Théâtral magazine L’actualité du théâtre mai - juin 2019

Jérôme Kircher Edouard Baer Jean-Christophe Meurisse Jérôme Deschamps Laurent Poitrenaux Anne-Laure Liégeois Julien Gosselin Eric Ruf Claudia Stavisky Alexis Armengol Élise Vigier Pierre Cassignard Nicolas Bouchaud

Isabelle HUPPERT avec Bob Wilson

DOSSIER LES FEMMES MONTENT EN SCÈNE M 02434 - 77 - F: 4,60 E - RD Théâtral magazine n 77 www.theatral-magazine.com ° ’:HIKMOD=YUY[UV:?a@k@r@h@a"

ommaire Théâtral magazine S N° 77 - MAI / JUIN 2019 04 AGENDA Mai - Juin 2019 06 ACTUALITÉS 07. Edito de Gilles Costaz 08 UNE 08. 12 A L’AFFICHE 12 . Pablo Mira Théâtral magazine est édité par : 14 . Edouard Baer, Laurent Poitrenaux 16 . Jérôme Kircher Coulisses Editions 7 rue de l’Eperon 75006 France 18 . Claudia Stavisky, Pauline Sales Tél : + 33 1 43 27 07 03 20 . Sophie Engel Email : [email protected] 22 . Nicolas Bouchaud, Nathalie Béasse Site Internet : www.theatral-magazine.com 24 . Phia Ménard Directeur de la publication : Hélène Chevrier 26 . Christophe Rauck, Bruno Meyssat Directeur de la rédaction : Enric Dausset 28 . Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux 30 . Élise Vigier, Marie Rémond Rédactrice en chef : Hélène Chevrier [email protected] 32 . Camille Chamoux, Jean Joudé 34 . Pauline Bureau, Pierre Cassignard Rédaction : 36 . Jean Boillot Hélène Chevrier Vincent Bouquet 38 . Alain Béhar, Julien Gosselin Gilles Costaz 40 . Maëlle Poésy Enric Dausset 42 . Chloé Dabert Igor Hansen-Love 46 . Delphine Hecquet Jean-François Mondot Jacques Nerson 48 . Pascal Rénéric Nathalie Simon 50 . Jérôme Deschamps Patrice Trapier (+ Eclairage Le Bourgeois gentilhomme) François Varlin 54 . Eric Ruf, Jean-Christophe Meurisse Hadrien Volle 56 . Clément Bondu Direction artistique et maquette : Coulisses Editions : + 33 1 43 27 07 03 44 TÊTES D’AFFICHE Fabrication impression : SIB Imprimerie - Imprimé en France 58 DOSSIER : Tirage : 10 000 exemplaires Les femmes montent en scène Distribution : Presstalis avec Anne-Laure Liégeois, Caroline Guiela Nguyen, Dépôt légal : date de parution Com mission paritaire du journal : 0324 G 89789 Pauline Bureau, Louise Vignaud, Julie Deliquet, Chloé Commission paritaire du site : 1122 W 90648 Dabert, Julie Timmerman, Carole Thibaut, Sophie Publicité : Perez, Marie Rémond, Pauline Bayle, Julie Berès, Coulisses Editions : + 33 1 43 27 07 03 Fanny de Chaillé, Charlotte Rondelez, Gaëlle Bourges Gestion Flashcodes infotronique.fr : + 33 1 42 18 00 00 76 PORTRAIT : Alexis Armengol Photo couverture : Isabelle Huppert © Sabine Villiard H&K 78 ZOOM : Festival Mises en capsules Le prochain numéro sortira en kiosques Agenda le 26 juin 2019 79 FAMILLE : 80 PAGES CRITIQUES ABONNEMENT 86 LE GRAIN DE SEL 1 an = 25 € p. 85 de Jacques Nerson

www.theatral-magazine.com Théâtral magazine Mai - Juin 2019 3 Agenda Spectacles recommandés Pablo Mira dit des choses contre de l’argent, avec Pablo 5-avr p.12 Mira, Théâtre de l’Oeuvre, 75009 Paris, jusqu’au 20/07 Les élucubrations d'un homme soudain frappé par la grâce , 18-avr p.14 avec Edouard Baer, Théâtre Antoine, 75010 Paris, jsq.15/06 Opening night , d’après J. Cassavetes, avec Isabelle Adjani 3-mai p.84 Bouffes du Nord, 75010 Paris, du 3 au 26/05, et tournée

Le Colonel des Zouaves, par Laurent Poitrenaux, Reims

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7-mai p.15 l

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7-11/05, TNS Strasbourg 14-24/05, MC93 Bobigny 4- 9/06 s

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Logiquimperturbabledufou , de Zabou Breitman o

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9-mai p.80 i S

Théâtre du Rond-Point, 75008 Paris, du 9/05 au 2/06 Fauves , de Wajdi Mouawad, avec Jérôme Kircher… @ 9-mai p.16 Théâtre de la Colline, 75020 Paris, du 9/05 au 21/06 La Place Royale , de Corneille, mise en scène Claudia 9-mai p.18 Stavisky. Théâtre des Célestins, Lyon, du 9 au 29/05 Quand je suis avec toi... , de Pauline Sales, mise en scène 9-mai p.19 Jean Bellorini, TGP Saint-Denis, du 9 au 12/05 Qui croire , de Guillaume Poix, avec Sophie Engel 9-mai p.20 Comédie de Reims, du 9 au 18/05 Désobéir , de Julie Berès, Paris-Villette 9 -19/05, Liberté à 9-mai p.63 Toulon 28/05 , TNS Strasbourg 6-7/06, Avignon 5-15/07 Un ennemi du peuple , d’Ibsen, mise en scène Jean-François 10-mai p.22 Sivadier. Odéon, 75006 Paris, du 10/05 au 15/06 Festival de caves , 24 spectacles, 100 communes en

10-mai @

France, festivaldecaves.fr, du 10/05 au 28/06 P

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Folie , de Jean-Michel Ribes, Roland Topor, Reinhardt Wagner l

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11-mai i

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Théâtre du Rond-Point, 75008 Paris, du 11/05 au 2/06 o r Occupation 3 , coordonné par Nathalie Béasse 13-mai p.23 Théâtre de la Bastille, 75011 Paris, du 13/05 au 29/06 Contes immoraux Partie 1 - Maison Mère , 13-mai p.24 avec Phia Ménard. Nanterre-Amandiers, du 13 au 18/05 Départ Volontaire , de Rémi De Vos, mise en scène 14-mai p.26 Christophe Rauck. Théâtre du Nord, Lille, du 14 au 26/05 20mSv , de Bruno Meyssat. 15-mai p.27 La Comédie de Saint-Etienne, du 15/05 au 16/05 Les Serge (Gainsbourg point barre) , par S. Varupenne et

16-mai p.28 n

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S. Pouderoux, Comédie-Française (Studio), 16/05 - 30/06 y

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Kafka dans les villes, d'après Franz Kafka, par Frédérique I

V 16-mai p.30

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Loliée et Élise Vigier. MAC de Créteil, du 16 au 18/05 n

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T Cataract Valley , d’après Jane Bowles, un projet de Marie 17-mai p.31 @ Rémond. Odéon 75006 Paris, du 17/05 au 15/06 Iliade et Odyssée , d’après Homère, mise en scène et 20-mai p.69 adaptation Pauline Bayle. La Scala-Paris du 20/05 au 2/06 Festival Mises en capsules, par Benjamin Bellecour. 20-mai p.78 Théâtre Lepic, 75018 Paris, du 20/05 au 8/06

4 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 M a i - J u i n

Retours, mise en scène Frédéric Bélier-Garcia, avec Camille 20-mai p.32 Chamoux... Quai d'Angers 20-29/05, Rond-Point 4-30/06 Y’a pas grand-chose qui me révolte… , par Alexis Armengol. 21-mai p.76 Comédie de Valence, 21-25/05, Avignon Off 5-26/07 C’est la Phèdre , d'après Sénèque, mise en scène Jean 21-mai p.33

Joudé. Monfort Théâtre 75015 Paris, du 21 au 25/05

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L Mary said what she said, mise en scène Robert Wilson,

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e 22-mai p.8 t

h avec Isabelle Huppert, Théâtre de la Ville, Paris, 22/05- 6/07

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P Hors la Loi , de Pauline Bureau, 24-mai p.34 @ Comédie-Française (Vieux-Colombier) du 24/05 au 7/07 Un grand cri d’amour , de Josiane Balasko, avec Pierre 24-mai p.35 Cassignard, Michèle Bernier. Bouffes Parisiens, 75002 Paris Rêves d’Occident , d'après Shakespeare, mise en scène Jean 27-mai p.36 Boillot, Nest Thionville 27/05-4/06, Cité Intern. 7-26/10 La Clairière du grand n’importe quoi , par Alain Béhar 31-mai p.38 Printemps des Comédiens 31/05-2/06, Avignon 5 - 27/07 Le marteau et la faucille , de Don DeLillo, mise en scène 31-mai p.39 Julien Gosselin. Printemps des Comédiens 31/05-2/06 Sous d’autres cieux , d’après L’Enéide, mise en scène Maëlle 31-mai p.40 Poésy. Dijon-Bourgogne 31/05-2/06, Avignon 6 -14/07 Don Juan , de Molière, mise en scène Frank Castorf 1-juin Printemps des Comédiens, Montpellier, 1-2/06 Des cadavres qui respirent , de Laura Wade, mise en scène 4-juin p.42 Chloé Dabert. ThéâtredelaCité, Toulouse, du 4 au 14/06

@ Saigon , un spectacle de Caroline Guiela Nguyen

J 5-juin p.80

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a Odéon/Berthier, 75017 Paris, du 5 au 22/06

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u Ma vie encore plus rêvée, de et avec Michel Boujenah

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r Anthéa-Antipolis, 5-6/06

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n d Les Evaporés, de et par Delphine Hecquet e z 5-juin p.46 La Tempête, Cartoucherie de Vincennes, du 5 au 23/06 L’Orestie , d’après Eschyle, avec Pascal Rénéric, Anne 5-juin p.48 Alvaro… Nuits de Fourvière, Lyon, du 5 au 8/06 Le Bourgeois gentilhomme , de Molière, mise en scène 7-juin p.50 Jérôme Deschamps. Printemps des Comédiens, du 7 au 9/06 La Vie de Galilée, de Brecht, mise en scène Eric Ruf, avec 7-juin p.54 Hervé Pierre... Comédie-Française, du 7/06 au 25/07

Opéra en Plein Air , Tosca de Giacomo Puccini, mise en

14-juin scène Agnès Jaoui. Sceaux 14-15/06, Vincennes 28-29/06

Why ?, de Peter Brook, avec Kathryn Hunter et Marcello 19-juin

Magni. Bouffes du Nord, du 19/06 au 13/07

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S Tout le monde ne peut pas être orphelin , par Les Chiens i

m 22-juin p.55 o

n de Navarre. Nuits de Fourvière à Caluire, du 22 au 26/06

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l Dévotion , de et par Clément Bondu. Cité internationale, les o n 27-juin p.56 27 et 28/06, puis festival d’Avignon, du 5 au 8/07

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 5 ctualités

A éclairé et sensible sur le monde. https://lasalleblan - chetheatre.com

AGNÈS VARDA ET LE THÉÂTRE

Agnès Varda vient de nous @

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h quitter le 29 mars dernier à m

@ l’âge de 90 ans. La réalisatrice 73E ÉDITION DU

E v est peu intervenue dans le FESTIVAL D’AVIGNON r

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Y théâtre sauf au début de sa car - Olivier Py a dévoilé fin mars la

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r LA SALLE BLANCHE, i rière. En 1948, Jean Vilar lui programmation de la 73e édi - m UNE NOUVELLE ÉCOLE avait demandé de prendre des tion du festival d’Avignon. C’est À PARIS DIRIGÉE PAR photos des spectacles pro - Pascal Rambert qui ouvrira les XAVIER GALLAIS grammés au festival d’Avignon, festivités le 4 juillet dans La Cour Une nouvelle école ouvrira à donc avec Gérard Philipe, d’Honneur avec un texte de son l’automne 2019 à Paris à l’ini - Maria Casarès, ou Silvia Mon - cru, Architecture dans lequel il tiative d’Elisabeth Bouchaud la fort. Puis ensuite de ceux du dirigera une pléiade d’acteurs directrice du Théâtre de la TNP à Chaillot dont il était géniaux tels qu’Emmanuelle Reine Blanche et des Déchar - aussi directeur. Béart, Jacques Weber, Denis Po - geurs. dalydès, Laurent Poitrenaux, Elle proposera à ses élèves de …Parmi les au - créer ensemble un spectacle en LES CANDIDATS tres stars du festival, on retrouve deux ans tout en se formant À LA DIRECTION DU TNP la metteuse en scène Macha aux différentes disciplines En attendant de connaître le Makeieff, Mathieu Amalric, le qu’ils peuvent rencontrer dans nom du successeur de Christian chorégraphe Akram Khan…, le théâtre. Pour cela, elle a Schiaretti au TNP, voici la liste des jeunes metteuses en scène réuni une équipe pédagogique des cinq candidats présélection - montantes comme Julie Duclos prestigieuse à commencer par nés : Jean Bellorini actuelle - pour Pelléas et Mélisande de Xavier Gallais et Florient Azou - ment directeur du TGP de Maeterlinck, Maëlle Poésy, Blan - lay les directeurs pédagogiques Saint-Denis, Richard Brunel di - dine Savetier (pour L’Odyssée, le de l’école mais aussi Emmanuel recteur de la Comédie de Va - feuilleton du festival), Irène Bon - Meirieu, ou Serge Nicolai. lence, Séverine Chavrier naud, Christiane Jatahy, l’au - Parmi les intervenants exté - directrice du CDN d’Orléans, Ar - teure Alexandra Badea. rieurs on note la présence du naud Meunier directeur de la Toujours dans la jeune généra - physicien Sébastien Balibar. Comédie de Saint-Etienne et tion, Clément Bondu présentera Car Elisabeth Bouchaud, elle- Élise Vigier codirectrice de la Dévotion , et François Gremaud même brillante physicienne, Comédie de Caen avec Marcial mettra en scène une Phèdre très tient à mêler les disciplines di Fonzo Bo qui dirigerait le TNP drôle. Quand à Olivier Py, il pour - pour offrir aux élèves un regard avec elle si elle était choisie. suivra son travail avec les déte - nus du centre pénitentiaire d’Avignon le Pontet avec Mac - HCODES FLAS Dans ce numéro de THÉÂTRAL MAGAZINE , vous trouve - beth Philosophie . Par ailleurs, il rez un certain nombre de flash codes que vous pouvez scanner avec votre smartphone. Ils vous permettent d’aller directement sur les sites des théâ - créera un autre spectacle dédié tres et de visualiser les bandes-annonces des pièces dont nous parlons aux enfants, l’Amour vainqueur dans le journal. d’après les Contes de Grimm. Et puis on retrouvera Jean-Pierre

6 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 L’ÉDITO de Gilles COSTAZ

Vincent avec L’Orestie . On aura LONGUE DURÉE aussi une pièce sur l’écologie avec La République des abeilles Des statistiques anciennes du de Maeterlinck par Céline ministère de la Culture établissaient Schaeffer et un acte politique de qu’un spectacle nouvellement créé résistance avec le spectacle Out - atteignait en moyenne sept repré - side du metteur en scène Kirill sentations. Pas plus ! C’est peut-être Serebrennikov, assigné à rési - pire actuellement si l’on en juge par dence à Moscou. Le festival se les séries de représentations de plus

terminera le 23 juillet. en plus courtes données par les

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M théâtres subventionnés et les créa -

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tions des compagnies indépen -

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NOUVELLE ÉDITION DU n dantes exploitées deux fois moins s e FESTIVAL PASSAGES À r qu’autrefois. Mais, dans ce contexte METZ DU 10 AU 19 MAI LES MOLIÈRES de brièveté généralisée, il est récon - Le festival Passages aura lieu La 31e cérémonie des Mo - fortant de voir que certaines pièces cette année du 10 au 19 mai lières aura lieu lundi 13 mai ont la vie longue, ou dure, comme avec une programmation de aux Folies Bergère à Paris et l’on voudra. spectacles de la Guyane à la sera présentée par l’humoriste Ainsi Ça ira (1) Fin de Louis de Syrie. Pour la Guyane, la com - Alex Vizorek. En tête des no - Joël Pommerat se donne dans le sec - pagnie le Théâtre de l’Enton - minations, on trouve Les Idoles teur privé, à la Porte Saint-Martin, noir située à Kourou de Christophe Honoré côté après avoir tourné dans le réseau présentera deux spectacles, théâtre public et Le Canard à public. Ainsi la trilogie d’Olivier Ca - Babel Guyane mis en scène par l’orange mis en scène par Nico - diot, Laurent Poitrenaux et Ludovic Ricardo Lopez Munoz et Les las Briançon côté théâtre Lagarde, Le Colonel des zouaves, Un Verdicts Guyanais mis en scène privé. On note aussi quatre no - mage en été et Providence , renaît à par Roberto Jean. Pour la Syrie, minations pour La Ménagerie Reims et à Bobigny (l’ensemble fera on aura X-Adra de Ramzi de verre dont une pour la co - six heures et demie ; bravo, Poitre - Choukair composé des témoi - médienne Cristiana Reali et naux !). Ainsi quelques compagnies, gnages des femmes syriennes une pour la metteuse en scène comme celles de François Cervantès, engagées, militantes des an - Charlotte Rondelez (voir arti - font en sorte que leurs spectacles nées 1980 ou de 2011. D’au - cle p. 75). La soirée sera re - durent une quinzaine d’années. Il n’y tres pays seront représentés, transmise sur France 2 après a donc pas que la Comédie-Fran - tels que la Turquie et l’Irak. la diffusion non pas d’une çaise et la Huchette qui donnent à www.festival-passages.org pièce de boulevard mais d’une voir leurs productions sur une ou fiction historique (Brûlez Mo - plusieurs décennies. L’idée n’est pas lière !) façon Edmond d’Alexis de boucher des trous avec des MICHEL BOUQUET Michalik dans laquelle on dé - pièces sparadraps mais de faire que ARRÊTE LE THÉÂTRE couvrira comment Molière a des spectacles aimés à un moment Le 11 avril, Michel Bouquet a dû se battre pour monter Tar - de notre époque puissent vivre et annoncé à la presse qu’il arrê - tuffe . La cérémonie finira avec être vus par de nouvelles vagues de terait de jouer au théâtre. A 93 Tartuffe encore puisqu’elle spectateurs. Cette idée-là semble re - ans et après 75 ans de carrière, sera suivie par la diffusion de prendre de la force. On l’appellera le il a estimé qu’il avait fait le tour la captation du Tartuffe mis répertoire immédiat, le répertoire de la question. En revanche il en scène en septembre dernier pour tout de suite et non pour de - n’arrête pas pour le moment le par Peter Stein avec Jacques main. C’est une chose nécessaire. A cinéma. On pourra donc encore Weber et Pierre Arditi. amplifier. le voir.

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 7 Une

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8 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 MARY SAID WHAT SHE SAID Théâtre de la Ville - Paris

ans Mary said what she said , Bob Wilson compile des lettres d’implication de Mary Stuart dans des complots notamment contre sa cousine et rivale Elizabeth I re . Dans ses confessions Déclatées, elle raconte sa vie. Mariée à 16 ans au Roi de France, veuve après un an de règne, elle regagne l’Ecosse de son père Jacques V d’Ecosse, épouse Henry Stuart, devient reine, fait probablement assassi - ner son mari pour vivre avec son amant et est contrainte d’abdiquer en faveur de son fils Jacques VI d’Ecosse. Arrêtée par Elizabeth I re , elle vit en captivité 18 ans avant d’être décapitée. C’est à Isabelle Huppert que Bob Wilson a confié cette figure histo - rique, reine sans trône presque légendaire, après avoir déjà créé ensem - ble Orlando d’après Virginia Woolf et Quartett d’Heiner Müller.

Théâtral magazine : Il ne s’agit Oui, entre autres. Elle revient autre monologue que j'avais pas d’une biographie de Mary aussi sur sa relation avec ses sui - joué avec Bob Wilson. Quelques Stuart mais de bribes de lettres vantes. Ainsi le titre du mono - temps plus tard, Bob Wilson m’a qu’elle a écrites. logue, qui est aussi la première appelée pour me dire qu’il avait Isabelle Huppert : Oui mais à phrase du texte, Mary said what lu ce texte de Darryl Pinckney et partir desquelles on peut recons - she said (Mary a dit ce qu’elle a qu’il voulait le monter. Cela fai - tituer son parcours un peu dit) désigne Marie Fleming, une sait longtemps que nous cher - comme avec les pièces d’un puz - des suivantes qui l’a trahie. Il chions un spectacle après zle. Darryl Pinckney l’auteur de faut savoir aussi que les quatre Orlando et Quartett à refaire en - ce monologue s’en inspire et suivantes qui s'occupaient d'elle semble ; moi j'adorerais qu'on re - dresse un portrait très personnel s’appelaient toutes Marie. joue Orlando , l'époque s'y prête de Mary Stuart cette figure his - Comment Bob Wilson vous a-t- plus que jamais sur ce passage torique, dont on sait qu'elle a été il proposé ce texte ? d'une vie d'homme à une vie de décapitée, qu'elle était la cou - C'est Darryl Pinckney qui me l'a femme... sine d'Élizabeth I re , qu’elle était d'abord envoyé il y a quelques Comment avez-vous rencontré française, et qu’elle a cette années. Je l’avais trouvé très Bob Wilson ? image de reine très volage qui a beau. Nous avions évoqué la Complètement par hasard à l'oc - eu beaucoup d’amants. possibilité de le monter puis je casion d'un dîner avec des amis. A travers ces lettres, Mary n’en ai plus entendu parler. Dar - C’était un dimanche soir, il fallait Stuart explique pourquoi elle ryl Pinckney, grand spécialiste aller à un concert et ensuite est accusée de complots contre de Virginia Woolf, avait fait dîner avec trois personnes, Elizabeth I re . l'adaptation de Orlando , un j’ignorais qui. J'étais fatiguée

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 9 ISABELLE HUPPERT

mais finalement l’ami qui m’invi - tait m’a convaincue. A ce dîner il y av ait Pierre Bergé, Bob Wilson, cet ami et moi. Bob Wilson a com - mencé à dessiner des choses sur une nappe en papier en me re - gardant. Et puis nous avons parlé, je lui ai demandé ce qu'il faisait et il m’a dit qu'il venait de monter Orlando avec Jutta Lampe, grande actrice allemande, la femme à l'époque de Peter Stein, et soudainement il m’a regardée et il m’a demandé si j’avais envie de le reprendre à Paris. Ça a com - mencé comme ça ! Je ne sais pas h g h r c

du tout ce qu'il connaissait de e s b n d a J n

moi. Je venais de jouer Mesure i e L i

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pour mesure mis en scène par L e P

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Peter Zadek à l'Odéon mais je @ suis presque sûre qu'il ne m'avait jamais vue au théâtre. Je ne lui dité et une virtuosité éblouis - que sont l’espace. L’espace est ai jamais demandé d’ailleurs. sante. Et toujours à la manière véritablement une matière. Je Chaque fois que je suis fatiguée, de Bob c'est-à-dire comme un n’ai pas l’impression d’être dans que je n'ai pas envie de sortir, je long plan chorégraphique qui ne le noir, j’ai l’impression d’être pense à ce dîner ! Parce que s'arrête pas, sur une musique dans une matière vivante, soit c'était une soirée à laquelle je très envoûtante du compositeur que je sculpte, soit que je n'avais pas envie d'aller. Or je italien Ludovico Einaudi. pousse. Tout a un sens, puisque crois que si je n’avais pas rencon - Avec lui c’est un travail très vi - tout est forme. Je n’ai pas le tré Bob ce jour-là, je ne l'aurais suel avec des images et des cou - sentiment angoissant de la soli - jamais rencontré. Ce n’est pas le leurs très précises, comme la tude." genre à faire passer un casting ! robe que je portais dans Quar - Oui c'est de la chorégraphie. Or - Les choses avec lui se passent de tett avec cette asymétrie sur les lando c'était un mouvement qui façon plus incertaine et certai - épaules d'un violet très violent, ne s'arrêtait jamais depuis le nement plus inattendue. Ça a des couleurs très froides. Dans début. Cela peut aller d'un été une rencontre essentielle une mise en scène tradition - mouvement qui engage tout le dans ma vie d’actrice. C'est nelle, il arrive qu’on choisisse les corps jusqu'au mouvement le quand même quelqu'un qui a costumes à la fin des répétitions plus infinitésimal, même un changé la vision du théâtre, c'est comme avec Luc Bondy avec qui battement de cils. Le corps est un immense artiste. tout a changé à la dernière mi - sollicité en permanence et cela Est-ce difficile de travailler nute. Mais avec Bob ce n'est pas va être à nouveau la même avec lui ? possible ; il faut que tout soit dé - chose pour Mary Stuart. Et ce Pour moi non. L’année dernière fini dès le départ. qui est assez extraordinaire, nous avons fait un workshop de Dans une interview filmée pour c’est que ce n’est pas désin - cinq jours, comme il a l’habitude Orlando , vous dites "Dans un carné, il n’y a pas d'un côté le de le faire, et je l’ai retrouvé tel travail avec Bob Wilson, on ap - texte, et de l’autre le mouve - que je l'ai toujours connu. Tout prend à trouver des partenaires ment. Tout participe au récit s'est mis en place avec une rapi - inhabituels que sont la lumière, d'un destin.

