LE FORT GALLAS LES REDOUTES DU COL DU BONHOMME

PAR HUBERT INGOLD1 Inspecteur îles eaux et forets.

COLMAR H. HUFFEL, libraire 1909

1 NDLC : Père du futur Général François INGOLD.

LE FORT GALLAS LES REDOUTES DU COL DU BONHOMME

Dans le courant de l’année 1906, un bûcheron français trouvait dans la forêt communale de Fraize (Vosges), à quelques mètres seulement de la frontière et à peu de distance du col du Bonhomme, une lame d’épée toute rouillée mesurant environ 40 centimètres de longueur. Cette arme, acquise par M. Hoffstetter, receveur des douanes françaises à Plainfaing, figure actuellement dans la magnifique panoplie que son propriétaire montre obligeamment aux amateurs d’antiquités alsaciennes et lorraines. Peu intéressante en elle-même, cette découverte nous revint à la mémoire quand, récemment, nous avons eu l’occasion d’examiner la feuille 59 de la carte de Cassini, ou de l’Académie, éditée en 1740. Grande fut notre surprise en constatant que cette carte indiquait un fort, situé sur le versant alsacien, à proximité du col du Bonhomme et par conséquent très près de l’endroit où avait été découverte la lame d’épée. Non seulement un fort est nettement indiqué, mais son nom même est donné : Fort Galasse. Si on en juge d’après sa position sur la carte de Cassini, ce fort avait été incontestablement construit pour défendre la Lorraine contre un ennemi venant d’Alsace. Le nom Galasse étant absolument inconnu dans la région, on peut se demander s’il ne rappelle pas le nom d’un homme de guerre célèbre à l’époque de la construction du fort. La réponse semblera catégorique à quiconque voudra se souvenir qu’en juin 1633, Charles IV, duc de Lorraine, plaçait une garnison sur la rive gauche de la Liepvrette, faisait réparer les forts existants et fermer les passages de la montagne2 pour défendre la Lorraine contre les Suédois qui occupaient déjà une partie de l’Alsace. Bien certainement les ingénieurs de Charles IV ne négligèrent pas le col du Bonhomme, et comme les troupes impériales commandées par Mathias, comte de Gallas, remportaient en 1634 la victoire de Nordlingen sur les Suédois de Bernard de Saxe- Weimar, il est permis de supposer que le nom du général victorieux fut donné au fort qu’on venait de réparer ou de construire. De 1634 à 1740 le nom se sera transformé dans le langage populaire et Gallas sera devenu Galasse. Ce fort dût d’ailleurs bientôt être enlevé par les Suédois puisqu’ils occupèrent Saint-Dié en 1635 et en 1639; la tradition qui rapporte qu’une bande de Houèbes fut détruite par les paysans vosgiens embusqués au lieu dit la Poutraut, entre Plainfaing et Fraize, fait supposer que les envahisseurs passèrent, en partie du moins, par le col du Bonhomme. En 1636 d’ailleurs le fort n’était certainement plus occupé par les Lorrains, puisque le 25 janvier le corps

2 Voir BOYÉ, Les Hautes Chaumes, Chap. X, p. 285. du cardinal de La Valette allant ravitailler les défenseurs de Kaysersberg passait sans encombres le col du Bonhomme3. Le fort Gallas, construit ou réparé vers 1634, existait encore du temps de Cassini. En restait-il des traces aujourd’hui bien que la carte de l’État-major français au quatre-vingt millième, et la carte allemande au vingt-cinq millième, bien plus récente, soient absolument muettes à cet égard ? Il était facile de s’en assurer et bien vive fut notre satisfaction en trouvant au col du Bonhomme, non pas un fort, mais trois redoutes parfaitement visibles. L’une au sud de la route départementale, à tracé bastionné, de très faible relief, est bien connue des habitants de la région ; elle a été construite en 1870, exactement sur la ligne séparative des deux départements ; elle ne nous intéresse pas. Quant aux deux autres, situées sur le versant alsacien, dans la forêt communale du Bonhomme, l’une de forme circulaire, à fort relief, paraît bien être le fort Gallas car elle commande parfaitement l’ancienne route, dite vieille route de la Poste, qui seule existait au XVIIe siècle. La deuxième, de forme rectangulaire, a un relief moins accentué. Elle ne commande pas la vieille route de la Poste mais seulement l’ancienne route construite du temps de Stanislas. Aurait-elle été élevée alors pour

