Les Ponts Romains
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2004 © Vittorio Galliazzo [email protected] http://www.traianvus.net/ LES PONTS ROMAINS Vittorio Galliazzo Archéologue Professeur à l'Université de Venise [email protected] Si l'architecture, en fin de compte, est une invention Or, parmi toutes les villes et les peuples civilisés, nul ne permanente de l'art de vivre, l'abitare, c'est-à-dire de se sentait autant que Rome, 'ville née du pont', la nécessité fixer sur une terre, d'y vivre et d'y réfléchir, les ponts en de faire une seule patrie de plusieurs nations. Elle a particulier, sont l'objet d'une permanente invention du offert aux peuples conquis la civilisation, le droit, reliant de l'art d'établir des liens, le collegare, bien qu'eux aussi les régions et les villes du monde antique grâce à un entrent dans la sphère de notre abitare. système routier conçu en réseau, expression tangible du En fait, aucune structure architecturale n'a eu dans processus d'urbanisation et de la romanisation de son l'histoire humaine l'importance du pont dans la création immense empire : les centres nerveux de ce projet de relations entre les peuples et les civilisations : sans grandiose étaient les ponts urbains et routiers, réalisés les ponts les nations seraient séparées, les villes divisées, soit à partir d'embarcations, soit en bois, en maçonnerie les villages dispersés ; au contraire, avec les ponts ou 'mixtes' (c'est-à-dire avec une infrastructure en l'union est assurée, les contacts humains sont maçonnerie et une superstructure en bois), parfois sur développés, les échanges commerciaux sont facilités. En de grandes rivières, souvent sur de moyens ou petits effet, c'est le pont qui a créé les conditions permettant à cours d'eau, dans tout une gamme de matériaux, de de simples villages de bergers et de pêcheurs de devenir situations et de types, admirablement réalisés par des les villes ou les capitales des grandes nations : Rome, architectes expérimentés (comme Apollodore de Damas Paris, Venise, Vérone, Florence, Merida, Mayence, ou Gaius Iulius Lacer) ou construits par une main- Cologne, Londres et beaucoup d'autres villes d`Europe et d'œuvre civile et militaire très expérimentée et du monde habité sont des centres urbains 'nés du pont' prestigieuse, afin que, à travers eux, toutes les terres du (ou en tout cas d'une structure de franchissement d'un monde méditerranéen soient intimement proches du cours d'eau) et leur histoire a contribué largement au cœur de l'empire, la ville de Rome, et ce depuis l'Écosse, sort du pont lui-même 1 . aux confins de la Grande-Bretagne, jusqu'au désert du 1 Le vaste sujet des ponts romains et leur problématique complexe ont fait l'objet de mes recherches durant plus de 20 ans, qui ont abouti à une publication de deux volumes édités en 1994-1995, à laquelle, par souci de concision, nous nous référons même pour la bibliographie précédente. En particulier, voir : V. Galliazzo, Les ponts romains, vol. I. Expériences pré-romaine, histoire, architecture et analyse typologique, décorations, relations avec l'urbanisme, signification, Treviso 1995, pp. I-XXXI, 1-769 (= Galliazzo 1995) ; Les ponts romains, vol. ll. catalogue général, Treviso 1994 pp. 1-447 (= Galliazzo 1994) : où sont analysés et rapportés 931 ponts numérotés auxquels je ferai référence pour les mentions bibliographiques. La préface de l'ensemble de ce travail a été l'œuvre du professeur Raymond Chevallier à qui vont mes plus chaleureux et sincères remerciements et ma profonde gratitude. Sur les ponts, en particulier, voir : C. O'Connor, Roman Bridges, Cambridge 1993 ;. L. Fernandez Troyano, Tierra sobre el agua, Visión historica universal de los puentes, Madrid 1999 ; M. Durán Fuentes, Análisis Constructivo de los puentes romanos, in I Congreso sobre las Obros Publicos romanas en Hispania, Merida 114, 15 et 16 novembre 2002 s.I. 2002 pp. 23-45. 9 II Congreso de las Obras Públicas Romanas. Tarragona 2004 2004 © Vittorio Galliazzo [email protected] http://www.traianvus.net/ Sahara en Afrique, ou depuis la côte Atlantique jusqu'à la babyloniens, égéens-crétois, mycéniens, grecs, Mésopotamie 2. étrusques, lacustres, celtiques), 1 270 sont des ponts Nous avons abordé sous tous les angles une grande romains, 40 appartiennent à la période protobizantine, variété de réalisations architecturales et de sites tandis que les autres sont d'autres régions ou périodes. d'implantation. Le pont, en fait, pour être compris dans À l'issue de cette vaste enquête a également été pris en sa réalité intime, doit être analysé comme un ensemble, compte un grand nombre d'autres moyens pour franchir à la fois en termes de construction et de profil des obstacles naturels (qui anticipent souvent la architectural, à la fois comme une infrastructure d'une présence de ponts au sens strict), les gués, les bacs, les grande