INGÉNIEURS ET TECHNICIENS FRANÇAIS EN EGYPTE, AU Xixe SIÈCLE
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INGÉNIEURS ET TECHNICIENS FRANÇAIS EN EGYPTE, AU XIXe SIÈCLE Pendant plus d'un siècle et demi, clercs et laïques, égyptologues et professeurs, médeoins et techniciens français ont travaillé en Egypte avec une efficacité déjà plusieurs fois mise en lumière : Gaston Maspero fut, en même temps que l'un des maîtres del'égyp- tologie, un historien averti du rôle de ses devanciers et de ses émules ; les travaux de Gabriel Guémard, d'Henri Munier et surtout dp M. François Charles-Roux fournissent des vues étendues sur l'his• toire scientifique de l'expédition dirigée de 1798 à 1801 par Bona• parte, Kléber et Menou ; enfin, Jean-Marie Carré a laissé un très bel ouvrage sur les Voyageurs et écrivains français en Egypte. Pourtant, jusqu'à ce jour, et sous réserve de quelques exceptions, l'on n'a pas mis en lumière, ailleurs que dans des publications spécialisées, l'œuvre d'ensemble des ingénieurs et des techniciens : c'est une lacune que nous aimerions contribuer à combler en pré• sentant une brève synthèse de l'activité de ces hommes dans la vallée du Nil, en limitant l'essentiel de. nos développements au xixe siècle. * * En partant pour l'Egypte en mai 1798 à la tête de 35.000 soldats, Bonaparte était accompagné d'un certain nombre de personnes non inscrites sur les rôles de l'armée ou de la marine dont cent cinquante environ étaient groupés au sein de la « Commission des Sciences et Arts ». Si, à l'époque, les membres de cet organisme furent souvent désignés sous le nom collectif de « savants », en fait, un grand nombre d'entre eux étaient des ingénieurs, des élèves des 692 LA REVUE grandes écoles et aussi des techniciens et des compagnons de diverses spécialités. Compte tenu des promotions faites en Egypte même, il y eut au total une cinquantaine d'ingénieurs de divers corps : ponts et chaussées, mines, géographes, etc. L'âge moyen de tous ces personnages était, en 1798, voisin de vingt-cinq ans : cette extrême jeunesse du groupe allait singulièrement faciliter son adaptation. A l'exception peut-être de Nicolas-Jacques Conté, aucun alors n'était célèbre mais, dans la suite, la plupart de ceux qui revinrent en France — sept périrent en Egypte — occu• pèrent des places enviables dans les grands corps de l'Etat ; cinq (1) appartinrent à l'Institut de France et seule une mort prématurée empêcha Michel-Ange Lancret d'avoir pu prétendre au même honneur. Le séjour en Egypte allait donner aux meilleurs l'occasion de s'épanouir intellectuellement et de participer à une œuvre collective sans équivalent. En quelques mois, Conté installa des manufactures de drap, fit construire des moulins à vent, lança des montgolfières, réussit, presque sans moyens, à fabriquer d'innombrables objets dont des instruments topographiques et même des trompettes de cavalerie. Un ingénieur des poudres, Jacques-Pierre Champy de Boisserand, parvint, avec des produits préparés sous sa direction, à faire lancer des boulets d'épreuve à une distance supérieure à celle prévue par les règlements de France. D'autres techniciens installèrent une - fabrique de chapeaux, une brasserie et maints autres ateliers. Jean-Joseph Marcel et Marc-Aurel introduisirent l'imprimerie dans le pays. Pierre-Simon Girard étudia l'hydrologie du Nil et, dès cette époque, l'on comprit l'intérêt que pouvait présenter, p*our l'écono• mie égyptienne, un aménagement rationnel des eaux du fleuve. Napoléon lui-même, bien renseigné jadis par ses techniciens, devait résumer à Sainte-Hélène l'avenir qu'il entrevoyait pour l'Egypte, supposée bien gouvernée pendant cinquante ans : « Mille écluses maîtriseraient et distribueraient Vinondation sur toutes les parties du territoire; les huit ou dix milliards de toises cubes d'eau qui se perdent chaque année dans la mer, seraient répartis dans toutes les parties basses du désert... un grand nombre de pompes à feu, de moulins à vent, élèveraient les eaux dans des châteaux d'eau, d'où elles seraient tirées pour l'arrosage. » (1) Chabrol de Volvic, Cordier, Dubois-Aymé, Girard et Jomard. INGÉNIEURS ET TECHNICIENS FRANÇAIS EN EGYPTE 693 Sous la direction de Testevuide d'abord, de Pierre Jacotin ensuite, les ingénieurs géographes dressèrent la première carte détaillée de l'Egypte, à l'échelle du 1 /100.000e. De leur côté les ingénieurs des ponts et chaussées effectuèrent, sous la direction de Jacques-Marie Le Père, des opérations topographiques plani- métriques et altimétriques dans l'isthme dé Suez : au nombre des instructions données par le Directoire à Bonaparte figuraient expressément celles d'unir par un canal navigable la Méditerranée et la mer Rouge. A la vérité, le nivellement de 1799, entre Suez et Péluse, fut entaché d'une regrettable erreur, de l'ordre de 8 m. 50 à 9 m., de sorte que, pendant presque tout le demi-siècle qui suivit, l'on devait considérer très généralement