DES GRANDS ENSEMBLES

DES GRANDS ENSEMBLES

Manon Nitenberg mémoire de fin d’étude sous la direction d’Aurelien Lemonier janvier 2021-École Camondo

Avant-propos Des grands ensembles

La banlieue, j’y vis depuis mon plus jeune âge, c’est mon histoire et ma culture. J’habite à Villeneuve-la-Garenne au nord du département des Hauts-de-Seine (92) limitrophe de . Cette ville, attenante à la Seine-Saint-Denis (93) est actuellement la plus pauvre du département. L’habitat de Villeneuve-la-Garenne est constitué de 72% de logements sociaux dont le grand ensemble La Caravelle, au sein duquel je n’ai pas grandi. 7 La banlieue a généralement mauvaise réputation. Les quartiers sont très souvent jugés à mal dans notre société. On ne veut pas les fréquenter, ils sont rebaptisés la « cité » ou le « ghetto » par ceux qui ne les connaissent pas. On parle régulièrement de la banlieue nord comme d’une zone sensible. Cette image négative des quartiers m’a donné envie d’étudier les grands ensembles, archétypes de la construction des banlieues.

Introduction Des grands ensembles

Les grands ensembles sont des réalisations emblématiques de la politique d’après-guerre menée par l’État. Ce sont les vecteurs d’un grand changement dans le domaine de l’aménagement du territoire, de la planification urbaine et de l’habitat dans un pays marqué par la guerre et dont la population ne cesse d’augmenter. Les grands ensembles ont pour objectif de loger le plus grand nombre de personnes, de la façon la plus rapide et 9 e!icace. La forme des grands ensembles, faite de lignes droites formant des barres ou de tours est en rupture totale avec le schéma traditionnel des habitations. L’État se lance dans des projets complètement nouveaux dont le gigantisme va bien au-delà de ceux réalisés précédemment. Ces quartiers sont le résultat d’une politique pragmatique et utopique visant à améliorer la qualité de vie des habitants, ce qui a e!ectivement été accompli dans les premières années. Ultérieurement, des problématiques sont survenues dans les grands ensembles, secondaires à la densité de population, la dégradation des lieux, la délinquance et la paupérisation des habitants. Introduction Des grands ensembles

Les grands ensembles sont aujourd’hui des objets historiques qui retracent une nouvelle vision de l’habitat et de la vie en ville. Certaines de ces constructions ont même actuellement le label « Architecture Contemporaine Remarquable ».

Dans l’imaginaire collectif, un grand ensemble est un lieu urbain dégradé, dangereux, laid et parfois une zone 10 de non-droit. Quelles peuvent être d’autres représentions des grands ensembles, espaces urbains complexes ? Je décide de parcourir l’ensemble de la ligne de tramway T1 qui circule entre Asnières-sur-Seine et Noisy-le-Sec, traversant le nord du 92 et une partie du 93, à l’image de la chronique de François Maspero, Les passagers du Roissy-Express. Dans ce livre, l’auteur voyage un mois sur la ligne B du RER à la rencontre des villes périphériques. Il débute son récit à Roissy pour le terminer à Massy. Pendant ce voyage, François Maspero étudie l’histoire de cette banlieue et de ses habitants. J’emprunte la ligne T1 à la manière de François Maspero, en m’arrêtant dans certaines villes pour découvrir Introduction Des grands ensembles

les grands ensembles qui les composent. Mes arrêts sont définis par avance. J’ai fait la liste (non exhaustive) des di!érentes représentations possibles des grands ensembles. Je les ai ensuite attribuées à chaque grand ensemble, en fonction d’une part de leurs caractères et d’autre part de la documentation disponible. Le premier grand ensemble, se trouve à , c’est la cité du Luth. J’en donne la représentation par 11 la presse écrite. Le deuxième est également situé à Gennevilliers, c’est le quartier des Agnettes. Son approche est purement photographique. Je rapporte ensuite un acte politique de rénovation de la cité de La Caravelle à Villeneuve-la-Garenne, réalisé par Banlieue 89 et Roland Castro. Puis vient le tour de la cité du Franc-Moisin à Saint-Denis, représentée par les témoignages de ses habitants, afin d’intégrer à ce mémoire une représentation interne au grand ensemble. La cinquième cité, les 4000, se trouve à la Courneuve. Elle est représentée par un film de Jean-Luc Godard, Deux ou trois choses que je sais d’elle. Introduction Des grands ensembles

L’arrêt suivant à Bobigny correspond à la cité de l’Étoile. Je l’étudie par le biais de son classement au label « Architecture Contemporaine Remarquable ». Le septième et dernier quartier se trouve également à Bobigny. Il est étudié par une représentation poétique de l’architecture.

Ainsi j’analyse de façon plurielle et cependant 12 partielle les grands ensembles. En multipliant ces perspectives, j’essaie de me rapprocher de la « vérité » des grands ensembles.

Le Luth La Caravelle presse écrite acte politique de rénovation p. 25 p. 57

Les Agnettes Le Franc-Moisin analyse photographique témoignages des habitants p. 39 p. 71

Plan de la ligne de T1 du tramway parisien Les 4000 La cité de l’Abreuvoir analyse cinématographique vision architecturale poétique p. 89 p. 115

La cité de l’Étoile classement au Label Architecture Remarquable Contemporaine p. 103

DES GRANDS ENSEMBLES

Quelles peuvent-être les représentations des grands ensembles, des espaces urbains complexes ?

Premier chapitre Des grands ensembles Contexte de construction

I ! CONTEXTE DE CONSTRUCTION ET DÉFINITIONS CONNUES DES GRANDS ENSEMBLES

A. Contexte de construction

Après la Seconde Guerre mondiale, la Le véritable choc psychologique arrive le 1er février 19 cherche à se reconstruire. En effet la guerre est à l’origine 1954, quand l’abbé Pierre lance un appel à l’aide sur de nombreuses destructions. Le premier objectif est de reconstruire les infrastructures de transports. solidariser les français sur la situation des sans-abris Le secteur du bâtiment en France est alors dans durant ce terrible hiver. On lance le programme l’incapacité de construire des logements en grande de « logements économiques de première nécessité ». quantité et de façon rapide. La plupart des français Ce sont des petites cités d’urgence sous la forme n’ont pas d’accès à l’eau courante, n’ont pas de WC ou de pavillons. Le projet est critiqué du fait de l’insalubrité de salle de bain. On dénombre pas moins de 350 000 de certaines habitations avec le développement de moisissures et d’une forte humidité à l’intérieur. de 3 millions d’habitations. Le besoin de logement n’a La priorité est donc donnée à l’habitat collectif, jamais été aussi fort. On veut construire avec un sentiment la construction d’habitats en grand nombre et à la « urpaphobe » 1, on refuse un étalement urbain et on a préfabrication en béton. peur de l’insalubrité des villes qui a souvent provoqué des épidémies. En 1950, Eugène Claudius-Petit présente devant le Conseil des Ministres un plan d’aménagement national qui doit permettre de sortir de la crise du logement. Cette même année, les Habitations à Loyer Modéré (HLM) succèdent aux Habitations Bon Marché (HBM). Un concours est organisé en 1951 pour un projet devant comporter 800 logements. Le projet est gagné par Eugène Beaudouin qui construit l’un des premiers grands ensembles en 1953.

1 Urbaphobie est une expression qui désigne une hostilité à l’égard de la ville. Cette hostilité n’est pas un sentiment individuel mais un imaginaire collectif. Joëlle Salomon Cavin et Bernard Marchand (dir), Antiurbain Origines et conséquences de l’urbaphobie, Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2010, p.15 Premier chapitre Des grands ensembles

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© Vincent Nitenberg. Cité de la Rotonde, Villeneuve - la - Garenne Premier chapitre Des grands ensembles

B. Définitions actuelles connues des grands ensembles

cas, comporter plusieurs centaines ou milliers de logements. 21 unique. Ce sont souvent de grandes barres de logement Son foncier ne fait pas nécessairement l’objet d’un collectif. Ces ensembles ont été inscrits dans le tissu remembrement, il n’est pas divisé par lots ce qui le urbain ancien à la manière de nouveaux villages greffés différencie du lotissement concerté ».2 décrit leurs formes, le plan sur lequel ils sont basés et leur implantation. De cette façon on peut imaginer grands ensembles. de manière assez simple ce qu’ils représentent. La toute première appellation des grands ensembles Yves Lacoste donnée en 1963. Selon lui, un grand apparaît en 1935 avec l’urbaniste Maurice Rotival.1 Il utilisait l’appellation pour nommer les grandes un ensemble. Cette organisation n’est pas seulement opérations de logement en Europe et en France telles la conséquence d’un plan-masse ; elle repose sur la présence d’équipements collectifs (écoles, commerces, cherchent à « moderniser la banlieue » et à lutter contre centre social, etc.). Le grand ensemble apparaît donc la « lèpre pavillonnaire ». Le terme oublié pendant comme une unité d’habitat relativement autonome quinze ans ressort dans les années 1950 au moment de la construction des grands ensembles qui s’étale de temps, en fonction d’un plan global qui comprend sur une vingtaine d’années (1953-1973). ». 3 celle donnée précédemment, on évoque ici le plan, les équipements, etc. Yves Lacoste développe l’idée de comportant plusieurs bâtiments isolés pouvant être cellule d’habitation autonome, le concept de petites sous la forme de barres et de tours, construit sur un villes-cités au sein d’une agglomération déjà présente. plan-masse constituant une unité de conception. Il peut être à l’usage d’activité et d’habitation et dans ce équipements.

1 L’architecture d’aujourd’hui, n°6, 2 Bernard Gatuhiez (dir), Espaces urbain, vocabulaire et morphologie, juin 1935, p.57-87 édition du patrimoine, coll. Vocabulaire, 2003, p.86 3 Bulletin de l’association des géographes français, nos Premier chapitre Des grands ensembles

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© Vincent Nitenberg. Quartier des Agnettes, Gennevilliers Premier chapitre Des grands ensembles

Il serait également pertinent de questionner ceux qui 23 évoque les lieux d’un point de vue purement géographique. y vivent depuis des années, parfois depuis toujours. Elle apporte des précisions sur leur implantation dans De nombreux points de vue permettent de proposer les villes « c’est un aménagement en rupture avec le tissu urbain existant, sous la forme de barres et de qu’est un grand ensemble. tours, conçu de manière globale et introduisant des de l’état et/ou des établissements publics. De plus il comporte un minimum de 500 logements, cette nécessairement situé en périphérie d’une agglomération ».4 nécessaires à ces aménagements pour avoir l’appellation de grand ensemble et sur leur implantation variable au sein ou en périphérie de l’agglomération dont ils dépendent.

sur certains points en énonçant par exemple le plan d’implantation, le nombre de logements qui les composent et leur limite dans la ville. Mais ne serait-il pas plus

4 Dufaux, Annie Fourcaux (dir.), Le monde des grands ensembles. France, Allemagne, Pologne, Russie, République tchèque, Bulgarie, Algérie, Corée du Sud, Iran, Italie, Afrique du Sud, 2004, p.46.

Deuxième chapitre Des grands ensembles Le Luth

II ! GENNEVILLIERS

A. Le Luth, ce qu’en dit la presse

Dans les années 1950, la ville de Gennevilliers 25 se lance dans la construction de grands ensembles pour résorber l’habitat insalubre et loger une population croissante. Le chantier du Luth débute en 1965, annonce d’un progrès social avec la construction d’appartements tout confort. Les architectes sont ensemble de barres et de tours où vivent dix mille personnes. La cité se compose aussi d’équipements publics de Gennevilliers. Il est enclavé entre d’un côté l’autoroute A86, de l’autre la ligne du tramway T1 et sur le troisième côté la RD19.

Mon voyage à bord du tramway T1 commence deux stations après le début de la ligne, à l’arrêt du Luth, nom de la cité desservie. Dans ce premier chapitre j’étudie la représentation d’un grand ensemble par la presse écrite. J’ai recueilli une dizaine d’articles depuis les années 1990 jusqu’à nos jours. Ils proviennent types d’articles, ceux qui relatent les faits de délinquance et ceux qui s’attachent aux différentes actions menées par l’état, la région ou la municipalité pour tenter d’améliorer la situation dans la cité. Cette étude chronologique permet de noter un éventuel changement au cours du temps. Deuxième chapitre Des grands ensembles Le Luth

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Photographie issue de l’article d’Estelle Dautry, Le Parisien, le 2 mai 2019 Deuxième chapitre Des grands ensembles Le Luth

Dans les années 1990 un climat de tension 27 et d’insécurité plane au-dessus du quartier du Luth. omniprésent dans les témoignages des citoyens est En 1992, un article de l’Humanité 1 dénonce l’insécurité à l’origine de cette mauvaise image et de la déchéance au Luth. Le maire de Gennevilliers, Jacques Brunhes, du quartier. Les actions policières sont souvent porte plainte au nom de la municipalité auprès du « raillées » ou « peu appréciées par les habitants » Procureur de la République de Nanterre pour « troubles car elles ne sont pas adaptées aux besoins réels. de l’ordre public », car « rien n’a été sérieusement Les citoyens ont apprécié les percées architecturales entrepris par les pouvoirs publics pour remédier à réalisées dans le quartier du Luth pour désenclaver cette scandaleuse situation ». Le nombre d’agressions, le lieu, mais les dealers s’installent désormais dans les de dégradations de biens privés et publics, les menaces, immeubles non réhabilités. Les habitants se sentent les pressions et les intimidations ne cessent d’augmenter à cette époque. Le Luth est aussi marqué par une « lassitude » face à la marginalisation des quartiers et des grands ensembles, un déséquilibre croissant armés. Depuis deux ans les dealers sont poursuivis grâce entre les nationalités, les cultures et les modes de vie. à la coopération des habitants avec la municipalité En 2000, Libération 3 titre «“ Une journée joyeuse et la police pour combattre la délinquance qui monte et poignante ” pour Jospin en banlieue ». Une visite à visée politique pour à Gennevilliers. Elle commence par le Lycée Galilée, situé à 2.9 km du Luth tombé. Des plaintes contre X sont également déposées et l’article met en avant la performance de l’établissement, par des mères de familles ou des victimes d’intimidation. où le taux de réussite au bac est supérieur à la moyenne En 1999, la municipalité de Gennevilliers mène nationale. À coté de cela les professeurs d’un collège une enquête auprès des habitants du Luth pour savoir manifestent contre le manque de postes et « les emplois ce qu’ils pensent de leur quartier. 2 Environ 73% des précaires ». Lionel Jospin évoque les bourses qui seront habitants sondés estiment que l’image de leur attribuées pour préparer des concours.

1 3 au pied d’immeubles dans les quartier du Village, des Agnettes ou du Luth », Le Premier ministre était vendredi à Gennevilliers. », Libération, le 15 janvier l’Humanité, le mercredi 28 Octobre 1992 2000 2 Libération, le 14 janvier 2000 Deuxième chapitre Des grands ensembles Le Luth

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©Vincent Nitenberg, Le Luth, Gennevilliers Deuxième chapitre Des grands ensembles Le Luth

4 Puis il se rend au Luth où il rencontre un habitant qui En 2011, Libération rapporte l’assassinat d’un 29 adolescent de quinze ans lors d’une rixe qui oppose la le Premier Ministre, vous m’inviteriez chez vous et cité des Courtilles à Asnières et celle du Luth à Gennevilliers. j’irais volontiers. Mais moi, je ne vous inviterais pas. La mort de ce jeune provoque un climat de violence Parce que régulièrement, dans mon ascenseur, cela qui n’est pas nouveau entre ces deux villes. sent l’urine. Si je m’en vais, fatigué, celui qui me Suite à ce meurtre, trois jeunes des deux cités sont agressés en représailles. Les maires des deux villes qui se trouvera mieux ici qu’où il se trouvait. » décident alors d’imposer un couvre - feu pour les Ce témoignage atteste du mal-être des habitants du mineurs entre 20h et 6h, sans grand effet, les Luth qui tentent de le faire entendre au premier ministre. agressions entre les deux quartiers se poursuivent. On lui montre la saleté, la honte de vivre dans ce Personne ne sait pourquoi ces deux cités sont quartier qui prive de vie sociale et la lassitude qui en guerre. Samir, 26 ans, qui a grandi au Luth évoque mène souvent au départ. Le départ de ceux qui ont ou la police et l’humiliation qu’elle leur fait subir au quotidien ; qui trouvent les moyens de partir. Ils seront remplacés pour lui, la violence c’est leur façon de se défendre par des populations plus pauvres, souvent immigrées, « C’était “nous” contre le reste du monde ». Reste que heureuses de trouver ce confort mais cela accentuera des jeunes qui vont dans le même collège et sont amis le phénomène de ségrégation des pauvres et des le jour deviennent ennemis la nuit pour cause émigrés au sein des grands ensembles. En quittant de localisation de leur habitat. Ils n’ont pas de motivation Gennevilliers, Lionel Jospin conclut qu’il va mener une politique, pas de butin, pas d’antagonisme social ou « politique globale, pour lutter contre l’exclusion et ethno-racial. Ils se ressemblent et n’ont rien à perdre. La précarité, l’absence de diplôme sont au coeur des parfois poignante et pleine d’énergie ». Mais dans les deux cités. Gennevilliers se trouve dans le top 10 des faits, la visite du premier ministre, essentiellement villes les plus pauvres d’Ile de France, deux jeunes sur politique, n’a débouché sur rien de concret. dix décrochent des études. Pourtant, au Luth de nombreux travaux de rénovation ont vu le jour,

4 Libération, le 16 avril 2011 Deuxième chapitre Des grands ensembles Le Luth

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Photographie issue de l’articleLe Parisien, le 26 mars 2016 Deuxième chapitre Des grands ensembles Le Luth

des saignées ont été faites dans les bâtiments, la barre de 2016 parle de « onze voitures parties en fumée ». 31 Gérard - Philippe a été démolie en 2002. Mais pour La cause de ces actes de vandalisme est inconnue, certains habitants ces rénovations dégradent le climat social et ils regrettent le temps des dealers qui « avaient le mérite de veiller à la paix sociale », ils « contrôlaient tensions entre voisins. La voiture est pour certains un les allées et venues, mitraillettes à l’épaule » dans outil de travail indispensable. Des habitants se retrouvent les années 1990. Mais le Luth reste un important à garer leur voiture très loin du Luth dans la peur de la marché du cannabis malgré la démolition de la barre Gérard - Philippe. Pour d’autres la baisse des effectifs pompiers est souvent accompagnée de caillassage. de police et l’augmentation de la population accentuent En 2016 l’Express 7 rapporte l’agression d’une ce sentiment de non-droit et de « prise en otage ». En 2012 5, Le Luth fait partie des 49 nouvelles l’a passée à tabac et a déclaré « je n’ai pas supporté de la voir avec une mini jupe, tenue indécente. » Il ne semble de violences urbaines, d’économie souterraine, de pas y avoir de lien avec la religion dans cette agression. L’auteure des coups a été placée sous contrôle judiciaire en attendant son jugement. sur le long terme des moyens pour suivre les délinquants Le lendemain, un autre article de Libération rapporte en travaillant avec les acteurs locaux ( bailleurs sociaux, que l’auteure nie tout lien avec la jupe. Un député FN du Gard remet en cause l’absence de motivation et les Affaires Sociales. Environ 40% des établissement religieuse et Jean François Copé, candidat à la primaire scolaires ciblés comme étant « les plus prioritaires » de l’élection présidentielle, établit un parallèle avec le « hidjab day » organisé à Science - Po. L’agresseuse Fait de délinquance récurrent dans la cité est condamnée à deux mois d’emprisonnement ferme du Luth 6, les voitures brûlées. Un article du Parisien et mise à l’épreuve pendant deux ans.

