Les petits mammifères : carpettes et amuse-bouches des Hommes du Paléolithique supérieur Jean-Baptiste Mallye

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Jean-Baptiste Mallye. Les petits mammifères : carpettes et amuse-bouches des Hommes du Paléolithique supérieur. Animaux rares. Gibiers inattendus. Reflets de la biodiversité, Musée de National de préhistoire, pp.78-85, 2019, 978-2-911233-20-3. ￿hal-02410611￿

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Les connaissances sur les modes d’alimentation des différentes sociétés de chasseurs-collecteurs ont considérablement évolué depuis les quarante dernières années de recherche en archéologie. La mise en place de techniques d’investigations toujours plus fines et le croisement des différentes sciences biologiques et (bio/géo)chimiques nous ont révélé petit à petit ce qui a concouru au développement des Homininés tout au long de leur Histoire. La plupart des travaux qui s’intéressent à l’alimentation humaine au cours du temps ont montré la part prépondérante des herbivores de moyenne à grande taille dans les tableaux de chasse. Ces animaux sont très abondants dans l’environnement des Hommes du Paléolithique et ont fourni à chaque épisode de chasse une large quantité de viande, graisse, moelle et autres sous- produits alimentaires. Parallèlement, ces animaux sont progressivement entrés dans la sphère techno économique des Les petits Homininés à travers l’exploitation des matières dures (bois, os, dents…) ou tendre (peau, tendons…). Beaucoup moins mammifères : étudiés, le petit gibier tient cependant une place essentielle dans l’alimentation humaine, notamment à la fin du carpettes Paléolithique supérieur, il y a environ 15 000 ans, où l’on assiste à un engoue- ment des chasseurs-collecteurs vers et amuse-bouches l’exploitation des animaux de petite taille. Outre cette finalité alimentaire, s’ajoute l’exploitation des sous-produits (os, griffes, des Hommes dents, fourrure) dans la technologie des objets de travail et dans la symbolique qui est associée à l’utilisation de leurs restes. du Paléolithique Nous devons malgré cela rester très modestes devant ce savoir, car seule une infime partie de l’information peut être supérieur décryptée des archives fossiles. Si les études géochimiques des ossements humains apportent des éléments complé- Jean-Baptiste Mallye mentaires sur le régime alimentaire des différentes populations humaines, les premiers témoignages directs proviennent des tissus d’animaux qui ont été consommés et qui, par le miracle de la fossilisation, ont pu être conservés dans les sédiments. Ainsi, la part végétale consommée par les Hommes n’est que très rarement documentée, de même que l’ensemble des animaux dépourvus de squelette minéralisé. Discuter des espèces rarement chassées par l’Homme est donc un véritable défi pour nous qui travaillons sur un registre (fossile/fossilisé) qui ne nous est parvenu que par le concours de circonstances heureuses ayant permis la conservation des archives du passé. Et cela est d’autant plus vrai pour les espèces de petite taille. Avant d’exposer quelques cas de petits animaux rarement chassés, nous présenterons quelques exemples qui peuvent expliquer leur

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rareté dans les tableaux de chasse des Hommes de la entreprises dans le but de mieux connaître les populations Préhistoire. Naturellement, la poursuite des recherches sur de vison européen actuelles et passées par le biais l’alimentation humaine et les prochaines découvertes d’analyses génétiques ont été entreprises (Davison et al. pourront, nous l’espérons, rendre cet aperçu rapidement 2000 ; Michaux et al. 2003, 2005). Ces analyses ont montré obsolète. une faible diversité génétique entre les différentes populations d’Europe de l’Ouest, qui sont pourtant LE