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Technè La science au service de l’histoire de l’art et de la préservation des biens culturels

44 | 2016 Archives de l’humanité : les restes humains patrimonialisés

Noëlle Timbart, Hélène Guichard et Alain Froment (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/techne/898 DOI : 10.4000/techne.898 ISSN : 2534-5168

Éditeur C2RMF

Édition imprimée Date de publication : 1 novembre 2016 ISBN : 978-2-7118-6339-6 ISSN : 1254-7867

Référence électronique Noëlle Timbart, Hélène Guichard et Alain Froment (dir.), Technè, 44 | 2016, « Archives de l’humanité : les restes humains patrimonialisés » [En ligne], mis en ligne le 19 décembre 2019, consulté le 24 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/techne/898 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ techne.898

Ce document a été généré automatiquement le 24 septembre 2020.

La revue Technè. La science au service de l’histoire de l’art et de la préservation des biens culturels est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modifcation 4.0 International. 1

SOMMAIRE

Éditorial Isabelle Pallot-Frossard

Un sujet inhabituel pour la revue Technè Introduction Noëlle Timbart, Hélène Guichard et Alain Froment

I. Qualifier, légiférer, restituer ?

Les restes humains « patrimonialisés » et la loi Marie Cornu

Petite rhétorique narrative des restes humains muséaux Christelle Patin

The Conservation of Human Remains: Ethical Questions and Experiences in America Nancy Odegaard et Vicki Cassman

II. Collecter, valoriser, exposer

Les restes humains au conservatoire d’anatomie de la faculté de médecine de Montpellier Caroline Ducourau

Musée de l’Arles antique : promouvoir une réflexion globale sur les collections ostéo- archéologiques Nicolas de Larquier

Gestion et étude des restes humains en fluides Les collections du Muséum national d’histoire naturelle de Paris : histoire, enjeux et valorisations Marc Herbin et Jacques Cuisin

Les préparations anatomiques d’anthropologie au milieu du XIXe siècle Matériaux du corps, matière du discours scientifique Thomas Bonneau et Pauline Carminati

The Egyptian mummy in UK museums: cultural histories and object biographies Angela Stienne

Les restes humains : questions de médiation L’exemple de l’école de médecine navale à Rochefort Denis Roland

III. Étudier pour mieux connaître

Préambule aux techniques d’analyses et de recherche Alain Froment

Imagerie médicale des restes humains anciens Samuel Mérigeaud

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Analyses organiques de baumes de momies provenant du site d’Antinoé Juliette Langlois et Sandrine Pagès-Camagna

Caractérisation par GC/MS de substances naturelles organiques dans des échantillons prélevés sur un écorché du musée de l’Homme Jean Bleton, Thomas Bonneau, Juliette Langlois, Noëlle Timbart et Alain Tchapla

Revisiter les restes humains grâce à la paléogénétique Céline Bon

Paléopathologie et épidémiologie sur les collections de musées Olivier Dutour et Hélène Coqueugniot

L’utilisation des isotopes en archéologie et en anthropologie Fabrice Demeter

Datation par le carbone 14 et restes humains Une étude de cas : la momie dorée de Dunkerque Pascale Richardin et Magali Coudert

Archéoentomologie et archéoparasitologie d’une momie égyptienne Jean-Bernard Huchet

Bog bodies: the Grauballe Man Pauline Asingh et Niels Lynnerup

IV. Préserver pour mieux transmettre

Regard sur les restaurations anciennes et dérestauration : ce que les pratiques passées nous révèlent Laure Cadot

La conservation-restauration des restes humains patrimonialisés : questions de déontologie dans le domaine français Noëlle Timbart

Préambule aux méthodes actuelles d’intervention Noëlle Timbart, Hélène Guichard et Alain Froment

Les préparations anatomiques d’anthropologie au milieu du XIXe siècle Matériaux du corps, matière du discours scientifique Thomas Bonneau et Pauline Carminati

La momie péruvienne du musée des Confluences : exemple de conservation, de soclage et de mise en exposition d’un élément humain Marie-Paule Imberti

Les collections de peaux humaines tatouées Éloïse Quétel

Ultimes soins pour des crânes surmodelés du Vanuatu Régis Prévot

The Conservation of Egyptian mummies in Cinzia Oliva

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Éditorial

Isabelle Pallot-Frossard

1 « Archives de l’humanité, les restes humains patrimonialisés », le titre de ce n° 44 de la revue fait choc, de même que certaines de ses illustrations : comme l’évoque fort bien l’introduction des pilotes de ce numéro, Noëlle Timbart, Hélène Guichard et Alain Froment, tout ce qui montre, sans médiation, la mort et le corps humain privé de vie, que la plupart des traditions dissimule à la vue, heurte et fascine à la fois. Le terme même de patrimonialisation, qui fait de l’être humain après sa mort un bien, un objet après avoir été un sujet, provoque l’interrogation et la réflexion. Si, des deux concepts évoqués dans le titre, on a mis en avant le premier « Archives de l’humanité », c’est bien que ce qui justifie la présence de restes humains, si divers, momies, reliques, ossements, spécimens en fluide, peaux tatouées, dans des musées très divers aussi par leur objet scientifique, depuis le muséum d’histoire naturelle jusqu’au musée d’archéologie, en passant par les musées des Beaux-Arts et les musées d’université, c’est justement la somme d’information qu’ils renferment sur l’homme, son environnement et sa culture. Comme toute œuvre d’art ou objet archéologique fabriqué par l’homme, le reste humain est un document, une archive, que l’on peut et doit déchiffrer avec tout le respect dû à sa nature particulière, droit au respect qu’il partage avec tout bien patrimonial. C’est aussi cette spécificité du reste humain intégré dans une collection patrimoniale qui justifie que les questions posées par son statut juridique, son étude scientifique, sa conservation et sa présentation au public soient analysées dans une revue traditionnellement dédiée aux biens culturels plus traditionnels.

2 En effet, de nombreux musées conservent des restes humains, que ceux-ci soient le thème principal de leur collection ou un item isolé, et s’interrogent à la fois sur leur conservation, souvent délicate, mais aussi sur leur présentation au public dans le respect à la fois de la nature particulière de « l’objet » et de la sensibilité du spectateur. La question, enfin, d’un droit à la restitution que pourraient revendiquer certaines populations, notamment dans les anciens pays colonisés, au nom du respect dû à leurs ancêtres, se pose également à eux.

3 Le C2RMF s’implique depuis de nombreuses années dans les problématiques de connaissance et de conservation-restauration des restes humains dans les collections

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muséales et, en particulier, les momies : la base EROS, qui archive la documentation produite et recueillie par le C2RMF, comprend pas moins de 147 dossiers concernant des momies, que ce soit pour leur datation par le carbone 14, pour la caractérisation des matériaux, des produits d’embaumement et des restaurations anciennes, ou pour l’encadrement d’opérations de conservation menées dans ses ateliers. On peut citer, pour la datation, les momies du Muséum national d’histoire naturelle, du muséum et du musée des Confluences à Lyon, ou encore celles étudiées dans le cadre du projet de recherche pluridisciplinaire sur les momies coptes d’Antinoé. Le C2RMF a accueilli, pour leur conservation, les momies du musée Joseph-Denais à Beaufort-en-Vallée, du musée Anne-de-Beaujeu à Moulins ou une momie d’enfant, Ta-Iset, et son cercueil, du musée d’Histoire locale de Rueil-Malmaison.

4 Les récentes expositions, « Quatre momies et demi » à Roanne en 2015, ou « Momies, un rêve d’éternité » au musée national d’Histoire et d’Art du en 2016, montrent l’intérêt renouvelé à la fois des responsables de collections, des scientifiques et du public pour ces témoins fragiles de l’histoire de l’humanité.

5 Il nous faut donc remercier les pilotes de ce numéro thématique de Technè, qui nous offre aujourd’hui une palette très riche de sujets, depuis les questions complexes du droit jusqu’à celles, non moins difficiles, de la conservation et de la présentation au public, sans oublier les apports inestimables des sciences physiques, chimiques et biologiques à la connaissance de ces archives très particulières que constituent les restes humains patrimonialisés.

AUTEUR

ISABELLE PALLOT-FROSSARD Conservateur général du patrimoine, directeur du Centre de recherche et de restauration des musées de (isabelle.pallot-frossard[at]culture.gouv.fr).

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Un sujet inhabituel pour la revue Technè Introduction

Noëlle Timbart, Hélène Guichard et Alain Froment

1 C’est un fait, la mort est présente au musée. Les morts plutôt. Et sous de multiples formes. Depuis les cabinets de curiosité fondateurs jusqu’aux collections publiques du XXIe siècle, loin d’être dérobées au regard des vivants comme il sied généralement aux cadavres, des dépouilles humaines sont exposées (fig. 1), contemplées par les visiteurs, étudiées par les professionnels. Leur intégration patrimoniale – en France les restes humains patrimonialisés sont inaliénables et imprescriptibles, au même titre que tout objet inscrit à l’inventaire d’un musée public – contribue à la fois à leur sanctuarisation et à leur réification. Comme les œuvres d’art ou les objets archéologiques, elles ont vocation à être conservées, restaurées, étudiées, exposées et transmises aux générations futures.

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Fig. 1. Vitrines Amérique du Nord et Amérique du Sud du Muséum d’histoire naturelle de Lyon au Palais Saint-Pierre vers 1900, musée des Confluences (Lyon, France), cote PH8153

© Photographe anonyme.

2 Momies égyptiennes ou sud-américaines, vestiges osseux archéologiques, préparations anatomiques, reliques mémorielles de célébrités ou humbles restes anonymes, le corps des morts – intègre ou fragmentaire, volontairement ou fortuitement préservé – est entré au musée par de multiples voies. Les fouilles archéologiques, la collecte ethnographique, l’enseignement médical ou l’étude anthropologique en furent les pourvoyeurs les plus coutumiers. Si bien que ces collections marginales, aux aspects et aux origines multiples, constituent aujourd’hui un précieux recueil de la diversité humaine, à travers le temps et l’espace : l’Homme et ses pratiques, sociales, religieuses, médicales, se livrent et se lisent à livre ouvert dans ces véritables archives de l’humanité que constituent les restes humains patrimonialisés, préservés et accessibles. Ils composent en effet une documentation riche d’informations sur la grande famille humaine et le témoignage qu’ils représentent est une source inestimable pour quiconque veut connaître et dévoiler le passé, notre passé, individuel et collectif.

3 Mais ces « archives » d’un genre particulier exigent d’être traitées avec le respect que toute civilisation humaine réserve aux morts et cette situation atypique, associée au paradoxe que constitue le fait de conserver ce qui par nature est voué à la destruction et d’exposer ce qui est habituellement dissimulé aux vivants, suscite de nombreuses réflexions dans nos institutions patrimoniales du XXIe siècle. La communauté professionnelle s’attache depuis quelques années à débattre de ces questions1 et à proposer des solutions, éthiques2 et techniques, relayées (inégalement selon les pays) par les pouvoirs publics3. Ce numéro thématique de Technè se propose donc de livrer un état de la question à travers un large éventail de sujets connexes, tant juridiques qu’historiques, scientifiques et techniques, abordant les problématiques de statut,

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d’étude et d’investigation scientifique, d’exposition et de conservation-restauration, essentiellement en France, mais aussi à l’étranger.

Utilité et particularismes de ces collections

4 Les institutions muséales qui conservent ce type de collections et sont mises à l’honneur dans ce numéro peuvent – et doivent – jouer un rôle capital dans la compréhension de l’évolution de l’Homme. Or, l’étude des restes humains a beaucoup évolué. L’anthropologie biologique, qui s’attache à décrire et expliquer l’évolution humaine, est fille de la médecine et, comme elle, s’intéresse à l’anatomie, non pour diagnostiquer des pathologies, mais pour décrire les variations qui constituent la diversité humaine. Cette filiation n’est nulle part plus apparente qu’au Muséum national d’histoire naturelle, détenteur de la plus large collection de restes humains de France, où la chaire d’anthropologie est un avatar direct de la chaire d’anatomie. La médecine légale partage beaucoup de cet héritage puisqu’elle compte parmi ses objectifs la recherche des causes de la mort, mais souvent aussi l’identification de corps d’inconnus, basée sur l’estimation du sexe, de la taille, de l’âge et de l’origine géographique. Même si, dans ce domaine comme ailleurs, la génétique prend le dessus, l’intérêt de la morphologie demeure. Aussi les musées d’anthropologie comme ceux de médecine se sont-ils attachés à collecter des ossements ou des pièces naturalisées, et des momies parfois, pour l’enseignement des étudiants et l’instruction du public.

5 Ce numéro a été conçu pour effectuer la synthèse des questions tant techniques que morales soulevées par ces collections anatomiques, qui tirent leur particularité du fait qu’elles conservent ou mettent en scène nos propres parents, dans l’espace et dans le temps, nos frères et sœurs en humanité, nos « alter-égaux4 ». En les contemplant, c’est notre condition de mortels que nous regardons, c’est en fait de notre propre rapport à l’existence, et aux conceptions intellectuelles ou spirituelles qui fondent nos croyances, qu’il s’agit. S’il y a des objets sacrés dans nos idéologies, les plus émouvants, les plus terribles, sont les dépouilles de nos ancêtres. On ne peut donc manipuler ces témoins sans précautions, et les lois de bioéthique ont rappelé l’exigence de respect et de dignité qui leur est due. Mais si la déontologie professionnelle s’applique, ces individus inanimés entrés dans le patrimoine muséal ne sont plus des patients auxquels s’appliquerait le secret médical, ils deviennent des objets de science (fig. 2), et c’est là que le mot « archive » prend tout son sens.

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Fig. 2. Étude de la collection de squelettes au musée de l’Homme

© P. Goedegheluck.

6 En effet, de la même façon que ce que nous consommons de licite ou d’illicite va se déposer dans nos cheveux, les événements de notre vie vont sédimenter dans notre squelette, permettant d’écrire, pour chacun d’entre nous, une ostéobiographie, et même une odontobiographie à partir d’une simple dent. Aussi avons-nous passé en revue les techniques de la bio-archéologie, qui consiste à reconstituer le mode de vie, l’alimentation et la pathologie des populations disparues. Des progrès considérables ont été enregistrés tant dans le domaine de l’imagerie, qui génère une iconographie tridimensionnelle et colorée extraordinaire, bien loin des tristes radiographies d’antan, que dans celui des analyses de laboratoire, mobilisant toute la palette de la physique et de la chimie.

7 Une des surprises majeures de ces dernières décennies a été la découverte d’ADN dans les os anciens ; après des débuts balbutiants, on parvient à présent à des résultats qui dépassent l’imagination, comme le séquençage de génomes complets d’individus vieux de 100 000 ans. Cela montre, s’il en était besoin, l’intérêt de conserver dans nos musées ces archives biologiques pour les générations futures, qui pousseront toujours plus loin les méthodes d’investigation. Pourtant, en raison du fort symbole identitaire et religieux que constituent ces restes, notamment pour les peuples victimes de la colonisation, et dont les reliques d’ancêtres ont souvent été récoltées sans leur accord, les demandes de restitution constituent un enjeu de négociation symbolique important, souvent appuyé par les gouvernements issus de cette même colonisation, qui voient là un moyen de transposer sur le plan spirituel un mode de réparation qui évite la restitution des terres et des richesses. Il convient de traiter ces demandes avec diplomatie et clairvoyance, en s’appuyant sur une véritable épistémologie des conditions de collecte et du contexte idéologique contemporain.

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Contenu et limites de ce numéro

8 Étant donné la multiplicité des restes humains patrimonialisés dans les collections muséales, tous les domaines n’ont pu être abordés, à l’instar des reliques qui ont fait l’objet de plusieurs publications et expositions, ou de l’art contemporain. Ce dernier domaine nous paraissait à la limite de notre problématique car, bien souvent, les restes humains y sont détournés de leur fonction originale, comme L’oisillon de Dieu de Jan Fabre (2000) ou Stèle et crâne néolithique de Raynaud (1985) par exemple. Ils posaient également des questions d’ordre éthique et déontologique supplémentaires auxquelles il aurait été nécessaire de consacrer une partie importante.

9 De même, nous n’avons pas souhaité présenter de synthèse sur la conservation préventive des restes humains. Plusieurs articles évoquent cette question et mettent en évidence qu’une démarche spécifique doit être adoptée pour chaque cas. Si celle-ci est essentielle pour ces collections fragiles, elle ne leur est néanmoins en rien spécifique car s’appliquent alors les mêmes recommandations que pour toute autre collection contenant des restes organiques. C’est du côté des vitrines de musées que plusieurs projets ont été menés récemment. À l’occasion de rénovations, plusieurs musées ont entrepris des opérations de conservation-restauration de leurs collections, impliquant la mise en place in fine de nouvelles vitrines. Le C2RMF a pu accompagner plusieurs de ces projets. Il mène actuellement, par l’intermédiaire du département Conservation préventive, des études sur les vitrines qui devraient permettre, à partir des données obtenues, d’améliorer les conditions d’exposition de ces collections extrêmement fragiles.

10 En revanche, nous avons choisi de confronter les expériences françaises et étrangères en présentant des catégories d’objets peu ou pas représentés dans les collections nationales, telle que la question des Natifs américains ou des corps des tourbières. Nous avons en outre voulu illustrer la variété des collections de restes humains en présentant des cas d’étude relevant de diverses civilisations.

11 Nous avons choisi de concentrer notre propos sur quatre grands domaines, structurant ce numéro en quatre parties : la première porte sur les aspects juridiques et légaux qui entourent ces collections ; la deuxième a trait à l’histoire des collections et à la muséographie ; la troisième aux études et recherches qui sont menées dans ce domaine tandis que la dernière concerne les approches de conservation-restauration.

12 Nous espérons que cet opus thématique permettra de donner aux lecteurs un aperçu des problématiques que posent les collections de restes humains, mais également de la richesse de ces collections trop souvent remisées et considérées comme d’un intérêt mineur. Cet objectif ne saurait être atteint sans un travail interdisciplinaire, que ce soit dans le domaine de la recherche historique, scientifique et technique que de la conservation.

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NOTES

1. En France, colloques et travaux académiques ont fait l’objet de publications désormais incontournables. Le lecteur se reportera par exemple aux actes du colloque organisé au musée du quai Branly en février 2008 (Des collections anatomiques aux objets de culte : conservation et exposition des restes humains dans les musées) ou à l’ouvrage de Laure Cadot, En chair et en os : le cadavre au musée. Valeurs, statuts et enjeux de la conservation des dépouilles humaines patrimonialisées, École du Louvre/RMN, Paris, 2009. 2. Voir par exemple Jean-Claude Ameisen, Pierre Le Coz (rap.), Avis n° 111 : avis sur les problèmes éthiques posés par l’utilisation des cadavres à des fins de conservation ou d’exposition muséale, Paris, Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, 7 janvier 2010, 15 p. 3. Pour un aperçu de la question du statut des restes humains patrimonialisés et du débat juridique qui les entoure : Marie Cornu, « La condition juridique des restes humains, l’évolution récente du contexte légal », Les cadavres de nos musées sont-ils exquis ? Les « restes » humains dans les musées, Musées et Collections publiques de France, n° 259 (2010-2). 4. Néologisme pressenti pour une prochaine exposition sur le racisme au musée de l’Homme, et déjà utilisé par plusieurs structures ou associations.

AUTEURS

NOËLLE TIMBART Conservateur du patrimoine chargé des Antiquités égyptiennes et orientales et des restes humains, département Restauration, C2RMF (noelle.timbart[at]culture.gouv.fr).

HÉLÈNE GUICHARD Conservateur en chef, département des Antiquités égyptiennes, musée du Louvre (helene.guichard[at]louvre.fr).

ALAIN FROMENT Directeur de recherche à l’IRD, ancien responsable scientifique des collections d’anthropologie du musée de l’Homme (froment[at]mnhn.fr).

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I. Qualifier, légiférer, restituer ?

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Les restes humains « patrimonialisés » et la loi Granting human remains “heritage status” and the law

Marie Cornu

1 La dépouille mortelle a pour destination l’inhumation ou, à l’état de cendres, la conservation ou la dispersion dans des modalités qu’encadre la loi funéraire récemment révisée1. Leur condition juridique n’est cependant pas entièrement déterminée par ces textes. C’est que le corps humain est doublement un objet d’études pour la science et un objet patrimonial, entré au musée sous des formes multiples. Comment traiter juridiquement ces sortes de choses2 ? Peut-on les « patrimonialiser » et dans quels termes ? La question recèle en réalité une forte ambiguïté, en raison du fait que le terme de patrimoine peut être entendu de plusieurs façons. Publicisée en France par MM. Aubry et Rau, dans le sillage d’un auteur allemand, Zachariae, la théorie du patrimoine au sens du droit civil – premier conceptuellement à paraître – renvoie aux biens et obligations d’une personne. Positivement, la patrimonialité, reçue dans un sens économique, peut être définie comme la capacité d’une chose ou d’un droit à intégrer la masse de ses actifs. Mais la notion de patrimoine, plus récemment réappropriée par le droit public, endosse un autre sens. Il désigne selon l’article L. 1 du Code du patrimoine « l’ensemble des biens, immobiliers ou mobiliers, relevant de la propriété publique ou privée, qui présentent un intérêt historique, artistique, archéologique, esthétique, scientifique ou technique… ». C’est cette fois-ci le patrimoine culturel, composé notamment des monuments historiques, des collections des musées, des sites et objets archéologiques, des archives, etc3. Nous nous concentrons sur cette réalité, laissant de côté le statut des collections scientifiques récentes encadrées notamment par le Code de la santé publique. Sous cette perspective, se demander dans quels termes « patrimonialiser » les restes humains au sens du Code du patrimoine nécessite en réalité de sonder ces deux versants de la patrimonialité économique et culturelle.

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La patrimonialité au sens économique du terme : l’indisponibilité relative du corps décédé

2 Le corps humain, au décès de la personne, peut-il être considéré comme un élément du patrimoine ? L’article 16-1 du Code civil issu de la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 dispose que « chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ». La règle d’indisponibilité perdure après la mort, précision introduite à l’article 16-1-1 du Code civil par la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008, cependant que le corps humain change de statut. De son vivant, c’est la personne qui, juridiquement, reçoit protection. À sa mort, le respect du corps emporte comme conséquence principale la prohibition d’un commerce lucratif, ce qui n’exclut cependant pas toute patrimonialité. Le corps décédé peut être approprié.

La possibilité d’un droit de propriété

3 La nature spéciale des restes humains ne fait aucun doute sur le plan juridique. Un certain nombre de textes leur réserve un sort particulier, inspirés par des motifs divers : respect dû au corps et principe de dignité, encadrement des recherches biomédicales, législation funéraire, sort des dépouilles militaires… Dans ce corpus dispersé, la doctrine juridique éprouve un certain embarras dans l’exercice de qualification. À l’intérieur de quelle catégorie ranger la dépouille ? Ce n’est pas une personne au sens où le droit l’entend, dès lors que la personnalité juridique cesse avec la mort. Si le corps humain rejoint le monde des choses4, il n’est évidemment pas une chose comme les autres, qui pourrait être « estimable, évaluable, échangeable5 ». La plupart des règles applicables à cette chose spéciale, profondément marquée par l’empreinte de la personne, expriment l’idée d’une indisponibilité dans des contours et modalités variables. S’agit-il d’une chose sans maître, d’une chose commune, d’une chose hors commerce6 ? Peut-on imaginer qu’elle puisse être appropriée ? La loi et la jurisprudence semblent bien l’admettre, même si la propriété apparaît comme une qualification par défaut, en l’absence d’autres figures disponibles. Lorsque, par exemple, le juge punit le vol de cadavre, il sanctionne une atteinte portée à la propriété d’autrui7. Sur un autre registre, dans un certain nombre de décisions, le juge, pour déterminer, parfois départager, les droits de la famille sur la dépouille, en appelle à la figure de la copropriété familiale8, forme particulière de propriété évidemment non assimilable à la propriété privée au sens de l’article 544 du Code civil9. On pourrait encore évoquer la découverte de l’homme de glace qui a donné lieu à un droit d’invention, forme d’attribution de la propriété d’un bien en tout ou partie, au bénéfice de ceux qui en ont fait la découverte.

4 Cette question de l’appropriation des restes a également ressurgi dans des termes propres avec le contentieux de la Ville de Rouen entreprenant la restitution auprès de la communauté maorie d’une tête de guerrier entrée à la fin du XIXe siècle dans ses collections. Cette fois-ci, la discussion se noue autour de la présence de cet élément du corps humain dans une collection publique. La Ville de Rouen, au soutien de sa démarche, estime « qu’en application de l’article 16-1 du Code civil, des restes humains, dont le retour est réclamé pour être inhumés, ne peuvent en aucune manière être considérés comme susceptibles d’appropriation privée comme publique ». Le Code civil

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ne proscrirait pas seulement, selon le moyen, « l’appropriation à des fins mercantiles, mais toute forme d’appropriation privée ou publique ». L’impossibilité d’une propriété aurait évidemment fait échec en ce cas à l’application des règles de domanialité publique, régime particulier de propriété publique. Le non-respect des dispositions propres au déclassement, en l’espèce l’article L. 451-5 du Code du patrimoine, ne pouvaient alors être invoquées. Le juge, cependant, ne suit pas l’argument, considérant que l’article 16-1 du Code civil n’a « ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à l’exercice d’un régime de domanialité publique sur un reste humain » en application des dispositions du Code du patrimoine. Ainsi la Ville de Rouen n’était-elle pas fondée à restituer « ce bien sans respecter la procédure de déclassement prévue par l’article L. 451-5 du Code du patrimoine ». Les restes humains peuvent être un objet de propriété, y compris entre les mains d’une institution telle un musée10. Pour autant, leur condition de bien est particulière, notamment quant à leur capacité à circuler dans le commerce. Le Code civil prohibe tout droit patrimonial. Il faut s’entendre sur cette formule quelque peu ambiguë.

La prohibition d’un droit patrimonial

5 « Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial » selon l’article 16-1 du Code civil et l’article 16-5 précise encore que « les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles ». C’est entre autres cet argument qu’avait avancé la Ville de Rouen pour dénier tout statut de propriété publique à la tête maorie présente dans ses collections. Mais c’était se méprendre sur le sens de la formule. La prohibition de tout droit patrimonial introduite dans le Code civil par les lois dites bioéthiques en 1994 avait simplement pour objet d’interdire tout commerce lucratif11. Le corps humain ne peut faire l’objet de transactions marchandes. Il s’agissait là d’instituer une forme d’extracommercialité du corps humain, non d’en déclarer l’extrapatrimonialité. En ce sens, la référence aux notions de droit patrimonial et de valeur patrimoniale n’était guère heureuse, introduisant une confusion sur l’interprétation du texte12. Cette prohibition emporte plusieurs conséquences pour les institutions publiques qui ont vocation à conserver ces pièces. Cela signifie qu’elles ne peuvent, sur le marché de l’art, acquérir des éléments du corps humain. En l’absence de jurisprudence sur ce point, la portée de la prohibition ne s’impose cependant pas de façon claire. Est-elle absolue et concerne-t-elle tout reste humain, y compris très ancien, une momie par exemple, ou des pièces archéologiques ? On pourrait bien considérer qu’elle ne vise que les seuls éléments dont le commerce serait susceptible de heurter le principe de dignité humaine. Mais en réalité, cette borne est, aujourd’hui, très incertaine. Tout dépend dans quel sens ce principe est interprété, s’il réserve le respect des familles ou des proches ou si plus largement, il est censé préserver la charge d’humanité que recèle le corps mort, que certains désignent comme une chose publique humaine13. C’est l’opinion que défendent certains auteurs14 et qui s’inscrit dans un mouvement très net d’objectivation du principe de dignité dans la jurisprudence15. Sous cette approche, cela veut dire que, par exemple, des corps ou restes anciens sans généalogie identifiée ne pourraient accéder au marché. La formule énergique des articles 16-1 et 16-1-1 semble bien militer en ce sens. Ce qui est sûr, c’est que certaines collections telles que des têtes réduites ou des urnes funéraires aujourd’hui proposées par des sociétés de vente ne devraient pas se retrouver sur le

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marché de l’art. Le Conseil des ventes volontaires suggère de distinguer, parmi les restes humains, ceux qui pourraient recevoir la qualification de biens culturels, seuls ces derniers pouvant être vendus. Le rapport d’activité de 2013 précise que « sauf lorsqu’ils constituent sans équivoque des biens culturels, l’opérateur de ventes volontaires s’abstient de présenter à la vente tout ou partie de corps ou de restes humains ou tout objet composé à partir de corps ou de restes humains ». Mais l’on peut rester très réservé sur cette analyse dès lors que le Code civil, de son côté, ne fait pas cette distinction16.

6 Si les musées ou autres institutions publiques, comme toute autre personne physique ou morale, ne peuvent acheter des restes humains, rien ne s’oppose à ce qu’ils conservent la propriété de leurs biens et qu’ils en acquièrent par la voie de libéralités (dons ou legs). Reste à se demander quelles contraintes implique cette fonction de conservation et, plus généralement, en quoi le statut spécifique des restes humains influence les missions du musée. C’est la question de la patrimonialité des biens cette fois-ci regardée d’un point de vue culturel.

La patrimonialité au sens culturel du terme : le cadre d’exercice des missions muséales

7 Le corps, passant au travers du dispositif de l’après-décès tel que réglé par les lois funéraires, se trouve, dans la réalité des faits, conservé et exposé dans des espaces divers : musées des beaux-arts, musées d’histoires, muséums, musées d’universités, conservatoires, etc., et sous des formes multiples. Le questionnaire adressé, au nom du groupe de travail sur les restes humains piloté par M. Van Praët, aux institutions susceptibles de posséder ce type de pièces en dénombre sous de multiples catégories : pièces anatomiques et anthropologie physique française et étrangère, pièces archéologiques françaises et étrangères, momies amérindiennes, égyptiennes, reliquaires, etc.17 Le système français reconnaît ces pièces comme éléments du patrimoine culturel cependant que leur statut est influencé par le principe de dignité.

Les restes humains, objets d’une servitude culturelle

8 L’intérêt public qui motive une protection des restes humains fondée sur un dispositif du Code du patrimoine peut être de plusieurs sortes : intérêt scientifique, archéologique, documentaire, ce sont des archives du sol. Le registre est parfois aussi celui de l’esthétique. On songe aux préparations anatomiques de Fragonard exposées au musée de l’École nationale vétérinaire d’Alfort (MEVA), à Maisons-Alfort (fig. 1). Rien ne s’oppose, dans les textes, à ce qu’un reste humain, répondant à ce critère de l’intérêt public puisse faire l’objet d’une mesure de protection18. La collection du conservatoire d’anatomie de la faculté de médecine de Montpellier a, par exemple, été classée au titre des Monuments historiques. De la même façon, l’intégration de ce type de pièces dans une collection sous label musée de France est juridiquement possible, au regard de la définition de la collection définie comme un ensemble de biens qui revêtent un intérêt public du point de vue de leur conservation et de leur présentation. Les dispositions du Code civil ne font pas échec au processus de patrimonialisation ainsi engagé. C’est ce qu’a rappelé le juge dans l’affaire de la tête maorie du musée de Rouen. Selon la Ville de Rouen, propriétaire du musée, « le principe de la dignité de la personne humaine qui

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prolonge par-delà la mort les droits du défunt sur son corps (s’opposait) à ce que des éléments du corps humain puissent être classés comme éléments des collections des musées de France », les dispositions de l’article 16-1 du Code civil l’emportant sur celles du Code du patrimoine. Le juge au contraire décide que les dispositions du Code du patrimoine, « qui rendent inaliénables les biens d’une personne publique constituant une collection des musées de France, placent ces biens sous un régime de protection particulière distinct du droit patrimonial énoncé à l’article 16-1 du Code civil ». L’idée est que, dans la mise en regard des ressorts du droit civil et du droit public, la protection patrimoniale n’est pas incompatible avec le respect dû au corps humain. Et l’on peut admettre que la nature de l’activité muséale ou encore le type de protection tiré du classement au titre des Monuments historiques ne heurte pas le principe de dignité. D’une certaine façon, rejoignant le patrimoine collectif sous la garde et la surveillance de l’État, le statut des restes humains est en concordance avec leur condition de « chose publique humaine ».

Fig. 1. Cabinet de curiosités du musée Fragonard de l’École nationale vétérinaire d’Alfort, à Maisons-Alfort

À gauche, le cavalier anatomisé d’Honoré Fragonard. © Musée Fragonard de l’École nationale vétérinaire d’Alfort/C. Degueurce.

9 Il peut cependant arriver qu’en dépit de la persistance d’un intérêt public attaché à leur protection, le législateur décide de faire prévaloir le principe de dignité. C’est l’objet de la loi de 2010, concentrée sur la restitution à la Nouvelle-Zélande des têtes maories19. Il n’est pas exclu que d’autres pièces de ce même type connaissent un sort identique20. Dans un état des discussions autour du projet de loi sur la liberté de création, l’architecture et le patrimoine, il avait été question de favoriser les restitutions volontaires de restes humains, mais la loi finalement adoptée n’en a pas retenu le principe.

10 Si en soi et sous les réserves qui viennent d’être indiquées, un dispositif de protection est licite au regard du principe de dignité, reste à se demander dans quelles limites

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s’exercent les missions « patrimoniales ». La question s’est posée d’une façon plus aigüe à propos de l’exposition des restes humains.

Les restes humains, sujets de dignité

11 Si le fait de détenir, dans les collections publiques, ou de protéger des restes humains est compatible avec le statut des restes humains, il faut se demander dans quelles limites s’exercent les missions attachées à leur sauvegarde. C’est notamment à propos de la fonction d’exposition que la question du respect du principe de dignité s’est trouvée posée dans l’enceinte judiciaire. L’exposition de cadavres plastinés accueillie à la Pinacothèque de Paris en 2009 a généré un contentieux révélateur des difficultés qu’éprouve le juge dans l’appréhension du cadavre comme sujet de dignité21. Saisi d’une demande de fermeture de l’exposition, le juge des référés invoque des motifs tirés de l’esthétique discutable de l’événement, de la mise en scène dite « déréalisante » qu’il estime alors contraire à une visée scientifique22. La Cour d’appel développe un autre discours, sans doute conscient que le raisonnement du premier juge peut mettre en cause la conservation de certaines pièces dans les musées. Il indique que « le respect n’interdit pas le regard de la société sur la mort, et sur les rites religieux ou non qui l’entourent dans les différentes cultures, ce qui permet de donner à voir aux visiteurs d’un musée des momies extraites de leur sépulture, voire d’exposer des reliques sans entraîner d’indignation ni de trouble à l’ordre public23 ». La cour d’appel se concentre sur la question du défaut de consentement donné par les personnes pour prohiber l’exposition24. La Cour de cassation confirme la censure de l’exposition, mais recentre le propos sur la seule question de l’interdiction d’un droit patrimonial25. L’exposition incriminée est exclusivement réalisée à des fins lucratives, exploitation contraire au principe de dignité tel que prescrit dans les articles 16-1 et suivants du Code civil.

12 Les limites du droit se rapportant à ce critère de lucrativité, on le voit au travers de cet exemple, restent peu contraignantes pour le musée. Sous ce rapport, on peut être surpris de l’initiative du Comité consultatif national d’éthique. En 2010, il a édicté, en forme de norme générale, un certain nombre de préconisations, mettant en question les pratiques muséales d’exposition et leur utilisation à des fins scientifiques, se prononçant notamment sur l’illégitimité de la détention de ces restes26. Si l’on peut bien admettre que puisse se déployer une réflexion déontologique sur le « comment conserver, comment exposer », le cas échéant sur l’opportunité de restituer certaines pièces27, l’instauration de bonnes pratiques n’a pas vocation à créer du droit là où, précisément, le droit en a fixé les contours. Le fait est que le chantier est aujourd’hui en grande partie du côté de la pratique, avec de multiples questions28. Les problèmes dominants qui ressortent de l’enquête menée sur la situation des restes humains dans les musées et universités tiennent au désintérêt pour ce type de pièces notamment de la part des élus – ils sont souvent tentés de se défaire de ces éléments, voire de les supprimer29 – au déficit de documentation ainsi qu’à l’absence d’un personnel compétent. C’est pourquoi la réflexion collective sur les conditions de conservation, de restauration, d’études et de mise en valeur est indispensable.

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NOTES

1. Loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire qui, notamment, modifie le Code civil et le Code général des collectivités territoriales. 2. Pour reprendre l’expression de Puffendorf, sur la question du corps au musée, voir Cornu, 2009, p. 1907-1914. 3. L’article L. 1 s’est par ailleurs enrichi d’un second paragraphe introduit par la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine aux termes duquel « Il s’entend également des éléments du patrimoine culturel immatériel, au sens de l’article 2 de la convention internationale pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, adoptée à Paris le 17 octobre 2003 ». Quoique la question des restes humains puisse recéler des aspects liés au patrimoine immatériel (les rites et pratiques religieuses et funéraires notamment), notre approche du sujet est ici concentrée sur le patrimoine tangible.

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4. Cette perception du monde au travers de la division cardinale entre les personnes et les choses est ancienne dans le droit. Elle continue de structurer fortement le droit contemporain. Sur ce constat que le cadavre est pour le droit une chose et sur l’inévitable réification du cadavre humain, F. Bellivier, Droit des personnes, LGDJ, Lextenso éd., 2015, n° 208, p.192. 5. Selon la formule de Yann Thomas, la valeur des choses. Le droit romain hors la religion, in Annales. Histoire, Sciences Sociales. 57e année, N. 6, 2002. p. 1431-1462, selon lequel le régime d’exception des choses inestimables fait comprendre, par antithèse, le droit ordinaire de toutes les autres choses. 6. Ces diverses qualifications ont pu être avancées soit par la doctrine, soit par la jurisprudence. 7. Même si l’atteinte à l’intégrité du cadavre dans le Code pénal relève de l’atteinte à la personne humaine (art. 225-17), voilà qui montre bien l’inadéquation des catégories du droit en la matière. 8. Notamment plusieurs jugements émanant du Tribunal de grande instance de Lille. 9. Idée renforcée par la législation funéraire de 2008 dont l’objet a aussi été de combattre toute forme de privatisation des cendres, en ce sens, F. Bellivier, op. cit., n° 216. C’est selon la formule de F. Terré et P. Simmler, une propriété commune d’intérêt familial, in Le droit des biens, Précis Dalloz, n° 772, p. 417. 10. Propriété qui céderait évidemment devant une revendication familiale car alors domineraient sans discussion les droits de la famille du défunt, v. CAA de Douai du 30 novembre 2006 qui, à propos de dépouilles de soldats de la Première Guerre mondiale trouvés sur un site pour lesquels les juges indiquent qu’en cas de réclamation des familles, les dépouilles doivent être mises à la disposition des familles. Elle peut aussi céder lorsqu’une loi impose la restitution, comme en 2002 s’agissant de la dépouille de la Vénus hottentote, l. n° 2002-323 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud, ou, en 2010, à propos des têtes maories détenues dans des musées de France qui ont fait l’objet d’une obligation de restitution, loi n° 2010-501 du 18 mai 2010. 11. Tout commerce au sens juridique du terme, dans la mesure où les dons sont autorisés et la donation est une forme de commerce, quand bien même elle se réalise sans contrepartie. 12. On peut mettre en parallèle l’expression de droit patrimonial utilisée dans le domaine du droit d’auteur, qui renvoie aux droits pécuniaires ou économiques de l’auteur par opposition à son droit moral. 13. Sur ce mouvement d’humanisation visible dans le droit contemporain en ce qui concerne les restes du cadavre, F. Bellivier, op. cit., n° 219, p. 202. 14. Notamment G. Loiseau à propos du nouvel article L.16-1-1 du Code civil et sur l’idée que la dépouille est de ces « choses mal logées dans le seul ordre des biens sans trouver refuge dans celui des personnes », in Pour un droit des choses, Dalloz, 2006, n° 44, p. 3020. 15. En ce sens, Th. Pech, Réflexions sur la dignité de l’être humain en tant que concept juridique du droit français, Dalloz, 1997, chronique, p. 65. 16. Conformément à l’adage Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus, là où la loi ne distingue pas, il convient de ne pas distinguer. 17. La constitution de ce groupe de travail est une initiative conjointe du ministère de la Culture et du secrétariat d’État à l’Enseignement supérieur et à la recherche, créé en lien avec la commission scientifique nationale des collections. Piloté par M. Van Praët, il est chargé, spécialement, de réfléchir à cette question des collections des restes humains, d’en faire un état des lieux, d’où le questionnaire, d’étudier les aspects juridiques en France et à l’étranger et, notamment, le statut patrimonial de ces pièces présentes dans les collections, d’étudier la question des critères de sortie des collections en cas de revendication, de se pencher sur les conditions de gestion de ces éléments. Un premier texte a été publié dans le rapport remis par la CSNC, disponible en ligne. 18. Même si la pratique des services concernés reste réservée sur la mise en mouvement de ce type de protection en matière de restes humains.

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19. Animée par le même esprit, la loi n° 2002-323 du 6 mars 2002 avait également ordonné la restitution de la dépouille de Saartjie Baartman à l’Afrique du Sud. 20. Il n’existe pas, actuellement, de texte contraignant sur cette question de la restitution des restes humains au plan international, du moins d’un point de vue spécifique. On peut certes évoquer la résolution adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 13 septembre 2007 sur les droits des peuples autochtones qui demande qu’une « réparation » soit apportée en cas d’atteintes à leur patrimoine culturel et religieux et reconnaît « un droit au rapatriement de leurs restes humains », invitant les États à permettre « l’accès aux objets de culte et aux restes humains en leur possession et/ou leur rapatriement par le biais de mécanismes justes, transparents et efficaces mis au point en concertation avec les peuples autochtones concernés » (Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, adoptée par l’Assemblée générale le 13 septembre 2007, article 12). Mais il n’emporte pas d’obligations positives de restitution à la charge des États. 21. Exposition Our Body, à corps ouvert inspirée des préparations de l’anatomiste Gunther Von Hagens. 22. Ordonnance de référé rendue par le Tribunal de grande instance de Paris, 21 avril 2009, n° 09/53100, AJDA, 2009, p. 797. 23. Cour d’appel de Paris, 30 avril 2009, n° 09/09315, Dalloz, 2009, p. 2019. 24. Argument dont on peut discuter la pertinence dès lors que la destination du corps est prévue et imposée par la loi. 25. Cour de cassation, 16 septembre 2010, arrêt n° 764. 26. Évoquant notamment la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples d’origine adoptée par l’Assemblée générale du 13 septembre 2007 avec laquelle la France serait en contradiction si elle refusait de faire droit aux demandes de peuples concernés. Avis n° 111 sur les problèmes éthiques posés par l’utilisation des cadavres à des fins de conservation ou d’exposition muséale de J.-C. Ameisen, P. Le Coz, Comité Consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la vie et de la santé, Paris, le 7 janvier 2010. 27. On peut évoquer ici les dispositions contenues dans le Code d’éthique de l’ICOM, pour lequel les musées se doivent de « répondre avec diligence, respect et sensibilité aux demandes de retrait, par la communauté d’origine, de restes humains ou d’objets à portée rituelle exposés au public », envisageant la restitution de biens culturels exportés de manière illicite ou bien faisant « partie du patrimoine culturel ou naturel du pays ou de la communauté qui demande leur retour », Code de déontologie de l’ICOM pour les musées, 2006, § 4.4 (cf. aussi § 2.5, 3.7 et 4.3). 28. En l’occurrence, un certain nombre de rencontres ont été consacrées à l’étude de cette question en présence de conservateurs et de restaurateurs, particulièrement dans le cadre de l’INP. 29. De ce point de vue, la question de l’archéologie a été identifiée comme un vrai sujet.

RÉSUMÉS

Le processus de patrimonialisation du corps humain soulève des questions complexes sur le double terrain du droit et de l’éthique, qui se rapportent tant au statut des restes humains qu’à leur traitement juridique et scientifique. Si le droit les considère comme des « choses » indisponibles, cette condition n’exclut pas leur conservation dans une institution patrimoniale, dans des termes qui relèvent davantage de la déontologie que du droit.

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The process of incorporating the human body into cultural heritage raises complex questions in the twofold field of law and ethics, which relates to both the status of human remains and their legal and scientific treatment. While the law regards them as unavailable “things”, this condition does not exclude their conservation in a heritage institution, in terms more relevant to deontology than law.

INDEX

Mots-clés : principe de dignité, statut juridique de la dépouille, collection publique, domaine public, restitution, têtes maories, déontologie Keywords : principle of human dignity, legal status of human remains, public collection, public domain, restitution, Maori heads, deontology

AUTEUR

MARIE CORNU Directrice de recherches CNRS, UMR 7220 (ENS Cachan, Université Paris Ouest Nanterre, CNRS) (Marie.Cornu[at]cnrs.fr).

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Petite rhétorique narrative des restes humains muséaux Short narrative rhetoric about human remains in museums

Christelle Patin

« Il est difficile de contredire les morts. » Antonio Tabucchi, Tristano meurt, Gallimard, 2004.

1 Par leur présence pleine mais muette, les restes humains influencent les rapports sociaux et sont des objets-acteurs doués d’agentivité1. Perçus comme sujet biographique, ils constituent des supports de narration puissants. Or, si chaque cas semble spécifique, une certaine rhétorique s’est mise en place ; elle donne à voir et à penser ces éléments singuliers et singularisés. Quelles en sont les grandes lignes, voire la grammaire ? Que nous conte-t-elle de l’attachement que les humains leur portent et de sa construction ? La sensibilité accrue des restes humains muséaux tient à leur position-clé, à la croisée des champs du patrimoine, du funéraire ou de la corporéité et de la science. Elle relève d’une synergie de leviers successifs. Ainsi, bien qu’inaliénables, ces éléments corporels sont investis d’enjeux patrimoniaux et deviennent des « lieux de mémoire ». Tandis que dans un même mouvement, la science à l’origine de ces collections déclame sa contribution au patrimoine universel de l’humanité mais porte, dans les discours, la tache indélébile des spoliations coloniales, racismes et nationalismes occidentaux. Ce texte abordera donc tour à tour chacune des grandes lignes de ces constructions narratives et privilégiera la situation française. Notons que l’analyse est à visée de réflexion et n’a aucune ambition d’exhaustivité.

Réécrire le passé scientifique des collections

2 Une ligne axiologique tendue entre la vision d’une science au passé raciste à décoloniser et celle d’une science rationaliste universelle marque les discours. Le concept de libre consentement, manié à l’envi, interroge la légitimité du prélèvement du corps, celle de sa transformation en objet scientifique, de sa circulation et de son exposition publique. La victimisation des individus revivifie la dimension émotionnelle

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de l’espace moral, en toute réduction et anachronisme ; la science, notamment l’anthropologie, y a une place de choix. Or, des mondes séparent l’appréciation de la collecte d’un crâne de Héréro de Namibie, exterminés par les colons venus d’Allemagne2 dans un contexte de conquête, de celui d’un malade sans lien familial décédé dans un hôpital parisien ou encore d’un don de corps à la Société d’autopsie mutuelle3. Notons que sur les 18 000 crânes conservés au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), 41 % proviennent de France ou d’Europe4. Cela ne nie en rien la nécessité d’une analyse plus poussée de l’intrication de la science, à travers ses institutions, hommes et productions, dans les enjeux et processus coloniaux ou de domination en général. Une meilleure connaissance des conditions de collecte des restes humains montre la diversité et la complexité des situations et des enjeux, le poids de la composition des acteurs (occidentaux et locaux) entre eux et avec le politique, les résistances et conflits5. En témoignent les lectures de la collecte de la tête du chef néo-calédonien Ataï présentes dans l’espace public (médiatique et législatif). Elles stigmatisent le médecin de marine Jules Navarre, donateur, et l’anthropologue Paul Broca6, donataire, niant sa véritable dimension politique par une mise à prix du gouverneur et un confinement politique à l’hôpital militaire des restes prélevés au combat (tête et main) ; l’acheminement en métropole par le scientifique n’étant finalement que le dernier maillon de ce processus. L’histoire des collections est loin d’être un récit linéaire stéréotypé et mérite d’être davantage explorée et circonstanciée. Le non-respect de la libre destinée funéraire par la collecte scientifique amène les vivants à rétablir ce droit. C’est ainsi qu’en accord avec ses dernières volontés, le géant Byrne (fig. 1), décédé à la fin du XVIIIe siècle, fut immergé en mer en 2011 par le Hunterian Museum du Royal College of Surgeons de Londres7. Cependant, les témoignages historiques sont rares ; en leur absence, il devient manifeste qu’un glissement s’effectue du libre consentement de la personne, au nom de sa liberté, à la question de la dignité de l’humain en général. L’évaluation morale n’est pas aisée car ce qui relève de la volonté de l’individu ne l’est pas toujours du point de vue de celle de la famille ou des communautés et vice-versa. Rappelons que le droit de libre destinée de sa dépouille mortelle repose sur la loi du 15 novembre 1887. Par ailleurs, la vente du cadavre d’un proche ou son abandon à la science furent des stratégies économiques ou idéologiques effectives au XIXe siècle.

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Fig. 1. Le squelette de ce géant fut livré par le gardien du cimetière avec une contrepartie financière de 200 francs, montant qui correspondait à l’achat d’un squelette humain sur le marché des pièces anatomiques en cette fin du XIXe siècle

Dans un courrier, le père de celui-ci réclama également son dû au scientifique du Muséum et non le retour et la réinhumation des restes. © Musée de l’Homme/C. Patin.

