Marcel Albert, un chic type..

L’as de l’escadrille Normandie - Niemen Source : Revues Avion Many Souffan Première partie Dewoitine D.520 n° 87 « 14 » du Sgt , 2e escadrille du GC I/3, Wez-Thuizy 14 mai 1940 [reconstitution].

Dewoitine D.520 n° 318 « 14 » du Sgt Marcel Albert, 2e escadrille du GC I/3, Oran – la Sénia début octobre 1941.

Supermarine Spitfi re Mk Vb serial W3127 « GW-X » du S/Lt Marcel Albert, B Flight du 340 Sqn, Westhampnett juin 1942.

Supermarine Spitfi re Mk Vb serial EN908 « GW-Y » du Cne Émile Fayolle, commandant du B Flight du 340 Sqn à Westhampnett. Cet appareil4 a été utilisé par Marcel Albert le 6 juillet 1942, avec les marques blanches appliquées pour l’opération « Rutter ». LES AS FRANÇAIS 1939-1945 : MARCEL ALBERT, « UN CHIC TYPE »

Longtemps cette photo de l’album de Bernard Dupérier a été un mystère… Nous sommes le 6 juillet 1942 à Westhampnett, le S/Lt Marcel Albert va décoller pour un vol local sur le « GW-Y » de son commandant d’escadrille le Cne Émile Fayolle, absent en raison de la naissance de sa fi lle. Des marquages tactiques blancs ont été apposés pour l’opération « Rutter », un raid sur Dieppe qui sera fi nalement annulé et remplacé 1 mois ½ plus tard par l’opération « Jubilee ». Le général de Gaulle devant visiter la base, son nom a été inscrit sur ce Spitfi re pour honorer sa visite. Mais celle-ci sera retardée et les bandes et le nom auront été effacés quand le général viendra inspecter la base le 11 juillet. (coll. SHD-Air)

Première partie : débuts dans l’Armée de l’Air et la Par Many Souffan (profi ls de Thierry Dekker)

L’homme est humble, un peu timide, le caractère contras- té, l’œil souriant et méfi ant, l’attitude affable et tonique, le sourire enfantin sur un visage sérieux. Si vous lui demandez de raconter sa vie de pilote, il vous répond le verbe haut à la gouaille toute parisienne que ce n’est pas intéressant, qu’il y a plein de chics types mieux que lui. Mais monsieur Marcel Albert, vous aussi, vous êtes un chic type, et votre histoire mérite d’être connue de tous…

Une petite enfance parisienne

Comme la plupart des pilotes qui ont participé à la Seconde Guerre mondiale, Marcel Albert est né pendant la Première, le 25 novembre 1917 à [1]. Ses parents vivent au 40 rue de la Borde, dans le 8e arrondissement. Son père, Louis Marcel Albert est journalier ; sa mère, Marie Virginie Albert, née Gouchon, travaille comme em- ployée de bureau de tabac place de la Pépinière, près de la gare Saint-Lazare. La guerre éclate et Louis Marcel Albert est mobilisé à 25 ans, en 1915, deux mois après la naissance de sa fi lle Marcelline le 26 janvier. Il en reviendra un an plus tard. Pour mieux s’occu-

[1] Dans le 13e arrondissement, dans le tout nouvel hôpital de la Pitié. 5 La seule photo où apparaît le père de Marcel Albert, dont le décès marquera sa vie. Âgé de dix ans, il pose avec sa mère lors de la communion de sa sœur Marcelline en 1927. (toutes les photos : coll. M. Souffan, origine M. Albert, sauf autre mention)

per de sa fi lle, madame Albert quitte son 8-9 ans, le petit Marcel est le chouchou de emploi et devient domestique. La guerre tous ces hommes déracinés, des ouvriers continue avec son besoin de chair à canon, et de son père qui le gâtent et le laissent M. Albert doit retourner au front en 1917 de temps en temps sortir seul les voitures laissant son épouse enceinte. Quelques du garage. Sept ans de bonheur qui s’ar- mois plus tard Marcel Olivier Albert naît rêtent brusquement quand son père est sans que sa mère sache ce qui est ad- rattrapé par les séquelles de son gazage venu de son mari. En effet, lors d’une at- à l’ypérite, accentuées par les problèmes taque, celui-ci est gazé à l’ypérite, légère- pulmonaires dus à son passage prolongé ment blessé, fait prisonnier et écroué en dans les eaux froides du Rhin. Allemagne. À sa troisième tentative d’éva- sion, il traverse à la nage le Rhin non sans diffi culté. Les efforts fournis lors de cette L’installation à la campagne traversée laisseront des traces indélébiles et la mort de son père sur sa santé, mais il réussit, épuisé, à re- joindre les lignes françaises. L’air de Paris ne peut plus convenir à Louis Marcel Albert, qui vend son garage Après avoir retrouvé les siens et recou- pour s’installer dans une ferme à Paray- vré sa santé, M. Albert installe toute sa Vieille-Poste dont les terrains jouxtent petite famille dans le 13e arrondissement l’aérodrome d’Orly. Il devient exploitant et ouvre en 1919 un des premiers garages agricole, se spécialisant surtout dans l’éle- Mercedes Opel dans la capitale, au 2 rue vage des cochons et quelques moutons « Lemaignan dans le 14e arrondissement. qui servaient de tondeuses à gazon pour Le petit Marcel va vivre ses plus belles les pistes » [3]. La vie change pour le pe- années de jeunesse entouré des siens. tit Marcel. C’est la rudesse de la campa- Malgré la proximité du parc Montsouris, gne, il n’y a pas tout le confort dans la où il se rend chaque jour avec sa sœur ferme, l’eau courante arrivera deux ans et sa mère [2], son aire de jeu préférée après son arrivée, c’est l’école primaire où reste le garage de son père avec les voi- il travaille plutôt bien, mais ce sont sur- tures, son atelier de réparation à l’odeur tout les deux hangars à dirigeables [4] tenace de cambouis et les ouvriers qu’il de l’Aéronautique Maritime qui culminent Carte de visite du garage du père de observe avec intérêt. C’est aussi tous ces à 90 mètres, le grand hangar du camp Marcel, qui n’a pas utilisé son premier hommes qui discutent dans une langue d’aviation d’Orly qui sculptent l’horizon prénom Louis. Cela a beaucoup pesé sur qu’il ne connaît pas encore. Les princi- de son quotidien. Très vite, s’ajouteront le futur as, qui aimait dire qu’il s’appelait paux clients de M. Albert sont des Russes d’autres bâtiments dont ceux des deux Marcel Olivier Albert… blancs qui se sont installés à Paris avant aéroclubs civils, sans oublier tous les ty- la révolution d’octobre ; la plupart sont pes d’aéronefs qui parsèment le terrain de chauffeurs de taxi et souvent, ils se réu- plus en plus en vogue. Ce qui fascine le nissent au garage. Jusqu’en 1925 et ses jeune Marcel, ce n’est pas tant l’appel du

Carte postale d’époque montrant les grands hangars à dirigeable de l’aéroport d’Orly. Le terrain de la ferme familiale de Marcel Albert jouxtait celui où se trouvaient les deux Un porte-calendrier qui se trouvait dans le hangars par l’arrière. (coll. M. Souffan) garage de son père. Le slogan va com- me un gant à l’as : « Il ne craint rien, pas [2] La rue Lemaignan, où se trouve le garage de son père, se termine par des escaliers qui dé- étonnant, c’est Marcel Albert »... (photo bouchent sur le parc Montsouris. M. Souffan) [3] Selon les souvenirs de Marcel Albert, il y avait quelques moutons dans la ferme, qui servaient à brouter l’herbe des pistes d’Orly. Quand la demande devint plus forte, civils et militaires implan- tèrent une bergerie avec des moutons venus du Maroc. [4] Dessinés par l’ingénieur Eugène Freyssinet, ces hangars étaient destinés à recevoir deux 6 grands dirigeables, le Méditerranée et le Dixmude donnés par les Allemands comme compensa- tion de guerre. Cette carte postale extraordinaire correspond exactement au souvenir d’enfance de Marcel Albert, lorsqu’à 11 ans il monte pour la première fois dans un avion – en l’occur- rence un Morane-Saulnier 147 (ici le n° 27 F-AJFH) au gouvernail blanc caractéristique de la CFA, Compagnie Française d’Aviation. (coll. B. Parmentier) vol mais le ronronnement des moteurs, Si l’odeur du cuir neuf et de la peinture la mécanique, oui, les moteurs des avi- fraîche lui rappellent les voitures rutilan- ons ; cela semble faire écho en lui aux tes qui arrivaient au garage, ce que garde Le plan du terrain d’Orly-Villeneuve sur moments heureux passés dans le garage sa mémoire, c’est la douce chaleur qu’ex- un guide Michelin de 1935. (coll. F.-X. de la rue Lemaignan. halait encore le moteur chaud, une odeur Bibert) indéfi nie, et surtout, l’étroitesse de la ca- Un jour de juin ou de juillet de 1929, bine qui lui donnait l’impression de faire après la fi n de l’année scolaire, il arrive à corps avec l’avion, d’être protégé par lui, s’approcher du hangar de la Compagnie une sensation d’être indépendant, d’être Française d’Aviation qui vient de recevoir libre. Quand Marcel Albert entre dans de nouveaux appareils fl ambants neufs… l’adolescence, son quotidien c’est l’école, Mais laissons Marcel Albert raconter les copains, les virées avec sa bande pour l’anecdote : « Je jouais avec les potes de se mesurer avec celle de Wissous, c’est ma bande quand j’ai vu trois avions qui les plaisirs champêtres de garder les co- volaient bas avec la dérive toute blanche chons avec sa mère et sa sœur, C’est les avec un grand F, ils allaient atterrir. Je n’ai meetings aériens, c’est rendre visite aux pas reconnu tout de suite leurs silhouet- mécanos, aux avions et les voir voler. tes. J’ai laissé les copains et je suis allé Mais tout cela cache une inquiétude. La voir de plus près. Il y avait deux mécanos santé de son père décline, et comme un qui s’occupaient des avions. Je les obser- sixième sens, Marcel pressent la fi n iné- vais depuis une dizaine minutes quand un luctable. Dix ans après son installation à Carte routière Michelin de 1935 montrant des deux gars dit à son camarade d’un Paray-Vieille-Poste, Louis Marcel Albert l’emplacement de la ferme de Marcel ton farceur, tiens il y a une taupe qui nous décède au cours de l’été 1935. Du haut Albert. (coll. F.-X. Bibert) observe et l’autre de lui répondre sur le de ses seize ans, le jeune Marcel encaisse même ton de la plaisanterie, non c’est mal cette perte, il se renferme. Sa sœur plutôt une fouine curieuse ; ça m’a fait et sa mère vont être un soutien ; cette rire. Je ne sais pas si c’est parce que j’ai dernière semble avoir compris le drame souri mais le mécano m’a demandé de de son fi ls et va faire en sorte d’alléger m’approcher. Tout en lorgnant l’avion, un cette douleur que ne montre pas Marcel Morane-Saulnier 147 avec sa dérive toute bien caché derrière sa pudeur et sa fi erté. blanche avec un grand F noir, il m’a posé Elle décide qu’il n’ira plus à l’école. Elle la question si j’aimais les avions, je lui ai a besoin de lui pour l’instant à la ferme dit oui et j’ai ajouté : la mécanique aussi. et l’inscrit à l’école universelle pour sui- À ma réponse, il m’a fait monter dans la vre des cours par correspondance ; deux cabine avant et m’a dit puisque je devais ans plus tard il obtiendra son bac. Elle lui connaître la mécanique, on allait discuter propose de passer son permis de condui- le bout de gras sur la mécanique… Je re qu’il aura le 17 janvier 1936 (n° 180 suis resté jusqu’à la fi n de leurs boulots… 899) et enfi n, elle lui demande de trouver » Si le jeune Marcel a déjà approché de du travail pour subvenir à la famille. En près des aéronefs, c’est la première fois contrepartie, elle lui promet de lui payer qu’il monte dans un avion. des cours de pilotage. Entre-temps, par un jugement prononcé le 30 janvier 1936, A la question de savoir si ce souvenir est il est adopté par la République et devient le moment de sa prise de conscience de sa pupille de la nation. passion de voler, il dira non sans hésiter.

Quelques jours après l’enterrement de son père au cours de l’été 1935. Cette perte indélébile a rendu le jeune Marcel taciturne ; il restera malgré les apparences un grand solitaire. (coll. M. Souffan, origine Mavigner) 7 L’aviation populaire travailler [5]. « C’était un chic type » dira paralysent les usines , qu’il va de lui Marcel Albert. L’achat d’une voiture faire ses premiers vols que sa mère, mais Le 11 février 1936, il signe un contrat aux fait gagner du temps à notre ouvrier, qui aussi sa sœur, lui paient. Il s’inscrit pour usines Renault de Boulogne-Billancourt en après son travail aide sa sœur et sa mère être pilote. Son moniteur n’est autre que tant que tourneur-affûteur spécialisé dans à la ferme, suit les cours du soir à l’école la célèbre Yvonne Jourjon, la première les boîtes de vitesse. Il sera une fois sous Breguet pour se familiariser avec la tech- femme au monde à être devenue moni- le regard de Louis Renault qui l’observera nique aéronautique, prends des cours trice en 1935. particulier de maths et fait ses devoirs par correspondance. Le dimanche, il le passe L’été 1936, l’été des premiers congés dans les aéroclubs et les hangars d’Orly ; payés, c’est la découverte du vol. Il n’y il y va pour rencontrer entre autres un a pas de passion chez Marcel, mais du jeune de son âge avec qui il a sympathisé plaisir à se sentir libre, à être autonome, et qu’il retrouvera plusieurs fois sur son affranchi de toute contrainte, à voler. Et chemin, Roger Sauvage – dit le « grand il est doué. Comme si le vol était une se- sauvage » – mais aussi des personnali- conde nature pour lui. Sa mère avait com- tés de l’aviation civile comme Hélène pris que ce serait le meilleur pansement, Boucher, Maryse Bastié, Guy Bart et bien le meilleur antidote, contre la douleur d’autres. Orly est l’endroit à la mode où indélébile qui s’était installée dans son il faut se montrer si on aime l’aviation. cœur au décès de son père. Il obtient le Les élections de mai 1936 amène la gau- premier degré de son brevet de pilote de che au pouvoir, c’est le Front populaire ; tourisme (n° 6734) le 6 novembre 1936, c’est surtout pour Marcel une chance : le puis le second degré le 25 juillet 1937. Il nouveau gouvernement va démocratiser continue à prendre des cours et vole par- l’aviation civile avec la création des SAP fois à l’aéroclub des Goélands, créé par (sections de l’aviation populaire), notam- Louis Renault, tout cela pour préparer le ment par des aides aux aéroclubs et des concours des boursiers de pilotage. Photo d’identité de Marcel Albert, faite en bourses pour les futurs pilotes. C’est du- juillet 1936 pour son futur brevet de pilote rant cette période, alors que des grèves civil.

Yvonne Jourjon, vue ici après-guerre, fut la première femme au monde à être monitrice. C’est elle qui prépara Marcel Albert pour ses brevets civils 1er et 2nd degrés ainsi qu’au concours de boursier de pilotage. Elle disait de lui que le pilotage était une seconde nature pour ce jeune doué. (coll. M. Souffan, origine Mavigner)

Le brevet civil 1er degré de Marcel Albert, obtenu le 6 novembre 1936. (coll. M. Albert)

[5] Marcel Albert se rappelle bien de cette anecdote car il avait apprécié le regard respectueux de Louis Renault sur lui et son travail. 8 Cela faisait écho à sa propre manière d’observer, lui qui a toujours eu un grand respect pour les mécaniciens et les métiers manuels en général. Débuts militaires

Ils sont plus de 3 000 candidats venus des SAP ou du privé à se présenter aux épreuves pratiques de vol en octobre 1937, puis de culture générale en décem- bre. Ceux qui sont admis sont appelés en février 1938 pour subir la visite médicale. Il n’y a que 152 places à pourvoir, répar- ties entre les écoles d’Aulnat, d’Ambérieu, de Bourges, d’ et de Nîmes. Notre jeune candidat est classé 27e, son copain Roger Sauvage 127e. Les résultats sont annoncés le 23 mars, ce sera Ambérieu pour Marcel Albert. Il signe un engage- ment volontaire de trois ans le 23 avril 1938 dans le but d’être admis dans le per- sonnel navigant en qualité d’élève-pilote. Le lendemain, il est incorporé comme sol- dat de deuxième classe à la base 105 de Lyon-Bron. À Ambérieu avec trois camarades. (coll. M. Souffan, origine Mavigner) En compagnie de 36 autres élèves, il est détaché le 2 mai à l’école Caudron d’Am- bérieu-en-Bugey où les vols se font surtout sur Caudron 491 et . Le 25 juillet 1938, soit un an après son second degré, il est breveté pilote militaire (n° 26341, insigne n° 24222). Nommé caporal le 10 août, il passe en novembre caporal-chef à la fi n de son stage à Ambérieu. Après une permission où il retrouve sa mère et sa sœur, il rejoint le 7 décembre 1938 sa

Marcel Albert (cinquième en partant de la droite, casqué) à l’école Caudron d’Ambérieu devant un Potez 25 A2 à moteur Renault. (coll. M. Souffan, origine Mavigner)

Coupure de presse mentionnant la liste des boursiers pour Ambérieu, dont Marcel Albert, et ceux d’Angers avec Marcel En combinaison de vol à Ambérieu. Albert n’est pas le seul à porter un Lefèvre. (coll. M. Souffan) casque de protection Roold, modèle breveté en 1910 et toujours en usa- ge à la fi n des années trente ! 9 nouvelle affectation, la base 125 d’Istres, pour y suivre les cours de formation de sous-offi cier du personnel navigant en qualité d’élève-pilote de carrière. Le 13 mars 1939, à la fi n de la première partie du stage où il a surtout volé sur Lioré et Olivier 20 et Morane-Saulnier 230, il est nommé sergent. Fin juillet, son instruc- tion se termine ; après quinze jours de permission, il rejoint le 7 août sur la base 110 d’Étampes sa première affectation : le GC II/1, second groupe de la première escadre de chasse. Il va un peu y voler sur Dewoitine 500/510. Le 23 août, l’unité est mise en alerte. Tout est prêt, mais rien n’arrive. Quatre jours plus tard, un nouvel ordre demande la mise en route de l’éche- lon roulant sur Buc, ce sera « un vrai mer- dier » selon les termes de Marcel Albert. Quand toute l’unité arrive sur l’aérodro- me, il s’y déroule un meeting aérien et les hangars sont remplis d’avions civils ! Les problèmes administratifs, de personnel, La photo de fi n de stage à Ambérieu. Marcel Albert fi gure au dernier rang, cinquième d’intendance et de logistique s’amoncel- en partant de la gauche. lent pour le groupe de chasse. montane et le mistral seront aussi au ren- monte pas : « En plus, il a du mordant dez-vous dans cette région. L’ambiance dans le caractère, c’est bien sergent, c’est Passage au CIC de est malgré tout joyeuse avec les pilotes bien. Mais, je vais te donner un conseil, tchèques, les offi ciers de la promotion si tu veux durer, garde ton mordant pour « Mézergues » et d’autres pilotes sortis la bagarre et oublie-le quand tu atter- comme lui des SAP. Il se lie d’amitié avec ris… » Et Marcel Albert d’ajouter après Quelques jours plus tard, les pilotes l’un d’eux, le sergent Marcel Lefèvre qu’il avoir conté cette anecdote : « C’était un réservistes arrivés le 23 repartent et les retrouvera un peu plus tard. chic type ce commandant, avec son nom quatre pilotes, dont Albert, arrivés en ce English, il avait raison. » début de mois d’août sont envoyés au Début février 1940, suite à un vol avec si- centre d’instruction de la chasse (CIC) sur mulation de combat sur le MS.406 n° 882, la base 122 de Chartres. Notre pilote y il est approché par Robert Waddington L’arrivée au GC I/3 arrive le 7 septembre. Après un léger fl ot- (commandant du second groupe du CIC L’histoire ne dit pas si c’est à cause de tement et un stage de perfectionnement et as aux 12 victoires confi rmées pendant cela, mais quelques jours plus tard, il improvisé [6], Albert intègre la quatrième la Grande Guerre) qui lui dit : « Il y a du reçoit sa feuille de route avec le sous- escadrille sous les ordres du lieutenant mordant dans votre manière de piloter, er lieutenant Silvan et le sergent Bouffi er Bugnet à partir du 1 janvier 1940. Les sergent. C’est bien. » Marcel Albert n’est pour rejoindre le groupe de chasse I/3 à deux groupes du CIC vont continuer leurs visiblement pas satisfait de sa prestation Cannes, en cours de transformation sur stages sur la base du CIC de Montpellier. en vol et son mécontentement se ressent Dewoitine 520. Il y arrive le 15 février et L’hiver 1939-1940 restera comme l’un des dans la réponse sèche et coupante qu’il intègre avec Silvan la deuxième escadrille plus rigoureux du siècle ; le froid, la tra- fait au commandant. Ce dernier ne se dé- Ce cliché a été pris par Roger Sauvage, alors que tous les deux sont élèves-pilotes. Les deux hommes se sont rencontrés sur le terrain d’Orly, ensuite dans des examens de boursiers de pilotage, sur le terrain de Wez-Thuisy, en Algérie et enfi n en Russie. Ils s’appréciaient beaucoup. (coll. M. Souffan, origine L. Sauvage)