10 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 MARY SAID WHAT SHE SAID

C'est comme une partition. Si que ça en devenait une perfor - vous respectez à la lettre les mance. n Mary said what she said, texte Darryl Pinckney, mise en notes qui sont écrites, on peut Dans ce contexte, qu’est-ce scène, décors, lumières Robert Wilson, avec Isabelle Huppert, supposer que cela va sonner que l’acteur peut proposer au musique Ludovico Einaudi, costumes Jacques Reynaud juste. metteur en scène ? 22/05 au 6/07 au Théâtre de la Ville – Espace Cardin, C’est exactement ça, c’est musi - Apparemment pas grand-chose 1 avenue Gabriel 75008 Paris, 01 42 74 22 77 cal. A travers cette sorte de et en fait tout. Avec Bob Wilson 30/05 au 2/06 Wiener Festwochen, Vienne (Autriche) sculpture sonore, on fait appa - ça ne me viendrait même pas à 12 et 13/07 Festival de Almada, Lisbonne (Portugal) raître Mary Stuart. Je ressens l'idée de lui proposer un geste à 21 et 22/07 Teatre Lliure, Barcelone (Espagne) aussi cela comme simple specta - la place d’un autre. On n’est que 19 au 22/09 Internat. Theater Amsterdam (Pays-Bas) trice de son travail. dans la contrainte. Mais dans 26 et 27/09 Thalia Theater, Hambourg (Allemagne) Oui et d'ailleurs c'est un peu ce cette contrainte, je trouve une li - 11 au 13/10 Teatro della Pergola, Florence (Italie) que dit Bob Wilson de vous berté totale. Le génie de Bob 30/10 au 3/11Théâtre des Célestins, Lyon (69) "elle a cette capacité à penser Wilson c’est justement de révéler n Greta, film de Neil Jordan, avec Isabelle Huppert et de manière abstraite. Nous quelque chose de la personne – Chloë Grace Moretz n’avons pas besoin de nous par - l’actrice comme le personnage- ler, c’est un peu comme si on qui accomplit ce parcours avec travaillait avec de la sténo. Je lui, notamment par la voix, à tra - Repères théâtraux donne des indications formelles, vers par exemple ce va-et-vient “plus léger, plus lourd, plus in - entre une parole projetée et une 1973 La Véritable Histoire de Jack l'éventreur, térieur, plus extérieur, plus parole chuchotée qui tout d’un d'Elisabeth Huppert, mes Caroline Huppert abrupte, plus doux…" Il n’y a coup nous fait accéder à la pen - 1974 Pour qui sonne le glas, d’Ernest qu’avec Bob Wilson que vous sée intime et secrète en l’occur - Hemingway, mes Robert Hossein travaillez comme ça ? Ou aussi rence ici de Mary Stuart. 1977 On ne badine pas avec l’amour, d’Alfred avec un metteur en scène Dans votre jeu, il y a une dimen - de Musset mes Caroline Huppert comme Claude Régy ? sion performative importante. 1989 Un mois à la campagne, d’Ivan Avec Claude Régy, il y a aussi un Que ce soit avec Bob Wilson, Tourgueniev, mes Bernard Murat travail sur la voix, sur le texte, Claude Régy ou Warlikowski. En 1991 Mesure pour mesure, de William une stylisation extrême, un tra - avez-vous conscience ? Shakespeare, mes Peter Zadek vail très précis sur la lumière. Oui, bien-sûr. Ce sont à chaque 1992 Jeanne au bûcher, de Paul Claudel et L’un et l'autre utilisent à 1000 % fois des metteurs en scène qui Arthur Honegger, mes Claude Régy les artifices du théâtre avec la imposent des visions extrême - 1993 Orlando, de Virginia Woolf, mes B.Wilson même puissance, la même in - ment personnelles. Avec Warli - 1996 Mary Stuart, de Schiller, mes H. Davies ventivité. C'est encore plus évi - kowski j'ai vraiment expérimenté 2000 Médée, d’Euripide, mes Jacques Lassalle dent avec Bob Wilson, avec ses une liberté absolue du corps. 2002 4.48 Psychose, de S. Kane, mes Claude Régy lumières brutales, radicales, et C’est la même chose dans le 2005 Hedda Gabler, d’ Ibsen, mes É. Lacascade cette beauté des images mais spectacle que je joue en ce mo - 2006 Quartett, d’H. Muller, mes Bob Wilson c'est assez vrai de Claude Régy ment à New-York, La mère de 2008 Le Dieu du carnage, de/mes Yasmina Reza aussi, en tout cas dans le travail Florian Zeller ; j'ai fait des propo - 2010 Un tramway, d'après Tennessee Williams, que j'ai fait avec lui sur 4:48 psy - sitions que le metteur en scène mes Krzysztof Warlikowski chose (Sarah Kane). Il y a chez lui a eu l'instinct d’accepter. Si on 2013 Les Bonnes, de Jean Genet, mes Benedict un formalisme qui rend la chose n'utilise pas le corps à 1000 %, Andrews avec la Sydney Theatre Company spectaculaire même si c'est dans ce n'est pas la peine de faire du 2014 Les Fausses Confidences, de Marivaux, une extrême radicalité. A théâtre. mes Luc Bondy chaque fois, que ce soit Jeanne Propos recueillis par 2016 Phèdre(s), de Wajdi Mouawad, Sarah au bûcher ou 4:48 psychose , Hélène Chevrier Kane , J.M. Coetzee, mes Krzysztof Warlikowski j’étais immobile, mais c’était une 2019 The Mother, de F. Zeller, mes Trip Cullman immobilité tellement radicale

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 11 depuis le PABLO MIRA DIT DES CHOSES CONTRE DE L’ARGENT 5 Théâtre de l’Oeuvre - Paris Avril

Pablo Mira Pablo Mira dit des choses contre l’argent : l’humoriste de France Inter et de TMC renouvelle ce show contre les riches et les puissants de tout poil. Inventeur avec Sébastien Liébus du Gorafil (un journal de fausses nouvelles), il n o

s’envole en solo sur la scène du h c i r a V théâtre de l’Oeuvre. l e s k A

L’école de la rue @

Théâtral magazine : Vous pas - voir. Mais ce n’est pas un one man les attitudes des journalistes fran - sez du Trévise à l’Oeuvre : un show. Je n’aime pas travailler seul. çais : Apathie, Barbier, Zem - changement de style ? On s’amuse plus à plusieurs. Deux mour… Ceux qui m’épatent au Pablo Mira : L’explosion survenue comédiens non annoncés peuvent théâtre, c’est Philippe Caubère, rue de Trévise nous a poussés à me rejoindre dans la soirée… qui sait tenir une salle pendant chercher un autre théâtre. L’Oeu - Vous traitez beaucoup de l’ac - trois heures, Thomas VDB qui a vre est en effet un lieu qui nous tualité ? une façon de dire forte comme convient bien. Il accueille des one Seulement en dernière partie. Ma celle de De Funès, Baptiste Leca - man shows et a une grande his - séquence finale sur les gilets plain, François de Brauer… toire théâtrale. Pour ce spectacle, jaunes peut être changée en fonc - On ne vous verra pas un jour je voulais un metteur en scène qui tion de l’actualité. Mon but, c’est dans une pièce de théâtre ? vienne du théâtre. Fanny Santer a de surprendre le public. Qu’il ne Pour la réplique, il faut être plus apporté beaucoup. Tout ce qui re - voit pas les choses arriver. généreux au théâtre que dans le lève des idées de scène et de l’ab - Vous ne venez pas du monde du seul en scène. Je l’ai éprouvé pen - surde vient d’elle. théâtre ? dant des galas. C’est encore un On a bien compris votre titre ? Je viens plutôt de l’école de la rue, peu tôt pour moi. C’est un do - Vous touchez de l’argent mais de la vie. Très jeune, les classiques maine que je dois explorer et ap - vous attaquez l’argent ? ne me parlaient pas. Plus tard, j’ai privoiser. Bien sûr, c’est ça. Cela correspond touché un peu aux cours d’acting, Propos recueillis par au personnage, qui est cynique, proches du cinéma. Ma vraie for - Gilles Costaz un loser magnifique, tel qu’on mation, c’est la radio, la télévision peut en voir dans certains films . Il et la pratique du spectacle. croit avoir tout réussi alors Quelles sont vos références ? qu’il a tort sur tout. Même Pour l’écriture, c’est d’abord la n Pablo Mira dit des choses contre de son entrée grandiose, il la série américaine, South Park , qui, l’argent, de et avec Pablo Mira, mise en scène rate ! Il est le reflet de la menta - pour moi, est ce qui se fait de Fanny Santer. Théâtre de l’Oeuvre, 55 rue de lité d’aujourd’hui, de la “start up mieux en termes de satire. J’aime Clichy 75009 Paris, 01 44 53 88 88, nation”. Le fil rouge, c’est le per - aussi les shows de Stephen Co - jusqu’au 20/07 sonnage, et une certaine façon de bert. Pour le jeu, je m’appuie sur

12 Théâtral magazine Mai - Juin 2019

depuis le LES ÉLUCUBRATIONS D'UN HOMME 18 SOUDAIN FRAPPÉ PAR LA GRÂCE Avril Théâtre Antoine - Paris

Edouard Baer rare et unique Edouard Baer qui s’était illustré avec Un pedigree de Patrick Modiano jubile à l’idée d’être de nouveau sur scène. Il interprète en solo Les élucubrations d'un homme soudain frappé par la grâce , un spectacle s e

u de son cru, une “petite fiction” troussée à partir g i t r a L d’extraits de textes de Thomas Bernhard, Charles s a l o c i Bukowski, Romain Gary ou André Malraux. N

@

acteur dandy a eu “C’est un peu parodique, oui pratique sur le grand écran : “Au envie de ce spectacle comme un gourou, le spectacle théâtre, quand ça commence, le après avoir vu le co - s’adresse au public, comme dans metteur en scène est parti, au ci - L’ médien David Murgia toute prise de parole même dans néma par définition, c’est quand seul sur scène : “il y a une énergie l’humour, il y a une tentation mes - l’acteur est parti que le film, la et une nécessité quand il y est, sianique !, s’amuse-t-il. On voit mise en scène, le montage com - c’est sa vie” , estime Edouard Baer la puissance des politiques, mencent, explique un Edouard que le manque de théâtre “ren - le pouvoir de la parole qui Baer passionné. Au théâtre, dait un peu malade” . Mais il ne peut saouler, guérir, inquié - quand on est seul avec le public, il souhaitait pas revenir avec une ter, tuer, être violente ou ca - n’y a plus personne, il n’y a plus pièce “trop anecdotique, trop de resser, c’est un spectacle sur rien, il faut sauver sa peau” . Ce l’ordre de la vie” , il voulait un quelqu’un qui se demande touche-à-tout aurait-il encore le spectacle “vivant” qui lui ressem - s’il est légitime là-dedans.” trac ? “Oui, très peur, si on va au ble “malgré lui”. Il s’appuie donc Edouard Baer entend jouer théâtre c’est qu’on imagine qu’on sur des auteurs qui lui sont chers “avec” le public, c’est un besoin a un sixième sens, on sent quelque pour dire de “courts passages” qui pour lui. Et même le “cœur du mé - chose. Il faut que ce soit un mo - selon lui renvoient aux “angoisses tier”, d’éprouver une sensation ment étonnant, pour soi-même et et aux questions de ce type qui ar - physique au moment où il se pour les gens. On ne peut pas leur rive tout à coup dans ce théâtre”. trouve sur la scène. L’acteur lance demander de se déplacer et de Un personnage qui ressemble à “j’aime ce qui est instantané et en payer une place, si ce n’est pas Luigi, le héros auquel Edouard direct, tout peut arriver, ça vous pour un moment rare et unique.” Baer prêtait sa gouaille dans son échappe un peu ce plaisir et cette Nathalie Simon dernier film Ouvert la nuit ? “Non, folie qui viennent du théâtre. Il c’est quand même plus moi”, ré - faut que le théâtre soit une fête, pond-t-il concentré. Luigi aussi, j’ai la chance d’être là, il faut qu’il n Les élucubrations d'un homme soudain rétorque votre serviteur. Le comé - y ait une électricité dans l’air, ce frappé par la grâce, de et avec Edouard Baer dien rit. Et parle de ce person - n’était pas pareil hier, ce ne sera Théâtre Antoine, 14 Bd de Strasbourg nage “soudain” frappé par la pas pareil le lendemain.” 75010 Paris, 01 42 08 77 71 grâce divine en signalant qu’il ne L’homme en vient à comparer jusqu’au 15/06 propose pas un one-man-show : l’exercice sur scène à celui qu’il

14 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 LE COLONEL DES ZOUAVES à partir du Comédie de Reims / 7 TNS Strasbourg / MC93 Bobigny Mai

Laurent Poitrenaux obsessions d’un majordome Depuis plus de trente ans, le comédien forme avec le metteur en scène Ludovic Lagarde et l’écrivain Olivier Cadiot un “trio artistique et amical”. Il reprend le premier monologue de

Robinson monté en 1997 et l’associe pour la r o t c i V

première fois aux deux suivants, Un mage en l a c s a P

été et Providence. @

16 ans, Laurent Poitre - années qui suivent, Laurent Poitre - Isabelle, pour moi, c’est la rencontre naux vivait à Vierzon et naux donne plus de cent cinquante du siècle. Avant elle, je n’avais au - rêvait de théâtre. “J’es - représentations de cette confession cune conscience d’avoir un corps. A père y trouver une fa - à laquelle Olivier Cadiot ajoutera Grâce à elle, j’ai appris à ressentir la mille de travail”, expliqua-t-il à sa bientôt deux opus, Un mage en été moindre de mes articulations.” mère. Quelques années plus tard, il et Providence . “Même si j’en rêvais, L’autre idée aura été d’adjoin - fait partie des premiers élèves de je n’aurais jamais imaginé qu’une dre sur le front du comédien un Théâtre en Actes, à Paris. Poitre - amitié artistique débouche sur une micro HF qui lui permet de jouer naux se lie d’abord avec le futur amitié tout court et qu’elle soit si une étrange polyphonie de sons, metteur en scène Ludovic Lagarde. forte, si exigeante, si durable” , distorsions produites en direct par Le troisième compère, l’écrivain Oli - s’émerveille Laurent Poitrenaux. le musicien Gilles Grand. “Pour la vier Cadiot, a ses habitudes dans un Le choc procuré par Le Co - générale à Lorient, j’étais tellement café proche de l’école. Auteur de lonel provient autant de la en nage, le micro a été littéralement textes littéraires et poétiques qui puissance d’un texte hors noyé. Pendant un tiers du spectacle, voudraient “rendre simples des norme que de l’interprétation j’ai dû forcer seul les effets.” choses compliquées” , Cadiot leur stupéfiante du comédien. “Dès Poitrenaux est heureux de montre une sorte de roman qu’il l’origine, Ludovic Lagarde a eu l’idée donner pour la première fois les vient de publier, le monologue de que je reste statique pour incarner le trois monologues de Robinson en Robinson, un domestique obsédé délire obsessionnel de Robinson qui même temps . “Je rêve de le jouer en - par la perfection de son service. “Oli - traque le moindre désir de ses maî - core à 80 ans, si Dieu me donne vie.” vier nous a invités dans son atelier, tres et répète ses gestes les plus in - Patrice Trapier on a étalé toutes les pages du ma - fimes. Il va même courir pour nuscrit sur une immense table et on échapper à cette spirale infernale. a commencé le travail de montage.” Sur place évidemment.” n Le Colonel des Zouaves, Un mage en été et Vrai début de leur aventure à Cette fixité agitée aura révélé Providence, d’Olivier Cadiot, mise en scène Ludovic trois, Le Colonel des Zouaves est à Laurent Poitrenaux quelque Lagarde, interprété par Laurent Poitrenaux. joué au printemps 1997, cinq fois à chose de son métier. “En 1997, du 7 au 11/05, Comédie de Reims, 03 26 48 49 51 Lorient, cinq fois à Belfort, suscitant nous avons travaillé plusieurs jours du 14 au 24/05, TNS Strasbourg 03 88 24 88 24 “un engouement incroyable” de la avec Isabelle Duboc, une grande du 4 au 9/06, MC 93 Bobigny 01 41 60 72 72 profession puis du public. Les dix chorégraphe aujourd’hui décédée.

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 15 à partir du FAU VES 9 Mai Théâtre de la Colline – Paris

Jérôme Kircher En travaillant sur Fauves, la nouvelle création de Wajdi Mouawad, le comédien a retrouvé le plaisir intense de jouer. n e y u g i N

I V - g n o

Wajdi, mon frère de théâtre u T

@

l y a quelques années, Jérôme chemin. Il y a d’abord eu ce grand sés qui ne passent pas. “Wajdi Kircher a songé à mettre un texte de Stefan Zweig, Le Monde n’aime pas qu’on parle de ses spec - I terme à sa carrière théâtrale. d’hier sur “l’impuissance du tacles avant qu’ils débutent mais Une forme de lassitude l’avait monde intellectuel viennois à s’op - disons que sa nouvelle pièce mêle saisi, le sentiment d’enchaîner les poser à la montée du nazisme” quatre générations et traite d’un projets en ayant perdu le fil de sa qu’à la demande du directeur des traumatisme ancien que les géné - propre existence. Il avait pourtant Mathurins, Stéphane Engelberg, rations suivantes ne connaissent travaillé avec les plus grands met - Kircher a mis en scène avec Pa - pas mais dont elles subissent les teurs en scène (Chéreau, Sobel, trick Pineau et joué déjà 300 fois. répercussions.” Vincent, Engel, Bondy, Schia - Il a ensuite croisé la route de Avec Wajdi Mouawad, Jérôme retti…) mais un doute l’avait en - Wajdi Mouawad, interprétant Kircher a intégré, “comme un pois - vahi, attisé par une douleur au avec lui un texte de David Gross - son dans l’eau” un collectif, un tra - genou et une inquiétude pour l’un man : “On s’est regardé jouer, on a vail intense au plateau qui de ses proches. Pendant des mois, discuté mais pas trop parce que permet à toute l’équipe de faire il s’est éloigné des planches, ac - Wajdi est pudique et puis, il m’a évoluer un spectacle au gré des ceptant seulement quelques rôles dit qu’il écrivait quelque chose. Il réécritures nocturnes de Moua - au cinéma. “Le théâtre exige plus est l’une des rencontres les plus wad. “Wajdi nous pousse dans l’in - d’intensité, un désir de jouer qui fondamentales de mon existence.” carnation, la chair du personnage. m’avait quitté.” Un point relie Fauves et Le Avec lui, l’émotion n’est plus l’en - A la fin de l’adolescence, Jé - Monde d’hier , le constat amer de nemi. C’est la première fois que je rôme Kircher avait déjà ressenti Freud qui frappa Zweig : “Freud ne travaille avec quelqu’un qui est à cette impression de flotter tel s’étonna jamais de l’irruption de la la fois un grand auteur et un “une bouteille vide” , une errance bestialité. On l’avait toujours traité grand metteur en scène. Il m’a qui l’avait vu passer d’un mois en de pessimiste parce qu’il ne croyait rendu à nouveau le théâtre essen - math sup à une année en méde - pas au pouvoir décisif de la culture tiel. J’ai rencontré un frère de théâ - cine puis à un mortel ennui en let - sur les instincts.” Evoquant sa tre, en plus intelligent que moi.” tres modernes. L’enchantement nouvelle création, Wajdi Moua - Patrice Trapier n’avait surgi qu’au Conservatoire, wad insiste sur ce point trou - grâce à ce merveilleux professeur, blant, que l’amour et la bonne n Fauves, texte et mise en scène Wajdi Michel Bouquet, qui apprenait à éducation puissent faire naî - Mouawad, avec Jérôme Kircher, Lubna ses élèves non pas à dire mais à tre “des violences les plus Azabal, Hughes Frenette, Norah Krief… devenir “des corps parlants”. brutales et des folies les plus Théâtre de la Colline, 75020 Paris, Deux découvertes ont permis à meurtrières.” Le dramaturge 01 44 62 52 00, du 9/05 au 21/06 Jérôme Kircher de retrouver son prolonge son travail sur ces pas -

16 Théâtral magazine Mai - Juin 2019

à partir du LA PLACE ROYALE 9 Théâtre des Célestins - Lyon Mai

Claudia Stavisky L’amour adolescent Claudia Stavisky, metteuse en scène et directrice du

théâtre des Célestins depuis 2000 où elle a mis en r e i v a X

scène plus d'une trentaine de spectacles se confronte L - i b u o

à La Place Royale ou l'amoureux extravagant , une h i M M

pièce méconnue de Pierre Corneille. ®

vec La Place Royale de tombe dans les bras de son meil - et Alidor quelque chose de Corneille, la metteuse leur ami Cléandre... presque sado-masochiste. Alidor en scène Claudia Sta - Assez vite, Corneille a renié sa la maltraite, et elle le pardonne A visky a bien pièce parce qu'elle contrevenait toujours. Cela me fait penser à la conscience de s'atteler à une en de multiples façons aux sacro- complexité des liens qu'entretien - pièce très particulière du réper - saintes règles de la tragédie : une nent certaines femmes battues toire : "C'est l'oeuvre la plus sha - action un peu trop touffue, et sur - avec leur mari ou compagnon qui kespearienne de toute la tout l'attitude d'Alidor qui frois - les a maltraitées..." Claudia Sta - production française de cette sait la vraisemblance et la morale. visky a donc choisi de très jeunes époque. Elle me fait penser au "Mais ce qui était dénoncé par les acteurs pour incarner ces person - Songe d'une nuit d'été " relève-t- classiques est précisément ce qui nages. Elle s'emploie actuelle - elle. Elle date de 1634, soit deux fait pour nous aujourd'hui toute la ment à leur inculquer les ans avant Le Cid . Elle fait partie modernité de cette pièce!" s'en - subtilités de la versification en des premières pièces de Corneille, thousiasme Claudia Stavisky. alexandrins. "C'est un travail long classées dans le genre "comique", "Pour moi, il s'agit d'une et difficile. Mais je voudrais qu'ils ce qui à cette époque ne signifie pièce sur l'adolescence, où arrivent à la fin à ressentir pas "humoristique" mais simple - s'exprime avant tout la peur l'alexandrin comme leur langue ment que les sujets qui y sont panique d'aimer pour la pre - maternelle..." Après ce travail de traités ne relèvent pas de la mière fois. Vous savez, les ado - maturation, on pourra découvrir haute politique. C'est une pièce lescents sont des tragédiens-nés. en mai, à Lyon, au Théâtre des de jeunesse au double sens du Pour eux, c'est tout ou rien. Et c'est Célestins cette pièce foisonnante terme : non seulement parce exactement ce que l'on observe et violente, qui a poussé comme qu'elle fut écrite par un drama - chez Angélique qui, trahie par son une herbe folle dans un jardin à turge de moins de trente ans, amant, annonce qu'elle veut en - la française. mais parce qu'elle traite d'un trer au couvent. De nos jours, elle Jean-François Mondot petit groupe de très jeunes gens aurait dit quelque chose comme : dont la Place Royale (aujourd'hui "Puisque c'est comme ça, je me n La Place Royale, de Pierre Corneille, mise en Place des Vosges) est devenue le flingue!" . scène Claudia Stavisky, avec Camille repère. L'un d'eux, Alidor, a une Claudia Stavisky veut faire res - Bernon, Julien Lopez, Loïc Mobihan, Roxane liaison avec la belle Angélique. sortir la violence des sentiments Roux, Bertrand Poncet, Renan Prévot Mais il ne supporte pas de voir sa amoureux qui s'exprime dans Théâtre des Célestins, 4 rue Charles Dullin liberté mise en laisse par l'amour. cette pièce. "Je trouve qu'il y a 69002 Lyon, 04 72 77 40 00, du 9 au 29/05 Il manigance pour qu'Angélique dans la relation entre Angélique

18 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 à partir du QUAND JE SUIS AVEC TOI... 9 Théâtre Gérard Philipe - Saint-Denis Mai

Pauline Sales La vérité en location

Après Moi je voudrais la mer, Antigone et 1793 , Jean Bellorini a demandé à l’autrice d’écrire une pièce à l’attention de la Troupe éphémère du TGP. Inspirée par le quotidien d’ une agence japonaise qui loue des comédiens à des particuliers pour jouer des rôles dans la vie réelle, elle y interroge r la vérité derrière les apparences. d @

Théâtral magazine : Comment sée pour une pièce de théâtre, dernier. Jean Bellorini m’avait de - avez-vous eu cette idée pour le car, derrière leur caractère appa - mandé de ne pas écrire pour eux moins originale ? remment farfelu, est interrogée la ou sur eux, mais de les emmener Pauline Sales : Tout est parti relation entre les êtres. vers l’étranger, vers une langue d’une interview de Yuichi Ishii Y voyez-vous le symptôme d’une inconnue. J’ai donc composé une parue dans le mensuel The Atlan - moderne solitude ? fresque avec une multitude de tic , et reprise dans Courrier Inter - Cette agence réalise l’un de nos personnages, du couple à la tête national . J’y ai découvert ce fantasmes contemporains : les de l’agence aux comédiens, en directeur d’une agence de 800 personnes louées sont tout à passant par les locataires et d’au - comédiens, payés pour jouer des vous, le temps où elles sont à tres personnes qui font les frais rôles dans la vie réelle. Cela m’a vous, ce qui n’arrive jamais dans de leurs services. Je veille, en tout fait penser à cette tirade de Ma - la réalité. Beaucoup de femmes cas, à ne jamais entrer en inter - rivaux qui, dans Les acteurs de tombent d’ailleurs amoureuses férence avec le travail de Jean bonne foi, écrit : “Maugré la comé - des comédiens, malléables à Bellorini et de son assistante, die tout ça est vrai ; car ils font l’envi, y compris dans leurs traits Mélodie-Amy Wallet. Dans notre semblant de faire semblant.” de caractère. Une telle situation démarche, il n’y a aucun paterna - Quels types de rôles incarnent- peut naturellement conduire vers lisme car Jean s’adresse à eux ils ? un théâtre de l’absurde, presque comme à des professionnels, J’ai été marquée par cette mère abstrait, au “réalisme magique” avec la même exigence, et par - qui avait loué un homme – en cher à Murakami. Davantage fois la même dureté. Ils savent l’occurrence Yuichi Ishii – afin qu’il que le mensonge, c’est la que ce spectacle sera de leur res - devienne le père d’une adoles - question de la vérité qui ponsabilité. cente, ou encore par cette femme m’intéresse , comme Jean Bello - Propos recueillis par qui avait présenté un bébé à son rini qui, dans ses mises en scène, Vincent Bouquet père mourant, avant que ne cherche la vérité, la présence, naisse le sien. Certaines per - l’humanité. n Quand je suis avec toi, il n’y a rien d’autre qui sonnes louent aussi des gens pour Comment travaillez-vous avec compte, de Pauline Sales, mise en scène Jean Bellorini, assister à des funérailles, organi - les acteurs amateurs de la Théâtre Gérard Philipe, 59 boulevard Jules Guesde ser des faux mariages ou avoir un Troupe éphémère ? 93200 Saint-Denis, 01 48 13 70 00, compagnon de soirée. Ces situa - J’ai écrit cette pièce après les du 9 au 12/05 tions offrent une matière insen - avoir rencontrés en septembre

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 19 à partir du QUI CROIRE 9 Mai Comédie de Reims

Sophie Engel Et vous, vous y croyez ?

(l’Ecole Nationale Supérieure Au cours de son enquête, des Arts et Techniques du Théâ - cette femme finit par tomber sur tre). “Guillaume y voyait quelque une figure de l’actualité qui af - chose de très fort qui relie au firme être Jésus et part à sa ren - mot, à l’artifice théâtral” , estime contre. Guillaume Poix fait Sophie Engel. référence à une exposition qui a Le titre du spectacle ne eu lieu à Arles en 2018. Le pho - comporte volontairement tographe norvégien Jonas Ben - pas de point d’interrogation. diksen présentait Le Dernier “Guillaume a voulu le pen - Testament , fruit de ses rencon - ser comme une affirmation, tres avec sept hommes convain - une phrase universelle qui cus d’être le Messie. “Nous, nous nous concerne tous” , ex - avons choisi une seule figure, si - plique Sophie Engel. Ce dernier gnale Sophie Engel. Le public a écrit en pensant à l’actrice. s’identifiera à cette femme qui “Nous avons eu envie de ques - surfe sur la Toile.” Grâce à un tra - tionner la foi et la religion, l’idée vail sur les voix d’un concepteur de la croyance était intéressante sonore, Guillaume Vesin, les lu - parce qu’elle pouvait être portée mières d’Arthur Gueydan et les au théâtre, observe-t-elle. Nous travestissements du corps, les avons du mal à nous questionner costumes d’Augustin Rolland. et à faire communauté sur ce Sophie Engel est habituée à sujet. Le théâtre est un lieu d’ex - être seule sur scène, elle avait t e

h pression formidable. Nous nous joué Une femme seule , un mono - c u D sommes demandé comment y logue de Dario Fo et Franca e r u

a parler de la religion. A force de Rame en 2014. “J’ai toute L

@ discuter, nous nous sommes arrê - confiance en Guillaume Poix, tés sur la foi et la croyance.” cela me permet de lâcher prise” , ous avançons, nous Le mystère demeure quant à assure la jeune femme, toujours progressons” , glisse cette femme à laquelle Sophie attirée par l’analyse des textes et en souriant Sophie Engel prête son scepticisme. L’ac - la dramaturgie. “N Engel qui répète trice explique : “L’histoire com - Nathalie Simon jusqu’à la dernière mi - mence par cette héroïne lambda nute Qui croire , une pièce qu’elle qui tombe sur un article qui dit a “commandée” à Guillaume que certaines visions proviennent Poix. Seule sur scène, la comé - du dérèglement hormonal. Elle va - n Qui croire, texte et mise en scène dienne interprète une femme gabonde sur Internet et trouve des Guillaume Poix, avec Sophie Engel qui s’interroge sur elle, la reli - renseignements sur des sites di - Comédie de Reims, 3 chaussée Bocquaine gion et le rapport des individus à vers comme chacun d’entre nous. 51100 Reims, 03 26 48 49 10 la foi. Elle s’appuie sur les Pourquoi le doute a-t-il autant du 9 au 18/05 conseils de Guillaume Poix d’importance ? Qu’est-ce qui fait en novembre à la Comédie de Béthune qu’elle a rencontré à l’Ensatt que nous ayons besoin de croire ?”.

20 Théâtral magazine Mai - Juin 2019

à partir du UN ENNEMI DU PEUPLE 10 Odéon - Paris Mai

Nicolas Bouchaud Lanceur d’alerte

Le docteur Tomas Stockmann découvre que les z e d

eaux de la station thermale pour laquelle il travaille sont n a n r e F

contaminées. Il alerte la ville pour qu’elle entreprenne les i u o L -

travaux nécessaires. Mais il s’oppose à son frère directeur n a e J de l’établissement et préfet ainsi qu’aux habitants qui @ craignent de perdre la première source de revenus de la ville... Jean-François Sivadier met en scène la pièce d’Ibsen avec Nicolas Bouchaud dans le rôle du lanceur d’alerte...

Théâtral magazine : Le fait que ne me soucie pas de mon panta - Pour Ibsen il n'y a aucun pessi - Tomas Stockmann révèle que lon, tu pourras toujours le rac - misme là-dedans, du fait qu’il ne les eaux de la station thermale commoder". Il n’est pas plus croit pas une seule seconde à la où il travaille soient contami - fréquentable que les autres. démocratie. Il a juste écrit une nées, en fait-il un lanceur Pourtant, il agit avec convic - comédie en réaction à la mau - d’alerte ? tion, candeur même… vaise réception de sa précédente Nicolas Bouchaud : C'est bien Il a une certaine innocence. Il pièce Les Revenants . un lanceur d'alerte mais pas un croit que son frère va le suivre Oui mais pour nous plus de héros des temps modernes. Dans dans son combat contre les cent ans après la publication le sens où quand il se met à nous bains. Or c’est peu problable de la pièce, cela résonne triste - parler du peuple, les choses grin - puisqu’il est directeur de l’établis - ment. cent un peu : selon lui, il faut une sement et que la richesse de la Aujourd'hui oui. Et c’est pour ça poignée de gens plus éclairés ville en dépend. Pareil, quand le qu’on a modifié certaines choses que les autres à l’avant-garde journaliste lui offre les pages de de son discours devant le peuple, parce que si on laisse la majorité son journal, en expliquant que en rajoutant notamment un ex - gouverner on va droit dans le grâce à sa découverte, ils vont trait de La Violence : oui ou non mur… Ibsen tire à boulets pouvoir attaquer les gens les (2014) de Günther Anders, rouges sur la bourgeoisie li - plus riches de la ville, Tomas ne pionnier des mouvements écolo - bérale. Il dézingue tous ceux comprend pas qu’il est utilisé. giques et anti nucléaire. qui sont contre Tomas et Il est naïf mais il ne retourne Propos recueillis par Tomas lui-même. C’est un pas sa veste comme les autres, Hélène Chevrier homme qui ne parle que de fric alors qu’à la fin il se retrouve et qui dit à sa femme : "regarde vraiment sans rien. n Un ennemi du peuple, d’Henrik Ibsen, ils m'ont même déchiré mon pan - Il choisit de continuer à lutter. mise en scène Jean-François Sivadier, talon noir, ils m'ont traité d'en - Avant de conclure en disant que avec Nicolas Bouchaud, Agnès Sourdillon, nemi du peuple. On ne devrait l'homme le plus fort au monde Vincent Guédon… jamais mettre son meilleur pan - c'est aussi l'homme le plus seul. Odéon, place de l’Odéon 75006 Paris, talon quand on se bat pour la li - C'est une pièce assez pessi - 01 44 85 40 40, du 10/05 au 15/06 berté… tu te doutes bien que je miste.