Réécrire le présent scientifique des collections

3 En France, la caricature du scientifique peu responsabilisé aux enjeux de ces pièces spécifiques perdure. Elle est entretenue dans les discours médiatiques et officiels, tantôt par l’accent porté sur une gestion peu rigoureuse des collections, tantôt par la valorisation d’acteurs « secondaires » qui masque les réflexions effectives menées par ces professionnels depuis plus de dix ans. L’épisode de la remise officielle du crâne d’Ataï (fig. 2), le 28 août 2014, et de sa « redécouverte » en 2011, est emblématique. Pour le directeur du MNHN, il n’y avait eu aucune « redécouverte » ; le crâne avait toujours été conservé dans les collections de la Société d’Anthropologie de Paris (SAP) hébergées par le Muséum. Or, dans le discours suivant, la ministre des Outre-mer mettait à l’honneur l’écrivain Didier Daeninckx en tant que « découvreur d’Ataï », réactivant l’idée de perte, déjà instrumentalisée lors de l’épisode de la « Vénus hottentote » en 2002. Cette figure médiatique, incarnant par ses écrits les justes luttes postcoloniales, fut associée à celle de José Bové sollicité par les Kanaks en tant que député européen. Tous deux furent désignés comme les principaux acteurs ayant œuvré à ce retour. À aucun moment, cette mise en scène ne mentionna les scientifiques du Muséum ou ceux de la SAP. Pourtant, un important travail de réflexion avait été mené en amont sur le statut et le devenir des collections, ainsi que sur la faisabilité juridique d’un tel retour8. En définitive, ces relectures au symbolisme puissant permettent de se construire une

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identité contemporaine dans la continuité culturelle des peuples opprimés et leur reconnaissance, groupes spoliés, exclus et hiérarchisés par la science. Le retour à la terre serait la seule « place décente de repos », loin du « purgatoire légal des étagères muséales9 », comme en témoignent les démarches d’inhumation de restes non documentés et non affiliés du National Museum for the American Indian et du Denver Museum of Nature and Science. D’une autre façon, la question de la réinhumation des restes issus des fouilles archéologiques après étude anthropologique se pose aussi en France. Elle interroge tant l’éthique que la constitution des collections de recherches soumises à un mouvement de déflation10. Tantôt l’étude scientifique, en amont de la réinhumation, est jugée indigne. Ce fut le cas de l’étude génétique des restes de Saartjie Baartman en 2002, qui fut demandée par les scientifiques de la commission sud- africaine de rapatriement et finalement rejetée11. Pourtant, elle aurait pu permettre l’établissement d’une filiation avec des familles de même patronyme ou une meilleure connaissance de son origine. Mais en tant qu’ancêtre fondateur d’une nouvelle Afrique du Sud enfin pacifiée, son appropriation ne pouvait être que collective. Tantôt le processus d’authentification préalable aux restitutions génère de nouvelles investigations scientifiques : approfondissement de la documentation historique, analyse bio-anthropologique et numérisations. Ces nouvelles données nourrissent le récit et, parallèlement, l’attachement porté au reste ; elles lui donnent de la consistance. Cette logique est attestée par le récent rapport de politique de rapatriement du gouvernement du Nunatsiavut issu d’une consultation publique des populations inuits12. Cependant, le temps politique de la restitution n’est pas toujours soumis à la même dynamique que celui de l’étude scientifique. La compréhension de la biographie culturelle parfois complexe, inhérente à l’établissement d’une documentation solide, nécessite du temps. Le musée Te papa de Wellington en a fait l’expérience et s’interroge en 2013 sur l’authenticité d’une toï moko (tête maorie momifiée et tatouée) restituée par la France, peu documentée, dont les inscriptions « Malais, maorie, Nouvelle Zélande » semblent apocryphes et dont le cartel indique « Malais tahitien de Toetoe ».

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Fig. 2. Superposition tridimensionnelle du masque mortuaire d’Ataï et de son crâne sec

© Plateforme Surfaçus/MNHN.

La construction d’une communauté « morte vivante »

4 Comme l’indique le sociologue Arnaud Esquerre, l’évolution récente du rapport au corps mort tend à agglomérer vivants et morts au sein d’une même entité politique, la communauté « morte-vivante », dont l’identité est ancrée dans un territoire13. Entre 1970 et 1980, les revendications des mouvements autochtones sur les droits du sol et de liberté religieuse (dont les rites funéraires) se sont concentrées sur le retour ou l’accès au patrimoine culturel, incluant les restes humains. La construction d’une filiation avec ces restes mués en ancêtres par réactivation d’attachements anciens ou bien leur réinvention nourrit la continuité. La terre des ancêtres est assignée à un territoire délimité par l’État. Dans cette perspective, l’identité collective, surdéterminée par une vision culturaliste, préexiste à l’individu. L’inhumation des restes donne du corps au lieu et administre la preuve de son âme. Tandis que, tel un reliquaire, l’espace sacralise les vestiges humains sertis dans l’histoire locale, indissociable d’une temporalité reconstituée, vécue comme quête des origines. L’exemple des restes de « Buhl woman » en Idaho datée de 10 800 ans est marquant et s’inscrit dans la politique proactive de rapatriement des « Native American ». Son squelette fut rapatrié dans la tribu Shoshone-Bannock dont la tradition orale ancre l’origine des ancêtres sur le sol américain depuis un temps immémorial14. Dans un contexte de droit à l’autodétermination, la reconnaissance des traditions orales s’impose au détriment de l’administration scientifique de la preuve d’une filiation, d’ailleurs peu aisée à établir sur une durée aussi longue. Quels sont les éléments présents dans les discours et pratiques qui permettent de cimenter cette communauté qui lie vivants et morts ? Le

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principal étai est la commune nature ontologique de ses composants. Comme le signale un intervenant lors d’un colloque sur les collections anatomiques en 2012 : « Je suis celui qui regarde et je suis regardé par le corps que je regarde, une sorte d’humain en fraternité15. » Cette approche, toute éthique, devait interpeller le visiteur sur un possible appel au voyeurisme. Cependant, elle inscrit l’élément de corps humain dans une temporalité partagée avec les vivants et construit une sorte d’humanité atemporelle, voire aculturelle, au présentisme permanent. La création et l’imposition de la dénomination « restes humains » en tant que catégorie normative, initialement exogène au monde muséal et scientifique (à l’exception sans doute de l’archéologie), répondent à cette exigence morale16. Elle balaye les autres catégories historiques usuelles, qu’elles soient anatomiques, artistiques, ethnologiques ou plus utilitaires. Pourtant, elle regroupe des matérialités bien hétérogènes, que ce soit en termes d’échelle corporelle, de modifications ante ou post-collecte générant des corporéités hybrides, d’utilisation et d’âge. La dimension ontologique de cette approche catégorielle qui dépasse la dimension culturelle de ces éléments prend sens dans un système d’équivalence : la partie, quelle qu’elle soit, vaut pour le tout. Il s’ensuit une sollicitation des valeurs d’équité, d’intégrité et de compassion au service du respect de la dignité humaine. Outre une dimension totale agrégeant vivants et morts, chaque communauté donne une place majeure à la filiation et à la « pureté » culturelle. Si bien qu’une double appartenance ou un mélange entre elles semblent ardus. L’homme communautaire est difficilement celui d’une histoire naturelle.

5 Finalement, tout comme le récit d’une histoire linéaire et stéréotypée des collections, la dignité précédemment affichée est rapidement mise à l’épreuve dans la pratique. L’agentivité des restes humains s’avère inféodée à l’attachement qu’ils suscitent. C’est ainsi que la peau tannée et cirée du Sud-Africain naturalisé « El Negro », conservé au musée Darder de Banyoles, ne fut pas restituée en 1996, contrairement à son crâne et autres os des membres. Sa détérioration lors du démontage du corps et son état modifié par le travail naturaliste en faisaient, en dépit de son ontologie, une pièce indigne du devoir de mémoire et de l’acte de réparation. Dans un autre contexte, en dépit d’une semblable destinée de violence martiale et de domination, le compagnon d’Ataï ne fit, dans un premier temps, l’objet d’aucune demande de restitution, contrairement au leader historique. L’absence d’investissement politique et familial le concernant mettait à mal le discours politico-moral d’équité et de justice déployé pour légitimer le juste retour des restes. Ainsi, en dépit de ce qu’elle affiche, la communauté « morte-vivante » n’est pas exempte de hiérarchisation. La vie politique des corps morts sert à légitimer de nouvelles élites17 et reconfigure les groupes stigmatisés au sein d’un état réunifié. L’intégration de l’érosion du souvenir familial, ses possibles reviviscence et instrumentalisation politique se matérialisent aussi par un traitement muséal différentiel entre les restes identifiés et ceux anonymes, notamment au sein de la collection d’anthropologie du MNHN. L’identification donne une sensibilité accrue aux conditions de conservation, de consultation scientifique, d’exposition ou de diffusion publique et aux demandes de restitution. Il s’agit d’une lecture juridique de la dignité muséale18, fondée sur la catégorisation sociale des restes humains et leur degré d’agentivité. Par ailleurs, au-delà des éléments corporels, la prise en compte des capacités de supports, tels la photographie ou le moulage, à incarner la personne et à agir amène certains scientifiques à les intégrer dans la catégorie « restes humains19 » ; cela implique de communes contraintes quant à leur usage. Les discussions autour de l’exposition du moulage de Saartjie Baartman en sont une illustration. Ce bref aperçu

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de la production d’une rhétorique normative, souvent naturalisée et globalisée, exclut la clé de voûte de l’agentivité, celle de l’importance du contexte qui livre tout le sens de la capacité d’agir des êtres et des choses.

BIBLIOGRAPHIE

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Verdery K., 1999, The political lives of dead body, Columbia University press, 185 p.

NOTES

1. L’agentivité est issu de l’anglais agency, popularisé notamment par Janet Hoskins lors d’études sur les biographies d’objets, 2006. Ce concept interroge ce que signifie agir socialement entre personnification et chosification des objets. Voir aussi Bonnot, 2014. 2. http://www.rfi.fr/afrique/5min/20111001-siecle-apres-leur-extermination-allemagne- restitue-cranes-peuples-herero-nama 3. La Société d’autopsie mutuelle fut créée en 1876 essentiellement par des membres de la SAP. Elle permettait la donation de corps de personnes connues dont on réalisait ensuite l’autopsie, essentiellement cérébrale. La lutte pour la pratique de l’autopsie allait de pair avec le vif débat du choix de l’enterrement civil ou religieux abouti dans la loi du 15 novembre 1887, prémices à la reconnaissance de la crémation (loi de 1889) puis à la loi de 1905 de séparation des églises et de l’État.

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4. Froment, Mennecier, 2014, p. 318. 5. Entre autres, Patin, 2013, Rivet, 2014. 6. Les exemples sont nombreux, voir « Un chef revient parmi les siens », Le Monde, 10 août 2013. 7. https://www.theguardian.com/science/2011/dec/22/irish-giant-skeleton-museum-display 8. Marchal, 2016. 9. Pour reprendre les expressions respectives des acteurs des deux musées, Jenkins, 2016, p. 306-307. 10. Note-circulaire du 19 juillet 2012 relative à la problématique des matériels d’étude et à la méthodologie préalable à l’affection de certains de ces biens aux collections des musées de France, ministère de la Culture. 11. Crais, 2011, p. 160-161. 12. “What we heard”: a report on consultations relating to repatriation in Nunatsiavut, 2016, Nunatsiavut Government, Brake J., 25 p. Lors des consultations, 76 % des personnes interrogées se sont dites favorables à une étude avant inhumation, avec accord de la famille, pour certifier ou non la filiation aux Inuits et l’appartenance culturelle. En revanche, à la question d’un possible prélèvement de pièces anatomiques pour conservation, la moitié y est favorable sous certaines conditions, l’autre moitié reste indécise. Cette consultation fait suite à une étude historique réalisée par France Rivet sur le sort d’Abraham et de ses compagnons exhibés et décédés de la variole à Berlin et Paris. 13. Esquerre, 2011, p. 305-311. 14. Jenkins, 2016, p. 303-305. 15. Colloque sur « les collections anatomiques : de la connaissance à la mise en valeur », du 7 au 9 novembre 2012, Montpellier, INP. 16. L’histoire de la construction et circulation de cette catégorie normative reste à faire à ma connaissance. Celle-ci se diffuse après la Seconde Guerre mondiale et met l’accent non plus sur la dimension résiduelle du reste, comme dans la sphère funéraire, mais sur son humanité. Les restes humains sont avant tout humains avant d’être restes. Provient-elle en France de la diffusion anglosaxonne de human remains ? Ces questions méritent d’être davantage explorées. 17. Verdery, 1999. 18. Leca, 2012, p. 649-662, l’auteur distingue les restes anonymes purement archéologiques (comme Ötzi), les restes humains « fortement personnalisés mais (…) frappés d’une désaffection familiale et d’une érosion du souvenir » et enfin les « restes socialement sensibles pour des raisons d’ordre culturel, religieux ou politique qui doivent jouir d’une protection maximum » (comme les cendres de Rudolf Hess ou les têtes maories). 19. Froment, Mennecier, 2014, p. 315.

RÉSUMÉS

Les restes humains des collections muséales sont l’objet d’attachements de la part des vivants et deviennent de puissants supports de narration. Ce court article tente de cerner les grandes lignes de cette construction.

People’s attachment to human remains in museum collections has become a powerful narrative source. This short article attempts to give a broad outline of this narrative structure.

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INDEX

Keywords : agency, anthropology, memory, death, museum, heritage, human remains, science Mots-clés : agentivité, anthropologie, mémoire, mort, musée, patrimoine, restes humains, science

AUTEUR

CHRISTELLE PATIN Chercheuse associée au centre Alexandre Koyré, Paris (patin.christelle[at]orange.fr).

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The Conservation of Human Remains: Ethical Questions and Experiences in America La restauration des restes humains : éthique et pratique aux États-Unis

Nancy Odegaard and Vicki Cassman

1 There has been a monumental change within the last two decades regarding human remains within museums and related institutional contexts in North America. It can be characterized by a shift in attitude relating to how we view human remains. They are no longer the cold, unconnected and uncontextualized specimens of continuing supply. Instead, human remains are considered limited, with contexts, with connections to both the past and to the living.

Changes induced by NAGPRA

2 Traditionally, individual researchers and institutional staff determined care and treatment, which meant a variety of conditions that could be described as respectful to exploitative. When viewed as specimens, human remains are reduced to property that may be curated, studied and sampled at will, or even ignored. The fields of osteology, paleopathology and physical anthropology have traditionally seen bones and mummies as objects. The adjustment in attitude from referencing human remains as specimens, to considering them as individuals, was a change many did not see coming.

3 Archaeologists, physical anthropologists and curators of natural history collections were asked to change their standards of practice in response to legislation known in the USA as the Native American Graves Protection and Repatriation Act of 1990 [NAGPRA]. Early on, most museums and universities found the requirement to complete inventories and document their collections, to identify potential Native American descendants and carry out consultations, and to potentially undertake repatriation, to be a huge unwelcome burden. Compliance was sometimes delayed and submitted reports were often incomplete despite the fact that all public institutions

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and all private institutions that had previously received any federal funding required it. Consultations with stakeholders were found to be especially onerous and initially were rarely practiced with sincerity. NAGPRA has prevailed, since at its core it is civil rights legislation; “one does not return human remains in common law, so much as they cease to be possessed wrongfully1.”

4 NAGPRA forced a facelift for the study and care of human remains. Repatriation’s effect on professional standards has required greater professional competence, limited time for study and documentation, and accurate reporting of the contextual data. Even after passage of NAGPRA, it has taken many years to observe changes due to the core value differences between tribes, museums and researchers. Finally, after more than two decades, differences may be noted. Osteology or the scientific study of bones has transformed and become bioarchaeology, or the scientific study of human remains from archaeological sites. Human remains are more commonly seen as individuals; and descendants are now recognized with greater respect. The definition of burial is considered inclusive of personhood, and associated funerary objects may be considered commemorative even if their intentionality is hard to determine.

Requirements and obligations for research

5 Human remains collections in the still present significant backlogs with many missed past opportunities. For example, racism and poverty were largely ignored in earlier studies because there was a perceived disconnect from the living. Research for documentation is a requirement of NAGPRA. This includes the number of remains, the nature of the excavation, and the number of artifacts, which are all required information in legal announcements in the Federal Register. Today’s research is more involved, collaborative, and the structural changes for reporting the work are more multifaceted and relevant for descendant communities.

6 The field of conservation of human remains must change too, and as we work in institutions with profound backlogs, we need to be proactive in our collaborations with colleagues and especially with affected communities. We need to be better prepared to collaborate as new finds are driving better more expedient studies, publications and legal announcements.

7 The new mission or purpose of studies on human remains has resulted in changes and better collaborations with Federally Recognized Tribes, especially for new archaeological excavations or accidental finds. It is now understood that the obligation of NAGPRA is to potential and recognized descendants to address their greatest interests. For example with new finds, there are vital initial questions to be answered in a timely manner: • are the remains human or faunal? • what is the age and sex and how does this information relate to a determination of burial context? • how many individuals are in the burial/find (as this is needed for public notice and reburial preparations)? • what are the associated artifacts and have they been removed from the remains?

8 NAGPRA has required researchers to standardize their data on age, sex, disease and trauma. Pathologies of gender, violence, captivity, migration, enslavement, infection,

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activity-related changes, or early death are studied in partnership with tribal members. These studies of demography involve permission and open dialogue that have resulted in the paradigm shift. An ethical, collaborative and integrated approach helps to understand what people did during their lives, and why people were dying. Studies can include documentation of impacts of climate or subsistence changes, conflicts of identity, and presence of disease2. Conservators may be asked to help find nondestructive ways to aid documentation. For instance, we may aid in temporarily holding fragmented long bones together without the use of adhesives3.

Confrontation versus collaboration

9 The changes seen in the care and curation of human remains in the last few decades in the United States may be summarized as a movement from quandary and confrontation, to compromise, compliance, and finally collaboration. The quandary stage is represented by reactions to the initiation of the law. Confrontation is exemplified by the court cases challenging NAGPRA law, or the institutions cited for noncompliance. Examples of compromise and compliance are found in the Federal Register for institutions that published NAGPRA summaries resulting from consultations and documentation4. The best outcome of NAGPRA has been the creation of new relationships through collaboration. Relationships are about trust, listening, equal effort, mutual benefit, and responsibility. In many museums, consultations that were required for repatriation have led to new collaborations for care, curation and research. Research of the past is becoming dynamic because there is a concern for inclusion as well as recognizing biases that can be built into data gathering.

10 It is more than two decades since the Kennewick Case began, which is representative of the confrontation stage. The nearly complete skeletal remains were of a Paleolithic man found in 1996 by accident, along the banks of the Columbia River, in Washington State. NAGPRA law was not followed, consultation was restricted by court order, and the resulting research publications took many years to produce. In contrast, an example that represents collaboration is the excavations at On Your Knees , in Alaska. After the discovery of human skeletal remains of similar age, the project leaders began consultation with local tribal governments immediately in 1996. For this individual, NAGPRA law was respected and research included outreach to Tlingit and Haida tribal stakeholders. The outreach led to a twelve-year partnership with the tribes. Approved DNA studies resulted in publication within a much shorter timeframe, 2005 for On Your Knees, versus 2015 for the Kennewick DNA report that did not have descendant approval5.

11 In summary, the ethics of NAGPRA ask that we: • work together with dedication, respect, and clear protocol, • listen and respect community needs, • follow the wishes of descendants, • balance data with responsiveness, • seek dialogue.

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Changes in conservation

12 Repatriation has afforded new types of systematic analyses and care, better estimates of documentation time that are based on a totality of evidence, and in many cases has accelerated the process and quality of data, and challenged the pre-NAGPRA ideas about care.

13 Prior to NAGPRA, the care and conservation of human remains commonly included coating or consolidation of weak and friable bone, reassembly with synthetic adhesives, manipulation of cracks, poultice removal of stains, large accession numbers on skulls for quick identification, loss compensation with fill materials, aesthetic integration with paint and pigment, and elaborate display mounts. Remains were considered another type of object in collections.

14 The conservation of human remains began to change with the implementation of NAGPRA, and the development of respectful storage became more common, and treatment discouraged. In terms of professional conservators, compliance with NAGPRA meant we were either ignored and left out of the process, or tangentially brought in to help at the whim of institutional colleagues. Conservators have been responsive to colleagues’ requests, and our work with human remains was rarely deliberately sought out. Perhaps a problem required a conservation solution, usually involving an emergency, such as potential environmental damage, the need for respectful supportive housings, or a desire for more respectful sampling or study.

15 Like bioarchaeologists, now conservators must consider the ethics of NAGPRA (mentioned above). We have used our existing ethics to guide our involvement with human remains, but these guidelines do not always apply. In comparison to the American Institute for Conservation’s Code of Ethics, the ethics of NAGPRA are more proactive and responsive to community needs6. Yet none of our current conservation programs provide more than a nod to the subject of NAGPRA and human remains. Would current conservation interns confronted with a box of recently rediscovered archaeological materials in a museum know how to recognize human bone fragments or what to do with the contents if found?

What about reburial?

16 Today, the conservation of human remains may involve new techniques for revealing markings and details; new analytical techniques for non-destructive identification of pesticides, consolidants, or other residues; and new methods of packing for reburial. NAGPRA related conservation deals with the physical, but often transitory state, between excavation and reburial. Where the conservator is on the spectrum between cultural practice and material preservation is inconsequential. To the novice, this can be uncomfortable, since reburial stands in stark contrast to our code of ethics that states the conservation professional shall serve as an advocate for preservation2. However, it is not up to the conservator to determine if the remains or associated (and unassociated) artifacts are to be preserved, or repatriated for reburial and thereby destroyed. For instance, conservators may be asked for repatriation containers. Perhaps tribal representatives want to provide a way to preserve remains in their own museums, and then we can rely on general practices of preventive conservation, and an

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archival skeletal remains box may be appropriate (fig. 1). At the other end of the spectrum perhaps we are asked for a quickly biodegradable reburial container, that keeps remains intact and separate for transfer, but would degrade quickly and allow for more rapid , thus reducing the likelihood of accidental rediscovery. In this case a paper grocery bag may be a proper choice (fig. 2). Which of these situations is the correct advice to give as a conservator? Both would be, according to the ethics of NAGPRA.

Fig. 1. The human remains box is a nine piece polypropylene box that sets up without glue, stables or tape

Vicki Cassman and anthropology students designed the box in the 1990s with Hollinger Metal Edge Corp. and, in this image, a plastic model demonstrates its use. The lid is not shown. © V. Cassman.

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Fig. 2. The paper bags are biodegradable and made from recycled paper

The shape and extra strength of the base of the bag is engineered to provide support for relatively heavy contents. The flat bottom base not only provides adequate strength, but it allows the bags to retain their shape, and keep order for placement in the transport container, and during the action of reburial. © Arizona State Museum.

17 NAGPRA has had a profound effect on our institutions, and our professionalism. Hopefully we, as conservators, can help to transfer the positive outcomes of this legislation, namely greater collaboration and respect, to human remains from other cultures as well.

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NOTES

1. Hutt and Riddle in Cassman et al. 2006, p. 224. 2. Heilen, 2012. 3. Cassman et al., 2006, p. 88-94. 4. Quoted from the National Park Service website https://www.nps.gov/nagpra/FAQ/ INDEX.HTM#How_many (Accessed March 26 2016) “How many Native American human remains and cultural items have been repatriated since the passage of NAGPRA ? There is no single source for this information. While museums and Federal agencies are required to keep their own record of repatriations, NAGPRA does not require museums and Federal agencies to report repatriations to the Secretary of the Interior or to the National Park Service. Museums and Federal agencies are required, however, to publish notices in the Federal Register when they have determined that Native American human remains, funerary objects, sacred objects, and/or objects of cultural patrimony are culturally affiliated and are eligible for repatriation. The National NAGPRA program compiles statistics yearly on the total number of Native American human remains, funerary objects, sacred objects, and objects of cultural for which Federal Register notices have been published. The current statistics (updated on September 30, 2014) are as follows: Human remains: 50,518 individuals Associated funerary objects: 1,185,948 (includes many small items, such as beads) Unassociated funerary objects: 219,956 (includes many small items, such as beads) Sacred objects: 4,914 Objects of cultural patrimony: 8,118 Objects that are both sacred and patrimonial: 1,624 5. Dalton, 2005 and Rasmussen et al., 2015. 6. American Institute of Conservation, “Code of Ethics and Guidelines for Practice” PREAMBLE : The primary goal of conservation professionals, individuals with extensive training and special expertise, is the preservation of cultural property. Cultural property consists of individual objects, structures, or aggregate collections. It is material which has significance that may be artistic, historical, scientific, religious, or social, and it is an invaluable and irreplaceable legacy that must be preserved for future generations.” And “CODE OF ETHICS… III. While recognizing the right of society to make appropriate and respectful use of cultural property, the conservation professional shall serve as an advocate for the preservation of cultural property…”

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ABSTRACTS

The ethics and deontology of the conservation-restoration of human remains in the United States is explored in this article. Most indigenous people venerate human remains. When considering care, treatment, storage, display, or research there are typically ideological intensions and ethics, cultural traditions of appropriateness, and legal regulations that must be considered. Conservators need to be responsive to legislative changes and to calls from descendant communities. Conservation has moved away from treatment to a responsive and collaborative role in research, analysis, or repatriation. This paper gives an introduction to propriety and impropriety of conservation related to NAGPRA.

Cet article examine l’éthique et la déontologie de la conservation-restauration de restes humains aux États-Unis. La plupart des peuples indigènes vénèrent les restes humains. La conservation, la restauration, la présentation, le stockage, ainsi que l’analyse des restes humains soulèvent les questions éthiques de la finalité intellectuelle, du respect des traditions culturelles et du dispositif légal en vigueur. Les restaurateurs doivent rester attentifs à l’évolution du droit et aux demandes des populations concernées. Ils limitent désormais leurs interventions pour privilégier la collaboration éclairée dans la recherche, l’analyse ou le rapatriement. Cet article évoque aussi le cadre fixé par le NAGPRA, la loi fédérale sur la protection et le rapatriement des tombes d’Amérindiens.

INDEX

Mots-clés: restes humains, Native American Graves Protection and Repatriation Act (NAGPRA), communautés indigènes, éthique, collaboration Keywords: human remains, Native American Graves Protection and Repatriation Act (NAGPRA), descendant community, ethics, collaboration

AUTHORS

NANCY ODEGAARD Nancy Odegaard, Arizona State Museum, University of Arizona, Tucson, AZ USA (odegaard[at]email.arizona.edu).

VICKI CASSMAN Vicki Cassman, Art Conservation Department, University of Delaware, Newark, DE USA (vcassman[at]udel.edu).

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II. Collecter, valoriser, exposer

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Les restes humains au conservatoire d’anatomie de la faculté de médecine de Montpellier Human remains in the Conservatoire d’Anatomie de la Faculté de Médecine, Montpellier

Caroline Ducourau

1 L’étude de l’homme revêt une grande diversité d’approches, selon que celui-ci est considéré dans son acception d’être vivant, d’être social, ou encore d’être sain, malade ou blessé. Les disciplines scientifiques s’intéressant à l’homme se sont ainsi spécialisées à partir du XIXe siècle et recouvrent plusieurs champs d’étude : la zoologie et l’anatomie comparée, où l’homme est le dernier maillon de la grande chaîne de l’évolution, l’ethnologie ou encore l’anatomie normale et pathologique. Les collections universitaires qui sont liées à ces champs d’étude rassemblent de nombreux restes humains, dont le mode d’acquisition, le statut et le sens sont très variables.

2 L’Université de Montpellier, réunissant entre autres, depuis janvier 2015 les facultés des sciences et de médecine, conserve des collections représentatives de cette diversité 1. Quantitativement néanmoins, l’ensemble constitué pour l’étude de l’anatomie est le plus important et sera abordé ici plus particulièrement.

La création du conservatoire d’anatomie

3 La collection anatomique montpelliéraine est abritée aujourd’hui dans la galerie édifiée à cette fin en 1851 par l’architecte Pierre-Charles Abric (1800-1871) : le conservatoire d’anatomie présente, dans un cadre majestueux rythmé par des colonnades, et sous l’égide de médecins célèbres et d’allégories de diverses Sciences peints par l’artiste montpelliérain Jean-Pierre Montseret (1813-1888), une succession de vitrines déclinant la description du corps humain en détail ainsi que ses pathologies (fig. 1). Les débuts de cette collection sont cependant antérieurs à la présentation au sein de cette vaste

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galerie et datent de l’extrême fin du XVIIIe siècle. Son premier noyau est en effet directement issu des réformes révolutionnaires.

Fig. 1. Conservatoire d’anatomie, vue d’ensemble

© D. Richard/Transit.

4 Les idées liées à un nouveau mode d’enseignement de la médecine, développées dès le XVIIIe siècle dans le contexte des Lumières, aboutirent à sa restructuration profonde pendant les dernières années de la Révolution. Cette rénovation de l’enseignement passa notamment par la constitution de collections anatomiques.

5 La loi du 18 août 1792, qui supprima les corporations et les associations, mit fin à l’organisation d’Ancien Régime : à Montpellier, l’Université de médecine et le collège des chirurgiens de Saint-Côme furent dissous. Néanmoins, la nécessité de former des médecins et chirurgiens, plus précisément des officiers de santé en période de guerre révolutionnaire, aboutit à la création, par un décret de la Convention nationale du 4 décembre 1794, de trois Écoles de Santé à Paris, Strasbourg et Montpellier2. En 1795, Jean-Antoine Chaptal (1756-1832), nommé professeur de chimie appliquée aux arts et à l’industrie à l’École de Santé de Montpellier, fut chargé de sa réorganisation et l’installa dans l’ancien monastère-collège Saint-Benoît3, devenu à partir de la Renaissance palais épiscopal.

6 La réforme institutionnelle de la Convention, qui accomplit la réunion en un même lieu des futurs médecins et chirurgiens, s’accompagna d’une volonté d’améliorer l’enseignement en donnant une plus large place aux études pratiques : le décret prévoyait ainsi la création dans chacune de ces Écoles d’un conservatoire constitué d’un cabinet d’anatomie, d’instruments de chirurgie et d’une collection d’histoire naturelle médicale. Un conservateur, chargé de cette collection, devait par ailleurs effectuer des démonstrations des drogues et des instruments de chirurgie.

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Le corps humain, objet de pratique pédagogique

7 La collection est logiquement centrée autour de l’étude de l’anatomie humaine, normale et pathologique. Ce thème principal est complété par des séries ayant trait à l’anatomie comparée et à la zoologie d’une part, à l’archéologie et à l’anthropologie physique d’autre part. Les pièces conservées sont soit artificielles, en cire, plâtre ou papier mâché, soit naturelles. Les restes humains représentent ainsi presque la moitié de la collection et revêtent différents aspects : préparations anatomiques sèches ou en fluides, ostéologie, coupes histologiques4.

8 La galerie, d’une superficie de 500 m², est constituée de seize armoires murales vitrées conçues dès l’origine, de vingt-deux vitrines-tables et de quelques vitrines complémentaires ajoutées par la suite pour accompagner l’accroissement de la collection. Malgré un désordre apparent dû à l’accumulation de nombreuses pièces dans les vitrines, et à certains déplacements ou ajouts d’objets parfois peu cohérents au sein d’une même vitrine, la collection suit une classification globalement méthodique, liée à son propos pédagogique. Paul Gilis (1857-1929), conservateur entre 1917 et 1927, opéra une réorganisation fondamentale des collections à laquelle correspond pour grande partie l’état actuel de présentation5.

9 Lors de la création du conservatoire à la fin du XVIIIe siècle, la collection était quasiment inexistante et les conservateurs successifs veillèrent à son enrichissement progressif6. Un premier lot d’une trentaine de pièces fut acquis lors de la succession de Philippe- Laurent de Joubert (1729-1792), le 4 fructidor An V (21 août 1797)7. Aux modalités classiques d’acquisition, par achat ou don, s’ajoute ici une spécificité du conservatoire d’anatomie : par essence lié à l’enseignement, le conservatoire reçut des pièces réalisées dans le cadre de cette activité. Ainsi, dès le 4 brumaire An VII (25 octobre 1798), l’École décida que les étudiants souhaitant s’inscrire aux examens terminaux devaient réaliser une pièce d’anatomie ; ces pièces furent alors déposées au conservatoire et consignées dans le premier registre des collections, entre l’An VII et l’An X (1798-1802)8. Néanmoins, si 77 numéros liés à cette décision de l’École apparaissent dans le registre, une dizaine seulement concerne en fait l’anatomie humaine réelle, les autres pièces étant relatives à l’anatomie humaine artificielle, à l’anatomie comparée, à l’instrumentation ou encore aux préparations pharmaceutiques. En outre, dès l’An VII (1798), apparurent les premiers dépôts de pièces anatomiques par les professeurs et, l’année suivante, par le prosecteur Bernard Delmas.

10 C’est en effet le corps enseignant qui, en toute logique, participa majoritairement à l’enrichissement du conservatoire : non seulement les professeurs d’anatomie, mais aussi leur équipe d’encadrement constituée de prosecteurs dès 1794, puis de chefs de travaux anatomiques à partir de 1803. L’enseignement de l’anatomie, en partie privé jusque dans les années 1830, s’institutionnalisa progressivement à partir de la création de l’École pratique d’anatomie et de chirurgie en 1811, destinée à compenser le déséquilibre entre le nombre d’étudiants et le nombre de cadavres que l’École de Santé pouvait se procurer pour les dissections. Deux postes d’aides d’anatomie furent créés pour aider au fonctionnement de cette École9. Les concours de chef de travaux anatomiques, de prosectorat et d’adjuvat engendrèrent une émulation considérable entre les candidats qui devaient produire plusieurs dizaines de pièces d’anatomie (humaine et comparée) afin d’être évalués. Par exemple, lors du concours pour le poste

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de chef des travaux anatomiques de 1851, il n’y eut pas moins de cent trente-neuf pièces d’anatomie humaine préparées par les quatre candidats, outre les cent vingt- deux pièces d’anatomie comparée10. Les candidats étaient jugés bien sûr sur la qualité des dissections, mais aussi progressivement sur celle de la préparation, avec le développement de nouvelles techniques de conservation. Le professeur Joseph Grynfeltt (1840-1913), conservateur et auteur d’une notice assez détaillée sur le conservatoire, se réjouit ainsi : « Signalons seulement l’excellente voie dans laquelle vient d’entrer le jury du dernier concours pour le prosectorat [1878], en demandant aux candidats d’exécuter leurs préparations suivant le procédé de Laskowski, qui permet de conserver aux parties molles leur souplesse et qui, par suite, prévient la détérioration rapide des pièces résultant de leur dessiccation, tout en rendant leur étude plus fructueuse et plus commode11. » Nombre des candidats reçus aux postes de chefs de travaux et de prosecteurs firent par la suite une brillante carrière universitaire12.

11 Ces multiples pièces d’anatomie issues des concours sont ainsi fort représentées au sein des vitrines du conservatoire. Ce dernier a également bénéficié de nombreux dons de chirurgiens, professeurs d’anatomie, de pathologie ou de clinique. Une série de pièces provient ainsi des dons de Jacques-Mathieu Delpech (1777-1832) : elles présentent des difformités osseuses, relatives notamment à la colonne vertébrale, qui ont été au cœur des recherches de ce chirurgien et professeur de clinique externe (fig. 2)13. Ces pièces illustrent l’intérêt croissant pour l’anatomie pathologique à partir des années 182014. Plus tard, ce fut le professeur Jules Mouret (1865-1928) qui donna un ensemble d’os et de préparations anatomiques relatifs au crâne, rehaussés de couleurs pour souligner les différents rapports osseux, vasculaires et nerveux. Cette série correspond à la discipline qu’il enseigna entre 1920 et 1928, l’oto-rhino-laryngologie (fig. 3)15. Il convient de noter également un lot constitué dans le contexte particulier de la Première Guerre mondiale : le professeur Paul Soubeyran qui fut chirurgien sur le front rapporta une série de fragments osseux qui sont un témoignage bouleversant de la gravité des blessures causées par les éclats d’obus (fig. 4)16. Un dernier ensemble important compléta encore le conservatoire au début du XXe siècle : entre 1927 et 1952, le professeur d’anatomie Jean Delmas (1882-1966) géra la collection et l’enrichit de nombreuses pièces, notamment d’une série de coupes pratiquées sur le sujet congelé qui, accompagnées de planches légendées, forment un ensemble pédagogique remarquable à une époque où les techniques d’imagerie médicale n’existaient pas17.

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Fig. 2. Vitrine murale 8, ostéologie pathologique

© Université de Montpellier.

Fig. 3. Vitrine complémentaire 4, collection du professeur Jules Mouret

© Université de Montpellier.

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Fig. 4. Vitrine-table 18, fracture par projectile de guerre, Don M. Soubeyran

© L. Cadot.

Extension du domaine de l’anatomie

12 Certains ensembles de restes humains ne concernent pas directement l’anatomie, mais ont néanmoins été donnés au conservatoire, considéré en quelque sorte comme un musée traitant des sciences de l’homme dans leur globalité.

13 Un grand nombre de pièces a ainsi pour origine l’action décisive de Joseph-Marie Dubrueil (1790-1852), professeur d’anatomie de 1824 à sa mort. Non seulement il fournit à plusieurs reprises pendant sa période d’exercice des pièces, mais, à son décès, le conservatoire bénéficia en outre du don de sa collection par sa famille. Elle a non seulement trait à l’anatomie pathologique et comparée, mais comprend de surcroît une série considérable de crânes et têtes de peuples du monde entier (fig. 5) ; ce dernier ensemble est bien sûr à replacer dans le contexte de l’anthropologie physique telle qu’elle se concevait au XIXe siècle18. Il est par ailleurs complété par quelques éléments rapportés de voyages extra-européens, par le botaniste Alire Raffeneau-Delile (1778-1850), qui participa avec Bonaparte à la campagne d’Égypte19, ou plus tard par le professeur Charles Martins (1806-1889), naturaliste et directeur du Jardin des Plantes, qui donna beaucoup au conservatoire20.

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Fig. 5. Vitrine murale 11, anthropologie physique

© Université de Montpellier.

14 Parmi les pièces ne relevant pas de l’anatomie, il faut encore noter plusieurs pièces ou lots relatifs à l’archéologie. Le conservatoire abrite ainsi une dizaine de momies entières, dont deux , qui font partie des premières acquisitions21, et huit issues des fouilles de la nécropole égyptienne d’Antinoé, reçues par trois envois successifs de l’État entre 1901 et 190722. Les dons et dépôts de matériel archéologique antinoïte aux musées d’universités furent destinés aux facultés de lettres et de médecine dans un but pédagogique. Les momies du conservatoire d’anatomie pouvaient certes être considérées comme des objets de curiosité, dans la lignée des Wunderkammer, mais aussi des moyens d’observation du corps humain et d’archéologie de la médecine, comme l’illustre l’une des momies de l’envoi de 1907 qui présente un dispositif orthopédique23. Un autre ensemble, plus local, provient de fouilles archéologiques réalisées au début du XXe siècle dans deux grottes de la Lozère et du Gard par les docteurs André et Marc Romieu24. Le don au conservatoire s’explique ici logiquement par la formation médicale de ces deux archéologues ; il confirme en outre la nature plurielle de la collection qui, quoique majoritairement consacrée à la pure anatomie, s’ouvre vers d’autres champs d’étude de l’homme.

15 La collection du conservatoire d’anatomie de la faculté de médecine de Montpellier est un témoignage remarquable de l’histoire et des pratiques de l’enseignement de l’anatomie au XIXe et au début du XXe siècle, avant le développement des technologies nouvelles d’investigation du corps humain et l’avènement de l’anatomie du vivant. Il convient donc de souligner la destination intrinsèquement pédagogique de cet ensemble, et le lien fort qu’il entretient avec la recherche et l’enseignement de son époque. La constitution et l’enrichissement de cette collection, de manière collective, par les étudiants et les enseignants, et pour les étudiants, ont par ailleurs probablement contribué à renforcer l’identité de la communauté des médecins montpelliérains. De nos jours, cet ensemble a certes perdu sa valeur d’usage première, mais conserve une valeur patrimoniale exceptionnelle : les étudiants en médecine auxquels il était destiné

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n’y passent plus qu’occasionnellement ; en revanche, le conservatoire d’anatomie attire désormais un public plus large d’adultes, d’étudiants en sciences humaines ou en arts plastiques, ou encore de lycéens, tous intéressés par la dimension extrêmement originale de cette collection, qui est ainsi vue chaque année par plusieurs milliers de personnes lors des Journées européennes du Patrimoine.

16 Les anciens musées Delmas-Orfila-Rouvière, provenant de l’Université Paris V- Descartes et composés notamment de près de trois mille éléments humains, sont venus récemment encore accroître cette collection25. L’Université de Montpellier est désormais dotée d’un ensemble anatomique de premier plan, classé au titre des Monuments historiques, qui fait l’objet d’une réflexion associant l’Université et la DRAC Occitanie, afin d’en améliorer la conservation et la présentation au public. Dans l’attente du déploiement prochain de ces deux ensembles au sein du Bâtiment historique de la faculté de médecine, qui nécessitera en amont un chantier des collections et l’élaboration d’un projet muséographique, l’accent est actuellement mis, autant que possible, sur la médiation, assurée pour l’heure par les guides de l’Office du Tourisme de Montpellier, formés à cet effet, et par l’équipe de l’Université.

BIBLIOGRAPHIE

Bonnel F., Claustre J.-E., Bonnel C., 2010, « L’enseignement de l’anatomie à Montpellier », Nunc Monspeliensis Hippocrates, n° 10, p. 6-20.

Delmas A. (dir.), 1995, « Musées d’anatomie Delmas-Orfila-Rouvière », Surgical and Radiologic Anatomy – Journal of Clinical Anatomy (n° spécial), Springer, 154 p.

Dulieu L., 1986-1990, La médecine à Montpellier, tome IV, Avignon : Presses universelles, 2 vol.

Grynfeltt E., 1879, Notice sur le conservatoire de la faculté de médecine de Montpellier, Montpellier, 24 p.

Laux G., 1958, « Le musée anatomique de la Faculté de médecine de Montpellier et son histoire », Montpellier médical, 3e série, t. XIV, n° 1, p. 126-130.

Lemire M., 1990, Artistes et mortels, Chabaud, 446 p.

Palouzié H., 2010, Felice Fontana, l’aventure des cires anatomiques de Florence à Montpellier, DRAC-LR, collection « Duo », 50 p.

Palouzié H., Girard C., 2015, « La réunion des collections des universités de Montpellier et Paris », Chantiers, no 9, p. 18-21.

Exp. Montpellier, 2014 : Médecine au champ d’honneur. Des hommes et des avancées médicales, [Faculté de médecine, Université Montpellier 1, 2014], 60 p.

Documents inédits

Jean S., 2015, Le don de Toi Moko à l’Université de Montpellier, dossier de recherche (non publié), 9 p.

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Larquier (de) N., 2009, Momies et tissus coptes de Montpellier : un siècle de mésaventures, Mémoire École du Louvre (non publié), 2 vol.

NOTES

1. L’Université de Montpellier est issue de la fusion en janvier 2015 des anciennes Universités Montpellier 1 et Montpellier 2. Cette fusion a engendré une réorganisation administrative, et plus particulièrement la création d’une Direction de la culture scientifique et du patrimoine historique, en charge notamment des collections universitaires. 2. Lemire, 1990, p. 214-215 : le décret, porté par le chimiste et médecin Antoine-François de Fourcroy (1755-1809), et inspiré par les idées de Félix Vicq d’Azyr (1748-1794), prôna le développement de l’enseignement pratique en réaction à la routine de celui de l’Ancien Régime, qui ne comprenait pas les sciences physiques et exactes, ni l’expérience au lit des malades. Il prévoyait huit professeurs à Montpellier ; les professeurs étaient nommés par le Comité d’Instruction publique et devaient avoir une activité de recherche. Chaque École comportait en outre un directeur, un bibliothécaire et un conservateur des collections, également chargés de cours. 3. Ministre de l’Intérieur sous le Consulat, Chaptal veilla encore au développement de l’École de Montpellier en la dotant d’un amphithéâtre d’anatomie, réalisé par l’architecte Claude-Mathieu Delagardette (1762-1805), et en favorisant l’acquisition d’un ensemble de cires anatomiques dues à Felice Fontana. Cf. Palouzié, 2010. 4. Les 2440 restes humains estimés, soit 43 % de l’ensemble de la collection, sont composés pour l’essentiel de préparations anatomiques sèches (72 %, dont 1 % de momies). Les autres types se répartissent comme suit : ostéologie (18 %, dont 5 % liés à la collection anthropologique de crânes), pièces en fluides (10 %, dont 3 % liés à la collection de tératologie). Les coupes histologiques sont peu nombreuses au conservatoire. 5. La fonction de conservateur s’éteignit après le départ de Paul Gilis et le conservatoire d’anatomie fut rattaché au laboratoire d’anatomie. 6. Les pièces et objets du conservatoire d’anatomie sont inscrits dans neuf registres, allant de l’An VI à 1926, qui ont été complétés par les conservateurs successifs et sont actuellement conservés dans le fonds des archives anciennes à la Bibliothèque universitaire de la Faculté de médecine. Ces registres ne suivent pas à proprement parler une numérotation « réglementaire » : la numérotation reprend en effet entre chaque catégorie, ou à chaque nouveau registre, ce qui correspondrait à un état des lieux de la collection récolée à un moment donné, ou encore entre chaque vitrine, selon les périodes et le choix du conservateur. Malgré les difficultés engendrées par cette numérotation multiple, les registres sont une source précieuse pour documenter la collection, en raison de certaines descriptions de pièces mentionnant leur origine, ou la date de leur dépôt. 7. Registre du conservatoire n° 1, p. 5. Seigneur du Bosc, baron de Sommières et de Montredon, Philippe-Laurent Joubert fut président à la cour des comptes, aides et finances de Montpellier et trésorier des États du Languedoc. Naturaliste, il constitua un riche cabinet d’histoire naturelle, et fut également co-fondateur de la Société des beaux-arts de Montpellier en 1779. 8. Registre n° 1, p. 7-16. 9. Bonnel, 2010, p. 14 ; Dulieu, t. 4-1, p. 310-315 : le règlement de cette École instituait que dix étudiants en anatomie et dix étudiants en chirurgie pouvaient s’initier aux dissections, ainsi qu’à des rudiments de chirurgie. Leur présence était requise quatre heures par jour entre novembre et avril ; ils étaient recrutés par concours et leur stage durait deux ans. 10. Registre 3, passim. 11. Grynfeltt, 1879, p. 23.

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12. Dulieu L., ibid. : le nombre croissant d’élèves de l’École pratique, ce qui confirme son succès, ainsi que l’inadaptation des locaux destinés à l’enseignement pratique – l’ancienne sacristie de la cathédrale adjacente et la dernière aile du cloître – eurent pour conséquence la construction en 1868 d’un pavillon d’anatomie. Ce dernier fut détruit et remplacé par un édifice nouveau sous le décanat de Gaston Giraud (1941-1960). 13. Delpech publia ainsi en 1828 un ouvrage lié à ses recherches intitulé De l’Orthomorphie, par rapport à l’espèce humaine : ou recherches anatomico-pathologiques sur les causes, les moyens de prévenir, ceux de guérir les principales difformités et sur les véritables fondemens de l’art appelé orthopédique. 14. Grynfeltt, 1879, p. 10. 15. L’otologie, la rhinologie et la laryngologie ne furent réunies qu’à l’extrême fin du XIXe siècle et au début du XXe. L’anatomiste Jules Mouret en fut le fondateur à Montpellier. Cf. Mouret J., « De l’utilité d’un enseignement d’oto-rhino-laryngologie », Montpellier médical, t. XXIV, 1907. 16. Registre n° 5 ter, p. 17-19 : 29/12/1921, pièces de blessures de guerre recueillies aux armées, 1914-1918, Ambulance 6/13, Autochir n° 37. Don M. Soubeyran. Cf. Exp., Médecine au champ d’honneur, 2014. 17. Laux, 1958, p. 129 ; Delmas, 1938, p. 26 : Paul Delmas indique que les collections ont été réorganisées par le professeur Jean Delmas. Il s’agit sans doute de l’aménagement des vitrines où sont présentées ces coupes. 18. Registre n° 3, p. 84 : n° 187-267 : don du 3 septembre 1854, par la famille de feu le professeur Dubrueil ; n° 187-190 : quatre têtes préparées par voie de dessiccation ; n° 191 : une tête [crâne] trouvée dans les ruines d’Athènes ; n° 192-193 : deux têtes [crânes] d’hydrocéphales ; n° 194-256 : 63 têtes [crânes] ; n° 257-266 : 9 têtes [crânes] d’anatomie pathologique ; n° 267 : ensemble d’ostéologie pathologique. Cf. Jean, 2015, 9 p. Il faut noter qu’une tête Maori tatouée, dont un moulage en plâtre polychrome est également conservé, a été restituée en 2012. 19. Registre n° 3, n° 352 et 353 : têtes de momies (homme et femme) provenant des collections de M. le professeur Delille, données par M. [Jean-Joseph Bonaventure] Laurens, agent comptable de la faculté. Registre n° 4, p. 12 : armoire 2 (armoire 11 en 1917), n° 61 et 62 : « têtes de momies d’Égypte/prises par le professeur Delisle dans les pyramides d’Égypte ». 20. Registre n° 4, p. 16 : n° 216, tête provenant des environs d’Adelaïde, don Pr. Martins, 1870. 21. Registre n° 2, p. 2 : n° 35 et 36, momies de Guanche, 15 prairial an XIV (4 juin 1806), apportées des Canaries et données par M. le professeur Auguste Broussonet. 22. Larquier (de), 2009, p. 29-32 ; il ne s’agit pas en réalité de momies embaumées, mais de corps naturellement desséchés dans le sable d’Antinoé, en raison du climat désertique (ibid., p. 5). 23. Larquier (de), 2009, p. 25. 24. Vitrine 15, les cartels anciens précisent : « Ossements humains provenant de la grotte sépulcrale de la Petite Suisse près Meyruès [sic] (Lozère) ; âge du bronze (-1000 av. J.-C.) » et « Ossements provenant de la grotte sépulcrale de Bramabiau, commune de St Sauveur des Pourcils (Gard) ; plusieurs crânes correspondant à ces squelettes sont déposés au Musée de Nîmes ; âge de la Pierre polie (-2000 av. J.-C.) ; race des Baumes-Chaudes (Cro-Magnon métissé) ». 25. Palouzié, Girard, 2015 ; Delmas, 1995.

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RÉSUMÉS

La faculté de médecine de l’Université de Montpellier abrite une collection anatomique d’importance, présentée dans une galerie majestueuse construite à cet effet à la moitié du XIXe siècle. L’origine de cette collection date des dernières années de la Révolution française, qui fut une période de profonde réforme de l’enseignement de la médecine et de la chirurgie, avec la création en 1794 de trois Écoles de Santé en France (Paris, Strasbourg et Montpellier), accompagnées chacune d’un conservatoire comprenant un cabinet d’anatomie destiné à l’enseignement pratique. La collection, qui est constituée quasiment pour une moitié de restes humains relatifs à l’anatomie humaine normale et pathologique, s’enrichit au cours des XIXe et XXe siècles par l’activité même de l’École pratique d’anatomie et de chirurgie, et grâce aux nombreux dons de professeurs ou de chirurgiens. Elle est ainsi un témoignage remarquable des méthodes d’enseignement de l’anatomie avant l’avènement moderne de « l’anatomie du vivant ».