Le MS.406 n° 882 du CIC de Chartres avec lequel Marcel Albert a volé à Montpellier au début de février 1940. (coll. S. Joanne via L. Persyn) [6] Marcel avait passé la première partie du CAC (certifi cat d’aptitude au commandement) le 18 juillet 1939. Quand il commença la 10 seconde partie à Chartres, ce certifi cat fut supprimé. Quand il arrive à Cannes en février 1940 Marcel Albert est mal à l’aise, il n’arrive pas à trouver tout de suite ses marques. Cette photo trahit cette diffi culté. De gauche à droite l’Adj Vinchon, l’Adj Carrier (qui va le choisir comme équipier), l’A/C Bourbon et le Sgt Albert tenant l’hélice du D.520 n° 73 de Pierre Carrier. dite « au Chat » [7]. Marcel Albert n’est le Bf 109 est un peu plus rapide, mais soit partagée avec un pilote de MS.406. pas à l’aise avec le milieu de la bourgeoi- moins maniable que le D.520. Pour Marcel Quand la patrouille atterrit après 1 h 15 sie, avec les mondanités, avec la richesse. Albert : un mois d’hospitalisation. Le 10 mn de mission, une vive altercation a lieu C’est un taciturne, un homme simple qui mai, c’est la guerre. Le lendemain, notre entre Albert et Carrier ; ce dernier repro- n’aime pas les faux semblants. Les pre- pilote sort de l’hôpital ; il rend visite à sa che à son ailier l’abandon de son poste miers jours à Cannes sont un peu diffi - mère et à sa sœur. L’instant est trop grave pour une attaque en solo et la mise en ciles même si, comme il le dit lui-même, pour ne pas aller voir les deux personnes péril de la patrouille à cause de cet acte. il ne l’a pas montré. Entre deux vols sur les plus chères au monde à ses yeux. Sa Marcel Albert, sûr de son fait, rétorque D.520 ou MS.406, notre pilote aime aller sœur Marcelline rappelle à Marcel ce que que c’était une proie facile, qu’il n’y avait rejoindre les mécanos pour discuter avec leur père lui avait dit sur son lit de mort, personne dans les parages. Il avance eux. L’adjudant Carrier, arrivé en décem- de le venger s’il y avait un jour, une autre même que son chef de patrouille avait dû bre 1939 à l’unité et de sept ans son aîné, guerre avec l’Allemagne. « La vengeance voir le bombardier et qu’il avait attendu le prend comme équipier. Ils sont complé- n’est pas justice, elle ne fera pas revenir trop longtemps pour l’attaquer… mentaires malgré des différences dans les notre père. La vengeance rend aveugle, attitudes. C’est avec ce dernier et d’autres si je veux revenir de cette guerre, je dois Qu’en est-il de la victime ? Il est diffi cile pilotes qu’il va chercher à Toulouse sa rester lucide... » [9] Il retrouve son unité de le savoir tant il y avait du monde en nouvelle monture. Pour Marcel Albert, son le 13 au soir sur le terrain de Wez-Thuisy. l’air. Une vingtaine de Dornier 17 Z de la Dewoitine « bon de guerre » est le n° 87, KG 76 de retour de mission, deux ou trois il sera codé « 14 » [8]. Dornier 17 P de reconnaissance, deux pa- Premières victoires trouilles légères de MS.406 du GC III/7, La seconde moitié du mois de mars est quatre Hurricane du 73 Squadron, trois Le lendemain 14 mai, à six heures du plus sympathique pour notre jeune pilote, Potez 631 de l’ECMJ 1/16, trois Hurricane matin, Marcel Albert décolle pour sa pre- qui prend plaisir à voler et à bien maîtriser du 501 Squadron, et sûrement des Bf 109 mière mission de guerre. Il s’agit d’une le nouveau chasseur de l’Armée de l’Air. et des Bf 110. Il serait judicieux d’exposer couverture du terrain de Wez-Thuizy. À Si dans le ciel de Montpellier il a grimpé les faits sans donner de réponse. Entre bord de son n° 87 « 14 » il est le premier avec un MS.406 jusqu’à 9 100 m, avec 06h30 et 06h40, après avoir esquivé une ailier de l’adjudant Carrier (n° 73 « 10 »), son D.520 il titille presque les 11 000 première attaque vingt minutes plus tôt le sous-lieutenant de Salaberry, le second m dans l’azur du ciel varois. Le 10 avril par trois Hurricane du 501 Squadron, ailier (n° 115 « 8 »). Le secteur grouille au soir arrive le capitaine de Rivals, aux le Potez 631 n° 140 du sergent Roger d’avions français, britanniques et alle- commandes d’un Sauvage (le copain d’Albert) et du mi- mands. Vers 06h25, Marcel vire seul pour E récupéré intact pour le confronter au trailleur Simon est cette fois-ci attaqué par attaquer un bombardier allemand Dornier Dewoitine 520. Marcel Albert est pressen- quatre Hurricane du 73 Squadron. Des 17 déjà attaqué par un MS.406 solitaire. ti pour piloter le chasseur français. Alerte coups au but sont constatés, le sergent Notre pilote le rejoint, le tire et met en générale sur la base. Alerte à la diphtérie. Sauvage ne peut qu’atterrir en urgence fl amme un des moteurs ; le bimoteur Deux ou trois personnes sont contami- sur la base britannique d’Auberive. Pour perd de l’altitude. Il sera compté « sûr » nées dont notre pilote, hospitalisé le 12 la même heure, deux des quatre pilotes à notre pilote, confi rmé par ses deux coé- avril en urgence, le jour du test. Résultat : du 73 Squadron, le Flying Offi cer Orton quipiers. Marcel Albert demandera qu’elle [7] La seconde escadrille avait repris les traditions de la Spa 69. [8] D’une manière générale, le code dépend du grade et de l’ancienneté dans l’unité. [9] Rapporté par Marcel Albert. Quant à Marcelline Mavigner, elle se souvient qu’il n’y a pas eu de réponse de son frère quand elle 11 lui rappela le « souhait » de leur père. et le Sergeant Pilkington revendiquent à leur retour de mission Le lendemain, pour combler les pertes matérielles, Salaberry, un Do 17 Z qui ne leur sera pas confi rmé par manque de preuve. Albert, Salva et d’autres pilotes retournent à Cannes en bimo- Le rapport de combat spécifi e qu’un moteur du bombardier al- teur de transport Potez 62 chercher les D.520 restés là-bas. Sur lemand a été mis en fl amme. De son côté la patrouille légère le retour, les Dewoitine se posent à Valence. Surpris, Salaberry du GC III/7 Bertrand – Guillaume attaque par trois quart arrière est demandé au téléphone, c’est son commandant de groupe. un Do 17. Le MS.406 de Guillaume est touché par le mitrailleur André Thibaudet lui annonce un changement de programme. arrière, il doit rompre l’attaque. Bertrand poursuit seul l’attaque Wez-Thuizy a été bombardé et toute l’unité est sur une autre jusqu’à épuisement de ses munitions ; malgré des coups au but, base. À la question « quelle nouvelle base ? », Salaberry en- il ne revendiquera rien. Enfi n le 3./KG 76 signale qu’un de ses tend – sécurité oblige – cette réponse sibylline : « qui ne dit Dornier 17 Z a été attaqué par des chasseurs au nord de Reims. mot, consent ». Notre pilote en déduit que c’est Meaux-Esbly. Le Parmi l’équipage, le Gefreiter H. Kholer a été tué et le Gefreiter lendemain 17 mai après une escale à Auxerre, ils y atterrissent. K. Hassler légèrement blessé ; rien n’est précisé quant aux dom- C’est là que Marcel Albert apprend que son D.520 n° 87 « 14 » mages subis par l’appareil. Mais est-ce bien de celui-ci dont on fait partie des avions touchés par le bombardement. Dans la parle ? Le Dornier touché par Albert aurait pour sa part fait un précipitation du départ, des documents de l’unité sont restés sur atterrissage forcé au nord de Suippes... la base, dont son carnet de vol.

À 09h10, Marcel Albert décolle pour sa seconde mission de « Pourquoi voulez-vous que je revendique guerre, avec la même patrouille et les mêmes avions. C’est une mission de destruction sur le secteur (entendre par là une mis- une victoire, alors que je n’ai rien vu ? » sion de chasse libre). Il a souvent été dit que c’était une mission de protection des Breguet 693 des GBA I et II/54, il n’en est Le 18, notre pilote décolle sur alerte (sur le n° 113) à la pour- rien. Ce sont uniquement les Bloch 152 du GC I/8 qui l’effectue- suite d’un avion de reconnaissance sur le secteur de Meaux, ront. Nous ne savons pas s’il y a une relation de cause à effet avec comme chef de patrouille le lieutenant Salva, et premier avec l’altercation citée plus haut, mais la patrouille n’a pas sa équipier le sergent-chef Barberis. L’intrus n’est pas rejoint. Le cohésion habituelle et vers 09h20… mais laissons la parole au même jour, la même patrouille repart pour une mission de des- sous-lieutenant de Salaberry [10] : « Il y a du monde sur notre truction d’une heure dix sur le secteur d’Aulnoye – Guise, sans secteur, notre patrouille est agitée, je n’arrive pas à suivre le résultat. Le jour suivant, à 05h30, la patrouille simple Salva – 2ème équipier [Sgt Albert, NdA] qui est lui-même en retard sur le Barberis – Albert (sur le n° 37 [15]) décolle à vue. Depuis son chef de patrouille [Adj Carrier, NdA]. Je marche plein gaz pour installation sur la base de Meaux, la plupart des vols du GC I/3 rattraper mon équipier, quand je me vois dépassé, ô surprise, sont soit des missions de protection de sites sensibles et plus par 2 Bf 109 en patrouille serrée, même altitude, même direc- particulièrement de gares, soit des missions de destruction, tant tion. Ils marchent environ 50 km/h de plus que mon 520 et sont les bombardiers ennemis sont omniprésents. C’est dans ce ca- à 70° à droite environ. Je n’ai pas le temps de revenir de ma surprise que je suis dépassé, sur ma gauche cette fois par un autre 109, même direction que les autres. C’en est trop, j’abats sur la droite, lâche une longue rafale vers les deux 109, et vire brutalement sur la droite en piquant ; grâce aux traçantes, j’ai vu que les deux 109 sont juste passés dans la rafale… »

De son côté, Marcel Albert qui peste contre son chef de pa- trouille, « quelle bête l’avait piquée », de ne pas arriver à le rejoindre, est comme « réveillé » [11] par des tirs derrière lui. Il vire à droite en montant, voit deux 109 passer en dessous, l’un semble déjà touché, revient sur eux, tire, des coups au but, voit la verrière de l’un d’eux s’envoler, quand il aperçoit un troisième 109 qui se dirige droit devant, légèrement en piqué et qui tire sans voir sur quoi. Il rompt le combat pour poursuivre le troi- sième 109, abandonne aussitôt, l’avion est trop loin. Il revient sur ses pas à la recherche des deux 109, il ne voit qu’un seul appareil poursuivi par un D.520. Marcel pense à ce moment-là qu’il a réglé son compte au second.

Les D.520 atterrissent les uns après les autres, sauf ceux de la patrouille simple de la « une » [12] qui reviennent ensem- ble. Il manque à l’appel l’adjudant Carrier, très probablement abattu par l’Oberfeldwebel [13] Johann Schmid de la 1./JG 2 qui revendique à la même heure un MS.406. Le sous-lieute- nant de Salaberry revendique un Bf 109 qui lui sera homologué. L’adjudant Octave brigue aussi un Bf 109 qui lui sera confi rmé. De son côté, le sergent Albert prétend à un Bf 109 « sûr » ; il lui sera jamais homologué [14]. Des années plus tard, bien après la guerre, il dira à qui voulait l’entendre que c’était une manière de le punir de la perte de son chef de patrouille. La guerre continue, toute la journée de ce 14 mai qui restera comme le tournant de la bataille de , le GC I/3 va être sur la brèche et faire Citation pour sa victoire du 14 mai 1940. C’est lui-même qui bonne fi gure. a demandé de faire partager cette victoire avec un pilote de MS.406, alors que les chasseurs du GC III/7 ont bien rapporté le combat mais sans revendiquer de victoire... (coll. M. Albert) [10] Qui a laissé des écrits pour ses enfants et petits enfants. [11] Entre guillemets, propos rapportés par Marcel Albert. [12] De la première escadrille, Adj Combelle, S/Lt Madon, Sgt Bellefi n. [13] Adjudant-chef. 12 [14] Le I./JG 2 concède trois pertes pour cette journée. Certains historiens pensent que la troisième perte a eu lieu dans l’après-midi. [15] Un D.520 « photo » ramené par Salaberry de Cannes le 17 mai. Les pilotes de la 2e escadrille du GC I/3 à Meaux-Esbly devant le D.520 n° 106, arrivé au groupe le 21 mai 1940 et plus tard codé « 11 ». De gauche à droite : Sgt Albert, Adj Octave, Cne Challe, S/Lt Salva, S/Lt de Salaberry, un aumônier militaire, A/C Bourbon, S/Lt Boutarel, Lt Bartos (1re escadrille), S/Lt Silvan et Lt Korec. (coll. S. Joanne) dre qu’ils vont à la rencontre d’un groupe Barberis à surveiller le ciel et mes arriè- le lieutenant Parisse (n° 115 « 8 »). Le 22 de Heinkel 111 P de la 9./KG 27. Le ser- res, le Fritz de Barberis avait son compte, avec Salva, Marcel Albert (n° 111) n’arrive gent-chef Barberis décroche, suivi comme il n’a pas osé tirer une seconde fois pour pas à rejoindre un ennemi qui s’est enfui son ombre par Albert, lance son attaque l’achever, mais on l’a suivi un peu, jusqu’à dans les nuages. et tire ; son ailier fait de même. Le pelo- qu’il se vautre. Même Salva n’a rien vu. ton de tête des Heinkel se disloque. La Pourquoi voulez-vous que je revendique Chaque jour il vole, mais revient bre- paire Barberis – Albert, rejointe par Salva, une victoire, alors que je n’ai rien vu ? » douille, le sort a déjà choisi son camp. suit un Heinkel 111, touché à mort par le Dans la même journée, en compagnie du Le 5 juin avec d’autres pilotes, il part feu de Barberis, qui tente un atterrissage lieutenant Salva, il décolle sur alerte, mais à Toulouse réceptionner de nouveaux forcé près de Braine, entre Soissons et l’avion ennemi n’est pas rejoint. L’entente D.520. Le 7, il en revient avec sa nouvelle Reims. Deux membres d’équipage (dont est au mieux avec Salva avec lequel il se monture, le n° 318 qui sera lui aussi codé un correspondant de guerre) décèdent, lie d’amitié. Ces deux hommes ont en « 14 ». Le 8 et 9 juin c’est le baptême du un troisième est blessé, un dernier fait commun le sens de l’honneur, la droiture feu pour son nouveau destrier au-dessus prisonnier. et la drôlerie. de Forges-les-Eaux et de la Ferté-sous- Jouarre contre des Dornier, des Bf 109 et Coïncidence. Un second Heinkel 111 P, Le lendemain 20 mai, notre jeune ser- des Bf 110, toujours sans résultat. Mais le le « 1G+GT » toujours de la 9./KG 27, gent décolle sur le D.520 n° 111, encore propre de l’ailier n’est-il pas de protéger a fait dans le même temps un atterris- une fois en alerte ; c’est sa septième mis- son chef de patrouille ? Les jours passent sage forcé près de Thury-en-Valois, au sion de guerre. Son chef de patrouille est sans qu’il y ait de combats. Le 14, Paris nord de Meaux, suite à une attaque de cette fois l’adjudant Octave. Ils sont di- est ville ouverte. Le 16, il est l’ailier du deux chasseurs français. Ce bombardier rigés vers le secteur de Péronne – Ham. capitaine Gérard qui abat au-dessus d’Or- n’a jamais été revendiqué, ni par une Marcel Albert repère deux pelotons de léans un Ju 88. C’est sa vingt-septième unité française, ni par une unité anglaise. Heinkel 111 qu’il attaque seul, en particu- mission de guerre depuis le 14 mai. Mais Quand nous avons rapporté cette mis- lier un bombardier à la traîne, et tire. Ce c’est déjà la fi n… sion à Marcel Albert en 2005, il a souri et bimoteur lui sera compté comme une vic- puis… « Je me souviens, j’étais derrière toire probable. Côté allemand, un Heinkel L’ordre de repli est ordonné le 17 juin. Barberis, je le tenais à la culotte, j’avais de la KG 55 aura du mal à rejoindre sa Sur son n° 318, Marcel Albert vole de été trop échaudé par l’histoire de Carrier, base en Allemagne. Les efforts consen- Châteauroux à Bordeaux et l’après-midi, c’était un chic type, mais bon… Oui, j’ai tis par les pilotes ne peuvent rien contre de cette ville à la Salanque. Le 18, c’est tiré aussi, il y a eu des coups au but sur l’avancée inexorable des Allemands. Le le grand saut : traversée de la méditer- l’ailier, mais rien de plus, vous savez, je front craque. Le 21 au cours d’un combat ranée pour Oran. Il sait qu’il ne verra pas ne courrais pas comme d’autres après avec des Bf 110, Albert sur le n° 111 voit sa sœur et sa mère avant longtemps. Le les victoires, j’ai fait mon boulot derrière tomber impuissant son chef de patrouille 19, avec tout son groupe, il quitte Oran

13 À la suite du retour défi nitif de l’unité à Oran, après son bref séjour en Tunisie, une séance photo est programmée en septembre- octobre 1940 pour fêter l’évènement. et prend la direction d’Alger. Dans l’après- Le désœuvrement en très proche d’Albert mais qui est aussi son midi il rejoint Tunis. Jusqu’où faut-il fuir ? chef d’escadrille, va tout faire pour le faire Le 20, c’est Djerba Kalaa dans le sud tu- AFN changer d’avis. Avec l’aide du comman- nisien. Après avoir récupéré ses mécani- dant Thibaudet et malgré les restrictions, ciens, le commandant Thibaudet réunit Le GC I/3 revient le 24 août s’installer le lieutenant Salva demande une promo- tout son personnel pour s’expliquer sur à Oran, il sera fêté dignement par les tion au grade de sergent-chef pour Marcel la situation. Le groupe est uni, s’il doit autorités militaires. Mais au-delà de cet Albert. Le temps sera long pour l’obtenir. continuer le combat, c’est tous ensem- évènement ponctuel, la routine, l’ennui Mais c’est suffi sant pour lui faire signer un ble. S’ensuit un vote à mains levées. C’est et le désœuvrement caractérisent cette contrat de 5 mois et 8 jours. l’unanimité pour rester uni. Une chape de période pour Marcel Albert. Au mois plomb est tombée sur les épaules de ces de septembre, il ne vole que trois fois. Au milieu du mois d’avril 1941 arrive hommes, avec l’incompréhension de la Malgré la recrudescence des vols les mois un nouveau pilote d’origine marseillaise, défaite. Mers El-Kébir enlèvera pour cer- suivants, il songe à quitter l’armée pour qui a engrangé quatre victoires pendant tains les dernières velléités de revanche. revenir en métropole travailler à la ferme ; la campagne de France : c’est le sergent son contrat d’engagement se termine en Albert Durand. Le courant passe tout de avril 1941. Le lieutenant Salva, qui est suite entre les deux hommes. D’autre part,

Marcel Albert dans son D.520 n° 318 au dessus d’Oran en septembre-octobre 1940. Cette photo fait partie de la série 14 faite à l’occasion du retour de l’unité en Algérie. Une des rares photographies où l’on voit sourire Marcel Albert. Prise à Oran au cours du premier semestre 1941, elle le montre avec le mécanicien Yellet qui l’aidera à s’enfuir au mois d’octo- bre. On peut noter la combinaison de vol avec l’insigne du I/3 ainsi que le relais de poitrine qui comportait les relais électriques De droite à gauche : le Lt Thierry, l’Adj Octave, le Sgt Albert et pour la combinaison et le réchauffage de l’oxygène, les tuyaux re probablement le S/Lt Blanck de la 1 escadrille. d’oxygène et les câbles pour la communication radio.

Marcel Albert retrouve un autre pilote qu’il Bloch 175. Ce dernier, suite à la requête à la 1re escadrille. L’arrivée de ces deux a connu à Chartres et à Montpellier ; le d’Albert, demande sa mutation au GC I/3. hommes va donner un nouveau souffl e à sergent Marcel Lefèvre vient en effet de Elle est acceptée et effective le 15 mai. Marcel Albert. Leur point de vue converge temps en temps jouer le plastron avec un Les deux nouvelles recrues sont affectées et leur complicité est grande dans la vo- lonté de partir en Angleterre pour conti- nuer le combat. Il semble que la décision soit déjà prise depuis le début de septem- bre 1941, peut-être le 16 septembre, à la suite de l’anniversaire bien arrosé d’Albert Durand. Il ne reste plus qu’à attendre le bon moment. Le 23 du même mois, Marcel Albert signe un nouveau contrat d’un an avec l’Armée de l’Air. Comme une bonne nouvelle ne vient jamais seule, la demande de nomination au grade de ser- gent-chef est acceptée.

Départ pour

Les choses se précisent au cours de ce mois d’octobre. Albert met dans la confi - dence Colombier, son mécanicien, pour préparer son D.520 pour le moment venu. Lorsque le Dewoitine est prêt, le méca- nicien photographie Marcel Albert devant son fi dèle « 14 », afi n de laisser une trace Photo prise à Oran le 16 septembre 1941 pour l’anniversaire d’Albert Durand. De gau- pour la postérité. La photographie date che à droite : Roncin, Albert, Leroy, Durand, Emlinger, Lefèvre et Bouffi er. On aperçoit sur la droite un des D.520 du groupe en train de recevoir les « bandes d’esclave » sur le capot. 15 d’une dizaine de jours avant son départ. À la « une », le mécanicien Yellet est au parfum pour Durand et Lefèvre. La déci- sion est prise. Par un concours de circons- tances, ce sera le 14 octobre, jour de sa nomination offi cielle au grade de sergent- chef. Un exercice est mis en place de- puis la veille pour la 1re escadrille, Marcel Albert qui est courant et qui n’a pas volé depuis le 9 demande à Salva « un petit vol pour se dégourdir les jambes ». Cela lui est accordé.

À 09h30, ce 14 octobre, décolle une patrouille triple de la 1re escadrille com- mandée par le lieutenant Madon, pour un exercice d’attaque sur un peloton de Bloch 175 du GR II/52 sur l’axe Ain el Oran, début octobre 1941. Marcel Albert photographié avec son n° 318 « 14 » sur Arba – Tafaraoui. La patrouille n° 1 est lequel il compte partir pour Gibraltar. Les circonstances feront qu’il décollera avec un composée du lieutenant Madon, de l’ad- autre D.520 grâce à la complicité d’un mécanicien de la première escadrille. (coll. M. judant Boileau et du sergent Lefèvre (sur Souffan, origine Colombier via Perruquet) le n° 187), la n° 2 du lieutenant Pissotte, du lieutenant Prévost et du sergent les Espagnols. Ce dernier écrit dans son le lieutenant Salva gardera une rancœur Durand (sur le n° 144), la n° 3 du lieu- journal : « le mardi 14 octobre 1941, avec tenace envers celui-ci. Il ne cessera de tenant Goumy, de l’adjudant Cheminade Albert Marcel et Durand Albert, je déserte mettre toutes les fautes et accusations et du sergent-chef Bouffi er. Vers 09h40, l’armée de Vichy, pour rejoindre le gé- sur son « ami ». Pour les trois dissidents, alors que les Dewoitine sont toujours en néral de Gaulle, chef des français libres le jugement est prononcé : peine de mort train de monter à l’altitude de l’exercice, d’Angleterre ». par contumace, dégradation, confi scation Durand signale par radio : « mon moteur des biens, et pour Marcel Albert affi chage tourne trop vite, je rentre au terrain. » puis L’accueil est triomphal à Gibraltar et de la sentence sur la porte de la ferme abandonne la patrouille avec l’accord du raconté même avec emphase dans les où se trouve sa mère et sa sœur. Quand lieutenant Madon. La patrouille réduite journaux britanniques. Lefèvre, un des Albert l’apprendra, il n’aura de cesse de à huit effectue deux attaques et lors de trois mousquetaires, comme ils se sont penser que c’était un excès de zèle de la troisième, le sergent Lefèvre disparaît appelés, consigne dans son journal : Salva. De son côté, il aura beaucoup de sans que personne ne le voie s’écarter. À « nous somme reçus par les aviateurs de rancœur pour son « ami ». Ce n’est que 10h40 l’exercice est terminé et les sept la RAF d’une façon plus qu’enthousiaste ! bien après la guerre qu’il saura toutes les D.520 atterrissent. Et bientôt arrive le Cne de Bellaigue, humiliations subies par Salva. chef de la mission française de Gibraltar De son côté à la deuxième escadrille, qui nous amène sur l’aviso Commandant L’engagement dans les une patrouille légère a décollé aussi à Duboc, marine libre. Le lendemain nous FAFL en Angleterre 09h30, chef de patrouille sergent-chef visitons le porte-avions Argus avec le Cne Roncin et équipier sergent Albert (sur le de Bellaigue et des offi ciers de la Royal Le 21 octobre, Durand, Lefèvre et n° 102 de la « une » préparé par Yellet), Navy. » Albert embarque pour l’Angleterre sur le ce dernier devant servir de plastron pour Commandant Duboc. L’aviso fait partie un exercice de tir photo. Le sergent-chef De leur côté, les autorités de Vichy sont de l’escorte d’un convoi de dix-huit ba- Roncin exécute une passe de sécurité sur consternées. La commission d’armistice teaux marchands et vaisseaux de guerre. la cible de bombardement de la Sebkra, et en particulier les Italiens veulent des « Jamais de ma vie, je n’ai vu pareil pour vérifi er qu’aucune munition ne par- sanctions et un châtiment exemplaires. spectacle ! » écrit Lefèvre. Il continue : tirait lors de la prise de tir photo. Quand Dès le 27 octobre, un mécanicien et un « le 22 et 24 octobre, en plein Atlantique, le chef de patrouille se rend au point de sergent-chef pilote sont emprisonnés ; le nous sommes réveillés en sursaut pen- rassemblement, il ne trouve pas son équi- 6 novembre, les Français précèdent les dant 2 nuits, nous venons de perdre pier. Après une petite attente vaine il se Italiens et mutent le capitaine Challe et le dans le convoi 8 navires dont le destroyer pose à 09h45. lieutenant Salva au dépôt de stockage de Cossack qui nous a été torpillé et a brûlé Marrakech, le lieutenant Thierry à celui de sous nos yeux… » Après bien des aven- Après plusieurs reconnaissances sur la Sidi Ahmed. Les Italiens demandent la dis- tures Marcel Albert et ses deux compères campagne en vue d’y trouver un appareil solution du groupe, avec la destruction de arrivent à Belfast, en Irlande du Nord, le en panne, toutes infructueuses, on inter- tous ses avions et la peine de mort pour 4 décembre 1941. Le 7, ils sont à Bristol roge à 15 heures les postes de guet cô- les trois offi ciers cités plus haut. Après où ils quittent le Commandant Duboc. Ils tiers du cap Figalo et du cap Gros : ceux-ci tergiversation et discussion, la commis- partent en train et arrivent enfi n le 8 à ont signalé à 09h52 un D.520 en direction sion italienne accepte fi nalement la mise Londres. « C’est comme un rêve qui se de l’ouest, à 10h09 un avion non identi- à l’écart des trois offi ciers français avec réalisait, combien de fois nous avions fi é, à 10h12 un chasseur douteux. Malgré interdiction défi nitive de voler, et convient entendu le speaker de la BBC. Ce n’était des informations qui ne sont pas encore d’un simple changement d’appellation de plus un Mythe. » note Marcel Lefèvre. certaines, les autorités penchent pour le l’unité, qui devient le GC III/3. La peine départ d’au moins un pilote en dissidence. capitale pour les trois offi ciers est com- Après le soleil d’Oran, c’est le froid et le Nos trois compères, qui ont juré avant de muée… en cinquante camions à livrer brouillard de Londres. Qu’à cela ne tien- partir de ne plus se séparer, arrivent à dans le sud libyen. ne, les trois inséparables sont les hommes Gibraltar les uns après les autres, entre les plus heureux du monde. Le 19 décem- 11h00 et 11h30, avec quelques frayeurs Blessé dans son orgueil mais surtout bre, ils sont incorporés à la compagnie de pour Lefèvre qui manque d’atterrir chez trahi dans l’amitié qu’il avait pour Albert, passage où ils signent pour la durée de la

