenne 9 068 m2. 201

47. En effet, sur les 3 015 Rp empruntées en moyenne par chaque participant, 740 Rp l’étaient, en « cash » et 2 275 Rp en nature. Cela veut dire que les participants au programme BIMAS appliquaient environ 90 à 100 kilos d’engrais par hectare, soit la moitié de ce qui est recommandé dans la variante nouvelle à laquelle la majorité d’entre eux s’étaient inscrits. Il est par ailleurs intéressant de noter la faiblesse de la composante « cash » par rapport aux deux villages précédemment étudiés. Cela confirme la tendance déjà notée plus haut à voir les paysans de Wukirsari éviter tout gaspillage et investir le plus productivement possible étant donné les conditions critiques du village. Finalement on peut souligner le fait qu’en juin 1973, 326 185 Rp avaient été remboursées ce qui représente un taux de recouvrement d’environ 42 %, score assez faible quand on pense que l’échéance était fixée au mois suivant (juillet) pour la plupart des participants. 48. Ce sont donc principalement les propriétaires fonciers se situant aux alentours du seuil d’indépendance économique et de sécurité psychologique, c’est-à-dire les paysans riches et moyens ainsi que les quelques petits paysans marginaux qui l’approchent de très près, soit environ 15 à 20 % des familles propriétaires du village qui fournissent le gros de l’effectif des participants au programme BIMAS. Les 258 participants inscrits en 1972/73 représentent d’ailleurs 19.7 % du nombre total des propriétaires de sawah et de tegal additionnés, preuve supplémentaire, si besoin était, du bien fondé de notre interprétation. En d’autres termes, si le participant moyen type possède un sawah de taille modeste, il est également propriétaire d’un tegal suffisemment étendu pour lui permettre d’approcher le seuil en question (1.0 S = 1.0 P = 2.0 T) et de courir le double risque sus-mentionné. 49. Environ 1/5 de la superficie de tegal que compte le village est considérée comme tegal oro-oro, c’est-à-dire situé sur des pentes trop escarpées pour qu’il soit possible et rentable de le cultiver. 50. Très exactement 156 ha pour le manioc (ubi kayu ou ketela pohon) et 6 ha pour les patates douces (ubi manis ou ketala rambat). 51. Très exactement 66 ha pour l’arachide (katchang tanah), 18 ha pour les petits pois verts (katchang ijo) et 36 ha pour les autres types de pois et haricots divers (katchang lain2). 52. On comptait également cette année-là 7 ha plantés en arbres fruitiers et 2 ha cultivés en légumes verts. 53. Où ils variaient entre 7 et 9 qx/ha. 54. Il y avait, par exemple, 203 vaches pour 226 familles à Nogosari II. 55. Wukirsari fait bien entendu partie de ces zones critiques et entre 1969 et 1972 environ 100 ha ont été reboisés chaque année avec des crédits spéciaux du programme INPRES (INstruksi PRESiden ou Instruction Présidentielle). En règle générale ces 100 ha sont constitués pour moitié de bois de chauffage (kayu bakar), pour 1/4 de bois de construction (kayu bangunan) et pour 1/4 d’arbres fruitiers pérennants (pohon buah2-an). 56. Il y avait par contre 7 353 poules soit en moyenne environ 3 par famille. 57. C’est en effet dans ce district que l’essentiel de son action est concentré. Elle loue cependant quelques centaines d’hectares dans le district voisin de Sleman et s’est lancée à partir de 1976 dans des actions d’aménagement hydraulique à Kulon Progo et Gunung Kidul, les 2 districts ruraux les plus critiques de la province de Yogyakarta, où elle envisageait d’introduire la culture de la canne. 58. Les javanais considèrent eux-mêmes que le fait de consommer ce qu’ils appellent du « riz mélangé » (nasi campur) est en signe de pauvreté. 59. Il y avait, en 1972, 2 202 maisons à Wukirsari dont 436 en dur, 496 en semi-dur, 538 en bois et 732 en bambou. 60. Contre 149 à Tirtonirmolo et 48 à Timbulhardjo. 61. Contre 487 à Tirtonirmolo et 348 à Timbulhardjo. 62. On ne compte, en effet, que 71 chrétiens sur les 10 419 habitants du village. 63. Bersih desa. 202

64. Ou pour d’autres occasions comme la fête de l’indépendance nationale. 65. Il est intéressant de noter que la Muhammadiyah, organisation proche de la tendance moderniste de l’Islam, n’est pratiquement pas représentée à Wukirsari, alors qu’elle est très puissante dans le village voisin de Sriharjo. 66. Karang Kulon ne fournit en 72/73 que trois participants au programme BIMAS. 67. Soit 58 des 139 propriétaires. 68. Soit 48 sur 138 couples, dont 16 avec un stérilet. 69. Dont 13 à Karang Kulon, 11 à Nogosari II, 12 à Manggung 12 à Bendo et 1 en dehors de notre échantillon de 4 hameaux. 70. Kayu bakar. 71. Ce que nous n’avons jamais rencontré dans les deux précédents villages. 72. A côté d’un peu de fumier de vache, il applique 50 kg d’urée sur ses 5 000 m2. 73. 2 500 m2 en IR 5 et 2 500 m2 en Cempo Java. 74. Il faudrait pour cela que la famille Iro dispose de 550 kilos de riz. 75. La famille consomme donc chaque année 250 kg de riz et 1 000 kg de manioc. 76. Cela représente 19 000 Rp pour le riz (250 kg à 76 Rp/kg) et 18 000 Rp pour la manioc (1 000 kg à 18 Rp/kg). 77. Environ 2 000 Rp dont 1 330 Rp pour les engrais et 600 Rp pour les pesticides (endrin). 78. Il paye 550 Rp d’IPEDA chaque année. 79. Soit 128 000 Rp de revenu brut (500 kg de riz à 76 Rp et 5 000 kg de manioc à 18 Rp) moins 37 000 Rp d’autoconsommation, 2 000 Rp d’engrais et de pesticides et 550 Rp d’IPEDA. Reste très exactement un revenu net annuel de 88 450 Rp. 80. Il y a toujours dans le jardin d’un javanais au moins un mât d’une dizaine de mètres de haut au sommet duquel on peut fixer, à l’aide d’une corde et d’une poulie, la cage en osier dans laquelle gazouillent ses oiseaux favoris qui sont ainsi mis à l’écart des dangers terrestres et profitent de la moindre brise agitant la cime des cocotiers. Le marché aux oiseaux (Pasar Burung) de Yogyakarta est un haut lieu de délassement et d’émerveillement où se pressent en permanence petits et grands. 81. Il n’est pas rare qu’il se rende à Sumatra, à Célèbes et même aux Moluques, paradis des oiseaux, ce qui donne une idée de son esprit d’entreprise. 82. Il les revend en fait à Yogyakarta où les débouchés sont plus grands. 83. Le cuir est d’abord tendu par des lanières puis la silhouette de la marionnette dessinée et découpée. Ensuite l’artiste la travaille avec délicatesse en l’ajourant jusqu’à ce qu’elle ne soit plus qu’une fine dentelle vue en contre-jour. La plupart du temps ce sont d’autres artistes qui peignent ces marionnettes et non pas celui qui l’a ciselée. 84. Il fabrique environ 100 marionnettes par an faisant un bénéfice net de 250 Rp sur chacune d’entre elles. 85. Soit 90 000 Rp de revenu agricole net, 45 000 Rp provenant du commerce des oiseaux et 25 000 Rp tirés de la fabrication des marionnettes. C’est grâce à ce revenu annuel assez élevé qu’il a pu finalement acheter les 2.5 ha de tegal qu’il possède. Ce dernier se vend 50 Rp le m2 à Nogosari contre 150 Rp le m2 pour le sawah. Il lui a donc fallu débourser 1 250 000 Rp pour s’en porter acquéreur, une somme qui n’est pas à la portée de tout le monde à Wukirsari. 86. Les paysans riches de Tirtonirmolo et de Timbulhardjo que nous avons rencontrés avaient un revenu annuel net au minimum deux fois plus élevé que celui de Pak Iro. 87. En l’occurrence la méthode des préservatifs, qui n’est pourtant pas très populaire chez les couples javanais. 88. La récolte et la fabrication du gula kelapa sont très répandues dans ce village faisant partie du même sous district qui a été étudié en détail par Penny et Singarimbun. 89. II utilise du IR 5 et applique 15 kg d’urée et 5 kg de TSP par récolte sur son sawah de 1 000 m2 ce qui correspond à la quantité prescrite par le BIMAS de 2 qx/ha. 203

90. Qui tourne autour de 30 qx/ha. 91. Soit en tout 3 000 Rp par an, dont 1 200 Rp pour la main-d’œuvre extérieure (2 labours à 300 Rp pour chacune des deux récoltes), 1 200 Rp pour les engrais (20 kilos à 30 Rp le kilo pour chacune des 2 récoltes), 400 Rp pour les pesticides et 200 Rp pour l’IPEDA. 92. Il vend chacune de ses récoltes sur pied 14 000 Rp au tengkulak ce qui lui donne un revenu annuel brut de 28 000 Rp duquel il faut déduire les 3 000 Rp susmentionnées. A noter, que s’il récoltait lui-même son sawah et vendait directement les 200 kilos de riz qu’il en tire il obtiendrait 15 200 Rp par récolte (200 kg x 76 Rp/kg). Le bénéfice brut du tengkulak est donc de 1 200 Rp par récolte, c’est-à-dire en l’occurrence de 600 Rp par quintal de riz. Il doit bien évidemment encore payer sur cette somme la main-d’œuvre qu’il emploie ainsi que le décorticage. 93. Soit 20 000 Rp du pekarangan et 25 000 Rp du sawah. 94. Soit 10 kilos par mois pour chaque membre de la famille. 95. Soit 45 000 Rp de revenu agricole net et 48 000 Rp de salaire annuel. Cela représente un revenu mensuel net de 7 750 Rp, soit moins de 20 US $ par mois. 96. Si la terre prise au bord de la rivière est gratuite, il faut encore déduire de cette somme le prix du bois nécessaire pour chauffer le four. 97. Le fameux système usuraire connu sous le nom de idjon qui fait des ravages auprès de la petite paysannerie javanaise, forcée de vendre son paddy à vil prix parfois avant même de l’avoir repiqué, est également appliqué à ce type d’activité artisanale, ainsi qu’à beaucoup d’autres et, très souvent, les tuiles sont vendues à moitié prix, 0.75 Rp pièce, avant même d’être fabriquées, afin de rembourser un emprunt antérieur. 98. Un kilo et demi de riz coûtant 114 Rp, il reste effectivement fort peu pour le reste. 99. A Java comme ailleurs, ce sont souvent les plus démunis qui font preuve de la plus grande générosité, rien de surprenant à cela. 100. Il rentre le moins souvent possible à son domicile afin d’éviter les frais de transport. 101. Ni l’un, ni l’autre ne pouvant garantir leur salaire plus de 4 jours par semaine, on peut estimer que le revenu annuel net de la famille Bisri tourne autour de 40 000 Rp. 102. Les salaires agricoles journaliers variaient entre 80 Rp pour un bineur-sarcleur et 25 Rp pour une repiqueuse en 1973 à Wukirsari. Les ouvriers agricoles touchant ces salaires ne recevaient aucune nourriture en supplément. 103. ELIZA RUHAMAH SCIDMORE fit par exemple paraître à New York chez les éditions The Century Co, en 1898, un ouvrage de vulgarisation intitulé, Java : The garden of the East. 104. Gunung veut dire montagne et seribu signifie mille. Dans cette région particulièrement misérable, la quête de l’eau constitue la principale activité des villageois pendant toute la saison sèche. 204

Chapitre VI. Argodadi : le pekarangan des berges de la rivière Progo

1 Le sous-district de Sedayu est divisé en quatre villages administratifs dont les noms commencent tous par le même toponyme, Argodadi est l’un d’entre eux1. Distant, comme Wukirsari, d’environ 17 km du centre-ville, il n’est pas d’un accès tellement plus facile. Sortant de Yogyakarta par la porte occidentale, on emprunte le grand axe routier méridional de Java Central qui mène tout d’abord à Wates, chef-lieu du district de Kulon Progo2, avant de continuer plus à l’ouest vers Purworejo, Kebumen et Cilacap ou Purwokerto. Au bout de 12 km avalés à grande vitesse vu le magnifique état de la route, à peu près 3 km avant de tomber sur le grand pont métallique qui enjambe la rivière Progo et se prolonge par la longue côte au sommet de laquelle se trouve l’importante bourgade de Sentolo3, on arrive à Sedayu, minuscule centre administratif du sous-district. Là, il faut s’engager vers le sud sur une petite route vaguement asphaltée qui se transforme vite en piste de terre battue. Montées et descentes se succèdent dans un paysage relativement tourmenté et inhabituellement sauvage pour la région. La trompeuse verdeur riante des pekarangan y dominant, il n’est pas aussi facile que c’était le cas à Wukirsari de se faire une première idée de visu du degré de prospérité ou de pauvreté ambiant. Le gymkhana des cahotements dure pendant 5 km et l’on en vient, sachant que la piste serpente longtemps de la sorte avant de déboucher sur la route menant de Bantul à Srandakan, à se demander si l’on n’a pas déjà dépassé le bureau du village quand, au détour d’un virage, on l’aperçoit, camouflé parmi les autres maisons, entièrement semblable à elles, anonyme, sombre et quelque peu délabré. Plus de doute possible : l’opulence n’est pas de mise ici non plus.

Conditions naturelles et densités démographiques

2 Trois anciens villages ont été amalgamés en 1946 pour donner naissance à Argodadi : Sungapan, Dinghihan et Sukohardjo. En 1973, le village était divisé en 14 hameaux dont 4, Selogedong, Sumberan, Demangan et Ngepek furent retenus. Dans l’ensemble, les conditions naturelles de développement agricole peuvent être qualifiées de médiocres et homogènes malgré le fait que les facteurs topographiques et pédologiques soient sensiblement moins défavorables dans toute la bande de terre qui borde la rivière Progo 205

sur une profondeur de quelques cinq cent mètres4. Sur le plan hydraulique, le bilan n’est guère plus positif, 45 ha de sawah seulement bénéficiant d’une irrigation permanente, soit à peine plus de 15 % de la superficie totale de cette catégorie de terre, elle-même des plus limitées puisqu’elle ne couvre que 270 ha environ, moins de 28 % du territoire villageois5. Alors que le tegal joue un rôle très secondaire, ne couvrant que 22.5 ha, soit 2.3 % de la superficie totale du village, c’est le pekarangan qui s’avère contre toute attente, être très largement prépondérant puisqu’il n’occupe pas moins de 662.9 ha, c’est-à-dire près de 69 % de cette dernière6. Déjà fortement ressentie lors du premier contact visuel, cette omniprésence de pekarangan, qui résulte de la combinaison entre l’état accidenté du terrain et la faible fertilité des sols, est la caractéristique majeure de l’écosystème dominant sur les rives de la rivière Progo, les autres villages du sous-district de Sedayu étant d’ailleurs en particulier tous dans le même cas qu’Argodadi7. Le problème, c’est qu’en y regardant à deux fois, on réalise de surcroît bien vite que la luxuriance habituelle du pekarangan n’est plus aussi franche qu’au coeur de la plaine de Bantul et que, prospérant la plupart du temps sur un sol caillaseux et bosselé, il a beaucoup plus souvent l’apparence d’un maquis clairsemé et poussiéreux de faible productivité que d’un coin reconstitué de forêt tropicale aménagée au cordeau. Bref, un village dont le potentiel agricole n’est à priori guère plus brillant que celui de Wukirsari, puisqu’y domine un pekarangan médiocre et que sur le sawah, déjà fort limité, les doubles récoltes annuelles de riz restent l’exception et les rendements moyens dépassent rarement les 30 qx de paddy à l’hectare. Si l’on ajoute à cela qu’à l’instar du précédent village les voies de communication ne sont pas toujours très praticables pendant la saison des pluies, on obtient l’image d’un milieu naturel qui n’est pas sans poser d’importants problèmes aux hommes qui tentent d’y subsister. Ces difficultés objectives ne sont vraisemblablement pas étrangères au fait que la population d’Argodadi ne soit passée que de 7 786 à 7 859 habitants entre les mois de décembre 1971 et 1972, ce qui ne représente qu’un taux de croissance annuel de 0.94 %, à peine plus élevé que celui de Wukirsari8. Cependant, là aussi, cela se traduit par une densité démographique de 813 hab/km2 qui, toute banale qu’elle puisse paraître aux yeux de l’observateur blasé de la société rurale Yogyanaise « en ayant vu d’autres et des meilleures », n’en constitue pas moins une charge humaine plus que critique eu égard au faible potentiel économique du village. Cette densité fait d’ailleurs un bond à 836 hab/km2, si on la calcule uniquement par rapport à la surface arable productive9 et à 894 hab/km2 si l’on exclut de cette dernière les terres communales publiques destinées aux fonctionnaires villageois10. Voyons dès lors quelle forme particulière la répartition de la propriété foncière privée peut bien prendre dans un écosystème aussi singulier.

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CARTE 9 : Pekarangan (P), Sawah (S) et Tegal (T) à Argodadi

Seuils fonciers et accès à la terre

3 Argodadi comptait 1 659 familles fin 197211 dont pas moins de 1 493, soit très exactement 90 %, avaient accès à la propriété foncière, le pourcentage des sans-terre étant donc, avec 10 %, de loin le plus faible des 4 villages du district de Bantul sélectionnés dans le cadre de 207

cette recherche12. Ainsi que le montre clairement le tableau VI. 1, on retrouvait, à quelques nuances près, le même chiffre étonnement bas dans chacun des quatre hameaux étudiés plus en détail avec toutefois, comme à Wukirsari, un degré de polarisation sensiblement plus marqué par rapport au facteur terre dans ceux qui, à l’instar de Selogedong ou Demangan par exemple, jouissaient, relativement parlant, des conditions naturelles de développement agricole les moins favorables13. Ceci dit, de même que dans le précédent village, ce qui compte surtout vu les caractéristiques très particulières de l’écosystème local, c’est de pouvoir se faire une idée sur l’accès à la propriété foncière par catégorie de terre. Etant donné l’importance relative de chacune d’entre-elle dans la superficie totale du village, on découvre sans réelle surprise dans le tableau VI.2 de la page précédente que d’une part, l’accès au sawah est tout de même beaucoup plus restreint que celui au pekarangan et que de l’autre, le tegal, au demeurant totalement absent des quatre hameaux de notre échantillon, joue un rôle parfaitement secondaire dans toute cette affaire.

4 L’étape suivante dans l’analyse des structures agraires consiste à déterminer l’importance relative de chacune des 4 catégories de propriétaires fonciers. En ce qui concerne Argodadi, il suffit simplement, vu les niveaux de productivité caractérisant sawah, pekarangan et tegal, d’appliquer l’équation de conversion élaborée pour Wukirsari14. Le tableau VI.3 donne une image précise de la situation socio-agraire du village. Il en ressort toujours si l’on continue à raisonner par rapport au seul facteur terre, que cette société villageoise des bords de la rivière Progo est fort remarquablement peu polarisée puisque d’une part, 90 % des familles qui la composent ont accès à la propriété foncière et que de l’autre uniquement 14.3 % d’entre-elles se situent au-dessus du seuil des 1.0 ha, ne contrôlant en tout et pour tout qu’approximativement 25 % de la superficie totale de pekarangan, sawah et tegal, les 85.7 % qui sont au-dessous se partageant les 75 % restant15. Bien que ce phénomène, fort homogène, concerne l’ensemble du village d’Argodadi, il est à noter que le degré de polarisation, ainsi que cela a déjà été succinctement mentionné plus haut, est légèrement plus accentué dans des hameaux moins bien lotis tels Selogedong ou Demangan, comme on peut le constater dans le tableau VI.4. Par delà toutes ces nuances, certes fort révélatrices de la diversité ambiante des communautés rurales javanaises, mais parfois quelque peu sibyllines, un fait majeur s’impose une nouvelle fois crûment : l’énorme prépondérance de la paysannerie marginale et sub- 208

marginale. Il ne reste alors plus qu’à tenter derechef la remontée en solitaire des multiples sources imperceptibles et fugaces qui permettent à tout un petit peuple farouche et ingénieux de demeurer tant bien que mal à flot, la tête à peine hors de l’eau.

Gamme des diverses occupations professionnelles

5 Partons une nouvelle fois du haut de l’échelle en commençant avec le corps des fonctionnaires villageois, encore moins étoffé que celui de Wukirsari puisqu’il ne 209

comptait que 25 membres en 197316. Les parcelles de terre publique qui leur sont allouées étant par contre nettement plus étendues que dans le précédent village, on peut considérer que tous ces élus locaux appartiennent au minimum à la catégorie des paysans moyens, ce d’autant que la plupart ont également accès à la propriété privée. C’est en particulier le cas des 14 chefs de hameaux dont le moins bien loti, celui de Ngepek, dispose tout de même d’un sawah public d’environ 7 000 m2 à côté d’une rizière de 2 000 m 2 qu’il possède en propre et de son pekarangan privé de plus de 2 500 m2. Le chef du village et ses plus proches collaborateurs font quant à eux indubitablement partie de la paysannerie aisée avec leur parcelle de sawah public variant entre 2 et 3 ha, même quand elle est située comme c’est habituellement le cas dans une zone mal irriguée ne portant qu’une seule récolte annuelle17. Bref, sans être aussi lucratifs que les postes de fonctionnaires des villages du coeur fertile de la plaine de Bantul, ceux des rives du fleuve Progo le sont indubitablement plus que ceux des contreforts du plateau de Gunung Kidul. Le fait que le chef du village ait pu depuis 1946, année de son élection, se porter acquéreur de 2 000 m2 de sawah et de 5 000 m2 de pekarangan en constitue une preuve tangible. Ces postes sont donc comme de coutume fort convoités mais, peu nombreux et rarement repourvus18, ils n’offrent bien évidemment de débouchés qu’à une poignée d’heureux élus, dans le double sens du terme. Ce qui est peut être plus surprenant est qu’il en aille de même en ce qui concerne les autres types d’emploi dans la fonction publique, puisque l’on ne dénombrait en tout et pour tout que 34 fonctionnaires salariés de l’administration, en 1973, dans tout le village, la grande majorité travaillant dans le domaine de l’éducation primaire. Cette faiblesse marquée du secteur tertiaire constitue probablement l’indicateur le plus révélateur de l’isolement et du sous-équipement d’Argodadi.

6 Que les activités agricoles soient très largement prépondérantes et que ce soient les exploitations familiales autosuffisantes en main-d’oeuvre qui dominent ce secteur économique n’a rien de surprenant vu la nature fort égalitaire de structures foncières du village. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que les possibilités d’emploi pour les métayers et les ouvriers agricoles y soient très étendues. Toutefois, la proportion de ces derniers est nettement plus élevée qu’à Wukirsari, village pourtant sensiblement plus polarisé. C’est uniquement le pekarangan en tant qu’élément dominant de l’écosystème de cette région onduleuse des bords du fleuve qui explique ce phénomène à priori contradictoire. La production de sucre de cocotier19 est en effet assez répandue à Argodadi, puisqu’on ne recensait pas moins de 571 petites exploitations familiales de ce type en 1972, et un nombre non négligeable de paysans sans terre, travaillant parfois comme ouvriers salariés mais surtout comme métayers, survivent en récoltant et fabriquant cette denrée alimentaire très populaire, sur le pekarangan des autres. Nombre de familles de paysans marginaux et sub-marginaux dont l’occupation principale demeure la culture en sawah, mais qui sont dans l’obligation d’exercer une ou plusieurs activités secondaires pour joindre les deux bouts, mettent d’ailleurs également leur propre pekarangan en valeur de cette manière-là. A côté de cela, la pêche joue un rôle non négligeable pendant la bonne saison, surtout dans les hameaux situés au bord de la rivière comme Demangan.

7 Pour ce qui est des activités non directement liées au secteur primaire, qu’elles soient principales ou secondaires, on peut noter qu’à l’instar de ce qui nous avait frappé à Wukirsari, elles varient beaucoup d’un hameau à l’autre, donnant même naissance à de véritables spécialisations sub-villageoises. C’est ainsi que la fabrication des tuiles est très développée à Selogedong et Sumberan20, alors qu’une bonne partie de la population tresse 210

des paniers et des nattes en bambou à Ngepek et que l’on tisse des petites serviettes en coton à Sungapan ou à Sukohardjo21. Toutes les tendances majeures concernant la situation globale de l’emploi à Argodadi sont assez nettement corroborées par les chiffres alignés dans le tableau VI.5 de la page suivante, qui montre de surcroît que les différences structurelles maintes fois mentionnées existant entre les hameaux se reflètent également à ce niveau de l’analyse. Il est intéressant de noter, nouvelle preuve flagrante du relatif isolement du village, combien le rôle du petit commerce de détail reste marginal en tant qu’occupation principale à Argodadi22. On voit par contre dans le tableau VI.6 qu’il joue un rôle majeur en tant qu’activité annexe, venant juste bon second derrière le label fourre-tout intitulé « ouvriers ». En fait, si l’on considère le problème dans son ensemble, on se voit confirmer d’éclatante manière, après les premiers indices glanés à Wukirsari23, combien les activités annexes et secondaires peuvent être déterminantes dans les villages jouissant d’aussi mauvaises conditions de développement agricoles qu’Argodadi. Voyons d’ailleurs le plus près à quoi ces dernières ressemblent réellement. 211

Tour d’horizon de l’agriculture et de ses problèmes.

8 La double récolte annuelle de riz est tout à fait exceptionnelle à Argodadi où elle reste l’apanage des quelques rares privilégiés qui ont la chance de posséder un sawah situé juste à côté de ce qui reste de l’ancienne infrastructure d’irrigation hollandaise24, voire même d’une source naturelle comme c’est le cas à Sumberan25. La grande majorité des paysans qui mettent en valeur leur sawah ou celui d’un autre doivent donc se contenter de faire une seule culture annuelle de riz en saison des pluies, se rabattant, en règle générale, et quand les conditions pédologiques et athmosphériques le permettent, sur une culture vivrière secondaire comme le soja, l’arachide ou le maïs en saison sèche. Et encore avons- nous à faire là aux moins mal loti d’entre-eux, car un nombre non-négligeable dispose d’un sawah de si médiocre qualité qu’il est totalement exclu de pouvoir y pratiquer la riziculture à quelque moment de l’année que ce soit. En fait, les conditions d’exploitation de ces sawah misérables s’apparentent d’assez près à celles du tegal, catégorie de terre dans laquelle ils devraient logiquement être reclassés26. Au meilleur des cas on y enchaîne donc simplement deux maigres récoltes de palawija et au pire, situation malheureusement encore trop fréquente, une seule et unique, le sawah restant en friche comme le plus vulgaire des tegal 6 à 8 mois par an, à moins que l’on se résolve, en désespoir de cause, à occuper le terrain avec une plante de plus longue maturation comme le manioc27. En raison de tout cela, le taux moyen d’intensité de culture calculé sur la période 1969-1972 atteint tout juste 127 % à Argodadi, soit à peine plus d’une récolte un quart par rapport à la surface arable théorique du village28. Comme à Wukirsari, on observe toutefois des différences très notables d’une année à l’autre, elles-mêmes dues aux variations climatiques. C’est ainsi qu’en 1969, année globalement la plus sèche de notre échantillon quadriennal d’observation, la surface totale récoltée n’est que de 363 ha contre respectivement 402 et 396 ha en 1970 et 1971, années nettement plus humides, pour re- dégringoler à 328 ha, son niveau le plus bas, en 1972, année où la saison sèche à de l’avis général été particulièrement dévastatrice29. Paradoxalement, le paddy, essentiellement cultivé en saison des pluies, n’est absolument pas touché par ces variations climatiques 212

qui affectent uniquement les cultures de saison sèche. Entre 1969 et 1972, il occupe donc, avec 203 et 207 ha chaque année, entre 51 et 62 % de la surface totale récoltée, la part des palawija tombant de 49 % en 1970 à 38 % seulement en 1972, alors que la canne à sucre, jusque là totalement absente des champs du village, se préparait à y faire son apparition au moment où nous y menions notre enquête en 197330. Examinons séparément chacune de ces trois grandes catégories de culture.

9 Dès que l’on se penche d’un peu plus près sur le problème du paddy, on s’aperçoit que si la surface cultivée et récoltée reste étonnement stable tout au long de la période de 4 ans qui nous intéresse, il en va de même, chose nettement moins positive, pour la productivité à l’hectare. Ceci est d’autant plus préoccupant que les rendements sont encore fort bas ne dépassant que dans de très rares exceptions le seuil de 30 qx/ha, tombant souvent en dessous de 15 qx/ha et se situant en moyenne aux alentours de 20-25 qx/ha. Pourtant, une bonne partie des paysans riziculteurs d’Argodadi utilise déjà des nouvelles variétés puisqu’en 1972, plus de 80 ha, soit près de 40 % de la surface de paddy récoltée, avaient été ensemencés en IR 8, dix fois plus qu’en 196931. Il ressort d’ailleurs assez clairement des interviews réalisées dans les hameaux sélectionnés, en particulier à Ngepek et Sumberan, que tous ceux qui continuaient à s’en abstenir ne pouvaient simplement pas faire autrement vu les conditions d’irrigation de sawah dans lesquels cela eut été parfaitement absurde32. De plus, mis à part quelques très rares exceptions d’autant plus surprenantes, l’immense majorité de ces riziculteurs suit assez fidèlement les cinq principes de culture prônés par les autorités agricoles et applique entre autre régulièrement, quel que soit le type de semence utilisé, des engrais chimiques en quantité plus que suffisante variant la plupart du temps entre 150 et 250 kg/ha33. Bref, on voit que cela n’est pas faute de se donner du mal et de tenter l’impossible que les rendements rizicoles stagnent à un aussi bas niveau dans le village puisqu’en fait, presque tous les paysans peuvent au minimum être considérés comme d’actifs participants au programme INMAS34. D’ailleurs le programme BIMAS rencontre également de son côté un assez franc succès puisque, lancé relativement tardivement lors de la saison des pluies 1970/71, il couvre d’emblée plus de 72.2 ha35, surface qui passe en l’espace de deux ans à 123.5 ha lors de la campagne de crédit 72/7336, ce qui représente tout de même plus de 45 % de la surface totale de sawah théoriquement disponible à Argodadi37 et environ 60 % du nombre d’hectares récoltés en paddy chaque année38. On voit par contre qu’il ne regroupe à cette date que 264 emprunteurs, soit tout juste 26 % des propriétaires de sawah du village39, mais que ce chiffre correspond d’autre part d’assez près au nombre total des propriétaires fonciers situés au-dessus du seuil d’indépendance économique et de sécurité psychologique40. Que la superficie moyenne par emprunteur soit de 4 678 m2 lors de la campagne de crédit en question41 n’est aucunement la preuve que la petite paysannerie marginale participe plus activement au programme BIMAS que cela n’est le cas dans les trois villages précédemment analysés. Les interviews réalisées dans les hameaux montrent en effet que la plupart de ces emprunteurs possèdent à côté de leur sawah une vaste parcelle de pekarangan les-faisant largement passer dans la catégorie des paysans moyens et riches. Quand on se penche sur l’origine des emprunteurs par hameau lors de la campagne de crédit 1972/73, on s’aperçoit au demeurant, nouvelle preuve à conviction importante, que leur nombre est fort proche dans chacun d’entre eux de celui des propriétaires fonciers situés au-dessus du fameux seuil. C’est ainsi qu’en ce qui concerne notre échantillon d’enquête, Selogedong arrive largement en tête avec 17 emprunteurs, suivi par Demangan avec 10, Sumberan avec 8 et Ngepek avec 5 seulement. 213

On retombe donc de nouveau à Argodadi, village pourtant caractérisé par un écosystème assez nettement différent des trois précédemment analysés42, sur la même corrélation familière maintes fois identifiée et disséquée selon laquelle l’accueil réservé par une société villageoise quelconque à la politique de modernisation agricole mise sur pied par le gouvernement est directement proportionnel au nombre de paysans qui ont les moyens de l’accueillir. Ceci dit, il est intéressant de souligner que le niveau économique moyen des emprunteurs semble être encore plus bas à Argodadi qu’à Wukirsari puisque la somme d’argent globale déboursée par la banque lors de la campagne de crédit 1972/73 ne s’élève qu’à 679 000 Rp, soit à peine 2 572 Rp par participant, et que plus de la moitié de ce montant est octroyé « en cash »43. Nous aurons l’occasion de revenir en détail plus loin sur le très bas niveau de vie caractérisant le village dans son ensemble.

10 Du côté des cultures vivrières secondaires (palawija), les choses sont heureusement plus simples à exposer. Nous avons déjà vu plus haut combien elles pouvaient dépendre de manière draconienne des conditions atmosphériques plus ou moins favorables marquant chaque saison sèche, puisque leur surface récoltée, tombant de 195 à 125 ha, a diminué de plus de 35 % entre 1970 et 1972. Il suffit d’ajouter à ce bilan globalement négatif que le maïs joue régulièrement les premiers rôles en occupant plus de la moitié de la surface annuelle récoltée, l’autre moitié étant, en règle générale, divisée à parts égales entre le soja et le manioc. Les rendements sont quant à eux fort médiocres sur toute la ligne, variant entre 7 et 8 qx/ha pour le maïs, 6 à 7 pour le soya et 4 à 5 t/ha pour le manioc44. Pourtant les paysans d’Argodadi apportent, ainsi que tous ceux qui vivent dans des zones mal irriguées d’où la riziculture continue est bannie, un soin certain à ces cultures vivrières secondaires particulièrement vitales pour eux. Ils y appliquent par exemple systématiquement de petites quantités d’engrais chimiques et surtout force fumier animal45. Comme à Wukirsari, cela est uniquement rendu possible par la présence, dans un village où les hommes disposent encore d’un peu de place et de temps libre pour le bétail, d’assez forts cheptels bovin, caprin et ovin. On ne comptait, en effet, pas moins de 791 vaches46, 687 chèvres et 426 moutons à Argodadi en 1972, soit sensiblement plus par habitant que dans le précédent village analysé pourtant lui-même déjà assez remarquable de ce point de vue47. L’élevage constitue d’ailleurs, à côté de la pêche en rivière, une source de revenu secondaire non négligeable dans un environnement aussi difficile48. Afin que ce tour d’horizon des problèmes agricoles soit complet, il convient enfin de souligner une nouvelle fois combien la production des pekarangan, bien qu’elle soit difficilement quantifiable à l’échelle de tout un village administratif de cette taille49, joue un rôle déterminant dans la stratégie de survie de nombreuses familles paysannes, tout particulièrement le bambou50 et le sucre de cocotier.

11 Passons à la canne, troisième et dernière de nos trois grandes catégories de culture. En fait, bien qu’il soit impossible d’apercevoir l’ombre de la moindre canne à l’horizon quand nous sillonions les chemins poussiéreux d’Argodadi en août 1973, nous apprîmes bien vite qu’elle préparait une entrée fracassante dans le village pour la prochaine saison des pluies puisqu’il était prévu qu’elle occuperait 92 ha en 1973/74, soit près de 35 % du sawah disponible. Les raisons d’une aussi impressionnante et subite percée sont liées au problème crucial de l’irrigation et méritent d’être contées par le détail. Depuis de nombreuses années, certains parmi les plus dynamiques des fonctionnaires locaux, le chef du sous-district de Sedayu à leur tête, avaient entrepris de contacter les autorités du district et de la province afin d’attirer leur attention sur l’urgence qu’il y avait à remettre sur pied une infrastructure hydraulique comparable à celle que les Hollandais avaient 214

laissé avant de partir51, hors de portée des capacités financières et techniques propres d’un village comme Argodadi. Ces contacts débouchèrent finalement, en 1971, sur la mission d’étude d’un expert des Pays-Bas qui, excluant l’idée de barrages ou de puits tubés, trop coûteux et techniquement complexes sinon impossibles, se borna à recommander l’installation d’un système de pompage de l’eau dans la rivière, en tout point similaire à celui que ses compatriotes avaient construit dans la première moitié du siècle. Malheureusement, les instances administratives qui avaient commandé cette étude et étaient susceptibles de financer la construction d’un tel ouvrage retombèrent dans leur léthargie sans plus donner signe de vie, malgré d’incessantes démarches. Ayant entendu dire que la raffinerie sucrière de Madukismo, toujours prête à étendre son périmètre d’exploitation dans le district de Bantul, avait déjà accepté de financer certains travaux d’infrastructure hydraulique dans des villages voisins moyennant la fourniture par ces derniers d’un quota annuel de sawah pendant un laps de temps donné et à un loyer préférentiel52, le chef du sous-district de Sedayu décida de se tourner vers elle. Le marché fut en fin de compte conclu début 1973 dans les termes suivants : Madukismo financerait l’installation de la station de pompage et la réhabilitation du réseau d’irrigation ainsi que leur entretien, le tout estimé à un montant global d’environ 15 millions de Rp, alors qu’Argodadi louerait en contrepartie pendant 10 années consécutives un minimum de 60 ha de sawah par an à la raffinerie au prix agrée de 65 000 Rp/ha chaque 14 mois. Ce loyer fort bas n’est évidemment pas comparable à ceux pratiqués par Madukismo dans les trois villages précédemment analysés53. Néanmoins le marché n’était, globalement parlant, pas si défavorable pour Argodadi car d’une part, il était stipulé dans l’accord que toutes les installations réalisées lui reviendraient de droit en propriété publique au bout de ces dix ans de contrat et de l’autre, la raffinerie s’engageait de surcroît a participer financièrement a la réparation de la route et des chemins desservant le périmètre irrigué par la pompe. Comme il était prévu que cette dernière, d’une capacité de 900 lt/s, couvrirait environ 180 ha de sawah répartis dans 8 des 14 hameaux du village54, les paysans avaient de plus l’assurance de pouvoir pratiquer une double culture annuelle de paddy sur les 120 ha qui n’étaient pas contractuellement réservés à la canne. Ceci était au demeurant nommément prévu noir sur blanc dans le protocole d’accord qui comprenait toutefois une clause selon laquelle l’eau pompée dans la rivière Progo, 24 heures sur 24 pendant la saison sèche serait distribuée gratuitement dans les sawah portant des cultures vivrières mais de nuit uniquement, la canne se voyant bien sûr octroyer la priorité de jour. Bref, en août 1973, on avait vraiment l’impression d’avoir à faire à un exemple particulièrement intéressant d’une collaboration économique méritoire et fructueuse, en un mot presque modèle, entre deux partenaires ayant pourtant des intérêts traditionnellement antagonistes dans le district. De fait, les choses semblaient même aller si bien entre les paysans et la raffinerie que cette dernière n’avait apparemment eu aucune difficulté à louer 92 ha de sawah pour sa première campagne sucrière, soit 30 % de plus que le quota fixé55. On pouvait sans aucun doute déjà se demander si cette lune de miel durerait pendant 10 ans car, sous les perspectives alléchantes ouvertes par cet accord, se profilaient déjà tous les éléments majeurs du conflit classique opposant, aujourd’hui comme hier, la canne au paddy dans les campagnes du Kejawèn56. Il faut cependant bien avouer que cette interrogation était quelque peu prématurée vu qu’à cette époque, la canne n’étant toujours pas plantée et la pompe ne fonctionnant pas encore, les perspectives alléchantes susmentionnées restaient elles-mêmes une musique d’avenir, Argodadi continuant, comme par le passé, à faire face à des problèmes de 215

pauvreté au moins aussi accentués qu’à Wukirsari en attendant leur éventuelle réalisation 57.

