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Ciné-Bulles Le cinéma d’auteur avant tout

Festival de Cannes Le quarantième rugissant Michel Coulombe

Volume 7, numéro 1, août–octobre 1987

URI : https://id.erudit.org/iderudit/34538ac

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Éditeur(s) Association des cinémas parallèles du Québec

ISSN 0820-8921 (imprimé) 1923-3221 (numérique)

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Citer cet article Coulombe, M. (1987). Festival de Cannes : le quarantième rugissant. Ciné-Bulles, 7(1), 24–29.

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LE PALMARES 1987 bien), à jeter un oeil amusé sur le passé en recréant son arrivée aux studios, à confronter de PALME D'OR : façon spectaculaire le passé au présent en réunis­ Sous le soleil de Satan sant dans un moment magique Marcello Mas­ de Maurice Pialat (France) PRIX DU 40' troianni et Anita Ekberg autour du souvenir, ANNIVERSAIRE : encore chaud, de la Dolce vita et à envisager, Intervista sombre, l'avenir du cinéma, ce qui donne lieu à de (Italie) une scène finale chargée de sens tout en étant GRAND PRIX SPÉCIAL DU JURY : Michel Coulombe délicieusement absurde. On y voit le cinéma, en Repentir l'occurrence une équipe de tournage surprise par de Tenguiz Abouladzé la pluie qui se réfugie sous un abri de fortune, (URSS) attaqué par la télévision, sauvage et cruelle, PRIX D'INTERPRÉTATION SOUB- comme autrefois les bons pionniers de l'Ouest FÉMININE : Le quarantième • Pour sner avec c,at américain (et ceux des westerns après eux) par Barbara Hershey (USA) rugissant i pour Shy People les vilains Indiens. Des Indiens que Fellini, facé­ d' *• son quarantième tieux, a armé d'antennes de télévision ! Si la PRIX D'INTERPRÉTATION anniversaire, le vieux lion cannois, festival parmi machine semble à la longue tourner quelque peu MASCULINE : les festivals, a rugi avec force, histoire de rappe­ à vide, si Intervista n'apparaît pas comme un (Italie) ler à la communauté cinématographique inter­ pour les Yeux noirs film d'une extrême rigueur (on est loin de la de nationale, à tous ceux qui convergent une fois Strada, d' ou même d'Et vogue le PRIX DE LA MISE EN l'an vers la Croisette, paradis des voyeurs, pour navire, le dottore parle plutôt d'un bloc-note) et SCÈNE : y faire des affaires ou y voir des films, qu'il est s'adresse d'abord aux spectateurs fidèles du maes­ Wim Wenders toujours numéro un. Histoire de rappeler, à tro, le film fonctionne tout de même, vraisembla­ pour les Ailes du désir l'heure peu glorieuse des téléfilms sournois qui (RFA) blement grâce au personnage Fellini (on finira par PRIX DE LA MEILLEURE se donnent un petit air de septième art, alors que être tout à fait persuadé que Fellini demeure sa CONTRIBUTION la France même est remuée par le pouvoir multi­ plus fascinante création), héros vieillissant du sep­ ARTISTIQUE : plié de la télévision, qu'il reste encore, quoi qu'on tième art qui refuse obstinément de baisser les Stanley Myers en pense, un peu de place sur les écrans pour le bras, de dévier sa route, de se travestir pour plaire pour la musique du film de cinéma. Le vrai. Celui qui reste. Celui des grands. Stephen Frears au plus grand nombre. Pareille intégrité ne court Prick Up Your Ears (GB) Celui des Fellini, Godard, Wenders, Taviani, plus les salles obscures. Tant pis si le message PRIX DU JURY - Mikhalkov, Scola, Pialat, Rosi, Allen, Greenaway, acerbe d'Intervista est financé, en partie, par la Ex-aequo : Schloendorff, Konchalovsky. Tout de même, télévision italienne... Souleymane Cissé (Mali) Cannes étant le royaume absolu des starlettes et pour Yeelen des stars de toutes natures de l'Occident, les meil­ et Rentaro Mikuni (Japon) Jean-Luc Godard tente un peu le même coup leurs films ont eu beaucoup à faire pour voler un pour Shinran que son collègue transalpin avec King Lear, une CAMÉRA D'OR : tant soit peu la vedette à la pétulante Elizabeth Nana Djordjadze (URSS- Taylor venue promener sa gloire ancienne, son commande plutôt farfelue qu'il a reçue de l'entre­ République de Géorgie) visage nouveau et ses bijoux coûteux sur la Côte prenante compagnie américaine Cannon et pour pour Robinsonnade ou d'Azur et à la très photogénique Diana venue pro­ laquelle il a signé un mémorable contrat sur un Mon grand-père anglais historique napperon à Cannes, deux ans plus tôt. PALME D'OR DU COURT mener son prince sous les flashes survoltés des Alors, comme Fellini, il réalise un film autour du MÉTRAGE : photographes, loin de belle-maman. Palissades film-événement qu'on lui a commandé (et tant de Laurie Me Innés D Du cinéaste comme personnage pis pour Norman Mailer, scénariste officiel avec (Australie) lequel il s'est brouillé), se met en scène tel qu'en PRIX DU COURT lui-même, joue avec le cinéma et lance le produit MÉTRAGE Federico Fellini, auteur d'Intervista, aura choisi D'ANIMATION : de jouer son personnage jusqu'au bout. Il prend fini, mixé la nuit précédente, à Cannes, hors- Academy Leader prétexte d'une adaptation de Kafka (l'Amérique) concours. Hélas, cette fois le charme n'est pas Variations sur laquelle il travaille pour pénétrer, une fois au rendez-vous. Et, si on s'amuse un moment de Daiv Erlich avec la partici­ encore, dans le monde du cinéma et rendre hom­ du bon tour qu'a joué, impitoyable, l'enfant terri­ pation de 20 animateurs ble du cinéma français aux très voyants produc­ (USA) mage, en maître de céans, à Cinecittà, à l'occa­ PRIX DU COURT sion du cinquantième anniversaire des célèbres teurs de Cannon qui ont attendu de lui, et jus­ MÉTRAGE DE FICTION : studios romains. Une équipe japonaise, symbole qu'au dernier moment, l'improbable, c'est-à-dire la Mort soudaine et pré­ parfait des nouveaux médias, le suit à la trace. un film de prestige sur l'une des pièces maîtres­ maturée du colonel K.K. Elle amène le maestro, pour qui la nostalgie est ses de l'oeuvre de Shakespeare, on s'ennuie vite de Milos Radovic (Yougoslavie) tout à fait ce qu'elle était (même s'il s'en défend et profondément devant un film-puzzle qui n'a