The University of Montpellier’s Faculty of Medicine houses an impressive anatomy collection, displayed in a magnificent gallery specially built in the mid-19th century. The origin of this collection dates back to the last years of the French Revolution, a period of extensive reform in the teaching of medicine and surgery, with the founding of three Schools of Health (in Paris, Strasbourg and Montpellier), in 1794, each comprising an academy that included an anatomy collection intended for practical teaching purposes. Almost half of the collection is composed of body parts showing normal and pathological human anatomy. In the course of the 19th and 20th centuries, the collection continued to expand thanks to the Faculty of Medicine’s activities in practical anatomy and surgery, and numerous donations made by professors and surgeons. It thus offers remarkable insight into the teaching of anatomy before the advent of “living anatomy”.

INDEX

Mots-clés : médecine, Montpellier, enseignement, anatomie Keywords : medicine, Montpellier, teaching, anatomy

AUTEUR

CAROLINE DUCOURAU Conservatrice du patrimoine, directrice de la culture scientifique et du patrimoine historique, Université de Montpellier (caroline.ducourau[at]umontpellier.fr).

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Musée de l’Arles antique : promouvoir une réflexion globale sur les collections ostéo- archéologiques Musée Départemental Arles Antique: promoting global reflection on osteoarchaeological collections

Nicolas de Larquier

1 Le musée départemental Arles antique est à la fois musée, gestionnaire de dépôt archéologique et responsable de fouilles. Cet état de fait a créé une certaine perméabilité entre les visions muséales et archéologiques, laquelle se répercute dans la gestion des collections. Pour les restes humains, cette double approche pourrait s’équilibrer afin de prendre en compte les dimensions scientifiques et mémorielles des collections ostéologiques.

La résorption du passif

2 Depuis le récolement, terminé en 2014, le MDAA a pris conscience du passif accumulé durant le XXe siècle pour la conservation et la documentation du mobilier archéologique. Les archives anciennes ont permis à la conservation de réduire ce passif, de conditionner le matériel et d’en produire l’inventaire. Dans ces circonstances, les restes humains demeurent à part, car si certains ensembles sont tracés, d’autres lots ont perdu toute information de contexte.

3 En effet, en comparaison des artéfacts, le potentiel informatif des ossements n’a pas toujours été considéré à sa juste valeur par l’archéologie et les restes humains ont longtemps été mis de côté. De nos jours, les anthropologues déplorent les biais que ce manque de suivi a entraînés1. Le travail rétrospectif de documentation ne peut que partiellement pallier cette perte de données. La confrontation avec ce passif invite donc

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les gestionnaires de collections à mettre en place des protocoles pour éviter que cette situation ne se reproduise.

Entre archéologie et musée

4 Ces dernières années, l’intérêt de l’administration et du corps législatif pour les restes humains s’est concentré sur les demandes de restitution. Les ossements relevant de l’archéologie nationale en France font l’objet de discussions moins passionnées, car cette question se pose rarement pour eux. C’est ainsi que les débats éthiques peuvent se concentrer sur des dimensions de conservation, d’étude et de présentation.

5 Le MDAA gère en interne toute la chaîne opératoire qui va de la découverte à la présentation du mobilier, dans une logique d’établissement. Pour les restes humains, il fait la synthèse entre l’approche anthropo-archéologique, la déontologie de la restauration et les problématiques de conservation et d’exposition. Il est donc un lieu privilégié pour mener une réflexion globale sur les collections ostéo-archéologiques. Il manque cependant encore aujourd’hui des protocoles stricts fixés par la Loi.

La prise en charge des restes humains archéologiques

6 À la suite d’une table ronde organisée à Carry-le-Rouet en 2003, une ligne de conduite en matière de gestion des collections ostéologiques a été esquissée2. Elle est aujourd’hui appliquée par le service régional de l’archéologie (SRA). Il a été décidé de créer une ostéothèque accueillant les restes humains découverts en région PACA. Elle est divisée en deux lieux : la faculté de médecine Nord (UMR 7268), où sont conservées les collections en cours d’étude, et le dépôt des Milles où sont conservées les collections ne faisant pas l’objet de recherches. En 2014, sur le site arlésien de la Verrerie, deux sépultures ont été fouillées par un anthropologue3 et suivant la méthodologie établie à Carry-le-Rouet, le parti a été pris de stocker les ossements à l’ostéothèque régionale et non au MDAA.

7 Une telle procédure n’a pas été retenue pour la fouille du sarcophage de Pompeia Iudea4 mis au jour à Trinquetaille le 20 mai 2009, dans le cadre de travaux de voirie, et dont la fouille a été confiée au MDAA. Il s’agit d’un sarcophage à double compartiment, dégradé lors des travaux sur le flanc ouest de la cuve5. L’objet a rapidement été acheminé au MDAA et a été fouillé par un anthropologue. Deux types de restes humains y ont été découverts : des éléments osseux épars, dispersés dans un comblement de limon argileux puis, en fond de cuve, les deux inhumations primaires. Les premiers ont été prélevés, étudiés en laboratoire et conduits à l’ostéothèque régionale. En revanche, la partie non perturbée des inhumations primaires est restée en place, en ordre anatomique, et suffisamment dégagée pour que l’étude anthropologique puisse être pratiquée (fig. 1).

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Fig. 1. Sarcophage de Pompeia Iudea et Cossutius Eutycles

Squelette de l’alvéole B (Pompeia Iudea) ACU.2009.01.1 © MDAA/B. Bizot.

8 Deux valeurs principales peuvent être mises en avant dans l’étude et la gestion des restes humains : la valeur scientifique, la dépouille étant une archive biologique et anthropologique, mais également la valeur d’humanité, la dépouille portant le souvenir d’un individu. Or, dans ce cas précis, la valeur d’humanité a été privilégiée et il a été décidé de ne pas collecter les restes des inhumations primaires par respect pour ces dépouilles dont les noms sont inscrits sur le sarcophage6.

9 Si cette décision est respectable et argumentée, elle soulève un problème difficile à résoudre : la question de la séparation des éléments d’une même dépouille. Parmi les ossements des deux inhumations primaires, il faut distinguer deux groupes, ceux retrouvés en connexion anatomique et ceux dispersés par les engins de chantier. Les premiers ont été laissés sur place dans le sarcophage et les seconds, envoyés à l’ostéothèque. Les ossements de mêmes squelettes ont donc été dispersés quand il aurait été possible, conformément à la méthodologie établie à Carry-le-Rouet7, de les prélever et de les étudier d’un bloc, quitte à devoir les remonter à l’intérieur du sarcophage dans un deuxième temps. Sans doute ce choix a-t-il été facilité par le fait que la fouille se déroule directement au musée, car une fouille sur chantier aurait vraisemblablement conduit au prélèvement total des restes ostéologiques8. Il aurait alors été possible de mener une étude biologique complète des squelettes. La valeur d’humanité a ici pris le pas sur la valeur scientifique alors que l’étude ne mettait pas en péril la conservation des ossements.

10 Une meilleure exploitation de la dimension pluridisciplinaire du MDAA aurait vraisemblablement été avantageuse pour le devenir de la sépulture. Ayant été fragmenté lors de la trouvaille, il était nécessaire de restaurer le sarcophage. L’intervention a dû être pratiquée au contact des restes humains toujours en place. Cette entreprise a été menée avec professionnalisme et les dépouilles, qui avaient été consolidées, n’ont pas souffert, mais cela comportait un risque. Il aurait également fallu considérer les capacités de stockage du musée qui n’étaient pas suffisantes pour accueillir le sarcophage. L’ensemble a été bâché et protégé, mais il reste conservé dans une cour semi-abritée et fait l’objet d’une veille permanente.

11 N’aurait-il pas été plus adéquat, pour la conservation de ces restes humains, de les prélever, de profiter de l’étude en laboratoire pour restaurer le sarcophage et d’attendre que de meilleures conditions de conservation soient mises en place pour réunir les squelettes et le sarcophage ? Cette situation sera fort heureusement bientôt

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résolue avec la construction de nouveaux espaces de réserve. Paradoxalement, c’est la considération de la valeur d’humanité des dépouilles qui leur a fait courir un risque quand il aurait été possible de la concilier avec la valeur scientifique. Ce risque a tout de même pu être réduit au maximum grâce au suivi de conservation.

Exposer les restes humains

12 Au MDAA, le postulat de départ est de ne pas présenter de restes humains. Sont ainsi dérobées au regard des publics les dépouilles conservées dans le Sarcophage de la chasse9 (fig. 2). Le couvercle est fermé et les squelettes restent invisibles pour les visiteurs. Il est vrai qu’à la différence du sarcophage de Pompeia Iudea, les ossements présents sont restés en l’état, toujours contenus dans leur gangue de sédiments depuis 1974 et donc non présentables. Le respect de la valeur d’humanité amène ainsi parfois les restes humains à être mis de côté, sans qu’en soit effectuée l’étude scientifique qui justifie, pour partie, leur exhumation et leur conservation10.

Fig. 2. Squelettes du Sarcophage de la chasse

PAP.1974.3. © MDAA/A. Genot.

13 Malgré tout, il demeure peut-être prudent de ne pas exposer les restes humains, en attendant qu’un cadre clair soit proposé par l’État. Mais dès lors que l’on adopte cette approche, il convient de la suivre jusqu’au bout. Or, au MDAA, une vitrine est consacrée au thème de la santé. Elle montre plusieurs types de restes humains : un tibia, une vertèbre ou encore l’extrémité d’un pied droit qui illustrent des pathologies anciennes. On y trouve également la sépulture en tuile d’un enfant nouveau-né (fig. 3). En réalité, la muséographie a été pensée il y a plus de vingt ans, à une époque où la déontologie de présentation des restes humains faisait l’objet de débats moins vifs. Dans le cadre d’une reprise muséographique, les responsables scientifiques ont à cœur de prendre en compte les réflexions actuelles sur la présentation des restes humains pour aboutir à un parti pris définitif et non équivoque. En effet, nombre de questions se posent au MDAA : l’exposition des restes humains est-elle moins problématique lorsqu’il s’agit de membres isolés ? Qu’en est-il de la présentation d’un squelette d’enfant par rapport à celui d’un adulte ?

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Fig. 3. Sépulture en tuile d’un nouveau-né

X-26467. © MDAA/N. Camau et A. Koecke.

14 En conclusion, les musées, quels qu’ils soient, devraient aujourd’hui définir leur politique de conservation et de présentation des restes humains au sein de leur projet scientifique et culturel. Cette démarche semble d’autant plus importante pour un musée gestionnaire de dépôt archéologique dans la mesure où on attend de lui qu’il propose un parti cohérent pour l’ensemble de ses activités. Ce n’est qu’au prix d’une telle réflexion que les restes humains pourront être traités avec le respect qui leur est dû, via une approche raisonnée prenant en considération tout autant leur valeur scientifique que leur valeur d’humanité.

BIBLIOGRAPHIE

Ardagna Y., Bizot B., Boëtsch G., Delestre X. (éd.), 2006, Les collections ostéologiques humaines : gestion, valorisation et perspectives. Actes de la table ronde (Carry-le-Rouet, 25-26 avril 2003), Supplément au Bulletin Archéologique de Provence, 4, Association Provence Archéologie, Aix-en-Provence.

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Documents inédits

Bizot B., « Verrerie 2014 – étude anthropologique » dans Rothé M.-P., Genot A., Boislève J., 2014, Verrerie de Trinquetaille, Fouille programmée pluriannuelle 2014-2016, Rapport intermédiaire d’opération – Année 2014, Conseil général des Bouches-du-Rhône, Arles, Annexe 12.

Granier G., 2011, Approche archéo-anthropologique des ensembles funéraires de l’Antiquité tardive. L’exemple des sites urbains de Vienne et Arles (IIIe-VIe siècles), Université de la Méditerranée, Marseille.

NOTES

1. « (…) au fil du temps, des déplacements de collections et de leur inventaire parfois succinct, des sépultures ou des individus ne sont plus présents et restent ainsi hors du champ de notre étude. Dans quelle proportion ces disparitions affectent-elles les résultats de l’étude biologique ? Peuvent-ils demeurer représentatifs ? » Granier, 2011, p. 34. 2. Ardagna, Y., Bizot, B., Boëtsch, G., Delestre, X. (éd.), 2006, p. 193-198. 3. Bizot, B., « Verrerie 2014 - étude anthropologique » dans Rothé, M.-P., Genot, A., Boislève, J., 2014, annexe 12. 4. ACU.2009.01.1 5. Une grande partie du matériel humain dispersé dans cet accident a cependant pu être prélevée. 6. C’est en grande partie cette inscription unique, mentionnant une personne juive, qui a justifié la conservation de la sépulture. 7. On prône en général un parcours différencié du reste du mobilier de fouille pour les ossements afin d’en faciliter l’étude et la conservation tout en insistant sur l’importance de conserver le lien entre le matériel anthropologique et les données de fouilles. Ardagna, Y., Bizot, B., Boëtsch, G., Delestre, X. (éd.), 2006, p. 195-196. 8. Une fouille préventive, prescrite récemment par le SRA-PACA en bordure du site des Alyscamps, a donné lieu à la découverte de plusieurs sépultures dont une dans un petit sarcophage en calcaire. Le sarcophage a été convoyé au MDAA pour conservation en réserve alors que les ossements ont été prélevés. 9. PAP.1974.3. 10. Il faut noter que c’est souvent davantage la valeur muséale des sépultures que celle des ossements qui motive la collecte.

RÉSUMÉS

Le musée départemental Arles antique (MDAA) est reconnu pour la qualité de sa prise en charge du mobilier dès sa sortie de fouille afin de permettre sa bonne conservation et faciliter son étude. Si les procédures de traitement des artefacts sont arrêtées, dans le respect des normes, le traitement des restes humains repose, lui, sur un examen au cas par cas, avec le souci de répondre au mieux aux problématiques soulevées par chaque ensemble ostéologique. Cet article est l’occasion d’exercer un retour critique sur les choix du musée pour améliorer encore sa gestion des ossements humains dans un contexte où l’État n’a pas défini de procédure stricte.

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The Musée Départemental Arles Antique (MDAA) is recognized for its excellent handling of tomb furniture after its excavation, taking measures that ensure its scrupulous conservation and facilitate study. While procedures for the treatment of artefacts respect established norms, the treatment of human remains depends on case-by-case examination, in order to respond in the best way possible to the problems raised by each set of bones. This paper provides an occasion to take a critical look at the choices made by the museum to further improve its management of human bones in a context in which the State has not laid down a strict procedure.

INDEX

Mots-clés : ostéo-archéologie, squelette, ossements, valeur d’humanité, valeur scientifique, musée, gestion, conservation, documentation, présentation Keywords : osteoarchaeology, skeleton, bones, value of humanity, scientific value, museum, management, conservation, documentation, presentation

AUTEUR

NICOLAS DE LARQUIER conservateur du patrimoine, musée départemental Arles antique (nicolas.delarquier[at]cg13.fr).

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Gestion et étude des restes humains en fluides Les collections du Muséum national d’histoire naturelle de Paris : histoire, enjeux et valorisations Management and study of human remains in fluids. The collections of the Muséum National d’Histoire Naturelle, Paris: history, challenges and developments

Marc Herbin et Jacques Cuisin

« L’anatomie comparée est le lieu pour l’étude et la comparaison de l’homme, des autres animaux fossiles et actuels », Henri Ducrotay de Blainville, directeur de la chaire d’Anatomie comparée (1832-1850).

Introduction

1 Les collections de restes humains en fluides du Muséum national d’histoire naturelle sont issues des premières collections des différents cabinets du XVIIIe siècle (Cabinet dit « du Roi », saisies révolutionnaires, jusqu’en 1793, émergence du Muséum d’histoire naturelle…). Ces restes humains en fluides, regroupés initialement dans la chaire d’Anatomie des animaux seront, au cours du XIXe siècle, répartis dans les chaires d’Anatomie comparée (initialement « Anatomie des animaux ») et d’Anatomie humaine (future chaire d’Anthropologie). Les premières collections étaient conservées dans diverses solutions à base d’alcools forts1, puis, avec la découverte des propriétés du formaldéhyde dès 1859, le formol (solution aqueuse de cet aldéhyde) remplace les liquides auparavant employés2, alors que l’on continue à utiliser l’alcool à 70 % en Anthropologie.

2 Le fait de choisir tel ou tel type de liquide conservateur relève aujourd’hui essentiellement des modes de valorisation des collections. Si, dans l’une, on utilise uniquement la collection à des fins de présentation au public ou d’enseignement, dans

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l’autre en revanche, l’utilisation du formol permet de garantir les propriétés physiologiques des tissus lors des investigations propres aux études d’anatomie comparative. Ce type de fluide conservateur permet aujourd’hui encore d’apporter à la communauté scientifique un corpus de données adapté aux investigations macro- et microscopiques par le biais de techniques diverses3. Cette capacité confère toute leur spécificité aux collections d’anatomie comparée en fluides en ce sens que les spécimens sont, au moins partiellement, fongibles puisqu’ils peuvent toujours faire l’objet de prélèvements destructeurs et/ou être disséqués. Sur un plan matériel, en effet, ces collections s’inscrivent parfaitement dans un schéma technique mis en œuvre pour d’autres mammifères, par exemple.

3 À cela s’ajoute une composante déontologique forte, puisque le corps humain, sous quelque forme que ce soit, ne saurait être traité à l’instar d’autres organismes du règne .

4 Toutes ces particularités font que les collections de restes humains en fluides doivent être gérées différemment des autres collections classiques, au moins pour ce qui relève de leur valorisation, mais aussi pour ce qui relève de leur préservation, même en contexte muséal.

Origines

5 La technique de la collection en fluides a initialement été mise au point par et pour les anatomistes, car dès le XVIIIe siècle, voire auparavant, médecins, apothicaires et chirurgiens ont eu besoin de conserver des corps à des fins d’exemple et d’enseignement, et ont essayé de nombreux procédés dans le but de pouvoir préserver le plus longtemps possible les corps ou les parties anatomiques jugées dignes d’intérêt dans une démarche de connaissance. En effet, pour conserver un corps, il faut ralentir ou, mieux, stopper la décomposition des tissus, tout en évitant les contaminations bactériennes. Ambroise Paré (vers 1510-1590) vante le premier les propriétés « conservatrices » de l’alcool (esprit de vin), mais celles-ci ne sont pas assez efficaces pour préserver les tissus de manière durable et intègre. Frederick Ruysch (1679-1717) franchit une étape décisive en mélangeant de nombreux constituants, solides et liquides, connus pour leurs pouvoirs intrinsèques conservateurs et/ou aseptiques. Ce n’est cependant que la découverte du formaldéhyde et de ses propriétés fixatrices et conservatrices, entre 1863 et 1910, qui va permettre de vraiment stopper l’autolyse des tissus et de constituer une barrière efficace aux divers agents contaminants et dégradants. Ainsi si, aujourd’hui encore, seules les solutions à base d’aldéhydes sont adaptées à la fixation pérenne des tissus organiques, il existe en revanche trois familles de solutions conservatrices : les alcooliques, celles à base d’aldéhydes, et les solutions mixtes.

6 Au Muséum national, depuis Daubenton (Cabinet du Roi), les restes humains en fluides sont en grande partie intégrés à la collection d’Anatomie comparée, et cela dans la droite ligne des anatomistes médecins et chirurgiens des XVIIe-XVIIIe siècles. En revanche, la plupart des restes humains secs (squelettes ou autres) relèvent des collections d’Anthropologie, chaire existante dès l’origine du Muséum (nommée chaire d’Anatomie humaine en 1793 et rebaptisée Anthropologie en 1855). L’ensemble des collections d’Anatomie comparée regroupe tous les taxons de vertébrés, l’Homme étant, très spécialement depuis Buffon, étroitement associé aux Primates. Ces restes

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humains en fluides sont pour la plupart conservés dans une solution de formol à 10 %. Cependant, quelques spécimens sont conservés dans d’autres solutions, telles le liquide de Bouin. D’autres restes plus anciens sont encore dans leur solution conservatrice initiale (alcool, et autres solutions complexes en cours d’identification). Le Muséum national ayant longtemps donné le ton en matière de technique, on retrouve peu ou prou les mêmes solutions dans d’autres collections françaises comparables. Dans une grande partie de l’Europe jusqu’à la moitié du XXe siècle environ, le formol a eu la préférence des anatomistes et des médecins en tant que liquide à la fois fixatif et préservatif. Aujourd’hui, pour des questions d’Hygiène et Sécurité, couplées à des normes de composition de l’air ambiant de plus en plus drastiques, les collections présentées au public tendent à être préservées en solution dite de Kaïserling (et plus précisément, celle sans formol, dite « Kaïserling III modifiée »), ce qui suppose tout de même une fixation préalable irréprochable.

Modalités

7 Outre la qualité du fluide préservatif, les contenants ont également une grande importance, car ils garantissent la pérennité de l’ensemble spécimen-fluide. Ils sont de natures et de formes très variables selon les époques, les types de collections et les types de musées. Entre les XVIIe et XVIIIe siècles, on ne différencie pas les contenants destinés aux restes humains de ceux destinés aux autres collections de naturalia, car toutes les présentations visent à émerveiller les publics, dans une mise en scène digne des cabinets de curiosités de la Renaissance, même si la scénographie des spécimens et pièces d’anatomie comparée ne connaît un essor réel et une dimension particulière qu’au XIXe siècle4. À la fin de ce siècle, les collections médicales ou anatomiques adaptent les contenants aux pièces présentées, afin qu’elles soient le plus didactiques possible (fig. 1). Il s’agit de faire passer un discours scientifique ou médical (fig. 2) ; les pièces le plus souvent disséquées, parfois injectées et annotées, doivent être lisibles, elles peuvent ainsi reposer sur une plaque de verre opaque, clair ou teinté (fig. 3). Dans la seconde moitié du XXe siècle, les collections réservées à la recherche sont conditionnées dans des contenants facilement manipulables, à la différence des préparations plus spécialement muséographiques. Ainsi, les dimensions du spécimen anatomique constituent-elles le seul et unique critère décisionnel quant au choix du contenant. Les encéphales de la collection du Dr. L. Palès (1905-1988), par exemple, sont conservés dans des cristallisoirs de dimensions identiques à ceux utilisés pour les encéphales de mammifères marins ou pour des spécimens entiers de taille comparable : le critère est donc bien dimensionnel.

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Fig. 1. Série de flûtes présentant divers stades de développement de l’Homme

Le beau est ici associé au savant. Inv. A-8847 ; A-8848 ; A-8728 ; A-5072/1871-473. © MNHN/A. Verguin.

Fig. 2. Portion d’encéphale sur plaque bleue, disséqué par Foville, avec ses étiquettes anatomiques collées directement sur l’organe, qui confirment l’intérêt de ces restes humains pour la recherche, y compris contemporaine

Une série d’encéphale d’autres vertébrés préparés de la même façon était aussi présentée à des fins comparatives. Inv. A-5072. © MNHN/A. Verguin.

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Fig. 3. Rate humaine injectée sur plaque blanche opaque

Cette pièce réalisée en novembre 1912 par Neuville était présentée pour montrer les différents viscères. Inv. A-13824/1912-100. © MNHN/A. Verguin.

8 Les restes humains conservés en fluides au MNHN sont des « individus entiers » ou des parties anatomiques choisies. Les spécimens entiers sont des séries d’embryons, de fœtus et de nouveaux-nés qui ont documenté le thème du développement dans les différentes galeries successives d’Anatomie comparée ou d’Anthropologie. Une autre partie de la collection intéresse la tératologie et regroupe un grand nombre de pathologies rencontrées lors du développement. Ce thème se retrouve dans absolument toutes les collections médicales et vétérinaires en France, avant tout pour un propos de connaissances, même s’il a ensuite dérivé parfois vers des propos situés largement en dehors du champ de la science… Les pièces anatomiques isolées sont variables, et regroupent des têtes, des encéphales, des éléments d’appareils uro-génital, digestif, circulatoire ou respiratoire, etc.

9 Les restes humains en fluides ont, comme l’ensemble de la collection d’Anatomie comparée désormais, un statut de collection historique, puisque les plus récents datent de la première moitié du XXe siècle, alors que les plus anciens (fond tératologique d’E. et I. Geoffroy St-Hilaire) ont été rassemblés dès le début du XIXe siècle. Cependant, cette relative ancienneté ne nuit en rien à l’intérêt scientifique de la collection. L’excellente qualité de la fixation et de la conservation fait que de nombreux projets actuels peuvent valoriser ces pièces dans différents domaines : scientifique, éducatif ou muséal.

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Éléments de gestion

10 Les restes humains, de par leur constitution physiologique, ne diffèrent guère des restes des autres mammifères, et leur entretien n’est donc pas spécifique. Tout comme pour les collections en fluides en général, il faut donc veiller tout d’abord à la qualité des solutions de conservation, et faire en sorte que celles-ci soient compatibles avec les modalités de valorisation de la collection que l’on souhaite. La difficulté de gestion réside en la vérification de l’immersion constante des pièces ainsi qu’en la nécessité d’assurer, voire d’améliorer, les conditions d’étanchéité des contenants. Cependant, une pièce en partie émergée ne sera pas forcément immédiatement en péril, car le reste du corps immergé fonctionne comme une mèche et transmet tout de même une certaine quantité de conservateur dans les parties émergées. De plus, la partie émergée se trouve dans un environnement certes gazeux, mais contenant lui aussi des molécules de solution de conservation. Lorsque cela s’avère impératif, le renouvellement ou le changement de la solution de conservation doit être maîtrisé, car le fait de modifier la solution présente dans le contenant peut engendrer d’importantes altérations en matière de pH et de pression osmotique. Ainsi, le changement de pression osmotique peut-il provoquer soit le gonflement, soit, à l’inverse, la rétraction des tissus, ce qui entraîne immanquablement la rupture de ces tissus par tension mécanique5,6. Par conséquent, si la solution initiale n’est ni contaminée ni salie, on pourra se poser la question de savoir si on complète simplement la solution initiale ou si on la remplace complètement7. En effet, la plupart du temps, le spécimen a atteint un équilibre dans son milieu et un renouvellement complet peut potentiellement rompre cet équilibre et lui être dommageable. Une mesure du pH et une estimation de la concentration de l’ancienne solution seront fort utile dans tous les cas de figure. La solution de conservation finale devra être neutre ou légèrement acide (entre 7,5 et 6), mais surtout tamponnée8. Ensuite, il faudra s’assurer que le contenant une fois lavé, et le milieu de conservation actualisé, soit bien correctement fermé (étanche à l’air, donc à l’oxygène et aux contaminants), avant de le remettre à sa place.

11 La gestion se fait selon le mode de valorisation de la collection. Il est en effet évident que les modalités de gestion ne peuvent être les mêmes selon que l’on destine la collection à une exposition permanente, à une itinérance d’exposition temporaire, à des valorisations pédagogiques ou à une approche de recherche fondamentale ou appliquée, pour ne citer que les modalités les plus courantes. Le mode de préparation, pour commencer, ne sera pas la même, le mode de marquage non plus, etc. Il faut garder en tête, comme pour toute collection de naturalia, y compris anthropologique, que chaque échantillon peut toujours, au fil du temps, servir de support de recherches et d’études.

12 Ce fait inné ne doit pas éradiquer les possibilités de valorisation avec intervention directe (dissection, prélèvement, etc.), mais doit au contraire motiver, de la part des gestionnaires, une parfaite connaissance des collections afin de pouvoir émettre une décision en toute connaissance de cause. Cela semble logique, mais la protection des collections et leur transmission à travers le temps ne peuvent s’accomplir qu’à ce prix. Quels seraient le sens et la justification de collections que l’on devrait uniquement regarder de loin ? Une collection, y compris de restes humains, ne peut être considérée comme vivante qu’à partir du moment où elle est mise à disposition de communautés

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intellectuelles ou sociales, dans le respect des réglementations qui lui sont propres (loi « Musées de France », 2002, dites de bioéthique du 29 juillet 1994).

Déontologie

13 Mais si la gestion concerne le matériel et la manière de préserver, certaines pratiques plus spécialement universitaires ou scientifiques en général ont pu choquer, telles le stockage ou la présentation de restes humains mélangés avec des parties anatomiques animales9. Au-delà de la complexité des lois régissant le corps humain, il importe de garder en tête que notre époque ne comprend plus suffisamment la démarche scientifique au point de laisser de tels « mélanges » au fil des étagères. Les restes humains peuvent parfaitement servir d’archives scientifiques, voire même muséales, mais leur gestion réclame une attention qui ne soit pas uniquement matérielle. Des espaces dédiés seraient l’idéal, même si les locaux n’ont initialement pas été prévus pour cela.

Conclusion

14 Les collections de restes humains en fluides du MNHN de Paris sont un héritage des médecins/anatomistes dont certains se sont illustrés brillamment, lesquels ont légué à la postérité scientifique des pièces inestimables de par leur nature et leur richesse. Au XXIe siècle, cette collection historique sert encore de support à de nombreux développements scientifiques, éducatifs et muséaux. La plus grande partie de ces restes a été conservée pour cela et regroupée dans ce but. Ne nous privons pas de ce patrimoine exceptionnel, au risque de perdre une partie de la mémoire des collections, de la connaissance du corps humain, des savants et chercheurs qui ont fait progresser le savoir, et surtout, de ceux et de celles qui ont un jour décidé de donner leur corps pour le progrès. En ce sens, les collections de restes humains s’inscrivent profondément dans un devoir de mémoire. À nous désormais de l’accomplir.

BIBLIOGRAPHIE

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Herbin, M., 2013, « La conservation des collections en fluide : Approche historique et conservatoire », Ceroart, [En ligne], | 2013, mis en ligne le 18 août 2013, consulté le 20 avril 2016. URL : http://ceroart.revues.org/3432.

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Symposium du musée du quai Branly, 2008, « Des collections anatomiques aux objets de culte : conservation et exposition des restes humains dans les musées [en ligne] », Actes du colloque, musée du quai Branly, 22-23 février 2008. http://www.quaibranly.fr/

Sitographie www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000769536 www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000549618 www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000549619&categorieLien=id

NOTES

1. Simmons, 2014. 2. Neuville, 1917. 3. Cadot, 2007. 4. Crémière, 2004. 5. Steedman, 1976. 6. Simmons, 1991. 7. Herbin, 2013. 8. Herbin, 2012. 9. Symposium du musée du quai Branly, 2008.

RÉSUMÉS

Les restes humains sont présents dans les collections du Muséum national d’histoire naturelle de Paris depuis sa création. Depuis toujours, ces pièces ont constitué un support pour l’enseignement, un matériel essentiel pour la recherche et, bien sûr, des pièces incontournables dans les présentations muséales. Par conséquent, une attention particulière doit être portée à ces

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collections, le bien-fondé d’une collection étant qu’elle doit servir pour être pleinement valorisée.

Human remains have been part of the collections of the Muséum National d’Histoire Naturelle, Paris, since it was founded. These items have always been used for teaching purposes, provided basic material for research, and, of course, been put on display in the museum. Consequently, particular attention must be paid to these collections, the legitimacy of a collection being that its potential should be fully exploited.

INDEX

Keywords : comparative anatomy, conservation, research, museology, deontology Mots-clés : anatomie comparée, conservation, recherche, muséologie, déontologie

AUTEURS

MARC HERBIN Maître de conférences du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, UMR 7179 MNHN/CNRS, chargé de conservation des collections anatomiques en fluides, MNHN de Paris (herbin[at]mnhn.fr).

JACQUES CUISIN Ingénieur de recherches, direction des Collections, chargé de conservation de la collection de Primates, MNHN de Paris (cuisin[at]mnhn.fr).

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Les préparations anatomiques d’anthropologie au milieu du XIXe siècle Matériaux du corps, matière du discours scientifique Anatomical preparations in the eyes of mid-19th century anthropologists. Bodily materials, subject matter for scientific discourse

Thomas Bonneau et Pauline Carminati

1 « Dans quelle mesure un reste humain est-il un artefact ? » Cette question, posée par Neil Mc Gregor1 lors du symposium international consacré en 2008 aux restes humains dans les musées2, apporte un éclairage intéressant au cas des préparations anatomiques sèches. La forme humaine, volontairement reconstituée à partir des « matériaux » du corps humain, sélectionnés et conservés, tend en effet à occulter le travail de préparation, travail qui confère à ces corps ou fragments un statut d’artefact. Corps recomposés pour servir un discours, médical ou anthropologique, les préparations anatomiques sont, à ce titre, exemplaires de la nature ambivalente de certains restes humains patrimonialisés.

Entre science…

2 La plus grande partie des préparations anatomiques sèches de la chaire d’Anthropologie du Muséum d’histoire naturelle de Paris a été réalisée sous le professorat d’Étienne Serres, entre 1839 et 18553. Si certaines d’entre elles servaient sans doute principalement de supports d’enseignement de l’anatomie humaine, d’autres ont occupé une place toute particulière dans l’élaboration et la justification des théories de celui-ci sur la hiérarchie des races. Une exposition comparative de ces préparations anatomiques était d’ailleurs proposée aux visiteurs dans la galerie d’anthropologie jusqu’en 1898. Parmi elles, deux corps entiers d’hommes, l’un « de race caucasique ou race blanche », et l’autre « de race éthiopique ou race noire », se faisaient pendant. La seconde, réalisée en 1853 par Henri Jacquart, aide de la chaire

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d’Anthropologie, est encore conservée dans les collections du musée de l’Homme4 (fig. 1).

Fig. 1. Préparation anatomique dite Écorché. Homme d’origine soudanaise, musée de l’Homme, 2008

© T. Bonneau.

3 La présence de peau, de cheveux et d’yeux artificiels illusionnistes, caractères de classification déterminant, pour les anthropologues de l’époque, la race de l’individu, indiquait immédiatement le statut de ces pièces, bien différent d’une pièce médicale (fig. 2). Dans le contexte de l’anthropologie naissante, les préparations anatomiques sèches constituaient pour Serres, dans sa quête d’objectivation scientifique, un enjeu de taille dans la mesure où elles présentaient la matière originale et authentique de l’individu, comme le moulage sur le vif et le daguerréotype représentaient sa forme. Contrairement au domaine médical, où le choix entre anatomie artificielle et naturelle a longtemps été un sujet de divergences5, en anthropologie la matière réelle du corps était un élément indispensable à la démonstration et à la preuve, garant de la scientificité des théories.

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Fig. 2. Détail de la figure 1

© T. Bonneau.

… et art

4 Cependant, produits d’un long travail de la part du préparateur6, les préparations anatomiques relèvent de la subjectivité de celui-ci. En effet, le corps subit de très nombreuses opérations pour sa conservation, ce qui en modifie considérablement l’aspect, obligeant le préparateur à employer de nombreux artifices pour donner l’illusion du naturel. Après les diverses opérations d’injections, de dissection et de macérations destinées à mettre au jour et à conserver les parties choisies du corps, celui-ci fait l’objet d’un patient travail de mise en forme à l’aide de châssis, de fils, d’épingles, de tiges et de cales (fig. 3). Squelette, muscles, tendons, nerfs, veines, artères et, éventuellement, peau, sont soigneusement disposés et maintenus en place le temps de la dessiccation. La préparation est ensuite peinte et vernie, ce qui permet non seulement de différencier les différents systèmes physiologiques, mais aussi de leur donner un aspect « réaliste ». Les dents détachées sont refixées et des yeux artificiels peuvent être ajoutés pour parachever cette illusion.

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Fig. 3. Salle de dissection de l’amphithéâtre de Clamart où travaillait Étienne Serres

© BIUM.

5 À l’issue de ce processus, la préparation apparaît comme une véritable recomposition, sujette à interprétation et, parfois, à transformation volontaire, dans le but de servir un discours. Dans son compte-rendu de l’ouverture de la galerie d’anthropologie en 1855, Émile Déramond indiquait ainsi l’objectif des préparations : « Les pièces anatomiques sont nombreuses : les plus belles, établissant le parallélisme de la race caucasique et de la race éthiopique, et confirmant l’assertion de M. Serres, que le système nerveux périphérique est plus développé chez le nègre que chez le blanc, sont dues à l’habile scalpel du savant anatomiste, aide de la chaire d’anthropologie, M. le docteur Jacquart7. » Les observations que celui-ci publia au moment où il réalisait la préparation anatomique de l’homme « de race éthiopique » permettent d’interpréter clairement certaines de ses dispositions formelles, comme par exemple la faible courbure de la colonne vertébrale, la dilatation des muscles transverses du nez ou encore la dissection d’une partie du cartilage thyroïde8. Elles démontrent que Jacquart réalisait celle-ci en adéquation totale avec les théories de Serres, dans le but de les illustrer et prouver leur fondement.

6 Cet aspect, qui s’oppose à la volonté d’objectivation, a été relevé dès le XIXe siècle, comme en témoigne cette citation d’Anténor Firmin, membre de la Société d’Anthropologie de Paris, en 1885 : « [Jacquart] surtout a eu l’ingénieuse idée de rendre plus saisissante la démonstration de ce prétendu phénomène [“que le système nerveux périphérique est plus développé chez le nègre que chez le blanc”], par la savante préparation anatomique de deux pièces d’ensemble exposées au Muséum de Paris, galerie d’anthropologie. J’en avais toujours entendu parler avec une telle admiration que mon plus vif désir, en visitant le Muséum, fut surtout de les voir. Il est évident que l’œuvre du préparateur est au-dessus de tout éloge. C’est si bien fait qu’on pourrait

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s’illusionner, au point de croire que l’on est en face de la plus évidente réalité. Si on devait s’y conformer pour établir son jugement, l’affirmation des ethnologistes serait irréfutable. Il faut pourtant le répéter, il n’y a là qu’une simple œuvre d’art, qui prouve incontestablement le talent du préparateur, mais n’apporte aucun poids à l’opinion de Soemmering, au point de vue scientifique9. »

Conclusion

7 Outils de démonstration scientifique et œuvres d’art hier, restes humains et artefacts aujourd’hui, les préparations anatomiques sèches d’anthropologie sont riches de ces tensions dialectiques, qui font d’elles des objets complexes, difficiles à appréhender. L’étude poussée de leur contexte historique et technique et de leur matière (observations, analyses, restauration) apparaît aujourd’hui d’autant plus indispensable à leur compréhension et à leur valorisation.

BIBLIOGRAPHIE

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Document inédit

Bonneau T., 2010, Étude et restauration d’une préparation anatomique sèche : « Écorché. Homme d’origine soudanaise », 1853, musée de l’Homme. Mémoire de diplôme, ESBAT.

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NOTES

1. Directeur du British Museum. 2. « Table ronde n° 2 : les restes humains ont-ils une place aujourd’hui dans les musées ? », dans Des collections anatomiques aux objets de culte, 2008, p. 46. 3. Sur l’histoire de la chaire, voir Blanckaert, 1997. 4. Écorché. Homme d’origine soudanaise, Inv. 724/1977-17/26847. La préparation d’homme « de race caucasique » semble avoir quant à elle disparu. 5. Voir Lemire, 1990. 6. Pour une étude détaillée du procédé de réalisation, voir Bonneau, 2010. 7. Déramond, 1855, p. 45. 8. Jacquart, 1852. 9. Firmin, 1885, p. 84-85.

RÉSUMÉS

La collection formée à partir de 1839 pour la chaire d’Anthropologie du Muséum d’histoire naturelle de Paris comprenait des préparations anatomiques sèches dont plusieurs ont eu un rôle essentiel dans l’illustration des théories anthropologiques de l’époque. Les auteurs présentent succinctement, dans ce contexte, les valeurs et enjeux des matériaux du corps humain en tant que matière d’un discours.

The collection assembled from 1839 onwards for the anthropology department of the Muséum d’Histoire Naturelle, Paris, included dried anatomical preparations, several of which played a fundamental role in illustrating anthropological theories of the day. In this context, the authors thus present a succinct account of the values and risks of bodily materials as a subject for scientific discourse.

INDEX

Mots-clés : anthropologie, préparation anatomique sèche, restes humains, Homme (musée de l’) Keywords : anthropology, dried anatomical preparation, human remains, Homme (musée de l’)

AUTEURS

THOMAS BONNEAU Restaurateur du patrimoine, restes humains (thomas0bonneau[at]gmail.com)

PAULINE CARMINATI Restauratrice du patrimoine, restes humains (paulinecarminati[at]gmail.com).

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The Egyptian mummy in UK museums: cultural histories and object biographies Les momies égyptiennes dans les musées anglais : histoire culturelle et « biographie d’objets »

Angela Stienne

1 At the turn of the 21st century, the collection, retention and display of human remains in museums have become matters of serious contention. Human remains have generated emotionally-charged reactions and been the subject of sensitive repatriation claims. These lead to the question: how and why did these artefacts enter museum collections and do they still have a role in contemporary museum practice? Numerous publications in the have appeared addressing precisely these issues1.

2 However, there is as yet little consensus amongst historians, contemporary practitioners and institutions as to the appropriate response to these concerns. The place of Egyptian mummies in museums, for example, has never been systematically examined, and more often than not, the public understanding of Egyptian mummies remains connected to images from popular culture. As Dr John Taylor, Assistant Keeper in charge of funerary collections at the British Museum’s Department of and the Sudan has pointed out, “while they have had a major impact on the public perception about Ancient Egypt, the mummies as a whole have not been consistently studied2.”

3 An examination of the cultural histories and object biographies of Egyptian human remains raises the questions: how is the identity of the Egyptian mummy framed in the museum space, and what are the variables involved in changing attitudes towards these objects? Examining permanent and temporary displays in the UK, this paper seeks to open up a debate concerning the study and display of Egyptian human remains.

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Museum artefacts and medical corpses: the collecting of mummies

4 The extensive and diverse history of the mummy’s entry into European culture and its subsequent admission into scientific Egyptology has meant that many of the reasons mummies were collected have been lost or forgotten. The cultural histories behind the building up of private and public collections of Egyptian human remains, which have been dismissed as accidental and with little incidence on both the reception of the mummy and the display of Egyptian human remains, illustrate how the identity of Egyptian mummies was constantly evolving as the mummy entered different contexts. The British Museum’s mummy collection, the largest outside of Egypt, was begun by its founding donor, Sir Hans Sloane (1660-1753), who collected at least three Egyptian mummies. It was, however, the donation of another collector, Colonel Lethieullier, a former member of the short-lived Egyptian Society in London, which attracted public attention on the opening of the museum on 15 January 1759. Thus, the origin of the British Museum collections lies in contemporary sociocultural practices that predate the museum. On entering the museum, however, with greater exposure to the public and evolving institutional practices, the mummy was bound to change. A further change would take place a century later when most other human remains were moved to the new British Museum (Natural History), ensuring that the Egyptian mummies at the British Museum would be perceived as archaeological, rather than biological, remains.

5 This biological aspect was developed to a high degree in the eighteenth century when the identity of the mummy as a corpse was fostered by authoritative figures in the medical sciences. The first published account of a dissection of an Egyptian mummy by John Hadley (1731-1764) was based on a procedure conducted by John Hunter (1728-1793) at the Royal Society of London in 17633. The mummy’s foot from this dissection survives at the Hunterian Museum at the Royal College of Surgeons in London. Less than thirty years later, in 1791, it was questions of race and human origins that encouraged Johann Friedrich Blumenbach (1752-1840) to dissect mummies. The mummy’s identity was changing according to society’s questions not simply about Egypt but about itself and its culture. Later, highly theatrical unrolling sessions staged by Giovanni Battista Belzoni (1778-1823), Augustus Bozzi Granville (1783-1872) and Thomas Joseph Pettigrew (1791-1865) would again reposition the mummy in society as an object of mystery and performance. Denigrated as evidence of mummymania, these rich cultural contexts have often been omitted from histories of eighteenth and nineteenth century engagement with Egyptian mummies. However, it is evident that the practice of revealing bodies through dissection and unwrapping contributed directly to contemporary understandings of Ancient Egypt4.

Displaying human remains in UK museums: the specificity of the mummy

6 While the presence of the dead body in museums in the UK has led to debate, it has been the controversy surrounding the holding of indigenous remains from other parts of the world that has forced a change of attitude. The active contribution of human

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remains in the understanding of past cultures is undeniable: human remains offer a lens through which researchers can contribute to the advancement of the archaeological understanding of the past, as well as contemporary concerns such as the development of diseases and climate change. Such research, however, no longer goes unchallenged by groups concerned with their identities, their cultural and religious beliefs, and the possession of their ancestors. By the end of the twentieth century, museums faced a major dilemma: could human remains be displayed in museums?

7 The debate surrounding human remains was captured in Giesen’s publication, Curating Human Remains, Caring for the dead in the United Kingdom (2013), which addressed the ethical and practical issues faced by museums. On the matter of display, Woodhead stated that, “regardless of age, display must be mindful of the legal requirement that they must not outrage public decency”, with ‘outrage’ being defined as something “disgusting and offensive” to the public, variables that are subjective and dependent on cultural background and personal feelings. Woodhead pointed out that skeletons from archaeological excavations as well as mummies are “unlikely to outrage public decency”, a statement that demonstrates that mummies are nowadays distinguished from other more recent or sensitive categories of human remains5. The Department for Culture, Media and Sport’s (DCMS) Guidance for the Care of Human Remains in Museums provides advice on the reasons and circumstances for public exhibitions, while the International Council of Museums’ (ICOM) Code of Ethics ‘4.3 Exhibition of Sensitive Material’ suggests that human remains should be “presented with great tact and respect for the feelings of human dignity6.” The Museum Association’s own Code of Ethics (2015) observes the sensitivity of visitors and advises on sign-posting human remains displays7.

8 Despite these attempts to provide a secure professional position on working with human remains, much depends upon the professionalism and sensitivity of staff. However, of particular interest here are the implications for Egyptian mummies which, while they are clearly not being amongst the most politically sensitive of human remains, nevertheless risk being drawn into the same ethical debate. This distinction, which has received little attention, can be verified by visitor studies that have concluded that displays of mummies in the UK are generally accepted, if not expected, by the visiting public8. As a result, few museums have re-examined their holding of mummy collections. The Manchester Museum initiated a review of its display of Egyptian mummies in 2008. A modified display was conceived with the prospect of redefining the idea of respect, not only toward the visitor, but also toward the deceased. The first stage consisted in covering up entirely the body of the mummy of Asru, which the visiting public found absurd (fig. 1). The second stage was the reopening of the gallery in 2012, with only one mummy out of eight on display, placed in a partially obscured case with the intention to make the mummy visible only to those who approach the body very closely.

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Fig. 1. The mummy of Asru at the Manchester Museum

© Courtesy of Manchester Museum, The University of Manchester.

The future of mummy display: a case for object biographies

9 Object biographies are a means through which the cultural histories of Egyptian mummies and museum displays can coalesce around the shared aim of presenting the mummy as the embodiment of its different identities: archaeological artefact, corpse, pathologist’s specimen, and also, image of a mythical figure.

10 The DCMS Guidance states that human remains should be displayed with “sufficient explanatory material”, but what makes a display sufficiently explanatory and through which means9? Montserrat in Ancient Egypt: Digging for Dreams (2000), noted that “the Egyptians placed such emphasis on maintaining the offering cult and speaking the names of the dead that they might have been horrified by museum displays of anonymous mummies10.” The ancient Egyptians believed in the necessity of maintaining the corpse in a good state in order for the deceased to travel between the human world and the afterlife. The saying of the name was a fundamental part of a highly codified set of practices that were necessary in keeping the essence of life for the deceased. However, to this day, names are often omitted in museum displays around the world even when this information is known. The body is simply referred to as a ‘mummy’, a word which comes from the Persian for bitumen in reference to the black substance covering some mummies, which does not describe the nature of the displayed subject. In Britain, museums are increasingly using names and life biographies in displays. Oxford’s Ashmolean Museum even went as far as to translate the mortuary inscription on one mummy’s coffin. The 2000 exhibition Digging for Dreams curated by University of London’s Petrie Museum of Egyptian Archaeology combined educational engagement with the idea of respecting the dead person’s

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mortuary beliefs. This was achieved by protecting the mummy with a linen shroud, but inviting visitors to uncover the display while reciting respectful formulas translated from ancient Egyptian funerary texts (fig. 2 and 3). This transcended the simple observation of a body as it forced the viewer to engage in an act that acknowledged the person.

11 In recent years, the development of bioarchaeology and forensic archaeology has led to an ever-evolving understanding of conditions of life and death of the Egyptian bodies in museum collections. The data collected have been gradually included in museum exhibitions, for example, through videos explaining the Mummy Tissue Bank at the Manchester Museum. The potential of X-rays was realised in the 1890s although the solidified resins used in the mummification process impaired the clarity of images. The issue was addressed by the development of computerised axial tomography. CT- scans are used as a metaphor for transparency in museum displays, allowing the visitor to uncover data on the bodies they are encountering. The 2014 Ancient Lives, New Discoveries exhibition at the British Museum offered the visitor the opportunity to virtually unwrap Egyptian mummies through the use of enhanced digital technology.

12 The implementation of new display strategies which encourage interaction between visitors and human remains poses countless issues: are we really revealing the human nature of mummified bodies – with all its meanings – by encouraging individuals to play with virtual body parts? And, are museums really tapping into the narrative potential of Egyptian mummies? As Joy pointed out, “the biography of an object should not be restricted to an historical reconstruction of its birth, life and death. Biography is relational and an object biography is comprised of the sum of the relationship that constitute it11.” Displays have the potential to include object biographies that go beyond the scientific data of the dead body’s lifetime: upon being excavated, Egyptian mummies have entered a new lifeline, and these stories are rarely included in museum displays. Recent works in the United Kingdom have opted for a multidisciplinary approach using methodologies based in archaeology, history, museum studies and anthropology to produce fundamental research on the relationship between acquisition, museum display and public reception: Moser’s Wondrous curiosities (2006), Rigg’s Unwrapping Ancient Egypt (2013) and the University College London AHRC-funded project ‘Artefacts of Excavation: the international distribution of artefacts from British excavations in Egypt, 1880-1980’ aim to situate collected objects within their contexts with the aim to explore relationships between past object habits and contemporary interests, and how these affect the way we understand some museum objects’ histories.

Conclusion

13 The Museum Association’s advice on ‘Displaying human remains’ states: “Displaying human remains can help people to learn about, understand and reflect upon different cultures and periods of history. They can also cause distress to certain individuals or groups. Display them only if the museum believes that they make a material contribution to a particular interpretation12.” Egyptian mummies are a familiar and less controversial category of human remains but their human nature nevertheless places them in the same framework of ethical issues. It seems nonetheless that the 21st century museum should seek solutions that do not result in the removal of Egyptian mummies from display, as suggested by the Museum Association. This paper suggests

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that the solution can be obtained through a rich understanding of these objects as cultural objects and human remains. Displays need to observe this complexity and pay respect not just through careful design and visitor performance, but through the provision of new information about the history of our relationship to these objects.