Pauvreté économique et tendances socio-politiques

12 Il ne faut pas bien longtemps pour glaner une imposante collection d’indicateurs de pauvreté à Argodadi. Comme dans le précédent village analysé, le plus significatif d’entre eux demeure le faible taux de croissance démographique58, lui-même résultat d’une combinaison subtile entre des cas de stérilité anormalement nombreux, une fécondité qui est loin d’être galopante, une mortalité assez élevée, en particulier chez les enfants, et un exode rural supérieur à la norme touchant surtout les jeunes. C’est ainsi que lors de nos pérégrinations, nous avons été surpris de rencontrer plusieurs jeunes couples désespérés de ne pas encore avoir d’enfant après 4 ou 5 années de mariage59, alors qu’environ la moitié des femmes âgées de 30 à 40 ans n’avaient pas plus de 3 enfants dans les 4 hameaux étudiés en détail, un phénomène relativement surprenant que n’explique en tous cas pas la prévention des naissances car, à l’exception peut-être de Demangan et Selogedong, le programme de planning familial reste très marginal à Argodadi60. Par contre la mortalité infantile fait des ravages, surtout chez les plus pauvres, et il n’est pas rare d’apprendre de la bouche d’un paysan sans-terre que la moitié de ses enfants nés sont morts en bas-âge61. De plus, nombreux sont les chefs de famille âgés de plus de 40 ans qui vous expliquent qu’un ou plusieurs de leurs enfants sont partis tenter leur chance à Yogya ou Jakarta quand ils n’ont pas carrément décidé de « transmigrer » à Sumatra ou Sulawesi ainsi que nous en avons relevé quelques cas à Sumberan en particulier62. Le niveau nutritionnel très aléatoire qui caractérise la plupart des familles prolétaires du village, chez qui l’on mange plus souvent du manioc que du riz et où le goût de la viande et des œufs est pratiquement inconnu, a évidemment beaucoup à voir avec la plupart des facteurs qui expliquent ce faible taux de croissance démographique. D’ailleurs, les signes de malnutrition comme le rachitisme sont très courants à Argodadi où, sur le plan santé, la situation n’est globalement pas très brillante, les maladies des yeux étant en particulier très répandues chez les enfants. Bref, une pauvreté marquée sur toute la ligne, pauvreté qui est à notre avis fortement accentuée par l’isolement et le sous-équipement du village puisqu’en cas d’urgence, ou ne serait-ce que pour le moindre des achats sortant du plus banal des ordinaires quotidiens, il faut au minimum se rendre à Sentolo, bourgade distante de 7 à 12 km selon le hameau où l’on vit, quand cela n’est pas à Bantul, chef-lieu du district, qui semble encore plus éloigné vu l’état de la route63. Cette pauvreté transpire d’ailleurs au niveau des nouveaux indicateurs de prestige social utilisés dans l’analyse des situations des trois précédents villages. C’est ainsi qu’en 1972, 61 % des maisons d’Argodadi étaient encore intégralement construites en matériau végétal, contre 28 % en semi-dur et seulement 11 % entièrement en dur64. Il est vrai que d’un autre côté on trouve tout de même 860 bicyclettes dans le village, soit environ une pour 2 familles, c’est-à-dire sensiblement plus qu’à Wukirsari65, mais le nombre des radios s’élève quant à lui en tout et pour tout à 46 et celui des motos à... une seule et unique machine66. Pour tout dire, il n’est pas absolument impossible que cela reflète au moins autant un moindre degré d’aliénation de la population villageoise par rapport à un nouveau mode de consommation ostentatoire d’origine essentiellement urbaine qu’un niveau de pauvreté supérieur mais, dans un cas comme dans l’autre, cela renforce singulièrement la thèse sur l’importance déterminante de l’isolement du village qui n’apparaît plus seulement 216

comme étant physique (géographique) mais aussi, et peut être surtout, comme non- physique (culturel). Voyons précisément quelles incidences ce double isolement peut bien avoir sur la vie socio-religieuse et socio-politique d’Argodadi.

13 Comme à Wukirsari, la très vaste majorité de la population déclare officiellement adhérer à l’islam à Argodadi puisque, mis à part les musulmans, on y recense seulement 2.4°/o de chrétiens67. Cependant, contrairement à ce qui était le cas dans le précédent village, pratiquement divisé à parts égales entre musulmans rigoureux et nominaux, la situation socio-religieuse est infiniment plus homogène. On peut en effet considérer qu’au moins 4/5 des musulmans d’Argodadi pratiquent dans les faits un islam javanisé de type abangan, le rigorisme santri68, lui-même écartelé entre les deux tendances conservatrice et modernisatrice, restant très minoritaire en fin de compte. Il est certain que l’isolement géographique et culturel du village n’est pas totalement étranger à ce phénomène. D’ailleurs, si l’on se souvient bien, le courant abagan de Wukirsari était essentiellement localisé dans les hameaux les plus isolés de l’intérieur, alors que ceux du bord de route étaient pratiquement tous fortement santri. Cette domination de l’islam nominal se traduit à Argodadi, comme partout ailleurs, par l’importance très grande qui est attachée au respect de toutes les croyances et pratiques javano-mystiques mais, vu le double isolement du village, ces dernières débouchent elles-mêmes, point particulièrement positif et intéressant, sur une vie culturelle autonome remarquablement riche et active, le nombre des groupes et associations de musique, de danse et de théâtre divers étant de loin plus élevé qu’à Tirto-nirmolo, Timbulhardjo ou Wukirsari par exemple69. Par contre, sur le plan socio-politique, cela aurait plutôt tendance à s’exprimer sous la forme d’un conservatisme apathique de nettement moins bon aloi qui repose lui-même sur le traditionnel principe paternaliste javanais selon lequel ceux qui ont le pouvoir, étant par définition dans le vrai, toute forme de contestation de leur légitimité est totalement incongrue70. Le résultat des élections générales de 1971 confirment largement cette attitude conventionnelle du village puisque le Parti gouvernemental officiel GOLKAR est littéralement plébiscité avec 85.5 % des suffrages contre seulement 10°7o au Parti NU représentant la tendance conservatrice de l’islam et 4 % à son frère rival moderniste PARMUSI, les deux formations politiques chrétiennes71 se partagent les miettes restantes72. A vrai dire, un tel soutien « franc et massif » au parti présidentiel nous a quelque peu surpris de prime abord, d’autant plus qu’il était ouvertement affiché au mur du bureau de village et même revendiqué fièrement par plusieurs des personnes interviewées, toutes choses auxquelles nous n’avions, ô grand jamais, été confronté auparavant au cours de nos innombrables pérégrinations aux quatre coins du district de Bantul73. Nous apprîmes bientôt que certaines raisons, que l’on pourrait à la limite taxer d’objectives, expliquaient en grande partie ce phénomène peu commun puisque le président Suharto est natif de Kemusu, hameau du village voisin d’Argomulyo, et que l’une de ses soeurs, vivant désormais la plupart du temps à Jakarta, possède toujours une très belle maison à Argodadi même, très exactement à Selogedong où vit encore de manière permanente son fils aîné, neveu du chef de l’Etat, qui a obtenu depuis quelques années un poste de fonctionnaire dans le service de lutte anti-malaria du Ministère de la Santé et nous a fourni par ailleurs toutes ces informations assez inattendues, il faut bien le dire74. Ceci dit, si la fierté de voir accéder l’un de ses enfants, ou presque, aux honneurs suprêmes permet de comprendre l’appui anormalement élevé du village au GOLKAR, elle n’en explique pas les raisons de fond car avant 1965, Argodadi, comme beaucoup d’autres communautés villageoises abangan ayant suivi le même itinéraire, était un bastion du Parti nationaliste 217

de Sukarno. On retombe donc sur le schéma explicatif invoquant les éléments traditionnels de loyauté envers les dirigeants tel qu’il a été exposé plus haut. La seule différence entre les deux présidences, c’est que le plus grand pluralisme de l’Ordre Ancien permettait tout de même à la plupart des forces politiques indonésiennes de pouvoir s’exprimer réellement au niveau des villages75. Il semble en particulier que le Parti communiste en ait largement tiré profit à cette époque, puisqu’il avait même réussi à ce que 4 des membres de sa section locale soient élus à des postes de responsabilité dans l’administration du village d’Argodadi, où selon les dires de certains ils furent fort actifs76. Depuis lors, les voix critiques se sont tues et le village, comme anesthésié, semble tant bien que mal s’accommoder de sa pauvreté et de ses inégalités. Pourtant avec une ouïe fine, un minimum de flair et un soupçon de chance, il arrive encore que l’on déniche l’homme d’exception qui ose s’exprimer sans ambages sur ce qu’il pense du marasme local et surtout de la coupable indigence dont font preuve les actuels bureaucrates villageois pour tenter d’y faire face, se prélassant dans une insouciante opulence alors que certains de leurs administrés croupissent dans une misère noire77. Voyons précisément d’un peu plus près à quoi ressemble vraiment l’éventail des niveaux de vie dans le village.

Echantillon tiercé de stratégies locales de survie

14 Sur les 49 chefs de famille interviewés à Argodadi78, bornons nous cette fois à n’en retenir que trois, sorte de tiercé choisi de manière à ce que nous puissions succinctement balayer toute l’amplitude du spectre social existant. Commençons tous simplement par le « maître de céans », Pak Selo, chef de village dont la santé défaillante explique peut être en partie le manque de dynamisme et l’absentéisme marqué. La cinquantaine passée, il a été élu à ce poste dès 1946, sans être apparenté à quelque formation politique que ce soit, mais après avoir gravi tous les échelons hiérarchiques de l’administration villageoise puisque, sous les Hollandais, il était déjà responsable des questions de sécurité de Sukohardjo 79 depuis 1936, et qu’il fonctionna par la suite comme secrétaire du même village80 pendant toute la durée de l’occupation japonaise. Sa femme lui a donné 8 enfants qui ont tous survécu et sont âgés de 20 à 2 ans, les aînés étant sur le point de terminer leur scolarité secondaire. Après la naissance du petit dernier, ils ont décidé d’un commun accord que la coupe était pleine et qu’il était sans doute temps d’utiliser des moyens contraceptifs, en l’occurrence préservatifs puis pilules. Ayant loué son ancienne maison, assez modeste au demeurant, au village qui l’utilise comme bureau81, il vit depuis quelques années avec toute sa famille, composée de 12 personnes, à Selogedong, dans une seconde résidence bien plus confortable entièrement en dur. Elle est entourée d’un vaste pekarangan de 5 000 m2 dans lequel on peut compter 2 arbres à pain 82, 15 cocotiers, 10 bananiers, 10 jaquiers, 10 manguiers83 et 10 mlindjo84 dont, nous dit-il, chose tout de même surprenante, rien n’est vendu, la production servant uniquement à couvrir les besoins familiaux85. En ce qui concerne le sawah, Pak Selo dispose en tant que chef du village d’un peu plus de 3 ha faisant partie du domaine public d’Argo-dadi86. C’est précisement parce qu’il bénéficie de l’usufruit de telles terres depuis sa nomination, encore adolescent presque, au poste de responsable des questions de sécurité du village occupé auparavant par son propre père, que ce dernier n’a pas jugé équitable de l’inclure au même titre que ses deux autres frères dans le partage du patrimoine familial, lui léguant seulement un quart de ses 2 ha de pekarangan et rien de ses 2 000 m2 de sawah87. Par contre, ses revenus 218

relativement élevés lui ont permis de pouvoir acheter et posséder en propre 2 200 m2 de bon sawah supplémentaire88. Pour ce qui est de la mise en valeur de ces terres, il dit avoir toujours travaillé personnellement environ 1 ha de sawah avec l’aide de ses fils aînés, louant tout le reste à plusieurs métayers faisant partie de sa clientèle89. En fait, il s’avère plutôt qu’il s’occupe de cet hectare uniquement à titre de superviseur, voire même d’inspecteur des travaux finis, faisant appel à de la main-d’œuvre extérieure salariée pour tous les travaux agricoles, du repiquage à la récolte en passant par les labours90. De plus, chose nouvelle, il prévoit dorénavant de louer 5 000 m2 par an à Madukismo dans le cadre du contrat passé entre le village et la raffinerie91. Bien que son sawah soit loin de faire partie des terres les plus exécrables du hameau, puisque pour le paddy lui et ses métayers arrivent en utilisant des nouvelles variétés92 et des engrais chimiques 93 à atteindre un rendement plus qu’honorable d’environ 40 qx/ha, il est tout de même impossible pour des raisons d’irrigation déficiente d’y pratiquer, sauf cas très exceptionnel, une double récolte annuelle de riz, les cultures vivrières secondaires comme le maïs et le soja étant donc de mise pendant la saison sèche94. Ceci est particulièrement important pour le calcul du revenu annuel net que Pak Selo tire de ses terres puisque le partage de la récolte entre le propriétaire et le métayer se fait, à Argodadi, sur une base paritaire en ce qui concerne le paddy, mais selon le principe du tiers/deux tiers pour ce qui est des palawija95. Après avoir déduit la part des métayers96 et celle de l’autoconsommation alimentaire familiale97, le coût de la main-d’œuvre agricole extérieure98, le prix des engrais et des pesticides99 ainsi que le montant de la taxe foncière100, on en arrive à la conclusion que notre chef de village empoche un bénéfice net d’environ 240 000 Rp chaque année101. Bien qu’elle n’ait absolument aucun autre revenu secondaire, cette famille fait donc indiscutablement partie de la catégorie des villageois aisés102. D’ailleurs, outre les conditions d’habitat très confortables qui ont déjà été mentionnées plus haut et le fait que la famille peut tout de même s’offrir le luxe de manger du poisson trois fois par semaine avec son riz103, on tombe bien vite sur d’autres signes extérieurs de richesse qui ne peuvent tromper dans un milieu socio-économique aussi peu opulent qu’Argodadi, Pak Selo possédant non seulement une vache bengala et pas mal de volaille 104 mais également 3 bicyclettes et une radio. Par contre, à l’opposé de la vaste majorité des collègues occupant la même position administrative que lui dans des zones agricoles plus prospères, il ne s’est pas encore offert de motocyclette, objet symbolique de prestige pourtant devenu quasi obligatoire dans la panoplie de tout fonctionnaire villageois moderne qui se respecte. Le relatif isolement d’Argodadi, ainsi que le conservatisme beaucoup plus accentué d’une population rurale faisant preuve en moyenne d’un degré d’aliénation bien moindre par rapport aux signes les plus clinquants de la modernisation urbaine d’inspiration occidentalo-nippone, expliquent peut-être en partie celle lacune. Cependant, connaissant le personnage, nous serions plutôt tenté de penser que dans le cas particulier il s’agit plutôt d’une simple question de moyens financiers, le fait qu’il ait récemment emprunté 100 000 Rp à la banque pour de pures dépenses de consommation le confirme. Il s’avère donc clairement que les chefs de village des rives du fleuve Progo comme lui, tout notables aisés qu’ils puissent être au sein de leur propre communauté, sont, à l’instar de leurs homologues des contreforts du pateau de Gunung Kidul, considérablement moins privilégiés que ceux du cœur de la plaine de Bantul. On peut d’ailleurs donner une forme d’expression beaucoup plus concrète à cet exercice de relativisation sur les niveaux de vie comparatifs des élus locaux en rappelant simplement qu’à Argodadi le revenu annuel net du chef du village demeurait malgré tout près de deux fois et demi inférieur à celui de son collègue de Tirtonirmolo qui approchait les 600 000 Rp. Cela n’empêche pas que Pak Selo 219

nage encore dans une somptueuse opulence par rapport aux paysans marginaux et sub- marginaux qui constituent l’immense majorité de ses administrés.

15 Allons, par exemple, à Demangan pour rencontrer Pak Karya, paysan propriétaire marginal d’environ 45 ans qui vit, avec les six autres membres de sa famille, dans une petite masure des plus modestes dont le sol est encore en terre battue et les murs fait de simples treillis de bambou tressé peints en blanc. Il n’a jamais mis les pieds à l’école et ne sait pas très bien son âge, pas plus que celui de ses cinq enfants qui s’échelonnent entre 13 et 25 ans et dont aucun n’a été au-delà du cycle d’études primaires. Ceci dit, Pak Karya possède tout de même en propre 4 900 m2 de pekarangan et 4 800 m2 de sawah hérités de son père, paysan avant lui105, ce qui à priori n’est pas totalement négligeable. De fait il arrive à tirer un revenu assez substantiel du premier, car il y a planté 20 cocotiers, 50 bananiers et 10 mlindjo dont il vend 75 % de la production ainsi qu’environ 150 bambous dont on peut tirer 40 à 50 Rp pièce quand ils ont atteint, au bout de trois ans, leur taille adulte qui se situe aux alentours de 10 mètres. Les choses sont par contre nettement plus aléatoires pour le second, situé qu’il est dans une zone de piètre fertilité dont les conditions d’irrigation sont tout bonnement exécrables. Il n’est en effet pas possible d’y pratiquer la riziculture sur plus de 2 000 m2, et encore s’agit-il à d’une seule et unique récolte annuelle, les 2 800 m2 restant étant tout juste bon à porter une culture mixte de soja et de maïs chaque année. En ce qui concerne le paddy, il est de plus exclu, étant donné la sévérité des facteurs naturels limitatifs susmentionnés, de pouvoir utiliser des nouvelles variétés106 et des engrais chimiques en quantité importante 107, avec pour résultat que la productivité de la terre demeure particulièrement lamentable puisqu’il ne tire en tout et pour tout que 3 qx par récolte de son sawah, soit un rendement de 15 qx/ha seulement. Du côté des palawija les choses sont, par comparaison, sensiblement moins catastrophiques puisqu’il produit 225 kg de soja et 200 kg de maïs chaque année ce qui correspond à des rendements de 8 qx et 7 qx/ha respectivement. Cette performance relative est en grande partie due au fait qu’étant propriétaire de 2 vaches et de 2 chèvres, il a la possibilité d’épandre régulièrement et à moindre frais du fumier dans ses champs108 . C’est d’ailleurs cela qui lui permet de s’en tirer tant bien que mal, la vente de son soja et de son maïs lui donnant les moyens d’acheter l’appoint de riz nécessaire à la consommation familiale puisque sa production personnelle de paddy n’en couvre même pas le tiers109. Cependant, au bout du compte, les choses sont finalement très serrés, et ce malgré le fait que ses coûts d’exploitation soient fort bas puisqu’avec ses cinq enfants et ses deux vaches il est entièrement autonome sur le plan de la main-d’œuvre humaine et animale et qu’il n’utilise pratiquement pas les nouveaux facteurs techniques de production110. En effet, le revenu annuel net qu’il tire de ses terres s’élève tout juste à 20 000 Rp qui proviennent intégralement de la vente des produits du pekarangan, le sawah couvrant simplement l’autoconsommation familiale111. Ajoutons à cela les 5 à 10 000 Rp que sa femme verse chaque année dans le budget ménager à raison de 30 à 50 Rp par jour en tissant de la toile à sac en matière végétale faite à partir de l’écorce traitée du so, arbre de la même espèce que le mlindjo112, ce qui procure à la famille un revenu annuel net variant entre 25 et 30 000 Rp, soit environ 10 fois moins que le chef du village dont la situation a été présentée précédemment. On voit donc que Pak Karya vit, au fil du rasoir, une existence monotone faite de travail acharné sur une terre ingrate et d’insécurité permanente face au lendemain, ses seuls loisirs étant d’écouter jusque fort tard dans la nuit, sur le petit transistor qu’il a tout de même réussi à s’offrir après des années d’effort, les interminables pièces de théâtre populaire javanais retransmise chaque soir par la 220

radiodiffusion locale113 et de se rendre en famille, une fois par an, à Yogyakarta lors de la grande foire traditionnellement du Sekaten114. Cela n’a d’ailleurs rien de très exceptionnel car la plupart des paysans propriétaires d’Argo-dadi sont tous logés à la même enseigne et leur sort est encore somme toute très enviable par rapport aux quelques pauvres bougres totalement démunis de terre qui sont fort heureusement relativement peu nombreux dans le village.

16 Laissons nos pas nous guider jusqu’à Sumberan pour rencontrer l’un d’entre eux, Pak Rejo, homme sec et usé approchant la quarantaine mais paraissant facilement dix ans de plus. Des 6 enfants auxquels sa femme a donné le jour, 3 sont morts en bas âge, les survivants respectivement âgés de 12, 9 et 6 ans ayant tous cessés, faute de moyens financiers, de fréquenter l’école primaire et contribuant désormais par leurs petits travaux à améliorer le maigre revenu familial. Leur père n’y voit d’ailleurs aucun inconvénient, étant lui-même totalement illettré. Bien qu’il reconnaisse volontiers qu’une nouvelle naissance serait synonyme de catastrophe vu leur situation plus que précaire, il ne veut pas entendre parler de prévention par quelque moyen que ce soit, les hommes n’ayant pas à intervenir pour contrecarrer les volontés divines115. La famille, qui se compose en tout de 7 membres, vit entassée dans une sombre petite bicoque miséreuse, démunie du simple minimum, faite de quatre murs en treillis de bambou posés à même le sol. Elle est bien entourée d’un minuscule pekarangan de 600 m2 où l’on trouve 3 cocotiers et 15 bananiers, mais il appartient encore aux parents de Ibu Rejo. De sawah, même de la pire qualité, il n’en est bien évidemment pas question, Pak Rejo étant le fils d’un misérable paysan sans terre, ne lui ayant rien légué du tout, qui s’était « spécialisé » comme chercheur-collecteur de fourmis revendues ensuite sous forme de nourriture pour les oiseaux domestiques chanteurs et roucouleurs qu’affectionnent tant les Javanais116. Notre interlocuteur perpétue d’ailleurs à l’occasion la tradition familiale quand il ne dégote pas d’activité journalière plus lucrative. La majeure partie du temps, il travaille cependant 6 heures par jour comme simple ouvrier agricole pour un salaire dérisoire de 50 Rp117. A côté de cela, sa femme et lui fabriquent des petites soucoupes en terre cuite que les gens utilisent comme récipient pour mélanger et présenter les différentes sauces, plus ou moins épicées, qui accompagnent tout repas javanais118, à raison de 10 par jour vendues 10 Rp pièce. Finalement ses deux fils aînés s’emploient comme ramasseurs d’herbe pour le compte de voisins possédant du bétail qui les paient 25 Rp par jour chacun. Quand ils trouvent du travail tous les quatre, ce qui ne se produit pas tous les jours loin s’en faut, ils ramènent en tout et pour tout 200 Rp à la maison, ce qui suffit tout juste pour acheter le kilo de mauvais riz mélangé à du manioc qui leur sert de pitance et les quelques ingrédients indispensables à la malnutrition familiale119. Sinon ils achètent à crédit à la petite échoppe du coin, y accumulant des dettes impossibles à rembourser qui s’élèvent déjà à passé 10 000 Rp, une fortune. On touche une nouvelle fois là au tréfonds le plus sombre de la plus noire des misères sans espoir.

Remarques finales : confirmations et comparaisons

17 En allant, sur le point de quitter définitivement Argodadi, flâner une dernière fois le long des berges ombragées de la rivière scintillante dont les eaux commencent à se faire fort basses en cette saison et qui peine lourdement pour se frayer un passage entre les vastes bancs de sable gris bouillant que son reflux a livré aux rayons implacables du soleil de plomb d’août, on souhaite que la nacelle des deux pêcheurs solitaires que l’on voit 221

traverser à gué dans le lointain brumeux se remplisse d’une manne aussi fructueuse que celle qui gonfle notre dossier de notes au terme de cette quatrième enquête villageoise. Ainsi qu’on espérait pouvoir le vérifier on a bien la confirmation que les corrélations socio-économiques majeures identifiées dans chacun des trois précédents villages analysés, que ce soit entre le degré de parcellisation de la propriété foncière et l’accueil réservé au programme gouvernemental de modernisation agricole ou entre le degré de ruralité et la nature des stratégies de survie élaborées par les communautés villageoises et leurs membres, transcendent effectivement les différences existant entre les divers écosystèmes locaux dont on a, après la domination du sawah à Tirtonirmolo et à Timbulhardjo, puis du tegal à Wukirsari, enfin couvert l’éventail complet avec celle du pekarangan à Argodadi. De fait, ici comme ailleurs, le nombre de villageois participant au programme BIMAS est très voisin de celui des propriétaires fonciers moyens et riches se situant au-dessus du seuil d’indépendance économique et de sécurité psychologique. D’un autre côté, l’isolement économique, social et culturel assez marqué du village, ainsi que la nature de l’écosystème qui le caractérise, expliquent probablement en grande partie sa très faible polarisation par rapport au facteur terre et sont indubitablement à l’origine d’un type de stratégies de survie nettement plus traditionnelles et rustiques mais également beaucoup moins spécialisées et dépendantes que cela n’était globalement le cas dans nos trois précédents exemples, même à Wukirsari qui jouissait pourtant de conditions naturelles de développement tout aussi peu favorables. Arrivés au terme de notre long voyage dans ces quatre villages du cœur du Kejawèn, peut-être n’est-il pas inutile, vu la complexité et la diversité des phénomènes auxquels nous avons été confrontés page après page, de mettre un peu d’ordre dans nos idées en récapitulant sous forme synthétique les grandes leçons à tirer de leur analyse comparative.

NOTES

1. Argo est une simplification de harga, mot qui signifie « montagne » en javanais ancien (kawi). Le mot dadi veut de son côté dire « devenir ». Argodadi est donc un endroit devenu montagne. 2. Rappelons que la province de Yogyakarta (Daerah Istimewa Yogyakarta) se compose de la municipalité (kotamadya) du même nom et de 4 districts (kapupaten) ruraux Sleman, Bantul, Gunung Kidul et Kulon Progo. 3. La rivière Progo marque la frontière entre les kabupaten de Bantul et de Kulon Progo, Sentolo étant déjà par conséquent inclus dans le second. 4. De fait cet étroite bande de terre qui est constituée de régosols bruns alluvioneux est la seule zone plane du village, terrasses et collines recouvrant des sols de type grumosol gris et lithosol occupant tout le reste du territoire. Voir « Detailed Reconnaissance Map. » op. cit.. 5. Du temps des hollandais, il semble que le système d’irrigation mis sur pied, par un ingénieur du nom de Van der Vijk, couvrait de manière permanente l’intégralité des 270 ha de sawah existant dans le village. Largement détruit pendant la révolution, il n’a jamais été reconstruit depuis et ne dessert plus que 45 ha seulement. Il est intéressant de noter que la population locale, plutôt que de répondre en termes techniques neutres quand on lui pose des questions concernant les problèmes d’irrigation, se réfère inévitablement encore aujourd’hui au « Van der 222

Vijk », le nom de ce personnage étant ainsi passé à la postérité villageoise, chose dont il serait vraisemblable le premier surpris. 6. Sawah, tegal et pekarangan couvrent donc 955.4 ha des 966.2 ha du village. Les quelques 10.8 ha restant sont occupés par 5.8 ha de terres appartenant au Sultan (Sultanen Gronden), 1.0 ha de pentes très escarpées (oro-oro), 1.0 ha de bancs de sables (wedikengser), 2.6 ha de cimetières (kuburan) et 0.4 ha classés dans divers. L’étude de l’évolution de l’occupation des terres, entre 1930 et 1972, ne montre, contrairement aux trois autres villages étudiés précédemment, strictement aucun changement. Cela se comprend aisément vu que, pour des raisons d’irrigation et de topographie, il était impossible d’augmenter la surface de sawah et que la pression démographique croissante ne risquait pas d’entraîner une extension quelconque du pekarangan qui occupait déjà 69 % de la superficie totale du village à cette époque là. 7. Le pekarangan occupe, par exemple, 51 % de la superficie totale du village à Argosari et 72 % à Argoredjo. Dans le sous-district voisin de Padjangan, situé juste au sud de celui de Sedayu, les choses sont encore plus nettes puisqu’il n’y a pratiquement pas de sawah et que le pekarangan occupe 77 % de la superficie totale du village à Sandangsari et même 81 % à Triwidadi. 8. Où il était pour mémoire de 0.87 %. 9. C’est-à-dire une fois déduit de la superficie totale de 966.2 ha les 10.8 ha rentrant dans la catégorie « divers » (pro2, wedikengser, Sultanen Gronden, Kuburan, etc) ainsi que les 15.7 ha de pekarangan occupés par les constructions à raison de 100 m2 par maison. 10. Le sawah public occupait, en 1972, 49.35 ha soit environ 18.3 % du total disponible dans le village, beaucoup moins qu’à Wukirsari par exemple. Il se divisait comme suit : 31.15 ha de lungguh, 11.62 ha de kas desa et 6.58 ha de pengarem-arem. Le tegal public couvrait quant à lui 11.61 ha, soit plus de 51.5 % de la superficie existante dont 10.23 ha de kas desa et 1.37 ha de pengarem- arem. Au total, les terres communales publiques couvraient donc 60.96 ha en 1972 à Argodadi ce qui donne bien, une fois déduit de la surface arable productive du village qui s’élève à 936.7 ha, une densité de population de 897 hab/km2. En 1930, elles occupaient exactement la même superficie dans les 3 villages qui furent regroupés par la suite pour former Argodadi, soit 60.96 ha dont 49.35 ha de sawah et 11.61 ha de tegal. Les seuls changements qui ont pris place se sont effectués à l’intérieur même de la catégorie des terres communales publiques au détriment du lungguh qui occupait alors 38.9 ha de sawah et 0.59 ha de tegal et en faveur du kas desa qui ne couvrait que 4.72 ha de sawah et 4.2 ha de tegal, le pengarem-arem se situant quant à lui à mi- chemin, gagnant très légèrement du côté du sawah, puisqu’il n’occupait alors que 5.74 ha, mais perdant assez sensiblement du côté du tegal, puisqu’il couvrait alors 6.82 ha. Comme dans les trois autres villages, précédemment analysés, le principe de ces transferts internes était de garantir une plus grande autonomie financière à la nouvelle entité administrative. Malgré cela, les revenus d’Argodadi sont encore moins élevés que ceux de Wukirsari déjà fort bas, ce qui s’explique parfaitement vu la médiocrité des terres du village. 11. Soit une moyenne de 4.7 personnes par famille. 12. Puisqu’il y avait, pour mémoire, 25.5 % de familles sans terre à Wukirsari, 30.1 % Tirtonirmolo et 62.1 % à Timbulhardjo. 13. On retrouve d’ailleurs, sur ce point particulier, un phénomène familier déjà identifié à Wukirsari. 14. A savoir 1.0 S =1.0 P = 2.0 T. 15. Par comparaison, à Wukirsari, village lui-même assez peu polarisé, 74.5 % des familles ont accès à la propriété foncière et seules 12 % d’entre elles se situent au-dessus du seuil des 1.0 ha, ne contrôlant qu’environ 35 % de la superficie totale de pekarangan, sawah et tegal, les 88 % qui sont en-dessous se partageant les 65 % restant. 16. Outre le chef (lurah) et le secrétaire de village (carik), il y avait comme d’habitude 4 responsables de départements sectoriels (kepala bagian kemakmuran, sosial, agama et keamanan), 223

secondés par 5 assistants (pembantu), ainsi que 14 chefs de hameaux (kepala dukuh). A noter qu’à Wukirsari le corps de fonctionnaires villageois s’élevait à 30 personnes, 5 de plus qu’à Argodadi. 17. Il est à noter que la taille du sawah lungguh attribué au lurah a nettement diminué lors de la réforme administrative de 1946 puisqu’elle atteignait respectivement 4.2 ha et 5.4 ha à Sukohardjo et Ding-hihan, 2 des 3 villages regroupés pour former Argodadi. 18. Cela se comprend fort bien puisque les pamong desa sont élus à vie. La plupart des fonctionnaires villageois d’Argodadi ont été élus entre 1946 et 1951 et étaient encore à leur poste en 1973. De fait, mis à part les élections ponctuelles qui ont été organisées de temps à autre pour pourvoir un poste laissé vacant par un fonctionnaire décédé de mort naturelle, le seul changement important est intervenu en 1967, quand il a fallu remplacer les 4 membres du corps des pamong desa qui, responsables de la section locale du Parti communiste indonésien (PKI) avaient « disparu » dans la tourmente des événements qui ont suivi le coup de 1965 et sur le cas desquels nous reviendrons plus en détail ultérieurement. 19. La récolte du sucre de cocotier (gula kelapa) est un travail pénible, dangereux et peu rentable dans lequel se lancent uniquement les plus pauvres. Il faut en effet grimper en haut de l’arbre 2 fois par jour pendant toute l’année pour inciser le cœur d’où s’écoule la sève, la fabrication du sucre lui-même n’étant pas non plus un travail des plus agréables. Un grimpeur-inciseur très habile et travailleur peut venir à bout d’environ 30 arbres au maximum en une journée de labeur, s’assurant ainsi un revenu variant seulement entre 60 et 80 Rp. On comprend aisément dans ces conditions que ceux qui peuvent trouver un moyen de s’en tirer autrement préfèrent directement consommer ou vendre les fruits de leurs cocotiers que de risquer leur vie dans une opération dont la plus-value est aussi dérisoire. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’un cocotier qui est saigné en vue de la production sucrière ne donne bien évidemment plus de fruits. 20. Il y avait 21 petites fabriques de tuiles (genténg) à Argodadi en 1972. 21. D’après une statistique villageoise, 690 personnes, principalement des femmes, seraient employées, au moins à temps partiel, dans ce secteur d’activités de tressage et tissage. 22. On compte en tout et pour tout dans tout le village 11 petites boutiques-éventaires (warung) où il est possible d’acheter 2 ou 3 bricoles de première nécessité et de se restaurer succinctement. A côté de cela on trouve aussi 23 petits fabricants de galettes de soja (tempe et tahu), 6 tailleurs, 3 coiffeurs et 1 réparateur de bicyclette et 1 menuisier. 23. Rappelons qu’à Wukirsari 223 des 667 chefs de famille vivant dans les 4 hameaux étudiés en détail avaient une activité annexe déclarée. 24. II s’agit du système dit « Van der Vijk » dont il a été question plus haut. 25. En indonésien aussi bien qu’en javanais, sumber veut d’ailleurs précisément dire source, alors que sumberan indiquerait plutôt l’état d’un terrain marécageux et détrempé dans le Kejawèn. 26. Une bonne partie des sawah anciennement irrigués par l’intermédiaire du système Van der Vijk, en particulier à Ngepek sont devenus de facto des tegal quand ce dernier a été détruit. Ils continuent néanmoins à être classés dans la catégorie sawah, leurs propriétaires étant donc surtaxés par rapport à la productivité réèlle de la terre. 27. Certains parmi les moins gâtés en sont même réduits à pratiquer, chose assez peu répandue dans le district de Bantul, une culture mixte (tumpang sari) permanente, intercalant, en général, du soja (kede-lai) entre des rangées de maïs (jagung) et de manioc (ketela pohon). Il est intéressant de noter que le mot tumpang sari, qui indique que deux différents types de cultures sont pratiquées en même temps sur le même champ, est aussi utilisé pour désigner le toit à deux plans d’inclinaison des maisons traditionnelles javanaises. Voir ELINOR CLARK HORNE, Javanese-English Dictionary, op. cit. pp. 670-671. 28. La surface arable théorique d’Argodadi est de 292.5 ha et se compose de 270 ha de sawah et de 22.5 ha de tegal, le pekarangan ne rentrant bien évidemment pas en ligne de compte dans ce calcul. Pour mémoire le même taux était de 214 % à Tirtonirmolo, de 189 % à Timbulhardjo et de 58 % à Wukirsari. 224

29. Cela représente des taux annuels d’intensité de culture de 124.1 % en 1969, 137.4 % en 1970, 135.4 % en 1971, et 112.1 % en 1972. 30. Il n’est pas impossible que la canne ait été cultivée avant la seconde guerre mondiale à Argodadi, à l’époque où le système Van der Vijk irriguait en permanence plus de 250 ha de sawah dans tout le village et où il avait 17 raffineries sucrières dans la seule petite province de Yogyakarta. Nous n’avons pas pu avoir confirmation de ce fait. Quoiqu’il en soit, il n’y a jamais eu de canne dans les champs du village depuis la fin de l’occupation japonaise semble-t-il et c’est bien l’amélioration de l’infrastructure d’irrigation qui est à l’origine du retour en force qui est mentionné plus haut et dont les circonstances spécifiques sont relatées en détail plus bas. 31. Tout le reste de la surface récoltée en paddy est principalement constitué par du Gembira et par quelques autres variétés locales diverses (djawi) qui, ensemble, n’occupent donc plus que 123 ha en 1972 contre 197 ha en 1969. 32. Est-il nécessaire de rappeler que l’emploi des nouvelles variétés de riz est impérativement subordonnée à l’existence préalable de conditions d’irrigation optimum permettant un contrôle très précis de la nappe d’eau dans le sawah. Nous avons d’ailleurs déjà vu plus haut que les rendements étaient souvent bien meilleurs en saison sèche que pendant les pluies de mousson avec de telles variétés. 33. Il s’agit presque exclusivement d’urée, mais il est intéressant de noter que les quantités appliquées dans certains sawah des plus médiocres ne sont pas très éloignées des normes recommandées par le gouvernement dans les meilleures zones irriguées. On tombe tout de même de temps en temps sur un vieux paysan qui n’utilise pas d’engrais chimiques et ne veut pas en entendre parler. Vu l’augmentation de productivité très marginale que l’emploi d’engrais chimiques entraîne souvent dans de telles mauvaises rizières, on peut se demander si ces vieux sages ne sont pas dans le vrai aussi bien à court terme qu’à long terme. Se pose alors tout le problème de l’utilisation mimétique des engrais chimiques comme preuve de modernité, un phénomène qui n’est peut-être pas aussi insignifiant que cela dans certains villages javanais. 34. On peut noter, chose impensable à Tirtonirmolo ou Timbulhardjo, la présence ici et là, dans le paysage, de sawah particulièrement peu soignés, mal désherbés et repiqués en ligne de manière très aléatoire. A ce propos, il nous a été dit par un des vieux paysans interrogés, mais sans que cela soit confirmé par une autre personne, que le repiquage en ligne a été introduit seulement à partir de 1942, par l’intermédiaire des japonais à Argodadi. Cette déclaration nous laisse encore quelque peu songeur jusqu’à ce jour. 35. Dont 64.6 ha entrant dans la variante ordinaire du programme (BIMAS Blasa) contre seulement 7.6 ha dans la variante nouvelle (BIMAS BAru). A noter que le nombre de participants s’élevait à 126, chacun possédant donc en moyenne 5 733 m2 de sawah, et qu’ils avaient emprunté une somme globale de 311 665 Rp, soit 2 473.5 Rp par tête, dont près de 60 % en cash. En août 1973, seuls 4 d’entre eux n’avaient pas encore remboursé leur emprunt, ce qui représente un taux de recouvrement très élevé proche de 99 %. 36. Dont chose intéressante, 114.25 ha entrant dans la variante nouvelle (BIMAS BAru) contre seulement 9.25 ha dans la variante ordinaire (BIMAS Blasa), ce qui représente un inversement total de tendance par rapport à 1970/71. La campagne de crédit de la saison des pluies 72/73 marque un tournant important pour le programme d’intensification de la production rizicole à Argodadi qui décolle enfin du seuil des 70 ha autour duquel il avait continué à plafonner lors de la mousson de l’année précédente. A ce propos, il faut souligner que le programme reste très marginal en saison sèche, n’ayant couvert que 24.6 ha en 1972 contre 19.1 ha en 1971, ce qui n’est pas surprenant vu les très mauvaises conditions ambiantes d’irrigation faisant que seuls une quarantaine de propriétaires privilégiés dans tout le village sont en mesure de pouvoir cultiver du paddy dans leur sawah à cette époque de l’année. 37. Qui s’élève à 270 ha. 38. Qui varie entre 203 et 207 ha. 225