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pas envie d'être montré, même à des festivaliers raconte à un compagnon de voyage d'origine avides et boulimiques. On peut parier que russe sa passion pour Anna, séduite dans une Godard, qui profite d'une grosse commande pour ville d'eau puis abandonnée à son sort d'épouse signer l'un de ses films les plus confidentiels, lais­ du gouverneur d'une petite ville de Russie. Voilà sera cette fois plus de souvenirs, plus de traces qu'on est entraîné sur le chemin tortueux de la avec ses paradoxes des grands jours (« Ce n'est vie de Romano, menteur, fourbe, raté et pour­ pas parce que Cannon m'a acheté que je me suis tant touchant comme on ose à peine l'imaginer. vendu... ») qu'avec ses sons et ses images. La quintessence de l'art, du grand art de Mas­ Godard, sur grand écran, est, et de loin, une de troianni. En réussissant sans compromis esthéti­ ses plus décevantes créations. Qu'il se montre la que, sans casting aberrant (ah ! Silvana Mangano, tête cernée d'électrodes ne change rien à l'affaire. Elena Safonova...), sans aplanissement des iden­ Au contraire ! tités culturelles, le mariage de l'Italie et de l'URSS, Mikhalkov ébranle à point nommé tous ceux qui D Les grands films perçoivent, à regret, la coproduction comme un cul-de-sac trop longtemps décrit comme la voie Le charme est l'essence même de Marcello Mas­ de l'avenir. Il rassure le spectateur déçu d'Un troianni qui en a à revendre dans les Yeux noirs homme amoureux de Diane Kurys et de Chro­ de Nikita Mikhalkov, un film qui aurait très bien nique d'une mort annoncée de Francesco pu enlever la Palme d'or. En fait, les Yeux noirs Rosi. Peut-être parce qu'ici le projet cinématogra­ propose une rencontre de géants, celle de Mik­ phique, en béton, n'a jamais cessé de primer sur halkov, Mastroianni et Tchekov. Le réalisateur le deal. Et c'est tant mieux, car le public, moins soviétique, qui a beaucoup fréquenté Tchekov, bête qu'on ne le croit, ira voir, enthousiaste, un s'est librement inspiré de plusieurs nouvelles de bon film, jamais une bonne affaire. Jamais. l'auteur de la Mouette pour établir la trame de ce film généreux qu'il a imaginé pour Marcello Le cinéma italien, représenté par les Fellini, Scola, Mastroianni. Du coup, Tchekov n'est plus ce Rosi et Taviani, a fait très bonne figure au Festi­ grand auteur chez qui on s'ennuie désespérément val. La vieille garde tient le coup, ce qui serait de Moscou. Tchekov a le charme inouï de Mas­ plutôt rassurant pour l'Italie. La situation contraire troianni, parfait dans ce rôle de Romano, Italien est, quant à elle, nettement plus inquiétante. On paresseux, mari volage, architecte velléitaire, qui ne le sait que trop bien au Québec où l'insuccès