22 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 à partir du OCCUPATION 3 13 Théâtre de la Bastille - Paris Mai

Nathalie Béasse L’art organique aux commandes

Après Tiago Rodrigues en 2017 et le collectif L’Avantage du doute l’an passé, c’est à Nathalie Béasse et son équipe d’investir le Théâtre de la Bastille pendant un mois et demi dans le cadre de r d

la troisième édition du programme “Occupation”. @

occasion pour la met - pondait à mon envie de triturer expérimentations à la H.B.K. de teuse en scène de pré - la matière textuelle, de trouver Braunschweig, une école impré - senter quatre de ses ma propre narration par rapport gnée par l’enseignement de Ma - L’ anciens spectacles – à un texte” , remarque-t-elle. rina Abramovic. “A partir de ce Happy Child, Tout Puis, après le temps de l’analyse moment-là, je ne pouvais plus semblait immobile, Roses, Le bruit du groupe vint celui des indivi - simplement être une plasticienne des arbres qui tombent – et de dus. Spectacle déroutant à plus qui installe des photos ou faire faire entrer les spectateurs dans d’un titre, Le bruit des arbres qui des recherches vidéo, raconte-t- son univers si particulier, à la croi - tombent explorent les profon - elle. Cette découverte de mon sée des chemins entre le théâtre, deurs des interprètes, devenus rapport au corps m’a obligée à en la danse, les arts plastiques et la des métaphores, des impressions faire une partie prenante de mes musique. Ces quatre pièces, l’ar - d’eux-mêmes. “Je crée tou - installations” . Elle fonde sa pro - tiste ne les a pas choisies au ha - jours mes spectacles pre compagnie en 1999 et sard. “La fin d’un spectacle est comme je peindrai une prend un malin plaisir à y asso - toujours le début d’un autre, ana - toile, résume Nathalie cier musiciens, danseurs et ac - lyse-t-elle . Une nouvelle création Béasse. Mon travail est plus teurs. “Pour moi, tous les arts, est, pour moi, l’occasion de faire organique que cérébral et re - quels qu’ils soient, sont au même un focus sur l’un des éléments que pose sur des pulsions instinctives, niveau. Je ne dis par exemple ja - je n’avais pas pu développer dans intuitives, sur des choses qui sur - mais : Tiens, si on faisait un spec - la précédente.” gissent à l’écoute de mon envi - tacle de danse ?”. Une logique Avec Happy Child , créé en ronnement. Dans les faits, mon qui explique l’infinie richesse de 2008, la metteuse en scène langage appartient moins au chacune de ses créations, où le avait amorcé un tournant, “le théâtre qu’au cinéma. Il est im - public doit apporter sa part, “et début de quelque chose” , et osé portant, pour moi, de casser les chercher à retrouver l’enfant qu’il se tourner davantage vers le codes de la chose théâtrale.” a en lui” , prévient-elle. théâtre, avec une scénographie Et pour cause. Formée à Vincent Bouquet plus imposante. Pour Roses , elle l’école des Beaux-Arts d’Angers, s’était, comme elle le dit elle- la metteuse en scène avait, à n Occupation 3, un projet coordonné même, “coltiné” un texte du ré - l’origine, des envies de cinéma. par Nathalie Béasse et son équipe, pertoire, Richard III , au lieu de Nathalie Béasse se tourne alors Théâtre de la Bastille, 76 rue de la partir de ses propres histoires vers l’Allemagne où elle se nour - Roquette 75011 Paris, 01 43 57 42 14 comme elle le fait habituelle - rit des apports du Performing- du 13/05 au 29/06 ment. “C’était un vrai défi qui ré - Art dont elle rencontre les

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 23 à partir du CONTES IMMORAUX PARTIE 1 - MAISON MÈRE 13 Mai Nanterre-Amandiers

vent, la pluie… Cette fois, Phia Ménard s’est attaquée au carton Phia Ménard dont elle imagine que des esprits comptables auraient pu estimer Un Parthénon en carton qu’il suffirait à abriter des Athé - niens pauvres mais ensoleillés.

A chaque spectacle son équation technique. Il a fallu trouver un carton adéquat, suffi - samment souple et résistant, une feuille de quinze mètres sur douze qu’elle coupe, plie, assem - ble avec des rouleaux de scotch. Elle a beau incarner une Athéna punk, elle doit trouver la force d’édifier son temple et de résou - dre les impondérables tech - t l u a

j niques qui peuvent allonger u a e d’autant le spectacle. Comme les B

c u L

- déesses féministes ne sont pas n a e J

toutes-puissantes, Athéna-Phia

@ devra affronter la catastrophe fi - nale, un nuage de pluie qui ré - n 2017, pour la pre - est immorale” . Elle a eu l’idée de duit le carton en bouillie. mière fois, la Docu - construire chaque soir un Par - menta s’est dédoublée thénon en carton, un peu à la De Nantes à Athènes, des E entre Kassel, en Alle - manière de ces jeux de construc - ravages de la guerre à ceux de la magne, lieu habituel de l’exposi - tion des meubles Ikea. Depuis crise financière, Phia Ménard tion d’art contemporain, et l’après-guerre, la puissance des prolonge son propos en évo - Athènes, le berceau de la démo - Etats a été supplantée par celle quant les périls qu’encoure la cratie ébranlé par la crise finan - de firmes qui exaltent partout le planète, ou du moins ceux qui cière et migratoire. Invitée à y même désir de consommation l’habitent : “Mon spectacle parle présenter une pièce, Phia Mé - effrénée. de la nécessité de sortir de cette nard n’a pu s’empêcher d’élargir société qui accumule les objets l’horizon. “J’essaie toujours de Aux objets qu’elle manipu - pour les jeter de plus en plus comprendre ce qui fait écho chez lait comme jongleuse, Phia Mé - vite.” Après Maison mère , elle af - moi. A Athènes, j’ai vu une nard préfère désormais les frontera le vent dans Temple société détruite non par des matières naturelles et leur pro - père , puis un brouillard de glace bombes mais par des choix cessus de transformation. Une dans Rencontre interdite . politiques imposés par transition parallèle au dévoile - Patrice Trapier l’Union européenne.” ment “de sa nouvelle identité de genre et sa volonté de changer de n Contes immoraux Partie 1 - Maison Mère, Puisque Kassel est aussi la sexe” , de Philippe à Phia. En jan - de et avec Phia Ménard. ville des frères Grimm, Phia Mé - vier 2008, elle présentait une Nanterre-Amandiers, 7 avenue Pablo nard a construit trois contes sur pièce devenue culte, P.P.P ., où Picasso 92022 Nanterre, 01 46 14 70 00, l’Europe, trois Contes immoraux elle danse en solo au milieu de la du 13 au 18/05 parce que “la politique actuelle glace hostile. Le froid, le chaud, le

24 Théâtral magazine Mai - Juin 2019

à partir du DÉPART VOLONTAIRE 14 Mai Théâtre du Nord – Lille Christophe Rauck nel, des marges de l'échange, de David contre Goliath stocks-in et d'interflux... "C'est pour cela que j'aime tant travail - ler avec Rémi De Vos. Il a un ta - Christophe Rauck, metteur en scène engagé, se lent rare pour parler du monde confronte à la réalité du monde du travail à travers ordinaire. Or, le théâtre a du mal un texte de Rémi De Vos, Départ Volontaire . avec l'ordinaire. Mais lui y arrive. Ses textes sont toujours très an - crés dans le réel, avec une radica - lité qui peut même déranger e matin-là, un mer - d'ailleurs avec Cassé , toujours de certains..." souligne Christophe credi 20 mars , le met - Rémi De Vos, qui évoquait le Rauck. teur en scène monde de l'entreprise. Avec ce En effet, le texte de Rémi De C Christophe Rauck nouveau projet, je lui ai demandé Vos est rude, non seulement sur nous parle de Départ Volontaire , d'aborder le monde contempo - l'univers de la banque ( “jamais, la pièce de Rémi De Vos qu'il rain à partir d'un procès..." . à ma connaissance, le harcèle - montera au Théâtre du Nord au Le procès c'est celui qui op - ment d'un employé n'avait été si mois de mai. Son actualité théâ - pose Xavier (Micha Lescot) à sa bien décrit” ) mais sur les rap - trale se téléscope avec l'actua - banque qui a organisé un plan de ports intimes entre Xavier et sa lité tout court, marquée par les départ volontaire où il figure. Il compagne Marion, ou sa mère Gilets jaunes : "La lutte des s'en réjouit tout d'abord car il veut Christiane. Des scènes très vio - classes n'est pas finie, pas du créer sa propre entreprise. Mais lentes opposent ces person - tout. Le monde ordinaire reste pour des raisons mystérieuses, il nages : "Oui, c'est vrai, Rémi De traversé de tensions écono - est finalement exclu de ce plan de Vos peut être brutal... Il n'a pas miques et sociales. Et c'est de ça départ volontaire. Il entre en peur d'aller assez loin dans les in - dont je veux parler. C'était le cas conflit avec sa banque. Com - jures, dans les grossièretés. Mais mence une longue descente si on les enlève, il manque aux enfers. La pièce de Rémi De quelque chose. Ces mots crus di - Vos se joue sur trois niveaux : sent quelque chose sur la vio - celui du procès, d'abord, celui de lence que ces personnages la vie professionnelle, et celui de subissent. Ce n'est jamais gra - la vie personnelle. tuit..." pointe le metteur en "Ce qui m'intéresse beau - scène. coup, dans cette pièce, c'est de Cette pièce âpre et dense, montrer comment une personne qui nous parle de la dureté du se construit avec son métier, mais monde, s'annonce comme un aussi comment elle se décons - des événements théâtraux de la truit quand l'univers profession - saison 2019. nel s'effondre" , souligne Jean-François Mondot Christophe Rauck. De fait, la pièce entrelace magnifiquement ces deux plans. Rémi De Vos n Départ Volontaire, de Rémi De Vos, mise en réussit à faire vivre ses person - scène Christophe Rauck, avec Micha Lescot, nages, à leur donner de la chair Virginie Colemyn, David Houri, Annie Mercier, n i l e

s et de la profondeur, tout en les Stanislas Stanic s o G immergeant dans un monde Théâtre du Nord, 4 place Charles de Gaulle n o

m 59026 Lille, 03 20 14 24 24, du 14 au 26/05 i professionnel hyper-réaliste, où S > Micha Lescot et Stanislas Stanic

@ il est question de taux condition -

26 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 à partir du 20 MSV 15 Comédie de Saint-Etienne Mai Bruno Meyssat Après les crises financières et la pollution, le metteur en scène Bruno Meyssat a choisi de questionner le problème nucléaire selon sa méthode unique : un travail documentaire effectué avec la troupe, puis une écriture au plateau à partir d'improvisations. Il est aujourd'hui l'un des rares artistes de théâtre à s'emparer de l'actualité. r d

Danger, radiations ! @

Théâtral magazine : Quel sens plateau, selon une méthode que inexistant dans le débat public. donnez-vous à ce titre, 20mSv ? j'affectionne depuis plus de dix Vous avez travaillé sur la ques - Bruno Meyssat : Les mSv, autre - ans. D'abord je me rends sur les tion de la pollution, les crises ment dit les millisieverts, sont lieux du sujet qui m'intéresse. financières, aujourd'hui le nu - une unité pour mesurer la radia - Ensuite, avec les comédiens, cléaire. Autant de sujets diffi - tion. En France, et dans les plu - nous effectuons une recherche cilement représentables... Un part des pays, on considère qu'un documentaire, afin de nous im - challenge ? individu ne doit pas être exposé prégner du matériel que nous Non. Je ne réfléchis pas comme à plus de 1 mSv par an ; il s'agit voulons traiter. Puis, nous par - ça. Ces sujets m'intéressent d'une norme. Au Japon, après la tons de situations données. Sur parce qu'ils stimulent mon ima - catastrophe nucléaire de Fukus - scène, on entend des témoi - gination. Ils génèrent des situa - hima en 2011, cette norme a gnages enregistrés ou déclamés tions qui se dérobent à la été changée, passant de 1 à 20 par des acteurs. représentation parce qu'ils sont mSv, dans la région de la cen - Qu'est-ce qui vous a le plus sur - soient trop grands soit trop trale. C'est à dire qu'il est devenu pris lors de votre voyage au complexes. Mais ce qui me pas - acceptable de vivre en étant ex - Japon ? sionne en tant qu'artiste, c'est posé à 19 mSv. Une façon, pour J'y suis allé une première fois en de trouver des équivalents scé - le gouvernement japonais, d'in - 2015, seul. Et ce que j'ai vu niques. Avec les acteurs nous citer les gens à revenir chez eux, était parfaitement saisis - devons opérer des déplace - dans la zone sinistrée et de justi - sant. Dans les zones conta - ments, pour qu'ils résonnent fier l'arrêt des aides de l'Etat aux minées, la nature a repris dans nos mémoires, une fois personnes dans le besoin. ses droits. Elle y est même sou - que le travail documentaire est Est-il dangereux d'être exposé vent luxuriante. Ce qui est assez effectué. C'est parfois épuisant plus de 1 mSv ? étrange. J'ai vu également de mais ça vaut le coup. Certains disent que oui et affir - nombreuses maisons vides, qui Propos recueillis par ment même qu'il est criminel avaient dû être abandonnées à Igor Hansen-Love d'exposer des enfants à une telle la hâte. On se serait cru dans un radiation. D'autres prétendent film de science-fiction. n 20mSv, de Bruno Meyssat et la compagnie que rien n'est encore prouvé. Et Quels liens faites-vous entre le du Shaman, mise en scène Bruno Meyssat, qu'en l'absence de preuve, on Japon et la France ? avec Philippe Cousin, Elisabeth Doll, Yassine peut faire ce que l'on veut... En France nous avons un im - Harrada, Julie Moreau... Que raconte votre spectacle ? mense parc nucléaire. Et de ce La Comédie de Saint-Etienne, Place Jean Dasté, Mon théâtre ne raconte rien. point de vue nous sommes très 42 000 Saint-Etienne, 04 77 25 14 14 Mais il montre des choses. Avec vulnérables. Or, ce sujet, pourtant du 15/05 au 16/05 les comédiens, nous écrivons au très problématique, est presque

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 27 à partir du LES SERGE (GAINSBOURG POINT BARRE) 16 Mai Comédie-Française - Paris

Paradoxal Gainsbourg é u o v a L

e n a h p é Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux t S

sont sociétaires de la Comédie-Française, musiciens et amis. @ Un spectacle musical sur Bob Dylan la saison dernière les réunissait ; cette année, au terme d’un long travail de recherche documentaire, c’est autour de la personnalité et de l’œuvre audacieuse de Serge Gainsbourg qu’ils nous convoquent au Studio-théâtre avec Les Serge (Gainsbourg point barre).

ainsbourg est pour Gainsbarre, du polémiste. Nous é u o v

eux cet artiste aux fa - voulons faire découvrir l’ar - a L

e n

cettes multiples, ex - tiste. C’est un peu une prise a h p é

plorateur de styles de parole privée de Gains - t S G

musicaux et à la production va - bourg en dehors des polé - @ riée. L’inclassable chanteur com - miques” , précisent-ils. Alors ils positeur mort en 1991, proposent un concert live acci - claviers, trombone résonneront, Varupenne et Pouderoux l’ont denté de surprises. Les divers l’acoustique du Studio de la ga - peu connu mais avouent une styles seront visités, de la poly - lerie du Carrousel du Louvre se grande fascination pour celui phonie au reggae, en passant prête à l’exercice. Les comédiens qui pour se faire aimer du public par l’électro, le jazz et la soul… se sont fixés des objectifs forts et cherche à se faire détester, en - “On ne peut pas se permettre de très techniques, sous la direction tretient cette contradiction, ce ne pas être irréprochables ! Il a des deux compères qui ont rêvé positionnement indécidable fallu trouver un son de groupe. un spectacle aux couleurs de l’in - jusque dans sa musique. Le challenge c’était que ce soit térieur de la maison du poète, “Et si j’étais Serge ?” , se sont- notre groupe et que les musiciens “sorte de musée de choses chic de ils demandés. Comment faire ce soient tous membres de la troupe Gainsbourg l’esthète” . Si beau - métier entre représentation et de la Comédie-Française” . On re - coup de chanteurs lui doivent provocation ? Des questions que trouvera les tubes célèbres revi - leur carrière, Stéphane Varu - tout artiste se pose et que l’itiné - sités, réarrangés et adaptés pour penne et Sébastien Pouderoux raire du grand Serge révèle. Il une petite formation, comme lui devront ce nouveau succès. n’est pas un mais plusieurs. Nais - autant de témoignages de la François Varlin sent alors “Les Serge” , ce groupe pluralité du compositeur. constitués de comédiens de la Ainsi Gainsbourg entre dans n Les Serge (Gainsbourg point barre), troupe du Français ayant tous les murs de la sacro-sainte mai - adaptation et mise en scène Stéphane leur manière propre de l’aborder, son pour un hommage à cet es - Varupenne et Sébastien Pouderoux, avec pour un spectacle présentant les prit unique en son genre, à Stéphane Varupenne, Benjamin Lavernhe, différents visages du chanteur. l’acuité de sa pensée, de ses re - Sébastien Pouderoux, Rebecca Marder, “Les Serge c’est un peu “chacun parties, ses fulgurances et son Noam Morgensztern, Yoann Gasiorowki. cherche son Serge“ en une sorte génie. Hommage également à Comédie-Française, Studio-Théâtre, 99 rue de stand-up musical dans des l’homme derrière le provocateur, de Rivoli 75001 Paris, 01 44 58 15 15, bulles de rêveries. Toute une gé - à sa sensibilité extrême et à sa du 16/05 au 30/06 nération n’a de lui que l’image de fragilité. Batterie, basse, synthé,

28 Théâtral magazine Mai - Juin 2019

à partir du KAFKA DANS LES VILLES 16 Mac – Créteil Mai Le Manège – Reims

théâtre est l’art le moins perfor - mant par rapport au cirque ou Elise Vigier au chant. Un comédien est quelqu’un qui arrive juste à “être Kafka sous le chapiteau là”. Il y a un côté d’inachèvement total de son art face à ces arts de “C’est un projet collectif, qui parle de la collectivité. performance que sont le cirque Un projet qui tente d’échapper à toutes les et le chant. Même les formes de préparation n’ont rien à voir : les catégories et qui a toutes les catégories en lui !” circassiens doivent travailler Elise Vigier adore le mélange des genres et les lorsque le corps est chaud et il ne compagnonnages artistiques. Avec Frédérique faut pas le laisser refroidir, tan - dis que la recherche théâtrale Loliée et Gaëtan Levêque elle met en scène un prend beaucoup de temps ! Les projet réunissant opéra, théâtre et cirque... chanteurs ont dû eux aussi ap - prendre ce côté “essai”. Au final tout le monde a appris de tout le monde ! Nous avons mis tout cela en parallèle avec Kafka et sa recherche de la perfection. En quoi votre spectacle est-il kafkaïen ? Il me fait penser à des escaliers. Monter, descendre, se perdre, ne pas savoir si l’on est sur le bon chemin, les insomnies, les cau -

v chemars, la perception de la réa - j t

@ lité et de la fiction, les relations de pouvoir, le doute et l’inachè - Théâtral magazine : Théâtre, qui est de travailler sur une per - vement… Chez Kafka il n’y a ja - cirque, opéra, quel mélange ! fection inatteignable, impossi - mais une mais des réponses. Elise Vigier : C’est un projet qui ble. Kafka était un grand C’est ouvert. On cherche tous un s’enracine depuis deux ans, mê - insomniaque et les artistes ont résultat dans notre travail mais lant des gens totalement hétéro - souvent des rêves éveillés. Nous nous travaillons tous avec ce clites, hétérogènes : chanteurs voulions aussi parler du corps et doute kafkaïen. Il y a aussi le lyriques, instrumentistes, ac - de la perfection, or un artiste a thème de la ménagerie qui nous teurs, circassiens. Roue Cyr, mât ses propres limites et Kafka tu - parle d’êtres en cage… La per - chinois, mains à mains… Diffé - berculeux était tiraillé entre la fection de l’artiste peut aussi rents âges, différents mondes : réalité de son corps et la réalité être une cage. un pari ! de son art. Ce petit homme, qui Propos recueillis par Pourquoi choisir Kafka ? travaillait dans une compagnie François Varlin Les nouvelles de Kafka donnent d’assurance le jour et écrivait la ce mélange cirque théâtre. Phi - nuit, rejoint les artistes et leur n Kafka dans les villes, textes de Franz Kafka. lippe Hersant a composé une double monde. MAC, place Salvador Allende 94000 Créteil, création musicale qui raconte un Comment les disciplines abor - 01 45 13 19 19, du 16 au 18/05 cirque freak à la Fellini. Nous dées au plateau se sont-elles Le Manège, 2 boulevard du Général Leclerc voulions parler de l’Art, de cette coordonnées ? 51100 Reims, 03 26 47 30 40, le 26/06 pratique bizarre que nous avons Les arts du cirque catalysent. Le

30 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 à partir du CATARACT VALLEY 17 Théâtre de l’Odéon - Paris Mai

Marie Rémond Dans les eaux troubles de Jane Bowles

Au Théâtre de l’Odéon, la metteuse en scène s’emploie à rendre toute l’étrangeté de la nouvelle n i

de l’autrice américaine, largement méconnue en l e s s o G

France. Un spectacle en trompe-l’œil qui saisira, n o m i

à coup sûr, plus d’un spectateur. S

@

vant même que le noir vacances, Harriett (Marie Ré - le fond, a pour autant un point ne se fasse, Cataract mond) prend quelques jours de commun avec ses précédents Valley a déjà com - repos. Psychologiquement fragile, spectacles (Vers Wanda, André, A mencé. Sur le plateau victime de crises nerveuses, elle Comme une pierre qui…) , cette du ThéâtredelaCité de Toulouse, veut échapper à sa sœur, Sadie volonté qu’a Marie Rémond de où le spectacle a été créé en octo - (Caroline Arrouas), qui l’étouffe toujours prendre à bras-le-corps bre dernier avant d’être repris avec son trop-plein d’amour. Elle- des œuvres réalisées par des ar - dans les semaines à venir au même instable, la jeune femme ne tistes à des moments-clefs de leur Théâtre de l’Odéon, une collec - se voit pas vivre sans cette relation vie. “A son échelle, Camp Cataract tion de sapins diffuse une odeur sororale essentielle et décide d’al - est le chef-d’œuvre de Jane Bowles, entêtante. Loin d’être cosmé - ler rendre visite à son aînée, his - sa nouvelle qui rassemble l’ensem - tique, elle participe à cette expé - toire de vérifier qu’elle ne l’a pas ble des thèmes qu’elle traverse rience sensorielle que Marie définitivement abandonnée. “Ra - dans toutes les autres” , détaille-t- Rémond veut faire vivre aux spec - rement ai-je pu constater elle. Largement méconnue en tateurs. “Il était très important une telle complexité dans France, restée dans l’ombre de son pour moi que le public soit physi - des personnages féminins au mari Paul, l’auteur d’Un thé au Sa - quement pris dans cet environne - théâtre , y compris dans celui de hara , jusqu’à souffrir de cette ab - ment curieux, que le plateau, la troisième sœur, observe Marie sence de reconnaissance, voilà conçu comme un trompe-l’œil qui Rémond. Entre elles, s’enchevê - cette femme, à l’écriture surpre - se dévoilerait petit à petit, fasse trent un mélange de non-dits, de nante à bien des égards, réhabili - ressortir le climat d’étrangeté de la quiproquos, d’espoirs, et chacune tée par un projet qui ne manque nouvelle de Jane Bowles, et place projette de l’attente : l’une sur sa ni de singularité, ni d’émotion, ni le spectateur dans un état d’éga - sœur, l’autre dans son envie d’ambition. rement” , explique-t-elle. Car, à d’émancipation et la dernière dans Vincent Bouquet Camp Cataract, tout n’est, en dé - sa vie sociale.” Quitte à faire naître finitive, qu’une histoire d’illusion une forme de paranoïa qui distor - n Cataract Valley d’après la que la metteuse en scène s’est drait leur perception de la réalité. nouvelle Camp Cataract de Jane plu, avec succès, à cultiver. Ce projet total, qui occupe, de Bowles, un projet de Marie Rémond, Dans cet espace singulier, à l’aveu de la metteuse en scène, Théâtre de l’Odéon, Place de l’Odéon mi-chemin entre le sanatorium – “une place à part” dans son par - 75006 Paris, 01 44 85 40 40, où Jane Bowles a elle-même passé cours, tant il imbrique, jusqu’à les du 17/05 au 15/06 deux ans de sa vie – et le camp de rendre indissociables, la forme et

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 31 à partir du RETOURS et LE PÈRE DE L'ENFANT DE LA MÈRE 20 Le Quai - Angers Mai Rond-Point - Paris

Camille Chamoux et les joies de la famille

e jour-là, la joie de sphère familiale, sa disparition vivre de Camille Cha - est peut-être ce qui sauve le cou - moux éclaire encore ple” , réfléchit l’actrice, elle-même C davantage le Café mère de deux bouts de chou. Fluctuat Nec Mergitur de la place Le second volet du spectacle de la République illuminé par un s’annonce logiquement, appuie soleil timide. Après avoir joué Jus - là où ça fait “un peu mal” , aborde tice , de Samantha Markowic, la le thème de la séparation de comédienne est en pleine lecture façon grinçante. “Le public peut o

de deux pièces courtes du jeune penser que c’est un délire scandi - r i e h l

auteur norvégien Fredrik Bratt - nave avant de se laisser porter a M

berg : Retours autour d’un couple par l’humour” , estime Camille e m u a l l

qui fait le deuil de leur fils adoles - Chamoux qui incarnera une i u G cent et Le Père de l'Enfant de la maman pas comme les autres. Mère , une “trinité familiale” qui “Les mots sédimentent, sont @ bouscule le schéma et les valeurs pleins de sous-entendus.” traditionnelles. L’occasion pour Auréolée du succès de deux teuse en scène – on lui doit le film elle de retrouver des partenaires spectacles seule en scène - Née Les Gazelles en 2014-, entre les talentueux comme Jean-Charles sous Giscard et L’Esprit de contra - mains d’un autre metteur en Clichet, un fidèle du metteur en diction - la quadragénaire a com - scène, Camille Chamoux est une scène Frédéric Bélier-Garcia et le mencé par le répertoire classique vraie “pâte à modeler”. “Quand on “jeune et fantastique” Dimitri -Alexandre Dumas fils, Britanni - travaille beaucoup, on arrive au Doré. cus, L’Ecole des femmes ,…- au texte totalement libre” , remarque- Dès que Frédéric Bélier-Gar - Théâtre Sylvia Monfort. En paral - t-elle. Mue par un “doute cia lui en a parlé, “il y a un an et lèle, elle a fondé sa propre com - constructif” , cette perfectionniste demi” , Camille Chamoux a été pagnie pour interpréter des qui a rêvé d’être Patrice Chéreau emballée par ces textes qui par - textes contemporains. “J’ai fait ou Frédéric Bélier-Garcia réussit lent de la “cellule familiale” mes gammes d’apprentissage au alors à “débrancher” son cerveau. contemporaine et du regard théâtre du Rond-Point avec Mar - Chapeau bas. “ultra drôle” qu’ils portent sur “le cel Maréchal avant la venue de Nathalie Simon papa, la maman et l’enfant” . Jean-Michel Ribes” , rappelle-t- Entre Ibsen et Bergman, définit- elle. En 2012, Camille Chamoux n Retours et Le Père de l'Enfant de la Mère, elle, tout à la fois subtil, cruel et y avait fait une mise en lecture de de Fredrik Brattberg, mise en scène Frédéric satirique. A commencer par Re - Moi, j’utilise la lumière comme Bélier-Garcia, avec Camille Chamoux, tours : “dans la société occiden - source d’excitation de la matière Jean-Charles Clichet et Dimitri Doré. tale, le pire drame est la perte de David Lescot d’après sa ren - > Quai CDN, Cale de la Savatte 49100 d’un enfant, l’auteur déve - contre avec Valia Voliotis (une Angers, 02 41 22 20 20, du 20 au 29/05 loppe ce sujet comme un spécialiste des nanosciences). Un > Théâtre du Rond-Point, 2bis avenue motif pour nous emmener travail en “binôme” qui l’avait en - Franklin D. Roosevelt 75008 Paris, complètement ailleurs , on traînée au festival d’Avignon. 01 44 95 98 21, du 4 au 30/06 éduque l’enfant afin qu’il quitte la Auteur, comédienne et met -

32 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 à partir du C’EST LA PHÈDRE ! 21 Théâtre Monfort - Paris Mai

Jean Joudé Les secrets de la langue Issu du Conservatoire, Jean Joudé et les amis qui se sont réunis autour de lui dans cette école ont créé une équipe, les Bourlingueurs, qui a résisté aux risques d’éclatement. Cette compagnie s’est fait re - marquer par ses représentations d’un spectacle Pré - vert , du Jeu de l’amour et du hasard et, en tout premier, de C’est la Phèdre ! , donné aux Effusions de Val de Rueil, à présent repris au Monfort.

Théâtral magazine : D’où vient l’acteur délivre son désir profond votre intérêt pour la Phèdre de d’être là.

