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Jacques Paugam est né en 1944 à Quimper. De son père avocat, il hérite très tôt du goût des études juridiques et historiques. A vingt ans il sort de l'Institut des Sciences Politiques et obtient ensuite, avec brio, le titre de docteur en Droit. Il tra- vaille actuellement dans le mar- keting et la publicité, 'tandis que paraît cette étude critique du , il achève son premier roman.

JACQUES PAUGAM L'AGE D'OR DU MAURRASSISM] essai

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L'AGE D'OR DU MAURRASSISME

JACQUES PAUGAM

L'AGE D'OR DU MAURRASSISME essai

PRÉFACE DE JEAN-JACQUES CHEVALIER

DENOËL @ 1971, by Editions Denoël, Paris T. à Pierre Cozanet

PRÉFACE

Voici plus d'un demi-siècle, le grand critique Albert Thibau- det consacrait aux Idées de un ouvrage débor- dant de vues suggestives et séduisantes. Toutefois le recul manquait : en 1920 le mouvement dit d'Action française, dominé par l'impérieuse dialectique maurrassienne, n'était pas encore entré dans l'Histoire, il s'en fallait de vingt-cinq années. Quand l'historien américain Eugen Weber s'attelle à la compo- sition de l'étude fondamentale intitulée L'Action française, qui parait en 1962 dans sa traduction en notre langue, il a ce recul nécessaire. Mais après lui il y a encore place pour une analyse fouillée du maurrassisme en tant que philosophie politique. C'est cette analyse que nous donne aujourd'hui Jacques Paugam. Il nous la donne selon une certaine perspective, pour laquelle il a opté en toute connaissance de cause, et que le titre même de son ouvrage met en relief : L'âge d'or du maurrassisme. Cet âge d'or, il le situe entre 1899, date de la création de la Revue d'Action française, et 1908, date de lancement du journal quotidien appelé au retentissement que l'on sait. Voilà une posi- tion apparemment paradoxale, s'il est vrai que le grand succès du mouvement néo-monarchiste est lié à celui du journal et que, par ailleurs, le mouvement a connu sa plus vaste audience entre , 1919 et 1926, date de la condamnation pontificale. Mais J. Pau- i gam tient que ce sont là phénomènes de surface auxquels l'his- toire intellectuelle ne doit pas s'asservir et que les huit années dont il s'agit furent celles d'une création doctrinale authentique, où ton vit présenter les théories « les plus dynamiques, les plus anticonformistes et de nature souvent très moderne », où le haut niveau intellectuel de la Revue ne s'est jamais démenti. Si bien que c'est une exégèse aussi complète que possible des textes parus dans cette revue qui peut le mieux permettre une ana- lyse valable du maurrassisme, « c'est là, dans le dédale des réac- tions spontanées, que l'on découvre l'essentiel du legs de Maur- ras et de ceux qui étaient alors ses jeunes compagnons, les Moreau, les Rivain, les Dimier, ou les Valois ». Une exégèse aussi complète que possible... et assortie d'autant de citations que possible, afin de ne rien laisser échapper des nuances d'une pensée qu'à distance on se figure beaucoup plus monolithique qu'elle ne le fut réellement. Une pensée confrontée au cours de ces huit années à toutes sortes de problèmes aigus d'ordre intérieur et international, reli- gieux, économique et social. Une pensée dont le haut niveau ne peut être que maintenu et garanti par la création, en février 1905, de l'Institut d'Action française, ce véritable défi lancé à l'Université de la République, à la Sorbonne, servante de la Révolution, contre laquelle il s'agit de dresser l'intelligence nationale, la vraie raison et la science, notamment la science politique : les noms des chaires prévues sont symboliques (chaire du Syllabus, chaire , chaire Maurice Barrès, chaire Sainte-Beuve, chaire Rivarol, chaire La Tour du Pin). jMais la création, dans le même temps, de la Ligue d'Action française, organe de propagande et de combat extra-parlemen- taire contre « tout régime républicain », dont chaque membre s'engage à servir « par tous les moyens » l'œuvre de la restau- ration monarchique, va dans un sens forcément assez différent : celui de la schématisation et de la simplification des thèses. Les nuances sont écartées. Les chefs, tenus par les impératifs de l'action, devront se résigner, sans en être dupes au moins pour commencer, à une expression « primaire » de la doctrine. Pour la première fois apparaît, au jugement motivé de J. Paugam, « un hiatus flagrant entre ce qui se pense et ce qui se dit, ce qui n'était pas jusque-là une caractéristique de la Revue et qui ne manquera pas d'avoir de graves conséquences dans la vie ulté- rieure du mouvement ». Cependant que le lancement, en 1908, d'un quotidien qui vise à toucher l'ensemble des classes moyen- nés se conciliera assez peu avec les appels à de profondes ( réformes sociales. i Ce pourquoi précisément, selon l'auteur du présent ouvrageP rage d'or du maurrassisme sera terminé. Jusque-là la nature de la clientèle venue spontanément vers l'Action française ne ren- dait pas encore illusoire « tout effort auprès des milieux popu- laires ainsi que toute recherche théorique dynamique » ; et les ambitions du mouvement ne manquaient pas d'une certaine crédibilité politique. Que J. Paugam entend-il exactement par cette heureuse expression? Est-ce donc que la restauration monarchique eût été alors de l'ordre du possible ? Ce n'est pas ce qu'il veut dire. Il a en vue une autre possibilité, bien différente : ce qui est alors crédible, écrit-il, c'est que l'Action française devienne rapidement la principale force d'opposition, vigoureuse et réformatrice. Et d'admettre d'ailleurs què cette crédibilité s'est bientôt évanouie, la clientèle se figeant en des « bataillons de conservateurs mécontents », la doctrine devenant de cons- tructive « une sorte de nationalisme protestataire et craintif, ; dominé par le thème étriqué de /a défense de l'ordre ». —* Je suis moins convaincu que l'auteur de cette crédibilité. Mais je conviens qu'il a su tirer grand parti de ce que j'appellerai l'hypothèse de travail par lui adoptée, qu'elle lui a permis de concentrer son attention d'analyste du maurrassisme sur l'es- sentiel, comme il dit, du legs de Maurras, au-delà de l'acci- dentel et du contingent — sur l'enrichissement durable apporté à la pensée politique, à travers le mouvement qu'il a animé et incarné, par un homme en lequel J. Paugam voit à la fois un mal-aimé et un mal-compris; dont le portrait, intellectuel et 1 moral aurait besoin d'être « démythifié », selon le jargon bar- J bare de nos jours. Maurras, dit-il, en conclusion, « n'était pas fait pour être un chef de parti et quand certains des plus bril- lants esprits de son temps ont cherché des leçons auprès de lui, Ils ont su ne retenir, dans la dualité du niveau de la réflexion de l'Action française que Von a souvent mise en relief dans cette étude, que ce qui en constituait ressence, bien au-delà des préoc- cupations partisanes, souvent terre à terre et mesquines ; ils ont su discerner la valeur du philosophe, même s'ils ont refusé le faiseur de systèmes ». Ce qui est dire que (là valeur et 1 l'ampleur de tinfluence exercée par Maurras ne se peuvent mesurer qu'à partir de ce que J. Paugam nomme une sorte de décantation de l'apport doctrinal du maurrassisme. Décantation à laquelle, avec patience, avec conscience, avec talent et non sans une sourde passion, il a donc voulu procéder, pour le plus grand profit du lecteur, dans le présent ouvrage, sur la base des textes que lui a fournis la Revue au cours des huit années que l'on sait. Parmi ces textes, on retiendra particulièrement Dictateur et Roi d'août 1903, Kiel et Tanger de 1905, la Réponse au Cor- respondant de février 1908 : soit un texte capital sur la monar- chie de demain, un essai de définition de la politique étrangère valable pour la , une auto-justification des positions maurrassiennes vis-à-vis de la morale, de la foi catholique et de l'Eglise. Dictateur et Roi, qui, tout en n'étant qu'une ébauche, ne