TECHNIQUES TERRITOIRES ET SOCIÉTÉS

P R O S P E C T I V E sciences sociales

Acteurs publics, acteurs privés dans l'aménagement 26

Ministère de l'Équipement, des Transports et du Tourisme Direction de la Recherche et des Affaires Scientifiques et Techniques Centre de Prospective et de Veille Scientifique Janvier 1994

Techniques, Territoires et Sociétés

Acteurs publics, acteurs privés

dans l'aménagement

Ministère de l Equipement, des Transports et du Tourisme

Direction de la Recherche et des Affaires Scientifiques et Techniques n° 26 Centre de Prospective et de Veille Scientifique Les dossiers Techniques, Territoires et Sociétés ont pour objet de confronter sur un thème déterminé - qu'il s'agisse de l'aménagement, de l'urbanisme, de l'équipement, des transports ou de l'environnement - les points de vue des chercheurs en sciences sociales et des praticiens . Ils reprennent des travaux - recherches ou comptes rendus de séminaires - généralement menés dans cette perspective sous l'égide du Centre de Prospective et de Veille Scientifique.

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SOMMAIRE

Introduction : éléments pour un bilan par Gilles Jeannot 5

La production urbaine après la décentralisation 13 par Dominique Lorrain

1 . Des opérations innovantes d'aménagement urbain 13 2 . La portée d'un schéma ensemblier 31

La coordination urbaine : anciens métiers, nouveaux métiers 46 par Gilles Verpraet

1 . La conjugaison des compétences 48

2. La coordination économique et financière : segmentation et assemblage 51 3 . La coordination municipale 53 4 . Le cadrage architectural 58 5 . La réorganisation du service public de l'urbanisme 60

6 . Conclusion : destins professionnels et choix de coordination 63

Le partenariat public/privé dans l'urbanisme : invention ou redécouverte 69 Comparaison internationale par Gilles Novarina

Stratégies d'acteurs et requalification du territoire : l'espace Fauriel 87 par Jean-Noël Thomas

1 . Stratégie d'acteurs 88 2. La requalification du territoire 103

Deux opérations de requalification de quartiers centraux 115 par Dominique Werner

Rodez 115 Bourgoin-Jallieu 117 Enjeux. Mise en oeuvre et limites d'un partenariat 118 Europole . Complémentarité ou concurrence entre centre d'affaires 121 et parcs technologiques dans l'agglomération grenobloise par Gilles Novarina

1 . La création du centre d'affaires Europole : une longue période de tâtonnements et de négociations entre acteurs publics et privés 122

2. Les infléchissements du projet Europole . Modification du plan de 125 composition urbaine et évolution du programme 3 . La nature du projet de développement économique 128

Liste des TTS 135 INTRODUCTION

Eléments pour un bilan

Il y a du nouveau dans l'urbanisme opérationnel ! C'est du moins ce qui apparaissait à la lecture de la presse spécialisée depuis quelques années, et qui a suscité le* rassemblement en 1990 du groupe de travail à l'origine du présent dossier Techniques, Territoires et Société . A l'époque, l'objet de ce renouveau était loin d'être précisément défini . Quelques opérations phares comme Euralille ou Sextius Mirabeau servaient de référence . Certains promoteurs-constructeurs se trouvaient sous les feux de la rampe . Certains parlaient de la production clefs en mains de "morceaux de ville", d'autres de "mutations dans les métiers de l'aménagement", d'autres enfin évoquaient les "partenariats public/privé".

Comment alors définir le champ dans lequel nous irions rechercher cette évolution supposée ? Il était sûr qu'on ne pouvait se contenter des opérations les plus "visibles" médiatiquement . Sans définir un échantillon représentatif, l'ensemble des opérations d'urbanisme opérationnel analysées dans les deux, recherches exploratoires engagées l'une avec Dominique Lorrain et l'autre avec Gilles Verpraet, complétées par quelques opérations présentées dans ce numéro, par la diversité des tailles d'opérations et des contextes des villes dans lesquelles elles s'inscrivent, mais aussi par la diversité des perspectives des auteurs de ces analyses, permettent de proposer plusieurs pistes d'analyse et des premiers éléments pour une évaluation des changements apparus autour de l'évolution du projet urbain, des relations public/privé et des savoir-faire de l'aménagement.

Intérêt et limites du modèle de l'ensemblier

S'il est si difficile de s'entendre sur une définition des changements en cours c'est, peut-être, en partie parce qu'il s'agit d'un mouvement de redéfinition des découpages traditionnels de l'urbanisme opérationnel . Le modèle de l'ensemblier proposé par Dominique Lorrain est sûrement la manière la plus simple d'aborder le travail de redéfinition d'objet qui est en jeu dans un certain nombre des opérations considérées . Le dispositif peut se résumer ainsi. Si l'on arrive à assooier un secteur non rentable ou pour lequel le rapport entre les risques pris et le chiffre d'affaire final est trop grand, à un secteur rentable, on peut rendre réalisable une opération qui ne l'était pas à l'origine . Ce modèle ensemblier explique le développement de sociétés d'aménagement liées à des "grands" du BTP . L'opération ZAC front de Seine à Levallois constitue un

1 Ce groupe comprenait François Ascher, Viviane Claude, Guy Faure, Ariela Masboungi, Marilyne Meaux, Michel Péraldi, Evelyne Perrin.

2 Cf. Par exemple Le nouvel économiste du 1er janvier 1989 qui fait sa une sur les "nouveaux promoteurs" et nous apprend que le volume d'affaire des 400 adhérents de la FNPC était en 1989 de 100 milliards de francs dont le tiers par une quinzaine de grands leaders . 6 exemple caractéristique de ce type 3. L'opération réalisée sur un ancien site industriel de Citroën a &.té possible grâce à l'achat et l'aménagement du site par Construction, une filiale aménagement de Bouygues . Une première phase a été équilibrée mais une seconde phase n'a pu être menée à terme . Le risque pris, bien réel dans ce cas, ne se justifie pas alors simplement par l'échelle des bénéfices liés à la phase amont mais par les travaux à réaliser . L'investissement initial de 450 millions de francs a permis de générer 7 à 8 milliards de francs de travaux, dont environ les deux tiers reviennent au groupe Bouygues.

La réussite de ce type d'opération est tout à fait liée à une conjonction particulière - de sites à très forts potentiels dans une conjoncture de fort développement du marché du bureau . Toutefois, ces opérations ont pu à la fois servir de modèle et générer des fonds permettant aux groupes engagés de se présenter au moins comme force de proposition sur d'autres sites. Le modèle de l'ensemblier peut être appliqué dans un cadre plus large à des transferts effectués entre les secteurs de l'aménagement et les acteurs des services urbains. C'est ce que suggèrent les liens organisationnels établis entre les secteurs de l'aménagement et de la construction et ceux des services urbains (la SARI dans le groupe de la Générale des eaux ou l'association Lyonnaise des eaux-Dumez). L'analyse de la négociation du projet de la SARI à St-Etienne par Jean-Noël Thomas offre un témoignage sur l'ambiguïté de tels liens.

Les réorganisations de l'offre immobilière ne se limitent pas à des transferts entre secteurs rentables et non rentables . Des tentatives de standardisation des produits ont été engagées . La SARI en particulier a tenté de promouvoir le modèle du technoforum qui pourrait se décliner selon les villes . Un tel modèle de standardisation des produits semble assez mal trouver sa place, pour des responsables urbains attachés à la spécificité de leur projet . Cependant la multiplication des opérations (cf. par exemple la liste des opérations GEREC donnée par Dominique Lorrain) conduit sûrement à une certaine routinisation et permet à ces aménageurs d'offrir une sorte de catalogue aux édiles locaux.

Expertise et maîtrise publique des projets

Le modèle ensemblier doit plus être considéré comme un idéal-type, un cas extrême destiné à faire comprendre des tendances en cours, que comme un modèle de description totalement adapté . Ceci en particulier parce qu'il ne prend en compte que la volonté des groupes de production, de redéfinir le cadre de référence. Or, les élus et les professionnels s'efforcent, de leur côté, de redéfinir le cadre d'action pour un projet urbain . Cette volonté s'inscrit comme le suggère Dominique Lorrain, dans une conception relativement nouvelle de la fonction d'élu dont on attend qu'il soit un constructeur plus qu'un gestionnaire, dans un contexte de forte (imitation des ressources publiques.

Gilles Verpraet peut ainsi souligner l'importance de la prise en charge par la municipalité de la coordination . Celle-ci peut s'inscrire dans les formes les

3 Cet exemple est tiré d'une présentation faite dans le cadre d'un groupe de travail animé par Jean Eudes Rouiller, Jean Michel Roux et Ariéla Masboungi . Par ailleurs, ces remarques introductives doivent beaucoup aux discussions de ce groupe de travail . 7

plus olassiques comme dans le cas de l'opération de Sèvres conduite par une SEM municipale, dans le cas de Lille, on voit apparaître un travail de mobilisation de réseaux d'acteurs autour du projet réalisé par une SEM, et dans le cas de Poitiers, le dossier est pris en charge par le service économique de la ville.

Si on suit le raisonnement de Gilles Verpraet, on semble être dans un jeu dans lequel chacun passe son temps à "encadrer" les autres, à définir leur place dans sa propre conception du projet . On est tenté alors de se demander qui "encadre" plus que les autres, ou en d'autres termes, qui maîtrise à son avantage ces déplacements ? Dans la mesure où la connaissance des processus de production constitue un atout de la négociation, c'est d'emblée poser la question de l'expertise au service du secteur public. Certaines mutations apparaissent déterminantes. Elles s'inscrivent toutefois sûrement dans une histoire plus longue que celle de la conjoncture qui a permis la multiplication récente de projets d'aménagements. On retrouve ainsi, le processus d'hybridation entre les modes de faire développés dans les quartiers nouveaux et ceux développés dans les quartiers anciens. On retrouve de même le difficile partage des tâches au sein des municipalités entre les services de développement économique et les services aménagement. Le ministère de l'Equipement apparaît présent en partie, à travers les DRE qui peuvent proposer des études économiques dans une perspective régionale, niveau d'approche qui échappe aux villes . On trouve ainsi finalement bien peu de cas "d'urbanisme de promoteurs".

Public/privé quels changements ?

Si on choisit une définition un peu restrictive du "partenariat" qui suppose la prise de risque du secteur privé dans les investissements d'aménagement, on trouvera peu de choses . L'exemple de la Zac de Levallois- Perret ressortit de cette définition, mais ce cas de figure ne concerne que des opérations limitées dans les sites les plus porteurs dans une conjoncture de hausse. Comme le faisait remarquer Jean Eudes Roullier , la plupart des opérations qui ont été présentées dans la presse comme des partenariats public/privé sont en ce sens des opérations d'aménagement publiques.

Cependant, même sans prise de risque en amont par l'achat de terrain ou l'engagement ferme à acheter des bâtiments, il faut bien reconnaître un bon nombre de cas, dans lesquels des acteurs privés se sont efforcés, pour le moins, d'infléchir des projets d'aménagement urbain en redéfinissant la demande initiale des villes, pour rendre viables certaines opérations . L'exemple qui revient le plus souvent de ce point de vue, est celui du passage d'une demande de parking s à la réalisation d'un complexe urbain en centre-ville . Elle est présente dans le cas du projet en centre-ville à Reims, dans celui de la ZAC des Jacobins à Rodez, ou dans le cas du projet Europole à Grenoble . On peut noter au passage que, dans

4 «Où chercher les pistes d'un vrai partenariat ? Entre qui et qui ? A quel moment ? Pour quoi faire ? et dans quelles conditions ?", in Partenariats dans cinq opérations d'aménagement, Ministère de l'Equipement, DAU, 1993, pp 88-89.

5 On retrouve un modèle de transfert de type ensemblier, lorsqu'un organisme de gestion de parking accepte de construire des parkings souterrains en général non rentabilisables en échange de la concession des parkings de surface. 8

ce dernier cas, la réalisation du projet de parking disparaîtra finalement du bilan de cette opération pour être réalisée dans un autre cadre. De manière plus générale encore, on a pu noter un rapprochement de plus en plus fort des approches des élus locaux et du secteur privé tant pour l'aménagement que pour l'usage des espaces urbains . Le développement des services économiques dans les villes avait constitué un premier signe de cette tendance, et on retrouve d'ailleurs ces services dans le montage de certains partenariats d'aménagement avec le privé. Une telle évolution ne constitue pas une rupture, elle s'inscrit dans la tradition de liens avec les grandes entreprises de services, et les instruments comme la ZAC et la SEM sont encore très prisés.

Quant aux effets, il faudrait pour une évaluation répondre à tout un ensemble de questions . On devra s'interroger sur le contenu architectural et urbanistique des projets impliquant de manière active le secteur privé dans la phase de définition . On devra aussi replacer les opérations évoquées dans une économie plus globale . En effet, on peut se demander, comme le fait Norman Fainstein à propos des USA, si ces opérations n'ont pas contribué plus à déplacer un développement d'une ville à l'autre ou d'un quartier à l'autre, qu'elles n'ont été la cause de développements nouveaux. Les éléments rassemblés ici ne permettent pas de telles évaluations.

On peut toutefois aborder ici un premier critère d'évaluation : la capacité à faire aboutir les opérations . Il y a en effet, dans les cas évoqués, beaucoup de déchets, d'opérations qui sont définitivement abandonnées ou qui semblent bloquées pour une longue période . A Port-Louis le projet de centre de thalassothérapie, après avoir défrayé la chronique locale, semble abandonné ; un exemple parmi d'autres qui montre comment l'absence de clarté dans la définition du projet et l'attente d'une solution passe-partout peuvent se révéler sources de bien des difficultés. Les villes peuvent en effet se trouver ballotées entre différents projets, ou se trouver le jouet d'une mise en concurrence pour l'implantation d'un même projet, les acteurs privés ayant toujours plusieurs "fers au feu". La capacité d'une ville à définir clairement un projet spécifique, à garantir des délais et à négogier en conséquence, apparaît alors comme le meilleur atout pour mobiliser l'investissement d'acteurs privés.

Enfin, le fait même du retrait des opérateurs privés avec le changement de conjoncture doit aussi être. intégré dans l'évaluation ; il révèle à quel point ce mode d'action ne peut recouvrir qu'une part très restreinte de la complexité de l'économie de la production urbaine . On a souvent dît que le marché était myope, pour souligner le fait que les choix laissés à sa seule influence ne prenaient pas en compte le long terme, il faudrait ici dire aussi que le marché a des oeillères. Les conditions permettant la rentabilisation d'un investissement direct du secteur privé dans la phase amont de l'aménagement sont réunies de manière exceptionnelle . Ce qui ne signifie pas, loin de là, qu'hors de ces cas il n'y ait point de production de valeur urbaine et de profit à tirer pour des acteurs privés.

6 C'est un des avantages des opérations liées à un équipement comme une gare TGV de fixer un compte à rebours . 9

Perspectives d'évolution

Si l'on veut tenter de dessiner à partir de cette analyse de la situation présente, une esquisse de projection, il faut sûrement distinguer deux types de phénomènes correspondant à des rythmes différents . Le premier est le développement d'un marché privé d'opérations d'aménagement, le second une évolution des relations entre les maires et économique.

1 . Le premier phénomène correspond à une bulle historique très réduite de guère plus de cinq ans . Dominique Lorrain fixe la date charnière en 1985 avec l'abandon de l'agrément sur les bureaux en région parisienne. Certaines- opérations financièrement profitables ont pu alors s'engager, des savoir-faire se développer du côté du privé et des ressources financières être accumulées et servir de base à un redéploiement du côté de la province . Cette périodisation semble confirmée _par les données offertes par la fédération nationale des promoteurs-constructeurs . Si l'on regarde les créations de ZAC en région parisienne on a 45 créations pour la période 1976-80, 90 pour la période 1981-85, et 329 pour la période 1986-90 . Les opérations privées dépassent alors les opérations publiques mais restent derrière celles conduites par des SEM . On peut prendre un autre indicateur qui est la création des sociétés de promotion construction : alors qu'entre 1975 et 1985, on ne recense aucune création, on en note quatre entre 1980 à 1984 et huit de 1985 à 1989. . . dont un certain nombre ont depuis quasiment disparu . Car ce mouvement qui se dessine est bien daté et correspond à une conjoncture très particulière du marché . Les perspectives de développement en l'état apparaissent aujourd'hui réduites. On peut cependant envisager deux formes de renouvellement de ce modèle ; la première, à travers un déplacement du modèle de l'ensemblier, la seconde à travers un renouvellement des modes de financement de l'urbanisme.

7 Fédération nationale des promoteurs-constructeurs, Réussir l'aménagement urbain, le partenariat avec le secteur privé de la promotion construction, Editions du moniteur, 1992, p. 57 sq.

8 La plupart des sociétés de promotion liées aux grands groupes (BTP et services) ont fortement réduit leurs équipes dans des délais très brefs. Les équipes restantes peuvent rechercher alors à faire valoir le savoir-faire acquis sur le mode du conseil aux maîtres d'ouvrages ou s'interrogent sur les quelques marchés qui demeurent aux marges (par exemple des opérations en seconde couronne de la région parisienne) ou sur les marchés soutenus par la puissance publique comme le logement social sans que sur ce dernier domaine se soient encore vraiment dessinées les modalités d'un partage des tâches public/privé. Il reste les promoteurs qui ont eu du mal à passer le cap . Selon le nouvel économiste (" Immobilier : les survivants " déc. 1993), Meunier s'en tire bien, Cogedim, Pelège et les " nouveaux constructeurs " sont en difficulté. " Au début de 1985, le parc de bureaux d'Ile-de-France comprenait 29 millions de m 2. Entre 1985 et 1991, 12 millions de m 2 supplémentaires ont été mis en chantier, ce qui correspond à un accroissement de 40%, le département des Hauts-de-Seine a enregistré une hausse de 90%": Claude Taffin, " Crise immobilière : une leçon à retenir", Revue d'économie financière, n° hors série, janvier 1994, p .155 . Cette évolution s'est traduite dans le secteur bancaire : " L'encours total du crédit aux professionnels de l'immobilier était au 31 décembre 1992 de 303 milliards de francs (. ..) dont 102 milliards de francs d'encours douteux provisionnés à 38 % par un stock de provisions de 39 milliards de francs ", Immo Presse, " Enquête sur les risques immobiliers des banques à la fin 1992, Revue d'économie financière, ibid, p .207 . 10

Le modèle de l'ensemblier, avant d'être appliqué au domaine de l'aménagement est né dans celui des services . Il a dans ce domaine sûrement encore des perspectives ouvertes devant lui . On peut envisager en particulier deux zones de développement . Tout d'abord la sphère des services liés à l'entretien des bâtiments. En effet, la part des fonctions de gardiennage de nettoyage et de maintenance des parties techniques des immeubles de bureau correspond à une part importante du budget global d'installation des bureaux . Un constructeur pourrait être ainsi prêt à de fortes concessions sur le prix de la construction, si celle-ci s'accompagne d'un contrat de maintenance globale de l'immeuble . Un autre domaine est celui de l'entretien des espaces publics comme les zones d'échange des grandes gares . Ces objets dont l'importance urbaine est essentielle peuvent être aussi l'occasion de transferts financiers entre les fonctions d'aménagement et celles de gestion.

On peut aussi envisager un réinvestissement du secteur privé dans l'aménagement au travers de modalités nouvelles de financement des projets . On peut alors, en quête de modèles, se tourner vers l'étranger . L'exemple des Etats- Unis suggère toute une série de procédés . Les villes peuvent émettre des bons d'emprunts publics recédés ensuite aux investisseurs fonciers . On peut envisager aussi des moyens de détaxation, soit des bénéfices d'entreprises lorsqu'ils sont réinvestis dans l'achat de terrains, soit des entreprises qui choisissent de s'installer dans certaines zones d'entreprises . Dans tous ces cas, dans la mesure où il s'agit au fond de transfert de l'argent public, il faudrait évaluer l'efficacité socio-économique globale de ce type de transfert comparée à une intervention plus directe de la collectivité . Le cas des Etats-Unis suggère la recherche de nouvelles sources de financement ; les Business Industrial district sont des organismes qui regroupent par exemple, les entreprises présentes dans une zone industrielle qui décident de s'auto-taxer pour financer des petits aménagements de la zone . Ce procédé correspond de fait à une affectation des ressources fiscales à un quartier d'origine . Les associations philanthropiques ont pu aussi jouer un rôle important, mais ce modèle culturel est difficilement transposable. Enfin, les aménageurs ont aussi fait appel aux fonds de pension ; en effet, les caisses de retraites sont parmi les rares investisseurs tentés par les placements à long terme que nécessite l'aménagement . Une autre source de financement nous est suggérée par la tradition suédoise d'intéressement du propriétaire au succès de l'aménagement . Plutôt que de vendre son terrain à l'aménageur, le propriétaire peut être le premier partenaire du projet qui "investit" son terrain dans l'opération et tire le prix de son terrain, en fonction du succès de l'opération, par des baux emphytéotiques . Cette formule se trouve appliquée parfois en France, et en période de crise on peut penser que les grands propriétaires publics en particulier (SNCF, Hôpitaux. . .), sont ceux qui ont le plus intérêt à voir valoriser un capital qui dort. Il ne faut pas cependant, dans ce raisonnement économique, négliger la dimension culturelle ; si ces entreprises se sont montrées prêtes à s'engager dans l'aménagement dans les périodes où les profits étaient très importants, elles peuvent considérer en vue de profits réduits que ce n'est pas leur métier premier et conserver encore des terrains qu'elles détiennent depuis déjà des décennies et dont la non rentabilisation n'est pas comptabilisée.

9 Cf. la contribution de Gilles Novarina dans ce numéro . 11

2. Le deuxième phénomène correspond à une évolution plus générale des modalités de l'action publique urbaine . Gilles Novarina propose à partir de la comparaison internationale une périodisation différente . Les pratiques mises en questions ici seraient à replacer dans un mouvement général de multiplication des opérations en partenariat avec le privé qui apparaît dans le courant des années 1970 aux USA et se généralise au début des années 1980 dans les pays européens. Ce mouvement se décline de manière différenciée depuis les mouvements de dérégulation et de privatisation, à l'initiative des gouvernements conservateurs dans les pays anglo-saxons, aux assouplissements apportés au modèle social-démocrate dans les villes du nord en passant par les recompositions des systèmes de partenariat consécutifs à la décentralisation dans les pays latins . Toutes ces évolutions correspondent aux mêmes tendances globales de l'économie, cette mutation marque selon lui, pour la France, la fin d'une autre période assez exceptionnelle de l'histoire qui s'étend de 1945 à 1975 et qui a vu une forte implication de l'Etat central dans l'aménagement . En effet, dans la plupart des pays, les collectivités locales ont un rôle croissant à jouer dans le domaine de l'aménagement avec des moyens plus réduits . Même dans le cas de l'Angleterre, à coté d'une politique de forts financements par l'Etat des Urban Devlopment Corporations, les villes se sont vues contraintes de mobiliser les milieux économiques locaux pour des projets de développement économique et d'aménagement.

Il semble bien apparaître une nouvelle liaison privilégiée entre les maires et les groupes privés que les professionnels se sont empressés de souligner10. Cette orientation correspond à une volonté de traduire immédiatement une émancipation et de chercher pour cela du côté du privé une alternative à l'expertise issue des services de l'Etat . Il se peut même que ces relations correspondent dans le grand public à un mode fort de légitimation de l'aotion publique . La même intervention privée dans l'aménagement qui pouvait susciter il y a quelques années la dénonciation d'une "main basse sur la ville" peut être aujourd'hui perçue comme le témoignage d'une gestion dynamique et économe des deniers des contribuables11 . Ceci conduit à une évolution des manières de poser et de résoudre les problèmes qui rentraient autrefois dans la catégorie " urbanisme ". Une telle transformation des fonctions et des métiers de l'urbanisme public s'inscrit dans un processus durable.

10 FNPC, ibid, p .64 sq ., présentation d'une enquête qui témoigne de l'intérêt des maires pour les ZAC privées . Par ailleurs, dans Pouvoirs locaux, la revue de l'Institut de la décentralisation Jacques Mallard, président du groupe Bréguet, annonce un nouvel âge de l'aménagement dans lequel l'Etat n'occupe plus qu'une place modeste, et il appelle à la poursuite du processus de décentralisation . Jacques Mallard, "Les nouveaux rapports élus-aménageurs privés" Pouvoirs locaux n° 6, octobre 1990, p .66 à 74.

11 Comme en témoigne cet encart dans le journal de la ville de St-Etienne à propos de l'Espace Fauriel : "Combien çà coûte ? Il n'est pas inutile de rappeler que l'aménagement de l'Espace Fauriel n'est pas à la charge du contribuable stéphanois . Il s'agit en effet d'une opération privée dont le risque a été pris par la SARI, puis par la Compagnie Générale des Eaux. Seuls les équipements publics, l'Ecole Supérieure de Commerce, l'annexe de l'Ecole des Mines et le Planétarium, sont financés par les deniers publics" . Espace Fauriel, Cap vers l'an 2000, St- Etienne Aujourd'hui, janvier 1994, p.6 . 12

C'est ainsi au total une évolution en demi-teintes qui s'est dessinée . Si la multiplication des opérations de coopération active entre les acteurs publics et privés dans des contextes aussi différents que ceux évoqués dans ce numéro témoignent bien d'un changement, celui-ci ne correspond pas à une rupture par rapport à la tradition d'économie mixte à la française .

Gilles JEANNOT Centre de prospective et de veille scientifique, DRAST LA PRODUCTION URBAINE APRES LA DECENTRALISATION

Dominique LORRAIN CNRS, Fondation des Villes

1- DES OPERATIONS INNOVANTES D'AMENAGEMENT URBAIN

Chaque période de l'histoire urbaine a connu ses équipes municipales innovantes qui mieux que d'autres condensent tous les paramètres d'un moment des réalisations, une ambition, un style ; bref un projet et des actes . Vers 1965, les maires emblématiques de la période étaient des bâtisseurs : Fréville à Rennes, Royer à Tours, Pradel à Lyon, Taittinger à Reims, Mondon à Metz, Baudis (père) à Toulouse . Pour être complet il faudrait ajouter à cette liste ces maires inconnus nationalement qui ont joué un rôle dans la transformation de leurs villes qui, bien que plus petites, façonnent aussi le visage de la France moderne : Allainmat à Lorient qui a achevé la fin de la reconstruction, Pouille à Vandoeuvre qui contribua à produire aux portes de Nancy la seconde ville du département, Rémond à Quétigny qui transforma son village en banlieue de Dijon etc. . . Ils s'intéressaient aux grands équipements urbains, à la production de logements. Ils accordaient déjà du prix à l'édification d'équipements publics marquants . Pour parvenir à leurs fins, ils menaient des négociations qui associaient plusieurs partenaires . On parlait de communication et de marketing urbain dès 1971.

La nouveauté de la période, à partir de la deuxième moitié des années quatre-vingts réside peut-être dans la fusion d'éléments qui faisaient jusqu'alors l'objet de politiques séparées, en vue d'une stratégie affirmée de développement. Deux nouveautés donc : fusion de pratiques anciennes et affirmation d'un projet qui passe par des politiques de communication . Elles mènent à de nouvelles formes de l'action publique locale.

Dans un contexte de crise économique et de tensions financières, un nombre croissant de villes françaises ont engagé des actions visant à prouver leur dynamisme, à changer leur image, à affirmer leur identité. Toutes les ressources de l'action publique locale, même les plus anodines, se trouvèrent mobilisées au service des objectifs globaux, le plus souvent au service du développement économique . Autrefois, une certaine étanchéité existait entre secteurs ; un équipement sportif avait un sens dans l'action sportive et seulement là, de même pour un musée dans la politique culturelle . En un temps très court les élus locaux ont appris à énoncer des projets stratégiques et à mobiliser toutes les

Sur la portée d'ensemble de ces expériences et leur apport à de nouvelles formes de l'action publique locale, voir notre article -Après la décentralisation, ( l'action publique flexible)- Sociologie du travail, n°3,1993. 14 ressources possibles au service de cette stratégie ; ce qui se dit également faire flèche de tout bois. Dans une telle structure d'action le problème n'est pas que les phénomènes soient vrais, il n'est pas d'apporter des preuves . Si le but est d'affirmer son dynamisme tout peut y ooncourir : une équipe sportive qui gagne, un équipement culturel de renom, un festival, autant de faits qui permettent de faire connaître sa ville et de prouver son dynamisme.

