alain Débat animé par Yves Alion après la projection du film La Cité de la peur, à l’École Supérieure berbérian de Réalisation Audiovisuelle de le 26 novembre 2009

Alain Berbérian travaille dans un premier temps comme monteur à Canal + quand son chemin croise celui de Les Nuls. Il travaille avec ce joyeux gang d’humoristes qui fait à ce moment-là les beaux jours de la chaîne criptée, proposant un humour assez décapant qui régale la France entière. Quand le quatuor, qui est devenu entre-temps un trio (Chabat, Lauby, Faruggia) décide de se lancer dans l’aventure d’un long métrage, Berbérian en fait évidemment partie. De la même façon que avait démarré dans la carrière avec le Splendid, le cinéaste prend son envol avec Les Nuls et La Cité de la peur , une comédie déjantée qui deviendra très vite culte. La voie du succès est ouverte, et notre homme alignera les réussites, jouant sur toutes les facettes du cinéma de comédie, y compris quand celle-ci rencontre le grand spectacle ( Le Boulet et ses effets spéciaux n’ayant pas à rougir de la comparaison avec certains blockbusters américains). Mais Berbérian n’est pas pour autant abonné au succès systématique. Il échoue à retenir le public La Cité de la peur quand il veut changer de registre : son thriller, Six-pack , passe injustement inaperçu. Et son dernier film (à ce jour), une assez réjouissante parodie de L’Île au trésor de Stevenson laisse le public assez froid. Suffisamment pour marquer un coup d’arrêt dans la carrière du cinéaste, un coup d’arrêt dont nous souhaitons qu’il ne soit pas définitif. I A. B. : J’ai toujours aimé les films très noirs. Le film qui m’a fait aimer le cinéma, quand j’avais treize ans, c’est Psychose, d’Hitch - “... le film a été cock. J’étais sorti en me disant que le cinéma était une chose tourné avec géniale. J’avais passé une 1h45 de pure plaisir cinématogra - tout le sérieux phique. À treize ans c’était plutôt effrayant de voir ce genre de d’un thriller.” films et très jouissif. Aujourd’hui, on fait plus sanglant dans l’hor - reur. Ainsi donc, avec Les Nuls, il y a eu une rencontre. Ce sont des gens qui me font vraiment rire, et je pense qu’ils ont aimé en moi le fait que je faisais de la comédie comme si je m’attelais à quelque chose de sérieux. La Cité de la peur comporte un vrai travail de décou - page, le film a été tourné un peu avec tout le sérieux d’un thriller, tout Entretien en étant une comédie. Le thriller est dans le film, puisque vous présentez un film d’horreur qui se nomme Red is dead. La Cité de la peur est votre premier film. Pour un coup d’essai, c’est un A. B. : L’ouverture de La Cité de la peur est un film coup de maître… de série B, voire de série Z, tourné en 35mm, que A. B. : Vivre un premier film est un moment vraiment intense car il s’agit les producteurs à l’époque voulaient couper car ils de quelque chose d’inespéré qui tout à coup se réalise. Je voulais faire trouvaient que cela ne faisait pas rire. Heureusement du cinéma depuis l’âge de vingt ans, mais à l’époque, le cinéma fran - les Nuls étaient de mon côté, et nous avons répondu qu’il ne fallait pas Le film Red is dead dans La Cité de la çais était très fermé. Il y avait très peu de premiers films, et pour celui couper car il s’agissait-là de l’esprit même des Nuls. Nous avons donc peur . qui avait envie de faire du cinéma, les portes se fermaient. organisé une avant-première, et les producteurs ont été très étonnés de L’arrivée de Canal + a, je crois, changé un peu le monde du voir que tout le monde éclatait de rire. C’est pourquoi je vous conseille cinéma. Tout à coup, tout s’est démocratisé, les portes se sont de toujours faire ce que vous avez envie de faire. Si vous pensez que vous ouvertes, et tout est devenu un peu plus facile. J’avais été cri - avez raison, battez-vous, et n’écoutez pas les autres. Dites oui, mais ne tiqué à l’époque avec Les Nuls, car nous passions pour des le faites pas. Ensuite j’ai fait Le Boulet , principalement parce que j’avais pantins, des gens de la télé qui font du cinéma. 80% des gens très envie de travailler avec Benoît Poelvoorde. J’ai horreur que l’on ne croyaient pas du tout au film et pensaient vraiment que vienne me demander de réaliser des films à la Veber, car dans ce cas, Au premier rang, Chantal Lauby, Alain nous courrions à l’échec. Cependant, quelques journaux comme Studio mieux vaut s’adresser directement à , qui est très efficace Chabat et Dominique ou Première , surtout Studio , nous avaient soutenus. Et enfin, même au dans ce qu’il fait. J’avais donc envie de travailler avec Benoît Poel - Farrugia, trois des Nuls, L’En - dans La Cité de la peur sein de Canal +, à part Pierre Lescure, nous étions regardés comme des voorde, qui est devenu un ami depuis. J’aime également beaucoup (1994). Martiens. Aujourd’hui il y a plus de premiers films qui se font, même si quête corse . Dans un premier temps, j’avais refusé le film car je ne nous amorçons une période un peu difficile pour tout le monde. connaissais pas bien les Corses, et je ne voyais pas l’intérêt de faire un film sur des gens que je ne connaissais pas. Ils ont donc eu l’intelli - Pensez-vous qu’il va devenir plus difficile de faire un premier gence de me suggérer de passer quelques jours sur l’île et de me décider film ? “J’ai surtout fait des ensuite. Et il se trouve que dès les cinq premières minutes de mon arrivée A. B. : Sans doute. J’ai surtout fait des comédies, et quand je en Corse, j’ai adoré. Ce n’est pas tant l’île qui m’a plu, même si elle est comédies, et quand me suis frotté au thriller, cela n’a pas marché. Quand vous effectivement très belle, que les gens qui l’habitent, et cela m’a donné je me suis frotté au faites deux films qui marchent, qui marchent bien même, envie de faire le film. et thriller, cela n’a pas que vous sentez que tout le monde est content, il ne faut pas Patrick Timsit dans marché.” tomber dans le piège d’être trop sûr de soi, de se dire que Vous utilisez des acteurs dotés d’un fort capital sympathie. Paparazzi (1998). finalement tout va vous réussir. Pour Six-Pack , tout s’est passé Lors de l’écriture, vous adaptez-vous à la personnalité des trop rapidement, pas assez de réflexion, et il est vrai que c’était une acteurs, et prévoyez-vous de leur laisser une certaine liberté époque où je pouvais parvenir à mes fins plutôt facilement. de jeu ? A. B. : Il est vrai que mes films ont été faciles à faire grâce Vous étiez effectivement étiqueté comme auteur de comédies. Je me aux comédiens qui m’ont fait confiance. Pour Paparazzi , souviens que quand j’y suis allé voir Six-Pack, je m’attendais à voir une dès le départ, nous avions envie de travailler avec Vincent parodie de thriller… Lindon et Patrick Timsit, et c’est un des rares films pour

