GLOTTOPOL Revue De Sociolinguistique En Ligne N° 12 – Mai 2008 Pratiques Langagières Dans Le Cinéma Francophone
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GLOTTOPOL Revue de sociolinguistique en ligne n° 12 – mai 2008 Pratiques langagières dans le cinéma francophone Numéro dirigé par Michaël Abecassis SOMMAIRE Michaël Abecassis : Avant-propos Michaël Abecassis : Langue et cinéma : Aux origines du son Renaud Dumont : De la littérature au cinéma, itinéraire d’une médiation didactique Carmen Compte & Bertrand Daugeron : Une utilisation sémio-pragmatique de l’image animée cinématographique et télévisuelle pour l’apprentissage des langues : éléments pour un plaidoyer Pierre Bertoncini : Mise en scène de situations sociolinguistiques dans Mafiosa Germain Lacasse : L’audible évidence du cinéma oral ou éléments pour une étude sociolinguistique du cinéma québécois Gwenn Scheppler : Les bonimenteurs de l’Office national du film Vincent Bouchard : Claude Jutra, cinéaste et bonimenteur Karine Blanchon : La pluralité langagière et ses contraintes dans le cinéma malgache francophone Thérèse Pacelli Andersen & Elise Pekba : La pratique des surnoms dans Quartier Mozart de Jean- Pierre Bekolo : un cas de particularismes discursifs en français camerounais Cécile Van Den Avenne : « Les petits noirs du type y a bon Banania, messieurs, c’est terminé. » L’usage subversif du français-tirailleur dans Camp de Thiaroye de Sembène Ousmane Noah McLaughlin : Code-use and Identity in La Grande Illusion and Xala Jean-Michel Sourd : Les représentations de la francité dans le cinéma hongkongais John Kristian Sanaker : Les indoublables. Pour une éthique de la représentation langagière au cinéma Pierre-Alexis Mével : Traduire La haine : banlieues et sous-titrage Gaëlle Planchenault : « C’est ta live ! » Doublage en français du film américain Rize ou l’amalgame du langage urbain des jeunes de deux cultures Cristina Johnston : « Ta mère, ta race » : filiation and the sacralisation of the mother in banlieue cinema Anne-Caroline Fiévet & Alena Podhorná-Polická : Argot commun des jeunes et français contemporain des cités dans le cinéma français depuis 1995 : entre pratiques des jeunes et reprises cinématographiques Comptes rendus Salih Akin : Bonnafous S., Temmar M. (éds.), 2007, Analyse du discours et sciences humaines et sociales, Paris, Ophrys, 165 p., ISBN 2-7080-1158-8 Didier de Robillard : Léglise I., Canut E., Desmet I., Garric N. (dirs.), 2006, Applications et implications en sciences du langage, Paris, L’Harmattan, 334 p., ISBN 2-296-02743-5 Claude Caitucoli : Robillard D. de, 2008 (sous presse), Perspectives alterlinguistiques, vol. 1 : Démons, vol. 2 : Ornithorynques, Paris, L’Harmattan, 302 p., 202 p. Régine Delamotte : Tournier M., 2007, Les mots de Mai 68, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, collection « Les mots de », 123 p., ISBN 978-2-85816-892-7 http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol AVANT-PROPOS Michaël ABECASSIS The University of Oxford Il existe sans aucun doute un vide dans la recherche linguistique concernant les pratiques langagières au cinéma. Les scénarios de film sont souvent perçus comme étant trop stylisés et n’étant pas suffisamment spontanés pour donner une vision réelle de l’oralité. Si dans les années trente les scénaristes et les acteurs cherchaient souvent consciemment à dépeindre le contraste des classes sociales (petits bourgeois et gangsters), le cinéma contemporain est beaucoup plus marqué par la multiculturalité (Podhorná-Polická & Fievet, infra : 218). Si nous devions effectuer une analyse comparative entre des films des années trente et des films plus récents, il nous faudrait étudier des films de gangsters devenus cultes comme la série des Ripoux (1984, 1990, 2003) de Claude Zidi, Doberman (1997) de Jan Kounen, A la petite semaine (2003) de Sam Karmann, ou encore 36 Quai des orfèvres (2004) d’Olivier Marchal, mais les productions à gros budgets tombent facilement dans le stéréotype et les tics de langage. Il serait alors peut-être préférable de s’orienter vers des films à plus petit budget qui auraient échappé à la caricature et aux « clichés véhiculés par la globalisation de la culture » (Sourd, infra : 144). Les dialogues des films contemporains présentent une accumulation de mots d’argots ou de mots vulgaires qui remplacent le français populaire1 de jadis. Cet argot, comme le dit justement Calvet (1994 : 115), représente « une façon de situer, une façon de revendiquer son appartenance à un groupe social, à un lieu ou à une classe d’âge ». L’argot, qui dans les films des années trente était propre aux classes prolétaires, s’entend désormais dans la police dont les représentants sont issus de milieux métissés, tout comme chez les petits malfrats. On assiste à une véritable diffusion des usages familiers à toutes les couches sociales de la société. Les auteurs de ce numéro de Glottopol nous fournissent des contributions originales et inédites sur un domaine de recherche, celui de la langue et du cinéma, qui suscite de plus en plus d’intérêt auprès des chercheurs. Nos contributeurs s’interrogent par exemple sur la représentation des situations sociolinguistiques dans la production cinématographique du cinéma français québécois ou africain. Les problèmes de traduction des formes non standard, liés aux questions du doublage et du sous-titrage, font également l’objet d’analyses. La variété de ces articles donnera aux lecteurs une vision assez complète des recherches linguistiques et 1 Pour une discussion de la notion de « français populaire », voir Abecassis (2003). 