A côté des actions qui relèvent classiquement du développement urbain comme l'aménagement d'une zone d'activité, voire d'une technopole, on a assisté à la mobilisation de toutes les autres actions au service de l'objectif central du développement : le sport, la culture, l'architecture, les technologies. Plusieurs villes ont ainsi mis en avant des investissements dans les réseaux urbains pour afficher une image dynamique, Toulouse avec le VAL, Grenoble, Nantes et leur tramway, Nancy et sa nouvelle usine de traitement des eaux et son réseau de trolleybus . D'autres ont requis le sport, Nîmes et la tauromachie, Toulouse et le Rugby. Lorient ou les Sables d'Olonne ont tiré parti de leurs navigateurs du tour du monde à la voile en solitaire. Les équipements culturels, les festivals aussi ont été utilisés, tout a été décliné sur le thème du développement, y compris la sauvegarde du patrimoine . Donnons-en un exemple extrême qui témoigne des valeurs d'une époque. Dans le cadre de la protection du patrimoine maritime un grand mouvement est né autour d'une revue -le Chasse Marée-, et de nombreuses associations se sont constituées sur les côtes de France pour faire revivre les vieux gréements . C'est dans ce cadre que Saint- Malo s'est engagé dans la reconstruction d'un bateau corsaire ayant été armé par Surcouf. Dans un article qui relate cette histoire qui en d'autres temps eut été présentée comme une passion collective on peut lire ceci : avant d'être achevé et mis à l'eau, le Renard devient ainsi l'affaire, le bien propre de toute une collectivité. Saint-Malo, Saint-Servan, Pararné, l'unanimité se faisait dans tous les comités pour aider cette réalisation . De manière très réaliste, chacun en percevait les gains potentiels en matière économique, culturelle, touristique2 .. ..

Dans leur détail technique aucune de ces politiques n'était nouvelle. Les villes ont toujours affirmé leur singularité, que ce soit par la commémoration d'un événement historique, ou par la mise en valeur d'une manifestation culturelle, ou d' un édifice symbolique . C'est leur fonction identitaire qui s'exprime par un langage de distinction . En revanche ce qui est nouveau a été la mobilisation explicite de toutes ces actions en faveur d'un projet de développement qui passe lui-même par une stratégie de communication.

Cette transformation s'est accomplie vers 1983-853 et non avant, bien que tous les éléments aient été réunis car plusieurs facteurs contextuels ont changé . Les acteurs de l'aménagement ont reconsidéré globalement leurs comportements.

2 Chasse Marée, N°74, p .21.

3 1985, correspond à la date symbolique de la fin de l'agrément pour les opérations de bureaux dans la région parisienne ce qui donne le coup d'envoi aux opérations ensemblières . Ensuite elles évolueront, se diffuseront dans les villes de province ; mais le point de départ nous semble être là. On peut discuter de cette "origine" mais dans tous les cas cette quête des moments fondateurs nous semble préférable à une vague référence aux "années quatre-vingts" . 15

a) Il faut mentionner d'abord l'évolution des idées générales quant à l'entreprise, au profit et à l'esprit d'initiative . Cette profonde transformation des mentalités doit être tout autant mise au crédit du sucoès des idées libérales d'origine anglo-saxonne pendant la première présidence Reagan, qu'au revirement idéologique de la gauche en 1982-1983, ou qu'à la victoire politique des équipes de droite lors des élections municipales de mars 1983,

b) La seconde transformation tient au contexte économique avec la reconnaissance de la gravité de la situation économique . Lors de notre enquête collective sur les interventions économiques des villes conduite au lendemain des municipales de 1983, on observait un engagement des élus proportionnel au taux de chômage de leur ville . Relativement épargnées par une base économique diversifiée et reposant en partie sur de l'emploi tertiaire public, les grandes métropoles semblaient moins actives que bien des villes moyennes touchées brutalement par la restructuration d'une entreprise . A cette époque l'idée prévalait que la crise était industrielle, circonscrite aux branches économiques anciennes et surtout que la croissance reviendrait rapidement lorsque cette partie de l'appareil productif serait modernisée . Ces idées confortables vont s'effriter au fur et à mesure que le chômage va durer. En outre, la perspective d'une ouverture européenne va faire entrer dans le champ de vision des décideurs politiques locaux l'idée d'une compétition entre les villes 4 . A partir de là les villes vont mobiliser toutes leurs ressources.

c) Le dernier changement tient au politique et à ce que l'on peut qualifier de déplacement des formes de la légitimité . Les maires existent politiquement par ce qu'ils réalisent et non plus par ce qu'ils arrangent. Désormais, il faut réaliser, montrer et dire . Les responsables locaux doivent donc combiner une action qui corresponde à un besoin de la commune et faire en sorte que cela se sache, soit parce que la réalisation est évidente -comme c'est le cas pour un bâtiment public- soit parce qu'une stratégie de communication est élaborée parallèlement . Aujourd'hui les villes dynamiques mettent en avant' leurs réalisations dans l'action culturelle comme dans l'urbanisme 5 . Les grands chantiers parisiens -Louvre, Bercy, Villette, Bibliothèque de France, Opéra- ont montré aux élus de province tout l'intérêt qu'ils pourraient retirer des grands équipements . On peut évoquer ces villes du sud qui expriment de façon exacerbée cette quête de modernité et certainement d'identité : Nîmes avec Bousquet depuis 1983, Montpellier et Frêche depuis 1977, Perpignan et Alduy depuis 1959. Elles sont concurrencées par les initiatives d'Avignon, d'Aix-en- Provence et d'Orange . Ce n'est peut-être pas un hasard si ces politiques ont d'abord été menées à Montpellier et Nîmes et dans des villes du sud plutôt qu'à Bordeaux ou Nancy . Poussées par la croissance démographique elles doivent intégrer leurs nouveaux habitants ce qui passe autant par des actions économiques que par la production de symboles identitaires . D'autres, héritières d'une riche histoire, dotées d'un patrimoine urbain de qualité n'ont pas connu la même nécessité . Elles se mobiliseront, mais plus tard. Ce qui était nouveau vers 1985 va se banaliser. La leçon a été apprise . Tous les maires cherchent un grand

4 Même si trop souvent il y a exagération dans ces discours qui assimilent les villes aux entreprises le terme témoigne tout de même d'une certaine réalité voir récemment les affaires Grundig et Hoover qui mettent en concurrence une implantation en Ecosse et une ville française.

5 Voir entre autre Le Monde du 3 mars 1989, Le Nouvel Observateur de décembre 1989, Le Moniteur du 9 Août 1991 . 16 architeote et un bâtiment fort . C'est l'arsenal à Metz, la médiathèque de lancée sous Charles Hernu. La municipalité d'Amiens se souvient de Jules Verne . Cette ambition se trouve partagée par des villes plus modestes qui se lancent dans des projets d'équipements culturels ambitieux : Arles (15OMF), Peronne (80MF), Verdun (125MF)6 .

Il y a quelques années, il fallait à un maire la foi du charbonnier ou une passion dévorante pour qu'il investisse les deniers municipaux dans un équipement culturel lourd7 . Désormais, la culture vend et fait vendre. Pour attirer des entreprises de pointe, la ville doit être séduisante, l'environnement et les loisirs de qualité . Les villes ont compris la leçon comme le dit un élu une entreprise ne s'installe pas dans une ville morte où il ne se passe rien . Et beaucoup tentent de réunir le carré magique de l'équipement utile, des nouvelles technologies, de l'architecture et du développement, pour chacune de leurs réalisations. Arrêtons-nous un instant sur l'exemple de Boulogne-sur-Mer.

Au printemps 1987 la ville annonce la mise en chantier d'un centre national de la mer qui doit ouvrir deux ans plus tard é . Cette annonce recouvre toutes les caractéristiques des nouveaux produits urbains complexes. Premièrement, le produit se distingue par son architecture . Il a été fait appel à Jacques Rougerie, spécialiste des stations sous-marines qui est déjà intervenu à Toulon, pour le centre Jules Verne à Amiens et pour Brest Océanopolis. Deuxièmement, le bâti est dès le départ conçu pour pouvoir offrir plusieurs usages à divers publics : un musée, une exposition permanente, un aquarium, un pôle scientifique et technique ouvert aux professionnels . Il est prévu un laboratoire de biologie marine et un bassin d'essai de chalut. Troisièmement, le montage s'établit grâce à un partenariat assez large puisqu'on trouve au départ du projet évalué à 141,35 millions de francs : la CEE, l'Etat, la Région, le Département, la Ville, des banquiers, bref le classique des nouveaux partenariats. Quatrièmement, ce projet se trouve organisé selon une logique de développement économique. L'interview du député maire Guy Lengagne par ce journal est on ne peut plus explicite sur l'esprit de cette opération . Il s'agit de la réponse de Boulogne au lien fixe Trans-Manche car le tunnel va enlever une partie du trafio et affecter les activités liées ; de plus la pêche connaît des difficultés. Dans un tel contexte s'interroge le maire comment créer un événement qui déclenche chez des millions de voyageurs le déclic qui les incitera à visiter la ville.

Les opérations d'aménagement urbain n'éohappent pas à ce mouvement. Ou plutôt l'aménagement urbain représente un des lieux de l'action publique locale par lequel cette nouvelle manière de faire s'est réalisée ; c'est même peut-être le lieu le plus aigu de cette modernité car on y trouve tous les ingrédients de notre époque

- il y est question de produits au service du développement global, ce peuvent être des bureaux, des équipements collectifs, un centre de loisirs, un

6 Le Moniteur du 9 Août 1991.

7 Le Monde du 3 mars 1989.

8 Le Monde du 20 avril 1987 . 17

programme intégré . Plasticité des formes urbaines donc ; on y affirme toujours la volonté de préparer l'avenir en y introduisant de nouvelles technologies -réseaux câblés, domotique ;

- ces opérations témoignent d'une manière visible du dynamisme de la ville et lui permettent de se distinguer : recours à des architectes de renom, recherche de formes nouvelles, affirmation d'une originalité quant à la fonction de l'équipement ;

- ces opérations rassemblent dans un nouveau partenariat le maître d'ouvrage, les maîtres d'oeuvre et les constructeurs . On y trouve des partenariats financiers et une globalisation de l'intervention des grands opérateurs allant vers un schéma ensemblier.

Pour la suite de ce travail on retiendra que les pratiques ensemblières ne s'appliquent pas seulement à de grandes opérations d'aménagement urbain stricto-sensu mais à divers types de produits si bien qu'une enquête sur ces pratiques se situe sans cesse à l'intersection des politiques urbaines et des transformations plus larges du gouvernement urbain . On abordera ici ces questions à travers la description de quelques opérations.

Rueil 2000

L'opération dite de Rueil 2000 fait partie des grandes opérations de la région parisienne au même titre que Levallois-Front-de-Seine et que Massy . On y retrouve les grands constructeurs : Cogedim et France Construction (Bouygues). Elles sont pilotées par une SEM.

L'espace dont il va être question est situé sur le nord-est de Rueil . A l'origine c'est une zone de 50 hectares, stratégique car elle est traversée par le chemin de fer ; la A86 la coupe en son milieu ; elle s'étend jusqu'à la Seine et la densité y est faible. Depuis 1978, la commune de Rueil s'est dotée d'un atelier d'urbanisme dirigé par une personne aux idées fortes ; il attache de l'importance aux micro réalisations, est convaincu que la qualité urbaine dépend assez largement, pour les habitants d'un quartier, de détails dont l'urbanisme des princes et des grands maîtres d'ouvrage ne se soucie guère 9 . Avec le temps cet atelier va se développer, acquérir des compétences et gagner la confiance des élus . Ceux-ci savaient qu'ils avaient avec ce quartier une potentialité urbaine mais ils ne savaient qu'en faire . L'atelier va alors leur servir à comprendre la ville, et à formuler un parti d'aménagement.

Pensant que ce quartier allait devenir stratégique l'atelier avait lancé une étude générale avec l'appui technique de l'IAURIF . C'est alors qu'arrive en 1985 la suppression de la procédure d'agrément pour les opérations de bureaux dans la région ce qui conduit à la surchauffe avec des prises de position sur certains terrains et des demandes de ZAC privées . Au même moment le maire

9 Nous l'avions interwievé lors de l'étude sur la culture technique locale . voir notre article -570 .000 professionnels de l'urbain-, Annales de la Recherche Urbaine N°44-45, p .137. Dans cette même orientation qui distingue tissu urbain et oeuvre architecturale voir l'interview de Bernard Huet : Le Monde page idées, 11/93. 18 voulait redévelopper l'économie locale car plusieurs entreprises phares connaissent de sérieuses difficultés - Technip est en dépôt de bilan -1 .100 emplois menacés-, Degrémont enregistre des pertes et enfin Renault envisage le départ de son centre scientifique qui occupe 18 hectares et concerne 3 .900 emplois . Dans ce contexte, le maire passe une commande à l'atelier d'urbanisme étudier la création d'un quartier moderne et équilibré.

L'atelier va alors travailler sur un parti d'aménagement tandis qu'il bloque les promoteurs par la procédure de ZAC . Avec l'aide de l'IAURIF il se penche sur la question des voiries, de la A86 et de son échangeur prévu à l'origine sur- une surface de 5ha, ce qui en rendait l'intégration au quartier quasi impossible. Il leur a fallu six mois pour en mettre au point un autre plus petit - 2,5ha- et pour convaincre la DDE ; les terrains ainsi dégagés ont été rachetés à l'Etat. Pour éviter que la A86 ne coupe le quartier, l'idée d'un pont-bâti et de la construction de bureaux le long de l'autoroute avec les logements en arrière a été développée . Enfin, une trame viaire simple (pour ses concepteurs) a été trouvée ; elle s'appuie en partie sur l'existant . Les études techniques ont été sous-traitées à I'OTH .

Assez rapidement, il est apparu qu'il faudrait monter une grosse opération en raison de frais fixes importants : le déplacement de réseaux de gaz, la création d'une station de relevage contre les crues, le pont-bâti et le passage inférieur de l'autoroute.

Comment l'atelier et les élus ont-ils conservé la maîtrise de cette opération malgré la concurrence? Au départ France Construction à la suite d'options sur le foncier avait lancé la ZAC des deux gares : 40.000 m2 de bureaux et de commerce. Les élus ont aussi été sollicités par Pellerin (Sari) associé à Andrault et Parrat pour un aménagement global du quartier. L'atelier quant à lui a étudié son projet de ZAC Rueil 2000. Ils l'ont expliqué dans ses détails au maire - Baumel-, les largeurs de voirie, le pont-bâti, la composition urbaine, le principe de mixité avec des bureaux et des logements et dans les logements un mélange PLI/PLA/libre10 . Et le maire va l'accepter malgré un autre schéma proposé par la SARI. Ce résultat auquel on aboutit était loin d'être évident au commencement car la compétition opposait une équipe d'inconnus à quelques vedettes nationales.

En définitive la SARI construira une zone près du RER . Puis tous les autres promoteurs ont pris des options : Breguet, SINVIM . Sogea/SGE a décidé de construire son siège social . La ZAC est alors entrée dans sa phase opérationnelle.

La ville a créé une SEM Rueil 2000 dont elle détient 68% du capital. Cette SEM assure la maîtrise d'ouvrage urbaine. Cela reste une équipe légère - une responsable administrative pour les acquisitions fonoières, la trésorerie, un ingénieur travaux et un architecte. Le reste est sous traité à des urbanistes et des paysagistes, et à l'OTH . Son rôle premier est de coordonner, de suivre les plannings de travaux et les plannings financiers. La comptabilité est assurée à

10 L'application de la loi sur la ville, votée plus tard, faisant l'obligation de réaliser des logements sociaux, n'entraînera que de faibles modifications dans le programme car il était déjà mixé . 19

l'extérieur. Le bilan de la ZAC se monte à 700 millions de francs . Elle couvre 23 hectares et offre 350.000 m2 de SHON. En outre la SEM définit les cahiers des charges pour les constructeurs et suit la réalisation jusque dans les détails - définition de matériaux extérieurs, traitement de sorties d'immeubles- car selon l'équipe de la ZAC c'est à ce niveau de détail que se joue aussi la qualité urbaine.

Enseignements de cet exemple. Il nous semble que c'est une opération dont il faudrait pouvoir faire un bilan lorsqu'elle sera achevée pour en mesurer les résultats en fonction des attendus . Dès à présent elle nous semble intéressante sur deux points

- d'abord pour ce qui concerne la volonté de maîtrise publique d'un aménagement exprimée par les choix des élus et fortement portée par l'atelier d'urbanisme et par son directeur. Cet exemple montre nous semble-t-il, ce que sont les relations entre les promoteurs et les villes . Les promoteurs-constructeurs n'ont pas pour objectif de se lancer dans l'aménagement qui est un autre métier (voir l'opération de Reims et les remarques sur Spie-Batignolles) et pour lequel ils prennent des risques pour une rentabilité mal assurée . Ils l'ont fait à un certain moment pour vendre leurs opérations car les décisions publiques étaient trop lentes. Par conséquent, si les élus en ont la volonté politique ils peuvent garder la maîtrise car les promoteurs n'ont pas vraiment l'envie de sortir de leur métier ;

- l'autre point important concerne l'accent mis sur la qualité urbaine et le souci des détails qui a présidé au montage et aux relations avec les promoteurs constructeurs . Il faudra voir au résultat. Mais on ne peut que souscrire à cette idée développée par l'atelier d'urbanisme selon laquelle la qualité d'un quartier ne se résume pas à une somme d'objets urbains déposés par chaque promoteur ; il faut encore les réunir et cela passe par les réseaux, les circulations, le traitement d'espaces collectifs, le détail de certains matériaux . Si l'un des problèmes posés par les opérations ensemblières tient à leur intégration au reste de l'espace urbain, l'opération Rueil 2000 nous apporte une tentative de réponse.

Reims l

Il s'agit d'une opération localisée en centre-ville, considérée par le district urbain comme privée aux 4/5 et menée par Spie-Aménagement associé à GEREC . Elle comprend un centre commercial de 10 .000 m2 (où il est prévu une installation de la FNAC), un parking public en coeur d'îlot de 493 places qui sera géré par une SEM Champagne Park-Auto, deux résidences pour personnes âgées de type Hespérides, quinze logements et des bureaux.

Par sa taille comme par sa localisation c'est donc un dossier important pour le centre de cette ville.

La structure responsable de ce dossier est très légère . Les services du district ne se sentent pas concernés, si ce n'est pour l'aspect parking et renvoient vers GEREC. Au départ GEREC est une structure d'urbanisme commercial qui part de l'idée que la reprise des centres passe par le couplage de surfaces

11 Source : interviews juillet 1991, plaquette.

20

commerciales à des parkings ; ils se sont donc concentré sur ces types d'opérations. Pour prendre des opérations plus complexes qui peuvent correspondre à la demande des villes ils ont recruté de jeunes urbanistes mais il y a une rotation importante des hommes, ce qui contraste avec le caractère sédentaire des équipes d'agence d'urbanisme . Sur ce dossier, ceux qui ont fait le montage sont partis. Le dossier a été repris par une nouvelle équipe ; l'un vient d'Avignon et l'autre intervenait comme maître d'oeuvre ; il découvre la maîtrise d'ouvrage.

Quelques réalisations de GEREC. (source plaquette *1990).

Carcassonne Toulon-la-Valette Sevran (Salvaza) (Grand Var) (Beausevran)

St Quentin Yvelines Cergy-Pontoise Sète (Centre) (Centre) (Balaruc centre)

Angers Montpellier St-Brieuc (Grand Maine) (Trifontaine) (Plerin centre)

Rennes Brest Grenoble (Colombia) (Coat Ar Gueven) (Grand Place)

Pantin Avignon Reims (Verpantin) (La Courtine) . (Centre)

Comment ce projet a-t-il été engagé et accepté par la ville? Il a été accroché par Spie-Nord-Est qui est bien implantée dans cette ville et qui a une bonne image locale. "Il n'était pas possible pour GEREC d'apparaître comme un parisien venant faire un coup sur une ville ; de plus la maîtrise d'oeuvre a été confiée à un local ; sans ces bonnes relations à Reims il aurait été impossible de sortir ce projet". Au départ la ville avait lancé un concours pour la réalisation d'un parking, opération simple qui ne concernait qu'une seule parcelle mais qui posait tout de même un problème de raccordement à l'espace urbain car un côté débouchait sur une rue importante du centre . Il semblerait que l'affaire était loin d'être acquise pour Spie dans cette option parking . Le dossier a alors été replaidé avec l'aide de GEREC, en proposant une solution bien plus ambitieuse, intégrant cette fois une opération commerciale d'envergure dans le centre de Reims . Et c'est ainsi que l'on est parvenu au programme actuel.

Malgré les précautions prises par ses promoteurs ce dossier a rencontré quelques difficultés - ceux qui l'ont conçu au sein de GEREC sont partis, - la ville a changé quelques unes de ses priorités de politique publique, qui participent à la valorisation de l'ensemble, en particulier abandon du projet de Tramway, 21

- le programme a été modifié après l'arrivée de la FNAC ; ceci impose un accès secondaire sur une rue et entraine de nouvelles acquisitions foncières ; or celles-ci vont se faire alors que toute l'opération est connue du public, ce qui en renchérit le coût,

- le programme prévoyait des logements et deux résidences de personnes âgées réalisées par la COGEDIM qui se désengage très tardivement, au stade de la promesse d'achat, car selon les raisons invoquées plusieurs équipements de ce type sont en cours sur Reims et se commercialisent mal. L'affaire va être reprise par un promoteur local,

- le chantier a été renchéri par des contraintes architecturales, sans doute mal appréciées au commencement. L'ABF a rendu obligatoire le respect des façades ce qui a occasionné un démontage,

- enfin il a été retardé par deux mois de fouilles archéologiques, car le projet se trouve localisé sur le fossé de l'oppidum romain.

D'une manière générale l'opération ne se déroule pas très bien ; la collectivité locale se trouve peu informée de l'avancement du programme . Il nous a été très difficile d'obtenir des informations et un rendez-vous, tant auprès du chargé d'opération de GEREC que de la direction de Spie-Aménagement, pourtant dirigée par un ancien haut fonctionnaire ; comme quoi la fonction pèse sur le comportement12 .

Ce dossier souligne les difficultés rencontrées par les promoteurs qui veulent passer à l'aménagement . Difficultés à acquérir les savoir-faire : recruter et garder les hommes . Difficultés de maîtrise du temps et de gestion des risques13

12 La présence de "transfuge" de la fonction publique n'est pas exceptionnelle. On peut citer quelques noms de ces aménageurs publics ayant travaillé pour le Ministère de l'urbanisme ou pour des Etablissements Publics de Ville Nouvelle qui ont apporté le savoir d'aménagement dans les entreprises privées . (Source interviews). Bouvier : cabinet de M . d'Omano, a quitté l'administration dès 1981, occupe un poste important dans l'immobilier de bureaux à la SGE (Gle des Eaux). Givaudan : poste important au ministère au moment de la LOF, entre à la SARI au milieu des années 80 ; responsable des opérations pour la région PACA. F. Berthier : directeur de France Construction P. Lefort : cabinet de M . d'Ornano, agence de bassin, ville nouvelle de Cergy-Pontoise ; est rentré chez Pelège vers 1990, accompagné de plusieurs collaborateurs. H . Dupont : ville nouvelle de Cergy-Pontoise, rentre chez Spie pour y créer le département aménagement, accompagné d'un collaborateur. Quelles sont les motivations de ces hauts fonctionnaires? Pour partie le sentiment qu'avec la décentralisation ils n'ont plus les moyens de mener une politique d'urbanisme . Les offres de carrière faites par les entreprises privées expliquent aussi qu'ils aient préféré les intégrer plutôt que d'aller dans les villes qui devenaient le nouveau lieu du pouvoir urbain ; ce qui montre que la question de la réforme des moyens humains -en clair le statut de la fonction communale- n'était pas une question secondaire de la décentralisation qui pouvait être traitée en dernier et mal réglée, mais que c'est une réforme centrale car elle commande la formation des savoirs.

13 Voir l'opération d'Antibes et la note sur Spie-Batignolles . 22

SPIE Batignolles. (Sources : plaquettes 1990 et 1991 et interviews 711991)

SPIE Batignolles c'est bien sûr le tunnel soirs la Manche, les ouvrages d'art sur les autoroutes de la Tarentaise Olympique, le TGV, l'Opéra de la Bastille . . . . C'est aussi : i) le promoteur de nombreux logements et bureaux en région parisienne, réalisation d'un parc d'activités de 45 .000m2 à Saint-Denis, de 15 .000m2 à Saint-Ouen, ii) le réalisateur-concessionnaire d'équipements de loisirs : les patinoires olympiques de Courchevel et de Miribel, l'aquarium du Trocadéro à Paris, iii) l'aménageur-gestionnaire de nombreux sites touristiques : la station de Valmorel, 20.000 lits dans les Alpes du Nord et sur la côte d'Azur. Telle est la présentation que le groupe donne de son activité urbaine dans sa plaquette la ville comme un métier. Auraient pu être ajoutés à cette liste le système de transport POMA 2000, mis en service en 1989 à Laon et réalisé par SGTE, société du groupe, ou bien toutes les opérations d'urbanisme commercial réalisées par GEREC.

Comment s'est faite l'entrée de ce groupe dans l'aménagement urbain? Ce fut d'abord pour ratisser plus large, pour obtenir et faire travailler nos entreprises . Cela s'explique aussi par les critiques faites aux SEM d'aménagement -déficit de certaines opérations, endettement des communes et liens trop étroits entre les responsables des SEM et les élus locaux. Donc les aménageurs ont perdu une partie de leur crédibilité et d'autres acteurs sont entrés dans l'aménagement.

Mais l'aménagement est un métier nouveau . Avant de déboucher beaucoup de groupes se sont dotés d'aménageurs . Au début les promoteurs se sont fait tirer l'oreille, ils ont appris à travailler dans les villes nouvelles et ont compris les vertus de l'aménagement ; ce qui ne règle pas pour autant les difficultés particulières à cet exercice : la rentabilité y est longue et toutes les affaires ne débouchent pas . "Sur huit affaires étudiées par notre équipe avant de parvenir au stade du permis de construire, on en perd 4 après y avoir investit entre 150 et 200.000F, on en abandonne 2.5 qui ont été avancées jusqu'à un investissement groupe de 2 millions de francs et subsiste 1 .5 affaires seulement qui débouche sur un permis de construire". Qu'importe la précision de ce résumé qui porte d'ailleurs sur un tout petit nombre d'expériences, il témoigne tout de même de l'importance de l'investissement préalable, plus long que dans d'autres métiers. A ce stade, l'équipe de SPIE-Aménagement doit présenter un pré-bilan de l'opération et obtenir l'accord du comité de direction, au niveau de SPIE-Développement . Or la culture du groupe reste encore une culture travaux et comme le déclarait un de nos interlocuteurs on n'a pas encore fait école ; pour convaincre la direction générale, il faut des résultats . Or les concours ou les appels d'idées que lancent les villes coûtent cher . De plus, même en cas de succès, quand on a une convention, on reste vulnérable. Et ceci constitue une différence importante avec la culture traditionnelle de ce groupe ; les méthodes sont plus directes et quand on a un marché on va au bout. En 1991, SPIE-Aménagement est une structure extrêmement légère de trois personnes et deux secrétaires qui s'appuie sur les autres départements du groupe -Spie- développement, GEREC, Spie-Park-Services , Spie-Promotion- ou qui sous-traite à l'extérieur sur des BET ou des cabinets d'architecte . Dans le privé on ne peut nourrir de grosses équipes. Pour le groupe c'est un investissement lourd. Le produit proposé tourne autour du commerce et des parkings et s'adresse plutôt à des villes moyennes . Le groupe reste exploitant des parkings . Il y a une certaine spécialisation dans l'offre proposée aux villes : on ne fait pas s'il n'y a pas de parkings ou de centre commercial. Les opération de logement sont menées par Spie-Promotion et concernent plutôt la région parisienne.

Cette entrée de SPIE dans l'aménagement reste donc au milieu de 1991 quelque chose de marginal en termes de culture comme de contribution au chiffre d'affaire. Cela n'a pas débouché sur la mise au point d'une offre globale proposée aux collectivités locales ; une réflexion dans ce sens avait été menée dans le secteur des loisirs mais elle n'a pas aboutit et les équipes sont parties.

14 En 20 ans, le groupe a conçu et réalisé 50 .000 places de stationnement . 23

Le montage s'est fait sans procédure de ZAC . GEREC a obtenu un permis de construire d'ensemble avec des contraintes et des SHON . L'élaboration de ce PC a fait l'objet d'études poussées par des architectes, les services des ABF, les pompiers etc. . . Il a aussi été instruit par les urbanistes commerciaux du groupe. Dans ce montage GEREC rétrocédait rapidement ses droits à bâtir : le parking revendu à une SEM, les deux galeries du centre commercial à PROMOGEREC qui fait de la gestion de patrimoine, le SHON et le PC de la partie débouchant sur la rue du centre était revendu à un promoteur, les résidences devaient être acquise par COGEDIM.