16 Marcel Albert signe pour la durée de la guerre, à Londres, son acte d’engagement dans les FAFL (Forces Aériennes Françaises Libres) le 19 décembre 1941. Comme il est écrit en bas, à droite sur le document, son matricule est le 30 910. À noter le n° d’ordre de l’engagement. (coll. M. Albert)

La carte d’identité de Marcel Albert dans la RAF.

guerre leur acte d’engagement (n° 2398D Le 1er janvier 1942, ils entrent au centre général sourit, « les nouvelles vont vite, et pour Albert) avec les FAFL, les forces aé- d’instruction de Camberley pour parfaire rien n’est établi », cependant il leur pro- riennes françaises libres. Avec cet acte leur anglais et apprendre le jargon de la met de faire appel à eux en temps et en d’engagement, ils sont promus automa- RAF avec Mr. Barker. Ce sera assez aisé heure. Les trois mousquetaires sont « em- tiquement au grade supérieur : sergent- pour eux, ayant déjà de bonnes bases. ballés » de cette rencontre qui a donné chef. Marcel Albert a le matricule 30910, Le 16 janvier, ils reçoivent une lettre du une nouvelle impulsion à leur envie de Marcel Lefèvre, le 30911 et Albert Durand, commandant de Rancourt les invitant à se battre, de voler à nouveau, et surtout le 30909. Après différents tests, ils reçoi- rencontrer le général de Gaulle le 22 jan- concrétisé la légitimité de ce combat. Le vent leur paybook le 22 décembre. Ils vier au 4, Carlton Gardens. L’entrevue est 1er mars, heureusement, les cours d’an- sont invités à passer le « Christmas Day » remplie d’émotion ; pour Marcel Albert, glais touchent à leur fi n. Ils reçoivent leur et le « New Year Day » dans une famille c’est une révélation. Très vite, la dis- affectation pour l’OTU 61 de Heston, où anglaise, les Whiffi n. Ils n’ont qu’un mot cussion est passionnée, surtout grâce à ils doivent se présenter le 3 mars 1942. à la bouche comme l’écrit Lefèvre : « les Marcel Lefèvre qui fait part au général Première séparation, Marcel Lefèvre ira à Anglais sont formidables ». au nom de ses camarades, de leur désir l’OTU 57 de Hawarden à Chester. d’être volontaires pour aller en Russie. Le

Les instructeurs britanniques ne se trom- pent pas, les qualités de pilotage de Marcel Albert sont au-dessus de la moyenne… et pour certains exercices exceptionnelles. (photo M. Souffan) Les trois mousquetaires Lefèvre, Durand et Albert ne vont pas suivre le cursus normal de l’instruction de la RAF. Ils iront directement en OTU, Lefèvre à la 57 et les deux autres à la 61. Au début mai 1942 Durand et Albert vont se photographier mutuelle- 17 ment ; ils seront affectés au 340 Sqn « Île de France » le 9 mai 1942. Au 340 Sqn « Île de France » est ajournée sine die, les bandes dites un ordre de décollage immédiat arrive de Dieppe sont effacées ainsi que le nom pour une reconnaissance maritime. À À Heston, Marcel Albert retrouve d’autres « général de Gaulle ». Quand celui-ci ar- 06h25, Albert entre en contact avec un Français comme Jacques Joubert des rive le 11 juillet, il ne reste plus rien, si FW 190, il lui envoie quatre rafales, s’en Ouches, André Moynet, Pierre Laureys ce n’est une photo prise par le capitaine retourne et atterrit à 06h45. Il revendique (dit Kennard), qui ont fait tout le cursus Dupérier le 6 juillet avec Marcel Albert un FW 190 endommagé. Pour mieux com- de l’instruction de la RAF. Avec ses 550 dans l’habitacle au départ d’une mission. prendre ce qui c’est passé, lisons son rap- heures de vol, Marcel Albert en a été dis- port de combat : « J’étais blue 2, quand pensé. Les vols se passent bien et notre Le 18 juillet 1942, il est six heures du j’ai décollé à 6 h de Westhampnett pour pilote trouve « pas mal » le Spitfi re. À la matin, le sous-lieutenant Marcel Albert est agir en observateur au cours d’une recon- fi n de son stage, le 9 mai 1942, ses notes en alerte dans le Spitfi re Mk Vb BM343 naissance offensive à basse altitude d’un sont excellentes : « Above average » (au « GW-P » du lieutenant Schlœsing quand autre Squadron. Il nous a été dit de pa- dessus de la moyenne). Il est affecté au 340 Squadron « Île de France ». Bernard Dupérier le rapporte dans la « Vieille équi- pe » à la date du 13 mai : « nous avons touché six nouveaux sous-lieutenants : Moynet, Kennard, Lambert, Renaud, Durand et Albert. Ces deux derniers vien- nent d’une escadrille d’Afrique du Nord, où ils pilotaient des 520. »

Albert est pris au B Flight sous le com- mandement du capitaine Émile Fayolle. Il arrive à l’unité le 12 et commence ses vols le 15. C’est sa première mission de guerre au sein de sa nouvelle unité, un Scramble, décollage sur alerte qui ne donnera rien. Tout au long de ce premier mois, il effectue dix missions de guerre. Fidèle à son caractère solitaire, il a du mal à trouver ses marques, tant auprès du capitaine Dupérier qu’il considère comme un « aristo » qu’auprès du capitaine René Mouchotte qu’il affectionne pour son « côté gentleman et honnête ». Ce dernier apprécie sa franchise et son sérieux.

Au mois de juin, Marcel se choisit un avion personnel : le Spitfi re Mk Vb W3127 « GW- X ». Il a besoin d’avoir sa monture, « mon Célèbes Spitfi re » [16] comme son « 14 » au GC I/3. Au cours du mois, il ajoute dix-sept missions de guerre. Début juillet, il y a tout un remue-ménage qui s’opère dans le sud de l’Angleterre, une opération de grande envergure se met en place. Il est demandé aux unités qui se- ront impliquées de peindre sur le capot moteur de leurs chasseurs quatre bandes blanches comme marques de reconnais- sance tactique. L’attente est longue, tout doit se déclencher à la pleine lune du dé- but du mois : c’est l’opération « Rutter », un débarquement à Dieppe de troupes canadiennes. Le mauvais temps et les fui- tes concernant cette opération oblige le général Montgomery à annuler le raid, au grand dam des pilotes français.

Dans le même temps, il est prévu une visite du général de Gaulle à l’ « Île de France ». Pour cette présentation de l’uni- Très belle vue d’un Spitfi re Mk Vb du 340 Sqn « Île de France » au printemps 1942. té on écrit le nom du général de Gaulle Marcel Albert a volé sur le « GW-W » serial AR363 les 5, 7, 8, 9 (deux fois), 18 et sur l’avion du capitaine Fayolle absent 28 juin. L’avion sera perdu quand le S/Lt Jean Coatalen sera abattu le 30 juillet. Le pour quelques jours, sa femme devant « GW-W » de la photo est celui qui l’a précédé, serial BL827, arrivé à Ayr le 1er mars. accoucher. Mais suite à un ennui mécani- Offert par Mr. Anderson, il porte le nom « Elizabeth » sur le haut du capot moteur, et que sur la voiture du général, la visite est dessous « MIKI ». C’était l’avion du S/C Marc Waillier (alias Mark Willis) qui perdra la retardée. Comme l’opération « Rutter » vie à son bord le 30 avril. (photo War Press)

[16] Jeu de mots que nous a fait Marcel Albert : en effet son Spitfi re a été payé en partie par les dons des Hollandais de l’île in- 18 donésienne des Célèbes. Ce nom était inscrit sur le côté gauche du capot-moteur de son Spitfi re W3127 « GW-X ». Pour la petite histoire, c’est René Mouchotte qui lui a expliqué ce qu’était l’île des Célèbes. Westhampnett, début juillet 1942 : une des rares photos de Bernard Dupérier qui montre la présence de Marcel Albert au groupe « Île de France »... C’est avec ce groupe de pilotes (moins Gibert) qu’il aura le plus de contact. À noter le Spitfi re Mk Vb avec les bandes, dites par erreur de Dieppe. De gauche à droite : René Mouchotte, Albert Durand, Marcel Albert, André Moynet, André Gibert (au fond) et Charles de Tedesco. (coll. SHD-Air) trouiller à 10 miles au sud de Shoreham à compris qu’il y avait une erreur. J’ai volé Malheureusement pour notre pilote, il la base du plafond nuageux. Comme ma alors au point Sainte Catherine, quand 5 ne fait aucune description des dommages radio ne marchait pas très bien, je n’ai pas miles au sud de Worthing, j’ai vu 5 ou 6 éventuels sur l’avion. Par contre, dans son compris un ordre pour me mettre sur le petits bateaux brûlés, tout à coup j’ai vu rapport de combat se trouvent deux indices canal B, et j’ai pensé qu’il fallait patrouiller une grosse gerbe d’eau et j’ai pensé à intéressants : il écrit « bombe larguée », au point B. Comme c’était , j’ai une bombe. À ce moment, j’ai vu un avion puis « l’avion ennemi se dirige vers le sud ». passer qui allait en direction du sud à la Il y a de fortes probabilités pour qu’il même hauteur que moi à 3 000 pieds [en- s’agisse d’un FW 190 d’une unité Jabo viron 900 m, NDLR]. J’ai viré pour inves- appartenant à la JG 2 installée à Caen tiguer, je l’ai perdu un moment de vue, et – Carpiquet. Le 18 juillet en effet, le FW soudain j’ai vu un FW 190 qui volait vers 190 A-2 WNr 2087 de la 10.(Jabo)/JG 2 le sud au niveau de la mer. J’ai plongé ne peut atteindre sa base et fait un atter- sur lui et entamé une attaque par der- rissage forcé à Dieppe avec des dégâts rière et au-dessus, j’ai tiré à 300 mètres estimés à 60% après un combat avec un avec mes canons et mes mitrailleuses. Spitfi re. Mes balles l’ont touché, et tout autour de lui comme dans l’eau. L’avion ennemi ne Marcel Albert reste fi dèle à lui-même, semblait pas avoir ressenti mon attaque et n’est pas regardant au sujet des victoi- et j’ai fait trois autres attaques. Avec des res. Il continue ses missions, il sait qu’il a tirs à 280, 360 et 600 mètres, par derrière été choisi comme volontaire pour aller en et trois quart arrière, jusqu’à qu’il ne soit Russie, tout comme ses deux compères. Il éventuellement plus à portée de tir. J’ai attend patiemment son ordre de mission atterri à Westhampnett à 6H45. Ma ciné- qu’il va recevoir le 14 aout 1942. Ce sera mitrailleuse n’a pas pu fonctionner, le mé- une autre aventure ! Une photo tirée de l’album de Dupérier, vi- canicien avait oublié d’enlever le cache sion champêtre d’une après-midi de juillet avant le décollage. Je revendique un Fw À suivre… 1942 avec Marcel Albert, René Mouchotte 190 endommagé ». et André Moynet qui ira en Russie. (coll. SHD-Air)

Détail du « Log book » de Marcel Albert pour le 18 juillet 1942, date de sa victoire – jamais homologuée – sur un FW 190. (photo M. Souffan) 19 Deuxième partie Yakovlev Yak-1b n° 44-115 « 44 rouge » du S/Lt Marcel Albert, 1re escadrille du GC 3 « Normandie », Polotniani-Zavod début avril 1943. Avion utilisé par Albert du 3 mars au 5 avril 1943 (18 vols dont 5 de guerre). Réparé après son atterrissage forcé, cet appareil reviendra à l’unité le 17 mai 1943. Camoufl age blanc lavable MK-7, dessous bleu clair AMT-7.

Yakovlev Yak-1b n° 04-134 « 4 blanc » du S/Lt Marcel Albert, 1re escadrille du GC 3 « Normandie », Mosalsk-Vassilievskoïe mai 1943, avec détail du cône d’hélice devenu tricolore à partir du 8 juin. Avion utilisé par Albert du 24 avril au 4 juillet 1943 (plus de 42 vols, 1 victoire). Camoufl age vert AMT-4 et noir AMT-6, dessous bleu clair AMT-7.

Yakovlev Yak-9 n° 0430 « 6 blanc » du Lt Marcel Albert, commandant de la 1re escadrille du GC 3 « Normandie », Filatki fi n septembre 1943 [reconstitution]. Avion utilisé par l’as du 4 juillet à fi n septembre 1943 (59 missions de guerre, 8 victoires). Camoufl age identique au précédent.

Yakovlev Yak-9D « 6 blanc » du Lt Marcel Albert, commandant de la 1re escadrille du GC 3 « Normandie », Toula novembre 1943. Avion utilisé par l’as du 30 septembre 1943 à mai 1944 (69 vols dont 18 de guerre, 5 victoires). Camoufl age gris bleu clair AMT-11 et gris foncé AMT-12, dessous bleu clair AMT-7. En l’absence d’indication de l’usine de fabrication, il se peut que la livrée ait été en deux tons de vert (voir cartouches).

18 Deuxième partie, par Many Souffan (profi ls de Thierry Dekker)

Ce n’est qu’à la fi n du mois de septembre 1943 que Marcel Albert va prendre comme nouvelle monture un Yak-9D à long rayon d’ac- tion. L’aspect extérieur du chasseur Yakovlev ne change pas mais l’aménagement intérieur permet de mettre un réservoir plus grand et de doubler l’autonomie. Albert est ici photographié avec ses mécaniciens russes Averianof et Mironof. (photo Marcel Albert)

et grande aventure. Son nom restera à jamais indissociable de celui de « Normandie-Niemen ». Fidèle à lui-même, Marcel Albert continue ses missions. Il effec- tue ses deux dernières [1] au sein du groupe « Île de France » Avant de continuer, retournons dix mois en arrière : l’Allemagne le 10 août 1942. Il sait depuis juillet qu’il a été choisi comme attaque l’URSS le 22 juin 1941. Le regard visionnaire du général volontaire pour aller en Russie, tout comme ses deux compères. de Gaulle ne s’y trompe pas : « un nouvel espoir est né pour la Il attend patiemment son ordre de mission qu’il reçoit le 14 août France ». Dans sa quête d’indépendance vis-à-vis de l’hégémo- 1942, pour rejoindre Camberley, point de départ d’une nouvelle nie anglo-saxonne qui va s’accentuer avec l’entrée en guerre des États-Unis, et désireux de voir la France combattre sur tous les fronts, il fait entamer des pourparlers avec les Russes. Cela se traduit le 26 septembre 1941 par la reconnaissance de la France libre par Staline et par des échanges d’ambassadeurs.

D’un autre côté, malgré une situation catastrophique en Libye, les Britanniques refusent pour différentes raisons la proposition du général de Gaulle d’utiliser deux unités terrestres françaises sur ce théâtre d’opération. Le chef des Français Libres se tourne alors vers les Russes pour leur faire la même proposition. Elle se heurte plus à des problèmes annexes ou d’ordre logistique qu’à un refus. Les discussions avec les Soviétiques commen- cent à s’embourber quand un évènement imprévu va changer la donne.

Le lieutenant-colonel Charles Luguet, attaché Air à l’ambassade de France à Moscou, profi te de la rupture des relations diploma- tiques entre Vichy et l’URSS pour rejoindre les Français libres. Dès son arrivée à Londres [2], il est questionné par le capitaine Mirlesse, commandant du modeste 2e bureau. L’ex-attaché de

[1] Les 47e et 48e, qui consistent en des protections de convoi. [2] Charles Luguet profi te d’une escale à Istanbul, le 30 juillet 1941, pour prendre contact avec les FAFL à Beyrouth où il signe son engagement le 15 août. Il n’arrive à Londres que le 1er décembre. L’entrevue avec le Cne Alfred Mirlesse a eu lieu le 8 19 Marcel Albert. (portrait de Michel Thouin) décembre 1941. l’Air à Moscou, qui a séjourné plus de trois ans dans la capitale russe, trace un ta- bleau beaucoup plus optimiste de la situa- tion militaire en Union Soviétique. Il ter- mine sa présentation en paraphrasant le général de Gaulle : « L’URSS a perdu une bataille, mais n’a pas perdu la guerre. Des forces considérables n’ont pas encore donné, et les cinglantes défaites peuvent être transformées en victoire… »

C’est alors qu’Alfred Mirlesse, qui connait les diffi cultés rencontrées pour envoyer une unité terrestre en Russie, demande à Luguet : « Est-il possible d’envoyer des forces aériennes en Russie ? ». La ré- ponse est affi rmative. Deux ou trois jours plus tard, sur le bureau du général Valin, se trouvent les conclusions du capitaine Mirlesse et le rapport du lieutenant-colonel Luguet qui recommandent avec insistance Note de service demandant aux « trois mousquetaires » de se présenter au 4, Carlton l’envoi d’une force aérienne française en Gardens, pour rencontrer le Gal de Gaulle. À noter que le document est signé de Union soviétique. Charles Luguet. (document Renaud-Durand)

Le haut commissaire à l’Air Valin trans- Charles Luguet a été attaché Air militaire à Moscou met très vite ces deux dossiers au général pendant 3 ans. Son point de vue et sa connaissance de Gaulle, qui demande l’ouverture de né- du monde russe vont argumenter et précipiter la vo- gociations avec les Soviétiques pour l’en- lonté du Gal de Gaulle d’envoyer des pilotes dans ce voi d’une escadrille française sur le front pays. (coll. Many Souffan) russe. Luguet et Mirlesse sont chargés Avec Charles Luguet, Alfred Mirlesse est d’entamer ces nouvelles tractations. Nous la cheville ouvriè- sommes à la fi n de décembre 1941 ; de re, l’homme à tout toutes ces discussions, rien ne fi ltre du 4, faire tant dans les Carlton Gardens. Seul, le désir du géné- pourparlers avec ral d’envoyer des troupes françaises sur le les Russes, que front russe est dans l’air du temps. dans la création du GC 3 que sa mise Nous pouvons remettre dans ce contex- en place en Union te ce qui s’est passé le 22 janvier 1942, soviétique. L’art quand Durand, Albert et Lefèvre ont ren- du dialogue, de la contré pour la première fois le chef des négociation et de la diplomatie ainsi que sa parfaite Français libres. Nous pouvons aussi ima- connaissance du russe ont su surmonter tous les obs- giner l’impact qu’a pu avoir la proposition tacles. (photo famille de Pange) énoncée par Marcel Lefèvre d’aller com- battre en Russie dans l’esprit du général. Bien sûr, peut-être que nos trois compères son mot et puis continue), il m’a dit en me ont pu entendre l’éloge du peuple russe serrant la main de me préparer, que j’al- qu’a fait le général à la BBC deux jours Au mois de mars 1942, Valin rappelle à lais bientôt partir en Russie. J’étais épaté plus tôt. Mais il a promis de faire appel à Londres Joseph Pouliquen, Jean Tulasne qu’il se rappelle de moi. Je me souviens, eux en temps et en heure ; ce ne seront et Albert Littolff du GC 1. La création de Albert [Durand NdA] n’était pas là, peut- pas de vains mots. cette nouvelle escadrille française est être en mission, parce que j’avais envie donnée à Joseph Pouliquen avec une pe- de partager avec lui la bonne nouvelle… » En effet, tandis que se met en branle tite note du général de Gaulle : que les la diplomatie française pour amadouer les trois premiers volontaires Albert Durand, Quand Albert et Durand arrivent à susceptibilités anglaises tout en établissant Marcel Lefèvre et Marcel Albert, soient la Camberley, ils y trouvent Yves Mahé, une demande offi cielle auprès des Russes, pierre angulaire de cette nouvelle unité. Joseph Risso, , le troi- l’état-major des FAFL travaille pour la mise Bien plus tard, Pouliquen dira avec jus- sième mousquetaire Marcel Lefèvre et en place d’une nouvelle escadrille. Au mi- tesse : « Il y avait les trois mousquetaires Marcel-Yves Bizien [4]. Tous, comme eux, lieu du mois de février 1942, tandis que et j’étais d’Artagnan ». candidats en partance pour le Moyen- les pourparlers offi ciels s’ouvrent avec les Orient et Rayack, tous volontaires pour la soviétiques, Le général de Gaulle et Albert Ce n’est en fait que le 11 juillet 1942, lors Russie avec la nouvelle escadrille qui se Mirlesse déjeunent avec le capitaine du passage du général de Gaulle au grou- forme : le GC 3. En l’absence du lieute- Demozay, le pilote français le plus en vue pe « Île de France » que Marcel Albert nant Didier Béguin qui n’est pas encore chez les Britanniques, pour lui proposer le apprend l’imminence de son départ : arrivé, c’est Durand qui est le chef de ce commandement de cette nouvelle unité. « le grand Charles a dit au petit Marcel détachement qui prend le train ce lundi Jean Demozay va décliner l’offre pour des [3], il était grand le général (Marcel Albert, 17 août 1942 à 08h00 pour la gare de raisons de temps. s’arrête, sourit, visiblement content de Euston.

[3] Souvent Marcel Albert, pour compenser, voire se protéger de ses émotions, jouait avec les bons mots et l’humour. Sa gouaille, son côté fron- deur et son humour ravageur ont toujours été apprécié chez ses interlocuteurs. Il est à l’origine de pratiquement tous les surnoms des pilotes du « Normandie ». 20 [4] Mahé, Risso et Béguin viennent du 253 Sqn, de la Poype du 602 Sqn, Lefèvre du 81 Sqn et Bizien est déjà à Camberley à la suite du départ du 123 Sqn « overseas », à l’étranger. Note demandant à Alfred Mirlesse d’amener le détachement dit Après avoir déjà vu une première fois, avec le Gal de Gaulle en « de Londres » à Padgate ; il est composé de Jean de Pange, février 1942, le Cne Demozay, Alfred Mirlesse songe – malgré Georges Lebiedinski, Michel Schick, Alexandre Stakovitch et Pierre un refus – à revoir le pilote. Il expose ici l’intérêt de son choix. Guéguen. (coll. famille de Pange) Le Gal de Gaulle entérinera fi nalement le choix Pouliquen – Tulasne. (coll. Many Souffan) Marcel Albert y arrive avec les autres le commandement de cette petite troupe le convoi où se trouve notre navire quitte pilotes à 10h25 et fait la jonction avec au lieutenant de Pange, le plus ancien en la rade de Greenock en fi n d’après-midi. un autre groupe venu de Londres sous grade. Tout semble idyllique sur ce bras de mer la houlette du capitaine Mirlesse. Il y a que surplombent des montagnes illumi- dans ce groupe Jean de Pange, Georges nées par un soleil couchant mais déjà la Lebiedinski, Michel Schick, Alexandre houle se fait sentir… Stakovitch et Pierre Guéguen [5]. Tout ce beau monde prend le train et, après La mer déchaînée semble accompa- un changement à Warrington arrive à Après quelques jours passés à Padgate gner pendant quelques jours le Highland Padgate, un camp à côté de Manchester et une série de piqûres contre les maladies Princess dans son cheminement vers pour tous les soldats qui partent au loin, tropicales, toute la petite troupe prend le le Sud, il est vite rebaptisé le Drunken « overseas ». Après quelques jours et chemin de l’Écosse et Greenock, où ils Princess, la princesse ivre. Marcel Albert l’arrivée de Didier Béguin, le capitaine doivent prendre un bateau. Ils montent en gardera un très désagréable souvenir, Mirlesse, qui doit en urgence partir pour le 29 août sur le Highland Princess qui tant la mer fut mauvaise et le navire sen- une mission en Union Soviétique, laisse est déjà bondé de soldats. Le lendemain, sible à la houle. La mer, malgré tout, se calme et les amitiés au gré des affi nités se dessinent entre les Français. Comme celle de Joseph Risso et de Marcel Albert. Enfi n le navire entre dans la rade de Freetown pour une première escale de quatre jours, ensuite à Takoradi, trois jours, pour ar- river enfi n à Lagos au Nigéria le 19 sep- tembre.