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lequel j’ai participé au scénario, avec Danièle Thompson et Jean-Fran - çois Halin. Nous avons écrit l’histoire comme nous avions envie de la raconter, puis nous avons fait quelques ajustements par rapport à la per - sonnalité de Patrick et de Vincent. Dans une comédie, il est nécessaire de donner de l’espace aux comédiens, de les laisser jouer, sans les enfermer dans une mise en scène. C’est peut- “Une comédie qui être pour cette raison que l’on dit parfois que dans la comédie, ne fonctionne pas il n’y a pas de mise en scène. Et pourtant il y en a bien une, est un objet mais elle ne doit pas empêcher de s’adapter aux comédiens, car ce sont eux qui vont amener le rire et vont faire que le sinistre.” film sera réussi ou pas. C’est pourquoi, sur un plateau, je donne toujours de l’air, de l’espace aux comédiens, et je revois parfois mon découpage par rapport à cette nécessité. Il faut savoir s’adapter, trouver la bonne alchimie pour que tout fonctionne, car une comédie qui ne fonctionne pas est un objet sinistre. Si au bout de vingt minutes, si vous n’entendez pas les gens rire, c’est mauvais signe. Fina - lement je suis un peu le premier spectateur de mes films. Certains cri - tiquent ceux qui restent derrière le combo, et qui sont à des kilomètres de l’acteur, mais ce n’est pas vrai. Le combo est un luxe que nous avons aujourd’hui qui me permet d’être le premier spectateur du film. Quand je tourne un plan, je vois tout de suite si cela fonctionne ou pas. Si ça ne va pas je refais une prise en ayant parlé au comédien. Dans une comédie, il faut penser à la personnalité de chacun. Benoît Poelvoorde ne peut pas jouer le rôle de Gérard Lanvin et vice-versa. L’espace de liberté se situe surtout pendant le tournage. Il faut Benoît Poelvoorde laisser le temps au comédien d’aller au-delà de lui-même. Je me souviens et Gérard Lanvin d’une anecdote sur Oscar , que Molinaro a tourné avec Louis de Funès. dans Le Boulet (2002). Molinaro est un très bon metteur en scène, un très bon technicien.

Qui est venu aux Jeudis de l’ESRA… A. B. : Peut-être vous a-t-il raconté cela… Molinaro s’était plusieurs fois frité avec Louis de Funès car c’est un metteur en “Quand vous faites scène qui met en avant le rythme, et Louis de Funès, parfois, une comédie, il faut en faisait trop. Il pouvait faire durer pendant cinq minutes un laisser les plan qui au départ devait durer deux fois moins longtemps, et comédiens vivre.” Molinaro devenait fou. Mais en fait il a bien fait de ronger son frein. Quand vous faites une comédie, il faut laisser les comédiens vivre. Par la suite, si cela ne marche pas, il est possible de couper au montage.

Cette grande place des comédiens n’a jamais amputé votre liberté de metteur en scène ? A. B. : Non, car les comédiens sont là pour jouer et le metteur en scène est là pour filmer. Par exemple, au début du tournage de Paparazzi , chacun essayait de trouver sa place, et j’ai instauré un très bon système… Le matin, Patrick, Vincent et les autres comédiens venaient sur le plateau La Cité de la peur (1994) avec Les Nuls et entre autres Dominique Besnehard, Tcheky Karyo, Jean-Pierre Bacri, Sam Karmann et Gérard Darmon. avant le maquillage, et nous faisions une mécanique de la scène,