Antibes-les-Pins

A l'origine, en 1984, le projet était totalement public, mais la mairie s'est rendu compte du risque financier et elle a cherché un opérateur . La SEERI menait une grosse ZAC à Cannes (Mandelieu) ce qui a incité à les consulter ; la relation de confiance se trouvait d'autant plus établie que la Compagnie Générale des Eaux exploite le réseau d'eau de cette commune depuis très longtemps.

L'opération engagée en 1988 comprend dans sa première tranche : un parc public de 5 hectares avec accès direct à la mer, 130 logements, 718 m 2 de bureaux et des commerces . La seconde tranche comportait près de 500 logements dont 135 PLA, une résidence de loisirs de 105 logements . En raison d'un bilan d'opération très négatif en cours de première tranche, la SEERI s'est désengagée en 1993. Une partie du programme de logements a été reprise pour la location par une société d'assurance SAMDA . SPIE-Loisirs a repris une autre partie du programme en résidenoe de vacances . D'autres partenaires interviendraient également en seconde tranche . Cette crise -le directeur local de la SEERI a été changé- aboutit à une perte de l'unité d'ensemble du projet, au moment où les PLA et les commerces sortent de terre . Les deux "repreneurs" vendent surtout l'accès à la mer et au parc public -réalisé par la commune- à une clientèle très aisée (entre 4 et 5 millions de francs par logement) . Alors que l'objectif de départ était de répondre à une demande diversifiée -accession et locatif pour des actifs-, le projet va comprendre une partie en accession haut de gamme et des logements saisonniers.

Cette impossibilité de mener l'opération à terme dans le respect des objectifs des élus est certainement due pour une bonne part à des erreurs de gestion tenant à l'équipe : chantier mal suivi, surenchère sur les terrains, plannings non respectés, mauvaise appréciation du marché du logement comme des espaces commerciaux, conflits avec les autorités administratives (Préfet et DDE, voir le cas de Port-Louis) . Ce qui illustre comme dans le cas de Reims qu'une intervention durable dans l'aménagement dépend d'abord d'un savoir-faire d'aménageur dans les équipes en place . Or il semble que cette condition n'ait pas été remplie.

Mandélieu-la-Napoule

Il s'agit d'une opération très importante menée par la SEERI Méditerannée. La collectivité est de petite taille ; ce projet ne peut donc être mené 24 que par l'Etat ou par un opérateur privé, qu'on en juge par les paramètres de base : - schéma directeur d'aménagement qui implique 25 communes,

- schéma routier prévoyant 300 MF d'investissements,

- trois phases d'aménagement étalées entre 15 et 20 ans qui s'appliquent respectivement à 17ha, 20 ha et 80ha,

- la première ZAC prévoit la construction de 150 .000 m2, pour refaire un nouveau centre, l'actuel se trouvant coupé par la RN7.

Comme en est bien conscient le responsable de l'opération on devient celui qui double la ville en dix ans et là on se trouve aux limites du rôle du privé ; on fait vraiment de l'aménagement avec des investissements fonciers, des études et la conduite des opérations ; on achète des terrains, des logements et il faut reloger.

De ce fait deux grands problèmes ressortent : i) il manque le cadre juridique pour intervenir. L'opération se fait avec la procédure de ZAC qui n'est pas prévue pour de tels engagements ; ii) la relation au politique n'est pas parfaitement clarifiée. Le succès de longue période passe par une densification, ce qui dépend du pouvoir politique car il faudrait pouvoir maîtriser des opérations concurrentes qui se feraient de l'autre côté du périmètre . Mais dans le même moment, celui qui tient le pouvoir économique tient le pouvoir politique . Sans qu'il y ait aucune mauvaise intention de part et d'autre ce type de montage peut conduire à l'accusation de République bananière.

Villiers-sur-Marne

Villiers-sur-Marne est une commune de 22 .000 habitants, située à l'est de Paris, à 18 kilomètres des tours de Notre-Dame, à la frontière du Val-de-Marne et de la Seine Saint-Denis, aux franges de la zone d'influence de l'Etablissement public de Marne-la-Vallée (Epamarne) . Une partie du territoire est bordée par l'autoroute de l'est (A4) qui fait la séparation avec le pôle de développement urbain de Noisy-le-Grand Mont-d'Est : RER, centre commercial des Arcades, 3.000 logements et une concentration de bureaux l5 . Cette partie de la commune, le long de l'autoroute se trouve dans une ZAD ville nouvelle tandis que le reste de la commune se trouve dans le droit commun de l'urbanisme.

Cet exemple d'une commune ordinaire n'ayant pas la notoriété des grands de la modernité urbaine -Angers, Nîmes, Toulouse, Montpellier etc .- illustre d'abord les conséquences du réveil des marchés du logement après 1983, ici expliqué par l'attraction d'Eurodisney, 25 kilomètres plus à l'Est. Pendant le mandat 1977-1983 la municipalité a contribué à réaliser 100 logements et environ 400 logements pendant le mandat suivant ; le gros de son effort a été consacré à une élévation du niveau de l'offre des services municipaux . De sorte que les projets du mandat 1989-1995 représentent un changement de rythme.

15 L'Epamarne a traité d'un seul coup la réalisation de 200 .000 m2 de bureaux avec la SARI qui intervient comme aménageur promoteur en prenant à sa charge les aménagements secondaires . 25

Cet exemple montre aussi comment les réponses des villes ont évolué. La part du secteur public d'Etat y est réduite au bénéfice d'une plus grande implication de la ville et d'un recours au secteur privé . Depuis 1977, le maire était vice-président de l'Epamarne (au titre du secteur) . On pouvait penser qu'il se serait appuyé sur le "soft" public de cette agence lorsque sa ville aurait eu des projets de développement . En fait, la ville va adopter un triple dispositif qui combine : l'Epamarne, une SEM et le recours au secteur privé avec la SEERI.

a) Une ZAD ville nouvelle couvre la partie au sud de l'autoroute. L'Epamarne y est responsable de deux ZAC . La ZAC des portes de Paris avec 120 .000 m2 de bureaux ; elle a été mise à l'enquête publique en avril 1992 ; en 1993 aucun bureau n'a été commercialisé . La seconde, plus petite, se trouve localisée en bordure de Champigny et comprend des logements et une petite zone artisanale.

b) Le centre est placé sous la responsabilité d'une SEM créé par la ville qui est en fait une simple structure de portage, aux moyens humains réduits et qui s'appuie d'une part sur la SEM de Créteil -SEMAEC en raison de liens de personnes- et sur le cabinet Daviel qui est intervenu entre 1977 et 1983 . Ces opérations du centre sont très importantes puisqu'elles engagent un programme de 1 .400 logements, une modernisation des réseaux, la construction d'un nouveau marché, d'un parking souterrain, d'une médiathèque. En 1993, près de 600 logements restaient à construire ; les équipements avaient été produits.

c) L'intervention sur le quartier des Hautes-Noues . Ce quartier de 1 .550 logements (dont 350 en accession) est une illustration parmi d'autres de la politique volontariste de l'Etat à la fin des années soixante . L'office de HLM de la ville de Paris qui rénove les arrondissements du nord-est a des populations à reloger. L'AFTRP dès 1966 procède dans cette zone à des acquisitions foncières en vue de préparer la ville nouvelle . Au début des années soixante dix, arrivent l'autoroute et le RER (qui se termine jusque vers 1980 à Mont-d'Est soit à 15 minutes à pied de ce quartier. Dans ce contexte la puissance publique centrale va imposer à la ville ce grand ensemble. Les élus d'alors sont sans étiquette, sans point de vue, respectueux de l'Etat et ils acceptent cet héritage forcé . La commune va en être totalement transformée, dans sa morphologie, sa population et son équilibre politique (une équipe d'union de la gauche gagnera les élections de 1977, grâce aux trois bureaux de vote de ce quartier). Vingt ans plus tard ce quartier reste le souci constant de la politique d'urbanisme municipale : comment parvenir à l'intégrer au reste de la commune? Plusieurs choix récents dans la politique d'aménagement du centre expriment ce souci . Au commencement I'OPHLM de la ville de Paris, transformé depuis en OPAC était tout puissant sur le quartier : attribuait les logements, était propriétaire des voiries, gérait un parking souterrain de 1900 places et un espace public central se composant d'une pelouse et d'une petite galerie marchande fonctionnant mal . La politique constante de la collectivité locale a été de se renforcer ; lorsque I'OPAC a voulu vendre le parking, la commune s'y est opposée en raison d'une perte de maîtrise dans le stationnement qui commande une partie de la "sécurité" du quartier. Récemment cet engagement communal a rencontré la politique de désengagement de l'OPAC pour aboutir au schéma suivant

- la ZAC des Portes de Paris, Epamarne, englobe la pelouse et les parkings, 26

- la ville a repris dans son patrimoine la voirie interne (à l'exception des cours intérieures aux immeubles), - enfin reste la reprise des espaces commerciaux ; la ville a finalisé un accord avec la SEERI. Cette expérience appelle plusieurs remarques . Elle illustre d'abord une dimension des transformations urbaines, ce que nous appelions le changement silencieux. A côté des grandes opérations 16 où se conoentrent les financements d'Etat, l'appel aux architectes prestigieux et une vision d'ensemble donnée par un leader politique, il faut compter avec toutes ces initiatives peu connues. Elles comptent en termes de marché et contribuent à produire les villes -ici l'est parisien ; dans la même veine, on évoquera l'aménagement du Val-de-Fontenay - intersection de l'autoroute A86, du RER et du chemin de fer- par Meunier Promotion . Si on se place maintenant du point de vue des dispositifs d'action on ne peut être que frappé par leur légèreté ; pas d'agence d'urbanisme ou de moyens propres . La ville sous-traite beaucoup : Epamarne, SEMAEC, Daviel, SEERI. Ce qui pose tout de même un problème de maîtrise en termes de qualité urbaine (voir le cas de Rueil-Malmaison qui se situe aux antipodes) et de réalisation des objectifs . Le fait qu'aucun bureau n'ait été commercialisé sur cette zone alors que c'est un objectif annoncé depuis 1988 provient sans doute du fait que l'Epamarne en a la charge ; pour le responsable du secteur il faut d'abord achever le secteur de Noisy-Mont-d'Est avant d'envisager un débordement au sud de l'autoroute. Ici les intérêts de cette commune ne sont pas ceux de l'aménageur. Que l'on soit dans un schéma de globalisation comme à Reims, Antibes, Mandélieu ou Port-Louis, ou dans la sous-traitance diversifiée, à Villiers, une oommune ne peut longtemps éviter la question d'une maîtrise d'ouvrage forte.

Port-Louis Cet exemple illustre quelques unes des conséquences de la décentralisation pour une très petite ville et montre aussi que les grandes villes ne sont pas les seules à être concernées par ces nouvelles manières de produire l'urbain. Que peut faire une petite ville qui ne veut pas mourir économiquement, qui ne dispose que de faibles ressources financières et d'encore plus maigres moyens d'expertise? Nous mesurons aussi les conséquences de la fragmentation institutionnelle. Ici pas d'agence d'urbanisme et depuis la décentralisation les agents de l'Etat se sont effacés au profit des acteurs locaux . Le dilemme : ne rien faire ou trouver un partenaire de taille ; c'est dans ce contexte que vient s'appliquer la démarche du produit global. Port-Louis est une petite ville de 3 .300 habitants environ, située sur la rive gauche de la rade de Lorient, sur une sorte de presqu'île . Son histoire est inséparable de la politique maritime des rois de France . Louis XIII lui accorde des lettres patentes qui affirment son rôle stratégique à l'entrée de la rade . Un demi siècle plus tard Colbert en fait le siège de la nouvelle Compagnie des Indes Orientales. De cette époque reste, une citadelle -construite entre 1590 et 1598-, plus de 3.000 mètres de remparts achevés vers 1680, une certaine organisation

16 Evoquons sans être exhaustif : Montpellier, Nîmes, Euralille, Massy, Nantes, la Plaine saint- Denis, Roissy-Pôle . 27 de l'espace urbain avec une trame urbaine ancienne et quelques bâtiments d'époque. Cette richesse d'antan appartient au passé . Voilà bien longtemps que Lorient l'a supplantée et a capté le développement . Victime de son enclavement, Port-Louis connaît une lente décroissance depuis les années soixante . Les bateaux de pêche ont déserté le port pour décharger ou s'avitailler à Lorient- Kéroman . Les conserveries ont fermé les unes après les autres ; de même pour les chantiers navals . Après la guerre ils étaient encore trois, un seul subsiste mais il a transféré la plus grande partie de sa production dans la commune voisine, faute de place pour s'étendre . Les jeunes du "baby-boom" ont quitté la commune après leur scolarité ; hémorragie silencieuse, mais radicale . Fort logiquement le commerce traduit ces pertes de substance . Plusieurs magasins ont fermé pendant la dernière décade ; seuls les cafés semblent survivre dans cet environnement orienté à la baisse ; ce qui vérifie les statistiques nationales de l'INSERM sur la consommation d'alcool en France . Enfin l'immobilier marche lentement. Les décès des anciens, le départ de leurs descendants conduisent à mettre sur le marché un grand nombre de biens sans que la ville puisse mettre en avant une vocation touristique indiscutable comme les communes du golfe du Morbihan ou Carnac, La Trinité . L'image de Lorient reste trop présente.

Les trois indicateurs qui servent à mesurer la vitalité urbaine -industrie, services et patrimoine- témoignent tous donc d'une profonde atonie . La situation n'est pas alarmante mais la ville s'étiole.

Comment sortir la ville de sa nonchalance ? Comment la développer C'est autour de cette question que tournent depuis quelque temps plusieurs des projets locaux . Ils ne diffèrent pas beaucoup les uns des autres car les solutions possibles ne sont pas très nombreuses, lorsqu'on prend en compte les contraintes réelles (ressources budgétaires, territoire limité décalé par rapport aux grands axes, etc) . Ils tournent autour de deux idées : soutenir la vocation maritime conforme à l'histoire et valoriser le patrimoine immobilier.

C'est dans ce contexte que la presse annonce dans la torpeur du mois d'Août 1991, le montage d'un important dossier de thalassothérapie avec le groupe Dumez (représenté par sa filiale Dufim SA) . Le conseil municipal, réunit en "comité secret" approuve le permis de construire déposé par le groupe et autorise le maire à signer plusieurs documents : le permis de construire, les actes de vente des terrains municipaux à Dufim SA, le permis de démolir pour les bâtiments existants sur les terrains de la commune . Selon le protocole de l'acte de vente, la vente des terrains municipaux est suspendue à la réalisation du programme prévu au permis de construire avant décembre 1992.

Il s'agit d'une importante opération par rapport à la taille de la commune

- total des terrains d'assiette 23 .064 m2 dont 15.542 apportés par la ville et 7 .522 par deux particuliers ; - total du SHON du permis de construire : 18.553 m2, - coût foncier pour l'opérateur 10,62 millions de francs environ (se répartissant entre l'achat des sols, des servitudes et la démolition de bâtiments). - contructions

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• un hôtel trois étoiles de 121 chambres pour 9 .500 m2 de SHON • un centre de thalassothérapie et une école de formation pour 4770 m2 de SHON et quelques boutiques pour 242 m 2 • une résidence hôtelière de 60 logements (4.043 m2)

Selon le calendrier retenu par la mairie les travaux doivent commencer à l'automne 1991 . Il va en être autrement car plusieurs obstacles vont apparaître. Premièrement, des obstacles légaux avancés par le préfet . Lorsque la ville approuve le permis de construire elle le fait par anticipation d'une révision du POS . Les terrains d'assiette de l'hôtel et de la thalassothérapie, soit le SHON le plus important sont classés non constructibles au POS, espace boisé. Au moment des faits c'est un espace ouvert qui sert de terrain de camping pendant quelques mois. En outre, ces terrains ont été cédés à la ville par le département sous certaines clauses . Donc la ville va devoir engager la procédure de révision du POS qui ne sera pas totalement achevée en Août 1992 . Deuxièmement, cette procédure va ouvrir une discussion sur le respect des règles d'urbanisme dans un site classé, placé sous la protection des bâtiments de France . L'essentiel du débat va porter sur la hauteur de l'hôtel - prévue à R+3 et à un maximum de 19m. La construction est proche des remparts ce qui modifierait le site, et le préfet va demander un réexamen d'un projet ne dépassant pas 13 m.

Troisièmement, le projet va enfin buter sur la commercialisation réelle, dans un marché de la thalassothérapie encombré de plusieurs projets ; de plus les promoteurs immobiliers se trouvent touchés par la récession . Le district urbain de Lorient qui était bien plus avancé sur un projet analogue doit le suspendre car le promoteur doit supporter les pertes d'autres opérations . En 1993, le projet n'était plus évoqué.

a) Ce dossier nous semble illustratif du climat d'une période et des problèmes particuliers aux petites villes. Au départ on trouve la volonté d'une commune de se déveloper ; en fait tout le projet est porté par l'adjoint à l'urbanisme qui est par ailleurs le notaire le plus important de la place . Des projets passés qui n'ont pas abouti conduisent à l'étape actuelle . Comme cette commune ne dispose pas de l'expertise nécessaire elle recherche un partenaire qui puisse porter le projet. On a ici une illustration de l'autonomie communale à la française et de ses conséquences . Des compétences urbanistiques locales existent bien, mais au sein du district urbain de Lorient qui a une agence d'urbanisme . Pour de classiques rivalités historiques -Le Port Louis contre Lorient- ou pour d'autres oppositions, cette fois politiques, la commune n'a jamais adhéré au SIVOM devenu district. Elle a préféré rester indépendante.

b) Faute d'une expertise indépendante suffisante qui aurait permis d'aborder les problèmes froidement, en appréciant chacun des risques, ce dossier prend rapidement un tour passionnel . Cela devient "la question" dont tout le monde parle : avec ses retombées forcément positives sur le commerce local, les emplois et l'immobilier. On approuve le permis de construire approuvé par le conseil ou on le conteste, en bloc. Dès le commencement le conseil municipal se réunit en comité secret par crainte de fuites et de la concurrence d'autres communes ; il ne faut pas risquer de faire capoter l'affaire . Plus tard lorsque le préfet va demander le respect des procédures légales ou qu'il va discuter du respect des contraintes liées au site la municipalité va répondre en termes 29 politiques" . On . peut lire dans la presse locale en mars 1992 le permis de contruire accordé par le maire est refoulé par l'administration de l'Etat . A la veille des cantonales, cela fait jaser. Quelques jours plus tard, le ton monte : les élus de Port-Louis, ville et canton ne décolèrent pas contre les services de l'Etat et envisagent de ne pas organiser les élections cantonales et régionales . Motif : le blocage du projet de thalassothérapie, qui devrait créer 150 emplois à Port-Louis. Les problèmes juridiques qui entachent le permis de construire délivré par le maire sont pour eux de faux problèmes (Ouest France 18 mars). Enfin pendant l'été le refus d'approbation du préfet et sa demande de réduction des hauteurs conduit les élus du conseil a envisager une manifestation devant la préfecture (Ouest France 31 août). Bref, on se trouve dans une situation où une collectivité publique oscille entre des méthodes de promoteur -le secret- ou des techniques syndicales -la manifestation-, ce qui est tout de même éloigné du souci de transparence et d'information nécessaire pour un projet de cette importance.

c) Ce dossier fait aussi ressortir les limites des procédures de participation . Une enquête publique sur demande de permis de construire a bien eu lieu en janvier 1992 mais après que le conseil ait approuvé le permis. Ce qui entraine deux déformations de la procédure . Premièrement, d'un point de vue juridique puisqu'il s'agit d'une enquête sur demande de permis de construire, toutes les observations qui discutaient du bien fondé de principe d'un projet de thalassothérapie ont été déclarées irrecevables par le commissaire enquêteur . Ce qui revient à dire que la procédure de participation ne peut pas porter sur l'ensemble du projet car elle intervient trop tard . Deuxièmement, à partir du moment où un tel projet est déclaré par le conseil comme fondamental pour le développement de la commune -le chiffre de 150 emplois créés a sans cesse été avancé- émettre des doutes par écrit est vite assimilé à une opposition. Et dans une petite ville cela revient à s'opposer à des gens que l'on connaît, qui attendent l'un un commerce plus prospère, l'autre un emploi . De sorte que bien des opposants ont préféré le silence en 1992, car exprimer leur point de vue conduisait à un affrontement majeur dans la communauté . En d'autres termes, les procédures participatives contradictoires sont plus difficiles à mettre en oeuvre à la campagne et dans les petites villes, car le principe d'une appartenance communautaire y est plus fort que dans la grande ville.

d) Cette politique du tout ou rien conduit la commune alors à une sorte de fuite en avant afin de ne pas perdre la face alors que plusieurs éléments techniques du dossier ont été laissés en suspens - la ville vend des terrains qui supportent divers équipements collectifs: une salle de sports de 1 .000 m2, une salle de réunion, une salle de judo etc . Le coût de leur reconstruction a été fixé à 1 .750.000 francs HT, mais nul ne connaît la précision de ce chiffre qui commande la valeur de la vente et donc la santé financière de la commune . De même, la taxe professionnelle n'est pas évoquée dans le dossier. Enfin, le nombre des emplois créés est établi à 124 personnes, mais ce chiffre bien précis n'a aucune valeur contractuelle. - plus généralement tout le dossier repose sur le postulat de retombées importantes et positives pour la ville, ce qui est probable . Mais il faut alors examiner les formes d'intégration d'un tel projet à la commune et à son

17 Voir Ouest France des 7 et 8 mars, 18 mars et 31 Août 1992 . 30 commerce . On peut très bien imaginer que ce type d'équipement fonctionne comme un "paquebot", coupé du territoire qui lui sert de support ; les curistes arrivent par avion et limousine, passent leur temps entre leur cure et leur hôtel et repartent après une courte visite locale. De plus, le segment de clientèle visé - hôtellerie trois étoiles- ne correspond pas à la population et au type de commerce de cette commune, plus modeste . Autrement dit, la greffe économique de cet équipement sur la ville est loin d'être acquise. Le dossier ne comprenait auoun volet sur les équipements d'accompagnement destinés à la rendre possible.

e) On relèvera le rôle considérable de la ville dans cette affaire avec une délimitation entre intérêts publics et intérêts privés qui est mal assurée . La commune met tout son poids dans la balance, apporte les 213 des terrains, change le POS par anticipation ce qui rend constructible ses propres terrains mais concerne aussi des terrains privés à l'abandon depuis plus de Mans qui constituent une verrue urbaine à deux pas de la mer ; situation que les actuels propriétaires sont incapables de résoudre . L'initiative publique permet donc à des propriétaires archaïques de bien réaliser un patrimoine . Cette confusion entre initiative publique et bénéficiaire privé apparaît très clairement si on rapproche les assiettes des terrains, leur usage et les prix de vente. - Une première partie morphologique comprend 14.540 m2 de la commune et 802 m2 d'un particulier. Elle supporte 9 .500 m2 de SHON pour l'hôtel et 5 .000 m2 pour le centre de soin et les boutiques . La constructibilité est donc de 1 . La ville a vendu son terrain pour 5.208.390 F dont il faut déduire les frais de reconstruction d'équipements estimés à 1 .750.000F; il en résulte une vente nette d'environ 237F/m2. - Une seconde partie, située de l'autre côté d'une rue comprend 6.720 m2 de propriété privée et 1 .000 m2 à la ville. Elle sert d'assiette à la résidence hôtelière pour 4.043 m2 de SHON, soit cette fois une constructibilité de 0.5. La vente des 6.720 m2 privés a été annoncée à 3 millions de francs soit 448F/m 2.

Certes dans le projet présenté ces terrains privés étaient nécessaires ; il reste qu'il y a un décalage entre les bénéfices financiers et les efforts fournis par les parties prenantes . Et la collectivité dans ce cas joue le rôle moteur au bénéfice principal de particuliers qui n'ont rien fait.

f) Il faut relever le décalage entre les attendus de la ville et ceux de l'opérateur. Pour cette dernière il s'agit d'une opération de survie, fondamentale dont elle attend beaucoup . Pour le groupe il s'agit d'un dossier parmi d'autres ; une entreprise ne peut qu'agir de la sorte en ayant plusieurs dossiers "au feu" si elle veut être sûre d'en faire aboutir. De plus dans ce cas particulier Dufim intervient comme monteur d'opérations ce qui veut dire que le groupe conçoit, construit et commercialise chaque opération hôtel, centre de thalasso et résidence - auprès _d'investisseurs qui seront les interlocuteurs finaux de la commune pour la longue période . Ce type de situation introduit qu'on le veuille ou non une assymétrie. La commune rend crédible la vente de ses plus beaux terrains en mettant en avant le crédit d'un grand groupe privé français, mais celui- ci intervient là comme intermédiaire ; la commune n'a aucune garantie sur la nature de l'investisseur final . Ce qui n'est pas sans conséquence sur ses risques futurs. Une fois l'opération engagée la commune peut-elle se désintéresser de 31 ses résultats. L'exemple d'autres villes confrontées à des fermetures d'entreprises ou de grands équipements privés montre qu'il leur est impossible de ne pas être concerné par ce qui se passe sur leur territoire . Cette opération ne peut donc se résumer comme une simple vente de terrain.

g) Il faut enfin observer que dans ce type de situation les services de l'Etat restent le dernier recours pour faire respecter le droit et imposer un certain respect de l'instruction. Que ce serait-il passé si le préfet et les autres services techniques avaient tout simplement suivi le conseil municipal à l'automne 1991 ? Aujourd'hui les terrains seraient vendus, le chantier aurait sans doute débuté et la ville se trouverait engagée dans une affaire sans en avoir mesuré toutes les implications.

Il - LA PORTEE D'UN SCHEMA ENSEMBLIER

Assiste-t-on à de nouvelles manières de faire l'urbanisme qui se caractériseraient par une intervention grandissante et durable des grands groupes de services urbains et de construction? En enquêtant du côté des groupes et des collectivités locales la réponse suivante peut être formulée.

Il y a bien recomposition de l'offre . De nombreux faits convergent dans ce sens. Dix ans après la décentralisation les collectivités locales se trouvent à la recherche de modèles de comportement plus entrepreneuriaux faisant appel à la gestion déléguée. Cependant, tout ceci reste encore au milieu de 1991 un processus neuf, hétérogène qui amène à s'interroger sur le sens à donner aux termes : stratégies urbaines, groupes ensembliers, produits intégrés, clefs en main.

Un processus neuf

Cette enquête montre indiscutablement que ces pratiques sont récentes, tant du côté des groupes que des villes.

Pour les groupes la suppression de l'agrément en région parisienne vers 1985/1986 a joué un rôle catalyseur . Ils se sont rapidement positionnés sur les "belles" opérations, forcément en nombre limité et ils ont sollicité quelques communes -Rueil-Malmaison, Sèvres, Levallois-Perret, Massy, Suresnes, Boulogne-Billancourt, Evry, , Courbevoie. L'entrée en application de la décentralisation les a confortés dans l'idée que désormais les schémas de prise de décision publique allaient se trouver durablement modifiés. De plus, l'élection en mars 1983, de nombreux maires de droite dans un contexte national où la thématique national isation/privatisation constituait un référentiel privilégié du débat politique, a conforté le recours au secteur privé.

Rien n'est établi quant à leur positionnement durable dans l'aménagement urbain. Ils sont loin de considérer leurs interventions vers l'amont comme quelque chose de figé. Des mots identiques -offre globale, schéma ensemblier- recouvrent une grande hétérogénéité des pratiques et un grand 32 pragmatisme des solutions . Ce qui est observable va du produit intégré, clef en main, relativement reproductible, (comme les ensembles ATRIA de la SARI ou les opérations de SPIE-Batignolles combinant du commerce et des parkings), au catalogue. La première solution renvoie à une logique industrielle avec des gains de productivité liés à une standardisation qui génère des économies de conception et de réalisation . La seconde approche, bien qu'elle relève toujours d'une approche "ensemblier", renvoie à quelque chose de complètement différent, organisé autour d'une logique commerciale . Il s'agit de ne pas rester bloqué sur une seule solution et de présenter au décideur politique la plus grande offre possible de produits . La négociation peut se dénouer sur plusieurs combinaisons qui tentent toutes d'ajuster au mieux les besoins du client et les offres du groupe. On se trouve donc loin du produit industriel reproductible.

