Les Cahiers de la Mémoire Contemporaine

13 | 2018 Varia

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/cmc/277 DOI : 10.4000/cmc.277 ISSN : 2684-3080

Éditeur Fondation de la Mémoire Contemporaine

Édition imprimée Date de publication : 1 octobre 2018 ISSN : 1377-1256

Référence électronique Les Cahiers de la Mémoire Contemporaine, 13 | 2018 [En ligne], mis en ligne le 05 novembre 2019, consulté le 24 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/cmc/277 ; DOI : https://doi.org/ 10.4000/cmc.277

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Les Cahiers de la mémoire contemporaine 1

SOMMAIRE

Avant-propos Albert Mingelgrün

Voorwoord Albert Mingelgrün

Sociabilité juive et musique en Belgique (1830-1930) Michèle Fornhoff-Levitt

In the Port City We Meet? Jewish Migration and Jewish Life in Antwerp During the Late 19th and Early 20th Centuries Veerle Vanden Daelen

The “Belgian” Jewish Experience of World War One Janiv Stamberger

Réfugiés juifs d’Allemagne nazie en Belgique (1938-1944). Une esquisse Insa Meinen

La communauté juive organisée face à l’engagement pro-palestinien (1973-1982) Catherine Massange et Jean-Philippe Schreiber

Surviving Hitler. An Antwerp Jew’s Compelling Testimony Jeffrey Kleiman

Notes de lecture

Parcours d’enfants cachés Albert Mingelgrün

La langue du IIIe Reich Jacques Déom

En Jeu. Histoire & mémoires vivantes Sophie Milquet

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Avant-propos

Albert Mingelgrün

1 Les treizièmes Cahiers que publie la Fondation de la Mémoire contemporaine montrent une nouvelle fois qu’elle entend continuer à faire connaître la variété des aspects de l’existence juive en Belgique au fil de ses évolutions.

2 Elle revient ainsi à la problématique de l’immigration à Anvers à la fin du XIXe siècle et au début du XXe tout en traitant, chronologie oblige, de l’expérience spécifique de la communauté dans le cadre du conflit 1914-1918. 3 Ce qui se met en place et se déroule vingt ans plus tard permet d’aborder le sort qui est réservé en Belgique aux réfugiés juifs d’Allemagne nazie et de revenir sur la Shoah et… Anvers à travers la figure représentative d’Alter Kleiman. 4 Dans un tout autre ordre d’idées, est présentée ensuite la diversité des réactions provoquées par l’engagement pro-palestinien de certains parmi les autres membres communautaires à une époque spécifique, de la guerre du Kippour (1973) à celle du Liban (1982). 5 Partie prenante de la pluralité à l’œuvre, ce numéro offre encore un développement relatif à la sociabilité juive et à la musique en Belgique (1830-1930). 6 Je souhaite enfin rappeler que vient de paraître Une éthique de la fraternité : Georges Schnek se raconte…, hommage ô combien légitime à sa personne…

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AUTEUR

ALBERT MINGELGRÜN

Docteur en philosophie et lettres, professeur émérite à l’Université libre de Bruxelles et professeur à l’Institut d’Études du Judaïsme, Albert Mingelgrün est président de la Fondation de la Mémoire contemporaine. Il mène des recherches sur la littérature de la Shoah.

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Voorwoord

Albert Mingelgrün

1 Met de inmiddels 13de uitgave van onze Bijdragen willen wij opnieuw de verscheidenheid en de ontwikkelingen van het Joods bestaan in België in al haar aspecten verkennen.

2 Zo komen wij terug op de immigratieproblematiek te Antwerpen eind 19d – begin 20ste eeuw, eveneens als op de specifieke beleving van de Joodse gemeenschap in het licht van het gewapend conflict 1914 – 1918. 3 Wat zich 20 jaar later verwezenlijkt en afspeelt, laat ons toe het lot van de uit nazi- Duitsland afkomstige Joodse vluchtelingen te behandelen, de Shoah en… Antwerpen aan de hand van het kenschetsend verhaal van Alter Kleiman. 4 Tevens hebben we nadien een overzicht van de verscheidene reacties op het pro- Palestijnse engagement van sommige leden van de Joodse gemeenschap op het moment van de Jom Kippoer-oorlog (1973) en de Israëlisch-Libanese Oorlog (1982). 5 In onderhavig nummer komt ook het pluralisme aan bod in een artikel over de Joodse sociabiliteit en muziek in België (1830-1930). 6 Tenslotte wens ik de lezer eraan te herinneren dat onlangs met het boek Une éthique de la fraternité : Georges Schnek se raconte… een terecht eerbetoon aan diens persoon verschenen is.

AUTEUR

ALBERT MINGELGRÜN

Doctor in de Letteren en Wijsbegeerte, professor emeritus aan de Université libre de Bruxelles (ULB), sectie Romaanse Talen en Literatuur, professor aan het Institut d’Études du Judaïsme en

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voorzitter van de Stichting voor de eigentijdse Herinnering. Hij voert onderzoek naar de litteratuur over de Shoah.

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Sociabilité juive et musique en Belgique (1830-1930)

Michèle Fornhoff-Levitt

1 Si les Lumières n’inventent pas la sociabilité – cette aptitude, considérée comme une vertu sociale essentielle, à « fréquenter agréablement ses semblables » –, elles en forgent le terme et appuient le progrès et la lente mutation des sociétés occidentales entre la fin de l’Ancien Régime et le milieu du XIXe siècle vers un nouvel esprit1. L’assemblée devient dès lors « originale en ce sens qu’aucune cause apparente ne semble en motiver les réunions, si ce n’est une propension toute naturelle au commerce des hommes », observe l’historien Ran Halévi : « À la notion d’association, on voit ici s’adjoindre – peut-être pour la première fois – celles de loisir, de plaisance et d’agrément, sans inspiration avouable connue. »2

2 Issue de la première Haskalah qui culmine tout au long de cette même période, la modernité juive, stimulée par un cadre communautaire concentré et une ouverture au monde extérieur notamment par le commerce, participe pleinement de cette « fabrique » de la sociabilité séculière3. Laïcisée, individualisée, politisée, voire démocratisée, la nouvelle sociabilité fait, au nom de la morale, le procès de l’État absolutiste : les contemporains aspirent à des cadres associatifs moins contraints, à l’adhésion volontaire au groupe, à des statuts et des règlements non imposés de l’extérieur mais adoptés de l’intérieur. « L’essor de la sociabilité reflète à la fois la dilatation de la sphère privée, son autonomisation, mais aussi sa capacité à proposer en retour à la sphère publique dont les déséquilibres et les heurts sont manifestes, un mode d’organisation sociale plus harmonieux », commente l’historien français Pierre- Yves Beaurepaire, spécialiste des pratiques sociales et du monde au siècle des Lumières4. 3 Clef par excellence pour la compréhension des mécanismes socioculturels, la sociabilité met au grand jour le développement de réseaux nationaux et internationaux. Dans ce contexte, la musique s’impose comme outil de prédilection, cimentant les liens communautaires, au delà de la synagogue, et mettant en lumière des formes d’appartenance à la communauté juive autres que celles de la confession. Dans les pages qui suivent, nous verrons comment, pratiquée traditionnellement au sein et

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autour des temples de la vie musicale comme les lieux de culte, les conservatoires ou les salles de concert, la musique pénètre également les espaces de la sociabilité privée des salons, des cercles musicaux ou encore – de manière plus discrète – de la loge, et comment les musiciens juifs en Belgique – compositeurs, virtuoses ou animateurs – l’ont instrumentalisée pour souder leurs liens communautaires pendant le premier siècle d’existence du pays5.

La modernité juive

4 Placées sous le signe de l’émancipation mais aussi de la sécularisation, obligeant les Juifs à repenser leur relation avec le monde extérieur, les Lumières juives abordent la modernité « de l’intérieur » et soulignent sa dimension humaine – individuelle et collective – porteuse de sens. « Progressivement, la judéité s’est affranchie du judaïsme, jusqu’à s’incarner dans une figure nouvelle, celle du juif sans dieu ou du juif laïque », estime l’historien Enzo Traverso, par une « assimilation à l’extérieur et un effondrement à l’intérieur »6. Cette judéité émancipée, sorte de substrat moral, d’engagement existentiel, voire d’ethos, transcende désormais les frontières de la communauté religieuse bâtie autour de la synagogue pour s’intégrer, au prix de ses droits collectifs et communautaires, dans les sociétés et les cultures d’accueil. Elle se rapproche de la notion de « juif déjudaïsé » développée par Raymond Aron, « non croyant, non pratiquant, [...], sans culture juive », voire de celle de « juif non-juif » qu’Isaac Deutscher exposait en 1958 pour esquisser le profil de l’intellectuel en rupture avec la religion et la culture héritées, considérée au fil des temps comme une métaphore de la modernité juive7.

5 Le cosmopolitisme, « dimension centrale et fondatrice de la modernité juive » cimente l’essor socio-économique et l’assimilation culturelle8. Il ne s’agit pas de la perte d’une identité culturelle spécifique, mais plutôt de sa transformation par l’adoption généralisée de la langue et de la culture du pays d’accueil. Si les modalités d’existence du judaïsme conservent encore parfois un ancrage religieux, sa dynamique s’inscrit dans la création de vastes réseaux économiques ou culturels nationaux et transnationaux, alimentés par la sécularisation des modes de vie et la cristallisation des valeurs – éducation, formation, éthique, accomplissement, etc. – dans un processus de Bildung suivant la tradition allemande autodidacte où philosophie et éducation se lient dans un mouvement de maturation personnelle et culturelle. 6 Mais cette émancipation engendre aussi un dilemme : la difficulté, voire l’impossibilité de retourner au judaïsme traditionnel et, avec la montée de l’antisémitisme dans le dernier tiers du XIXe siècle, la non-appartenance nationale. Par cette exterritorialité, ce statut d’outsider découlant de l’exclusion sociale, la conscience de la judéité n’est plus tributaire de la religion, mais du cosmopolitisme, faisant du Juif un « citoyen du monde », un Weltbürger 9. Elle appelle alors la double transcendance de celui-ci : le dépassement, à la fois du judaïsme et des cultures nationales devenues hostiles ou indifférentes. 7 Au cours du premier siècle d’existence de la Belgique, la grande majorité des musiciens juifs adhère, à travers les vicissitudes politiques et socio-économiques de cette période, aux valeurs de la modernité sans pour autant, à de rares exceptions près, renier leur judéité. Alors que les uns cantonnent leurs activités au cadre communautaire, d’autres choisissent l’espace public pour déployer leur talent de pédagogue, de virtuose ou de

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compositeur, mais presque tous se rejoignent dans le champ « privé » – salons, cercles musicaux et loge –, terroir fécond de la sociabilité juive.

Les salons

8 En marge des manifestations “publiques”, la vie musicale du XIXe et du début du XXe siècles se déploie aussi dans l’intimité familiale ou au sein du cercle plus restreint des salons. Inspirés du modèle aristocratique mimé par la haute bourgeoisie, ces « phares de la sociabilité de l’Ancien Régime »10, animent la vie “mondaine” organisée autour de domiciles privés où un maître ou maîtresse de maison nantis reçoivent régulièrement les amis, hommes et femmes qui forment « leur société » et dont l’ensemble forme “la Société” – la fine fleur politique, scientifique et artistique nationale et européenne faite d’hommes d’État, de magistrats, de savants, d’écrivains, de peintres ou de musiciens. Tenir salon « correspond à cette large disponibilité d’accueil qui nous montre la combinaison sans doute spécifique d’ouverture au public (dans la limite d’un certain niveau social, bien entendu) et du caractère pourtant privé, voire familial du centre », commente l’historien Maurice Agulhon, spécialiste de l’histoire contemporaine de la des XIXe et XXe siècles11. Souvent présentés comme des institutions littéraires ou de lecture, les salons se profilent ici plutôt comme des espaces d’une sociabilité mondaine fondée sur l’hospitalité, la distinction et le divertissement des élites. Accédant ainsi aux réseaux de protection et au statut « d’homme du monde », les invités théorisent l’excellence des manières de la bonne société sur lesquelles repose le prestige des élites mondaines, calqué sur l’héritage des valeurs aristocratiques du Grand Siècle et de ceux qu’on désignait dans la Grèce antique comme kaloi kagathoi, les beaux et les bons, détenteurs, par la naissance, l’éducation et la maîtrise de l’étiquette, des clés de la « culture légitime » (Pierre Bourdieu)12.

9 Véritables phénomènes de société et lieux incontournables de la vie aristocrate et bourgeoise, les salons bruxellois, à l’instar des cénacles des autres capitales européennes, se forgent progressivement – laissant de côté les « bonnes maisons » où l’on se divertit, ces salles à manger, ces réunions de bridge ou ces bals « servant à faire danser les jeunes filles » – une solide réputation internationale, la « valeur » de chaque invité étant scrutée et les échanges d’idées, les débats voire les polémiques formant un point de ralliement très recherché13. 10 Dans trois feuilletons consécutifs consacrés au salon Errera publiés dans le quotidien Le Soir en 1962, l’académicien belge Albert Guislain résume : « Comment définir le salon, sinon comme l’une des plus jolies fleurs de la civilisation bourgeoise qui, si elle eut ses défauts, n’en brille pas moins, dans le lointain, des feux les plus vifs »14. Et plus loin : « Ces réunions mondaines apparaîtront, peu à peu, avec le recul, comme les manifestations les plus caractéristiques de la cohésion, de la solidarité et aussi du goût, ainsi que de la culture d’une classe sociale qui, pendant près d’un siècle, tint le haut du pavé et représenta, en définitive, l’opinion publique »15. Mais si à Paris, le caractère des salons fut plutôt tranché – ils étaient artistiques, littéraires ou politiques –, cette distinction ne prévalut guère en Belgique, les cénacles bruxellois ayant fonctionné comme des rendez-vous du gratin sociétal in extenso.

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Le salon d’Eugénie Oppenheim

11 Le rôle actif des familles juives – et en particulier de l’élite juive – dans cette forme privée d’animation de la vie intellectuelle aura une influence prépondérante sur la vie politique, sociale et culturelle du pays. À l’image de la « société » juive parisienne contemporaine où les femmes, fortes d’une éducation accomplie, tiennent un rôle primordial dans le développement de cercles mondains, littéraires ou musicaux, Bruxelles va connaître un essor similaire avec l’une des premières salonnières de la high society israélite : Eugénie Oppenheim, épouse du banquier Joseph Oppenheim16. Femme instruite, passionnée des arts, elle tient un salon littéraire dans son hôtel particulier de la rue Neuve, où elle aime accueillir l’intelligentsia française en exil, hostile au nouveau régime napoléonien suivant le coup d’état de 1851 – le peintre Eugène Delacroix, les écrivains Victor Hugo et Sainte-Beuve, le chimiste François Raspail –, les premiers professeurs de l’Université libre de Bruxelles, les musiciens François-Joseph Fétis et Charles de Bériot ou encore les francs-maçons Charles Rogier, Théodore Verhaegen et Eugène Defacqz, alors Grand Maître du Grand Orient. Milantia Errera-Bourla, auteure de l’histoire familiale des Errera, observe que ce salon « se démarque des autres cénacles de la capitale en ce sens qu’il est tenu par une famille juive. Hauteur de vues, amour de la conversation, qualité d’écoute : voilà qui n’est pas courant dans ce Bruxelles honni de Baudelaire »17. La famille Oppenheim fréquente assidûment le Conservatoire et donne également des concerts privés, parfois suivis d’une comédie- vaudeville, comme L’habit ne fait pas le moine d’Amable Villain de Saint-Hilaire et Paul Duport au réveillon du 31 décembre 185418.

Les carnets et le salon de Marie Errera-Oppenheim

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Marie Errera-Oppenheim (1836-1918)

Milantia Bourla

12 Baignant dès son plus jeune âge dans ce climat d’ouverture philosophique et d’intérêt artistique, la fille du couple Oppenheim, Marie, va dès 1853, alors qu’elle a à peine dix- sept ans, confier avec « Vérité, Minutie et Régularité [sic] » mais non sans humour, ses observations, réflexions, fréquentations – notamment des hôtes qui se succèdent dans les salons de sa mère –, lectures, voyages, goûts musicaux à un journal intime « surtout destiné à [elle] seule » et qu’elle maintiendra jusqu’en 187619.

13 Cette jeune femme de caractère, maîtrisant six langues dont l’hébreu, passionnée par les arts, mais surtout par la musique – ses carnets regorgent d’évaluations critiques des concerts qu’elle fréquente assidûment – épouse Giacomo Errera, un brillant homme d’affaires issu d’une famille vénitienne d’origine sépharade. Nommé consul de Sardaigne, puis consul général d’Italie, celui-ci forgera une solide alliance financière en s’associant au père de son épouse pour fonder la banque Oppenheim-Errera, l’ancêtre de la Banque de Bruxelles20. Après son mariage en 1857, Marie poursuivra la tradition instaurée par sa mère et ouvrira les portes de sa somptueuse demeure côtoyant le Palais Royal à l’élite bruxelloise, faisant bénéficier, parmi d’autres invités de marque – tels les époux Philippson, Anspach, Ducpétiaux, Bischoffsheim, Goldschmidt, de Brouckère, Lambert, Wiener, Cassel, Lassen, Astruc – les musiciens Hubert-Ferdinand Kufferath, Adolphe Samuel, Henri Vieuxtemps ou Edgar Tinel de son hospitalité21. 14 Le couple fréquente les milieux politiques, diplomatiques, financiers et aristocratiques de la capitale, entretenant également des relations privilégiées avec les membres de la famille royale. Pleinement accaparée par l’installation de la Campagne Errera, une propriété de onze hectares au Vivier d’Oie à Uccle aujourd’hui connue sous le nom de « Cité du Vert Chasseur », Marie délaisse ses carnets en 1869 pour ne les reprendre que six ans plus tard et les abandonner définitivement en 1876 : ses fils Léo et Paul ont 19 et

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17 ans, et son mari, atteint de démence, n’aura plus que quelques années de vie professionnelle active. Veuve à l’âge de quarante-quatre ans, elle poursuit ses activités mondaines et philanthropiques, s’impliquant pleinement dans les œuvres israélites comme l’Alliance israélite universelle ou la Caisse de Bienfaisance juive et dans le mécénat pour le Consistoire, lui permettant d’asseoir pleinement son appartenance communautaire22. Deux ans après sa mort, en 1920, un Prix Marie Errera pour quatuors à cordes est créé au Conservatoire royal de musique, mais n’a pas survécu à la deuxième guerre mondiale23.

Hôtel Errera, rue Royale, propriété familiale de 1868 à 1977

Photo Aqua

Le salon de Paul et Isabelle Errera-Goldschmidt

15 La relève de Marie Errera-Oppenheim sera assurée par son fils Paul et l’épouse de celui- ci, Isabelle Errera-Goldschmidt, qui tiendront salon, dès leur mariage en 1890, avenue Marnix, puis, après la mort de Marie en 1918, dans l’hôtel particulier de la rue Royale. L’hebdomadaire Pourquoi Pas ? du 8 octobre 1920 s’exclame : « Le salon Errera ! Le “Salon” !, car, à Bruxelles, il n’y a guère que celui-là, et c’est tout au plus si, depuis quelque temps, on peut citer deux ou trois maisons rivales, mais qui n’approchent pas de son autorité ni de son éclectisme ». Ou encore : « Il y a à Bruxelles, beaucoup de bonnes maisons, où l’on dîne, où l’on danse, où l’on fait de la musique, où l’on joue au bridge : il n’en est guère où l’on cause24. Le salon, c’est-à-dire le terrain neutre et mondain où, sous l’autorité aimable et discrète d’une maîtresse de maison, des gens de divers milieux et de diverses opinions se rencontrent pour échanger des idées et parfois des intrigues ; le salon, avec son autorité impondérable et secrète ; le salon où se font les réputations politiques et littéraires ; le salon, tel que l’inventa le XVIIIe siècle français et dont rêvent toutes les femmes qui ont quelques lettres, n’est rien moins qu’une formule belge. Cela existe à Paris, à Rome, à Berlin, un peu à Londres ; cela n’eut sans doute jamais existé à Bruxelles sans les Errera. »25 Plus de quarante ans après,

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Guislain corrobore : « Le salon Errera occupe une place à part, il fut l’un des pôles les plus actifs de notre bonne ville de Bruxelles. »26 C’est dire toute l’importance de ce carrefour de la vie sociopolitique qui, malgré une forte orientation libérale et universitaire au départ – fonctionnant comme « une sorte d’annexe mondaine de l’Université libre – finit par accueillir catholiques, socialistes ou aristocrates, déployant des « prodiges de conscience, de diplomatie et de cosmopolitisme » pour triompher de « l’absence d’esprit de conversation du Belge », de ses fortes convictions politiques ou de l’isolement dédaigneux de l’aristocratie27.

Buste d’Isabelle Errera-Goldschmidt par le sculpteur belge Thomas Vinçotte (vers 1920)

Musées royaux d’Art et d’Histoire, Bruxelles

16 Pendant la première guerre mondiale et les deux années confuses qui l’ont suivie, le salon Errera sert de lieu de ralliement à une « ménagerie belgo-cosmopolite »28 qui, coupée du reste du monde, y commente la presse, filtre les nouvelles, crée la revue clandestine Le Flambeau dont le premier numéro paraît le 15 avril 1918 : « D’une parfaite civilisation mondaine, [...] ce salon juif devint un des principaux foyers du patriotisme belge et de l’union sacrée ! [...]. C’est là qu’est le mérite du salon Errera, un mérite qu’il était le seul à pouvoir se donner. »29 Ainsi, au cours des années vingt, il aura attiré, dans un esprit « d’ouverture morale et artistique », les personnalités les plus en vue, locales ou de passage dans la capitale, du monde du parlement, de la diplomatie, du barreau, de la magistrature comme et Émile Vandervelde – deux amis d’enfance de Paul Errera –, Léon Vanderkindere, Paul-Émile Janson, Louis de Brouckère, Camille Huysmans, Jules Destrée, Chaïm Weizmann, ou du monde littéraire et artistique tels Auguste Vermeylen, Anatole France, Paul Claudel, Henri de Montherlant, Philip Burne-Jones, Fernand Khnopff – qui réalisa plusieurs portraits d’Isabelle, inspiré par sa crinière de lionne – ou encore, dans le domaine musical – moins représenté – François-

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Auguste Gevaert et Edgar Tinel30. « Pour reconstituer la liste d’invités », conclut Guislain, « il suffirait de retrouver celle des abonnés au théâtre de la Monnaie, à la même époque, et d’y ajouter, éventuellement, quelques-unes des personnalités qu’Octave Maus conviait aux expositions des XX et de la Libre Esthétique »31. Dans ce carrefour, ce centre d’information et de culture situé à égale distance du parlement, de l’Université, du Palais des Académies, de la Synagogue, du Conservatoire et de la collégiale des SS. Michel-et-Gudule, on échange, sans dogmatisme, comme sans exclusive et dans un esprit de libre examen « des propos sur l’état des affaires et les affaires de l’État »32.

Paul et Isabelle Errera

MJB

17 L’écrivain et philosophe juif Léon Kochnitzky, ami de d’Annunzio et compositeur à ses heures, dresse un tableau haut en couleurs de cette société raffinée dans un décor Belle Époque33. Rentré à Bruxelles en 1921 après avoir exercé à Fiume « d’importantes et délicates fonctions », il devient un habitué du salon hebdomadaire de Paul et Isabelle Errera qui se tenait tous les mercredis, incluant de douze à vingt invités34. Selon lui, ce microcosme de libre discussion et de confrontation courtoise entre les esprits les plus divers d’origine, de culture et de convictions, fut néanmoins très éclectique : les invités y étaient « passés au crible et mesurés au compte-goutte. Pour être accueillis, il fallait qu’ils fissent autre chose ». Ainsi, contrairement au salon d’Eugénie Errera au château du Vivier d’Oie ou celui de Bierges, les composants du High Life de Belgique n’étaient pas recherchés, bannissant le bridge mais aussi la musique de chambre : « Paul Errera aimait la musique. Isabelle assurait n’y rien comprendre et s’y ennuyer35. À la mort de son mari, les pianos se fermèrent pour toujours. Je n’ai jamais rencontré rue Royale qu’un seul musicien », se rappelle Kochnitzky, « l’aimable Corneil de Thoran, bon chef

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d’orchestre et bientôt directeur du Théâtre Royal de la Monnaie »36. En effet, dès 1912, après la mort de Tinel qui y était un habitué, les musiciens commencent à déserter le salon Errera. Le décès de Marie Oppenheim en 1918 finira par les chasser pour de bon : la musique fait désormais figure de parent pauvre37. Devenue veuve après la mort prématurée de son mari en 1922, Isabelle ne fermera pas les portes du salon pour autant, mais reprendra et élargira l’œuvre entreprise par son époux38.

Le salon de Jacques et Jacqueline Errera-Baumann

18 Après le décès d’Isabelle, la continuité du salon de la rue Royale, devenu la résidence personnelle du couple Jacques et Jacqueline Errera-Baumann, est assurée à partir de 192939. Ce chimiste physiologiste et physicien, professeur à l’Université libre de Bruxelles, savant « d’envergure internationale », ami d’Einstein et de quelques membres de la famille royale, y reçoit « une bonne partie de l’intelligentsia du pays » – Émile Vandervelde, le baron Lambert, Henri de Man et Bruno Walter, entre autres40. Mais l’héritage s’estompe : « Elle aimera être une Errera et vivre et recevoir au 14, rue Royale. Bien que cultivée, charmante et belle, elle sera très peu sûre d’elle, contrairement à sa belle-mère Isabelle. »41 Vers la fin de sa vie, elle se convertira au catholicisme. À son décès en 1960, l’activité du salon déclinera définitivement.

Les cercles musicaux et les récitals “privés”

19 Fonctionnant comme une sorte d’intervalle entre la vie publique et privée, comme un « second foyer où l’on est chez soi », le cercle, quelle que soit sa fonction, constitue une autre forme de sociabilité – une « famille » d’hommes et de femmes – permettant à chacun de concilier la proximité relationnelle des générations et d’occuper un espace qui lui est dévolu tout en assurant la pérennité et la cohérence du groupe42. Organe de réflexion, de concertation ou de loisir, il tire son origine, lui aussi, dans l’ancienne Cour – « un groupe de dames assises en rond autour de la souveraine pour le jeu ou la conversation », et par extension « des assemblées qui se tiennent dans les maisons des particuliers pour la conversation », il devient une forme typique de la sociabilité bourgeoise dès 1830, ce après un certain déclin des salons aristocratiques. Équivalent usuel du club anglais, le cercle représente « une association d’hommes organisés pour pratiquer en commun une activité désintéressée (non lucrative), ou même pour vivre en commun la non-activité », écrit Agulhon43. Ainsi « la vie de cercle s’oppose à la vie de salon comme une pratique plutôt bourgeoise à une pratique plutôt aristocratique, comme une pratique nouvelle à une pratique traditionnelle, [...], comme une pratique égalitaire à une pratique impliquant une hiérarchie »44.

20 Les cercles musicaux et les récitals “privés” ne font pas exception à ce nouveau phénomène de sociabilité en rapport avec la collectivisation de la vie, et dont la formalisation, la finalité précise ainsi que la diffusion sociale constituent la modernité, reflétant au final un modèle général de la vie collective.

Le Cercle musical juif (CMJ)

21 Véritables boucliers de la conservation des traditions communautaires face au “risque” de dissolution ou d’assimilation, les cercles juifs accolés aux domaines politiques,

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sociaux ou artistiques, fonctionnent comme des microsociétés assurant le rassemblement de leurs membres et la perpétuation de leur cause. La plus remarquable de ces “cellules”, sans équivalent antérieur – ni postérieur – en Belgique, est sans doute le Cercle musical juif (Joodse Muziekvereniging) anversois, créé en 1925 par Freddy Grunzweig. Non professionnel à la base, mais composé de musiciens hautement qualifiés, cet orchestre dirigé par Grunzweig lui-même, fait appel, au besoin, à des instrumentistes de grandes formations. Un communiqué de presse paru cette même année dans Hatikwah, l’organe bimensuel de la Fédération sioniste belge, invite déjà les volontaires à rejoindre ses rangs encore dépourvus de violoncellistes, d’altistes et de flûtistes, leur assurant « les plus grandes facilités dans l’étude ou l’acquisition de l’instrument choisi »45. Si les sources concernant la personnalité de ce bâtisseur violoniste et compositeur occasionnel, voire concernant la charte et la constitution du CMJ sont clairsemées, ses performances ont été régulièrement relayées par la presse juive et nationale46. L’on apprend ainsi que, après deux années de mise en forme, la phalange gagne peu à peu en maîtrise d’exécution, en sûreté rythmique et en clarté sonore47.

Cercle musical juif d’Anvers

« Concert symphonique donné par l’Orchestre du Cercle Musical Juif sous la direction de S. F. Grunzweig avec le concours de Monsieur Emmanuel Feuermann, violoncelliste, Opéra Royal Flamand, Anvers, 1929 ». MJB

22 Tremplin pour les jeunes talents ou vitrine pour les musiciens juifs confirmés, locaux ou internationaux, ces concerts attirent d’abord l’élite juive anversoise, puis, avec le rayonnement du cercle dans la capitale et dans d’autres villes du pays, un public élargi.

23 Se produisant au Maccabi, à l’Opéra flamand, au Théâtre français ou à la salle de fêtes du zoo d’Anvers, les années 1926 à 1930 voient défiler une impressionnante brochette

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de célébrités : le violoniste Bronisław Huberman – « ce Juif fier de sa race »48, invité à la suite de sacrifices financiers très lourds – (mars 1926 et décembre 1928), le jeune flûtiste Daniel Sternefeld (mai 1926), le violoniste Sacha Heifetz (juin 1926), les pianistes Alexandre Braïlowski – une révélation aux Concerts populaires en 1920 – et Anna Schmeidler (novembre 1926), les violonistes Alexander Schmuller (janvier 1927) et Mischa Elman (mai 1927 et janvier 1928) – on est obligé de rajouter des chaises sur le podium afin de « satisfaire les clients » –, le pianiste Vladimir Horowitz (juin 1927 et mai 1928), le « roi de l’archet » Fritz Kreisler (octobre 1927 – un concert de gala avec Eugène Ysaÿe – et janvier 1930), le violoniste Emmanuel Feuermann (décembre 1927 et 1929), la pianiste Rosette Moldawsky (février 1928), le violoniste Nathan Milstein (mars 1928), la soprano Madeleine Grey – née Grunberg – (mai 1928), le violoniste Josef Gingold (novembre 1928), la pianiste Alice Tolkowsky (mai 1929), le pianiste Alfred Cortot et le violoniste Jacques Thibaud (janvier 1930), le violoniste Vasa Prihoda (février 1930), la pianiste Ida Rosenheimer (avril 1930), le violoncelliste Pablo Casals (octobre 1930) et le pianiste « éblouissant » Sergei Rachmaninoff (novembre 1930)49.

Vasa Prihoda

MJB

24 Les programmes affichent de la musique classique ou contemporaine, truffée de compositions d’inspiration hébraïque de musiciens juifs ou non juifs. Ainsi Mendelssohn, Milhaud, Bloch ou Wieniawski côtoient Bach, Boccherini, Haydn, Mozart, Beethoven, Schubert, Chopin, Grieg, Saint-Saëns, Ravel, Lalo ou Bruch. Occasionnellement, le répertoire présenté concerne la musique juive traditionnelle : ainsi en avril 1927, le CMJ fait entendre Reb Nachman’s nigun (« L’air du rabbin Nachman »), un chant liturgique hassidique renommé50.

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Page de garde du manuscrit autographe des Variations Symphoniques de Daniel Sternefeld dédiées au Cercle musical juif d’Anvers (avril 1928)

Studiecentrum voor Vlaamse Muziek

25 À Bruxelles, ce cercle se produit le plus souvent à l’ancienne salle de l’Union coloniale, 34, rue de Stassart. En mai 1928, il donne un de ses fréquents concerts de bienfaisance avec plus de 60 exécutants et le baryton lyrique Jacques Kinckler pour la première – longuement ovationnée – des Variations symphoniques sur le thème d’Hatikwah de Daniel Sternefeld et sous la direction de celui-ci, dans un programme comprenant également Trois mélodies hébraïques de Ravel, les Chants populaires hébraïques de Milhaud, un psaume d’Algazi et deux chants d’Auber, l’Ouverture du Prince Igor de Borodine et celle des Maîtres chanteurs de Nuremberg de Wagner – tous interprétés par la très applaudie soprano Madeleine Grey51. C’est également Sternefeld qui assurera majoritairement la direction de l’orchestre du CMJ avant de devenir chef d’orchestre à l’Opéra anversois en 1938. En janvier 1930, il fait appel à la pianiste Alice Tolkowsky pour l’exécution d’un Konzertstück de Schumann succédant à la création de la Symphonia Femina, une de ses premières œuvres symphoniques où la vie de la femme est exposée en quatre épisodes52. Le Cercle fête alors sa cinquième année d’existence, fier de contribuer « heureusement au prestige du renom artistique juif à Anvers »53.

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La soprano Madeleine Grey

26 Pourtant le chroniqueur d’Hatikwah formule certaines réserves, posant une interrogation légitime : « Est-ce bien la tâche du CMJ de gratifier les dilettantes (et les autres !) anversois d’auditions des premiers virtuoses du monde ? Nous ne le pensons pas. Nous avions donné nos sympathies au CMJ, parce que nous espérions de lui quelque travail de pionnier sur le terrain de la musique juive naissante. [...] Il y aurait plus de mérite pour un groupement de jeunes à patronner les débuts timides de cette musique juive, que de pourvoir un public, composé en grande partie de snobs, d’auditions d’étoiles aux cachets astronomiques. »54

Récitals de musique juive

27 En dehors du CMJ, la musique juive est souvent à l’honneur dans le cadre d’initiatives privées ou communautaires, mais il semble qu’il en ait influencé le rayonnement, puisqu’à de rares exceptions près, les récitals juifs se sont multipliés de manière exponentielle depuis 1926, la première année de son activité.

28 Déjà en 1919 un article intitulé « En avant ! » paru dans Kadimah (organe de renaissance juive), concernant la fête d’Hamichah Assar biChevat, mesure la portée de ces initiatives privées, appelées à souder la communauté juive : « Le souvenir de cette soirée demeurera. Elle fut juive d’un bout à l’autre, intimement, chèrement juive. [...]. J’en rappelle à ceux qui ont le culte de notre art juif : ces forces ne doivent pas s’égarer ; il faudra qu’elles se groupent ; il faut qu’elles apprennent à aimer notre culture, à connaître nos beautés. »55

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Partition de la chanson yiddish Der Yusim’l de Rumshinsky

Library of Congress, Washington DC

29 Citons deux autres initiatives aux allures de précurseur : une séance de musique juive organisée par et avec la participation de la basse Arthur Perline en février 192456. Celui- ci avait composé un programme où les hymnes et les cantiques hébraïques voisinaient avec des chansons populaires, des mélodies chantées en yiddish – comme Shatzkele (« Petit trésor »), Der Yusim’l (« Le petit orphelin ») – et avec l’incontournable Kol Nidré de Max Bruch57. Ou encore le concert avec Leon Franz, célèbre ténor russe, au Cercle colonial, avec des airs d’opéra, des chansons juives populaires, de la musique hébraïque religieuse et des romances russes.

30 La cantatrice précitée, Madeleine Grey, se produira à plusieurs reprises dans le cadre de concerts organisés sous le titre générique de « musique juive », comme celui en la salle de l’ancienne Union coloniale à Bruxelles en mars 1926, avec des « musiques d’auteurs israéliens [sic], des prières rituelles et des chants populaires »58. La Fondation Franz Philippson, un groupement de conférences d’histoire et de littérature juives, organise, elle, des concerts de bienfaisance, notamment en novembre 1930 dans la même salle avec le concours de M. Melamedow, un lauréat du Conservatoire de Moscou, ministre- officiant à la synagogue principale d’Anvers et le trio anversois Melle Blankstein, M. Karlin et L. Orfinger59. Pour sa huitième séance en 1928, la Fondation Franz Philippson présente une nouvelle fois Madeleine Grey dans les œuvres précitées de Milhaud, Ravel, Aubert et Quinet, encensant la cantatrice pour ses rares qualités vocales – « une chanteuse d’un rare tempérament. Souple, docile, caressant, brillant, éclatant même est son organe. Hiératique, imposant, badin, spirituel, amusant est son art. Grand est son talent, vaste son répertoire. »60 Par ailleurs, La Meuse signale la première séance de l’ensemble A Capella, une société de musique liégeoise avec les Chants populaires hébraïques de Milhaud 61. La Gazette de Charleroi rapporte un gala des Concerts

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symphoniques populaires (CSP) sous la direction du compositeur Edgar Quinet avec deux chansons populaires juives, harmonisés par ses soins et qui seront reproduites l’année suivante à l’Université du Travail62.

Événements communautaires

31 C’est avant tout vers la presse juive qu’il faut se tourner pour saisir l’ampleur de la vie communautaire privée. Si au XIXe siècle la majorité des supports juifs maintient une orientation politique où la res judaïca sociopolitique prime, il faut en effet attendre le XXe siècle et plus particulièrement les quinze années qui précèdent la deuxième guerre mondiale pour qu’apparaisse une presse “spécialisée”, principalement à Anvers et à Bruxelles, dans laquelle se manifestent des chroniqueurs artistiques, littéraires ou musicaux63.

Hatikwah, la revue mensuelle de la Fédération sioniste de Belgique

32 À cet égard, Hatikwah, la revue mensuelle de la Fédération sioniste de Belgique déjà citée, est une mine d’or, surtout à partir des années vingt, lorsqu’elle devient bimensuelle et est rédigée exclusivement en français et en néerlandais. Outre le relais systématique des programmes et des activités du Cercle musical juif, elle éclaire sur les activités socioculturelles d’organismes communautaires – sionistes en l’occurrence – comme celles du réputé Fonds national juif64. Qu’il s’agisse de garden parties ou de bals annuels à l’occasion de fêtes juives comme Hanoucah ou Pourim, précédés d’une partie artistique – le chant, la danse, la déclamation ou le théâtre – ces manifestations signifient à chaque fois un ralliement et une affirmation de la conscience juive, exaltée par quelque chant hébraïque ou chanson yiddish par des interprètes prometteurs65. Les organisateurs, dans l’objectif de réaliser des « soirées juives », mettent tout en œuvre pour « imprégner l’assistance d’une atmosphère juive [...], qui les arrache de la vie de

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tous les jours et imprime dans leur cœur, pour la durée de plus d’un soir, le sceau de cette festivité traditionnelle », conscients du fait que ces fêtes ont aussi un rôle pédagogique et qu’elles constituent, pour un grand nombre de familles, « la seule nourriture spirituelle juive »66. 33 Les concerts consacrés exclusivement à la musique juive se concentrent sur le patrimoine musical hébraïque ou populaire international, comprenant aussi bien des compositeurs mondialement renommés – Mendelssohn, Milhaud – que largement inconnus du public non juif – Katzenellenbogen, Kahn, Reisin, Herweg, Alam, Wolfsohn ou Gernsheim67.

Annonce pour une soirée communautaire de Hanoucah à la Grande Harmonie, rue Montagne de la Cour à Bruxelles, avec, entre autres, des airs de noces hassidiques

Bibliothèque royale de Belgique

34 En 1924, la virtuose pianistique Alice Tolkowsky se produit lors de la fête de Pourim au Cercle artistique d’Anvers et Leon Franz, fondateur de l’Opéra hébraïque en Palestine, enlève d’une « voix puissante et très remarquable une dizaine d’arias parmi les plus populaires, traduits en hébreu, à la Bourse diamantaire de la métropole »68. L’année suivante, ce sont la pianiste Rosy Temianka et le ténor M.J. Bletterman qui assurent l’intermède musical du bal de Pourim, l’une avec la finale du Concerto en mi mineur de Mendelssohn et la deuxième Polonaise brillante de Joseph Wieniawski, l’autre avec des chansons yiddish grivoises. La fête de Hanoucah de 1928, au Cercle royal artistique comme de coutume, voit se succéder la cantatrice Rose Fischer avec des pièces de Schubert et de Mascagni, et le ténor Marcel Pfeffer avec des chansons juives, « qui à chaque audition savent toujours plaire au public juif »69. D’autres festivités comme celles du Lustrum de Maccabi, récoltent un beau succès, le « triomphe de la soirée » du 10 mai 1925 étant réservé à un jeune violoniste juif russe de quinze ans et demi établi à

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Bruxelles, Iloucha Gouchman, « au jeu sobre et plein de sentiment »70. Enfin, une fête de l’hebdomadaire Yiddishe Presse au profit d’œuvres de charité, affichant un récital du même M.J. Bletterman et... un concours de beauté « dont la mention seule motive déjà le boycottage du grand-rabbin de Belgique ! » complètent ce tableau d’exemples d’événements où la musique est censée occuper une position centrale71.

Annonce pour une Garden Party au profit du Fonds national juif

Bibliothèque royale de Belgique

35 Occasionnellement, la revue publie une partition, comme cette courte célébration Beschuw Adonai (« Reviens vers le Seigneur ») de 23 mesures72.

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Partition de Beschuw Adonai

Bibliothèque royale de Belgique

36 Pourtant quelques voix antagonistes s’élèvent pour s’insurger contre la “laïcisation” des fêtes communautaires et contre l’installation de ces coutumes festives, occultant leur signification profonde : « La juiverie anversoise a déjà pris l’habitude des fêtes populaires. Mais ce sont toujours les mêmes fêtes traditionnelles comme Pourim et Hanoucah qui sont célébrées par les mêmes sociétés. Et ces fêtes ne sont en général que l’occasion d’un bal et ne rappellent en rien leur signification particulière », estime le cercle Zéïré-Zion (« Couronne de fleurs de Sion »), qui désire « rendre populaire [les] belles fêtes que l’occident juif a oubliées et les fêter d’une façon digne de leur signification »73. Pourtant « ce beau programme entièrement juif » de la fête d’Hamicha Assar biChevat qu’il avait organisé avec une cantatrice, Mme Mast, venue spécialement de l’Opéra de Palestine, ne réussit pas à attirer un grand public... « Nous ne sommes qu’en 1926 », se console-t-il, « et il faut du temps pour faire pénétrer de nouvelles idées dans la masse ».

