Des Grands Ensembles
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DES GRANDS ENSEMBLES DES GRANDS ENSEMBLES Manon Nitenberg mémoire de fin d’étude sous la direction d’Aurelien Lemonier janvier 2021-École Camondo Avant-propos Des grands ensembles La banlieue, j’y vis depuis mon plus jeune âge, c’est mon histoire et ma culture. J’habite à Villeneuve-la-Garenne au nord du département des Hauts-de-Seine (92) limitrophe de Paris. Cette ville, attenante à la Seine-Saint-Denis (93) est actuellement la plus pauvre du département. L’habitat de Villeneuve-la-Garenne est constitué de 72% de logements sociaux dont le grand ensemble La Caravelle, au sein duquel je n’ai pas grandi. 7 La banlieue a généralement mauvaise réputation. Les quartiers sont très souvent jugés à mal dans notre société. On ne veut pas les fréquenter, ils sont rebaptisés la « cité » ou le « ghetto » par ceux qui ne les connaissent pas. On parle régulièrement de la banlieue nord comme d’une zone sensible. Cette image négative des quartiers m’a donné envie d’étudier les grands ensembles, archétypes de la construction des banlieues. Introduction Des grands ensembles Les grands ensembles sont des réalisations emblématiques de la politique d’après-guerre menée par l’État. Ce sont les vecteurs d’un grand changement dans le domaine de l’aménagement du territoire, de la planification urbaine et de l’habitat dans un pays marqué par la guerre et dont la population ne cesse d’augmenter. Les grands ensembles ont pour objectif de loger le plus grand nombre de personnes, de la façon la plus rapide et 9 e!icace. La forme des grands ensembles, faite de lignes droites formant des barres ou de tours est en rupture totale avec le schéma traditionnel des habitations. L’État se lance dans des projets complètement nouveaux dont le gigantisme va bien au-delà de ceux réalisés précédemment. Ces quartiers sont le résultat d’une politique pragmatique et utopique visant à améliorer la qualité de vie des habitants, ce qui a e!ectivement été accompli dans les premières années. Ultérieurement, des problématiques sont survenues dans les grands ensembles, secondaires à la densité de population, la dégradation des lieux, la délinquance et la paupérisation des habitants. Introduction Des grands ensembles Les grands ensembles sont aujourd’hui des objets historiques qui retracent une nouvelle vision de l’habitat et de la vie en ville. Certaines de ces constructions ont même actuellement le label « Architecture Contemporaine Remarquable ». Dans l’imaginaire collectif, un grand ensemble est un lieu urbain dégradé, dangereux, laid et parfois une zone 10 de non-droit. Quelles peuvent être d’autres représentions des grands ensembles, espaces urbains complexes ? Je décide de parcourir l’ensemble de la ligne de tramway T1 qui circule entre Asnières-sur-Seine et Noisy-le-Sec, traversant le nord du 92 et une partie du 93, à l’image de la chronique de François Maspero, Les passagers du Roissy-Express. Dans ce livre, l’auteur voyage un mois sur la ligne B du RER à la rencontre des villes périphériques. Il débute son récit à Roissy pour le terminer à Massy. Pendant ce voyage, François Maspero étudie l’histoire de cette banlieue et de ses habitants. J’emprunte la ligne T1 à la manière de François Maspero, en m’arrêtant dans certaines villes pour découvrir Introduction Des grands ensembles les grands ensembles qui les composent. Mes arrêts sont définis par avance. J’ai fait la liste (non exhaustive) des di!érentes représentations possibles des grands ensembles. Je les ai ensuite attribuées à chaque grand ensemble, en fonction d’une part de leurs caractères et d’autre part de la documentation disponible. Le premier grand ensemble, se trouve à Gennevilliers, c’est la cité du Luth. J’en donne la représentation par 11 la presse écrite. Le deuxième est également situé à Gennevilliers, c’est le quartier des Agnettes. Son approche est purement photographique. Je rapporte ensuite un acte politique de rénovation de la cité de La Caravelle à Villeneuve-la-Garenne, réalisé par Banlieue 89 et Roland Castro. Puis vient le tour de la cité du Franc-Moisin à Saint-Denis, représentée par les témoignages de ses habitants, afin d’intégrer à ce mémoire une représentation interne au grand ensemble. La cinquième cité, les 4000, se trouve à la Courneuve. Elle est représentée par un film de Jean-Luc Godard, Deux ou trois choses que je sais d’elle. Introduction Des grands ensembles L’arrêt suivant à Bobigny correspond à la cité de l’Étoile. Je l’étudie par le biais de son classement au label « Architecture Contemporaine Remarquable ». Le septième et dernier quartier se trouve également à Bobigny. Il est étudié par une représentation poétique de l’architecture. Ainsi j’analyse de façon plurielle et cependant 12 partielle les grands ensembles. En multipliant ces perspectives, j’essaie de me rapprocher de la « vérité » des grands ensembles. Le