Sénèque ? Sur le plan de l’histoire, la Phè - r d

Jean Joudé : L’idée était de mon - dre de Sénèque n’est pas très @ ter un spectacle dans des condi - différente de celle de Racine. tions extrêmes, en très peu de C’est l’équation la plus simple du que la musique. Le chœur est temps. Au Conservatoire, Nada théâtre ! On est au début du joué par une actrice qui se dé - Strancar nous avait fait travailler boulevard ! C’est l’histoire place parmi le public et conte à partir de cette Phèdre et j’avais d’une femme mariée qui l’histoire de son personnage. Tout aimé la façon dont elle nous avait drague un jeune homme tan - est dans la puissance contrôlée. confrontés à la notion de mons - dis que son mari est parti aux en - J’aime les grands tragédiens tre. En sortant du Conservatoire, fers. A son retour, il apprend qu’il comme Terzieff jouant Claudel. cette pièce nous est apparue a été trompé. Cette situation du Surtout pas d’hystérie, mais de la comme un miracle ! Nous étions trio, je l’avais abordée quand violence maîtrisée. Je projette un forts de cet enseignement, du tra - j’avais travaillé sur La Cigale de spectacle sur la valeur de la vail fait avec François Cervantès Tchekhov. Mais Sénèque, qui langue, à partir de Novarina, pour Claire, Anton et moi , du était l’écrivain préféré d’Artaud, Beckett, Tardieu… L’acteur tra - temps passé au Hall de la chan - la traite d’une façon qui rend tous vaille la langue comme une son. On avait besoin d’un texte les personnages monstrueux. sculpture. qui ait un lien fort avec le specta - Vous avez donc monté le spec - Propos recueillis par teur, très physique avec une tacle en très peu de temps. Gilles Costaz grande pensée philosophique. Il y a une table. C’est là que se Nous avons pris la traduction de passent à la fois la fête et la tra - Florence Dupont comme une ma - gédie. A partir de ce lieu on a fa - tière souple où nous avons inté - briqué le spectacle en cinq jours. n C’est la Phèdre, d'après Sénèque, gré des chansons. Florence Cela commence par un concert mise en scène Jean Joudé Dupont traduit pour réinventer la de quinze minutes. La batterie Théâtre Monfort 106 rue Brancion 75015 tragédie. Moi, je tente de trouver instaure une certaine puissance, Paris, 01 56 08 33 88, du 21 au 25/05 un espace d’écoute où la langue mais on l’arrête car la parole de puis aux Arènes de Lutèce, Paris, le 14/06 va si loin qu’elle livre un secret, où Sénèque a la même puissance

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 33 à partir du HORS LA LOI 24 Comédie-Française - Paris Mai

Pauline Bureau et la libération des femmes Comme avec son spectacle précédent s a

autour du Médiator ( Mon coeur, 2017), Hors la e z a M

loi , la prochaine création de Pauline Bureau pour e i l a h t

la Comédie-Française repose sur une histoire a N

vraie, celle de Marie-Claire Chevalier, héroïne du @ procès de Bobigny en 1972. Théâtral magazine : Hors la loi , appel à ses collègues, ils trou - et interviewée. Le spectacle al - votre prochain spectacle, s'ap - vent une "adresse" comme on dit terne entre le point de vue de puie sur une base documen - à l'époque, c'est à dire une avor - Marie-Claire à 16 ans, et Marie- taire très précise... teuse clandestine puisque l'avor - Claire aujourd'hui, cinquante Pauline Bureau : Effectivement, tement est interdit par la loi. ans plus tard. Bien entendu, le je raconte l'histoire d'une femme Mais les choses se passent mal, procès de Bobigny sera évoqué, que presque tout le monde a ou - Marie-Claire fait une hémor - ainsi que l'action de Gisèle Ha - bliée aujourd'hui, et qui pour - ragie, elle est transportée limi. C'est l'alliance entre ces tant a joué un rôle fondamental en urgence à l'hôpital. Et deux femmes, Gisèle Halimi et dans l'histoire de la libération celui qui l'avait violée la dé - Marie-Claire Chevalier qui va des femmes. Elle s'appelle nonce. Elle est arrêtée ainsi que faire évoluer la loi. Mais j'ai Marie-Claire Chevalier. C'est elle sa mère et ses collègues de la voulu que l'histoire de Marie- qui fut à l'origine du procès de RATP qui, inculpés de complicité Claire reste au centre. A travers Bobigny, en novembre 1972, un d'avortement, risquent la prison elle, c'est la petite histoire qui jalon essentiel vers l'autorisa - ferme. C'est alors que Gisèle Ha - croise la grande. Voilà quelqu'un tion de l'avortement grâce à la limi est contactée pour les dé - qui à 16 ans découvre en même médiatisation que lui donna son fendre. Ce sera le procès de temps la sexualité, la violence, avocate, Gisèle Halimi. Il faut Bobigny, en novembre 1972. Gi - les rapports de domination. Elle rappeler que 5000 femmes sèle Halimi fait déposer à la a fait avancer l'Histoire grâce à mouraient alors chaque année barre Simone de Beauvoir ou en - son courage. C'est une héroïne des suites d'avortements illé - core des professeurs reconnus oubliée de la libération des gaux pratiqués dans des condi - comme François Jacob ou femmes... tions déplorables. Jacques Monod. Et ce procès de - Propos recueillis par Pouvez-vous nous raconter son vient peu à peu le procès de Jean-François Mondot histoire ? l'avortement... En 1971, Marie-Claire a seize Comment faire de cet événe - n Hors la Loi, texte et mise en scène ans. Elle fait partie d'une bande ment historique une matière Pauline Bureau, avec Claire La Rüe du Can, de copains avec lesquels elle théâtrale? Martine Chevallier, Danièle Lebrun, Laurent écoute des disques. L'un d'eux Ce qui m'intéresse, c'est de ra - Natrella, Coraly Zahonero, Françoise Gillard l'emmène chez lui sous prétexte conter cette histoire du point de Comédie-Française (Vieux-Colombier), de faire un tour en voiture et la vue de Marie-Claire Chevalier. 21 rue du Vieux-Colombier 75006 Paris, viole. Elle tombe enceinte. Sa Elle a aujourd'hui une soixan - 01 44 58 15 15, du 24/05 au 7/07 mère, employée à la RATP, fait taine d'années. Je l'ai retrouvée

34 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 à partir du UN GRAND CRI D’AMOUR 24 Bouffes Parisiens – Paris Mai

Pierre Cassignard de Montand à Balasko Il joue avec une incroyable santé (l’an dernier, deux pièces successivement dans deux e b e h c i théâtres différents), il chante (il donne son récital R

d r a

n Montand dès qu’il a un moment, et il ira le chanter r e B

@ bientôt aux Etats-Unis) et il passe aisément de la gravité au rire, comme le prouve son retour aux Bouffes Parisiens dans une pièce de Josiane Balasko.

Théâtral magazine : Vous Avec Michèle on a tourné en - Balasko, ce soit de la comédie faites le grand écart entre semble un téléfilm où je faisais contemporaine. Cet Hugo, Montand et Balasko. un travesti. On est tombé en confronté à Gigi, est un person - Pierre Cassignard : Je suis de - amitié. Je ne connaissais pas la nage de mon âge et de mon venu acteur parce que j’ai vu pièce. Je l’ai trouvée très drôle, époque, avec un langage vert, Yves Montand à l’Olympia en pas datée, plus réussie que le balaskien. J’aime aussi faire rire. 1981. Comme il n’y avait pas film qui en a été tiré. L’histoire J’ai repris la saison dernière C’est d’école de music-hall, j’ai choisi est celle d’un acteur de 50 encore mieux l’après-midi de Ray le théâtre, fait la rue Blanche et ans qui, dans une passe dif - Cooney, qui est le boulevard du le Conservatoire. Ce récital de ficile, est invité à jouer avec boulevard. J’avais aussi repris Montand est toujours au fond une ex-vedette. Mais celle-ci Hollywood . C’est très fatiguant, de moi. J’ai organisé mon tour a été sa femme et sa parte - on en sort rincé. Mais ça me plaît de chant Un soir, avec Montand naire. Ils ne s’entendent plus du beaucoup. Ce qui me plaît aussi, en fonction des personnages de tout. Il faut pourtant qu’ils c’est de jouer avec Michèle Ber - chaque chanson, chacune jouent ensemble. C’est une très nier, qui m’a tellement impres - étant jouée comme un petit bonne comédie, qui reprend le sionné dans Folle Amanda de film. Je dois travailler ma voix principe du théâtre dans le théâ - Barillet-Grédy. tous les jours. Patrick Peyriéras tre. Je suis également content de Propos recueillis par m’accompagne comme s’il était revenir aux Bouffes Parisiens, Gilles Costaz un big band à lui tout seul. dix-huit ans après On ne refait Pour le sketch Le Télégramme , pas l’avenir d’Anne-Marie que jouaient Montand et Si - Etienne. gnoret et que je reprends, c’est On vous a vu récemment dans Michèle Bernier qui dit le texte le rôle sensible de Darius de de Signoret. Patricot. Vous n’êtes pas telle - Michèle Bernier est votre par - ment un acteur de comédie, n Un grand cri d’amour, de Josiane Balasko, tenaire d’ Un grand cri d’amour . sauf pour les classiques comme mise en scène Marie-Pascale Osterrieth, avec Elle et vous reprenez les rôles Les Jumeaux vénitiens et La Lo - Pierre Cassignard et Michèle Bernier. créés par l’auteur, Josiane Ba - candiera. Bouffes Parisiens, 4 rue Monsigny 75002 lasko, et Richard Berry. Je regrette que Darius n’ait pas Paris, 01 42 96 92 42, à partir du 24/05 C’est Michèle qui m’a appelé, tourné. Mais, pour Un grand cri Direct sur France 2 le 11/06 avec Marie-Pascale Osterrieth. d’amour , j’aime précisément que

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 35 à partir du RÊVES D’OCCIDENT 27 Nest Théâtre à Thionville Mai et tournée

rablement l'environnement. Donc Prospero ne pouvait plus Jean Boillot être un magicien mais un homme de science. Un peu à De l’illusion à la technologie l'image des scientifiques du XVIe siècle qui commencent à explo - rer le corps humain et des uto - Jean-Marie Piemme a réécrit La Tempête à la pistes qui ont inventé des villes. de mande de Jean Boillot. Dans Rêves d’Occident , Donc, on embrasse cinq siècles le magicien Prospéro est un savant chassé du pouvoir de progrès et de naufrages. Il y a aussi une actualisation par ceux qui craignent le progrès… des relations amoureuses entre les personnages : Miranda Théâtral magazine : Pourquoi tion sociale. Et donc la question tombe amoureuse de Xénia et réécrire La Tempête aujourd’hui ? qui est au cœur de Rêves non plus de Ferdinand… Jean Boillot : Parce que j’adore d'Occident c'est le progrès Parce que Xénia vient d'un cette fable qui raconte la trans - ou plus exactement le trans - monde moderne (qui évoque la formation de la nature par un humanisme qui est un syno - Silicon Valley ou le projet Neom, homme, Prospero, qui est magi - nyme aujourd'hui du progrès, une cité au Moyen-Orient où vi - cien et la transformation de la avec l'idée que l'homme s'affran - vraient des robots). Elle a une nature implique une organisa - chisse de la nature et du temps, sexualité qui s'est affranchie de pour rallonger la vie. Mais qu'est- la question de genre. Ce qui ce que c'est que le progrès s’il ajoute à sa modernité. C'est aussi n'est pas maîtrisé ? un personnage capable de re - Comment avez-vous travaillé bondir sur n'importe quoi. Elle avec Jean-Marie Piemme ? s'illusionne certainement sur le C'est la deuxième fois que je tra - pouvoir des technologies. Mais vaille avec lui. La première c’était parce qu’elle représente une gé - déjà pour Le Sang des amis, une nération qui se considère comme réécriture de textes de Shakes - auto-immune. C’est peut-être le peare, Jules César et Antoine et personnage le plus éloigné de la Cléopâtre . Sauf que dans Le Sang pièce de Shakespeare même si des amis , on avait totalement certaines lectures de La Tempête quitté Shakespeare. Pour Rêves voient déjà dans Ferdinand l'avè - l a n

e d’Occident , c’est plus une dérive nement d’un nouveau monde. h C

c i qui s’est faite au fur et à mesure Dans Rêves d’Occident, le nou - r E

@ du travail. Je lui ai d’abord ex - veau monde prend corps avec le posé ce que je voulais : l’idée de bébé à naître qui est l'enfant gé - la transformation de la nature, nétiquement modifié. n Rêves d’Occident, réécriture de la un langage musical pour l’ac - Comment allez-vous représen - Tempête de Shakespeare par Jean-Marie compagner et mes interprètes ter cette histoire du progrès ? Piemme, mise en scène Jean Boillot artistes associés qui jouent dans On va suivre cette famille qui tra - > du 27/05 au 4/06 Nest-Théâtre, la pièce. Et Jean-Marie m’a pro - verse les siècles en essayant de 15 route de Manom 57100 Thionville, posé d’écrire une fable sur le pro - déconstruire un peu les illusions 03 82 82 14 92 grès, parce qu’on ne peut plus des différentes époques. > du 7 au 26/10 Cité Internationale, parler de magiciens sauf avec Propos recueillis par 21 bd Jourdan 75014 Paris, 01 43 13 50 50 Harry Potter. Seules la science et Hélène Chevrier la technologie transforment du -

36 Théâtral magazine Mai - Juin 2019

à partir du LA CLAIRIÈRE DU GRAND N’IMPORTE QUOI 31 Printemps des Comédiens - Montpellier Mai Festival d’Avignon et tournée

Alain Béhar Un griot du futur Alain Béhar écrit des histoires insensées. De celles dont on se demande sur quelle planète il habite avant de constater qu’il nous a embarqués avec lui malgré nous. Dans La Clairière du grand s e

u n’importe quoi, tout commence en 2043 au g i t r a L moment où le continent africain disparaît de la s a l o c i surface du globe… N

@

ommes-nous dans la trophes qu’il énonce diffuse de pour divaguer. Tellement qu’il se science-fiction, la pros - l’inquiétude, "c’est un texte plutôt prend au jeu et ce travail sur pective ? Ni l’un ni l’au - joyeux." Pas forcément cohérent l’Afrique lui inspire ce monologue S tre. Si ce n’est que ça mais qu’est-ce que notre monde a de La Clairière . démarre en 2043, c’est-à-dire à faire de la cohérence ? "Ce n'est après demain et qu’on sera tous pas plus incohérent que si on al - Pour l’avoir déjà beaucoup écrasés par les catastrophes en lume la télé maintenant et qu’on lu, il sait que son histoire captive. tous genres si l’on en croit les mé - consomme des infos en continu "C’est comme un griot moderne. Je dias... Le texte d’Alain Béhar pendant 10 minutes. On va avoir vais le jouer sur un plateau de est plutôt un conte joyeux un tremblement de terre, le ma - théâtre mais ça pourrait aussi sur le catastrophisme am - riage d’une princesse, un footbal - bien se faire sous un arbre". biant qui pousse à leur pa - leur qui fait ceci, un politique qui Hélène Chevrier roxysme les annonces de fin du fait cela, la météo... C’est juste fac - monde qui circulent partout. tuel, on est tous habitués à ça…" n La Clairière du grand n’importe quoi, 2043, donc, la Terre tourne à L’idée de cette farandole de de et par Alain Béhar l’envers et entre autres, l’Afrique catastrophes lui a été soufflée 31/05 au 2/06 Théâtre des 13 Vents a disparu sous les eaux obligeant par le metteur en scène Moïse (dans le cadre du Printemps des Comédiens), ses habitants à migrer en masse Touré qui a commandé des textes domaine de Grammont 34000 Montpellier, en direction de l’imaginaire. Ils se à six auteurs français et africains 5 au 27/07 Festival d’Avignon, à Artéphile, retrouvent dans une clairière où pour les besoins du spectacle qu’il 7 rue du Bourg neuf 84000 Avignon un clown foutraque les invite à crée avec Jean-Claude Galotta, 5 et 6/11 Théâtre du Bois de l’Aune prendre un bateau en papier où 2147 et si l’Afrique disparaissait. à Aix en Provence la couleur et le positivisme coule - "Il s’agissait juste de matériaux 8/11 festival Les rencontres à l’échelle, raient à flots… "Il y aurait tout pour préparer son spectacle" . Une Friche de la belle de mai à Marseille un tas de trucs dont on n’aurait commande qui étonne Alain 14 au 16/11 Sortie Ouest à Béziers plus besoin de parler, comme la Béhar pas spécialiste du tout de 21/11 Le périscope à Nîmes parité, ou l'homophobie parce que l’Afrique. "Mais c’est exactement 28/11 Théâtre + Cinéma à la Scène Nationale tout ça serait déjà réglé" . Et ce qu’il voulait". Et c’est aussi ce du grand Narbonne même si la somme de catas - qui lui a donné le champ libre

38 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 LE MARTEAU ET LA FAUCILLE à partir du Printemps des Comédiens - Montpellier 31 et tournée Mai

Gosselin - De Lillo chapitre final

an dernier, Julien Gos - communisme a perdu sa boussole selin avait glissé au soviétique, inversant même les coeur de son adapta - outils de son alliance populaire. L’ tion-fleuve de Don De C’est le système entier qui n i Lillo une nouvelle du tremble sur ses bases, en - l e s s romancier, Le marteau et la fau - chaînant crises et krachs o G

n cille . Interprété par Joseph (“mots grecs” souligne l’auteur). o m i S Drouet, le monologue de près @ d’une heure tranchait avec le En compagnie de ses compa - reste du spectacle par sa fixité gnons de détention (un banquier crépusculaire : un homme assis spécialiste de la finance offshore, guerres multiples, aux mouve - devant un micro raconte le quoti - un collectionneur de tableaux, un ments vertigineux des Bourses dien d’un camp de prisonniers en investisseur ayant causé la chute qui plongent et renaissent sans col blanc dans une atmosphère de deux gouvernements et trois que personne n’y comprenne rien, de fin du monde (éclairage rouge multinationales…), le narrateur Don DeLillo ajoute un chapitre sombre, un glas qui sonne régu - est happé par le programme final, le dessin d’une terre saturée lièrement jusqu’à ressembler à d’une chaîne de télé où ses deux en tous points : l’information de - une musique sérielle…). filles, Laurie et Kate, 10 et 12 venue une somme indéchiffrable ans, transformées en chroni - de gigaoctets, les transports me - Un peu à l’étroit au milieu de queuses économiques, psalmo - nacés de thrombose, l’atmo - ce flot romanesque de neuf dient sur un mode accéléré les sphère recouverte d’un brouillard heures, Le marteau et la faucille séismes financiers (Dubaï-Grèce- impossible à dissiper. Le marteau est redonné seul au Printemps Portugal-Irlande-Islande-Brésil- et la faucille n’est pas une annexe des Comédiens puis lors d’une Corée-Hong Kong…) On dirait la des romans de DeLillo, c’est un tournée cet automne. Heureuse litanie d’une musique électro que post-scriptum que Gosselin porte initiative qui met en lumière la Joseph Drouet interprète en pre - à son incandescence. force d’un texte publié en 2011 nant des voix enfantines, c’est Patrice Trapier dans l’unique recueil de nouvelles aussi troublant que le nazisme vu de Don DeLillo, L’Ange Esme - avec les yeux d’Oscar dans Le ralda, largement postérieur donc Tambour . aux romans adaptés par Gosselin (entre 1977 et 1991). Quand il réussit à se décoller de l’attraction cathodique, le nar - Joueurs, Les Noms et Mao II rateur déambule dans le camp n Le marteau et la faucille de Don DeLillo, formaient un ensemble prémoni - qui surplombe une autoroute où mise en scène Julien Gosselin, toire sur les dérèglements à venir. “des gens en mouvement testent avec Joseph Drouet. Dans Le marteau et la fau - les limites du temps et de l’espace. Printemps des Comédiens, Théâtre d’O cille , la catastrophe est là. On Peu importe la contagieuse puan - à Montpellier, 04 67 63 66 67, n’en est plus aux guerres locales, teur de l’essence brûlée, l’encras - du 31/05 au 2/06, puis en tournée aux prémices du terrorisme. Le sement de la planète” . Aux

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 39 à partir du SOUS D’AUTRES CIEUX 31 Théâtre Dijon-Bourgogne Mai Cloître des Carmes - Festival d’Avignon Maëlle Poésy Avant sa présentation lors du Festival d’Avignon, Sous revisiter L’Enéide d’autres cieux sera l’un des évènements de la prochaine édition de Théâtre en Mai. Fruit d’un travail de plus de deux ans z e

conduit par Maëlle Poésy, cette d n a n r

libre adaptation du chef-d’œuvre e F s i u o

de Virgile promet de bouleverser L n a e J

les spectateurs dijonnais. ©

@

Théâtral magazine : Adapter très nombreux passages essentiel - tistique et l’envisager comme L’Enéide ... On a vu projet moins lement extraits de la première par - piste d’écriture scénique. ambitieux. Comment avez-vous tie du récit qui traite du départ et Cette création sera donc le ré - appréhendé cette masse tex - du voyage. Puis, tout en restant fi - sultat d’un travail très collectif... tuelle ? dèle à l’esprit originel, nous Le plateau fonctionne comme la Maëlle Poésy : Contrairement à sommes passés par une phase de mémoire d’Enée où des choses ce que nous pensons aujourd’hui, réécriture avec un prisme plus sub - surgissent, puis disparaissent. Au L’Enéide n’a pas été écrit pour être jectif, plus personnel, et faits au fil fur et à mesure de l’avancée de lu de bout en bout. A l’origine, des répétitions, selon une logique notre travail, nous partageons cette œuvre de Virgile est un as - de va-et-vient continus avec L’En - donc des pistes de direction avec semblage de poèmes conçus pour éide , des ajouts textuels, dansés, l’ensemble de l’équipe artistique. être représentés via des mimes, chantés au plateau pour rendre in - Chacun des membres fait alors qui prévalent sur le texte, et créer telligible cette histoire fragmen - des propositions et apporte son de l’émotion, du spectaculaire. La taire. Nous nous sommes aussi savoir-faire, son regard dramatur - question fragmentaire y est donc servis d’autres matériaux, d’autres gique ou de comédien. Lors des inscrite dès sa composition. Ce qui mythes, qui viennent éclairer cette répétitions, j’essaie toujours est raconté n’a pas valeur de vé - épopée des vaincus en quête d’une d’avoir mon équipe au complet rité, mais procède de la refabrica - terre hospitalière. pour bénéficier de l’expertise de tion d’une épopée à partir de Le thème du voyage irriguera, chaque créateur. C’est un vrai différents éléments. Ce récit doit, j’imagine, tout votre spectacle... choix, et une nécessité pour moi. par essence, se réinventer avec L’idée de métamorphose de Propos recueillis par d’autres choses, d’autres histoires, l’identité par le voyage est notre Vincent Bouquet d’autres références, ce que nous axe de recherche principal. L’En - tentons de faire avec Sous d’au - éide offre une histoire où se croi - tres cieux . sent les morts et les vivants, les n Sous d’autres cieux, de Kévin Keiss, d’après Y compris en utilisant, comme hommes et les Dieux, dans une L’Enéide de Virgile, adaptation et mise en à votre habitude, l’écriture de multiplicité d’espace-temps. Sans scène Maëlle Poésy, plateau ? chercher à travailler sur la dimen - > Théâtre en Mai, Théâtre Dijon-Bourgogne, Avec Kévin Keiss, nous avons sion psychologique des person - Parvis Saint-Jean, rue Danton 21000 Dijon, d’abord cherché à nous appuyer nages – qui en sont dépourvus –, 03 80 30 12 12, du 31/05 au 02/06 sur le matériau poétique fourni par nous nous sommes intéressés au > puis au Festival d’Avignon, Cloître des Virgile, à mettre en valeur cette processus de construction de la Carmes, 04 90 14 14 14, du 6 au 14/07 langue magnifique, en utilisant de mémoire pour nourrir l’équipe ar -

40 Théâtral magazine Mai - Juin 2019

à partir du DES CADAVRES QUI RESPIRENT 4 ThéâtredelaCité - Toulouse Juin

Chloé Dabert Dans une petite ville , une jeune femme de chambre Une histoire impossible… trouve un cadavre dans une chambre d'hôtel. En remontant Théâtral magazine : Comment cace qui m’avait frappée. Et il m’a le temps, on découvre qu'il est avez-vous découvert ce texte ? semblé intéressant de travailler mort parce que lui-même a Chloé Dabert : Le Théâtredela - sur ce décalage qui a quelque Cité à Toulouse m'a proposé de chose finalement d'assez oni - trouvé un cadavre qui lui-même mettre en scène la promotion de rique et poétique. est mort après avoir trouvé un sortie des sept élèves comédiens Qu’allez-vous faire de ce texte cadavre et ainsi de suite… C’est d'AtelierCité. Je n’avais pas forcé - avec les élèves comédiens ? cette pièce fantastique de Laura ment envie d’arriver avec un pro - D’abord, je le garde dans son en - jet clé en main. Donc je les ai tièreté. Je suis très respectueuse Wade que Chloé Dabert a choisi rencontrés et leur ai proposé des textes. Après, le but n'est pas de monter avec les élèves de plein de textes traduits de l’an - d’apporter des solutions là où il l’AtelierCité du ThéâtredelaCité glais. Par rapport à ma façon de n’y en a pas. Ce qui est intéres - à Toulouse. travailler, je trouvais intéressant sant au contraire c'est d'aller de les emmener vers les écritures creuser avec eux toute la com - anglaises. Et parmi les textes, il y plexité de la pièce. On travaille avait celui-ci qui m’avait été re - beaucoup sur la mort. Ça s'ap - commandé par la traductrice, pelle Des cadavres qui respirent Blandine Pélissier. À la première parce que c'est à cause des morts lecture cela a été assez évident. que tout cela arrive. Après il faut Alors que lorsque je l’avais lu réussir à reproduire cette impres - seule avant, je l’avais trouvé sion de cauchemar un peu réa - assez énigmatique. Mais en tra - liste très spécifique à cette pièce vaillant avec eux dessus, je l’ai re - et qui rappelle quelque chose de découvert sous un autre angle. l’univers des films de Lynch mais Qu’est-ce qui est énigmatique aussi de Woody Allen dans les pour vous ? rapports entre les couples. Donc Chronologiquement ça ne va pas. on travaille aussi beaucoup sur le Il y a un problème avec le temps couple. Et sur l’humour. qui fait que la première scène Propos recueillis par pourrait avoir lieu à la fin, au Hélène Chevrier début, ou au milieu. Et quand on arrive à la dernière scène on se dit que ce n'est pas possible. C’est un peu comme un ruban n Des cadavres qui respirent, de Moebius. On a l’impres - de Laura Wade, mise en scène d r sion que ça n’en finit pas . Or Chloé Dabert a n i P cette dimension un peu fan - ThéâtredelaCité, 1 rue Pierre Baudis n i m

a 31000 Toulouse, 05 34 45 05 05, j tastique, je ne l’avais pas per - n e B çue à la lecture. C’est plus du 4 au 14/06 @ l’écriture hyper réaliste et effi -

42 Théâtral magazine Mai - Juin 2019

ffiche T êtes d’a

Isabelle Huppert joue dans Mary said what she said Edouard Baer et son spectacle Les élucubrations mis en scène par Bob Wilson au Théâtre de la Ville -> p. 8 d'un homme... au Théâtre Antoine -> p. 14

Jérôme Kircher joue dans Fauves de Nicolas Bouchaud joue dans Un ennemi W. Mouawad à la Colline -> p. 16 du peuple à l’Odéon -> p. 22

Pierre Cassignard et Michèle Bernier Pascal Rénéric joue dans L’Orestie Camille Chamoux joue dans Retours dans Un grand cri d’amour -> p. 35 aux Nuits de Fourvière -> p. 48 mis en scène par Frédéric Bélier-Garcia-> p. 32

Francis Huster reprend Bronx Denis Podalydès joue dans Les Damnés Grégori Baquet reprend Adieu Monsieur Haffmann au Poche-Montparnasse à la Comédie-française -> p.80 au théâtre Montparnasse Jérôme Deschamps joue et met en scène Eric Ruf met en scène La Vie de Galilée Le Bourgeois gentilhomme -> p. 50 à la Comédie-Française > p. 54

Joël Pommerat reprend Ça ira (1) Fin de Agnès Jaoui met en scène Tosca de Puccini Louis à la Porte Saint-Martin -> p. 82 dans le cadre d’Opéra en Plein Air

François Berléand et Michèle Laroque Daniel Auteuil joue et met en scène Anna Mougladis joue dans Mlle Julie dans Encore un instant à Edouard VII Le malade imaginaire au théâtre de Paris au théâtre de l’Atelier

Pierre Arditi et Michel Leeb jouent dans Compromis au théâtre des Nouveautés -> p. 82

Isabelle Adjani joue dans Opening night aux Bouffes du Nord - > p. 84 Bernard Campan et Isabelle Carré jouent dans La Dégustation - > p. 84 à partir du LES EVAPORÉS 5 Juin La Tempête – Cartoucherie de Vincennes

Delphine Hecquet

C’est une tragédie contemporaine, et au Japon, un sujet tabou et douloureux. La metteuse en scène Delphine Hecquet s’est intéressée à la question de l’évaporation de 100 000 personnes chaque année. Partie quasiment en errance à Tokyo en 2015 pour y obtenir des réponses, elle écrit et crée un spectacle, Les Evaporés , en japonais surtitré. d r a e g i P

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n faire entendre la parole des évaporés a D

