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Histoire Québec

Noms de lieux et présenceindienne à Oka (1ere partie) Jean-Paul Ladouceur

En pays de Charlevoix Volume 9, numéro 1, juin 2003

URI : https://id.erudit.org/iderudit/1042ac

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Éditeur(s) La Fédération des sociétés d'histoire du Québec

ISSN 1201-4710 (imprimé) 1923-2101 (numérique)

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Citer cet article Ladouceur, J.-P. (2003). Noms de lieux et présenceindienne à Oka (1ere partie). Histoire Québec, 9(1), 23–29.

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HISTOIRE JUIN 2003 PAfiE 23 pied du mont Royal».(5) Le site du premier établissement dans la région d'Oka avait en commun avec celui de La Montagne d'être situé au pied d'une colline, en l'oc­ currence le mont Calvaire, comme on l'ap­ pelle localement, et d'être près d'une ri­ vière. La mission de La Montagne était plus près du mont Royal, mais plus éloignée du fleuve. La notice de la commission de to­ ponymie est au conditionnel, car avant d'ar­ river au lac des Deux Montagnes ces mê­ mes Indiens avaient séjourné pendant 25 ans au Sault-au-Récolet et en aucun en­ droit dans ses Notes pour servir à l'histoire de la mission du Lac-des-Deux-Montagnes (6) le sulpicien André Cuoq n'indique que l'appellation Kanesatake rappelle l'ancien site de la mission au pied du Mont Royal. La colline, au cœur de la seigneurie. Photo : Gilles Boileau Dans son Lexique de la langue iro­ et malgré des constructions achevées, dont avant 1760 et sous le régime anglais, (14) quoise avec notes et appendices le mission­ une chapelle, on décida, en 1731, de dé­ ces noms ne sont pratiquement jamais uti­ naire et linguiste André Cuoq traduit ainsi ménager encore une fois et de tout recons­ lisés pour désigner l'endroit où se trouvent Kanesatake: «Kanesatake. Lac des deux truire sur cette pointe.(12) les Indiens. La présence de ces derniers est Montagnes, de onesa, pente, déclin, côte, Dans ses Notes pour servir à l'his­ plutôt indiquée par les expressions suivan­ et de ehtake, au bas, en bas. Litt. au bas toire de la mission du Lac des Deux-Mon­ tes: village iroquois, village des Sauvages, de la côte. Le village du Lac des deux Mon­ tagnes, Cuoq signale ce dernier déména­ village d'Iroquois ou bien, après 1760, par tagnes est en effet situé au pied d'une col- gement et indique que le lieu du premier Indian village, Iroquois village ou Indian line».{7) Par ailleurs, dans son Lexique de établissement près du ruisseau aux Ser­ Corn Fields et désignent soit le village d'Oka, la langue algonquine, le même auteur in­ pents était occupé en 1898 par une ferme soit un espace au nord de la baie des In­ dique à l'article Kanactage «...c'est le mot appartenant au Séminaire de Saint-Sulpice, diens à l'est de la pointe aux Anglais. Les iroquois Kanesatake qui signifie "au bas mais qu'il était encore appelé par les In­ cartes récentes n'indiquent pas elles non de la montagne ". Ce mot employé par les diens: l'ancien village. «Toutes ces cons­ plus Kanesatake, mais «Réserve indienne Iroquois de la mission du Lac des Deux- tructions furent faites sur le terrain qui Oka 16», (15) même si le lieu n'a pas et n'a Montagnes a passé dans la langue algon­ forme à présent la première ferme du Sé­ jamais eu le statut de réserve. quine comme nom propre de lieu et signi­ minaire et que les Sauvages appellent pour Les raisons suivantes peuvent expli­ fie Lac des Deux Montagnes». (8) Enfin, cela l'ancien village Kanatakonke, quer en partie l'absence de l'une ou de dans un mémoire soumis à