CADRE D’ÉTUDE DES RESTES actuellement isolées les unes des autres. Ce résultat DE PETITS MAMMIFÈRES tendrait alors à démontrer une introduction récente du vison Contraintes environnementales européen dans l’ouest du continent, expliquant ainsi son et distribution temporelle absence dans les archéofaunes des sites français et/ou de Le Quaternaire est une période géologique caractérisée par la péninsule ibérique. des oscillations climatiques bien marquées composées de Milieu biologique, territoire occupé par l’espèce versus périodes glaciaires, donc froides et sèches, et territoire de chasse des Hommes interglaciaires, tempérées et plus humides. Ces conditions La donnée écologique que constitue le territoire occupé par climatiques vont directement agir sur l’environnement et, de une espèce est fondamentale pour tenter de comprendre fait, sur la distribution des différents écosystèmes. Ainsi, sa fréquence dans les tableaux de chasse des groupes chaque animal étant inféodé à un milieu de vie propre, lui- humains du Paléolithique. Les données sur lesquelles nous même dépendant des conditions climatiques environnantes, pouvons nous appuyer proviennent d’observations la distribution des différentes espèces va dépendre du naturalistes réalisées dans un monde déjà bien marqué par cadre environnemental présent en un endroit déterminé. l’anthropisation (tabl. 1) ; il s’agit donc plus d’un ordre d’idée Cette donnée est à prendre en compte lorsque l’on permettant un aperçu de la fréquence des espèces sur un s’intéresse à la fréquence des espèces chassées par les espace donné. En effet, outre l’anthropisation du milieu groupes humains à un moment de leur histoire et peut donc d’observation, l’estimation de ce domaine vital varie selon expliquer leur rareté dans les archéofaunes. les régions considérées, la saison d’observation (et donc Cependant, l’anthropisation du milieu peut aussi influencer l’âge des individus), le sexe et en fonction de la disponibilité la distribution des espèces ; l’homme a pu concourir, par des ressources dans l’environnement ; ainsi, les animaux leur transport volontaire (à visée économique) ou situés à la base de la chaîne alimentaire sont toujours plus involontaire, à importer des espèces qui n’étaient pas fréquents dans l’environnement alors que les prédateurs se naturellement présentes dans un lieu donné. Ce font toujours de plus en plus rares selon leur niveau phénomène est aussi perceptible dans le domaine fossile. trophique. Les carnivores occupent ainsi des espaces Les exemples d’animaux dits « invasifs » sont nombreux en beaucoup plus vastes que les proies qu’ils consomment. France et sont pour la plupart le résultat d’importations, Cette donnée peut donc elle aussi expliquer pourquoi volontaires ou non, du fait des activités humaines. Ainsi, on certains carnivores ne sont que peu représentés dans le estime que la genette est introduite en France suite aux spectre des espèces chassées par les chasseurs- invasions des Sarrazins du VIIIe siècle (Livet & Roeder collecteurs. 1987). Le cas du vison est tout aussi éloquent ; cet animal est représenté en France par deux espèces, le vison Domaine vital (km2) Nom vernaculaire Nom binomial Références européen (Mustela lutreola) et le vison d’Amérique (Mustela Mâles Femelles Martre Martes martes 5 à 28 2,4 à 140 Labrid 1986 vison). Ce dernier est arrivé en Europe depuis les années Fouine Martes foina 0,09 à 6 0,3 à 3,6 Libois & Waechter 1991 Belette Mustela nivalis 0,01 à 1 0,01 à 0,08 Delattre 1987 Hermine Mustela erminea 0,08 à 0,5 0,01 à 0,07 Delattre 1987 1920 à des fins d’élevage pour la pelleterie. Or, une partie Putois Mustela putorius 0,1 à 0,8 0,1 à 0,5 Roger et al . 1988 Vison d'Europe Mustela lutreola 0,2 à 1 Camby 1990 des animaux captifs ont été relâchés dans la nature à la fin Glouton Gulo gulo 2000 400 à 500 Ewer 1998 Etienne 2005 ; Kuhn & Jacques 2011(longueur de cours e Loutre Lutra lutra 35 20 du XX siècle et ce petit carnivore est arrivé à concurrencer d'eau en km) Lynx Lynx lynx 275 à 450 39 à 245 Stahl & Vandel 1998 son cousin européen, au point de menacer sa présence Renard roux Vulpes vulpes 0,09 à 20 Meia 2003