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« Je ne suis pas d'avis que la simultané de deux pionniers, Gilles Carie et Arthur ville d'Allemagne qui n'essaie pas de cacher son télévision tue le cinéma. » Lamothe, avec la Guêpe et Equinoxe, a ins­ passé ». Revenu au pays, il risque le film d'un (Yves Montand, président tallé, l'an dernier, un détestable climat de moro­ homme amoureux, cessant de fuir, de craindre du jury, édition 1987) sité. Peu importe qu'il pousse des feuilles nouvel­ les femmes comme le faisait Travis Anderson les si le tronc de l'arbre est en mauvaise santé... (Harry Dean Stanton) dans Paris, Texas. La ren­ Les frères Taviani quant à eux sont en parfaite contre avec la femme ne pouvait quand même forme. Et leur plus récent film, Good Morning pas se dérouler de façon banale. Pas question Babilonia, le plus cher de leurs films à ce jour, donc de montrer un garçon boucher et une phar­ ne laisse aucune place au doute. Moins politique macienne qui se font de l'oeil au supermarché et que la Nuit de San Lorenzo et Allonzanfan, qui sont dévorés par le coup de foudre. Ou quoi il n'en confronte pas moins l'économie minée de que ce soit du genre. Wim Wenders avait besoin l'Italie à celle florissante des Etats-Unis, abordant d'une tout autre mise en scène pour exalter le le thème de l'exil et du déracinement (esquissé sentiment amoureux. Quelque chose de surnatu­ dans un des sketches de Kaos), de même que rel. D'abord un lieu exceptionnel, Berlin. Ensuite celui de la fierté nationale. Le film raconte l'his­ un homme qui n'en soit pas tout à fait un mais toire de deux frères toscans, miroir non autobio­ plutôt un ange, un ange amoureux survolant la graphique de Paolo et Vittorio Taviani, qui lais­ ville et qui devra sacrifier une partie de lui-même, sent derrière eux leur métier d'ouvriers bâtisseurs son immortalité, à l'amour. Et une femme qui de cathédrales pour partir faire fortune en Améri­ sort de l'ordinaire, une trapéziste (un ange à sa que et, peut-être, sauver l'entreprise familiale. Le façon, terrestre, sans les ailes) qui recevra l'amour. hasard et la détermination les mènera sur le pla­ Enfin, une atmosphère irréelle que crée l'utilisa­ teau d'Intolérance de D. W. Griffith où on les tion du noir et blanc (c'est que les anges voient le engage finalement comme constructeurs monde en noir et blanc, la couleur est humaine). d'éléphants pour les décors monumentaux du Alors la rencontre pouvait avoir lieu, la fable être film. Jusque-là, quoi qu'il advienne, Andrea et racontée. À travers son personnage principal, Nicola menaient des vies parfaitement identiques, Damiel interprété par Bruno Ganz, Wim Wen­ conscients que dès que l'un d'entre eux s'écarte­ ders cesse alors d'être un esprit pour arriver à rait, même involontairement, de la voie com­ l'essentiel, sur les ailes d'un ange. D'ailleurs le mune, le malheur frapperait à leur porte. Ce qu'on film s'intitule les Ailes du désir (en allemand, appelle le destin. Celui des frères Bonanno s'ac­ ce serait plutôt le Ciel au-dessus de Berlin). Il commode mal de la vie facile et du bonheur tran­ ne s'agirait pas d\in film du réalisateur de Nick's quille. Le cinéma des racines des Taviani impres­ Movie et de l'Etat des choses si le cinéma sionne par sa limpidité, sa générosité et sa n'avait un rôle à jouer dans l'histoire. Un rôle d'ad­ fabuleuse force d'évocation. Good Morning juvant. C'est Peter Falk dans son propre rôle qui Babilonia n'échappe pas à la règle. Le film intervient au nom du cinéma, en ami, en conseiller recourt volontiers à des symboles (13 à table pour de l'ange amoureux à qui il avoue son passé le dernier repas, l'aigle américain attaquant les d'ange. L'ange est la trace qui reste de l'enfance. immigrants italiens, la caméra de guerre quittant L'amour (aussi bien que l'âge) est le lot des mor­ le champ de bataille pour capter les adieux des tels, comme la vision en couleur (la photogra­ deux frères, etc.) pour atteindre sa cible. Il par­ phie, admirable, est signée Henri Alekan). Et vient à rapprocher l'Europe de l'Amérique en Damiel (ou Wim Wenders) semble fin prêt à assu­ établissant un parallèle entre le cinéma et les cathé­ mer le risque. A arracher ses ailes et à poser les drales, tous deux nourrissant, à leur façon, la foi pieds sur terre, au pays. Si les anges de Wim et contribuant à affermir le sentiment d'apparte­ Wenders ne semblent pas être directement nance. Double hommage aux artisans de Tos­ branchés sur le Vatican, son film respire tout de cane et d'Hollywood qui prend toute sa force au même la grâce. Il appartient, comme les anges, moment du face à face du père, maître maçon, à une classe à part, celle des purs chefs-d'oeuvre. et de Griffith. Chacun tient à imposer le respect à son vis-à-vis. Une scène d'anthologie. Et un film D Le rapport à la célébrité inoubliable. Comme Wim Wenders salue, bien bas. Peter Falk, Quant à Wim Wenders, après des détours par le deux autres cinéastes, un Anglais et un Améri­ Portugal, le Japon et les Etats-Unis, il rentre en cain, intègrent à leur film un hommage non dissi­ Allemagne. À Berlin plus exactement, « la seule mulé à des personnalités fortes du cinéma améri- Anthony Delon, Chroni­ que d'une mort annon­ cée

