Revue de politique économique La Vie économique

8-2001 74e année CHF 14.90

Page 52 Le gouvernement des entreprises

Page 57 Les travailleurs pauvres en Suisse

Page 62 Les Archives fédérales

Page 4 Thème du mois: L’importance de la navigation aérienne pour la Suisse Editorial

Pour assurer sa prospérité, la Suisse doit garder une porte ouverte sur le monde La globalisation est passée dans les faits. Jamais encore on n’avait connu un espace économique aussi étendu qu'aujourd’hui: le monde entier est devenu un marché. Les distances se sont aussi accrues entraînant davantage de mobilité. C’est là qu’in- tervient le transport aérien: moyen de déplacement le plus rapide – si on le compare à tous les autres – il permet de gagner un maximum de temps. Notre économie épargne probablement grâce à lui plus de 10 milliards de francs par an. L'économie suisse gagne un franc sur deux à l’étranger: c'est la raison pour la- quelle accéder aux marchés mondiaux rapidement et directement représente une question d’importance vitale, d’autant qu’à l’avenir, sa dépendance par rapport aux exportations ne fera que croître. Aujourd’hui déjà, la Suisse compte au nombre des économies les plus ouvertes, tout comme les Etats du Benelux, Singapour et Hong- kong. Dans la métallurgie et l’industrie des machines, branches de l’industrie qui sont les principales pourvoyeuses d’emplois de notre pays, la part des exportations oscille entre 70 et 80%. Dans le tourisme et les assurances, cette part atteint environ 60%, et dans le secteur bancaire 50%. Une économie d'exportation qui se veut prospère accorde une importance fonda- mentale aux transports aériens. Les turbulences qui affectent actuellement l’aviation civile suisse ne sauraient laisser indifférent le Secrétariat d’Etat à l’économie. Au plan de notre compétitivité, nous avons besoin d'un aéroport international. Des événe- ments tels que la crise chez Swissair et la dangereuse limitation du nombre de vols au-dessus du territoire allemand à l'approche de Zurich ont tiré la sonnette d'alarme. L'aéroport de Zurich n'est pas seulement notre plus grande porte ouverte sur le monde, il est également un facteur économique important: il assure globalement 100 000 emplois et génère 2,3% de notre produit intérieur brut. Par ailleurs, la moitié environ de cette valeur ajoutée est produite à l'exté- rieur du canton de Zurich. C'est aussi cela qui fait que l'avenir du plus grand aéroport suisse avec ses connexions internationales constitue un pro- blème national, auquel nous devons accorder une attention suffisante. Il est évident qu'un réseau de transport forte- ment développé peut également s'accompagner d'effets externes négatifs dans un petit pays. A l'avenir, malgré les progrès techniques, notre population devra aussi se résigner à subir sa part de bruit.

David Syz Secrétaire d’Etat, directeur du Secrétariat d’Etat à l’économie (seco), Berne Impressum

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Parution mensuelle en français et en alle- mand (en allemand: Die Volkswirtschaft), TRAVEL MEDIA SA e 74 année, avec suppléments de la Commis- LA PUBLICITE TOURISTIQUE DANS LES MEDIAS sion pour les questions conjoncturelles et de la Banque nationale suisse. Tél. 01/387 57 70 – Fax 01/387 57 77 ISSN 1011-386X e-mail: [email protected] Sommaire

Thème du mois 4 La fermeture de la piste de décollage princi- 4 Point de vue économique sur l’aéroport de Zurich-Kloten pale de l'aéroport de Zurich en été 2000 et ses Daniel Sager et Silvio Graf conséquences ont entraîné une violente querelle sur le bruit aérien. Les émissions de bruit étaient 10 L’impact économique de l’aéroport international de Genève également l'objet de négociations intensives entre Yves-Daniel Viredaz l'Allemagne et la Suisse, négociations qui ont 13 Que faire pour que le transport aérien devienne durable? abouti le 23 avril 2001 à Berlin à des nouvelles Ruedi Meier valeurs-seuils pour les avions qui, en phase d'ap- 19 La coopération systémique rail/air et Rio +10 proche de Zurich, survolent l'Allemagne du Sud. Martina Priebe La question est longtemps restée en suspens: 23 Turbulences dans l’aviation suisse quelle est l'importance de la navigation aérienne Entretien avec Urs Adam pour l'économie suisse? 27 Faut-il couper les ailes à l’aéroport de Zurich? Josef Felder 32 L’intégration des services de navigation aérienne civils et militaires en Suisse: aspects économiques Urs Ryf et Roger Gaberell 37 La sécurité aérienne européenne en pleine mutation: le point de vue d’un contrôleur du trafic aérien Marc Baumgartner 52 Le «corporate governance» ou «bon gouver- Points de vue politico-économiques: nement d’entreprise» est une composante im- portante des conditions-cadre minimales qui ré- 42 L’infrastructure des transports d’importance nationale est pilotée à l’échelon local gissent une économie florissante. Ceci est valable Peter Gutknecht pour tous les pays. Le présent article traite entre 43 La fonction de plate-forme aéroportuaire de l’aéroport de Zurich est-elle indispensable autres des questions suivantes: qu'est ce que le à la survie de l’économie suisse? gouvernement d’entreprise? Quels sont les prin- Peter Staub cipes de base que l'OCDE, l'Organisation pour le 44 Oublierait-on que le transport aérien est un service public? commerce et le développement économiques, a Pierre Moreillon adoptés? Et que signifie ce thème pour la Suisse? 45 L’aviation en équilibre entre règles universelles et exigences locales Philippe Rochat Points de vue économiques: 46 L’aéroport de Zurich: un système de production et d’innovation Alain Thierstein 47 La place économique suisse doit bénéficier de liaisons directes avec les grands centres de la planète Silvio Borner Economie suisse 57 En Suisse et pour l'année 1999, plus de 48 La trésorerie de la Confédération en 2000 250 000 personnes actives occupées étaient pau- Peter Thomann vres, ce qui représente 7,5% des personnes actives. Bien qu'il existât des travailleurs pauvres bien International avant les années nonante, leur nombre a considé- rablement augmenté cette dernière décennie, 52 L’importance du gouvernement d’entreprise dans le monde particulièrement entre 1995 et 1996. Ce nombre et en Suisse sous l’angle de la politique économique augmente de façon dramatique chez les person- Rudolf A. Müller et Birgit Thomson Guth nes seules et chez les couples avec trois enfants ou plus. Travail, formation et recherche

57 Les travailleurs pauvres en Suisse Elisa Streuli et Tobias Bauer Présentation de services fédéraux

62 Les Archives fédérales suisses, mémoire de notre pays Christoph Graf 62 Les Archives fédérales suisses constituent Données économiques actuelles la mémoire de notre Etat fédéral. L'entrée dans l'ère de l'information représente l'un des plus grands défis posés aux Archives fédérales 65 Sélection de tableaux statistiques au cours de leur 200 ans d'histoire. Une part croissante des informations à prendre Thème du mois du prochain numéro: en charge pourra être utilisée sous forme Coût et économie de la santé électronique. Thème du mois

Point de vue économique sur l'aéroport de Zurich-Kloten

L'aéroport de Zurich-Kloten re- présente un élément déterminant pour l'économie suisse. Si l’on considère ses effets directs, indirects et induits, il génère près de 9 milliards de francs de valeur ajoutée et contribue au PIB suisse à hauteur de 2,3%. Dans une perspective à long terme, c’est cependant son rôle en tant que facteur déterminant d'implantation et de dévelop- pement pour les entreprises particulièrement productives qui est prépondérant, et plus encore pour la place financière et

d'autres firmes multinationales. La cinquième étape de construction de l'aéroport de Zurich en cours de réalisation va permettre de suivre le rythme de croissance prévue dans les prochaines années, à savoir 4% par année. Photo: Keystone La croissance des revenus de l'économie générée dans la Pour les 20 prochaines années, Airbus In- l'aéroport. La population locale est de plus en région zurichoise par l'aéroport dustries prévoit une croissance de l'ordre de plus sensible à ces nouvelles nuisances. Elle en dépasse nettement celle des 5% par an de la demande globale de transports a pris conscience plus particulièrement à l'oc- aériens exprimée en nombre de passagers. Le casion du changement temporaire du régime coûts externes qui lui sont taux de croissance prévu pour la Suisse par de décollage et d'atterrissage, nécessité par la actuellement imputables. l'Institut du Transport Aérien à Paris (Pavaux cinquième étape de construction, puis de la et al., 1998) ne se situe que légèrement en deçà renégociation de l'accord avec l'Allemagne. Il est en revanche beaucoup plus à 4%. La cinquième étape de construction de Dans ces circonstances, il est indispensable difficile de déterminer la taille l'aéroport de Zurich,actuellement en cours de de mener de nouvelles études sur l'importance réalisation, va permettre de suivre le rythme du trafic aérien et des aéroports en Suisse afin optimale de l'aéroport et de de croissance prévue dans les prochaines an- d'évaluer et de prévoir correctement les be- mesurer son influence en tant nées, d'autant que le nombre des départs et soins à venir en infrastructure. La littérature des arrivées d'avions n'augmentera pas dans spécialisée internationale propose avec la no- que plate-forme aéroportuaire les mêmes proportions.Cependant,le double- tion d’étude d'impact économique une mé- («hub»). Des recherches ment du nombre de passagers auquel on s'at- thode qui permet d'analyser la valeur ajoutée tend va inévitablement entraîner une certaine produite par les aéroports. Celle-ci ne peut supplémentaires sont donc augmentation du trafic aérien et,par là même, néanmoins pas servir de base aux décisions nécessaires.1 du bruit et de la pollution dans la région de politiques à long terme. Pour ces dernières, il faut une étude systématique du rapport coûts/ bénéfices,soit un instrument économique qui n'a jusqu'à présent été que rarement appliqué au domaine des aéroports. Ces deux instru- ments ont justement été utilisés dans le cadre de la présente recherche. Daniel Sager Silvio Graf MSc., conseiller Chef du service de recher- scientifique, Dürnten che en politique écono- Impact économique et étude du rapport 1 Le présent rapport est un résumé de l’étude «Volkswirt- mique, Département schaftliche Auswirkungen des Flughafens Zürich» (2000), coûts/bénéfices établie par le service de recherche Espace économique d'économie et de de la Haute école spécialisée de Zurich-Winterthour gestion, Haute école Par le passé, de nombreux aéroports inter- (ZHW), sur mandat du comité «Weltoffenes Zürich». spécialisée de Zurich- nationaux ont fait l’objet d’études d’impact. Toutes références littéraires et sources sur le thème Winterthour, Winterthour abordé se trouvent dans ce rapport. L'impact économique de l'aéroport de Zurich

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a ainsi été mesuré par le calcul de ses effets di- brute et 25 000 emplois à plein temps. Le rects, indirects et induits sur la production, SwissairGroup se taille ici la part du lion, en l'emploi et la valeur ajoutée produite.Par effets fournissant de nombreux services au sol aux directs, on entend les activités économiques de autres compagnies aériennes. l'aéroport lui-même (y compris du Swissair- Pour estimer les effets indirects, perceptibles Group). Par effets indirects, on entend les acti- dans les activités des transitaires et dans les vités exercées en dehors de l’aéroport en liai- chiffres d'affaires de l'hôtellerie-restauration, son avec le transport de passagers (tourisme) on a repris un questionnaire qui avait été dis- ou le fret aérien. Ces activités directes et indi- tribué aux passagers en 1995 (IPSO, 1996). rectes engendrent des commandes auprès Cette enquête a montré que les passagers dé- d'entreprises tierces ou des dépenses de con- barquant à l'aéroport de Zurich contribuaient sommation privées, qui constituent les effets pour 13% au chiffre d'affaires réalisé en Suisse induits. grâce aux touristes étrangers. En 1999, la On peut certes considérer que l'effet global valeur ajoutée ainsi produite a atteint près de calculé par l'étude d'impact économique re- 700 millions de francs et le nombre d'emplois présente l'utilité économique de l'aéroport, à plein temps correspondants se montait à mais, d'un point de vue économique, seul le 11 000. supplément d'utilité généré par la présence de Pour évaluer les effets induits, qui couvrent l'aéroport par rapport au cas où il n’existerait les activités dérivées et les dépenses de con- pas est significatif à long terme. Celui-ci pro- sommation privée de l'économie en aval, on a vient essentiellement de l'effet d'augmenta- élaboré un tableau entrée/sortie simplifié,afin tion de la productivité produit par un système notamment de séparer les secteurs à forte pro- de transport.Pour calculer cette utilité supplé- duction et les secteurs à faible production de mentaire, il faut comparer la valeur ajoutée valeur ajoutée. On en déduit pour l'année par habitant créée au sein d'une économie 1999 une valeur ajoutée brute induite de près régionale avec aéroport avec celle créée dans le de 5,6 milliards de francs et un nombre d'em- même cas de figure sans aéroport.La différence plois en équivalent plein temps correspon- peut être considérée comme étant l'utilité sup- dants de quelque 57 000. Ces énormes effets plémentaire dégagée par l'aéroport. Les coûts induits sont le résultat de l'effet multiplicateur supplémentaires correspondent principale- keynésien,qui est surtout valable pour évaluer ment aux coûts externes du trafic aérien. Le l'impact à court terme des changements struc- résultat de cette analyse coûts/bénéfices donne turels. A long terme, les effets induits dépen- le solde du supplément d'utilité économique et dent de la situation sur le marché des biens et des coûts supplémentaires générés par l'aéro- des services et sur celui des facteurs de pro- port, par rapport au cas de figure sans aéroport, duction. Ils sont donc beaucoup moins im- pour la région circonvoisine de l'aéroport de portants. Zurich. En résumé, les effets directs, indirects et in- duits de l’aéroport de Zurich-Kloten représen- taient en 1999 environ 6% du revenu du canton L’importance de l’aéroport selon de Zurich et 2,3% du produit intérieur brut l’impact économique suisse,ce qui correspond à 93 000 emplois à plein Pour mesurer les effets directs de l'aéroport temps environ. Si la répartition régionale des de Zurich, on a demandé à toutes les entre- effets induits peut être calculée exactement en prises privées ou publiques y opérant des in- ce qui concerne les mandats attribués aux formations concernant l'emploi,la création de entreprises de l’aéroport, on ne peut faire valeur et les prestations fournies,ainsi que leur qu’une estimation des maillons suivants.Mais organisation régionale. Les résultats de cette on peut admettre que la moitié environ de la enquête ont montré que l'aéroport génère près création brute de valeur est le fait du canton de de 2,7 milliards de francs de valeur ajoutée Zurich, et l’autre moitié du reste de la Suisse.

Tableau 1 Valeur ajoutée brute de l’aéroport de Zurich (en millions de francs)

Région de l’aéroport Canton de Zurich Reste de la Suisse Total Directe2717––2717 Indirecte 210 15 463 689 Induite 729 598 4276 5603 Total 3657 613 4739 9009

Source: ZHW / La Vie économique

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Graphique 1 Passagers privés suisses passant par Zurich par personne, selon la région, 1999

Aéroports: Ulm Augsburg ZRH = Zurich München Rottweil BSL = Bâle Sigmaringen Colmar Villingen GVA = Genève Memmingen Schwenningen MXP = Milan Freiburg i.B. Ravensburg Mulhouse Kempten Belfort

BSL Winterthur ZRH Zürich Aarau St.Gallen Besançon Innsbruck Biel Luzern Chur Vols privés via ZRH Meran Fribourg par personne, 1999

Lausanne St.Moritz 0-0.05 Bolzano 0.05-0.15 GVA 0.15-0.35 Genève 0.35-0.65 Zermatt Trento 0.65-1 Annecy 1-1.5

Como Bergamo MXP

0 50 100 150 kilomètres Source: ZHW (2000) / La Vie économique

Analyse coûts/bénéfices région et calcule la durée du voyage en voiture jusqu’à l’aéroport au moyen d’un système Pour juger, sous l’angle de la politique d’information géographique. En utilisant des structurelle, des effets économiques d’une in- taux modérés de coût du temps, le bénéfice frastructure de transport, on peut recourir à pour les passagers privés se chiffre à 378,5 mil- l’analyse coûts/bénéfices.La littérature spécia- lions de francs. lisée, notamment l’analyse coûts/bénéfices de Pour la région,l’effet sur la productivité dé- la Federal Aviation Association (1999), donne coulant de l’installation ou du maintien sur une base,un fil rouge.Cette analyse est surtout place d’entreprises à forte valeur ajoutée est utile en matière d’investissement dans l’infra- plus important encore que le gain de temps des structure aéroportuaire. On enregistre du côté passagers privés. De nombreuses études con- des gains la diminution des temps de voyage et firment l’importance de la proximité des trans- d’attente et du côté des coûts la protection ports, notamment des transports aériens, contre le bruit ou la réduction des émissions comme facteur d’implantation (notamment polluantes. Cependant, le but de notre étude l’étude mandatée par le Conseil d’Etat de était surtout de comparer les coûts et bénéfices Zurich, 1995; ZHW,1999). d’une situation, pour la région circonvoisine A l’occasion de notre étude, nous avons pu de l’aéroport par rapport à une situation sans étayer ces résultats par un sondage représen- aéroport. Pour juger de la question, il faut tatif effectué auprès de jeunes entreprises et inclure aussi l’augmentation de la produc- d’entreprises qui avaient déménagé,et par une tivité de l’économie régionale, qui est assez enquête qualitative auprès de grandes entre- difficile à quantifier. prises multinationales. Un modèle statistique La première composante utile que nous basé sur le recensement des exploitations de avons calculée est le gain en temps de voyage 1998 permet en outre d’isoler l’effet de l’aéro- que font les passagers suisses habitant la zone port sur les groupements de branches suisses. attenant à l’aéroport de Zurich.La base du cal- Selon nos évaluations, la proximité de l’aéro- cul nous a été à nouveau donnée par l’enquête port est particulièrement importante pour les effectuée en 1995 auprès des passagers (IPSO, banques et les assurances, puis pour l’indus- 1996),qui met en évidence leur répartition par trie des machines, le commerce de gros, l’in-

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ce côté à un gain en termes de création de valeur d’environ 360 millions de francs. Dans nos calculs , nous n’avons pas tenu compte du gain de temps des voyageurs pour affaires. Il s’agit là en effet d’un gain de productivité. La valeur du gain de temps pur est cependant inférieure à ce que disent les chiffres. Ces gains supplémentaires doivent être mis en regard des coûts externes: bruit, pollution de l’air, modifications du climat, risques d’accident,etc.Pour les quantifier,nous avons pratiquement renoncé à nos propres enquêtes ou évaluations pour ne retenir que les études existantes, notamment celle de Banfi et al. (2000). Celle-ci calcule les coûts externes de l’ensemble du trafic aérien suisse en 1995, que nous avons proportionnellement rapportés à Zurich pour l’année 1999. Le nœud du pro- blème réside ici dans l’évaluation de l’effet sur

le climat, et de la quantité de CO2 dégagé. Le résultat varie considérablement selon la base utilisée. Sur le fond, il faut dire qu’en étudiant Photo: Keystone Les effets directs, indirects et induits de un seul aéroport, comme nous l’avons fait ici, l’aéroport de Zurich représentaient en 1999 on pourrait tout aussi bien laisser de côté la environ 6% du revenu du canton de Zurich. La moitié estimée environ de la création brute modification du climat,puisqu’en détournant de valeur est le fait du canton de Zurich, formatique et les entreprises de services. Sans le trafic sur d’autres aéroports, on ne dimi- et l’autre moitié du reste de la Suisse. aéroport, l’emploi dans ces branches serait nuerait guère la masse globale des émissions

assurément moindre dans sa région circon- de CO2. voisine. Cette différence en termes d’emploi Au final, en mettant en balance les gains dans les branches qui produisent plus que la supplémentaires et les coûts externes, on ob- moyenne sert de base pour apprécier le sup- tient un solde positif en faveur de l’aéroport de plément d’utilité pour la région induit par Zurich. Mais, comme dans tout calcul de coûts l’aéroport, qui devrait se chiffrer à environ et d'utilité, on fait intervenir de nombreuses 1,7 milliard de francs par an. On peut aussi hypothèses, il reste, on l’a déjà dit, une marge citer l’effet incontestable de l’aéroport sur d’interprétation. Attendu que les résultats le lieu d’implantation de multinationales, concernant les effets économiques sont corro- recoupant partiellement les branches men- borés par deux enquêtes et que l’effet sur le tionnées. A condition d’éviter les comptages climat pourrait être laissé de côté, on peut à double – en se fondant sur une étude de dire que le résultat, qui se traduit par un solde l’OCDE datant de 1999 – on aboutit aussi de positif, est probant.

Tableau 2 Solde des bénéfices et coûts supplémentaires de l’aéroport de Zurich

En millions de francs Bénéfices retirés par les particuliers Gain de temps dans le trajet jusqu’à l’aéroport 355 Gain de temps de voyage grâce aux liaisons directes 24 Bénéfices supplémentaires en termes de revenus Unique Risque de calcul à double SAirGroup1 138 Banques, assurances, informatique, entreprises de services 1704 Entreprises multinationales 366 Industrie: possibilités d’import-export Difficile à quantifier Gain de temps de voyage pour les hommes d’affaires Risque de calcul à double

Coûts supplémentaires

Basés sur «The External Costs of Transport» (Banfi et al. 2000) avec modification des coûts de CO2 1169 Solde des bénéfices et coûts supplémentaires 1418

1 L’estimation pour SAirGroup est fondée sur le bilan de 1999 Source: ZHW / La Vie économique

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Qu’un aéroport devienne ou non une plate- forme aéroportuaire dépend donc du contexte régulateur, de la volonté d’une compagnie aé- rienne de l'exploiter et de celle des dirigeants Graphique 2 d'en proposer la fonction. Une plate-forme Investissements directs étrangers dans divers pays non-européens de l’OCDE1 aéroportuaire ne naît pas simplement d’une (Fortune moyenne 95-96, population 1995) décision politique discrétionnaire. D’un point de vue économique se pose la $ US/habitant question de savoir si le bénéfice social engen- 6000 dré par une plate-forme aéroportuaire justifie Australie Canada Japon Mexique Etats-Unis l’augmentation des coûts qu’elle entraîne. La 5000 réduction des liaisons intercontinentales di- rectes s’accompagnerait à coup sûr d’une ré- duction de l’utilité pour les passagers. Mais ce 4000 qui serait pire, c’est que des entreprises déci- dent de partir ou que de nouvelles entreprises 3000 renoncent à s’installer. Une étude américaine montre qu’il y a un rapport entre la croissance

2000 dans les branches dynamiques spécialisées dans la haute technologie et l’offre de plate- formes aéroportuaires (Button et al.1999).En 1000 raison d’une déréglementation plus tardive, il est prématuré de dire qu’il en va de même en 0 Europe. Le questionnaire soumis à de grandes

e e e e e s e s e s d s s d s i s i s a n s s n s n s n s B entreprises suisses de même que l’analyse de la i i i U i U i - la u u la u - u - u s é S S é S s S s S y Z . . Z . t . t . a - a a P e 2 1 1 t 1 t 1 position de la Suisse sur le plan de l’économie l le E E . l l 2 e e . . v v 2 2 u u extérieure montrent néanmoins clairement o o N N . . 1 2 que la réduction de l’offre à l’aéroport de 1 Il existe un rapport statistique évident entre des investissements directs Source: OCDE, 1999 / La Vie économique Zurich pourrait, dans une économie globali- intercontinentaux réalisés et le nombre des liaisons intercontinentales directes entre deux pays. sée, avoir des répercussions malvenues sur la position de la Suisse. En effet, parmi les membres de l’OCDE, la Suisse est un des plus «To hub or not to hub» importants investisseurs directs sur les autres continents, avec pour corollaire un besoin Tous les résultats indiqués sont admissibles correspondant de liaisons aériennes. Il existe dans cette comparaison «avec» et «sans aéro- en effet dans la zone OCDE, comme le mon- port». Cependant, au niveau du débat actuel, trent les statistiques,un rapport étroit entre les l’augmentation du trafic et la grandeur de investissements directs et l’offre de vols inter- l’aéroport ont davantage de signification. continentaux. Aujourd’hui,Zurich est une plate-forme aéro- Si on admet que les multinationales sont portuaire qui rassemble des passagers de dif- effectivement plus productives que les entre- férentes provenances par court et moyen- prises exclusivement nationales, une interdé- courrier (aéroports de desserte),ce qui permet pendance internationale réduite entraîne aus- de rentabiliser au maximum les liaisons long- si un bénéfice social moindre pour l’économie courrier. Par rapport à un aéroport de des- suisse. serte,une plate-forme aéroportuaire induit un Nous n’avons pas pu définitivement clari- surplus de trafic. Trois aspects sont ici d’im- fier cette question dans le cadre de notre étude. portance: Trop d’éléments fondamentaux font défaut. – une plate-forme aéroportuaire fait preuve Ce qu’on peut dire à coup sûr, c’est que toute d'une offre nettement plus intéressante pour décision de se limiter à servir d’aéroport de les passagers locaux qu’un aéroport de des- desserte s’accompagnerait inévitablement serte: fréquences plus élevées, vols long- d’une réduction de l’importance économique. courrier directs et plus de variantes pour une La perte de valeur ajoutée (à court terme) de- même destination; vrait se situer aux alentours de 25%. – sur le marché déréglementé du transport aérien, les plate-formes aéroportuaires of- Conclusion frent aux compagnies aériennes des avanta- ges concurrentiels; L’aéroport de Zurich-Kloten est d’une très – finalement, sur le marché déréglementé ce grande importance économique pour le can- sont les réseaux des compagnies aériennes ton de Zurich d’abord,mais aussi pour le reste qui décident de l’emplacement de leurs de la Suisse, moins par sa conséquente contri- plate-formes aéroportuaires. bution actuelle à la création de valeur que

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par son rôle de facteur d’implantation faisant que l’évaluation des utilités donne presque augmenter la productivité de l’économie toujours lieu à discussion. En revanche, une zurichoise et suisse dans son ensemble. C’est appréciation des principaux ordres de gran- facile à démontrer et, actuellement, les utilités deur semble faisable.Elle pourrait servir à une externes engendrées dépassent à coup sûr les décision politique et surtout de base de répar- coûts externes. En ce qui est d’évaluer la crois- tition.Par notre étude,nous espérons avoir fait sance future de l’aéroport et sa vocation de un premier pas dans cette direction. plate-forme aéroportuaire, les bases nécessai- res à une prise de décision définitive sont in- suffisantes. Pour clarifier ces questions – sans oublier celle de l’infrastructure des transports aériens en Suisse – il faut procéder à des re- cherches complémentaires dans les domaines suivants: – actualiser les valeurs d’évaluation des coûts en temps; – actualiser les enquêtes auprès des passagers; – estimer plus précisément les gains de pro- ductivité des multinationales ou des entre- prises tributaires du transport aérien; – actualiser la mesure et l’évaluation des coûts externes; – procéder à une appréciation d’ensemble in- Zurich est une aujourd'hui une plate-forme aéroportuaire, qui rassemble des passagers de tégrant les autres moyens de transport. différentes provenances par court-courrier (aéroports de desserte), ce qui permet de Un calcul concluant des coûts/bénéfices rentabiliser au maximum les liaisons long- pour l’ensemble du trafic aérien suisse n’est courrier. La réduction à un aéroport de desserte s’accompagnera inévitablement pas de l’ordre du possible, notamment parce d’une réduction de l’importance économique.

Photo: /Hannes Saxer

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L’impact économique de l’Aéroport International de Genève

De manière évidente, les aéro- ports jouent un rôle essentiel en termes d’infrastructure de transport, servant à relier par le déplacement de personnes et de Le contenu de cet article est basé sur une appliquées à l’analyse du développement étude d’impact économique entreprise par économique à l’échelon international,notam- marchandises les régions qu’ils l’Aéroport International de Genève (AIG) ment par les organisations gouvernementales desservent avec le reste du dans le courant de l’année 1999 et dont la et les instances du transport aérien.La métho- réalisation a été confiée au cabinet de consul- dologie de l’étude a en particulier été fondée monde. Leur rôle économique tant SH&E, spécialiste mondial du transport spécifiquement sur des directives émanant du majeur sur le développement de aérien.1 L’objectif de ce travail était de disposer Conseil international des aéroports (ACI).3 de données récentes2 afin de déterminer le L’estimation de l’impact économique d’une leur région est par contre un poids économique réel des activités de l’AIG, entreprise sur l’économie régionale requiert aspect en général moins connu, notamment dans le cadre de la demande de re- une approche rigoureuse et la coopération de nouvellement de sa concession fédérale d’ex- l’ensemble des acteurs concernés. En l’occur- voire sous-estimé, par le public ploitation. rence, une enquête sous forme de question- et les milieux politiques et éco- De manière générale, les aéroports jouent naire très complet a été effectuée auprès de non seulement un rôle essentiel en établissant plus de 500 instances et sociétés de la région. nomiques. Une étude réalisée des liens entre les habitants et les marchés, Plus précisément, la totalité des entreprises récemment par l’Aéroport Inter- mais ils agissent également comme généra- basées sur le site aéroportuaire ou ayant une teurs importants d’activités économiques.A la relation directe avec l’Aéroport International national de Genève fait ressortir différence d’autres modes de transport, les aé- de Genève ont été approchées (compagnies que l’impact total – direct, in- roports constituent d’eux-mêmes des pôles aériennes, concessionnaires, agents d’assis- d’emploi physiques très importants. tance, transitaires, etc.). Les entreprises ayant direct et induit – de son activité L’étude s’est basée sur l’impact écono- une relation indirecte ont été interrogées sur la se monte à près de 9 milliards de mique défini comme «accroissement réel de la base d’un échantillonnage représentatif. Bien demande finale de production de biens et ser- que le taux de réponse ait été inégal selon les francs par an sur l’économie lo- vices comme conséquence des activités écono- secteurs, les résultats ont été jugés suffisam- cale et à environ 24 000 emplois miques générées par le fonctionnement d’un ment représentatifs pour permettre une extra- aéroport». En ce qui concerne l’Aéroport polation fiable sur l’ensemble des activités. liés à son fonctionnement. De International de Genève, on a pu déterminer plus, ceci ne tient pas compte clairement que son activité contribue de ma- Définitions nière significative à l’économie des cantons de l’impact catalyseur, non quan- de Genève, Vaud, Fribourg, Neuchâtel, Valais Conformément à l’approche évoquée plus tifié, qui est le pouvoir d’attrac- et Jura, et des départements français voisins haut,les définitions suivantes ont été utilisées, de l’Ain, de la Haute-Savoie, de la Savoie, de permettant une distinction entre les quatre ni- tion que constitue la plate-forme l’Isère et du Jura. L’ensemble de cette région a veaux d’impact économique généralement re- aéroportuaire dans l’établisse- donc été couverte par l’étude. connus: 1. L’impact direct est généré par les activités ment d’activités économiques qui sont en grande partie ou en totalité liées Méthodologie dans sa région. au fonctionnement de l’aéroport et qui se Afin de garantir une approche scientifique situent physiquement sur le site de l’aéro- irréprochable et d’autoriser la comparaison port ou dans ses environs immédiats: auto- avec d’autres études similaires, l’impact éco- rité aéroportuaire (AIG), compagnies aé- nomique de l’AIG a été évalué selon des pro- riennes, agents d’assistance, entreprises de cédures standards unanimement reconnues. catering,sociétés de maintenance,transitai- Il s’agit de méthodes analytiques largement res, concessionnaires, instances officielles (police, douane), etc. 2. L’impact indirect provient de l’activité éco- nomique exercée en dehors du site qui est attribuable à l’aéroport. Les dépenses prin- cipales faites en dehors du site émanent des voyageurs qui viennent dans la région en Yves-Daniel Viredaz tant que visiteurs, à titre privé ou profes- Chef division marketing- sionnel.Ces dépenses portent sur la nourri- communication, Aéroport ture,le logement,les loisirs,les services con- International de Genève nexes, etc.

