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Paysages architecturaux 1986 2016

Depuis 30 ans l’association Ar’site recueille et diffuse de l’information autour de ce qui, plus qu’un type d’habitat, est un art de vivre au sein de la roche et du végétal. Ce document propose un aperçu de la complicité de plus en plus évidente entre ces paysages troglodytes et la création contemporaine, artistique ou architecturale.

Des grottes ornées de la préhistoire aux installations contemporaines les pratiques artistiques conti- nuent à interpréter et être inspirées par l’espace souterrain.

L’habitat creusé a souvent été qualifié d’architecture soustractive, mais plutôt que cette définition tech- nique il serait préférable de parler d’architecture-paysage tant sont étroits les liens entre la maison, le site et ses éléments constitutifs, roche et végétal. Dans sa diversité, l’architecture contemporaine se rapproche souvent de cette relation fusionnelle, voire invente de nouveaux paysages naturels ou urbains.

Vivre en troglodyte

Matière symbolique

Tentation de la grotte

Espace de création

Bioclimatisme Habiter la Roche

Masse terrestre

Esthétiques minérales Habiter le Végétal

Arborescences

Sols et collines artificiels Vivre en troglodyte

Paysage et architecture, le patrimoine creusé est de plus en plus reconnu dans le monde entier et les offres d’hébergement se multiplient : une introduction à la géologie et au couvert végétal, une oppor- tunité pour imaginer des villes de demain plus «situées» dans leur territoire et ouvertes à l’expression de leurs habitants.

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8 9 Reconnaissance depuis plus de 50 ans concerne tout autant une redécouverte de l’architecture ver- naculaire que l’identification par l’Unesco d’un patrimoine Dès les années 1960, un vaste intérêt se manifestait pour de l’humanité, expression des cultures passées, toujours les architectures modestes, sans pedigree comme les nom- d’actualité : en Inde par exemple, si les Grottes religieuses mait Bernard Rudofsky dans son exposition de photos au d’Ellora et d’Ajanta décrites dans Maisons creusées (JC Musée d’Art Moderne de New-York dont le succès justifia Trebbi & N Charneau) ont été inscrites en 1983, le récent la publication de Architecture sans architectes : sa diffusion classement en 2014 du Rani Ki Vav valorise la dimension planétaire fit connaître entre autres ces agglomérations de sacrée accordée à l’eau 5. En Iran, deux colloques sur le tro- troglodytes chinois creusés autour de cours carrées dans le glodytisme ont récemment été organisés en 2012 et 2015… plateau de loess du Fleuve Jaune 1. Parallèlement, c’est au En Europe du sud, la cité troglodytique de Matera 6, patri- niveau local que se multipliaient les études des folklores moine mondial depuis 1993, dispose aujourd’hui de nom- en voie de disparition devant une modernité envahissante : breux hébergements dans des espaces creusés et sera l’une par exemple en France le remarquable travail de Jeanne et des deux villes européennes de la culture pour 2019… Camille Fraysse au Thoureil sur les bords de Loire, décri- Si les troglodytes comme ceux de Matmata en Tunisie ont vant tant la vie fluviale que celles des nombreux troglodytes pu être médiatisés dès 1976 par un film comme Star War avoisinant. pour représenter les habitats d’une autre planète, c’est au- L’intérêt pour les traditions rurales et l’ethnographie se jourd’hui la dimension patrimoniale et la qualité de l’habi- confirme par la publication de plusieurs ouvrages consacrés tat sous roche qui sont mis en avant : cet art de vivre que au sujet, et notamment aux maisons creusées, en France et décrit Patrick Edgar-Rosa dans Troglos en 2011 ou dans son dans le monde. site des Troglonautes lancé en 2010, tout en proposant le En Anjou des initiatives voient le jour en faveur d’une réha- gîte Les Troglos Verts à Parnay et récemment trois autres au bilitation de ce qui est peu à peu considéré comme un patri- Maroc face à l’Atlantique 7. moine, conduisant à l’organisation d’un premier colloque national en 1986 à Fontevraud (à la suite duquel est fondée Opportunité pour demain l’association Ar’site !). Il s’appuie sur les actions engagées par des associations comme le CATP (Carrefour Anjou L’intimité avec la géologie du lieu permet de vivre au plus Touraine Poitou), la création de restaurants ou de musées près des éléments de la croûte terrestre, l’eau, le minéral et troglodytes, la naissance de Troglogîtes ou la transforma- la couverture végétale : le rapport à l’eau peut relever du sa- tion d’une ancienne carrière de falun en hébergement pour cré comme dans les puits-à-degrés indiens, les puits destinés classes scolaires 2. aux bains rituels juifs ou certaines fontaines urbaines semi- En Indre-et-Loire, Cavités 37 est créé dès 1985 pour infor- enterrées ; il peut aussi renvoyer à l’exploitation de sources mer et assister les mairies quant aux risques et aux oppor- chaudes souterraines, comme celle de Luchon 8 dont les pre- tunités géologiques. Le CATP organise des échanges euro- mières piscines thermales furent creusées par les Romains péens (2005-2007) puis des portes ouvertes régionales : et dont le vaporarium, avec ses 150 mètres de galeries, avait les Rendez-vous Troglos (2009, 2011 et 2013) profitant au été relancé en 1929. départ de l’ouverture du village d’artisans de Turquant 3, qui La vie troglodytique, au quotidien, est loin d’être un enfer- associe consolidation et ré-occupation d’un coteau de 14 mement : creusées en plaine les cavités s’organisent autour mètres de haut. d’une cour, appelée en Chine cour du ciel ; creusées dans Les hébergements pionniers des années 1980 sont suivis par une pente, elles offrent une vue sur le lointain très semblable des hôtels luxueux comme Les Hautes Roches en Touraine à celle des maisons construites ; et dans une falaise, cette en 1988 puis 1996, ou récemment en 2014 l’hôtel Rocami- vue devient spectaculaire comme en témoignent certaines nori 4 proposant toute une diversité de configurations par cavités du Baou de Saint-Chamas 9. Il est même tout à fait rapport à la roche et à l’enterrement. envisageable de les équiper de capteurs solaires 10... Loin d’être une « disparition » de l’architecture, l’habitat tro- Patrimoine mondial glodyte est bien une source de création, en site rural, péri-ur- bain ou d’agglomération dense… Une opportunité pour re- Les premiers ouvrages consacrés spécifiquement au troglo- trouver la conscience de la roche, du végétal et de l’eau, qui dytisme -Jean-Charles Trebbi & Nicole Charneau ou Jean- justifie de ne pas cantonner cette architecture-paysage dans Paul Loubes pour ceux écrits en français- en donnaient très le pittoresque mais bien de la considérer comme un élément tôt un panorama mondial. La reconnaissance internationale du débat sur les fondements de l’architecture elle-même.

Notes de bas de page : les chiffres en gris foncé renvoient aux photos du panneau de la page gauche et les textes en couleur renvoient aux publications d’Ar’site ainsi qu’à des exemples qui ne sont pas illustrés dans le panneau.

1 Cours creusées dans le loess, Zhongton, près de Luoyang, Henan, Chine • lettre n°2 p.2, Ar’site n°4 p.5 et p.18-19, n°40 p.45 2 Centre d’hébergement des Perrières, Bruno Duquoc, 1983 puis 1989, Doué-la-Fontaine (Maine-et-Loire) - Réhabilitation intérieure, Patrick Brunel, 2006 • Ar’site n°1 & 2 p.14-15, n°7 p.44, Habitat creusé p.72-75 3 Coteau de tuffeau consolidé, Bruno Duquoc, 2009, Turquant (Maine-et-Loire) avec un escalier public serpentant dans la hauteur du coteau, Bruno Duquoc, 2011 • Ar’site n°33 p.24, n°37 p.22-23, n°47 p.38 4 Hôtel Rocaminori, H. Dahhan & A. Bruneteau, 2014, Rochemenier (Maine-et-Loire) hall chambres sous roche et plan • Ar’site n°47 p.40-43 5 Puits à degré de la Reine, Rani Ki Vav, XIVe s, Patan, Gujarat, Inde, classé en 2014 • Ar’site n°50 p.58 6 Coteau habité, Matera, Italie • Ar’site n°7 p.23, n°12 p.35, n°17 p.33, n°22 p.25, n°33 p.28, n°46 p.28 8 Thermes de Luchon, Vaporarium rénové en 2010 (Haute-Garonne) • Ar’site n°9 p.40 9 Terrasse dans le Baou, Didier Chauvin, 1998, Saint-Chamas (Bouches-du Rhône) • Ar’site n° 30 p.33, Habitat creusé p.118-121 10 Installation solaire sur le toit d’un troglodyte, 2006, Rochambeau, Thoré-la-Rochette (Loir-et-Cher) • Ar’site n°37 p.39 Troglodyte : matière symbolique Le monde souterrain est associé à la naissance aussi bien qu’à la mort. Il attire et repousse. Cette dualité fait que les grottes, qu’elles soient creusées au flanc des falaises -olympiennes- ou enfouies dans la terre -chtoniennes- ont servi de tous temps et partout dans le monde aux rites funéraires ou religieux, à la pratique du chamanisme, et offrent aux mythes, allégories et fantasmagories un support symbolique privilégié.