fait pas double emploi avec la fameuse Enquête sur la Monar- chie, fixe les contours des mesures de police à prendre en cas de restauration, mais constitue de plus, selon J. Paugam, l'expres- sion la plus dense et la plus concise de la conception maurras- sienne du pouvoir politique : l'autorité reconstituée au sommet de l'Etat, lequel a son libre jeu, délivré qu'il est des compétitions des partis, des assemblées et des caprices électoraux ; le Roi, chef de l'Etat, qui règne et qui gouverne, et dont « l'arbitraire conscient, légal et responsable, assurera l'unité, la constance, la permanence des desseins, moyennant l'assistance des hommes compétents, siégeant dans les conseils techniques comme dans les assemblées locales » — Kiel et Tanger, où l'on n'a vu le plus souvent que le bilan critique de la politique menée par deux ministres des affaires étrangères successifs, Hanotaux et Delcassé, mais où J. Paugam voit, et a raison de voir, encore autre chose : une ébauche de ce que pourrait être une diploma- tie française dans le monde du xxe siècle, en fonction du rôle qui devrait être dans un tel monde celui de la France. Il y aura au xxe siècle, prévoit Maurras, des Empires immenses, mais aussi des Etats secondaires, moyens et petits, dont les libertés seront fatalement en danger, et pourtant ils en seront jaloux, ils chercheront comment les garantir. C'est ici que la France aura son rôle à jouer, par une politique de clientèle, celle d'un Etat puissant mais pas trop, bien ordonné, et donc monarchique, capable de donner l'impression d'un protecteur effectif mais non tyrannique, n'ayant pas à chercher ni à appeler : « Les Etats secondaires seraient comme chassés dans notre direction et nous les verrions fuir vers nous... nous n'aurons pas le nom de grande puissance, nous en aurons l'autorité morale et la force vive ; mieux que la Prusse ou le Piémont avant l'unité, nous multiplie- rons nos valeurs par un habile emploi d'amis, de clients, et de protégés exercés et fortifiés par nos soins : cette chevalerie nous élèvera- à l'empire ». Qui pourrait contester à J. Paugam que ceci rend un son très actuel ? — Quant à la Réponse au Corres- pondant, disons avec lui que c'est une des synthèses les plus significatives de la pensée maurrassienne et où le redoutable dialecticien a le mieux dénoncé l'écart existant entre l'idée que lui-même se faisait de sa personnalité comme de sa doctrine et l'image qui en était le plus souvent présentée. C'est là qu'il parle de « l'étrange figure de héros de roman » au-dessous de laquelle il s'étonne de lire les lettres de son nom. Là également qu'il proteste contre la réputation qu'on lui a faite d'être dédaigneux de la foi : « On ne dédaigne pas ce qu'on a tant cherché. On ne traite pas sans respect la faculté de croire quand on l'estime aussi naturelle à l'homme et plus nécessaire que la raison . » Là aussi la phrase toute pragmatique sur ces hommes qui « ne s'accordaient pas sur le point de savoir si le catholicisme est le vrai » mais qui ont reconnu qu'il était « certainement le bien ». Mourras le mal compris, le mal connu, le mal aimé : aimé pour ce qu'il n'était pas, pour des idées qui n'étaient pas les siennes ? Maurras, ce doctrinaire pétri d'orgueil, mais c'est sa modestie qui frappe 7. Paugam. Il y a là, à travers et au-delà des polémiques, maints aspects à reprendre et à approfondir. Qu'a...t-il manqué, en mal comme en bien, à cet homme (qui a déchafné tant de passion au nom de la claire raison chère à Athena et de l'Ordre de Rome) pour être un vrai chef de parti ? [Question] captivante mais, à tout prendre, moins importante pour l'histoire de la pensée politique que cellejqui a retenu avantl tout Y attention de l'auteur du présent ouvrage : l'essentiel du legs de Maurras, où est-il ? Il est, ou du- moins disons que Y auteur le voit, dans un souci \ presque douloureux « de dépasser les contradictions de la con- ditiola humaine tenant à la dualité des dimensions, individuelle et collective, delà vie*. Condition humaine si tourmentée, mar- quée par la souffrance et la mort, aggravée de façon absurde par l'entre-destruction, menacée d'écrasement aussi bien par l'excès du pouvoir que par la déliquescence de l'autorité. C'est sous le fouet de préoccupations de cet ordre que Maurras serait « entré en politique » comme on entre en religion, animé qu'il était d'une foi de marbre dans la vertu de l'institution. J. Paugam rappelle la phrase admirable : « Seule, l'institution, durable à l'infini, fait durer le meilleur de nous ; par elle, l'homme s'éternise. » Ainsi Maurras serait devenu le philosophe de l'Etat, dont l'originalité tiendrait moins aux idées éparses qu'il a exprimées qu'à la syn- thèse qu'il en a faite et au « ton » qu'il lui a donné : l'Etat étant à ses yeux le cadre fondamental de l'épanouissement de l'indi- vidu humain, en même temps que l'incarnation de la collectivité nationale : cette collectivité pour laquelle le postulat de la valeur inconditionnelle du nombre est mortel, mais vital, à l'inverse, le primat de la compétence. A ce moraliste, à ce philosophe de l'Etat qu'est Maurras, il ne s'agit pas tant de demander un pro- gramme qu'une « définition normative de l'attitude politique ». Il propose un « style », une façon d'aborder les problèmes qui, répétée, suscite des réflexes politiques. Lui-même a parlé, en f invoquant Sainte-Beuve, d'empirisme organisateur. On peut par- jjer également de « possibilisme ». Dans cette perspective, le monarchisme maurrassien cesse d'apparaître comme premier dans la pensée du Maître : le Roi ne saurait être une panacée universelle ; ce n'est qu'un choix « raisonné et circonstanciel » qui l'impose à la France, oÙ Fau- torité est en bas et la liberté en haut, ce qui est un défi à la nature même du pouvoir politique. Remettre l'autorité à sa place ne signifie d'ailleurs pas, pour Maurras, qu'elle se suffise à elk-même : elle n'est, cette autorité, qu'un préalable Mces- saire à toute grande entreprise collective. Elle est un pilier parmi t d'autres de la construction maurrassienne que J. Paugam estime, Ljçpntre tel contestataire, foncièrement humaniste. D'un huma- nisme qui date, diront d'aucuns, dans la mesure où il est fondé sur une certaine idée de thomme, permanente à travers les stè- les ; mais d'autres répondront que c'est ce fondement-là qui fait sa valeur en face d'autres humanismes ou pseudo-humanismes. On imagine que plus eun lecteur -iebuurgera contre un auteur qui rèjette en tant qu'image d'Epirud l'opinion admise : Mawras « essentiellement sinon exclusivement le chantre de la monar- chie ». Plus d'un lecteur aussi sera pris et soit scandalisé soit séduit par les dernières pages de l'ouvrage, suggestives et d'ail- leurs attendues, implicitement annoncées par certains dévelop- pement antérieurs, où J. Paugam s'attaque au problème de lâl parenté intellectuelle entre Maurras et le général de Gaulle. A son jugement d'analyste strict (qui ne cache point son appartenance gaulliste) il y aurait là deux politi- ques à tout prendre singulièrement proches, de par une même obsession de la continuité nationale, un même sentiment de la dignité du politique, une même religion de l'Etat, et surtout le même « possibilisme » ou pragmatisme appuyé sur une réflexion \ en profondeur et à long terme. A quoi sans doute le lecteur- maurrassien objectera : comment parler de continuité nationale sans hérédité monarchique ? Tandis que le lecteur gaulliste ou simplement gaullien, fera observer, interprétant la pensée du Général : comment rêver, en 1960-1970, d'hérédité monarchi- que autour de quoi rassembler — car rien d'autre, en définitive, ne compte — les Français ? « cela a été cassé et cela ne se refait pas » * ; depuis 1830 il peut encore y avoir des règnes, des sou- verains, mais plus de dynasties. Qui donc disait : De Gaulle ou le dernier Roi de France, Charles le Singulier ? JEAN-JACQUES CHEVALLIER de l'Institut

* Cf. A. Dansette, Mai 68, p. 223.