même dans nos contrées. Face à ce constat, une large Tabl. 1 Domaine vital de différentes espèces de Carnivores. campagne de protection du vison européen a été menée pour sauvegarder cette espèce endémique. L’histoire ne Choix humain (alimentaire et technique) s’arrête cependant pas là. En effet, le vison européen n’était Il s’agit là d’une question cruciale car elle se pose à tout que peu documenté dans le registre fossile. Une seule archéologue. C’est aussi une question épineuse à laquelle mention était faite à la grotte de l’Observatoire à Monaco toute personne travaillant sur le matériel faunique a, un jour, (Boule & Villeneuve 1927), gisement archéologique pouvant été confrontée. Les choix pratiqués par les groupes de avoir été formé il y a plus de 30 000 ans. Cette mention est chasseurs-cueilleurs sont assez difficiles à mettre en toutefois contestée, de nombreux auteurs faisant état d’une évidence, car les éléments de réponse font appel à confusion avec le putois commun (Youngman 1982). Une différentes sources : d’une part, les données archéologiques autre mention est donnée dans un site holocène des Pays- permettant de dresser le tableau de chasse propre à une Bas (van Bree 1961a et b). Plus récemment, des études culture dans une région précise et, d’autre part, les données

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issues des sites naturels (avens-pièges), dans lesquels la difficile d’identifier les restes d’une espèce à partir de faune environnante (donc disponible pour la chasse) est fragments de son squelette. En outre, les petits mammifères contemporaine des sites ayant livré les témoins de l’activité étant parfois représentés dans les sites archéologiques par humaine. Ainsi est-il possible, en confrontant les faunes un lot d’os restreint, l’identification s’en trouve encore plus disponibles naturellement dans l’environnement avec les ardue. Certaines espèces apparentées possèdent des os données issues de l’analyse des faunes chassées, de et/ou dents dont la morphologie est très proche et il est discuter des choix humains et de la rareté ou de l’absence relativement délicat sur tout ou partie du squelette de les d’un ou plusieurs taxons dans les tableaux de chasse distinguer. Il en est ainsi de la différenciation entre les restes humains. Pour autant que l’on dispose des deux jeux de postcrâniens de martre (Martes martes) et de fouine (Martes données… foina), ou encore de putois (Mustela putorius) et de vison Méthodes de fouille employées (Mustela lutreola) ou de putois des steppes (Mustela Les méthodes de fouille employées par les archéologues eversmanni). Pour pallier ces difficultés, différents peuvent, elles aussi, influencer le spectre des animaux référentiels ostéométriques ont été mis en œuvre afin présents dans un gisement. En effet, l’archéologie a d’identifier au mieux les espèces présentes dans les sites malheureusement souffert à ses débuts, de techniques qui fossiles. Il reste toutefois encore beaucoup à faire sur les se sont révélées inappropriées dans la récolte des vestiges éléments du squelette postcrânien et ce, pour de contenus dans les gisements. Faute de tamisage des nombreuses espèces. sédiments excavés, ou suite à des opérations de tamisage 2. Les techniques d’observations des restes : les restes à des mailles trop larges, les ossements des petits vertébrés osseux et dentaires des petits mammifères sont à leur ont été peu récoltés, conduisant à une irrémédiable perte image et les traces d’exploitation