39. Qui sont au nombre de 1 012. 40. Qui ne sont que 213. 41. La superficie moyenne maximum par emprunteur ayant été atteinte lors de la campagne de crédit de la saison sèche 1972 avec 6 142 m2. 42. Puisque le pekarangan y domine, alors que c’était le sawah à Tirtonirmolo et Timbulhardjo et le tegal à Wukirsari. 43. La somme globale déboursée ne représente que moins de 40 % de l’objectif choisi qui avait, optimistement, été fixé à 1 725 000 Rp. Cette somme se répartit en 326 648 Rp pour les facteurs techniques de production et 352 352 Rp sous forme de cash, soit une moyenne de respectivement 1 237 Rp et 1 335 Rp par emprunteur. A noter que la somme moyenne couvrant le prix des facteurs techniques de production ne représente que 46.5 kg d’engrais à 26.6 Rp/kg, soit tout juste 1 qt/ha, moins de la moitié de ce qui est recommandé par les autorités gouvernementales. Pour mémoire, la somme moyenne par emprunteur était à la même époque de 3 015 Rp à Wukirsari, les 3/4 sous forme d’engrais. On peut finalement signaler que 129 des 264 emprunteurs avaient déjà remboursé 335 000 Rp en août 1973, ce qui représente tout de même un taux de recouvrement non négligeable de près de 50 % moins de six mois après la fermeture de la ligne de crédit en question. 44. Comparer avec les rendements des mêmes cultures qui sont nettement plus élevés dans les trois autres villages analysés précédemment, même à Wukirsari. Encore ne s’agit-il pas là des rendements réalisés en culture mixte qui sont encore beaucoup plus bas, tournant autour de 1.5 t/ha pour le manioc, 4 qx/ha pour le maïs et moins de 3 qx/ha pour le soja. 45. Les quantités d’engrais chimiques utilisées pour la culture des palawija dépassent rarement 10 à 20 kg/ha. Par contre certains paysans apportent jusqu’à 500 kg/ha de fumier animal et végétal dans leur champ. 46. Il est intéressant de noter que l’on ne trouvait par contre en tout et pour tout que 35 buffles dans le village, le manque d’eau expliquant bien évidemment ce phénomène. 47. On comptait 1 vache pour 10 personnes, 1 chèvre pour 11 et 1 mouton pour 18 à Argodadi en 1972, contre 1 vache pour 11 personnes, 1 chèvre pour 13 et 1 mouton pour 25 à Wukirsari à la même époque. 48. Il y avait 8 500 poules dans tout le village en 1972, soit plus d’une par habitant. On ne comptait par contre que 210 canards, aussi peu à l’aise que les buffles dans ce milieu privé d’eau. La pêche en rivière ramène quant à elle à peu près 150 Rp par jour aux plus chanceux. 49. Il joue par exemple un rôle encore plus prépondérant dans certains des hameaux de colline les plus retirés comme Kadibesa et Brongkol. 50. On trouve très souvent des bosquets de bambou dans les coins les plus accidentés des pekarangan. Il y a en général une trentaine de bambous par bosquet, chacun atteignant une dizaine de mètres en l’espace de 3 ans et pouvant alors être vendu au prix de 40 à 50 Rp. 51. Le fameux système « Van der Vijk ». 52. C’est ce qui s’est par exemple passé à Wukirsari. 53. Rappelons qu’il était de 200 000 Rp/ha à Tirtonirmolo et Timbulhardjo et de 80 000 Rp/ha puis de 120 000 Rp/ha à Wukirsari pour le même laps de temps. 54. A savoir Demangan, Bakal Dk, Ngepek, Sukohardjo, Cawan, Dingkihan et Dumpoh. 55. Qui était fixé pour mémoire à 60 ha seulement. Il est vrai qu’une bonne partie de cette superficie est constituée par les terres communales dont les fonctionnaires villageois ont l’usufruit. Cependant l’élément déterminant d’un tel engouement est sans nul doute lié au fait que la raffinerie paye la location des terres cash et à l’avance, ce qui permet à beaucoup de petits paysans, soit de rembourser des dettes pressantes, soit d’acheter du riz au moment délicat de la soudure. 226

56. Prix du sucre trop bas qui ne rend pas intéressante la location d’un sawah à la raffinerie dès l’instant où l’on peut y pratiquer une double récolte annuelle de riz et problèmes psychologiques liés à l’impossibilité de travailler sa terre pendant plus d’une année. 57. La pompe était en train d’être installée au moment où nous faisions nos enquêtes dans les hameaux d’Argodadi, et il était prévu qu’elle serait opérationnelle en l’espace de deux mois. 58. Qui n’est, rappelons-le, que de 0.94 %. 59. Inutile de s’appesantir en détail sur le drame que la stérilité représente pour une famille javanaise dans un milieu culturel où l’enfant est véritablement roi jusqu’à l’âge de 5 ou 6 ans. 60. L’isolement du village, et le conservatisme qui en résulte sur lequel nous revenons plus bas, n’est certainement pas étranger à ce phénomène. Quoiqu’il en soit nombreux étaient les chefs de famille inter viewés qui n’avaient encore jamais entendu parler en 1972 des méthodes contraceptives modernes. Sur les 12 familles constituant notre échantillon d’enquête dans chacun des 4 hameaux étudiés en détail, seulement une utilisait des moyens contraceptifs, en l’occurrence la pilule, à Sumberan et Ngepek, contre 4 à Demangan et 5 à Selogedong. Le pourcentage de femmes âgées de 30 à 40 ans qui avaient 3 enfants ou moins se situaient à 32.5 % à Sumberan, 45.1 % à Selogedong, 51.1 % à Demangan et 60.8 % à Ngepek. 61. Le record en la matière étant battu par un petit paysan sub-marginal de Ngepek qui avait perdu 7 des 9 enfants auxquels sa femme avait donné le jour. 62. C’est ainsi que les 3 fils d’un petit paysan sub-marginal de Sumberan avaient quitté le village, le premier s’étant installé dans l’île de Bangka à Sumatra Sud (Sumatera Selatan), le second à Makassar (Udjungpandang) capitale de Célèbes Sud (Sulawesi Selatan) et le dernier, plus banalement, à Jakarta. 63. De fait, le chemin non asphalté d’environ 15 km qui s’embranche à Sedayu sur l’axe transrégional principal Yogya-Wates longe la rivière Progo et débouche sur la route secondaire Imogiri-Srandakan était encore parfois difficilement praticable pendant la saison des pluies en 1972. 64. En 1972, il y avait 1 568 maisons à Argodadi, dont 173 en dur, 439 en semi-dur et 956 entièrement en matériau végétal, bois, bambou, terre battue et tuiles. 65. Où il n’y en avait qu’à peine plus d’une pour trois familles. 66. Alors qu’il y avait tout de même par exemple 147 postes à transistors et 20 motocyclettes à Wukirsari. 67. Il y a très exactement 140 catholiques et 48 protestants sur les 7 859 habitants du village. 68. Rappelons que abangan signifie musulman nominal et que santri est son contraire, ces deux termes étant devenus classiques en matière de sociologie religieuse indonésienne. 69. L’une d’entre-elles appelée « Eko-Budaya » semble en particulier être très populaire. 70. Le pouvoir, étant d’essence divine, sanctionne par définition les justes qui étaient destinés à l’exercer. Cette double attitude de déférence, du peuple à l’égard de ses chefs et de condescendance de ces derniers envers lui, peut se résumer en un mot le « bapakisme » qui vient de bapak signifiant père, concept désormais familier à tous les spécialistes de sociologie politique indonésienne. 71. Le PARKINDO acronyme de PARtai Kristen INDOnesia ou Parti Protestant indonésien et le Portai Katholik ou Parti catholique. 72. Le résultat des élections de 1971 était très exactement le suivant à Argodadi : GOLKAR 2 551 voix, NU 300, PARMUSI 120, PARKINDO 11 et Partai Katholik 2. 73. Qui ne se sont bien évidemment pas limitées aux seuls quatre villages analysés dans cette étude, ne serait-ce que parce qu’il a bien fallu chaque fois en visiter plusieurs avant d’en sélectionner un. 74. C’est d’ailleurs l’un des propres frères de Suharto qui était chef de village à Argomulyo, en 1973. Paradoxalement, c’est peut-être la preuve que le népotisme n’était pas systématique et outrancier dans la famille présidentielle, car il aurait alors plutôt occupé un poste honorifique 227

quelconque à Jakarta en se prélassant dans les beaux quartiers de Menteng. Il est possible que cela ait quelque chose à voir avec l’attachement profond du chef de l’état pour ses racines rurales, lui qui ne manque jamais une occasion de les rappeler et a même choisi comme titre à sa biographie officielle rédigée par O.G. Roeder, correspondant permanent de la Neue Zurcher Zeitung de Zurich en Indonésie, « Anak Desa », ce qui signifie simplement « Enfant du village », une appelation contrôlée qui est indubitablement plus proche de la réalité et surtout moins cynique et ridicule que celle qui a été trouvée pour la traduction anglaise du même ouvrage par son génial auteur : « The Smiling General » ! 75. A l’exception du MASJUMI, parti politique représentant alors la tendance modernisatrice de l’islam, qui avait été interdit par Sukarno dès 1958 pour des raisons qui ont déjà été exposées plus haut. 76. Ce qui leur a d’ailleurs coûté fort cher, puisque deux d’entre eux, dont le responsable des questions sociales du village (kepala bagian sosial ou kamituwa), semblent avoir été tués du côté de Bantul, fin 1965, alors que les deux autres, dont le responsable des questions agricoles (kepala bagian kemakuma-ran ou ulu ulu), ont été déportés dans la tristement célèbre île concentrationnaire du Buru, dans les Moluques, et n’avaient pas encore fait leur réapparition à Argodadi en 1973. 77. Nous avons eu la chance de tomber par hasard au cours d’une promenade au bord de la rivière sur un tel oiseau rare. Il s’est plaint amèrement en des termes plus que sévères de l’incapacité, dû manque de conscience professionnelle et même d’honnêteté de la plupart des bureaucrates villageois installés depuis trop longtemps dans leur coupable insouciance. Il a eu des mots particulièrement durs pour le chef du village qui selon lui n’a rien fait pour ses administrés depuis 27 ans qu’il a été élu et n’aurait même pas eu l’idée de s’adresser directement à Madukismo pour régler le problème de la pompe si le chef du sous-district n’avait pas pris les choses en mains personnellement. Même verdict pour le responsable des questions agricoles dont la seule activité notable depuis qu’il a remplacé, en 1967, son prédécesseur, homme intègre et travailleur, a été... de se marier. Selon lui, ce qu’il y a de plus grave est que tout ceci puisse continuer impunément, les villageois n’ayant aucune possibilité de recours dans l’état actuel des choses. 78. Dont 12 dans chacun des 4 hameaux sélectionnés et 1 en dehors de notre échantillon. 79. Poste auquel il a succédé à ... son propre père, ce qui éclaire d’un jour nouveau le caractère semi-héréditaire de certaines fonctions administratives dans les villages javanais. 80. Rappelons que Sukohardjo est l’un des trois villages qui furent amalgamés en 1946 pour former Argodadi. Notons aussi que Pak Selo semble ne pas avoir été confronté à des problèmes de conscience insolubles pour réussir l’exploit de conserver ses fonctions administratives sous trois régimes différents en l’espace de 10 ans, le colonialisme hollandais, l’impérialisme japonais et le nationalisme indonésien. 81. Nous n’avons pas pu apprendre quel était le montant du loyer qu’il empochait mais la pratique est déjà, en elle-même, assez singulière venant de la part d’un élu local. 82. Connus à Java sous le nom de sukun, ces fruits, qui constituent l’un des éléments essentiels de l’alimentation dans de nombreuses îles mélanésiennes et polynésiennes, sont assez peu appréciés par la population locale qui ne les consomme qu’en cas de force majeure. 83. Dans la région de Yogyakarta comme partout ailleurs dans le pays on trouve plusieurs dizaines d’espèces de mangues (mangga en indonésien et pelem en javanais), mais aucune n’a la réputation d’être très bonne. De fait aucun des fruits produit sur la côte sud de Java n’est particulièrement savoureux, pas plus les mangues que les autres, et tout javanais qui se respecte saura vous dire que les meilleures proviennent soit de Probolinggo (Java Est), soit d’Indramayu (Java Ouest), deux villes de la côte nord de l’île. 84. Arbre dont les fruits, les feuilles et les fleurs sont consommés comme légumes à Java. 228

85. Il est vrai qu’il est à la tête d’une famille assez nombreuse et qu’en tant que chef du village il se doit plus que tout autre villageois d’en laisser profiter ceux de ses voisins qui n’en ont pas. 86. Très exactement 3.1585 ha. 87. Il est de loin le mieux loti des trois frères, sans même parler des trois sœurs qui selon le droit coutumier (adat) javanais n’ont pas reçu la moindre parcelle de terre, mais simplement des meubles et autres objets domestiques, puisqu’il a en quelque sorte hérité de la fonction administrative paternelle, ce qui vaut bien 1 000 m2 de sawah. Nous avons déjà eu l’occasion de voir à Tirtonirmolo ou Wukirsari, par exemple, où plusieurs des élus locaux étaient fils et petit- fils de fonctionnaires villageois, que ce type de pseudo-népotisme par lequel se créent de véritables traditions familiales à occuper des positions administratives, était assez répandu à Java. Il est cependant assez rare, et pour tout dire quelque peu suspect, qu’un fils succède à son père exactement au même poste que ce dernier avait occupé de son vivant. 88. En tout il possède donc un peu plus de 3.3 ha de sawah. A noter que le prix d’un sawah de qualité moyenne tournait aux alentours de 100 Rp/m2 en 1973 à Argodadi. Il était donc sensiblement moins cher qu’à Wukirsari et incomparablement meilleur marché qu’à Tirtonirmolo ou Timbulhardjo. 89. De fait, il loue environ 2.3 ha de sawah à 7 métayers qui travaillent en permanence ses terres. 90. A noter qu’à Argodadi la plupart des travaux de repiquage et de récolte se font encore selon le vieux système communautaire d’entraide mutuelle (gotong royong). Lors du repiquage, il suffit juste d’offrir à chacune des ouvrières agricoles participant au travail un repas qui revient environ à 25 Rp par tête. Au moment de la récolte, c’est le traditionnel bawon qui est appliqué, son taux variant entre 1/8e et 1/12e de la récolte dans ce village. Le corollaire évident de cet état de fait est le suivant : jusqu’en 1973 les entrepreneurs en récolte (tengkulak) n’avaient pour ainsi dire pas encore fait leur apparition dans le village. Tout ceci est bien évidemment dû à l’isolement du village, à son médiocre potentiel agricole et au fait que les nouvelles variétés rizicoles y jouaient encore un rôle secondaire vu les désastreuses conditions d’irrigation. 91. Deux motivations essentielles le poussaient à faire cela : d’une part, en tant que chef du village, contribuer de manière substantielle à atteindre le quota de 60 ha promis à la raffinerie, de l’autre en tant que simple paysan-propriétaire, empocher le prix de location que cette dernière avait décidé de payer cash à l’avance. 92. Ils utilisent tous du IR 5 depuis 1970 semble-t-il. 93. Ils respectent scrupuleusement le barème mis sur pied par les responsables du programme BIMAS en appliquant 200 kg d’urée et 100 kg de supertriphosphate à l’hectare. 94. En l’occurrence principalement du maïs qui donne un rendement moyen de 7 qx/ha. 95. En fait ce principe de partage différentiel est assez répandu à Java. 96. Les métayers travaillant 2.3 ha de sawah sur lesquels ils font 1 récolte annuelle de paddy à 40 qx/ha et 1 récolte annuelle de maïs à 7 qx/ha. Ils produisent donc très exactement 4 784 kg de riz et 1 610 kg de maïs chaque année. Comme ils gardent la moitié du riz et les deux tiers du maïs, il ne reste plus à Pak Selo que 2 392 kg de riz et 536 kg de maïs. 97. Il produit lui-même 2 080 de riz et 700 kg de maïs sur l’hectare de sawah dont il supervise directement l’exploitation. Il dispose donc en tout chaque année en additionnant ce qu’il reçoit de ses métayers et ce qu’il produit personnellement de 4 472 kg de riz et de 1 235 kg de maïs. La famille de 12 personnes consomme, à raison de 250 gr par jour par tête, 1 095 kg de riz par an auxquels on peut ajouter une marge de 100 kg pour les cadeaux et les offrandes, soit en tout environ 1 200 kg. Il reste donc à Pak Selo un surplus annuel non-consommé de 3 272 kg de riz et de 1 236 kg de maïs soit, au prix moyen de 76 Rp/kg pour le premier et de 34 Rp/kg pour le second, un revenu annuel brut une fois déduit l’autoconsommation de très exactement 290 696 Rp. 98. Pour le repiquage de l’hectare de sawah qu’il exploite directement il emploie 120 femmes pendant 4 heures et leur donne le choix entre un salaire de 25 Rp et un repas qui lui revient au 229

même prix, soit en tout 3 000 Rp. Possédant une vache bengala en propre il n’emploie que 4 ouvriers agricoles pendant 12 jours chacun chaque année, les payant 50 Rp/jour et leur donnant de surcroît un repas qui lui revient à 25 Rp par tête soit en tout 3 600 Rp. Finalement, pour la récolte, il emploie les mêmes 120 femmes que pour le repiquage, leur laissant un bawon de l/10e soit environ 200 kg de riz décortiqué ou 15 200 Rp. Il dépense donc en tout environ 22 000 Rp de main-d’œuvre (3 000 Rp de repiquage, 3 600 Rp de travail de la terre et 15 200 Rp de récolte) pour sa récolte de paddy. Il faut ajouter à cela les dépenses de main-d’œuvre qu’il doit supporter avant d’engranger sa récolte de maïs et qu’il estime lui-même à plus ou moins 8 000 Rp. La main- d’œuvre qui lui est nécessaire pour faire une double récolte annuelle lui revient donc en tout à 30 000 Rp. 99. Il utilise 200 kg d’urée et 100 kg de TSP pour sa récolte de paddy et 100 kg supplémentaire d’urée pour sa récolte de maïs soit en tout 400 kg d’engrais chimique par an à 26.6 Rp/kg c’est-à- dire 10 640 Rp. Ajoutons à cela 1 800 Rp pour les 2 litres d’endrin et les 2 kg d’agrocyt qu’il épand sur son sawah de 1 ha et nous arrivons à un coût total annuel de 12 500 Rp pour les facteurs techniques de production. 100. Il paye environ 10 500 Rp d’IPEDA par an. 101. Soit son revenu annuel brut, une fois déduit l’autoconsommation, d’environ 290 000 Rp moins 53 000 Rp de coûts de production (30 000 Rp de main-d’œuvre, 12 500 Rp de facteurs techniques de production et 10 500 Rp de taxe foncière), ce qui donne très exactement 237 000 Rp. 102. Selon les calculs du Prof. Sumitro tels qu’ils ont déjà été indiqués précédemment le revenu annuel net de la famille Selo était plus de 4.5 fois supérieur au produit national brut par habitant cette année-là (1973) en Indonésie. Cela représentait un revenu mensuel net de 20 000 Rp, ce qui est loin d’être négligeable dans un village javanais. 103. Le fait que le village borde la grande rivière Progo a une influence sur le prix du poisson d’eau douce qui n’était que de 80 à 100 Rp/kg en août 1973. Malgré cela très peu de familles étaient en mesure d’en consommer trois fois par semaine. 104. Il avait très exactement 20 poules et 5 canards. 105. En fait, à la mort du père, la terre a comme il se doit été répartie équitablement entre lui et son frère, mais ce dernier préférant de l’argent a voulu la vendre et c’est Pak Karya qui s’est débrouillé pour réunir la somme et s’en porter acquéreur. 106. Il utilise du Gembira, espèce locale la plus répandue à Argodadi. 107. Il n’utilise que 12.5 kg d’urée pour son paddy, ce qui vu la surface de son sawah ne représente qu’à peine 60 kilos à l’hectare. 108. En 1972, il nous dit avoir aussi épandu plus d’une demie-tonne de fumier dans son sawah. 109. A raison de 200 gr par jour et par personne, la famille Karya a besoin de 511 kg de riz par an, arrondissons à 550 kg. Or, Pak Karya ne produit que 3 qx de paddy soit, si l’on applique l’équation de conversion habituelle 100 : 52, seulement 150 kg de riz, trois fois et demi moins que ce dont il a besoin. Pour acheter les quelques 394 kg qui lui manquent, il vend son maïs et son soya à Sentolo, tirant 6 800 Rp du premier (200 kg x 34 Rp/kg) et 24 750 Rp du second (225 kg x 110 Rp/kg ). La vente de ses palawija lui rapporte donc en tout 31 550 Rp, ce qui lui permet bien d’acheter les 394 kg de riz dont sa famille a besoin (394 kgx76 Rp/kg = 29 944 Rp), mais ne lui laisse un surplus monétaire après consommation que de tout juste 1 600 Rp, ce qui à l’évidence n’est pas beaucoup. 110. Les engrais chimiques lui reviennent à peu près à 350 Rp par an. 111. Une fois payé ses engrais, l’exploitation de son sawah ne lui laisse en effet plus qu’un surplus annuel de 1 275 Rp qui ne lui permet même pas de s’acquitter de ses taxes foncières qui tournent autour de 3 000 Rp. 112. Cette toile à sac est connue à Java sous le nom de bagor. 113. Ces pièces de théâtre sont connues sous le nom de ketoprak. La définition qu’en donne ELINOR CLARK HORNE dans son Javanese-English Dictionary, op. cit., p. 284 est la suivante: « A type of modem popular play depicting stories mainly from Javanese history plays, with improvised spoken 230

dialogue in modern Javanese, realistic (rather than stylized) acting, and a clown who comments on current public topics ». 114. Cette foire a lieu pendant la semaine qui précède le jour anniversaire de la naissance et de la mort du Prophète (Maulud) sur la pelouse nord (alun alun lor) du Palais du Sultan (Kraton), juste en face de la Grande Mosquée (Mesjid Agung). A cette occasion les deux gamelan sacrés sont transportés du Palais du Sultan à la Grande Mosquée et y sont joués le matin et le soir. Cette cérémonie symbolise l’attachement de la cour princière de Yogyakarta à l’Islam. 115. Ce type d’attitude obscurantiste est fort heureusement de moins en moins répandue dans les villages javanais. L’isolation d’Argodadi n’est certainement pas étrangère au fait que certains villageois parmi les plus pauvres pensent encore selon ces catégories. 116. Admettons que nous touchons avec le père de Pak Rejo, profession chercheur de fourmis (tukang cari semut), au comble de l’ingéniosité javanaise en matière de stratégies de survie ! 117. Du fait de l’isolement du village, de sa pauvreté accentuée et du rôle qu’y jouent encore les relations traditionnelles de travail, les salaires agricoles sont en règle générale beaucoup plus bas que dans les 3 villages précédemment étudiés. C’est ainsi qu’une femme travaillant dans les champs pour le compte de la raffinerie sucrière ou qu’un enfant ramassant de l’herbe pour le bétail ne sont payés que 25 Rp par jour, alors que le salaire journalier d’un ouvrier agricole non- spécialisé du sexe masculin varie entre 40 et 50 Rp et que celui d’un artisan menuisier par exemple dépassé rarement les 75 Rp. 118. Ces petites soucoupes sont appelées cowek. Il va les vendre en ville une fois par mois. 119. La famille ne consomme en effet qu’un kilo de riz par jour, ce qui représente une ration journalière individuelle inférieure à 150 gr. 231

Sommaire

1 Trois grandes leçons semblent devoir être tirées de l’analyse comparative de ces quatre villages du cœur du Kejawèn.

2 La première — certainement la plus évidente à la lecture des pages qui précèdent — est que le succès du programme de modernisation agricole mis sur pied par le gouvernement indonésien reste très étroitement lié aux conditions caractérisant les structures agraires locales et dépend donc directement du degré de polarisation sociale atteint par rapport au facteur terre ainsi que du degré de parcellisation de cette dernière. En d’autres termes, comme nous l’avions initialement perçu, le programme BIMAS reçoit un accueil comparativement plus favorable dans les villages où l’on trouve le plus grand nombre de propriétaires fonciers appartenant à la paysannerie moyenne ou riche et, par voie de conséquence quasi-inéluctable dans un milieu humain aussi densément peuplé, la plus forte proportion de familles sans-terres que dans ceux où l’accès à la terre est plus égalitaire mais où domine la petite paysannerie marginale ou sub-marginale. Certes, la distinction est nettement plus marquée et, partant, singulièrement plus facile à analyser, entre des villages comme Tirtonirmolo et Tim-bulhardjo, tous deux situés dans une très bonne zone irriguée où le sawah est largement prépondérant, qu’entre des villages comme Wukirsari et Argodadi, dans lesquels ce dernier est très secondaire par rapport au tegal ou au pekarangan et où le milieu naturel est loin d’être aussi favorable à la riziculture intensive, mais cela ne remet pas fondamentalement en question la validité de notre observation générale. Les conséquences de celle-ci sont aussi logiques qu’inquiétantes : bénéficiant principalement aux catégories les plus favorisées de la société paysanne javanaise, la stratégie de modernisation agricole pour laquelle a délibérément opté l’Ordre Nouveau dès la fin des années soixante ne peut manquer d’entraîner à terme un net renforcement des inégalités au sein du monde rural. Toutefois, devant le niveau de productivité rizicole moyen déjà atteint dès le début des années septante dans les villages bénéficiant de bonnes conditions naturelles, même dans ceux où le programme BIMAS strictu senso est un échec patent comme c’est le cas à Tirtonirmolo, on ne peut nier la diffusion rapide et massive, par le biais du programme INMAS, des nouvelles techniques de production au sein de la petite paysannerie marginale et sub-marginale, phénomène important qui peut éventuellement atténuer, voire partiellement contrebalancer, les effets sociaux négatifs susmentionnés. 232

3 La deuxième — complément et éclaircissement des propos tenus dans la première — est que les structures agraires des villages du Kejawèn, en particulier les degrés de polarisation sociale atteint par rapport au facteur terre et de parcellisation de cette dernière, résultent largement du processus de développement qui a marqué leur histoire, du cadre naturel dans lequel il s’est inscrit et surtout du niveau de diversification des activités économiques auquel il a abouti. L’accès à la propriété foncière s’avère en effet plus large et égalitaire dans les villages où les structures économiques sont le plus diversifiées et où le marché du travail est le plus ouvert et varié car c’est la juxtaposition d’une occupation agricole principale et d’une ou plusieurs activités non-agricoles annexes qui a permis à un plus grand nombre de petits paysans marginaux et sub-marginaux de sauvegarder leur micro-parcelle en s’assurant des sources de revenus parfois infimes mais complémentaires et salutaires dans l’administration, l’industrie, l’artisanat ou le commerce. Une nouvelle fois, le phénomène est nettement plus accentué et le contraste beaucoup plus frappant dans les villages bénéficiant de bonnes conditions naturelles de développement agricole que dans les autres. C’est ainsi que les structures agraires micro- parcellaires étonnamment égalitaires de Tirtonirmolo sont essentiellement dues à la nature suburbaine du village et à l’implantation de la raffinerie sucrière de Madukismo sur son territoire, deux facteurs de diversification économique éminemment créateurs d’emploi. Inversement, l’économie infiniment moins diversifiée de Timbulhardjo explique non seulement en grande partie les structures agraires fortement inégalitaires du village, mais sans doute également le caractère nettement plus semi-féodal d’une société paysanne se singularisant par un marché de l’emploi demeuré quasi-essentiellement agricole mais offrant d’assez nombreuses opportunités de travail aux multiples villageois sans-terre qui continuent à entretenir des relations de type patron-client avec les propriétaires fonciers afin de garantir la sécurité de leur emploi de métayer ou de journalier. Au bout du compte, on est confronté à une situation intéressante et d’apparence quelque peu paradoxale selon laquelle le programme gouvernemental officiel de modernisation agricole marche mieux dans celui des deux villages qui est le plus traditionnel et féodal et dont l’économie, quasi entièrement articulée autour de la monoculture rizicole, est la moins diversifiée. Bien qu’étant beaucoup moins tranchées, les choses vont également dans le même sens à Wukirsari et Argodadi, mais, plutôt que la proximité urbaine ou le début d’industrialisation, ce sont surtout les possibilités de mise en valeur de toutes les potentialités qu’offrent des milieux naturels plus ingrats, mais aussi plus variés, qui déterminent au premier chef la diversification des activités économiques. Ici, briques, tuiles, bois de chauffage des contreforts du plateau de Gunung Kidul et travail du cuir, là, exploitation des ressources de la rivière Progo et des jardins qui la bordent, l’isolement relatif des deux villages faisant que le commerce de détail y joue partout un rôle déterminant. De tout ceci émerge une constatation fondamentale : il est strictement impossible de pouvoir comprendre les conditions et les conséquences de la modernisation agricole dans les villages du Kejawèn sans également se pencher très attentivement sur le secteur non-agricole de l’économie rurale.

4 La troisième — élargissement et aboutissement logique des deux précédentes — est que le processus de développement qui affecte ces quatre villages d’un seul et même district du cœur de Kejawèn se caractérise par une étonnante diversité au niveau de la forme mais une profonde unité au niveau du fond. La diversité résulte de conditions géographiques et historiques de développement différentes qui font que chaque village, voire chaque hameau, a sa propre spécificité économique, sociale, politique et culturelle et que chaque 233

communauté villageoise a élaboré une stratégie de survie originale et dissemblable de celle de sa voisine immédiate. Comment ne pas être surpris et même un peu dérouté devant les énormes différences qui caractérisent les écosystèmes et les potentialités agricoles de villages voisins comme Tirtonirmolo et Argodadi ou Timbulhardjo et Wukirsari, les structures agraires et les relations socio-économiques de deux villages bénéficiant des mêmes conditions naturelles et aussi proche l’un de l’autre que Tirtonirmolo et Timbulhardjo ou les sensibilités politico-religieuses et les philosophies de développement de deux hameaux d’un même village comme Mrisi et Dongkelan Kauman ? Or, une fois la surprise passée, il est indispensable de tenir compte de cette fascinante diversité au niveau de l’analyse, sous peine de se condamner à ne pas comprendre grand chose des problèmes de modernisation agricole du pays. La tâche serait certainement hors de la portée d’un chercheur solitaire si la diversité en question n’était pas traversée et, en quelque sorte, ordonnée par une fondamentale unité. Cette dernière provient du fait que toute la société paysanne du Kejawèn est animée du même mouvement profond de changement économique et social, et que partout, on est confronté à un dynamisme, à une créativité et à une débrouillardise identiques sachant tirer profit de toutes les potentialités de développement existantes et transformer avec génie les désavantages en avantages, le déséquilibre structurel en avantage conjoncturel. Bref, on est déjà fort loin des à priori de la théorie « geertzienne » qui encombrait notre cerveau et conditionnait notre vision avant d’avoir entamé le terrain. Même si involution il y a eu, elle n’est plus à l’ordre du jour, car c’est bien à un processus d’évolution que l’on est désormais confronté dans le Kejawèn. 234

Troisième partie 235

Après-terrain : tentative de synthèse et ouverture progressive

Essai d’interprétation globale du dilemme rural javanais

1 Avec le recul, les innombrables détails de l’analyse micro-sociale s’estompent, laissant heureusement enfin seuls sur le devant de la scène les quelques faits majeurs vedettes. Pour Java, s’il en est un qui crève l’écran plus que tout autre, c’est bien l’énorme pression de l’homme sur la terre. La société rurale javanaise contemporaine est probablement la plus densément peuplée de toutes celles qui pourraient lui être comparées de par le vaste monde dit « en développement »1. Elle se trouve engagée dans une impitoyable course de vitesse de nature malthusienne entre la croissance démographique d’une part et celle des possibilités de subsistance de l’autre, l’augmentation constante de la production agricole vivrière étant bien évidemment au cœur même du problème. Le dilemme central auquel elle est confrontée est donc aussi simple qu’impératif : il faut soit arriver à limiter d’une manière ou d’une autre la taille de la population, soit pouvoir continuer à exploiter la base des ressources agricoles existantes sous une forme toujours plus intensive et diversifiée. Or, ce dilemme classique, commun à de nombreuses sociétés asiatiques2, est loin d’être nouveau. Produit d’un processus historique aussi long que complexe, il est même, selon toute vraisemblance, encore plus ancien que ne l’ont cru et écrit la plupart des grands indonésianistes classiques. Pour en comprendre la genèse, un bref « flash back » dans l’histoire ancienne de la formation sociale javanaise s’avère indispensable. L’analyse détaillée ne nous étant plus permise, il sera nécessairement schématique.

2 Un tel exercice est d’autant plus risqué que l’on ne peut éviter de s’engager pour un instant sur le terrain miné d’un vieux débat scientifique confus et passionné qui est loin d’être clos : celui portant sur le sens dans lequel joue historiquement la relation existant entre l’innovation technologique et la croissance démographique3. Dans ce genre de situation embarrassante, il vaut parfois mieux courir sa chance en traversant le champ le mines au pas de course, que de louvoyer prudemment à la recherche du plus sûr chemin pour finalement sauter sur la dernière. Disons donc qu’il est aujourd’hui à peu près 236

certain qu’une riziculture irriguée relativement intensive existait déjà dans certaines des petites plaines de l’actuel Kejawèn les plus facilement aménageables sur le plan hydraulique, bien avant que Java ne soit touché par la vague d’indianisation4. L’influence de cette dernière fut certes déterminante, mais ne fit que féconder et dynamiser une technologie hydraulique pré-existante, qui pouvait déjà nourrir une population plus dense que la riziculture sèche ou l’agriculture itinérante largement dominantes dans la majeure partie de l’archipel à cette époque, en lui fournissant le support politico- religieux et socio-administratif — les fameuses techniques d’encadrement chères à Pierre Gourou — nécessaires à sa floraison5. Les formations étatiques indo-javanaises qui émergèrent de ce processus de fécondation interculturelle dès les premiers siècles de notre ère6 surent exploiter avec art et méthode toutes les potentialités du modèle de développement hydro-agricole et inaugurèrent une longue période de progrès économique et social qui s’accompagna tout naturellement d’un phénomène de croissance démographique modéré mais continu. Au Xe siècle, la population du Kejawèn ne se limitait donc certainement pas à un million d’habitants, comme le supputait le grand sociologue hollandais Schrieke — malgré tout étonné qu’un groupe humain aussi restreint ait pu nous léguer des vestiges archéologiques de cette facture7 —, mais était probablement déjà environ cinq fois plus élevée, ainsi que l’avance Peter McDonald dans un tout récent article de synthèse des mieux inspirés8. Certes, au fil des siècles, les royaumes agraires indo-javanais passèrent plusieurs fois par des phases de déclin au cours desquelles l’encadrement se relâcha fortement, ou disparut même momentanément, du fait de guerres, d’épidémie, de famines, de sècheresses, d’inondations ou d’éruptions volcaniques, et qui furent donc marquées par une stagnation, voire une diminution de la population9. Malgré cela, l’île de Java, réputée pour son opulence et sa richesse10, et largement excédentaire en riz et maints autres produits précieux des plus recherchés11, comptait vraisemblablement déjà une bonne dizaine de millions d’habitants à la veille d’un processus de colonisation particulièrement précoce qui allait commencer à la toucher dès la fin du XVIe siècle12. Dans une telle hypothèse, sa population ne se serait donc accrue qu’au très faible rythme annuel moyen de 0.12 % pendant environ six siècles, ce qui n’a absolument rien d’invraisemblable.