Pendant huit jours le détachement fran- çais fait du tourisme en attendant l’ar- rivée du Junkers 52/3 m de la SABENA qui doit les amener au Caire. Enfi n ils dé- collent le 27 pour Douala et Yaoundé au Cameroun et Libengue au Congo belge. Le lendemain ils arrivent à Stanleyville (aujourd’hui Kisangani) où ils séjournent C’est sur ce bateau jaugeant 14 100 tonnes que le détachement pour Rayack va fai- trois jours. Le 2 octobre ils atterrissent re un voyage mouvementé pendant plus d’une semaine. Le « Highland Princess » enfi n au Caire après avoir fait escale à sera baptisé pour l’occasion le « Drunken Princess » : La princesse ivre. (coll. Michel Thouin) [5] Au sein du GC 3, de Pange deviendra pilote de liaison, Lebiedinski médecin, Schick interprète et pilote de liaison, Stakovitch interprète. Quant au S/Lt Guéguen, il rejoint sa future formation (le groupe « Bretagne ») à Rayack en tant qu’observateur. 21 C’est avec ce ticket que Marcel Lefèvre Le Ju 52 de la Sabena qui est parti de Lagos avec le détachement fait une escale est monté à bord du « Highland Princess » technique de trois jours à Stanleyville, au Congo Belge. Les aviateurs sont, de gauche le 29 août 1942. (document J. Lefèvre) à droite : de Pange, Albert, Risso, Schick, Bizien, Lefèvre, Béguin et Stakovitch. (photo famille de Pange)

Dès leur arrivée le 19 septembre 1942 à Lagos au Nigéria, terminus du « Highland Princess », les trois mousquetaires po- sent pour célébrer l’évènement mais aus- si pour fêter - avec trois jours de retard - l’anniversaire d’Albert Durand. (photo Renaud-Durand)

Après trois jours passés au Caire, le déta- chement va prendre le train jusqu’à Haïfa et de là des camions jusqu’à Rayack via Beyrouth. Marcel Lefèvre a eu la bonne idée de garder tous ces petits souvenirs de Carte faite par Marcel-Yves Bizien qui retrace l’odyssée du détachement parti d’Angle- ce long et fatiguant voyage. terre pour aller en Russie. (document famille Bizien) 22 (document J. Lefèvre) Juba, Malakal, Khartoum et Wadi Alfa au mine dans des camions, « serrés comme an, jour pour jour, après leur évasion, les Soudan égyptien. À cette dernière escale, des sardines », le 7 octobre. Le capitaine trois mousquetaires remontent dans un Marcel Albert réveille tout l’hôtel de peur Littolff écrit dans le journal de marche du D.520 pour un vol d’essai. En effet, Albert quand il aperçoit un crocodile empaillé, GC 3 : « Arrivée du détachement venant Littolff après avoir testé les jours précé- gueule ouverte, dans son lit. « Une gros- de Lagos, impression générale excellente. dents le D.520 n° 397 essaie le second se farce de Pohipe [6] que je n’ai pas ap- Trois de ces pilotes, les évadés d’Oran… Dewoitine, le n° 302. Pour la première préciée sur le moment. » Albert, Lefèvre et Durand constitueront fois, le commandant Jean Tulasne vole un sérieux appoint pour le groupe tant par sur ce type d’appareil (le 397) et le trouve Après ces 6 500 km en 36 h 40 mn de leurs qualités professionnelles que par excellent. Quant à Marcel Albert, il est : vol, on leur accorde au Caire « trois jours leurs palmarès déjà importants ». « bluffé par la démonstration », ce sont pour se dégourdir les jambes » avant de « de vrais pointures » qui le « rassurent prendre le train jusqu’à Haïfa, 800 km Les jours qui suivent, « la mayonnaise pour la suite des évènements ». plus au nord. Ce long et fatiguant voyage prend bien » entre les Libyens [7] et les pour arriver à Rayack via Beyrouth se ter- Anglais [8]. Le 14 octobre soit juste un Deux jours plus tard, présentation du GC 3

[6] Un des surnoms donné par Marcel Albert à Roland de La Poype. Il y avait aussi « vicomte », « marquis » et parfois « polipe ». [7] Nom donné aux pilotes venant du groupe « Alsace » qui a combattu en Libye. [8] Nom donné aux pilotes venant d’Angleterre.

Dès l’arrivée du détachement d’Angleterre certains pilotes vont voler sur les deux Dewoitine 520, le 302 et ici le 397. Jean Tulasne essaye cet avion le 14 octobre 1942. De gauche à droi- te : Albert Préziosi, Alexandre Michel, Albert Littolff, André Poznanski et sur l’avion Benoît Saliba. (photo famille Littolff)

Albert Littolff essaye le D.520 n° 302 le 14 octobre 1942. Marcel Albert va être « épaté » par la performance du pilote ainsi que celle de Tulasne sur le n° 397. Bien que cela ne soit pas écrit sur son carnet de vol, il fera un vol d’une vingtaine de minutes sur cet avion. La dédicace de Marcel Lefèvre rappelle qu’un an auparavant, jour pour jour, il avait fait son dernier vol sur D.520... (photo J. Lefèvre) 23 Le 16 octobre 1942, après avoir reçu ses nouveaux uniformes, tout le GC 3 « Normandie » pose pour la photo de famille. Les trois mousquetaires sont symboliquement au centre du groupe. Albert au dessus du Col Gence, Durand au dessus du Col Corniglion- Molinier et Lefèvre au-dessus du Cdt Pouliquen. (photo Marcel Albert) au lieutenant-colonel Édouard Corniglion- Molinier. L’encadrement, les pilotes et les cinquante mécaniciens dans leurs unifor- mes neufs posent fi èrement pour la photo souvenir avec leur nouvel insigne aux ar- mes de la province de Normandie. Dans son discours Corniglion-Molinier leur dit : « Vous le porterez avec fi erté et dignité » et fi nit son allocution par : « notre pensée va vers ce coin de France que le troisième groupe de chasse honorera en portant ses armes et que ses pilotes glorifi eront par leurs victoires ».

L’attente est longue. Ce n’est que le 12 novembre que Marcel Albert embarque avec 21 autres personnes sur le second DC-3 [9] américain pour Bagdad. De là, Photo prise par Jean de Pange pendant le En attendant de prendre le train, Marcel- de nouveau un train pour Bassorah et des voyage de Damas à Bagdad dans le se- Yves Bizien, Marcel Albert et Albert camions pour Téhéran. Après une énième cond DC-3 américain. Joseph Risso est Durand font du tourisme à cheval ce 14 attente, des Li-2 (DC-3 sous licence russe) à droite, Marcel Albert assis à gauche en novembre 1942 dans les rues de Bagdad. embarquent les hommes. Décidément, la train de jouer. (photo famille de Pange) (photo famille Bizien) Russie c’est loin. Une terrible tempête meurtrière fait rage sur terre : Stalingrad.

Coupure de presse invitant les ressortis- sants français de Téhéran, le 22 novem- bre, à rencontrer les pilotes français en escale dans cette ville avant leur départ en Russie. (document J. Lefèvre) [9] Le premier DC-3 a Littolff comme chef du détachement ; le second, celui d’Albert, a de Pange comme superviseur ; le dernier DC-3 dé- colle le lendemain avec Tulasne Comme une vieille habitude depuis leur départ de Gibraltar, les trois mousquetaires et Pouliquen retardés par des Durand, Lefèvre et Albert, à chaque arrivée dans un nouvel endroit, immortalisent 24 questions administratives. l’évènement comme ici Ivanovo. (photo Renaud-Durand) Alors la route passe par Bakou, le survol de la mer Caspienne ; enfi n la Russie. Le mauvais temps se met de la partie. Marcel Albert est « tranquillisé » quand il voit le pilote russe bardé de médailles. Ce der- nier doit faire un détour vers l’Oural, pour contourner une autre tempête – celle-ci dans les airs – puis cap à l’ouest, Moscou et enfi n Ivanovo.

Peut-être à cause de la fatigue, Marcel Albert ressent comme un « cafard et de la nostalgie », il pense à sa mère et à sa sœur ; il ressent le froid avec plus d’acui- té, la faim, et même se pose des ques- tions sur sa présence ici, sur le sol russe. Quand il se réveille le lendemain, après sa première nuit à Ivanovo dans une immen- se bâtisse aux grandes salles lugubres où l’eau « semble plus froide qu’ailleurs », l’espoir, le contentement d’être là, l’envie de se battre et l’envie de « rigoler avec Photo souvenir de tout le GC 3, pilotes, mécaniciens et encadrement à Ivanovo. Comme mes potes » ont repris le dessus. à son habitude Marcel Albert s’est mis avec les mécaniciens. (coll. SHD-Air) Prise de contact avec la grande cour, avec la neige, avec le personnel fémi- nin, avec les alentours, avec la nourriture russe, avec la langue qui lui rappelle son enfance, Marcel est heureux. Le choix de l’avion que piloteront les Français est un choix politique mais aussi un choix de cœur, le Yak-1 – au-delà de sa modernité – ressemble au Dewoitine 520 même dans sa prise en main, à la petite différence qu’il est plus rustique. Le moteur Klimov M-105 est d’ailleurs l’Hispano-Suiza 12 Y construit sous licence russe.

En attendant l’arrivée des premiers Yak, et sous la houlette du lieutenant Prokofi ef, Marcel Albert aide dès le début de décem- bre Tulasne et Littolff, quand le temps le permet, à faire reconnaître la région aux autres pilotes français avec des vols en UT-2, un appareil d’entraînement léger, à train fi xe, deux habitacles ouverts et un Marcel Albert souriant dans un Yak-7V. Il sera le premier pilote de « Normandie » à être moteur de 125 ch. Dès le 18 décembre lâché seul, le 26 décembre, avant même Littolff et Tulasne. (photo Marcel Albert) c’est le début des vols en biplace Yak-7V, sous l’autorité du capitaine Drouzenkof. Cet avion d’entraînement avancé à la chasse donne déjà un aperçu ce que va être le pilotage des Yak-1b.

Marcel Albert, suivi de Durand et Lefèvre, est le premier lâché en solo le 26 décem- bre 1942. Tout le mois de janvier, il par- fait son entraînement sur Yak-7V. Enfi n, moment d’émotions pour les pilotes de « Normandie » quand arrivent après le 20 janvier 1943 les quatre premiers Yak- 1b tout blanc de l’usine 301 de Saratov. Après deux jours d’explications au sol, les premiers vols de prise en main ont lieu le 25 janvier sur le 33-112 codé « 33 rou- Le Cne Drousenkoff donne les dernières explications techniques sur le Yak-7V. de ge » et 01-105 codé « 1 rouge » [10]. gauche à droite : Cne Mirlesse, Cne Drousenkoff, S/Lt Lefèvre, Cdt Tulasne et les S/Lt Durand et Albert. (photo F. Tulasne) [10] Les Yak-1b en provenance de Saratov ont leur numéro de série peint en rouge en hiver sur la dérive (effacé deux jours après). Il se compose de deux nombres ; le premier est le numéro de l’avion et le second le numéro de la série, chaque série représentant une chaîne de montage. Le 33-112 sur lequel Marcel Albert fait son premier vol sur Yak-1 est ainsi le 33e avion construit de la 112e 25 série. Le lendemain deuxième vol pour Marcel Albert sur le 33-116 codé « 33 rouge » [11] en compagnie de Castelain sur le 03- 113 codé « 3 » pour 35 minutes d’acroba- tie en duo.

Le 31, toujours avec Noël Castelain, Marcel Albert accomplit son troisième vol sur le « 1 rouge ». Deux jours plus tard, il effectue sur le UT-2 une reconnaissance du champ de tir. Le 4 février, sur le « 26 rouge », il procède pendant 40 minutes à des tirs sur des cibles au sol. Au cours de ce mois de février, malgré le mauvais temps, il réalise cinq autres vols d’entraî- nement : un sur le « 26 », deux sur le « 17 » et deux sur le « 14 ». Marcel Albert trouve le Yak-1b « épatant ». Ce n’est que le 3 mars, avec l’arrivée de quatre nou- veaux Yak-1b, qu’il peut se choisir une monture personnelle sur laquelle il fait presqu’aussitôt dessiner l’insigne de la Spa 69, son ancienne unité. Ce sera le 44- Sur le terrain de Polotniani-Zavod, les Yak-1b « 5 » et « 33 » rouge. C’est avec ce 115 codé « 44 rouge ». dernier que Marcel Albert effectue son premier vol sur Yak-1b le 25 janvier 1943. Il deviendra la monture de Noël Castelain. (photo J. de Pange) L’entraînement des français tire à sa fi n, et le 14 mars le commandant Tulasne s’active pour noter les derniers pilotes et mettre en place le défi lé de présentation de l’unité qui doit avoir lieu une semaine plus tard. Marcel Albert est noté avec 13 h 20 mn « très bon pilote ». Devant le gé- néral Petit et tous les offi ciels russes dont le général Levandovitch, le 20 mars, le commandant Tulasne présente le GC 3. Une présentation en vol de toute l’unité, au cours de laquelle Marcel Albert pilote le « 13 rouge » [12], est suivie d’une dé- monstration acrobatique d’Albert Littolff sur son « 16 » ; puis Jean Tulasne effec- tue avec maestria sur le « 14 » [13] de Marcel Albert effectue un vol d’entraînement sur le « 26 rouge » en février 1943. Ce Lefèvre des fi gures acrobatiques qui lais- Yak-1b est la monture du Cdt Jean Tulasne et en tant que tel, il a le cône d’hélice rouge. sent pantois les offi ciels russes. (photo J. Tulasne)

Après les félicitations méritées pour lui et son unité, Jean Tulasne reçoit la confi rma- tion que le « Normandie » est prêt pour partir au front. Deux jours plus tard l’es- cadrille s’envole pour le front de Wiazma, à Polotniani-Zavod [14], en appui d’une division de bombardiers. Les premières missions de « Normandie » consistent en des accompagnements de protection de deux ou trois bombardiers Petlyakov Pe-2. Toujours chef de patrouille, Marcel Albert effectue en cette fi n du mois de mars trois missions.

Dans la matinée du 5 avril, le GC 3 en- Le Yak-1b « 14 rouge » est l’avion de Marcel Lefèvre. Marcel volera deux fois au cours registre ces deux premières victoires : du mois de février 1943 sur cet appareil. (photo J. Lefèvre) un Focke Wulf 190 pour Durand et un second pour Préziosi. En début d’après- [12] C’est la seule fois, à cette date, que Marcel bleu – blanc – rouge, comme il l’avait fait sur Albert indiquera le numéro de son appareil sur les Hurricane en Libye. [11] Pendant trois ou quatre semaines, il y son carnet de vol russe. [14] Pour desserrer un peu plus l’étau allemand aura deux « 33 rouge ». À l’arrivée d’un troi- [13] Marcel Lefèvre était très à cheval sur la sur Moscou, les Russes se sont engagés dans sième « 33 » (33-110) début mars, on décidera propreté de ses montures. C’est pour cela que une offensive au sud-ouest de la ville. Le front d’attribuer à ces avions les nouveaux numé- Jean Tulasne utilise son rutilant « 14 rouge ». de Wiazma ainsi nommé se trouve à peu près à ros « 13 », « 23 » et « 33 ». Pour cet évènement, il demande à son méca- mi-chemin entre la capitale et Smolensk. nicien Calorbe de peindre le cône d’hélice en

26 midi, trois Pe-2 décollent accompagnés par deux paires de Yak : Littolff sur le « 16 », Castelain sur le « 33 », Albert sur le « 44 » et Mahé sur le « 29 » pour une mission de bombardement en profondeur dans la région d’Ielna. Sur le retour, Mahé a des ennuis de moteur et doit faire un atterrissage forcé au cours duquel il en- dommage son hélice. Quelques instants plus tard, c’est au tour d’Albert de vivre la même aventure, avec plus de chance dans son atterrissage.

Si Mahé est récupéré très vite par Jean de Pange et ramené le jour même à la base, il n’en est pas de même pour Marcel Albert qui n’est retrouvé que le lendemain. Lors de l’atterrissage du pilote de liaison français, les roues de son Polikarpov U-2 s’enfoncent dans la boue qui se forme toujours après le terrible dégel à cette Ce n’est que le 3 mars que Marcel Albert choisit sa monture : le Yak-1b n° 44-115 codé époque. Les deux compères doivent at- « 44 rouge ». Il fait dessiner sur le fuselage l’insigne de son ancienne unité, la Spa tendre le lendemain pour faire tirer le U-2 69, avec une petite différence : le fanion est liséré de rouge à la place du jaune initial. par un tracteur vers un endroit plus apte à (photo Lefèvre, coll. Christophe Cony) décoller. Un peu plus tard, les deux hom- mes décollent. Sur le chemin du retour… mais laissons Jean de Pange raconter : « À 50 mètres d’altitude, mon moteur s’ar- rête net, et je cherche à me poser devant moi… quand j’entends de la place arrière un grand éclat de rire et le moteur repart. C’est Albert qui avait coupé le contact pour me faire une blague… [15] »

N’ayant plus d’avion, Marcel Albert est cantonné à d’hypothétiques décollages sur alerte où à faire des liaisons avec le U-2 pour amener des mécaniciens sur une base avancée. Pour compenser les premières pertes de « Normandie » Marcel vole sur cet appareil du 3 mars au 5 avril 1943, date à laquelle il fait un atterris- (Bizien, Poznanski et Derville le 13 avril) sage forcé dû à une panne de moteur. Il effectuera à son bord 18 vols dont 5 missions et la casse due au dégel, quatre nouveaux de guerre. (photo Lefèvre, coll. Christophe Cony) Yak-1b arrivent le 23 avril dans leur livrée d’été, vert et noir. Le 04-134 devient le « 4 blanc » au cône d’hélice blanc [16], la nouvelle monture de Marcel Albert. Ce dernier s’abstient de le personnaliser par peur de la « scoumoune » [17].

Tout au long des mois de mai et de juin, Marcel Albert a pour équipier Préziosi. Le tandem fonctionne bien. Le 7 mai, ils mettent en fuite « un bipoutre », certai- nement un FW 189 de reconnaissance. Marcel ne lâche pas sa chance quand le 16 juin, toujours suivi par Préziosi sur le « 28 blanc », il décolle sur alerte et rencontre un appareil identique qui photographie la petite gare de Soukinovici. L’appareil alle- mand ne voit pas la paire française arriver. Laissons la suite à Marcel Albert : « Quand

[15] « Nous avons tant vu… », Jean de Pange, page 254. [16] Les cônes des hélices seront peints bleu – blanc – rouge après l’arrivée du renfort de pilo- tes avec Pouyade au début du mois de juin. [17] Les mises au point auront été fréquentes sur ces deux Yak-1b de Marcel Albert, alors que les différents Yak-9 et Yak-3 auront une longé- Dessin humoristique d’Albert Littolff pour Marcel-Yves Bizien, dit « la Bise », représen- vité étonnante. tant le Yak-1b de Marcel Albert. (document famille Bizien) 27 nous l’avons tiré, il a fait un retournement et nous nous sommes frôlés de très près ; il avait perdu toute la pointe [vitrée NdA] de sa cabine centrale, un de ses moteurs était arrêté et il était plein de trous, nous l’avons suivi quelque temps, je sentais le vernis brûlé en volant derrière lui… » Ce jour-là, la déplore dans le sec- teur la perte du FW 189 A-1 WNr 0047 du NAGr 15 dont l’opérateur radio, l’Uffz Matthias Müller, est tué. Première victoire d’une longue série en Russie.

Depuis l’arrivée le 7 juin du commandant Pouyade et de plusieurs pilotes, la vie semble moins diffi cile. Tulasne et Littolff échafaude une restructuration de l’uni- té en deux escadrilles. C’est à la même époque que tous les cônes des Yak sont peints en tricolore et que certains avions Le GC 3 « Normandie » s’est positionné au printemps 1943 sur le front de Wiazma, au changent de code. On profi te d’une accal- sud-ouest de Moscou. L’offensive russe va permettre de desserrer l’étau allemand sur mie sur le front pour accélérer l’entraîne- Moscou. De gauche à droite : Albert, Béguin (de dos), Préziosi, Schick, Tulasne et un ment des nouveaux venus, on apprend à offi cier russe. (photo musée de l’ordre de la Libération)

Vue prise d’un Focke Wulf 189 montrant un paysage russe en 1943. Le 16 juin 1943 Marcel Albert abat en collaboration avec Albert Préziosi un FW 189. (DR)

Très intéressante photo montrant les quatre derniers Yak-1b en vol reçus par le GC 3 à la fi n d’avril 1943. De gauche à droite le « 28 » de Préziosi, le « 11 » de Littolff, le « 4 » d’Albert et le « 38 » de Tulasne. C’est la seule photo du « 4 blanc », seconde monture de Marcel Albert qui le pilotera du 26 avril au 5 juillet. Carte représentant les offensives russes du printemps 1943. (photo Littolff, coll. Many Souffan) Marcel Lefèvre a eu la bonne idée de position- 28 ner « Normandie » qui a participé à l’offensive sur Wiazma et Orel. (document J. Lefèvre) mieux se connaître, à jouer aux cartes et à gloser sur l’arrivée des nouveaux Yak-9. Ces derniers sont livrés début juillet. La 1re escadrille « Rouen » perçoit les premiers.

Marcel Albert essaie le Yak-9 n° 0430 et l’adopte d’emblée ; l’appareil tout comme son moteur (n° 315-768) auront une lon- gévité exceptionnelle. Pour différencier les Yak-9 des Yak-1, il est apposé à la place de l’étoile rouge du fuselage le code de l’appareil, plus grand que celui des Yak- 1b. L’avion de « Bébert » [18] est mainte- nant le « 6 blanc ». Marcel Albert a été le premier à avoir des mécaniciens russes, et cela bien avant le mois de mai. Fidèle, il les gardera jusqu’à la fi n de la guerre : ce sont l’adjudant mécanicien Averianof, le sergent aide-mécanicien Mironof et l’ar- Probablement la dernière photo d’Albert Durand sur son Yak-9 codé « 16 », avant sa murier Solofi ef. disparition le 31 août 1943. Pour différencier les Yak-9 des Yak-1b, le code personnel des Yak-9 était apposé en lieu et place de l’étoile rouge du fuselage. Il n’existe pas de « Tout semblait un peu trop calme sur photo du premier Yak-9 de Marcel Albert. (photo Renaud-Durand) le front, et chacun des pilotes fl airait qu’il y allait avoir un coup… » En effet, à la suite des combats des mois précédents un grand saillant s’est formé sur le front dont le point central est la ville de Koursk. Les Allemands préparent une vaste offensive pour le résorber ; de leur côté les Russes font de même. Les Français sont position- nés sur le front nord de ce saillant, près d’Orel. Tout débute le 10 juillet au soir, quand l’artillerie commence à pilonner les lignes allemandes. Le bombardement du- rera toute la nuit, toute la journée et la nuit suivantes : « Un roulement continu, impression de force et de majesté » [19]. « Normandie » entre en lice le 12 juillet ; l’après-midi, c’est au tour des chars des deux camps, pour ce qui sera la plus gran- de bataille de blindés de tous les temps.

La journée du 13 juillet n’est qu’une Moment de détente à Khationki. À droite Bon, Albert et Castelain ; à gauche de Tedesco succession ininterrompue de missions (debout), Littolff, X et au fond Béguin. Seul Albert survivra à la guerre. (photo Béguin, d’accompagnement de Pe-2 et de Il-2 coll. privée) Stormovik. « Normandie » engrange trois Photo prise par les Russes à l’occasion victoires. Le lendemain, fête nationale du 14 juillet 1943 avec Préziosi, Tulasne oblige, une prise d’armes a lieu à 07h30. et Albert. Quelques heures plus tard ce Le drapeau français fl otte sur ce petit dernier fera parler la poudre… (photo coin de Russie ; le capitaine de Forges Béguin, coll. privée) lit un bel ordre du jour du commandant Tulasne. La cérémonie dure à peine dix minutes mais elle est pleine d’émotion. La nouvelle Stalovaïa (salle à manger) est [18] Surnom donné dès le départ par Roland de inaugurée avec un repas varié qui sort de la Poype, que n’aimait pas trop Marcel Albert. l’ordinaire… [19] Journal de marche du « Normandie- Niemen ». La guerre n’attend pas, et les pilotes [20] Le Lt Charles de Tédesco, que Marcel de la première mission programmée à Albert a croisé lors de son passage au groupe 14h00 se préparent. Marcel Albert va voir « Île de France ». son second ailier, il se rappelle : « Je me [21] Le dispositif est composé de Marcel Albert sur le Yak-9 « 6 blanc », avec comme ailier prépare et je vais voir le petit Tesco [20], Albert Préziosi (Yak-9 « 10 blanc ») et second c’est comme un sixième sens, je ne sais ailier Charles de Tédesco (Yak-9 « 4 blanc »), pas pourquoi, je lui dis si tu vois un boche fl anqué de deux paires : Pierre Pouyade (Yak- seul, ne va pas le chercher… Je suis le 1b « 10 blanc ») et Didier Béguin (Yak-1b « 4 chef du dispositif [21], Pouyade et Béguin blanc »), Adrien Bernavon (Yak-9 « 3 blanc ») étaient déjà en l’air. » Marcel décolle avec et Maurice Bon (Yak-1b « 38 blanc »).