Cependant, pour interpréter ce qui est en train de s'accomplir il faut accorder de l'importance à l'organisation de l'offre en intégrant le facteur temps. Rien n'est jamais innocent. Des rapprochements entre des entreprises qui peuvent sembler secondaires au moment où ils ont lieu peuvent être le prélude à des développements majeurs. Pour que cela ait lieu il faut simplement du temps - entre cinq et dix ans- et que les marchés deviennent porteurs.

Rappelons que la CGE a commencé à renforcer son pôle BTP dès 1978 ce qui sera suivi en 1983 par le rachat de la Seeri-Sari au groupe Drouot . Il faudra quelques années pour que s'affirment ses ambitions et que le groupe apparaisse clairement comme un grand du secteur derrière Bouygues . La même observation peut être faite pour son pôle déchets et pour les transports . C'est en 1980 qu'elle acquiert le contrôle de la CGEA . Cette entrée modeste dans les transports sera suivie plus tard par l'acquisition de la CGFTE, seconde entreprise du secteur. En moins d'une décennie la Générale des Eaux qui au départ n'avait aucune activité dans les transports s'affirme comme un des grands . Cette activité est en outre confortée par sa présence très solide dans les parkings acquise en 1984 par le rachat de Locapark . En 1984 elle entre dans Montenay -chauffage, produits pétroliers- qui s'affirme quelques années plus tard comme une entreprise très active dans les déchets et le chauffage.

De même c'est en 1983 que Bouygues acquiert la SAUR et ETDE. Pendant quelques années rien ne changea . L'eau et le BTP restèrent des secteurs séparés au sein même du groupe . Le fait que la SCREG, la SAUR ou ETDE soient voisins dans les bâtiments de Challenger n'a pas créé de synergies pendant les premières années . C'est seulement vers 1990 que ces politiques de rapprochement de l'offre ont commencé à produire des effets concrets.

On peut donc penser que la structuration actuelle autour des pôles construction et services urbains prendra un certain temps pour parvenir à fusionner les cultures de ces deux secteurs . La presse spécialisée souligne que la culture de la concession n'est pas encore passée de la Générale des Eaux vers la SGE tandis que la coopération reste balbutiante entre la Lyonnaise et les équipes de Dumez et de GTM18 On peut faire l'hypothèse que le résultat en sera à terme la mise au point d'un nouveau mode de production de l'aménagement urbain, autour du service et de la confiance.

18 Voir le dossier du Moniteur du 3/4/1992, p.35 & suivantes . Interviews chez SPIE-Batignolles, Dumez et Sceg-Bouygues . 33

Le corrollaire de cette évolution est la remise en cause d'une ingénierie urbaine indépendantel 9 . Il s'agit d'une tendance historique qui n'est pas propre à la France. Trois grands modèles d'ingénierie existent au monde.

a) Une ingénierie privée indépendante avec des autorités locales ou des districts spéciaux forts ; c'est le modèle anglo-saxon.

b) Une ingénierie publique locale forte qui repose sur des collectivités de grande taille et modernisées ; c'est !e modèle que l'on retrouve peu ou prou en Allemagne, au Danemark et aux Pays-Bas.

c) Une ingénierie intégrée à des entreprises industrielles . La France se singularise par un schéma qui jusqu'alors combinait des communes faibles, une maîtrise d'ouvrage publique d'Etat forte et des groupes de services urbains . Il est certain que la tendance actuelle à la globalisation des opérations urbaines va réduire le rôle d'une ingénierie indépendante au profit d'une ingénierie intégrée à des grands groupes d'exploitants, de travaux ou industriels.

Pour les villes, ces actions doivent être resituées dans l'évolution des thèmes porteurs des quinze dernières années . Quatre moments peuvent être distingués. Les années 1975/1981 furent celles de la participation, de l'urbanisme des centres-villes et de la qualité urbaine .__ La période 198011E83 fut plus marquée par le thème des interventions économiques et de la lutte contre le chômage . Les années 1983/1988 marquent une importante inflexion vers des thèmes plus portés par la droite : la privatisation, la rigueur budgétaire et en matière économique les actions de développement . Ces thématiques vont se généraliser après les élections municipales de 1989 . Les villes se considèrent comme des acteurs économiques évoluant dans un environnement concurrentiel. Le développement local devient alors le concept d'action fusionnant les thèmes précédents : le partenariat public/privé, les interventions sur le logement ou sur l'emploi pour les mettre au service d'un projet de développement . La stratégie ensemblière de développement urbain apparaît en bout de parcours comme la concrétisation de cette fusion des thèmes.

Il faut aussi regarder du côté des savoirs urbanistiques, de leur faiblesse, du jargon qui parfois les entoure . Souvent ils définissent leur apport comme celui de l'intégration, ils développent une culture de la globalité entre le technique, le financier et le politique avec pour risque de ne déboucher sur rien. Ceci explique pour partie le succès des opérateurs venant du dehors . Les élus évoluent dans un environnement incertain, ils doivent respecter des délais ; ceci les a conduit à se tourner vers des partenaires forts capables de leur apporter quelques certitudes : des produits, avec des procédures dans certains délais20 .

Cependant là aussi pour mettre en évidence ce qui est réellement nouveau il convient de séparer les discours des pratiques . Cette enquête, l'analyse de la presse, les cas cités par J .G. Padioleau ou par F. Ascher montrent

19 Voir notre rapport sur l'Ingénierie urbaine avec D. Drouet.

20 Cette observation a une conséquence opératoire pour le champ de l'urbanisme : il faut introduire de la profession nalité, clarifier les frontières, préciser le sens des mots . Voir notre article -570 000 professionnels de l'urbain- Annales de la Recherche Urbaine, N°44/45 p.137. 34

que ces pratiques modernistes sont réoentes et parfois balbutiantes . Evoquons les cas de Nancy, du Havre ou de La Rochelle qualifiées de modernistes d'après les travaux de l'institut d'Economie Urbaine . Mais qu'a-t-on examiné, les plaquettes produites par le cabinet, l'agence d'urbanisme, ou la réalité des actions? Comment faire la mesure entre des disoours volontaires et les résultats? Evoquons aussi l'exemple de Nîmes, ville emblématique de cette modernité depuis qu'un chef d'entreprise célèbre l'a reprise au parti communiste . Sur cette ville nous disposons d'un énorme dossier de presse, qui a pour source principale les informations données par la ville. Quelques articles ont été écrits, l'un par un économiste idéologiquement favorable aux privatisations et qui en fait un cas prodomo, un autre par un sociologue qui a enquêté au commencement des expériences et qui de ce fait n'a fait que rendre compte des intentions ; l'appareillage de preuve se résume à des entretiens des principaux responsables et des articles de presse 21 . On tourne en rond . .

Ces actions conduisent-elles à des démarches stratégiques du côté des villes ? Force est de constater le très grand écart entre les pratiques réelles et ce qui en est dit ; ceci n'est pas neuf22. Il faut faire la part des choses entre les discours chargés de légitimer l'action et la réalité effective . Dans le contexte actuel, les élus ont tendance à user et à abuser des termes de développement, de stratégie, de mise en cohérence, de projet, pour désigner tout banalement des opérations qui en d'autres temps eussent été qualifiées d'urbanisme commercial.

De même, du côté des promoteurs constructeurs on voit se superposer des discours sur la complexité des formes urbaines comme réponse aux problèmes d'intégration sociale, un discours sur la mixité des produits logements et bureaux et un plaidoyer pour le partenariat . Mais au-delà des mots quels sont les liens réels entre une mixité juridique et la nature des productions ? En quoi a- t-on progressé du point de vue de la qualité urbaine ?

Autrement dit, s'agit-il de projets stratégiques ou d'une simple délégation comme cela se fait depuis longtemps dans les réseaux urbains? Rien ne permet de trancher entre ces deux interprétations. Quelques villes en raison de l'autorité de leur maire, des moyens propres dont ils disposent ont un projet et sont capables de le faire appliquer par un groupe puissant apportant sa professionnalité . Mais les cas où le recours au secteur privé signifie tout simplement transfert, nous semblent tout de même fréquents.

La fin d'un schéma

L'urbanisme des années passées reposait sur un tryptique -maître d'ouvrage, maître d'oeuvre, réalisation- dans lequel les entreprises de travaux réalisaient à partir des plans et des spécifications du maître d'oeuvre et sous la commande d'un maître d'ouvrage . Dans les principes, l'exécution se trouvait

21 Voir M. Didier p.117 et suivantes in -Performance dans services publics locaux- Litec, 1990 ; voir également V. Hoffmann-Martinot . -Nîmes : gestion moderniste de l'image d'une ville- . Annales de la Recherche Urbaine, N°38, 1988.

22 Voir nos travaux sur les interventions économiques, les innovations dans la gestion municipale . 35

clairement distinguée de la conception . Le savoir se trouvait du côté des décideurs publics . C'est le schéma qui permit d'urbaniser le pays depuis la seconde guerre mondiale.

Quelque chose de nouveau par rapport à l'urbanisme des années soixante et soixante-dix est en train de se mettre en place. On peut tenir pour acquis qu'on ne reviendra pas à un schéma décisionnel faisant du DDE et du préfet des points de passage obligés . Les collectivités locales et en particulier les villes vont être durablement des acteurs ayant le pouvoir d'engager les opérations . Les élus locaux ont fait l'apprentissage d'une libre capacité de décision, ils ne céderont pas ces parcelles de légitimité . De plus, les transformations internes aux groupes privés : recrutement d'équipes, rapprochement des cultures du BTP et des services, représentent des faits matériels qui ne se changeront pas facilement . Autant de facteurs qui font donc que l'histoire ne se répétera pas . Le temps de l'urbanisme concerté est révolu. La production de l'espace urbain entre dans une nouvelle combinatoire entre l'Etat, les collectivités locales et les entreprises privées.

a) Il y a intégration du commercial dès la conception au moment des études préalables.

b) On voit se développer des stratégies foncières anticipatrices qui ne sont pas nouvelles en soi dans le principe mais qui cette fois sont conduites non plus par des 'SEM d'aménagement opérant comme opérateur foncier pour le compte d'une commune mais directement par les promoteurs eux mêmes.

o) C'est un schéma où les modes de négociation sont totalement différents. Dans l'aménagement classique la vue d'ensemble reste à la commune, ce qui lui permet éventuellement de réajuster le programme d'aménagement en cours d'exécution . Dans le schéma ensemblier la ville délègue, signe un contrat, -un permis de construire d'ensemble et n'a plus ensuite à intervenir ; quand bien même le voudrait-elle que les informations permettant d'agir proviendraient largement de l'entreprise.

Cette nouveauté du schéma ressort d'autant plus qu'on l'observe avec le recul de la longue période. Ce qui s'est passé peut s'analyser comme un nouvel arrangement d'acteurs dans la production urbaine . Les années soixante ont été marquées par le soutien de l'Etat aux grands groupes de construction et aux banques intervenant dans la promotion . Le résultat en est connu et visible une fantastique progression du nombre de logements terminés chaque année et la réalisation de grands ensembles qui vont modifier de façon durable le paysage urbain. Ce type d'urbanisation provoquera une réaction des acteurs locaux ; politiquement ce sera un des thèmes qui permettra la victoire des élus de gauche en 1977 ; économiquement les acteurs locaux vont s'organiser pour capter à leur bénéfice une partie de ce processus d'urbanisation. On observera _que leur succès fut largement favorisé car à partir de 1975 on entrait dans un rythme plus lent de construction qui ne nécessitait pas la production de réseaux neufs . La deuxième moitié des années soixante-dix est marquée par la production d'opérations de plus petite taille -lotissements périphériques, immeubles urbains- qui colmatent les trous de l'espace urbain . Ce qui se passe actuellement semble correspondre à une nouvelle phase économique . Les initiatives et les forces des seuls acteurs locaux ne sont pas à la hauteur du défi du développement local . Ce 36 sont alors les collectivités locales, avec leur poids financier, leur légitimité politique et leur connaissance fine du tissu local qui font entrer des groupes nationaux ou internationaux pour tenter un éleotrochoc . En quinze ans nous assistons à un renversement des arrangements entre acteurs . Vers 1980, les systèmes locaux de production du cadre bâti reposaient sur la bienveillance des collectivités locales : dans les campagnes pour y faire de petits lotissements, dans les villes pour réhabiliter les centres . Aujourd'hui, ces mêmes collectivités prenant conscience de la crise et de la compétition entre villes vont chercher de nouveaux partenaires extérieurs . La question qui se pose alors est de savoir comment cette greffe va prendre. Comment vont réagir les acteurs locaux ? Ça ne marche pas -toujours comme le montre l'exemple de Grenoble 23.

Les questions qui restent posées

La maîtrise du temps, le risque et la rentabilité sont les points sur lesquels viennent buter ces nouvelles interventions . Avec le recul de plusieurs opérations il ressort que l'aménagement c'est pas rentable ; c'est un peu la patate chaude que chacun se repasse. Elle finit toujours par revenir vers les mêmes . Si on se demande pourquoi les promoteurs y sont entrés c'est en fait pour produire leur cadre d'action. Les promoteurs demandent des cadres pour agir. Mais les grands groupes ne résolvent pas le problème du portage du foncier.

Pour beaucoup de ceux que nous avons rencontrés il y a une incompatibilité entre une logique financière "capitaliste" et l'aménagement urbain ; en revanche un aménagement délégué est possible s'il n'est pas soumis à cette logique . Ce qui veut dire que le fait que ces entreprises soient côtées en bourse fait peser sur elle une contrainte de profitabilité annuelle qui est peu compatible avec les contraintes de l'aménagement urbain . Cela finit par peser sur la qualité finale des opérations, comme au temps des ZUP lorsqu'on modifiait les plans masse pour parvenir à maintenir l'équilibre d'un bilan d'opération.

Même problème vu par un aménageur privé . Dans ces nouveaux schémas les groupes font de l'aménagement public et de la transformation urbaine au prix d'investissements lourds, à rentabilité mal assurée. De telles situations supposent un partenariat fort entre la collectivité locale et l'entreprise qui à terme va devenir un partenaire incontournable pour toute la politique d'aménagement urbain.

Il faut l'appui de la collectivité locale pour agir . Avec la décentralisation, la France s'est tribalisée ; on est accrédité ou on ne l'est pas . On observe des relations entre les villes et des promoteurs fondées sur la confiance24 . Ces

23 Voir le travail en cours de Novarina . De même à Rennes, selon P . Le Gales, pendant les périodes Fréville puis Philiponneau (adjoint à l'urbanisme d'E . Hervé) une partie du marché du logement était contrôlée localement ; Thouard avait beaucoup de mal à rentrer dans cette ville ; exposé séminaire Plan Urbain 17 mai 1993. 24 Voir les exemples de Saint-Etienne, de Port-Louis, de Mandélieu . Un autre observateur de ces mêmes pratiques rapportait ainsi qu'à Courbevoie et à Aubervilliers, la collectivité laisse faire des achats de terrains qui servent de références basses sur le marché, avant d'engager une procédure de ZAC 37

associations non écrites permettent d'engager des actions qu'il serait impossible de mener autrement. On fait toujours de l'aménagement public avec un processus public de décision en utilisant toujours des procédures de ZAC . Ce qui n'est pas réglé ce sont les rapports entre la collectivité locale et les opérateurs. Tout ce qui précède la convention de ZAC se fait sans filet.

Si l'équilibre général de ces opérations de transformation urbaine repose sur une valorisation sur dix ou quinze ans comment concentrer les investissements sur le périmètre de la zone et éviter les processus de diffusion sur les franges? On en voit aisément la solution et aussi l'impossibilité car il faudrait que-la collectivité bloque les coups et préempte au bénéfice de l'opérateur pour des opérations concurrentes qui se feraient en dehors du périmètre . C'est le problème posé à Marseille ou à Cannes-Mandélieu et on voit la fragilité de tels montages sur de longues durées.

La qualité urbaine

Cette question va finir par revenir aux collectivités locales, responsables aux yeux de la population . Le problème peut s'énoncer comme suit la qualité d'une ville est-elle réductible à la construction de quelques bâtiments forts ayant bénéficié de concours internationaux ? La tendance récente_ portée par une logique de compétition des acteurs comme des villes, a privilégié une logique de l'oeuvre : quelques bâtiments prestigieux qui servent de vitrine pour l'entreprise et pour la ville . Ne peut-on pas considérer que la qualité moyenne d'un espace urbain dépend aussi largement des liaisons entre les éléments de base qui le composent . Dans ce cas, les villes doivent continuer à conserver une maîtrise d'ouvrage publique forte afin de contrôler toute une chaîne complexe allant parfois jusqu'aux détails 25 . On illustrera cette question par l'exemple de Nîmes . Dans un premier temps le maire a fait appel aux maîtres de l'architecture pour y construire plusieurs bâtiments de qualité : le centre d'art contemporain et la médiathèque, les HLM de Nouvel, le stade de football confié à Gregotti, le Colisée de Kurokawa et la mairie de Villemote . En 1991, le maire affiche sa volonté de faire de l'urbanisme . La ville crée une agence d'urbanisme avec le concours de la SCET et elle fait appel à Foster pour revoir le plan d'urbanisme.

L'équilibre entre les entreprises et les collectivités locales

Les schémas ensembliers pour des opérations publiques d'aménagement urbain ont surtout concerné des pays qui n'ont pas la capacité de définir eux mêmes le détail de leur aménagement : pays en voie de développement, nouveaux pays industriels et maintenant pays de l'est . A l'inverse, dans tous les grands pays industriels les collectivités locales ont gardé une forte capacité de conoeption ; s'il y a des schémas ensembliers ceux-ci s'appliquent surtout à de grandes opérations privées . Le développement d'un tel schéma en France témoigne d'une faiblesse des communes qui faute de savoir- faire, ou de vouloir faire, délèguent la conception, la réalisation et le montage.

25 Sur cette démarche voir l'exemple de Rueil-Malmaison . 38

Son succès résulte ainsi en partie d'une incapacité du système politique local à prendre en charge les responsabilités nouvelles qui sont les siennes même si de nombreuses contraintes du politique expliquent parfaitement cet état de chose 26 .

Le maintien durable d'un schéma ensemblier questionne donc l'esprit de la décentralisation et l'architecture du système décisionnel qui était attendu . Si des réformateurs -fonctionnaires et élus- ont oeuvré pour `que l'Etat réduise ses interventions c'est parce qu'ils croyaient à une efficacité plus grande d'un schéma reposant sur la responsabilité d'élus, proches des problèmes . Le but recherché n'était pas de faire reculer l'Etat pour le remplacer par de grands opérateurs privés ou mixtes. Par conséquent, une question centrale aujourd'hui comme hier reste celle de la capacité des collectivités à concevoir et à suivre certaines opérations; cela touche à l'ingénierie urbaine et à la maîtrise d'ouvrage publique.

Les entreprises aussi se trouvent concernées . Le fait que les promoteurs acquièrent un statut de transformateurs urbains les fait changer de nature. Ils évoluent d'un statut de spécialistes, limités à quelques opérations, à une mission de quasi-pouvoir public. L'extension du champ de compétence des entreprises privées pose la question de leur positionnement . Nous venons d'une situation marquée par un partage . Elles avaient un métier technique et des interventions sectorielles -que ce soit dans la construction ou dans l'exploitation d'un service urbain . En s'engageant dans des missions d'aménagement global, les entreprises sortent de ce métier et assument des responsabilités qui étaient jusqu'alors celles du politique et des aménageurs public : fonction de conception et d'arbitrage (sur des durées, entre des espaces, entre des choix de parti d'aménagement) . Donc, même si cela n'était pas à l'origine dans les intentions des acteurs, le succès du secteur privé entraîne l'effacement du pôle public et il modifie aussi le statut de l'entreprise privée qui incorpore dans son agenda des prérogatives de puissanoe publique.

Lorsque le même groupe exploite dans une agglomération plusieurs réseaux urbains avec des contrats de longue période, lorsque de plus il y conçoit et y réalise un aménagement majeur il semble difficile de réduire son rôle à une simple prestation technique. Le problème vient tout simplement de la taille de ces opérations par rapport au marché du logement de la ville considérée . On tient tout. . . on est sur toutes les opérations stratégiques qui ne sont pas nombreuses. Par exemple dans une ville comme Lyon il y en a quatre ou cinq ; dans des villes plus petites il n'y en a qu'une. .

Comme le faisait remarquer un spécialiste de ces questions : les entreprises de service éviteront difficilement de se trouver un jour ou l'autre impliquées dans les conflits politiques locaux. N'ont-elles pas intérêt à ce que les élus se donnent les moyens d'afficher des politiques de service, ce qui leur éviterait de se trouver en première ligne, munies des seuls arguments du gestionnaire d'entreprise 27 . Les grands groupes privés se trouvent devant un problème qu'a bien connu la SCET : l'effet de saturation . Etant présente depuis longtemps dans l'aménagement urbain et intervenant sous des formes diverses -

26 Voir notre texte -Après la décentralisation- Sociologie du travail, n°3, 1993.

27 B. Archer, document préparatoire à l'assemblée générale de I'INGUL, 1993 . 39

logements, bureaux, équipements, loisirs, conseil informatique, études, montages financiers-, elle a concentré les critiques des élus alors qu'ils n'avaient rien à dire sur les deux grands groupes de services urbains pourtant déjà bien développés à cette même époque. En entrant dans l'aménagement urbain et en multipliant leurs interventions dans toute la France, ces groupes risquent de devenir des cibles et de subir une critique sur la légitimité de leurs interventions.

Le succès des entreprises les transforme . Elles risquent de se trouver impliquées dans des conflits qu'elles ne maîtrisent pas . Leur image peut s'en trouver altérée, et tout ceci finira par peser sur leur profitabilité. Le schéma ensemblier - appelle aujourd'hui certainement une redéfinition des frontières établies avec les collectivités locales . Pour réduire l'effet de dépendance à l'égard de la même entreprise et répondre aux critiques dénonçant la formation de monopoles, les villes peuvent faire appel à différentes entreprises. Après avoir eu recours à la SARUCGE, le maire de Saint-Etienne, Dubanchet, fait appel à la SCET pour une grosse opération dans une autre partie de la ville.

Autrement dit, les groupes sont entrés dans le schéma ensemblier en continuité de ce qu'ils faisaient, mais cette évolution est plus importante qu'il ne semblait à première vue . Elle conduit à une remise en cause des principes de l'aménagement urbain -introduction de nouveaux paradigmes dans l'action publique locale- et elle fait évoluer le statut des grandes entreprises d'un rôle technique à l'incorporation d'une dimension politique.

De la démocratie : faire-faire ou défaire ?

Une caractéristique revient dans les expériences que nous avons étudiées - Reims, Port-Louis-, le cas de St-Etienne . Ces opérations impliquent une relation très forte et personnalisée entre l'entreprise et un homme de pouvoir dans la collectivité qui peut être le maire, un adjoint, un haut fonctionnaire 28 . Le montage de ces opérations se fait dans la plus grande discrétion entre ces décideurs. Pour obtenir des informations il faut montrer patte blanche . L'annonce publique n'intervient que lorsque tout est bouclé . De pareils comportements sont nouveaux et contrastent avec la vague partioipative des années soixante-dix et du début des années quatre-vingts . A cette époque, certaines villes concevaient les affaires urbaines comme le lieu d'un débat démocratique, le moment d'un exercice pédagogique : grand forum avec explicitation des objectifs, définition des projets.

L'attitude actuelle des collectivités dans ce secteur est peut-être un signe supplémentaire qui reflète leur évolution en profondeur . Dans les années soixante-dix les élus locaux ont revendiqué plus de transparence et de participation en réaction à l'urbanisme des grands ensembles . Cet exercice pédagogique s'imposait sans doute pour intégrer les nouvelles populations urbaines en leur donnant un certain pouvoir sur leur cadre de vie ; mais avec le

28 C'est sans doute un autre aspect du transfert de la culture des services urbains . Ici du choix intuitu personae . Si ce principe peut se justifier pour les réseaux techniques urbains, sa pratique dans l'aménagement urbain soulève d'autres questions . 40 temps ces élus participatifs ont fait aussi plusieurs apprentissages . Les comportements d'aujourd'hui se comprennent si on tire le bilan des expériences de démocratie participative de la période écoulée . Combien de villes qui s'étaient lancées dans des opérations transparentes de définition de leur politique d'aménagement et d'urbanisme ont constaté

a) Que leur électorat en grande majorité s'en désintéressait,

b) Qu'en expliquant leurs projets ils soulevaient les oppositions des intérêts acquis de toute nature, riverains, commerçants, propriétaires etc. ..

c) Qu'ils donnaient des informations aux spéculateurs et aux professionnels de l'urbanisme qui s'empressaient de prendre position dans les futurs quartiers stratégiques, en signant des compromis,

d) Qu'ils offraient des armes à leurs opposants politiques . Les élus urbains ont donc tout simplement appris qu'être transparent revenait à s'exposer.

Aujourd'hui, nous assistons à l'effet en retour . Beaucoup adoptent un comportement inverse ; à la "naïveté" succède le secret . Les élus sont devenus plus réalistes . Ils se définissent comme des entrepreneurs de la vie quotidienne qui montent des projets . La stratégie est subordonnée aux résultats à obtenir et peu importe si elle exige le secret. On gagne en efficacité ce qui est perdu en démocratie. Ce qui se passe donc maintenant exprime une volonté opératoire. L'intervention des groupes est une manière de résoudre le problème de la hausse spéculative des prix que les collectivités locales avaient rencontrée dans la décennie précédente ; on achète discrètement des terrains tant que les prix sont bas pour être certain de capitaliser à la sortie les plus-values liées à la valorisation publique.

Cette mise en sommeil des anciennes pratiques de l'urbanisme participatif place les citoyens devant une alternative brutale . Soit ils acceptent les projets en l'état, ce qui entretient l'apathie ; soit ils formulent des critiques, mais puisque celles-ci ne peuvent être exprimées qu'après l'affichage du permis de construire, il ne leur reste, s'ils veulent amender un projet, que la possibilité du recours en tribunal administratif. La situation actuelle, marquée par un recul de la concertation et de la participation des habitants dans les phases amont, conduit paradoxalement à une réactivation des passions politiques qui se traduit empiriquement par une augmentation du nombre des recours en tribunal administratif. En d'autres termes, si dans l'aménagement urbain les communes adoptent des pratiques de secret au nom de l'efficacité, cela peut conduire à un résultat inverse car les citoyens n'ont d'autre choix que de ne "rien faire" ou de "défaire" .

Une telle alternative constitue une limite du schéma ensemblier car la réactivation des conflits locaux a un coût, économique et politique aussi bien pour les constucteurs que pour les élus. Cela pose aussi plusieurs questions . A quoi servent les commissions d'urbanisme et les conseils municipaux s'ils se trouvent encore un peu plus transformés en chambres d'enregistrement d'affaires déjà montées? Peut-on aménager les villes avec les mêmes processus décisionnels qui ont été utilisés pour les réseaux techniques urbains? 41

Les exemples de quelques villes qui ont oontinué à développer des pratiques d'information des citoyens à l'intérieur d'un schéma de maîtrise d'ouvrage publique, ceux de plusieurs pays d'Europe du Nord -Danemark, Pays- Bas et Allemagne- montrent qu'il est possible de conjuguer effioacité dans l'action et politique d'information . En introduisant une obligation de participation dans la mise au point des documents d'urbanisme le législateur de ces pays crée certes un système lourd et complexe 29 mais dont l'efficacité est liée au fait d'obliger les parties en présence à trouver un compromis . Chaque partenaire a les moyens de bloquer le processus et donc aucun n'a le pouvoir d'imposer unilatéralement son point de vue . Il lui faut composer et adopter un comportement responsable . Cela vaut pour les mouvements associatifs qui peuvent critiquer les projets mais qui mesurent aussi leur responsabilité s'ils utilisent systématiquement leurs droits pour bloquer tout projet . Un tel système est complexe, lent, mais il évite l'affrontement. Le schéma d'élaboration de la décision collective vers lequel on s'achemine pour l'aménagement urbain procède d'une autre conception, sous couvert d'efficacité les élus jouent à "quitte ou double".

L'avenir du schéma ensemblier

Si. l'on définit l'approche ensemblière comme l'entrée des entreprises privées dans l'aménagement urbain pour y mener des opérations intégrées combinant études, acquisitions foncières, équipements, construction, commercialisation et exploitation de certains équipements on est tenté de dire : le schéma ensemblier c'est fini ! Un parcours des villes où ces schémas se sont appliqués montre qu'elles n'ont pas été nombreuses ; et ceci se vérifie d'autant plus que l'on prend comme critère le partage des risques sur un cycle long 30 . Les opérations portées globalement sont rares, tout comme le sont les produits reproductibles intégrés (formule ATRIA, opérations combinant du commerce et des parkings) . Depuis 1992, le secteur est touché par une crise de surproduction tant pour les logements que pour les bureaux (on parle de trois années de, stocks à résorber) . Le retournement du marché semble donc sonner le moment du reflux; les équipes d'aménageurs qui étaient peu nombreuses au sein de ses groupes (voir la fiche sur SPIE, sur Antibes) sont démembrées . Est-ce à dire que rien n'a changé et que le terme d'ensemblier ne désigne aucune réalité?