Luth La Caravelle presse écrite acte politique de rénovation p. 25 p. 57 Les Agnettes Le Franc-Moisin analyse photographique témoignages des habitants p. 39 p. 71 Plan de la ligne de T1 du tramway parisien Les 4000 La cité de l’Abreuvoir analyse cinématographique vision architecturale poétique p. 89 p. 115 La cité de l’Étoile classement au Label Architecture Remarquable Contemporaine p. 103 DES GRANDS ENSEMBLES Quelles peuvent-être les représentations des grands ensembles, des espaces urbains complexes ? Premier chapitre Des grands ensembles Contexte de construction I ! CONTEXTE DE CONSTRUCTION ET DÉFINITIONS CONNUES DES GRANDS ENSEMBLES A. Contexte de construction Après la Seconde Guerre mondiale, la France Le véritable choc psychologique arrive le 1er février 19 cherche à se reconstruire. En effet la guerre est à l’origine 1954, quand l’abbé Pierre lance un appel à l’aide sur de nombreuses destructions. Le premier objectif est de reconstruire les infrastructures de transports. solidariser les français sur la situation des sans-abris Le secteur du bâtiment en France est alors dans durant ce terrible hiver. On lance le programme l’incapacité de construire des logements en grande de « logements économiques de première nécessité ». quantité et de façon rapide. La plupart des français Ce sont des petites cités d’urgence sous la forme n’ont pas d’accès à l’eau courante, n’ont pas de WC ou de pavillons. Le projet est critiqué du fait de l’insalubrité de salle de bain. On dénombre pas moins de 350 000 de certaines habitations avec le développement de moisissures et d’une forte humidité à l’intérieur. de 3 millions d’habitations. Le besoin de logement n’a La priorité est donc donnée à l’habitat collectif, jamais été aussi fort. On veut construire avec un sentiment la construction d’habitats en grand nombre et à la « urpaphobe » 1, on refuse un étalement urbain et on a préfabrication en béton. peur de l’insalubrité des villes qui a souvent provoqué des épidémies. En 1950, Eugène Claudius-Petit présente devant le Conseil des Ministres un plan d’aménagement national qui doit permettre de sortir de la crise du logement. Cette même année, les Habitations à Loyer Modéré (HLM) succèdent aux Habitations Bon Marché (HBM). Un concours est organisé en 1951 pour un projet devant comporter 800 logements. Le projet est gagné par Eugène Beaudouin qui construit l’un des premiers grands ensembles en 1953. 1 Urbaphobie est une expression qui désigne une hostilité à l’égard de la ville. Cette hostilité n’est pas un sentiment individuel mais un imaginaire collectif. Joëlle Salomon Cavin et Bernard Marchand (dir), Antiurbain Origines et conséquences de l’urbaphobie, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2010, p.15 Premier chapitre Des grands ensembles 20 © Vincent Nitenberg. Cité de la Rotonde, Villeneuve - la - Garenne Premier chapitre Des grands ensembles B. Définitions actuelles connues des grands ensembles cas, comporter plusieurs centaines ou milliers de logements. 21 unique. Ce sont souvent de grandes barres de logement Son foncier ne fait pas nécessairement l’objet d’un collectif. Ces ensembles ont été inscrits dans le tissu remembrement, il n’est pas divisé par lots ce qui le urbain ancien à la manière de nouveaux villages greffés différencie du lotissement concerté ».2 décrit leurs formes, le plan sur lequel ils sont basés et leur implantation. De cette façon on peut imaginer grands ensembles. de manière assez simple ce qu’ils représentent. La toute première appellation des grands ensembles Yves Lacoste donnée en 1963. Selon lui, un grand apparaît en 1935 avec l’urbaniste Maurice Rotival.1 Il utilisait l’appellation pour nommer les grandes un ensemble. Cette organisation n’est pas seulement opérations de logement en Europe et en France telles la conséquence d’un plan-masse ; elle repose sur la présence d’équipements collectifs (écoles, commerces, cherchent à « moderniser la banlieue » et à lutter contre centre social, etc.). Le grand ensemble apparaît donc la « lèpre pavillonnaire ». Le terme oublié pendant comme une unité d’habitat relativement autonome quinze ans ressort dans les années 1950 au moment de la construction des grands ensembles qui s’étale de temps, en fonction d’un plan global qui comprend sur une vingtaine d’années (1953-1973). ». 3 celle donnée précédemment, on évoque ici le plan, les équipements, etc. Yves Lacoste développe l’idée de comportant plusieurs bâtiments isolés pouvant être cellule d’habitation autonome, le concept de petites sous la forme de barres et de tours, construit sur un villes-cités au sein d’une agglomération déjà présente. plan-masse constituant une unité de conception. Il peut être à l’usage d’activité et d’habitation et dans ce équipements. 1 L’architecture d’aujourd’hui, n°6, 2 Bernard Gatuhiez (dir), Espaces urbain, vocabulaire et morphologie, juin 1935, p.57-87 édition du patrimoine, coll.