la Société royale Katéotenang. » Dans son Lexique de la lan­ l'autre de ces désignations sur les docu­ du en 1893 et intitulé Anotc kekon gue iroquoise, le même auteur indique à ments cartographiques : Kanesatake ou une qui signifie mélanges, ce même auteur uti­ l'article Kanatakonke -. «Kanatakonke, pour variante de ce nom était exclusivement uti­ lise la forme Kanactageng qu'il traduit par Kanatakaionke, nom de lieu [qui signifie] lisé par les Indiens au début de la mission, «le Lac ou au Lac» pour désigner le même à l'ancien village. Les Algonquins le nom­ les Français utilisant plutôt les expressions : lieu.(9) D'autres traductions du mot ment Kete otenang ce qui signifie égale­ mission du Lac-des-Deux-Montagnes ou Kanesatake ont aussi été proposées: «sur ment: au vieux village»AX'S) En 1734, plus simplement mission du Lac. Après les dunes»(10) et «le sable forme une l'église avait été reconstruite sur la pointe 1867, Kanesatake a pu être progressivement croûte»,(11) mais celle de Cuoq est la d'Oka, les Iroquois s'étaient installés du remplacé par le toponyme Oka, comme l'ont mieux documentée. côté ouest et les Algonquins du côté est. été : la mission du Lac-des-Deux-Montagnes On sait peu de choses sur les débuts Les appellations : Kanesatake, et la municipalité de L'Annonciation chez les de l'établissement à Oka, sinon qu'après Kanactage, Kanactageng , Kanatakonke et Canadiens. Kanesatake n'a jamais désigné quelques années, on se rendit compte que Keteotenang furent couramment utilisées officiellement un territoire, car les Indiens la pointe d'Oka, à environ un kilomètre et par les Indiens, mais peu ou pas par les n'en possédaient pas. Ce n'est qu'en avril demi à l'ouest, était un endroit beaucoup Français et les Canadiens, ce qui signifie 1945 que le gouvernement fédéral (16) plus avantageux et surtout plus stratégi­ qu'un même lieu était désigné de façons dif­ décida d'acquérir les terres que les Indiens que pour s'installer. Cette qualité du site férentes selon que les résidants étaient In­ occupaient et cultivaient depuis plus de 200 avait une certaine importance à l'époque diens ou Canadiens. Sur les cartes dressées ans sans en être les propriétaires. En fait

HISTOIRE QUEBEC JUIN 2003 PAfiE 24 le toponyme Kanesatake semble être gra­ l'expression Lac-des-Deux-Montagnes at­ Lac-des-Deux-Montagnes est attribuée à la duellement tombé en désuétude après 1875 tribuée à la seigneurie désigna ensuite seigneurie. Dans cet acte, le roi concédait pour ne redevenir d'utilisation courante pendant longtemps une mission et la ré­ un territoire en forme de pointe entre la qu'après 1986.(17) gion environnante. précédente seigneurie et celle des Mille- Malgré tout, dans divers documents Dans le texte de la première conces­ Isles et rappelait qu'il avait concédé quel­ écrits, ouvrages historiques et correspon­ sion de la seigneurie aux Sulpiciens, celle ques années auparavant «...au même Sé­ dance avec le ministère des Affaires indien­ de 1717, il est écrit qu'il serait avanta­ minaire [de Saint-Sulpice] Lad. Seigneurie nes notamment, le nom Kanesatake ou une geux que la mission du Sault-au-Récollet appelée Le Lac Des deux Montagnes... ». (22) variante revient assez souvent. On a relevé soit «transférée au dessus de l'île [de Mon­ Comme d'autres seigneurs, le Sé­ dans ces documents le nom écrit de 27 fa­ tréal] et establis sur les terres du costé du minaire demanda et obtint en 1735 une çons différentes: Canaghsadagaes, Canasa- Nord ouest, du lac des deux montagnes», augmentation de sa seigneurie, qui dou­ dagas, Canasadaugas, Canasadogh, (21) mais c'est dans le