29 ses deux ailiers : « Préziosi protège mes Albert Préziosi, photographié ici en Libye, fesses [22] » et la seconde paire. « Au est sans nul doute le meilleur ailier qu’a bout de 10/15 minutes, je vois trop tard pu avoir Marcel Albert. (photo musée de Tesco plonger vers un point noir qui sem- l’Ordre de la Libération) ble être un 110 [23], je continue ma route pour rattraper la paire Pouyade – Béguin 190 ; Albert venu à sa rescousse, s’en- qui est poursuivie par un autre 110, j’ar- suit un combat. Le Français tire plusieurs rive à réduire la distance qui me sépare fois sans résultat, le troisième Allemand d’eux, je tire sur le boche pour lui dire que fait aussi une attaque sur Tulasne, et est je suis là, mes potes comprennent et vi- tiré en chandelle par dessous par Albert. rent à gauche. Je vois un Yak en fl ammes Le chasseur ennemi fait une abattée, des foncer vers le sol, je pense que c’est le volutes de fumée noir se dégagent sous petit Tesco. Deux paires de 110 se rejoi- dit d’accord, je n’ai jamais été regardant le fuselage, désemparé il se dirige vers le gnent et se positionnent en cercle défen- sur les victoires… [24] » Ce jour-là, la ZG 1 sol. sif. J’arrive et je tire dans le tas, je touche perd pas moins six Bf 110 [25] pour dif- un boche, il y a des pièces qui se déta- férentes causes et revendique deux vic- Au retour de la mission « Tutu me re- chent et qui percutent un autre 110, les toires, dont une sur un LaGG-3 par l’Uffz mercie, il n’y avait pas de quoi, il avait avions vont au tapis, les autres prennent Jung de la 2./ZG 1 qui correspond exacte- déjà oublié que la veille c’est lui qui avait la fuite… » ment à l’heure et l’endroit de la perte pré- dégagé le boche qui était collé à mes bas- sumée du lieutenant Charles de Tédesco. ques… ». En fi n d’après-midi « Bébert » Nous devons dire ici qu’il y a une diver- « C’était tellement important pour lui qu’il décolle pour sa quatrième mission de la gence entre les écrits du journal de mar- a été abattu un 14 juillet [26]. » journée, toujours avec son « précieux so- che et les dires de Marcel Albert. En effet sie [27] » : accompagnement et protec- il est écrit que c’est Pouyade qui emmène tion de Il-2. Les quatre paires françaises le dispositif et que les deux victoires sont sont coiffées par plusieurs attaques simul- partagées entre Albert (une) et le tandem tanées de la chasse allemande. La paire Pouyade – Béguin (une). Pourtant sur le Tulasne – Vermeil est mise hors de com- registre journal du « Normandie », il est bat, défi nitivement. La paire Léon – Risso inscrit à cette date, au crayon bleu à gau- Marcel Albert n’en prend pas ombrage ; est sauvée in extremis par la paire Albert che du nom d’Albert : C D, en clair Chef de toute façon, il n’a pas le temps, les mis- – Préziosi, qui tire sur un premier FW 190 du Dispositif. Laissons « le petit Marcel » sions se suivent toute l’après-midi et les sans résultat, puis plus effi cacement sur nous raconter la fi n de cette mission où il jours suivants avec une intensité de plus un second : « il s’abat en tranche en per- engrange sa seconde victoire en Russie : en plus forte. Les victoires s’accumulent dant des débris de métal ». Les pilotes « J’atterris, au bout de la piste m’attend mais les pertes aussi : le 16 juillet Littolff, des Il-2 confi rmeront la chute. Il est attri- Pouyade, je descends de mon taxi, il me Castelain et Bernavon disparaissent avec bué dans un premier temps à Albert seul prend par l’épaule et me dit c’est une leurs Yak-9. Le lendemain, Marcel décolle qui demandera à juste titre de le partager bonne journée pour nous, deux victoires, à 08h35 avec Préziosi, fi dèle équipier, avec son ailier. C’est sa cinquième victoire une pour toi et une pour moi, sans être pour sa seconde mission de chasse libre homologuée. La Luftwaffe enregistre plu- plus étonné que ça je luis dis ah, bon ? Il avec d’autres pilotes. Le dispositif est sieurs pertes dans la région à la III./JG 51 me répond bien sûr, si je ne te l’avais pas sous le commandement de Jean Tulasne. et la JG 54. amené mon boche, il n’y aurait rien eu, j’ai Ce dernier est pris à partie par trois FW

[22] L’auteur a demandé l’explication de cette boutade à Marcel Albert. De Tedesco lui avait dit sa rage d’être soupçonné d’avoir pu abattre le 23 août 1942 son chef de patrouille le Lt Paul Coignard, non rentré de mission. Dans le journal de marche du 340 Sqn « Île de France » est ins- crite à cette date une petite phrase sibylline : « Son accident est-il dû à une action de l’ennemi ? » Marcel Albert précisa que ce qu’il venait de dire n’était que de l’humour. Il ne voyait en Tédesco que sa joie de vivre, son envie de pouvoir voler de nouveau et « casser du boche » ; c’était un joueur de carte avec un esprit un peu jeune (d’où le surnom de petit Tesco malgré son 1,81 m) et un très bon pilote un peu « fougueux ». Quand Moynet arriva un peu plus tard au « Normandie », en provenance du 340 Sqn, il confi rma à Marcel Albert les allégations au sujet de Tédesco, en précisant qu’il n’y avait jamais eu de preuves tangibles. Le 23 août 1942, il n’y eut aucune reven- dication allemande, mais la Flak fi t feu… [23] Chasseur bimoteur Messerchmitt Bf 110. [24] Lors de ma dernière visite au Gal Risso avant sa disparition, celui-ci m’expliqua qu’il était fréquent de se partager les victoires au « Normandie », que lui-même l’avait fait avec de la Poype, que son « ami Albert » les partageait volontiers avec ses équipiers et qu’il en avait beaucoup plus que ce qu’indique son score. [25] Le Bf 110 G-2 WNr 6327 « S9+FB » du Hptm Wilfried Herrmann, du Stab I./ZG 1, et le Bf 110 F-2 WNr 5107 « S9+TH » de l’ Uffz Willi Matschiowalli, de la 3./ZG 1, sont probablement les victimes d’Albert à la vue des points de chute, bien que les documents allemands signalent « abattus par la DCA ». [26] Marcel Albert se souvient d’une conversation avec Littolff, de Tedesco, Lefèvre, Castelain, Béguin et Durand en juin 1943. La discussion s’était amorcée autour du chiffre 14, avec Lefèvre qui parlait de son Yak-1 codé « 14 » qu’il bichonnait un peu trop aux yeux de « ses potes ». Albert, tout en taquinant son collègue, lui avait dit qu’il pilotait le « 14 » quand il était « au Chat » (une des deux escadrilles du GC I/3). À la suite, Durand avait rappelé à Albert qu’ils étaient partis d’Oran un 14 (octobre 1941 avec Lefèbvre, NdA). Littolff entra dans la conversation en affi rmant qu’il avait abattu quatre Hs 126 un 14 mai. Et Albert de rajouter qu’il avait le même jour descendu un Dornier. « Et le petit Tesco, le petit nouveau, plein de fougue, de nous dire qu’il n’y avait qu’un À la disparition de Préziosi le 28 juillet seul 14 qui comptait pour lui, celui du 14 juillet. C’était tellement important pour lui qu’il a été abattu 1943, Marcel Albert va prendre comme un 14 juillet »… ailier Henri Foucaud, de neuf ans son [27] Jeu de mots de Marcel Albert (toujours avec son rire de contentement) pour parler d’Albert aîné et qui pose ici avec son Yak-9 « 5 ». Préziosi. À plusieurs reprises, il parlera de lui comme l’équipier modèle, de la parfaite coordination Albert va obtenir une victoire sur cet avion de leur tandem, « même s’il ne parlait pas beaucoup, on se comprenait toujours ». Marcel Albert qui avait des origines italiennes par sa mère, ne pouvait pas ignorer qui ne porte pas d’étoile rouge sur le fuse- 30 que Préziosi voulait dire précieux en italien. lage. (coll. SHD-Air) Après la perte de Jean Tulasne, la jour- Préziosi, c’était un chic type, il ne parlait Didier Béguin reprend l’entraînement et née du 18 est consacrée à l’entraînement pas beaucoup, mais là-haut, on faisait la se choisit comme nouvel équipier le nou- pour certains. Le 19, retour au combat paire, je pouvais compter sur lui, bon c’est veau venu, Henri Foucaud, de neuf ans avec des missions de protection de trou- comme ça… » Le silence qui s’en suivit en son aîné et qui a déjà 4 000 heures de pes au sol. Après midi, « Bébert » décolle disait long… vol à son actif. Leur premier vol se fait le pour sa seconde mission. Il est le chef 16 août [31]. Ce partenariat tient ses pro- du dispositif composé de son fi dèle ailier messes, même si Marcel trouve qu’il ne Préziosi, Bon, Risso, de Forges et Léon. vole pas assez près de lui. Le lendemain, Vers 12h20 a lieu une rencontre avec second entraînement, Albert sur son fi dèle deux Junkers 88. Après une première at- « 6 » et Foucaud sur sa future monture, le taque avortée sur le Ju 88 de tête, une « 5 ». Notre pilote est rassuré, le tandem autre est réalisée avec succès par cinq C’est la perte de trop. Plus de missions. va faire parler la poudre. pilotes, Préziosi étant au « pigeonnier » Les jours suivants sont utilisés pour les [28] sur le second bombardier allemand. entraînements. Le retour de « Pohipe » et Le jour suivant, le 18 août, les quinze Cette victoire en collaboration est la tren- de « la fi èvre [29] » au groupe minimise Yak-9 et les trois Yak-1b du GC 3 décol- tième de « Normandie ». Elle est chère l’assourdissant silence de ceux qui man- lent de Khationki pour leur nouvelle base payée, Maurice Bon disparaît. quent à l’appel. Le 3 août, il y a une belle de Nielge près de Gorodiechnia. Les cérémonie avec le général Levandovitch et Français se préparent pour l’offensive sur L’activité du GC 3 diminue pendant une le capitaine Mirlesse, au cours de laquelle Ielnia. Pendant quelques jours, les mis- semaine. L’envie n’y est plus, la perte de il est rappelé le souvenir de ceux qui ne sions que fait Marcel Albert, souvent chef six pilotes – et non des moindres – en cinq sont plus là, où ceux qui ont été blessés du dispositif, sont des accompagnements jours marque les esprits. Marcel Albert sont décorés ; on fête le départ des mé- de bombardiers Pe-2 ou des couvertures ne fait qu’une mission le 23. Le général caniciens français et l’arrivée du nouveau de troupes. Durant cette période, les FW Zakharof, commandant la 303e division contingent de pilotes. Ce jour là, Marcel 190 de la JG 54 stationnée dans le sec- aérienne dont dépend « Normandie », Albert apprend qu’il est promu comman- teur « tâtent » les dispositifs sans entrer donne l’ordre à Pouyade de ne pas effec- dant en second de la première escadrille. en combat. L’habitude est prise de posi- tuer des missions sans son autorisation. En effet, Pouyade qui est plus joueur, plus tionner, le matin, huit Yak-9 français sur la proche de ses hommes, plus psychologue base avancée de Spass-Demiansk. Le 28 juillet, les missions reprennent que Tulasne, a tout de suite compris la pour « Normandie ». À sa seconde sortie valeur et le leadership de notre pilote. Ce De cette base, le 27, Marcel Albert décol- Marcel Albert est encore le chef d’un dis- dernier, malgré son contentement dit en le sur alerte avec Foucaud, Léon, Fauroux positif de six Yakovlev. Les Français sont blaguant à son commandant : « À quand [32] et quatre pilotes du 18e régiment de attaqués par une vingtaine de FW 190 à 5 ma deuxième fi celle [30] ?... » chasse de la Garde. Ils interceptent deux km au nord-est de Karechev. Notre pilote FW 190 qui accompagnent un FW 189. tire sur trois Focke Wulf dont un qu’il sem- Les trois semaines d’entraînement de ce Les Russes abattent l’avion de reconnais- ble avoir touché plusieurs fois. Au retour, mois d’août permettent au GC 3 de re- sance tandis qu’Albert attaque le premier le Yak-9 « 2 blanc » de Préziosi manque trouver une nouvelle cohésion, de l’envie Focke Wulf. Il le tire trois fois de 200 à à l’appel. Marcel est « écœuré », il ne fait et de la joie de vivre. De son côté, Marcel 100 m avant que ses armes ne s’enrayent. aucune revendication. « J’aimais bien Albert qui revient de permission avec Foucaud prend la relève et abat l’Alle- mand. Il est lui-même pris à partie par le second FW 190, qui est probablement touché par Gérald Léon.

Depuis trois jours les Allemands sont mordants, ils cherchent le contact et les engagements sont violents. Le 1er septem- bre, en l’absence de Foucaud, « Bébert » fait équipe avec de la Poype sur le « 5 ». Ils abattent un FW 190 mais il manque au retour Léon (on saura plus tard qu’il a atterri sur le terrain du 18e de la Garde) et Durand qui volait sur le « 21 », sa nou- velle monture. Nouveau coup dur pour le « Normandie » et pour Marcel Albert qui se souvient : « Albert [Durand NdA] n’était pas content de son nouveau Yak, il ne le sentait pas, il aimait son 16, le chif- fre de sa naissance, même s’il n’était pas superstitieux, ça le chagrinait… C’était un chic type… »

[28] En couverture haute, après avoir poursuivi l’attaque sur le premier Ju 88. [29] Roland de la Poype et Marcel Lefèvre. [30] À quand mon grade de lieutenant ? [31] Albert sur le Yak-9 « 14 » de Lefèvre, Foucaud sur le Yak-9 « 3 ». [32] Albert sur le « 6 », Foucaud sur le « 5 », Léon sur le « 21 » et Fauroux sur le « 3 ».

Carte de la région de Smolensk trouvée dans le journal personnel de Marcel Lefèvre et qui montre les deux offensives russes auxquelles les pilotes du GC 3 ont participé. 31 (document J. Lefèvre) qu’elle le sera à la mi-octobre. Au début etc. … Les tirs ont commencé, les virages de ce mois, Marcel Albert réceptionne son plus secs, je me faisais distancer… » nouvel avion, un Yak-9 D (pour dal’niy : distance). Si de l’extérieur il n’y a pas de De l’avis même de Marcel Albert, c’est Les combats sont toujours aussi violents. changement, l’intérieur a été réaménagé son combat le plus diffi cile, l’Allemand est Le GC 3 engrange des victoires mais subit pour inclure deux réservoirs d’essence coriace. L’engagement va durer plus de aussi des pertes et le 4 septembre, c’est supplémentaires. L’autonomie passe de dix minutes. Albert a raconté à l’auteur la Léon qui cette fois-ci ne rentre pas. Albert 560 km à 1 320 km. suite curieuse de cet évènement : « Un prend sa succession – à titre provisoire – peu plus tard Zakharof vient me voir avec à la tête de la 1re escadrille. Les affronte- Le groupe se positionne sur le nouveau deux bouteilles de vodka, je lui demande ments et les missions diminuent, comme front d’Orcha – Mogilev et dès le 4 octo- pourquoi ? Parce que j’ai abattu un gros si les deux camps avaient besoin de souf- bre, les combats reprennent. Marcel Albert gibier et il me sort de sa poche une croix fl er. Pendant une dizaine de jours, c’est le remporte une victoire, partagée avec cinq de chevalier avec diamants (sic)… » calme. Le 15, Marcel Albert apprend qu’il autres pilotes [35], sur un Hs 126. Le L’auteur, un peu sceptique, se contente est offi ciellement nommé commandant 12, une nouvelle victoire pour le « petit de répéter « avec diamants ? » pour avoir de l’escadrille « Rouen » avec à la clé le Marcel » sur un « 190 » en collaboration une confi rmation. Marcel Albert conti- grade de lieutenant. Le commandant avec Foucaud, c’est sa onzième offi cielle nue : « Oui, avec diamants. C’était Hans Pouyade lui dit pour la circonstance « Tu avec son groupe. Jacques de Saint Phalle Philipp [36] de l’escadre 54, et Zakharof l’as ta deuxième fi celle, t’es content… » Et est le second ailier pour sa première mis- me demande si je voulais acheter la dé- Marcel de répondre « Non, je ne suis pas sion de guerre. Il raconte : « …Soudain coration, j’ai rigolé, et je lui ai dit que cela content Pépito [33], ce n’est pas comme les virages se font de plus en plus serrés. ne m’intéressait pas, que la vodka me ça que je la voulais [34]… » On montait, on descendait, j’avais de plus suffi sait… » en plus de mal à suivre Albert et Foucaud Comme un accord tacite, les combats collé à lui, j’entendais dans la radio, atten- L’auteur incrédule et perplexe n’osait reprennent avec la même violence dès tion à droite, Focke Wulf à une heure… rien dire. Comme s’il avait entendu les in- le lendemain. Le 17 septembre, la paire Albert – Foucaud fait parler de nouveau la poudre, chacun abat un FW 190. Marcel Albert dédie cette victoire à Albert Durand dont l’anniversaire aurait été la veille. Date ô combien importante. Trois ans plus tôt, elle avait scellé une amitié avec Durand et Lefèvre, point de départ d’une aventure que Marcel Albert jugera 60 ans plus tard, avec une nostalgie douloureuse cachée derrière un sourire de bon aloi, comme « trop chère payée ».

Mais les combats sont toujours vifs et les pilotes français ne font pas moins de trois missions par jour. Le 22, jour de gloire pour le « Normandie », ils vont abattre neuf avions allemands (six Ju 87 et trois FW 190) ; les chasseurs allemands sont res- pectivement attribués à Albert, Foucaud et Sur cette photo prise après le 8 août 1943, Gérald Léon a pris le commandement de Lefèvre. Avec la prise de Smolensk le 25 la 1re escadrille et changé son code sur son Yak-9 : le « 17 » est devenu le « 2 ». Il a septembre, l’activité diminue et les pilotes déjà peint son insigne personnel, une tête de chacal égyptien. À la disparition de Léon, éprouvés apprécient chaque moment de Albert le remplacera à la tête de la 1re escadrille. (coll. SHD-Air) répit. Pouyade qui voit bien l’état de ses hommes demande à Zakharof que son unité soit retirée du front. On lui promet

[33] Surnom donné à Pierre Pouyade par Marcel Albert. [34] Et Marcel Albert de nous expliquer qu’il avait l’impression que cette deuxième fi celle, c’était plus pour le poste que pour ses méri- tes. [35] Foucaud, de La Poype, Pouyade, Bon et Denis. [36] Albert fait probablement ici une confusion de bonne foi. Le grand as Hans Philipp (com- mandant du I./JG 54 et un des douze récipien- daires de la croix de chevalier avec diamants de la Luftwaffe), a en effet été muté le 1er avril 1943 à la tête de la JG 1 en Allemagne. Il y est tué le 8 octobre par des chasseurs américains après avoir remporté 206 victoires aériennes dont 178 sur le front de l’Est. Par contre, l’Ofw Karl Fuchs (67 victoires, titulaire de la croix al- lemande en or) de la 3./JG 54 est porté disparu en mission le 10 octobre 1943 dans le secteur où opère « Normandie ». Couverture du carnet de vol russe de Marcel Albert, fait en septembre 1943 quand il est nommé Lt et commandant de la 1re escadrille à la mort de Gérald Léon. Par la suite il 32 mettra son nouveau grade. (photo Many Souffan) Le Yak-9D de Marcel Albert à Toula à la fi n de la première campagne. Cette vue nous permet de voir l’autre côté de l’avion et d’ap- précier le nouveau camoufl age et les marques de nationalité introduites au début de l’automne 1943. (photo Marcel Albert) terrogations silencieuses de son vis-à-vis, Marcel Albert poursuit : « … Huit jours après, je vois venir Zakharof en furie, il me dit qu’il a entendu la propagande fasciste dire que Hans Philipp avait été abattu en Allemagne et que les obsèques avait eu lieu en grande pompe… Quand je suis allé en Russie pour le 50e anniversaire, j’ai vu chez Zakharof la croix de chevalier et là j’ai regretté de ne pas l’avoir prise… » Marcel Albert rit de bon cœur et ajoute : « j’aurais dû lui chiper ». L’histoire ne s’ar- rête pas là, puisque l’as a reçu en 2005 – 2006 un coup de téléphone d’une per- sonne d’origine allemande qui demandait ce qu’avait fait l’ailier de Hans Philipp pen- dant le combat ?…

L’offensive sur Orcha continue et le 15 octobre Marcel Albert abat avec Foucaud et Lefèvre un Ju 88, plus un second (avec les mêmes) qui sera compté probable. Au cours d’une autre mission durant la même journée, il abat avec Foucaud un FW 190 et avec Lefèvre un second FW 190, tou- jours sur son fi dèle « 6 blanc ». Le 22 oc- tobre a lieu la dernière mission du groupe « Normandie ». C’est la 122e mission de guerre pour Marcel Albert en Russie ; il engrangé sur ce front quatorze victoires confi rmées et une probable. Sur les qua- torze premiers pilotes, ils ne sont plus que cinq. Le groupe exsangue prend ses quar- tiers d’hiver à Toula, le 6 novembre, pour un repos bien mérité.

À suivre… À la fi n de l’éprouvante première campagne, Marcel Albert fait partie des cinq der- niers pilotes du premier détachement. Il a engrangé plus de 14 victoires... (photo J. Lefèvre) 33 Troisième partie Troisième partie, par Many Souffan (profi l de Thierry Dekker)

Très belle vue du Yak 9-T « 6 blanc » de Marcel Albert à l’époque de sa réception, au début du mois d’avril 1944. L’as fera avec cet appareil toute la moitié de la seconde campagne du « Normandie ». (ECPAD) Au cours de cette première campagne, l’unité a remporté 77 victoires sûres, 9 probables et 16 endommagées, pour la perte de 21 pilotes tués ou disparus dont un prisonnier, soit 50% de son effectif. De sa propre initiative, le 19 octobre, le commandant Pouyade se rend à Moscou à bord de son Yak personnel pour rencontrer le général Petit. Le groupe, fatigué nerveusement, avec le sentiment tenace d’avoir été laissé pour compte par Alger, est mis en repos offi ciellement le 22 octobre 1943 au soir. Quel avenir pour le « Normandie » ?

« Pépito » sait que le moment est grave, « Bébert » l’a conforté sur le moral désas- treux des pilotes, il craint que ce soit les derniers jours du « Normandie ». Quand Pouyade entre dans le bureau du géné- ral Petit, il est surpris de voir le colonel de Marmier. Ce dernier est arrivé [1] en provenance de Damas pour discuter avec les Russes d’une ouverture d’une liaison aérienne Alger – Damas – Moscou. Il n’est pas venu seul, il apporte avec lui plus de 800 kilos de fret et de bonnes nouvelles d’Alger pour l’unité française.

Lionel de Marmier sort de sa poche le télégramme signé Charles de Gaulle qu’il a reçu d’Alger le 11 octobre, le jour de son départ de Damas, et lit la citation qui accompagne l’attribution de la croix de Copie du télégramme envoyé par le Gal Petit à Alger qui informe du tableau de chasse du « Normandie » à la fi n de la première campagne. (document H. Pouyade)

16 [1] Le C-60 Lodestar FC-BAH arrive à Moscou le 16 octobre 1943 en provenance de Damas. L’équipage est composé du Col de Marmier, pilote, du Cne Champaloux, co-pilote, du S/Lt Chaussat, radio, du S/Lt Richard, mécanicien et de Mme Galarneau, secré- taire-hôtesse. Photo prise juste avant le départ de Pouyade pour Moscou entre le 15 et le 19 octobre 1943. De gauche à droite : Astier, Schick, Laurent, Risso, Mourier, Béguin, Joire, Pouyade, Corot, Albert, Pistrack, Lefèvre, de Saint Phalle, de La Poype, Foucaud. (Musée de l’Ordre de la Libération) la Libération au Groupe de Chasse Nor- aérien le 17 juillet 1943 puis du comman- bles 14 avions ennemis endommagés. A mandie : « Engagé sur le front oriental en dant POUYADE, a inscrit à son palmarès perdu 17 de ses pilotes, soit la moitié de 1943, sous le commandement du Com- du 1er avril 1943 au 4 septembre 1943, son effectif. [2] » mandant TULASNE, disparu en combat 50 victoires certaines, 4 victoires proba- Pierre Pouyade est ému, content pour ses pilotes ; cela n’efface pas ses craintes. Il redoute que la remise de cette haute distinction ne sonne le glas de son unité et son retour au Moyen Orient, et que la multitude de sépultures surmontées d’une croix de Lorraine sur cette terre de Russie ne devienne une raison suffi sante pour justifi er cette éventuelle décision. Il termine en affi rmant haut et fort : « Nor- mandie doit vivre. » De Marmier, qui a écouté avec beaucoup d’empathie son vis-à-vis sourit, et, tout en lui remettant le télégramme lui dit : « le général de Gaulle m’a prié de vous transmettre sa gratitude et ses félicitations pour l’héroïsme, le cou- rage et l’abnégation dont ont fait preuve les pilotes au cours de cette campagne. Il émet le vœu qu’ils remplissent leur devoir avec la même vaillance au cours des opé- rations futures qui commenceront après la période de repos… »

[2] C’est la seconde unité FAFL à être faite Compagnon de la Libération après la 1re esca- drille de chasse (1re EFC, dite de Denis) le 1er Préparatifs du Lockheed C-60 Lodestar FC-BAH « Paris » à Damas. L’équipage com- juin 1941. posé de Marmier, Champaloux, Chaussat, Richard et Mme Galarneau effectuera le 16 octobre 1943 la première liaison Damas – Moscou avec 800 kg de fret pour le « Normandie ». (IWM) 17 Cela ne tempère toujours pas les crain- tes de Pouyade, il veut plaider lui-même la cause de son unité à Alger et demander des renforts au plus vite. Pendant les trois jours qu’il demeure à Moscou, il planifi e avec de Marmier à l’hôtel Savoy son dé- part pour Alger prévu le 30 octobre [3]. Il en profi te pour se renseigner sur le climat qui règne dans cette ville depuis l’arrivée du général de Gaulle. Le 23, il retourne à la base, annonce à ses pilotes les bonnes nouvelles et les informe qu’il part deman- der des renforts.

