La production de l’actualité politique à l’ère numérique

Une étude de la pratique des journalistes de la Tribune de la presse sur les réseaux socionumériques

Thèse

Geneviève Chacon

Doctorat en communication publique Philosophiae doctor (Ph. D.)

Québec, Canada © Geneviève Chacon, 2017

La production de l’actualité politique à l’ère numérique

Une étude de la pratique des journalistes de la Tribune de la presse sur les réseaux socionumériques

Thèse

Geneviève Chacon

Sous la direction de :

Thierry Giasson, directeur de recherche Colette Brin, codirectrice de recherche

Résumé

Cette thèse porte sur les pratiques des journalistes politiques québécois en ligne et plus particulièrement sur les réseaux socionumériques. Jusqu’ici, peu d’études scientifiques ont analysé ces pratiques à l’extérieur des États-Unis et hors du contexte spécifique des campagnes électorales. Notre recherche vise à combler cette carence dans la littérature scientifique en communication politique et dans le domaine des études sur le journalisme. Les objectifs de la thèse sont les suivants : (1) décrire les usages que font les journalistes politiques de l’internet et des réseaux dans leur pratique professionnelle; (2) expliquer les motivations qui sous-tendent ces usages et; (3) rendre compte de la manière dont ces usages et ces motivations influencent les normes du journalisme politique.

L’approche théorique du système médiatique hybride proposée par le politologue Andrew Chadwick (2013) nous sert de guide pour étudier le journalisme politique contemporain. Cette approche permet d’appréhender les processus de communication politique comme une hybridation entre des technologies, des genres, des pratiques et des normes anciennes et nouvelles. Pour mieux connaître et comprendre le journalisme politique à l’ère numérique, nous procédons à une étude de cas examinant les pratiques en ligne des journalistes de la Tribune de la presse du Parlement de Québec. Nous avons développé un devis innovant qui s’appuie sur les méthodes mixtes. Celui-ci comporte un volet d’analyse de contenu quantitative des messages diffusés sur le site de microblogage Twitter par les journalistes parlementaires. À ce volet s’ajoute une série d’entretiens semi-dirigés menés auprès de 28 journalistes de la Tribune de la presse.

Dans un premier temps, nous brossons un portrait d’ensemble de l’utilisation que font les journalistes parlementaires de l’internet et des réseaux socionumériques. Puis, nous nous attardons à certaines dimensions de la pratique du journalisme politique en ligne. Une attention importante est accordée à l’utilisation que font les journalistes de Twitter. Tout d’abord, nous analysons la pratique qui consiste à diffuser de l’information en temps réel. Nous étudions aussi les motivations qui sous-tendent cette pratique. Notre analyse révèle que les raisons qui expliquent l’instantanéité ne se limitent pas à la technologie qui la rend possible. La concurrence dans l’industrie des médias, la recherche

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de visibilité et les demandes exprimées par la direction des organisations médiatiques constituent des motivations importantes pour diffuser de l’information en temps réel, une pratique qui constitue désormais la norme. Nous examinons ensuite différentes manifestations de l’ouverture – et de la fermeture – des correspondants parlementaires à la participation du public dans la production de l’actualité sur les réseaux socionumériques. Plus spécifiquement, nous recensons les éléments de transparence à l’égard du public, de dialogue et de partage du rôle traditionnel de sélectionneur d’information (gatekeeper) dans les messages des journalistes sur Twitter. Nous observons que la spécificité du journalisme parlementaire et la conception que se font les journalistes de leur rôle constituent autant de barrières à la participation du public au processus de construction de l’actualité politique. Enfin, nous traitons du rapport des journalistes politiques québécois à l’idéal d’objectivité, un principe central du journalisme moderne en Amérique du Nord. Nous recensons la présence d’autopromotion et, dans une moindre mesure, d’opinion et d’humour dans les messages publiés par les journalistes sur Twitter.

Cette thèse documente une pratique émergente durant son développement et présente des données empiriques inédites sur la pratique des journalistes politiques québécois sur les réseaux socionumériques. Elle décrit le caractère complexe et hybride des pratiques des journalistes politiques en ligne. Elle révèle comment les facteurs économiques et organisationnels contribuent à façonner les utilisations de la technique. Dans un contexte de crise de revenus dans l’industrie des médias, la concurrence entre les organisations médiatiques et les pressions organisationnelles favorisent une pratique orientée vers la diffusion en temps réel et l’autopromotion. Malgré le potentiel interactif des réseaux socionumériques, l’ouverture des journalistes à la participation des citoyens dans la production de l’actualité politique est encore marginale. Les journalistes politiques demeurent aussi attachés à l’idéal normatif de l’objectivité, mais cet idéal coexiste avec une pratique en ligne qui comporte des éléments de subjectivité. Ces continuités et ces transformations décrites par les journalistes font l’objet de débats au sein de la profession. Notre travail vise à éclairer ces discussions dans un contexte de changement et d’incertitude.

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Abstract

This thesis focuses on the contemporary practice of political journalism in Québec. More precisely, it investigates the practice of parliamentary journalists online and specifically on social networking sites. Since now, few studies have analysed how political journalists use social media platforms, particularly in non-US contexts and outside of election campaigns. This work aims to fill this gap in journalism studies and political communication literatures by asking three main questions: (1) how and to what extent do political journalists use internet and social media in their professional practice; (2) what are their motivations to do so; (3) how these uses and motivations influence norms and standards of political journalism?

Andrew Chadwick’s (2013) hybrid media system theoretical approach guided us through our study of political journalism. This perspective allowed us to conceptualize political communication processes as a hybridization of old and new technologies, genres, practices and norms. To better understand political journalism in the digital age, we conducted a case study of the practices of parliamentary journalists of the National Assembly Press Gallery in . We developed an innovating mixed methods design which includes a quantitative content analysis of the messages posted by the parliamentary correspondents, on the microblogging site Twitter, and a series of 28 semi- structured interviews with these journalists.

Based on these observations, we draw an overall picture of the parliamentary journalists’ uses of internet and social networking sites. Then, we examine in closer details a few dimensions of their practice online, paying specific attention to their uses of Twitter. First, we analyze how and to what extent they convey information in real time. We also investigated the reasons that motivate them to do so. Our data reveals that instantaneity is not only the result of technological affordances. Intense competition in the media industry, a constant quest for visibility and organizational pressures were cited as key motivations to convey information immediately, which became the norm. Second,

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we studied journalists’ openness to public participation in the construction of political news. More specifically, we looked for elements of transparency, dialog and gatekeeping sharing in the messages conveyed by Quebec political journalists on Twitter. Except for transparency, these elements were rare. The specificity of parliamentary journalism and the way journalists conceived their audience were cited as barriers to the public’s participation in the construction of political news. Finally, we examined political journalists’ relationship with the normative ideal of objectivity, a central norm of North American journalism. We observed the presence of self-promotion and, to a lesser extent, opinion and humour in the messages published by parliamentary journalists on Twitter.

This thesis documents an emerging practice during its development. It presents original data on Quebec political journalists’ practice on social networking sites. It describes the complex and hybrid character of their practice. It also shows how economic and organizational factors contribute to shape the uses of technological tools. In a context of crisis in the media industry, competition and organizational pressures encourage practices of immediacy and self-promotion. Despite the interactive potential of social networking sites, journalists’ attitude toward public participation in the construction of political news remains relatively closed, with a few individual exceptions. Political journalists are still attached to the norm of objectivity, but their online practices also shows elements of subjectivity. These continuities and transformations described by Quebec political correspondents are part of a broader debate in the journalistic community. Our work aims to contribute to this discussion by shedding light on a quickly evolving and highly uncertain context.

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Table des matières Résumé ...... i Abstract ...... iii Liste des tableaux ...... viii Liste des figures ...... x Remerciements ...... xi Introduction ...... 1 Chapitre 1. Problématique et cadre théorique ...... 12 1.1 La construction de l’actualité politique ...... 15 1.2 Le système médiatique hybride et le cycle de l’information politique ...... 18 1.3 Une approche centrée sur la pratique du journalisme politique ...... 21 1.4 La production de l’actualité sur les réseaux socionumériques ...... 24 1.5 Le rapport des journalistes au temps ...... 27 1.5.1 De la machine à vapeur au télégraphe ...... 28 1.5.2 Les médias électroniques et le cycle quotidien de la nouvelle ...... 30 1.5.3 L’intégration des technologies numériques dans les rédactions ...... 31 1.5.4 Quand l’immédiateté signifie « maintenant » ...... 33 1.6 Le rapport des journalistes aux publics ...... 37 1.6.1 La participation du public dans la production de l’actualité ...... 37 1.6.2 La participation à l’ère de l’internet et des réseaux socionumériques ...... 39 1.6.3 La transparence ...... 42 1.6.4 Normalisation ou transformation de la pratique? ...... 42 1.7 L’objectivité remise en question ...... 45 1.7.1 L'idéal de l'objectivité journalistique ...... 46 1.7.2 Objectivité, subjectivité et expertise critique ...... 48 1.7.3 L’objectivité journalistique aujourd’hui ...... 50 1.8 L’autopromotion...... 53 1.8.1 Le « mur » entre l’information et les intérêts commerciaux ...... 54 1.8.2 Où est le public? ...... 55 1.8.3 L’autopromotion chez les journalistes ...... 56 1.9 Synthèse et questions de recherche ...... 57 Chapitre 2. Méthodologie ...... 61 2.1 L’étude de cas...... 63

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2.2 Une approche en méthodes mixtes ...... 65 2.3 La délimitation du cas à l’étude : les pratiques des journalistes de la Tribune de la presse ...... 67 2.4 Vue d’ensemble du devis de recherche ...... 69 2.5 Analyse de contenu ...... 72 2.5.1 Twitter et le journalisme ...... 72 2.5.2 Le processus de codification ...... 74 2.6 Entretiens semi-dirigés ...... 81 2.6.1 Le canevas des entretiens ...... 83 2.6.2 L’analyse des entretiens ...... 85 2.6.3 Conclusion ...... 87 Chapitre 3. La pratique du journalisme politique québécois sur les réseaux socionumériques : une vue d’ensemble ...... 91 3.1 Quelles plateformes? ...... 92 3.2 De la cueillette à la diffusion de l’information ...... 93 3.3 Usages de Twitter : les grandes tendances ...... 97 3.4 Discussion et conclusion ...... 103 Chapitre 4. Ici, maintenant : la production de l’actualité dans l’instant présent ...... 106 4.1 La diffusion de l’information politique dans l’immédiat ...... 107 4.1.1 La construction de l'actualité politique en temps réel : une vignette narrative ...... 111 4.2 Pourquoi immédiatement?...... 117 4.2.1 La capacité sur le plan technologique ...... 118 4.2.2 Gagner en influence : compétition, pression organisationnelle et quête de visibilité ...... 120 4.3 Immédiatement! C’est la norme...... 124 4.3.1 Transformations et questionnements sur le plan normatif ...... 126 4.3.2 Transformations dans la nature du débat politique ...... 131 4.4 Discussion et conclusion ...... 135 Chapitre 5. L’ouverture à la participation publique ...... 140 5.1 La transparence ...... 141 5.1.1 Les motifs de la transparence ...... 143 5.2 Le dialogue ...... 145 5.2.1 À la source du dialogue ...... 151 5.2.2 Les barrières au dialogue ...... 154

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5.3 Partager la scène? ...... 156 5.3.1 Monter la garde : les motivations ...... 158 5.4 Normalisation et hybridité sur le plan normatif ...... 160 5.5 Discussion et conclusion ...... 166 Chapitre 6. Exit l’objectivité ? Opinion, humour et autopromotion ...... 170 6.1 Tweeter son opinion ...... 174 6.2 Des gazouillis comiques ...... 175 6.3 Humour et opinion : les motivations ...... 177 6.4 Continuité et transformation sur le plan normatif ...... 179 6.5 L’étendue des pratiques d’autopromotion sur Twitter ...... 181 6.6 Expliquer les pratiques d’autopromotion en ligne ...... 185 6.7 Autopromotion : une norme contestée ...... 188 6.4 Discussion et conclusion ...... 191 Conclusion ...... 197 Les limites de la recherche ...... 198 Courir pour être lu, vu et entendu sur la toile...... 199 La bulle, le microcosme ...... 206 Le journalisme politique : remises en question et perspectives de recherche ...... 209 Bibliographie...... 214 Annexe 1. Guide de codage pour l'analyse de contenu quantitative des tweets des journalistes parlementaires membres de la Tribune de la presse du Parlement du Québec...... 231 Annexe 2. Questionnaire en ligne ...... 236 Annexe 3. Schéma d’entretien semi-dirigé ...... 239 Annexe 4. Production des journalistes de la Tribune de la presse sur Twitter la semaine et la fin de semaine, répartie en fonction de la période de collecte de données ...... 241 Annexe 5. Nombre moyen de tweets par semaine en fonction de l’usager ...... 242 Annexe 6. Présence d’opinion dans les tweets des journalistes de la Tribune de la presse (en pourcentage)...... 244

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Liste des tableaux Tableau 2.1 Devis de recherche………...…………………………………………..p. 71

Tableau 2.2 Grille sommaire de codification de l’analyse de contenu…………...... p. 80

Tableau 3.1 Les plateformes numériques utilisées dans le cadre de la pratique professionnelle des journalistes de la Tribune de la presse………….....p.92

Tableau 3.2 Profil des journalistes parlementaires sur Twitter (collecte 1)………....p.98

Tableau 3.3 Profil des journalistes parlementaires sur Twitter (collecte 2)………....p.98

Tableau 3.4 Caractéristiques relevées dans les messages des journalistes parlementaires sur Twitter (tweets politiques)………………………………………...p.100

Tableau 3.5 Fonctions des messages diffusés par les journalistes parlementaires sur Twitter (tweets politiques)…………………………………………….p.101

Tableau 4.1 Plateformes associées à la diffusion de l’information le plus rapidement possible……………………..…………………………………………p.107

Tableau 4.2 Plateformes associées à la diffusion de l’information en temps réel ……………………..………………………………………………….p.108

Tableau 4.3 Motivations pour diffuer de l’information le plus rapidement possible en ligne et sur les réseaux socionumériques ……………………………p.118

Tableau 5.1 Éléments de transparence relevés dans les messages des journalistes parlementaires sur Twitter (tweets politiques) ………………....…….p.142

Tableau 5.2 Plateformes numériques associées au dialogue par les journalistes parlementaires……………………………………………………..….p.145

Tableau 5.3 Interlocuteurs des journalistes parlementaires sur Twitter (contenus politiques)……………………………………………………………..p.151

Tableau 5.4 Sources des messages qui font l’objet d’un retweet par les journalistes parlementaires (contenus politiques)…………………………………p.157

Tableau 6.1 Sources des messages qui font l’objet d’un retweet par les journalistes parlementaires………………………………………………………...p.182

Tableau 6.2 Destination des hyperliens inclus dans les tweets des journalistes parlementaires………………………………………………………...p.183

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Tableau 6.3 Les fonctions utilisées par les journalistes à des fins de promotion sur Twitter………………………………………………………………...p.184

Tableau 6.4 Autopromotion individuelle et organisationnelle sur Twitter………...p.185

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Liste des figures

Figure 1.1 Temps moyen écoulé entre un événement et la publication de l’information le concernant, en fonction de l’origine (locale, nationale, étrangère)....p. 29

Figure 3.1 Les sources d’information jugées utiles par les journalistes de la Tribune de la presse sur Twitter…………………………………………...…….p.95

Figure 4.1 Répartition dans le temps des tweets diffusés par les journalistes parlementaires sur le Projet de loi n°52 : Loi concernant les soins de fin de vie, du 18 au 20 février 2014…………………………………...……..p.113

Figure 5.1 Nombre moyen de tweets dialogiques en fonction du type d’interlocuteur (tweets politiques)……………………………………………………..p.149

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Remerciements

Cette thèse marque l’achèvement d’un projet qui a pris naissance il y a cinq ans, au hasard d’une discussion, dans les corridors de l’Assemblée nationale du Québec. Mon directeur et ma co-directrice de thèse, Thierry Giasson et Colette Brin, m’ont alors accueilli au sein de leur équipe. Ils m’ont accompagnée avec patience et dévouement dans chacune des étapes de ce parcours exigeant. Motivateurs hors pair, ils ont partagé généreusement leur expertise dans les domaines de la communication politique, du marketing politique et des études sur le journalisme. Ils ont aussi contribué de manière significative à mon développement intellectuel en favorisant mon intégration au sein de leurs projets de recherche et en m’ouvrant les portes de leur réseau. Malgré leur ordre du jour bien rempli, ils se sont toujours montrés à l’écoute et disponibles. Ils m’ont fourni un encadrement rigoureux. Ils m’ont aussi accordé beaucoup de respect et de liberté, m’encourageant à mener à terme un projet qui porte mes propres couleurs. Je leur dois beaucoup.

Mon parcours doctoral a été grandement enrichi au contact des membres du Groupe de recherche en communication politique (GRCP), réunis sous le leadership de Thierry Giasson. J’ai eu le privilège de côtoyer des collègues brillants et généreux : Yannick Dufresne, David Dumouchel, Audrey Dupuis, Émilie Foster, Jean-Christophe Gaudet, Mikaël Guillemette, Virginie Hébert, Carl Lavenant-Langelier, Gildas Le Bars, Catherine Lemarier-Saulnier, Sofia Tourigny-Koné, Mélanie Verville, Mickaël Temporão, Sabrina Sassi et Gabrielle Sirois. Les activités du GRCP m’ont également permis de recevoir les commentaires constructifs de plusieurs chercheurs sur certaines dimensions de ce projet, notamment ceux de Marc A. Bodet, de Pénélope Daignault, de Fabienne Greffet, de Mireille Lalancette et de Juliette De Maeyer. Je remercie aussi Frédérick Bastien pour son intérêt envers mon travail et ses conseils attentionnés.

Plusieurs professeurs et étudiants du Département d’information et de communication de l’Université Laval ont aussi contribué par leurs questions et leurs commentaires au développement de cette thèse. Je souhaiterais remercier plus

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particulièrement les professeurs Henri Assogba, Jean Charron et Manon Niquette pour leur contribution, de même que ma collègue et amie Emmanuelle Gagné qui a été au cours de ces années une source d’inspiration. Je remercie également Sylvain Parasie, de l’Université Paris-Est Marne-La-Vallée d’avoir accepté de faire partie du comité d’évaluation.

Cette thèse n’aura pas été possible sans la participation des journalistes politiques de la Tribune de la presse qui ont accepté de me rencontrer et de répondre à mes questions. Je les remercie de m’avoir accordé ce temps que je sais si précieux. Pour traiter les données recueillies lors des entretiens avec les journalistes, j’ai eu le privilège de participer à deux formations en analyse de données qualitatives offertes par le European Consortium for Political Research. Je tiens à remercier Marie-Hélène Paré pour son enseignement exceptionnel et son apport concret à la thèse. La participation à ces séjours méthodologiques a été rendue possible grâce au soutien financier du Centre pour l’étude de la citoyenneté démocratique (CECD) et de sa directrice Dietlind Stolle. Des résultats issus de ce projet de recherche ont également été présentés lors de colloques nationaux et internationaux au Canada, aux États-Unis, en Croatie et en Suisse. La participation à ces conférences a été soutenue par le CECD et le GRCP. Enfin, mes recherches doctorales ont bénéficié de bourses d’études remises par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, le Fonds de recherche du Québec – Société et culture, le programme de Bourses Bell Média en journalisme, le Département d’information et de communication et la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval.

En terminant, je souhaiterais remercier mes proches. Tout d’abord mes parents, Agathe et Paul, qui m’ont transmis la passion d’apprendre et m’ont encouragée depuis mes premiers pas « à aller à l’école longtemps ». Je remercie aussi ma fille Juliette qui a grandi avec ce projet. En plus d’être une source incroyable de motivation, elle m’a raccrochée à chaque instant à la réalité. Enfin, je consacre mes derniers remerciements à mon époux, Benoit. Son regard, son écoute et son soutien indéfectible ont contribué à faire d’un rêve un peu fou un accomplissement.

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Introduction

Le monde politique qu'observe le citoyen ordinaire n'est pas celui des gouvernants et des institutions politiques en action, c'est celui de l'« actualité » politique telle qu'elle est distillée jour après jour, heure après heure, par l'arsenal médiatique (Charron, 1994 : 9).

Le jeudi 27 novembre 2014, des journalistes politiques convergent vers l’Université de Montréal pour assister à un discours du député du Parti québécois et homme d’affaires Pierre Karl Péladeau (@PKP_Qc). Des courriéristes parlementaires observent aussi le discours transmis en direct sur internet, depuis leurs bureaux de Québec. Les messages que ces journalistes diffuseront sur le site de microblogage Twitter permettent de suivre le déroulement des événements, en temps réel :

Julie Dufresne @JuDufresne_RC 17 Nov 11:37 Selon certaines infos, @PKP_Qc pourrait confirmer ds prochaines min, lors d'un discours à l'UdeM qu'il est candidat à course à direction PQ.

Patrick Bellerose @PatBellerose 17 Nov 11:57 RT@HuffPostQuebec Slogans anticapitalistes à l'UdeM, gardes de sécurité bloquent les portes. Pas de grabuge #PKP pic.twitter.com/HmWyZ1svA4

Des journalistes partagent aussi des contenus émis par des citoyens assistant à l’événement. Le journaliste politique Philip Authier rediffuse le tweet d’un militant présent sur place (@souverainquebec) qui présente une photographie de l’assistance :

Philip Authier @PhilipAuthier 17 Nov 12:05 RT@souverainquebec Une salle comble #UdeM Conférence de Pierre-Karl #Péladeau à l'Université de Montréal #Québec #PQ #OpNat #QS #CAQ pic.twitter.com/NSMDW08xvA

Pendant le discours du politicien, les discussions de coulisses vont bon train sur le réseau.

Angelica Montgomery @ajmontgomery 17 Nov 12:24 Who wrote this speech? #pkp #polqc #assnat

Patrick Bellerose @PatBellerose 17 Nov 12:25 @ajmontgomery No one, improvised. :)

Angelica Montgomery @ajmontgomery 17 Nov 12:27 #PKP does not announce his candidacy. Appears Rad-Can has been had by its sources in a rather public way #assnat 1

Après plusieurs minutes de conjectures, la nouvelle tombe finalement.

Sébastien Bovet @SebBovetSRC17 Nov 12:29 DERNIÈRE HEURE: @PKP_Qc annonce qu'il SERA candidat à la direction du @partiquebecois #assnat

Hugo Lavallée @hugolavallee 17 Nov 12:29 @PKP se présentera cet après-midi à la permanence du #PQ pour prendre possession de son bulletin de candidature pour la course #assnat

Angelica Montgomery @ajmontgomery 17 Nov 12:30 It appears I spoke too soon. #assnat #cjad

Angelica Montgomery @ajmontgomery 17 Nov 12:30 #PKP announces his candidacy as a result of a direct question #assnat #cjad

Puis, les réactions à l’annonce émergent rapidement, comme l’illustre ce tweet de la courriériste parlementaire Geneviève Lajoie (@GLajoieJDQ). Celle-ci partage un message du député péquiste et candidat pressenti à la course à la direction du Parti québécois, Jean-François Lisée (@JFLisée) :

Geneviève Lajoie @GLajoie JDQ 17 Nov 12:34 RT@JFLisée Bienvenue dans la campagne, cher Pierre Karl. Peu importe le gagnant, nous formerons une formidable équipe ! @PKP_Qc #polqc

Des journalistes politiques retweetent aussi quelques messages à saveur humoristique, comme ceux-ci, l’un émanant d’un citoyen (@CEICtwit) et l’autre d’une journaliste (@peggylcurran) :

Charles Lecavalier @CLecavalierJDQ 17 Nov 12:35 RT@CECItwit Calisse, l'annonce de PKP relègue aux oubliettes celle du futur du hockey à Québec.1

Geoffrey Vendeville @GeoffVendeville 17 Nov 12:37 RT @peggylcurran: PKP has saved a lot of reporters from ruining their weekend. Or calling him on his private line.

1 Ce message fait référence à une nouvelle tombée plutôt durant la journée concernant l’achat des Remparts de Québec, une équipe de la Ligue de hockey junior majeur du Québec, par l’entreprise Québecor dont l’actionnaire majoritaire est Pierre Karl Péladeau. 2

En après-midi dans les couloirs de l’Hôtel du Parlement, la réponse des autres partis à la sortie de Péladeau ne se fait pas attendre. Des courriéristes parlementaires relaient les propos du député de Québec Solidaire Amir Khadir (@amirkhadir) et du chef de la Coalition Avenir Québec François Legault (@francoislegault).

Martine Biron M_Biron 17 Nov 14:04 @amirkhadir @PKP_Qc "il a un empire à son service" #polqc

Angelica Montgomery @ajmontgomery 17 Nov 15:08 RT@francoislegault Bonne chance @PKP_Qc . Pendant que vous travaillerez pour le pays imaginaire, je travaillerai à faire avancer le pays réel.

Puis, à Dakar où il assiste au Sommet de la Francophonie, le premier ministre du Québec s’adresse à la presse. Depuis la capitale sénégalaise, le journaliste Marc-André Gagnon partage son compte rendu du point de presse via un hyperlien ajouté à son tweet.

Marc-André Gagnon @MAGagnonJDQ 15:49 PKP officiellement dans la course à la chef. du PQ: depuis Dakar, la réaction du PM ici: ow.ly/F09ZE #assnat

Ainsi, en suivant le fil Twitter des journalistes de la Tribune de la presse du Parlement de Québec, nous avons assisté au déroulement d’un événement politique et de ses ramifications, de minute en minute, puis d’heure en heure. Discussions de coulisse, rumeurs, démentis et confirmation d’information, l’actualité s’est construite bribe par bribe, à travers le regard des journalistes eux-mêmes, mais également par l’intermédiaire des messages des politiciens et des citoyens, sur un ton parfois sérieux, parfois humoristique, depuis Montréal, Québec et Dakar.

La reconfiguration de l’environnement médiatique

En deux décennies, la démocratisation d’internet, le développement des appareils mobiles et l’avènement des réseaux socionumériques ont non seulement contribué à transformer les modes de consommation de l’information. Ils ont également favorisé l’accélération de sa production. Le cycle de l’information a été graduellement comprimé. Le temps qui s’écoule entre un événement et la diffusion de l’information s’est rétréci considérablement (Karlsson et Strömback, 2010; McNair, 2013). Dans les rédactions,

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l’immédiateté, conçue comme l’instant présent, a graduellement remplacé les heures de tombée régulières (Usher, 2014). Des nouvelles émergent ou sont diffusées en primeur sur les réseaux socionumériques. Les usagers les partagent, les commentent et ajoutent des bribes d’information. L’actualité se construit par fragments successifs avec la contribution de multiples usagers (Chadwick, 2013; Hermida, 2013). Une plateforme comme Twitter permet aux internautes – et bien entendu aux journalistes – d’exercer une veille sur l’information qui circule dans leur milieu et d’y contribuer (Hermida, 2010). Cependant, le caractère instantané et ouvert des communications sur les réseaux socionumériques pose aussi un défi important au journalisme, dans la mesure où sa légitimité repose en grande partie sur le processus de vérification des faits (Hermida, 2013). Comme le soulignent Kovach et Rosenstiel (2007), la vérification constitue un prérequis essentiel au rôle que joue le journalisme en démocratie.

Or, la vérification des faits nécessite du temps. Dans des rédactions un peu partout à travers le monde, l’impératif d’immédiateté fait l’objet de débats (Davis, 2010; Usher, 2014). Des chercheurs ont aussi exprimé des inquiétudes sur la manière dont l’immédiateté pourrait affecter la qualité et la diversité des contenus journalistiques (Philips, 2012). Cependant, peu d’études empiriques se sont attardées à la dimension temporelle de la pratique du journalisme politique en ligne et sur les réseaux socionumériques.

Par ailleurs, si le rythme de la production de l’information se transforme, d’autres modalités de la fabrication de l’actualité sont également en mutation. Traditionnellement, la littérature scientifique dépeint la nouvelle politique comme une construction négociée principalement entre les journalistes et les autorités politiques (Charron, 1994). Or, avec l’avènement d’internet et des réseaux socionumériques, les sources d'information des journalistes tendent à se diversifier, intégrant des éléments d'information des médias en ligne et des réseaux socionumériques. Internet fournit désormais aux acteurs politiques, médiatiques et citoyens l'occasion d'interagir, et parfois de négocier la construction de l'actualité publiquement, en temps réel. Si les journalistes n’ont plus le monopole de l’information transmise au grand public, ils ont désormais la possibilité d’interagir avec

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celui-ci et de faire preuve de plus de transparence à son égard. Mais qu’en est-il en réalité?

Deux grandes tendances émergent sur ces questions dans les études empiriques consacrées aux usages journalistiques des réseaux socionumériques. D’une part, la littérature scientifique relève une tendance des journalistes à transposer leurs pratiques et leurs normes traditionnelles dans l’environnement numérique, et donc, à « normaliser » la pratique du journalisme en ligne (Singer, 2005). De manière générale, les journalistes utiliseraient davantage les réseaux socionumériques dans une perspective de veille sur l’actualité plutôt que de production de contenus originaux (Hedman et Djerf-Pierre, 2013). Ils dialoguent peu en ligne et demeurent très prudents lorsque vient le temps de partager de l'information émanant de sources non traditionnelles. Enfin, ils fournissent peu de détails sur la manière dont l'information est sélectionnée et construite (Lasorsa et al., 2012).

D’autre part, un pan de la recherche traitant de l’utilisation de l’internet par les journalistes suggère aussi une forme d’hétérogénéité et d’hybridité dans les logiques à l’œuvre. L'utilisation de l’internet tendrait à varier, combinant à la fois des logiques traditionnelles et des logiques nouvelles, en fonction d'une variété de facteurs contextuels, notamment la perception qu'ont les journalistes des publics utilisateurs, ainsi que les pratiques déjà établies dans les environnements de travail (Boczkowski, 2004; Dagiral et Parasie, 2010). Sur les réseaux socionumériques, des journalistes politiques ouvrent parfois les portes des coulisses du pouvoir en présentant aux internautes des détails sur la manière dont l’information est produite (Lawrence et al., 2014). Certains utilisent ces plateformes pour réseauter et collaborer avec d’autres usagers (Hedman et Djerf-Pierre, 2013). Aussi, le ton plus informel des échanges sur ces réseaux amènerait des journalistes à émettre leur opinion ou à partager des propos humoristiques (Holton et Lewis, 2011; Mouraõ et al., 2015). Ces travaux récents suggèrent aussi que des journalistes utilisent ces réseaux à des fins d’autopromotion (Molyneux, 2015; Molyneux et Holton, 2015). Enfin, il est important de préciser que l’utilisation que font les journalistes d’internet et des réseaux socionumériques dans la production de l’actualité

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adopte des trajectoires parfois divergentes selon les organisations et les individus; elle est également susceptible d’évoluer dans le temps suivant l’enseignement fourni dans les écoles de journalisme, le comportement des consommateurs ou les décisions prises dans les entreprises de presse.

Toutefois, peu d’études ont analysé l’utilisation d’internet et des réseaux socionumériques par les journalistes politiques, tout particulièrement à l’extérieur des États-Unis et du contexte particulier des campagnes électorales. De plus, la plupart des études empiriques portant sur ce type de pratique s’attardent soit aux contenus médiatiques, soit aux conditions de production, sans nécessairement faire le lien entre les deux. Enfin, la recherche ne nous informe que très peu sur les motivations qui expliquent les usages journalistiques des réseaux socionumériques, de même que sur les transformations normatives associées à ces usages. Ces carences dans la littérature marquent le point de départ de notre thèse dont les objectifs généraux sont les suivants :

1. décrire les usages que font les journalistes politiques de l’internet et des réseaux socionumériques dans leur pratique professionnelle; 2. expliquer les motivations qui sous-tendent ces usages; 3. rendre compte de la manière dont ces usages et ces motivations influencent les normes du journalisme politique.

Enquêter sur la production de l’actualité politique à l’ère numérique

Pour aborder ces questions, nous adopterons une approche pragmatiste. Cette perspective sera doublée d’une expérience professionnelle passée de journaliste ayant travaillé à Radio-Canada durant près de neuf ans, dont une année à titre de correspondante parlementaire à l’Assemblée nationale du Québec2. Cette expérience a d'ailleurs eu une influence sur notre démarche scientifique. Les années de pratique dans différentes salles de rédaction à travers le pays nous ont permis d’acquérir de

2 L’auteure de cette thèse a été employée à Radio-Canada de 2002 à 2011. Elle a travaillé à la Chaîne Culturelle, ainsi que dans les stations régionales de Montréal, de Windsor, de Sept-Îles, de Toronto et de Québec. Elle a également été reporter nationale et membre de la Tribune de la presse du Parlement de Québec d’octobre 2010 à septembre 2011. 6

l’information précieuse sur le métier. À l'instar d'autres chercheurs qui partagent cette particularité, nous estimons que le vécu du chercheur constitue une source importante d’activité intellectuelle (Francoeur, 2011 : 6-7).

Dans ce contexte, nous ne prétendons pas à une objectivité complète. Nous croyons plutôt que la manière d’appréhender une situation ne peut être totalement dissociée des croyances du chercheur.

De quelque façon qu'on l'envisage ou qu'on se la représente, comme Peirce l'avait déjà souligné avec force, la position du chercheur ne peut pas se recommander d'un doute ou d'une mise entre parenthèses qui s'affranchirait de toute croyance. Que cela exige de sa part une vigilance critique particulière est une chose; qu'il s'en dispense au nom d'une neutralité qui le placerait dans une position d'extériorité à l'égard des problèmes qui donnent son sens à l'enquête en est une autre (Cometti, 2010 : 286).

Ainsi, l'analyse que nous proposons n'est pas « une "correction" de la version des faits des acteurs, ou une révélation aux acteurs d'une réalité dont on présume qu'ils n'ont pas conscience » (Cometti, 2010 : 287). Notre objectif consiste plutôt à reconstruire et à rendre intelligibles les actions et les croyances des praticiens, en favorisant l'investigation autour de questions pertinentes à leurs yeux.

Sur le plan théorique, pour mieux connaître et comprendre la pratique contemporaine du journalisme politique à l’ère numérique, nous suivons l'approche du système médiatique hybride mise de l’avant par le politologue Andrew Chadwick (2013). Cette proposition permet d’appréhender les processus de communication politique comme une hybridation entre des technologies, des genres, des pratiques et des normes anciennes et nouvelles. Plus précisément, elle invite le chercheur à tenir compte de la manière dont les nouvelles pratiques intègrent des logiques traditionnelles, de même que la manière dont les pratiques traditionnelles incorporent des logiques émergentes. Chadwick remet aussi en question le concept de cycle de la nouvelle. Il conçoit plutôt la

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construction de l’information politique comme un processus complexe et fluide où se combinent une variété de technologies et de genres, et où gravitent une diversité d’acteurs – médiatiques, politiques et citoyens – susceptibles d’intervenir dans la négociation de l’actualité de manière plus directe et en temps opportun. Enfin, ce cadre théorique souligne aussi le caractère évolutif, complexe et interdépendant du système médiatique. Cette approche nous apparaît particulièrement féconde pour analyser la pratique contemporaine du journalisme politique dans son rapport à la technologie, au temps, aux sources et aux publics.

De manière plus précise, nous nous attarderons à certaines dimensions de la pratique du journalisme politique, soit l’immédiateté, l’ouverture à la participation du public dans la construction de l’actualité, l’objectivité et l’autopromotion. Pour mieux connaître et comprendre la pratique du journalisme politique à l’ère numérique, nous procéderons à une étude de cas examinant les activités des journalistes de la Tribune de la presse du Parlement de Québec. À l’image d’autres organisations semblables un peu partout en Occident, la Tribune de la presse regroupe des journalistes affectés à la couverture quotidienne des travaux parlementaires. Ceux-ci forment un groupe bien défini et reconnu qui bénéficie d’un accès privilégié aux institutions politiques.

À travers cette étude de cas, nous répondrons à chacune de nos questions de recherche, en adoptant une démarche en méthodes mixtes combinant la déduction et l’induction. Nos conclusions s’appliqueront en premier lieu au cas étudié. Cependant, nous croyons que celles-ci sont susceptibles de dépasser les limites du cas à l’étude et d’être éventuellement transférables à d’autres contextes. À cette contribution empirique s’ajouteront des contributions sur les plans méthodologique et théorique qui s’inscrivent dans les champs de la communication publique, de la communication politique et de la sociologie du journalisme.

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La structure de la thèse

Le premier chapitre de la thèse expose la problématique à l’étude et présente le cadre théorique sur lequel s’appuie notre analyse. Nous y définissons les contours du journalisme politique et traitons de son évolution dans le temps. Nous nous attardons ensuite aux travaux portant sur la négociation de l’actualité politique, ainsi que ceux du politologue Andrew Chadwick sur le système médiatique hybride qui constituent le cœur de notre cadre théorique. Puis, nous dressons un état des connaissances existantes sur les usages journalistiques d’internet et des réseaux socionumériques en soulevant les carences dans cette littérature encore très récente. Nous concluons ce chapitre en présentant les questions de recherche qui orientent notre investigation.

Le deuxième chapitre décrit la méthodologie utilisée. Nous y présentons un devis innovant qui s’appuie sur des méthodes mixtes. Celui-ci comporte un volet d’analyse de contenu quantitative des messages diffusés sur Twitter par les journalistes de la Tribune de la presse durant quatre semaines. À la différence des travaux semblables qui sont menés a posteriori, nous avons opté pour un processus de codification en temps réel afin de demeurer le plus près possible du contexte communicationnel dans lequel s’inscrit la pratique du journalisme politique. À ce volet s’ajoute une série d’entretiens semi-dirigés menés auprès de 28 journalistes de la Tribune de la presse. Les entretiens font l’objet d’une analyse thématique. Cette analyse vise à enrichir notre description des usages d’internet et des réseaux socionumériques, à expliquer les motivations qui sous-tendent ces usages et à comprendre comment ils contribuent à (re)façonner les normes journalistiques actuelles.

Les quatre chapitres suivants sont consacrés aux résultats de la recherche. Le troisième chapitre brosse un portrait d’ensemble de l’utilisation que font les journalistes de la Tribune de la presse des réseaux socionumériques. Parmi les plateformes utilisées par les journalistes dans le cadre de leur pratique professionnelle, Twitter se révèle être la plus populaire. Aussi, nous analysons de manière systématique le profil individuel des

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journalistes politiques sur le site de microblogage. Puis, nous présentons de manière sommaire les résultats de notre analyse de contenu.

Le quatrième chapitre porte sur le rythme de production de l’actualité. Nous nous intéressons plus spécifiquement à la pratique qui consiste à diffuser de l’information en temps réel, c’est-à-dire au moment même où celle-ci est disponible. Nous analysons entre autres l’usage que font les journalistes politiques de Twitter dans cette perspective, en combinaison avec d’autres plateformes. Nous examinons aussi les motivations qui sous- tendent ces pratiques. Notre analyse révèle que les raisons qui expliquent l’instantanéité sont loin de se limiter à la technologie qui l’autorise. Il s’agit à notre sens d’une des contributions majeures de cette thèse. Enfin, nous nous penchons sur la manière dont ces pratiques contribuent à transformer les normes journalistiques, tout particulièrement en ce qui a trait à la collecte, à la sélection et à la vérification de l’information. Nous incluons dans ce chapitre une vignette narrative qui illustre de manière tangible le caractère instantané du processus de construction de l’actualité politique en ligne.

Sur les réseaux socionumériques, les journalistes politiques sont désormais en contact direct avec leur public, du moins virtuellement. Le cinquième chapitre porte sur cette reconfiguration de la relation entre le producteur et le consommateur d’information politique. Nous examinons différentes manifestations de l’ouverture – et de la fermeture – des courriéristes parlementaires à la participation du public dans la production de l’actualité sur les réseaux socionumériques. Nous nous intéressons à certaines dimensions de la pratique soit la transparence, le dialogue, de même que le partage du rôle de sélectionneur d’information (gatekeeper). Nous verrons comment la spécificité du journalisme parlementaire, de même la conception que se font les journalistes de leur rôle constituent des barrières à la participation du public au processus de construction de l’actualité politique.

Le sixième chapitre est consacré au rapport des journalistes politiques québécois à l’idéal d’objectivité, une norme fondamentale du journalisme moderne en Amérique du Nord. Nous recensons la présence d’autopromotion et, dans une moindre mesure,

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d’opinion et d’humour dans les messages publiés par les journalistes sur Twitter. Nous examinons également les motivations qui sous-tendent ces usages de la plateforme, de même que la manière dont ces usages et ces motivations influencent le rapport des journalistes à l’idéal d’objectivité.

Cette thèse documente une pratique émergente durant son développement. Elle décrit le caractère complexe, multivoque et hybride des pratiques des journalistes politiques en ligne et sur les réseaux socionumériques. Elle démontre comment les facteurs économiques et organisationnels contribuent à façonner les utilisations de la technique. Dans un contexte de crise économique dans l’industrie des médias, la compétition entre les organisations médiatiques et les pressions organisationnelles favorisent une pratique orientée vers la diffusion en temps réel et l’autopromotion. Malgré le potentiel interactif des réseaux socionumériques, l’ouverture des journalistes à la participation des citoyens dans la production de l’actualité politique est encore marginale. Les journalistes politiques demeurent aussi attachés à l’idéal normatif de l’objectivité, mais cet idéal coexiste avec une pratique qui s’ouvre à la subjectivité. Ces continuités et ces transformations décrites par les journalistes font l’objet d’inquiétudes et de débats au sein de la profession. Notre travail vise à contribuer à ces discussions par une analyse systématique de la pratique du journalisme politique à l’ère numérique. Pour ce faire, nous reviendrons tout d’abord en arrière dans le temps, aux premiers balbutiements du journalisme politique.

