Nott Eic 22/05/01
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André Larquié président Brigitte Marger directeur général Deux compositeurs, deux univers radicalement opposés constituent ce pro- gramme. Mais également deux œuvres que rapproche l’inspiration littéraire : La Mort de Virgile d’Hermann Broch, pour Hanspeter Kyburz ; et Lohengrin, l’une des nouvelles des Moralités légendaires de Jules Laforgue, pour Salvatore Sciarrino. Dans l’une et l’autre de ces compositions, la dramaturgie latente a conduit à donner au cadre de la représentation une disposition toute particulière. Jean- Claude Berutti – qui avait déjà signé la mise en espace de Passaggio de Luciano Berio, dans cette même salle en septembre 1999 – invente ici un lieu de déploie- ment spécifique pour Lohengrin, cette « action invisible », selon les propres termes de Salvatore Sciarrino. mardi 22 mai - 20h salle des concerts Hanspeter Kyburz Parts, pour ensemble durée : 21 minutes entracte Salvatore Sciarrino Lohengrin, action invisible pour soliste, instruments et voix d’après Les Moralités légendaires (1887) de Jules Laforgue (voir traduction p. 9) durée : 40 minutes Jonathan Nott, direction Marianne Pousseur, soprano/actrice Patrick Blauwart, récitant Jean-Claude Berutti, mise en espace Rudy Sabounghi, collaboration artistique Axe 21 Ensemble Intercontemporain coproduction cité de la musique, Ensemble Intercontemporain concert enregistré par France Musiques, partenaire de l’Ensemble Intercontemporain pour la saison 2000/2001 Jonathan Nott - Ensemble Intercontemporain Hanspeter Kyburz composition : 1994-1995 ; commande de la Fondation Parts, pour ensemble Pro Helvetia ; création : le 23 avril 1995 à Witten dans le cadre des Wittener Tage für Neue Kammermusik par l’ensemble Klangforum (dir. Peter Rundel) ; effectif : flûte/flûte piccolo/flûte basse, hautbois, clarinette en si bémol/clarinette basse/clari- nette en mi bémol, clarinette en si bémol/clarinette basse ; saxophone soprano, 2 cors, 2 trompettes, 2 trombones ténor/basse, 3 percussions, clavier/célesta, harpe, guitare, 2 vio- lons, alto, violoncelle, contrebasse ; éditeur : Breitkopf & Härtel. De Parts, on pourrait dire qu’il s’agit d’une œuvre arborescente et hérissée. Arborescente, parce que la musique se déploie selon une syntaxe rigoureuse- ment organisée : des processus souples, non linéaires mais réglés, génèrent des matériaux multiples et dif- férenciés (des rameaux ou les nervures des feuilles si l’on poursuit la métaphore de l’arbre), susceptibles néanmoins d’établir entre eux des jeux de corres- pondances, de faux-semblants ou de composer ensemble une configuration globale (la branche, le feuillage). L’œuvre oscille ainsi continûment entre des mouvements de « zoom » où quelques lignes se sin- gularisent, s’émancipent, suivant leur propre crois- sance (on aboutit alors à un traitement de chambre quasi concertant) et des phases de prolifération des détails, où la complexité polyphonique dessine plutôt un geste global lié de manière organique à l’évolu- tion des composantes microscopiques : l’effet, tou- jours subtilement mené, est alors celui d’une immense ouverture du champ. Hérissée, parce que l’œuvre est parcourue de rup- tures (anéantissement subit des processus, émer- gence d’éléments perturbateurs, brusques changements de perspective), traversée de déchi- rures violentes (agrégats verticaux qui brisent le flux musical) et d’instants saisissants marqués du sceau de l’effroi ou d’une étrangeté radicale. La physionomie et la construction dramatique de Parts, faites de ces concrétions et effondrements successifs, renvoient au roman de l’écrivain autrichien Hermann Broch La Mort de Virgile. Aux quatre livres du roman (l’eau/l’ar- 4| cité de la musique Jonathan Nott - Ensemble Intercontemporain rivée, le feu/la descente, la terre/l’attente, l’éther/le retour) répond une forme musicale en quatre mou- vements clairement articulés. Plus profondément, les courants qui traversent les deux œuvres, passant de la frénésie la plus furieuse à la stupéfaction, ou à l’abandon, traduisent une même exigence créatrice, éminemment moderne, « capable de reculer les fron- tières infranchissables de l’existence la plus intérieure et la plus extérieure, et d’atteindre des réalités nou- velles, et non pas seulement des formes nouvelles, car c’est là ce qui confère au symbole la rigueur de l’exactitude et l’élève au rang d’une image de la vérité, poussant de l’avant, tâtonnant, lançant ses intuitions à travers les couches successives jusqu’aux inac- cessibles régions ténébreuses du commencement et de la fin. » (H. Broch, La Mort de Virgile, Gallimard). Cyril Béros Salvatore Sciarrino composition : 1982-1984 ; création : le 9 septembre 1984 à Lohengrin Catanzano par Daisy Lumini (soprano) et le Gruppo stru- mentale musica d’Oggi (sous la direction du compositeur) ; effectif : soprano/actrice solo, 3 voix d’hommes, 2 flûtes/flûtes en sol, hautbois, clarinette, clarinette/clarinette en la, 2 bassons, cor, trompette, trombone