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15 4 10 La vie souterraine, l’inconscient et la spiritualité En fait, l’art paléolithique a fait l’objet de nombreuses re- cherches et interprétations dans le courant du XXe siècle. L’habitat troglodytique, associé au noir, au rudimentaire, à Schématiquement, le premier quart du XXe siècle a été occu- l’inconfort, se double d’une association aux valeurs néga- pé par la théorie de l’art pour l’art, plus du demi-siècle sui- tives du monde souterrain, d’une référence qui dans notre vant l’a été par l’interprétation magico-totémique (magie culture associe, dans un schéma simple et manichéen, le de la chasse et de la fécondité) et le dernier quart a vu le monde du bas au mal, à la mort, au noir, à l’enfer et le règne du symbolisme sexuel 5. Jean Clottes et D.L. Williams monde du haut à la lumière, au bien, à la vie et au paradis. 1 y voient une manifestaion chamanique où l’initié devient un Pourtant dans la mythologie grecque cette association haut/ médiateur avec le milieu surnaturel 6. bas et bien/mal est remplacée par une dialectique plus fine La préservation de ce patrimoine oblige aujourd’hui les entre «valeurs chtoniennes» et «valeurs olympiennes» re- conservateurs à avoir recours à des fac-simile comme Las- flétant assez bien l’ambiguïté dont ces lieux sont porteurs : caux II, Chauvet II et bientôt IV 7. dans ce cas, le monde du bas est associé à la fois à l’enfer et au paradis. Troglodytisme funéraire Les myhologies et cosmogonies de nombreuses cultures illustrent également cette ambiguïté et nous expliquent Retour à la terre-mère, pérennité de la roche, les exemples pourquoi la grotte devient lieu de méditation, d’initiation, sont foison pour illustrer le recours au troglodytisme pour de naissance ou de repos éternel, avec les croyances posi- la dernière demeure : les tombes étrusques, les tombes ly- tives ou négatives qui y sont rattachées, avec ses mythes, ses ciennes 8 et les catacombes romaines en Italie, la vallée des légendes, ainsi que tous les peuples imaginaires qui habitent Rois en Egypte, l’ancienne ville nabatéenne de Petra en Jor- le sous-sol… danie 9, les buttes sacrées des indiens d’Amérique 10 ... Dans l’allégorie de la caverne de Platon, l’homme enfermé Au XIXe siècle, le peintre suisse Arnold Böcklin a peint cinq ne voit que l’ombre de la réalité. En sortant de la caverne versions de L’île des morts 11, tableau légendaire qui a ins- cet utérus chtonien, il pourra « voir » le jour, comme le piré des centaines d’artistes par la suite, comme Salvador nouveau-né « voit le jour». C’est la naissance d’un homme Dali. nouveau. 2 Paco Knöller a peint une œuvre intitulée La tête. Dans cette Troglodytisme religieux œuvre clef, il nous donne un aperçu authentique de sa vie in- térieure. Nous sommes dans la métaphore de la grotte crâne. La Terre produit la vie, elle est fertile, et elle a logiquement Plus qu’une similitude de forme, c’est un renvoi au monde été associée à la fécondité. Par analogie, les grottes ont cérébral et intellectuel, la caverne est le lieu de la pensée 3. donc été perçues comme des utérus de la terre 12. La grotte Le jardin de la France est l’un des plus célèbres tableaux est le lieu de naissance des divinités, chargée de spiritualité, de Max Ernst. Il met en scène un corps de femme allongé propice à l’érémitisme 13. entre îles et bancs de sable à la confluence de l’Indre et de La peinture religieuse en occident s’en fera largement la Loire 4. L’œuvre est parfaitement représentative du sur- l’écho au travers des multiples versions de la Nativité, de réalisme par le collage de différents éléments de réalité qui la mise au tombeau, des représentations de Saint-Jérôme, fait naître ce sentiment de « merveilleux », cher au poète Saint-Antoine, ou de la Thébaïde 14, cette dernière étant si- André Breton. tuée près de Thèbes en Égypte, au nord des temples d’Abou Simbel, haut lieu du troglodytisme religieux 15. L’art pariétal Les ermitages et églises troglodytiques de la chrétienté se trouvent en Cappadoce, en Grèce, en Ethiopie 16, en Armé- Depuis 1863 (grottes d’Altamira) jusqu’à nos jours (grotte nie, et bien sûr en France (Haute-Isle, Saint-Emilion, Saint- Chauvet par exemple), de nombreuses peintures et gravures Roman-l’Aiguille, Brantôme, Aubeterre…). rupestres ont été découvertes à travers le monde. La grande En Asie, les bouddhistes ont creusé d’importants temples qualité artistique de ces œuvres est largement reconnue et troglodytiques en Inde (Ajanta, Elephanta, Ellora), en l’on peut parler à leur propos, pour reprendre les termes de Afghanistan (Bamyan) et en Chine, comme les grottes de Georges Bataille, de la naissance de l’art. Mogao ou les grottes de Maijishan 17.

1 Les habitants troglodytes de La Roche-Guyon et de ses environs, Elisabeth Lamorte, Maîtrise d’ethnologie, Paris VII - Jussieu, 1989. 2 Yves Rolland, Grottes et cavernes : utérus de la terre mère, Revue Hippocampe, n°1 nouvelle série Juin 2009 3 La tête, Paco Knöller, 1986 4 Le jardin de la France, Max Ernst, 1962 • Ar’site n°40 p.17 5 M. Lorblanchet, Les grottes ornées de la préhistoire, Paris, Éd. Errance, 1995, p. 93 6 Élan et oiseau, l’envol chamanique, Afrique du Sud, d’après J. Clottes & D. L. Williams, Les chamanes de la préhistoire, Paris, Seuil, 1996 7 Lascaux virtuel, Chauvet II, Lascaux IV • Ar’site n°9 p.31, n°41 p.44, n°44 p.15, n°48 p.50 8 Tombes rupestres lyciennes, IVe s av. JC, Turquie 9 Troglodytisme funéraire, Petra • Ar’site n°13 p.35, Habiter le paysage p.12-13 10 Destruction d’une butte sacrée indienne, vers 1850, Mississipi, USA, peinture de John Egan 11 L’île des morts, Arnold Böcklin, version de Leipzig, 1886 • Ar’site n°10 p.31, n°22 p.11 12 Yves Rolland, ouvrage cité 13 Enfermement - érémitisme • Ar’site n°36 p.33-37 14 La Thébaïde (détail), peintre florentin, vers 1410 • Ar’site n°11 p.28 15 Grand temple d’Abou Simbel, XIIIe s av. JC, Egypte - aquarelle D. Roberts 1838 16 Église orthodoxe de Saint-Georges, creusée en puits, XIIIe s, Lalibela, Ethiopie • Ar’site n°16 p.36, Habiter le paysage p.20-21 17 Temple bouddhiste creusé dans la falaise, IV-Ve s, Maijishan, Gansu, Chine • Ar’site n°19 p.36 Troglodyte : tentation de la grotte

Grottes, mines, carrières... le sous-sol en général fournit un matériau d’étude et d’exploration aux artistes de toutes disciplines . Le souterrain peut être un lieu à représenter ou métaphore d’une idée. Quant au troglodyte, c’est un lieu -et un terme- de prédilection qui s’offre à toutes sortes d’interpréta- tions et de déclinaisons dans le domaine de l’art ou des nouveaux medias.

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14 16 7 Un corps à corps artistique historiques, récits de science-fiction, contes merveilleux, il n’est pas de dessinateurs qui n’explore l’univers souter- Le milieu souterrain, c’est la perte de contact avec la na- rain, d’Hergé aux frères Schuitten, en passant par Moebius, ture, avec la lumière, avec le ciel et les astres. C’est aussi Druillet, Ceppi ou Edgar. P. Jacobs 13. la perte de la notion du temps qui s’écoule. Les bruits et les Quelques artistes commencent à explorer les techniques odeurs sont différents, le sens de l’orientation est différent. actuelles de l’origami 14, du pliage, du papier froissé 15. La vie souterraine est une situation de rupture par rapport au milieu naturel qui constitue un puissant révélateur de Carrières et métro troubles psychiques. 1 Révélateur de troubles psychiques certes, mais aussi porteur Les mines et carrières souterraines abandonnées sont amé- d’imaginaire et déclencheur des énergies créatrices. nagées comme en lieux de « savoir-faire » (géologie, ex- La grotte n’est pas une boîte dont le volume est acquis si traction et art des carriers) ou lieux d’activités artisanales on parvient à la pénétrer. Sa matière est poreuse, elle se et de loisirs (champignons, à vin, restaurants, disco- travaille au corps à corps, dans la matière incessamment. 2 thèques…). Elles sont aussi transformées en mémorials, en De nombreux artistes vont se jeter dans un corps à corps lieux d’exposition et d’interventions artistiques. La mise en physique pour offrir un nouveau regard sur le milieu souter- scène géologique est au service d’un discours prospectif, rain. L’artiste Julien Salaud explique : Ce travail physique même s’il prend appui sur le passé. Le contenu peut se dis- dans l’obscurité joue sur le mental, avec une puissant im- socier du support et créer une nouvelle forme d’appropria- pact physique. Quelque chose s’est passé en moi, qui m’a tion. Ces carrières deviennent lieu de « faire-savoir ». transformé. Je ne suis plus le même que j’étais avant. Tra- Lieu souterrain, sorte de doublure de la ville, le métro est vailler dans les caves fut douloureux. 3 aussi investi par les artistes. Le peintre Costa intervient en détournant les affiches publicitaires. L’artiste Janol Apin in- L’appel de la grotte vente son métropolisson : à chaque station, il crée une mise en scène en lien avec le nom de la station et en garde trace Cette attirance-répulsion qu’exerce le monde souterrain fait photographique. de la grotte une métaphore des ambiguïtés et contradictions inhérentes à tout un chacun. La grotte-caverne devient un habitables symbole référent, utilisé dans tous les medias. Ainsi, la tenta- tion de Saint-Antoine trouve sa juste place dans une grotte 4, Les sculpteurs sur pierre se sont portés sur le matériau in le dragon des jeux vidéos devient un protée troglobie, animal situ, passant de l’atelier au rocher, à la carrière. Avant eux, qui ne peut vivre que dans le monde souterrain 5 et le paysan les singuliers de l’art ont laissé des œuvres connues comme auvergnat ne peut plus se passer de ses caves naturelles 6. la aux sculptures de Dénézé-sous-Doué (Maine-et- En 1995, la compagnie de théâtre et de danse Corpus (Pays- Loire) ou les rochers de Rothéneuf (Ile-et-Vilaine). Bas) crée Subterranean, pièce où les personnages ont dû Le facteur Cheval a construit le Palais idéal (Drôme) comme adapter leurs mouvements à un existence souterraine 7. La un rocher, et Baldasare Forestiere a creusé des grottes dans le nuit des Taupes de Philippe Quesne est jouée à Paris en no- désert de Fresno (Californie) pour en faire son palais idéal. vembre 2016 : un centre d’art menacé se déplace sous terre, Depuis une dizaine d’année, l’artiste américain Ra Paulette dans un espace qui évoque tout à la fois une grotte préhis- creuse un véritable dédale dans le grès du désert du Nou- torique, un abri antiatomique et la caverne de Platon 8. En veau-Mexique. 1995, la palme d’or du festival de Cannes revient à Emir Accéder au centre de l’œuvre, comme on entre dans une Kusturica pour son film Underground, où le milieu souter- grotte-- -ou son signifiant-, telles sont les sculptures-habi- rain est lieu d’enfermement, sous couvert d’être protecteur 9. tables d’André Bloc, de Niki de Saint-Phalle, ou de Jean Les peintres et dessinateurs, en plus de la symbolique du Dubuffet… 13. Œuvre monumentale de Jacques Warminski lieu, sont attirés par le jeu et l’effet de la lumière sur la roche (1946-1996), l’Hélice terrestre épouse les caractéristiques et en sous-sol… d’autant plus recherché et exacerbé que d’un site troglodytique et se compose d’une partie souter- le milieu est plus confiné et donc moins éclairé naturelle- raine nouvellement creusée, le négatif, et d’un espace ex- ment 10. D’autres artistes s’imprègnent des mythologies 11 ou térieur lui aussi complètement aménagé à partir de la cour des fictions qu’ils créent pour l’occasion 12. d’origine, sorte de positif des espaces souterrains (voir pho- La bande dessinée mériterait un chapitre entier. Aventures to page suivante).