Il est une autre dimension du phénomène ensemblier . Le rapprochement des groupes de construction de ceux de services a conduit à faire entrer dans ce secteur la culture des services urbains : durée de la relation, confiance ; de nouvelles formes d'intervention en sont issues comme le METP . Il s'agit d'un changement culturel profond qui répond à trois problèmes.

a) Pour les entreprises de construction c'est une manière de stabiliser leur marché. Cela correspond à une logique classique d'entreprise 31 . Plusieurs

29 Voir le cas allemand. 30 Un participant du ministère à un groupe de travail explique même que la prise de risque c'est fini et qu'un groupe comme Gestec évolue vers le conseil près des maîtres d'ouvrage, ou auprès des banques et des compagnies d'assurance.

31 Les grands ingénieuristes américains ne font pas autre chose quant ils développent le project management afin d'échapper à une mise en concurrence sur tous les marchés ; ce type de contrat suppose lui aussi des relations de confiance entre le client et l'entreprise . Voir Strassmann ou Bali . 42 de nos interlocuteurs ne disent pas autre ohose. Notre entreprise c'est un peu le Félix Pottin ; on passe beaucoup de petits marchés pour tous les types de produits : une place, des trottoirs, un petit espace vert etc. . Notre politique a été de proposer une offre globale de service aux villes allant de la conception/réalisation à la gestion (responsable prospective d'un grand groupe de travaux).

b) C'est aussi une réponse à la demande des élus qui n'est plus la même ; elle s'exprime en problèmes et a de ce fait un caractère global.

c) Enfin c'est une manière pour ces grandes entreprises d'aborder la question de l'efficacité productive . Quelle est-elle en termes d'organisation industrielle ? L'intégration de nouvelles phases peut être un moyen pour aborder autrement la production des services.

Un des effets durable va être sans doute une autre manière de concevoir et d'organiser les relations avec les collectivités locales . Cette manière de travailler peut s'appliquer à tout . On est parti des grandes opérations urbaines complexes avec intégration mais on s'aperçoit que la démarche d'ensemblier peut s'appliquer à tout. Elle fait évoluer les métiers de base32 (responsable des produits d'aménagement dans un grand groupe).

Cette extension des principes de la gestion déléguée donne de l'importance aux catégories de régulateur et d'opérateur (l'ancien concédant concessionnaire des livres de droit public).

Pour conclure quatre points nous semblent forts et prospectifs

a) La dynamique des marchés crée de nouvelles opportunités où l'offre n'est pas constituée pas plus que le cadre d'action (ce sont des marchés à construire) . Exemple : le vieillissement de la population, ou la maintenance du patrimoine bâti33

b) Les logiques de croissance des grandes entreprises les conduisent en permanence à chercher de nouvelles offres (cotation en bourse = croissance). Elles abordent les marchés urbains par une triple entrée dont une seule est celle des collectivités locales . Elles peuvent s'adresser directement aux ménages (politiques de maintenance bâti ou des services aux personnes âgées ; des services urbains à l'espace domestique 34 ) ; tout comme elles peuvent travailler directement avec d'autres entreprises (la dépollution en est un bon exemple) ;

32 L'idée ici est qu'il faut raisonner à partir de problèmes et non à partir de procédures . Prenons l'exemple de la propreté et de la sécurité . Dans le cadre d'un quartier périphérique cela peut donner la réponse suivante . Le groupe du service supplémentaire faisant l'objet d'un contrat global et qui se décomposerait en trois tâches : a) tournée supplémentaire des services de nettoiement; b) maintenance des espaces extérieurs (pelouse) en embauchant des jeunes sélectionnés par les équipes DSQ ; c) maintenance des parties collectives des immeubles par convention. 33 Voir le rapport de la Fondation des Villes -Les Services à l'habitat, le marché à construire-. Plan Construction et Architecture, 1993.

34 La maintenance et le service poussent vers une stabilisation des interventions dans une culture proche de celle des groupes de services : durée et confiance . 43

c) La globalisation du côté des élus génère une démarche à partir de problèmes à résoudre . Leurs références de départ étaient celles de l'administration et ils doivent inventer de nouvelles formes du gouvernement urbain ; dans la période qui est celle observée ils se trouvent donc dans une phase intermédiaire, ce qui veut dire que les schémas ne sont pas stabilisés et que les collectivités locales restent ouvertes à divers schémas ;

d) La logique industrielle va vers l'intégration des secteurs et des métiers. L'histoire industrielle dans les services urbains comme dans le bâtiment a d'abord été celle d'une intégration verticale par secteur . L'intégration des métiers à partir d'opérations dans un schéma ensemblier correspond à une seconde forme d'intégration que l'on peut qualifier d'horizontale . LA COORDINATION URBAINE : ANCIENS METIERS, NOUVEAUX METIERS

Gilles VERPRAET, CNRS

Les professionnels du projet sont engagés dans une série de mutations : de nouvelles conditions de l'urbanisation (urbanisation intensive, densification), de nouvelles logiques économiques (concentration, logique d'ensemblier), de nouvelles logiques politiques (la décentralisation des pouvoirs liés à l'urbanisme, la formation d'une commande communale d'un nouveau type).

Les métropoles françaises se sont récemment mobilisées autour de projets importants de valorisation urbaine en centre-ville, liés à une croissance économique sélective (1987/1991) . Ces "projets intégrés" sont des programmes mixtes, organisés autour d'un produit dominant (bureau, centre commeroial régional, centre de services) . Ces grandes opérations, qui représentent des enjeux urbains et politiques centraux, associent des grands groupes de promotion privés et des municipalités selon des modalités nouvelles . Le système des relations entre promoteurs et municipalités (le type de partenariat, le degré d'engagement municipal, l'objet des négociations) apparaît décisif dans l'existence et le développement de ce type d'opérations . Ces opérations intégrées provoquent un glissement des politiques municipales, en déplaçant leur capacité d'élaboration stratégique vers la définition d'opérations mixtes engageant plusieurs partenaires sur un même programme.

Ce texte a pour objet l'étude des modalités de la coordination, c'est-à-dire à la fois les relations établies entre ces acteurs et les modalités de définition d'un projet urbain commun.

La redéfinition des métiers dans le dispositif partenarial

Ces nouvelles logiques partenariales ont tout d'abord directement des effets sur les conditions d'intervention des professionnels du projet urbain . On remarquera que la notion de métier du projet se dédouble entre les métiers portés par les professionnels et les métiers revendiqués par les secteurs de la maîtrise d'ouvrage .

La définition traditionnelle issue de la sociologie des occupations (Hughes, Rolle) définit la qualification à partir d'une situation de travail, socialement construite et négociée à partir d'un système de relation caractéristique de l'emploi 46 observé, pour repérer les différents savoir-faire mobilisés . Cette démarche s'avère relativement opérante pour les emplois de service (Tripier) et pour les professionnels de l'urbanisme, (Verpraet 1987)1

Dans l'intervention partenariale, la situation de travail n'est pas stable mais réside d'abord dans un processus de mobilisation d'acteurs importants (élus, maîtres d'ouvrage) . Le processus de montage fait l'objet de négociations et de coordinations intenses assujetties à une obligation de valorisation . Il s'agit parfois d'une mobilisation conjoncturelle de compétences anciennes et nouvelles et parfois de la constitution et de la stabilisation de nouveaux métiers dits d'ensemblier.

L'analyse du dispositif partenariat et des niveaux -d'implication professionnelle discerne les types de compétences anciennes (Le travail d'infrastructure, le montage opérationnel) et les compétences nouvelles mobilisées par les projets intégrés . Ces compétences nouvelles portent principalement sur les modalités de la coordination urbaine des acteurs et des espaces qui tranchent avec les démarches d'insertion urbaine poursuivies depuis 1975 : le travail en réseau, l'assemblage des différents cercles, la médiation opératoire, les exigences de commercialisation segmentée et tendue, la flexibilité du produit . Le déplacement des savoir-faire est caractérisé par la mise en avant du projet, du discours, de la valorisation du programme et des études préalables . Une relation étroite entre l'innovation technique et les images de commercialisation est recherchée.

Les implications professionnelles dans le processus de décision/conception

Dans ce processus de définitions croisées, nous avons cherché en interrogeant différents acteurs décisifs à préciser, non seulement comment ils parlent du projet mais aussi leur mode d'implication dans son élaboration et sa mise en oeuvre . C'est le sens d'une enquête ethnographique sur les cultures professionnelles spécifiques placées à la frontière de la conception urbaine et des processus décisionnels.

Le travail d'enquête et d'investigation a privilégié le processus de conception - négociation - décision de ces opérations intégrées où interviennent différents acteurs (élus-maîtres d'ouvrage - professionnels de l'urbanisme) avec chacun leurs compétences et leurs définitions spécifiques, mais aussi leurs relations d'interdépendance et de complémentarité négociées autour du projet en jeu .2

1 C'est en ce sens d'observation des situations de travail et des implications que l'on peut distinguer la généralité de la notion de métier comme un ensemble de savoir-faire (compétence, formation, relations) propre à un individu ou un collectif et les analyses spécifiques de professions (salarié ou libéral) qui cherchent à stabiliser leur monopole de compétence (la profession na lité) par l'organisation de marchés ntemes plus ou moins stables . La problématique de la fléxibilité des qualifications et des implications tend à destabiliser ces distinctions dans un retour syncrétique à la notion de métier (cf. les travaux de M. Dadoy)

2 Le choix des terrains d'étude associe des sites où le marché des bureaux est établi (les Hauts-de- Seine), où le marché des bureaux est en voie de s'établir à court terme (Lille), et où l'implantation d'un marché de bureaux n'est pas encore établie (Nantes, Poitiers) . Trois de ces sites disposent de l'accessibilité TGV . 47

Comment s'élaborent les démarches, les méthodes et les pratiques des réseaux professionnels du projet ? Quels acteurs portent l'initiative du projet urbain (public/privé/mixte) ? Comment la conception urbaine et l'expertise de projet sont- elles réparties entre le pôle public et le pôle privé ? Dans quelle mesure, les modalités de mise en oeuvre sont-elles redéfinies sur cette base ?

Les travaux portant sur le dispositif partenarial insistent sur la mise en image, sur le montage spécifique d'un programme mixte, plus ou moins stabilisé dans un dispositif partenarial au croisement d'un marché de bureau et d'une politique municipale plus ou moins affirmée3 . Ces travaux tendent à glisser de l'analyse économique classique d'une combinaison des facteurs de la production de l'espace (capital, terrain, clientèle, capacité de densité) vers une étude des circulations de l'information (projet, financement) . Il en résulte le décryptage de multiples formes de réseaux (convergent, croisé, réticulaire, centré) . Mais comment ces réseaux se forment-ils ?

A l'heure de la mise en place de ces dispositifs partenariaux, il convient aussi de s'interroger sur ces formes de coordination urbaine qui font converger certains acteurs sur certains lieux et d'examiner dans quelle mesure ces logiques et ces modèles de coordination remettent en cause les formes classiques issues de la ZAC le partage entre la maîtrise d'oeuvre et la maîtrise d'ouvrage.

D'où l'intérêt d'une approche systématique de ces nouvelles figures émergentes de gestionnaires coordinateurs.

Dans l'étude de la production de l'espace, on relèvera ainsi la ooordination par représentation (le plan et le projet), les coordinations monétaires (les prix, le programme), et les coordinations foncières et spatiales (l'appropriation des terrains et le partage des lots) . Ce nouvel horizon de la gestion urbaine requiert de mieux connaître les possibilités de coordination municipale et leurs limites, leurs schémas et leurs ressources .4

On ne peut aborder la question de la coordination sans prendre en compte des activités que l'on peut appeler de cadrage, qui consistent du point de vue de l'acteur central à définir à l'avance les conditions de la relation (objets, personnes présentes, termes de la négociation) Ces modalités de cadrage jouent un rôle significatif non seulement dans les relations intersubjectives entre les acteurs décisionnels mais aussi dans les rapports socio-économiques clés, noués entre le développement municipal et la valorisation urbaine.

3 Cf. F . Ascher : Projet public et réalisations privées, le renouveau de la planification des villes ; T. Fellman et B . Morel : Territoires en action, prospective urbaine et planification stratégique, in Annales de la Recherche Urbaine N° 51 Juillet 1991.

4 Nous retiendrons la remarque de L .Thévenot : Au niveau des conventions de l'action collective, l'exigence plus forte de coordination réclame un accord sur un cadre général d'évaluation légitime qui garantisse le jugement sur ce qu'il advient et qui permette de s'entendre sur la révision de ce jugement, sans rupture critique dans l'interprétation de l'action justifiable .' L'auteur distingue trois modes dans la coordination économique : la coordination par les objets, les cadres de jugement et d'évaluation, les cadres cognitifs et opérationnels . Ref. L. Thevenot, Agir avec d'autres : les conventions d'objet dans l'action collective, in L. Quéré (Ed) Les formes de l'action . 48

1 - LA CONJUGAISON DES COMPETENCES

De nombreux acteurs soulignent les phénomènes de conjugaisons de compétence, soit entre les domaines publics et privés, soit entre les savoir-faire issus des pratiques dans l'ancien et ceux issus des pratiques dans les quartiers nouveaux.

a) Le partage du travail public-privé : de nombreux acteurs s'accordent sur la pertinence d'un certain partage des tâches

"Les élus s'aperçoivent aussi qu'il vaut mieux négocier globalement un ensemble avec son programme, sa conception et les retombées financières pour la commune, soit en termes de financement d'équipements, soit en termes d'achat de terrains etc. . . que d'avoir un processus que finalement on peut pas contrôler étant constamment mis devant des phénomènes économiques ou des phénomènes de décision qui échappent. C'est-à-dire que l'élu maîtrise mieux quand il négocie globalement que quand il essaie de faire au coup par coup une chose après l'autre". Spie Aménagement/Promoteur

"Le meilleur développement économique, ce sont les chefs d'entreprise qui le font, ce n'est pas les villes, par contre les villes doivent, dans leurs responsabilités, assurer les conditions de ce que j'appelle l'environnement, l'environnement c'est bien sûr tout ce qui est infrastructurant, tout ce qui relève de l'aménagement, l'environnement c'est aussi l'information, c'est aussi le conseil, éventuellement le partage des dossiers, donc ça c'est une philosophie un peu constante au service économique" . Service économique, Poitiers.

Du côté promoteurs, la négociation globale assure une cohérence opérationnelle du groupe dans l'appel d'offre . "Vous allez retrouver dans certains cas la structure maître d'ouvrage, maître d'oeuvre et entreprise générale qui donne la possibilité d'apporter déjà un trio qui permet de perdre moins de temps parce qu'on travaille tous les trois ensemble, pour que les choses soient vraiment finies à telle date, donc c'est plus facile que lorsqu'on est obligé d'aller chercher des gens à l'extérieur". Pelege.

Opérateurs et professionnels s'accordent dans un certain consensus sur l'outil ZAC . " La ZAC a bien vieilli comme cadre de négociation et de mise en oeuvre ; les évolutions ont lieu en amont sur les études préparatoires et le montage et en aval sur la commercialisation et les cercles de publicité " . Euralille.

Les différents dispositifs partenariaux reposent sur la négociation du rapport entre le développement municipal du projet et sa valorisation privée . Ainsi est ouvert, aux communes et aux aménageurs, un espace de négociation plus ou moins régulé, un espace de coordination flexible, plus ou moins stabilisé dans les années 1985/90 qui tranche avec la programmation rigide des années 60/70, et avec la décroissance stratégique des années 75/80 . Les dispositifs partenariaux, ayant à l'origine une initiative municipale, mettent en oeuvre deux types de concours caractéristiques de ces nouvelles relations professionnelles 49

- concours d'idée et de projet pour les architectes-urbanistes,

- concours entre promoteurs sur la charge fonoière du projet.

b) Les hybridations professionnelles entre les quartiers anciens et les quartiers nouveaux

L'intervention partenariale se situe à la jointure de deux modes d'intervention et de deux univers professionnels relativement structurés dans le domaine de l'urbanisme. Il s'agit à la fois d'une intervention en quartiers nouveaux avec sa phase constructive importante, de densification du centre-ville, d'édification d'une nouvelle image de la ville . Il s'agit également d'une intervention en quartiers anciens avec sa prise en compte du site, des images existantes de la ville, des raccordements des réseaux et de la trame urbaine.

Dans l'univers des métiers de l'urbanisme (Verpraet 90) ces deux types d'intervention (quartiers anciens/quartiers nouveaux) sont structurés par deux univers professionnels

- les architectes-urbanistes prédominent autour des études préalables et des modes d'intervention en quartiers nouveaux, - Les chargés d'opération, auprès des maîtres d'ouvrage à profil ingénieur ou commercial prédominent dans l'intervention en quartiers anciens.

Cette recomposition des métiers de l'urbanisme dans les années 80 s'était orientée sur le micro urbanisme, autour des pratiques de réhabilitation dans les quartiers anciens et, dans les quartiers nouveaux, autour des initiatives du développement local . Cet affinement des démarches d'intervention dans des tissus complexes a favorisé un enrichissement du projet social fondant les projets d'intervention . Les logiques de projet urbain municipal oorrespondent à ce mouvement de recomposition des interventions.

L'intervention partenariale oppose deux modes d'implication professionnelle entre l'intervention extérieure de l'expert qui repose sur la prise de distance, l'application de techniques performantes, une rhétorique de l'efficacité (Paradeise) et l'application en continuité de professionnels qualifiés insérés dans le terrain et les organisations locales . Il en résulte des réactions tranchées sur le dispositif partenarial.

Le dispositif partenarial, loin de consacrer la nouvelle figure de synthèse (le chef de projet), réagence des modes d'intervention autour des fonctions de coordination (ensemblier, manager, médiateur), à prédominance ingénieurs-ville- nouvelle auxquelles s'ajoutent des compétences commerciales . Il en résulte une implication et un positionnement subordonné des architectes-urbanistes dans le dispositif partenarial via les concours d'architecture urbaine pour nourrir les études et la conception du projet (cf. renvoi n° 4) . 50

c) Les réseaux de développement

Lorsqu'ils présentent leurs activités, les acteurs du partenariat soulignent que l'intervention et le montage des projets intégrés reposent sur des réseaux à fonctions multiples alliant la prospection et la prospective, la recherche de soutien et le monopole d'information communale . La légitimité du projet d'opération doit s'accrocher aux différents projets urbains existants (quartier, municipal, régional). Cette mobilisation publique et professionnelle autour du projet en cours de définition est un élément de sa valorisation régionale . Il en résulte une figuration active pour le maire, l'architecte et le promoteur, placés au devant de la scène publique par ce type de projet. Il importe d'apercevoir et de décrire pour chacun d'entre eux, leur rôle spécifique.

Le premier objectif est de développer des systèmes d'influence. "Un rôle fondamental de ce que j'ai appelé développeur est de créer des systèmes d'influence, d'environner un projet et des acteurs de tout un jeu . J'ai mis en place cinq services, tout ça c'est des réseaux d'influence et qui aident à porter un projet, qui aident à créer la confiance plus tard, faire pression sur un tel ou sur un tel etc . .. c'est un fonctionnement fondamental en réseau". Euralille

Les relations partenariales peuvent être présentées comme des réseaux de commercialisation : "Les partenariats sur la gare : j'ai "brassé" les réseaux, les gens que je connaissais, il fallait que ce soit des nationaux pour avoir quand même les reins assez solides. Il se trouve que dans les gens que j'ai eu en contact, les représentants d'Arthur Loyld avaient créé des immeubles de bureaux sur l'avenue de la République, de fil en aiguille ils se sont trouvés connectés sur la gare pour deux raisons, d'abord parce qu'ils sont promoteurs, mais ce n'est pas suffisant, mais aussi parce qu'ils connaissaient bien les modes de fonctionnement de la SNCF pour avoir réalisé au Mans une opération qui s'appelle Novaxis, 20 000 m 2 de locaux sur la gare TGV, parce que la SNCF a un mode de fonctionnement, un mode relationnel avec l'extérieur qui est très particulier". Service économique/Poitiers.

Dans ce type de réseau décisionnel et commercial, l'information est une marchandise "C'est le privé qui détient un certain nombre de clés, je dois leur serrer la main, mais c'est un échange, c'est un échange marchand, l'information va devenir de plus en plus un échange marchand et moi le service économique autant qu'opérationnel je l'ai positionné comme étant un des éléments structurant sur l'agglomération en termes d'information" . Service économique/Poitiers.

A ce niveau "d'élaboration de stratégies urbaines mixtes par les réseaux d'influence se constitue un aménagement informel du territoire" . "C'est un dossier que j'appelle l'aménagement informel du territoire. Il faut connaître les services de l'Etat parce que là aussi il y a des interlocuteurs, il faut connaître les formations, il faut connaître les chefs d'entreprises qui vont abonder dans votre stratégie etc. . . ". Service économique /Poitiers. 51

Il - LA COORDINATION ECONOMIQUE ET FINANCIERE : SEGMENTATION ET ASSEMBLAGE

La coordination économique dans le secteur de la maîtrise d'ouvrage passe par différentes formes d'organisations productives destinées à assumer et répartir les risques de flexibilité des sous-marchés 5

- L'intégration des sous-marchés dans un même groupe,

- L'association de plusieurs maîtres d'ouvrage sur un même projet,

- Un montage coordonné de l'intervention de plusieurs maîtres d'ouvrage.

a) Les logiques d'intégration visent à répondre à l'offre globale des élus, à réduire les risques de flexibilité des sous-marchés par une offre globale d'un même groupe de promotion.

Projet ciblé et risque de marché

"L'offre globale a surtout évolué dans la définition de projets beaucoup plus ciblés, en fonction de la clientèle. La grande difficulté de la maîtrise d'ouvrage aujourd'hui par rapport à il y a /0 ans ou 20 ans, c'est d'être capable de bien répondre à une demande. Le facteur de risque c'est de se tromper sur le type d'immobilier qu'on peut faire à cet endroit-là". Spie Aménagement/Promoteur

Montage et développement

"L'intérêt dans le montage de ce type de projet, la fonction centrale c'est quand même ce qu'on appelle le développement c'est-à-dire toute la phase amont, tout le montage, la négociation sur la conception du projet, c'est la fonction la plus lourde, la plus longue et la plus essentielle. Après vous avez toujours des gens pour surveiller, la réalisation. .. il y a d'autres secteurs, comme la promotion de logements, dans lesquels la phase de commercialisation est plus sensible" . Spie Aménagement/Promoteur

La gestion croisée des clientèles

"Je dis volontiers nous avons trois types de clients : le Maire, les acquérants, les investisseurs. Un industriel en règle générale a un client, c'est le grand public ou s'il fait de l'industrie intermédiaire, c'est l'industriel de fabrication". Spie Aménagement/Promoteur .

5 Pour plus de détail sur ces stratégies d'arbitrage économique dans un univers flexible et donc concurrentiel, cf . M . Porter : Choix stratégique et concurrence . Dunod 1990 52

Le métier d 'ensembliers

"Oui c'est un métier, ce que moi j'appelle un métier de l'ensemble, c'est un métier d'ensemblier, c'est-à-dire que l'on doit être capable de rassembler sur un site, sur un projet de multiples compétences diverses qui font appel soit à la connaissance d'un créneau de marché, au montage juridique, à la négociation juridique, et au montage financier et économique". Spie Aménagement/Promoteur.

b) Les logiques d'association

L'intervention de plusieurs promoteurs sur une même opération nécessite un partage des lots mais aussi une coordination de leur intervention, notamment en terme d'image ..

L'homogénéité

"Sur l'opération de Sèvres, je reconnais que ce qui a été fait sur la ZAC a une homogénéité, c'est un attrait à la fois pour nous en tant que promoteurs parce qu'on sait que l'aspect, la situation vont nous apporter un atout quand il va s'agir de revendre ces immeubles". Pelege

Et la position

"Ça ne nous gêne pas parce que notre premier bâtiment, c'est un peu le bâtiment phare qui arrive là . Cela peut être gênant quand on se retrouve au fin fond de la ZAC. Mais quand on se retrouve, pour un groupe qui est assez jeune juste en rive dé Seine à côté de la Cogédim qui a fait le premier bâtiment, c'est une bonne situation". Pelege.

Gérer les conflits d'usages, de montages et d'images

"Le montage de telles opérations demande de nombreuses études préalables . Ainsi comment organiser un fonctionnement de bureaux au-dessus des logements (Levallois) en résolvant les conflits d'usage (travail, domicile) et en assumant les conflits de représentation . . . ". "Les investissements ne sont pas de même nature les bureaux sont destinés à des opérateurs institutionnels . Les logements fonctionnent en copropriété. Il en résulte des déphasages dans la délivrance des crédits et des décalages dans l'usage". Sofracim

6 Les métiers de l'immobilier comptent 180 .000 salariés (APEC 1990) dans les domaines suivants promotion (30.000), transaction (50 .000), gestion (100 .000) . Les trois régions phares (Ile-de-France, Rhône-Alpes, PACE) représentent 40% des effectifs et 70% des recrutements . Au nombre d'autodidacte s'ajoutent les recrutements récents pour aboutir à 30% de jeunes cadres . La croissance rapide de l'immobilier des années 87/90 a bousculé l'échelle des valeurs salariales : de 18.000 F à 40 .000F/mensuel 1990. 53

Cette association de différents acteurs renforce la coordination des chargés d'opération dans la définition, le montage et le suivi de ces opérations "Quand nous faisons une étude de bureaux, nous appliquons un concept de trame, de cloisonnement, tout cela est déjà au point dans le détail des bâtiments, dans le dossier de consultation. Sans être trop directif, on essaie de monter un cadre dans lequel nous allons sortir le bâtiment. On voit déjà que c'est un bâtiment Pelege". Chargé d'opération/Pelege

c) Le rôle des études exploratoires

Les poissons pilotes

Les études exploratoires en terme de commercialisation précèdent la définition de stratégies urbaines . Ainsi le cabinet A . Thouard qui conduit les études de commercialisation de bureau à partir de fichiers conséquents sur les marchés de métropole participe à la définition de la stratégie foncière du Port de Nantes . "Sur dix sites étudiés, un document précise les tendances, les objectifs et retient trois sites. Nous avons été amenés à rencontrer les municipalités pour recueillir l'information et aussi diffuser le nouveau message d'aménagement du port. Il s'agit donc aussi d'un travail de médiation entre des acteurs, le port et les communes qui ne se rencontraient pas, pour ajuster la stratégie urbaine des communes et la stratégie foncière du port autonome". A.Thouard

Faire croire au projet de ville

Des bureaux d'étude se spécialisent sur l'élaboration de la relation municipalités/promoteurs dans l'affinement de stratégies conjointes : "Le projet intégré est bâti sur une image de ville. Chaque événement modifie l'image. Cette image de ville doit être donnée et présentée . Elle doit créer un échange d'où l'importance des lieux et des évènements qui signifient l'image de la ville . . . ". "L'enjeu est de fournir des références collectives, interprétables par les différents acteurs de la ville. Il convient de reconnaître la crise de l'urbanisme classique qui n'agit pas dans les logiques temporelles, qui freine et casse les logiques de projet. Notre démarche est de placer le projet de ville dans la relation entre élus et promoteurs . Le promoteur devient ainsi un élément du système référentiel". Institut des villes

III - LA COORDINATION MUNICIPALE

Pour la commune, la volonté de maîtrise issue de l'autonomie accordée par la décentralisation s'exprime dans les termes suivants : nouer les demandes locales et fixer une offre structurante de terrains, de services, de sites urbains nouveaux. 54

Les arguments et les dispositifs partenariaux varient selon les communes, selon les couplages possibles entre les stratégies municipales de développement et les stratégies socio-économiques de valorisation

- Sèvres : la maîtrise publique de l'aménagement, - Poitiers : le développement économique, - Nantes : le cadrage à l'intérieur d'une politique urbaine, - Lille : le cadrage délégué à un opérateur semi public.

a) La maîtrise municipale de l'aménagement (Sèvres)

On retrouve le tryptique classique de la maîtrise municipale de l'aménagement issu de la première phase de la décentralisation : initiative mairie + aménageur SEM municipal + architecte en chef de la ZAC . Il en résulte les phases suivantes de la coordination urbanistique : concours d'idée pour architecte + concours sur charge foncière pour promoteurs + cahiers des charges sur les immeubles et leurs intervenants . On a les séquences productives suivantes aménagement municipal, développement privé, valorisation privée.