De son côté, Marcel Albert s’est occupé, au cours de cette journée, du repli des pilotes français restés sur la base avan- cée de Tatarsk vers « Monastir » [4]. Le fret amené par de Marmier arrive le jour suivant sur la base. Les vêtements et les cigarettes sont répartis entre les Français, la nourriture est partagée avec les méca- niciens russes. Le soir, un grand dîner est organisé par les Soviétiques pour le dé- part du « Major » [5] et en l’honneur des « Normann » [6]. Le lendemain Pouyade retourne à Moscou ; Béguin, assisté des Photo souvenir en Égypte du premier contingent en renfort pour le « Normandie ». On deux Marcel [7], se voit confi é le com- reconnait debout au centre Cuffaut, Bertrand, Dechanet et Sauvage qui feront partie de mandement de l’unité. la « Une » de Marcel Albert. (photo L. Sauvage) Pouyade décolle pour Alger le 5 novem- bre. Le groupe « Normandie », quant à que peuvent éprouver ses pilotes. Suite à lui, et Didier Béguin, homme courageux lui, s’envole vers 10h30 avec tous ses Yak, ces entrevues le groupe de chasse fran- et de grande douceur d’âme. » Étonné, le suivi d’un Li-2 qui emmène le personnel et çais ne sera plus oublié. général dit « C’est tout ? », comme s’il ve- les bagages rejoindre ses quartiers d’hi- nait de comprendre l’hécatombe qu’avait ver à Toula. Comme le Douglas russe doit Juste avant de regagner son unité, « Pé- subie l’unité. Pouyade de confi rmer : retourner à Moscou où le lendemain sera pito » rencontre le « Grand Charles » « Oui, ces cinq sont les anciens, ils sont célébrée la fête nationale russe, tout ce au cours d’une réception. Le général de passés par une dure et grande école. On beau monde laisse ses valises et repart Gaulle s’intéresse dans le moindre détail peut toujours se fi er à eux dans tous les avec lui. Toula peut attendre encore un au « Normandie ». Pouyade est étonné de domaines… » Le chef de la France Com- peu ses hôtes. Les festivités moscovites la connaissance et du souci sincère que battante se lève de table, s’approche du durent une quinzaine de jours pour les porte le chef de la France Combattante à commandant du groupe « Normandie » Français, un peu plus pour les anciens. son unité. De Gaulle lui dit : « Ils ont fait qui se redresse à son tour : « Retournez Un mois après son départ du Front, le plus que remplir leur devoir ». Il veut aussi au régiment, assurez son commande- groupe au complet apprécie « son logis », savoir qui est le noyau dur du groupe et ment, » lui dit-il. Il lui tend la main et : la toute nouvelle aérogare qui se trouve demande à son commandant de qualifi er « transmettez mes meilleurs souhaits à sur le terrain de Toula. chacun en deux mots. vos camarades. Ils auront à remplir de grandes missions diffi ciles. Remerciez- De son côté Pierre Pouyade arrive à Al- Pouyade montre sa main : « ils ne sont les par avance de ma part… » ger le 19 novembre [8]. Il sent que cer- plus que cinq, comme cinq doigts d’une tains, même dans les hautes instances de même main. Le plus valeureux de tous, L’entraînement à Toula la « France Combattante » ont un regard Marcel Albert, un sang-froid inimaginable dédaigneux, suspicieux, voire méprisant, et l’œil vif, Marcel Lefèvre, un allant et une Le 12 décembre « Pépito » reprend le faussé par des convictions non fondées ; référence hors pair pour les nouveaux, chemin du retour. Le lendemain, à Toula, « Normandie » leur semble « comme un Roland de la Poype, sans peur et toujours les pilotes apprennent par la radio que ramassis de fuyards passés en Union souriant, Joseph Risso calme et maître de leur « Patron » est nommé offi cier de la Soviétique pour des motifs d’ordre poli- tique. » Heureusement, il rencontre très vite le général Bouscat (chef d’état-major de l’Armée de l’Air), et à sa suite le général Giraud commandant de cette armée. Les deux hommes peuvent entendre enfi n la vérité sur le « Normandie », les conditions dans lesquelles l’unité se bat, ses victoi- res, ses pertes, le sentiment d’abandon et surtout, le manque de reconnaissance

Un des deux Yak-7V reçus par le « Normandie » en janvier 1944, ce qui permettra à Albert et Lefèvre d’entraîner en simultané le nouveau contingent. (coll. particulière)

[3] Le départ n’aura lieu que le 5 novembre. [4] Nom donné par Albert à la base de Sloboda-Monastirchina. [5] Autre surnom donné à Pouyade par ses pilotes, l’équivalent de commandant pour les russes. [6] Surnom donné par les pilotes russes aux pilotes français du « Normandie » ; se prononce avec un R très roulé. [7] Lefèvre et Albert. 18 [8] Pouyade a sûrement croisé en Égypte, sans les voir, les renforts qu’il est allé quémander à Alger... La nouvelle aérogare de Toula qui sera, comme le dit Marcel Albert, le « logis » des pilotes du « Normandie » de décem- bre 1943 à mai 1944. Au départ du régi- ment elle sera repeinte en blanc. (coll. M. Les nouveaux pilotes attendent chacun leur tour de passer avec « Bébert », soit en dou- Souffan, origine L. Sauvage) ble commande soit en « lâché » avec Marcel en vol à côté d’eux. (coll. particulière) Légion d’Honneur, et qu’il a reçu la ro- lieutenants Bertrand, Armarger et des as- moniteurs, très appréciés, sont Albert et sette des mains du général Giraud. Dans pirants André, Casaneuve et Feldzer. Mar- Lefèvre. l’après-midi, un télégramme en prove- cel Albert et les anciens partent à Moscou nance de Moscou annonce que nos cinq fêter leur Légion d’Honneur. L’année 1943 Le 7 janvier, quinze nouveaux pilotes ar- anciens sont nommés chevaliers de la Lé- s’achève, dans la bonne humeur, l’esprit rivent, l’entraînement bat son plein. C’est gion d’Honneur [9]. À partir du 20, c’est du Normandie « regonfl é à bloc ». L’ar- dans le souvenir de Marcel Albert un mo- l’arrivée des nouveaux pilotes en renfort. rivée de deux nouveaux Yak-7V permet ment heureux. Après avoir fait du double Le premier au groupe est le lieutenant le début de l’entrainement des nouveaux commande, notre pilote les lâche seul. Cuffaut, suivi deux jours plus tard par les venus dès le 3 janvier 1944 ; les deux Pendant ce premier solo, sur son fi dèle [9] Dans les faits, suite aux différentes ordonnances, les dates offi cielles ne sont pas les mêmes pour nos cinq pilotes.

Côte à côte, le Yak-9D de Marcel Albert et un des Yak-7V sur la piste enneigée de Toula fi n février 1944. (coll. M. Souffan)

Photo prise par Marcel Albert avec le Leica de Roger Sauvage. Au centre, debout : Pouyade, à sa gauche Sauvage, Cuffaut, Casaneuve, André et Dechanet. Accroupis en partant de la droite : de Geoffre, Bertrand, Lefèvre, Delin, X. 19 (coll. M. Souffan, origine L. Sauvage) Yak-9D « 6 blanc », il chaperonne chacun (« 11 ») Bertrand (« 2 »), du sous-lieu- d’eux au plus près. Une semaine plus tard, tenant de la Poype (« 4 »), des aspirants « …Heureusement », la cérémonie se « Pépito » est de retour ; il amène avec lui Foucaud (« 5 »), Fauroux (« 3 »), Casa- poursuit avec la remise des décorations. 1 500 kg de fret, annonce les quatre cita- neuve (« 7 »), Dechanet (« 9 »), Sauvage Marcel Albert, Pouyade, Béguin, Lefèvre tions collectives du régiment, la confi rma- (« 8 »), Iribarne (« 13 »), de Saint-Phalle et de la Poype sont décorés de l’Ordre du tion à titre défi nitif des nouveaux grades (« 12 »), Marchi (« 10 ») et Bagnères Drapeau Rouge et Risso de l’Ordre de la des anciens, et le fait que les « deux Mar- (« 15 »). Guerre pour la Patrie, 1er degré. Les cinq cel » [10] « sont reconnus » Compagnons anciens reviennent au devant de la scè- de la Libération. Le départ de Béguin ne, recevoir de la main du général Petit leur Légion d’Honneur. La cérémonie se Le 4 février, six nouveaux pilotes dé- Une grande cérémonie a lieu le 15 février termine ; les héros de la fête sont hap- couvrent Toula, dont Iribarne et Moy- en l’honneur du GC 3 « Normandie ». Le pés par les journalistes, les photogra- net. Le compte est bon pour mettre en matin, vers 11h00, un Douglas amène le phes, les cinéastes et les autres pilotes du place les trois unités du régiment. Deux général d’aviation Chimanov, membre du « Normandie ». Après le banquet où la jours plus tard, Pouyade et ses trois chefs conseil supérieur de l’Armée Rouge, le vodka a coulé à fl ot, après le départ des d’escadrille [11] s’entendent pour placer général Lévandovitch et le général Petit. offi ciels, les festivités continuent par une les nouveaux pilotes. Marcel Albert choi- Vers 13h00, à l’orée du bois de bouleaux soirée dansante avec la présence char- sit Marchi [12] pour sa maîtrise du pilo- qui jouxte le terrain de Toula, devant les mante de jeunes fi lles de Toula. La joie se tage, son « pote » « le grand sauvage» alvéoles où se trouvent les Yak, les pilotes mêle à une douce mélancolie quand nos [13], « Griborne » [14], parce qu’il lui fait émus voient les drapeaux russe et français aviateurs chantent en chœur de vieilles bonne impression, il ressent de suite que à la croix de Lorraine claquer au vent ; chansons françaises. Un pilote en parti- c’est un « chic type ». Il demande Moy- l’hymne français souligne l’éloignement, culier, est sollicité et chouchouté, surtout net [15], mais Lefèvre aussi. « Pépito » la nostalgie, l’émotion de ce moment. par les anciens ; ils savent qu’ils vont le tranche pour ce dernier, parce qu’il y a Marcel Albert se souvient : « ça nous a fait regretter. C’est le capitaine Didier Béguin moins de lieutenants à la « Trois ». Le quelque chose d’entendre la Marseillaise, [16], ancien commandant de la seconde même jour, le régiment reçoit onze nou- c’était curieux, je ne voulais pas voir le escadrille, qui va quitter « Normandie » le veaux Yak-9T équipés d’un canon de 37 drapeau, il me faisait penser à ma mère lendemain pour l’Angleterre. mm ; Marcel Albert s’occupe de les tester et à ma sœur… ». les jours suivants, mais reste fi dèle à son vieux Yak-9D.

Le lendemain, à la suite du retour de Mi- chel Schick de Moscou avec des victuailles amenées par le colonel de Marmier, une « petite beuverie » est organisée au cours de laquelle le tout nouveau lieutenant- colonel Pouyade annonce la composition des escadrilles. La première escadrille « Rouen », commandée par le lieutenant Marcel Albert sur le « 6 », est composée des lieutenants Cuffaut (« 1 »), Amarger

[10] Le décret ne sera signé que le 11 avril 1944. [11] Lt Albert, 1re escadrille « Rouen », Lt Mou- rier, 2e escadrille « Le Havre » et Lt Lefèvre, 3e escadrille « Cherbourg ». [12] En fait, c’est Marcel Lefèvre qui ne voulait pas Robert Marchi. Les deux pilotes étaient au GR II/52 à Oran, et avaient la fâcheuse habi- tude de s’intéresser aux mêmes fi lles… [13] Roger Sauvage, qu’il connaissait depuis 1937 à Orly. Marcel Albert prendra l’habitude de se faire photographier avec ses pilotes de la [14] Surnom d’Iiribarne. Ce sportif émérite « Une ». Celle-ci est la toute première. De gauche à droite : Sauvage, Fauroux, Iribarne, avait battu au cours de son escale à Téhéran, Dechanet, de Saint Phalle, Albert, Amarger, Bertrand, Marchi, Cuffaut, Casaneuve et le Shah d’Iran au tennis. La presse, relatant Bagnères. Il manque de La Poype et Foucaud. (coll. M. Souffan, origine L. Sauvage) l’évènement, égratigna son nom en Griborne. Marcel Albert, amateur d’humour au second degré et qui aimait les chats, l’avait surnommé « Gris Borgne ». [15] Moynet était en OTU en avril-mai 1942 avec Lefèvre et Albert ; il avait été posté avec ce dernier au 340 Sqn « Île de France ». [16] Si le motif offi ciel est la fatigue nerveuse accumulée au cours de la campagne avec trois atterrissages forcés, le mobile réel est tout autre... Notre pilote avait reçu quelques semai- nes plus tôt une lettre de son ancien Squadron Leader lui annonçant que sa petite amie de l’époque avait accouché de jumeaux !

Photo souvenir devant le Yak-9T « 14 » de Lefèvre, prise au cours de la cérémo- nie du 15 février 1944 au cours de laquel- le les anciens de la première campagne sont à l’honneur. De gauche à droite : Pouyade, Béguin (qui partira le jour sui- vant), Albert, Lefèvre, de La Poype, Risso et le docteur Lebiedinsky. (coll. M. Souffan, origine fa- 20 mille de Pange) Nina

Les entraînements reprennent les jours suivants, la plupart du temps, « du » dou- ble commande sur le Yak-7V. Marcel Albert reprend avec douceur, humour et pédago- gie un des pilotes de son escadrille, Ba- gnères, qui malgré ses qualités de pilote a des diffi cultés avec les atterrissages sur la neige. La fi n du mois de février voit l’ar- rivée d’un nouveau contingent de pilotes. Le 7 mars la piste d’envol est pour la pre- mière fois complètement dégagée. Marcel s’occupe des nouveaux venus, la journée commence avec les aspirants Bourdieu et Mourier, vient ensuite le sous-lieutenant Schick [17]. Pour la énième fois, il fait un vol avec Bagnères. C’est au tour du ca- pitaine Delfi no avec lequel il fait quatre atterrissages, du sous-lieutenant Castin, du lieutenant Charras et de l’aspirant Schoendorff.

Marcel décolle une dernière fois avec le Sous le couvert du décollage d’une patrouille simple, Risso sur son Yak-9T « 21 » et Yak-7V pour un essai ; il n’est pas seul. Albert sur son Yak-9D « 6 » s’élancent ensemble le 10 février 1944, un pari à la clé : Son passager est la belle Nina. Depuis le celui qui décollera le premier ! Si Albert gagne, il adoptera le Yak-9T au mois d’avril, avec printemps précédent et l’arrivée d’un BAO les conseils avisés de son ami « Cadolive ». (coll. M. Souffan, origine L. Sauvage) [18], la vie des Français est plus agréa- ble ; Nina fait offi ce de secrétaire du ré- giment. Si tous les pilotes du « Norman- die » admirent cette jeune femme de 21 ans, blonde aux cheveux bouclés, Nina n’a d’yeux que pour son beau Marcel et il semble que ce vol, ce 7 mars, est comme une sorte d’offi cialisation d’un lien qui les unit depuis un certain temps. Et qui doit rester offi cieux. Marcel Albert reste très discret sur ce sujet.

Disparitions de Joire et Bourdieu

Après avoir entrainé ses hommes en pa- trouille au combat, après avoir testé un nouveau Yak-9T, Albert est sur la piste en ce matin du 18 mars pour accueillir avec Pierre Pouyade un nouveau contingent de douze pilotes à la tête duquel se trouve [17] Michel Schick a profi té de l’arrivée du nouvel interprète Eichenbaum pour revenir à Depuis son arrivée au printemps 1943, les pilotes du « Normandie » admirent la belle sa passion. Il deviendra pilote de chasse, fait unique, sur le tas. Nina, leur secrétaire, photographiée ici entre Delfi no et Pouyade en avril 1944. (coll. [18] Bataïon Aviatzionago Obslojuvania (ba- particulière) taillon des services aériens), composé de fem- mes volontaires qui étaient chargées de délester les pilotes français de certaines charges administratives, domestiques et de l’intendance.

Maurice Bourdieu. (coll. M. Jules Joire. (coll. M. Souffan, Souffan, origine L. Sauvage) origine famille de Pange) Mais celle-ci n’a d’yeux que pour Marcel Albert. Leur idylle se ter- Le « Normandie » enregistre ses premières pertes de l’année minera tragiquement le 17 octobre 1944. (coll. Many Souffan, ori- lorsque Bourdieu percute Joire au cours d’un exercice. gine Marcel Albert) 21 le capitaine Challe. Ce dernier annonce à Jules Joire, qui est prêt à décoller pour un entraînement, sa promotion au grade de sous-lieutenant. Quelques instants plus tard, notre nouveau sous-lieutenant se dirige vers un Yak, avec à ses côtés Maurice Bourdieu. Marcel Albert se rap- pelle : « à cause de l’accident, à cause du capitaine [19]… C’était beau à voir, la joie du petit Julot, il est parti à son avion avec Bourdieu, ils chantaient en chœur un air d’opéra du Barbier de Séville je crois… C’est la faute à pas de chance… »

En effet nos deux pilotes décollent les derniers, le plafond est assez bas, Bour- dieu est à la traîne ; dix minutes après le décollage, la patrouille de dix Yak en- tre dans un nuage. Les derniers mots du chef de patrouille à la radio à son ailier : « Bourdieu serre, ne te détache pas… » Quelques instants plus tard un parachute (Joire), deux avions qui descendent en À la disparition de Foucaud, Roland de La Poype deviendra l’ailier régulier de Marcel tournoyant, le parachute happé par un des Albert avec Roger Sauvage. Il pilotera un Yak-9T bien avant son chef de patrouille. Yak se met en torche. Le lendemain, les Celui présenté ici est son second, récupéré à la fi n du mois de février d’où une diffé- deux pilotes français sont enterrés dans rence dans la forme du code « 4 ». (coll. SHD-Air) le petit bois à côté des emplacements des avions français. Le Yak-9T et son terrible canon de 37 mm

Le 26 mars voit le retour de Foucaud après une absence de quatre mois passés à l’hôpital et en convalescence, suite à un tassement de vertèbres après son capo- tage du 22 septembre 1943 ; il veut voler tout de suite. Marcel « ne sent pas bien cette affaire et demande à Foucaud d’at- tendre 2 jours avant de voler à nouveau. » Le soir, il part pour une semaine de per- mission. Il revient de Moscou le 3 avril en compagnie de l’aspirant Taburet. Dans les Ce Yak-9T est la nouvelle monture de Roger Sauvage qui le perçoit début avril 1944 jours qui suivent le régiment reçoit dix – comme Albert. En l’absence de Foucaud, il a le code « 5 ». À son retour, ce dernier nouveaux Yak-9T, soit deux avions par prendra bon gré mal gré le « taxi » de Sauvage ; la moins bonne visibilité du Yak- escadrille ; le futur groupe du capitaine 9T obligeant Foucaud à faire des contorsions, douloureuses pour son dos. (coll. M. Delfi no compte pour une escadrille. Mar- Souffan, origine L. Sauvage) cel Albert se décide enfi n à choisir ce nou- veau modèle avec l’aide amicale de « Ca- dolive » [20]. Ce dernier est probablement le premier pilote français à avoir adopté ce modèle de Yak. Si « Bébert » se fait à la perte, assez minime, de vision (suite au recul de l’habitacle pour positionner le canon de 37 mm), c’est surtout la mania- bilité qu’il déplore. Et Risso de donner ce petit conseil : « ne lui donne pas trop de goutte, il gardera la taille fi ne [21]. »

Pendant l’absence de Foucaud, Marcel Albert a pris l’habitude de prendre comme équipier Roland de la Poype. C’est à par- tir de cette époque que le lien de l’amitié qui existait déjà entre les deux hommes s’enracine vraiment. Fidèle à lui-même,

[19] C’est le Cne Challe avec qui Marcel Albert s’était entretenu pour avoir des nouvelles du frère de celui-ci, Bernard Challe, son comman- dant au GC I/3. [20] Joseph Risso, natif de Cadolive dans les Bouches-du-Rhône. [21] La prise de poids de l’appareil à cause du canon était compensée par un remplissage Très certainement la dernière photo du vivant de Foucaud (jambes croisées, à gauche, moindre des réservoirs. tête baissée), prise deux ou trois jours avant sa disparition le 21 avril. Tous les pilotes de la « Une » initiale, autour du toujours très apprécié Marcel Albert, posent avec un Yak-9T devant un photographe offi ciel tandis que Jean de Pange immortalise la scène. 22 (coll. M. Souffan, origine famille de Pange) Très tôt, le 21 avril, douze Yak de la « Une » décollent pour un entraînement, en deux dispositifs emmenés par Albert et Cuffaut. Une heure quinze plus tard, comme à son habitude avant d’atterrir, Foucaud fait un tonneau. Il est à peu près à cinquante mètres d’altitude, quand il arrive sur le dos, l’avion part en retourne- ment et s’écrase au sol ; le cavalier et sa monture sont pulvérisés. Près de 60 ans plus tard, Marcel Albert donnera sa ver- sion des faits : « … Foucaud ne devait plus voler, mais lui, avec ses 4 000 heures de vol, il ne se voyait pas privé de ciel, alors quand il est revenu, il voulait bouf- fer du fritz, il avait même abordé Zakharof pour savoir quand on allait partir au front. Chaque vol se terminait par une petite fi - gure comme s’il voulait crâner devant la douleur… Comme nos sangles étaient très dures, sans aucun réglage, certains comme Henri ne les bouclaient pas et Delin et de Geoffre posent avec le Yak-9 « 8 blanc » de Sauvage leur « copain ». Il est quand il a commencé sa fi gure, il a dû de plus en plus probable que c’est avec ce chasseur qu’Henri Foucaud a perdu la vie bouger avec l’accélération, la douleur l’a surpris, il a perdu connaissance… » Les le 21 avril 1944. Selon les dires de Marcel Albert, celui-ci aurait fait un vol d’essai sur restes de Foucaud sont enterrés le jour cet avion la veille de l’accident ; son carnet de vol russe semble confi rmer ce souvenir. même dans le boqueteau de bouleaux à (coll. M. Souffan, origine L. Sauvage) côté de Joire et Bourdieu. Marcel qui aime donner des surnoms aux pilotes a une générosité toute particulière De retour au combat pour son « pote » et l’affuble de plusieurs surnoms selon son humeur : « le Mar- À la fi n du mois d’avril, Pouyade crée quis », « le Vicomte », « Pluto », « Po- offi ciellement la quatrième escadrille hype », voire « Polype ». Parfois quand « Caen » sous les ordres du capitaine Chal- Roland se distingue par sa distraction ou le. Les Russes promettent aux Français sa maladresse légendaire, il devient « la un départ au front pour le mois de mai, Poisse ». conscients de la fébrilité qui les anime. Au début du mois de mai arrivent vingt nou- Le 21 avril 1944 un nouveau contingent Foucaud tombe lui aussi veaux Yak-9T et un autre contingent de de pilotes va assister à la mort d’Henri pilotes dont le capitaine Matras. Enfi n le Foucaud, le fi dèle ailier de Marcel Albert Depuis son retour, Foucaud qui veut voler 25 mai Zakharof arrive à 07h00 à bord de qui sera enterré le jour même. (coll. par- le plus souvent possible a repris sa place son La-5 pour annoncer le départ immi- ticulière) comme ailier de « Bébert ». Ce dernier ne nent du « Normandie » au combat. Trois dit rien mais il sent bien que son équipier, heures plus tard les escadrilles décollent qui ne veut rien montrer, a parfois des ré- une à une à quinze minutes d’intervalle miniscences de douleurs qui le vrillent. Il pour la base de Borovskoié. L’après-midi, comprend et connait l’entêtement, la vo- la « Une » d’Albert est la première à atter- lonté de ce nivernais à vouloir prendre sa rir à Doubrovska. Les cantonnements sont place dans l’escadrille. corrects, les fi lles du BAO sympathiques, la seconde campagne du « Normandie » peut commencer…

Les trois tombes de Bourdieu, Joire et Foucaud, dans le boqueteau de bou- leaux qui jouxte la piste de Toula. (coll. M. Souffan, origine famille de Pange)

Marcel Albert sur son Yak-9T à l’occasion du départ en cam- Dès son installation à Doubrovska, Marcel Albert pose avec pagne du « Normandie » à la fi n du mois de mai 1944. (photo ses mécaniciens, son fi dèle Averianov à sa droite devant son Michel Thouin) Yak-9T. (coll. particulière) 23 Une des quatre photos (la première) prises par Roger Sauvage lors de l’atterrissage tragique du 28 mai 1944, qui coûtera la vie à Marcel Lefèvre quelques jours plus tard. Au contact du sol, Un des derniers clichés de Marcel Lefèvre, avec Marcel Albert et le « 14 » « père Magloire » va s’enfl ammer. (coll. M. Souffan, Roger Sauvage souriants, prise le 19 ou 20 mai 1944 lors d’une vi- origine L. Sauvage) site à la maison de Tolstoï. (coll. M. Souffan, origine L. Sauvage)

Marcel Albert renoue avec les missions comme… » Avec une pirouette dont il a le ils ont parlé de lui dans les journaux, en de guerre, il effectue ses 194e et 195e ce secret, pour éviter toute émotion, Marcel première page, même… » La vie conti- 26 mai. Au cours d’une d’elle, il aperçoit Albert continue avec un sourire d’appro- nue, la guerre aussi, les missions s’en- des FW 190 bombardiers. Deux jours plus bation : « c’était un brave type, un chic chaînent. Au milieu d’août, à la moitié de tard, au retour d’une mission de recon- type, les Russes ne se sont pas trompés, la seconde campagne, malgré un rythme naissance, Marcel Lefèvre voit sa pression d’essence à zéro et décide de retourner à la base ; juste au moment d’atterrir son Yak prend feu, les vapeurs d’essence ont imbibé ses vêtements, il arrive à s’extraire seul de son habitacle malgré des brûlu- res aux mains, au visage et aux jambes. Amené à Moscou, son calvaire va durer huit jours avant qu’il ne décède le 5 juin. La perte est inestimable pour Marcel qui le surnommait « la Fièvre ». Ce Mousquetai- re était plus qu’un frère ; c’est lui qui avait insuffl é cette volonté de partir d’Oran pour se battre et même s’il se méfi ait ou s’il taquinait son engagement, son idéalisme, ses prises de position, ses emportements passionnés, son amitié était indéfectible… Ils n’avaient pas besoin de se parler, Lefè- vre était comme son alter ego.