40 41 Alain Berbérian vraiment tout ce qu’il y a de plus succinct. Je voyais les déplacements et Mépris , de Godard. C’est un film magnifique que je vois au moins une à partir de là, soit je gardais le découpage que j’avais en tête, soit je le fois par an. C’est cela, pour moi, le cinéma d’auteur, et je ne me suis modifiais légèrement par rapport à ce que les comédiens faisaient. C’est jamais pensé assez génial pour me lancer dans ce genre de films. ainsi que j’ai découvert qu’il était beaucoup plus efficace de filmer Vincent et Patrick ensemble que de faire des champs contrechamps : Cela dit, les réalisateurs à la hauteur de Godard, Bergman et Hitchcock quand je les laissais jouer dans le cadre, ils avaient une espèce d’aisance ne sont pas très nombreux…. naturelle. En champs contrechamps, cela fonctionnait moins bien. A. B. : Il y a bien sûr d’autres films d’auteurs excellents. Si vous faites un court métrage qui est remarqué et qui vous permet de tenter une aven - Vous avez peu participé aux scénarios, ce qui est très particulier, car ture, et si vous plaisez au public et aux critiques, petit à petit 95% des cinéastes sont également scénaristes de leurs films. votre nom va s’imposer. En ce qui me concerne, ce qui a été “Si vous avez des A. B. : D’habitude, quand on me remet un scénario et que je l’accepte, à la fois traître et en même temps une bonne chose, c’est le choses à dire il ne je le retravaille. Par exemple, quand j’ai reçu le script de L’Enquête fait que j’ai commencé avec un succès, et que par la suite faut pas hésiter à corse , écrit par Michel Delgado et , tout m’a été offert sur un plateau. De plus j’aime beaucoup la vous lancer dans le j’ai dit qu’il y avait des scènes que je ne pouvais pas comédie et les comédiens avec lesquels j’ai tourné. J’ai cinéma d’auteur.” tourner. J’en étais à mon cinquième film et j’avais d’ailleurs souvent accepté un projet pour ses comédiens. Mais compris que si je n’arrive pas à faire une scène, c’est si vous avez des choses à dire il ne faut pas hésiter à vous qu’elle est mal écrite. Quand je lis une scène, je vois lancer dans le cinéma d’auteur. J’aime beaucoup les cinéastes américains mon découpage, je sais si je fais un mouvement de des années 50-60. Christian Clavier dans L’Enquête corse (2004). caméra, comment je vais changer de plan, si je fais un gros plan, etc. Si je n’arrive pas à faire ce découpage, c’est que quelque chose cloche. Gérard Oury est un auteur car ses films sont reconnaissables : la notion J’avais donc dit à Christian que je préférais revoir certaines scènes que d’auteur est assez large… je n’avais pas envie pas filmer. Je n’accepte pas un scénario de A à Z sans A. B. : Gérard Oury est beaucoup plus auteur que moi. Je suis plus inté - dire ce que j’en pense. ressé par les cinéastes de l’époque hollywoodienne des années 60, comme Richard Fleischer. Je les admire beaucoup car ils savaient faire À ce moment-là, n’avez-vous pas la tentation d’écrire vous-même la aussi bien des drames, que des thrillers ou des comédies. Fleischer a totalité d’un scénario ? fait Les Vikings , Le Voyage fantastique , L’Étrangleur de Boston , Soleil A. B. : Après le succès de La Cité de la peur , j’ai reçu beaucoup de pro - vert … Le fait de s’essayer à plusieurs styles est ce qui me passionne positions de scénarios, qui étaient évidemment des comédies, car dans dans le cinéma : je me suis donc efforcé, dans mes comédies, à faire des le cinéma français, quand vous avez du succès dans un domaine, les gens choses très différentes. Paparazzi n’a rien à voir avec le non-sens de La veulent que vous continuiez dans la même direction. Par exemple, Cité de la peur , de même que dans L’Enquête corse , j’ai voulu rendre j’avais reçu le scénario de La Vérité si je mens , mais j’avais refusé de le hommage aux films de la Gaumont des années 60. tourner car je ne connaissais pas bien le milieu du Sentier, je ne pensais pas être la personne qualifiée pour faire le Ce que vous dites pousse à s’interroger sur la place du metteur en scène. “Je me suis retrouvé film. D’ailleurs le scénario ne m’avait pas tellement fait rire. En effet, sans diminuer votre mérite, dans La Cité de la peur , les gens ont pris dans un Et puis Thomas Gilou se l’est très bien accaparé. Donc peut-être eu d’abord l’impression de voir plus un film de Les Nuls que tourbillon, et je n’avais j’ai eu une carrière assez facile car de film en film, j’ai d’Alain Berbérian. finalement plus le toujours eu des propositions. J’avais l’impression d’être A. B. : Mais cela ne me gênait pas car Les Nuls m’avaient bien dit que temps de penser dans un restaurant, on venait me donner le menu et je si le film était un succès ce serait grâce à eux et si c’était une merde, ce vraiment à moi.” pouvais choisir les plats qui me convenaient le mieux. Je serait à cause de moi. Non, plus sérieusement j’étais très heureux de me suis retrouvé pris dans un tourbillon, et je n’avais fina - me mettre au service de leur humour. lement plus le temps de penser vraiment à moi. D’un Thomas Langmann sur le tournage du . autre côté, j’ai toujours pensé que les auteurs devaient être des gens un Et sur Le Boulet, quelle a été la place de Thomas Langmann, le Boulet peu géniaux. Quand j’étais jeune, j’allais voir les films de Bergman, producteur du film, qui est de notoriété publique assez inter - ceux d’Hitchcock. C’étaient des cinéastes hors norme, qui non seulement ventionniste. Au point de cosigner Astérix et les Jeux olympiques, avaient quelque chose à dire, mais qui par ailleurs savaient faire du avec Frédéric Forestier, qui est justement lui-même le cosigna - cinéma. Dans les films de Bergman, l’utilisation du noir et blanc, sa taire du Boulet ? façon d’exposer l’incommunicabilité du couple, montrent bien que c’est A. B. : Thomas est un passionné de cinéma qui a des idées tout un auteur à part entière. J’avais également été enthousiasmé par Le le temps, même pendant le tournage. Sur Le Boulet , si nous

42 43 Alain Berbérian avions gardé tout ce que nous avions tourné, des millions. En ce qui me concerne, je ne le film aurait fait plus de trois heures. La suis pas pour les gros budgets, je préfère faire scène où José Garcia fait des pompes en des films tranquilles, mais là c’était différent. plein désert, il en a eu l’idée une semaine avant le tournage, et il m’en a parlé. Je lui Rien que le détachement de la Grande roue, ai répondu qu’il faudrait prendre une grue Place de la Concorde, a dû coûter cher… en plein désert, des cascadeurs, cela se met A. B. : Sur tous mes films suivants, j’avais le en place. final cut. Le problème c’est qu’à un moment donné certains ont cru que j’étais au service C’est une idée de metteur en scène et non de je ne sais qui. Ce n’est pas vrai. Je fais un de producteur. film si j’ai décidé de le faire, je prends toutes A. B. : Oui, l’exécution de la scène sans les responsabilités. J’assume mes six films, aucun doute car Thomas n’avait aucune idée car c’est le metteur en scène qui est respon - des complications que cela engendre sur un sable de son film, et non pas le producteur ou tournage, surtout quand on est à l’étranger, les comédiens. À partir du moment où vous que les hôtels sont bookés pendant trois mois, acceptez un scénario, il s’agit de votre film,

La scène de la Grande roue des Tuileries dans Le Boulet . que toutes sortes de choses sont payées à et s’il ne marche pas c’est de votre faute. Le l’avance. Si vous ajoutez une semaine, cela fait que L’Île au(x) trésor(s) ne fonctionne pas vous retombe dessus. C’est d’ailleurs l’une m’a beaucoup touché, car ni Jugnot, ni le des raisons pour laquelle Frédéric a tourné producteur, ni le scénariste n’étaient en tort, des scènes en parallèle. mais bien moi, puisque j’avais accepté de faire le film. Comment vous êtes-vous partagé le travail et quelle était la nécessité d’être deux sur ce Cela vous complique-t-il la vie pour le sep - film-là ? tième qui arrive ? A. B. : De même que pour Astérix , étant A. B. : Cela me complique la vie dans le sens donné l’étendue du travail supplémentaire, où je n’ai plus eu envie de tourner. Quand nous avons divisé le travail. Sur un film, je vous êtes habitué à faire des films qui mar - n’accepterais jamais de partager quoique ce chent, si l’un d’eux un jour ne marche pas, soit avec personne, mais sur Le Boulet , cela vous fait quelque chose. Mon ex-agent Thomas voulait vraiment taper fort, il s’agis - disait que lorsqu’il allait voir le film d’un sait de son premier film, il voulait dépenser auteur mais que le film ne lui plaisait pas, il Paparazzi (1998) avec Patrick Timsit, Vincent Lindon et .