INTRODUCTION

Le monde se paie de paroles et peu approfon- dissent les choses. PASCAL. La parution, le 10 juillet 1899, du premier Bulle- tin de l'Action française vient à la suite d'initiatives diver- ses prises depuis plus d'une année déjà avec plus ou moins de bonheur. Le 8 avril 1898, en effet, deux hommes jeunes et sans notoriété, un professeur de philosophie de trente-quatre ans, , et un journaliste de vingt-six ans, , formaient un Comité d'Action française à l'occasion des élections. L'appel rédigé alors indiquait que le Comité avait pour but de soutenir une République nationale, de « réveiller dans toutes les consciences, le sens de la vie française » afin de lutter contre le dreyfu- sisme présenté comme une suite de Panama. L'activité de ce Comité passa inaperçue et l'Affaire Dreyfus ne fut pas l'un des grands thèmes électoraux. Ce groupement eut pourtant son importance dans la mesure où il contribua à la formation, à la fin de l'année 1898, de la Ligue de la Patrie française. Une lettre publiée dans le journal nationaliste l'Eclair, le 19 décembre, donna à Maurice Pujo l'occasion de préciser ses objectifs. Il faut, écrivait-il, refaire de la France une nation « républicaine , ;, et libre », un Etat organisé à l'intérieur et fort à l'exté- i rieur ; réaliser pour cela une synthèse du passé et du pré- ■ sent « sans qu'il y ait à recourir aux formes du passé, car on ne fait rien avec les morts ». Peu satisfaits de l'attitude de la Ligue, Maurice Pujo et Henri Vaugeois se mirent alors à la recherche d'une nou- velle forme d'expression. L'idée d'assurer immédiatement la publication d'un journal parut finalement trop ambi- tieuse ; la formule retenue fut celle de la création d'une organisation propre, assurant la publication d'un bulle- tin périodique, le Bulletin de l'Action française. Et le 20 juin 1899, dans une salle de la rue d'Athènes, Henri Vaugeois fait une conférence de présentation, conférence placée sous le patronage de la Ligue de la Patrie française et sous la présidence de M. de Mahy, député, ancien mi- nistre de la Marine et des Colonies. On est alors en plein cœur de la crise politique provo- quée par l'Affaire Dreyfus. Le 3 juin, en effet, la Cour de cassation, toutes chambres réunies, a cassé l'arrêt du Conseil de guerre de 1894. Le lendemain, 4 juin, M. Loubet, président de la République, est insulté aux courses d'Auteuil, ayant à subir les furieux assauts du baron Christiani qui n'hésite pas à lui assener un coup de canne. Quelques jours plus tard, le 12 juin, une interpellation sur la faiblesse de la police fait tomber le ministère Dupuy et, élément important, la Chambre, dans son ordre du jour, se déclare résolue « à ne soutenir qu'un ministère décidé à défendre avec énergie les institutions républi- caines. » Ce n'est que deux jours après la conférence d'Henri Vaugeois, le 22 juin, que Waldeck-Rousseau constitue ce ministère de « défense républicaine » qui res- tera au pouvoir jusqu'au mois de juin 1902. Henri Vaugeois était jusqu'alors de tendance radi- cale. Il avait même fait partie d'un organisme libéral et bien pensant, l'Union pour l'action morale. Quant à M. de Mahy, c'est l'ancien ministre opportuniste. Mais pour comprendre l'initiative d'Henri Vaugeois il faut tenir compte de l'extraordinaire brassage des idées que pro- voque l'Affaire Dreyfus et du renouvellement de la droite à cette époque, tel que l'a décrit en particulier M. René Rémond. La droite, cela ne représente plus la lutte entre bonapartistes, légitimistes et orléanistes. Les bonapartis- tes n'ont plus de représentation parlementaire et les roya- listes qui se présentent aux élections sous la même éti- quette ambiguë de conservateurs, obtiennent certes de meilleurs résultats mais sont aussi sur le déclin. A leur côté la droite comprend désormais les ralliés \ les pro- gressistes et les nationalistes. Il est vrai que ces vocables nouveaux cachent une certaine continuité des tendances : des bonapartistes aux nationalistes, des légitimistes aux ralliés et des orléanistes aux progressistes. Cependant le renouvellement est incontestable ; il l'est d'autant plus que les nationalistes qui, pour ne pas être, loin s'en faut, les plus nombreux, sont néanmoins les plus bruyants, imposent leur style à cette droite ; elle nour- rit ainsi sa propagande de thèmes dont certains ne lui avaient pas toujours été familiers. Ces thèmes sont la patrie, l'armée, la défense de l'Eglise et l'antiparlementa- risme. Pas plus que Maurice Pujo, Henri Vaugeois n'ap- partient à la vieille droite. La France, dit Henri Vaugeois le 20 juin, traverse une crise d'une extraordinaire ampleur. La victoire des drey- fusards est une défaite pour elle, un « Sedan moral ». Le but de l'Action française est de participer à son relève- ment en regardant résolument vers l'avenir. Il faut aller au-delà de l'action de la Ligue de la Patrie française même si Henri Vaugeois qui en est secrétaire-adjoint lui rend encore hommage. On doit d'abord pour cela analyser vigoureusement la crise et ses effets. Bafouée à l'extérieur comme à l'intérieur, la République agonise parce qu'elle est impersonnelle, gâtée par une idéologie répandue sous l'influence de trois courants : franc-maçon, protestant et juif. Il faut redonner à la France le sens des réalités, tra- dition nationale, dont sa contribution à le renforcer fait toute la valeur de l'Eglise catholique. En développant l'idée de la restauration d'un pouvoir personnel (d'un gou- vernement par des hommes et non plus par des lois) on défend la république et la démocratie ; on reprend, en réalité, la grande œuvre de la Révolution française. Il faut croire en la grandeur de la France bien atteinte certes par les événements récents mais qui rejaillit avec de nou- veaux symboles. Cette force nouvelle qui cherche à s'exprimer est encore imprécise ; ce n'est qu'un tempéra- ment ; il importe d'en faire le point de départ d'une action politique ; ainsi la France pourra-t-elle à nouveau servir un idéal de justice et d'honneur : justice individuelle et 1. Qui se classent également parmi les conservateurs. justice sociale ; honneur, « l'honneur surtout » qui doit conduire à renoncer à l'irresponsabilité et à l'anarchisme. Pour participer à ce relèvement, l'Action française se propose de réfléchir et d'agir. Et Henri Vaugeois con- clut : « Voilà, Messieurs, ce que nous voulons, voilà ce que nous allons essayer de faire comprendre au pays, et de réaliser progressivement, pacifiquement. « Nous travaillerons à rendre à notre République fi- gure et vie française. » Ce qui frappe dans cette présentation c'est la prudence et la modestie avec lesquelles, fort justement, Henri Vau- geois caractérise son initiative : « Les pages qui suivent, dit-il, sont une expression tout oratoire, et par suite en- core elliptique et obscure, de ce que je veux pour mon pays. » C'est aussi l'empirisme au nom duquel un certain nombre de thèmes sont développés. Ainsi « la suprême sagesse du catholicisme » est, selon lui, « son sens pra- tique, son art de traiter avec l'homme réel ». ► L'attachement à la République qu'exprime ainsi Henri j Vaugeois est cependant assez équivoque, ce que met par- i ticulièrement en relief la controverse qui se développe immédiatement entre lui et François de Mahy. Dès le 21 juin, en effet, celui-ci lui adresse une lettre exprimant ses craintes devant l'encouragement aux méthodes auto- ritaires et révolutionnaires qu'il a cru déceler dans les propos de l'orateur alors que « le salut est dans une poli- tique résolument légale ». La réponse d'Henri Vaugeois tend à apaiser ces inquiétudes : je condamne, écrit-il, l'aventure « à la Déroulède » et ne tiens à employer que des moyens « légaux » ; « je n'irai pas au césarisme parce que j'ai été, je suis et resterai un républicain, c'est- à-dire un ami de la liberté. » Là-dessus le premier article du numéro du 1er août, signé d'Henri Vaugeois, porte un titre fulgurant : « Réaction d'abord », assez peu en harmonie avec les préoccupations exprimées dans sa conférence. Le combat nationaliste, explique-t-il, sera très dur. Il faut donc s'appuyer sur toutes les forces disponibles y compris les forces réactionnaires dans l'Eglise et dans l'aristocratie. François de Mahy lui répli- que par une lettre du 7 août ; refusant de s'associer à ce qu'il considère comme une réaction antirépublicaine qui ferait le jeu des fauteurs de désordre, il retire son parrai- nage. Et l'ambiguïté de la pensée d'Henri Vaugeois est tout entière dans la réponse qu'il lui fait, dans l' Action française du 15 août : « Nous sommes beaucoup de jeunes républicains d'éducation et d'aspiration que déchire aujourd'hui une sorte de lutte, d'antinomie entre les deux besoins de leur esprit, de leur raison : besoin d'ordre, d'autorité, de force gouvernementale, et c'est le fond de l'esprit réactionnaire, c'est la vérité de la monarchie ; et besoin de liberté, de progrès, d'ouverture vers l'avenir, c'est le fond et la vérité de l'esprit républicain. La Répu- blique actuelle ne satisfait ni l'un ni l'autre de ces deux besoins. Elle est faible et anarchique sans être libérale... » Une synthèse est nécessaire, mais comment ? C'est à l'Action française qu'il appartiendra de la réa- liser. Consciente de ses faiblesses doctrinales elle n'envi- sage pas moins l'avenir avec ardeur. Dès le 1er août, Jules Caplain-Cortambert fixe, en effet, pour tâche au Bulletin d'établir « la doctrine réfléchie » qui inspirera le grand quotidien à lancer postérieurement ; « d'être comme le cerveau du futur organe de combat ». L'esprit dans lequel il situe l'action à entreprendre correspond à une certaine préoccupation sociale : il faut, écrit-il, « donner aux conservateurs de tous bords les idées de justice sociale qui sont le fond même de l'esprit républicain du peuple français actuel et, d'autre part, faire admettre par les socialistes d'école la nécessité primordiale des hiérar- chies ». Justice et ordre. Ainsi est lancé le Bulletin qui deviendra bientôt la Revue de l'Action française, brochure grise, paraissant chaque quinzaine, et transformée, en 1904, en une bro- chure bleue de format plus large. Le grand quotidien annoncé ne naîtra qu'en 1908. En neuf années le mouvement, parti de rien, a conquis sa place au soleil. Il lui a d'abord fallu faire un choix institutionnel ; républicaine à l'origine, l'Action française est, en effet, devenue bientôt royaliste. Ce choix a-t-il été le fruit des circonstances ou de l'influence d'un jeune et brillant journaliste, Charles Maurras ? C'est la première grande question à laquelle il faudra répondre. Puis, il s'agira de savoir quelles ont été les conséquences de ce choix sur l'ensemble de la doctrine en cours d'élabora- tion ; comment ces théories ont remporté un certain succès et si celui-ci signifie que le maurrassisme était un ensem- ble de principes réalistes particulièrement adaptés à cette époque. Au terme de cette investigation on sera alors en mesure de dire si cette période qui va de la création de la Revue au lancement du journal, a présenté un caractère spécifique dans l'histoire de l'Action française ; si les thèses soutenues alors correspondent à l'image que l'his- toire a gardée de ce mouvement ; et si, au cas où il y aurait réellement eu, par la suite, une transformation, une telle évolution était inéluctable. Restera encore à dire si l'on peut sauver, devant le tribunal de l'histoire, une part du legs intellectuel de cette période de création. Le titre même de cette étude montre que de tels pro- blèmes se posent. On s'est fondé, pour la réaliser, sur une exégèse des textes que l'on a voulue aussi complète que possible. Etant donné la passion avec laquelle sont encore portés certains jugements concernant ce courant N, de pensée, il est apparu souhaitable, en effet, de présen- 1 ter ces choix, en évitant, autant que faire se peut, les approximations ; même si, de cette manière, on devait mentionner certaines idées dont l'intérêt propre ne suffi- rait pas à justifier l'attention, et quelles que soient les réac- tions personnelles que leur étude ait pu susciter. On distinguera quatre grandes parties : de juin 1899 à la fin 1901 : le choix ; de 1902 à la fin 1905 et à la création de la Ligue d'Action française : de l'expectative à l'action ; de 1905 à l'arrêt de la Cour de cassation, déclarant en juillet 1906, Dreyfus innocent : l'ouver- ture ; de cette date au lancement du journal, en mars 1908 : la consécration. LIVRE I : LE CHOIX 1899-1901