ténor-basse, percussion, violon I, violon II, alto, violoncelle, contrebasse ; éditeur : Ricordi. Lohengrin est une « cosmogonie sonore », traduisant les précieuses nuances au travers desquelles Elsa incarne ses voix, cheminant de la pensée à la langue, de la langue à la parole, de la parole aux sons de la voix. « La condition d’une telle composition est de concevoir la voix, le corps comme univers. Le mou- vement d’introspection qui en résulte réfléchit l’am- biance extérieure qui doit pratiquement créer par l’illusion ce monstrueux paysage de l’âme et devenir spectacle en soi. » Cette Voix révèle son lien intime avec la mort. Elle est une trace, un évanouissement, une mémoire nommant ce qui l’entoure et qui, aussitôt nommé, s’efface. Rien n’est dans la voix. Si Elsa se tait, tout disparaît, la scène se vide. Salvatore Sciarrino notes de programme | 5 Jonathan Nott - Ensemble Intercontemporain autorise ainsi la naissance d’une dramaturgie authen- tiquement moderne, réflexive : « C’est la dramatur- gie intrinsèque à la musique, son immédiateté qui doivent nous émouvoir. » Sa vérité devient celle de l’illusion et du miroir, oscillant légèrement entre la réa- lité et l’imagination, de sorte que l’opéra donne seu- lement à voir et à écouter son propre trépas. L’œuvre dévoile le Vide, cette création paradoxale d’un art se donnant sous la forme de l’affaiblissement. Action invisible est le sous-titre de ce Lohengrin. La voix, en effet, est la seule chose en nous qui ne s’offre pas à la vue. Mais, comme pour le prophète, qui voit au loin aussi bien qu’il parle de loin, les yeux fous d’Elsa lui donnent charge de parole. La voix visible, c’est la splendeur même de sa voix. Salvatore Sciarrino élit donc cette voix humaine, discernée par la conscience, écho de l’âme, du Verbe silencieux qui demeure indiciblement en nous et ne vient ni de la gorge, ni de la dent, ni de la lèvre. Musicalement, le paradoxe d’Elsa est de donner voix au silence, invitant l’homme à accomplir, dans le néant, l’expérience de l’être, d’une autre Voix qui appelle sans rien dire. Laurent Feneyrou une crise hallucinatoire La légende d'Elsa de Brabant raconte comment une jeune fille, sans défense face à l'usurpateur du pouvoir de son père mort, soutient publiquement rencontrer en hallucination un jeune homme qui vient à son secours. En effet, alors qu'on la juge pour sorcellerie, un che- valier tout armé – Lohengrin – arrive sur l’Escaut dans une nacelle que conduit un cygne blanc. Salvatore Sciarrino ne retient de la légende que la crise hallucinatoire. Il met en musique Elsa telle un îlot au cœur d'un espace de solitude et de silence. L'île/personnage, elle, va s'enfler de sons pour mieux faire refluer le silence intenable qui la tenaille. Au début, on sent chez elle un besoin irrépressible d'expansion sonore. Cette expansion va devenir effarante, par ondes de choc qui vont projeter la jeune fille hors 6| cité de la musique Jonathan Nott - Ensemble Intercontemporain d'elle-même. L'appel, la rêverie, l'attente, les caresses imaginaires, le désir exaspéré, le besoin charnel, pousseront Elsa à se dédoubler (qui est-elle ? qui est Lohengrin ?) jus- qu'à ce qu'elle devienne une extension à l'état pur. Bonne à enfermer. Un mot, pour finir, du langage de cette extension : le compositeur utilise, comme pré-texte au délire hal- lucinatoire d'Elsa, un poème dramatique de Jules Laforgue. Mais le poème est démonté, disséqué, haché : l'accent ne porte plus sur le message mais sur la perception sensorielle acoustique. Le devant de la scène du langage, ce sont la prononciation, l'accent, le timbre, la couleur et le souffle qui le tiennent. Tout cet attirail langagier repousse Elsa vers le babil du nourrisson, un babil qui ne recherche que le fusionnel. On le voit, la construction du théâtre imaginaire de Salvatore Sciarrino opère comme une crise théra- peutique (ratée ?) qui ouvrirait l'oreille de l'audi- teur/spectateur sur d'inconnus panoramas intimes et impudiques. Jean-Claude Berutti notes de programme | 7 Jonathan Nott - Ensemble Intercontemporain Salvatore Sciarrino Salvatore Sciarrino Lohengrin Lohengrin Prologo attraverso una finestra Prologue à travers une fenêtre aperta ouverte Elsa Elsa Il cuscino, il cuscino ! Le coussin, le coussin ! Scena prima Première scène (La Villa Nuziale. Alle dipendenze del Ministero (La villa nuptiale que le ministère des Cultes mettait dei Culti, si cedeva gratis agli sposi novelli) gratuitement à la disposition des jeunes époux) Elsa Elsa E sulla mia bellezza che effetto fa il chiaro di luna ? Quel effet produit le clair de lune sur ma beauté ? Quanta magia in queste siepi, questi sentieri Que de magie dans ces haies, dans ces sen- scoraggianti ! tiers effrayants ! Perchè non mi date più del tu ? Pourquoi avez-vous cessé de me tutoyer ? Ci avventurammo in preda al disagio e al silenzio, Nous nous aventurons dans le silence en proie i piedi spossati da tiepide ghiaie. L’acqua delle à un malaise, les pieds épuisés au contact des cascate, tièdes galets.