44 45 Alain Berbérian lui disait qu’il avait fait le film qu’il avait envie Selon la formule consacrée, tous les matins Cité de la peur, d’être catalogué comme autres. J’ai donc écrit un film psychologique de faire, ce qui sous-entendait qu’il avait eu vous arriviez sur le tournage en disant : « Je auteur de comédies, et qu’ensuite sur un film en anglais, car j’écris beaucoup plus facile - envie de faire une merde. C’est-à-dire qu’il suis très heureux d’être là » et vous alliez comme Six-Pack, le public ne soit pas au ment les dialogues en anglais. Maintenant faut toujours revendiquer les films que l’on vomir… rendez-vous ? le problème est de savoir où le financer, car a faits. Je dois assumer l’image, la direction A. B. : J’étais inconscient des problèmes qui A. B. : Oui, c’est frustrant bien sûr. Mais ce le cinéma anglais n’existe plus, il faudrait des comédiens ou l’absence de direction des pouvaient arriver, inconscient du fait que le que j’aime avant tout, ce sont les films noirs trouver un traducteur. Actuellement je comédiens. Le fait que le film marche ou pas film pouvait ne pas marcher, je n’y pensais américains. Or pour réaliser un film, il faut prépare un prochain film sur lequel je parti - est de la faute du metteur en scène. pas. Je tournais, je tournais, et les seuls pro - avoir toute une équipe derrière soi, et en cipe à l’écriture. C’est une comédie. blèmes que nous avons eus ont été la pluie, France, nous n’avons pas les moyens qu’ont Depuis La Cité de la peur, a ou des choses dans ce genre. les Américains. Regardez les scènes de Avez-vous éprouvé un plaisir particulier à réalisé un certain nombre de film, Chantal poursuite dans La Mémoire dans la peau , travailler avec des effets spéciaux, dans L’Île Lauby en a fait un, Dominique Farrugia en a Entre les fausses pubs et le long métrage, difficile de faire la même chose dans un au(x) trésor(s) ou dans Le Boulet , avec cette fait deux. En d’autres termes, n’avaient-ils vous n’avez pas fait de court métrage ? film français. fameuse scène d’anthologie de la grande pas déjà de velléités de tout contrôler ? A. B. : Quand vous avez la possibilité de roue qui se détache ? A. B. : Non, pas du tout. Les comédiens qui faire un court métrage, faites-le, car cela Alfred Lot a réalisé La Chambre des morts, A. B. : Je déteste les effets spéciaux car ils sont également réalisateurs savent très bien compte toujours. J’avais moi-même écrit un qui est un thriller de qualité, qui n’a pas à sont faits par les autres. Je suis allé voir 2012 faire la part des choses. Sur Paparazzi , Patrick court métrage. Il était prêt à tourner, quel - rougir de la comparaison avec Le Silence et cela m’a suffi. Timsit m’avait confié que la mise en scène ne qu’un s’était chargé de trouver les caméras. des agneaux. l’intéressait pas du tout, alors qu’un an plus Mais cette personne m’appelle trois jours A. B. : C’est vrai, mais le film n’a pas été un En même temps, les Américains étaient un tard il tournait Quasimodo , donc je pense avant le tournage en me disant qu’elle n’a gros succès, car le public attend toujours que peu obligés de faire appel aux effets spé -

“Je tournais, je tournais, et les seuls problèmes que “Nous n’avons pas les moyens de faire Pirates des Caraïbes .” nous avons eus ont été la pluie, ou des choses dans ce genre.”

l’on fasse mieux que les Américains, mais ciaux, car cela aurait demandé un très gros que tout le monde est tenté par l’idée de rien, ni caméra, ni rien. Je me suis donc c’est impossible. Nous n’avons pas les budget de détruire la planète… réaliser. À l’époque de La Cité de la Peur , enfermé chez moi tout le weekend, et j’ai moyens par exemple d’avoir autant de figu - A. B. : Je suis un peu nostalgique de l’époque Alain m’avait raconté l’histoire de Didier . Il regardé des films. Le lundi matin, je suis allé rants pour faire une scène de pirates, nous où les gens étaient le sujet des films. Les mau - avait déjà écrit une sorte de synopsis ou de à Canal + et j’ai dit qu’en cette période de n’avons pas les moyens de faire Pirates des vaises langues disent du cinéma français que traitement et il m’avait raconté tout le film, un vacances, personne n’utilisant les caméras, Caraïbes . C’est pourquoi je trouve que le c’est le couple devant l’abat-jour, mais je ne soir où nous revenions d’une avant-première je pourrais peut-être les emprunter, et là, un cinéma français est à sa bonne place. Les suis pas d’accord. Les films de Claude Sautet de Lille, et j’ai été très heureux de voir un miracle s’est produit, et on m’a dit oui. J’ai comédies fonctionnent, le cinéma d’auteur dans les années 60, 70 représentent un jour qu’il avait pu le faire. ainsi tourné mon premier court métrage, en aussi. Les films n’ont pas besoin de faire cinéma qui n’existe plus, malheureusement. vidéo car je n’ai pas pu tourner en film, mais 3 millions d’entrées : quand ils en font Le cinéma américain avait fait des films fan - Qu’est-ce qui a été compliqué dans la réali - ce n’est pas grave. Un an plus tard, Domi - 500 000, c’est déjà pas mal du tout. Je trouve tastiques dans les années 70. Le film primé sation de ce premier long métrage, surtout nique Farrugia a vu le film et m’a proposé le cinéma français très diversifié : Welcome , en 1970 aux Oscar était Macadam Cowboy , du côté des financements, puisque vous de réaliser les fausses pubs des Nuls. Tout de Philippe Lioret, est formidable. Je pense qui était un film considéré comme porno - disiez qu’à Canal +, vous étiez considérés cela pour vous dire que quoique vous fassiez, que l’avenir du cinéma européen est de ne graphique à l’époque. Il a été le premier film comme des Martiens ? cela peut toujours vous servir. Faites autant pas faire comme les Américains. soi-disant porno à recevoir l’Oscar du A. B. : Cela ne nous a pas gênés car Lescure de courts métrages que vous le voulez. Peut- Meilleur film, il racontait l’histoire d’un clo - voulait que le film se fasse. Vous allez me être que si je n’avais pas fait ce court métrage, Vous avez dit que vous n’écriviez plus vos chard et d’un gigolo prostitué. Il n’y a plus prendre pour un menteur mais rien n’a été Les Nuls ne m’auraient pas appelé, car je films depuis Paparazzi et Six-Pack. Pourtant de films de ce type maintenant. Maintenant compliqué, car il y avait un réel engoue - n’avais été que leur monteur. j’avais beaucoup aimé Paparazzi, et si le film on fait plutôt des films popcorn. En France ment. J’avais été prévenu que tous les jours a marché, pourquoi les autres ne marche - non plus nous n’avons plus ce genre de une tuile nous tomberait dessus, et tous les Vous nous avez dit aimer particulièrement raient-ils pas ? cinéma, car ce sont les chaines de télévision jours donc j’attendais les problèmes, qui ne les films noirs. N’est-ce pas un peu une frus - A. B. : Après L’Île au(x) trésor(s) , j’ai eu envie qui produisent, et vous devez faire un film sont jamais arrivés. tration, après un grand succès comme La d’écrire, je ne voulais plus travailler pour les pour le 20h30 de TF1. Il faut reconnaître que

46 47 Alain Berbérian France2 et France3 font un effort. Arte n’a pas beaucoup d’argent, donc la chaîne produit des films à très petit budget, qui ne passent pas dans les salles. Donc sans vouloir vous démoraliser, aujourd’hui vous êtes un peu obligés de faire ce que l’on vous demande, du prime time pour TF1, ce que pour ma part j’évite de faire trop souvent. Le cinéma français qui est encore très riche, est tout de même sous la coupe des télévisions. D’un autre côté je pense que ce pays manque de scénaristes aujourd’hui. Je refuse la plupart des scénarios que je reçois car ils sont souvent très mal écrits.