La loge

37 Une des plus anciennes formes d’association libre, la loge est sans doute la plus vaste, la mieux organisée, la plus durable expression de la conquête de la société, de l’individu, du « progrès des Lumières » sur le pouvoir tutélaire de l’État et de l’Église. « Entre confrérie en amont et cercle en aval de la Révolution et du premier Empire, la loge opérait sans rupture une mutation de sociabilité : laïcisation, individualisation de la démarche et de l’engagement, autonomisation de la sphère sociale par rapport aux pouvoirs encadrants, mais aussi politisation au sens d’une entrée dans la cité, par le canal des mutations de la bienfaisance chrétienne à la

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philanthropie notamment », observe Beaurepaire74. Séparée du monde socio- politique profane, la loge maçonnique s’est imposée comme l’un des observatoires privilégiés de la sociabilité urbaine, arrachant celle-ci à l’occasionnel et à l’aléatoire, faisant adopter par l’individu un contenu, des règles, une identité collective, et scellant entre confrères un esprit de corps, un lien d’égalisation abstraite, une « communauté de pairs où un individu s’insère en société »75. « La loge maçonnique, creuset d’une sociabilité bourgeoise émancipée du modèle de la société de cour, est au cœur du processus de production de L’Espace public » exposé par Jürgen Habermas, mais cette « sphère publique bourgeoise [doit] être tout d’abord comprise comme étant la sphère des personnes privées rassemblées en un public »76. Au vu de cette pluralité sociale, Jean-Philippe Schreiber rappelle à juste titre qu’il serait « illusoire de penser que l’on peut segmenter la vie d’un homme pluriel qui se définit aussi par ses liens familiaux, ses affinités politiques et philosophiques, ses occupations professionnelles, etc., comme de considérer que son appartenance maçonnique, dissociée de ce spectre [beaucoup plus large qui serait l’ensemble de ses appartenances, ndla], relèverait de la seule sphère du privé »77. 38 Intégrer cette pluralité signifie également « prendre en compte l’existence d’une “maçonnerie de société” au modèle aristocratique prégnant, proposant une offre de divertissement mondain varié – bals, concerts et théâtre amateurs – dans un espace qui transcende la frontière entre espaces domestique et public pour intégrer le temple de la loge, la vie de société », observe encore Beaurepaire, soulignant par ailleurs l’intérêt, voire la nécessité d’étudier le social maçonnique non pas comme « un objet doté de propriétés, mais comme un ensemble d’interrelations mouvantes à l’intérieur de configurations en constante évolution »78. Espaces de rencontres, de transactions, d’échanges, où la musique est omniprésente, les loges affirment ainsi leur dimension de véritables “réseaux sociaux” avant la lettre.

Juifs et franc-maçonnerie en Belgique

39 En Belgique, à l’instar de la France, judaïsme moderne et maçonnerie font plutôt bon ménage. Implantée sur le territoire national actuel depuis 1721, la franc-maçonnerie se met au diapason du développement du pays et y constitue une administration centrale en 1833 – le Grand Orient soutenu par le roi Léopold Ier. Un siècle plus tard, elle comptera quelque vingt-cinq loges et trois mille cinq cents affiliés. Les loges, devenues ainsi un signe de reconnaissance des élites sociales, comportent un nombre considérable de « frères » juifs – dont une majorité issue de l’establishment économique ou politique – aspirant à s’intégrer à la société environnante. « C’est dire si la maçonnerie ne fait qu’accompagner tout au long du siècle le mouvement général des Juifs vers leur intégration en Europe de l’Ouest [...]. Il est évident que le rapport intime qui s’est noué entre certaines élites juives éclairées et la maçonnerie a dû contribuer autant à la socialisation de ces élites au sein de la fraction de la bourgeoisie qui adhère au principe des Lumières qu’à la consolidation de la doctrine consistoriale dans les valeurs universelles, dans sa doctrine sociale et dans son retour aux sources mosaïques et prophétiques de la religion juive », commente Jean-Philippe Schreiber79. Par ailleurs, ce désir de prestige social revêt pour les Juifs une double signification : un accomplissement personnel – « tailler la pierre » pour voir, savoir, devenir meilleur et plus éclairé – et le dépassement des barrières sociales80 : « Ainsi », écrit Jacob Katz, « compte tenu de la puissance de telles motivations, il n’était dès lors pas étonnant que l’aspect social éclipsât la signification spirituelle »81. Rien d’étonnant non plus dès lors à

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ce qu’aussi bien la plupart des dirigeants communautaires que l’élite financière, commerciale ou artistique juive du pays ait fait partie des loges82.

Musiciens maçons

40 L’alchimie judéo-maçonnique s’est opérée aussi, quoique de manière plus diffuse, sur la population musicienne. Parmi les rares statistiques disponibles concernant la composition professionnelle des loges bruxelloises, un sondage effectué en 1901 concernant les aspects socioprofessionnels de la loge Les Amis Philanthropes établit de manière non cumulative que 16 % des maçons étaient des artistes lyriques et 6 % des musiciens, alors que près d’un siècle auparavant, les « artistes » représentaient à peine 8 % des effectifs83. Dans sa thèse de doctorat consacrée aux colonnes d’harmonie des loges bruxelloises au XIXe siècle, David Vergauwen démontre qu’entre 1798 et 1935, au moins 356 musiciens professionnels auraient été actifs au sein des loges de la capitale – un groupe significatif84 –, ce qui explique d’une part le degré élevé de professionnalisme de ces formations (ainsi que l’étalage public que celles-ci ont voulu en faire dès le milieu du siècle) et d’autre part l’évolution du matériau lui-même, de chansons de ralliement joyeuses, festives ou arrosées vers des exécutions concertantes85. Au fur et à mesure de ce développement, tant le nombre d’initiations de musiciens que de performances musicales était en constante augmentation, notamment par des concerts de bienfaisance, projetés à la fois comme instrument lucratif et promotionnel du capital symbolique de la loge, capable d’augmenter son prestige. Initialement considérés comme serviteurs, les musiciens purent ainsi progressivement améliorer leur propre situation et accéder aux grades supérieurs au sein des loges : de forces ouvrières peu qualifiées, ils devenaient des professionnels diplômés aux ambitions sociales et intellectuelles bien définies.

41 Suivant les règlements établis en 1827 et en 1886, cette même loge des Amis Philanthropes prévoyait en effet cinq catégories de membres : les membres honoraires, actifs, absents, correspondants et artistes86. Au cours de cette période, les statuts des membres honoraires et artistes n’avaient guère changé : ils ne payaient pas de cotisation et n’avaient pas le droit de vote87. Ces derniers – professionnels et semi- professionnels – n’étaient pas considérés comme des membres à part entière et devaient s’engager à « prêter à la loge le concours gratuit de leur talent, pour rehausser l’éclat de ses fêtes » ou de ses rituels et pour prêter main-forte lors de missions « utilitaires » comme les concerts philanthropiques, prévus comme renforcement de son image88. Friande de membres recrutés parmi les grandes instances musicales de la capitale comme la Monnaie ou le Conservatoire, la loge pouvait ainsi consolider les liens avec celles-ci tout en soignant sa réputation de « pilier culturel » vers l’extérieur, en particulier envers les instances catholiques, devenues son ennemi le plus obstiné dans le dernier quart du XIXe siècle. À ce titre, Joseph Dupont, professeur d’harmonie au Conservatoire, chef d’orchestre puis directeur de la Monnaie et chef de la colonne d’harmonie des Amis Philanthropes, est l’exemple le plus éloquent de ce relais stratégique. Cette loge abritera également, pendant la décennie 1870-1880, un véritable réseau wagnérien, dont la Monnaie était devenue le bastion, la fascination des maçons pour ce penseur initiatique – et en particulier pour Parsifal (1882) – s’expliquant par leur orientation progressiste, tant sociopolitique que culturelle, voire rituelle, symbolique ou mystique89.

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42 Parmi les musiciens maçons, les plus connus étaient fêtés en héros ou reçus par la Cour et amassaient quelquefois un capital considérable. Tel était sans doute le cas de la grande majorité des compositeurs juifs belges dont la renommée dépassait en leur temps les frontières nationales : Adolphe, Léopold et Édouard Samuel, Édouard Lassen et Daniel Sternefeld. Que venaient-ils chercher dans cette affiliation ?

Daguerréotype d’Adolphe Samuel (1824-1898)

Compositeurs belges juifs et maçons

43 Plus que la musique, c’est sans doute le pouvoir irrésistible de la vocation universaliste de la loge qui a encouragé Adolphe Samuel à rejoindre Les Amis Philanthropes – l’une des plus anciennes loges de Bruxelles à l’initiative de laquelle furent créés le Grand Orient de Belgique en 1833 et l’Université libre de Bruxelles en 1834 – le 17 mai 186990. À quarante-cinq ans, ce professeur d’harmonie pratique au Conservatoire royal de Bruxelles et fondateur des Concerts populaires en 1865 est au faîte de sa gloire. Rapidement promu « membre honoraire », il se distingue des autres « artistes musiciens » par le fait qu’il n’est pas censé se produire91.

44 Si Samuel n’a jamais dirigé la colonne d’harmonie de la loge, et qu’il ne semble pas avoir composé d’œuvres maçonniques, aurait-il considéré Les Amis Philanthropes plutôt comme un refuge pour échapper à l’antisémitisme ambiant de l’époque, sachant que l’un des principaux vénérables maîtres de cette loge, Pierre-Théodore Verhaegen, en avait fait un outil politique personnel et y avait jeté les bases du libéralisme et de l’anticléricalisme militants92 ? Faisant partie de la branche libérale des loges – par opposition aux branches traditionnelles, plus intransigeantes, pratiquant la ségrégation religieuse –, cette loge « adogmatique » adoptait en effet un relativisme religieux selon lequel aucune religion ne serait plus vraie que les autres, poursuivant la tradition d’ouverture et de tolérance par des travaux spirituels, sociaux et politiques pour les obédiences les plus libérales. Samuel y côtoie non seulement les grands hommes politiques comme Jules Anspach, ou Léon Vanderkindere, mais aussi des artistes dont Constantin Meunier et quelques collègues tels que le violoniste Jean- Baptiste Singelée ou le violoncelliste Adolphe Fischer.

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45 Comme son “neveu”93 Adolphe, Édouard Samuel était franc-maçon. À vingt-et-un ans, il rejoint Les Vrais Amis de l’Union et du Progrès Réunis, fondée en 1854 par la fusion des loges Les Vrais Amis de l’Union (Bruxelles 1782) et Les Amis du Progrès (Bruxelles 1838). Faisant partie du Grand Orient de Belgique, cette loge avait déjà accueilli bon nombre de personnalités éminentes du monde politique et artistique, parmi lesquelles le magistrat Eugène Defacqz, le bourgmestre Émile De Mot, l’écrivain Charles De Coster ou de nombreux musiciens comme Adrien-François Servais, Henri Vieuxtemps, Adolphe Sax, ou le flamboyant virtuose et compositeur juif français Henry Litolff94. 46 Peu de choses sont connues au sujet de son activité maçonnique, si ce n’est le fait qu’il ait été, comme à la Grande Synagogue, chef de chœur de sa loge, que le 7 avril 1876 il accompagne ses propres compositions au piano dans la salle de la loge Les Amis Philanthropes, mise gratuitement à sa disposition et qu’en 1919 son fils Léopold Samuel le rejoint au sein de son atelier95.

Exemple de pièce musicale créée dans le cadre des activités maçonniques par le frère François Van Campenhout, auteur de la Brabançonne

CEDOM-MADOC

47 À l’instar des Samuel et – de manière presque systématique – de l’intelligentsia israélite belge, comme nous l’avons vu plus haut, Lassen père et fils rejoignent la loge Les Amis du Progrès avant que celle-ci ne fusionne en 1854 avec Les Vrais Amis de l’Union pour devenir Les Vrais Amis du Progrès et de l’Union Réunis. Alors que le père, initié en 1844, avait incité son fils à se faire adopter par cet atelier en 1849, ce dernier poursuivit sa “carrière” maçonnique à l’étranger et fut membre, par la suite, de la loge Anna Amalia zu den drei Rosen, fondée à Weimar en 176496.

48 Enfin, Daniel Sternefeld faisait partie de la loge Balder au n° 79 de la rue de Laeken – nommée symboliquement d’après le dieu nordique de la jeunesse et de la lumière, Baldr

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(aussi Balder ou Baldur), représentant la Paix Eclairée – le premier atelier d’expression néerlandaise de la capitale, dépendant du Grand Orient97. Fondé en mai 1931, avec la devise « Flamand, exigeant et consciencieux », alors que le pays est en pleine crise socio-économique, et qu’en Allemagne des camions arborant le drapeau hitlérien se mettent à envahir les rues, il est unanimement reconnu comme l’une des institutions ayant compté le plus de membres actifs au sein d’organisations paramaçonniques et libérales, comme l’Union des anciens Étudiants de la Vrije Universiteit Brussel, fondée en 1956.

« Tailler la pierre »

49 Permettant aux musiciens juifs – mais pas seulement eux – de se forger une solide réputation, les plateformes de sociabilité envisagées plus haut auront, souvent avec le concours de la musique, cimenté, telle la synagogue, les liens communautaires en osmose avec la pluralité de ses acteurs : « Il est mauvais de penser seul. Il faut donc instaurer un lien de sociabilité. L’Autre est une promesse. Il incarne la possibilité de dire autre chose et de parler autrement. [...]. La pluralité du sens est perçue alors comme substantielle à la qualité du sens », remarque le philosophe Daniel Béresniak98.

50 L’histoire des communautés juives évoquées nous renvoie au dualisme du sujet – l’homme, son trajet, sa contribution intellectuelle, artistique ou sociale – et de l’objet – son œuvre. La sociabilité lui aura apporté une nouvelle dimension cosmopolite, supranationale, donnant à l’apatride la qualité de Weltbürger – citoyen du monde, traversant différents espaces socioculturels et se découvrant de nouvelles formes d’identité ou d’appartenance99. S’il faut rappeler que la Belgique, par son libéralisme politique, économique et philosophique sans équivalent en Europe, fut un terrain d’éclosion extrêmement fertile au développement du modernisme et du développement de la sociabilité, celle-ci a pu prendre différents visages selon l’angle de vue adopté100. Comme nous avons pu le voir, « l’immigré peut être à la fois au centre du judaïsme sociologique – la communauté – et à la marge de la Communauté religieuse et inversement »101. Il n’en subsiste pas moins un profond sentiment d’identité communautaire et d’héritage, préservés et perpétués par la transmission des valeurs éthiques – ethos –, une expérience du monde, un engagement existentiel, une manière de vivre, de penser et de travailler, aboutissant à une forme « d’autonomie collective » au-delà des perspectives individuelles ou des sphères d’activité, prouvant que le monde juif n’a rien de monolithique102. À l’instar des loges maçonniques, les salons, les cercles musicaux et les concerts privés auront offert à l’homme juif l’occasion, avec le concours de la musique, de continuer à « tailler la pierre ».

NOTES

1. M. Agulhon, Le cercle dans la France bourgeoise 1810-1848, Paris, p. 7, et P.-Y. Beaurepaire, Franc- maçonnerie et sociabilité. Les métamorphoses du lien social XVIIIe - XIXe siècle, Paris, 2013.

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2. R. Halévi, Les loges maçonniques dans la France de l’Ancien Régime, Paris, 1984, p. 12. 3. P.-Y. Beaurepaire, « La “fabrique” de la sociabilité », dans Dix-huitième siècle, 46, 2014/1, pp. 85-105. 4. P.-Y. Beaurepaire, Franc-maçonnerie et sociabilité..., op. cit., p. 10. 5. Cet article est issu de notre mémoire de Master en Musicologie à l’Université libre de Bruxelles, À la recherche du patrimoine musical des Juifs de Belgique (1830-1930). Un siècle d’activité à Bruxelles, sous la direction des professeurs Jean-Philippe Schreiber et Valérie Dufour (2017). Il explore, sous l’angle de leur appartenance à la communauté juive et de leur relation à la judéité, l’apport d’une quarantaine de musiciens juifs au patrimoine musical matériel et immatériel de la Belgique entre 1830 et 1930 – une période fortement marquée par les Lumières juives. S’articulant autour de trois espaces de sociabilité distincts mais interpénétrables où a pu se déployer leur contribution de manière individuelle ou partagée – 1. L’espace communautaire lié à la pratique synagogale ; 2. L’espace temporel rattaché à la vie séculière et professionnelle, et 3. L’espace mondain privé – leur parcours est sondé, au sein de chacun de ces univers, en termes d’affirmation identitaire ou d’acculturation. Cette contribution se concentre sur le troisième espace précité. 6. E. Traverso, La fin de la modernité juive. Histoire d’un tournant conservateur, Paris, 2013, p. 15, et Y. H. Yerushalmi, Zakhtor. Histoire juive et mémoire juive, Paris, 1984, p. 101. 7. R. Aron, Mémoires, Paris, 1983, p. 501 et E. Traverso, op. cit., p. 51. 8. E. Traverso, op. cit., p. 29. 9. E. Traverso, op. cit., p. 46. 10. M. Agulhon, op. cit., pp. 24-25. 11. Ibid. 12. A. Lilti, Le monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle, Paris, 2005, et P.- Y. Beaurepaire, Franc-maçonnerie et sociabilité, op. cit., p. 17. 13. M. Deleersnyder, Le salon Errera (1890-1929) : la mondanité juive à Bruxelles de la Belle Époque à la fin des Années Folles, Mémoire de licence, UCL, Section Histoire, 2004, p. 79. 14. A. Guislain, « Divertissements aux girandoles », Le Soir, 24.11.1962, pp. 1-2. 15. Ibid. 16. Le couple judéo-allemand est originaire de Francfort. C. Grange, Une élite parisienne. Les familles de la grande bourgeoisie juive (1870-1939), Paris, p. 368. Une nièce de Marie Oppenheim, Flore Singer (1824-1915) – petite-fille de Salomon Oppenheim, le fondateur de la banque Oppenheim à Cologne – compte parmi les premières salonnières parisiennes. 17. M. Errera-Bourla, Une Histoire juive. Les Errera, Bruxelles, 2000, p. 64. 18. Ibid., p. 71. 19. Carnets de Marie Oppenheim-Errera, 1 er cahier, M. Errera-Bourla (éd.), 15 juin 1853, p. 1. Cette première note comporte la “charte” de son journal intime. Note du 19 juin 1953. 20. La Banque de Bruxelles sera fondée en 1871 par Giacomo Errera avec le concours d’autres grands financiers dont son beau-frère Jules May (un beau-frère de Marie Oppenheim), ainsi que Joseph et Paul Oppenheim, Léopold Wiener et Philippe Speyer, entre autres. 21. Cet hôtel de maître où les Errera s’installent en 1868, est situé au n° 14 de la rue Royale et appartient depuis 1992 à la Région flamande, servant de résidence au Ministre-Président de celle- ci. désigne dans le judaïsme le principe religieux de ( הקדצLa Tsedaka (en hébreu : Tzedaqa .22 l’aumône. Le radical du mot est le même que dans le terme hébreu désignant la « justice » (Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, op. cit., p. 1033). La bienfaisance juive diffère ainsi de la « charité » au sens commun, puisque la Torah l’institue comme une obligation pour les Juifs, quel que soit leur statut financier (cf. Dt. 15, 7-8 « Tu n’endurciras pas ton cœur, tu ne fermeras pas ta main pour ton frère indigent, mais tu lui ouvriras ta main, et tu lui prêteras de quoi pourvoir à

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ses besoins ») (Th. Gergely, « La bienfaisance à Bruxelles, hier et de nos jours », dans L’apport des Juifs à la Belgique, Bruxelles, 1986, p. 90). 23. Le prix Marie Errera sera maintenu jusqu’en 1939. 24. Allusion possible aux tournois de bridge organisés par Eugénie Errera au château de Bierges, dont elle avait hérité (M. Errera-Bourla, op. cit., p. 147). 25. Les salons réputés bruxellois incluaient notamment les salons des époux Vandervelde, de Marie – appelée familièrement Mimi – Destrée, épouse de Jules Destrée (boulevard de l’Empereur), de Camille Lemonnier (chaussée de Vleurgat), d’Edmond Picard, surnommé « l’Amiral » (avenue de la Toison d’Or), ou d’Henri Van Cutsem (avenue des Arts). Les mélomanes se pressaient aussi rue Royale chez Edmond Michotte, grand amateur de Rossini, ou rue de l’Abbaye chez Anna Boch, fille d’un des fondateurs des faïenceries Royal Boch-Keramis, peintre impressionniste membre des XX et musicienne, « pour y entendre de la musique classique, mais également pour s’initier aux recherches des compositeurs les plus hardis de ce que l’on considérait, alors, comme la nouvelle vague ». 26. A. Guislain, « Autour du salon Errera », Le Soir, 10.11.1962, pp. 1-2. 27. Pourquoi Pas ?, 323, 20.10.1920, p. 644. Les piliers politiques du salon Errera étaient le parti libéral et l’ULB, pour lesquels il fonctionnait comme une sorte « d’annexe mondaine » (Pourquoi Pas ?, 20.10.1920, p. 644). 28. Ibid. p. 645. 29. Ibid., p. 645. À ses débuts, cette revue belge des questions politiques est une œuvre de résistance civile à l’Occupant, à l’initiative du milieu libre-penseur en général et de l’Université libre de Bruxelles en particulier (réunissant des personnages publics d’origines diverses et dont la notoriété est établie, ou de jeunes talents prometteurs), abordant des thématiques diverses, prioritairement politiques. Après la guerre, Le Flambeau évolue vers une revue universelle, littéraire et culturelle (M. Deleersnyder, op. cit., p. 176). Ibid., p. 176. Paul Errera cumule alors les fonctions de recteur à l’Université libre de Bruxelles et de bourgmestre d’Uccle. 30. M. Errera-Bourla, op. cit., p. 159. Émile Vandervelde (1866-1938), homme politique socialiste belge, devint successivement fondateur du Parti Ouvrier Belge (POB), professeur à l’Université libre de Bruxelles, ministre d’État (1914), ministre de la Justice (1921), ministre des Affaires étrangères (1925). Sa première épouse, Charlotte Hélène Frédérique Speyer (1870-1965), dite Lala, qui avait épousé en premières noces le bactériologiste Hubert-Ferdinand Kufferath, était juive. Celle-ci s’engagera activement dans le mouvement féminin socialiste et œuvrera pour le suffrage féminin (J.-Ph. Schreiber, Dictionnaire biographique des Juifs de Belgique, Bruxelles, 2002, p. 323). 31. A. Guislain, « Suite à un dialogue », Le Soir, 17.11.1962, pp. 1-2. 32. A. Guislain, « Divertissements aux girandoles », Le Soir, 24.11.1962, pp. 1-2. 33. Juif converti au catholicisme né d’une mère russe et d’un père polonais, Léon Kochnitzky (1892-1965) est étudiant en Polytechnique, puis en Droit et en Philosophie à l’Université libre de Bruxelles. Après des études à Bologne, il séjourne à Florence et à Rome, où il fait la connaissance de Gabriele d’Annunzio et secondera celui-ci dans sa lutte pour l’annexion de la ville-État de Fiume (Voir R. Van Nuffel, Léon Kochnitzky. Umanista belga, Italiano d’elezione (1892-1965), Rome, 1995). 34. L. Kochnitzky, « Le Salon », dans Robert O.J. Van Nuffel (éd.), Bulletin de l’Académie Royale de langue et de littérature françaises, t. 60, 2, 1962, pp. 152-162. 35. Épouse de Léo Errera, fils de Marie Oppenheim. 36. Milantia Errera-Bourla confirme qu’Isabelle n’aimait pas la musique et que Paul délaissa son hobby – la pratique du chant – par complaisance pour son épouse (op. cit., p. 150). 37. M. Deleersnyder, op. cit., p. 136. 38. Il s’agit notamment d’œuvres de bienfaisance dans le cadre de la Jewish Colonisation Association et de l’Alliance israélite universelle, dont Paul Errera avait été un membre actif.

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39. Jacques Errera (1896-1977), fils de Paul Errera, fut comme son père professeur à l’Université libre de Bruxelles. Son hobby – les sciences occultes et le spiritisme – contribua à sa notoriété. 40. M. Deleersnyder, op.cit., p. 164. 41. Ibid., p. 84. 42. P. Chabert, Les cercles. Une sociabilité en Provence, Aix-en-Provence, 2006, p. 32. 43. Au XIX e siècle et en phase avec la civilisation bourgeoise « masculiniste », les cercles se composent essentiellement d’hommes, contrairement aux salons qui incluent les deux sexes – une distinction qui s’estompera au XXe siècle (M. Agulhon, op. cit. p. 52). 44. M. Agulhon, ibid. 45. Éditée à Anvers, Hatikwah (« L’espoir », également le nom de l’hymne national d’Israël) paraît entre 1897 et 1936. Jusqu’en 1920, la revue est rédigée uniquement en allemand et en français. Hatikwah, 6.3.1925, pp. 41-42. 46. Né à Anvers, Freddy Grunzweig (1901-1984) étudie le contrepoint et la fugue au conservatoire de sa ville natale et compose notamment une Ouverture héroïque exécutée sous la direction de Flor Alpaerts. Avocat au barreau d’Anvers, il part en Palestine en 1939 et devient avocat à Tel Aviv, puis juge en 1949 sous le nom de Shalev Ginossar. Il enseigne le droit à l’Université hébraïque de Jérusalem à partir de 1953 jusqu’à sa retraite en 1972 (J.-Ph. Schreiber, op. cit., p. 144). 47. Hatikwah, 10.11.1927, pp. 281-282. 48. Hatikwah, 5.3.1926. 49. Le Maccabi est un club sportif anversois disposant d’une vaste salle de réception et éditant une revue mensuelle homonyme. Le Théâtre français, utilisé e.a. par le Cercle royal artistique (Koninklijke Kunstkring), est situé rue Arenberg. Les références aux artistes ont été extraites d’articles parus dans la revue Hatikwah entre 1926 et 1930. 50. Le rabbin Nachman de Bratslav (1772-1810) est l’arrière-petit-fils du Baal Shem Tov (le rabbin Israël Ben Eliezer), fondateur du judaïsme hassidique. 51. Osc. L., De Schelde, 10.5.1928, p. 4. Daniel Sternefeld (1905-1986) entreprend ses études musicales au Conservatoire royal flamand de sa ville natale – Anvers – y choisissant la flûte traversière comme instrument principal. Projetant de devenir chef d’orchestre, il se perfectionne chez Frank van der Stucken et dirige des ensembles d’amateurs comme le Cercle musical juif. Après une série de cours de perfectionnement, notamment au Mozarteum avec Herbert von Karajan, il entame ses débuts professionnels dès 1935 comme chef d’orchestre du Koninklijke Vlaamse Opera (KVO) pour la production de son propre et unique opéra Mater Dolorosa. Il entre dans la clandestinité durant la guerre, et est arrêté par trois fois, mais échappe miraculeusement à la déportation. En 1948, il devient second chef du Grand Orchestre symphonique (GOS) de l’INR à Bruxelles et professeur de direction d’orchestre au Conservatoire royal flamand d’Anvers. Devenu premier chef et directeur musical du GOS, il est régulièrement invité à l’étranger et est considéré comme l’un des maestri les plus réputés de sa génération (J.-Ph. Schreiber, op. cit., pp. 326-327). 52. L’enfant (Innocence), la jeune fille (Joie de vivre), la mariée (Amour) et la mère (Résignation) (Het Handelsblad, 24.1.1930, p. 4) ; Hatikwah, 24.2.1930, p. 50. 53. Hatikwah, 24.2.1930, p. 50. 54. J.S., Hatikwah, 12.12.1930. 55. H.A. Mazkir, Kadimah, 7-8, 31.1.1919, pp. 13-15. Hamichah Assar bi-Chevat ou Tou bi-Chevat est la fête juive du printemps et de la renaissance de la nature, désignée dans la Mishna comme « le Nouvel an des arbres » (Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, op. cit., p. 741). 56. La Dernière Heure, 12.2.1924, p. 3. 57. Der Yosim’l est une pièce du très populaire compositeur lithuanien Joseph Rumshinsky (1881-1956), émigré à New York et considéré comme l’un des quatre grands compositeurs du théâtre yiddish américain. Le XXe Siècle, 26.9.1924, p. 2. 58. Ibid., 12.3.1926, p. 3 et Le Soir, 5.3.1926, p. 5.

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59. Ibid., 1.11.1930, p. 2 et La Nation Belge, 1.11.1930, p. 3. 60. Le XXe Siècle, 24.3.1928, p. 2. 61. La Meuse, 10.11.1928, p. 9. 62. La Gazette de Charleroi, 14.3.1929, p. 2. Ibid., 30.1.1930, p. 3. 63. En Belgique, de 1841 à 1959, les journaux juifs à orientation politique sont très nombreux – 104 sur un total de 234 (M. Krajzman, La presse juive en Belgique et aux Pays-Bas, Bruxelles, 1975, p. 44). 64. Une kyrielle d’organisations similaires (Agudath Zion, Kadimah, Zeïré-Zion, Benoth Misrahi, etc.) est active à Anvers, considérée comme le berceau du sionisme “belge”. 65. Le théâtre juif et yiddish était particulièrement développé à Anvers au début du XX e siècle, avec des troupes comme le Habimah Hebreeuws Kunsttheater, le Joods Kunstenaarstheater in België, le Studio Theater, le Joods Volkstoneel, le Joods Kunsttheater/Théâtre artistique juif, le Cercle culturel juif ou le Théâtre académique juif de Moscou. Phénomène social plus que culturel, cette intensité de la vie théâtrale répondait à un besoin impérieux de convivialité et d’évasion, plus que d’expression artistique. 66. Hatikwah, 26.12.1924, p. 365. Ibid., 4.12.1925, p. 360. 67. Parmi ceux-ci ne figure aucun compositeur belge. 68. Hatikwah, 4.4.1924, p. 95. Ibid., 4.7.1924, p. 184. Franz interpréta des extraits d’Aida, Faust, La Traviata, Paillasse, La Tosca, La Bohème, La Juive et Rigoletto. 69. Ibid., 15.1.1928, p. 331. 70. Ibid., 15.5.1925, p. 119. Nous n’avons pu trouver aucune information concernant cet artiste. 71. Yiddishe Presse/La Presse Juive/De Joodse Pers est un journal hebdomadaire édité en hébreu, publié entre 1925 et 1940. Hatikwah, 7.5.1926. 72. Hatikwah, 4.4.1924, p. 92. 73. Hatikwah, 12.2.1926, p. 51. 74. P.-Y. Beaurepaire, « La fabrique de la sociabilité », op. cit., p. 29. 75. P.-Y. Beaurepaire, L’espace des francs-maçons. Une sociabilité européenne au XVIII e siècle, Rennes, 2003, p. 9. 76. P.-Y. Beaurepaire, op. cit., p. 109. J. Habermas, L’Espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, 2008. 77. J.-Ph. Schreiber, « Juifs et franc-maçonnerie au XIX e siècle. Un état de la question », dans Archives Juives, 2010/2, vol. 43, p. 44 et L. Nefontaine et J.-Ph. Schreiber, Judaïsme et franc- maçonnerie. Histoire d’une fraternité, Paris, 2000, p. 251. 78. P.-Y. Beaurepaire, op. cit., p. 10. Jacques Revel, L’histoire au ras du sol, cité par P.-Y. Beaurepaire, dans L’espace des francs-maçons. Une sociabilité européenne au XVIIIe siècle, op. cit., p. 36. 79. Ibid., p. 36. 80. D. Béresniak, Juifs et Francs-Maçons. Les bâtisseurs de temples, Paris, 1994, p. 9. 81. J. Katz, Juifs et francs-maçons en Europe (1723-1939), Paris, 1995, p. 341. 82. La plupart des dirigeants communautaires, ainsi que presque tous les présidents du Consistoire, un grand nombre de membres du Consistoire et du conseil d’administration de la Communauté israélite de Bruxelles et plusieurs dirigeants de la Communauté d’Anvers sont francs-maçons. L’Université libre de Bruxelles, une fondation maçonnique, compte quatre recteurs juifs au XIXe siècle, tous maçons – Gottlieb Gluge, Martin Philippson, Adolphe Prins et Paul Errera (J.-Ph. Schreiber, « Juifs et franc-maçonnerie au XIXe siècle. Un état de la question », op. cit., pp. 42-43). 83. En 1945, les musiciens, les artistes lyriques et les artistes peintres rassemblés sous le dénominateur « artistes » ne représentent plus que 9 % (Les Amis Philanthropes (éd.), Histoire d’une Loge. Les Amis Philanthropes de 1876 à 1998, Bruxelles, 1999, pp. 496 et 505). L. Lartigue, Loge des Amis Philanthropes, 2 vols., Bruxelles, 1893-1897, p. 35.

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84. Considérée comme un élément fédérateur essentiel instauré par les loges depuis le XVIII e siècle, la « colonne d’harmonie » (terme utilisé pour désigner un ensemble musical composé de musiciens-maçons généralement professionnels) est destinée à accompagner les rituels, les fêtes ou autres événements organisés par l’institution. Selon l’auteur, en moyenne un maçon sur dix des loges Les Amis Philanthropes et Les Vrais Amis de l’Union et du Progrès était musicien au XIXe siècle (D. Vergauwen, Kolommen van harmonie, Bruxelles, 2016, p. 30). 85. D. Vergauwen, Où peut-on être mieux ? Muziek en muzikanten in de negentiende-eeuwse Brusselse vrijmetselarij, thèse pour l’obtention du doctorat en Histoire, VUB, 2013-2014, pp. 798-802. 86. Dès 1835, l’Atelier ouvre également ses portes aux artistes de renom « sans frais » à condition qu’ils lui offrent en contrepartie une de leurs œuvres (P. Libert, Les Vrais Amis de l’Union et du Progrès Réunis. Deux siècles d’histoire de la plus ancienne loge de Bruxelles, Bruxelles, 2007, p. 97). 87. Une cotisation élevée était exigée aux autres affiliés, expliquant la composition sociale élitaire des loges, où les classes sans pouvoir politique n’étaient pratiquement pas représentées (M. Schmieder, La franc-maçonnerie. Histoire d’une grande fraternité, Braine-l’Alleud, 1992, p. 163). Ce côté élitaire s’estompera peu à peu avec l’avènement du socialisme à partir de 1880. 88. D. Vergauwen, Où peut-on être mieux..., op. cit., p. 352. À titre d’exemple, dans la période 1870-1880, huit concerts philanthropiques publics eurent lieu au Théâtre du Parc à Bruxelles pour les pauvres de la ville, les victimes de la guerre franco-prussienne, les victimes d’une inondation de la Senne, etc. (D. Vergauwen, Où peut-on être mieux..., op. cit., p. 660). 89. D. Vergauwen, Où peut-on être mieux..., op. cit., p. 745. R. Van Der Hoeven, La Monnaie au XX e siècle, Bruxelles, 2000, pp. 142-149. Richard Wagner lui-même n’aurait jamais été reçu maçon (D. Vergauwen, Où peut-on être mieux..., op. cit., pp. 774-776). 90. Située successivement à la rue du Marché-aux-Poulets, rue Ducale (Concert Noble) et rue du Persil à Bruxelles (D. Vergauwen, Où peut-on être mieux..., op. cit., p. 336). La loge Les Amis Philanthropes est fondée en 1798. 91. Livre d’Or n° AP1621. Charles-Auguste de Bériot, François Servais, Henri Vieuxtemps, Joseph Blaes et Henri Batta étaient également membres honoraires des Amis Philanthropes (D. Vergauwen, Où peut-on être mieux..., op. cit., p. 344). Les musiciens “ordinaires” faisaient partie de la colonne d’harmonie de la loge et devaient assurer les exécutions musicales pendant les offices ou les concerts maçonniques à l’intérieur et à l’extérieur du temple. 92. Dans sa thèse, Vergauwen ne mentionne aucune œuvre maçonnique d’Adolphe Samuel. Nos propres recherches auprès du Centre d’Études et de Documentation maçonniques (CEDOM- MADOC) n’ont pas non plus révélé de pièces maçonniques de la plume du musicien. La figure de Pierre Théodore Verhaegen empreignit de sa personnalité la vie de l’Atelier des Amis Philanthropes, à la tête duquel il fut élu vingt-quatre fois Vénérable Maître entre 1833 et 1862. C’est sous son impulsion que le Grand Orient supprima, en 1854, l’article 135 du règlement de 1833 qui interdisait aux Loges de s’occuper de matières politiques et religieuses (L. Lartigue, op. cit., p. 12). 93. Le lien familial entre Adolphe et Édouard Samuel n’a pas été établi. Cependant une partie de la presse contemporaine les considérait comme neveux. 94. Ce musicien juif se fixe à Bruxelles entre 1839 et 1841 sur l’invitation de François-Joseph Fétis et reviendra régulièrement dans la capitale belge. Il connut une vie aventureuse et se maria trois fois. 95. Le Guide Musical, 14, 6.4.1876, p. 5. Pour remercier ses hôtes, Édouard Samuel accorda l’entrée libre à tous les membres de la loge des Amis Philanthropes (CEDOM-MADOC, 2.0548, f°126 : circulaire des Amis Philanthropes, 1876). 96. P. Vandevijvere, Dictionnaire des compositeurs francs-maçons, Bruxelles, 2013, p. 218. La Belgique maçonnique, Bruxelles, 1887. Ni la date, ni le lieu de cette affiliation ne sont connues. Nommée d’après sa fondatrice, la comtesse Anna Amalia von Braunschweig-Wolfenbüttel, cette institution

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qui avait déjà accueilli en son sein Goethe et Hummel, était devenue l’un des lieux de congrégation principaux de cette ville. 97. Balder 5932-5982 (1930-1980). Liber Memorialis, Bruxelles, 1980. La loge néerlandophone considérée la plus ancienne de Belgique est celle des Élèves de Thémis, fondée à Anvers en 1804. Cette initiative linguistique sera suivie par la création de Balder à Bruxelles (1931) et De Zwijger à Gand (1935). 98. D. Béresniak, op. cit., p. 254. 99. E. Traverso, op. cit., p. 11. 100. J.-Ph. Schreiber, Politique et religion, op. cit., p. VII. 101. Ibid., p. 4. 102. B. Lahire, L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, 1998, p. 103.

AUTEUR

MICHÈLE FORNHOFF-LEVITT

Michèle Fornhoff-Levitt est licenciée en philologie romane, en journalisme et sciences de la communication ainsi qu’en musicologie de l’Université libre de Bruxelles. Elle prépare actuellement un doctorat consacré à la sémiologie et plus particulièrement à la musique dans le théâtre juif.

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In the Port City We Meet? Jewish Migration and Jewish Life in Antwerp During the Late 19th and Early 20th Centuries

Veerle Vanden Daelen

1 This article on Jewish migration and Jewish life in Antwerp from the late 19th through early 20th centuries deals with a Jewish community in a port city which has seen a rather unusual development for Western Europe. Antwerp’s small existing Jewish community was quickly outnumbered by Jewish newcomers, mostly from Eastern Europe, who brought along with them a whole range of different religious, cultural and political ideas1. Was it because of Antwerp being a port and a trade city, because of the economic connection of this growing Jewish community with the diamond trade, that an unusual Eastern European-style Jewish life could develop in Antwerp? How do we explain the unity in diversity which characterizes Antwerp’s Jewish life (as Antwerp for example has had a unified Jewish welfare since 1920, in contrast to Brussels, Paris or Amsterdam). This article sheds light on paths of migration and integration of a Jewish minority group in Western Europe.

2 After the Second World War, Jewish life in Antwerp developed in what was a unique way for a Western European community, a way that brought together many kinds of Orthodox tendencies2. Antwerp’s Jewish population today almost certainly includes the highest percentage of Hassidic among its numbers (25 % in 2004) of any city in the world, and all official Jewish life in the city is organized according to Orthodox religious standards3. This article focuses on earlier periods in Antwerp’s Jewish history, and seeks to analyze aspects of change in Antwerp’s Jewish life at the turn of the nineteenth-twentieth century. This was a complex period marked by rapid growth in the number of Jewish inhabitants in the city, as the small Western European Jewish community was joined by large numbers of new, mainly Eastern European, immigrants. How did this immigration influence Antwerp’s Jewish life in the subsequent years? Did such developments parallel developments in other European cities at the time, or was

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Antwerp already distinctive in such respects from the rest of Western European Jewish life before the Second World War? 3 In order to answer or to offer hypotheses to these questions, I will first present the Jewish life in nineteenth-century Antwerp and then offer a short demographical overview. After delving into the complex reasons for migration and more specifically why Jewish immigrants chose Antwerp as their final destination, I will discuss new developments initiated by this immigration wave, especially in terms of settlement patterns, religious life, and Jewish educational and organizational life. These developments led to Jewish life in Antwerp becoming both more visible and more heterogeneous. As concerns religious life, there will be special focus as to whether the heterogeneity of the larger group manifested itself only within Orthodox religious tendencies, or if there was in fact more variation within Jewish Antwerp of the pre- World War II period. I will examine institutional history and also try to “place” this Jewish history in its urban context, in a city that underwent major changes during the years covered in this article4. It is important to see how Jewish “places” (geographical, physical locations) and Jewish “spaces” (where Jewish things happen, performance) emerged and evolved over time, especially as to how they were influenced by the city’s development and the influx of Jewish immigrants5. I draw on historical documents and sources, as well as on novels by Sholem Aleichem and Esther Kreitman, in which this period of Jewish life in Antwerp is described6. As evidenced by various references in this article, much credit must be extended to Jean-Philippe Schreiber, who published the first academic study of Belgian Jewish history for the period before the First World War7. Schreiber used the files of the Foreigners’ Police, which remain an undervalued historical source8. His work continues to inspire my thinking. In terms of chronology, I focus mostly on the period 1880-1914, though to draw evolutions more clearly I also bring in the interwar period, and I occasionally refer to the post-World War II period.

Jewish life in Antwerp in the nineteenth century and the demographic explosion at the turn of the century

4 The history of Jews in arises primarily after 1815 though Jews remained a very small minority, in Antwerp and elsewhere, until the end of the nineteenth century9. Before 1816, when the small Jewish community of Antwerp was granted official state- recognition as a religious community, small numbers of New Christians and Marranos had settled in the city. Most of these newcomers were engaged in overseas trading. In 1808, when Antwerp was under French rule (which lasted from 1795 to 1815), the city counted just 37 Jewish inhabitants. However, prayer assemblies were not permitted without official authorization, and it was not until 1812 that such a request was submitted when a group of 22 Jews petitioned the state for official recognition as religious community. This recognition as the Israëlitische Gemeente was granted in 1816, after the city came under Dutch rule (which lasted from 1815 to 1830). In 1829 there were around one hundred Jews living in Antwerp. After 1830, when Belgium became an independent country, the Jewish population in Antwerp began growing significantly, especially after 1841. The small group of Jewish inhabitants who had already been living in the city was supplemented by a wave of immigration that lasted from 1841 until 1880. A survey of names undertaken by the municipal authorities in 1854 counted 457 Jews in the city. The newcomers were primarily of Dutch origins,

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though some came from Germany and France. This group was considered fairly integrated into general society. They spoke Dutch and/or French, and they were influenced by the Western European model of Jewish emancipation and assimilation. This migration wave differed considerably from the migration wave of 1880-1890 and other subsequent immigration waves10. Even though many of the newcomers were workers, mostly in diamonds, the leaders of the Israëlitische Gemeente of Antwerp were economically and often politically notable personalities. Jonathan Raphaël Bischoffsheim, for example, was the first president of Antwerp’s religious Jewish community after Belgian independence. From 1833 onward he represented Antwerp’s Jewish community at the Belgian Consistory, of which he was president from 1837 until 1840. Bischoffsheim, a major philanthropist, was not only among Belgium’s most important bankers and entrepreneurs but was also active in national politics, serving as senator from 1862 until his death, in 188311.