par les hommes peuvent de matériel. Dès lors, ces ossements n’étant pas ramassés, être discrètes. Dès lors, si ces restes ne sont pas observés les spectres de faune – et de chasse – s’en sont trouvés à l’aide d’outils de grossissement suffisant, les traces amputés, ajoutant un flou sur nos connaissances relatives d’exploitation sont difficilement discernables et échappent à la présence et/ou l’exploitation à des fins alimentaires ou bien souvent à l’archéologue. Il convient donc d’utiliser de techniques de certains animaux. C’est ainsi qu’aujourd’hui, manière systématique des instruments à fort grossissement grâce à des méthodes de fouille de plus en plus (x10 au minimum) offrant une meilleure lecture des surfaces minutieuses, on « redécouvre » la présence d’espèces osseuses et, le cas échéant, des modifications légères qui jusqu’alors méconnues, tant dans l’environnement des les affectent. Tout en standardisant nos méthodes d’étude, groupes humains paléolithiques que dans leurs déchets elle permet de documenter de manière plus fiable les culinaires. Le tamisage systématique des sédiments a non modalités d’exploitation de ces petits animaux au cours du seulement permis d’améliorer nos connaissances sur la temps. diversité des espèces présentes dans le registre fossile 3. Les a priori : depuis ces dernières années, le nombre de mais surtout, il a fourni des échantillons de meilleure qualité ; cas mentionnant des traces de consommation par l’Homme alors qu’autrefois seules les parties les plus complètes (et sur les carnivores et les petits vertébrés n’a cessé d’aug- les plus belles aux yeux des archéologues) étaient récoltées menter. Auparavant, l’exploitation des petits gibiers par les (dents, os complets), les opérations de tamisage ont permis groupes de chasseurs–collecteurs était considérée comme de récolter tous les éléments squelettiques. De fait, nous peu rentable. Leurs restes ne faisaient donc pas l’objet d’at- pouvons maintenant reconstituer les techniques de tention particulière. En ce qui concerne les petits carnivores, préparation des carcasses pratiquées par les chasseurs- leur présence dans les gisements archéologiques était sou- collecteurs et déterminer à quelles fins les petits gibiers ont vent interprétée comme le résultat d’une mort naturelle. En été acquis. effet, la plupart d’entre eux (renard, blaireau, loup) pouvant Méthodes d’analyse et moyens occuper comme lieu de refuge les mêmes emplacements De la même manière que lors des opérations de fouille, il que les chasseurs-collecteurs (abri-sous-roche, cavités), le peut arriver que les méthodes d’analyse des restes de fait de retrouver leurs restes n’avait rien de surprenant. mésomammifères aient pu conditionner l’état actuel des Par ailleurs, l’exemple énoncé par Kruuk (2002) illustre la connaissances sur l’exploitation des petits gibiers : en voici part tenue par les tabous alimentaires : lors d’un séjour au trois exemples. Serengeti, Kruuk put se procurer une pièce de viande 1. L’identification des restes est la première étape du travail prélevée sur un mâle qui venait d’être tué par l’un de de l’archéozoologue. Dans ce dessein, il doit disposer d’une ses congénères ; il le rapporta et l’offrit lors d’un barbecue collection de référence, sorte de bibliothèque d’ossements à ses collègues en ne leur précisant pas l’origine. Tous les grâce à laquelle il doit/peut identifier les restes fossiles convives trouvèrent cette pièce excellente mais une fois sa d’après les squelettes d’animaux actuels dont la taxinomie provenance connue, furent horrifiés et certains se trouvèrent est connue. Or, si la taxinomie des petits mammifères est subitement pris de malaise. De fait, il est probable que nos bien documentée sur les espèces en peau, il est parfois tabous alimentaires aient conditionné en partie la recherche.