5 7 Libération, le 15 novembre 2012 L’Express, le 23 avril 2016 6 Le Parisien, le 26 mars 2016 Deuxième chapitre Des grands ensembles Le Luth

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©James Albon, dessin issu de l’article Libération, le 18 juin 2020 Deuxième chapitre Des grands ensembles Le Luth

8 Deux jours après les faits, un journaliste du Figaro écrit garantie de retour à des conditions sécuritaires normales. 33 « Ce que révèle l’affaire de la jupe à Gennevilliers ». Il dénonce la place donnée au démenti de l’agresseuse personnes âgées ayant déjà du mal à se déplacer. dans les médias et les réseaux sociaux contrairement En 2017, le Parisien10 rapporte le démantèlement à l’absence de place donnée à la parole de la Procureure de la République, qui a rapporté ses paroles. On découvre dans une cave sept kilos de résine de cannabis Le journaliste évoque la peur des médias d’être taxé et 42 000 € en espèce. Ils servaient entre trente à d’islamophobe ou de raciste. À l’inverse d’autres médias donnent une dimensions islamiste à l’agression. Pour habitaient le secteur. le journaliste les jeunes femmes ont intégré les lois Libération en 202011 décrit les relations entre (ici vestimentaires) imposées par les hommes aux femmes la police et les jeunes. Dixo, 18 ans, étudiant, vit d’après les codes d’un patriarcat rétrograde et coercitif. à Gennevilliers. Il témoigne des propos irrespectueux Les jeunes femmes se « masculinisent » vêtues de de la BAC « Alors, les Arabes on vend de la drogue ? » jogging, adoptent le ton, les insultes et les bagarres « Eh, ducon, ça va ta mère ? », des coups et de l’utilisation des garçons. La brutalité leur semble le seul moyen de des gaz lacrymogènes. Il exprime son sentiment survire en milieu de machisme et de violence. d’impuissance, de dévalorisation et d’injustice. Un article du Parisien de 2016 9 rapporte que Pour Dixo, la BAC représente « les valeurs de la République » le luth du fait d’incivilités fréquentes et violentes. En 2011 un chauffeur de bus a été aspergé d’essence par la RATP en raison de nombreux véhicules garés dans la quartier entravant la circulation et de la non

8 10 Le Le Figaro, le 25 avril 2016 Parisien, le 29 mars 2017 9 11 Le Parisien, le 1 août 2016 Libération, le 18 juin 2020 Deuxième chapitre Des grands ensembles Le Luth

prévues dans les deux ans. La ville est l’une des plus vidéo-surveillée du département. La délinquance a reculé grâce à l’action de ces caméras mais aussi avec le renforcement de la vie associative dans la ville. L’installation des caméras a débuté au Luth en 2012 suite à la mort d’un adolescent et s’est poursuivie en 2016 suite à la recrudescence de la délinquance aux Agnettes. La maire adjointe déclare que « L’effet dissuasif est incontestable. » souvenirs du Gérard Philipe se racontent en podcast. » 14 La plus haute barre du Luth, le Gérard - Philippe tombée en 2002 est encore dans de nombreuses Ces différents articles témoignent d’une délinquance mémoires. Certains en parlent comme d’un « village grave et évidente dans ce quartier du Luth. Certes les à la verticale où tout le monde se connaissait », 34 d’autres l’associent à un « monstre urbain », haut lieu de drogue persiste. Aujourd’hui la violence se manifeste chez les plus jeunes (15-20 ans) mais également chez et des machines à laver ». Un atelier d’écriture les forces de l’ordre. Nous allons maintenant restituer radiophonique en partenariat avec le centre Culturel les actions menées par l’état et la municipalité pour Aimé Césaire raconte ces mémoires. tenter de réduire la délinquance et améliorer les conditions Le Parisien titre en 2019, « Gennevilliers espère de vie des citoyens. 15 En septembre 2013 le centre Culturel Aimé et de la Ville avec 80 quartiers défavorisés pour des Césaire ouvre ses portes au Luth.12 Le bâtiment est projets en faveur des jeunes de 3 à 25 ans. signé Rudy Ricciotti et décoré par le plasticien Hervé Une enveloppe globale de 100 millions d’euros est Di Rosa. L’espace offre aux habitants 2300 m2 composés prévue sur trois ans. Le projet s’intitule « cités éducatives », d’une grande médiathèque, d’ateliers de musique, il vise à rassembler tous les acteurs des quartiers populaires autour de l’école et du temps périscolaire, d’avocats et d’un écrivain public. Ce centre a ambition des activités culturelles et sportives. La ville de promouvoir l’art contemporain dans cette banlieue de Gennevilliers a déjà instauré ce processus avec pauvre. La mairie souhaite réduire les exclusions et renforcer les solidarités. qui accueille les exclus de l’un des trois collèges de la « Gennevilliers étend encore la vidéosurveillance », commune pendant plus de 2 jours. La scolarisation des le Parisien avril 2018.13 On compte actuellement 68 tout-petits est très développée dans la ville, plus caméras dans les quartiers des Agnettes et du Luth de 30% des moins de trois ans sont en maternelle sans compter celles placées devant les établissements scolaires et publics. Leur nombre va plus que doubler fond de trente mille euros sera attribué à un collège avec l’installationde 77 nouvelles caméras prévues de chaque territoire.

12 Libération, le 23 14 septembre 2013 Le Parisien, le 18 Octobre 2018 13 15 Le Parisien, le 16 avril 2018 Le Parisien, le 2 mai 2019 Deuxième chapitre Des grands ensembles Le Luth

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Une exposition rétrospective sur l’architecture de la ville de 1980 à 2020 a lieu à la maison du développement culturel. 17 Des photos et trois ballades dans la ville sont organisées pour mieux connaitre son histoire. La maire adjointe assure « L’urbanisme a toujours été guidé par la conviction que même les habitants d’une ville populaire avaient droit au beau. » Après la guerre la ville comptait 50 000 habitants et proposait autant d’emplois que de citoyens. Aujourd’hui elle compte 45 000 habitants pour 40 000 emplois. Dans les En 2019, on sensibilise les enfants à la propreté années 1990 apparaissent les premiers immeubles de et à l’écologie dans le quartier du Luth. 16 Le 7 juin 2019, bureaux, les gymnases et le parc des sports. Dans les quatre cents élèves des écoles et du collège du Luth ont années 2000 la rénovation du Luth se poursuit, participé au « Grand coup de balai pour un quartier zéro la coulée verte se construit, le lycée Galilée est construit déchet. » Ils ont rencontré de nombreuses associations. et les usines sont peu à peu démantelées. En 2005, Les enfants ont rempli cinquante sacs de cent litres le centre commercial des Chanteraines ouvre suivi du centre Enox en 2015. En 2013, l’espace socio - culturel et milliers de mégots. L’idée est d’impliquer les enfants Aimé Césaire est inauguré. En 2016 le conservatoire Edgar Varèse ajoute la danse à ses activités. Début Les enfants ont également participé à des ateliers sur 2021 Gennevilliers poursuivra sa mutation avec un le tri des déchets, le métier de gardien, le jardinage, nouveau centre ville construit de toute pièce en face les circulations douces, les oiseaux et bien d’autres thèmes. du centre administratif.

16 17 Le Parisien, le 7 juin 2019 Le Parisien, le 24 septembre 2020 Deuxième chapitre Des grands ensembles Le Luth

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Phothographie issue de l’article, Libération, le 23 septembre 2013 Deuxième chapitre Des grands ensembles Le Luth

L’ensemble de ces articles montre que de 37 nombreuses initiatives municipales et nationales sont mises en place pour améliorer la vie quotidienne des habitants du Luth. Ces mesures sont architecturales, sociales, culturelles, éducatives, environnementales, sécuritaires et économiques.

À partir de ces articles, nous pouvons dire que la presse écrite rapporte la délinquance de façon factuelle et sans jugement de valeur, contrairement aux autres médias que sont la radio et la télévision qui stigmatisent souvent les banlieues. Les efforts municipaux et nationaux engagés pour améliorer les conditions de vie dans les quartiers sont manifestes drogue faisant de certaines cités des zones de non - droit. Il semble que ces efforts se heurtent à la précarité et la pauvreté des populations des grands des hommes politiques dans les grands ensembles aux campagnes électorales ?

Deuxième chapitre Des grands ensembles Les Agnettes

B. Les Agnettes, analyse photographique

Je poursuis mon voyage dans la ville de Gennevilliers. Le sixième « Les Façades », zoom sur les immeubles 39 Je reprends le T1 pour une station, je descends au Village et je marche ensuite 15 minutes pour arriver aux Agnettes. passons la porte de ces tours de béton pour percevoir Le quartier des Agnettes est immense. Le premier immeuble de cet ensemble est construit en 1955. Entre 1960 les photos ont été prises au septième étage de l’immeuble et 1970 le quartier se développe considérablement. du quartier des Agnettes. mené par l’ANRU. L’objectif est d’ouvrir l’ensemble sur la ville et de développer un quartier dit « de gare »1 avec Bonne visite ! de nombreux réseaux de transports en commun. Je décide d’étudier la cité des Agnettes à travers une analyse photographique. Pour ce faire le photographe Vincent Nitenberg m’a accompagnée le 7 novembre 2020 pour réaliser les clichés de ce quartier. Les prises de vues sont organisées en huit thèmes. Le premier « Les Rues », une balade dans le quartier en suivant les axes routiers qui le composent. Le second « Les bâtiments », prises de vues des grandes barres et tours. Le troisième « Les infrastructures » du quartier. Le quatrième « Les habitants », rencontre avec certains d’entre eux. Le cinquième « Usure », témoigne de la dégradation de certains des bâtiments.

1 800 mètres autour de l’emplacement de la future gare, ce qui correspond sensiblement à 10 minutes à pied. » APUR. Observatoire des quartiers du gare du Grand Paris [en ligne]. Monographie_Les_Agnettes.pdf

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Troisème chapitre Des grands ensembles La Caravelle

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© H. Baranger. Ensemble d’habitation La Caravelle, Villeneuve-la-Garenne. Vue aérienne de la réalisation au cours du chantier, non datée Fonds Jean Dubuisson. DAF/Cité de l’architecture et du patrimoine/Centre d’archives d’architecture du XXe siècle. 224 IFA Troisème chapitre Des grands ensembles La Caravelle

III ! VILLENEUVE ! LA ! GARENNE

Rénovation de La Caravelle par Roland Castro, un acte politique

Je poursuis mon voyage le long de la ligne T1 au Nord de la commune. De retour en France après 57 pour arriver à Villeneuve-la-Garenne, commune des son séjour à la villa Médicis à Rome puis à Athènes Hauts-de-Seine, dernière étape avant la Seine-Saint-Denis. jusqu’en 1949, il fait part de son envie de participer à Je descends à la station La Noue pour me rendre à la Caravelle. l’aventure de la reconstruction après les destructions Cette petite ville est créée dans le département de la massives de la Seconde Guerre mondiale.3 Il a pour Seine pendant l’entre-deux-guerres.1 C’est deux fois ambition de construire des bâtiments de qualité pour une ville nouvelle, de part sa création le 9 avril 1929 le plus grand nombre et se spécialise dans la conception et par ses nouveaux aménagements résidentiels de programmes d’habitations sociales. Jean Dubuisson et économiques. Villeneuve-la-Garenne devient rapidement un projet accompagné d’une volonté politique. Lorsque la construction de La Caravelle Modéré (HLM). Il construit à lui seul 20 000 logements débute, des emplacements auparavant peu ou pas sociaux au cours de sa carrière. Il dépose en 1995 des habités vont accueillir des centaines de logements. fonds d’archives à l’institut français d’architecture (IFA) En 1954, la commune compte 4 035 habitants, en 1968 qui témoignent de son engouement pour les projets lorsque la Caravelle est terminée la commune compte de logements. On y trouve de nombreuses recherches 22 715 habitants soit une population quasiment six concernant la typologie domestique. Il met au point fois supérieure en quatorze ans.2 une esthétique graphique fondée sur des usages nouveaux de l’espace domestique. Un jeu géométrique En 1954 suite à l’appel de l’abbé Pierre un plan des façades, un souci du détail et de l’exécution d’aménagement est élaboré pour Villeneuve-la-Garenne, le caractérisent. Son évolution passe du plan libre, l’objectif étant de répondre aux demandes d’une plan compact, plan d’angle aux logements traversants. commune qui connait de nombreux changements et dont Il cherche à transposer dans les logements sociaux la population augmente fortement. Jean Dubuisson, grand certaines innovations que l’on peut voir dans les prix de Rome est chargé de construire La Caravelle appartements de plus haut standing.

1 Page wikipédia Villeneuve-la-Garenne, 3 Exposition virtuelle, Jean Dubuisson, Cité de l’architecture, Villeneuve-la-Garenne expositions-virtuelles.citedelarchitecture.fr/les_logements_sociaux/ 2 presentation03-presentation.html Troisème chapitre Des grands ensembles La Caravelle

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Ensemble d’habitation La Caravelle, Villeneuve-la-Garenne.Vue du montage des panneaux de façade au cours du chantier, juillet 1964. Cliché anonyme Fonds Jean Debuisson. DAF/Cité de l’architecture et du patrimoine/Centre d’archives d’architecture du XXe siècle. 224 IFA Troisème chapitre Des grands ensembles La Caravelle

Construite entre 1959 et 1968 La Caravelle contient La Caravelle est aussi destinée à accueillir les rapatriés 59 dans son nom la promesse d’un nouveau monde. Elle d’Algérie. Les grands ensembles étaient appropriés tire son nom de l’avion, signe d’innovation technique pour loger le million de rapatriés. Par la suite La Caravelle allant du studio à des appartements de six pièces.4 Sa forme et son enclavement par rapport à la ville La Caravelle forme une entité à elle seule, avec ses vont rapidement poser problème. La Caravelle c’est 10 6000 habitants, c’est une ville dans la ville. On y trouve étages, 15 500 m2 au sol, environ 6000 habitants pour un centre commercial, des locaux de soins, un centre 1700 logements. Souvent présentée comme « la plus socio-culturel et des terrains de jeux pour les enfants. grand barre de France » avec ses 385 mètres de long Le grand ensemble de La Caravelle est un exemple des la Caravelle est immense.6 Cependant la plus grande recherches monumentales faites par Jean Dubuisson. barre de France est celle du Haut du Lièvre à Nancy Dans ce projet où les contraintes économiques ne permettaient pas d’épaissir la façade avec des balcons avec ses deux barres l’une de 410m et l’autre de 310m. ou loggias, les élévations sont mise en relief par un Le plan simple et les bâtiments blancs de La Caravelle ne travail graphique et géométrique très fort accentué donnent aucun repère qui accroche l’oeil et structure par les encadrements de fenêtre noirs qui se détachent l’espace. On s’y perd facilement. Dans certains endroits de cette façade blanche. de la cité on ne voit plus le ciel, on s’y sent comme Au départ La Caravelle attire des classes sociales enfermé, dans une impasse ou un goulot. Aucune route ne traverse La Caravelle. Il y a des rondes peu penser à de longues murailles aux milliers de fenêtres, de voitures de police autour de la cité mais pas à l’intérieur. l’architecte a construit des appartements clairs, spacieux, La frontière entre l’intérieur et l’extérieur de la cité est très agréables à habiter ; (…) il a su aménager de grands celle qui distingue la cité de la ville. On se sent toujours espaces pour les jeux des enfants, petits et grands, et dedans même après avoir quitté son appartement. des allées pour les promenades des habitants. »5

4 Par FCD, «10 ans pour faire peau neuve», Villeneuve infos, n°61 p22-23, 6 Vacarme, n°9, le 2 octobre Octobre 2005 1999 5 Ibid,. Troisième chapitre Des grands ensembles La Caravelle

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Vue aérienne de La Caravelle, Architecte Jean Debuisson, non datée. Cliché anonyme Troisème chapitre Des grands ensembles La Caravelle

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Vue aérienne de La Caravelle, Architecte Jean Debuisson, réhabilité par l’architecte Roland Castro en 1995, non datée. Cliché anonyme Troisème chapitre Des grands ensembles La Caravelle

À La Caravelle on ne peut rien cacher, tout le monde se connait et les nouvelles vont vite causant parfois des problèmes et des histoires de bandes. Voici les mots « On avait oublié qu’il faudrait apprendre à 1700 familles qui ne se connaissaient pas à vivre ensemble ».7 Il résume en une phrase ce qui a peu à peu miné La Caravelle.