Red Star Line promotion poster

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5 The largest expansion in Antwerp’s Jewish life came with the waves of mass Jewish immigration from Central and Eastern Europe from around 1880 onwards. Antwerp, being a port city, was usually either the arriving immigrants’ final intended destination or, as was generally the case, their last stop in the Old World before continuing onward to America. Between 1873 and 1934 more than two million migrants, including many Jews, embarked from Antwerp for America aboard ships of the Red Star Line. For some of these immigrants, however, the time between their arrival in the port city and their being able to embark for America stretched on too long. They remained in Antwerp, together with those who had originally intended to settle there12. One consequence of such resettling in Antwerp was that the city’s existing, small Jewish community was

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soon greatly outnumbered by the newcomers. In 1880 there were about 1,200 Jews in Antwerp, yet shortly after the turn of the century the number had increased to around 8,000 people. By the outbreak of the First World War the figure reached approximately 20,000. Jewish immigration to Antwerp continued during the inter-war years, and by the eve of the Second World War the total number of Jewish inhabitants was estimated at 35,50013. Before the First World War most Jewish immigrants were Russian or Austro- Hungarian, and German. After the war, they were mainly citizens of the reestablished Poland. Today, Antwerp is estimated to have at least 15,000 to 20,000 Jewish inhabitants. These figures are estimates, as Belgium’s liberal constitution did not permit registration of ethnicity or religion14. The approximate numbers, however, clearly show that Antwerp’s Jewish population rose dramatically in the late nineteenth and first half of the twentieth centuries.

Reasons for migration and for choosing Antwerp

6 Antwerp’s Jewish immigrants left their hometowns and home countries for myriad reasons. Antisemitism, as well anti-Jewish measures and official discrimination of numerous kinds and degrees were certainly among them, and included anti-Jewish violence, economic discrimination, and discrimination in university enrollment. Economic reasons were another category of motivation for immigration, and often overlapped or combined with motivations stemming from antisemitism and anti-Jewish practices15. Jewish unemployment in Eastern Europe at the time was especially high because of the disruption and destabilization of the traditional Jewish shtetl economy, not least the typically “Jewish sectors” such as the leather industry and textiles. A third category, again overlapping or combining the first two, was that of young men seeking to avoid (often discriminatory) military prescription in Russia16. War, domestic instability, and changing borders and regimes offered further reasons to emigrate. A large group of immigrants, so-called chain migrants, were immigrants who joined family, friends, or other people from their hometowns after hearing stories about the possibilities and freedoms they enjoyed in their new lands. Even if the immigrant himself did not know anybody, he may still have carried a letter, for example from his rebbe, to a Hassid who lived in the town of destination17. Numerous factors (often in combination) influenced immigrants’ respective decisions to immigrate. This overview does not take into account microfactors such as an immigrant’s family structure and personality, but instead enlists the major macro- and mesofactors that led to decisions for migration18.

7 Choosing Antwerp as a destination for immigration was similarly multifaceted as the decision for migration. A common and foremost reason for opting for Antwerp was the liberal residency policies of the Belgian state. Even during the years of economic crisis of the interwar period, there were no severe government restrictions on immigration, refugees, or foreign labour until late 1938 19. For the Belgian authorities the most decisive factors for shaping immigration and residence policies were economic and political arguments. As long as immigrants were not political opponents (belonging to political parties or organizations deemed subversive by the state), criminals, or vagrants, and could support themselves without becoming state-burdens, immigration was fairly easy. This remarkably liberal policy became stricter during the interwar period, although exceptions could generally be ensured for immigrants who could

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support themselves on their own, or in the case of Jewish immigrants, were supported by Jewish private welfare. Of course, the Belgian government maintained measures for expelling “unwanted” foreigners, such as via not according them citizenship or permanent residence. Likewise, being born in the country did not automatically make one a Belgian citizen. Indeed, of the registered Jewish population in 1940, only 6.6 % held Belgian nationality. These were mostly families who had lived in Belgium before the mass wave of immigration at the end of the nineteenth century20. Thus, on the eve of World War II, the majority of Jews in Belgium, even those having resided in the country for decades and often being the second (or further) generations of their families to have been born there, remained officially non-citizens and foreigners. This situation was starkly different as compared to France and the Netherlands, where 56 % and 80 % of the respective Jewish populations held citizenship at the eve of the Second World War21. 8 The liberal attitude of the Belgian state and the city of Antwerp toward Jewish migrants was also strongly shaped by economic issues and developments. In particular, around the same time that mass immigration of Jews to Antwerp had begun the diamond sector had also experienced a boom period: five diamond exchanges were founded between 1898 and 1929, and Jews held major positions in each. Few “native” Belgians played any significant role in the local diamond trade22, and by the eve of the Second World War 90 % of the management, major merchants and brokers in the city’s diamond sector were said to be Jews23. The membership numbers for the Federatie der Belgische Diamantbeurzen (Belgian Diamond Federation) illustrates these estimates: 80 % to 90 % of the approximately 3,500 members were Jewish. As concerns the rest of the sector, estimates put Jews as having constituted between 15 % and 35 % (depending on whether one includes unofficial or illegal workers) of the city’s diamond workers at the eve of the Second World War24. By the end of the 1920s the diamond sector provided jobs to about 25,000 people. This was actually higher than the number of workmen in the port. About 100,000 people earned their living directly or indirectly through diamonds25. As the diamond sector was a significant source of jobs for the local population, the benefit of having the Jewish inhabitants was quite high for Antwerp. This utility was further heightened by Jewish workers (and other Jewish inhabitants) contributing to the economy and trade, and adding to the national product. Diamonds were one of Belgium’s most important export products throughout the twentieth century and consistently constituted around 5 % to 8 % of the country’s export industry26. However difficult it may have been to obtain Belgian citizenship, being active in the diamond sector clearly helped facilitate the process, not least in obtaining the temporary residence permits that had been compulsory since the 1920s27. 9 Antwerp has always held a strong “ideology of commerce”. During the sixteenth- century, the city’s domestic and international trade and its port (one of the largest in the world) guaranteed its wealth and welfare. After the reopening of the River Scheldt in 1795, the rhetoric and reality of commerce revived. Even today Antwerp presents itself as a port and trade city, rather than as an industrial center or college town28. This metropolis, made by its port and trading, had a very liberal regime, and was lauded for its “openness” and multiculturalism, not least as this attitude had helped bring economic prosperity. 10 The institutional structure adapts to the needs of commerce, as safeguarding commercial needs was something of general interest. It is my premise that Antwerp has

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historically welcomed mercantile newcomers with open arms. I wish to argue that the economic success story of Jewish traders in the city has helped the free development of Jewish life in all its facets. The background of these successful traders, whose numbers included strictly Orthodox Jews as well as Zionists and other political and religious persuasions, made for a development of Orthodoxy and Zionism that was unusual in a Western European city. 11 The Belgian and Antwerp authorities did their utmost to retain the lucrative diamond trade in the port city, even turning a blind eye towards monitoring the industry’s bookkeeping, workplace conditions and adherence to employment laws. The major efforts of the local and national governments to convince “diamond Jews” – most of whom were officially non-citizens – to return to Antwerp after the two world wars should be seen in light of these commercial politics. I would argue that such policies are the clearest proof of the city’s ideology of commerce and how it affected possibilities and opportunities for Jews to settle in the city. After each war governmental representatives were sent to discuss with representatives from the diamond industry the return of the Jewish diamond diaspora. The subsequent measures taken each time included wage rises, return bonuses, practical and financial help in repatriation, and granting of citizenship29. 12 For Jews, the diamond sector was an important economic safety net as it was (and is) pre-eminently a sector where intercession plays a key role. It was a “closed” profession and most people entered via parents or other family members. The solidarity within the Jewish community made for an extension of family ties towards religion, ethnicity, and common places of origin. Indeed, this is the likeliest explanation for why the profession of cleaver has remained a Jewish “monopoly” in Antwerp, and why the industry’s management was for such a long time dominated by Jewish traders and factory owners. Diamond workers often helped newcomers, such as by assisting them with financial costs or by teaching them the profession. However, it would have been a contravention of professional customs to teach someone not working for the same employer, though everybody knew someone to whom he could recommend a newcomer who wished to start in the sector. Such acute solidarity also existed inside the offices : faster workers helped those who were working more slowly30. In such ways many newcomers started learning diamond-related trades with the help of fellow Jews. It is hardly surprising that such developments spurred stories about the wealth awaiting those who could join the trade. Such stories surely influenced the motivations of many who decided to settle in Antwerp, even if these “Antwerp dreams” rarely came true. As Esther Kreitman illustrates in her novel Diamonds: “The errand boys with long beard had to deliver the goods, while nostalgically remembering the time when they had arrived in Antwerp with their dowry in their pockets, full of hopes of becoming rich. But having no talent, they were soon fleeced in the Bourse or at the Club. And now this was how they made their livelihood. ”31 Also, the ethnic solidarity and the general paternalistic relations which characterised much of the Jewish economy equally had a less noble side as economic exploitation and pressure to work long hours for a meagre loan in direct contradiction to Belgian social legislation became enhanced as a result of this socio-economic structure32. 13 The rising numbers of observant Orthodox Jews in Antwerp during the interwar years helps explain why we find for that time a much larger Jewish presence in professions like cleaving (which can be done alone, and at home, and are thus highly compatible

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with the strictures of an Orthodox lifestyle) and cutting (which is usually done in small workshops), rather than in sawing or polishing and grinding (which are done in larger workshops or factories)33. This factor, together with the fact that from the end of the nineteenth century more and more Orthodox facilities had been established in the city, undergirded the attraction that Antwerp held for religious Jews. In the same novel, when the elderly rebbe Chaim Yoysef comes to visit his son Gedaliah in Antwerp, Kreitman writes: “He [the father] had heard that Antwerp was, praise God, a Jewish city and that Gedaliah kept, thank God, a Jewish home.”34 The growing numbers of prayer houses, along with a Jewish day school, kosher food shops, and Orthodox rabbis, among other things, would certainly have helped convince Jews from the East, especially those who were strictly Orthodox, to migrate to the West. 14 Immigrants who came to study in Antwerp were also within the scope of economic reasons for immigration. The Hoger Handelsgesticht, the first school of commerce in Antwerp, was an important pool of attraction for foreign students, especially those from Eastern Europe, such as Jewish students from Russia or Rumania35. There were few schools of commerce in Europe at this time, and the costs of living and studying in Antwerp were much lower than in places like France or Switzerland. Many of these Jewish students remained in Antwerp after completion of their studies. Another important reason to come to Antwerp was to join family and friends who already settled there. Many files in the Foreigners’ Police evidence this kind of chain migration. Newcomers often resided first with family or friends, often helping their hosts in their households or companies and in that way receiving their temporary residence permits36. 15 A last group I would like to identify are those transmigrants who, for various possible reasons (sickness, lack of money, having started a new life and/or job while awaiting their ship, etc.), abandoned their original immigration plans (for example, to immigrate to America) and halted their migration in the transit city of Antwerp. As Sholem Aleichem mentions in his novel Adventures of Mottel, The Cantor’s Son, many Jews opted to remain in Antwerp and work in the diamond business rather than to continue their migration journeys: “Everybody deals in diamonds. Everybody wears jewels. Everybody knows the trade of cutting, grinding and polishing stones. Whoever you meet is either a cutter, a grinder or a polisher. Many youngsters from our gang have stayed behind to become cutters.”37

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Jewish migrants in Antwerp

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16 Whatever reason these migrants had for choosing to remain in Antwerp, they did so in order to improve their (or their families’) lives. Files of the foreigners’ police make this aspect quite clear. One file mentions a certain Czarne S., who arrived in Antwerp in 1932 and wrote to Queen Elisabeth of Belgium seeking residency : “My relative, Mr. rabbi [T.] at whose home I am living, wants me to stay here, and I equally do not want to return to that little village, when I see that Belgium can offer me a future full of promises to develop myself.”38 Her request was denied, but she returned to Belgium in 1936, married a Polish diamond cutter who held a residence permit, and was allowed to stay based on the marriage. This was not enough, however, and Czarne S.’s hopes for a better life were subsequently shattered during the Second World War. She and her husband were deported and killed in Auschwitz.

Development and characteristics of Jewish life in town

17 Because of a rising and extensive engagement in the diamond sector, Jewish life in Antwerp – including the religious communities, Jewish organizations, Jewish schools, and the community’s social life – came to follow the sector’s cyclical movements and economic trends. When the sector boomed, these institutions flourished. But when the diamond trade faced recession, the Jewish community saw financial and social problems worsen and accumulate39. Yet the diamond sector was more than the economic centre of Jewish life. It also became the geographical centre for Jewish life (as will be discussed later in this article), and the major figures within Jewish community life met almost daily in the diamond exchanges; and it was here, within the exchange offices and meeting halls, that the policies of the Jewish communities and organizations were discussed semi-officially. A large majority of board members of Jewish social

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welfare organizations and of religious communities were engaged in the diamond business40. This semi-official role of the diamond business was also recognized in the Jewish community. In 1924, around Purim (a time in which in the local Jewish press occasioned the long-held tradition of inserting humoresque and sarcastic articles), an unknown author with the initials Bar-bar published a highly sarcastic, and thinly veiled criticism of the over-influential role of the diamond industry on local Jewish life in the Belgian Zionist periodical Hatikwah. In a piece entitled Lettre de Schnorropolis: La Jérusalem du Diamant (a witty word-play of the Yiddish word for beggar – schnorer) the author asserted: “Mais la véritable opinion publique est faite dans la fumée des locaux diamantaires; c’est là que sont prises de facto les grandes décisions que ratifient de dociles assemblées, là se décide le sort des candidatures, de là sont régies les destinées du judaïsme schnorropolisien. Tout le reste n’est qu’illusion.”41

18 This rising economic concentration strengthened the social cohesiveness, or “social control”, within the Jewish community, though there always remained for Jews a diverse economic life in Antwerp outside of diamonds. In the first decades after the Second World War as many as 75 % to 80 % of Antwerp’s Jewish population made their livings directly or indirectly through the diamond sector (even though the Jewish left wing often criticized the diamond sector for being “unproductive” work and pointing to the risks by a too large concentration in one economic sector)42. The period before the First World War and the interwar period had been characterized by more diversity. A varied occupational pattern had developed, especially during the interwar period with rising numbers of newcomers engaging in other “typically Jewish” sectors, such as textiles, leather goods, and peddling. The occupational pattern included establishment of Jewish unions and workers organizations, such as the Yidisher Hantverkerfareyn/ Verbond van Joodse Ambachten (Federation of Jewish Craftsmen), which was founded in 1919; the Vereniging van Joodse Schrijvers en Journalisten (Association of Jewish Writers and Journalists), founded in 1925; the Yidisher Marshantn-vareyn/Vereniging van Joodse Marktkramers (Association of Jewish Market Merchants/Peddlers), founded in 1927; the Joods Koöperatief van Schilders (Jewish Painters Cooperative), founded in 1929; Achduth, Joodse Kruideniers Vereniging (Jewish Grocers’ Association), founded in 1934; the Vereniging van Joodsche Leurhandelaars (Jewish Peddlers Association), founded in 1936; and the Joods Syndicaal Huis (House of Jewish Union Members), founded in 193843. 19 As the numbers indicate (see earlier), the newcomers who began arriving in Antwerp at the end of the nineteenth century soon far outnumbered the city’s already existing Jewish community. These waves of immigration clearly affected the characteristics of Antwerp’s Jewish population and intra-communal Jewish relationships. What was the relationship of the newcomers with the “established” Jewish society, and how did the newcomers affect the cohesiveness of Jewish life in the city as a whole? Which institutions and organizations encouraged Jewish cohesiveness, and which ones stimulated diversity in Jewish life? What were the dynamics between the sub-groups?

Geographical shifts and the emergence of a Jewish neighborhood

20 A first clear change – parallel with the migration waves and the strong urban development of the city – was a geographical one. The already existing Jewish

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community life was situated in what is now the centre of the city, and which was until 1860 enclosed by the old city walls. The community’s synagogue, at the corner of the Kleine and the Grote Pieter Potstraat, was used from 1846 until 1893, and is situated near the Antwerp city hall and cathedral. After the Antwerp South district emerged in 1875 as a prestigious new construction area, fostered in part by the city’s plans to build the new Museum of Fine Arts there, the Jewish community purchased land in the area some years later, and for the first time built a synagogue in the city44. Before that time the community had always used already existing buildings for prayer and study. This synagogue was the first building built expressly for such purposes; it has been in use since 1893 and is still referred to as the Hollandse sjoel, or Dutch schul, a reference to the founding community’s origins.

21 Despite the nearby site of this first synagogue, Antwerp’s city center never had any sort of specifically “Jewish neighborhood” with high residential clustering. Schreiber gives information for how the Jewish population was spread over the four or five sections of the city in the nineteenth century45. However, as Antwerp was an over-populated city of approximately 100,000 inhabitants, such indication of sections does not offer proof for real concentrations within certain streets, nor of a certain social or socio-economic reality. To examine this one should give the information per street, or even better at the level of house numbers46. With removal of the old city walls in 1860, the area enclosed by the new Brialmont fortifications was in full development when the Jewish newcomers began arriving. The newly opened streets and parcels of land attracted the immigrants far more than did the area within the old city walls. The first official synagogue building was situated outside of the first Antwerp neighborhood to have a clear Jewish concentration. One can assume that there remained a physical and psychological distance between the “old” community (of mostly Western and Central European Jews) and the Eastern European newcomers. Yet some community members had opposed the location of the new synagogue47. Schreiber notes that the new synagogue, in the South of Antwerp, does not appear to have been highly attended other than during High Holidays and special occasions such as bar mitzvas and weddings. He argues that the synagogue would likely have had a central role in Jewish life (Jewish “space”) if it had been built where Jews at that time were settling, namely, in the area (Jewish “place”) adjacent to the railroad tracks and the Central station48.

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The New Cynagogue in Antwerp

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22 The newcomers, rather than joining the Jews who had already been living in Antwerp in the city centre, settled mostly in the area around the Central railroad station, an area of the city that was undergoing intense development. The area was socio- economically highly diverse and included both more upscale streets and immigrant streets, all closely situated to each other. Along one side of the railroad tracks – which were easily crossed at various places – and very near the Central railroad station lay the diamond district, which was flourishing. This area emerged as the Jewish neighborhood of Antwerp, though it always remained a highly mixed area, both socio-economically and ethnically. No particular street appears to have ever been inhabited only by Jews. This whole area, including the old city center and other land (almost everything within the Brialmont fortifications) was within the eruv, which was installed in 1902 and still exists49. A 1902 address list of Jews living in Antwerp indicates that in general Jews settled throughout the city and that the highest concentrations were situated in streets by the railroad tracks and in adjacent neighborhoods50. Even more so than for the area within the old city walls, the sections/quarters of the city do not represent respective socio-economic realities, as the sections are very large and very diverse.

23 During the Second World War there were numerous streets with over 100 Jewish inhabitants (see map on the opposite page)51. Unfortunately, sources for determining the ratio of Jewish to non-Jewish inhabitants are not yet accessible for research. The major difference as compared to the 1902 address list is that, during the Second World War, in the lower income area there were more streets with high concentrations than in 1902. Many of the prayer houses and stores were also now situated in what had become a typical immigrant neighborhood. This neighborhood, on both sides of the railroad tracks near to Antwerp Central station remained associated with Jewish life

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throughout the entire twentieth century. During the Second World War, there were only three streets with more than 100 Jewish inhabitants outside the eruv. This second “Jewish neighborhood” developed primarily during the interwar years and did not reemerge after the Second World War. A high percentage of the Jews in this second area were Dutch Jews who were more integrated and, often, less strictly religious52. Dutch Jews, together with Sephardic Jews (who were mostly from the former Ottoman Empire, Turkey, and Thessaloniki in Greece), formed a minority among the new Jewish arrivals53. Both groups organized their own community life. Dutch Jews, who formed about 10 % of Antwerp’s Jewish population in 1942, rarely intermarried (i.e. Dutch Jews married Dutch Jews). This was less pronounced in the Sephardic Jewish community, which was always much smaller, counting approximately 200 persons in 1903-1907 and about a thousand people in 1913. At it largest it constituted around 1 % of the total Jewish population54.

Jewish residential patterns circa 1940

The introduction and thriving of strict orthodoxy

24 Jean-Philippe Schreiber notes that the first wave of immigrants did not increase the official membership of Antwerp’s existent Jewish community (at least not until 1909, and even then the number did not increase proportionally to the overall rise in the city’s Jewish population)55. Instead, the newcomers founded their own community life. As mentioned, from the last quarter of the nineteenth century there emerged a growing Orthodox Jewish life along with increasing numbers of Orthodox services and facilities. There was no real “plan” behind these developments, as the following examples demonstrate. Yitshak Hersch Ratzersdorfer and Jacob Eisenmann, two wealthy Orthodox Jewish merchants who had come to Antwerp around 1880 intending to settle in the city, are examples of Orthodox “frontmen”. Ratzersdorfer came to Antwerp in 1877 from Pressburg. He was a diamond dealer, as were later his five sons. Eisenmann, a wealthy business man (though not in diamonds) arrived in 1884 from Frankfurt am Main. He was a talmid (a scholar, a disciple) of Rav Samson Raphael Hirsch, and had been strongly influenced by him. In Antwerp Eisenmann continued to

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be a successful trader, even becoming president of a department of the Chamber of Commerce ; he can therefore be considered as having been a member of the high bourgeoisie of the city56. Both settled in the upscale new neighborhood (avenue Léopold, now Belgiëlei), and needed Orthodox facilities for themselves and their families. They were highly motivated to establish such facilities, and may have employed a shokhet (ritual slaughterer) together 57. Ratzersdorfer had even come on a “probationary year,” promising his rabbi, rabbi Soifer, with a “tekiat kaf” (handshake that indicated an agreement) to do his utmost best to find a shokhet, to establish an Orthodox community, and to provide a Talmud teacher and rabbi. He succeeded in these plans and received rabbinical permission to stay in Antwerp58. Both men founded a beth midrash (Talmud study institute).

25 The presence of these and other Orthodox facilities attracted other Orthodox Jews, and more synagogues were constructed. Besides the Israëlitische Gemeente two more Jewish religious communities were officially recognized by the state and received state subsidies/allowances. One was the small Synagogue of Portuguese Rite, organized and attended primarily by Turkish Jews; the other was Machsike Hadas (of Russian-Polish Rite). In addition to these congregations many private prayer houses, often named for the families who had founded them (for example, Feiner, Goldmuntz, Eisenmann, Ratzersdorfer, etc.), were founded around the turn of the century, as were prayer houses from religious organizations such as Mizrachi and Agudath Israel. By 1912 there were at least two mikvas (ritual bath) in town (the first had existed since 1881, the other since 1902 or 1912). A report from 1911 mentions “at least 14 private prayer houses” in the city, and Schmidt mentions 35 pre-World War II synagogues and oratories, not including the additional prayer houses that were organized annually for the High Holidays59. Among the 35 synagogues in Schmidt’s overview, 27 were from the interwar period, including several Hassidic ones (Alexander, Belz, Ger, Rab Chaïm Dovidl [Zanz], Sighet, Satmar, Tchortkov and Wiznitz)60. Jewish restaurants and food shops also opened in this area around the railroad tracks, and were increasingly under rabbinical supervision (from two butchers in 1886 to at least nine in 1906)61. 26 The oldest officially recognized community, the Israëlitische Gemeente of Antwerp, which had its synagogue in Antwerp South, enlarged its membership by merging with Shomre Hadas, a community that had been established in 1920. In 1927 it inaugurated a second synagogue, this time near the railroad tracks, as the congregation felt it necessary to provide prayer and study facilities in this neighborhood, which lay about forty minutes’ walking distance from their already existing synagogue. Their request had already been submitted before the First World War (and before Shomre Hadas joined the community). A temporary building, in the Hoveniersstraat, was used in the meantime. What we see happening is that the existing community (dating from 1816) actually had to adjust to the settlement pattern of the newly arrived immigrants in order not to lose its members and disappear62. Of the two initiatives that differed from the now “mainstream” Eastern European Ashkenazi traditions, only the Synagogue of Portuguese Rite has remained a small minority group until today. The Dutch religious community (Nieuwe Israëlitische Gemeente, or Nederlandsche Israëlitische Gemeente te Antwerpen), established at the latest in 1905, had its prayer house in the Zurenborg neighborhood, where many Dutch Jews lived, but no longer exists. According to Schreiber, its foundation was most probably caused by the stricter Orthodoxy introduced in the Israëlitische Gemeente upon the arrival of Russian and Polish Jews

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who joined the community and slowly but surely gained influence, even in the board of directors. The many Jewish labourers living in the workers’ neighborhood of Borgerhout, an Antwerp suburb, also started an Orthodox community and sought official state recognition. The Consistory could do little else but accept the new tendencies in Jewish life, at least those that were officially recognized by the Belgian state63.

The foundation of Jewish day schools

27 In addition to the Sunday school type Jewish schools (which are not indicated on the map, as no specific address information has yet been found), full time Jewish day schools were founded in the Jewish neighborhood. The history of these schools offers clear evidence for how the newcomers started with ideas that were totally rejected by the already settled Jewish population but which were in the end successful and even accepted by the majority of Antwerp’s Jewish population.

28 Since 1897, the Israëlitische Gemeente had refused to continue organizing Jewish day schools (which had existed in the city since the 1840s) and would only provide religious education after regular school hours. The head rabbi of the Israëlitische Gemeente, rabbi Wiener, held the opinion that Jewish children should attend public schools and receive Jewish education either during the two hours of the school day allotted for religion classes or after regular school time. Per the rabbi’s thinking the children needed to be part of the regular school system ; this was a reflection of strong civic mindedness. Rabbi Wiener’s philosophy here was in line with that of the Consistory, where a “religious liberalism” – often an ambivalent combination of integration and preservation of a specific religious-cultural tradition – was dominant until the First World War64. Jewish day schools thus no longer fit into the picture. Such thinking held that the non-Jewish environment in which Jews lived had to be part of their lives. The children thus attended public schools and received their Jewish religious, cultural, and language education after regular school hours (such as via Sunday schools). 29 By the turn of the century, however, Orthodox newcomers in Antwerp had started a Jewish day school, Jesode Hatora, which was modeled after the example of Frankfurt am Main. This new school combined secular and Jewish education in a Jewish environment65. As could be expected, the Israëlitische Gemeente of Antwerp was very much against this. Wiener wrote to the Alliance Israélite Universelle in Paris about the “dissidents” who had founded a traditional elementary school, a heder (though this was not exactly the correct term for the kind of school he was writing about)66. However, the new initiative proved very successful, and remained so throughout the twentieth century and until today. Moreover, it gave rise to other similar initiatives, both more moderately Orthodox (such as the Tachkemoni school, founded in 1920, and the Yavne school, founded in 1978), and more strictly Orthodox (such as the diverse Hassidic schools before and certainly after the Second World War). In many ways, the newcomers who arrived in the city from the late nineteenth and early twentieth century shaped the unique character of Antwerp’s Orthodox Jewish life. Although for someone like Eisenmann (who belonged to Antwerp’s high society, yet was a very frum [pious] man, who held the Frankfurt minhag [custom] close to his heart and supported the Jesode Hatora school) some of the strictly Orthodox traditions from Eastern

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European that were now appearing in the city seemed quite foreign, by establishing Orthodox facilities he (and others) had strengthened and attracted them67. 30 However, not every religious Jew who arrived in Antwerp remained Orthodox: “Dovid came in, freshly washed and shaved. […] The old man was greatly displeased that his grandson had shaved his beard off, God preserve us!”68 Many of the once-bearded religious men were soon working during prohibited times such as shabbat and even cut their beards and side-locks. Such actions often stemmed from desire to move up the social ladder as quickly as possible, and one way for Orthodox Jews to attempt this was to embrace the non-Jewish Western world surrounding them, including secular education, and to let go of particular Jewish strictures. We read similar stories in other places, not least in New York: “Although the vast majority of the newcomers were steeped in Orthodoxy, they soon encountered vexing difficulties in retaining and perpetuating their traditions in their new home […] The newcomers’ stress on secular education also contributed to their children’s flight from Orthodoxy. They insisted that their youngsters attend the best schools and raise themselves above the pushcarts and sweatshops […] The few established Americanized Orthodox synagogues were of little aid to the newcomer, since they were not located in the immigrant areas and were not geared to meet immigrant needs.”69 31 Heather Valencia notes in her introduction to Kreitman’s novel that “the arrival of the old father, Reb Chaim Yoysef, brings into sharp focus […] the collision of two worlds and the situation of the uprooted, Eastern European, Jewish immigrant in Western society”70. The major difference with New York was that in Antwerp the Orthodox facilities were very soon available and were situated within the Jewish neighborhood and the economic centre of Jewish life. 32 Another historical development that should be noted is that Orthodoxy’s “rigorousness” and “appearance” changed dramatically over the twentieth century, becoming all the more strict. Antwerp was one of the first places to evidence these stricter rules, which resulted in more conspicuous hairstyles and dress codes. However, the situation before the First World War differed considerably from that in the interwar period, just as the latter period was not really comparable to the Jewish Antwerp after the end of the 1960s71.

Bringing in Eastern European Zionism and Jewish organizations

33 The newcomers who began arriving in Antwerp around 1880, most of whom were of Russian, Austrian or German origin, introduced not only the Orthodoxy of Frankfurt am Main, but also liberal and religious Zionism and various leftist tendencies. For a Western European city, Antwerp’s Zionist life was remarkably well developed in the pre-World War II period. The interwar immigration waves, dominated by Polish migration, brought more Eastern European elements, especially the leftist scene, which was also reflected in the foundation of several Jewish workers’ organizations (see earlier overview). A selection of political and/or cultural Jewish organizations gives an indication of the different tendencies present in Antwerp. Interestingly, most of the organizations were founded soon after the parent organizations were established: 1898, Agudath Zion (followed by women’s and youth organizations); 1905, Mizrachi (followed by women’s and youth organizations, Bne Akiva and others) and local Zionist

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Federation; 1912, Agudath Israel and its youth organizations; 1920, Maccabi, WIZO and Bar Kochba; 1924, Hashomer Hatsaïr and the Bund; 1926, Revisionist Party with youth organization Betar; 1927, Linke Poale Zion ; 1931, Verbond van Poolse joden (Union of Polish Jews); 1932, Poale Zion – Zeire Zion (founded in respectively 1908 and 1904) ; 1934, Prokor; 1935, JASK (Jewish workers sports club); 1937, Council of Jewish Organizations; 1938, Geoulah (and Bené Zion)72. As can be seen from this overview, the religious and Zionist organizations were founded and active before the First World War, whereas the leftist scene (apart from Poale Zion) began to develop its structures in the interwar period. The launchings of new Jewish periodicals also offer clear proof of an always developing and ever colourful Jewish life. Five to eight Jewish periodicals were published in the pre-World War I period, and the interwar period saw 63 to 80 new periodicals (leftist and rightwing periodicals were especially prevalent in the 1930s)73.

34 From 1875 onwards, Jewish Antwerp saw many new initiatives for aid to orphans, pregnant women, the elderly, the sick, the unemployed, the poor, migrants (both those who settled and those in transit), and for undertaking the ritual burials of poor Jews who had died in the city. Antwerp Jews also sought to send help to their families’ places of origin (Central and Eastern Europe, especially Russia, Austria, Hungary, etc.). Before the First World War many parallel initiatives existed alongside each other; in 1920 a unified organization for Jewish welfare was established. This was the Centrale, which is still one of the only centralized organizations of Jews in Antwerp74. It was definitely an exception in Western Europe in the pre-World War II period: Brussels, Paris and Amsterdam did not have unified Jewish social welfare. The Centrale is supported by almost everyone who calls him- or herself Jewish. The unwritten rule was and remains: “you either give to the Centrale or you are supported by it”. Historically this unity however needs to be nuanced somewhat as during the entire interwar period the Centrale vigorously fought to defend its dominant position in Jewish life as can be asserted from its repeated calls to the Jewish community in its periodical La Centrale, and other Jewish organs, to refrain from subsidising various Jewish philanthropic organisations not under the control of the Centrale75. Throughout the 1920s, the Dutch Jewish colony in Antwerp, centred around the Nederlandsche Israëlietische Gemeente te Antwerpen with its synagogue at the Leeuwerikstraat 43, for instance would retain its own philanthropic institution unaffiliated with the Centrale and even established rival institutions such as NIZA (Nederlandsche Israëlitische Ziekeninrichting) which directly encroached upon the philanthropic terrain of institutions under the control of the Centrale (Bikur Cholim), which sometimes led to rather farcical situations76. Despite these challenges the Centrale was able to maintain its dominant position in philanthropic and social work in the Jewish community and by no means could the situation in Antwerp be compared with the total anarchy which reigned in the Jewish community of Brussels or the smaller communities in the rest of the country. 35 Along with the strengthening concentration in one economic sector, this made for a stronger group cohesion, also to the outside world, but leaving room for differences within it. We could see it as a multicultural organization unifying various social and communal social segments of Jewish life. This group cohesion should at the same time not be overly idealized, as both with the First and the Second World War, different places of origin, and different decisions taken during the conflict (especially for the diamond diaspora during the First World War) led to schisms and hostile attitudes

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within Jewish life before, during, and after the conflict: “So the Russian, Polish and even Lithuanian Jews forgot for a moment that they were all supposed to hate each other like the plague and made a united front to drive back the impudent Galicians. They mocked the Galician “heroes” who were rejoicing prematurely and boasting of German superiority. Even Hassidim, who went to the court of the same rebbe, and normally ate the remnants at the same rebbe’s table and trembled together at the door of his study, divided into two camps and wages war on each other day and night in their synagogues and prayer houses […] Mixed marriages were a terrible problem; if a Galician woman had a Russian husband, or vice versa, she would suffer double pain, on account of both her husband and her country. Even children were drawn into the battles. This wasn’t just happening in Leeuwerikstraat. All of Antwerp had taken to the streets.”77

Conclusions

36 The wave of mass immigration did not go unnoticed in the Western European cities where Eastern European Jews arrived. Differences in Jewishness were myriad, especially with the more traditional and less assimilated character of the newcomers, as compared to the integrated and fairly assimilated small Jewish presence in the city. In Antwerp the Orthodox character of the immigrants was, to a degree not seen elsewhere in Western Europe, able to establish itself to a remarkable magnitude. This even led to Orthodoxy defining almost all characteristics of the local Jewish community in the post-World War II period. The quick reconstruction of the Orthodox religious communities and of their facilities again attracted Hassidic and other Orthodox newcomers to the city. In many ways, this seems like an almost fast-forward repeating of Antwerp’s Orthodox history from the pre-war period. Antwerp may have had strong Zionist, leftist and Communist Jewish tendencies before the Second World War, but these disappeared after the war. But Antwerp never had any religious life other than Orthodox life officially recognized in the city over the whole twentieth century. This could be where the Antwerp case differs from other Western European cities of the time.

37 A part of the explanation lies in the fact that there was not a large community in Antwerp with a longstanding tradition before this immigration. Another key element appears to be the combination of religious Orthodoxy and economic profile of some of the newcomers. First, in Antwerp the first cracks in the Consistory ideals of “religious liberalism” and integration were introduced by the upper class layers of the late nineteenth century Orthodox immigrants (Antwerp’s Jewish community had most likely surpassed that of Brussels by 1914, and by that time Antwerp had more Jewish organizations than any other city in Belgium)78. After the Second World War, the Consistory would develop into the defender of Orthodoxy, excluding any other religious tendency79. Another challenge to the pre-war Consistory ideals was Antwerp Zionist activity (liberal and religious Zionism dominantly). This aspect however did not remain one of Antwerp’s Jewish characteristics after the Second World War. Second, the diamond sector with its Jewish management provided jobs which afforded Orthodox Jews the freedom to adjust their working schedules to the high demands of a strict religious life.

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38 Historian David Feldman’s premises for English Jewry that the immigration waves were a challenge for the existing Jewish life, and caused not only adaptation from the immigrants, but also from the existing community to the newcomers (a multiple way process), comes clearly to the fore in this Antwerp case study too80. With the massive coming of the newcomers, the existing Jewish community in Antwerp had to adjust geographically, and saw its membership becoming more Orthodox. Even on a national level, the Consistory could not impose its model of integration to the new immigrants, and had to see Jewish day schools being founded. Of course, the newcomers acculturated as well, naming their children for example with more Western European first names (so more often “Jacques” than “Jacob”; “Joseph” instead of “Yossele”, or “Alfred” instead of “Abraham”). But all in all, the newcomers did not only challenge Antwerp and Belgian Judaism, they changed it dramatically in the long run. Their socio-economic, demographic, religious and cultural impact transformed not only Jewish life, but the outlook and characteristics as well as economy of Antwerp as a city, and even Belgium as a country.

NOTES

1. This article first took shape after participating in the conference “Jewish Migration and Integration to the Metropolises of Europe, 1848-1918. A Comparative Perspective” (Vienna, 2009). I am very grateful to all the participants and most importantly to the organizers, as well as to Drs. Janiv Stamberger who provided me with a fresh set of remarks on the topic in 2017. All images in this article : © Musée juif de Belgique – Joods Museum van België. 2. V. Vanden Daelen, Laten we hun lied verder zingen. De heropbouw van de joodse gemeenschap in Antwerpen na de Tweede Wereldoorlog (1944-1960), Amsterdam, 2008. 3. J. Gutwirth, La renaissance du hassidisme. De 1945 à nos jours, Paris, 2004, pp. 28-31. 4. Antwerp as a city was in full expansion in the last half of the nineteenth century and experienced huge growth in population (from approximately 100,000 around 1860 to over 300,000 in 1910). The larger agglomeration included, the numbers were even multiplied by 3.5 over this time (S.n., Antwerpen 1860-1960, Antwerp, 1960, pp. 12-14, 47-48). 5. J. Brauch – A. Lipphardt – A. Nocke, “Exploring Jewish Space. An Approach”, in J. Brauch – A. Lipphardt -– A. Nocke (ed.), Jewish Topographies: Visions of Space, Traditions of Place, London, 2008, pp. 1-4. 6. Esther Kreitman was born in 1891 in Bilgoray (Poland) as Hinde Esther Kreitman. She was the oldest child of Hassidic rebbe Pinkhas Menakhem Singer and his wife Basheve. Her three years’ younger brother, Israel Joshua Singer, and especially her thirteen year younger brother, Isaac Bashevis Singer, are much more known authors. However, Esther Kreitman wrote three novels herself, two of which play partly in Antwerp: Der sheydim tants (The Devil’s Dance, 1936, translated as Deborah), and Brilyantn (Diamonds, 1944). She lived herself for a while in Antwerp after her arranged marriage with diamond cutter Avrom Kreitman in 1912 (H. Valencia, “Introduction”, in E. Kreitman, Diamonds, London, 2010, pp. 9-27). 7. J.-Ph. Schreiber, Politique et religion. Le Consistoire central israélite de Belgique au XIXe siècle, Bruxelles, 1995.

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8. Further research in the files of the Foreigners’ Police will better our insights on patterns of chain migration, economic and residential clustering, and marriage patterns. It could provide a more detailed view of the social contacts between Jews in the city and more and more lead to the image of the “sociological Jews”, meaning every Jewish person in town, instead of the “community Jews”, meaning these persons engaged in community organizations (be it as a member or in a leading position) that already existed or were founded (J.-Ph. Schreiber, « Contribution à l’étude de la démographie dynamique de l’immigration juive en Belgique entre 1840 et 1890 », in S. Della Pergola and J. Even (ed.), Papers in Jewish Demography. Selected proceedings of the Demographic Sessions Held at the 12th World Congress of Jewish Studies 1997, Jerusalem, 2001, pp. 65-67. 9. J.-Ph. Schreiber, « Contribution à l’étude... », op. cit., p. 66 ; J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive en Belgique du moyen âge à la première guerre mondiale, Brussels, 1996, p. 132. 10. J.-Ph. Schreiber, « Contribution à l’étude... », op. cit., p. 66 and p. 71 ; J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive..., op. cit., pp. 132-136. 11. E. Schmidt, Geschiedenis van de Joden in Antwerpen: in woord en beeld, Antwerp-Rotterdam, 1994, p. 96 ff.; J.-Ph. Schreiber (ed.), Dictionnaire biographique des Juifs de Belgique. Figures du judaïsme belge XIXe-XXe siècles, Brussels, 2002, pp. 56-57 ; J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive..., op. cit., p. 132, p. 134. For the time under Dutch rule, see B. Wallet, Nieuwe Nederlanders. De integratie van de joden in Nederland, 1814-1851, Amsterdam, 2007 ; B. Wallet, “Brabantse joden tussen Oranje en ‘le peuple belg’. Migratie en de joodse gemeenschappen in Brabant, 1815-1839” in Noordbrabants Historisch Jaarboek, 26, 2009, pp. 170-189. 12. Ph. Heylen, “Voorwoord” and S. Hoste, “Antwerpen en zijn haven”, in M. Nauwelaerts (ed.), Red Star Line. People on the Move, Schoten, 2008, pp. 7 and 60-62 ; E. Kreitman, op. cit., p. 84. More known and more important transit ports of that era were Hamburg, Bremen or Rotterdam (see for example the work of Tobias Brinkman). 13. L. Saerens, Vreemdelingen in een wereldstad. Een geschiedenis van Antwerpen en zijn joodse bevolking (1880-1944), Tielt, 2000, pp. 10, 15 (restrictive migration laws), 201-202. 14. The only registrations available are a population survey of 1846 (which in fact violated the constitution) and the obligatory registrations during Germany’s occupation of the country during the Second World War. The latter registrations cannot be considered complete, as many Jews had already fled the country or did not comply with edicts to present themselves for registration. Researchers have thus had no alternative but to work with estimates in order to describe evolutions in Jewish demographics (J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive..., op. cit., pp. 96-97 ; V. Vanden Daelen, Laten we hun lied verder zingen, op. cit., p. 15, pp. 27-34). 15. R. Van Doorslaer, Kinderen van het getto : Joodse revolutionairen in België, 1925-1940, Antwerp, 1996, pp. 12-13, p. 24. 16. « They had come from Poland or Russia in order to avoid military service » (E. Kreitman, op. cit., p. 81). 17. Ibid. 18. A. Winter, Migrants and Urban Change: Newcomers to Antwerp, 1760-1860, London, 2009, pp. 9-34 (Series: Perspectives in Economic and Social History); J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive..., op. cit., pp. 140-141. 19. Fr. Caestecker, Alien Policy in Belgium, 1840-1940: the Creation of Guest Workers, Refugees and Illegal Aliens, New York, 2000, p. 242. 20. The others with Belgian nationality were members of the Jewish immigrant economic elites who had immigrated afterwards, and who had the economic profile and financial resources to successfully obtain the grand naturalization, and children of Jewish long-term immigrants born in Belgium who when they turned 22 could opt for Belgian nationality. (See Belgian Law of 8 June 1909 and adaptation of this law on 15 May 1922; H. Bekaert, Le statut des étrangers en Belgique, Bruxelles, 1940, pp. 61-62).