1 Les problèmes psychologiques posés par le séjour en sous-sol, Jacques Bensimon, colloque de l’AFTES, Bordeaux 21-23 Octobre 1987, pp 95-98 2 Être de l’antre, Sophie Fournier • Ar’site n°30 p.38-39 3 La grotte stellaire, Julien Salaud, 2012 • Ar’site n°48 p.24 4 La tentation de Saint-Antoine, David Teniers, vers 1645 5 Jeu «Magic Wizard», 1996 6 Publicité, vers 1985 7 Subterranean, compagnie Corpus, Amsterdam, festival d’Avignon 1995 • Ar’site n°9 p.41 8 La nuit des taupes et Welcome to Caveland, Philippe Quesne, 2016 • Ar’site n°50 p.26 9 Affiche du film Underground, Emir Kusturica, 1995 • Ar’site n°9 p.59 10 Troglodyte, J.C. Planchenault, 1982 • Ar’site n°8 p.12, n°10 p.18 11 Série «les troglodytes», Frédéric Amblard, 1984 12 Le sanctuaire des hypothèses masquées, photomontage, musée FUJak, 2007 • Habiter le paysage, illustration de la bibliographie 13 Le piège diabolique, E.P. Jacobs, 1960 14 Matera, «origamic architecture», J.C. Trebbi, 2015 15 L’artiste Vincent Floderer réalise à Paris en octobre 2016 une grotte origami avec la technique du papier plié/froissé 16 Intérieur -le Gastrovolve- et enveloppe de la Tour aux figures, J Dubuffet, 1985-88 • Ar’site n°6 p.23-25 Troglodyte : espace de création

Le sous-sol peut aussi être appréhendé comme un lieu à recréer, à repenser. C’est l’approche de nombre d’artistes contemporains qui investissent et s’approprient troglodytes, grottes et carrières avec des performances, des installations visuelles, sonores ou lumineuses, des vidéos et projections...

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10 4 3 L’art pariétal revisité et des conseils scientifiques. En Dordogne, l’artiste Franck Desdemaine a proposé de À l’instar des artistes qui, comme Jacques Warminski 1, matérialiser le principe de communication optique des forts se jettent dans ce corps à corps avec la grotte, Jean Truel de guetteurs le long de la vallée de la Vézère. L’idée, mal- s’attaque à l’art pariétal : ce solutréen du XXe siècle est allé heureusement non concrétisée, était de créer un faisceau peindre les parois de l’abîme de Bramabiau dans les années laser qui partirait d’un point de la vallée pour s’étirer d’un 1990 2. En 1984, le sculpteur Daniel Monnier a créé un bas bout à l’autre en se réfléchissant sur des miroirs disposés à relief à Bouziès, au bord du Lot, de 18 mètres de long et 3 chaque fort. mètres de haut, qui se développe dans le sens du courant. En 2006, Anne Figuet crée des installations lumière dans les Des œuvres de ont été créées dans les catacombes cruzels du village de Saint-Martin-le-Vieil (Aude) 7. de Paris lors de leur réutilisation pour accueillir les osse- Après la grotte stellaire (cf page précédente), Julien Salaud ments des cimetières parisiens à la fin du XVIIIe siècle. réalise Fleuve céleste dans les caves Akerman (Saumur) en Aujourd’hui les cataphiles s’installent, taguent et graphent 2014, une installation conçue à base de fils tendus et de lu- dans les sous-sol de Paris 3. mière noire. Le promeneur déambule au cœur d’un fleuve où évolue une faune poétique pleine de surprises. Un lieu de performances Le travail du son L’artiste américaine, Cherie Sampson, qui travaille la danse et la video, fait une performance dans une grotte de Cuba (il Rubin Steiner est un musicien éclectique contemporain. Il a y a plus de 20 000 caves répertoriées dans l’île). Le person- installé son studio dans un troglo de la vallée du Loir. Mais nage émergeant d’une faille symbolise l’évolution de l’être ; au-delà de l’utilisation du sous-sol comme lieu de travail petit à petit il se dirige vers la lumière, le jour avec lequel (bonne protection contre les bruits extérieurs), les musiciens communique la grotte 4. vont jouer, composer dans -et pour- les espaces souterrains, L’artiste suisse Roman Signer imagine une performance tirant parti des caractéristiques acoustiques de ces lieux dans une grotte de glace, sculptée par le feu, en 1998 5. (réverbération, amplification, écho...). Vous êtes le Happy-End ? est une exposition participative Dans les années 1980, Gérard Moglia a installé son orgue réalisée en 2009 dans la grotte de Ramioul en Belgique, à feu dans une bove-atelier-galerie à La Roche-Guyon (Val par l’artiste Werner Moron : Je me suis plutôt mis dans la d’Oise) 8. La mise en lumière du lieu magnifie l’ambiance posture de ces indiens qui à travers je ne sais quelle mixture, sonore. organisent un lâcher-prise, un chant poétique qui dépasse Will Menter est un artiste qui crée des installations sonores. le discours, la raison et la pédagogie. Dans nos époques En 2002, il a conçu plusieurs installations spécifiques qui ont contemporaines, on a tendance à parler d’art. été mis en scène dans les carrières de Vignemont à Loches 9. Le travail de la lumière Le rapport à la nature

La photographie peut être un outil pour témoigner du lieu, D’autres artistes s’intéressent aux matériaux naturels, au pour le représenter ; elle permet également de garder trace, rapport de l’homme à la nature ; leur implication en abor- d’une installation ou d’une performance. Le photographe dant le monde souterrain ou les troglos prendra un sens par- François Denis invente dans des grottes des dispositifs in- ticulier. cendiaires éphémères qui s’enregistrent sur le noir de ses La chambre de cire de Wolfgang Laib est un petit espace épreuves photographiques en dessinant des figures abs- creusé dans la roche d’une montagne, aux dimensions d’un traites préétablies selon leur temps de combustion et leur être humain, entièrement recouvert de cire d’abeille, avec positionnement dans l’espace. une petite porte en bois 10... Elle éveille tous les sens, odorat, La photographie peut aussi être source de création in-situ toucher, vue... Une chambre de cire comme celle-ci est faite par la projection. Aux Baux-de-Provence, dans les anciennes en fonction de la montagne, mais elle est aussi liée à l’his- carrières du Val d’Enfer, Albert Plécy a fondé Cathédrale toire, fabriquant quelque chose pour l’avenir et la vie dans d’Images 6. Sur une surface de 4000 m2 de pierre blanche, du le futur explique Wolfgang Laib. sol au plafond, 40 sources de projection animent les parois. Source de vie est une installation de Margrit Neuendorf Au centre des Perrières à Doué-la-Fontaine (Maine-et- créée à la biennale de Gera en Allemagne 11 (Gera possède Loire), l’équipe Lucie Lom a scénographié et mis en lumière des centaines de petites caves destinées traditionnellement le Mystère des Faluns, qui propose au public de découvrir à la conservation de la bière). Ici, les racines puisent leur un site et son histoire au travers d’une lecture qui se veut force dans le sous-sol et laissent le spectateur imaginer la résolument poétique, mais qui s’appuie sur des observations végétation et la vie qui existe en surface.

1 L’Hélice terrestre, Jacques Warminski, L’Orbière, Saint-Georges-des-Sept-voies (Maine-et-Loire) • Ar’site n°1 & 2 p.20-21 2 Peinture dans le gouffre de Bramabiau, Jean Truel, 1990 (Gard) 3 Graffs et Tags, Catacombes de Paris, vers 2000 4 Signed with Reddish Earth ,vidéo-performance, Cherie Sampson, 2009, Cuba 5 Roman Signer, Ice tunnel, 1999 6 Projection audio-visuelle, Cathédrale d’images, les Baux-de-Provence (Bouches-du-Rhône) 7 Anne Figuet, installations lumière, Saint-Martin-le-Vieil (Aude), 2e colloque « Autour de l’habitat troglodytique au Moyen Âge » 2006 8 L’orgue à feu, Michel Moglia, 1993, Haute-Isle (Val d’Oise) 9 Installation sonore, Will Menter, 2002, carrières de Vignemont, Loches (Indre-et-Loire). 10 La chambre de cire, Wolfgang Laib, 2000, Arboussols (Pyrénées-Orientales) • Ar’site n°19 p.16 11 Source de vie, Margrit Neuendorf, 2015, Gera, Allemagne • Ar’site n°48 p.52-53 Troglodyte : bioclimatisme

Interprétation contemporaine du troglodytisme, les constructions semi-enterrées sont protégées par une épaisse couche de terre (earth sheltered). De nombreux exemples depuis les premières crises pétrolières des années 1970 et un nouvel intérêt symbolique à l’aube du XXIe siècle..