Notre histoire est celle de toute la jeunesse répu- blicaine, née au déclin de l'Empire ou sur ses ruines. DAUPHIN-MEUNIER. Créée donc en juillet 1899, la Revue établit, pas à pas, sa doc- trine et deux ans plus tard, dans une conférence, le 12 juin 1901, Henri Vaugeois fait l'inventaire de cette recherche. Il fallait, dit-il, retrouver des principes naturels d'organisation sociale. La réflexion, menée dans le cadre réaliste de la politique et de la sociologie, s'est abondamment nourrie de la pensée des maîtres contre- révolutionnaires et positivistes ou scientistes. L'Action française a cru ainsi à la nécessité d'une révolution, c'est-à-dire d'une réaction contre les principes qui avaient guidé 1789 et contre une philo- sophie politique inspirée du protestantisme. Ce, afin de permettre l'établissement d'un pouvoir personnel. Comment ? Henri Vau- geois présente l'évolution de l'Action française d'une manière fort simple ; elle crut d'abord en l'intérêt d'un coup d'Etat appuyé sur un homme ; puis elle comprit le danger d'une aventure superfi- cielle et, sous l'influence de Charles Maurras, la supériorité du régime monarchique. Elle choisit « l'ordre en France maintenu par une monarchie française, c'est-à-dire une famille dont l'intérêt, par sa position au centre du pays, à travers des années et à travers des siècles, ne fait qu'un avec l'intérêt national ». Choix méritoire, ajoute Henri Vaugeois, car si la monarchie répond à une exigence rationnelle, « l'imagination morale » des Français les pousse encore vers la démocratie et le socialisme. Et ce qui me conduit à mener un combat si austère, conclut-il, dans l'aveu surprenant d'un épicurisme que n'eût pas désavoué Horace, « c'est cet amour de l'air qu'on respire en France... ». Ce tableau de deux ans de recher- ches est dressé sans doute, dans cette conférence, avec trop d'assu- rance. En réalité, l'évolution de l'Action française n'aura pas été aussi simple. '

PREMIÈRE PARTIE Crise et responsabilité

Non, on ne poursuit pas avec ce fracas une raison d'hi4manité ; il ne s'agit que d'une destrucc tion française ! COLONEL DE VILLEB OIS-MAREUIL.

L'Action française est née de l'Affaire Dreyfus. Le Bulletin est créé à un moment d'attente fiévreuse, entre l'arrêt de la Cour de cassation qui casse le jugement de 1894 et le nouvel arrêt du Conseil de guerre. Il faut éviter à la France la seconde trahison que constituerait l'acquittement de Dreyfus et sa réhabilitation. Le Réaction d'abord, du 1er août, s'explique de cette manière. Ainsi l'analyse des causes et des effets de l'Affaire est au principe de la réflexion engagée.