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21. Studiecommissie betreffende het lot van de bezittingen van de leden van de Joodse gemeenschap van België, geplunderd of achtergelaten tijdens de oorlog 1940-1945 (Diensten van de Eerste Minister), De bezittingen van de slachtoffers van de jodenvervolging in België: spoliatie – rechtsherstel – bevindingen van de Studiecommissie. Eindverslag, Brussels, 2001, pp. 35-36. Patrick Weil mentions 58 % of Jews in France with the French nationality (about 140.000 of the estimated 330.000 Jews in France did not have French nationality, P. Weil, “The return of Jews in the nationality or in the territory of France”, in D. Bankier (ed.), The Jews are coming back. The return of the Jews to their countries of origin after WWII, Jerusalem, 2005, p. 58. 22. E. Laureys, Meesters van het diamant. De Belgische diamantsector tijdens het nazibewind, Tielt, 2005, pp. 58-60; J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive..., op. cit., pp. 258-261 (the diamond sector started to develop seriously from the 1840s, but it was only by the last part of the century that we speak of a real “boom”). 23. The Jewish diamond dealers and merchants were mostly original from Galicia, Russia and the Ottoman Empire. The workers were mostly of Dutch and Eastern European origin (J.-Ph. Schreiber, « Contribution à l’étude... », op. cit., p. 73 ; R. Hillen, Joods-Belgische verhoudingen in de Antwerpse diamantindustrie, 1914-1940, Leuven, unpublished MA-thesis, 1999, pp. 14, 30). 24. E. Laureys, op. cit., pp. 58-62, 131-132 ; N. Vermandere, Adamastos. 100 jaar Algemene Diamantbewerkersbond van België, Antwerp, 1995, pp. 89-90. 25. This number fell significantly after the liberation, and remained at about 15,000 until the early 1980s, and is today probably quite less (E. Laureys, op. cit., pp. 23-24). 26. Ibid. 27. Fr. Caestecker, op. cit., p. 242. 28. I. Van Damme, “Het vertrek van Mercurius. Historiografische en hypothetische verkenningen van het economisch wedervaren van Antwerpen in de tweede helft van de zeventiende eeuw”, in NEHA-Jaarboek voor economische, bedrijfs- en techniekgeschiedenis, Amsterdam, 2003, pp. 6-39. He refers to A. Kint, The community of commerce : social relations in sixteenth-century Antwerp, New York, 1996 ; http://www.antwerpen.be/eCache/BEN/16/392.html, consulted on 26 March 2010. 29. E. Laureys, op. cit., pp. 68-69, 365-374 ; L. Saerens, op. cit., pp. 14-15, 125 ; V. Vanden Daelen, “Negotiating the Return of the Diamond Sector and its Jews – The Belgian Government during the Second World War and in the Immediate Post-war Period”, in Holocaust Studies, special issue “ Governments-in-Exile and the Jews during World War 2”, vol. 18, nrs. 2-3, Autumn/Winter 2012, pp. 231-260. 30. J. Gutwirth, Vie juive traditionnelle. Ethnologie d’une communauté hassidique, Paris, 1970, p. 79 ; Interviews author with Schamisso family and with Pinkas Kornfeld. Antwerp, respectively on 7 January 2009 and 3 March 2009. 31. E. Kreitman, op. cit., p. 77. 32. In the interwar period especially, with its highly politicised Jewish life, social disputes in the Jewish community and in the diamond industry became a recurring phenomenon as left-wing Jewish groups unsuccessfully tried to unionise the Jewish labourers and led some successful strikes in the diamond industry (R. Van Doorslaer, « Joodse arbeiders in de Antwerpse diamant in de dertiger jaren : tussen revolutie en antisemitisme », in Les Cahiers de la Mémoire contemporaine - Bijdragen tot de eigentijdse Herinnering, 4, 2002, pp. 13-26.) 33. E. Laureys, op. cit., p. 132 ; R. Van Doorslaer, “Joodse arbeiders in de Antwerpse diamant...”, op. cit., pp. 16-17. 34. E. Kreitman, op. cit., p. 69. 35. Phone interview author with J. Iarchy whose father came to study at this school from Rumania where the numerus clausus for Jews prevented him from enrolling (6 July 2010) ; J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive..., op. cit., p. 140 ; V. Ronin, Antwerpen en zijn “Russen”: onderdanen van de tsaar, 1814-1914, Ghent, 1993, pp. 169-171, 182-185, 194-201. For more information on East European Jewish students during the interwar period in Belgium, see P. Falek, A Precarious Life.

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East European Female Jewish Students in Interwar Belgium, PhD, thesis, Departement of History and Civilization, European University Institute, Florence, 2011. 36. See for example: Cywja S. who came to Antwerp to help her sister and brother in law in their household. Extra argument for their case was that Cywja was an orphan (State Archives of Belgium, Brussels, Foreigners’ Police, file Rajczyk Z., 1.497.815); Malia C. came to Antwerp at the request of her uncle who wanted her to take care of his mother (State Archives of Belgium, Brussels, Foreigners’ Police, file Edward S., 1.481.914. Other cases are for example: file Rosa W., A166.829 ; file Hersz S., 1.541.150; file Leib-Hillel S., 1.581.437). 37. Sh. Aleichem, Adventures of Mottel, the Cantor’s Son (translated by Tamara Kahana), London- New York, 1958, pp. 191-192 (the novel was originally written in Yiddish. When Sholem Aleichem died in 1916, the book was not yet finished). 38. State Archives of Belgium, Brussels, Foreigners’ Police, file Leib-Hillel S., 1.581.437, letter Czarne S. to Queen Elisabeth of Belgium, undated [before 12 December 1932]. 39. V. Vanden Daelen, Laten we hun lied verder zingen..., op. cit., p. 85. 40. See lists of boards of directors Centrale, and Jewish communities Shomre Hadas and Machsike Hadas. 41. Bar-Bar, « Lettre de Schnorropolis : La Jérusalem du Diamant », in Hatikwah, Organe bimensuel de la Fédération des Sionistes de Belgique, 4, 21.3.1924, p. 70. 42. V. Vanden Daelen, Laten we hun lied verder zingen, op. cit., p. 86; for more information on the Jewish left wing see forthcoming PhD of Janiv Stamberger. 43. E. Schmidt, Geschiedenis van de joden, op. cit., pp. 126-127, 321. 44. http://www.kmska.be/Templates/content.aspx?id=82, consulted on 15 December 2008 ; J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive..., op. cit., pp. 136-139. 45. J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive..., op. cit., pp. 132-136. 46. See T. Bisschops, “Ruimtelijke vermogensverhoudingen in Leiden (1438-1561). Een pleidooi voor een perceelsgewijze analyse van steden en stedelijke samenlevingen in de Lage Landen”, in Stadsgeschiedenis, 2, 2007, pp. 121-138. 47. J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive..., op. cit., pp. 138-139. 48. J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive..., op. cit., pp. 138-141 ; J. Brauch - A. Lipphardt - A. Nocke, “Exploring Jewish Space...”, op. cit., pp. 1-4. 49. About the Antwerp eruv, see P. Kornfeld, Sefer rehovot ha-ir, Jerusalem-Antwerp, 1989. 50. S.n., Nomenclature des Israélites résidant à Anvers (Anvers, [1902]). 51. L. Saerens, “De Jodenvervolging in België in cijfers”, in Cahiers d’Histoire du Temps Présent - Bijdragen tot de Eigentijdse Geschiedenis, 17, 2006, pp. 224-225; E. Schmidt, op. cit., pp. 314-316, 322-323; S.n., Yidisher Almanak, Antwerp, 1933, pp. 161-167. 52. L. Saerens, Vreemdelingen in een wereldstad..., op. cit., p. 24. Another reason for the origin of this neighborhood would be that is was far enough from the Dutch border to avoid compulsory military service in the Netherlands, and Antwerp itself was not (Interview author with Mr. and Mss. B. Drilsma, Antwerp 25 September 2008). 53. V. Vanden Daelen, “Dutch Jews at multiple borders, Antwerp, 1900-1950 » and « Minority or sub-minority ? Sephardic Jews in early twentieth century Antwerp”, findings presented at international conferences, respectively at the CHIR-conference “Migration and Intercultural Identities in Relation to Border Regions (19th and 20th centuries)”, Kortrijk, 27-29 May 2010 and the EAJS-conference “Judaism in the Mediterranean Context”, Ravenna, 25-29 July 2010 ; J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive..., op. cit., pp. 147-148. 54. J.-Ph. Schreiber, « Contribution à l’étude... », op. cit., p. 73 ; V. Vanden Daelen, “Dutch Jews...”, and “Minority or sub-minority...”. 55. J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive..., op. cit., pp. 140-142.

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56. About Eisenmann, see E. Bendheim (ed.), The Synagogue Within. Antwerpen’s Eisenmann Schul, Jerusalem, 2004 ; about Ratzersdorfer, see E. Schmidt, op. cit., pp. 100-101 ; J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive..., op. cit., pp. 143, 146. 57. “He [Eisenmann] shared an apartment with one Ratzersdorfer. Together they employed a shochet, who also cooked for them (poorly)” (E. Bendheim, The Synagogue Within..., op. cit., p. 69). 58. E. Schmidt, op. cit., pp. 100-101. Schmidt refers to the writings of rabbi Jozef Tswi Soifer (“Toldot Sofrim”). Rabbi Chaim Soifer, rabbi of Munkatsch, a member of the Ratzersdorfer family who was at that time visiting the family in Pressburg. 59. Overview of synagogues and private prayer houses (the ones from officially recognized Jewish religious communities are underlined): +/- 1881, Ratzersdorfer-synagogue (side street corner Hoverniersstraat and Schupstraat) ; 1884, Feiner (Leeuwerikstraat 29) ; 1888, Ahavas Sjoelim (Van Diepenbeekstraat 32); 1893, Synagogue Bouwmeestersstraat (Bouwmeestersstraat) ; 1899, Steinfeld (Provinciestraat 265) ; 1907, Eisenmann (Oostenstraat 29) ; 1912, Agudath Israel (Oostenstraat 42) ; 1913, Synagogue of Portuguese Rite (Hoveniersstraat) ; 1918, Synagogue Machsike Hadas (Oostenstraat) ; 1919, Chevrah Kadisjah Machsike Hadas (Van Spangenstraat 6) and Hollands Minjan (Fabriekstraat, former sidestreet of the Pelikaanstraat) ; 1920 : Machsike Hadas (Oostenstraat 43) ; 1923, Chodosjim (Wipstraat 36) and Moriah (Terliststraat 35) ; 1924, Gitschotel (Sterrenborgstraat 13) ; 1926, Rab. Leibele Twersky (Provinciestraat 265) and Mizrachi (Stoomstraat 9) ; 1927, Annexe-synagogue Van den Nestlei (Van den Nestlei) ; 1928, Masel-Burack (Lange Kievitstraat 6), Siged (Provinciestraat 212), Tschortkow (Provinciestraat 167) and Wiznitz (Lamorinièrestraat 16) ; 1929, Béth Jitzchak (Somersstraat 12), Belz (Somersstraat 12) and Gur (Van Spangenstraat) ; 1930, Gitschotel (Junostraat 11) and Grodzisk (Velodroomstraat 32) ; 1934, Weiser, Moïsche Leib (Lange Kievitstraat 153) ; 1935, Achvah (Somersstraat 10), Menachem Aveilim (Lange Kievitstraat) and Tehuis voor Ouderlingen (Generaal Drubbelstraat 64) ; 1936, Rubinstein (Somersstraat 17), Talmud Torah (Leeuwerikstraat 37) and Alexander (Millisstraat 44) ; 1937, Rab. Chaïm Dovidl (Chass. Sanz, Van der Meydenstraat 33). The list is most probably not complete (the Goldmuntz prayer house, for example, is not included). (J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive..., op. cit., pp. 142-144 ; E. Schmidt, op. cit., pp. 314-317). 60. CAHJP, CC-files, 1957, 1957/019, Tifereth Israel aan Claims Conference, 06/06/1957 ; J. Gutwirth, Vie juive traditionnelle..., op. cit., p. 29 ; S.n., Der nayer binyen fun Beth Rakhel d’Satmar in Antverpn, Antwerp, s. d., p. 10. 61. J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive..., op. cit., p. 144. 62. J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive..., op. cit., pp. 140-142 ; V. Vanden Daelen, Laten we hun lied verder zingen..., op. cit., chapter 3. According to the archives of the Consistory, the community even opened a third synagogue in the Terliststraat for its Hassidic members in 1920 (Archives of the Central Israelite Consistory of Belgium, hand written notes, Correspondence and Communauté Israélite d’Anvers : Rapport 1920). 63. J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive..., op. cit., pp. 142-144, 148. 64. J.-Ph. Schreiber, « Het joods onderwijs in België (1820-1914) », in Les Cahiers de la Mémoire contemporaine - Bijdragen tot de eigentijdse Herinnering, 6, 2005, pp. 277-292 ; J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive..., op. cit., pp. 145-146. 65. J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive..., op. cit., pp. 146 sqq. 66. J.-Ph. Schreiber, “Het joods onderwijs...”, op. cit., pp. 277-292 ; Archives Alliance Israélite Universelle (Paris), Antwerp, B1 (17): letter Rabbi Wiener (Antwerp) to J. Bigart (Secrétaire de l’Alliance israélite universelle, Paris), 18 March 1909. In 1879 the Brussels Jewish day school was closed as a result of the law Van Humbeeck (1879), which was supported by the Consistory. Almost fifteen years earlier, in 1865, the school had still attracted about 20 % of the Jewish children in the city. When the law was abolished in 1884, the Consistory did not plan on again founding a Jewish day school. 67. E. Bendheim, op. cit., pp. 27-41, 70.

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68. E. Kreitman, op. cit., p. 116. 69. A. Rothkoff, Bernard Revel, builder of American Jewish Orthodoxy (Philadelphia 1972), pp. 3, 5, 7. 70. H. Valencia, “Introduction”, in E. Kreitman, op. cit., p. 23. See E. Kreitman, op. cit., p. 114-116. 71. V. Vanden Daelen, “Markers of a Minority Group. Jews in Antwerp in the Twentieth Century”, in J. Frishman - D. J. Wertheim - I. de Haan - J. J. Cahen (eds.), Borders and Boundaries in and around Dutch Jewish History, Amsterdam, 2011, pp. 45-61 ; K. de Haan, Een handvol illusies? Overlevingsstrategieën van Pools-Joodse migranten te Antwerpen, 1920-1930, Brussels, unpublished thesis, 1990, p. 141. 72. E. Schmidt, op. cit., pp. 317-321. 73. D. Dratwa, Répertoire des périodiques juifs parus en Belgique de 1841-1986 (Brussels, 1987) and E. Schmidt, op. cit., pp. 326-330 ; J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive..., op. cit., pp. 149-150. 74. The present full name of this organization is Centraal Beheer van Joodse Weldadigheid en Maatschappelijk Hulpbetoon. 75. For a few examples see: La Centrale, 2, February 1935, pp. 4 ; La Centrale, 3, March 1935, pp. 7; La Centrale, 5, May 1938, pp.1; Di yidishe presse, 4, January 23 1931, p. 2. 76. See the 1928-1929 periodical NIZA, officieel orgaan der Nederlandsche Israëlitische Ziekeninrichting of this organisation for more information. 77. Y. Vassart, L’immigration des diamantaires en Angleterre et aux Pays-Bas durant la Première Guerre Mondiale, Brussels, unpublished MA-thesis, 2000 ; E. Kreitman, op. cit., pp. 165-166, quote from p. 166. 78. J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive..., op. cit., p. 149. 79. Ibid., p. 142. 80. D. Feldman, Englishmen and Jews: Social Relations and Political Culture, 1840-1914, New Haven, 1994, pp. 1-2, 6-7.

AUTHOR

VEERLE VANDEN DAELEN

PhD in History (UA), Veerle Vanden Daelen is Deputy General Director and Curator of Kazerne Dossin and author of Vrouwbeelden in het Vlaams Blok (2002) and Laten we hun lied verder zingen. De heropbouw van de joodse gemeenschap in Antwerpen na de Tweede Wereldoorlog (1944-1960) (2008).

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The “Belgian” Jewish Experience of World War One

Janiv Stamberger

1 The history of Belgium’s Jewish community and its experience of the First World War has yet to be written. While during the last few years some articles have been published on Jews and the First World War in Belgium, a few notable ones in this journal, a detailed and exhaustive study of how the Jewish communities in Belgium fared during the war is still inexistent1.

2 In this introductory article I do not intend to offer such an exhaustive overview, nor present radically new information regarding “Belgium’s Jews” and their fortunes between the fateful years of 1914-1918. Instead this paper is a first tentative synthesis of the Belgian Jewish experience of the First World War based on the existing literature, and a preliminary investigation into some of the primary sources. As such, in this article, I will aim to lay the basis of, and offer a first analysis into, some of the events which transpired in Belgium’s Jewish communities during the conflict. 3 First, I will present a general overview of the outbreak of the war and the reactions and responses of the Jewish communities. Subsequently, I will discuss how forms of “Belgian” Jewish life continued to exist in centres abroad, where “Belgian” Jews had found refuge. Next, I will analyse how the two principal Jewish communities in Belgium, in Antwerp and in Brussels, fared during the occupation. I will try to explain how different circumstances determined the trajectory of both communities and examine how in Antwerp Jewish life during the war was reduced to a state of near inexistence, while in Brussels different groups in Jewish society responded towards the difficult, political, and economic realities in a variety of ways. Finally, I will try to analyse the significance of the First World War on the development of Belgian Jewry from a more long-term perspective.

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The start of hostilities

4 In the summer of 1914 the Belgian population and the Jewish community was still blissfully unaware of the immeasurable chaos into which Europe and much of Belgium would be plunged during the next four years. For Belgium, as well as for its Jewish community, the events of 1914-1918 – soon to be referred to as the Great War – proved to be a turning point in its history.

5 The outbreak of war on August 4 1914 took Belgium by surprise. Even though immediately prior to the conflict international tensions ran high, the German push through neutral Belgium still came as a complete shock2. Panic and fear took hold over the streets in the cities of the country and soon turned to rage and nationalist fervour. The anger against the flagrant violation of Belgium’s sovereignty and neutrality was fanned by false rumours against the substantial German immigrant colonies residing in the country and led to a wave of popular fury. Mobs in the streets of Antwerp and Brussels turned on everything suspected to be German. German pubs and stores were smashed and looted and in a display representing some medieval charivari enemy nationals (Germans and Austrians) were subjected to mockery, insults and violence3. Members of the Jewish community of Antwerp, which included a relatively large group of German Jews, also became victims of this popular anger. As such, the department store of Leonard Tietz was damaged during the anti-German agitation in Antwerp, even though he had precautionary placed large Belgian flags on the facade of the store4. Except for some looting in the area around the Central Station, the Jewish neighbourhood was largely spared as most of the violence and rioting was restricted to the Fourth district and the Scheldt Docks5. 6 The popular anger and the decree issued by the Belgian authorities that all enemy nationals should leave the city within forty-eight hours, caused panic and distress in the Jewish neighbourhood. A week after these events, the Dutch Jewish weekly of the Netherlands, Nieuw Israelietisch Weekblad, reported on the desperate scenes its journalist had witnessed: “Especially [the neighbourhoods] Zurenborg and neighbouring Borgerhout were in a state of uproar. Under military escort the families who had not yet departed were driven towards the Central Station; from where the unfortunate victims of this brutal war left hospitable Belgium through Holland. Zurenborg is deserted and in the surrounding streets 80 residences remain vacant. The streets Kievit, Leeuwerik, Lente en Zomer are all but desolate.” 6 Most of the German Jews and the Jews from Galicia, which was part of the Austro-Hungarian Empire, left the city in the first days of the war without their possessions which were subsequently placed under sequester. Their departure was greeted with cheers, insults and mockery from the Belgian population. Salomon Dembitzer, a Krakow-born Jewish writer living in Antwerp, recalled that when the overloaded trains with Jewish refugees left the Central Station “Belgian women and girls raised their fists against us, called out curse words and laughed at us [them]”7. 7 The order for enemy nationals to leave the city also led to painful divisions within the Jewish community as the immigrants from Russia (an allied country) were exempt from the measures taken against the Austro-Hungarian and German Jews. This led to bitter resentment8. As the German army advanced, most Russian Jews chose to join their “brethren”, rather than risk falling under the rule of the German occupier. The Jewish exodus from Belgium was but a small part of the enormous army of refugees which at the outset of the war fled before the German onslaught. Some one and a half million

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Belgians would take to the road in search of a safe-haven and some 600,000 of them would spend the remainder of the war either in France, the Netherlands or Great Britain9.

Belgium’s Jewish diaspora abroad

8 The Jewish refugees from Belgium mostly chose the neutral Netherlands and Great Britain as their destination. By the middle of October the Jewish Chronicle, the London- based Jewish weekly, reported that some 5,000 Jewish refugees from Belgium had settled in the British capital and more were arriving daily10. The number of Jewish refugees in London would soon dwindle as some of them chose to join family in France or simply moved on, by 1916 the number of Jewish refugees from Belgium was estimated to be around 3,000-3,50011. Initially the Belgian Jewish refugees were sheltered by the Jews’ Temporary Shelter, an organisation which since 1885 aided Jewish immigrants passing through London on their journey. In order to deal with the stream of refugees the organisation established the Jewish War-Refugees Committee (JWRC) at the end of August which was supported by the Jewish community of London, Jewish communities throughout Great Britain, and the British government. Throughout the war the JWRC would aid some 10,000 Jewish refugees, predominantly from Belgium12.

9 Upon arrival, in a typical British class-conscious fashion, the Jewish refugees were separated according to their social position. Although this admittedly was a “rough- and-ready” classification it was deemed necessary as it was argued that “a professor and a shoemaker are not ideal companions – though the shoemaker may be an excellent fellow in himself”13. Refugees who had held important functions and positions in their places of residence (most came from Antwerp) were sent to the Manchester hotel where “the middle class-genteel men, refined and well-clad women, far removed from the charity-receiver, [and] very akin to the members of the average London [Jewish] congregation” found a well-furnished establishment14. In November 1915 this group of Jewish refugees, which numbered 600, was moved to 35 houses in the north of London provided by the committee15. The working-class Jewish refugees were sent to the refuge in Poland Street where they had access to a workshop, a synagogue, and a school for the children. These refugees were mostly Polish or Russian Jews who had lived in Antwerp. The refuge in Poland Street, located in the middle of Soho, soon became a microcosm of Eastern European Jewish life, the courtyard was colourfully described as resembling “a street in Łodź”16. Despite the obvious hardships, most of the refugees from Belgium seemed to have encountered favourable circumstances during their stay in Great Britain. In London, an important international diamond centre, the Jewish diamond merchants were greeted with open arms and business during the war years flourished. For the poor refugees who had worked as labourers in the diamond industry, the situation was more difficult17. Nevertheless, when the Jewish Belgian refugees were collectively repatriated in 1919 the Jewish Chronicle proudly reported that “the erstwhile refugees have no cause to grumble: in nine cases out of ten they have left us far richer in substance than when they sought the hospitality of these shores”18. Jewish refugee children had adapted more quickly to their new surroundings, as is often the case with children in similar situations throughout history, which made the

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return to Belgium difficult. Now more fluent in English than Flemish and being estranged from Belgium, many a tear was shed on departing British soil19. 10 Though London welcomed many Jewish refugees from Belgium in 1914, the vast majority of them would spend the war years in the neighbouring Netherlands. In Scheveningen, a seaside resort next to The Hague, a Belgian Jewish colony was established which not only provided a home for Jewish refugees but also served as the temporary shelter for a number of Jewish institutions from Antwerp. During the war, the town became a centre of Jewish life with a myriad of “Belgian” Jewish organisations which would serve as a model for similar Jewish organisations in Antwerp after the return of the refugees. Jewish refugees mainly settled in The Hague, Amsterdam and Rotterdam. According to the Aliens register of The Hague, at least 329 Jewish families settled in Scheveningen during the war years but this is probably an underestimation of the true number as not everyone registered officially20. In 1918 the number of Jewish refugees in the Netherlands, the absolute majority of them from Belgium, was estimated to be around 10,00021. 11 The Belgian Jewish colony of Scheveningen consisted mostly of Galician Jews and soon developed as a nucleus of East European Jewish life. Many Jewish refugees who had been active in the diamond industry reorganised themselves and founded the club Antverpia headed by the prominent diamond merchant Romi Goldmuntz22. Zionist organisations established in Antwerp during the first decade of the twentieth century such as Agudath Zion and Mizrakhi were re-established in Scheveningen and together reorganised the Zionist Federation of Belgium. Alongside the Zionist Federation, a number of other Zionist organisations were created by Jewish “Belgian” refugees, such as Hashakhar (the dawn), Tikvath-Israel (The Hope of Israel), a Maccabi sports-club, and a local Jewish boy-scouts movement. And for a brief period a local Belgian Zionist periodical was even published23. The Zionist Federation of Belgium in Scheveningen stayed in close contact with the Union of Dutch Zionists (Nederlandsche Zionisten Bond) but remained an independent organization. The arrival in The Netherlands of a large number of “Belgian” Zionists originally from Eastern Europe led to tensions with the Dutch Zionists24. “The rigid, and even off-putting, organisation of Dutch Zionism did very poorly to accommodate the spirit, temperament, and the tendencies of our masses”, wrote a Belgian Zionist in a letter to the Belgian Zionist periodical Kadimah after the war in 191925. This was a clear indication of the deep cultural and psychological differences which continued to divide Eastern and Western Jewry. Some Belgian Zionists, mostly long-time functionaries in the World Zionist Organisation, played an important role in the international politics of the Zionist movement during the First World War. Jean Fischer, for example, who served as the director of the central committee of the Keren Kayemath Le’Yisrael (Jewish National Fund) which during the war was relocated from Berlin to neutral The Hague26. Together with the Dutch Zionists Jacobus Kahn and Nehemia De Lieme, and later joined by Julius Simon, they established the Political Committee of The Hague, which attempted to define the Zionist post-war policy line in the future peace settlements27. 12 In 1917 the British government issued the Balfour declaration expressing its favourable disposition towards the establishment of a national home for the Jews in Palestine. This was rightfully seen as an enormous diplomatic victory by the Zionist movement. In Scheveningen the Belgian Zionists responded to the Balfour declaration with exultation. The president of the Belgian Federation, Ladislas Herz, wrote to Chaim

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Weizmann in London to express the gratitude of the Belgian Zionists to “the magnanimous government of his majesty the king of Great Britain for recognising the legitimate national aspirations of the Jewish people in Palestine and wishes to convey you our warm congratulations for your [Chaim Weizmann] success which crowns the Zionist efforts”28. The Balfour declaration led to an increase in popularity of the Zionist cause and new adherents flocked to its ranks. A report of the second general assembly of the Zionist Federation of Belgium held on 7 April 1918 in Scheveningen stated that “the organisations have developed a lot; the number of members has grown significantly”29. 13 Not only the Belgian Zionist movement found a temporary home in Scheveningen for its activities. It also became a refuge for Antwerp’s Eastern European Ultra-orthodoxy and its traditional way of life. A reporter of the Nieuw Israelietisch Weekblad in an article on the Chanukah celebrations expressed his warm admiration for the pious community in this local “Galicia”30. In a colourful description of the Eastern European Jewish environment he marvelled at the “chassidic bokher”, the beth midrash, and the typical “ nigunim” and prayers during the service. For the Dutch orthodox Jews, who like their German counterparts had gone far along the path of acculturation during the nineteenth century, the encounter with “traditional” Eastern European Jewish orthodoxy – whose knowledge of Jewish tradition and religious texts had been honhed since childhood by a strict education in kheder and afterwards often in yeshivah – was a stimulating experience. Notwithstanding the prejudices and lofty behaviour which often marked Western Jewry’s attitude towards their Eastern European cousins the article clearly reflects the sincere respect for their religious knowledge and tradition. The Antwerp branch of the fiercely anti-Zionist orthodox party Agudath Israel, established in Antwerp in 1912 as a local branch of the world Agudath Israel Party (Katowice, 1912), also found a refuge in Scheveningen31. During its stay in the Netherlands the organisation formed close ties with Dutch Jewish Orthodox organisations which would lay the basis for the future good relations between Agudath Israel in Holland and Antwerp during the interwar period.

Jewish life in occupied Belgium

14 While in London and Scheveningen a resemblance of “Belgian” pre-war Jewish life continued, in “Belgian” Jewish enclaves; across the border in occupied Belgium, it was reduced to a shadow of its former state. In Antwerp the Jewish community and its institutions almost came to a complete standstill and little remained of the bustling community of approximately 20.000 Jews which had resided in the “city on the Scheldt” before the war. During the siege of Antwerp in the beginning of October 1914 the historic centre of the city came under heavy artillery bombardment and aerial attacks from zeppelins and the main synagogue at the Bouwmeestersstraat was badly damaged. A heavy shell struck a direct hit and tore through the southern wall and the women’s gallery landing next to the hekhal, the ark where the Torah scrolls are kept, causing destruction but luckily not a fire. Rabbi Wiener – who throughout the war would remain in Antwerp – rescued the Torah scrolls and safely stored them in the cellar of the synagogue32. The damaged building would be repaired during the war but services would be restricted33.

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15 The communal leaders who had stayed behind at the outbreak of war had hoped for a rapid return of Jewish life in Antwerp. They even called on their coreligionists to return in the Dutch Jewish press; a call which however, remained largely unanswered34. The collapse of the diamond trade in Antwerp and the uncertainty of the war meant that most Jews who had fled the city chose to remain in their places of refuge rather than risk facing the uncertainty awaiting them in Antwerp. By December 1914 the entire Jewish community of Antwerp reportedly consisted of some ninety families and while some basic necessities such as the provision of kosher meat were restored most of the synagogues and oratories, such as the Sephardic and the Dutch oratories at the Hoveniersstraat and Lentestraat, remained closed35. This situation certainly did not improve as the war progressed and living conditions deteriorated, provisions became scarce and their prices soared. In the winter of 1916-1917 the nutritional situation in the urban centres of Belgium became desperate and the population was nearing starvation36. Especially the poor were hard hit and sometimes unable to provide for their families. This was the case of the majority of the Jewish population which had remained behind. The local Jewish orphanage closed due to a lack of funds and Antwerp’s remaining Jews became desperate. The Dutch Jewish community, aided by the Belgian Jewish population in the Netherlands, started an action to help “the suffering Jewish children in Belgium”. Malnourished Jewish children, in an agreement with the occupying forces, were transported over the border to the Netherlands and were placed in the care of Jewish families and organisations37. Jewish life in Antwerp throughout the war remained in a state of hibernation. 16 In Brussels the Jewish community seems to have fared a little better. While many Jews had fled the city at the outbreak of the war and the Jewish population was greatly diminished, Jewish community life in Brussels continued to an extent that was not possible in Antwerp. The strategic importance of Antwerp, and other fortified cities such as Namur and Liège, had meant that, at the outbreak of the war, the Belgian military authorities had assumed control over these cities and for security reasons cleared them of enemy nationals. The civil administration in Brussels too deported German nationals and some 5,100 (a third of the German population) of them were extradited to the Netherlands at the beginning of the war38. However, the deportation of foreigners seems to have been less thoroughly executed than in Antwerp. The fact that Brussels was taken by the German army without a fight or protracted siege, and that the Jewish community in Brussels, or at least the members of the Jewish establishment, had made far-reaching inroads towards integration in Belgian society also helps to explain why Jewish life in Brussels was able to sustain itself. Throughout the war, the Israelite community of Brussels continued to function, as did the Jewish charity organisations under its control. These Jewish philanthropic organisations became a vital lifeline for the many Jewish poor in the city on which the war rationing took a heavy toll. Due to the perilous situation of many Jewish poor, the various Jewish charity organisations under the authority of the Israelite community of Brussels were reorganised in a loose federation, the Assistance de Guerre. As the war progressed and living conditions in Brussels deteriorated, an increasing number of Jews became dependent on the support of this institution, which in turn could rely on assistance from Belgian charitable organisations39. 17 Not only the Jewish establishment and the “Belgicised” Jewish middle classes pursued their activity during the war years, Jewish immigrant society, composed of Eastern

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European immigrant arrivals after 1882 and predominantly after the failed Russian Revolution of 1905, also started establishing their own philanthropic, cultural and political organisations. On the 20 August 1917, the philanthropic organisation Ezrah was founded by Jewish immigrants as a Zionist answer to the philanthropic organisations dominated by the Consistory40. Its committee was made up from the rising new immigrant middle class and bourgeoisie and counted among its prominent members M. Gratvol (president), Isaac Kubowitzki (vice-president), Israel Raindorf (treasurer) and A. Averbouch (secretary)41. In the first semester of 1918 the organisation assisted some 950 impoverished Jews suffering from the shortages of the war42. In the immediate post-war years the organisation reorganised itself and took upon itself to support the massive influx of refugees from Eastern Europe43. It would thereby assume a similar role as its namesake in Antwerp. 18 One of the surprising developments in immigrant Jewish society in Brussels during the occupation is the incipient organisation of a Jewish national life in the city. Zionism in Brussels before the war had always remained marginal and the tiny Zionist organisations had been characterised by their ephemeral nature. During the occupation a number of Jewish cultural and political circles with Zionist orientation were created, invigorating the Zionist movement in the capital. The reason for this sudden uptake of Jewish national life can in part be explained by the arrival of dedicated activists and intellectuals such as Benzion Averbuch, who had fled besieged Liège and arrived in Brussels at the outset of the war44. The latter was together with Isaac Kubowitzki, Alexander Van Der Horst and Gustaaf Hildesheim, a member of The Zionist society Hatikwah (not to be confused with the periodical of the Zionist Federation), which organised lectures and other activities45. This Zionist circle had a distinct bourgeois and General Zionist character, and was at odds with a more militant “progressive” organisation driven by young Yiddish–speaking Eastern European Jews and French-speaking Jews which took on the name Zeire Zion. 19 In a pamphlet distributed in September 1916, Zeire Zion called the Jewish youth of Brussels to action: “Your existence has a goal: to contribute to the wellbeing of your people, your studies have a goal: to know the science of your people, your leisure time has a goal: to work towards the regeneration of your people... don’t be prejudiced, QUESTION yourself; listen to your conscience, KNOW yourself, come to us, advise us, work with us for the honour of our common heritage.”46 Its activities consisted mainly of cultural and political education of Jewish youth but also of (modest) fundraising for the work of the Zionist movement in Palestine. “Practical work” on the field in Palestine was impossible given the political circumstances. One of Zeire Zion’s founders was the young law student Léon Kubowitzki, younger brother of the previously mentioned Isaac, who during the interwar period would become one of the most prominent leaders of the Labour Zionist movement in Belgium and one of the most influential figures in Belgian Jewish life. Despite their differences, in 1917 Hatikwah and Zeire Zion together formed the Mercaz Sioniste. This organisation instituted a Beth Zion (a Zionist home), consisting of a small library and a reading hall where a range of activities could be held. 20 Also active in the capital during the war period was the Club Autodidactique Juif, which brought together the Jewish liberal bourgeois, professional intellectuals and Jewish labourers and, as its name suggests, organised a range of lectures and conferences. According to a post-war description by Ahron Weiss, one of the principle members of

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the Zeire Zion, this club was characterised as having a “superficial Jewish national character”47. 21 Despite the small size of these organisations, mostly counted no more than a few dozen members, they served as important meeting points for likeminded Jewish immigrants where they could socialise, organise activities and lectures48. In addition, the creation by a new generation of Zionist activists, part of a rising immigrant economic elite, of a philanthropic organisation directly challenged the Belgian Jewish establishment, which had long-since regarded Jewish philanthropy as the exclusive prerogative of the Consistorial elites of the rue de la Régence. 22 The Consistorial elites however were dealing with problems of their own. The First World War saw one of the most dramatic demonstrations of Belgian patriotism by the Consistory and its chief rabbi Armand Bloch. The German demands of loyalty from the official religious confessions had systematically been rejected by the Consistory, which was considered an act of defiance making them suspect in the occupiers’ eyes49. On several occasions, rabbi Bloch zealously continued to deliver patriotic sermons and perform the traditional benediction at the end of the Shabbat services, for the Belgian state, the royal house, and King Albert I of Belgium. On April 1916, on the first day of Pesach, the chief rabbi, as was customary in the main synagogue, gave a rousing sermon entitled On Modern Idols (Les idoles modernes) in which he strongly linked the traditional message of Passover of the liberation of Israel from slavery to the contemporary situation in occupied Belgium, the ideals of universal rights, and liberty. “We are going through similar hours. Independence, never have we grasped its meaning so well, appreciated it so much, loved it so much, and our greatest happiness would be to see it, tomorrow, universally recognized and respected as the most sacred right.”50 This explicit manifestation of Belgian patriotism aroused the ire of German Jewish soldiers attending the services who denounced the rabbi to the German authorities. After a brief trial he was condemned by a military tribunal to six months imprisonment in Saint-Gilles51. 23 When the news of the incarceration of rabbi Bloch reached journalists of the free Belgian press operating from abroad, they responded with enthusiasm to his act of patriotism. In the French Catholic journal Le XXe siècle a sympathetic journalist wrote emphatically that this “arrest... shows that all Belgians no matter which religion they adhere to find each other in the same patriotic feelings and that all are exposed to the same persecutions from the hands of the Krauts [Boches]”52. The Belgian press continued to report on the affair and the imprisoning of rabbi Bloch, the “patriotic rabbi”, later became one of the symbols of the Jewish loyalty to Belgium, which at least in the Jewish community was remembered long after. 24 While this affair demonstrated the loyalty of the Jewish citizens to the Belgian state, descriptions of less noble Jewish involvement in the war could equally be found in the Belgian exile press. The image of the Jew as war profiteer and auxiliary of the Germans became a recurring theme in the pages of the exiled Belgian (Catholic) newspapers who previously had reported passionately on the imprisonment of rabbi Bloch53. Jews were portrayed as traitors who had sold the country to the Germans and were benefitting from the war to the detriment of the Belgian population. However, as Yasmina Zian has convincingly demonstrated, even though this depiction of the Jews rested on old deeply-engrained stereotypes, we cannot really speak of a systematic anti-Semitic campaign. Most of the negative stereotypes used against the Jews were conflated with

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the designator “Prussian”. “Jew” and “Prussian” were used interchangeably as mere synonyms of each other, and as such the attribution of “Jew” was meant to target, taint, and ridicule the German invader. The trumped-up patriotism in parts of the Belgian press strengthened these anti-German and anti-Jewish sentiments54. 25 The close identification between Jews and Germans was certainly an overgeneralization, yet a grain of truth could nonetheless be found in these accusations. Like their non-Jewish German compatriots living in Belgium before the war some German and Austro-Hungarian Jews sided with the armies of the Central powers at the outbreak of the war and saw no issues in cooperating or establishing economic relations with the German occupying forces55. Patriotism and identification with Germany and its culture led some to belief that the war aims of their former homeland were just and legitimate. The fact that Germany was fighting against Russia, the land of pogroms, persecution and oppression also led some of them to be supportive of the German war effort56. For instance, on July 31 1914, after Germany had declared war on Russia and four days before the invasion of Belgium, the Brussels Jewish-owned department store Tietz demonstrated its support to the German empire, hanging out German flags in front of the store which led to some consternation in Brussels57. During the occupation, Fritz Norden, a Jewish barrister in Brussels, published a book La Belgique neutre et l’Allemagne d’après les hommes d’état et les juristes belges in which he asserted that Belgium’s neutrality carried no legal authority. The book aroused considerable controversy: in German circles it was readily used to demonstrate the legality of the German occupation, whilst in Belgian circles Norden’s publication caused indignation. Some more vehement commentators in the press did not shy away from using anti-Semitic stereotypes in their explanation of Norden’s political motivations58. Some Jews most likely felt that the war did not concern them and that they should remain neutral, thus adopting, although for different reasons, the official position of the Zionist movement. Some members of the Jewish community therefore had no scruples in doing business with the German occupying forces. The Jews of German descent in the Consistorial circles and economic elites shared national and cultural affinities with the occupying forces while the Yiddish-speaking Jews shared linguistic similarities. Post-war documents compiled by the Belgian state contain evidence of Jews who had amassed small fortunes by doing business with the Germans59. After the war, there were even cases of spiritual leaders of some of the officially recognized communities, such as the rabbi of Liège Henri Lehman, and the rabbi of the orthodox community of Brussels Moizes Goldstein, who were accused of cooperation and vying for favours with the German forces and subsequently dismissed from their positions60. In this respect Jews were no different from some of their fellow Belgian citizens who regarded the German occupation as an opportunity for their individual or collective ambitions61. The difficult economic situation of the war-years most likely also led some to, opportunistically, seek to accommodate themselves with the German authorities in order to make a living or to provide for the needs of their families or communities. 26 During the war, sharp divisions arose within the Jewish community. Belgian patriots found themselves diametrically opposed to those willing to establish relations with the German occupiers or perhaps even resorted to openly supporting the German war effort. While further research is required to determine the extent of German-Jewish cooperation during the war, the various forms of cooperation between a (sizeable) minority of the Jewish community with the German occupying forces was evidently

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more wide-spread than previously has been acknowledged62. This hypothesis is reinforced by the fact that after the armistice and the departure of the German army a number of Jewish families in Brussels found it expedient to count their losses, pack up their belongings, and leave with the German army rather than facing the risk of possible Belgian repercussions. In the immediate post-war era, the Consistory saw its membership drop by almost twenty-five per cent so that it was forced to organise an intense propaganda campaign to attract new families to become members and fill its empty coffers63. 27 A further indication can be found in rabbi Bloch’s Pesach sermon (On Modern Idols) of 1916 which can not only be read as a demonstration of Belgian patriotism but also as a strong admonishment of those Jews who compromised themselves with the German occupiers: “Those who prostrate themselves before success are slaves. Those who rank on the side which has the numbers, on the side of the majority, even when it is in error, are slaves. Those who allow themselves to be drawn into the current of reprehensible manners, those who count opinions, instead of appreciating them, those who wait to speak out, or to take a side, to see which way the wind blows, all of those are slaves. Slaves of fear, slaves of interests, slaves by calculation, by lowness or cowardice, these are the kind which, alas!, are so often found amongst us.”64 28 The difficult position of the Jewish population residing in Belgium in negotiating their different identities and national attachments was exacerbated by the fact that family networks crossed borders, which meant that brothers found themselves supporting opposite sides during the war. Such was the case in one of the most prestigious Jewish families in Belgium, the Philippsons. Martin Philippson, former professor and chancellor of the University of Brussels before returning to Germany in 1891, wholeheartedly support the German war-effort in an article in a German Jewish journal, and even echoed the claim of Belgian civilian savagery against the Kaiser’s soldiers, spread by the myth of the Francs-tireurs which had strongly influenced German public opinion65. His brother Franz, who played a prominent role in the Belgian Jewish establishment in Brussels, became active in the Belgian relief efforts for the suffering population, and paid a high price for his loyalty when his son Jacques, second lieutenant in the Belgian Chasseurs à cheval, was killed at the battlefront on May 22 191866. The First World War would forever shattered the idea of Jewish unity as Jews fought and killed each other in opposing armies, and were caught in the tide of nationalist fervour of the countries they were living in.