J’ai pourtant l’impression que les réalisateurs se sentent assez libres dans leur travail, et ils ne revendiquent pas pour leurs propres films le poids de la télévision. Ils ne parlent de cela que quand ils visent le film des autres. Alors est-ce vraiment cela le problème ? A. B. : Une fois que vous avez un nom, tout est beaucoup plus Six-Pack facile. À l’époque, avait été produit par TF1, en dépit “Lorsque Canal + du fait que le film était interdit aux moins de 12 ans, pour sa vio - achetait à peu près lence. Je parle de ceux qui n’ont pas encore de nom et qui ont tous les films, envie de faire un film ambitieux, ou différent. Lorsque Canal + achetait à peu près tous les films, c’était beaucoup plus facile. c’était beaucoup Mais maintenant la chaîne trie beaucoup plus, car elle aussi a plus facile.” besoin de faire de l’audimat à 20h30 et elle n’a pas intérêt à pro - duire des films qui passeront à 23h. Mais il est vrai qu’une fois que vous avez un nom, vous êtes respecté. Contrairement à ce qui est dit, TF1 ne surveille pas tout et est très respectueuse des cinéastes.

D’avantage que Thomas Langmann ? A. B. : Je ne peux pas critiquer Thomas car c’est un passionné de cinéma que je compare un peu au Selznick d’ Autant en emporte le vent , qui virait des metteurs en scène, qui avait fait retourner des scènes à Hitch - cock, et qui avait raison quelque part. Dans Rebecca , quand Selznick avait regardé la scène où Joan Fontaine est au bord de la fenêtre pour se suicider, il avait été choqué de voir qu’elle était si bien coiffée, et il avait fait retourner la scène. “Je trouve Donc Thomas est quelqu’un qui adore le cinéma et il revient dramatique le fait aux gens de le maîtriser. Par exemple quand Jan Kounen a de chambouler le tourné Blueberry , j’ai appris que Thomas n’avait pas le droit scénario en plein de venir sur le plateau, car il le connaissait bien et avait donc tournage.” pris toutes les précautions pour ne pas être gêné durant le tournage. En ce qui me concerne, je trouve les deux volets de Mesrine très réussis. J’ai été étonné qu’il fasse Astérix car je pensais qu’il n’était pas intéressé par la mise en scène. Pour un producteur, le scénario est primordial car le scénario est une bible, et il me paraît très important que tout le monde se mette d’accord dessus avant le tournage. À moins d’être un génie, je trouve dramatique le fait de chambouler le scénario en plein tournage. Les acteurs sont perdus. Si vous voulez réussir un film, surtout, peaufinez votre scénario au maximum, et que tout soit là au moment du tournage. Et c’est seulement par la suite que des choses Six-Pack (2000) avec Frédéric Diefenthal, et Chiara Mastroianni. peuvent être changées.