3 Un peu plus de deux siècles plus tard, Raffles faisait effectuer le premier recensement officiel de la population javanaise. Il est désormais définitivement admis que le chiffre de 4.6 millions d’habitants auquel il aboutissait pour l’année 181513 était d’environ deux à trois fois inférieur à la réalité. Les raisons permettant d’expliquer une telle sous- estimation ayant été analysés en détails par la plupart des nombreux socio-démographes qui ont travaillé sur le cas javanais depuis une vingtaine d’années14, nous n’y reviendrons pas. Disons simplement qu’il n’est pas déraisonnable de penser que la population de l’île se situait plutôt aux alentours de 15 millions au moment de Waterloo, soit une croissance démographique une nouvelle fois des plus vraisemblable de 0.19 % par année entre 1600 et 1815. Le problème est que le colonisateur hollandais n’a jamais véritablement remis en question la validité du chiffre de Raffles, le considérant même comme le seul référentiel de base existant. Comme l’un des tout premiers recensements modernes et relativement plus fiables qui fut organisé par ses soins en 1900 donna une population de 28.7 millions, il en vint donc tout naturellement à considérer que Java avait été, au taux de croissance annuel moyen proprement faramineux de 2.18 % sur 85 ans, le théâtre d’une véritable explosion démographique pendant toute la durée du XIXe siècle15. Une fois cette certitude acquise, on prit l’habitude de l’expliquer en portant le phénomène au crédit d’une 237

politique coloniale ayant établi la loi et l’ordre de la « Pax Neerlandica », réalisé de gros progrès dans le domaine de la santé et entraîné une amélioration substantielle du niveau de vie de la population javanaise16. Quand on sait que le XIXe siècle s’est ouvert sur les multiples excès commis entre 1808 et 1810 par le « Napoléon Batave » Daendels17 — au premier rang desquels il convient de placer la construction forcée d’une route trans- javanaise fort coûteuse en vies humaines et souffrances de tous genres infligées à la paysannerie —, s’est poursuivi par les guerres menées par et ses troupes, qui ont ravagé tout le centre-sud du pays entre 1825 et 1830, puis par l’imposition de 1830 à 1870 de l’inique « Système des Cultures » inventé par Van den Bosch pour renflouer les caisses vides de la métropole, avant de s’achever sur le fameux discours du trône prononcé en 1901 par la reine Wilhelmine à propos de « la diminution du bien-être de la population indigène », on a un peu de mal à suivre cette interprétation abusive des bienfaits de la domination coloniale, légitimement critiquée par la plupart des sociaux- démographes contemporains18. Cela ne signifie nullement que la croissance démographique javanaise n’a pas subi une brusque accélération au cours du XIXe siècle, ni que la colonisation hollandaise n’en est pas largement responsable, mais simplement que le phénomène en question a été beaucoup moins accentué qu’on ne l’a en règle générale pensé jusqu’à une époque relativement récente. En effet, si, comme nous sommes tenté de le croire, la population javanaise était bien d’environ 15 millions en 1815, c’est au taux de croissance annuel moyen, encore modéré mais déjà nettement post-traditionnel, de 0.77 % qu’elle a augmenté pour atteindre 28.7 millions en 1900. Un tel ordre de grandeur semble beaucoup plus plausible que les 2.18 % évoqués plus haut, surtout si l’on considère que pendant près des trois premiers quarts du XXe siècle — il est vrai lui aussi marqué par son lot d’événements militaires et politiques meurtriers19 — c’est à un rythme annuel moyen de 1.38 % « seulement » que la population javanaise s’est accrue pour atteindre les 76.1 millions recensés en 19712021.

4 Face à cette croissance démographique moyenne d’environ 0.28 % par année sur près d’un millénaire, que l’on pourrait presque qualifier de faible et lente si elle n’avait pas simultanément multiplié le nombre des bouches à nourrir par plus de 15, la société paysanne javanaise se mit effectivement à progressivement exploiter la base de ses ressources agricoles de manière toujours plus intensive et diversifiée. On se doit toutefois de distinguer plusieurs grandes étapes dans ce processus séculaire de développement agricole. La première couvre toute la durée d’une période précoloniale au cours de laquelle ce fut principalement l’extension spatiale22 de la technologie hydraulique du système de sawah à toutes les différentes zones du Kejawèn où elle pouvait être implantée sans difficulté majeure qui constitua le moteur du processus de développement en question23. C’est ainsi que, petites plaines alluviales de piémont ou étroites vallées fluviales enserrées entre les cônes fertiles des volcans, les régions de Purwokerto- Purbalingga et de Kebumen-Purworejo dans l’ouest, de Magelang-Yogyakarta et de Klaten-Surakarta dans le centre ou de Ponorogo-Madiun et de Kediri-Mojokerto dans l’est, furent successivement aménagées et ouvertes à la riziculture humide. Parallèlement, suivant partout le sawah à la trace, le pekarangan commença bientôt à jouer de son côté le rôle d’appoint économique et alimentaire qu’on lui connaît aujourd’hui24. Tout cela déclencha une augmentation substantielle et continue de la production agricole, permettant non seulement de nourrir une population croissante, mais également de dégager un important surplus rizicole commercialisable qui devint rapidement l’une des principales sources de richesse des royaumes agraires javanais. Aux 238

XVe et XVIe siècles, le Kejawèn fut même le principal grenier à riz du monde malais et le fournisseur privilégié de ses grands ports marchands, Malacca au tout premier chef25. En revanche, les autres régions géo-culturelles de l’île, plus difficiles à aménager sur le plan hydraulique et moins peuplées, ne firent l’objet d’aucune mise en valeur particulière pendant toute la durée de cette période précoloniale, le système traditionnel de ladang26 restant par exemple selon toute vraisemblance largement dominant dans la majeure partie du pays Sunda.

5 L’arrivée du colonisateur hollandais sur la scène locale dès le début du XVIIe siècle ouvrit une deuxième longue étape du processus de développement agricole de l’île qui allait durer jusque vers la fin du XIXe siècle et au cours de laquelle le monde rural javanais allait subir de très profonds bouleversements. En effet, après s’être contenté de profiter des richesses naturelles de l’archipel en imposant leur monopole sur le commerce des épices, les marchands bataves, soucieux de rentabiliser leurs investissements et d’augmenter leurs profits, commencèrent à diversifier la production agricole de leur opulent jardin tropical. La culture du café fut donc tout d’abord introduite dans la région de Priangan, et la paysannerie sundanaise obligée de s’acquitter de l’impôt sous forme de « livraisons forcées » en nature27. Cela entraîna probablement un développement parallèle des cultures vivrières sur le plan local car, obligation lui étant faite de consacrer une bonne partie de ses champs et de son temps au café, la paysannerie n’eut pas d’autre ressource que de défricher de nouveaux et plus vastes espaces pour se nourrir. Il n’est d’ailleurs pas impossible que le sawah ait alors commencé à faire çi et là de timides apparitions dans certaines des zones de Java Ouest les plus favorisées sur le plan hydraulique. Toutefois, son extension resta pendant tout le XVIIIe siècle largement circonscrite au Kejawèn et elle n’y fut en aucun cas fulgurante puisque Geertz, citant un auteur hollandais, estime qu’en 1833, le sawah ne couvrait pas plus de 1.27 millions d’hectares dans tout l’île de Java28. C’est précisément à cette époque que les choses allaient commencer à se précipiter avec l’introduction du « Système des Cultures » imaginé par Van den Bosch. Comme la canne à sucre, qui en constitua rapidement la clef de voûte, pouvait parfaitement être cultivée dans les sawah, en symbiose avec le paddy, on assista, à partir de 1850, à une forte expansion de l’infrastructure d’irrigation, aussi bien dans les vieilles zones rizi-coles du Kejawèn que dans certains nouveaux périmètres aménagés de toutes pièces en plusieurs points du Pasisir29. En 1880, dix ans après que le « Système des Cultures » eut été définitivement abandonné, la superficie totale de sawah s’élevait déjà à 1.67 million d’hectares, une augmentation de 400 000 ha en moins de 50 ans30. Pendant le même laps de temps, le niveau de vie de la population javanaise avait commencé à se dégrader de manière catastrophique. Régulièrement privées de leurs meilleures rizières — réquisitionnées en priorité au profit de cultures commerciales auxquelles elles devaient par ailleurs consacrer une part toujours plus importante de leur temps de travail — et commençant à sérieusement ressentir les effets d’une pression démographique croissante sur des ressources limitées, les communautés villageoises en furent bientôt réduite à pratiquer de plus en plus systématiquement des cultures alimentaires secondaires moins exigeantes et prenantes comme la maïs ou la manioc sur les terres non-irriguées, moins fertiles, voire même marginales, de leur terroir. En 1880, le tegal, pratiquement inexistant dans l’île au début du siècle, couvrait déjà près de 450 000 ha31. Les choses n’allaient malheureusement pas s’arrêter là.

6 L’abolition formelle en 1870 du « Système des Cultures », devenu totalement inopérant, marqua le début de la troisième grande étape d’un processus de développement agricole 239

dont l’évolution allait être radicalement freinée par la grande crise des années 30, avant d’être interrompue de manière plus durable par la seconde guerre mondiale et la lutte de libération nationale. En l’espace d’une soixantaine d’années, la mise en valeur de l’espace agricole javanais allait être menée à son terme ultime dans la double direction déjà amorcée. D’un côté, d’abord soutenue entre 1870 et 1900 par les investissements privés des entreprises qui avaient repris en main l’industrie sucrière, puis surtout de 1900 à 1930 par les injections publiques massives d’un gouvernement colonial engagé dans une « politique éthique » voyant en elle la solution miracle au problème préoccupant du bien- être déclinant de la population, l’irrigation fit un prodigieux bond en avant puisque la superficie totale de sawah passa de 2 millions d’hectares en 1900 à 2.42 en 1915 pour atteindre 3.27 en 1930 et se stabiliser à 3.41 en 194132. De l’autre, cette fois-ci poussées par une croissance démographique ayant désormais atteint un rythme annuel de croisière supérieur à 1 %, les cultures alimentaires secondaires se développèrent à un rythme effréné puisque la superficie totale de tegal, pekarangan et autres catégories de terres non- irriguées amalgamées, passa d’environ 800.000 hectares en 1900 à 4.55 millions en 194133 ! En tout, la surface arable cultivée par la paysannerie javanaise couvrait donc déjà près de 8 millions d’hectares à la veille de l’invasion japonaise, soit plus de 60 % de la superficie totale de l’île ! Il semblait à priori difficile de pouvoir continuer bien loin dans cette direction et cela laissait bien supposer que l’extension spatiale de l’agriculture avait pratiquement atteint ses limites maximum. Par contre, du côté de l’intensification, la marge de manœuvre restait assez large, car la hausse de la production rizicole javanaise, passée de quelques 5.8 Mt de paddy en 1916 à près de 8.5 Mt en 194134, était uniquement due à une importante augmentation de la surface récoltée — surtout sensible à partir de 1930, quand l’industrie sucrière, victime de la dépression économique mondiale, commença à s’écrouler et que le paddy remplaça progressivement la canne dans les sawah 35 — alors que pendant le même laps de temps les rendements moyens n’avaient quasiment pas bougé, restant résolument collés à la barre fatidique des 2 tonnes de paddy à l’hectare36. C’est pourtant bien en tablant toute sa démonstration sur la capacité particulière de l’écosystème de sawah à absorber et à nourrir une population croissante par des augmentations marginales mais constantes de productivité que Geertz avait énoncé sa théorie de l’involution agricole37. Or, alors même que la démographie javanaise progressait entre 1900 et 1940 à un rythme encore jamais vu dans l’histoire d’une île dont la population passait de 28.7 à 48.4 millions38, la plus parfaite des stagnations avait caractérisé le niveau de productivité rizicole moyen. Il y avait déjà là une contradiction majeure à laquelle la plupart des critiques du schéma d’explication « geertzien » n’ont peut être pas toujours accordé suffisamment d’attention. D’autres allaient en revanche être analysées en détail au fur et à mesure que les recherches du début des années 70 sur les effets de la modernisation agricole au niveau de la sphère villageoise livreraient leurs résultats, et nous aurons l’occasion d’y revenir ultérieurement par le biais d’une réflexion sur les leçons à tirer de celle que nous avons personnellement mené de 1972 à 1974 dans cette direction. Voyons rapidement auparavant ce qui s’est passé dans l’entretemps.

7 La reconnaissance de l’indépendance nationale, finalement arrachée au colonisateur en 1949, marque, après presque dix années d’interruption, la reprise du processus de développement de l’agriculture javanaise ainsi que le début d’une quatrième étape, fort différente des trois précédentes, dont la nature profonde reste à ce jour inchangée. Les limites spatiales de l’extension des cultures dans l’île ayant en effet été atteintes, seule une augmentation de la productivité agricole pouvait permettre de faire face à une croissance démographique qui se rapprochait de plus en plus de la barre fatidique des 2 % 240

par an. C’est bien évidemment la tâche à laquelle s’attela d’emblée le gouvernement indonésien, en mettant tout naturellement l’accent sur la production rizicole. Il se lança pour cela fort judicieusement dans la réhabilitation et le développement d’une infrastructure d’irrigation ravagée par dix années de troubles et de conflit39, ainsi que dans une politique de vulgarisation agricole prônant tout d’abord simplement l’adoption de meilleures pratiques culturales puis, bientôt, l’utilisation progressive de certains nouveaux facteurs techniques de production comme les engrais chimiques40. Pour les raisons politiques, économiques et sociales succintement mentionnées dans l’introduction de cette étude, les résultats atteints ne furent malheureusement pas à la mesure des espérances. La production rizicole javanaise n’avait augmenté que d’environ 7 à 9 Mt de paddy entre 1950 et 196541, alors que pendant le même laps de temps la population passait de son côté de 50 à 70 millions42. Deux millions de tonnes de paddy en plus pour nourrir vingt millions de bouches supplémentaires, l’écart alimentation- population se creusait dangereusement et rendait le dilemme javanais plus aigu que jamais. Malgré cela, on pouvait tout de même relever certains signes encourageants au niveau de la productivité rizicole car la surface récoltée avait plafonné aux alentours de 3.5 millions d’hectares et seule l’augmentation substantielle des rendements moyens de paddy de 2 à 2.5 t/ha avait permis cette hausse de production43. Ceci dit, c’est bien évidemment l’adoption d’un programme global et systématique de modernisation agricole inspiré par la stratégie internationale de « révolution verte » qui dynamisa tout ce processus. Après les erreurs et tâtonnements dont nous nous sommes déjà fait l’écho précédemment, une formule satisfaisante fut finalement trouvée en 1970. Les résultats ne se firent pas attendre puisque les quelques 4 millions d’hectares de sawah récoltés dans toute l’île, en 1971, produirent 13.7 Mt de paddy, soit un rendement moyen déjà fort respectable de 3.4 t/ha44. Dans de nombreux villages du Kejawèn, les témoignages rapportaient des rendements moyens de paddy de 5 t/ha et plus ! Les progrès réalisés dans certaines zones rurales bien déterminées étaient tout simplement fulgurants. Cela constituait déjà en soi un élément suffisamment important pour que certains chercheurs commencent à émettre de sérieux doutes sur la validité de la théorie involutive de Geertz. C’est précisément pour analyser les causes, les conditions et les conséquences de cette modernisation agricole accélérée et voir dans quelle mesure elle était capable d’apporter une solution durable au dilemme javanais maintes fois mentionné que plusieurs recherches villageoises, dont la nôte, furent entreprises à cette époque là. Or, toutes sans exception révélèrent une image de la société rurale javanaise radicalement différente de celle que Geertz avait dépeint.

8 Premièrement, cette société s’avérait assez nettement stratifiée et, malgré des différences parfois sensibles d’une région à l’autre, on y retrouvait partout, d’un côté du spectre, une importante catégorie défavorisée de villageois sans-terre et de tout petits paysans marginaux, et de l’autre, une classe privilégiée, parfois très restreinte, de paysans moyens et riches. II y avait donc bien des « have » et des « have not », et l’on était loin de la société villageoise homogène décrite par Geertz dans laquelle le seul élément de différenciation opposait « ceux ayant tout juste » (tjukupans) à « ceux n’ayant juste pas assez » (kekurangans)45. Or, le processus de différenciation sociale ayant débouché sur une structure inégalitaire de ce type n’était pas né d’hier. Des chercheurs comme M. Lyon46 ou H. Kanô47 ont bien montré qu’il avait selon toute vraisemblance commencé à se manifester vers la fin du XIXe siècle déjà, pour s’accentuer fortement pendant toute la phase de politique libérale que les Hollandais inaugurèrent en 1900 — plus particulièrement entre 1930 et 1940, quand l’effondrement de l’industrie sucrière 241

javanaise contrôlée par le capital hollandais ouvrit de nombreuses perspectives économiques nouvelles aux plus entreprenants des villageois — et se concrétiser dans le courant des vingt premières années d’indépendance. Il avait donc déjà sévit à « Modjokuto », comme partout ailleurs dans le Java des années cinquante, et Geertz s’en serait parfaitement rendu compte s’il n’avait pas fortement idéalisé les rapports sociaux de type communautaire en leur accordant une importance totalement disproportionnée, ainsi que le lui reprochent à juste titre des gens comme E. Utrecht48 ou J. Hickson49. A vrai dire, le fait de voir un socio anthropologue, caressant un projet aussi ambitieux que celui consistant à échafauder l’explication théorique globalisante du développement économique d’une société paysanne exerçant une telle pression démographique sur la terre, ne pas juger nécessaire de se livrer en tout premier lieu à une analyse fine des structures agraires qui la caractérisent reste étonnant, pour ne pas utiliser un mot plus fort. En tous les cas, cela rend d’autant plus discutable la généralisation abusive qu’il peut faire d’observations parcellaires et biaisées glanées dans un seul et unique village à la situation d’un monde rural javanais dont la diversité géo-écologique et socio-économique est peut être le trait majeur. Par la suite, toutes les lacunes de cette approche idéaliste ignorant purement et simplement l’existence des classes sociales dans les campagnes javanaises sont clairement apparues quand certaines études socio-économiques et multi- villageoises, certes moins ambitieuses mais plus conséquentes que celle de Geertz, se sont attachées à analyser en priorité l’incidence des structures agraires sur le développement rural. La nôtre fait partie du lot, en compagnie de celles réalisées par des chercheurs indonésiens comme H. Soewardi50 ou H. Siahaan51. Toutes sans exception montrent que le succès initial fulgurant du programme de modernisation agricole s’explique principalement par l’enthousiasme énorme qu’il a soulevé auprès de la paysannerie moyenne et riche des villages qui a vu dans l’adoption rapide de la nouvelle technologie rizicole un moyen de renforcer son pouvoir économique et social. Classe entreprenante et dynamique, elle a simplement saisi au vol cette nouvelle opportunité comme elle avait su exploiter toutes celles qui s’étaient présentées par le passé et lui avaient permis d’émerger comme classe dominante. La modernisation de la riziculture javanaise a donc entraîné partout une certaine accélération du processus de différenciation sociale au sein de la sphère villageoise.

9 Deuxièmement, l’adoption de la nouvelle technologie rizicole, si elle entraînait effectivement une augmentation importante et rapide du rendement des sawah, avait plutôt tendance à en chasser une partie de la main-d’œuvre y travaillant traditionnellement qu’à en absorber une plus grande quantité. Or, dans la théorie « geertzienne », le moteur de l’involution agricole réside précisément dans la capacité de l’écosystème de sawah à augmenter sa productivité en absorbant plus de main-d’œuvre par unité de surface cultivée. Il y avait de nouveau là une contradiction majeure sur laquelle un économiste agricole comme W. Collier52 s’est penché avec une attention toute particulière. Selon lui, le fait que les changements de techniques de production rizicole véhiculés par la « révolution verte » se soient soldé, à Java comme presque partout ailleurs, par un déplacement négatif net de la main-d’œuvre, invalide en grande partie la théorie de l’involution agricole. Le phénomène en question a été surtout sensible au niveau de la récolte où l’on a vu la faucille et une main-d’œuvre masculine salariée largement extérieure au village (tebasan) progressivement remplacer le couteau à riz (ani ani) et la main-d’œuvre féminine villageoise rémunérée en nature (bawon). De manière plus générale, la modernisation agricole s’est accompagnée d’un très fort relachement des pratiques communautaires traditionnelles résiduelles, des relations de travail semi- 242

féodales patron-client, des mécanismes de sécurité collective ou de l’esprit de solidarité villageoise au profit d’un rapport capitaliste plus classique et individualiste opposant simplement chaque salarié à son employeur. Simple épiphénomène du processus de différenciation sociale susmentionné, cette tendance n’est d’ailleurs pas nouvelle. On peut alors légitimement s’interroger sur la validité du concept de « pauvreté partagée », second élément majeur du schéma d’explication « geertzien ». Disons tout simplement que cette pauvreté n’était déjà certainement plus si équitablement partagée au moment où Geertz enquêtait à Java et qu’elle tend à l’être de moins en moins depuis lors.

10 Troisièmement, on vérifiait une tendance assez nette, et apparemment parfaitement logique, à trouver des rendements de paddy beaucoup plus élevés dans les zones de vieille tradition hydraulique du Kejawèn comme Bantul et Klaten, où une riziculture intensive était déjà pratiquée depuis bien avant le début de l’époque coloniale, que dans celle de tradition agricole plus récente du Pasisir comme Pekalongan et Lumajang où elle s’était implantée tardivement grâce à l’infrastructure d’irrigation mise en place par le colonisateur hollandais pour développer la culture industrielle de la canne à sucre. Cela posait pourtant également problème par rapport à Geertz, puisque pour lui, c’était justement l’extension de cette infrastructure d’irrigation qui avait donné la possibilité à la paysannerie javanaise d’augmenter sa production rizicole par le biais de méthodes culturales plus intensives en travail, la canne à sucre ayant en quelque sorte constitué le carburant de l’involution agricole. Plusieurs données chiffrées permettent d’émettre de sérieux doutes également sur cet aspect là de son interprétation. Rappelons tout d’abord à un niveau très général que le rendement moyen de paddy n’a pas décollé de la barre des 2 t/ha de 1900 à 1940 à Java, ce qui ne milite déjà pas dans le sens de son assertion postulant un impact positif de la culture de la canne à sucre sur la productivité rizicole. Certes, ces rendements rizicoles étaient et restent plus élevés dans le Kejawèn que dans que dans le Pasisir mais, contrairement à l’idée défendue par Geertz, c’est plutôt dans ce dernier que le gros de la production sucrière était concentré dans les années 20 comme le démontre judicieusement H. Kanô53, et il continue d’ailleurs à l’être de nos jours. De plus, nouvel élément contradictoire par rapport à la théorie émise par Geertz, il semble que les rendements moyens de paddy aient précisément toujours été encore plus élevés dans les zones rizicoles traditionnelles les mieux irriguées où la canne à sucre n’a jamais mis le pied, témoin, Bali, où ils atteignaient déjà 3.4 t/ha en 1940, près de 50 % de plus qu’à Java 54 ! L’élément d’explication décisif le plus convaincant de tout ce problème complexe nous est fourni par deux ethno-historiens comme P. et J. Alexander55 qui reprochent à Geertz d’avoir largement surestimé la relation de compatibilité écologique mutuelle existant entre le paddy et la canne, en particulier au niveau des exigences de chacune des deux cultures en matière d’irrigation. Pour eux les choses sont claires : la stagnation de l’économie paysanne javanaise est moins due à des raisons d’ordre écologique ou démographique qu’à une politique coloniale désastreuse qui, en subordonnant le développement de la culture de subsistance du riz à celui de la culture commerciale de la canne, a empêché le déclenchement d’un processus de modernisation agricole endogène plus précoce.

11 Quatrièmement, le tissu des relations et des activités économiques caractérisant la sphère villageoise javanaise se révélait être d’une densité et d’une complexité peu communes. En lisant et relisant Geertz, on en était pourtant presque arrivé à se convaincre du fait que l’économie rurale javanaise, homogène, simple et statique, était entièrement articulée autour du sacro-saint sawah et que la population villageois consacrait le plus clair de son 243

temps et de son énergie à faire « involuer » la riziculture. Or, rares étaient les familles villageoises pour qui les activités non-rizicoles, para-agricoles et non-agricoles ne jouaient pas un rôle déterminant. La plupart d’entre elles avaient en fait élaboré de subtiles stratégies de survie basées sur la diversification des sources complémentaires de revenu par l’exercice hebdomadaire, voire quotidien, d’une ou plusieurs activités annexes simultanées à côté de leur occupation principale. Devant ce dynamisme tout azimuts fait d’ingéniosité et de débrouillardise, Ben White56, l’un des sociologues ruraux qui a passé le plus de temps à essayer d’analyser cette complexité organisée, en est arrivé à conclure que l’économie villageoise javanaise fonctionnait en grande partie sur le principe de la « multiplicité occupationnelle » ! Certes, tout ce secteur d’activité s’est fortement développé depuis le début du processus de modernisation agricole susmentionné, mais il serait erroné de croire qu’il était totalement inexistant du temps où Geertz cogitait sa théorie de l’involution. Il eut probablement été un peu moins pessimiste s’il en avait tenu compte et nous aurait alors peut-être épargné un prêche final apocalyptique sur la catastrophe économique imminente guettant Java, thème aussi banal et fastidieux que son contraire sur la richesse inépuisable du paradis tropical, tous deux malheureusement par trop récurrents dans la littérature consacrée à l’île. C’est ainsi que la production incroyablement variée et complexe des pekarangan, phénomène ancien ayant déjà frappé Raffles en son temps, mais auquel Geertz ne consacre guère plus d’une note de bas de page dans son ouvrage57, joue un rôle d’appoint déterminant dans l’alimentation et le revenu de la plupart des familles villageoises. En fait peut-être a-t-on même justement là une des principales clefs d’explication de la capacité d’absorption démographique étonnante démontrée par Java depuis le XIXe siècle, sans qu’il y ait pour autant un effondrement catastrophique du niveau nutritionnel moyen de la population58. Malheureusement, les études de sociologie rurale javanaise ayant toujours eu tendance à se concentrer de manière trop exclusive sur le sawah, le pekarangan reste encore mal connu, et les travaux de précurseurs réalisés par des chercheurs comme D. Penny et M. Singarimbun59 ou Anne Stoler 60 méritent à l’avenir d’être poursuivis, développés et approfondis. Par ailleurs, tout un petit secteur informel et non-structuré de micro- industries, d’artisanat, de réparation et de commerce de détail, actuellement en pleine effervescence, existe déjà depuis belle lurette dans les campagnes javanaises, tant dans le domaine des activités para-agricoles que non-agricoles, et beaucoup de familles villageoises y trouvent une source de revenu principale ou secondaire, mais Geertz ne nous en parle absolument pas. Enfin, cette société paysanne dont il nous restitue une image de parfaite immobilité s’avère au contraire avoir su faire preuve depuis des siècles d’une assez grande mobilité comme nous le confirme un spécialiste aussi averti des problèmes de migration interne que G. Hugo61, dont les principales recherches nous montrent par ailleurs avec clarté combien le phénomène de « migration circulatoire » sur une base temporaire — mensuelle, hebdomadaire, voire journalière — tend à jouer un rôle de plus en plus déterminant dans l’économie villageoise javanaise depuis que les transports et les communications entre la ville et la campagne se sont améliorés, facilitant le déplacement rapide des hommes, des marchandises et des informations.

12 Les quatre principaux points d’argumentation susmentionnés, amplement illustrés tout au long de cette étude et largement étayés par les travaux d’autres chercheurs, s’enchaînent à notre avis d’une manière suffisamment cohérente et convaincante pour définitivement accréditer l’idée d’une société villageoise javanaise plutôt dynamique et changeante que statique et immuable. Au moment de quitter le pays vers Pâques 1974, nous avions en tous les cas acquis la ferme conviction qu’elle n’était nullement 244

caractérisée par un quelconque processus d’involution agricole ou de partage de la pauvreté comme avait tenté de le démontrer Geertz, et qu’elle ne l’avait peut-être même jamais vraiment été dans le sens général et mécanique où il l’entendait. Il nous semblait au contraire certain qu’elle se caractérisait principalement, pour reprendre l’expression volontairement polémique forgée par W. Collier62, par un véritable processus d’« évolution agricole », enclenché depuis longtemps déjà, mais qui, sous l’effet de la modernisation toute récente des techniques de production rizicoles, s’était fortement accéléré et contribuait à renforcer un phénomène de différenciation sociale ne datant pas d’hier lui non plus. Ce dernier se manifestait selon toute vraisemblance par une concentration et une fragmentation croissantes de la propriété foncière, mais cette double tendance pernicieuse, déjà difficile à déceler au niveau villageois, demeurait pratiquement invérifiable à une échelle d’observation plus large. Le grand recensement agricole décennal de 1973 ne pouvait guère nous éclairer sur ces questions complexes, car il intervenait bien trop tôt après le début du processus de modernisation rizicole en question pour qu’une quelconque tendance nette puisse déjà s’en dégager. Comme il incluait, par ailleurs, la province des Moluques (Maluku) et surtout la catégorie foncière des exploitations agricoles situées entre 500 et 1 000 m2 de terre, toutes deux exclues du précédent recensement effectué en 196363, la comparaison dans le temps s’avérait encore plus délicate. Ceci dit, il nous fournissait tout de même un grand nombre d’informations précieuses et significatives.

13 Sur un plan très général, on pouvait tout d’abord noter que la superficie agricole totale recensée dans tout l’archipel en 1973 s’élevait à près de 16.4 millions d’hectares64, soit près de deux millions de plus qu’en 1963. Cette forte extension spatiale des cultures s’était toutefois exclusivement faite dans les « îles extérieures », puisque Java restait, avec un peu moins de 6.2 millions d’hectares65, exactement au même niveau que dix ans plus tôt. C’était bien là une nouvelle fois la preuve qu’il n’était guère possible d’y cultiver le moindre d’hectare de terre supplémentaire66. Par ailleurs, les terres cultivées directement par la paysannerie javanaise ne couvraient plus quant à elles qu’un peu plus de 5.5 millions d’hectares67, environ 150 000 ha de moins qu’en 1963, le transfert s’étant intégralement fait au profit des plantations, occupant désormais près de 700 000 ha68. En fait, certains changements importants avaient affecté chacune des catégories de terre constituant cette vaste superficie arable privée puisque la rizière humide (sawah) couvrait 2.63 millions d’hectares, près de 48 % du total, les champs secs (tegal), 1.82 million d’hectares, un peu plus de 33 %, les jardins (pekarangan), 450 000 ha, tout juste 8 %, et les champs essartés (ladartg), 60 000 ha, environ 1 %, les quelques 540 000 ha restant, presque 10 % du total, étant occupés par les cultures pérennantes, les pâturages, les bois et les forêts ainsi que les terres laissées en friche69. Par rapport à 1963, le sawah avait donc gagné plus de 100 000 ha, alors que le tegal, le pekarangan et le ladang en perdaient respectivement environ 400 000 ha, 80 000 ha et 120 000 ha et ce, largement au profit de la catégorie résiduelle fourre-tout susmentionnée qui augmentait de près de 400 000 ha70. A côté d’une urbanisation croissante forte consommatrice de terres agricoles, tout ceci était principalement dû à une politique d’irrigation, de reboisement et de reconversion des zones cultivées les plus exposées à l’érosion sur laquelle nous ne pouvons guère nous étendre très longuement dans le cadre de cette conclusion. Signalons toutefois que selon certaines extrapolations savantes rendues nécessaires par le fait que le recensement agricole de 1973 ne fournissait aucune indication précise à ce sujet, plus de 75 % du sawah javanais bénéficiait désormais d’une irrigation technique permanente71. Par contre, bien qu’il domine de plus en plus largement le paysage agricole de l’île, le sawah javanais ne 245

représentait plus que 54 % de la superficie totale des rizières humides disponibles dans tout l’archipel72, contre encore 62 % dix ans plus tôt. Cela donnait déjà une idée des gros progrès d’aménagement hydraulique également réalisés dans les « îles extérieures ».

14 Sur le plan plus spécifique des structures agraires, on découvrait que les quelques 14.4 millions d’exploitations agricoles recensées dans tout le pays en 1973 couvraient une superficie totale d’environ 14.2 millions d’hectares, soit, en moyenne, un peu moins d’un tout petit hectare pour chaque d’entre elles73. A côté de cela, on apprenait que 45.6 % de ces exploitations étaient inférieures à 0.5 ha et ne couvraient que 11.9 % de la superficie en question, alors que 52.3 % d’entre elles se situant dans la large fourchette allant de 0.5 ha à 5 ha occupaient 67.6 % des terres et que seules 2.1 % se trouvaient au dessus du seuil des 5 ha, ne contrôlant pas moins de 20.5 % du total disponible74. Bien qu’ils ne révèlent pas un changement fondamental par rapport à 1963, ces chiffres permettaient tout de même de conclure à une certaine continuité dans la concentration relativement modéré de la terre, mais à une accélération sensible dans sa fragmentation et sa parcellisation puisque le nombre des exploitations agricoles inférieures à 0.5 ha avait augmenté d’exactement 2 %75. Les choses étaient encore plus claires à Java où les 8.7 millions d’exploitations agricoles recensées — c’est-à-dire tout de même 800 000 de plus qu’en 1963 — ne couvraient que 5.5 millions d’hectares, soit une moyenne légèrement supérieure à 0.6 ha par unité contre 0.7 ha dix ans plus tôt76. De plus, 57.4 % de ces exploitations étaient inférieures à 0.5 ha et ne couvraient que 22.7 % de la superficie en question, alors que 42.1 % d’entre elles situées dans la fourchette 0.5-5 ha occupaient 71.7 % des terres et que seules les 0.5 % restantes se trouvaient au dessus du seuil des 5 ha et ne contrôlaient pas plus de 5.6 % du total disponible77. En l’espace de dix ans, plus de 5 % des exploitations agricoles javanaises étaient donc passées de la catégorie moyenne des 0.5-5 ha à la catégorie inférieure des moins de 0.5 ha, celles des plus de 5 ha restant quant à elle pratiquement inchangée78. Il est certain que les quelques 400 000 exploitations agricoles de moins de 1 000m2 nouvellement inclues dans le recensement de 197379 expliquaient en grande partie ce glissement. Par ailleurs, il fallait également tenir compte des redistributions de terre effectuées à partir de 1963 dans le cadre de l’application de la Loi Agraire de 1960. Toutefois, une certaine tendance à la fragmentation croissante semblait bien travailler en profondeur la structure agraire javanaise. Le fait qu’elle ne se traduise pas par une concentration plus marquée de la propriété foncière restait tout de même surprenant au regard d’un processus de modernisation agricole affectant une société rurale dans laquelle près de six exploitants sur dix cultivaient moins d’un demi-hectare de terre mais bénéficiant visiblement surtout aux quatre paysans moyens ou riches situés au-dessus de ce seuil minimum. Il était indubitablement encore trop tôt pour y voir très clair dans ce domaine et il faudrait vraisemblablement attendre le prochain recensement décennal prévu en 1983 pour en savoir plus. En attendant, on pouvait tenter d’avancer quatre principales hypothèses explicatives. Un : la fragmentation des terres était essentiellement due à la pression démographique croissante et aux partages successifs de parcelles en résultant entre les héritiers. Deux : la paysannerie marginale arrivait à conserver son infime niveau de propriété par une diversification de plus en plus poussée de ses activités para-agricoles et non-agricoles. Trois : la diffusion progressive des nouvelles techniques de production rizicole permettait à une partie de plus en plus importante de la petite paysannerie d’améliorer ses revenus et de sauvegarder ses terres. Quatre : la paysannerie aisée investissait ses bénéfices croissants de manière moins traditionnelle qu’auparavant, démontrant une certaine tendance à délaisser le domaine foncier, trop voyant et risqué, 246

pour étendre son contrôle en amont et surtout en aval de la production agricole elle- même, dans des secteurs d’activité moins aléatoires et finalement plus rentables. Nos études villageoises ont bien montré à l’occasion que ces hypothèses étaient fondées et vérifiables De futures recherches se devraient toutefois de creuser ces questions de manière plus systématique.

15 Restait finalement les problèmes épineux des fermiers et métayers ou des sans-terres sur lesquels le recensement agricole de 1973 était inégalement explicite. En ce qui concerne les premiers, il semble que la Loi Agraire de 1960, dont ils furent les principaux bénéficiaires, ait porté ses fruits puisque le pourcentage des exploitants agricoles javanais ne possédant que partiellement ou pas du tout leur terre était tombé de près de 40 % en 1963 à quelques 26.5 % en 197380. En revanche, du côté des seconds, les choses étaient infiniment plus floues du fait que le nouveau recensement ne donnait pas plus d’informations concrètes à leur sujet que toutes les données statistiques officielles produites depuis des années par le gouvernement. Renonçant explicitement à pouvoir déterminer de manière satisfaisante la proportion des familles agricoles indonésiennes totalement dépourvues de terre sur la base des chiffres partiels dont ils disposaient, deux chercheurs comme R. Montgomery et T. Sugito81 en sont par contre récemment arrivés à définir un taux de « quasi sans-terre »82 qui s’élevait selon eux, en 1973, à plus de 12 % pour tout l’archipel, mais atteignait déjà 16 % pour l’île de Java prise séparément et frôlait même les 25 % dans une province comme Java Central83. Toutefois, en procédant partiellement à partir des mêmes informations chiffrées que les leurs, mais en les interprétant volontairement de manière un peu plus téméraire, on pouvait rapidement arriver à situer entre 20 et 25 % des familles rurales javanaises la proportion des sans- terre en 197384. Cela représentait environ 3 millions de familles à cette époque85, soit, à peu de chose près, le même nombre que dix ans auparavant. Il n’y avait pourtant pas vraiment de quoi se réjouir d’une telle stabilisation, car si la croissance démographique avait bien joué dans l’entre-temps, l’exode rural avait également chassé nombre d’entre- elles de manière définitive vers la misère presque toujours encore plus noire des villes. Face à cette véritable cohorte de villageois sans-terre, on ne trouvait en tout et pour tout que 5 482 exploitants agricoles situés au-dessus du seuil des 10 ha à l’autre extrémité du spectre socio-agraire javanais, dont 1 755 à Java Ouest, 1 862 à Java Central, 1 793 à Java Est, 72 dans le D.K.I. Jakarta et... aucun dans le D.I. Yogyakarta86. Amalgamés tous ensemble, ils ne contrôlaient qu’une superficie totale d’environ 85 000 ha, dont moins de la moitié en pleine propriété87. Même si la réforme agraire avait encore été à l’ordre du jour, la marge de redistribution des terres eût été plus que limitée sur une base aussi étroite. Dans cette optique, les perspectives étaient par contre beaucoup plus larges du côté des terres communales réservées à l’usage des fonctionnaires de l’administration villageoise (tanah bengkok). Il s’est avéré impossible de pouvoir obtenir de l’administration centrale les données statistiques globales qui nous aurait permis de calculer avec exactitude la superficie totale de cette catégorie foncière pour toute l’île de Java88. Cependant, certaines indications fragmentaires laissent à penser qu’elle est considérable. C’est ainsi qu’une enquête portant sur 9 des 20 districts ruraux de Java Ouest, celle des provinces de l’île où la pratique est pourtant la moins répandue, a révélé qu’elle ne couvrait pas moins de 25 000 ha environ89. Nos enquêtes de villages et celles d’autres chercheurs ont clairement montré que si ces terres communales pouvaient, selon les cas, couvrir jusqu’à 150 ha, elles tombaient rarement en-dessous de la barre des 20 à 30 ha90. Même en prenant le chiffre moyen relativement bas de 25 ha par village, on arrive à dégager des quelques 20 000 villages ruraux de l’île91 une superficie respectable de 500 000 247

ha qui est probablement très largement inférieure à la réalité. En tous les cas, il y aurait certainement là de quoi régler en bonne partie les problèmes de survie économique auxquels les familles villageoises javanaises dépourvues de terre ont à faire face. C’est évidemment une question de volonté politique et d’option en matière de développement économique, car la main-d’œuvre bon marché qui est chassée des campagnes vers les villages joue indubitablement aux yeux des dirigeants actuels, un rôle majeur dans l’industrialisation du pays. A côté de cela, toucher aux terres communales, c’est remettre en question le pouvoir de la bureaucratie villageoise et, par là même, le rôle clef qu’elle joue dans l’administration du développement rural de l’île.