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Jewish soldiers (Max and Raphaël Pevtschin), 1914

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29 In Belgium, most of the Jewish population, both the small number of Belgian citizens and the more recent immigrants, remained loyal to the Belgian state. At the start of hostilities, “war fever” gripped the Jewish population like any other group in society. Wishing to contribute to the Belgian war effort, Jews of foreign nationalities expressed their desire to volunteer for military or civil service. Immediately after the invasion, the government received a letter from a group of Jews requesting to be inserted into the ranks of the army, civil guard, or the Red Cross out of “gratitude for the hospitality they had enjoyed”67. Jewish nationalists were as well swept up by the wave of Belgian patriotism and solidarity with their host country. The Zionist Federation of Belgium in Antwerp offered the use of the local Beth Zion as a field hospital for wounded soldiers, while many of its members volunteered for the civil guard to protect the city68. Foreign-born Jews did serve in the Belgian military during the war, as evidenced by a number of decorations accorded to Jewish officers for their bravery and service which were proudly reported on by the Consistory after the war69. Others, born in Belgium and having acquired citizenship, had been drafted into the army prior to war and served on the front at the Yser where some paid the highest price and fell “on the field of honour” for their fatherland70. According to Bernard Postal, who in 1938 wrote an article on the Jewish combatants in the (First) World War for The Jewish Veteran, the journal of the Jewish War Veterans of the United States, some 1,000 Jews (including many Eastern European Jews) served in the Belgian military during the war, of which some 125 were killed in action and a further 200 wounded71. Even though these numbers need to be approached with some caution, as Jewish communal and veteran organisations had a vested interest in demonstrating Jewish loyalty towards their respective countries in the face of anti-Semitic accusations of Jewish cowardice – often

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basing their counterarguments on doubtful sources and statistical material – it stands beyond doubt that Belgium’s tiny Jewish community accorded itself valiantly in the field of battle72. “Belgian” Jews not only volunteered from Belgium but a number of Jewish refugees in the London shelters chose, or were later – as part of the Russian- British military agreement – coerced to repatriate to Russia in order to fight for the allied cause or later in the revolutionary wars73. After the war, the Jewish war-refugees committee successfully negotiated with the Belgian government for the collective repatriation of 116 women, elderly and children who prior to the conflict had lived in Antwerp and whose husbands, sons, or fathers had been enlisted in the Russian Army74.

The First World War: the long-term perspective

30 Just like elsewhere in Europe, the Great War left a lasting mark on Belgium and its Jewish population. War and, consequently, post-war international events caused a rupture in the development of Jewish life in Belgium.

31 The reshaped geopolitical map of Eastern Europe, the recognition of the Zionist aspirations by one of the victor nations of the war and a major international power, as well as the introduction of a new more restrictive migration regime significantly altered the political position of Europe’s Jewish populations75. This directly affected the development of the Jewish community in Belgium, which during the 1920s evolved from being predominantly a transit centre for Jewish emigrations to becoming a final destination point. 32 In terms of Jewish demography in Belgium, the First World War seems to have had a significant impact. At the outbreak of the war, a large part of Belgium’s Jewish population fled to neighbouring countries. While the lack of concrete data in the sources make it impossible to give even rough estimates on how many Jews who had lived in Belgium prior to 1914 (estimated at some 50,00076) returned after the war, the available sources do indicate that a significant number of the Eastern European immigrants who had settled in Belgium from the late nineteenth century did not return77. The immediate effect of this decrease on the economic or political position of the Jewish population was probably limited, as well-established Jews who had secured a good economic position in Belgium prior to the war returned (with the exception of many Jewish German nationals). 33 After the war, the Jewish population would expand significantly as a new immigration wave of Eastern European Jews arrived in Belgium, which by that stage meant that the entire integration process had to be repeated. These new immigrants were highly politicised, and introduced new forms of Jewish (and non-Jewish) ideologies in the local communities. 34 From an ideological perspective, the First World War served as the ultimate demonstration of consistorial ideology. The war provided the consistorial circles an opportunity to manifest the loyalty of Belgium’s Jewish population towards the fatherland and served to exemplify Jews as equal, productive and loyal citizens. Yet, even while in Consistorial circles the heightened Belgian nationalism reinforced their worldview and commitment, the First World War also signalled the final breakthrough of one of their strongest ideological opponents which since the turn of the century had challenged the primacy and ideological foundations of the Consistory78.

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35 The Balfour Declaration emboldened the Zionist movement and gave it political legitimacy. Recognized by the world powers as a representative of the Jewish people, the movement gained in prestige. In Belgium, the Zionist organisations would emerge strengthened from the war. In the interwar period, the Zionist movement would only progressively gain in influence in local Jewish life as Eastern European immigrants joined its ranks. 36 Regarded from a long-term perspective, the First World War can be seen as a transformative period in Jewish life in Belgium. It served as the catalyst for several processes which since the turn of the century had gradually been reshaping Belgian Jewish society: the decline of the Consistory as a leading force in Jewish life, the emergence of new forms of Jewish identity, and the diversification of Jewish life. While a high degree of institutional continuity can be discerned in the pre- and post-war periods, the First World War nonetheless can be regarded as a defining turning point. Both international, and local developments, would signify a dramatic shift in the political and societal paradigms of Jewish life (both locally and internationally). This would have an enormous impact on the general outlook, and the fortunes, of the Jewish communities in Belgium during the interwar period.

Mizrah referring to World War I, the Netherlands, 1918

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NOTES

1. S. Renneboog, “De Antwerpse diamantsector en de Eerste Wereldoorlog”, in Les Cahiers de la Mémoire contemporaine - Bijdragen tot de eigentijdse Herinnering, 9, 2010, pp. 13-35 ; J.-Ph. Schreiber, « Armand Bloch : éloge de la liberté », in Les Cahiers de la mémoire contemporaine - Bijdragen tot de eigentijdse Herinnering, 11, 2014, pp. 13-21 ; A. Burnotte, « Armand Bloch, le rabbin patriote », in Les Cahiers de la Mémoire contemporaine - Bijdragen tot de eigentijdse Herinnering, 11, 2014, pp. 23-42 ; Y. Zian, L’Affaire Norden, « Le “judéo-boche” dans la presse belge (1914-1918) », in Les Cahiers de la Mémoire contemporaine - Bijdragen tot de eigentijdse Herinnering, 12, 2016, pp. 223-256. 2. S. De Schaepdrijver, De Grote Oorlog. Het Koninkrijk België tijdens de Eerste Wereldoorlog, Antwerp, 2013, pp. 49-50. 3. For the anti-German riots in Brussels and Antwerp, see: B. Majerus, « L’âme de la résistance sort des pavés mêmes ? Quelques réflexions sur la manière dont les Bruxellois sont entrés en guerre (fin juillet 1914 - mi-août 1914) », and A. Vrints, “Moffen buiten! De anti-Duitse rellen in augustus 1914 te Antwerpen”, in S. Jaumain, M. Amara, et. alii. (eds.), Une guerre totale ? La Belgique dans la Première Guerre mondiale. Nouvelles tendances de la recherche historique, Bruxelles, 2005. In his article, A. Vrints has compared the anti-German riots in Antwerp to the medieval and early- modern practice of charivari. 4. L. Saerens, Vreemdelingen in een wereldstad. Een geschiedenis van Antwerpen en zijn Joodse bevolking (1880-1944), Tielt, 2000, p. 75; A. Vrints, op. cit., p. 56. 5. A. Vrints, op. cit., pp. 57-58. 6. Nieuw Israelietisch Weekblad, August 14 1914, p. 3. 7. S. Dembitzer, Aus engen Gassen, Berlin, 1915, p. 62. 8. V. Ronin, Antwerpen en zijn Russen, onderdanen van de tsaar, 1814-1914, UGent, 1993, p. 320. 9. P.-A. Tallier, “De Belgische vluchtelingen in het buitenland tijdens de Eerste Wereldoorlog”, in A. Morelli, Belgische emigranten: oorlogsvluchtelingen, economische emigranten en politieke vluchtelingen uit onze streken van de 16de eeuw tot vandaag, Berchem, 1999, p. 23; For a recent work on the Belgian refugees during the First World War, see: M. Verleyen – M. De Meyer, Augustus 1914: België op de vlucht, Antwerp, 2013. 10. The Jewish Chronicle, October 16 1914, p. 6. 11. Bnai Brith Messenger, December 15 1916, p. 35; The Sentinel, December 8 1916, p. 9; In 1919, some 3000 Jews who had resided in Belgium before the war were repatriated from London to Belgium, see: Consistoire central israélite de Belgique (CCIB), Rapport à l’Assemblée Générale des membres effectifs de la communauté de Bruxelles du 18 avril 1920, 1920, p. 21 12. M. Amara, Des Belges à l’épreuve de l’Exil. Les réfugiés de la Première Guerre mondiale : France, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Brussels, 2008, p. 177 ; For an overview of the history of the Jews’ Temporary Shelter, see : K. Weber, “Transmigrants between Legal Restrictions and Private Charity. The Jews’ Temporary Shelter in London, 1885-1939”, in Points of Passage. Jewish Migrants from Eastern Europe in Scandinavia, Germany, and Britain 1880-1914, New York, 2013, pp. 85-104. 13. The Jewish Chronicle, November 13 1914, p. 16. 14. Ibid. 15. M. Amara, op. cit., p. 177. 16. The Jewish Chronicle, November 13 1914, p. 16. 17. E. Laureys, Meesters van het diamant. De Belgische diamantsector tijdens het nazibewind, Tielt, 2005, pp. 67-68 ; S. Renneboog, op. cit., pp. 47-48 and 66-68; For the Belgian diamond diaspora during the First World War see also: Y. Vassart, L’immigration des diamantaires en Angleterre et aux Pays-Bas durant la Première Guerre mondiale, unpublished master thesis, Université Libre de Bruxelles, 2000. 18. The Jewish Chronicle, March 7 1919, p. 27.

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19. Ibid. 20. W. Willems - H. Verbeek, Hier woonden wij, hoe een stad zijn Joodse verleden herontdekt, Amsterdam, 2015, p. 356. 21. L. Giebels, De Zionistische beweging in Nederland 1899-1941, Assen, 1975, p. 107. 22. E. Laureys, op. cit., p. 66. 23. Kadimah, 12, March 14 1919, pp. 9-10, « Lettre de Hollande ». 24. L. Giebels, De Zionistische beweging in Nederland…, pp. 107-108. 25. Kadimah, op. cit. 26. L. Giebels, De Zionistische beweging in Nederland, p. 106. 27. Hatikwah, 1, January 13 1930, p. 6. 28. CZA, Z4-40019 The Jewish Agency for Palestine - Correspondents with Zionist offices in Brussels, The Hague (1918-1919). 29. CZA, Z4-40019, op. cit. 30. Nieuw Israelietisch Weekblad, January 12 1917, p. 5. 31. For the history of Agudath Israel see: G. C. Bacon, The Politics of Tradition: Agudat Israel in Poland, 1916-1939, Jerusalem, 1996; For its ideology and intellectual development as well as early history see: A. L. Mitlleman, The Politics of Torah, The Jewish political tradition and the founding of Agudat Israel, New York, 1996. 32. Nieuw Israelietisch Weekblad, October 30 1914, p. 2. 33. Ibid., June 4 1915, p. 5. 34. Ibid., October 30 1914, p. 2. 35. Ibid., December 11 1914, pp. 6. 36. For the dire nutritional situation in Belgium during WWI see: P. Scholliers, “Oorlog en voeding: de invloed van de Eerste Wereldoorlog op het Belgische voedingspatroon, 1890-1940”, in Tijdschrift voor sociale geschiedenis, 11, 1, 1985, pp. 33-37; G. Nath, Brood willen we hebben! Honger sociale politiek en protest tijdens de Eerste Wereldoorlog in België, Antwerpen, 2013, pp. 11-14. 37. Nieuw Israelietisch Weekblad, June 4 1915, p. 6. 38. F. Caestecker, A. Vrints, “The national mobilization of German immigrants and their descendants in Belgium, 1870-1920”, in Germans as minorities during the first world war: a global comparative perspective, ed. P. Panayi, Ashgate, 2014, p. 131; Benoît Majerus however cites a number of 9.100 Germans who were deported to the Netherlands at the outbreak of the war. (B. Majerus, op. cit., p. 37). 39. Société israélite de Bienfaisance, Rapport du conseil d’administration pour les années 1915 à 1920, Bruxelles, 1921, pp. 16-22. 40. Kadimah, 9, February 7 1919, p. 9. 41. Œuvre juive de Secours Ezrah, Exposé de la situation générale, Exercice 1917, Bruxelles, 1917, p. 7. 42. Œuvre juive de Secours Ezrah, Exposé de la situation générale, 1er semestre 1918, Bruxelles, 1918, p. 1. 43. Hatikwah, 1, March 6 1920, p. 15. 44. L’Avenir Juif, 167, August 18 1939, p. 5, “Benzion Averbouch”. 45. Hatikwah, op. cit. ; The Pinchas Lavon Institute for Labour Movement Research, III-17-493-3-3, “Letter from Léon Kubowitzki to Jean Fischer, August 9 1917”. 46. The Pinchas Lavon Institute for Labour Movement Research, III-17-493-3-3. 47. Hatikwah, 4, March 4 1921, pp. 71-72, « Un an de Zeiré-Zionisme ». 48. In March 1920 the Zeire Zion in Brussels for example only counted some 30 members. (Hatikwah, 2, March 19 1920, pp. 38-39.) 49. A. Burnotte, op. cit., pp. 25-26. 50. A. Bloch, Les idoles modernes, Sermon prononcé à la synagogue de Bruxelles le 1er jour de Pâque 5676, 18 avril 1916, Paris, 1920.

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51. A. Burnotte, op. cit., p. 27. 52. Le XXe siècle, May 20 1916 ; cited from: A. Burnotte, op. cit., p. 29. 53. Y. Zian, op. cit., pp. 233-256. 54. Ibid., pp. 250-252. 55. For the reaction of the non-Jewish German colony in Antwerp on the outbreak of the war see: A. Vrints, “De ‘klippen des Nationalismus’. De Eerste Wereldoorlog en de ondergang van de Duitse kolonie in Antwerpen”, in Belgisch Tijdschrift voor Eigentijdse Geschiedenis, 10, 2012, pp. 7-41. 56. For the patriotism of Jews in the Austrian Empire see: M. Rozenblit, Reconstructing a National Identity. The Jews of Habsburg Austria during World War I, Oxford-New York, 2001. 57. B. Majerus, op. cit., p. 35. 58. Y. Zian, op.cit., pp. 245-246. 59. State Archives of Belgium, Foreigners’ Police, General files, number 1029, Dossiers relatifs à la Société pour la Protection des Émigrants juifs Ezrah, 1908-1926. 60. D. Dratwa, “The chief rabbi of Belgium confronting the Germans in the First World War”, in European Judaism, 48, 1, 2015, p. 102. 61. For the collaboration of a part of the Flemish movement with the German occupier see: L. Wils, Flamenpolitik en activisme, Vlaanderen tegenover België in de Eerste Wereldoorlog, Leuven, 1974. 62. The few articles on Jews in Belgium during the First World War have focused on the role of rabbi Bloch and Jewish Belgian patriotism. 63. CCIB, Rapport à l’Assemblée générale des membres effectifs de la communauté de Bruxelles du 26 avril 1919, 1919, p. 14. 64. A. Bloch, Les idoles modernes, Sermon prononcé à la synagogue de Bruxelles le 1er jour de Pâque 5676, 18 avril 1916, Paris, 1920. 65. U. Wyrwa, “German Jewish Intellectuals and the German Occupation of Belgium”, in Quest, Issues in contemporary Jewish history, 9, 2016, p. 45. 66. For Martin Philippson’s positions see: U. Wyrwa, op. cit., pp. 26-27, 44-45; The Belgian historian Geneviève Warland is currently working on a project regarding Martin Phillipson and the Philippson family in Belgium. For the commemoration of Jacques Philippson see : CCIB, Rapport à l’Assemblée générale des membres effectifs de la communauté de Bruxelles du 26 avril 1919, 1919, p. 13. 67. Cited from L. Saerens, op. cit., p. 15. 68. N. Torczyner, “Der Belgisher tsienizm biz tsum velt-krig”, in Yidisher Almanakh’, Antwerp, 1933, p. 59. 69. CCIB, Rapport à l’Assemblée générale des membres effectifs de la communauté de Bruxelles du 18 avril 1920, 1920, p. 32. 70. CCIB, Rapport à l’Assemblée générale des membres effectifs de la communauté de Bruxelles du 26 avril 1919, 1919, p. 6. 71. B. Postal, “The Jews in the World War, a Study in Jewish Patriotism and Heroism”, in The Jewish Veteran, November 1938, p. 13. 72. See the relevant chapters in: D. J. Penslar, Jews and the Military: A history, Princeton, 2013. 73. The Sentinel, November 20 1914, p. 22; Regarding the forced conscription of Jewish refugees residing in Great Britain after the British-Soviet agreement in 1917 see: H. Shukman, War or Revolution. 1917: Russian Jews and Conscription in Britain, Elstree, 2006. 74. State Archives of Belgium, Foreigners’ Police, General files, number 1029, Dossiers relatifs à la Société pour la Protection des Émigrants juifs Ezrah, 1908-1926. 75. For a general overview of the changed situation of the Jewish communities in Europe after the First World War see: M. I. Rozenblit, “The European Jewish world 1914-1919. What Changed?”, in World War I and the Jews. Conflict and Transformation in Europe, the Middle East, and America, New York, 2017, pp. 32-55.

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76. J.-Ph. Schreiber, L’immigration juive en Belgique du Moyen âge à la Première Guerre mondiale, Bruxelles, 1996, p. 208. 77. The foreigners census of 1939 for instance shows that of the Polish nationals above the age of 15 (both Jews and non-Jews), only 1758 (4.3%) arrived in Belgium before the date of 1914. This of course does not take into account the (relatively few) Jews from the Polish regions in the former who received naturalisation after the First World War, nor the stateless Jews from the Polish regions, or the limited number of Jews who chose Russian citizenship. It does however clearly indicate that absolute majority of the Jewish population with Polish citizenship (roughly 50% of the Jewish population) in the interwar period arrived in Belgium after 1918 (Statistiek van de vreemdelingen van 15 september 1939, Centrale Dienst voor Statistiek, 1941, p. 39.) ; a further indication are the previously mentioned numbers of 10.000 (Belgian) Jewish refugees living in the Netherlands, and the 3000 Jewish refugees from Britain returning to Belgium after the war. Even if we assume that all returned from Holland, this brings us to a total of 13.000 Jews. Which begs the question: what happened to the rest of the perhaps as many as 30.000 Jewish refugees who fled Belgium at the outbreak of the war? 78. For a brief overview of the relations between the Consistory and the Zionists see: J.-Ph. Schreiber, « Orthodoxie contre modernité. Les effets institutionnels de l’immigration juive en Belgique entre 1880 et 1914 », in Le Figuier, 3, 2009, pp. 56-59.

AUTHOR

JANIV STAMBERGER

Master of History (UGent), Janiv Stambergerworks works as a part-time reseacher at Kazerne Dossin and is a PhD researcher at the University of Antwerp. His topic of research is the history of Jewish life in Belgium during the interwar period.

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Réfugiés juifs d’Allemagne nazie en Belgique (1938-1944). Une esquisse

Insa Meinen

1 L’histoire des réfugiés juifs en Europe de l’Ouest fait partie des réactions collectives d’envergure de la part des Juifs face à la persécution antisémite et à la violence dans les années 1930 et 19401. Dans le cadre d’un travail de recherche mené en collaboration avec Ahlrich Meyer, nous avons étudié deux importants mouvements migratoires : d’une part, l’émigration forcée des Juifs depuis l’Allemagne et l’Autriche vers la Belgique, un mouvement qui se transforma, suite aux grands pogroms de 1938, en une migration massive d’hommes, de femmes et d’enfants ; d’autre part, les migrations largement méconnues au sein de l’Europe de l’Ouest dans les années 1942 à 1944 des milliers de Juifs essayant de fuir illégalement les Pays-Bas et la Belgique afin de rallier le Sud de la France pour se mettre à l’abri de la menace : la déportation vers l’Est. Le présent article se concentrera sur la fuite des Juifs de l’Allemagne nazie vers la Belgique.

2 À la veille de la Seconde Guerre mondiale, la « question juive », telle que les national- socialistes la comprenaient, était devenue une crise internationale des réfugiés2. À l’instar d’autres gouvernements, il était rare que le gouvernement belge délivre des visas d’entrée aux réfugiés juifs. Aux frontières, des réfugiés tentant d’entrer illégalement sur le territoire étaient sans cesse refoulés. Ceux qui avaient réussi à pénétrer de façon illégale dans le pays avaient en revanche de bonnes chances d’y être dans un premier temps tolérés et d’y bénéficier d’une situation régulière, bien que précaire. À cet égard, la politique d’accueil de la Belgique se montrait plus libérale que celle des pays voisins et était par conséquent plutôt positive pour les réfugiés de l’Allemagne nazie. C’est ainsi que la Belgique devint l’un des pays d’accueil les plus importants pour les réfugiés juifs en Europe de l’Ouest. Selon des estimations solides, en 1939, à la veille de l’invasion par la Wehrmacht, 25.000 réfugiés juifs en provenance d’Allemagne et d’Autriche vivaient encore dans ce pays aux dimensions géographiques restreintes, soit un peu plus qu’en France et bien davantage qu’aux Pays-Bas3. 3 Cela aurait été impensable sans l’aide de soutiens juifs. Non loin de la Gare du Midi, dans la rue Roger Van der Weyden, se trouvaient en 1939-1940 les bureaux du Comité

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d’Assistance aux Réfugiés juifs. Son directeur, Max Gottschalk, l’éminent juriste spécialisé dans le droit du travail, était à l’époque vice-président de la Communauté israélite de Bruxelles. En tant que responsable du premier centre d’accueil, ce comité offrait à de nombreux réfugiés, le plus souvent dépourvus de moyens, un soutien matériel, une aide médicale et un conseil juridique4. 4 Dans la cour intérieure du bâtiment de la rue Van der Weyden, là où s’entassaient les demandeurs, on peut lire aujourd’hui encore sur un mur une inscription en allemand datant de cette époque enjoignant les réfugiés à « mérite[r] l’hospitalité qui [leur] est accordée en Belgique ». Celle-ci s’effrite un peu plus d’année en année. Afin qu’elle ne disparaisse pas complètement, l’inscription a récemment été classée.

Inscription murale, rue Van der Weyden à Bruxelles

Archives privées

5 Si plusieurs recherches belges sur l’histoire de la politique belge relative aux réfugiés et celle des organisations juives d’aide sont disponibles, on ne connaît en revanche rien ou presque des actions menées par les réfugiés juifs eux-mêmes, de leur combat pour une situation régulière en pays étranger après leur expulsion violente du Reich. Aucune étude ne renvoie à la question du nombre d’hommes, de femmes et d’enfants ayant réussi à échapper au régime nazi en 1938-1939, tombés aux mains de la Gestapo sur le territoire de la Belgique occupée et assassinés à Auschwitz.

6 C’est le point de départ de notre étude. Nous nous sommes focalisée sur l’histoire des réfugiés et sur leurs stratégies de survie, sans nous limiter à quelques personnalités bien choisies ou à des groupes particuliers tels que des écrivains, des artistes ou encore des hommes politiques. Au contraire, nous nous sommes attachée à retracer le parcours de la masse anonyme des réfugiés. En outre, nous nous penchons avant tout

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sur ceux qui n’ont jamais pu apporter leur témoignage parce que leurs efforts pour se défendre se soldèrent finalement par un échec.

1938 : l’Allemagne expulse les Juifs

7 Nous savons qu’à partir de 1938, les Juifs avaient à craindre pour leur vie au sein du Reich. En mars 1938, l’annexion de la République autrichienne se déroula avec une violence antisémite sans précédent. En novembre 1938, les pogroms connus sous l’euphémisme de « Nuit de cristal » s’étendirent à l’ensemble du territoire du Reich. Lors de ces pogroms, la police allemande traîna près de 30.000 hommes juifs dans des camps de concentration. Au moins 500 d’entre eux trouvèrent la mort dans les semaines qui suivirent. Les autres ne furent bien souvent libérés des camps qu’à la condition de s’engager à quitter immédiatement l’Allemagne. Et cela ne constituait que l’une des méthodes employées pour expulser de façon systématique les Juifs du IIIe Reich et les contraindre à émigrer. Comme il ressort des dossiers individuels de la police belge des étrangers, la police allemande envoya à de nombreux Juifs qui n’étaient pas de nationalité allemande et qui résidaient en Allemagne depuis des décennies (en premier lieu les Juifs de nationalité polonaise) un ordre d’expulsion qui les obligeait à émigrer dans les plus brefs délais. La persécution d’un fourreur de la ville de Halle, près de Leipzig, en est le parfait exemple. Celui-ci réussit à s’enfuir en 1938 et à rallier Bruxelles où il déclara dans un procès-verbal : « Je devais quitter le pays dans les dix jours, sinon on m’aurait mis dans un camp de concentration. »5

8 Cette politique d’expulsion forcée excluait toute forme d’émigration régulière et les mesures antijuives du régime national-socialiste rendaient toute évasion difficile. La spoliation des Juifs avant leur départ constituait l’obstacle le plus important, laissant ainsi la plupart des réfugiés sans moyens et incitant par conséquent les pays susceptibles de les accueillir à fermer leurs frontières6. On ne peut bien entendu dresser un tableau satisfaisant des difficultés factuelles rencontrées pour quitter l’Allemagne que si l’on se penche sur les circonstances concrètes des tentatives de fuite, abondamment consignées dans les dossiers individuels belges.

L’exemple de la famille Hellmann

9 Considérés par l’Allemagne nazie comme hors la loi, les Juifs devaient s’attendre sur leur parcours vers la frontière à faire face à la persécution arbitraire pratiquée par les Allemands, qu’il s’agisse de personnes privées ou d’officiels. Le commerçant berlinois Jakob Hellman s’enfuit en octobre 1938 à Anvers. Sa femme l’y rejoignit deux mois plus tard avec leur fils de 14 ans et leur fille de 13 ans. À peine arrivée en Belgique, elle fut interrogée par la gendarmerie belge dans le village frontalier de Hullscheid, dans l’Est de la Belgique. Comme il ressort de sa déposition, elle avait dû rassembler ses dernières forces afin de sortir d’Allemagne avec ses enfants : « Elle nous a expliqué, qu’elle avait été, comme tous ses coreligionnaires, obligée de quitter l’Allemagne ; de Berlin à Cologne elle avait, avec ses enfants, voyagé en chemin de fer, mais que de Cologne la chose avait été impossible parce qu’elle avait, continuellement été en butte aux grossièretés des autres voyageurs. Finalement elle avait frété un taxi pour l’amener jusqu’à Losheim, mais, ce taxi aurait été arrêté par des Gestapos qui l’auraient fait descendre avec ses enfants sous prétexte que les taxis allemands n’étaient pas faits

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pour des Juifs. […] Après 7 heures de marche, elle est arrivée à Losheim où des douaniers allemands, après qu’elle aurait été fouillée, lui auraient indiqué le chemin pour Hullscheid sans lui donner aucune adresse de passeurs. Elle serait arrivée dans le village de Hullscheid, la nuit du 15 au 16 vers minuit et s’y serait adressée au seul individu qu’elle a vu dans le village, à savoir un nommé S., le suppliant de l’aider à gagner Anvers pour y rejoindre son mari. S. aurait répondu qu’il ne pouvait l’aider autrement que de la laisser, avec ses enfants, passer la nuit chez lui […]. Visiblement la femme ainsi que les enfants étaient moralement et physiquement à bout […]. »7

10 Alertée par les gendarmes, la police des étrangers de Bruxelles accorda à cette femme et à ses enfants le droit d’entrer sur le territoire bien que son époux Jakob Hellman n’eût encore bénéficié d’aucun statut régulier. Il est possible que l’issue positive de cette décision ait été favorisée parce que la gendarmerie croyait, à tort, que la famille pourrait émigrer aux USA au printemps suivant. Mais en l’absence d’un affidavit – la déclaration sous serment d’un citoyen résidant aux États-Unis nécessaire pour obtenir un visa d’entrée – les Hellman ne pouvaient que présenter une notification du consulat américain à Berlin qui indiquait que l’étude de leur demande de visa était exclue avant mars 1939. Au plus tard à partir de septembre 1939, Jakob Hellman déposa aussi, depuis Anvers, une demande d’autorisation d’entrée en Palestine. 11 Le fait que lui et sa femme soient en possession de passeports polonais arrivés à expiration ne fit qu’empirer leur situation. Avec l’aide de juristes belges et le soutien du comité d’entraide juif d’Anvers, les Hellman durent négocier un certain temps la régularité de leur statut avec la Sûreté, compétente pour les affaires concernant les étrangers, mais furent finalement provisoirement tolérés en Belgique. En 1943, Jakob Hellman fut victime de la déportation pour Auschwitz. Il avait alors 42 ans. Sa femme et ses deux enfants virent la fin de l’occupation allemande en Belgique.

Quand les réfugiés eux-mêmes deviennent passeurs

12 Il fallait en général passer la frontière belge illégalement. Pour cette raison, l’aide de tierces personnes était indispensable pour beaucoup de réfugiés. Pour ce qui est des passeurs, il n’est pas aisé de distinguer les initiatives privées, les organisations commerciales et les actions criminelles. Il est facile encore aujourd’hui de discréditer les migrations massives de personnes qui se savent en péril et sont dans la détresse en mettant au premier plan le paiement demandé en échange de l’aide apportée aux fugitifs et en lui donnant ainsi une dimension scandaleuse. Mais sans cela, la fuite des Juifs à travers les frontières n’aurait pas été possible pour bon nombre des cas que nous avons étudiés.

13 Il convient en particulier de souligner le fait qu’une fois en sécurité en Belgique, des réfugiés eux-mêmes ont à leur tour contribué à aider d’autres Juifs à entrer clandestinement dans leur pays d’accueil. Ils diffusèrent des informations sur les itinéraires à emprunter, communiquèrent des coordonnées où s’adresser en arrivant ainsi que le nom de passeurs locaux, ou bien encore hébergèrent des nouveaux arrivants. Nombreux sont ceux qui essayèrent de faire venir légalement en Belgique les parents qu’ils avaient laissés derrière eux en Allemagne. D’autres réfugiés encore organisèrent plus ou moins professionnellement, depuis la Belgique, le franchissement illégal de la frontière pour d’autres Juifs en provenance d’Allemagne. En dehors de

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l’aide à l’évasion apportée par les persécutés eux-mêmes, l’usage et la diffusion des faux papiers méritent également d’être mentionnés.

Origine, composition et déroulement des mouvements migratoires

14 De quelles villes allemandes et autrichiennes les réfugiés venaient-ils ? Quels facteurs décisifs les conduisirent à prendre la fuite ? Certains groupes parmi la population juive, les jeunes célibataires de sexe masculin par exemple, avaient-ils davantage tendance à fuir que les autres ? Les résultats, que nous ne pouvons présenter ici que de façon très partielle, montrent que le déroulement et la composition des mouvements migratoires étaient avant tout dictés par les mesures de persécution des nazis. C’est ce que révèle par exemple la comparaison que nous avons établie entre les réfugiés issus de l’ancien Reich d’un côté et ceux issus de l’Autriche annexée à partir du printemps 1938 de l’autre. En tout, un tiers des réfugiés venait d’Autriche. Mais la terreur antijuive sans précédent qui fit suite à l’annexion entraîna l’arrivée en Belgique de deux fois plus de Juifs d’Autriche que d’Allemagne entre le mois de mai et le mois d’octobre 1938. Après le pogrom de novembre, alors que la vie des Juifs de la vieille Allemagne était aussi menacée, les proportions s’inversèrent.

15 Les études que nous avons menées sur les différentes nationalités vont également en ce sens. Ainsi la persécution accrue des Juifs polonais au sein du Reich au cours de l’été 1939 conduisit-elle à une proportion extrêmement élevée de Polonais parmi les réfugiés en Belgique. À ce propos, moins de 50 % des réfugiés arrivés en Belgique étaient Allemands. La proportion des réfugiés étrangers, presque exclusivement des Polonais, dépassait de loin la part des citoyens polonais au sein de la population juive en Allemagne. En 1933, cette part atteignait 11 % en Allemagne et chuta considérablement jusqu’en 1939.8

Familles en fuite : le cas de Selma Neublum-Neuhof

16 En observant comment les familles juives organisèrent leur évasion de l’État national- socialiste à partir de 1938, il est frappant de constater que nombreuses sont les femmes mariées qui partirent pour l’étranger, seules ou avec leurs enfants. Ce fut en particulier le cas à la suite du pogrom de novembre, alors que les hommes juifs furent emprisonnés partout en Allemagne. Parmi ces femmes qui durent quitter précipitamment le pays, certaines ne revirent jamais leur mari. Certains couples eurent davantage de chance et le mari emprisonné puis libéré en 1939 put rejoindre sa femme en Belgique. Beaucoup d’autres femmes suivirent leurs époux dans leur fuite après leur libération.

17 C’est le cas de Selma Neublum-Neuhof qui arriva en Belgique le 1er juillet 1939 depuis Quakenbrück, une petite ville d’Allemagne du Nord, après avoir été refoulée au moins une fois les jours précédents par la gendarmerie belge à la gare frontière de Kalterherberg. Lorsqu’elle déclara son domicile dans la commune bruxelloise de Schaerbeek et qu’on lui demanda pourquoi elle avait quitté son pays, elle répondit : « parce qu’on a mis le feu à ma maison et qu’on a incarcéré mon mari »9. À la suite de sa détention dans un camp, son mari avait pu se réfugier en Belgique en mars 1939. Son plus jeune fils, Manfred, qui n’a alors pas 3 ans, accompagna sa mère dans sa fuite. Les

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deux aînés devaient sortir d’Allemagne par un convoi d’enfants, mais le gouvernement belge mit fin à ce programme avant même leur départ10. Dans ces circonstances, la police des étrangers accéda finalement début 1940, de façon exceptionnelle, à la demande des parents de faire venir leurs enfants. Au moins deux des enfants et leur père échappèrent à la Gestapo en Belgique. Bien qu’ayant essayé de se protéger grâce à une fausse carte d’identité, Selma Neublum-Neuhof fut arrêtée en avril 1943 et déportée trois mois plus tard à Auschwitz.

Selma Neublum-Neuhof

AGR

Déportation

18 Lorsqu’il est question des réfugiés juifs de l’ère nazie, on pense en général à ceux qui ont échappé à la Shoah parce qu’ils sont parvenus à quitter à temps l’Allemagne d’Hitler. Pourtant, nombreux furent les Juifs qui ne purent sauver leur vie alors qu’ils avaient réussi à fuir à l’étranger. Ils faisaient partie de ceux qui n’avaient pas trouvé refuge outre-Atlantique mais en Europe de l’Ouest. Ces réfugiés-là se comptaient par dizaines de milliers. Lors de l’invasion de la Belgique, des Pays-Bas et de la France par les troupes allemandes en mai 1940, ils se trouvèrent pris au piège.

19 D’après nos estimations, 13.250 réfugiés séjournaient encore en Belgique durant l’Occupation, ce qui revient tout de même à 23 % de la population juive totale de ce pays. Nous avons également pu établir le nombre de réfugiés parmi les Juifs déportés de Belgique. Au moins 5.500 hommes, femmes et enfants venus de l’Allemagne nazie furent victimes des déportations pour Auschwitz depuis le camp de transit de Malines, ce qui représente un cinquième de l’ensemble des 25.000 déportés11. 20 Il ne fait aucun doute que les réfugiés arrivés plus récemment étaient davantage menacés que les Juifs vivant depuis plus longtemps en Belgique. D’une part, certains

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résultats indiquent que les dirigeants allemands sélectionnèrent systématiquement en premier lieu les Juifs expulsés du Reich à l’été 1942 et les intégrèrent au programme de la « Solution finale » ; d’autre part, les réfugiés rencontraient d’immenses difficultés lorsqu’ils essayaient de se préserver des arrestations. Il faut en effet partir du postulat qu’ils disposaient de moins de possibilités que les Juifs autochtones en matière de moyens financiers, probablement l’une des conditions les plus importantes pour trouver à se cacher.

Situation matérielle

21 En comparaison avec le reste de la population juive en Belgique, la situation des réfugiés sur le plan des revenus était extrêmement précaire. Privés par les autorités allemandes de la majeure partie de leurs biens lors de leur départ d’Allemagne, ils se voyaient frappés d’une interdiction stricte de travailler en arrivant en Belgique, tout comme dans d’autres pays d’accueil, et dépendaient de l’aide, à peine suffisante, de comités de soutien juifs. Au tout début de l’Occupation, les autorités belges accordaient certes habituellement aux Juifs démunis en provenance d’Allemagne les aides de l’assistance publique, mais à partir de 1941, la police des étrangers fit réduire le nombre des bénéficiaires.

22 Cette dernière exigeait sans cesse des réfugiés, en particulier de ceux qui avaient eu maille à partir avec la loi ou les dispositions concernant les étrangers, des documents justifiant de leurs moyens ainsi qu’une conduite règlementaire dans la mesure où ils ne pouvaient pas justifier d’une activité en règle12.

L’odyssée de la fuite de la famille Salomon Holländer

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Salomon Holländer

AGR

23 Salomon Holländer, originaire de Galicie, arriva d’Allemagne en décembre 1938 à Anvers avec sa femme après que la Gestapo l’eut arrêté et eut posé comme condition à sa libération qu’il émigre sans délai. À Berlin, il faisait le commerce de produits textiles. Début 1939, la police belge soupçonna le réfugié juif de faire du trafic de visas et de devises. Malgré le manque de preuves et la suspension de l’enquête, ce soupçon motiva après le début de la Seconde guerre mondiale la détention de Holländer dans des conditions excessivement dures dans un camp d’internement. Ce n’est que sous l’occupation allemande que la police des étrangers renonça à prolonger l’internement du réfugié, mais elle contrôla régulièrement ses sources de revenus.

24 S’il avait bénéficié en 1939 du soutien de sa sœur qui vivait à New York, en milieu d’année 1940 sa famille et lui percevaient désormais les aides de l’assistance publique, comme la plupart des réfugiés. Au cours de la seconde moitié de l’année, il entreprit, d’après ses propres déclarations, d’essayer, sans succès, de rallier illégalement le Sud de la France alors encore non occupé afin d’émigrer ensuite aux USA. Selon lui, les passeurs dont il eut besoin dans cette entreprise, le dépouillèrent d’une grande partie de ses ressources. En 1941 il pratiqua un certain temps le marché noir avec des articles textiles après avoir été chassé d’Anvers en janvier 1941 avec sa famille par l’administration militaire allemande et contraint de déménager à Bruxelles. À l’automne 1941, Salomon Holländer disposait encore de quelques ressources et recevait en outre régulièrement des paquets de victuailles de la part de sa sœur. Il promit à la police belge de trouver rapidement une activité lucrative. Au printemps 1942, il ne pouvait certes pas justifier d’une activité, mais déclara que sa femme faisait des travaux de couture à domicile pour lesquels elle était rémunérée.

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25 En août 1942, au moment où les déportations commencèrent et où les Allemands, avec l’aide de la police anversoise, procédèrent aux premières grandes rafles, la famille Holländer quitta son appartement de la commune de Schaerbeek. Avec l’aide d’une propriétaire belge, ils déclarèrent aux autorités municipales un nouveau domicile dans lequel ils n’emménagèrent jamais. Ils s’installèrent en fait à Bruxelles, à une troisième adresse tenue secrète. Lorsque la police des étrangers enquêta à ce sujet à l’automne 1942, elle fit parvenir une convocation à Holländer, à son adresse fictive par le biais de la propriétaire. Le réfugié à présent poussé dans ses derniers retranchements à la fois par les Allemands et par les Belges, mit tout en œuvre pour ne pas être arrêté par la Police SS. Il misa sur la compréhension de la police belge et tenta par écrit d’apaiser les choses et de la dissuader de continuer les recherches. Il écrivit : « Je me confonds en excuses de ne pas venir en personne à votre convocation. J’espère qu’il n’est pas nécessaire d’expliquer en détail pourquoi je préfère ne pas me présenter en personne. Je suis certain que vous ferez preuve de compréhension eu égard aux conditions dans lesquelles je vis actuellement. Je puis vous assurer que je ne suis plus allé dans la rue depuis le mois d’août de cette année. Je sais bien qu’il s’agit seulement de vérifier à nouveau si je dispose encore de moyens pour assurer ma subsistance et si j’exerce des activités illicites. Je vous donne ma parole que je dispose encore de moyens et que je n’exerce aucune activité illicite. Je ne peux d’ailleurs pratiquer aucune forme de commerce puisque je reste en permanence à mon domicile. Je vous prie de considérer cette déclaration comme suffisante et de différer ce dossier à une date ultérieure. »13 26 L’officier compétent trouva néanmoins l’adresse de la cachette où vivait Salomon Holländer avec son épouse, sa fille et sa belle-mère, et alla l’y trouver encore en décembre 1942 afin d’y examiner en personne sa situation financière. Son rapport contient le dernier témoignage conservé du Berlinois originaire de Galicie, ce commerçant dans le textile qui cherchait dans un appartement clandestin de l’Est de Bruxelles à échapper à la « Solution finale ». Holländer expliqua au policier belge qu’il était, comme tant d’autres Juifs, recherché par la police allemande et ne se dissimulait nullement vis-à-vis de la police belge. Il promit de ne plus jamais avoir recours aux allocations d’aide : quand il serait à court d’argent, il vendrait ses bijoux. Si la guerre n’était pas encore terminée, il pourrait toujours se tourner vers son meilleur ami à Anvers, qui était aisé. 27 Il enjoignit à l’officier belge de ne pas révéler l’adresse de sa cachette. Il convient de signaler que la police des étrangers accepta sa déclaration en raison de l’argent et des bijoux qu’il lui avait montrés, et ne transmit son adresse ni aux autorités municipales chargées d’enregistrer les déclarations de domicile, ni directement aux Allemands. Néanmoins, ce réfugié ne devait pas voir la fin de la guerre qu’il attendait tant. En août ou en septembre 1943, Salomon Holländer et sa femme Lily Marbach furent arrêtés par la Police de sécurité allemande et furent déportés par le convoi XXIIA à Auschwitz. Leur fille née à Anvers en 1940 et la mère de l’épouse Holländer qui vivait avec eux dans la cachette de Bruxelles, échappèrent à la déportation et assistèrent à la libération de la Belgique.

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Lily Holländer-Marbach

AGR

Conclusion

28 La biographie de milliers de Juifs nous montre que leur fuite devant les Nazis, une fuite qui dura souvent des années, se termina par leur arrestation et leur déportation. On ne s’est jusqu’à présent pas assez intéressé à ces fuites. La littérature consacrée à l’émigration des Juifs depuis l’Allemagne nazie se concentre surtout sur la politique d’asile des pays d’accueil potentiel. Quand il existe des présentations à caractère biographique, celles-ci se limitent à l’exil de personnalités choisies parmi les cercles littéraires, artistiques ou politiques. Les travaux de recherche ici présentés, en revanche, se focalisent sur les réfugiés “anonymes” et relatent l’histoire de l’émigration forcée des Juifs en se basant sur le destin individuel de plusieurs milliers de cas, ce qui nous a permis de faire ressortir des résultats d’ordre général concernant l’étendue, le déroulement et la composition des mouvements migratoires. De cette manière, il devient possible de mesurer comment les hommes, les femmes et les familles réagirent face à la persécution, à leur précarité dans les pays où ils avaient trouvé refuge et pour finir, face à la menace de la déportation.