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14 15 Leçons du vernaculaire rées (Earth Sheltered), ce principe bioclimatique que déve- loppera l’Underground Space Center créé par l’université En Amérique du Nord, la volonté d’exprimer ce nouveau du Minnesota en 1977. Les exemples se multiplient : face monde régit par le rapport au territoire et par la démocratie au Pacifique la maison solaire de David Wright 7 ou en Flo- transparait dans les créations de Frank Lloyd Wright, lar- ride plusieurs réalisations dont la Forest House 8 imaginées gement inspirées par les paysages et par une attention toute par William Morgan, passionné comme FL Wright par les particulière aux cultures amérindiennes. Sur l’ensemble de amérindiens. l’ouest et des grandes plaines les premières formes d’habitat Dès 1992, le 3e Sommet de la Terre organisé à Rio-de-Ja- sont marquées par la pithouse, pièce unique semi-enterrée, neiro officialise la notion de changement climatique, les abritée par un toit de branchages recouvert de terre. L’évo- éco-villages alternatifs nord-européens créés jusqu’ici lution se fera vers des constructions hors sol, le , hutte dans la marginalité commencent à susciter de l’intérêt et ronde des Navajos ou les constructions maçonnées à toit plat certaines des architectures bioclimatiques développées par des Anasazis puis des Hopis, regroupées en village, les pue- la contre-culture américaine reviennent d’actualité : em- blos parfois abrités sous une falaise, ces célèbres cliff dwel- ployant de vieux pneus pour structurer la masse de terre qui lings. Les reconstructions abondent aujourd’hui, notamment les recouvre, les maisons solaires autonomes de Michael au nord du continent : les villages des Mandans composés Reynolds ont su passer de l’esprit alternatif et marginal de huttes généreuses, construites en bois et protégées par des années 1970 à des interprétations adaptées à tous cli- la terre 1 ou sur la côte du nord-est, les longues maisons de mats voire à toute respectabilité. Clin d’œil à Fuller, elles tourbe que construisirent les Vikings vers l’an 1000, selon sont baptisées Earthship, vaisseau terrestre 9 : leur succès la tradition nordique 2. confirme ce nouvel enthousiasme que ressentait peu Franck Lloyd Wright commencera lui par affirmer l’hori- avant les années 2000, lié cette fois au déclin de l’anthropo- zontalité, l’ouverture des espaces ; il cherchera vers le mi- centrisme et à une sensibilité de plus en plus forte à la réduc- lieu des années 1930 à développer des maisons encore plus tion de l’impact physique des constructions sur le terrain. La spécifiques, usoniennes, ancrées dans le territoire : il envi- diffusion de ce concept d’Earth Sheltered est aujourd’hui sagera par deux fois d’avoir recours à des maisons talutées, planétaire, comme en témoignent récemment 84 villas en l’une pour une coopérative à Detroit, l’autre pour une mai- Inde près d’Hyderabad ou ces hébergements temporaires son particulière, Solarhemicycle 3. réalisés dans l’Ouest de l’Australie 10. Protégées par la terre. Architectures-sculptures

La remise en cause de l’american way of life après-guerre En France, la démarche architecturale est plus artistique entraînera une réflexion profonde pour des alternatives. Sur qu’aux Etats-Unis, et c’est selon leur sensibilité que quelques la côte Atlantique, Malcom Wells s’engage dès 1964 vers créateurs introduiront relativement tôt une couverture de une architecture douce avec sa galerie, agence et habitation terre dans leurs réalisations : Guy Rottier pour le peintre à Brewster 4 et Underground Designs en 1977 (+ de 90.000 Arman à Vence en 1968 11 imagine un pont végétalisé entre ex), premier livre d’une longue série. D’autres principes deux pentes ; Jacques Couëlle après ses essais de coques constructifs semi-enterrés verront le jour : en exploitant des sculptées dès 1959 à Castellaras, signe une maison-paysage, voûtes, Michael Mc Guire construit dès 1972 dans le Wins- Grotta Vista à Monte en Sardaigne en 1971 12 ; André consin une maison-tube recouverte de terre 5 et à Osterville, Bruyère déclinera plusieurs maisons abritées sous une vague John E. Barnard réalise en 1973 une maison enterrée autour de végétal, comme celle de Jouy en Josas en 1975 13. d’une cour qui lui sert d’accès 6. Avec les crises pétrolières, les exemples se feront comme Sur la côte Pacifique, Lloyd Kahn publie en 1973 l’ouvrage Outre-Atlantique plus nombreux pendant les années 1980 (Habitat), recherche d’une expression spatiale de la ou 1990 malgré la préférence de l’époque pour l’expression contre-culture, dans lequel il décrit tant des dômes géodé- high-tech des économies d’énergie ou l’intérêt pour la stricte siques de Buckminster Fuller qu’une multitude d’exemples réhabilitation du patrimoine. La filiation avec celui-ci est d’habitats vernaculaires, y compris amérindiens qui avaient pourtant clairement exprimée par le nom de Troglovillage été écartés de l’exposition de Rudofsky… Les crises pétro- donné à un ensemble de maisons semi-enterrées dans le Pé- lières successives des années 1973 puis 1979 remettront à rigord en 1993 14. Et aujourd’hui le Naturadome construit l’ordre du jour l’idée de construire des maisons semi-enter- en 2014 continue cette démarche et cherche à la diffuser 15.

1 Habitat des Indiens Mandans, 1650-1750, Nord Dakota, USA • Ar’site n°14 p.50 2 Installation Viking, Anse aux Meadows, an 1000, Terre-Neuve, Canada • Ar’site n°7 p.34, n°22 p.42 3 Maison hémicycle talutée, F. L. Wright, 1949, Middleton, Wisconsin, USA -Entrée sous le talus protecteur • Ar’site n°12 p.14 4 Dessins et maison, fin années 1970, M. Wells, Massachussetts • Ar’site n°3 p.6, n°9 p.20-21 et 63, Habiter le paysage p.160-161 5 Maison-tube, Michael Mc Guire, 1972, River Falls, Wisconsin 6 Cour de maison enterrée, John E. Barnard, 1973, Osterville, Massachussetts, USA • Ar’site n°8 p.46 7 Maison solaire semi-enterrée, David Wright, 1976, Sea Ranch, Californie, USA • Ar’site n°1 & 2 couv, Habiter le paysage p.163 8 Maison talutée, lumière par le toit, ouverture sur un bassin, William Morgan, 1979, Gainesville, Floride 9 Earthship, principe, M. Reynolds, années 1970, Nouveau-Mexique • Ar’site n°35 p.50-51, n°39 p.50, n°46 p.24-25, n°50 p.60 10 Great Wall, 12 studios, Luigi Rosselli, 2015, Pilbara, Ouest Australien • Ar’site n°50 p.2 et 23 11 Maison Arman, Guy Rottier, 1968, Vence (Alpes-Maritimes) • Ar’site n°35 p.29 12 Maison-paysage, Jacques Couëlle, 1971, Monte Mano, Sardaigne • Ar’site n°1 & 2 p.36-37, n°10 p.31, n°19 p.27, n°46 p.40 13 Maison à toit vert, André Bruyère, 1975, Jouy-en-Josas (Yvelines) • Ar’site n°33 p.45, Terrasses-Jardins p.138 14 Troglovillage, J-J Delpech, 1973, Perpezac-le-Blanc (Corrèze) • Ar’site n°8 p.2, n°18 p.46, n°21 p.22-23, n°35 p.53, n°50 p.35 15 Naturadome, Benoît Darré, 2014, Lapeyre (Hautes-Pyrénées) • Ar’site n°48 p.49, n°49 p.43 Habiter la roche

Un savoir-faire actualisé qui concerne la réutilisation ou le creusement de nouvelles cavités, pour s’y installer, bénéficier de leurs qualités, voire s’y déplacer, à l’échelle d’une maison ou d’une ville. De façon plus ou moins invisible, sauf pour s’aérer et s’éclairer à la lumière naturelle.

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11 14 Intimité avec la roche : s’adosser, creuser assuré par un plafond de vitrage, avec l’aspect extérieur d’une sorte de bassin de verre : l’Ircam à côté du Centre Historien et archéologue provençal, Fernand Benoit parlait Pompidou, l’Espace-Acier à Saint-Germain-en-Laye ou dès 1928 de civilisation pétrée pour exprimer la fréquence cette extension d’école en Italie à Bolzano 11. Certains usages et l’importance de ces habitats simplement adossés (ru- temporaires peuvent en revanche se passer de lumière natu- pestres) ou creusés (troglodytiques), dans un environnement relle : selon les volumes disponibles, ils peuvent se prêter fortement marqué par le minéral. L’adossement se rencontre à la création d’aménagements surprenants, comme dans ce encore aujourd’hui, comme vers Nice, au pied de la falaise centre de stockage de données à Stockholm 12. de Saint-Jeannet 1 ou au Sri Lanka en 1995 avec l’hôtel Kan- dalama dont l’implantation joue avec un éperon rocheux 2. Épaisseur des villes : Le creusement se fait de nos jours de façon traditionnelle ou densité et urbanisme souterrain en utilisant des moyens mécaniques dérivés des travaux pu- blics ou miniers. C’est une pratique courante des chercheurs Le sous-sol et la géologie font traditionnellement partie de d’opale australiens qui dès les années 1980 proposaient des la ville lorsqu’ils apparaissent sous forme d’affleurements hébergements creusés à Coober Pedy 3. Plus près de nous, un rocheux, d’adaptation au relief traversé par des tunnels ou entrepreneur expérimentait en 2005 l’utilisation d’une petite de la présence fontaines ou de sources semi-enterrées. Mais fraiseuse dans le tuffeau d’Anjou 4. Vivre à fleur de roche, les villes ont historiquement diverses pratiques du sous-sol cette sensation revendiquée par les premiers Troglogîtes, liées à la densité, comme le principe des basements 13, ces est également très tôt proposée par une hôtellerie luxueuse sous-sols londoniens accessibles et éclairés par une minus- comme Les Hautes Roches en Touraine 5. Parfois le minéral cule cour anglaise au pied de la façade. brut est mis à distance derrière une paroi de verre, comme La Scandinavie présente une autre pratique, liée à son relief dans cette récente cabine Knapphullet en Norvège 6. et à la nature de la roche : le granite a été laissé apparent dans certaines de stations du métro de Stockholm des an- Vivre en-dessous du sol : nées 60-70, des salles ou piscines ont également été instal- enfouissement et émergences lées dans des cavités creusées au début des années 1990 : à Gjövik en Norvège ou à Helsinki en Finlande où la piscine Creusé dans une pente, le volume s’enfonçant sous le sol Itäkeskus 14 peut servir d’abri pour 3800 personnes. Un plan disparaît extérieurement mais il reste une façade ! Le trai- d’urbanisme du sous-sol est même établi à Helsinki en 2011. tement des accès ou des fenêtres peut contribuer à typer et La question de l’intégration du sous-sol aux réflexions ur- sécuriser les espaces, comme celui de la station de pompiers baines était apparue au début des années 1930 avec Edouard à Margreid, dans une falaise du Tyrol italien 7. Et au-delà Utudjian et le Groupe d’études et de coordination de l’urba- de leur façade, les cavités occupées disposent en général nisme souterrain, GECUS qui diffuse ses idées pour densi- d’émergences : une cheminée d’aération ou d’évacuation fier les villes tout en agrémentant l’espace public. Le com- des fumées. plexe souterrain des Halles au centre de Paris 15 est le parfait Dans le cas de troglodytisme de plaine, la façade s’ouvre sur exemple d’une opération qui avait su, à une époque, coupler de généreuses cours creusées, comme en Chine, en Tunisie 8 les travaux d’infrastructure de transport ferroviaire, routier ou en France (Anjou). Dans Paris, c’est le souci de garder de et les projets d’aménagement urbain dans un sous-sol déjà l’espace libre qui peut justifier un enterrement de surfaces, très encombré. D’autres opérations souterraines d’ampleur se des extensions souterraines du siège de l’Unesco, réalisées contentent de mettre en valeur les traces d’un patrimoine his- en 1965 autour de six patios, à la Bibliothèque François torique retrouvé lors des fouilles archéologiques préventives. Mitterrand en 1995. A cette création d’espaces protégés en Aux Etats-Unis, l’Underground Space Center de Minneapo- contrebas au sein de l’agglomération est quelquefois préfé- lis, très actif dans la promotion des bâtiments semi-enterrés rée une disposition intermédiaire favorisant la fluidité entre s’était lancé dans des expérimentations au sein de l’univer- surface et sous-sol : à Helsinki le temple luthérien Temppe- sité avec certains bureaux réellement souterrains, utilisant la liaukio 9 semi-encastré à l’intérieur d’un affleurement ro- portance des couches géologiques et éclairés naturellement cheux, ou en Espagne à Teruel 10 une nouvelle topographie par des lumiducs. Un projet semblable est aujourd’hui celui de la place inscrivant le bourg dans son histoire géologique de l’Underground Space de l’université de technologie de en s’enfonçant sur trois niveaux de sous-sol. Nanyang à Singapour 16 où un laboratoire analyse le fonc- L’éclairage naturel en-dessous du sol peut au contraire être tionnement du cerveau sans lumière naturelle.