CHAPITRE 1 L'AFFAIRE DREYFUS FAITS ET PORTÉE

La Justice et la Vérité, les nouvelles idoles. HENRI VAUGEOIS. Etant donné l'importance que l'Affaire Dreyfus a prise dans la formation de l'Action française, il convient d'en rappeler sommairement les principales étapes, d'en indiquer les carac- tères et les effets majeurs, dans le cadre de la vie politique française, avant d'insister sur l'interprétation que la Revue donne de ces faits et les conséquences fondamentales qu'elle en tire. En octobre 1894, le capitaine Dreyfus est arrêté après la découverte par le Service de renseignements français de la livraison de secrets militaires à l'ambassade d'Allemagne. Il est condamné en décembre par le Conseil de guerre à la déten- tion perpétuelle sur la foi de pièces dont seul le tribunal a eu connaissance. En janvier 1895, il est dégradé puis déporté à l'île du Diable. Jusque-là la cause paraît fort simple : il s'agit d'une affaire de trahison ; certains, dont Jaurès, s'étonnent seulement de la clémence du verdict. On dira : c'est un officier, c'est un juif, voilà l'explication. Cependant les fuites continuent au ministère de la Guerre ; un officier du Deuxième Bureau, Picquart, reprend l'étude du dossier pour en acquérir bientôt la conviction de la culpabilité du capitaine Esterhazy. Mais l'état-major s'inquiète de l'intérêt que Picquart porte à cette affaire et il est déplacé en Afrique. Les quelques partisans de l'innocence de Dreyfus déploient une grande activité ; le vice-président du Sénat, Auguste Scheurer-Kestner, a été mis au courant des découvertes de Picquart ; et dans une lettre au ministre de la Guerre, publiée dans les journaux le 16 no- vembre 1897, Mathieu Dreyfus, frère du capitaine, accuse Esterhazy. Mais le 10 janvier 1898, le Conseil de guerre acquitte ce dernier et décide qu'il n'y a pas matière à révision. C'est alors que paraît dans l'Aurore, le journal de Clemenceau, une lettre ouverte d'Emile Zola au président de la République : le fameux J'accuse, titre proposé, semble-t-il, par Clemenceau lui-même. Zola accuse le Conseil de guerre d'avoir agi en 1894 sur ordre du général Mercier, ministre de la Guerre, et de l'état-major tant en 1898 qu'en 1894. Procès en diffamation, jugé non pas en correctionnelle mais devant le jury. A cette occasion, le commandant Henry fait état d'une pièce secrète qui aurait fait partie du dossier secret communiqué au Conseil de guerre de 1894. Zola est condamné par la cour d'assises au maximum de la peine encourue. Le cas Dreyfus devient alors l'Affaire Dreyfus. En ce mois de février 1898 est fondée la Ligue des Droits de l'homme qui recrute essentiellement ses membres parmi les universitaires. L'Affaire est cependant lente à démarrer, et ne joue pra- tiquement pas de rôle aux élections de mai. Mais dans l'été se produit un coup de théâtre : le commandant Henry, con- vaincu de faux, est arrêté et se suicide dans sa cellule. Il avait créé de toutes pièces un élément important de l'accusation : la lettre de l'attaché militaire allemand à l'attaché militaire ita- lien. Huit jours après sa mort paraît dans la Gazette de France un article d'un jeune journaliste, Charles Maurras, qui rend hommage à Henry dont le sang, dit-il, est le « premier sang versé » dans l'Affaire. La division politique en deux clans s'opère ainsi. La chambre criminelle de la Cour de cassation est saisie à l'automne d'une demande en révision du jugement de 1894 tandis qu'à la fin de l'année se forme la Ligue de la Patrie française, réplique à la Ligue des Droits de l'homme ; le cadre de son recrutement n'est pas la gauche universitaire mais la droite intellectuelle : l'Institut, l'Académie. Le 10 fé- vrier 1899 est votée dans des conditions discutables une loi dessaisissant la chambre criminelle du jugement de l'Affaire et la confiant aux trois chambres réunies de la Cour de cas- sation, formation présumée moins favorable à la révision du jugement de 1894. Quelques jours plus tard, le président de la République, Félix Faure, antirévisionniste, meurt et l'élec- tion d'Emile Loubet qui, lui, est révisionniste précipite la crise. Le 3 juin, la Cour de cassation casse l'arrêt du Conseil de guerre de 1894, le considérant à l'unanimité comme entaché d'une irrégularité absolue et décide, mais à une faible majorité, que le bordereau imputé à Dreyfus était de l'écriture d'Ester- hazy ; c'est du moins ainsi qu'on interprète généralement l'arrêt de la Cour. Réuni à Rennes, le Conseil de guerre rend en sep- tembre un arrêt qui ne satisfait personne : Dreyfus est toujours jugé coupable mais bénéficie des circonstances atténuantes ; sa peine est réduite à dix ans de prison ; le président de la Répu- blique le gracie pour « raison de santé » ; et le ministre de la Guerre, le général de Galliffet, adresse alors une proclamation à l'armée pour lui dire que l'incident est clos. Sur le plan judi- ciaire, l'Affaire ne connaîtra en réalité son dénouement qu'en 1906 avec l'acquittement de Dreyfus, suivi de sa réintégra- tion dans l'armée. Le Conseil de Rennes a rendu son verdict. Waldeck-Rousseau poursuit une politique vigoureuse de « défense républicaine » : premières mesures contre les congrégations et réaction contre l'agitation nationaliste et monarchiste qui avait émaillé la vie nationale depuis deux ans : Déroulède en particulier avait tenté, mais en vain, à l'occasion des funérailles de Félix Faure, d'entraîner les troupes vers l'Elysée. La Haute Cour condamne alors, à des peines de bannissement, Déroulède, le plébiscitaire, et deux royalistes, le comte de Lur-Saluces et André Buffet. Elle condamne aussi Marcel Habert, le compagnon de Dérou- lède. C'est une crise exceptionnelle que cette affaire de trahison a déclenchée. Tournant important dans l'histoire de la IIIe Ré- publique, elle laissera des séquelles dans la pensée française ; Maurras, lui-même, dira, après la seconde guerre mondiale, que sa condamnation est une revanche de l'Affaire Dreyfus. Ce qui est frappant dans cette crise, c'est la lenteur du pro- cessus et l'extraordinaire disproportion entre les faits eux-mêmes et leurs conséquences : Dreyfus est arrêté en 1894, et pourtant l'Affaire proprement dite n'éclate qu'en 1898, ne prenant d'ail- leurs un tour décisif qu'avec la découverte du faux Henry ; l'initiative de Zola avait entraîné l'engagement de certains intel- lectuels ; elle avait surtout fait scandale. Si le cas Dreyfus sus- cite une telle passion, c'est qu'à travers le problème de sa culpa- bilité sont mis en cause le secret militaire, l'honneur de l'armée et l'antisémitisme. Consacrant un clivage entre deux catégories de tempérament, l'Affaire Dreyfus entraîne des conséquences politiques considérables : elle marque l'échec du Ralliement, provoque la dislocation du centre et au contraire l'intégration des socialistes dans le jeu des majorités ; elle ouvre une ère exceptionnelle de stabilité gouvernementale puisque de 1899 à 1909, en dix ans, il n'y eut que cinq ministères. Que représente cette Affaire Dreyfus pour l'Action fran- çaise ? L'homme ? Un juif, d'origine allemande, « devenu léga- lement français » ; il appartient à une famille cosmopolite qui s'est établie à Mulhouse mais qui entretient de bons rapports avec les Allemands. Il est fort peu sympathique et d'un carac- tère « déplorable ». Pour l'Action française, le capitaine Drey- fus a mené une vie agitée et risqué de compromettre à diverses reprises sa fortune par sa passion du jeu et des femmes. Très intelligent mais trouble, autoritaire, cassant, vaniteux surtout. Avec cela le goût du secret et l'habitude de chercher avide- ment à tout savoir. Aussi est-ce à juste titre que le « châ- telain de Carpentras », trop bien reçu par les Suisses après sa grâce, a suscité la suspicion de ses chefs. Dreyfus est coupable. C'est d'abord pour cela qu'il faut le condamner. écrit : « Personne n'a dit, avec autorité, qu'il fallait acquitter Dreyfus coupable ou condamner Dreyfus innocent1. » Un certain nombre d'articles sont ainsi consacrés à des études, au fond du dossier ; et d'interminables explications techniques sont données, par exemple, à propos de contestations graphologiques. Si persistaient encore des dou- tes le verdict de Rennes les a dissipés ; la grâce est un acte de pitié ; d'ailleurs, en l'acceptant, Dreyfus a reconnu sa cul- pabilité puisqu'il s'est désisté en cette occasion de tout pourvoi en révision. Cette culpabilité, même des socialistes la reconnais- sent : ainsi Liebknecht, le leader allemand, dans une série d'articles du journal viennois la Torche que la presse dreyfu- sienne tente d'escamoter. Avant le procès de Rennes, il n'y a certes jamais eu de « certitude mathématique » de la culpa- bilité de Dreyfus mais tout poussait déjà à l'accepter. Cinq ministres de la Guerre y avaient engagé leur honneur. C'est cet honneur de l'armée que le commandant Henry a voulu sauvegarder. Il a commis une faute mais bien légère ; et, dit Charles Maurras, c'est en héros qu'il l'a expiée ; son suicide devient ainsi la conséquence ultime d'un dévouement total à une cause qui le mérite. Mais ce sang n'a pas été versé en vain et Henri Vaugeois prenant ici le relais de Maurras se dresse en procureur : « Au sang qui a coulé en septembre 1. Numéro du 15 octobre 1899. dernier de la gorge ouverte du malheureux Henry, il faudra nécessairement, tôt ou tard, du sang \ » L'opinion est trompée. Tout se passe comme si on avait voulu qu'à Rennes le coupable fût acquitté sans que la vérité soit faite et que son innocence soit prouvée. Pour Maurras l'arrêt de la Cour de cassation de juin 1899 n'est qu'une victoire de fait du clan dreyfusard car en aucun point selon lui cet arrêt ne penche en faveur de l'innocence de Dreyfus. Le clan dreyfusard a donc cherché à tromper l'opinion comme ses juristes ont cherché à induire en erreur le Conseil de guerre de Rennes en présentant l'arrêt de la Cour dans un sens favo- rable à Dreyfus. Après la décision du Conseil, Dreyfus doit être considéré comme « définitivement coupable ». Cependant ce verdict n'est pas satisfaisant dans la mesure où il ne suffit pas à freiner l'action du « syndicat » ; à la violence de l'erreur, il fallait opposer une violence plus grande encore de la vérité. Le clan cherchera à prendre sa revanche en Haute Cour et à obtenir coûte que coûte la révision du procès. La grâce elle-même est une trahison contre le bon sens du « gros peuple et un affront à l'honnêteté des juges militaires ». Il n'est pas jusqu'à l'amnistie que la Revue ne condamne ; cette amnistie ne profite qu'à ceux qui ont manigancé l'Affaire, aux Tra- rieux, aux Reinach. Toute cette agitation n'a pris une telle ampleur que parce que derrière Dreyfus ils ont mis en jeu la puissance de l'argent. « C'est, dit Henri Vaugeois dans sa conférence du 20 juin 1899, en accaparant la plus irrésis- tible des forces sociales de ce temps : l'argent, que cette cause louche est devenue la bonne cause. » Le Conseil de guerre a décidé. La réconciliation souhaitée par Jules Lemaître, président de la Ligue de la Patrie fran- çaise, n'en -est pas moins impossible ; l'année 1900 ne sera pas celle de la fin des querelles car au-delà de la personne de Dreyfus, de sa propre culpabilité, il y a le drame de la France ; c'est désormais la vraie lutte qui commence. exprime cette pensée en des termes particulièrement significa- tifs : « Les discours gagneront en clarté et en utilité ainsi que les groupements d'hommes en vérité, si l'on peut employer le mot dreyfusianisme sans plus faire penser au condamné de Rennes que le nom de Terre François-Joseph ne rappelle