Les cités radieuses construites durant les Trente Glorieuses se transforment petit à petit en blocs enclavés, habités par des populations qui subissent des inégalités. Les grands ensembles sont abandonnés par les différents gouvernements, lieux où le chômage, les immigrés et 62 la violence cohabitent. Les années 1970 favorisent la naissance de la mission Banlieue 89. En effet à cette époque les architectes critiquent déjà les grands ensembles qui ne sont pas toujours terminés. Le 21 mars 1973, le ministre de l’équipement et du logement, Olivier Guichard, signe une circulaire8 Dans les années 1980, suite aux évènements de des grands ensembles. Ils ont selon lui correspondu mai 1968 et à l’arrivée au pouvoir de la gauche avec à une époque de construction en France mais l’élection de François Mitterrand, une nouvelle génération « Les grands ensembles ne correspondent plus aux d’architectes commence à se prononcer sur la question aspirations des français. Dans la mesure où ils sont de la ville, de l’urbanisme et de la rénovation urbaine.10 très grands, ils sont un facteur de ségrégation sociale ! »9 Roland Castro et Michel Cantal-Dupart considèrent En 1981, Roland Castro et Michel Cantal-Dupart, Banlieue 89 comme « un mouvement d’invention de la ville ». un architecte et un urbaniste sentent que les grands Ils veulent que la banlieue devienne une nouvelle forme ensembles sont laissés pour compte et décident de créer de vie et de construire. Michel Cantal-Dupart dit dans une Banlieue 89 une association dont le but est d’améliorer interview « les banlieues sont des villes qui ont échappé l’urbanisme de la banlieue en France. Ces deux hommes au regard, au regard du pouvoir et au regard cultivé. ont participé au mouvement de mai 1968, ce sont C’est-à-dire qu’à la fois elles ont été le pire comme avec des hommes engagés et militants. Roland Castro vient les 4000, à la fois on y trouve des ambiances poétiques, d’une tradition communiste et faisait partie de l’Union de collages de cultures ». Il dit qu’il ne faut pas abandonner les banlieues, mais s’y intéresser, les comprendre et en cofondateur du mouvement Vive La République un groupe prendre soin. Roland Castro et Michel Cantal-Dupart maoïste-libertaire. Il porte le message de changer la vie évoquent au travers de Banlieue 89 des choses que des banlieues et cherche des réponses concrètes à apporter. l’on ne dit pas et qu’ils veulent mettre au grand jour.

7 Ibid.,41. 10 8 Les Inrockuptibles, le 5 décembre 2013 du 21 mars 1973 9 ensembles». Histoire d’info. Radio France, le 14 janvion 2015. 5 min Troisème chapitre Des grands ensembles La Caravelle

tous est un des grands combats de sa vie. L’association organise en 1983 une visite de la cité des 4000 à la Courneuve avec le président de la République François Mitterrand.11 Il constate l’insalubrité des lieux et le sentiment d’oppression qui règne dans cet endroit. Roland Castro dit dans une interview sur France inter À la suite de cette visite, une mission interministérielle 63 en 1984 « il est important que les gens qui pensent est créée. Elle reprend le nom Banlieue 89 et est dirigée l’espace se dépoussièrent le cerveau et quand ils par Roland Castro et Michel Cantal-Dupart. Il s’agit interviennent sur les espaces de banlieue aient les mêmes d’un projet politique. Entre 1981 et 1983 nous sommes cheminements que quand ils interviennent sur les au milieu d’un bouillonnement intellectuel en ce qui centres villes, dans des ensembles de qualité où comme concerne la politique de la ville. En 1981, les émeutes on dit dans le métier les architectes ne viendraient pas aux Minguettes, dans la banlieue de Lyon, font entrer “poser une merde” mais où ils feront attention, partout dans la politique le sujet des grands ensembles. ils feront attention. » La banlieue est régulièrement En 1983, la gauche perd les élections municipales. présentée comme étant laide. Dans les année 1980 Des villes importantes passent à droite ou à l’extrême un nouveau contexte culturel se développe, on s’intéresse droite Front National comme Roubaix pour la première aux périphéries comme au travers des chansons de fois. De plus le seul projet culturel d’architecture à ce Renaud ou au cinéma avec Mehdi Charef, l’engagement moment là est la candidature de la France à l’exposition pour la banlieue s’accélère. universelle de 1989, mais la candidature est retirée en 1983. Lors de sa première prise de parole le nouveau Ces évènements accélèrent le calendrier des réformes Président de la République ne parle pas du tout de la urbaines, et permettent de concrétiser le projet ville. Banlieue 89 cherche à convaincre François Mitterrand de Banlieue 89. Autre élément favorable à l’association, de l’urgente nécessité de se pencher sur les cités. la création d’une politique de la ville en 1981 qui donne Roland Castro architecte, professeur, penseur de la le pouvoir aux maires de décider de l’aménagement de ville et citoyen engagé est persuadé qu’il faut convaincre leur ville, ce qui devient un enjeu électoral. Des appels les hommes d’état de l’importance de la politique à projets sont lancés pour les architectes, urbanistes, de l’habitat pour résoudre les problèmes des banlieues. paysagiste dans le but de proposer une rénovation des La ville et l’habitat sont pour lui des enjeux majeurs banlieues françaises. En avril 1984, 73 projets sont de la politique des années 80, le droit à l’urbanité pour retenus puis 146 en octobre 1984.12

11 Le Monde, le 28 juillet 1983 12 Daniel Pinson, Des Banlieues et des villes: dérive et eurocompétition, éditions de l’Atelier, 1992, 271 pages, p.221-222 Troisème chapitre Des grands ensembles La Caravelle

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© Martin Argyroglo. Le grand ensemble La Caravelle, Villeneuve-la-Garenne. Architecte Jean Debuisson, réhabilité par l’architecte Roland Castro en 1995 Troisème chapitre Des grands ensembles La Caravelle

Le projet de rénovation de La Caravelle fait partie 65 du projet commun du Pacte 92 et de la mission de commnuiquer avec la ville. Des nouveaux bâtiments interministérielle Banlieue 89. Ce plan départemental sont construits pour apporter une nouvelle diversité au d’harmonisation urbaine et sociale a pour but de réintégrer La Caravelle dans la ville. Il vise à remodeler le quartier en proposant une ouverture sur la ville, la réfection des bâtiments et la construction de nouveaux semi-privés en pied d’immeuble et des allées piétonnes. plus perméable. La Caravelle est le premier projet concerné certaines fenêtres sont percées, des ajouts de balcons par ce plan départemental et le premier grand ensemble et loggias viennent épaissir la façade. Certaines pièces de cette taille a avoir été remodelé. L’étude du projet à vivre sont agrandies et agrémentées de grandes débute en 1994 et les travaux s’étalent de 1999 à 2009 baies vitrées. L’identité de La Caravelle plate et sans pour un coût total de 55,7 millions d’euros.13 Lors de l’étude des travaux Roland Castro se rend plusieurs là pour accrocher l’oeil des passants et rompre avec fois sur les lieux avec des maquettes à la rencontre l’ancienne monotonie du lieu. des habitants. L’accueil n’est pas toujours chaleureux. Les habitants semblent réfractaires à cette rénovation, Le projet de Roland Castro à cette époque c’est certains doivent déménager et d’autres ne voient pas le remodelage avant la destruction. Même si sa vision comment cela peut améliorer leurs conditions de vie, de l’architecture et de l’habitat collectif se trouve aux « C’est pas un architecte qui va résoudre nos problèmes. antipodes de ce que représentent les grands ensembles Je suis là depuis trente ans, j’ai une vue sur le Sacré-Coeur, il pense qu’il vaut mieux les réaménager plutôt que et je me trouve très bien » lui lance une femme lors les détruire. Le changement coûte moins cher que la d’une de ses visites en 1994.14 Le bâtiment central démolition. Avec Banlieue 89 Roland Castro vise long de 385 mètres est scindé en trois. Les percées à désenclaver, remodeler et animer des villes sans identité.

13 Castro Denissof associés, Quartier La Caravelle, Villeneuve-la-Garenne, 14 Libération, 26 décembre 1994 Troisème chapitre Troisième chapitre Des grands ensembles La Caravelle

Le projet de rénovation de La Caravelle fut l’un des doit être à égalité avec celui des grosses villes. Elle a 67 premiers et l’un de ceux qui a le mieux fonctionné permis de rendre visibles des questions urbaines en « Je ressens une vraie grande émotion ici, ajoute lien avec le Développement Social des Quartiers (DSQ). Maurice Leroy. Je connais vraiment bien le coin. C’était la première fois qu’une opération prenait en compte l’architecture et les habitants. On expérimentait.(…) dans l’émission Arrêt sur Image de 1989 dans laquelle C’est là, dans ce quartier que tout a commencé. L’endroit est vraiment emblématique. » Roland Castro leur accordait 200 millions de francs les projets pourraient ajoute « La preuve que cette rénovation est un succès ? être relancés. Il annonce aussi que si les fonds ne sont En 2005, aucune émeute n’a touché la Caravelle. »15 pas accordés, il risque de démissionner du projet. Beaucoup de projets de Banlieue 89 ne verront pas le jour. Le projet interministériel a souvent insisté « on a remarqué que la lutte pour l’urbanité, la fabrication sur la nécessité de faire participer la banlieue à la civilisation de nouveaux projets, l’aide à l’identité de la ville donnaient urbaine. On a observé que des mairies de droite comme des résultats de moins quatre pour cent de vote pour de gauche ont été heureuses d’utiliser la mission pour Le Pen en moyenne.»16 améliorer l’image de leurs villes. Banlieue 89 était un laboratoire urbain, où l’on discutait les projets. Cette mission a eu un rôle important dans le développement social des banlieues et a permis de nouvelles liaisons banlieue/banlieue comme la ligne de tramway T1. Banlieue 89 a mis l’accent sur l’égalité urbaine, le rôle des habitants dans l’architecture et l’habitat et sur le fait que le secteur tertiaire périphérique de banlieue

15 16 Emmanuel Laurentin, Soline Nivet et Thibault Tellier. Les années 80 3/4. La Le Parisien, le 15 juin 2011 fabrique de l’Histoire. France Culture, 21 novembre 2012. 54 min © Manon Nitenberg. Le grand ensemble La Caravelle, Villeneuve-la-Garenne Troisème chapitre Des grands ensembles La Caravelle

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© Vincent Nitenberg. Le grand ensemble La Caravelle, Villeneuve-la-Garenne. Architecte Jean Debuisson, réhabilité par l’architecte Roland Castro en 1995 Troisème chapitre Des grands ensembles La Caravelle

La mission Banlieue 89 ne résiste pas au second mission que la visibilité des banlieues a pu être mise 69 mandat de François Mitterrand. En 1990 les émeutes au grand jour et que de nombreux autres projets de réhabilitation ont pu être impulsés. des politiques de la ville. On crée un ministère de la politique de la ville qui a pour objectif de faire du social avec de l’urbain. La création de la délégation interministérielle à la ville qui coordonne l’action de tous les acteurs dessert la mission Banlieue 89.17 des années 1980 aurait dû être un couronnement de la mission et c’est l’inverse qui se produit. Les dernières assises et le message véhiculé interrogent sur le fait de savoir si en 1989-1990 l’idée d’intégrer les banlieues dans la civilisation urbaine est encore d’actualité. Les titres des dernières assises de Banlieue 89 nous éclairent sur le changement de vision concernant les « Vers une civilisation urbaine » et en 1990 après avec les grands ensembles ». La politique de la ville s’oriente alors vers un abandon du modèle des grands ensembles de l’éclosion des émeutes.18 décliner progressivement jusqu’à la dissolution de l’association en 1991. Toutefois c’est grâce à cette

17 INA, Journal Télévisé du 20h. Assises nationales de Banlieue 89 à Bron, le 4 décembre 1990 18 Ibid,.67. Quatrième chapitre Des grands ensembles Le Franc-Moisin

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© Pierre Douzenel. Construction du bâtiment 4 de la cité du Franc-Moisin, 1973 Quatrième chapitre Des grands ensembles Le Franc-Moisin

IV ! SAINT ! DENIS

Le Franc-Moisin, la parole aux habitants

J’arrive à Saint-Denis, première étape de mon leur point de vue sur la situation. Le Franc-Moisin est 71 voyage dans le 93. Je descends à la station Cosmonautes connu comme un quartier sensible au coeur de nombreuses et je marche ensuite quinze minutes pour arriver à la problématiques mais il est souvent décrit par ceux cité du Franc-Moisin. À cet emplacement se trouvait qui n’y vivent pas. Dans ce chapitre mon objectif est dans les 1970 l’un des plus grands bidonvilles de France.1 de donner la parole aux principaux acteurs de ce En 1968, le bidonville rassemble près de 5000 personnes. quartier, les habitants. Je suis allée les rencontrer, Deux incendies ravagent ce bidonville, le premier au discuter, me balader avec eux pour comprendre printemps 1967 et le second le 15 juin 1970 qui fait plus comment ils vivent dans cette cité et ce qu’ils en pensent. de 600 sinistrés. Ce terrible accident oblige l’action publique J’ai rencontré environ 15 personnes à qui j’ai posé les à prendre en charge le cas du Franc-Moisin. Le projet est de construire un ensemble de logements HLM. de la personne, son avis et son ressenti sur l’architecture En 1974 la cité est inaugurée. Le Franc-Moisin compte des lieux, la question des transports et de la liaison 1700 logements sociaux dont 979 sont gérés par l’OPHLM avec le reste de la ville et les autres villes et des de Saint-Denis et 900 par Logirep.2 Actuellement la cité questions sociales à propos de la culture et de la violence du Franc-Moisin compte 10 189 habitants, elle est classée dans le quartier. J’ai interrogé des habitants de tous les âges, allant de 15 ans à 75 ans, lycéens, étudiants, employés ou retraités, un professeur de sport dans du journal Le Monde, « “Revenez dans dix ans quand de la cité il y a peu de temps. incertain des habitants des Francs-Moisin ».3 Cet article de rénovation dont fait l’objet le quartier du Franc-Moisin. Plusieurs habitants y prennent la parole pour exprimer

1 3 tourisme93.com/document.php?pagendx=963 Le Monde, le 13 février 2020 2 org/wiki/Le_Franc-Moisin Quatrième chapitre Des grands ensembles Le Franc-Moisin

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© Walter Weiss. Le bidonville des Francs-Moisins. Au centre les boîtes aux lettres des résidents. Saint-Denis, 1973

https://archives.seinesaintdenis.fr/viewer/print_partial/context_watch Page 1 sur 1 Quatrième chapitre Des grands ensembles Le Franc-Moisin

Le quartier du Franc-Moisin est un lieu cosmopolite. naître bon nombre des habitants du quartier. Tout 73 Dans les années 1970, les populations qui l’habitaient le monde la connait, « J’aime le quartier car tous ceux venaient du Portugal, d’Espagne et du Maghreb. qui ont entre 40-50 ans je les ai tous vu naître. Je travaillais Aujourd’hui la population vient essentiellement d’Afrique, aussi bien du Maghreb que d’Afrique subsaharienne. je suis la mamie du quartier. Je subviens aux besoins La plupart des personnes interrogées ont grandi ou vivent au Franc-Moisin depuis leur plus jeune âge. Djangou Traoré a 41 ans, elle est née à Saint-Denis et vit tout pour elle, « Le quartier c’est ma vie, les habitants toujours dans la cité. Ses parents, originaires de Mauritanie sont ma famille. Au Franc-Moisin nous sommes une sont arrivés dans le grand ensemble au moment de sa famille, ce n’est pas un quartier c’est une famille ». construction dans les année 1970 et n’en sont jamais Tous les habitants que j’ai interrogés témoignent d’un partis. Deux de ses soeurs vivent aussi dans la cité. attachement fort au lieu qui représente pour la plupart Le reste de la famille vit dans Saint-Denis ou à Paris une grande partie de leur vie. Pour Chaïma 16 ans, et une de ses soeur vit désormais à Shanghaï. La cité lycéenne « un grand ensemble c’est une famille ». représente son enfance et toute son évolution personnelle Certains me parlent de repères, ces immeubles représentent « J’aime le quartier, il est plein de richesse, de générosité, parfois tout ce qu’ils connaissent. Nicolas, le professeur de solidarité, de bienveillance et d’amour. Ce quartier de sport du lycée Suger m’apprend que certains ne m’a forgée. Ce que je suis aujourd’hui c’est le fruit de sortent presque pas du quartier jusqu’à leurs 18 ans. l’éducation de mes parents et de celle du quartier. La La cité contient tout ce dont ils ont besoin, des écoles rue m’a beaucoup forgée et donné énormément de allant de la maternelle jusqu’au lycée, des commerces, force ». Même constat pour Danielle 75 ans que tout le des associations, il y a même une annexe de la mairie. monde appelle « la mamie du quartier ». Elle est arrivée Ali un chauffeur de bus de 29 ans qui habite la cité de la Martinique en 1971 et a toujours habité la cité. depuis 1994 appuie ce que dit Nicolas. Le Franc-Moisin c’est une ville dans la ville, « Nous on se sent à part.