1 Maison adossée au Baou, D. Petry-Amiel, 1976, Saint-Jeannet (Alpes-Maritimes) • Ar’site n°1 & 2 p.30-31, Habiter le paysage p.128-129 2 Hôtel Kandalama, Geoffrey Bawa, 1995, Dambulla, Sri-Lanka • Ar’site n°49 p.63-64 3 Espace creusé, Coober Pedy, Australie • Ar’site n°9 p.37, n°14 p.35, n°16 p.38, n°19 p.33, n°21 p.21 4 Percement de tuffeau avec petite fraiseuse en Anjou, Laurent Rateau, 2005 • Ar’site n°30 p.25. 5 Hôtel des Hautes-Roches, A. Archambault, 1988 et 1996, Rochecorbon (Indre-et-Loire) • Ar’site n°1 & 2 p.61, n°12 p.31, Habitat creusé p.44-47 6 Roche derrière vitrage, Knapphullet, Lung Hagem, 2014, Norvège • Ar’site n°50 couv. P.3 et 36 7 Station de pompiers, Bergmeisterwolf, 2012, Margreid, Italie • Ar’site n°42 p.39 8 Cours creusées, hôtel Sidi-Driss, Matmata, Tunisie • Ar’site n°3 p.7, n°10 p.30, n°15 p.30, n°23 p.37, n°41 p.36 9 Temple luthérien Temppeliaukio, Tino & Tuomo Suomalainen, 1969, Helsinki, Finlande • Ar’site n°9 p.52, n°11 p.46, n°12 p.43 10 Centre culturel et loisirs, PKMN , 2013, Teruel, Espagne • Ar’site n°44 p.45 11 Extension souterraine, école Hannah Arendt, CLEAA, 2014, Bolzano, Italie-Vue de la surface, une dalle de verre • Ar’site n°47 p.8 12 Pionen White (Pivoine blanche) Mountain, Albert France-Lanord, 2009, Stockholm, Suède • Ar’site n°42 p.39 13 Basements à Londres, cours anglaises, Angleterre • lettre n°2 p.3, Ar’site n°49 p.54 14 Piscine Itäkeskus dans une cavité, Hyvämäki-Karhunen-Parkkinen, 1993, Helsinki, Finlande • Ar’site n°7 p.31, n°10 p.45, n°12 p.43, n°13 p.40 15 Galerie souterraine des Halles, Paul Chemetov, 1985, Paris • lettre n°2 p.3, Ar’site n°9 p.48, n°11 p.43-45, n°27 p.14-17 16 Projet de bureaux souterrains, 2013, Singapour • Ar’site n°47 p.57, n°49 p.50 Roche : masse terrestre

À son échelle géologique, la roche est abri ou assise. Retrouvant l’inspiration rupestre, l’art de construire s’en sert ou s’en inspire pour créer volumes protecteurs ou soubassements renvoyant aux origines rus- tiques. D’énormes blocs de roche sont conservés ou rapportés ; des ouvrages imposants sont réalisés en reconstituant l’homogénéité du matériau minéral.

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11 15 13 Échelle géologique d’un bâtiment ou d’un lieu symbolique qu’est recherchée l’osmose avec une impressionnante masse minérale deve- La confrontation avec la monumentalité des masses rocheuses nant socle pour l’Acropole d’Athènes ou le musée océano- renvoie aux forces mises en œuvre et au temps qu’il a fallu graphique de Monaco. pour faire surgir ou éroder ces paysages et ce, bien avant notre Sans présence rocheuse, c’est la base de la façade qui prend préhistoire. Parce qu’elle dépasse l’humain, une sensation l’aspect d’un soubassement plus ou moins haut, s’arrêtant d’intemporalité s’en dégage, procurant un apaisement protec- aux premières fenêtres ou comprenant toute la hauteur du teur : c’est le cas des abris sous-roche géants des cliff dwel- rez-de-chaussée ; pour donner de la consistance à ce socle lings Anasazis 1, de la falaise de Bandiagara au Mali 2 contre et affirmer la puissance de la construction, un appareillage laquelle les Dogons ont installé une dizaine de villages ou rustique emploie les plus grandes pierres, dotées de bos- celle de Graufthal 3 qui surplombe les Maisons des rochers. sages. La Renaissance italienne montrera la voie avec les La masse peut aussi se réduire à un effet significatif à façades du Palais Medici-Riccardi à Florence 11 dont les l’image de cette sous-face rocheuse inclinée, aménagée par trois niveaux typiques réinterprètent la superposition des les Incas en Temple de la Lune 4. A l’inverse, dans l’hôtel ordres chère aux Romains. Dans un contexte de jardins, les Chromata de Santorin 5 la nature fluide de la roche volca- orangeries du XVIIe siècle semi-enterrées se dotent d’une nique apparaît ponctuellement sous forme de résurgences architecture de soubassement qui accentue leur dimension minérales sombres et aléatoires. Mais derrière l’impression minérale. Au XIXe siècle à Paris, avec des immeubles attei- d’immortalité – d’immobilité, de paysage pétrifié - se cache gnant six étages se multiplieront des soubassements plus une réalité mouvante, vivante, dont les manifestations par- épais, composés d’un rez-de-chaussée plus un entresol (sou- fois brutales sont bien connues des troglodytes. vent aux allures de troglodyte !). Au XXe siècle, face à la multiplication des automobiles et la difficulté de réaliser des Affleurements ou blocs de roche parkings en dessous des immeubles, un soubassement de deux à trois niveaux masque parfois des étages de stationne- Les grands architectes du début du XXe siècle ont décliné ment : il apparait végétalisé ou minéral, donnant la sensation à l’envi cette intimité avec le socle terrestre, de FL Wright d’un socle naturalisé. avec la maison sur la cascade 6 et ses affleurements naturels au pied de la cheminée, à O Niemeyer avec la casa de Ca- Massivité ressentie noas 7 dont l’énorme bloc rocheux émergeant accompagne à l’intérieur l’escalier conduisant à l’étage en contrebas. En L’adossement à un volume minéral massif se retrouve dans 1981 Jean Renaudie proposera cette proximité naturelle à le parasitage fréquent d’édifices de grande échelle. Parfois, ses immeubles-Etoiles épousant la pente à Givors 8 en faisant de grands ouvrages publics n’ayant plus leur utilité, comme longer des affleurements par le cheminement-sentier qui les l’amphithéâtre d’Arles au Moyen-âge 12 ou les églises ou dessert et qui permet d’accéder au sommet de la colline. La cathédrales insérées en milieu urbain et qui ont également masse monolithe des falaises ou des affleurements rocheux longtemps prêté leurs flancs à des constructions. Autre abri est aussi celle de gros blocs ayant été créés par l’érosion ou évident, le dessous d’un pont : les volumes couverts par les d’anciens éboulements. Depuis longtemps utilisés comme arches de voiries surélevées ne demandent qu’à être fer- abris rupestres ou supports de constructions, ils sont encore mées, ce qui est entre autres le cas du viaduc ferroviaire à exploités par de nombreuses architectures contemporaines Issy-les-Moulineaux 13, encore en service. comme en Arizona avec les Boulder houses de Scottdale La perception d’un volume monolithe est essentielle pour ou Carefree. D’autres déplaceront les blocs pour aménager évoquer une masse minérale, et l’homogénéité du béton l’espace, Pierre Lajus à Bordeaux pour l’installer au pied de associée à de faibles percements permit de réaliser de véri- sa cheminée, Duncan Lewis pour le hall d’un lycée en Nor- tables rochers artificiels comme l’étaient les blockhaus. Les vège et Architecture Brio pour une cour à contrepente d’une architectes s’emparèrent ensuite de cette esthétique, cher- maison semi-enterrée en Inde 9. chant même parfois une pureté géométrique : une piste tou- jours d’actualité puisqu’en 2013 à Lucerne quatre maisons Soubassements et socles en blocs de béton épousant une pente sont même baptisées de troglodytes 14, et que le récent Pritzer Price 2016, Alejan- Si quelques constructions s’appuient sur la roche affleurante dro Aravena avait réalisé en 2014 ce centre d’innovation 15 comme cette maison de Cuenca 10 en substitution des pierres créant un volume massif aux formes simples mais à fenêtres de fondation, c’est souvent dans un but de mise en valeur masquées, gommant ainsi l’échelle du bâtiment.