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Chapitre 1. Problématique et cadre théorique

L'origine du journalisme politique moderne en Occident remonte au 19e siècle. À l'époque, le gazetier-éditeur met son journal au service de la religion, de luttes politiques et ouvrières. En Amérique du Nord comme en Europe, les journaux, même commerciaux, sont fréquemment associés à un parti politique et plusieurs ne couvrent pas les partis adverses (Goff, 2009). Puis graduellement, vers le milieu du 19e siècle, plusieurs facteurs contribuent à transformer le journalisme : l'industrialisation, le développement des moyens de transport, l'urbanisation, l'alphabétisation, ainsi que la liberté de presse garantie par certains gouvernements (Brin, Charron et de Bonville, 2004 ; Neveu, 2002). Le journalisme prend peu à peu ses distances des institutions religieuses et politiques pour se professionnaliser. Dans les journaux, le rôle du reporter prend forme. Les entreprises de presse se tournent quant à elle vers la production de masse et développent des pratiques commerciales qui s’appuient davantage sur la marque de commerce et la publicité (Brin, Charron et de Bonville, 2005 : 4). Comme le résume Taras, pour attirer un vaste éventail de lecteurs, « [n]ewspapers went from being a cause to being a business » (1990 : 50). Ces transformations se sont réalisées de façon graduelle et variable. Au Canada, les journaux ont commencé à se distancier des partis politiques à l'époque de la Première Guerre mondiale, puis de façon plus marquée après la Seconde Guerre mondiale. La présence de la presse partisane a perduré jusque dans les années 1960 dans le Canada anglais et jusque dans les années 1970 au Québec, avec la vente du Montréal-Matin de l’Union nationale à Paul Desmarais en 1972 et la fermeture du quotidien Le Jour en 1976 (Noël, 2014; Taras, 1990). En Occident, ces changements favoriseront l'émergence du journalisme d'information (Brin, Charron et de Bonville, 2004) ou, selon Érik Neveu (2002), la naissance du journalisme politique

Le journalisme politique désigne un type de pratique spécialisée consacrée essentiellement à la couverture des campagnes électorales, des élections et des fonctions remplies par le gouvernement (Mills-Brown, 2008 : 360). Dans un ouvrage consacré au journalisme politique, Neveu (2002) relève certaines particularités du métier tel qu'il est pratiqué en Occident. Qualifié de « noble », celui-ci est associé aux combats pour la

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liberté de presse. Les relations entre les journalistes parlementaires et leurs sources politiques sont d'une rare intensité. Ceux-ci partagent souvent les mêmes horaires et espaces, créant ainsi une sorte de microcosme (Charron, 1994). De son côté, Albert L. May (2009) attribue trois rôles particuliers aux journalistes politiques : produire de l’information et de l’analyse en vue de la prochaine élection, informer et non persuader, et lutter pour préserver leur autonomie. Cette quête d’indépendance est intimement liée au rôle clé que joue le journalisme politique en démocratie. Comme le résument Rasmus Kleis Nielsen et Raymond Kuhn : [i]t is a formally independent institution that is part and parcel of representative politics, engaged in criticising those in positions of power, promoting particular political actors, issues, and views, keeping people at least to some extent informed about public affairs and mobilising citizens for political action – all often done in concert with other estates, but never simply as their instrument (Nielsen et Kuhn, 2014: 2).

Sans idéaliser cette pratique, Nielsen et Kuhn rappellent que le journalisme politique a trait à la fois à la réussite professionnelle, à la réalisation sur le plan personnel et à l’argent, mais également à la politique, au pouvoir et à la sauvegarde des libertés publiques (idem). En démocratie, le journalisme politique crée un pont entre les institutions politiques et la société civile. Il permet aux citoyens de prendre connaissance des actions et des prises de position des élus, en donnant notamment une voix à l’opposition. Ce faisant, il fournit aussi l’occasion aux citoyens de se mobiliser et aux groupes d’intérêt d’intervenir dans la joute politique (Sigal, 1973 : 193-194). Ce lien constitue un chaînon fondamental du processus de délibération politique entre citoyens, ainsi qu’entre les citoyens et leurs représentants.

Cependant, les deux dernières décennies ont été marquées par une reconfiguration de l'environnement médiatique (Gurevitch, Coleman et Blumler, 2009). La multiplication des canaux et des plateformes a entraîné une fragmentation de l'auditoire. La frontière entre les domaines public et privé est devenue de plus en plus ambigüe. L'avènement d'internet a permis d'élargir le spectre des sources d'information, notamment dans la

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sphère politique. Parallèlement à la production médiatique professionnelle destinée à un vaste public, les forums de discussion, les blogues et les réseaux socionumériques3 fournissent désormais aux acteurs politiques, médiatiques et citoyens l'occasion d'interagir en ligne, en temps réel (Broersma et Graham, 2012; Chadwick, 2013; Davis, 2009). Or, malgré l’importance de ces changements et du rôle central que revêt le journalisme politique en démocratie, encore peu d’études se sont penchées sur l’évolution de la pratique à l’aune des transformations technologiques récentes.

Dans le champ de la communication politique, de nombreux chercheurs se sont penchés sur les continuités et les ruptures à l'œuvre, à la lumière de ces transformations technologiques. Plusieurs travaux ont tenté de circonscrire la contribution des technologies de l'information et de la communication à la participation politique et la mobilisation citoyenne (Cantijoch, Cutts et Gibson, 2011; Bennett et Segerberg, 2012). D'autres ont aussi traité de l'utilisation des technologies numériques par les partis politiques ou les élus (Giasson et al., 2013; Kreiss, 2012; Nielsen, 2012; Verville, 2012). Dans le champ des études sur le journalisme, des études ethnographiques ou d’observation ont été menées pour comprendre comment les journalistes dans les rédactions s’adaptaient aux transformations liées à l’avènement d’internet et à la convergence dans les organisations médiatiques (Domingo, 2008; Francoeur, 2012; Klinenberg, 2005). Des chercheurs ont également analysé le degré de participation du public sur les sites de nouvelles en ligne (Hermida, 2011). Toutefois, encore peu d'études portent sur l'utilisation que font les journalistes de l’internet et plus précisément des réseaux socionumériques dans la construction de l'actualité politique, tout particulièrement à l’extérieur des États-Unis et hors du contexte particulier des campagnes électorales. Cette carence dans la littérature scientifique marque le point de départ de notre thèse.

3 L’expression réseau socionumérique est généralement utilisée dans la littérature scientifique francophone pour désigner les dispositifs ou les plateformes numériques mieux connues sous le nom de « médias sociaux » ou de « réseaux sociaux ». Cette notion sera définie plus amplement à la section 2.5. 14

1.1 La construction de l’actualité politique

Dans les champs de la communication politique et de la sociologie du journalisme, un vaste pan de la littérature caractérise la nouvelle non pas comme un reflet de la réalité, mais plutôt comme une « construction symbolique à laquelle participent des acteurs dont les intérêts sont partiellement opposés et partiellement convergents » (Charron, 1994 : 10). L'actualité politique serait donc l’objet d’une négociation entre les sources et les journalistes, chacun poursuivant un objectif qui lui est propre (Ericson, Baranek et Chan 1989 : 37). Plusieurs auteurs soulignent aussi la prépondérance des sources proches du pouvoir dans le discours journalistique. Bennett utilise le terme indexing pour désigner la tendance des organisations médiatiques à ajuster le spectre des discours rapportés dans une nouvelle en fonction des points de vue dominants des acteurs influents au sein des institutions politiques (2012 : 15)4. Gans (1979 : 80) compare pour sa part la relation entre la source et le journaliste à un tango, le plus souvent dirigé par la source. Schlesinger et ses collègues (1992 : 93) soulignent quant à eux le phénomène de professionnalisation des sources qui font appel à une rationalité stratégique pour élaborer leur message, dans l'anticipation de sa diffusion médiatique.

Ce jeu de négociation stratégique entre les sources et les journalistes est décrit de façon très fine par Charron (1994), qui étudie la relation entre les membres de la presse parlementaire et les élus de même que leurs attachés de presse. Son modèle conçoit cette relation comme une négociation permanente entre acteurs interdépendants qui tentent d'acquérir ou de conserver le contrôle de la production de l'actualité, selon des objectifs différents : « on peut dire, sommairement, que le journaliste essaie d'exercer une fonction d'information alors que le politicien essaie d'exercer une fonction de persuasion » (Charron, 1994 : 28). Ce modèle stipule que les sources politiques tenteront de maintenir les journalistes dans un état de dépendance, en augmentant la valeur de l'information fournie et en limitant la capacité des journalistes à recourir à des sources concurrentes.

4 « I have termed this reporting pattern indexing, which refers to the tendency of mainstream news organizations to index or adjust the range of viewpoints in a story to the dominant viewpoints of those in the political institutions who are perceived to have enough power to affect the outcome of the situation » (Bennett, 2012 : 15). 15

Les journalistes, en raison des normes qui définissent leur pratique (la responsabilité sociale, la liberté de la presse, le droit du public à l'information, l'objectivité et l'autonomie professionnelle) (idem), essayeront pour leur part de limiter l’emprise des sources politiques officielles, notamment en élargissant leur réseau d'influence, en diversifiant les sources possibles d'information et en établissant des stratégies de collaboration avec leurs pairs. Ainsi, « les orientations stratégiques des deux coalitions devraient être asymétriques et complémentaires, et tendre à l’équilibre. Autrement dit, si un acteur cherche principalement à maintenir l’autre dans un état de dépendance, celui-ci cherchera principalement à élargir sa marge de manoeuvre — et vice-versa » (Charron, 1994 : 360). En somme, la construction de la nouvelle politique est conçue comme le fruit d’une négociation au sein d'un groupe restreint d’acteurs interdépendants principalement composé des journalistes, des politiciens et de leurs attachés de presse.

Or, avec l'avènement des chaînes d'information en continu puis d'internet, le temps imparti à la collecte et au traitement de l'information s'est considérablement réduit (Bennett, 2012). Une variété d'acteurs citoyens a désormais l'opportunité d'intégrer le processus de mise à l'ordre du jour médiatique, traditionnellement réservé à une élite (Dimitrova, 2007). Peu à peu, des internautes prennent l'habitude de partager leurs connaissances, de diffuser les récits et les images des événements dont ils sont témoins (Hermida, 2012a; Loosen et Schmidt, 2012). Aussi, les sources d'information utilisées par les journalistes professionnels qui couvrent la politique se diversifient, intégrant des éléments d'information des médias en ligne, des réseaux socionumériques et des blogues.

Lors d'une enquête réalisée auprès de journalistes politiques américains, Richard Davis (2009) relève que plus de la moitié des répondants ont affirmé lire des blogues politiques chaque semaine ; plus du tiers ont rapporté en lire quotidiennement. La majeure partie des journalistes interrogés (70%) affirment n’avoir jamais ou avoir rarement utilisé les blogues pour dénicher une source d’information ; toutefois, près de 30% disent utiliser les blogues pour trouver des sources d’information ou des idées de reportage. De manière générale, le contenu de certains blogues serait repris dans les

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médias de masse, principalement lorsque les journalistes arrivent à recouper l'information auprès d'autres sources (Davis, 2009 : 142).

Plus récemment, dans une étude qui s'appuie sur une série d'entrevues menées auprès de journalistes politiques américains, John Parmelee (2013a) explique que les tweets des leaders politiques contribuent à la construction de l'agenda médiatique en influant sur la nature et le caractère des sujets qui seront médiatisés. L'auteur souligne aussi que les journalistes tendent à valoriser les tweets des blogueurs politiques, des think tanks et des groupes d'intérêt. Pour les journalistes, ces différentes sources contribueraient à générer des idées de reportage, à les avertir d'événements à couvrir, à dénicher des citations ou des données de sondage, à prendre connaissance d'une plus grande diversité de points de vue, à contre-vérifier une information ou à enrichir leurs connaissances sur un enjeu donné.

Dans la lignée des travaux sur l'intermedia agenda-setting5, des études ont aussi comparé l'ordre du jour des médias traditionnels avec celui des médias en ligne ou celui des blogues. Broersma et Graham (2012) se sont penchés sur l'utilisation du site de microblogage Twitter par les journalistes de l'écrit, durant les campagnes électorales britannique et néerlandaise de 2010. Leur travail montre que les tweets constituent une source d'information pour les journalistes, mais que l’usage que les journalistes en font diffère selon les contextes, les journaux néerlandais reprenant principalement les tweets des politiciens, alors que les journaux britanniques citaient fréquemment les tweets de citoyens sous forme de vox pops. De leur côté, Messner et DiStaso (2008) ont recensé une croissance continue du nombre d'articles publiés dans le New York Times et le Washington Post mentionnant un blogue, entre 2000 et 20056. Les auteurs ont également noté qu'une large proportion de blogues utilisaient d'autres médias comme source d'information. Selon les auteurs, « [t]he findings of this study indicate the possible existence of a continuous or repeating source cycle between the traditional media and weblogs, especially in the political realm » (Messner et DiStaso, 2008 : 459). Ce

5 Le concept d'« intermedia agenda setting » réfère au processus qui s'opère lorsqu'un média façonne l'ordre du jour d'un autre média (Sweester, Golan et Wanta, 2008 : 199). 6 Ce nombre est passé d'un seul article recensé en 2000 à 2059 articles en 2005 (Messner et DiStaso, 2008). 17

métissage entre « médias traditionnels » et « nouveaux médias » amène le politologue britannique Andrew Chadwick (2013) à repenser la conception des interactions – à la fois technologiques et humaines – qui déterminent la construction de l'actualité politique.

1.2 Le système médiatique hybride et le cycle de l’information politique

Dans The Hybrid Media System, Chadwick (2013) constate que de nombreuses études récentes dans le champ de la communication politique sont construites autour de dichotomies – les médias numériques versus les médias traditionnels, la mobilisation citoyenne sur le terrain versus l’activisme en ligne, la presse écrite versus les blogues – des dichotomies qu’il juge rigides et peu fécondes. Il souligne l’importance de comprendre la manière dont les nouvelles pratiques médiatiques incorporent des logiques traditionnelles, tout comme la manière dont les pratiques médiatiques traditionnelles intègrent des logiques émergentes. En ce sens, il plaide pour une approche analytique qui appréhende les processus de communication politique comme une hybridation entre des technologies, des genres, des pratiques et des normes anciennes et émergentes, qui cohabitent et interagissent au sein de systèmes médiatique et politique fluides et polycentriques.

Hybridity offers a powerful way of thinking about politics and society, a means of seeing the world that highlights complexity, interdependence, and transition. It captures heterogeneity and those things that are irreducible to simple unified essences. It eschews simple dichotomies and it alerts us to the unusual things that often happen when new has continuities with the old (Chadwick, 2013 : 8).

Cette approche théorique oriente notre attention sur le caractère évolutif du système médiatique, qui permettrait le passage d’un ensemble de normes (institutionnelles et culturelles) à un autre. Il nous amène également à saisir la complexité des logiques à l’œuvre. Selon Chadwick, le système médiatique contemporain n’est pas simplement plus fragmenté ou diversifié; il est également caractérisé par une interdépendance entre une grande variété d’acteurs – médiatiques, politiques et citoyens – et de logiques qui se

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côtoient sur des plateformes médiatiques favorisant les communications horizontales et la négociation de l’information politique en ligne, en public et ce, souvent en temps réel :

[…] the patterns of sense making among political staff, journalists, and activists suggests that in this hybrid system older media logics increasingly operate in relations of interdependence with newer media logics: professional news organizations increasingly capitalize on newer media as a resource, tapping into the viral circulation of online content and weaving it into their news genres and production techniques, while also regularly engaging and interacting with newer media actors (Chadwick, 2013 : 48-49).

Cette dynamique amène le chercheur à remettre en question la pertinence du concept traditionnel de cycle de la nouvelle qu'il suggère de remplacer par celui de political information cycle (Chadwick, 2013). Traditionnellement, le concept de cycle de la nouvelle servait à désigner ce processus quotidien et prévisible de collecte, de vérification, de sélection, de mise en forme et de diffusion de l’information. La littérature autour de ce concept mettait aussi en relief les aspects stratégiques de la gestion du temps de production organisée autour d’heures de tombée régulières (Schlesinger, 1977). Or, avec le développement des satellites, des chaînes d’information en continu, puis d’internet, le cycle a été compressé, cessant d’être axé exclusivement autour d’échéanciers réguliers. La construction de l’actualité politique se réalise à travers l’interaction de différentes plateformes médiatiques – radio, télévision, blogues, réseaux socionumériques, courriels, sites web. Chadwick estime que ce nouvel environnement crée une plus grande ouverture à la participation des citoyens, désormais susceptibles d’intervenir dans la négociation de l’actualité politique de manière plus directe et en temps opportun.

This serves to loosen the grip of journalistic and political elites through the creation of fluid opportunity structures with greater scope for timely intervention by online citizen activists. Some of these timely online interventions are at the individual-to-individual level and have often fallen beneath the radar of news studies in both older and newer media environments (Chadwick, 2013 : 64).

En ce sens, le concept de cycle de l’information politique (political information cycle), que propose Andrew Chadwick, reflète non seulement une accélération du rythme

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de la construction de l'actualité, mais aussi une structure plus complexe et plus fluide. « Political information cycles possess certain features that distinguish them from ‘news cycles’. They are complex assemblages in which the logics – the technologies, genres, norms, behaviors, and organizational forms – of supposedly ‘new’ online media are hybridized with those of supposedly ‘old’ broadcast and newspaper media » (Chadwick, 2013 : 63-64). Le concept de cycle de l’information politique intègre aussi une plus grande variété d’usagers dans leur capacité à se rassembler et à générer de l'information ou un cadrage différent des événements, en ligne, en temps opportun. Ainsi, Chadwick conçoit la construction de l'actualité comme étant la résultante de multiples assemblages : « composed of multiple, loosely-coupled individuals, groups, sites, and temporal instances of interaction involving diverse yet highly interdependant news creators that plug and unplug themselves from the news-making process, often in real time » (2013 : 64). En somme selon Chadwick, l'hybridité du système médiatique transformerait subtilement l’équilibre du pouvoir en donnant une place un peu plus importante aux acteurs citoyens dans la production de l'actualité politique.

L’approche théorique proposée par Chadwick recèle un potentiel évident pour l’analyse des transformations récentes du journalisme politique. Elle permet d’appréhender l’évolution de la pratique journalistique dans son rapport à la technologie, au temps, aux sources d’information et aux publics, à l’extérieur de l’opposition traditionnelle entre continuité et changement. Toutefois, elle soulève aussi certaines questions. Blumler et Coleman (2013 : 177) soulignent que la notion d’hybridité qui permettrait à une plus grande diversité d’acteurs d’intervenir dans la construction de l’actulité politique n’a été étudiée sur le plan empirique que dans certains cas particuliers qu'ils qualifient d'atypiques. Il est vrai que jusqu’ici, la recherche suggère que seule une faible proportion des internautes participent à la création de contenus liés à l’actualité (Rebillard, 2007; Rebillard et Touboul, 2010). De plus, plusieurs études de cas menées dans les rédactions tendent à montrer que les journalistes continuent de percevoir le public comme un consommateur passif d'information, plutôt que comme un acteur qui contribue à la construction de l'actualité (Boczkowski, 2004; Usher, 2014; Witschge, 2012). Cependant, des travaux montrent aussi l’émergence de nouvelles

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pratiques de communication politique qui intègrent le public dans sa capacité à générer de l’information (Hermida, Lewis et Zamith, 2014; Papacharissi et de Fatima Oliveira, 2012; Singer, 2006). En ce sens, Chadwick nous invite justement à porter attention aux phénomènes que certains pourraient qualifier d’atypiques : « [h]ybrid thinking rejects simple dichotomies, nudging us away from "either/or" patterns of thought and toward "not only but also" patterns of thought » (Chadwick, 2013 : 4).

Par ailleurs, comme le souligne Powers (2014 : 892 ), « [o]nce hybridity is acknowledged, though, it is less clear what ought to come next ? What are the forms hybridity assumes and why ? How and why do they vary from one setting to the next » ? Chadwick reconnaît l’importance de ces questions. Cependant, un vaste travail empirique reste à accomplir pour y répondre. Aussi, à l’aune de l’approche proposée par Chadwick, nous proposons d’investiguer empiriquement la nature des continuités et des transformations en cours dans la pratique contemporaine du journalisme politique.

1.3 Une approche centrée sur la pratique du journalisme politique

Nous adopterons pour ce faire une approche centrée sur la pratique. De manière plus spécifique, nous nous intéresserons à la pratique du journalisme politique en analysant dans un premier temps l’usage que font les journalistes politiques de certains objets, soit l’internet et les réseaux socionumériques, dans leurs routines et plus précisément dans le processus de construction de l’actualité. Nous employons ici le terme usage pour signifier ce que font les acteurs – les journalistes politiques – avec des objets technologiques dans leurs activités quotidiennes. L’usage est donc considéré comme une composante de la pratique. Ce positionnement théorique implique une distanciation avec les approches centrées sur les effets des technologies sur le social (Pavlik, 2000). Aussi, à la différence de l’approche préconisée par la théorie des « usages et des gratifications » centrée sur les processus sélectifs des individus visant à répondre à des besoins psychosociologiques (Blumler et Katz, 1974), ou encore de celle de la sociologie des usages qui met l’accent sur le rôle de l’usager dans la fabrication des emplois de la technique (Jouët, 2000), nous problématiserons les objets technologiques et leurs usages

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comme des éléments constitutifs de la pratique : « they are things to be handled and constitutive elements of forms of behaviour » (Reckwitz, 2002 : 253).

En ce sens, nous nous inspirerons en partie du courant de la sociologie des pratiques7. Nous emprunterons certains éléments communs à cette approche, sans toutefois en adopter tous les traits. Premièrement, nous concevons la pratique du journalisme comme un type de comportement routinier, constitué d’un ensemble d’éléments – actions, usages, objets, compétences, croyances, aspirations – qui sont reproduits (ou modifiés) par les acteurs, eux-mêmes porteurs de cette pratique8. Nous considérons aussi que la pratique du journalisme a un caractère local et contingent; elle se transforme et varie en fonction du contexte historique et social dans lequel elle s’inscrit. Les usages de la technologie dans la pratique se créent donc non seulement en fonction des propriétés physiques de l’objet technologique, mais aussi en fonction des trajectoires adoptées par les usagers dans leurs interactions avec l’objet, des connaissances et conceptions qu’ont les usagers de cet objet, et du contexte institutionnel dans lequel s’inscrit la pratique (Orlikowski, 2008). Ultimement, ce sont ces configurations d’usages des technologies numériques développés dans la pratique qui nous intéressent. Nous tenterons de les décrire, de comprendre ce qui les rend possibles et, enfin, de saisir comment elles contribuent à transformer les normes du journalisme politique.

Cependant, nous devons préciser que notre approche théorique diffère du courant de la sociologie des pratiques dans ses ramifications ontologiques et épistémologiques. En effet, une des caractéristiques fondamentales de la sociologie des pratiques consiste à considérer la pratique comme l’unité d’analyse. D’un point de vue ontologique, la pratique doit avoir préséance sur les praticiens9. Or, nous n’adopterons pas cette posture.

7 Comme le souligne Nicolini (2012), le courant de la sociologie des pratiques (ou practice theories) doit être considéré comme une famille théorique qui partage un certain nombre de caractéristiques communes plutôt que comme une approche unifiée. 8 « A ‘practice’ (Praktik) is a routinized type of behaviour which consists of several elements, interconnected to one other: forms of bodily activities, forms of mental activities, ‘things’ and their use, a background knowledge in the form of understanding, know-how, states of emotion and motivational knowledge » (Reckwitz, 2002 : 249). 9 « A practice-based approach suggests that the basic units of analysis for understanding organizational phenomena are practices, not practitioners. Practice thus come first, because it only 22

Sur le plan empirique, le point de départ de notre analyse sera plutôt l’usage que font les praticiens – les journalistes politiques québécois – de l’internet et des réseaux socionumériques dans le cadre de leur pratique. Nous nous pencherons également sur les motivations qui sous-tendent ces usages, c’est-à-dire les raisons ou les motifs qui expliquent des comportements particuliers10. Enfin, nous évaluerons, à travers les perceptions des journalistes, comment ces usages et ces motivations contribuent à transformer (ou non) les normes du journalisme politique. Nous entendons par normes les règles et les coutumes résultant des interactions entre individus : « [l]ike a grammar, a system of norms specifies what is acceptable and what is not in a society or group » (Bicchieri et Muldoon, 2014 : 3).

Nous soulignerons ici le rôle de la pratique dans la reproduction et l’évolution des normes. Dans l’expérience du quotidien, face à de nouveaux problèmes, le praticien contribue au savoir-faire lié à cette pratique en ajoutant des bribes d’innovation à la routine; les normes sont issues de ce savoir pratique (Wallace, 2009). L’évolution des normes passerait alors par divers mécanismes d’adaptation des individus comme l’essai- erreur, l’imitation ou encore l’apprentissage par renforcement (Bicchieri et Muldoon, 2014 : 46). Comme le résument Charron et de Bonville à propos des normes dans la pratique journalistique :

[d]ans l’exercice quotidien de son métier, le journaliste ne vise pas la conformité à des normes abstraites; il actualise plutôt un savoir-faire et une vision du monde acquis par l’expérience et la réalisation des pairs. Les réalisations des pairs constituent une sorte de norme pratique. Ainsi, les journalistes, collectivement, à travers l'imitation d'exemples pratiques, créent des normes, des valeurs, des croyances, des présupposés, des modèles heuristiques, qui peuvent, à terme, prendre un caractère abstrait lorsqu'on les codifie dans les manuels, mais dont les origines, la nature et le mode de propagation sont d'ordre pratique (Charron et de Bonville, 1996 : 57).

En somme, nous chercherons donc à comprendre, à travers les perceptions des once we appreciate the set of practices involved in a scene of action that we can ask what sort of agency and ‘actor-ship’ is made possible by these specific conditions » (Nicolini, 2012 : 7). 10 Finlay et Schroeder (2012 : 2) distinguent les motivations des raisons normatives : « [a] normative reason is a consideration that counts in favor of or against doing something, whereas a motivating reason is an answer to the question, ‘why did she do it?’ ». 23

journalistes, les conditions dans lesquelles émergent (ou non) de nouvelles normes avec la pratique du journalisme politique en ligne et sur les réseaux socionumériques.

1.4 La production de l’actualité sur les réseaux socionumériques

Un des traits fondamentaux d'internet est sa structure numérique. Les objets qui circulent sur internet sont constitués de codes ; ils peuvent être décrits formellement par des fonctions mathématiques et manipulés avec des algorithmes. Ce faisant, les médias sont devenus « programmables » (Manovich, 2001 : 27). Pour les journalistes, ces propriétés techniques ont facilité la création et la diffusion de contenus multimédias combinant le texte, les photos, la vidéo, l’audio et l’animation. Le passage du journalisme au numérique a nécessité une adaptation tant sur le plan professionnel ou technique que culturel, une adaptation qui s’est amorcée il y a maintenant plus de deux décennies dans les rédactions.

Plus récemment, une seconde caractéristique de l’internet est devenue de plus en plus centrale dans la pratique journalistique : le réseau. Comme le résume Singer (2012 : 277), « [i]n a network, all communicators and all communication are connected. The media space and control over what it contains are shared ». danah boyd (2008) utilise le concept de publics en réseau (networked publics)11 pour caractériser les réseaux de communication créés sur internet. Le concept renvoie à la fois aux espaces construits en fonction de la technologie des réseaux et des communautés imaginées résultant de la rencontre entre individus, technologies et pratiques. Ainsi, boyd (2008 : 26-34) identifie quatre propriétés spécifiques de ces espaces de communication. D'une part, les contenus mis en ligne sont automatiquement enregistrés et archivés (persistence). D'autre part, ils peuvent être plus facilement dupliqués ou modifiés (replicability). Par conséquent, ces contenus ont un potentiel de visibilité accru (scalability). Enfin, il est possible de les retracer facilement à l'aide de moteurs de recherche (searchability). Ces propriétés

11 « Mizuko Ito introduces the notion of networked publics to “reference a linked set of social, cultural, and technological developments that have accompanied the growing engagement with digitally networked media” (Ito 2008: 2). I agree with her framing, but I extend the term further to account for the resultant spaces and collectives that emerge because of these developments » (boyd, 2008 : 29). 24

facilitent l’accès et la diffusion de l’information, les communications de masse (one-to- many) et l’interaction à plus grande échelle (many-to-many), en temps réel ou de façon asynchrone.

In essence, networked media allows anyone to be a media outlet (Gillmor 2004) and with this comes the potential of scalability. Yet an increase in people’s ability to contribute to publics does not necessarily result in an increase in their ability to achieve an audience. While a niche group may achieve visibility that resembles “micro-celebrity” (Senft 2008), only a small fraction receive mass attention while there is a “long tail” of participants who receive very small, localized attention (Anderson 2006b). In other words, scalability in networked publics is about the possibility of tremendous visibility, not the guarantee of it (boyd, 2008 : 44).

La conjugaison des technologies numériques et sans fil, ainsi que la diffusion d'une bande passante de plus en plus grande, permettent désormais à l’internet de pénétrer dans l'ensemble des sphères de la vie en société (Castells, 2009 : 65). De nouveaux outils disponibles grâce aux récentes évolutions technologiques facilitent la mobilité, l’interactivité et la coproduction de contenus (Stanyer, 2009), ainsi que les communications horizontales et la constitution de communautés de création (Auray, 2010 : 34). Parmi ces outils, nous nous attarderons plus spécifiquement à ce qu’on appelle dans le langage courant au Québec les médias sociaux ou, dans la littérature scientifique francophone, les réseaux socionumériques (voir notamment Jeanne-Perrier, Smyrnaios et Noci, 2015; Stenger et Coutant, 2011).

Ces dispositifs proposent différents formats de mise en visibilité de l'individu qui constituent également des occasions de dialogue. Les réseaux socionumériques ont aussi pour caractéristique commune un modèle économique qui s'organise autour des contenus générés ou relayés par les internautes. Selon Stenger et Coutant (2011 : 11), « ce procédé garantit une plus grande fidélité des utilisateurs, d'autant plus attachés au site qu'ils ont contribué à son contenu ». Mais comment circonscrire les traits caractéristiques de ces dispositifs? Dans le cadre d’un entretien avec Thomas Stenger et Alexandre Coutant, la chercheuse Nicole Ellison définit le réseau socionumérique comme :

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une plate-forme de communication en réseau dans laquelle les participants 1) disposent de profils associés à une identification unique qui sont créés par une combinaison de contenus fournis par l'utilisateur, de contenus fournis par des “amis”, et de données [de] système; 2) peuvent exposer publiquement des relations susceptibles d'être visualisées et consultées par d'autres; 3) peuvent accéder à des flux de contenus incluant des contenus générés par l'utilisateur — notamment des combinaisons de textes, photos, vidéos, mises à jour de lieux et/ou liens — fournis par leurs contacts sur le site (Ellison, 2011 : 22).

Dans cette définition, inspirée d’un article publié précédemment avec sa collègue danah boyd (boyd et Ellison, 2007), Ellison souligne cette particularité des réseaux socionumériques qui permettent aux utilisateurs de rendre visible leur réseau de contacts et de circuler à travers celui-ci. De fait, le réseau relationnel devient un opérateur qui permet d'entrer en contact avec d'autres et de mobiliser (Granjon, 2011). Les chercheuses actualiseront leur définition, quelques années plus tard, pour tenir compte du caractère fluide des potentialités techniques qui définissent les réseaux socionumériques (boyd et Ellison, 2013).

A social network site is a networked communication platform in which participants 1) have uniquely identifiable profiles that consist of user-supplied content, content provided by other users, and/or system-level data; 2) can publicly articulate connections that can be viewed and traversed by others; and 3) can consume, produce, and/or interact with streams of user-generated content provided by their connections on the site (boyd et Ellison, 2013 : 158).

Cette définition plus récente vient marquer l’importance des flux de données en continu (streaming) dans la configuration des réseaux socionumériques, de même que le caractère asymétrique de certaines relations qui, sur Twitter notamment, peuvent être unidirectionnelles. Au-delà de ces caractéristiques partagées, la configuration et le potentiel offert par les différents sites varient. Certains sont construits de manière à favoriser le partage d'items précis, des photos ou de la vidéo par exemple, d'autres plateformes sont dédiées au blogue ou au microblogue.

Comme le soulignent Harrison et Barthel (2009 : 174; cités dans Hermida, 2012c : 311), ce qui distingue ces plateformes dites du web 2.0 de celle de la génération

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précédente, ce n’est pas tant le potentiel d’interactivité (qui existait déjà) que le vaste nombre d’utilisateurs en mesure de vivre une variété d’expériences de collaboration et d’échange. Selon une étude récente du Pew Research Center menée en collaboration avec la Knight Foundation aux États-Unis (2016), 62 % des adultes américains utilisent les réseaux socionumériques pour s’informer sur l’actualité. Au Québec en 2015, 72,8 % des adultes québécois fréquentaient ces réseaux. De plus, 42,7 % y consultaient des nouvelles sur une base hebdomadaire (CEFRIO, 2015). Notons que chez les jeunes québécois (18- 24 ans), les médias sociaux constituent la principale source d’information; 90% les consultent au moins une fois par semaine pour accéder à des nouvelles (idem).

Pour joindre ce public plus jeune friand d’internet et pour leur utilité en termes de collecte de l’information, les réseaux socionumériques ont aussi fait leur entrée dans les salles des nouvelles un peu partout à travers le monde, contribuant à transformer la relation des journalistes et des citoyens à l’actualité (Hermida, 2012a). Du point de vue de la pratique, ces plateformes soulèvent de nombreuses questions sur la nature de la démarche journalistique, ainsi que sur la relation entre les producteurs et les consommateurs d’information.

Dans le cadre de cette étude, nous analyserons l’utilisation que font les journalistes politiques des réseaux socionumériques à l’aune de questionnements sur la pratique dont la trajectoire dépasse le simple usage d’une technologie particulière à un moment ponctuel dans l’histoire (Hogan et Quan-Haase, 2010). En ce sens, nous poursuivrons cet état de la question en nous attardant plus spécifiquement à certaines dimensions de la pratique. Nous examinerons de manière plus approfondie les concepts d’immédiateté, de participation (ou de journalisme participatif), de transparence, d’objectivité et d’autopromotion.

1.5 Le rapport des journalistes au temps

Le temps est une composante fondamentale du processus de production de l’actualité (Patterson, 1998; Phillips, 2012; Schlesinger, 1977). L'accélération du

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processus de production des nouvelles et la nécessaire adaptation des journalistes aux contraintes de temps ne sont pas des phénomènes nouveaux. Comme le souligne Deuze (2005 : 449), le sens de l’immédiateté est au cœur de la pratique journalistique :

According to journalists, their work is reporting the news. This lends the work of journalists an aura of instantaneity and immediatism, as ‘news’ stresses the novelty of information as its defining principle. The work of journalists therefore involves notions of speed, fast decision-making, hastiness, and working in accelerated real-time.

Toutefois, la notion d’immédiateté ne revêt pas la même signification, selon les époques, les technologies mises à profit, les contextes socio-économiques et les enjeux communiqués. Nous documenterons ici l’importance que revêt le temps dans la pratique journalistique, ainsi que le rôle des innovations technologiques dans l’accélération de la production de l’information. Ce faisant, nous montrerons l’évolution de ce que signifie l’immédiateté dans la pratique du journalisme.

1.5.1 De la machine à vapeur au télégraphe

En Occident, des traces de cette culture du temps, omniprésente dans la pratique journalistique, sont perceptibles dès le 19e siècle. Le rapport des journalistes au temps se révèle intimement lié à l'utilisation des nouvelles technologies de l'époque, notamment la machine à vapeur et la presse mécanique à cylindre qui ont permis d'accélérer l'impression des journaux et ce faisant, de retarder les heures de tombée pour publier des nouvelles plus récentes (Briggs et Burke, 2009). Cette innovation a influencé la nature des contenus publiés en réduisant, pour reprendre les termes utilisés par Charron et de Bonville (2004 : 151), les délais entre les occurrences et leur représentation journalistique. À partir du milieu du 19e siècle, l'utilisation du télégraphe vient également transformer la façon de communiquer l'information dans plusieurs sphères d'activité : notamment les activités boursières, les affaires familiales, le gouvernement, ainsi que les médias (Briggs et Burke, 2009 : 136-37). En 1854 en Angleterre, 120 journaux provinciaux reçoivent les nouvelles parlementaires par télégraphe (idem). Durant la guerre de Sécession aux États-Unis, les correspondants utilisent ce nouvel outil pour

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envoyer leurs reportages des champs de bataille aux rédactions en quelques minutes (Fellow, 2009). Les coûts de cette technologie amènent les journalistes à adapter leurs discours : « [n]ews sent by telegraph became short and terse because it was paid for by the word. Gone were the old flowery circumlocutions that characterised the earlier period; in came a new form of news speak » (Phillips, 2012 : 84). L'information devient un produit, qui peut être transporté et mesuré (Carey, 1992 : 231; cité dans Phillips, 2012).

À la même époque, les agences de presse — les premières ont vu le jour dans les années 1830 — font leur entrée dans les capitales européennes et aux États-Unis. Celles- ci contribuent à modifier l'organisation de la production des journaux qui s’articule autour de deux types de nouvelles : la routine et l'exclusivité (Phillips, 2012 : 83). Les agences de presse produisent des contenus standardisés et neutres, transmis rapidement grâce au télégraphe, et qui peuvent être utilisés et reformatés par des institutions médiatiques d'allégeances diverses, voire même de pays en guerre l'un contre l'autre. Les entreprises de presse peuvent désormais compter sur une certaine quantité de nouvelles disponibles, qu'elles adaptent en fonction des attentes présumées de leur public respectif.

Ainsi, en s’appuyant sur une analyse systématique des délais entre l’occurrence et la publication dans des quotidiens de l’Ohio, Brooker-Gross (1982 : 596) soutient qu’au courant du 19e siècle, l’accélération de la diffusion serait non seulement tributaire de la technologie, elle serait également dépendante de la valeur accordée à l’information en fonction de sa pertinence pour le public. Ainsi, ses données suggèrent par exemple que la durée de vie des nouvelles nationales, jugées plus pertinentes pour les lecteurs, était plus courte que celle des nouvelles locales ou étrangères. Soulignons qu’à cette époque, l’immédiateté se mesure le plus souvent en jour(s), comme l’illustre la figure 1.1.

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Figure 1.1 Temps moyen écoulé entre un événement et la publication de l’information le concernant, en fonction de l’origine (locale, nationale, étrangère)

Source : Broker-Gross (1982 : 597).

1.5.2 Les médias électroniques et le cycle quotidien de la nouvelle

Au tournant du 20e siècle, plusieurs innovations techniques contribuent à transformer les pratiques journalistiques et l'information politique. Parmi celles-ci, l'invention de la téléphonie et le perfectionnement du télégraphe sans fil, qui donneront bientôt naissance à une nouvelle industrie, la radio. En 1930, la NBC présente son premier bulletin quotidien de nouvelles de 15 minutes. Avec l'avènement de la radio, puis de la télévision, la diffusion de l'information requiert davantage d’organisation. « Early radio and TV news events had in common the fact that they were predictable, and allowed the cumbersome technologies of the time to be trundled into place and hooked up to existing transmission equipment, so that recordings could be made » (Phillips, 2012 : 85). Les organisations médiatiques structurent leurs pratiques autour de bulletins de nouvelles réguliers. Autour de cette innovation visant à synchroniser l'événement et la production de l'information dans les médias électroniques, l'industrie des relations publiques se

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développe considérablement (Phillips, 2012)12. Les politiciens qui désirent capter l'attention des journalistes font appel à des professionnels en communication et en marketing qui multiplient les interventions planifiées, souvent le fruit de stratégies plus vastes construites à partir d'enquêtes d'opinion. L'information est diffusée à des moments stratégiques de la journée, pour s'assurer une visibilité maximale. La coordination de la production de l'information autour d'un cycle quotidien de la nouvelle contribue à la standardisation des pratiques et des discours journalistiques. Pour arriver à générer des nouvelles en quantité suffisante, les journalistes sont souvent affectés à la couverture d'événements qui sont susceptibles d'engendrer une histoire. En somme, comme le résume Schlesinger (1977 : 338) :

[t]he track follows a regular cycle each day, the pace of which is governed by deadlines. These deadlines, and the inexorable fingers of the stopwatch, are two of the most potent symbols in the newsman's occupational culture.

1.5.3 L’intégration des technologies numériques dans les rédactions

Durant les années 1960, notamment durant la Guerre du Viêtnam, un nouveau pas vers l'instantanéité est franchi avec l'utilisation des technologies satellites, facilitant l'envoi rapide de reportages télévisés à partir du front vers les foyers américains13. Au milieu des années 1970, la miniaturisation des équipements, le développement de caméras plus mobiles et l'utilisation de la vidéo favorisent l'accélération de la couverture et du montage télévisuels. Enfin, le développement des technologies numériques permit l'instantanéité : « [i]t was now genuinely possible to 'be there' as news was breaking and transmit it instantly, rather than 'producing' it on location or bringing the news into the studio to record it » (Philipps, 2012 : 89).

12 Précisons cependant que la pratique des relations publiques aux États-Unis s'est amorcée dès les premières décennies du 20e siècle (Schudson, 1978 : 134-144). 13 Seib (2001 : 31) souligne que le système satellite de l’époque ne permettait pas le direct à partir du Viêtnam; les films devaient d’abord transiter par Tokyo ou dans d’autres sites de la région qui disposaient de l’équipement nécessaire à la transmission. 31

L'arrivée de la télévision par câble et des chaînes d'information en continu dans les années 1980 et 1990 a pour effet d'accroître considérablement les besoins en nouvelles fraîches. L'utilisation des technologies numériques favorisa non seulement des transformations du côté des médias électroniques, mais aussi du côté des journaux. À partir du milieu des années 1980, un journal entier pouvait être produit en quelques heures : « [n]ewspapers forever watching their rivals and desperate to be seen to be ahead (or at least up in the front row), were running faster and working harder » (idem).

C'est dans ce contexte d'hyperconcurrence que le web fait son entrée de façon plus systématique dans les salles de presse, à partir du milieu des années 1990 (Allan, 2009). Au Québec, l’intégration de l’internet dans les salles de nouvelles s’effectue en grande partie à la fin des années 1990. L’utilisation des moteurs de recherche et la rapidité d'accès à l'information permettent d'accélérer le processus de cueillette (Plasser, 2005). Graduellement, durant les années 2000, le journaliste politique pourra obtenir une multiplicité de données en ligne : rapports des commissions, projets de loi, transcription des travaux parlementaires ou information sur les élus (Davis, 2010). Pour alimenter le travail d'enquête, une grande variété de bases de données sont désormais accessibles en quelques clics : informations sur les donateurs aux partis politiques, registres fonciers, registres d'entreprises ou fichiers informatisés des palais de justice. Certains dispositifs — comme les fils RSS — peuvent même être sollicités pour l'avertir de la diffusion de nouvelles données sur les sujets de son choix. Les distances géographiques sont gommées, l'information est à portée de main.

Ce faisant, l'organisation de la production de l'information se transforme. La convergence journalistique, phénomène abondamment cité dans la littérature, que Mark Deuze décrit comme la « coopération et la collaboration entre des rédactions médiatiques autrefois distinctes » (Deuze, 2004 : 140; cité dans Dagiral et Parasie, 2010), amène son lot de responsabilités et de contraintes. Le sociologue américain Eric Klinenberg (2005) parle pour sa part d'un régime de la convergence. Facilité par le virage numérique et le la

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démocratisation de l’internet14, ce modèle à consonance économique permet de distribuer des nouvelles sur de multiples plateformes au même coût (Francoeur, 2012 : 102). On exige des journalistes qu'ils deviennent des travailleurs flexibles, capables d'exécuter une variété de tâches liées à « la production, la distribution et la réception des courants numériques écrits, audio et vidéo » (idem). Dans la plupart des organisations, ce phénomène s'accompagne de compressions budgétaires et de suppressions de postes dans les rédactions (Fenton, 2010; Francoeur, 2012; Klinenberg, 2005). Klinenberg note que ces transformations, à la fois de nature technologique et économique, modifient le rapport des journalistes au temps.