BIBLIOGRAPHY

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NOTES

1. Fletcher et al., 2014; Were and King, 2012; Giesen, 2013. 2. Taylor, 2014, p. 103. 3. Hadley, 1764, p. 1-14. 4. Riggs, 2014. 5. Woodhead, 2013, p. 35. 6. DCMS, 2005, p. 20; ICOM, 2013, p. 8. 7. Museum Association, 2015, 2.(c). 8. Kilmister, 2003, p. 57-69. 9. DCMS, 2005, p. 20. 10. Montserrat, 2000, p. 26. 11. Joy, 2009, p. 552. 12. Museum Association, 2015, 2.(c).

ABSTRACTS

Egyptian mummies are at the centre of attention of most Egyptology collections. Their dual nature as bodies (human remains) and artefacts make them peculiar museum objects and, consequently, they have been left out of the debate concerning the collection, retention and display of human remains. This paper aims to reinvigorate the debate over the display of Egyptian mummies in museums by addressing three points: the ‘object habits’ of collectors which led to the building up of mummy collections, the specificity of mummies and how it has been addressed by UK museum authorities, and finally, the new modes of display, making a case for a better understanding of human remains collections through the use of object biographies.

Les momies occupent une place centrale dans la plupart des collections d’égyptologie. Leur double nature de corps (restes humains) et d’œuvres en fait des objets à part, laissés à l’écart du débat sur la collection, la détention et l’exposition de restes humains. Cet article relance la réflexion sur l’exposition des momies égyptiennes dans les musées autour de trois thèmes : le rapport à l’objet qui a conduit à constituer des collections de momies, la spécificité des momies et sa prise en compte par les instances muséales anglaises et, enfin, les nouveaux modes de présentation. Les biographies d’objets contribuent à une meilleure appréhension des collections de restes humains.

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INDEX

Mots-clés: restes humains, collections de musées, momies égyptiennes, biographie d’objets, histoire culturelle Keywords: human remains, museum collections, Egyptian mummies, object biography, cultural history

AUTHOR

ANGELA STIENNE Doctorante, School of Museum Studies, University of Leicester (stienne.a[at]gmail.com).

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Les restes humains : questions de médiation L’exemple de l’école de médecine navale à Rochefort Human remains : questions of mediation. The example of the School of Naval Medicine, Rochefort

Denis Roland

1 La France conserve de très importantes collections d’histoire de la médecine, témoins de l’importance de la recherche et de la formation dans ce domaine depuis le Moyen Âge. À Montpellier, à Paris ou à Lyon, l’effort continu pour transmettre le savoir a conduit à constituer des ensembles riches et complets susceptibles de présenter le corps humain et ses pathologies dans leur plus grande diversité. Malgré de nombreuses destructions dues à la fragilité même des tissus organiques et au désintérêt progressif des universités de médecine envers ces outils d’enseignement, les restes humains forment aujourd’hui un patrimoine important mais problématique. Dépouillés de leurs fonctions éducatives, ils peinent à acquérir une valeur historique, pourtant incontestable, mais qui se heurte à des questions de sensibilité collective et d’éthique pas toujours bien posées. Conserver des cadavres est une chose, les exposer en est une autre et la question de la médiation autour des restes humains en est encore à ses débuts. Elle est pourtant essentielle pour éviter la mise en réserve et l’occultation d’une page d’histoire des sciences jugée trop choquante pour être lue. L’école de médecine navale à Rochefort poursuit de ce point de vue une expérience originale.

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Fig. 1. Vue générale du musée de l’école de médecine navale

Les collections d’anatomie humaine y sont intégrées dans une présentation de 1862, où médecine et histoire naturelle se répondent, dans un idéal de monde classifié. © Musée national de la Marine/ J.-P. Brault.

Brève histoire d’un musée des horreurs

2 Au XVIIe siècle, les chirurgiens-barbiers qui embarquent à bord des vaisseaux se signalent par leur dénuement et bien souvent leur franche incompétence, et la Marine de guerre qui se met alors en place a un besoin criant de professionnels de santé capables de faire face au désastre sanitaire d’un navire en mer. En 1722, dans l’arsenal du Ponant qu’est Rochefort depuis 1666, est fondée une école de chirurgie navale : c’est la première fois qu’un État prend ainsi en main la formation de ceux à qui elle confie la santé de ses équipages. Une pédagogie originale est mise au point, visant à former des praticiens efficaces, laissant les théories explicatives aux médecins de la faculté. Cette culture de l’observation marque durablement ces chirurgiens embarqués. Pragmatiques, ils étendent volontiers leurs pratiques très au-delà du seul domaine médical et s’emparent progressivement de la botanique, de la zoologie, de la géologie, de l’ethnologie. Les voyages d’exploration du XVIIIe et, plus encore, du XIXe siècle les placent en position privilégiée pour participer à un ambitieux inventaire du monde qui les conduit à pousser assez loin un programme de rêve encyclopédique, fait de science transversale aux disciplines décloisonnées. De cette ambition, ils font un lieu. En 1788, un nouvel hôpital de la Marine est inauguré à Rochefort et l’un des pavillons est attribué à l’école de médecine1. Au cours du XIXe siècle, le lieu s’organise rationnellement sur trois niveaux : un rez-de-chaussée pour les espaces de prestige où l’institution se célèbre elle-même ; une vaste bibliothèque de 25 000 volumes ; un musée présentant des échantillons et des objets en ce temps où la pédagogie ne peut être seulement livresque. En 1890, la création de l’École de Santé navale à Bordeaux fige la situation de l’établissement de Rochefort, qui devient école annexe. Jusqu’en 1963, des étudiants viennent y préparer le concours de Bordeaux, mais les collections n’interviennent plus dans le cursus, et l’espace est comme fossilisé dans son état de la fin du XIXe siècle. En 1986, le musée national de la Marine est sollicité pour rénover l’école et l’ouvrir au public. Les collections, très empoussiérées, sont restaurées et le

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lieu réhabilité dans une idée de restitution de l’état de 1890. Il ouvre au public en 1998. Témoin du rôle de la Marine dans l’histoire des sciences, au sein d’un arsenal patrimonial parmi les plus riches d’Europe, l’école de médecine conserve, après dix- huit ans de valorisation, une réputation tenace de lieu d’effroi et de dégoût, qui semble être le lot des toutes les collections d’histoire de la médecine.

Fig. 2. Deux écorchés humains complets

Peu documentées, ces pièces anatomiques ont sans doute été réalisées à la fin du XVIIIe siècle. Les individus dont le corps s’est ainsi trouvé préservé sont totalement anonymes. Le choix a été fait de conserver la présentation de la fin du XIXe siècle dont le musée de la Marine a hérité, de tenter de la comprendre et de la faire comprendre. © Musée national de la Marine/D. Boone.

L’affect et la raison

3 L’école de médecine navale est marquée par deux histoires : celle de la médecine navale et celle de l’histoire naturelle. Ses collections comptent plus de 7 000 échantillons, spécimens ou objets, parmi lesquels les restes humains représentent 300 items, ainsi répartis : 40 éléments d’anatomie parmi lesquels deux écorchés, 130 pièces d’ostéologie, 80 spécimens d’anatomie pathologique et de tératologie et 50 crânes phrénologiques et raciaux. Même en y ajoutant une cinquantaine de pièces en cire et en carton, cet ensemble est quantitativement assez modeste, mais son impact sur l’ensemble du lieu est considérable.

4 La médiation mise en place par le musée depuis 1998 doit relever le défi singulier de rendre compréhensible à tous un lieu conçu pour des étudiants en médecine. La sensibilité collective de notre société dans laquelle l’on ne voit plus guère de cadavres est une difficulté majeure. L’imaginaire que dégage les collections d’anatomie humaine

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est extrêmement fort ; nous les lisons aujourd’hui avec des filtres qui vont des camps de concentration aux films d’horreur et peuvent conduire au malaise. Le bagage affectif et intellectuel des visiteurs est ici un redoutable inconnu dont il faut particulièrement tenir compte.

5 Les questions d’éthique, qui se refusent à réduire les restes humains au statut d’objets, est un autre volet du défi de la médiation. Les corps exposés proviennent d’individus qui, pour être anonymes, ne s’abordent pas moins avec la mémoire de ce qu’ils furent. En 2009 et 2010, l’interdiction à Paris de l’exposition Our body, à corps ouvert de Gunther von Hagens2 et l’affaire des têtes maories3 ont rappelé, s’il était besoin, toute l’actualité d’un débat très vif au sein de la société française. La tentation est grande de retirer de l’exposition les pièces les plus choquantes, comme les fœtus conservés en bocal qui semblent être l’emblème même du musée des horreurs.

Fig. 3. Fœtus conservés en fluides

Ces deux fœtus font partie de la collection de tératologie en raison des malformations qu’ils présentent, et qui relèvent de la classification de Geoffroy Saint-Hilaire. Leur caractère impressionnant, voire choquant, fait facilement oublier le débat scientifique dont ils témoignent, celui de l’évolution des espèces. © Musée national de la Marine/ M. Benhamou.

6 C’est un choix tout différent qui a été fait à Rochefort. Depuis 2003, toutes les visites sont accompagnées. L’objectif est de permettre aux visiteurs de ressentir pleinement la force affective du lieu, en accompagnant cette expérience d’un discours très rationnel. Ce discours est fréquemment revu avec l’équipe des guides. Contraignante pour les visiteurs comme pour le musée, cette médiation humaine est la seule qui permette l’adaptation au groupe et les échanges nécessaires à un débat qui doit rester ouvert. Elle offre aussi la possibilité de conserver en exposition la totalité des collections et de tordre le cou aux rumeurs qui entourent des collections mises en réserve, alimentant

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l’image du musée aux spécimens tellement épouvantables qu’on n’ose plus les montrer. Cacher, c’est donner libre court aux fantasmes les plus débridés ; montrer, c’est faire le pari de l’intelligence des visiteurs.

De l’effroi à la culture

7 Mais ce n’est pas tout. Transmettre sous forme de visites générales, longues ou courtes, un discours qui refuse le sensationnalisme n’est pas suffisant. Il faut aussi diversifier l’offre, ouvrir le lieu à toutes les formes d’expressions, dédramatiser un sujet complexe, mais que chacun doit percevoir comme un bien commun. En somme, il s’agit d’être un véritable acteur culturel sans rien renier de la nature des collections ni des difficultés qu’elles présentent. Depuis plus de dix ans, l’école de médecine navale a ainsi accueilli des spectacles, et souvent des créations, dans les domaines aussi divers que la musique (classique ou non), le théâtre, la danse, les marionnettes, le club littéraire ou les visites théâtralisées. Il n’est pas question de transformer l’école de médecine en salle de spectacle, mais d’explorer la richesse des thèmes et des atmosphères du lieu.

8 L’accueil des scolaires, singulièrement des élèves de primaire, ne va pas non plus de soi. Les discussions, parfois tendues, avec l’Éducation nationale n’ont jamais mis en question l’intérêt pédagogique du lieu, mais appréhendent les réactions de parents d’élèves susceptibles de mal comprendre que l’école puisse montrer des cadavres à leurs enfants. Sur cette question, qui n’a rien de simple, le musée de la Marine n’a pas seulement une opinion, mais une solide expérience : depuis dix ans, environ 10 000 élèves ont été accueillis sur place, dont un peu plus de 2 000 en primaire. Le résultat, qui vaut pour l’ensemble des enfants qui visitent le lieu, en famille ou avec la classe, montre combien le discours sur l’effort rationnel de générations de médecins pour comprendre le corps humain fonctionne avec des enfants, qui passent précisément leur temps, eux aussi, à comprendre le monde. Comme le disait un jour un enfant de 8 ans face à une pièce sèche de réseau artériel humain : On l’a en nous, mais on le voit jamais. On ne saurait mieux résumer. Profondément interdisciplinaires, les collections d’anatomie humaine ouvrent un champ très vaste d’exploitation pédagogique où se mêlent histoire, science et langage.

9 Sensibilité collective et éthique ne sont pas des obstacles à la valorisation des restes humains malgré l’affect très fort dont ils sont investis, entre peur, dégoût et voyeurisme. L’accompagnement des visiteurs et le respect nécessaire face aux collections doivent permettre d’intégrer pleinement l’histoire de la médecine dans le champ du patrimoine et de la culture commune. C’est un travail de longue haleine, mais la médiation sur les restes humains, dont les expériences sont encore trop peu nombreuses, est la condition première de leur conservation.

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BIBLIOGRAPHIE

L’ancienne école de médecine navale, Paris, musée national de la Marine, 2006.

Cadot L., 2009, En chair et en os : le cadavre au musée. Valeurs, statuts et enjeux de la conservation des dépouilles patrimonialisées. Paris, École du Louvre/RMN.

Cadot L., 2007, « Les restes humains : une gageure pour les musées ? », La lettre de l’OCIM, n° 109, p. 4-15.

Morgat A. et Roland D., 2016, « L’hôpital de la Marine de Rochefort », dans Revue de Société Française d’histoire des Hôpitaux, n° 2016.

« Restitution des restes humains. Table-ronde au festival de cinéma Rochefort-Pacifique », 2013, Journal de la Société des Océanistes, n° 136-137, p. 89-102.

NOTES

1. Morgat et Roland, 2016. 2. L’exposition, ouverte en février à l’Espace 12, présentant 17 cadavres conservés selon le procédé de la plastination, après avoir été présenté à Lyon et à Marseille, a été interdite en avril 2010 en raison de doutes sur la provenance des corps. La presse locale et nationale a également rendu compte des questions d’éthique posées par l’exposition d’écorchés. Voir par exemple Le Monde du 24 avril 2009. 3. Après un débat complexe, la France a fait droit à la demande de la Nouvelle-Zélande et a restitué, en janvier 2012, 21 têtes momifiés de guerriers maoris faisant partie des collections publiques françaises. L’une de ces têtes faisait partie des collections de l’école de médecine navale de Rochefort.

RÉSUMÉS

Les restes humains conservés dans les fonds patrimoniaux posent des questions de sensibilité et d’éthique qui tendent à occulter leur importance historique au profit d’une idée de musée des horreurs. Ce sentiment aboutit au mieux à une incompréhension, au pire à un rejet. Seule une médiation importante, soucieuse de comprendre et de faire comprendre, peut prétendre dépasser ces difficultés. L’école de médecine navale à Rochefort, gérée depuis trente ans par le musée national de la Marine, propose une expérience dans ce domaine encore peu explorée dans notre pays.

Human remains held in cultural heritage collections raise questions of sensibility and ethics that tend to eclipse their historical import and promote the notion of a museum of horrors. At best, this leads to incomprehension ; at worst, to rejection. Only informed mediation, striving towards understanding and making others understand, can overcome these difficulties. The School of

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Naval Medicine, Rochefort, run for the past three decades by the Musée National de la Marine, offers a positive experience in this domain, which, in France, is still virtually unexplored.

INDEX

Mots-clés : médiation, restes humains, Rochefort Keywords : cultural project mediation, human remains, Rochefort

AUTEUR

DENIS ROLAND Attaché de conservation du patrimoine, musée national de la Marine, Rochefort (d.roland[at]musee-marine.fr).

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III. Étudier pour mieux connaître

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Préambule aux techniques d’analyses et de recherche Introduction to analytical and scientific research techniques

Alain Froment

1 La vocation principale de l’anthropologie biologique est de décrire puis d’expliquer la diversité humaine, passée et présente, et les collections de restes humains ont tout d’abord été rassemblées pour servir ce but, au moyen de l’anatomie comparée, classique ou radiologique. Celle-ci culmine à présent avec l’imagerie tridimensionnelle qui permet, sur les momies comme sur le vivant, d’explorer avec une résolution toujours plus fine l’intérieur du corps (voir l’article de S. Mérigeaud dans ce numéro) (fig. 1 a, b).

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Fig. 1 a, b. Scan de la « Momie 1 » du musée d’Anatomie Testut-Latarjet de Lyon, sur scanner de l’hôpital Édouard-Herriot, CHU de Lyon (remerciements Pr Olivier Rouvière)

© E. Le Roux/Communication/UCBL.

2 Cependant, avec le développement de techniques de laboratoire de plus en plus performantes, un autre objectif peut être considéré : la reconstruction du mode de vie des populations disparues, ou bioarchéologie1. Les informations livrées par le squelette se sont longtemps cantonnées à estimer son sexe, son âge, sa stature et son origine géographique, toutes techniques partagées par l’anthropologie et la médecine légale. Mais les progrès réalisés fontàprésentparler d’ostéobiographie, surtout depuis que l’on sait qu’un ADN intact pouvait subsister dans un ossement ancien (voir l’article de C. Bon dans ce numéro). Au-delà de l’identité du sujet, il arrive que l’on puisse reconnaître l’ADN d’un microbe ayant causé la mort de celui-ci (la peste à Marseille, le typhus dans la Grande Armée, peut-être le paludisme chez Toutankhamon). La paléopathologie glisse alors du domaine du visible (lésions macroscopiques et microscopiques) au diagnostic moléculaire (voir l’article de O. Dutour et H. Coqueugniot dans ce numéro). Le microbiote, qui est l’ensemble des bactéries et virus vivant en symbiose avec nous, est accessible dans le tartre des dents et dans l’intestin des momies ou la terre des latrines. L’alimentation elle-aussi se fossilise sous forme de traces d’ADN ou de phytolithes, dans le tartre dentaire, et se révèle par des rapports particuliers des isotopes stables du carbone pour les glucides et de l’azote pour les protéines (voir l’article de F. Demeter dans ce numéro). Ces isotopes permettent d’inférer le climat et l’environnement alimentaire sans limites de temps, pour reconstruire par exemple le contexte écologique, en savane ou en forêt, d’australopithèques vieux de plusieurs millions d’années. D’autres isotopes, liés au substrat géologique local, comme le Strontium, sont des marqueurs de migrations. Quant aux isotopes radioactifs et non stables, comme le Carbone 14 ou le ratio Uranium-Thorium, la mesure de leur

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désintégration fournit un arsenal de datations (voir l’article de P. Richardin et M. Coudert dans ce numéro).

3 Par ailleurs, les marques d’activité musculaires s’impriment sur les insertions osseuses des muscles sollicités et permettent de reconstituer certaines pratiques, comme l’archerie, la cavalerie ou le dimorphisme sexuel des activités, conduisant à approcher ce que Leroi-Gourhan a appelé une paléontologie du geste. La traumatologie est aussi inscrite dans les os et révèle bien des comportements sociaux, de la guerre à la violence conjugale. Dans le cas particulier des momies, on peut mener des études sur les viscères (analyses diététiques, microbiologiques et parasitaires) et sur les ou les insectes (voir l’article de J.-B. Huchet dans ce numéro) qui illustrent l’histoire du cadavre. Sur les cheveux comme sur les os, et sous certaines conditions taphonomiques, des polluants comme le plomb, l’arsenic ou quelques molécules organiques (voir l’article de J. Langlois et S. Pagès-Camagna dans ce numéro) éclairent les conditions environnementales dans lesquelles ont vécu ces individus.

4 On le voit, les collections de restes humains constituent donc de véritables archives, qui racontent soit l’histoire de la médecine et des maladies, lorsqu’il s’agit de pièces pathologiques, soit tout simplement l’histoire de nos ancêtres, de tous les ancêtres, de tous les peuples du monde.

BIBLIOGRAPHIE

Larsen C. S., Walker P. L., 2010, “Bioarchaeology: Health, Lifestyle, and Society in Recent Human Evolution” in A Companion to Biological Anthropology, Clark Spencer Larsen (ed), Blackwell Publ., p. 379-394.

NOTES

1. Larsen, Walker, 2010.

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Imagerie médicale des restes humains anciens Medical imaging of ancient human remains

Samuel Mérigeaud

1 Dans l’appellation « restes humains patrimonialisés », le mot central est « humains ». Comment étudier au mieux les êtres humains d’hier sinon avec les moyens de l’imagerie médicale ? L’histoire de la radiologie des momies est aussi ancienne que celle de l’imagerie médicale : inventée en 1895, la radiographie est utilisée un an après sur des momies. Au XXe siècle, la radiographie reste l’examen de référence, laissant petit à petit sa place au scanner au début du XXIe siècle, les autres techniques d’imagerie (microscanner, IRM) étant moins utilisées.

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Fig. 1. Images et impression 3D de bracelets métalliques trouvés dans une botte de momie copte

© S. Mérigeaud/Tridilogy/Musée du Louvre/SRDAI/Musée d’Anatomie de la faculté de médecine, Montpellier.

Techniques d’imagerie pour l’étude des restes humains anciens

2 La radiographie est devenue classique dans l’étude des momies. Des rayons X traversent plus ou moins un objet selon sa composition : l’eau et l’air les absorbent peu, alors que le calcium (os) et les métaux les absorbent beaucoup. Un détecteur (autrefois « photographique », aujourd’hui numérique), placé de l’autre côté de l’objet, permet de créer une image. La radiographie est donc une imagerie de projection : l’objet en entier est projeté sur une seule image plane, rendant difficile la localisation des différents constituants (on ne sait ce qui est devant ou derrière, par exemple). Il est alors nécessaire de multiplier les incidences pour bien comprendre la structure d’un objet, ce qui n’est pas toujours possible. Son grand intérêt est d’être réalisable sur site (musée ou fouille) grâce aux systèmes mobiles. Cela permet d’appliquer cette imagerie à de larges populations qui ne seraient pas accessibles autrement1.

3 Le scanner ou tomodensitométrie (TDM ou CT pour Computed Tomography) a révolutionné l’imagerie médicale et s’est emparé de l’imagerie des restes humains anciens2 (mais aussi animaux3) depuis une dizaine d’années. Le sujet est placé sur une table adaptée au corps humain et soumis aux rayons X. À la différence de la radiographie, on n’obtient pas une seule image de projection, mais des centaines ou des milliers d’images : le sujet est « découpé » virtuellement en fines coupes (infra millimétriques). Ces images natives faites dans un plan sont ensuite intégrées dans un logiciel de lecture qui recalcule des images dans tous les plans de l’espace. Ainsi, il est

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plus facile de se focaliser sur une zone d’intérêt pour faire une description précise (fig. 2). Une fois l’interprétation faite sur ces images 2D, des reconstructions en 3D peuvent être réalisées pour communiquer avec les autres membres de l’équipe ou le public. Il est même possible d’isoler certains constituants (segmentation) pour mieux les visualiser en 3D (fig. 3) ou même les imprimer en 3D.

Fig. 2. Radiographies (les 2 images à gauche) et scanner (les 2 images à droite) d’une momie. La radio donne la structure générale, mais les os se superposent

Sur le scanner, chaque structure est détaillée précisément. © Radiographie C2RMF/T. Borel. © Scanner S. Mérigeaud/Musée du Louvre/SRDAI/CHU Rennes/ Musée des Beaux-Arts de Rennes.

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Fig. 3. Organes d’une momie bolivienne

À gauche, image 3D avec des lignes localisant les coupes 2D. 1. Cerveau (bleu) 2. Calcification (séquelle de tuberculose ?) 3. Cœur (rouge) 4. Foie (rose). © S. Mérigeaud/Tridilogy/Centre Hospitalier Geneviève-de-Gaulle Anthonioz de Saint-Dizier/Musée de Saint-Dizier.

4 Les appareils sont de plus en plus accessibles et rapides (30 minutes d’examen). Les seules contraintes sont de déplacer la momie jusqu’au centre de radiologie et de faire attention à ne pas diffuser d’éventuelles spores dans la salle de scanner (afin de préserver les patients suivants qui seraient susceptibles d’être immunodéprimés).

5 Le microscanner (micro CT), dérivé du scanner médical classique, utilise également des rayons X, mais avec une résolution plus grande et donc davantage de détails. En revanche, la taille de la zone étudiée est souvent réduite à quelques centimètres, voire quelques dizaines de centimètres, ce qui limite son utilisation à de petits objets. Enfin, le nombre de coupes produites est très important, nécessitant des équipements informatiques puissants pour les traiter.

6 Le rôle de l’IRM dans l’étude des restes humains anciens est anecdotique car elle est fondée sur l’étude de l’hydrogène, atome surtout présent dans l’eau. Les momies ou squelettes étant déshydratés, certains chercheurs ont réussi à obtenir des images mais demeurant de mauvaise qualité. Par ailleurs, certaines momies intègrent des objets métalliques pouvant se déplacer du fait du champ magnétique et abîmer la momie, voire l’IRM. Enfin, on ne peut être certain de l’absence d’effets indésirables sur la momie, tels des échauffements ou des vibrations.

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Comment choisir l’imagerie la plus adaptée ?

7 Comme nous venons de le voir, l’IRM n’a pas d’intérêt prouvé pour l’instant. Le micro CT est très intéressant pour étudier une petite zone sur un fragment de momie humaine ou sur une momie animale, mais il n’est actuellement pas envisageable de pratiquer une imagerie de ce type sur une momie humaine complète.

8 De nos jours, le choix se fait donc entre la radiologie et le scanner. S’il n’y a pas de risque à la mobilisation de la momie, le scanner va être privilégié car sa puissance diagnostique est bien plus importante. En revanche, la radiographie reste tout à fait d’actualité pour l’étude sur site des momies fragiles non déplaçables en dehors des musées ou bien lors de fouilles.

Pièges de l’imagerie

9 L’imagerie médicale produit des images qui sont une représentation de la réalité de la momie. En radiographie comme au scanner, l’appareil nécessite des réglages spécifiques, différents de ceux utilisés chez le sujet vivant. Le problème, lié en particulier au scanner, est le format particulier (DICOM) qui ne peut être lu que par des logiciels spécialisés. Ces images peuvent être si nombreuses (jusqu’à 5000 images par série et jusqu’à 5 Go de données par momie) que même les logiciels médicaux classiques ont parfois du mal à les ouvrir.

10 Une fois résolu ce problème de visualisation vient l’interprétation des images. Il est très important de souligner qu’au scanner, il convient de lire d’abord les images 2D dans les différents plans de l’espace, sans se précipiter sur la 3D : c’est malheureusement une erreur répandue, dommageable pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les images natives contiennent plus d’informations grâce à leurs résolutions spatiales et, en contraste, bien plus fines que sur les images 3D. Par ailleurs, il y a des « artefacts », terme d’imagerie différent de celui utilisé en archéologie, désignant des anomalies dans l’image, liées à la technique. Ainsi, le métal diffracte les rayons X et crée de fausses images linéaires. Autre exemple, les parties très fines de certains os de la face peuvent disparaître en 3D alors qu’ils sont bien présents, causant alors des erreurs d’interprétation.

11 Une fois que l’interprétation est bien avancée en 2D, le passage à l’analyse en 3D permet de mieux comprendre certains éléments comme par exemple les relations entre les objets et leur disposition dans l’espace. L’imagerie 3D est également très utile pour l’analyse anthropologique, en particulier pour la détermination du sexe d’après la morphologie osseuse, mais aussi en paléopathologie, pour cartographier et analyser les fractures. Certains organes, os ou objets d’intérêt (amulettes, bandelettes…), peuvent être segmentés en 3D (fig. 1), c’est-à-dire isolés, pour mieux les représenter ou les imprimer en 3D : ils peuvent ainsi être manipulés directement à l’échelle. Ces outils sont très intéressants pour communiquer au sein de l’équipe ou bien avec le public4, mais ils ne sont que la dernière étape du processus et ne doivent pas remplacer l’analyse première des images 2D.

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Conclusion

12 Après plus d’un siècle de suprématie de la radiographie, le scanner s’impose progressivement dans l’étude des restes humains anciens. Cela ne fait que suivre logiquement ce qui s’est passé en médecine humaine puis vétérinaire. On peut s’en féliciter étant donné la quantité d’informations que l’on est à même de recueillir ainsi. Mais il faut cependant être prudent car si le scanner est plus accessible, il n’en reste pas moins un examen très spécialisé en termes de réalisation et surtout d’interprétation. Il est dommage de voir certains examens réalisés uniquement pour faire des présentations 3D au public, avec une analyse « médicale » très succincte, voire absente, probablement parce que peu de personnes sont formées à cet exercice. Même les médecins radiologues sont en difficulté et font de grossières erreurs sur des scanners de momies car ils n’ont pas l’habitude des remaniements post mortem des organes momifiés observés au scanner. C’est pourquoi ce type d’étude en imagerie doit toujours être intégré dans un cadre multidisciplinaire : les échanges entre spécialités diminuent les erreurs et enrichissent les interprétations.

BIBLIOGRAPHIE

Dunand F, Heim J.-L., Lichtenberg R., 2010, El-Deir Nécropoles. I: La nécropole Sud, éditions Cybèle, Paris, p. 77, 87, 128 et 145.

Exp. Londres, 2014 : Ancient lives, new discoveries [Exposition. Londres, The British Museum, 22 May-30 Novembre 2014].

Lichtenberg R., 2001, « Plusieurs cas de tuberculose diagnostiqués par la radiographie des momies de la nécropole d’Aïn-Labakha, oasis de Kharga (Égypte) », Anthropologie, 39, 1, p. 75-77.

Mérigeaud S., 2013, « Imagerie médicale appliquée aux momies », dans Y. Lintz et M. Coudert (dir.), Antinoé. Momies, textiles, céramiques et autres antiques, Histoire des collections du Musée du Louvre, Somogy Éditions d’art, Louvre éditions, Paris, p. 61-65 et p. 177-253.

Mérigeaud S., 2014, « La tomodensitométrie des momies animales », dans H. Guichard (dir.), Des Animaux et des Pharaons. Le règne animal dans l’Egypte ancienne, Somogy Éditions d’art, Musée du Louvre-Lens, LaCaixa Foundation, Paris, p. 278-279.

NOTES

1. Exemple du travail du Dr Roger Lichtenberg avec Françoise Dunand. Il a radiographié des centaines de momies dans les fouilles des oasis de l’Ouest égyptien (El-Deir près de Kharga) et amélioré les connaissances sur l’état de santé de cette population. Dunand, 2010, 77. Lichtenberg, 2001, p. 75-77. 2. Mérigeaud, 2013, p. 61. 3. Mérigeaud, 2014, p. 278.

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4. Des résultats de scanners furent un élément central pour une exposition au British Museum en 2014. Exp. Londres, 2014.

RÉSUMÉS

L’imagerie médicale est un moyen important d’étude des restes humains anciens, reposant en grande partie sur la radiographie et le scanner. Si leur utilisation se démocratise, ces techniques nécessitent cependant des connaissances spécifiques pour être efficaces, toujours dans un cadre multidisciplinaire.

Depending largely on X-rays and computed tomography, medical imaging is an important means of studying ancient human remains. While their use is becoming more widespread, these techniques nevertheless require specific knowledge in order to be efficient, always within a multidisciplinary framework.

INDEX

Mots-clés : scanner, tomodensitométrie, radiologie, radiographie, imagerie par résonance magnétique (IRM), microscanner, micro CT, momie, squelette, restes humains anciens, imagerie 3D, impression 3D Keywords : scanner, computed tomography (CT) scans, radiology, X-rays, magnetic resonance imaging (MRI), microscanner, micro CT, mummy, skeleton, ancient human remains, 3D imagery, 3D printing

AUTEUR

SAMUEL MÉRIGEAUD Docteur en Médecine (MD), spécialiste en imagerie médicale, CRP, Clinique du Parc, Castelnau-Le- Lez, France, directeur de Tridilogy (samuelmerigeaud[at]yahoo.fr).

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Analyses organiques de baumes de momies provenant du site d’Antinoé Organic analyses of mummy balms from the Antinoé site

Juliette Langlois et Sandrine Pagès-Camagna

1 À l’occasion d’une vaste étude lancée en 2010-2011 par le Service du Récolement des Dépôts antiques et des Arts de l’Islam du musée du Louvre, ces techniques ont été mises en œuvre au C2RMF sur un corpus de momies provenant du site d’Antinoé (Égypte) et sur certaines œuvres faisant l’objet d’un projet de restauration, comme les momies du musée Joseph-Denais de Beaufort-en-Vallée (fig. 1). Les résultats des analyses chromatographiques des substances identifiées sur ce corpus sont présentés dans le tableau 1 ci-dessous.

Fig. 1. Substances naturelles prélevées sur une momie copte du musée Joseph-Denais (BF3644)

© C2RMF/A. Chauvet.

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Tableau 1. Substances naturelles identifiées sur le corpus des momies d’Antinoé étudiées au C2RMF

Localisation Musée N° inv Période du Matériaux prélèvement

matière grasse + traces de résine de cheveux type Pinus sp.

Musée de Antinoé - textile végétal matière grasse + résine de type Pinus 23313 l’Homme, Paris Copte du bonnet sp.

baume bras matière grasse droit

textile végétal matière grasse + traces de résine de au niveau de la type Pinus sp. tête

matière grasse végétale (présence

textile végétal des diacides de C6 à C13, d’acide 13,14- entre les deux dihydroxydocosanoique, marqueurs Musée des Antinoé - pieds des huiles de graines de Brassicaceae Beaux-Arts, 1972.00.151 Copte sp.) + résine de type Pinus sp. Dunkerque

sous les côtes matière grasse + traces de résine de au niveau du type Pinus sp. bras gauche

matière grasse + résine de type Pinus cheveux sp.

Musée d’art et d’archéologie Antinoé - résine de type Pinus sp . oxydée + 4026 textile végétal du Périgord, Copte traces de matière grasse Périgueux

Musée d’anatomie, Antinoé - 1448 cheveux matière grasse animale Faculté de Copte Médecine, Lyon

Musée des Antinoé - Confluences, 90002978 cheveux matière grasse animale Copte Lyon

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matière grasse végétale (présence des diacides de C à C , d’acide 13,14- Musée des 6 13 Antinoé - dihydroxydocosanoique, marqueurs Confluences, 90002977A cheveux Copte des huiles de graines de Brassicaceae Lyon sp.) + traces de résine de type Pinus sp.

Musée des Antinoé - textile végétal Confluences, 90002982 matière grasse Copte près du pied Lyon

Musée d’anatomie, Antinoé - Faculté de E cheveux matière grasse animale Copte Médecine, Montpellier

Musée des Antinoé - Beaux-Arts, 2 cheveux pas de signal significatif Copte Lille

baume sur textile au Muséum gomme d’Acacia nilotica niveau de la national Antinoé - hanche d’histoire MHNN.E226 Copte naturelle, textile au Nantes niveau de la matière grasse hanche

textile végétal sur le genou matière grasse droit

matière grasse végétale (dont AGC22:1 = Huile de graine de cheveux Brassicaceae sp.) + traces de résine de type Pinus sp.

baume sur le Antinoé - matière grasse animale front Musée Joseph- Copte Denais, Momie BF3644 main droite matière grasse Beaufort-en- d’une Vallée « prêtresse matière grasse végétale (présence isiaque » des diacides de C6 à C14, d’acide 13,14- bloc de sable dihydroxydocosanoique et d’acide aggloméré 11,12-dihydroxyeicosanoique, entre les pieds marqueurs des huiles de graines de Brassicaceae sp.) + traces de matière grasse animale

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matière grasse + traces de résine de guirlande sur type Pinus sp. + traces d’une résine les cheveux tri-terpénique

momie de Rouen, Musée AEg femme départemental Copte cire d’abeille altérée 410/1857.1 recouverte de des antiquités tissus coptes

Matières grasses

2 La présence de matière grasse d’origine animale est mise en évidence par les acides myristique, palmitique, stéarique et oléique, qui sont associés à des acides gras dont la

chaîne comporte un nombre impair d’atomes de carbone (acides gras linéaires en C15 :0

et C17:0) et présente des ramifications (isomères iso et anteiso de la forme linéaire).

Plusieurs isomères de position de l’acide gras C18:1 et la présence éventuelle de cholestérol ou de ses dérivés en sont également les témoins.

3 Les matières grasses animales et végétales altérées étant principalement constituées d’acides gras libres identiques, seuls des composés secondaires, comme les diacides ou les acides gras à nombre impair d’atomes de carbone, permettent d’orienter la nature de la substance grasse présente. Dans le cas d’un mélange de graisse animale et végétale altérée, il reste très difficile, au seul moyen de la GC/MS, d’évaluer la proportion et la nature exactes de l’un et de l’autre. Les résultats résumés dans le tableau 1 concernent donc les matières grasses identifiées de façon prépondérante. Pour certains profils, les éléments identifiés sont insuffisants pour trancher entre matière grasse animale ou végétale ; on mentionne alors le terme de matière grasse au sens large. La présence d’une autre source de lipides que celle identifiée majoritairement est difficile à diagnostiquer pour les mêmes raisons.

4 C’est pourquoi, lors de l’analyse des baumes de momification, la nature des matières grasses animales est souvent difficile à déterminer avec certitude. Par ailleurs à cette période, elles peuvent provenir soit des baumes de momification, soit des restes humains eux-mêmes.

Le cas particulier des huiles de la famille des Brassicaceae

5 La présence d’acides myristique, palmitique, stéarique et oléique est associée, dans le cas des huiles végétales siccatives (huile de lin, œillette, noix…), à une série de diacides à chaîne linéaire allant habituellement de 6 à 10 atomes de carbone, le diacide azélaïque comprenant 9 atomes de carbone étant majoritaire.

6 Ces diacides, considérés comme des biomarqueurs des huiles végétales siccatives lorsqu’ils sont relativement abondants par rapport à l’acide palmitique et stéarique, proviennent de la dégradation d’acides gras insaturés lors de processus d’oxydation, pouvant être favorisés par la lumière et la température, et aboutissant à un clivage de la double liaison. La position de la double liaison sur la chaîne hydrogénocarbonée de

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l’acide gras « précurseur » détermine la longueur de la chaîne du diacide provenant de sa dégradation.

7 Le cas des huiles provenant des espèces de la famille des Brassicaceae (anciennement nommées Cruciferae) est différent, et on observe alors des diacides dont la chaîne linéaire va de 6 à 13 atomes de carbone. Les acides gondoïque (acide 11-eicosenoique) et érucique (acide 13-docosenoique) sont en effet relativement abondants dans la composition des huiles provenant de graines de cette famille. Selon un processus analogue à celui décrit précédemment, les acides gondoïque et érucique aboutissent respectivement, lors de leur oxydation, aux diacides linéaires à 11 et 13 atomes de carbones.

8 Des traces d’acide 13,14-dihydroxydocosanoique provenant, selon un processus semblable, d’oxydation de la double liaison de son précurseur, l’acide érucique ((Z)-13- AG C22:1)1, peuvent parfois être décelées dans les échantillons à l’aide du couplage à la spectrométrie de masse. L’association de ces dérivés di-hydroxylés aux acides eicosanoique (AG C20 :0), docosanoique (AG C22 :0) et tétracosanoique (AG C24 :0), mieux conservés car ne comportant pas de double liaison, est caractéristique des huiles végétales issues des graines provenant des Brassicaceae.

9 La famille des Brassicaceae présente de nombreuses espèces, parmi lesquelles on trouve le radis (Raphanus sativus L.), le navet (Brassica rapa L.) et le colza (Brassica napus L.). On considère que l’emploi de l’huile issue des graines de radis est répandu en Égypte romaine2 ; cependant, les confusions possibles lors des traductions et interprétations des textes anciens comme ceux de Pline, ainsi que la faible quantité d’huile contenue dans les graines de radis3, incitent à évoquer, d’une façon plus large, les espèces de la famille des Brassicaceae pour origine de ces huiles. Ce type d’huile a été identifié à plusieurs reprises comme combustible dans des lampes à huiles issues de vestiges de céramique égyptienne d’époque romaine provenant du site d’Antinoé4 (V-VIIe siècle av. J.-C.) mais également dans des céramiques d’époque chrétienne sur le site de Qasr Ibrim en Nubie5.

10 Préciser le type exact de végétal employé à cette période devient délicat, d’autant que les restes archéologiques se présentent souvent sous la forme de graines d’environ 0,1 cm de long, ce qui rend leur identification précise délicate : des graines de la famille des Brassicaceae ont été retrouvées dans la tombe de Toutankhamon6 et l’on a retrouvé des graines de navet (Brassica rapa L.) à la période romaine7.

Résine de Pinaceae sp.

11 Les structures abiétanes (fig. 2) sont caractéristiques des résines naturelles provenant d’espèces de la famille des Pinacées (Pinaceae). Elles peuvent apparaîtrent relativement oxydées, par exemple lorsque les acides 7b (ou 7a)-hydroxydéhydroabiétique et 15- hydroxy-7oxodéhydroabiétique, sont présents. Dans certains cas, l’acide 15-hydroxy- dehydroabiétique partiellement méthylé (et non triméthylsilylé par le traitement de dérivation préalable à l’analyse) peut servir d’indicateur d’un chauffage de cette résine. En effet, cette méthylation intervient sur ces acides diterpéniques en raison du méthanol dégagé lors d’une combustion (Garnier, 2003) et non d’une oxydation naturelle.

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Fig. 2. Chromatogramme de la substance naturelle présente sur un textile végétal de la momie du musée d’Art et d’Archéologie du Périgord, Périgueux, analyse GC/MS-15m

Cire d’abeille altérée

12 Les caractéristiques les plus évidentes concernant l’identification d’une cire d’abeille sont la présence d’une série d’esters palmitiques à nombre pair d’atomes de carbone compris entre 40 et 50, ainsi que leur répartition avec l’ester à 46 atomes de carbone majoritaire. En plus de ces composés, la cire d’abeille contient une série de n-alcanes à nombre impair d’atomes de carbone, compris entre 23 et 33, dont l’heptacosane est le composé majoritaire, et une série d’acides gras linéaires de 24 à 34 atomes de carbone.

13 En contexte égyptien, et ce quelle que soit la période, on observe fréquemment sur les profils, une altération partielle de la composition native de la cire d’abeille. Les alcanes et les acides gras linéaires présents à l’origine peuvent être très minoritaires, voire absents des matériaux étudiés. Une hydrolyse partielle des esters les plus légers (à 40 et 42 atomes de carbone) est parfois également visible. Ces phénomènes d’altération de la cire peuvent témoigner d’un processus de dégradation ou de migration en surface puis de sublimation de ces composés, compte tenu du contexte aride de leur conservation d’origine8.

Gomme naturelle d’Acacia sp.

14 Vérifier la présence éventuelle d’une gomme naturelle nécessite un protocole opératoire adapté, qui diffère de celui employé pour les lipides, cires ou résines : il s’agit en premier lieu d’hydrolyser les polysaccharides en monosaccharides par une méthanolyse acide. Puis, après neutralisation et évaporation, les fonctions alcools des monosaccharides sont dérivées par un réactif de triméthylsilylation afin de faciliter leur élution et leur séparation en chromatographie en phase gazeuse9. Ce protocole permet de détecter la présence des monosaccharides constitutifs des polysaccharides que l’on trouve dans les gommes naturelles (gomme arabique, gomme de cerisier, gomme adragante…), ou dans l’amidon et la cellulose.

15 La gomme naturelle la plus fréquemment rencontrée en contexte égyptien est une gomme arabique, exsudat provenant de l’espèce Acacia sp., poussant au bord du Nil. Si

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son profil chromatographique est semblable à celui d’une gomme d’acacia d’Afrique de l’Ouest, l’Acacia sénegal sp. par exemple, l’absence du pic de rhamnose sous sa forme à pyranose est caractéristique des acacias de type tortilis, nilotica, nubica ou arabica10.

Conclusion sur le corpus des momies d’Antinoé

16 Ces premiers résultats révèlent la prépondérance de l’utilisation de résine de la famille des Pinaceae. Aucune trace d’une autre résine végétale, comme la résine de pistachier (famille des Anacardiaceae, genre Pistacia), qui est parfois identifiée comme vernis sur des stèles ou des cercueils polychromes de la période pharaonique, n’a été décelée dans ce corpus.

17 Est-ce à mettre en relation avec l’organisation des circuits commerciaux de cette période, ces deux substances n’étant pas indigènes mais importées (île de Chios pour la résine de pistachier et pays du Moyen-Orient pour les résines Pinaceae), ou cela correspond-il à la valeur symbolique ou aux propriétés chimiques dans la conservation des corps de la résine de Pinaceae sp. par rapport à la résine de pistachier, dont on réserve l’usage à la polychromie d’objets décoratifs ?

18 L’utilisation de substances bitumineuses n’a pas non plus été mise en évidence lors de ces analyses, ce qui témoigne d’une modification des procédés d’embaumement à cette période plus récente par rapport à la période pharaonique où du bitume est parfois identifié.

19 En ce qui concerne les corps gras, il est souvent difficile d’en définir l’origine avec certitude, végétale ou animale, matériaux d’embaumement ou restes humains, hormis dans le cas des huiles de Brassicaceae sp. dont la signature est particulière. Cependant, il existe d’autres sources d’huiles végétales en Égypte : huile de balanos (Balanites aegyptiaca), huile de ben (Moringa peregrina ou Moringa aptera...). L’huile de raphanos (Brassicaceae sp.) est citée dans des papyri grecs provenant de la région du Fayoum, de période gréco-romaine, pour un usage médicinal sous forme d’onguent (Papyrus Amherst II, papyri Oxyrhynchus VI et XVI)11. Ces analyses chromatographiques ont pu être entreprises lors de la campagne d’étude du corpus d’Antinoé en datation C14, publiée par ailleurs* ; que Pascale Richardin, Nathalie Gandolfo et Noëlle Timbart en soient remerciées.

*. Cadot et al., 2013 ; Guérin et al., 2013.

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Pline, XV, 7.

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NOTES

1. Lucas et Harris, 1962 ; Serpico et White, 2000. 2. Lucas et Harris, 1962 ; Serpico et White, 2000. 3. Keimer, 1984. 4. Lucas et Harris, 1962 ; Serpico et White, 2000. 5. Copley et al., 2005 ; Regert et al., 1998. 6. De Vartavan, 1990. 7. Serpico et White, 2000. 8. Regert et al., 2001. 9. Bleton et al., 1996 ; Méjanelle, 1996. 10. Anderson et al., 1966. 11. Lucas et Harris, 1962 ; Pline, XV, 7.

RÉSUMÉS

L’étude des restes humains patrimonialisés, et plus particulièrement des momies égyptiennes, met en œuvre de multiples techniques scientifiques, telles que la radiographie et la tomographie X, la datation au carbone 14, la paléo-entomologie, la paléobotanique, la paléo-anthropologie, la paléo-anatomopathologie, l’étude des textiles et de la polychromie ou encore l’analyse des substances naturelles utilisées pour l’embaumement. Pour l’analyse des substances naturelles, la chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (GC/MS) ne nécessite qu’une très faible quantité d’échantillon (de 100 µm à 250 µm) ; c’est une technique de choix pour l’identification des résines végétales, des cires d’abeille et des corps gras, souvent présents dans les matériaux d’embaumement.

The study of human remains that have acquired heritage status, Egyptian mummies in particular, involves several scientific techniques, such as X-rays, computed tomography, carbon dating, paleoentomology, paleobotany, paleoanthropology, paleopathology, the study of textiles and polychromy, as well as the analysis of natural substances used in embalming. When analysing natural substances, gas chromatography, coupled with mass spectrometry (GC-MS), requires only a minute sample (100 µm-250 µm). This is an excellent technique for identifying plant resins, beeswaxes and fatty substances, often present in embalming materials.

INDEX

Keywords : balms, mummie, plant substances, chromatographic analyses Mots-clés : baumes, momie, substances végétales, analyses chromatographiques

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AUTEURS

JULIETTE LANGLOIS Assistant ingénieur, C2RMF (juliette.langlois[at]culture.gouv.fr).

SANDRINE PAGÈS-CAMAGNA Ingénieur de recherches, C2RMF, département Recherche (sandrine.pages[at]culture.gouv.fr).

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Caractérisation par GC/MS de substances naturelles organiques dans des échantillons prélevés sur un écorché du musée de l’Homme Characterization of natural organic substances using GC-MS in samples taken from a flayed man in the Musée de l’Homme, Paris

Jean Bleton, Thomas Bonneau, Juliette Langlois, Noëlle Timbart et Alain Tchapla

Introduction

1 L’écorché « de race éthiopique ou race blanche », réalisé par Henri Jacquart en 1853, est conservé dans la collection d’anthropologie du musée de l’Homme, au Muséum national d’histoire naturelle (Paris)1. Il a été restauré par Thomas Bonneau, dans le cadre de son diplôme de conservation-restauration, à l’école supérieure des Beaux-Arts de Tours. À cette occasion, des micro-prélèvements ont été effectués, sur des parties endommagées, pour tenter d’identifier les substances naturelles organiques utilisées par l’auteur afin de réaliser sa préparation anatomique. Les échantillons analysés sont principalement les produits d’injection qui permettent aux veines et aux artères de conserver leur volume, et les peintures externes qui permettent de les distinguer. Dans cette étude, la chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse (GC/MS), bien adaptée à l’analyse de mélanges complexes, a été utilisée avec deux protocoles analytiques complémentaires.

2 Le premier2 protocole comprend une extraction au dichlorométhane suivie d’une étape de silylation et une analyse à haute température avec injection « On column ». Il permet d’observer l’échantillon en conservant l’intégrité des molécules présentes. Il est absolument nécessaire pour caractériser correctement les résines terpéniques qui contiennent des marqueurs fragiles. Il permet également d’apprécier l’état de

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conservation des corps gras : huiles, graisses ou cires. Le second protocole comprend une méthanolyse acide suivie d’une étape de silylation et une analyse dans des conditions « classiques » avec injection « splitless ». Il a été mis au point pour la caractérisation des gommes naturelles et des substances tannantes, mais permet également de bien déterminer la nature des corps gras3.

Résultats

Silylation après extraction au dichlorométhane (fig. 1 à 3)

Fig. 1. Matière à injection noire d’une veine

Chromatogramme obtenu après extraction et silylation

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Fig. 2. Matière à injection rouge d’une artère

Chromatogramme obtenu après extraction et silylation

Fig. 3. Peinture rouge d’une artère

Chromatogramme obtenu après extraction et silylation. Fig. 1 à 3. x : nombre d’atomes de carbone, n : nombre d’insaturations. Ax : alcool; Cx : cire; Cx,OH : cire hydroxylée ; DGx : diglycéride ; Dx : ester triméthylsilylique de diacide ; Ex:n : ester triméthylsilylique de monoacide ; Hx : hydrocarbure linéaire ; R1 : épimanool ; R2 : larixol ; R3 : déhydroabiétate de triméthylsilyle ; R4: acétate de larixyle ; R5 : 7-oxo-déhydroabiétate de triméthylsilyle ; R6 : 15-hydroxy, 7-oxo-déhydroabiétate de triméthylsilyle ; Sh : marqueur de la gomme laque (shellac) ; TGx : triglycéride comprenant x atomes de carbone dans les chaînes acyles ; *: artefact ; ?: non identifié.