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instances situées sur le site est estimé à 2,158 milliards de francs et à plus de 6500 emplois à plein temps et à temps partiel.Environ un tiers des postes est occupé par les activités d’assis- tance au sol, un tiers par les activités non aériennes (commerces, services), le reste re- Graphique 1 présentant les autorités, les compagnies aé- Méthodologie de l’étude riennes, l’activité fret, etc. L’impact indirect mesuré en termes de chiffre d’affaires généré par les visiteurs dans la

Données de l'étude Données de sources secondaires zone desservie s’est monté à 2,202 milliards de francs. Le calcul s’est basé essentiellement sur un ratio moyen de dépenses et de durée de sé- jour pour les visiteurs de la région, confirmés Estimations pour les études par les enquêtes et statistiques des instances incluses et les non-réponses touristiques locales. L’impact induit a été défini plus haut comme l’effet multiplicateur des impacts direct et in- direct, c’est-à-dire l’augmentation des emplois Impact catalyseur Impact direct Impact indirect et des recettes résultant des cycles successifs de dépense. Après calcul par recoupement de trois méthodes complémentaires,4 le taux multiplicateur a été fixé à 2,0 dans le cas de Multiplicateur l’Aéroport International de Genève, donnant statistiques un impact induit de 4,360 milliards de francs. Enfin, l’impact économique total de l’AIG – calculé comme la somme des impacts direct, Impact induit indirect et induit – s’est élevé, sur la base des chiffres cités plus haut, à 8,720 milliards de francs pour l’année de référence 1998. Le nombre d’emplois situés directement Impact total sur l’AIG dépasse les 6500, soit 1023 par mil- Source: AIG, SH&E Inc. / La Vie économique lion de passagers par an, c’est-à-dire exacte-

Tableau 1 ment la moyenne observée sur l’ensemble de l’économie des aéroports.5 Selon les standards Aéroport International de Genève: calcul de l’impact économique de l’ACI relatifs à l’impact sur l’emploi des aéroports, les calculs ont montré que l’Aéro- CHF 3. L’impact induit est généré par les cycles ad- port International de Genève génère environ Impact direct 2 158 000 000 ditionnels de dépense des revenus prove- 24 000 emplois, dont plus de 6500 par effet Impact indirect 2 202 000 000 nant de l’emploi direct et indirect. Il reflète indirect et induit et quelque 11 000 par effet Total 4 360 000 000 donc les relations intersectorielles de l’éco- catalyseur. Multiplicateur 2.0 nomie régionale et prend clairement en Impact induit 4 360 000 000 compte un effet multiplicateur sur cette Impact catalyseur et conclusions Impact total 8 720 000 000 économie. Source: AIG, SH&E Inc. / La Vie économique 4. Enfin, l’impact catalyseur couvre les effets Le rôle de l’Aéroport International de Ge- qualitatifs de l’activité aéroportuaire. Il nève en tant que catalyseur de l’activité écono- montre qu’un aéroport attire des activités mique de la région a été également confirmé qui n’ont pas de relation intersectorielle par cette recherche. Des entretiens qualitatifs avec l’activité aéroportuaire, mais qui met- avec des dirigeants du secteur international, tent à profit les services aéroportuaires. Il public et privé, dans la région ont permis de fait l’objet d’entretiens qualitatifs permet- souligner le rôle prépondérant que joue une tant de recueillir une appréciation de la part desserte aérienne aussi complète que possible d’entreprises ou d’organismes sur le rôle de dans l’installation ou le développement des l’aéroport dans leur établissement dans la activités d’une multinationale ou d’une orga-

région et dans l’exercice de leur activité. 1 L’étude complète n’est pas publique; un résumé est néanmoins disponible sur le site de l’AIG: www.gva.ch. 2 La dernière étude de ce genre a été effectuée en 1980. Résultats globaux de l’étude 3 Voir ACI EUROPE, The Economic Impact Study Kit, 1993. 4 Analyse input-output de l’économie suisse, raisonnement par a- nalogie sur la base des multiplicateurs d’aéroports comparables Sur la base des chiffres recueillis par les fournis par l’ACI et recours à la catégorisation fournie par le sources primaires, l’impact direct mesuré en Department of transport américain dans le cadre de ses directives pour les études d’impact économique. termes d’emploi et de chiffre d’affaires réalisé 5 Voir ACI EUROPE, Emploi et prospérité en Europe –Etude sur l’impact par l’aéroport et l’ensemble des entreprises et économique et social des aéroports, septembre 1998.

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nisation internationale. Une analyse d’études faible coût (low-cost), au départ et à destina- effectuées par des grands cabinets actifs dans tion de Genève, prouve également le rôle que l’implantation de sièges d’entreprises con- l’Aéroport International de Genève a su pren- firme la présence d’un aéroport à dimension dre dans le secteur des loisirs et du tourisme internationale dans les tout premiers critères pour l’ensemble de sa zone de chalandise. décisifs appliqués par les entreprises de réfé- Tableau 2 rence. Impact de l’Aéroport International Cette étude a donc permis de confirmer le de Genève sur l’emploi rôle primordial joué par l’AIG dans l’implan- tation et le déroulement quotidien des activi- Nombre de passagers 6 440 000 (lignes et charters, 1998) tés de l’ensemble du secteur international, Emplois constitué – rappelons-le – par 150 organisa- Emploi direct 6 587 tions internationales et ONG établies princi- par million de passagers 1023 palement à Genève et plus de 200 multinatio- Impact direct 6 587 nales privées installées dans la région,incluant Impact indirect et des centres décisionnels ayant une responsa- Impact induit 6 587 bilité stratégique à l’échelle du globe ou au Impact catalyseur 10779 moins de plusieurs continents. Impact total 23 953 Les caractéristiques du trafic aérien, passa-

Sources: AIG, SH&E Inc. / La Vie économique gers et fret, sont des indications importantes de la valeur d’un aéroport pour l’économie locale. Ainsi, la proportion relativement forte en comparaison internationale de passagers en classe affaires, la valeur élevée du fret et le rôle des opérateurs de l’aviation générale indi- quent également que l’AIG est un centre im- portant de communication pour le tissu éco- nomique. L'aéroport a un rôle primordial à jouer dans Enfin, la croissance récente du nombre de l'attractivité internationale du site de Genève. voyageurs d’agrément et de l’offre du trafic aé- Plus de 150 organisations de l'ONU et organi- rien à vocation touristique en termes de vols sations non gouvernementales (ONG) de même que plus de 200 multinationales privées sont charters et de vols de ligne de compagnies à établies dans la région de Genève.

Photo: Keystone

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Que faire pour que le transport aérien devienne durable?

L’utilité fondamentale du trans- port aérien ne fait aucun doute d’un point de vue économique et social. Le présent article ne reviendra pas sur ces aspects, mais traitera en revanche plus profondément des aspects écolo- giques du trafic aérien. C'est ainsi que le bilan de CO2 intérieur de la Suisse a dû être corrigé à la hausse, car les vols effectués par les Suisses chaque année à l'étranger dégagent au bas mot 6 millions de tonnes de dioxyde de carbone, soit quelque 15% du total des émissions nationales.

Au niveau régional – notamment En 1998, les vols effectués par les Suisses – surtout à l’étranger – représentaient 32 milliards de personnes-kilo- mètres, dont 70% environ entraient dans le cadre des loisirs. (En illustration: des masses de touristes sur le chemin aux environs des aéroports de des vacances à l'aéroport de Zurich.) Photo: Keystone

Zurich, Bâle et Genève – une Déplacements aériens des Suisses Déjà aujourd'hui,l’ensemble des vols effec- tués par les Suisses (y compris les voyages pollution sonore massive A la fin des années nonante (1998), les vols d’affaires,le transport aérien de marchandises s'accompagne d’une nette dé- effectués par les Suisses – surtout à l’étranger – et les vols intérieurs) contribue de manière représentaient 32 milliards de personnes-kilo- déterminante à la dégradation du bilan envi- gradation de la qualité de vie. mètres (tableau 1, colonne 8), dont 70% pour ronnemental suisse. Ces vols au départ de la Des solutions novatrices pour un raisons de loisirs, comme il ressort d'une ana- Suisse dégagent au moins 6 millions de tonnes lyse du marché suisse du voyage (tableau 2, sur les 44 millions de tonnes de dioxyde de car- transport aérien respectueux de colonne 5). bone émises sur l’ensemble du territoire. Cela l'environnement vont devenir Le tableau 2 montre que la plupart des vols représente 15% des émissions nationales de à destination de l’étranger sont effectués dans CO , soit presque une tonne par habitant et une question de survie écono- 2 le cadre des vacances: la répartition modale par an. Selon toutes probabilités, la part du mique. En partant des potentiali- (c.-à-d. la part de chaque mode de transport trafic aérien passera à 30% du fait de la conti- au transport global) des déplacements suisses nuité et de la vigueur de la croissance écono- tés techniques qui existent en à l’étranger penche clairement en faveur du mique (Meier 2000a; Kaufmann, Meier, Ott faveur d’un développement trafic aérien qui, calculé en passagers-kilo- 2000). mètres, en représente environ 80%. Les pollutions environnementales régio- durable, on examinera les mesu- nales sont tout aussi inquiétantes. A Zurich, res qui pourraient être arrêtées. même ceux qui habitent loin de l’aéroport se plaignent du bruit. Il suffit de citer les exigen- ces de la population résidant au sud de l’Alle- magne, qui a obtenu une limitation quantita- tive et horaire de la circulation aérienne grâce à la conclusion du nouveau traité. Les 2 milli- ards de dédommagement qui seront versés ces Ruedi Meier dix prochaines années aux habitants des zones économiste consultatif limitrophes des aéroports de Genève et Zurich et aménagiste, Berne pour cause de nuisance sonore ne calmeront (Adresse: Bolligenstrasse 14b, 3006 Berne, Adresse pas des esprits «chauffés à blanc». Les émis- électronique: ruedimeier sions de substances nocives (et notamment @bluewin.ch, Internet: d'oxydes d'azote), à Zurich, dues au trafic aé- www.ruedimeier.ch) rien mais aussi à la liaison au sol entre l'aéro-

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port et la ville, dépassent les limites fixées par les zones les moins peuplées. Ces luttes de ré- la loi et doivent donc être réduites,sur décision partition régionales risquent de réduire à une du tribunal fédéral. peau de chagrin l’espace vital et économique Une discussion interne sur un trafic aérien des perdants. plus respectueux de l'environnement a entre- temps été engagée. D'un côté, on voudrait sta- Point de la situation biliser le nombre de vols et interdire davantage les vols de nuit; de l'autre, on prévoit que Le trafic aérien présente des spécificités les vols et les passagers doubleront dans les dont il faut impérativement tenir compte lors dix prochaines années. Les discussions pro- de l’élaboration d’une stratégie de développe- mettent d’être particulièrement houleuses à ment durable: Zurich en ce qui concerne la dimension de – Le trafic aérien est hautement productif, ce la plateforme aéroportuaire et le choix «judi- qui en soi est positif: avec un coût d’environ cieux» de couloirs de décollage et d’atterris- 10 à 15 centimes par personnes-kilomètres, sage,dont l’importance est incontestable pour il est actuellement meilleur marché que les personnes concernées. Il va de soi que le d’autres moyens concurrents comme le nombre des personnes lésées doit être réduit transport ferroviaire,avec un taux d'environ au strict minimum et qu’il importe de survoler 30 centimes, ou le transport individuel

Tableau 1 Le trafic aérien en Suisse en 1998

(1) (2) (3) (4)1 (5)1, 2 (6)1 (7)1 (8) Destination Vols de ligne Charters Total vols Distance Total voyages Part du trafic Part du trafic de ligne + totale d’affaires + aérien indigène national charters de l’étape voyages de loisirs 60% de 60% de (2) + (3) (4) x (5) (6) (7) millions de Pkm millions de Pkm millions de Pkm Facteur millions de Pkm millions de Pkm millions de Pkm Genève 5 580 571 6151 1.5 9 226.0 5 535.6 3 321.4 Sion 1 4 5 1.5 7.5 4.5 2.7 Lugano 51 0 51 1.5 76.5 45.9 27.5 Berne 87 3 90 1.5 135.0 81.0 48.6 Zurich 45 505 5 456 50 961 1.5 76 441.5 45 864.9 27518.9 Bâle 1071 1633 2704 1.5 4 056.0 2433.6 1460.2 Saint-Gall/Altenrhein 28 4 32 1.5 48.0 28.8 17.3 Total 52 323 7671 59 994 1.5 89 990.5 53 994.6 32 396.8

1 Chiffres fondés sur des études (IPSO/Unique Airport) et des renseignements fournis par des experts Source: Swiss Civil Aviation 1998, Office fédéral de l’aviation civile 1999, Meier 2000a / 2 La multiplication par le facteur 1.5 prend en considération le fait que les colonnes (2) et (3) La Vie économique ne prennent en compte que les parcours au départ de la Suisse jusqu’au prochain aéroport, tout en excluant les vols de correspondance et les circuits. Ces trajets sont pris en compte dans la colonne (6) laquelle inclut le facteur multiplicateur estimé de 1.5.

Tableau 2 Répartition modale des distances parcourues en millions de passagers-kilomètres (Pkm), 1998

(1) (2) (3) (4) (5) (6) (7) Total TIM1 Chemin de fer Avion Bus/car/voiture postale Autres Pkm % Pkm % Pkm % Pkm % Pkm % Pkm Suisse 2 208 76.0 1678 20.0 442 0.2 4 2.7 60 –– Pays voisins 5120 60.7 3109 16.1 826 34.6 1772 13 666 0.48 25 Europe du Sud 4 410 9.4 414 1.5 65 82.2 3 625 4.5 198 1.73 76 Europe du Nord-Ouest 960 19.7 189 8.6 83 63.0 605 5.5 53 0.9 9 Scandinavie/Europe du Nord 720 25.0 180 12.9 93 56.0 403 0.0 0 4.3 31 Europe orientale 540 20.0 108 7.8 42 55.7 301 15.7 85 0.0 0 Afrique du Nord/Proche-Orient 720 4.2 30 6.0 43 88.6 638 0.0 0 0.0 0 Amérique du Nord et centrale 8 100 3.3 267 0.3 24 95.6 7 744 0.3 24 0.6 49 Amérique du Sud 1 200 0 0 100.0 1 200 0.0 0 0.0 0 Afrique 1 200 0 0 99.8 1198 0.0 0 0.0 0 Asie/Australie/Pacifique 6 750 1.5 101 1.0 68 96.9 6 541 0.0 0 0.5 34 Total 31928 6 077 1685 24 030 1086 223 Moins le total Suisse 2 208 1678 442 4 60 0 Total sans la Suisse 29720 4 399 1243 24 026 1026 223

1 Transport individuel motorisé Source: Laesser et al., Marché du voyage suisse en 1999, Meier 2000a / La Vie économique

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Photo: skyguide/Hannes Saxer Si on prend en considération les vols effectués par les Suisses à l'étranger et leurs 6 millions de tonnes de dioxyde de carbone par année, soit quelque 15% du total des émissions, motorisé (automobiles), avec 50 à 80 centi- des mesures régionales spécifiques, qui per- il a fallu corriger à la hausse le bilan de CO2 intérieur de la Suisse. mes par personne. Le trafic aérien offre des mettent de tenir compte des spécificités de avantages en confort et en sécurité (sur l’en- chaque aéroport et de leurs différents at- semble des kilomètres parcourus) incontes- traits, comme la proximité de la ville, la tables,sans parler du gain de temps.Il main- densité des bâtiments ou la disponibilité de tient son niveau élevé de productivité même fonds pour des mesures environnementales. si l’on impute à ses concurrents leurs coûts spécifiques externes et les prestations publi- Potentialités techniques pour un ques (subventions). développement durable du trafic aérien – Les transports aériens sont soumis à une vive concurrence et à un rythme d’innova- Les transports aériens ont enregistré des tion soutenu. Ils mettent souvent à rude progrès techniques considérables au cours des épreuve tant le personnel que les avions et dernières décennies, notamment grâce à la l’environnement, et c’est là le revers de la pression de la concurrence.La sécurité a énor- médaille. Certaines compagnies aériennes mément progressé, la consommation de car- n’ont qu’une étroite marge de manœuvre burant a diminué de moitié pour se situer ac- pour fournir des prestations spéciales.Il faut tuellement en dessous de 5 litres de kérosène s’attendre à de nouveaux ajustements struc- par personne et par 100 kilomètres, et les turels dans cette branche, en raison de la nuisances sonores de chaque vol ont pu être forte progression du volume du trafic. réduites d’environ 70%. – Les transports aériens sont axés sur le trafic Les centres de recherches, les fabricants international, et c’est à ce niveau qu’il con- d’avions et de réacteurs et l’UE s’accordent à vient d’harmoniser les différentes mesures à dire qu’en dépit des progrès effectués, un po- adopter, pour des raisons d’ordre juridique tentiel technique non négligeable existe au et/ou économique. Cela peut être la cause chapitre des transports aériens durables. Les d’énormes déperditions d’énergie. Les me- maîtres mots sont savoir-faire accru, nou- sures prises localement devraient l’être dans veaux matériaux, technologie et méthodes. une perspective internationale pour éviter Au début de l’année, l’UE1 a lancé, en colla-

1UE, Aeronautical Research&Technology for Europe in the les erreurs de dotation. Il ne faut en aucun boration avec les fabricants d’avions et de 21st Century, Bruxelles, 2001. cas rejeter sans même les avoir examinées réacteurs, un ambitieux programme de mise

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Photo: Keystone Les centres de recherches, les fabricants d’avions et de réacteurs et l’Union européenne (UE) s’accordent à dire qu’en dépit des progrès techniques auxquels on est arrivés ces der- nières décennies, un potentiel technique non en œuvre des potentiels techniques inexploi- des déplacements en train optimisés plutôt négligeable existe encore au chapitre des tés.L'objectif est de réduire de 80% d’ici à 2020 qu’en avion; il en irait de même pour ceux qui transports aériens durables. 2 les émissions de NOx et de 50% les émissions partent pour des vacances nécessitant de 8 à 3 de CO2 par places assises-kilomètres. Le ni- 10 heures de route. Sur les 30 milliards de pas- veau de bruit général doit passer en dessous de sagers-kilomètres totalisés par les vols aller-re- 20 décibels (dB), dont 13 grâce à des mesures tour de la Suisse vers des destinations euro- de réduction à la source (avions, réacteurs). péennes (Meier, 2000a), il serait possible d’en Une gestion de la circulation aérienne mo- transférer approximativement un cinquième derne,assistée par ordinateur,offre de nouvel- voire un quart au rail. Ces chiffres représen- les possibilités, notamment celle d’optimiser teraient 6 à 8 milliards de passagers-kilomètres, l’utilisation des avions. Cela signifierait, par soit le double et même le quadruple des voya- rapport à aujourd’hui et une fois que les po- ges ferroviaires internationaux à partir de la tentiels techniques auront été épuisés, une Suisse – en prenant le niveau de départ le plus diminution du bruit de plus de 80%. La crois- bas. Mesuré à l’ensemble des vols aller-retour sance des nuisances sonores en raison de celle au départ de la Suisse,c’est-à-dire 90 milliards pronostiquée des transports aériens (30% de de passagers-kilomètres (Meier, 2000a),le po- vols en plus d'ici à 2010) pourraient être ra- tentiel de transfert reste en effet sous la barre menées bien au-dessous de son niveau actuel. des 10%. Ce potentiel se présente sous un Les émissions de bruit se limiteraient aux en- meilleur aspect si l’on considère le nombre de virons directs de l’aéroport. Selon l’UE, la vols et de passagers, avec des valeurs allant de population vivant à proximité d’un aéroport 10 à 20%. Ce transfert ne sera cependant pos- ne devrait pas être exposée à un niveau de sible que si les transports ferroviaires amélio- bruit plus élevé que dans les grandes villes en rent leurs prestations en matière de prix, de général. qualité et de services.Une percée en ce domaine En Suisse, il est question de réduire les devrait voir le jour au plus tôt dans dix ans, émissions dues aux avions en transférant au lorsque les grands investissements en cours rail le trafic aérien de courte distance, l’idée dans le réseau ferroviaire auront été réalisés

2 Emissions d'oxydes d'azote. étant que pour des voyages d’affaires n’excé- (rail 2000, NLFA, Rheinland, Strasbourg- 3 Emissions de dioxyde de carbone. dant pas 4 heures, les voyageurs accepteraient Paris, etc.).

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Sans mesures ni incitations, renforcement des normes et leur multiplica- pas de résultat tion par un facteur d'environ 2 (moins 20 à 25 dB).Des avions très récents (même s’ils sont Les ressources considérables de la tech- encore peu nombreux) respectent déjà cette nique ne peuvent être utilisées que si les acteurs limite; ce serait une véritable impulsion à l'in- principaux directement impliqués dans le troduction d’avions silencieux sur le marché. transport aérien, à savoir les compagnies aé- Les propositions connues jusqu’ici dans le riennes et les fabricant d’avions, reçoivent des cadre des négociations de l’OACI sur le retrait signaux clairs les invitant à en tirer parti. Les de la circulation des avions les plus bruyants hausses des prix de l’énergie dans les années 70 (ceux relevant du chapitre II) ne promettent et 80 ont poussé les compagnies aériennes à pas mieux. Ceux-ci resteront en service s’intéresser à des avions à faible consomma- jusqu’en 2006, selon les propositions de la tion en raison du prix élevé du kérosène, qui prochaine assemblée générale de l’OACI. En représentait environ 15% des coûts généraux Suisse, ces avions de chapitre II ne sont plus d'exploitation.L’effort de développement s’est autorisés depuis 1995; à Zurich,il y en a moins concentré en premier lieu et avec succès sur d’un pour cent. Il est à espérer que la déléga- des réacteurs économes. Mais les potentialités tion suisse mettra tout en œuvre pour que des techniques de réduction de la consommation normes et des conditions d'admission plus de carburant ont été pratiquement toutes épui- efficaces soient adoptées lors de cette 33e as- sées. L’augmentation du trafic compensera les semblée générale de l'OACI. réductions possibles dans ce domaine et il y aura, dans l’absolu, une augmentation de la Les espoirs doivent être placés dans consommation de carburant et des émissions la politique d’achat des compagnies aériennes de CO2. On peut placer de très grands espoirs dans la politique d’achat des compagnies aériennes. Que va apporter la 33e assemblée générale Par le passé,celles-ci ont toujours misé sur des de l’OACI en automne 2001? avions peu bruyants et efficaces d’un point vue Face à la réduction de la consommation de énergétique (même si ce n'était pas toujours carburant, les incitations à réduire les émis- désintéressé). Swissair et ses partenaires se sions de bruit et de NOx n’ont pas été vraiment sont engagés, dans leurs objectifs généraux, à couronnées de succès jusqu’ici. Certes, sur le acheter les avions le moins bruyant et polluant plan international,c.-à-d.à travers l'Organisa- possible. C'est ainsi qu'au milieu des années tion de l'aviation civile internationale (OACI), nonante,la flotte court et moyen courrier a été des valeurs seuils ont été fixées dans le cadre remplacée par des avions particulièrement des conditions d’homologation. Ces valeurs peu polluant, ce qui a entraîné un surplus de sont toutefois loin derrière les possibilités dépenses. A l’avenir aussi, les moyens finan- techniques réelles et n’encouragent guère le ciers devront servir à réduire le bruit et la pol- progrès technique.Les réductions de bruit ont lution à sa source. Cette politique devrait im- généralement été le corollaire de groupes mo- pérativement être suivie et approfondie en teurs plus efficaces et sont donc allées de pair coopération avec d’autres compagnies aérien- avec une augmentation de l’efficacité énergé- nes. Il serait judicieux d’acheter des avions tique.On mène depuis quelques années des re- qui, comparés à la flotte existante, font moitié cherches intensives sur le bruit, ce qui laissent moins de bruit tout en offrant des valeurs entrevoir de grandes innovations. d'émissions encore plus basses. Les évolutions Il est peu probable à l’heure actuelle que et produits nécessaires sont disponibles. Aux les nouveaux avions silencieux suscitent une compagnies d’en profiter. Il devrait être pos- véritable demande, en raison de l’absence de sible de maîtriser l’augmentation de quelque normes strictes sur le bruit dans le cadre des 30% des vols jusqu’en 2010 en réduisant nota- conditions d’homologation internationales. blement le niveau général de nuisances so- Certes, il est prévu de créer une nouvelle caté- nores. En achetant des avions peu bruyants, gorie de bruit (chapitre IV) lors de la 33e as- les compagnies aériennes investissent dans semblée générale de l’OACI à l'automne pro- l’avenir. C’est un moyen pour elles de se faire chain. Mais cette catégorie doit être formulée mieux accepter de la population et de main- de façon si peu contraignante (cumul en des- tenir la valeur marchande de leur flotte. sous de 11 dB) qu’elle calmera les ardeurs des concepteurs d’avions peu bruyants, qui de- Mesures d’incitation des pouvoirs publics vront encore attendre pour écouler leurs pro- aux niveaux national et régional: taxes sur duits. Seul un type d’avion récent n'atteindra les nuisances sonores et les émissions pas les normes prévues.Les milieux spécialisés Les pouvoirs publics auront à l'avenir sont unanimes à dire que des valeurs seuils un rôle déterminant d'incitation en faveur beaucoup plus sévères (au moins inférieures à d’avions plus respectueux de l’environne- 14 dB) seraient utiles.Il faudrait tendre vers un ment.C’est leur manière de récompenser acti-

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vement l’œuvre de pionnier des compagnies l’exploitation des potentiels qu’offrent les aériennes. La Suisse, et plus particulièrement techniques existantes au chapitre du dévelop- l’aéroport de Zurich, ont pris ce problème à pement durable. Les querelles de clochers bras le corps et ont introduit une taxe sur peuvent être enterrées pour un temps si la les nuisances sonores et les émissions. Plus de perspective de temps meilleurs, moins bruy- 60 aéroports lui ont emboîté le pas avec la taxe ants et moins toxiques, existe. Une limitation sur le bruit. La Suède a adopté un système radicale du trafic aérien et les incidences similaire à celui de l'aéroport de Zurich. Les économiques et sociales négatives qu’elles en- Encadré 1 deux pays pionniers tentent d'imposer l'intro- traînent ne peut être adoptée de façon précipi- duction de la taxe sur les émissions au niveau tée. Un processus novateur, faisant appel aux Indications bibliographiques européen, avec comme but initial de réussir ressources de la technique, est la promesse –Meier Ruedi (2000), «Nachhaltiger Frei- l'harmonisation des deux modèles de taxe sur qu’un jour, dans quelques années, des trans- zeitverkehr», NFP 41, éditions Rüegger, Zurich/Coire (www.ruegger-verlag.ch). les émissions avant la fin de l'année. ports aériens durables deviendront réalité –Meier Ruedi (2000a), «Daten zum Freizeit- Il ne faudrait cependant pas surestimer l’ef- pour le bien du plus grand nombre. Mais cet- verkehr», NFP 41, M19, Berne. fet d’incitation de la taxe sur le bruit et les te voie ne peut que passer par une politique –Meier Ruedi (2001), Strategie nachhalti- ger Flugverkehr Zurich, Berne/Zurich émissions. L’aéroport de Zurich ne doit verser éclairée et ciblée des compagnies aériennes, (www.ruedimeier.ch). à titre de dédommagement pour les nuisances des aéroports et des pouvoirs publics. –Kaufmann Yvonne, Meier Ruedi, Ott Walter sonores qu’un pour cent de son chiffre d’affai- (2000), «Luftverkehr – eine wachsende res global de 500 millions de francs, soit 5 mil- Herausforderung für die Umwelt», NFP 41, M25, Zurich/Berne lions. 10 000 francs au maximum sont perçus (www.nfp41.ch) pour les avions très bruyants qui décollent tôt le matin (avant 6 heures). La taxe sur les nui- sances sonores n’atteint en moyenne que 1000 francs, et moins d’un quart des avions se voit taxé pour excès de bruit.Par rapport aux coûts globaux d'exploitation, ces taxes sur le bruit n'en représentent qu'un pour cent. Les taxes sur les émissions sont encore moindres. Leur potentiel ne demande qu’à être exploité de façon plus efficace. Les 230 millions de francs que doit verser l’aéroport de Zurich à titre de dédommagement à partir de 2002 devraient se composer pour une plus grande partie des taxes sur le bruit et les émissions au lieu des taxes d’aéroport, qui passeront de 3,50 à 10 francs. Il faudrait taxer plus sévèrement les avions moyennement et très bruyants et récompenser d’un bonus les avions plus silen- cieux (par ex. moins de 25dB chapitre III cumulé). Les compagnies disposant d’avions silencieux seraient ainsi récompensées. Il y a fort à parier que la sélection systématique des meilleures technologies fera école dans les procédures d’acquisition. De même, les liber- tés opérationnelles des avions les moins bru- yants devraient être maintenues, voire éten- dues. Concrètement, les heures marginale, p. ex. entre 22 et 23 heures, devraient continuer d’être traitées de façon souple, mais ne de- meurer ouvertes que pour les avions les moins bruyants. Cela créerait d’autres incitations en faveur d’une politique d’achat progressiste à grande échelle et permettrait à un aéroport de conserver tout l'attrait de son site.