29 Parce que la fuite, même lorsqu’elle intervient sous la violence et la contrainte, renvoie toujours à l’action de personnes qui ont leur propre histoire. Les réfugiés prenaient personnellement un très grand risque. Mener à bien une fuite sur de longues distances en évitant les contrôles policiers supposait de recourir à des pratiques illégales telles que la falsification de passeports, les délits concernant les devises, le passage clandestin de frontières, etc., et cela impliquait souvent aussi de faire appel à des passeurs qui se faisaient payer.

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30 Les fuites réussies contribuèrent à la survie des Juifs en Europe de l’Ouest. Cependant, même les efforts vains pour se défendre et les tentatives de fuite avortées méritent l’attention des historiens. Parce que les réfugiés qui ont été assassinés à Auschwitz et ailleurs, et dont les meurtriers ont voulu effacer les traces, ont eux aussi tout fait pour sauver leur vie et celles de leurs familles.

NOTES

1. Traduit de l’allemand par Sylvaine Gillot-Soreau. Le présent article s’appuie sur l’examen approfondi de 3.800 dossiers individuels de la Police des Étrangers (Archives générales du Royaume). Pour davantage de résultats de cette étude, voir I. Meinen - A. Meyer, Verfolgt von Land zu Land. Jüdische Flüchtlinge in Westeuropa 1938 - 1944, Paderborn, 2013 (Trad. : Vervolgd van land tot land. Joodse vluchtelingen in West-Europa 1938-1944, Anvers, 2014). 2. Toute une série de publications existe à ce sujet. En ce qui concerne la Belgique, voir notamment : Fr. Caestecker, Ongewenste gasten. Joodse vluchtelingen en migranten in de dertiger jaren in België, Bruxelles, 1993. Cf. Fr. Caestecker - B. Moore (éds.), Refugees from Nazi Germany and the liberal European States, New York, 2010. 3. H. A. Strauss, “Jewish Emigration from Germany. Nazi Policies and Jewish Responses (I)”, dans Leo Baeck Year Book, 25, 1980, p. 354. Cf. I. Meinen - A. Meyer, Verfolgt von Land zu Land..., op. cit., p. 99 sqq. Nous faisons référence aux Juifs d’Allemagne et d’Autriche. À propos de la migration vers la Belgique des Juifs de Tchécoslovaquie, voir J. Misová Chmelíková, « L’émigration juive de Tchéchoslovaquie en Belgique dans les années 30 et 40 du vingtième siècle », dans MuséOn, 4, 2012, pp. 104-115. 4. Lire à ce sujet : J.-Ph. Schreiber, « L’accueil des réfugiés juifs du Reich en Belgique. Mars 1933 - septembre 1939 : le Comité d’Aide et d’Assistance aux Victimes de l’Antisémitisme en Allemagne », dans Les Cahiers de la Mémoire contemporaine, 3, 2001, pp. 23-71. 5. Archives Générales du Royaume, Bruxelles (AGR), Sûreté publique, Police des étrangers, Dossiers individuels, A 324.233. 6. Voir, par exemple : S. Heim, “Vertreibung, Raub und Umverteilung. Die jüdischen Flüchtlinge aus Deutschland und die Vermehrung des ‘Volksvermögens’”, dans Beiträge zur nationalsozialistischen Gesundheits- und Sozialpolitik, 15, 1999, pp. 107-138. 7. AGR, Police des étrangers, Dossiers individuels, A 324.367, Rapport de la Gendarmerie Nationale du 17.12.1938, (dans un souci d’anonymat, nous avons abrégé le nom d’une personne dans le document susmentionné). 8. I. Arndt – H. Boberach, “Deutsches Reich”, dans W. Benz (éd.), Dimension des Völkermords. Die Zahl der jüdischen Opfer des Nationalsozialismus, Munich, 1996. 9. “Fragebogen für Ausländer die sich als politische Flüchtlinge bezeichnen”, 3.7.1939, AGR, Police des étrangers, Dossiers individuels, A 343.912. Voir aussi pour ce qui suit les archives de Kazerne Dossin, Reliques de Selma Neuhof. 10. À propos de l’histoire des réfugiés arrivés en Belgique avec un transport d’enfants, voir S. Collignon, « Les homes Bernheim et Speyer (1938-1940). Témoignages d’enfants réfugiés d’Allemagne et d’Autriche », dans Les Cahiers de la Mémoire contemporaine, 6, 2005, pp. 21-67, ainsi que I. Meinen - A. Meyer, Verfolgt von Land zu Land…, op. cit. pp. 61-64.

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11. Voir aussi pour ce qui suit, I. Meinen - A. Meyer, Verfolgt von Land zu Land…, op. cit., pp. 101-105 et 119-126. 12. I. Meinen, « Les stratégies de subsistance des réfugiés juifs en Belgique occupée (1940-1944) », dans Les Cahiers de la Mémoire contemporaine, 12, 2016, pp. 119-190. 13. Lettre de Holländer à la Police des étrangers le 16.12.1942, AGR, Police des étrangers, Dossiers individuels, A 331.022.

AUTEUR

INSA MEINEN

Docteure en histoire, Insa Meinen travaille à l’université Carl von Ossietzky, Oldenburg (Allemagne). Elle a notamment publié Die Shoah in Belgien (2009), Wehrmacht und Prostitution im besetzten Frankreich (2002) et, en collaboration avec Ahlrich Meyer, Verfolgt von Land zu Land. Jüdische Flüchtlinge in Westeuropa 1938-1944 (2013).

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La communauté juive organisée face à l’engagement pro-palestinien (1973-1982)

Catherine Massange et Jean-Philippe Schreiber

1 L’objectif du présent article est de tenter de comprendre comment la communauté juive organisée, en Belgique, a perçu l’engagement pro-palestinien de certains, issus de ses rangs, durant la période qui semble la plus cruciale de ce point de vue, entre la guerre du Kippour (1973) et celle du Liban (1982). Il vise ainsi à examiner si l’engagement pro-palestinien a été un véritable enjeu au sein de cette même communauté juive, s’il reflète – voire accentue – le fossé sociologique et culturel entre les deux principaux foyers juifs en Belgique, Bruxelles et Anvers, et comment cette question s’insère dans le cadre plus large du rapport entretenu par la communauté juive organisée avec Israël1.

2 Notre enquête repose principalement sur une analyse des périodiques suivants : Regards, La Centrale et Rond-Point, enrichis par des numéros de La Tribune sioniste, de Points critiques et du Belgisch Israëlitisch Weekblad. Nous verrons que la presse juive s’intéresse à cette question, mais avec des variations, reflétant en général le point de vue des organisations et institutions2. La période choisie propose comme point initial la guerre dite du Kippour (1973), au lendemain de laquelle la question palestinienne prend une vraie acuité dans les débats, et s’achève avec celle du Liban (1982), première guerre d’Israël qui n’est soutenue ni par tout le peuple israélien ni par toutes les communautés juives. 3 C’est dans le contexte créé par la guerre de 1967 qu’il faut comprendre l’analyse que nous opérons ici. L’effet de la guerre 1967 a en effet été considérable sur la communauté juive : ce conflit, lors de premiers jours du moins, a avivé des angoisses existentielles, liées au traumatisme de la Seconde Guerre mondiale, réanimé une dynamique communautaire qui n’avait plus été de mise depuis l’entre-deux-guerres, inauguré une ère nouvelle qui a succédé à celle de la lente reconstruction sociale, économique et psychologique de l’après-guerre, relancé des identités qui se sont rejudaïsées, et contribué à structurer la communauté juive sur des schémas en partie

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nouveaux. Ce contexte est renforcé par la guerre de 1973, qui a cristallisé ce qui était en cours depuis juin 1967, notamment le réflexe catastrophiste quant à la survie d’Israël, largement instrumentalisé en 1973 et après. 4 C’est une période particulière aussi dans le sens où, au contraire des suites de la guerre du Liban et encore plus de la première Intifada (1987), le souci des intérêts du peuple palestinien n’a pas encore pénétré profondément le monde politique belge. Dans les années 1970, le monde libéral constitue encore un soutien marquant pour Israël, mais une partie du Parti socialiste belge lui est aussi acquis : c’est le cas des figures centrales du PSB que sont Pierre Vermeylen, Henri Simonet, Roger Lallemand ou Guy Spitaels, par exemple, sans compter les liens qui unissent alors la Fédération générale du Travail de Belgique (FGTB) et le syndicat israélien Histadrout3. Ceci est entre autres à mettre en relation avec le fait que les travaillistes, au pouvoir à Jérusalem jusqu’en 1977, sont alors très actifs dans l’Internationale socialiste.

Prolégomènes

5 Pour saisir la violence des polémiques autour de l’engagement pro-palestinien dans les années 1970, il importe de revenir à la fois sur l’importance du thème d’Israël dans les expressions majoritaires de la communauté juive et sur la mémoire de la Shoah. Les polémiques sur le conflit israélo-palestinien vont donc se greffer sur ces autres conflits, politiques et mémoriels, qui traversent la communauté juive sur la longue durée et ont comme point commun la thématique de l’identité juive.

6 Au lendemain de la guerre, la communauté juive de Belgique est en effet entièrement absorbée par le combat de la reconstruction. La plupart des survivants n’ont plus rien : ni famille, ni logement, ni travail, ni biens. Des Juifs arrivent en grand nombre en Belgique, venant d’Europe centrale. Dans ce contexte, l’avenir des enfants, ceux qu’on a appelés les « orphelins de la Shoah », occupe une place essentielle. C’est dans ce cadre- là qu’est vu, principalement, le rapport avec la Palestine sous mandat britannique : l’avenir des orphelins de guerre est-il en Europe ou en Palestine ? Ce qu’il se passe en Palestine mandataire même, en particulier au plan politique et militaire, n’est pas leur préoccupation première, qui va plutôt à la réhabilitation des survivants de la Shoah. 7 La déclaration d’Indépendance de l’État d’Israël, en 1948, suscite un immense espoir et un énorme soulagement parmi les Juifs de Belgique. Mais les familles décimées par la Shoah sont divisées sur l’opportunité d’envoyer des jeunes, qui ont terriblement souffert de la violence de guerre, se battre pour Israël pendant le conflit israélo-arabe qui suit la déclaration d’Indépendance, en 1948 et 1949. Si des sionistes de Belgique s’y engagent individuellement, un groupe d’une dizaine de personnes issu de l’Union sportive des jeunes Juifs (USJJ), d’obédience communiste, part également combattre les armées coalisées contre le jeune État d’Israël. Le sort et le devenir des populations arabes demeurées sur le territoire contrôlé par Israël est alors tout simplement une question qui ne se pose pas4. 8 Dans cet immédiat après-guerre, le prestige des résistants juifs, souvent communistes, est énorme et pèse d’un grand poids sur la “rue juive” – où les communistes dominent, alors que les sionistes sont quelque peu en retrait5. Or, l’idée défendue par les communistes juifs, qui ne sont pas favorables à l’émigration vers la Palestine puis Israël, est celle de l’intégration à la société belge d’abord, par l’insertion socioprofessionnelle en particulier. C’est cette idée-là, toute pragmatique, qui va

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marquer l’organisme chargé de la reconstruction de la communauté juive, l’Aide aux Israélites Victimes de la Guerre (AIVG)6. La reconstruction pourra se faire grâce à l’argent venu d’Amérique par l’intermédiaire de l’American Joint Distribution Committee (en abrégé : Joint) et par l’alliance, au sein de l’AIVG, de la gauche et de la bourgeoisie libérale juives. Les sionistes y sont certes présents, mais y jouent un rôle de deuxième plan. 9 C’est en 1960 que l’AIVG change de nom pour devenir le Service social juif (SSJ). Ce changement d’appellation correspond aux bouleversements intervenus dans la structure économique et sociale de la communauté juive de Belgique en regard de la situation d’immédiat après-guerre, mais aussi d’avant-guerre. Pour beaucoup de Juifs, une certaine ascension sociale, d’une génération à l’autre, a pu se faire. De plus, ceux qui deviennent adultes autour de 1960 n’ont que des souvenirs d’enfance de la guerre, sans avoir eu la possibilité de comprendre les événements à l’époque, ni bien sûr d’agir face aux persécutions. 10 Les traumatismes causés par la Shoah vont bien évidemment au-delà des années 1960, mais changent alors de nature : ils se sont installés chez certains comme souffrances chroniques qui nécessitent un traitement particulier, et apparaissent sous des formes nouvelles dans les traumatismes de ceux qui étaient enfants au moment de la Shoah, voire même nés après-guerre7. Dans le contexte nouveau créé par les années 1960, la mobilisation pour la reconstruction est considérée comme désormais moins essentielle. À cela se greffent des questions de plus en plus vives en matière d’identité, dans un monde qui se sécularise rapidement. C’est que la guerre des Six Jours déclenche en 1967 un énorme mouvement de mobilisation parmi les Juifs de Belgique : la peur de l’anéantissement est à nouveau au centre des préoccupations et toute l’énergie des Juifs de Belgique se tourne alors vers Israël. 11 Lorsque, fin 1968, le Service social juif intitule un de ses appels à l’aide financière : Y a-t- il encore des Juifs pauvres en Belgique ?, la réponse est affirmative, mais il faut manifestement convaincre. Alors que la reconstruction d’après-guerre avait été essentiellement financée par le Joint, avant que celui-ci ne s’en désengage totalement en 1972, une grande partie de l’aide financière venant de la communauté juive de Belgique se dirige dorénavant vers Israël, et non plus vers des œuvres et projets domestiques. 12 À partir de 1967, le leadership au sein de la communauté juive doit en outre être légitimé par le soutien à Israël, et il n’en ira plus autrement par la suite. Prenons à cet égard l’exemple de David Susskind. En 1948, alors militant communiste, Susskind ne peut malgré son souhait aller combattre pour l’Indépendance d’Israël, car il est chef de famille. Il émigre en Israël peu après, puis revient en Belgique. Lors de la crise de Suez, en 1956, alors qu’une campagne de soutien à Israël se déploie au sein de la communauté juive de Belgique, Susskind et les Juifs communistes s’y opposent, soulignant le caractère colonialiste de la France et de l’Angleterre alliés d’Israël dans le conflit – car Israël n’est pas attaqué, mais lié aux intérêts « impérialistes ». Susskind dit son malaise à l’égard d’Israël à cette époque8. En 1967 en revanche, il organise et structure la mobilisation pour Israël. Son importance de leader dans la communauté juive s’affirme dès lors définitivement. 13 Au début des années 1970, d’autres problèmes de l’après-guerre ne sont pas défrichés. C’est notamment le cas de l’analyse historique des événements de la Shoah. Les souvenirs et les images d’horreur – celles du camp d’Auschwitz –, ou la lutte contre les

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nazis – qu’il s’agisse de la Résistance ou du soulèvement du ghetto de Varsovie – ont joué un rôle important dans le processus de reconstruction, et pèsent alors de tout leur poids. Ce n’est qu’en 1973 que paraît le livre de l’historien français Lucien Steinberg sur le Comité de Défense des Juifs (CDJ), la résistance civile juive créée à Bruxelles en 1942. Alors qu’à cette date-là, il est encore question de la démolition possible de la caserne Dossin de Malines, antichambre d’Auschwitz, une attention accrue se porte autour de 1980 vers le passé avec les premiers travaux de Maxime Steinberg, la parution de Né Juif, le récit autobiographique de l’intellectuel juif de gauche Marcel Liebman, en 1977 et du Mémorial de la Déportation en 19829. 14 S’ensuivent la grande manifestation d’hommage aux sauveurs de Juifs durant la guerre, le procès de Kiel – où sont mis en accusation plusieurs responsables nazis de la déportation des Juifs de Belgique – et la menace de prescription des crimes nazis en RFA10. Le fait que le grand rabbin de Belgique Salomon Ullmann, comme rappelé à l’époque par Marcel Liebman, fût l’un des signataires de la convocation de l’été 1942 pour le camp de rassemblement de Malines, et donc pour Auschwitz, est aussi capital après la guerre11. Ces controverses sont douloureuses, comme celle relative aux signes apposés sur les tombes de résistants juifs au Tir national : d’abord des croix militaires, puis des étoiles juives, puis à nouveau des croix militaires, puis des stèles neutres vers 1980. 15 Les discours de commémoration de la déportation se terminent souvent à l’époque par une évocation de l’importance de l’État d’Israël. L’ambassadeur d’Israël y est présent et situe ces commémorations dans l’actualité de son pays. Aux moments de plus grandes polémiques, le mot « Auschwitz » est souvent lancé : la charge de souffrance et d’émotions que porte ce terme empêche une discussion argumentée autour des idées exprimées. Le danger de la haine antijuive est constamment rappelé alors que les marques d’antisémitisme sont réelles dans le quotidien, s’accroissant d’ailleurs avec des événements comme la guerre du Kippour. 1973 est comparé à 1967, l’intensité de la mobilisation de 1967 suscitant une profonde nostalgie. 16 Le discours ambiant, après 1967, crée la fiction d’une unité de la communauté juive, d’un resserrement des rangs. La survie d’Israël, qui n’a pourtant qu’à peine été mise en danger, tant en 1967 qu’en 1973, est constamment brandie pour alimenter cette nécessaire unité. L’implicite – voire parfois l’explicite – de ce discours est de dire qu’on ne peut être juif qu’en étant solidaire d’Israël12. 17 Il est un fait que la très grande majorité de la population juive avalise désormais la centralité d’Israël dans l’expérience juive. Le tournant de 1967 marque la naissance de la solidarité avec l’État juif ; il se dessine jusque dans le financement des activités communautaires : alors qu’avant 1967, les contributions aux institutions locales dépassaient largement celles versées au profit de la solidarité avec Israël, le phénomène s’est inversé après 196713. 18 Ce postulat que tous les Juifs seraient forcément alignés sur cette position entraîne un véritable silence sur les discours qui contrediraient ce qui n’est qu’une fiction rhétorique. Ainsi, en 1973, lorsque la guerre du Kippour provoque la réactivation d’un Comité d’Action pour Israël, la presse juive parle d’un regroupement en son sein de toutes les organisations juives de Belgique – ce qui n’est bien sûr pas totalement exact14.

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Les enjeux

19 Durant cette période, le combat du peuple palestinien et des organisations palestiniennes n’a pas le poids qu’il occupera après 1982. Celui-ci n’est alors perçu qu’au regard des actions terroristes aveugles de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et des autres composantes du mouvement palestinien. L’accent est davantage mis sur les réalités propres à Israël et sur les relations qu’il entretient avec ses voisins arabes, particulièrement après la visite du président égyptien Sadate à Jérusalem (19 novembre 1977).

20 Mais Israël, bien que constituant désormais une part essentielle des préoccupations juives et de l’identité juive, n’est pas la seule source de mobilisation juive, tant s’en faut, surtout avant 1980. La lutte pour les droits des Juifs d’URSS, victimes de l’antisémitisme d’État et des entraves à leur émigration mobilise en ces années de nombreuses organisations juives, à plus forte raison en Belgique, où la communauté juive bruxelloise et le Centre communautaire laïc juif (CCLJ) en particulier, jouent un rôle essentiel sur le plan international. La question des Juifs d’URSS est bien sûr liée au climat de la Guerre froide et nourrit l’anticommunisme. Une des oppositions virulentes qui traverse la communauté juive est celle relative au communisme. Toute polémique sur la situation entre Israël et ses voisins a souvent comme référence les divergences sur le communisme et l’Union soviétique qui s’expriment selon l’actualité de l’époque, mais aussi selon les avancées de l’historiographie des Juifs de Belgique, tant dans le domaine de l’histoire de la Résistance que de la déportation. Dans l’analyse de la résistance juive, les relations des résistants juifs avec le communisme sont tout à la fois un sujet d’étude essentiel et un sujet de polémique. Ces références au passé polarisent bien sûr des antagonismes idéologiques dans ce contexte spécifique et tout est occasion de le rappeler, par exemple à propos des Juifs d’URSS. 21 Pour le CCLJ, la question des Juifs d’URSS est non seulement un enjeu humanitaire et juif essentiel, mais permet aussi de se prémunir contre les accusations de subordination à Moscou proférées à l’encontre de la gauche juive non sioniste. Remarquons toutefois que la création du Mouvement juif pour la Paix israélo-arabe, en 1976, patronné par le CCLJ et le périodique Regards qui lui est proche, est fustigée comme faisant le jeu des thèses soviétiques sur le Proche-Orient15. 22 C’est le CCLJ, dont David Susskind est le cofondateur et animateur principal, qui incarne avec le plus de succès le centre communautaire imaginé à l’échelon international comme nouvelle expression de la vie juive, et ce dès le début des années 196016. Ce pôle ne reflète certes pas l’opinion majoritaire de la communauté juive, mais s’impose symboliquement par la dynamique qu’il crée. Le CCLJ est en effet durant les années 1970 le centre de gravité de la vie juive à Bruxelles alors qu’il se situe à l’extrême gauche de l’échiquier des sensibilités pro-israéliennes et qu’il est souvent attaqué comme faisant le jeu des ennemis d’Israël. Il va dès lors miner le positionnement des Juifs pro-palestiniens en offrant une alternative modérée aux sympathisants d’une solution à deux États, ce qui marginalisera encore davantage la gauche juive non sioniste.

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David Susskind

CCLJ

23 Le mensuel Regards affiche clairement, durant ces années, l’engagement d’une grande partie de sa rédaction, qui est aussi celui d’une majorité de militants du CCLJ, en faveur d’un retrait des territoires occupés et d’une négociation avec une OLP qui renoncerait au terrorisme et reconnaîtrait le fait israélien. C’est le sens d’éditoriaux du rédacteur en chef, Eliyahou Reichert17 ou de tribunes de David Susskind – même si des opinions moins engagées sont aussi publiées18. Regards publie également des textes appelant à diverses formes de dialogue entre Israéliens et Palestiniens : c’est le cas de ceux de l’ancien général puis activiste de la paix Matti Peled et de l’économiste Elias Tuma pour une reconnaissance mutuelle19 ou du programme du Conseil pour la Paix Israël- Palestine20. Il fait aussi largement écho à la présence, à la tribune du CCLJ, de la journaliste et militante palestinienne Raymonda Tawil21, et se fait également le relais du mouvement pacifiste Shalom Ah’chav, né de l’appel d’officiers de réserve israéliens qui militent pour une paix juste et durable fondée sur le principe « Deux peuples, deux États »22. Enfin, à plusieurs reprises, il anticipe – souvent courageusement – la reconnaissance de la réalité politique et démographique du fait palestinien qui se développe tout au long des années 1970.

24 David Susskind, initiateur en 1968 du Comité belge pour une Paix négociée – qui visait à ce qu’Israël et ses voisins arabes soient appelés à entamer des pourparlers sur base de la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations Unies23 – a contribué à abriter à Bruxelles les premiers dialogues entre Aryeh Lova Eliav (ancien secrétaire général du Parti travailliste israélien, qui démissionnera de ses fonctions en raison de son désaccord avec Golda Meïr sur la question palestinienne) et Issam Sartaoui (membre du comité central de l’OLP et conseiller politique d’Arafat). Ceux-ci ont lieu sous le patronage de l’ancien Premier ministre français Pierre Mendès France et de l’ancien

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président de l’Organisation sioniste mondiale, Nahum Goldman24. Ces contacts-là sont privés, et même secrets. En revanche, les symposiums de New Outlook, la revue de l’homme politique israélien Simha Flapan, sont les premiers espaces de dialogue public entre Israéliens et Palestiniens : dont celui, crucial et abondamment commenté dans Regards, de Washington en octobre 197925.La crise surviendra par le fait d’une chronique d’un collaborateur régulier de Regards, signant Scopus – pseudonyme de Vladimir Grigorieff –, qui soulèvera un tollé et contraindra le CCLJ à se repositionner, sous peine de voir sa place au sein de la communauté juive de Bruxelles se marginaliser. Le billet de Scopus, fait d’aphorismes moralisateurs, tranche par trop, cette fois-là, avec le discours habituel de Regards, puisque non content de stigmatiser l’occupation israélienne et de viser l’essence même du sionisme comme aliénant et expansionniste, il brise un tabou, concernant le lien entre terrorisme et résistance. Il suscitera des réactions passionnées26. D’aucuns ont d’ailleurs profité de l’aubaine pour faire circuler un manifeste d’un « Comité d’Action et de Vigilance » soutenu par les organisations phares de la communauté juive de Bruxelles, hormis le CCLJ. Un manifeste qui anathémise l’antisionisme supposé du CCLJ et appelle, outre au boycott de cette organisation, à une solidarité inconditionnelle à l’égard d’Israël. Ce manifeste n’a d’autre objectif que de pointer la fragilité de la position du CCLJ et ainsi amoindrir son audience au sein de la communauté27.

Vladimir Grigorieff, alias Scopus

Géraldine Kamps

25 Cette crise de 1979 contribuera, avec d’autres facteurs, à polariser la communauté juive bruxelloise en deux camps opposés : d’une part, le CCLJ et, d’autre part, le Cercle Ben Gourion, de création récente, qui bénéficie là d’une publicité qui concourt à assurer sa croissance. Polarisation d’autant plus radicale qu’il s’agit, dans le chef des derniers, d’affirmer haut et fort une solidarité sans condition à l’égard de l’État juif et de ses gouvernements successifs, et d’appeler la population juive à afficher solennellement son adhésion à ce principe, distinguant ceux que Foulek Ringelheim appelle à l’époque les « Juifs assermentés » et les « Juifs réfractaires »28. Car il s’agit bien, pour ces inconditionnels d’Israël, d’exiger un serment de fidélité et de transmettre les noms des

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signataires de l’appel à l’ambassade d’Israël, ce que certains verront comme une forme inversée de délation29.

26 Néanmoins, dans le contexte de la fin des années 1970, le discours du CCLJ connaît une inflexion, pour conserver une position symboliquement dominante au sein de la communauté face à l’émergence du Cercle Ben Gourion et son organe Radio Judaïca, structure moins connotée que la Fédération sioniste. L’éviction de Scopus du comité de rédaction de Regards, quelque temps après que les articles de l’écrivain David Scheinert, lui aussi très critique à l’égard d’Israël, ont cessé de figurer dans le mensuel, en sont des signes évidents. Alors que Regards n’insistait pas trop jusque là sur le terrorisme palestinien, l’actualité – à savoir l’attentat sanglant commis à Anvers contre des enfants juifs, durant l’été 1980 –, le contraindra à le faire. Devenu en octobre 1980 un hebdomadaire à vocation plus large, et soumis aussi sans doute aux contraintes commerciales que cela suppose, Regards paraîtra alors moins militant. 27 Il est manifeste aussi que l’année 1977, qui voit le Likoud de Menahem Begin accéder au pouvoir en Israël après trente années de leadership travailliste, marque une rupture : la gauche juive est progressivement obligée de constater que c’est un gouvernement composé de la droite nationaliste et de religieux qui signe un accord de paix avec l’Égypte et évacue la péninsule du Sinaï. Le ministre des Affaires étrangères (Moshé Dayan) propose d’ailleurs de réenvisager la question du plateau du Golan en échange de la paix avec la Syrie et le ministre de la Défense nationale (Ezer Weizmann) lance un appel à l’OLP pour qu’elle dépose les armes et devienne un partenaire dans les pourparlers de paix, en renonçant au terrorisme30. 28 Un an auparavant, le gouvernement belge a pris la décision d’autoriser l’ouverture à Bruxelles d’un bureau d’information et de liaison de l’OLP, entérinant par là le fait que l’organisation palestinienne constitue désormais un partenaire diplomatique légitime et que le rapport du monde politique belge à l’État juif a définitivement changé. La communauté juive organisée ne s’en sentira que plus isolée dans son soutien sans faille à Israël31.

Israël comme paravent

29 On constate souvent, et en particulier dans le mensuel Regards, que les initiatives de paix ou les avancées venues d’Israël servent à afficher le soutien au dialogue israélo- palestinien. C’est bien sûr le cas lorsque le CCLJ et Regards, à la fin des années 70, deviennent les porte-voix de Shalom Ah’chav en Belgique. Mais Regards faisait déjà auparavant un usage quasi systématique des articles de presse israéliens ou d’interviews de personnalités israéliennes favorables au dialogue avec les Palestiniens. Il faut voir là un mélange de raisons stratégiques liées à l’équilibre délicat du CCLJ au centre de la vie juive bruxelloise et de raisons sans doute idéologiques, propres à sa conception du judaïsme : il appartient à ses yeux aux Israéliens eux-mêmes, et non aux Juifs de la diaspora, de prendre l’initiative d’avancées dans ce domaine, où les questions de la reconnaissance mutuelle de deux aspirations à la souveraineté et de la légitimité de la lutte armée et du terrorisme demeurent sensibles.

30 Regards ne manque jamais de faire écho, et très largement, aux positions tranchées des dirigeants du CCLJ, et en particulier de David Susskind, à cet égard. Ses prises de position, ses participations actives aux congrès de New Outlook en témoignent.

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Néanmoins, il semble qu’il s’agisse systématiquement de s’accrocher au wagon des initiatives, courageuses parce que très minoritaires et stigmatisées, de personnalités politiques ou universitaires israéliennes. Cette stratégie n’en sera que confortée dès lors que le débat sera amené au cœur de la vie politique israélienne. Il en est ainsi de la fameuse polémique, à la Knesseth, sur les contacts entre des députés israéliens et des représentants de l’OLP, au moment où l’autobiographie de Moshé Dayan révèle qu’il a cherché sans succès à rencontrer Yasser Arafat32. Cela a déjà été le cas lorsque les premiers pas d’un dialogue israélo-palestinien se sont fait jour, en 1974, avec la retentissante interview de Nayef Hawatmeh, chef du Front démocratique pour la Libération de la Palestine (FDPLP), dans le quotidien israélien Yedioth Aharonoth, puis la déclaration de plusieurs membres de la Knesseth, dont des membres du Likoud, appelant au dialogue et à la coexistence pacifique avec les Palestiniens33. 31 Il est difficile de dire si le silence que l’on observe, principalement dans le mensuel Regards, à propos de ceux qui ne se retrouvent pas dans l’unanimisme sioniste – même si, on l’a vu, celui-ci est pluriel –, est une véritable stratégie ou s’il constitue plutôt un conditionnement. Deux constats s’imposent à ce propos. D’abord, on n’attaque pas frontalement les militants juifs pro-palestiniens, avant 1982 ; c’est l’engagement palestinien extérieur à la communauté qui est visé, chez des leaders d’opinion ou dans les médias, afin de faire la démonstration d’une perception supposée biaisée du conflit. C’est le cas, notamment, mais les exemples sont nombreux, avec l’universitaire et écrivain Pierre Mertens, en particulier lors de son voyage en Syrie au lendemain de la guerre du Kippour, ou du journaliste de la Radio-Télévision belge (RTB) Jacques Burlion. Voire lorsque l’animateur Robert Frère (1976), à la même RTB, tient des propos qui seront considérés comme emblématiques, aux yeux de la communauté juive, des dérapages antisémites de certains journalistes ou animateurs mus par leur haine d’Israël34. 32 Ignorer ceux qui, parmi les Juifs, partagent cet engagement pro-palestinien, c’est entretenir la fiction d’une communauté unie dans sa solidarité avec Israël. Cette négation opportuniste ne semble toutefois être le fait systématique que du périodique Regards, pourtant la principale revue juive de Belgique, sinon en francophonie. Quand on évoque plus directement l’existence d’une gauche juive non sioniste ou antisioniste, voire la difficulté pour la gauche juive sioniste d’exister au sein du monde progressiste, la référence n’est pas belge : l’analyse renvoie le plus souvent à la situation française – les nombreux articles de son chroniqueur parisien Henry Bulawko dans Regards en témoignent. On s’adresse plus volontiers à l’ensemble de la mouvance progressiste qu’à sa frange juive, comme l’illustre en 1976 la « Lettre inamicale à une partie de la gauche » de l’activiste, écrivain et artiste juif français Marek Halter35. 33 Regards, une fois encore, va de préférence ouvrir ses colonnes à des plumes étrangères plutôt que belges quand elles sont peu favorables à Israël : ainsi, dans le contexte de la stigmatisation du pays par certaines institutions internationales, Regards reproduit le texte d’une opinion cosignée par l’universitaire Pierre Vidal-Naquet, publiée à l’origine dans Le Monde, où, tout en fustigeant l’État juif, il condamne l’attitude de l’UNESCO à son égard36. Cette insertion témoigne malgré tout d’une ouverture, quoique timide, proposée par Regards : il en est ainsi de l’interview du dramaturge belge René Kalisky, qui n’est pas tendre non plus pour Israël, et y développe sa conception de la nécessité de la dispersion du peuple juif et d’une anormalité consubstantielle au judaïsme – l’année où il publie sa pièce Dave au bord de la mer, dont l’action se situe en Israël, et un

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an après avoir postulé, dans Sionisme ou Dispersion, que le repli national ou territorial que constituait l’État juif représentait un danger de mutilation de l’identité juive37. 34 De manière générale, aux yeux de Regards, l’Union des Progressistes juifs de Belgique (UPJB) fondée en 1969, qui est asioniste, n’existe pratiquement pas ; l’Union des jeunes Juifs progressistes (UJJP), plus radicale car profondément antisioniste, encore moins. Le principal motif de ce silence-là tient sans doute à des considérations historiques internes à ces organisations, toutes issues de la même mouvance communiste. David Susskind opéra, à la fin des années cinquante, un virage idéologique qui l’éloignera du communisme, avant de fonder le CCLJ. Cela est aussi à mettre en rapport avec l’exclusion de fait de l’UPJB du Comité de Coordination des Organisations juives de Belgique (CCOJB), créé en 1971, et de l’expulsion en octobre 197338 de l’UJJP de la Fédération de la Jeunesse juive (dans laquelle elle était difficilement entrée en 1957), au moment où le radicalisme pro-palestinien et antisioniste de l’UJJP et son indulgence à l’endroit du terrorisme aveugle, qu’il assimile à de la résistance légitime, irritent jusqu’à l’UPJB. 35 Il y a peu de dérogations à ce mutisme. Regards fera néanmoins écho à la première que constitue le fait que Naïm Khader, représentant de l’OLP en Belgique – et pourtant vivement attaqué par David Susskind quelques mois plus tôt dans les mêmes colonnes du mensuel –, prend la parole à la tribune d’une organisation juive, en l’occurrence l’UPJB, en 197639. Malgré les conditions posées au dialogue par Naïm Khader, et ce qui peut être perçu comme des “arrière-pensées”, à savoir l’établissement d’un État palestinien aux côtés d’Israël, mais sans abandonner la perspective d’un État binational –, il est encourageant de constater que l’OLP a enfin décidé de dialoguer avec des Juifs pour lesquels le droit à l’existence d’Israël, comme rappelé par le porte-parole de l’UPJB, est un fait indiscutable40.

Les exclusives

36 Les années 1970 sont des années où l’on use à foison des armes du boycott et de l’exclusive. Le violoniste Yehudi Menuhin, après son refus de s’associer aux protestations du monde musical contre les décisions anti-israéliennes de l’UNESCO, est ainsi remplacé derechef par un autre artiste lors du gala annuel des Amis belges de l’Université hébraïque de Jérusalem, en avril 197541. « La critique d’Israël relève du masochisme et du dérangement biliaire », déclare le président de la Fédération sioniste de Belgique, en 197942. Autant dire que l’antisionisme juif serait une sorte de trouble névrotique, qui disqualifierait tout discours de ce type.

37 Du déni de bonne santé mentale au déni tout court, il n’y a qu’un pas : quand Le Soir publie le 15 mai 1973, à l’occasion du 25e anniversaire de l’État juif, un appel de personnalités juives très peu favorables à Israël, qui fustigent le « chauvinisme » du sionisme et la réponse inadéquate qu’il offrirait à l’antisémitisme, l’éditorialiste de la Tribune sioniste y voit 90 % de « glorieux inconnus » du monde juif – comme si ce monde juif ne pouvait être que le sien – : « On aimerait savoir à quel titre ils se considèrent comme juifs […]. Peut-être le vocable “anti-juifs” serait-il plus indiqué pour eux. »43 38 Contrairement au silence que s’impose Regards, qui semble traduire une stratégie plus qu’un malaise, le reste de la presse juive n’hésite pas à pourfendre l’antisionisme juif, même si elle ne le fait que de manière épisodique. Le ton est pour le moins rude, et n’a rien à envier aux épithètes de la presse communiste à l’égard de ses adversaires

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idéologiques. La stigmatisation revient fréquemment sur l’identité juive des intéressés, comme si d’autres qu’eux-mêmes pouvaient en préjuger, tout en relevant à bon escient sans doute que cette judéité n’est affirmée publiquement que lorsqu’il s’agit de flétrir Israël. Pour Jean Zeydmann, l’éditorialiste de La Centrale en 1973, il ne s’agirait en fait de Juifs pro-palestiniens que d’alliés juifs de la gauche « qui ont quitté notre communauté ou plutôt qui n’en ont jamais fait partie » : bref, on ne peut être vraiment juif qu’en partageant le destin collectif de la communauté organisée, pour autant qu’elle fût unitaire dans son rapport à la centralité d’Israël44. 39 Si on ne partage pas ce destin, on ne peut que se haïr soi-même, détruire la part juive que l’on porte en soi : c’est le sens de la « Lettre ouverte aux signataires du manifeste “Des Juifs et de l’État d’Israël” », formulée par l’Union des Étudiants juifs de Belgique (UEJB)45. Il s’agit d’une réaction à la parution de l’appel de personnalités juives anti- israéliennes dans le Soir du 15 mai 1973 : « Vous prévalant de votre titre de “Juifs”, vous ne pardonnez pas [une] allégeance sentimentale au principe d’indépendance nationale du peuple juif. À vos yeux, Israël s’est toujours transformé en une source de frustration et de haine. Vous avez commencé à haïr Israël parce que vous avez commencé à vous haïr vous-même […]. Votre opposition idéologique à Israël a sa source dans la haine. […] Pour détruire le Juif qui est en vous, vous essayez de détruire Israël à coups de pétitions, devenant ainsi les alliés objectifs de ceux qui, pratiquant le terrorisme, abattent froidement des athlètes à Munich et des pèlerins à Lod. »46 40 Le militant progressiste Henri Goldman, de l’autre côté du spectre politique, s’en expliquera dans le périodique Points Critiques : « Puisqu’il fallait choisir son camp, nous avons rejoint le camp de l’occupé, de l’opprimé. Traîtres à notre cause biologique, suppôts d’El Fatah, nous étions des “pro-arabes” deux fois plus dangereux que les autres : nous connaissions “de l’intérieur” les failles des discours sioniste et pro- israélien, et nous démentions par notre existence l’unanimité juive. Après cela, plus question bien sûr de faire carrière dans la communauté. Le Moyen-Orient nous a contraints à lui tourner le dos plus vite que prévu. »47 41 Dans le climat de la Guerre froide, qui à la fois cristallise les oppositions, nourrit les discours ambiants et est instrumentalisé avec force, il est aisé de ranger les amis des Palestiniens parmi les amis de Moscou, en politisant l’adage : « Les amis de mes amis sont mes amis »48. Ce qui suffit à les discréditer, sans autre forme de procès. Cela ne veut pas dire que de l’autre bord, l’on se prive de tels amalgames, puisque l’on y rencontre soit une lecture de classe des oppositions au sein du monde juif, soit une analyse de la situation proche-orientale perçue au travers de seuls prismes anti- impérialiste, anticolonial ou tiers-mondiste.

La figure centrale de Marcel Liebman

42 La stratégie fait feu de tout bois dans les deux camps. Ainsi, dans la communauté juive, plutôt que de viser directement la gauche juive, on discrédite tout soutien aux organisations palestiniennes, comme lorsque l’on montre, ainsi que le fait Serge Dumont dans La Centrale, les liens entre une partie de l’extrême droite et le Fatah – le mouvement de libération de la Palestine fondé par Yasser Arafat en 1959 –, en Belgique et dans d’autres pays européens49.

43 De même, on procède à un amalgame sinistre entre soutien à la cause palestinienne, acceptation du terrorisme et trahison, comme le fait le Belgisch Israëlitisch Weekblad au

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sujet de Marcel Liebman sous le titre « Joodse Degrelle roert zich weer » (« Le Degrelle juif s’agite une fois de plus ») : « Naar aanleiding van de 25e verjaardag van de onafhankelijkheid van Israël, heeft de Joodse Degrelle, Marcel Liebman, na een lange periode van stilzwijgen, weer van zich laten horen. Niet om zich te verheugen dat vervolgde en ontheemde joden eindelijk een veilige haven bezitten, maar om mee te huilen in het pro-Arabisch wolvenkoor in België. Gezien het congressenpaleis dit zootje niet wou herbergen, hebben de akolieten van de Arabische terroristen in ons land hun toevlucht genomen tot een lokaal, gelegen in de slecht befaamde wijk van het Brussels Noordstation, waar een colloqium werd ingericht. Een colloquium is eigenlijk veel gezegd want men kreeg er slechts één enkele klok te horen. En temidden van vertegenwoordigers van de ambassade van Irak, Syrië en Egypte, troonde Marcel Liebman die blijkbaar niet vies is uitgevallen om hand in hand te gaan met diegenen, die hebben gezworen de Joden in zee te werpen. Wij geloven dat vader Liebman, die een alom geacht lid was van de joodse gemeente van Antwerpen en voor de laatste wereldoorlog een Matzelfabriek uitbaatte in de Somersstraat, zich in zijn graf zou omkeren moest hij weten in welk gezelschap zoonlief is geraakt, verblind door zijn ideologische stompzinnigheid. »50 44 En 1967, en pleine mobilisation massive des Juifs de Belgique autour d’Israël, Marcel Liebman veut parler de la question des réfugiés palestiniens. Il sera l’objet d’injures et de menaces, comme il s’en expliquera : « Juif – bien que Juif comme on dit trop souvent – je pris, dès la guerre des Six Jours en 1967, position en faveur des Palestiniens. Circonstance aggravante : je le fis publiquement. Cela me paraissait être un droit. On voulut me faire comprendre que c’était une trahison. Passons sur les menaces de mort dont je fus l’objet, ainsi que ma femme et mes enfants. Les spectres de la guerre y étaient étrangers. Mais on se chargea de les ressusciter51. » C’est à cette époque que l’on profère à l’égard de Marcel Liebman des formules telles que : « Monsieur, nous regrettons très fort que vous n’ayez pas été gazé à Auschwitz », qu’on le traite de « Jacques », « le monstrueux dénonciateur qui, Juif lui-même, avait décimé la communauté juive de Bruxelles pendant la guerre ». C’est à cette époque aussi qu’on écrit sur lui que s’il en avait eu la possibilité, il « eût été le plus fidèle des hommes de main des nazis à Auschwitz »52.