La -maîtrise des résultats de l'aménagement par la municipalité

"Auparavant la SEMI était gérée par la SACI, puis par la CERGI du groupe SCET. La municipalitéconstruire n'était pas bénéficiaire des opérations ZAC, où les droits de ont été sous estimés. Quand la SCET s'est réorganisée par région, nous avons dénoncé l'ancienne convention. Nous avons assuré une reprise de contrôle de la SEMI par la municipalité en matière d'aménagement, de construction et de gestion. Le maire adjoint est aussi président de la SEM. Tous les bénéfices de la SEMI sont réinvestis totalement dans la commune . Ainsi sur la ZAC manufacture, la SEMI va réaliser l'ensemble des aménagements, construire les PLA et les crèches, payer la surtaxe due au dépassement de PLD (cos de 1,9 sur la zone au lieu de 1) . Elle demandera et négociera la rétrocession des droits de construire sur ces charges foncières". Mairie de Sèvres.

Elaboration du programme.

"Nous avons fait des réunions d'information avec les principaux promoteurs (Pélerin, Cogédim) sur la manière de faire le montage. Le groupe Pélerin avait proposé un projet général d'ensemble. Ensuite nous avons organisé un concours d'architecture. Des concours d'architecture associés à une étude de faisabilité de chaque opération. Notre objectif est d'aboutir à une ZAC équilibrée . Après la DUP en 1986, nous avons mené des négociations plus précises sur le niveau des charges foncières et des droits de construire". Mairie de Sèvres

L'architecte en chef a pour objet d'assurer une homogénéité de l'opération et notamment la continuité urbaine recherchée . De plus, le règlement ZAC précise pour chaque promoteur les exigences architecturales en matière de qualité architecturale, de matériau (pierres agrafées, béton architecturé)( 4). 55

b) le développement économique municipal (Poitiers)

Dans l'option du développement économique, la mairie prend l'initiative du développement et de la valorisation sans avoir le contrôle des terrains . Il en résulte une énonciation subordonnée du partage des tâches entre la valorisation publique et le risque privé . Le montage partenarial associe l'aménagement parapublic + le développement municipal + la valorisation privée . Le développement économique est un enjeu municipal important, pour lequel le projet partenarial est institué comme une communication politique, et pour lequel la priorité municipale est de passer d'une logique de partenaire à une logique de "manager"

Partage des tâches : valorisation publiquelrisque privé

"Oui la Sceta avait les terrains. Là, on reste aménageur partiel, on valorise le site; en contrepartie les privés s'engagent "moralement" à monter un projet, à en prendre le risque. Nous valorisons le site mais eux prennent ce risque et donnent une bonne image. Dans 5 ans, qui saura que c'est Arthur Loyld qui a fait ça ? L'important, c'est qu'effectivement le quartier soit sorti un petit peu de terre". Service économique/Poitiers

Le projet comme communication politique

"Compte tenu de la façon dont ça s'est passé avec le quartier de la gare, la prise de bec et la manière dont le maire de Poitiers s'est imposé face à la SNCF et a quand même réussi à monter un projet. Vous vous rendez compte, un maire qui arrive à sortir un projet avec des promoteurs privés alors que il y a cinq ans, partout dans les journaux, on voyait : la SNCF refuse au maire de Poitiers le développement de la gare" Service économique /Poitiers

Diplomatie et partenariat

"Donc, Arthur Loyld avait développé un programme sur Le Mans, parce que cette partie de la gare était, disons très difficile à traiter, et la SNCF avait des problèmes . il se trouve que Arthur Loyld est suffisamment diplomate, suffisamment professionnel pour avoir réussi ce partenariat, et puis naturellement ils ont réussi à monter une opération relativement vite, ils ont commencé leur dossier sur le quartier de la gare, il y a dix-huit mois et là, ils sont en mesure de déposer un permis de construire" Service économique Poitiers

Passer du partenaire au manager

"il faut déjà avoir la bonne adéquation et toute la difficulté du partenariat, elle est /à, c'est une fois qu'on a eu le discours et qu'on a trouvé les partenaires, les partenaires c'est-ce qu'ils parlent en managers et qu'ils font n'importe quoi, comment est-ce qu'on vérifie tel type d'étape et quels moyens on a pour vérifier tout ça!" Service économique/Poitiers 56

c) L'affirmation d'une politique urbaine : (Nantes)

Face à la pression de nombreuses ZAC, de nombreux opérateurs, de zones à valoriser (notamment sur les friches industrielles et portuaires), la municipalité est dans l'obligation d'énoncer une politique urbaine, conçue d'abord comme un cadre d'arbitrage des différentes ZAC. Il en résulte une formule de montage partenarial associant un aménagement foncier municipal + une valorisation semi-publique et privée + un développement et un cadrage municipal

Cadrage du partenariat selon une politique urbaine générale

Le travail de cadrage de la municipalité de Nantes passe par une série d'actes amont dans lesquels il s'agit de redéfinir l'enjeu d'agglomération au regard de l'enjeu métropole, ou de détourner le développement privilégié par l'offre privée (Mot St- Anne, les friches portuaires) en recentrant le développement et la valorisation sur le centre ville en deux temps. A la définition d'une politique de forme urbaine et de liaison transport nord/sud) succède l'organisation d'un concours pour figurer ces nouvelles orientations (le cours des 50 otages), dans ce nouveau cadre.

Redéfinir l'enjeu agglomération

"L'enjeu urbain de la ville de Nantes n'est pas seulement de passer au statut de ville métropole (port, TGV, palais des congrès) mais aussi au statut de ville agglomération (le nouveau tramway, créer des liaisons interquartiers, redéfinir le centre-ville pour les jeunes et les classes moyennes) . D'où le récent concours international sur le cours des 50 Otages avec le complément de la ZAC Sully". Ville de Nantes.

Une politique de cadrage

"La nouvelle municipalité élue en 1989 travaille avec cette diversité d'opérateurs avec les éléments suivants

- la continuité d'une politique foncière conséquente . (De nombreux terrains sont propriété de la ville, de l'OPHLM, de la SELA) . L'enjeu de la municipalité est de tenir les prix des logements afin de garder une population résidentielle populaire et des classes moyennes en centre ville . Sur cette base tous les partenariats sont possibles". Ville de Nantes.

- il en résulte une conception souple du partenariat public/iprivé dans l'autonomie du public et du privé à l'intérieur de ce cadre.

"Le contrôle des prix du sol a pour objectif que les logements sociaux (et les équipements publics) prennent place en centre-ville . La ville ne peut pas être absente de leur définition, mais elle doit trouver le juste milieu . Les prix sont fixés mais pas rigides . La ville peut réviser sa position. Le maire-adjoint l'a signifié "le but n'est pas de faire un barrage systématique aux groupes privés. S'ils sont capables 57 de travailler correctement comme d'autres, pourquoi pas ? Nous ne nous plaçons pas dans un rapport frontal public/privé". Service urbanisme/Nantes

Les modalités de cadrage : dimension, taille

"Cette ZAC créée en 1984, coupée en deux par un boulevard, a été réalisée pour moitié par la SELA . L'idée de ZAC classique avec la définition d îlots et d'infrastructures ne marche pas . Ce n'est pas suffisamment intéressant pour capter les promoteurs. Nous avons cherché un programme d'ensemble qu'un opérateur va aménager globalement". Ville de Nantes.

Actuellement, le groupe JBC a répondu avec la SONACOTRA, le Home Atlantique et monte une opération à programme avec un bilan d'opération . Il traite cette opération directement avec la ville (les élus et le SG, les services d'urbanisme sont relativement exclus de la définition programmatique).

d) La coordination déléguée : (Lille)

Les montages complexes faisant collaborer plusieurs promoteurs, et aménageurs, néoessitent une démarche méthodologique alliant le travail de réseau (concertation, coopération) et le travail de cadrage (prix, programme, convention). L'enjeu de la coordination économique porte sur une évaluation précise des prix de sortie, et sur une répartition pertinente des charges au plus juste des risques de sous-marché et des nécessités de collaboration.

A Lille, le montage partenarial associe le foncier municipal + un aménagement semi-public + des valorisations privées + un cadrage et une direction SEM.

Cadrage et Stratégie

"Si vous voulez en terme de méthode, on a fait d'abord tout un travail de cadrage et de stratégie ; il y a une tentative de démarche stratégique . Pendant quelques mois, on a tenté à la fois, d'analyser, de se centrer sur la prospective, de positionner Lille et l'opportunité de ce projet dans l'environnement au sens large du terme, notamment l'environnement économique". Euralille

Le dialogue professionnel

"Mon cadrage était contenu dans les études d'urbanisme et d'architecture, il était l'interface entre le projet et le programme. Au niveau des produits, j'apporte les correctifs. Ce n'est pas la technique : voilà le plan, voilà les conditions : est-ce que vous prenez, est-ce que vous prenez pas ? Par dialogue progressif, ils ont vu que moi, j'étais pas simplement figé sans rien lâcher . . . Notre travail était effectivement de les intéresser totalement à la fois en termes financiers et, quelque part de leur donner l'envie de le faire". Euralille 58

Rapports de force et déséquilibre partenariat

"Les promoteurs savent que je sais faire, que je peux le faire à leur place, donc on discute les termes, la marge c'est combien, on met les moyens autour d'un projet compte tenu des prix praticables . On les distribue après, selon les composants et on arrive à avoir ça . Au début, ils ne voulaient pas mais là, ils n'osent pas me sortir des marges à 20 %". Euralille

Le rapport élu/professionnel

"Je suis arrivé à faire en sorte que les élus tiennent bien leur place, ne soient pas des pseudo professionnels et inversement que moi je n'occupe pas la position des politiques. Concrètement, le rôle d'un élu, c'est de réagir et de choisir par rapport à des propositions qui leur sont faites et le maire joue parfaitement ce rôle-là et celui de contrôler". Euralille

IV - LE CADRAGE ARCHITECTURAL

La relance des opérations intégrées dans une option de croissance en centre ville renouvelle l'opposition de compétences entre l'intervention en quartiers neufs et l'intervention en quartiers anciens . Sont ainsi recrutés comme chef de projet, responsable de la conduite des opérations, des professionnels dont le cursus comporte une expérience forte dans l'intervention en quartiers neufs, dans le travail d'infrastructure (Sèvres), dans le montage d'opérations complexes . L'expérience ville nouvelle est un atout de compétence dans ce type de dispositif.

Pour les élus, le concours d'architectecture urbaine remplace parfois les études préalables d'urbanisme au risque de faire oublier les éléments de programme au profit de la réflexion sur la forme urbaine et de concevoir l'urbanisme seulement comme une stratégie symbolique.

L'architecture contemporaine et ses grands noms sont mobilisés à deux niveaux par les concours de ville et par l'élaboration de ces projets partenariaux . Il en résulte une division du travail architecturai

- Le travail formel de l'architecture urbaine et l'architecture de concours, - Le travail de coordination effectué par les architectes en chef responsables de la ZAC.

Le travail d'architecte en chef peut se décomposer selon les tâches suivantes : l'aménagement des infrastructures, la composition urbaine, la prescription architecturale . Il suppose un effort pour dépasser les logiques d'assemblage et de lotissement, pour lier la programmation sociale et la composition architecturale. On aboutit à la création de nouveaux objets architecturaux plus compacts, plus unifiés. 59

"Le plan masse vient des infrastructures et du site géographique . Il convient d'essayer de s'installer dans le site . Nous avons posé des bâtiments jalons (la manufacture, le musée) qui sont à la fois des éléments de mémoire et des éléments de projet. . . ". "Habiter l'infrastructure, c'est à la fois reconnaître les différents réseaux et l'écologie du patrimoine. L'infrastructure est à la fois site et contrainte. Il convient de la réinterpréter. Ce fut un point de convergence avec Pèlerin. C'est avec les infrastructures qu'il faut traiter. C'est aussi un apport de l'expérience villes nouvelles" Architecte Sèvres.

"Il en résulte une composition urbaine à tonalité néoclassique procédant par axes (les continuités et les perspectives) par des articulations (les monuments) et par des perspectives (la vallée des Seine, les collines de Brimborion et St-Cloud) qui permettent de hiérachiser les axes" (architecte-Sèvres) . Ce traitement néoclassicisme de l'insertion de bâtiments modernes dans des centres anciens se retrouve à Nantes et Montpellier.

"Il convient de sortir de la ZAC assemblage . Il est possible de mettre la totalité des typologies dans une même structure. Pour cela, il convient moins de faire un plan masse que de dessiner une architecture complète dans le site" . Faire une ZAC sans amélioration profonde, c'est inutile . Très souvent on se fige dans un découpage . Il convient de lier la démarche économique et la démarche architecturale. C'est en discutant avec Pélerin que nous avons retenue l'idée de fonctions centrales liée au centre, d'affaire, d'un centre de vie autonome (restaurant, hôtel, centre de conférence) . Pour Pélerin, il faut amener un plus aux bureaux, notamment en aménageant la place centrale, en développant une typologie/morphologie des espaces publics".

Malgré ces efforts, la prescription architecturale dans la ZAC demeure des plus classiques : lotissement et découpage des voies ; répartition par familles typologiques (bureaux, logements), prescriptions de matériaux (pierres agrafées ). C'est qu'il faut tenir compte des dernières exigences de commercialisation sur les bureaux et le logement de standing. "Tant qu'ils n'ont pas commercialisé, les promoteurs sont prêts à changer des données d'image et de façades". "Nous passons par des négociations intenses avec le promoteur (Cogedim) sur la clientèle et les façades dans la mesure où il s'agit de passer d'une opération difficile à une opération haut de gamme". Architecte en chef

Au-delà du geste architectural le plus visible, l'examen détaillé des implications professionnelles dans le dispositif partenarial montre la nécessité de mieux comprendre les rapports instaurés entre la conception urbaine et la conception architecturale . A Nantes, la conception municipale du développement urbain et du recentrage soutient des concours et des interventions architecturales. A Sèvres, la conception privée du projet ensemblier (Pélerin) détermine la coordination architecturale du projet. A Lille, la coordination-conception globale relève plus du développeur aménageur assisté de concours global (entreprise, maître d'ouvrage, architecte) . A Poitiers, la conception globale du développeur municipal est assistée par la programmation du maître d'ouvrage . 60

Au regard de ces formules diversifiées de conception et de mise en oeuvre partenariale, il est nécessaire de préciser l'influence et la place du service public de l'urbanisme dans ces nouveaux dispositifs de savoir et de pouvoir propres à la gestion du projet urbain.

V - LA REORGANISATION DU SERVICE PUBLIC DE L'URBANISME

Les déplacements de la coordination urbaine conduisent à une évolution de l'implication des services publics de l'urbanisme.

Une analyse des implications du service publio sur nos quatre sites d'enquêtes (Lille, Sèvres, Nantes, Poitiers) montre trois degrés d'implication professionnelle.

- Une partie du secteur public de l'urbanisme (notamment le personnel DDE) se sent désengagée vis-à-vis de ce type de projet sur lequel elle n'a pas de compétence directe mais dispose seulement du recours a posteriori et du contrôle de légalité.

- Mais une autre partie du secteur public est engagée indirectement dans ce type d'opération partenariale . Ainsi les services des DRE et les CETE sont bien informés régionalement de ce type de projet. Ils participent à l'élaboration d'études régionales au titre du développement économique et des schémas de transport.

- Le dispositif partenariat n'implique pas seulement les personnels de la promotion immobilière . Il implique aussi les personnels parapublics des secteurs d'aménagement, et une partie du personnel communal (secrétariat général, service d'urbanisme, service économique).

a) DRE et DDE

Les Directions Régionales de l'Equipement disposent, à la différence des communes, d'une large information de synthèse sur les créations de ZAC dans la région et donc sur les stratégies régionales des opérateurs . Elles sont capables d'évaluer et d'arbitrer les conséquences urbaines des nouvelles infrastructures : "Le TGV est un vecteur de centre urbain . Il modifie la texture des villes en encourageant le développement promotionnel. Le TGV risque de passer à l'extérieur du modèle urbain où se font le développement et l'implantation des PME et des services aux entreprises". DRE Centre/Ouest

Elles peuvent aussi s'engager à la demande des élus ou de l'Etat dans des études de développement économique . "Nous soutenons les projets qui nous paraissent intéressants, c'est-à-dire assurant le développement économique de la métropole. Sur les problèmes d'insertion urbaine, nous formulons des recommandations . 61

"Nous attirons l'attention sur les risques inhérents à ce type de projet dans notre région. Le risque majeur pour la région serait d'attirer des entreprises clientes de la région sur le nouveau centre urbain au risque de provoquer de nouvelles friches urbaines. D'où la nécessité d'un objectif précis d'aménagement visant une clientèle extérieure à la région". DRE Nord.

Il en résulte un glissement d'une approche normative de l'urbanisme et de la qualité à une définition processuelle de la qualité urbaine articulant les différents niveaux de perception, d'évaluation et de responsabilité . "Avec l'arrivée du TGV, on s'est polarisé sur le surcoût d'accès à la ville . Personne ne s'occupait de l'arrivée en terme d'aménagement de l'espace . La DRE a proposé un dossier à double volet

- l'état des lieux dans les quartiers environnants, - les potentialités d'aménagement dans la couronne verte.

"Les problèmes d'insertion urbaine sont traités à plusieurs niveaux

- l'aménagement des accès et la négociation des voiries, - les choix d'aménagement entre les clientèles internes et les clientèles externes. - examen des potentiels de développement alentours (la couronne verte), - négociation du parc urbain avec les écologistes". DRE Nord.

A priori, les DDE par la décentralisation sont exclues du suivi des ZAC qui relèvent seulement du contrôle à posteriori sur le dimensionnement des infrastructures et sur la protection de l'environnement . A la requête des élus, certaines DDE peuvent être impliquées dans l'élaboration des projets intégrés. La démarche est alors perçue comme une élaboration conjointe entre les services de l'Etat et les municipalités.

b) Les services municipaux : du clivage à la réorganisation des services

Ces oppositions de pouvoirs, d'implications et d'orientations urbanistiques conduisent à une division interne des services communaux au regard de ce type d'opérations. Elle est source de tensions internes et externes, dans la mesure où l'urbanisme partenarial apparaît comme un urbanisme d'exception qui échappe à la règle communale élaborée dans le POS et autour des débats du POS.

La double mission des communes (contrôle, propositions) implique une division des tâches dans les services communaux, ce qui ne va pas sans conflits. Seule une partie des services communaux participe à l'élaboration des projets intégrés (le secrétaire général ou le maire-adjoint : (Sèvres, Lille), le service de développement économique (Poitiers), le service d'urbanisme opérationnel (Nantes). Les autres services d'urbanisme doivent suivre au niveau réglementaire (POS) . On comprendra la difficulté de ces personnels à suivre la dynamique partenariale au niveau des services communaux. Cette tension entre les services partenariaux et le service d'urbanisme pose des problèmes d'articulation et de coordination quand le service d'urbanisme développe une autre stratégie urbaine, d'autres méthodologies 62 de développement urbain (démarche de projet de quartiers, préservation de la forme urbaine).

A Poitiers, une direction du développement urbain chapeaute le service économique qui s'occupe des grands projets et des contacts avec les grands groupes de promotion, et le service d'urbanisme qui s'occupe des petits projets soumis à la régulation foncière traditionnelle du POS . Le service d'urbanisme accompagne réglementairement les nouvelles données du développement économique local (élaboration de schéma directeur, ouverture de zone NA) . Dans ce travail d'accompagnement on constate une diffusion du langage partenarial : "Je ne suis pas pessimiste sur le partenariat. Quand on travaille très fin au niveau du quotidien, on peut trouver des solutions intéressantes . Il y a un intérêt partagé . La ville avance un projet plus satisfaisant avec le chemin piéton et l'escalier mécanique. Le promoteur a perçu l'intérêt de ce passage public pour son opération" . Service urbanisme/Poitiers

A Nantes, la direction du développement urbain se subdivise entre le service de l'urbanisme opérationnel et le service de la forme urbaine . La pression des opérateurs privés est cadrée à l'intérieur des objectifs explicités et affichés de la politique urbaine communale : la politique foncière, la politique du logement, l'objectif de mixité sociale en centre ville . Dans ce cadre de jugement, les critères d'évaluation des dossiers ZAC se spécifient entre la qualité urbaine du produit et le prix de sortie de l'opération, la faisabilité et la rapidité de l'opération . "Un grand groupe n'interviendra que s'il a l'adhésion de la municipalité . Nous pouvons effectivement faire barrage aux opérations non cohérentes sur le plan de l'urbanisme de la ville, sur le rapport public/privé . . . . ". Urbanisme opérationnel/Nantes . ..

A Montreuil, le service d'urbanisme affiche une relative indifférence face à la commercialisation des ZAC privées . La tâche principale reste celle d'un affinement de la réflexion réglementaire locale destinée à assurer la mixité urbaine au sein des quartiers et des îlots . "La révision du POS entreprise cherche à pérenniser ces formes typologiques. Un POS sans plan, ni règle, où il n'y aura plus que des secteurs de plan masse . D'où l'intérêt de sortir des définitions spatio- fonctionnelles et de promouvoir des réglements de mixité, x m2 logements pour x m 2 d'activité ie le COS différentiel. On débloque le COS de bureau (1,5) seulement si le COS d'activité (2) est atteint pour avoir un verrou sur les activités . Il s'agit d'empêcher des bureaux déguisés dans la hauteur sous plafond (6m) . 16 ZAC sont actuellement à l'étude dans cette optique : concilier la pérennisation des formes urbaines et la garantie de commercialité" . Service urbanisme . Montreuil.

c) A la recherche de nouvelles logiques d'agglomération

Les élus, nouveaux maîtres d'oeuvre de l'urbanisme commencent à se poser la question de l'équilibre et celle de la péréquation entre les différents projets qui composent le développement de l'agglomération . De fait de nombreuses agglomérations sont engagées dans une démarche de réflexion intercommunale pour définir les enjeux d'agglomération et de métropole, répartir les coûts d'équipements et d'infrastructure, notamment en matière de transport et de formation . 63

- A Nantes, un district de 500 .000 habitants a été créé en mai 1991 afin de prendre en compte notamment les problèmes de transport . Ainsi déclare le maire de Nantes. "il est urgent que toute action d'envergure (tramway, rocade de contournement) s'emboîte d'une manière complémentaire. . . Je souhaite ardemment que nous aboutissions à la mise en oeuvre d'une politique d'urbanisme cohérente" Moniteur des Travaux publics - 16/2/90.

- A Lille, la communauté urbaine a longtemps été un élément de blocage à l'expansion Lilloise . La ville de Lille a du créer une SEM d'étude Euralille et s'appuyer sur la réflexion régionale (DRE notamment) avant de pouvoir créer une agence d'agglomération élargie.

- La LOV a institué des systèmes de péréquation régionale entre les communes riches et les communes pauvres . Pour la région parisienne et les Hauts- de-Seine, a été mis en place un système de pondération des programmes qui pèse sur la négociation de certaines ZAC (Rueil) et pousse à mieux argumenter certaines ZAC créées précédemment (Sèvres).

L'acculturation des élus à l'urbanisme dessine patiemment, avec quelque retard, des objets plus précis du cadrage d'agglomération qui dépasse le travail possible dans les communes

- étayer les analyses de marché supportant les projets,

- assurer la péréquation et la composition entre les différents projets composant l'agglomération,

- mieux assurer et affiner le phasage et le dimensionnement des différents projets. L'enjeu porte sur la péréquation des projets urbains, de leur charges (infrastructure, transport) et de leurs bénéfices (localisation, emploi, taxes).

CONCLUSION : DESTINS PROFESSIONNELS ET CHOIX DE COORDINATION.

Coordination économique et coordination urbaine : embrayage et disjonction

L'étude concrète des dispositifs partenariaux et des configurations professionnelles mobilisées sur ces projets intégrés montre à la fois la variété de ces dispositifs et l'enjeu central de la liaison entre des logiques économiques et des logiques municipales, l'embrayage des logiques de développement local sur des logiques de valorisation privée . A ce croisement des logiques de la demande sociale et de l'offre privée, s'ajoutent des logiques politiques dans les choix de programmation et les choix d'opérateurs. C'est à l'intérieur de ces différents plans de définition sociale, économique et politique que peuvent s'insérer et se développer les logiques professionnelles . 64

Nous avons montré le rôle dynamisant des développeurs locaux, le plus souvent municipaux, dans la mise en plaoe de ces projets urbains, devant déboucher sur des logiques de valorisation privée . Nous avons aussi décrit la construction d'un nouveau marché de l'offre globale et le montage de ces projets par les nouveaux métiers d'ensemblier portés par quelques opérateurs "dynamiques".

L'examen élargi de plusieurs configurations partenariales expose à la fois la diversité des situations urbaines, des formules de montage selon la gamme des stratégies communales (laisser-faire, interventionnisme, délégation, cadrage) et une tendance à regrouper ces modes d'intervention diversifiés dans une logique de produits, d'image et d'opérateur unique . Cette tension traverse les rapports entre les différents métiers (ensemblier et conseil urbanistique locaux, chargé d'opération et architectes, développeurs municipaux et professionnels territoriaux) . Elle discrimine les modes de savoirs mobilisés (technique et projet, montage et plan) et la formation des cultures urbanistiques locales.

Les experts face à la qualification des professionnels de l'urbanisme

L'intervention partenariale oppose deux modes d'implication professionnelle : l'intervention extérieure de l'expert qui repose sur la prise de distance, l'application de techniques performantes, une rhétorique de l'efficacité (Paradeise) et l'application en continuité de professionnels qualifiés insérés dans le terrain et les organisations locales.

Le développement du scénario ensemblier repose sur l'intervention extérieure d'une expertise nouvelle, qui surclasse les expertises locales et construit ainsi le nouveau marché de l'offre globale . Le risque professionnel est de mettre à l'écart les professionnels de l'urbanisme existants, de suspendre l'acculturation urbanistique des élus locaux (maîtrise du plan et du développement, maîtrise des équilibres urbanistiques), de dissocier les logiques d'opérateur des logiques propres aux politiques municipales.

C'est dans les communes ayant défini une stratégie urbaine sur le long terme? (cf. Nantes, Poitiers), donc pourvues d'une équipe urbanistique conséquente que peut s'élaborer et s'instaurer un cadrage de l'opération, comprenant un phasage de l'opération et une définition du projet urbain . Ainsi s'instaure une coopération réfléchie entre la logique du plan et la logique du développement, entre les experts privés et les professionnels municipaux dont nous avons décrit les conventions de coordination et les modalités de cadrage . Il en résulte une garantie urbanistique et financière sur les modes de développement du projet.

7 Pour comprendre les enjeux des différents scénarios propres à la complexité du développement local, il est nécessaire de distinguer les stratégies à court terme des opérateurs et des organisations et les stratégies à long terme des communes constituées par l'élaboration de politique urbaine affichant des objectifs urbains et des potentialités et réserves foncières afférentes . La notion de coordination urbaine limite et encadre une définition purement stratégique de l'acteur ville. cf. J.G. Padioleau et René Demesteere "les démarches stratégiques de planification des villes", Annales de la Recherche Urbaine, N° 51. 65

Représentation municipale et gouvernement urbain

Plus largement le gouvernement urbain a déplacé ses modalités de gestion et d'anticipation (le projet urbain, de gestion et de négociation en horizon flexible). Il lui revient de préciser ses modalités de coordination avec la représentation municipale (représentation électorale et représentations urbaines). En retour le domaine public peut préciser et ajuster ses modalités de cadrage.

On peut s'interroger sur la valeur perenne de ces figures de pilotage quand les procédures de commande publique normative ont disparu, quand prédomine la négociation face à face entre promoteurs et municipalités et quand les sous-marchés sont fluctuants . Au-delà des arguments "justifiés" de la coordination flexible toujours négociable, il convient de reconnaître que la représentation communale et sa légitimité électorale sont nécessaires au soutien et au déroulement de ce type de projet.

Prospective des métiers de l'urbanisme

On reconnaîtra l'instabilité des nouveaux métiers, la difficulté à isoler des nouvelles cultures professionnelles, la mobilisation de techniques de montage et de commercialisation. La mise en évidence des logiques de coordination et des modalités de cadrage relève par delà les approximations des acteurs en terme de réseau et de médiation, d'une étude précise des constructions partenariales et des développements implicites des modalités de cadrage.