Attitude innovatrice sur le long terme Ces derniers mois,la population de l’agglo- mération de Zurich a considérablement perdu confiance dans la politique des transports aé- riens et il faudra de nouveaux efforts pour la regagner. C’est dire l’importance d’ouvrir et de parcourir de nouvelles voies, et d’imposer

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La coopération systémique rail/air et Rio +10

La coopération en matière de systèmes entre compagnies ferroviaires et aériennes n'avance qu'à pas de fourmi. On en est resté pour l'instant à L'intermodalité existe-t-elle? La croissance se heurtera-t-elle des vœux pieux et à un credo à l'acceptation sociale? On peut débattre longuement sur la notion formulé du bout des lèvres par les d'intermodalité. Aujourd'hui, on s'accorde à Tout porte à croire que le nombre de clients dire que le transport est intermodal lorsque le du marché aérien fera plus que doubler dans milieux industriels et politiques. client le perçoit comme un processus ininter- les vingt prochaines années.C'est précisément Les exceptions confirment la rompu et donc l'accepte. Le seul fait que les ici que l'ATAG voit le besoin de réfléchir au horaires ne sont généralement pas coordon- rôle du transport aérien dans notre société. règle. Mentionnons le projet nés entre sociétés de chemins de fer et com- A la mi-juin, Moritz Leuenberger a défen- «ZugFlug» Bâle/Zurich des pagnies aériennes, signifie déjà un désaveu de du l'accord aérien provisoire entre l'Allema- l'intermodalité. Commander un billet combi- gne et la Suisse devant le Conseil des Etats,sous Chemins de fer fédéraux (CFF) et né train/avion dans une agence de voyage à un concert de protestations. Or, il ne s'agissait le projet Frankfurt/Stuttgart, New York est une entreprise vouée à l’échec car pas seulement de la place économique de Zu- seules quelques gares et compagnies ferroviai- rich,mais de celle de la Suisse toute entière.En mené conjointement par la res figurent dans le système global de réserva- effet,le raccordement de la Suisse à un système (DB), l'aéroport tion des vols. Et si elles y sont mentionnées, de transport international pleinement opéra- c'est parce que les compagnies aériennes pré- tionnel est indispensable, aussi bien pour l'é- de Francfort et la Lufthansa. sentent les liaisons ferroviaires comme des conomie suisse que pour le maintien à long Depuis deux ans, les CFF relient vols par la technique du code-sharing. terme de places de travail.2 Bref il semble que, malgré des initiatives Deux facteurs ont contribué à ce qu'on en les aéroports de Bâle et de Zurich prometteuses mais isolées, on soit encore très arrive aux limitations annoncées des vols dans toutes les deux heures, voire loin du compte. On comprend que le passager l'espace aérien allemand. D'une part, les égoïs- ne consente à passer d'un moyen de transport mes nationaux résultant de la souveraineté (au toutes les heures aux heures de à un autre que s'il n'en résulte aucun désavan- demeurant incontestée) des Etats sur leur pointe. Le projet DB existe depuis tage pour lui en termes de déroulement du espace aérien,d'autre part,le refus catégorique voyage, de réservation, de confort et de durée. du trafic aérien par une frange de la population le printemps de cette année. – une minorité protestant à haute voix se fait L'enregistrement à la gare est Mais le temps travaille en faveur mieux entendre qu'une majorité silencieuse. de l'intermodalité La combinaison de ces deux facteurs cons- possible jusqu'à 30 minutes Plus on aura conscience que les ressources titue un mélange hautement explosif dans le avant le départ du train, où le infrastructurelles s'amenuisent, plus le thème champ de tensions que sont les relations bila- de la coopération entre systèmes aura le térales. On a peut-être sous-estimé l'influence client reçoit sa carte d'embar- vent en poupe. Des organisations spécialisées indirecte des protestations de citoyens sur les quement jusqu'à destination comme le Air Transport Action Group (ATAG)1, capacités des aéroports. Une fois que l'on fait coalition mondiale de plus 80 entreprises et appel aux tribunaux ou aux ministres des (de son vol). Les bagages sont organisations du transport aérien,voient dans transports, il est généralement trop tard pour transportés avec le passager et l'intermodalité une contribution importante des compromis sensés. Du temps précieux est à la solution des problèmes croissants liés à gaspillé. Et tous ceux qui doivent leur place transbordés aux aéroports de Zu- l'augmentation du trafic aérien. de travail à l'existence de l'aéroport sont rich et de Francfort. Là où le bât 1 L'auteur est directrice d'ATAG. perdants, employés, passagers, compagnies 2 En 1998, la branche procurait 28 millions de places de travail, réali- aériennes,l'économie tributaire de l'aéroport. blesse, c'est que les compagnies sait 1360 milliards de $US de chiffre d'affaires brut et assurait le transport de 40% de la valeur totale des biens exportés. Source: On ne s'étonnera donc pas que l'image du aériennes impliquées dans ce ATAG, The economic benefits of air transport, 2000. trafic aérien ait considérablement souffert de la multiplication des protestations au cours de projet ont jusqu'ici maintenu ces dernières années, alors même que, dans le une partie de leurs vols sur ces même temps, les prestations à la clientèle et l'écobilan s’amélioraient nettement.3 mêmes trajets. 3 Au cours des 30 dernières années, l’impact sonore des décollages et atterrissages a diminué de 85%. A l’aéroport de London Heathrow Martina Priebe, par exemple, le trafic a augmenté de 60% alors que le niveau sonore diminuait des 4/5 entre 1974 et 1997. La flotte aérienne mondiale Directrice du Air trans- est actuellement 65% plus performante par kilomètre-passagers port action group (ATAG), qu’en 1970. Elle utilise en moyenne 3,5 litres de carburant par pas-

Genève sager transporté sur 100 km. Les émissions de CO2 ont également diminué en proportion.

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Graphique 1 s'inscrit dans le cinquième programme-cadre

Emissions de CO2 des différents types de transport en fonction de la distance (2000) de la Commission européenne, portent prin- cipalement sur le trafic routier. Mais peut-on simplement transposer les solutions à un pro- Avion Voiture (1 personne) Voiture (2 personnes) Train blème d'un mode de transport à un autre? kg par passager/kilomètre Les partisans du découplage font usage 0.7 d'arguments bien connus. Ils revendiquent l'internalisation des coûts externes, exigent 0.6 des mécanismes régulateurs et l'introduction de taxes et de redevances. Vouloir freiner la 0.5 croissance par des augmentations de prix re- lève du compte d'épicier. De telles mesures – 0.4 qui sont d'ailleurs toujours au détriment de l'utilisateur – ne peuvent avoir qu'un succès 0.3 mitigé, étant donné le manque d'élasticité à long terme. 0.2 Le transport aérien est largement en me- sure de résoudre par ses propres moyens les 0.1 problèmes liés à la croissance.Il devra bien sûr aussi assurer ses arrières.Les initiatives indivi- 0.0 duelles se heurtent à des limites,notamment là 160 kilomètres 400 kilomètres 800 kilomètres 1500 kilomètres 6000 kilomètres où l'Etat mène la planification et la gestion des Source: SAS, COWI / La Vie économique infrastructures sous sa propre régie; d'où la nécessité pour l'industrie et le politique d'agir 4 Sur l'ensemble des retards liés à la sécurité en vol, 26% Les importants retards enregistrés dans le de concert. Le politique est, en outre et enfin, étaient d'origine directe («primary delays») et 20% indirects (retards consécutifs ou «reactionary delays»). trafic aérien européen ont encore contribué à appelé à créer un système de contrôle aérien Voir Performance review commission, , PRC ternir cette image. Le sommet a été atteint en unifié au niveau européen. Les retards dus à 2, 11/99. 5 United nations environment programme ou Programme 1999, avec un tiers des vols en Europe retardés une politique infrastructurelle défaillante font des Nations Unies pour l'environnement. de plus de 15 minutes. A noter que la moitié que le produit «transport aérien» n'est juste- 6 Organisations non-gouvernementales. 7 SPRITE: Assessment of the most promising measures – de ces retards est imputable au fait que le con- ment pas durable. Separating the intensity of transport from economic trôle du trafic aérien s'effectue encore à l'éche- growth, coordinatrice de projet: université de Leeds. lon national.4 Les compagnies aériennes dé- 8ATAG,Sustainable Aviation, Pre-Study, 5 octobre 2000. Les trois piliers de la durabilité noncent depuis plus de quinze ans l'absence de volonté politique en vue de créer une autorité A Johannesburg, l'ATAG présentera les centrale de régulation du trafic aérien. trois piliers de sa stratégie de durabilité: – une participation optimale du rail (ainsi que de la route et des voies fluviales,là où cela est La durabilité, plus qu'un simple slogan? utile) à la croissance du trafic aérien; Le prochain Sommet de la Terre, qui aura –le rachat d'éco-titres afin d'améliorer l'effica- lieu à Johannesburg en septembre 2002, cons- cité énergétique d'autres entreprises ou do- titue une excellente occasion de se pencher maines (p. ex. commerce des droits d'émis- sur l'avenir du transport aérien. Le plat de ré- sion); sistance des débats Rio +10 sera la durabilité, –la participation de tiers au processus de créa- un processus qui consiste à comparer et à pon- tion de valeur «transport aérien». dérer systématiquement les intérêts écono- miques, les avantages sociaux et les coûts en- Par transport aérien durable, nous enten- vironnementaux. dons «une industrie rentable, où offre et de- L'ATAG est bien positionné. A l'invitation mande concordent sous l'angle de critères so- du très réputé bureau parisien de l'UNEP5,il ciaux, environnementaux et économiques». représentera le transport aérien à Johannes- Dans cette équation, la coopération entre burg. Pour y participer, il faut être disposé à systèmes ferroviaires et aériens représente un dialoguer avec des ONG6 comme «Les amis de des trois piliers de la durabilité. Il s'agit d'ex- la terre» et autres mouvements écologistes. ploiter intelligemment une infrastructure par Il est grand temps d'entamer une discus- la nature des choses limitée. sion franche et objective avec les adversaires Le deuxième pilier, soit la commercialisa- de la croissance. Leurs campagnes souvent tion de l'efficacité énergétique potentielle se- passionnées visent un découplage de la crois- lon des critères écologiques, est peut-être le sance du transport et du développement écono- plus important en terme de durabilité. L'idée mique, un argument contre lequel l'économie d'une bourse écologique en est encore au se doit de réagir. stade initial, mais un nombre croissant Pour l'instant,les études sérieuses sur le dé- d'entreprises de la branche tablent sur le suc- couplage, à l'instar du projet «SPRITE»7,qui cès de ce concept.

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Cela dit, l'éco-efficacité du trafic aérien et l'intermodalité ne sont pas la seule panacée. L'industrie doit être plus transparente dans ses processus de décision et mieux communiquer vers l'extérieur. L'image de la branche est éga- Graphique 2 lement déterminée par le comportement des Emissions sonores suivant les moyens de transport (1997) entreprises individuelles, comme c'est le cas également, d'ailleurs, pour la protection de

m2/pkm*heure l'environnement et pour le domaine social. 40 Une médiation réussie entre adversaires et partisans des aéroports relève également de la 35 durabilité sociale.A ce propos, le processus de médiation qui se joue actuellement à Franc- 30 fort au sujet de la nouvelle piste d'atterrissage

25 et d'envol a valeur d'exemple. Entre-temps, la construction de cette piste a reçu l'aval poli- 20 tique. Il va de soi que les communes riveraines de l'aéroport attendent d'avoir leur part de la 15 plus-value. Une participation matérielle lar- gement redistributrice de croissance est égale- 10 ment une stratégie de croissance. Pour autant, les coûts environnementaux ne peuvent pas 5 être imputés à l'industrie dans leur intégralité.

0 Une politique d'implantation raisonnable Transport aérien Voiture individuelle Autobus Train intercity aurait depuis longtemps déjà empoigné le Source: INFRAS / La Vie économique problème des nuisances sonores à la racine. Malheureusement, ici encore, le politique a échoué en omettant d'élaborer une législation Graphique 3 qui interdise les nouvelles constructions dans Emprise au sol des différents moyens de transport (1997) la zone sensible de l'aéroport.

L'intermodalité est un pas vers la durabilité m2/pkm*an 0.008 Contrairement à une idée largement ré- pandue, le rail n'est nullement supérieur à 0.007 l'avion en termes de protection de l'environ- nement. Certes, la consommation d'énergie 0.006 du transport aérien est relativement élevée; cependant,contrairement à d'autres modes de 0.005 transports, la consommation diminue consi- dérablement avec la longueur du trajet (gra- 0.004 phique 1). Les émissions sonores sont par

0.003 contre nettement plus faibles que celles du rail et de la route (graphique 2). De même, l'utili-

0.002 sation parcimonieuse du sol du trafic aérien est un avantage environnemental souvent né- 0.001 gligé (graphique 3). D'autres études montrent encore que l'avion est le moyen de transport de 0 loin le plus efficace, du point de vue du critère Transport aérien Voiture individuelle Autobus Train intercity de durabilité «temps de voyage», sur une dis- Source: INFRAS / La Vie économique tance moyenne typique comme Amsterdam- Athènes.8 On le voit, l'intermodalité doit être com- prise sous l'angle de l'efficacité économique et non sous celui d'une politique plus respec- tueuse de l'environnement. La coordination des systèmes ferroviaires et aériens n'a de sens que pour les trajets en train ne dépassant pas les trois à trois heures et demie. Ce temps de voyage correspond au tronçon grande vitesse Méditerranée Paris-Marseille, qui vient d'être inauguré.En Suisse également,les CFF sont en passe de réduire substantiellement la durée

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des trajets. Jusqu'en 2012, les CFF partent des sécurité, etc. L'IATA en a déjà posé les bases temps de voyage suivants dans le trafic inter- avec son programme de partenariat. On ob- national de la Suisse avec les centres voisins serve de premiers signes dans le domaine de la (tableau 1).9 réservation des billets et du trafic de paiement. Aussi longtemps que la construction de C'est encore de la musique d'avenir, mais

Tableau 1 nouveaux aéroports sera une rareté – en Eu- l'IATA peut, sur requête à la Commission de la rope, seul un très petit nombre de nouveaux concurrence à Bruxelles, tenter d'obtenir une Temps de déplacement par le rail vers les aéroports internationaux sont prévus – il fau- coordination des prix et des horaires de vol. centres économiques proches de la Suisse dra en effet partager les capacités disponibles Jusqu'ici, les compagnies aériennes n'ont en de sorte qu'elles apportent la plus grande uti- effet pas le droit d'inviter les sociétés de che- Destination Durée Durée (à partir du trajet du trajet lité en termes économiques. Le désengorge- mins de fer aux conférences sur les tarifs et les de Zurich) aujourd’hui en 2012 ment des grands aéroports aura pour effet bé- horaires de vol. Francfort 3 h 50 3 h 30 néfique une répartition plus efficace des temps Quels que soient les résultats de cette étude Munich 4 h 10 3 h 30 d'atterrissage et d'envol (Slots), moins de re- commune, une chose est sûre aujourd'hui Milan 3 h 40 3 h 10 tards et de meilleures offres de prestations des déjà: l'intermodalité passe obligatoirement 2 h 40 (En 2017, avec le entreprises. par la coopération. Pour y arriver, il faut com- tunnel de base du prendre avant tout que la durabilité est plus Ceneri) qu'un slogan. Du concept bilatéral au concept Source: CFF / La Vie économique multilatéral L'ATAG a jusqu'ici soutenu de nombreuses manières les voies bilatérales de l'intermo- dularité.10 Il s'agira, maintenant, d'inciter au développement de la voie multilatérale in- carnée par la coopération au niveau du sys- tème rail/air. L'ATAG était de la partie lorsque le CCFE11,l'UIC12 et l'IATA13 ont noué des contacts dans le cadre de la coopération entre systèmes. Il est également prévu d'élaborer prochainement un cahier des charges de l'in- termodalité grâce à une étude commune à la- quelle la Commission européenne participera 9 Conférence de , directeur de la division trafic longue distance des CFF, 22 septembre 2000, Transports également. ferroviaires versus transports aériens – Stratégie mercatique des CFF, Il existe deux bons exemples de coopération Les avantages de la coopération multilaté- Troisième semaine internationale pour un avenir d'énergie durable. en matière de systèmes entre compagnies rale sont: standards pour le service à la clien- 10 Voir par exemple ATAG, Air rail links – guide to best practice, ferroviaires et aériennes: le projet «ZugFlug» tèle,reconnaissance réciproque des billets,co- septembre 1998. Bâle/Zurich des Chemins de fer fédéraux (CFF) ordination des tarifs et des horaires de vol, 11 Communauté des Chemins de Fer Européens (CCFE). et le projet Frankfurt/Stuttgart, mené conjoin- 12 Union Internationale des Chemins de Fer. tement par la Deutsche Bahn (DB), l'aéroport système de réservation des agences de voyage, 13 International Air Transport Association. de Francfort et la Lufthansa (en illustration).

Photo: Keystone

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Turbulences dans l'aviation suisse

La Vie économique: Les milieux économi- gnifie pas automatiquement avoir raison et ques et politiques nationaux ont vivement criti- surtout obtenir gain de cause. qué les résultats des négociations de Berlin sur Il est probable que les résultats prêtent le la limitation des vols à destination et en prove- flanc à la critique ou soient simplement rejetés nance de Zurich qui empruntent l'espace aérien parce que le public ne connaît pas toujours – et allemand.Aux dires de ces milieux,la délégation je le comprends – le «contexte historique». Les suisse aurait fait trop de concessions; en outre, le résultats des négociations de Berlin mettent plafond de 100 000 vols par année (restrictions tout simplement un terme (provisoire) à un plus sévères pendant la nuit et les week-ends y différend vieux de vingt ans.Par ailleurs,un au- compris) serait contraire tant aux accords bila- tre élément joue certainement un rôle impor- téraux conclus avec l'UE qu'au droit internatio- tant dans ce contexte. En effet, de nombreuses nal public et par conséquent inacceptable pour personnes qui ne s'intéressaient pas ou peu à notre pays. l'aviation se trouvent pour la première fois con- Pourquoi le DETEC et l'OFAC considèrent- frontées aux aspects négatifs du trafic aérien. ils que les valeurs de référence convenues à Relevons également que l'accord bilatéral Berlin par les deux ministres des Transports sont sur le trafic aérien conclu avec l'UE réglemente un compromis acceptable? Les partis bourgeois l'accès au marché des compagnies suisses,mais envisagent de ne pas ratifier l'accord. Quelles se- aussi des transporteurs aériens originaires raient à votre avis les conséquences de ce refus? de seize Etats différents. L'accord passé avec Urs Adam: La recherche de solutions par la l'Allemagne n'a trait en revanche qu'à des voie de la négociation s'avère conforme à questions opérationnelles et de technique du La Vie économique en entretien avec M. Urs l'esprit de bon voisinage,qui caractérise les re- contrôle aérien entre les deux Etats signataires. Adam, directeur-suppléant de l'Office fédéral lations étroites et multiples que la Suisse et Le Parlement devra prendre sa décision en de l'aviation civile (OFAC). l'Allemagne entretiennent dans de nombreux toute liberté, sur la base des faits, des considé- domaines. Elle est de loin préférable à la voie rations politiques et des autres scénarios pos- du droit, parsemée d'embûches telles que les sibles. Je m'en remets ici à sa clairvoyance. arguties juridiques, les querelles politiques ou les risques liés à une procédure de longue La Vie économique: Ce n'est pas la première haleine. On a souvent tendance à ignorer que fois que des critiques s'élèvent contre l'OFAC le fait d'adopter une position juridique ne si- et le DETEC,les accusant de ne pas défendre avec

Le transport aérien fait partie des transports publics. Pour notre petit pays continental, son importance est malheureusement trop souvent sous-estimée. (En illustration: avions en phase de décollage à l'aéroport de Genève). Photo: skyguide/Hannes Saxer

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Photo: skyguide/Hannes Saxer Le Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communi- cation (DETEC) veut, grâce à sa stratégie suffisamment d'engagement nos intérêts écono- est bel et bien, au sein de l'administration globale des transports ainsi qu'au «Plan sectoriel de l'infrastructure aéronautique miques dans le secteur de l'aviation. A titre fédérale, l'office spécialisé compétent pour (PSIA)» approuvé par le Conseil fédéral, que d'exemple, citons les reproches des milieux aéro- tout ce qui a trait à l'aviation civile et qui axe l'aviation retrouve petit à petit la place qui lui nautiques contre l'interdiction des avions ultra- son action sur la recherche de solutions glo- revient du point de vue de la politique sociale et des transports. légers motorisés. Comment expliquez-vous de bales. telles critiques? L'OFAC et le DETEC attachent- S'agissant des avions ultra-légers, il con- ils plus de valeur aux intérêts écologiques qu'aux vient de rappeler que la décision d'interdire intérêts économiques? leur vol a été prise à l'époque par l'ensemble du Urs Adam: Les critiques font partie du quo- Conseil fédéral. Elle ne s'applique pas aux vols tidien. Les milieux écologiques nous repro- d'essai exécutés par les entreprises suisses de chent de même souvent de ne défendre que les construction, et ce pour des raisons économi- intérêts de l'aviation. Donc, si les deux parties ques évidentes. Compte tenu des importants sont mécontentes de nous dans les mêmes progrès réalisés ces dernières années avec cette proportions, c'est manifestement que nous catégorie d'aéronef,notamment en matière de faisons du bon travail. réduction des émissions sonores ou polluan- Le Conseil fédéral s'est engagé dans une tes, notre office recommande de lever cette politique de développement durable, c'est- interdiction. La décision finale incombe tou- à-dire qu'il met au même plan les intérêts tefois au Conseil fédéral. économiques, écologiques et sociaux. Notre tâche consiste à mettre en œuvre cette poli- La Vie économique: Pour la Berne fédérale, tique en tenant compte des spécificités quel est le rôle de l'aviation par rapport aux de l'aviation et de ses besoins. L'OFAC n'est autres moyens de transport que sont le rail et la pas du tout l'office du lobby de l'aviation; il route?

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Urs Adam: Suite à l'extraordinaire crois- génial et unique au monde. Il est la preuve du sance du transport aérien, la population et de bon fonctionnement d'une coopération trans- nombreux milieux politiques s'intéressent de frontalière. Personnellement, j'aimerais qu'il nouveau à l'aviation,malheureusement le plus en soit de même à Zurich. souvent en raison des grands titres pas souvent très élogieux dont elle a fait l'objet ces derniers La Vie économique: Le Conseil fédéral a temps (Swissair, l'aéroport de Zurich, les re- approuvé, le 18 octobre 2000, le «Plan sectoriel tards, etc.). de l'infrastructure aéronautique (PSIA)». Il A mon avis, la population n'est pas suffi- s'agit d'une prestation inédite de l'OFAC en fa- samment consciente du fait que l'aviation fait veur de l'aviation. Qu'est ce que le PSIA exacte- partie des transports publics. Pour notre petit ment? Quels en sont les premiers enseignements? pays continental, son importance est malheu- Urs Adam: Avec le PSIA, la Confédération reusement trop souvent sous-estimée.Grâce à présente son instrument de planification et de la stratégie globale des transports développée coordination en matière d'aviation civile.Bien au sein du DETEC, ainsi qu'au «Plan sectoriel qu'il s'agisse d'un instrument relevant de de l'infrastructure aéronautique (PSIA)» ap- l'aménagement du territoire, le PSIA com- prouvé par le Conseil fédéral, elle retrouve porte aussi une partie conceptuelle de poli- petit à petit la place qui lui revient du point de tique aéronautique, ce qui en fait également vue de la politique sociale et des transports. un instrument de la politique des transports. Le PSIA donne, pour la première fois, une La Vie économique: Le 30 mai 2001, le vue d'ensemble de l'infrastructure aéronau- Conseil fédéral a renouvelé la concession accor- tique existante et projetée.En tant que concept dée aux aéroports de Genève et Zurich pour une global inédit en la matière, il pose d'impor- durée de 50 ans. Pourquoi une si longue durée? tants jalons sur la voie d'une politique durable Et quelle importance la concession a-t-elle par de l'infrastructure.A titre d'objectifs riches en rapport au règlement d'exploitation? perspectives, on citera l'utilisation efficace de Urs Adam: Une concession octroie le droit l'infrastructure aéronautique, son intégration d'exploiter un aéroport à titre commercial, dans le système d'ensemble des transports, conformément aux buts et objectifs du PSIA une protection globale de l'environnement et et,en particulier,de prélever des taxes.Sous ré- la coordination spatiale avec le développe- serve des restrictions éditées dans le règlement ment de l'habitat et des infrastructures de d'exploitation, le concessionnaire a l'obliga- transport. tion de mettre à disposition des usagers une Les premières expériences faites avec le infrastructure répondant aux impératifs d'une PSIA sont globalement positives, notamment exploitation sûre et rationnelle et de rendre quant à la coopération avec les cantons, les l'aéroport accessible à tous les aéronefs opé- communes et les propriétaires d'installations. rant en trafic national et international. Pour Il s'agit d'un instrument qui a fait ses preuves des motifs juridiques et afin de garantir les in- dans la pratique.Il ne doit pas simplement dis- vestissements à long terme, le législateur a fixé paraître au fond d'un tiroir, comme c'est mal- à 50 ans la durée de validité des concessions des heureusement souvent le cas avec les concep- aéroports nationaux. tions globales. En revanche, l'organisation de l'exploita- tion et de l'infrastructure ne fait pas l'objet de La Vie économique: Depuis le 1er janvier la concession. Celle-là est définie dans un rè- 2001, les services civils et militaires du contrôle glement d'exploitation,qui n'a pas de durée de aérien sont réunis au sein d'un seul organisme, validité déterminée. Compte tenu des procé- qui gère l'ensemble de l'espace aérien suisse. Il dures de droit constitutionnel,il peut être mo- s'agit de l'entreprise skyguide, nouvellement difié à tout moment et adapté aux exigences créée et qui, du côté civil, a remplacé swisscon- dans le cadre des valeurs de référence susmen- trol.Cette intégration civile-militaire est unique tionnées. en Europe. Pourquoi l'OFAC a-t-il favorisé ce projet? La Vie économique: L'EuroAirport Bâle- Urs Adam: Parce qu'il est arrivé à la conclu- Mulhouse-Freiburg jouit d'un statut particulier sion que l'utilisation de l'espace aérien suisse, grâce à la convention franco-suisse.On s'est sou- assez réduit, ne pouvait être efficace que si un vent moqué des modalités très bureaucratiques seul organe en assurait la gestion. Il fallait en de cet accord; Berne l'a toujours considéré outre que la juxtaposition des services forme comme assez complexe. Suite aux différends un tout pour permettre de faire face aux futurs avec l'Allemagne au sujet des vols pour Zurich, problèmes de capacité. voit-on ce statut sous un angle différent et plus positif? La Vie économique: Les pertes de plusieurs Urs Adam: Le statut de l'EuroAirport est milliards essuyées par SAirGroup démontrent loin d'être «bureaucratique». Il est simplement les difficultés qu'un transporteur aérien rencon-

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tre avec le marché intérieur à l'époque de la DETEC. Ce centre de compétences sera un mondialisation et de la libéralisation. Il est en- organe indépendant de droit public. Pour le core trop tôt pour dire comment l'entreprise se ti- domaine de l'aviation, il est essentiel que ce rera de ces difficultés. La Confédération est tou- projet soit en parfaite conformité avec la fu- jours actionnaire de Swissair.Comment la Berne ture «Agence européenne pour la sécurité de fédérale et l'OFAC jugent-ils cette situation? l'aviation (EASA)».Si ce n'était le cas,le risque Urs Adam: Ce n'est pas uniquement comme serait grand de voir les Etats de l'Union euro- actionnaire, et par conséquent comme garant péenne ne plus reconnaître notre industrie des fonds publics, que la Berne fédérale se fait aéronautique ni ses produits. Le DETEC lan- du souci pour Swissair, mais surtout pour des cera, probablement après les vacances d'été, raisons politiques et économiques. Le public une large procédure de consultation au sujet est depuis toujours très attaché à la compagnie des projets de loi et de textes d'exécution. nationale qu'est Swissair. De plus, pour notre pays, énormément de choses dépendent de la La Vie économique: Monsieur Adam, nous santé financière de cette entreprise. vous remercions de cet entretien. L'Etat n'a toutefois aucune influence sur la gestion de Swissair et il ne souhaite pas en avoir. Notre office veille à ce que les turbulen- ces financières actuelles ne viennent pas met- tre en péril la sécurité des vols.

La Vie économique: L'OFAC sort tout juste d'une longue procédure de réorganisation et dispose désormais d'une structure axée sur la gestion par processus. D'importantes modifica- tions sont en vue avec la création d'une Agence suisse de la sécurité technique.Pouvez-vous nous présenter ce projet? L'EuroAirport de Bâle-Mulhouse-Freiburg jouit Urs Adam:La future «Agence suisse de la sé- d'un statut unique au monde et est la preuve curité technique» doit permettre de regrouper d'une collaboration transfrontalière réussie, dans un centre de compétences toutes les acti- collaboration qui semble manquer à Zurich. Les questions étaient posées par M. Geli Spescha, (En illustration: la nouvelle jetée de vités ayant trait à la sécurité et incombant au rédacteur en chef de «La Vie économique». l'EuroAirport).