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Marcel Liebman

Archives privées

45 On l’a dit, c’est généralement la pratique du silence qui s’impose, dans le mensuel Regards, à propos de la gauche juive antisioniste. Quand il y est fait référence, on n’évoque le plus souvent pas la Belgique, mais bien des sources étrangères, histoire de les mettre davantage à distance encore. Ainsi, le livre du journaliste et activiste antisioniste Ilan Halevi, Sous Israël, la Palestine est quant à lui bien commenté, en 1978, et ce de manière, il faut le dire, assez nuancée53. Né juif, de Marcel Liebman, ce livre déjà tellement dérangeant par le cruel jeu de mots de son titre, n’est cependant pas ignoré non plus, même s’il pourfend le « particularisme » sioniste54. Son recenseur, dans les colonnes de Regards, lui rend cet hommage inattendu : « On peut discuter de son refus du sionisme comme solution, car elle abandonne le terrain à l’ennemi55, on ne devrait pas pour autant, contrairement à son propre père qui pourtant ne partageait pas ses vues, ne pas admettre la sincérité et la cohérence de ses positions. »

46 Cela mis à part, le Liebman d’après 1967 est soit nié, soit anathémisé – rappelons qu’il avait fait partie du mainstream communautaire jusqu’au début des années soixante, alors qu’il militait avec Chaïm Perelman au sein de l’association culturelle Menorah et défendait la centralité d’Israël comme cœur spirituel du judaïsme et catalyseur de la rénovation de celui-ci56. Ainsi que l’écrit Henri Goldman dans un des premiers numéros de Points critiques, fustigeant l’establishment communautaire à son propos :« Un Liebman, c’est quelque chose entre Judas et Quisling. C’est en tout cas quelqu’un avec qui on discute [sic] pas »57. Quand Marcel Liebman, l’année où il fonde l’Association belgo-palestinienne avec le militant tiers-mondiste Pierre Galand et le premier représentant de l’OLP auprès des autorités belges et européennes, Naïm Khader, organise en mai 1976 un colloque sur la Palestine à l’Université libre de Bruxelles, Regards ne mentionne même pas son nom. La manifestation est qualifiée de

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« conférence de propagande plutôt que colloque scientifique », mais cela n’empêche pas la revue du CCLJ de voir aussi des éléments positifs dans cette réunion qu’elle estime malgré tout être « digne et sérieuse »58. 47 Il faut attendre 1980 pour que soit rendu possible un vrai débat public sur la paix au Moyen-Orient. À l’initiative du Cercle du libre Examen de l’ULB, il réunit en février 1980 Marcel Liebman et David Susskind, qui trois ans plus tôt avait pourtant refusé de lui être opposé à l’occasion d’une émission télévisée59. 48 Auparavant, les étudiants arabes de l’Université ont systématiquement fait obstacle à ce débat public, comme lors du dialogue avorté, en septembre 1977, entre Chaïm Perelman et Naïm Khader, déjà proposé par le Cercle du libre Examen60. L’ULB est ainsi souvent le point névralgique de la violence suscitée par l’impact du conflit israélo- palestinien, et ce dès les incidents du 10 octobre 1973, en pleine guerre du Kippour : après le saccage d’une permanence de l’Union des Étudiants juifs de Belgique (UEJB), cinquante blessés seront comptés dans les rangs des étudiants juifs agressés par un groupe d’étudiants arabes.

Cercle du libre examen de l’Université Libre de Bruxelles, Quelle paix au Moyen-Orient ?

MJB

49 D’autres incidents éclatent, dans l’Université où Marcel Liebman est un professeur apprécié et admiré, le 14 février 1974, alors que des étudiants juifs font signer une pétition exigeant le respect par la Syrie des conventions de Genève sur les prisonniers de guerre et sont pris à partie par des étudiants arabes61. Alain Lapiower rappelle aussi que l’auditoire Le Relais est le théâtre de scènes de violence et de déchirements fratricides qui opposent d’anciens camarades, définitivement séparés par la question palestinienne62. Le 5 mars 1978 encore, la « Journée d’information sur l’identité juive et le sionisme », organisée par l’UEJB, est l’occasion de nouveaux heurts, qualifiés par le

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recteur de l’Université Paul Foriers d’« opération punitive » – il y aura notamment un blessé grave, quatre blessés légers, et des dégâts considérables causés aux locaux de l’Université63. Cela fait suite aux brutalités subies par les mêmes membres de l’UEJB, en décembre 1977, dans le hall de la Cité universitaire, à propos d’un stand consacré au respect des droits de l’homme en Union soviétique.

50 L’amitié et le combat commun de Marcel Liebman et Naïm Khader, dont il est question plus haut, leur valent bien sûr nombre d’attaques. Ainsi la Tribune sioniste voit dans la réception faite fin 1973 par André Cools, coprésident du Parti socialiste belge, à Liebman et Khader, accompagnés du professeur de droit international Jean Salmon, une reconnaissance des « Quisling de la cause du peuple juif »64. Marcel Liebman, dans Né Juif, rappellera les invectives qui l’accablèrent, même au moment des funérailles de son père : « Traître », « renégat », « antisémite », « vendu »…65 Mais outre les menaces, les mots les plus durs viennent d’un journal juif anversois, qui l’a déjà couvert d’injures durant des années – « Joodse Degrelle »66 ou « renégat juif », ce qui n’est pas sans rapport avec le lien qu’opère le CCOJB entre le discours d’Arafat et le programme hitlérien de destruction des Juifs67. Le Belgisch Israëlitisch Weekblad fait pourtant primer sur les convictions antisionistes de Liebman le procès moral que le politologue de l’Université de Bruxelles intente, dans Né Juif, au bourgmestre de guerre d’Anvers, Léo Delwaide, à propos du rôle de la police anversoise dans les rafles de l’été 1942 – Delwaide que le Belgisch Israëlitisch Weekblad, contre l’évidence historique, voit au contraire comme un ami des Juifs et d’Israël68. 51 Marcel Liebman avait en effet dans Né Juif réveillé de vieux démons et placé l’affaire Delwaide, pourtant connue, au cœur de la place publique, suscitant l’ire de l’ancien bourgmestre d’Anvers, mais également des réactions contrastées au sein de la communauté juive. Il est vrai que Marcel Liebman scelle ainsi définitivement son éloignement à l’égard d’une communauté juive dont il ne partage plus les aspirations, loin de l’époque où il animait l’association Menorah avec Chaïm Perelman. Ce dernier, non content de stigmatiser la critique systématique d’Israël dans le chef de Marcel Liebman, n’a certes pu avaliser non plus la lecture essentiellement idéologique opérée par Liebman pour expliquer l’attitude des dirigeants communautaires juifs durant la guerre. Perelman n’admet pas l’idée d’une sionisation de la Shoah qui se trouve au cœur de la critique proférée par Liebman et d’autres. Une « sionisation » qui correspond à la vision – certes étriquée – d’une résistance juive instillée par de jeunes sionistes, suggérant que le départ vers le futur État d’Israël aurait constitué la réponse la plus manifeste à l’antisémitisme, comme le suggérait le feuilleton américain Holocauste, que la télévision belge diffuse à la fin des années 197069. 52 Ce cas montre que la mémoire de la guerre affleure partout et contribue à polariser les positions des uns et des autres, mais aussi que le débat autour de l’engagement pro- palestinien est en définitive une question purement bruxelloise : Anvers ne connaît pas de mouvement juif progressiste et a-sioniste, sa communauté juive manifestant, en apparence du moins, une unanimité sans failles dans la défense d’Israël. Les périodiques bruxellois Regards ou Tribune sioniste accordent d’ailleurs deux fois plus de place, dans leur contenu éditorial, à Israël et au conflit israélo-arabe que le Belgisch Israëlitisch Weekblad, qui paraît à Anvers et n’a pas à militer en faveur d’Israël auprès d’un lectorat naturellement acquis à cette cause70.

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Conclusion

53 Le rapport à Israël, après 1967, a complètement modifié les formes de l’identité juive. S’ajoutant au poids mémoriel de la Shoah, il en a fait une identité victimaire, comme l’illustre Jean Zeydmann dans un éditorial de La Centrale en 1973 : « Nous nous sommes forgé une identité juive à l’ombre d’Auschwitz ou du Mur de Jérusalem, notre judaïsme est né dans l’antisémitisme, dans les déceptions, la peur et les victoires. »71 Quinze ans plus tard, la guerre du Liban a constitué la première et la plus forte rupture, avant celle de l’Intifada et le renversement de perspective des années 1990. Elle a miné la quasi- unanimité autour du soutien à Israël, en particulier quand celui-ci était en guerre. Divers indices l’illustrent : la mise sur pied d’un « Collectif des universitaires juifs », organisateur de la rencontre publique entre le militaire devenu pacifiste Matti Peled et le conseiller de Yasser Arafat, Issam Sartaoui, les éditoriaux de David Susskind dans Regards…

54 L’analyse que font les protagonistes communautaires du conflit israélo-palestinien est généralement biaisée par l’investissement émotif : le rapport à Israël semble dicté par la charge émotionnelle de la Shoah, de sa souffrance et du spectre de disparition qu’elle a engendré. Ainsi, quand Ahmed Choukeiry, le président du comité exécutif de l’OLP, parle dans une formule devenue célèbre de jeter les Juifs à la mer, c’est bien de manière littérale que cela est perçu par nombre de Juifs. Il n’y a pas de mise à distance. À l’exception de Regards, apparemment, il n’y a qu’une litanie d’invectives et de liaisons tellement fortes qu’elles empêchent toute réflexion critique : il en est ainsi, surtout, de la lecture de la survie d’Israël au regard d’Auschwitz, comme en témoignent nombre d’articles de La Centrale72. On y retrouve un lien direct entre la Charte palestinienne et le terrorisme palestinien, d’une part, et la Shoah d’autre part ; comme on y retrouve la fréquente équation Arafat = Hitler… On peut néanmoins y voir un pendant de ce que fait le périodique de l’UPJB Points Critiques, lancé en 1979, quand, usant du même registre en miroir, il critique par exemple dans la série américaine Holocauste un discours de justification du sionisme73. 55 C’est également toujours une approche strictement juive qui domine. Par exemple, quand, en 1982, Jean Gol, alors vice-premier ministre et ministre de la Justice, est salué par le CCLJ comme un ami de longue date, c’est sa position sur le Proche-Orient qui noue la proximité présente avec le CCLJ. Or, sa politique alors ultralibérale aurait à tout le moins pu heurter un mouvement progressiste, mais ce ne fut pas le cas – ce que ne manquera pas de fustiger l’UPJB74. Peut-être est-ce là le point fondamental de divergence, avec un Marcel Liebman par exemple : son combat, sa condamnation du sionisme et d’Israël, procédait directement de ses convictions socialistes et de son internationalisme, rappelait-il75. 56 Alain Lapiower, en chroniqueur de la jeunesse juive progressiste des décennies 1970-1980, en fait une forme de subversion, quand il écrit : « L’unique manière de manifester, bien haut, notre judaïsme, consistait à tourner le dos, avec éclat, en tant que Juifs, au reste de la communauté. Mais, d’Israël ou de la culture juive, nous ne savions rien. On peut se demander si nous avions conscience de ce qui nous rassemblait. […] Je suis persuadé qu’en définitive, nous avions un besoin vital de notre antisionisme, car il nous permettait, par un détour, une présence forte sur le terrain auquel nous étions profondément attachés. »76 Et plus loin, sur fond de provocation : « Contre nos anciens amis, contre les parents, dans nos familles, contre l’establishment

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juif, contre les autres mouvements de jeunes… Nos opinions, bien plus tranchées dans l’imagination de nos opposants que dans nos têtes, nous singularisaient à la limite du supportable. D’une certaine façon, notre présence scellait l’union de nos adversaires ; nous étions les mauvais juifs, les traîtres. »77 57 Malgré l’espèce de romantisme révolutionnaire de cette assertion, elle n’est pas vraiment avérée : l’ignorance tenait lieu d’exécration, et les oppositions les plus fortes se marquaient au sein même de la communauté juive organisée, entre inconditionnels et conditionnels de la politique d’Israël. D’autant que l’UJJP elle-même, seule structure organisée du camp juif antisioniste – il n’y avait en dehors d’elle que quelques intellectuels comme Marcel Liebman, Henri Hurwitz ou Nathan Weinstock, qui en 1969 avait esquissé une lecture marxiste du judaïsme et du sionisme dans un ouvrage demeuré célèbre78 –, se détourna du sujet après 1973, avant d’être dissoute en 197879. 58 Il s’agit là d’un des nœuds de la question : où se situait le conformisme, quels étaient les vrais marginaux ? Les Juifs antisionistes l’ont été, par rapport à la communauté juive, tout autant que les Juifs sionistes de gauche l’ont été dans le monde progressiste. Quelqu’un qui n’était ni antisioniste ni progressiste, le président fraîchement élu de la Fédération sioniste de Belgique, Charles Frajlick, posait la question dans une interview, en 1979 : « Certains Juifs pensent faire preuve d’originalité, même de non-conformisme, en critiquant Israël, voire en le niant, en se faisant les avocats des Palestiniens, les défenseurs de l’OLP, en critiquant la communauté juive et ses dirigeants, etc. Mais je crois qu’en fait il s’agit de pur conformisme. En effet, il n’y a rien de courageux dans une prise de position contre Israël ou contre les Juifs. C’est l’inverse qui demande des tripes, c’est-à-dire défendre Israël et les Juifs. Se soumettre à la société dominante ne demande pas d’effort, mais une simple désagrégation morale suffit : le refus de s’assumer, la peur d’être juif, car être juif c’est aussi être solidaire. »80

NOTES

1. Cet article constitue une version augmentée de la communication que les auteurs ont présentée le 29.11.2006 lors du colloque de l’Institut Marcel Liebman Les Juifs et le conflit israélo- palestinien, à l’Université libre de Bruxelles. 2. G. Castryck, “Een wolf in schaapskleren? De Shoah en Israël in de Belgisch-Joodse pers (1965-1980)”, dans Revue belge d’histoire contemporaine, 3-4, 1999, pp. 385-424. 3. Voir par exemple l’article très chaleureux à l’égard d’Israël et du sionisme de Guy Spitaels dans Regards, janvier 1976, pp. 45-47. 4. J. Déom, « Beersheva, 13 avril 1949 », dans B. De Wever, M. Van Asch, R. Van Doorslaer (éds), Belges en guerre. Images inconnues, histoires insolites, Waterloo, 2012, pp. 116-123. A. Lapiower, Libres enfants du ghetto, 1944-1978 : autour d’une organisation de jeunesse juive progressiste à Bruxelles, USJJ- UJJP, Bruxelles, 1989, pp. 56-58. 5. A. Bozzini, Engagement politique et reconstruction identitaire. Les Juifs communistes à Bruxelles au lendemain de la seconde guerre mondiale (1944-1963), thèse de doctorat en histoire, ULB, 2011.

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6. C. Massange, Bâtir le lendemain. L’Aide aux Israélites Victimes de la Guerre et le Service Social Juif de 1944 à nos jours, Bruxelles, 2001 ; V. Vanden Daelen, Laten we hun lied verder zingen. De heropbouw van de joodse gemeenschap in Antwerpen na de Tweede Wereldoorlog (1944-1960), Amsterdam, 2008. 7. N. Zajde, Enfants de survivants, Paris, 2005 ; Eadem., Guérir de la Shoah, Paris, 2005. 8. V. Engel, Le don de Mala-Léa. David Susskind : l’itinéraire d’un Mensch. Roman, Bruxelles, 2006 ; « David Susskind : Sois un Mensch, mon fils ! », film de Willy Perelsztejn, Bruxelles, 2007 ; interview de David Susskind par Delphine Blaise, Centre Audio-visuel de l’Université libre de Bruxelles, 1977, transcription inédite, p. 56. 9. « Marcel Liebman » dans J.-Ph. Schreiber, Dictionnaire biographique des Juifs de Belgique. Figures du judaïsme belge (XIXe-XXe siècles), Louvain-la-Neuve, 2002, pp. 226-227. L. Steinberg, Le Comité de Défense des Juifs en Belgique, 1942-1944, Bruxelles, 1973. M. Steinberg, L’Étoile et le fusil 1. La question juive. 1940-1942, Bruxelles, 1983 ; L’Étoile et le fusil 2. 1942. Les cent jours de la déportation, Bruxelles, 1984 ; L’Étoile et le fusil 3. La traque des Juifs. 1942-1944, 2 vols., Bruxelles, 1986. S. Klarsfeld – M. Steinberg (éds.), Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique, Bruxelles-New York, 1982. M. Liebman, Né juif. Une enfance juive pendant la guerre, Paris-Gembloux, 1977 (édité en néerlandais en 1978 ; réédité en 1996 et 2011). 10. S. B[rachfeld], « Le pèlerinage annuel à la caserne Dossin », dans La Centrale, octobre- novembre 1973, 168, p. 24. 11. « Salomon Ullmann » dans J.-Ph. Schreiber, Dictionnaire biographique des Juifs de Belgique, op. cit. , pp. 343-344. 12. Voir l’interview de Fela Perelman dans Regards, décembre 1973, p. 33 ou décembre 1975, p. 53. 13. W. Bok, « Aperçu des tendances actuelles du judaïsme belge », dans Regards, janvier 1976, p. 75. 14. Voir notamment La Centrale, octobre-novembre 1973, pp. 11 sqq. 15. Regards, juin 1976 (dossier) ; Regards, septembre 1976, p. 52. 16. W. Bok, « Entrelacs du religieux et du laïc dans les milieux juifs en Belgique » dans L. Voyé, K. Dobbelaere, J. Remy et J. Billiet, La Belgique et ses dieux. Églises, mouvements religieux et laïques, Louvain-la-Neuve, 1985, pp. 333-346. 17. Regards, octobre 1974, p. 4. 18. Comme celle de Maurice Elbaum réagissant à E. Reichert après la fameuse intervention de Yasser Arafat à la tribune de l’ONU : Regards, novembre 1974, notamment pp. 42-44. 19. Regards, sept.-oct. 1975, pp. 14-15. 20. Regards, avril 1976, pp. 6-7 et l’interview d’Elichar dans le même numéro, pp. 8-11. 21. Regards, décembre 1979, pp. 45-48. 22. L’Union des Étudiants juifs de Belgique (UEJB) avait en 1968 déjà, sous l’égide d’une des figures de mai ’68 à l’Université libre de Bruxelles, Mony Elkaïm (futur neuropsychiatre et fer de lance du mouvement de l’antipsychiatrie), lancé une initiative controversée sous le slogan « Israël-Palestine, deux États pour deux peuples » (témoignage par mail de Simone Susskind- Weinberger, 26.12.2017). 23. Comité belge pour une Paix négociée entre Israël et les Pays arabes, La paix difficile : Israël à la recherche d’un dialogue, Bruxelles, s. d. 24. Interview de David Susskind par Delphine Blaise, Centre Audio-visuel de l’Université libre de Bruxelles, 1977, transcription inédite, pp. 71 sqq. En 1982, au début de la Guerre du Liban, les mêmes Nahum Goldman et Pierre Mendès France, de concert avec Philip Klutznick, ancien président du Congrès juif mondial et ancien secrétaire d’État au Commerce de Jimmy Carter, lanceront l’appel dit de Paris appelant Israël à lever le siège de Beyrouth et à négocier avec l’OLP. 25. Regards, décembre 1979, pp. 6 sqq. 26. Regards, août-sept. 1979, pp. 16-17 ; les réactions dans Regards, octobre 1979, pp. 5-19. 27. Regards, octobre 1979, pp. 8 et 61 et novembre 1979, pp. 54-59. 28. Regards, novembre 1979, p. 55.

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29. Regards, novembre 1979, pp. 54-59 ; Points critiques, novembre 1979, p. 5. 30. Éditorial de David Susskind dans Regards, avril-mai 1979, p. 5. 31. « Communiqué du Rassemblement Belge pour Israël », dans La Centrale, novembre 1976, p. 28. 32. Regards, janvier 1977, pp. 5 sqq. ; M. Dayan, Story of My Life. An Autobiography, New York, 1976. 33. Regards, avril 1974, pp. 21-23 ; Regards, août-sept. 1974, pp. 6-7. 34. Regards, janvier 1974, p. 11 ; sur l’affaire Robert Frère, où l’animateur d’une célèbre émission destinée aux jeunes avait en plus d’autres insinuations destinées à provoquer des réactions de ses interlocuteurs imputé au Talmud une antienne antisémite manifeste, voir Regards, mai 1976, pp. 16-27 : sur le débat Burlion/Friedländer, Regards, mai 1976, pp. 40-41 ; La Centrale, octobre- novembre 1973, p. 20. 35. Regards, février-mars 1976, pp. 35-36 et décembre 1979, pp. 21-22. 36. Regards, novembre 1974, pp. 21-23. 37. Regards, mars 1975, pp. 35-38 ; « René Kalisky » dans J.-Ph. Schreiber, Dictionnaire biographique des Juifs de Belgique..., op. cit., pp. 189-190. 38. A. Lapiower, Libres enfants du ghetto, 1944-1978. Autour d’une organisation de jeunesse juive progressiste à Bruxelles, USJJ-UJJP, Bruxelles, 1989, p. 168. 39. Regards, décembre 1975, pp. 30-31. 40. Regards, juin 1976, p. 50. 41. Regards, avril 1975, p. 52 ; voir J.-Ph. Schreiber, Les Amis de l’Université de Jérusalem en Belgique. Servir la Paix en développant la Science, Bruxelles, 2010, pp. 49-50 et 94. 42. Regards, juin-juillet 1979, p. 26. 43. La Tribune sioniste, 31 mai 1973, p. 1 ; Belgisch Israëlitisch Weekblad, 22 juin 1973, p. 4. 44. La Centrale, juin-juillet 1973, p. 5. 45. La Centrale, juin-juillet 1973, p. 30 ; La Tribune sioniste, 31 mai 1973, p. 5. 46. Le Soir, 9 juin 1973, p. 3. 47. Points critiques, juin 1980, p. 41. 48. Voir entre autres La Tribune sioniste, 31 mai 1973, pp. 1-2 ; Belgisch Israëlitisch Weekblad, 22 juin 1973, p. 4. 49. La Centrale, mai 1978, pp. 9-10. 50. Belgisch Israëlitisch Weekblad, 18 mai 1973, 37, p. 4 : « Dans le cadre du 25 e anniversaire de l’indépendance d’Israël, Marcel Liebman, le Degrelle juif, s’est de nouveau manifesté après un long silence. Non pour se réjouir du fait que des Juifs persécutés et exilés aient enfin un refuge, mais pour hurler avec les loups de la chorale pro-arabe en Belgique. Vu que le palais des congrès ne souhaitait pas héberger cette petite bande, les acolytes des terroristes arabes dans notre pays ont tenu leur colloque dans un local situé dans le quartier malfamé de la Gare du Nord. Colloque est un bien grand mot car on n’y entendit qu’un seul son de cloche. Et au milieu des représentants des ambassades d’Irak, de Syrie et d’Égypte trônait Marcel Liebman, qui n’a apparemment pas honte de s’afficher main dans la main avec ceux qui ont juré de jeter les Juifs à la mer. Le père Liebman, un membre unanimement apprécié de la communauté juive d’Anvers et qui, avant-guerre, possédait une fabrique de matsot dans la Somersstraat, se retournerait dans sa tombe s’il savait en quelle compagnie se trouve son cher fils, aveuglé par sa bêtise idéologique. » 51. M. Liebman, Né juif…, op. cit., pp. 176-177. 52. Ibid. ; A. Lapiower, op. cit., p. 121. 53. Regards, août-sept. 1978, pp. 44-45. 54. Regards, novembre 1977, pp. 44-45. 55. Les termes sont de Liebman lui-même, cf. Né Juif, op. cit., p. 186. 56. Sur l’impact qu’a la guerre de 1967 sur Marcel Liebman, voir la correspondance entre Marcel Liebman et Ralph Miliband : Le dilemme israélien. Un débat entre Juifs de gauche, introduction et conclusion de Gilbert Achcar, Lausanne-Bruxelles, Collection « Cahiers libres », 2006. 57. Points critiques, juin 1980, pp. 40-41.

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58. Regards, juin 1976, p. 51. Quelques mois plus tard, Regards fera écho au colloque tenu à l’ULB sur « La viabilité de l’État palestinien à côté de l’État d’Israël » à l’initiative du Comité belge pour une Paix négociée au Proche-Orient (dans Regards, avril-mai 1977, pp. 13-15). Voir aussi : La paix difficile. Israël à la recherche d’un dialogue, Bruxelles, Comité belge pour une Paix négociée au Proche-Orient, 1971 – également à ce sujet : J. Nieuwenhuys, « La cause palestinienne en Belgique : enjeux d’une histoire par le bas », dans Contemporanea, 2017-2, en ligne (consulté le 12.12.2017) : http://www.contemporanea.be/nl/article/2017-2-review-fr-nieuwenhuys. 59. Regards, mars 1980, pp. 33-35 ; dossier dans Points critiques, juin, 1980, pp. 22 sqq. ; Belgisch Israëlitisch Weekblad, 22 septembre 1978, p. 3. 60. Regards, décembre 1977, p. 60. 61. La Centrale, févr.-mars 1974, p. 27. 62. A. Lapiower, Libres enfants…, op. cit., p. 165. 63. Regards, avril 1978, pp. 35 sqq. 64. La Tribune sioniste, 20 décembre 1973, p. 1. 65. M. Liebman, Né juif…, op. cit., p. 173 et p. 178 notamment. 66. Belgisch Israëlitisch Weekblad, 18 mai 1973, p. 4. 67. « L’OLP à l’ONU », communiqué du CCOJB dans La Centrale, décembre 1974-janvier 1975, p. 30. 68. Belgisch Israëlitisch Weekblad, 16 décembre 1977, p. 4. 69. « “Holocauste”. Pour quoi faire ? », Le Soir, 20 février 1979. 70. G. Castryck, « Een wolf in schaapskleren… ? », op. cit., p. 415. 71. La Centrale, juin-juillet 1973, p. 5. 72. G. Castryck, « Een wolf in schaapskleren… ? », op. cit., pp. 400 sqq. 73. Points critiques, juin 1979, p. 19. 74. Points critiques, février 1982, pp. 58-59. 75. M. Liebman, Né Juif…, op. cit., p. 174. Ceci est toutefois à nuancer : il se plaisait, dans les mêmes propos, à souligner qu’il dérivait dans le même temps de son rejet du traditionalisme juif étriqué dans lequel, enfant, il avait baigné, ce que l’on peut considérer comme à la fois une forme de provocation, de négation et de comblement. 76. A. Lapiower, Libres enfants…, op. cit., p. 162. 77. Ibid., p. 165. 78. N. Weinstock, Le sionisme contre Israël, Paris, 1969, où malgré l’analyse d’un État constitué à la faveur du processus colonial, et qu’il entend pour sa part devoir être « dé-sionisé », il considère son existence comme un acquis, et défend par ailleurs la « résistance palestinienne ». 79. A. Lapiower, Libres enfants…, op. cit.., pp. 170-172. 80. Regards, juin-juillet 1979, p. 26.

AUTEURS

CATHERINE MASSANGE

Catherine Massange est historienne et chercheuse à la Fondation de la Mémoire contemporaine attachée au Centre interdisciplinaire d’Étude des Religions et de la Laïcité (CIERL) de l’Université libre de Bruxelles (ULB). Elle a notamment publié Bâtir le lendemain. L’Aide aux Israélites Victimes de la Guerre et le Service Social Juif de 1944 à nos jours (2002).

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JEAN-PHILIPPE SCHREIBER

Directeur de recherches au Fonds national de la Recherche scientifique, Jean-Philippe Schreiber est professeur à l’Université libre de Bruxelles (ULB), directeur-adjoint du Centre interdisciplinaire d’Étude des Religions et de la Laïcité (CIERL) et directeur scientifique de la Fondation de la Mémoire contemporaine.

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Surviving Hitler. An Antwerp Jew’s Compelling Testimony

Jeffrey Kleiman

1 This brief article represents some of the principal episodes that Alter Kleiman recorded while in hiding from 1942-19441. These serve as a summary and analysis of his work. The original memoir, published in Tel Aviv (1970), appeared in Yiddish, titled On Foreign Soil (Oyf Fremder Erd). Based on my recent translation, Kleiman offers us some narrative of his experiences as he tried to navigate the rise of anti-Semitism before the war, struggled to provide for his family through the German occupation, and, after the death of his family, remained lucky enough to find shelter in Charleroi to survive until liberation.

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Alter Kleiman

AGR

2 His Eastern European origins posed no problems until the years shortly before the onset of war; the subsequent forced labor, murder of his family during the German occupation, survival in hiding, and final reemergence in an attempt to rebuild his life in post-war Antwerp brought a complete reassessment of his life in Belgium. He titled his memoir On Foreign Soil that, at first, referred to his initial migration 2. By war’s end, however, Belgium remained that foreign soil. A land bereft of promise, a graveyard, a place unwelcoming to Jews. Antwerp had become repugnant. The entire city repelled him as the home to suffering and sorrow. The disappointment and bitterness of his experiences reflected the lives of thousands, yet through his memoir, we have a man that has shared the overwhelming tragedy for the years before, during and after the war. If we sought a voice to grant us some insight to these years, Kleiman’s would provide a solid starting point.

A new life in Antwerp

3 Driven out of Poland by the virulent anti-Semitism in the mid-1920s, he sought refuge among the large Eastern European Jewish community of Antwerp. He embraced both Belgium and Antwerp as places where people “know nothing about chauvinism. They make a living and conduct business with the Jews”. Continuing that “Belgians and Jews adapt to one another”, he further wrote, “The separate religions make no difference, neither do dress or politics.”3 Especially of note to him became the registration process for foreigners at the local police station. There hung a sign, in Yiddish, directing him to the correct location. Once there his optimism swelled further upon talking with the police bureaucrat who spoke in a broken, but comprehensible, Yiddish. Adding to his

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hopes as he returned outside, he saw another sign in Yiddish announcing the blessing of the New Moon, an occasion of note in the Jewish calendar4.

4 Praising the physical safety for Jews in Antwerp when compared with , Kleiman created a good life for himself, starting a small green grocer’s business, working slowly to expand business and his income. Within a few years afterward, he married Zysla Szechtman from Pulawy, Poland and a few years after that, his family grew. The birth of a daughter, Maria Martha in 1929 coincided the arrival of his parents, Benjamin and Elki Chinda Kleiman, whom he brought from Garwolin, Poland to live in Antwerp. The business grew until he finally occupied a building in Borgerhout in the Somersstraat, using the ground floor as his business and the two floors upstairs. His parents settled nearby at 163 Kroonstraat.

Elki Chinda Gladsztajn

Kazerne Dossin - AGR

5 Life moved along well until the late 1930s, when an increased anti-Semitism permeated Antwerp. The numbers of refugees from Germany had raised the visibility of the Jewish community there by 1938 and young men dressed in Flemish nationalist party uniforms, with high black boots gathered in the Charlottalei, shouting out insults to passing Jews such as: “Get out of Belgium! Go to Palestine!” He blamed their presence on the Flemish nationalist movement born after the First World War further arguing that the release of a Flemish nationalist leader after the First World War had emboldened them after the rise of Hitler. These nationalists, along with the Nazis, “were the first to ride the Jewish hobbyhorse”5.

6 Kleiman also noted that people who had been quiet about voicing their prejudices no longer felt the need to keep quiet. Going to his long-time lawyer in order to write some sort of a formal request to the tax bureau, the lawyer wrote out a draft for Kleiman to

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sign. When Kleiman asked to read the document before signing, the lawyer evidently disliked an apparent lack of trust in his work and began to complain about the Jews who had “twisted the Belgian businessmen” and then moved along further on to argue that soon the Jews would equal or outnumber the native Belgians. Later on that same year, 1938, while tending shop he noted that his freight bicycle (triporteur) had disappeared. 7 The situation only worsened over time. Once again, the delivery bicycle served as the focus of confrontation. A well-established flour merchant came into the grocery store to tell Kleiman that the flour truck had hit and damaged the delivery bicycle. Leaving his name and other relevant details, he told Kleiman to present this as evidence to the court and receive compensation from the insurance company. Although the insurance claims went uncontested, despite the responsible party’s acknowledgement of damages and willingness to make good, once in court, no restitution took place. After months of stopping by his lawyer’s office and receiving word to wait and return later, he finally learned what had transpired in the courtroom. Somehow the judge turned the tables, so that Kleiman became the defendant, with significant fines of 385 Belgian francs levied against him. One must wonder exactly how his lawyer represented the case. 8 Situations in Antwerp for the Jewish community deteriorated as refugees tried to pour over the Belgian border in the wake of Kristallnacht. Border police turned away thousands under threat of arms, despite braving unusually cold and snowy weather. Many, who had not received credentials from Jewish organizations vouchsafing care, found themselves stranded in a no-man’s land between Belgium and Germany. Others, in the thousands, arrived in Antwerp, pressing local resources to the limit. Kleiman noted how many people took advantage of the situation by increasing rents for established dwellings while opening up previously unused garrets, cellars, or out- buildings, many began to sleep out in the park. Food costs skyrocketed in the face of a sudden demand even as the quality became increasingly inconsistent.

The Exodus

9 Despite the pressure built within Antwerp, Jews from Germany continued to seek refuge until 1940. Word of the invasion in May 1940 sent Kleiman, his family, along with several strangers, including a newlywed couple in a headlong flight to the imagined safety of France. In their flight to the Channel Coast, he reported clogged roads, fights over gasoline, pleading and bargaining with the military to spare some fuel to help them continue the trip. Ominously enough, in the escape toward the coast with hopes to find a boat to England, Kleiman’s crowded vehicle encountered a division of well-equipped British soldiers. Singing confidently, using large trucks to haul anti- aircraft guns, they helped provide the Kleiman car with some needed gasoline. He later learned they were en route to Dunkirk.

10 Shortly afterwards, the tension became palpable as the carload of Antwerp refugees reached the French border, were almost denied entry, and then, before going along to many more kilometers, the auto ran out of gasoline again. Ingeniously siphoning gasoline from an abandoned gas station where the pumps had been removed, the group continued until reaching Calais. By a matter of hours, they had missed the last boat to cross over to England. Upon inquiry, a naval official told them that no more ships would depart the rest of the day due to uncertainty regarding safety. The party

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hunkered down, sleeping in and around the car, hoping that the next day might bring escape. No luck at all. Driving further through northern France, the group encountered a German roadblock. Their hopes dashed by the successful German occupation of France, they turned back and debated what to do next. Ultimately, they decided there remained no option other than a return to Antwerp.

In Nazi-occupied Antwerp

11 Kleiman returned home to reopen his business, but found that all Jewish businesses had been shuttered, their wares confiscated under the pretext that leaving the goods unattended only created a health hazard by drawing mice and other vermin. Throughout the remainder of 1940 and into the next year, Kleiman’s life grew more difficult. As an observant orthodox Jew, he faced serious problems as the Germans immediately proscribed religiously ordained slaughter of animals (kosher kashrut)6. The year closed out as a trainload of Jews left Antwerp under force of arms, shipped to Limburg under the German orders of December 11. He described how more than three thousand Jews gathered in Antwerp in frigid weather; the crying and confusion of the crowd gathered in Antwerp highlighted the awful physical conditions posed by the deep of snow that lay all about while temperatures plunged to -22 C.7

12 The future of Antwerp’s Jews played out in April 1941 as a local version of the Kristallnacht pogrom brought shattered businesses and promoted vandalism, along with random personal violence in its wake. Kleiman inadvertently met up with the perpetrators en route to the Jewish district and recalled his encounter: walking through the city, he found himself at the De Keyserlei by the main railroad station, where he ran into a huge crowd laughing and singing and marching southward down the Breydelstraat toward the diamond district. Then turning into the Pelikaanstraat, he noticed that German military officers and Belgian police flanked the crowd on either side. At that point, he fell in with the marchers until able to make his escape, cutting through the Lange Kievitstraat in order to reach home, warn his wife, and barricade his shop8. Tellingly, for Kleiman, a Christian neighbor leaned out the window to tell him about the impending onslaught. However, for Kleiman, the neighbor did not offer to help shelter or hide him and his family. 13 Left to his own devices, Kleiman gathered his wife and daughter into a safe place in the cellar waiting for things to pass through. When morning came, he and other Jews found their shop fronts smashed, wooden blinds shattered, goods and produce of every description littering the streets. Eventually, laws promulgated by the German military administration effectively pushed Jews out of the marketplace as business owners, setting them up to look for wage work, if possible, or otherwise to starve. 14 Beyond the loss of his radio due to another German mandate in mid-1941, Kleiman spoke little about the occupation through the rest of that year. However, he wrote with shock about the ordinance of 1942 compelling Jews to wear the yellow patch. He shared some of the psychological impacts and provided some important insights between non- Jews and Jews in the wake of this decree. In the first instance, it appeared to him that the non-Jewish population immediately had a sense of superiority. 15 He also surmised that this served as a way for some Belgians who had not made peace with the German occupation to turn their anger toward the Jewish population, a distraction or redirection of sorts. Jews immediately felt a burden. Where, formerly,

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“we still knew how to talk with Belgians as equals” there grew an immediate unease. “We were ashamed to look into the eyes of a non-Jew”, Kleiman observed, “also the Belgians avoided our gaze”. All these changes stood diametrically opposed to the freedom and toleration he had celebrated on his arrival 14 years earlier.

Register form Alter Klajman (Jewish Register)

Kazerne Dossin - MJB - JRB

16 By the summer of 1942, the economic hardship and the psychological pressures made it obvious that Antwerp held no hopes for survival. “The air alone had become soaked with repression and fear that everything they say against us can still be used.”9 While wandering the streets, Kleiman ran into a well-known, successful Jewish businessman who planned a move to Charleroi and advised him to do the same. Kleiman reasoned that there might be jobs in that city due to the coal-mining region along with factories engaged in wartime production for the Germans. Another factor appealed to him in that the attitude toward Jews in remained less strident.

17 Arriving alone in Charleroi, Kleiman found a room to stay and then headed over to the Association des Juifs en Belgique, the “self-governing” council created by the Germans to provide a centralized authority within the Jewish community whom they could hold accountable for implementing ordinances controlling the Jewish population. Toward early July, 1942, despite the long lines at the Judenrat, despite the fact there were more workers than positions available, Kleiman contacted another friend-of-a-friend who managed to get a spot for him doing factory work. However uncertain or disappointing the work, though, Kleiman brought his wife and daughter down to Charleroi. Together they struggled to survive until the factories no longer accepted Jewish workers.

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Working in Dannes labour camp

18 Desperate, Kleiman answered a German call for work in France under the auspices of the Organization Todt10. Noting that this group had a good reputation for its treatment of workers and paying fair wages, Kleiman and his wife debated whether he should, in fact, enlist for the work opportunity while leaving her and his daughter behind. Ultimately he rejected his wife’s plea to stay in Charleroi and he stepped into the line of those accepting the work. He headed to a sorting area, never to see his wife and child again. They had returned shortly thereafter to Antwerp where, in a month’s time, they ended up in the first German roundup of the Jewish portion of Borgerhout, brought to Mechelen where, loaded on a transport, they died immediately on arrival at Auschwitz.

19 Once in the sorting section, all the Jewish workers found themselves surrounded by German soldiers with bayonets while the Belgian workers remained unintimidated in this way. Loaded onto a train, he and the others traveled by night and day, finally arriving at the Channel coast, herded into the forced labor camp at Dannes11. For the next month, his time there revealed much about the operations of the camp that were corrupt, arbitrary, and deadly. His arrival coincided with the camp’s transition from SS control to regular army command; this change brought events that were critical to his survival and escape. 20 The first among these episodes followed a month of starvation, backbreaking labor, physical abuse and ridicule. After a time, a German propaganda company showed up to film “Jews at prayer”. After much debate among several groups of the most orthodox assembled as to who would step out before the entire camp, one unknown man emerged. Wearing a skull cap, phylacteries, and prayer shawl, the unknown prisoner began to chant in Hebrew, praying in earnest. 21 To the Christian audience and captors, it sounded exotic, certainly not what prayer should sound like to their ears. However, Kleiman and the other Jews heard clearly and completely three of most damning Psalms for Israel’s enemies: wishing death, destruction on them, their children, leaving no stones standing on their cities12. This renewed a sense of resistance and courage, as well as fostering pride among the Jewish prisoners, providing a motivation to resist succumbing to death at all costs. 22 A second event revealed the suspected, yet unproven, horror of inmates too ill to work. Wondering why the camp hospital remained empty, Kleiman found out first hand while out on assignment. Digging in the chalk pits about a dozen kilometers from the camp, he moved from one to another, passing one chalk pit filled with emaciated, naked corpses. This drove home the urgency of getting out of the camp. How to achieve this, though? The issue of health actually held a promise. A physician had appeared in order to treat staff and prisoners after the camp came under military administration. The doctor permitted some prisoners a day or two of time in the barracks before sending them back to work13. 23 Kleiman conceived a plan to make himself so sick that nothing but a discharge would come from his complaints to the camp physician. He gambled that the few who had been discharged from the camp for “reasons of health” had, after a fashion, managed to escape back into the world of family and religious community. He would join them by forgoing all food. He traded his thin rations for tobacco and smoked and smoked cigarettes by the score until ill with exhaustion. Coming to the doctor after several

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previous visits where he learned it unlikely that the man would do little more than permit several days of rest, Kleiman proposed a bribe. Cash for release. Meeting Kleiman secretly, the doctor agreed to the deal, but where to get the money? 24 Upon Kleiman’s arrival at Dannes, permission existed for inmates to keep some civilian clothing, including head wear such as caps. Fortunately, he had hidden a significant amount of cash in the bill of his cap, largely British pounds along with Belgian francs14. Thus he secured the deal for his own release, assured by a pile of British pound notes. While sharing the news of his impending release, two other men turned to him and began to weep about being stuck in the camp and never seeing their families again. These two were fellow Jews from the same Antwerp neighborhood with whom he shared the top bunk. Turning to one, he asked if he possessed any money or other items of value with which to offer a bribe. Having only a gold watch and chain left in his possession, he despaired. Moved by his neighbor’s plight, Kleiman took the gold watch and added in many of the remaining 1000 Belgian francs still hidden in his cap’s visor15. Approaching the doctor with this bargain, Kleiman managed the release of his friend. 25 Returning once again to the barracks, his other bunkmate from the Jewish district of Antwerp, also began to weep and moan again over never seeing his family again. Heading back to the doctor’s barracks, he sought release for the third man. Effectively telling Kleiman that his credit remained in good standing, and that his wife would collect from him at a later date (which she did); the next day all three bunkmates stood ready for release along with other repatriated Belgians.

Returning to Antwerp

26 Accompanied by a military guard, the three men left with a slightly larger group others headed for bureaucratic paperwork in Brussels. There they registered with the work bureau and returned home to Antwerp. Hurrying to his shop and home in Borgerhout, Kleiman found his home ransacked, with papers and pictures scattered across the floor. No sign of his family. Across the way on Kroonstraat, an official SS seal covered the front door of his parents’ home. They too, obviously swept up. His entire family had fallen victim to the first major sweep of the city’s Jews, the first transport gathered at Mechelen to be shipped to Auschwitz where they faced death upon arrival16. He could not have known their fate at that time nor would he learn until more than five years after liberation.