48 49 Alain Berbérian C’est une idée anti Nouvelle Vague… grand, pensez au décor. Ce que j’ai appris A. B. : Le film a coûté 32 millions de francs A. B. : Je trouve Lelouch génial, pour avoir fait Un homme et une femme sur les fausses pubs, c’est que parfois avec et a rapporté 70 millions d’euros. en 1966. À l’époque les films étaient très lourds, tournés dans les studios, peu d’argent et en utilisant bien le décor, on et cet homme est arrivé avec un film sans dialogue, avec des comé - peut donner l’impression que les moyens Quand vous recevez des scénarios, ont-ils diens qui improvisent, une musique formidable. Il y a donc mille façons étaient là, alors que franchement nous ne les d’abord été sélectionnés par des producteurs de faire du cinéma. Mais qu’est-ce que la Nouvelle Vague ? Les der - avions pas. ou vous sont-ils adressés directement ? Et niers films de Truffaut sont assez académiques. La Nouvelle Vague lorsque vous recevez des scénarios de jeunes émanait d’un désir de liberté, d’un besoin de casser les murs des studios. Quand vous vous retrouvez un peu général scénaristes, quelles sont les erreurs majeu - J’adore la Nouvelle Vague anglaise, le free cinema avec Schlesinger, de corps d’armée sur des films lourds avec res que vous y trouvez ? Karel Reisz, Tony Richardson, qui ont fait des films qui ne sont pas des décors et des effets spéciaux importants, A. B. : Généralement mon agent chez Art - connus. Je vous invite à vous pencher là-dessus même si la plupart une équipe et une régie très nombreuse, le media est celui qui reçoit les scénarios. À vrai n’existent pas en DVD. Ces cinéastes savaient diablement bien filmer et poids de l’organisation n’est-il pas un peu dire j’ai très peu reçu de premiers scénarios. avaient une liberté de ton. pesant par rapport à celui de l’art ? Ce sont souvent des boîtes de production qui A. B. : Il est très important de bien choisir m’envoient des comédies écrites par leur pool Dans La Cité de la peur, vous utilisez le steadycam. Quels ont été les films son équipe, au même titre que le casting des de scénaristes. Pour une bonne comédie, il y qui vous ont inspiré ces mouvements de caméra ? Ces plans ont-ils été comédiens, du premier assistant au stagiaire. en a souvent cent qui sont nulles. Très peu difficiles à mettre en place ? Et dans quel intérêt avez-vous fait cela ? Si vous avez une équipe homogène, géné - de films que j’ai refusés se sont faits finale - A. B. : Dans La Cité de la Peur , c’était primordial. La poursuite de Chabat ralement tout se passe bien, mais si vous ment, à part La Vérité si je mens . J’ai refusé La sur la Croisette a été tournée presque entièrement en steadycam, sur faites un mauvais casting, vous risquez Marque jaune et le film ne s’est pas fait. C’était une moto, tout comme la montée des marches. d’avoir la tour de Babel où personne ne se une BD que j’avais très envie de porter à Mais je suis contre l’idée de tourner la totalité comprend, où les gens ne s’entendent pas. l’écran, mais le scénario me paraissait assez d’un film en steadycam. Dans La Cité de la désuet, et je n’avais pas envie de ça après Peur , tout bouge beaucoup à l’arrivée à Vos films sont-ils storyboardés ? avoir vu Piège de cristal . Cannes, le steadycam s’est donc imposé car A. B. : Je ne storyboarde que les scènes d’ac - beaucoup plus pratique comparé aux travel - tions difficiles à faire, comme celle de la roue Dans vos comédies, avez-vous pour seule lings. De plus ce moyen vous permet de peau - dans Le Boulet ou la poursuite sur la Croi - prétention celle de divertir, ou bien avez- La scène de la poursuite sur la Croisette de finer votre mise en scène, et si vous avez envie de changer vous pouvez sette dans La Cité de la peur . Je trouve qu’il vous un cheval de bataille, des obsessions… ? Cannes dans La Cité de le faire tout de suite, alors que si vous avez installé le travelling, ce sera est stupide de tout storyboarder car il faut A. B. : L’objectif premier d’une comédie est . la peur toute une histoire si vous voulez changer. Et Les Nuls m’ont fait un beau toujours se laisser la possibilité de changer celui de faire rire. Mais j’essaie toujours de cadeau car ils ont écrit le scénario en sachant que certaines scènes des choses en fonction du jeu des comé - ne pas bâcler la mise en scène. Je cherche imposaient l’utilisation du steadycam, de la grue, et de tout ce qu’il diens, par exemple. Mais bien entendu je toujours à faire une mise en scène qui me nous était donné d’utiliser techniquement à cette époque. Nous avons fais un découpage dans ma tête, car il est plaît, à moi, tout en mettant en avant le rire. même utilisé la pogocam quand Chabat court sur la Croisette. C’était une très dangereux d’arriver sur un plateau sans La mise en scène ne doit pas bouffer le côté caméra ultra légère, attachée à un petit poteau que tient le caméraman, savoir à l’avance comment tourner la scène. comique, mais il ne s’agit pas juste de faire qui ne voit pas du tout ce qu’il filme. Je tourne en général d’après le découpage du champ contrechamps, de filmer tous les que j’ai en tête, ce qui est mieux pour les axes et de donner le tout au monteur. En quelle saison le film a-t-il été tourné ? comédiens, qui sentent cadrés par la mise A. B. : Le film a été tourné en été, après le festival, auquel j’étais allé pour en scène. De plus, au lieu de faire quarante Mais la forme comique est aussi propice à faire quelques plans de coupe avec plusieurs caméras, que nous avons prises, je ne fais que les vingt nécessaires qui délivrer un message, à traduire un malaise ensuite mélangés au film. Pour vous dire la vérité, 80% du film a été vont aller au montage. En revanche pour la de la société, on peut rire jaune… tourné à Paris, bien que l’histoire se passe à Cannes. steadycam, le travelling, etc., le découpage A. B. : Oui, et c’était le cas de Paparazzi , est fait à l’avance. De plus l’assistant doit mais pas du Boulet . Et c’est vrai que j’aime C’est la magie du cinéma… toujours savoir quel est le prochain plan afin beaucoup Paparazzi car ce n’était pas une A. B. : Les décors sont très importants car ils vont créer l’univers que de le préparer. Car sur huit heures de tour - comédie-comédie, il y avait un côté noir. vous avez envie de faire. Quand Chabat reçoit la mission qu’il doit nage par jour, quand vous débordez, le film D’ailleurs l’image de ce film n’est pas une accomplir, j’ai tourné dans le bureau de pub de Euro RSCG, car il était entier peut être retardé. image de comédie, très colorée, très chaude, grand et avait une grande baie vitrée, et il faut toujours faire attention à elle est assez sombre, avec une texture natu - ne pas enfermer les gens. Quand vous faites un film en scope, pensez Quel a été le budget de La Cité de la peur ? relle.

50 51 Alain Berbérian Vous ne ressentez donc pas le besoin de délivrer un message… A. B. : Quand on me confie un scénario, je me mets d’abord en tête de le réussir. J’ai bien conscience de la résonnance de l’histoire, mais il ne faut pas être prétentieux, et la comédie est d’abord là pour amuser les gens. Je n’ai pas fait des comédies italiennes avec une critique sociale derrière. Mais par exemple L’Enquête corse contient un sujet sérieux.

Concernant L’Enquête corse, cela paraissait une gageure d’adapter cette bande dessinée, car la plupart des bandes dessinées ont un côté cari - catural concernant les personnages. S’il avait fallu trouver des acteurs ressemblant vraiment à Jack Palmer ou à Astérix tels que dans la BD, ils auraient été physiquement monstrueux. À partir de quel moment avez- vous su qu’il fallait traiter le personnage de façon beaucoup plus réaliste que la BD, et comment s’est fait l‘équilibre entre la nécessité de rendre le personnage plus humain et réaliste, et celle de conserver l’essence de l’absurdité de la situation en Corse ? A. B. : À partir du moment où vous décidez de faire un film, il faut aller vers plus de réalisme. À une époque j’avais décidé d’adapter la BD de mon frère, Monsieur Jean . Nous avons donc travaillé le scénario pour en faire une comédie romantique, jusqu’à ce que les pro - ducteurs se mettent à tout changer. Or je trouvais que “Qu’est-ce que la cette BD avait une intelligence, une spécificité, qui don - comédie romantique ? naient une originalité à la comédie romantique. Qu’est-ce Un homme rencontre que la comédie romantique ? Un homme rencontre une une femme, qu’il a femme, qu’il a peur d’épouser. À la fin du film ils se sépa - Diamant peur d’épouser.” rent pour finalement se retrouver. Par exemple, sur canapé , de Blake Edwards. Je trouvais qu’il fallait garder le côté BD de Monsieur Jean et les producteurs en ont fait quelque chose de tout à fait banal, qui a été vu cent fois au cinéma, le couple qui s’aime mais qui ne veut pas rester ensemble, qui se sépare pour se retrouver à la fin.

Quand Lauzier ou Martin Veyron adaptaient leurs bandes dessinées avec des personnages relativement réalistes, ne réussissaient-ils pas à garder un ton particulier ? Comme dans Je vais craquer qui était une adaptation de La Course du Rat, ou bien pour Martin Veyron, L’Amour propre ne le reste jamais longtemps. A. B. : Pour L’Enquête corse , nous avions une idée de ce que Palmer joué par Clavier pourrait donner.

De plus, le tandem Clavier / Reno avait déjà marché dans Les Visiteurs. A. B. : Et je craignais d’ailleurs que les gens prennent cela pour une opé - ration marketing, alors que je pensais que Réno était vraiment le comé - dien qu’il fallait. J’adapte actuellement la BD de mon frère, Boboland , ce qui est très difficile, car les personnages sont des caricatures, il n’y a pas d’histoire, ce sont des sketches. Pour en faire un film, il faut donc trouver une histoire, et y inclure ces personnages, pour rester fidèle à la BD. J’avais été un peu déçu par Blueberry , car le film n’avait rien à voir avec Le Boulet (2002) avec Gérard Lanvin, Benoît Poelvoorde, Gérard Darmon, Jean Benguigui et José Garcia.