Photo: Keystone

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Faut-il couper les ailes à l’aéroport de Zurich?

Les opposants des aéroports du monde entier s’en prennent aux projets les plus divers, et ce depuis des années: à Francfort, il s’agissait de la nouvelle piste Dans le cas de l’aéroport de Zurich, le seul à se demander si les couloirs aériens tempo- hub intercontinental de Suisse, une grande raires ne deviendraient pas définitifs. Pour «Startbahn West»; à Londres- majorité des représentants des communes a nombre de ces personnes, ces inquiétudes Heathrow, c’est un bâtiment, dernièrement présenté une requête dont les sont devenues réalité lorsque les valeurs de ré- retombées seraient multiples: autoriser un férence négociées par la Suisse et l’Allemagne, le «Terminal five», qui échaude maximum de 320 000 déplacements aériens, dans le cadre d’une convention internationale, les esprits; et à Zurich-Kloten, le c’est-à-dire pas plus que l’année dernière. Le ont été révélées au public fin avril de cette an- trafic aérien de Zurich serait gelé; c’en serait née. Les riverains qui jusqu’ici n’étaient pas lobby «antibruitaérien» s’oppose fini de la croissance, indépendamment de la victimes de nuisances sonores s’attendirent au au nouveau règlement d’exploi- conjoncture, de l’avenir de Swissair et de l’hu- pire. Et le réveil a été brutal pour ceux qui meur voyageuse des passagers. pensaient pouvoir profiter d’une offre de vols tation, avant même que celui-ci intéressante sans avoir à en payer le prix. n’ait vu le jour. Les opposants Les raisons sont évidentes. Si le contrat La fermeture temporaire des pistes, négocié avec l’Allemagne entre en vigueur en veulent tous la même chose: source d’inquiétude pour la population l’état à partir de 2005, il faudra attribuer de arrêter la croissance du trafic Le début de la contestation contre le bruit nouvelles trajectoires à environ 50 000 vols, aérien de l’aéroport de Zurich était totalement qui ne pourront plus atteindre Zurich-Kloten aérien, voire inverser la ten- inattendu. En raison des travaux entrepris par le nord. Et puisque la demande de vols ne dance. L’appel au plafonnement pour construire la nouvelle jetée au début de diminue guère, la note pourrait même être l’été dernier,la piste de décollage principale est plus salée encore. En effet, aux termes actuels du trafic aérien zurichois se restée fermée pendant neuf semaines et les du contrat,l’Allemagne n’entend pas autoriser fait de plus en plus insistant. avions étaient, après le décollage, orientés vers plus de 100 000 vols d’approche. de nouveaux couloirs. Des zones jusque-là Ce qui était jusque-là inimaginable est tout Personne ne sait cependant épargnées par le bruit ont alors commencé à à coup devenu une réalité politique. Les com- comment y parvenir, ni quelles subir l’écho de la réorientation des appareils, munes ont mené un combat commun sans et ce dans une mesure que nul n’escomptait. précédent dans l’histoire de l’aéroport inter- seront les incidences sur Une quantité innombrable d’habitants se sont continental de Zurich, et ont renoncé à leur l’économie. plaints auprès de leurs représentants commu- politique habituelle, qui fait passer leurs pro- naux, qui, à leur tour, se sont fait entendre au pres intérêts bien avant ceux des autres. Avec niveau cantonal.De nombreux Zurichois ne se l’épée de Damoclès – l’accord passé avec doutaient manifestement pas que les avions ne l’Allemagne – au-dessus de leur tête, les re- volaient pas seulement,mais généraient égale- présentants politiques communaux se sont ment du bruit. juré solidarité; sous réserve toutefois que le Depuis cette fermeture temporaire de la transport aérien soit limité et que chacun piste, rien ne va plus comme avant à l’aéro- assume sa part de charges. Reste à savoir s’ils port de Zurich. Mais cet événement à lui seul tiendront parole quand viendra le moment n’aurait pas suffi à susciter un tel tollé. Il aura de répartir les nuisances sonores supplémen- fallu que l’Allemagne résilie l’accord concer- taires. nant le survol de son territoire sud par les Les demandes formulées lors de la table avions en procédure d’approche. Etant donné ronde et les valeurs de référence négociées avec que cette résiliation est intervenue seulement l’Allemagne ont conduit l’aéroport à une étape quelques jours avant la fermeture temporaire importante. Ce n’est plus un petit nombre de la piste l’année dernière, les gens ont fait d’écolos et une partie de la population locale, l’amalgame dans leur esprit et en sont arrivés mais un groupement hétérogène qui réclame aujourd’hui haut et fort le gel de la croissance. De telles exigences découlent de la démocratie suisse et montrent que la prise d’influence politique sur l’aéroport de Zurich, promise avant la votation sur la privatisation, n’était pas que du vent. Josef Felder Mais l’appel au plafonnement, devenu ad- CEO Unique (Flughafen missible, soulève une question: quelles se- Zürich AG), Zurich raient les conséquences d’une telle limitation

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pour la place économique et pour la prospéri- actuelle. En conséquence, le nombre de vols té non pas seulement de la région de Zurich passera probablement aussi à 420 000. Cepen- mais dans toute la Suisse? dant, seule une partie de cette croissance est à mettre sur le compte de l’amélioration con- joncturelle. Parallèlement à cela, la stratégie De plus en plus de personnes volent de de réseau menée par la compagnie aérienne plus en plus souvent suisse, Swissair, joue un rôle décisif. Voler fait partie du quotidien d’un nombre croissant de personnes.La croissance annuelle Zurich, une des plate-formes aéropor- mondiale du trafic aérien se situe entre 4 et 6% tuaires les plus performantes d’Europe en moyenne. Les citoyens veulent se déplacer confortablement, rapidement et à un prix rai- La plate-forme aéroportuaire (hub) de sonnable. Les managers ont besoin de plusi- Zurich, où quatre passagers sur dix passent eurs vols directs quotidiens vers les principales actuellement d’un moyen-courrier à un long- villes américaines ou asiatiques et chargent courrier, ou inversement, peut proposer à ses leurs services internes de trouver les corres- passagers une offre particulièrement intéres- pondances les plus rapides. L’importance que sante, tant qualitativement que quantitative- revêt à cet égard un plan de vol très dense ap- ment,grâce à un réseau Swissair performant et paraît dans la liste des critères déterminant le précis.Au cours des dernières années,Zurich a choix du trajet des passagers de classe affaires développé une des plate-formes les plus effica- (voir graphique 1). ces d’Europe. Ainsi, en 1999, la combinaison Mais les hommes d’affaires ne sont pas les de tous les atterrissages et décollages compta- seuls à stimuler la croissance: les fans de tech- bilisés sur une semaine affichait le nombre no vont passer leurs week-ends à Ibiza,les tou- imposant de 12 000. Le portail suisse sur le ristes peu fortunés guettent la bonne affaire, monde prenait ainsi la cinquième position ceux qui sont un peu plus aisés se rendent en après les grandes plate-formes que sont jet dans les derniers paradis terrestres imma- Francfort, Amsterdam, Paris Charles-de- culés,sans oublier que le rapprochement poli- Gaulle et Londres-Heathrow, mais restait tique et économique de l’Europe induit aussi devant des aéroports plus fréquentés, tels que un surcroît de déplacements aériens. En bref, Madrid, Londres-Gatwick et Munich. de plus en plus de gens veulent voler de plus en Zurich parvient à offrir un plus grand plus souvent, ce qui induit des retombées en nombre de correspondances avec moins de termes de bruit et d’émissions polluantes de déplacements aériens que de nombreux con- plus en plus importantes. Zurich n’échappe currents directs. On peut donc dire à juste ti- pas à la règle. tre que l’aéroport de Zurich est de meilleure Le problème se situe donc au niveau de la qualité. Cela s’explique par la meilleure coor- demande des clients. L’Institute of Air Travel dination entre moyens et long-courriers et un (ITA), mandaté en 1998 par l’aéroport de plus grand nombre de vols directs vers l’Ou- Zurich pour mener une étude, arrive égale- tre-mer ou à destination de l’Asie. La plate- ment à la conclusion que d’ici à 2010, environ forme de Zurich a notamment une longueur 34 millions de passagers transiteront par d’avance en ce qui concerne les long-courriers Zurich, soit environ 50% de plus qu’à l’heure à destination de l’Extrême-Orient.

Graphique 1 Critères déterminants pour les voyages d’affaires (préférences en %)

Courte distance Longue distance

Plan de vol 51 40

Programme de fidélisation 26 26

Prix 25 25

Ponctualité 15 10

Service 12 21

Confort des sièges 11 20

Sécurité 9 13

Aéroport 5 3 Source: IATA, McKinsey / La Vie économique

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Photo: Keystone Le début de la querelle sur le bruit aérien de Zurich était totalement inattendu: en raison fréquence des correspondances directes est un Le statut de plate-forme aéroportuaire de travaux au début de l’été 2000, la piste de facteur déterminant. Si l’on assiste actuelle- décollage principale de l'aéroport de Zurich confère un réel prestige à un aéroport est restée fermée pendant neuf semaines. Des ment au développement de la «headquarter- zones jusque-là épargnées par le bruit ont Tout aéroport connu pour être une plate- economy», à savoir que les entreprises interna- alors commencé à subir l’écho de la réorienta- forme de qualité et offrant de nombreuses tionales sont de plus en plus nombreuses à tion des appareils, et ce dans une mesure que nul n’escomptait. correspondances attire davantage de passa- implanter leur siège européen ou mondial sur gers en transit. On assiste à un système qui notre place zurichoise, la ville le doit en partie profite à chacun, où chaque nouvelle corres- à sa qualité de plate-forme. Ce phénomène pondance attire de nouveaux passagers; ces crée, d’une part, des places de travail très ap- derniers changent d’avion à Zurich, passant préciables pour la région, et amène d’autre du moyen au long-courrier. part des contrats à l’industrie locale. Par ail- Dans le langage spécialisé,on appelle cela le leurs, le tourisme suisse, qui, en termes d’im- système du hub-and-spoke. Il est constitué portance est tout de même la troisième indus- d’une roue avec un moyeu (hub) et des rayons trie suisse, dépend d’un aéroport dont le (spoke).La compagnie nationale,dans le cas de nombre de correspondances directes est aussi Zurich Swissair, achemine les passagers vers le élevé que possible. hub en empruntant les différents rayons. Les A cela s’ajoute un autre fait, que les oppo- passagers se dirigent ensuite vers les appareils sants passent souvent sous silence. Zurich fait intercontinentaux prêts à décoller. C’est la depuis longtemps partie des aéroports de seule façon de rentabiliser les jets.En effet,sans transit européens importants. Au cours des les passagers transitant par Zurich, l’offre de 20 dernières années, le nombre des passagers destinations intercontinentales serait limitée. en transit variait entre 29 et 44%. Cette pro- En bref, la qualité de la plate-forme de Zurich portion a fortement augmenté, passant de 32 dépend de la quantité de trafic de transfert. à 44% au cours des 5 dernières années (voir Mais c’est sur ce point que les opposants graphique 2). Zurich joue également un rôle se braquent. Ils veulent un aéroport pour les important comme plaque tournante pour les Zurichois et les Suisses, mais pas pour les pas- vols européens. sagers étrangers en transit. Parce que, disent- ils, ces visiteurs n’apportent rien à Zurich, Répercussions économiques positives hormis le bruit et des odeurs nauséabondes. de la plate-forme zurichoise Mais cette argumentation passe à côté de l’essentiel.En effet,dans la concurrence oppo- Au printemps 1996, Swissair a décidé de sant les places économiques, le nombre et la transférer quasiment tous les vols interconti-

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Les employés surviennent aux besoins de leur famille avec ce salaire; il n’est donc pas exagéré d’affirmer qu’environ 200 000 exis- tences,presque un cinquième de la population du canton de Zurich, dépendent du facteur Graphique 2 économique «aéroport». En Allemagne, les Zurich a toujours été une plate-forme aéroportuaire aéroports sont souvent qualifiés de «machines à jobs». Si nous avions des problèmes de chô- Proportion de passagers en transit en % mage, l’aéroport pourrait également faire de 50 la publicité en tant que gigantesque créateur 45 d’emploi. Si le plafonnement est accepté, les emplois pourraient redevenir un thème 40 d’actualité dans notre pays. Si seuls 320 000 35 déplacements aériens sont autorisés au lieu des 420 000,on peut s’attendre à ce qu’environ 30 un quart des emplois soit mis en réserve, soit 25 environ 25 000 postes qui ne seront pas créés.

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15 Le plafonnement entraînerait une spirale vers le bas 10 Mais ce ne serait pas tout. Etant donné 5 qu’un plafonnement exclut toute possibilité 0 de croissance, il faudrait, à long terme, comp- 1982 1985 1990 1995 2000 ter avec encore plus de pertes d’emplois. En Source: Unique / La Vie économique effet, sans croissance, les entreprises renon- cent à investir davantage puisqu’elles ne peu- vent pas rentabiliser leurs investissements. Finalement, dans tous les secteurs, et l’expé- nentaux de Genève à Zurich. Motif de cette rience a montré que c’est particulièrement concentration de deux plate-formes en une: la vrai pour les transports aériens, on assiste à conviction que le groupe Swissair ne pourrait terme à une chute des prix. Ainsi, si la de- survivre, à terme, que s’il parvenait à réduire mande est limitée par une intervention diri- ses frais à moins de 10 cents par kilomètre-pas- giste, le chiffre d’affaires chute et – à coûts sager.Etant donné la concurrence,cette straté- égaux – il en va de même des profits. Enfin, gie paraissait judicieuse. La plupart des gran- parallèlement à la suppression d’emplois, les des compagnies aériennes américaines et de salaires aussi devront être adaptés à la baisse. plus en plus de concurrents européens avaient Par ailleurs, la Suisse est connue pour être déjà ramené leurs frais en-dessous de ce ni- une nation exportatrice, un franc sur deux du veau. Sans compter que des compagnies bon chiffre d’affaires est gagné à l’étranger. La pla- marché, venues d’Angleterre, telles qu’Easy- te-forme de Zurich joue un rôle central dans Jet ou Ryanair, faisaient leur apparition sur le ce processus.Au même titre que Venise devint continent, accentuant la pression en matière jadis une puissance commerciale grâce à son de coûts sur les grandes lignes aériennes. accès à la mer et à son port très actif,l’aéroport La proportion de passagers transitant par de Zurich est aujourd’hui un pilier du com- Zurich augmenta considérablement. Swissair merce florissant de la Suisse avec l’étranger. pouvait réduire ses frais et augmenter ses parts Une limitation unilatérale mettrait en danger de marché. En conséquence, le nombre de le bien-être de notre pays. Il est temps que le postes à et autour de l’aéroport a lui aussi sujet du transport aérien dépasse le contexte considérablement augmenté. Selon une étude régional et soit discuté à l’échelle nationale. économique, l’aéroport occupait environ Lorsque le Parlement suisse négociera la con- 20 000 personnes au début des années 90, et vention internationale avec l’Allemagne au 30 000 de plus dans la région avoisinante. printemps prochain, il devrait aussi décider L’étude la plus récente du «Weltoffenes d’une politique sur le transport aérien. Zürich»,datant de l’an 2000,montre à présent que la croissance du transport aérien a eu Le plafonnement manque de bases des répercussions positives sur le marché de légales l’emploi.A l’heure actuelle, l’aéroport emploie environ 25 000 per- sonnes, environ 95 000 si Outre les considérations économiques l’on prend en compte les entreprises tierces, ce ayant trait au plafonnement se pose la question qui représente prastiquement un doublement de la faisabilité: est-il possible de fixer des des effectifs en une décennie. valeurs seuils dans les transports publics

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routiers, ferroviaires ou aériens? En raison du Toute la région de Munich brille par des problème que pose la limitation numérique, taux de croissance exemplaires et attire de les milieux politiques ont jusqu’à présent jeunes entreprises actives dans les technolo- renoncé à ce type d’interventions. Elles ne se- gies d’avenir. A Düsseldorf, au contraire, c’est raient de toute manière plus possibles au ni- le calme plat. veau cantonal, puisque les transports aériens Les hommes politiques munichois qui sont devenus l’affaire de la Confédération au gèrent l’économie locale savent très bien que milieu des années 90 et qu’en conséquence,les la dynamique est étroitement liée aux libertés problèmes y ayant trait doivent être réglés au du transport aérien. Sans cela, ils n’auraient niveau national. pas proposé, et fait accepter, dernièrement à la Mais même à cette échelle, il n’existe pas population une réglementation du trafic noc- aujourd’hui d’article de loi qui permette une turne. Jusque-là, il existait un seuil limite limitation numérique du trafic aérien. En re- des déplacements entre 22 heures et minuit et vanche,le Tribunal fédéral a usé de sa marge de entre 5 et 6 heures du matin. A présent, les manœuvre et a confirmé les lignes directrices nuisances sonores sont considérées dans leur proposées par le département responsable des ensemble et ne doivent pas dépasser une cer- transports (DETEC), qui prévoient que la taine limite globale. La manière de faire de quantité annuelle d’émissions nocives causées Munich rend à nouveau la croissance possible, par le système aéroportuaire ne doit pas dé- mais appelle des avions moins bruyants et qui passer les 2400 tonnes d’oxyde d’azote. Le Tri- respectent davantage les riverains. Les spécia- bunal fédéral a en effet décidé que dans le cas listes parlent de croissance durable et s’en ré- contraire, des limitations de mouvement ne jouissent. seraient pas totalement exclues.Cela contraint Cet exemple a valeur de modèle pour l’aéroport à réduire ses émissions à temps. Zurich. Plutôt que de fixer des valeurs limites, L’approche du Conseil fédéral est plus rigides, qui mettent en danger le développe- convaincante que la promotion d’une valeur ment de la place économique, il existe des sys- limite en chiffres absolus. L’histoire des aéro- tèmes alternatifs incitant, par exemple, à la ports montre qu’une fois qu’elles sont en limitation des nuisances sonores et des émis- place, il devient quasiment impossible d’ôter sions nocives. Et cela sans placer l’aéroport de telles chapes. L’aéroport de Düsseldorf en dans un étau.C’est l’unique manière de main- sait quelque chose. Il y a quelques années, les tenir la plate-forme de Zurich au rang de fac- habitants de la ville s’étaient déclarés en faveur teur stratégique pour l’économie suisse dans L'étude mandatée par l’aéroport de Zurich en d’une croissance quasi nulle. En conséquence, son ensemble. 1998 à un institut international reconnu arrive le trafic aérien a stagné,alors qu’il s’intensifiait à la conclusion que d’ici à 2010, environ à Francfort et surtout à Munich. Les places 34 millions de passagers transiteront par Zurich, soit environ 50% de plus qu’à l’heure économiques en ont ressenti le contrecoup. actuelle.

Photo: skyguide/Hannes Saxer

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L'intégration des services de navigation aérienne civils et militaires en Suisse: aspects économiques

En août 1999, les ministres suisses des transports et de la défense décidaient de regrouper Les services de la navigation aérienne civils Puis les usagers militaires de l'espace aérien, en une seule entité les services et militaires ont toujours été considérés auxquels étaient réservés les deux tiers environ de la navigation aérienne civils et comme deux activités fondamentalement du ciel helvétique, ont senti la pression distinctes, dont les différences paraissaient si s’accentuer,les obligeant finalement à faire des militaires. Cette «intégration», nombreuses que le seul élément qui pouvait concessions importantes afin de répondre aux comme on appelle avantageuse- les réunir était leur domaine d'application: besoins de l’aviation civile. Les Forces aérien- l'espace aérien. Il semblait donc logique nes acceptent aujourd'hui des restrictions qui ment le procédé choisi est une jusqu'ici que les services de la navigation limitent leur flexibilité en Suisse.Les avions de première européenne et n'est pas aérienne soient fournis par deux entités for- combat qui composent leur flotte aérienne,ré- mellement distinctes,vu la conception radica- duite il est vrai, mais modernisée, ont besoin motivée par des raisons écono- lement différente de leurs missions et leurs d'espaces plus vastes, qu’ils ne trouvent prati- miques, contrairement aux objectifs opérationnels contradictoires:tandis quement plus qu'à l'étranger. que le contrôle aérien civil garantit la sépa- La séparation traditionnelle des tâches processus de fusion habituels. ration du trafic aérien, les services de l'armée entre contrôle aérien civil et contrôle aérien Ses implications économiques ont parfois pour but, précisément, de rappro- militaire en fonction de l'espace aérien attri- cher les avions. Ces deux services distincts bué à chacun reposait exclusivement sur des sont pourtant considérables, opéraient la plupart du temps dans des sec- aspects formels. Dans la pratique, un certain même si elles se laissent diffici- teurs rigoureusement séparés et dédiés à leurs nombre de mesures de coordination ont, au objectifs respectifs. Pendant de longues fil des années, été adoptées d'un commun lement chiffrer avec précision. années, l’espace à disposition suffisait aux accord. Les possibilités offertes par ce modèle L'utilité principale de ce projet – besoins de tous les usagers de l'espace aérien, de coopération sont aujourd'hui épuisées et il en dépit de cette ségrégation. est temps d'abandonner une fois pour toutes à comprendre comme un véritable les solutions cosmétiques. La prochaine étape programme – réside dans ses se conçoit en toute logique sous la forme d'un La fin d'une pseudo-coexistence modèle intégré. avantages qualitatifs et straté- La croissance économique enregistrée dans En 1963 déjà,les conditions légales nécessai- giques à long terme. Spéculations le monde entier au cours des dernières années res au regroupement des services de la na- et décennies a été accompagnée d'un fantas- vigation aérienne civils et militaires étaient et prévisions hasardeuses tique développement du trafic aérien si on le créées. Les conclusions tout à fait encoura- doivent donc laisser la place à la compare à d’autres branches industrielles. Le geantes auxquelles aboutissait une étude de trafic a augmenté de 5% par année et il conti- faisabilité réalisée en 1996 conduisirent en description de ses mécanismes nuera de croître au cours des vingt prochaines août 1999 le Conseil fédéral à décider l'entière dans les différentes sphères années si l'on en croit les prévisionnistes. En intégration des services de la navigation aé- Europe,et en Suisse notamment,où les condi- rienne civils et militaires, y compris la mission d'influence économiques. tions sont déjà particulièrement difficiles1, de la conduite tactique des avions de chasse. cette croissance a lentement poussé la naviga- Une intégration partielle, telle qu’on aurait pu tion aérienne commerciale dans ses derniers l'imaginer,n'aurait fait que déplacer les interfa- retranchements. Ainsi, dans un espace aérien ces actuelles au lieu de les supprimer. Cette dé- proportionnellement limité, le trafic aérien cision est donc la conséquence logique d'une civil se bat littéralement contre les goulets volonté de repenser entièrement et de remanier d'étranglement (voir problèmes de retards et les services suisses de la navigation aérienne et de bruit). de permettre à l'aviation civile et militaire d'in- staurer une véritable coexistence dans les airs.

Une «nouvelle» entreprise: skyguide La conclusion stratégique et purement

1 En Europe, 70% du trafic civil évolue dans un espace pragmatique précédemment décrite ainsi que aérien correspondant seulement à 10% de sa surface; Urs Ryf Roger Gaberell la volonté politique sous-jacente étaient les celui-ci comprend la presque totalité de l'espace aérien Integration Manager, Expert en communica- deux éléments fondamentaux pour préparer contrôlé par les services suisses de la navigation chef du projet Intégration, tion, responsable de la aérienne. Des études récentes réalisées par l'intégration en douceur. L’attitude program- EUROCONTROL montrent que la Suisse enregistre, en skyguide, Genève communication sur les termes de mouvements aériens, la plus forte densité projets, skyguide, Genève matique du Conseil fédéral,qui contraste avec de trafic par volume d'espace aérien. le processus de fusion classique motivée essen-

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Photo: Keystone Depuis le 1er janvier 2001, la sécurité aérienne civile et militaire est assurée par une nouvelle entreprise du nom de skyguide. Aujourd'hui, tiellement par des raisons économiques, était Cette intégration ne correspond donc ni à l'espace aérien est trop restreint pour que les exigences de chaque utilisateur de cet espace dans ce cas-là tout à fait indiquée. Car il s'agit une fusion ni à une prise de contrôle unilaté- puissent être légitimées par deux services bien de faire tomber, à l'image du Mur de rale. Les activités étatiques des services de la distincts. (En illustration: un F/A-18D Hornet Berlin, les barrières maintenues artificielle- navigation aérienne militaires sont cédées à au-dessus des Alpes valaisannes). ment jusqu'ici entre les deux fournisseurs de une entreprise de services restructurée, com- services de navigation aérienne. Un processus pétente et moderne comme une nouvelle «organique» doit donc délibérément être en- branche de produits. Les travaux prépara- gagé suite à des besoins en pleine croissance. toires aujourd'hui achevés, l’intégration doit Jusqu'au 31 décembre 2000, swisscontrol passer à présent à sa phase de concrétisation, était chargée des services de la navigation dans le même esprit de pragmatisme que celui aérienne civils. Les services de la navigation qui a régné jusqu'ici et en bénéficiant du sou- aérienne militaires étaient répartis entre diffé- tien politique nécessaire. rentes unités militaires sous le commande- ment des Forces aériennes. Le 1er janvier 2001, Répercussions économiques directes une nouvelle entreprise du nom de skyguide a formellement été créée. Par souci de simpli- Les répercussions d'un regroupement quel cité, elle a repris en l'état les structures de qu'il soit sont difficiles à chiffrer. Dans le cas swisscontrol et son mandat s’est étendu aux de l'intégration des services de la navigation services de la navigation aérienne militaires.2 aérienne civils et militaires, le caractère pilote Depuis leurs débuts, soit depuis exactement et la complexité du projet,ainsi que l'approche 70 ans, les services de contrôle aérien civil programmatique, viennent encore compli- suisse ont toujours été fournis par une société quer les choses. L'intégration crée en tout pre- de droit privé. Ainsi, skyguide est également mier lieu des possibilités. La manière dont ce une entreprise de droit privé largement in- potentiel sera utilisé ne pourra être détermi- dépendante. Ce statut lui confère une très née et chiffrée avant l’aboutissement du projet. grande souplesse, une orientation clients et C'est pourquoi nous nous contenterons pour une vision entrepreneuriale tournées vers l'heure d'en décrire les mécanismes. l'avenir; il lui permet également,à l'inverse des entreprises étatiques,de conclure des alliances internationales. Comme le veulent ses statuts, 2 Le mandat de skyguide englobe aujourd'hui les services de contrôle la Confédération détient la majorité du capital, de la circulation aérienne civils et militaires, le service d'informa- de sorte que les intérêts publics sont parfaite- tion de vol et d'information aéronautique, le service d'alerte, le service des télécommunications aéronautiques et le service ment préservés. technique (voir OSNA, annexe à l'art. 2 al. 2).

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Sphère d'influence dans l'économie nationale La flexibilité gagnée grâce au «live manage- L'objectif principal de l'intégration est ment» permet de transformer les surcapacités d'accroître les capacités de l'ensemble des ser- supportées jusqu'ici par le client en capacités vices suisses de la navigation aérienne.A la fin utilisables,et de compenser les sous-capacités. des années nonante, la croissance rapide du Même si les retards enregistrés aujourd'hui trafic s'accompagnait d'une augmentation des dans le trafic aérien ne sont dus qu'en faible capacités moins élevée, dictée par le double partie aux services de la navigation aérienne, impératif de sécurité et des prix. Les répercus- cette flexibilité supplémentaire peut aider à sions économiques négatives que représen- compenser des répercussions néfastes à l'avia- taient les retards qui en découlaient parfois tion suisse, sans résoudre pour autant toute la sont bien connues.3 problématique des retards. Or,les derniers développements nous mon- trent que l'avenir de la navigation aérienne est Sphère d'influence dans l'économie devenu plus incertain à présent.4 Nous devons d'entreprise nous demander très sérieusement s'il est judi- Le second objectif principal de l'intégra- cieux d'adapter systématiquement les capaci- tion est de dégager toutes les synergies possi- tés à la demande et d'accepter de ce fait non bles. Les contrôles aériens civil et militaire seulement une inévitable augmentation des connaissent jusqu’ici des structures rigoureu- coûts, mais aussi le risque d’une surproduc- sement distinctes; de nombreux doublons tion. Quoi qu’il en soit, une augmentation continuent donc à exister. L'intégration son- constante et inconditionnelle des capacités est nera le glas du principe de la «worst-case-capa- déraisonnable.Par contre,la situation actuelle city», qui a eu longtemps cours au sein des appelle sans aucun doute une flexibilité ac- Forces aériennes. Au redimensionnement de crue, qui permette d'attribuer l'espace aérien la flotte succède aujourd'hui un redimension-

L'objectif principal de l'intégration est disponible en fonction des besoins de ses dif- nement indirect de la surveillance grâce à une d'accroître les capacités de l'ensemble des férents usagers. Pour la clientèle civile, cela augmentation de la flexibilité. services suisses de la navigation aérienne. implique que nous l'aidions dans la mesure Une flexibilité accrue doit permettre d'attri- du possible à obtenir une route directe pour buer l'espace aérien disponible en fonction 3 «Overall 1999 delay costs, including passenger costs, could (...) des besoins de ses différents usagers. Cela économiser temps et carburant. Quant à la be comprised between EUR 6.6 and EUR 11.5 billion.» (Costs of air implique de choisir, pour la clientèle civile, clientèle militaire, nous devons lui fournir transport delay in Europe, Final report, Institut du transport la route la plus directe possible, et pour la l'espace dont elle a besoin pour effectuer les aérien, novembre 2000, p. 25). clientèle militaire d'avoir l'espace dont elle a 4 La rentabilité de l'aviation (civile) n'est pas suffisamment chiffrée exercices planifiés. du fait de la très large absence d'études la concernant. besoin pour effectuer les exercices planifiés. (En illustration: au centre de l'image radar, l'espace aérien autour de Zurich).