Quatrième chapitre Des grands ensembles Le Franc-Moisin

Il y a tout dans le quartier. Tu peux même demander peut-être un peu trop « Je n’avais jamais regardé cet 75 à des gens si le Franc-Moisin c’est à Saint-Denis, ils vont aspect là mais maintenant que tu me poses la question, te dire non c’est pas à Saint-Denis. Le Franc-Moisin oui je trouve que l’architecture nous enferme. Ce n’est c’est Franc-Moisin. C’est une ville dans la ville, la cité pas beau, les immeubles et les couleurs sont abimés, compte 11 000 habitants et le quartier 16 000 habitants. sales ». Floriane qui a quitté le quartier il y a un an est Moi par exemple avant d’aller à la fac j’avais pas de catégorique et la question la fait même rire. Elle a déménagé pass-navigo parce que je faisais tout dans le quartier. car sa famille n’aimait pas le quartier, le trouvait « moche » Mais il faut s’ouvrir, être curieux et aller voir d’autres et se sentait en insécurité. Pour elle il est évident que choses pour s’enrichir et apprendre, c’est important ». l’architecture les enferme, des tours à perte de vue, J’ai questionné les habitants sur l’architecture certaines de vingt étages « Ce n’est vraiment pas un des lieux. Je leur ai demandé s’ils se sentaient enfermés lieu agréable et convivial dans lequel on a envie de vivre. ou non par celle-ci. Les réponses sont diverses, la plupart Dès que nous en avons eu la possibilité nous sommes des habitants ne se sentent pas enfermés dans ce quartier mais pour la plupart c’est lié à une habitude et ils le disent l’architecture de la cité, peut-être car elle n’y passe « On a toujours grandi comme ça, c’est normal pour que peu de temps. Elle se souvient étant enfant d’avoir nous » répond Chaïma à cette question. Certains font beaucoup d’espace pour jouer, le quartier est immense. la comparaison avec d’autres cités et ils se disent qu’il Il y a beaucoup d’espace en comparaison avec d’autres y a pire ailleurs. Ici ils ont des espaces verts, des jeux grands ensembles dont les parcelles sont beaucoup pour enfants, des infrastructures, le canal n’est pas plus petites. loin et le parc de la Légion d’Honneur non plus. Certains comme Mama ne s’étaient jamais posé la question de relation entre l’architecture et l’espace qu’elle crée. Elle se rend maintenant compte que l’architecture l’enferme dans ce quartier où tout est à disposition,

© Manon Nitenberg. Mamie Danielle, Le franc-Moisin, décembre 2020 Quatrième partie Des grands ensembles Le Franc-Moisin

Une autre question importante est la propreté de la cité. En effet les cités sont souvent des lieux où l’on retrouve de nombreux détritus en tout genre, nous l’avons vu précédemment dans le chapitre 1 avec le Luth.4 La réponse est unanime, la cité du Franc-Moisin est assez sale. Il n’y a pas assez d’agents de nettoyage dans le quartier et les habitants ne sont pas très respectueux des lieux. Tout le monde est d’accord pour reconnaitre qu’il participe à cette malpropreté mais chacun explique que lorsque presque 11 000 personnes

76 De plus, Nicolas souligne un point important « La cité n’est pas propre selon moi du fait du mauvais entretien et des habitants. Le lieu est trop impersonnel pour que les gens se sentent concernés et le respecte ». Pour Djangou la propreté dans la cité c’est un « combat La question de l’architecture a amené celle de la aussi un gros problème. La mairie a installé des colonnes beauté du lieu. L’attachement à la cité est tel que le enterrées qui ont été mal calculées pour le nombre Franc-Moisin est beau pour la plupart des habitants. d’habitants. Une colonne enterrée qui se trouve en bas d’un hall d’immeuble de 10 étages avec que des F5, J’ai alors creusé la question et j’ai demandé à certains se retrouve pleine en 3 jours et les poubelles ne sont ramassées qu’une fois par semaine. C’est quelque chose est-ce que le lieu possède un attrait particulier qui qui me dérange beaucoup, j’aimerais avoir un quartier réellement les émeut ? Ali a répondu à cette question, propre. Le plus dérangeant c’est que ce soit les habitants qui jettent eux-mêmes leurs saletés par la fenêtre et qui grandi ici. Lorsque tous les jours tu vois la même chose, viennent ensuite dire que la cité est sale ». La propreté t’es obligé de le trouver un minimum beau et ton oeil extérieure laisse donc à désirer au sein du quartier s’habitue aussi beaucoup à ce que tu vois. C’est une beauté Franc-Moisin. Ce problème on le retrouve aussi dans qui est rituelle et sentimentale, car je vois toujours les halls d’immeubles qui sont souvent sales. Certains la même chose je suis obligé de l’apprécier ». habitants ne veulent pas inviter leur famille dans la cité C’est le cas aussi pour Yacine, 16 ans. Il trouve la cité par honte de les faire passer dans leur ascenseur qui sent mauvais l’urine ou qui est régulièrement en panne. Elle est due au fait qu’il vit au Franc-Moisin depuis bien trop longtemps pour avoir un vrai avis sur la question. Pour la plupart l’ascenseur tombe en panne une fois

4 nettoyer le Luth », Le Parisien, le 7 juin 2019. Mission durant laquelle les enfants du quartier du Luth on été sensibilisé à l’écologie et la propreté dans le quartier. Quatrième chapitre Des grands ensembles Le Franc-Moisin

par mois, pour Yacine c’est deux fois par mois. Pour Mickaël ou Djangou l’ascenseur fonctionne. « Quand je rend visite à des amis les parties communes sont sales, dégradées, taguées, il y a des cafards, des boutons qui manquent, l’ascenseur ne fonctionne pas et on retrouve une forte odeur d’urine ». 77 En ce qui concerne les appartements, les habitants sont tous d’accord pour dire qu’ils sont spacieux et agréables à vivre. Le seul qui voudrait un appartement plus grand c’est Yacine. Ils vivent à six dans un F3 avec seulement deux chambres. Floriane dont les parents Dès qu’elle a passé le bac elle a tout fait pour étudier ont décidé de déménager répond que le seul point dans une autre ville. Elle est curieuse de connaitre positif du Franc-Moisin était la taille des appartements. autre chose, « le quartier c’est lassant », même si elle Le sien était vraiment grand et bien agencé. C’était la sait qu’elle ne sera jamais aussi à l’aise dans une seule chose qu’elle aimait dans la cité. Djangou est elle nouvelle ville qu’elle ne l’est au Franc-Moisin. aussi très satisfaite de son appartement. Lorsque des Mama est attachée au quartier mais elle veut s’en détacher amis habitant dans le centre de Saint-Denis viennent parce qu’elle commence à étouffer ici, elle ne sait pas chez elle, ils sont tous étonnés de la taille des pièces à cause de quoi mais l’envie de partir se fait de plus en « Mon appartement je le trouve super, j’ai une vue de plus présente. De son côté Yacine ne veut pas que ses malade, les appartements sont immenses au Franc-Moisin. enfants grandissent dans un quartier. Il aime les valeurs J’ai deux chambres, un sellier, un débarras, la salle de bain et les toilettes sont séparés. Peu de gens ont « Si les parents ne sont pas derrière ont peut vite ce genre d’appartement mais au Franc-Moisin c’est normal. sombrer dans la délinquance ou tout abandonner ». Mes parents ont un F6 sur deux étages, ils sont dans Chaïma est partagée, elle veut que ses enfants grandissent les premiers duplex qu’ils ont fait dans la cité. Vraiment dans ce type de quartier pour l’entraide, l’idée de grande en ce qui concerne les appartements on est super bien ici ! ». famille mais d’un autre côté « C’est la galère, quand Le fait de se sentir bien dans la cité et les appartements ne t’es petit tu n’as pas tout ce que tu veux, on ne partait retire pas à certains l’envie de partir dès qu’ils en auront les pas forcément en vacances…mais on s’amusait quand moyens. Mama est curieuse de connaitre autre chose. même l’été au quartier, c’était différent ».

Quatrième chapitre Des grands ensembles Le Franc-Moisin

Pour certains le Franc-Moisin et les grands ensembles mais que l’on stigmatise par le fait d’habiter dans 79 c’est une mentalité qui forge des personnalités fortes. un grand ensemble. C’est un frein dans la société actuelle ». La jeune étudiante Mama m’explique que beaucoup de Pour beaucoup de jeunes du Franc-Moisin, venir de ses choix d’orientations et ses centres d’intérêt sont nés la cité t’oblige à toujours faire plus que ton voisin si tu grâce à la mentalité du quartier « C’est la banlieue qui veux réussir, car ton adresse est un frein dans la société m’a faite et tout ce à quoi je m’intéresse c’est en partie actuelle. Pour Ali « C’est pas parce qu’on grandit dans grâce à ma ville et à la banlieue en générale. Je suis étudiante en sciences sociales. Ce qui m’a poussé à faire mental et encore plus ici parce qu’il faut se battre deux cette licence c’est qu’elle correspond en tout point fois plus. Beaucoup de gens abandonnent au premier refus alors qu’il faut se battre pour réussir ». Je veux savoir le pourquoi du comment, le point de départ de toutes ces choses. Avant ça j’ai fait du droit et je voulais me spécialiser comme avocate des droits culture. Malgré de nombreuses associations présentes de l’homme. Il y a toujours eu dans mes choix cette dans le quartier telles que l’espace jeunesse, la maison des femmes ou encore l’association dirigée par Djangou montre bien que le quartier forge des personnalités, Traoré « Franc-Moisin citoyenne »5, pour de nombreux certains ont besoin de savoir pourquoi les grands ensembles citoyens l’accès à la culture n’est pas assez présent. sont décrits comme étant les « maux de la société ». Au début de l’année, l’association « Franc-Moisin citoyenne » a organisé une distribution de fournitures scolaires années 1970, une révolution dans l’habitat collectif. pour les enfants. L’invité d’honneur était le célèbre « Pourquoi ces lieux représentent-ils aujourd’hui des chanteur Gims. Pour Mama cette accès à la culture est primordial, « il forge les autres, les jeunes. Souvent pour Yacine est dure et témoigne de leur stigmatisation quand on pense “culturel” on pense tout de suite à la « Le quartier regroupe des gens avec du talent et intelligents, culture occidentale, à tout ce qui touche les musées

5 Le Parisien, le 12 septembre 2020 L’évènement à été organisé par l’association Franc-Moisin citoyenne dirigée par Djangou Traoré. © Manon Nitenberg. Le franc-Moisin, septembre 2020

Quatrième chapitre Des grands ensembles Le Franc-Moisin

et les classiques littéraires. Il faut qu’ils pensent à leur Tous les voisins sont venus pour les aider avec des outils. 81 culture personnelle, c’est important de savoir qu’ils ont Ils ont réussi à ouvrir la porte, ce qui les a vraiment aidé, deux cultures pour la plupart et qu’ils n’ont pas à choisir ils n’ont pas eu besoin d’appeler un serrurier, « c’est une l’une ou l’autre. Il faut aider les gens à apprendre image qui m’a marquée » me dit-elle. Pour Djangou le moment dans lequel les habitants témoignent le plus Il faut aussi leur apprendre à croire en eux, savoir que de solidarité, ce sont les décès, « Les décès, c’est un ce sont des gens qui servent à quelques chose dans rassemblement tout le monde descend et vient en bas la société ». Djangou est aussi de cet avis, l’accès à la du hall de la famille concernée pour apporter un plat culture est important, la lecture est primordiale. ou de l’aide. Souvent des quêtes sont organisées pour Elle permet d’enrichir son vocabulaire et son langage aider aussi et c’est un très gros réconfort ». L’entraide qui sont souvent des obstacles pour atteindre les objectifs et la solidarité sont deux points forts que l’on retrouve au Franc-Moisin mais de façon plus générale dans tous certaines personnes gomme leur double nationalité ou les grands ensembles. Ces lieux qui forment des villes origines pour s’intégrer dans la société, « C’est une dans la ville sont souvent jugés à mal mais se tiennent richesse à mettre en avant et non un frein ». debout et puisent leur force du partage. Un sujet beaucoup abordé par les différents habitants du quartier c’est l’entraide. Ils m’ont tous répété qu’au Franc-Moisin tout le monde se connait et s’aide à son là pour aider sa mère à porter les courses s’il n’est pas présent. Yacine par exemple aide régulièrement des personnes âgées de la cité avec leurs emplettes. Mama m’a raconté qu’un jour sa porte d’entrée s’est bloquée. Elle s’est retrouvée dehors avec ses parents.

© Manon Nitenberg. Djangou Traoré, Le franc-Moisin, décembre 2020 Quatrième chapitre Des grands ensembles Le Franc-Moisin

La violence est souvent associée aux grands ensembles, caractérisés comme des zones de non-droit par les politiques et les médias. Le Franc-Moisin a longtemps été un haut lieu de délinquance et de deal de la Seine-Saint-Denis. Lorsque j’ai abordé le sujet avec les habitants, ils étaient tous d’accord pour dire que l’image délinquance « Avec presque 11 000 habitants il y a forcément des problèmes ». Le deal est toujours présent, mais Ali me demande « Est-ce que t’as déjà vu un sont là mais on ne les voit pas et ça ne gène pas la plupart 82 des habitants. Djangou qui vit ici depuis sa naissance et ce qui la gène ce n’est pas la soi-disant violence trouve que le quartier a bien changé et dans le bon sens. « Je suis en sécurité car tous les gens du quartier ce La réputation du quartier est restée mais la délinquance sont mes enfants. Ce qui me fait le plus de mal c’est est en baisse « Sur une population de presque de 11 000 quand la police part avec les jeunes devant moi avec personnes si 100 personnes font le bordel ça ne leurs menottes et tout ça me fait mal au coeur. Et le représente rien » en effet cela ne représente que 1% plus souvent ce sont ceux qui n’ont rien fait que l’on emmène ». Pour Mama qui habite ici depuis 13 ans, le sait mais ça ne la dérange pas. Elle a connu pire c’est pareil. Quand elle est arrivée dans le grand ensemble « Dans le bâtiment 3 quand j’étais petite et que j’y vivais il y avait un peu de violence comme aujourd’hui, il y avait des mecs qui se piquaient dans les escaliers. la situation n’a pas changé. Certes elle a vu des bagarres, J’ai encore cette image en tête comme un traumatisme. des arrachages de sac à main, c’est ce qui l’a le plus L’ascenseur était souvent en panne donc on prenait marqué et des émeutes avec les policiers. Mais d’après les escaliers, déjà jusqu’au septième étage on n’avait elle l’image qu’en donnent les médias est exagérée pas de lumière, à tout moment tu pouvais tomber sur un camé en train de se piquer dans ton escalier et ça Saint-Denis et du Franc-Moisin, j’aurais eu peur en arrivant. s’était grave ». Djangou ajoute que le deal est certes Alors qu’en vrai c’est pas le cas. J’ai l’impression que quand une économie souterraine mais qu’elle aide beaucoup je parle de Saint-Denis les gens s’imaginent que la première de familles à survivre dans la cité. Pour Danielle ces histoires chose que tu vois c’est des gens en train de vendre de de violence ne sont que des réputations et le sujet l’agace la drogue, des keufs en train de courir partout, des voitures « Que du cinéma pour la violence, il y a des quartiers en feu, vraiment c’est de l’exagération. T’as l’impression que c’est la guerre alors que pas du tout, la télé renvoie violence au Franc-Moisin c’est un quartier où il n’y a vraiment une image mauvaise et fausse ». De même pas de violence pour moi ». Elle, du haut de ses 75 ans se sent en sécurité dans le quartier du Franc-Moisin ans elle n’a jamais rien vu. L’opinion publique imagine Quatrième chapitre Des grands ensembles Le Franc-Moisin

estimé entre 150 et 200 millions d’euros, 477 logements vont disparaître sur les 1700 existants, le pourcentage de logements sociaux va passer de 100% à 83%.7 Le projet arrive comme une bombe pour les habitants de la cité, environ mille personnes vont être délogées sans pouvoir revenir au Franc-Moisin. J’ai abordé la question avec différents habitants et le sentiment est 83 unanime. Ils ont l’impression que le projet a été fait à leur insu et ne sont pas d’accord. Tout le monde s’entend pour dire que le quartier a besoin d’une rénovation importante mais détruire des bâtiments ne plait pas aux habitants. Djangou trouve que les habitants n’ont pas été assez consultés pour le projet. Elle pense que En revanche elle trouve cela dangereux pour ceux qui si les habitant ne sont pas consultés, ils ne sentent pas vendent et ceux qui consomment, cet aspect la dérange concernés et ne respectent pas les lieux par la suite. Le projet compte apporter de la mixité sociale dans le e c’est un travail simple où tu gagnes beaucoup d’argent quartier « Pourquoi il n’y a pas de mixité dans le XVI e mais tu peux tout perdre du jour au lendemain. Un travail arrondissement ? Parce que les habitants du XVI eux lambda demande plus d’investissement et il est moins ne veulent pas de cette mixité et que chez nous on nous payé, donc considéré comme plus compliqué et trop l’impose. On n’a jamais pensé à faire un immeuble social prise de tête ». dans les beaux quartiers. Ce genre de projet va toujours La cité du Franc-Moisin fait l’objet depuis novembre dans un sens mais jamais dans l’autre » s’indigne Djangou. 2016 d’un programme de rénovation par l’ANRU 2.6 Le problème pour elle « C’est que beaucoup de gens ne vivant pas dans ces quartiers prennent la parole à notre place pour parler de notre situation, de notre vie alors et y faire passer des rues pour le désenclaver. Il faut qu’ils n’en savent rien et que la plupart n’ont jamais mis les pieds dans une cité ». Djangou renchérit du 100% HLM. Le projet vise à construire des espaces « On éloigne toujours un peu plus les pauvres du centre publics et une offre commerciale de meilleure qualité. de Paris. On retire des logements dans les grands ensembles pour reloger les plus démunis toujours plus loin et les