3 Voir L. BERNARDIN, Revue du Cercle militaire, 19 et 26 janvier 1907. défendre le passage, ou bien ne daterait-elle que de 1814 ? Des fouilles pratiquées dans les fossés et les terre- pleins de ces deux redoutes élucideraient probablement la question, car il ne paraît pas douteux qu’elles donnent des résultats. Le tracé de la voie romaine de Saint-Dié à par Remémont, Scarupt, doit d’ailleurs se confondre avec celui de la vieille route de la Poste, de sorte qu’en pratiquant des fouilles dans le voisinage de la redoute circulaire, on pourrait peut-être trouver des antiquités romaines4. Dans cette étude sommaire nous avons eu un double but : Le premier de signaler ces restes de travaux de défense élevés à diverses époques, et de rendre au plus ancien un nom depuis longtemps oublié. La ligne de bornes qui jalonne maintenant la frontière, ne nous permet pas de pousser plus loin nos recherches : à d'autres la récolte, non seulement au col du Bonhomme, mais encore sur les points où selon toute vraisemblance des ouvrages de défense ont été élevés lors de la Guerre de Trente ans. Et ils sont nombreux dans la chaîne des Vosges, les uns parfaitement figurés sur les cartes, comme par exemple : les deux redoutes du col d’ (carte française au quatre-vingt-millième) qui ne datent 4 Voir Topographie ancienne du département des Vosges par A. FOURNIER. (Annales de la société d’émulation des Vosges année, 1892, P 157) et JOLLOIS Antiquités remarquables du département des Vosges. Paris, 1843, p. XXIV. — Ce dernier auteur fait passer la voie romaine près de la Redoute des Suédois : tel était donc en 1843 le nom que l’on donnait dans la région au Fort Gallas. peut-être que de 1814, et l'Alte Schanze à 400 m. à l’est du (carte allemande au vingt-cinq-millième). Silbermann en 1749, et après lui, Grad, attribuaient ces retranchements aux Suédois, mais il est plus probable qu’ils sont de construction lorraine et contemporains du fort Gallas ; ils commandent l’ancien chemin, dit chemin des marchands, conduisant de Munster à la Bresse. D’autres ouvrages de fortification sont simplement signalés par les lieux-dits : le col du Hantz (die Schanze de la carte allemande au vingt-cinq- millième) ; Schanzmatte à 1000 m. à l’est du rocher du Tanet sur le chemin de Stosswihr au Valtin, etc. Notre second but a été d’attirer l’attention des chercheurs sur cette vénérable carte de Cassini qui, malgré des erreurs (bataille de en 1696) et une orthographe fantaisiste des localités alsaciennes, est un véritable trésor pour tous ceux qu’intéresse le passé. Ils y trouveront quantité de renseignements précieux ou tout au moins curieux. Le forestier y constatera l’ancien développement des bois dans la plaine d’Alsace notamment au nord de Colmar. L’agronome pourra peut-être faire des remarques intéressantes sur l’emplacement des vignobles au XVIIIe siècle. L’historien découvrira, sinon des villages, du moins des hameaux disparus ou dont les noms auront changé. Nous nous permettrons de signaler, dans le ban d’, la malheureuse ferme qui avait nom Meurfroidfaim. Ce nom terrifiant ne figure plus sur les cartes actuelles, mais la ferme a-t-elle réellement été abandonnée ou bien lui a-t-on simplement donné un nom de moins mauvaise augure ? 9

Et maintenant à d’autres la récolte. Comme nous l’avons dit plus haut, au fort Gallas surtout, elle ne peut manquer d’être fructueuse. Souhaitons que ce soit un enfant de l’Alsace qui entende cet appel.

RIXHEIM (ALSACE). — TYP. F. SUTTER & ClE. — 704. 10

Les redoutes du Col du Bonhomme 11

La carte de Cassini du XVIIIe siècle, dite carte de « Marie-Antoinette »