texte de la deuxième blait le territoire de la première conces­ Canasadogha, Canasatauga, Canassa- concession, celle de 1733 que l'expression sion (figure 2). daga, Canassategy, Caneghsadarundax, Canessedage, Cannusadago, Canossadage, Conaghsadagas, Conasadagah, Conasa- Figure 2 Seigneurie du dago, Conasadauga, Conessetagoes, Cones- tauga, Conissadawga, Connasedagoes, Lac-des-Deux-Montagnes Connefedagoes, Conossedagoes, Connose- dage, Ganesatagué, Kanassatagi lunak, Kanesatake, Scawendadegs. (18) Canesse­ dage, cité dans Noms et lieux du Québec si jfs (p. 307), est le nom qui aurait été en usage o r 0 ^ " pour désigner la mission de La Montagne en 1695. Cette liste n'est pas exhaustive, mais il s'agit là d'un bon échantillon des formes que peut prendre un nom de lieu / f1*»-——" qui n'a pas été normalisé. le nom de la seigneurie du Lac des-Deux Montagnes ? o s «s* Deux Montagnes est le plus ancien nom de la région et il a été démontré (19) que la i n i seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes, comme le lac, doit son nom à la présence 1/ de deux montagnes de hauteur et de forme W 1 très semblables que les Indiens et les voya­ geurs apercevaient derrière la pointe aux Seigneurie du Bleuets et la Grande Baie lorsqu'ils en­ traient dans le lac après le portage de Lac-des-Deux-Montagnes Nv Sainte-Anne-de-Bellevue. Des fouilles ar­ (1717) \ chéologiques effectuées à la pointe aux t \ Bleuets, dans le parc d'Oka, nous ont ap­ i a X pris que le lieu avait été occupé sporadi­ quement par des Indiens depuis la période ll« \ - archaïque, soit plusieurs centaines d'an­ 1 S. *~ / , g1 " /p

HISTOIRE QUEBEC JUIN 2003 PAfil 25 Dans tous les textes officiels, c'est «seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes» l'!A> M) FIH1T UV 1 AC ItFS DH}\ - MOM ACAES. que l'on retrouvera, mais dans les textes Eglise. n'ayant pas d'incidences juridiques et dans 11. 'Logemeui le langage populaire, on désignera le lieu des d'appellations beaucoup plus courtes, tel­ missionnaires. les «la mission du Lac» ou encore plus sim­ i. oiaiso/i des sa:nn plement «au Lac».(23) Ces expressions de ta désignaient plus particulièrement l'endroit Congrégation. où se situaient les bâtiments de la mission, D. Logement d'abord au fond de la Petite Baie, près du ries fermiers. ruisseau aux Serpents, puis à l'endroit de E. Entrée l'actuel village d'Oka, où un fort (figure 3) du. fort. avait été construit pour la défense du lieu F. Tours. et pour satisfaire à une des conditions im­ •--_ Vr---* posées par le roi. Panie

[a paroisse de L'Annonciation Au Sault-au-Récollet, on donna à la mis­ sion le vocable de Notre-Dame-de-Lorette. Dans ses Notes pour servir à l'histoire de la mission du Lac des Deux-Montagnes, Monsieur André Cuoq, sulpicien, men­ tionne que «L'église de la mission du Sault-au-Récollet était sous le vocable [de] N.D. de Lorette. M. de Quéré voulut que celle du Lac reçut le même vocable et dans ^^ les registres il a soin de le répéter cons­ tamment: "Je soussigné missionnaire de N. FonT )iM UA Not'VKLLK-LonKTTE. D. de Lorette du Lac des Deux-Monta­ A Eglise de. Notre-Dame de Lorette. — B Maison des ïnission- gnes..."». (26) Au Lac, le fort qui entourait u«ire/>. — C JUaisou den Soeur* de la Congrégation. — D Sfaison l'église, le presbytère et d'autres bâtiments, de* fermiers.— E Boitions. — F Entrée du Fort. portait lui aussi le nom de Lorette. Le même auteur l'indique plus loin -.«Une grosse pierre de taille trouvée dans les décombres Figure 4 - Plan dufort de la Nouvelle-Lorette, Charles-P. Beaulieu, Le Sault- au-Récollet (Montréal, CO. Beauchemin et Fils, 1898), 138.