6 7 Médiapart, le 23 février 2020

Quatrième chapitre Des grands ensembles Le Franc-Moisin

éloigner des grandes villes pour que la misère soit le moins Pour des Projets Urbains Ici et à l’International), le B4 n’est 85 visible possible ». Le projet vise à détruire certains bâtiments. pas insalubre et n’a pas besoin d’être démoli. Il faudrait Les habitants se demandent par exemple pourquoi la plutôt travailler à l’entretenir et le réhabiliter, « Aujourd’hui, tour Pleyel à Saint-Denis est en rénovation et n’a pas contrairement à ce que disent les initiateurs du projet, été détruite ? « Les quartiers populaires sont les seuls le B4 est mal entretenu mais il n’est pas insalubre quartiers où on se permet ça. Si on faisait ça dans les et il n’y avait pas besoin de le démolir », explique quartiers de classe moyenne, personne ne laisserait faire » Romain Gallart, dont l’association a contribué à conclut Djangou. Danielle est tout aussi choquée face l’expertise du bâtiment.8 à la situation, elle qui vit ici depuis presque 50 ans « Non, non, non, je ne suis pas du tout d’accord avec La cité du Franc-Moisin est au centre de nombreuses le plan de rénovation. Ils vont déloger des gens qui ont problématiques sociales. Malgré cela c’est un quartier des années, qui ont leur vie ici comme moi et beaucoup particulièrement apprécié par ses habitants. L’entraide, de gens vont être malheureux. Ce projet n’est pas la bienveillance et l’amour sont les maîtres mots de cette nécessaire pour moi. Je ne veux pas vivre ailleurs, énorme cité. Beaucoup critiquée dans l’opinion publique, je serais vraiment dépaysée et à mon âge ça me ferait je remarque au cours de mes visites que le grand ensemble beaucoup de mal ». La démolition dans les grands ensembles est un lieu plein de richesses, constitué d’une population est une solution de facilité. Démolir en pleine crise du ouverte, curieuse et à l’écoute des autres. L’image des logement social c’est une aberration sur le plan social habitants est souvent associée à la délinquance alors et écologique. Sur les 477 logements devant être détruits, environ 300 sont concentrés dans le B4. Le bailleur social Logirep est accusé par les habitants d’avoir laissé l’immeuble à l’abandon avec un entretien défaillant des parties communes, des ascenseurs et de la façade. Cependant d’après une étude de l’association APPUII (Alternatives

8 Ibid,.83. © Manon Nitenberg. Ali, Le franc-Moisin, décembre 2020

Quatrième chapitre Des grands ensembles Le Franc-Moisin

Je remercie tous les habitants de ce quartier qui m’ont 87 offert leur temps pour me parler du Franc-Moisin. Merci à Momo qui m’a permis de rencontrer Nicolas professeur de sport dans le lycée, qui m’a mise en contact avec beaucoup de ses élèves dont Ali. Ali a été très généreux et engagé dans mon projet, il m’a fait visiter le quartier. C’est grâce à lui que j’ai rencontré Djangou et mamie Danielle deux personnalités remarquables du quartier. Une belle leçon de vie nous est donnée au Franc-Moisin où l’entraide règne dans la bonne humeur et le partage.

© Manon Nitenberg. Le franc-Moisin, septembre 2020 Cinquième chapitre Des grands ensembles Les 4000

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Deux ou trois choses que je sais d’elle, 1967 Cinquième chapitre Des grands ensembles Les 4000

V ! LA COURNEUVE

La cité des 4000, filmée par Jean-Luc Godard

Dans les années 1950 la ville de La Courneuve La banlieue dans les années 1950-1960 connait 89 comme beaucoup de banlieues voit naître en son sein de grands bouleversements humains. La Courneuve des grands ensembles. C’est l’époque où la construction voit sa population doubler entre 1954 et 1962 avec de logements et d’aménagements est au centre de la un nombre d’habitants passant de 18 500 à 37 000.2 politique de la ville. La construction de la cité des 4000 Cette forte augmentation de la population est due commence en mars 1956, selon les plans des architectes à plusieurs facteurs. Elle est marquée par le retour Henri Delacroix et Clément Tambuté. La construction est longue et les premiers locataires emménagent en issues de nouveaux pays d’immigration. La banlieue 1963. Le quartier porte le nom du nombre de logements est présentée comme « un monde nouveau synonyme auquel s’ajoute celui de la « Cité Bleue », qui est moins connu. La cité des 4000 s’impose dans l’opinion publique comme l’un des grands ensembles les plus connus « monde nouveau » et ceux qui pensent que ce de France et comme le prototype de la politique des renouvellement de l’espace urbain va détruire la mal-vie grands ensembles. Elle témoigne des tensions sociales des logements insalubres et des bidonvilles qui se sont suscitées par la question du logement. En pleine crise multipliés en périphérie parisienne. Le gouvernement du logement, ces appartements avec salle de bains, pense les grands ensembles comme une façon de faire chauffage, ascenseur, parking et autres services offrent disparaitre les bidonvilles partout présents autour des un confort que beaucoup n’avaient jamais connu. grandes villes.3 Une utopie se forme pour certains avec J’arrive à la station La Courneuve-Six Routes, à proximité de vivre et d’une proximité des infrastructures comme de la cité des 4000. Dans ce chapitre j’étudie la représentation les écoles et les crèches que l’on ne retrouve pas ailleurs. Godard, Deux ou trois choses que je sais d’elle, réalisé en 1967.1 de la ville de Paris.

3 1 GODARD, Jean-Luc (réalisateur). Deux ou trois choses que je sais d’elle, La première enquête nationale date de 1966, elle fait apparaître l’existence de 255 bidonvilles dont un à la Courneuve regroupant environ 2500 habitants. 2 Des villages de Cassini aux communes d’aujourd’hui

Cinquième chapitre Des grands ensembles Les 4000

Ils sont destinés aux ouvriers, aux employés et aux cadres 91 moyens qui sont à cette époque chassés de Paris par les opérations de rénovations.4 Jacques Girault met en avant la dimension politique de cet aménagement de poids du parti communiste. »5 La cité des 4000 va susciter l’intérêt d’un cinéaste français de la Nouvelle Vague6, Jean-Luc Godard. Il tourne Deux ou trois choses que je sais d’elle une étape importante dans la représentation de la banlieue parisienne. Il fait partie des cinéastes qui associent les grands ensembles à un milieu hostile.7 Pour Jean-Luc Godard, la cité des 4000 est un échec de la politique architecturale et de l’urbanisme, le grand ensemble étant synonyme de ségrégation sociale. Deux ou trois choses que je sais d’elle de la région parisienne et de la vie dans les banlieues. Son point de départ est un article du Nouvel Observateur Vimenet sur la prostitution dans les grands ensembles.8 Il s’agit de mères de famille, qui habitent ces grands ensembles et qui se prostituent occasionnellement à Paris.

4 Cité des 4000 à la Courneuve, mars 1957, Odysseo, d’émerger, le cinéma d’auteur. Ces principaux auteurs sont François Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, Agnès Varda et Jacques Demy. 7 5 Seine-Saint-Denis : Terrain chantiers et mémoire vague, 1960. Une histoire autour des HLM parisiens tout juste construits, des 6 terrains vagues qui les entourent et de la vie des jeunes de ces quartiers. 8 de cinéastes français qui a émergé dans les années 1950. Ces cinéastes anti-conformistes bousculent les règles rigides du cinéma français et permettent à un nouveau cinéma Le Nouvel Observateur, p.18 et 19

© Sebastião Salgado, La Courneuve 1978, photo page de gauche et de droite Cinquième chapitre Des grands ensembles Les 4000

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Deux ou trois choses que je sais d’elle Cinquième chapitre Des grands ensembles Les 4000

des femmes de la cité, le manque de liaison avec la ville 93 dans l’enceinte d’un grand ensemble. Jean-Luc Godard de Paris et l’absence de jeux et d’espaces pour enfants. ensembles en les symbolisant comme des quartiers de travaux de construction. Le cinéaste inscrit dans ce déshumanisation. Il met en évidence leurs formes et leur échelle inhumaines caractéristiques de l’aliénation parisienne. Godard cherche aussi à faire de son cinéma un nouvel objet comme le sont les grands ensembles. architecture tout en dénonçant les politiques de Il fait un parallèle entre ces formes nouvelles en construction faites d’assemblages et de désordre et l’enchainement terme « grand ensemble » dans un double sens. d’une scène quotidienne puis d’une scène de chantier. Tout d’abord dans une acception strictement urbaine et architecturale, celle d’une cellule d’habitations à loyer modéré (HLM). Dans un second sens, « celui nos yeux par le biais de sa voix off qui apporte des justement d’ensemble envisagé comme en mathématiques, commentaires. Le titre lui-même indique que nous ne c’est-à-dire comme des structures totales où l’unité saurons que « deux ou trois choses » sur le lieu, humaine de base est régie par des lois qui la dépassent, précisément parce que ce sont des “lois d’ensembles”. »9 le personnage Juliette Jeanson reste étranger et distant sujet est ici l’aménagement de cette cité et de la région parisienne. Le réalisateur considère non pas le point je sais d’elle, « elle », c’est la femme, la « région de vue administratif des ministres et de l’état mais parisienne » et « la loi des grands ensembles ». La bande annonce nous informe déjà que le sujet de les habitants. Jean-Luc Godard met à mal l’utopie des de Juliette Jeanson. Cette bande annonce est totalement

9 Document Jean-Luc Godard, Centre Pompidou, p.76-82

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silencieuse, perçue comme un manifeste. Elle commence précise de la politique menée en région parisienne 95 « Le 19 août, un décret relatif à l’organisation en silence deux ou trois choses que je sais d’elle ». Des phrases se suivent avec des images à l’appui, des ministres nomme Paul Delouvrier préfet de la région parisienne. J’en déduis que le pouvoir gaulliste prend le masque d’un réformateur et d’un modernisateur alors qu’il ne veut qu’enregistrer et régulariser les tendances naturelles du grand capitalisme. J’en déduis que, systématisant le dirigisme et la centralisation, ce même pouvoir accentue les distorsions de l’économie nationale, et plus encore celle de la morale quotidienne ensemble rappelle la violence de l’univers concentrationnaire qui la fonde. »11 Pendant qu’on entend cette phrase et la férocité du régime nazi. En décrivant ainsi l’aménagement de la région parisienne, il brise la notion se superposent. Au bruit assourdissant des marteaux de progrès apportée par ces constructions. Il soutient que piqueurs s’opposent la voie chuchotante de Jean-Luc la façon d’habiter n’est pas neutre mais qu’elle est d’ordre Godard. Il continue en ajoutant « l’aménagement social et culturel. Il cite également Le Corbusier qui de la région parisienne va permettre au gouvernement de poursuivre plus facilement sa politique de classe. identiques entre tous les hommes ». Comme si tout Et au grand monopole d’en orienter l’économie, sans le monde vivait et habitait un lieu de la même façon. trop tenir compte des besoins et de l’aspiration à une Le cinéaste pose la marque de la déshumanisation, vie meilleure de ses huit millions d’habitants. »12 « de la mort des sentiments engendrée par ce nouvel espace. »10 13

10 11 Jean-Luc Godard, 2 ou 3 choses que je sais d’elle, op.cit, p20-21 Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 98 / 2006, 12 Jean-Luc Godard, 2 ou 3 choses que je sais d’elle, 3 min p.65-80 13 par le fait d’être obligé de ce que les gens du métiers du cinéma ou dans la vie appellent “raconter une histoire”. » dans Jean Luc Godard, Introduction à une 2 ou 3 choses que je sais d’elle, 1967 véritable histoire du cinéma Cinquième chapitre Des grands ensembles Les 4000

La cité des 4000 n’est pas nommée une seule fois où elle se trouve n’est prononcé. On la décrit, la situe qui se prostitue à Paris « je vis dans les grands bâtiments, près de l’autoroute du Nord (…) vous savez, les grands bâtiments bleus et blancs. » Cette description nous renvoie aux 4000. Ces ensembles sont bordés par des espaces de déplacement, l’autoroute longe la Courneuve et ont peut la voir de sa fenêtre. Ce que des lieux sans identité, des lieux qui ne correspondent par des effets de cadrage, de montage et l’organisation du qu’à des fonctions. Toutes les banlieues et les grands 96 regard passant du champs au hors-champs et inversement. ensembles se ressemblent. Le grand ensemble est Des plans appartenant à des univers différents renforcent gigantesque, impossible à dompter pour l’oeil de celui la brutalité du monde qui est en train de se mettre qui y passe et celui qui y vit. Lors de la présentation en place, dans lequel le grand ensemble a une place de Juliette Jeanson, la barre Debussy en fond ne rentre primordiale. Comme dit précédemment, Godard refuse pas totalement dans le cadre. Cette vision partielle interdit une compréhension dans son ensemble de la cité en même temps les évènements vécus par Juliette et traduit une position de prisonnier. La violence Jeanson et le cadre de vie dont elle fait partie. Il invente de l’environnement est aussi retranscrite par la bande Jean-Luc Godard lui donne vie et le laisse jouer, sa voix et des paroles. Le grand ensemble constitue un lieu off très présente nous chuchote deux ou trois choses bruyant, où le silence ne se fait jamais entendre, avec des cris d’enfants, des bruits de voitures et des des choses qui entourent les personnages à la fois klaxons. Même chez soi à l’intérieur, l’extérieur pénètre comme des objets et des sujets. Elles vivent par l’intérieur et aucune intimité n’est possible dans ces cellules. L’aliénation se poursuit quand Juliette Jeanson fait un immeuble de l’extérieur, puis de l’intérieur, comme sa vaisselle dans la cuisine, entourée de dizaines si on rentrait à l’intérieur d’un cube, d’un objet. »14 de produits ménagers. Les habitants des grands ensembles Lorsque l’on observe quelqu’un ou quelque chose, on voit son visage de l’extérieur mais cette personne l’envie et le besoin d’acquérir de nouveaux produits. ressent aussi les choses qui l’entoure de l’intérieur, En 1963, le premier hypermarché Carrefour voit le « Malraux disait “on entend la voix des autres avec jour15, un nouveau mode de consommation qui les oreilles, et la sienne avec sa gorge.” Voila quelque correspond à la nouvelle façon d’habiter. Cette chose que je voudrais faire sentir en permanence dans consommation est tout autant déshumanisante, basée sur l’alignement des produits et des comportements.

14 15 Les grandes dates de l’histoire du groupe Carrefour, Document Jean-Luc Godard, Centre Pompidou, p.76-82 com/fr/groupe/histoire Cinquième chapitre Des grands ensembles Les 4000

indifférente ; elle se sent perdre la mémoire dans cet univers qui n’en a pas, univers dans lequel les individus se sont trouvés projetés et qui se fabrique autour compare aussi ces nouveaux lieux et Paris. Paris, c’est le lieu des loisirs, de la consommation et du plaisir. Juliette s’y rend pour acheter ses vêtements dans une boutique de marque, « la banlieusarde » part dépenser 97 son argent dans la capitale, lieu où elle gagne aussi cet argent en se prostituant. Juliette rejoint Paris avec sa voiture pour aller travailler ce qui illustre la politique de zoning. Les gens de la banlieue vont travailler à Paris. Après l’uniformisation de l’habitat on assiste à l’uniformisation nouvelle des conditions de travail dans la société l’enchainement de l’image d’un échangeur autoroutier en construction, de la Seine avec une péniche puis de la Seine mais cette fois bordée de buildings. Rien la prostitution devient nécessaire dans un système où le ne relève de la singularité de l’humain mais une fois besoin d’argent atteint tout le monde. Les femmes sont de plus de l’uniformisation et de la soumission des particulièrement mises à mal car elles sont pour la plupart travailleurs à des décisions extérieures. Le cinéaste dépendantes de leur mari, la prostitution est l’une des pose également la question du langage, en effet forme de cet esclavage.16 Dans la mise en scène de Godard, de nouveaux mots sont créés comme « échangeur », la prostitution est monnaie courante chez les femmes au sein des 4000. Il inscrit son travail dans la polémique Juliette Jeanson dit « Personne aujourd’hui ne peut de la prostitution des femmes dans les grands ensembles savoir quelle sera la ville de demain. Une partie de la suite à l’article du Nouvel Observateur de mars 196617, richesse sémantique qui fut sienne dans le passé…,elle suivi d’un reportage effectué pour l’émission « Dim, va la perdre certainement… Peut-être… Le rôle Dam, Dom ».18 créateur de la ville sera assuré par d’autres systèmes d’impasse et d’échec ressenti par ces femmes. Elles vivent de communication…, peut-être… Télévision, radio, des vies sans horizon comme l’est la cité des 4000. vocabulaire et syntaxe, sciemment et délibérément… »

16 qui vient de naître sur les cendres de France Observateur en novembre 1964, couple. Depuis des siècles, on faisait des Cendrillons sans conte de fées. On leur est à l’époque le grand hebdomadaire de la gauche non communiste, très axé sur l’analyse des changements culturels de la société. Jean-Luc Douin dir., La nouvelle vague 25 ans après, p72 18 série Dim, Dam, Dom de Luc Favory, documentaire 17 Enquête de Claude Vimenet sur la prostitution dans les grands ensembles, 1967, noir et blanc, 8 minutes. VDP4247 (forum des images) Nouvel Observateur, 29 mars et 10 mai 1966. Le Nouvel Observateur, Cinquième chapitre Des grands ensembles Les 4000

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Deux ou trois choses que je sais d’elle, Marina Vlady jouant le rôle de Juliette Jeanson, 1967 Cinquième chapitre Des grands ensembles Les 4000

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Deux ou trois choses que je sais d’elle, Marina Vlady jouant le rôle de Juliette Jeanson, 1967 Cinquième chapitre Des grands ensembles Les 4000

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© Getty/Patrick Aventurier/Gamma-Rapho. Destruction d’un immeuble de la Cité des 4000 par implosion, à La Courneuve en France, le 18 février 1986 Cinquième chapitre Des grands ensembles Les 4000

Le 18 février 1986, la tour Debussy des 4000 La visite de François Mitterrand en 1983 a constitué 101 devant laquelle Juliette Jeanson se présentait est un espoir pour les habitants, celui d’une amélioration dynamitée et s’écroule dans un mur de poussière. qui n’est pas arrivée. On a continué à démolir des Cette image est transmise sur les chaines d’informations immeubles du quartier pour l’ouvrir toujours plus et tenter de le relier à la ville, mais en vain. À la mort de Jean-Patrick Lebel. Dans ce documentaire il ramène du petit Sidi Ahmed Hammache en août 200520, fauché Marina Vlady dans le quartier de la Courneuve pour par une balle perdue lors d’un affrontement au 4000, observer les ravages du temps sur le grand ensemble. le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy se rend sur Les 4000 représentent le mal être des grands ensembles, place et promet de « nettoyer au karcher la racaille ».21 leur dégradation. C’est le résultat d’une politique Comme évoqué dans les chapitres précédents, la visite d’architecture des années 1960, d’un urbanisme hâtif d’un homme politique en banlieue constitue un acte et d’une politique de ségrégation. Le grand ensemble fort d’une campagne électorale. Jean-Luc Godard avait se dégrade au fur et à mesure, une voix off dit « la dégradation entraine la dégradation et les départs, les départs ». Un sentiment d’abandon déjà exprimé lieu des élections. Le parti au pouvoir se sert des méthodes de la publicité. On vend les hommes comme des objets. « la dégradation amène au départ de ceux qui ont les On pense à la meilleure manière d’empaqueter moyens, de nouvelles populations arrivent encore plus les choses plutôt qu’à dialoguer. »22 pauvres et moins intégrées » nous dit Marina en voix off. C’est un cercle vicieux qui se referme sur les pauvres et les exclus. Cette évolution ne fait que s’accentuer avec les années. La délinquance et les violences sont de plus en plus présentes dans ce lieu abandonné de tous où la misère et la pauvreté n’ont cessé d’augmenter.