The time cycle for news making in the age of digital production is radically different: the regular news cycle has spun into an erratic and unending pattern that I characterize as a news cyclone. The advent of twenty-four-hour television news and the rapid emergence of instant Internet news sites have eliminated the temporal borders in the news day, creating an informational environment in which there is always breaking news to produce, consume, and - for reporters and their subjects - react against (Klinenberg, 2005 : 54).

1.5.4 Quand l’immédiateté signifie « maintenant »

Cependant, au tournant des années 2000, le cyclone médiatique n’avait pas encore atteint sa pleine amplitude. En théorie, l’avènement de l’internet a donné à l’utilisateur la capacité d’accéder à l’information disséminée sur la toile instantanément. Toutefois, le rythme de production de l’information sur le web semble avoir considérablement évolué en une décennie (Bucy, 2004). Comme le relève Karlsson (2011), les premières recherches portant sur la production des nouvelles en ligne révèlent que les contenus médiatiques étaient le plus souvent « pelletés » des médiums traditionnels vers le web, sur une base quotidienne. Puis, des études subséquentes ont relaté la fréquence plus élevée des mises à jour sur les sites web de différentes organisations médiatiques (Karlsson, 2007 ; Tremayne et al., 2007 ; Usher, 2014). Le développement des appareils

14 Serge Proulx (2005) souligne que « la clé technique qui a permis l'envol des technologies informationnelles réside dans la numérisation du signal qui a rendu possible la convergence technologique entre les grands domaines de l'informatique, des télécommunications et de l'audiovisuel ».

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mobiles et l’accès de plus en plus répandu des usagers à une large bande passante ont contribué à l’accélération de la production et de la consommation de l’information (Bucy, 2004). De plus en plus de journalistes sont maintenant équipés d’appareils mobiles – téléphone intelligent, tablette électronique ou ordinateur portable – qui leur fournissent un accès continu à internet, aux moteurs de recherche et à une multitude d’applications. Ces outils améliorent leur capacité à produire, à vérifier et à diffuser de l’information en temps réel, à partir du lieu de la couverture (Bivens, 2008 ; Westlund, 2013). Dans ce contexte, le cycle de l’information a été graduellement comprimé et le temps entre la prise de connaissance d’un événement ou d’un enjeu et la diffusion de l’information a diminué radicalement (Karlsson et Strömback, 2010). Les heures de tombée ont largement cédé leur place à l’immédiateté conçue désormais comme l’instant présent.

En ce sens, l’immédiateté signifie aussi que plusieurs versions provisoires d’une même nouvelle sont publiées et successivement modifiées (Karlsson, 2011 : 279). Certaines nouvelles sont désormais diffusées en primeur sur les réseaux socionumériques, avant de l'être dans les médias de masse. Des nouvelles émergent à la suite d’éléments d’information qui circulent sur Twitter; des usagers les commentent, d'autres les vérifient et partagent l’information (Bruns et Highfield, 2012; Lawrence et al., 2014; Papacharissi et de Fatima Oliveira, 2012). Une plateforme comme Twitter constituerait ainsi un véritable système de veille (awareness system) permettant aux usagers de conserver un modèle mental des nouvelles et des événements autour d'eux et d'y contribuer (Hermida, 2010).

Du point de vue des journalistes, le caractère instantané (et public) des communications sur les réseaux socionumériques pose un défi de taille pour la pratique, dont la légitimité repose en grande partie sur sa capacité à publier une information crédible et, préalablement, sur le processus de vérification des faits (Hermida, 2013; Karlsson, 2011; Schudson, 2001). Traditionnellement, pour qu’une information devienne une nouvelle, elle doit d’abord survivre à l’examen rigoureux du processus journalistique, pour reprendre les termes de Jane Singer (2007 : 85). Or, comme le souligne Hermida (2013 : 302), « [t]he emergence of social media, and in particular Twitter, as a source for

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breaking news, and the speed at which information is disseminated on the network, is impacting the discipline of verification. The choice between being fast and being right is nothing new, but it has acquired greater importance at a time when audience can itself disseminate the news as readily as journalists ».

Cependant, un site comme Twitter donnerait aussi l’occasion aux journalistes de vérifier ou d’infirmer rapidement les assertions faites par les politiciens, en misant sur l’accessibilité à une grande variété de sources d’information, en temps réel : « [t]he rise of social media sites like Twitter has offered new possibilities for broad-based, instantaneous discussion of political-claims » (Coddington et al., 2014 : 392). Comme l’expliquent Coddington et ses collègues, ce type de vérification diffère du réflexe de rechercher simplement l’équilibre des points de vue, en procédant plutôt à l’évaluation d’une assertion en la confrontant avec des éléments de preuve. Toutefois, en effectuant une analyse de contenu pour vérifier dans quelle mesure cette technique de vérification était utilisée sur le site de microblogage par les journalistes qui couvrent la politique, les auteurs arrivent à des conclusions mitigées. Twitter est utilisé pour valider ou infirmer des assertions faites par les politiciens, mais dans une proportion relativement modeste. Les journalistes ont davantage tendance à reprendre intégralement les propos des politiciens, ou à émettre une opinion sur ceux-ci, qu’à les vérifier.

Plusieurs travaux indiquent que l’immédiateté est devenue un principe important qui guide les routines et le travail journalistique (Domingo, 2008; Karlsson, 2011; Usher, 2014). Cependant, cette norme émergente serait l’objet de débat, comme le décrit Usher dans ses recherches ethnographiques menées au New York Times.

Immediacy is a contested and emergent value that has not been fully accepted by the newsroom, as print still retains its era of mystique and importance. Journalists don’t want to have their stories be part of the churn of online; they want something lasting, and their editors think about and plan for the elusive Page One spot. From the perspective of developing the value-added content that Times journalists talk about, there seems to be no probable way of supplementing the process of developing news stories through critique and conversation without regular daily meetings that follow the print news rhythm (Usher, 2014 : 148).

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De nombreux chercheurs ont aussi exprimé des inquiétudes sur la manière dont l’immédiateté pourrait affecter la diversité des contenus médiatiques. Lee-Wright et Phillips (2012) soulignent qu'en mettant l'accent sur la diffusion rapide ou la mise à jour constante de l'information sans ressources supplémentaires au sein des organisations médiatiques, les mêmes contenus sont constamment reformatés. Des entrevues menées auprès de journalistes parlementaires britanniques viennent aussi conforter l'hypothèse de l'homogénéisation des contenus, cette fois dans le domaine plus spécifique de l'information politique : « [t]wenty-four-hour news channels, the need for the same journalist to report in different formats, and the expectation that journalists should produce additional blogs, all spread the personal resources of reporters more thinly » (Davis, 2010 : 130). Dans une étude sur l'intégration des nouvelles radio, télévision et internet à Radio-Canada, Chantal Francoeur (2012 : 66-67) explique que pour arriver à produire leur reportage à temps sur différentes plateformes, les journalistes adoptent souvent « des recettes », en optant par exemple pour des extraits sonores bien formatés, parfois stéréotypés, qui voyagent bien d'un médium à l'autre, parce que « les nuances et le flou ne s'exportent pas bien d'une plateforme à l'autre ». Selon Angela Phillips (2012 : 89), la profondeur de la couverture est affectée par la vitesse de production : « [d]epth requires time, but increasingly, a thoughtful feature, produced three days after the event, started to look stale. The division between spot news, and in-depth reporting, began to collapse ».

Cependant, comme le relève Karlsson (2011), peu d’études ont analysé empiriquement et systématiquement la manière dont l’immédiateté influence les contenus médiatiques. De plus, la plupart des études empiriques portant sur l’immédiateté s’attardent soit aux conditions de production ou aux pratiques rapportées par les journalistes, soit aux contenus, sans nécessairement faire le pont entre les deux. En dernière analyse, nous ajouterons que très peu de travaux empiriques portent sur les contenus, la pratique et les normes de production de l’actualité en ligne, en temps réel, par les journalistes professionnels qui couvrent la politique.

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1.6 Le rapport des journalistes aux publics

L’internet a aussi amené les journalistes à s’adapter aux communications en réseau et à la présence du public en ligne. Nous soulignerons ici que, dans l’Antiquité, la notion de public15 ou d’audience – du latin audire – a d’abord trait à l’écoute d’un auditoire présent, actif et interactif, rassemblé de manière éphémère (Whitney, 2009). Il nous semble que cette conception de l’audience pourrait fort bien s’appliquer aujourd’hui, à une ère de connectivité et de communication en réseau. Or, cette première notion d’audience a d’abord évolué dans l’histoire pour intégrer une conception du public séparé du messager dans le temps et dans l’espace, rendu possible par l’écriture :

Writing and then printing fundamentally altered the nature of communication, from being spontaneous and transitory to being fixed; the nature of the communicative relationship from taking place solely between speakers and listeners to also involving writers and readers; and the nature of modes of reception from essentially public and social to primarily private and individual (Whitney, 2009 : 3).

Néanmoins, malgré cette distanciation entre l’émetteur et le récepteur engendrée par l’écriture (et l’alphabétisation), il est possible de recenser des lieux de participation du public dans la production de l’actualité depuis la genèse du journalisme.

1.6.1 La participation du public dans la production de l’actualité

Comme le rappelle Denis Ruellan (2007), la frontière entre les pratiques professionnelles et non professionnelles du journalisme « n’a rien de naturel ». Elle est plutôt un construit historique, résultant de l'industrialisation de la presse au 19e siècle qui entraîna l'organisation d'une activité rémunérée, le journalisme professionnel.

Ainsi, au 18e siècle, les gazetiers-éditeurs britanniques laissaient régulièrement un espace à la fin de leur édition pour les commentaires du public, ainsi qu'une page vide

15 Comme évoqué précédemment, nous employons l’expression « public » en référence au terme « audience », c'est-à-dire à un groupe partageant un même texte ou une même une performance, le plus souvent par l'entremise des médias (Livingstone, 2005; citée dans boyd, 2008). 37

permettant d'inscrire le nom et l'adresse du prochain destinataire (Wiles, 1965; dans Hermida, 2011 : 13). Les lecteurs de The Evening General-Post ajoutaient au texte imprimé leurs propres observations avant de remettre le journal au prochain lecteur ou de l'expédier comme une lettre. Puis, au tournant du 19e siècle, nombre de militants issus de la classe ouvrière britannique, s’identifiant davantage comme des activistes que des professionnels, ont écrit dans des journaux radicaux ou réformistes (Goff, 2009).

Avec l’émergence des médias de masse au 19e siècle et la professionnalisation du journalisme, l’audience s’est éloignée et atomisée, devenant pour l’émetteur une abstraction (Whitney, 2009). La plupart des médias privilégieront une communication de masse unidirectionnelle. Les entreprises médiatiques aménageront tout de même, peu à peu, des espaces de participation du public : le courrier des lecteurs à la rédaction, les tribunes téléphoniques à la radio, puis les forums de discussion en studio diffusés à la télévision. Toutefois, ces espaces de participation s’avèrent relativement réduits et contrôlés par la rédaction16, l’animation ou la réalisation (Coleman et Ross, 2010; Ericson, Baranek et Chan, 1989).

La professionnalisation amènera les journalistes à revendiquer non seulement leur autonomie par rapport à la classe politique, mais également à se réclamer d'une certaine expertise technique qui les différencie de leur public. Fort d’un statut professionnel et social amélioré, le journaliste politique prétend être en mesure d’éduquer le citoyen à travers son regard critique sur la chose politique (Charron, 1995). Coleman et Ross (2010 : 29) voient dans cette tendance caractéristique de la première partie du 20e siècle une forme de paternalisme de la part des médias de masse envers le public : « [t]he task of the media is seen as being to provide the public with what it needs, and indeed to reshape its needs so that it wants what is normatively better for it ». En observant le

16 Au sujet du contrôle effectué par la rédaction sur les lettres des lecteurs, Erickson et ses collègues écrivent : « [t]hey must be newsworthy, in accordance with an agenda and priorities already established in the news. They must articulate with the editor's sensibilities about news values such as fairness, balance, and neutrality, and with his assessment of the standing and character of the author in relation to the matter addressed. [...] The best the source can hope for in the letters format is the same she obtains in the broadcast-news clip: that her exact words are published, albeit in an edited and recontextualized fashion » (Ericson, Baranek et Chan, 1989 : 375).

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travail des journalistes de grands médias de masse aux États-Unis, Gans (1979) souligne pour sa part que les journalistes n’ont qu’une idée très vague de leur audience. Leur premier public, celui dont ils se soucient réellement, est constitué de leurs pairs : leurs collègues, leurs supérieurs ou encore la compétition.

Selon Brin, Charron et de Bonville (2004), à partir des années 1980, avec la multiplication des chaînes et la fragmentation du public, une hyperconcurrence se serait installée entre les entreprises médiatiques et au sein de celles-ci, bouleversant les normes de production de l'information. La façon de s'adresser aux publics se transformerait, les journalistes développeraient une plus grande sensibilité à la velléité des entreprises de presse de conquérir ou de préserver leurs lecteurs, leurs auditeurs ou leurs téléspectateurs, perçus maintenant davantage comme des clients (Charron, 2006).

L'attention du public devenant une denrée rare, le discours journalistique est dorénavant construit et mis en valeur de manière à susciter et retenir l'attention non pas du plus grand nombre, mais d'un public plus ou moins circonscrit et défini, dont on sonde les préférences et que l'entreprise de presse et les journalistes eux-mêmes cherchent, à travers leurs discours, à fidéliser en établissant avec lui des liens d'affinité et de connivence fondés sur l'intersubjectivité, le divertissement et le plaisir (Charron et de Bonville, 2004 : 106).

Le public devenu consommateur est de plus en plus mesuré et ciblé. Cependant, son rôle demeure bien circonscrit par la profession journalistique qui, pour paraphraser les propos de Carey, se justifie au nom du public, mais ne lui accorde aucun rôle sauf celui d’audience (Carey, 1997 : 247; cité dans Kovach et Rosenstiel, 2007 : 23).

1.6.2 La participation à l’ère de l’internet et des réseaux socionumériques

Avec l’avènement des technologies numériques puis d’internet, l’environnement médiatique change considérablement. Les contraintes de temps et d’espace typiques des espaces rédactionnels des médias de masse n’existent plus de la même manière en ligne. Pour les usagers, le coût de publication – à la fois technique et financier – est réduit; l’information est plus facile à diffuser et à reproduire. Le travail d'observation, de

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sélection, de filtrage, de diffusion et d'interprétation des événements par les citoyens est facilité par l'accès à une variété de dispositifs techniques qui leur permettent de capter et de partager instantanément de l'information. Ces fonctions de communication étaient auparavant principalement réservées aux journalistes professionnels et aux institutions médiatiques (Hermida, 2012b).

La participation des citoyens prend une multitude de formes : l'autopublication sur des blogues, des sites personnels ou dans les réseaux socionumériques, le partage d'information sur des sites collaboratifs d'information, la discussion au sein de forums, ou encore l’envoi de commentaires sur les sites web des médias traditionnels (Bruns, 2011; Dagiral et Parasie, 2010; Friedland et Kim, 2009; Hermida, 2011; Lasica, 2003). Certains citoyens offriront leur témoignage ou leur expertise dans un secteur précis, en alertant d'autres internautes de la pertinence de certains contenus médiatiques (ou en les critiquant), en analysant des publications d'entreprise ou des gouvernements ou en enrichissant des débats à l'aide de contenus complémentaires partagés à l'aide d'hyperliens (Bruns, 2011). Dans certaines circonstances plus rares, ils rejoindront un vaste public sans l'intermédiaire des médias de masse; plus fréquemment, ils contribueront à modeler l'ordre du jour médiatique ou le cadrage de certains enjeux de société dans la sphère médiatique.

Dans ce nouvel environnement médiatique où le flot d’information accessible aux usagers est démultiplié, le journaliste, qui assumait autrefois le rôle de gardien de l’information (gatekeeper)17 en sélectionnant ce qui est une nouvelle et en écartant ce qui ne l’est pas, se retrouve en quelque sorte à monter la garde devant une barrière toute grande ouverte (Singer et al., 2011). Les journalistes professionnels n'ont plus le monopole de la diffusion de l'information qu'ils jugent pertinente pour les citoyens (Dimitrova, 2007); toutefois, s'offre à eux un potentiel de dialogue avec leurs publics

17 Comme le résume Singer, « [t]he gatekeeping theory of journalism provides a framework for assessing how and whether a particular item is included in the available news space - and the implication is that proper operation of the gates will yield unbiased news » (Singer, 2005 : 178). Le journaliste exerce en ce sens un certain pouvoir sur la circulation de la connaissance. Cette conception du journaliste comme étant celui qui décide de ce que le citoyen a besoin de savoir est intimement liée au rôle donné à l’information en démocratie (Singer, 2007). 40

(Lasorsa, Lewis et Holton, 2012; Singer, 2005). Cette reconfiguration de la relation entre le producteur et le consommateur d’information est théorisée dans les concepts de participation ou de journalisme participatif (participatory journalism), définis par le caractère collectif et collaboratif du processus de construction de l’information (Lewis, 2012; Singer et al., 2011).

Comme l’explique Alfred Hermida (2012 : 116), le journalisme participatif appréhende « les comportements citoyens au prisme d’une hypothèse normative selon laquelle le public ne se contente pas simplement de lire l’information », mais constitue également un participant susceptible d’agir sur les décisions relatives à la construction de l’actualité. Cette hypothèse s’appuie sur la notion de culture participative liée aux technologies numériques en réseau18 (Jenkins, 2006; 2009), et sur une prémisse de base selon laquelle la connaissance bénéficie, en termes de richesse et d’exactitude, de la contribution d’une grande variété d’acteurs distribués dans la population (Levy, 1997; dans Lewis, 2012). Dans le domaine des études du journalisme, la notion de participation ou de journalisme participatif (participatory journalism) désigne cette ouverture potentielle des journalistes à la participation des utilisateurs dans les différentes phases de la production de l’information, allant de l’observation à l’interprétation, en passant par la sélection, la rédaction et la distribution de l’information (Domingo, 2008; Singer, 2012; Singer et al., 2011). Enfin, selon Singer et ses collègues (2011), le journalisme participatif implique que les journalistes et les citoyens soient engagés dans un processus de communication bidirectionnelle : « communicating not only to but with one another » (Singer et al., 2011 : 2).

18 Jenkins (2009 : 5-8) définit en quelques éléments clés ce qui caractérise la notion de culture participative : « 1. relatively low barriers to artistic expression and civic engagement, 2. strong support for creating and sharing creations with others, 3. some type of informal mentorship whereby what is known by the most experienced is passed along to novices, 4. members who believe that their contributions matter, and 5. members who feel some degree of social connection with one another (at least, they care what other people think about what they have created) ». L’auteur insiste également sur l’importance de la relation entre culture et technologies au cœur de la notion de culture participative : « [p]articipatory culture is emerging as the culture absorbs and responds to the explosion of new media technologies that make it possible for average consumers to archive, annotate, appropriate, and recirculate media content in powerful new ways ». 41

1.6.3 La transparence

Un corollaire du concept de participation est celui de la transparence. Ce concept est largement utilisé dans le domaine de l’administration publique pour désigner la disponibilité ou la divulgation de l’information permettant aux citoyens de demander des comptes à leurs représentants élus (Kosack et Fung, 2006). Ainsi, selon Grimmelikhuijsen et Porumbescu (2013 : 576), « transparency is the availability of information about an organization or actor that allows external actors to monitor the internal working or performance of that organization ». Appliquée au journalisme, la transparence peut être conçue comme « the increasing ways in which people both inside and external to journalism are given a chance to monitor, check, criticize and even intervene in the journalistic process » (Deuze, 2005 : 455). Selon Singer (2007), le concept de transparence est intimement associé aux notions de responsabilité, de vérité et d’honnêteté. En pratique, cela implique que les journalistes fassent preuve d'ouverture envers le public en divulguant la manière dont l'information est sélectionnée et construite (Karlsson, 2010). Par exemple, sur les blogues et les réseaux socionumériques, les journalistes peuvent donner des détails sur la provenance de l'information qu'ils communiquent (notamment avec les hyperliens), informer l’usager sur le contexte de la couverture, expliquer le raisonnement derrière la nouvelle, solliciter la rétroaction des usagers, ou encore, corriger promptement une erreur (Hayes, Singer et Ceppos, 2007; Karlsson, 2010).

1.6.4 Normalisation ou transformation de la pratique?

L’ouverture à la participation du public et la transparence implique un transfert d’autorité des journalistes vers le public, c’est-à-dire un abandon partiel du contrôle que les journalistes professionnels exercent sur l’ordre du jour médiatique et le contenu des nouvelles en faveur d’une pratique plus interactive et inclusive (Deuze, 2005 : 455). Or, l’autonomie, de même que l’indépendance par rapport au politique et aux pressions commerciales sont des valeurs fondamentales du journalisme (Schudson, 2011). Comme le souligne Lewis (2012 : 849), la question est donc de savoir dans quelle mesure et pourquoi abandonner ce contrôle.

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Plusieurs travaux qui ont analysé ces questions de manière empirique, en étudiant la production journalistique sur les sites de nouvelles en ligne, les blogues ou les réseaux socionumériques, montrent une tendance à la normalisation des pratiques. Le concept de normalisation, introduit par Singer (2005) dans son étude de l’utilisation des blogues par des journalistes politiques américains, désigne la manière dont les journalistes construisent leurs usages du numérique en transposant leurs pratiques et leurs normes traditionnelles en ligne, en maintenant le contrôle sur l’information qu’ils diffusent et en restant attachés à leur rôle de « sélectionneur » (gatekeeper), malgré le caractère participatif des plateformes utilisées.

Aussi, dans une étude ethnographique menée dans trois journaux en ligne américains, Boczkowski (2004) soutient que l’usage que font les journalistes du potentiel interactif et participatif de l’internet relèverait davantage de la continuité que de la rupture. Il observe que l'utilisation d'internet par les acteurs tend à varier, combinant à la fois l'ancien et le nouveau, la communication à sens unique et l'interaction, en fonction d'une variété de facteurs contextuels. Parmi ces facteurs, il recense l’importance accordée au modèle traditionnel de gatekeeping dans l’organisation de la production, la perception qu'ont les journalistes des publics utilisateurs, ainsi que les routines déjà établies dans les différents environnements de travail. Domingo (2008) parvient à une conclusion semblable lors de quatre études de cas menées dans des rédactions web de la Catalogne. Il explique comment la culture traditionnelle du journalisme prévaut sur le « mythe de l’interactivité », davantage perçu comme un élément problématique que comme une opportunité par les journalistes.

Cependant, des études suggèrent aussi une forme d’hétérogénéité dans les logiques à l’œuvre. À la suite d’une analyse de contenu quantitative des tweets de journalistes politiques couvrant les conventions républicaines et démocrates aux États-Unis, Lawrence et ses collaborateurs (2014) concluent au maintien d’un contrôle de la part des journalistes sur l’information politique, plutôt qu’à une conversation ouverte à l’extérieur de la « bulle » ou du cercle des initiés. Cependant, les chercheurs observent aussi des

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manifestations de transparence de la part des journalistes à propos de leur travail, bien que celles-ci ne fournissent pas nécessairement d’information substantive sur le raisonnement derrière la nouvelle ou le processus de fabrication de l’actualité politique.

Dans une analyse de contenu de plus de 22 000 tweets publiés par des journalistes américains sur Twitter, Lasorsa, Lewis et Holton (2012) montrent que les usages de la plateforme varient d’un journaliste à l’autre. Certes, la plupart des journalistes semblent normaliser leurs usages du site de microblogage; ils interagissent peu avec le public et font rarement preuve de transparence. Toutefois, des journalistes qui travaillent dans des organisations médiatiques de moins grande portée semblent ajuster leurs pratiques et leurs normes à celles qui prévalent sur les réseaux socionumériques : ils donnent régulièrement leur opinion et, dans une moindre mesure, ils font preuve de transparence à l’égard de leur public et abandonnent partiellement leur rôle de gatekeeper en rediffusant des contenus générés par d’autres utilisateurs.

Cette diversité des pratiques des journalistes sur les réseaux socionumériques est également mise en lumière dans les travaux d’Hedman et Djerf-Pierre (2013). À la suite d’une vaste enquête par sondage réalisée auprès de journalistes suédois, les chercheuses constatent qu’une majorité de participants utilisent Twitter pour surveiller l’actualité, mais qu’ils ne participent que rarement à la production ou la co-création de contenus en ligne. En revanche, un petit groupe de répondants utilisent le site de microblogage à des fins de réseautage, de collaboration ou pour entretenir une image de marque (personal branding). On retrouve dans ce groupe restreint une proportion non-négligeable de jeunes journalistes et de journalistes numériques (ou multiplateformes).

Enfin, l’exemple sans doute le plus connu de cette ouverture à la participation du public dans la production de l’actualité est probablement celui d’Andy Carvin, le journaliste de NPR aux États-Unis. En analysant les contenus publiés par Carvin sur Twitter durant les révolutions tunisienne et égyptienne de 2011, Hermida et ses collègues (2014) montrent que le journaliste a utilisé Twitter pour dialoguer avec les citoyens et rediffuser de l’information émise par une grande diversité d’utilisateurs qui

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n’appartenaient pas aux élites traditionnelles. Leurs résultats suggèrent que Carvin a adapté sa pratique journalistique en fonction des possibilités offertes par Twitter, en fournissant à ses abonnées des sources d’information variées, ainsi qu’en authentifiant ces sources et en interprétant l’information partagée en temps réel. Selon les auteurs, cette pratique constituerait en quelque sorte une version révisée du gatekeeping traditionnel.

En somme, les études empiriques recensées jusqu’à maintenant montrent que les pratiques d’ouverture à la participation du public et de transparence à son égard ne seraient adoptées que par une minorité de journalistes. Toutefois, la manière dont les journalistes conçoivent le rôle du public évolue (Singer, 2006) et varie selon les organisations et les cultures de chacune des salles des nouvelles (Heinonen, 2011). Enfin, comme le souligne Hermida (2013 : 302), les usages des réseaux socionumériques sont appelés à se transformer au fur et à mesure que ceux-ci seront enseignés dans les écoles de journalismes et mieux établis dans les rédactions. Dans ce contexte, un des défis pour la recherche consiste à mieux comprendre ce rapport – en constante renégociation – entre les journalistes et leurs publics. Dans quelle mesure les journalistes sont-ils prêts à interagir avec ce public désormais présent en ligne, à lui donner une voix, à lui céder une part de contrôle sur la sélection et la diffusion de l’information ou à faire preuve de transparence à son égard? Et surtout, dans quelles circonstances et pour quels motifs font- ils (ou non) ce choix? Cette dernière question, qui renvoie à des pratiques très récentes, demeure peu abordée dans la littérature.

1.7 L’objectivité remise en question

La littérature suggère que l’objectivité, une autre norme fondamentale du journalisme professionnel nord-américain, pourrait être remise en question à l’ère des réseaux socionumériques (Hermida, 2012c; Lewis, Lasorsa et Holton, 2012; Molyneux, 2015). Cependant, avant de discuter d’une possible transgression de cette norme, nous tenterons de mieux la définir et de rendre compte de son évolution dans la pratique journalistique.

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1.7.1 L'idéal de l'objectivité journalistique

La définition de l’objectivité journalistique fait depuis longtemps l’objet de débats, tant chez les praticiens que dans la communauté scientifique (Powers, 2009). Cependant, de manière générale, les chercheurs s’entendent pour dire que l’objectivité amènerait les journalistes à séparer les faits des valeurs, en excluant, dans un effort compétent, les valeurs pour ne rapporter que les faits (Gans, 1979; Charron, 1994).

Facts, in this view, are assertions about the world open to independent validation. They stand beyond the distorting influences of any individual's personal preferences. Values, in this view, are an individual's conscious or unconscious preferences for what the world should be; they are seen as ultimately subjective and so without legitimate claim on other people. The belief in objectivity is a faith in "facts", a distrust of "values", and a commitment to their segregation (Schudson, 1978 : 5-6).

Ajoutons que la plupart des chercheurs conçoivent l’objectivité comme une idée dont le sens a évolué dans le temps (Powers, 2009). Pour mieux comprendre l'origine de cette norme fondamentale qu'est l'objectivité pour le journalisme en Amérique du Nord, et plus spécifiquement pour le journalisme politique, il s'avère nécessaire de remonter au 19e siècle. À l'époque, les journaux sont pour la plupart contrôlés par les organisations politiques, les institutions religieuses ou les regroupements ouvriers. Graduellement, à partir des années 1830, avec l’urbanisation, l’alphabétisation et l’évolution des techniques d’impression qui permettent de réduire le coût des journaux, un nouveau type de journal fait son apparition : la penny press, ou presse à un sou. En s’appuyant sur un prix de vente faible, un tirage plus important et des revenus de publicité accrus, le journal prend ses distances du politique et du religieux, pour devenir non partisan. L’expressivité du discours cède peu à peu sa place à un idéal d’objectivité, plus susceptible de faire consensus chez un grand bassin de lecteurs et donc, d’être rentable (Schudson, 1978).

Au tournant du 20e siècle, les pratiques et les normes du journalisme s’institutionnalisent. En Amérique du Nord, la tendance à se distancier des partis politiques et à séparer l'opinion des faits, laquelle se matérialise à travers des tâches

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distinctes — celle de chroniqueur ou d'éditorialiste et celle de reporter — se systématisera graduellement (Schudson, 2001). Ce détachement du politique contribue aussi à créer parmi les journalistes l’idée du « public » et du « bien public » dont ils seront les serviteurs, des idées parentes avec celle de la capacité humaine à raisonner (Powers, 2009). Cette transformation du journalisme est non seulement liée à une multitude de facteurs technologiques, économiques et sociaux, elle s'inscrit également dans une tendance plus large vers le développement et la valorisation de la connaissance scientifique dans la société.

In their allegiance to facts, reporters of the late nineteenth century breathed the same air that conditioned the rise of the expert in politics, the development of scientific management in industry, the triumph of realism in literature, and the "revolt against formalism" in philosophy, the social sciences, history and law (Schudson, 1978 : 71).

Toutefois, Schudson observe que, dès les années 1920, les journalistes américains commencent à douter de leur capacité à comprendre les faits en eux-mêmes et à appréhender parfaitement la réalité. Leur expérience de la propagande durant la Première Guerre mondiale et le développement des relations publiques les incitent à s’interroger sur les représentations du monde qui leur sont offertes. Comme le résume Schudson, « [i]n such a world, naive empiricism could not last » (Schudson, 1978 : 6). La communauté journalistique forgera graduellement des règles et des procédures qui lui permettront de remettre en question les faits et de valider des propositions portant sur la réalité.

En ce sens, l'objectivité deviendra pour le journalisme un idéal. À cet idéal, se rattacheront les notions d'exactitude, d'équité, d'honnêteté et d'impartialité (Bennett, 2012; Langlois et Sauvageau, 1982). Ces notions se traduisent dans le recours à des techniques discursives particulières : « utiliser le mode indicatif, les formules interpersonnelles et les catégories de sens commun, éviter les connotations et le vocabulaire chargé de valeurs, citer les sources, présenter les points de vue opposés de manière équilibrée, montrer les lieux et les acteurs à l'écran, faire entendre les voix à la radio, etc. » (Charron, 1994 : 195). Ces notions s'incarnent aussi à travers des relations

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établies avec les sources d'information, au sein desquelles sont privilégiées les paroles « autorisées et respectables » (Charron, 1994 : 196). Comme le résume Gans (1979 : 131), « [a]ll things being equal, journalists prefer to resort to sources in official positions of authority and responsibility. They are assumed to be more trustworthy if only because they cannot afford to lie openly; they are also more persuasive because their facts and opinions are official ».

1.7.2 Objectivité, subjectivité et expertise critique

Pour les journalistes politiques, cette dépendance à l’égard des sources autorisées se révèle difficilement compatible avec une autre valeur fondamentale à leurs yeux : l'autonomie (Charron, 1994 : 28). Graduellement, la recherche de l'autonomie se traduira par une distance critique par rapport aux autorités politiques. Non seulement le journaliste est-il méfiant à l'égard des détenteurs du pouvoir susceptibles d'utiliser leurs ressources pour leur propre bénéfice; il se réclame aussi d'une certaine responsabilité sociale vis-à-vis des publics. En vertu de cette logique, la presse — en régime démocratique — serait investie d'une mission de surveillance des autorités politiques. Sur le plan du discours, à la « rhétorique de l'objectivité » adoptée par les journalistes se combine une « rhétorique de l'expertise critique », plus analytique19, qui vise à dévoiler des éléments cachés de stratégie politique (Charron, 1994 : 198-200; Neveu, 2002 : 31).

Ainsi, Larry Sabato (1991) examine les relations entre la presse politique et les politiciens à partir de la Seconde Guerre mondiale aux États-Unis. Il soutient que la pratique a évolué, passant d'un journalisme de « complaisance » très fidèle aux institutions (lapdog journalism), au début des années 1940, à un journalisme de surveillance (watchdog journalism), au milieu des années 1960. Cette période sera marquée à la fois par la couverture de la guerre du Viêtnam, ainsi que par le scandale du Watergate, devenu un emblème du journalisme d'enquête. Dans les années 1970, cette vigilance journalistique se transformera en défiance. Le journalisme de « surveillance »

19 « L'expertise critique se distingue du journalisme d'opinion dans la mesure où celui-ci tire sa légitimité du principe de la concurrence des idées, de la confirmation des valeurs, alors que l'expertise critique tire sa légitimité de la compétence technique et de l'argumentation logique » (Charron, 1994 : 200). 48

cédera sa place au journalisme de « confrontation » : « political reporters have engaged in what I would term ''junkyard-dog'' journalism - political reporting that is often harsh, aggressive, and intrusive, where feeding frenzies20 flourish and gossip reaches print » (Sabato, 1991 : 26). David Taras pose un diagnostic assez semblable en soulignant l'émergence d'une éthique du « journalisme critique » au Canada à partir des années 1960 : « [j]ournalists have moved from being the hand maidens of politicians to being their harshest critics » (1990 : 54).

En se faisant à la fois interprète, analyste et représentant du public, le journaliste ne se limite plus au rôle d'observateur, mais devient un participant au processus politique. Peu à peu, la narration des correspondants parlementaires — dont certains sont devenus des célébrités grâce à la télévision — domine la nouvelle (May, 2009). Dans une étude phare sur les reportages télévisés portant sur les campagnes présidentielles aux États- Unis, Daniel Hallin (1992) montre que la durée moyenne des extraits sonores réservés aux politiciens est passée de 43 secondes en 1968 à 9 secondes en 1988, alors que la durée moyenne des interventions des journalistes augmente.

Not only are speeches and other statements chopped into brief sound bites, but visuals, including both film and graphics, are used much more extensively. Journalists use outside material, information brought in at the initiative of the journalist rather than offered by the candidates, to put the statements and actions of the latter into perspective (Hallin, 1992 : 10).

L'information politique est centrée davantage sur le journaliste (Hallin, 1992). Cette tendance est non seulement perceptible à la télévision, mais également dans la presse écrite, comme le révèle Jean Charron (2006), dans une étude sur les modalités de la citation dans des articles de nouvelles politiques, publiés dans les quotidiens La Presse et Le Devoir entre 1945 et 1995. Son analyse montre que le nombre de mots issus de discours rapportés — et particulièrement de citations en style direct — a généralement

20 Sabato baptise « feeding frenzy » un type de couverture journalistique durant laquelle une masse critique de journalistes traitent d'un sujet à scandale, de façon continue, excessive, voire frénétique : « [i]t has become a spectacle without equal in modern American politics: the news media, print and broadcast, go after a wounded politician like sharks in a feeding frenzy » (Sabato, 1991 : 1).

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tendance à décroître, la longueur des citations diminuant de façon importante à partir des années 1960. Selon Charron, ce changement s'explique en partie par la volonté « d'insuffler à l'écriture journalistique plus de mordant » (2006 : 157). Il ajoute que la fonction des citations change également, les journalistes adoptant une certaine distance face au discours politique qu'ils traitent comme un matériau mis au service du discours journalistique.

Les journalistes prennent progressivement le contrôle du discours de presse sur le plan énonciatif — au sens où ce sont eux qui parlent — et s'y affirment comme des experts, des analystes et des critiques, aptes (au sens où ils en ont les capacités intellectuelles) et compétents (au sens où le public reconnaît que cela relève dorénavant de leur « juridiction » professionnelle) à exercer plus ouvertement et plus radicalement une autorité professionnelle dans la mise en scène et l'interprétation des discours des acteurs politiques (Charron, 2006 : 180).

En somme, l'idéal d'objectivité, une norme centrale dans la production de l'information journalistique, n'est pas un fondement absolu, mais plutôt une conception de la production de la connaissance qui s'incarne dans la pratique et qui a évolué depuis son apparition au sein de la profession. En dernière analyse, nous ajouterons que, bien que la norme d'objectivité soit demeurée un principe clé du journalisme nord-américain durant plus d'un siècle, la subjectivité a aussi été explicitement privilégiée par certains courants journalistiques comme le nouveau journalisme et le journalisme civique, et ce, dans une volonté de mieux rejoindre le public (Wahl-Jorgensen, 2013 : 305).

1.7.3 L’objectivité journalistique aujourd’hui

Qu’en est-il de l’objectivité dans la pratique contemporaine du journalisme politique en ligne et sur les réseaux socionumériques? Déjà au début des années 2000 sur les blogues des grands médias américains, il était possible d’observer une tension entre la norme traditionnelle d’objectivité et la culture plus expressive, personnalisée et interactive des plateformes numériques (Singer, 2005). Puis, l’intégration dans les routines journalistiques de Twitter et de Facebook a renouvelé le débat (Hermida, 2012c). Le caractère instantané des communications sur ces plateformes encourage les usagers à

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faire preuve d’une certaine spontanéité (Elmer, 2013). Contrairement aux blogues journalistiques qui sont le plus souvent intégrés aux sites web des organisations médiatiques et assujettis aux mêmes standards, la publication sur les réseaux socionumériques donne une plus grande liberté aux journalistes (Hermida, 2012c). Les réseaux socionumériques favorisent aussi la création d’une identité en ligne (Cardon, 2008). Enfin, ils facilitent un contact plus personnalisé entre les journalistes et leurs publics (Bruns, 2012).

Plusieurs recherches empiriques suggèrent que les journalistes pourraient être amenés à adapter leur pratique pour tenir compte de ces caractéristiques. Dans son étude des blogues politiques américains, Singer (2005) note une présence importante d’opinion, un constat toutefois plus marqué chez les chroniqueurs que chez les reporters politiques. Lasorsa, Lewis et Holton (2012) arrivent à un constat semblable à la suite d’une analyse de contenu quantitative des tweets publiés par les 430 journalistes américains les plus suivis sur le site de microblogage; toutefois, dans ce cas-ci, la différence entre les discours des chroniqueurs et ceux des reporters n’apparaît pas aussi claire. De leur côté, à la suite d’une analyse de contenu quantitative, Lawrence et ses collaborateurs (2014) concluent que les journalistes politiques qui couvrent les conventions démocrates et républicaines émettent plus librement leur opinion sur Twitter que ce qui aurait été normalement possible dans leur média premier. Les reporters nationaux qui travaillent pour des chaînes de télévision spécialisées (cable news) seraient les plus enclins à adopter cette tendance. Leur analyse montre que les opinions émises par les journalistes politiques portent davantage sur certaines caractéristiques personnelles des candidats que sur des enjeux de politiques publiques.

Cependant, des études qui s’appuient sur des entretiens ou des enquêtes par sondage indiquent un attachement important des journalistes politiques à la norme de l’objectivité, que ce soit aux États-Unis (Parmelee, 2013b) ou en Norvège, où Rogstad (2014) note une différence entre l’usage que font les chroniqueurs et les reporters de Twitter. Elle souligne que contrairement aux chroniqueurs, peu de reporters politiques

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sont à l’aise avec l’idée d’émettre leur opinion, ou encore avec celle d’amalgamer les sphères personnelles et professionnelles en ligne.

Par ailleurs, des travaux récents indiquent aussi que les journalistes dévient de la norme d’objectivité en intégrant l’humour à leurs pratiques sur les réseaux socionumériques. À la suite d’une analyse de contenu quantitative des messages publiés par des journalistes américains sur Twitter, Holton et Lewis (2011 : 12) concluent qu’à partir du moment où les journalistes plongent dans la culture du site de microblogage, ils sont plus enclins à s’éloigner du sérieux de leur rôle traditionnel, adoptant le ton plus informel et le caractère interpersonnel des communications sur le réseau. De façon plus précise, leurs résultats indiquent que l’usage de l’humour chez les journalistes est associé au dialogue, ainsi qu’au partage d’opinions et de détails sur leur vie personnelle. Plus un journaliste est actif sur Twitter, plus il serait susceptible de modifier sa pratique en ce sens. De leur côté, Mourão et ses collègues (2016) observent aussi un recours très fréquent à l’humour par les journalistes sur Twitter. En étudiant les tweets de 430 journalistes politiques américains durant le débat à la présidentielle de 2012, leur analyse montre que bien que les politiciens soient parfois l’objet de blagues, les journalistes politiques évitent d’utiliser l’humour à des fins critiques ou satiriques.

En somme, la recherche récente indique que les journalistes seraient susceptibles de redéfinir leur rapport à la norme traditionnelle d’objectivité sur les réseaux socionumériques, en partageant leur opinion ou des propos à teneur humoristique. Toutefois, certaines études qui traitent plus spécifiquement des journalistes politiques indiquent une différenciation entre le comportement des chroniqueurs et des reporters en ce qui a trait à la diffusion d’opinions (Singer, 2005; Rogstad, 2014). Aussi, les conclusions des études qui s’appuient sur l’entretien et l’enquête par sondage (Parmelee, 2013b; Rogstad, 2014) diffèrent de celles qui s’appuient sur l’analyse de contenu, les premières indiquant un attachement à la norme d’objectivité chez les reporters politiques, alors que les secondes suggèrent une prise de distance par rapport à cette norme dans la pratique (Lawrence et al., 2014; Mourão et al., 2016), ce qui suggère un certain décalage entre le discours normatif et la pratique.

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À nouveau, nous n’avons recensé que très peu d’études sur ces questions qui s’attardent spécifiquement au journalisme politique, à l’extérieur des États-Unis et du contexte des campagnes électorales. Comme le soulignent Mourão et ses collègues (2016), il serait pertinent d’examiner la pratique routinière du journalisme politique, à l’extérieur de périodes marquées par des événements politiques au caractère exceptionnel comme les débats télévisés au cours d’élections présidentielles. Par ailleurs, la plupart des études recensées ne nous donnent que très peu d’information sur les motivations qui expliquent ces comportements émergents des journalistes sur les réseaux socionumériques. En somme, comme le résume Hermida (2012c : 322) : [f]urther research into the use of social media by journalists will assist in understanding how far they are adapting it to fit traditional professional norms and practices, and how far it is changing those norms and practices ».

