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Monsieur Verdoux A Comedy of Murders

un film de Charles Chaplin (1947).

Scénario : Charles Chaplin, sur une idée d’. Photographie : Musique : Charles Chaplin Prise de son : James T. Corrigan Arrangements : Rudolf Schrager

Interprétes :

HenryVerdoux Annabella Bonheur Martha Raye le Cap. Bonheur Annette, la bonne Ada-May Vernay Charles Chaplin Floray Marie Grosnay Isobel Elson Mona Verdoux Mady Correll sa bonne Peter Verdoux Allison Roddan Yvonne, amie de Marie Helen Heigh Maurice Bottello Robert Levis Martha Bottello Audrey Betz Lydia Floray Margaret Hoffman

la famille Couvais la jeune Belge Marylin Nash Pierre Jean Edwin Mills Carlotta Virginia Brissac et Lena Almira Sessions Phœbe Eula Morgan William Frawley Arthur Hohl Barbara Slater la Loi Fritz Leiber Vera Marshe le Préfet de Police Bernard J. Nedell John Harmon Christine Ell l’inspecteur Morrow Charles Evans Lois Gonklin

La voix douce d’Henri Verdoux (1880-1937) nous accueille par une belle journée ensoleillée dans le cimetière où le héros repose. Sans s’apesantir sur sa situation présente — Monsieur Verdoux est un homme de tact et de bon goût — il nous conte comment, ayant perdu sa situation d’employé de banque, il a monté une « affaire strictement commerciale » (“strictly buisness enterprise”) basée sur l’élimination du sexe opposé, spécialité fort délicate dans laquelle « seul un optimiste forcené [se] risquerait »… Sait-on jamais où va une femme quand elle vous quitte…(Landru)

Ç’aurait dû être un film d’Orson Welles mais, faute de pouvoir le réaliser lui-même, Welles revendit à Chaplin son script original. Hollywood ne voulait pas du film : qui s’intéresserait une vieille histoire française, même rajeunie par transposition dans les années 30 — pourquoi parler de crise et d’années noires lorsque, c’est bien connu la reprise est là et que tout va bien, on vous le dit ? Et pourquoi abandonner un personnage qui marche ? Il ne serait pas communiste des fois, ce Chaplin ? (Comme vous le savez, Chaplin quitta l’Amérique quelques années plus tard à cause de ce genre de question…) Justement, Henri Verdoux est-il si différent de Charlot ? Charlot est solitaire; Monsieur Verdoux a une famille, mais elle est si peu présente à l’écran que sa disparition a lieu hors-champ (peut-on filmer un homme qui voit mourir les siens faute d’argent pour leur payer des soins ?). Charlot n’a rien; Monsieur Verdoux n’a plus rien. Malgré leur habileté et leur gentillesse, ils n’ont pas de place dans la société et se vengent par la subversion sournoise : l’humour. La différence réside dans la forme adoptée : Charlot, populaire, est d’autant plus burlesque que sa situation est tragique (vous trouvez vraiment que c’est drôle d’en être réduit à manger ses chaussures ?); Monsieur Verdoux, plus cultivé, détourne sa tragédie avec ironie et nous fait rire d’assassinats*, comme l’annonce le sous-titre. Différence dans la forme et plus encore dans l’esprit : Charlot tente d’améliorer sa condition matérielle (Les temps modernes) ou, plus souvent, sentimentale et y parvient parfois — avant de repartir de zéro au prochain épisode, mais est-ce toujours le même Charlot ? Il obéit à un principe d’optimisme. Henri Verdoux choit irrésistiblement selon un principe de pessimisme. Pire, dans Monsieur Verdoux le principe d’optimisme lui-même est piégé : la jeune Belge fait un heureux mariage avec un riche… marchand de canons, et évidemment en 1936-37 “les affaires sont bonnes”. Elle fait preuve en la circonstance de la même ironie, ô combien ravageuse pour le rêve américain, que Verdoux. Combien de Verdoux en puissance cette démultiplication du personnage, opposée au clonage à l’identique de Charlot, nous laisse-t’elle entrevoir ? Afin d’atténuer la dureté du propos, Chaplin a glissé quelques moments de burlesque sans arrière-pensée — les démêlés du Capitaine avec l’insupportable Annabelle Bonheur — mais en vain : pour crime de lèse-Amérique le public bouda le film. Mais peut- être êtes-vous lassés du discours classique sur l’Auteur Maudit et le-chef-d’œuvre- incompris-en-son-temps ? Moi oui ! Et, la meilleure marque des chefs d’œuvre étant leur splendide indifférence au temps qui passe, je vous laisse profiter de ce joyau qu’est Monsieur Verdoux — en français dans le texte, avec cette pointe d’accent distingué qui fait le charme des Britanniques.

* encore que l’on pourrait discuter le qualificatif : prédateur malgré lui, il ne fait qu’aider la Nature à recycler plus rapidement la matière immobilisée (environnementally correct) et — à la différence des serial killers modernes — ne tue que par nécessité, pour manger ou pour n’être pas mangé (l’inspecteur). Monsieur Verdoux connaît la pitié et la compassion (la jeune Belge), il est en paix avec sa conscience — que la justice ne soit pas en paix avec un tel homme est un tout autre problème…