19 Jean-Patrick Lebel, Notes pour Debussy. Lettre ouverte à Jean-Luc 20 INA Société (2012, 6 août). Nicolas Sarkozy à la cité des 4000, Archive INA. Godard YouTube. 21 Archive INA. YouTube. 22 Jean-Luc Godard, Jean Saint-Geours, Débat sur la prostitution, émission

Sixième chapitre Des grands ensembles La cité de l’Étoile

VI ! BOBIGNY

A. L‘Étoile, une cité labellisée « Architecture Contemporaine Remarquable »

2 Je poursuis ma route jusqu’à Bobigny, je descends ce soir sur l’asphalte ou sur les quais de Paris ». 103 à l’arrêt Hôpital Avicenne. À huit minutes à pied de cette Le gouvernement entend l’urgence de cet appel 1956 et 1962, dessinée par Guy Branche, Georges et accorde 10 milliards de francs pour la construction Candilis, Alexis Josic et Shadrach Woods. On retiendra de logements d’urgence. L’abbé se fait bâtisseur le nom de Georges Candilis car il était très proche de et crée la société anonyme d’HLM Emmaüs pour l’abbé Pierre à l’origine du projet. Le projet nait d’une construire des cités d’urgence. Candilis va conseiller suite d’actions dont l’appel de l’abbé Pierre le 1er l’abbé Pierre dans son projet, il pense qu’il faut faire février 1954 sur Radio-Luxembourg, nommé « l’insurrection des logements durables. L’opération « Million » qui de la bonté ».1 La situation du logement en France est débute en 1955 pour construire en masse lance l’idée catastrophique. On estime que la moitié de la population de la construction de ce grand ensemble. Le programme vit dans des conditions d’hébergement insalubres. L’abbé évoque la rudesse de cet hiver qui touche de doit pas dépasser le million de francs. Les premiers nombreuses familles précaires. L’événement marquant qui le pousse à prendre la parole publiquement est la mort d’une femme venant de se faire expulser propose de construire des logements à l’architecture « Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir simple mais dotés d’une force graphique et plastique gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard qui se traduit par des jeux de façades. Une répartition Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant en plan avec deux types de coursives qui desservent hier, on l’avait expulsée. Chaque nuit, ils sont plus de deux mille recroquevillés sous le gel, sans toit, sans une construction historique qui presque 60 ans après pain, plus d’un presque nu. Devant tant d’horreur, les est toujours là. La cité a été abîmée par de nombreuses cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent ! (…) opérations de réhabilitation peu respectueuses Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera

1 L’appel de l’Abbé pierre, du 1er février 1954, Fondation Abbé Pierre, 2 Extrait de l’appel de l’abbé Pierre le 1er Février 1954 à l’antenne de Radio-Luxembourg labbe-pierre/appel-abbe-pierre-1er-fevrier-1954 Sixième chapitre Des grands ensembles La cité de l’Étoile

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Fonds Cardot-Joly/Bibliothèque Kandinsky Sixième chapitre Des grands ensembles La cité de l’Étoile

longtemps été dans une impasse, entre un attachement particulièrement les espaces extérieurs. Les jeux pour 105 pour le lieu, une insalubrité et un manque d’action des enfants y sont nombreux, faits de restes de chantiers mais acteurs. Dans ce chapitre j’étudie l’évolution d’un ensemble historique classé au label « Architecture Contemporaine Remarquable »3, en posant la question « à qui ce est d’une modernité absolue pour ses habitants. Au cours des années le projet dépasse rapidement ce qui était initialement prévu. Il devait en 1955 être Lors du lancement de l’opération « Million », composé de 300 logements, en 1956 il passe à 564 il fallait construire à faible coup et rapidement des logements et six bâtiments. En 1960, un permis architectures facilement reproductibles dont les charges complémentaire ajoute un immeuble de 163 logements locatives devaient être les plus faibles possibles. comptant 116 logements principalement pour souhaite concevoir un projet qui marque son temps. Il soigne la géométrie des façades en jouant sur la logements4, une toute autre dimension que celle polychromie des couleurs dans des tons de gris. prévue lors du lancement. On pense que ces Les bâtiments à redent ont des escaliers communs qui logements seront parfaits pour les trente prochaines desservent les coursives et des parties communes années à venir. Mais ce lieu est déjà en 1960 en à l’extérieur. Les encadrements de fenêtre sont en bois rupture avec la ville et éloigné du centre. Il devient noir pour un effet de contraste sur les façades. rapidement une zone de non-droit. Les appartements à redent permettent aux mères de Presque soixante ans se sont écoulés depuis surveiller leurs enfants lorsqu’ils jouent dehors. Le plan d’avoir au sein des appartements plus de lumière naturelle. de maintenance et des réhabilitations ont eu lieu. Tous les détails sont pensés. Il soigne aussi tout Les façades ont été repeintes et sont uniformes,

3 Le Label Architecture Remarquable a été créé par la loi du 7 juillet 2016 4 Histoire d’Étoile, à Bobigny, projet de réhabilitation de la cité de l’Étoile. et succède au Label Patrimoine du XXe siècle, créé en 1999. Il est attribué Emmaüs Habitat - Ellipse Architecture. Collection Carré d’angles, p.10 aux immeubles, ensembles architecturaux, ouvrages d’art et aménagements réalisés il y a moins de 100 ans, non protégés au titre des monuments historiques et dont la conception présente un intérêt architectural ou technique. Sixième chapitre Des grands ensembles La cité de l’Étoile

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Photo extraite du clip Ghetto historique “Jock’R et les habitants de l’Étoile”, 2010 Sixième chapitre Des grands ensembles La cité de l’Étoile

les encadrements de fenêtres sont en PVC blanc et les au délabrement de la cité. Vous trouvez que ça ressemble 107 jeux d’enfants ont été retirés depuis bien longtemps. à un monument historique remarquable ? »5 La commission Ces réhabilitations n’apportent pas de meilleures de classement au patrimoine tarde à rendre son verdict. conditions de vie aux habitants. Pour les habitants sur la colère des habitants. Dans son clip « Ghetto historique »6, il appelle à l’aide et au lancement du projet gelé par une décision du ministère de la culture. Des travaux de rénovation et de restructuration Son clip débute sur des paroles de l’abbé Pierre, dont conséquents prévus en 2003 par l’ANRU et la ville ont le projet était de sortir les citoyens de la crise du logement été reportés à 2007, puis en 2010 le chantier est stoppé mais cinquante ans plus tard le problème est toujours au dernier moment pour cause de projet de classement le même. Le clip est réalisé avec la participation des Architecture Contemporaine Remarquable ». Les habitants sont en colère et ne a classé monument historique, foutaise, alors il est temps de marquer l’histoire non ? » Le refrain de la chanson terriblement dégradée. Pourquoi un bâtiment vieux de déclare « Issus d’un quartier qui a beaucoup souffert, cinquante ans et délabré ferait-il l’objet d’un classement ? nous sommes issus d’un quartier qui ne veut plus souffrir. » Les locataires sentent leur quartier s’enfoncer peu à Jeunes et moins jeunes au travers de ses paroles peu dans l’oubli. Ce sentiment est décuplé par la protestent face à l’injustice dont ils sont victimes. multiplication des chantiers de construction dans les La chanson se poursuit « C’est ce mur de béton qui nourrit nos rêves, on veut un nouveau visage pour du projet la cité est de plus en plus à l’abandon. Une mère le ghetto. Toujours un goût d’amertume au bout de famille s’exclame dans un article du Parisien de juillet de nos lèvres, sur notre bonheur ils posent un droit 2011 « Les tags ne sont plus effacés, les papiers par terre de veto. Ghetto, ghetto historique, on veut du changement, de plus en plus nombreux, plus personne ne fait attention on veut du changement. Plus le temps d’attendre. »

5 Le Parisien, le 26 juillet 2011 6 Jock’r (2010, 10 septembre). Ghetto historique, « Jock’r et les habitants de

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Le rappeur traduit l’accablement des habitants du quartier. de préservation et de valorisation. Les équipes se sont 109 plongées dans l’histoire du lieu pour comprendre son acteurs du clip. Ce projet de classement de la cité ne tient pas compte de ceux qui y vivent. Le ministère de la culture les principes architecturaux d’origine. On remarque lors de cette analyse que le bâti est bon. On décide titre du label « Architecture Contemporiane Remarquable ». de la modernité à ce patrimoine, offrir une meilleure Le projet initial de l’ANRU doit fortement être qualité de vie aux habitants en remettant les lieux aux revu. Il prévoyait des démolitions et une restructuration nouvelles normes qui ont beaucoup évolué depuis 1955. qui auraient détruit les dessins d’époque et ne pouvaient Il faut dans cette cité retrouver les qualités initiales pas convenir au classement. Le projet doit être composé de l’architecture en les adaptant aux exigences actuelles de trois grands axes s’il veut être accepté par le ministère de confort et d’usages. Sur les façades, il faut retrouver l’esthétique originale caractérisée par un jeu de pleins la pérennisation patrimoniale et un respect architectural et de vides, remplacer l’ensemble des menuiseries en dans sa conception et son esprit initial. Les objectifs sont d’ouvrir le quartier sur la ville, d’accueillir des du bâtiment, ce qui pour ne pas dénaturer les façades, équipements publics de qualité et des commerces, nécessite de passer par l’intérieur. Cela entraîne de rénover et agrandir les logements existants et de un épaississement des murs et une réduction des construire de nouveaux logements. Le ministère de la surfaces.7 En ce qui concerne les logements, culture étant contre la démolition partielle, le futur projet une analyse de la trame permet de voir ce que l’on mené par Ellipse et Richard Klein commence par une peut casser pour redistribuer les espaces intérieurs. expertise pour comprendre l’origine de la qualité Un total de 322 logements vont être transformé et patrimoniale du quartier et rencontrer les acteurs. réduit à 277 logements pour correspondre aux Ce nouveau projet s’inscrit dans une démarche nouvelles normes. Des T4 vont devenir des T3 ou T2.

7 Histoire d’Étoile, à Bobigny, projet de réhabilitation de la cité de l’Étoile. Emmaüs Habitat - Ellipse Architecture. Collection Carré d’angles, p.24 Sixième chapitre Des grands ensembles La cité de l’Étoile

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Des appartements sont réunis pour obtenir de plus désagréables, des équipements sales et mal 111 grandes surfaces. Ces grands changements des logements entretenus. Le hall me parait propre mais d’après lui dans le respect des trames constructives nécessite une ce n’est qu’une image de façade, « juste une question réhabilitation lourde en milieu non occupé.8 Concernant d’apparence pour faire comme si tout allait bien ». les parties communes les halls étaient à l’origine Il critique également la nouvelle isolation qui selon lui traversants, les boites aux lettres se trouvaient fonctionne très bien l’hiver mais qui l’été rend les à l’extérieur dans le but de diminuer les charges. appartements beaucoup trop chauds. Il n’y pas de sécurité, Des halls seront créés tout en conservant la perméabilité le digicode à l’entrée du hall ne fonctionne déjà plus, visuelle traversante du projet initial. Des locaux « la preuve vous avez pu rentrer sans problème alors à poussettes et vélos seront aménagés au RDC que vous ne connaissez pas les lieux et c’est pareil et les escaliers et coursives feront l’objet d’un pour tout le monde ». Cet homme est fatigué des réaménagement qualitatif.9 conditions de vie dans cette cité mais n’a pas les moyens Ce projet de rénovation a débuté en 2013. d’en sortir. Il se demande pourquoi ce lieu est classé, « si moche et délabré qui viendrait le voir ou s’en avant d’écrire ce mémoire. J’ai pu constater l’avancée soucierait ? »10 Il s’agit d’un constat amer et dur qui des travaux sur certaines parties de la cité notamment nous laisse deviner l’atmosphère dans cette cité. le moment. Lors de ma visite, au premier coup d’oeil le hall de la tour est neuf, en bon état, avec un jeu graphique de boites aux lettre ce qui donne une bonne première impression. J’ai rencontré un habitant venant récupérer depuis 1985 et se plaint de l’état de la tour même après la rénovation. Il décrit des conditions de vies

8 Histoire d’Étoile, à Bobigny, projet de réhabilitation de la cité de l’Étoile. 10 Emmaüs Habitat - Ellipse Architecture. Collection Carré d’angles, p.32 de la tour qui a préféré rester anonyme. 9 Histoire d’Étoile, à Bobigny, projet de réhabilitation de la cité de l’Étoile. Emmaüs Habitat - Ellipse Architecture. Collection Carré d’angles, p.34 Sixième chapitre Des grands ensembles La cité de l’Étoile

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113 de nombreux problèmes dans le quartier. Les travaux Les habitants sont en colère11, pourquoi classer un lieu vieux de 60 ans qui n’intéresse personne aujourd’hui. Ce classement les enferme toujours plus dans ce « ghetto » devenu historique. Un attachement fort au lieu ainsi que l’impossibilité matérielle de partir pour certains maintiennent les habitant dans un cul-de-sac sans même été choquée de l’état d’insalubrité. De tous les grands ensembles que j’étudie dans ce mémoire c’est celui dont l’état extérieur est le plus déplorable. On pourrait imaginer le contraire, se dire qu’un lieu classé est au centre de nouvelles dynamiques et que On fait face à un lieu quasiment abandonné, sans infrastructure, avec des bâtiments inhabités et des rénovations lentes.

11 Mediapart, le 7 août 2010

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B. La cité de l’Abreuvoir, vision poétique de l’architecte Émile Aillaud

J’arrive à Bobigny, dernière étape de mon voyage selon lui que l’architecture soit un évènement de nature 115 à bord de la ligne T1. Je descends à la station Auguste poétique dans la ville. L’architecture doit retrouver son Delaune et je marche ensuite dix minutes pour arriver à la cité de l’Abreuvoir. Cet ensemble particulier marque de la construction des grands ensembles, il faut penser le gigantisme de façon qualitative et ne pas seulement la représentation du grand ensemble à travers sa forme se limiter à l’énormité des constructions. Pour lui architecturale singulière et poétique. En effet le projet l’architecture des années 1950 se conforme et se limite aux critères rationnels ce qu’il refuse « Le refus du seul peu commun pour un grand ensemble. Des formes objectif hygiéniste du logement sain et d’un fonctionnalisme nouvelles se déploient. Cette cité représente le début issu du seul système constructif et de l’angle droit comme dogme est manifeste ».2 architecture ce qui provoque la pauvreté des constructions se contraignent par des moyens de construction pauvres, Beaux-Arts de Paris. Il débute sa carrière d’architecte des rigueurs qui témoignent de leur impuissance en 1922. Il est lié au milieu de la mode et réalise avec à créer et inventer. Aillaud n’est pas dans la rectitude et la platitude des productions architecturales de son à l’Exposition des Arts et des Techniques à Paris en 1937. époque. Il dit « Pour penser cet urbanisme, il faut pratiquer une sorte de fonctionnalisme qui ne s’applique pas il s’intéresse aux constructions d’habitat collectif seulement au quantitatif (….), mais à la complexité de et construit sa vision de l’architecture en opposition à la vie mentale et affective, à l’histoire humaine qui va la Charte d’Athènes.1 se dérouler dans ce lie u». Il veut au travers de la cité de l’Abreuvoir et des projets qui vont suivre prendre l’invention et l’inattendu dans l’architecture », il faut poétiquement possession des lieux.