Photo: skyguide/Hannes Saxer

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Un potentiel de rationalisation – certaine- directives définissant les priorités dans l’utili- ment le principal avantage du point de vue sation de l'espace et des couloirs aériens. A quantitatif – réside dans les secteurs Acquisi- l'avenir, le Département fédéral de la défense, tion et Entretien de l'infrastructure et des équi- de la protection de la population et des sports pements techniques. Cependant, son utilité à (DDPS) ne s'occupera plus que des situations long terme ne se fera sentir sous forme d'éco- extraordinaires. Cette réglementation corres- nomie en investissements que lors du prochain pond indirectement à un recentrage des inté- cycle d'acquisition.Pour l’heure,il est toujours rêts en jeu sur leur composante économique, possible d'optimiser l'échange de données et et ce aussi au sein des Forces aériennes. Dans de simplifier l'interaction dans le domaine ce contexte, on comprend donc la nécessité de technique, ce qui deviendra réalité avec les repenser aussi l'interaction entre fournisseur deux futurs systèmes, ATMAS pour l'aviation et régulateur. civile et FLORAKO pour l'aviation militaire. En ce qui concerne le personnel, les synergies Sphère d'influence politique internationale atténueront dans une certaine mesure la pénu- La diversité européenne et sa fragmenta- rie d’effectifs. Skyguide s'attend à bénéficer de tion topographique en unités souveraines,qui l'intégration des contrôleurs aériens militaires, sont loin de coïncider avec les réalités opéra- prévue au 1er janvier 2002,grâce à davantage de tionnelles de l'aéronautique, ont conduit la souplesse dans l'affectation de quelques-uns Commission européenne au concept (ou plu- de ses collaborateurs aux différentes tâches. tôt au slogan) de Single European Sky, qui vise Une collaboration plus formelle s'installera moins à gérer le trafic aérien qu'à gérer l’espace dorénavant entre les deux branches fournis- aérien à l'échelle européenne. Lors de la réali- seurs de services, du fait d’une mission com- sation de ce projet,la Suisse aura déjà,avec son mune et d’une compréhension globale de sa «Single Swiss Sky», réalisé la première étape gestion et des prestations à offrir.De nouvelles nécessaire. En plus de l’aspect novateur, re- solutions techniques et organisationnelles de- levons une certaine incompréhension de la viennent possibles. La plus grande souplesse part de différents représentants des armées dans la gestion accélérera, tout en les simpli- nationales européennes, qui insistent sur une fiant, les prises de décisions et leur mise en défense œuvre. L’intégration des spécialistes enrichira aérienne liée au territoire national – concep- le savoir-faire,et la diversification des activités tion qui tend à perdre son sens au fil des de l'entreprise générera de nouveaux profils années. professionnels qui, à leur tour, rendront sky- L'intérêt international que suscite cette guide plus attrayante en tant qu'employeur. première en matière d'intégration complète Ces améliorations qualitatives notables crée- des services de la navigation aérienne civils et ront une nouvelle base solide apte à dévelop- militaires témoigne de la portée de ce projet. per progressivement les services offerts par la Le signal qui en résulte contribue à redorer le navigation aérienne suisse. blason quelque peu terni des services suisses De leur côté, les Forces aériennes, qui de- de la navigation aérienne et, peut-être, de vaient jusqu'ici gérer leurs propres opérations l’aviation suisse en général.Face à une concur- de navigation, ne paieront plus que les presta- rence internationale toujours plus importante, tions dont elles profitent effectivement et ce y compris dans les services de la navigation grâce à la transparence des coûts.Toutefois,un aérienne, skyguide espère se positionner for- calcul réaliste des coûts est pour l’instant un tement et en tirer des avantages décisifs grâce objectif à long terme, les données empiriques aux nouvelles compétences acquises. Celles-ci n’étant pas encore disponibles. concernent principalement les domaines tels que la coordination entre régulateur et fournisseur des services de la navigation Répercussions économiques indirectes aérienne axée sur l'économie, la conversion Sphère d'influence politique nationale commerciale et culturelle d'exploitations Comme nous l'avons déjà dit, l'intérêt militaires, le traitement de domaines liés à la principal de l'intégration réside dans la ges- sécurité des Forces aériennes dans un contexte tion optimale, c'est-à-dire répondant aux économique privé, la conduite d'opérations besoins réels en capacités, du «bien» espace civiles et militaires communes ou l'intégration aérien. L'Office fédéral de l'aviation civile technique de différents systèmes de naviga- (OFAC) assume pour le Département fédéral tion aérienne. de l'environnement, des transports, de l'éner- gie et de la communication (DETEC), «en Sphère d'influence socioculturelle accord avec le Commandement des Forces Dans les deux organisations, la culture aériennes»5, l'ensemble des fonctions régula- d'entreprise (corporate culture), avec son sys- trices de la navigation aérienne. Il élabore des tème de traditions, de valeurs et d'opinions 5 OSNA, art. 2, al. 1. «communes» des collaborateurs, s'est dé-

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veloppée jusqu’à former un tout plus ou avantages schématique et les impacts multi- moins homogène.Les services de la navigation dimensionnels de cette mesure, il en résulte aérienne tant civils que militaires étant par ail- néanmoins que l'intégration des services leurs fortement imprégnés par des sous-cultu- suisses de la navigation aérienne civils et mili- res, on peut déceler des différences évidentes, taires aura à moyen et long termes des réper- parfois même très marquées, entre les deux cussions essentiellement qualitatives sur l'en- cultures d’entreprise. Les paroles comme les semble de l’aviation. actes montrent clairement à quel point la con- ception des services diverge dans ces deux organisations. Le regroupement de ces deux cultures en une seule culture d'entreprise forte, impré- gnée de l’esprit prestataire de service, est un gage de succès de l'intégration. S'il est vrai que les sous-cultures liées aux fonctions continue- ront d'avoir leur place dans la nouvelle organi- sation polyvalente, passer d'un esprit de con- currence possessif, statique et donc stérile à une collaboration féconde entre les services de la navigation aérienne civils et militaires re- vient à accomplir une mutation sociocultu- relle importante, qui pourrait avoir des réper- cussions jusque dans la population.

Qu'en est-il des coûts? Le second objectif principal de l'intégration Le total des coûts d'intégration est actuelle- est de dégager toutes les synergies possibles. ment chiffré à 100 millions de francs. L’utilité Un potentiel de rationalisation – certainement le principal avantage du point de vue quanti- directe qui correspond à cette somme est rela- tatif – réside dans les secteurs Acquisition tivement modeste, car l'augmentation des ca- et Entretien de l'infrastructure et des pacités au 1er janvier 2004 – jour J de la réali- équipements techniques. Cependant son sation de l'intégration – sera négligeable. Si utilité à long terme ne se fera sentir sous forme d'économie en investissements nous mettons dans la balance ce calcul coûts- que lors du prochain cycle d'acquisition.

Photo: skyguide/Hannes Saxer

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La sécurité aérienne européenne en pleine mutation: le point de vue d’un contrôleur du trafic aérien

En 2000, en Europe1, quelque 16 500 contrôleurs du trafic aérien, de 42 pays, ont contrôlé 8,4 millions de vols aux instru- ments. Près d’un quart de ces vols avaient débuté avec plus de 15 minutes de retard, le retard moyen étant de 39 minutes. Les services de sécurité aérienne étaient directement responsa- bles de 23% de ces retards, dont le coût a représenté un total de l’ordre de 1 à 1,5 milliard d’euros. Il faut y ajouter les frais endossés par les compagnies aériennes en conséquence des retards (environ Madame Loyola de Palacio del Valle-Lersundi, vice-présidente de la Commission européenne et commissaire respon- 330 millions d’euros). Si l’on sable de la politique des transports de l'UE, a lancé l’initiative de l’UE pour un ciel unique européen et mis en place un groupe de réflexion de haut niveau. Le Conseil et le Parlement européens formuleront des propositions de lois sur la inclut encore les frais indirects base du rapport de ce groupe. Photo: Keystone dus aux passagers, le coût total des retards en l’an 2000 aura La Commission européenne et son de haut niveau, composé des directeurs de atteint 3 à 4 milliards d’euros. initiative pour un ciel unique l’aviation civile des pays de l’UE (y compris la Norvège et la Suisse) et de représentants des L’immensité de ces frais n’est pas Peu après son élection à la présidence de la forces aériennes nationales. En novembre restée sans conséquence sur le Commission européenne, Romano Prodi a 2000, le groupe a présenté son rapport et, en déclaré qu’il faisait de l’élimination des retards été 2001,la Commission de l’UE a formulé des plan politique. La Commission dans l’espace aérien européen une priorité de propositions de directives en vue de les sou- européenne a déclaré la guerre son mandat. Madame Loyola de Palacio, vice- mettre au Conseil et au Parlement européens. présidente de la nouvelle Commission euro- Les grandes lignes du processus de réforme aux retards dans le trafic aérien; péenne et responsable de la politique des consistent à: mais le programme très am- transports, a lancé l’initiative de l’UE pour un ciel unique européen2 et constitué le Groupe – unifier l’espace aérien européen (réglemen- bitieux qu’elle entend réaliser tation du trafic, gestion stratégique et struc- ressemble à la quadrature ture unique de l’espace aérien en haute alti- tude); du cercle. – harmoniser le concept d’exploitation flexi- ble de l’espace aérien; – attribuer une licence pour certains secteurs de l’espace aérien de haute altitude; Marc Baumgartner – établir une nette séparation entre réglemen- Vice-président européen tation et prestation de services; de l’International – engager immédiatement le dialogue avec les Federation of Air Traffic Controllers’ Associations partenaires sociaux afin de les préparer au (IFACTA), contrôleur changement. du trafic aérien au Centre de contrôle aérien de Genève, skyguide, Les réformes doivent être réalisées et mises 1 EUR/NAT région ICAO. en œuvre dans les Etats membres de l’UE d’ici 2 http://www.europa.eu.int/comm/transport/themes/air/ Genève ses_fr.pdf à 2005.

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Graphique 1 A quelle intensité les couloirs aériens européens sont-ils utilisés?

Trafic du vendredi 8/09/00

Plus de 200 mouvements/jour

150 à 200 mouvements/jour

100 à 150 mouvements/jour

Source: Eurocontrol, CFMU 2001 / La Vie économique

Eurocontrol et sa stratégie ATM2000+3 – en dépit du doublement du volume du trafic aérien d’ici à 2015; Trente pays européens, dont la Suisse, se – compte tenu des besoins militaires; sont associés au sein de l’agence de sécurité – et du respect du protocole de Kyoto; aérienne Eurocontrol. Le but d’Eurocontrol – il s’agit d’améliorer nettement la ponctuali- est d’assurer un développement harmonieux té du trafic aérien en Europe; et une croissance ordonnée de la sécurité – d’en accroître la sécurité, c’est-à-dire de aérienne en Europe. diminuer la fréquence des incidents qui Eurocontrol a défini à cet effet une stratégie menacent la sécurité (quasi-abordages) et ayant pour objectif une gestion sûre et efficace des accidents (collisions en plein ciel); du volume du trafic aérien jusqu’en 2015. La – et également d’abaisser le prix de la sécurité stratégie ATM2000+ a été approuvée en jan- aérienne. vier 2000 par les ministres des transports de Pour les contrôleurs du ciel européens, la la Conférence européenne de l’aviation civile première phase (d’ici à 2005) est réalisable. (CEAC)4,placée sous la présidence du conseil- Quant à la suite du programme,c’est encore de ler fédéral Moritz Leuenberger. Elle prévoit la musique d’avenir,car les moyens techniques de gérer le volume du trafic aérien par des d’appoint qui sont prévus n’existent pour moyens conventionnels d’ici à 2005.De 2005 à l’instant que sur le papier et il ne faut pas s’at- 2010,l’efficacité du contrôle aérien devra con- tendre avant 2015 à des résultats concrets en tinuer de s’améliorer grâce à des moyens tech- matière d’exploitation. De plus, l’objectif qui niques d’appoint. Et de 2010 à 2015, le pro- consiste à diminuer la fréquence des inci- grès technique devra permettre de confier aux dents menaçant la sécurité est en flagrante pilotes certaines tâches de sécurité aérienne. contradiction avec les observations récentes,à Les objectifs que la stratégie ATM doit at- savoir qu’une augmentation de 1% du volume 3 Air Traffic Management; http://www.eurocontrol.be/dgs/ teindre d’ici à 2015 ressemblent à un nœud du trafic implique un accroissement de 5% de publications/atm2000plus_strategy/main.html 4 http://www.ecac-ceac.org/ gordien: la fréquence des incidents.

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Encadré 1 Les premiers efforts de l’OACI Qu’est-ce que la sécurité aérienne? en matière d’harmonisation La liberté chantée par Reinhard May n’est plus avion en l’air, on préfère le faire attendre au sol illimitée. Hormis les pilotes sportifs et ama- jusqu’à ce que les secteurs se trouvant sur son Peu après la Seconde Guerre mondiale, la teurs, aucun pilote ne peut plus aujourd’hui plan de vol offrent à nouveau une capacité nécessité s’est fait sentir d’établir des règles chevaucher librement les nuages. Le trafic suffisante. emprunte des couloirs aériens qui quadrillent Le service de la sécurité aérienne a pour mis- claires en ce qui concerne le trafic des passa- la planète comme une toile d’araignée. Dans ces sion principale de veiller à un courant de trafic gers au sol et dans les airs. Cette mission fut couloirs, il est réglé par le service de contrôle sûr, efficace et ordonné. Actuellement, en Eu- confiée à l’OACI (Organisation de l’aviation de la circulation aérienne. rope, on déplore souvent haut et fort l’ineffica- civile internationale), une organisation affi- Le rôle du service de sécurité aérienne est de cité de la sécurité aérienne. Cela ne se justifie surveiller chaque vol depuis la fermeture des que partiellement, car le produit essentiel des liée à l’ONU, dont le siège est à Montréal. portes jusqu’à l’atterrissage: toutes les manœu- services de contrôle du trafic aérien est d’abord L’OACI réglemente toutes les questions ayant vres du pilote, tous les changements d’itinéraire la sécurité, et ensuite seulement l’efficacité. trait à la navigation aérienne, de l’équipement requièrent une autorisation. Le contrôle de Comme dans toutes les activités en rapport avec la sécurité aérienne veille également à ce que la sécurité, le prix de celle-ci est très élevé. d’un avion aux distances minimales entre les les distances minimales, définies à l’échelon Une des raisons le plus souvent mentionnées aéronefs,en passant par les exigences minima- international (à la verticale, 300 mètres jusqu’à pour expliquer les retards est la surcharge des les auxquelles doit répondre un pilote de ligne. 29 000 pieds et 600 mètres à une altitude supé- couloirs aériens. Les passagers ont en principe rieure; à l’horizontale, 5 milles nautiques1), droit à partir à l’heure et il est bien compréhensi- soient toujours observées entre deux aéronefs. ble qu’ils se fâchent lorsque les retards sont im- La sécurité aérienne suisse à la lumière Il doit assurer la sécurité et la fluidité du trafic portants. Malheureusement, la plupart sont mal de l’évolution en Europe entre le départ et l’arrivée des avions, quelles informés du fait qu’à certaines heures la demande que soient les conditions de vol et la région excède de loin les capacités disponibles dans 1. Un rôle de précurseur survolée. l’espace aérien de haute altitude et sur les aéro- Les contrôleurs du trafic aérien dans les tours ports. La mise en place, dans le bâtiment d’un aé- En ce qui concerne la séparation des fonc- de contrôle et les centres de contrôle aérien roport, de tableaux d’envol indiquant la capacité tions entre ceux qui réglementent (OFAC, communiquent avec les pilotes par radio et actuelle des pistes leur permettrait de mieux Forces aériennes) et ceux qui fournissent des surveillent tous les mouvements des avions au comprendre les problèmes de sécurité aérienne et services (skyguide5, anciennement swisscon- moyen de radars. Les données relatives aux améliorerait la transparence. Si la capacité des plans de vol sont rassemblées à Bruxelles, au pistes est de 50 avions à l’heure, la logique des trol), la Suisse fait partie depuis des années du centre Eurocontrol, pour 462 secteurs (un compagnies aériennes veut que 45 appareils peloton de tête à l’échelle internationale. La secteur = volume exactement défini d’espace quittent l’aéroport en une heure et qu’une tren- sécurité aérienne civile a été confiée, à partir aérien). Les flux circulatoires sont contrôlés par taine atterrissent dans le même laps de temps. Or, de 1931, à Radio Suisse SA, mais toujours l’Organisme central de gestion de courants de par mesure de sécurité, ce n’est que toutes les 2 à trafic aérien (OCGCTA/CFMU). Les secteurs de 3 minutes qu’un avion peut décoller, et encore financée par la Confédération. C’est l’organi- contrôle aérien ont une capacité précise, par faut-il que les conditions de la météorologie et du sation qui lui a succédé, swisscontrol, qui exemple de 45 avions en 60 minutes2, qui dé- trafic à l’aéroport soient idéales. Lorsqu’elles dis- réalisa, dès le 1er janvier 1996, l’indépendance pend des moyens techniques, de l’espace aérien tribuent à leurs passagers de rutilants prospectus disponible et de l’équipement technique des qui vantent leur ponctualité, les compagnies aé- financière de la sécurité aérienne civile par avions. Lorsque la demande excède la capacité riennes frisent la publicité mensongère. rapport à l’Etat.

d’un secteur, les courants de trafic sont dirigés 1 1 mille nautique = 1,852 km de manière que cette capacité ne soit pas dé- 2 Skyguide contrôle au total 16 secteurs de l’espace aérien de passée. Comme on peut difficilement stopper un haute altitude et 5 secteurs d’approche et de départ. 5 http://www.skyguide.ch

La situation géographique de la Suisse au cœur de l’Europe et la haute qualité de ses services de sécurité aérienne font que les carrefours aériens les plus fréquentés en Europe se trou- vent dans la zone relevant de la responsabilité des centres de contrôle de Zurich et de Genève. Photo: skyguide/Hannes Saxer

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Graphique 2 Délégation de l’espace aérien: la Suisse et ses voisins

par l'Allemagne

par l'Autriche

par la France

par la Suisse

Source: Local convergence and implementation plan CH, skyguide 2001 / La Vie économique

La Suisse fait également figure de précurseur nement allemand n’est à l’évidence pas confor- en ce qui concerne la délégation de l’espace me à l’esprit de l’initiative de l’UE et contesta- aérien. En effet, les territoires nationaux et les ble en droit international. zones de compétence ne se recoupent pas L’intégration des services de contrôle aérien entièrement. Depuis des années, 60% de l’es- civils et militaires, dans laquelle la Suisse joue pace aérien géré par le centre franco-suisse un rôle de pionnier, constitue une chance uni- de contrôle aérien de Genève relève de la sou- que. Les premiers résultats – non seulement veraineté française. La France indemnise la sur le plan institutionnel, mais également sur Suisse pour ce travail. Pour des raisons d’ex- celui de l’exploitation – ne se feront pas atten- ploitation, l’Allemagne, l’Italie et l’Autriche dre. Des espaces communs d’entraînement délèguent à la Suisse certains espaces aériens, militaire ont été délimités aux termes d’un ac- qui sont toutefois gérés gratuitement par sky- cord avec la France, ce qui permettra à moyen guide. L’exiguïté de l’espace aérien helvétique terme de soulager le trafic civil. et la proximité des frontières sont propres à créer des conflits du type de celui qu’a vécu ré- 2. Des améliorations nécessaires cemment,de manière assez désagréable,l’aéro- L’idée d’une exploitation flexible de l’espace port de Zurich. Sans vouloir aborder l’aspect aérien, qui règle, des points de vue stratégique politique de cette problématique,il est clair que et tactique, l’utilisation de l’espace aérien la décision du gouvernement allemand de limi- suisse entre les Forces aériennes et skyguide, ter le nombre des vols d’approche au-dessus de nécessite quelques adaptations. Les espaces la région sud de l’Allemagne va accroître consi- aériens réservés aux vols militaires sont encore dérablement les défis auxquels doivent répon- parfois très importants. A la différence de la dre les contrôleurs du ciel, ce qui entraînera France, par exemple (dont l’aviation militaire

6 Air et Cosmos, avril 2001, général Job, chef d’état- sans doute temporairement une réduction des va effectuer 30% de ses vols d’entraînement à major de l’armée de l’Air. capacités de l’aéroport. La décision du gouver- l’étranger6) la Suisse n’a pas la possibilité de

40 La Vie économique Revue de politique économique 8-2001 Thème du mois

délocaliser ses forces aériennes vers des ré- anciens administrateurs et le conseil d’admi- gions où le trafic civil est moins dense. nistration de swisscontrol (avec les représen- tants de Crossair et de Swissair) se voient re- 3. Points critiques procher d’avoir clairement fait le mauvais La situation géographique de la Suisse au choix dans la planification du personnel, au cœur de l’Europe et la haute qualité de ses ser- milieu des années 90. Pour des raisons d’éco- vices de sécurité aérienne font que les carre- nomies, des examens de sélection et des cours fours aériens les plus fréquentés en Europe se onéreux ont été supprimés,en conséquence de trouvent dans la zone relevant de la responsa- quoi les contrôleurs du ciel sont confrontés bilité des centres de contrôle de Zurich et de aujourd’hui à une grave pénurie de personnel Genève.Les compagnies aériennes continuant (de 20 à 25%). A cela s’ajoute qu’un tiers des d’opter pour le survol de la Suisse malgré les contrôleurs qui travaillent actuellement pren- retards importants qui s’ensuivent, l’inadé- dront leur retraite d’ici à 2007. L’effectif en quation ne fait qu’augmenter entre l’offre et la personnel de ces prochaines années ne per- demande. mettra guère d’ouvrir de secteurs supplémen- En matière de systèmes techniques, la Suisse taires – alors qu’ils font l’objet d’un urgent be- a les mêmes problèmes que les pays de l’UE. soin – bien que skyguide tente actuellement de Les systèmes informatisés de surveillance et de compenser la pénurie en engageant du per- contrôle de la sécurité aérienne sont des plus sonnel étranger. En comparaison, le manque sophistiqués, mais leur marché est si restreint de contrôleurs du ciel dans l’UE est actuelle- (généralement un seul fournisseur par pays) ment de l’ordre de 15%. que l’industrie n’investit pas suffisamment dans la recherche-développement. Une har- monisation de l’exploitation et des systèmes techniques est toutefois absolument indispen- sable et skyguide doit y veiller, non seulement Un grand problème de la sécurité aérienne entre la Suisse et ses voisins, mais également suisse réside, depuis des années, dans le grave entre Zurich et Genève. sous-effectif des contrôleurs du trafic aérien. Un grand problème de la sécurité aérienne Une grave pénurie de personnel règne aujour- suisse réside, depuis des années, dans le grave d'hui, de l'ordre de 20 à 25%. A cela s’ajoute qu’un tiers des contrôleurs qui travaillent ac- sous-effectif des contrôleurs du trafic aérien. Les tuellement prendront leur retraite d’ici à 2007.

Photo: skyguide/Hannes Saxer

41 La Vie économique Revue de politique économique 8-2001 Points de vue politico-économiques

L'infrastructure des transports d’importance nationale est pilotée à l'échelon local

Ces derniers temps, l’aéroport de Zurich est au centre d’une vio- lente critique de la part de Le seul thème directeur abordé est la future capacités disponibles. Les passagers suisses à cercles opposés à la fonction de répartition des nuisances sonores. Il va de soi destination d’outre-mer et les voyageurs ve- plateforme aéroportuaire que les politiques locaux cherchent en premier nant en Suisse rempliraient à peine la moitié lieu à obtenir le maximum d'avantages pour des avions de Swissair.La compagnie aérienne («hub») de l’aéroport zurichois, leurs communes, en d’autres termes un mini- ne peut donc maintenir le transport long- jugée inutile. Ils exhortent mum de nuisances, voire pas du tout. Aussi courrier, et rester rentable, qu’en complétant n’est-il guère surprenant que le seul objectif son offre par des vols de correspondance. Le Zurich à reconsidérer les réels qui les rassemble soit finalement l’arrêt du dé- transit, autant au niveau des passagers que du besoins de son agglomération et veloppement aéroportuaire, c’est-à-dire le fret, est une nécessité absolue pour Swissair plafonnement du nombre de vols. Mais notre comme pour tout autre transporteur aérien.Il à renoncer aux passagers en bien-être ne dépend pas seulement d’une ré- conditionne l'offre de cette compagnie en transit, qui ne seraient qu’un far- duction plus ou moins grande des décibels au- long-courrier, laquelle est essentielle à notre dessus de nos têtes. économie et à l'attrait de notre pays.A Zurich- deau. Tels sont les commentaires Notre environnement professionnel vient Kloten, le taux de transit atteint 40 à 45%, ce provenant du Glattal, une région de subir de profondes mutations structurelles, qui place l’aéroport au même niveau que et d’autres sont à venir. Les activités qui met- d’autres plaques tournantes européennes.Aux située au sud de l’aéroport et tent le monde en réseau, notamment dans le Etats-Unis, il peut toutefois atteindre 80%. jusqu’ici très peu concernée par domaine des services et de la technologie, prennent de plus en plus le pas sur les entre- les émissions sonores. Cette Moins de vols signifie moins de bruit prises traditionnelles de production. Notre et moins d’emplois revendication reviendrait à dépendance envers les débouchés à l’étranger augmente rapidement. Les communications Un réseau de vols court et long-courriers réduire le réseau long-courrier, et la mobilité sont des facteurs décisifs pour solide et équilibré est hautement profitable à tissé pendant des décennies et notre économie. Si le rôle de plateforme aéro- toute l'économie et à la population suisses. De portuaire de Zurich était entamé, il s’ensui- plus, chaque vol se répercute, de manière di- reliant la Suisse aux principales vrait une érosion insidieuse des nombreux recte ou indirecte, sur la prospérité de notre régions du monde, à une demi- avantages économiques que l’aéroport inter- pays. Une étude réalisée par l'aéroport de continental apporte au marché intérieur Munich montre qu'un vol long-courrier quo- douzaine de destinations. Les suisse. Les entreprises à vocation internatio- tidien génère environ 150 emplois à l'aéroport conséquences économiques nale s’établiraient sur un autre site à proximité (en termes d’équipages, d’assistance au sol, d’un aéroport intercontinental plus perfor- d’entretien et de maintenance, de police, de seraient fatales pour notre pays. mant. fret, de restauration et de vente). Un tel vol gé- Ainsi l’aéroport de Zurich est nère au moins autant d'emplois dans des sec- teurs plus ou moins proches: l'hôtellerie, le l’une des plus importantes infra- Sans navette, pas de vols long-courriers tourisme, les voyagistes, les transports, les pour la Suisse structures de transport en fournisseurs de biens et de services destinés au Il semble logique que les liaisons long- fonctionnement de l'aéroport. Selon l'équa- Suisse, mais le débat qui condi- courriers ne se fassent qu'avec des avions ayant tion généralement admise, un million de pas- tionne son avenir est mené au gré la plus grande capacité de cabine et de soute sagers égale environ un millier d'emplois, possible. Quant à l’horaire, il doit s’adapter répartis sur les différentes entreprises de des intérêts locaux et régionaux, aux besoins des clients.Pour y parvenir tout en l'aéroport. La suppression de vols sur la base de concert avec des communes couvrant les frais, il faut utiliser au mieux les du bruit qu'ils généreraient apporterait certes un peu plus de tranquillité mais réduirait sen- allemandes limitrophes. siblement le nombre d'emplois intéressants offerts.

Peter Gutknecht Délégué aux Relations avec l'aéroport du Swissair Group, Zurich

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La fonction de plate-forme aéroportuaire de l’aéroport de Zurich est-elle indispensable à la survie de l’économie suisse?

L’aéroport de Zurich remplit incontestablement une fonction essentielle: il est la porte de la Selon une enquête fréquemment citée de la Une plate-forme aéroportuaire à Zurich Suisse sur le monde. Celle-ci en Haute école de Zurich Winterthur, mandatée présenterait-il un meilleur rapport coût/utili- dépend pour le développement de par le comité «Weltoffenes Zürich», le facteur té qu’un simple aéroport d’acheminement? La «proximité de l'aéroport» pèse moins lourd question est ouverte et mérite examen. De son économie, très tributaire de aux yeux d'un homme d'affaires en voyage nouvelles nuisances sonores devraient être l’étranger. Mais rien ne prouve que celui de «qualité de l’habitat», lequel s'en internalisées compte tenu des valeurs seuils trouvera durablement détérioré par la plate- convenues avec l’Allemagne. Les coûts aug- que cette fonction passe par la forme aéroportuaire. Cette enquête a eu lieu menteraient de manière exponentielle. Des création d’une plate-forme aéro- au moment où la discussion concernant l’aé- régions n’ayant pas souffert jusqu’ici du bruit roport de Zurich battait son plein, les milieux de l’aviation civile seraient massivement sur- portuaire («hub»). Les défen- économiques mettant tout en œuvre pour do- volées en fin de semaine et le soir. Les nuisan- seurs de cette vision des choses cumenter l’utilité d’une plate-forme aéropor- ces dépassant les limites fixées en matière tuaire. Malgré leurs efforts, seuls deux entre- d’émissions et d’aménagement engendre- prétendent pourtant qu’un preneurs ont expressément reconnu son im- raient des coûts supplémentaires dans ces ré- réseau longue distance attrayant portance, un piètre résultat. gions avec,à la clé,une pression sensible sur les Avec un rayonnement simple,l’aéroport de prix de l’immobilier. Le bruit réduirait consi- est la condition sine qua non du Zurich continuerait vraisemblablement de dérablement la qualité de la vie et de l’habitat. succès de l’économie suisse. proposer des liaisons directes vers les Etats- Il faudrait également inclure dans le calcul Unis, vu l’importance de son centre écono- coût/utilité les pertes rampantes dues à la mi- Mais il peut en aller autrement, mique. Ces liaisons existent aussi au départ gration,comme elles se font sentir depuis 1996 à l’instar de l’aéroport de Copen- de Copenhague. Jusqu’à preuve du contraire, aux environs directs du sud de l’aéroport. Ces on peut imaginer que des long-courriers vers pertes iraient en s’aggravant si d’importantes hague au Danemark. Cet aéroport d’autres grands centres économiques conti- parties du grand Zurich étaient touchées par le est une plate-forme scandinave nueraient d’être proposés à partir de Zurich, bruit. Des zones entières conformes au plan même dans ce cas de figure.Cet aéroport «sur- d’aménagement tout autour de l’aéroport dotée de très peu de vols long- dimensionné» n’était pas nécessaire pour des devraient être déclassées. courriers mais avec une multitude raisons économiques mais à cause de la straté- Personne ne conteste les avantages qu’ap- gie de croissance de Swissair, qui a connu porte l’aéroport à la région,mais tout aussi in- d'excellentes correspondances l’échec que l’on sait. contestable est le fait que, depuis 50 ans, les vers les plate-formes de Francfort De toute évidence, les conditions justifiant émissions sont difficiles à supporter. Les ac- une fonction de plate-forme aéroportuaire à tions de protestation se multiplient depuis que et de Londres. L’exemple de la l’aéroport de Zurich ne sont pas réunies: l’on sait que les nuisances devraient s’étendre Suède est encore plus marquant: – insuffisance du marché intérieur; à de nouvelles régions, jusqu’ici épargnées et – inexistence d’une compagnie aérienne na- n’ayant connu que les avantages de l’aéroport. reliée principalement à la plate- tionale («home carrier») dominante et pros- Même les milieux économiques commencent forme de Copenhague, elle a un père; à douter des bienfaits de la croissance annon- – impossibilité d’exploiter une réglementa- cée. La stratégie de croissance de Swissair a accès «doublement indirect» aux tion libérale des vols de nuit; échoué et celle-ci devra vraisemblablement grands carrefours aériens euro- – insuffisance des capacités (espace aérien, revoir à la baisse ses ambitions.Une réorienta- pistes) afin de réduire les retards. tion de l’aéroport, axée sur les besoins de la péens. Et pourtant, la Suède place économique suisse et sur le développe- affiche un fort taux d'exporta- ment durable, s’impose. tion par habitant similaire à celui de la Suisse.