16 A Java, il n’est pas rare d’entendre dire que tel ou tel chef de village (lurah desa) se comporte comme un roitelet de village (raja desa), ou que sa position est finalement plus lucrative que celle d’un ministre. Le pouvoir de la bureaucratie villageoise javanaise est, en effet, très grand, car non seulement ses membres élus font-ils en règle générale tous partie - grâce aux terres communales dont ils ont l’usufruit et à diverses autres sources de revenus annexes — de la toute petite minorité des familles privilégiées du village, mais encore sont-ils responsables et gèrent-ils au niveau local une bonne partie des programmes de développement lancés par le gouvernement. C’est ainsi qu’elle joue un rôle majeur dans l’exécution et la supervision de programmes aussi importants pour le développement national que la modernisation agricole, l’emploi rural, le planning familial ou la transmigration. Comme les échelons supérieurs de l’administration territoriale n’ont souvent ni la volonté, ni les moyens d’exercer un contrôle très strict sur ses activités, on assiste, un peu partout, aux abus et malversations classiques que tout pouvoir un tant soit peu discrétionnaire a toujours engendré de par le vaste monde. Le népotisme n’est certes pas le moindre d’entre-eux, et il fleurit allègrement dans maints villages javanais, parfois entièrement contrôlés et « administrés » par une seule et même famille, ainsi que l’ont amplement démontré certaines de nos études de cas ou les travaux de plusieurs autres chercheurs92. Dans le même ordre d’idée, nous avons également vu que les fonctions villageoises étaient souvent héréditaires dans les faits. Par ailleurs, les fonctionnaires villageois reçoivent les subsides gouvernementaux ou prélèvent les taxes locales et contrôlent donc l’utilisation de certains moyens financiers qui ne sont pas toujours ni gérés, ni dépensés de la manière la plus profitable à la collectivité. Certes, tout ceci dépend aussi en grande partie des hommes en place, de leur sens de l’éthique professionnelle ou du devoir public, et les villages administrés efficacement et honnêtement ne sont pas inexistants à Java. Sur la base de notre expérience, nous aurions toutefois tendance à considérer qu’ils constituent plutôt l’exception que la règle. Ceci dit, il ne faudrait pas oublier que la corruption, véritable phénomène de société sur les causes et les conséquences duquel on ne peut pas entrer en matière ici, fait des ravages beaucoup plus graves à tous les autres échelons d’une administration publique indonésienne particulièrement mal payée. Certains observateurs familiers des problèmes de développement rural à Java estiment précisément que le mode de rémunération foncier traditionnel de la bureaucratie villageoise constitue le principal rempart à une corruption plus dévastatrice et à une déliquescence rapide de tout l’appareil administratif au niveau local. Selon eux, son abolition créerait beaucoup plus de problèmes qu’elle n’en réglerait. Leurs appréhensions ne sont certainement pas totalement infondées. Toujours est-il que le système existant fait des fonctionnaires villageois les principaux bénéficiaires de la stratégie de modernisation agricole et de développement rural mis en place depuis la fin des années 60 par le gouvernement. Ils constituent, en effet, la seule catégorie socio-professionnelle villageoise pouvant s’enrichir au double titre de son appartenance à 248

la paysannerie riche d’un côté, utilisatrice privilégiée des crédits institutionnels à la production injectés dans le programme d’intensification rizicole, et à l’administration publique de l’autre, dispensatrice toute puissante d’une partie importante de cette manne financière au niveau local. Sans aller jusqu’à totalement remettre en question cette dualité ambiguë légitimée par l’histoire et la culture, on ne pouvait tout de même pas s’empêcher de penser que l’imposition d’un mécanisme de contrôle plus démocratique et rigoureux des recettes et des dépenses villageoises, tant de la part de la population concernée que de celle des instances administratives supérieures, aurait à la fois permis d’éviter certains des abus les plus courants et d’améliorer l’efficacité des investissements publics de développement. Il faut dire qu’au début des années 70, les problèmes administratifs de ce genre ne se limitaient pas à la sphère villageoise, mais se posaient également à tous les autres échelons de l’appareil bureaucratique d’état, des sous- districts au gouvernement central, en passant par les districts, les provinces et les ministères.

17 Rappelons tout d’abord en deux mots que l’héritage colonial de l’Indonésie fut particulièrement lourd sur le plan administratif. En renforçant le pouvoir de la boureaucratie traditionnelle javanaise (priyayi)93, par l’intermédiaire de laquelle ils gouvernèrent, mais en évitant soigneusement de former des cadres modernes qualifiés, les Hollandais sont, en effet, responsables d’une bonne partie des maux qui continuaient à assaillir l’administration publique de l’île plus de trente ans après l’indépendance nationale. La gabegie et les outrances de la période sukarnienne ne firent rien pour arranger les choses dans ce domaine spécifique, et l’Ordre Nouveau se retrouva à la tête d’un appareil administratif particulièrement lourd, rigide et centralisé, surpeuplé, d’une pléthore de fonctionnaires parasitaires sous-payés, mais pauvre en hommes vraiment qualifiés, caractérisé par un processus décisionnel parfaitement vertical et autoritaire, foisonnant de chevauchements de compétences en tous genres et affligé d’une absence quasi totale de coordination entre les instances. Alors qu’il eut fallu assainir et élaguer, le nouveau régime, surtout soucieux d’asseoir rapidement son pouvoir politique, ne fit au contraire que surenchérir en doublant systématiquement du haut en bas de l’appareil d’état toute l’administration civile par son équivalent militaire. Cela ne fit bien évidemment qu’ajouter à la confusion et aux problèmes déjà existants. Les difficultés furent particulièrement sérieuses et répétitives dans le domaine du développement agricole et rural sur lequel le gouvernement avait tablé toute sa stratégie de modernisation économique, et un socio-politologue chevronné comme Gary Hansen en a fort bien analysé toutes les multiples facettes94. D’un autre côté, il faut bien admettre que l’équipe gouvernementale, totalement novice en matière de développement appliqué lors de son arrivée au pouvoir, sut très vite apprendre de ses erreurs et fit rapidement preuve d’un pragmatisme méritoire lui permetant, par le biais d’un classique processus d’approximations successives, de progressivement corriger le tir et de pouvoir mettre sur pied des institutions de mieux en mieux adaptées et des procédures de plus en plus efficaces. Sans entrer dans le détail, on peut simplement relever que ce fut le cas dans la mise au point de chacune des trois grandes composantes principales du programme d’intensification rizicole, les « 3 B » : BIMAS, BUUD et BULOG.

18 En ce qui concerne le programme BIMAS, nous avons suffisamment eu l’occasion de nous étendre dans l’introduction de cette étude sur les changements de cap et les améliorations successives qui en ont jalonné l’évolution pour ne pas avoir à y revenir ici. Pour ce qui est du système des coopératives BUUD-KUD, lancé trop hâtivement et a une 249

trop vaste échelle sur tout Java en 1972, il ne tarda pas à rencontrer d’énormes difficultés 95. Le gouvernement fut donc obligé d’en reconsidérer les principes de base, les conditions d’implantations et les règles de fonctionnement et, après quelques années de valse- hésitation, une formule plus cohérente n’émergea qu’à partir de 197896 et commence tout juste aujourd’hui à procurer certains sujets de satisfaction97. Dans le cas du BULOG enfin, la chronique des événements mérite certainement d’être un peu plus détaillée, car c’est incontestablement dans le domaine complexe et explosif des interventions sur le marché rizicole domestique et international dont cette agence à la responsabilité que le pragmatisme et la capacité d’apprentissage rapide du gouvernement ressortent de la plus éclatante manière. Alors que la récolte rizicole record de 1971 avait dépassé tous les espoirs et permettait d’être optimiste sur les chances d’atteindre en 1974 l’objectif d’autosuffisance du plan, celle de 1972 fut ravagée par l’une des pires sécheresses qui ait sévi en Indonésie depuis des années. La production de riz qui avait atteint 13.7 Mt en 1971, chuta de plus d’un demi-million de tonne à 13.2 mt en 1972, retombant ainsi à peu près à son niveau de 197098. Pris par surprise, le BULOG, dont les stocks de riz étaient quasiment épuisés, dut non seulement importer en catastrophe 1.66 Mt en 1973 — un record dans l’histoire du pays99 — mais encore dut-il se les procurer sur un marché international encore plus étriqué que d’habitude100 où les prix firent plus que quadrupler entre le début et la fin de l’année101. Le gouvernement engloutit donc dans cette opération beaucoup plus de devises que ce qui aurait été nécessaire s’il avait été plus prévoyant. Par ailleurs, en dépit d’une certaine isolation du marché interne par rapport aux fluctuations du marché international, il ne put éviter qu’une partie de cette hausse se répercute sur le prix domestique du riz qui doubla en l’espace de quelques mois, passant par exemple à Yogyakarta où nous vivions alors, de 43.6 Rp/kg en juillet 1972 à 90.1 Rp/kg en juillet 1973 102. Le riz ne manqua pas d’entraîner dans son ascension la plupart des autres produits de première nécessité constituant le panier de la ménagère indonésienne103, et l’on assista à une forte reprise de l’inflation qui atteint 25.7 % en 1972 et 27.4 % en 1973104. Face à tout cela, un mécontentement croissant s’empara de certaines couches actives de la population jakartanaise qui laissa éclater sa colère en janvier 1974, à l’occasion de la visite officielle du premier ministre japonais Tanaka, dans des émeutes meurtrières et dévastatrices connues depuis sous le nom de « Malari »105. Nous aurons l’occasion de revenir rapidement sur l’interprétation à donner à ces événements dans les pages suivantes. Pour l’instant, contenons-nous d’en rester à notre propos central en mentionnant simplement que le gouvernement, échaudé, sut en tirer les leçons qui s’imposaient et inaugura à partir de 1974, par l’intermédiaire du BULOG, une politique rizicole cohérente et raffinée, sans cesse améliorée depuis lors, constituant sans nul doute l’une des clefs du succès rencontré ultérieurement. En deux mots, elle consiste à intervenir judicieusement sur le marché international en se portant acquéreur au moment où les prix sont bas, à constituer chaque année par ce biais un important stock d’ouverture dont le niveau idéal se situe actuellement aux alentours de 2 Mt et à relâcher les quantités nécessaires sur le marché interne au moment des soudures afin d’éviter toute fluctuation des prix domestiques en dehors d’une fourchette plafond-plancher préétablie106. Depuis lors, l’Indonésie n’a plus jamais eu à faire face à une crise rizicole comparable à celle de 1972-74.

19 L’île de Java, surpeuplé, fut bien évidemment touchée au tout premier chef par cette pénurie alimentaire, et l’on parla même de début de famine dans certaines poches traditionnelles de pauvreté comme Indramayu107. Pourtant, profitant du retour à de bonnes conditions atmosphériques, la production rizicole retrouva sans tarder son 250

rythme de croissance antérieure pour atteindre le remarquable niveau de 14.6 Mt en 1973, dont 8.9 Mt, c’est-à-dire plus de 60 %, provenant des seules rizières javanaises108. Tous les records furent une nouvelle fois battus en 1974, dernière année du premier REPELITA, où la production nationale s’éleva à près de 15.3 Mt, à peine 150 000 tonnes de moins que ce qui avait été prévu pour réaliser le fameux objectif d’autosuffisance. Les progrès accomplis étaient particulièrement impressionnants à Java où la surface récoltée dépassait les 4.7 millions d’hectares, ce qui représentait près de 750 000 ha de plus qu’en 1965, et surtout, un taux d’intensité de culture frisant les 180 % par rapport aux 2.63 millions d’hectares de sawah recensés dans l’île en 1973, pas loin d’une double récolte annuelle généralisée109. Par ailleurs, la production se rapprochait de 9.5 Mt — plus de 62 % du total national — ce qui correspondait à un rendement moyen déjà impressionnant atteignant pour la première fois le seuil des 2 tonnes de riz décortiqué à l’hectare. Les perspectives semblaient donc à nouveau favorables, tout le problème résidant dans la capacité de l’agriculture javanaise à pouvoir continuer dans cette direction en assurant une croissance annuelle de la production rizicole au moins égale à celle de la population. Or, nous savons que cette dernière persistait à avoisiner les 2 % par année. En dépit du fait que le nombre de Javanais ayant choisi de partir s’installer dans les « îles extérieures » avait très fortement augmenté, passant de 18 870 en 1971/72 à 46 157 en 1972/73 et à 67 126 en 1973/74110, la transmigration était encore loin de pouvoir contribuer à régler de manière significative les problèmes de surpopulation auxquels l’île restait confrontée. Du côté du planning familial, les progrès n’étaient pas insignifiants non plus puisque le taux de fertilité moyen était tombé de 5.2 à 4.7 entre 1968 et 1973111, mais la baisse du taux de natalité étant pour l’instant toujours compensée par une baisse parallèle du taux de mortalité, il faudrait encore des années d’effort suivi avant qu’il ne commence à vraiment porter ses fruits. Il ne restait donc au bout du compte qu’à produire plus et toujours plus pour pouvoir couvrir du mieux possible les besoins alimentaires de cette population croissante. Apparemment déjà surexploité, l’écosystème javanais pris dans son ensemble offrait-il encore en 1974 une marge de manœuvre supplémentaire permettant d’envisager l’avenir sous un jour moins sombre que celui sous lequel le peignaient une nouvelle fois certains prophètes alarmistes112 ?

20 Ce n’était à notre avis pas faire preuve d’un optimisme béat que de répondre par l’affirmative. Des réserves semblaient en effet encore exister, tant du côté du sawah que du tegal et surtout pekarangan. Du côté du sawah, on pouvait parfaitement envisager — moyennant la poursuite des efforts entrepris dans le domaine de l’irrigation et des techniques culturales — une nouvelle augmentation substantielle de productivité. Les perspectives variaient cependant de manière importante en fonction du type de culture pratiqué. Pour le paddy, la marge de progrès était certes réelle, mais limitée. Les quelques 3.7 t/ha de 1973113 plaçaient, en effet, déjà Java dans le peloton de tête des meilleures zones rizicoles d’Asie tropicale114. Il était toutefois certainement possible de faire mieux puisque le rendement moyen de paddy dépassait allègrement les 4.3 t/ha dans une île comme Bali cette année là115 et franchissait très régulièrement la barre des 5 t/ha dans certains des meilleurs districts rizicoles javanais116. De plus, nombreuses étaient les régions de Java Central ou Java Est qui continuaient à simplement pratiquer une double récolte annuelle et pouvaient, sans trop de difficultés, passer à un rythme plus élevé de cinq récoltes tous les deux ans, voire même de trois chaque année. Dans ce sens, le fait de pratiquer dans les sawah javanais une culture commerciale beaucoup plus longue comme celle de la canne à sucre continuait indubitablement à constituer un obstacle majeur à une plus grande intensification de la production vivrière. C’est ainsi que la superficie 251

record de près de 100 000 ha dévolue à cette seule culture sucrière en 1973117 aurait bien évidemment fort bien pu produire une double, voire une triple récolte rizicole. On ne peut toutefois pas se contenter de raisonner en des termes aussi simplistes quand on sait que, malgré les énormes progrès réalisés depuis la fin des années 60, l’industrie sucrière indonésienne était toujours fort loin de pouvoir satisfaire une demande interne en constante progression. L’année 1973 avait d’ailleurs été particulièrement noire dans ce domaine puisque, par rapport à 1972, la production domestique de sucre cristallisé avait chuté de près de 200 000 tonnes pour tomber à quelques 944 000 tonnes seulement — dont environ 7/8 provenant des grandes plantations et le reste des petits planteurs — et qu’il avait donc fallu importer une quantité record de près de 240 000 tonnes pour couvrir la consommation nationale118. Les rendements de canne javanais étant déjà, avec plus de 80 t/ha en moyenne, parmi les plus élevés du monde119, une très forte augmentation de la productivité des grandes plantations semblait peu probable, mais on fondait par contre de plus en plus d’espoirs sur une extension de la culture, par l’intermédiaire des petits planteurs, aux zones de sawah moins bien irrigué, voir à celles où dominait encore le tegal 120. C’est toutefois du côté des cultures vivrières secondaires (palawija) que résidait encore la marge de maneuvre la plus intéressante pour l’agriculture javanaise. Depuis 1968, le gouvernement avait, en effet, concentré tous ses efforts sur la production rizicole, et la forte croissance de cette dernière s’était en fin de compte largement faite au détriment de celle des cultures secondaires en question qui, totalement laissée à elle-même, avait stagné et même régressé dans certains cas. C’est ainsi qu’entre 1968 et 1973, les productions de maïs, de manioc, d’arachide et de soja étaient respectivement passées à Java de 2.4 Mt à 2.7 Mt, de 8.7 Mt à 8.1 Mt, de 234 000 t à 216 000 t et de 357 000 t à 439 000 t121. Par ailleurs, contrairement aux rendements rizicoles, ceux de toutes ces cultures secondaires javanaises restaient fort bas comparés aux moyennes nationales réalisées dans d’autres pays asiatiques voisins. En 1973, le maïs n’atteignait par exemple que 1 136 kg/ha à Java122, contre 2 116 kg/ha en Malaisie123, et le manioc 7,7 t/ha124, contre 14,2 t/ha en Thaïlande125. Les possibilités d’augmentation de la production étaient tout aussi importantes pour l’arachide ou le soja126. Dans le sawah, où ces palawija étaient pratiquées en deuxième ou troisième culture annuelle lors de la saison sèche, il suffisait de lancer un petit programme annexe d’intensification basé, comme le BIMAS rizicole, sur l’utilisation de semences sélectionnées et l’épandage d’engrais chimiques en quantité adéquate. Dans le tegal, où il aurait été absurde de sous-estimer les sérieux problèmes écologiques liés à leur introduction, il s’agissait plutôt d’améliorer la productivité de certains systèmes de cultures intercalaires et associées déjà connu depuis longtemps dans plusieurs zones sèches de l’île. Dans le pekarangan, sans nul doute le plus complexe de ces systèmes culturaux intégrés, le potentiel agricole existant ne se limitait pas à l’une ou l’autre des principales cultures alimentaires secondaires susmentionnées et mérite donc que l’on s’y arrête un peu plus en détail.

21 Il nous semble d’autant moins superflu d’insister sur l’importante marge de manœuvre encore offerte par le pekarangan, qu’après avoir été totalement négligé par la majeure partie des chercheurs de tous poils penchés sur la société paysanne javanaise les yeux braqués sur le sawah, il avait tout naturellement continué à l’être par les planificateurs du développement rural uniquement préoccupés d’autosuffisance rizicole. Or, véritable « système agro-écologique intégré »127, le pekarangan javanais - tout à la fois espace social et lieu d’habitat pour une multitude humaine, mini-jardin botanique et potager villageois comptant souvent plus d’une centaine d’espèces végétales différentes ou étable pour le bétail et basse-cour pour la volaille — constituait non seulement depuis des lustres l’une 252

des principales soupapes de sécurité économique et nutritionnelle de l’île128, mais s’avérait même jouer un rôle croissant dans les stratégies de survie des familles rurales les plus défavorisées ainsi que le montraient les études récentes de précurseurs comme A. Stoler129 ou D. Penny et M. Singarimbun130. En tant que tel, il était urgentissime qu’il soit étudié plus à fond afin d’être mieux connu, puis reconnu, protégé et développé, une tâche de grande envergure à laquelle s’était fort heureusement attelée depuis quelques années une équipe interdisciplinaire regroupée à Bandung autour du Prof. Otto Soemarwoto131. Sa protection s’imposait face à l’extension permanente d’une monoculture rizicole triomphante et au grignotage pernicieux, mais constant, d’une urbanisation sauvage lui ayant conjointement fait perdre plusieurs dizaines de milliers d’hectares entre 1963 et 1973. Son développement n’était nullement une chimère, car aucun investissement public n’y ayant jamais été réalisé, il restait malgré tout encore relativement sous-exploité et recélait toujours un important potentiel de productivité supplémentaire dont il serait possible de tirer profit par une intensification respectueuse des principes écologiques de diversité et de complémentaire qui étaient le fondement même de son existence. Du côté de la vie végétale, on pouvait fort bien envisager une augmentation de la production par sélection puis hybridation des herbes, plantes, légumes, tubercules et arbres fruitiers ou autres y foisonnant. Du côté de la vie animale, pratiquement tout restait à faire, tant pour le gros et petit bétail que pour la volaille. Alors en pleine décroissance pour les raisons que nous avons eu l’occasion d’invoquer dans certaines de nos études villageoises, le cheptel bovin javanais ne comptait plus qu’environ 3.5 millions de vaches et 1.3 millions de buffles en 1973132, mais, moyennant un effort concerté, il pouvait facilement être stabilisé et produire plus de travail, de viande et même de lait. Dans une certaine mesure, les progrès étaient encore plus faciles à réaliser en ce qui concerne les caprins ou les ovins dont les cheptels s’élevaient alors à respectivement près de 5 et de 3 millions de têtes133. C’est toutefois sur la volaille que les espoirs les plus légitimes pouvaient être fondés car les quelques 45 millions de poules et 5 millions de canards peuplant alors l’île pouvaient fort bien se reproduire à un rythme plus élevé et surtout fournir plus de viande et d’œufs134. Enfin il restait encore l’élevage de poissons d’eau douce, parfaitement susceptible d’être développé de manière plus systématique, surtout à Java Ouest où les mares faisaient traditionnellement partie intégrante du pekarangan135. Si l’on ajoute à cela que ce dernier pouvait abriter beaucoup plus d’activités d’artisanat, de petites industries locales, d’ateliers de réparation divers et de commerce de détail que cela n’était déjà le cas, les perspectives d’avenir semblaient relativement prometteuses.

22 Au bout du compte, tant du côté du sawah que du tegal ou du pekarangan, l’agriculture javanaise semblait bien encore offrir de multiples marges de manœuvre à l’approche du dernier quart de siècle. Plus généralement, le processus global de développement dans lequel s’était engagé le monde rural dans son ensemble, s’il entraînait indubitablement une certaine altération des anciens rapports sociaux au niveau de la sphère villageoise y ouvrait également toute une pléiade de nouvelles perspectives économiques. Bref, bien que selon la merveilleuse comparaison métaphorique de Roger Vailland elle ressemblât intrinsèquement à la jeune géante de Baudelaire136, l’île de Java n’était à l’évidence pas encore arrivée au terme de sa croissance. C’est peut être là que résidait finalement la solution de son dilemme séculaire. En outre, loin d’être la fille unique que nous nous sommes jusqu’à présent contenté de présenter, elle faisait au contraire partie d’une famille nombreuse d’îles sur laquelle elle pouvait tout de même aussi compter et où les géantes ne manquaient d’ailleurs pas. Mais c’est là un autre problème sur lequel nous n’entrerons pas en matière dans le cadre de cet ouvrage. 253

La situation politique, économique et sociale de l’Indonésie en 1981

23 L’année 1981 est parfaitement bien indiquée pour établir le bilan politique, économique et social de la décennie écoulée et tenter, par là même, de se faire une première idée succinte sur les succès et les échecs imputables à la stratégie de développement instaurée, puis opiniâtrement poursuivie, par l’Ordre Nouveau indonésien tout au long de la période en question.

24 Sur le plan politique, le diagnostic qui s’impose sans aucune hésitation possible est celui d’une stabilité durable et renforcée du régime militaro-technocrate en place. La preuve la plus flagrante en réside vraisemblablement dans la mobilisation étonnement précoce et orchestrée, dès le début de l’année 1981, de divers groupes de pression pro- gouvernementaux en vue d’élections parlementaires et présidentielles pourtant encore fort lointaines puisque seulement programmées pour respectivement mai 1982 et mars 1983137. L’issue de ces dernières ne faisait d’ailleurs aucun doute pour personne, et les diverses voix de l’opposition nationale semblaient bien ne jamais avoir été aussi faibles, isolées et marginales. Il n’en avait toutefois pas toujours été de même depuis les triomphales élections législatives de juillet 1971 qui avaient légitimé le pouvoir de Suharto et de son équipe. Dès 1972, certains éléments actifs des milieux intellectuels et estudiantins avaient commencé à remettre ouvertement en question les options de l’Ordre Nouveau en matière de développement tout en continuant à sévèrement critiquer le style de vie ostentatoire et la corruption croissante d’une bonne partie des plus hauts dignitaires du régime, concentrant volontairement leurs attaques sur le coûteux projet touristique « Mini-Indonesia » dont Mme Tien Suharto, la femme du président, était le plus ardent défenseur et l’un des principaux actionnaires138. Cela n’avait nullement empêché Suharto d’être réélu à la présidence pour un deuxième mandat de cinq ans en mars 1973, le poste de vice-président étant octroyé au Sultan de Yogyakarta Hamengkubuwono IX139. Par ailleurs, c’est au tout début de cette même année que le gouvernement avait apporté l’ultime point d’orgue à son programme de simplification de la vie politique nationale en obligeant tous les partis autres que le GOLKAR à fusionner en deux coalitions artificielles et hétérogènes, le PPP (Partai Persatuan Pembangunan-Parti Uni du Développement), regroupant les quatre formations d’obédience islamique (NU, PARMUSI, PSII et PERTI), et le PDI (Portai Demokrasi Indonesia — Parti Démocratique Indonésien), réunissant les cinq autres organisations autorisées (PNI, IPKI, Partai Katolik, PARKINDO et MURBA)140.

25 Les premiers signes annonciateurs de l’orage se firent sentir début août, quand de graves émeutes anti-chinoises qui n’étaient certainement pas étrangères au mécontentement croissant de la population face à une très forte reprise de l’inflation affectant tous les biens de première nécessité, — principalement le riz dont la récolte de 1972 avait été fortement endommagé par la sécheresse141, — éclatèrent à Bandung142. Dans la foulée, faisant monter la tension d’un cran supplémentaire, l’agitation étudiante reprit de plus belle à partir de septembre pour s’amplifier en novembre, à l’occasion de la brève visite du ministre hollandais de la coopération Pronk, au cours de laquelle fut relancé le débat passionné sur les méfaits des investissements étrangers dans le processus de développement national, et culminer en décembre, à l’approche de l’escale jakartanaise de Tanaka, premier ministre d’un Japon considéré comme le plus vorace des pays 254

prédateurs de l’économique indonésienne, qui devait entamer dès le tout début de l’année 1974 sa grande « tournée des popotes » des cinq capitales de l’ASEAN143. Bref, la rapide détérioration des conditions économiques aidant, le pouvoir se retrouvait confronté fin 1973 à une situation politique explosive que ne laissaient nullement présager les deux ou trois années de calme plat ayant précédé. L’orage éclata effectivement dès l’arrivée de Tanaka le 14 janvier, les grandes manifestations estudiantines du 15 dégénérant en violentes émeutes qui ravagèrent plusieurs des principaux quartiers commerçants de la ville144. La réaction du gouvernement ne se fit pas attendre, le couvre-feu étant imposé le soir même alors que la répression policière faisait 13 morts et de nombreux blessés et que plus de 800 personnes étaient arrêtées145. Parallèlement, la lutte pour le pouvoir qui se déroulait depuis quelques mois en coulisses et opposait principalement le général Sumitro, chef tout puissant du redoutable KOPKAMTIB — l’organisme chargé du maintien de l’ordre et de la sécurité146—, et néanmoins partisan de l’ouverture du dialogue avec l’opposition, au général Ali Murtopo, le conseiller spécial du président pour les affaires politiques147, véritable éminence grise du régime connu pour être en faveur de la fermeté, se solda par l’échec du premier qui fut sommé de démissionner et obligé de se réfugier dans une silencieuse retraite anticipée dont il est très rarement sorti depuis lors148. L’Ordre Nouveau reprit rapidement la situation en mains, en imposant en particulier une censure draconienne sur la presse149, mais ce qui allait passer à la postérité sous le nom d’« affaire Malari » reste à ce jour la crise politique la plus grave qu’il ait eu à traverser.

26 Tout le reste de l’année 1974 fut beaucoup plus calme, bien que les retombées des événements susmentionnés se fassent encore sentir, surtout en août, au moment du jugement de Hariman Siregar, l’un des principaux leaders étudiants, condamné à 7 ans de prison150. En 1975, c’est à un retour au calme plat le plus total auquel on assiste sur le plan politique interne. Par contre, l’arrivée dès avril au pouvoir des forces révolutionnaires communistes à Phnom Penh puis à Saigon va pousser l’Indonésie à prendre ses deux plus importantes mesures de la décennie en matière de politique étrangères. D’une part, c’est la volonté affirmée de travailler beaucoup plus activement que par le passé au resserrement de la coopération régionale au sein de l’ASEAN, nouvelle orientation politique que concrétisera le sommet de Bali en février 1976151. De l’autre, c’est la décision de régler par la force, et avec l’aval de Washington, l’épineux problème de décolonisation posé par l’ancien territoire portugais de Timor Oriental, envahi par les marines indonésiens en décembre 1975 et annexé comme 27e province du pays en juillet suivant152. D’abord plutôt peu agitée, l’année 1976 s’achève sur toute une série d’événements fort révélateurs de la tension croissante qui s’empare du pays à l’approche des élections législatives de 1977. C’est en tout premier lieu l’étalage au grand jour à partir de fin septembre des tenants et aboutissants de l’invraisemblable « affaire Sawito », du nom de cet obscur petit fonctionnaire javanais au chômage, adepte assidu des pratiques mystiques se présentant ni plus ni moins comme le nouveau « Roi Juste » de la tradition153 , ayant réussi à obtenir une forme d’appui de la part de certaines des personnalités politiques ou religieuses les plus respectées du pays, comme l’ex-vice président Mohammed Hatta ou le cardinal Darmoyuwono, et utilisant cette légitimité pour donner plus de résonance à plusieurs documents écrits particulièrement critiques à l’égard des orientations et de la gestion du régime en place dont un, véritable réquisitoire contre le président Suharto, lui reprochait d’avoir trahi la confiance du peuple et lui demandait tout simplement de démissionner de son poste154. Insignifiante en soi, cette rocambolesque affaire, si elle irrita profondément le pouvoir, ne pouvait guère l’inquiéter 255

sérieusement155. Elle est toutefois révélatrice d’un climat croissant de mécontentement à l’égard du gouvernement et surtout de la présidence, la reprise en octobre de la contestation universitaire après qu’un étudiant d’obédience islamique ait été arrêté pour avoir prétendument comploté l’assassinat du chef de l’état156, ou l’interdiction permanente de paraître infligée à l’hebdomadaire américain News-week, pour avoir publié en novembre un article incriminant Suharto et sa famille de corruption157, ne faisant que confirmer ultérieurement cet état de fait.

27 Malgré cela, les élections parlementaires de mai 1977 se déroulèrent dans un calme relatif et se soldèrent par des résultats marquant une polarisation accrue de la vie politique indonésienne, puisqu’avec 62.1 % des voix le GOLKAR retrouvait à très peu de chose près son score de 1971 et que l’opposition se regroupait principalement autour d’un PPP obtenant 29.3 % des suffrages, le mouvement en question s’effectuant bien évidemment au détriment du PDI qui se voyait octroyer un maigre 8.6 % du total158. Globalement, la consultation électorale constituait toutefois un indiscutable succès pour l’Ordre Nouveau dont la légitimité était ainsi clairement renouvelée. Avec cette fois l’élection présidentielle de 1978 comme nouvel objectif, l’opposition étudiante repartit pourtant de plus belles dès le mois de juillet en proposant avec grand tapage la candidature d’Ali Sadikin, ex-gouverneur de Jakarta récemment évincé d’un poste important ou, en raison de sa grande popularité, de sa réputation d’homme dynamique et assez intègre et de ses prises de position très nettement démarquées par rapport à certaines des options prises par le régime, il risquait d’apparaître de plus en plus clairement comme une alternative possible au pouvoir trop inamovible de Suharto159. A la voix des étudiants se joignit bientôt celle du PPP, mécontent de ce qu’il interprétait comme une tentative du gouvernement à vouloir accorder le rang de religion reconnue aux pratiques mystiques javanaises160, puis celle du général Nasution, le plus prestigieux et respecté des militaires indonésiens, ayant décidé depuis peu de sortir de sa réserve habituelle pour critiquer publiquement les erreurs du régime en matière de démocratie politique, de développement économique et de justice sociale161. En dépit de la contestation croissante de son pouvoir personnel, Suharto fut néanmoins facilement réélu par le parlement pour un troisième mandat présidentiel de cinq ans en mars 1978, s’adjoignant à cette occasion un nouveau vice-président en la personne d’, son ancien ministre des affaires étrangères162. Après un remaniement ministériel important faisant entrer une nouvelle fournée de technocrates dans l’équipe gouvernementale163, la tension politique retomba quelque peu. Le reste de l’année 1978 fut cependant marqué par deux autres événements majeurs qu’il convient de mentionner : la poursuite de la libération des prisonniers politiques détenus pour beaucoup depuis 1965-66 entreprise dès la fin 1977 sous la pression de l’opinion publique internationale et surtout de l’administration Carter164 ainsi que le lancement de la campagne d’instruction civique dite P4 destinée à renforcer la connaissance et la politique de l’idéologie nationale du Pancasila au sein d’une fonction publique dont la ferme reprise en mains était jugé nécessaire en haut lieu165.

28 En 1979, aucun événement politique bien notoire à signaler, hormis le fait qu’une voix célèbre comme celle du général Sumitro, sortant momentanément de son silence forcé et soutenue en cela par le général Nasution, se fait entendre de manière plus explicite que jamais pour regretter la trop grande longévité de Suharto au poste de président et demander que ce dernier fasse dorénavant l’objet d’une procédure de nomination plus démocratique166. Par ailleurs, moment attendu par beaucoup et démontrant dans une certaine mesure la certitude du régime d’avoir la situation politique entièrement sous 256

contrôle, les derniers prisonniers détenus à Buru, dont Pramudya Ananta Tur, le plus grand écrivain indonésien vivant, sont libérés peu de temps avant Noël167. Entre temps, Suharto s’était rendu en juin à Blitar (Java Est) pour y inaugurer un somptueux mausolée érigé à la mémoire de Sukarno, cérémonie surprenante consacrant une certaine réhabilitation politique officielle du père de l’indépendance nationale, mais surtout destinée à récupérer un courant nationaliste à la dérive faisant subitement l’objet d’un regain d’attention face aux premiers symptômes de la montée d’un intégrisme islamique fort inquiétant aux yeux du pouvoir168 et à faire taire par la même occasion les critiques acerbes soulevées dans différents milieux par le projet pharaonique prêté au couple présidentiel de se faire construire un semblable monument près de Solo (Java Central)169. Toutefois, c’est en 1980 que les choses d’accélérèrent subitement une nouvelle fois à partir d’un débat contradictoire au sein du gouvernement entre le général M. Jusuf, ministre de la défense, et l’amiral Sudomo chef du KOPKAMTIB, sur le délicat problème concernant le degré de neutralité que les forces armées devraient ou non respecter à l’égard des partis politiques, et principalement du GOLKAR, lors des prochaines élections législatives de 1982170. Après pas mal de confusion, et certainement une bonne dose de désinformation de part et d’autre, Suharto mit lui-même les choses au point vers la fin du mois de mars dans un discours musclé prononcé à Pekanbaru (Sumatra Est) devant les chefs des forces armées à l’occasion duquel il engagea ouvertement ces dernières à jeter tout leur poids dans la future bataille électorale derrière le GOLKAR, présenté comme la seule organisation politique nationale véritablement attachée à la défense de l’esprit des Pancasila171. Ces propos peu nuancés provoquèrent un véritable tollé dans les milieux islamiques et nationalistes qui adressèrent en mai au parlement une pétition signée par cinquante des personnalités les plus connues de l’opposition interne à l’Ordre Nouveau, — dont Nasution, Sadikin, Dharsono, Santoso, Jasin et plusieurs autres officiers supérieurs à la retraite appartenant à la « division des déçus du régime »172 —, dans laquelle de très sévères critiques étaient émises eu égard à l’utilisation croissante de l’armée à des fins partisanes et à l’interprétation de plus en plus étroite et discutable faite par Suharto d’une idéologie étatique dont il montrait une fâcheuse tendance à se présenter comme le seul et unique garant173.

29 Jamais la situation politique ne semblait avoir été aussi tendue depuis 1974 et c’était certainement la première fois depuis l’avènement de l’Ordre Nouveau que les forces d’opposition faisaient entendre leur voix de manière aussi claire et concertée. Absolument rien de concret ne ressortit pourtant de tout ce mouvement de contestation car, ayant senti le danger, les forces favorables au pouvoir en place et au statu quo surent se mobiliser en un tournemain et se lancèrent dès le tout début de l’année 1981 de manière active dans la campagne pour les élections parlementaires et présidentielles à venir, ainsi que nous l’avons déjà mentionné plus haut174. Elles proposèrent même que le titre honorifique de « père du développement » soit conféré au président Suharto et guère une semaine ne s’écoula sans que plusieurs associations et groupes de nature très diverse ne publient une déclaration proclamant leur indéfectible loyauté à son égard, le priant de rester au pouvoir afin d’y poursuivre sa politique de croissance et de stabilité175. Il n’est d’ailleurs pas impossible que ce renouveau du consensus national autour de Suharto et du GOLKAR ait été grandement facilité par un regain d’activités terroristes de la part de certains groupuscules extrémistes proches des milieux islamiques intégristes qui fomentèrent de violentes émeutes anti-chinoises dans plusieurs villes de Java Central en novembre 1980, attaquèrent quelques postes de police isolés à Java Ouest au cours des mois suivants et détournèrent finalement un avion de la Garuda sur Bangkok en mars 257

1981176, la subite inquiétude suscitée par ces évènements spectaculaire auprès d’une majorité de l’opinion publique indonésienne ayant permis au gouvernement de reléguer au second plan les critiques discordantes susmentionnées et de ressouder l’unité apparente de la bourgeoisie administrative à un moment particulièrement opportun. De ce fait, peu d’observateurs doutaient fin 1981 que le GOLKAR n’obtiendrait pas son score habituel de 62 à 63 % des voix aux élections législatives de mai 1982 et encore moins que Suharto ne serait pas triomphalement réélu par le parlement pour un quatrième mandat présidentiel de cinq ans en mars 1983177.