HISTOIREQUEBEC JUIN 2003 PAfiE 26 prit le nom de Nouvelle-Lorette, (31) de pèlerinage au sanctuaire de la Vierge Ma­ mais l'histoire nous apprend qu'il n'existe Jeune-Lorette, (32) de Petite-Lorette ou rie à Loreto en Italie. aucun lien entre les deux. plus simplement de Lorette.(33) Dans son Le vocable Notre-Dame-de-Lorette C'est en 1867 que le ministère des histoire du Sault-au-Récollet, le curé fut en usage à Oka jusqu'en 1786, (38) puis Postes du Canada choisit le nom Oka pour Beaubien indique que «...la chapelle fut fut changé pour L'Annonciation. Monsieur désigner le bureau de poste. On raconte que construite à l'angle de Test, sur le plan de de Quéré, p.s.s., missionnaire à Oka, en eut- ce fut pour faciliter le commerce que l'on Notre-Dame de Lorette en Italie. Et c'est il l'intuition lorsqu'il demanda, plusieurs choisit ce nom en remplacement de celui pour cela que la mission prit le nom de années auparavant, à Nicolas Lefebvre, de Lac-des-Deux-Montagnes que la com­ Nouvelle-Lorette. Les Sauvages ...dirent artiste à Paris, de peindre un tableau de pagnie de navigation du temps trouvait trop dans leur langue : " Ska8anoti ", - de l'autre l'Annonciation qui fut placé au-dessus du long. (40) Le choix de ce nom serait dû à côté de l'île». (34) maître-autel de l'église d'Oka? l'initiative d'un prêtre sulpicien: «C'est à Dans une allocution prononcée au En 1874 la mission qui comptait déjà M. Antoine Mercier, directeur de la mission, Sault-au-Récollet, lors du 175" anniversaire plusieurs centaines de Canadiens demanda qui en prit l'initiative et qui, le premier, de l'ouverture de l'église, Mgr Olivier que le statut de mission fut changé en ce­ suggéra le nom Oka pour le désigner. Ce Maurault explique la provenance du nom: lui de paroisse canonique. Il y eut assem­ nom qui était celui d'un chef indien bien «ta' vos premiers missionnaires voulurent blée des francs-tenanciers et requête ex­ connu, s'étendit bientôt à tout le village, honorer la sainte maison de Nazareth, plus pédiée à l'évêque qui envoya son grand vi­ appelé jusque là: "La mission du Lac des tard transportée à Lorette [en Italie], et où caire sur les lieux pour faire enquête Deux Montagnes".»(41) Ce vieux chef M. Olier, le fondateur de Saint-Sulpice, comme c'était la coutume. Le rapport de algonquin du nom de Paul Oka est mort le avait été guéri miraculeusement d'un mal ce dernier ayant été favorable, monsei­ 25 juin 1882 à l'âge vénérable de 95 ans. d'yeux. »(35) gneur Ignace Bourget, évêque de Montréal, Sa veuve serait morte quelques mois plus Un événement semblable explique la décréta: «Le saint nom de Dieu invoqué, tard «...dans la maison même de la vieille présence de ce même nom dans la région nous avons érigé et érigeons canonique- Amikons à l'âge de 96 ans ».(42) Oka est de Québec où il profite d'un usage très ré­ ment par les présentes, tout le territoire un mot algonquin dont la traduction est: pandu, tandis qu'à Montréal il semble avoir actuel formant la dite mission, en titre de poisson doré. été oublié. Il fut apporté à Québec par le cure et de paroisse sous le titulaire du En très peu de temps, le toponyme R.P. Chaumonot, jésuite qui, lors d'une vi­ Mystère de L'Annonciation de la Vierge Oka remplaça les principales dénomina­ site au sanctuaire de Loreto en Italie, fut Marie, dont la fête se célèbre chaque an­ tions de l'endroit. Dans le langage courant, guéri d'une maladie. Comme il était mis­ née le vingt-cinq du mois de mars... »(39) il remplaça le nom des municipalités de sionnaire auprès des Hurons de Sainte-Foy, Il semble qu'ainsi énoncé le vocable n'ait L'Annonciation et de Partie Nord de la pa­ il profita de leur