52 53 Alain Berbérian la BD. Mais je sais que Jan Kounen a fait le meilleurs amis était à l’ESRA, pendant que possible de faire, en français, des thrillers poque. De plus, il n’y avait pas d’histoire, film qu’il avait envie de faire, et c’est ce qui j’étais à Dauphine. Et finalement il n’a pas fait qui marchent très bien. ce qui était risqué car les gens auraient pu compte. de cinéma ! Moi, quand j’étais en fac, j’allais décrocher au bout de vingt minutes. Mais tous les jours au cinéma, ce qui reste la A. B. : Au risque de paraître un peu méchant, j’aime bien ce qui est un peu difficile. Par C’est ce qui fait d’ailleurs que les adapta - meilleure école qui soit. Il ne faut pas s’enfer - je trouve que les acteurs de l’époque, tels exemple, nous savions très bien que Papa - tions des albums de Reiser et Wolinski, qui mer dans son cinéma, mais aller voir ce que que Simone Signoret, , Jean-Paul razzi n’était pas une comédie à la française sont en général un ensemble de trois plan - font les autres. Je me demande même comment Belmondo, avaient de très fortes personna - où l’on rit tout le temps. ches, n’ont donné que des films assez déce - j’ai pu réussir à Dauphine car nous allions tous lités, qu’il est difficile de retrouver aujourd’ - vants, proposant des enfilages de scènes. Il est les après-midi voir des films sur les Champs. hui. De plus l’époque des stars est terminée. Comment travaillez-vous avec votre direc - par ailleurs impossible d’adapter Le Gros teur photo ? Avez-vous directement une Dégueulasse avec un personnage au calbute J’ai l’impression que Six-Pack était vraiment Vous avez pourtant dirigé tous les acteurs les image en tête ou bien lui laissez-vous beau - sale et les couilles qui pendent… un film noir à l’américaine, un peu à la plus bankable de France. Que diriez-vous si coup de liberté ? A. B. : Il faut déjà bien choisir la BD. Je trouve Seven, comptez-vous refaire un thriller, et cela n’avait pas été le cas ? A. B. : Il s’agit d’une collaboration, voire très réussie l’adaptation que les Américains peut-être même l’exporter ? A. B. : J’ai justement tourné mes films avec même d’une amitié entre le chef opérateur et des comédiens que j’aimais, le contraire le metteur en scène. J’aime mettre en place m’aurait été impossible. Quand j’ai voulu chaque plan, faire le cadre, placer la caméra, faire Monsieur Jean , qui était une comédie choisir la focale. Je pense que cela n’a pas de romantique, je cherchais un comédien de sens de faire du cinéma sans faire cela, car 30-35 ans, un peu à la Hugh Grant, avec du faire du cinéma c’est avant tout faire de charisme, et je ne l’ai pas trouvé. l’image. Le chef opérateur, lui, s’occupe de

“J’aime mettre en place chaque plan, faire le cadre, placer la caméra, choisir la focale.”

Il est dit que Les Nuls ont été beaucoup la lumière. Avant de commencer le film nous influencés par les Monty Python, l’avez-vous nous mettons d’accord sur la couleur, etc. été aussi pour faire Alain Berbérian sur les plateaux de La Cité de la peur , Le Boulet , L’Enquête corse et L’Île La Cité de la peur ? Mais j’aime m’occuper du cadre de l’image, au(x) trésor(s) . A. B. : J’adore l’humour anglais, notamment scope ou pas scope, et les chefs opérateur la série Little Britain , que je trouve très déca - aiment bien que le metteur en scène s’inté - ont faite de Watchmen . Tout comme From A. B. : Je suis bilingue, donc si je continue à dente et drôle. Et je trouvais que l’humour resse aussi à cela, ils se font assez chier s’ils Hell , l’adaptation d’une BD sur Jack l’éven - faire des films français, ce sera pour faire des des Nuls avait ce côté-là, anglais, un peu font tout eux-mêmes. Malheureusement mon treur avec Johnny Depp. comédies, ou des comédies romantiques. aussi américain, très différent des Inconnus. dernier chef opérateur, Vilko Filac, un Si je devais faire un thriller, ce serait Moi qui n’étais pas porté sur la comédie, j’ai homme formidable qui avait fait les films de Votre frère étant dessinateur de BD, vous- en anglais. En français, je trouve que le thriller aimé le genre à travers eux. Kusturica, est mort récemment d’une crise même réalisateur, dans quelle genre de fonctionne très bien dans les films d’Olivier cardiaque. Il aimait travailler avec le metteur famille avez-vous grandi pour avoir une telle Marchal, comme 36 Quai des Orfèvres , Y compris dans les aspects de problèmes gas - en scène. Les gens se sentent malheureux si énergie artistique ? mais ce n’e st pas le genre de thriller que je triques et dans le plaisir de régurgiter. vous les laissez faire leur boulot sans vous A. B. : Quand nous étions petits, Charles des - veux faire. A. B. : Mais vous savez qu’à l’époque, il n’y en occuper. Le cadre représente l’image que sinait pendant que j’écrivais des histoires avait pas de films comme cela, où les gens j’ai envie de voir, c’est pourquoi je préfère le comme des films. À dix et treize ans, nous Il y en a eu pourtant de très beaux dans les pétaient. choisir moi-même. savions donc déjà ce que nous voulions faire. années 60. A. B. : Oui, bien sûr, mais on en revient tou - À part dans La Grande Bouffe… Avez-vous un directeur photo de prédilec - Vous parents vous ont-ils soutenus ? jours aux années 60 avec Clouzot, Les Dia - A. B. : À part dans La Grande Bouffe , qui tion ou bien essayez-vous de travailler avec A. B. : Pas du tout. Charles a fait médecine et boliques , René Clément, Plein soleil , et je ne était assez spécial, mais c’est cette nouveauté- différentes personnes ? a laisser tomber au bout d’un an, et moi j’ai retrouve pas ce genre de cinéma aujourd’hui. là qui nous intéressait, il n’y avait pas de film A. B. : La grande rencontre, la grande amitié fait gestion. D’ailleurs, à l’époque, un de mes Mais Les Diaboliques prouve bien qu’il est comique comme La Cité de la peur à l’é - pour moi, a été avec Vilko, c’est pourquoi