Les quelques conjonctures équilibrées entre le développement municipal et la valorisation privée permettent de mettre à jour ces cadres sociaux de l'interaction et de la coordination urbaine et de parler d'un pilotage partenarial

Les équilibres du pilotage partenarial

La prééminence des négociations d'acteurs et des règles secondaires (interprétation, négociation, règlement des conflits) dans les dispositifs partenariaux met en valeur l'autonomie respective de la conduite de chaque acteur (promoteur, municipalités), l'importance de sa maîtrise propre de la conduite du projet et du montage ("self monitoring") . Elle souligne aussi la définition/négociation permanente des cadrages

- le cadrage municipal sur l'offre globale,

- le cadrage du promoteur leader sur les autres intervenants,

- le cadrage de l'architecture sur une composition urbaine.

On peut faire l'hypothèse pour les dispositifs partenariaux les mieux maîtrisés, que ces différentes formules de cadrage fonctionnent comme des figures de coordination propre à une politique de pilotage ainsi spécifiée 66

- le cadrage des politiques urbaines pour éviter les ruptures de cadre urbain et assurer la continuité des ressources,

- le cadre du montage pour assurer l'ancrage opérationnel du projet et le phasage des différentes séquences du projet,

- le cadre architectural assure à la fois la dissolution du cadrage (la mise en forme du projet en objet structuré) et sa permanence (la composition urbaine).

Au sein des dispositifs partenariaux les plus réussis, c'est-à-dire aboutis dans une conduite maîtrisée, figurent quelques professionnels sachant allier trois qualités nécessaires, une expertise spécifique dans le processus d'intervention, des capacités de dialogue et de médiation dans l'élaboration du projet, des capacités soutenues de coordination des opérateurs urbains : telles les figures du manager médiateur, du fonctionnaire développeur, de l'architecte coordinateur.

Au-delà de ces quelques figures exemplaires et rares, il convenait de s'interroger sur ces types de coordination urbaine à la frontière de l'intervention communale et de l'intervention privée, sachant développer entre les termes de la coordination politique (arbitrage et stratégies long terme) et de la coordination économique (stratégie ponctuelle et valorisation) les différents aspects de la médiation publique, de l'expertise avisée de professionnels et de la concertation d'agglomération. 67

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Gilles NOVARINA Chercheur de l'équipe CIVIL CNRS Grenoble

La France a connu au coursours de la deuxième moitié des années quatre- vingts un ample mouvement de privatisation des services urbains, les grands groupes confortant leurs positions dans les domaines traditionnels, que sont l'eau potable, l'assainissement et l'épuration, le ramassage et le traitement des ordures, les transports ou le chauffage urbains et faisant des percées remarquées dans la restauration collective, les équipements de loisirs ou les réseaux câblés, alors que dans le même temps d'autres acteurs privés assuraient des fonctions de plus en plus diversifiées en ce qui concerne la conception, la mise en oeuvre et la gestion des grands projets urbains . Ce mouvement s'est opéré de manière discrète, sans susciter de grands débats, et a concerné des municipalités de couleurs politiques différentes . Dominique LORRAIN, qui a conduit de nombreuses analyses sur les groupes privés de services urbains, insiste sur l'existence d'un modèle ancien, faisant consensus parmi les élus, modèle qui accorde une légitimité de principe à la gestion déléguée des services publics locaux. Seuls quelques ingénieurs communaux expriment de l'amertume à l'égard de ce modèle, mais à aucun moment ils n'ont été en mesure de développer une doctrine alternative . Les années quatre-vingts ont vu la consolidation de ce modèle, les entreprises privées réussissant à pénétrer dans les agglomérations où la régie directe était jusque là restée dominante . Si les pays anglo-saxons, plus particulièrement la Grande-Bretagne, nous proposent des cas de volontarisme politique sous-tendu par une croyance dans le pouvoir régulateur du marché, en France il y a développement autonome du secteur privé, sans volontarisme politique : des principes d'action sont là, une philosophie se diffuse et progressivement le secteur des services urbains se recompose sur la base des initiatives engagées par l'acteur le plus dynamique, l'entreprise privée. Deux raisons expliquent cette consolidation du modèle de gestion déléguée : l'une est de nature économique, l'autre de nature politique .

a) La crise économique du milieu des années soixante-dix consécutive au premier choc pétrolier, a incité entreprises et collectivités locales à modifier leurs stratégies.

- Face à la réduction de leurs marchés, les grandes entreprises du bâtiment et des travaux publics ont recherché une diversification de leurs activités 1 Dominique LORRAIN Les services urbains en France, 1982-1992, (privatisation silencieuse et gestion municipale flexible) . Séminaire sur la privatisation des services urbains en Europe organisé en Juin 1993 par l'observatoire du Changement Social en Europe occidentale .

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et une intégration vers l'amont (études opérationnelles, aménagement) et vers l'aval (commercialisation et gestion) . En France, de telles stratégies ont conduit à un rapprochement entre le secteur de la construction et celui des services urbains et à l'apparition de quelques groupes d'ensembliers qui occupent sur le marché du génie urbain une position dominante face *aux entreprises régionales . Ces ensembliers sont en mesure de proposer une gamme de prestations étendues et sollicitent les élus sur la base d'une offre globale ou de projets urbains clefs en mains (centre d'affaires, ensemble commercial intégré) . Ils possèdent des savoir-faire diversifiés, allant des techniques de constructions aux compétences de montages financiers et à une pratique de management de projets complexes. Cet amenuisement de la frontière entre entreprises du BTP et entreprises de services urbains explique la remise en cause du monopole sur l'aménagement, détenu jusque là par la Caisse des Dépôts et Consignations et son réseau de sociétés d'économie mixte. Ces sociétés d'aménagement légitimaient leurs prestations en coordonnant pour le compte des collectivités publiques l'intervention des différents promoteurs-constructeurs dans le cadre d'un projet global . Elles se heurtent aujourd'hui à la concurrence d'acteurs privés capables eux aussi de proposer une offre globale.

- La crise a conduit le gouvernement à faire de l'emploi et du développement économique une priorité, dans le même temps où il s'engageait dans une politique de maintien des équilibres budgétaires et de lutte contre l'inflation. Cette politique de rigueur s'est accompagnée d'une réduction des contributions de l'Etat au financement du logement et des équipements publics et d'une modification des conditions de prêts aux collectivités locales, dont les taux se rapprochent de plus en plus de ceux du marché . Elle a bouleversé la situation financière des villes qui jusque là avaient pris l'habitude de financer leur développement sur la base du différentiel entre taux d'intérêt et taux d'inflation . La volonté exprimée par la grande majorité des élus locaux de modérer la pression fiscale les a amenés à se tourner vers le secteur privé pour obtenir le complément de financement indispensable au bouclage des opérations que ce soit en matière d'aménagement ou de construction d'équipements publics.

b) C'est dans ce contexte de crise qu'est lancée en 1982 une des grandes réformes initiées par le gouvernement socialiste, la décentralisation. Alors que certains observateurs imaginaient à l'époque que celle-ci contribuerait à accroître la capacité d'intervention des élus dans l'économie locale, les "gagnants" de cette réforme ont été en fin de compte les grands notables maires de grandes villes, présidents de conseils généraux ou de conseils régionaux. C'est le modèle de l'action publique le plus anciennement ancré qui a triomphé, celui du notable, homme de réseaux . Pour celui-ci, compte moins ce qu'il organise directement ou ce qu'il contrôle en propre, que les connections qu'il réussit à établir entre différents types de réseaux tant à l'intérieur de la société locale, qu'entre cette dernière et la société globale . Il fixe des objectifs et ensuite les choses suivent leur cours et son mode d'action le rattache à la grande politique abstraite, fonctionnant par le verbe mais dont la dématérialisation permet de passer aisément d'un thème à l'autre2. La gestion déléguée des services urbains, tout comme le partenariat public/privé en matière d'urbanisme opérationnel, renforcent ce modèle d'action publique : ils facilitent une

2 Dominique LORRAIN, La production urbaine après la décentralisation, Deuxième rencontre prospective de la DRAST, Juin 1993 . 71

clarification des responsabilités entre des élus qui font de la politique enregistrent les demandes des habitants et des privés auxquels revient la tâche d'une gestion discrète et pragmatique. De plus ils contribuent à accroître la flexibilité de la gestion locale, les élus pouvant par ce biais se décharger des tâches de gestion courante pour concentrer leurs interventions dans les secteurs politiquement les plus stratégiques. La décentralisation, réforme lancée par un gouvernement socialiste, a eu un effet paradoxal : la crise du socialisme municipal et plus largement des formes de gestion fondées sur la régie directe, incompatibles avec la modération de la pression fiscale et risquées politiquement (le comportement entrepreneurial qu'elles supposent de la part des élus n'étant pas nécessairement le gage du succès électoral?.

En France, dans un contexte de crise, les lois de décentralisation ont conforté le modèle d'action publique le plus anciennement ancré dans les territoires locaux, celui du notable qui est toujours allé de pair avec une gestion déléguée des services publics locaux. S'il y a eu changement au cours des années quatre-vingts, c'est du côté des partenaires privés avec la constitution d'ensembliers urbains. Ces groupes ont mis en place des filiales spécialisées dans l'aménagement opérationnel, dans la promotion ou dans la gestion immobilière, qui sont venues concurrencer le réseau de la Caisse des Dépôts et Consignations dans son rôle de partenaire privilégié des collectivités locales dans le cadre des grands projets urbains . Le partenariat public/privé se résume bien souvent en France à une confrontation entre élus locaux et représentants de ces grands groupes . Dans les autres pays occidentaux, pendant cette même période, les acteurs privés ont conquis de nouveaux champs d'intervention . Si ces pays ont connu le même contexte de crise, avec dans certains cas une désindustrialisation plus marquée, leurs gouvernements ont conduit des politiques radicalement différentes : retour à un certain degré de centralisation dans le domaine de l'urbanisme de manière à contraindre les autorités locales à faire appel au secteur privé et ce dans un contexte d'affrontement idéologique (Grande-Bretagne), réduction drastique des budgets fédéraux contraignant les Etats à se substituer au gouvernement central (Etats-Unis), lancement d'un projet de décentralisation et de régionalisation alors que l'administration d'Etat reste marquée par cinquante années de dictature (Espagne), volonté du gouvernement de renforcer le rôle des acteurs privés alors qu'au niveau local la tradition sociale démocrate reste très enracinée (Allemagne, Pays-Bas, Suède) . Une comparaison, même rapide4 devrait permettre de mieux cerner les facteurs qui ont permis de relancer le partenariat public/privé, de décrire les différents acteurs qui sont parties prenantes ainsi que les modalités de leur association. Le développement de ce type de partenariat ne signifie pas pour autant l'abandon par les collectivités locales des responsabilités qui relèvent de la puissance publique . Mais selon les pays, leur domaine de compétences est variable.

3 Dominique LORRAIN note à ce propos que les élections municipales de 1983 se sont traduites par un échec cuisant pour la plupart des municipalités qui, à l'instar de Grenoble par exemple, avainet adopté un comportement entrepreneurial qui combine la détermination des choix stratégiques avec un contrôle étroit de leur mise en oeuvre.

4 Cet article s'appuie sur différentes contributions de chercheurs français et étrangers qui vont être réunies dans un ouvrage à paraître sous l'égide du Centre de Prospective et de Veille Scientifique de la DRAST et du DIFU aux éditions de l'Harmattan . 72

Dérégulation et privatisation à l'initiative de gouvernements néo- conservateurs dans les pays anglo-saxons. En 1979 en Grande-Bretagne et en 1981 aux Etats-Unis, accèdent au pouvoir des gouvernements néo-conservateurs qui proclament leur foi dans le marché comme principe de régulation sociale : la modération de la pression fiscale et la réduction des dépenses de l'État sont perçues comme le moyen de relancer l'économie entravée par des règlements bureaucratiques et par des dépenses publiques improductives . Désirant maintenir voire accroître le niveau du budget de la défense, ces gouvernements vont s'attaquer à ce qui constitue le socle de l'Etat Providence : les dépenses sociales, la formation et les aides au logement et au développement urbain . Malgré les réticences auxquelles ces gouvernements se sont heurtés (résistance des autorités locales dirigées par les travaillistes dans le premier cas, opposition du Congrès à majorité démocrate dans le second), les coupes sombres ont concerné de manière prépondérante l'habitat et l'urbanisme s. Cette réorientation des politiques publiques au niveau central va entraîner des difficultés financières pour les autorités locales, plus particulièrement les grandes villes . Ces dernières se sont trouvées confrontées à un déclin sans précédent de leurs quartiers centraux ("inner cities"), qui depuis de nombreuses années déjà avaient vu partir leurs populations de couches moyennes et leurs activités industrielles et commerciales . Le partenariat est dès lors apparu comme un des moyens de sortir de cette crise, le secteur privé apportant l'indispensable complément de ressources dont les villes ont besoin pour mener à bien leurs projets de régénération urbaine . Mais le développement du partenariat public/privé va prendre des formes et des intensités différentes dans ces deux pays : la structuration de l'Etat (centralisme en Grande-Bretagne, fédéralisme aux Etats-Unis) et des traditions historiques divergentes (administrations locales puissantes d'une part, implication du patronat et de la bourgeoisie d'affaires dans le mouvement du city planning lié au réformisme social d'autre part) expliquent que la politique publique néo-libérale n'ait pas eu les mêmes effets.

Centralisation politique et privatisation au service de la régénération urbaine en Grande-Bretagne. En Grande-Bretagne les autorités locales disposent d'une marge d'autonomie limitée à l'égard du gouvernement central mais la centralisation politique ne s'accompagne pas d'une centralisation administrative. Patrick LE GALES parle à ce propos, reprenant le terme d'un politologue britannique s, d'un "modèle d'asymétrie interdépendante" . Le gouvernement local ne possède pas de compétence générale fixée a priori mais se voit attribuer des fonctions précises dans le cadre des lois votées par le Parlement (doctrine de "l'UltraVires") : ainsi à

5 Patrick LE GALES note qu'entre 1975 et 1985 la dotation de I'Etat ("Rate Support Grant') est passée de 60 % à 47 % des ressources des collectivités locales (Politique urbaine et développement local . Une comparaison franco-britannique, L'Harmattan, 1993), alors que Susan et Norman FANSTEIN indiquent que l'administration républicaine a fait passer entre 1980 et 1987 les dépenses fédérales allouées à l'emploi et à la formation de 8,70 à 3,85 milliards de dollars (Le partenariat public/privé dans le développement économique aux Etats-Unis).

6 RHODES R .A.W "Intergovememental relations in the UK" in MENY Yves et WRIGHT Vincent Centre-Periphery in Western Europe, Allen and Unwin, 1985 . 73 partir des années 1950, avec le développement de l'Etat Providence, s'est-il vu confier des responsabilités dans le domaine de l'éducation et de l'action sanitaire et sociale. De plus jusqu'au début des années quatre-vingts, ii dépendait, pour plus de la moitié de ses ressources, des dotations du gouvernement central . Par contre ce dernier ne dispose que de quelques centaines de milliers de fonctionnaires (15% de l'emploi public) et dépend pour la mise en oeuvre de ses politiques des autorités locales, qui ont à leur service une administration abondante (38% de l'emploi public) et fortement structurée autour de missions spécialisées (habitat, éducation, social, planning . . .). Ce poids du secteur public local contraste avec la faiblesse du pouvoir politique municipal structuré en commissions, desquelles ne se dégage guère de leadership.

Il faut replacer dans ce contexte politico-institutionnel l'action entreprise depuis 1979 par le gouvernement conservateur. Pour mettre en oeuvre des mesures libérales (déréglementation et privatisation dans le domaine des services urbains, vente des logements locatifs à leurs occupants, revalorisation de l'initiative privée dans les grands projets d'aménagement) le pouvoir central doit passer par les administrations locales en majorité contrôlées par l'opposition travailliste. De plus la radicalisation politique concerne tout autant, la majorité (triomphe des thèses libérales face au conservatisme traditionnel lié à la bourgeoisie industrielle) que l'opposition (différents groupes issus du gauchisme, dont la nouvelle gauche urbaine, accroissant leur influence à l'intérieur du labour party) et débouche sur un contexte d'affrontement idéologique.

Ce gouvernement a beaucoup légiféré (une cinquantaine de lois) de manière à contrôler plus étroitement les autorités locales : suppression des autorités métropolitaines, limitation de la progression des dépenses des villes et pouvoir accordé au gouvernement central de fixer autoritairement le montant de l'impôt local, introduction de la poli tax, obligation de privatiser les services urbains. De plus le pouvoir central a entrepris de rechercher d'autres partenaires que les municipalités pour mettre en oeuvre ses politiques : programmes de formation professionnelle confiés aux Chambres de Commerces et d'industrie l, obligation pour les Villes de consulter ces représentants du secteur privé avant la mise en oeuvre des projets de régénération urbaine . Par ces différentes mesures le gouvernement central a progressivement contraint les autorités locales à s'engager dans des démarches de partenariat avec différents acteurs privés.

C'est dans ce cadre qu'est apparu ce que Paul LAWLESS dénomme des "entreprises de collaboration informelle s associant, dans des régions et des villes ayant connu un fort déclin industriel, (Sheffield, Newcastle, Birmingham, Glasgow par exemple) la municipalité et les principaux acteurs locaux et se proposant soit d'être les initiateurs soit les catalyseurs d'actions de développement local (promotion de la région, technoparcs, centre d'affaires). Guère institutionnalisé, ce type de partenariat, outre les autorités locales, concerne le plus souvent les Chambres de Commerce et d'industrie, les unions patronales, mais aussi les Universités et diverses fondations spécialisées dans le

7 Celles-ci, à la différence des chambres consulaires françaises auxquelles l'adhésion est obligatoire, ne sont pas des établissements publics mais de simples clubs réunissant les principaux entrepreneurs locaux.

8 LAWLESS Paul Partenariat public et privé au Royaume-Uni . Analyse et critique . 74 développement communautaire, comme la "Business in the community" créée en 1981 à l'initiative de plusieurs centaines d'entreprises. Les syndicats ouvriers sont quant à eux restés, comme en France, étrangers à ces initiatives. Il est à noter que les planners ont joué un rôle déterminant pour amener les élus locaux travaillistes - qui jusque là concevaient que leur rôle se limitait à fournir des logements et des emplois publics à la classe ouvrière - à sortir de leur réserve pour intervenir en matière économique . La "nouvelle gauche urbaine", au pouvoir dans quelques grandes agglomérations, qui dans un premier temps a essayé de planifier le développement local, en assujettissant les aides aux entreprises à des contreparties (reconnaissance des sections syndicales, priorité d'embauche pour les femmes, les jeunes chômeurs ou les immigrés), est par la suite contrainte d'adopter une attitude plus conciliante à l'égard des chefs d'entreprises. Patrick Le GALES montre qu'ainsi un certain consensus s'est constitué autour de politiques locales respectant le cadre fixé par le gouvernement.

Ces "entreprises informelles" ne constituent cependant pas la forme prépondérante du partenariat public/privé . L'initiative la plus spectaculaire, émanant d'ailleurs du gouvernement central a été la création en 1981 des Agences de Développement Urbain 9. La plus connue d'entre elles est sans conteste la "London Docklands Development Corporation" chargée de l'aménagement de plus de deux mille hectares de friches industrielles et portuaires, mais d'autres agences ont été mises en place dans des agglomérations en déclin industriel comme Liverpool ou Newcastle . Les UDC sont des établissements publics d'aménagement, créés sur le modèle des agences qui avaient en charge le développement des villes nouvelles au début des années 195010, et leur rôle est de fournir des terrains équipés dans les meilleures conditions pour que le secteur privé puisse rentabiliser ses investissements. Gérées par un conseil d'administration composé de fonctionnaires d'Etat et de représentants des entreprises nommés par le gouvernement, elles disposent de pouvoirs en matière de planification urbaine et ont cherché à desserrer l'étau réglementaire qui est censé peser sur l'intervention des developers et ont utilisé les fonds publics à leur disposition pour attirer des investissements privés dans une logique de soutien au marché immobilier . La mise en place des agences de développement urbain a contribué à exclure les autorités locales des négociations concernant les plus grandes opérations d'aménagement et à contourner les pouvoirs importants qu'elles détiennent en matière de planning . Le gouvernement conservateur a progressivement réservé aux UDC une part croissante des budgets alloués au développement urbain : alors que les aides aux collectivités locales sont passées entre 1984 et 1989 de 379 à 220 millions de £ivres, celles attribuées aux UDC ont été multipliées par cinq (de 110 à 500 millions de £ivres) 11 .

9 "Urban Development Corporations" (UDC).

10 Il s'agit des "New Town Development Corporations". Le parallèle entre ces agences et les UDC est fait par différents auteurs (SOLEBURY William, "Reframing Urban Policy", Policy and Politics. Volume 21, 1993, N° 1).

1 1 PICKVANCE Chris, "une politique des centres urbains à géométrie variable", Les Annales de la Recherche Urbaine, octobre 1990, N° 48. 75

La politique du gouvernement Thatcher, qui visait à développer le rôle de l'initiative privée tant dans le domaine de la gestion des services publics locaux que dans celui de l'aménagement urbain, ne s'est pas traduite, contrairement à ce qu'ont pu affirmer différents idéologues néo-libéraux, par un effacement de l'intervention publique . Le montant des financements publics est resté élevé mais il y a eu réorientation radicale de la destination des financements d'Etat : les fonds publics ont servi, dans le cadre de grands projets urbains, à la réalisation d'équipements d'infrastructure et au soutien à l'activité des grands developers liés à des groupes bancaires britanniques ou étrangers. Le développement du partenariat public/privé correspond à une volonté de renforcer le rôle de l'administration du Secrétariat à l'Environnement et ce au détriment de celui des autorités locales . Le bilan de cette politique est nuancé : le montant des investissements privés drainés par les investissements publics dans les UDC est fonction de la situation économique et sociale des différentes agglomérations12 et tend à régresser très fortement avec la crise immobilière du début des années quatre vingt dix ; la dérégulation n'est pas sans conséquences sur la cohérence d'ensemble des projets urbains . La création des UDC ne s'est pas traduite nécessairement, comme cela a été le cas à Londres, par des conflits avec les autorités locales, et dans de nombreuses villes en crise, des fonctionnaires municipaux, issus des départements de planning, ont joué un rôle déterminant dans l'élaboration tant des projets immobiliers que des programmes d'équipements. La politique de centralisation engagée par le gouvernement conservateur a donc fait l'objet d'une application différenciée selon les territoires locaux.

Des effets de la dérégulation atténués par le fédéralisme aux Etats-Unis.

Il n'y avait au début des années quatre-vingts guère de différences entre les intentions du gouvernement conservateur britannique et celles de l'administration républicaine américaine : tous deux cherchaient à relancer l'économie par le moyen d'une diminution des dépenses d'Etat et d'un assouplissement des règles administratives. Les interventions de l'administration républicaine vont en effet mettre fin à une tradition d'interventionnisme du gouvernement fédéral qui remonte au début des années trente avec le New Deal et a connu son apogée à partir de 1949 avec la mise en oeuvre du "Housing and Urban Renewal Act" . L'administration républicaine réduit de manière draconienne les différents budgets fédéraux d'aides au logement, les programmes de subventions à la formation des chômeurs et prend même en 1988 la décision de supprimer le "Urban Development Action Grant", fond créé par le président Carter pour financer des projets associant les autorités locales et le secteur privé. L'intervention du gouvernement fédéral se limite dès lors à des exonérations fiscales en faveur des entreprises et aux dotations affectées à des actions de développement communautaire dans le cadre du "Community Development Block Grant" .

12 En mars 1987 investissement public et investissement privé étaient dans un rapport de 1 à 5,3 dans le cas des Docklands à Londres et de 7,3 à 1 pour la Meyerside à Liverpool.

13 Les ressources affectées à ce fond ont diminué de 45 % (en $ constants) passant de 3,8 billions de $ en 1980 à 2,9 billions de $ en 1986 (STROM Elisabeth A . Public/private partenership for urban redevelopment: the american case) . 76

La politique républicaine porte donc sur la réduction des dépenses fédérales et une réforme de la fiscalité mais ne comporte guère de mesures législatives ou réglementaires concernant le planning . Elle a eu cependant des effets plus limités sur les stratégies des villes que la politique des conservateurs britanniques. La part des aides fédérales dans les budgets locaux est en effet réduite : ainsi les villes tirent 61% de leurs ressources des impôts locaux (pour l'essentiel des taxes foncières payées autant par les propriétaires que par les entreprises), 33% de dotations des Etats et 6% des aides fédérales . Le rôle du gouvernement central a toujours été purement incitatif et les Etats, notamment ceux qui sont dirigés par des majorités démocrates, se sont mobilisés pour limiter les incidences sur les projets locaux de cette politique de réduction des dépenses publiques. Les villes se sont donc tournées soit vers les Etats soit vers le secteur privé pour "boucler" les montages financiers de leurs projets d'aménagement urbain ou de développement économique . Les élus locaux vont chercher à mettre en place différentes formes de partenariat associant des acteurs divers renouant par là avec une vieille tradition marquée par un poids très fort des organisations philanthropiques . Le partenariat public/privé n'a donc rien de nouveau mais a acquis une visibilité croissante au cours des dix dernières années car il a connu un développement sans précédent et qu'il existait une volonté d'affichage politique plus marquée. Il va pour l'essentiel prendre la forme d'arrangements locaux sur lesquels l'administration fédérale n'exercera que peu de contrôle.

Ce sont donc les villes, qui ont pris l'initiative de collaborations avec le secteur privé afin de relancer des projets de "redéveloppement" urbain portant sur les quartiers centraux. Mais plus encore que les responsables politiques, ce sont les agences de rénovation urbaine14 à l'intérieur desquelles les planners exercent un rôle important qui ont mis au point ces partenariats : celles-ci ont été installées dans le cadre de la législation de l"'Urban Renewal" (1949-1974) pour piloter les opérations financées par des fonds fédéraux, jouant par là un rôle d'intermédiaire - qui peut être rapproché de celui des sociétés d'économie mixte du réseau de la Caisse des Dépôts et Consignations créées en France à l'occasion du lancement des zones à urbaniser en priorité entre l'Etat fédéral et les administrations locales. Ces agences, qui disposent d'une marge d'autonomie à l'égard des élus plus grande que celle des services municipaux, ont dû pour faire face à la réduction drastique des aides fédérales se tourner vers des fonds collectés auprès des Etats, des entreprises ou des banques pour maintenir le niveau de leurs activités . Les villes ont . par ailleurs créé des agences de développement économique ainsi à New York la "Economic Development Corporation", dont le directeur est nommé par le maire et le conseil d'administration composé de représentants de la communauté économique, obtient de la Ville des moyens de financements dans le cadre d'un contrat lui conférant une grande autonomie par rapport au pouvoir politique. Ces agences, en plus de leur fonction traditionnelle d'aménagement (acquisitions foncières avec éventuel recours à l'expropriation, équipement puis rétrocession des terrains à des promoteurs) assurent un rôle de banque de développement : elles émettent des obligations15 dont les revenus bénéficient

14 "City urban renewal agencies".

15 "Industrial revenue bonds" ou "housing revenue bonds" . 77 d'exonérations fiscales, et prêtent l'argent ainsi collecté à des entreprises ou des "developers" qui s'engagent dans des projets jugés financièrement trop risqués par les institutions bancaires classiques. Les villes prennent part à la prise de risque inhérente à tout investissement à caractère économique et passent des accords contractuels avec les représentants du secteur privé pour partager les revenus liés aux futures opérations de promotion immobilière . Les autorités locales ont par ce biais été a l'initiative de partenariats avec des acteurs variés (developers, Chambres de Commerce, consortiums informels réunissant les groupes privés16' Universités) pour la mise en oeuvre tant de programme de réhabilitation ou de rénovation que de centre d'affaires ou de technopoles . Ces partenariats ont pour cadre des accords contractuels extrêmement ouverts grâce auxquels les villes accordent des dégrèvements d'impôts et des dérogations aux règlements d'urbanisme à des investisseurs qui acceptent de financer des projets à destination des populations défavorisées . Les villes bénéficient pour ce faire du soutien des Etats qui peuvent prendre l'initiative de créer des "zones d'entreprises" sur lesquelles les entreprises qui s'installent bénéficient d'avantages fiscaux, de facilités réglementaires et de financements . Il est à noter que ces initiatives allant dans le sens d'une généralisation du partenariat public/privé interviennent dans un contexte de concurrence entre les villes, et que très rares ont été les Etats qui ont cherché à construire des démarches de planification qui leur auraient permis d'encadrer les aides qu'ils apportent aux municipalités.