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3 Les marqueurs du blanc de baleine4 (cires C28 à C38) et ceux de la cire d’abeille (cires C40 à C48 hydroxylées ou non, hydrocarbures H25 à H31, esters E24:0 à E34:0) sont présents en proportions variables dans les trois prélèvements.

4 Il en va de même pour les diterpènes (R). Parmi ceux-ci, R1, R2 et R4 sont caractéristiques de la résine de mélèze. R3 et R5 sont communs à toutes les résines de conifères5.

5 Dans la figure 1, les esters de diacides Dx, les esters de monoacides Ex:n avec x < 22, les diglycérides DGx et les triglycérides TGx sont les marqueurs d’une huile ou graisse partiellement hydrolysée et peu oxydée. Les esters de monoacides Ex:n avec x impair (15 ou 17) et leurs isomères ramifiés en position iso ou ante-iso permettent d’opter pour une graisse d’origine animale. Enfin, le rapport des quantités relatives de E18:0 (acide stéarique) et E16:0 (acide palmitique) correspond plutôt à une graisse de ruminant.

6 Dans la figure 3, la présence de gomme laque est révélée par trois marqueurs spécifiques : Sh1 : acide butolique (6-hydroxy-tétradécanoique) ; Sh2 : acide épilaccilaksholique ; Sh3 : acide épilaccishellolique6. Par ailleurs, dans nos conditions opératoires, les alcools gras A28 et A30 ne peuvent provenir que de cette substance.

Méthanolyse acide et silylation (fig. 4 à 6)

Fig. 4. Matière à injection noire d’une veine

Chromatogramme obtenu après méthanolyse acide et silylation.

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Fig. 5. Matière à injection rouge d’une artère

Chromatogramme obtenu après méthanolyse acide et silylation.

Fig. 6. Peinture rouge d’une artère

Chromatogramme obtenu après méthanolyse acide et silylation. Fig. 4 à 6. x : nombre d’atomes de carbone ; n : nombre d’insaturations. Ax : alcool ; Dx : ester méthylique de diacide ; Ex:n : ester méthylique de monoacide ; E16:0, 14OH : ester méthylique hydroxylé sur le carbone 14 ; E16:0, 15OH : ester méthylique hydroxylé sur le carbone 15 ; E18:0 9,10 OH : ester méthylique hydroxylé en positions 9 et 10 ; Hx : hydrocarbure linéaire ; Glu : glucose ; Man : mannose ; R1 : 7-déhydro-déhydroabiétate de méthyle ; R2 : déhydroabiétate de méthyle ; R3 : déhydroabiétate de triméthylsilyle ; R4 : 7-oxo-déhydroabiétate de méthyle ; R5 : 7-oxo-déhydroabiétate de triméthylsilyle ; Sh : marqueur de la gomme laque (shellac).

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7 Dans la figure 5, les composés indicés correspondent uniquement au blanc de baleine7 et à la cire d’abeille. La quantité relative de E18:0 est faible par rapport à celle de E16:0. En conséquence, dans la figure 4 qui correspond à un mélange contenant également une graisse animale, l’abondance relative de E18:0 par rapport à celle de E16:0 est liée à la présence de la graisse et oriente vers une graisse de ruminant.

8 Dans la figure 6, les marqueurs de la gomme laque sont majoritaires. Sh1, Sh2 et Sh5 sont respectivement l’acide 6-oxo-tétradécanoique, l’acide 6-hydroxy-tétradécanoique (butolique) et l’acide 9,10,16-trihydroxy-hexadécanoique (aleuritique)8. Les composés Sh3 et Sh4 ont été observés dans une gomme laque analysée dans les mêmes conditions, mais leur structure est mal connue. Les alcools A28 à A34 proviennent principalement de cette substance.

9 De façon générale, les diterpènes Rx sont nettement moins bien observés et les marqueurs spécifiques de la résine de mélèze ont disparu.

Conclusion

10 Les deux protocoles se sont avérés complémentaires et nous ont permis d’identifier plusieurs substances naturelles : le blanc de baleine (cire de spermaceti), la cire d’abeille, le suif de mouton, la résine de mélèze (autrefois appelée térébenthine de Venise) et la gomme laque. La résine de mélèze contient des marqueurs spécifiques (larixol et acétate de larixyle), qui ne résistent pas à la méthanolyse acide. Inversement, la gomme laque polymérisée correspond à un polyester naturel de haut poids moléculaire. Le premier protocole permet d’observer des faibles quantités de monomères résiduels, mais la méthanolyse acide permet de transestérifier le polymère et de retrouver des marqueurs spécifiques, comme l’acide aleuritique, en quantités importantes.

11 Les résultats obtenus nous ont permis d’identifier les substances utilisées par Henri Jacquart pour ses préparations anatomiques et d’orienter différentes étapes de restauration de l’écorché.

12 La matière à injection des veines contient principalement une graisse de ruminant, probablement du suif de mouton, du blanc de baleine et de la cire d’abeille, en quantités moindres, et un peu de résine de mélèze. La matière à injection des artères ne contient pas de graisse animale. Il s’agit surtout de blanc de baleine additionné de cire d’abeille et d’une très faible quantité de résine de mélèze. La peinture rouge des artères contient principalement de la résine de mélèze et de la gomme laque. Le prélèvement étudié contient certainement également un peu de paroi de l’artère et de matière à injection. Parmi les substances utilisées par Henri Jacquart pour l’injection du système vasculaire, le blanc de baleine est original et n’est pas mentionné dans les traités d’anatomie de l’époque9.

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Document inédit

Vo Dhui S., 2007, « Mise au point de méthodes analytiques pour la caractérisation de la matière organique constituante d’objets du patrimoine culturel », mémoire de thèse de doctorat, Université Paris-Sud.

NOTES

1. Voir l’article de Bonneau et Carminati dans ce numéro. 2. Vo Dhui S., 2007. 3. Tchapla A., 2004. 4. Regert M., 2005. 5. Vo Dhui S., 2007. 6. Colombini M. P., 2003. 7. Regert M., 2005. 8. Colombini M. P., 2003. 9. Degueurce C., 2008.

RÉSUMÉS

Lors de la restauration d’un écorché conservé au musée de l’Homme, des micro-prélèvements ont été effectués sur des parties endommagées pour tenter d’identifier les substances naturelles organiques utilisées par l’auteur afin de réaliser sa préparation anatomique. Les analyses effectuées par chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse ont permis d’obtenir des informations utiles à la fois pour la restauration de l’objet et pour la connaissance du procédé utilisé par l’anatomiste.

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In the course of the restoration of a flayed man now in the Musée de l’Homme, Paris, micro- samples were taken from the damaged parts in an attempt to identify the natural organic substances employed in his anatomical preparation. The analyses carried out using gas chromatography, combined with mass spectrometry, enabled us to obtain information that proved helpful both for the restoration of the object and broadening our knowledge of the process used by the anatomist.

INDEX

Mots-clés : préparation anatomique, produits d’injection, peinture, caractérisation par GC/MS Keywords : anatomical preparation, injection fluids, paint, characterization by GC-MS

AUTEURS

JEAN BLETON ingénieur d’études, Lip(Sys)2, LETIAM, Université Paris-Sud (jean.bleton[at]u-psud.fr).

THOMAS BONNEAU Restaurateur du patrimoine, restes humains (thomas0bonneau[at]gmail.com).

JULIETTE LANGLOIS Assistant ingénieur, département Recherche, C2RMF (juliette.langlois[at]culture.gouv.fr).

NOËLLE TIMBART Conservateur du patrimoine chargé des Antiquités égyptiennes et orientales et des restes humains, département Restauration, C2RMF (noelle.timbart[at] culture.gouv.fr).

ALAIN TCHAPLA Professeur émérite, Lip(Sys)2, LETIAM, Université Paris-Sud (alain.tchapla[at]u-psud.fr).

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Revisiter les restes humains grâce à la paléogénétique Revisiting human remains thanks to paleogenetics

Céline Bon

1 Depuis que l’on a découvert, durant les années 1980, que l’ADN pouvait se conserver durant des centaines, voire des milliers d’années, la paléogénétique, ou analyse de l’ADN ancien, s’est révélée un outil indispensable dans l’étude des restes animaux. L’ADN, cette molécule qui contient le patrimoine génétique d’un individu, est hérité de ses parents et accumule les mutations au cours du temps. Il permet donc de retracer l’histoire de nos ancêtres, soit récente (comme les relations de parenté au sein d’un groupe), soit plus ancienne (les relations phylogénétiques entre espèces). L’étude de l’ADN ancien donne accès à des informations génétiques concernant des espèces ou des populations avant qu’elles ne soient touchées par des événements marquants comme l’extinction ou le métissage avec d’autres populations. De plus, l’information codant l’apparence physique d’un individu se trouve dans le génome : c’est grâce à l’interaction entre environnement et matériel génétique qu’est défini le phénotype d’un individu.

De l’échantillon archéologique à la séquence d’ADN

2 Pour avoir accès à l’ADN, il est nécessaire de l’extraire d’un matériel d’origine organique. Les restes animaux les plus fréquemment retrouvés étant les dents et les os, ce sont souvent ces derniers qui sont analysés ; d’autres restes provenant de collections, comme les cheveux ou les poils, peuvent être sélectionnés, voire même des excréments fossiles (coprolithes). Un fragment de quelques centaines de milligrammes est alors réduit en poudre, puis l’ADN en est extrait chimiquement. Deux voies d’analyses peuvent ensuite être suivies. Dans le cas d’une analyse ciblée, un fragment du génome considéré comme d’intérêt est sélectionné et amplifié. C’est le produit de cette amplification qui est ensuite séquencé et analysé. Cette méthode est particulièrement adaptée afin de cibler un marqueur particulier du génome, soit pour

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déterminer la lignée à laquelle un individu appartient, soit pour étudier des mutations associées à un phénotype précis. L’autre approche consiste à séquencer la totalité de l’ADN présent dans un extrait d’ADN, y compris les molécules provenant de bactéries, de champignons ou de virus du sol. Cette méthode, plus coûteuse, est la seule qui permet d’avoir accès à la totalité du génome d’un individu, et donc, qui permet une meilleure précision dans l’étude de ses origines et de son génotype. Elle nécessite cependant une analyse bio-informatique poussée après le séquençage afin de pouvoir différencier l’information génétique endogène du reste des séquences.

Les difficultés de l’étude de l’ADN ancien

Les molécules d’ADN sont endommagées

3 S’il est possible de retrouver de l’ADN dans des restes archéologiques, l’ADN est une molécule fragile : sa durée de conservation est limitée et va dépendre de nombreux facteurs externes (comme la température ou l’activité microbienne). Ainsi, dans des conditions extrêmement froides, il est possible de retrouver de l’ADN âgé de près d’un million d’années. En revanche, dans un climat tempéré, il ne subsiste dans le meilleur des cas que quelques dizaines de milliers d’années. De plus, il est alors fragmenté : reconstituer le génome (ou même des fragments de génome) revient à reconstruire un puzzle de centaines de millions de pièces. Des endommagements de l’ADN, qui constituent une signature de l’ADN ancien, modifient la séquence du génome.

Éviter les contaminations par de l’ADN moderne

4 L’étude de l’ADN ancien nécessite donc des précautions très particulières. L’ADN ancien est présent en faibles quantités et se trouve donc en compétition avec les molécules d’ADN moderne présentes dans l’air ambiant. Ce problème est particulièrement crucial quand l’échantillon est humain, de la même espèce que le manipulateur qui l’étudie. De nombreuses précautions permettent d’éviter les contaminations par l’ADN moderne : elles commencent sur le terrain, lors de la fouille, en prélevant le fragment osseux dans des conditions aseptiques, et elles se poursuivent au laboratoire, dans une pièce isolée des autres laboratoires manipulant de l’ADN moderne, dotée de surpression afin d’éviter toute entrée d’air potentiellement contaminé, décontaminée régulièrement (fig. 1). Cependant, il n’est pas toujours possible de suivre ces recommandations, en particulier quand les fragments proviennent de collections : dans ce cas, les ossements ont été massivement manipulés avant l’analyse paléogénétique et il se révèle impossible de retracer toutes les personnes ayant pu laisser leurs traces ADN sur l’échantillon.

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Fig. 1. Salle blanche dédiée à l’étude de l’ADN ancien du musée de l’Homme – Plateforme paléogénomique et génétique moléculaire humaine du Muséum national d’histoire naturelle

Une surpression à +40 Pa ; un système de sas ; une exposition quotidienne aux UV ; des règles de comportement spécifiques permettent de limiter les contaminations par de l’ADN moderne.

5 Les fragments d’ADN ancien sont alors identifiés a posteriori, en se fondant sur les profils d’endommagement typiques. C’est ce protocole qui a été utilisé pour étudier le génome d’un des plus anciens Hommes modernes hors d’Afrique, venant de la Grotte de Pestera cu Oase, ce qui a permis de montrer que cet individu était issu d’un métissage récent, vieux de seulement quelques générations, avec l’Homme de Néandertal.

6 D’autres méthodes permettent également de quantifier les contaminations et donc leur impact sur le résultat observé. Ainsi, si l’échantillon étudié provient d’une femme, aucun ADN correspondant au chromosome Y ne devrait y être trouvé. En revanche, si le spécimen est un homme, ne possédant donc qu’un seul chromosome X, toute hétérogénéité de séquence touchant cette portion du génome signale la présence d’une contamination.

7 Ainsi, même si la prévention des contaminations a priori est fondamentale dans l’étude de l’ADN ancien, des mesures a posteriori permettent de vérifier l’étendue des contaminations et de restreindre l’analyse aux fragments d’ADN endommagés et donc anciens.

8 Outre la contamination par de l’ADN humain moderne, les traitements appliqués aux échantillons entre leur découverte et l’arrivée au laboratoire d’ADN ancien peuvent être nocifs à la préservation de l’ADN. Ainsi, l’ADN étant une molécule soluble dans l’eau, le lavage des os tel qu’il est parfois effectué sur les chantiers de fouille peut diminuer de manière substantielle la quantité d’ADN ancien dans l’échantillon. D’autres traitements pratiqués couramment dans le passé, comme le vernissage des pièces osseuses, ont pu participer à la dégradation de l’ADN ancien. Même si des efforts sont désormais courants pour éviter tout traitement participant à la dégradation de l’ADN dans les collections d’anthropologie, il est encore difficile d’anticiper l’impact des traitements actuels, en particulier l’exposition aux rayons X, sur la préservation du matériel génétique.

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Des origines de l’Homme aux histoires des populations, apports de l’ADN ancien

9 L’apport de l’ADN ancien à l’étude de l’évolution, et en particulier à l’histoire de l’Homme, est précieux. Parce qu’il donne accès au patrimoine génétique d’espèces ou de populations aujourd’hui éteintes, il a permis de resituer ces taxons dans la phylogénie des espèces animales, et de comparer les données obtenues à celles analysées depuis longtemps par la paléontologie. Ainsi, les positions phylogénétiques des Mammifères de l’ours des cavernes, du mégacéros ou du mammouth ont pu être déterminées grâce à des études paléogénétiques. De plus, en donnant accès à la diversité génétique diachronique d’espèces en train de s’éteindre, elle permet d’interroger le rôle des changements climatiques du Pléistocène ou de l’activité humaine sur la disparition des espèces.

Néandertal et Denisova

10 Cependant, la plus grande percée effectuée grâce à l’étude de l’ADN ancien concerne notre compréhension de l’évolution de l’Homme. Entre la première extraction d’ADN ancien sur le spécimen type de l’Homme de Néandertal en 1997 et le séquençage du génome d’un Homo heidelbergensis de la Sima de los Uesos, l’histoire récente de la lignée humaine a été revisitée. L’étude de l’ADN ancien issu de restes humains indéterminés d’une grotte de l’Altai a permis d’enrichir la diversité taxonomique de la lignée humaine grâce à la découverte de l’Homme de Denisova. Mais surtout, la comparaison des génomes d’Hommes modernes et archaïques a mis en évidence une histoire complexe de métissages entre lignées humaines. Ainsi, l’évolution buissonnante de la lignée humaine se révèle être en fait un réseau complexe d’échanges génétiques.

Les migrations à l’origine de la diversité génétique actuelle

11 L’histoire de l’Homme moderne se trouve elle aussi enrichie par l’étude de l’ADN ancien (fig. 2). La paléogénétique, en donnant accès à la diversité génétique passée des populations humaines, permet de retracer les mouvements de populations ayant conduit aux populations actuelles. Pour l’instant, les études se sont principalement concentrées sur le peuplement de l’Europe et de l’Amérique précolombienne. Dans ce dernier cas, la disparition de nombreuses populations amérindiennes et le métissage fréquent avec des populations originaires d’Europe ou d’Afrique rendent indispensables l’étude du matériel génétique de populations anciennes, souvent conservées dans des collections. Quant à l’Europe, des études diachroniques du patrimoine génétique de restes datant du Paléolithique à l’Âge du Fer ont permis de montrer que trois populations sont à l’origine des européens actuels : des chasseurs-cueilleurs du Mésolithique, des agriculteurs venus d’Anatolie au début du Néolithique et, à la fin du Néolithique, une population apparentée aux populations des steppes du nord de la mer Noire.

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Fig. 2. Ensemble des échantillons humains pour lesquels des données génomiques sont disponibles

Les échantillons peuvent provenir d’un contexte paléolithique (violet), mésolithique (bleu), néolithique (rouge), de l’Âge du Bronze (orange), du Fer (gris) ou historique (vert). Ils proviennent majoritairement d’Europe (rond) et des Amériques (étoile), voire d’Asie (carré) dans lesquels l’ADN se conserve mieux.

12 Ainsi, il est non seulement possible de retracer les migrations dans l’histoire de l’humanité, mais également de les dater précisément et d’associer les mouvements de populations avec les évolutions culturelles étudiées par les archéologues.

L’ADN ancien et l’étude des sites archéologiques

13 Par ailleurs, l’ADN, porteur de l’information génétique, permet de reconstituer les relations familiales ou l’apparence phénotypique. Ces informations nécessitent d’avoir accès au génome nucléaire : elles sont coûteuses à obtenir et donc rarement utilisées sur un grand nombre d’individus. Cependant, elles ont permis de montrer que les chasseurs-cueilleurs de la fin du Paléolithique supérieur ne possédaient pas les mutations associées aujourd’hui en Europe à une couleur de peau claire ou de retrouver la place du squelette attribué au roi anglais Richard III dans la généalogie de la famille royale d’Angleterre.

14 Ces découvertes ont principalement été possibles grâce à l’apport des nouvelles technologies de séquençages depuis une dizaine d’années. Ces technologies permettent d’avoir accès à l’ensemble du génome à un coût raisonnable, et non plus à de petites portions de gènes. Le génome, hérité de nos parents, donne non seulement des informations sur nos origines, sur notre apparence, mais également sur les structures sociales et les règles de mariage de nos ancêtres. Cette approche nécessite un génome complet de très bonne qualité, et donc un investissement financier important, et elle n’a pour l’instant été appliquée qu’à un faible nombre d’individus. Cependant, de

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nouveaux progrès technologiques laissent espérer qu’il sera bientôt possible d’appliquer des études paléogénétiques à des jeux de données comprenant davantage d’individus, y compris avec de l’ADN plus dégradé.

RÉSUMÉS

En donnant accès au matériel génétique des échantillons archéologiques, la paléogénétique, ou étude de l’ADN ancien, a révolutionné la paléontologie et l’archéologie. Ces études, menées sur une molécule endommagée, nécessitent des précautions particulières afin de déterminer avec précision la séquence d’ADN portée par les individus anciens. Ainsi, le matériel génétique d’espèces disparues, comme celle de l’Homme de Néandertal, permet de retracer l’histoire évolutive de ces taxons et leurs relations avec l’Homme moderne. Les études paléogénétiques ont également montré que les migrations et les métissages entre populations humaines anciennes sont à l’origine de la diversité génétique actuelle.

By giving access to the genetic material of archaeological samples, paleogenetics, or the study of ancient DNA, has revolutionized paleontology and archaeology. These studies, conducted on a damaged molecule, required particular precautions to be taken so as to determine the exact DNA sequence present in ancient individuals. Thus, the genetic material of extinct , like that of Neanderthal Man, enables us to retrace the evolution of these taxa and their relationship with Modern Man. Paleogenetic studies have also shown that migrations and the interbreeding of human populations are the reason for present genetic diversity.

INDEX

Mots-clés : ADN, génétique, génome, archéologie, Néandertal, Homo sapiens Keywords : DNA, genetics, genome, archaeology, Neanderthal, Homo sapiens

AUTEUR

CÉLINE BON Maître de conférences, UMR7206, Muséum national d'histoire naturelle, Sorbonne-Université (cbon[at]mnhn.fr).

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Paléopathologie et épidémiologie sur les collections de musées Paleopathology and epidemiology in museum collections

Olivier Dutour et Hélène Coqueugniot

Introduction

1 La paléopathologie est une discipline récente, définie en 1913 par un médecin bactériologiste franco-britannique, Sir Marc Armand Ruffer, comme étant « la science des maladies dont on peut démontrer l’existence sur des restes humains et animaux des périodes anciennes1 ».

2 Cette science se situe à l’interface de deux grands domaines : celui des sciences biomédicales, dont elle utilise la démarche diagnostique et les méthodes d’exploration, et celui des sciences du passé qui lui fournissent ses objets d’étude.

3 Ces derniers sont de nature diverse : fossiles animaux et humains, momies naturelles ou artificielles, préparations anatomiques ou pathologiques, séries squelettiques issues de sites archéologiques ou de cimetières contemporains.

4 Ces pièces ou ces séries ont été constituées en collections, conservées dans différentes structures à vocation scientifique (laboratoires, universités) ou à fonction patrimoniale (services régionaux de l’archéologie, musées) ; ces deux missions sont le plus souvent intriquées, considérant l’interactivité qui doit nécessairement prévaloir entre recherche et patrimoine.

Paléopathologie, paléoépidémiologie et collections squelettiques

5 La paléopathologie s’est focalisée à ses débuts sur l’étude de cas remarquables afin de reconnaître des maladies spécifiques sur des restes osseux et d’établir des repères pathologiques temporels et géographiques. Face au développement des grandes

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collections squelettiques, la paléopathologie s’est alors orientée vers l’analyse des « groupes nosologiques » (grandes catégories de classification des maladies) par des méthodes statistiques utilisées en épidémiologie, afin de définir des fréquences par âge, sexe, chronologie, origine géographique, appartenance culturelle, niveau socio- économique. Cette approche épidémiologique de la paléopathologie, développée par les anthropologues américains dès les années 1930, a été nommée paléoépidémiologie2. Cependant, toutes les collections ostéologiques n’ont pas la même valeur pour les recherches paléopathologiques et paléoépidémiologiques, leur intérêt relevant principalement de leur mode de constitution.

6 Les grandes collections ostéologiques humaines se sont développées en Europe et en Amérique du Nord entre la seconde partie du XIXe et la première moitié du XXe siècle, alimentées par deux grandes spécialités : l’archéologie et l’anatomie. Certaines dépassent plusieurs milliers d’individus et sont conservées dans différentes structures et institutions (universités, musées, muséums d’histoire naturelle). En Amérique du Nord, plusieurs grandes collections archéologiques muséales concernées par la loi fédérale NAGPRA (The Native American Graves Protection and Repatriation Act) ont été ré- inhumées et sont à jamais perdues pour la science.

Les deux grands types de collections d’intérêt paléopathologique

7 Les collections ostéologiques humaines actuelles se sont constituées selon deux grandes modalités : anthropologique et pathologique.

Les collections anthropologiques

8 Ces collections, qui documentent la variabilité ostéologique humaine contemporaine et passée, proviennent de deux sources principales : « archéologique » et « identifiée ». Elles constituent un objet de recherche méthodologique et appliquée pour les anthropologues, mais également pour les paléopathologistes.

9 Les collections ostéologiques d’origine archéologique sont composées de restes humains anonymes découverts en contexte archéologique, datant des périodes pré- et protohistoriques jusqu’aux périodes contemporaines. Leur récolement s’est fait lors de fouilles de sauvetage ou de fouilles programmées. En France, ces collections sont le plus souvent conservées dans des dépôts ou « ostéothèques » ayant comme tutelle les services régionaux de l’archéologie, parfois en association avec les structures de recherche (en archéologie et en anthropologie) et les universités. Leur intérêt paléopathologique et paléoépidémiologique varie en fonction de leur conservation, de leur effectif, de la précision de leur chronologie, ainsi que de la durée et du mode de constitution. Les collections provenant d’ensembles funéraires établis sur une large période de temps, à l’intérieur de laquelle les datations archéologiques des sépultures sont peu précises, présentent moins d’intérêt paléoépidémiologique que les collections ayant une résolution centenaire. À l’extrême, les collections anthropologiques résultant d’une accumulation de victimes liées à une mortalité de masse très brève (quelques semaines ou mois) offrent un intérêt paléoépidémiologique tout particulier3.

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10 Les collections ostéologiques identifiées regroupent des sujets décédés généralement entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, associés à des éléments biographiques comme l’état civil, le sexe, l’âge au décès, les causes de la mort, les liens de parenté, la profession, l’anamnèse médicale. Ces collections ont une valeur scientifique bien établie, à la fois pour l’anthropologie biologique4 et pour la paléopathologie 5. Elles constituent un référentiel populationnel moderne pour la variabilité ostéologique chez Homo sapiens, permettant à la fois de modéliser les processus de croissance et de maturation osseuse et dentaire, de tester ou de développer des méthodes de détermination du sexe ou d’estimation de l’âge osseux, de mettre en relation des lésions ou des indicateurs osseux avec des activités ou des pathologies. Leurs effectifs, en général importants (de plusieurs centaines à plusieurs milliers) autorisent des approches statistiques, populationnelles et épidémiologiques.

11 Ces collections squelettiques identifiées résultent de deux modes de recrutements distincts : un recrutement cimétérial (fin de concession, désaffectation totale ou partielle) et un recrutement anatomique (préparation ostéologique après dissection de corps non réclamés de sujets décédés en milieu hospitalier ou ayant donné leur corps à des laboratoires d’anatomie).

12 Plusieurs collections ostéologiques d’origine cimétériale existent en Europe, la plus ancienne est celle de Coimbra au (505 individus), conservée au musée d’Anthropologie de l’Université de Coimbra. La collection Luis Lopes (environ 1 700 squelettes) est conservée au Muséum d’histoire naturelle de Lisbonne ; la collection Simon (environ 500 sujets vaudois) fait maintenant partie des collections du laboratoire d’archéologie préhistorique et d’anthropologie de l’Université de Genève. D’autres collections cimétériales de ce type existent en Europe, entre autres à Grenade, Turin, Bologne, Athènes, Budapest et Bucarest. La collection de Spitalfields se distingue par son ancienneté : conservée au Muséum d’histoire naturelle de Londres, elle contient 900 squelettes (le tiers des individus est identifié) de la crypte de Christ Church, avec des décès répartis entre 1646 et 1859, mais la majorité des individus datent du XVIIIe siècle.

13 Les principales collections ostéologiques d’origine anatomique sont nord-américaines : la collection Hamann-Todd (Cleveland Museum of Natural History) conserve plus de 3 000 squelettes identifiés, la collection Terry (National Museum of Natural History, Smithsonian Institution, Washington, DC), plus de 1 700. En Europe, on peut citer les collections de l’Institut d’anatomie normale (Université de Strasbourg), celles du musée Orfila (transférées à l’Université de Montpellier) et du musée d’Anatomie humaine de l’Université de Turin, particularisées par leurs spécimens ostéologiques juvéniles6 (fig. 1 et 2).

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Fig. 1. Crâne d’enfant hydrocéphale (référencé, sujet féminin âgé de 18 mois)

Collection du musée d’Anatomie humaine, Université de Turin. © H. Coqueugniot.

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Fig. 2. Squelettes juvéniles montés (d’âge connu)

Collections de l’Institut d’anatomie normale de l’Université de Strasbourg. © H. Coqueugniot.

14 Ces collections référencées, d’origine cimétériale ou anatomique, ont fait l’objet de très nombreuses études anthropologiques, paléopathologiques et paléoépidémiologiques. Par exemple, la collection de Coimbra a fait l’objet de recherches paléoépidémiologiques portant sur la tuberculose7, celle de Cleveland a été utilisée comme référence pour établir des critères pour le diagnostic paléopathologique de plusieurs affections, notamment les cancers osseux8. Dans la collection de Spitalfields (crypte), les enfants âgés de plus d’un an présentent presque tous un retard dans la croissance et dans la dentition9, évoquant des carences alimentaires au moment du sevrage ; ce qui fait de cette collection un modèle paléo-épidémiologique des pathologies carentielles.

Les collections pathologiques

15 Les collections à vocation pathologique, références précieuses pour la paléopathologie, sont généralement localisées dans des structures muséales en lien avec l’histoire de la médecine, qu’il s’agisse de laboratoires d’anatomie ou d’anatomo-pathologie, de facultés de médecine, d’universités ou d’institutions hospitalières, mais on peut également les retrouver dans des musées d’histoire naturelle. Elles ont été constituées le plus souvent au sein de laboratoires d’anatomie normale ou pathologique, entre le début du XIXe siècle et le début du XXe siècle. Certaines pièces plus rares, notamment certaines reproductions de pièces pathologiques en cires ou en sculptures sur bois, datent de la fin du XVIIIe siècle.

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16 Les restes conservés sont des squelettes entiers, des pièces osseuses, des préparations d’organes, de tissus, de fœtus conservés en milieu liquide (bocaux) ou fixés, des reproductions de pièces, d’organes ou d’individus dans des matériaux divers (cires, plâtre, papier mâché verni)...

17 Chaque pièce est un exemple de pathologie souvent remarquable, fréquemment utilisée en illustration des différents chapitres de manuels de paléopathologie10. Ces pièces permettent aux paléopathologistes de visualiser l’histoire naturelle de certaines maladies, à des périodes antérieures aux thérapeutiques modernes, en montrant des expressions pathologiques comparativement plus proches de celles observées sur des restes humains archéologiques que sur les référentiels de pathologie moderne. Ces collections d’anatomie pathologique ont donc principalement un intérêt didactique en paléopathologie, car les pièces conservées sont généralement isolées de leur contexte individuel et populationnel, et de ce fait peu informatives pour l’épidémiologie. Cependant, elles peuvent s’avérer précieuses en paléopathologie génétique, notamment infectieuse, grâce au progrès de la paléogénomique.

18 On peut entre autres citer en France les collections pathologiques du musée Dupuytren (UPMC-Paris), qui illustrent l’ouvrage méthodologique de Paléopathologie humaine de P. Thillaud, celles de l’Institut d’anatomie pathologique (Université de Strasbourg), documentant de nombreuses pathologies osseuses dans le catalogue de l’exposition « Histoire(s) de squelettes » du Musée de Strasbourg11, du musée Ollier des Vans et du musée Testut-Latarjet d’anatomie et d’histoire naturelle médicale (Université de Lyon), du musée Orfila, du musée de l’Homme et, à l’étranger, celles du Muséum d’histoire naturelle de Bâle, du Royal College of Surgeons de Londres, des musées fédéraux d’Anatomie de Vienne et de Göttingen, de l’Armed Force Institute of Pathology de Washington, du Mutter Museum de Philadelphie, du San Diego Museum of Man... la liste n’étant pas exhaustive.

19 En conclusion, les collections muséales de restes humains, qu’elles soient d’origine archéologique ou anatomique, représentent un matériel d’étude indispensable à la recherche paléopathologique. Cependant, le mode de constitution de ces collections en conditionne fortement l’intérêt : les collections pathologiques illustrent l’histoire naturelle des maladies osseuses et ont une valeur didactique inestimable pour la paléopathologie ; les collections anthropologiques, surtout identifiées, constituent des repères précieux pour les approches méthodologiques en paléoépidémiologie. Les nouvelles méthodes d’imagerie tridimensionnelle contribuent aujourd’hui à valoriser, tout en les préservant, ces collections ostéologiques humaines.

BIBLIOGRAPHIE

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Dutour O., 2011, La paléopathologie humaine, éditions du CTHS, Paris.

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Dutour O., Maczel M., Ardagna Y., 2007, « Intérêt du modèle peste dans les études paléoépidémiologiques », M. Signoli, D. Chevé, P. Adalian, G. Boestch, O. Dutour (dir.), La peste : entre épidémies et sociétés, Firenze University Press, Firenze, p. 89-96.

Exp. Strasbourg, 2005: Histoire(s) de squelettes. Archéologie, médecine et anthropologie en Alsace [Exposition Strasbourg, Musée archéologique de Strasbourg, 2005] Schnitzler B., Le Minor J. M., Ludes B., Boes E. (dir.)].

Molleson T. I., Cox M., Waldron A. H., Whittaker D. K., 1993, The Spitalfields Project. Vol. 2. The Anthropology. The Middling Sort. CBA Research Report 86.

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Redman J. E., Shaw M. J., Mallet A. I., Santos A. L., Roberts C. A., Gernaey A. M., Minnikin D.E., 2009, “Mycocerosic acid biomarkers for the diagnosis of tuberculosis in the Coimbra Skeletal Collection”, Tuberculosis 89: 267-277.

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Santos A. L., Roberts C. A., 2006, “Anatomy of a serial killer: differential diagnosis of tuberculosis based on rib lesions of adult individuals from the Coimbra Identified Skeletal Collection, Portugal”, American Journal of Physical Anthropology 130, p. 38-49.

Thillaud P., 1996, Paléopathologie humaine, Kronos éditions, Sceaux.

Waldron T., 1994. Counting the Dead. The Epidemiology of Skeletal Populations, Wiley & Sons, Chichester.

NOTES

1. Dutour, 2011. 2. Waldron, 1994. 3. Dutour et al., 2007. 4. Coqueugniot, 1999. 5. Thillaud, 1996. 6. Coqueugniot, 1999. 7. Santos et Roberts, 2006; Redman et al., 2009. 8. Rothschild et al., 2006. 9. Molleson et al., 1993. 10. Ortner, 2003 ; Thillaud, 1996. 11. Billmann et al., 2005.

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RÉSUMÉS

Les collections ostéologiques humaines ont été constituées à partir de différentes sources (archéo-anthropologiques, anatomiques ou pathologiques). Leur origine détermine différents niveaux d’intérêt paléopathologique et paléoépidémiologique : les collections pathologiques ont un intérêt essentiellement didactique et les collections identifiées, qu’elles soient d’origine anthropologique ou anatomique, permettent une approche méthodologique et paléoépidémiologique.

The collections of human bones were built up from different sources: archaeo-anthropological, anatomical or pathological. Their origin determines different levels of paleopathological and paleoepidemiological interest: the pathological collections have an essentially didactic interest and the identified collections, whether anthropological or anatomical in origin, enable a methodological and paleoepidemiological approach to be adopted.

INDEX

Mots-clés : paléopathologie, paléoépidémiologie, collections anthropologiques, collections anatomiques, collections ostéologiques Keywords : paleopathology, paleoepidemiology, anthropological collections, anatomical collections, osteological collections

AUTEURS

OLIVIER DUTOUR Directeur d’études à l’EPHE, UMR 5199 PACEA (olivier.dutour[at]ephe.sorbonne.fr).

HÉLÈNE COQUEUGNIOT Directeur de recherches au CNRS, directeur d’études cumulant à l’EPHE, UMR 5199 PACEA (helene.coqueugniot[at]u-bordeaux.fr).

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L’utilisation des isotopes en archéologie et en anthropologie Use of isotopes for archaeology and anthropology

Fabrice Demeter

Les isotopes, pour quoi faire ?

1 Les isotopes sont présents partout dans l’environnement et se retrouvent dans les plantes par l’intermédiaire des sédiments et de l’eau, puis dans les tissus animaux (et donc dans ceux de l’homme) à travers l’alimentation, la boisson et la respiration1. L’étude des isotopes radioactifs, comme le célèbre carbone 14 (14C) permet de dater les matériaux qui en contiennent, comme le bois, les fibres végétales (tissus) et l’os. L’analyse des isotopes stables, comme ceux du carbone et de l’azote, permet d’étudier les habitudes alimentaires d’un individu ou d’un groupe d’individus2 et de déterminer l’endroit dans lequel une personne a grandi ou vécu les 20 à 25 dernières années de sa vie3. Tous ces isotopes sont donc des éléments extrêmement utiles pour les sciences archéologiques et anthropologiques4.

Quels sont les isotopes les plus étudiés ?

2 Les éléments chimiques les plus fréquemment employés pour les analyses isotopiques sont le carbone, l’azote, l’hydrogène, l’oxygène et le strontium.

3 Le carbone (C) est présent dans l’air, l’eau et la terre, et est absorbé par les plantes lors de la photosynthèse, soit la transformation de la lumière du soleil en énergie utilisable5. Les différentes espèces de plantes absorbent le carbone en fonction de leurs caractéristiques spécifiques et du climat dans lequel elles vivent. Par exemple, les cellules des plantes tropicales ont des ratios isotopiques différents de celles des plantes des climats tempérés. Les animaux et êtres humains consomment des plantes. Par conséquent, le carbone peut être utilisé pour déterminer le type d’environnement dans lequel un animal ou une personne a vécu, ainsi que son régime alimentaire6.

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4 L’azote (N) est aussi présent dans l’atmosphère, mais il est absorbé par les plantes par fixation. Le ratio isotopique d’azote varie entre les plantes et les animaux qui les consomment, puis entre ces derniers et les autres animaux qui les mangent. Par conséquent, les ratios isotopiques d’azote peuvent être utilisés pour déterminer la place d’un organisme dans la chaîne alimentaire (niveau trophique) : herbivore, carnivore ou omnivore7. De cette manière, un herbivore aura un collagène osseux dont la composition isotopique est enrichie par rapport à la part protéique de son alimentation. Il en est de même pour un carnivore par rapport à sa proie. L’analyse des 13C et 15N du collagène osseux des populations va apporter ainsi des informations sur l’environnement dans lequel elles auront puisé leurs ressources, ainsi que sur le niveau trophique auquel il appartient8.

5 L’hydrogène (H) et l’oxygène (O) sont les composants de l’eau, ils sont donc présents dans l’environnement sous diverses formes9. Pour ces deux éléments, les ratios isotopiques varient en fonction de la température et du climat. Les êtres humains consomment de l’eau. Par comparaison, il est possible de déterminer si un individu a vécu dans différentes régions géographiques au cours de sa vie, ou si plusieurs individus proviennent du même endroit (et ont consommé la même eau). Bien que l’hydrogène et l’oxygène puissent être très utiles pour les études isotopiques, les techniques d’analyse sont toujours en cours de développement et les résultats doivent être interprétés prudemment.

6 Le strontium (Sr) est un métal qui regroupe plusieurs isotopes stables et radioactifs. Il est abondant dans la nature et se trouve surtout dans les roches et les sédiments volcaniques. Avec l’érosion des sédiments et leur dispersion dans l’eau et les ressources alimentaires, il est absorbé par l’organisme qui l’incorpore dans les tissus osseux, de la même manière que le calcium. Le ratio isotopique du strontium varie d’une région géographique à l’autre. Par conséquent, l’analyse des ratios isotopiques du strontium des os peut permettre de déterminer l’origine géographique d’une personne ou de distinguer des squelettes retrouvés ensemble mais ayant appartenu à des individus d’origines géographiques différentes.

Quels types de tissus utiliser ?

7 Les os et les dents sont les tissus les plus fréquemment analysés, car ils sont durs et se conservent longtemps dans les contextes archéologique et médico-légal. L’os est formé de deux composants : une matrice organique majoritairement composée de collagène, et une matrice minérale inorganique composée surtout de phosphates de calcium. Le collagène est une protéine fibreuse, la plus abondante chez les mammifères10. Comme pour le cheveu, la protéine de collagène de l’os est constituée de différents atomes, notamment de carbone et d’azote, dont la composition isotopique (13C et 15N) est liée à celle de la part protéique de l’alimentation11. Dans la nature, les végétaux possèdent des 13C et 15N spécifiques à leur environnement (marin, terrestre, aride, tempéré…), leur photosynthèse (C3, C4 ou CAM)12 et leur espèce (e.g légumineuse ou non légumineuse). L’os est un tissu vivant qui se renouvelle en permanence lorsque nous grandissons et vieillissons. Cependant, ce processus est très lent, et l’os cortical dense reflète approximativement les 10 à 15 dernières années de vie d’un individu.

8 Les dents sont aussi composées de matériaux organiques et minéraux, mais contrairement à l’os, l’émail dentaire ne se renouvelle pas. Par conséquent, les dents

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sont très utiles lorsque l’on veut déterminer l’environnement des premières années de vie d’un individu (au moment où ses dents se sont formées). De plus, la comparaison des dents et des os d’un même individu permet de déterminer si une personne a migré d’une région à l’autre depuis son enfance : les dents montrent le lieu de vie pendant l’enfance, et les os le lieu de vie pendant les années qui ont précédé le décès.

9 Les cheveux qui sont composés de deux protéines, la kératine et le collagène, ainsi que les ongles peuvent aussi être utiles aux analyses isotopiques. Bien qu’ils soient plus fragiles que les os, ils se forment à un rythme connu et reflètent le passé récent des individus. Ils peuvent donc permettre de déterminer si un individu s’est déplacé d’une région à l’autre récemment, ou des changements alimentaires saisonniers13.

10 Finalement, le sang et les tissus mous peuvent aussi être employés pour les analyses isotopiques. Cependant, ils se décomposent rapidement et sont fortement sujets à la contamination. L’abondance de l’isotope lourd du carbone et de l’azote, respectivement 13C et 15N, reflète l’alimentation des individus : l’analyse isotopique peut donc montrer si la personne est végétarienne ou si elle consomme beaucoup de viande. De la même manière, l’abondance des isotopes lourds d’hydrogène et d’oxygène dans les tissus, respectivement 2H et 18O, reflète l’eau consommée par les individus (par le biais de boissons et d’aliments comme les fruits et les légumes).

Fig. 1. Distribution simplifiée des ratios d’isotopes stables du carbone et de l’azote dans la biosphère (adapté d’après Shoeninger et Moore, 1992)

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NOTES

1. Bowen, 2010. 2. Ambrose, Norr, 1993 ; Clementz et al., 2009.

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3. Balasse et al., 2002. 4. Shoeninger, Moore, 1992 ; Knipper et al., 2015. 5. Drucker, D., Bocherens, H., 2004. 6. Dufour et al., 2014. 7. Deniro, Epstein, 1978 ; Krueger, Sullivan, 1984. 8. Bocherens et al., 1999. 9. Bowen et al., 2005. 10. Campbell, 1995. 11. Ambrose, Norr, 1993. 12. Le mécanisme de photosynthèse en C3 correspond au mécanisme « de base » de 95 % des plantes vertes. Dans les prairies des régions subtropicales à tropicales avec une forte insolation et une saison des pluies chaudes, certaines plantes ont développé des alternatives aux limitations imposées par le milieu, afin de préserver une activité photosynthétique (herbacées) appelée photosynthèse en C4. En milieu aride, une autre photosynthèse s’est développée, la photosynthèse CAM (plantes grasses, ananas). 13. Macko et al., 1999 ; O’Connel, Hedges, 1999.

RÉSUMÉS

Les isotopes sont présents partout dans l’environnement. Ils servent à dater les matériaux organiques lorsqu’ils sont radioactifs ou à renseigner sur l’alimentation et l’origine géographique des humains et des animaux lorsqu’ils sont stables.

Isotopes are present everywhere in the environment. They are used to date organic materials when they are radioactive or to gather information about food and the geographical origin of humans and animals when they are stable.

INDEX

Mots-clés : isotopes, alimentation, migrations humaines Keywords : isotopes, food, human migrations

AUTEUR

FABRICE DEMETER Musée de l’Homme, UMR7206, Paris et Center of GeoGenetics, Copenhague (demeter[at]mnhn.fr).

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Datation par le carbone 14 et restes humains Une étude de cas : la momie dorée de Dunkerque Carbon-14 dating of human remains. A case-study: the gilded mummy in Dunkerque museum

Pascale Richardin et Magali Coudert

Introduction

1 La datation directe des restes humains est essentielle pour replacer les individus dans un cadre chronologique et culturel fiable, surtout s’ils sont hors contexte historique ou archéologique, comme beaucoup de momies de collections muséales. La datation par le carbone 14, qui permet de répondre à bien des questionnements à ce sujet, est généralement réalisée sur le collagène des os1 ou sur d’autres tissus biologiques, comme l’émail dentaire2. Mais cette démarche reste limitée, voire inconcevable, surtout quand il s’agit d’étudier des momies conservées dans des musées3. En effet, l’échantillonnage nécessaire serait beaucoup trop invasif.

2 C’est pourquoi un protocole particulier pour la préparation des échantillons de cheveux, basé sur l’extraction sélective de la kératine du cortex, a été mis en place4 et ne nécessite qu’une vingtaine de milligrammes d’échantillon brut5. Pour les os, par comparaison, une quantité allant de 200 à 500 mg est nécessaire afin d’obtenir une date pertinente. De plus, si aucun tissu biologique n’est accessible, des échantillons prélevés sur les momies, comme les textiles de linceul ou des bandelettes de momies égyptiennes6, peuvent être datés, même s’ils ne permettent pas réellement de dater le corps. Cependant, ils sont souvent imprégnés de grandes quantités de matière organique, baumes de momification ou fluides corporels issus de la décomposition du corps, et leur présence peut fortement modifier les résultats de datation. C’est pourquoi, la préparation des échantillons nécessite des étapes indispensables d’extraction de ces matières exogènes. Ces protocoles doivent être rigoureusement contrôlés, car ils sont essentiels à l’obtention de résultats fiables et reproductibles.

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Nous allons montrer, sur la momie dorée de Dunkerque, comment ils ont été appliqués avec succès sur les cheveux et le matériel funéraire associé.

3 À la suite de l’Expédition d’Égypte de Bonaparte à la fin du XVIIIe siècle et après la décision ministérielle de mettre en dépôt les objets collectés en Égypte par Albert Gayet (1856-1916) sur le site d’Antinoé, de nombreux musées français se sont dotés de collections égyptologiques. La ville de Dunkerque fera quelques acquisitions dès 1838, mais il faudra attendre 1907 pour que la collection prenne une réelle importance avec l’arrivée d’une « momie dorée », désignée par le nom de « Ounnout » (l’« astrologue »). Cette momie aux cheveux blonds (fig. 1 a, b), allongée sur un lit de feuilles, dont le corps est recouvert de nombreuses feuilles d’or7, a fait partie du corpus d’étude lors du projet de publication8, porté par le Service du Récolement des Dépôts antiques et des Arts de l’Islam (SRDAI) du musée du Louvre sur certaines œuvres coptes issues des fouilles du site d’Antinoé. Parmi les analyses scientifiques réalisées, la datation était l’un des volets importants du projet9.

Fig. 1 a. La momie dorée de Dunkerque, la tête laisse apparaître ses cheveux blonds et les feuilles d’or appliquées sur le visage

© C2RMF/P. Richardin.

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Fig. 1 b. La momie dorée de Dunkerque dans sa vitrine

© C2RMF/P. Richardin.

Matériel et méthodes

4 Nous avons réalisé plusieurs prélèvements sur la momie : un échantillon de cheveux prélevés sur la tête de la momie (ChD1 – 66 mg) et un autre déposé sur le lit de feuilles (ChD2 – 45 mg). Afin de pouvoir vérifier si le feuillage était bien associé au corps de la momie, une feuille de mûrier a été collectée à côté du corps (FeuD – 160 mg), ainsi qu’un échantillon détaché de textile (TexD – 17 mg).

5 La préparation des échantillons a nécessité une étape préliminaire d’extraction, surtout pour le textile qui était très enduit de matières organiques (fig. 2 a et b). Le protocole consiste en une série de lavages avec un mélange dichlorométhane/méthanol (1:1 v/v), puis avec de l’acétone, suivie de nombreux rinçages à l’eau ultrapure. Cette méthode est proche de celle de Bligh-Dyer10 mise en place pour l’extraction des lipides et utilisée en routine pour l’analyse de la matière organique archéologique à des fins d’analyses chromatographiques11.

Fig. 2 a et b. Observation sous loupe binoculaire de l’échantillon de textile (TexD) montrant la quantité importante de matière organique

© C2RMF/P. Richardin.

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6 Les échantillons végétaux (textiles et feuilles) subissent des traitements avec des solutions aqueuses d’acide chlorhydrique et de soude à 80 °C, alternés avec des rinçages à l’eau ultrapure jusqu’à neutralité des eaux de lavage (méthode acide/base/acide). La préparation des cheveux est fondée sur l’extraction sélective de la kératine du cortex12 par réduction à l’aide du dithiothréitol (ou DTT). Cela permet de s’affranchir des protéines de la cuticule, qui pourraient contenir des contaminations extérieures.

7 Tous les extraits séchés (textiles, végétaux ou kératine) subissent ensuite une combustion sous vide poussé et à haute température. Enfin, le dioxyde de carbone récupéré est réduit par de l’hydrogène en présence de poudre de fer à 600 °C, au cours de la graphitisation. Le carbone graphite obtenu se dépose sur la poudre de fer et l’ensemble est ensuite pressé dans une cible. Les mesures du carbone 14 ont été réalisées par AMS (spectrométrie de masse par accélérateur) sur l’accélérateur ARTEMIS, situé au CEA de Saclay13.

Résultats

8 Les âges radiocarbone ainsi que les âges calibrés14 pour chaque échantillon sont donnés dans le tableau 1.

Tableau 1. Résultats des âges radiocarbone et calibrés

N° cible pMC corrigé du Âge radiocarbone Âge calibré (cal AD) à Échantillon (réf. fractionnement (BP) 2Σ (95,4 %) UMS)

SacA 80,190 ± 0,267 1775 ± 30 138AD (95,4 %) 339AD 25392

142AD (2,0 %) 160AD ChD1 SacA 165AD (4,1 %) 196AD 80,286 ± 0,253 1765 ± 30 25393 209AD (87,9 %) 354AD 367AD (1,5 %) 379AD

SacA 134AD (62,5 %) 264AD ChD2 80,079 ± 0,305 1785 ± 30 24676 271AD (32,9 %) 332AD

SacA FeuD 80,241 ± 0,275 1770 ± 30 138AD (95,4 %) 345AD 24429

SacA FeuD 80,158 ± 0,245 1775 ± 30 138AD (95,4 %) 339AD ext 24430

SacA 134AD (62,5 %) 264AD TexDext 80,096 ± 0,252 1785 ± 30 24510 271AD (32,9 %) 332AD

220AD (46,6%) 223AD Comb (Dunk) 1776 ± 13 276AD (48,8%) 329AD

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9 La première remarque concerne la bonne reproductibilité du protocole d’extraction de la kératine. En effet, sur deux mesures indépendantes sur l’échantillon de cheveux ChD1 (préparation de l’échantillon et mesure), les dates obtenues sont identiques : 1775 ± 30 ans BP pour le premier essai et 1765 ± 30 ans BP pour le second.