1 Landauer Paul et Lefrançois Dominique, Émile Aillaud 2 J.B Cremnitzer architecte dplg, EST ensemble maitre d’ouvrage-analyse Centre des Monuments Nationaux, Infolio, p.22 patrimoniale du quartier de l’abreuvoir à Bobigny, octobre 2017, p.21

© Manon Nitenberg. La cité de l’Abreuvoir, septembre 2020 Sixième chapitre Des grands ensembles La cité de l’Abreuvoir

La densité de construction est très importante pour un hectare. De plus, la voirie existante est conservée ensemble, ces immeubles en serpentains enjambent les voies.3 Lors de l’élaboration de son projet, il précise énormément son plan masse. De ce fait, sa construction se développe de façon logique. Tout est pensé en amont, chaque élément est prévu et judicieusement réparti, le tout pour créer un réel lieu de vie cohérent. Achevé en 1962, l’Abreuvoir est honoré par la presse. La cité est vue comme une cité « moderne et pourtant Seine (OPHDS) envisage de réaliser un grand ensemble humaine », « une cité de l’an 2000 », « ultra-moderne et 4 116 à l’Abreuvoir. Cette parcelle se trouve au nord-est conçue pour le bonheur des enfants ». La cité de l’Abreuvoir de Bobigny et en partie sur la ville de Drancy. Le président ouvre de nouveaux horizons pour l’architecture du comme architecte pour dessiner le plan masse. modèle Les Courtillères à Pantin et la Grande Borne à Grigny, Le programme initial regroupe 1600 logements répartis reconnue comme « l’une des recherches de ville nouvelles sur une surface de 21 hectares. Les bâtiments ne doivent les plus intéressantes réalisées en France ». Il est aussi pas dépasser deux, trois ou quatre étages et s’articuler l’architecte des Nuages à Nanterre, dont la forme et les autour d’un axe piétonnier. En avril 1952, l’architecte couleurs nous transportent dans un imaginaire qui lui est propre. départemental HLM ainsi qu’au maire de Bobigny. Le projet est approuvé dans sa totalité. Les premiers plans sont datés de mai 1953, les travaux débutent créer un ensemble varié. Les formes des bâtiments en mai 1954 et se terminent en 1962. L’ensemble prend pour l’habitant qui traverse le quartier. Le paysage de l’Abreuvoir est une succession d’espaces, où le regard L’échelle du projet est changée, six tours de onze étages rebondit sur les différents éléments architecturaux sont dessinées et viennent rompre le principe de ne pas élever des bâtiments au-dessus de quatre étages. en faire un lieu d’habitation où le numéro du bâtiment humoristiques ». Trois de ces tours sont en forme d’étoile n’est plus l’unique repère. Le mail, large voie densément à trois branches et les trois autres sont rondes. Sont plantée est la colonne vertébrale du projet et propose une promenade sur l’ensemble du quartier. Dans le des équipements et des espaces extérieurs, des jeux pour parc habité, l’architecture et la végétation sont en lien enfants, une crèche, un groupe scolaire et une église. et dans une égalité d’échelle.

3 J.B Cremnitzer architecte dplg, EST ensemble maitre d’ouvrage - analyse patrimoniale du quartier de l’abreuvoir à Bobigny, octobre 2017, p.8 4 Benoît Pouvreau, « Ensemble de logements sociaux HLM, cité de l’Abreuvoir », Atlas de l’architecture et du patrimoine, Seine-Saint-Denis le département Sixième chapitre Des grands ensembles La cite de l’Abreuvoir

117 Ensuite, les trois tours rondes et les trois tours en étoiles, toutes de onze étages. Les tours sont là pour contraster avec l’architecture horizontale des autres bâtiments. Elles prennent alors une valeur totémique, servent de repère au milieu de l’horizontalité des barres. Le reste est composé de bâtiments à redent, de bâtiments un quartier original. Il s’éloigne des principes rationalistes dans sa composition et se distingue du grand ensemble de l’Europe et celle des Nations-Unies. Elles sont « Les circonvolutions du labyrinthe » qui « pourraient de véritables artères d’articulation entre les espaces être l’imaginaire de cette morphologie quasi cérébrale, publics de la cité et les espaces extérieurs. Ces deux places à condition qu’il soit comme Dédale, une suite s’inscrivent dans la continuité du mail qui traverse tout labyrinthiques, ce n’est pas seulement parce que cela portes d’entrée dans l’Abreuvoir et marquent la volonté me semble joli à voir, mais parce qu’ils créent des replis, d’Aillaud de s’intégrer dans les voiries existantes. donc un certain silence, donc certaines possibilités Ces porches sont une scénographie de la cité dans de retraites. »5 La visée au travers de ces formes originales la ville et cadrent les entrées en son sein. La cité est de créer des évènements, des surprises et des de l’Abreuvoir est composée de 6 type de bâtiments. silences dans le quartier. Il donne des images et des Tout d’abord les bâtiments en serpentins haut cadrages différents en tout point de la cité et c’est de quatre étages, ce sont les plus caractéristiques du lieu. ce qui en fait sa richesse.

5 J.B Cremnitzer architecte dplg, EST ensemble maitre d’ouvrage - analyse patrimoniale du quartier de l’abreuvoir à Bobigny, octobre 2017, p.22

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sont décalées d’étage en étage. Les balcons sont saillants 119 l’architecture peut contribuer au développement et les halls d’entrée sont très grands, ils constituent de l’homme. La grande majorité des auteurs des un repère à l’échelle du piéton. Dans la tour en étoile, grands ensembles pensaient que cela devait passer les logements disposent d’une triple orientation par l’aménagement de la cellule de logement plutôt et dans la tour ronde d’une vision panoramique à 120°. Dans les immeubles en serpentins, l’entrée s’effectue recourt souvent à des plans traditionnels, il ne s’adapte pas aux innovations intérieures proposées par certains ainsi d’un fort éclairage naturel. de ces collaborateurs tel que les cloisons mobiles La végétation a une place très importante dans ou une utilisation plus souple de l’espace d’entrée. le projet de la cite de l’Abreuvoir. Le journal L’Aurore titre en janvier 1954 « 450 logements pour 800 arbres, sont beaucoup plus travaillés que ce qu’il ne laisse entendre. telle sera la nouvelle cité-jardin de Bobigny ». Ce titre Il ne veut pas perturber les habitudes des habitants. parle de lui même, on plante énormément d’arbres Selon lui la cellule de logement doit être anonyme si elle veut être facilement modulable. La cité de l’Abreuvoir ans, tilleuls et marronniers auront poussé, on ne verra compte beaucoup de grands logements. Les baies plus de sa fenêtre qu’un immense parasol de feuillage, de fenêtres sont limitées en surface et les balcons sont sous lequel on pourra se promener, lire son journal rares. Les salles de bain sont de surface identique pour ou…ne rien faire ». Il empreinte ce principe aux architectes tous les types de bâtiments. Elles sont éclairées par nordiques tels que Arne Jacobsen ou Alvar Aalto. la lumière naturelle en façade dans tous les bâtiments Dans l’architecture scandinave, le rapport entre sauf pour les tours ronde où elles sont au centre architecture et nature est très fort.6 Dans la cité de l’appartement, en communication avec la cuisine. de l’Abreuvoir, les bâtiments sinueux s’ouvrent sur Les innovations sont peu nombreuses dans les appartements. un grand parc dont on a respecté le mouvement Dans les deux types de tours de la cité, les baies vitrées naturel du terrain. Il adopte pour cet ensemble le principe

6 Landauer Paul et Lefrançois Dominique, Émile Aillaud Centre des Monuments Nationaux, Infolio, p.22

© Manon Nitenberg. La cité de l’Abreuvoir, septembre 2020 Sixième chapitre Des grands ensembles La cité de l’Abreuvoir

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d’une cité-parc. Les espaces verts sont prédominants, et frappant qui ne laisse personne indifférent. 121 la conception du paysage a été pensée en même temps C’est cette singularité du lieu qui selon lui « en révèle le que l’implantation des bâtiments. Les arbres sont souvent goût et part là pourrait peut-être contribuer un peu plantés proches des façades pour donner l’impression au bonheur… ». On voit à quel point la perception que se sont les bâtiments qui sont venus se poser dans du lieu par les habitants est importante pour lui dans cet espace naturel et non l’inverse. Les immeubles sa conception aussi bien que dans sa réalisation. et leurs habitants peuvent s’évader dans la nature Les ensembles de logements sociaux dessinés par qui les entoure. Lorsqu’il dessine cette cité, Aillaud pense à ceux que cela ne valait pas la peine de porter une telle attention qui vont y vivre. Il va contre les principes d’uniformisation. à l’architecture lorsqu’elle était destinée à une population qui était a priori peu apte à s’y intéresser.8 à besoin d’habiter un lieu qui ne soit ni clair, ni simple, ensemble peut être agréable. Il peut enchanter le généralement utilisé par les poètes et les philosophes. regard, amuser et instruire ».9 La place de l’enfant est aussi très importante dans ses projets. Il est l’un des rares architectes que pour être heureux, l’individu doit se sentir rassuré, des grands ensembles à penser à la place des enfants être à même d’y retrouver les grandes vertus rassurantes d’un ventre ».7 Dans la cité de l’Abreuvoir, des modes les enfants, « un cadre où il pourra s’extraire de la de vie sont suggérés mais jamais imposés par l’architecte pression du groupe et de ce fait se construire par la et cela dans le but de rompre avec la banalité. Il varie solitude et la rêverie ».10 Les jeux d’enfants de l’Abreuvoir sur les jeux de lumière, de végétation et les perspectives. ne sont pas les plus singuliers de l’architecte, ceux Aillaud cherche des lieux dotés d’un visage particulier de Grigny la Grande Borne sont connus pour leur rêverie

7 8 Landauer Paul et Lefrançois Dominique, Émile Aillaud, conservé aux Archives d’architectures du XXe siècles, Paris Aillaud par les sociologues Marcel Cornu et Jacques Frémontier 9Esprit, n°11, novembre 1974, p.740 © Manon Nitenberg. La cité de l’Abreuvoir septembre 2020 10 Landauer Paul et Lefrançois Dominique, Émile Aillaud du Centre des Monuments Nationaux, Infolio, p.28 Sixième chapitre Des grands ensembles La cité de l’Abreuvoir

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et leur imaginaire délirants. Les jeux qu’il dessine servent extérieurs tels que les entrées sont accentués par 123 aussi de mobiliers urbains, ils n’ont pas un usage mais la couleur ce qui permet à l’habitant de repérer son accès. plusieurs. Pour l’architecte le détournement de l’objet est une preuve de son appropriation par les habitants. La couleur n’est pas purement décorative, son rôle est De plus, on remarque son attention pour les enfants de proposer une situation plutôt que d’agrémenter par le positionnement des écoles au sein des quartiers une façade. Dans la cité de l’Abreuvoir, la couleur est qu’il dessine. Les écoles sont toujours en dehors de sur tous les bâtiments. Les tours rondes sont vêtues d’ardoises vertes, les tours en étoiles d’ardoises grises. permanence le lieu dans lequel il grandit. Il souhaite Le sous-ensemble D3 est peint en bleu pastel, éviter le souvenir d’un professeur qu’il n’aime pas lorsque les commerces des deux places sont peints en bleu. l’enfant retourne dans son habitat. De plus, le trajet Les immeubles en serpentin sont de couleur rose de la maison jusqu’à l’école permet à l’enfant de s’éduquer pastel et vert pastel, ceux de la place des Nations-Unies « Il va, vient, il regarde, il vit. Aucun enfant ne se plaint que l’école soit trop loin. »11 À l’Abreuvoir, la nature en ocre jaune. Le projet de la cité de l’Abreuvoir n’est pas le projet où la couleur est la plus importante, construire. Gaston Bachelard dit « on donnerait à l’enfant une vie profonde en lui accordant un lieu les projets de l’architecte. de solitude, un coin ».12 La cité de l’Abreuvoir est une architecture nouvelle et engagée dans sa forme et sa conception. Aillaud tente un thème architectural. de placer l’habitant au centre même de son projet. Il lui offre des espaces verts permettant de s’isoler, l’artiste Fabio Riéti. L’artiste propose le terme il y installe une nature abondante dans le but de faire de « polichromie », « coloration discontinue » comme rêver. Il ajoute de la couleur pour accrocher les regards création d’une identité visuelle urbaine.13 Les éléments et tente de faire des façades le moins anonymes possible.

11Désordre apparent, ordre caché, p.61 12 Gaston Bachelard, La terre et les reverses du repos, Paris, José Corti, 13 B Cremnitzer architecte dplg, EST ensemble maitre d’ouvrage - analyse patrimoniale du quartier de l’abreuvoir à Bobigny, octobre 2017, p.24

Sixième chapitre Des grands ensembles La cité de l’Abreuvoir

Tout cela montre que l’architecte porte une attention 125 très particulière à « l’autre ». Quelles sont les limites de ce projet ? L’Abreuvoir n’est pas aux normes des standards d’habitation contemporains au niveau de d’ouvrir une brèche dans la pensée conformiste et la l’isolation thermique, acoustique et de la taille des production architecturale des années 1950. logements, aujourd’hui trop petits. Malgré un projet C’est un exemple historique de l’innovation urbaine ambitieux qui souhaitait apporter une qualité de vie, et architecturale de l’époque. La cité de l’Abreuvoir le quartier de l’Abreuvoir concentre toutes les problématiques a été un laboratoire d’expérimentation pour ses projets futurs que sont Les Courtillères ou Grigny la Grande Borne. En pleine crise du logement et dans une époque d’effervescence constructive il s’est attaché à inventer monoparentales, du chômage, de l’échec scolaire et de un modèle de cité HLM originale.16 Il a réussi à mêler la délinquance.14 Les espaces extérieurs et les bâtiments une architecture singulière et poétique inscrite sont dégradés. Dans un article du Parisien de novembre elle-même dans un dialogue avec la nature. Jamais 2017 les habitants parlent de la cité. Lorsque l’on demande dans la construction de grands ensembles autant de douceur et de poésie n’avait été matérialisées. paupérisation ». L’image révolutionnaire de la cité disparaît, grand intérêt ou de dévalorisation. Pour répondre tout se désintègre à l’image de ces « trous, nombreux à ces attaques, il a théorisé ses constructions et publié dans les murs des immeubles » nous dit Morad. Karim, en 1975, Désordre apparent, ordre caché. Ce qui n’a un autre habitant fait une remarque sur ces « tours qui, pas par la suite empêché la cité de rassembler tous bien qu’esthétiques, ne sont pas pratiques à vivre ».15 les problèmes actuels des grands ensembles. Le projet de la cité de l’Abreuvoir a-t-il été une fantaisie

14 Renouveau en vue à l’Abreuvoir, 16 Landauer Paul et Lefrançois Dominique, Émile Aillaud territoire-en-mouvement/le-renouvellement-urbain/renouveau-en-vue-a-l- du Centre des Monuments Nationaux, Infolio, p.17 abreuvoir-1217.html 15Le Parisien, le 2 novembre 2017 © Manon Nitenberg. La cité de l’Abreuvoir, septembre 2020

Conclusion Des grands ensembles

Dans les années 1960, en pleine crise du logement en France, la construction des grands ensembles était une nécessité. Leur construction fut rapide et e!icace permettant d’en finir avec les bidonvilles et de loger un très grand nombre de personnes. À l’époque, ces grands monstres de béton représentaient une nouvelle façon d’habiter, moderne, propre et proposant de nouveaux conforts. 127 Mais rapidement les grands ensembles furent au centre de nombreuses problématiques architecturales et sociales. La délinquance, le trafic de drogue, la saleté, l’usure et l’enclavement des bâtiments en ont fait dans l’imaginaire collectif des lieux où l’on n’a pas envie de vivre, laids et dangereux. Cette image négative et repoussante stigmatise également les habitants. Dans ce mémoire j’ai voulu me libérer de l’inconscient collectif. Il y a autant de définitions, de vérités que de représentations. C’est en multipliant ces représentations que l’on parvient à s’approcher de la vérité, mais une définition univoque du grand ensemble n’existe pas. Conclusion Des grands ensembles

D’autant que chaque grand ensemble est unique, tout comme le ressenti de toute personne qui s’y promène ou qui y vit. Par ailleurs l’imaginaire collectif oublie les éléments positifs des grands ensembles, l’entraide, le partage, la population multiculturelle et les pratiques artistiques qui s’y sont développées.

Quel futur pour les grands ensembles ? 128 La majorité des grands ensembles sont aujourd’hui délabrés, les détruire apparait comme une solution. On veut en finir avec ces lieux insalubres, enclavés et dangereux. Mais pourquoi ne pas prendre un autre chemin ? Les architectes Frédéric Druot, Anne Lacaton et Jean-Philipe Vassal défendent « détruire, c’était gaspiller ». En 2007, ils a!irment qu’il est possible de « réanimer » des immeubles modernes.1 Leur crédo « Il s’agit de ne jamais démolir, ne jamais retrancher ou remplacer, toujours ajouter, transformer et utiliser ».

1 Frédéric Druot, Anne Lacaton, Jean-Philipe Vassal, Plus, les grands ensembles territoire d’exception, 2007, édition Gustavo Gill Conclusion Des grands ensembles

Les grands ensembles seraient moches mais qui peut se permettre d’a!irmer cela ? N’est-ce pas une vision de dominants qui n’y vivent pas ? En e!et toute beauté est subjective, il en va de même pour celle des grands ensembles. De surcroît les habitants des grands ensembles y sont a!ectivement très attachés et les projets de destructions obligent une partie de la population à vivre ailleurs. Enfin ces constructions marquent une époque architecturale 129 qui doit être conservée. Les grands ensembles font partie du patrimoine architectural du XXe siècle. Mais le plus souvent ils sont laissés à l’abandon, non entretenus, dégradés et leur réhabilitation est donc une nécessité. Ne faudrait-il pas plutôt démolir les clichés et non les cités ?