Un des aspects les plus originaux des ces expériences américaines réside dans la volonté de certains responsables locaux de mettre en place des politiques dites de "linkage" dont l'objectif est de prélever une partie des ressources liées au boom immobilier dans les "downtowns" pour aider des actions de développement communautaire (formation, insertion économique, réhabilitation de logements) dans les quartiers les plus défavorisés . La distribution de ces aides fait à son tour l'objet de contrats entre la ville ou les agences qui en dépendent d'une part, des corporations de développement communautaire de l'autre. Ces dernières sont soit l'émanation de mouvements de voisinage cherchant à apporter des solutions aux problèmes se posant à leur quartier (insécurité, chômage . . .), soit sont liées à de grands réseaux philanthropiques dépendant des fondations mises en place par les groupes bancaires ou industriels . Ces organisations sont parfois à l'initiative de lobbies qui à l'occasion des élections locales ont contraint les futurs maires ou gouverneurs à introduire ces politiques de "linkage" dans leurs programmes. La crise immobilière récente a cependant mis en lumière les limites inhérentes à de telles expériences qui dépendent de la bonne tenue des différents marchés et qui en aucune manière ne peuvent suppléer complètement à l'action de redistribution des pouvoirs publics.

La politique de limitation des dépenses publiques engagée à partir de 1980 par l'administration républicaine a mis fin à quarante ans de montée en puissance de l'intervention fédérale et conduit les autorités locales a multiplier leurs interventions pour faire face à la crise et à ses conséquences urbaines, les

16 Un des exemples les plus fréquemment cités est la "pittsburgh's Allegheny Conférence for Community Development", fondée en 1943 par le directeur d'une grande banque locale, et qui depuis cette date a été à l'initiative d'une série de plans de redéveloppement urbain pour faire face aux conséquences du déclin de l'industrie sidérurgique . 78 amenant à s'engager financièrement dans des investissements risqués et par là même à s'endetter lourdement . Les villes se sont tournées vers le secteur privé pour trouver les compléments de financement indispensables à la mise en oeuvre de leurs projets de redéveloppement et ce dans un cadre d'accords contractuels extrêmement souples . Le rapprochement peut être fait avec la situation française accroissement du rôle des autorités locales et développement de la place du secteur privé dans l'aménagement urbain vont de pair . Mais ce rapprochement s'arrête là car la politique libérale du gouvernement fédéral a contraint les élus locaux à renouer avec une tradition ancienne de partenariat avec des fondations ou des organisations philanthropiques qui ont toujours joué un rôle important en matière d'urbanisme depuis l'apparition au début du siècle des premières initiatives pour le "city planning" à l'intérieur du mouvement pour la "réforme civique"17. Le renouveau récent du partenariat public/privé n'est pas sans conséquence sur la démocratie locale - Susan et Norman FANSTEIN insistent à juste titre sur ce point - car il renforce le "gouvernement de l'ombre" associant maires, directeurs des agences para-municipales et quelques chefs d'entreprises particulièrement influents au niveau local.

Les recompositions des systèmes de partenariat consécutifs à la décentralisation.

Dans plusieurs pays européens ont été lancées au début des années quatre-vingts des réformes de décentralisation privilégiant soit l'échelon régional (Espagne) soit l'échelon communal (France, Pays-Bas, Suède). Cette redistribution des pouvoirs et des compétences, en plus des réaménagements complexes qu'elle a entraînés à l'intérieur du système administratif, a favorisé l'apparition de nouvelles modalités de partenariat avec le secteur privé . Ce rôle accru des entreprises et des promoteurs-constructeurs doit être analysé dans le contexte plus large d'une modification des rapports entre échelons de pouvoir politique et d'une redistribution des responsabilités exercées par les différentes administrations nationales et locales . L'exemple espagnol est particulièrement représentatif de ce processus de restructuration du système politique et administratif et ce dans le contexte d'une société qui a connu des mutations profondes.

C'est sous la dictature franquiste à la fin des années cinquante qu'a été adopté un système de planification urbaine centralisée, détaillée et contraignante avec une cascade de plans allant du niveau national à celui de la province puis de la commune. La rigidité de ce système n'a pas empêché un développement désordonné de la construction par recours à la dérogation voire à la corruption. La période de transition vers la démocratie qui s'ouvre à la fin des années soixante-dix va être l'occasion d'une critique radicale de ce mode bureaucratique de planification . En 1983 sont créées au niveau régional des communautés autonomes disposant de pouvoirs étendus en matière d'aménagement du territoire et la nouvelle constitution accorde aux municipalités les compétences d'urbanisme bien que les 'documents de planification soient soumis à

17 TOPALOV Christian Naissance urbaine de l'urbanisme moderne et réforme de l'habitat populaire aux Etats-Unis (1890-1940), CSU, 1988 . 79

l'approbation de l'échelon régional 18. C'est dans ce oontexte qu'éclosent de nombreuses expériences de participation . Dès le début des années soixante-dix les associations de voisinagel9 ont été le creuset d'une nouvelle génération d'urbanistes qui accède en 1979 au pouvoir municipal . L'enjeu pour les nouvelles autorités est de mobiliser de nouveaux savoir-faire professionnels de manière à échapper à l'emprise de la bureaucratie franquiste encore très présente dans les administrations d'Etat . Les villes vont avoir recours à différentes formes contractuelles (les "convenios urbanisticos") pour tenter d'associer habitants, propriétaires 20 architectes privés et constructeurs locaux à la prise de décision en matière d'urbanisme. Ces "convenios" deviennent un moyen privilégié pour compléter et rendre plus flexibles les règles contenues dans les plans d'urbanisme21d'une part, pour répartir les coûts d'équipements entre la commune, les habitants et les promoteurs de l'autre . Gerhard HELD distingue à ce propos les "convenios" de la phase de planification, dont le statut légal est incertain car ils aboutissent à céder des prérogatives de la puissance publique à des acteurs privés, et les "convenios" de la phase de réalisation qui se déroulent dans un cadre fixé par la loi et qui se rapprochent de la procédure française de zone d'aménagement concerté 2.

Les "convenios" ont été les précurseurs du partenariat public/privé en Espagne : ils ont permis d'accumuler une expérience pratique et ont donné lieu à jurisprudence abondante, qui fa or seront par la suite de nouvelles modalités de collaboration entre les municipalités et des acteurs privés non plus locaux mais nationaux voire internationaux autour de grands projets urbains . Les villes les plus peuplées, souvent dirigées par des municipalités à majorité socialiste, ont rapidement intégré la nécessité d'associer les acteurs privés non plus lors de la mise en oeuvre des opérations mais dès la définition des grandes orientations stratégiques. Pour ce faire elles ont mis au point de nouvelles méthodes de planification organisées autour de projets clés 2 . Ainsi la municipalité de Madrid, qui a recensé une série de "zones de pauvreté urbaine" dans son plan d'urbanisme approuvé au début des années quatre-vingts et mis au point des programmes de réhabilitation ou de rénovation pour chacune d'entre elles, pensait tout d'abord confier la mise en oeuvre des travaux prévus à des sociétés privées en utilisant la procédure courante de l'adjudication . Devant le peu de

18 Cet accroissement de responsabilités s'accompagne d'une augmentation du poids des budgets locaux dans les dépenses publiques. La part de l'Etat dans ces dépenses est passée entre 1981 et 1991 de 87 à 64 % alors que celle des communautés autonomes passait de 3 à 21 % et celle des communes de 10 à 14 % (sources : HELD Gerhard Partenariat public/privé dans le développement urbain en Espagne). 19 "Associationes de vecinos". 20 Le poids de la propriété immobilière est important en Espagne, où plus de 88 % des logements sont occupés par des propriétaires. 21 "Planes Generales de Ordenacion urbanistica". 22 Il s'agit des "Programmas de Actuacion Urbanistica" dont la mise en oeuvre peut être confiée soit au secteur public, soit au secteur privé, soit à des structures mixtes les "Mancommunidades y Agrupaciones urbanisticas". 23 Ces démarches, qui mettent l'accent sur les effets induits par les grandes opérations urbaines et insistent sur la nécessité de penser de manière globale le réseau des espaces publics, ont fait l'objet de nombreuses présentations (cf. notamment BUSQUETS Joan "la planification-cadre et les projets actions à Barcelone" . La planification et ses doubles . Les Annales de la Recherche Urbaine, iuillet 1991, N° 51) . 80 succès de cette tentative, la ville décide de créer des sooiétés mixtes, associant la municipalité, la Région et des sociétés publiques ou privées, et ce pour lancer de grandes opérations urbaines 24. L'expérience madrilène reste cependant relativement classique en ce sens que c'est la puissance publique qui a pris l'initiative de créer des sociétés mixtes pour mettre en oeuvre des projets dont la gestion était impossible dans le cadre public . Il revient à la Ville de Barcelone d'avoir été plus loin dans cette voie dans le cadre d'une stratégie de dynamisation et d'internationalisation de la ville . La candidature à l'organisation des Jeux Olympiques a été l'occasion pour la municipalité d'associer les représentants des différentes forces économiques (Chambre de Commerce, associations d'entrepreneurs, syndicats ouvriers et Université) à l'élaboration du plan stratégique "Barcelona 2000", qui préconise diverses solutions pour éviter une tertiarisation excessive de la ville (produire une offre de terrains permettant de répondre à des usages diversifiés et compatibles notamment avec les exigences d'implantation d'activités à caractère technologique, développer le logement locatif, former les travailleurs manuels) tout en favorisant la centralité métropolitaine (implantation d'équipements et de services) . Dans ce cadre sont lancées dix "Areas de Nueva Centralidad", qui visent à la fois à restructurer le réseau viaire et à récupérer des friches industrielles ou portuaires pour des utilisations variées (logements, bureaux, équipements de loisirs, commerces, équipements publics, parcs et jardins), et dont la plus célèbre est la "Nova Icaria" (projet de construction d'un quartier permettant de rouvrir la ville sur la mer) . A l'occasion de chacun de ces projets, sont élaborés des accords contractuels entre des consortiums d'institutions publiques (municipalité, Etat central, entreprises publiques), des banques, des promoteurs et de plus en plus fréquemment des sociétés internationales. La recherche de collaborations avec les acteurs privés correspond donc à une stratégie de la municipalité socialiste de Barcelone qui consiste à profiter de l'occasion offerte par les Jeux Olympiques pour faire émerger un secteur . international et moderne, fonctionnant sur la base de coopérations entre les entreprises, tant en ce qui concerne le secteur de la production que celui de l'immobilier. Ce partenariat prend place dans un contexte politique marqué à la fois par des relations privilégiées entre la Ville et l'Etat central et des oppositions très vives entre la municipalité d'une part, la Région et la bourgeoisie catalane traditionnelle d'autre part . La situation particulière de Barcelone, à la fois capitale de la Catalogne et métropole internationale en conflit avec sa région, explique que le partenariat public/privé s'y soit particulièrement développé et ait pris la forme privilégiée d'un appel aux capitaux extérieurs.

Dans les pays qui ont engagé des réformes de décentralisation - et là le parallèle entre l'Espagne et la France est intéressant - le renouveau du partenariat public/privé correspond à la fois à des nécessités économiques (recherche du complément de financement indispensable au bouclage des montages d'opérations urbaines) et à la volonté des autorités locales de mobiliser de nouveaux savoir-faire pour échapper à la tutelle technique des administrations d'Etat . En France le modèle du pouvoir périphérique décrit par Pierre GREMION,

24 Il s'agit principalement du "Pasillo Verde Ferrorario" (construction le long d'une voie ferrée désaffectée d'un quartier de logements et bureaux avec implantation d'une ligne de métro) où le partenaire de la ville est la société des chemins de fer (RENFE) et du "Campos de las naciones" (centre d'affaires comprenant un centre de congrès et d'expositions, un World Trade Center, un parc technologique, des hôtels, un golf et un jardin public) où le principal partenaire est la Chambre de Commerce . 81 qui est fondé sur des relations de connivence entre notables et segments périphériques de l'administration d'Etat, n'a pas été radicalement remis en cause, même si les grandes villes ont cherché dans un premier temps à étoffer en cadres leurs services municipaux pour ensuite faire largement appel aux groupes privés. Il est cependant à noter que le modèle ensemblier, qui est aujourd'hui devenu prépondérant dans les services urbains à caractère industriel et commercial (eau potable, assainissement et épuration, collecte des ordures, parcs de stationnement, transports en commun), a fait une entrée beaucoup plus timide dans l'aménagement urbain : les filiales des grands groupes n'ont guère monté d'opérations clefs en mains, laissant aux communes la tâche de mener à bien les acquisitions foncières et d'équiper les terrains, se contentant pour la plupart d'intervenir dans le champ de la promotion et de la commercialisation et retirant rapidement leur épingle du jeu, notamment dans les villes de province, lorsque la crise immobilière des années quatre vingt dix a commencé à faire sentir ses effets. En Espagne le contexte de transition vers la démocratie explique les affrontements idéologiques beaucoup plus marqués entre les municipalités nouvellement élues et l'administration d'Etat où la bureaucratie issue du franquisme conserve des positions importantes . Le recours au partenariat avec des acteurs privés, plus divers que dans le cas français, a été pensé par les élus en majorité socialistes comme une voie privilégiée de modernisation tant sur le plan économique et social que sur le plan administratif. La "privatisation" s'est effectue --de- manière- beaucoup, -moins discrète -qu'en Franee et a à renouveler en profondeur les démarches de planification urbaine.

Les assouplissements apportés au modèle social-démocrate dans les villes d'Europe du Nord.

Les pays d'Europe du Nord possèdent en commun une forte tradition de municipalisme fondée sur la mise en place d'entreprises de services urbains dont le capital est public mais dont les modalités de gestion proches de celles au secteur privé. Le logement locatif public y est particulièrement développé et représente par exemple aux Pays-Bas 42% du total des logements 25. Ces pays ont connu au cours des années quatre-vingts un développement du partenariat public/privé, plus modéré que dans les autres pays européens et les collectivités publiques ont gardé une maîtrise étroite du processus . L'exemple des Pays-Bas est significatif à cet égard.

La collaboration des secteurs public et privé aux Pays-Bas est une vieille tradition que J . ROSEMANN et H . KROES font remonter au combat permanent mené depuis le Moyen Age contre la mer et qu'ils définissent comme "imprégnée du sentiment d'une obligation sociale impliquée par la propriété de la terre et d'une nécessaire primauté de la planification publique à laquelle les initiatives privées doivent dans une large mesure se soumettre" . Ceci explique l'apparition précoce (1901) d'une législation qui attribue aux municipalités de larges prérogatives dans le domaine du logement (établissement de règlements de construction, possibilité d'exproprier pour mettre en oeuvre le droit au logement, création d'entreprises municipales de construction de logements

25 A ces 42 % de logements publics, il faut ajouter 14 % de logements locatifs privés, ce qui met en évidence le faible nombre d'accédants à la propriété (sources : ROSEMANN J ., KROES H. Le partenariat dans la planification néerlandaise . 82 sociaux) et les oblige à élaborer des plans d'extension auxquels est subordonnée la délivrance des permis de construire . Cette législation a en outre permis le lancement d'actives politiques d'acquisitions foncières publiques et une ville comme Amsterdam (cas un peu extrême il est vrai), qui ne concède depuis 1924 les terrains que sous forme d'emphytéose, est aujourd'hui propriétaire de 80% de son territoire . Cet interventionnisme municipal a pendant de longues années dû faire avec une forte centralisation administrative et ce n'est qu'à la fin des années quatre-vingts qu'une loi de décentralisation a conféré aux municipalités la responsabilité de l'élaboration des plans d'aménagement et de rénovation urbaine . Malgré cette réforme l'action des autorités locales reste encadrée par des directives générales et l'Etat central contribue pour 85% au budget des villes.

Dans ce contexte de forte dépendance des collectivités locales à l'égard du gouvernement central, c'est à ce dernier qu'il revient d'avoir pris une série de mesures pour renforcer le rôle de l'initiative privée dans le développement urbain . A la fin des années soixante-dix, face à une récession plus marquée que dans la plupart des pays européens, le gouvernement, dirigé par une coalition de partis de droite, prend l'initiative de réduire la progression des dépenses publiques et pour ce faire envisage de limiter sa participation au financement de l'habitat social. La note gouvernementale "Du logement dans les années 1990" préconise le développement de l'accession à la propriété (qui devrait passer de 44% à 55% du total des logements) et ce à l'initiative de promoteurs privés, le parc de logements sociaux ne devant pas connaître d'extension notable et être réservé à l'accueil des populations les plus défavorisées. Les villes se sont trouvées confrontées à des problèmes nouveaux (lutte contre le chômage, nécessité de traiter les friches industrielles et portuaires) et ont lancé des politiques dites de "rénovation citadine" pour les différencier des actions de "rénovation urbaine", menées au cours de la décennie précédente, qui portaient sur l'amélioration de l'habitat à l'échelle des quartiers. Un consensus s'établit donc entre les villes et l'Etat central pour faire du développement économique l'objectif prioritaire des politiques urbaines.

Le Ministère du Logement, de l'Urbanisme, de l'Aménagement du Territoire et de l'Environnement va dès lors faire du développement du partenariat public/privé un des objectifs de sa nouvelle politique d'aménagement du territoire. La 4ème instruction ministérielle 26 parue en 1988, souligne le rôle des grandes villes comme pierre angulaire du développement économique et social, la Randstadt 27 devant devenir "un milieu d'accueil de la concurrence internationale, indispensable au maintien dans la compétition entre villes européennes relativement à l'implantation de firmes internationales". Elle souligne que les investissements nécessaires à la mise en oeuvre de telles orientations ne pourront venir des seules collectivités publiques et qu'une collaboration avec le secteur privé est indispensable . Devant les difficultés rencontrées pour concilier les objectifs d'équilibre social défendus par les municipalités et les exigences financières des investisseurs privés, le gouvernement central est progressivement

26 Elle a fait l'objet d'une publication sous le titre "La hollande en 2015 (le 4ème rapport du gouvernement hollandais sur l'urbanisme et l'aménagement du territoire), dans les Dossiers UTH 2001 d'octobre 1989 de la Délégation à la recherche et à l'innovation.

27 "Couronne de villes moyennes et de grandes métropoles avec au centre une région verte humide", elle comprend Amsterdam, La Haye et Rotterdam . 83 amené à fixer un cadre pour le partenariat public/privé et lance à partir de 1989 les "projets pilotes" puis les "projets clefs du développement du territoire" programmes qui assujettissent l'octroi des aides de l'Etat à la mobilisation complémentaire d'investissements privés.

Au nombre de douze, ces projets visent à renforcer la capacité de concurrence internationale des Pays-Bas et portent sur la réutilisation des friches industrielles, les infrastructures de déplacements (ports, aéroports, autoroutes, transports en commun), les équipements de loisirs et la protection de l'environnement. Le gouvernement central joue un rôle décisif dans la mise en oeuvre de cette politique et a même jugé nécessaire de désigner pour chaque projet un coordonateur . Les modalités de coopération entre les différents partenaires publics (ministères, provinces, municipalités) et privés consistent le plus souvent en de simples contrats ou conventions et plus rarement débouchent sur la création de sociétés de développement . Ainsi que ce soit pour la requalification du front de mer à Rotterdam (quatre vingts hectares occupés jusque là par des installations portuaires et destinés à des bureaux et des logements de standing), pour le réaménagement de terrains industriels à Maastricht (vingt hectares destinés à des logements en accession à la propriété) ou pour d'autres projets de taille inférieure, les municipalités, si elles ont associé les partenaires dès la phase d'études, ont conservé intacts leurs pouvoirs de planification urbaine et ont jugé préférable de signer de simples accords contractuels. Les partenaires extérieurs sont plus souvent des établissements parapublics (société de chemins de fer, caisse de retraite . . .) que des investisseurs bancaires ou des développeurs privés. Le partenariat est donc resté encadré par les pouvoirs publics qui continuent d'ailleurs à apporter la majorité du financement et conservent une primauté tout au long du processus de décision. De plus cette politique de "projets clefs" qui vise à concentrer les investissements publics de manière à valoriser quelques points donnés du territoire communal et y attirer des investisseurs privés se heurte à une tradition de gestion _locale soucieuse d'équilibre entre les différents quartiers et qui a pour effet un nivellement des prix du sol . Ce constat a amené un des principaux partenaires des municipalités, la Caisse Nationale de Retraites, à appeler de ses voeux une différenciation plus marquée de la structure urbaine.

Le développement du partenariat public/privé au cours des années quatre-vingts a pris des formes relativement voisines aux Pays-Bas et dans les autres pays d'Europe du Nord, bien que les systèmes politiques et administratifs n'y soient pas autant marqués par la centralisation . La Suède, qui depuis la fin du 19ème siècle possède une réglementation sur la construction et l'urbanisme a adopté en 1987 une nouvelle loi qui accorde aux municipalités des pouvoirs accrus en matière d'urbanisme et de gestion de l'eau . Cette législation n'établit pas de coupure entre les documents de planification urbaine et leur mise en oeuvre opérationnelle : les plans de détail contiennent en effet des dispositions de programmation financière qui pour ne pas rester sans effets doivent faire l'objet de négociations préalables avec les investisseurs privés28. Là encore la crise des années quatre-vingts a amené le gouvernement à prendre des mesures pour limiter la croissance des dépenses publiques et modérer la pression fiscale. Les villes ont dès lors fait appel à des financements complémentaires d'origine

28 AKERLUND Par Ola, CARS Goran, LANESJO Bo, Westin Per-Hakan, La coopération public/privé dans l'aménagement urbain en Suède . 84 privée pour mener à bien leurs opérations d'aménagement (World Trade Center Vasa Terminal à Stockholm par exemple) ou leurs projets d'équipements (centre de congrès, parcs de loisirs) . Mais ces partenariats ont pratiquement laissé intactes les prérogatives des municipalités qui le plus souvent rétrocèdent les terrains équipés à des promoteurs par le biais de baux emphytéotiques et réservent leurs aides aux programmes immobiliers qui comprennent au moins 30% de logements. Si comme en Hollande les partenaires des villes sont bien souvent des établissements parapublics, les modalités les plus fréquentes de collaboration consistent en la mise en place de sociétés mixtes . L'Allemagne représente elle aussi un cas de figure très voisin . Le gouvernement, à majorité démocrate chrétienne a réuni au niveau fédéral à la fin des années quatre-vingts un groupe de travail chargé d'étudier les possibilités de financements privés pour des travaux d'infrastructure et la réunification, à cause des besoins de travaux dans les nouveaux landers, a amplifié le débat sur la privatisation . Mais cette initiative du pouvoir fédéral a bien souvent été comprise par les autorités locales comme une invitation à poursuivre la modernisation de leur administration et des entreprises de services urbains qui en dépendent . Seules quelques villes ou landers ont décidé de créer des sociétés de "public-private partenership" (où les capitaux publics sont majoritaires), pour la - gestion de services urbains, le soutien au développement local et la conduite de grands projets d'aménagement (MediaPark à Cologne par exemple) 29

Conclusion Ce bref survol des politiques récentes menées dans plusieurs pays occidentaux en matière d'urbanisme et de développement local a bien mis en évidence que le renouveau du partenariat public/privé les concernait tous . Les raisons de ce développement sans précédents de l'appel aux capitaux privés tiennent soit à l'impact des politiques de limitation des dépenses publiques menées au niveau central pour faire face à la crise, soit à l'engagement de réformes de décentralisation, soit à la conjonction de ces deux facteurs . Le partenariat public/privé permet donc aux autorités locales à la fois de trouver le complément de financements indispensable au bouclage des montages d'opérations urbaines et de mobiliser les savoir-faire (tant sur le plan technique que sur le plan commercial et financier ou urbanistique) qui leur font défaut à l'intérieur des administrations municipales et s'explique aussi parfois comme un moyen utilisé par les élus pour renforcer leur pouvoir face à l'Etat et ses administrations . Un seul pays entre difficilement dans ce schéma d'analyse : la Grande-Bretagne où la privatisation de l'aménagement a été utilisée par le gouvernement central pour renforcer ses prérogatives vis-à-vis des collectivités locales.

Mais tous les chercheurs insistent sur ce point - le partenariat publiciprivé n'a rien de neuf et s'inscrit dans des traditions nationales souvent anciennes et en tout cas antérieures à la mise en place de l'Etat Providence, qui était notamment fondé sur des investissements massifs de l'échelon central dans les domaines du logement- et de l'aménagement urbain . Le partenariat public/privé n'est donc pas un phénomène conjoncturel lié au boom du marché de

29 HEINZ Werner Le développement urbain par le partenariat public/privé . Le point de vue, allemand. 85 bureaux de la deuxième moitié des années quatre-vingts mais il s'inscrit dans la longue durée : ce serait alors plutôt la période de l'urbanisme centralisé (1945-1975), fondé sur un financement en provenance, en grande partie, de l'Etat central, qui constituerait une parenthèse dans l'histoire des politiques urbaines car il correspondrait à une période de croissance économique exceptionnelle . Ce constat conduit aussi à envisager que les politiques urbaines vont à l'avenir dépendre beaucoup plus étroitement des fluctuations conjoncturelles sur les marchés immobiliers.

La comparaison entre les expériences de différents pays met en lumière des traits communs mais aussi des différences qui pour la plupart ont trait au rôle détenu par les collectivités publiques dans un processus de décision où les négociations entre différentes catégories d'acteurs locaux et nationaux tiennent une place croissante . Dans les pays anglo-saxons les négociations interviennent à tous les stades du processus de décision en matière d'aménagement et tout est négociable : le contenu des programmes, la participation des constructeurs aux dépenses d'équipement, comme les dérogations aux règles d'urbanisme ou le versement par les promoteurs d'aides aux populations des quartiers défavorisés. La croyance dans les pouvoirs régulateurs du marché et la méfiance extrême à l'égard de la planification ne sont pas sans conséquence sur la cohérence d'ensemble des projets d'urbanisme. Dans un tel contexte les collectivités publiques apparaissent comme des acteurs parmi les autres et leur poids dans les négociations dépend pour l'essentiel des atouts spécifiques qu'elles peuvent détenir (capaoité d'expertise spécifique ou capacité d'anticiper sur des évolutions futures plus grandes que celle des acteurs privés). A l'autre extrême dans les pays d'Europe du Nord, les assouplissements apportés à la tradition sociale démocrate ne sont pas suffisants pour remettre en cause les prérogatives liées à l'exercice de la puissance publique par les municipalités. Le partenariat public/privé reste encadré par des procédures, que ce soit au niveau local ou au niveau central, et les acteurs privés interviennent pour l'essentiel à l'ocoasion de la mise en oeuvre des opérations d'aménagement. Des pays comme l'Espagne et la France se trouvent dans une situation intermédiaire : les acteurs privés sont particulièrement puissants et la décentralisation a sérieusement ébranlé autant le cadre juridique dans lequel se prennent les décisions d'urbanisme que les systèmes d'expertise technique dont disposaient les élus locaux. Dans ce contexte de mutations, certaines villes tentent de redéfinir les missions prioritaires qui leur incombent (la conception et la gestion des espaces publics, la localisation des grands équipements, le respect des équilibres sociaux entre les différents territoires constituant l'agglomération) et réfléchissent à de nouvelles méthodes de planification urbaine 30. Les négociations avec les acteurs privés existent mais leur place dans le processus d'aménagement est loin d'avoir atteint l'ampleur qu'il a acquise dans les pays anglo-saxons.

Enfin un dernier point mérite d'être souligné . Les partenariats public/privé supposent tout au long des différentes phases du processus d'aménagement des négociations, le plus souvent discrètes, entre les acteurs directement impliqués dans les projets et aboutissent à une concentration du

30 Cf. Par exemple l'expérience conduite à l'initiative de Oriol Bohigas à Barcelone, la révision du schéma directeur par l'agence d'urbanisme de la Communauté Urbaine de la Région Lyonnaise ou la conduite des zones d'aménagement concerté par l'Atelier Parisien d'Urbanisme . 86 pouvoir entre quelques mains : le maire et ses adjoints les plus proches, les directeurs des services ou agences compétents en matière d'urbanisme, les chefs d'entreprises ou les professionnels de l'immobilier . Des chercheurs n'hésitent pas à ce propos de parler de "gouvernement de l'ombre". Les tentatives faites dans certains pays pour associer les habitants au processus de décision ("convenios" en Espagne par exemple) n'ont pas résisté à la stabilisation du pouvoir politique local et à l'entrée en force des groupes privés dans les grands projets urbains . De même les politiques de "linkage", qui visent à redistribuer aux communautés ethniques défavorisées une partie des bénéfices des opérations immobilières, restent dépendantes de la bonne tenue des marchés et ne représentent pas une alternative au rôle de garant de la solidarité qui incombe à la puissance publique. Le respect de la démocratie locale implique sans doute la poursuite du recours à des procédures juridiques relativement oodifiées offrant des garanties pour le citoyen (obligation d'informer, consultations, enquêtes publiques) .