1 Village sous roche de Betakakin, Anazazis, XIIIe s, Arizona, USA • Ar’site n°39 p.29 2 Village sous-roche de Bandiagara, Dogons, depuis le XVe s, Mali • Ar’site n°14 p.32, n°28 p.40 3 Maisons des Rochers, Graufthal (Bas-Rhin) • Ar’site n°17 p.37, Habitat creusé p.48-51 4 Temple de la Lune, Incas, XVe s, Machu Pichu, Pérou • Ar’site n°50 p.33 5 Hôtel Chromata, Antithesis, 1995, Imerovigli, Santorin, Grèce • Ar’site n°13 p.28-29 6 Maison sur la cascade, Franck Lloyd Wright, 1939, Pennsylvanie, USA • Ar’site n°16 p.19 7 Maison de Canoas, Oscar Niemeyer, 1953, Rio-de-Janeiro, Brésil • Ar’site n°29 p.17, n°43 p.37-38 8 Passage sous les Étoiles, Jean Renaudie, 1982, Givors (Rhône) • Ar’site n°38 p.66 9 Maison semi-enterrée, Architecture Brio, 2015, Karjat, Inde • Ar’site n°50 p.2 et 35 10 Maison intégrant un soubassement rocheux, Cuenca, Espagne • Ar’site n°21 p.18 11 Palais Medici-Riccardi, Michelozzo, 1459, Florence, Italie 12 Amphithéâtre d’Arles, VIIe s au XVIIIe s (Bouches-du-Rhône) 13 Ateliers d’artistes sous viaduc, Eric Dubosc & Marc Landowski, 2002, Issy-les-Moulineaux • Ar’site n°16 p.62, n°21 p.4, n°23 p.19 14 • Ar’site n°45 p.6 15 Centre d’innovation, Alejandro Aravena / Elemental, 2014, Santiago-du-Chili, Chili Roche : esthétiques minérales

Sculpter un espace avec des lignes de force tendues renvoie à un univers géologique, en l’évoquant par l’abstraction ou le mimétisme, comme les rocailles. Les courbes suggèrent une roche érodée, avec une idée de douceur comme les voûtes, ou les coques enveloppantes et organiques des maisons-bulles.

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11 14 13 Formes brisées, froissées adhérant sur le fer. L’Art nouveau s’inspirera de ces formes courbes et fleuries en utilisant des matériaux comme la fonte Apparus à la fin du XIe siècle et conçus avec une rigueur d’art ; si ce style s’arrête avec la première guerre mondiale, quasi mathématique, les muqarnas islamiques semblables le mimétisme des rocailles continuera jusqu’à aujourd’hui, à des stalactites rappellent peut-être l’intérieur d’une grotte aussi bien avec des paysages rocheux ou montagneux pour symbolique dans l’histoire religieuse ; encore plus à l’inté- accompagner la captivité de bêtes sauvages, comme au Zoo rieur d’un porche voûté ouvert sur une façade, comme l’un de Vincennes 7, que la mise-en-scène d’une ambiance natu- des quatre iwans de la grande mosquée d’Ispahan 1. relle pour ces immeubles de 3 étages à Ocana 8. Ce travail sur les prismes ou les plis se retrouve encore Le partage est délicat entre réelle création suggérant la géo- aujourd’hui par exemple pour l’enveloppe de la reconstitu- logie tout en prenant ses distances, et esthétique natura- tion de la grotte Chauvet 2, inspirée des reliefs de falaises liste, simple pastiche proche des parcs d’attraction, comme environnants. ces architectures dites douces qui cherchent à flatter leurs La création de volumes aux formes dynamiques brisées ca- acheteurs potentiels en les rassurant grâce à des attributs ractérise des bâtiments d’esprit expressionniste, à l’exemple de néo-haussmannien ou néo-rural agrémentés de quelques de ceux du Néerlandais Ton Alberts et surtout de Rudolf rocailles pittoresques, justifiant leur surnom d’urbanisme Steiner, avec le Goetheanum 3, siège de la société anthro- Prozac donné par Lucien Kroll ! posophique. Cet art de la recherche du mouvement, de la Cet art du faux minéral est en revanche traditionnellement torsion des formes, du spectaculaire et des effets d’illusion utilisé pour dissimuler un aménagement ou des confor- caractérisait également dès le XVIIe siècle le style baroque tations, par exemple au site troglodytique des Perrières à en Italie, se manifestant entre autres à Rome par la mul- Doué–la-Fontaine 9 en retrouvant les teintes et textures de tiplication des fontaines monumentales et des jeux d’eau : la roche originale, à la manière de l’art du camouflage uti- la Fontaine des Quatre Fleuves 4 est représentative de ces lisé en période de guerre. D’autres rechercheront dans leurs formes abstraites et brisées. réalisations un nouvel emploi de matériaux authentiques Au milieu du XXe siècle, l’architecture moderne recherche à comme cet immeuble à Montpellier 10 dont les façades sont la fois l’industrialisation, notamment avec l’usage du béton, constituées de cailloux emprisonnés dans des gabions. et un mélange d’abstraction des formes et une forte authen- ticité ; l’adjectif brutaliste fut d’ailleurs employé pour évo- Formes courbes, organiques quer ces constructions affichant leurs matériaux : le béton brut de décoffrage voire bouchardé, rendant visibles les gra- Les courbes suggèrent une roche érodée ou ces rochers rui- nulats. niformes du massif de Montserrat, devenus l’emblème de la Associée à des volumes brisés, cette esthétique peut ren- Catalogne et repris par Antoni Gaudi pour la Sagrada Fami- voyer aux destructions ou au sentiment d’un chaos, d’un lia ; ces formes minérales se retrouvent dès 1910 dans son déséquilibre : elle peut évoquer une tension, par exemple immeuble baptisé la Pedrera 11 (carrière de pierre pour son dans ce monument à la résistance 5 imaginé par un sculp- irrégularité) couronné par un grenier en arcs de briques de teur à Toulouse comme un parcours enterré –clandestin- aux différentes hauteurs supportant une terrasse parcourable au parois imprévisibles, ou au contraire un espace caverneux milieu des cheminées. chaleureux en mosaïque de briques contrastant avec le béton Fascinés par la plasticité du béton ou des matières synthé- apparent dans le récent auditorium de Torun en Pologne 6. tiques les constructeurs imaginèrent d’étonnantes formes structurelles mais aussi des espaces courbes domestiques, Rocailles et rusticages baptisés d’architectures-sculptures dans les années 1960- 1970 et appliqués aussi bien à de l’habitat individuel comme Après grottes ou rochers artificiels des jardins de la Renais- les coques de Daniel Grataloup 12 ou celles de Claude Häu- sance, renvoyant aux origines et décorés en rocaille, l’archi- sermann pour Joël Unal 13 qu’à des immeubles, comme les tecture rustique se retrouve au XVIIIe siècle dès l’époque balcons-coques des Choux et Maïs de Créteil en 1974 ou des Lumières pour exprimer un désir de retour à la nature les Kalouguines d’Angers 14 réalisées avec le sculpteur Jack et à l’intimité qui s’appuiera sur un mimétisme visant au Vanarky. Leur complexité se gère maintenant grâce à la pittoresque, renforcé au XIXe siècle par le goût du roman- conception numérique, mais ces formes renvoient toujours à tisme et du sublime qui apportera un renouveau de l’art de la l’imaginaire de ces espaces librement (ou presque !) creusés rocaille et l’apparition du rusticage, ce nouvel art d’imiter dans la masse rocheuse ou à celui de l’enveloppe organique troncs et branches grâce à l’invention du ciment artificiel des gestes de l’occupant.

1 Muqarnas d’un des quatre iwan de la Grande Mosquée, XIIe s, Ispahan, Iran • Ar’site n°50 p.49 2 Reconstitution de la grotte Chauvet, Fabre Speller / Atelier 3A, 2015, Vallon-Pont-d’Arc (Ardèche) • Ar’site n°48 p.50, n°50 p.39 3 Goetheanum, Rudolf Steiner, 1928, Dornach (Bâle), Suisse • Ar’site n°48 p.26, n°50 p.16 4 Fontaine des Quatre Fleuves place Navone, Le Bernin, 1651, Rome • Ar’site n°11 p.49, n°40 p.11, n°48 p.19 5 Monument à la Résistance, Robert Pagès, 1971, Toulouse (Haute-Garonne) • Ar’site n°31 p.45, Habiter le paysage p.130-131 6 Auditorium, Fernando Menis, 2015, Torum, Pologne • Ar’site n°50 p.3 7 Zoo de Vincennes, Charles et Daniel Letrosne, 1934, Paris • Ar’site n°7 p.12, n°8 p.14-15, n°10 p.34, n°34 p.8, n°42 p.11, n°47 p.10 8 Soubassement de cour d’immeuble, Manuel Ocana, 2009, Ocana, Espagne • Ar’site n°38 p.36 9 Dissimulation d’aménagement, AZ décor, 2014, Doué-la-Fontaine (Maine et Loire) • Ar’site n°47 p.39 10 Façades en gabions, Edouard François, 2000, Montpellier (Herault) • Ar’site n°16 couv p.48-49, n°18 p.48, n°20 p.49 11 La Pedrera, Antoni Gaudi, 1910, Barcelone, Espagne • Ar’site n°17 p.62, n°50 p.55 12 Daniel Grataloup, 1974, Anières, Suisse • Ar’site n°50 p.45 13 Joël Unal et Claude Häusermann, 1981-2000, Labeaume (Ardèche) • Ar’site n°27 p.44-47, n°43 p.24, n°49 p.42, Habiter le paysage p.142-143 14 Vladimir Kalouguine, 1974, Angers (Maine-et-Loire) • Ar’site n°5 p.18, n°26 p.38, n°44 p.14 et 38, Habiter le paysage p.148-149 Habiter le végétal

L’urbanisme est depuis longtemps composé avec les arbres et les pelouses. La cohabitation entre architecture et végétaux est encouragée par les progrès en étanchéité et en horticulture. Jardinières aux fenêtres ou sur les balcons, toits verts, façades vertes, autant de créations d’un écran naturel faisant filtre et introduisant une vie botanique dans le construit.