déménagement à quelques pas été compris clairement par tous, car roisse de L'Annonciation et fut ajouté au kilomètres de la ville de Québec en 1674 on rencontre diverses appellations: pa­ nom d'un bureau de poste des environs: pour y construire une chapelle qui «épou­ roisse de L'Annonciation-du-Lac-des-Deux- La Trappe «d'Oka». Par habitude et peut- sait le modèle de celle de la Sainte Maison Montagnes, L'Annonciation de la Bienheu­ être aussi pour éviter toute confusion, il fut de Lorette [en Italie] ». (36) L'établissement reuse Vierge Marie, L'Annonciation-de- accolé au nom de ces deux municipalités, fut par la suite connu sous le nom de Lo­ Marie et même l'Annonciation. Dans le dans plusieurs documents écrits: procès- rette, et lorsqu'en 1696 ils déménagèrent décret de l'évêque de Montréal, du 14 no­ verbaux des conseils municipaux et corres­ à nouveau à quelques kilomètres plus à vembre 1874, le territoire de la paroisse pondance avec le gouvernement. Il désigna l'est, le nouvel emplacement prit le nom est décrit et il correspond à peu de chose ensuite le village, la région, la «commu­ de Nouvelle-Lorette et l'ancien, celui d'An- près à celui de l'actuelle municipalité nauté» indienne et plusieurs autres enti­ cienne-Lorette. La Nouvelle-Lorette porte d'Oka. tés géographiques. aujourd'hui le nom de Loretteville. Il n'est pas facile d'expliquer la ra­ En Italie, Loreto est un lieu de pèle­ Le bureau de poste d'Oka pide prédominance de ce nom dans la ré­ rinage à la Vierge Marie, dont l'origine a Lors de l'étude de l'origine et de la signifi­ gion et à l'extérieur, mais le fait qu'il dési­ été embellie par une légende. On raconte cation d'un nom de lieu, il faut souvent se gnait un bureau de poste, entité importante qu'au XIII" siècle, la maison {santa casa) méfier des explications qui peuvent sem­ à l'époque, y est probablement pour beau­ où aurait vécu la Sainte Famille à Naza­ bler évidentes à première vue et se garder coup, de même que sa consonance et sa reth aurait été transportée par les anges d'établir trop rapidement des liens avec des brièveté qui en faisaient une appellation près de Recanati en Italie, dans un bois de personnes ou des événements. Depuis facile à mémoriser. La présence d'Indiens lauriers (lauretum) d'où le nom de Lorette. 1990, la «communauté»iroquoise (mo- sur les lieux depuis des centaines d'an­ (37) 11 est curieux de constater que ce nom, hawk) d'Oka est bien connue et on pour­ nées et l'existence d'un calvaire qui fut tant à Québec qu'à Montréal, a pour ori­ rait être tenté d'expliquer l'origine de ce pendant longtemps un lieu de pèlerinage gine des guérisons obtenues à la suite d'un dernier nom par la présence de ces Indiens, très fréquenté, peuvent être considérées

HISTOIRE QUEBEC JUIN 2003 PAfil 27 '"T I *T désigna bientôt village et campagne envi­ ronnante tandis que L'Annonciation, nom officiel de la municipalité, ne fut utilisé que pour les usages officiels et la correspon­ dance. Oka était tellement populaire et L'Annonciation si peu que l'on trouve à plu­ sieurs reprises le nom Oka en lieu et place de L'Annonciation dans les procès-verbaux de la municipalité.(45) Il fallut beaucoup de temps au con­ seil municipal pour s'ajuster à cette situa­ tion, car ce n'est que le 29 août 1952 qu'il demanda au gouvernement de changer le nom de L'Annonciation pour celui d'Oka. Dans sa requête, il signalait qu'un tel chan­ gement éviterait qu'il y ait confusion avec une autre municipalité du comté de Labelle C'est dans la petite maison du meunier que les Trappistes se sont installés qui avait pour nom L'Annonciation. Cette en 1881. Photo : Gilles Boileau demande fut agréée le 5 mars 1953 et de­ comme des facteurs qui ont contribué à évoluent et sont souvent le résultat de chan­ vint officielle lorsqu'elle fut publiée dans répandre le nom à l'extérieur. gements et de transformations. C'est par la Gazette officielle du Québec, le 9 mars Le choix du toponyme Oka par le mi­ une proclamation en date du 20 avril 1875 1953.