Le Vademecum Philosophique.Com Le Phénomène Humain I
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Le Vademecum philosophique.com Le phénomène humain I 4. 1. - LE PHENOMENE HUMAIN I – La nature humaine 4. 1. 2. On connaît peut-être ce roman de Vercors Les animaux dénaturés (19521). Cela commence par le meurtre d'un étrange nourrisson, né d'un homme et d'une femelle "tropis" - une espèce nouvellement découverte en Nouvelle-Guinée dont les individus parlent, fabriquent des outils et savent faire du feu mais dont on ne sait si l'on peut vraiment les compter parmi les hommes. Car qu'est-ce qu'un homme ? Comment marquer précisément la distinction entre lui et d'autres animaux anthropoïdes ? Peut-on manger les tropis ? Peut-on les faire travailler en usine à l'instar de bêtes de somme ? Au fil du roman, on découvre que personne ne sait ce qu'est l'homme et que ce qui le définit finalement le mieux n'est pas une nature mais un type d'existence. Dès qu'il réfléchit sur lui-même, l'homme répugne à s'enfermer dans une nature et s’insurge contre toutes les définitions... qui n’ont en fait jamais été données de lui ! Car de la littérature consacrée à l'homme ressort une évidence : l'impossibilité de lui assigner une nature définie, circonscrivant par avance ses possibilités. Cela, en général, s'établit à travers toute une série de thèmes inlassables, inépuisables - dans son ouvrage La situation de l'homme dans le monde (19282), Max Scheler n'en oublie pratiquement aucun - qui tous reviennent à souligner la singularité que confère à l'homme dans l'ordre naturel le fait d'être libre et raisonnable. Cette attitude très générale, qui se mit en place très tôt dans l'histoire de la philosophie et qui représente certainement l’un des lieux communs les plus durables de la civilisation occidentale, cette attitude n'est pas propre à un point de vue particulier - notamment religieux ou humaniste. Il en existe plutôt des variantes. Comme animal, l'homme est de la nature mais au sein de cette dernière, l'esprit assure sa singularité. L'homme, comme les premiers le définirent 1 Paris, Albin Michel, 1952. A rapprocher du roman de Karel Capek La guerre des salamandres (1936, trad. fr. Paris, Ibolya Virag, 1996). 2 trad. fr. Paris, Aubier, 1951. Voir aussi bien M. Buber Le problème de l'homme, trad. fr. Paris, Aubier, 1938. 1 Le Vademecum philosophique.com Le phénomène humain I formellement les Stoïciens, est un animal raisonnable (zoo logikon). Or, faculté d'élever à la condition d'objets les éléments de son milieu et, en regard, de se distinguer lui-même comme sujet, la raison fait de l'homme une liberté pure, car affranchie du monde. Certains attribuent en propre cette conception à René Descartes3. Mais, pris dans sa généralité, ce thème traverse en fait toute l'histoire de la philosophie. Ainsi, comme on a pu le souligner, chez Platon déjà l'âme raisonnable en l'homme exclut la nature4. En fait, quant à affirmer que la naturalité de l'homme, son animalité, n'épuisent pas la réalité humaine, l'histoire des idées présente une remarquable unanimité, en regard de laquelle les différentes visions de l'homme ne varient essentiellement que quant au type de liberté qu'elles lui reconnaissent. De ce point de vue, par exemple, l'originalité d'un Descartes est de définir avant tout cette liberté par la capacité à s'opposer au monde, à le refuser. Ainsi, contrairement à ce que notre époque croit souvent trop rapidement, inscrire résolument l'homme dans la série animale n'empêche nullement de se convaincre de sa surnature. On pourra bien affirmer que l'homme descend du singe, cela ne signifiera pas qu'on voit en lui un simple animal. Au sein de la théorie darwinienne de l'évolution, on tiendra notamment que l'homme a introduit une révolution dans la mesure où il s'est révélé capable de poursuivre son évolution non pas au plan anatomique ou physiologique mais selon une dimension culturelle, c'est-à-dire spirituelle et morale5. Et un Pierre Lecomte du Noüy, par exemple, d'insister ainsi sur la charnière évolutive à laquelle l'homme se situe. L'humanité, affirme-t-il, est trop récente pour que nous puissions comprendre nos propres conflits, qui tiennent à ce que l'animal ancestral s'agite toujours en nous alors que nous avons pourtant irrémédiablement dépassé la condition animale (L'homme et sa destinée, 19486). La vie de l'homme atteint une nouvelle dimension par rapport à celle des animaux car avec la raison l'homme a découvert une méthode d'adaptation au milieu qui lui est propre. L'homme de fait a quitté le 3 Voir F. Alquié La découverte métaphysique de l'homme chez Descartes, Paris, PUF, 1950. 