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Quelles sont les techniques d’acquisition Les traces d’acquisition par la chasse sont tout aussi rares des petits mammifères ? dans le registre archéologique. Les os des petits Les Hommes ont toujours fait preuve d’une grande mammifères, même ceux des plus gros, sont, suite aux inventivité pour la capture des animaux. Que cela soit pour processus de fossilisation, rarement conservés dans l’état réguler les populations de « nuisibles » ou encore à visées dans lequel ils se trouvaient au moment de la mort de alimentaires et/ou commerciales (fourrure), on ne peut être l’animal. En ce qui concerne le petit gibier, à notre qu’impressionné par la diversité des techniques dédiées à connaissance, il n’existe que de rares exemples, comme la capture des petits animaux (voir Chaigneau 1949 ; Mérite celui des fragments de silex fichés dans une scapula (os 1942 ; Oswalt 1976 ; Holliday 1998 ; Holliday & Churchill de l’épaule) de marmotte chassée par les aziliens du site 2006). S’agissant d’acquérir des proies de petite taille, de Colomb dans le Vercors (Tomé 1998 ; Tomé & Chaix souvent solitaires et crépusculaires, les pièges sont cités 2003). dans la littérature dédiée. Le piégeage possède l’avantage de multiplier virtuellement le nombre de chasseurs sur un LES ESPÈCES RARES, QUELQUES EXEMPLES territoire. C’est une technique pratiquée actuellement par Le glouton des groupes humains possédant une faible mobilité et dont Moitié blaireau, moitié ours, ou grande martre, le glouton est le territoire de chasse est restreint (Holliday 1998). Aussi, la un carnivore massif vivant actuellement dans les régions mise en évidence d’une telle pratique d’acquisition dans le boréales du globe. D’une longueur de près d’un mètre pour registre archéologique pourrait-elle signer une baisse de la une masse corporelle d’environ 15 à 20 kg, c’est un mobilité des groupes de chasseurs-cueilleurs et un début mustélidé relativement rare dans les archéofaunes de de sédentarisation. Le type de piège va bien entendu France. Ses restes ont été identifiés dans plus d’une dépendre des produits que le chasseur cherche à exploiter : douzaine de sites fossiles du Pléistocène moyen et dans le cas de la recherche de la fourrure, le but est de tuer supérieur de France : la grotte des Trois-Frères (Begouën l’animal sans endommager la peau, aussi de nombreuses & Koby 1950), La Vache (Pailhaugue 1995), techniques peuvent être recensées, dont l’affût, le piégeage à (Astre 1950 ; Jude 1960), Lunel-Viel (Bonifay 1971), les l’aide de filets ou d’assommoirs, mais aussi l’empoisonnement Avens de La Fage I et III (Hugueney 1975 ; Bourgeois & ou encore l’enfumage. Chacune de ces techniques est Philippe 2017), l’Igue de Lespinasse (Philippe et al. 1980), envisageable pour les périodes paléolithiques et toutes la grotte Labastide (Clot 1982), Villereversure (Martin 1967) possèdent des avantages et des inconvénients, tant du point le Santenay (Argant 1991), Solutré (Argant 1991 ; Martin de vue du temps imparti à l’attente du gibier que de celui 1967), Verzé (Argant 1991), Vergisson II (Chaput 1999), qui est dévolu à la confection des pièges, à leur entretien l’abri Gay (Bridault & Chaix 2002) et Jaurens (Mallye & ainsi qu’à leur relevé. Il faut toutefois reconnaître que le Guérin 2002). Au cours du Quaternaire, la limite australe de piégeage est relativement difficile à mettre en évidence sa distribution semble être le nord de l’Espagne (Altuna d’après le matériel archéologique : en effet, sauf dans 1963). Les témoignages de son exploitation par les certains cas de conservation exceptionnelle (Adovasio et al. chasseurs-collecteurs sont rares. Des traces de boucherie 1996 ; Frison et al. 1986), les matériaux utilisés pour la ont été relevées sur les restes de cet animal dans les sites confection des pièges sont de nature périssable (bois, liane, du Trou de Chaleux et du Trou des Nutons en Belgique etc.). Par ailleurs, l’utilisation de collet entraîne la mort de (Charles 1997, 2000) et à Rochereil (Mallye et al. 2018b). l’animal par suffocation mais ne laissera pas de trace sur les Le glouton a été l’objet de différentes représentations dans os des animaux, au contraire de l’assommoir qui va l’art paléolithique. Une revue a été produite par Barandiarán effectivement marquer les os du crâne ; cependant, ces (1973). Le glouton pourrait être identifié sur un fragment de derniers, très fragiles, sont souvent brisés secondairement bois de renne perforé, collecté par Lartet et Christy au durant la fossilisation. Il sera alors relativement délicat de XIXe siècle sur un gisement à proximité des Eyzies et décrit différencier sur ces os une cassure consécutive d’une par Rupert Jones (1865-75). On le retrouve aussi sur un blessure de celle relevant de processus naturels bâton percé (fig. 1) de l’abri de La Madeleine (Crémades d’enfouissement. 1992), sur une plaquette de schiste provenant de la grotte

Fig. 1 La Madeleine, Tursac : glouton gravé sur un bâton percé (©MNP, dist. RMN-GP, cliché P. Jugie ; relevé P. Laurent).