1.8 L’autopromotion

Tel qu’évoqué précédemment, l’environnement numérique contemporain contribue à transformer la relation entre les journalistes et leurs publics. Durant la dernière décennie, les journalistes ont dû s’adapter à des innovations technologiques qui permettent la création d’une identité individuelle en ligne et facilitent l’interaction avec un public plus engagé (Bruns, 2012). Les différentes plateformes numériques fournissent aussi aux journalistes la capacité de partager directement du contenu avec leurs publics, de développer une image de marque (Hedman et Djerf-Pierre, 2013; Molyneux, 2015) et d’utiliser des outils de mesure d’audience en ligne (Anderson, 2011; MacGregor, 2007; Usher, 2013). Parallèlement, depuis trois décennies, la compétition s’intensifie dans l’industrie médiatique pour attitrer une audience de plus en plus fragmentée (Brin et al., 2004). Selon McManus (2009), aux États-Unis, cette intensification de la compétition, exacerbée par l’avènement d’internet, a contribué à une plus grande commercialisation des médias et de l’information. Ce phénomène se traduirait par une prédominance des logiques axées sur le profit au détriment des logiques professionnelles visant à maximiser la compréhension des enjeux et des événements par le public. Ces dynamiques aux

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ressorts économiques et technologiques amènent aujourd’hui les chercheurs à se questionner sur l’importance que prennent les considérations commerciales dans les routines journalistiques (Coddington, 2015). Dans la présente étude, nous nous intéresserons plus spécifiquement aux pratiques d’autopromotion que sont susceptibles de développer les journalistes professionnels, tant sur le plan individuel qu’organisationnel (Molyneux et Holton, 2015), des pratiques qui constitueraient une brèche dans le « mur » traditionnellement érigé entre les fonctions informationnelles et commerciales des médias.

1.8.1 Le « mur » entre l’information et les intérêts commerciaux

L’indépendance par rapport aux pressions commerciales est une valeur fondamentale du journalisme professionnel. La frontière entre la fonction journalistique et la fonction commerciale des médias a été modelée par une rhétorique professionnelle visant à préserver l’autonomie éditoriale sur la prise de décision en matière d’information. Cette frontière s’est matérialisée dans la structure des organisations médiatiques, les services d’information et des ventes travaillant indépendamment les uns des autres. L’autonomie rédactionnelle comme valeur est intimement liée à la crédibilité de la profession qui repose en grande partie sur le principe de loyauté envers les citoyens (Kovach et Rosenstiel, 2007). Comme le souligne Coddington (2015 : 67), « [the] wall, between the journalistic and business-oriented functions of a news organization, is one of the foremost professional markers of journalism, a principle that is reinforced most strongly in the central sites of its socialization – journalism schools, textbooks and reviews, not to mention thousands of newsrooms large and small ». Suivant cette conception, le devoir des journalistes consiste à servir l’intérêt public en informant les citoyens, en présentant des faits et des analyses équilibrées de l’actualité. À l’opposé, le marketing a pour objectif d’étudier les préférences et les comportements des consommateurs, de développer l’image de marque d’une entreprise et d’accroître sa visibilité afin de générer des ventes et des profits. En somme, alors que la fonction première du journalisme est d’informer, celle du marketing est de promouvoir et de convaincre (Geana, 2009).

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Cependant, depuis les années 1980 et 1990, avec l’arrivée de la télévision par câble, des chaînes d’information en continu, puis d’internet, les chercheurs ont identifié une tendance à la commercialisation croissante des médias d’information (Brin et al., 2004; Siegert et al., 2011; Underwood, 2001; McManus, 2009). Les considérations commerciales semblent avoir gagné en importance dans le travail quotidien des organisations journalistiques professionnelles. Les préférences imaginées du public contribuent à modeler l’ordre du jour et les discours journalistiques (Reinemann and Baugut 2014). Les préoccupations liées à la commercialisation ne sont pas nouvelles dans la sphère médiatique, mais selon Coddington (2015 : 70), la différence qui semble caractériser les changements en cours est l’importance de la pression ressentie par les journalistes qui perçoivent un mouvement significatif vers des principes à teneur économiques, s’éloignant du même coup des valeurs professionnelles traditionnelles du journalisme.

1.8.2 Où est le public?

Durant les dernières décennies, les médias de masse ont fait face à des changements technologiques rapides et des baisses de revenus dramatiques. Ces transformations ont contribué à mettre la profession sous pression. La consommation des médias a graduellement et partiellement migré vers des plateformes centrées sur l’utilisateur incluant les moteurs de recherche et les réseaux socionumériques (Charlton et al., 2016; Newman et al., 2015). Selon une vaste enquête du Reuters Institute menée auprès de 50 000 répondants dans 26 pays incluant les États-Unis, la France, le Brésil et le Canada, plus de la moitié de l'échantillon étudié consomme des contenus sur les médias sociaux chaque semaine pour s’informer sur l’actualité (Newman et al., 2016).

Dans ce contexte, les organisations médiatiques tentent activement de rejoindre ce public jeune sur les plateformes numériques. Toutefois, la logique des réseaux socionumériques diffère largement de celle des médias traditionnels, s’apparentant à ce que Manuel Castells désigne comme de la mass-self communication: “self-generated in

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content, self-directed in emission, and self-selected in reception by many that communicate with many” (Castells, 2007 : 248). Grâce à leur compte individuel sur ces réseaux, les journalistes peuvent communiquer directement et même établir une forme de contact émotif avec leur public. Dans une perspective managériale, cela signifie aussi que les journalistes, en tant qu’individus, peuvent agir comme ambassadeurs de l’image de marque de leur organisation. Par exemple, dans son étude ethnographique menée au New York Times, Nikki Usher (2014 : 189-194) a observé que la direction du Times comptait sur l’image et la notoriété individuelle des journalistes pour générer du trafic sur le site. Axel Bruns (2012) suggère de son côté que les journalistes sont souvent dans une meilleure position que leur organisation pour rejoindre le public sur les médias sociaux, ceux-ci jouissant parfois d’une notoriété supérieure à celle de leur organisation.

1.8.3 L’autopromotion chez les journalistes

Durant les deux dernières décennies, la recherche empirique portant sur le développement d’une image de marque (branding) et l’autopromotion dans la sphère journalistique s’est principalement attardée à la gestion des organisations (Chan-Olmsted et Kim, 2001). Des travaux ont montré que les organisations médiatiques utilisaient l’internet et les réseaux socionumériques à des fins promotionnelles (Abelman, 2005; Greer et Ferguson, 2011; Lin et Peña, 2001). Plus récemment, un petit nombre d’études ont suggéré que les journalistes utilisaient les réseaux socionumériques, et plus spécifiquement Twitter, à des fins d’autopromotion. Dans une étude exploratoire s’appuyant sur sept entrevues avec des chroniqueurs et des journalistes politiques, Mathys (2012 : 107-108) mentionne que les médias sociaux sont utilisés pour diffuser le travail des journalistes, notamment leur blogue ou leurs reportages, ou pour créer une identité personnelle en ligne. Par le truchement d’une enquête par sondage réalisée auprès de la moitié des 241 membres en poste de la Tribune de la presse norvégienne, Rogstad (2014) révèle que certains journalistes politiques, particulièrement les grands utilisateurs des médias sociaux, se servent de Twitter à des fins d’autopromotion et de visibilité. Dans une analyse de contenu qualitative, Molyneux (2015) observe que les journalistes qui ont couvert la campagne présidentielle américaine de 2012 ont utilisé Twitter pour

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développer une image de marque personnelle ou pour faire la promotion du travail d’autres journalistes de leur organisation en utilisant les hyperliens ou le partage (retweet), une pratique également répertoriée par Usher dans son ethnographie au New York Times (2014). Cependant, les chercheurs soulignent aussi la présence d’incertitudes et de questionnements éthiques chez les journalistes à l’égard de ces pratiques émergentes. Comme le remarquent Molyneux et Holton (2015), les journalistes sont susceptibles de ressentir une tension entre leur volonté d’incorporer une certaine dose d’autopromotion dans leur pratique sur les réseaux socionumériques, afin d’augmenter leur visibilité et leur valeur sur le marché, et leur obligation de préserver les valeurs fondamentales de la profession.

Or, malgré la présence de préoccupations liées à l’effacement des frontières entre les logiques de production de l’information et les logiques commerciales, les études empiriques sur ce sujet sont rares (Coddington, 2015). Nous ajouterons que ces études n’analysent que rarement les pratiques et les normes journalistiques. Enfin, lorsque c’est le cas, ces études se limitent la plupart du temps à des mesures autorapportées comme les enquêtes par sondage et les entrevues. Ces techniques, sujettes à des biais de désirabilité sociale et aux limites de la mémoire humaine, bénéficieraient d’être jumelées avec d’autres techniques comme l’analyse de contenu ou l’observation directe.

1.9 Synthèse et questions de recherche

À travers cet état de la question, nous avons observé deux grandes tendances dans la littérature consacrée à l’usage que font les journalistes, et plus spécifiquement les journalistes politiques, de l’internet et des réseaux socionumériques.

D’une part, les études font état d’une « normalisation » de la pratique, c’est-à-dire d’une propension des journalistes à transposer leurs pratiques et leurs normes traditionnelles en ligne (Singer, 2005). Ainsi, la plupart opteraient pour un usage sélectif des réseaux socionumériques, s’en servant surtout pour surveiller l’actualité et ne participant qu’assez peu à la création de contenus en ligne (Hedman et Djerf-Pierre,

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2013). Plusieurs journalistes tenteraient aussi de conserver leur rôle de gatekeeper en maintenant le contrôle sur la sélection de l’information, en rediffusant des contenus principalement émis par d’autres journalistes et en évitant l’interaction avec le public (Lawrence et al., 2014). Plusieurs ne manifesteraient que peu de transparence à l’égard du public (idem). Les journalistes auraient aussi tendance à utiliser Twitter pour communiquer de l’information politique en temps réel; cependant, ces mêmes journalistes ne semblent pas profiter du potentiel qu’offre la plateforme pour valider ou infirmer rapidement les assertions faites par les élus, reprenant souvent textuellement leurs propos (Coddington et al., 2014).

D’autre part, plusieurs de ces études relatent aussi l’hétérogénéité et l’hybridité des logiques à l’œuvre. Des journalistes politiques prennent le temps de partager leur expérience de travail, en fournissant un accès aux coulisses du pouvoir à leurs abonnés (Chadwick, 2013; Lawrence et al., 2014). Certains journalistes utilisent également les réseaux socionumériques pour faire du réseautage, collaborer avec d’autres usagers et développer une image de marque (Hedman et Djerf-Pierre, 2013). Le caractère plus informel des communications sur ces plateformes amènerait aussi certains journalistes à recourir à l’humour ou à partager leur opinion en ligne, s’éloignant ainsi de l’idéal de l’objectivité central à la profession (Holton et Lewis, 2011; Molyneux, 2015). Des travaux émergents suggèrent aussi que des journalistes utilisent les réseaux socionumériques à des fins promotionnelles (Molyneux, 2015; Molyneux et Holton, 2015). En ce sens, la pratique journalistique sur les réseaux socionumériques ne semble pas uniforme, ni fixée, au sein des différentes communautés journalistiques étudiées.

Ceci étant dit, plusieurs zones d’ombre persistent. La recherche portant sur la diffusion de l’information politique en temps réel sur les réseaux socionumériques a surtout été réalisée durant les débats électoraux (Coddington et al., 2014; Elmer, 2013; Holton et Lewis, 2011; Mourão et al., 2016). Il nous semble que ces dynamiques ne peuvent pas automatiquement être généralisées à la pratique « ordinaire » du journalisme politique. Par ailleurs, la plupart de ces recherches sont menées a posteriori. Or, tout comme le suggère Elmer (2013), nous estimons fondamental de développer des outils

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pour étudier ces phénomènes communicationnels durant leur déploiement, en temps réel, afin de tenir compte du contexte dans lequel les messages sont communiqués.

Enfin, à quelques exceptions près (voir notamment Hedman et Djerf-Pierre, 2013), la recherche ne nous informe que très peu sur les motivations qui sous-tendent les usages journalistiques des réseaux socionumériques. Quelles sont les raisons qui amènent les journalistes à choisir une trajectoire plutôt qu’une autre? De quelle manière ces usages et ces motivations influencent-ils les normes du journalisme politique? Ces questions nous apparaissent fondamentales.

L’approche théorique du système médiatique hybride (Chadwick, 2013), nous servira de guide pour analyser l’usage que font les journalismes politiques des réseaux socionumériques. Cette approche permet d’appréhender l’évolution de la pratique journalistique dans son rapport à la technologie, au temps, aux sources d’information et aux publics, en tenant compte de la manière dont les nouvelles pratiques assimilent des logiques traditionnelles et la manière dont les pratiques médiatiques traditionnelles incorporent des logiques émergentes. Aussi, nous adopterons une approche centrée sur la pratique des journalistes politiques. Notre recherche visera à décrire quels usages font les journalistes politiques des réseaux socionumériques, à expliquer quelles motivations sous-tendent ces usages et, à travers la perception des journalistes, à évaluer comment ces usages et ces motivations influencent les normes du journalisme politique. Aussi, nous formulerons les questions spécifiques suivantes :

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Q1. Quels usages font les journalistes politiques de Q2. Quelles Q3. Comment l’internet et des réseaux socionumériques dans leur motivations ces usages et pratique professionnelle? sous-tendent ces motivations ces usages? influencent-ils De manière plus spécifique, comment et dans quelle les normes du mesure les journalistes politiques utilisent-ils les journalisme réseaux socionumériques : politique?

 Q1.1 pour communiquer de l’information en temps réel?

 Q1.2 pour rapporter en temps réel les propos émis par un politicien ?

 Q1.3 pour contre-vérifier les propos émis par un politicien ?

 Q1.4 pour recueillir de l’information auprès de leurs abonnés ?

 Q1.5 pour partager leur rôle de gatekeeper en rediffusant des contenus émis par d’autres usagers? De quel type d’usager parle-t-on?

 Q1.6 pour dialoguer? Avec quel type d’usager?

 Q1.7 pour communiquer en faisant preuve de transparence?

 Q1.8 pour diffuser leur opinion sur ces plateformes?

 Q1.9pour diffuser des messages à teneur humoristique?

 Q1.10 pour promouvoir leur organisation ou faire de l'autopromotion?

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Chapitre 2. Méthodologie

Les objectifs de notre étude consistent donc à décrire les usages que font les journalistes politiques de l’internet et des réseaux socionumériques, à expliquer quelles motivations sous-tendent ces usages et, à travers la perception des journalistes, à évaluer la manière dont ces usages et ces motivations influencent les normes du journalisme politique.

Premièrement, nous croyons pertinent de documenter une pratique émergente, au moment même où celle-ci se développe. Cette démarche permet de repérer les éléments issus de pratiques préexistantes – les formats, les routines ou les objectifs des acteurs – qui contribuent à façonner les nouvelles façons de faire, alors que ceux-ci sont encore bien visibles (Manovich, 2001 : 6-8). Deuxièmement, il nous semble fondamental non seulement de décrire de manière systématique les usages que font les journalistes des réseaux socionumériques, mais aussi d’expliquer ces usages, en cernant les motivations qui les sous-tendent. Par « motivations », nous entendons ici les raisons de l’action (Finlay et Schroeder, 2012). En ce sens, notre démarche explicative visera non pas à quantifier la relation entre des variables, mais plutôt à analyser les processus impliqués dans les actions liées à la pratique. Comme le résume Salmon : « explanatory knowledge opens up the black boxes of nature to reveal their inner workings. It exhibits the ways in which the things we want to explain come about » (Salmon, 1989 : 182; cité dans Maxwell, 2012 : 35) 21. Enfin, il nous apparaît pertinent de rendre compte de la manière dont ces usages et ces motivations influencent les normes du journalisme politique. Nous entendons par « normes » les règles et les coutumes qui spécifient ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas dans un groupe d’acteurs (Bicchieri et Muldoon, 2012). Aussi, la prise en compte de la perspective des praticiens nous apparaît essentielle pour rendre compte de cette évolution possible des normes du journalisme politique.

21 Notre démarche s’apparente également à celle mise de l’avant par Miles et Huberman (1994 : 4) : « our explanations flow from an account of how differing structures produced the events we observed. We aim to account for events, rather than simply to document their sequence. We look for an individual or a social process, a mechanism, a structure at the core of events that can be captured to provide a causal description of the forces at work ». 61

Atteindre ces objectifs, tout en tenant compte du caractère dynamique et fluide des communications sur les réseaux socionumériques, représente un défi sur le plan méthodologique. En ce sens, nous avons choisi un devis méthodologique flexible, qui s’appuie sur une étude de cas. Notre approche générale s’inscrit dans un raisonnement inductif, au sens où l’entendent Gingras et Côté, c’est-à-dire qui « prend racine dans les cas particuliers et aboutit à des généralisations dont on peut évaluer la vraisemblance (mais non la certitude) par la confrontation à d’autres cas particuliers » (2010 : 28). Toutefois, notre approche n’est pas purement inductive, car elle est ancrée dans un corpus théorique et empirique préexistant. Comme nous l’avons mentionné au chapitre précédent, notre démarche s’inscrit dans une perspective de recherche qui met l’accent sur l’hybridité du système médiatique (Chadwick, 2013) et sur l’usage des technologies dans la pratique du journalisme contemporain. Nos questions de recherche spécifiques sont construites à partir de la littérature récente sur l’usage que font les journalistes de l’internet et des réseaux socionumériques (notamment Hermida, 2013; Karlsson, 2011; Lasorsa, Lewis et Holton, 2012; Lawrence et al., 2014; Molyneux et Holton, 2015; Singer, 2005; 2006; 2007; 2010; Singer et al. 2011). Aussi, comme nous le verrons plus en détail dans ce chapitre, certaines questions spécifiques ont été ajoutées au fil de l’enquête, en fonction des observations réalisées sur le terrain. De même, durant la phase d’analyse des données, certains thèmes ont été construits autour de la littérature existante, alors que d’autres ont émergé à la suite de la prise en compte des données provenant du terrain. Ainsi, notre démarche de collecte et d’analyse de données procède d’une combinaison de déduction et d’induction (Miles et Huberman, 1994).

Dans ce chapitre, nous décrirons la méthodologie employée dans le cadre de la thèse. Dans un premier temps, nous nous pencherons sur le raisonnement qui sous-tend le recours à l’étude de cas et aux méthodes mixtes pour répondre à nos questions de recherche, puis nous définirons le cas à l’étude. Nous brosserons ensuite un portrait général de notre devis de recherche. Enfin, nous décrirons chacune des méthodes de collecte et d’analyse des données auxquelles nous avons eu recours. Nous conclurons ce chapitre en évoquant les forces et les limites de notre démarche.

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2.1 L’étude de cas

Comme le résume Robert E. Stake (2008 : 119), l’étude de cas n’est pas tant un choix de méthode qu’une décision portant sur ce qui doit être étudié; les méthodes utilisées peuvent varier, mais l’analyse repose sur l’étude d’un cas en particulier. Nous l’évoquions précédemment, nous souhaitons décrire et expliquer une pratique, celle des journalistes de la Tribune de la presse du Parlement de Québec en ligne et sur les réseaux socionumériques, en plus de rendre compte de l’évolution des normes liées à cette pratique. Atteindre ces objectifs nécessite une démarche d’analyse qui tient compte non seulement du phénomène à l’étude, mais également de son contexte. En ce sens, le choix de l’étude de cas découle de cette volonté d’étudier en profondeur une pratique dans son contexte réel (Yin, 2012; 2014).

A case study is an empirical inquiry that investigates a contemporary phenomenon in depth and within its real-life context, especially when the boundaries between phenomenon and context are not clearly evident (Yin, 2014 : 16).

L’étude de cas peut donc être définie comme l’examen détaillé d’une entité définie, sur une période de temps prolongée, en ayant recours à une variété de méthodes (Creswell, 1994, dans Blaikie, 2010 : 188). Le cas est considéré comme l’unité d’analyse principale de l’étude. Notons cependant qu’un cas puisse être constitué de plusieurs « sous-cas » (Yin, 2012 : 7-8); dans le cadre de cette étude, les pratiques des journalistes pris individuellement ou encore en fonction de l’organisation à laquelle ils appartiennent seront parfois comme considérés comme des sous-cas.

Nous concevons aussi le cas comme un système. En suivant la logique énoncée par Stake, nous nous intéresserons à la fois au système et à certains éléments externes qui contribuent à définir ses activités :

[i]t is common to recognize that certain features are within the system, within the boundaries of the case, and other features outside. In ways, the activity is patterned. Coherence and sequence are to be found. Some outside features are significant as context (Stake, 2008 : 120).

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Nous étudierons ici les activités d’un ensemble particulier d’individus – les journalistes de la Tribune de la presse du Parlement de Québec – tout en accordant une partie de notre attention au fonctionnement de leurs organisations médiatiques respectives, à leurs relations avec les politiciens et leurs publics et, de manière plus globale, au contexte économique et technologique en transformation dans lequel s’inscrivent leurs pratiques.

Notre démarche d’enquête, bien que centrée sur le cas à l’étude, est structurée en fonction de questions de recherche qui découlent de connaissances théoriques et empiriques existantes. Ces propositions guideront à la fois la collecte de données et l’analyse (Yin, 2014). Le cas sera analysé en profondeur, non seulement pour lui-même, mais aussi dans la perspective d’en tirer une analyse dont la portée est susceptible de dépasser ses bornes (Roy, 2003). L’étude de cas fait parfois l’objet de critiques concernant la validité externe des résultats. Toutefois, comme le souligne Yin (2014 : 40-41), une erreur commune consiste à considérer le cas comme un échantillon d’une population plus vaste et la généralisation statistique comme la manière de généraliser les résultats d’une étude de cas. Nous considérons plutôt que la validité externe de l’étude de cas repose sur une généralisation analytique (analytic generalization) : « the mode of generalization is analytic generalization, in which a previously developed theory is used as a template with which to compare the empirical results of the case study » (Yin, 2009 : 38). Le savoir acquis par le truchement de l’étude de cas peut ainsi devenir une hypothèse de travail qui permet d’enrichir ou de réinterpréter les connaissances existantes et d’orienter les recherches à venir.

Notre démarche d’enquête s’appuie sur plusieurs méthodes et plus précisément sur des méthodes mixtes. Ce processus vise à multiplier les

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perspectives sur un même objet de recherche afin de comparer les différentes observations et d’en clarifier le sens (Stake, 2008)22.

2.2 Une approche en méthodes mixtes

La recherche en méthodes mixtes a des implications sur les plans épistémologique et méthodologique. Sur le plan épistémologique, l’approche telle que nous la concevons est caractérisée par un certain pragmatisme. La démarche de recherche est d’abord axée sur le problème de recherche et les questions de recherche. En ce sens, le chercheur est libre d’utiliser les méthodes les plus susceptibles de résoudre le problème de recherche soulevé, combinant des chiffres et des mots, l’induction et la déduction, les connaissances objective et subjective, selon les questions soulevées (Creswell et Plano Clark, 2011). Sur le plan méthodologique, l’utilisation des méthodes mixtes implique la collecte et l’analyse de données quantitatives et qualitatives dans une seule et même étude ou dans une série d’études. Ce procédé s’appuie sur un postulat voulant qu’un meilleur résultat puisse être atteint en combinant dans un même devis de recherche les approches quantitatives et qualitatives, plutôt qu’en s’appuyant sur une seule des deux approches (Blaikie, 2010 : 219; Creswell et Plano Clark, 2011 : 5).

L’idée de combiner différentes méthodes dans la recherche en sciences sociales remonte à il y a plus d’un siècle. La sociologue et économiste Béatrice Webb explique comment les travaux pionniers de Charles Booth et de ses collaborateurs menés à Londres, à la fin du 19e siècle, montraient déjà une combinaison d’analyse quantitative et qualitative (Webb, 1948, dans Blaikie, 2010 : 219). Puis, certaines études de cas réalisées au Département de sociologie de l’Université de Chicago avant la Seconde Guerre mondiale combinaient des données quantitatives et qualitatives (Blaikie, 2010; Platt, 1994). Ceci étant dit, une bonne partie du 20e siècle a été marquée par des débats animés entre les tenants des approches quantitative et qualitative en sciences sociales (Blaikie, 2010).

22 « Triangulation has been generally considered a process of using multiple perceptions to clarify meaning, verifying the repeatability of an observation or interpretation. But acknowledging that no observations or interpretations are perfectly repeatable, triangulation serves also to clarify meaning by identifying different ways the case is being seen (Flick, 1998; Silverman, 1993) » (Stake, 2008: 133). 65

À partir des années 1960, des réflexions émergent autour de la notion de triangulation (Campbell et Fiske, 1959), stipulant que la combinaison des deux approches pourrait être fructueuse, notamment pour améliorer la validité de la recherche. Puis, autour des années 1980, les méthodes mixtes et leurs procédures se développent considérablement dans plusieurs disciplines axées sur la pratique, notamment les sciences infirmières, l’éducation, le management et l’évaluation (Creswell et Plano Clark, 2011). La recrudescence du recours aux méthodes mixtes dans des champs où les traditions de l’une ou de l’autre des méthodes étaient fortes a suscité une part de controverse (Lewis, 2010 : 62). Toutefois, comme le souligne Blaikie, ces controverses initiales tendent aujourd’hui à s’estomper, et ce pour plusieurs raisons :

[q]uantitative methods are no longer dominant; [q]ualitative methods have been developed and refined; [r]igid notions of objectivity and subjectivity have been challenged and modified; [s]ome of the challenges of postmodernism have been accepted as well as tempered (2010 : 223).

La recherche en méthodes mixtes permet dans un premier temps d’aider à résoudre un problème de recherche qui ne peut être résolu avec l’une ou l’autre des approches – quantitative ou qualitative – prises individuellement. Les méthodes mixtes favorisent aussi un regard plus approfondi sur un même problème de recherche. Enfin, les forces d’une méthode peuvent compenser en partie les faiblesses d’une autre (et vice- versa) (Creswell et Plano Clark, 2011). Par exemple, certains chercheurs soutiennent que les méthodes quantitatives comportent des limites lorsque vient le temps de bien comprendre le contexte au sein duquel s’inscrivent les discours, les comportements ou les échanges entre acteurs, sans compter le fait qu’elles ne permettent pas d’inclure directement la voix des participants. Les méthodes qualitatives peuvent remédier à ces faiblesses. En intégrant l’observation en contexte et la voix des participants dans le processus de recherche, les méthodes qualitatives ont aussi le potentiel d’améliorer la validité interne de la recherche, c’est-à-dire « la justesse et la pertinence du lien établi entre les observations empiriques et leur interprétation » (Laperrière, 2003 : 377). En contrepartie, les méthodes qualitatives sont parfois perçues comme imparfaites en raison

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de l’importance de l’interprétation du chercheur et de la présence inhérente de biais dans le processus de recherche, auxquelles s’ajoute l’impossibilité de généraliser les résultats de manière statistique. Les méthodes quantitatives peuvent contribuer à pallier ces limites. De manière générale, elles facilitent aussi la reproductibilité de la recherche. En somme, chacune des facettes d’un devis en méthodes mixtes est susceptible de fournir un apport en termes de validité et de fiabilité de la recherche.

2.3 La délimitation du cas à l’étude : les pratiques des journalistes de la Tribune de la presse

Dans le cadre de cette thèse, nous porterons notre regard sur les pratiques des journalistes politiques de la Tribune de la presse du Parlement de Québec. La Tribune de la presse est une société sans but lucratif qui regroupe des représentants de la plupart des grandes organisations médiatiques au Canada. Les membres de la Tribune sont affectés par leurs organisations respectives à la couverture quotidienne des travaux parlementaires. Ils s’intéressent aussi à l’ensemble des enjeux et des événements qui touchent les affaires du Parlement et du gouvernement, ainsi qu’à la vie des partis politiques (Charron et Saint-Pierre, 2012). À l’instar d’autres organisations semblables à travers le monde, les membres de la Tribune de la presse bénéficient d’une reconnaissance officielle des autorités parlementaires qui leur donnent un accès privilégié aux débats et aux élus. En raison de son caractère typique, nous croyons que ce groupe constitue un cas intéressant pour étudier la pratique des journalistes politiques en ligne et sur les réseaux socionumériques.

La présence de journalistes à l’Assemblée législative québécoise remonte à la fin du 18e siècle, soit aux débuts de nos institutions représentatives. Cependant, les journalistes parlementaires n’obtiendront une reconnaissance officielle de Québec qu’en 1871. La Tribune de la presse, que l’on appelle à l’époque la Galerie de la presse, devient alors une composante des institutions parlementaires (Saint-Pierre, 2007). Les autorités des deux Chambres laissent les journalistes gérer leur organisation; ces derniers se dotent d’une structure permanente et d’un conseil de direction (idem). Puis, en 1903, la notion de membre est précisée : « [l]es représentants dûment accrédités des journaux quotidiens

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de la province de Québec et de la capitale fédérale, un par journal, constituent la galerie des journalistes de la Législature de Québec » (Saint-Pierre, 2007 : 60). Ces derniers ont le privilège de circuler dans le Parlement, une fois leur accès contrôlé par le sergent d’armes. Une section leur est également désignée pour qu’ils puissent assister aux débats parlementaires. Enfin, en 1958, la Tribune de la presse obtient son statut juridique et se constitue en société sans but lucratif.

Pendant plusieurs décennies, seuls les journaux sont représentés au Parlement de Québec. Les agences de presse se joignent à la Tribune dans les années 1880 et la Presse canadienne y est représentée à partir de 1922. Les médias électroniques feront pour leur part une entrée tardive à l’Assemblée nationale, que l’on attribue à la méfiance du chef de l’Union nationale, Maurice Duplessis, envers ceux-ci et plus particulièrement envers Radio-Canada (Saint-Pierre, 2007). En 1959, quelques mois après le décès de Duplessis, la Tribune accueille successivement les premiers correspondants d’une station de radio et de télévision.

Aujourd’hui, la Tribune de la presse regroupe des représentants de plusieurs entreprises de presse québécoises et canadiennes, incluant des journalistes, des chroniqueurs, des réalisateurs, des techniciens et des recherchistes. Leurs bureaux sont situés à quelques pas de l’Hôtel du Parlement, dans un édifice appartenant à l’Assemblée nationale du Québec. Cette situation permet aux membres de la Tribune de travailler à proximité des élus et de leurs stratèges. La Tribune de la presse sélectionne et recommande l’accréditation de ses membres au président de l’Assemblée nationale; elle a aussi pour fonction de défendre leurs droits et leurs privilèges. L’accréditation donne aux membres de la Tribune un certain nombre de privilèges, notamment celui de prendre des notes dans la Salle de l’Assemblée nationale où se déroulent les débats parlementaires. Les membres bénéficient d’un service de messagerie et de documentation, ainsi que d’un accès aux édifices parlementaires.

En 2014, la Tribune de la presse regroupait 62 membres réguliers et 35 membres honoraires (selon la liste en vigueur au moment d’entreprendre le terrain de recherche).

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Les membres réguliers incluaient à la fois des journalistes, des techniciens, des réalisateurs et des recherchistes. Parmi ceux-ci, nous comptions 37 journalistes (en excluant les recherchistes). De plus, parmi les membres honoraires, nous avons recensé deux journalistes toujours actifs comme journalistes politiques. En somme, aux fins de la recherche, le nombre de journalistes politiques à l’étude a été ramené à 39. Parmi ce groupe de 39 journalistes politiques, environ la moitié œuvraient principalement pour les médias écrits (numériques et imprimés ou uniquement en ligne, selon les cas). Quatorze d’entre eux travaillaient principalement pour les médias électroniques (radio et/ou télévision, selon les cas). Enfin, cinq d’entre eux étaient employés par une agence de presse. Au moment de la collecte de données, les entreprises représentées au sein de la Tribune étaient Bell Média (CJAD et CTV), Gesca (La Presse et Le Soleil, depuis vendu au Groupe Capitales Médias), Québecor (Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec, QMI et TVA), le Huffington Post, La Presse canadienne, Postmedia (The Gazette), Shaw (Global) et la Société Radio-Canada (radio, télévision, internet; réseaux anglophone et francophone). La vaste majorité des journalistes oeuvraient pour un média francophone. Au début de notre cueillette, sept journalistes de la Tribune travaillaient pour un média anglophone, ce nombre passant à six à l’été 2014, à la suite de la retraite du journaliste du Globe and Mail. Enfin, notons que seulement 20 % des journalistes accrédités étaient des femmes.

2.4 Vue d’ensemble du devis de recherche

Dans le cadre de cette thèse, nous avons opté pour un devis en méthodes mixtes, combinant l’analyse de données quantitatives et qualitatives. D’une part, en nous appuyant principalement sur une analyse de contenu quantitative, nous décrirons de manière systématique quels usages font les journalistes politiques des réseaux socionumériques dans leur pratique professionnelle. De manière plus spécifique, nous nous attarderons à l’usage que font les journalistes du site de microblogage Twitter23. Nous chercherons à savoir dans quelle mesure les journalistes politiques utilisent cette plateforme :

23 Nous justifierons le choix de cette plateforme dans la prochaine section. 69

(Q1.1) pour communiquer de l’information en temps réel; (Q1.2) pour rapporter en temps réel les propos émis par un politicien ; (Q1.3) pour contre-vérifier les propos émis par un politicien ; (Q1.4) pour recueillir de l’information auprès d’autres usagers ; (Q1.5) pour rediffuser des contenus émis par d’autres usagers; (Q1.6) pour dialoguer avec différents types d’usagers; (Q.1.7) pour communiquer en faisant preuve de transparence envers leur public; (Q1.8) pour diffuser leur opinion ; (Q1.9) pour diffuser des messages à teneur humoristique; (Q1.10) pour promouvoir leur organisation ou faire de l'autopromotion.

L'analyse de contenu présente un grand intérêt en raison de son caractère « transparent », les discours des journalistes n'étant pas affectés par la présence de l'analyste (de Bonville, 2006). Cependant, cette méthode comporte aussi des limites. Certaines activités sont moins susceptibles de laisser des traces en ligne, notamment les activités liées à la collecte d’information. De plus, l'analyse de contenu ne permet pas de comprendre pleinement le sens que donnent les individus à leurs actions. Pour remédier à ces lacunes, nous avons procédé à une série d’entretiens semi-dirigés avec 28 journalistes membres de la Tribune de la presse. Ces entrevues complémenteront l’analyse de contenu, contribuant ainsi à bonifier la description des usages que font les journalistes politiques de l’internet et des réseaux socionumériques.

D’autre part, en nous appuyant sur ces entretiens semi-dirigés, nous tenterons de cerner les motivations qui sous-tendent les usages des réseaux socionumériques. Enfin, nous évaluerons, à travers la perception des journalistes, comment ces usages et ces motivations contribuent à influencer les normes du journalisme politique. Le tableau 2.1 illustre les différentes phases du devis et leur arrimage avec les trois objectifs de recherches et les questions spécifiques.

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Tableau 2.1 Devis de recherche Techniques de collecte de données Analyse de contenu et entretiens semi-dirigés Entretiens semi-dirigés

Q1. Quels usages font les journalistes politiques de Q2. Quelles Q3. Comment ces l’internet et des réseaux socionumériques dans leur motivations usages et ces pratique professionnelle? sous- motivations tendent ces influencent-ils De manière plus spécifique, comment et dans quelle usages? les normes du mesure les journalistes politiques utilisent-ils les journalisme réseaux socionumériques : politique?

 Q1.1 pour communiquer de l’information en temps réel?

 Q1.2 pour rapporter en temps réel les propos émis par un politicien ?

 Q1.3 pour contre-vérifier les propos émis par un politicien ?

 Q1.4 pour recueillir de l’information auprès de leurs abonnés ?

 Q1.5 pour partager leur rôle de gatekeeper en rediffusant des contenus émis par d’autres usagers? De quel type d’usager parle-t-on?

 Q1.6 pour dialoguer? Avec quel type d’usager?

 Q1.7 pour communiquer en faisant preuve de transparence?

 Q1.8 pour diffuser leur opinion?

 Q1.9 pour diffuser des messages à teneur humoristique?

 Q1.10 pour promouvoir leur organisation ou faire de l'autopromotion?

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2.5 Analyse de contenu Dans un premier temps, nous avons procédé à une analyse de contenu des messages diffusés par les courriéristes parlementaires en poste à la Tribune de la presse sur le site de microblogage Twitter. Jean de Bonville (2006 : 10-11) définit l’analyse de contenu comme une famille de procédés « servant à la collecte, à la description et au traitement des données », de manière reproductible et systématique; en ce sens, « une batterie de règles doit permettre de faire le lien entre les définitions univoques des classes de contenu et les particularités de chaque message analysé » (idem). De manière plus précise, l’analyse de contenu est conçue ici comme une méthode quantitative, visant l’attribution d’une fréquence à des caractéristiques observées dans les messages, afin de rendre compte de régularités ou de grandes tendances. Ultimement, l’analyse de contenu servira non seulement à décrire la substance des messages, mais également à analyser les « intentions manifestes » des acteurs à travers leurs discours (Mace et Pétry, 2000 : 114). Cette analyse découlera d’une inférence entre certaines caractéristiques manifestes du texte et les conditions sociologiques de leur production et de leur réception anticipée.

2.5.1 Twitter et le journalisme

Nous avons utilisé cette méthode afin d'analyser les messages des journalistes parlementaires sur les réseaux socionumériques et plus spécifiquement sur Twitter qui, avec Facebook, constitue l’une des plateformes numériques les plus utilisées en Occident, à la fois dans la pratique journalistique (Jeanne-Perrier, Smyrnaios et Noci, 2015) et la délibération politique (Elmer, 2013; Rogstad, 2014).

Twitter est un site de microblogage qui permet de communiquer à un réseau de contacts de brefs segments d’information de 140 caractères ou moins24, des tweets, à partir de différents points d’origine : sites internet, blogues, tablettes ou téléphones portables (Hermida, 2010). Ces messages sont visibles sur le fil de l’émetteur, ainsi que

24 Au moment d’écrire ces lignes, les 140 caractères excluent les hyperliens et les noms d’utilisateur. Toutefois, durant notre collecte de données en 2014, les 140 caractères incluaient ces deux éléments spécifiques. 72

sur celui de ses abonnés. Entre autres fonctions, le site permet aussi de dialoguer directement et publiquement avec certains usagers en particulier (en utilisant la commande @usager), de partager des messages émis par d’autres usagers (retweet) et de relier — par un mot-clic (#hashtag) — un tweet à un fil de messages portant sur un sujet d’actualité. Le site de microblogage, de par sa configuration, mais aussi en raison de l’usage qu’en font les internautes, agit comme un liant entre différentes plateformes d’information (Bruns et Highfield, 2012). L’information disponible sur Twitter a un caractère plus collectif et décentralisé, se construisant fragment par fragment, avec la contribution de multiples usagers. Lancé en 2006, le site connaît une popularité croissante, comptant plus de 200 millions d’utilisateurs actifs en 2013 (Hermida, 2013). Au Québec, on estime que 10 % de la population adulte utilise Twitter (CEFRIO, 2015).

Bien que moins de Québécois utilisent Twitter que Facebook, nous avons choisi d’étudier Twitter pour de multiples raisons. D’une part, le site est central dans la vie politique canadienne et québécoise, que ce soit chez les élus ou au sein des mouvements protestataires (Albaugh et Waddell, 2014; Verville, 2012). D’autre part, Twitter a rapidement été adopté dans les rédactions comme outil professionnel, à la différence d’un site comme Facebook qui semble davantage considéré comme un moyen de sociabilité ordinaire (Jeanne-Perrier, Smyrnaios et Noci, 2015) ou comme espace additionnel de diffusion de contenus produits sur d'autres plateformes. Les journalistes se servent de Twitter pour diffuser des manchettes et des nouvelles fraîches; ils l’utilisent aussi dans une logique de veille sur l’actualité, pour dénicher des idées de reportage ou de nouvelles sources d’information (Hermida, 2010; Jeanne-Perrier, 2012). Contrairement au blogue traditionnel, le site de microblogage favorise les communications instantanées, à la fois du point de vue des journalistes et des citoyens. Une récente étude du Pew Research Center (2015) mentionne que parmi les internautes américains qui utilisent Twitter pour s’informer, 59% rapportent avoir suivi un événement médiatique en temps réel sur cette plateforme. Enfin, sur le plan de la faisabilité, les messages diffusés sur le fil Twitter sont généralement accessibles à tous les usagers, contrairement à ceux diffusés sur Facebook qui nécessitent la plupart du temps une autorisation de l’auteur pour être consultés.

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2.5.2 Le processus de codification

Nous avons procédé à une analyse de contenu quantitative des messages diffusés sur Twitter par les journalistes politiques de la Tribune de la presse du Parlement de Québec. Parmi les 39 journalistes en poste à la Tribune (37 membres réguliers et deux membres honoraires), notons qu’une journaliste était en congé durant notre première période de collecte de données alors qu’un autre journaliste a pris sa retraite entre la première et la seconde période de collecte de données sans être remplacé. Notre corpus se compose donc de l’ensemble des tweets émis par les 38 journalistes parlementaires en poste à la Tribune, durant deux périodes de deux semaines en février et en novembre/décembre 201425, entre sept heures et minuit. Notons que les 38 journalistes détenaient un compte Twitter au moment de colliger nos données; cependant, certains n’ont émis aucun tweet durant la période à l’étude. La durée de la période de collecte de données s’apparente à celle d’études semblables (Lasorsa, Lewis et Holton, 2012 ; Lawrence et al. 2014). Comme la majorité des contributions antérieures ont été consacrées à l’examen des usages journalistiques de Twitter dans le cadre de campagnes électorales, nous avons plutôt choisi d’étudier une période durant laquelle les élus siègent à l’Assemblée nationale, afin d’analyser la pratique la plus courante du journalisme politique.

Afin de bien saisir le contexte politique et médiatique dans lequel s’inscrit chacun des tweets, ceux-ci ont été codés manuellement en temps réel, en observant les comptes de chacun des journalistes politiques26. Dans cette optique, nous avons opté pour une analyse de l’ensemble des messages émis sur deux périodes continues plutôt que pour un échantillon. Au cours des deux périodes de collecte de données, nous avons tenté de saisir les particularités du contexte politique et médiatique dans lequel les journalistes parlementaires ont produit leurs tweets (Chadwick, 2013). Ainsi, parallèlement au codage manuel des tweets des journalistes politiques, nous avons suivi le déroulement des travaux parlementaires et les conférences de presse diffusées sur le site de l’Assemblée

25 La première période de collecte de données a eu lieu entre le 10 et le 23 février 2014, alors que la seconde période de collecte de données s’est déroulée du 24 novembre au 7 décembre 2014. 26 Le codage a été réalisé en temps réel pour l’ensemble des indicateurs à l’exception de ceux qui concernent la question 1.10 sur l’autopromotion, qui ont été codés a posteriori. 74

nationale, en plus de consulter de nombreux sites d’information en ligne. Enfin, nous avons observé les tweets des internautes qui dialoguaient avec les journalistes parlementaires sur Twitter. Ces observations, de même que les réflexions entourant le processus de codage, ont été colligées de manière sommaire dans un journal de recherche.