importance en milieu urbain, à la fois comme un pontes Iongi (chaussées sur pilotis ou remblais, en lieu privilégié de la vie, à la fois comme un symbole terrain marécageux), les pontes tumultuarii (ponts d'activité et de pensée : ainsi, la technique de improvisés), selon une liste spéciale 4. construction, l'implantation du site, l'utilisation prévue, Il convient d'abord de mentionner les gués. Dans nos la signification 'sacrée' , idéologique, philosophique, enquêtes, nous avons essayé le fameux gué de l'Île symbolique et de propagande, doivent dialectiquement Tibérine, mais en vain. Les sources anciennes (et en s'articuler. Pour atteindre ce but, nous avons considéré particulier Denys d'Halicarnasse) 5 avaient déjà dit que les plus significatives expériences pré-romaine, (en Rome n'avait pas eu de gué sur le Tibre, une rivière qui, particulier orientales et grecques); puis étudié l'histoire en particulier à l'époque romaine, n'était guéable que de tous les ponts romains (depuis l'Antiquité jusqu'à nos dans des cas exceptionnels : ses berges étaient trop jours, soulignant la modernité exceptionnelle des ponts élevées et le courant représentait une grande difficulté orientaux d'antiquité tardive ou protobizantins) ; puis en raison de sa largeur, sa vitesse et sa profondeur. En passé à la véritable analyse architecturale et typologique bref, le gué était généralement impraticable. des ponts en tenant compte à la fois leur 'vie de chantier' À Rome, aucune trace de 'pavement' (en bois, en pierre (de la conception jusqu'au quitus) et leur 'vie fonction- ou autre) n'a été trouvée dans le Tibre, ni aucune sorte nelle' (maintenance, effondrements, restauration, réutili- de ces marques qui sont presque toujours présentes sation et modifications variées), mettant en évidence les dans un gué fréquenté. caractéristiques de leur technique de construction, leurs Il est donc probable que, en aval de l'Île Tibérine, où le lit décorations ou additions, et leur typologie ; enfin, nous du fleuve était large et, par conséquent, où ensuite a été avons essayé de mettre en évidence leur portée construit le Pons Aemilius (fig. 1), il y avait un 'bac' qui symbolique en tant que lieu d'unification, montrant permettait de traverser le Tibre et d'accéder directement comment cet artefact est en fait un 'nouveau modèle au Forum Boarium à la hauteur du temple dédié au dieu architectural' livré par Rome à l'histoire et à la Portunus 6. De toute façon, de nombreux exemples dans civilisation 3. le monde romain témoignent qu'il s'y trouvait des gués À cette fin, notre recherche a visé à examiner le plus et des bacs, voire combinés avec des ponts soit flottants, grand nombre possible de ponts anciens : environ 1 560. soit en bois, soit en maçonnerie, soit mixtes 7. Parmi ceux-ci, 166 sont pré-romains (égyptiens, assyro- 2 Sur Apollodore de Damas voir: Galliazzo 1994, num. 646; Galliazzo 1995, pp. 75 s., 94, 191, 194, 200, 202, 266, 304, 325, 550, 617 nota 181,636 nota 418. Sur Gaius Lucius Lacer voir: Galliazzo 1994, num. 754; Galliazzo 1995, pp. 75, 194 s., 267, 503 (légende de la fig. 178), 520, 522, 527 s., 540 (urne), 596, 652 note 646. 3 Tous ces points sont traités in: Galliazzo 1995 4 Sur les ponts romains principalement en maçonnerie voir le Catalogue général in: Galliazzo 1994; sur les ponts préromains et leurs systèmes différents des ponts au sens strict voir respectivement : Galliazzo 1995, pp. 3-52, et 155-78. 5 Antiq. 9,68,2 et Galliazzo 1995, p. 56. 6 Sur toutes ces questions, voir : Galliazzo 1995, pp. 55-57, 131-132. Sur le pont Æmilius : Galliazzo 1994, num. 5. 7 Voir : Galliazzo 1995, pp. 164-65, 169-70. 10 II Congreso de las Obras Públicas Romanas. Tarragona 2004 2004 © Vittorio Galliazzo [email protected] http://www.traianvus.net/ 1. Rome. Au premier plan, le pont Ӕmilius. Au centre et à l'arrière-plan : l'île Tibérine qui communique avec la ville grâce au Pont Fabricius (à droite de l'image) et le pont Cestius. Les ponts flottants (radeaux, assemblages de barils, de espacés et reliés les uns aux autres par des pontons et bouteilles, de bateaux ou de navires représentent une des tirants, maintenus alignés au moyen de cordes ou singulière nouveauté. d'amarres dont les extrémités étaient reliées à des Parmi les nombreux types, ne considérons maintenant treuils sur les berges. que les ponts d'embarcations. Il est à noter que les ponts Mais cette ancrage peut également être réalisé en pierres de bateaux pré-romains (en particulier ceux de la ou en blocs de béton placés sur les bords de la voie période classique) ont été conçus selon une technique navigable traversée par le pont de bateaux, en particulier complètement différente de celle utilisée par les si le pont devait être non provisoire mais permanent, et Romains (au moins aux époques républicaine et si la rivière était de taille moyenne ou importante.