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de Saulges (Mayenne, Capitan et al. 1924), sur une plaquette de grès de Lortet (Capitan et al. 1910), sur une plaquette gra- vée d’Isturitz (Saint Périer 1936), une autre plaquette gravée de la caverne des Trois-Frères (Begouën & Koby 1950) et dans la (Cabré 1934). La loutre Ce représentant de la famille des Mustélidés vit généralement en bordure de cours d’eau. D’une longueur d’environ 1 mètre, haute d’une trentaine de centimètres pour une masse corporelle de 8 à 11 kg, c ‘est un animal tout en longueur parfaitement adapté à son mode de vie aquatique : petite oreille rondes, doigts palmés, fourrure dense et imperméable. Les restes de loutre sont très rares dans le contexte fossile du Pléistocène. Ce mustélidé l’est encore plus dans le registre paléolithique. La loutre a été Fig. 2 Réseau René Clastres, Tarascon-sur-Ariège : figure de identifiée dans le gisement de Gazel (Aude) par une mustélidé (©MNP, cliché J. Vertut) hémimandibule (c. 7, Magdalénien moyen) ; aucune trace anthropogénique n’a été observée sur cet os et on ne peut et seul un gisement a livré des traces d’exploitation d’une savoir si elle a été apportée par l’Homme en vue de la hermine : il s’agit de deux restes identifiés dans la couche de récupération de sa fourrure ou par un autre prédateur l’Aurignacien ancien (couche 7) du gisement Roc-de-Combe (Fontana 1998). D’autres restes ont été reconnus dans le (Lot ; Soulier & Mallye 2012). Ces traces attestent du gisement plus récent, mésolithique, des Baraquettes prélèvement de la chair de l’arrière-train de l’animal (fig. 3). (Cantal ; Fontana 2000) où des traces de dépouillement ont été reconnues sur les restes de quatre individus attestant de la récupération de la fourrure. Le putois des steppes ou putois sibérien ou putois d’eversmann Ce petit mustélidé est très proche du putois commun. Il oc- cupe actuellement les steppes et les semi-déserts à l’est de l’Europe centrale jusqu’à la Sibérie et la Chine. Il se nourrit de petits mammifères tels que le spermophile, le hamster ou le lapin. En France, ses restes n’ont été reconnus que dans une poignée de gisements, à La Fage (Corrèze ; Hugueney 1975), La Baume de Gigny (Jura ; Delpech 1989b), Jaurens (Corrèze ; Mallye & Guérin 2002), la grotte des Trois-Frères (Ariège ; Koby 1951), la grotte de Néron (Ardèche ; Koby 1951), l’Aven de la terrasse d’Aiguèze (Gard ; Crégut-Bonnoure & Guérin 1982), la grotte d’Armelle (Charente ; Tournepiche 1996), La Fente des Champs- Gaillards (Charente ; Boule & Chauvet 1899 ; Tournepiche 1996) et enfin l’abri Mège (Dordogne ; Harlé 1912). Aucune trace d’exploitation de cette espèce n’est à l’heure actuelle documentée pour les périodes du Paléolithique. La belette et l’hermine Ces deux (très) petits carnivores sont assez bien représentés dans les archéofaunes du Pléistocène supérieur, bien que leurs restes soient de petite taille. En effet, la belette est le plus petit représentant de l’ordre des Carnivores. Sa taille varie selon la région considérée et le sexe, les femelles étant plus petites (18-20 cm) que les mâles (19-24 cm) pour une masse corporelle comprise entre 30 g (F) et 200 g (M). La belette a été représentée à Niaux sur une paroi du réseau René Clastres (Delpech 1990 ; fig. 2). À ma connaissance, aucun Fig. 3 Le Roc-de-Combe, couche 7 : Tibia gauche d’hermine gisement n’a attesté l’exploitation par l’Homme de la belette portant des traces de décarnisation. (cliché J.-B. Mallye).