10 L’innocuité des extractions avec les solvants pour la datation par le carbone 14 a déjà été montrée sur de nombreux exemples de bois15, de textiles ou de cheveux16. Nous l’observons ici avec les deux essais réalisés sur les feuilles de mûrier, qui n’étaient pas enduites de matières organiques. En effet, la date obtenue pour les feuilles extraites

(FeuDext ) et celle pour les feuilles non-extraites (FeuD) sont identiques : 1770 ± 30 ans BP et 1775 ± 30 ans BP respectivement.

11 Nous avons vu que les deux échantillons de cheveux (ChD1 et ChD2) ont donné des résultats similaires (1775 ± 30 ans BP, 1765 ± 30 ans BP pour ChD1 et 1785 ± 30 ans BP pour ChD2). Ainsi, l’échantillon prélevé sur le lit de feuilles appartient bien à la momie.

12 Tous les âges radiocarbone (cheveux ChD1 et ChD2, textile TexD et végétal FeuD) sont identiques et sont représentatifs du même événement. Ils peuvent donc être combinés, afin d’obtenir une date plus précise pour la momie et avec une marge d’erreur plus faible. La fonction R_Combine du logiciel OxCal 4.2.417 donne alors un âge radiocarbone de 1776 ± 13 ans BP, donc une date comprise entre 220 et 330 après J.-C.

Conclusion

13 Toutes les dates calibrées montrent que la momie dorée de Dunkerque se situe dans la période romaine de l’Égypte. Cette datation est confortée par l’application de feuilles d’or sur le corps de la momie, technique de traitement des corps régulièrement observée pour cette période.

14 Cet exemple confirme l’importance des protocoles de préparation des échantillons pour la datation par le carbone 14. L’extraction de la kératine du cortex des cheveux des momies permet d’obtenir des résultats fiables et reproductibles sur des cheveux avec des quantités de prélèvement qui peuvent se limiter à 20 mg. Cette méthode nous a permis par ailleurs de vérifier que des cheveux, prélevés auprès d’un corps momifié, n’appartenaient pas à la momie étudiée18, car la date obtenue était très éloignée de celle obtenue pour des cheveux prélevés sur la tête de la momie. La datation par le carbone 14, corrélée aux mesures isotopiques en carbone, azote et soufre obtenues sur des cheveux, est également essentielle pour mieux comprendre et interpréter l’évolution dans le temps de l’alimentation des populations19,20.

15 Bien sûr, ces résultats isolés ne sont utiles que s’ils sont confortés et/ou complétés par ceux obtenus dans d’autres disciplines (histoire et archéologie, anthropologie, paléopathologie, odontologie, etc.), d’où l’importance de la mise en place de projets pluridisciplinaires dans le cadre de l’étude des corps momifiés. C’est ce que ce premier projet nous a permis de réaliser, grâce à de nombreux programmes de recherche nationaux et internationaux sur l’analyse et/ou la datation de cheveux, poils ou fourrures présents sur des objets de musée.

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NOTES

1. Hedges, 1992. 2. Beavan, 2012. 3. Cadot, 2007. 4. Richardin, 2011. 5. Diaz-Zorita, 2016. Cadot, 2013. Touzeau, 2014. 6. Quiles, 2014. 7. Cordonnier, 2013. 8. Le SRDAI a effectué le récolement d’un ensemble d’environ 4 500 œuvres provenant du site égyptien d’Antinoé. Ces pièces - parmi lesquelles subsistent aujourd’hui une quarantaine de momies – ont été réparties par l’État au début du XXe siècle à travers 70 institutions françaises. À l’occasion de la publication de cette collection, Magali Coudert et Yannick Lintz ont mis en place un programme de recherche pluridisciplinaire sur l’ensemble des momies retrouvées, les corps égyptiens de cette période ayant rarement été étudiés. 9. Richardin, 2013a. Richardin, 2013b. Benazeth, 2013. 10. Bligh, 1959. 11. Garnier, 2014. 12. Richardin, 2011. 13. Moreau, 2013. 14. Dès le début de la méthode de datation par le carbone 14, les chercheurs ont remarqué un désaccordavec les dates obtenues sur des objets archéologiques bien datés. Une des hypothèses théoriques de la méthode, qui était de dire que la teneur en 14C dans l’atmosphère ne variait pas dans le temps, est bien entendu fausse. Pour pallier à cela, une courbe de calibration, réalisée grâce à d’autres techniques de datation qui ne dépendent pas du taux de 14C dans l’atmosphère, comme la dendrochronologie et la datation par Uranium/Thorium de coraux par

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exemple, permet de transformation des âges radiocarbone en âges calendaires. Ces derniers – compris entre 0 à 50 000 ans – peuvent être déterminés grâce à plusieurs logiciels en ligne sur internet et aux données de calibration les plus récentes. 15. Richardin, 2015. 16. Richardin, 2016. 17. Bronk Ramsey, 1994. 18. Moreau, 2013. 19. Drucker, 2013. 20. Diaz-Zorita, 2016.

RÉSUMÉS

Cet article présente la datation par le carbone 14, appliquée à différents échantillons (textiles, végétaux, cheveux) prélevés sur la momie égyptienne dorée conservée au musée de Dunkerque. Les résultats illustrent bien et permettent de valider les protocoles de préparation des échantillons pour la datation : de l’étape d’extraction des matières organiques exogènes à celle de la kératine des cheveux. En effet, ces protocoles doivent être rigoureusement contrôlés, car ils sont essentiels à l’obtention de résultats fiables et reproductibles.

This article presents the radiocarbon dating applied on different samples (textiles, plants, hair) taken on the golden Egyptian mummy, preserved in the museum of Dunkerque, France. The results illustrate and validate the sample preparation protocols used: from the extraction steps of exogenous organic matter to those of the hair keratin. Indeed, these protocols must be strictly controlled, because they are essential to obtain reliable and reproducible results.

INDEX

Keywords : radiocarbon dating, samples preparation, mummy hair, Egypt, Dunkerque Mots-clés : datation par le carbone 14, préparation des échantillons, cheveux de momies, Égypte, Dunkerque

AUTEURS

PASCALE RICHARDIN Ingénieure de recherches, responsable du Groupe Datation C2RMF, département Recherche (pascale.richardin[at]culture.gouv.fr).

MAGALI COUDERT Collaboratrice scientifique de conservation–Égypte romaine et byzantine, Service du Récolement, direction de la Recherche et des Collections, musée du Louvre (magali.coudert[at]louvre.fr).

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Archéoentomologie et archéoparasitologie d’une momie égyptienne Archaeoentomology and archaeoparasitology of an Egyptian mummy

Jean-Bernard Huchet

Introduction

1 Les restes humains organiques conservés dans les musées sont les hôtes privilégiés de diverses espèces d’insectes et de parasites. L’infestation par ces animalcules peut avoir des origines distinctes : colonisation de l’individu de son vivant (ectoparasites notamment), lors des différentes étapes de la dégradation post-mortem (insectes nécrophages), ou enfin plus tardivement, au sein des collections muséales. S’agissant de momies égyptiennes, nous serions en droit d’imaginer que les divers processus de momification destinés à préserver le corps aient eu raison des divers organismes thanatophages. Il n’en est malheureusement rien. Comme en témoignent différents chapitres du Livre des Morts, les insectes étaient redoutés des embaumeurs qui mirent en œuvre toute leur ingéniosité pour éviter que ceux-ci ne viennent corrompre irrémédiablement l’intégrité des défunts dont ils avaient la charge (fig. 1 a, b). D’autres preuves afférentes à cette appréhension à l’égard des thanatophages ont pu être révélées lors de séances de débandelettage, communément pratiquées au cours des deux siècles précédents. Ainsi, l’entomologiste B. Greenberg (1991) rapporte la découverte, dans la bouche d’une momie, d’un fragment de papyrus portant l’inscription suivante : « Les vers, en toi, ne se transformeront en mouches. »

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Fig. 1. Prêtre égyptien repoussant l’insecte nécrophage

Vignettes extraites du chapitre 36 du Livre des Morts (a : Papyrus Louvre N 3248 ; b : Papyrus Ryerson, modifiés).

2 Originellement destinés à préserver les corps pour l’éternité, les savoir-faire des embaumeurs ont eu comme conséquence indirecte de préserver les insectes contemporains de l’embaumement. À l’instar de leur hôte, ces fragiles reliques ont traversé les siècles. Elles nous livrent de précieuses informations sur l’état sanitaire de ces populations d’époque pharaonique et participent à la reconstitution des pratiques funéraires de l’Égypte ancienne1.

3 Nous présentons ici les résultats de l’étude archéoento-mologique2 conduite sur une momie égyptienne (XXIIe dynastie/800-750 av. J.-C.) du musée Anne-de-Beaujeu (Allier) confiée au département Restauration du C2RMF3 de Versailles pour y être traitée. De très nombreux restes d’insectes, le plus souvent remarquablement préservés, ont pu être mis au jour (fig. 5). Ces derniers sont décrits et illustrés ci-après.

Déceler la présence d’insectes et de leurs traces d’activité sur des momies

4 Si certains restes d’insectes se révèlent facilement décelables par les restaurateurs lors de la phase de restauration, la taille et/ou la fragmentation de certains spécimens nécessite le prélèvement de restes pulvérulents et autres échantillons de nature organique (cheveux notamment) pour examen au laboratoire. Après avoir fait l’objet d’une série de tamisages (5 mm/1 mm/300 µm) pour isoler les restes organiques des détritus exogènes, les fragments d’exosquelettes sont triés sous stéréo-microscope puis identifiés. Dans certains cas, le recours au microscope électronique à balayage (MEB) permet d’affiner et/ou de confirmer l’identité taxinomique des divers arthropodes en mettant en évidence certains détails morphologiques diagnostiques.

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Les insectes de la momie du musée Anne-de-Beaujeu

5 L’examen microscopique des prélèvements effectués au C2RMF témoigne, a posteriori, d’une activité intense au sein de la momie comme l’indique le nombre considérable de déjections d’insectes et de fragments d’exuvies4. De nombreux cristaux s’apparentant à du natron, carbonate naturel de sodium utilisé par les embaumeurs pour déshydrater les corps, figuraient au sein des échantillons.

6 Les restes attribuables à quatre espèces, appartenant à trois ordres distincts d’insectes, ont pu être identifiés. Dans le cas présent, la biologie de ces différentes espèces et leur localisation viennent corroborer le fait que ces derniers sont contemporains de la phase de momification et non la conséquence d’une infestation au musée. Comme il nous sera donné de le voir ici, l’approche archéoentomologique fournit de précieux enseignements tant sur les processus de momification en Égypte antique que sur l’état sanitaire des populations du passé.

7 Parmi les taxons représentés figurent deux espèces de coléoptères, ainsi qu’une espèce de diptère (mouche nécrophage), toutes trois hôtes classiques des momies égyptiennes. Cependant, la découverte la plus remarquable est sans nul doute la présence de très nombreux restes de poux (Pediculus humanus capitis), sous leur forme adulte, ainsi que des myriades de lentes solidement attachées aux cheveux de la momie.

Les coléoptères

Necrobia rufipes (De Geer), la « Nécrobie à pattes rouges », très anciennement nommée mummarium (la « Nécrobie des momies »)

8 Ce petit coléoptère (3,5-7 mm de long), d’un bleu métallique, appartient à la famille des . Il fréquente les cadavres à un stade avancé de la dégradation post-mortem. Comme nous avons pu l’indiquer précédemment5, sa présence soutient le fait que ces différentes phases de momification duraient plusieurs semaines, en concordance avec les écrits des auteurs antiques, notamment ceux d’Hérodote6, qui mentionnait que les processus de momification se prolongeaient sur sept décades (70 jours). Hôte « classique » des momies, cet insecte fut originellement mentionné en 1812 par le célèbre égyptologue J.-F. Champollion : « Ce fut en examinant les mains attentivement que nous aperçûmes, dans l’interstice des doigts, plusieurs coléoptères morts, de couleur rose-violet dans tout son éclat… » Des restes de cette espèce, parfaitement préservés, furent récemment découverts dans la cavité viscérale de la momie du prêtre Namenkhet Amon (XXVe-XXVIe dynastie, -430/-450 av. J.-C.) 7. Aujourd’hui cosmopolite, est parfois utilisée en entomologie médico-légale dans l’établissement de l’intervalle post-mortem (IPM)8.

Dermestes frischii Kugelann (fig. 2 a, b, c, d, e)

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Fig. 2. Spécimens archéologiques du coléoptère Dermestes frischii ()

a : individu adulte découvert dans les bourres de tissus de la momie. © C2RMF/N. Timbart. b : adulte, vue dorsale ; c : adulte, vue ventrale ; d : larve de dernier stade ; e : nymphe. © J.-B. Huchet/MNHN (échelles : 10 mm).

9 Les insectes appartenant au genre Dermestes Linné (famille des Dermestidae), étymologiquement « mangeur de peau », comptent de nombreux représentants de par le monde. Dans la nature, les adultes et leurs larves se rencontrent sous les charognes à différents stades de la décomposition post-mortem avec cependant une prédilection pour les cadavres en état de dessiccation avancé9.

10 En contexte archéologique, un petit nombre d’espèces figure parmi les hôtes habituels des momies égyptiennes dont notamment Dermestes frischii, découvert tant sur les linges et bandages externes qu’au sein de la momie du musée. Pour l’anecdote, cette espèce fut également retrouvée lors de l’autopsie conduite sur la momie de Ramsès II10. Eu égard à leur biologie, Dermestes et Necrobia se rencontrent fréquemment simultanément sur un même corps, lorsque ce dernier libère des acides gras volatils et autres produits de dégradation caséique11. La compétition interspécifique exerce un effet régulateur notable sur l’accroissement des populations12. Selon Atkinson (1825), les Dermestes et Necrobia n’ont pas la possibilité de s’échapper une fois la momie bandelettée (ils parviendraient à percer quelques couches de lin, pour finalement mourir in situ).

11 Une exuvie d’Attagenus sp. (Dermestidae) figurait dans la matière pulvérulente située sous la tête de la momie. Son remarquable état de conservation suggère cependant qu’il s’agit d’une contamination récente. À l’instar des Dermestes cités précédemment, les espèces de ce genre figurent parmi les principaux ravageurs des musées dans lesquels ils occasionnent des dégâts majeurs parmi les collections d’histoire naturelle.

Les mouches nécrophages

12 Les diptères, sous leur forme adulte, sont des insectes relativement fragiles et se conservent plutôt mal en contexte archéologique. Toutefois, lors de la nymphose (passage de la larve à l’adulte), l’enveloppe externe de l’« asticot » se durcit et constitue un petit tonnelet rigide (puparium) à l’intérieur duquel l’insecte se métamorphose. Ces petits « cocons », très résistants (fig. 3 a, b), ont propension à se conserver remarquablement sur de très longues périodes. Ce sont ces derniers que l’on retrouve associés aux momies.

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13 Les investigations conduites sur la momie du musée Anne-de-Beaujeu ont révélé la présence de quelques puparia d’une seule espèce de mouche aux reflets métalliques : Chrysomya albiceps.

Chrysomya albiceps (Wiedemann) (fig. 3 a, b, c)

Fig. 3. La mouche nécrophage Chrysomya albiceps (Calliphoridae)

a : puparium (région occipitale de la momie), vue dorsale ; b : idem, vue apicale, (échelle : 5 mm). © J.- B. Huchet/MNHN ; c : spécimen adulte actuel (échelle : 5 mm). © K. Szpila, Nicolaus Copernicus University, Toru´n, Pologne.

14 Chrysomya albiceps est incontestablement l’espèce nécrophage la plus fréquente en Égypte13. Sa présence aux temps pharaoniques est attestée par des découvertes récurrentes dans diverses momies d’Égypte. C. albiceps affectionne les cadavres de taille importante pour assurer la pérennité du développement larvaire. Selon G. F. Bornemissza (1957), cette espèce intervient sur les cadavres lors de la phase dite de « fermentation butyrique14 » (soit entre 20 et 40 jours après la mort). La ponte (ou oviposition) s’effectue préférentiellement au niveau de plaies ouvertes lorsqu’elles existent. Il est probable que les éviscérations conduites par les embaumeurs sur les corps destinés à être momifiés aient été particulièrement attractives pour les jeunes larves qui, par ce biais, ont pu alors facilement coloniser les viscères. Dans le cas présent, le nombre restreint de puparia mis au jour suggère que le corps a été soigneusement lavé après la phase de dessiccation au natron. Les expérimentations conduites en Égypte par Tantawi et coll. (1996) ont montré que l’espèce était principalement active en saison chaude, ce qui suggérerait que la mort du sujet conservé au musée Anne-de-Beaujeu ait pu intervenir durant cette période de l’année.

Les ectoparasites (poux)

Pediculus humanus capitis (De Geer), le « pou de tête »

15 Si l’on excepte les puces, parasites temporaires à forte mobilité, trois ectoparasites spécifiques peuvent infester l’être humain : le pou du corps (Pediculus humanus humanus L.), le pou de la tête (Pediculus humanus capitis De Geer) (fig. 4 a, b) et le pou du pubis (Phtirus pubis L.)15.

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Fig. 4. Poux de tête (Pediculus humanus capitis) provenant de la momie

a : adulte, photo MEB (microscope électronique à balayage) ; b : nymphe. © C2RMF/ D. Robcis ; M. Lemoine, Laboratoire d’Archéozoologie/Archéobotanique du MNHN.

16 Contrairement aux poux du corps, les poux de tête ne sont vecteurs d’aucune maladie. Ils occasionnent cependant une nuisance physique réelle : le « prurit ». Dans la plupart des cas, le nombre d’adultes n’excède pas la dizaine sur une même tête. Toutefois, dans quelques rares cas, on a pu en dénombrer jusqu’à un millier. Les poux de tête figurent au sein de la vermine mentionnée dans la Bible comme la troisième plaie d’Égypte et on trouve trace, dans le papyrus Ebers16, d’une recette à base de farine de dattes et d’eau destinée au traitement de la pédiculose17. Hérodote (L’Enquête, Livre II) indique que les prêtres égyptiens se préservaient des infestations de la vermine en se rasant entièrement le crâne, mais également les cils et sourcils. Cet usage semble s’être ensuite plus ou moins répandu, notamment au sein des familles de haut rang. L’archéologie nous montre cependant que cette pratique récurrente du rasage n’a pu totalement endiguer la propagation du parasite.

17 Bien que la découverte de poux soit relativement peu fréquente en contexte archéologique, la momie du musée Anne-de-Beaujeu n’est pas la première à attester de la présence de ce parasite en Égypte antique. La première étude paléoparasitologique faisant état de la présence de poux sur des momies égyptiennes est due à Ruffer (1921). De même, de nombreux peignes à poux d’époque pharaonique ont été mis au jour (notamment à Antinoé), certains présentant encore, entre leurs dents, des vestiges de parasites18.

18 Par l’ampleur de l’infestation caractérisant la momie du musée Anne-de-Beaujeu (des centaines de lentes et 37 nymphes et adultes découverts sur les cheveux), le « sujet momifié » présentait incontestablement une parasitose sévère qui, par voie de conséquence, devait se traduire par un prurit majeur, sans doute généralisé à l’ensemble du scalp. L’examen attentif du crâne (notamment de la région occipitale) n’a cependant livré aucune trace d’aire lésionnelle, expression d’un grattage chronique lié une infestation parasitaire prolongée19.

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Conclusion

Fig 5. Tableau récapitulatif des insectes de la momie égyptienne du musée Anne-de-Beaujeu

Nombre de Ordre Famille Espèce Stades* NMI* restes

Coleoptera Dermestidae Dermestes frischii A, N, L 85 33

Coleoptera Dermestidae Attagenus sp. L 1 1

Coleoptera Cleridae Necrobia rufipes A 3 3

Diptera Calliphoridae Chrysomya albiceps P 4 4

Pediculus humanus A, N : 38 ; (Le : > A, N : 37 ; Le : > Pthiraptera Pediculidae A, N, Le capitis 300) 300

Total : 131 78

* Légende : A : adulte ; N : nymphe ; L : larve ; P : puparia ; Le : lentes ; NMI : Nombre Minimal d’Individus. Ne sont cependant pas incluses dans ce décompte les centaines de lentes présentes sur les cheveux.

19 Les procédés, aussi multiples qu’originaux, mis en œuvre par les antiques thanatopracteurs, ont rarement été en mesure d’annihiler les méfaits insidieux de la vermine sur les restes organiques humains. L’étude archéoentomologique conduite sur la momie égyptienne du musée Anne-de-Beaujeu nous révèle l’identité de ces insectes et parasites sur lesquels baumes et autres onguents n’ont eu que peu d’effet sur l’activité des cohortes d’arthropodes nécrophages. Au-delà de l’aspect forensique mettant en évidence la durée des traitements funéraires pour cette période, la présence d’insectes ectoparasites nous renseigne sur l’état sanitaire des populations de l’Égypte ancienne.

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NOTES

1. Huchet, 1995, 2010 a, b.

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2. L’archéoentomologie, branche de l’archéozoologie, est la discipline étudiant les insectes provenant de contextes archéologiques. 3. Centre de Recherche et de Restauration des Musées de France. 4. Enveloppe chitineuse abandonnée par les arthropodes lors de la mue. 5. Huchet, 2010. 6. Hérodote : L’Enquête, 85-89. 7. Huchet, 2010. 8. Arnaldos et al., 2004 ; Gennard, 2007. 9. Byrd et Castner, 2009. 10. Steffan, 1982. 11. Turchetto et al., 2001. 12. Odeyemi, 1997. 13. Omar, 1995. 14. Formation d’acide butyrique par dégradation du sucre, de l’acide lactique ou de l’amidon lors de la décomposition. 15. Le papyrus Ebers, daté d’environ 1550 avant J.-C., est l’un des plus anciens traités médicaux. 16. Huchet, 2015. 17. Leca 1971. 18. Palma 1991 ; Mumcuoglu, 2008. 19. Capasso et al., 1997.

RÉSUMÉS

En dépit des soins méticuleux apportés par les antiques thanatopracteurs égyptiens, de nombreuses momies ont subi les assauts d’insectes déprédateurs. La momie égyptienne du musée Anne-de-Beaujeu, confiée au département Restauration du C2RMF de Versailles pour restauration, n’a pas échappé aux vagues d’arthropodes thanatophages qui se sont préservés jusqu’à nous. Au-delà de cette colonisation post-mortem, les investigations paléoparasitologiques conduites sur cette momie nous révèlent que cette dernière souffrait d’une pédiculose sévère, comme en témoignent les myriades de poux et de lentes découvertes sur les restes de cheveux.

Despite the meticulous care bestowed by Ancient Egyptian embalmers, numerous mummies have suffered from attacks by depredatory insects. The Egyptian mummy from the Museum Anne-de- Beaujeu, entrusted for restoration to the C2RMF (Versailles), did not escape the invasions of thanatophagous arthropoda, which have been preserved up till now. Beyond this post-mortem colonization, paleoparasitological investigations conducted on this mummy revealed that the latter suffered from severe pediculosis, as evidenced by the myriads of lice and nits discovered on the remaining hair.

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INDEX

Keywords : archaeoentomology, archaeoparasitology, insects, Coleoptera, Diptera, ectoparasites, mummy, Egypt Mots-clés : archéoentomologie, archéoparasitologie, insectes, coléoptères, diptères, ectoparasites, momie, Égypte

AUTEUR

JEAN-BERNARD HUCHET CNRS, Muséum national d’Histoire naturelle (UMRs 7209 et 7205) et Université de Bordeaux (UMR 5199 PACEA) (huchet[at]mnhn.fr).

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Bog bodies: the Grauballe Man Les corps des tourbières : l’homme de Grauballe

Pauline Asingh and Niels Lynnerup

1 Few discoveries from Denmark’s prehistory enjoy the attention afforded by the public and the media to Grauballe Man, the well-preserved Iron Age bog body exhibited at Moesgaard Museum, south of Aarhus (fig. 1).

Fig. 1. Exhibition: Grauballe Man on display at Moesgaard Museum

© Medie dep. Moesgaard/S. Christensen.

2 The museum’s director, Professor P.V. Glob, saw the discovery of this well-preserved bog body as a worldwide sensation when excavated in 1952 (fig. 2). The man from the

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bog represented our distant ancestors and also appeared to have been an unusually handsome and stately young man. With references to the Greek Nerthus cult, he was seen as a fertility sacrifice. The Bishop of Aarhus gave his blessing, and a series of investigations of the bog body was planned to take a close look at the lives of Iron Age people – X-radiology, an autopsy and investigations of his gut contents, teeth, etc. It was also crucial to preserve this dignified representative of our ancestors for posterity, i.e. conserve his body for the future and for exhibition to the public. From the first moment, Glob clearly considered him as both a scientific object and a precious museum exhibit. This was not a view seen previously in the treatment of bog bodies, several of which had simply wasted away in museum stores or been reburied in a bog or in consecrated ground in a churchyard. Only a few days after his discovery, Grauballe Man was exhibited to the public, still drenched with bog water and resting on the block of peat in which he was carried to the museum. Everyone had to have a chance to see him before conservation and investigation began. The exhibition was a huge success and 18 000 visitors passed his display case during the ten days he was on show. The world press wrote in astonishment about Danes flocking to see a dead Iron Age man in a glass coffin. People’s behaviour at his display case was marked by dignity and respect, and many bared their heads, took off their hats, as they approached this great treasure (fig. 3).

Fig. 2. Grauballe Man on findspot: the man in the bog, 27th april 1952

© Moesgaard Museum.

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Fig. 3. Grauballe Man was laid in the bog just as naked as he came into the world

© Medie dep. Moesgaard/R. N. Johansen.

Conservation – an artificial bog

3 Out of consideration for Grauballe Man’s preservation, the exhibition had to close before guests became tired of looking at him. There then followed a busy programme of investigations before the conservator could begin the job of his life (fig. 4). Never before had an entire human body been conserved, so the first step was to invent a method. It was decided to complete the conservation process that had begun in the bog through more than two millennia. Eighteen months immersed in a bath of water and oak completed the tanning process and, as the conservator put it, Grauballe Man was then as well-preserved as an old boot. The conservation method was well-chosen, and the museum’s conservators have established that he remains in an extremely stable condition today. His only treatment since conservation has been the regular application of Turkish Red Oil – similarly a very stable product.

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Fig. 4. The conservator preparing the body after conservation: the rubbing in leather dressing completed the conservation

© B. Venge/A. Stiftstidende.

Preservation

4 The first experimental scientific investigations of bog bodies, especially focusing on their preservation in the bog, had been performed by a Danish forensic pathologist, in 1913. He showed that peat could tan the skin, and that sphagnum acid was an important element in process. Furthermore, as with all post-mortem, diagenetic changes, low temperature plays an important role and bogs are also characterized by their acidity and absence of aerobic (putrefying) bacteria. Recent research has also shown that the diagenetic processes in the bog also rely on reactions involving a polysaccharide, sphagnan. Sphagnan also starts a process called the Maillard reaction: a complex suite of reactions between free aminogroups (amins, aminoacids, peptides and proteins) with reducing sugars. Maillard reactions are commonly encounted in food-processing, e.g. baking, where aminogroups combine with sugars (starch) resulting in “browning” of the foodstuffs. The end result of the above reactions, as seen for most bog bodies, is that bone mineral is leached from the mineralised tissues, and conversely that mineral salts, often containing iron, are probably absorbed into collagenous tissues such as the dermis, ligaments, tendons and fasciae.

5 Another important end result of the long stay in the peat bog is that the bog bodies become waterlogged. Presumably the tissues with their proteinaceous content draw water. It seems that the water content to some degree keeps the bog bodies in a more or less unaltered gross morphological shape and size, but when a bog body is dried out when taken from the bog the water evaporates, and this may lead to a marked shrinkage. The skull and facial skeleton will also be soft, meaning that impressions may be made if the find is not handled with care. The only way of preserving the bog bodies

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found before the Second World war was simply drying the body or body parts, out. The remains then stiffen in whatever position they were found in/laid out to dry. The tissues harden and the consistency of the bog body becomes like one of hardened cardboard. The body is no longer pliable and all folds and wrinkles will be set. All the above reactions will have grossly altered the tissues, and even more problematically, to a differing degree within even the single tissue type or tissue entity, like a within a single bone. Unfortunately, this may also lead to claims of extremely rare diseases or congenital disease, e.g. when some limbs are more shrunk then others. Grauballe Man changed this: as noted above his preservation was done by using oils, and thinking more closely about the boggy environment from which he came.

In the spotlight of science

6 Whatever their preservational condition, the bog bodies are of great interest for the natural and medical sciences. Not least the preservation of soft tissue allows for interesting analyses. As the skin is very often preserved in bog bodies, trauma, in the form of penetrating lesions or cuts, may be seen as well as minor pathologies such as warts, for which we have no other paleopathological sources or finds. Interior organs and muscles may also be preserved to differing degrees allowing assessment of these. At the same time, the presence of the integumentary soft tissue may hinder other analyses, not least osteological analyses. It is possible to conduct an autopsy, but while this has indeed been carried out, e.g. when the Grauballe Man was found, most scientists are not too keen on this procedure. An autopsy with full opening of the body cavities will invariably destroy the integrity of the bog body as an archaeological specimen, and future studies may be compromised. Today there is a recognition that a bog body is an invaluable archaeological object.

7 This makes X-raying and CT-scanning the methods of choice among the newer investigative techniques used on bog bodies (fig. 5). CT-scanning results in digital data which can be post-processed, even down to manual editing of the single image slices. The 3-dimensional rendering also makes it possible to apply methods developed for dry bones for sexing and aging. Skull and pelvis shape may also be extracted and studied for sexing purposes. While external genitalia may be present on bog bodies, many bog finds comprise only body parts, and thus sexing will rely on extracting and assessing skeletal features or measures.

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Fig. 5. 3D of skull: the CT-scan refutes previous claims of a fractured skull

© N. Lynnerup.

8 Based on the collective evidence by CT-scanning bog bodies, we contend that several, if not most previously described bog body trauma is post-mortem, the effects of diagenesis, rather than peri-mortal and a result of deliberate violence. We acknowledge that this will probably be an ongoing discussion: the lesions, peri- or post-mortem, are all affected and changed diagenetically, blurring the distinctions even more, but certainly all lesions and signs of trauma should be appraised critically.

9 One additional benefit of CT-scanning is that the examination implicitly documents the bog body throughout. As CT-scanning is digitial, this also means that data can be shared with other scientists or museums, and easily stored for future reference. This may be of importance also for the curatorial staff, as a status of the preservation of internal structures may be had and used for references for the curatorial and preservational measures taken. Finally, the digital CT-scanning data may be used in 3- dimensional printing: it is possible to produce a 1:1 copy of scanned structures, e.g. a skull, with high resolution. This may be utilized for exhibitions purposes and as basis for facial approximations of bog bodies, e.g. Grauballe Man.

The last meal

10 As the gut contents may be preserved, bog bodies may provide a unique angle on diet reconstruction. Groundbreaking analyses of the gut contents of Grauballe Man were carried out when he was found, and a major re-analyses of the latter was carried out in 2007. Stomach and gut contents thus dramatically show what was the last meal. In the case of the Grauballe Man, this was mostly weed seed, with some grain and meat.

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The hunt for DNA

11 A final methodology deserves to be mentioned, as it invariably crops up when discussing bog bodies and their preservation; namely the possibility of DNA-analyses. A DNA analysis was attempted for the Grauballe Man, but, as expected to some degree, no DNA was recoverable (from dentine). The reason is most probably the acid, wet environment of the bog, which is detrimental to preservation of DNA-molecules. However, with the advent of techniques which allow detection of very short DNA- chains, this may change and perhaps a DNA results may be possible from bog bodies in the future.

“Overkill” of overkill

12 Not only do the more recent anthropological re-analyses not fully support the ideas of “overkill”, but they also indicate that the bog body individuals were not physically different from the main Iron Age population. For example, it was speculated that the fingers of the Grauballe Man indicated that he was of noble birth, as an Iron Age man would be expected to have hands showing the effects of years of manual labour. This is more the result of the degenerative processes in the bog which results in the desquamation of the outer epidermal layer. Thus it cannot be conclusively stated whether the bog bodies overall represent younger, and perhaps therefore specially selected, individuals than the Iron Age background population (fig. 6).

Fig. 6. Face reconstruction: Caroline Wilkinson during the development of the Iron Age man behind the bog body

© Moesgaard Museum/J. Kirkeby.

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Grauballe Man on display

13 Thanks to the scientific investigations carried out both back then and again recently, we now know a great deal about Grauballe Man’s Iron Age life, so visitors to his display case can understand and identify with him. In Moesgaard Museum’s new exhibition building, which opened in 2014, Grauballe Man has been given his very own department. In the lofty exhibition gallery, visitors walk out on the soft, pleasantly springy surface of the bog. Here they see exhibited the bog offerings and sacrifices from Grauballe Man’s time, the Early Iron Age, 500-1 BC. Atmospheric scenography sets the scene, and visitors activate animations of votive ceremonies – a girl takes part in her family’s sacrifice of dogs, a woman offers her long plait, father and son lower swords and white quartz stones into the water after victory in battle. Here, the museum presents its interpretations of these events and activities. Using fiction, they have wrestled with the archaeological facts to forge and promote identification with the people of the past. Out on the bog, an understanding emerges of how, in pre-Christian times, there was a completely different set of ethics and morals and other rules and laws than those we know today. Back then, it was common to make offerings and sacrifices to the gods and spirits who were known to have an influence on people and animals here on earth. The taking of a life to ensure fertility and life in the future provoked no feelings of guilt. And we see this as the fate of Grauballe Man, and of the other bog bodies, for that matter.

14 In the middle of the bog, visitors can look down on Grauballe Man, exhibited on the floor below (fig. 7). A direct view down through the display case to his body, resting on a base of coloured concrete; an abstraction of the structure and colour of the peat bog. From the bog, visitors descend to the floor below and enter Grauballe Man’s room. This is circular and has a simple bench emerging organically from the walls all the way round. The floor holds the peat of the bog and the room exudes respect, dignity and intimacy. They are now in the bog where Grauballe Man has rested for more than 2 000 years and, although other people are in the room, have a sense of being alone with him. Even when a group of schoolchildren is sat around the display case, voices become lowered, they are filled with wonder and respect, and so many questions. Curiosity far outweighs the horror, if that is at all an issue. Next door is Grauballe Man’s cinema, where a docudrama is shown telling the story of his discovery, the media’s treatment of it and the ethical questions at that time. It also deals with his conservation, the investigations carried out in 1952 and 2001 and their interpretation. So the film deals with both Grauballe Man’s Iron Age life and death and his recent cultural history. The room is fitted out like the museum rooms of the time when Grauballe Man was found and investigated scientifically for the first time. It represents a time warp and presents the objects and artefacts associated with the bog body’s recent cultural history in the 1950s, as well as having modern touch screens, where researchers associated with the programme of investigations present the results of their research. Both Grauballe Man and his cinema are very popular with museum visitors from both Denmark and abroad. The process-oriented presentation, whereby visitors follow the scientific research, from questions through processes to answers, is engaging and relevant. The museum hears no critical voices of an ethical nature about how appropriate it is to exhibit Grauballe Man – quite the contrary!

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Fig. 7. The bog room in Moesgaard Museum: animations brings life to the sacrifices in the bog

In the middle, a look down to Grauballe Man. ©Medie dep. Moesgaard/I. Kuriata.

BIBLIOGRAPHY

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ABSTRACTS

The discovery of the well-preserved bog body: “Grauballe Man” was a worldwide sensation when excavated in 1952. Grauballe Man was exhibited to the public, still drenched with bog water and resting on the block of peat only a few days after his discovery. At the time, several scientific investigations were carried out, and Grauballe Man has since been on exhibit at the Moesgaard Museum, Aarhus, Denmark. Recently, new scientific investigations were carried out, revealing much new data. This kind of find, however, also raises many questions regarding conservation efforts, exhibition and the ethics of putting human remains on display.

La découverte de l’homme de Grauballe, un corps des tourbières remarquablement conservé, a suscité une vive émotion dans le monde entier en 1952. Le public a pu voir l’homme de Grauballe encore couvert de boue posé sur son bloc de tourbe, quelques jours seulement après sa mise au jour. Les scientifiques de l’époque ont conduit des recherches et l’homme de Grauballe est désormais exposé au musée Moesgård, à Aarhus. Des travaux récents ont fourni de nouvelles informations. Ce type de découverte soulève toutefois de nombreuses questions éthiques concernant la restauration et l’exposition des restes humains.

INDEX

Mots-clés: corps des tourbières, restes humains, exposition, restauration, analyses scientifiques Keywords: bog bodies, human remains, exhibit, conservation, scientific analyses

AUTHORS

PAULINE ASINGH Curator, head of exhibition department Moesgaard Museum, Denmark (pa[at]moesgaardmuseum.dk).

NIELS LYNNERUP Professor, Head of Unit, Laboratory of Biological Anthropology, Institute of Forensic Medicine, University of Copenhagen (nly[at]sund.ku.dk).

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IV. Préserver pour mieux transmettre

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Regard sur les restaurations anciennes et dérestauration : ce que les pratiques passées nous révèlent Examining old restoration and de-restoration issues: what we learn from past practices

Laure Cadot

Retour en humanité

1 Qu’ils aient été objets de science ou de curiosité, les restes humains patrimonialisés bénéficient depuis quelques dizaines d’années d’un regain d’intérêt certain qui se caractérise par une revalorisation croissante de leur potentiel scientifique et historique au travers de projets de recherche ou d’expositions temporaires réguliers1. À défaut d’un réel statut de sujet au sens juridique du terme 2, c’est bien désormais la considération de leur condition d’individu longtemps laissée de côté qui tend à faire évoluer progressivement les pratiques scientifiques et conservatoires à leur endroit. Avertissements de plus en plus fréquents sur la présence de dépouilles humaines dans les expositions, cérémonies de restitution aux communautés d’origine, campagnes de reconditionnement peuvent être vus chacun à leur niveau comme autant de marques de respect du corps et de la dignité de l’individu dans le cadre des activités muséales3.

2 Cette évolution des pratiques, reflet d’un changement de sensibilité et de valeur, amène ainsi à considérer sous un jour nouveau et à prendre en considération des questionnements que l’on n’avait pas auparavant. De manière plus évidente et plus directe que pour d’autres types de collection, l’évolution de la considération à l’endroit de ces « spécimens » redevenus « individus » reflète en effet celle de la société par rapport au corps, à la mort, à l’Autre, et ne peut être dissociée de débats et discussions plus larges qui touchent à notre passé colonial, au consentement et à la donation du corps, ainsi qu’à toutes les questions philosophiques ou religieuses ayant trait à ces thèmes universels.

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3 Ce changement de regard n’épargne pas le domaine de la conservation-restauration et invite à un certain examen de conscience par rapport aux pratiques passées dans leur ensemble. Les restes humains ne peuvent décemment plus être considérés comme des objets et, à ce titre, questionnent les fondements mêmes de notre discipline ou tout du moins ses limites, conférant au travail sur ces collections une dimension éthique et morale prégnante par rapport à d’autres biens culturels.

Multiplicité des usages et orientations des besoins

4 Têtes ou membres désolidarisés, enfoncements au niveau des zones de préhension, fentes de dessiccations, décoloration, attaques d’insectes : la fragilité intrinsèque des restes humains combinée à des pratiques muséales ou autres peu précautionneuses sont à l’origine d’une multitude de dégradations palliées avec plus ou moins de succès. Si les interventions de « remise en état », suite à des avaries liées à ce que l’on qualifie aujourd’hui de « mauvaises pratiques » ou de négligence, se retrouvent régulièrement dans les collections, toutes les interventions passées ne relèvent pourtant pas de la restauration à proprement parler, mais constituent des réponses issues des paradigmes de leur époque aux besoins de l’exposition, de l’enseignement ou de l’étude.

5 À défaut de rapports d’intervention ou a minima de mentions écrites dans des inventaires ou des publications, les traces de ces interventions constituent en elles- mêmes la source première pour prendre la mesure de ces pratiques. Les considérations présentées dans ces lignes résultent, de fait, de nos propres observations et réflexions accumulées au fil de visites et de projets d’étude ou de conservation au cours des dix dernières années. Loin de fournir un panorama général et exhaustif, nous proposons ici quelques cas ponctuels, mais néanmoins suffisamment récurrents et significatifs pour voir se dessiner un ensemble de pratiques qui nous ont interpelées et interrogées.

6 Les contours de cette « brève histoire de la conservation-restauration des restes humains » semblent de prime abord varier d’un type de collection à un autre, marquant la pluralité des pratiques en fréquence et motivation selon les usages institutionnels. Sans surprise, les dépouilles à valeur esthétique et marchande – momies égyptiennes et têtes trophées en premier lieu – ayant souvent transité par les cabinets d’amateurs ou le marché de l’art, présentent fréquemment des traces d’interventions cherchant à maintenir leur aspect ou tout du moins leur cohésion (fig. 5 a). Qu’il s’agisse de consolidations, de comblements, de refixage, de soclages ou autre, tous ces traitements visent en général à les mettre en valeur dans une optique de présentation.

7 Les collections archéologiques et anthropologiques faisant l’objet de consultations ou d’expositions régulières peuvent présenter pour leur part des remontages ou restitutions plus ou moins invasives, afin de faciliter les manipulations et prises de mesure et d’offrir au public des crânes complets ou des squelettes remis en continuité anatomique plus évocateurs (fig. 1). Ceci semble particulièrement vrai concernant les ossements fossiles souvent fragmentaires et lacunaires au moment de leur découverte. Des reconstitutions d’ensembles funéraires comme la tombe de Téviec du Muséum de Toulouse participent également de ce processus de diffusion, au point que les ajouts muséographiques associés aux restes archéologiques dans les années 1930 sont aujourd’hui conservés au même titre que les ossements eux-mêmes (fig. 2). La présence de dispositifs de suspension ou de manipulation tels que socles (fig. 3) ou potences rappelle la vocation première de ces collections pensées au moment de leur

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constitution comme des supports d’enseignement et de démonstration. Dans ces différents cas de figure, les pratiques conservatoires sont là pour faciliter les usages muséaux autant que pour réparer les dégâts causés par ces mêmes usages.

Fig. 1. La muséographie patrimonialisée de la sépulture de Téviec

Muséum d’histoire naturelle de Toulouse. © D. Descouens.

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Fig. 2. Évocation épurée au point d’en perdre la lisibilité

Sépulture de Peyre-Haute, musée des Confluences. © L. Cadot.

Fig. 3. Momie d’enfant soclée, Muséum d’histoire naturelle de Toulouse

© L. Cadot.

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8 Dans ce bref aperçu des interventions à valeur principalement esthétique ou scientifique, les collections médicales font figure d’exception par le caractère très limité, voire l’absence de traitement de restauration à proprement parler sur les préparations conservées. Cet état de fait s’explique sans doute autant par le caractère renouvelable de ces collections produites en majorité par et pour l’enseignement4 que par l’éloignement de la sphère muséale des médecins souvent en charge de ces collections.

9 Il est à l’heure actuelle très difficile d’établir une chronologie ou d’attribuer avec certitude ces interventions à un type d’intervenant plutôt qu’à un autre faute de documentation et de recherche sur la question5. Toutefois, l’existence relativement récente de professionnels formés susceptibles d’intervenir sur ces collections laisse supposer que les archéologues aussi bien que les chercheurs, conservateurs, préparateurs, bénévoles, ou même, hors institution, les marchands et les collectionneurs puissent être indifféremment à l’origine des traitements observés.

Une pratique empirique de la conservation sur fond de paradigmes changeants

10 S’il est impossible de se mettre à la place de nos prédécesseurs pour comprendre leur démarche, il semble en revanche assez évident que les restaurations passées relèvent davantage de la réparation, voire de la restitution selon les acceptions proposées par Jacques Cuisin pour les naturalia6, que de la restauration telle qu’on peut l’envisager aujourd’hui. On observe en effet bien souvent une forme de maladresse dans la mise en œuvre de ces interventions, soit qu’elles aient été réalisées avec les moyens du bord, soit que des techniques empruntées à la restauration des œuvres d’art viennent donner l’impression d’une inadéquation entre la réalisation et le but recherché (fig. 4). L’hétérogénéité des matériaux de restauration – colles, vernis, charges de comblements ou autres – et la disparité des techniques renforcent cette impression d’empirisme. Si ces interventions, comme les traitements insecticides qui semblent avoir largement contaminé les collections, nous posent aujourd’hui problème par leur manque de réversibilité ou d’innocuité, il ne faut pas oublier que ce souci d’assurer leur pérennité a malgré tout permis de préserver nombre de dépouilles.

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Fig. 4. Tête réduite brisée et recollée, musée du quai Branly, ancienne collection du laboratoire d’ethnologie du musée de l’Homme

© L. Cadot.

11 Au demeurant, les altérations les plus spectaculaires observées sur les restes humains patrimonialisés ne découlent pas tant de déficiences conservatoires – encore qu’une certaine forme d’abandon de spécimens soit à l’origine de dégâts aussi spectaculaires que désolants – que de la prépondérance de la recherche sur ces collections pendant tout le XIXe et une bonne partie du XXe siècle. L’observation des traces anciennes de démaillotage ou de déshabillage de momies, de dissection ou de démembrement traduit bien la « chosification » des restes et l’importance toute secondaire portée au maintien de l’intégrité au profit des besoins liés à l’investigation. Cette primauté de la recherche inclut certaines pratiques jugées peu précautionneuses aujourd’hui comme les prélèvements d’os, de peau ou de cheveux, qui nous semblent, à la lumière des possibilités technologiques actuelles, bien disproportionnées.

12 Les interprétations dans le remontage des squelettes et plus particulièrement des crânes – partie du corps ô combien mise en avant – posent quant à elles la question de la subjectivité des fondements scientifiques de ces pratiques. À titre d’exemple, le crâne de l’homme de la Chapelle-aux-Saints dont la version remontée par Marcellin Bouleau au début des années 1910 fut guidée par un certain nombre d’a priori, a en effet contribué à véhiculer une vision sauvage et fruste des Néanderthaliens, aujourd’hui corrigée par la découverte de nouveaux fossiles7.

13 De tout ceci ressort un sentiment contrasté d’inégalité de considération et de moyens mis en œuvre au cours du temps pour permettre la transmission de ces restes, entre appropriation des collections par ceux qui les ont constitué et/ou étudié et périodes de délaissement.

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Comprendre les pratiques passées pour guider les pratiques actuelles

14 En matière de restauration, porter un regard rétrospectif sur les pratiques antérieures participe de la construction même de la discipline en grande partie fondée sur le retour d’expérience et l’évaluation des traitements dans la durée. Concernant les restes humains, ce bel esprit critique peut facilement glisser vers le jugement de valeur et il est parfois difficile de s’en départir pour comprendre les motivations et la démarche mise en œuvre par nos prédécesseurs. Quand on pense « anciennes restaurations », c’est le mot « bricolage » qui sonne en écho comme une manière de mettre à distance des pratiques qui ne sont pas estampillées du sceau de notre déontologie actuelle. Car ce sont bien les principes et valeurs de la discipline fixés dans les codes professionnels qui nous permettent aujourd’hui de justifier nos propres interventions sur ces sujets patrimoniaux dont la détention par les musées est loin de faire l’unanimité et se trouve parfois remise en cause.

15 Face à ces pratiques disparates, on aura tendance à considérer que « le mal est fait ». Il faut bien reconnaître que leur réversibilité est souvent très limitée, voire inexistante. De même, les degrés plus ou moins importants de dégradation ou de contamination par l’apport d’éléments exogènes potentiellement perturbateurs (fig. 5 b), participent de la confusion ou de la détérioration, pouvant aller jusqu’à la disparition pure et simple d’informations macro- ou microscopiques. Tous ces aspects incitent à l’intégration d’un principe de précaution fondé sur le minimalisme strict des interventions dans l’optique de préserver le potentiel d’études, d’analyses ou d’examens futurs.

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Fig. 5. a : Exemple de réparation pratiquée vraisemblablement au moment de la fouille sur un orteil de momie, Fondazione Museo delle Antichità Egizie, Turin. b : Bandelettes maintenues par des épingles modernes aujourd’hui corrodées, musée Déchelette, Roanne

© L. Cadot.

16 Indépendamment des difficultés techniques qui peuvent se présenter, la question de la dérestauration se trouve par ailleurs grandement limitée du point de vue éthique en ce qu’elle constitue un niveau d’intervention supplémentaire dans l’histoire du traitement de ces restes, autant que par l’aspect désormais documentaire de ces pratiques anciennes du point de vue de l’histoire des collections. Elle ne se justifiera dès lors que par son aspect curatif visant à stabiliser un processus évolutif de dégradation causé par une intervention antérieure, chaque prise de décision mettant en avant le particularisme ontologique des restes humains, mais aussi le rapport sensible du praticien et des responsables scientifiques à ces collections à part.

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NOTES

1. Citons l’exposition Quatre momies et demie en 2015 au musée Déchelette de Roanne, ou bien encore la synthèse des réflexions et pratiques mises en place au musée des Confluences, Les cahiers du musée des Confluences (collectif, 2012). 2. Les restes humains demeurent des choses en termes de qualification juridique. Cornu, 2010, p. 44-45. 3. À titre d’exemple, les récentes rénovations des parcours permanents du musée des Confluences et du musée de l’Homme ont ainsi constitué, pour ces deux grandes institutions, l’occasion de sonder le contenu de leurs collections et de réfléchir à la manière la plus opportune de présenter ces dépouilles tantôt fascinantes, tantôt dérangeantes – voire embarrassantes –, mais toujours plébiscitées par le public. 4. On n’hésitait pas en effet à remplacer les préparations et spécimens obsolètes ou en mauvais état. 5. Parmi les trop rares recherches sur le sujet, citons le travail de Pauline Carminati (Carminati, 2011) sur la collection des momies du musée de l’Homme. 6. Cuisin, 2005, p. 14. 7. Nous remercions Mathilde Vauquelin, élève à l’École du Louvre, pour son étude de cas sur ce crâne dont un nouveau remontage a été réalisé dans les années 1980.