3 sociolinguistiques actuellement menées sur le cinéma francophone et ouvrira de nouvelles perspectives sur ce sujet en pleine expansion. Nous débutons ce numéro par une analyse des documents sonores et audiovisuels que le chercheur pourrait exploiter à des fins linguistiques et discuterons de leur valeur scientifique. Renaud Dumont s’intéresse ensuite à l’adaptation de l’œuvre littéraire en film et la manière dont l’écriture est un objet didactique. Il prend comme exemple La Reine Margot (1994) de Patrice Chéreau, qui oscille entre le film et l’œuvre, entre la réalité et la fiction. Au fil de l’analyse, on comprend que l’œuvre cinématographique née d’une source littéraire est devenue une invention qui se construit tout le temps et une création en permanence autonome. L’utilisation d’extraits de films dans la salle de classe concourt-elle à l’apprentissage de l’étudiant de langue étrangère ? Les documents audiovisuels offrent, comme en témoigne l’article de Carmen Compte et de Bertrand Daugeron, un éventail de situations sociales et stylistiques d’une richesse inestimable pour l’apprenant dans son apprentissage d’une langue étrangère. Pierre Bertoncini a conduit une étude ethnographique sur le tournage de la série télévisée Mafiosa (2006), réalisée non pas en Corse mais dans la région de Marseille, afin d’évaluer la manière dont la langue corse était utilisée dans la mise en scène pour rendre cette fiction aussi réaliste que possible. L’auteur s’intéresse ensuite au traitement linguistique de textes littéraires comme Colomba et Total Kéops et à leur adaptation au cinéma, souvent « coloré » par le prisme de la mise en scène. Lorsque l’on parcourt l’histoire du cinéma québécois, comme le fait Germain Lacasse dans son article, on voit qu’il s’inscrit depuis ses origines dans l’oralité. Les bonimenteurs qui commentaient en direct les films américains ou les documentaires muets lors de leur projection créaient une interaction avec le spectateur qui n’avait pas son pareil. Le « spectacle bonimenté » (infra : 60), tel que les revues et les chansons documentaires des années trente, ne sont pas sans rappeler le cinéma populaire et les comiques-troupiers des music-halls parisiens. Le cinéma oral utilisé par les metteurs en scène est une stratégie pour promouvoir le vernaculaire, combattre l’hégémonie de l’église et démocratiser la société québécoise. Dans la continuité de l’article de Lacasse, Gwenn Scheppler décrit l’activité « d’énonciation cinématographique » (infra : 65) des représentants de l’Office national du film, héritiers de la tradition des bonimenteurs et des prêtres-cinéastes. Leur mission consistait à parcourir les campagnes, dans la période de l’après-guerre et jusque dans les années 60, pour y organiser de vastes réseaux de projections dans un but souvent éducatif et culturel et ouvrir un espace de discussion parmi les communautés francophones du Québec et des Provinces environnantes. Vincent Bouchard poursuit l’analyse des deux précédents articles pour montrer que la pratique des vieux bonimenteurs et « l’oralité cinématographique » (infra : 79) perdurent dans le cinéma québécois contemporain. On y découvre que la voix et la diction de l’observateur omniscient qui servent de commentaire au film et de trame narrative, instrumentalisent les images, selon les dispositifs d’enregistrement. La voix du réalisateur montréalais Claude Jutra ajoute à l’esthétisme de l’image et sert de médiation avec le film tout comme le faisaient les bonimenteurs d’antan. L’article de Karine Blanchon observe le bilinguisme français-malgache dans le cinéma national de Madagascar. Le sujet a été très rarement traité par les universitaires, d’autant que GLOTTOPOL – n° 12 – mai 2008 http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol 4 la cinématographie francophone malgache ne compte que très peu de films et que des problèmes de sous-titrage liés à la pluralité langagière en limitent souvent la distribution. Le français non standard utilisé comme lingua franca par les tirailleurs africains dans le film Camp de Thiaroyé (1987) du réalisateur sénégalais Ousmane Sembène possède, comme nous le montre Cécile Van Den Avenne, une fonction dramaturgique et subversive. Cette variété de vernaculaire appelée « français-tirailleur », qui se distingue du vernaculaire africain que s’approprient habituellement la littérature et le cinéma, établit une hiérarchie et un rapport de force entre colons et colonisés. Noah McLaughlin dresse un parallèle entre le film La Grande Illusion de Jean Renoir et Xala d’Ousmane Sembène (1994), deux films qui en apparence n’ont rien de comparable. Pourtant, l’auteur voit ces deux films comme régis par une multitude de codes langagiers qui peuvent soit exprimer la solidarité entre les personnages soit au contraire créer une distance non seulement linguistique, mais idéologique.