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Le castor semble surtout être exploité à la fin du Magdalénien, Ce gros rongeur aquatique s’épanouît dans les rivières de pendant l’Azilien et le Laborien. Ses restes sont identifiés à plaine, mais aussi de basse et moyenne montagne. Très l’abri du Morin (Delpech 1983 ; Mallye et al. 2018a) à Gare réputé pour sa fourrure et pour le castoréum qu’il sécrète, de Couze (Delpech 1983), à la Faurélie II (Delpech 1983 ; utilisé en parfumerie, les populations européennes ont Berthet 1999), au Pont d’Ambon (Delpech 1983), à drastiquement chuté à partir du XIXe siècle. Cet animal de Rochereil (Astre 1950 ; Jude 1960 ; Mallye et al. 2018b ; 10 à 30 kg est identifié dans les sites ayant été fréquentés fig. 4), au Bois-Ragot (Gilbert 1984 ; Griggo 1995, 2005) et par les chasseurs-collecteurs du Paléolithique. On trouve à la Borie-del-Rey (Gilbert 1984 ; Langlais et al. 2014). Son des preuves de son exploitation en Dordogne dans les sites exploitation est également bien documentée au de la fin du Paléolithique moyen, au Pech de l’Azé I, Mésolithique (Bridault 1993 ; Chaix 2004). niveau 7 (Rendu 2007, 2010 ; Soressi et al. 2008) et au Pech Le spermophile ou souslik (Spermophilus citellus) de l’Azé IV, couche 8 (Dibble et al. 2008). Dans ces deux Il s’agit d’un petit écureuil terrestre de 20 à 30 cm de lon- sites, le prélèvement de la peau est attesté. Le castor gueur pour une masse de 200 à 300 g. Il a l’apparence

Fig. 4 Rochereil (Azilien selon Jude) : mandibule droite de castor portant des traces de dépouillement (cliché J.-B. Mallye).

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Fig. 5 Traces relatives à l’exploitation du spermophile. 5a : Rochereil, mandibule droite portant des traces de dépouillement) ; 5b : Rochereil, traces de dépouillement sur métatarsien ; 5c-g : Rochereil, divers os longs portant des traces de décarnisation ; 5h : Le Morin, traces de décarnisation sur un fémur droit, notez les similitudes avec (d). (cliché J.-B. Mallye).