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RÉSUMÉS

Les préoccupations conservatoires concernant les restes humains dans les collections accompagnent depuis quelques dizaines d’années leur retour sur le devant de la scène scientifique et muséale. Du point de vue de la conservation-restauration, cette reconsidération patrimoniale incite à questionner, à l’appui de nos connaissances et de notre sensibilité contemporaine, les pratiques passées pour en comprendre les motivations et les enjeux dans le contexte de leur époque. Cet article propose, à la lumière de quelques exemples, d’esquisser non pas une histoire de la restauration des restes humains dans les institutions culturelles – qui reste à écrire –, mais un panorama de pratiques visant à orienter l’approche actuelle de ce domaine en pleine construction.

For decades, conservational preoccupations concerning human remains in collections have gone hand in hand with their return to the centre of the scientific and museum stage. From the conservation-restoration point of view, this reconsideration of their heritage status prompts questions – based on contemporary sensibility and knowledge – about past practices, in order to understand the reasons and challenges in the context of their era. In light of a few examples, this article proposes to outline, not a history of the restoration of human remains in cultural establishments (which remains to be written), but a panorama of practices which aims to guide the present approach to this emergent field.

INDEX

Keywords : repairs, remounting, contamination, derestoration, ethics, documentation Mots-clés : réparation, remontage, contamination, dérestauration, éthique, documentation

AUTEUR

LAURE CADOT Restaurateur d’objets ethnographiques, spécialisée dans la prise en charge des restes humains (laure_cadot[at]yahoo.fr).

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La conservation-restauration des restes humains patrimonialisés : questions de déontologie dans le domaine français The conservation-restoration of human remains incorporated into cultural heritage: questions of deontology raised in France

Noëlle Timbart

1 Conserver des restes humains dans des collections muséales ne va pas de soi. Or le corps humain est présent au musée sous toutes ses formes (ossements, corps, organes, peaux, entier ou fragmentaire, desséché ou en fluide, etc.). Sa présence est le plus souvent liée à l’histoire de la constitution des collections, à partir des cabinets d’amateurs qui présentaient des restes humains dès le XVIe siècle. Ces collections ont ensuite acquis un statut scientifique dans une volonté encyclopédique de connaissance du monde et de l’Homme. Les conservateurs qui en ont aujourd’hui la charge se doivent de les conserver au même titre que les autres objets inscrits à l’inventaire afin d’en assurer la transmission. La conservation peut impliquer, dans le cadre d’exposition, de valorisation mais aussi d’amélioration de la lisibilité des collections, des opérations de conservation-restauration.

2 Mais comment concilier l’approche scientifique et les valeurs culturelles et sacrées qui sont attachées au corps ? Il y a une grande part de subjectivité et de multiples attitudes, notamment dans les pratiques muséales.

3 De plus, se posent les questions de l’éthique et de la déontologie1 de ces interventions. Conserver et restaurer la dépouille d’êtres humains constitue un domaine spécifique puisqu’il s’agit de matériel humain, par conséquent, particulièrement sensible et à fort impact émotionnel. Certains restes humains, tels les momies amérindiennes qui ont souvent la bouche ouverte, peuvent impressionner le public, de même, que les momies ou squelettes d’enfants, car ils renvoient à l’humain, au vécu et à la mort. Le corps est plus qu’un simple objet matériel. En outre, périssable de par sa nature même, le but de

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l’intervention sera donc de préserver et de prolonger un corps ou élément de corps qui est voué à disparaître à plus ou moins long terme.

Mise en place récente d’une réflexion en France

4 Si l’attitude des conservateurs du patrimoine a considérablement évolué ces dernières années sur ce sujet délicat, la réflexion, en France, sur la déontologie de la conservation-restauration de ces collections semble relativement récente. Peu de documents abordent ce sujet spécifique. En 2006, Laure Cadot s’interrogeait dans son mémoire de Master 2 sur ce point et établissait un état des lieux de la question en France, soulignant la nécessité de la mise en place d’une réflexion à l’échelle nationale. Ces questions ont été relayées par la publication de son mémoire et par divers articles, notamment dans La Lettre de l’OCIM2.

5 En outre, plusieurs colloques et journées d’étude se sont tenus autour de la question de l’exposition du corps humain et de sa conservation dans des institutions muséales à la suite du symposium « Des collections anatomiques aux objets de culte : conservation et exposition des restes humains dans les musées », organisé au musée du quai Branly en 2008, qui a amorcé la réflexion sur les aspects éthiques et déontologiques au sein de la communauté professionnelle3. D’autres colloques, tels « Exposer le corps humain : gestion, déontologie et questions juridiques » et « Les collections anatomiques : de la connaissance à la mise en valeur » organisés par l’INP en 2010 et 2012, témoignent du renforcement de l’intérêt pour la question. Néanmoins, la restauration proprement dite de ce type de collections n’a pas vraiment été abordée même si des orientations bibliographiques ont été données ou si une table ronde a été consacrée à ces problématiques.

6 De fait, les enjeux éthiques et les principes déontologiques mis en œuvre transparaissent dans plusieurs articles qui relatent des opérations ponctuelles de conservation-restauration. Celles-ci traduisent la prise de conscience des professionnels en charge de ces collections des enjeux entourant ces vestiges4. Et depuis décembre 2014, un groupe de travail5 constitué au sein de la Commission Scientifique Nationale des Collections est chargé de réfléchir plus particulièrement à ces collections.

7 En revanche, dans les pays anglo-saxons, et notamment en Grande-Bretagne, la réflexion s’avère beaucoup plus poussée et plus ancienne. Un document intitulé Guidance for the Care of Human Remains in Museums (Department for Culture, Media and Sport) a été rédigé en 2003-2004 sur la conservation des restes humains, suite à la constitution d’un groupe de travail sur les restes humains dès 20016. Plus récemment, le numéro 197 de la revue du British Museum a, quant à lui, été consacré à la question des restes humains : Regarding the Dead: Human Remains in the British Museum (2014). Les questions éthiques et déontologiques relatives à la présence des restes humains dans les musées et les sujets liés à la conservation, à l’étude, au stockage, à l’accès, à la gestion et à l’exposition y sont abordés. Plusieurs règles et pratiques ont été mises en place dans les institutions muséales à la suite de la création de ce document. De même, le Human Remains: Guide for Museums and Academic Institutions de Cassman et Odegaard (2007) encadre les pratiques de conservation et d’exploitation scientifique spécifiques à ce domaine7.

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La déontologie de la restauration en France

8 La restauration des biens culturels en France est définie par des codes nationaux (Code du Patrimoine notamment). Elle « consiste à intervenir directement sur des biens culturels endommagés ou détériorés dans le but d’en faciliter la lecture tout en respectant autant que possible leur intégrité esthétique, historique et physique8 » et implique les notions de compatibilité, de stabilité, de réversibilité et de lisibilité des interventions qui sont au cœur de tout traitement9. Toutefois, aucune section n’est spécifiquement dédiée aux restes humains.

9 Or, restaurer un reste humain n’est pas un geste anodin. La question de la conservation-restauration des restes humains est cruciale puisqu’elle implique de justifier la conservation de ces restes intrinsèquement voués à la destruction, ainsi que la manière de le faire avec les limites qui en découlent. Ainsi, la prise en compte de l’état de dégradation des corps est essentielle de même que celle du processus mis en œuvre dans leur préservation initiale (degré d’intentionnalité)10 selon les cultures dont ils sont issus.

10 Si on analyse les différentes restaurations menées en France dans ce domaine, il apparaît que ce sont essentiellement les codes de déontologie internationaux, tels que les codes de déontologie de l’ICOM (2006 et 2013) et le code éthique de l’ECCO (2003), qui servent de référence. C’est la déontologie de la profession de restaurateur qui est appliquée. Les règles du code de déontologie de l’ICOM (2006)11 énoncent que la conservation et l’exposition des restes humains, matériel culturel sensible, doivent se faire en accord avec les normes professionnelles et, lorsqu’ils sont connus, les intérêts et croyances de la communauté ou des groupes ethniques ou religieux d’origine. Mais les notions de respect et de dignité humaine doivent primer12. Ces préoccupations éthiques se sont particulièrement développées ces dernières années concernant les questions conservatoires liées aux restes humains. Elles transparaissent dans les usages, aussi bien dans le cadre des pratiques scientifiques que des pratiques muséales, affichant une démarche plus responsable et respectueuse et un souci de dignité. Ainsi, plusieurs institutions muséales ont entrepris de s’occuper de ces collections qui étaient remisées dans les réserves dans des conditions souvent peu optimales (cartons « fourre-tout », corps sous des bouches d’évacuations d’air, à la poussière, etc.), en leur assurant une étude, une présentation à l’intérieur de vitrines conçues spécifiquement à leur intention ou en réalisant des conditionnements adaptés, leur offrant des conditions de conservation adéquates.

11 Pendant longtemps, la restauration des restes humains reposait avant tout sur des traitements visant à pallier les problèmes de conservation des matériaux organiques fragiles qui les constituent. Les interventions portaient essentiellement sur des consolidations à base d’adhésif ou de plâtre, par l’adjonction de textiles, des bouchages pour combler les manques, des éléments métalliques (fig. 1) pour relier deux parties de corps ; l’emploi de vernis protecteurs ou de solutions à base d’arsenic pour traiter les infestations à l’instar de la momie andine du musée de l’Homme (n° 1369)13 ; et la mise en place de supports muséographiques plus ou moins intrusifs, telles que les potences utilisées pour la présentation des momies d’Amérique du Sud qui se caractérisent par leur position assise. Ces anciennes interventions et les manipulations qui y sont liées ont été à la source de nouvelles dégradations engendrant des altérations matérielles (usure de la peau, cassure du squelette, os brisés notamment), mais aussi des pertes

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d’informations scientifiques. Et l’aspect « humain » n’était pas pris en considération. Dans le cas des momies d’Amérique du Sud, nombre de soclages avec potences métalliques ont pu transpercer les corps du bassin jusqu’au sternum sans tenir compte du point de gravité ; ou des tiges métalliques ont pu être utilisées pour maintenir fixée la tête au corps, de façon très intrusive.

Fig. 1. Ancienne restauration : fil métallique utilisé pour maintenir la tête accrochée au corps

© C2RMF/J. Marsac.

12 Aujourd’hui, toute intervention de restauration considère que le corps reste, après la mort, fortement déterminé par le respect dû à la personne (révision des lois de bioéthique, 2010). L’individu est considéré comme primordial dans le traitement : la dimension humaine est devenue un paramètre incontournable. Par conséquent, un soin plus particulier est accordé à l’aspect minimal de l’intervention qui préserve les informations dans le cadre de futures recherches qui pourront être menées sur les individus, permettant ainsi de conserver le potentiel informatif du corps. En effet, ces collections représentent un intérêt scientifique indéniable sur divers aspects d’une civilisation (croyances religieuses, pratiques funéraires, conditions de vie, etc.)14 : les opérations de conservation-restauration doivent donc veiller à préserver les témoins de son histoire et de son usage. Ainsi, bien souvent, le traitement du corps se limite à un simple dépoussiérage et à une remise en connexion anatomique des os du squelette si nécessaire, quand celui-ci est accessible.

13 Par ailleurs, les avancées technologiques, à l’image du scanner aujourd’hui, permettront de compléter les données que ces corps véhiculent et qu’il n’est pas toujours possible de déterminer à l’heure actuelle. C’est pourquoi la recherche devrait être intégrée à l’acte de restauration proprement dit. Afin de favoriser les examens et analyses, il importe en outre de limiter au maximum les contaminations par des

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produits qui masqueraient des informations, ou les dégradations physico-chimiques et toute intervention invasive qui empêcherait de percevoir certains détails pour garantir la conservation du potentiel informatif que représente le corps objet de l’étude et du traitement.

14 Dans ce contexte, les principaux objectifs d’une restauration sont d’améliorer les conditions de conservation de la dépouille et des éléments qui lui sont associés, car du point de vue technique, la restauration porte sur des matériaux organiques plus ou moins liés entre eux ; de viser à l’intégrité de l’individu en redonnant une cohésion au corps, c’est-à-dire, en réunissant les diverses parties du corps éventuellement dissociées15 et en replaçant, quand cela est possible, un élément détaché dans sa position anatomique (fig. 2 a, b)16 ; et de favoriser une lisibilité maximale dans la perspective de l’exposition (momie dans son cercueil par exemple ; restitution des pieds manquants pour améliorer la compréhension du public ou reprise des collages de fragments d’une tête réduite qui nuisent à sa perception) tout en s’attachant à appliquer un traitement réversible et respectueux de l’innocuité et de la stabilité des matériaux employés. La démarche se cantonne souvent à des traitements de stabilisation et de remise en place par des moyens mécaniques, le recours à des techniques de collage et de consolidation n’étant envisagé qu’en dernier ressort si aucune alternative ne peut être trouvée. Et dans ce cas, l’introduction d’adhésif est limitée à la zone où la peau soulevée risque de se détacher ou d’être arrachée par exemple. Une méthode de doublage avec l’emploi de papier japonais peut être choisie, supposant un apport limité en adhésif et une adaptation du papier de doublage à la surface et aux déformations du corps sans exercer aucune contrainte tout en consolidant ; et pouvant être facilement retiré. Ainsi, une plus grande résistance est apportée aux zones fragiles et soulevées, évitant toute perte de matière qui est alors stabilisée et permet des manipulations, dans le cadre des études notamment.

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Fig. 2 a, b. Restitution du pied dans sa position anatomique afin de redonner l’intégrité à la dépouille

Corps desséché copte, musée Joseph-Denais, Beaufort-en-Vallée. © C2RMF/A. Chauvet.

15 Il faut également prendre en considération les éléments humains isolés (tête, main, pied), nombreux dans les collections, et pour lesquels un nouveau support permet d’optimiser la conservation. La réalisation d’une boîte de conservation avec plateau de manipulation permet alors de sécuriser ces fragments de corps.

16 Les restes humains sont composés de matière organique, particulièrement périssable et fragile, sensible aux variations d’humidité, de température et d’éclairement. Par conséquent, leur traitement suppose une approche similaire à tout autre objet constitué de ce même matériau. Aussi, du point de vue de la restauration, l’intervention ne diffère pas beaucoup des autres objets en matériaux organiques. Mais le restaurateur n’est pas confronté à un objet comme un autre, il est face à un sujet, un individu, ce qui n’est pas neutre. Les solutions adoptées seront donc différentes, tout comme la façon de procéder : retenue, degré d’intervention limité, etc. Le niveau d’intervention sera variable et le traitement toujours envisagé en évaluant les risques éventuels. Bien souvent, ce sont les éléments périphériques, tels que les textiles, cartonnages, éléments de parure, etc. qui font l’objet du traitement (fig. 3). Mais parfois, le corps pourra être directement concerné, ce qui suppose des choix d’intervention plus délicats avec des questionnements quant aux limites qui en découlent : comment, par quels moyens, jusqu’où doit-on intervenir ? Parfois il n’est pas envisageable de supprimer un ancien soclage aujourd’hui considéré comme trop intrusif, car le risque est d’altérer davantage le corps. Si un élément métallique, tels les crochets qui servaient à suspendre un corps pour sa présentation, ne peut être retiré sans altérer le squelette ou la peau, il sera conservé par exemple. Des solutions

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alternatives seront alors privilégiées17. Quand on ne peut plus rien faire en termes d’intervention, bien souvent la conservation préventive reste la seule solution. Il s’agira avant tout de limiter les risques de dégradation. On joue alors sur les paramètres de conservation. C’est le cas d’une tête de momie pulvérulente du musée de Châteaudun. Trop dégradée et ne pouvant plus être présentée car ne pouvant plus illustrer le propos scientifique de l’exposition, elle a été placée dans les réserves.

Fig. 3. Intervention indirecte sur le corps : traitement des cartonnages et des textiles, momie d’enfant, musée d’Histoire locale, Rueil-Malmaison

© C2RMF/A. Chauvet.

17 Toute intervention dépendra donc du contexte, du vestige, mais aussi de la sensibilité individuelle du restaurateur. Le plus souvent, un compromis sera choisi, visant à limiter le risque de dégradation ayant pu être engendré par d’anciennes pratiques, des facteurs environnementaux ou humains.

Conclusion

18 La conservation-restauration des restes humains pose de nombreuses questions. « S’il peut être considéré comme élément d’une collection, [le corps humain] appelle une réflexion particulière (…) postée sur le terrain de l’éthique et, partant, d’éventuelles normes déontologiques puisées à ce ressort18. » Les corps humains patrimonialisés constituent des cas particuliers, étant donné la variabilité des mécanismes et les degrés de préservation qui peuvent se rencontrer, mais aussi la relativité de la notion d’altération qui conditionne la démarche de conservation.

19 Par conséquent, tout traitement de restauration doit toujours être envisagé en évaluant au préalable sa portée et les risques éventuels. De nombreux compromis sont alors

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nécessaires et les questionnements permanents afin de ne pas corrompre les informations issues du corps. Certaines restaurations peuvent être jugées comme trop invasives. Il conviendra alors d’être prudent, et de ne pas chercher à tout prix à restaurer. Les protocoles seront établis en fonction des objectifs et des usages. Ainsi, un usage scientifique impliquera de porter davantage attention à l’intégrité de la matière pour conserver le potentiel informatif tandis qu’un usage pour une exposition visera avant tout l’aspect visuel. Pour aider aux choix, il faut intégrer la dimension humaine dans la démarche de la conservation-restauration, soit le respect vis-à-vis de l’individu, le principe de précaution sans oublier la dignité. Ces composantes et les règles éthiques sous-jacentes introduisent des limites dans les moyens matériels de conservation à disposition. Ainsi, lorsque les cheveux d’un corps nécessitent une intervention pour être « consolidés » au cuir chevelu, il importe de s’interroger sur le potentiel informatif qu’ils représentent. Si la totalité du support est concerné, le choix pourra être fait de ne pas consolider, car l’ensemble du potentiel informatif sera touché par le produit employé13. C’est également le cas pour l’ADN ancien qui suppose des précautions particulières pour en assurer l’étude. Il importe de garantir sa conservation pour les futures recherches qui pourront être menées avec le développement des technologies.

20 De fait, il faut avant tout une adéquation entre le besoin, le risque et l’intérêt de la restauration avec la déontologie. Par conséquent, les objectifs de la restauration doivent être clairement définis ainsi que l’objet de la restauration : la matière ou la technique au service de la monstration comme les préparations anatomiques, mais aussi s’il y a le risque de pertes d’informations au cours de l’opération de restauration1. Les limites techniques doivent aussi être prises en compte car souvent certaines altérations sont irréversibles.

21 Quoi qu’il en soit, il importe que les considérations de conservation-restauration soient prises en compte à tous les niveaux (fouille, exposition, étude) afin de participer à une démarche plus respectueuse.

22 La déontologie de la conservation-restauration appliquée au domaine des restes humains implique par conséquent l’intervention de restaurateurs spécialisés développant une pratique appropriée à la spécificité de ces collections (fig. 4).

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Fig. 4. Restaurateurs spécialisés travaillant en commun sur une momie égyptienne

© C2RMF/G. de Puniet.

BIBLIOGRAPHIE

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diplôme de conservation-restauration des œuvres sculptées, École supérieure des Beaux-arts de Tours, sous la direction de Anne Raggi, inédit.

NOTES

1. L’éthique est la science des règles qui gouvernent les comportements humains ; et ce qui concerne la morale. Tandis que la déontologie est l’ensemble des règles et des devoirs moraux qui s’imposent à un professionnel dans l’exercice de son métier (voir Bergeon Langle et Brunel, 2014, p. 169-170 et p. 133-135). 2. Cadot, 2009 ; Cadot, 2007, p. 4-15 ; Cadot, 2012, p. 3-11 et Cadot, 2015, p. 32-34. 3. Voir également Ameisen et Coz, 2010 ; Novljanin Grignard, 2012. 4. De même, la mise en place d’un cours de sensibilisation pour les conservateurs à l’Institut national du Patrimoine, d’un séminaire de master à l’École du Louvre, ainsi que le développement de mémoires de recherche sur ce sujet et la formation de restaurateurs spécialisés (Cadot, 2015). 5. Ce groupe de travail conduit par M. Van Praët a pour objectifs d’établir une cartographie et la typologie des collections publiques françaises conservant des restes humains en vue d’élaborer un guide de gestion professionnelle respectueuse de la dignité humaine et d’éléments de doctrine en matière d’éventuelles restitutions. Il doit également réfléchir au statut juridique des restes humains dans les collections et à leur exposition (voir Rapport au Parlement prévu par l’article 4 de la loi n° 2010-501 du 18 mai 2010 et annexe 14). 6. Department for Culture, Media and Sport, 2004 et 2005 ; The British Museum Policy on Human Remains (en ligne). 7. Voir également à ce sujet la réflexion sur le rôle des restaurateurs (Cassman et Odegaard, 2004). 8. European Confederation of Conservator-Restorers’ Organisations (ECCO) Guidelines (I), 2002. 9. L’article 9 du code de l’ECCO précise que « le Conservateur-Restaurateur doit chercher à n’utiliser que des produits, matériaux et procédés qui, correspondant au niveau actuel des connaissances, ne nuiront pas aux biens culturels ni à l’environnement et aux personnes. L’intervention et les matériaux utilisés ne doivent pas compromettre, dans la mesure du possible, les examens, traitements et analyses futures. Ils doivent également être compatibles avec les matériaux constitutifs du bien culturel et être, si possible, facilement réversibles ». 10. Les restes humains qui sont parvenus jusqu’à nous l’ont été selon divers contextes. Ils ont pu être conservés de façon fortuite dans un environnement qui a favorisé leur préservation (climat, nature du sol, etc.). Ou, au contraire, ils ont subi une préparation spécifique, intentionnelle (éviscération, emploi de baume, d’onguents, etc.) dont le but était de les préserver de la putréfaction. 11. Articles 2.5, 3.7 et 4.3. 12. Le principe de dignité est rappelé dans le Code pénal et le Code civil français, ainsi que dans les lois relatives à la Bioéthique (article 16-1-1 du Code civil introduit par la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 ; Loi Bioéthique n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain). 13. Carminati, 2010. 14. Pour Fr. Delaporte (2014, p. 83), la restauration des restes humains est compliquée par le fait qu’une ambivalence est laissée entre l’objet à restaurer et la personne, entre la dépouille qu’il faut traiter avec dignité et la personne. Pour lui, « (…) si nous nous laissons aller à sacraliser les restes en y logeant la “personne humaine” on oublie l’essentiel : à savoir, d’une part les restes à conserver et, de l’autre, la restitution des significations culturelles dont ils sont les supports ». 15. La tête de la momie du musée Anne-de-Beaujeu à Moulins-sur-Allier a ainsi été rapprochée de son corps duquel elle avait été séparée lors de l’opération de débandelettage. Les connexions

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anatomiques étant rompues, il n’était pas possible de raccrocher physiquement la tête et le corps sans risque d’altérer l’une ou l’autre partie. Les restaurateurs ont donc réalisé un support spécifique en matériau neutre pour la tête, évitant ainsi les manipulations directes et favorisant son positionnement au niveau de l’espace dévolu à la tête dans le cercueil. Ainsi, aucun adhésif risquant de compromettre de futures investigations ou autre matériau n’a été utilisé (Bèche- Wittmann et al., à paraître). 16. Cadot et al., 2014. 17. Des mesures de prévention sont souvent privilégiées pour agir en amont, sur les causes de dégradations. La conservation préventive constitue alors le meilleur moyen pour préserver ces corps. 18. Cornu, 2012, p. 2.

RÉSUMÉS

Conserver et restaurer des restes humains patrimonialisés dans les musées soulève des questions d’ordre éthique, social et culturel. Les choix d’intervention sont délicats et posent la question des limites de l’intervention. La conservation-restauration de ces collections s’appuie sur des doctrines et des principes qui guident les interventions, la déontologie. Or, pour les restes humains, il semblerait que la réflexion en France soit relativement récente. Cet article se propose de souligner les principes déontologiques mis en œuvre dans le cadre de traitements de conservation-restauration, les restes humains ne pouvant être considérés uniquement du point de vue matériel. Chaque intervention suppose une réflexion préalable faisant intervenir les différents acteurs concernés. La subjectivité et la sensibilité individuelle occupent une place prégnante, mais l’éthique demeure au cœur de l’intervention : le statut d’individu derrière le corps patrimonialisé ne doit pas être oublié.

Conserving and restoring human remains which are part of museum collections raises ethical, social and cultural questions. Any intervention involves delicate decisions and demands reflection on the extent to which one may intervene. The conservation-restoration of these collections relies on deontology: doctrines and principles that guide interventions. Where human remains are concerned, in France, such reflection seems to have been relatively recent. This article seeks to emphasize the deontological principles applied to conservation-restoration treatments, since human remains cannot be considered solely from a material point of view. Each intervention implies prior reflection from all the different concerned parties. Subjectivity and individual sensibility play a significant role, but ethics remain central to the intervention: the status of the individual to whom the body in the museum once belonged must not be forgotten.

INDEX

Keywords : human remains granted heritage status, conservation-restoration, deontology, ethics, respect Mots-clés : restes humains patrimonialisés, conservation-restauration, déontologie, éthique, respect

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AUTEUR

NOËLLE TIMBART Conservateur du patrimoine chargé des Antiquités égyptiennes et orientales et des restes humains, département Restauration, C2RMF (noelle.timbart[at]culture.gouv.fr).

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Préambule aux méthodes actuelles d’intervention Introduction to current conservation methods

Noëlle Timbart, Hélène Guichard et Alain Froment

1 Pendant longtemps, les collections de restes humains n’étaient pas, ou peu, prises en charge dans des opérations de conservation-restauration, ce qui a pu conduire à des dégradations1. En outre, les rares interventions qui ont été menées étaient peu documentées. Mais ces dernières années, plusieurs projets de rénovations muséales, notamment, ont été l’occasion de traiter ces collections particulières et de mettre en place certaines dispositions conservatoires. Ces projets témoignent du nouvel intérêt porté à ces collections et de la volonté d’établir un protocole d’intervention qui soit adapté à leurs spécificités : certes composés de matériaux organiques, les individus qu’ont été ces dépouilles ne doivent pas s’effacer devant de simples préoccupations matérielles. Ainsi, il s’agit avant tout d’assurer la pérennisation des restes humains dans les meilleures conditions possibles de respect et d’intégrité, aussi bien matérielle qu’immatérielle.

2 Ces opérations ont également souligné l’importance d’un travail pluridisciplinaire alliant des restaurateurs de plusieurs domaines. Le restaurateur spécialisé dans les restes humains est essentiel en termes de manipulation des corps et du choix du traitement à leur appliquer afin d’en conserver tout le potentiel informatif (fig. 1). Et il prend en compte les problématiques de contamination en utilisant un matériel de protection adéquat (gants, masques, etc.). Toutefois, il travaille la plupart du temps en collaboration étroite avec des restaurateurs de spécialités complémentaires pour mener à bien le traitement qui porte aussi sur les matériaux périphériques.

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Fig. 1. Dépoussiérage de la momie de Neshor (musée du Louvre)

© H. Guichard.

3 Ces projets ont trait à des dépouilles issues de cultures variées : momies égyptiennes ou d’Amérique du Sud, crânes surmodelés d’Océanie, peaux humaines, etc. Si les modes de préservation des corps sont différents étant donné l’intentionnalité qui a présidé à leur mise en œuvre, la dégradation constitue l’une des composantes de chaque corps mort. Il faut alors distinguer dans le diagnostic les altérations inhérentes à la préparation et au processus de préservation du corps de celles qui sont survenues après, soit au cours de leur histoire matérielle afin de définir les dispositions à prendre pour les réduire.

4 De fait, toute intervention sera nécessairement un compromis, le principe de précaution étant privilégié. En effet, si le traitement de restauration se doit de viser à la réversibilité, cette dernière n’est pas toujours envisageable. C’est pourquoi les protocoles d’intervention doivent être adaptés à chaque situation. Chaque intervention représente alors un cas particulier et chaque traitement suppose de prendre en compte les spécificités propres au reste humain concerné afin de l’adapter au mieux. Enfin, et parce qu’il s’agit de restes humains, dans toute intervention transparaissent la sensibilité et la subjectivité propre à chaque restaurateur qui porte un soin particulier à l’individu dont il a la charge.

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NOTES

1. McGowan et Laroche, 1996 ; Cadot, 2009.

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Les préparations anatomiques d’anthropologie au milieu du XIXe siècle Matériaux du corps, matière du discours scientifique Anatomical preparations in the eyes of mid-19th century anthropologists. Bodily materials, subject matter for scientific discourse

Thomas Bonneau et Pauline Carminati

1 « Dans quelle mesure un reste humain est-il un artefact ? » Cette question, posée par Neil Mc Gregor1 lors du symposium international consacré en 2008 aux restes humains dans les musées2, apporte un éclairage intéressant au cas des préparations anatomiques sèches. La forme humaine, volontairement reconstituée à partir des « matériaux » du corps humain, sélectionnés et conservés, tend en effet à occulter le travail de préparation, travail qui confère à ces corps ou fragments un statut d’artefact. Corps recomposés pour servir un discours, médical ou anthropologique, les préparations anatomiques sont, à ce titre, exemplaires de la nature ambivalente de certains restes humains patrimonialisés.

Entre science…

2 La plus grande partie des préparations anatomiques sèches de la chaire d’Anthropologie du Muséum d’histoire naturelle de Paris a été réalisée sous le professorat d’Étienne Serres, entre 1839 et 18553. Si certaines d’entre elles servaient sans doute principalement de supports d’enseignement de l’anatomie humaine, d’autres ont occupé une place toute particulière dans l’élaboration et la justification des théories de celui-ci sur la hiérarchie des races. Une exposition comparative de ces préparations anatomiques était d’ailleurs proposée aux visiteurs dans la galerie d’anthropologie jusqu’en 1898. Parmi elles, deux corps entiers d’hommes, l’un « de race caucasique ou race blanche », et l’autre « de race éthiopique ou race noire », se faisaient pendant. La seconde, réalisée en 1853 par Henri Jacquart, aide de la chaire

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d’Anthropologie, est encore conservée dans les collections du musée de l’Homme4 (fig. 1).

Fig. 1. Préparation anatomique dite Écorché. Homme d’origine soudanaise, musée de l’Homme, 2008

© T. Bonneau.

3 La présence de peau, de cheveux et d’yeux artificiels illusionnistes, caractères de classification déterminant, pour les anthropologues de l’époque, la race de l’individu, indiquait immédiatement le statut de ces pièces, bien différent d’une pièce médicale (fig. 2). Dans le contexte de l’anthropologie naissante, les préparations anatomiques sèches constituaient pour Serres, dans sa quête d’objectivation scientifique, un enjeu de taille dans la mesure où elles présentaient la matière originale et authentique de l’individu, comme le moulage sur le vif et le daguerréotype représentaient sa forme. Contrairement au domaine médical, où le choix entre anatomie artificielle et naturelle a longtemps été un sujet de divergences5, en anthropologie la matière réelle du corps était un élément indispensable à la démonstration et à la preuve, garant de la scientificité des théories.

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Fig. 2. Détail de la figure 1

© T. Bonneau.

… et art

4 Cependant, produits d’un long travail de la part du préparateur6, les préparations anatomiques relèvent de la subjectivité de celui-ci. En effet, le corps subit de très nombreuses opérations pour sa conservation, ce qui en modifie considérablement l’aspect, obligeant le préparateur à employer de nombreux artifices pour donner l’illusion du naturel. Après les diverses opérations d’injections, de dissection et de macérations destinées à mettre au jour et à conserver les parties choisies du corps, celui-ci fait l’objet d’un patient travail de mise en forme à l’aide de châssis, de fils, d’épingles, de tiges et de cales (fig. 3). Squelette, muscles, tendons, nerfs, veines, artères et, éventuellement, peau, sont soigneusement disposés et maintenus en place le temps de la dessiccation. La préparation est ensuite peinte et vernie, ce qui permet non seulement de différencier les différents systèmes physiologiques, mais aussi de leur donner un aspect « réaliste ». Les dents détachées sont refixées et des yeux artificiels peuvent être ajoutés pour parachever cette illusion.

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Fig. 3. Salle de dissection de l’amphithéâtre de Clamart où travaillait Étienne Serres

© BIUM.

5 À l’issue de ce processus, la préparation apparaît comme une véritable recomposition, sujette à interprétation et, parfois, à transformation volontaire, dans le but de servir un discours. Dans son compte-rendu de l’ouverture de la galerie d’anthropologie en 1855, Émile Déramond indiquait ainsi l’objectif des préparations : « Les pièces anatomiques sont nombreuses : les plus belles, établissant le parallélisme de la race caucasique et de la race éthiopique, et confirmant l’assertion de M. Serres, que le système nerveux périphérique est plus développé chez le nègre que chez le blanc, sont dues à l’habile scalpel du savant anatomiste, aide de la chaire d’anthropologie, M. le docteur Jacquart7. » Les observations que celui-ci publia au moment où il réalisait la préparation anatomique de l’homme « de race éthiopique » permettent d’interpréter clairement certaines de ses dispositions formelles, comme par exemple la faible courbure de la colonne vertébrale, la dilatation des muscles transverses du nez ou encore la dissection d’une partie du cartilage thyroïde8. Elles démontrent que Jacquart réalisait celle-ci en adéquation totale avec les théories de Serres, dans le but de les illustrer et prouver leur fondement.

6 Cet aspect, qui s’oppose à la volonté d’objectivation, a été relevé dès le XIXe siècle, comme en témoigne cette citation d’Anténor Firmin, membre de la Société d’Anthropologie de Paris, en 1885 : « [Jacquart] surtout a eu l’ingénieuse idée de rendre plus saisissante la démonstration de ce prétendu phénomène [“que le système nerveux périphérique est plus développé chez le nègre que chez le blanc”], par la savante préparation anatomique de deux pièces d’ensemble exposées au Muséum de Paris, galerie d’anthropologie. J’en avais toujours entendu parler avec une telle admiration que mon plus vif désir, en visitant le Muséum, fut surtout de les voir. Il est évident que l’œuvre du préparateur est au-dessus de tout éloge. C’est si bien fait qu’on pourrait

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s’illusionner, au point de croire que l’on est en face de la plus évidente réalité. Si on devait s’y conformer pour établir son jugement, l’affirmation des ethnologistes serait irréfutable. Il faut pourtant le répéter, il n’y a là qu’une simple œuvre d’art, qui prouve incontestablement le talent du préparateur, mais n’apporte aucun poids à l’opinion de Soemmering, au point de vue scientifique9. »

Conclusion

7 Outils de démonstration scientifique et œuvres d’art hier, restes humains et artefacts aujourd’hui, les préparations anatomiques sèches d’anthropologie sont riches de ces tensions dialectiques, qui font d’elles des objets complexes, difficiles à appréhender. L’étude poussée de leur contexte historique et technique et de leur matière (observations, analyses, restauration) apparaît aujourd’hui d’autant plus indispensable à leur compréhension et à leur valorisation.

BIBLIOGRAPHIE

Blanckaert C., 1997, « La création de la chaire d’anthropologie du Muséum dans son contexte institutionnel et intellectuel (1832-1855) », dans Le Muséum au premier siècle de son histoire, MNHN, Paris, p. 85-123.

Bonneau T., 2012, « Étude et restauration d’une préparation anatomique sèche », CoRé, n° 27, p. 17-22.

Déramond É., 1855, « Leçon d’Anthropologie sur les caractères généraux distinctifs de l’espèce humaine, par M. Serres. Nouvelles galeries au Muséum d’histoire naturelle », Gazette médicale de Paris, t. 10, p. 45-46.

Firmin J.-A., 1885, De l’égalité des races humaines, Pichon, Paris.

Jacquart H., 1852, « Sur quelques-uns des caractères anatomiques spéciaux de la race nègre et en particulier sur l’obliquité des apophyses ptérygoïdes », Gazette médicale de Paris, t. 7, p. 437-438.

Lemire M., 1990, Artistes et mortels, Chabaud, Paris.

Symposium du musée du quai Branly, 2008, « Des collections anatomiques aux objets de culte : conservation et exposition des restes humains dans les musées [en ligne] », Actes du colloque, musée du quai Branly, 22-23 février 2008. http://www.quaibranly.fr/

Document inédit

Bonneau T., 2010, Étude et restauration d’une préparation anatomique sèche : « Écorché. Homme d’origine soudanaise », 1853, musée de l’Homme. Mémoire de diplôme, ESBAT.

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NOTES

1. Directeur du British Museum. 2. « Table ronde n° 2 : les restes humains ont-ils une place aujourd’hui dans les musées ? », dans Des collections anatomiques aux objets de culte, 2008, p. 46. 3. Sur l’histoire de la chaire, voir Blanckaert, 1997. 4. Écorché. Homme d’origine soudanaise, Inv. 724/1977-17/26847. La préparation d’homme « de race caucasique » semble avoir quant à elle disparu. 5. Voir Lemire, 1990. 6. Pour une étude détaillée du procédé de réalisation, voir Bonneau, 2010. 7. Déramond, 1855, p. 45. 8. Jacquart, 1852. 9. Firmin, 1885, p. 84-85.

RÉSUMÉS

La collection formée à partir de 1839 pour la chaire d’Anthropologie du Muséum d’histoire naturelle de Paris comprenait des préparations anatomiques sèches dont plusieurs ont eu un rôle essentiel dans l’illustration des théories anthropologiques de l’époque. Les auteurs présentent succinctement, dans ce contexte, les valeurs et enjeux des matériaux du corps humain en tant que matière d’un discours.

The collection assembled from 1839 onwards for the anthropology department of the Muséum d’Histoire Naturelle, Paris, included dried anatomical preparations, several of which played a fundamental role in illustrating anthropological theories of the day. In this context, the authors thus present a succinct account of the values and risks of bodily materials as a subject for scientific discourse.

INDEX

Mots-clés : anthropologie, préparation anatomique sèche, restes humains, Homme (musée de l’) Keywords : anthropology, dried anatomical preparation, human remains, Homme (musée de l’)

AUTEURS

THOMAS BONNEAU Restaurateur du patrimoine, restes humains (thomas0bonneau[at]gmail.com)

PAULINE CARMINATI Restauratrice du patrimoine, restes humains (paulinecarminati[at]gmail.com).

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La momie péruvienne du musée des Confluences : exemple de conservation, de soclage et de mise en exposition d’un élément humain The Peruvian mummy in the Musée des Confluences: an example of the conservation, mounting and display of a human element

Marie-Paule Imberti

NOTE DE L'AUTEUR

En collaboration avec Rémi Chauvirey †, socleur, musée des Confluences de Lyon, et Isabelle George-Aucoin, mouleur, musée des Confluences de Lyon (isabelle.george- aucoin[at]museedesconfluences.fr).

Cet article est dédié à la mémoire de Rémi Chauvirey (1963-2016) (fig. 2).

Introduction

1 En 2009, l’archéologue péruvien Leonid Velarde débute une étude documentaire de la collection précolombienne du musée des Confluences en vue d’une mise à niveau des connaissances pour la valorisation de ce fonds. Cette collection, entrée au Muséum d’histoire naturelle principalement à la fin du XIXe siècle et au tout début du XXe siècle, se compose majoritairement de différents types de céramiques, de quelques échantillons de textiles, de boîtes à ouvrages, d’une tête postiche, de calebasses gravées, et d’un ensemble d’éléments humains dont les deux momies vendues par Victor François Cotte. La première phase de cette étude, consacrée aux divers mobiliers, permet de dégager une problématique funéraire prédominante. En 2011, une

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deuxième phase d’étude est lancée sur l’observation anthropologique des momies humaines et des autres éléments humains, crânes et têtes momifiées. Cette nouvelle recherche, confiée à Leonid Velarde et à la bio-anthropologue Sonia Guillén1, coïncide alors avec celles menées sur les éléments humains égyptiens du musée des Confluences2. Les résultats des diverses observations font émerger une des deux momies plus particulièrement, par ce qu’elle dévoile des pratiques funéraires de son époque. Sonia Guillén décide de la nommer « la tisserande », en regard aux fuseaux et fusaïoles fermement enserrée dans l’une des mains de la momie. Cette dernière, possiblement âgée d’une cinquantaine d’années, a été ensevelie avec son matériel de tisseuse et est très probablement associée à la culture précolombienne Yschma3. L’ensemble des recherches confirme ainsi l’importance scientifique et l’intérêt scénographique de ce fonds de collection.

Fig. 1. Mobilier scénographique pour la mise en exposition de la momie

© B. Stofleth.

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Fig. 2. Rémi Chauvirey (1963-2016)

© Musée des Confluences/ O. Garcin

Rémi Chauvirey (1963-2016) Rémi Chauvirey débute sa carrière de socleur au sein du musée des Confluences en 2008. Il effectue un nombre conséquent de soclages divers et variés, depuis les fragiles tiges employées pour les objets délicats jusqu’aux structures complexes pour les pièces massives. Rémi Chauvirey était passionné par son métier, il faisait preuve d’un respect absolu de l’objet, et ses interventions se faisaient si discrètes et précises que le socle semblait parfois s’effacer. Cet article, pour lequel nous avions entamé la rédaction sur la partie du soclage, entre le choix technique proposé et son expérience de socleur face à cet « objet » si particulier qu’est le corps momifié, représente aujourd’hui un hommage à la mémoire tant de l’homme qu’il était que du professionnel expérimenté.

2 Les éléments humains ne sont pas ici envisagés comme les autres objets de collection. Leur statut est spécifique. Ainsi, ils ne sauraient être manipulés, conservés ou exposés au public sans tenir compte de leur humanité, sans préserver la dignité des corps, et sans en respecter l’intégrité. Des pratiques particulières doivent donc être envisagées à tous les niveaux, de la conservation à la présentation au public4.

La mise en exposition

3 « Éternités, visions de l’au-delà », l’une des expositions du parcours permanent du musée des Confluences, pilotée en interne par Christian Sermet et Carole Millon, propose de poser la question de notre rapport à la mort et d’explorer les différentes manières de

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l’appréhender, notamment au travers des pratiques funéraires de différentes sociétés anciennes. En 2010, le musée organise une exposition de préfiguration, « Désirs d’éternité », au Musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal de Vienne, en vue de tester les éléments prévus pour « Éternités, visions de l’au-delà ». Une sépulture de l’Égypte antique et du Caucase constituent alors le support de réflexion sur la question de l’au- delà. Suite à cette exposition, la possibilité d’intégrer un troisième exemple de sépulture se confirme et le choix se porte sur les rites funéraires précolombiens. Fort des résultats d’études, la présentation de la momie péruvienne et de son mobilier funéraire est donc envisagée. Comme pour les deux autres sépultures, il s’agit de trouver le moyen le plus respectueux de présenter le défunt, tout en transmettant les informations nécessaires au visiteur.

4 Le principe scénographique propose tout d’abord d’appréhender l’espace dédié au rituel funéraire précolombien par une cimaise présentant le texte d’exposition et un audiovisuel diffusant les éléments de compréhension de la thématique. Le visiteur est amené, dans un second temps, à contourner ce premier élément scénographique pour découvrir, au dos, la momie installée au sein d’un mobilier imposant. Celui-ci suggère les dimensions et le volume d’une fosse funéraire précolombienne, avec trois fenêtres de visualisation de type meurtrières qui permettent trois angles de vue différents sur la momie (fig. 1).

5 Selon le modèle funéraire Yschma, les défunts étaient ensevelis dans des tombes directement creusées dans le sol. Leurs corps recroquevillés étaient complètement dissimulés par un fardo : un épais ballot composé de plusieurs couches de tissu. Ce dernier était quelques fois surmonté d’une tête postiche figurant les traits d’un visage qui redonnait un aspect humain à l’ensemble. Le courrier de vente de 1903 ne donne aucun détail sur l’aspect physique des momies péruviennes lors de leur enregistrement au Muséum de Lyon et les diverses photographies retrouvées dans les archives de l’institution les présentent dépossédées de leur fardo.

6 Les premières réflexions conduisent très vite à l’idée que ce ballot de textile est primordial pour la bonne compréhension du rituel funéraire par le public, et que la mise en exposition doit pallier ce manque. Par ailleurs, il s’agit également de respecter la pratique traditionnelle de protection corporelle et visuelle du corps de la momie. La reconstitution d’un ballot est alors envisagée grâce à l’expertise de Leonid Velarde, Luisa Diaz Arriola5, docteur en archéologie, et Patricia Landa Cragg, conservatrice- restauratrice péruvienne spécialisée en textiles anciens. En s’appuyant sur des éléments documentaires et sur l’expérience de la restauratrice, il s’agit de reproduire un ballot de textile conforme à ceux utilisés à l’époque précolombienne, tout en y opérant une « coupe » pour visualiser la position fœtale du défunt. Cette piste est cependant jugée trop complexe à mettre en œuvre et doit être abandonnée au profit d’une proposition plus suggestive. Le dispositif scénographique6 s’oriente finalement vers l’utilisation d’un tulle noir. Celui-ci entoure la momie, comme un tube suspendu du haut en bas de la vitrine, laissant transparaitre la position recroquevillée du corps, et un éclairage spécifique vient compléter cette mise en scène. Une ambiance de lumière tamisée permet ainsi à la fois de respecter les conditions de conservation en exposition et de ne pas présenter la momie « de pleins feux » aux regards des visiteurs, mais bien de marquer une distance visuelle comme un voile de pudeur face à ce corps humain. Par ailleurs, ce dispositif dissimule la dégradation importante du visage de la momie. Dans un souci de transmission d’informations au public, un focus plus lumineux

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est principalement porté sur les fuseaux qu’elle tient dans l’une de ses mains, faisant référence à son activité de tisseuse, et des plumes d’oiseau marin dans l’autre main, qui évoque le milieu côtier au sein duquel la momie a évolué. Cet éclairage spécifique procure enfin l’effet d’une lumière pénétrant de la surface à l’intérieur de la sépulture, figurant la découverte des tombes et rappelant l’enfouissement dans le sol pratiqué lors du rituel funéraire.

7 Ce dispositif propose une posture particulière au visiteur. Le concept scénographique ainsi adopté l’invite à choisir sa propre manière de « rencontrer » la momie. Il est amené à être acteur du contact qu’il souhaite établir avec elle, les réactions pouvant être très variées d’une personne à l’autre. Il lui est donc proposé de faire lui-même, s’il le souhaite, la démarche de s’approcher des fenêtres de visualisation pour une découverte plus « intime » de la momie ou de rester « à distance » tout en distinguant les éléments essentiels que le musée souhaite transmettre, comme la position fœtale du corps ou encore le positionnement traditionnel du matériel funéraire.

8 L’enjeu de la mise en exposition de la momie est multiple. Au-delà des questions scénographiques, il convient de s’assurer avant tout qu’elle supportera physiquement l’exposition. Il s’agit également de réfléchir au support à mettre en œuvre pour maintenir sa position accroupie au sein de sa vitrine, en gardant à l’esprit les conditions particulières de traitement à appliquer à cet élément humain. Comment ainsi éviter les multiples manipulations, positionner les attaches du soclage sans agresser les parties fragilisées du corps, ou encore, comment le rendre « invisible » et non intrusif.

Études préalables

9 En 2012, le musée sollicite l’avis du C2RMF sur la mise en exposition de la momie. Noëlle Timbart, conservatrice auprès de la filière Archéologie et Ethnographie du C2RMF et chargée des Antiquités égyptiennes et orientales, rédige alors un compte- rendu sur cette question après un nouveau constat d’état complet de la momie. Il apparaît effectivement essentiel de s’assurer que l’état physique de la momie peut supporter l’exposition. Dans le sillage des études menées en parallèle sur la collection de momies humaines égyptiennes, nous engageons, grâce à l’aimable autorisation du service de radiologie de l’hôpital Édouard Herriot de Lyon, une campagne de radiographies des momies péruviennes. Le but est à la fois d’enrichir les données scientifiques recueillies jusque-là et d’établir un constat de conservation approfondi en vue de la mise en exposition. Les observations radiographiques traduites par le docteur Samuel Mérigeaud nous confirment que l’intégrité physique de la momie permet d’envisager sa mise en exposition.

Le soclage, des essais à la réalisation

10 La question de la réalisation du support matériel de la momie, ou soclage, représente un enjeu central de la mise en exposition. Comment obtenir un résultat satisfaisant d’un point de vue technique et éthique ? Il est nécessaire de s’entourer d’une équipe de spécialistes. Laure Cadot, spécialisée dans la restauration des éléments humains, a apporté son assistance au musée pour la réalisation du soclage de la momie auprès des équipes internes. Elle a travaillé en collaboration étroite avec Rémi Chauvirey, socleur,

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et Isabelle George-Aucoin, mouleur. Les premières rencontres s’effectuent également avec Leonid Velarde.

11 Le rapport de Laure Cadot7, réalisé à la suite d’observations de la momie au début de l’année 2013, fournit les précisions nécessaires à la poursuite du travail. La restauratrice confirme ainsi les conclusions relevées préalablement par le docteur Samuel Mérigeaud, sur le fait que la momie ne présente pas de disjonction des connexions anatomiques ou de parties mobiles risquant de se désolidariser. La présentation en position assise semble donc possible. Néanmoins, un certain nombre de points sont à prendre en compte, comme la dégradation avancée de l’os de la mandibule entraînant un risque important de déchaussement des dents, la grande fragilité des cheveux qui se désolidarisent du crâne ou encore la peau devenue extrêmement sèche et sujette aux craquellements et aux déchirures. De plus, « la peau est (…) lacunaire sur les côtés de l’abdomen et de la cage thoracique sur le côté dextre ainsi qu’au niveau du bassin sur les zones n’étant pas directement supportées par l’os sous-jacent ». Ces espaces de peau non supportées par l’os ont ainsi subi des enfoncements à l’origine de pertes de matière engendrant une fragilité et un aspect visuel particulier qu’il convient de prendre en compte tant pour le choix de placement du soclage sur le corps que pour les parties du corps qui ne seront pas montrées. Par ailleurs, le rapport comporte des schémas de préconisation pour le soclage (fig. 3) et de présentation muséographique de la momie avec un ballot reconstitué.

Fig. 3. Schéma préparatoire du principe de soclage retenu pour la mise en exposition

© L. Cadot.

12 Les contraintes de soclage sont multiples et présentent des difficultés complexes. Étant donné que la momie doit être présentée assise, le socle se doit d’épouser la forme de son dos en partant d’une platine au sol et en remontant le long de la colonne pour venir

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« crocheter » les clavicules de manière à assurer la stabilité de l’ensemble. Les observations fournies par Laure Cadot rappellent que les manipulations sont à éviter et qu’il est bien évidemment impossible de coucher la momie « sur le ventre » pour réaliser le support dorsal. Après concertation, le constat d’un soclage à réaliser à partir d’un fac-similé du dos de la momie apparaît comme évident et il s’agit alors d’entrevoir les possibilités de la réalisation d’une telle pièce.