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12 9 7 Du vernaculaire à une nature urbaine Autour de la chapelle de Ronchamp, le Corbusier dota de toits d’herbe quelques maisons de béton, puis Renzo Piano Indissociablement liés pour l’équilibre des espaces creusés, imagine un monastère semi enterré. roche et végétal sont également associés dans l’histoire de La même démarche avait conduit Bernard Zehrfuss à enter- l’habitat avec les pit-houses des amérindiens ou les burdei rer les extensions de l’Unesco à Paris ou à reconstituer la d’Europe de l’est 1, fosses obtenues en creusant le sol et re- colline naturelle à côté des amphithéâtres grâce à la couver- couverte en hutte ou avec ces fermes d’Islande 2 créées par ture végétale du volume occupé par le musée gallo-romain empilage de glèbes, mottes de terre extraites du sol tourbeux. de Lyon 9. Avec l’urbanisation, la nature fut progressivement utilisée L’art de bâtir n’aimant pas être confronté à l’eau et aux ra- pour la création de places ombragées, puis pour une volonté cines, des alternatives à l’épaisse couche de terre ont été esthétique : dès 1753 Laugier suggère que le dessin de nos imaginées : dans les années 1990 se développent en France parcs serve de plan à nos villes (…) évitons les excès de les techniques allemandes ou suisses de végétalisation des régularité et de symétrie. La suggestion est retenue et l’ur- toits déjà mises au point, plus légères, apportant une moindre banisme d’Hausmann au XIXe siècle est la ville-parc, ins- protection thermique et acoustique mais intéressantes pour pirée des principes de composition empruntés aux anciens la régulation des précipitations. parcs royaux, qui tout en densifiant les îlots d’immeubles Le Festival des jardins de Chaumont-sur-Loire accueille multiplie les alignements d’arbres de haute tige le long des les premières installations verticales de Patrick Blanc : ce nouveaux boulevards : une sorte de parc en négatif apprécié n’est plus une plante grimpante qui pousse, mais un revête- de la bourgeoisie s’installant aux balcons comme le montre ment. Appliqué aux toitures puis aux façades elles-mêmes, Gustave Caillebotte 3. ces principes font appel à des progrès technologiques, pour Si la France densifie ainsi son habitat de centre-ville, l’étanchéité et sa protection, la composition du substrat, le l’Angleterre de la révolution industrielle développe dès la choix des essences, l’arrosage automatique… fin du XIXe le concept des cités-jardins comme à Birmin- La perception de l’univers minéral de la ville est profon- gham 4 ; les grands espaces d’Amérique du Nord poussent dément modifiée par ces habillages vivants : un immeuble l’urbanisme américain à offrir à chacun un bungalow sur vert devient inconsciemment approprié par les passants qui une pelouse symbolique, parcelle de nature soigneusement voient la végétation comme un paysage commun, même entretenue, ni ville ni campagne, ni privée ni publique. Une entretenue par un particulier. obsession anglo-saxonne de la pelouse souvent analysée ou critiquée comme par la mise en scène du Néerlandais Paul Paysagistes et jardiniers de Nooijer 5 ironie face aux pelouses très propres, repassées et au conditionnement social, publicitaire ou de voisinage Le végétal étant facilement modelé par l’homme, il existe pour donner le spectacle d’une vie de banlieue bucolique. plusieurs façons culturelles de l’aménager et de signifier la nature ; que son expression soit géométrique ou au contraire Habillages vivants d’apparence naturelle, la composition est tout autant sym- bolique. Des parterres très réguliers recouvrent par exemple Pots de fleurs et jardinières peuvent être conçus comme des constructions sur trame carrée et visibles du dessus, de véritables écrans à l’échelle d’un immeuble grâce à comme sur les pentes de Kobe l’opération Rokko II 10. des plantes retombant devant les fenêtres, comme pour la Au-delà des compositions urbaines où interviennent de plus banque catalane 6, ou à de la végétation en bacs pour de en plus fréquemment des paysagistes, le besoin de nature au l’habitat, avec les bambous de la Flower tower à Paris, ou niveau du quotidien, des espaces privés, s’était déjà fait sentir les frênes, chênes, lilas et millepertuis du Bois vertical de des travaux des architectes modernes à ceux de l’Autrichien Milan 7. Hundertwasser 11 qui livre à Vienne un immeuble-manifeste Cette colonisation peut aussi être encouragée par la concep- dans lequel il propose même des arbres locataires ! Des archi- tion de terrasses accessibles et recevant une trentaine de cen- tectes imagineront un écran ou une peau végétale d’où émer- timètres de terre végétale, garante d’un verdissement assuré gent des fenêtres comme l’immeuble sur le quai du musée même sans entretien, comme dans les Étoiles de Renaudie 8. Branly en 2006, les gîtes forestiers Les Tropes à Jupilles 12. Le végétal fut également utilisé dès le milieu du XXe siècle, Parallèlement à la préoccupation écologique de se nourrir avec développement de l’idée d’architectures d’accompa- « localement », se développe l’idée d’une agriculture ur- gnement dont l’objectif était de construire à côté des bâti- baine, incitant même les habitants à cultiver leur potager : ments considérés comme patrimoine à préserver : une esthé- une réponse est donnée à l’échelle d’un immeuble avec les tique de la disparition. terrasses cultivées du Candide à Vitry 13.

1 Pithouses et Burdei • Ar’site n°39 p.41, n°50 p.60 2 Habitat vernaculaire, ferme de Glaumbaer, XVIII-XIXe s, Saudarkrokur, Islande • Ar’site n°3 p.8, n°28 p.21 et 52-57, n°50 p.60 3 Balcons et avenue plantée, boulevard Hausmann, Gustave Caillebotte, 1880, Paris • Ar’site n°40 p.18 4 Cité-jardin de Bournville, William Alexander Harvey, 1895, Sud de Birmingham, Angleterre • Ar’site n°50 p.67 5 Pelouse (Fer électrique à tondre le gazon), Paul de Nooijer, 1977 • Ar’site n°15 p.53, n°16 p.12 6 Planeta (ancienne banque catalane), JM Fargas et E Tous, 1974, Barcelone, Espagne • Terrasses-Jardins p.58-59 7 Bois vertical, vue de dessus, Stefano Boeri, 2015, Milan, Italie - Bois vertical, vue de façade • Ar’site n°42 p.5, n°49 p.4 8 Les Étoiles, J. Renaudie, 1975, Ivry-sur-seine (Val-de-Marne) • Ar’site n°19 p.48-50, 62, 66, Habiter le paysage p.172-173, Terrasses-Jardins p.58-59 9 Musée près des amphithéâtres romains, Bernard Zehrfuss, 1975, Lyon (Rhône) • Ar’site n°47 p.22 et 30 10 Parterres carrés, Rokko II, Tadao Ando, 1993, Kobe, Japon • Ar’site n°44 p.50 et 63 11 Arbre-locataire, Hundertwasser, 1985, Vienne, Autriche • lettre n°1 p.2, Ar’site n°45 p.53 12 Gîte des Tropes, Duncan Lewis et Edouard François, 1997, Jupilles (Sarthe) • Ar’site n°10 p.52, n°12 p.45, n°16 p.50, n°25 p.51-52 13 Potager du Candide, Bruno Rollet, 2014, Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) - la serre sur la terrasse • Ar’site n°44 p.61 Végétal : arborescences

Cabanes dans les arbres, structures reproduisant troncs et branches supportant une canopée lumi- neuse, l’inspiration forestière hante depuis longtemps les créateurs. L’influence se retrouve tant dans les systèmes d’adaptation au climat, protections légères et modulables, dans les colonnes rythmant les façades, que dans les pilotis libérant le sol.

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14 13 Référence sylvestre terrasses d’immeubles n’ayant jamais reçu de plantes… Comme en 1924 ou 1926 dans les cités ouvrières de Lège- Le terme de cabane résume l’idée d’un abri rudimentaire Cap-Ferret ou Pessac par Le Corbusier 9, où elles sont un permettant, par sa perméabilité aux éléments, de renouer des élément graphique apportant un peu d’ombre. liens avec la nature, comme depuis le XVIe siècle les « mai- Une variante plus technologique est de réaliser cette fron- sons de thé » 1 au Japon. Une des plus vieilles cabanes per- daison en verre sérigraphié avec des motifs qui remplacent chées européenne 2 est en revanche de style Tudor, installée les feuilles, protégeant ainsi à la fois de la pluie et du soleil, au XVIIe siècle dans un tilleul déjà plusieurs fois centenaire. à l’image de cet auvent d’entrée de parking public 10. Verti- Un siècle plus tard, à l’époque des Lumières, un théoricien calement, un filtre comme les moucharabiehs à maille fine de l’architecture, Laugier, encourage un retour aux sources offre la ventilation et le rafraîchissement des espaces tout de l’architecture 3 rappelant ses origines végétales avec les en permettant aux occupants de voir sans être vus. D’autres structures en branchages : un souci de sobriété stylistique, solutions vernaculaires relativement légères existent comme de communion avec la nature et d’adoucissement qui se ces rideaux extérieurs en toile protégeant les balcons dans retrouve aujourd’hui chez Lucien Kroll qui pour réhabi- les pays méditerranéens, et dont le principe est parfois liter des grands ensembles 4 dit qu’il doit en démolir une adapté pour quelques réalisations contemporaines spectacu- partie puis les remolir, action qui utilise bien sûr le végétal laires dégageant de vastes ouvertures ou pour de nombreux indiscipliné pour favoriser le retour du sauvage, celui de immeubles conçus avec une double peau, balcon ou jardin l’organicité des villes spontanées. L’interprétation géomé- d’hiver, des rideaux assurant la fermeture de ces espaces de trique du retour aux sources donna lieu à quelques tentatives transition. françaises d’un style plus épuré et dicté par la raison, mais la fin du XVIIIe siècle en Europe et aux États-Unis verra Pilotis-troncs, verticalité des colonnes surtout un fort renouveau des styles passés, auquel s’ajou- tera le néo-gothique encouragé par Viollet-le-Duc qui porte La place des colonnes et chapiteaux dans l’histoire de l’ar- un nouveau regard sur l’architecture médiévale, voyant dans chitecture tient à leur rôle symbolique : éléments clé du les pans de bois des maisons ou dans les arcs gothiques 5 une style recherché, l’ensemble porteur suggérait la force ou leçon de rationalité dans la conception des structures. l’élégance, renvoyant aussi bien aux colonnes originelles, Cette approche a souvent conduit à reproduire la forme construites en troncs ou en faisceaux de plantes, qu’à la vo- arborescente pour les points porteurs, de l’Art Nouveau à lonté de représenter l’humanité debout, capable de supporter aujourd’hui, avec des réalisations comme l’aérogare 1 de la charge ; il y eu même des lectures très anthropomorphes 11 Stuttgart 6. Parfois ce sont même d’énormes branches arti- des motifs. Les références végétales furent reprises ou réin- ficielles qui partent en tous sens pour maintenir une sorte terprétées par l’art gothique et l’Art nouveau, et entre temps de canopée au-dessus d’un bâtiment, comme ces nuages de la Renaissance puis les Lumières remettaient d’actualité les verre de la Fondation Vuitton imaginée par Frank Gehry 7. ordres classiques comme base de création. Enfin le volume lui-même peut être une structure végétale, La confrontation entre les théories architecturales se trouve à l’image des architectures de bois de Imre Makovecz 8, ou parfaitement illustrée, à 50 ans de distance, par le voisinage du travail du bambou de Simón Velez, dont il dit qu’il ne entre la banque d’Amérique aux colonnes ioniques et le fait pas de cubes, mais des toits, relançant simultanément le Centre Fédéral 12 construits au cœur de Chicago : Mies van débat sur l’opposition entre caverne et hutte ! der Rohe, à la recherche d’une écriture minimaliste, inter- prète les colonnes avec la plus grande sobriété, mais qui Filtres de feuillage restitue la légèreté d’un portique aéré et intégré à l’espace public, ce que ne peuvent offrir les colonnes statutaires de Les feuillages caducs apportent l’ombre et disparaissent en la banque, à peine dégagées de leur façade. Ses colonnes hiver en laissant passer la lumière, que soit en horizontal renvoient à la simplicité de pilotis qui, comme le tronc d’un ou en vertical. De nombreuses interprétations architectu- arbre, surélèvent le volume construit et libèrent le sol en rales vernaculaires accueillent ces frondaisons protectrices, n’entravant pas le passage, un rapport au sol caricaturé par treillages ou . les centaines de chalets sur un terrain maritime à Gruissan- Celles-ci ont parfois été réduites à des poutres de béton plage 13. Le Corbusier fut un des fervents promoteurs des comme au rez-de-chaussée de maisons imaginées par Tony pilotis, comme par exemple près de Nantes avec les pilotis Garnier en 1917, puis se retrouvent sur de nombreux toits minimalistes de l’unité d’habitation de Rézé 14.