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Théâtral magazine : Qu’est-ce Pourquoi ces gens s’évaporent-ils ? pour révéler des sensations, créer que l’évaporation ? Nous parlons de honte, les japo - du sensible entre les spectateurs Delphine Hecquet : Ce n’est nais parlent de déshonneur. Un et les acteurs. La réalité du pla - pas la disparition de personnes sentiment ancestral. Cela com - teau me permet de faire enten - comme en Occident ; le terme prend tous types d’échecs (divorce, dre une parole complètement signifie le passage de l’état li - licenciement, échec scolaire…) endormie par le gouvernement quide à l’état gazeux, une va - qui ne correspondent pas à ce que japonais, celles des évaporés et leur poétique employée par les la société japonaise impose pour de leurs familles. Le théâtre est le japonais pour accepter une réa - réussir. Ceux qui s’évaporent lieu sacré de la parole, où l’on ne lité difficile à réaliser. J’étais ne voient pas d’autres solu - peut pas l’interrompre. fascinée par le fait que l’on ne tions que de recommencer à Pourquoi jouer en japonais ? sache pas cela en France, et je zéro, de quitter leur identité lé - Je voulais faire entendre que m’imaginais ces gens perdus gale, fuir physiquement et menta - cette parole nous est étrangère, dans les villes au milieu des lement en renonçant à qui ils que cette culture japonaise ne masses pour trouver un autre étaient. Au Japon il n’y a pas de parvient pas à trouver des moyen d’existence et dépasser centralisation de l’état civil. La ville moyens pour que les gens souf - leur sentiment d’échec. C’est un se prête à l’évaporation. frent moins dans leur société. J’ai suicide social pour s’extraire Pourquoi choisir le théâtre pour écrit la pièce en français et l‘ai fait d’une société ; ces gens cla - en parler ? traduire. quent la porte sur leur vie, se Je ne voulais pas faire un docu - Propos recueillis par métamorphosent, tombent mentaire mais passer par le théâ - François Varlin dans la précarité, la clandesti - tre pour montrer sur le plateau la nité. Ceux qui ont nettoyé la colère, l’incompréhension des fa - n Les Evaporés, texte et mise en scène centrale de Fukushima en 2011 milles... Mon travail n’est pas celui Delphine Hecquet étaient pour la plupart des éva - d’un sociologue ou d’un journa - Théâtre de la Tempête – Cartoucherie, porés ; cela arrangeait bien liste. Il y a très peu de documents, Route du Champ de manœuvre 75012 l’Etat que des anonymes meu - de témoignages sur le sujet. Le Paris, 01 43 28 36 36, du 5 au 23/06 rent de ce nettoyage… théâtre est un moyen formidable

46 Théâtral magazine Mai - Juin 2019

à partir du L’ORES TIE 5 Juin Nuits de Fourvière - Lyon l e h

Pascal Rénéric c n o P

u e i h t Pascal Rénéric sera en alternance avec t Cet été, a M

Denis Podalydès dans Architecture de Pascal Rambert à @ Avignon. Et un mois avant, il jouera Oreste dans L’Orestie que monte Georges Lavaudant au Festival des Nuits de Théâtral.info Fourvière aux côtés d’Anne Alvaro. Oreste c’est la dernière victime Théâtral magazine : A un mois entre ses parents. de la malédiction des Atrides. d’intervalle, vous allez jouer Mais c’est aussi une histoire où Rappelez-vous : Tantale donne dans deux tragédies, l’une an - les dieux sont très présents et son fils Pelops à manger aux tique, l’autre moderne. Quel régissent l’existence et les pen - Dieux. Les dieux s’en rendent lien faites-vous entre les deux ? sées des personnages. compte et se sentant trahis, Pascal Rénéric : Elles ont 2500 J'aime l’idée qu’il y ait le dieu de ressuscitent Pelops et jettent ans d’écart et c'est le même ver - la guerre, le dieu du soleil, le une malédiction sur la famille. tige, le même appel tragique. A dieu du vent, le dieu de la mer… Les deux fils de Pelops, Atrée et un moment donné dans Archi - Je crois que notre société a Thyeste se disputent le pouvoir tecture on fait un voyage en ba - besoin de ce retour au poly - et la femme d’Atrée qui se teau, on pense à la Grèce et on théisme. Pour que les juridic - venge en donnant à Thyeste parle du temple d'Apollon et des tions sachent faire face aux ses propres enfants à manger. Erinyes, les démons vengeurs. En problèmes écologiques, je suis Egisthe dernier fils de Thyeste tant qu'acteur ce qui me plaît persuadé qu’il faut redonner es - tue Atrée. Agamemnon fils c'est de faire l'exercice mental prit aux rivières, ou à l'arbre. On d’Atrée sacrifie sa fille Iphigé - de penser comme il y a 100 ans pourrait aussi imaginer un dieu nie pour atteindre Troie et sau - dans Architecture , ou comme il y de la roche, ou un dieu des ri - ver Hélène la femme de son a 2500 ans dans L’Orestie et de vières… frère Ménélas. Clytemnestre, la réfléchir à ce que fait l'Homme. Vous pensez que de donner femme d’Agamemnon le tue L’Orestie c’est le dernier acte une âme aux éléments de la pour venger leur fille avec d’une vengeance qui se transmet nature nous obligerait à da - l’aide de son amant Egisthe. de génération en génération... vantage la respecter ? Oreste tue alors sa mère et C’est un vertige que le specta - Oui, il faut redonner juridiction Egisthe pour venger son père teur va éprouver parce qu'on aux dieux. On le fait déjà pour Agamemnon. joue dans les amphithéâtres ro - des machines. On crée des socié - mains de Fourvière, que le soir tés comme Peugeot. On appelle va tomber pendant la pièce, et ça des personnes morales. Et au qu’on va raconter très simple - nom de ces sociétés, on licencie n L’Orestie, d’après Eschyle, ment une histoire ultra violente : quand ça va mal pour que l'en - mise en scène Georges Lavaudant, comment Oreste va tuer sa mère treprise continue à fonctionner. avec Pascal Rénéric, Anne Alvaro, parce qu'elle a tué son père et On pourrait faire la même chose Carlo Brandt, Irina Solano, Camille comment les dieux de la ven - pour une rivière. L'humain a be - Cobbi, Astrid Bas… geance le pourchassent. Il y a soin de se raconter des histoires Nuits de Fourvière, Odéon, 6 rue de plein de phrases qu’on retrouve pour continuer à vivre. l’Antiquaille 69005 Lyon, dans Hamlet . Parce que c’est Propos recueillis par 04 72 32 00 00, du 5 au 8/06 aussi l'histoire d'un fils coincé Hélène Chevrier

48 Théâtral magazine Mai - Juin 2019

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! n t à partir du LE BOURGEOIS GENTILHOMME 7 Juin Printemps des Comédiens et tournée

Jérôme Deschamps Un Jourdain sincère et touchant

Le créateur des Deschiens , l’ex-directeur de l’Opéra Comique, Jérôme Deschamps, passe d’une comédie (Bouvard et Pécuchet) à l’autre (Le Bourgeois gentilhomme) . Molière, c’est l’un de ses terrains de prédilection : de la farce, de la satire, de l’observation, sans oublier de la musique. Deschamps se régale, mais risque gros : il fait la mise en scène et joue M. Jourdain. Il est entouré par du beau monde : Josiane Stoléru, Jean-Claude Bolle-Redat comme partenaires, Marc Minkowski à la musique, son fils Félix Deschamps aux décors…

Théâtral magazine : Quel rap - Pour vous, qui est Monsieur veuve très intelligente, qui se port entretenez-vous avec Le Jourdain ? méfie des cadeaux, qui refuse Bourgeois gentilhomme ? Selon la tradition, c’est d’abord le diamant de M. Jour - Jérôme Deschamps : Le jouer quelqu’un qui prétend à un hon - dain. Elle se comporte de façon et le monter, c’est un rêve d’en - neur qui n’est pas le sien. Pour ambiguë, soutient la mascarade fance. La première fois que je moi, c’est un homme qui veut qu’organise Covielle, dans cette suis allé au théâtre, emmené s’élever par la musique, la danse, compétition où tout le monde par mon grand-père, c’était etc., donc par la culture. Quand bricole avec les lois de la société. pour cette pièce de Molière, il voit tous ses invités, il se dit Vous conciliez une vision so - donnée à l’Odéon par la Comé - qu’il est passé à côté de sa vie. ciale et une comédie débridée ? die-Française. C’était l’époque “Pourquoi pas moi ? pense-t-il. Je Il faut que le moment du “ma - Louis Seigner, Jacques Charon, veux devenir un homme de qua - mamouchi” soit absolument pa - Georges Chamarat. Quand je lité.” Cela ne l’empêche pas radisiaque. C’est la collaboration suis entré à la rue Blanche, je d’être drôle. Mais je le veux sin - de toute une équipe. Nous fai - me suis débrouillé pour être fi - cère et touchant. Ce n’est pas un sons travailler 90 personnes. Va - gurant au Français dans Le pigeon ridicule. Je m’intéresse nessa Sannino fait des costumes Bourgeois , j’ouvrais les portes et aussi beaucoup à la scène de la qui ont de l’humour : c’est rare ! passais les chandeliers ! Au - turquerie. Il faut mettre en scène Propos recueillis par jourd’hui, j’entreprends de mon - l’émerveillement de Jourdain. Il Gilles Costaz ter la pièce et de jouer le rôle faut que la turquerie soit belle, principal, dans le cadre de l’ac - qu’elle respire le bonheur. n Le Bourgeois gentilhomme, mis en scène et tivité d’une compagnie de taille Quelles autres conventions avec Jérôme Deschamps, avec Josiane Stoléru, moyenne. Tout le monde me dit faut-il dépasser ? Jean-Claude Bolle-Reddat, Pauline Deshons… de ne pas le faire, mais nous L’attitude des femmes n’est pas Printemps des Comédiens Domaine d’O, sommes aidés par le Printemps toujours ce qu’on croit. Dori - 178 rue de la Carriérasse 34000 Montpellier, des Comédiens, l’Opéra de mène est généralement jouée 04 67 63 66 67, du 7 au 9/06 Montpellier, l’Opéra de Pau et de façon incomplète, comme Puis en tournée l’Opéra royal de Versailles. une proie. Or c’est une jeune

50 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 ECLAIRAGE par Gilles Costaz

Le Bourgeois de Louis Seigner à Jérôme Deschamps en passant par Jean-Philippe Daguerre

Quand il ne parle pas des le roi Louis XIV et le sultan otto - prète qui jouait M. Jourdain . A questions artistiques de la mise man Mehmet IV” , dit cette au - la Comédie-Française, Louis Sei - en scène du Bourgeois gentil - teure dont nous avons lu gner fut l’interprète-type pen - homme , Jérôme Deschamps l’intéressant et bouillonnant ma - dant les années 50-60, dans une aime évoquer le contexte histo - nuscrit, à apprécier comme une mise en scène de Jean Meyer. rique de la pièce. “Molière et nouvelle comédie mais aussi D’une nature ronde, d’un jeu Lully avaient été appelés par comme une revanche des Turcs puissant et calculé, Seigner mar - Louis XIV pour qu’ils réagissent contre une pièce qui était aussi qua plusieurs générations de à l’incident qu’avait constitué la un pamphlet. spectateurs. Il soignait la carica - rencontre du pouvoir monar - Pour nous Français, la co - ture, l’énormité des travers du chique français et d’un délégué médie-ballet de Molière est héros, en un temps où Jacques de la Turquie, dit Deschamps . Le surtout un portrait du “nou - Charon – qui est, dans le specta - roi avait reçu solennellement un veau riche”, le traitement d’un cle, l’un de ses partenaires, en ambassadeur turc, qui n’était caractère à la manière de La maître de danse -, faisait alors qu’un personnage de second Bruyère où se fixent les ridicules régner au Français un style bur - ordre. Vexé, le roi avait changé de celui qui, né à un certain lesque attaché à la succession son attitude envers le pouvoir grade de la vie sociale, veut at - des effets comiques. Tout d’Istanbul et demandé à ses au - teindre l’échelon supérieur : avec change en 1986, quand Roland teurs préférés de se moquer des de l’argent généralement gagné Bertin reprend le rôle de Jour - Turcs dans une nouvelle pièce”. dans les affaires, il accède à un dain dans une mise en scène de Ce qui fut fait avec somptuosité, monde qui se moque de lui mais Jean-Luc Boutté. Bertin voit le au château de Chambord, en accepte son argent. La figure de personnage comme “très près de 1670. M. Jourdain peut être jouée à l’enfance et de l’adolescence” . Le Aujourd’hui, on ne se sou - travers différents reflets : l’imbé - bourgeois lunaire prend forme ! cie plus de cet arrière-plan. cile, le lunaire, le sincère. Pour la On pardonne ses folies à M. Jour - Sauf peut-être en Turquie, où mise en scène, le genre de la co - dain, on aime ce grand rêveur. l’on ne trouve pas toujours plai - médie-ballet appelle faste, ma - La version suivante sera due à sante la scène finale de la nomi - chinerie, orchestre, danseurs et Jean-Louis Benoit qui fait de Mi - nation de M. Jourdain en chanteurs. Mais, selon les points chel Robin un parvenu égale - “mamamouchi”. Une auteure de vue et les moyens dont on dis - ment ahuri, toujours étonné de turque, habitant en France, Ha - pose, le spectacle n’est pas né - ce qui lui arrive. Cette voie-là rika Canu, a d’ailleurs écrit une cessairement un grand sera beaucoup empruntée. Hors contre-pièce, C’est la faute à Mo - déploiement d’artistes, de cos - du Français, à la Porte Saint- lière , qui pourrait être jouée pro - tumes et de décors. On peut Martin, François Morel sera, en chainement dans un festival du jouer Le Bourgeois dans une cer - 2012, également la tête dans Vercors. “L’envie de poétiser la taine simplicité. les étoiles, même s’il ajoute son pièce du Bourgeois gentilhomme Longtemps, on vit surtout humour secret et doux à la mise est liée à un fait historique entre la pièce en fonction de l’inter - en scène de Catherine Hiegel.

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 51 ECLAIRAGE par Gilles Costaz

(La même année, au théâtre 14, Minh Ngoc, écrivit un Monsieur trigues. On sent que c’est une Marcel Maréchal joue la même Jourdain au Tonkin qui fait du commande, que Molière a voulu pièce : lui retrouve le comporte - personnage central un homme faire plaisir au roi, qu’il a accepté ment royal, dominant et néan - d’affaires français en Asie et fit de la musique de Lully, un per - moins clownesque d’un Louis un triomphe jusqu’en Chine ; en sonnage qu’il n’aimait pas. Il y a Seigner). 2009, Philippe Car (Agence de eu la première version, une comé - Le personnage a toujours voyages imaginaires) en fit une die-ballet pleine de musique, puis attiré les acteurs qui privilé - pièce, toujours appelée Le Bour - la suivante, plus tournée sur le gient la parade comique . Dans geois gentilhomme , pour trois ac - texte. Ce M. Jourdain est à consi - ce lot – et il faut revenir à la Co - teurs et des marionnettes créées dérer à la fois comme un homme médie-Française -, Raimu donna selon la tradition japonaise du plein de tendresse et un paran - le ton en se faisant engager par bunraku. gon de la bêtise. C’est toujours notre théâtre national en pleine d’actualité puisqu’on rencontre guerre. Nous sommes en 1944. M. Jourdain est à considérer à des M. Jourdain tous les jours ! Je Le comédien fétiche des films de la fois comme un homme l’ai représenté dans une mise en Pagnol est d’abord mal vu. “Un plein de tendresse et un pa - scène flamenca, comme un bou - trombone marseillais chez nous” , rangon de la bêtise. C’est tou - villon qui affronte l’aristocratie ! crient certains sociétaires. Mais jours d’actualité puisqu’on Je n’ai pas pris la musique de le spectacle, qui bénéficie d’une rencontre des M. Jourdain Lully, mais Valentina Casula mise en scène du délicat Pierre tous les jours ! nous a fait une musique origi - Bertin et d’autres grands inter - nale à la fois flamenco et jazz qui prètes (Marie Bell en Dorimène), participe au rythme d’un specta - rencontre une audience considé - Beaucoup de Bourgeois fu - cle ramené à une heure qua - rable. Si le contexte historique rent montés pour les écoliers. rante-cinq. Enfant, j’ai vu Jean Le est respecté, Raimu a répugné à Jean-Philippe Daguerre est l’un Poulain au Français dans le rôle. porter une perruque. Il garde sa des maîtres des matinées clas - Cela m’a marqué. Depuis, je n’ai nature, sa vérité, en restant tel siques. Pas d’académisme dans vu que la mise en scène de Benja - qu’il est. Fernand Reynaud, à son sa traduction charnelle des min Lazar, que j’ai trouvée fasci - tour, joua la pièce à Hébertot en pièces, mais une vie folle sur le nante.” 1962, mis en scène par Jean- plateau. Il a monté deux fois Le Oui, Lazar représente une Pierre Darras. Christian Clavier Bourgeois gentilhomme , la pre - autre tentative, moderne et incarna Jourdain dans un film mière fois à la Porte Saint-Mar - pourtant farouchement ar - tiré de la pièce par Christian de tin, en 2001, la seconde fois, en chaïque. En 2004, avant la Chalonge en 1968. Jean Le Pou - 2014, cette deuxième mise en création de sa mise en scène lain l’interpréta à Mogador et au scène étant toujours donnée au soutenue par la direction musi - château de Versailles en 1970, théâtre du Ranelagh. Il vient de cale de Vincent Dumestre à avant de la reprendre à la Comé - s’intéresser à Dom Juan , dont les l’Apostrophe de Pontoise, il dé - die-Française quand il en fut représentations ont commencé clarait au Monde : "Pour un co - l’administrateur. Michel Galabru en avril, mais se souvient avec médien baroque, le texte seul ne fut le titulaire du rôle dans la bonheur du Bourgeois , qui reste suffit pas. Nous devons mettre mise en scène de Jérôme Savary, à l’affiche du Ranelagh et de sa par la déclamation notre corps et à Chaillot, en 1981. Jean-Marie compagnie Le Grenier de Ba - notre voix au service du poète. Bigard s’en empara en 2006, au bouchka : “C’est la pièce de Mo - Trouver le bon geste pour le bon théâtre de Paris, dans une mise lière que je préfère, la seule que mot dans un contexte donné im - en scène d’Alain Sachs. Le texte j’ai reprise. Elle est d’une plique un jeu qui va de la ges - stimule également les adapta - construction différente. Il y a tuelle noble apparentée au teurs qui voient là une satire mo - deux actes d’exposition, où Mo - tragique et au religieux, à la ges - derne à rendre encore plus lière se fait plaisir. Ensuite la tique populaire des lazzi de la contemporaine : en 1994, Vin - pièce se développe, de façon foi - commedia dell'arte. On retrouve cent Colin, en compagnie de Tan sonnante, avec plusieurs in - cela dans la musique et la

52 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 LE BOURGEOIS GENTILHOMME

danse." Eclairé à la bougie, inter - avec François Morel, mise en scène Catherine Hiegel prété avec un accent bourgui - gnon du XVIIe siècle, ce baroquisme prolongea la nou - velle ère d’une mise en scène ar - chéologique d’un passé à reconsidérer au plus près. La re - présentation baroque était à l’opposé de ce qu’allait faire Denis Podalydès aux Bouffes du nord en 2015 et qui fit une im - portante tournée en 2016. Di - rection musicale de Christophe Coin (fidèle à la partition de Lully), scénographie à étages r d d’Eric Ruf, costumes picturaux de Christian Lacroix, interprétation @ très nerveuse de Jourdain par Pascal Rénéric très précis, ronde avec Pascal Rénéric, mise en scène Denis Podalydès des intermèdes dansés : ce fut un retour à l’esprit classique, très applaudi, mais peut-être d’un es - prit abusivement sérieux. Jérôme Deschamps semble à son tour s’orienter vers le clas - sicisme à l’intérieur d’une mise en scène où la beauté des élé - ments devrait être utilisée de façon très joueuse. Deschamps lui-même est un acteur d’une grande drôlerie, comme le sa - vent ceux qui ont vu Boulevard Bettancourt et Bouvard et Pécu - chet. Gilles Costaz r d

@ n Le Bourgeois gentilhomme, mise mise en scène Jean-Philippe Daguerre en scène Jean-Philippe Daguerre, Le Ranelagh, 5 rue des Vignes 75016 Paris, 01 42 88 64 44, jusqu’au 11/05 n Le Bourgeois gentilhomme, mis en scène et avec Jérôme Deschamps Printemps des Comédiens, r d

Montpellier, 04 67 63 66 67, du 7 @ au 9/06 Puis en tournée

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 53 à partir du LA VIE DE GALILÉE 7 Juin Comédie-Française – Paris

Eric Ruf L’amoureux des icônes

En charge de la Comédie-Française depuis presque cinq ans, Eric Ruf avait plus fait de scénographies que de mises en scène et avait .

cessé de jouer. Il revient à la mise en scène d n a r é

avec La Vie de Galilée , pièce fleuve de Brecht u g n E

qu’Antoine Vitez avait mise au répertoire il y a e t t i g i r

17 ans en y dirigeant Roland Bertin. B ©

ric Ruf, administrateur suis allé voir dans les rôles de Ro - complexité : “C’est beaucoup général minutieux et land Bertin,un acteur qui a été plus profond que supposé. attentif, est en train l’une des grandes figures de la Brecht a tellement travaillé, a E d’écrire à la main une Comédie-Française, en pensant changé plusieurs fois la fin. Cela lettre à une spectatrice quand il que je cherchais une pièce dont passe pour une œuvre anti-reli - nous reçoit. Sa main, on le sait, Hervé Pierre pourrait jouer le rôle gieuse mais non. Le dialogue c’est celle d’un graphiste. Il a fait principal. Je vois une certaine gé - entre le petit moine et Galilée est beaucoup de scénographies et il mellité entre ces deux comé - extraordinaire. Il y a le même fait le décor de La Vie de Galilé e diens”. C’est ainsi que Ruf est doute sur la certitude de la en même temps qu’il en fait la tombé sur Galilée. Il est allé voir science que sur la finitude de la mise en scène. Ce décor intègre Roland Bertin qui s’est retiré en religion. Brecht peut produire et additionne des œuvres de Fra Bretagne. Ils ont parlé du spec - des images d’une grande Angelico, Le Caravage, Raphaël, tacle d’antan, du rôle. “Parfois, je croyance et donne à chaque per - Rembrandt, des Vierges à l’en - ne comprends pas, mais j’ai joué sonnage des thèses de grande fant, toute “la flamme vati - comme ça” , disait parfois Ber - qualité.” cane” … Confronté pour la tin… En compagnie d’Hervé Pierre première fois à cette fresque de Brecht conte à sa façon qu’il qualifie d’ ”ogre grand-pen - “goliath catholiques ” (c’est ainsi 27 ans de la vie du savant seur” , il pense que le spectacle que la définit Ruf), Hervé Pierre, italien, en butte à la persé - enfin construit ne sera pas de na - qui joue Galilée, a dit, estoma - cution de l’Eglise qui veut le ture scientifique mais, espère-t-il, qué : “Quel match !” Comment faire renoncer à sa vision d’une “d’une poétique immédiate”. jouer avec, derrière soi, ce pan - planète Terre qui ne serait pas Gilles Costaz théon d’icônes… immobile et au centre de l’uni - Le Français revient à Brecht, vers. Galilée ruse longtemps, n La Vie de Galilée, de Brecht, traduction après L a Résistible Ascension mais finit par céder… Eric Ruf d’Eloi Recoing, mise en scène Eric Ruf, avec d’Arturo Ui mis en scène par Ka - n’avait pas vu le spectacle de Hervé Pierre, Guillaume Gallienne, Florence tarina Talbach. “Là, c’est diffé - Vitez, n’étant pas alors entré au Viala, Véronique Valla, Thierry Hancisse. rent, dit Ruf. Pour Arturo Ui, Français. Il connaissait mal le Comédie-Française, Place 75001 Paris, j’étais allé chercher à la source de texte. Il a découvert une œuvre 01 44 58 15 15, du 7/06 au 25/07 ce théâtre, en Allemagne. Là, je dont il ne soupçonnait pas la

54 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 à partir du TOUT LE MONDE NE PEUT PAS ÊTRE ORPHELIN 22 Nuits de Fourvière - Lyon Juin

Jean-Christophe Meurisse Jean-Christophe Meurisse est le fondateur et directeur artistique de la Compagnie théâtrale Les Chiens de Navarre qui existe depuis 2005. Après leur dernier spectacle Jusque dans vos bras sur le thème de l'identité nationale, le nouveau spectacle de la compagnie, Tout le monde ne e peut pas être orphelin, traitera de la famille. s s i r u e m

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Famille or not famille ? @

Théâtral magazine : Comment manière dont les enfants et les votta, deux ex-Deschiens, qui in - le thème de la famille s'est-il parents se parlent. Quels re - carneront les figures paternelles. imposé à vous? proches les parents peuvent faire Est-ce difficile de faire rire Jean-Christophe Meurisse : Au à leurs enfants, et les enfants à avec la famille? départ, ce n'est pas un thème qui leurs parents ? Comment se ren - Je ne sais pas si c'est facile, mais me tenait spécialement à coeur. trer dedans ? Est-il possible de se c'est en tout cas nécessaire ! Mais je me suis aperçu qu'il sus - détester intelligemment ? Voilà Comme avec tout sujet angois - citait en moi des émotions des points qui m'intéressent... sant d'ailleurs... Avec les Chiens contradictoires. Spontanément L'une des choses que je voudrais de Navarre, nous aimons bien je ne crois pas à la famille, qui est essayer de creuser également pratiquer le rire émotif. J'aime pour moi source d'angoisse à c'est la famille comme lieu né - beaucoup l'expression "pleurer cause du contexte assez désas - vrotique de la répétition. de rire" . J'aime le côté sauvage treux dans lequel j'ai grandi. Quand on retrouve sa famille, du rire. Je trouve que cela le li - Mais en même temps, j'ai eu des on se replonge dans les mêmes mite si l'on se contente d'en faire enfants, j'ai fini moi-même par odeurs, les mêmes ambiances, les un simple entertainment. Bon, fonder une famille. Donc ce mêmes discussions. Je pense qu'il évidemment, là j'intellectualise thème provoque chez moi un cer - y a deux types de personnes : un peu. Mais il y aura sur scène tain nombre de paradoxes et de ceux que cela angoisse , et ceux des moments où tout simple - contradictions. Ce qui est, après que cela rassure... Evidemment ment on sera heureux de faire tout, un bon point de départ nous explorerons ces questions les couillons... pour commencer à travailler... en passant par la psychanalyse, Propos recueillis par La famille est un vaste sujet. Sous et en nous référant aux grands Jean-François Mondot quel angle allez-vous l'aborder? mythes qui tournent autour de Nous venons tout juste de com - ces sujets, le mythe d'Oedipe, ou mencer à travailler, et comme ma le mythe de Médée... n Tout le monde ne peut pas être orphelin, méthode de travail repose sur une Combien serez-vous sur scène? par la Compagnie Les Chiens de Navarre, écriture de plateau où chacun ap - Huit personnes. La troupe évolue mise en scène Jean-Christophe Meurisse porte sa contribution, je n'ai pas et parmi les nouveaux arrivés, les Radiant-Bellevue (dans le cadre des Nuits de encore une vision très précise de spectateurs reconnaîtront deux Fourvière), 1 rue Jean Moulin 69300 Caluire, ce que nous allons faire. Néan - acteurs qu'ils connaissent bien, 04 72 10 22 19, du 22 au 26/06 moins, j'aimerais travailler sur la Olivier Saladin et Lorella Cra -

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 55 à partir du DÉVO TION 27 Cité internationale – Paris Juin Festival d’Avignon

Après avoir présenté son texte Les Adieux (nous qui avions perdu le monde) au Théâtre de la Cité internationale, Clément Bondu revient dans ce lieu avec un autre de ses textes, Dévotion , qui fera ensuite partie du festival d’Avignon. Il y fait jouer 14 élèves de l’Ecole supérieure d’art dramatique de Paris. t e

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La parole originelle a M

@ crivain, poète, cinéaste, lus ici et là. Un “long travail présence de l’homme sur Terre !“ metteur en scène, ani - de brouillon” autour des Clément Bondu rend hom - mateur de la compa - héros ratés du XXIe siècle et mage à son équipe, principale - E gnie Année zéro, des illusions perdues. La ment à son collaborateur Clément Bondu passe d’un lan - fresque finale a de l’ampleur : artistique, Charles Chauvet, à sa gage à l’autre avec passion. Im - “Ce sont des histoires multiples, scénographe Anne-Sophie Grac, mense, mince, fébrile, il a avec, au départ, des figures my - et à son éclairagiste, Nicole Gal - emmené les élèves de l’ESAD thiques de la littérature euro - land. Il apprécie que, grâce au dans un vaste projet, à l’invitation péenne, Hamlet, Ophélie, l’Idiot, travail avec les acteurs et une de Serge Tranvouez. Pour Dévo - Baal, Faust… Dans la première part d’écriture de plateau, le tion , il a poursuivi l’écriture d’une partie, nous sommes dans des théâtre se détache de la littéra - pièce en cours, d’un travail de plu - villes en ruines, avec l’Idiot, Ham - ture, “décloisonne”. Mais, pour sieurs années. Les élèves ont fait, let dans sa chambre. La lui, “on fait néanmoins du verbe. de leur côté, un travail documen - deuxième partie a lieu dans une C’est le langage qui permet de taire qui a nourri l’œuvre en ges - sorte de club, au siège du parti poser des questions. On ne fa - tation. Mais Dévotion , quel drôle du Progrès, un mouvement na - brique pas un objet de théâtre. de titre ? “C’est plutôt une prière tionaliste qui fonctionne dans le On revient à la simplicité, comme païenne, une dernière offrande au secret et la nuit. Dans la troi - une réplique à l’état d’épuise - dieu mort, un spectacle aux sième partie, tout se dissout dans ment de notre civilisation, à la confins de la parole et du théâtre.” un cimetière ; on rejoint le monde conscience du désastre clima - Le travail tout au long de des morts, selon des rituels du tique qu’a la jeunesse soucieuse.” l’année a dû être merveilleuse - Mexique et de l’Amérique du Sud. Gilles Costaz ment turbulent : “ On a ques - L’Idiot organise son propre enter - tionné l’héroïsme, la fin de rement. C’est la mise à nu de la l’héroïsme, les figures noires de fête. Chacun dit ses derniers n Dévotion, de et mis en scène Clément Bondu l’époque. On voulait créer des mots. On va aux limites de nos ci - avec la promotion 2019 de l’ESAD. fantômes en lien avec les événe - vilisations. La nature reprend ses Théâtre de la Cité internationale, 17 bd Jourdan ments, dans des lieux poétiques, droits. Cette grande machinerie 75014 Paris, 01 43 15 50 60, les 27 et 28/06 politiques et métathéâtraux.” théâtrale débouche sur le retour puis festival d’Avignon, gymnase du lycée En fait, Bondu avait déjà à la nature et à la parole origi - Saint-Joseph, du 5 au 8/07 avec lui d’abondants fragments, nelle. La pièce témoigne de la

56 Théâtral magazine Mai - Juin 2019

ossier D

58 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 Les femmes montent en sdossiecr réaliséè par Hénlène Che vrier

s'appellent Pauline Bureau, Louise Vi - gnaud, Julie Deliquet, Gaëlle Bourges, Sophie Perez, Fanny de Chaillé, Julie lles Berès, Marie Rémond, Jeanne Candel, E Carole Thibaut, Julie Timmerman, Chloé Dabert, Julie Duclos, Maëlle Poésy, Charlotte Rondelez, Pauline Bayle, Caroline Guiela Nguyen, Mélody Mourey, Séverine Chavrier, Elise Vigier, Célie Pauthe, Anne-Laure Liégeois, Tiphaine Raffier, Pau - line Sales, Nathalie Béasse… et leurs noms sont associés à des succès. Certaines d'entre elles écrivent et mettent en scène, d'autres mettent juste en scène et d’autres se disent plus chorégraphes que metteuses en scène. Au dernier festival d’Avignon, Carole Thibaut secouait les insti - tutions avec un discours d’anthologie pour rappeler que malgré les annonces faites sur la parité, les mesures mises en place sur les quo - tas hommes/femmes, les hommes restaient majoritaires aux postes clés de la création. Il y a cinquante ans on comptait les femmes met - teuses en scène sur les doigts d’une main entre Ariane Mnouchkine, Catherine Hiegel... Puis il y a eu Anne-Laure Liégeois, Muriel Mayette, Julie Brochen, Irina Brook, Cécile Backès, Agnès Jaoui… Et on ob - serve depuis une dizaine d’années l’émergence de toute une généra - tion de créatrices, très libres, audacieuses et quand même très working girls, travaillant sans limite pour leur art tout en menant leur vie personnelle de front. En voici quelques portraits…

Hélène Chevrier

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 59 DOSSIER

Anne-Laure Liégeois

Si l’on devait résumer Anne-Laure Liégeois en quelques spectacles, ce serait évidemment Embouteillage , La Duchesse de Malfi, Edouard II, Macbeth, Les Epoux. Sans le savoir elle a beaucoup apporté au théâtre. De par son intelligence, sa féminité, la diversité et l’originalité des projets qu’elle monte. Pour toutes ces

r raisons, elle a sans doute ouvert la voie à l’émergence d Pionnière ! @ de nombreuses jeunes metteuses en scène.