1. Numéro du 15 septembre 1899. l'empereur d'Autriche \ » Dans cette crise, dit la Revue, les ! faits n'ont qu'une importance secondaire ; les clivages étaient aussi nets avant les derniers jugements alors que les gens étaient dans l'ensemble fort peu au courant du dossier. Ainsi ce qui compte ce n'est pas tant la personne de Dreyfus et sa culpa- bilité que l'expression à cette occasion d'une pensée qui n'a pu se développer qu'en raison de l'expérience politique et \ morale vécue par la France depuis la Révolution. De telle ' sorte que l'Affaire a porté à leur paroxysme des tendances I latentes ; elle a joué le rôle d'un « catalyseur » et révélé sou- dain « comme au rayon X » les maux dont souffre le pays. Ce que cherchent, en effet, les dreyfusiens avec toute leur ardeur c'est à porter un coup décisif à une certaine conception de la société, à une mentalité forte de tradition ; et cette volonté « morale » profite de l'utilisation politique qui est faite des circonstances. Les dreyfusards commandent : c'est M. Joseph Reinach qui a composé le gouvernement Waldeck-Rousseau et la France est ainsi devenue, dit le colonel de Villebois- Mareuil, un « caravansérail international ». Avec l'alliance des socialistes, ils distribuent postes et faveurs : l'ascension d'ur Loubet, celle d'un Millerand en sont des exemples. Par cette campagne de grande envergure, la France est atteinte dans son être. Son existence et son honneur sont en jeu à un moment où, avec l'Exposition universelle, elle devrait donner au monde l'exemple d'un grand pays. La nation est ainsi divisée en deux camps ; et quel que soit le sens du verdict de Rennes le parti nationaliste fait figure de vaincu. Seule, la lutte permettra de sauver ce qui peut l'être encore car la lutte sans merci est inéluctable. Si la France est ainsi condamnée à un tel déchirement, c'est parce que cette guerre civile est en soi une guerre de religion. Telle est la signification de l'Affaire Dreyfus, dit la Revue ; c'est dans cet esprit que les gens se sont groupés. Le clivage s'est opéré ainsi entre deux formes de tempérament : les réalistes et les idéalistes. Les dreyfusards ont créé une reli- gion ; avec ses dogmes : la justice et la vérité ; avec ses per- sonnages sacrés : Dreyfus est un Christ autour duquel s'est bâtie une Eglise dont Clemenceau est le saint Paul et Trarieux, président de la Ligue des Droits de l'homme, le prophète ; avec son au-delà : certes il n'est question dans leurs discours 1. Numéro du 1er février 1900. que de bonheur terrestre mais ce bonheur a en fait en commun avec l'idéal chrétien de ne pouvoir s'accomplir que dans un monde qui n'est pas le nôtre. Cette religion dreyfusienne c'est l'héritage de la pensée biblique, sans prise sur le réel, en dehors de l'espace et du temps. Une telle vision du monde, dans un pays dont la grandeur a toujours été de savoir profiter des leçons de la nature, conduit à la ruine de la France ; voilà le fruit probable des campagnes incessantes d'internationalisme anticlérical et antimilitariste. Cette religion, dit Henri Vaugeois, « n'est que la folie du suicide national1 ». Dans ces conditions, il n'y a pas de compromis possible. Le combat s'impose contre les responsables de cette crise, qu'ils soient sincères ou non ; a fortiori même s'ils sont sincères car, dit Charles Maurras, « le dreyfusianisme sincère renferme une part d'hystérie et une part d'épilepsie 2 ». Le ton utilisé par la Revue pour décrire ces faits donne donc l'impression d'un réquisitoire. La vigueur ainsi manifestée n'a d'égale que l'ardeur témoignée dans la dénonciation des coupables.