54 55 Alain Berbérian sa disparition m’a beaucoup affecté. Pour leur part, ou bien de votre expérience pré - mon prochain film, je vais devoir être à la cédente à la télévision ? recherche de quelqu’un d’autre. Je travaille A. B. : Cela ne vient pas de mon expérience plus ou moins toujours avec la même équipe, à la télévision car j’y faisais des fausses pubs, mais avec le directeur de la photo, il faut donc des plans très courts de 30 ou 40 secon - qu’il y ait un coup de foudre. des, avec un montage rapide, mais j’aime les plans longs. Je n’aime pas les films montés Est-ce la même chose avec l’ingénieur du de façon trop rapide, comme ceux de Jean- son ? Marie Poiré. Étant donné que je filme à peu A. B. : C’est plus technique. Ce qui compte près ce que j’ai dans la tête, je ne prends pas c’est que le son sorte bien. Le cinéma est du temps pour filmer tous les axes et trouver avant tout une affaire d’image. Le son n’est la façon dont cela va fonctionner par la suite, pas ce qui va faire que le film est réussi ou au montage. Donc je filme des plans un peu pas. longs car je les vois comme cela. De plus je trouve qu’il est bon, dans la comédie, de Quelle est votre place exacte au montage ? laisser les gens vivre. Le fait de trop couper A. B. : J’étais moi-même monteur, donc fait perdre le rire et l’humanité. quand je filme, j’ai un peu le montage en tête. J’aime que le monteur donne sa part et Vous tournez avec une ou deux caméras ? qu’il me montre des choses que je n’avais A. B. : Pour La Cité de la peur , quelqu’un pas vues. Dans un premier temps, je lui laisse m’avait dit qu’il fallait tourner avec deux donc faire son boulot, puis j’interviens et je caméras, pour aller plus vite. Donc la scène regarde avec lui ce qui me plaît, ce qui ne me du début, avec Valérie Lemercier et Chantal plaît pas, et parfois il ou elle trouve des Lauby, a été tournée avec deux caméras, choses auxquelles je n’avais pas du tout dans des axes opposés. Eh bien je vous jure pensées. Parfois certaines scènes ne fonc - que c’était interminable. Quand vous avez tionnent pas, et le montage est le dernier deux caméras, les comédiens jouent n’im - recours pour sauver la scène. porte comment, car il ne faut pas oublier que les comédiens adorent la caméra. Quand il Choisissez-vous les bonnes prises plus au n’y a qu’une caméra, braquée sur eux, ils tournage qu’au montage ? donnent tout ce qu’ils ont, car ils ont la pres - A. B. : Il est important de les choisir à la fin sion. Ils sentent que l’attention du metteur du tournage, puis le monteur regarde le tout en scène et de toute l’équipe est focalisée et fait un rechecking. Certaines scènes parais - sur eux. Je préfère donc tourner avec sent très bien au tournage et ne s’avèrent pas une seule caméra, quitte à faire les contre - si bien que cela au montage. Et parfois deux champs ensuite. très bonnes scènes ne vont pas ensemble. Quand vous faites le montage sur l’Avid, qui Justement, ceux qui prônent l’utilisation de n’offre qu’un petit écran, il faut toujours faire deux caméras disent qu’en prenant du temps une projection sur grand écran, car beau - pour réinstaller la caméra pour faire le contre - coup de choses, alors, paraitront fausses. La champ, l’humeur et l’énergie se perdent. perception est différente. Certaines scènes A. B. : Je trouve qu’utiliser deux caméras qui vous paraissaient rapides sur Avid, pren - revient à faire de la télévision. J’utilise trois nent des heures sur grand écran. ou quatre caméras pour des scènes d’action, ce que j’ai fait pour les scènes au Festival de Dans La Cité de la peur , vous utilisez beau - Cannes. Mais je trouve le comédien moins coup de plans longs où vous laissez jouer performant quand il tourne une scène de dia - L’Enquête corse (2004) avec entre autres Christian Clavier et Jean Réno. Ci-dessus, un comparatif entre le film et la les acteurs. Cela vient-il d’une demande de logue avec plus d’une caméra. bande dessinée.

56 57 Alain Berbérian Filmographie Alain Berbérian est né le 8 janvier 1953 à Beyrouth (Liban).

1994. LA CITÉ DE LA PEUR . Avec Chantal Lauby, Alain Chabat, Dominique Farrugia. 1998. PAPARAZZI . Avec Patrick Timsit, Vincent Lindon, Catherine Frot. 2000. SIX-PACK . Avec Richard Anconina, Frédéric Diefenthal, Chiara Mastroianni. 2002. LE BOULET . Avec Gérard Lanvin, Benoît Poelvoorde, José Garcia. 2004. L’ENQUÊTE CORSE . Avec Christian Clavier, , Caterina Murino. 2007. L’ÎLE AU(X) TRÉSOR(S) . Avec Gérard Jugnot, Alice Taglioni, Jean-Paul Rouve. I

L’Île au(x) trésor(s) (2007) avec Vincent Rottier et Gérard Jugnot.

Et avec deux caméras, mais dans le même Quand vous tournez, avez-vous déjà le Alain Berbérian à l’ESRA axe, mais avec deux valeurs de plan diffé - montage en tête ou bien seulement une avec Yves Alion. rentes, pour faciliter les raccords ? approximation ? A. B. : Je trouve cela factice, car l’une des A. B. : J’ai déjà le montage en tête quand je deux caméras ne sera pas au bon endroit. Je tourne, mais ce ne sera pas le montage défi - trouve que chaque plan doit être travaillé et nitif, car il ne faut pas rester bloqué dans son qu’il vaut donc mieux prendre un peu plus de idée. Mais les comédiens sont en confiance temps. Mais je suis partant pour cinq ou six quand ils sentent que vous savez ce que vous caméras pour les scènes de foule. allez faire. J’explique toujours aux comé - diens ma mise en scène quand ils arrivent Sur vos six films, combien sont en numé - sur le plateau, à quel endroit je prévois de rique ? mettre la caméra, s’il y aura un travelling A. B. : Aucun, mais j’ai un problème avec avant à telle réplique, etc. Je les fais partici - le numérique. J’ai vu récemment Public per un peu à la mise en scène pour les aider Enemies , de Michael Mann qui est un très à jouer et à faire les raccords. Mais il n’y a bon film, mais je trouve parfois que le numé - que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, rique rend l’image fausse. Pour les scènes et il faut pouvoir changer son découpage. d’action où la caméra bouge beaucoup, j’ai l’impression que c’est filmé au caméscope, Quel est le film dont vous êtes le plus fier ? cela ne fait pas cinéma. En revanche pour A. B. : Si vous aviez des enfants et que l’on les plans de dialogue ou les plans fixes, vous posait la même question, que diriez- l’image est très belle. Mais j’aime le grain du vous ? Je les aime tous mais j’ai un penchant 35mm. pour le premier car c’était le premier. La Cité de la peur est un souvenir inoubliable. I

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