Son goût pour l’écriture et la mise nées plus tard, Anne-Laure lui ren - des questions jusqu’à présent en scène, elle pense qu’elle le doit verra l’ascenseur en lui demandant jamais traitées par les hommes. aux études de lettres anciennes de venir travailler avec elle au CDN Ainsi son Macbeth en 2014 est re - qu’elle a faites. Mais aussi à ses pa - de Montluçon. Elle vient de faire en marquable de subtilité et d’ana - rents qui l’ont énormément emme - 2001 le fameux Embouteillage , lyse en regard de la psychologie née au théâtre. "On vivait en avec 32 voitures converties en mini féminine. banlieue à Verrières-le-Buisson, Châ - salles de spectacles. On lui propose "C'était un moment où je travail - tenay-Malabry, Antony et ma mère alors de se présenter à Montluçon, lais sur le pouvoir, la mort et l'amour. réunissait des groupes de 40 specta - où il y a le plus petit CDN de France. Ayant traité la mort dans Malfi , le teurs pour aller voir Ariane Mnouch - Et elle l’emporte. Pas préparée à di - pouvoir dans Édouard II , il restait kine. Ils n’étaient pourtant pas issus riger, elle va devenir une directrice l'amour pour Macbeth . Et ça me per - d'un milieu artistique ni bourgeois très populaire, même si elle a le sen - mettait de parler du couple, de ce mais ils m’ont montré très tôt des timent de ne pas être reconnue par que c'était que cet homme et cette pièces que des enfants de mon âge ses pairs, tous des hommes. "Dans femme qui s'aimaient, comment ils ne voyaient pas. C'était des mo - les réunions des directeurs, je restais s'aimaient et jusqu'où ils s'aime - ments de fête" . Elle crée très vite sa toujours plantée sur le côté, j'avais raient. Finalement Macbeth me per - troupe et monte sa première pièce l'impression d'être comme une sotte. mettait de parler des femmes plus à la Piscine à Châtenay que dirige C'était hyper violent surtout parce que Lady Macbeth parce que Mac - alors Jean-Claude Penchenat. qu’en tant qu'artiste je ne les intéres - beth dit tout le temps qu'il n'est pas Mais à 20 ans on est fragile. Et il sais pas…" C’est une autre femme un homme et c'est pour ça que sur s’en faut de peu qu’elle n’aban - qui va la mettre en lumière. Muriel scène il finissait en robe avec les sor - donne le métier suite à un rendez- Mayette, alors administrateur géné - cières que j’ai représentées avec tout vous avec un directeur de salle au ral de la Comédie-Française, lui ce qu'on projette sur les femmes comportement inapproprié. "J’ai ouvre les portes du premier théâtre c'est-à-dire des jeunes filles nues, pleuré jusqu’à ce que j’arrive chez de France : elle y monte Burn, Baby avec des cheveux magnifiques et to - moi. Il fallait avoir une sacrée néces - burn de Carine Lacroix et Le bruit talement libres. J'ai pu le faire sité et un sacré amour du théâtre des os qui craquent en 2010. La comme ça parce que j'étais une pour continuer. Après ça, je me suis même année elle crée La duchesse femme et que je suis libre avec ma fé - souvent habillée comme un garçon de Malfi, autre jalon important de minitude". pour aller à des rendez-vous" . Puis son trajet. On l’a compris, ce qu’Anne-Laure une femme, Martine Bardol, alors di - Certes Anne-Laure Liégeois ne Liégeois aime avant tout, c'est la re - rectrice de la scène nationale de Fé - se revendique pas féministe. cherche, parce que "chaque sujet est camp, lui donne un coup de pouce Mais force est de constater que une ouverture de pensée" . en prenant son spectacle. Des an - sa vision des pièces ouvre sur

60 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 LES FEMMES MONTENT EN SCÈNE

Caroline Guiela Nguyen

Depuis quelques années , on entend beaucoup parler de Caroline Guiela Nguyen. Cette jeune metteuse en scène est autant remarquable pour son travail, que pour son intelligence et son humour. Ses présentations de spectacles (visibles sur YouTube) totalement

l décalées sont aussi à mourir de rire… e r b e P

n e i l u J

@ Sa façon de voir le monde

Curieusement, rien ne destinait il ne s’agit pas de leur montrer ment (un appartement rue de Tol - Caroline Guiela Nguyen à faire du que ça va changer leur vie. Je biac où des logements vont être dé - théâtre. Elle rêvait plutôt de deve - pense au contraire que c’est le truits), Mon Grand Amour. "On nir avocate avant d’aller étudier à théâtre qui s'enrichit de ces raconte trois micros histoires avec la fac de Nice les pratiques artis - gens-là" . des gens qui restituent la mémoire tiques dans d’autres pays. "J’avais de ce lieu". déjà 24 ans et c’est là que j’ai dé - C’est Saïgon qui va lui offrir une Huit ans que la Compagnie Les couvert le théâtre" . Changement de place au premier plan. Artiste asso - Hommes Approximatifs existe et cap, elle entre alors à l’école du ciée à la Comédie de Valence, elle déjà elle est labellisée Compagnie Théâtre National de Strasbourg en est programmée dans le In d’Avi - nationale. Caroline Guiela Nguyen section mise en scène. Dès sa sor - gnon, à l’Odéon et tourne dans le est consciente du chemin parcouru. tie, elle se pose la question de sa monde entier. La vedette de l’his - Huit années fulgurantes au cours place dans le paysage théâtral. "Je toire, c’est un restaurant vietnamien. desquelles les directeurs de théâtre lutte avec cette idée que le texte "Le lieu implique d’aller chercher des et programmateurs ont été séduits classique est universel. J'avais envie comédiens et les comédiens impli - sans doute par sa capacité à amener de refaire le lien entre mon espace quent une écriture. Mais ce n'est pas la diversité sur le plateau, en tout de travail et la façon dont je vois le une écriture au plateau. J'écris en cas par son sens de l’imaginaire et monde. Et la première chose que j'ai amont la voix off mais en aucun cas ont su s’adapter à ses besoins, lui ac - faite, c'est d'inviter des gens de cet les dialogues. Ils sont induits par la corder des temps de répétitions plus espace-là sur le plateau pour cher - personnalité des acteurs" . Pour au - conséquents pour construire cher ce qu’on a à raconter". Ce sont tant, si Caroline Guiela Nguyen a quelque chose avec ces gens qui un peintre en bâtiment de 80 ans, une mère vietnamienne, Saïgon ne n’ont rien à voir avec le théâtre. pied-noir tunisien qui n'est jamais raconte pas son histoire. allé au théâtre de sa vie, une jeune "Rien n'est autobiographique fille qui sort d'un lycée technique dans ce que je fais. Beaucoup de n Saïgon en banlieue parisienne, une comé - journalistes l’ont cru. Mais non, ce 10/05 Théâtre d’Esch à Luxembourg dienne qui élève des chèvres en Ar - n'est pas mon histoire. Saïgon , c'est 22 et 23/05 Comédie de Caen dèche… "J’ai l'impression d'être l'histoire de France" . 5 au 22/06 Odéon à Paris exactement à ma place quand j'ai Alors que la pièce repasse à n Mon Grand Amour réussi à réunir des gens pour qui le l’Odéon, elle présente en même 2 au 31/07 en appartement rue de Tolbiac. théâtre n'est pas une évidence. Et temps une petite forme en apparte - Voir sur le site de l’Odéon

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 61 DOSSIER

Chloé Dabert Une jolie success-story

Pour beaucoup l’arrivée de Chloé Dabert à la direction de la Comédie de Reims en janvier dernier à la suite de Ludovic Lagarde évoque une de ces success- stories à l’américaine. Mais pour la jeune metteuse en scène, le parcours a été long avant de se décider à postuler à la tête d’un théâtre…

Chloé Dabert a 42 ans et pas 25 lins de Dennis Kelly. Malgré ses ef - comme elle les paraît. Ce qui n’en - forts pour rester discrète, la pièce lève rien à son mérite. Elle com - est un succès. Elle se retrouve pro - mence dans la vie en chantant. grammée au festival Impatience Elle veut chanter. Et si elle s’inscrit où elle décroche le prix du Jury du à 15 ans en option théâtre, elle est festival. On est en 2014. Elle vient d r a n

bien certaine de vouloir toujours de passer huit ans à Lorient, a i P

n chanter. Mais elle tombe sur un gagné un peu en confiance. En i m a j n

super groupe et elle change d’avis ; 2017, elle monte L’Abattage rituel e B

elle veut être metteur en scène. de Gorge Mastromas encore de @ "Depuis que j'ai 15 ans je n'ai pas Dennis Kelly, puis est programmée voulu faire autre chose" . Elle quitte l’année suivante à la Comédie- Bourges où elle a grandi pour Française au Vieux-Colombier des maisons d'artistes en lien Tours, Saint-Etienne, Asnières où avec J’étais dans ma maison et j’at - avec un territoire" . Elle choisit elle fait le Studio–Théâtre et Paris tendais que la pluie vienne de Jean- de s’ancrer à Reims et son projet enfin où elle entre au Conserva - Luc Lagarce, et la même saison on est retenu. "Les portes s’ouvrent toire. la retrouve dans le In d’Avignon aujourd’hui et les femmes prennent A sa sortie, elle crée des choses avec Iphigénie . enfin leurs places. Parce que quand dans son coin, file à Lorient où elle Mais en plus de la confiance, j’ai débuté, il y en avait beaucoup enseigne le théâtre à des lycéens Chloé Dabert a découvert à Lorient moins…" Une jolie success-story et à des amateurs. "Je me suis un le travail sur un territoire, la rela - quand même. peu formée comme ça parce que je tion avec le public qui se construit ne me sentais pas tellement légi - dans le temps. "J'ai toujours eu be - time. J’étais comédienne de par ma soin d'être en lien avec des gens qui formation mais pas metteuse en font autre chose. Et dans un théâ - n Des cadavres qui respirent, de Laura scène et donc j’étais une comé - tre il y a des gens qui font plein de Wade, mise en scène Chloé Dabert dienne qui faisait de la mise en métiers, qui travaillent pour un pu - ThéâtredelaCité, 1 rue Pierre Baudis scène. A Lorient, je pouvais travail - blic avec des associations, des 31000 Toulouse, 05 34 45 05 05, ler sans trop de visibilité et donc à écoles, des universités. C'est impor - du 4 au 14/06 l’abri de la pression" . tant d'être ancré dans une (voir interview de Chloé Dabert p. 42) Jusqu’à ce quelle monte Orphe - ville. Et les CDN sont vraiment n www.lacomediedereims.fr

62 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 LES FEMMES MONTENT EN SCÈNE

différentes possibilités d’inventer la vie, avec Désobéir , elle donne la pa - role à des jeunes femmes issues de Julie Berès l’immigration et leur rapport à la fa - mille et à la religion… "Ce qui dé - L’enquêteuse clenche ma nécessité de créer, c'est l’observation des dysfonc - tionnements sociologiques et Pour Julie Berès, le théâtre a politiques de notre société. Je lis servi à maintenir lelien avec la beaucoup d'ouvrages, je rencontre culture française. Sa mère les gens, je fais des interviews" . Elle travaille conjointement avec des enseignait la physique au Ca - spécialistes. Ces enquêtes en meroun, au Sénégal, au Mali, amont des spectacles la distinguent au Burundi et au Burkina Faso. très vite. Dès Poudre ! en 2001, Et pour ne pas trop couper ses Ariel Goldenberg lui demande de faire la rentrée de Chaillot où il trois enfants de la France, elle vient d’être nommé. "Le deuxième jour des représentations, on avait les emmenait l’été au Festival r d

d’Avignon. @ toute la presse : Le Monde, Libé…" Dix-huit ans après ses débuts, Julie Berès est devenue une valeur sûre Le théâtre est donc d’abord pour étaient les vieux ? Où étaient les en - du spectacle vivant. La compagnie Julie Berès un plaisir d’enfant. Rien fants ? Je ne rencontrais plus que des des Cambrioleurs est passée com - de plus. La révélation vient au mo - gens de mon âge. En faisant de la pagnie nationale et a donné 270 ment du bac qu’elle passe au Bu - philo j’ai découvert une société per - représentations ces deux dernières rundi lorsqu’on lui demande de formative obsédée par l'efficacité et années. jouer Antigone. "J'ai dit oui. Le théâ - effrayée par le vieillissement et la Consciente des dysfonctionne - tre m'a permis de comprendre que mort. On peut avoir quatre enfants, ments de notre société, Julie Berès malgré des différences de couleurs, être bi, homo, les deux à la fois, sans reconnaît cependant qu’elle n’a pas de cultures, de toutes sortes d'assi - famille, personne ne vous juge pour eu à souffrir de discrimination. gnations sociales, financières, reli - ça mais par contre si on n'a pas de "Même si bien sûr il y avait au début gieuses et traditionnelles, il y avait projet c'est très problématique". Au - un côté un peu paternaliste de la part un endroit possible pour se rencon - tant de questions qu’elle traite dans des directeurs de théâtre qui nous trer et défendre ensemble une même son théâtre : dès le premier specta - programmaient. Mais on était jeunes utopie. Toutes les différences s’annu - cle, Poudre ! , elle aborde la question et sans doute qu’ils étaient tout au - laient par rapport à ce désir, cette des rituels de passage, comme la tant protecteurs avec les jeunes met - nécessité, celle de raconter une his - naissance, la mort, le mariage à tra - teurs en scène hommes… " toire à d’autres gens" . vers les mythes structurants, avec E L’utopie s’effondre un peu à son muet elle explore les vertiges de arrivée à Paris où après le bac elle l’identité d’un homme plongé dans n Désobéir, conception et mise en scène Julie vient faire de la philo puis du théâ - le coma, avec On n'est pas seul dans Berès, texte Julie Berès, Kevin Keiss, avec la tre chez Mnouchkine et au Conser - sa peau elle met les personnes participation d’Alice Zeniter vatoire déterminée à faire de la âgées au centre du spectacle, avec 9 au 19/05 Théâtre Paris-Villette mise en scène. Hébergée chez son Sous les visages elle nous entraîne 28/05 Le Liberté à Toulon père, cofondateur de Médecins sans dans les pathologies physiques et 3/06 Théâtres de la Ville de Luxembourg Frontières et de Médecins du psychiques liées au travail, avec 6 et 7/06 Théâtre National de Strasbourg Monde, elle découvre une société Notre besoin de consolation elle 5 au 15/07 Manufacture d’Avignon sans liens intergénérationnels. "Où questionne la transhumanité et les 17/07 CCAS d’Avignon

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 63 DOSSIER

Louise Vignaud Le regard d’une femme o t t o d n a i h C

o z n e r o L

@

femme" . Depuis deux ans, elle dirige Louise Vignaud c’est la benjamine de aussi un lieu dédié à la jeune créa - ce dossier. Du Misanthrope à Phèdre en passant par tion à Lyon, le Théâtre des Clo - Rebibbia ou Le Quai de Ouistreham , elle aborde les chards-Célestes. "C’est un peu œuvres à travers son regard sur les femmes. l'équivalent de ce que faisait La Loge à Paris. C'est une association subventionnée. Donc il faut trouver Louise Vignaud a grandi à Paris lembert puis à l’Ensatt section mise l'argent des productions. J'y ai rive gauche rue Mazarine. Elle a fré - en scène. Sortie depuis quatre ans, créé des spectacles et ça quenté l’école de la rue Saint-Be - elle compte déjà près de 10 mises oblige à réfléchir autrement noit où vivait Marguerite Duras en scène à son actif dont quelques et à avoir une certaine radica - avant d’aller au lycée Louis-le- unes très remarquées comme Le Mi - lité . Ce sont souvent des petites Grand "pour faire comme Chéreau santhrope, Phèdre ou Rebibbia . formes sans argent mais qui ont et Jean-Pierre Vincent. Il y avait un "Tout d'un coup, on m’a dit que l’avantage de pouvoir bouger par - club théâtre assez génial parce qu'il mon misanthrope c'était Célimène. tout" . C’est le besoin de se confron - n'y avait pas de prof. J’y suis restée Et c’est vrai que pour moi Célimène ter à d’autres artistes et de jusqu'à la Khâgne et pendant toutes est une femme libre qui ne fait développer un lien avec le public mes années de lycée, j'ai mis en aucun compromis. On m’a aussi dit qui l’a amenée à prendre la direc - scène chaque année des pièces au que mon Tailleur pour dames de tion de ce lieu. "C'est passionnant théâtre de Louis-le-Grand." Puis elle Feydeau était féministe. Dans Re - de rencontrer les autres. Ça crée une fait Normale Sup et en parallèle à bibbia , ce sont encore des femmes : pépinière de rencontres et de ré - la fac une licence de lettres mo - cinq femmes en prison, cinq femmes flexion". dernes. Ses diplômes en poche, elle courageuses. Et avant j'avais monté affronte sa passion d’abord au cours Calderón de Pasolini qui retrace de théâtre de Thibault de Monta - aussi l'itinéraire d'une jeune

64 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 LES FEMMES MONTENT EN SCÈNE

Marie Rémond Une question de place

Petite, Marie Rémond n’aurait jamais imaginé devenir une des metteuses en scène les plus douées de sa génération avec des propositions très originales autour d’œuvres et de personnalités complexes comme André Agassi, i l i l

Barbara Loden, Bob Dylan, Fellini ou Jane Bowles. a n a M

l e o N

@

Avec une mère bibliothécaire et mais par curiosité elle s’essaye à la le dedans et le dehors, la face un père journaliste cinéma, Marie mise en scène. La première expé - visible de l’iceberg et le reste. Rémond aurait dû arpenter les rience se révèle désastreuse. Mais dans la posture de metteur en salles de spectacle dès son plus "C’était clair que la posture de met - scène, il y a quelque chose qui n'est jeune âge. Mais ses parents n'al - teur en scène n'était pas la mienne". pas résolu pour moi. J'ai une sorte de laient pas au théâtre et c’est l’école Etre actrice donc. Mais c’est aussi sensation instinctive sur les textes qui va l’initier à Molière. En CM2, on à cette place que la femme est qu'il faut partager. Et avec certains lui demande d’apprendre Les Four - moins bien traitée. "On vous donne acteurs, il faut que je dépasse cette beries de Scapin. "J'étais très très ti - toujours la même chose à jouer" . Et sensation pour arriver à transmettre mide et tout d'un coup j'ai senti que si c’est le sort de tous les comédiens une pensée…" je me libérais un peu en jouant" . A en général, femmes, ou hommes, En revanche, les aventures iné - l’école, tout est très ludique et fa - les femmes sont nettement moins dites continuent de la passionner. cile. Mais quand elle rentre au bien servies que les hommes. "Dans En ce moment, elle écrit le scénario Cours Florent, l’inhibition revient. les pièces classiques les rôles de d’un film. Cette fois, il s’agira d’une Elle force quand même sa nature et femmes tournent toujours autour fiction complète… entre à la Classe Libre. "C'est un peu du désir et dans le théâtre contem - comme si j'avais trouvé mon endroit porain, les questions existentielles pour parler de la complexité des sen - sont plus souvent dans la bouche n Cataract Valley d’après la nouvelle Camp timents, cela me semblait beaucoup des hommes" . Pour dépasser cette Cataract de Jane Bowles, un projet de Marie plus vrai sur scène que dans la vraie frustration, elle retente de créer un Rémond, Odéon, place de l’Odéon 75006 vie" . spectacle avec des amis. Ce sera Paris, 01 44 85 40 40, Elle hésite encore à en faire sa André sur les affres existentielles du 17/05 au 15/06 vie, fait une prépa hypokhâgne, du champion de tennis André (voir article p. 31) passe le concours d’entrée d’un IUT Agassi. "Ça m'a un peu libérée de de journalisme et l’obtient. Et c’est ça" . Parce que cet objet théâtral n Le Voyage de Giuseppe Mastorna, là, dès la première semaine d’école comme les suivants ne ressem - de Marie Rémond d'après le scénario de qu’elle réalise qu’elle veut faire du blent à rien. Sauf peut-être à elle. Federico Fellini, mise en scène Marie Rémond théâtre. Revirement. Elle est prise à ”Les spectacles que je fais in - Vieux Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier l’école du Théâtre national de Stras - terrogent souvent la place de 75006 Paris, 01 44 58 15 15, bourg. Ce qu’elle veut, c’est jouer quelqu'un, la complexité entre jusqu’au 5/05

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 65 DOSSIER

Gaëlle Bourges L’Art de performer

Gaëlle Bourges nous a tous surpris. Cette féministe révélée il y a dix ans par une conférence sur le striptease donne un nouveau souffle au spectacle vivant. Entre poésie, chorégraphie, histoire, projection contemporaine et humour, ses spectacles sont des objets de r d

jubilation intelligente. @

Dès l’enfance, la chorégraphe muets. Sa danse est plus proche du Elle entre à l’école Paris Centre, Gaëlle Bourges perçoit l’inégalité geste et du sens, et ses intrigues, ex - où elle rencontre une professeure des chances de réussite entre les trêmement précises et très ancrées atypique, formée à toutes sortes de hommes et les femmes. "J’ai grandi dans l’histoire - que ce soit l’histoire techniques. Elle suit son enseigne - dans la croyance qu’une fille devait de l’art ( A mon seul désir, Revoir Las - ment à la Ménagerie de Verre plu - soit être belle, soit être hyper intelli - caux, Le bain …) ou l’histoire poli - sieurs années, puis part vivre à gente pour réussir : j’ai choisi l’intelli - tique ( Conjurer la peur, Ce que tu Montpellier où elle fait sa première gence qui, comme la beauté, se vois ) - allient poésie, danse, histoire pièce, qui est sélectionnée à la travaille, mais qui est beaucoup plus et éducation. Biennale du Val-de-Marne et aux pérenne ! " . Et elle choisit aussi la Elle commence son parcours de Hivernales d’Avignon. Elle rencon - danse, parce qu’en ces années qua - danse à cinq ans. "Mon passe-temps tre Jean-Paul Montanari, déjà direc - tre-vingt-dix, quand elle décide favori, c'était de fabriquer des spec - teur du festival international qu’elle sera chorégraphe, c’est un mi - tacles pour les adultes. Après, on Montpellier danse, qui ébranle sa lieu où plus de femmes réussissent à passait le chapeau pour récolter des confiance une première fois : il être reconnues que dans le théâtre pièces et s’acheter des bonbons" . l’avertit de la difficulté à se faire re - – un milieu moins structuré, plus in - Elle continue la danse en parallèle pérer sans travailler avec des choré - ventif, moins genré dans la réparti - de sa scolarité à Châtenay-Malabry graphes reconnus. Elle ne se tion du pouvoir. "Je percevais qu’il y puis à Sceaux, au lycée Lakanal, démonte pas : elle fait une avait là un territoire à prendre" . jusqu’en lettres supérieures et deuxième pièce, quitte Montpellier, Le choix de se revendiquer abso - claque la porte de chez ses parents et présente sa troisième pièce à lument de la danse constitue au - à 19 ans pour danser. Elle gagne Paris avec des musiciens jouant en jourd’hui encore un acte politique d’abord sa vie en tant qu’animatrice live sur scène. Mais un d’entre eux pour elle, car le travail de Gaëlle dans un centre de loisirs. Avec la tance, lui demandant si elle sait Bourges se situe en réalité aux quelques animateurs rencontrés là, vraiment ce qu’elle fait. "J'étais confins de la danse et du théâtre. ils créent le Théâtre du Snark, une furieuse. Je savais ce que je Ses pièces, certes extrêmement compagnie constituée d’enfants, faisais mais je n'arrivais pas à chorégraphiées, s’abreuvent en fait qui existe toujours. Gaëlle y crée l’expliciter : il m’est apparu de paroles. Une voix off accom - quelques spectacles avant de se évident que je n'avais pas les pagne les actions des performers consacrer exclusivement à sa for - outils théoriques pour me faire qui restent la plupart du temps mation en danse. comprendre, et qu'il fallait que je

66 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 m'approprie la culture chorégraphique pour défendre mon point de vue. C’était en mai. En juin, j’étais ins - crite à l’université Paris VIII en licence ‘arts du spec - tacle mention danse’ ". Parmi ses profs, une certaine Beatriz Preciado. "J’ai découvert avec Preciado les "gender studies" américaines, qui n’existaient pas en - core en France : un dernier coup de pied dans les restes nauséabonds des constructions genrées de mon enfance" . À Paris VIII, elle rencontre aussi le milieu chorégraphique qu’elle ne fréquentait pas encore. Elle travaille pour Une ville se raconte , porté par le CDN de Châtenay-Malabry. C’est un vivier d’artistes qui crée toutes sortes de projets transdisciplinaires avec les habitants du quartier de la Butte Rouge. Mais un nouveau maire stoppe net le projet : Gaëlle et ses camarades perdent leur travail. "Je ne savais plus comment gagner ma vie" . Nouveau terrain d’expérimentation : une de ses amies lui parle d’un théâtre érotique. "J'avais 39 ans, et je savais que je n’avais ni l’âge, ni les codes de la fé - minité idoines pour le striptease. Mais contre toute attente, ça a marché, parce que la féminité est bien une somme de signes que l’on performe" . Expérience de deux ans et demi qui donne Je baise les yeux en 2009, crée au Festival Les Antipodes, à Brest : une conférence où trois stripteaseuses énoncent avec hu - mour une pensée critique et réflexive sur leur pra - tique. Le spectacle a du succès. "Mon travail était soudain rendu visible depuis l'endroit même que j’avais repéré comme problématique et invivable dès mon enfance, ouvertement passé au crible dans Je baise les yeux : la performance codifiée de la féminité. Mais au moins dans le striptease, cela devenait une activité rémunérée" . Soutenue depuis lors, sa compagnie est au - jourd’hui conventionnée, et Gaëlle peut enfin faire la danse dont elle rêve et qui n’appartient qu’à elle, puisant inlassablement dans l’histoire de l’art des motifs de compréhension de notre société contem - poraine. Dans Ce que tu vois, sa dernière création, elle analyse les tableaux composant la Tenture de l’Apocalypse qu’elle compare avec humour et gravité aux dysfonctionnements de notre époque. Dans Conjurer la peur , elle remettait à jour les effets du bon et du mauvais gouvernement de la fresque du Palais de Sienne dans un contexte politique de doute et d’insécurité… n https://www.gaellebourges.com DOSSIER