Peter Staub Président de l’Association de défense des intérêts de la population vivant autour de l’aéroport de Zurich, président de la commune de Dällikon

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Oublierait-on que le transport aérien est un service public?

Les entreprises suisses du trafic aérien de ligne desservent un réseau de plus de 500 000 km. Les vols à la demande, le travail et le sauvetage aériens sont Les effets positifs de ce statut n'ont toutefois ménage les finances fédérales. L'aviation a qu’une portée limitée. En effet, les entreprises même accentué l'avantage majeur qu'elle offre assurés par 162 entreprises, dont du domaine aérien ne bénéficient pas d'un sur ses concurrents terrestres, à savoir le gain le volume d’activité révèle des soutien étatique correspondant à la valeur des de temps: l'économie qui en résulte se chiffre prestations qu’elles offrent. Le secteur aérien pour la Suisse à un montant dépassant 10 mil- besoins importants et variés. La subit même des discriminations croissantes liards par année. prestation de transport aérien dans le traitement que lui réserve la collectivi- Le régime d’une aviation concessionnaire té. Trois exemples illustrent ce propos: de service public, financièrement indépen- s’appuyant sur les aéroports 1. En 1945, constatant la nécessité de déve- dante de l’Etat, connaît toutefois des limites. suisses représente plus de lopper une infrastructure aéronautique per- Les charges pesant sur le secteur aéronautique mettant à la Suisse de s’intégrer au réseau aé- dépassent en effet de loin les coûts opération- 65 milliards de passagers-kilo- rien international, les Chambres ont voté un nels directs: la sécurité aérienne est prise en mètres annuels. Ces quelques arrêté fédéral assurant la participation finan- charge par les usagers, et il en va de même des cière de la Confédération au développement routes aériennes. A trop vouloir reporter des chiffres illustrent l'énorme con- des aérodromes civils. Quarante ans plus tard, frais et laisser s’accumuler des obligations sur tribution à la mobilité fournie alors que se développaient le programme les entreprises du secteur aérien, on fait courir d'achèvement du réseau autoroutier et les à celles-ci un risque d’asphyxie. Le transport par le transport aérien, dont le grands projets ferroviaires actuellement en aérien est le vecteur de transport le plus expo- rôle résulte d’une volonté de cours de réalisation, la Confédération a sé aux rigueurs concurrentielles de la globali- abrogé cet arrêté et privé ainsi l’infrastructure sation; il convient donc de veiller à préserver l’Etat de pourvoir à la couverture aéronautique de son soutien. son potentiel en évitant toute mesure discri- des besoins correspondants, par 2. La répartition actuelle des subventions minatoire. Et dans ce débat, on aurait tort de fédérales dans le domaine des transports et minimiser l'impact qu'un faisceau de desser- délégation de son monopole communications est ainsi faite qu'en 1999, tes aériennes bien étoffé peut avoir sur l'im- constitutionnel. C’est ainsi que l'aviation n'a rien perçu des 5,9 milliards al- plantation d'entreprises génératrices d'em- loués à ce titre. plois et sur le tissu économique en général. Le les entreprises aéroportuaires et 3. Les récentes décisions prises par le Con- corollaire de cette relation est qu'une péjora- celles qui pratiquent le trafic de seil fédéral fixant les valeurs-limites d'exposi- tion de l'offre aérienne fait courir le risque de tion au bruit accroissent l’inégalité de traite- délocalisations dans des secteurs qui n'ont au- ligne sont toutes au bénéfice ment des transports publics: les frais découlant cun lien direct avec l'aviation. d'une concession fédérale, qui des mesures d'indemnisation et d'assainisse- C’est dans cette perspective qu’il convient ment dans le domaine aérien sont mis à la de considérer le principe de la vérité des coûts, matérialise une réalité souvent charge des aéroports, alors que ceux résultant élément de mise en œuvre de la politique de estompée: l'aviation est un de la même ordonnance sur la protection développement durable, à laquelle notre pays contre le bruit, appliquée au domaine ferro- a souscrit. Dans ce débat, on prendra garde à moyen de transport public. viaire, sont assumés par la Confédération. ne pas omettre la valeur du service public L'histoire a démontré à quel point la crois- fourni par le secteur aéronautique, ni laisser sance du niveau de vie était liée à la proximité s'accroître le fossé séparant le traitement ré- de voies de communication. A cet égard, la servé à l'aviation de celui qui est appliqué aux Suisse a jusqu’ici tiré parti de transports autres vecteurs de transport. Sauf à condam- aériens efficaces, organisés d’une manière qui ner la Suisse à une érosion du tissu écono- mique dans son ensemble, dont la compétiti- vité dépend pour une part non négligeable de l’efficacité du système de transport aérien.

Me Pierre Moreillon Président d’Aérosuisse, fédération faîtière de l'aéronautique suisse, Berne

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L’aviation en équilibre entre règles universelles et exigences locales

De toutes les activités humaines, l’aviation est celle qui connaît la plus large harmonisation inter- OACI et normes environnementales blème, dans la majorité des cas, réside dans les nationale. L’avion évoluant le carences de l’aménagement du territoire au- plus souvent dans les espaces L’OACI adopte des normes dans tous les tour des plates-formes aéroportuaires. Même domaines techniques: navigabilité, licences, si l’emprise au sol du transport aérien est faible aériens de plusieurs Etats, ainsi gestion de l’infrastructure, règles de circula- par rapport au rail, même si le nombre d’Eu- que dans l’espace international tion,protection contre le terrorisme,environ- ropéens souffrant du bruit des trains est nement, etc. Celles-ci s’appliquent directe- double de celui de l’avion, ce sont les riverains au-dessus de la haute mer, la sé- ment dans l’espace international; les Etats d’aéroports qui revendiquent – et de loin – des curité de ses occupants et l’effi- doivent les mettre en œuvre sur leur territoire mesures locales complémentaires aux normes et pour leurs compagnies aériennes. Si elles internationales. cacité de ses évolutions imposent sont peu contestées politiquement, elles po- Ainsi, des procédures d’approche et de dé- l’application de règles uni- sent, en revanche, des problèmes pratiques collage à moindre bruit ont vu le jour; les lors de ressources financières ou techniques avions bruyants, pourtant conformes aux formes. Depuis plus d’un demi- insuffisantes, d’où la tendance à adopter des normes de l’OACI lors de leur construction, siècle, c’est l’Organisation de normes minimales pour satisfaire chacun. ont été interdits d’aéroport. Puis, des zones, Heureusement, celles qui visent à réduire à des cadastres de bruit ont été imposés par les l’aviation civile internationale la source les émissions sonores et gazeuses autorités, trop tardivement toutefois pour (OACI), une institution de la fa- n’ont pas ce caractère minimaliste et s’adres- prévenir la création de nouveaux quartiers sent aux constructeurs d’avions et de moteurs, d’habitation à proximité des pistes. Les mille des Nations Unies, qui as- en leur imposant des limites toujours plus couvre-feux nocturnes se sont enfin générali- sure cette uniformisation des sévères et en les incitant au progrès technolo- sés, alors que personne n’a encore envisagé gique. Ainsi, depuis 1960, entre les avions à d’empêcher les motocyclettes de réveiller tout règles aéronautiques à l’échelle réaction de première et de quatrième généra- un quartier à deux heures du matin! mondiale, pour le compte des 187 tion, aussi bien le bruit à la source que la Mon propos n’est pas de remettre en cause consommation de kérosène ont diminué de la prise de mesures locales,sans lesquelles l’ex- Etats qui en font partie. L’OACI quelque 70%. Une évolution sans équivalent ploitation et le développement de certains aé- s’est engagée à cette fin dans une dans les autres modes de transport,qui ne sont roports seraient impossibles. Il s’agit cepen- pas contraints à la même norme internatio- dant de savoir raison garder, notamment en lutte contre les atteintes à l’envi- nale. Sait-on que les derniers trains à grande s’attaquant à toutes les sources de nuisance ronnement qu’aucun autre moyen vitesse ont les propriétés sonores des avions sans discrimination, tout en préservant un des années septante? Cette réduction des nui- équilibre raisonnable entre les exigences lo- de transport n’a entrepris avec sances n’en est pas moins insuffisante en ce cales et les normes internationales. une telle ampleur. Pourtant, qui concerne l’environnement des principaux En septembre prochain, la Suisse et les aéroports, en particulier en Europe. 186 autres Etats membres de l’OACI ont ren- l’aviation est encore considérée dez-vous à Montréal pour l’assemblée trisan- par certains comme la «brebis nuelle de l’organisation. Il y sera beaucoup Pourquoi plus de sévérité pour question d’environnement et de développe- noire» des moyens de communi- le transport aérien? ment durable. Il s’agira de préserver cet équi- cation, alors que son rôle dans le Si la croissance du transport aérien a sa part libre de plus en plus difficile entre les exigences de responsabilité, la cause principale du pro- locales et les impératifs mondiaux, entre les développement économique est avantages économiques et sociaux du trans- aujourd’hui reconnu comme es- port aérien et ses impacts environnementaux. Un défi à la taille des enjeux du XXIe siècle! sentiel.

Philippe Rochat Directeur exécutif du Air Transport Action Group, Genève, ancien secrétaire général de l’OACI

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L'aéroport de Zurich: un système de production et d'innovation

L'aéroport de Zurich est une in- frastructure de réseau de dimen- sion internationale. Le Conseil fé- déral a lui-même reconnu le rôle Une longue série de négligences Un concept de développement durable pour l’aéroport de Zurich de Zurich-Kloten, qui constitue Jusqu'à présent, il a manqué à cette infra- structure de réseau internationale un manage- Il faut réfléchir à l'idée de développer l'aé- «un des grands carrefours euro- ment global et de longue portée. Les interve- roport de Zurich pour en faire un «méga-hub» péens des transports aériens» nants n'ont eu qu'une vision des choses à court en tenant compte de tous les éléments.Un exa- terme et trop étroite. La misère actuelle est men approfondi de l'utilité et du coût du dé- dans le Plan sectoriel de l'infra- avant tout le résultat des négligences suivantes: veloppement de l'aéroport dans son ensemble structure aéronautique (PSIA), – La marginalisation de la Suisse au sein de ainsi que de son système de production et l'Europe à la suite du non à l'EEE de 1992 a d'innovation va nécessairement au-delà d'une qu'il a approuvé en octobre 2000. désavantagé Swissair. simple étude de la qualité de vie et de la pro- Zurich-Kloten est en outre situé – Jusqu'au PSIA de l’an 2000, la Confédéra- duction de valeur ajoutée. La notion de déve- tion a négligé le fait que Zurich avait un rôle loppement durable fournit une méthode au cœur de la région rattachée à la d'importance nationale à jouer en tant que d'évaluation appropriée. On se base ainsi sur métropole européenne de Zurich, système de production et d'innovation d'en- le développement à long terme de la capacité vergure et seule métropole suisse de dimen- économique et de la qualité des bases naturel- dont la zone d'influence dépasse sion européenne. les de la vie ainsi que du contexte sociocultu- largement le canton de Zurich. – Swissair a poursuivi trop longtemps une rel. Que doit-on faire? La première étape con- stratégie de croissance et d'expansion qui siste à délimiter le système en question afin de Une métropole européenne se dé- n'était pas réaliste ni viable financièrement, pouvoir maîtriser les rapports entre les fonc- finit par trois fonctions principa- étant donné que la quantité s'est faite au dé- tions et contrôler les causes et les effets. La se- triment de la qualité et que la clientèle y a conde étape consiste à développer l'esprit de les. Premièrement, elle doit, en perdu ses avantages. réseau.Ces intérêts devraient tous aller dans le tant que porte d'entrée dans un – L'expansion de l'aéroport n'a pas été contrô- sens d'un vaste système de production et d'in- lée par les autorités cantonales de Zurich novation durablement opérationnel et con- pays, offrir une liaison avec tou- chargées de l'aménagement du territoire et a currentiel. Ce dernier ne peut en effet être via- tes les destinations internatio- été livrée aux intérêts particuliers des com- ble à long terme que si les fonctions et facteurs munes malgré l'introduction prévisible de de production sont coordonnés. nales importantes et être la voie limites au bruit et à la pollution. Il s'agit donc d’éclaircir les questions sui- d'accès ainsi que le centre logis- – Le canton de Zurich a longtemps vécu en au- vantes: tarcie, alors que la compétitivité de l’aéro- – des questions d'ordre micro-économique sur tique pour les marchandises et port dépend essentiellement d'un partena- les positions stratégiques des principaux les personnes disposant de con- riat efficace et coopératif avec les cantons utilisateurs de l'aéroport de Zurich; voisins et avec le sud de l'Allemagne. Sa vo- – des questions d'ordre macro-économiquesur naissances et d'un savoir-faire. lonté de «démocratiser» le bruit du trafic aé- la dynamique de la structure du marché Deuxièmement, elle doit assurer rien a fait perdre toute leur valeur aux inves- dans les transports aériens internationaux tissements d'infrastructure réalisés ou ainsi que sur les interactions économiques une fonction de régulation forte. prévus (comme le métro Glatttal). au sein du système délimité; Troisièmement, elle doit avoir – Le kérosène est trop bon marché dans le – des questions d'ordre politique et de planifi- monde entier et subventionne la mobilité cation sur le potentiel de développement de une position phare en matière de par transports aériens. l'aéroport en ce qui concerne le bruit et la technologie en étant un centre de – Le contrôle de l'espace aérien européen est pollution, sur les possibilités d'aménage- morcelé et donc peu efficace. ment et sur la participation des riverains et recherche, d'innovation et de des voisins au processus de décision concer- formation et en abritant, par nant le développement de l'infrastructure autour de l'aéroport de Zurich. exemple, un nombre supérieur à la moyenne d'entreprises travail- Si, dans le système de l'aéroport de Zurich, les limites de croissance sont atteintes,celles de lant dans le secteur des nouvelles Alain Thierstein son développement durable ne le sont pas en- technologies de l'information et Institut ORL, section core. Aménagement du terri- de la communication (NTIC). toire, EPF Zurich

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La place économique suisse doit bénéficier de liaisons directes avec les grands centres de la planète

La privatisation des aéroports et des compagnies de navigation et la déréglementation des voies A la différence du réseau ferroviaire ou mique zurichois – se trouverait passablement aériennes et des prix ont électrique, la navigation aérienne ne possède handicapé, dans le paysage européen, s’il était entraîné, comme on l'a vu, un que les aéroports comme points fixes, lesquels privé de liaisons directes avec les grands sont reliés entre eux par un réseau quasiment centres de la planète. En outre, les aéroports processus de concentration qui infini de «routes aériennes virtuelles». Pour- modernes sont aussi d’importants pôles de a également touché les aéro- tant, jusque dans les années 70, le trafic aérien croissance pour la nouvelle économie: l’Euro- était énormément réglementé et politisé: dans Airport de Bâle-Mulhouse, par exemple, est ports. Zurich est trop important le trafic international, l’Etat monopolisait les devenu en peu de temps l’employeur le plus pour mourir mais trop petit pour droits d’atterrissage et les échangeait avec important du département du Haut-Rhin et d’autres pays.Les voies aériennes ainsi établies un lieu d'implantation pour entreprises inno- s'élever au niveau supérieur du n'étaient concédées qu'aux transporteurs bat- vatrices. monde des aéroports. La place tant pavillon national. Ceux-ci formaient à Swissair a donc besoin de partenaires glo- leur tour un cartel dur, qui fixait non seule- baux, et Zurich, voire la Suisse entière, est in- économique suisse est incontes- ment les prix mais aussi toutes les autres contestablement tributaire, du point de vue tablement tributaire d'un grand formes de prestations. C'était à l'époque. économique, d’un grand aéroport moderne de première qualité et de capacité suffisante. aéroport moderne de première La prospérité suisse exige que sa population Le processus de concentration dans qualité et de capacité suffisante. supporte, par solidarité, certains inconvé- le trafic aérien nients du progrès.Cela s’applique notamment L'objectif prioritaire doit être de La privatisation des aéroports et des com- à la région de Zurich, qui profite tout particu- maintenir la position actuelle et pagnies d'aviation, la déréglementation des lièrement des avantages d’une grande agglo- voies aériennes et des prix ont entraîné, mération. de la renforcer à bon escient. par souci d’efficacité, une concentration des compagnies, aux Etats-Unis d’abord et main- De la nécessité de renforcer tenant en Europe. Elle a, en outre, donné nais- l'aéroport de Zurich sance à un système de nœuds ou de carrefours aériens (appellés couramment «hubs»ou plate- Kloten ou «Unique Zurich Airport» appa- formes aéroportuaires), grandes aérogares de raît aujourd’hui comme «piégé à mi-chemin»: transit vers lesquelles les avions convergent en trop grand pour mourir, mais trop petit pour étoile. Pour l’Europe, quelques «méga-hubs» accéder en classe supérieure. L'objectif priori- suffiront: Londres, Paris, Francfort sont déjà taire doit être de maintenir la position actuelle placés; Madrid est bien situé pour la desserte et de la renforcer à bon escient. Cela ne signifie de l’Amérique du Sud; quant à Amsterdam, pas nécessairement davantage de destinations Munich et Milan,ce sont des plateformes dotées ou de passagers en transit. Un raccordement d’un certain potentiel. Kloten – rebaptisé suffisant au réseau ferroviaire européen à «Unique Zurich Airport» – n’a en fait jamais eu haute capacité avec une réduction des vols vers la moindre chance d'accéder en première ligue: ce continent ne peut que profiter à l'écologie Swissair est trop petit, le marché suisse trop comme à l'économie. Les centres mondiaux limité,la distance vers les «méga-hubs» insuffi- les plus importants doivent cependant rester sante, et la place fait tout simplement défaut. reliés à Zurich-Kloten par des liaisons directes et régulières. Notre pays est petit, mais extrê- mement globalisé.Pour lui,Zurich est en quel- La relégation de Zurich-Kloten en que sorte une mini-métropole. A cet égard, troisième ligue serait une catastrophe la marque «Unique» n’est pas si fausse. Une Le problème n’est donc pas l’implantation «cure d’amaigrissement» s’avérerait très mal- d’un «Charles de Gaulle» ou d’un «Heathrow» saine pour notre économie. en Suisse. Le danger qui menace l’aéroport de Zurich est plutôt d’être relégué en troisième Silvio Borner ligue parce que Swissair s’est surestimée et a Centre d'économie, cédé à l’Allemagne. Section de recherche en Et ce serait en effet catastrophique, car un économie appliquée, Université de Bâle pays aussi dépendant de l'extérieur que l’est la Suisse – avec son centre financier et écono-

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La trésorerie de la Confédération en 2000

En 2000, la Confédération a emprunté un montant net de 3,9 milliards sur les marchés monétaire et des capitaux. Le nouvel endettement sur les Acquisition de fonds externes augmenté par rapport à l’année précédente, passant de 277 millions à la fin de 1999 à 350 marchés financiers s’est donc Comme l’année précédente, des crédits à millions à la fin 2000. Cet instrument ne joue avéré nettement inférieur à celui court terme ont permis de faire face aux varia- toutefois plus qu’un rôle modeste comme tions à court terme des liquidités. Le niveau source de financement pour la Confédération. de l’année précédente (7,4 mil- des fonds levés au moyen de créances compta- Afin d’améliorer la liquidité des emprunts liards). En même temps, l’endette- bles à court terme a été réduit de 3,6 milliards obligataires fédéraux, la Confédération émet, et atteignait encore 13,4 milliards à la fin de depuis 1991, des obligations fongibles, dont le ment interne a pu être réduit de l’année.Le niveau des fonds levés au moyen de montant à l’émission a été relevé progressive- 9,5 milliards de francs, grâce aux créances comptables à court terme avait été ment de 250 millions à un milliard de francs au augmenté de 4,2 milliards à la fin de l’année maximum. Depuis le début de l’an 2000, on a placements de la Caisse fédérale 1999 afin d’approvisionner le marché avec renoncé à indiquer un montant maximal. De de pensions (CFP) sur le marché, suffisamment de titres pouvant être utilisés plus, la fusion de plusieurs emprunts assortis pour la mise en pension dans le cadre des de conditions identiques (fongibilité) a pour au remboursement de créances transactions repo en vue du passage à l’an effet d’augmenter le montant nominal de ces en faveur de la Caisse de pensions 2000. Ce montant supplémentaire a été rem- emprunts obligataires. Cette procédure a per- boursé au début de l’an 2000. Les créances mis d’accroître sensiblement la liquidité du des CFF ainsi qu’au rembourse- comptables à court terme sont émises chaque marché et, partant, le succès des emprunts de ment de placements de la Poste. semaine pour une durée de trois, six et douze la Confédération. Par la suite, la création, sur mois. Le montant global des bons du Trésor a la base des obligations de la Confédération, L’augmentation de la dette fédé- de produits dérivés tels que les options ou les rale à environ 108 milliards de «futures» sur taux d’intérêt, a élargi l’éventail des instruments disponibles sur la place finan- francs est en grande partie due cière suisse.Les emprunts de la Confédération au transfert au bilan fédéral de sont en outre contenus dans le panier des titres susceptibles d’être mis en pension dans le la part de la Confédération au Peter Thomann cadre des transactions repo. déficit du bilan de la CFP d’un Chef de la Trésorerie de la La trésorerie a continué d’émettre des em- Confédération, Admini- prunts fongibles en 2000. Ainsi, elle n’a lancé montant d’environ 7 milliards stration fédérale des finances, Berne que deux nouveaux emprunts d’une durée de de francs. 11 et 13 ans, et elle a en outre majoré les mon-

En vue du financement de futurs grands projets comme les NLFA et Rail 2000 entre autres, mais aussi pour faire face aux flux des fonds de la trésorerie centrale, la Confédéra- tion a constitué d’importantes réserves, profitant de taux d’intérêt favorables. Photo: Keystone

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tants d’emprunts émis précédemment. Les prévu. Ces prêts de la Confédération attei- taux d’intérêts étant restés bas, la trésorerie a gnaient 2,9 milliards à fin 2000,contre 3,9 mil- continué d’opter pour des emprunts à longue liards un an auparavant. La Confédération a échéance. Les emprunts les plus élevés consti- par ailleurs financé des prêts des cantons au tués à ce jour résultent de majorations succes- fonds de compensation de l’assurance-chô- sives de leurs montants. Ainsi, le montant de mage. Ces prêts s’élevaient à 2,8 milliards fin Tableau 1 26 emprunts fédéraux s’élève à 54,1 milliards 2000, contre 3,8 milliards un an plus tôt. Endettement net sur les marchés financiers, au total; quatre de ces emprunts s’élèvent à 2000 plus de quatre milliards chacun et deux d’en- Coût moyen de la dette fédérale tre eux dépassent même la limite de cinq mil- Millions de francs liards. Les emprunts fédéraux représentent Le bas niveau des taux d’intérêt sur les mar- Total +3912 près de 22% de la capitalisation du marché chés de l’argent et des capitaux se reflète sur le Marché monétaire –3454 obligataire domestique et,cependant,environ coût moyen de la dette de la Confédération Crédit monétaire +100 64% du chiffre d’affaires des transactions dans (sans les créanciers et les fonds spéciaux).Il est Créances comptables à court terme –3627 Bons du Trésor +73 ce secteur ont porté sur ces emprunts en 2000. de 4,02%, alors qu’il atteignait 3,58% à fin Marché des capitaux +7366 En l’an 2000, le calendrier des émissions a 1999. Le tableau 2 renseigne sur l’évolution Emprunts publics +7392 été modifié; de bimestriel en 1999, le rythme du coût moyen de la dette. Dépôt à terme de la Confédération –26 des placements des emprunts fédéraux est de- Dans le calcul du coût des emprunts,toutes

Source: AFF / La Vie économique venu mensuel. La trésorerie a lancé 15 em- les dettes contractées sur les marchés de l’ar- prunts pour un montant total de 12,1 mil- gent et des capitaux ainsi que les dettes à terme liards (1999: 5,5 milliards), y compris les envers la Poste, les CFF et la garantie pour les tranches propres qu’elle a retenues à l’émis- risques à l’exportation (GRE) sont prises en sion. Compte tenu des remboursements considération (dettes envers la Caisse fédérale ordinaires et des dénonciations anticipées, le de pensions (CFP) non comprises).A fin 2000, montant net emprunté en 2000 par le biais les dettes comprises dans le calcul du coût des d’emprunts obligataires a atteint 7,4 milliards emprunts s’élevaient à 72,7 milliards (1999: (1999: 3,2 milliards). 70,6 milliards). Le calcul tient compte du taux d’intérêt nominal, du prix d’émission, des frais d’émission, droits de timbre d’émission Besoins financiers des CFF, de la Poste compris, ainsi que des commissions de rem- et de l’assurance-chômage boursement prélevées sur les coupons et les Les Chemins de fer fédéraux (CFF) ont titres. Il ne tient en revanche pas compte des placé 1,1 milliard de francs auprès de la Con- flux de paiements provenant des swaps de taux fédération sous forme de dépôts à court terme d’intérêt, qui réduisent à moyen et à long (1999: 970 millions). Les placements de la terme le coût des emprunts. Poste auprès de la Confédération arrivant à échéance,qui se montaient à 2,1 milliards,ont Flux de fonds de la trésorerie fédérale été remboursés à leur échéance. Depuis le 1er avril 1999, la Poste effectue elle-même ses Les flux de fondsde la trésorerie centrale ont placements sur le marché. enregistré des variations mensuelles pouvant Grâce à l’amélioration de la situation de atteindre 4,5 milliards. Pour y faire face et en Graphique 1 l’emploi, le montant du remboursement des vue du financement de futurs grands projets Dettes de la Confédération, 1980-2000 prêts accordés par la Confédération à l’assu- (NLFA, Rail 2000, financement des caisses de rance-chômage (AC) a été plus important que pensions de la Confédération, des CFF et de la en milliards de francs Poste), la Confédération s’est constitué d’im- 120 portantes réserves de trésorerie, profitant de taux d’intérêt favorables. Les fonds non utili- 100 sés dans l’immédiat sont placés sur un compte porteur d’intérêts auprès de la Banque natio-

80 nale suisse,conformément à la convention sur le placement et la rémunération des fonds de la trésorerie fédérale. Ces fonds s’élevaient à 60 8,2 milliards à la fin de l’année passée (1999: 9 milliards). Le montant des titres a atteint

40 1,6 milliard (1999:2,6 milliards).Les fonds to- taux de la trésorerie,dont la majeure partie est libellée en francs suisses, ont diminué de 1,6 20 milliard en 1999 pour passer à 10,3 milliards. Le maintien à un niveau élevé des réserves de 0 la trésorerie est principalement dû au fait que 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 le résultat de clôture du compte financier a de Source: AFF / La Vie économique loin dépassé toute prévision. Cette évolution