De plus, afin d’éviter toute perte de données, les tweets des journalistes parlementaires recueillis manuellement ont été recoupés quotidiennement et archivés à l’aide de l’application Twitonomy, un outil payant qui utilise l’Application Programming Interface (API) de Twitter pour emmagasiner des tweets en fonction de paramètres choisis par l’utilisateur (par exemple les usagers, les hashtags ou les mots-clés identifiés préalablement). Ce processus n’est pas sans faille ; une interruption dans la transmission des données est possible. Toutefois, comme le soulignent Bruns et Liang (2012), l’utilisation de l’API de Twitter demeure la seule manière pour les chercheurs d’accéder à ces données.

Nous avons développé un guide27 et une grille de codage qui s’inspirent des travaux récents réalisés par différentes équipes de chercheurs (Giasson et al., 2013 ; Lasorsa et al., 2012 ; Lawrence et al., 2014). L’unité d’analyse est le tweet, c’est-à-dire le message individuel de 140 caractères ou moins. Une première section de la grille sert à identifier l’auteur du tweet (@usager), la date et l’heure de son émission. Nous avons également relevé le ou les mots-clics (#hashtags) associé(s) au tweet, identifiant ainsi comment celui-ci s’insérait dans un ensemble plus vaste de messages sur un même sujet.

La deuxième section de la grille permet de relever différentes composantes de chacun des tweets. Dans un premier temps, l’objet du tweet a été analysé afin de différencier les messages qui portent sur la politique des autres contenus. Nous incluons dans cette catégorie les contenus qui ont trait à la vie des partis politiques, à la stratégie

27 Le guide complet a été présenté à l’annexe 1. 75

politique, à l’élaboration des politiques publiques28, au parlementarisme, à l’administration publique, aux relations internationales et à la communication politique (incluant le marketing politique et la communication gouvernementale ou partisane).

Ensuite, nous avons évalué dans quelle mesure les journalistes politiques utilisaient Twitter pour communiquer, en temps réel, de l’information sur un événement couvert dans le cadre de leur pratique professionnelle (Q1.1). Nous avons identifié de façon distincte les messages qui rapportaient en temps réel les propos d’un élu, d’un stratège ou d’un parti politique (Q1.2). En ce qui a trait à la vérification de l’information, nous avons aussi évalué dans quelle mesure les journalistes politiques utilisaient la plateforme pour contre-vérifier une assertion faite par un élu ou un stratège politique (Q1.3).

Nous nous sommes également intéressée à la relation des journalistes parlementaires avec leurs sources d’information et avec leurs publics. Nous avons relevé la présence de propos qui visaient à recueillir ou à valider de l’information auprès de leurs abonnés (Q1.4). Nous avons aussi évalué dans quelle mesure les journalistes politiques partageaient leur rôle de gatekeeper en rediffusant les contenus émis par d’autres usagers (retweet) (Q1.5). Nous avons classé les auteurs des messages rediffusés dans une des trois catégories suivantes : « journaliste professionnel/média d’information », « élu/stratège politique/parti politique », et « autres usagers ». Nous avons aussi cherché à savoir si les tweets des journalistes s’inscrivaient dans une fonction de diffusion d’information ou d’échange dialogique (Q1.6). Nous avons considéré qu’il y avait dialogue lorsque le tweet incluait le nom d’un ou de plusieurs autre(s) usager(s) (@usager) et que l’auteur du tweet s’adressait directement et explicitement à un ou plusieurs autres usagers. Afin d’identifier avec qui les journalistes interagissaient, nous avons classé chacun de leurs interlocuteurs dans une des trois catégories énoncées précédemment.

28 L’élaboration des politiques publiques comprend les étapes de la mise à l’ordre du jour politique, de la formulation, de la prise de décision, de la mise en œuvre et de l’évaluation (Howlett, Ramesh et Perl, 2009). Ainsi, nous tenons compte de l’action des mouvements sociaux, des groupes d’intérêt et des individus qui peuvent jouer un rôle important dans l’élaboration des politiques publiques, à l’extérieur des institutions politiques formelles, particulièrement à l’étape de la mise à l’ordre du jour. 76

Finalement, nous avons examiné les messages à l’aune du concept de transparence (Q1.7). Dans un premier temps, nous avons observé dans chacun des tweets s’il contenait des propos décrivant le contexte de la couverture ou les conditions de travail des journalistes, donnant de l’information sur leurs sources, exposant le raisonnement derrière la nouvelle, expliquant la manière dont l’information a été obtenue ou corrigeant une erreur (Karlsson, 2010; Lawrence et al., 2014). La présence d’un de ces éléments est considérée comme un indicateur de transparence. Dans un deuxième temps, nous avons analysé l’usage des hyperliens dans les tweets. Nous avons observé si les journalistes politiques utilisaient principalement les hyperliens pour diffuser « leur propre travail », « un contenu provenant de l’organisation médiatique du journaliste émetteur autre que son propre travail », « un contenu provenant d’une autre organisation médiatique », ou « des contenus provenant de sources autres que celles mentionnées précédemment ». Un hyperlien menant vers un contenu externe, c’est-à-dire un contenu provenant d’une autre organisation ou d’une source non journalistique est considéré comme un indicateur de transparence (Karlsson, 2010).

Nous avons également relevé la présence d’opinion émise par le journaliste dans les tweets (Q1.8). Nous considérons qu’il y a opinion lorsque le journaliste émetteur pose un jugement de valeur (par exemple : « Bonne passe d’armes entre le PM et le chef de l’opposition #assnat »).

Une première grille composée de ces différents indicateurs a été utilisée pour un pré-test d’une journée qui a eu lieu dans la semaine du 3 février 2014. Cette analyse préliminaire nous a amenée à prendre conscience d’une carence dans la grille. Nous nous intéressions au concept d’objectivité et à sa remise en question. Nous vérifiions dans quelle mesure les journalistes politiques émettaient leur opinion. Toutefois, nous n’avions prévu aucun indicateur pour relever la présence de propos humoristiques. Or, notre analyse préliminaire a révélé la présence de ce type de propos dans les tweets des journalistes parlementaires de la Tribune de la presse. En retournant à la littérature portant sur l’utilisation de l’humour dans le discours et plus spécifiquement dans les

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tweets des journalistes professionnels (Lewis et Holton, 2011), nous avons forgé un indicateur visant à repérer les messages à teneur humoristique (Q1.9). Nous considérons qu’un message est humoristique lorsque celui-ci vise à faire rire les internautes; nous incluons dans cette catégorie les propos ironiques, c’est-à-dire les propos qui tendent à se moquer de quelqu’un ou de quelque chose en disant le contraire de ce qu’on veut faire entendre.

Après une analyse préliminaire des résultats des deux phases de collecte de données, nous avons noté qu’une part importante des hyperliens inclus dans les tweets émis par les journalistes renvoyait non pas à des sources externes (un indicateur de transparence), mais à des contenus produits par le journaliste ou par son organisation médiatique. Au même moment, émergeait une littérature sur l’autopromotion et le branding dans la pratique individuelle des journalistes professionnels en ligne, et plus spécifiquement sur les réseaux socionumériques (Hedman et Djerf-Pierre, 2013; Molyneux, 2015; Molyneux et Holton, 2015).

Nous avons donc décidé de mesurer de manière systématique l’ampleur de ces pratiques d’autopromotion dans notre corpus. Cette section spécifique du codage a été effectuée a posteriori. Dans un premier temps, nous nous sommes attardés aux messages rediffusés par les journalistes parlementaires (retweet). Pour ces messages, nous avons classé l’usager à la source du message (ou de l’extrait rediffusé) dans trois catégories distinctes : « usager qui œuvre dans la même organisation médiatique que l’émetteur du retweet », « usager qui œuvre dans une organisation médiatique qui ne peut être incluse dans la catégorie précédente29 », « usager qui n’appartient à ni l’une, ni l’autre des catégories précédentes ». Nous considérons qu’il y a autopromotion lorsque la source du message qui fait l’objet d’un retweet est un « usager qui œuvre dans la même organisation médiatique que l’émetteur du retweet ». Dans un deuxième temps, nous nous sommes intéressés aux hyperliens. Nous avons vérifié dans quelle mesure les journalistes

29 Nous avons préféré ce libellé à un libellé comme celui-ci : « usager qui œuvre dans une autre organisation médiatique ». Le libellé choisi permet d’éviter la confusion lorsque le journaliste de la Tribune qui a émis le retweet ou l’usager qui a émis le tweet original œuvre pour plus d’une organisation médiatique. 78

de la Tribune utilisaient les hyperliens pour diffuser « leur propre travail », « un contenu provenant de l’organisation médiatique du journaliste émetteur autre que son propre travail », « un contenu provenant d’une autre organisation médiatique », ou « des contenus provenant de sources autres que celles mentionnées précédemment ». Nous considérons qu’il y a autopromotion lorsqu’un journaliste utilise un hyperlien pour diffuser son propre travail ou un contenu provenant de son organisation médiatique. Enfin, nous avons tenté de repérer l’autopromotion dans le contenu de chacun des tweets. De manière plus spécifique, nous avons vérifié s’il y avait présence de propos référant directement au journaliste émetteur – à son travail ou à sa personne – ou encore à l'organisation médiatique (ou à un journaliste professionnel ou à un contenu produit par l'organisation) pour laquelle il travaille. À titre d'exemple, nous incluons dans cette catégorie l'annonce d'une prochaine intervention en ondes, la promotion du blogue d'un collègue ou de la nouvelle télésérie diffusée par l'organisation dans laquelle oeuvre le journaliste, ainsi que le discours (positif ou négatif) portant sur le journaliste ou son organisation. Toutefefois, nous excluons les tweets décrivant le contexte de la couverture ou les conditions de travail des journalistes qui sont plutôt considérés comme des indicateurs de transparence (Q1.7).

En conclusion, notons que l’ensemble de ces codes, de même que le verbatim de chacun des tweets a été consigné dans un chiffrier Excel. Le tableau 2.2 présente une synthèse de la grille de codification. Enfin, nous avons procédé à un test de fiabilité intercodeur sur un échantillon de 100 tweets pour chacun des indicateurs présents dans la grille. À l’exception de trois indicateurs, l’indice de fiabilité obtenu variait entre 0,91 et 0,99. Deux indicateurs ont obtenu un score inférieur à 0,9 mais supérieur à 0,8, soit la diffusion en temps réel (0,89) et l’opinion (0,86). L’indice de fiabilité obtenu pour l’humour (0,77) se situait sous le niveau de 0,8 considéré comme acceptable (Neuendorf, 2002); un tel indice relèverait davantage de l’étude exploratoire, ce dont nous tiendrons compte dans l’analyse de nos résultats.

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Tableau 2.2 Grille sommaire de codification de l'analyse de contenu

Spécifications techniques

Journaliste émetteur (@usager) Date Heure

Contenu des tweets

Composante de chaque tweet Codes

Objet principal du tweet politique (1) autre (0) Mot-clic absence (0) présence (1) spécifiez. Retweet (RT@, MT @, ou via@) absence (0) journaliste/médias (1) élu / leader de parti/ stratège politique/ parti politique (2) autres (3) Dialogue absence (0) journaliste/médias (1) élu / leader de parti/ stratège politique/ parti politique (2) autres (3) Information communiquée en absence (0) présence (1) cite ou paraphrase les temps réel propos d’un élu ou d’un stratège politique en temps réel (2) Requête d’information absence (0) présence (1) Contre-vérification d’une assertion absence (0) présence (1) faite par un élu, un stratège ou un parti Transparence - contextualisation absence (0) présence (1) Transparence – hyperlien absence (0) vers le travail du journaliste émetteur (1) vers un contenu de la même organisation (2) vers le contenu d’une autre organisation médiatique (3) autres types de contenus (4) Autopromotion – retweet absence (0) internaute même organisation médiatique (1) internaute autre organisation médiatique (2) autres types d’usager (3) Autopromotion – hyperlien absence (0) vers le travail du journaliste émetteur (1) vers un contenu de la même organisation (2) vers le contenu d’une autre organisation médiatique (3) autres types de contenus (4) Autopromotion – contenu du tweet contenu faisant la promotion du journaliste émetteur ou de son travail (1) contenu faisant la

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promotion de son organisation médiatique (2) contenu faisant la promotion d’une autre organisation médiatique (3) autres types de contenus (4)

2.6 Entretiens semi-dirigés Dans un deuxième temps, nous avons mené une série d’entretiens semi-dirigés avec des journalistes de la Tribune de la presse. D’une part, ces entretiens ont servi à compléter la description des usages que font les journalistes politiques de l’internet et des réseaux socionumériques, obtenue par le truchement de l’analyse de contenu sur Twitter. D’autre part, les entretiens visaient à expliquer les usages journalistiques du numérique en cernant les motivations qui sous-tendent ces usages. Enfin, ces entretiens ont permis d’analyser, à travers la perception des journalistes, comment ces usages et ces motivations contribuent à transformer les normes du journalisme politique. Dans cette perspective, nous avons considéré le récit des journalistes comme une activité de reconstruction des routines et des événements, plutôt que comme un compte-rendu objectif des événements vécus. Les entretiens nous ont donné accès « au sens que les acteurs donnent à leurs pratiques et aux événements auxquels ils sont confrontés » (Quivy et Campenhoudt, 2006 : 175). Ainsi, nous postulons que la perspective de l'interviewé a du sens — un sens singulier et situationnel30 — et c'est précisément ce sens, dans toute sa richesse, ses nuances et sa complexité, qui nous intéresse. En somme, nous avons tenté d'en arriver à une connaissance approfondie de la pratique des journalistes politiques sur l’internet et les réseaux socionumériques.

À la différence d'une entrevue structurée par un questionnaire administré oralement de façon stricte, nous avons privilégié l’entretien semi-dirigé conçu comme « une interaction verbale entre des personnes qui s'engagent volontairement dans pareille relation afin de partager un savoir d'expertise, et ce, pour mieux dégager conjointement une compréhension d'un phénomène d'intérêt pour les personnes en présence » (Savoie-

30 Comme le souligne Jean-Pierre Cometti, « le pragmatisme [...] présente cette particularité de ne jamais tenir une description pour définitive, si satisfaisante soit-elle en apparence, et encore moins de la considérer comme l'expression d'une réalité que nous parviendrons à identifier ou avec laquelle nos méthodes seraient appelées à coïncider » (297). 81

Zajc, 2003 : 295). Dans cette perspective, nous estimons que notre intervention, en tant qu’intervieweuse, a joué un rôle dans la forme que prennent les données. Nous assumons la position d’une chercheuse impliquée qui prend « en compte le point de vue des acteurs, ainsi que le jeu des interactions qui exercent en retour leurs effets sur l'enquête elle-même et sur ses résultats » (Cometti, 2010 : 298).

Ayant déjà exercé le métier de journaliste politique à la Tribune de la presse du Parlement de Québec un défi important consistait à faire dire explicitement ce qui pouvait sembler évident aux yeux des journalistes interrogés. Une partie de ceux-ci, rappelons-le, s’adressaient à une ancienne collègue qui, pouvaient-ils le supposer, connaissait déjà en partie les codes du métier. Nous avons donc fait un effort conscient pour leur demander d’énoncer clairement leurs idées. Par ailleurs, nous avons également dû composer à quelques reprises avec des participants qui tentaient d’anticiper « le plan de match du chercheur » (Brin, 2002 : 104). Comme le soulignent Nadège Broustau et ses collègues (2012 : 9) :

[l]e chercheur doit trouver les modalités adéquates pour faire prendre la parole à un journaliste, qui se situe, à ce moment-là comme bien d’autres répondants, dans une posture inversée par rapport à ses interactions traditionnelles. Il se trouve en effet dans une position d’interviewé, tout en connaissant les « ficelles » de la pratique, et anticipe, parfois de façon considérable, les réponses attendues, ou prétendument attendues.

Afin de limiter les biais induits par cette anticipation de la part des participants, nous avons construit une partie de notre schéma d’entretien à partir des données issues de l’analyse de contenu, une approche qui s’apparente à celle des « face-to-face reconstruction interviews » préconisée par Reich (2013). Des extraits de leur production sur Twitter étaient présentés aux journalistes durant l’entretien et servaient de point d’ancrage à la discussion. L’utilisation de ces données comme matériel de base nous a permis de questionner directement les journalistes sur leurs usages réels et sur le sens qu’ils donnaient à ceux-ci.

Nous avons réalisé 28 entretiens avec des journalistes membres de la Tribune de la presse. Le recrutement a été réalisé à partir de la liste de membres fournie par la

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Tribune. Comme énoncé précédemment, cette liste identifiait 37 journalistes membres de la Tribune de la presse, de même que deux membres honoraires toujours actifs comme journalistes politiques; notons qu’un(e) journaliste était en congé durant la période d’entretiens, ce qui a ramené à 38 le nombre de journalistes qui pouvaient potentiellement être interrogés. Un courriel a été envoyé à chacun d’entre eux pour leur expliquer les objectifs de l’enquête et les inviter à participer; 28 journalistes ont accepté de nous rencontrer. Les entretiens ont été menés avec des journalistes anglophones et francophones, hommes et femmes, issus de différentes générations (allant de la vingtaine à la soixantaine), certains œuvrant principalement à la télévision, à la radio ou à l’écrit (au web ou à l’imprimé). Les entretiens ont été réalisés en personne dans un lieu choisi par les participants, à Montréal ou à Québec, entre le 27 juin et le 29 septembre 2014. Les entrevues ont duré entre 35 et 90 minutes, en fonction de la disponibilité de chacun des participants. Afin de limiter les conséquences que pourrait avoir leur participation à l’enquête, nous avons convenu avec les participants de préserver la confidentialité de leurs propos. Les entretiens ont été enregistrés, anonymisés et conservés de manière sécuritaire. Les échanges ont été retranscrits et masculinisés afin de préserver l’anonymat des participantes31. Aucun propos recueilli dans le cadre des entretiens n’a été attribué à un individu nommément identifié. De même, aucune organisation n’a été informée de la décision d’un(e) journaliste de participer ou non à cette enquête.

2.6.1 Le canevas des entretiens

Les participants ont d’abord été invités à remplir un questionnaire afin de décrire sommairement leurs usages de l’internet et des réseaux socionumériques. Le questionnaire a été distribué aux journalistes par le truchement du site fluidsurvey.com. Avant de lancer l’enquête en ligne, nous avons procédé à un prétest auprès d’une journaliste politique œuvrant à l’extérieur du Québec, afin de vérifier la qualité du questionnaire et d’apporter quelques correctifs mineurs. Le questionnaire comptait cinq questions fermées et deux questions ouvertes (voir annexe 2). Le questionnaire amenait le

31 Nous avons opté pour le genre masculin car seulement 20 % des journalistes de la Tribune de la presse étaient de sexe féminin au moment de réaliser les entretiens. 83

journaliste à identifier la ou les plateformes numériques utilisée(s) dans le cadre de son travail. Dans un deuxième temps, afin d’offrir un complément aux données récoltées dans le cadre de l’analyse de contenu, des questions portaient plus spécifiquement sur l’usage de Twitter dans le cadre du travail, notamment en ce qui a trait à la fréquence et aux types d’usages (pour surveiller l’actualité politique en ligne, pour demander ou valider l’information auprès d’autres utilisateurs, pour trouver des idées de reportage, pour repérer des sources potentielles d’information, pour dialoguer avec des sources d’information). Une question traitait également de l’utilité de certaines sources d’information sur Twitter (les journalistes et les médias, les politiciens, les ministères et organismes gouvernementaux, les partis politiques, les groupes d’intérêt, ou encore, les chercheurs et les experts). Enfin, le questionnaire invitait les participants à fournir des informations concernant la plateforme médiatique sur laquelle ils travaillaient principalement (la radio, la télévision, la presse écrite, internet ou autres), leur nombre d’années d’expérience à titre de journaliste professionnel, leur année de naissance et leur sexe.

Les entretiens semi-dirigés ont été menés en personne. Ils étaient structurés en trois temps. Avant de démarrer l'entrevue, nous avons prévu une période d'ouverture afin de briser la glace, d’expliquer les objectifs de l’étude et de souligner la valeur des données recueillies. Nous demandions alors aux participants la permission d’enregistrer les entretiens. Cette période d’ouverture était suivie de l'entrevue à proprement parler. Dans un premier temps, une question ouverte plus générale servait à stimuler l’échange (Savoie-Zajc, 2003) ; dans le cas présent, cette question portait sur le rôle de l’internet et des réseaux socionumériques dans l’évolution de la pratique journalistique, et plus précisément dans la pratique du journalisme politique. Par la suite, l’échange consistait à reprendre un à un les thèmes abordés par le participant en introduction, ainsi que ceux soulevés par nos questions de recherche, soit les thèmes suivants : le rythme de la production, la collecte et la vérification de l’information, le dialogue, la transparence, l’humour, l’opinion, l’autopromotion, ainsi que le rapport des journalistes aux politiciens et aux citoyens dans le processus de construction de l’actualité politique, en ligne (voir le schéma en annexe 3). Au fil des entretiens, nous avons inséré des questions s’appuyant

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plus spécifiquement sur la production des journalistes sur Twitter, à l’aide de données extraites de la première phase d’analyse de contenu ; l’utilisation de certaines fonctionnalités offertes sur Twitter, notamment les mots-clics et les retweets ont aussi fait l’objet de questions spécifiques. Les journalistes qui n’avaient pas diffusé de tweets durant la première période de collecte de données étaient quant à eux questionnés sur le choix de cette trajectoire. Le schéma d’entretien était donc conçu comme un outil souple et flexible adapté à chacun des entretiens. Enfin, nous avons aménagé une période de clôture servant à mettre fin adéquatement à la discussion en invitant les participants à discuter des thèmes non encore abordés qui leur semblaient importants, ainsi qu’à proposer un suivi aux entretiens si nécessaire.

2.6.2 L’analyse des entretiens

Les entretiens ont été transcrits et nous avons procédé à une analyse thématique des verbatims. Boyatzis (1998 : 4) conçoit l’analyse thématique comme un processus d’encodage des données qualitatives sous forme de thèmes, c’est-à-dire des motifs (ou patterns) détectés dans les données qui permettent de décrire et d’organiser les observations et, ultimement, de les interpréter. Ce processus consiste à apposer une ou des étiquettes sur des segments de données, par exemple une phrase, un paragraphe ou une unité de sens. Sur le plan analytique, ces étiquettes serviront de lien entre les données brutes et les concepts à l’étude dans la recherche. Comme le résument Coffey et Atkinson (1996 : 31), « coding is much more than simply giving categories to data; it is also about conceptualizing the data, raising questions, providing provisional answers about the relationships among and within the data, and discovering the data ». Le processus se doit d’être le plus transparent et systématique possible. Toutefois, celui-ci n’est pas mécanique ni automatique, car il nécessite une prise de décision constante de la part de la chercheuse pour déterminer le degré de spécificité de l’analyse, son étendue ou encore l’importance relative accordée aux différents thèmes dans l’analyse.

Selon Boyazis (1998), les thèmes peuvent être générés de manière inductive à partir des observations, de manière déductive à partir de recherches antérieures ou de

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propositions théoriques, ou encore en combinant la déduction et l’induction, approche que nous avons adoptée ici. Le processus de codification a été réalisé manuellement avec le logiciel NVivo (Bazeley, 2009). L’unité d’analyse est le verbatim des 28 entretiens qui représente plus de 500 pages de texte; l’unité de codage choisie est l’unité de sens. Pour amorcer le travail d'analyse, nous avons établi une liste provisoire de thèmes, construite à partir des questions de recherche et d'une analyse sommaire d'un entretien jugé particulièrement riche (Huberman et Miles, 2014 : 58). Ces thèmes ont été regroupés par « familles » pour faciliter le processus de codification. Ainsi, nous retrouvons dans cette liste provisoire les familles de thèmes suivantes :  les plateformes numériques (Twitter, Facebook, Google et les moteurs de recherche, les blogues, les courriels, les nouvelles en ligne);  les activités (le dialogue, la collecte d'information, la vérification, la diffusion, la diffusion en temps réel, le partage d’opinion, l’humour, l’autopromotion);  les acteurs (les journalistes, les rédacteurs en chef ou directeurs de l’information, les chefs de pupitre, les politiciens, les stratèges politiques, les groupes d'intérêt, les citoyens);  les types de contenus (l’enquête, le breaking news, l’information contextuelle, la citation/la paraphrase, les contenus courts, l’analyse);  les motivations à l’action;  les normes et les rôles (l’objectivité, la subjectivité, la neutralité, l’honnêteté, la surveillance (watchdog), l’exactitude).

Au cours de l’analyse, et tout particulièrement durant l’encodage des premières entrevues, nous avons précisé la définition de certains thèmes; des thèmes supplémentaires ont émergé et certains ont été abandonnés. Des thèmes désignant la négation d’un thème initial ont également été incorporés dans la liste. Ce processus a fait l’objet de mémos qui ont été consignés dans le fichier NVivo regroupant les verbatims et les codes. Pour assurer la cohérence de la démarche, les codes modifiés au fil de l’analyse ont fait l’objet de révision dans chacun des entretiens précédemment analysés.

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Comme le souligne Bazeley (2009 : 9), « [t]hemes only attain their full significance when they are linked to form a coordinated picture or an explanatory model ». Ce passage de l’encodage à l’interprétation requiert un certain nombre d’étapes. Tout d’abord, en suivant la logique énoncée par Huberman et Miles (1994), il est fondamental d’organiser et de visualiser les données codifiées. L’utilisation d’un logiciel conçu pour l’analyse de données qualitatives facilite grandement cette étape, car chaque entretien, chaque thème et chaque code est consigné dans une base de données. Cela permet de visualiser aisément la fréquence de chacun des codes, tout comme le contenu détaillé des réponses qui y sont associées. Il devient aussi possible de retracer les cooccurrences de certains thèmes, de même que la fréquence de ces cooccurrences et de visualiser les résultats dans des matrices.

En somme, nous avons identifié des thèmes dans le texte, de même que des associations entre différents thèmes qui forment des configurations (patterns). Nous avons également considéré le contexte dans lequel s’insèrent ces associations (Bazeley, 2009). La régularité d’énonciation de certains thèmes et de certaines associations ont nourri le processus d’interprétation des données, tout comme les contrastes, les paradoxes ou les cas exceptionnels (Coffey et Atkinson, 1996). Ce processus nous a permis de théoriser à partir des données recueillies et d’en arriver à des propositions qui seront présentées dans les prochains chapitres.

2.6.3 Conclusion

La méthodologie présentée dans ce chapitre comporte certaines limites. Dans un premier temps, nous avons étudié un seul cas, celui de la pratique des journalistes de la Tribune de la presse en ligne et sur les réseaux socionumériques. Cette démarche ne nous permet pas de généraliser directement les résultats de notre recherche à la pratique de journalistes politiques qui œuvrent dans d’autres juridictions. Notre objectif est plutôt de bien représenter le cas étudié, dans l’optique de générer une analyse qui puisse potentiellement être transférable à d’autres contextes. Les résultats acquis par le truchement de notre étude empirique seront confrontés aux travaux théoriques et

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empiriques préexistants. Ultimement, ces résultats pourront servir à générer des hypothèses de travail dans le cadre d’autres études, qui seront nécessaires pour établir dans quelle mesure et dans quels contextes ces résultats peuvent s’appliquer.

Deuxièmement, nous avons choisi de réaliser une analyse de contenu sur Twitter, une plateforme très fréquentée par les journalistes. À nouveau, les résultats de cette analyse de contenu ne peuvent être généralisés directement à l’usage que font les journalistes politiques québécois de l’ensemble des plateformes numériques. Néanmoins, dans le cadre de notre travail d’analyse, nous avons mis l’accent non pas tant sur la plateforme elle-même que sur les activités qui y sont réalisées : la diffusion en temps réel, la vérification, le partage d’information, le dialogue, l’exercice de la transparence ou encore l’autopromotion. Ces activités existaient avant l’avènement de Twitter dans les rédactions; elles peuvent également être réalisées par l’intermédiaire d’autres plateformes numériques. En ce sens, nous estimons que la portée de nos résultats est susceptible de dépasser l’usage de cette plateforme particulière.

Troisièmement, toujours en ce qui a trait à l’analyse de contenu sur Twitter, nous avons opté pour l’analyse manuelle de l’ensemble des messages émis par les journalistes sur deux périodes distinctes de deux semaines, plutôt que pour l’analyse d’un échantillon d’une période plus étendue ou encore pour l’analyse de l’ensemble des tweets générés par les journalistes durant une période plus longue. Certes, nos résultats seront, dans une certaine mesure, tributaires des caractéristiques des périodes sélectionnées. Toutefois, dans l’optique de saisir la dynamique communicationnelle dans laquelle ces messages s’insèrent, il nous a semblé préférable d’analyser l’ensemble des messages émis durant deux périodes, plutôt qu’un échantillon de tweets émis de manière discontinue. Aussi, nous avons préféré l’analyse manuelle en temps réel à l’analyse automatisée qui aurait été nécessaire si nous avions voulu analyser l’ensemble des messages sur une période beaucoup plus longue. L’analyse manuelle en continu, couplée à une observation plus large du contexte médiatique et politique ambiant, nous a permis d’observer si les messages étaient émis en temps réel durant une couverture ou a posteriori, un aspect fondamental de l’étude. De même, le processus qui vise à repérer l’humour dans un tweet

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gagne en validité interne lorsqu’il est mené en temps réel, en tenant compte du contexte dans lequel s’insère le message. Enfin, le codage manuel nous a aussi permis d’avoir accès aux tweets émis par les internautes qui dialoguaient avec les journalistes. Sans faire partie de l’analyse de contenu quantitative, ces tweets nous ont néanmoins permis d’observer des dynamiques de construction collective de l’actualité politique en ligne.

En ce qui concerne les entretiens semi-dirigés, nous ajouterons que tous les journalistes membres de la Tribune n’ont pu être interviewés, certains n’ayant pas retourné notre invitation. Cependant, 28 des 38 journalistes en poste durant notre enquête, soit près des trois quarts d’entre eux, ont accepté de nous rencontrer. Nous avons interviewé des participants aux profils diversifiés, tant sur le plan des organisations représentées, de la position hiérarchique des journalistes dans leur organisation respective, de leur médium d’appartenance, de leur langue de travail et de leur genre. La majeure partie des journalistes interviewés étaient actifs sur les réseaux socionumériques au moment de la collecte de données; toutefois, une proportion non négligeable des journalistes rencontrés étaient très peu actifs sur ces réseaux, ce qui a aussi contribué à la variété des témoignages recueillis.

Enfin, nous avons étudié les transformations des normes du journalisme politique liées aux usages du numérique à travers la perspective des journalistes. Nous avons donc analysé des perceptions et non pas des changements de comportement directement observés par le truchement d’une étude longitudinale. Une telle démarche, qui aurait nécessité des ressources supérieures à celles dont nous disposons dans le cadre d’une thèse – notamment des ressources de temps – pourrait se révéler fort pertinente dans l’avenir. Toutefois, à notre décharge, nous soulignerons que l’ensemble des participants interrogés pratiquaient le journalisme depuis déjà plusieurs années, voire plusieurs décennies, au moment des entrevues. Ils ont donc non seulement vécu les changements à l’étude; ils ont aussi potentiellement contribué à les engendrer. Conséquemment, il nous semble pertinent de prendre en compte leur perspective.

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Pour conclure ce chapitre, nous ajouterons que cette étude apporte une contribution méthodologique. Celle-ci repose sur le recours aux méthodes mixtes qui ont l’avantage d’offrir de multiples points de vue sur l’objet de recherche et de permettre de répondre à un plus large éventail de questions de recherche. Comme nous l’avions énoncé dans le chapitre précédent, la plupart des études empiriques qui portent sur les usages journalistiques des dispositifs numériques traitent soit des conditions de production ou des pratiques rapportées par les journalistes, soit des contenus produits par ces mêmes journalistes. Ici, le devis mixte privilégié permet de faire le pont entre ces deux pôles. Les prochains chapitres présenteront les résultats découlant de ces analyses. Chacun des chapitres se conclura par une discussion interprétant les résultats exposés.

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Chapitre 3. La pratique du journalisme politique québécois sur les réseaux socionumériques : une vue d’ensemble

Les réseaux socionumériques font désormais partie du paysage politique québécois (Mathys, 2012; Verville, 2012). Au moment d’écrire ces lignes, la Bibliothèque de l’Assemblée nationale répertorie 106 élus actifs sur Twitter sur un total de 124 députés32. Chez les journalistes, chacun des membres de la Tribune de la presse détient un compte Twitter. De plus, la vaste majorité d’entre eux sont également présents sur Facebook. Cependant, les usages des réseaux socionumériques ne sont pas uniformes parmi les journalistes parlementaires. Ils varient selon les plateformes et les individus, comme nous le verrons dans les pages qui suivent. Par ailleurs, les journalistes politiques n’utilisent pas les réseaux socionumériques de manière exclusive, comme ils le faisaient autrefois avec d’autres plateformes comme la radio, la télévision ou l’imprimé. Les réseaux socionumériques font en effet partie d’un arsenal plus vaste, d’un ensemble d’outils qui permettent aux journalistes de recueillir, de diffuser et d’échanger de l’information.

Dans ce chapitre, nous aborderons ces enjeux en répondant à notre première question de recherche. Dans un premier temps, nous effectuerons un survol de l’usage que font les journalistes de la Tribune de la presse des réseaux socionumériques, dans le cadre de leur pratique professionnelle. Notre objectif est de brosser un portrait d’ensemble, en comparant l’utilisation de différentes plateformes. Dans un deuxième temps, nous observerons de manière systématique les profils des journalistes parlementaires sur Twitter, le réseau le plus populaire parmi les membres de la Tribune, selon les données recueillies durant notre enquête en ligne. Enfin, nous présenterons de manière sommaire les résultats de notre analyse de contenu quantitative sur Twitter. Les chapitres subséquents viseront à décrire et à expliquer de manière plus approfondie ces usages journalistiques du numérique et leur influence sur les normes du journalisme politique.

32 Au moment de la rédaction, une des 125 circonscriptions électorales québécoises était vacante. 91

3.1 Quelles plateformes?

Nous avons d’abord cherché à savoir dans quelle mesure les journalistes de la Tribune de la presse utilisaient les médias socionumériques dans le cadre de leur pratique professionnelle. Pour ce faire, nous avons diffusé un court questionnaire en ligne, en marge des entretiens semi-dirigés avec les journalistes parlementaires. 23 journalistes sur 38, soit un peu plus de 60 % d’entre eux, ont accepté d’y répondre. Le tableau 3.1 et la figure 3.1 présentent des données issues de ce questionnaire.

Tableau 3.1 Les plateformes numériques33 utilisées dans le cadre de la pratique professionnelle des journalistes de la Tribune de la presse Plateformes Nombre d’utilisateurs Twitter 22 Facebook 18 YouTube 13 Blogues 10 LinkedIn 9 Google+ 5 Vimeo 1 Soundcloud 1 Vine 0 Reddit 0 n=23 Comme l’illustre le tableau 3.1, Twitter apparaît comme la plateforme la plus utilisée dans le cadre de la pratique professionnelle des journalistes parlementaires, suivie de près par Facebook. Les plateformes YouTube et LinkedIn de même que les blogues sont employés par une proportion non négligeable de journalistes de la Tribune, alors que l’usage des plateformes Google+, Vimeo et Soundcloud semble plutôt marginal. Il est

33 Les choix proposés correspondent à ceux répertoriés par l'enquête du CEFRIO (2013) sur l'utilisation des médias sociaux par les adultes québécois, auxquels nous avons ajouté les blogues et trois plateformes : Vine, Reddit et Vimeo. Notons que les plateformes Instagram, Snapchat, Pinterest et Periscope étaient moins populaires qu’aujourd’hui au moment de colliger nos données, en 2014. Enfin, le questionnaire offrait la possibilité aux répondants d’inclure les plateformes de leur choix dans leur réponse. 92

nécessaire de demeurer prudent quant à la généralisation de ces résultats sur le plan statistique à l’ensemble de la population étudiée, en raison de la petite taille de l’échantillon. Néanmoins, nous estimons que ces résultats gagnent en validité dans la mesure où ils sont recoupés par d’autres observations. Ainsi, nous constatons que les données quantitatives tirées de l’enquête par questionnaire sont cohérentes avec les données qualitatives obtenues durant les 28 entretiens semi-dirigés. Durant ces entretiens, les journalistes ont rapporté utiliser principalement Twitter et Facebook dans le cadre de leur pratique professionnelle, avec une utilisation plus généralisée de Twitter par rapport à Facebook en ce qui a trait à la diffusion de contenus. L’usage des sites YouTube et LinkedIn n’a été évoqué que par une minorité de journalistes. En somme, nous constatons que certains réseaux socionumériques – principalement Twitter et Facebook – sont devenus des outils de cueillette et de diffusion de l’information, qui font désormais partie de la pratique quotidienne des journalistes de la Tribune. Nous effectuerons maintenant une incursion dans cette pratique quotidienne.

3.2 De la cueillette à la diffusion de l’information

Tous les matins à l’aube, un employé de l’Assemblée nationale du Québec arpente les couloirs de l’édifice André-Laurendeau, situé à quelques pas de l’Hôtel du Parlement. Il distribue à chacun des journalistes parlementaires l’Argus, un recueil des principaux articles de presse à teneur politique publiés dans les journaux du matin, un document longtemps essentiel pour préparer les questions posées aux élus lors des scrums de début de journée. Depuis quelques années toutefois, ce petit condensé de l’actualité a un concurrent nommé Twitter, comme nous l’explique ce journaliste :

[l]a première utilité que j’y vois, c’est quand je commence ma journée, c’est d’en faire une revue de presse […] C’est un facilitateur pour me permettre d’aller lire des informations qui sont publiées par d’autres médias (Journaliste 18).

Chez les journalistes parlementaires, la veille sur l’actualité est l’un des usages des réseaux socionumériques les plus fréquemment mentionnés, une pratique ancienne

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pour laquelle l’environnement numérique contemporain semble taillé sur mesure. Dans le cadre des entretiens semi-dirigés, 3 journalistes sur 4 ont indiqué utiliser Twitter ou Facebook pour être au courant des derniers développements en matière d’actualité politique. Quelques journalistes ont également mentionné utiliser YouTube à cette fin :

[j]e suis par exemple sur YouTube la chaîne du Parti québécois, la chaîne du Parti libéral, surtout en période électorale, pour voir le contenu qu’ils ajoutent, ou sinon de différentes associations ou groupes de pression (Journaliste 3).

En matière de veille sur l’actualité, Twitter s’avère certainement le dispositif le plus prisé. L’ensemble des journalistes qui ont répondu à notre questionnaire en ligne ont indiqué utiliser Twitter pour « surveiller l’actualité politique en ligne »; plus de 85 % d’entre eux ont déclaré le fréquenter plusieurs fois par jour à cette fin. Plusieurs journalistes comparent d’ailleurs le site de microblogage à celui d’« un fil de presse » ou d’un « fil de nouvelles en continu » qui permet de suivre la production journalistique des collègues de même que les interventions des politiciens. Comme l’illustrent les propos de ce reporter, les contenus publiés par les politiciens sur Twitter sont devenus l’objet d’une couverture journalistique qui combine désormais les événements, les discours et les interactions politiques, en ligne et hors ligne.

Si tu as un député sur Twitter qui est en train de parler publiquement de certaines affaires, mais que tu n’es pas sur Twitter, tu n’es pas en train de vraiment faire ta job, si ta job, c’est de suivre ce que les députés et les ministres sont en train de dire. […] Moi, je n’utiliserais jamais […] Twitter comme de l’information pour un reportage, mais ça m’aide à être conscient, au moins, de ce qui est en train de se passer. Par exemple, je me souviens d’une fois que j’ai vu sur Twitter que Jacques Duchesneau avait fait une connexion entre André Boisclair et les Hells Angels et son utilisation de la cocaïne34. Moi, je n’ai pas pris ça sur Twitter et mis ça en ondes. Mais j’ai quand même quitté mon bureau pour aller à l’Assemblée nationale et, à cause de ça, Duchesneau était toujours dans le hall de l’Assemblée nationale, alors j’ai été capable de lui parler moi-même. Je n’aurais pas été conscient assez

34 Jacques Duchesneau a été directeur du Service de police de la Ville de Montréal de 1968 à 1998 et député de la Coalition Avenir Québec dans la circonscription provinciale de Saint-Jérôme de 2012 à 2014. En septembre 2013, le député a questionné le passé de l’ex-ministre péquiste et délégué général à New York André Boisclair, évoquant sa consommation de drogue et l’octroi par celui-ci d’une subvention à un entrepreneur en construction (Le Soleil, 25 septembre 2013). 94

rapidement […] pour aller chercher la nouvelle, pour la confirmer et l’avoir en ondes, si je n’étais pas sur Twitter pour voir que cette nouvelle était en train de circuler (Journaliste 12).

Les politiciens et les autres journalistes constituent des sources d’information de premier ordre pour les journalistes politiques sur Twitter, comme le montre la figure 3.1. Cependant, d’autres types d’acteur font l’objet d’un suivi de la part des journalistes parlementaires. Les comptes Twitter des groupes d’intérêt, des chercheurs et des experts, ainsi que ceux des partis politiques sont aussi des sources d’information jugées utiles par une majorité de journalistes interrogés.

Figure 3.1 Les sources d’information jugées utiles par les journalistes de la Tribune de la presse sur Twitter (n=23)

Journalistes et médias 22

Ministres, députés et personnel politique 17

Groupes d'intérêt 14

Chercheurs et experts 14

Partis politiques 13

Ministères et organismes gouvernementaux 9

Grand public 6

0 5 10 15 20 25

Une minorité de journalistes s’intéresse aussi aux contenus provenant du grand public, notamment en suivant le fil des messages contenant certains mots-clics liés à la politique québécoise ou canadienne :

Je vais aller voir les tendances, de quoi parlent les gens aujourd’hui sur les réseaux sociaux, tout en sachant très bien que ce n’est pas nécessairement le sujet de l’heure dans la rue ou dans les bureaux ou dans les shops. Je vais voir, en utilisant les mots-clés #polqc, #assnat également. Donc là, je vais voir un peu les discussions et je vais parfois même m’abonner ou décider de suivre une personne parce que je trouve que ce qu’elle dit peut être intéressant ou peut être unique, pas seulement des personnes qui retweetent

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des informations de d’autres, ce sont des personnes qui peuvent avoir peut- être une opinion particulière (Journaliste 3).

Un peu moins populaire que Twitter pour l’usage professionnel, Facebook est perçu par plusieurs journalistes comme appartenant au domaine de la vie privée : « je sépare les deux. Moi, Twitter, c’est professionnel; Facebook, c’est personnel » (Journaliste 28). Si certains excluent complètement Facebook de leur pratique professionnelle, plusieurs journalistes jugent néanmoins la plateforme utile pour la collecte d’informations. Durant les entretiens, 12 des 28 journalistes interrogés ont mentionné l’utiliser à cette fin.

Pendant la crise étudiante, Facebook c’était une grosse source d’information, parce que je m’abonnais aux groupes d’étudiants et là je pouvais voir ce qu’ils préparaient et c’était facile de communiquer avec eux de cette façon-là. Les jeunes en général sont facilement joignables sur Facebook (Journaliste 6).

Les sites Twitter, Facebook et LinkedIn font partie des instruments que les journalistes utilisent pour dénicher et entrer en contact avec différentes sources d’information. Ces plateformes servent généralement de compléments ou de substituts à d’autres outils comme les moteurs de recherche, le courriel, les services de messagerie instantanée, le téléphone fixe ou le téléphone portable.