(46) Ce changement eut l'heureux nistère des Postes ne fit pas que des heu­ que fut érigée civilement la municipalité de résultat de remplacer un toponyme qui reux. Il avait beau être d'origine indienne, la paroisse de L'Annonciation. Le territoire n'avait jamais eu qu'un usage très restreint il n'était pas en langue iroquoise et, pour de la nouvelle municipalité est décrit dans par un autre depuis longtemps très ré­ certains d'entre eux, Kanesatake avait de­ cette proclamation et il correspond à celui pandu. puis toujours désigné l'endroit. Le choix de de la paroisse religieuse. On connaît mal ce nom a probablement peu à voir avec les débuts de la municipalité, car les pro­ Sources l'agitation et la violence qui surviendront cès-verbaux contenant les délibérations du Olivier Maurault, «Oka. Les vicissitu­ dans la décennie qui suivit, mais il est cer­ conseil municipal ne sont disponibles qu'à des d'une mission sauvage», Revue tri­ tain que ce fut un irritant de plus pour les partir du mois de janvier 1880; ceux des mestrielle canadienne, (juin 1930), 1. [À l'avenir: Oka. Les vicissitudes...] Iroquois qui furent toujours les plus mili­ cinq années antérieures ont été perdus. (44) 2- Commission de toponymie du Québec, tants parmi les Indiens mécontents. Les raisons qui incitèrent le conseil Noms et lieux du Québec, (Québec, Les municipal à choisir le nom de L'Annoncia­ publications du Québec, 1994), 307. La municipalité d'Oka tion plutôt que celui d'Oka ne sont pas con­ 3- Dans une lettre de l'abbé Magnien, con­ seiller du supérieur général des Sulpi­ En 1872, en butte aux incessantes reven­ nues, mais on peut penser qu'il imita en ciens à Paris, au supérieur de la mis­ cela des centaines d'autres municipalités dications des Iroquois (Mohawks) et éprou­ sion de Montréal, un passage laisse vant de sérieuses difficultés financières, du Québec qui adoptèrent le nom de la supposer que M. Gay, sulpicien, supé­ (43) le Séminaire de Saint-Sulpice décida paroisse religieuse pour désigner la muni­ rieur de la mission indienne alors au d'offrir à des colons des paroisses voisines cipalité. Au Québec l'érection canonique de Sault-au-Récollet, n'était pas au cou­ rant du contenu de l'acte de concession des terres dans Le Domaine. À l'époque, la paroisse a souvent précédé celle de la négocié à la cour du roi de France par municipalité, de sorte que le vocable reli­ ce que l'on appelait Le Domaine correspon­ le Séminaire de Saint-Sulpice de Paris, dait au territoire de l'actuelle municipalité gieux était en usage dans la population et car ce dernier acte ne faisait aucune d'Oka, territoire qui était demeuré jusque- qu'il n'eût pas été sans inconvénients d'en mention d'un quelconque droit de pro­ là à l'usage exclusif des Indiens. En très adopter un autre. Pour L'Annonciation ce priété en faveur des Indiens. Il écrit dans cette lettre du 19 avril 1719: peu de temps, une centaine de terres fu­ fut différent: l'appellation Oka attribuée au «Quant à la crainte que vous avez que rent vendues à des colons qui, aussitôt ins­ bureau de poste en 1867, soit sept ans M. Gay ne veule retenir tout le terrain tallés, voulurent s'organiser en municipa­ avant l'érection de la paroisse, était déjà pour les Sauvages, et à la proposition lité. en usage et couramment utilisée tandis que que vous faites de demander qu'il soit le vocable de la paroisse n'était vieux que permis d'y faire des concessions à des Oka n'a pas été le premier toponyme de six mois lorsque la municipalité fut éri­ particuliers, tout cela est inutile: il est à désigner la municipalité connue au­ vrai qu'il faut tascher de ne point faire gée officiellement. Le nom de ce bureau jourd'hui sous ce nom, car les noms de de peine à ce bon M. Gay et de ne le de poste se répandit très rapidement et lieux, comme les sociétés et les institutions, point contredire sur cela, n 'estant pas