30 Au bout du compte, on assiste donc bien tout au long des années septante à un net renforcement de la stabilité politique du régime, ainsi que cela a été diagnostiqué d’entrée de jeu dans ce paragraphe. Nous avons vu que cela n’a d’ailleurs nullement empêché la société indonésienne d’avoir été périodiquement en proie dans l’intervalle à des accès de fièvre et soubresauts divers. Ces derniers ne sont en fait que les simples manifestations extérieures, passagères et récurrentes des grands problèmes chroniques non résolus affectant en profondeur et de manière permanente la vie politique du pays, parfois depuis son indépendance. Sans exagérer outre mesure, on peut dire que la plupart d’entre eux sont liés, de près ou de loin, à la définition de l’introuvable formule idéale permettant à la fois de développer et de moderniser un état-nation encore jeune, sans compromettre une unité nationale toujours fragile ni sacrifier une identité culturelle originale basée sur le respect de la diversité, et d’assurer une croissance économique solide et durable, tout en garantissant une meilleure justice sociale et un plus grand respect du pluralisme politique et des libertés démocratiques. Tel était bien le cas des principales questions d’actualité faisant l’essentiel du débat politique au seuil de ces années 80 : interprétation rigoureuse à donner aux cinq principes d’une idéologie nationale particulièrement floue, perpétuation de l’esprit nationaliste ayant présidé à la fondation de la république, définition de la place et de l’importance exacte de l’Islam dans un état séculaire menacé par le danger d’une éventuelle radicalisation intégriste178, délimitation précise du rôle de l’armée dans les affaires civiles et le secteur public, succession difficile d’une classe dirigeante essentiellement composée d’hommes appartenant à la « génération de 45 »179 et plus particulièrement d’un président de plus en plus enraciné au pouvoir et passé maître dans l’art de débusquer et disqualifier ses rivaux potentiels180, libéralisation d’un régime régnant depuis plus de quinze ans de manière autoritaire et démocratisation de ses institutions et de ses procédures, extroversion excessive et mimétisme décevant d’un développement par trop dépendant, maximisation des retombées de la croissance et amélioration du niveau de vie des plus défavorisés, enfin, élimination de la corruption et des excès ostentatoires des puissants. Comme la légitimité politique d’un régime modernisateur de ce type réside essentiellement dans sa capacité à assurer le développement économique du pays181, c’est bien évidemment quand ce dernier semble marquer le pas ou subir des revers que les problèmes latents susmentionnés sont le plus susceptible de ressurgir avec acuité sur le devant de la scène. En Indonésie, c’est effectivement de la sorte que les choses se sont passées entre 1971 et 1981, la corrélation existant entre l’apparition de difficultés d’ordre économique et la montée de la contestation politique étant étonnement étroite pendant toute cette période. D’un autre côté, si les troubles et les conflits politiques succinctement examinés sont demeurés passagers ou limités et n’ont jamais débouché sur des actions plus massives et structurées, c’est aussi qu’à chacune de ces périodes de sérieuses difficultés économiques a toujours succédée une phase de reprise soutenue. Or, fait encore plus déterminant, c’est précisément plutôt cette tendance à la reprise et à la croissance qui 258

domine dans l’ensemble assez nettement le panorama d’une décennie de développement certainement sans précédent dans l’histoire du pays. Examinons tout de même d’un peu plus près ce qu’il en est.

31 Sur le plan économique, 1981, qui marque déjà le troisième anniversaire de l’entrée en application du troisième plan quinquennal de développement, ou REPELITA III 1979/80-1983/84, constitue en effet à maints égards une année phare dont le bilan particulièrement positif semble le plus logiquement du monde venir couronner la justesse des vues et des choix du pouvoir en la matière tout au long d’une décennie de progrès linéaire s’ouvrant dès 1971 sous les auspices favorables mentionnés dans l’introduction de cette étude. Les choses ne sont toutefois pas aussi simples. En fait, après l’euphorie croissante engendrée par les bons résultats économiques enregistrés de 1966 à 1971, la situation va brusquement se détériorer en 1972, ce revers sonnant un peu comme un coup de tonnerre dans un ciel clair. Très affectée par la sécheresse, la récolte rizicole ne va en effet pas dépasser 13.18 Mt, la pénurie alimentaire en résultant prenant le gouvernement par surprise et relançant une forte spirale inflationniste qui dépassera les 27 % en 1973 ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le voir. Fort heureusement, ces mauvaises conditions naturelles seront passagères et la production de riz remontera à 14.61 Mt en 1973 pour atteindre 15.28 Mt en 1974, soit à peine 150 000 tonnes de moins que le fameux niveau d’autosuffisance constituant l’objectif majeur d’un premier REPELITA arrivé à son terme182. Au bout du compte, ce dernier va donc se solder in extremis par un assez beau succès pour le pouvoir en place. Il faut dire que le premier choc pétrolier au terme duquel le prix du baril indonésien sera passé de US $ 3.70 en avril 1973 à US $ 11.70 en avril 1974, une hausse de plus de 300 % en l’espace d’une année183, va intervenir à un moment particulièrement opportun pour aider l’Ordre Nouveau à redresser une situation économique compromise et, par là même occasion, à rétablir une légitimité politique fortement contestée. Ce boom providentiel va en effet non seulement permettre de boucler le premier REPELITA 1969/70-1973/74 dans des conditions plus favorables que prévus, mais surtout d’entamer sous les meilleurs auspices le deuxième REPELITA 1974/75-1978/79. Bouleversant profondément les structures de l’économie nationale, il ouvre au pays des perspectives auparavant inespérées. Jugeons-en sur pièces en comparant certains indicateurs chiffrés se rapportant aux années fiscales 1972/73 et 1974/75 qui encadrent le gros du boom en question et entre lesquelles la part du pétrole dans les recettes d’exportation double presque de 29 % à plus de 56 %184, le montant net de ces revenus pétroliers augmente de près de sept fois de US $ 399 millions à US $ 2.64 milliards185, les disponibilités budgétaires de l’état triplent quasiment de Rp 748.4 millions à Rp 2.16 milliards186 et ses dépenses de développement font quant à elles plus que tripler de Rp 298.2 à Rp 961.8 millions187. Grâce à ces moyens financiers propres largement accrus provenant pour l’essentiel de la manne pétrolière, le gouvernement va se lancer dès le début de son deuxième plan quinquennal dans la poursuite d’une politique de développement accordant une importance désormais beaucoup plus grande que par le passé à la redistribution sociale moins inéquitable des fruits de la croissance économique 188.

32 Tous les problèmes économiques ne sont évidemment pas résolus pour autant et, parmi ceux qui restent de loin les plus préoccupants, on trouve une inflation dépassant les 30 % en 1974 et frisant toujours les 20 % en 1975189. Malgré les efforts répétés qui seront consentis tout au long du deuxième REPELITA, elle ne sera jamais jugulée, tombant à 14 % en 1976, puis 12 % en 1977 et franchissant même largement la barre fatidique des 10 % en 259

1978, pour que n’en mieux repartir de plus belle par la suite190. Par ailleurs, de nouveaux nuages noirs s’accumulent à l’horizon du développement économique national. L’un des plus menaçants éclate, début 1975, avec l’étalage progressif au grand jour de la désastreuse crise financière affectant la société pétrolière nationale PERTAMINA191. Le règlement de cette affaire archi-complexe où mauvaise gestion, malversations et mégalomanie sont étroitement liées prendra plusieurs années et, une fois tous les comptes faits, c’est une dette totale de plus de US $ 10 milliards que l’Etat devra couvrir192 ! On imagine aisément les effets négatifs et durables qu’une telle banqueroute a pu avoir sur un processus de développement dont il a bien fallu détourner de vastes et précieuses ressources pour rembourser les créanciers. Ceci est d’autant plus grave que le pays doit également faire face pendant ce temps à d’autres calamités parfois plus naturelles mais tout aussi dévastatrices, dont la moindre n’est certainement pas la terrible épidémie de wereng, la sauterelle brune des plantes193, qui ravage les rizières javanaises et entraîne une catastrophique stagnation de la production rizicole. Après avoir atteint le chiffre relativement prometteur de 15.28 Mt en 1974, cette dernière retombe en effet à 15.18 Mt en 1975 pour ne remonter que très péniblement à 15.84 Mt en 1976 puis 15.88 Mt en 1977, année où les importations de riz approchent pour la première fois de fort près le niveau record de 2 millions de tonnes194. C’est seulement en 1978, avec l’introduction des nouvelles variétés résistantes IR 36 et IR 38, que les gros efforts déployés de toutes parts pour tenter d’enrayer le cruel fléau vont commencer à être couronnés de succès, l’année se soldant, avec la complicité d’excellentes conditions atmosphériques, par une remarquable récolte de 17.52 Mt. L’année 1978 est d’ailleurs marquée par d’autres succès économiques importants : croissance soutenue du produit intérieur brut dépassant les 7 %195, inflation de 6.7 % ramenée à son niveau le plus bas depuis 1971196 et bilan record des recettes d’exportation qui dépassent pour la première fois en 1977/78 la barre symbolique des US $ 10 milliards dont plus des 2/3 provenant de la vente des produits pétroliers197 permettant ainsi au gouvernement de pouvoir disposer, avec près de Rp 5 milliards, du plus gros budget de son histoire en 1978/79198. Bref, au bout du compte, et malgré les difficultés rencontrés, le deuxième REPELITA s’achève plutôt sur une note très positive, puisque la plupart des voyants du tableau de bord de l’économie nationale clignotent dans le vert. C’est pourtant le moment choisi par le pouvoir pour procéder à la dévaluation que de nombreux observateurs jugeaient nécessaire du fait d’une inflation interne durable beaucoup plus élevée qu’à l’étranger pénalisant fortement le commerce extérieur indonésien199. Rendue publique le 15 novembre 1978, la fameuse KENOP 15200 fixera la nouvelle parité de la rupiah à 625 pour un dollar américain, soit une dévaluation effective d’environ 50 %201. Le troisième REPELITA 1979/80-1983/84, dont les principaux objectifs demeurent une croissance soutenue et une redistribution accrue des fruits du développement au sein de la majorité de la population202, s’engage donc lui aussi sous des auspices assez favorables.

33 La première surprise du REPELITA III provient justement du fait que l’année 1979 est, contre toute attente, particulièrement mauvaise pour l’économie indonésienne : le taux de croissance du PIB tombe au décevant niveau de 4.9 %203, l’inflation fortement stimulée par la dévaluation de novembre 1978 grimpe en flèche à 27.8 %204 et la récolte rizicole marque de nouveau le pas à 17.87 Mt. Ce départ peu probant va vite être rattrapé par le déferlement du second choc pétrolier qui voit passer le prix moyen du baril indonésien d’environ US $ 16 en avril 1979 à US $ 34 en avril 1981, une augmentation de plus de 200 % en deux ans205. Cela va redonner un gigantesque coup de fouet inespéré au processus de développement national. Les deux premières années de la nouvelle décennie vont 260

effectivement s’avérer particulièrement euphoriques pour l’économie indonésienne. Dès 1980, le taux de croissance du PIB remonte à 9.6 %206, l’inflation est ramenée en dessous de 15 %207 et la production rizicole dépasse légèrement pour la première fois le seuil quasiment historique de 20 Mt208, succès symbolique qui remet l’autosuffisance alimentaire à l’ordre du jour. En 1981, le bilan de dix années de développement est à plus d’un titre impressionnant. D’un côté, le taux de croissance annuel se maintient aux alentours de 8.5 %209 alors que l’inflation retombe à 9.1 %, son niveau le plus bas depuis 1978210. De l’autre, dans presque tous les secteurs de l’économie, la production atteint des chiffres records.

34 Dans le secteur agricole, c’est en particulier le cas pour le riz : production de 13.72 Mt en 1971 atteignant 21.67 Mt en 1981 et même 22.17 Mt selon certaines sources211, ce dernier chiffre représentant le double de celui réalisé en 1968, 13 ans plus tôt212. La performance est loin d’être négligeable et résulte des effets combinés d’une surface récoltée passant entre 1971 et 1981 de 8.3 à 9.3 millions d’hectares et d’un rendement moyen augmentant de 1.65 à 2.33 tonnes de riz décortiqué par hectare à l’échelle nationale pendant le même laps de temps213. Quoiqu’il en soit, les énormes efforts entrepris depuis plus de dix ans n’auront pas été vains puisque voilà enfin la fameuse et fugace autosuffisance rizicole clairement établie. Les importations de riz retombent d’ailleurs en 1981 à 543 000 tonnes seulement214, c’est-à-dire environ au quart de qu’elles étaient depuis 1977215. Du côté des cultures alimentaires secondaires (palawija), les progrès réalisés sont moins spectaculaires, et beaucoup reste encore à faire dans ce sous-secteur vivrier jusque là par trop délaissé, mais ils s’avèrent parfois moins insignifiants que ce à quoi l’on aurait logiquement pu s’attendre. C’est ainsi qu’entre 1971 et 1981, la production de maïs, d’arachide et de soja est respectivement passée de 2.6 à 4.1 Mt, de 10.7 à 14.2 Mt, de 284 000 t à 503 000 t et de 516 000 t à 778 000 t216. Cela signifie que même s’il n’a pas particulièrement favorisé leur développement, le boom rizicole ne s’est en tous les cas pas fait au détriment des cultures alimentaires secondaires. Même remarque à propos d’une culture alimentaire industrielle aussi importante que le sucre, dont la production double en gros de 1.049 à 1.913 Mt entre 1971 et 1981217, performance n’ayant rien à envier à celle du riz. Le son de cloche est globalement le même pour ce qui est des principales cultures d’exportation comme le caoutchouc, l’huile de palme ou le café puisque leur production passe de respectivement 781 000 t, 250 000 t et 181 000 t en 1971218 à 1 043 000 t, 844 000 t et 275 000 t en 1981219.

35 Le secteur minier n’est pas demeuré en reste par rapport à l’agriculture. Le « roi pétrole » voit par exemple sa production presque doubler de 325.7 millions de barils (Mlb) en 1971 220 à un maximum de 615.1 Mlb en 1977221, pour légèrement retomber à 584.8 Mlb en 198 1 222. Le gaz naturel, dont la production était encore insignifiante en 1971 et n’atteignait que 186 millions de pieds cubiques (Mcf) en 1973223, a pris un essor foudroyant, surtout à partir de l’ouverture en 1977 des installations de liquéfaction construites à Kalimantan et Sumatra224, pour déjà frôler les 1 000 Mcf en 1979225 et avoir selon toute vraisemblance largement dépassé ce niveau depuis lors226. La part de ces deux produits pétroliers dans les recettes d’exportation du pays à fait un bond prodigieux de 43 % en 1971227 à 82 % en 1981228 dont 72 % pour le pétrole et déjà 10 % pour le gaz naturel liquéfié, preuve de l’importance croissante de ce dernier pour l’économie nationale. En se tournant vers des productions minières plus traditionnelles comme l’étain, la bauxite ou le nickel, on s’aperçoit sans grande surprise que les progrès réalisés sont tout de même plus lents, voire qu’il y a régression, puisqu’elles passent respectivement de 19 770 t, 1 237 600 t et 261

900 000 t en 1971229 à 27 500 t, 965 000 t et 1 178 000 t en 1979230. Cependant, le seul secteur a véritablement faire preuve d’une baisse spectaculaire est celui du bois tropical dont la production, après avoir triplé de 13.7 millions de mètres cubes (Mm3) en 1971 à un record de 31.1 Mm3 en 1978, retombe à 13.2 Mm3 en 1981, suite à la décision prise par le gouvernement dès 1979 de limiter très sévèrement les exportations de fûts brut afin d’inciter les entreprises étrangères concessionnaires à investir localement dans la construction d’usines de contre-plaqué231. Cela nous amène pour terminer au secteur industriel qui démontre en revanche un dynamisme du meilleur aloi pendant la décennie en question. C’est ainsi que si la production de cotonnade triple de 732 à 2 027 millions de mètres entre 1971/72 et 1980/81, celle de trois des biens industriels les plus importants pour le développement national, le papier, le ciment et les engrais chimiques azotés, est multipliée par 8, 11 ou 18 dans le même laps de temps, passant respectivement de 29 000 à 232 000 t, de 531 000 à 5 852 000 t et de 108 400 à 1 935 000 t232.

36 Ces performances sectorielles diverses ne sont naturellement que le reflet des changements plus profonds qui ont radicalement transformé l’économie indonésienne entre la fin des années 60 et le début des années 80. Cette véritable mutation est d’ailleurs aussi sensible sur le plan des structures de l’économie qu’au niveau des volumes financiers impliqués. Globalement, la croissance moyenne du PIB indonésien entre 1969, première année du REPELITA I, et 1981, troisième année du REPELITA III, se situe à 7.9 % par an233, c’est-à-dire le double de celle ayant caractérisé la décennie précédente234. A noter que cette croissance moyenne tout à fait remarquable au vu de la conjoncture internationale235 a également été fort inégale d’un secteur à l’autre, les chiffres étant par ordre décroissant de respectivement 14.4 % pour les constructions et les transports, 13.9 % pour l’industrie et l’électricité, 9.2 % pour le commerce et les finances, 6.7 % pour les mines et seulement 3.8 % pour l’agriculture, qui reste donc de très loin le plus faible236. Cette performance apparemment modeste place malgré tout l’Indonésie en bonne place parmi les 17 pays en développement pour lesquels il y a eu conjonction d’une croissance globale supérieure à 5 % et d’une croissance agricole supérieure à 3 % pendant toute la durée des années 70, selon une étude récente fort bien documentée de la Banque Mondiale237. Ceci dit, l’aspect structurel déterminant de l’évolution économique du pays reste le rôle déclinant de l’agriculture, phénomène observable à trois différents niveaux d’analyse. Tout d’abord, au niveau du PIB exprimé aux prix réels du marché, l’agriculture, qui occupait la première place avec 47.2 % en 1970238, chute de près de moitié pour se retrouver avec 25.7 % au troisième rang en 1980, derrière les 28.6 % d’un secteur commercial en légère baisse et les 26.7 % d’un secteur minier ayant quintuplé dans le laps de temps considéré239. Ensuite, au niveau de l’emploi, l’agriculture n’occupe plus que 55.5 % de la population active en 1980 contre 65.9 % dix ans plus tôt240, le transfert s’étant effectué de manière à peu près équilibrée vers tous les autres secteurs. Finalement, au niveau des recettes d’exportation, la part des produits agricoles tombe presque de moitié de 50.5 % en 1970241 à 26.1 % en 1980242, les produits pétroliers prenant la place dominante que l’on sait. Bref, il apparait clairement que l’économie indonésienne passe de 1970 à 1980 par un processus de modernisation et de diversification accéléré au terme duquel ses structures sont totalement différentes. La nature radicale de ce changement ressort bien de l’énorme gonflement du volume financier le sous-tendant. En d’autres termes, il y a à la fois changement de structure et d’échelle. Ainsi les chiffres de la balance des paiements sont ils multipliés par dix ou vingt entre 1970/71 et 1980/81, ceux des exportations et des importations passant par exemple respectivement de US $ 1.2 à 21.8 milliards et de US $ 1.3 à 14.8 milliards243. Même ordre de grandeur pour les revenus budgétaires qui 262

augmentent pendant le même laps de temps de Rp 458 à 10 557 milliards, les dépenses de développement faisant pour leur part un saut encore plus considérable de Rp 142 à 5 028 milliards244. D’un autre côté, le capital privé étranger, qui a naturellement largement afflué dans le pays pendant toute cette période de forte croissance, n’est pas en reste, puisque le montant cumulé des investissements réalisés depuis 1967 grimpe de US $ 1.5 milliard en 1971245 à plus de US $ 9 milliards en 1981246, le Japon occupant dorénavant de fort loin la première place avec près de US $ 3.4 milliards à lui seul247. Finalement, l’aide publique internationale ne déroge pas elle non plus à ce vaste mouvement de fond, la seule contribution annuelle de 1TGGI faisant par exemple plus que tripler entre 1971 et 1981 de US $ 634 à 2 100 millions248. Or, fait significatif, cette aide extérieure qui peut sembler colossale ne représente plus en 1981 que 15 % du budjet de développement de l’état, contre encore près de 40 % en 1976 ou 1977249. Il faut dire qu’en 1981, le surplus de la balance des comptes courants dépasse pour la deuxième année consécutive les US $ 2 milliards250 et que les réserves de change accumulées par le gouvernement sont supérieures à US $ 10 milliards251, l’équivalent d’environ 9 mois d’importations252. Bien que la crise de surproduction pétrolière mondiale sur laquelle nous n’entrerons pas en matière ici se dessine déjà nettement à l’horizon253, et que l’Indonésie soit un peu fin 1981 tout au sommet de la vague où l’ont porté des conditions particulièrement favorables, le bilan économique de la décennie écoulée pourrait difficilement être plus satisfaisant pour le pouvoir. Voyons ce qu’il en est du bilan social.

37 Sur le plan social, l’année 1981 apporte déjà beaucoup moins de sujets de satisfaction. Toutefois, la véritable surprise provient selon nous plutôt du fait que les progrès réalisés dans divers domaines sociaux au cours de la décennie écoulée sont bien moins insignifiants que ce à quoi l’on aurait pu s’attendre vu la nature technocratique, économiciste et autoritaire du régime politique en place. Cela ne signifie nullement, loin s’en faut, que les problèmes restant à résoudre ne soient pas gigantesques, mais que l’orientation plus sociale des deuxième et troisième plans quinquennaux a commencé à avoir un effet positif sur l’amélioration du niveau de vie de la majorité de la population indonésienne. Cette dernière s’élève désormais à 147.4 millions apprend-on du troisième recensement démographique décennal effectué vers la fin octobre 1980 et publié en janvier 1981, ce qui correspond à un taux de croissance annuel moyen de 2.34 % par rapport à 1971254, grosso modo le même que pour la décennie précédente255. Beaucoup sont déçus, ils s’attendaient à nettement moins et imputent ce mauvais résultat à l’échec de la politique de planning familial inauguré par le gouvernement juste dix ans plus tôt256. Les choses ne sont pas si simples. En fait, le programme de limitation des naissances semble au contraire avoir plutôt bien marché, avec pour effet que l’indice de fécondité a régressé d’environ un point entre 1970 et 1980, tombant de 5.5 à 4.5 selon les meilleurs spécialistes257. Toutefois, l’importante baisse du taux de natalité d’environ 43‰ à 35‰ que cela a entraîné s’est également accompagnée, grâce aux assez gros progrès réalisés dans le domaine de la santé et de la nutrition dans l’entretemps, d’une baisse à peu près équivalente du taux de mortalité d’environ 20‰ à 13‰ pendant la période considérée258. Résultat : le taux annuel moyen de croissance démographique est resté stationnaire aux alentours de 2.3 % entre 1970 et 1980259. Le dilemme est de taille. En supposant que le taux de croissance démographique se stabilise à 2 % par année entre 1980 et 2000, la population indonésienne atteindra 216 millions au tournant du siècle et, selon les projections de la Banque Mondiale, ne cessera d’augmenter qu’en 2110, à 376 millions260 ! Dans l’intervalle, elle restait toujours aussi mal répartie, puisque le recensement de 1980 attribuait 91.3 millions d’habitants à Java, soit 62 % du total261. Du coup, l’île centrale 263

voyait sa densité de population moyenne s’établir au chiffre de plus en plus affolant de 675 hab/km2262. Pourtant, le taux de croissance démographique annuel moyen n’y avait été que de tout juste 2 % entre 1971 et 1980, contre par exemple 3.34 % à Sumatra, dont la population atteignait désormais presque les 28 millions d’habitants263. Le contraste était encore plus marqué au niveau des provinces puisque le taux de croissance en question n’était par exemple que de 1.66 % à Java Central et 1.50 % à Java Est, voire même, 1.09 à Yogya-karta, contre 3.90 % à Sulawesi Central ou 5.80 % à Kalimantan Est et 5,82 % à Lampung264. C’est bien évidemment la « transmigration » qui explique, au moins, en partie, ces différences énormes, d’un côté comme de l’autre. Toutefois, cette dernière, bien qu’elle ait permis de déplacer plus d’un demi-million de personnes de Java, Bali et Lombok vers Sumatra, Kalimantan et Sulawesi entre 1970 et 1980265, demeurait à la fois marginale et coûteuse et ne pouvait en aucune manière être considérée comme la panacée universelle qui permettrait de régler à terme la maldistribution démographique indonésienne et les immenses problèmes sociaux en résultant.

38 Comme en 1971, l’un des plus préoccupants d’entre eux reste toujours lié au faible niveau de revenu moyen de la population. De gros progrès ont néanmoins été réalisés dans ce domaine. Ainsi, même en les prenant pour ce qu’ils valent, les tableaux d’indicateurs socio-économiques de la Banque Mondiale donnent un produit national brut par habitants de US $ 430 en 1980266, plus du quintuple du score réalisé en 1971267. Cela vaut d’ailleurs à l’Indonésie l’insigne honneur de pouvoir dorénavant figurer tout en bas de la liste des pays à revenu intermédiaire dans la classification de l’organisation en question268 , alors qu’elle faisait encore partie du groupe des dix pays ayant le plus bas revenu au début de la précédente décennie et qu’elle est le seul d’entre eux à avoir fait une telle ascension269. Il va de soi que de tels agrégats camouflent parfaitement bien les problèmes de redistribution du revenu sur lesquels il est toujours très difficile de se faire une idée précise tant ils sont complexes et variables, aussi bien dans le temps que dans l’espace. Certaines informations fragmentaires glanées ici et là sur le niveau réel des salaires permettent tout de même d’essayer d’évaluer la tendance générale. C’est ainsi qu’en avril 1980, alors que le prix du kilo de riz de qualité moyenne tournait aux alentours de 175 Rp sur les marchés villageois javanais270, le salaire d’un ouvrier non-qualifié travaillant sur les petits chantiers de travaux publics en milieu rural atteignait 525 Rp par jour271. Par ailleurs, à l’occasion de l’une des visites que nous ne manquons jamais de faire aux villages de Tirtonirmolo et de Timbulhardjo quand nous transitons par Yogyakarta, nous apprîmes en octobre 1980 de la bouche d’un ami paysan très proche qu’il payait désormais son ouvrier agricole 400 Rp par jour, étant toujours tenu à côté de cela de lui fournir deux petits repas d’environ 100 Rp chacun. Enfin, une autre source nous précise qu’à Jakarta, où le coût moyen de la vie est, il est vrai, nettement plus élevé que partout ailleurs à Java, un ouvrier du bâtiment gagnait à peu près 1 500 Rp par jour au mois de juin de la même année272. Tout ceci aurait donc plutôt tendance à montrer une amélioration sensible de la situation salariale pendant la période qui nous intéresse. De plus, une bonne partie des autres indicateurs sociaux significatifs, que ce soit dans le domaine de la nutrition, de la santé ou de l’éducation, sont eux aussi en net progrès273. Finalement, que peut-on donc en conclure ?

39 La plupart des auteurs, même parmi les plus critiques, qui se sont penchés sérieusement et sans à priori sur ces questions délicates s’accordent au bout du compte pour reconnaître que, dans l’ensemble, le niveau de vie moyen d’une grande majorité de la population s’est indiscutablement amélioré entre 1970 et 1980274. Paradoxalement, alors 264

que les choses semblaient y être relativement mal parties vers 1973, c’est dans le milieu rural, surtout à compter de 1978, que l’on ressent le phénomène en question avec le plus d’intensité. Le fait d’avoir régulièrement pu visiter le pays chaque année pendant plusieurs semaines d’affilée depuis 1976 nous a peut-être donné une perception encore plus claire de cette évolution qui passe par l’amélioration des transports et des communications, de la circulation des personnes, des biens et des idées, de la couverture des besoins essentiels ou parfois même plus superflus et, pour finir par où l’on aurait dû commencer, de l’emploi, puisque des pénuries saisonnières de main-d’œuvre agricole font à la surprise générale leur apparition dès 1980 dans certaines zones rizicoles parmi les plus peuplées de Java275 ! Bref, en milieu rural, le bilan, de l’avis général, va plutôt dans le sens d’une diminution de l’insécurité économique et des inégalités sociales276. En milieu urbain par contre, où vit désormais environ 20 % de la population indonésienne277, le diagnostic dominant va exactement dans la direction opposée278. Le fait que la croissance indonésienne ait favorisé au tout premier chef l’enrichissement météorique d’une bourgeoisie administrative, financière et commerciale essentiellement urbaine, et que le fossé séparant cette toute petite minorité de privilégiés vivant dans l’ostentation de la majorité de la population des grandes villes soit particulièrement large et choquant, surtout à Jakarta, explique en bonne partie un tel clivage. Toutefois, il est également indéniable que les problèmes de pauvreté dite absolue sont, en règle générale et sauf exception la confirmant, beaucoup plus aigus et répandus dans la jungle grise des villes que dans les campagnes, où le chômage est tout de même moins endémique et le milieu naturel et humain surtout moins hostile279. En fait, il semble bien que le processus de différenciation sociale déclenché dès la fin des années 60 par l’adoption d’une nouvelle stratégie de modernisation agricole d’inspiration plus techniciste se soit principalement exprimé tout au long des années 70 par un lent mouvement régulier de migration rurale des plus défavorisés en direction des centres urbains et se solde au bout du compte à l’aube des années 80 par un transfert net d’une bonne partie du surplus de pauvreté des villages vers les villes. Or, on peut légitimement se demander si ce n’est pas précisément à partir de la seconde moitié des années 70, au moment où cet « assainissement » épi- phénoménal de la situation socio-économique du monde rural devient vraiment significatif, que les premiers signes d’une amélioration réelle de cette dernière dans le sens d’une redistribution des fruits de la croissance et d’une diminution des inégalités ne commencent pas à se faire sentir. Cette hypothèse dépassant quelque peu notre propos central mériterait sans nul doute d’être testée, car si tel était le cas, cela signifierait tout simplement que les indiscutables succès remportés par l’Ordre Nouveau dans le domaine du développement rural entre 1970 et 1980 sont au moins partiellement contrebalancés par une aggravation parallèle et consécutive du sous-développement urbain. En attendant, c’est bien uniquement à la lumière de ces relations complexes entre la ville et la campagne que devrait selon nous dorénavant toujours toujours être analysé le succès social d’une politique de modernisation agricole, en Indonésie comme ailleurs.

40 Globalement, et en dépit de toutes les critiques ou réserves qui ont pu être émises tout au long de ce travail, la période allant de 1971 à 1981 peut véritablement être qualifiée de « décennie du développement » dans l’histoire de l’Indonésie indépendante. Dans une perspective de développement plus globale à l’échelle des pays du Tiers Monde pris dans leur ensemble et au vu de l’échec retentissant de maintes stratégies dans chacun des trois continents le composant pendant la période considérée, il n’est peut être pas inutile pour terminer d’essayer de rapidement récapituler les facteurs qui permettent d’expliquer le succès de l’expérience indonésienne. D’emblée il faut faire une différence très nette entre 265

ceux dont le pouvoir en place a hérité ou qui ne dépendent aucunement de sa volonté, et ceux dont il est directement responsable ou qui sont d’une quelconque manière à porter à son crédit. Au tout premier rang des premiers, il faut bien évidemment citer la chance inestimable de présider aux destinées d’un pays dont le sol et le sous-sol regorgent de richesses naturelles, végétales et minérales indispensables à la survie du reste du monde et d’avoir bénéficié d’une conjoncture économique internationale hautement favorable, tant au niveau des flux financiers que du prix des matières premières. En d’autres termes l’expérience indonésienne de développement n’eut certainement pas été aussi concluante si le prix du pétrole n’avait pas été multiplié par plus de dix dans le courant de la décennie en question280. Ceci dit, il faut reconnaître que les pespectives ainsi ouvertes ont été habilement exploitées par un gouvernement réaliste, basant toute sa stratégie de développement sur la modernisation de l’agriculture, pragmatique, sachant toujours assez rapidement tirer les leçons de ses erreurs pour corriger le tir, et compétent, apprenant en un tournemain à gérer de manière relativement satisfaisante une économie nationale de plus en plus complexe. Finalement, en dépit de gaspillages, d’injustices et d’abus sur lesquels nous ne reviendrons pas, le pouvoir en place a donc été capable de garantir une assez forte croissance économique, de favoriser une certaine redistribution sociale du revenu et, par là même, de renforcer une stabilité politique toujours délicate281. Il ne faut en effet jamais perdre de vue que toute la légitimité politique de régimes modernisateurs comme celui de l’Indonésie repose essentiellement sur leur capacité à promouvoir le développement économique du pays282.

NOTES

1. C’est bien évidemment avec le Bangladesh que cette comparaison démographique s’avère la plus pertinente. En 1980, ce pays comptait environ 88.5 millions d’habitants pour une superficie de 142 776 km2, soit une densité moyenne de 620 hab/km2, alors que Java comptait une population de 91.3 millions pour une superficie de 134 703 km2, soit une densité moyenne de 678 hab/km2. Il faut toutefois immédiatement souligner une différence de taille entre les deux cas : le Bangladesh est un pays et Java n’est que l’une des îles constituant la nation indonésienne. 2. Voir à ce sujet le tout récent ouvrage de GILBERT ETIENNE, Développement rural en Asie, Les hommes, le grain et l’outil, Paris, PUF, I.E.D.E.S./Collection Tiers Monde, 1982, 269 pages + cartes. 3. Dans ce domaine complexe, consulter en priorité l’ouvrage controversé de ESTER BOSERUP, Evolution agraire et pression démographique, Paris, Flammarion, Nouvelle Bibliothèque Scientifique, 1970, 218 pages. A côté de cela, la lecture de l’ouvrage classique de ANDRÉ LEROI-GOURHAN, Milieu et techniques, Paris, Albin Michel, Collection Sciences d’Aujourd’hui, 1973, 475 pages, reste un « must ». Pour un débat contradictoire autour de ce thème voir également, La fin des outils, Technologies et domination, Paris et Genève, PUF et IUED, Cahiers de l’IUED, N° 5, 1977, 333 pages. Se reporter enfin à tous les ouvrages de Pierre Gourou déjà cité précédemment où ces questions sont toujours abordées d’une manière ou d’une autre. 4. Concernant l’histoire ancienne de la riziculture à Java, se reporter à la très belle étude de N.C. van SEITEN VAN DER MEER, Sawah cultivation in ancient Java, Aspects of development during the Indo- Javanese period, 5 th to 15 th Century, Canberra, Australian National University Press in 266

association with Faculty of Asian Studies, Oriental Monograph Series N° 22, 1979, 168 pages, qui comble un énorme trou dans la littérature. Voir également, F.H. VAN NAERSSEN and R.C. DE IONGH, The economic and administrative history of early Indonesia, Leiden/Köln, E.J. Brill, 1977, 120 pages. 5. Sur ce sujet, voir en priorité parmi les nombreux ouvrages de PIERRE GOUROU. Pour une géographie humaine, op. cit., pp. 17-52. 6. Voir F.H. VAN NAERSSEN and R.C. DE IONGH, The economic and administrative history of early Indonesia, op.cit., pp. 3-28. Egalement consulter l’ouvrage classique de Bernhard Schrieke, Indone- sian sociological studies, Selected Writings of B. Schrieke, Part Two: Ruler and realm in Early Java, The Hague, W. van Hoeve, 1967, 491 pages. Pour une analyse détaillée d’un processus de fécondation interculturelle comparable se reporter à BERNARD-PHILIPPE GROSLIER, « Agriculture et religion dans l’Empire angkorien », in Agriculture et Sociétés en Asie du Sud-Est, La Haye et Paris, Mouton/EPHE, Etudes Rurales N° 53-56, Janvier-Décembre 1974, pp. 95-117. 7. Schrieke nous dit en effet à la page 300 de l’ouvrage mentionné à la note précédente: « Accor- ding to the most reliable estimate, the whole middle section of Java, comprising all the country between Tegal and Banyumas on the one hand and Surabaya-Kadiri on the other, cannot have had a population of much more than one million people ». Les « splendides édifices » de Java Central restaient malgré tout pour lui un certain mystère. 8. PETER MCDONALD, « An historical perspective to population growth in Indonesia », in James J. Fox, Ross G. Garnaut, Peter T. McCawley and James A.C. Mackie (Ed), Indonesia: Australian Perspectives, Canberra, The Australian National University, Research School of Pacific Studies, 1980, pp. 81-94. 9. Ibid, p. 84. Voir également N.C. VAN SETTEN VAN DER MEER, Sawah cultivation in ancient Java, op. cit., pp. 9-20 et F.H. VAN NAERSSEN and R.C. DE IONGH, The economic and administrative history of early Indonesia, op. cit. , pp. 46-59. Pour plus de détails sur la période hindo-javanaise consulter en priorité J.G. de CASPARIS « Pour une histoire sociale de l’ancienne Java, principalement au Xe s. », Archipel 21, 1981, pp. 125-151 et surtout le classique ouvrage de GEORGES COÈDES, Les Etats Hindouisés d’Indochine et d’Indonésie, Paris, Editions de Boccard, 1964, 494 pages. 10. A ce sujet, voir le remarquable petit article de synthèse de ANTHONY J.S. REID, « The origins of poverty in Indonesia », in James J. Fox, Ross G. Garnaut, Peter T. McCawley and James A.C. Mackie (Ed), Indonesia : Australian Perspectives, op.cit., pp. 441-454. 11. Sur le commerce du riz et des autres produits javanais, se reporter aux deux ouvrages classiques de J.C. VAN LEUR, Indonesian trade and society, Essays on asian social and economic history, The Hague, W. van Hoeve Ltd, 1955, 444 pages et de BERNHARD SCHRIEKE, Indonesian sociological studies, Selected Writings of B. Schrieke, Part One: The shifts in political and economic power in the indonesian archipe-lago in the sixteenth and seventeenth Century, The Hague, W. van Hoeve, 1966, pp. 1-82. Voir également F.H. VAN NAERSSEN and R.C. DE IONGH, The economic and administrative history of early Indonesia, op. cit., pp. 85-105. 12. En ce qui concerne les fondements de cette estimation démographique, voir PETER MCDONALD, « An historical perspective to population growth in Indonesia », op. cit. pp. 82-84. Pour ce qui est des tout débuts de la colonisation, consulter le classique ouvrage de BERNARD H.M. VLEKKE, Nusantara, A history of Indonesia, op. cit., pp. 80-120. 13. T.S. Raffles, The history of Java, op. cit., volume one, pp. 61-73. 14. Se reporter en priorité à WIDJOJO NITISASTRO, Population trends in Indonesia, op. cit., pp. 18-26. On consultera également avec profit l’étude de synthèse de LENORE MANDERSON, Overpopulation in Java: Problems and reactions, Canberra, Australian National University, Department of Demography, 1975, pp. 7-14. 15. Voir PETER MCDONALD, « An historical perspective to population growth in Indonesia », op. cit., pp. 84-88. 16. Ibid, ainsi que WIDJOJO, Population trends in Indonesia, op. cit., pp. 18-26. 267