4 Voir B. Groethuysen Anthropologie philosophique, 1931, trad. fr. Paris, Tel Gallimard, 1956. 5 Contre l’idée selon laquelle l’homme ne serait plus soumis à l’évolution biologique et notamment à la sélection naturelle, voir S. Solomon Future Humans, Yale University Press, 2016. 6 Paris, La Colombe, 1948. 2 Le Vademecum philosophique.com Le phénomène humain I schéma darwinien, écrit également Ernst Cassirer (Essai sur l'homme, 1975, notamment p. 437). Au fond, l’homme ne sait guère parler de lui que comme d’une exception. Ce qui se marque notamment par l’impossibilité de répondre précisément à la question : qu’est-ce qu’un homme ? Deux premiers thèmes très généraux vont nous permettre de le voir ci-après : A) expliquer l’homme & B) l’homme dans l’ordre de la nature. 7 trad. fr. Paris, Ed. de Minuit, 1975. Pour une version plus récente des mêmes idées, voir par exemple P. Picq Au commencement était l’homme, Paris, O. Jacob, 2003 ou M. S. Gazzaniga Human: the science behind what makes us unique, Ecco, 2008. 3 Le Vademecum philosophique.com Le phénomène humain I A) Expliquer l’homme 4. 1. 3. Trois principales manières de rendre compte de la singularité de l’homme au sein de la nature. Parler de l’homme, c’est traiter de ce qui a tout d’une singularité au sein de la nature, au vu au moins de la place envahissante qu’il y occupe. Cela signifie que c’est aussi bien et inévitablement qualifier moralement cet être singulier. On ne considère guère l’homme, en effet, sans se prononcer peu ou prou sur sa grandeur et sur sa valeur. Par rapport aux autres animaux, l’homme paraît d’une autre essence. Quelque chose en lui, qui fait toute sa grandeur et assure sa prééminence, paraît ne plus relever de la simple nature. L’homme est un animal raisonnable. Mais comment rendre compte d’une telle distinction ? A suivre les principaux discours tenus sur l’homme, cette extra-naturalité trouve trois principales sortes d’origine possible : 1) une nature exceptionnelle, 2) une sollicitude divine qui vise l’homme seul au sein de la Création, ou encore 3) une faculté de liberté qui n’est qu’en lui, ne dépend que de lui et paraît irréductible à la matière. De là, trois principaux types de discours quant à la singularité de l’homme. Une première explication de la singularité humaine : l’homme est doué d’une nature exceptionnelle. L'homme est à la charnière du Ciel et de la Terre, dans l'alignement exact de la voûte éthérée, note Aristote (Histoire des animaux, 345 av. JC, I8). Il tient cette place centrale de sa station debout, de son aptitude à regarder le ciel, de l'usage libre de ses mains, de la parole. Sa singulière nature destine donc l'homme, selon Aristote, à occuper une position unique au sein du Cosmos, loin que cette singularité tienne à quelque conflit en lui entre matière et esprit. De nos jours, la science des origines de l’homme est très proche d’un tel point de vue, qui cherche, nous le verrons ci-après, quel facteur naturel déclenchant a pu provoquer l’apparition de cet animal très singulier : l’homme. Longtemps, nombre d’auteurs chrétiens, comme au XII° siècle Bernard de Chartres ou Honorius d’Autun, élève de saint Anselme à Canterbury9, affirmeront que le monde a été fait pour l’homme, lequel, dans sa forme même, a le privilège de récapituler toute la Création. 8 trad. fr. en 3 volumes Paris, Les Belles Lettres, 1964-1969. 4 Le Vademecum philosophique.com Le phénomène humain I L'homme, diront-il, est un microcosme. Il participe de toutes les créatures au-dessus et en dessous de lui. L’homme comme microcosme. Cette conception héritée de l'Antiquité via Macrobe sera notamment développée par Grégoire de Nysse (De la destination de l'homme, IV° siècle10) puis, au XII° siècle, par Bernard de Silvestre (De mundi universitate libri duo, sive Megacosmus et Microcosmus11), Alain de Lille, Hildegarde de Bingen ou Godefroy de Saint-Victor (Microcosmus12). Par sa nature, l'homme est entre deux mondes. Il compte parmi les créatures mais, parmi elles, lui seul est à l'image de Dieu, dit la Bible (Gen I, 26). Or, si l'homme est à l'image de Dieu, écrit Basile de Césarée, cela tient à la raison en lui, reçue de Dieu ; laquelle définit sa nature propre. Et en agissant selon la raison il obtient, plus que l'image, la ressemblance à Dieu (Sur l'origine de l'homme, après 360 ap. JC13). Par nature, l’homme est un mixte et un condensé de tout l'univers. Il est donc la mesure de toute chose. A partir des proportions du corps humain, Francesco di Giorgio définira celles d’une basilique.