Julie Deliquet

En quelques années, Julie Deliquet est arrivée sur le devant de la scène. Un parcours sans faute qui commence avec les mises en scène de textes de Lagarce et Brecht pour se constituer en cours de route une identité à la fois dans les histoires qu’elle raconte et la façon de les créer. Une sorte de laboratoire qui donne tout son sens au nom r d

m t

qu’elle a donné à son collectif, In Vitro. @ @ Invention d’un laboratoire

Autant qu’elle se souvienne, qu'artiste. Et là je me suis dit que je niers remords avant l’oubli de Jean- Julie Deliquet a toujours fait du pouvais être à l'initiative des Luc Lagarce obtient le Prix du Pu - théâtre "à la place de faire de la choses" . blic du Théâtre 13, en 2012, La danse. Et pourtant mes parents ne Très vite elle crée un collectif, In Noce de Brecht est présentée dans m'ont jamais emmenée au théâtre. Vitro. C’est surtout la répétition le cadre du Festival Impatience. Mais j'en faisais beaucoup dans ma qui est collective, car Julie apporte De ces deux premières pièces chambre et puis je faisais le specta - les projets et prend en charge la nait l’envie d’une création collec - cle de Noël avec mes cousins. partie administrative, les sa - tive. Elle emmène alors toute la C'était une envie d'inventer un laires… "C'est aussi une manière troupe dans la maison de cam - monde presque plus que de faire de de revaloriser la place des uns et pagne de ses parents. "Ça nous a la mise en scène. Tous les vendredis des autres. Mais je ne monte pas au menés à Nous sommes seuls main - soirs j'avais un projet de scénogra - plateau, ils ne font pas la mise en tenant qui a été notre première phie dans ma chambre et mes pa - scène. Le mot troupe ou compagnie écriture de plateau et qu'on a beau - rents me disaient "tu fais ce que tu serait tout aussi légitime que col - coup jouée". Puis il y a eu la ren - veux." lectif. Mais c’était important pour contre avec Tchekhov avec Vania Un besoin de créer qu’elle re - nous de nous inscrire dans un nou - à la Comédie-Française et Fanny et trouve avec la peinture et la scéno - veau mouvement". Alexandre qui se joue encore salle graphie. Au lycée, elle s’inscrit Le démarrage est difficile. "J'ai Richelieu jusqu’au 16 juin. Et elle dans la section cinéma et passe accepté de perdre l'intermittence travaille avec le collectif sur l’adap - son bac en réalisatrice. "Je suis ar - pour pouvoir me consacrer à la tation d’ Un Conte de Noël d'Ar - rivée à la mise en scène par le ci - compagnie à temps plein et pen - naud Desplechin qui sera créée à néma". Puis elle fait le dant plusieurs mois, j’amenais mon l'automne prochain à l'Odéon au conservatoire de Montpellier tout fils à l'école le matin et j'avais de festival d'automne. en continuant des études de ci - 8h30 à 16h30 pour travailler. néma à la fac, entre au studio- Tout le monde ne voudrait théâtre d'Asnières et à l'école faire que de l'artistique mais n Fanny et Alexandre, d’après Ingmar internationale Jacques Lecoq. "On ça ne fonctionne pas comme Bergman, mise en scène Julie Deliquet y travaille avec une soixantaine de ça" . Cette période a néanmoins Comédie-Française, place Colette nationalités différentes ce qui payé puisque tout le travail du col - 75001 Paris, 01 44 58 15 15, oblige à se positionner en tant lectif sera remarqué : en 2009 Der - jusqu’au 16/06

68 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 LES FEMMES MONTENT EN SCÈNE

Pauline Bayle

Révélée par le Prix du Théâtre 13 et par le festival Impatience, désignée révélation théâtrale de l’année 2018 par l'association de la critique, Pauline Bayle compte deux tubes à son actif, Iliade et Odyssée , et une création au Studio-Théâtre de la Comédie- Française, Chanson douce d’après le roman tragique r d de Leïla Slimani. Révélation @

Pauline Bayle découvre le théâtre d'aller à l'ENA ni de faire de la re - Iliade, Odyssée, Chanson Douce… en famille pendant les grandes va - cherche". Et elle entre au Conserva - sont des projets avec une vision ex - cances avec les enfants d’amis de toire. "La récompense ultime. trêmement forte. ”Le plateau ses parents. " Que des garçons, tous J'attendais tellement depuis toute doit être habité par une trans - plus âgés que moi. On montait des petite de ne faire que du théâtre". cendance, un déplacement" . Et pièces que souvent ils écrivaient Et là, pour la première fois, elle parfois cela passe même par eux-mêmes. Et je me retrouvais à écrit un texte qu’elle met en scène un entremêlement des genres. jouer tous les rôles de fille. En elle-même. Dans Iliade ce sont deux femmes jouant, j’avais l’impression que je Elle réitère l’expérience avec une qui jouent Achille et Hector. Dans pouvais être moi-même…" Cette pièce qu’elle monte dans le cadre Chanson douce , c’est Anna Cer - initiation lui donne envie de suivre du prix du Théâtre 13, A l’Ouest des vinka qui joue le petit garçon et Sé - des cours de théâtre, d’abord à terres sauvages . "Ma troisième pièce bastien Pouderoux la petite fille. l’école puis dans des MJC. "Je vou - c’était Iliade présentée au festival "Anna a vraiment quelque chose de lais être comédienne c'était très Impatience" . Eric Ruf la voit et lui très candide qui correspondait au clair" . Pourtant en parallèle, elle propose de faire une mise en scène tempérament du petit garçon et Sé - fait Science-po. "Je ne trouvais pas à la Comédie-Française. "Il y a bastien à l’inverse correspondait ça contradictoire parce que ce quand même eu un petit alignement plus à la petite fille". n'était pas une spécialisation. Il y de planètes. Tout devient réel et sim - La prochaine création, ce sera Il - avait quelque chose de très ouvert ple quand ça marche. Parce que de lusions perdues d’après Balzac en sur le monde. Et puis j'étais folle chercher à chaque fois des parte - janvier 2020 à la Bastille. "Un d'histoire, de philo, de sociologie et naires pour monter les projets, c’est homme monte à Paris pour devenir j’ai vraiment adoré Sciences-po" . laborieux" . Sa compagnie, A Tire- le plus grand poète du monde et il Surtout l’année où elle part dans d’aile n’est pas encore convention - va se vautrer lamentablement. Ça une fac américaine. "C'était sur un née. Mais Pauline Bayle se dit bien parle de l'ambition et de la créa - petit campus à une demi-heure de accompagnée par ses partenaires tion"… Manhattan, très artistique avec un notamment le Théâtre de la Bas - énorme département de théâtre où tille et l’Espace 1789 à Saint-Ouen. j'ai construit des décors, suivi des Géraldine Chailloux à Bastille et cours de cinéma, joué des pièces. Elsa Serfaty à Saint-Ouen sont tota - C'était une expérience ultra ébourif - lement impliquées. "On discute fante". De retour en France, elle fait beaucoup ensemble de la dramatur - n Iliade et Odyssée, d’après Homère, mise en son Master et s’arrête là. "C'était gie. Et c’est très agréable de ne pas scène et adaptation Pauline Bayle. La Scala- très clair que je n'avais aucune envie réduire ça qu’à l’aspect financier". Paris du 20/05 au 2/06

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 69 DOSSIER

crate, cette reconstitution brillante de la vie d’Edward L. Bernays, l’in - Julie Timmerman venteur de la publicité. Ce manipu - lateur génial est soupçonné d’avoir influé sur les élections américaines Julie Timmerman est une enfant de la balle . mais aussi d’avoir converti les Elle a grandi entre un père et une mère comédiens et femmes à la cigarette… La pièce metteurs en scène tous les deux et a très tôt décidé de tourne partout depuis trois ans. Elle prépare la suite, Bananas , qui faire comme eux. Elle écrit, met en scène et joue et est en fait un focus sur un détail d’ Un depuis trois ans s’est distinguée avec Un démocrate une démocrate . "Cela parle de la United sorte de biopic théâtral sur Edward Bernays l’inventeur Fruit Company, la compagnie bana - nière qui a colonisé un tiers de l'Amé - de la manipulation des masses. rique latine en plantant des bananes partout, en exploitant les gens, en mettant des pesticides dans la terre... Julie Timmerman a baigné toute Puis elle va apprendre son métier C'est l'exemple type d'une multina - sa vie dans le théâtre. Ses parents au Studio-théâtre d’Asnières, à tionale aux multiples ancrages poli - étaient comédiens et metteurs en l’Ecole de Chaillot et à l’Erac à tiques ; on retrouve quand même scène. Quand ils se sont séparés, Cannes. Elle y rencontre des gens for - tous les anciens de la company au dé - chacun recrée de son côté sa propre midables comme Alain Françon et partement d'État américain. Pour compagnie. "Moi j'ai commencé au surtout découvre le théâtre contem - moi, faire un volet sur la com - cinéma à 10 ans avec Yves Robert porain. Mais ce n’est qu’à trente ans munication avec Un démocrate dans Le château de ma mère et Le qu’elle crée sa propre compagnie. et un volet sur les lobbys avec bal des casse pieds. Mais rien à voir "C'est une structure administrative Bananas c'est comme un dip - avec mes parents, j'ai vu l'annonce avec laquelle on peut monter des pro - tyque sur la manipulation de à mon cours de piano qu’on cher - jets et surtout elle me permet de me la démocratie" . chait une petite fille pianiste. Après constituer une équipe fidèle aussi Un autre projet est dans ses ta - dès l’âge de 16 ans, j’ai joué avec bien administrative qu’artistique". blettes, Zoé . Rien à voir avec les pré - mes parents tous les ans" . Ses projets c’est d’abord Un démo - cédents. Beaucoup plus intimiste cette pièce raconte le parcours d’une petite fille dont le père est bi - polaire… Désormais bien identifiée par ses pairs, Julie Timmerman en est ce - pendant encore à ses débuts. Sa compagnie n’est pas convention - née et elle doit encore multiplier les demandes de soutiens pour que ses projets voient le jour.

n Un Démocrate, texte et mise en scène Julie Timmerman, avec Anne Cantineau, Mathieu Desfemmes, Julie Timmerman, Jean-Baptiste Verquin 10/05 Caudry 18/05 Morangis Engagée ! 5 au 28/07 Présence Pasteur au festival Off d’Avignon, à 14h40

70 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 LES FEMMES MONTENT EN SCÈNE

Pauline Bureau parle de l’invisible Découverte il y a quinze ans à sa sortie du ment le monde dans lequel on vit Conservatoire avec Le Songe d’une nuit d’été , fonctionne". Dans Dormir 100 ans, elle montre le passage de l’enfance Pauline Bureau s’est tracé un chemin juste et sensible à l’adolescence. ”Je pense que j’ai qui lui ressemble. Auteur et metteur en scène, elle développé une sensibilité ac - parle de héros invisibles, de sujets tabous ou oubliés, crue sur des thématiques dont je ne trouve pas d'écho . Déjà comme de l’histoire de Marie-Claire Chevalier dont dans Modèles , on s'était rendues le procès en 1973 pour s’être faite avorter suite à compte qu'il y avait très peu de un viol a donné lieu à la Loi Veil… choses sur les règles, ou sur l'avor - tement. Ce sont des expériences très communément partagées mais C’est Ariane Mnouchkine qui lui teurs, des gens de tous les âges. dont on ne parle pas". Cette sensi - a fait découvrir sa vocation. Puis va au Conservatoire du 7e ar - bilité l’amène à monter Mon Cœur Lorsqu’elle vient voir Les Atrides rondissement avant d’être admise sur le scandale du Mediator à partir avec sa mère, Pauline Bureau se re - au Conservatoire national. C’est là des témoignages de victimes (elle trouve immergée dans l’univers du qu’elle commence à prendre du est nommée aux Molières dans la théâtre du Soleil : des heures de recul et à jouer le troisième œil. catégorie meilleure mise en scène spectacles ponctuées de repas pré - "J'ai vu assez vite que j’aimais bien du théâtre public). "Ça parle du Me - parés par les membres de la troupe, ça. Comme je n’avais pas forcément diator mais aussi de la confiance en des caravanes dehors, toute une la passion de jouer, j'ai fini par soi, de la façon dont on se perçoit et vie insoupçonnée et au service de changer de place et par mettre en dont on accepte que les autres nous l’art. C’est immédiat ; elle veut faire scène. Au fur et à mesure j'ai appris perçoivent". Le succès est énorme du théâtre. Ariane Mnouchkine lui à développer un univers à moi". Elle et la conforte dans le sillon qu’elle conseille d’aller au cours de Pierre monte Le Songe, Roméo et Juliette, creuse. Son nouveau spectacle, Debauche. Elle y croise des ama - Roberto Zucco… Et en 2011, crée Hors la loi , actuellement à la Comé - Modèles . Un tournant die-Française parle du procès de car la pièce est le résul - Bobigny à l’origine de la Loi Veil sur tat d’une écriture col - l’avortement. lective avec les Mais le prochain sera une comé - comédiennes de sa die sur la première équipe de foot troupe, La Part des féminine. "On va aborder des ques - Anges. "Dès le début on tions sur la loi, sur le corps des avait fait des spectacles femmes". qui étaient plus étranges, plus contem - porains mais ils n’ont pas eu la visibilité du n Hors la Loi, Comédie-Française, théâtre Songe ou de Roméo et du Vieux-Colombier 75006 Paris, Juliette ". 01 44 58 15 15, du 24/05 au 7/07 "J'ai besoin d'appren - (voir interview p. 34) Mon cœur, Théâtre de Cornouailles à s dre des choses. Ce qui n a e z

a m'intéressait en faisant Quimper, 14 et 15/05 M

e i

l ce métier, c’était de dé - Théâtre National de Nice 24 et 25/05 a h t

a couvrir des univers, et n Dormir 100 ans, Très Tôt théâtre à N

@ de comprendre com - Quimper, 29 et 39/04

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 71 DOSSIER

Carole Thibaut Son discours au festival d’Avignon l’année dernière restera dans les annales. Invitée dans le jardin de la mé - diathèque Ceccano en 2016 par Thomas Jolly pour parler de la place des femmes dans le théâtre, elle soulignait avec humour leur sous-représentation. Invitée deux ans plus tard au même endroit par David Bobée, elle pleurait de rage de constater que Thomas Jolly était dans la Cour d’Honneur et elle toujours dans le même jardin… Carole x

Thibaut est une autrice, metteuse en scène et actrice re - u e r u d e l

connue depuis longtemps pour son engagement et son i c e c

humour. Depuis trois ans elle est en plus directrice du théâ - @ tre des Îlets, le CDN de Montluçon. Créatrice et activiste

Carole Thibaut n’est pas issue d’un mence son parcours professionnel et rope de l'Est, des Etats-Unis, milieu artistique. Elle découvre le passe par l’Ecole de la Rue Blanche, d'Afrique, j’ai écrit une pièce que j’ai théâtre au collège grâce à un club devenu l’Ensatt depuis. "Très vite j'ai montrée pour la première fois, Avec théâtre monté par sa prof de fran - commencé à m’ennuyer lorsque je le couteau le pain. Elle a été sélection - çais. "Je suis venue au théâtre par jouais et je me suis mise à diriger les née pour des lectures mais tous les di - l'amour de la littérature. Parce que ce scènes de mes petits camarades" . Lors recteurs de théâtres disaient que sont les livres qui m'ont vraiment ou - de sa sortie en 1994, elle propose à c'était à moi de le monter parce que verte au monde. J'étais une gamine l’école de produire sa première mise le sujet était personnel. C'était en complètement fermée et flippée qui en scène. Banco. "C’était Caligula de 2006 et j'étais terrifiée. Je me sentais avait beaucoup de mal dans les rap - Camus. J'avais fait du théâtre quand doublement illégitime parce que ports avec les autres. Je ne compre - j'étais ado parce que je rêvais de jouer j’étais une femme et parce que je nais pas trop les règles du collectif. Je Caligula de Camus. Mais étant une n’étais pas de ce milieu. D’autant pense que ça se retrouve dans mon fille je ne pouvais pas" . En tant que plus qu’à cette époque, il n’y avait parcours cette croyance que les mots metteur en scène, c’était possible, pas de femmes autrice metteuse et l'art en général permettent de elle pouvait décider librement du en scène. Donc j’étais obligée de s'élever, de grandir". Et puis elle a eu casting… "Mettre en scène c'était un me construire ex nihilo" . envie d'être comédienne. Sauf endroit passionnant, mais je ne vou - La suite c’est la direction du CDN qu’elle n’imaginait pas que ce soit lais pas abandonner ma carrière d’ac - de Montluçon. "Quand je suis sortie possible compte tenu de ses ori - trice. En tant qu’actrice, je peux de l'école j'ai dirigé un théâtre en gines. "J'ai d’abord voulu être li - quand même traverser des endroits banlieue parisienne jusqu'en 2001, braire, avocate, bibliothécaire et tout de l'obscur, de l'inconscience. Et après puis j'ai travaillé dans des centres ce qui tourne autour des livres et de l'écriture a toujours été là. Dès que j'ai culturels du côté de Sarcelles, Garges, la parole" . Jusqu’à ce qu’elle com - su lire j'ai écrit. Mais cela a été long - Villiers-le-Bel, puis j’étais à prenne qu’elle pouvait devenir ac - temps l'endroit du tiroir. Je ne mon - Confluences dans le 20e arrondisse - trice. "Après il a fallu imposer ça à trais pas ce que j’écrivais. Et en ment. Le lieu est indissociable de mon ma famille parce que pour eux, les ac - travaillant sur les auteurs contempo - travail d'artiste parce qu’il permet de trices étaient des prostituées". rains, en découvrant la richesse des déployer du temps et de l'espace Dès l’âge de 18 ans, elle com - écritures d'Amérique du Sud, d'Eu - pour créer".

72 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 LES FEMMES MONTENT EN SCÈNE

Fanny de Chaillé

En 2012, la chorégraphe Fanny de Chaillé monte Je suis un metteur en scène japonais à partir du Minetti de Thomas Bernhard. Le spectacle vient consacrer ses recherches sur le langage entamées avec Le Robert et qu’elle poursuit toujours à travers différentes propositions comme Le Groupe, mmeellooddyy nneellssoonn ou le musical déchanté, ou Les Grands de Pierre Alferi. r d La quête du langage @

Fanny de Chaillé rencontre le Avant ils ne me connaissaient pas". aujourd’hui et on n’a aucune trace théâtre par la danse. "Les gens qui Elle était programmée dans des de Foucault faisant ce discours m'ont donné envie de faire de l’art lieux dédiés à la danse comme la sauf un texte publié après et c'étaient des femmes. Et en l'occur - Ménagerie de verre. "Et puis quand qu'il a réécrit. Donc j'ai fantasmé rence c'était Pina Bausch, Maguy j'ai commencé à travailler, je me suis ce qu'il avait pu dire à l'oral et on Marin, Mathilde Monnier, Olivia volontairement placée dans le le remonte dans un amphi d'univer - Grandville. Mes modèles étaient fé - champ chorégraphique parce que je sité. C'est un texte qui s'appelle L'or - minins, mais n’interrogeaient d’ail - trouvais que c'était un endroit des dre du discours , dans lequel leurs pas forcément la féminité dans possibles du point de vue expéri - Foucault analyse les procédures leur travail". mental". d'exclusion d'un discours. C’est très Elle est donc chorégraphe avant Elle explore toujours des formes intello, mais il ne nous prend jamais d’être metteur en scène. Même si très différentes. Sa pièce sur le rock, de haut, il y a quelque chose de très tout son travail porte sur le lan - Gonzo conférence , tourne encore généreux et à la fin du spectacle les gage. "Je travaillais cette question douze ans après sa création, il y a le gens se mettent à discuter. Ça ac - du langage avec les danseurs. Et succès des Grands qu’elle a fait avec tionne de la pensée". cela a pris de plus en plus de place. Pierre Alféri et dans lequel elle Sa compagnie, l’association Dis - J'ai commencé à travailler avec des montre trois enfants en train de play est conventionnée en région acteurs et des danseurs et je me suis grandir, devenir ados puis adultes. Rhône-Alpes et Fanny est artiste as - retrouvée produite par des gens de "C'est la troisième saison qu'on le sociée à la scène nationale de théâtre. Mais je n'ai pas l’impression tourne. On a fait Avignon avec, le Chambéry. "Jusque là je faisais une que mon travail ait changé" . La bas - festival d'Automne…" création par an, mais j’ai demandé cule a lieu au moment où elle Et puis elle prépare une perfor - à être plus impliquée dans des pro - monte Je suis un metteur en scène mance sur Michel Foucault avec jets qu'on déploie avec le théâtre". japonais. Avant elle écrivait ses pro - Guillaume Bailliart qui sera créée à pres textes. A ce moment-là, elle Chambéry et puis repris au pro - utilise un texte de Thomas Bern - chain festival d’Automne. "On re - hard, Minetti . "Comme il y avait ce joue sa leçon inaugurale au Collège texte validé par les gens de théâtre, de France. A l'époque on n’enregis - ils sont venus voir mon travail. trait pas et on ne filmait pas comme

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 73 DOSSIER

Le monde selon Sophie Perez

Sophie Perez a créé la Compagnie du Zerep il y a 25 ans. Le Zerep c’est Perez à l’envers, c’est à dire une manière renversante de voir le monde et d’en faire de l’art. Ses spectacles célèbrent l’absurdité humaine tout en lui déclarant un amour immodéré. Le monde selon p

e Sophie Perez est monstrueux r e z

u d

mais tellement génial. e i c

@

Le but dans la vie de Sophie Perez passe le concours de la Villa Médi - viendront des fidèles compagnons c’est de faire en sorte que les choses cis et décroche le Prix de Rome pour du Zerep : Sophie Renoir et Sté - soient toujours joyeuses. Même si l'adaptation d'une méthode pour phane Roger, puis Gilles Gaston- tout va mal, même si elle démolit à apprendre à nager sans eau. A Dreyfus et Marlène Saldana sont peu près tout dans ses spectacles, Rome, elle croise Carlo Tomasi, le arrivés après. elle essaie toujours d’en rire. Un scénographe de Grüber, Tarkovski, Et puis il y a eu les soutiens. tempérament peut-être, un héri - ou Fellini. Elle sera son assistante à Comme Ariel Goldenberg le direc - tage surtout. Car déjà chez ses pa - Paris sur des opéras pendant deux teur à l’époque de Chaillot. "Je lui rents c’était la fête non stop. Un ans. Elle travaille aussi pour Jean- avais écrit une lettre. Il m'a donné père ingénieur, une mère dans la Paul Chambas. Puis à va New-York. rendez-vous et a produit les quatre banque et une enfance inoubliable. A son retour, elle monte son pre - spectacles qui ont suivi. Tout de "J'ai eu une enfance redoutable, on mier projet Mais où est donc passée suite j'ai eu un lieu assez prestigieux était 15 ou 20 à la maison tous les Esther Williams ? pour lequel elle avec des moyens" . Didier Fusillier a week-ends. Mes parents étaient très fait vider une piscine à Paris. "Je suis aussi coproduit le deuxième specta - drôles, c'était vraiment un barnum allée à l’ANPE du spectacle pour re - cle. Puis il y a eu Enjambe Charles, cette famille avec celui qui est en cruter des acteurs qui ressemblaient Bartabas tabasse, Laisse les gon - HP, celui qui se déguise". Par contre, à mes dessins" . C’est pour ce projet doles à Venise, Oncle Gourdin, Pré - il faut être sérieux à l’école. Sa mère qu’elle rencontre Xavier Boussiron. lude à l’agonie, Purge Baby Purge, rêve d’architecture pour elle. Mais "Il venait des Beaux-Arts, il faisait Babarman… La particularité du Sophie se cabre. Elle a d’autres de la musique et j’avais écouté un de Zerep ? "Remettre l'acteur au rêves. "Je faisais des spectacles à la ses disques avec des reprises très centre avec l'impro, que l'art maison. J'étais le clown de service. Je drôles de Roy Orbison. Je lui ai fait soit un fil conducteur . Et pas voulais faire l'école du cirque et mes jouer de l’orgue dans la piscine vide. monter des textes. Je prends le théâ - parents ne voulaient pas" . Alors elle Sur le deuxième spectacle, on a com - tre par tous les bouts. Je commence fait du théâtre et des claquettes. mencé à écrire des textes ensemble, par faire une maquette et après je Puis elle entre à l’Esat l’école d’ar - sur le troisième il a fabriqué avec me dis que je vais mettre des gens chitecture intérieure où elle choisit moi des objets et sur Le coup du cric dedans". la section scénographie et cos - andalou , on a cosigné le spectacle". tumes. La première année, elle Elle rencontre aussi ceux qui de -

74 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 LES FEMMES MONTENT EN SCÈNE

Charlotte Rondelez Celle qui sait tout faire

Charlotte Rondelez co-dirige le théâtre de Poche- Montparnasse avec Stéphanie Tesson depuis 2013. En plus de toute l’administration du lieu, elle est aussi c i c n

metteuse en scène et vient de monter La Ménagerie de a v I

l a c verre nommée quatre fois aux Molières cette année s a P notamment dans la catégorie mise en scène. ©

Charlotte Rondelez découvre le théâtrale et financière, Stéphanie tration. Elle accouche de sa théâtre dans le cadre du club-théâ - lui propose de postuler ensemble deuxième fille six mois après leur tre de son école. Elle en fait mais n’y pour la reprise du théâtre Montan - prise de fonctions au théâtre. "Je va pas. Ce n’est qu’à 17 ans qu’elle sier à Versailles. Leur candidature travaille toute la journée au théâtre. va voir un spectacle pour la pre - n’est pas retenue mais le duo reste Puis je rentre chez moi, je couche mière fois. "Le théâtre pour moi cela solide. Puis Charlotte a un enfant. mes enfants et je retravaille jusqu'à faisait partie des activités de l’école" . "J’ai découvert qu'avoir un enfant deux heures du matin. C'est le mo - Et cela le reste. Car elle poursuit ses était un vrai couperet dans une car - ment où je peux relire les contrats, études, elle fait l’Essec puis s’oriente rière. J'avais plein de projets en avancer sur l’administratif et la ges - à sa sortie vers l’audit financier. Elle cours et je me suis réveillée de mon tion" . Elle continue en parallèle ses continue de jouer le soir tout en tra - congé maternité avec rien. Telle - activités de metteuse en scène. vaillant le jour. Jusqu’au moment ment que j'ai même pensé arrêter le Mais ne monte pas forcément ses où elle décide de vivre vraiment de théâtre. Heureusement que j'avais projets au Poche pour ne pas grever sa passion. créé la compagnie ; je pouvais conti - un équilibre fragile. "Si c’est un pro - Elle crée la compagnie des nuer à générer des projets et c’est là jet auquel je crois moi, c’est ma com - Eclanches et suit une formation de que je me suis mise à écrire. J'ai eu pagnie qui produit. Sinon, c’est le théâtre et pour vivre, elle s’occupe la chance d'avoir un compagnon qui Poche. Mais c’est un choix qu’on fait d’un centre culturel de la Ville de m’a dit : "tu as pris un an pour faire à trois”. C’était le cas de La Ménage - Paris, le théâtre de la Jonquière. un bébé, prends un an pour te re - rie de verre de Tennessee Williams. "J'ai appris tout sur le tas". Petit à construire professionnellement" . Et “C’est un projet que je rêvais de petit, elle transforme la salle poly - elle écrit et met en scène To be monter depuis 15 ans" . Le succès valente en vrai théâtre et y pro - Hamlet or not , une divagation poé - est immédiat. La pièce est même gramme des jeunes compagnies ; le tique et déjantée autour de la tra - prolongée plusieurs mois, et récolte lieu devient alors un tremplin pour gédie d’Hamlet. La pièce est un quatre nominations aux Molières la jeune création. Elle gère aussi le succès. Et puis l’aventure du Poche dont celui de la mise en scène pour théâtre de la Boutonnière à Paris arrive. Philippe Tesson rachète Charlotte et celui de la comédienne ainsi qu’une compagnie. Côté jeu, le théâtre et confie la direction pour Cristiana Reali. Elle pense déjà elle travaille beaucoup sous la di - à sa fille Stéphanie et à Char - au prochain mais estime qu’elle ne rection de Stéphanie Tesson, elle- lotte. Depuis 2013, les deux le fera pas au Poche compte tenu même autrice, metteuse en scène amies artistes tiennent le lieu du nombre de comédiens au pla - et comédienne. Lorsque Charlotte avec succès , Charlotte se char - teau. lui révèle sa double formation, geant essentiellement de l’adminis -

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 75 Portrait Alexis Armengol La scène et la vie

D’une pièce tous publics sur la résilience à un délire franco-belge en habits de cowboys, le directeur artis - tique de la compagnie Théâtre à cru multiplie les pro - jets qui interrogent la question de la représentation. Auteur, metteur en scène, comédien et bientôt psy…

"Y’a pas grand-chose" à Avignon. Ecrit à trois mains siques (Les Précieuses ridicules, Platonov mais… ou Can - par Alexis Armengol et ses compères belges Ludovic dide qu’allons-nous devenir ?) , Alexis Armengol explore Barth et Mathylde Demarez, ce délire profond a été des langages artistiques hybrides. laissé au repos pendant un an puis regardé d’un œil neuf avec le concours de la metteuse en scène Caroline Guiela Sociologue et théâtreux. Alexis Armengol porte le Nguyen, la compagne d’Armengol. Y’a pas grand-chose nom de sa mère avec qui il a vécu à Rouen jusqu’à ses qui me révolte pour le moment sera donné à la Comédie quinze ans. Sociologue, Diana Armengol Markarian a de Valence puis à Avignon cet été. Un moment de vérité beaucoup travaillé sur la question du placement théra - pour cet exercice drôle et absurde autour du mensonge. peutique, elle préside la Ligue des droits de l’homme de Une fratrie, deux garçons, une fille, tous trois mousta - Rouen. En partant vivre avec son père à partir de la se - chus. L’un vient de rentrer après quinze ans d’absence, conde, il s’est immergé dans une vie entièrement dédiée débute alors un grand jeu de faux semblants. “On est ha - au théâtre. Son grand-père, Michel Humbert, a été l’un billés comme des cowboys sans être des cowboys. Ce n’est des premiers directeurs du Centre dramatique de Bour - pas plus faux que lorsqu’on monte sur scène avec un jean gogne. Son père, Pierre Humbert, a dirigé la Scène et un t-shirt bien choisis pour jouer aux gens cools” , ex - Conventionnée de Troyes. “Une fois, nous avons joué plique Alexis Armengol, le directeur de la compagnie tous les trois En attendant Godot dans une mise en scène Théâtre à cru, créée en 1999. L’auteur-metteur en scène de mon grand-père. Un très beau souvenir.” et comédien qui vient de fêter ses 46 ans, aime bousculer les conventions du théâtre. Des caravanes dans les cités. Avant l’école de la Co - médie de Saint-Etienne, Alexis Armengol a été Théâtre à cru. “Le nom de ma compagnie, c’est l’idée confronté, aux ateliers du Centre dramatique de Dijon, d’une chevauchée sans selle, à même la bête. Cela corres - à l’audace d’une enseignante, Joëlle Sevilla, la mère pondait à mon travail au plateau, en adresse au public. d’Alexandre Astier (Kaamelott) . “Avec elle, nous avons Et Volapük, le lieu que nous avons créé à Tours, vient de monté une troupe de théâtre itinérant, La Traite des cette langue universelle inventée au XIXe siècle, avant planches. Nous nous installions dans les quartiers chauds l’esperanto.” Qu’il écrive ses propres textes, le plus sou - avec une douzaine de caravanes et de semi-remorques, vent à partir du jeu de ses comédiens ou d’observations nous jouions, nous faisions des ateliers. Cela m’a ouvert de la vie réelle, ou qu’il adapte très librement des clas - à l’idée que le théâtre pouvait sortir de ses murs.”