17. Le qualificatif est de VLEKKE, Nusantara, op. cit., pp. 230-254. 18. Voir Peter MCDONALD, « An historical perspective to population growth in Indonesia », op. cit., pp. 84-88. 19. L’occupation japonaise, la révolution anticoloniale et la tragédie de 1965 pour ne nommer que les trois plus importants. 20. Statistik Indonesia 1970 & 1971, op. cit., p. 24. 21. L’évolution démographique de Java entre l’an mil et 1971 peut donc se résumer de la manière suivante selon nous :

22. Que l’on pourrait aussi qualifier d’intensification horizontale des cultures. 23. Pour plus de détails sur la technologie du sawah ainsi que sur les problèmes d’irrigation, voir : KARL J. PELZER, Pioneer seulement in the asiatic tropics, op. cit., pp. 47-66 ; CLIFFORD GEERTZ, Agricultura ! involution, op. cit., pp. 47-58 et bien sur N.C. VAN SETTEN VAN DER MEER, Sawah cultivation in ancient Java, op. cit., pp. 1-52. 24. Pour plus de détails sur le pekarangan, voir : KARL J. PELZER, Pioneer seulement in the asiatic tropics, op. cit., pp. 43-47 ; G. TERRA, « Farm Systems in Southeast Asia », Netherlands Journal of Agricultural Science, Vol. 6, 1958, pp. 157-182 et GEOFF. J. MISSEN, Viewpoint on Indonesia, op. cit., pp. 58-66. 25. En ce qui concerne le commerce javanais du riz consulter en priorité B. SCHRIEKE, Indonesian sociological Studies, Part One, op. cit., pp. 29-36 ainsi que J.C. VAN LEUR, Indonesian trade and society, op. cit., pp. 208-212. 26. Pour plus de détails sur l’agriculture itinérante sur brûlis, voir : KARL J. PELZER. Pioneer settlement in the asiatic tropics, op. cit., pp. 17-34 et GEOFF J. MISSEN, Viewpoint on Indonesia, op. cit., pp. 30-47. 27. Sur le système des « livraisons forcées » et des « contingentements » voir: CLIVE DAY, The policy and administration of the Dutch in Java, op. cit., pp. 63-68. 28. ANNE BOOTH, « Irrigation in Indonesia-Part 1 », Bulletin of Indonesian Economic Studies, Vol. XIII, N° 1, March 1977, p. 34. 29. Pour plus de détails, voir PETER MCDONALD, « An historical perspective to population growth in Indonesia », op. cit., pp. 87-88. 30. ANNE BOOTH, « Irrigation in Indonesia-Part I », BIES, op. cit., p. 39. 31. Ibid. 32. ANNE BOOTH, « Irrigation in Indonesia-Part I », BIES, op. cit., pp. 39 et 41 ainsi que Statistical Pocketbook of Indonesia 1961, Djakarta, Biro Pusat Statistik, December 1961, p. 48. 33. Ibid. 34. ANNE BOOTH, « Irrigation in Indonesia-Part I », BIES, op. cit., p. 43 et Statistical Pocketbook of Indonesia 1961, op. cit., p. 52. 35. Bien qu’elle ait joué un rôle économique et social de toute première importance dans l’évolution agricole de l’île, la canne à sucre n’a jamais occupé plus de 200 000 ha de sawah par année. Il faut dire que c’était souvent là les rizières de meilleure qualité autant sur le plan pédologique qu’hydraulique. En 1970, par exemple, l’une des deux ou trois années record pour l’industrie sucrière hollandaise, la canne occupa 198 600 ha et la production de sucre s’éleva à 2.9 Mt. A cette époque, environ la moitié de la quantité de sucre produite était exportée, ce qui faisait de Java, où 178 raffineries étaient en opération, le deuxième exportateur mondial après 268

Cuba. Cela représentait alors environ 3/4 de la valeur des exportations javanaises et plus de 1/4 du revenu total du gouvernement colonial. En 1935, après cinq années de dépression économique mondiale, la canne à sucre n’occupait plus que 29 500 ha et la production de sucre était tombée à un peu plus de 0.5 Mt. Entre 1930 et 1935, la superficie ensemencée en paddy passa de son côté de 3.23 à 3.75 millions d’hectares. Pour toutes ces informations, se reporter à ANNE BOOTH, « Irrigation in Indonesia-Part I », BIES, op. cit., pp. 40-41 et à MUBYARTO, « The sugar industry », BIES, Vol. V, N° 2, July 1969, pp. 37-41. 36. ANNE BOOTH, « Irrigation in Indonesia-Part I », BIES, op. cit., p. 43. 37. CLIFFORD GEERTZ, Agricultural involution, op. cit., pp. 68-80. 38. PETER MCDONALD, « An historical perspective to population growth in Indonesia », op. cit., p. 84 et Statistical Pocketbook of Indonesia 1961, op. cit., p. 11. 39. L’occupation japonaise et surtout la guerre d’indépendance. 40. Pour plus de détails voir ANNE BOOTH, « Irrigation in Indonesia-Part I », BIES, op. cit., pp. 46-50. 41. Ibid, pp. 46-50 et 70. 42. LENORE MANDERSON, Overpopulation in Java, op. cit., p. 19. 43. ANNE BOOTH, « Irrigation in Indonesia-Part I », BIES, op. cit., p. 70. 44. ANNE BOOTH, « Irrigation in Indonesia-Part I », BIES, op. cit., p. 70. 45. CLIFFORD GEERTZ, Agricultura ! involution, op. cit., p. 97. 46. MARGO L. LYON, Bases of conflict in rural Java, op. cit., pp. 1-37. 47. HIROYOSHI KANÔ, « The economic history of Javanese rural society: a reinterpretation », The Developing Economies, op. cit., pp. 3-22. 48. ERNST UTRECHT, « American sociologists on Indonesia », Journal of Contemporary Asia, op. cit., pp. 39-45. 49. JIM HICKSON, « Rural development and class contradictions on Java », Journal of Contemporary Asia, Vol. 5, N° 3, 1975, pp. 327-336. 50. HERMAN SOEWARDI, Respons masyarakat desa terhadap modernisasi produksi pertanian, terutama padi, Suatu kasus yang terjadi di Jawa Barat, Yogyakarta, Gadjah Mada University Press, 1976, 175 halaman. 51. HOTMAN SIAHAAN, Pemilikan dan penguasaan tanah, adopsi tekhnologi pertanian modem dan dis- paritas pendapatan di daerah pedesaan, Yogyakarta, Universitas Gadjah Mada, Lembaga Studi Kawa- san dan Pedesaan, 1977, 28 halaman. 52. WILLIAM COLLIER, Agricultural evolution in Java, Bogor, Unpublished Mimeographed Document, December 1976, 173 pages ainsi que la version abrégée de ce document, « Agricultural evolution in Java », in Gary E. Hansen (Ed), Agricultural and rural development in Indonesia, Boulder, Colorado, Westview Press, Westview Special Studies in Social, Political and Economic Development, 1981, pp. 147-173. 53. HIROYOSHI KANÔ, « The economic history of Javanese rural society », op. cit., pp. 18-20. 54. ANNE BOOTH, « Irrigation in Indonesia-Part I », BIES, op. cit., p. 43. 55. JENNIFER and PAUL ALEXANDER, « Sugar, rice and irrigation in colonial Java », Ethnohistory, op. cit., pp. 207-223. 56. BENJAMIN WHITE, « Population, involution and employement in rural Java », Development and Change, op. cit., pp. 267-290. 57. CLIFFORD GEERTZ, Agricultural involution, op. cit., note 19, page 96. 58. II semble bien toutefois qu’il y ait eu une baisse sensible de ce niveau nutritionnel entre 1900 et 1940. Voir CLIFFORD GEERTZ, Agricultural involution, op. cit., p. 96. 59. DAVID PENNY and MASRI SINGARIMBUN, Population and poverty in rural Java: some economic arithmetic from Sriharjo, op. cit., 115 pages. 60. ANNE STOLER, Garden use and household consumption patterns in a javanese village, op. cit., 91 pages. 269

61. GRAEME HUGO, Population mobility in , Yogyakarta, Gadjah Mada University Press, 1978, 335 pages. 62. WILLIAM COLLIER, Agricultural evolution in Java, op. cit., 173 pages. 63. Pour une analyse des résultats du recensement de 1973 incluant une réflexion sur l’évolution de la situation pendant la décennie écoulée voir ANNE BOOTH and R.M. SUNDRUM, « The 1973 Agricultural Census », Bulletin of Indonesian Economic Studies », Vol. XII, N° 2, July 1976, pp. 90-105 ainsi que ROGER MONTGOMERY and TOTO SUGITO, « Changes in the structure of farms and farming in Indonesia between Censuses, 1963-1973: the issues of inequality and near-landlessness », Journal of Southeast Asían Studies, op. cit., pp. 348-365. 64. Sensus Pertanian 1973, Pertanian : Jilid I, Jakarta, Biro Pusat Statistik, Pebruari 1976, p. 1. 65. Sensus Pertanian 1973, op. cit., p. 1. 66. Si la superficie agricole de l’île n’a pratiquement pas changée entre 1963 et 1973, restant fixée aux alentours de 6.2 millions d’hectares, il est à noter qu’elle est très fortement inférieure au chiffre qui était habituellement fourni jusqu’au début des années soixante, c’est-à-dire jusqu’à ce que le premier recensement sérieux soit organisé. Nous avons par exemple vu plus haut que la surface arable cultivée par la paysannerie javanaise couvrait déjà près de 8 millions d’hectares en 1941. Par ailleurs, KARL J. PELZER, « The agricultural foundation », in Ruth T. McVey (Ed), Indonesia, op. cit., p. 121 arrivait même, sur la base des informations chiffrées fournies dans le Statistical Pocketbook of Indonesia 1961, op. cit., pp. 48 et autres, à une superficie agricole totale de près de 9 millions d’hectares pour toute l’île en 1959 ! Ces énormes variations sont bien évidemment dues aux différences importantes qui existent au niveau de la définition des catégories statistiques, un problème des plus complexes sur lequel nous ne pouvons pas entrer en matière dans le cadre de ce travail. On peut toutefois raisonnablement penser que la superficie actuellement cultivée à Java se situe plutôt au-dessus de 8 millions d’hectares qu’aux alentours de 6. C’est ainsi que d’équipe de la Banque Mondiale qui a élaboré le gros rapport de 1974 sur la situation agricole du pays est arrivée à la conclusion que près de 40 % de la superficie totale de l’île était montagneuse et que si la surface ayant un potentiel agricole se situait aux alentours de 8 millions d’hectares, la surface cultivée couvrait alors déjà 8.4 millions d’hectares. Voir à ce sujet, Indonesia, Agricultural sector survey, Washington, IBRD, April 1974, volume I, p. 10. 67. Sensus Pertanian 1973, op. cit., p. 1. 68. Sensus Pertanian 1973, op. cit., p. 1. 69. Ibid, pp. 229-233 et 255-259. 70. A noter que la diminution de la superficie de pekarangan à l’échelle macro-géographique de l’île entière s’est accompagnée d’une augmentation de cette même superficie au niveau micro- géographique de certains des villages les plus densément peuplés du Kejawèn ainsi que nous avons eu l’occasion de le voir à Tirtonirmolo et Timbulhardjo. 71. ANNE BOOTH. « Irrigation in Indonesia-Parti I », BIES, op. cit., pp. 62-69 et ANNE BOOTH and R.M. SUNDRUM, « The 1973 Agricultural Census », BIES, op. cit., pp. 102-103. 72. Sensus Pertanian 1973, op. cit., pp. 220 et 229-233. 73. Sensus Pertanian 1973, op. cit., p. 1. 74. Ibid, p. 2. 75. De 43,6 % en 1963 à 45,6 % en 1973. 76. Sensus pertanian 1973, op. cit., pp. 11-15. 77. Ibid. 78. Ibid. 79. Pour plus de détails sur ce sujet, se reporter à ROGER MONTGOMERY and TOTO SUGITO, « Changes in the structure of farms », op. cit., pp. 350-351 ainsi que ANNE BOOTH and R.M. SUNDRUM, « The 1973 Agricultural Census », BIES, op. cit., pp. 90-91. 80. Sensus Pertanian 1973, op. cit., pp. 203-207. 270

81. ROGER MONTGOMERY and TOTO SUGITO, « Changes in the structure of farms », Journal of Sou-theast Asian Studies, op. cit., pp. 348-365. 82. Traduction libre du terme anglais de « near-landlessness ». 83. R. MONTGOMERY and T. SUGITO, « Changes in the structure of farms », op. cit., p. 357. 84. C’est-à-dire n’ayant accès ni au sawah, ni au tegal, ni au pekarangan, que ce soit en tant que propriétaire, métayer ou fermier. 85. En 1972, il y avait environ 17 millions de familles à Java, dont 82°7o soit à peu près 14 millions, vivaient encore en milieu rural. Voir à ce sujet Hasil Registrasi penduduk, Penduduk Jawa- Madura, op. cit., p. 41. Sur ces 14 millions de familles rurales, 8.7 millions étaient classées dans la catégorie des exploitants agricoles selon le recensement de 1973, alors que Montgomery et Sugito estimaient à 2.3 millions supplémentaires le nombre des « quasi sans-terre ». Il restait donc bien environ 3 millions de familles totalement démunies de terre (14 — (8,7 + 2,3) = 3). 86. Sensus Pertanian 1973, op. cit., pp. 11-15. 87. Ibid, pp. 203-207. 88. Le Direktorat Jenderal Agraria, qui centralise toutes les données relatives à l’utilisation des terres dans tout le pays est probablement l’un des organismes gouvernementaux auquel il est le plus difficile d’arracher la moindre information en Indonésie. Tout ce qui touche à ces questions reste entouré d’un certain « secret d’Etat ». Le D.J. Agraria fait d’ailleurs partie du Ministère de l’Intérieur. 89. Laporan Tahun Direktorat Litbang, Jakarta, Direktorat Jenderal Agraria, 1973. 90. Se reporter à chacune de nos 4 études de cas villageoises. Voir également DANNY ZACHARIAS, « The lurah (village head) and development programs », The Indonesian Quartely, Vol. VII, N° 2, April 1979, p. 99 ainsi que THEODORE M. SMITH, « Kepala desa: pelopor pembaharuan? », Prisma, Tahun II, N° 4, Agustus 1973, pp. 21-24. 91. Il y avait exactement 20 426 villages ruraux à Java en 1972 selon le Hasil registran penduduk, Pen-duduk Jawa-Madura, op. cit., pp. 41-50. 92. Consulter par exemple à ce sujet DANNY ZACHARIAS « The lurah (village head) and development programs », op. cit., pp. 95-98 ; THEODORE M. SMITH, « Kepala desa : pelopor pembaharuan ?, op. cit., pp. 17-30 et WIGNATI WIGNA, « Nepotisme di desa : suatu studi Kasus di Jawa Barat », Prisma, Tahun VIII, N° 3, Maret 1979, pp. 31-40. 93. A ce sujet voir le remarquable ouvrage de HEATHER SUTHERLAND, The making of a bureaucratic elite, The colonial transformation of the javanese priyayi, Singapore, Heinemann Educational Books (Asia) Ltd, Asian Studies Association of Australia, Southeast Asia Publications Series N° 2, 1979, 182 pages. 94. GARY E. HANSEN, The politics and administration of rural development in Indonesia, Berkeley, University of California, Center for South and Southeast Asia Studies, Research Monograph N° 9, April 1973, 135 pages. 95. Consulter SOEDARSONO HADISAPOETRO, « BUUD : salah konsep atau pembinaannya ? », Prisma, op. cit., pp. 31-42. 96. C’est la fameuse Instruction Présidentielle INPRES N° 2 de 1978 qui marqua le lancement de cette nouvelle formule. Sur le problème des coopératives en Indonésie, voir le numéro spécial que lui a consacré la revue Prisma en Juillet 1978 et en particulier l’article de BAMBANG ISMAWAN, « Peranan lembaga swasta dalam penganbangan usaha kooperatif di pedesaan », Prisma, Tahun VII, N° 6, Juli 1978, pp. 17-29. On peut également consulter avec profit le rapport de mission que nous avons rédigé avec un collègue agronome pour le compte de la Coopération Suisse au Développement (DDA) : PETER KAUZ and JEAN-LUC MAURER, Rural cooperatives and development in Indonesia : a preliminary research in Lombok (NTB), Geneva, IUED, June 1979, 176 pages + annexes. 97. En ce qui concerne les développements les plus récents, se reporter à un nouveau numéro de la revue Prisma presque entièrement consacré au problème des coopératives et en particulier à 271

l’article de DAWAM RAHARDJO, « Development policies and the growth of cooperative in Indonesia », Prisma, N° 23, December 1981, pp. 3-11. 98. LEON A. MEARS, The new rice economy of Indonesia, Yogyakarta, Gadjah Mada University Press, 1981, p. 488. 99. LEON A. MEARS and SIDIK MOELJONO, « Food policy », in ANNE BOOTH and PETER MCCAWLEY (Ed), The Indonesian economy during the Soeharto era, Kuala Lumpur, Oxford University Press, East Asian Social Science Monographs, 1981, p. 28. 100. Par rapport à la production, les quantités de riz entrant sur le marché international sont extrêmement faibles vu que la plupart des pays gros producteurs sont aussi gros consommateurs. Entre 1960 et 1964 par exemple, la production moyenne mondiale s’est élevée à 166.5 Mt de riz décortiqué par an, alors que seules 6.5 Mt sont entrées sur le marché international chaque année. Voir ANDRÉ ANGLADETTE, Le riz, Paris, PUF, QSJ N° 305, 1967, p. 111. En 1973, la production mondiale de riz s’est élevée à environ 215 Mt alors que le montant total des exportations n’a atteint que 7.5 Mt. Voir Rapport sur le riz 1974/1975, Roma, Food and Agricultural Organization, 1975, pp. 5 et 10. 101. Pour un riz de qualité moyenne, ils passèrent de US $ 134/t en janvier 1973 à US $ 582/t en avril 1974 sur le marché de Bangkok. Voir LEON A. MEARS, The new rice economy of Indonesia, op. cit., pp. 28-29. 102. Pour un riz javanais de qualité supérieure. Chiffres collectés sur une base mensuelle de début 1971 à fin 1973 au bureau du BULOG de Yogyakarta. 103. A savoir le riz, le sucre, le sel, l’huile, le pétrole, le poison séché, le savon, le tissu, le batik et la farine. A Yogyakarta, le total pondéré de ces 10 biens de consommation courante passa de 1 063 Rp en Janvier 1972 à 2 104 Rp en décembre 1973. Source: BULOG Yogyakarta. 104. STEPHEN GRENVILLE. « Survey of recent developments », Bulletin of Indonesian Economic Stu-dies, Vol. X, N° 1, March 1974, p. 24. 105. Acronyme de MAlapetaka LimAbelas januaRI, c’est-à-dire « Désastre du 15 Janvier ». A ce sujet voir GARY HANSEN, « Indonesia 1974: a momentous year », Asian Survey, Vol. XV, N° 2, February 1975, pp. 148-156 et HARVEY STOCKWIN, « Agony after the affair », Far Eastern Economic Review, July 15, 1974, pp. 31-34. 106. Sur ce sujet complexe et passionnant voir LEON A. MEARS, The new rice economy of Indonesia, op. cit., pp. 388-430. 107. Se reporter par exemple à BRIAN MAY, The indonesian tragedy, op. cit., pp. 361-368. 108. LEON A. MEARS, The new rice economy of Indonesia, op. cit., p. 488. 109. ANNE BOOTH and R.M. SUNDRUM, » The 1973 Agricultural Census », BIES, op. cit., p. 101 donnent des chiffres sensiblement inférieurs. 110. JOAN M. HARDJONO. Transmigration in Indonesia, op. cit., p. 31. 111. « TERENCE H. HULL and IDA BAGUS MANTRA, « Indonesia’s changing population », in Anne Booth and Peter McCawley (Ed), The Indonesian Economy during the Soeharto Era, op. cit., p. 273.. 112. Voir en particulier la conclusion de l’ouvrage de ALLEN M. SIEVERS, The mystical world of Indonesia, op. cit., pp. 299-318, précisément publié en 1974. 113. Statistik Indonesia 1975, op. cit., p. 441. 114. La Malaisie Occidentale atteignait un rendement moyen de 2.8 t/ha cette année là, contre 2.4 t/ha au Vietnam du Sud, 2 t/ha en Thaïlande, 1.7 t/ha en Birmanie et 1.5 t/ha aux Philippines. A titre de comparaison le Japon en était à 6 t/ha, la Corée du Sud à 4.8 t/ha, la Chine à 3.2 t/ha, le Pakistan à 2.4 t/ha et l’Inde et le Bangladesh à 1.8 t/ha chacun. Voir Production Yearbook 1973, Roma, FAO, vol. 27, 1974 pp. 46-47. 115. Statistik Indonesia 1975, op. cit., p. 441. 116. II était par exemple déjà de 5.5 t/ha en 1971 dans le kabupaten Klaten selon les données chiffrées fournies par le bureau de district, atteignant même près de 6 t/ha dans plusieurs kecamatan comme ceux de Kebonarum, Djogonalan, Prembanan, Delanggu ou Polanhardjo. 272

117. MUBYARTO, « The sugar industry: from estate to small-holder cane production? », Bulletin of Indonesian Economic Studies, Vol. XVIII, N° 2, July 1977, p. 31. 118. Ibid, p. 30. 119. En 1973, par exemple, l’Indonésie, avec un rendement moyen de canne supérieur à 88.2 t/ha, occupait le deuxième rang mondial derrière l’Egypte (108.1 t/ha) et précédait l’Ile Maurice (82.9 t/ha), les USA (82.5 t/ha), l’Australie (81.2 t/ha), l’Afrique du Sud (78.2 t/ha), la Chine (69.1 t/ha), la Dominique (65.7 t/ha), le Mexique (65.1 t/ha) et bien évidemment les trois plus gros producteurs mondiaux, l’Inde (50.0 t/ha), le Brésil (46.3 t/ha) et Cuba (45.3 t/ha). Voir Production Yearbook 1973, Roma, FAO, op. cit., pp. 169-170. 120. MUBYARTO, « The sugar industry: from estate to small-holder cane production?, BIES, op. cit., pp. 39-44. 121. Statistik Indonesia 1975, op. cit., pp. 436-440. 122. Ibid, p. 444. 123. Production Yearbook 1973, Roma, FAO, op. cit., p. 51. 124. Statistik Indonesia 1975, op. cit., p. 445. 125. Production Yearbook 1973, Roma, FAO, op. cit., p. 85. 126. Le rendement moyen de soja n’était par exemple que de 734 kg/ha en 1973 à Java (Statistik Indonesia 1975, op. cit., p. 448) contre déjà 1 500 kg/ha en Malaisie Occidentale (Production Yearbook 1973, Roma, FAO, op. cit., p. 130). 127. Voir OTTO SOEMARWOTO et al., « The javanese home-garden as an integrated agro-ecosystem », Science for better environment, Proceedings of the International Congress on the Human Environment, Kyoto 1975, Tokyo, Science Council of Japan, 1976, pp. 193-197. 128. D’après une étude de Oches et Terra citée par O. Soemarwoto dans l’article mentionné à la note précédente, en 1937, 44 % des calories alimentaires et 32 % des protéines produites à Java provenaient du pekarangan. 129. ANNE STOLER, « Garden use and household economy in rural Java », Bulletin of Indonesian Economic Studies, Vol. XIV, N° 2, July 1978, pp. 85-101. 130. DAVID PENNY and MASRI SINGARIMBUN, Population and poverty in rural Java, op. cit., 115 pages. 131. Directeur de l’Institut d’Ecologie à l’Université Padjajaran de Bandung. 132. Statistik Indonesia 1975, op. cit., p. 503. Voir également D.H.L. ROLLINSON and A.J. NELL, The présent and future situation of working cattle and buffalo in Indonesia, Jakarta, UNDP/FAO Project INS/72/009, Supporting Livestock Planning, Working Paper, December 1973, 40 pages. 133. Statistik Indonesia 1975, op. cit., p. 503. 134. Ibid, p. 504. Voir également A.J. NELL and D.H.L. ROLLINSON, The present and future situation of poultry production in Indonesia, Jakarta, UNDP/FAO Project INS/72/009, Supporting Lives-tock Planning, Revised Working Paper, December 1973, 9 pages. 135. Voir OTTO SOEMARWOTO et al., « The Javanese home-garden as an integrated agro-ecosystem », op. cit., p. 194. 136. ROGER VAILLAND, Boroboudour, Choses vues en Egypte - la Réunion, Paris, Gallimard, NRF, Récits, 1981 (1951), p. 33. 137. Voir à ce sujet Asia 1982 Yearbook, Hong Kong, Far Eastern Economic Review, November 1981, pp. 160-164 ainsi que GORDON R. HEIN, « Indonesia in 1981: countdown to the general elections », Asian Survey, Vol. XXII, N° 2, February 1982, pp. 200-211. 138. Voir à ce sujet ALLAN A. SAMSON, « Indonesia 1972: the solidification of military control », Asian Survey, Vol. XIII, N° 2, February 1973, pp. 127-139 ainsi que Arief Budiman, « The Student movement in Indonesia: a study of the relationship between culture and structure », Asian Survey, Vol XVIII, N° 6, June 1978, pp. 609-625. 139. Voir ALLAN A. SAMSON, « Indonesia 1973: a climate of concern », Asian Survey, Vol. XIV, N° 2, February 1974, pp. 157-165. 273

140. Ibid ainsi que OEY HONG LEE, « The emasculation of political parties », in Malcolm Caldwell (Ed), Ten years’military terror in Indonesia, op. cit., pp. 59-70. 141. Sur la reprise de l’inflation et la crise rizicole de 1972 voir ALLAN A. SAMSON, « Indonesia 1972 », op. cit., pp. 137-138. 142. Voir ALLAN A. SAMSON, « Indonesia 1973 », op. cit., pp. 163-164. 143. Voir ALLAN A. SAMSON, « Indonesia 1973 », op. cit., p. 282 ainsi que GARY HANSEN, « Indonesia 1974 : a momentous year », Asian Survey, Vol. XV, N° 2, February 1975, pp. 148-156. 144. En particulier tout le complexe commercial de Pasar Senen. Voir à ce sujet GARY HANSEN, « Indonesia 1974 », op. cit., p. 151-152. 145. Ibid. 146. Cet organisme portant le nom d’un acronyme indonésien très compliqué, voire effrayant, qui signifie très exactement Commandement Opérationnel pour la Restauration de la Sécurité et de l’Ordre, a été crée le 11 Mars 1966 par le fameux décret SUPERSEMAR. 147. Sur le rôle des Conseillers Spéciaux du Président ou ASPRI, voir GARY HANSEN, « Indonesia 1974 » op. cit., pp. 149-152. L’une des revendications majeures des étudiants était d’ailleurs la dissolution de ce corps d’éminences grises. Ils eurent finalement gain de cause puisque le Président abolit effectivement les ASPRI le 29 janvier 1974. Voir GARY HANSEN, « Indonesia 1974 », op. cit., p. 152. 148. Voir GARY HANSEN, « Indonesia 1974 », op. cit., p. 152. 149. Ibid, p. 152. 150. Voir GARY HANSEN, « Indonesia 1974 » op. cit., p. 153. 151. Concernant le resserrement des liens au sein de l’ASEAN voir GARY HANSEN. « Indonesia 1975: national resilience and continuity of the struggle », Asian Survey, Vol XVI, N° 2, February 1976, pp. 146-158. Sur l’ASEAN, consulter en priorité Pierre Denis, L’ASEAN : ses structures, ses objectifs, ses réalisations, Ottignies-Louvain la Neuve, Centre Tricontinental (CETRI), 1981, 61 pages ainsi que HANS F. INDORF, ASEAN : problems and prospects, Singapore, Institute of Southeast Asian Studies, Occasional Paper N° 38, 1975, 62 pages. 152. Sur l’affaire de Timor voir GARY HANSEN, « Indonesia 1975 », op. cit., pp. 155-158. Plus généralement on se reportera avec profit à : Issue on East Timor, New York, United Nations Department of Political Affairs, Trusteeship and Decolonization, August 1976, 70 pages ; MARCEL ROGER, Timor : hier la colonisation portugaise, aujourd’hui la résistance à l’agression indonésienne, Paris, L’Harmattan, 1977, 158 pages et East Timor : beyond hunger, Berkeley, Southeast Asia Chronicle, Issue N° 74, August 1980, 28 pages. 153. Le fameux Ratu Adil. A ce sujet voir BERNARD DAHM, Sukarno, op. cit., pp. 1-20. 154. Sur l’affaire Sawito, voir R. WILLIAM LIDDLE, « Indonesia 1976: challenges to Suharto’s authority », Asian Survey, Vol XVII, N° 2, February 1977, pp. 95-106. Pour plus de détails se rapporter à TITANIA, Sawito : siapa, mengapa dan bagaimana, Jakarta, Badan Penerbit Sasongko Solo, 1978, 251 halaman. 155. Le procès de Sawito fut très long et passionna l’opinion publique indonésienne. Il se solda par la condamnation de ce dernier à 8 ans de prison en Juillet 1978. 156. Voir R. WILLIAM LIDDLE, « Indonesia 1976 », op. cit., p. 105. 157. Ibid, p. 104. Se reporter au Newsweek du 8 novembre 1976. 158. Voir R. WILLIAM LIDDLE, « Indonesia 1977: the New Order’s second parliamentary election », Asian Survey, Vol. XVIII, N° 2, February 1978, pp. 175-185. 159. Ibid, p. 183. 160. Ibid, p. 184 ainsi que RONALD M. GRANT, « Indonesia 1978: a third term for President Suharto », Asian Survey, Vol. XIX, N° 2, February 1979, pp. 141-146. 161. Voir R. WILLIAM LIDDLE, « Indonesia 1977 », op. cit., pp. 185-186. 162. 162Voir RONALD M. GRANT, « Indonesia 1978 », op. cit., p. 142. 274

163. Ibid. 164. Voir R. WILLIAM LIDDLE, « Indonesia 1977 », op. cit., p. 177. 165. A ce sujet consulter MICHAEL MORFIT, « Pancasila: the indonesian State ideology according to the New Order Government », Asian Survey, Vol. XXI, N° 8, August 1981, pp. 838-851 ainsi que Pant-jasila, Trente années de débats politiques en Indonésie, op. cit., pp. 200-219. 166. Voir GUY J. PAUKER, « Indonesia 1979: the record cf three decades », Asian Survey, Vol. XX, N° 2, February 1980, pp. 123-134. 167. Ibid., pp. 132-133. Voir également à ce sujet DAVID JENKINS, « Keeping a worrying pledge », Far Eastern Economic Review, Vol. 106, N° 51, December 21, 1979, pp. 16-17 ainsi que du même auteur: « Freed the last of the many », FEER, Vol. 107, N° 1, January 4 1980, p. 15. 168. A ce sujet, voir SIDNEY R. JONES, « It can’t happen here: a post-Komeini look at Indonesian Islam », Asian Survey, Vol. XX, N° 3, March 1980, pp. 331-323. 169. Se reporter au Asia 1980 Yearbook, Hong Kong, Far Eastern Economic Review, November 1979, p. 187. La cérémonie à la mémoire de Sukarno fut boycottée par les membres de sa famille qui dénoncèrent la manœuvre de récupération politique du pouvoir et rappelèrent que l’ancien président avait demandé à être enterré sous un arbre dans les collines de Java Ouest avec pour monument funéraire une simple pierre tombale sur laquelle on inscrirait : « Ici gît Bung Karno, le porte-parole du peuple indonésien ». La construction du mausolée de Sukarno à Blitar coûta US $ 864 000 contre US $ 1 million pour celle du mausolée de Suharto à Solo ! 170. A ce sujet, voir Asia 1981 Yearbook, Hong Kong, Far Eastern Economic Review, November 1980, pp. 149-152. 171. Ibid ainsi que GUY J. PAUKER, « Indonesia in 1980: regime fatigue? », Asian Survey, Vol. XXI, N° 2, February 1981, pp. 232-244 et surtout ULF SUNDHAUSSEN, « Regime crisis in Indonesia: facts, fictions, predictions », Asian Survey, Vol. XXI, N° 8, August 1981, pp. 815-837. 172. C’est en effet sous l’appelation mi-affectueuse mi-ironique de « barisan sakit hati », littéralement « la brigade de ceux qui ont mal au coeur », que sont connus tous ces militaires à la retraite déçus de l’évolution du régime qu’ils ont aidé à mettre en place à l’origine. A ce sujet, voir Asia 1981 Yearbook, op. cit., pp. 149-152, GUY J. PAUKER, « Indonesia in 1980 » op. cit., pp. 240-242 et surtout ULF SUNDHAUSSEN, « Regime crisis in Indonesia », op. cit., pp. 817-823. 173. Ibid ainsi que DAVID JENKINS, « A blow at Achilles heel » et « Pancasila belongs to everyone », FEER, Vol. 108, N° 23, May 30 1980, pp. 22-24 et, du même auteur, « The aging of the New Order », FEER, Vol. 108, N° 27, June 27 1980, pp. 22-27. 174. Voir GORDON R. HEIN, « Indonesia in 1981 », op. cit., pp. 200-205. 175. Ibid, ainsi Que GUY SACERDOTI, « All the President’s men », FEER, Vol. 114, N° 43, October 16 1981, p. 30. 176. Voir à ce sujet GORDON R. HEIN, « Indonesia in 1981 », op. cit., p. 205. Le gouvernement indonésien dépêcha en l’occurrence sur place, avec l’accord des autorités thaïlandaises, un commando antiterroriste de Bérets Rouges qui réglèrent promptement l’affaire par la force puisqu’elle se solda par la mort des cinq extrémistes et la libération des 44 otages. Se reporter à l’article de GUY SACERDOTI, « The extremist exorcized », FEER, Vol. 112, N° 16, April 10 1981, pp. 28-29. 177. De fait le GOLKAR obtiendra 64.3 % des voix en mai 1982, contre 27.8 % au PPP et seulement 7.9 % au PDI. Voir à ce sujet Asia Yearbook 1983, Hong Kong, Far Eastern Economie Review, November 1982, pp. 159-162. En mars 1983, Suharto sera unanimement réélu pour un quatrième mandat par le parlement et s’adjoindra, à la surprise générale, un nouveau vice-président en la personne du général Umar Wirahadikusumah, jusque là pratiquement inconnu, pour remplacer Adam Malik jugé trop critique et ouvert. Voir les articles de SUSUMU AWANOHARA, « Enter a dark hose », FEER, Vol. 119, N° 10, March 10 1983, pp. 8-9 et « According to the script », FEER, Vol. 119, N° 12, March 24 1983, p. 17. A noter que le président du parlement annoncera avant que l’élection 275

ne prenne place que Suharto ne se représenterait pas pour un cinquième mandat en 1988, nouvelle reprise dans le International Herald Tribune du 3 mars 1983. 178. Voir SIDNEY R. JONES, « It can’t happen here », op. cit., pp. 311-323. 179. La génération des hommes qui ont fait la révolution anti-coloniale par opposition à celle de 1966 regroupant ceux qui ont participé au changement de régime. Concernant cette analyse en termes de « génération » qui est dominante dans la vie politique indonésienne, consulter l’article précité de SUSUMU AWANOHARA, « According to the script », dans lequel il apparaît que Suharto y a lui même recours pour laisser entendre qu’il ne se représentera pas en 88. 180. En l’occurrence successivement Sumitro, Sadikin, Dharsono et Malik. 181. A ce sujet, voir l’excellent article de HERBERT FEITH, « Repressive-developmentalist regimes in Asia : old strengths, new vulnerabilities », Prisma, N° 19, December 1980, pp. 39-55. 182. Qui était de 15.42 Mt. 183. Voir STEPHEN GRENVILLE, « Survey of recent developments », Bulletin of Indonesian Economic Studies, Vol. X, N° 1, March 1974, p. 2; HEINZ W. ARNDT, « Survey of recent developments », BIES, Vol. X, N° 2, July 1974, p. 1 et PHYLLIS ROSENDALE, « Survey of recent development », BIES, Vol. X, N° 3, November 1974, p. 14. 184. Voir HEINZ W. ARNDT « Survey of recent developments », BIES, Vol. XI, N° 2, July 1975, p. 12 et PETER MCCAWLEY, « Survey of recent developments », BIES, Vol. XII, N° 1, March 1976, p. 7. 185. Ibid. 186. Voir PETER MCCAWLEY, « Survey of recent developments », BIES, Vol. IX, N° 3, November 1973, p. 23 et HEINZ W. ARNDT, « Survey » BIES, Vol. XI, N° 2, op. cit., p. 16. 187. Voir PETER MCCAWLEY, « Survey », BIES, Vol. IX, N° 3, op. cit., p. 24 et HEINZ W. ARNDT, « Survey », BIES, Vol. XI, N° 2, op. cit., p. 16. 188. A ce sujet voir Rencana Pembangunan Lima Tahun Kedua 1974/75-1978/79, Jakarta, Departe-men Penerangan, Maret 1974, 4 bagian, 297 + 460 + 408 + 413 halaman. Voir également STEPHEN GRENVILLE, « Survey », BIES, Vol. X, N° 1, op. cit., pp. 28-32. 189. Voir ANNE BOOTH AND BRUCE GRASSBURNER, « Survey of recent developments », BIES, Vol. XI,N° 1, March 1975, pp. 8-9; Heinz W. Arndt, « Survey », BIES, Vol. XI, N° 2, op. cit., pp. 18-19; PETER MCCAWLEY, « Survey », BIES, Vol. XII, N° 1, op. cit., pp. 16-17; Stephen Grenville, « Survey of recent developments », BIES, Vol. XIII, N° 1, March 1977, p. 9 et enfin Heinz W. Arndt, « Survey of recent developments », BIES, Vol. XIV, N° 1, March 1978, p. 19. 190. Voir STHEPHEN GRENVILLE, « Survey », BIES, Vol. XIII, N° 1, op. cit., p. 9 ; HEINZ W. ARNDT, « Survey », BIES, Vol. XIV, N° 1, op. cit., p. 19 et D.T. HEALEY, « Survey of recent developments », BIES, Vol. XVII, N° 1, March 1981, p. 5. 191. Cette affaire a fait couler beaucoup d’encre. Se reporter en particulier à DEREK DAVIES, « Sutowo: down but not out », FEER, Vol. 88, N° 21, May 30 1975, pp. 51-58; HARVEY STOCKWIN, « Why the general had to go », FEER, Vol. 91, N° 12, March 19 1976, pp. 44-48; HEINZ W. ARNDT, « Survey », BIES, Vol. XI, N° 2, op. cit., pp. 3-8; STEPHEN GRENVILLE, « Survey », BIES, Vol. XIII, N° 1, op. cit., pp. 2-5 ou INGRID PALMER, The Indonesian economy since 1965, op. cit., pp. 141-148. 192. INGRID PALMER, op. cit., p. 147. 193. Voir K.E. MUELLER, Field problems of tropical rice, Los Baños, IRRI, 1970, pp. 38-39. 194. Les importations de riz atteignent très exactement 1.96 Mt en 1977. Voir à ce sujet LEON A. MEARS and SIDIK MOELJONO, « Food policy », in Anne Booth and Peter McCawley (Ed), The indonesian economy during the Soeharto era, op. cit., p. 28. 195. ROSS GARNAUT, « Survey of recent development », BIES, Vol. XV, N° 3, November 1979, p. 1. 196. Ibid, p. 5. 197. HEINZ W. ARNDT, « Survey », BIES, Vol. XIV, N° 1, op. cit., p. 4 et HEINZ W. ARNDT, « Survey of recent developments », BIES, Vol. XIV, N° 3, November 1978, p. 9. 276