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réjouissante a pu être compensée en partie avantageux qu’un emprunt effectué aux con- seulement par une réduction du programme ditions d’émission. La trésorerie a beaucoup d’émissions. S’agissant des emprunts et des recouru à cet instrument. placements de fonds à court terme, le chiffre Instruments pour la gestion des monnaies d’affaires des transactions a atteint le montant étrangères: les offices font part de leurs besoins de 519 milliards (1999: 602 milliards). Ces de devises à la trésorerie. Celle-ci assume le Tableau 2 montants n’englobent ni les opérations sur risque lié aux variations du taux de change dans Prix de revient des emprunts, 1970-2000 devises, ni les options, ni les swaps. le cadre de la nouvelle stratégie de gestion des (en %) devises. Afin de pouvoir s’acquitter de ses obli- gations de paiement aux échéances voulues, Année Dette globale sur les marchés Recours aux instruments dérivés monétaire et des capitaux elle doit acquérir des devises étrangères à des L’évolution fulgurante des marchés finan- dates déterminées. Dans le but de couvrir les 1970 4.14 ciers ainsi que la volatilité croissante des pro- risques liés aux variations de taux de change, 1975 5.82 1980 5.15 duits financiers entraînent un recours accru elle recourt, en plus des opérations au comp- 1985 4.76 aux instruments dérivés. C’est ainsi que l’on tant,à des opérations à terme et sur options.En 1986 4.46 utilise principalement les swaps de taux d’in- acquérant des options d’achat, elle s’assure le 1987 4.36 térêt et différents types d’options à des fins de droit de pouvoir acheter des devises à un cours 1988 4.30 couverture des risques. fixé à l’avance. Par la vente d’options de vente 1989 5.24 1990 5.43 Vente d’options d’achat (call-options) sur (put-options), les cours d’achat peuvent être 1991 6.30 des emprunts fédéraux: lors de l’émission abaissés en raison des primes encaissées. En re- 1992 5.92 d’emprunts fédéraux, la Confédération se ré- courant aux instruments permettant de gérer 1993 4.99 serve en règle générale des tranches propres. les risques liés aux taux de change plutôt que 1994 4.84 En plus de la vente des obligations des tranches d’appliquer l’ancienne méthode consistant à 1995 4.19 1996 4.00 propres directement sur le marché à une date acquérir des devises au moment convenu pour 1997 3.60 ultérieure, des options d’achat sont vendues l’achat, la trésorerie a réalisé des économies de 1998 3.50 sur une partie des titres des tranches propres l’ordre de 50,7 millions (1999: 31,2 millions). 1999 3.58 de la Confédération. Grâce à ces ventes, la Swaps de taux d’intérêt: étant donné le tou- 2000 4.02 Confédération encaisse des primes, qui rédui- jours bas niveau des taux d’intérêt, la trésorerie Source: AFF / La Vie économique sent le coût des emprunts. Si, à l’échéance de fédérale s’efforce d’effectuer ses emprunts avec l’option, le cours des obligations se situe en des durées les plus longues possibles. Comme dessus du prix d’exercice, la Confédération elle ne peut toutefois pas négliger ses instru- doit livrer les titres. Si l’on tient compte des ments monétaires, elle conclut ce que l’on ap- primes, ce type d’opération se révèle plus pelle des payer-swaps.Ce faisant,la Confédéra- Encadré 1 tion s’engage à payer des taux d’intérêt fixes à La trésorerie de la Confédération, qui dépend Les besoins qui ne peuvent être couverts sur le long terme et en contrepartie, elle reçoit de la de l’Administration fédérale des finances (AFF), plan interne sont financés par appel aux marchés partie contractante les montants variables dé- est centralisée, c'est-à-dire qu'elle englobe, de l'argent et des capitaux. Le principal instru- coulant des taux d’intérêt à court terme. La po- outre l'administration fédérale proprement dite, ment de collecte de fonds demeure aujourd'hui sition nette des payer-swaps est passée de 4,7 à les entreprises (Poste et CFF) et établissements encore l'emprunt à long terme, qui est émis depuis de la Confédération. Elle veille à ce que la Confé- le début de 1980 selon le système d'enchères. En 4,3 milliards,étant donné que dans les périodes dération et ses entreprises soient solvables en 1992, on a créé, avec le dépôt à terme de la Confé- où les taux d’intérêt étaient plus élevés, les po- permanence. Les besoins de financement sont dération, un nouvel instrument, qui a été axé sur sitions de payer-swaps ont été neutralisées couverts avant tout par des emprunts sur les mar- les besoins des investisseurs privés; il a une durée chés financiers. Afin de parer aux variations des de un, deux ou trois ans et il peut être souscrit pour que des bénéfices puissent être réalisés. liquidités, la Confédération détient une réserve aux guichets de la Poste. Depuis fin octobre 1999, Options sur swaps de taux d’intérêt (swap- de trésorerie adéquate, placée de manière sûre et la Confédération ne propose plus de dépôts à tions): en vendant des options sur swaps de rentable. La trésorerie de la Confédération est terme. Dès le 1er novembre 1999, les dépôts à taux d’intérêt,la Confédération reçoit des pri- actuellement responsable du placement des terme Jaunes doivent être souscrits directement avoirs de la Caisse fédérale de pensions. auprès la Poste. Pour les besoins à court terme, mes, qui contribuent à faire baisser le coût des Il importe en premier lieu de compenser les on dispose des bons du Trésor. Il s'agit de papiers emprunts. Si les swaptions sont exercées, elle fluctuations de liquidité pour chaque mois et pour admis par la Banque nationale à l'escompte et au conclut des payer-swaps, qui correspondent à l'année entière. Ces fluctuations, qui proviennent crédit sur nantissement, assimilables à des effets sa politique, laquelle consiste à emprunter à pour l'essentiel du système des chèques postaux, d'une durée de 3 à 24 mois et qui sont exclusive- n'ont cessé de s'amplifier ces dernières années ment placés auprès des banques. Dans le cadre du long terme. pour atteindre plus de 5 milliards de francs à renforcement de notre marché de l'argent, il a été l’heure actuelle. Afin d'y faire face, des réserves créé, en 1979, les créances comptables à court de trésorerie ont été constituées. La régulation terme, qui sont elles aussi émises selon le sys- Charge d’intérêts des liquidités s'opère par le biais des fonds col- tème d'enchères. Ces créances sont admises à lectés à court terme sur le marché et des fonds en l'escompte et au crédit sur nantissement. Elles Par rapport à l’année précédente,les intérêts attente d'être utilisés et qui sont placés à intérêt. sont émises toutes les semaines pour une durée passifs ont diminué de 97 millions pour passer La trésorerie de la Confédération est appelée de trois, six ou douze mois. A la différence des à 3489 millions, malgré un niveau des taux par ailleurs à se procurer les ressources nécessai- bons du Trésor, elles ne sont pas uniquement d’intérêt et un état des dettes qui ont augmen- res: acquises par les banques. Quant aux besoins ex- – à la couverture des besoins financiers de la ceptionnels à très court terme, ils sont couverts té. Le rendement des capitaux placés a augmen- Confédération; par le biais de crédits monétaires sollicités auprès té, passant de 627 à 735 millions. La charge – à la couverture des besoins en capitaux des en- des banques pour une durée de quelques jours nette d’intérêts, qui a diminué de 148 millions, treprises et établissements de la Confédération; seulement. – à la conversion des dettes échues. est de 2754 millions,ce qui représente 5,3% des recettes totales en fin 2000 (voir tableau 3).

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Gestion des risques

La mise en place d’un système moderne de gestion des risques,basé sur un bilan des actifs et des passifs de la trésorerie, appelé Asset and liability management (ALM), a débuté en

Tableau 3 1993. Les objectifs poursuivis au travers de ce système sont les suivants: évaluer et gérer les Dettes de la Confédération: évolution de la charge nette d’intérêts, 1980-2000 risques liés aux fluctuations des taux ainsi que les risques de change et créer les bases d’éva- Année Dépenses d’intérêts Recettes d’intérêts Charge nette d’intérêt En millions de francs En millions de francs En millions de francs En % des recettes totales luation des performances de la trésorerie. L’ALM permet à cette dernière d’agir de façon 1980 1117 384 733 4.4 1981 1286 519 767 4.3 plus rigoureuse et plus ciblée. L’introduction 1982 1306 411 895 4.6 de l’ALM s’est traduite par la création d’un 1983 1310 371 939 4.7 comité, l’Asset and liability management com- 1984 1307 359 948 4.4 mittee (ALCO), qui fixe la stratégie de la tréso- 1985 1391 390 1001 4.4 rerie. Cette dernière se conforme aux directi- 1986 1438 442 996 3.8 1987 1414 491 923 3.6 ves de l’ALCO. En matière de gestion, un 1988 1381 516 865 3.0 logiciel moderne facilite l’évaluation et le 1989 1482 554 928 3.2 contrôle des différents postes du bilan. 1990 1832 654 1178 3.6 1991 2050 740 1310 3.9 1992 2546 900 1646 4.7 Placement des fonds de la Caisse 1993 2486 1076 1410 4.3 fédérale de pensions 1994 3079 1284 1795 5.0 1995 3080 1440 1640 4.4 Depuis juillet 1999, une partie des fonds de 1996 2922 1331 1591 4.0 la Caisse fédérale de pensions sont placés en 1997 3079 1140 1939 5.0 titres. En l’an 2000, 5,5 milliards de francs au 1998 3345 1069 2276 4.8 1999 3586 684 2902 6.8 total ont été placés, à savoir 2,1 milliards en 2000 3489 735 2754 5.3 actions suisses, 2,2 milliards en actions étran- gères, 1 milliard en obligations libellées en Source: AFF / La Vie économique monnaies étrangères et 0,2 milliard en fonds immobiliers. Dans un premier temps, il n’y a pas eu de placements en obligations suisses,

Graphique 2 car ce segment comprend actuellement les Charges d’intérêts de la Confédération, 1980-2000 placements auprès de la Confédération. En l’an 2000, un rendement de 2,72% a été réalisé sur la fortune totale de 36,2 milliards. Charge nette d'intérêts Recettes d'intérêts Dépenses d'intérêts Ce taux est inférieur aux 4% d’intérêt qu’ont rapportés les placements auprès de la Confédé- en millions de francs 4000 ration ainsi qu’au taux d’intérêt technique qui est également de 4%.Le rendement de la fortune 3500 placée en titres (11,2 milliards) est de –0,05% en 2000, le taux de référence étant de –0,4%. Il 3000 s’avère donc qu’une surperformance relative de 0,35% a pu être enregistrée.Contrairement à la 2500 contribution positive des obligations libellées

2000 en monnaies étrangères, des actions suisses et des fonds immobiliers, les actions placées sur 1500 les marchés étrangers ont eu un rendement négatif. Cette évolution a eu des répercussions 1000 négatives sur le portefeuille des titres. Pour ce qui concerne les placements à 500 l’étranger, la trésorerie a commencé à investir

0 dans des actions à caractère durable.Elle a ain-

1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 si placé 225 millions dans six fonds de place-

Source: AFF / La Vie économique ment dédiés à des actions à caractère durable au niveau international. Il est réjouissant de constater que cinq de ces six fonds de place- ment ont obtenu un résultat supérieur au taux de référence.

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L'importance du gouvernement d'entreprise dans le monde et en Suisse sous l’angle de la politique économique

Un bon gouvernement d’entre- prise («corporate governance») est la condition sine qua non du développement économique des Le détonateur de la crise asiatique Qu’entend-on par gouvernement d’entreprise? pays en développement et en Dans son rapport sur la politique écono- mique extérieure de 1998, le Conseil fédéral a 1. Le gouvernement d’entreprise au sens étroit transition, mais aussi des tiré un certain nombre de leçons de la crise concerne le rapport entre les actionnaires économies avancées. L’intégrité asiatique.2 Il s’est interrogé à ce propos sur les en tant que propriétaires (mandant) et le conditions nécessaires au bon fonctionne- conseil d’administration ainsi que la direc- («integrity»), la fiabilité de ment des marchés,pour arriver à la conclusion tion (mandataire). Il se rapporte en ce sens l’entreprise («corporate que les privatisations,les déréglementations et aux élémentaires devoirs de bonne conduite les libéralisations dans la politique économi- en matière d’organisation et de direction accountability») et surtout la que déstabilisent les économies nationales d’entreprise, l’objectif étant d’optimiser transparence («transparency») lorsque les nouvelles libertés économiques son organisation au niveau de la direction et qu’elles instaurent ne s’accompagnent pas de du contrôle. sont les maîtres mots de la conditions-cadre minimales. Par exemple, la Les questions qui se posent dans le débat politique économique mondiale, légèreté avec laquelle les crédits ont été accor- sur la bonne conduite au sens étroit varient dés en Asie n’a-t-elle pas été l’une des causes de d’un pays à l’autre,en raison des différentes auxquels le gouvernement la crise financière asiatique? Celle-ci a égale- structures qui régissent les rapports de pro- d’entreprise suisse doit se ment été favorisée par l’insuffisance des régle- priété. Aux Etats-Unis et en Grande-Breta- mentations et de la surveillance des instituts gne, ces rapports sont largement dissémi- mesurer. Il convient de renforcer financiers, s’ajoutant à une mauvaise gestion nés.3 On qualifie ces systèmes d'«outsider», la prise de conscience quant à ses des risques et à l’absence de contrôles internes. car ils posent avant tout le problème de la Une économie qui privilégie le favoritisme représentation («agency»),compte tenu de exigences et son contenu dans et un goût du risque («moral hazard») très l'équilibre nécessaire entre les intérêts des notre pays. Les entreprises ambiant ont en particulier aggravé le manque gestionnaires et ceux des actionnaires. de transparence qui caractérisait la situation Les systèmes «insider» dominent pour la suisses doivent le pratiquer financière des entreprises et les responsabilités plupart en Europe continentale (ainsi qu'en effectivement grâce à une de leurs organes dirigeants. A l’origine de ces Suisse) et au Japon. Ils se caractérisent par dysfonctionnements, on trouve les insuffi- l'existence d'actionnaires dominants, qui attitude plus ouverte et à une sances du droit régissant les sociétés, la détiennent souvent plus de la moitié des meilleure communication.1 comptabilité et le marché des capitaux. Le voix. Il convient donc de régler ce conflit Conseil fédéral a considéré que les principes essentiel qui oppose les détenteurs d’im- du gouvernement d’entreprise faisaient égale- portants paquets d’actions et les petits ac- ment partie – avec l’Etat de droit,la protection tionnaires. des investissements,le droit de la concurrence, La définition du gouvernement d’entre- les normes élémentaires en matière de droit du prise, au sens étroit du terme, fait jusqu'à travail et d’environnement – des conditions- présent appel à des notions institutionnel- cadre juridiques indispensables au bon fonc- les et juridiques (organisation des droits des tionnement des marchés. actionnaires, protection des minorités, composition des organes de la société et rapports entre eux),mais aussi à des aspects relevant du déroulement opérationnel (organisation du conseil d’administration, systèmes d’incitation financière). 2. Le gouvernement d’entreprise au sens large s’étend aux relations entre l’entreprise et les autres agents économiques intéressés par sa bonne marche («stakeholders»), parmi les- Rudolf A. Müller Birgit Thomsen Guth quels se trouvent les employés, les crédi- Chef suppléant du Adjointe scientifique, teurs, les clients, les fournisseurs, les socié- domaine de prestations Domaine de prestations tés et les collectivités locales, qui mettent à Stratégie économiques et Stratégies économiques mandats spéciaux, secré- et mandats spéciaux, disposition l’infrastructure nécessaire ou se tariat d'Etat à l'économie secrétariat d’État à l’éco- portent garantes de la protection de l’envi- (seco), Berne nomie (seco), Berne ronnement, ainsi que des actionnaires qui

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agissent en tant que propriétaires (l’Etat étant un actionnaire possible). Pris dans ce sens, le gouvernement d’entreprise a un double effet: d’un côté, il participe à la création et au maintien d’un climat d’af- faires encourageant les dirigeants de firmes et les entrepreneurs à maximiser l’efficacité opérationnelle de l'entreprise, le rende- ment de l’investissement et la croissance à long terme de la productivité. D’un autre côté, il minimise pour les investisseurs et la société les coûts inhérents à d’éventuels abus de pouvoir et de ressources de la part des dirigeants ou d’autres initiés. 3. Enfin, la notion de gouvernement d’entre- prise peut être utilisée dans le sens de gou- vernement interne. Elle recouvre alors les fonctions exercées par la direction d’af- faires vis-à-vis des unités opérationnelles situées en aval comme la délimitation des champs d’activités,la définition d’objectifs, la cession de ressources, le controlling, l’affectation des postes de direction, etc. La limite traditionnelle entre le gouvernement d’entreprise et le gouvernement interne se déplace en fonction de l'intérêt croissant que les actionnaires portent à des décisions appropriées en ce qui concerne les nouvel- les orientations stratégiques, les restruc- turations ou l’abandon de domaines d’acti- Photo: Keystone Les principes adoptés par l’OCDE relatifs au vités.4 gouvernement d’entreprise ne se limitent pas à des règles abstraites, érigées en standard. Au contraire, ils doivent, suivant l'activité Les principes de l’OCDE de l'entreprise, se mesurer à des défis très différents et faire leurs preuves sur le marché. Ayant pris conscience du fait que les crises de 1997–1998 dans les pays émergents con- cernés avaient notamment pour cause des faiblesses structurelles dans la conduite des entreprises, l’OCDE a décidé, en 1998, d’éla- borer des recommandations sur le gouverne- ment d’entreprise. Les principes adoptés en 1999 au niveau 1 Les deux auteurs représentent la Suisse au comité de direction de des ministres à l’OCDE donnent aux pays l'OCDE chargé du gouvernement d'entreprise. Ils donnent ici leur conception personnelle qui n'engage en rien l'administration membres de cette organisation et aux autres fédérale. États tiers intéressés un cadre général, auquel 2 Rapport sur la politique économique extérieure 1998, du 13 janvier 1999, chap. 1: La nouvelle dimension de la politique économique ils peuvent se référer pour élaborer et dévelop- extérieure – leçon de la crise asiatique. per leur législation. Ces principes s’adressent 3 La plupart des sociétés cotées en bourse en Grande-Bretagne ne sont pas en main de grands actionnaires qui détiennent plus de donc avant tout au législateur, sans engage- 10% des actions. Il en va de même aux Etats-Unis, où les action- ment de mise en œuvre, car ils n’ont pas force naires ne détiennent généralement pas plus de 5 ou 6% du capital- actions. Dans ces deux pays, les deuxième et troisième plus grands obligatoire. Ils ont aussi été élaborés à l’inten- paquets d’actions sont souvent à peine inférieurs au premier tion des entreprises cotées en bourse et peu- paquet en importance. 4 Cf. Strikwerda, Hans, à l’occasion de la «First European Conference vent servir de fil conducteur aux petites et on Corporate Governance» des 16 et 17 novembre 2000, à Bruxelles. moyennes entreprises.

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Photo: Keystone Ces derniers mois, les communiqués sur les entreprises suisses se sont multipliés dans les médias. Ceux-ci posaient la question de fond Les principes de base de l’OCDE sont re- concernant la situation financière,les résul- du gouvernement d'entreprise qui met en avant les droits des actionnaires (en illustra- groupés en cinq chapitres, qui peuvent se ré- tats, les rapports de propriété au sein de tion: l'assemblée générale du SAirGroup du sumer comme suit: l’entreprise et la direction, devraient être 25 avril 2001). 1. Les droits des actionnaires comprennent, diffusées avec diligence et en temps oppor- outre les droits de propriété au sens large, tun. Il importe de fournir également des le droit à l’information, le droit d’élire les renseignements sur les objectifs, les risques membres des organes de direction, le droit prévisibles, les préoccupations majeures de participer à l’assemblée générale des ac- des employés et des autres milieux en rap- tionnaires et aux décisions essentielles qui port avec l'entreprise, la structure et la concernent la société, tels que des amende- politique mises en place par la direction, ments de statuts et des transactions excep- ainsi qu’une évaluation comptable indé- tionnelles. pendante. 2. Le traitement équitable des actionnaires veut 5. La responsabilité du Conseil d’administra- qu’à l’intérieur d’une même catégorie d’ac- tion consiste à garantir une conduite straté- tionnaires, ceux-ci soient traités sur un gique de l’entreprise, à exercer une surveil- pied d’égalité. Les opérations d’initiés sont lance efficace sur la direction et à rendre des interdites; la transparence est de mise en ce comptes aux actionnaires. Les conditions qui concerne les intérêts des membres des requises sont la mise à disposition d’une in- organes de direction. formation appropriée,la capacité de rendre 3. Les droits des personnes intéressées par la un jugement indépendant de la direction, bonne marche de l’entreprise comme les le respect de la légalité,le traitement équita- travailleurs, les créditeurs ou les pouvoirs ble et la prise en compte des intérêts des publics doivent être respectés conformé- actionnaires, un investissement en temps ment à la loi en vigueur.Une active collabo- suffisant. ration entre l’entreprise et ces milieux est à encourager, et dans ce but ceux-ci doivent Intérêts de la Suisse en matière disposer d’une information pertinente. de politique des investissements 4. La comptabilité et la diffusion de l’informa- tion sont souvent citées comme les princi- La globalisation avancée des marchés des pes clés du gouvernement d’entreprise.Des capitaux, la priorité donnée aux mécanismes informations essentielles et appropriées, de marché,la privatisation et la déréglementa-

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tion sont autant de facteurs qui accroissent la transition. Ces principes suscitent un grand concurrence et la course aux capitaux. Les in- intérêt et l’accueil qui leur est fait renforce un vestisseurs, quant à eux, désirent se retrouver processus de prise de conscience quant à l’état «à armes égales» et mieux connaître les règles des concepts les mieux adaptés à la conduite du jeu lorsqu’ils décident de mettre leur capi- de la politique économique, ce qui n’est pas tal à disposition. Ils souhaitent être à l’abri sans retombées sur les discussions entre pays des mauvaises surprises de la part de l’État ou membres de l’OCDE. du secteur privé: que ce soit les collusions, Les principes de l’OCDE sont-ils le préam- la diffusion d’information unilatérale,les opé- bule à la fixation de normes homogènes au rations d'initiés ou encore le détournement plan mondial? occulte de capital.Ils veulent pouvoir défendre Les principes de l’OCDE relatifs au gouver- leurs droits quand ceux-ci sont bafoués. Une nement d’entreprise ne se limitent pas à des bonne conduite d’entreprise va de pair avec règles abstraites: ils ont des fonctions d’ordre une bonne gestion des affaires publiques économique et politique, et ne peuvent être («good governance»), et conditionne d'autant compris que comme faisant partie d’un tout. plus un développement économique heureux, L’OCDE l’a suffisamment souligné: il existe a fortiori dans les pays en développement et en différents systèmes efficaces de gouvernement transition. Elle est un facteur d'implantation d’entreprise, notamment en ce qui concerne aux yeux des investisseurs étrangers, au pre- l’organisation de l’organe suprême de di- mier rang desquels figurent les Suisses dans rection (conseil d’administration en Suisse, le monde, si l’on considère le nombre d’habi- organe de direction et conseil de surveillance tants. Dans le pays hôte, l’investisseur suisse en Allemagne). est souvent confronté à des entreprises plus Il paraît évident, au vu de ce qui précède, importantes et plus influentes,d’où la nécessi- que le gouvernement d’entreprise selon le type té d’un traitement «à armes égales». d’activité considérée,la branche concernée ou L’OCDE a ouvert de nouvelles perspectives la forme de ladite entreprise doit relever des en élaborant ses principes concernant le gou- défis différents. Des phénomènes de conver- vernement d’entreprise et contribué, ce fai- gence devraient se produire de part et d’autre sant, dans les pays en développement et en des frontières nationales. Ces systèmes doi- transition, à jeter des bases solides au ren- vent également faire leurs preuves sur le forcement des conditions-cadre faites aux marché. En tout état de cause, le gouverne- investissements privés indigènes ou étrangers. ment d’entreprise suscite une demande qu’il En collaboration avec la Banque mondiale, est de plus en plus difficile d’ignorer. l’OCDE travaille activement à la diffusion de Il s'ensuit que, dans le cas des entreprises, ces principes et à leur mise en œuvre dans celles-ci doivent soutenir une comparaison de nombreux pays en développement et en internationale toujours plus sévère en termes de rendement et de comportement,mais avant tout dans la façon dont elles sont perçues lorsqu'il s'agit de rendre des comptes et au niveau de la transparence. L’intégrité, la fia- Encadré 1 bilité de l’entreprise et la transparence sont Communiqués de presse concernant désormais des maîtres mots de la politique la Suisse économique mondiale. A la fin de la deuxième semaine du mois de public, mardi 13 mars 2001, que la commission mars 2001, les lecteurs intéressés par le monde permanente de surveillance du Parlement canto- de l’entreprise pouvaient lire dans la presse diffé- nal de Zurich avait ouvert une enquête sur les Enjeux pour la Suisse rents articles sur ce sujet. Le lundi 12 mars 2001, rémunérations des membres du conseil de la le «Financial Times» annonçait la démission de banque cantonale. Les bonus versés aux trois Depuis mars de cette année, les presses 9 des 10 membres du conseil d’administration du coprésidents à plein temps du conseil avaient nationale et internationale ont multiplié les SAir Group, avec les questions que cela posait triplé en trois ans et atteignaient, en 2000, la communiqués sur le gouvernement d’entre- pour la stratégie et le destin du groupe. Une barre des 200 000 francs par année. Les commu- prises en Suisse, celles-ci ayant expressément journée plus tard, le lundi noir de Swissair à la niqués susmentionnés ont connu une série de bourse faisait les gros titres de la «Neue Zürcher prolongements et non des moindres. Tout cela pour la première fois incorporé ce thème Zeitung». L’action de la compagnie aérienne avait soulève des questions essentielles, comme celles dans leurs informations. Les cas de Swissair, perdu plus de 13% de sa valeur en un seul jour, du rôle à jouer par le conseil d’administration, les d’André & Cie. ou encore de la Banque can- ce qui portait à 40% la perte sur une année. Le intérêts des actionnaires dans l’affaire Swissair, tonale zurichoise, ont fait couler beaucoup «Financial Times» du 10 mars, édition du samedi, les pertes enregistrées par la maison André et la informait des graves difficultés financières que cession des compétences de la direction par ses d’encre (voir encadré 1). traversait la maison André & Cie, une entreprise propriétaires à des personnes extérieures, ou La société anonyme est la forme juridique riche d'une longue expérience, à laquelle un encore la rémunération des dirigeants dans les la plus répandue en Suisse au niveau des entre- consortium de 43 banques venait de refuser une entreprises publiques, dans le cas de la Banque extension de ses lignes de crédit. L’entreprise, cantonale de Zurich. Tous ces dossiers touchaient prises. La révision du droit en la matière, en qui était toujours restée propriété de la famille, sans exception au gouvernement d’entreprise, date du 4 octobre 1991, a créé un cadre juridi- avait attendu octobre de l’année précédente pour et pourtant la presse suisse n’en avait pratique- que flexible, propice à l’application de rè- confier à un membre extérieur à la famille la pré- ment pas fait mention. gles de bonne conduite dans la pratique sidence de sa direction. Enfin, la NZZ informait le («best practices») en Suisse, selon la littérature

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spécialisée.5 La prochaine révision de la loi sur l'établissement des comptes et la nouvelle loi sur la fusion sont révélatrices de l’orientation prise par le législateur suisse, soucieux d’an- crer dans la législation des principes modernes et efficaces («state of the art»).A première vue, les conditions-cadre juridiques existantes et Encadré 2 prévues semblent avoir été conçues pour que les sociétés puissent traduire dans les faits les Peter Böckli, à propos des déficits tâches qui leur incombent en vertu des princi- accusés par la Suisse pes relatifs au gouvernement d’entreprise. Dans quels domaines la Suisse accuse-t- elle un retard? L’inventaire dressé plus haut par la presse ne Il ne fait aucun doute que la pratique permet pas de dire que le droit suisse ne pour- suisse actuelle s’éloigne des exigences rait pas faire face à ces situations. mentionnées dans le rapport Hampel dans Les exemples suisses susmentionnés met- les cinq domaines suivants: (I) création d’un «nomination committee» tent en lumière un nouveau défi culturel, que indépendant, composé de membres devront relever les entreprises.La bien connue extérieurs au conseil d’administration, discrétion dans les affaires en Suisse et son chargés de choisir des candidats au goût du consensus informel ont longtemps conseil d’administration, et mise en place d’un «remuneration committee», fait taire les voix qui s’élevaient pour plus de indépendant de la présidence du conseil transparence et d’obligation de rendre des d’administration; comptes, deux éléments essentiels du débat (II) institutionnalisation de l’appréciation sur le gouvernement d’entreprise dans la poli- des compétences du conseil d’adminis- tration et de son président; tique économique mondiale comme on l'a (III)publication des indemnités versées aux mentionné plus haut.Les articles de presse sur membres du conseil d’administration et les problèmes actuels des entreprises mon- à la direction dans le rapport annuel; (IV) structuration de l'aile externe du conseil trent bien avec quelle véhémence ces éléments d’administration par la désignation d’un ont fait irruption dans le débat sur le gouver- membre expérimenté extérieur chargé de nement d’entreprise en Suisse. formuler les oppositions et les critiques Ce constat ressortait également d’une à l’intérieur du conseil; 6 (V) introduction d’un chapitre spécial dans étude menée par M. Böckli en 1999.Aux yeux le rapport annuel, consacré à la situa- de son auteur, une grande partie des principes tion en termes de gouvernement d’en- contenus dans le rapport «Hampel» avaient treprise et au respect de règles de bonne été mis en œuvre en Suisse ou le seraient pro- conduite dans la pratique. chainement. Néanmoins, il reconnaissait un certain nombre de déficits dans les domaines structurels, de l’évaluation des prestations et de la rémunération du conseil d’administra- tion, qui soit dit en passant, relèvent de la transparence, de la responsabilité et du devoir ou non de rendre des comptes (voir encadré 2). En Suisse, aucun obstacle majeur ne s’op- pose à la réalisation de ces cinq exigences. Comme il a déjà été mentionné, cela dépend pour beaucoup de l’attitude d’ouverture des entreprises suisses, attitude qu’elles ne de- vraient pas avoir plus de peine à adopter que leurs homologues étrangères. Un tel dévelop- pement du gouvernement d’entreprise est dans l’intérêt non seulement des actionnaires7, mais aussi de la place économique suisse.

5 Cf. Böckli, Peter, Corporate Governance: Der Stand der Dinge nach den Berichten «Hampel», «Viénot» et «OECD» et le «KonTraG» allemand, in SZW/RSDA 1/99, p. 14 6 Böckli, op. cit., p. 12 7 Financier genevois, André Baladi est l’un des pionniers du gouver- nement d’entreprise dans le monde. Co-fondataire de l‘«Inter- national corporate governance networks» (ICGN), et conscient du fait que les investisseurs comparent les objets de leurs investisse- ments entre eux, il a été l’un des premier à attirer l’attention sur le «benchmarking» comme élément moderne du gouvernement d‘entreprise.