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cain. Lindsay Anderson, l'auteur d'If, moinsl le jour de la Saint-Valentin. Ils ont un point com­ militant qu'à son habitude, adapte une pièce de mun, tous vivent seuls. Alors ils viennent ou ne David Berry qui n'a certainement pas renouvelé viennent pas parler à la caméra de l'amour et l'art théâtral mais qui vise droit au coeur, Wha­ leur rapport à la solitude. L'expérience, hélas, ne les of August. Il réunit pour l'occasion le cas­ mène pas très loin sinon qu'elle relance le jeu de ting le plus âgé et le plus respectable qui se puisse la séduction, jeu bien connu des coeurs solitai­ imaginer, un casting à vous faire presque oublier res. Cupidon n'est pas loin qui veille au grain. le tout aussi théâtral On Golden Pound (de Mark Leur désarroi de Californiens bon chic bon genre Rydell)... Imaginez un quintette formé de Harry a quelque chose à voir avec le ton du Déclin de Carey Jr., Ann Sothern, Vincent Price, Bette l'empire américain. Puis, quand tout pourrait Davis et la vénérable Lillian Gish (à qui Good être terminé surgit, au fond de la salle, malicieux, Morning Babilonia a certainement rappelé bien philosophe, plus grand que nature, le bon Orson des souvenirs). Autant de dinosaures du septième Welles, qui a dirigé Henry Jaglom dans The art qui évoquent le souvenir ému des baleines Other Side of the Wind (qu'on verra peut-être qu'on regardait passer au large. Un temps qui ne un jour, l'oeuvre de Welles reste, pour une bonne reviendra plus. Jamais. Whales of August se partie, à découvrir). Le film, qui jusque-là ne ris­ révèle donc un film émouvant sur la vieillesse. Il quait pas de passer à l'histoire, trouve alors sa est centré sur le quotidien tranquille de deux raison d'être, avalé par l'ogre magnifique auquel soeurs, Libby et Sarah, qui, à tour de rôle, à il rend hommage. Someone To Love contient différents moments de leurs longues vies, se sont les adieux d'Orson Welles et c'est bien ce qu'on soutenues dans les moments difficiles. Bette Davis, en retiendra. Celui qui choisit de rendre hom­ détestable à souhait, et Lillian Gish, juste et sensi­ mage à un ou des monstres sacrés n'a d'autre ble, sont parfaites. Et impressionnantes. Hom­ choix que de céder sa place sous les projecteurs, mage réussi. ce que font, modestes et respectueux, Anderson et Jaglom. De son côté, Henry Jaglom, le réalisateur de Can She Bake a Cherry Pie ose un film étrange. Si Cannes est un peu le piédestal sur lequel revien­ Someone to Love, qui oscille entre le docu­ nent poser périodiquement, les grands pour s'en­ ment et la pure fiction. Un groupe d'amis sont tendre applaudir (il arrive aussi, hélas, que le ciné­ réunis dans un théâtre condamné à la démolition phile moyen, animal étrange, fasse volte-face et