J’ai fait un article récemment, cet hiver. Ken Pereira35 avait tweeté quelque chose [disant] que les libéraux avaient fermé les yeux sur des révélations concernant la FTQ-Construction. Donc moi, je m’en suis servi. Et je me suis servi d’un média social : LinkedIn. Je n’avais pas les coordonnées de Ken Pereira, alors […] j’ai envoyé une demande d’ami avec un message : « salut, j’aimerais en savoir plus ». Puis, avec ça, j’ai pu communiquer avec lui. Donc oui, tu peux t’en servir pour établir un contact avec une source (Journaliste 15).

En ce qui a trait plus spécifiquement à Twitter, 19 des 23 journalistes qui ont répondu au questionnaire en ligne ont dit recourir à la plateforme au moins une fois par

35 Ken Pereira est un ancien délégué syndical à la FTQ-Construction. Il a été un témoin clé lors de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction (Le Devoir, Le 5 octobre 2013). 96

semaine pour repérer des sources d’information; 6 ont affirmé l’employer à cette fin sur une base quotidienne.

Ce contact direct avec les citoyens, facilité par les blogues et les réseaux socionumériques, permet non seulement aux journalistes de colliger ou d’échanger de l’information, mais également de la distribuer. Aussi, dans le cadre des entretiens semi- dirigés, 3 journalistes sur 4 ont mentionné utiliser Twitter pour diffuser de l’information; 1 journaliste sur 4 a rapporté se servir de Facebook à cette fin. Les journalistes y partagent notamment le fruit de leur travail, en s’adressant directement à leur public, souvent dans l’optique de donner de la visibilité à leur profil, à leurs contenus ou à leur organisation médiatique. Twitter et Facebook deviennent ainsi des portes d’accès menant au blogue des journalistes politiques ou au site web principal de l’organisation médiatique pour laquelle ils travaillent. Nous reviendrons sur cette dynamique de manière plus spécifique au chapitre 6. Auparavant, nous concentrerons notre attention sur l’utilisation que font les journalistes parlementaires de Twitter, le réseau le plus fréquenté par les membres de la Tribune. Nous tâcherons d’analyser de manière systématique leurs activités en ligne.

3.3 Usages de Twitter : les grandes tendances

En observant le profil des journalistes de la Tribune de la presse sur Twitter par le truchement de données recueillies en marge de l’analyse de contenu, nous constatons que ces journalistes ont, en moyenne, un nombre élevé d’abonnés (voir tableaux 3.2 et 3.3). Ils comptent également un grand nombre moyen d’abonnements. Toutefois, l’écart entre leur nombre moyen d’abonnés et d’abonnements s’avère important, comme le montrent les tableaux 3.2 et 3.3, qui présentent le profil des journalistes parlementaires durant chacune des deux périodes de collecte de données. Les journalistes de la Tribune ont en moyenne huit fois plus d’abonnés Twitter que d’abonnements. Autrement dit, ils sont nettement plus « suivis » que « suiveurs », constituant ainsi des leaders au sein de leur réseau.

97

Tableau 3.2 Profil des journalistes parlementaires sur Twitter (collecte 1) Minimum Maximum Moyenne Médiane Écart- type Abonnés 3 26437 4974 2078 6479 Abonnements 9 3482 618 423 680 Total des tweets émis 0 12940 1894 1016 2718 Total des tweets en 2 0 416 45 20 75 semaines Données recueillies en février et mars 2014 (n=38).

En ce qui a trait à leur production, les journalistes ont émis en moyenne 45 tweets durant la première période de collecte de données, contre 49 durant la seconde période, ce qui représente entre 3 et 4 tweets par jour. Nous avons remarqué que les journalistes diffusent davantage de messages en semaine que le week-end (4,4 tweets par journaliste par jour en moyenne la semaine, contre 0,8 par journaliste par jour en moyenne la fin de semaine). Cette tendance à communiquer beaucoup plus fréquemment en semaine se manifeste durant chacune des périodes de collecte de données36. Cette observation corrobore les données recueillies durant les entretiens qui suggèrent que les journalistes utilisent davantage la plateforme à des fins professionnelles qu’à des fins personnelles.

Tableau 3.3 Profil des journalistes parlementaires sur Twitter (collecte 2) Minimum Maximum Moyenne Médiane Écart- type Abonnés 3 33250 5958 3334 7446 Abonnements 9 4223 792 490 812 Total des tweets émis 0 17783 2758 1465 3762 Total des tweets en 2 0 262 49 24 61 semaines Données recueillies en novembre et en décembre 2014 (n=38). Par ailleurs, nous observons que l’écart-type concernant le total des tweets émis en deux semaines est supérieur à la moyenne. Il s’avère donc pertinent de considérer la médiane dans l’analyse, qui se situe à 20 tweets pour la première période de collecte de

36 Voir la figure insérée à l’annexe 4. 98

données et à 24 pour la seconde période de données. Pour comprendre cet écart entre la médiane et la moyenne, il suffit d’observer les pratiques de chacun des journalistes politiques37. On remarque alors que sept journalistes n’ont émis aucun tweet durant l’une ou l’autre des périodes de collecte de données. Ces journalistes travaillaient tous dans un média francophone, soit pour un quotidien (imprimé et en ligne), soit pour une agence de presse. Deux d’entre eux n’avaient d’ailleurs jamais émis de tweet entre la date d’ouverture de leur compte et la fin de la seconde période de collecte de données. À l’opposé, 20 % des journalistes politiques ont diffusé plus de 40 tweets par semaine en moyenne. Parmi ces usagers plus actifs, nous retrouvons à la fois des journalistes de la presse écrite, de la radio et de la télévision, œuvrant dans les médias francophones ou anglophones. Enfin, 60 % des journalistes de la Tribune ont émis au moins un tweet par jour, en moyenne, durant la collecte de données.

Nos données révèlent aussi que les pratiques individuelles des journalistes parlementaires diffèrent sur plusieurs plans. En fait, pour chacune des quatre catégories (abonnés, abonnements, total des tweets émis, total des tweets émis en 2 semaines), l’écart-type est supérieur à la moyenne. Ces données suggèrent une grande diversité de pratiques sur Twitter parmi les journalistes politiques en poste à Québec. Alors que certains journalistes n’utilisent que très peu leur compte Twitter, d’autres l’utilisent fréquemment. Certains journalistes ne sont abonnés qu’à un petit nombre de comptes alors que d’autres suivent plus d’un millier d’utilisateurs. Pour chacune des catégories, on remarque que la moyenne est supérieure à la médiane, ce qui indique qu’une majorité de journalistes politiques a une activité inférieure à la moyenne, alors qu’une minorité a une activité supérieure à la moyenne. Autrement dit, une minorité de journalistes politiques de la Tribune utilise Twitter avec plus d’intensité que la majeure partie de leurs collègues.

Regardons maintenant de plus près le contenu des tweets émis par les journalistes de la Tribune. Sans grande surprise, la vaste majorité (92 %) des tweets diffusés par les

37 Voir le tableau inséré à l’annexe 5. 99

journalistes parlementaires traitent de politique. Les données des tableaux 3.4 et 3.5 portent uniquement sur ces tweets politiques (n=3228).

Dans un premier temps, nous analyserons ces tweets en regard de certaines fonctionnalités qu’offre Twitter, soit les mots-clics (ou hashtags), les retweets et la possibilité d’inclure des hyperliens. Parmi les messages portant sur la politique, 72 % contiennent au moins un mot-clic, reliant le message à un fil de tweets portant sur le même sujet, contribuant ainsi à une construction plus décentralisée et collective de l’actualité politique. L’utilisation de certains mots-clics précis – dans ce cas-ci #assnat et #polqc – permet aussi d’établir un contact avec un public spécialisé, comme l’explique ce journaliste : Twitter, c’est un public cible. Je n’ai pas d’analyse là-dessus, c’est mon humble avis. Je regarde les gens qui me suivent. Beaucoup de jeunes, énormément de gens de groupes de pression, du personnel politique, des ministres, des députés qui vont me suivre. C’est une bulle. Quand tu fais le hashtag #assnat, tu sais que ce sont des gens qui suivent #assnat qui vont réagir à ça, qui vont tout de suite voir ça. Donc ce sont des gens qui suivent la politique. Je tweete #assnat ou # polqc parce que je sais que beaucoup de monde suivent (sic.) ça (Journaliste 2).

Par ailleurs, plus du quart (27 %) des tweets politiques contiennent au moins un hyperlien, alors que 25 % visent à retransmettre (retweeter) un contenu émis initialement par un autre usager.

Tableau 3.4 Caractéristiques relevées dans les messages des journalistes parlementaires sur Twitter (tweets politiques) Caractéristiques relevées Pourcentage des tweets

Mot(s)-clic(s) 72

Hyperlien(s) 27

Retweet 25 n=3228 Penchons-nous maintenant sur le contenu des tweets politiques émis par les journalistes de la Tribune, à l’aune de nos questions spécifiques de recherche. L’usage de

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Twitter le plus fréquemment recensé durant l’analyse de contenu est la diffusion de l’information en temps réel (live-tweet). Plus de la moitié (59 %) des tweets politiques recueillis communiquent en temps réel de l’information durant la couverture d’un événement (question 1.1). Cette pratique pose que le temps imparti au traitement de l’information politique avant sa diffusion est réduit au minimum (quelques minutes et parfois, quelques secondes). Notons que plus de la moitié des tweets politiques émis en temps réel (ou 30 % du nombre total de tweets politiques) citent ou paraphrasent les propos d’un élu ou d’un stratège politique (question 1.2). En contrepartie, seulement 1 % des tweets politiques visent à vérifier ou à contrecarrer l’assertion d’un élu ou d’un stratège politique (question 1.3).

Nous n’avons relevé que très peu de messages visant à demander une information auprès d’autres usagers, ceux-ci ne représentant que 2 % des tweets politiques (question 1.4). De manière plus générale, seuls 8 % des tweets politiques s’inscrivaient dans une fonction dialogique (question 1.6). Par ailleurs, nous avons constaté que les journalistes partageaient à l’occasion leur rôle de gatekeeper. Nous avons observé que 13 % des tweets politiques rediffusaient (retweet) un contenu provenant d’un usager n’œuvrant pas au sein de l’organisation du journaliste émetteur. Toutefois seulement 5 % des messages visaient à relayer des contenus d’une source non-médiatique, ce qui suggère que les journalistes hésitent à céder leur rôle traditionnel de sélectionneurs privilégiés (gatekeepers) de l’information (question 1.5).

101

Tableau 3.5 Fonctions des messages diffusés par les journalistes parlementaires sur Twitter (tweets politiques) Fonctions Pourcentage des tweets

Diffusion de l’information en temps réel 59

Citation/paraphrase du discours d’un politicien en temps réel 30

Autopromotion 27

Transparence (contextualisation ou hyperlien externe) 15

Dialogue 8

Opinion 6

Humour 6

Retweet de contenus non-médiatiques 5

Requête ou validation d'information 2

Vérification d'une assertion d'un élu/stratège 1 n=3228 Aussi, 15 % des tweets politiques contenaient au moins un élément de transparence. Ces messages visaient à décrire le contexte de la couverture, à expliquer le raisonnement derrière la nouvelle, à corriger une erreur, ou encore, à diriger les internautes vers un contenu généré par un utilisateur externe à l’organisation du journaliste émetteur, à l’aide d’un hyperlien (question 1.7).

Par ailleurs, nous avons repéré des contenus d’opinion et des propos humoristiques dans seulement 6 % des tweets à teneur politique, ce qui suggère un certain attachement à l’idéal normatif de l’objectivité (questions 1.8 et 1.9).

Cependant, nous avons observé qu’une proportion non négligeable des tweets politiques (27 %) servent à faire la promotion du journaliste émetteur ou de son organisation, par le truchement de retweets, d’hyperliens ou de contenus autoréférentiels (question 1.10). Les tweets contenant un élément d’autopromotion étaient nettement plus

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fréquents que ceux contenant un élément de transparence ou d’ouverture à la participation publique, que ce soit par le truchement du dialogue, de la requête d’information ou du partage (retweet) de contenus externes.

3.4 Discussion et conclusion

Ce premier chapitre présente les fondements de la pratique des journalistes parlementaires québécois sur les réseaux socionumériques. Nous avons d’abord constaté que certaines plateformes étaient plus utilisées que d’autres dans la pratique du journalisme politique au Québec. Au moment de colliger nos données, une majorité de journalistes indiquaient se servir de Twitter et de Facebook, alors qu’une minorité rapportait utiliser des plateformes comme LinkedIn, YouTube et, de manière plus marginale, Google+, Vimeo et Soundcloud. Dans la pratique, ces dispositifs sont généralement intégrés dans un ensemble plus vaste d’outils numériques employés pour la cueillette d’information parmi lesquels figurent aussi les moteurs de recherche, les services de messagerie instantanée et le courriel.

La veille sur l’actualité est l’usage le plus fréquemment répertorié par les journalistes parlementaires. Twitter et, dans une moindre mesure, Facebook s’avèrent les plateformes les plus utilisées à cette fin. Dans la pratique, ces réseaux correspondent à des systèmes de surveillance (ou awareness systems) qui fonctionnent de manière ininterrompue et qui permettent aux journalistes de se construire un modèle mental de l’actualité ambiante (Hermida, 2010). Les journalistes parlementaires québécois s’en servent pour s’informer en temps réel sur le déroulement des événements et le développement des enjeux politiques, en ligne et hors ligne, à travers les messages émis par différents types d’acteurs, incluant les représentants des groupes d’intérêts, les militants, les experts, le grand public et, bien sûr, les politiciens et les autres journalistes. Plusieurs journalistes emploient aussi ces plateformes pour dénicher ou entrer en contact avec de nouvelles sources d’information. De manière plus systématique, les messages émis par les élus et leurs stratèges sur les réseaux socionumériques font l’objet d’une

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couverture journalistique; les discours politiques officiels mis en ligne deviennent ainsi parfois la matière première d’une nouvelle.

Twitter est aussi abondamment utilisé par les journalistes parlementaires pour la diffusion de l’information politique, particulièrement pour la diffusion de l’information en temps réel. Cette pratique n’est pas inédite, s’inscrivant en quelque sorte en continuité avec le travail des journalistes œuvrant dans les agences de presse ou les chaînes d’information en continu. Cependant, elle semble s’étendre ici à la majorité des journalistes parlementaires, tous types d’organisations médiatiques confondus. Sa portée diffère également, puisqu’elle est transmise directement du journaliste au public, à toute heure du jour, sans l’intermédiaire d’une organisation médiatique. Dans leurs messages à teneur politique, les journalistes utilisent très fréquemment les mots-clics, notamment pour augmenter la portée de leur discours et établir un contact avec un public spécialisé intéressé par la politique québécoise. Les journalistes profitent d’ailleurs de ce contact direct avec les usagers pour distribuer le fruit de leur travail et promouvoir leur production personnelle d’information ou celle de leur organisation. Nous reviendrons sur ces pratiques au chapitre 6.

En ce qui a trait au potentiel que représentent les réseaux socionumériques pour la participation publique à la production de l’actualité politique, nous constatons que la trajectoire des journalistes s’inscrit dans une large mesure en continuité avec les routines organisationnelles classiques qui orientent la production de l’information dans les médias traditionnels. Ainsi, les journalistes parlementaires sont généralement enclins à conserver leur rôle de gardien de l’information (gatekeeper) sur Twitter, partageant (retweet) principalement leur propre travail ou celui d’autres journalistes. Ils dialoguent peu. Cependant, à l’occasion, des journalistes parlementaires se distinguent de leurs collègues et adoptent de nouvelles pratiques face à leurs publics. Certains journalistes prennent le temps d’interagir en ligne et, de manière plus fréquente, ils font preuve de transparence en expliquant le contexte de la couverture ou dirigeant les internautes vers leur source d’information originale à l’aide d’un hyperlien. Nous reviendrons de manière plus spécifique sur ces pratiques au chapitre 5.

104

En dernière analyse, nous ajouterons que l’usage que font les journalistes parlementaires québécois des réseaux socionumériques montre une hybridité entre des pratiques antérieures et l’émergence de nouvelles façons de faire, à la fois dans leur rapport au temps, aux sources d’information et aux publics (Chadwick, 2013). De plus, nos données indiquent une certaine diversité dans l’utilisation que font les journalistes de ces réseaux. Cette diversité suggère que le journalisme politique québécois, même dans sa forme la plus institutionnalisée, se trouve toujours dans une phase de transition et d’apprentissage en ce qui a trait à la pratique sur les réseaux socionumériques, dont les normes ne semblent pas complètement établies. Dans les trois chapitres à venir, nous nous décrirons plus en profondeur ces usages de l’internet et des réseaux socionumériques, et plus particulièrement de Twitter. Nous examinerons les motivations qui sous-tendent ces usages. Enfin, à travers la perception des journalistes, nous rendrons compte de la manière dont ces usages et ces motivations influencent les normes du journalisme politique.

105

Chapitre 4. Ici, maintenant : la production de l’actualité dans l’instant présent

Le web a permis de tuer le temps (Entrevue, Journaliste 5).

Probably the most troublesome tension is the one between the need to file immediately, because a thousand other people are filing immediately, and the time it takes to do real reporting, to reflect on what you’ve got and then to write it in a way that’s fair and clear but doesn’t gloss over the complications. And that tension was certainly there when I was editor. And it just seems to get more intense (Bill Keller, ex-rédacteur en chef du New York Times, juillet 2016).

Lorsque nous avons rencontré les journalistes de la Tribune de la presse, nous avons voulu briser la glace en soulevant leur intérêt dès les premières secondes de l’entretien. Nous avons opté pour une première question plus générale, très ouverte, qui les amènerait à réagir et à s’exprimer sur les continuités et les changements à l’œuvre dans la pratique du journalisme politique, en lien avec les transformations technologiques récentes. La question était formulée ainsi : « [o]n dit souvent que le web et les médias sociaux transforment plusieurs sphères de notre société. Seriez-vous d’accord pour dire que le web et les médias sociaux révolutionnent le journalisme et, par extension, le journalisme politique? ». Certains journalistes étaient d’accord avec le terme révolution; plusieurs préféraient les mots « évolution » ou « changement », alors que d’autres ont plutôt mis l’accent sur la continuité. Cependant, spontanément, une majorité de courriéristes parlementaires ont évoqué la vitesse croissante à laquelle circule l’information en ligne, de même que l’accélération du rythme de production de l’actualité, désormais synonyme d’immédiateté.

Dans ce chapitre, nous nous pencherons sur la pratique qui consiste à diffuser de l’information en temps réel au moment même où celle-ci est disponible (questions de recherche 1.1 et 1.2). Nous analyserons notamment l’usage que font les journalistes de Twitter en ce sens, en conjugaison avec d’autres plateformes. Nous examinerons également les motivations, c’est-à-dire les raisons qui expliquent ces usages (question de recherche 2). Comme nous le verrons, ces motifs dépassent largement les facteurs technologiques. Enfin, nous nous attarderons à la manière dont ces usages et ces

106

motivations contribuent à transformer les normes journalistiques (question de recherche 3), non pas uniquement dans le rapport des journalistes au temps, mais également dans leur manière de colliger, de sélectionner et de vérifier l’information politique.

4.1 La diffusion de l’information politique dans l’immédiat

Dans le cadre des entretiens semi-dirigés, l’ensemble des journalistes parlementaires interrogés ont fait référence à l’action de diffuser de l’information dans l’immédiat, c’est-à-dire avec l’impératif de le faire le plus rapidement possible. Cette action est de loin la plus fréquemment répertoriée dans l’analyse thématique issue des entretiens (149 références réparties dans 28 entretiens). 27 journalistes sur 28 ont fait référence à l’action de diffuser l’information le plus rapidement possible sur internet, que ce soit sur un site de nouvelles en ligne (20 entretiens) ou sur les réseaux socionumériques (22 entretiens), une pratique décrite par ce journaliste. Souvent on va se servir du web pour aller plus vite, pour sortir la nouvelle immédiatement et démontrer que c’est nous qui l’avons sortie, parfois même avant de la sortir sur notre réseau, sur les ondes de la radio dans mon cas (Journaliste 24).

Le tableau 4.1 représente les différentes plateformes associées par les journalistes interrogés à l’action de diffuser de l’information dans l’immédiat.

Tableau 4.1 Plateformes associées à la diffusion de l’information le plus rapidement possible Plateformes Nombre de Nombre références d’entretiens Twitter 74 20 Site de nouvelles en lignes 43 20 Chaîne télévisée d’information en continu 22 13 Réseau socionumérique (plateforme non spécifiée) 13 9 Radio 5 3 Facebook 4 4

107

Aussi, de manière plus spécifique, 26 journalistes sur 28 ont référé à l’action de diffuser de l’information non seulement le plus rapidement possible, mais en temps réel, c’est-à-dire en continu, durant une couverture médiatique. Parmi ces journalistes, 23 ont fait référence à la diffusion de l’information en ligne en temps réel, que ce soit sur les réseaux socionumériques ou sur un site de nouvelles en ligne. Le tableau 4.2 montre les plateformes associées à la diffusion de l’information en temps réel par les journalistes.

Tableau 4.2 Plateformes associées à la diffusion de l’information en temps réel Plateformes Nombre de Nombre références d’entretiens Twitter 57 19 Chaîne télévisée d’information en continu 17 11 Site de nouvelles en lignes 11 10 Réseaux socionumériques (plateforme non 6 5 spécifiée) Radio 2 2 Facebook 2 2

A priori, il faut demeurer prudent quant à l’interprétation de ces chiffres. Un journaliste peut associer une plateforme à une activité dans son discours sur la pratique sans nécessairement utiliser lui-même cette plateforme ou l’utiliser fréquemment. Ces données indiquent néanmoins que, du point de vue des journalistes, l’immédiateté fait partie de la pratique contemporaine du journalisme politique. La diffusion en temps réel passe certes par des plateformes traditionnelles comme la radio et les chaînes télévisées d’information en continu, mais également, et dans une large mesure, par les sites de nouvelles en ligne et les réseaux socionumériques.

Ça va plus vite pour diffuser cette information-là grâce à internet, en particulier à Twitter qui est l’outil que moi j’utilise le plus. Ça permet de diffuser l’information plus rapidement, au bout de quelques secondes, alors que ça prend quelques minutes si l’on veut, pour s’installer devant un micro 108

et livrer l’information. Cette petite différence-là fait en sorte que la roue tourne encore un petit peu plus vite qu’elle allait si l’on compare avec l’utilisation, le développement de la télévision en continu, par exemple (Journaliste 17).

Maintenant, avec Twitter, tu es plus dans l’instantanéité. Donc, même dans un point de presse […] tu vas tweeter tout de suite des réactions, des citations, dix secondes après que ça ait été dit (Journaliste 15).

Sans équivoque, les données colligées durant les entretiens montrent que Twitter constitue aux yeux de plusieurs journalistes la plateforme centrale pour diffuser de l’information instantanément. Ces données sont corroborées par celles colligées dans le cadre de l’analyse de contenu. Plus de 4 journalistes sur 5 (82%) ont utilisé Twitter pour diffuser de l’information en temps réel durant notre collecte de données. En tout, seuls huit journalistes n’ont publié aucun tweet en temps réel. Ces journalistes oeuvraient soit dans une agence de presse, soit dans la presse écrite avec une spécialisation dans le travail d’enquête ou d’analyse, la chronique ou l’éditorial. Sept de ces huit journalistes n’ont d’ailleurs publié aucun tweet durant l’une ou l’autre des périodes de collecte de données.

Nous nous attarderons maintenant un peu plus spécifiquement à la production sur Twitter. Dans le cadre de l’analyse de contenu menée sur le site de microblogage, nous avons recensé que 59 % des tweets politiques recueillis avaient pour fonction de diffuser de l’information en temps réel, durant la couverture en direct d’un événement. Nous ajouterons que cette proportion demeure relativement stable d’une période de collecte de données à l’autre (62 % pour la première période, contre 57 % pour la seconde période). Lorsque l’information est diffusée en temps réel, les processus de sélection, de synthèse ou de cadrage de l'information ne sont pas nécessairement éliminés; toutefois, ils se déroulent quasi instantanément. D’ailleurs, plus de la moitié (51 %) des tweets politiques émis en temps réel servaient à relayer les propos d’un stratège ou d’un élu politique. Cependant, seulement 1 % des tweets politiques émis en temps réel visaient à contre- vérifier l’assertion d’un politicien alors que 0,5 % contenaient un élément de transparence.

109

Le plus souvent, les messages diffusés sur Twitter en temps réel constituent un mélange de description et de commentaires collés à l’événement, ou ce qu’on appellerait, dans le jargon sportif, le play-by-play, comme l’illustre cette description par quatre journalistes parlementaires d’un débat en chambre qui a eu lieu le 11 février 2014, entre le leader de l’opposition officielle (@phcouillard) et la première ministre Pauline Marois:

Charles Lecavalier @CLecavalierJDQ 11 février 15:23 1ère question de @phcouillard La PM s’engage-t-elle à déposer un budget avant de déclencher les élections. #assnat #polqc

Michel Pepin @MPepin_RC 11 février 15 :25 Pauline Marois à @phcouillard : je n’ai pas annoncé d’élections, mais nous préparons un budget #assnat Max Harrold @MHarroldCTV 11 février 15:26 Gloves coming off; @phcouillard asks again ‘yes or no a pre-election budget’; Marois says budget will come when it comes @CTVMontreal

Michel Hébert @hebert_mic 11 février 15:28 #Assnat Bonne passe d’armes Couillard/Marois.

Chez plusieurs journalistes, l’utilisation de Twitter pour diffuser de l’information dans l’immédiat s’est intégrée dans une routine de production d’information qui combine plusieurs plateformes. Ce journaliste décrit le fil de sa journée et le rythme effréné qui caractérise l’enchaînement des tâches qu’il accomplit sur ces différentes plateformes.

C’est une course contre la montre. On n’a plus de temps! […] Je rentre, il y a un événement. Je tweete. Je vais en ondes sur la chaîne spécialisée. Je retweete. Je vais faire mon midi. Je pars sur un autre sujet. Je retweete. Je vais en ondes. Regarde : là je te parle. Je viens de finir à 13h, j’ai fait deux tweets pendant la commission, parce que je ne suis pas quelqu’un qui tweete à outrance, je vais tweeter quand c’est gros. Après, dans trois minutes, je vais en ondes. Il faut que je sorte un topo. À 17h, je suis en ondes, à 18h je suis en ondes et ensuite, je vais à la maison (Journaliste 2).

Malgré certaines variations en fonction des organisations médiatiques et des rôles de chaque individu au sein de celles-ci, la routine des journalistes actifs sur Twitter comporte plusieurs points en commun. Pour la plupart des journalistes utilisateurs, Twitter est favorisé pour la diffusion de l’information politique en temps réel.

110

En fait, les étapes, c’est tweeter. Après ça, on peut utiliser nos tweets pour reconstruire notre texte, parce qu’en général c’est les meilleures citations qu’on a mises sur Twitter, donc elles vont se retrouver dans le texte. Après ça, tu as le breaking news, et après ça tu peux aller chercher des informations additionnelles. Des fois, tu peux les tweeter ces informations-là, sauf qu’en général, quand […] c’est juste nous qui avons la primeur, vaut mieux la garder pour le papier (Journaliste 6).

Comme l’expliquait ce reporter, les journalistes organisent leur routine en priorisant certaines plateformes. Dans plusieurs organisations, l’information fraîche est d’abord publiée sur Twitter. Viennent ensuite les sites de nouvelles en ligne, les chaînes d’information en continu et la radio, puis l’imprimé et la télévision généraliste. Au moment de colliger nos données, les informations exclusives sont encore parfois conservées et diffusées d’abord dans les médias « traditionnels » : l’imprimé, la radio ou la télévision. Elles font néanmoins régulièrement l’objet d’une annonce préalable sur les réseaux socionumériques.

On fait quand même encore une différence entre les réseaux sociaux et le canal principal de diffusion pour diffuser de l’information qu’on juge percutante, la plus percutante possible. Donc on a un arbitrage à faire entre les informations moins percutantes et les informations percutantes qu’on se garde pour l’antenne principale (Journaliste 17).

En somme, le site de microblogage Twitter est largement utilisé par les journalistes politiques pour diffuser de l’information le plus rapidement possible, souvent en temps réel durant la couverture en direct d’un événement, que ce soit durant une conférence de presse, la période des questions ou un impromptu de presse dans les couloirs du parlement. De manière générale, on y décrit les événements en cours et on y relaie fréquemment les propos des politiciens. Enfin, comme le suggèrent les entretiens, cette utilisation de Twitter pour diffuser de l’information dans l’instantané se conjugue dans la pratique avec l’utilisation d’autres plateformes que sont les sites de nouvelles en ligne et les chaînes d’information en continu.

4.1.1 La construction de l'actualité politique en temps réel : une vignette narrative

111

Pour illustrer de manière tangible le caractère instantané de la diffusion de l’information sur internet et plus particulièrement sur Twitter, nous avons créé une vignette narrative, c’est-à-dire une description chronologique et synthétique d’une série d’événements, généralement limités dans le temps et dans l’espace (Miles et Huberman, 1994 : 81-83). Ce procédé vise à mettre en lumière la manière dont circule l’information politique en ligne et, dans une certaine mesure, entre différentes plateformes médiatiques. Comme le souligne Chadwick, « narratives will prove particularly advantageous for staying close to the events that matter for illustrating the role of assemblages as they operate in hybridized news systems » (2011 : 19).

Pour élaborer cette vignette narrative, nous avons d’abord classé l’ensemble les tweets politiques émis par les journalistes parlementaires et recueillis dans le cadre de l’analyse de contenu, selon le type d’enjeu soulevé. Puis, nous avons regroupé les enjeux identifiés en huit thématiques38. Les données colligées dans le journal de recherche et celles recueillies dans la grille de codage – plus spécifiquement, l’auteur du tweet, la date et l’heure de diffusion, l’enjeu et la transcription du tweet – nous ont servi de matériel pour élaborer cette vignette qui aborde une thématique en particulier, soit le débat entourant le Projet de loi n°52, aussi surnommé « Mourir dans la dignité ».

À l’issu de notre première période de collecte de données, les rumeurs de déclenchement d’élections législatives se faisaient de plus en plus insistantes à l’Assemblée nationale. Parallèlement, un projet de loi très médiatisé, le Projet de loi n°52 : Loi concernant les soins de fin de vie39, s'apprêtait à franchir les dernières étapes du processus législatif menant à son adoption. Ce projet de loi, déposé par le gouvernement du Québec à la suite d'une vaste consultation publique, avait pour objectif de baliser l'aide médicale à mourir, une première au Québec. À quelques jours de l'ajournement des travaux parlementaires pour deux semaines, le gouvernement en place

38 Les huit thématiques identifiées sont les suivantes : budget, charte des valeurs, corruption, déclenchement d’élections, exploration pétrolière et gazière, Projet de loi n°52, rapport du vérificateur général, réforme du réseau de la santé. 39 Assemblée nationale du Québec. Projet de loi n°52 : Loi concernant les soins de fin de vie, Québec, Éditeur officiel du Québec. En ligne : http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet- loi-52-40-1.html, consulté le 25 février 2014. 112

a tenté de modifier le calendrier des travaux parlementaires pour éviter que le projet de loi ne meure au feuilleton, advenant le déclenchement d'une campagne électorale. Durant les trois jours qu'ont duré les négociations pour le sauvetage de ce projet de loi historique, un pan de l'actualité politique s'est construit en ligne, en temps réel.

Figure 4.1 Répartition dans le temps des tweets diffusés par les journalistes parlementaires sur le Projet de loi n°52 : Loi concernant les soins de fin de vie, du 18 au 20 février 2014

25

20

tweets 15

10

Nombre Nombre de 5

0

9:00 7:00 9:00 7:00 9:00 7:00

13:00 11:00 13:00 15:00 17:00 19:00 21:00 23:00 11:00 15:00 17:00 19:00 21:00 23:00 11:00 13:00 15:00 17:00 19:00 21:00 23:00 2/18/2014 2/19/2014 2/20/2014 Date et heure

Comme le montre la figure 4.1, la couverture de cet enjeu par les journalistes parlementaires sur Twitter s'articule principalement autour de trois moments forts, soit les 18, 19 et 20 février en matinée, des périodes durant lesquelles les journalistes arpentent les corridors de l’Hôtel du Parlement pour interroger les élus et leurs stratèges au moment où ceux-ci sortent de leur caucus. Le 18 février, un blitz de travaux parlementaires s'amorce. Le Parti libéral (PLQ), alors premier parti d'opposition, annonce par la voix de son leader en chambre, , son intention de laisser les députés de son parti s'exprimer librement sur le Projet de loi n°52 portant sur les soins en fin de vie et l'aide médicale à mourir. Le leader du gouvernement du Parti québécois (PQ), Stéphane Bédard, appelle de son côté tous les partis politiques à collaborer sur cet enjeu, comme l'illustrent ces différents messages des journalistes parlementaires sur Twitter : Paul Journet @PaulJournet Feb 18 8:55 Blitz à #AssNat pour faire adopter projets de lois (comme aide médicale à mourir) menacés par les élections imminentes http://www.lapresse.ca/actualites/politique/pol...

113

Angelica Montgomery @ajmontgomery Feb 18 9:44 Moreau says dying w dignity bill is first he's seen where MNAs40 can vote freely & should be able to express themselves #assnat #cjad

Alain Laforest @AlainLaforesTVA Feb 18 9 :44 Libéraux demandent à Mme Marois de pas précipiter le Québec en élection avant l'adoption de 3 projets de loi pour raison électorale.#assnat

Angelica Montgomery @ajmontgomery Feb 18 12:44 Bedard is asking parties to collaborate by not letting too many MNAs comment on dying with dignity bill #assnat #cjad

Le lendemain, le leader du gouvernement convoque la presse tôt le matin, demandant aux partis d'opposition de prolonger les travaux parlementaires pour faire adopter le projet de loi. Dans ce contexte préélectoral, les partis d'opposition (PLQ et CAQ) se montrent réticents à collaborer avec le gouvernement, ce que dénonce la première ministre Marois, comme en témoignent ces tweets de quatre journalistes parlementaires.

Angelica Montgomery @ajmontgomery Feb 19 8:22 PQ is maneuvering to pass dying with dignity bill (clearly, because they intend to call an election) #assnat #cjad

Shawn Lyons @Shawnlyonscbc Feb 19 8:29 PQ House Leader S Bedard warns opponents will bear consequences of failing to pass so-called "Dying With Dignity" law. #cbcmtl

Louis Gagné @louis_gagne Feb 19 8:38 Mourir dans la dignité: le gvt Marois propose aux partis d'opposition de prolonger les débats ce midi, ce soir et demain midi. #assnat

Louis Gagné @louis_gagne Feb 19 10:05 Projets de loi en attente: le gouvernement n'a que lui à blâmer pour cet "embouteillage législatif", dit Gérard Deltell, de la CAQ. #assnat

Marco Bélair-Cirino @MBelairCirino Feb 19 11 :32 La PM Marois accuse le PLQ et la CAQ de faire de l'«obstruction» en retardant l'adoption de la loi sur soins de fin de vie #polqc #assnat

40 L’expression anglaise MNA désigne un député à l’Assemblée nationale. 114

En fin de journée le 19 février, la ministre qui a déposé le Projet de loi n°52, Véronique Hivon, multiplie les entrevues dans les médias pour tenter de rallier l'opposition à sa cause, comme le rapporte ce journaliste de la Tribune de la presse.

Marco Bélair-Cirino @MBelairCirino Feb 19 16:10 Adoption du PL52 #soinsfindevie : la ministre Véronique Hivon lance «appel à la raison, mais aussi du cœur» à l'opposition. #assnat #polqc

Puis, en début de journée le 20 février, la ministre Hivon (@vhivon) donne une entrevue à l’émission matinale de la radio de Radio-Canada, "C'est pas trop tôt!" (@Pastroptot). Un membre de l’équipe de production tweete en temps réel des extraits de l’entrevue. Soudainement, une députée de l’opposition officielle, Christine St-Pierre (@stpierre_ch), se joint à la conversation en ligne pour contrecarrer une affirmation faite par la ministre (@vhivon) en ondes. La journaliste parlementaire Angelica Montgomery (@ajmontgomery) se joint à la discussion. Dans cet exemple, nous observons la négociation de l’actualité politique se réaliser publiquement, sur plusieurs plateformes médiatiques : C'est pas trop tôt! @Pastroptot Feb 20 Si le projet ne passe pas, mais que le PQ est réélu, il se passe quoi? « J’y crois encore, mais tout devra reprendre au début. » @vhivon

Christine St-Pierre @stpierre_ch Feb 20 @Pastroptot C’est faux

C'est pas trop tôt! @Pastroptot Feb 20 @stpierre_ch ? Pourquoi ?

Christine St-Pierre @stpierre_ch Feb 20 @Pastroptot les règles prévoient que la loi peut être rappelée sans avoir à tout recommencer.

C'est pas trop tôt! @Pastroptot Feb 20 @stpierre_ch Et ça prend quoi comme démarche pour en à arriver à cela?

Angelica Montgomery @ajmontgomery Feb 20 @Pastroptot @stpierre_ch l’unanimité de la chambre. Pas impossible, mais ont [sic.] peut pas le prendre pour acquis.

Pendant ce temps, la première ministre Marois communique avec ses homologues des autres partis. Puis, Stéphane Bédard, le leader du gouvernement en chambre, annonce une entente avec le deuxième groupe d’opposition (la CAQ), comme en témoignent ces tweets émis par deux journalistes parlementaires.

115

Martine Biron @M_Biron Feb 20 9:28 PMarois a parlé aux chefs lib et caquiste pour trouver une entente et adopter le pl sur aide médicale à mourir. Ça négocie. #assnat

Marie-Hélène Tremblay @MHTremblayRC Feb 20 9 :41 À la sortie du caucus, Pauline Marois se dit optimiste quant à l'adoption du projet de loi des soins de fin de vie. #assnat

Marie-Hélène Tremblay @MHTremblayRC Feb 20 9:54 Stéphane Bédard a obtenu l’accord de la #CAQ pour procéder aujourd’hui à l’adoption du pdl 52. Il attend le retour d’appel du #PLQ.

Cependant, le glas sonne un peu après midi. Au moment où la ministre Hivon prononce son allocution en chambre sur l'adoption finale du projet de loi, le chef de l'opposition convoque la presse. Une journaliste de la Tribune de la presse (@GLajoieJDQ) diffuse alors sur Twitter la nouvelle selon laquelle le Parti libéral (PLQ) ferme définitivement la porte au prolongement des travaux parlementaires qui auraient permis l'adoption du Projet de loi n°52.

Geneviève Lajoie @GLajoieJDQ Feb 20 12:11 Le PLQ refuse de forcer l'adoption du pl sur l'aide médicale à mourir avant la relâche parl. en dérogeant aux règles parl. #assnat

Quelques minutes plus tard, la ministre Hivon, qui livre son discours à l'Assemblée nationale, se penche vers son pupitre pour lire un message lui étant destiné, fronce les sourcils, puis affirme : « je suis certaine, malgré les dernières indications que j'ai, qui ne sont pas très encourageantes à cet égard, M. le Président, qu'il y a encore de l'espoir »41. L'information communiquée par les journalistes politiques sur Twitter dans les minutes qui suivront sera sans équivoque sur l'issue des négociations.

Martine Biron @M_Biron Feb 20 12:20 Aide médicale à mourir... ne sera pas adopté aujourd'hui... Le #plq refuse de siéger plus longtemps pour l'adopter... #assnat

La première ministre déclenchera des élections deux semaines plus tard, mettant en suspens le sort du projet de loi qui aurait balisé pour la première fois dans l'histoire du Québec l'aide médicale à mourir. Durant ces trois jours de négociation autour du Projet

41 Assemblée nationale du Québec. Journal des débats. En ligne : http://www.assnat.qc.ca/fr/deputes/hivon- veronique 27/interventions.html#_Toc380761337, consulté le 4 mars 2014. 116

de loi n°52, des milliers d’internautes abonnés au compte Twitter des journalistes parlementaires ont pu voir l’actualité se construire en temps réel, fragment par fragment, un peu comme s'ils avaient été présents dans les couloirs de l'Hôtel du Parlement. Certains usagers de Twitter auront peut-être même appris le dénouement de l'histoire avant la ministre responsable. Certes, notre analyse, centrée sur l'usage de Twitter par les journalistes parlementaires, ne rend pas compte du rôle de l'ensemble des acteurs qui ont contribué à l’assemblage de l'actualité politique portant sur cet enjeu. Toutefois, en nous concentrant sur les messages émis par les journalistes parlementaires, nous avons tenté d’illustrer de manière tangible le caractère instantané, fragmenté et décentralisé que revêt le processus contemporain de construction de l’information politique sur une plateforme comme Twitter. L’actualité politique s’y construit en temps réel, de manière incrémentale, avec la contribution de multiples usagers.

4.2 Pourquoi immédiatement?

Quels sont les motifs qui expliquent ces usages de l’internet et des réseaux socionumériques par les journalistes politiques? Le tableau 4.3 présente les motivations invoquées par les journalistes pour diffuser en ligne de l’information le plus rapidement possible ou en temps réel. On y retrouve la fréquence des cooccurrences de différents thèmes précis identifiés dans les entretiens, soit les actions de diffuser de l’information le plus rapidement possible ou en temps réel sur internet et, plus spécifiquement, sur les réseaux socionumériques ainsi que les motivations qui y sont associées42. À des fins de synthèse, nous n’avons inclus que les motivations qui reviennent dans plus de deux entretiens. Les données entre parenthèses représentent le nombre d’entretiens dans lesquels nous avons repéré une cooccurrence de thèmes.

42 De manière plus précise, ces données sont le résultat de cooccurrences entre trois groupes de thèmes : des actions (diffuser de l’information en temps réel ou diffuser de l’information le plus rapidement possible), des plateformes (réseaux socionumériques ou web au sens large) et les motivations décrites par les journalistes. 117

Tableau 4.3 Motivations pour diffuser de l’information le plus rapidement possible en ligne43 et sur les réseaux socionumériques (RS) en nombre de références (et en nombre d’entretiens) Diffusion en Diffusion Diffusion en Diffusion

temps réel rapide RS temps réel en rapide en RS ligne ligne Compétition 14 (10) 22 (13) 14 (10) 26 (14) Demande 11 (6) 16 (10) 12 (7) 26 (17) organisationnelle Visibilité 9 (7) 18 (11) 9 (7) 22 (11) Capacité technique 8 (6) 10 (8) 8 (6) 13 (9) Pertinence 5 (5) 6 (5) 5 (5) 6 (5) Rapport de force 3 (3) 3 (3) 4 (4) 4 (4)

D’entrée de jeu, nous observons que l’explication la plus souvent évoquée pour diffuser de l’information le plus rapidement possible en ligne et sur les réseaux socionumériques est la compétition, suivie par la demande organisationnelle, la recherche de visibilité. Viennent ensuite la capacité sur le plan technologique, la pertinence et la possibilité d’établir un meilleur rapport de force avec les politiciens. Nous nous attarderons maintenant à chacune de ces explications de manière plus approfondie en commençant par le rôle non négligeable de la technologie.