13 La technique du moulage est tout d’abord envisagée. Rémi Chauvirey sculpte dans un premier temps, une réplique du dos de la momie en mousse polyéthylène. Isabelle George-Aucoin, accompagnée de Laure Cadot, tentent alors un premier essai de prise d’empreinte à partir de ce fac-similé, en utilisant un plâtre armé de « filasse », matériau en fibre végétale. L’équipe se confronte rapidement à plusieurs difficultés. Le poids trop volumineux du matériau utilisé pour la réalisation du moule, le fort dégagement thermique occasionné et les dommages accidentels pouvant survenir en cas de contre- dépouille représentent des risques jugés trop importants. Cette technique ne peut donc pas être adaptée à la momie.

La technologie 3D au service de l’élément humain

14 Face à ces premières constatations, Rémi Chauvirey propose de tenter une autre technique. Celle-ci pourrait résoudre la question de la manipulation de la momie tout en permettant d’obtenir un support de fabrication pour le soclage dans les meilleures conditions, tant pour le socleur que par respect pour le corps de « la tisserande ».

15 Le musée des Confluences se dote en 2012 d’un scanner portable 3D Artec®8, dans le but d’effectuer la modélisation et la préfiguration, avant l’ouverture de l’institution en décembre 2014, de certaines vitrines de son parcours permanent. Cette technique basée sur la capture 3D permet également d’obtenir des tirages en résine d’objets en petite série pouvant servir à divers usages, supports de médiation ou répliques proposées « à toucher » aux visiteurs. Le scanner permet donc la numérisation en volume d’objets de taille variable et de textures multiples sans avoir à effectuer de manipulations trop intrusives sur les objets de collection particulièrement délicats. Cette technologie a donc un avantage certain pour répondre au problème de manipulation liée à la momie. Le but consiste à obtenir un support identique au dos de celle-ci par l’impression d’un fac-similé en résine. Ainsi, le socleur peut envisager son support au plus près des courbes et des contraintes physiques du corps reproduit sur le fac-similé pour proposer un soclage assurant un maintien optimal et non contraignant pour la mise en exposition.

16 Techniquement, l’appareil « saisit » une multitude de « photos » qui constituent « un fichier » de scans. Pour obtenir une image complète, l’appareil est déplacé autour de la momie pour en saisir toutes les faces. Les manipulations sont réduites à leur minimum et l’opération peut s’effectuer en une seule fois sans avoir besoin de solliciter le corps à plusieurs reprises. L’impression en 3D est confiée à l’antenne parisienne de la société Crésillas9, choisie par le musée pour sa capacité à effectuer des tirages de grande dimension, en une seule pièce, (fig. 4) répondant au souci de précision exigé pour la création du support.

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Fig. 4. Impression en 3D du dos de la momie

© Musée des Confluences/R. Chauvirey.

17 Lors du montage final, la fabrication du soclage est déléguée à l’entreprise Aïnu10, un des prestataires engagés pour l’ouverture de l’institution. Louis-Albin de Chavagnac, chef de projet au sein de cette entreprise, adapte sur place le soclage pensé par Rémi Chauvirey et finalise sa pose au dos de la momie. L’efficacité de cette solution est remarquable. Le socle agit comme un « habit de peau » (fig. 5), discret, sur mesure, en respectant la morphologie du dos et sans intrusion à l’intérieur du corps de la momie, comme ont pu l’être des systèmes antérieurs de soclage.

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Fig. 5. Ajustement du soclage au dos de la momie avant la mise en vitrine

© L. Cadot.

Conclusion

18 « La question de la préservation, de l’exposition, mais aussi du conditionnement des restes humains fait l’objet d’une réflexion permanente au sein d’un musée qui a inscrit le respect de la personne humaine dans ses valeurs fondamentales11. » Cette notion de considération particulière du corps de la momie a donc constitué le fil conducteur des interventions, de sa conservation à son exposition. La mise en scène spécifique au sein du parcours permanent, la réalisation d’un soclage « sur mesure » et l’adaptation des conditionnements démontrent aujourd’hui toute leur efficacité et conforte l’équipe dans l’idée que les réflexions menées en commun ont abouti aux résultats escomptés. Les éléments humains péruviens du musée des Confluences restent les gardiens d’un passé précolombien. Ces derniers n’ont pas encore livré tous leurs secrets, tant en terme de transmission des connaissances de la société au sein de laquelle ils ont évolué que sur les personnes humaines qu’ils ont été et dont le musée se doit aujourd’hui de conserver les corps.

Un conditionnement adapté En 2011, les études menées sur les momies égyptiennes et sur les momies, crânes et têtes momifiées péruviennes ont donné lieu à une campagne générale d’amélioration des conditions de conservation des éléments humains du musée des Confluences. À partir des compétences en interne, des expériences partagées et des discutions avec des spécialistes des momies et de la conservation, de nouveaux conditionnements voient le jour (fig. 6). Jusque-là simplement entreposées sur les

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étagères en réserve, les momies sont alors transférées dans des boîtes en polypropylène cannelé, à 4 pans rabattables et munies de poignées facilitant la manipulation et les transports. Les parois internes des boîtes sont capitonnées de mousse recouverte de Tyvek®. À l’intérieur, la momie repose sur un plateau amovible qui permet de la transférer de sa boîte à une table de consultation par exemple sans avoir à la toucher. Les momies péruviennes reposent sur un coussin en toile de coton remplis de microbilles épousant parfaitement les courbes de leur corps recroquevillé en position fœtale et évitant ainsi des tensions dangereuses pour leur intégrité physique. Ce type de conditionnement, même s’il reste toujours perfectible, propose aujourd’hui une conservation optimale des momies. Ils ont été pensés et élaborés pour répondre à la fois aux exigences de conservation préventive et aux questions d’éthique liées aux éléments humains. Ainsi, la dignité des corps est préservée et les détériorations qui auraient pu être engendrées par les nombreuses manipulations effectuées au cours des différentes étapes d’études et de recherches se sont vues nettement diminuées12.

Fig. 6. L’exemple d’une momie transférée de son conditionnement adapté, pour l’étude menée par Sonia Guillén et Leonid Velarde

© Musée des Confluences/M.-P. Imberti.

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BIBLIOGRAPHIE

Chareyron N., 2012, « Conservation, manipulation et conditionnement des éléments humains, l’expérience du musée des Confluences », Cahier du musée des Confluences. Études scientifiques 3, p. 57-64.

Imberti M.-P., Velarde L., 2012, « Aperçu de l’étude en cours sur les momies et les crânes humains péruviens de la collection précolombienne du musée des Confluences », Cahiers du musée des Confluences, Études scientifiques 3, p. 33-38.

Madrigal K., Emmons D., 2012, « Dernières études sur les momies égyptiennes du musée des Confluences », Cahiers du musée des Confluences. Études scientifiques 3, p. 29-32.

Diaz Arriola L., 2012, « Analyse d’une tombe Yschma récente », étude documentaire commandée pour le musée des Confluences.

Revue collective, 2012, « Les restes humains au musée des Confluences. Dossier thématique », Cahiers du musée des Confluences. Études scientifiques 3, 84 p.

Novljanin Grignard I., 2012, « Les musées et leurs restes humains : différents regards et nouveaux enjeux », Cahiers du musée des Confluences. Études scientifiques 3, p. 11 à 16.

NOTES

1. Sonia Guillén était, à l’époque de l’étude, directeur du museo Leymebamba, Chachapoyas, Amazonas, depuis 1998. Elle est également directeur du Centro Mallqui/The bioanthropology fondation depuis 1993. 2. Madrigal et Emmons, 2012. 3. Imberti et Velarde, 2012, p. 34. 4. Novljanin Grignard, 2012. 5. Diaz Arriola, 2012. 6. Agence Klapisch-Claisse (Marianne Klapisch et Mitia Claisse) et Étienne Le François, Paris. 7. Rapport d’étude et de préconisation de conservation pour la présentation de la momie péruvienne inv. 81000106 dite « la tisserande », 2013. 8. Scanner portable permettant d’obtenir la numérisation en 3D d’objets à géométrie complexe et à texture riche, en haute résolution. 9. Cette société lyonnaise est spécialisée dans l’impression 3D depuis 1993. Le tirage a ainsi été produit par le procédé de stéréolithographie, ou « écriture en relief », capable de réaliser n’importe quelle géométrie issue d’une modélisation en 3D, quel que soit son degré de complexité. https://www.cresilas.fr 10. Société de soclage, production et conservation, Paris. 11. Bruno Jacomy, directeur scientifique du musée des Confluences (2005-juillet 2016. 12. Chareyron, 2012, p. 59.

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RÉSUMÉS

Selon un acte de vente en date du 15 décembre 1903, un Lyonnais, Victor François Cotte, travaillant dans l’industrie textile, vend au Muséum d’histoire naturelle de Lyon, deux momies de femmes et divers artéfacts de l’époque précolombienne provenant du Pérou. Plus de cent années plus tard, en décembre 2014, les visiteurs du musée des Confluences, nouvellement ouvert au public, découvrent une de ces deux momies présentée au sein du parcours permanent, dans l’exposition « Éternités, visions de l’au-delà ». Quelles ont été les questionnements et les techniques mises en œuvre pour répondre à la question du soclage d’un corps humain ? Et comment ce travail s’est-il inscrit dans une réflexion plus large autour de la conservation et de la mise en exposition d’éléments humains ? Conservateur, restaurateur, socleurs, mouleur, chercheurs spécialisés ou encore muséographes et scénographes se sont penchés sur ces délicates questions, mêlant éthique, techniques et expérience humaine.

According to a deed of sale dated 15 December 1903, a man from Lyon who worked in the textile industry, Victor François Cotte, sold two pre-Columbian female mummies and various artefacts from Peru to the Muséum d’Histoire Naturelle, Lyon. Over one hundred years later, in December 2014, visitors to the Musée des Confluences, recently opened to the public, discovered one of these two mummies displayed in the permanent collection in the exhibition entitled “Eternities, Visions of the Beyond”. Which questions were raised and which techniques were used to respond to the idea of mounting a human body on a pedestal? And how did these efforts fit into the broader issue of conserving and exhibiting human elements? Curator, restorer, plinth makers, cast makers, specialized researchers, exhibition and set designers all looked into these delicate questions combining ethics, techniques and human experience.

INDEX

Mots-clés : soclage, moulage, momie, élément humain, 3D, empreinte, exposition, conditionnement, éthique, Pérou, Confluences (musée des) Keywords : mounting, casting, mummy, human element, 3D, impression, exhibition, conditioning, ethics, Peru, Confluences (musée des)

AUTEUR

MARIE-PAULE IMBERTI Chargée des collections des Amériques, Cercle polaire et exposition, musée des Confluences de Lyon (marie-paule.imberti[at]museedesconfluences.fr).

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Les collections de peaux humaines tatouées The collections of tattooed human skins

Éloïse Quétel

Les collections de peaux humaines tatouées

1 Les collections de peaux humaines tatouées font partie d’un patrimoine caché, dit « patrimoine noir » de l’humanité2. Le plus souvent oubliées au sein des institutions les conservant et/ou volontairement mises de côté à cause de leur statut ambivalent, elles suscitent néanmoins des questions éthiques et déontologiques spécifiques appliquées aux restes humains, ainsi que des considérations particulières concernant leur conservation.

2 Le prélèvement de peaux humaines tatouées a été majoritairement réalisé entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle (et de manière isolée, lors de la Seconde Guerre mondiale). Habituellement prélevées après le décès3, pour identifier un individu, ou conserver ses tatouages de manière pérenne (études criminologiques et esthétiques), la peau était découpée au plus près du dessin, tannée et tendue afin de la faire sécher. Néanmoins, même si l’on possède quelques rares traces et écrits de collectionneurs ou médecins les ayant collectés4, on constate une absence d’informations précises quant à ces prélèvements.

3 Ces collections sont conservées au sein d’institutions variées, tels que le Muséum national d’histoire naturelle, les facultés de médecine, les instituts médico-légaux, les musées de médecine, de pathologie, de pharmacie et des sciences. Dans le but de se prémunir des réactions « épidermiques » provoquées par leur historicité (criminalité, expériences médicales douteuses5), ces collections demeurent méconnues du public et restent le plus souvent cantonnées au sein des espaces de réserves.

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La collection du musée d’Anatomie Testut-Latarjet

4 Le musée d’Anatomie Testut-Latarjet de Lyon était consacré à l’anthropologie criminelle, l’anatomie générale et comparée, la tératologie, la parasitologie, etc., et conservait une collection de peaux humaines tatouées, constituée d’une quinzaine de pièces conservées sèches ou en fluide (en solution formolée).

5 Au XIXe siècle, le tatouage est un signe pathognomonique de la criminalité et représente une dégénérescence de la société. Il sera le fer de lance des criminologues, tel Alexandre Lacassagne, qui, dans le cadre de ses recherches sur l’identification du criminel, observera et collectera plus de deux mille tatouages sur cent cinquante individus, à la fois en réalisant des calques à même les corps des tatoués, mais aussi en réalisant des prélèvements sur les cadavres. Ses études portaient notamment sur l’emplacement, la diversité, la signification et la récurrence des différents motifs des tatouages observés. Dans ce cadre, il constitua la collection de peaux humaines tatouées du musée.

6 Afin de réaliser cette étude, nous avons sélectionné cinq peaux au sein de la collection : la peau d’un torse, de deux bras et de deux dessus de pied (fig. 1 et 2). Ces dernières ont été choisies pour leur singularité, dans un premier temps car la forme de leur découpe correspondait à la forme de la zone corporelle prélevée, mais aussi parce que ces cinq peaux provenaient d’un seul et même individu, ce qui est encore plus rare. En effet, les fragments de peaux étaient le plus souvent prélevés et découpés en suivant les contours du (ou des) tatouage(s), afin de réaliser un simple catalogue iconographique. Ici, la forme donnée à ces prélèvements prouve que l’intention était de conserver un corps, donc un individu, au-delà de l’esthétique de ses tatouages.

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Fig. 1 et 2. Les cinq fragments de peaux humaines tatouées de la collection du musée d’Anatomie Testut-Latarjet, face et revers

© É. Quétel.

7 Il nous a fallu glaner des informations au fur et à mesure de nos recherches afin de découvrir l’existence d’autres collections conservées à travers le monde6. Cela nous a permis d’identifier plusieurs types de préparations, d’études et de méthode de conservation, notamment le tannage ou la conservation en fluide avec une solution à base de formaldéhyde, d’allantoïne ou d’alcool.

La conservation et la restauration

8 Suite à l’observation de la collection lyonnaise, nous avons constaté que les altérations étaient parfois similaires à celles constatées sur les autres collections de peaux humaines tatouées et tannées, notamment l’empoussièrement, l’encrassement, des fissures, des cassures et des efflorescences graisseuses.

9 Concernant les cinq peaux de la collection lyonnaise, les altérations provenaient d’un stockage inadapté (les différentes peaux de la collection étaient empilées les unes sur les autres au fond d’une vitrine, sans interfaces ni conditionnements particuliers), générant ainsi des contraintes de manipulation, un empoussièrement et un encrassement. L’apparition de taches, les efflorescences cristallines et les remontées graisseuses dues à l’application d’huile d’olive et de cire blanche au revers des peaux relèvent des particularités liées à la mise en œuvre7 (fig. 2). Par ailleurs, le manque total d’informations concernant ces cinq peaux fut également problématique. Appelée dissociation8, cette altération métaphysique est néanmoins importante puisque le sujet perd son contexte et sa valeur informationnelle.

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10 Les étapes de conservation et de restauration ont ainsi consisté en un dépoussiérage à l’aide d’un aspirateur à filtre HEPA et d’une petite brosse souple, d’un léger nettoyage à la salive pour les zones encrassées, et en la réalisation de recherches approfondies afin de recontextualiser la collection dans son ensemble. Le conditionnement et les planches de consultation ont été réalisées avec du polypropylène cannelé et ces dernières ont été recouvertes de mousse de polyéthylène. De plus, des tiges en fil d’acier inoxydable amovibles, gainés de polytétrafluoroéthylène ont été disposés sur le pourtour de chaque peau afin de les stabiliser (fig. 3).

Fig. 3. Les cinq fragments de peaux humaines tatouées dans leur nouveau conditionnement en polypropylène avec planches de consultation recouvertes de plastazote, cales en Ethafoam et système de maintien en fil d’acier inoxydable gainé de Téflon (PTFE)

© É Quétel.

Monstration et reconnaissance patrimoniale

11 Observer des peaux humaines tatouées suscite chez le visiteur une réflexion sur lui- même et sur son propre corps. La peau humaine est une couche perméable et imperméable qui enrobe tout notre corps et crée une barrière avec l’environnement extérieur, mais elle est aussi le véhicule de nos émotions et de notre personnalité. Lors des autopsies, on cache le visage du cadavre, et même parfois ses tatouages afin de ne pas provoquer de mal-être. On peut donc aisément comprendre que le visiteur puisse être plus facilement choqué à la vue d’une peau humaine que d’un squelette. Par ailleurs, compte tenu de la recrudescence du phénomène du tatouage depuis cette dernière décennie et face à un public contemporain, le transfert est encore plus

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évident. La peau tatouée met alors en exergue une personnalité, un individu à qui l’observateur peut s’identifier.

12 Conserver et exposer des corps ou des morceaux de corps implique une réflexion quant à leur place et leur valeur au sein de notre société, mais aussi, à un apprentissage de respect, et d’attitudes réfléchies et adaptées concernant leur matérialité (ICOM, articles 2.5, 3.7 et 4.3 sur la question des matériaux culturels sensibles). C’est pourquoi une réflexion est menée lors de l’exposition de restes humains, ainsi que dans le cadre de la gestion au quotidien de ce type de spécimen.

13 Les cinq peaux humaines tatouées de Lyon sont entrées au sein de la collection du musée d’Anatomie Testut-Latarjet suite à la découverte du corps dans l’un des congélateurs du laboratoire d’anatomie. La dépouille n’ayant jamais été réclamée par sa famille, les peaux une fois prélevées sont directement passées du processus de « néantisation » (le corps a perdu son identité au profit de sa seule dimension matérielle) à celui de leur patrimonialisation, néanmoins, sans prise en charge particulière concernant leur conservation.

14 Bien souvent, la conservation et la restauration des restes humains demeurent anecdotiques. Si l’on constate aujourd’hui un regain d’intérêt pour les peaux humaines tatouées (on citera par exemple la récente exposition « Tatoueurs, Tatoués » au musée du quai Branly), la question demeure entière de savoir si cela peut déboucher, à terme, sur une véritable considération de ces collections, assortie de mesures plus régulières quant à leur conservation et leur restauration.

BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

2. « Cet immense ensemble d’objets et d’archives mais aussi de bâtiments qui donnent à voir une facette moins glorieuse de notre histoire », Artières, Salle, 2009, p. 158. 3. Parfois, la peau était prélevée sur le vivant, l’infection du tatouage dû à l’utilisation de pigments nocifs et le danger d’une septicémie motivaient le prélèvement. 4. Notamment, Alexandre Lacassagne, professeur de jurisprudence et médecin légiste, qui a constitué la collection du musée Testut-Latarjet de Lyon (Lacassagne, 1881), le Dr Masaichi Fukushi, physicien et pathologiste, qui a constitué la collection de l’université de Tokyo (Life and Death tattoos, magazine Tattootime n° 4, 1989, éditions Hardy marks), et le docteur Rudolf Virchow, pathologiste qui a constitué une partie de la collection du Museum Der Charité de Berlin (Tatouages dans les musées de pathologies, Denis Durand de Bousingen, Tatouage magazine n° 58, 2007, éditions Larivière). 5. L’anthropologie criminelle se basait sur des critères d’évaluation physiques et désuets et discriminants. Lors de la Seconde Guerre mondiale, au camp de Buchenwald, les prisonniers tatoués étaient écorchés (The Beasts of Buchenwald, Karl and Ilse Koch, Human skin lampshades, and the war-crimes trial of the century, Flint Whitlock, Cable Publishing, Brule, Wisconsin, 2011). 6. Notamment au département de pathologie de l’université de médecine de Tokyo, au Pathologisch-anatomische Bundesmuseum (ou Narrenturm) de Vienne, au Medizinhistorisches Museum der Charité de Berlin, à la Wellcome collection du Science Museum de Londres, au conservatoire d’anatomie de Montpellier, au musée de l’Homme de Paris, au Muséum d’histoire naturelle de Rouen, au Museum of Health and Medicine de Washington. 7. Les peaux ont été fixées avec une solution à base de formaldéhyde, puis tendues sur un cadre en bois. Une couche de cire blanche a été déposée au revers afin d’opacifier la couleur des peaux et de l’huile d’olive a été appliquée sur la face afin de faire ressortir le pigment noir des tatouages. 8. R. Robert Waller et Paisley S. Cato, ICC, Conservation préventive et risques, agents de détériorations. http://canada.pch.gc.ca/fra/1444924574622#def1.

RÉSUMÉS

Prélevées entre la fin du XIXe siècle et le milieu du XXe siècle, les peaux humaines tatouées étaient conservées comme support d’étude dans le domaine de l’anthropologie et de la médecine, à la fois pour leurs aspects criminologiques, mais aussi pour leurs aspects esthétiques. Cinq fragments de peau issus d’un même corps, auparavant conservés au sein du musée d’Anatomie Testut-Latarjet de Lyon*, ont été choisis afin de réaliser une étude portant sur les différentes problématiques liées à leur statut de restes humains conservés dans les institutions muséales.

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* Le musée d’Anatomie Testut-Latarjet a été fermé en 2015. Les collections rejoindront bientôt le futur « musée des Sciences Médicales et de la Santé » à Rillieux-la-Pape.

Removed from their bodies between the late-19th and mid-20th century, tattooed human skins were kept as a basis for study in the fields of anthropology and medicine, both for their criminological and aesthetic aspects. Five fragments of skin from the same body, previously conserved in the Testut-Latarjet Anatomy Museum, Lyon, were selected in order to carry out a study on the different problems related to their status as human remains present in museum collections.

INDEX

Keywords : tattooed human skins, corpse, pathology, criminal anthropology, conservation- restoration, deontology Mots-clés : peaux humaines tatouées, cadavre, pathologie, anthropologie criminelle, conservation-restauration, déontologie

AUTEUR

ÉLOÏSE QUÉTEL Restauratrice, restes humains et objets ethnographiques, musée de l’Homme (queteleloise[at]yahoo.fr).

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Ultimes soins pour des crânes surmodelés du Vanuatu Ultimate care bestowed upon carved skulls from Vanuatu

Régis Prévot

1 En 1993, le Musée départemental breton de Quimper nous a sollicité1 pour assurer le traitement de quatre crânes surmodelés du Vanuatu en vue de leur exposition. Ils font partie d’un lot de huit crânes probablement entré dans les collections du musée à la fin du XIXe siècle ou au tout début du XXe siècle2. Lors d’expéditions d’exploration dans les mers du Sud, il est très courant que de tels objets aient été rapportés par un marin3 et se soient ensuite retrouvés dans un musée sans plus d’information sur leur collecte et leur entrée dans les collections.

2 Il s’agit ici de crânes de natifs de l’archipel du Vanuatu (ex-Nouvelles-Hébrides), archipel qui se situe dans la région mélanésienne du Pacifique sud, à l’est de l’Australie et de la Nouvelle-Guinée et au sud des Îles Salomon. Il est constitué d’un chapelet d’îles dont la plus importante est l’île de Malékula d’où proviennent ces crânes surmodelés à l’occasion d’une coutume uniquement pratiquée dans le sud de l’île.

Tradition autour des crânes surmodelés du Vanuatu

3 « Les crânes sont surmodelés4 avec un mélange de matières végétales, de sève d’arbre à pain et d’autres jus extraits de plantes, on reproduisait alors, le plus fidèlement possible, les traits du visage du défunt. Le crâne était alors fixé sur un mannequin funéraire de taille humaine appelé Rambaramb (fig. 1). Cette effigie servait durant les différentes cérémonies mortuaires, puis le mannequin était abandonné5 et le crâne surmodelé déposé dans la Maison des hommes6 », coutume pratiquée dans le sud de l’île de Malékula7.

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Fig. 1. Mannequin funéraire avec son crâne surmodelé – Rambaramb –, île de Malékula au Vanuatu, musée du quai Branly, n° inv. 72.1931.1.4

© Musée du quai Branly – Jacques Chirac, Dist. RMN-Grand Palais/ P. Gries/B. Descoings.

4 Après obstruction des orifices avec des feuilles de végétaux et surmodelage à l’enduit8, les faces des crânes étaient peintes alors que les cheveux et le cuir chevelu pouvaient soit être préservés, soit être remplacés par une toile d’araignée formant chevelure. Pour deux des crânes, la calotte crânienne est à nu. Les couleurs que l’on retrouve sur les différentes faces sont le noir, le noir/blanc, le noir/blanc/rouge et le noir/blanc/ ocre rouge/ocre jaune. Si le surmodelage visait à individualiser le crâne de manière réaliste et au moyen de signes distinctifs, des marques significatives d’appartenance à des grades atteints par le défunt étaient aussi présentes9.

État des crânes avant intervention

5 De façon générale, les altérations sont similaires sur chacun des crânes. Outre un empoussièrement particulièrement important, les salissures sont incrustées dans l’enduit et dans la couche picturale (fig. 2). Les cheveux et le cuir chevelu disparaissent sous les salissures. Ils abritent des brindilles et quelques cocons d’insectes. L’aspect d’origine des surfaces peintes n’est plus discernable.

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Fig. 2. Encrassement très important du crâne surmodelé, peint en rouge, noir et blanc

Musée départemental breton de Quimper. © R. Prévot.

6 L’enduit de surmodelage est très fissuré, craquelé. Il est parfois lacunaire au niveau du menton, de la tempe. Il présente des écailles, des soulèvements. Il est, tout comme la couche picturale, érodé en différents endroits – oreilles, arcades sourcilières, pommettes des joues.

7 Pour l’ensemble de ces modelages, deux oreilles sont manquantes alors que deux autres sont simplement désolidarisées, dont l’une avec l’enduit dissocié en plusieurs éclats.

8 Les cuirs chevelus en partie lacunaires, sont partiellement désolidarisés de la calotte crânienne. Les cheveux sont très cassants, fragilisés et peu adhérents aux cuirs chevelus.

Interventions de restauration

9 L’objectif de cette intervention était de stabiliser l’état des crânes et de leur redonner une lisibilité satisfaisante.

10 Elle a d’abord débuté par un dépoussiérage réalisé à la brosse douce pour pousser la forte couche de salissures mobiles vers la buse du microaspirateur. Son efficacité a permis de redonner un certain lustre aux cheveux et a dû être complétée par un nettoyage au coton-tige humecté d’eau déminéralisée pour les calottes crâniennes à nu.

11 À la suite de tests sur les surfaces peintes, la capacité migratoire de l’eau pour véhiculer les salissures incrustées dans la matière picturale a été utilisée. La surface a ainsi été légèrement humidifiée par application généralisée de compresses de ouate de cellulose imprégnées d’eau déminéralisée et recouvertes d’un film de Mylar afin de forcer la

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migration vers l’objet. Après un temps très court, 10 à 20 minutes, les compresses étaient remplacées par des compresses sèches laissées à l’air libre (sans Mylar) pour, à l’inverse, forcer la migration de l’eau, de l’objet vers la compresse. Très rapidement, l’encrassement de la compresse, mais aussi, après séchage, l’état de surface de l’objet traduisaient l’efficacité du traitement. Il a parfois été nécessaire de renouveler l’application deux à trois fois maximum pour obtenir un résultat satisfaisant et homogène.

12 Les écailles, les soulèvements d’enduit, les oreilles décollées, tout comme le cuir chevelu désolidarisé ont été consolidés, refixés au Paraloïd B72 dans l’acétone. L’adhésion des cheveux au cuir chevelu a été renforcée par une pulvérisation de Klucel G à 2 % dans l’acétone. Elle a en outre contribué au nettoyage des cheveux et à une reprise partielle de leur souplesse.

13 La volonté de respecter au maximum l’intégrité de ces restes humains nous a amené à faire le choix d’une intervention minimaliste sur ces objets. Aucun élément ne fournissait d’orientation quant au modelé à donner aux oreilles manquantes, d’autant moins qu’aucune différence notable de modelé entre les deux oreilles n’était constaté pour les crânes intègres. La lisibilité satisfaisante des crânes avec une oreille manquante a motivé la décision de ne pas réintégrer les oreilles lacunaires (fig. 3). Une interprétation réaliste de ces crânes est tout à fait possible pour le public à partir du profil intact.

Fig. 3. L’oreille du crâne toujours lacunaire après traitement

Musée départemental breton de Quimper. © R. Prévot.

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Préservation sur le long terme

14 À l’issue de ces soins, il a été décidé de réaliser, pour chaque crâne, un réceptacle individuel en carton non acide, afin de leur assurer tranquillité, protection et préservation en réserve (fig. 4). Ces supports de conditionnement facilitent les déplacements et les transports lors de prêts pour exposition. De même, ils rendent plus aisées les manipulations dans le musée, notamment pour leur présentation durant les Journées du patrimoine, seul moment de présentation au public pour ce musée dont les thématiques scientifiques ne recouvrent pas les collections ethnographiques.

Fig. 4. Après restauration : transfert d’un des crânes dans son réceptacle de mise en réserve

Musée départemental breton de Quimper. © R. Prévot.

15 Au cours de ces traitements ou d’interventions similaires sur des restes humains, il nous arrive très souvent d’avoir, de la part de collègues et d’observateurs extérieurs, des questions, des remarques sur notre état d’esprit face à ce type d’objet. Ces interlocuteurs se mettant en effet à notre place et exprimant une réelle réserve, une forte appréhension, presque une peur quant au fait d’intervenir sur des restes humains. Nous avouons ne pas partager leur ressenti. Le fait que la patrimonialisation et la muséification des restes humains soient sujets à controverse ne peut justifier qu’on les ignore. Bien au contraire, encore moins que tout autre objet, parce qu’ils sont des restes humains, ils ne doivent en aucun cas être oubliés, abandonnés au sein des collections. Les soins pratiqués doivent l’être dans le respect des traditions culturelles et des croyances de leur groupe ethnique d’origine. Par ces soins, une certaine dignité physique peut être redonnée à ces dépouilles. C’est une façon d’accorder au défunt le respect minimum qui lui est dû, mais c’est aussi reconnaître ces peuples, ces groupes

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ethniques, leurs traditions culturelles, leur histoire. C’est dans cet état d’esprit que ces soins leur ont été prodigués.

BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. À cette date, l’auteur était alors restaurateur au musée des Arts d’Afrique et d’Océanie, spécialisé dans le traitement des collections ethnographiques. 2. Le musée ne dispose d’aucune information sur la date et le contexte d’entrée des crânes dans ses collections. 3. De nombreux objets conservés dans les musées français ont été rapportés par des marins lors de voyage dans les mers du Sud. 4. J. P Meyer A., 1995, p. 424. 5. « Dans la forêt où elle se décomposait sans faire l’objet de soins particuliers. », in La mort n’en saura rien, p. 230. 6. Pour le Vanuatu, la pratique du surmodelage de crâne semble s’être limitée au sud de l’île de Malékula. Voir La mort n’en saura rien, p. 166. 7. Ces effigies « étaient réservées aux défunts initiés aux rituels nalawan, newinbür et nimanggi. Des grades acquis au sein de ces sociétés dépendaient le nombre et les différentes parures que l’on disposait sur le mannequin », in La mort n’en saura rien, p. 230. 8. L’enduit ou « pâte végétale était un mélange de sciure de liane râpée, de moelle de fougère, de lait de noix de coco et de pâte de fruit à pain (Deacon, 1934, p. 545 ; Guiart, 1965, p. 21) ». La mort n’en saura rien, p. 166.

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9. La mort n’en saura rien, « Visages reliquaires », p. 118.

RÉSUMÉS

Après le rappel de quelques notions sur la tradition des crânes surmodelés du Vanuatu, l’auteur s’attache à analyser l’état de quatre crânes ayant séjourné durant plusieurs décennies dans un musée français, avant d’aborder le contexte et les modalités de leur restauration jusqu’à leur mise en réserve.

After recalling some notions about the tradition of carving skulls in Vanuatu, the author of this paper analyses the condition of four skulls that had been held in a French museum for several decades. He then explains the context and modalities of their restoration, before they were placed in storage.

INDEX

Mots-clés : restes humains, crâne surmodelé, Vanuatu, enduit végétal, restauration, nettoyage par compresses Keywords : human remains, carved skull, Vanuatu, plant-based coating, restoration, cleaning with compresses

AUTEUR

RÉGIS PRÉVOT Ingénieur d’études, en charge du domaine de l’ethnographie extra-européenne, département Restauration et département Conservation préventive, C2RMF (regis.prevot[at]culture.gouv.fr).

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The Conservation of Egyptian mummies in Italy La restauration des momies égyptiennes en Italie

Cinzia Oliva

1 During the 19th century, Egyptian mummies were “first” items of curiosity and were sought after by collectors. Most of the mummies arrived in museums after complex and troubled wanderings: sometimes they were acquired officially or most often through the antiquities market, and they often entered public and private collections some time after their original discovery. This situation explains why their provenance is often unknown and the history of conservation is sometimes unclear and difficult to establish.

2 Early investigations and studies on Egyptian mummies focussed on the body and the objects laid upon it, with little attention and care expended on the textile wrappings, or the “object” as a whole. Until the early 20th century, when X-rays started to be used, generally mummies were studied by being unwrapped, with the textiles often being destroyed in the process1; indeed, such autopsies continued to be carried out until the early 1970s2. In Italy, the first systematic X-ray investigations was carried out by Renato Grilletto and Enzo De Lorenzi on mummies from the Museo Egizio in Turin. It started in the 1960s and lasted until the 1980s3. In 2001, a campaign of CT-scan was carried out on 24 mummies from the Museo Egizio and from the Museum of Anthropology in Turin by the Institute of Diagnostic and Interventional Radiology of the University of Turin4. In 2007 the Oriental Antiquities Department of the Vatican Museums, under the direction of Alessia Amenta, established a project for the study and conservation of the human and animal mummies, in collaboration with the Laboratory of Diagnostic for Conservation of the Vatican Museums, directed by Ulderico Santamaria5.

Conservation of mummies

3 Mummies, being an ever-popular attraction for the public, have been on long-term display in museums, but the attention was given solely to the scientific aspects of the

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bodies and not to the conservation and care of the associated materials, like textile wrappings, dyed shrouds, painted cartonnage, leafs and wreaths which decorated and completed the mummies. As a consequence of being on display, most of the mummies belonging to museum collections have undergone some sort of treatment over the years, most of which relates to a temporary consolidation of broken fibres and wrappings. The attention given to archaeological textiles coming from excavation sites or public collections, is quite recent in Italy and there is a lack of literature on the subject, especially when compared to other materials such as painted wood, stone or metalwork. Thus, in the past, conservators from unrelated fields (painting, paper and parchment) were entrusted with the treatment of mummies. Their lack of experience with textiles and the use of methodologies, which were sometimes too aggressive, and the application of unsuitable materials for cleaning and supporting, accelerated the degradation of fibres and artefacts, producing a general brittleness and irreversible alteration of colour and condition of the original material. Sometimes, these treatments resulted in a loss of technical information about the mummies’ construction and their history.

4 In the Museo Egizio of Turin, I found several textiles and mummies that had been conserved by a paper conservator, who had worked on the papyrus collection during the 1930s. She consolidated tears and lacks using starch and paper and/or crepeline as a support. This was in keeping with the standards of that period. Over time, and with the prolonged exposure to light and pollutants, both the glue and the support degraded. This produced a change in colour and rendered the artefacts stiff and brittle, resulting in a considerable loss of their mechanical strength. The textiles were stained, more fragile and, in some cases, their original shape and dimensions were irreversibly altered.

5 The idea of ‘minimum intervention’6 is now widely accepted as the best approach to take when working on archaeological materials in order to preserve both the artefact and all the technical information relating to its original function, production, technologies and provenance. Furthermore, conservation has a key role in making human remains available and accessible for long-term study7. For this reason, it is essential to avoid, as much as possible, using materials and techniques which, in the long term, could alter the artefact and compromise future analyses.

6 The aim of any treatment should be to extend the ‘life’ of an artefact in order to keep all the intrinsic information available, for example the history of the object, collection or human remains. Any treatments which involve human remains and their accessories (wrappings, cartonnage, shrouds, bead nets, etc.) create a sort of filter which can conceal, reveal or highlight different aspects of the objects, and the conservator is always responsible and emotionally involved in this decision. I would like to bring attention to the emotional and, potentially distressing emotions that can be present when carrying out conservation work in the presence of the dead8.

7 In an ideal world, a non-interventionist approach would be best for these kind of artefacts, knowing that even the minimal treatment can cause undesirable changes and a potential loss of information. But mummies and objects which have suffered the natural decay of organic materials and prolonged display in museums in industrial and polluted towns ‑ where the majority of collections are located ‑ often force conservators to find new ways of addressing all these potential challenges. Different

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problems have to be faced which require varied solutions, which, unfortunately, do not always involve minimum intervention.

8 Cleaning is always an irreversible process that can result in loss of information, but at the same time, it can be useful in preserving the artefact by removing dangerous deposits from the fibres and helping to understand the nature of the fragment or the structure of the object. Careful attention has to be paid to ensure that no original soil or deposits, resulting from mummification or funerary rituals are removed. However, textiles that have been on display often exhibit signs of damage due to atmospheric pollution, mechanical stress and excessive light.

9 Thick dust deposits can often cover the entire surface of textiles and the fibres of objects, that are folded for prolonged periods, can demonstrate physical damage and mechanical stress. In such cases, wet cleaning treatment might be necessary to improve the pH of fibres (making them more neutral) and to lessen any undesirable deformation that could result in further damage in the future.

10 In the conservation of a mummy belonging to the Museo Egizio in Turin (Inv. Suppl. 5227‑XXV Dynasty), the outer shroud that was dyed red was covered with thick dust deposits that had altered its original colour to a greysh brown and had weakened the structure, already damaged by historical looting. The shroud had already been removed from its original position on the body, as was ascertained from previous documentation, and showed several gaps and cuts on its surface. Thus, we decided to remove the textile from the mummy and proceeded with a surface cleaning with a micro-vacuum and local wet cleaning (on acid-free blotting paper), to remove the deposits of dust and to relax the fibres after their long-term display. Careful attention was paid to the initial moistening process and to the drying techniques, in order to replace fibres in the right position and recover the original orthogonality of the fabric9.

11 Following the cleaning of a mummy, the subsequent challenge posed to the conservator is providing fragile and degraded wrappings and human remains with adequate support. The choice of methods are determined not only by the weakness of the artefact, but also by its three-dimensional shape and future “museum life”. In mummy conservation, the main problem to solve is surface consolidation, keeping the fragments in place without producing any chemical and visual alteration in the fibres. Most of the time, there is no access from the back of the textiles, so it has to be consolidated from the front or displayed side. Thus, any new material that is used to support the old has to be as transparent as possible, easy to manipulate and to dye (in order to match the original colour of the wrappings), with possibly non fraying-edges and enough elasticity to follow the mummy’s shape.

12 For this reason, when I started to work on Egyptian mummies in 200010, I decided to choose a fine reticulated nylon net fabric. This support can partially, or totally, encapsulate the body, depending on the state of conservation of the mummy, and can be kept in place with a minimum of stitching (through a properly dyed silk or linen ribbon), or simply with strips of Velcro sewn on one side of the support fabric. The treatment is minimal, non-invasive, and the net can be easily removed; the mummy is clearly visible below it, while the conservation netting remains largely invisible to the museum visitor, unless closely scrutinised11.

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Case Study 1: Mummy of Tamit (Museo Egizio of Turin, Inv. Cat. 2218)

13 In 2014, I conserved the so-called “Three Sisters” group of mummies, dated to the Late Period (22th-25th Dynasty) and displayed in the Museo Egizio12. The mummies of Tamit, Tapeni and Renpetnefret were acquired with the Drovetti collection in 182413. Their provenance is not recorded but according to textual and stylistic criteria they were probably discovered in the Theban necropolis. The mummies are preserved inside their coffins which, based on iconographic studies14 date from the 25 th dynasty. They are called the ‘Three Sisters’ because, as is stated in the inscription, all three are the daughters of the Amun priest Ankhkhonsu and of the lady Neskhonsu.

14 Conservation followed the radiological and chemical analyses for the identification of fibres and dyestuffs. The skeletons were in a good condition, showing similar embalming techniques, even if each mummies presented differences in their external construction (two of them had an outer shrouds dyed red, one had traces of a bead- net).

15 All three mummies were in a state of advanced degradation, caused in part from natural decay of the organic materials, and in part due to being on display for a long time, but the most significant damage was due to ancient looting, when Tamit had been partly destroyed by looters in their search for amulets and jewellery.

16 The wrappings of the head of the mummy named Tamit (Inv. Cat. 2218) showed deep circular cuts, which left the front of the skull completely uncovered, resulting in a considerable loss of material from this area. Parts of the bandages had been ripped off and left detached and distorted around the head, making the flesh and bone more brittle (fig. 1).

Treatment

17 The mummy of Tamit was moved onto a transparent board of Plexiglass in order to have full access to the back of the body and to proceed with the usual graphic and digital documentation. Textiles and shrouds identified on the mummy were studied, and for each of them a record sheet was created, containing the following information: fibre, torsion, weaving reduction, selvedge, starting and finishing borders, fringe. Tamit had been wrapped in one external unbleached shroud, folded back over the head and feet, leaving the centre of the back uncovered, and knotted, with the final part of the straps under the neck. The shroud is finished on the long sides by a selvedge and a rolled and whipped hem, and kept in place by a number of strips of a slightly coarser linen. Further details could be seen through the (regrettable) violation of the mummy in antiquity. It seemed as if she had been wrapped in at least seven different textiles, of which two probably belong to wider shrouds. They showed decorative bands, one alternating with blue and the other with red wefts, with long and twisted fringes.

18 The poor condition of the mummy and the effect of the looting required serious treatment to remove the dusty deposits from the exposed sections of wrappings and human remains, which were heavily darkened and dehydrated.

19 The work began with a vacuum cleaning of the entire surface, with the help of soft brush, and the gentle action of vulcanised sponges to remove the dirt from the surface.

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The soft tissue of the face, too brittle and fragile to stand any kind of mechanical action, was cleaned locally with a small cotton swab and the help of an ultrasonic humidifier, with cold steam, in order to soften the greasy film as much as possible.

20 The major challenge was to re-construct the original shape of Tamit’s head wrappings to what it had been prior to looting, as that act had resulted in the cutting off and removal of the bandages in the head area and in a visible loss of mechanical tension in the textiles (fig. 1). The bandages, still in situ, were first re-shaped with cold steam and then breaks and cuts in them were stitched locally on nylon net; the gap was then filled with a specially shaped-padded cushion, inserted on the right hand side of the skull. The cushion was made from polyester wadding covered with dyed linen stitched onto itself, so as to avoid the use of any glues that could contaminate the original fabrics.

Fig. 1. Case study 1

Mummy of Tamit (Inv. Cat. 2215). Detail of the head before conservation © Museo Egizio Torino/C. Oliva.

21 All the fragments were positioned and kept in place, over this support, by a nylon net, draped around the head, and sewn onto itself rather than onto the object, with very few stitches through the strongest external original bandages, to keep it in place (fig. 2).

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Fig. 2. Case Study 1

Mummy of Tamit (Inv. Cat. 2215). Detail of the head after conservation, with the inserted cushion and supported by net. © Museo Egizio Torino/C. Oliva.

22 In this way, all the original fragments were kept in place, while achieving the goal of covering and protecting part of the human remains and preserving evidence of historic pillaging.

Case study 2: Mummy (Vatican Museums, Inv. 25004)

23 Male (?) mummy, dated to the 21th or early 22th Dynasty (radiocarbon dating), is conserved in the storage in the Vatican Museum. In 2013, before the beginning of the conservation, the mummy underwent a detailed morphological inspection and analyses following the protocol of the Vatican Mummy Project15.

24 The treatment of this mummy followed a process quite similar to that described in Case study 1. The mummy was moved to a Plexiglas board and fully documented. During the study of textiles and thanks to the evident and extensive damage caused by the looting, 12 fragments of detached bandages and 4 shrouds positioned and folded over the chest, in order to re-create the former shape of the body, were found. From this material and through a comparison between the visual, technical and chemical test of the fibres, it was possible to identify three different types of fabric.

Treatment

25 The mummy was in poor condition, partly due to the natural ageing of the linen fibres, and partly due to the vandalism that it had been victim to in the past. The remains were dusty, with thick deposits on the exposed sections, which had penetrated the fibres, thus accelerating the mechanical decay of the cellulose, and producing breaks, cuts and a general weakness in the mechanical weaving structure. But the most significant damage was due to the looting itself.

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26 Deep circular cuts on the head and feet and a T-shaped cut on the chest left both the skull and part of the feet completely uncovered, resulting in a considerable loss of material from these areas. Parts of the bandages had been ripped off, and were left detached along the body or roughly wrapped around it (fig. 3). The skull showed through the twisted and warped bandages, with a consequent general decay of the organic remains, as was the case with the feet.

Fig. 3. Case study 2

Mummy (Inv. 25004). Detail of the head before conservation with the skull uncovered and ripped off bandages. © Musei Vaticani.

27 The work started with the vacuum cleaning of the entire surface (the nozzle of the vacuum cleaner was protected with nylon net in order to protect the material), and humidification to flatten out the broken bandages in order to recover the original structure and orthogonality of the fabric and reconstruct, where possible, the original length of the detached bandages. The main problem to solve, as always, was how to consolidate the degraded sections and keep the fragments in place without producing any visual or chemical alteration to the fibres.

28 After the humidification, it was possible to reconstruct the original position of the wrappings. Most of the bandages were still in place and could easily cover the face, therefore it was decided to fill the gap over the skull left by the looters, with shaped padded cushion (see Case study 1) over which the fragmented bandages were replaced and kept in place by a local support of fine nylon net, sewn onto itself (fig. 4).

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Fig. 4. Case study 2

Mummy (Inv. 25004). Detail of the head after conservation. © Musei Vaticani.

29 The feet were treated in the same way. As only a thin layer of bandages was missing, it was decided not to fill the gap and to leave the organic remains partially uncovered. The fragments were put in place and covered with the dyed nylon net, secured by stitching it onto itself. The net was then disguised under the original bandage, which turned around the ankles.

30 So as to avoid unnecessary stitching and excessive covering and in order to allow easy access to the material, the centre of the chest was protected with a local support: the nylon net was fixed, and kept in place, by narrow strips of Velcro, sewn onto just one side of the net and hidden along the lower part of the hip. This is completely reversible and removable, so as to permit the further study of these materials, especially the four shrouds.

Conclusion

31 The aim of the restoration work was to preserve both the original wrappings and the organic material and, at the same time, let the mummies to be displayed again properly.

32 The accidental and partial unwrapping of both the mummies and the conservation treatments allowed a deeper insight into the materials and the wrapping techniques used for mummies of this period. Further research and analysis on fibres and dyestuff and comparison with other mummies could lead to systematic studies on wrappings and textile used in funerary context.

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33 The covering with net achieved the target: all the fragments are safely in place, the net produced a minimal visual changing of surface colour and the treatment is totally reversible and leaves open any other choice for the future.

34 Actually, Tamit is displayed in a wide showcase with the other two sisters at the first floor of the renewed Museo Egizio in Turin while the mummy of Vatican Museum is conserved in the climatized storage of the museum.

BIBLIOGRAPHY

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NOTES

1. Ikram and Dodson, 1998. 2. Taconis, 2005, p. 35-51. 3. De Lorenzi, Grilletto, 1989. 4. Fiore Marocchetti , 2012. 5. The team includes: Biology Department, Universiy of Pisa; Entomological Laboratory, University of Pisa; Department of Bio-Imaging and Radiology, University of Messina; Institute for Mummies and Iceman, EURAC, Bolzano; Stephanie Panzer, Unfallklinik Murnau, radiologist; Sveva Longo, Science and Technology for Conservation for Cultural Heritage; Dario Piombino Mascali, Cultural Heritage Department of Palermo, palaeopathologist and bioarchaeologist; Cinzia Oliva, textile conservator; Cristina de’ Medici, cartonnage conservator. 6. Brooks et Al., 1996, p. 16-21. 7. Wills et Al., 2014, p.49-51. 8. Balachandran, 2009. 9. Conservation report (unpublished). 10. Oliva et Al., 2006, p. 243-247. 11. Wills, 2014. 12. Borla, Oliva (forthcoming). 13. Fabretti et All, 1882, p. 297-298. 14. Connor, Facchetti, 2015, p 188.189. 15. Oliva (forthcoming).

ABSTRACTS

The conservation of mummies and human remains in Italian collections is a relatively new field. The earliest scientific studies of mummies date back to the 1960’s, but the first systematic use of CT (Computed Tomography) – scan on human mummies had to wait until the 21st century. The main interest of these studies was what was inside a mummy, with less attention paid to the textiles and related materials. Conservation of mummies has faced a series of problems: historical pillaging, past treatments, museum or storage environments, natural decay of organic material, and exhibition requirements. This paper illustrates the main cleaning and supporting techniques used in Italy by two case studies, both of which have parts of the bodies exposed. One is from the Egyptian Museum in Turin (Inv. Cat. 2218) and the second is kept in storage in the Vatican Museums (Inv. 25004). I faced the same problems with both, but resolved them in different ways.

La restauration des momies et des restes humains dans les collections italiennes est un domaine relativement nouveau. Les plus anciennes analyses scientifiques de momies remontent aux

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années 1960, mais l’utilisation systématique de la tomodensitométrie sur des restes humains ne date que du XXIe siècle, permettant de se concentrer sur l’intérieur du corps de la momie sans s’arrêter aux textiles extérieurs. La restauration des momies se heurte à de nombreuses difficultés : pillage des tombes, traitements antérieurs, conditions climatiques dans le musée et les réserves, dégradation naturelle des tissus biologiques et contraintes d’exposition. Deux exemples illustrent ici les principales techniques de nettoyage, consolidation et refixage employées en Italie. Il s’agit de deux momies dont certaines parties du corps sont à nu, conservées respectivement au Museo Egizio de Turin (inv. 2218) et dans les collections égyptiennes des musées du Vatican (inv. 25004). Deux solutions différentes ont été apportées à un problème identique.

INDEX

Keywords: mummy, conservation, human remains, Italy, textiles, Egypt, Vatican Mummy Project, nylon (or polyamide) net Mots-clés: momie, restauration, restes humains, Italie, textiles, Égypte, Vatican Mummy Project, filet en polyamide

AUTHOR

CINZIA OLIVA Freelance textile conservator (oliva.c[at]libero.it).

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