27 Shortly thereafter, a neighbor who had observed Kleiman’s return came by with a folded letter that had been dropped by his wife as the transport left from Antwerp. In it, she described how she had left money with a Christian neighbor with whom she had done business. She assured her husband that the woman would return the money and enable him to survive somehow. Within a few days he had hold of the cash and began to figure on the best place to hide securely. July and August of 1942 dealt him a double twist of fate that had saved him, but cost the lives of many others in Antwerp’s Jewish community. After responding to the call for labor in France in late July, he ended up in the work camp at Dannes-Camiers for slightly more than the month of August. His release and return in early September came after the first convoys from Mechelen had finished their “deliveries” to Auschwitz. By the same token, his release and return also spared his life, not merely due to escape from the malnutrition, punishing labor,

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physical and psychological abuse of the camp, but also due to the fact that surviving inmates ended up transiting across Europe to die at Auschwitz.

Zysla Szechtman, Alter Kleiman’s wife

Kazerne Dossin - AGR

28 Kleiman remained in his home on Somersstraat during most of September but feared another raid by the Germans. His sense of urgency heightened when he tried to find a different portion of the Borgerhout neighborhood to be safe from any nighttime raid. So, he traveled over to the home of Natawitz, the butcher whom he had helped to escape Dannes, thinking it would be a safer place to spend the night. Natawitz rebuffed his request, fearing that due to his release as an “invalid” the Germans might return to bring him back to the camp. This possibility endangered not only himself but his family. And, given that it was illegal for Jews to spend overnight in any place other than their own homes, such a “stranger” as Kleiman would also provide an excuse to take the entire household away.

29 Upset, but resigned to this refusal to help, Kleiman decided that the best course remained in a return to Charleroi. Hoping to liquidate as much of his household possessions as possible, he saw a placard set out by the military administration that it had become illegal for anybody to buy Jewish household goods, notably furniture and appliances. Anybody doing so would be fined 20,000 Belgian francs. Nonetheless, he went to a “well-known Belgian by the name of Albert, living by the Vogelmarkt” who refused to purchase anything, but who stated that he would happily hold it for Kleiman pending his return. Albert came by to claim a sofa (the one in which Kleiman and his wife had hidden cash and jewels) and a large gas oven. Spending the night in Albert’s home, Kleiman left the next morning in a return to Charleroi.

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Hidden in Charleroi

30 Once there he found a distant friend, a community leader who had escape the initial round up. By dint of good fortune, he gave Kleiman a place to hide while securing false papers that permitted his own passage to occupied France with guaranteed work as a tailor. In the meantime, before his departure to France, he found a secure place for Kleiman. A Yugoslav coal miner named Marc, agreed to harbor the fugitive assuming the risk of discovery, but under the condition that Kleiman pay the rent for his cellar flat. Having no choice in the matter, Kleiman and Marc moved through the streets in the early morning until they arrived in a small, two-room basement in the boarding house in the rue du Louvy in Charleroi17.

31 The arrangement worked out, mostly to Kleiman’s advantage in finding a hidden shelter. However, toward the end of December of 1942, he worried about having enough money to continue paying rent. His immediate plan called for a dangerous return to Antwerp in order to locate Albert and the sofa stored with him months before, hoping that the sofa’s contents had not been discovered. Kleiman ventured out from Charleroi on Christmas Eve. Traveling with the holiday crowd provided some protection along with a reason for taking the train to Antwerp. Lost among the hundreds, if not thousands, going about that night he arrived safely at the station. Despite being questioned briefly by a plainclothes security officer (so he suspected), he lost himself quickly among the crowds. 32 Trudging through a heavy rain and sleet, Kleiman mused about the good cheer that emanated from the brightly lit homes: as doors opened to admit guests, he could smell the food, feel the warmth, and see the smiles. Panicking for a moment, he feared that he had lost his way en route to the Vogelmarkt. Recovering his sense of direction, Kleiman found Albert’s home, knocking on the front door. The wife answered, then Albert peered over her shoulder. Neither seemed pleased to see him. No greetings. No questions on what had happened. The pair offered only an effort to dispel his presence, to get him go away. Kleiman asked merely to come in and have a place to stay the night. They told him to go sleep in the passenger hall at the station. Despite the sleet and cold, they kept him standing there, but after a few moments, they admitted him. After a bit more talk, they begrudgingly agreed to let him spend the night. 33 Once they had settled the point of his arrangements for Christmas Eve, he asked to sleep in the living on the sofa rather than kitchen floor. Albert and his wife suddenly became suspicious of his interest in the sofa and barred him from leaving the kitchen. They told that if he did not stay put the entire evening that they would call the Gestapo. Completely dependent on the “hospitality” of the couple, Kleiman agreed. His time for the entire evening through to dawn, Kleiman remained awake, smoking cigarettes, hoping for the chance to slip into the living room in order to reclaim the hidden treasures. At daybreak he dared a look into the living room where he discovered the sofa had been torn and ransacked. Shortly thereafter, Albert and his wife then told him to leave. 34 Heading out on Christmas morning, Kleiman worried about being out alone, commanding attention by his unusual situation. In wandering about, he came upon the residence of old acquaintances. They had been a “mixed marriage” of Jew and German Christian. She escaped police detention by convincing them that the children had come as the product of an adulterous affair with a “pure” German. She welcomed him,

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despite the surprise, appreciating the risk of being in Antwerp. After some coffee and bread, he asked to stay, pleading the danger of being out in the daylight. While sympathetic, she refused to jeopardize either her children’s safety or her own with the possible discovery of a Jew in her residence. 35 Returning to Charleroi, he worried about the declining funds on hand and what might happen if he were unable to pay the rent. Through the winter of 1942 into the spring of 1943, food became scarcer and his energy waned. At this point, the landlady, Madelyn, came to him with two bread ration cards passed on to her, she said, by a Jewish woman named Fogel. Madelyn ran a black market operation out of the basement where Kleiman hid while Marc the collier worked; these monthly bread ration cards came as payment for some of these hard-to-obtain goods. Kleiman took the cards, sold them, and bought what he needed. This went on for several months until early April, 1943. 36 Then the Communist underground came to his aid. Madelyn told him that a Jew, whom she had known from before the war came to her looking for Kleiman. She wanted to check to see if it would be all right. Having nothing to lose at this point, Kleiman agreed to the visit. The man in question turned out to be somebody whom he had met at Dannes labor camp, traveling around asking Jews if they had anything of value to sell. When asked if he had been receiving help from the underground, Kleiman answered and explained his current state of misery. The mysterious stranger left, but said he would be back, telling Kleiman to answer the door after three knocks. Sure enough, the fellow reappeared carrying two loaves of bread plus preserves. This routine took place for the next three days and Kleiman ate well. Then nothing happened for two weeks until he heard another three knocks on the door. 37 Opening the door, Kleiman viewed the stranger with suspicion, but the visitor allayed Kleiman’s fears by immediately speaking Yiddish right away. Before long he presented Kleiman with two produce ration cards provided by friends in the Charleroi city administration. Despite the cards that he sold for cash to help pay the rent along with purchasing some sugar and other goods, he still struggled to survive. Within a short time, though, the underground committee had heard of Kleiman’s situation and agreed to provide him with some cash in hand. It had taken so long for the executive committee to act due to the influence from another Antwerp Jew who had reported to the leadership that Kleiman had become a very wealthy man before the war and did not need any help. Only a site visit by the courier managed to sway opinion in Kleiman’s favor. 38 By the late spring of 1943, Kleiman felt generally secure in his daily survival, yet not necessarily safe from discovery. Through these connections he received false identity papers bearing the name of Albert Van Erp, born in Ostend, here in Charleroi to work in the coal mines18. With that identity came access to food ration cards that he sold or, alternately, used to purchase scare items and then sell them on the Black Market for a higher price. In this way he developed a modus operandi for survival while in hiding. Concerns regarding rent money diminished significantly. 39 However, in the small community of the rental house, guests occasionally strayed in to chat, play chess, or sometimes other Yugoslav miners came by in search of Marc. In the last instance, one of Marc’s friends recognized Kleiman as a Jew, but promised to say nothing. Anybody who hated the Germans was fine by him. However, Marc advised not to trust the man given his proclivity to talk freely along with a willingness to earn money under most any circumstances. At the same time, from winter into the early

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spring of the following year, Kleiman recorded increased arrests of Jews who could not tolerate remaining indoors and walked along the streets or into the parks. The majority was swept up, according to his account, by local volunteers working for the SS or were turned in by neighbors. 40 This worried Kleiman; he had become a courier carrying cash and ration cards to Jewish families several kilometers away, toward the city center. At the same time, a boarder at the house accused him of coal theft and now Marc feared that Kleiman might become the object of revenge: not only turning in a hidden Jew for the bounty, but also condemning Marc as complicit in the deception. Marc noted that the problems had become even worse in this dispute due to the fact that Andre (the fellow boarder) had an SS member as a brother-in-law. It was early spring 1944 and time had come to move. 41 Through a series of fortunate encounters, Kleiman found a room to rent close the town center at 40 Grand’rue. He noted several important differences between his stay in Antwerp and his Charleroi life-in-hiding that he attributed to a different social climate where the population appeared more inclined toward resistance of every sort, whether active or passive. In one anecdotal episode, two Gestapo men conducted a surprise raid on a home; the father jumped through a window to escape, leaving the young mother and small child behind. While standing at the front door, confronted by these men, the Jewish mother pinched the child in her arms to provoke loud bawling, wailing, and tears. The SS men grew angry at the attention, threatened her with later reprisal, and stormed away. In another episode, a crowd gathered around two Gestapo agents who tried to arrest an elderly Jewish man, shouting and shaming them until they left in frustration. 42 Yet despite the successful allied landings in June, Kleiman observed that the Germans persisted on the “Jewish front”. The Germans offered a reward of 1500 Belgian francs for every Jew turned in. All this took place against the backdrop of deteriorating German authority. Armed bands held up banks and robbed the wealthier farmers. Thefts of coal from the freight terminal nearby increased with frequency even as allied bombing intensified, destroying a glass factory nearby and killing 200 residents. The tensions continued to mount as Kleiman feared a desperate last-minute effort to round up all suspected Jews in an indiscriminate sweep of any and all who seemed suspect.

A bitter liberation

43 The American liberation of Charleroi became almost anticlimactic for Kleiman. Despite release from hiding, the enormous celebrations and other outpourings of public joy, he wrote: “I now felt how miserable I was. I had no friends or family with me to see the liberation. Did I still have something of a family? I then broke into tears.”19 These feelings continued even after his return to liberated Antwerp. Searching for family that no longer lived there, he waited for news. Women returning from Auschwitz held out hope for his daughter’s survival, telling him they had seen her working in the kitchens. Many others remained noncommittal about his wife. So he waited.

44 Given the dramatic decline in Antwerp’s Jewish population after the war, Kleiman moved up in economic status, being promoted from green grocer to diamond merchant. Now able to make a living after the war, he hoped to remake his life, to regain his family and peace of mind. After more than five years of disappointment, he

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received confirmation of his family’s death at Auschwitz. As the final entry into his memoir, Kleiman wrote: “After that I remained a certain time in Antwerp, but couldn’t maintain support there, because each stone spoke to me and reminded me of my misfortune. Also, Antwerp had become ugly to me. A Jew had nothing more to do in a foreign land and I traveled to Israel.”20 This final statement should not have come as a surprise. 45 Throughout the entire ordeal, Kleiman held fast on to his religious identity and faith, despite the danger or inconvenience to himself. Several examples served to demonstrate his adherence to a modern Orthodox Judaism. When he packed for his trip to the Organization Todt labor camp, he packed this prayer shawl, skull cap, and phylacteries; while in hiding he prayed every morning after his “landlord” Marc went to work. Kleiman worried that he might appear too alien should his protector see him at prayer. Indeed, on one occasion, Kleiman fell asleep wrapped in the tallit (prayer shawl) when Marc return early; Kleiman panicked and told Marc that it was a regular shawl and that he had been cold. 46 On another occasion, Marc brought home some extra meat, a rare commodity indeed at the time, but it was pork sausage. Kleiman accepted it graciously, saying that he would save it for later. A third instance involved Marc giving him some extra cereal, likely oatmeal, a kind and generous gesture. However, given that it was Passover, Kleiman did not want to eat anything leavened, so he took it and stored it until after the holiday. The incredible hunger that plagued Kleiman all through the German occupation, about which he wrote regularly, made these sacrifices rooted in religious observance all the more memorable.

No place to call home

47 Never a fervent Zionist, he nonetheless wondered about the fate of European Jewry, especially after the invasion and occupation of Poland. He fled Poland before the global economic collapse in 1929, built a good life until 1940, and then discovered how unwelcome to native Belgians that he and other Jews had become. By war’s end, the disappointment became palpable. The discouragement and sense of not belonging anywhere along with a sense of profound loss overwhelmed him. When he wrote about his decision to migrate to Israel in 1950, it became obvious to him that “a Jew had nothing more to do in a foreign land”. Belgium had now joined Poland as a “foreign land”. Inhospitable, filled with people whom he could not trust, either Jew or Gentile. There remained no safe haven. No place to call home. Nor is there any evidence to suggest that Kleiman returned from Israel to visit or showed any desire to do so.

48 When looking at this memoir we find several areas that deserve our attention as we explore the significance of this memoir and its value to Jewish life in occupied and post-war Antwerp. As a primary source, the voice provided by a witness, participant, or victim remain valuable. Despite errors or ambiguities where his testimony relied upon memory, the fears and tension of the moment speak directly to the reader. We have been brought into a story and allowed to share the experiences in way that a scholarly, historical narrative might try to capture. His frustrations with finding any means to survive, of being unable to find trustworthy assistance compels us to imagine our own existence so precariously perched on a daily basis.

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49 A second consideration stems from the value of a case study, of the experiences that focus around an individual, or family, or local community. Historical analysis has relied on such first-hand accounts to guide and enrich the use of other materials. With such a remembrance, we are invited into a story whose contours were shaped by and reflected the shifting realities of larger events. While such a memoir can stand on its own, its value has been enhanced by the detailed research that contextualizes events that prompt the writer’s responses. Abstract laws and ordinances have been provided with a human face. One cannot know fully the feelings that arose from the limited and generally unfavorable choices that arose in these circumstances, but readers find some meaningful details to help illustrate the moral dilemmas experienced by ordinary people in their struggle to adapt and survive. 50 Finally, researchers grasp more strongly how the old hopes and promises had died for many Jews without chance for revival in the years after 1945. Kleiman’s determination to pursue life afresh resounded with the increased emigration to Israel after 1948. It remains to be see whether the determination to remain in Antwerp, as in Israel Rosengarten’s case (see footnote 1), or to emigrate as Kleiman did, represented the broader experience of Antwerp’s surviving Jews. Perhaps Rosengarten’s youth (born in 1926) played a greater role in his decision; Kleiman (born 1901) had already lost a career and family. The memoir, Oyf Fremden Erd, offers researchers a man’s voice whose experiences became intertwined with most every major aspect of the German occupation in Antwerp and Charleroi.

NOTES

1. The author of this article is not related with Alter Kleiman (also written Klajman). The common name first stimulated interest in the work, however, it is serendipitous. 2. A. Kleiman, Oyf fremden erd, Tel Aviv, 1970; this memoir stands as a highly useful complement I. Rosengarten, Overleven. Relaas van een zestienjarige joodse Antwerpenaar, Antwerp-Amsterdam, 1996 (Transl.: Survival: the story of a sixteen-year old Jewish Antwerp boy, Syracuse, 1999). There is significant overlap between the two; however, Rosengarten’s narrative regarding Antwerp ends in 1942 after his arrest in a return trip from Charleroi. Kleiman’s experiences for the years 1937-1942 are more detailed. They also differ in that Rosengarten returned to rebuild a life after the war in Antwerp. Kleiman remained for five years and then made Aliyah to Israel, but common language about bitterness and the end to all family connections color both narratives. 3. A. Kleiman, op. cit., p. 15. Pagination refers to the original Yiddish version. 4. Ibid., p. 14. 5. Ibid., p. 19. 6. M. Steinberg, La Persécution des Juifs en Belgique, Brussels, 2004, table of Judenverordnungen, pp. 307-310. 7. A. Kleiman, op. cit., p. 50. 8. M. Steinberg, La question juive 1940-1942, Brussels, 1983, pp. 155-166; M. Steinberg, La persécution des Juifs..., op. cit., pp. 122-128 and Rosengarten, op. cit., pp. 28-29. 9. A. Kleiman, op. cit.

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10. A. Kleiman, op. cit., pp. 74-75; I. Rosengarten, ibid. Kleiman notes that at the time the Germans presented this as an economic opportunity rather than a summons forced labor. Such might have been the case in order to forestall panic or attempted flight among the Jews in Charleroi. See also M. Steinberg, L’étoile et le fusil, vol. 2, op. cit., p. 189. 11. M. R. Roberts, Holocaust and slave labour in Nord-Pas-de-Calais: the Jewish camps, 2016 unpublished (provided by author); also M. R. Roberts, « Footprints in the concrete: a study of the Chemin des Juifs », The Historic Environment, 1, June 2010, pp. 95-127. 12. A. Kleiman, op. cit., pp. 79-80. The man recited psalms number 22, 35, 134. 13. On Dannes Camiers: F. Ringelheim, « Les forçats de Dannes-Camiers. Mémoire, mode d’emploi », in Points critiques, 67, 2003, pp. 5-10; S. Vandepontseele, « Le travail obligatoire des Juifs en Belgique et dans le nord de la France », in J.-Ph. Schreiber – R. Van Doorslaer (eds.), Les curateurs du ghetto. L’Association des Juifs en Belgique sous l’occupation nazie, Brussels, 2004, pp. 187-231; D. Delmaire, « Les camps de Juifs dans le Nord de la France 1942-1944 », in Memor, 8, December 1987, pp. 47-65. 14. A. Kleiman, op. cit., p. 90. 15. Ibid., pp. 91-92. 16. Email communication from Kazerne Dossin, deportees passenger list, Convoy no. 1, p. I 5. See also W. Adriaens – É. Hautermann – I. Marquenie – P. Ramet – L. Schram – M. Steinberg, Mecheln- Auschwitz 1942-1944: The destruction of the Jews and Gypsies from Belgium, Brussels, 2009. 17. A. Kleiman, op. cit., pp. 158-159 contain photographs of the original false identity papers with this address. 18. 19 rue du Louvy. He stayed there from the fall of 1942 to nearly the end of the war. 19. Ibid., p. 204. 20. Ibid., p. 223.

AUTHOR

JEFFREY KLEIMAN

Professor of American History at the University of Wisconsin-Marshfield/Wood County, Jeffrey Kleiman is currently working on a study of family history and Holocaust Denial.

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Notes de lecture

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Parcours d’enfants cachés

Albert Mingelgrün

RÉFÉRENCE

Francine Lazarus, A Hidden Jewish Child from Belgium, Survival, Scars and Healing, Vallentine Mitchell, Londres, 2017, 242 pages. Moshé Flinker, Carnets de clandestinité, Bruxelles 1942 - 1943, Traduit de l’hébreu et annoté par Guy-Alain Sitbon, Préface de Saul Friedländer, Présentation de Nathan Weinstock, Calmann-Lévy, Paris, 2017, 166 pages.

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1 Parus en 2017, les livres de Francine Lazarus et de Moshé Finkler s’ils renvoient tous deux à l’époque de la Seconde Guerre et à l’Occupation de la Belgique, particulièrement de Bruxelles, le font chacun sous un angle spécifique et de manière singulièrement attachante.

2 Le récit de Francine Lazarus développe avec rigueur et précision les aspects qu’implique le titre qu’elle a choisi : enfant juif caché de Belgique, survie, cicatrices et guérison. 3 Francine Lazarus est née à Ixelles le 12 mars 1938 d’une mère d’origine polonaise, Masza Inberg et d’un père venu de Galicie, Israel Kamerman ; elle a déjà un frère aîné, Charles, âgé de sept ans. La famille vit du commerce de tissus et de vêtements 4 En dépit du soi-disant statut neutre de la Belgique, elle ne tarde pas à être confrontée au régime que l’occupant nazi met progressivement et systématiquement en place et qui impose aux Juifs les mesures inhumaines que l’on sait. Elle voit ainsi des membres de sa famille et des proches disparaître les uns après les autres et se retrouve, à quatre ans, cachée à Saintes, dans le Brabant wallon, ne recevant que de rares visites de son père. À l’automne 1943, elle rejoint Bruxelles où elle passe également d’un endroit à l’autre encourant de nombreux risques. Fin juillet 1944, deux mois après les débuts de la Libération, son père est arrêté, emprisonné à la Caserne Dossin et fait partie du vingt-sixième et dernier convoi pour Auschwitz ; elle ne s’en remettra jamais après l’avoir, un temps, vainement attendu, quotidiennement, avec son frère, à la Gare du Midi. 5 À ce moment-là, en outre, nombre d’enfants survivants se retrouvent entourés d’un mur de silence et face à un refus d’obtenir réponse à leurs questions. Francine fait partie de ceux-là connaissant, par ailleurs, un sort familial peu enviable : négligée et même “mal-traitée” par sa propre mère qui regrette qu’elle n’ait pas suivi son père, qui considère qu’elle est responsable de l’échec d’un remariage alors envisagé, qui contribue à l’envoyer dans un foyer d’adoption, retardant par là jusqu’à huit ans son retour à l’enseignement primaire. Remariée finalement, sa mère la reprend chez elle la faisant s’occuper d’une demi-sœur et de ses grands-parents, et détournant à son profit le montant des réparations de guerre, s’adjugeant dans la suite la plus grande part de la rémunération que perçoit la jeune fille pour des travaux de dactylographie. 6 Sa situation va néanmoins paradoxalement s’améliorer lorsqu’en 1959, elle est contrainte de quitter la Belgique, avec sa grand-mère devenue veuve, pour l’Australie où vit le reste de la famille. À Sydney, elle est engagée pour travailler à l’ambassade de Belgique en raison de sa connaissance du français. Entrant ainsi de plus en plus dans la “normalité”, elle se marie, en 1963, avec un jeune Australien, Phillip Lazarus, s’entend très bien avec sa belle-famille et devient trois fois maman... Cette nouvelle atmosphère

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existentielle lui permet alors de se retourner vers son passé et de revenir sur son itinéraire d’enfant juif caché. Elle peut donc, par exemple, en 1977, réexplorer les traces personnelles de son antériorité belge, visiter, en 1995, la Caserne Dossin à Malines et participer à la première rencontre internationale des Enfants cachés tout en s’engageant dans le processus de leur reconnaissance officielle comme survivants légitimes, au même titre que les rescapés des camps et se rendre, enfin, à Auschwitz. 7 Atteignant la cinquantaine, elle se replonge, à Sydney, dans des études supérieures et obtient un Master of Arts. Elle connaît aussi la cessation des représailles intergénérationnelles, la famille – avec enfants et petits-enfants – pouvant se réunir, apaisée, en Australie, sa guérison se trouvant par ailleurs symbolisée par son activité de guide au Musée juif de Sydney... 8 Destruction et reconstruction exemplaire à travers l’histoire fracassée sont donc les maîtres-mots du livre de Francine Lazarus. 9 En elle toutefois, profondément et à si juste titre, perdure la mémoire de son père : « However, my grief for my father and my guilt that I survived have never subsided. » (Préface, p. XIV). 10 Ce sont d’autres destins juifs bruxellois que donnent à voir les Carnets de Moshé Flinker.

11 Quittant La Haye en urgence, la famille Flinker qui comprend, outre les parents, cinq filles et deux garçons, gagne Bruxelles en 1942 après l’obtention de titres de séjour légaux les définissant comme Néerlandais. Il n’empêche, en avril et mai 1944, suite à une dénonciation, les parents, Moshé et deux sœurs sont arrêtés, envoyés à Malines puis à Auschwitz où ils arrivent avec l’avant-dernier convoi, celui du 19 mai : la maman est gazée immédiatement, les deux sœurs survivent tandis que Moshé et son père se retrouvent à Bergen-Belsen et y meurent, sans doute du typhus. 12 Au lendemain de la guerre, le journal tenu par Moshé entre le 24 novembre 1942 – il a seize ans – et le 6 septembre 1943 est découvert par ses sœurs avec trois cahiers et quelques autres textes. 13 Déjà marginalisé à La Haye en raison des obligations et interdictions drastiques imposées aux Juifs, il connaît une situation identique à Bruxelles même si ce n’est pas de manière officielle, d’où le branle donné à l’écriture du quotidien : « Voilà déjà un certain temps que je souhaite écrire, pour moi, chaque soir, ce que j’ai fait dans la journée mais, pour différentes raisons, je n’ai pas pu le faire jusqu’à présent. Ce soir je suis prêt à commencer. » (p. 29) 14 La pression des événements est trop forte en effet et il est ainsi amené à rapporter, d’une manière générale, les violences qui frappent les Juifs, lesquels « sont arrêtés chaque jour. On dit qu’il y a beaucoup d’informateurs qui livrent aux Allemands les adresses où les Juifs sont cachés. Et, bien sûr, ils payent très bien cette information. J’ai entendu que, pour chaque dénonciation, les Allemands donnaient mille francs (= 325 euros). » (p. 99) En ce qui le concerne personnellement, il raconte, par exemple, qu’un jour, dans le cadre d’une rencontre entre plusieurs jeunes et dans la mesure où son « prénom est rattaché à une catégorie de gens qui est plus ou moins haïe ou en tout cas une catégorie de gens que l’on n’aime pas voir, [...] j’ai changé mon prénom. Certes, dans l’environnement où je me trouvais alors, le changement de prénom avait une signification plus profonde. C’est pourquoi j’ai répondu à leur question : “Oui, je m’appelle – et, encore perdu dans mes pensées – je m’appelle Harry, oui, Harry.” Au moment même où je disais cela, il me sembla avoir perdu toute estime de moi. » (p. 145)

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15 Tout cela n’est pas sans peser sur l’atmosphère familiale, alimentant des disputes relatives au parti à prendre : rester en Belgique ou tenter de passer en Suisse. Un contexte de cet ordre oblige dès lors le jeune homme à revenir sur le sionisme qu’il tend à considérer moins dans une perspective historico-politique incapable de répondre à l’imperfection du monde et à ses avatars actuels, que sous un angle moral et spirituel seul susceptible de conduire à une « vengeance positive » (p. 150), à savoir « le retour de notre cher peuple sur la terre qui est son héritage. Ce sera la plus grande des vengeances possibles. » (p. 150) Il en est à ce point convaincu qu’il entreprend d’étudier l’arabe afin de vivre en paix avec « les fils d’Ismaël qui eux aussi sont des descendants d’Abraham » (p. 65) et il note ses avancées : « Je continue chaque jour à étudier l’arabe. Cela devient de plus en plus dur, mais je continue malgré tout car cette langue est nécessaire à l’accomplissement de mon objectif » (p. 72) si bien qu’il peut même en venir à observer : « Je progresse de jour en jour dans mes études d’arabe. J’en suis arrivé aux verbes. » (p. 80) 16 Par ailleurs l’adolescent qu’il est, et légitimement sans recul pertinent, fait preuve d’un réalisme prémonitoire lorsqu’il estime qu’ « une victoire des Alliés marquera seulement la fin temporaire de notre souffrance : celle que nous inflige l’Allemagne, mais ce sera le début d’une souffrance encore plus grande qu’auparavant. Au lieu de venir de la seule Allemagne, cette souffrance viendra du monde entier et prendra la forme d’un antisémitisme sans frontière. [...] Il faudra bien trouver des coupables aux crises innombrables qui éclateront après la guerre. » (p. 95) 17 Ces quelques traits illustrant les tentatives de compréhension et d’explicitation du drame auquel notre jeune auteur est mêlé transcendent, me semble-t-il, le seul intérêt autobiographique de ses considérations, combien présent d’évidence et émouvant de surcroît. 18 Il apparaît donc, en définitive, que les versions spécifiques d’espaces-temps parallèles et poignants que nous livrent Francine Lazarus et Moshé Finkler méritent amplement la lecture...

AUTEURS

ALBERT MINGELGRÜN

Docteur en philosophie et lettres, professeur émérite à l’Université libre de Bruxelles et professeur à l’Institut d’Études du Judaïsme, Albert Mingelgrün est président de la Fondation de la Mé¬moire contemporaine. Il mène des recherches sur la littérature de la Shoah. Albert Mingelgrün, doctor in de Letteren en Wijsbegeerte, pro-fessor emeritus aan de Université libre de Bruxelles (ULB), sectie Romaanse Talen en Literatuur, professor aan het Institut d’Études du Judaïsme en voorzitter van de Stichting voor de eigentijdse Herinnering. Hij voert onderzoek naar de litteratuur over de Shoah.

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La langue du IIIe Reich

Jacques Déom

RÉFÉRENCE

Jacques Aron, La Langue allemande sous la croix gammée. Le singulier dictionnaire de Trübner, Presses universitaires de Liège, Liège, 2016, 160 pages.

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1 Quiconque s’intéresse à la condition des Juifs en Europe et à son devenir ne peut manquer de prêter une attention toute particulière aux développements philosophico-idéologiques survenus en contexte de langue allemande. C’est ce que ne manque pas de faire, depuis plusieurs années, l’essayiste bruxellois Jacques Aron. Outre divers textes mémoriels et autobiographiques ainsi que des études critiques sur l’identité juive, le judaïsme et le sionisme, on doit à cet architecte et urbaniste de formation d’avoir présenté au public francophone, issus du vivier incroyablement fécond de la pensée juive germanique, deux penseurs dont la réflexion, pour être de leur temps, ne laisse pas de s’avérer significative pour le nôtre. C’est ainsi que l’on peut découvrir Constantin Brunner (1862-1937) à travers trois publications où Aron présente et annote sa traduction de Le malheur de notre peuple allemand et nos « Völkisch » (Didier Devillez – Mémoire d’Auschwitz, Bruxelles, 2008) ; Des devoirs des Juifs et des devoirs de l’État (Aden, Bruxelles, 2011) ; Écoute Israël, Écoute aussi Non-Israël (Les Sorcières), suivi de La nécessaire auto-émancipation des Juifs allemands (Didier Devillez, Bruxelles, 2011). Plus récemment, il a contribué à éclairer la personnalité, qui demeure largement énigmatique pour des lecteurs ne sachant pas l’allemand, de l’auteur de La haine de soi juive dans Theodor Lessing [1872-1933] ou le philosophe assassiné, avec une anthologie de textes traduits par l’auteur (L’Harmattan, Paris, 2014).

2 Avec La Langue allemande sous la croix gammée. Le singulier dictionnaire de Trübner, Jacques Aron nous propose une étude dont l’importance n’échappera pas à quiconque s’intéresse à l’histoire de la langue allemande et de sa description par la linguistique moderne. Il verse surtout une pièce majeure à l’angoissant dossier de l’imprégnation de la science universitaire par l’idéologie. Produit par une équipe de linguistes entièrement acquis à la philosophie du régime, l’ouvrage en question est en effet le plus important dictionnaire historique et étymologique allemand conçu sous le IIIe Reich. Il constitue simultanément le lexique le plus parlant de son idiome – dont tant de mots- clés valent moins comme concepts que comme Leitbilder (images directrices) qui, par leur charge émotionnelle et leur portée symbolique, « articulent le discours chauvin, expansionniste et belliqueux d’une société mise au pas et fortement hiérarchisée (p. 20) » – et apporte sa contribution massive à la systématisation du jargon que Victor Klemperer dénoncera, en 1947, sous l’étiquette ironiquement latinisante de Lingua tertii Imperii (LTI)1. 3 Poussant le « nettoyage ethnique » de la langue contre lequel Leo Spitzer s’était insurgé dès 1918, l’ouvrage ne retient que les seuls mots germaniques “de souche”, irradiant de surcroît de toute la sacralité de racines qui sont autant de prédéterminations du destin glorieux du peuple locuteur. À mesure que l’on s’avance dans les volumes, l’emprise

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totalitaire se fait plus évidente, avec une acmé au tome IV (1943), où les entrées apparaissent surchargées de citations des idéologues de référence : Hitler évidemment, mais aussi Goebbels ou Rosenberg, entre autres. 4 Engagé en 1934, le projet est porté par le Groupe d’Études pour la Recherche lexicologique allemande – Arbeitsgemeinschaft für deutsche Wortforschung. Les quatre premiers volumes voient le jour entre 1939 (le tome 1 en mars très exactement, soit six mois avant l’invasion de la Pologne) et 1943. Il sera poursuivi au-delà de l’effondrement du régime et dans le nouveau contexte politique (occupation militaire, guerre froide, division de l’Allemagne) puisque, au terme d’une décennie de latence, les quatre derniers tomes paraissent entre 1954 et 1957. Jacques Aron : « La cohérence de l’ouvrage dans les circonstances que l’on sait sera d’autant plus rudement mise à l’épreuve que l’ordre alphabétique impose une chronologie de l’exposé et des renvois inévitables entre les différentes entrées du dictionnaire. Les auteurs se trouvent donc devant un véritable casse-tête permanent. Et c’est ce défi involontaire qui, par le texte et aussi par ses non-dits, par les apparitions et disparitions de ses exemples et références nous servira de révélateur des ressorts profonds et des contradictions de ce projet. » (p. 14) La matière des nouveaux volumes a subi le traitement d’une « dénazification » intellectuelle des plus ambiguës : les notices estompent les références à des idéologues disparus avant la défaite du Reich et voient apparaître quelques auteurs juifs, essentiellement de complexion réactionnaire, mais restent substantiellement fidèles à leur inspiration initiale : nombre de références littéraires s’appuieront, même dans les volumes d’après-guerre, sur des auteurs notoirement connus pour leurs positions pangermanistes, racistes et antisémites. 5 En décrivant dans son contexte l’aventure éditoriale que constitue le Trübner et en fournissant une analyse précise d’une centaine de ses entrées (indexées en fin de volume), Jacques Aron rappelle un épisode peu glorieux de l’histoire de l’une des principales Geisteswissenschaften, la linguistique, et en l’espèce de son asservissement enthousiaste à la moins humaniste des idéologies. Linguistique allemande, serait-on tenté de préciser, en rappelant le rôle central du fait linguistique (et de la conscience qui s’en est développée) dans la constitution de l’identité nationale. « L’idéalisme, qui croit à l’autonomie et aux vertus intrinsèques de la pensée et de la langue qui la supporte, y tient une place plus importante que chez ses rivales et modèles, la Grande- Bretagne et la France. Avant d’être un espace politiquement unifié, l’Allemagne n’est- elle pas d’abord et pendant longtemps un espace imaginaire autour d’une culture incarnée par sa langue, et singulièrement par le mythe d’une langue “maternelle” originaire, la mère nourricière précédant la “patrie”, le Vaterland, la terre du père ? » (p. 15). Mais l’étude de Jacques Aron est également lestée d’un intérêt d’actualité. D’abord par la réflexion qu’elle ravive quant à l’autonomie, théorique et institutionnelle, de la recherche scientifique à l’endroit du contexte où elle s’inscrit. Mais tout autant parce qu’elle devrait servir d’instrument de travail à tous ceux, littéraires, philosophes, sociologues, historiens, à qui, travaillant sur l’ère germanique, risquent d’échapper, dans les textes qu’ils pratiquent dans un allemand dont ils ne maîtrisent pas toujours les subtilités, certaines connotations essentielles. Telle polémique sur les textes de Martin Heidegger dans les années 30 en fait foi… Les volumes du Trübner ont été acquis au fur et à mesure de la publication par toutes les bibliothèques universitaires et ont constitué une référence obligée pour des générations de philologues germanistes. Par le mélange sinistre d’érudition, de militantisme forcené et d’opportunisme qu’il illustre, il fournit un témoignage éloquent

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sur les aléas que peuvent connaître les sciences humaines. On saura gré à Jacques Aron d’avoir attiré notre attention sur lui. 6 On signalera également l’étude du même auteur consacré à un penseur de l’Aufklärung tardive : Saul Ascher. Un philosophe juif allemand entre Révolution française et Restauration prussienne, suivi de La Germanomanie (1815) et La Célébration de Luther sur la Wartburg (1818), adaptés et annotés par Jacques Aron, L’Harmattan, Paris, 2017, 105 pages. On découvrira dans cette présentation suivie de deux traductions de textes essentiels la réflexion lucide d’un philosophe autodidacte sur la situation précaire des Juifs, qui risquent de faire les frais des tensions nées dans l’espace allemand du fait des guerres napoléoniennes. À une entité germanique dont l’unité est essentiellement linguistique, mais clivée depuis la Réforme par l’opposition des catholiques et des protestants, s’ajoute la mémoire fraîche des attitudes adoptées vis-à-vis de l’envahisseur par les divers États allemands, alliés ou adversaires de la France. La Prusse a été occupée pendant six ans. Au lendemain de Waterloo, l’Allemagne peine à trouver sa voie dans un contexte où les structures féodales un temps mises sous le boisseau retrouvent de leur vigueur. L’émancipation décrétée par la Révolution française a certes allumé un phare pour tous les Juifs d’Europe. Il s’en faut que ses promesses trouvent à se réaliser en terre germanique…

NOTES

1. V. Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, Paris, 2003 ; L. Spitzer, Traque des mots étrangers, haine des peuples étrangers. Polémique contre le nettoyage de la langue, Limoges, 2013.

AUTEURS

JACQUES DÉOM

Licencié en philosophie (UCL), licencié en philologie biblique (UCL), Jacques Déom est chercheur à la Fondation de la Mémoire contemporaine attachée au Centre interdisciplinaire d’Étude des Religions et de la Laïcité (CIERL) de l’Université libre de Bruxelles (ULB).

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En Jeu. Histoire & mémoires vivantes

Sophie Milquet

RÉFÉRENCE

En Jeu. Histoire & mémoires vivantes. L’Europe et ses Juifs. Revue pluridisciplinaire de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, n° 8, décembre 2016 ; n° 9, décembre 2017.

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1 La Fondation pour la Mémoire de la Déportation a récemment publié deux numéros de sa revue, sur le lexique du mal (n° 8) et les rapports de l’Europe aux communautés juives (n° 9).

Les “mots du mal”

2 Les termes « génocide », « Shoah » ou « Holocauste » ont une histoire, et leurs usages par la justice, la recherche ou l’enseignement ne sont pas exempts d’implications morales, comme le rappelle l’introduction de Charles Heimberg. Le lexique utilisé à propos des violences de l’histoire dans l’espace public agit en effet sur les représentations autant qu’il implique un positionnement à l’égard du passé. L’analyse à laquelle convie ce dossier est donc précieuse et nécessaire.

3 Ainsi, l’habituel recours péjoratif au “Moyen-âge”, dont le dit “retour” symbolise des temps obscurs, est-il plus ambivalent qu’il n’y paraît : des années 1920 aux années 1940, il peut aussi signifier le désir d’un retour à l’unité. Laurent Broche explique aussi comment la formule peut participer à la fois à une argumentation et à son contraire, parfois pour des groupes opposés – le Moyen-âge ayant par exemple servi de repoussoir tant pour les antifascistes que pour Hitler lui-même. La même logique est à l’œuvre dans les premiers temps de l’Allemagne réunifiée : l’article de Carol-Ann Bellefeuille montre en effet comment l’usage d’un terme – « totalitaire » – a permis de légitimer le régime démocratique au détriment de la RDA. Autre approche : Rémi Baudouï reprend l’histoire de l’expression arendtienne de « banalité du mal », évoquant tant ses imprécisions dans le chef de la philosophe que ses usages et mésusages dans les sphères judiciaires et scolaires. 4 Trois autres articles se focalisent sur l’usage du lexique dans les discours mémoriels. Sébastien Ledoux revient sur l’histoire de la notion de « devoir de mémoire », peu à peu devenue centrale à partir des années 1980, avant d’être victime de son succès, et surtout de ses utilisations politiques. Cette dynamique est rendue manifeste par un examen de la place de la notion dans les programmes de l’Éducation nationale, où après avoir justifié l’action pédagogique, la fonction préventive du devoir de mémoire a été mise en cause. Le dossier fournit également, sous la plume de Cécile Vast, une analyse systématique des correspondances des “mots du mal” dans les discours de François Hollande sur la Seconde Guerre mondiale. L’étude montre que le degré de contextualisation dépend des événements commémorés : alors que les résistants et déportés politiques sont clairement identifiés, les victimes de la Shoah sont qualifiées par le recours à une rhétorique du mal absolu, englobant et atemporel. Enfin, les tensions terminologiques s’accroissent lorsqu’une réalité est partagée par deux nations, surtout dans un contexte de concurrence mémorielle, comme l’expose Geneviève Dreyfus-Armand à partir de l’exemple des camps français pour Républicains espagnols,

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nommés « camps d’internement » du côté français, et « camps de concentration » en espagnol. 5 Le dossier est suivi d’un article de Jacques Aron sur les Journaux du théoricien du nazisme Alfred Rosenberg.

L’Europe et ses Juifs

6 Ce dossier réunit des études sur les rapports des nations à leur population juive. Le cas de l’Italie, par exemple, est évoqué par Davide Mano, qui propose un retour sur le parcours de construction identitaire des communautés juives, en allant du XVIe siècle, marqué par la diffusion du crédit, à l’émancipation, en passant par la création des ghettos au XVIIe siècle. La réflexion sur l’Europe est prolongée par des études sur la Lybie, où Marialuisa Lucia Sergio montre, à partir d’entretiens, l’ambivalence du processus postcolonial quant aux rapports entre Juifs, colons italiens et majorité arabe, et sur le Maroc, où l’histoire de la présence juive est retracée par Ilyass Gorfti, de manière à nourrir la réflexion sur l’assimilation et le maintien des racines pour la diaspora.

7 Le dossier adjoint à cette approche historique des articles proposant des approches conceptuelle et littéraire. Gaëtan Pégny corrige ainsi la lecture que Jean-Luc Nancy fait à la fois de la notion arendtienne de « banalité du mal » et de l’antisémitisme d’Heidegger défini par Jean-Luc Nancy comme immémorial et consubstantiel à l’histoire de l’Occident. Les récits de voyage en Palestine parus en français dans les années 1920, analysés par Elisabeth Shulz, éclairent quant à eux non pas tant l’expérience de l’alyah qu’une identité juive occidentale alors en crise. 8 Enfin, le numéro comprend une étude d’Albert Mingelgrün relative à quelques romans sur la Shoah parus les vingt-cinq dernières années. Le panorama dressé – qui comprend notamment les œuvres de Michelle Maillet, Philippe Claudel, Valentine Goby, Antoine Choplin, Daniel Zimmermann et Amélie Nothomb – contribue à définir la distinction entre mise en scène utile et exploitation gratuite.

AUTEUR

SOPHIE MILQUET

Docteure en lettres et en histoire (Université libre de Bruxelles et Université Rennes 2), Sophie Milquet a réalisé une thèse sur la mémoire féminine de la guerre d’Espagne, et a notamment dirigé l’ouvrage Femmes en guerres (avec M. Frédéric, 2011). Elle est à présent chercheuse à la Fondation de la Mémoire contemporaine.

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