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d’une marmotte de très petite taille à oreilles et queue par l’Homme (Mallye et al. 2018a). Elles consistent en courtes. Plusieurs espèces sont décrites à travers l’Eurasie marques de raclage sur sa face interne (fig. 6) qui mais seul le souslik d’Europe est rencontré dans les archéo- pourraient être interprétées, soit en boucherie par le retrait faunes du Pléistocène supérieur. Ses populations sont ac- de la langue, soit en phase préparatoire pour retirer des tuellement présentes dans les régions d’Europe centrale et lambeaux de chair attenante en vue de l’utiliser comme orientale. Au cours du Pléistocène supérieur, les conditions objet de parure. climatiques ont été favorables à l’extension de son aire de distribution vers l’Europe occidentale, jusque dans les Pyrénées françaises de l’Hexagone et au sud de l’Angleterre (Dubois 1944). Les traces d’exploitation de ce petit rongeur par les groupes humains du Paléolithique su- périeur sont relativement rares (fig. 5). Elles sont mention- nées sur des restes identifiés au Buisson Campin (Verberie, Oise ; Enloe 2000, 2010), à Mönruz (Neuchâtel, Suisse ; Müller 2013), à l’abri du Morin (Pessac-sur-Dordogne, Gironde ; Langlais et al. 2012) et au Bois-Ragot, couches 6 à 4 (Gouex, Vienne ; Marquet 2005). Son exploitation est présumée dans les sites du Rond du Barry (Polignac, Haute-Loire ; Marquet 1993) et du Roc-aux-Sorciers (Angles-sur-l’Anglin, Vienne ; Marquet 2010). À ce jour donc, seuls les sites du Magdalénien supérieur semblent avoir livré des témoignages de l’exploitation du spermo- phile. Il y a 14 000 ans environ, les groupes humains l’ont chassé (ou piégé) pour sa fourrure et sa chair. La consom- mation de la viande est attestée au Morin (Langlais et al. 2012), à Rochereil (Mallye et al. 2018b) et à Verberie (Enloe 2000). À Monruz (Müller 2013), le spermophile semble avoir été acquis à des fins esthétiques, les mandibules pouvant avoir servi d’éléments de parure ou de décors. Quant aux Fig. 6 Le Morin : mandibule droite de hérisson en vue autres séries, elles méritent d’être réévaluées afin de vestibulaire (haut) et lingual (bas). Notez les traces de raclage sur la face linguale. Le trait représente 1 cm. (cliché J.-B. Mallye) connaître plus en détail les modalités de sa consommation par les Hommes. EN GUISE DE FIN… Le hérisson Ces quelques exemples montrent (une partie de) Ce petit mammifère qui appartient à l’ordre des insectivores l’éclectisme des tableaux de chasse ou de piégeage en est parfois identifié dans le registre fossile. Long de 20 à petit gibier durant le Paléolithique supérieur. Évidemment, 30 cm et pouvant peser jusqu’à 2 kg, c’est un animal d’autres espèces ont aussi été exploitées par les Hommes, nocturne évoluant dans tous les type de paysages jusqu’à tels que le chat forestier, le blaireau, le renard, l’isatis et la 2000 m d’altitude. Les témoins de l’utilisation du hérisson marmotte… Si les témoignages de l’exploitation des petits par l’Homme sont rares. Louis Chaix (2005) décompte sept mammifères sont présents dès le Paléolithique moyen, voire mandibules appartenant à quatre individus trouvés dans la dans certains cas au Paléolithique inférieur, ils demeurent sépulture épipaléolithique de l’aven des Iboussières rares et souvent anecdotiques. Le spectre des animaux (Drôme). Elles sont ocrées, certaines sont décorées chassés tend à se diversifier à la fin du Paléolithique d’incisions régulières et ont parfois été aménagées d’un trou supérieur avec l’intégration quasi systématique d’animaux de suspension ; ces éléments étaient donc certainement de petite taille. Il faut cependant garder à l’esprit que, d’une utilisés comme objet de parure (d’Errico & Vanhaeren 2000). part, le poids de viande apporté par la capture de ces Une mandibule perforée provenant du site de La Madeleine petits animaux (oiseaux compris, voir Laroulandie ce a également été reconnue (comm. pers. S. Madelaine). À volume) n’excède jamais celui qui est apporté par la chasse l’abri du Morin, une mandibule de ce petit animal est trouvée des ongulés et, d’autre part, que la finalité de telles dans le niveau A1 (Delpech 1983). Autrefois rattaché au acquisitions ne se limite pas seulement à l’alimentation mais Magdalénien final, la réévaluation du gisement (Mallye et al. peut répondre aussi bien à des besoins techniques, 2018a) a démontré que ce site avait été occupé tout au long esthétiques, symboliques, ou encore à d’autres besoins qui du Tardiglaciaire en 15 000 et 12 000 ans avant le présent. ne peuvent qu’être supposés car non démontrés à partir du Il est donc difficile de savoir qui, des Magdaléniens, des registre fossile. Aziliens ou des Laboriens a chassé ce hérisson. Quoi qu’il en soit, cette mandibule porte des traces d’une exploitation

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