mais à tort, le niveau moyen de la mer Rouge comme surpassant nettement celui de la Méditer• ranée. Quoi qu'il en soit, si le premier projet sérieux de jonction des deux mers, élaboré par Le Père, était en partie vicié par l'erreur commise, cette étude n'en devait pas moins orienter puissamment les idées vers le percement de l'isthme de Suez. L'œuvre archéologique des ingénieurs de Bonaparte devait avoir une portée bien supérieure à celle de leurs travaux purement techniques. Les jeunes hommes qui, au printemps de 1798, s'étaient inscrits comme volontaires pour une expédition lointaine dont nul d'entre eux ne connaissait positivement le but, avaient l'esprit curieux et une âme bien trempée. Certains avaient été prématu• rément mûris par les épreuves de la tourmente révolutionnaire. Sur le plan intellectuel, après des études classiques baignées des souvenirs de la Grèce et de Rome, ils s'étaient pendant quelques années adonnés presque exclusivement aux mathématiques, ce qui donnait, même aux plus fervents, le désir confus de s'en déta• cher pour un temps. Et brusquement, au milieu de l'exaltation et des dangers de la guerre, ils furent jetés dans un monde presque inconnu. Les premiers qui allèrent en Haute-Egypte virent surgir des sables, des pylônes, des portiques, des obélisques aux propor• tions gigantesques, sUr lesquels étaient gravés les signes d'une écriture que nul ne comprenait alors. Les objectifs assignés à la première mission envoyée, en mars 1799, au sud du Caire, étaient strictement techniques : il s'agissait de lever des profils du Nil, de mesurer la vitesse des eaux du fleuve, de calculer des débits, de rechercher les eaux souterraines de la vallée. Certes, nos jeunes gens s'acquittèrent de leur mieux de leurs tâches professionnelles mais aussi et surtout, en dépit de leur chef Girard, ils voulurent de ,694 LA REVUE toute leur âme, visiter, mesurer, dessiner et faire connaître ces temples, ces statues et ces tombeaux si différents de ceux que leurs maîtres leur avaient décrits quelques années plus tôt. Deux d'entre eux ont exprimé les sentiments que tous partagèrent plus ou moins intensément ; « Nous éprouvions quelque plaisir à penser que nous allions transporter dans notre patrie tous les produits de Vantique science et de Vindustrie des. Egyptiens ; c'était une véritable conquête que nous allions essayer au nom des arts. Nous allions enfin donner, pour la première fois, une idée exacte et complète des monu• ments dont tant de voyageurs anciens et modernes n'avaient pu parler que d'une manière peu satisfaisante... Et d'ailleurs, quels attraits, quel charme secret ne présente pas la vue de ces ruines ? On ne cherche pas ce spectacle par une curiosité stérile et momentanée; on y est conduit par une passion ardente et vive qu'il faut avoir éprouvée pour s'en faire une juste idée (1) ». Remplaçant spontanément les deux «antiquaires» — nous dirions aujourd'hui «archéologues» — de l'expédition qui s'intéressèrent peu aux vestiges de l'antiquité et quittèrent d'ailleurs l'Egypte prématurément, Dubois-Aymé, Jollois, Jomard, Lancret, de Villiers du Terrage, d'autres encore, se vouèrent avec passion à l'étude des monuments anciens et l'un d'entre eux, au cours de la séance de l'Institut d'Egypte du 29 juil• let 1799, signala au monde savant la pierre trilingue de Rosette qui devait permettre plus tard à Jean-François Champollion de retrouver le secret des hiéroglyphes, perdu depuis l'antiquité. Après leur retour en France, les ingénieurs jouèrent encore un rôle essentiel dans la préparation et la publication de l'ouvrage édité de 1809 à 1826 aux frais des gouvernements qui se succé• dèrent en France au début du xixe siècle. La Description de l'Egypte est une véritable encyclopédie du pays auquel elle a été consacrée et, de nos jours encore, il est impossible d'étudier sérieusement une question quelconque sur la contrée sans se référer d'abord à ce monument qui comporte plus de douze mille pages de texte dans l'édition in-octavo en vingt-six volumes et environ mille planches d'un format jusqu'alors inusité. Trois grandes parties ont été consacrées aux Antiquités, à l'Etat moderne, à l'Histoire naturelle. Or, sur quarante-deux auteurs de mémoires, l'on compte vingt ingénieurs qui écrivirent au total plus de 90 % des pages de texte de la première partie et 60 % de l'ensemble de l'ouvrage. Si l'on (1) Description de- l'Egypte, 2' édition, tome II, pages 11 et 12. INGÉNIEURS ET TECHNICIENS FRANÇAIS EN EGYPTE 695 ajoute que de très nombreuses planches de monuments anciens furent dessinées par le groupe et que la responsabilité de l'édition incomba essentiellement à Conté, à Lancret et surtout à Jomard, l'on est bien en droit de dire que la Description de VEgypte fut au premier chef l'œuvre des ingénieurs de Bonaparte et que le climat si favorable en France aux études égyptologiques des Champol- lion, des Mariette et des Maspero fut créé par eux.