Un Dakota russe emmène ce 7 juin, les anciens d’Ivanovo : de La Poype, Risso, Albert, Schick, Liebiedinsky et de Pange pour assister aux obsèques de Lefèvre Début juillet, le commencement de la seconde campagne est entrecoupé de moments au cimetière des Étrangers de Moscou. de détente forcée par le manque de carburant et le partage des missions par les qua- « Quand les Russes ont commencé à tre escadrilles du « Normandie ». La « Une » pose devant son isba sur le terrain jouer la marche funèbre, je n’ai pas chia- de Doubrovska. De gauche à droite : Bertrand, Iribarne, Albert, Bagnères, Sauvage, lé, ce n’est pas le genre, mais c’était tout Casaneuve, Marchi et la Poype. (coll. M. Souffan, origine L. Sauvage)

Yakovlev Yak-9T « 6 blanc » du Lt Marcel Albert, commandant de la 1re escadrille du GC 3 « Normandie », Doubrovska juin 1944. Cet appareil réceptionné au début du mois d’avril 1944 affi che 16 croix blanches qui correspondent aux 24 14 victoires en Russie et aux 2 en France. Camoufl age gris bleu clair AMT-11 et gris foncé AMT-12, dessous bleu clair AMT-7. En ce mois de juillet, le temps est long malgré les missions et les séances de photos sont nom- breuses. Marcel Albert photographie ici ses co- Tout le « Normandie » est à Alytous en ce mois d’août 1944 ; il doit laisser ses pains avec le Leica de Roger Sauvage récupéré Yak-9 et réceptionner les nouveaux Yak-3. Albert et la Poype font passer le dans le Heinkel 111 que ce dernier a abattu pen- temps en se faisant photographier devant le Yak-9D « 46 ». (coll. M. Souffan, dant la bataille de France. (via Michel Thouin) origine famille de Pange) soutenu des missions, « Normandie » n’a Marcel Albert vit là ses moments les Au retour de cette excursion, les pilo- engrangé que douze victoires dont deux plus heureux. Il y a Nina, il y a l’été, il tes peuvent admirer leurs nouvelles mon- pour la « Une » d’Albert. jouit de l’affection de tous ses collègues tures. Marcel Albert effectue la prise en pilotes, il est respecté parce qu’il est le main de son nouveau destrier le 19 août. L’offensive russe a fait reculer le front symbole et l’esprit de cette unité. Il est Le lendemain il effectue sa première sor- qui se rapproche de la Prusse orientale. comme un patriarche toujours disponible, tie de guerre sur Yak-3. C’est sa 224e Au cours de cette période, le « Norman- dont la parole sage, pleine de bon sens, mission ; elle revêt un caractère tout par- die » qui stationne maintenant à Alytous à la gouaille corrosive et pleine d’humour ticulier, c’est la première chasse libre au- participe et aide par ses actions les trou- a du poids pour ses supérieurs, pour ses dessus du territoire allemand. Quelques pes soviétiques à franchir le Niemen. Il pilotes mais aussi pour les Russes. Il pro- jours plus tard, c’est une explosion de joie est décoré par un décret de Staline qui fi te de ses quelques jours de répit, tout à l’annonce par la radio de la libération de lui accorde le droit de porter à titre hono- comme le régiment pour visiter Kaunas où Paris ! Cette annonce est suivie de salves rifi que le nom de cette bataille ; le régi- la beauté des lituaniennes côtoie l’horreur de DCA et de banquets improvisés où les ment devient le « Normandie-Niemen ». de la guerre comme le ghetto où 3 000 toasts se succèdent, mais c’est aussi un Le 12 août, toute l’unité doit rendre les juifs ont été brûlés et mitraillés par des coup de cafard pour Marcel qui pense à Yak-9 qu’elle utilise depuis un an. Elle va troupes SS le 14 juillet, avant le repli de sa mère et à sa sœur. être doté du tout nouveau Yak-3, plus celles-ci. racé, plus rapide et plus maniable, un des À suivre… chasseurs les plus aboutis de la Seconde Guerre mondiale.

En attendant les Yak-3, les pilotes du « Normandie » vont visiter Kaunas le 15 août. Ils seront marqués À leur retour de Kaunas les pilotes du « Normandie » perçoivent les pre- par les ruines du Ghetto où 3 000 juifs ont péri le 14 miers Yak-3. Il n’existe qu’une seule photo d’un Yak-3 de la « Une » à cette juillet précédent. (coll. M. Souffan, origine famille de époque : le « 3 blanc » de Fauroux. (coll. M. Souffan, origine L. Sauvage) Pange) 25 Quatrième partie Yakovlev Yak-3 « 6 blanc » du Lt Marcel Albert, commandant de la 1re escadrille du régi- ment « Normandie-Niemen », Sterki début novembre 1944. Il s’agit de son troisième Yak-3 codé « 6 » mais c’est le premier à porter la fl èche en forme d’éclair, symbole du passage du Niemen. Appareil utilisé du 18 septembre à la fi n du mois de décembre 1944.

Yakovlev Yak-3 n° 2432 « 24 blanc » occasionnellement utilisé par le Cne Marcel Albert, commandant de la 1re escadrille du régiment « Normandie-Niemen », Elbing mai 1945.

Yakovlev Yak-3 n° 2336 « 1 blanc » du Cne Marcel Albert, commandant de la 1re esca- drille du régiment « Normandie-Niemen », lors du retour en France le 20 juin 1945.

Gros plan sur le dernier Yak-3 piloté par Marcel Albert, ici à Stuttgart. Cet avion a été réceptionné le 5 mars 1945 à Bladiau, avec comme code initial le « 23 » qui correspond 20 aux deux premiers chiffres de son numéro de série. Il effectuera son dernier vol le 10 juillet 1947. (photo L. Sauvage, coll. Many Souffan) Quatrième et dernière partie, par Many Souffan (profi ls de Thierry Dekker)

Le Cne Marcel Albert immortalisé le 12 mai 1945 par son fi dèle pote « le grand sauvage » lors du déplacement vers Elbing où les avions vont être peints. Le « 24 blanc » arrivera ainsi à Paris, piloté par Roland de la Poype, avec le nouveau code « 21 blanc ». (photo L. Sauvage, coll. Many Souffan)

Sur Yak-3 retour, Marchi est un peu choqué ; Marcel Albert qui a perdu son avion [2] dans cette mission, demande à son pilote de redécol- Le 26 août 1944, au cours d’une mission de chasse li- ler sur le champ avec le Yak-7V et de faire deux atterrissages. bre à l’ouest de Goumbinnen, la paire Bertrand – Marchi en- Ce n’est que le 29 août que Marcel Albert reçoit et essaye un tame un piqué à partir de l’altitude de 4 000 m, Marchi nouveau Yak-3 en provenance de la quatrième escadrille. Il part sent ses commandes durcir et cesse lentement de pi- le lendemain pour sa seconde mission au-dessus du territoire quer, il perd malgré tout son cockpit. Au-dessous de lui, son prussien avec toute son escadrille qui vient d’intégrer la paire chef de patrouille poursuit sa course. Tout à coup le Yak de Moynet – Taburet. « Muche » [1] perd une partie de son plan, se met en vrille à 1 000 m. L’avion et le pilote ne seront jamais retrouvés. À son En ce début de septembre l’automne semble précoce. Les Français récupèrent dix Yak-3 neufs convoyés par les pilotes du 18e régiment de la garde. Quand les mécaniciens russes les ré- ceptionnent, certains sont déjà codés et le fuselage fl anqué de la fl èche en forme d’éclair, suite à une erreur. C’est à ce mo- ment précis que le « Normandie » va aussi adopter la fl èche. La fréquence des missions est réduite ; la pénurie d’essence à l’arrière et sur le front en est la cause. Le retard pris par l’usine de Saratov, qui produit les Yak-3, ne permet pas la dotation com- plète de l’unité française en chasseurs. La « Une » s’installe à Antonovo le 17 septembre. Le jour suivant Marcel Albert se choi- sit une nouvelle monture, vierge de tout marquage, qui devient le premier Yak-3 codé « 6 blanc » et orné de la fl èche blanche sur le fuselage.

[1] Surnom donné à Bertrand par Littolff. Alors qu’il venait d’arriver au GC I/7 en 1935-1936, ce dernier assista à une fi gure acrobatique ratée par Bertrand. À sa question « c’est quoi ce truc ? », Bertrand aurait ré- pondu « c’est un trucmuche »… [2] Avant cette perte, la dotation de l’unité française était de vingt Yak-3 (dont six pour la « Une ») et quatre Yak-9. L’avion perdu avec Bertrand Portrait d’Albert exécuté par son mécanicien Averianov au cours était celui de Marcel Albert. de l’hiver 1944-1945 pour célébrer sa médaille de Héros de 21 l’Union Soviétique. (photo J.-M. Garric) Malgré ces petits contretemps les jour- nées des Français oscillent entre des mis- sions de chasse libre et des couvertures de secteur, mais aussi des promenades dans une région plus riche, plus verdoyante et plus peuplée (de femmes et de vieillards) ; surtout, ils retrouvent les BAO de l’année précédente ; de ce côté-là, les Français ne s’ennuient pas. Du 20 septembre au 10 octobre Marcel Albert n’effectue que huit missions de guerre, bon gré mal gré, il laisse ses pilotes faire les missions, qu’il suit par radio. Le 12 octobre au matin, Marcel Albert est réveillé comme tous les anciens [3], qu’il surnomme très vite « le groupe des indescendables ». De Pange leur annonce qu’un Douglas les attend à Kaunas pour Moscou ; ils doivent se pré- parer sur le champ. Ceux qui ont plus de trois ans de combats sont vernis, ils peu- vent enfi n entrer au pays. Le temps de Au mois de septembre 1944, Marcel Albert se choisit un nouveau Yak-3. Son code donner des affaires, de serrer des mains, initial est le « 18 » qu’il réceptionne le 18 septembre, nous le voyons ici avec son mé- à 08h30, ils apprennent que le voyage est canicien Averianof. Ce sera le premier Yak-3 codé « 6 » avec un éclair fl éché. (photo remis au lendemain matin. L. Sauvage, coll. M. Souffan) Ce n’est pas trop grave, cela permet de mettre sur pied une petite fête pour le soir. Avant de prendre sa place, le géné- ral Zakharof qui doit présider le dîner, de- mande à voir Pierre Pouyade en particu- lier. Quand les deux offi ciers prennent pla- ce, un silence se fait, la mine sérieuse de « Pépito » en est l’origine. Il reste debout et demande aux quatorze permissionnai- res de le suivre à la sapinière qui se trouve à côté. Le chef du « Normandie-Niemen » leur explique qu’une grande offensive doit avoir lieu dans quelques jours, dont le but est la prise de Königsberg, ville séculaire, fi ef des chevaliers teutoniques. Tout un symbole. Il les informe qu’il a pris la dé- cision de rester, que chacun peut prendre la sienne, elle sera respectée par lui et par Deux rares photos de Yak-3 de la « Une » les Russes. « Que ceux qui veulent partir durant la seconde quinzaine de septem- se mettent de côté ». Suit un silence pe- bre 1944, montrant le « 12 » de Saint sant et un peu long pour Marcel Albert qui Phalle et le « 1 » de Cuffaut. On voit bien décoince l’atmosphère : « mon colonel, si sur ce dernier que le code initial a été ef- on joue encore aux couillons une minute facé. Quelques jours plus tard les appa- de plus, les autres vont nous piquer notre reils seront ornés de l’éclair fl éché. (coll. vodka. » La France peut attendre encore particulière) un peu.

[3] Il s’agit de Pouyade, de La Poype, Albert, Risso, de Pange, Moynet, de Saint-Phalle, Jeannel, J. Sauvage, Laurent, Mourier, Monier, Schick, Stakovitch et Lebiedinsky.

Un mécanicien russe pose de- vant l’avion de Marcel Albert après l’avoir peint dans sa livrée défi nitive. Les victoires ne sont pas marquées du côté droit. (photo M. Albert, coll. M. Souffan)

22 « La prochaine fois, si tu as de temps avant son nouveau « patron » ce qui est arrivé au pauvre Bertrand. Il (depuis septembre) : « le pilote de chasse se met en virage incliné, réduit sa vitesse envie de te faire descendre, doit avoir des yeux dans le dos ». Alors, et se retrouve dans la queue du dernier ne prend pas mon avion » avant de tirer sur le Messerschmitt es- « 109 » [4]. Son tir touche l’avion alle- seulé qui est dans son collimateur, notre mand qui dégage, mais à sept contre un, pilote se retourne et voit quatre « Fritz ». le combat est inégal. Heureusement, il Comme l’avait annoncé Zakharof, le ciel Il s’écarte, évite de justesse une rafale et est sauvé par deux patrouilles du 18e de s’enfl amme, le 13 octobre Marcel Albert voit du même coup Sauvage mal en point la Garde. Taburet atterrit. Albert accourt, exécute deux missions. Cela ne lui était avec aussi quatre « 109 » à ses basques. froid et furieux : « la prochaine fois, si tu pas arrivé depuis le mois de juin. La se- La puissance et la maniabilité du Yak-3 as envie de te faire descendre, ne prend conde est une chasse libre en haute alti- font des merveilles. pas mon avion ». Le pilote français ne tude, c’est une première depuis qu’il est s’offusque pas de cet accueil plutôt gla- en Russie. Le jour suivant, une mission est Taburet riposte, Sauvage sort du combat cial, il sait comme tout le monde que si donnée à des pilotes de la « Une » dont en surpuissance, mais ses poursuivants « Bébert » est furieux, il est aussi très la paire Roger Sauvage – Gaël Taburet. virent et se présentent pour lui couper la heureux de revoir son pilote sain et sauf. Ce dernier a un souci avec son « taxi » route. Encore une fois le chasseur russe, Marcel retrouve son calme légendaire, et prend celui de Marcel Albert, resté à fi n manœuvrier, exprime ses qualités na- il ne veut pas entendre Taburet lui dire la radio pour suivre ses protégés. Nos turelles. Taburet se dit alors : « on ne me que le Yak est un excellent appareil et deux compères sont pris à parti par des laisse pas monter, alors je me précipite lui demande de prendre cette fois-ci son chasseurs allemands. Heureusement pour vers le bas ». Poursuivi par huit chasseurs, « taxi » et d’aller relever des pilotes rus- Taburet, il se souvient ce que lui a dit peu le Français amorce un piqué sans oublier ses sur le front.

Huit victoires en trois jours

Le 16 octobre, l’offensive russe a en- fi n commencé, les Français décollent vers 10h30. C’est au tour de la « Une » de s’envoler à 13h30 pour la seconde fois. Le dispositif est emmené par Marcel Albert. Comme à son habitude il est le premier à repérer un peloton de huit Ju 87 [5] sans protection à 20 km au sud-est de Chtaloupienen. La voix de « Bébert » re- tentit : « Ici Rayack 6, les poules s’apprê- tent à pondre des œufs. Préparez-vous à l’attaque. Ouvrez l’œil, des Messerschmitt pourraient se montrer. » Albert, suivi de deux patrouilles de deux Yak, plonge sur la volée comme un poignard pointu. Gaël Taburet dira plus tard : « c’était comme le massacre de la Saint Barthélemy ». Albert, de La Poype et Sauvage (ses fi dèles ailiers) ainsi que la paire Marchi – Taburet abattent la 104e victoire du régiment, la 15e en Russie pour Marcel qui dans son élan, suivi de « Saussage » [6], abat un second Stuka. Trois autres Ju 87 mordent la poussière avant que les Messerschmitt de la « Mölders » [7] arrivés en retard, stoppent l’hécatombe et s’en prennent à Taburet, à la traîne ; ils endommagent tout son système de commande. Encore une fois, il est sauvé par les « Braves de Goloubov » [8].

Taburet hésite à sauter, tant l’appareil est mal en point. Au bout du compte il réussit à atterrir. Albert, qui l’attendait sur la piste, s’approche et dit « main-

[4] Gaël Taburet revendique ce jour-là un FW 190 endommagé. [5] Très probablement de la 10. (Pz)/ SG 1. [6] Autre surnom donné à Roger Sauvage par Marcel Albert. [7] Noms donnés aux pilotes allemands de la JG 51. Le I. et le III. Gruppe étaient sur zone. [8] Surnom donné aux pilotes russes du 18e GvIAP commandé par le valeureux Lt/Col Étonnante carte russe de la région de Tilsit et du Niemen montrant la ligne de front au Goloubov. début de l’offensive du 15 octobre 1944. À noter, le carroyage utilisé par la Luftwaffe. 23 (doc. J. Risso) Mi-novembre 1944, l’offensive sur Königsberg s’essouffl e. Marcel Albert exécute sa 262e et dernière mission de guerre le 7 de ce mois. Certains de ses pilotes, comme ici Iribarne, voleront sur son appareil. (photo L. Sauvage, coll. M. Souffan) tenant, tu peux effectivement dire que dans le dos », alors méfi ant, il surveille. Cuffaut – Fauroux et ils descendent en- l’appareil est excellent, seule une bê- En fi n d’après-midi, c’est la stupeur sur la semble un autre Hs 129 qui se pose en tise te ferait rentrer sans lui. » Le pilote base quand on découvre le corps inerte fl ammes. Au cours de la troisième mission lui avoue qu’il a failli quitter l’avion. Son de la belle Nina, un revolver à la main et de la journée à 14h10, de nouveau avec chef d’escadrille rapporte alors ce que un message, un petit message. « Rien, Amarger, il abat un FW 190, probable- lui avait dit Paul Drouzenkof, son instruc- ni personne n’est coupable. Je l’aime ment de la SG 4. teur russe : « l’erreur est de se cogner, beaucoup. Je l’aimais trop… » Tout le mais c’est une leçon pour l’avenir… » La monde connaissait la relation qu’entrete- Après un jour de repos, les missions re- journée du 16 n’est pas terminée, Marcel nait Albert et l’amour que lui vouait Nina. prennent pour Marcel Albert à raison de Albert et « ses gars de la Une » décollent Alors ? La seule fois où l’as a perdu son deux par jour. Le 23, il fait équipe avec une troisième fois pour une couverture du sourire, et devenu sérieux et blême, c’est Marchi pour abattre en collaboration un front sans résultat. Vers 18h00, nouvelle quand nous l’avons questionné sur Nina. Bf 109 qui percute le sol. La fatigue et la mission de couverture, toujours dans la Albert est resté laconique après un silen- tension qui redescend donnent un coup région de Chtaloupienen, les paires Albert ce inhabituel : « Ce n’était pas son écri- au moral de Marcel Albert, le cœur n’y est – Sauvage et La Poype – Marchi foncent ture… Elle a été suicidée… » Quelqu’un pas. Le 26 octobre, lors d’une couverture sur un dispositif de six chasseurs-bombar- avait sûrement tiré dans le dos de Marcel au-dessus de Goumbinnen, il abat avec La diers FW 190. Marcel ouvre le bal et voit Albert. Poype et Iribarne, après une traque effré- s’écraser l’avion du chef du dispositif [9]. née, un Messerschmitt Bf 109. C’est sa 22e Deux autres FW 190 sont revendiqués par Le soir, un Dakota ramène Risso et et dernière victime avec le « Normandie- La Poype et Marchi ensemble. Pour no- d’autres pilotes de Moscou ; les rires et la Niemen ». Le jour même, un décret du tre pilote c’est sa 17e victoire, la 27e de la guerre reprennent le dessus. Le 18 octo- Presidium du Soviet Suprême le décore journée et la 124e pour l’unité. bre, « jamais deux sans trois », « ce troi- de l’Ordre du Drapeau Rouge. Marcel ef- sième jour, des trois glorieuses d’octobre, fectue sa dernière mission de guerre le 7 Le lendemain, « et rebelote », Marcel je voulais bouffer du fasciste ». Après une novembre [11]. L’homme est fatigué, la Albert effectue quatre nouvelles missions, première mission sans résultat, la bande machine aussi ; le moteur de son fi dèle sans aucune victoire. Et pour cause. Il à « Bébert » tombe sur une formation de Yak-3 est changé le 14 novembre. Son « laisse ses gars se faire les dents », il Hs 129 Panzerjäger [10]. La paire Albert dernier vol sur Yak-3 pour cette année préfère les surveiller du haut du « pigeon- – Amarger abat un premier chasseur de 1944 se fait le 27 de ce mois, quand il nier » ; il s’est levé ce matin avec un drôle char avec le moteur droit en feu. Pas le décolle pour la nouvelle base du régiment de pressentiment, « qu’on allait le tirer temps de respirer, Albert rejoint la paire à Gross-Kalveitchen, près de la frontière

[9] Bien que les II./SG I, I. et II./SG 2 et II./SG 77 aient été sur le secteur, il s’agit très probablement d’un appareil de la 10.(Pz)/SG 1. 24 [10] Dans ce secteur se trouvaient le Stab de la IV./SG 9 et la 13./SG 9, deux unités équipées de Hs 129 chasseurs de chars. [11] C’est sa 262e, une mission de reconnaissance du front. Tous les pilotes du « Normandie » posent sur le terrain de Sterki en attendant le déplacement du régiment sur Kalweitchen. (photo L. Sauvage, coll. M. Souffan) lituano-prussienne. La rumeur semble se et Roland de La Poype arrivent en com- Héros de l’Union Soviétique. Albert agrafe confi rmer, le général de Gaulle va rendre pagnie de Pierre Pouyade devant le très la sienne tandis que, pris de panique, de visite au « Normandie ». Le lendemain luxueux édifi ce du DKA, la Maison de la Poype cherche fébrilement la sienne, de son arrivée, Albert apprend par un l’Armée Rouge. Le maréchal Novikov leur sous le regard amusé des copains. C’est télégramme qu’il est promu à la dignité donne [12] la médaille de Héros de l’Union alors que son « Bébert » lui dit : « T’as de Héros de l’Union Soviétique tout com- Soviétique. Après son discours, c’est au perdu ta bonne étoile la Poisse ? » C’est me son « pote » La Poype. tour de nos deux Français de faire un pe- l’hilarité générale ; la médaille est retrou- tit speech en russe en forme de remer- vée in extremis. Un « garde-à-vous » re- ciement. Marcel Albert prend conscience met de l’ordre et impose un silence. Visite du général de Gaulle qu’ils sont les premiers Français à être décorés de la plus haute distinction de ce Le général de Gaulle entre, Marcel est Le mauvais temps qui persiste retarde pays, il se souvient de « son côté guindé, pris par une émotion soudaine, il ne doit la venue du général de Gaulle. Malgré mal à l’aise, coincé » devant tous ces gé- pas défaillir. Par la force des choses, il est, une météo médiocre, on annonce brus- néraux, et tout ce faste. Ce n’est que le à quatre reprises, mis au-devant de la scè- quement l’arrivée du chef de la France hors d’œuvre pour Marcel. Ils rejoignent ne. En effet, c’est lui qui présente le fanion Combattante le 6 décembre. C’est l’af- l’ambassade de France où leurs frères rouge et or du régiment au général qui y folement général, surtout que nos deux d’armes les attendent déjà en rangs ; agrafe la croix de la Libération. Il revient héros français sont partis à Kaunas pour ils se placent entre Pouyade et Risso et de nouveau pour recevoir cette médaille. rejoindre Moscou recevoir leurs déco- attendent. Un offi cier vient vers eux et Comme il est d’usage, le général déclare rations russes. À 15h00 un contre-ordre leur demande de mettre leur médaille de avant de l’accrocher « Nous vous recon- met de l’huile sur le feu. Tout le régiment, y compris quelques offi ciers et mécani- ciens russes, part pour Moscou afi n d’être présenté au général de Gaulle. Un train spécial les attend à Kaunas, avec la loco- motive CY 210-13 ; c’est le train person- nel de Staline. Il doit partir à cinq heures. Toute la troupe arrive à quatre heures du matin, pour apprendre que le train ne partira qu’à douze heures ! De leur côté, Albert et La Poype accompagnés du ca- pitaine Brihaye attendent un ordre pour savoir ce qu’ils doivent faire. Ce n’est qu’à quinze heures qu’ils rejoignent la gare. La locomotive avec sa grande étoile blanche démarre à 15h30 ; le lieutenant Marcel Albert est dans un luxueux wagon en compagnie du général Zakharof, du com- mandant Delfi no, du major Vdovine (chef d’état major), du capitaine Brihaye et du lieutenant de la Poype. Privilège donné aux Héros de l’Union Soviétique.