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Les travailleurs pauvres en Suisse

Les personnes exerçant une activité lucrative ne sont pas à l'abri de la pauvreté. Le nombre des travailleurs pauvres («working poor») a augmenté En 1999, 7,5% des personnes actives âgées – La première consiste à définir les travail- de 20 à 59 ans étaient des travailleurs pauvres, leurs pauvres comme une partie des actifs en Suisse au cours des années ce qui correspond à un total de 250 000 tra- recevant de bas salaires: ce sont des person- nonante. Cette situation vailleurs ou de 535 000 personnes si l'on inclut nes actives occupées qui produisent au celles faisant partie de leur ménage. Les famil- moins la moitié du revenu du ménage (ou concerne principalement les les monoparentales,dont la proportion a dou- revenu familial),mais qui gagnent moins de ressortissants étrangers, les blé depuis 1992, et les couples ayant plusieurs 50% d'un salaire moyen (salaire médian de enfants sont particulièrement nombreux par- l'ensemble de l'économie). Cette approche femmes, les personnes ayant des mi les travailleurs pauvres (voir graphique 1). se base sur le revenu individuel. Les travail- enfants, celles qui ont peu de leurs pauvres ne vivent pas forcément dans des ménages pauvres. formation et celles qui travaillent Qui sont les travailleurs pauvres? – La seconde consiste à définir les travailleurs dans des branches à bas salaires. Les travailleurs pauvres sont des personnes pauvres comme des personnes actives oc- vivant dans la pauvreté tout en exerçant une cupées qui font partie d’un ménage vivant C'est ce qui ressort d'une analyse activité rémunérée. Mais il n'y a pas de con- au-dessous du seuil de pauvreté.Ce qui est ici effectuée par le Bureau d'études sensus général quant à la définition des tra- déterminant, c'est le rapport entre le total vailleurs pauvres. En Suisse, il existe deux du revenu et le total des besoins de l'unité de politique du travail et de poli- façons de considérer la question: économique qu'est un ménage. Même si tique sociale (BASS), sur mandat une personne ne touche pas un salaire bas, cela ne met pas nécessairement l'ensemble de l'Office fédéral de la statis- de son ménage à l'abri de la pauvreté. Dans tique (OFS).1 cette approche, l'analyse de la situation des travailleurs pauvres présuppose un mini- 1 L'analyse s'appuie sur les données de l'Enquête suisse mum de revenu (généralement, un emploi sur la population active (ESPA) de 1999. Elisa Streuli Tobias Bauer à plein temps occupé par une personne ou Basler Institut für Sozial- Associé au Bureau pour l'ensemble du ménage). Derrière ces forschung und Sozialpla- d’études de politique deux définitions,il y a deux façons différen- nung, noyau de la Haute du travail et de politique école spécialisée de tra- sociale (BASS), Berne tes d’envisager la lutte contre la pauvreté. Si vail social des deux Bâles, l'on se concentre sur les bas salaires, l’ap- auparavant collaboratri- proche est essentiellement celle de la poli- ce du BASS, Berne tique de l'emploi. Si, par contre, ce sont les Graphique 1 besoins du ménage qui sont à l'avant-plan, Taux de travailleurs pauvres selon les types de ménage en 1992 et en 1999 l’approche est plutôt celle de la politique

1992 1999 sociale et familiale.Quoi qu'il en soit,il faut se demander à quoi sert en fait un salaire: en % 32 doit-il couvrir les besoins vitaux de la per- sonne elle-même ou assurer l'existence de 28 toute une famille? Lorsqu'on définit les travailleurs pauvres en présumant que le 24 salaire d'un emploi à plein temps devrait suffire pour une famille, c'est en contradic- 20 tion avec la réalité actuelle. De son côté, le salaire minimum de 3000 francs net que 16 revendique l'Union syndicale suisse (USS)

12 est axé sur les besoins vitaux d'une seule personne.Mais si un salaire minimum n'as-

8 sure pas l'existence de toute une famille, quel est le revenu familial «convenable»? 4 La définition de la notion de travailleurs 0 pauvres dans la présente étude se base sur le Personne seule Famille Couple Couple Couple Couple avec monoparentale sans enfant avec 1 enfant avec 2 enfants 3 enfants et plus seuil de pauvreté du ménage.Le critère de l'ac- Sources: OFS, calculs propres / La Vie économique tivité lucrative est pris au sens large et s'ap-

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plique à partir d'une heure de travail rémunéré En Suisse, les normes de la Conférence par semaine, ce qui correspond aux normes suisse des institutions d'action sociale (CSIAS) internationales (OIT2). Dans l'analyse, on sont déterminantes en ce qui concerne le ver- a toutefois distingué les «travailleurs pauvres sement de subsides d'aide sociale. Elles défi- occupés à plein temps», à savoir ceux dont le nissent le minimum vital comme la somme niveau de revenu de l'ensemble du ménage des besoins suivants: équivaut au moins à 90% d'un emploi à plein – forfait I: en fonction de la taille du ménage, temps, des «travailleurs pauvres occupés à p. ex. 1010 francs pour une personne seule; temps partiel», catégorie comprenant tous les – forfait II: selon la région, 45 à 155 francs Graphique 2 autres actifs pauvres. pour une personne seule (calcul simplifié Activité rémunérée, pauvreté et travailleurs pauvres effectué à partir de la moyenne suisse); – loyer: les frais effectifs, dans les limites de l'usage local, sont calculés sur la base de Personnes actives l'ESPA 95 pour la moitié à revenu le plus occupées Ménages dont la durée du travail rémunéré est inférieure à faible des différents types de ménages et 36 heures par semaine Pauvres extrapolés pour 1999; Travailleurs – assurance-maladie: assurance de base obli- pauvres occupés à temps partiel Pauvres gatoire, plus participations et franchises. sans Les différences de primes selon les cantons activité Travailleurs rémunérée et les assurés sont pleinement prises en Ménages dont la durée du travail pauvres occupés compte, mais l'ESPA ne reflète probable- rémunéré est au moins de 36 à plein temps heures par semaine ment que de façon incomplète la réduction des primes par les cantons, raison pour la- quelle les dépenses effectives des ménages pauvres en matière d'assurance-maladie ont été surestimées à partir de 1996.3 Source: graphique personnel / La Vie économique Pour un ménage ne comprenant qu'une seule personne, le minimum vital au sens des normes de la CSIAS correspond à pratique- ment 2100 francs par mois. Un ménage est Tableau 1 qualifié de pauvre si son revenu, après déduc- Taux de travailleurs pauvres selon des critères socio-démographiques, en 1999 (en %) tion des cotisations sociales et des impôts, est

Total des travailleurs Ménages dont la durée du travail rémunéré Ménages dont la durée du travail rémunéré pauvres est au moins de 36 heures par semaine est inférieure à 36 heures par semaine Nombre Taux Nombre Taux Nombre Taux Sexe Femme 133 000 9.1% 85 000 6.5% 48 000 29.8% Homme 117 000 6.4% 101 000 5.7% 16 000 27.3% Age 20-29 ans 42 000 6.4% 24 000 3.9% 18 000 45.9% 30-39 ans 89 000 8.3% 71 000 7.1% 18 000 30.8% 40-49 ans 76 000 8.1% 61 000 6.9% 15 000 26.8% 50-59 ans 43 000 6.2% 30 000 4.8% 13 000 19.3% Nationalité Etrangère 86 000 12.2% 76 000 11.2% 10 000 32.6% Suisse 164 000 6.2% 110 000 4.5% 54 000 28.4% Type de ménage Personne seule 33 000 6.1% 11 000 2.5% 22 000 23.4% Famille monoparentale 27 000 29.2% 10 000 18.9% 17 000 42.7% Couple sans enfant 26 000 3.2% 17 000 2.2% 9 000 24.7% Couple avec 1 enfant 25 000 6.7% 23 000 6.3% .. .. Couple avec 2 enfants 52 000 8.6% 47 000 8.1% .. .. Couple avec 3 enfants et plus 44 000 18.0% 42 000 18.1% .. .. Autres types de ménage 42 000 5.9% 36 000 5.4% .. .. Région linguistique Suisse alémanique 168 000 6.9% 126 000 5.6% 42 000 27.0% Suisse romande 74 000 9.2% 55 000 7.4% 19 000 31.3% Suisse italienne 7 000 7.4% ...... Total 250 000 7.5% 186 000 6.0% 64 000 29.0%

Sources: OFS, calculs propres / La Vie économique

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Graphique 3 Taux de travailleurs pauvres dans les catégories particulièrement exposées, 1999

en %

TOTAL DES PERSONNES ACTIVES OCCUPÉES Catégorie socio-démographique Etrangers Personnes seules Grandes familles (3 enfants et plus)

Femmes Niveau de formation Scolarité obligatoire, formation élémentaire Année de formation en économie domestique, école de commerce Professions Agriculteurs, paysans Alimentation, produits d'agrément Textiles et cuirs Traitement des métaux Construction mécanique Vente, commerce de détail Transports Professions artistiques Hôtellerie et restauration Nettoyage de bâtiments, conciergerie Statuts professionnels particuliers Indépendant sans employés Emploi à temps partiel Emploi temporaire

0.0 5.0 10.0 15.0 20.0 25.0 30.0 35.0

Sources: OFS, calculs propres / La Vie économique

inférieur au seuil de pauvreté.On admet géné- durée du travail rémunéré était au moins de 36

Encadré 1 ralement que les cotisations sociales représen- heures par semaine et 64 000 dans des ména- tent 12% du revenu familial. Cela correspond ges dont la durée du travail rémunéré était in- Définition de la notion de travailleur aux paiements d'un ménage qui ne vit que du férieure. Le pourcentage de travailleurs pau- pauvre revenu d'une activité salariée. Les impôts sont vres, c'est-à-dire leur part à la population Les travailleurs pauvres sont des personnes décomposés pour chaque revenu selon le type active occupée, s'élevait à 7,5%. Il était un peu actives occupées qui vivent dans un ménage de ménage et selon le canton. Le taux de pau- inférieur (6%) dans les ménages effectuant au pauvre. On entend par personne active occupée toute vreté ainsi calculé indique la pauvreté subsé- moins 36 heures de travail rémunéré, et nette- personne: quente aux transferts, c'est-à-dire la pauvreté ment supérieur (29%) dans ceux exerçant une – qui travaille au moins une heure par se- compte tenu des cotisations sociales, des sub- activité plus réduite. Les travailleurs pauvres maine dans un emploi rémunéré; – qui a un revenu professionnel et un revenu sides d'aide sociale, etc. représentaient 60% de tous les pauvres en âge familial supérieurs à zéro; Les légères distorsions éventuelles dues aux de travailler (20 à 59 ans). Même en ne consi- – et dont l'âge se situe entre 20 et 59 ans. données disponibles se compensent partielle- dérant que les travailleurs pauvres occupés à ment d'elles-mêmes: d'une part, certaines dé- temps complet, ils comptaient encore pour Le seuil de pauvreté correspond aux normes de la Conférence suisse des institu- penses indispensables, comme celles concer- 44% d'entre eux. Les requérants d'asile et les tions d'action sociale (forfaits I et II pour nant l'alimentation ou les intérêts débiteurs, travailleurs saisonniers et frontaliers ne sont l'entretien + frais de logement + assurance- ne sont pas prises en compte dans le minimum pas inclus,étant donné que l'ESPA ne les inter- maladie). vital, d'où une sous-estimation du taux de roge pas. S'ils étaient pris en compte, le nom- pauvreté; mais, par ailleurs, l'ESPA ne relève bre des travailleurs pauvres serait encore bien pas la part de la fortune, ce qui amène à sures- plus élevé. timer le taux de pauvreté. On ne peut pas chiffrer exactement l'effet global. Catégories particulièrement exposées Le risque de devenir un travailleur pauvre Combien y a-t-il de travailleurs pauvres diffère selon les critères socio-démographi- parmi les personnes actives occupées? 2 Organisation internationale du travail. ques mentionnés, mais aussi en fonction de 3 Les systèmes cantonaux de réduction des primes va- rient au fil du temps; ils sont peu transparents et très En 1999, en Suisse, quelque 250 000 per- la formation, de la nationalité, de la branche différents les uns des autres, si bien qu'ils ne permet- sonnes âgées de 20 à 59 ans étaient pauvres d'activité et du statut professionnel: les tra- tent pas de calculer, même indirectement, l'ampleur des réductions de primes pour les différents types de tout en exerçant une activité lucrative;186 000 vailleurs peu qualifiés, ceux qui travaillent ménages. d'entre elles vivaient dans des ménages dont la dans des branches où les salaires sont bas, les

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indépendants sans employés et les personnes que de devenir un travailleur pauvre.4 Le ta- occupées à temps partiel sont plus souvent des bleau 2 montre l'influence des diverses varia- travailleurs pauvres que le reste de la popula- bles dans la probabilité d'être un travailleur tion. pauvre lorsque tous les autres facteurs restent Comme le montre l'analyse, toutes condi- constants. tions égales par ailleurs, l'interruption de l'ac- Comme l'indique le tableau 2, la probabili- tivité lucrative,l'ancienneté et la position dans té d'être un travailleur pauvre est, toutes con- l'entreprise ainsi que la région linguistique ditions égales par ailleurs (formation, statut sont aussi des éléments qui déterminent le ris- professionnel, type de ménage, etc.), plus Tableau 2 grande pour les femmes que pour les hommes. Influence sur la probabilité d’être un travailleur pauvre (résultats de la régression logistique) Pour ce qui est de la formation, c'est juste l'in- verse: une personne ayant été scolarisée pen- Variables explicatives Influence Signification dant plus de 9 ans est moins exposée au risque Sexe Femme + ** de devenir un travailleur pauvre qu'une per- Type de ménage Personne vivant avec un/e partenaire + ** sonne n'ayant accompli que la scolarité obli- Nombre d’enfants + ** gatoire. Il en est de même en ce qui concerne Nationalité Etranger/étrangère + ** l'ampleur de l'activité lucrative: lorsque la Age 20-29 ans + ** durée de celle-ci est supérieure à 40 heures, la Logement Propriété du logement - ** probabilité d'être un travailleur pauvre dimi- Formation Années de formation moins 9 - ** nue. C'est le cas lorsque plus d'une personne Avec perfectionnement - ** dans le ménage exerce une activité rémunérée. Profession Agriculture + ** Par rapport au groupe complémentaire,les Hôtellerie-restauration/ménage + ** facteurs mentionnés ont un effet positif (+) ou Commerce de détail + ** négatif ( – ) sur la probabilité d'être un travail- leur pauvre;mais aucune indication n'est don- Taux d’occupation Emploi à temps partiel + ** née quant à l'ampleur de cette influence. La Ampleur du revenu Travail rémunéré dans le ménage moins 40 heures - ** mention du niveau de signification permet Statut de l’emploi Emploi temporaire + ** pratiquement d’exclure le fait du hasard. Horaire de travail modulable + ** Indépendant sans employés + ** Poste de cadre - ** Les travailleurs pauvres, un phénomène Durée de l’emploi Emploi interrompu + ** propre aux années 90? Ancienneté dans l’entreprise Nouveau dans l’entreprise + ** Bien qu'il y ait déjà eu des travailleurs pau- 5 ans ou plus dans l’entreprise - ** vres avant les années 90, leur nombre a nette- Chômage Sans-emploi inscrit + * ment augmenté ces dix dernières années. De Région linguistique Suisse romande + ** 1992 à 1999, le pourcentage de travailleurs Année de l’enquête 1996-1999 + ** pauvres s'est accru parallèlement au taux

+ influence positive ** significatif à 1% Sources: OFS (ESPA), calculs propres / La Vie économique général de pauvreté des classes d'âge de 20 à - influence négative * significatif à 5% 59 ans. En termes absolus, le nombre des tra- vailleurs pauvres est passé, entre 1992 et 1999, Graphique 4 de 170 000 à 250 000 personnes. Le nombre Evolution des taux de travailleurs pauvres et de pauvreté, 1992-1999 total des pauvres, dans les classes d'âge de 20 à 59 ans, est passé durant la même période de Taux de pauvreté Taux de travailleurs pauvres 310 000 à 430 000 personnes. Les deux tiers de en % cette augmentation, qui représente 120 000 14 pauvres de plus, sont donc dus au fait que la pauvreté s'est propagée dans la population 12 active occupée. 10.5 10.8 10.6 Le saut observé entre 1995 et 1996 est spec- 10.0 10 taculaire. Dans la période 1992-1995, le pour- 8.6 centage des travailleurs pauvres était resté re- 7.9 8 7.6 7.7 lativement constant, aux alentours de 5%. 7.5 7.3 7.6 Après 1996, il est toujours relativement con- 6 6.8 stant, mais de l'ordre de 7%. 5.8 5.3 L’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur 4.9 4 4.7 l’assurance-maladie en 1996 a eu globalement pour effet une diminution de la pauvreté. Les 2 données ne tiennent toutefois pas suffisam- ment compte de la réduction individuelle des 0 primes des caisses-maladie instaurée par les 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 cantons. Il est impossible de déterminer dans Sources: OFS, calculs propres / La Vie économique quelle proportion la réduction des primes

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Le risque de devenir un travailleur pauvre a particulièrement augmenté pour deux types de ménage, qui enregistraient en 1992 déjà les pourcentages de travailleurs pauvres les plus élevés: les familles monoparentales et les cou- ples avec trois enfants et plus (graphique 1). Une tendance simultanée à l'augmentation de l'activité lucrative a encore accentué l'am- pleur prise par le phénomène au cours des an- nées 90. On peut raisonnablement supposer que les ménages pauvres ont cherché durant cette période à travailler davantage pour amé- liorer leur situation financière.Sans ce renfor- cement de l'activité lucrative, la hausse du pourcentage de travailleurs pauvres aurait été encore beaucoup plus forte.

Brève évaluation Le pourcentage des travailleurs pauvres s'est accru fortement dans les années 90. Pour les familles monoparentales et les couples avec trois enfants et plus, cette hausse a même pris un tour dramatique, en dépit du fait que les ménages ayant des enfants ont travaillé beau- Photo: Keystone Les travailleurs pauvres se remarquent coup plus. Cette évolution était due essentiel- nettement moins dans la vie de tous les lement à trois facteurs: la hausse des primes jours que les pauvres démunis. En illustra- représente pour les ménages consultés un des caisses-maladie, l'augmentation du nom- tion, une femme dans la gare principale de Zurich qui cherche à s'alimenter. revenu issu de transferts et s’il fait partie in- bre d'indépendants travaillant seuls et d'em- En Suisse 250 000 personnes, âgées de tégrante du revenu du ménage.5 ployés sous contrat de travail temporaire, et 20 à 59 ans, sont pourtant des travailleurs Même si l'on prend ces effets en considéra- l'évolution générale des salaires. pauvres. tion, c'est essentiellement à l'évolution du Les différentes catégories de la population marché du travail qu'est due la nette hausse du sont diversement exposées au risque de deve- taux des travailleurs pauvres entre 1995 et nir des travailleurs pauvres. Les personnes 1996. D'une année à l'autre, la part des indé- particulièrement exposées sont celles de na- pendants travaillant seuls et des contrats de tra- tionalité étrangère, les femmes, les personnes vail temporaires a augmenté de manière frap- ayant des enfants, celles qui ont peu de forma- pante par rapport au total des actifs occupés et, tion et celles qui travaillent dans des branches en particulier, des travailleurs pauvres. Alors à bas salaires, comme l'hôtellerie, la restaura- que les deux catégories ensemble ne repré- tion, le commerce de détail ou l'économie do- sentaient en 1995 qu'environ 20% des travail- mestique.Il s'agit souvent d'indépendants tra- leurs pauvres, ce pourcentage était de l'ordre vaillant seuls, de personnes occupées à temps de 32% en 1996. Ces changements ont provo- partiel, dont les conditions de travail sont qué une hausse d'un point du pourcentage de aléatoires, qui travaillent en dehors des horai- Encadré 2 travailleurs pauvres,augmentation à laquelle a res normaux, dont le parcours professionnel a L'article s'appuie sur l'ouvrage des au- également contribué l'évolution générale des souvent été marqué par des interruptions ou teurs du Bureau d'études de politique du tra- salaires. Les données de l'ESPA indiquent, en- des changements d'emploi fréquents.Il y a évi- vail et de politique sociale (BASS): «Working tre 1995 et 1996, une rupture frappante dans demment cumul des risques lorsque plusieurs poor. Definition, Deskription, Einflussfakto- l'évolution des salaires. De 1991 à 1995, le sa- de ces facteurs sont réunis. ren, Datenevaluation», qui a été publié en version abrégée par l'Office fédéral de la laire médian dans l'ensemble de l'économie a Le phénomène des travailleurs pauvres statistique (OFS) dans Info social 5/2001; encore augmenté de 6% en valeur réelle; puis ne s'explique pas par un seul facteur. Le fait no de commande : 299-9905; prix : fr. 12.–. il a diminué de 2% en 1996,pour rester plus ou qu'une personne exerçant une activité rému- moins constant par la suite. nérée vive ou non au-dessous du seuil de pau- 4 En outre, les travailleurs employés dans l'agriculture L'ampleur prise au cours des années 90 par vreté tient à une conjugaison de paramètres, sont particulièrement exposés au risque de devenir des travailleurs pauvres. Cependant, du fait de la composi- le phénomène des travailleurs pauvres a été ac- parmi lesquels la situation du marché du tra- tion de leur revenu (rémunération en nature, etc.), centuée par le fait que,dans les ménages à deux, vail, la politique sociale, la situation familiale l'effet réel est difficile à chiffrer. 5 Une partie importante de l'augmentation constatée la moyenne de l'activité rémunérée a augmen- et l'évolution du coût de la vie. Cela dit, les entre 1995 et 1996 doit probablement être ramenée té de 11% entre 1992 et 1999, et même de 20% trois risques principaux de devenir pauvre qui à une modification dans l'analyse des revenus des ménages dans l'ESPA; celle-ci se base sur le fait que pour ce qui est des couples à plus faible revenu. se dégagent de cette analyse sont les suivants: les diverses composantes du revenu familial – en dehors Sans l’augmentation de l’activité rémunérée, la bas salaire,enfants à charge et forte augmenta- de celui provenant du travail – pourraient être sous- estimées. L'ampleur de son effet sur l'enquête ne hausse du pourcentage des travailleurs pauvres tion des dépenses incompressibles. peut pas encore être suffisamment établie. aurait été encore beaucoup plus forte.

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Les Archives fédérales suisses, mémoire de notre pays

Les Archives fédérales suisses constituent la mémoire de notre Etat fédéral. Leur mandat est inscrit dans la loi fédérale sur l’archivage du 26 juin 1998, et consiste à préserver, mettre en valeur et communiquer les documents de valeur de la Con- fédération. La transmission de ces documents est indispensable pour assurer la continuité et la transparence de l’Etat de droit et permettre aux citoyens d’exercer un contrôle démocratique sur les activités du gouvernement et de l’administration. En tant que ser- vice historique spécialisé de la Confédération, les Archives fé-

dérales mettent également à la En illustration, les Archives fédérales à Berne. A l'avant-plan, le panneau annonçant l'exposition expos.ch disposition de la recherche histo- rique, culturelle et sociologique Activités et prestations des documents en se basant sur leur valeur les documents qui lui sont néces- Le cycle de vie des documents de la Confé- informative et probante. Elles sélectionnent saires. Les débats liés au rôle dération détermine les activités et les presta- parmi les documents ceux qui sont destinés à tions des Archives fédérales, qui constituent le être conservés indéfiniment du fait de leur im- de la Suisse durant la Seconde processus d’archivage dans son ensemble: (1) portance pour la continuité de l’Etat de droit Guerre mondiale soulignent gestion des documents, (2) évaluation, (3) prise et/ou la recherche sociologique et historique. en charge, (4) indexation et (5) diffusion.Les l’importance des archives pour Archives fédérales définissent ces activités en 3. Prise en charge la société. collaboration avec la communauté interna- Les Archives fédérales reçoivent les docu- tionale d’archivage et en tenant compte de la ments évalués que leur transmettent les servi- société d’information moderne. ces et les conservent à long terme, de manière sûre et appropriée. Le versement de grandes 1. Gestion des documents quantités d’informations, sur différents sup- Le cycle de vie des documents débute par la ports, appelle une gestion systématique des constitution de dossiers dans l’administra- documents. Les Archives fédérales dévelop- tion. Les Archives fédérales conseillent les pent et élaborent des concepts et des techni- services dans l’élaboration et la gestion de ques de conservation des documents, qui font leurs dossiers. La gestion systématique des partie intégrante du patrimoine culturel de la documents représente une condition à la mo- Suisse. dernité et à la transparence de l’activité admi- nistrative (cyberadministration, principe de 4. Indexation transparence). Elle optimise la gestion des in- Les documents sécurisés sont mis en va- formations (records management) et garantit leur,c’est-à-dire classés et répertoriés,afin que le versement intégral des documents de valeur. les générations futures puissent y avoir accès. Un système différencié et hiérarchisé des ins- 2. Evaluation truments de recherche permet un accès ciblé Christoph Graf Directeur des Archives fédérales suisses, Les Archives fédérales évaluent l’impor- aux dossiers, de leur fonds au document qui Berne tance sociologique et historique à long terme fait l’objet de la recherche.

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5. Diffusion humaines et sociales,en proposant des presta- Les Archives fédérales mettent en valeur et tions archivistiques et scientifiques. Les uni- rendent accessibles les documents archivés. versités, les autres institutions de formation Elles offrent soutien et conseil à un nombre ainsi que l’association des Archives fédérales croissant d’utilisateurs dans leurs recherches sont des partenaires importants qui collabo- en salle de lecture et répondent aux questions rent avec elle. des chercheurs, des particuliers et institutions intéressés, en Suisse comme à l’étranger. Les Les Archives fédérales à l’ère Archives fédérales assument le rôle de service de l’information historique spécialisé de la Confédération.Elles mettent en valeur le contenu historique des L’entrée dans l’ère de l’information repré- documents et le communiquent à un large pu- sente l’un des plus grands défis posés aux blic par le biais de congrès, d’expositions, de Archives fédérales au cours de leurs 200 ans publications ou d’Internet. Au cours de ces d'existence. L’évolution rapide des condi- dernières années tout particulièrement, elles tions-cadre sociales, politiques et techniques ont rempli ce rôle dans le cadre des débats sur se traduit pour les archives par de nouvelles tâ- le rôle de la Suisse durant la Seconde Guerre ches toujours plus complexes. Elles sont con- mondiale et dans celui des relations de notre frontées non seulement à une croissance ex- pays avec l’Afrique du Sud. ponentielle des documents à prendre en charge et à diffuser, mais aussi aux nouvelles technologies de l’information et de la com- Partenaires et clients munication. Les activités et les prestations des Archives Dans les sociétés de prestations modernes, fédérales se basent sur les besoins de leurs par- la démocratisation est notamment synonyme tenaires et clients de l’administration, des mi- pour les citoyens d’accès aux informations lieux scientifiques et du public.Elles cherchent primaires. La loi fédérale sur la transparence à promouvoir la collaboration avec tous les de l’administration, actuellement en prépara- services concernés par l’obligation d’archi- tion au niveau fédéral, constitue un élément vage au moyen d’un échange constant d’in- clé à cet égard. Mettre les informations à dis- Les Archives fédérales mettent en valeur et formations et de savoir-faire. Les Archives position deviendra la règle, les garder secrètes rendent accessibles les documents archivés. fédérales offrent leur soutien à la recherche, l’exception. Ce principe vaudra également, Elles offrent leur soutien à un nombre croissant d’utilisateurs dans leurs recherches en particulier dans le domaine des sciences sous une forme dérivée et adaptée, pour l’in- en salle de lecture (photo).

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Les utilisateurs auront la possibilité de recher- cher et de commander en ligne les documents qui les intéressent. Une part croissante des ar- chives pourra être utilisée sous forme électro- nique, sur place en salle de lecture, mais en partie aussi via Internet.La réorientation stra- tégique pourrait éventuellement aboutir à la naissance d’«archives virtuelles». La commu- nication électronique répond à la demande croissante d’informations historiques de pre- mière main d’une société qui s’intéresse tou- jours plus aux questions touchant à son passé récent.

Collaboration et mutation La demande croissante d’informations de première main, les nouveautés technologi- ques et l’augmentation des quantités d’infor- mations confrontent les archives à des tâches complexes. C’est pourquoi les Archives fé- dérales vont intensifier leurs efforts pour con- clure, dans les domaines social, politique et scientifique, des collaborations qui lui per- mettront d’assumer ces tâches de manière op- timale.Ces collaborations ont pour objectif de mieux faire connaître l’importance sociolo- gique des archives afin d’améliorer la com- préhension du public quant à l’augmentation considérable des besoins en personnel et fi- nanciers des archives. Le XXIe siècle, le siècle de l’information, va révolutionner le travail des archives. Celles-ci deviennent les véritables centres d’informa- tion d’un monde en mutation rapide, qui res- sent chaque jour davantage le besoin de sauve- L’entrée dans l’ère de l’information représente garder son héritage historique. l’un des plus grands défis posés aux Archives fédérales au cours de leurs 200 ans d'exis- tence. Elles sont confrontées non seulement formation historique des archives.L’histoire et à une croissance exponentielle des documents la démocratie sont les deux aspects étroite- à prendre en charge et à diffuser, mais aussi ment liés d’un processus social visant à édu- aux nouvelles technologies de l’information et quer et à promouvoir la prise de conscience de la communication. des citoyens. L’information, notamment his- torique, est à la base de ce processus.

Numérisation et communication électronique Encadré 1 Les quantités toujours plus importantes L’année dernière, les Archives fédérales d’informations à prendre en charge et la de- ont reçu 400 versements, soit environ 2000 mande croissante d’informations archivées mètres de documents. A ce jour, la totalité conduiront inévitablement à une réorienta- des documents conservés aux Archives tion stratégique des archives à moyen terme.Il fédérales représente plus de 40 kilomètres. Si la majorité des documents demeurent des est actuellement impossible de prévoir dans le documents écrits, la part des documents détail ce que les futurs clients attendent d’ar- numériques et audiovisuels ne cesse chives nationales modernes et axées sur leurs d’augmenter. L’année dernière, les Archives fédérales ont enregistré plus de 5000 jours besoins. Il est toutefois certain que les infor- cumulés de recherche. Chaque jour, le per- mations numérisées joueront un rôle toujours sonnel de la salle de lecture a ainsi encadré plus important. environ 20 personnes qui, sur l’année, ont Au cours des prochaines années, les Archi- consulté plus de 20 000 volumes d'archives et commandé quelque 36 000 copies. ves fédérales vont constamment développer et améliorer leur offre d’informations en ligne.

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