76 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 Des ovnis sur un plateau. Avec un tel héritage pa - psy américain spécialiste de l’autisme, écrivain ternel, nul besoin de modèles. Alexis Armengol a pré - (Quand j’avais cinq ans je m’ai tué) et clown sous les féré défricher des territoires vierges, ce qui ne traits de Buffo. Pendant six ans, Armengol a fait des l’empêche pas de revendiquer des figures inspirantes. improvisations de clown dans des hôpitaux franciliens 2005, c’est l’année de l’envol. “Auparavant, tout le pour l’association Le Rire Médecin. Dans une chambre monde nous prenait pour des ovnis, nous compris.” A d’hôpital, la distance théâtrale est nécessairement Avignon, Théâtre à cru présente 7 fois dans ta bouche , confrontée à un réel (souvent) dramatique. C’est cette un travail autour des mésusages de la langue avec des même volonté de rapprochement qu’Armengol expé - textes du maréchal Pétain, de Théodore Zeldin et de rimente quand le public est quasiment invité à la Jean-Luc Lagarce. “Cette année-là, Jan Lauwers donnait table des comédiens pour Y’a pas-grand-chose. La chambre d’Isabella. Je me suis retrouvé dans sa façon d’inventer le théâtre par le travail au plateau, avec les L’enfance. “Les spectacles tous publics m’offrent une comédiens.” De la même façon, Alexis Armengol par - audace et liberté extrêmes.” Joué jusqu’au Japon, tage nombre de complicités avec Caroline Guiela J’avance et j’efface était basé sur l’histoire d’un enfant Nguyen (Saïgon) : “Le fait d’aimer la pensée théâtrale qui perd la mémoire toutes les trois minutes (le syn - de Caroline, de me sentir en affinité artistique et éthique drome de Korsakow exposé par le neurologue Olivier avec elle, c’est pour moi un appui considérable.” Sacks). L’an dernier, Armengol a créé Vilain , à partir de la citation du conte d’Andersen Le clown et le psy. Alexis par le psychiatre Boris Cyrulnik Armengol nourrit son travail (“le vilain petit canard s’était de la lecture de grands textes métamorphosé en un superbe (Deleuze et Duras sur l’alcool cygne”) . L’histoire de Zoé l’or - pour Sic(k) par exemple). pheline est accompagnée par Après le bac, il n’a fait qu’une les dessins en direct sur le pla - année de philo, le théâtre a teau de Shih Han Shaw. La des - tout emporté mais la frustra - sinatrice taiwanaise était déjà tion est restée. Il y a trois ans, de l’aventure de Candide, il a entamé des études de psy - qu’allons-nous devenir ? , pièce chologie. Un intérêt lointain dans laquelle Armengol se de - pour la question de santé mande, à la suite de Voltaire, mentale : pour plusieurs spec - comment “écraser l’infâme” . Ici tacles dont Est-ce que tu et maintenant, sur la scène m’aimes ? en 1996, construit à comme dans la vie. partir de textes de l’Anglais Patrice Trapier r

Ronald David Laing, l’un des d

maîtres de l’antipsychiatrie @ anglaise, Armengol a fait des stages d’observation dans des Est-ce que la psycho hôpitaux psychiatriques ou des services d’addictologie. va envahir ma pra - n Y’a pas grand-chose qui me “Est-ce que la psycho va enva - tique théâtrale ou est-ce révolte pour le moment de et avec hir ma pratique théâtrale ou Alexis Armengol, Ludovic Barth est-ce que le théâtre va impul - que le théâtre va impul - et Mathylde Demarez. Comédie de ser des pratiques thérapeu - ser des pratiques théra - Valence, 04 75 78 41 70, du 21 tiques ?” , s’interroge-t-il en au 25/05. Festival Off d’Avignon songeant à Howard Buten, le peutiques ? du 5 au 26/07

Théâtral magazine Mai - Juin 2019 77 Z o om Mises en capsules Benjamin Bellecour Il est acteur, scénariste, producteur de théâtre et de télévision mais il ne rate pas, chaque printemps, le rendez-vous qu’il a imaginé en 2007 : les Mises en capsules . Avec Pierre-Antoine Durand, Benjamin Gauthier, Camille Bardery et Anaïs Hua, il choisit parmi les 300 projets reçus pour en accueillir une quinzaine. m t

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La philosophie des Mises en cap - Berrodot et Ludivine de Chastenet. question de l’autisme dans La Ligne sules a-t-elle changé depuis la Ou bien Jean-Michel Martial va in - 21 de et avec Marie-Odile Weiss. Ciel création ? carner le premier boxeur noir de l’his - rouge matin de Tom Holloway est Ce qui me porte, c’est que les Cap - toire du sport dans Le Grand Espoir une pièce ambitieuse sur les non- sules m’amusent encore. Me dire blanc de Pascal Joseph. Ou bien Vic - dits. Je ne peux citer tout le monde. qu’on a fait démarrer plein de gens torien Robert conte, dans Porn for Mais on aura aussi un duo chorégra - me convainc que nous avons une pe - the Blind , l’histoire d’une fille qui phique, un cabaret d’effeuillage et tite valeur. Et j’aime que le travail, les entre dans l’industrie du porno pour même une pièce de Julien Sibony sur répétitions soient toujours dans un aveugles afin de rejoindre l’homme un couple en trottinette… climat joyeux. Les débuts, c’est ce qu’elle cherche. Ou encore Saman - Avec vos quatre partenaires, vous qu’il y a de plus merveilleux et je suis tha Markowic s’inspire de sa propre choisissez uniquement sur dossier ? toujours admiratif de ces jeunes qui histoire dans Les Jumelles qu’elle va Non. Les 300 dossiers sont tous lus se mettent en danger. A la création, jouer avec Alexandra Chouraqui : par deux d’entre nous. On en retient c’était un marchepied pour des gens l’une des sœurs est reprise par sa 40, puis 15. Pour les derniers sélec - que j’aimais. Ensuite, je suis devenu mère, qui ne veut pas prendre l’autre tionnés, on demande à voir dix mi - un producteur. Je me donne comme avec elle… nutes du spectacle en préparation. mission la découverte de gens que je Cette année, on a été touché par des ne connais pas. J’ai envie d’être sur - Je me donne comme mission choses très fortes, souvent intimes. pris. Et je pense qu’on doit revenir la découverte de gens que je Dans notre histoire, on a aidé les pre - aux grands sujets que l’on a un peu ne connais pas. J’ai envie mières versions de textes de Micha - délaissés. d’être surpris. lik, Solès, Chirinian, Chamoux… Quel programme cette année ? Mais les Capsules sont des pièces en Je crois qu’on tourne le dos aux D’autres exemples ? elles-mêmes. Pas des ébauches. textes faciles, qu’il y a plus d’ambi - Sophie Forte a écrit et joue quelque Gilles Costaz tion, plus de densité dans les seize chose de très intéressant sur Fran - Capsules de cette année. Par exem - çoise Dolto, Lorsque Françoise paraît. n Mises en capsules, un festival préparé ple, Julien Ratel montre un jeune Benjamin Guizard fait un seul en par Benjamin Bellecour. Théâtre Lepic homme faisant l’annonce de son ho - scène sur le don de sperme, Le Gobe - (ex Ciné 13 Théâtre), 1 avenue Junot mosexualité dans un milieu ouvrier : let . Diagonales de Virginie Daudet 75018 Paris, 01 42 54 15 12, Notre fils John est joué par Philippe traite de la schizophrénie. Il sera du 20/05 au 8/06

78 Théâtral magazine Mai - Juin 2019 F amille Agenda

Dès 6 ans

Le Bain Trois comédiennes chanteuses et marionnettistes donnent vie à deux tableaux du XVIe siècle Diane au bain (École de Fontainebleau, d’après François Clouet, musée des Beaux-Arts de Tours) et Suzanne au bain (par Le Tintoret, musée du Louvre-Lens) tandis qu’une n i r

i voix off nous relate les événements mythologiques à o V

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l l’origine de ces deux oeuvres : l’épisode d’Actéon tiré l e i n

a des Métamorphoses d’Ovide pour Diane au bain et D > Le Bain @ celui de Suzanne épiée par deux vieillards tiré du livre de Daniel dans l’Ancien Testament. Un moment ma - gique, poétique, enrichissant qui donne envie autant de redécouvrir les légendes que les tableaux dont on Dès 3 ans nous parle. n Conception et récit Gaëlle Bourges, avec des extraits Poucette d’Actéon, dans Les Métamorphoses d’Ovide, livre III, Poucette raconte les aventures d’une toute petite fille. avec Helen Heraud, Noémie Makota, Julie Vuoso "Qu’il est difficile d’être toute petite" pense Poucette. 9 et 10 mai Théâtre Garonne Toulouse Née dans une tulipe, puis enlevée par des vilains elle ne 13 et 14 mai Théâtre d’Arles doit son salut qu’à une hirondelle qui s’envole avec elle 18 au 23 mai Le Manège à Reims en direction du pays des fleurs où l’attend son Prince. n De Hans Christian Andersen, adaptation, mise en scène et jeu Véronique Balme Essaion, 6 rue Pierre au lard (à l'angle du 24 rue du Ados et plus Renard) 75004 Paris, 01 42 78 46 42, jusqu’au 2 juin juin, dès 1 an La chambre désarcordée Un véritable cluedo sur scène où l’on recherche le meur - trier du professeur Violet… Dès 4 ans n De Cédrick Spinassou, mise en scène Cédrick Spinassou, avec Yannick Blivet ou Cédrick Spinassou, Dessine moi un arbre Lucile Jaillant ou Ana Adams, Julien Lamasonne ou La nature est en colère car elle est couverte d’immon - Lorenzo Beri, Pape Bamar Kane ou Ismael Isma, Jeanne dices après un pique-nique. Un arbre assoiffé, une motte Delavenay ou Maud Vincent de terre encombrée de déchets, un oiseau prisonnier Funambule Montmartre, 53 rue des Saules 75018 dans un sac plastique et une coccinelle rebelle vont venir Paris, 01 42 23 88 83, 10 mai au 1er septembre à son secours. Les enfants sont aussi invités à l’aider… n De et avec Marie Simon, mise en scène Philippe Gouin et Anne Morier Funambule Montmartre, 53 rue des Saules 75018 Paris, 01 42 23 88 83, du 18 mai au 15 juin

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Logiquimpertur- Saigon Les Damnés babledufou [ L’asile à Zabou ] [ Voyage sentimental ] [ Brillante variation ] mise en scène et textes Zabou Breitman un spectacle de Caroline Guiela Nguyen d’après le scénario de Luchino Visconti, Théâtre du Rond-Point, 2 bis av Franklin Odéon/Berthier, rue André Suares 75017 mise en scène Ivo van Hove Roosevelt 75008 Paris, 01 44 95 98 00, Paris, 01 44 85 40 40, du 5 au 22/06 Comédie-Française, salle Richelieu 75001 du 9/05 au 2/06 C’est après une genèse de deux années Paris, 01 44 58 15 15, jusqu’au 2/06 Il est des logiques qui ne se rencontrent entre le Vietnam et la France que Caro - Les acteurs du Français se mettent au pas. Celle des fous et celle des sensés line Guiela Nguyen et sa troupe ont service du metteur en scène le plus re - par exemple. Elles ont leur cohérence transformé les témoignages recueillis en cherché et le moins classique du mo - propre et l’hôpital psychiatrique, l’asile, une fiction entremêlant trois histoires ment, le Belge Ivo van Hove, et d’un est souvent leur théâtre d’affrontement. d’amour, entre Saigon et Paris, 1956 et scénario d’un film d’anthologie, Les Ce texte de Zabou Breitman, composé 1996 : une mère sans nouvelle de son Damnés de Visconti. Toute la folie du de bribes de Tchekhov, Zouc, Shakes - fils ; une jeune femme qui a suivi son IIIe Reich s’y déchaîne, dans ses fureurs peare, Gogol, Kafka, de documents télé amoureux en France ; un jeune homme politiques, militaires et sexuelles. La fa - aussi, nous glace, nous gêne, nous forcé de quitter son pays et son amou - mille von Essenbeck possède d’impor - amuse, nous cloue sur place… La rigi - reuse inconsolable… Un magnifique tantes aciéries, et cette famille est dité des soignants, la vulnérabilité des restaurant-karaoké sert de point d’inter - nombreuse : elle va de l’ancêtre aux soignés, le perpétuel marchandage section à ces lignes de fuite : on y parle, vieilles méthodes jusqu’à la jeune géné - entre les deux et finalement un constat : on y chante, on y mange, tout est “pour ration, où s’agrègent les épouses inno - lequel est le plus fou ? Ou fou, tout de vrai”. Saigon est un spectacle senti - centes ou ambitieuses. Face au pouvoir court ? Imperturbables, leurs logiques mental parce que c’est avec des larmes nazi, le jeu est difficile : les commandes sont aussi impitoyables. Porté par qua - que le passé se raconte encore au - d’armement sont au prix des compromis - tre jeunes comédiens exceptionnels jourd’hui sur les deux rives de cet exil. sions et de diverses coucheries. Van sous forme de courtes scènes, ce projet Mais ces destins en forme de roman- Hove donne à voir à la fois l’action, son très imaginatif fait appel à toutes leurs photo sont tous pris dans l’Histoire : les reflet sur grand écran, les acteurs en richesses de jeu : mime, clown, danse, traumatismes hérités de la colonisation train de se changer et de se maquiller, voix. Entre un théâtre documentaire et et de la guerre ; le désir de fidélité en - et une série de visions personnelles (des un psy-show, ils réalisent des prouesses. travé par le temps et l’espace ; cette cercueils où les victimes sont filmées se Une performance absolue où se compo - langue vietnamienne parlée à Paris de - débattant après la mort, une sexualité sent des images fortes et des sons inat - venue incompréhensible à Hô-Chi-Minh exaspérée mais chorégraphiée). Les co - tendus, réinventant à chaque instant les Ville... Caroline Guiela Nguyen aurait pu médiens s’amusent follement à jouer situations de ce spectacle très abouti raconter l’histoire de sa mère exilée en hors de leurs normes : Didier Sandre, qui exploite l’espace, les lumières et les France après Diên Biên Phu, elle a pré - Elsa Lepoivre, Denis Podalydès, Chris - capacités du lieu à plein. féré écrire une histoire chorale, prétexte tophe Montenez… Ça a de la gueule, de François Varlin à un grand moment de théâtre. Avec à l’invention, une maîtrise implacable. la clé, une question universelle : que Mais cela reste une variation sur un reste-t-il de leur jeunesse dans le coeur grand film qui reste supérieur à ce bril - des vieilles personnes ? lant exercice. Patrice Trapier Gilles Costaz

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Compromis Kean Ça ira (1) Fin de Louis

[ Les compromis de l’amitié ] [ Viens voir le comédien ! ] [ Pommerat révolutionné ] de Philippe Claudel, avec Pierre Arditi, d’Alexandre Dumas, mise en scène Alain Sachs de Joël Pommerat Michel Leeb, Stéphane Pezerat. Théâtre de l’Oeuvre, 55 r. de Clichy 75009 Théâtre de la Porte Saint-Martin, Nouveautés, 24 bd Poissonnière 75009 Paris, 01 44 53 88 88, du 9/05 au 30/06 18 Boulevard Saint-Martin 75010 Paris, Paris, 01 47 70 52 76, jusqu'au 25/05 C’est une joie de retrouver le Kean 01 42 08 00 32, jusqu’au 30/06 Un comédien (Pierre Arditi) demande à d’Alexandre Dumas, si longtemps ab - Ce spectacle marque un tournant dans son meilleur ami auteur (Michel Leeb) sent de nos théâtres, dans une mise en le cheminement de Joël Pommerat. Pour de l’assister lors de la signature du com - scène flambante d’Alain Sachs. Le Ça ira (1) Fin de Louis , il se détache de promis de vente de son appartement. héros, comédien star d’une Angleterre son procédé habituel consistant à faire L’ami accepte tout en soupçonnant une du XIXe siècle, diva au masculin avec ce se succéder des images très soignées à entourloupe. Ses questions énervent que cela comporte de caprices et de ca - la façon d’une machine à diapositives l’autre et font remonter des rancoeurs botinage, est un séducteur dans l’âme pour travailler sur une impressionnante mal digérées. Tous deux s’envoient à la et un jouisseur un brin désabusé. C’est unité de mise en scène où la cohésion figure leurs échecs professionnels, se Alexis Dessaux qui endosse le rôle titre entre les différents acteurs est au coeur traitant mutuellement de ratés lorsque avec élégance. Convaincu et convain - du projet. La thématique est aussi plus l’acheteur arrive. La dispute se prolonge cant, il tient le plateau deux heures du - sérieuse. Avec génie, Pommerat relie le en présence du tiers qui croit assister rant et apporte tout le relief nécessaire théâtre historique à l’actualité brûlante. aux répétitions d’une nouvelle pièce de à une intrigue psychologique plus qu’à On observe les enjeux politiques multi - théâtre… rebondissements. Car Dumas, et Jean- ples de la Révolution française à travers Philippe Claudel explore avec beaucoup Paul Sartre dans son adaptation de ses événements les plus marquants. La de finesse ce grand classique qu’est l’œuvre, privilégient ici l’étude du carac - salle de spectacle est transformée en l’amitié. Et on suit en se délectant les tère du personnage y compris dans le lieu d’assemblée ; dispersés dans la salle, travers qu’empruntent les deux amis véritable suicide artistique qu’il commet les personnages imposent au spectateur pour se blesser jusqu’au point de non re - un soir en scène. De ce portrait du co - une immersion importante dans le tour où ils effectuent un revirement ma - médien, à la comédie elle-même, il n’y a moule tumultueux de cette société en gistral. On est tout de suite emporté qu’un pas qu’Alain Sachs nous fait fran - ruine à rebâtir. Très rigoureuse du point dans ce duel verbal dont on capte intui - chir allègrement apportant humour et de vue historique, sombre dans sa forme tivement toutes les subtilités. Michel fantaisie au cœur d’un décor fait de comme dans son propos, la création Leeb et Pierre Arditi s’en sortent magis - grands éléments mobiles manipulés à porte cependant en elle toutes les émo - tralement en évitant de verser dans vue. Sans modération Kean joue la co - tions de la Nation française naissante. toutes les facilités que tend le texte. Et médie de bon cœur, joue avec les On sort du spectacle gonflé d’espoir, cer - au final c’est l’amitié qui en sort ga - femmes et leur cœur, se met en abîme tain que l’Homme est capable de se tirer gnante. au risque de sombrer. Ce rôle qu’il tient des situations les plus extrêmes, contre Hélène Chevrier dans la haute société londonienne dé - toute forme d’inertie. Alors, on peut af - passe bien le cadre du théâtre... firmer : Pommerat compose le théâtre le François Varlin plus noble qui soit. Hadrien Volle

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Guys and dolls La dégustation Opening night

[ Swing millimétré ] [ L'âme du vin ] [ Adjani : mythe contre mythe ] mise en scène et chorégraphie Stephen Mear avec Isabelle Carré, Bernard Campan... d’après John Cassavetes, mise en scène Théâtre Marigny, carré Marigny 75008 Théâtre de la Renaissance 20 boulevard Cyril Teste, avec Isabelle Adjani... Paris, 01 76 49 47 12, jusqu’au 27/07 Saint-Martin 75002 Paris 01 42 08 18 50 , Bouffes du Nord 75010 Paris, 01 46 07 Stephen Mear ( Singing in the rain, 42th jusqu’au 30/06 34 50, du 3 au 26/05, et en tournée . Street…) est de retour à Paris. Jean-Luc La nouvelle pièce d’Ivan Calbérac se situe Inspiré par le film de John Cassavettes, Choplin lui a confié son plateau de Ma - dans un magasin de spiritueux. Le com - Cyril Teste, un jeune maître du genre rigny pour cette production inédite de merçant est un solitaire endurci qui n’a théâtral s’appuyant à la fois sur le théâtre Guys and dolls dans laquelle le choré - plus de compagne dans son périmètre af - charnel et la vidéo, s’empare de ce scéna - graphe honore le style original et son fectif. La jeune cliente qui entre, pose des rio et aussi de sa postérité mythologique époque. Les amateurs du genre de ces questions d’ignorante et passe à la table qui tourne dans la tête de beaucoup de musicals d’après-guerre se retrouveront de dégustation n’a pas non plus d’amour fous de théâtre et de cinéma. Car le film dans le livret, les chorégraphies et le en cours. L’arrivée d’un petit truand pas est l’un des plus beaux jamais faits sur le style de cette production nouvelle. Qua - méchant va rapprocher ces deux êtres tourment créateur de l’acteur. Teste siment inconnue en France, l’œuvre n’a qui n’attendaient que cela. prend de grandes libertés pour s’appro - pas la même force que les comédies mu - La pièce de Calbérac est à la fois fleur cher de la technique de Cassavettes, qui sicales tubes auxquelles nous sommes bleue et gaillarde. Elle a tous les élé - créait à vif, dans la liberté du moment. Le habitués, mais son charme désuet agit ments pour faire un succès populaire, en spectacle s’appuie sur un autre mythe, pourtant malgré des caractères de per - s’inscrivant dans le prolongement de la Isabelle Adjani, qui donne sa personnalité sonnages assez froids. Il y a des parieurs vieille romance parisienne. On a déjà à la figure centrale de la pièce inspirée du invétérés, des truands, des petites beaucoup entendu ces violons du cœur film. C’est une spirale de concret et de vir - femmes et des femmes d’honneur, le et du corps, mais on les aime quand les tuel, d’échos visuels et sonores, les acteurs vice et la vertu s’affrontent et une armée interprètes s’appellent Isabelle Carré et étant tantôt en coulisses et présents dans de salauds investit l’Armée du Salut ! On Bernard Campan. Isabelle Carré a l’art des images noir et blanc, tantôt sur scène, découvre une partition, placée sous la de jouer les imbéciles au cœur tendre ou encore présents à côté de leur reflet dynamique direction musicale de James qui s’avèrent tendres mais nullement transmis en direct ou modifié par une pa - McKeon, dans un décor de cadres lumi - imbéciles. Elle est craquante. Bernard lette graphique. Dans cette dualité du jeu neux superbes qui montent, descendent Campan semble se souvenir des râleurs lointain et du gros plan, Isabelle Adjani et se colorent à l’infini. Inévitablement bienveillants du cinéma français (Gabin, est saisie dans une très belle ronde esthé - un peu cliché, lisse et presque trop par - Carmet) et fait une prestation très amu - tique. Cyril Teste modifie les scènes et les fait, le show est millimétré, chanté et sante. Leurs partenaires, Mounir cadrages tous les jours pour partager dansé avec talent par un casting d’excel - Amamra, Eric Viellard et Olivier Clave - avec Isabelle Adjani la quête frénétique lence en dépit de l’exiguïté de la scène rie, font entrer dans la cave à vins d’au - d’une vérité changeante telle que la pra - qui freine son déploiement. tres types de notre société. Tchintchin ! tiquait Cassavettes, obsessionnellement François Varlin Ce n’est pas du grand cru, mais un cé - amoureux du mental et de la beauté de page de qualité. son actrice fétiche. Gilles Costaz Gilles Costaz

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MON GRAIN DE SEL

par Jacques NERSON

Le rôle attend-il le nombre des années ?

Il n’y a pas longtemps, j’ai blessé un comédien. proches de la retraite, par la fraîcheur miracu - Sans le vouloir. Telle a été sa fureur qu’il a ré - leuse d’Isabelle Adjani quand, à quinze ou seize clamé mon renvoi du journal. Mon crime ? ans, elle a joué L’Ecole des femmes . Avoir signalé qu’il était trop âgé pour le rôle. (Mais je devais avoir tort puisqu’il a depuis A l’inverse on s’étonne de voir Jean Chevalier, été sélectionné pour les Molières et que le jeune Troyen de vingt-cinq ans, bien constitué collège électoral de cette prestigieuse acadé - (il dit avoir hésité entre théâtre et football), tenir mie se dit "hautement qualifié".) le rôle d’un gamin impubère dans Fanny et Alexandre , d’Ingmar Bergman, mis en scène à la Je m’en prends rarement aux comédiens. Quand Comédie-Française par Julie Deliquet. Lorsque ils sont mauvais, je ne les tiens pas pour respon - l’évêque protestant Vergerus (Thierry Hancisse), sables. Soit ils ont été mal distribués, soit mal di - le beau-père d’Alexandre le fouette avec féro - rigés. En l’occurrence le coupable, c’est le cité, couché sur le ventre, derrière au vent, la metteur en scène du Misanthrope de Molière, l’il - scène revêt une ambiguïté assez dérangeante. lustre Peter Stein. Primo, il a confié le rôle d’Al - Pourquoi, s’il est largement aussi baraqué que ceste à un sexagénaire. Secundo, il a fait de ce lui, Alexandre se soumet-il à son tortionnaire au jeune homme trop bouillant mais charmant un lieu de lui flanquer une raclée ? inquisiteur toujours fulminant, si antipathique qu’on a du mal à admettre que Célimène en soit Quelle idée de choisir une pièce dont les prota - amoureuse. L’amusant c’est qu’Alceste a réagi gonistes sont des enfants si l’on ne dispose pas comme Oronte : au lieu de me dire ce qu’il avait des acteurs adéquats ! On ne monte pas Les Mi - sur le cœur, il en a appelé à mon supérieur hié - sérables quand on n’a ni Cosette, ni Gavroche rarchique. sous la main. Du moins dans un style de jeu réa - liste, car on peut aussi user de transposition. Il est vrai que j’ai tendance à me cabrer quand Ainsi procède Pauline Bayle pour Chanson l’âge de l’acteur n’est pas en accord avec celui du douce , d’après le roman de Leïla Slimani, tou - personnage. Mais une juste distribution des rôles jours à la Comédie-Française, au Studio-Théâtre est essentielle à la cohérence du spectacle. On a cette fois. Ici Mila et Adam, les deux enfants de même coutume de dire, en exagérant un peu, l’histoire, sont esquissés à traits légers mais pas que le choix des interprètes représente la moitié incarnés par Anna Cervinka et Sébastien Pou - de la tâche du metteur en scène. Je ne demande deroux. A aucun moment on ne tente de faire pas leurs actes de naissance aux acteurs. Je me croire au spectateur qu’il est face à de vrais en - fiche de leur âge exact, ce que je souhaite c’est fants. Pauline Bayle se montre en l’espèce plus qu’ils paraissent crédibles. Souvenez-vous de avisée que sa consœur. l’émerveillement provoqué, après tant d’Agnès

86 Théâtral magazine Mai - Juin 2019