Solveig Dommartin. les Ailes du désir Peter Falk, les Ailes du désir

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que se lézarde, brusquement, sans prévenir, le si la confiance s'installe entre les camps ennemis. piédestal qu'on croyait d'airain ; parfois, le poseur La trêve doit être scrupuleusement respectée par définitivement éclopé ou frappé d'un vertige les uns et les autres. En fin de compte, l'amour incontrôlable n'y pourra plus, n'y voudra plus l'emporte sur la guerre, la liberté sur la contrainte. jamais monter), il est aussi le tremplin d'auteurs Noce en Galilée évite habilement le piège du encore peu connus. Certains plongent, toutes ailes dogmatisme qui alourdit jusqu'au naufrage tant ouvertes, dans le vide absolu et on ne les retrouve de films à thèse, préférant une approche ciné­ jamais. Parfois même, on ne remarque pas leur matographique à un message mille fois répété. disparition. À Cannes, c'est connu, l'indifférence est la sentence la plus terrible, la plus redoutée. D'autres effectuent le saut périlleux avec une telle Le film d'Anja Franke, Dani Levy et Helmut Ber­ élégance, un tel aplomb, un style si personnel ger, Et moi alors, s'inscrit sous le signe de la qu'il n'y en a bientôt que pour eux. Direction le liberté, tellement qu'on a un peu l'impression de piédestal. renouer avec la Nouvelle vague. Un Roméo et sa Juliette, tournés en noir et blanc, sont en panne d'amour, gênés par le quotidien réducteur, jus­ Ainsi en est-il, à la suite du quarantième Festival, qu'au jour, béni, où l'aventure ramène la ferveur des auteurs de deux films canadiens sélectionnés des débuts pour donner un film jeune, libre, inven­ par la Quinzaine des réalisateurs (section plus sym­ tif, tout à fait à l'aise là où il se trouve, ni super­ pathique, ces dernières années, à notre cinéma production, ni téléfilm. À Cannes, à Bangkok, à que la sélection officielle, pour d'occultes raisons). Alger, à Trois-Rivières et à Rimouski, on ne passe Un zoo, la nuit de Jean-Claude Lauzon a pas nécessairement de meilleurs moments devant impressionné public et spécialistes, tout comme un écran sur lequel on projette une poignée de I've Heard the Mermaids Singing, film à millions de plus. Le talent vaut beaucoup plus modeste budget de Patricia Rozema qui, rehaussé qu'un cachet de star mirobolant ou une légion de par la présence chaleureuse de la rousse Sheila figurants abrutis. McCarthy, combine la fantaisie, l'intelligence et la vigueur des comédies anglaises à la Forsyth. n Le vrai, le scandaleux