du 1er décembre 1901. 2.1. Numéro du 15 août 1899. CHAPITRE II LES PROTESTANTS

L'Affaire Dreyfus est une entreprise protestante (anglaise, allemande, suisse) plus certainement qu'une machination juive. DAUPHIN-MEUNIER. Ce que la Revue met d'abord en cause dans le protestan- tisme, c'est sa morale envisagée dans toutes ses implications. La lettre-circulaire qu'elle adresse à un certain nombre de personnalités afin de servir de base à une vaste enquête à ce sujet l'exprime sans ambiguïté : les responsables de l'enquête veulent, dit cette lettre, considérer le « protestantisme comme mentalité et comme morale, uniquement. Ils ne l'envisagent que sous cet aspect qui est, selon eux, l'essentiel 1 ». A la base de la morale protestante, il y a le principe même de l'anarchie, mal social fondamental, il y a l'esprit de critique. Cet esprit replie l'homme sur lui-même dans l'exaltation de sa propre personne, de ses sentiments, à la recherche d'un quel- conque absolu et le rend étranger à la réalité sociale dans ce qu'elle comporte d'arrière-plan historique, de sens de la contin- gence et d'humilité. Les choix qu'il suscite sont irréels : on choisit, par exemple, sa nationalité si ce n'est sa famille par des pactes précaires et révocables. On élabore des théories de l'humanité et du progrès qui, par leur mysticisme, vont à l'encontre d'une tradition française de conscience des entraves sociales. Mais ce mysticisme par l'orgueil qu'il suscite et le caractère vague, impersonnel et universel des principes dont il se nourrit permet paradoxalement de détourner vers des fins proprement

1. Numéro du 15 mai 1900. égoïstes l'énergie des caractères et les vertus domestiques que la Revue reconnaît aux protestants. Pour leur bonheur, dit Henri Vaugeois, ils sont capables d'impiété ; leur morale ouvre la voie au matérialisme. C'est en cela que réside leur force : leur respectabilité, en effet, les fait jouir, sur le plan social, d'une considération qui n'est pas accordée aux juifs. Cette situation leur permet d'asseoir leur puissance quand — et c'est le cas de la plupart d'entre eux — ils savent donc faire, pour leur propre compte, la séparation entre l'intérêt et l'utopie. Charles Maurras veut en porter témoignage en décrivant l'histoire des Monod, « his- toire naturelle et politique d'une famille de protestants étran- gers dans la France contemporaine1 ». Le mysticisme des protestants a aussi pour conséquence paradoxale de laisser le champ libre à un très grand réalisme collectif dans les pays dont ils sont les maîtres et à faire des chimères un article d'exportation. La rigueur de leurs moeurs, leur intransigeance dogmatique s'accommodent d'une très grande souplesse dans les choix politiques. C'est ainsi, dit Henry Lureau, que « jamais l'idée démocratique n'aurait apparu au xvie siècle dans les écrits des protestants si ces derniers avaient trouvé un appui dans la royauté2 ». Le danger pour la France serait d'être victime de ces chi- mères d'exportation et de la solidarité internationale des pro- testants. C'est l'Etat français qui, de cette façon, est mis en cause comme ce fut le cas dans le passé. La révocation de l'édit de Nantes ne relevait pas de la théologie ; les bannis le furent avec le consentement de la France unanime en raison des menaces qu'ils faisaient peser sur les intérêts matériels de la majorité et sur l'indépendance de l'Etat. « Notre renom- mée chevaleresque en souffre peut-être, dit , mais notre génie pratique et réaliste s'en rehausse d'autant 3. » Le danger ne tient pas tant dans la perspective utopique d'une conversion de la France au protestantisme que dans la diffusion des idées protestantes dans un peuple plus généreux que ses voisins. Cette pénétration qui se fait déjà conduit à 1. Le texte qui paraît, pour la première fois, dans la Revue, par tranches successives, frappe dès l'abord par sa violence qui ne respecte rien de la vie privée ; il est néanmoins important dans la genèse qu'il trace des idées modernes. 2. Numéro du 1er décembre 1900. 3. Numéro du 1er avril 1900. établir, en particulier, une subordination catastrophique de la politique à la morale, base de tous les errements politiques. En définitive, compte tenu des données européennes, le pro- testantisme est l'agent du pangermanisme. Déjà son influence dans l'Affaire Dreyfus a été capitale où les Trarieux, Scheu- rer-Kestner, Pressensé, Buisson et Monod ont joué les premiers rôles. Charles Maurras stigmatise avec virulence cette alliance des protestants et des juifs : « La famille Monod est la plus puissante de France après la famille Dreyfus. L'une apportant son or, l'autre fournissant l'influence, elles se sont coalisées \ » Cependant les protestants ne sont pas foncièrement diffé- rents des Français catholiques ou positivistes. Un rapproche- ment avec eux serait même possible s'ils comprenaient en tant que Français les exigences de l'Etat français et mettaient leurs qualités naturelles à son service. Ce sont tout de même des « frères », dit Henri Mazel, « alors que ni les sémites, ni les tomaniens, ni les nègres, ni les jaunes ne le sont ». Il convient donc de distinguer dans le jugement porté par l'Action française sur les protestants deux niveaux : l'Affaire Dreyfus a révélé le danger fondamental que constitue le déve- loppement d'un esprit protestant, en soi et dans ses conséquen- ces internationales. Par contre, le protestant, en lui-même, n'est pas irréductiblement mauvais, à la différence du juif ; et il ne serait peut-être pas impossible de donner au protestant français le sens des réalités françaises comme un protestant anglais a le sens des réalités anglaises, un protestant allemand des réalités allemandes. Mais pour l'instant ils servent la cause des ennemis de la France.