198. HOWARD DICK, « Survey of recent developments », BIES, Vol. XV, N° 1, March 1979, p. 12. 199. HEINZ W. ARNDT, « Survey », BIES, Vol. XIV, N° 3, op. cit., pp. 2-6 et Howard Dick, « Sur-vey », BIES, Vol. XV, N° 1, op. cit., pp. 1-20 et 42-44. 200. Acronyme peu élégant de KEbijaksanaan 16 NOPember, ou « dévaluation du 15 novembre », sous lequel est officiellement connue l’opération. 201. En fait, selon la convention internationale, la dévaluation n’a été officiellement que de 33.3 %. Voir HOWARD DICK, « Survey », BIES, Vol. XV, N° 1, op. cit., p. 1. 202. Voir à ce sujet HEINZ W. ARNDT, « Survey », BIES, Vol. XIV, N° 3, op. cit., pp. 20-22 et ANNE BOOTH and AMINA TYABJI, « Survey of recent developments », BIES, Vol. XV, N° 2, July 1979, pp. 30-42. 203. D.T. HEALEY, « Survey », BIES, Vol. XVII, N° 1, op. cit., p. 1. 204. Ibid, p. 2. 205. ROSS GARNAUT, « Survey », BIES, Vol. XV, N° 3, op. cit., p. 31; BOEDIONO, « Survey of recent developments », BIES, Vol. , XVI, N° 2, July 1980, p. 5 et PETER SCHERER, « Survey of recent developments », BIES, Vol. XVIII, N° 2, July 1982, p. 2. 206. HEINS W. ARNDT, « Survey of recent developments », BIES, Vol. XVII, N° 3, November 1981, p. 2. Cette année-là, l’Indonésie obtient la deuxième taux de croissance de l’ASEAN, juste derrière Singapour. 207. PETER SCHERER, « Survey », BIES, Vol. XVIII, N° 2, op. cit., p. 10. 208. Très exactement 20.25 Mt. Pour tous les chiffres de production rizicole donnés dans ce paragraphe, se reporter à LEON MEARS, The new rice economy of Indonesia, op. cit., p. 488. 209. PETER MCCAWLEY, « Survey of recent development », BIES, Vol. XIX, N° 1, April 1983, p. 25. 210. PETER SCHERER, , BIES, Vol. XVIII, N° 2, op. cit., p. 10. 211. PETER SCHERER, « Survey », BIES, Vol. XVIII, N° 2, op. cit., p. 25. 212. Qui était de 11.67 Mt. 213. Voir LEON MEARS, The new rice economy of Indonesia, op. cit., p. 488. 214. SUSUMU AWANOHARA, « Rice comes a cropper », FEER, Vol. 119, N° 1, January 6 1983, pp. 78-79. 215. Les importations de riz se sont élevées à très exactement 1.96 Mt en 1977, 1.85 Mt en 1978, 1.95 Mt en 1979 et 2.05 Mt en 1980. Voir à ce sujet LEON A. MEARS, The new rice economy of Indonesia, op. cit., p. 55. Il faut rappeler qu’à partir de la fin des années 70, la politique rizicole du BULOG consiste à constituer un stock d’ouverture de 2 Mt chaque année que ce soit par des achats domestiques ou sur le marché international. 216. Pour les chiffres de 1971, voir HEINZ W. ARNDT, « Survey of recent developments », BIES, Vol. X, N° 2, July 1974, p. 23 et pour ceux de 1981, voir PETER SCHERER, « Survey », BIES, Vol. XVIII, N° 2, op. cit., p. 25. 217. Pour les chiffres de 1971, voir H.W. ARNDT, « Survey », BIES, Vol. X, N° 2, op. cit., p. 23 et pour ceux de 1981, voir P. SCHERER, « Survey », BIES, Vol. XVIII, N° 2, op. cit., p. 19. 218. HEINZ W. ARNDT, « Survey », BIES, Vol. X, N° 2, op. cit., p. 23. 219. PETER SCHERER, « Survey », BIES, Vol. XVIII, N° 2, op. cit., pp. 19-20. A noter que le gros problème de l’année 1980, et encore plus de l’année 1981, est la forte baisse des prix qui affecte la plupart des matières premières agricoles sur le marché international, à commencer par le caoutchouc et l’huile de palme. 220. HEINZ W. ARNDT, « Survey of recent developments », BIES, Vol. VIII, N° 2, July 1972, p. 21. 221. PETER G. WARR, « Survey of recent developments », BIES, Vol. XVI, N° 3, November 1980, p. 20. 222. CLIVE S. GRAY, « Survey of recent developments », BIES, Vol. XVIII, N° 3, November 1982, p. 8. Ce léger fléchissement de la production est bien évidemment lié aux difficultés de la surproduction pétrolière mondiale qui commence à affecter tous les pays de l’OPEP en 1981 et s’aggrave en 1982 et 1983, mais sur lesquelles nous n’entrerons pas en matière ici. 223. ROBERT C. RICE and HAL HILL, « Survey of recent developments », BIES, Vol. XIII, N° 2, July 1977, p. 19, (NB. Mcf= million of cubic feet). 277

224. Voir à ce sujet HEINZ W. ARNDT, « Survey », BIES, Vol. XIV, N° 3, op. cit., p. 15 et surtout le gros dossier consacré au LNG par le FEER, Vol. 118, N° 42, October 15 1982, pp. 69-84. 225. BOEDIONO, « Survey », BIES, Vol. XVI, N° 2, op. cit., p. 27. 226. Malgré tous nos efforts, nous n’avons pas pu trouver le chiffre de production de l’année 1981. 227. M. SEMAY, « Oil and mining developments », BIES, Vol. VIII, N° 3, November 1972, p. 131. 228. CLIVE S. GRAY, « Survey », BIES, Vol. XVIII, N° 3, op. cit., p. 21. 229. HEINZ W. ARNDT, « Survey », BIES, Vol. VIII, N° 2, op. cit., p. 21. 230. PETER G. WARR, « Survey », BIES, Vol. XVI, N° 3, op. cit., p. 8. Là aussi nous n’avons pas pu trouver le chiffre de 1981. 231. Pour les chiffres de production ainsi que les raisons de leur baisse, voir HEINZ W. ARNDT, « Survey », BIES, Vol. XVII, N° 3, op. cit., pp. 6-8 et PETER SCHERER, « Survey », BIES, Vol. XVIII, N° 2, op. cit., pp. 18-19. 232. Pour 1971/72 voir PHYLLIS ROSENDALE, « Survey », BIES, Vol. X, N° 3, op. cit., p. 20 et pour ceux de 1980/81 voir RUTH DAROESMAN, « Survey of recent developments », BIES, Vol. XVII, N° 2, July 1981, p. 30. A noter, en ce qui concerne les engrais chimiques azotés que, selon une autre source, la production aurait été de 1.878 Mt en 1981, alors que la consommation ne se serait élevée qu’à 1.76 Mt, faisant de l’Indonésie un exportateur net à partir de cette année-là. Voir HOWARD DICK, « Survey of recent developments », BIES, Vol. XVIII, N° 1, March 1982, p. 33. 233. PETER MCCAWLEY, « Survey », BIES, Vol. XIX, N° 1, op. cit., p. 25. 234. Dans son rapport annuel de 1982, la Banque Mondiale donne pour l’Indonésie un taux de croissance annuel moyen du PIB de 3.9 % entre 1961 et 1970 et de 7.6 % entre 1970 et 1979. Voir : Rapport sur le développement dans le monde 1982, Washington, BIRD, 1982, p. 128. 235. Rappelons en effet que pendant la décennie en question, les pays industriels à économie de marché ont eu des taux de croissance du PIB variant entre 0.5 % pour la Suisse et 5 % pour le Japon. Voir : Rapport sur le développement dans le monde 1982, op. cit., p. 129. 236. PETER MCCAWLEY, « Survey », BIES, Vol. XIX, N° 1, op. cit., p. 25. 237. Voir : « L’agriculture et le développement économique », in Rapport sur le développement dans le monde 1982, op. cit., pp. 44-112. A noter que, parmi ces 17 pays du groupe de tête, on retrouve les 4 pays agricoles de l’ASEAN, Indonésie, Malaisie, Thaïlande et Philippines. Voir le rapport précité, p. 51. 238. ANNE BOOTH and BRUCE GLASSBURNER, « Survey », BIES, Vol. XI, N° 1, op. cit., p. 30. 239. HOWARD DICK, « Survey », BIES, Vol. XVIII, N° 1, op. cit., p. 3. La part du secteur minier n’était en effet que de 5.2 % en 1970. Voir ANNE BOOTH and BRUCE GLASSBURNER, « Survey », BIES, op. cit., p. 30. 240. PETER SCHERER, « Survey », BIES, Vol. XVIII, N° 2, op. cit., p. 28. 241. HEINZ W. ARNDT, « Survey », BIES, Vol. VIII, N° 2, op. cit., p. 3. 242. D.T. HEALEY, « Survey », BIES, Vol. XVII, N° 1, op. cit., p. 19. 243. Pour 1970/71, BENJAMIN HIGGINS, « Survey », BIES, Vol. VIII, N° 1, op. cit. p. 9 et pour 1980/81, CLIVE S. GRAY, « Survey », BIES, Vol. XVIII, N° 3, op. cit., p. 21. 244. Pour 1970/71, HEINZ W. ARNDT, « Survey », BIES, Vol. VII, N° 2, op. cit., p. 13 et pour 1980/81, D.T. HEALEY, « Survey », BIES, Vol. XVII, N° 1, op. cit., pp. 6-7. 245. BENJAMIN HIGGINS, « Survey », BIES, Vol. VIII, N° 1, op. cit., p. 6. 246. D.T. HEALEY. « Survey », BIES, Vol. XVII, N° 1, op. cit., p. 24. 247. Ibid. Derrière le Japon arrive... Hong Kong, avec seulement US $ 891 millions, puis le Canada avec 863, les USA avec 572, les Pays Bas avec 320, les Philippines ( !) avec 293, l’Australie avec 208, la RFA avec 205 et la Suisse avec 145, Singapour devançant assez nettement le Royaume Uni avec 129 contre 111, alors que la France arrive très loin derrière avec un tout petit 39 qui la met tout juste à égalité avec... le Panama ! 278

248. Pour 1971, voir G.A. POSTHUMUS, « The Inter-Governmental Group on Indonesia », BIES, Vol. VIII, N° 2, op. cit., p. 55. Pour 1981, voir RUTH DAROESMAN, « Survey », BIES, Vol. XVII, n° 2, op. cit., p. 9. 249. Ibid. A noter à ce sujet que la dette publique extérieure de l’Indonésie avoisinait les US $ 15 milliards en 1980, contre US $ 2.5 milliards 10 ans plus tôt. Malgré cela le service de la dette ne représentait que 2.7 % du PNB et 8 % des exportations cette année-là. De plus, au vu des quelques US $ 10 milliards accumulés par le pays, l’endettement restait encore dans des limites acceptables. A titre de comparaison signalons que la dette extérieure et les réserves de change étaient en 80 de respectivement US $ 38 et 7 milliards pour le Brésil, 33 et 4 pour le Mexique, 17 et 12 pour l’Inde et 13 et 2 pour l’Egypte. Voir à ce sujet Rapport sur le développement dans le monde en 1982, op. cit., pp. 150-151 et 154-155. 250. CLIVE S. GRAY, « Survey », BIES, Vol. XVIII, N° 3, op. cit., pp. 20-21. 251. PETER MCCAWLEY, « Survey », BIES, Vol. XIX, N° 1, op. cit., p. 8. 252. CLIVE S. GRAY, « Survey », BIES, Vol. XVIII, N° 3, op. cit., p. 1. 253. Dès début 1982, l’Indonésie sera obligée de réduire sa production de 15 % en la ramenant de 1.5 à 1.3 million de barils par jour. Ses réserves de change vont commencer à fondre et le déficit de sa balance réapparaît. De plus la récolte rizicole de 1982, affectée par une forte sécheresse, va chuter de manière dramatique à quelques 20-21 Mt seulement. Finalement, en Mars 1983, l’Indonésie sera obligée, comme ses partenaires de l’OPEP, de baisser le prix de son brut de US $ 5, de 34 à 29 le baril. Last but not least, le gouvernement se résoudra au bout du compte à dévaluer une nouvelle fois la rupiah d’environ 38 % (27.6 % officiellement) le 30 Mars 1983, sa parité par rapport au dollar américain tombant de 702 à 970. Sur tous ces développements négatifs qui sont postérieurs à la période 1971-1981 retenue dans le cadre de cette étude, se reporterà : PETER SCHERER, « Survey », BIES, Vol. XVIII, N° 2, op. cit., pp. 1-34; CLIVE S. GRAY, « Survey », BIES, Vol. XVIII, N° 3, op. cit., pp. 1-31; PETER MCCAWLEY, « Survey », BIES, Vol XIX, N° 1, op. cit., pp. 1-31; SUSUMU AWANOHARA, « Rice comes a cropper », FEER, Vol. 119, N° 1, January 6 1983, pp. 78-79; SUSUMU AWANOHARA, « Backs to the wall », FEER, Vol. 119, N° 11, March 17 1983, pp. 78-80 et enfin SUSUMU AWANOHARA and MANGGI HABIR, « Jakarta cuts its losses », FEER, Vol. 120, N° 15, April 14 1983, pp. 50-51 sans oublier GORDON R. HEIN, « Indonesia in 1982: electoral victory and economic adjustement for the New Order », Asian Survey, Vol. XXIII, N° 2, February 1983, pp. 178-190. 254. D.T. HEALEY, « Survey », BIES, Vol. XVII, N° 1, op. cit., p. 3 et Kompas, Jumat 9 Januari 1981. 255. Qui était de 2.3 %. 256. D.T. HEALEY, « Survey », BIES, Vol. XVII, N° 1, op. cit., pp. 1-2 et surtout, dans le même numéro, TERENCE H. HULL, « Indonesian population growth 1971-1980 », pp. 114-120. 257. Voir à ce sujet TERENCE H. HULL, « Fertility decline in Indonesia: a review of recent evidence », BIES, Vol. XVI, N° 2, July 1980, pp. 104-112. Ce chiffre est d’ailleurs repris par la Banque Mondiale dans son Rapport sur le développement dans le monde 1982, op. cit., p. 160. 258. Voir TERENCE H. HULL, « Indonesian population growth 1971-1980 », op. cit., p. 119 ainsi que le Rapport sur le développement dans le monde 1982, op. cit., p. 160. 259. TERENCHE H. HULL, « Indonesian population growth 1971-1980 », op. cit., p. 119 attire notre attention sur le fait qu’il faut établir une distinction entre le taux de 2.24 %, qui est un taux « intercensal » portant sur 10 ans, et le taux de la dernière année de la décennie recensée qui peut être beaucoup plus bas que la moyenne en question et qu’il fixe personnellement à 2 % ou même moins. 260. Rapport sur le développement dans le monde 1982, op. cit., p. 158. 261. D.T. HEALEY, « Survey », BIES, Vol. XVII, N° 1, op. cit. p. 3. 262. Rappelons que la superficie de Java est inférieure à 135 000 km2. La densité démographique n’était « que » de 565 hab/km2 en 1971. 279

263. D.T. HEALEY, « Survey », BIES, Vol. XVII, N° 1, op, cit., p. 3. 264. Ibid. 265. Selon les chiffres donnés par JOAN M. HARDJONO, « Assisted and unassisted transmigration in the context of REPELITA III targets », Prisma, N° 18, September 1980, p. 3, il y a eu exactement 123 108 familles c’est-à-dire un peu plus de 550 000 personnes qui ont « transmigré » entre 1969/70 et 1979/80. 266. Rapport sur le développement dans le monde 1982, op. cit., p. 126. 267. Qui était d’environ US $ 80. 268. Ce groupe est défini par un très large éventail du PNB per capita allant de US $ 420 à 4 500. L’Indonésie se trouve donc effectivement tout en bas de l’échelle en compagnie du Ghana, du Kenya, du Lesotho, des deux Yémen, de la Mauritanie, du Sénégal et de l’Angola. Voir : Rapport sur le développement dans le monde 1982, op. cit., p. 126. 269. Le PNB per capita des 4 pays qui avaient le même score que l’Indonésie en 1971, à savoir le Tchad, l’Ethiopie, la Birmanie et l’Afghanistan, est respectivement passé à US $ 120, 140, 170 et inconnu en 1980. Voir : Rapport sur le développement dans le monde 1982, op. cit., p. 126. 270. Voir LEON A. MEARS, The new rice economy of Indonesia, op. cit., p. 535. 271. RUTH DAROESMAN, « Survey », BIES, Vol. XVII, N° 2, op. cit., p. 34. 272. PETER SCHERER, « Survey », BIES, Vol. XVIII, N° 2, op. cit., p. 21. 273. Le taux de mortalité infantile est tombé de 150‰ en 1960 à 93‰ en 1980, la ration calorique journalière a augmenté de 1 920 en 1970 à 2 272 en 1977, le nombre de médecins par habitants est passé de 1 pour 46 780 en 1960 à 1 pour 13 670 en 1977, l’espérence de vie à fait un bond de 41 ans en 1960 à 53 ans en 1980, le pourcentage des enfants allant à l’école primaire a progressé de 71 % en 1960 à 94 % en 1980 alors que celui des adultes alphabétisés sautait de 39 % à 62 % pendant le même laps de temps, etc. Voir : Rapport sur le développement dans le monde 1982, op. cit., pp. 166-168-170. 274. Voir, entre autres, GUY J. PAUKER, « Indonesia 1979: the record of three decades », Asian Survey, Vol. XX, N° 2, February 1980, pp. 123-134; R.M. SUNDRUM, « Income distribution 1970-1977 », BIES, Vol, XV, N° 1, March 1979, pp. 137-141: G.A. HUGHES and I. ISLAM, « Inequality in Indonesia: a decomposition analysis », BIES, Vol, XVII, N° 2, July 1981, pp. 42-71; ANNE BOOTH and R.M. SUNDRUM, « Income distribution », in Anne Booth and Peter McCawley (Ed), The Indonesian economy during the Soeharto era, op. cit., pp. 181-217 et W.R. Collier et al., « Acceleration of rural development in Java », BIES, Vol. XVIII, N° 3, November 1982, pp. 84-101. 275. A ce sujet, voir HOWARD DICK, « Survey », BIES, Vol. XVIII, N° 1, op. cit., pp. 33-37 ainsi que WILLIAMS R. COLLIER et al., « Acceleration of rural development in Java », op. cit., p. 84-101. 276. Voir par exemple G.A. HUGHES and I. ISLAM, « Inequality in Indonesia », op. cit., p. 55 ou W.R. COLLIER er al., « Acceleration of rural development in Java », op. cit., pp. 84-101. 277. Rapport sur le développement dans le monde 1982, op. cit., p. 164. 278. G.A. HUGHES and I. ISLAM, op. cit., p. 55 ou R.M. SUNDRUM, » Income distribution », op. cit., p. 141. 279. Voir à ce sujet le très bon article de PATRICK GUINESS, « Five families of sand diggers », Prisma, N° 6, June 1977, pp. 3-5. 280. Par exactement 11.5 fois, puisque le prix du baril de brut est passé de US $ 2.93 en avril 1972 (BIES, Vol. X, N° 1, p. 2) à US $ 34 en avril 1981 (BIES, Vol. XVIII, N° 2, p. 2). 281. Voir par exemple GUY J. PAUKER, « Indonesia 1979: the record of three decades », Asian Survey, op. cit., pp. 123-134. 282. Voir HERBERT FEITH, « Repressive-developmentalist regimes in Asia », Prisma, N° 19, op. cit., pp. 39-55. 280

Conclusion

Modernisation agricole, développement économique et changement social

1 La permanence que l’on peut déceler dans la nature profonde de certains problèmes liés à la modernisation agricole provient à notre sens du fait que cette dernière est principalement basée sur l’introduction de nouveaux facteurs techniques de production. Or, toute technique étant un savoir et ce savoir étant lui-même source de pouvoir, elle ne peut en aucune manière être neutre socialement parlant. Cette non-neutralité sociale de la technique constitue même la toute première de ses principales caractéristiques intrinsèques. Etant génératrice de pouvoir pour celui qui la maîtrise, elle tend presque naturellement à créer la différenciation sociale. Introduite dans un milieu social déjà différencié, comme ils le sont pratiquement tous depuis la nuit des temps, elle a toujours eu automatiquement tendance à renforcer le phénomène existant dans le sens d’une plus grande polarisation1. En l’occurrence, c’est bien ce qui explique, au moins partiellement, pourquoi l’introduction de nouveaux facteurs techniques de production agricole dans un milieu rural différencié, où rien n’a vraiment été prévu pour contrecarrer les effets pervers découlant de leur non-neutralité sociale, bénéficie en tout premier lieu et principalement aux paysans moyens et riches qui ont les moyens financiers et fonciers de les acquérir et d’innover. Le pouvoir qu’ils détiennent déjà au sein de la communauté villageoise s’en trouve bien évidemment renforcé.

2 Ceci dit, le pouvoir lié à la maîtrise d’une technique n’est, ni absolu, ni éternel, car il repose essentiellement sur la non-diffusion du savoir qu’elle implique à un plus grand nombre. Dès que la maîtrise de cette technique se répand, le pouvoir qui lui est lié se dissout progressivement et disparaît même complètement au moment où elle entre dans le domaine public. La durée de ce processus de dissolution peut cependant grandement varier dans le temps et dans l’espace du fait de toutes sortes de raisons économiques, sociales, culturelles, politiques ou autres sur lesquelles nous n’entrerons pas en matière outre mesure. Il nous semble en effet que la seule d’entre elles à être véritablement déterminante et à mériter d’être mentionnée dans le cadre du propos général qui est actuellement le nôtre est beaucoup plus fondamentale, puisqu’il s’agit — ni plus, ni moins 281

— de la seconde des principales caractéristiques intrinsèques de la technique, à savoir le fait d’être naturellement « dépassante » comme le dit à merveille André Leroi-Gourhan2. Cela signifie tout simplement qu’aucune technique n’est jamais parfaitement maîtrisée d’emblée par l’homme, dont elle dépasse le cerveau3, et qui doit progressivement apprendre à mieux la connaître, à l’utiliser plus judicieusement et surtout à contrôler les effets secondaires négatifs imprévus qui ne manqueront jamais d’en découler. Autrement dit, le pouvoir ne s’arrête pas à la maîtrise d’une technique, mais également à celle de ses effets secondaires négatifs. Inversement, la dissolution de ce pouvoir passe par la diffusion de ce savoir global, ce qui en repousse irrémédiablement l’échéance. Toutefois, même si le processus en question prend du temps, les techniques se perfectionnent à la longue, et ce perfectionnement va habituellement de pair avec leur diffusion et par conséquent avec la dissolution progressive du pouvoir qui leur est lié. En l’espèce, c’est bien ce qui explique, au moins partiellement, pourquoi l’introduction de nouveaux facteurs techniques de production agricole dans un milieu rural différencié, où rien n’a pourtant vraiment été prévu pour contrecarrer les effets pervers découlant de leur non- neutralité sociale, bénéficie tout de même, au bout d’un laps de temps plus ou moins long, aux petits paysans et aux autres catégories villageoises les plus défavorisées qui n’ont pas les moyens financiers et fonciers de les acquérir plus tôt et d’innover plus rapidement.

3 Toute modernisation agricole du type de celles que nous avons analysé dans cette étude, pour autant qu’elle s’inscrive dans un processus global complexe sur la définition duquel nous ne reviendrons pas ici4, entraîne donc nécessairement le développement économique du milieu rural concerné. Il y a toutefois un décalage parfois important entre le moment où les plus riches en profitent et celui où les plus pauvres bénéficient de certaines de ses retombées. C’est précisément selon nous dans ce décalage qu’il faut chercher l’origine des processus de changement social allant dans le sens d’une différenciation accrue qui ont été observés dans pratiquement presque tous les pays du Tiers-Monde ayant opté pour une telle stratégie de modernisation agricole. En fait, les choses se passent un peu comme avec ces longs ressorts à boudin très souples que l’on trouve parfois sur le bureau de certains hommes d’affaires friands d’objets-design fonctionnels leur permettant de calmer leur anxiété : on pose l’anneau de tête d’un côté, et tous les autres suivent progressivement un par un, jusqu’à ce que celui de queue ait recollé à l’ensemble. De même dans le cadre de la modernisation agricole a-t-on l’impression de voir les catégories du haut de l’échelle sociale villageoise rapidement franchir le pas, suivies, beaucoup plus lentement et une à une, par toutes les autres, jusqu’à celle qui est en queue de peloton. Malheureusement, à l’instar des anneaux du ressort qui tendent à se distendre à force d’être manipulés, la distance séparant les catégories sociales villageoises a tendance à se creuser sous l’effet de la modernisation agricole. La situation sociale n’est en effet jamais la même après qu’avant. S’il est totalement faux de dire que les riches se sont enrichis et les pauvres appauvris, vision simpliste des choses très répandue mais démentie par les faits et dénoncée à juste titre par Gilbert Etienne et d’autres5, il est par contre certain que les disparités de revenu et de niveau de vie sont beaucoup plus fortes qu’avant. Cela se comprend aisément du fait que les plus riches profitent non seulement beaucoup plus tôt, mais également dans une bien plus grande mesure des bienfaits de la modernisation agricole. Le décalage n’est donc pas seulement temporel mais aussi matériel. Certes le fait que les plus pauvres soient légèrement moins pauvres qu’avant est essentiel, surtout pour les intéressés. Peut-on considérer pour autant que la différenciation sociale, comme l’étirement du ressort, est inéluctable et correspond à une sorte de mouvement spiroïdal naturel du 282

développement ? Ce serait peut-être tout d’abord oublier un peu rapidement qu’à force de tirer dessus, les ressorts finissent toujours par casser. Nous avons de toute façons pour notre part beaucoup de mal à souscrire à une conception aussi fataliste du développement. On en arrive alors inéluctablement à la question du « que-faire » ?

4 Même si nous en avions une, nous nous garderions bien de conclure en fournissant la recette miracle d’une modernisation agricole idéale, garantissant à la fois un développement économique véritable et un changement social allant dans le sens d’une diminution absolue des inégalités. Ce n’est d’ailleurs nullement le but d’une telle étude à prétention scientifique qui doit, autant que faire se peut, essayer d’éviter de tomber dans le normatif. Disons donc seulement que nous restons convaincu de l’existence de maintes possibilités inexploitées qui permettraient d’élaborer de meilleures politiques de modernisation agricole maximisant les gains économiques et minimisant les coûts sociaux. Le rôle des chercheurs en sciences sociales travaillant dans ce domaine est précisément de contribuer à l’amélioration de la connaissance et de la compréhension des phénomènes économiques et sociaux complexes que déclenchent les processus de modernisation agricole en cours, afin de mieux orienter à l’avenir l’action dans le sens souhaité. Encore faut-il qu’ils ne tombent pas, comme c’est malheureusement trop souvent le cas, par un louable souci tiers-mondiste de plus grande justice sociale, dans une simplification schématique de la réalité, toujours plus propice à l’action politique, intellectuellement beaucoup plus sécurisante et tellement plus gratifiante auprès des médias du monde occidental6. Certes, l’exercice est délicat, et il n’est pas toujours facile, au nom de la sacro-sainte et quelque peu mythique objectivité scientifique, de conserver une neutralité d’entomologiste dans l’analyse de phénomènes affectant parfois cruellement la vie quotidienne de nombreuses familles villageoises face à la détresse desquelles le chercheur se sent souvent bien inutile, voir coupable de non-assistance à personne en danger. Malgré cela, la valeur du « fait bien observé » reste irremplaçable, et il pourra peut-être s’en convaincre en méditant dans les moments de doute sur la phrase pleine de sagesse par laquelle Pierre Gourou clôturait les travaux d’un récent colloque organisé par le Collège de France sur les rapports entre les techniques agricoles et la population : « Le complexe explique le complexe, le complexe explique le simple, le simple n’explique jamais le complexe »7. Enfin, il serait certainement salutaire que les chercheurs occidentaux travaillant sur les problèmes éminemment contemporains du développement apprenant de leurs collègues historiens à remettre les faits du présent dans la perspective du « temps long » cher à Fernand Braudel8, et n’hésitent pas à leur emprunter par la même occasion des scrupules méthodologiques qui apparaissent presque comme surannés dans le « jet-set » scientifique où ils évoluent, mais constituent pourtant le seul garde-fou efficace contre une interprétation fantaisiste et abusive de la situation actuelle des sociétés asiatiques ou africaines. Un tel exercice de véritable interdisciplinarité nous semble d’autant plus urgent et capital que, si comme l’a dit une fois fort justement l’ancien ministre de l’instruction en Haïti B. Ardouin, « L’avenir des peuples dépend souvent de la manière dont on présente leur passé »9, il s’avère de plus en plus fortement influencé, en cette fin de siècle d’information satellisée, par celle dont on analyse leur présent. 283

NOTES

1. Nous insistons bien sur le fait que cela a toujours été le cas, dans toutes les sociétés humaines. 11 suffit pour s’en convaincre de réfléchir par exemple à l’étroite association existant dans toute l’histoire asiatique entre la « révolution hydraulique » et l’apparition de l’Etat. Un exemple particulièrement intéressant d’analyse du rapport existant entre techniques hydrauliques et pouvoir étatique nous est donné par BERNARD-PHILIPPE GROSLIER, « Agriculture et religion dans l’empire angkorien », in Agriculture et sociétés en Asie du Sud-Est, La Haye et Paris, Mouton EPHE, Etudes Rurales N° 53-56, Janvier-Décembre 1974, pp. 95-117. 2. Par un heureux hasard d’édition, l’année 1983 a vu la parution quasi simultanée de trois des ouvrages du fondateur en France de l’ethnologique préhistorique. Cela lui a valu d’être sous les feux de l’actualité livresque et scientifique, plusieurs hebdomadaires et journaux lui consacrant un article ou une interview. L’une de ces dernières, parue dans L’Express du 25 mars 1983 sous le titre « L’outil a précédé le cerveau », est particulièrement remarquable de clarté. C’est là qu’entre autres choses Leroi-Gourhan déclare : « L’homme ne serait pas l’homme si la technique ne lui avait pas échappé dès l’origine ! Les techniques sont naturellement “dépassantes”. Il n’y a pas, bien évidemment, de continuité entre biologique et technologique, mais, au contraire, une divergence de plus en plus accélérée. Si notre vie technique avait dû attendre l’évolution du cerveau, il nous faudrait peut-être encore deux cent mille ans pour inventer l’agriculture. En cinquante millénaires, l’intelligence a exploré des domaines techniques de plus en plus vastes ; l’électronique franchit même aujourd’hui les limites de la mémoire intellectuelle, mais notre cerveau n’a évolué que de manière imperceptible. Nos gestes ne sont ni plus sûrs, ni plus précis, ni plus héréditaires qu’à nos origines. En fait, nous n’avons pas changé depuis les derniers chasseurs de mammouths ! » Parmi tous les ouvrages de ce magnifique chercheur on se reportera en priorité au classique Milieu et techniques, Paris, Albin Michel, Sciences d’Aujourd’hui, 1973, 475 pages et en particulier au chapitre VIII intitulé « Les problèmes d’origine et de diffusion », pp. 303-401, qui est un chef-d’œuvre. 3. Cette assertion péremptoire mérite peut-être explication. Dans l’article susmentionné, A. Leroi-Gourhan nous dit en effet aussi : « La fabrication d’outils est étroitement liée à la libération de la main, c’est-à-dire à l’acquisition de la station droite et d’une face courte. Car, une fois l’homme debout, son crâne a pu se remanier. Cela a entraîné un élargissement de la partie moyenne du cerveau, qui correspond justement à la motricité manuelle et faciale. Le développement du cerveau fut en fait tributaire de la marche. On peut alors dire que la technique vient d’avantage de la station verticale que de la capacité crânienne. L’outil a précédé le cerveau. C’est peut être l’une des plus grandes surprises de ces dernières années ». 4. Nos études villageoises ont, nous l’espérons, assez bien montré combien le développement de l’agriculture se faisait à Java en étroite symbiose avec celui des autres secteurs de l’économie rurale. Pour une approche globale de ce type exprimée de manière claire et succinte voir Gilbert Etienne, The overall process of rural development : economic growth and social progress (with special reference to Asia), Washington, IBRD, Economic Development Institute, April 1974, 17 pages. 5. Voir en particulier le récent ouvrage de synthèse de GILBERT ETIENNE, Développement rural en Asie, Les hommes, le grain et l’outil, Paris, PUF, IEDES, Collection Tiers-Monde, 1982, 269 pages, et en particulier la deuxième partie, pp. 221-257, qui contient certaines critiques féroces à l’égard de ce que l’auteur appelle un « nouveau dogmatisme ». 284

6. Sur certains aspects que nous mentionnons ici, lire à tout prix le pamphlet iconoclaste mais salutaire de PASCAL BRUCKNER, Le sanglot de l’homme blanc, Tiers-Monde, culpabilité, haine de soi, Paris, Editions du Seuil, L’Histoire Immédiate, 1983, 309 pages. 7. Ce colloque, organisé à Paris les 5 et 6 mai 1983 par la Fondation Hugot du Collège de France sur le thème « Techniques agricoles et population : du passé au présent », a permis à certains des meilleurs spécialistes francophones des mondes ruraux européen, asiatique, africain et américain de confronter leurs expériences et leurs analyses. Un ouvrage réunissant les communications présentées intitulé Des labours de Cluny à la révolution verte a été préparé sous la direction de Pierre Gourou et Gilbert Etienne et sera publié en automne 85 aux PUF. 8. Voir son classique Ecrits sur l’histoire, Paris, Flammarion, Science de l’Histoire, 1969, 314 pages et plus particulièrement les chapitres intitulés « La longue durée », (pp. 41-83) et « Le passé explique le présent » (pp. 225-314). 9. Le Monde du 4 mai 1976, p. 1. 285

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Glossaire

1 Les cent principaux mots indonésiens utilisés

2 Abangan : musulman nominal

3 Adat : droit coutumier

4 Aliran : courant de pensée, tendance

5 Amuk : fureur, violence

6 Ani-ani : couteau pour couper le paddy

7 Ayam : poule

8 Babi : porc

9 Bakul : petit revendeur

10 BAPPENAS : Agence Nationale de Planification

11 Baru : nouveau

12 Batu merah : brique rouge

13 Bawon : part de la récolte

14 Becak : cyclopousse, triporteur

15 Beras : riz décortiqué

16 Biasa : ordinaire

17 BIMAS : Encadrement Massif

18 Bupati : chef de district, régent

19 Buruh : ouvrier

20 Buruh tani : ouvrier agricole

21 Camat : chef de sous-district

22 Cengkeh : clou de girofle

23 Carik : secrétaire de village

24 Dagang : commerçant

25 Desa : village

26 Dalang : montreur de wayang kulit 308

27 Gabah : riz non décortiqué

28 Genteng : tuile

29 Gotong royong : entraide mutuelle

30 Grobag : charrette à bœuf

31 Gula : sucre raffiné

32 Haji : pélerin musulman

33 Ibu : mère

34 INMAS : Intensification Massive

35 Itik : canard

36 Jagung : maïs

37 Jamu : médicament traditionnel

38 Jihad : guerre sainte

39 Kabupaten : district ou régence

40 Kambing : chèvre

41 Kampung : hameau, quartier

42 Katchang tanah : arachide

43 Kebatinan : pratique mystique javanaise

44 Kecamatan : sous-district

45 Kedele : soja

46 Kelapa : noix de coco

47 Keluarga Berencana : Planning Familial

48 Kelurahan : village administratif

49 Kepala keluarga : chef de famille

50 Kerbau : buffle

51 Kota : ville

52 Kotamadya : municipalité

53 Kraton : palais

54 Kretek : cigarette au clou de girofle

55 Kuburan : cimetière

56 Kuda : cheval

57 Ladang : champ essarté, brûlis

58 Landa : occidental, blanc

59 Lurah : chef du village

60 Madrasah : école coranique

61 Malu : honteux, intimidé

62 Mandor : contremaître

63 Mesjid : mosquée

64 Modin : muezzin 309

65 Mufakat : accord, consensus

66 Musjawarah : discussion, délibération

67 Nasi : riz cuit

68 Oleh oleh : petit cadeau

69 ORBA : Ordre Nouveau

70 ORLA : Ordre Ancien

71 Padi : paddy avec la tige

72 Pak : père

73 Palawija : cultures alimentaires secondaires

74 Pamong desa : fonctionnaires villageois

75 Pancasila : les Cinq Pilliers de l’Etat

76 Pasar : marché

77 Pedukuhan ou dukuh : hameau

78 Pegawai Negeri : fonctionnaire d’Etat

79 Pekarangan : jardin

80 PEMILU : Elections Générales

81 Pitji : coiffe en feutre noir

82 Pupuk : engrais

83 Rakjat : peuple

84 REPELITA : Plan Quinquennal

85 Rupiah (Rp) : monnaie nationale

86 Santri : musulman orthodoxe

87 Sapi : vache

88 Sawah : rizière en eau

89 Sekolah : école

90 Sepeda : bicyclette

91 Slametan : repas religieux rituel

92 Tani : paysan

93 Tani buruh : métayer

94 Tebu : canne à sucre

95 Tegal : champ sec

96 Toko : boutique

97 Tukang : artisan

98 Ubi jalar : patate douce

99 Ubi kayu : manioc

100 Warung : échoppe

101 Wayang kulit : poupée du théâtre d’ombre 310

Cartes

CARTE 6 : Pekarang (P), Sawah (S) et Tegal (T) à TIRTONIRMOLO KELURAHAN TIRTONIRMOLO KEC. KASIHAN – KAB. BANTUL

311

CARTE 7 : Pekarangan (P), Sawah (S) et Tegal (T) à TIMBULHARDJO KELURAHAN TIMBULHARDJO KEC, SEWON – KAB. BANTUL