HISTOIRE QUEBEC JUIN 2003 PAfiE 28 mesme à propos de se presser dans les 18- André de Pages, «Appellations diver­ 31- Oka. Les vicissitudes..., 2. commencements défaire des conces­ ses du village de Kanesatake», Okami, 32- Pierre Rousseau, Saint-Sulpice et les sions à des particuliers sur ce terrain, Journal de la société d'histoire d'Oka, missions catholiques (Montréal, Édi­ mais nous avons le droit d'y en faire VI,1 (1991), 48. tions Edouard Garand, 1930), 108. quand nous voudrons... » Gilles Boileau, 19- Jean-Paul Ladouceur, «À la recherche 33- Joseph Bouchette, Carte topographi­ Le silence des Messieurs. Oka, terre in­ des deux montagnes», Revue d'histoire que de la province du Ras-Canada dienne, (Montréal, Méridien, 1991), 84. de l'Amérique française, 52,3 (hiver (Montréal, Éditions Elysée, 1980), Fac- 4- Oka. Les vicissitudes ..., 3. 1999), 384-385. similé de l'édition originale (London, 5- Commission de toponymie du Québec, 20- Sylvie Lalonde, Le patrimoine histori­ Faden, 1815). Atoms et lieux du Québec, (Québec, Les que de la région d'Oka. Ministère du 34- Charles-P. Beaubien, Le Sault-au-Ré­ publications du Québec, 1994), 307. Loisir, de la Chasse et de la Pêche, Rap­ collet, (Montréal, Co. Beauchemin et 6- Jean-André Cuoq, Notes pour servir à port non publié, octobre 1985,102. Fils, 1898), 144. l'histoire de la Mission du Lac des 21- Archives nationales du Québec, Regis­ 35- Olivier Maurault, «Marges d'histoire. Deux-Montagnes, 8. [D'après Jacques tre d'intendance (Cahier 6). Saint-Sulpice», Documents histori­ Bertrand, une première rédaction de 22- Archives nationales du Québec, Insi­ ques. Contribution de la Faculté des ces notes a été faite en 1895, mais il les nuations du conseil souverain (Cahier lettres de l'Université de Montréal révisa en 1898, quelques temps avant 7, Folio72). (1930), 218. sa mort. Demeurées à l'état de manus­ 23- Oka. Les vicissitudes ..., 21. 36- Commission de toponymie du Québec, crit, ces notes révisées se trouvent aux 24- Jean-Marie Gauthier, Compte rendu de Noms et lieux du Québec, (Québec, Les archives du Séminaire de Saint-Sulpice Les troubles de 1860-1880 à Oka: choc publications du Québec, 1994), 340. à Montréal, casier 49-50, voutel. Une de deux cultures, dans Cahiers d'his­ 37- Les merveilles de l'Italie, (Florence, G. photocopie de ces notes a été faite par toire de Deux-Montagnes, Vol. 1, no 3., Fattorusso, 1950), 189. René Marinier, p.s.s., le 3 novembre déc. 1978-jan.l979, 68-78. 38- Oka. Les vicissitudes...,17. 1975.] 25- Sur les droits de propriété et l'attitude 39- Décret canonique du 14 novembre 7- Jean-André Cuoq, Lexique de la lan­ des Sulpiciens, on lira avec intérêt: 1874 érigeant la mission du Lac-de- gue iroquoise avec notes et appendices, Gilles Boileau, Le silence des Mes­ Deux-Montagnes en paroisse. (Montréal, J.A. Chapleau et Fils, sieurs. Oka, terre indienne, (Montréal, 40- Oka, Les vicissitudes... ,23. [1883]), 19. Méridien, 1991) 41- A. Dansereau, p.s.s., Hommage aux 8- Jean-André Cuoq, Lexique de la lan­ 26- Jean-André Cuoq, Notes pour servir à Messieurs de Saint-Sulpice et aux da­ gue