2 Anna-Marie Fèvre, « Tour Bois-le-Prêtre, une saine renaissance », Libération, le 6 février 2012 « On a beaucoup entendu dire que cette tour était moche, s’insurge Frédéric Druot. Comment peut-on dire cela d’un lieu où vivent, aiment, meurent des gens depuis 1962 ? Elle était devenue obsolète techniquement. Insalubre, car abandonnée par le bailleur. Un tuyau de toilettes fuyait sur seize étages. Mais la structure est très bien, nous l’avons gardée. »

Bibliographie Des grands ensembles

Abd al Malik La guerre des banlieues n’aura pas lieu France : Points, 2011, 192 pages

BELHAJ KACEM Mehdi La psychose française. Les banlieues : le ban de la République France : Gallimard, 2006, 72 pages

BEN BELLA Rachid, ÉRAMBERT Sylvain, LAKHÉCHÈNE Riadh, PHILIBERT Alexandre, PONTHUS Joseph Nous…la cité Paris : Éditions La Découverte, 2012, 250 pages

DAVID Claire Construire ensemble le grand ensemble : habiter autrement. Arles : Actes Sud, 2010, 72 pages 131

HAUSSMANN Kamal Time Bomb Paris : Éditions Albin Michel, 2019, 448 pages

KOKOREFF Michel, LAPEYRONNIE Didier Refaire la cité. L’avenir des banlieues Villeneuve-d’Ascq : Coédition Seuil et la République des Idées, 2013, 128 pages

LEPOUTRE David Coeur de banlieue. Code, rites et langages Paris : Odile Jacob, 1997, 362 pages

LYNCH Kevin L’image de la Cité. Dunod. Cambridge, Mass : MIT Press, 1981, 221 pages

MASPERO François Les passagers du Roissy-Express Photographies FRANK Anaïk. France : Éditions Seuils, 1990, 328 pages

MERLIN Pierre Des grands ensembles aux cités Lonrai : Ellipses, 2012, 168p. (La France de demain)

SORMAN Joy L’inhabitable. France : L’arbalète Gallimard, 2016, 88 pages Bibliographie Des grands ensembles

BABINET Olivier (réalisateur) Swagger, Documentaire, novembre 2016, 84 minutes

JAMES Kery, SY Leïla (réalisateurs)

LY Ladj (réalisateur) Les Misérables, SRAB Films, 2012, 102 minutes

MARKER Chris et LHOMME Pierre (réalisateurs) Le Joli Mai, Documentaire, Sofracima, 1963, 165 minutes

VALLOATTO Stéphanie La cité de l’espoir, France 3, 2020, 52 minutes. Disponible sur : https://www.france.tv/france-3/paris-ile-de-france/ 132 la-france-en-vrai-paris-ile-de-france/1356299-la-france-en-vrai- paris-ile-de-france.html?fbclid=IwAR34FDfuqSwJmPnSeBK6FqKEQ 1fMTf-7TGVEZUtMEfM4vawxzLGejghhGaI

BENSAID Alexandra et JAMES Kery « Le rap d’aujourd’hui diffuse souvent un message de violence et d’autodestruction ». Le 7h50. France Inter, 22 novembre 2018. 8 min.

Premier chapitre :

GAUTUHIEZ Bernard (dir) Espaces urbain, vocabulaire et morphologie, édition du patrimoine, coll. Vocabulaire, 2003, p.86.

LACOSTE Yves Lacoste « Un problème complexe et débattu : les grands ensembles », Bulletin de l’association des géographes français, nos 318-319, 1963

ROTIVAL Maurice Les grands ensembles. L’architecture d’aujourd’hui, juin 1935,n°6, p.57-87

VEILLARD-BARON Hervé Sur l’origine des grands ensembles . Dans : FOURCAUX Annie. Le monde des grands ensembles. France, Allemagne, Pologne, Russie, République tchèque, Bulgarie, Algérie, Corée du Sud, Iran, Italie, Afrique du Sud. Creaphis, 2004, p.46. Bibliographie Des grands ensembles

Deuxième chapitre :

Auteur non renseigné « Le gouvernement crée quarante-neuf zones de sécurité prioritaires de plus », Libération, le 15 novembre 2012

Auteur non renseigné « Luth culturel à Gennevilliers », Libération, le 23 septembre 2013

Par A.R « À Gennevilliers, le quartier du Luth n’est plus desservi », Le Parisien, le 1 août 2016

BÈGLES Dominique d’immeubles dans les quartier du Village, des Agnettes ou du Luth », 133 l’Humanité, le 28 Octobre 1992

BERTRAND Olivier « Le Luth (mal) vu par ses habitants », Libération, le 14 janvier 2000

BERTRAND Olivier « Journée “joyeuse et poignante” pour Jospin en banlieue. Le Premier ministre était vendredi à Gennevilliers », Libération, le 15 janvier 2000

BUREAU Olivier « Gennevilliers étend encore la vidéosurveillance », Le Parisien, le 16 avril 2018

BUREAU Olivier « Gennevilliers : les enfants n’ont pas mégoté pour nettoyer le Luth », Le Parisien, le 7 juin 2019

BUREAU Olivier « À la découverte de l’histoire architecturale de Gennevilliers », Le Parisien, le 24 septembre 2020

DAUTRY Estelle « Gennevilliers espère des subsides de l’État pour les jeunes du Luth », Le Parisien, le 2 mai 2019

DEVECCHIO Alexandre, « Ce que révèle l’affaire de la jupe à Gennevilliers », Le Figaro, le 25 avril 2016 Bibliographie Des grands ensembles

Par D.R « Gennevilliers : les souvenirs du Gérard-Philipe se racontent en podcast », Le Parisien, le 18 Octobre 2018

Par F.H et A.S.D « Gennevilliers : onze voitures partent en fumée au Luth », Le Parisien, le 26 mars 2016

LE DEVIN Willy « Asnières-Gennevilliers en bandes décimées », Libération, le 16 avril 2011

PHAM-LÊ Jérémie « Agression à Gennevilliers : “Elle ne supportait pas de voir la victime en jupe” », L’Express, le 23 avril 2016

134 Par ZEP Zone d’Expression Prioritaire, « Moi jeune : “Face aux policiers, un mec jeune et noir, ça perd tout le temps” », Libération, le 18 juin 2020

Troisième chapitre :

PINSON Daniel Des Banlieues et des villes: dérive et eurocompétition. Éditions de l’Atelier, 1992, 271 pages, p.221

Autour non renseigné « M.Mitterrand aux “4000” », Le Monde, 28 juillet 1983

Auteur non renseigné « La Caravelle, première cité rénovée de France », Le Parisien, le 15 juin 2011

DAVID SAMAMA Laurent « Banlieue 89 : comment des architectes ont voulu déconstruire la banlieue », Les Inrockuptibles, le 5 décembre 2013

Par FCD 10 ans pour faire peau neuve. Villeneuve infos, octobre 2005, n°61, p22-23

LANÇON Philippe « Roland Castro rate son exercice de pédagogie à Villeneuve-la- Garenne », Libération, 26 décembre 1994 Bibliographie Des grands ensembles

MANGEOT Philippe « La Caravelle, une cité HLM ». Vacarme, le 2 octobre 1999, n°9

LAURENTIN Emmanuel, NIVET Soline et TELLIER Thibault Les années 80 3/4. La fabrique de l’Histoire. France Culture, 21 novembre 2012. 54 min

SNÉGRAOFF Thomas. Histoires d’info. Radio France, 16 janvier 2015. 5 min

Castro Denissof Associés sur : http://www.castro-denissof.com/projet/villeneuve-la-garenne- la-caravelle/

135 CNLE GOUV : https://www. cnle.gouv.fr/IMG/pdf/Circulaire_du_21_mars_1973.pdf

La Cité de l’architecture https://expositions-virtuelles.citedelarchitecture.fr/les_logements_ sociaux/presentation03-presentation.html

INA Journal Télévisé du 20h. Assises nationales de Banlieue 89 à Bron, https://fresques. banlieue-89-a-bron.html

Wikipédia https://fr.wikipedia. org/wiki/Villeneuve-la-Garenne Bibliographie Des grands ensembles

Quatrième chapitre :

Antoine Flandrin « “Revenez dans dix ans quand il y aura les bâtiments neufs” : à Saint-Denis, l’avenir incertain des habitants des Francs-Moisins », Le Monde, le 13 février 2020

Par C.G. « À Saint-Denis, Gims ambiance le Franc-Moisin avec des fournitures scolaires », Le Parisien, le 12 septembre 2020

Ilyes Ramdani « Saint-Denis, ép.3 : Au Franc-Moisin, rénovation, démolitions… et élections », Médiapart, le 23 février 2020 Disponible sur : https:// 136 www.mediapart.fr/journal/france/230220/au-franc-moisin-les- habitants-ne-digerent-pas-une-renovation-decidee-sans-eux

Seine-Saint-Denis « Du bidonville au logements décent : la Cité des Francs-Moisins à https://www.tourisme93. com/document.php?pagendx=963 wikipedia.org/wiki/Le_Franc-Moisin

Cinquième chapitre :

LEBEL Jean-Patrick Notes pour Debussy. Lettre ouverte à Jean-Luc Godard. Production : Périphérie production, ZDF, Citécpable, 1982, 80mn, couleur, vidéo, essai documentaire

GODARD Jean-Luc (réalisateur)

GODARD Jean-Luc, SAINT-GEOURS Jean Débat sur la prostitution, émission « Zoom », 25 octobre 1966, reprise dans le DVD publié par Arte Vidéo, 2004

« Marine face à Godard » série Dim, Dam, Dom de Luc Favory, documentaire 1967, noir et blanc, 8 minutes. VDP4247 (forum des images) Bibliographie Des grands ensembles

INA Société 2012. Disponible sur : https://www.youtube.com/ watch?v=7FPr4VbBOBg

INA Société Archive INA, 6 août 2012. Disponible sur : https://www.youtube. com/watch?v=4NSYym4n0V4

BRETON Émilie « 2 ou 3 choses en deux temps trois mouvements », Document Jean-Luc Godard, Centre Pompidou, p.76-82

CARDIN Aurelie 137 « Les 4000 logements de la Courneuve : réalités et imaginaires cinématographiques », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 98 / 2006, p.65-80

GIRAULT Jacques « La grande saga du logement ». Seine-Saint-Denis : chantiers et mémoire, Paris, Éditions autrement, 1998, p198

VIMENET Catherine

Carrefour Disponible sur : https://www.carrefour.com/fr/groupe/histoire

Odysseo http://odysseo.generiques.org/ark:/naana0114424079089CP2LV Bibliographie Des grands ensembles

Sixième chapitre :

KLEIN Richard (dir.) La cité de l’Étoile à Bobigny. Un modèle de logement social. Candilis, Josic, Woods, Grane Paris : Créaphis, « Lieux habités », 2014, 157 pages

LEBON Christine, TRAN-MIGNARD Elisabet Histoire d’Étoile, à Bobigny, projet de réhabilitation de la cité de l’Étoile. Emmaüs Habitat - Ellipse Architecture Archibooks, 2015, 104 pages, Collection Carré d’angles

Auteur non renseigné « La cité de l’Étoile a peur de l’oubli », Le Parisien, le 26 juillet 2011 138 BERTHAUD Élodie « L’Étoile à Bobigny, une cité d’urgence en sursis », Mediapart, le 7 août 2010. Disponible sur : https://www.mediapart.fr/journal/ france/140710/letoile-bobigny-une-cite-durgence-en- sursis?onglet=full

Fondation Abbé Pierre sur : https://www.fondation-abbe-pierre.fr/la-fondation-abbe- pierre/la-vie-de-labbe-pierre/appel-abbe-pierre-1er-fevrier-1954

Jock’R septembre 2011. Disponible sur : https://www.youtube.com/ watch?v=zmJOqP2rKj0&t=2s Bibliographie Des grands ensembles

AILLAUD Émile Désordre apparent, Ordre caché. Éditions du Linteau, 2017, 146 pages

BACHELARD Gaston La terre et les reverses du repos. Paris : Édition Corti Paris, 1948, 376p. Collection Les Massicotés

LANDAUER Paul et LEFRANÇOIS Dominique Émile Aillaud.Édition patrimoine du Centre des Monuments Nationaux, Infolio, 1983, 192 pages

CAPECCHI Ivan « L’Abreuvoir : la « cité-jardin » de Bobigny », Le Parisien, 2 novembre 2017

139 CAROUX François et Jacques « Grigny la Grande Borne », Esprit, n°11, novembre 1974, p.740

CREMNITZER J.B, architecte dplg EST ensemble maitre d’ouvrage - analyse patrimoniale du quartier Disponible sur : diagnostic_patrimonial_-_fevrier_2018.pdf

Seine-Saint-Denis, le département. POUVREAU Benoît Atlas de l’architecture et du patrimoine. Disponible sur : https:// patrimoine.seinesaintdenis.fr/Ensemble-de-logements-sociaux- HLM-Cite-de-l-Abreuvoir

Bobigny http:// www.bobigny.fr/grands-projets-un-territoire-en-mouvement/ le-renouvellement-urbain/renouveau-en-vue-a-l-abreuvoir-1217.html

Table des matières Des grands ensembles

! AVANT!PROPOS

" INTRODUCTION

#" I ! CONTEXTE DE CONSTRUCTION ET DÉFINITIONS CONNUES DES GRANDS ENSEMBLES !" A. Contexte de construction #! B. Définitions actuelles connues des grands ensembles

$% II ! GENNEVILLIERS #$ A. Le Luth, ce qu’en dit la presse %" B. Les Agnettes, analyse photographique 141

%! III ! VILLENEUVE ! LA ! GARENNE Rénovation de La Caravelle par Roland Castro, un acte politique

!# IV ! SAINT ! DENIS Le Franc-Moisin, la parole aux habitants

&" V ! LA COURNEUVE La cité des 4000, filmée par Jean-Luc Godard

#'( VI ! BOBIGNY !&% A. L‘Étoile, une cité labellisée « Architecture Contemporaine Remarquable » !!$ B. La cité de l’Abreuvoir, vision poétique de l’architecte Émile Aillaud

#$! CONCLUSION

#(# BIBLIOGRAPHIE Parties Des grands ensembles Photo

142 Parties Des grands ensembles Photo

JE REMERCIE Aurelien Lemonier de m’avoir guidée tout au long de ce travail.

JE REMERCIE ma chère et tendre Maman, d’avoir lu et relu ce mémoire, de m’avoir soutenue, encouragée, aidée et surtout de toujours croire en moi. JE REMERCIE Merci à mes deux parents de m’avoir toujours soutenue dans mes choix, de m’aider à m’accomplir dans ma vie étudiante et dans mon quotidien. Merci de m’avoir accompagnée durant ces cinq années qui n’ont pas toujours été simples. Merci de votre patience et votre soutien.

JE REMERCIE mon frère Vincent pour son écoute régulière, sa patience, son avis critique, ses conseils avisés et sa participation en tant que photographe dans ce mémoire. JE REMERCIE ma soeur Marlène pour l’aide qu’elle m’a apportée pour la préparation de l’oral de soutenance. 143 JE REMERCIE ma soeur Kiyoko pour m’avoir écoutée ressasser et tergiverser sur ce sujet pendant un an.

JE REMERCIE Maxime d’être présent chaque jour à mes côtés, d’avoir effacé plusieurs fois mes doutes et mes incertitudes. Merci de me soutenir au quotidien dans ma vie et mon travail.

JE REMERCIE mes amis, plus particulièrement les chicas pour tout leur soutien et leur bonne humeur au quotidien.

JE REMERCIE Merci à tous ceux qui m’ont fait rencontrer de nouvelles personnes et qui on aidé ce récit à aller plus loin. Merci à Ahmed, Ali, Djangou, Mamie Danielle, Nicolas, Momo, Mama, Florianne, Yacine, Chaïma, Hedi, Joe. Merci d’avoir jouer le jeu en témoignant, en me faisant parcourir votre cité et son histoire et en me racontant un bout de la votre.

JE REMERCIE Villeneuve-la-Garenne, cette ville à l’origine de ce projet. Villeneuve-la-Garenne, les immeubles, la galère, ma ville, ma banlieue. J’aime ma ville et son environnement, ses habitants, ses bâtiments. Elle est ma principale source d’inspiration et m’a permis de devenir la personne que je suis. Ce projet est pour eux, pour nous, pour défendre

Achevé d’imprimer en janvier 2021 sur les presses de l’imprimerie Launay à Paris.

Acumin dessiné par Robert Slimbach Sukhumvit Set dessiné par Anuthin Wongsunkakon Avenir dessiné par Adrian Frutiger Ce mémoire étudie certains grands ensembles des Hauts-de-Seine et de Seine-Saint-Denis. En parcourant la ligne de tramway T1, je choisis sept grands ensembles. Face à l’imaginaire collectif négatif des cités, je tente d’en donner une définition grâce à des représentations, chacune attribuée à un ensemble urbain. Représentation par la presse écrite, la photographie, un acte politique de rénovation, les témoignages des habitants, un film, un classement au Label Architecture Contemporaine Remarquable et une vision architecturale poétique. Les grands ensembles font partie du patrimoine architectural du XXe siècle. Quel futur pour les grands ensembles, réhabilitation ou démolition ?

Manon Nitenberg