4.2.1 La capacité sur le plan technologique

Certaines propriétés techniques des plateformes numériques qu’utilisent les journalistes politiques pour communiquer de l’information sont fréquemment invoquées pour expliquer la diffusion dans l’immédiat. La rapidité avec laquelle circule l’information en ligne apparaît comme un facteur déterminant. « Ça va plus rapidement parce qu’au bout d’un clic, tu peux diffuser ton information » (Journaliste 17). De façon

43 La diffusion en ligne comprend notamment la diffusion sur les réseaux socionumériques. 118

rétrospective, plusieurs journalistes établissent un lien entre les transformations technologiques et l’accélération du processus de construction de l’actualité politique.

Internet nous a mis à une vitesse! Moi, quand j’ai commencé à faire du journalisme, je travaillais sur une dactylo Olympia, on faisait la nouvelle le jour, la réaction le lendemain. En ‘84 est arrivé le fax et là, on était en état de choc parce que, avec le fax, on avait la nouvelle le jour et la réaction sortait par fax, alors là, c’était troublant, on était obligé de mettre les deux versions dans le reportage. Mais aujourd’hui, […] on nous demande de devancer la nouvelle parce que, quand la nouvelle est sortie, on la sait, la nouvelle (Journaliste 23).

La flexibilité des plateformes de diffusion en ligne – les sites web d’actualité ou les réseaux socionumériques – permet une diffusion à toute heure du jour et de la nuit, à l’extérieur des créneaux qu’offrent la radio ou les chaînes d’information en continu.

Un des exemples qui m’avaient frappé, c’était lorsque, après avoir subi la défaite44, le Parti québécois s’est choisi un chef intérimaire. Tous les journalistes de la Tribune étaient près du local où était réuni le caucus du Parti québécois pour se choisir un chef. C’était en soirée, donc les chaînes d’information en continu étaient dans des émissions, des reportages, donc n’étaient pas en mode couverture en direct. Dès que le président du caucus est sorti pour nous annoncer le choix du chef, dans les 30 secondes qui ont suivi, on a été plusieurs à tweeter le nom du nouveau chef. Et là, je me suis surpris à réfléchir, à me dire : « on est vraiment dans l’information instantanée, parce qu’il vient juste d’être nommé et là, tout de suite, on met l’information sur Twitter » (Journaliste 8).

La mobilité des outils comme le téléphone intelligent et l’ordinateur portable facilite grandement la diffusion en temps réel. Plusieurs journalistes ont rapporté devoir rédiger un article sur leur téléphone intelligent ou leur ordinateur portable durant une conférence de presse, dans le but de diffuser l’information instantanément. D’un point de vue technique, la production et la diffusion dans l’instant présent, est envisageable partout et en tout temps. Ce journaliste décrit les conditions d’une couverture réalisée lors de l’inauguration d’une mine dans le Grand Nord québécois en compagnie du premier ministre.

44 Le journaliste fait référence à la défaite du Parti québécois face au Parti Libéral du Québec à l’élection générale du 7 avril 2014. 119

Pendant la conférence de presse, j’ai commencé à taper mon premier texte sur mon Blackberry […]. On embarque dans l’autobus, on va faire le tour de la mine. Moi, il fallait que je filme un bout de la mine avec ma vidéocaméra. Je rembarque dans l’autobus, je finis mon texte. J’avais un deuxième texte à commencer que j’ai commencé sur mon Blackberry […]. On est revenu vers un des campements […]. On a eu zéro temps de transmission, que cinq minutes, et j’ai tapé mes deux textes sur mon Blackberry, ce que je n’ai jamais fait avant. Je veux dire, j’en ai fait des affaires épouvantables là, mais jamais, jamais on m’avait pressurisé comme ça. J’ai 42 ans; j’ai fait 22 ans de journalisme. Je n’ai jamais vu ça (Journaliste 14).

Ainsi, la rapidité avec laquelle circule l’information sur internet, la mobilité qui caractérise les outils dont disposent les journalistes et la flexibilité des plateformes de diffusion expliquent l’importance que prend l’immédiateté, dans la pratique du journalisme politique. Cependant, malgré l’importance que revêt le facteur technologique, il ne permet pas à lui seul d’expliquer l’immédiateté qui caractérise la production de l’actualité.

4.2.2 Gagner en influence : compétition, pression organisationnelle et quête de visibilité

Le contexte socioéconomique de l’industrie médiatique joue également un rôle de premier ordre dans la manière dont les journalistes politiques utilisent l’internet et les réseaux socionumériques. Lors des entretiens semi-dirigés, le thème le plus fréquemment associé à la diffusion de l’information dans l’immédiat en ligne, et plus particulièrement sur les réseaux socionumériques, est la compétition. Durant la seconde moitié du vingtième siècle, les logiques de concurrence modelant la pratique journalistique étaient principalement structurées entre concurrents directs : les journaux se concurrençaient entre eux, de même que les radios et les chaînes télévisées (Lee, 2013 : 22). Or, la concentration des organisations médiatiques et la convergence technologique ont contribué à créer une seule et même arène que se disputent férocement les entreprises de presse. « Maintenant, on est en concurrence avec tout le monde » (Journaliste 20). Cette

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compétition exacerbée se traduit par une recherche d’immédiateté. Ce journaliste de la presse écrite décrit sa relation avec un groupe concurrent, Québecor Média45 :

[m]aintenant c’est rendu une armée avec QMI puis TVA, tout a été intégré. Donc, ils sont beaucoup plus nombreux. Sur nous aussi, ça a mis de la pression. Ce n’est pas le simple fait de la technologie. La technologie rend possible, si on veut, une accélération du rythme de travail et de la production, mais en même temps il y a aussi des considérations un peu de concurrence qui jouent (Journaliste 1).

Cette logique de concurrence, associée aux récentes avancées technologiques, percole dans la pratique quotidienne. Les organisations médiatiques demandent aux journalistes de demeurer compétitifs, et donc rapides, sur toutes les plateformes, comme l’explique ce journaliste qui œuvre principalement à la télévision.

La compétition fait en sorte que l’on veut être toujours les premiers à diffuser l’information. Puis les journaux ne sont pas à l’écart de cette compétition-là. Les sites internet aussi. Combien de fois je reçois un appel d’un patron qui me dit : « Cyberpresse ou Le Journal de Montréal publient telle information. Est-ce qu’on peut la vérifier, s’il vous plaît ? ». Et ce n’est pas dans le journal du matin. C’est sur le site internet à dix heures le matin. Alors les avancées technologiques – diffusion de scrums en direct, réseaux sociaux et sites internet – font en effet en sorte que ça aussi ça va plus vite, que l’information est diffusée plus rapidement (Journaliste 17).

En ce qui a trait plus spécifiquement aux réseaux socionumériques, les attentes des directions de rédactions sont parfois implicites, comme le relate cette journaliste à qui l’on a demandé d’être visible sur Twitter sans nécessairement donner de précisions sur le rythme de diffusion : « [i]l n’y a personne qui m’a officiellement demandé de tweeter le plus vite possible, mais comme c’est la logique de l’entreprise je me dis qu’il faut que je le fasse ». Cependant, pour de nombreux journalistes œuvrant dans différentes organisations, la demande de la direction pour diffuser de l’information en temps réel sur Twitter durant une couverture médiatique est sans équivoque.

45 Au moment où nous avons colligé nos données, Québécor Média était notamment propriétaire du Journal de Montréal, du Journal de Québec, de l’agence QMI et du Groupe TVA. 121

Ils nous demandent de tweeter, surtout les événements importants. Ils ont changé leur page web et ils incluent des tweets […]. Ils nous le demandent définitivement, des fois ils vont nous écrire avant : « n’oubliez pas de tweeter! » (Journaliste 23).

Plusieurs organisations ont modifié leur site internet pour intégrer la production en temps réel de leurs journalistes, non seulement par la diffusion d’un grand nombre d’événements en direct, mais également par l’ajout d’un fil Twitter accessible à même la page web de l’organisation. Notons ici que les journalistes des agences de presse font figure d’exceptions. Parmi les 5 journalistes d’agence membres de la Tribune de la presse, 2 n’ont émis aucun tweet durant notre analyse de contenu, alors que les 3 autres ont émis respectivement 1, 9 et 36 tweets en temps réel en 4 semaines. De manière générale, les journalistes d’agence de presse tweetent assez rarement en temps réel, car leur organisation doit d’abord et avant tout servir ses clients, comme l’explique ce courriériste parlementaire oeuvrant dans une agence.

Dans un contexte d’agence, ça m’est arrivé de me faire taper sur les doigts, de tweeter un truc quand c’était une grosse nouvelle, de tweeter avant d’informer l’agence. L’agence n’était pas contente parce que, elle, comme elle a un système d’alerte, c’est urgent, elle doit aviser ses clients qu’il y a une nouvelle (Journaliste 15).

Régulièrement au cours des entretiens, le thème de la compétition est associé à celui de la recherche de visibilité, toujours dans une perspective d’immédiateté. Non sans une pointe de critique, des journalistes associent cette pratique à une forme de plaisir visant à satisfaire l’égo, reproduite par mimétisme ou par effet d’entraînement. Aussi, de manière plus stratégique, les journalistes rivalisent en termes de rapidité pour obtenir plus de visibilité, un gain qui se traduira ultimement par une forme de notoriété, voire d’influence.

Ce que je remarque, des fois, c’est qu’il y a une course. C’est le premier qui tweete la nouvelle : « Bolduc démissionne! ». Le premier qui va le sortir sur Twitter, ça va être le meilleur. C’est parce que le premier qui va le sortir va se trouver à se faire retweeter tellement souvent que, à un moment donné, il va avoir beaucoup d’abonnés. Il y a une certaine gloriole autour de ça : plus tu as

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d’abonnés, plus tu es influent, plus tu es influent, plus tu es big (Journaliste 25).

Dans certaines entreprises de presse, les gains se matérialisent à la fois en nombre d’abonnés sur Twitter, mais également en termes de mesures d’audience sur le site web. Un journaliste décrit comment les mesures mises en place dans son organisation permettent d’évaluer le nombre clics générés sur son site web par le truchement des réseaux socionumériques.

On a des outils pour mesurer qu’est-ce que les gens vont lire, les histoires retenues, combien de temps par article. Après, ils vont où; ils arrivent d’où ? Est-ce qu’ils ont vu la publication sur Facebook? Est-ce qu’il ont vu la publication sur Twitter ? Est-ce que c’est un journaliste en tant que tel qu’ils suivent particulièrement, cette personne-là, sur Twitter ? (Journaliste 7)

Des journalistes qui œuvrent dans deux organisations médiatiques distinctes fournissent un raisonnement où la combinaison entre les thèmes de la diffusion dans l’immédiat, de la compétition et de la recherche de visibilité est associée à un discours sur les mesures d’audience. Ce journaliste explique la logique qui motive la diffusion rapide d’un article sur les réseaux socionumériques, dans ce cas-ci Twitter.

Il n’y a à peu près personne qui va sur notre site internet pour lire nos articles. Ils les lisent à partir de Facebook ou à partir de Twitter. Donc, c’est sûr que moi, quand j’écris un article très rapidement sur un événement qui va faire jaser… on les connaît nos affaires : la Charte, ça marche. Donc, quand on a notre article, ça vient d’arriver, on tweete sur #assnat. Tous les gens qui suivent la politique […], qui s’intéressent à la politique québécoise, [sont] sur #assnat, donc c’est là qu’on a le plus d’écho (Journaliste 6).

Un journaliste poursuit ce raisonnement en spécifiant l’importance de prendre de vitesse les compétiteurs pour obtenir le meilleur classement possible dans les moteurs de recherche.

Sur les réseaux sociaux, si tu vois la nouvelle arriver deux heures après, que tu l’as vue ailleurs, eh bien, tu ne cliqueras pas, c’est sûr. Et dans Google, si tu es le premier à avoir mis la nouvelle en ligne, tu as une prime si tu veux.

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[…] Ce qui fait en sorte qu’il faut être le premier comme partout ailleurs pour le ranking (Journaliste 26).

De manière plus marginale, certains journalistes évoquent aussi la pertinence de diffuser l’information rapidement pour satisfaire un public très friand de politique, principalement composé des élus et de leurs stratèges, de journalistes, de représentants de groupes d’intérêts et de militants. Enfin, certains journalistes choisissent de diffuser l’information instantanément pour établir un meilleur rapport de force avec les élus ou leurs interlocuteurs. Ce journaliste explique la façon dont il s’y prend : « [t]u tweetes que quelqu’un refuse de répondre à tes questions, qu’un politicien refuse, et là tout le monde relaie ça. Ça devient un sujet de conversation. Ça augmente la pression et des fois tu finis par avoir une interview » (Journaliste 18).

En somme, une des principales motivations pour diffuser de l’information dans l’immédiat est non seulement le potentiel existant sur le plan technologique, mais également la compétition entre les journalistes, une compétition pour gagner en visibilité et, ultimement, en influence. Cette dynamique de compétition ne relève toutefois pas strictement du domaine individuel ; elle apparaît en premier lieu comme résultant d’une concurrence exacerbée entre les organisations médiatiques qui demandent aux journalistes de produire dans l’immédiat, tout particulièrement sur l’internet et les réseaux socionumériques.

4.3 Immédiatement! C’est la norme.

Dans le discours des journalistes parlementaires sur leur pratique, l’immédiateté, conçue comme l’instant présent (Usher, 2014), constitue une norme centrale. Cette norme est présentée par la plupart des journalistes politiques interrogés comme le fruit d’une transformation dont ils ont été témoins durant leur parcours professionnel. Plusieurs dépeignent cette transformation non pas comme une rupture, mais comme une forme de continuité avec la logique du direct instaurée dans les réseaux télévisés d’information en continu. Autrefois, cette logique constituait l’apanage d’un petit groupe de journalistes des médias électroniques; elle s’avérait particulièrement importante en période de crise.

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Avec l’avènement de l’internet et des réseaux socionumériques, la logique du direct s’étend maintenant à une partie importante de la pratique, peu importe l’organisation médiatique, la plateforme de diffusion ou le contexte de couverture, créant une forme « d’emballement du cycle médiatique » (Journaliste 3). Un journaliste explique cette transformation des façons de faire.

Les gens s’informent de plus en plus via le web et par extension, […] nous on nous demande, les journalistes, de produire notre matériel le plus rapidement possible, pour qu’il soit accessible sur les sites web, le plus rapidement possible. Aussi, […] quand les nouvelles sont accessibles rapidement sur d’autres plateformes, sur d’autres réseaux concurrents, sur le web, bien nous ça nous force à aller plus rapidement, à produire des nouvelles plus vite, et souvent, à renouveler les nouvelles plus vite, et par conséquent ça a un effet sur la nouvelle en tant que telle, qui a une durée de vie beaucoup plus courte, en ce sens, qu’à une certaine époque (Journaliste 24).

Diffuser l’information au moment même où celle-ci est disponible est devenu une pratique non seulement acceptable, mais normale, une partie intégrante de la « culture » journalistique contemporaine (Journaliste 11). L’immédiateté est définie par plusieurs comme un impératif, quelque chose d’incontournable : « [l]e web a permis de tuer le temps, de faire en sorte que tout est en direct. Maintenant, tout doit être en temps réel » (Journaliste 5).

Chaque fragment d’information politique inédite est diffusé rapidement sur les réseaux socionumériques et dans les sites web d’actualité – à l’exception bien entendu des nouvelles issues du travail d’enquête, qui se réalise dans une perspective de plus long terme. La nature fragmentée de la construction de l’actualité amène un journaliste à se questionner sur l’évolution des formats : « [e]st-ce que les réseaux sociaux sont en train de faire éclater complètement le reportage? C’est quoi, le reportage, le lendemain, quand il a été livré au compte-goutte pendant la journée? » (Journaliste 16).

Sur les sites de nouvelles en ligne, la multiplication des contenus favorise les gains sur le plan économique : « [s]i on fait cinq articles plus courts plutôt qu’un gros qui parle des cinq choses, on a plus de clics, plus de visiteurs, donc plus de parts », résume ce

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journaliste (Journaliste 7). Ainsi, la valeur relative accordée à une information n’est plus tout à fait la même. Dans l’immédiat, le traitement d’une information autrefois considérée comme secondaire est parfois semblable à celui d’une information de premier plan : on en fait un tweet ou une nouvelle de dernière heure (ou breaking news). Ce faisant, la nature de ce qui constitue une nouvelle politique évolue.

La fibre de l’information change un peu. Ce qui, il y a dix ans, n’était pas de l’information devient une information. La date du budget devient un article dans le journal, alors que c’est juste une date. Le fait qu’il y aura une conférence de presse plus tard cette semaine sur tel sujet devient une information, alors que l’on n’a pas le contenu de la conférence de presse. Avant, on aurait attendu que la conférence de presse ait lieu et on aurait diffusé l’information. Donc, il y a énormément d’informations moins pertinentes qui deviennent de l’information et qui font l’objet d’articles, de converses46, de tweets, qui avant n’étaient pas de l’information (Journaliste 17).

Ainsi, selon les journalistes, cette dynamique où se superposent les impératifs d’immédiateté, de multiplication des contenus et de rentabilité aurait une incidence sur la nature des contenus d’information politique, en ligne comme hors ligne.

4.3.1 Transformations et questionnements sur le plan normatif

L’importance que revêt l’immédiateté comme principe directeur de la pratique journalistique soulève plusieurs questions chez les journalistes parlementaires interrogés, notamment en ce qui a trait aux normes en matière de cueillette, de sélection et de vérification de l’information.

Dans un premier temps, plusieurs journalistes rapportent des limites sur le plan cognitif lorsqu’ils doivent colliger et diffuser de l’information simultanément durant une couverture de presse. « Il n’y a pas de moyen de l’éviter : quand tu écris ton tweet, tu n’as pas le focus à 100 % sur l’événement », explique un journaliste (Journaliste 28). Ce détournement de l’attention au profit de la diffusion augmenterait le risque de commettre

46 L’interviewé emploie le terme « converse » pour désigner un type de reportage présenté en direct et structuré sur le mode de la conversation entre un présentateur et un journaliste. 126

une erreur ou de « rater la nouvelle » (Journaliste 15). Il occasionnerait aussi une perte sur le plan de la richesse de l’information colligée, notamment en ce qui a trait à l’information non verbale qui permet de mieux évaluer une situation.

Actuellement, il y a beaucoup de journalistes qui vont à la période des questions et qui tweetent. On ne voyait pas ça avant. Moi, je trouve qu’il y a une menace à ça, parce que moi, quand j’allais à la période des questions, j’écoutais et je regardais les politiciens. Là, si tu passes ton temps à tweeter, tu perds une sensibilité. Il faut que tu voies la face du ministre. […] Je me rappelle une fois, […] c’est Paul Martin qui faisait une déclaration sur l’assurance-chômage. Je sors du scrum, je fais une drôle de face et là, le gars du Globe me regarde et il me dit : « tu penses à la même chose que moi, hein? Il ne dit pas la vérité »47. Si on avait eu à tweeter, notre esprit n’aurait pas été là (Journaliste 25).

La diffusion en temps réel oriente également la démarche du journaliste durant la couverture. Tout en réalisant la collecte, celui-ci doit prendre de multiples décisions liées à la sélection de l’information et au cadrage d’un événement, sur-le-champ. Ce journaliste explique ce qui caractérise ce type de couverture.

C’est sûr que ma façon de couvrir l’événement est différente. Je vais faire des choix tout de suite, commencer à dire : « ça, c’est intéressant ». […] On est habitués d’avoir une oreille là, un œil là, et bon, ça peut aller, on peut continuer à couvrir, mais déjà, je mobilise mon esprit à faire des choix immédiats (Journaliste 21).

Plusieurs journalistes expliquent organiser leur travail pour être plus efficace en tenant compte des impératifs d’immédiateté. Ils ont développé des techniques pour parvenir à diffuser l’information en temps réel en diminuant le risque d’erreur. Sur Twitter, durant une couverture, les journalistes préfèrent généralement diffuser une information qui demeure le plus près possible du discours des politiciens, en les citant ou en les paraphrasant. Parfois, pour répondre aux impératifs d’immédiateté, les journalistes diffuseront aussi de l’information non vérifiée en prenant le soin de mentionner sa source,

47 Le journaliste politique fait ici référence à une couverture réalisée à l’époque où il était correspondant parlementaire à Ottawa. 127

souvent une source officielle, d’ordre politique ou médiatique, sur qui pèsera alors le poids de l’exactitude.

Je te dirais qu’on est peut-être plus prompts à relayer l’information en l’attribuant. Si j’ai un doute que l’information peut être inexacte ou si je n’ai pas le temps de la vérifier, même si selon moi l’information est bonne […] puis je veux la dévoiler rapidement, bien je vais la mettre en ligne, puis je vais attribuer l’information. Ce n’est pas que je me décharge de mes responsabilités, mais disons que je fais reposer la responsabilité sur la personne qui a donné l’information (Journaliste 3).

Cependant, une majorité de journalistes interrogés se questionnent sur le bien-fondé d’une telle pratique, notamment en ce qui a trait à la vérification de l’information émanant de sources politiques.

Premièrement, est-ce que c’est vrai ce qu'on nous dit? Est-ce que c’est de l’information complète? Je ne pense pas que les politiciens qui font des annonces nous mentent. […] Mais ils peuvent choisir le chiffre, la donnée, le fait qui fait leur affaire. […] Moi, je trouve qu’à la limite, on n’a pas le temps de faire notre métier, parce que quand j’étais étudiant à l’université, on nous disait que la première chose à faire c’est de vérifier (Journaliste 5).

Plusieurs journalistes soulignent ainsi la difficile conciliation entre la diffusion dans l’immédiat et certains aspects fondamentaux de la pratique du journalisme politique qui consistent à assumer un rôle de surveillance par rapport au pouvoir politique. Ce rôle nécessite de vérifier les faits et de les remettre en contexte.

Surtout en politique, j’ajouterais que c’est encore plus important. Ce ne sont pas des chats écrasés, ce sont des annonces ministérielles, souvent, qui ont de gros impacts. Et on peut se faire jouer des tours […]. Si, disons, par exemple, un tel investissement a déjà été annoncé et que, dans le fond, ce n’est pas du nouvel argent, c’est du vieil argent. Je pense que c’est important, en politique, de porter cette attention particulière aux détails, au contexte, au passé, à ce qui s’est dit en campagne électorale par rapport à ce qui se fait maintenant (Journaliste 27).

Aussi, des journalistes de différentes organisations, jeunes et moins jeunes, associent l’immédiateté à une perte de qualité dans la démarche journalistique et dans les contenus

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qui en résultent. Ils remarquent que le travail de mise en contexte d’enjeux complexes requiert un temps de réflexion qui se fait de plus en plus rare.

On n’a jamais le recul qu’on avait, à une certaine époque où tu n’étais pas toujours bombardé par plein de stimuli. Tu pouvais te plonger dans un sujet, dans une idée et y réfléchir. Ton cerveau fonctionnait sur un autre mode que juste utiliser ta mémoire de travail, en travaillant quatre ou cinq dossiers en même temps, ce qui est une pensée plus efficace, plus rapide, mais plus superficielle. […] On est vraiment dans l’immédiat, dans l’instantanéité et ça amène une certaine superficialité dans notre façon même de réfléchir, de façon vraiment générale (Journaliste 18).

En somme, plusieurs journalistes s’interrogent sur la compatibilité entre l’impératif de diffuser de l’information dans l’immédiat et leur capacité à jouer leur rôle qui consiste non seulement à faire circuler la nouvelle, mais également à lui donner une valeur ajoutée à travers les processus de vérification, de sélection et de contextualisation de l’information. A priori, diffuser de l’information dans l’immédiat n’empêche pas un journaliste d’effectuer un travail de fond par la suite. Toutefois, dans un contexte de compressions financières dans les rédactions, la multiplication des couvertures en temps réel peut réduire considérablement le temps alloué aux journalistes pour la réflexion, la recherche et la vérification. « En fait, s’il y avait un piège, c’est qu’on ne travaille que pour cette information que tu qualifies d’instantanée, qu’elle nous bouffe tout le temps » (Journaliste 10).

Ce « danger » qu’évoquent certains journalistes semble plus important dans les organisations de plus petite taille ou celles qui n’ont qu’un seul journaliste attitré à la Tribune de la presse. Dans les organisations médiatiques qui comptent plusieurs membres actifs à la Tribune, on partage les tâches selon les sujets ou les modes de traitement – par exemple, alors qu’un journaliste effectue la couverture d’un évènement en direct, un autre sera chargé d’en faire l’analyse. Dans ces organisations, les journalistes ont encore la possibilité d’adapter leur routine ou d’être dégagés des multiples couvertures quotidiennes pour mener à bien une enquête : « il y a aussi une part de travail de charbonnier, c’est-à-dire de fouiller, creuser pour avoir de la nouvelle. Ça a toujours eu son importance, ça a encore son importance » (Journaliste 1). Cependant, dans les plus

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petites organisations, l’impératif de diffuser l’information disponible dans l’immédiat l’emporte sur le reste. Un journaliste, qui est le seul membre de son organisation à la Tribune, explique les choix qu’il doit faire :

[j]’ai moins le temps de fouiller les nouvelles. Tu sais, je ne peux pas m’installer pendant deux heures […] pour aller vérifier certains aspects de la nouvelle, parce que cette nouvelle-là, justement, va très vite. Il faut être sur à peu près tout, donc on laisse tomber des choses. Souvent, on va aller plus en surface […] pour aller plus vite et par la suite trouver d’autres nouvelles, aller aux réactions de cette nouvelle-là, sans avoir nécessairement approfondi au maximum la nouvelle (Journaliste 24).

Ainsi, l’immédiateté conçue comme l’instant présent entre en conflit avec d’autres normes journalistiques et confronte les journalistes à la question de la définition des frontières de leur identité professionnelle.

J’ai l’impression des fois que, comme journaliste, on est en train de couper la branche sur laquelle on est assis. […] Ce que je trouve navrant, c’est qu’aujourd’hui, on va se vanter, se targuer d’apporter l’information rapidement. C’est « qui va être le plus rapide », mais on ne se donne même plus la peine de réfléchir. Or, qu’est-ce qu’un journaliste fait de plus à l’information […]? Donner un sens, donner un contexte, la mettre dans une trame narrative, la contextualiser. Si on ne se donne même plus la peine de faire ça juste pour se dépêcher à donner l’information, à ce moment-là on est aussi bien de prendre le communiqué […] ou tu sais, le fil de CNW, et de le retransmettre au grand complet dans n’importe quel foyer du Québec (Journaliste 14).

Le questionnement des journalistes politiques par rapport à l’immédiateté se pose également en regard des citoyens. « Je ne sais pas si c’est pertinent pour le lecteur, si c’est vraiment lui rendre service, d’écrire sur tout rapidement, de relayer tout ce qu’on voit, plutôt que de cibler un ou deux éléments et de prendre de temps de les approfondir et d’aller chercher des réactions » (Journaliste 3). Plusieurs journalistes estiment que l’information diffusée dans l’immédiat ne s’adresse en réalité qu’à un public restreint d’initiés.

Est-ce que le lecteur, l’auditeur, le téléspectateur sont gagnants? Je pense que non. C’est sûr qu’ils peuvent assister à tout en temps réel, mais encore là, à

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part la classe politique puis les journalistes, qui a vraiment le temps de suivre tout ce qui se passe en temps réel? Les gens travaillent, ils ont une vie, ils ont des enfants; ils ne passent pas leur temps à suivre ce qui se passe dans les médias comme nous. Selon moi, les journalistes ne sont pas gagnants dans leur pratique et le public, surtout, n’est pas gagnant (Journaliste 5).

On se bat pour des minutes […] Est-ce que de sortir que Gérard Deltell dit quelque chose trois minutes après qu’il l’ait dit ou douze minutes après qu’il l’ait dit va davantage servir l’intérêt public en termes d’information? Je ne pense pas. Je pense que ça, c’est une guerre de compétition et de marketing, je dirais très interne, au niveau des médias (Journaliste 7).

En somme, plusieurs journalistes se demandent si la norme d’immédiateté, conçue comme l’instant présent, et dont les visées sont également d’ordre économique, sert réellement l’intérêt public.

4.3.2 Transformations dans la nature du débat politique

Du point de vue des journalistes, la pratique qui consiste à diffuser de l’information en temps réel, en ligne et sur les réseaux socionumériques plus spécifiquement, mais également sur l’ensemble des plateformes, affecte non seulement le travail journalistique, mais également la manière dont se déroulent les débats politiques. D’une part, des journalistes font le rapprochement entre le potentiel qu’offrent certains dispositifs technologiques et l’accélération du rythme de la négociation de l’actualité politique, entre les journalistes et les politiciens. Un journaliste brosse un portrait de ces transformations, à partir de l’avènement de l’information télévisée en continu.

La meilleure image que j’ai eue de cette transformation-là, en ce qui a trait à la télé, c’est pendant les conférences constitutionnelles de Mulroney avec les premiers ministres, lorsqu’il tentait de sauver l’accord du lac Meech, en 1990. Lors des conférences constitutionnelles de Pierre Elliott Trudeau, dix ans plus tôt, il n’y avait que La Presse canadienne, la Canadian Press et la radio à certains égards qui donnaient de l’information en continu. Puis, La Presse canadienne, finalement, ce n’était pas at large, ce n’était pas accessible au grand public. Alors qu’en 1990, pendant la conférence constitutionnelle, lorsque les premiers ministres sortaient de leurs réunions à huis clos, j’ai vu Mulroney, par exemple, constater sur les ondes de Newsworld […] que Gary Filmon du Manitoba était en train de faire un point de presse. Ça, il le voyait en direct à la télé, alors il a immédiatement demandé à ce que Joe Clark aille

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également rencontrer les journalistes pour donner le point de vue du fédéral. Alors là, ça a été pour moi l’image la plus importante de ce changement-là pour la télévision (Journaliste 22).

La médiatisation de la politique sur les chaînes télévisées d’information en continue aurait ainsi contribué à accélérer la vitesse à laquelle se déroule le débat politique. Non seulement l’information politique circule-t-elle plus vite, mais la distinction entre les processus de cueillette, de traitement et de diffusion de l’information s’estompe. Puis, avec l’intégration des réseaux socionumériques dans la pratique, la logique du direct typique des grands réseaux d’information en continu, qui s’appliquait aux conférences de presse jugées les plus importantes, s’étend maintenant à une multiplicité de contextes de couverture : période des questions, impromptu de presse dans les corridors du parlement ou à l’entrée d’un édifice où se rencontrent les députés d’un parti. Ces espaces constituaient autrefois des lieux de négociation de l’actualité, la « matière première » à partir de laquelle les journalistes travaillaient pour construire leurs reportages (Journaliste 5). Avant sa livraison au public, cette matière première faisait préalablement l’objet d’un traitement journalistique. Aujourd’hui, elle est le plus souvent livrée sans délai en direct au public par le truchement des réseaux socionumériques, des sites web des organisations médiatiques ou politiques et des chaînes d’information en continu. Comme le résume ce journaliste : « maintenant, il n’y a plus cette frontière entre le processus et le résultat » (Journaliste 5).

Cette fusion entre les processus de cueillette et de livraison de l’information permet aux politiciens d’échapper en partie au filtre journalistique pour s’adresser plus directement au public, transformant ainsi le jeu de la négociation entre les journalistes et leurs sources politiques. Ce journaliste se montre critique à l’égard de cet état de fait : « on donne une tribune à quelqu’un pour que son discours soit complètement diffusé sans qu’il soit contesté, sans qu’il soit remis en question […]. C’est de l’info- pub » (Journaliste 14). Néanmoins, du point de vue de plusieurs journalistes, cette accélération de la négociation de l’actualité politique ne joue pas toujours en faveur des politiciens. La vitesse à laquelle circule l’information transforme parfois le rapport de force à l’avantage des journalistes, sans nécessairement améliorer la qualité des échanges.

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On est en conférence de presse et on a immédiatement l’information qui peut nous amener, parfois, à poser des questions auxquelles le politicien ou le personnage devant nous ne s’attend pas, parce que lui ne peut pas consulter son iPhone pendant qu’il répond à nos questions (Journaliste 22).

Tout ça, ça crée une pression sur eux, constante, qui fait qu’ils n’ont plus beaucoup de temps de réflexion. On leur impose des déclarations à tout bout de champ. Puis même, un jour, un politicien, s’il est plus brillant que les autres, va dire : « je ne répondrai pas à vos questions […], je ne suis pas une boîte à surprises, je ne peux pas me prononcer sur tout et rien comme ça, à la volée de vos questions ». Le temps de réflexion, ça devrait pouvoir exister (Journaliste 10).

Durant les entretiens, plusieurs journalistes ont mentionné que l’immédiateté influence la nature des échanges avec les politiciens. En point de presse, les journalistes se montrent parfois plus polis dans leur façon d’interroger les politiciens, sachant que leurs interventions sont diffusées en direct. Les politiciens sont plus prudents dans leurs réponses, optant souvent pour la rectitude politique ou le langage technocratique afin d’éviter de commettre une erreur qui risque d’être relayée instantanément sur les réseaux socionumériques : « le risque de dérapage est plus grand et il est plus immédiat aussi; quand tu glisses, tu tombes par terre tout de suite, dans ce contexte-là » (Journaliste 18). Du point de vue des journalistes, les échanges sont souvent moins fructueux : « le journaliste ne veut pas mal paraître, donc il est peut-être moins agressif. Le politicien veut bien paraître, donc il répète toujours la même maudite affaire; il veut passer son message. Donc, en effet, ça fait parfois des scrums dans lesquels le jus ne sort pas » (Journaliste 17).

Au-delà des impromptus ou des points de presse, certains journalistes estiment que c’est l’ensemble du débat politique qui est affecté par la vitesse à laquelle on fabrique l’information politique à l’ère numérique. Ce journaliste résume les transformations qu’il attribue à la structure de l’industrie médiatique et plus précisément à la prépondérance des plateformes qui favorisent l’immédiateté dans le domaine de l’information, soit les chaînes télévisées d’information en continu – qui diffusent désormais une partie de leurs contenus sur internet – et les nouvelles de dernière heure (ou breaking news) en ligne.

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Le cycle de la nouvelle a complètement changé et on est devenus un peu fous. Vraiment, la nouvelle évolue tellement rapidement que, des fois, on ne prend pas le temps de la comprendre avant de la rapporter et on ne prend le temps de la comprendre non plus avant de la commenter. […] Et ça a un effet pervers pour nous. On a moins de temps pour couvrir un sujet, donc forcément la nouvelle va être moins rigoureuse, elle va être moins bien traitée. Les politiciens, on les incite à aller plus rapidement en avant pour commenter un sujet, parce qu’il faut nourrir la bête. Et on leur met de la pression. On va leur dire : « commente, commente ». On leur court après dans un scrum et on refuse d’entendre dire : « je vais revenir demain ». Ce n’est plus défendable. C’est comme si le politicien se défilait devant ses responsabilités. Ça fait qu’on les incite à faire des déclarations, des fois, qui sont un peu hâtives, qui sont un peu irréfléchies. Je trouve que ça pervertis la façon dont on fait nos débats. On les fait de façon maniaco-dépressive. On les fait vite, vite, vite et après, on les oublie et on passe à autre chose (Journaliste 18).

Malgré la complexité des enjeux soulevés dans le débat politique, l’impératif d’immédiateté, devenu la norme dans les médias, affecte aussi les échanges entre les différents acteurs de l’écosystème politique, incluant les fonctionnaires, à qui l’on demande de réagir instantanément. Ce journaliste se montre très critique à l’égard des transformations en cours dans la sphère politique, en lien avec l’immédiateté qui caractérise la diffusion de l’information dans la sphère médiatique.

Ça tue la qualité. Moi, j’ai vu, ça fait à peine trois, quatre ans, un haut fonctionnaire, ici à Québec, du ministère des Finances, me dire : « il y a quelques années à peine, on recevait un appel du bureau du ministre pour avoir une opinion sur un sujet donné et on avait quelques heures pour la préparer. Maintenant, lorsque le bureau du ministre appelle sur un sujet donné, il veut avoir une réaction immédiate, parce que le ministre doit aller en ondes, va rencontrer les journalistes ou doit réagir dans une demi-heure ». Alors, ça a pour effet pas seulement de bouleverser le travail des journalistes, mais également celui des fonctionnaires, qui doivent courir pour transmettre l’information qu’ils n’ont pas le temps de fouiller suffisamment (Journaliste 22).

En somme, selon les journalistes interrogés, la pratique qui consiste à diffuser l’information au moment même où celle-ci est disponible transforme les modalités de la négociation de l’actualité entre les journalistes politiques et les politiciens. Les points de

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presse ou les échanges dans les couloirs du Parlement, des espaces traditionnels de cueillette de l’information, sont aussi devenus des lieux de diffusion. Les échanges qui s’y déroulent sont rendus accessibles à un public plus important, en temps réel. Le processus de traitement journalistique de l’information est souvent réduit au minimum, voire complètement effacé. Les politiciens peuvent transmettre leur message directement aux citoyens sans filtre journalistique. En raison de l’ubiquité de l’information en ligne et sur les réseaux socionumériques, les élus sont également appelés à réagir à des enjeux et des événements instantanément, une demande susceptible d’affecter les pratiques d’autres acteurs du système politique. Ainsi, du point de vue des journalistes politiques, la vitesse à laquelle circule l’information à l’ère numérique contribuerait à transformer la négociation de l’actualité entre les journalistes et les autorités politiques, et de manière plus générale, les modalités du débat public.

4.4 Discussion et conclusion

Avec l’importance que prennent l’internet et les réseaux socionumériques dans les rédactions, la diffusion de l’information dans l’immédiat, autrefois l’apanage d’un petit groupe de journalistes spécialisés oeuvrant pour les chaînes d’information en continu, fait désormais partie de la routine de la quasi-totalité des journalistes parlementaires de la Tribune, toutes organisations et tous médias confondus. Les réseaux socionumériques, les sites de nouvelles en ligne, les chaînes télévisées d’information en continu et – dans une moindre mesure – la radio comptent parmi les plateformes utilisées pour diffuser de l’information dans l’immédiat.

De manière plus spécifique, le site de microblogage Twitter constitue un canal privilégié par de nombreux journalistes pour diffuser de l’information en temps réel. Parmi les membres de la Tribune, plus de 82 % ont diffusé au moins un tweet en temps réel durant notre collecte de données. En nous attardant plus spécifiquement aux messages à teneur politique diffusés par les courriéristes parlementaires sur Twitter, nous avons observé que 3 tweets sur 5 étaient diffusés en temps réel, durant une couverture. La moitié de ces tweets diffusés en temps réel servait à relayer les propos des élus et de leurs

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stratèges. Toutefois, seule une proportion très faible (1%) visait à contre-vérifier les affirmations et déclarations des politiciens. Ces résultats corroborent les travaux de Coddington et ses collègues (2014) portant sur la vérification des faits sur Twitter par les journalistes américains durant la campagne présidentielle de 2012, une pratique existante, mais qui demeure secondaire par rapport à celle qui consiste à « sténographier » les propos de acteurs politiques en temps réel. En observant l’ensemble des tweets produits par les courriéristes parlementaires sur un enjeu précis, nous avons également illustré la manière dont se construit l’actualité en ligne, en direct. Comme l’ont décrit Hermida (2010; 2013) et Karlsson (2011) dans leurs travaux, l’actualité se tisse fragment par fragment, comme autant de versions préliminaires d’un article ou d’un reportage qui se développe avec l’intervention de multiples usagers.

L’utilisation de Twitter par les journalistes parlementaires se conjugue avec celle d’autres plateformes. Souvent, les journalistes tweeteront d’abord un ou plusieurs fragments d’information en temps réel, durant une couverture ou un impromptu de presse, avant de diffuser un premier article sur le site web de leur organisation médiatique ou d’effectuer une intervention en ondes, à la radio ou sur une chaîne d’information en continu. Plusieurs organisations médiatiques tentent également de transposer la réactivité caractéristique des réseaux socionumériques à d’autres plateformes. Elles multiplient les nouvelles de dernière heure (breaking news) et les mises à jour sur leur site web. Les chaînes d’information en continu misent sur la diffusion en direct, diffusant désormais les entrevues croquées sur le vif depuis les couloirs de l’hôtel du Parlement. Certaines organisations intègrent les tweets de leurs journalistes politiques à même leur site web. Parallèlement à ce travail de diffusion dans l’immédiat, une poignée d’analystes, de chroniqueurs et d’éditorialistes oeuvrent à un rythme différent. Plusieurs journalistes politiques continuent aussi d’effectuer un travail d’enquête qui s’étale dans le temps. Ces journalistes retiendront parfois certaines informations pour diffuser leurs reportages exclusifs dans les « médias traditionnels » : la télévision, la radio et l’imprimé. Ces primeurs feront le plus souvent l’objet d’une annonce préalable sur les réseaux socionumériques. En somme, bien que l’immédiateté constitue un aspect fondamental de la pratique du journalisme à la Tribune, le rapport des journalistes politiques au temps ne

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se résume pas qu’à l’immédiateté. Comme le souligne Chadwick (2013), le cycle de l’information politique (political information cycle) est un assemblage hybride et complexe où cohabitent plusieurs types de pratiques et de plateformes. Au quotidien, les journalistes s’approprient les logiques temporelles des réseaux socionumériques en les conjuguant avec leurs pratiques antérieures. Ce faisant, ils modifient aussi la manière dont ils utilisent les plateformes traditionnelles.

Plusieurs éléments expliquent l’importance que prend la diffusion de l’information dans l’immédiat, dans la pratique journalistique sur en ligne et sur les réseaux socionumériques. Certes, la technique constitue l’un d’entre eux. La vitesse à laquelle circule l’information en ligne, de même que la mobilité des outils de cueillette et de production permettent l’instantanéité (Bivens, 2008 ; Westlund, 2013). La flexibilité et la disponibilité de l’espace sur les plateformes web par rapport à l’imprimé, à la télévision ou à la radio facilitent aussi la diffusion dans l’immédiat. Cependant, plusieurs autres facteurs contribuent à faire de l’immédiateté un principe premier de la pratique.

D’une part, la compétition entre les entreprises de presse et, ultimement, entre les journalistes joue un rôle moteur de premier plan. Dans un contexte de convergence et de crise économique dans l’industrie des médias, les entreprises de presse se font agressivement concurrence dans une seule et même arène. Les organisations médiatiques doivent composer avec la transformation des habitudes de consommation de leurs publics, des habitudes qui sont désormais visibles et mesurables sur internet (Lee, 2013). On demande donc aux journalistes de demeurer compétitifs en fournissant au public l’information le plus rapidement possible. Dans la plupart des organisations, on encourage les journalistes à être proactifs sur les réseaux socionumériques. Dans la pratique quotidienne, comme le démontrait Boczkowski (2010) dans ses travaux, les journalistes ont constamment accès à l’information produite par leurs collègues, grâce à internet et, maintenant, aux réseaux socionumériques. Les journalistes de la Tribune de la presse ne font pas exception. Plusieurs rivalisent en vitesse pour gagner en visibilité et en influence. Leurs gains sont visibles et se mesurent au nombre d’abonnés à leur compte Twitter de même qu’aux clics générés sur la page web de leur organisation médiatique.