1 Maison de thé Iho-an, Kobori Enshu, XVIIe s, Kodai-ji, Kyoto, Japon • Ar’site n°44 p.33 et 55 2 Maison dans un vieux tilleul, Pitchford Hall, XVIIe s, Shrewsbury, Angleterre 3 Frontispice de l’Essai sur l’architecture de Marc-Antoine Laugier, 1755, Paris - à gauche version anglaise, à droite version française 4 Retour du sauvage dans la ZUP de Perseigne, Lucien Kroll, 1978, Alençon (Orne) • Ar’site n°12 p.22-25, n°45 p.16, n°48 p.23 5 Structure gothique du Mont-Saint-Michel, Viollet-le-Duc, 1835 • Ar’site n°48 p.20 6 Aérogare 1, M. von Gerkan, V. Marg & Partner, 1991, Stuttgart, Allemagne • Ar’site n°12 p.62 7 Supports des nuages de la Fondation Vuitton, Frank Gehry, 2014, Paris • Ar’site n°31 p.11, n°45 p.13, n°47 couv et p.10-11 8 Imre Macovecz • Ar’site n°50 p.27-28 9 de béton, Le Corbusier, 1926, Pessac (Gironde) • Ar’site n°46 p.69, n°48 p.66 10 Auvent en verre du parking Morand, Albert Constantin Atelier de la Rize, 2008, Lyon 11 Ordres classiques des colonnes, interprétés par Irving K Pond, 1918, USA • Ar’site n°48 p.33-34, Apprendre à voir l’architecture / Bruno Zevi 12 Pilotis épurés du Centre fédéral, Mies van der Rohe, 1974, Chicago, Illinois, USA • Ar’site n°49 p.73 13 Pilotis poteaux des chalets maritimes, 1947, Gruissan-plage (Aude) • Ar’site n°9 p.68 14 Pilotis en lames de béton, Unité d’habitation dans un parc, Le Corbusier, 1955, Rézé (Loire-Atlantique) • Ar’site n°28 p.64 Végétal : sols et collines artificiels

Terrasses domestiques et dalles urbaines, autant de déclinaisons pour multiplier les sols habitables. Maisons ou immeubles, avec ou sans végétation, de nombreuses tentatives de créer un nouveau pay- sage anthropique. Parallèlement, toits accessibles ou patios ouvrent au ciel, à la pluie, au soleil et aux étoiles.

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10 14 15 Nouveaux sols construits végétation qui abrite hall et services, masquant un des mor- ros historiques dont les arbres émergent par-dessus 8. Dès De l’ossature poteaux/dalles aux plans libres, l’architecture le début du XXe siècle sont apparus des bâtiments à la sil- moderne sonne la fin de la boîte fermée au profit d’un espace houette en gradins pour offrir le plein-air à chaque niveau, ouvert sur son environnement : une préoccupation rentrant puis le développement des terrasses dans les années 1970 à en écho avec certains programmes du début du XXe siècle la recherche d’un habitat « intermédiaire », entre collectif comme les sanatoriums et surtout les écoles de plein-air des et individuel, conduit à des architectures « proliférantes » années 1930 à Suresnes ou à Amsterdam 1. s’adaptant à l’environnement comme les Étoiles de Jean Re- Une superposition de sols artificiels qui est parfois affirmée naudie ou à des modèles multipliés dans différents lieux 9 : en « naturalisant » les extrémités des planchers : insertion de la perception comme colline est quasiment assurée par la blocs de schiste ou d’ardoise dans le béton des bandeaux et présence de végétation, arbustive de préférence, et par des du soubassement 2 ou végétalisation du bord en ligne brisée cheminements extérieurs. des coursives et des balcons, grâce à des mousses et grami- Les pionniers de ces architectures-paysages, ayant com- nées sur des pierres de tuf 3. mencé leurs travaux par des maquettes, comme l’archi- Autres solutions, le concept de terrains empilés accueillant tecte-designer Emilio Ambasz ou le peintre Hundertwasser des architectures distinctes, comme les 18 maisons de Frei ont finalement construit en démontrant l’importance de la Otto à la fin des années 1980 à Berlin, ou accessibles entre continuité entre sol et parcours architectural 10. Une récente eux grâce à une rampe, façon entrepôts, pour faciliter tra- interprétation sur dix étages pour un immeuble de bureaux et vaux, chantiers et expériences, pour l’école d’architecture d’habitations propose une large rampe, accessible aux vélos de Nantes 4. L’idée peut même être appliquée pour l’espace et comportant de petits jardins à l’entrée de chaque logement public à l’échelle d’un quartier, avec ces fameuses « dalles desservi de plain-pied : elle monte progressivement le long urbaines » si décriées devant faciliter la séparation verticale des façades en huit, d’où le nom immeuble 8 ! 11 Cette idée de des circulations. Seuls quelques rares exemples ont su gérer paysage, de suggestion de colline, est parfois proposée pour la qualité des revêtements de sol, les aménagements, l’am- des espaces intérieurs : salles de Philharmonies à Berlin ou biance souterraine et la liaison avec la ville à ses extrémités. à Paris, mais aussi un vaste atrium de bureaux en Écosse 12, ou le Learning Center d’université construit à Lausanne avec Pentes naturelles des activités sur un sol oblique 13 dont les ondulations ont été détournées par des étudiants qui ont imaginé et photographié Depuis les années 1960 se développent en Suisse les « habi- des scènes les assimilant à des supports de glisse ! tations en terrasses », sorte d’immeubles basculés en biais contre la pente de la vallée 5. Les « maisons » disposent Plein-air et plein-ciel ainsi de terrasses et leur desserte assurée par un ascenseur lui aussi incliné selon le relief naturel. Parfois comparées Le plein-air suggéré par les gradins ou les terrasses est tout aux troglodytes, elles continuent à connaître des déclinai- autant offert par des cours : atriums romains ou patios, élé- sons contemporaines, dans les vallées suisses ou alentour 6. ments de respiration domestique de nappes habitées ren- D’autres rapports à la pente ont également été imaginés, contrées de l’Afrique du Nord à L’Inde, ont souvent ins- comme dans les années 1980, les principes du soutènement en piré de nouvelles urbanisations modernes de l’époque des terre armée ont été appliqués à trois lotissements sur de plus villes nouvelles au récent îlot baptisé Patio Island, près de ou moins fortes déclivités 7 ou récemment un ensemble de dix la Haye, dont les habitants bénéficient néanmoins d’une habitations groupées et autogérées, Habiterre dans la Drôme, échappée visuelle grâce aux toitures-périscopes émergeant qui a fait le choix d’ossatures bois et de s’adapter à la pente, de la nappe. accompagnant même les cheminements par des rocailles. C’est enfin la volonté de s’échapper d’une couverture protectrice et d’avoir accès à l’air libre qui conduit à y créer des terrasses en Gradins et collines suggérées creux ou au contraire des structures légères par-dessus, comme ces altanes vénitiennes 14. Le traitement des 5èmes façades, celles Dans un centre-ville marqué par ses reliefs naturels, les de la vue aérienne, peut amener une vraie diversité selon les in- morros, la tour de la banque nationale de développement dividus qui habitent et selon l’histoire des lieux : en témoignent (BNDES) de Rio-de-Janeiro a été conçue associée à un ces pavillons de banlieue mitoyens avec belvédères, voire des socle qui entretien l’ambiguïté avec la colline qu’il dissi- terrasses accessibles et parfois de petites coupoles d’observa- mule : pour y entrer, il faut pénétrer sous cette abondante toires suivant la vogue astronomique de l’époque 15.

1 Ecole en plein-air, Jan Duiker, 1930, réhabilité en 2013, Amsterdam, Pays-Bas 2 Soubassements-bandeaux avec pierres, Les Bleuets, Paul Bossard, 1962 / 2013, Créteil (Val-de-Marne) • Ar’site n°15 p.47, n°40 p.23 3 Nez de dalle végétalisé, Jakob et MacFarlane, 2008, Paris 19e • Ar’site n°35 p.5, n°47 p.59 4 Ecole d’architecture, niveaux et rampes d’accès, Lacaton et Vassal, 2009, Nantes (Loire-Atlantique) • Ar’site n°24 p.6, n°36 p.11 5 Ar’site n°37 p.64-67 6 Habitations en terrasses, Domaine de Pompierre, François Conrath, 2013, Aix-les-Bains (Savoie) • Ar’site n°46 p.7-8 7 Ar’site n°1&2 p.10 et 26-27, Habiter le paysage p.169-171 8 Socle–colline végétal, tour BNDES, Alfred Willer et R Burle Marx, 1974 puis 1985, Rio-de-Janeiro • Ar’site n°43 couv & p.64-65 9 Modèle d’Habitat Gradins-jardins, Andrault et Parat, 1972 • Ar’site n°20 p.58, n°40 p.24-25 10 Centre thermal Hundertwasser, 1997, Blumau, Autriche • Ar’site n°11 p.3 et 18, n°15 couv p.3 et 18, n°43 p.51 et 70 11 Large rampe en huit, Immeuble 8, BIG, 2010, Ørestad, Copenhague, Danemark • Ar’site n°39 p.5, n°45 p.23 et 60 12 Atrium des bureaux de la BBC, David Chipperfield, 2007, Glasgow, Ecosse 13 Learning Center de l’EPFL, Sanaa, 2010, Lausanne, Suisse • Ar’site n°38 p.4, n°43 p.63 14 Altane traditionnelle sur un toit de Venise, Italie • Ar’site n°20 p.63, n°43 p.16, n°44 p.61 15 Toiture, terrasse accessible ou observatoire : paysage de la diversité banlieusarde, (Hauts-de-Seine) consultez l’intégralité des bulletins et documents thématiques sur le site internet

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