Le 9 décembre à 11h30, Marcel Albert Le 7 décembre 1944, le train spécial de Staline attend dans la gare de Kaunas l’arrivée des Français qu’il doit emmener à Moscou. (photo L. Sauvage, coll. Many Souffan) [12] En Russie, il d’usage de remettre les médailles dans la main. 25 Réception à l’ambassade de France à Moscou le 9 décembre 1944. Le Gal de Gaulle épingle la croix de Libération sur le fanion du régiment « Normandie- Niemen », tenu par Marcel Albert. (photo famille de Pange, coll. M. Souffan)

Les récipiendaires de la croix de Libération posent pour la photo souvenir : Pouyade, Albert, La Poype et Risso. (photo famille de Pange, coll. M. Souffan)

naissons comme notre compagnon pour Le 27 janvier, il peut porter sa troisiè- la Libération de la France dans l’honneur Son ancien supérieur au GC I/3, le lieute- me fi celle de capitaine. Il peste un peu et pour la victoire. » Marcel se retrouve nant-colonel Thibaudet, responsable de la contre « Pépito » parce que la promotion de nouveau devant le chef de la France place d’Alger, le reçoit avec les honneurs date du 25 décembre 1944, et qu’il aurait Libre pour recevoir la légion d’honneur et et lui demande de rester une journée de aimé l’avoir lors du dîner avec le « grand la croix de guerre. Une dernière fois, il re- plus pour lui présenter d’anciens compa- Charles ». Toute la bande des « indescen- vient pour lire le discours de bienvenue en gnons. Albert reste de bonne grâce. Il ne dables » se retrouve réunie par Charles l’honneur du général devant tout le par- sait pas que son ancien commandant, Tillon à la FNSA [14] pour une réception terre et cet homme qu’il admire. Là, les après l’arrivée des Américains, a tout fait de bienvenue le 31 janvier. À partir de ce mots passent mal, Marcel bafouille même (et il a réussi) pour annuler les condam- moment, cette permission commence à un peu, mais la bonne humeur est de nations qui ont fait suite à son départ être appréciée par la bande à « Pépito ». mise, même le grand Charles esquisse un précipité le 14 octobre 1942. Il décolle Roland de la Poype s’installe dans un léger sourire. Après deux ou trois verres d’Alger le 10 janvier pour Toulouse, où il appartement boulevard Malherbes, qui de champagne, Albert retrouve des cou- foule enfi n la France après quatre ans et très vite, devient le repère où les anciens leurs, il dit à « Pohipe » : « Les bananes, demi d’absence. Le lendemain, il retrouve aiment à se retrouver. Ils récréent, pres- ici, ça pleut comme à Douala... » sa mère et sa sœur pour quelques heures, que à leur insu, l’univers qu’ils connaissent c’est une joie, une grande joie. en Russie : jeux de cartes et beuveries, Enfi n en permission ! délaissant la vie parisienne qui n’intéresse Son emploi du temps chargé débute le personne. Marcel Albert, curieux, va à Les festivités continuent pour Albert et 12 janvier 1945. « Pépito » et « Bébert » Londres le 2 février. Il en revient déçu de les autres permissionnaires, après le dé- sont invités par Charles Tillon, ministre de ne pas avoir retrouvé l’ambiance qu’il a part de l’unité au front ce 12 décembre l’Air. Après une semaine, il commence à connu trois ans plus tôt. À son retour, il au soir. Le 21 décembre 1944, soit pra- souffl er. Marcel est surpris quand il reçoit se presse au val de Grâce au chevet de tiquement deux ans jour pour jour après une invitation du général de Gaulle pour le être entré pour la première fois dans l’ha- jeudi 25 janvier à 20h30. Cela reste pour bitacle d’un Yak-1, il embarque avec ses peut-être son plus grand souvenir : « le dî- « potes » dans un Dakota pour le retour. ner chez les de Gaulle, avec Pouyade. » Le cœur est lourd pour Marcel. Ils ne sont Ils sont sept et tout au long du dîner le plus que quatre des anciens pilotes du général dit à son épouse, qui a elle-même premier voyage : de Pange, Risso, de la préparé le repas, « servez-le encore, il a Poype et lui. De Moscou, ils atteignent bien combattu ce jeune homme. » Marcel Rostov, de là Makach-Kala, sur les rives Albert, souriant à l’évocation de ce sou- de la Caspienne, et c’est enfi n l’arrivée à venir, ajoute : « à la fi n du souper il m’a Téhéran où ils doivent attendre une se- demandé, à moi seul, de le suivre à son maine un autre avion ; ils ont raté celui bureau, il a fermé la porte et m’a dit en me de Lionel de Marmier. « Heureusement » serrant la main, merci pour ce que vous avez fait pour la France… C’était vrai- [13] dira Marcel Albert. C’est ensuite le Carton d’invitation pour un dîner privé ment un chic type de Gaulle… » Caire, Tripoli et enfi n Alger où Marcel à l’appartement du Gal de Gaulle, le 25 Albert arrive le 7 janvier 1945. janvier 1945. (doc. M. Albert via J.-M. Garric)

[13] C’est avec ce Lockheed que Marcel Albert et ses compagnons devaient rejoindre la métropole le 30 décembre 1944. Le FC-BAD disparaitra ce jour-là avec Lionel de Marmier, trois membres d’équipage et neuf passagers. 26 [14] Fédération Nationale des Sports Aériens. « Pépito » qui a subi un grave accident l’attente du départ, plusieurs fois les ba- mière escadre de chasse composée des de voiture. Entre deux invitations, Marcel gages sont bouclés, en vain. Une nou- GC 1/7, 2/7 et 1/3. Un homme est particu- passe son temps avec sa mère ou dans velle arrive : le retour ne se fera pas par lièrement ému, c’est le capitaine Cuffaut l’appartement de « Polype ». Téhéran mais avec les Yak. Enfi n après un qui retrouve ses anciens collègues. Il met détour par Moscou, les pilotes retournent un point d’honneur pour que le retour de Le retour triomphal du à Elbing. Le régiment, par la volonté de son unité soit une réussite. Marcel Albert Staline, repart avec ses Yak [15]. Après rencontre à cette occasion son ancien « Normandie-Niemen » un énième discours d’adieu, le général chef d’escadrille au GC I/3, le capitaine Zakharof, un drapeau rouge à la main, Pierre Salva. La rencontre est froide. Les Le moment du retour à l’unité arrive, donne le départ ce 15 juin à 13h00. Les récriminations, les rancœurs, les blessu- les anciens partent du Bourget le 19 anciens sont à l’honneur. Après le départ res sont palpables entre les deux capitai- avril. Ils empruntent une nouvelle ligne : du bimoteur Pe-2 chargé de les guider, nes, ex-amis. La réconciliation ne se fera Marignane, Rome, Bari, Bucarest, Kief et Albert décolle à la tête de la « Une » sur que trente ans plus tard. Moscou où ils atterrissent le 24 avril. Ils le Yak-3 codé « 1 » ; 23 petites croix blan- retrouvent le « Normandie-Niemen » le ches décorent le fuselage derrière le cock- Le 19 juin, le régiment est présenté au 30 avril à Bladiau, en Prusse orientale. pit. Quinze minutes plus tard, c’est Risso général de Lattre de Tassigny. Suit une Le 8 mai, quand le régiment arrive sur la qui décolle à la tête de la « Deux » sur revue, un défi lé, des discours et pour ter- nouvelle base d’Heiligenbeil, c’est un cri le « 11 », puis un quart d’heure après, miner, l’incontournable séance d’acrobatie de joie unanime, c’est la fi n des hostilités, c’est au tour de la Poype de s’envoler à de Marchi. Le 20 juin, le jour tant attendu, peut-être pour certains le retour au pays. la tête de la « Trois » sur le « 21 ». De la le jour de gloire est arrivé. Malgré la tête Delfi no qui a reçu sa nouvelle casquette Salle, avec la « Quatre » et sur le « 31 », lourde pour certains, le départ s’effec- à cinq fi celles par Albert et de La Poype, termine l’envol des quatre escadrilles. Les tue à 10h00. Pour beaucoup de pilotes va à Moscou pour s’occuper du retour en derniers à partir sont Delfi no sur le « 00 » l’émotion est plus forte, ils n’ont pas vu la France de l’unité. Ce même jour, le régi- [16] et Pouyade sur le « 10 ». France depuis pratiquement quatre ans. ment reçoit 14 nouveaux Yak-3. Les 40 Yak-3, à qui on a peint une croix Après Posen et Prague, l’unité arrive à de Lorraine sur la dérive, touchent la terre Les jours se suivent et alourdissent Stuttgart le 17 juin, où se trouve la pre- ferme à Saint-Dizier. Le général Bouscat, commandant en chef des forces aériennes engagées, est là en personne pour être le premier à recevoir « ces valeureux pilotes du front de l’est ». Il déjeune avec eux et prend congé ; il les retrouvera un peu plus tard dans l’après-midi au Bourget. Vers 17h50, c’est le décollage pour Paris. À la hauteur de Meaux, l’attention est plus grande : un pari est en jeu, à savoir qui sera le premier pilote à apercevoir la tour Eiffel… tout naturellement c’est Marcel Albert. Vers 18h25, le cœur serré, la peti- te troupe venue de si loin fait un passage à basse altitude au-dessus de Paris. Cinq minutes plus tard, elle arrive au Bourget. C’est un triomphe. Les festivités peuvent commencer. Ce sera sans Marcel.

En effet, la vedette du jour, le visage émacié et fi évreux, entre à l’hôpital dès la fi n de la cérémonie. On lui diagnostique une typhoïde. Pendant les deux premiers jours, son état est critique. Son séjour dure 45 jours. Il est de retour à l’unité à la mi-août. Toute la France veut approcher et admirer l’unité devenue légendaire. Photographie de Marcel Albert prise par Roger Sauvage lors de l’arrivée du premier Marcel participe aux meetings de Vichy, à Bladiau, le 30 avril 1945, après son séjour à Paris. (photo L. Sauvage, coll. Many Nancy et Rouen où il exécute des acroba- Souffan) ties, mais il est aussi sollicité pour divers évènements ; sa popularité est grande, il est offi ciellement le premier chasseur de France. Il est présenté en exemple à Châteauroux aux futurs pilotes de chasse par le colonel Demozay. Marcel Albert dira de lui que « c’était un chic type, un grand bonhomme qui dérangeait par sa droiture. » Staline va offrir des Yak-3 neufs au « Normandie-Niemen » pour son retour en France. Marcel Albert volera au moins deux fois sur ce « 24 blanc ». (photo L. Sauvage, coll. Many Souffan) [15] Staline fait don à la France de 42 Yak-3, dotation d’un régiment qui se compose de quatre escadrilles de 10 avions et d’un avion pour le commandant et son adjoint. [16] Delfi no, second adjoint de Pouyade, avait choisi comme code le « double zéro » en mémoire de Paul de Forges qui fut le premier adjoint de 27 ce dernier ; son avion portait le code « zéro ». Sur le chemin du retour, le régiment fait escale à Stuttgart. Tandis que Marchi fait une démonstration pour le Gal de Lattre de Tassigny le 19 juin, on voit au second plan le « 1 blanc » de Marcel Albert. (photo H. Pouyade, coll. M. Souffan) Fin de carrière dans l’Armée de l’Air

À partir d’octobre, il rejoint sa nouvelle af- fectation à l’inspection générale de l’Armée de l’Air, attaché à l’inspection de la chasse sous les ordres directs de Pierre Pouyade. Il se déplace sur P-47 Thunderbolt. Les vols se font de plus rares ; Marcel s’en- nuie. Il demande à « Pépito » d’être af- fecté au CEV de Brétigny comme pilote d’essai. Il y est muté le 1er mai 1946 mais ne commence ses premiers vols qu’en juillet. Le 6 août, il décolle d’Orange avec trois membres d’équipage sur le NC 701 n° 105. À la prise de terrain, le moteur droit prend feu. Marcel réussit cependant à atterrir. Malgré les explications des ex- perts, il reste persuadé qu’il s’agit d’un sabotage.

Un mois plus tard, le 6 septembre, il dé- colle d’Orange-Caritat avec le Dewoitine 520 n° 465 pour une prise en main ; il doit faire un meeting le dimanche suivant Nous sommes le 20 juin 1945, il est 18h40, Marcel vient d’atterrir au Bourget et il est en train de converser avec le capitaine Meyzer du service de presse. (photo Henry Rutter) 28 Après l’euphorie et la joie de l’arrivée, Marcel Albert va sentir les Décret portant promotion au grade de commandeur de la méfaits de la typhoïde. Entré à l’hôpital une heure après la fi n de Légion d’Honneur du Cne Marcel Albert. La citation stipule la cérémonie, il y restera un mois et demi. (photo famille de Pange, qu’il est le premier chasseur de France. (doc. M. Albert, coll. coll. M. Souffan) M. Souffan) avec cet appareil. À peine les roues ont- lourdement, cassant la roue gauche, et elles commencé à se rétracter qu’elles se puis plus rien. C’est un miracle, il s’en sort bloquent devant le radiateur. La tempéra- avec des brûlures et des égratignures. ture monte à 150°, il redescend le train et Dans un premier temps les secours ne le cherche un endroit pour se poser. Il voit trouvent pas, c’est un gosse qui le décou- la piste de Plan-de-Dieu. Volant à peine vre. Dans son rapport Albert suggère qu’il à 200 km/h, il touche la cime de cyprès, y avait un manque d’eau, mais une fois des fl ammes jaillissent du côté gauche de plus il se fi e à son sixième sens : il est puis du côté droit. L’avion se désintègre, convaincu d’un sabotage. il est éjecté. Il se souvient d’avoir atterri

À la fi n de son séjour à l’hôpital son dé- sir sera de rendre visite à sa mère et à sa sœur en compagnie de son ami de toujours Joseph Risso. (photo famille Mavigner) Le D.520 n° 465, photographié ici le 12 mars 1942 après modifi cation. C’est sur cet avi- on qu’Albert sera contraint à un atterrissage forcé le 6 septembre 1946 à la suite d’une défaillance mécanique. Il en sortira miraculeusement indemne. (photo G. Botquin via L. Persyn) 29 jeune de caractère, s’ennuie dans un mi- Cup. Ses connaissances en mécanique lui lieu qu’il n’essaie pas de pénétrer, parce permettent de modifi er des machines qu’il qu’il ne l’intéresse pas. Son rendement a fait venir d’Allemagne et il se lance dans depuis cinq mois qu’il est arrivé est très la production de gobelets en plastique. faible. » Le général de brigade J. Flipo qui Encore une fois, le succès est au rendez- écrit sa note demande son remplacement. vous. Il devient même la petite entreprise Marcel va se retrouver « comme dans de l’année en 1966. Sa situation économi- un placard parmi d’autres placards au que aura des hauts et des bas. deuxième bureau ». Il retourne à Prague, voir sa Freda avec qui les choses devien- L’as se fera discret et ne reviendra en nent sérieuses. France que pour voir ses anciens « po- tes », ses « amis de toujours Cadolive et On ne lui présente rien, il se sent aban- Pohipe et sa sœur. » C’est à la fi n des donné par Pouyade devenu l’attaché mili- années soixante-dix qu’il s’installe après taire du président . Marcel de multiples pérégrinations à Chipley, en Albert donne sa démission, mais – bles- Floride, avec son épouse. Celle-ci décède sure suprême – on lui demande de pré- le 29 janvier 2009. À partir de là, l’état de senter par écrit sa démission du grade de santé de Marcel Albert décline. Ses amis commandant « à titre fi ctif, même pas, à M. et Mme Garric vont s’occuper de lui titre temporaire, tu comprends fi ston, moi jusqu’à son dernier souffl e. Il nous quitte Seule photo de Marcel Albert en comman- qui me suis battu… » Le silence qui s’en le 23 août 2010 à Harlingen au Texas. dant, prise à Prague en 1947 à l’ambas- suit est lourd d’amertume voire de cha- Son décès a laissé plus d’un passionné de sade des États-Unis par sa future épouse. grin, et puis, comme toujours, comme l’aviation dans la consternation. Devenu (photo M. Albert, coll. M. Souffan) pour effacer, un grand sourire, « tout ça malgré lui une légende vivante, il restera c’est du passé, cela n’intéresse plus per- à jamais un chic type « indescendable ». Dégouté, l’as demande à être réintégré sonne… ». e au 2 bureau, ce qui est fait. En février FIN 1947 il est muté comme attaché de l’Air Remerciements à Xan Berasategui, Matthieu adjoint à Prague avec l’aide de son ami Dans la vie civile Comas, Mme Crémont-Paturle, Yves Donjon, « Pépito » ; il est promu commandant à Nathalie Fagnou, Dan Giberti, Didier Lecoq, titre « fi ctif » pour cette fonction. Il en Marcel quitte sans regret une Armée de Janine Lefèvre, Marcel Littolff, Lucien Morareau, prend ombrage, parce qu’il attend depuis l’Air non reconnaissante, qui règle certains Roland de Pange, Bernard Parmentier, Lionel longtemps cette promotion de la part de comptes. Il part au États-Unis avec Freda, Persyn, Bernard Philippe, Marc Renaud-Durand, Frank Roumy, Laurence Salva, Lionel Sauvage, Pouyade ; il ne voulait pas cette « qua- il se marie à New York, achète auprès de Rémi Theys, Michel Thouin. trième fi celle » dans ces circonstances. Au Max Farman pour la somme de 120 000 cours de ce printemps, à une réception dollars une concession de cafétérias fran- Un remerciement spécial à Vladimir Trouplin organisée par l’ambassade américaine, il chisées qui ne marchent pas très bien, et à son équipe du musée de l’Ordre de la rencontre miss Freda Cantrell qui s’oc- implantées sur les bases de l’USAF et au Libération, à Jean-Yves Lorant, Daniel Hary cupe du département War Offi ce ; c’est Pentagone. Avec la guerre de Corée, son et leurs équipes du SHD-Air, à l’ECPA, à Jean le coup de foudre. C’est le seul fait impor- entreprise devient fl orissante. Quelques Mavigner et Marcelline Mavigner qui m’ont tant de son séjour à Prague. Marcel s’en- années plus tard, quand il doit renouveler fait confi ance, à Henri et Claude Foucaud, à nuie. Quand il revient à Paris, il demande sa licence, celle-ci lui est refusée. Il fait François Tulasne, à Pierre Perruquet, au géné- à avoir à sa disposition un avion. Il repart les frais du maccarthysme : son passé en ral Joseph Risso, à M. et Mme Garric pour leur patience et leur aide précieuse. Enfi n un grand à Prague avec le Nord 1002 n° 204. Russie, même glorieux, le dessert. Malgré merci plein d’affection à cet homme qui m’a tout, avec l’argent accumulé, il achète confi é ses souvenirs, qui a ouvert sa porte et Pouyade doit se marier avec la veuve une petite entreprise fabricant des gobe- son cœur : Marcel Albert. du commandant Monraisse et demande à lets en carton, qui devient la Normandy Albert d’être son témoin. Ce dernier re- vient à Paris avec le Nord 1002. La céré- monie se déroule le 18 juin 1947 ; le soir à la réception il est à la table du président Vincent Auriol. Tout se passe bien. Quand il s’en va, il est apostrophé par un colonel du 2e bureau, ce dernier lui dit qu’il a dé- serté son poste ! Marcel Albert, en forme, lui dit « allez donc voir Vincent Auriol c’est mon ami, il était à ma table et surtout, le colonel Pouyade, j’étais le témoin de son mariage. Merci, je vous laisse, je vais dormir… ». Jusqu’au mois de septembre 1947 Marcel Albert effectue deux autres vols entre Paris et Prague dont le der- nier avec le commandant Massart, vieille connaissance du temps de son passage en Angleterre.

Marcel Albert n’est pas fait pour les mon- danités, son chef de mission fait un rap- port sur lui : « As de guerre, peu fait pour un service de bureau qu’il déteste. Très Après la guerre, Marcel Albert effectuera une très belle carrière de chef d’entreprise aux États-Unis. Il sera élu en 1966 « manager de l’année » pour les PME. À droite son 30 épouse. (photo M. Albert, coll. M. Souffan) Palmarès du Cne Marcel Albert

N° Date Opposant Lieu Observations

01 14/05/40 Do 17 N Suippes Partagé à la demande d’Albert avec un pilote (non identifi é) de MS.406. (pb) 14/05/40 Bf 109 vers Suippes

- 19/05/40 He 111 N Meaux Non revendiqué bien que réellement abattu. (pb) 20/05/40 He 111 Péronne - Ham

- 18/07/42 FW 190 Manche (vers Dieppe) Homologué comme « endommagé » par la RAF. 02 16/06/43 FW 189 Soukinovici En collaboration avec Lt Préziosi. 03 14/07/43 Bf 110 Iagodnaïa

- 14/07/43 Bf 110 Iagodnaïa Détruit par l’explosion du premier Bf 110 d’Albert, mais homologué à la paire Cdt Pouyade – Lt Béguin. 04 17/07/43 FW 190 Iagodnaïa - Krasnikovo

05 17/07/43 FW 190 Znamenskaya En collaboration avec Lt Préziosi. 06 19/07/43 Ju 88 Znamenskaya En collaboration avec Cne de Forges, Lt Léon, Asp Risso et Asp Bon. 07 31/08/43 Ju 87 Ielna

08 01/09/43 FW 190 Ielna En collaboration avec S/Lt de La Poype. 09 17/09/43 FW 190 10 km O Ielna

10 22/09/43 FW 190 30 km SE Smolensk

11 04/10/43 Hs 126 60 km O Smolensk En collaboration avec Cdt Pouyade, Lt Denis, S/Lt de La Poype, Asp Foucaud et Asp Bon. 12 12/10/43 FW 190 Gorki En collaboration avec Asp Foucaud. 13 15/10/43 Ju 88 10 km N Gorki En collaboration avec Lt Lefèvre et Asp Foucaud. (pb) 15/10/43 Ju 88 10 km N Gorki En collaboration avec Lt Lefèvre et Asp Foucaud. 14 15/10/43 FW 190 7 km N Gorki En collaboration avec Asp Foucaud. 15 15/10/43 FW 190 7 km N Gorki En collaboration avec Avec Lefèvre. 16 16/10/44 Ju 87 Pillupönen En collaboration avec Lt de La Poype, Asp Sauvage, Asp Marchi et Asp Taburet. 17 16/10/44 Ju 87 Pillupönen En collaboration avec Asp Sauvage. 18 16/10/44 FW 190 SE Stallupönen

19 18/10/44 Hs 129 S Stallupönen En collaboration avec Lt Amarger. 20 18/10/44 FW 190 S Stallupönen En collaboration avec Cne Cuffaut et Asp Fauroux. 21 18/10/44 FW 190 Stallupönen En collaboration avec Lt Amarger. 22 23/10/44 Bf 109 8 km S Stallupönen En collaboration avec Asp Marchi. 23 26/10/44 Bf 109 Stallupönen En collaboration avec Lt de La Poype et Asp Iribarne.

Après la mort de son épouse, la santé de Marcel Albert va se détériorer. M. et Mme Garric s’occuperont de lui, chez eux à Harlingen (Texas), avec beaucoup de dé- vouement. (photo J.-M. Garric) Une des dernières photos de Marcel Albert, sur le tarmac d’Harlingen devant cette magnifi que réplique de Yak-3 fabriqué par Jean-Marie 31 Garric aux couleurs de notre héros. (photo J.-M. Garric)

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