1. Numéro du 1er octobre 1899. CHAPITRE III LES JUIFS

Ce sont des sauterelles et des chenilles qui ravagent la France. NAPOLÉON. Mise en évidence par l'Affaire Dreyfus, la menace juive tient à des faits de race et d'histoire. Elle doit, dit la Revue d'Action française, susciter une réaction aussi rapide que radi- cale. Le problème juif tient d'abord à un fait de race. Par tempé- rament le juif est un autre, un être inférieur. Il a dans le sang le besoin impérieux de gagner de l'argent par tous les moyens, l'usure en particulier qui lui permet de s'enrichir, « semblable à un vautour », de la ruine d'autrui. Au service de cet instinct le Juif met sa grande intelligence. Mais cette intelligence est à la mesure de son infériorité fon- cière. Ce n'est pas l'intelligence qui crée et à qui l'humanité est redevable de ses progrès ; non, c'est une intelligence plus terne qui se manifeste dans l'aptitude à assimiler et à présenter ce que d'autres ont déjà créé ; et de cette manière à en profi- ter. Car telle est la bassesse du Juif ; pour accéder à la puis- sance il ne cherche pas à se parfaire mais au contraire s'acharne à tout abaisser à son niveau. C'est ainsi que les juifs ont réussi à pénétrer dans la noblesse française, pénétration dont on s'inquiète beaucoup dans la Revue. Ils ont su attirer des nobles dans les jeux financiers pour lesquels ils n'étaient pas faits ; et liquidateurs des faillites, ils ont pu ainsi pénétrer dans les familles. On sent dans ces attaques l'amertume provoquée par l'expérience malheureuse de l'Union générale dont les action- naires étaient pour beaucoup nobles et catholiques. Rien donc n'est désintéressé dans l'action du Juif et le peu- pie le sait bien qui est animé à son égard d'un profond mépris. En tout cela le problème juif est un problème de race. Renan l'avait vu ; Renan, « l'un des plus illustres maîtres de la science française1 », si l'on veut bien n'attacher que peu d'importance à l'Avenir de la Science dont Charles Maurras dit avec esprit : c'est un « gros petit livre », écrit en 1848 mais publié quarante ans plus tard « avec un sourire2 ». Et ce maître écrivait en 1855, dans Histoire générale et système comparé des langues sémitiques : « Je suis le premier à recon- naître que la race sémitique, comparée à la race indo-euro- péenne, représente réellement une combinaison inférieure de la nature humaine. » Fait de race mais surtout fait d'histoire. Par son passé, en effet, le peuple juif est un danger pour toute société organisée. Ce passé tient en trois éléments : le peuple juif prétend avoir été choisi par Dieu ; il aurait reçu la mission divine de faire régner la justice sur la terre ; enfin ce peuple a été vaincu et décimé avant même d'avoir reconnu son Messie. Ce passé, nourri probablement de fictions, le peuple juif ne l'oublie pas : il rêve de toute-puissance, de sa vengeance sur un monde qu'il méprise ; il veut effacer le souvenir de sa captivité en Egypte. Aussi n'est-il d'autres buts pour lui que la reconstitution de l'unité et la victoire, d'autres principes que ceux qui lui vaudront le succès ; ses intérêts seuls comptent vis- à-vis des étrangers. Il est vraiment nourri de cette odium gene- ris humani, comme disait Tacite, cette haine pour le genre humain. Or un événement capital, prétend la Revue, s'est produit dans l'histoire de l'Europe qui a permis aux Juifs de poursuivre sans entrave leurs objectifs : c'est le décret de la Constituante qui leur accorda les mêmes droits qu'aux citoyens français ; décision qui fut imitée progressivement dans toute l'Europe, sauf en Russie, alors que jusque-là les Juifs avaient fait par- tout l'objet de salutaires mesures de surveillance. Le XIX6 siècle est ainsi devenu le grand siècle de la croisade juive. Ils profitèrent des guerres de la Révolution pour faire fortune et dans cette croisade qui atteint son apogée en 1870 la famille de Rothschild servit de foyer directeur ; la domina- tion de la finance internationale tendait à diviser le monde 1. Henri Vaugeois dans le numéro du 15 août 1900. 2. Numéro du 1er septembre 1900. en deux, au-delà de la façade des Etats affaiblis par les poi- sons de la doctrine juive, entre une élite juive toute-puissante et les « peuples de prolétaires ». Ce n'est pas ici le thème marxiste de l'exploitation des pays sous-développés par les pays nantis mais, fascinante vision apocalyptique, l'exploitation de la généralité des hommes par la race juive. La France est déjà entre les mains des Juifs ; et un an avant que Waldeck-Rousseau se souvenant du vieux slogan du milliard des émigrés, ne lance celui du milliard des congrégations, Dauphin-Meunier utilise un slogan de cette nature : les Juifs « ne formant qu'un soixantième de la population détiennent aujourd'hui le quart de la fortune mobilière de la France, soit 2 milliards en CHIF- FRES OFFICIELS1 ». Cette puissance financière est un levier d'action politique. Dès le début du siècle les Juifs ont entrepris une autre croisade, psychologique celle-là. Ils se sont rapidement rendus maîtres dans toute l'Europe de la presse dont ils se servent pour don- ner d'eux une image flatteuse, pour distraire le peuple et l'avilir comme ils le font en outre par « l'alcool et le zolisme ». Leur domination sur la franc-maçonnerie leur permet par ailleurs de circonvenir une partie de la bourgeoisie en l'égarant dans la voie de l'anticléricalisme. Et les trois Juifs, Marx, Engels, Lassalle, en prêchant la lutte des classes, sèment un désordre dont le peuple juif compte bien tirer tout le profit ; il fera jouer à cette fin la solidarité internationale dont l'Alliance israé- lite universelle est l'instrument. Car les Juifs réservent les idées bibliques d'anarchie pour les étrangers. Pour eux-mêmes, ils s'efforcent de conserver les facteurs de cohésion. Le Talmud, cette interprétation des textes sacrés qui sert de base à leur édu- cation, est un hymne à la supériorité juive, à la primauté exclu- sive des droits des Juifs et un encouragement à la cupidité perverse. Ainsi ils ont renforcé leur nation, sa puissance finan- cière et politique en profitant des crises que la diffusion de leurs idées a provoquées dans divers Etats : ce peuple a connu, au XIX6 siècle, son âge d'or qui fut vraiment, dit Octave de Barrai, un âge de l'or. Mais cette situation est désormais remise en cause ; le peu- ple juif a montré trop d'arrogance dans ses succès ; n'est-on pas allé, avec le décret Crémieux, jusqu'à reconnaître aux Juifs le droit de citoyenneté en Algérie alors qu'on le refuse 1. Numéro du 15 septembre 1899. aux Arabes et que nulle part ailleurs, sans doute, leur spécifi- cité n'est aussi évidente ? Une juste réaction s'est produite dans tous les milieux, parmi les conservateurs surtout qui ne pouvaient tolérer les campagnes menées contre le catholicisme et l'Etat au nom de principes d'anarchie. En 1882, se forme à Vienne le Reformeverein, antisémite et, en avril 1886, paraît la France juive d'Edouard Drumont. Depuis, dit la Revue, des partis antisémites se sont créés à peu près partout, en particulier en Hongrie, en Allemagne, en Roumanie et en Belgique. La lutte sera dure ; les Juifs eux-mêmes ne semblent plus se faire d'illusions ; ils savent qu'il faudra rendre gorge ; mais ils ne renonceront jamais à leurs projets ; vaincus, ils seraient prêts à entreprendre une autre reconquête car ils ont confiance en leur destin. Certains collaborateurs de la Revue craignent que cette ténacité soit finalement récompensée ; ainsi Jules Soury, pour qui les Juifs ont su par leur culte de la terre et des morts se donner « les présages infaillibles de la future rédemp- tion d'Israël 1 ». Cependant, pour la plupart des autres collaborateurs, une telle issue peut être évitée si l'on réagit à temps. Mais le peuple juif, quoi qu'il arrive, restera un foyer d'agitation permanente. C'est donc essentiellement au niveau politique que le problème juif se pose ; au niveau de l'Etat ; en cela l'antisémitisme est une donnée importante de toute action fran- çaise ; ce qu'exprime Jacques Bainville en disant : « Un Etat qui se donne pour objet la prospérité nationale et non le règne de la justice sur l'humanité doit impitoyablement écarter des fonctions publiques ces hommes qui mettent au service des éternelles chimères de leur race, un incomparable génie pra- tique et un ardent esprit de prosélytisme et de réalisation2. » Dans l'antisémitisme exprimé par la Revue, il y a donc un aspect que l'on hésite à qualifier de rationnel mais qui est du moins présenté comme tel. Il y a en outre un autre aspect plus immédiatement perceptible : la Revue, en effet, ne néglige pas d'entretenir un antisémitisme élémentaire, quasi viscéral, que Drumont lui a légué. Dès le 1er août 1899, Henri Vaugeois dit qu'il faut « entretenir l'instinct de répulsion si sain, si gai du peuple français contre le Juif » ; il parlera plus tard de la répulsion « quasi physique pour le Juif et sa peau, sen- 1. Numéro du 1er avril 1901. 2. Numéro du 15 mars 1901. ans cette étude consacrée à la pensée philosophique de Charles Maurras et de ses ules, l'auteur situe l'âge d'or du maurrassisme entre 1899, date de la création c la revue de l'action française et 1908, date du lancement du journal. Partant des xtes et s'y tenant toujours, Jacques Paugam montre comment, en neuf ans, le ouvement va élaborer sa doctrine, établir ses choix et construire une véritable hilosophie de l'état qui, dans beaucoup de ses aspects, rend un son très actuel. aurras était-il un mal compris ? L'essentiel de sa pensée a-t-il été déformé par s luttes partisanes et les passions politiques ? Jacques Paugam, dans cette rillante exégèse qu'il situe volontairement au-delà des vaines polémiques, réintro- uit Mauras dans le passé et le présent de la France et nous permet de mieux istinguer l'apport spécifique de l'action française à la pensée d'hommes aussi ifférents que Bernanos, Montherlant, Malraux et le Général de Gaulle.

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