D'ailleurs, une mordante petite comédie anglaise Peut-être vous êtes-vous déjà demandé quelle (qui, comme toutes les autres, est beaucoup plus place réservait-on au cinéma documentaire à Can­ qu'un film amusant), Wish You Were Here s'est nes ? Eh bien cela frôle le moins que rien. Les méritée le prix de la critique internationale hors- aventures de Pierre Perrault, rappelées dans les compétition officielle. À travers l'expérience péni­ Traces du rêve, une production de l'Office natio­ ble d'une jeune fille qui n'a pas la langue dans sa nal du film, en font foi. Cannes n'est pas la poche, le premier film de David Leland lève le Mecque du réel. Cannes préfère le spectacle. voile sur la découverte, pas forcément emballante, Cette année par exemple on a montré le petit, de la sexualité. très petit film télé de la célèbre Diane Keaton, Heaven, une réflexion sans grande profondeur Autre agréable surprise, venue de l'hémisphère sur la vie après la vie. S'il n'y avait eu au généri­ sud celle-là, la Lumière du Malien Souleymane que le nom vénéré de l'interprète d'Annie Hall, Cissé. Sa photographie superbe et son récit envoû­ Heaven n'aurait vraisemblablement jamais été tant et énigmatique plongent le spectateur trans­ projeté dans le cadre de la Quinzaine des réalisa­ porté dans l'Afrique ensorcelée et quelque peu teurs. Même chose pour le film de Laurie Ander­ effrayante des pouvoirs occultes et des supersti­ son, Home of the Brave, tournage pas très sti­ tions. La maîtrise du médium est beaucoup plus mulant d'un spectacle tout de même captivant. nette que dans la plupart des films d'Afrique noire Le film doit beaucoup plus à la chanteuse qu'à la qu'on a pu voir récemment. cinéaste. La présence de Louis Malle à Cannes avait donc quelque chose de réconfortant. Même Noce en Galilée, le film de Michel Khleifi pro­ s'il venait présenter un documentaire destiné à la duit par la Belgique, la France et la Palestine, n'y télévision, And the Pursuit of Happiness, un va pas quant à lui par quatre chemins pour dire film tout à fait dans la continuité de celui qu'il son message de liberté aux peuples juif et palesti­ montrait à Montréal l'an dernier, God's Coun­ nien. Une noce palestinienne ne peut se tenir que try, Louis Malle a su donner un peu de tonus à Sheila McCarthy, Tve Heard the Mermaids Singing

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la sélection de documentaires. Son film, à hau-l ble retard de la très peu ponctuelle Elizabeth Taylor « La starification excessive de teur d'homme, fouille le coeur de l'Amérique, à une soirée de gala —, celui qui a fait des vagues la manifestation, qui déjà en celle du bonheur garanti, celle qui porte tous les est venu la nuit. Sournoisement, comme ces soi n'est pas une bonne chose, ne risque-t-elle pas de rêves des immigrants (dont Somoza, banlieusard sièges sociaux qu'on déménageait nuitamment. lui faire perdre son âme ? » avachi) de fraîche arrivée. Louis Malle le À la toute fin du festival, on ne l'attendait plus. (Gilles Jacob, le Journal du néo-Américain ne se laisse pas éblouir par le grand Certains étaient même repartis, déçus. Tout a Festival, 18 mai 1987) rêve américain. commencé lorsque le directeur de la Quinzaine des réalisateurs a annoncé, à la clôture de l'événe­ Et les scandales ? Quels ont été les scandales ? ment, une projection surprise. À minuit. À l'heure Car qui dit Cannes dit scandale. L'un et l'autre dite une foule curieuse s'est ruée à l'intérieur du sont aussi inséparables que la douce Cléopâtre Palais Croisette, allumée par le suspens. Elle y de son nez. Ainsi, la sélection officielle française apprenait que les associations italienne et française est-elle apparue, comme le veut la tradition, de réalisateurs avaient choisi de faire fi des inter­ désastreuse et indéfendable à une partie de la dits en présentant, dans la plus grande illégalité, presse française. De fait, la palme d'or, oh com­ une copie pirate d'un premier film, l'oeuvre d'un bien contestée, accordée à Maurice Pialat pour certain Friedman, sélectionné par la Quinzaine sa lecture pas très enthousiasmante de Sous le des réalisateurs puis charcuté et affublé d'une nou­ soleil de Satan ne fera pas oublier la faiblesse velle musique par le producteur. Il n'en fallait pas d'une sélection où on retrouvait Un homme plus pour que cette traversée est-ouest du terri­ amoureux de Diane Kurys, Champ d'honneur toire américain mettant à jour les dangers ima­ de Jean-Pierre Denis et Pierre et Djemila de ginés par l'homme, la pollution avec laquelle il Gérard Blain. Tout de même, que les contestatai­ menace l'avenir de la planète, et aboutissant, dans res apaisent leur monture emballée : ce n'est pas la presque béatitude, sur un idéal de beauté fait l'Eté en pente douce de Gérard Krawczyk, chal­ de plage et de jolies filles, prenne des allures de lenger français écarté par le Festival, qui aurait film-culte. Ce road movie, qui pourrait y gagner rassuré les cinéphiles des quatre coins du monde à circuler illicitement, s'intitule, ironie du sort, sur l'état de santé du cinéma français. Il se porte Made in USA (rien à voir toutefois avec le film assez mal. du même nom de Jean-Luc Godard sinon la jeu­ nesse du film et la terrible actualité du sujet). À Le scandale, le vrai — si on excepte l'inadmissi­ suivre... •

Sandrine Bonnaire et Gérard Depardieu. Sous le soleil de Satan

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