Eddadada, La Babel Du Nord
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Eddadada, la Babel du Nord (Völuspá) Édition trilingue supervisée par le Groupe Surréaliste du Radeau Les Presses du Radeau 17 mai 2021 CC BY-NC-SA (certains droits réservés, mais toute diffusion non commerciale encouragée) En couverture : Fenrir arrache la main de Týr, manuscrit SÁM 66, 1765, Copenhague, Bibliothèque Royale https://les-presses-du-radeau.over-blog.com/ Avant-propos Les Presses du Radeau ne saurait trop, pour cette deuxième traduction de littérature médiévale après Le Chèvrefeuille de Marie de France, renouveler leur avertissement quand à l’ancienneté de la traduction ici proposé en français moderne. En ce qui concerne la Völuspá, dans les traductions plus modernes que le droit d’auteur interdit aux Presses, celle de Régis Boyer est loin d’être un incunable. Comme il a été dit, rien d’aussi rare qu’un instantané du flux mouvant des traductions algorithmiques. Or celle dont il sera question réservait une belle surprise au Groupe Surréaliste du Radeau, dans leur déjà mouvementée entreprise de terrorisme poétique Babel Dada. En effet, la décision a été prise de commencer, avant d’expérimenter le traditionnel croisement des langues, de revenir à la méthode de l’inspiratrice du Groupe, l’Indéprimeuse, pour Hamlet, pardon, Jambonlaissé de Guillaume Remuepoire : utiliser Google à la manière simple pour laquelle il est conçu, traduire directement en français une langue reconnue par la machine, mais dans une rédaction vieille de plusieurs siècles. Et voilà que, par un caprice des mécanismes qui règlent les carrefours numériques du langage, tandis que les mélanges de langue les plus tarabiscotés donnent parfois des résultats décevants voués pour la plupart à la corbeille à brouillon du projet Babel Dada, le résultat dépasse déjà les espérance du G.S.R. : l’éclatement des vers scaldiques, de la syntaxe, mais aussi de la barrière des langues, rappelle les plus grandes explosions de la poésie (ou anti-poésie si vous préférez) du mouvement Dada, façon Tristan Tzara ou Francis Picabia. Babel Dada n’a jamais aussi bien mérité son nom. Par conséquent, le G.S.R. a compris qu’il était inutile de faire intervenir une troisième, une quatrième lange et plus. Tout se passe comme si, on naviguant vers les terres du Nord, l’équipage du projet Babel Dada avait atteint le bord d’un précipice : au-delà, on quitterait tout à fait le langage intelligible, et plus grand monde ne jugerait lisible la poésie qui en résulterait. Ce n’est pas que le G.S.R. craigne d’être illisibles : les glossolalies, déjà présentes dans ses publications (le poème mural d’André Assète, livré en annexe de la brochure Le Pays Aventureux, précédemment parue aux Presses), ne sont jamais qu’un grand classique dadaïste depuis Hugo Ball et son poème Karawane, et qu’elle se démarque de vers en vieil islandais, voilà qui prendrait un air de poésie lettriste, cette poésie glossolalique rigoureusement versifiée dont Isidore Isou faisait la véritable poésie du futur, et dont la vision ne lui est finalement venue par rien d’autre qu’une forme d’essai de traduction de Mallarmé. Et pourtant, appelez cela tiédeur si vos voulez, le Groupe Surréaliste du Radeau ne se sent pas prêt à entraîner ses lecteurs dans cette direction. En tout cas, ça ne sera pas maintenant. Texte original et traduction humaine en français moderne (Frédéric-Guillaume Bergmann dans Poëmes Islandais, 1833) 1. Hljóðs bið ek allar À l’attention j’invite toutes helgar kindir, les saintes générations, meiri ok minni Les fils de Heimdall, grands mögu Heimdallar; et petits ; viltu, at ek, Valföðr! Je voudrais du Père des Élus vel framtelja proclamer les mystères, forn spjöll fíra, Les traditions antiques des þau er fremst um man. héros qu’autrefois j’ai 2. apprises. Ek man jötna ár um borna, Je me souviens des Iotes nés þá er forðum au commencement ; mik fœdda höfðu; Eux, jadis, ils m’ont níu man ek heima, enseignée : níu íviði, Je me souviens des neuf mjötvið mœran mondes, des neuf forêts, fyr mold neðan. Du grand Arbre du milieu, 3. sur la terre ici-bas. Ár var alda þar er Ýmir bygði, Ce fut le commencement des vara sandr né sær siècles quand Ymir s’établit ; né svalar unnir, Il n’y avait ni rivage, ni mer, jörð fannsk æva ni ondes fraîches ; né upphiminn, On ne trouvait ni terre ni ciel gap var ginnunga, élevé ; en gras hvergi. Il y avait le Gouffre béant, 4. mais de l’herbe nulle part. Áðr Burs synir bjöðum um ypðu, Alors les fils de Bur þeir er Miðgarð élevèrent les firmaments, mœran skópu; Eux, ils formèrent la grande sól skein sunnan Enceinte du milieu : á salar steina, Sôl éclaira, de sud, les þá var grund gróin roches de la Demeure ; grœnum lauki. La terre aussitôt verdit d’une 5. verdure touffue. Sól varp sunnan, sinni mána, Sôl répand de sud, ses hendi inni hœgri faveurs sur Mâni, um himinjódyr; A la droite de la porte du sól þat ne vissi Coursier céleste. hvar hon sali átti, Sôl ne le savait pas où elle máni þat ne vissi avait ses demeures, hvat hann megins átti, Les Étoiles ne le savaient pas stjörnur þat ne vissu où elles avaient leurs places, hvar þær staði áttu. Mâni ne le savait pas quel 6. était son pouvoir. Þá gengu regin öll á rökstóla, Alors les Grandeurs allèrent ginnheilug goð, toutes aux sièges élevés, ok um þat gættusk; Les Dieux très-saints sur cela nátt ok niðjum délibérèrent ; nöfn um gáfu, À la nuit, à la nouvelle lune morgin hétu ils donnèrent des noms ; ok miðjan dag, Ils désignèrent l’aube et le undorn ok aptan, milieu du jour, árum at telja. Le crépuscule et le soir, pour 7. indiquer le temps. Hittusk æsir á Iðavelli, Les Ases se rencontrèrent þeir er hörg ok hof dans la Plaine d’Idi, hátimbruðu, Ils bâtirent bien haut un afla lögðu, sanctuaire et une cour ; auð smíðuðu, Ils posèrent des fourneaux, tangir skópu façonnèrent des joyaux, ok tól görðu. Forgèrent des tenailles et 8. fabriquèrent des ustensiles. Tefldu í túni, teitir váru, Ils jouaient aux tables dans var þeim vettugis l’enceinte ; ils étaient vant ór gulli; joyeux, unz þrjár kvámu Rien ne leur manquait et tout þursa meyjar était en or. ámátkar mjök Alors trois Ases de cette ór jötunheimum. bande, 9. Pleins de puissance et de Þá gengu regin öll bonté, descendirent vers la á rökstóla, mer ; ginnheilug goð, Ils trouvèrent dans la ok um þat gættusk: contrée, des êtres chétifs, hverr skyldi dverga Ask et Embla, manquant de drótt um skepja destinée. ór brimi blóðgu ok ór Bláins leggjum. Ils n’avaient point d’âme, ils 10. n’avaient point Þar var Móðsognir d’intelligence, mæztr um orðinn Ni sang, ni langage, ni bon dverga allra, extérieur : en Durinn annarr; Odin donna l’âme, Hœnir þeir mannlíkun donna l’intelligence, mörg um görðu Lodur donna le sang et le dvergar í jörðu, bon extérieur. sem Durinn sagði. 11. Alors arrivèrent trois Vierges Nýi, Niði, Thurses Norðri, Suðri, Très-puissantes du monde Austri, Vestri, des Iotes. Alþjófr, Dvalinn, Je connais un frêne, on le Nár ok Náinn, nomme Yggdrasill, Nípingr, Dáinn, Arbre chevelu, humecté par Bifurr, Bafurr, un nuage brillant, Bömburr, Nori, D’où naît la rosée qui tombe Ánn ok Ánarr, dans les vallons ; Óinn, Mjöðvitnir. Il s’élève, toujours vert, au- 12. dessus des la fontaine d’Urd. Veggr ok Gandálfr, Vindálfr, Þorinn, De là sortirent les trois Þrár ok Þráinn, Vierges de beaucoup de Þekkr, Litr ok Vitr, science, Nýr ok Nýráðr, De ce lac qui est au-dessous nú hefi ek dverga, de l’arbre : Reginn ok Ráðsviðr, Urd se nommait l’une, rétt um talða. l’autre Verdandi ; 13. Elles gravèrent sur les Fili, Kili, planchettes ; Skuld était la Fundinn, Nali, troisième : Hepti, Vili, Elles consultèrent les lois, Hanarr, Svíurr, elles interrogèrent le sort, Billingr, Brúni, Et proclamèrent la destinée Bildr ok Buri, aux enfants des hommes. Frár, Hornbori, Frægr ok Lóni, Alors les Grandeurs allèrent Aurvangr, Jari, toutes aux sièges élevés, Eikinskjaldi. Les Dieux très-saints sur cela 14. délibérèrent : Mál er dverga « Qui formerait le chef des í Dvalins liði Dvergues, ljóna kindum « Du sang de Brimir, des til Lofars telja, cuisses du géant livide. » þeir er sóttu frá salar steini Alors Modsognir est devenu Aurvanga sjöt le premier til Jöruvalla. De tous les Dvergues, mais 15. Durinn, le second ; Þar var Draupnir Eux, ils formèrent de terre la ok Dólgþrasir, foule des Dvergues Hár, Haugspori, A la figure humaine, comme Hlévangr, Glóinn, Durinn le proposa : Dori, Ori, Dúfr, Andvari, Nyi et Nidi, Nordri et Sudri, Skirfir, Virfir, Austri et Vestri, Althiofr, Skafiðr, Ai. Dvalinn, 16. Nâr et Nâinn, Nipingr, Álfr ok Yngvi, Dâinn, Eikinskjaldi, Bifurr et Bafurr, Bumbur, Fjalarr ok Frosti, Nori. Finnr ok Ginnarr; þat man æ uppi, Anarr et Onarr, Aï, meðan öld lifir, Miodvitnir, langniðja tal Veigr, Gandalfr, Vindalfr, Lofars hafat. Thorinn, 17. Fili et Kili, Fundinn, Nali, Unz þrír kvámu Hepti, Vili, Hanarr, Sviorr. ór því liði öflgir ok ástkir Frâr, Fornbogi, Frœgr, Lôni, æsir at húsi, Thrâr et Thrâinn, Thrôr, Vitr, fundu á landi Litr, lítt megandi Nyr et Nyradr. — Voilà que Ask ok Emblu j’ai énuméré au juste örlöglausa. Les Dvergues puissants et 18. intelligents. Önd þau ne áttu, óð þau ne höfðu, Il est temps d’énumérer au lá né læti genre humain, né litu góða; Les Dvergues de la bande de önd gaf Óðinn, Dvalinn, jusqu’à Lofar ; óð gaf Hœnir, Ceux-ci ont cherché, loin du lá gaf Lóðurr rocher de la Demeure, ok litu góða. Des habitations à Aurvangar, 19.