algonquine, (Montréal, J.A. l'histoire de la mission du Lac des mes de la Congrégation à l'occasion Chapleau et Fils,1886),144. Deux-Montagnes, 10. du 250e anniversaire de leur venue à 9- Jean-André Cuoq, «Anotc kekon», Mé­ 27- Il est toutefois curieux que la carte de Oka, (1971), 32. moires de la Société royale du Canada, l'île de Montréal intitulée Description 42- Urgel Lafontaine, Cahier no 1, Procès Section l.Tome XI, (1893), 150. générale de l'île de Montréal..., dres­ des Indiens, 1877. [Ces cahiers sont 10-Lorraine Létoumeau, «Oka», Okami. sée en 1702 et attribuée à Vachon de restés à l'état de manuscrits, mais ils Journal de la société d'histoire d'Oka, Belmont, p.s.s., ne fasse pas mention ont été microfilmés et peuvent être 11,3 (septembre 1987), 15. d'une côte Notre-Dame-de-Lorette. consultés aux Archives nationales du 11-Bernard Assiniwi, Lexique des noms Toutes les côtes de l'île y sont pour­ Québec à Montréal.] indiens du Canada. Les noms géogra­ tant indiquées, de même que le nom 43- Serge Courville, Origine et évolution phiques, (Montéal.Léméac, 1996), 61. de tous les colons propriétaires. L'en­ des campagnes dans le comté des Deux 12-Oka. Les vicissitudes ..., 7. droit où se trouve la mission est indi­ -Montagnes, 1755-1971, mémoire de 13- Lexique de la langue iroquoise avec qué par l'inscription «Sauvages de maîtrise (géographie), Université de notes et appendices, «Montréal, J.A. Lorette», avec de part et d'autre «Ter­ Montréal, 1973,128. Chapleau et Fils, [1883] »,10. res non concédées». Il faut croire que 44- Le tout premier procès-verbal des dé­ 14-Kanesatake n'a été relevé qu'une fois le toponyme de cette côte eut une exis­ libérations du conseil municipal de sous la forme Canasadagha sur une tence éphémère, car sur la Carte to­ L'Annonciation est en date du 5 jan­ carte importante avant 1820, soit la pographique de la province du Ras- vier 1879, mais il ne peut s'agir que carte intitulée A new map of the pro­ Canada dressée en 1815 par Joseph du 5 janvier 1880, car il y est rapporté vince of Québec..., by Captain Carver, Bouchette, c'est côte du Sault-au-Ré­ que le secrétaire-trésorier «.. .fait rap­ 1776. collet qui désigne le cadastre à cet port de ses comptes depuis son admi­ 15- Ministère de l'Énergie, des Mines et des endroit en lieu et place de côte Notre- nistration le 3 mars 1879 au 1" jan­ Ressources du Canada, Vaudreuil 31G8, Dame-de-Lorette. vier 1880.» (6" édition, 1984). De même que sur la 28- Louise Tremblay, La politique mission­ 45- Dans les procès-verbaux des 4 juillet feuille , 31G9, (1984). naire des Sulpiciens au XVIT et début 1892, du 1 octobre 1906, du 20 avril 16-Brenda Katlatont Gabriel-Doxtater et du XVIW siècle, 1668-1735, mémoire 1914, du 1 juin 1914, du 1 mars 1915, Ariette Kawanatatie Van den Hende, At de maîtrise (histoire), Université de du 6 avril 1915, du 5 novembre 1917 the wood's edge. An anthologg of the Montréal, 1981, 93. et dans plusieurs autres, Oka a été uti­ historg of the people ofKanesata:ke, 29- Olivier Maurault, «Marges d'histoire. lisé en lieu et place du nom de la mu­ (The Kanesatake Education Center, Saint-Sulpice», Documents historiques. nicipalité. 1995), 237,238. Contribution de la Faculté des lettres 46- Renseignement fourni par Serge 17-Commission de toponymie du Qué­ de l'Université de Montréal (1930), 209. Labrecque de la Commission de topo­ bec, Noms et lieux du Québec, (Qué­ 30- Jean-André Cuoq, Notes pour servir à nymie du Québec. bec, Les publications du Québec, l'histoire de la mission du Lac des 1994) , 307. Deux-Montagnes, 10. La fin de cet article paraîtra dans le prochain numéro.

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