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Nous remarquerons ici que les journalistes des agences de presse constituent une exception à ce phénomène. Ils ne diffusent que peu d’information sur Twitter en temps réel, la raison d’être de leur organisation étant d’abord et avant tout de servir leurs clients. Or, cette exception vient souligner l’importance que jouent les facteurs organisationnels dans l’utilisation que font les journalistes de l’internet et des réseaux socionumériques. En résumé, l’hyperconcurrence entre les entreprises médiatiques, les demandes organisationnelles et les potentialités techniques contribuent toutes à la fois à expliquer l’importance que prend la diffusion dans l’immédiat – et de plus en plus en temps réel – pour la pratique du journalisme politique en ligne et sur les réseaux socionumériques.

L’immédiateté, conçue comme l’instant présent, est graduellement devenue une norme centrale dans la pratique du journalisme politique québécois à l’ère numérique. Cette norme s’inscrit en continuité avec celle déjà établie depuis plus de deux décennies dans les chaînes d’information en continu. Elle intègre désormais la pratique de la quasi- totalité des journalistes, toutes organisations confondues. De plus, le seuil au-delà duquel une couverture en temps réel est requise s’est transformé. Comme le résument Buhl et ses collègues (2016 : 4), « the role of immediacy as a working routine has prompted online newsrooms to widen the scope of stories to be released as soon as possible beyond dramatic events ». Tout événement politique est désormais susceptible d’obtenir un traitement et une diffusion immédiate.

Conséquemment, du point de vue des journalistes, les modalités de la négociation de l’actualité politique se transforment. La couverture médiatique constitue non seulement un lieu de cueillette, mais également un lieu de diffusion à part entière. Le traitement journalistique est souvent réduit au minimum, les journalistes transmettant les propos des politiciens, en temps réel, sur les réseaux socionumériques. Les politiciens peuvent ainsi diffuser leur message à un large public par le truchement des acteurs médiatiques traditionnels en limitant le filtre journalistique. En ce sens, le rôle de gatekeeper joué par les journalistes évolue. L’internet et les réseaux socionumériques ont en quelque sorte mis fin à la rareté de l’espace et du temps, caractéristique des journaux imprimés, de la radio et de la télévision. En ligne, l’actualité politique est diffusée en

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abondance, en multiples fragments. On devance souvent l’événement dans sa couverture. La moindre information nouvelle fait l’objet d’une intervention médiatique.

Or, bien qu’elle soit un principe premier de la pratique contemporaine, l’immédiateté demeure une norme qui fait l’objet de débat parmi les journalistes de la Tribune de la presse, un constat qui s’apparente à celui réalisé par Usher (2014) dans ses études des pratiques en ligne au New York Times. Plusieurs journalistes de la Tribune remettent en question la compatibilité entre cet impératif et leur rôle traditionnel qui consiste à sélectionner, à vérifier et à mettre en contexte l’information, de même qu’à assurer une surveillance sur le pouvoir politique. En contexte de diffusion en temps réel, les journalistes doivent faire des choix immédiats; plusieurs rapportent être privés du temps d’observation, de réflexion et de vérification dont ils disposaient autrefois. Pour pallier ce manque, ils font des choix stratégiques qui leur permettent de limiter le risque d’erreur, en citant les propos des politiciens et en attribuant l’information non vérifiée à la source. Dans l’immédiat, ils pratiquent souvent un « journalisme d’assertion » plutôt qu’un « journalisme de vérification » (Kovach et Rosenstiel, 2007 : 85). Dans un tel contexte, certains journalistes politiques se questionnent sur leur capacité à jouer leurs rôles de sélectionneurs de l’information (gatekeeper) et de surveillance des décideurs politiques (watchdog). La tension entre les impératifs de rapidité d’exécution et de vérification n’est pas nouvelle au sein de la profession, mais elle semble s’être accrue avec l’importance que prennent l’internet et les réseaux socionumériques dans la pratique du journalisme politique. Avec cette tension exacerbée se pose désormais la question des frontières de la profession, car, comme le soulignent Kovach et Rosenstiel (2007 : 79), « in the end, the discipline of verification is what separates journalism from entertainment, propaganda, fiction or art ».

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Chapitre 5. L’ouverture à la participation publique

For much of human history, « the audience » was aural, and the word itself derives from the Latin audire, to hear. Assembled audiences were necessarily ephemeral, active, and interactive (Withney, 2009)

« À la gang, on sait tout! » (Entrevue, Journaliste 17, citant l’animateur de radio québécois André Arthur)

Sur les réseaux socionumériques, les journalistes politiques ont désormais l’occasion de fréquenter leurs lecteurs, leurs auditeurs ou leurs téléspectateurs. Ceux-ci sont bel et bien présents, du moins virtuellement. Ils sollicitent les journalistes comme les politiciens, les questionnent, les surveillent et commentent leur travail. Certains internautes deviennent même des informateurs, à la fois pour les journalistes et pour leur propre public. Le phénomène n’est pas inédit, le citoyen ayant toujours eu accès à des espaces de participation à l’actualité. Néanmoins, à l’ère des médias de masse, ces espaces demeuraient somme toute restreints et contrôlés par les organisations médiatiques.

La reconfiguration actuelle de la relation entre producteur et consommateur d’information soulève l’enjeu de l’ouverture des journalistes professionnels à la participation des usagers dans la construction de l’information politique. Comme le résume Lewis, du point de vue des journalistes, « [t]he underlying question is rarely stated but certainly implied : How much control over content should we give up, and why? » (2012 : 849). Aussi, au cours de ce chapitre, nous analyserons différentes manifestations de l’ouverture des journalistes parlementaires à la participation du public dans la production de l’actualité politique. De manière plus spécifique, nous nous pencherons sur certaines dimensions de la pratique sur les réseaux socionumériques, soit la transparence, le dialogue avec le public, de même que l’ouverture des journalistes à partager la scène en rediffusant des contenus non journalistiques. Ces dimensions correspondent aux questions de recherche 1.5 à 1.7, 2 et 3.

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5.1 La transparence

Nous concevons la transparence comme une forme d’ouverture, de la part des journalistes, à divulguer la manière dont l’information est produite. Cette pratique implique une confiance réciproque entre producteurs et consommateurs de nouvelles, sans toutefois nécessiter une participation active du public (Karlsson, 2010). La transparence constitue en quelque sorte un premier pas vers une plus grande inclusion des citoyens dans le processus de production de l’actualité. Les journalistes font preuve de transparence en expliquant la manière dont l’information est sélectionnée et produite, en décrivant le contexte de la couverture, en fournissant un accès direct aux sources d’information originales ou en corrigeant explicitement et promptement une erreur. En théorie, plusieurs de ces actions pouvaient être réalisées dans un contexte médiatique antérieur à l’avènement et à la démocratisation de l’internet. Toutefois, elles ne faisaient pas partie de la culture dominante des médias de masse où les journalistes exerçaient un contrôle sur le processus de production de l’information destinée aux consommateurs (idem). Pour des raisons techniques notamment, l’intégration de l’internet et des réseaux socionumériques dans les rédactions pourrait faciliter la transparence, grâce aux hyperliens, à l’espace rédactionnel plus abondant, ainsi qu’à la possibilité pour les journalistes d’intervenir dans l’instantané pour corriger une erreur.

Aussi, nous avons analysé comment et dans quelle mesure les journalistes politiques utilisent l’internet et les réseaux socionumériques pour communiquer en faisant preuve de transparence à l’égard de leur public. Dans le cadre de notre analyse de contenu, nous avons relevé qu’une part non négligeable de la production des journalistes de la Tribune sur Twitter incluait des éléments de transparence. Ainsi, comme l'indique le tableau 5.1, 15,5 % de l’ensemble des tweets relevés portant sur la politique (n=3228) contenaient au moins un élément de transparence. De manière plus détaillée, 8,7 % des tweets à teneur politique incluaient un hyperlien menant à un contenu externe à l’organisation médiatique pour laquelle œuvrait le journaliste émetteur, alors que 7,4 % comportaient un élément visant à décrire le contexte de la couverture ou les conditions de travail des journalistes, à donner de l’information sur les sources, à exposer le

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raisonnement derrière la nouvelle ou à corriger une erreur48. Nous avons également observé que ce type de pratique n’était pas simplement le lot d’un petit groupe de journalistes œuvrant à la marge. Sur Twitter, nous avons repéré des éléments de transparence dans la production de 72% des journalistes parlementaires.

Tableau 5.1 Éléments de transparence relevés dans les messages des journalistes parlementaires sur Twitter (tweets politiques) Caractéristiques relevées Pourcentage des tweets

Hyperlien externe 8,7

Éléments de contextualisation 7,4

Total 15,549 n=3228

À titre d’exemple, le journaliste Paul Journet (@PaulJournet) fournit ici aux internautes de l'information sur le contexte de la couverture (*), une photographie de la scène (**), ainsi qu'un hyperlien (***) vers un article antérieur portant sur l'enjeu soulevé sur le moment.

Paul Journet @PaulJournet Feb 10 Lapointe (ex pdg Tourisme Mtl) tourne dos aux journalistes, ne répond pas aux questions* pic.twitter.com/VMAJSYiNAh** Rappel http://bit.ly/1cRTFLd ***

Parfois, les journalistes incluront un hyperlien vers le document qui constitue la source originale de l’information qui fait l’objet d’une nouvelle, comme l’illustre ce tweet émis par le courriériste parlementaire Charles Lecavalier (@CLecavalier) :

Charles Lecavalier @CLecavalierJDQ Dec 5 10:42 Pour lire le rapport du commissaire à l’éthique qui blâme Pierre Karl Péladeau http://www.ced-qc.ca/fr/rapports/rapportDE-03-2014pkpeladeau.pdf #assnat

Enfin, certains journalistes corrigeront leurs erreurs de manière explicite, parfois à la suite d’une intervention citoyenne. C’est le cas dans ce tweet du journaliste de Radio-

48 Le total dépasse 15,5 % car certains tweets contenaient plusieurs éléments de transparence. 49 Le total dépasse 15,5 % car certains tweets contenaient plusieurs éléments de transparence. 142

Canada, Michel Pepin (@MPepin_RC), émis en réponse à une question de la citoyenne Pierrette Bouchard (@boupi12). Cette dernière avait relevé une contradiction entre les propos tenus par le journaliste et ceux de son collègue du journal Le Devoir, Marco Bélair-Cirino (@MBelairCirino), au sujet d’une citation du chef de l’opposition officielle (@phcouillard).

Michel Pepin @MPepin_RC Feb 11 16:15 @boupi12 oups, c’est @MBelairCirino qui avait raison. @phcouillard faisait référence au Canada, non au Québec, dans cette citation.

5.1.1 Les motifs de la transparence

Plusieurs motivations différentes sont mentionnées par les journalistes pour expliquer la transparence dont ils font preuve à l’égard des usagers de l’internet et des réseaux socionumériques. D’une part, les journalistes invoquent l’importance de répondre à la demande du public. Ils chercheront également à plaire au public et à soulever son intérêt, notamment en partageant les coulisses du métier.

Quand je discute avec des amis, je m’aperçois que ce qui les intéresse, c’est pas de savoir si j’ai sorti un scoop sur Philippe Couillard, c’est de savoir comment je l’ai obtenu, quelles sont mes sources d’information, comment je travaille, qu’est-ce qui fait en sorte que je vais en ondes ou que je ne vais pas en ondes avec de l’information, comment on reçoit l’information, les coulisses de mon travail […]. Alors cette expérience-là je la transmets sur Twitter aussi, et quand je fais ça, je pense aux gens qui s’intéressent comme moi aux coulisses de métier qui les fascinent, entre guillemets, ou pour lesquels ils ont un intérêt (Journaliste 17).

Sur les réseaux socionumériques, les usagers interviennent aussi pour exiger des journalistes des explications liées à la sélection ou au cadrage de l’information. Ce journaliste raconte la manière dont la rétroaction des usagers sur Twitter l’incite à faire preuve de transparence.

Comme hier, j’ai été un peu piqué parce qu’il y a quelqu’un qui a écrit, qui réagissait. Parce que nous, on envoie des trucs sans citations habituellement, des breaking news et, des fois, c’est difficile pour les gens qui le lisent de mesurer la véracité de la charge qui est dans le lead. Donc, j’ai envoyé des

143

morceaux de quotes pour répondre à quelqu’un qui se demandait jusqu’où le lead était juste ou exagéré (Journaliste 16).

En ce sens, faire preuve de transparence en partageant avec les usagers les ressorts du processus journalistique permet non seulement au journaliste politique de mieux informer les citoyens, mais également de préserver sa propre crédibilité.

Moi je me dis, mon travail c’est d’informer les gens. Donc je ne suis pas obligé de le faire juste à la télé non plus. Si j’ai le temps, ça me fait plaisir de le faire aussi avec les réseaux sociaux pour lui montrer ma démarche. Et en même temps je me dis, ça va peut-être ajouter à ma crédibilité de lui montrer les démarches que j’ai faites, que c’est comme ça que je suis arrivé à mon information (Journaliste 9).

L’association des thèmes de la crédibilité et de la transparence est également présente dans le discours de plusieurs journalistes pour expliquer la nécessité d’attribuer à sa source l’origine d’une information exclusive émise par un autre journaliste, même lorsqu’il s’agit d’un concurrent.

Il y a une valeur ajoutée aussi, je pense, pour le public, de savoir qui a eu l’information parce que le public va juger de la crédibilité de l’information selon la personne qui l’a trouvée, évidemment (Journaliste 8).

Enfin, les possibilités qu’offrent certains outils sur le plan technique facilitent la transparence sur les réseaux socionumériques et expliquent en partie les choix qui sont faits dans la pratique. Sur Twitter, les hyperliens permettent de rattacher un court message à sa source première, que ce soit un document émis par une agence gouvernementale ou le statut Facebook d’un acteur politique. Certains types de téléphones intelligents facilitent d’ailleurs l’ajout d’hyperliens, alors que d’autres rendent cette action plus difficile. Ces deux journalistes soulignent le rôle des outils qui sont à leur disposition.

Ils sont très importants, parce que quand je suis devant mon ordinateur, c’est une autre chose. C’est facile de faire ça. Mais quand je suis dans le corridor en train de scrumer des ministres, malheureusement, je n’ai qu’un vieux Blackberry, donc je peux faire ce que je peux, c’est tout (Journaliste 20).

144

Avec le iPhone, tu peux très facilement faire un copier-coller, qui n’existe pas de la même manière, je crois, pour les Blackberry. Alors, c’est possible que ce soit juste à cause de ma technologie que je peux plus facilement faire le lien (Journaliste 12).

En somme, en plus de la configuration des dispositifs techniques, le rapport des journalistes aux autres usagers – la volonté de les intéresser, de répondre à leurs demandes et de préserver à leurs yeux une forme de crédibilité – constituent autant de motivations qui expliquent la tendance des journalistes à faire preuve de transparence dans les messages qu’ils diffusent sur Twitter.

5.2 Le dialogue

Cette ouverture à intégrer les usagers d’internet dans le processus de production de l’actualité se manifeste également par le dialogue. Différentes plateformes sont utilisées par les journalistes pour dialoguer, comme l’illustre le tableau 5.2. Certes, il faut demeurer prudent dans l’interprétation de ces données chiffrées issues du discours des journalistes sur leur pratique, plutôt que sur leur pratique réelle; notons également que les entretiens semi-dirigés ne suivent pas, par définition, un canevas parfaitement fixe et uniforme d’une entrevue à l’autre. Ceci étant dit, ces données indiquent clairement que les journalistes utilisent une variété de dispositifs pour dialoguer en ligne dans le cadre de leur pratique professionnelle. Elles suggèrent aussi que les réseaux socionumériques sont utilisés de manière répandue par les journalistes parlementaires pour interagir, tout comme le courriel traditionnel qui demeure un outil fondamental.

145

Tableau 5.2 Plateformes numériques associées au dialogue par les journalistes parlementaires Plateformes Nombre de Nombre références d’entretiens Twitter 40 15 Twitter (messages privés) 14 12 Courriels 17 12 Réseaux socionumériques (non spécifié) 3 2 Facebook 5 2 Facebook (messages privés) 1 1 LinkedIn 1 1 Blogue 1 1

Pour bien cerner la pratique du dialogue en ligne, il est nécessaire de distinguer le dialogue privé du dialogue public. Dans le cadre des entretiens, plusieurs journalistes expliquent utiliser une combinaison d’outils pour joindre directement les politiciens et leurs stratèges en privé, incluant le courriel, les textos ou encore le téléphone.

J’ai ma façon de travailler. J’ai plein de numéros de téléphone de ministres, mais jamais au grand jamais je vais passer par-dessus la tête d’un attaché de presse […] même si j’ai une relation privilégiée avec le ministre, parce que ça fait 30 ans que je fais ça, que je les connais. […] Dans une situation « x » qui va le concerner personnellement, là, je ne passerai pas par l’attaché de presse et je vais lui poser la question directement en disant : « il y a ça qui court sur toi, es-tu impliqué »? (Journaliste 2).

Tous les journalistes ne disposent toutefois pas d’un carnet d’adresses aussi bien garni que ce vétéran. Chez les plus jeunes, un outil comme Twitter facilite le contact avec les politiciens, tout particulièrement par le truchement de la messagerie privée qui permet au journaliste de contourner le filtre de l’attaché de presse.

Ça donne un peu plus une proximité […]. Quand je sais qu’il y a un élu qui est pris un peu dans une controverse pour X raisons, là j’essaie d’appeler l’attaché de presse : « on ne sait pas encore si on va commenter, on va voir, on va vous revenir… ». Bien là, j’écris un message Twitter : « je fais un

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reportage là-dessus, est-ce que vous avez l’intention de sortir ou de faire quelque chose? ». Et souvent il va me répondre directement donc, j’aime mieux ça (Journaliste 9).

Le courriel et le service de messagerie privée de Twitter permettent aussi aux politiciens de joindre les journalistes rapidement, pour leur communiquer de l’information en temps réel durant la couverture d’un événement, dans l’espoir d’influencer le processus de négociation de l’actualité en cours. Ce courriériste parlementaire décrit comment cela se déroule.

Ce qui arrive de plus en plus, c’est que les autres, les adversaires, voient la conférence de presse en direct sur RDI ou LCN et ils suggèrent des questions à des journalistes […]. En campagne électorale, ça se fait assez couramment. Admettons que ce sont les péquistes qui regardent la conférence de presse de Couillard, ils vont dire : « a-t-il oublié ça, qu’est-ce qu’il a à répondre là- dessus ? ». […] Ce sont des arguments, du « partisan », qui alimentent les questions des journalistes (Journaliste 19).

Ce dialogue entre journalistes et politiciens, en ligne, durant une couverture médiatique, fournit aussi aux journalistes l’occasion d’intervenir dans le débat politique par l’entremise d’un politicien. Par exemple, ce journaliste explique comment il a utilisé le service de messagerie privée de Twitter pour échanger avec une élue de l’opposition, durant les travaux parlementaires, afin d’obtenir des précisions de la part d’un ministre dans un dossier précis.

En commission parlementaire, si je sais que la députée, la porte-parole officielle en matière d’enseignement supérieur essaie de cuisiner le ministre – aujourd’hui c’est sur une possible hausse des droits de scolarité supérieure au taux d’inflation, à la hausse du coût de la vie – moi je peux échanger avec la députée, poser une question. Puis parfois, si cette députée-là souhaite pousser un peu plus loin son interrogatoire ou elle a des questions qu’elle pose au ministre, elle va pouvoir s’inspirer aussi de mes questions à moi pour faire progresser la discussion avec le ministre. (Journaliste 3).

Notons que le service de messagerie privée de Twitter ne fonctionne qu’à condition que les deux interlocuteurs soient abonnés l’un à l’autre. Cette restriction limite la capacité de nombreux citoyens à dialoguer en privé avec les journalistes de la Tribune de la presse dont, rappelons-le, le nombre moyen d’abonnés dépasse largement le nombre

147

moyen d’abonnements. Moins restrictif, le courriel traditionnel permet plus facilement aux citoyens de communiquer avec les journalistes politiques en privé, comme l’explique ce journaliste : « souvent, tu vas avoir un courriel avec ‘ne mentionnez pas mon nom s’il vous plaît’ ou des courriels complètement anonymes » (Journaliste 19).

Le dialogue en public sur les réseaux socionumériques permet aussi au citoyen d’entrer en contact avec les journalistes. Parfois, une première interaction en public entraînera des interactions subséquentes en privé. Ainsi, une plateforme comme Twitter servira de porte d’entrée au citoyen dans le processus de production de l’actualité, comme l’illustrent ces propos d’un journaliste parlementaire qui relate son échange sur Twitter avec un militant altermondialiste, à la suite de la présentation d’un document gouvernemental portant sur les questions de laïcité, dont les images ont soulevé la controverse dans les médias.

Quand la Charte était présentée, au mois de septembre, en fait, c’était le document d’orientation de la Charte […]. Alors, je prends une photo des pictogrammes et je tweete la photo des pictogrammes. Alors là, Jaggi Singh, tu connais, l’activiste ? Il a réagi tout de suite et j’ai dit à Jaggi : « est-ce qu’on peut se parler ? ». Il me dit oui et il tweete ça. Je pense que c’était le message suivant, il a donné son numéro de téléphone (Journaliste 4).

Les tweets dialogiques ne représentent toutefois que 8 % de la production des journalistes parlementaires portant spécifiquement sur la politique (et 9 % de leur production totale). Trois journalistes politiques sur cinq (60%) ont dialogué publiquement sur Twitter durant l’une ou l’autre des périodes de notre collecte de données, alors que deux journalistes sur cinq (40%) n’ont participé à aucun échange public. Dans le cadre de nos entretiens, la plupart des journalistes ont reconnu le potentiel de dialogue qu’offrent les réseaux socionumériques, mais peu disent exploiter ce potentiel de manière intensive ou régulière. Néanmoins, les données recueillies montrent une certaine diversité dans l’utilisation dialogique que font les journalistes parlementaires québécois du site de microblogage.

148

Figure 5.1 Nombre moyen de tweets dialogiques en fonction du type d’interlocuteur (tweets politiques)

16,0

14,0 Journaliste Politicien Citoyen 12,0

10,0

8,0

6,0

4,0

2,0

0,0

@ryhicks

@M_Biron

@gentiled1

@arobillard

@Simboivin

@hebert_mic

@ouellet1969 @PaulJournet

@patbellerose

@doughertykr

@MHTrembla…

@MPepin_RC

@JuDufresne_…

@GLajoieJDQ @hugolavallee

@VeroPrinceT…

@MAGagnonJ…

@CLecavalierJ… @AlainLafores…

@PhilipAuthier

@martincroteau

@SebBovetSRC

@ajmontgomery @Ant_Robitaille @MHarroldCTV

À titre d'exemple, nous avons observé que le chef de bureau de Radio-Canada (@SebBovetSRC) a eu recours au dialogue dans 20 % de ses tweets, s'adressant régulièrement à des citoyens (non élus et non-journalistes), habituellement afin de répondre à leurs questions sur la politique.

Sébastien Bovet @SebBovetSRC Feb 17 Ministre @yflanchet lance un BAPE sur gaz de schiste: pour "éclairer la réflexion du gouv. concernant cette filière énergétique" #assnat

Anne Marie Thouin @amthouin Feb 17 @SebBovetSRC Sur le gaz ou sur le pétrole de schiste?? @yfblanchet

Sébastien Bovet @SebBovetSRC Feb 17 @amthouin @yblanchet Bonsoir, sur le gaz. Le gouv. a laissé entendre qu’il y aurait BABE seulement sur éventuelle exploitation du pétrole.

Ces dialogues, même peu nombreux, permettent aux autres usagers d'observer des fragments du processus de construction de l'actualité en temps réel. Parfois, les journalistes négocient le contenu de l’actualité politique, en ligne (et donc publiquement), avec les élus et leurs stratèges. Parfois cette négociation s’effectue avec des citoyens,

149

comme en témoigne cette conversation entre un étudiant au doctorat et une journaliste de la Tribune au sujet d’une décision gouvernementale sur l’enseignement de l’histoire. Durant cette conversation sur Twitter, l’étudiant (@raph_gani) pose des questions et critique le travail de la journaliste parlementaire (@VeroPrinceTVA), lui demandant d’expliquer ses décisions journalistiques.

Raphaël Gani @raph_gani Feb 13 @VeroniquePrince la décision finale, c'est que le cours d'histoire sera seulement enseigné par des historiens ? @Joelbouchard @gervaislm

Véronique Prince @VeroPrinceTVA Feb 13 @raph_gani @Joelbouchard @gervaislm concernant le cours complémentaire, je vous suggère de voir la Gazette officielle http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type= 1&file=60977.pdf …

Raphaël Gani @raph_gani Feb 13 @VeroniquePrince @gervaislm Merci. Votre titre induit erreur "L'histoire au [sic] historiens". + "le #PQ n'exigera rien de moins qu'un historien"

Véronique Prince @VeroPrinceTVA Feb 13 @raph_gani je suis certaine de mon information Monsieur concernant "l'histoire aux historiens"

Raphaël Gani @raph_gani Feb 13 @VeroniquePrince Pour résumer, "l'histoire au [sic] historiens", mais ce n'est pas une décision finale ? Au MESRST, on dit que ce n'est pas finale [sic]

Véronique Prince @VeroPrinceTVA Feb 13 @raph_gani vous comprenez que je ne peux pas vous révéler mes sources...

Notons qu’ici, le dialogue donne aussi lieu à une manifestation partielle de transparence, dans la mesure où la journaliste prend le temps d’expliquer ses décisions journalistiques sans toutefois révéler l’identité d’une de ses sources qui a probablement demandé à ne pas être identifiée.

Ainsi, comme le montre le tableau 5.3, lorsqu’ils dialoguent, les journalistes parlementaires sont enclins à échanger sur la politique non seulement avec des politiciens (18 %) ou d’autres journalistes (37 %), mais aussi avec d’autres types d’usagers (57 %).

150

Tableau 5.3 Interlocuteurs des journalistes parlementaires sur Twitter (contenus politiques) Interlocuteurs Pourcentages50 Journaliste/média 37 Élu/stratège/parti politique 18 Autres usagers 57 n=244

Afin de mieux cerner qui étaient les internautes inclus dans la catégorie « autres usagers », nous avons analysé les profils de chacun de ceux-ci, pour la première période de collecte de données (n=59). Nous avons recensé des représentants de groupes d’intérêts (4 %), des analystes politiques (9 %), des militants s’identifiant à un parti politique (16 %) et, surtout, des citoyens n’affichant aucune affiliation partisane (70 %).

5.2.1 À la source du dialogue

Dans le cadre des entretiens semi-dirigés, deux explications sont données de manière régulière par les journalistes pour dialoguer en ligne et, plus spécifiquement, sur les réseaux socionumériques : faciliter le processus de collecte d’information et répondre à la demande du public. Dans un premier temps, comme nous l’évoquions précédemment, les réseaux socionumériques sont utilisés comme complément à d’autres outils, comme le courriel, le texto et le téléphone, pour entrer en communication avec une source d’information. Ce journaliste résume la méthode qu’il emploie auprès de sources politiques pour obtenir une réponse à ses questions :

[c]’est sûr que ça c’est la technique de la pression. Tu appelles, tu écris un courriel, tu rappelles, tu écris un autre courriel. Bien là, tu t’en vas sur Twitter publiquement, puis là tu la rappelles. Jusqu’à temps qu’elle rappelle (Journaliste 6).

Toujours dans une perspective de collecte d’information, le dialogue en ligne permet aussi aux journalistes d’enrichir leur connaissance des enjeux sur lesquels ils travaillent.

50 Le total des points de pourcentage est supérieur à 100 parce que certains tweets sont destinés à plusieurs interlocuteurs. 151

C’est le cas lorsque des usagers concernés par une problématique particulière réagissent à une nouvelle sur Twitter en ajoutant leur point de vue, « des opinions, des visions de l’inside » (Journaliste 6).

Des fois, ça me fait voir un aspect que je n’avais pas vu, parce que ces gens- là, il y en a de très allumés qui suivent ça, j’ai l’impression, des fois, plus que moi. Alors, ils me rappellent telle chose que tel ministre a dit à tel moment. Des fois, ils ne font pas dans la nuance, mais au moins ça te mets la puce à l’oreille d’aller vérifier ce que tel ministre avait dit à telle date. En effet, des fois ça nourrit ma réflexion, ça nourrit mes commentaires ou mes converses parce que ça m’allume sur quelque chose que j’avais oubliée (Journaliste 17).

Certains usagers communiqueront aussi de l’information sensible à un journaliste par le truchement d’un message privé sur Twitter ou sur Facebook.

Sur le tweet personnel, j’en ai. Il y a des gens qui vont me donner de l’information. Moi je suis un vieux journaliste et je crois encore beaucoup aux relations humaines; il y a beaucoup de gens qui m’appellent encore et j’aime bien ça […], mais ça arrive quand même assez régulièrement d’avoir de l’information sur Twitter (Journaliste 24).

Plus rarement, certains journalistes lanceront un appel au public, sur Twitter ou sur Facebook, pour obtenir une réponse à leurs questions.

Nous, quand on recherche un cas type, comme on dit, on peut communiquer avec eux. Justement, si on a besoin de trouver quelqu’un pour réagir à une annonce ministérielle ou une annonce de programme ou peu importe l’annonce faite par le gouvernement, c’est plus facile que d’aller faire du porte-à-porte ou de se mettre sur le téléphone, on peut tout de suite aller voir sur Facebook ou Twitter, pour voir s’il y a des gens qu’on peut rejoindre à la maison comme ça (Journaliste 27).

Dans la même veine, ce journaliste raconte comment il a vérifié les propos tenus par une comédienne célèbre, Janette Bertrand, lors d’une activité de campagne à laquelle participait la chef du Parti Québécois51.

51 Lors d’un brunch militant à Laval, en mars 2014, la comédienne Janette Bertrand a fait un plaidoyer en faveur de la Charte des valeurs du Parti Québécois. Ses propos sur les accommodements religieux, rapportés ici par le journaliste Tommy Chouinard, ont soulevé la controverse : « ‘[j]'habite un building où il 152

J’ai tweeté : « Janette Bertrand a parlé de la piscine de son bloc appartement, does anybody know where she lives ? ». Et là, quelqu’un m’a dit : « c’est le 32e étage, c’est Le Cartier, au coin de Sherbrooke ». Là, j’ai téléphoné au Cartier et ils m’ont rappelé (Journaliste 4).

Notons cependant que ce type d’initiative publique, proche du crowdsourcing, fait figure d’exception dans la pratique des journalistes politiques de la Tribune sur Twitter. Moins de 2% des tweets à teneur politique récoltés dans le cadre de notre analyse de contenu visaient à demander ou à vérifier une information auprès d’autres usagers.

L’autre motif largement évoqué par les journalistes parlementaires pour dialoguer en ligne consiste à répondre à la demande du public. Régulièrement, cette volonté de répondre à la demande du public sera associée à celle d’informer. Ce journaliste décrit comment son rôle d’informateur, autrefois assumé principalement à la télévision ou à la radio, s’étend maintenant à sa pratique sur les réseaux socionumériques :

[j]e trouve quand même cela important de préciser des choses s’ils me posent des questions et ne m’envoient pas promener, ou s’ils posent des questions légitimes sur une précision, sur un dernier tweet. Je les considère un peu comme un auditeur qui m’appellerait par exemple, qui trouverait mon numéro de téléphone, pas pour m’envoyer promener, mais pour me donner une précision, une information. Donc, mes abonnés Twitter, je les considère comme des téléspectateurs, des auditeurs et si j’ai pas été assez clair des fois dans mes explications, je leur dois d’être clair. Ce qu’il y a de bien avec Twitter, c’est qu’ils peuvent communiquer avec moi presque directement parce que je vais regarder Twitter régulièrement. En effet, je reçois trop de messages ou de réponses pour répondre à tout le monde à un moment donné, mais des fois, quand je pense que ça mérite une réponse, je le fais. Et quand les gens m’apparaissent sympathiques et pas bornés ou dogmatiques et que je sais que quand l’explication sera donnée on ne se lancera pas dans 25 tweets de répliques avec leurs amis, parce que des fois ça arrive (Journaliste 17).

Dans cette explication, le journaliste politique vient également préciser certaines limites

y a une piscine. Je vais me baigner une fois par semaine pour faire de l'aquagym. Et puis arrivent deux hommes, et ils sont déçus parce qu'il y a deux femmes - je suis avec mon amie. Ils s'en retournent. Bon, imaginons qu'ils partent, qu'ils vont voir le propriétaire, qui est très heureux d'avoir beaucoup des étudiants de McGill riches qui sont là. Et puis ils demandent: bon, on veut avoir une journée. Et puis là, dans quelques mois, c'est eux qui ont la piscine tout le temps. C'est ça, le grugeage, c'est ça dont on a peur. C'est ça qui va arriver si on n'a pas de charte’, a-t-elle affirmé » (La Presse, 30 mars 2014). 153

de son ouverture au dialogue. Il invoque tout d’abord l’impératif du civisme chez les citoyens, un critère indispensable pour qu’il s’engage dans la conversation. Il souligne également le manque de temps à sa disposition pour répondre à tous ceux qui l’interpellent, des limites de temps qui viennent baliser la longueur des échanges.

5.2.2 Les barrières au dialogue

Nous l’évoquions précédemment, malgré le potentiel existant sur le plan technique, les journalistes politiques ne dialoguent pas fréquemment en public sur les réseaux socionumériques. Durant les entretiens, trois motifs sont invoqués de manière récurrente par les journalistes pour expliquer ce phénomène : la volonté d’éviter le conflit et de rester neutre sur le plan partisan, ainsi que le manque de temps.

D’une part, les journalistes politiques cherchent généralement à éviter la confrontation avec les citoyens. Près de la moitié des journalistes interviewés dénoncent le manque de civisme dans les messages qui leurs sont destinés, de même que les attaques dont ils font l’objet. Téléphone intelligent à la main, ce journaliste décrit la manière dont les usagers l’interpellent sur Twitter :

[t]iens, ce matin, je te donne un exemple : j’ai fait un tweet sur Hydro- Québec, sur le fait qu’ils disaient qu’il n’y avait pas eu d’interventions politiques. J’ai eu le droit à des « Ah! Ah! Ah! Hi! Hi! Hi! Comme si on ne le savait pas déjà! », « Vite la Commission Charbonneau!», « Vite la Commission chez Hydro-Québec! ». C’est comme pas posé, pas censé (Journaliste 2).

Pour éviter le conflit, même lorsqu’on les interpelle, plusieurs journalistes choisissent de ne pas s’engager dans le dialogue lorsqu’ils sont attaqués : « il y en a qui sont méchants; des fois, on veut leur répondre à ces gens-là, mais j’ai comme politique de ne pas leur répondre parce qu’après, ça peut dégénérer » (Journaliste 17).

Plusieurs courriéristes parlementaires associent le ton négatif des messages qui leur sont adressés au caractère très partisan des interventions des usagers de Twitter.

154

D’emblée, les journalistes politiques sont réticents à s’engager dans un dialogue partisan qui risque d’entrer en contradiction avec l’impératif de neutralité lié à leur pratique, comme en témoigne celui-ci : « c’est dangereux de t’en aller vers l’opinion si tu commences à dialoguer sur l’information que tu viens d’envoyer, donc je fais très attention à ça » (Journaliste 20). En ce sens, l’association entre l’agressivité et la partisannerie dans les messages qui leur sont destinés entraîne une attitude de fermeture chez les journalistes par rapport au public.

Ça m’est arrivé durant le conflit étudiant, où tout le monde devenait fou, c’était des procès d’intention de part et d’autre. On était soit des pourris pro- étudiants ou contre les étudiants. J’ai vu ça un peu durant la campagne électorale aussi. Et ça c’est extrêmement désagréable et je trouve que la façon dont c’est vécu par plusieurs journalistes, ils disent : « regarde, moi je décroche, je publie mes trucs, mais je n’interagis plus, je ne vais plus lire non plus, ça ne sert à rien ». C’est comme essayer d’aller parler avec quelqu’un qui crie et qui enterre ta voix (Journaliste 18).

Enfin, le manque de temps pour répondre aux interventions du public sur Twitter est évoqué par les journalistes parlementaires comme une barrière importante au dialogue.

Des fois, il y a des gens qui m’envoient des commentaires qui semblent appeler une réponse, mais je ne réponds pas parce que je ne veux pas commencer ça. Je ne veux pas que ça prenne tout mon temps non plus. Souvent, c’est énergivore ces affaires-là. Tu es comme tenté d’aller t’y référer pour voir ton histoire est rendue où et qui l’a commentée. Après ça, il faut que tu travailles, aussi (Journaliste 11).

Comme nous l’avons évoqué au chapitre précédent, le temps est une ressource précieuse pour les journalistes. On peut supposer que les journalistes en font l’allocation en fonction des bénéfices qu’ils en retirent. Or, le dialogue sur les réseaux socionumériques n’apparaît pas générer des bénéfices suffisants du point de vue des journalistes politiques. Plusieurs remettent en question sa pertinence. Ainsi, ce journaliste résume en quelques phrases les raisons qui expliquent sa faible propension à dialoguer sur Twitter.

155

Je ne le fais pas, premièrement parce que je n’ai pas beaucoup d’intérêt pour ça. Deuxièmement, pas beaucoup de temps. Troisièmement, je doute de l’utilité de la chose. Et quatrièmement, c’est un peu lié au troisième point, c’est que, dans les réactions qu’on suscite, il y a beaucoup de réactions très partisanes, il y a beaucoup d’attaques personnelles contre les gens dont on parle dans nos tweets et contre les journalistes. Moi, je n’ai pas envie d’embarquer là-dedans (Journaliste 8).

5.3 Partager la scène?

Les transformations technologiques récentes donnent aussi l’occasion aux journalistes d’intégrer davantage les citoyens dans le processus de production de l’actualité politique. Jusqu’ici, nous avons observé certains exemples de cette ouverture des journalistes à la participation du public, notamment à travers des manifestations de transparence et de dialogue sur les réseaux socionumériques. Nous nous pencherons maintenant sur l’espace accordé par les journalistes aux publics – à la fois politiciens et citoyens – en tant que producteur d’information. De manière plus spécifique, nous analyserons comment et dans quelle mesure les journalistes acceptent d’abandonner une partie de leur rôle de sélectionneur d’information (gatekeeper) en partageant la scène et en rediffusant des contenus d’autres usagers.

L’analyse de contenu révèle que 25 % des tweets des correspondants parlementaires portant sur la politique étaient des retweets, c’est-à-dire des partages de contenus émis par d’autres utilisateurs. Cependant, comme l’indique le tableau 5.4, parmi ces messages ayant été retweeté par les journalistes parlementaires (n=523), la vaste majorité provenait d’autres journalistes (82 %), alors qu’une faible minorité émanait de politiciens (9 %) ou d’autres types d’usagers (9 %).

156

Tableau 5.4 Sources des messages qui font l’objet d’un retweet par les journalistes parlementaires (contenus politiques)

Source Pourcentages Journaliste/média 82 Élu/stratège/parti politique 9 Autres usagers 9 n=523

En analysant la production individuelle de chacun des journalistes de la Tribune sur Twitter, nous remarquons que la pratique qui consiste à partager le rôle de gatekeeper en rediffusant des contenus émis par des sources non médiatiques demeure peu fréquente chez l’ensemble des courriéristes parlementaires. Sur Twitter, 47% des journalistes ont rediffusé un message provenant d’une source non médiatique durant notre collecte de données. Au total, sur les 3228 tweets analysés, seuls 5 % visaient à partager des contenus de sources non médiatiques.

Parmi les contenus partagés par les journalistes parlementaires, nous avons relevé des témoignages de citoyens participant à des événements politiques, comme l’illustre ce tweet du journaliste du Huffington Post, Patrick Bellerose (@PatBellerose), qui relaie le message de l’étudiant Simon Primeau (@PrimeauSimon), émis durant une conférence du député péquiste Pierre-Karl Péladeau (#PKP) à l’Université de Montréal.

Patrick Bellerose @PatBellerose 27 Nov 11 :41 RT@Primeausimon Salle complètement remplie d’étudiants pour la conférence de #PKP à #UdeM . Beaucoup de journalistes et de sécurité. #polqc

Certains retweets visent aussi à montrer la joute partisane qui se trame entre les élus sur les réseaux socionumériques. Ici, la courriériste parlementaire Angelica Montgomery (@amontgomery) partage un tweet de la députée péquiste Agnès Maltais (@AgnesMaltais) qui s’attaque au Parti Libéral (PLQ).

157

Angelica Montgomery @amontgomery 2 Dec 10:37 RT@AgnesMaltais Le PLQ n’a pas voulu débattre du Projet de loi de Fatima Houda- Pepin au caucus mais ils acceptent le débat au parlement. Couleuvre avalée.

Fait inusité, une proportion importante de ces messages partagés (retweets) émanant de sources non médiatiques contient un élément humoristique. Cette proportion s’élève à 25 % pour l’ensemble des retweets provenant de source non médiatique et à 40 % pour les contenus qui proviennent « d’autres usagers », c’est-à-dire d’individus ou d’organisations qui ne sont ni politiciens, ni médiatiques. En guise de comparaison, rappelons que seuls 6 % des tweets politiques étudiés contiennent un élément humoristique. À titre d’exemple, ce retweet du journaliste Antoine Robitaille (@Ant_Robitaille) vise à partager un message émis initialement par un citoyen (@TigrouMalin) qui lui était adressé.

Antoine Robitaille @Ant_Robitaille 2 Dec 9:52 RT@TigrouMalin @Ant_Robitaille L’#aptonyme du jour – l’écologiste Daniel Green remplace George Laraque au Parti Vert

5.3.1 Monter la garde : les motivations

À partir des entretiens, nous avons cerné trois motifs qui expliquent la faible propension des journalistes politiques à rediffuser des contenus qui proviennent de sources non médiatiques. D’une part, les journalistes soulèvent l’enjeu de la pertinence de l’information émanant de sources citoyennes sur les réseaux socionumériques, dans le contexte spécifique d’une couverture médiatique centrée sur les élus, le fonctionnement du parlementarisme et les institutions.

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L’utilité est moindre pour le journalisme politique que pour d’autres formes de journalisme, parce que le journalisme politique, tel qu’il est pratiqué à l’Assemblée nationale, c’est un journalisme qui est plus institutionnel. C’est sur les institutions. Alors que si tu fais un reportage qui est plus terrain là ça peut être super utile. Les citoyens c’est eux qui vivent, c’est eux qui font partie des événements, alors que ce n’est pas le cas en politique. Ils subissent les choses, ils peuvent avoir une opinion. Bon, ils ont leur mot à dire parce qu’on est en démocratie, mais ce n’est pas eux-mêmes qui participent à l’action comme un ministre va participer à la décision. On pourrait penser à plein d’exemples de journalisme de terrain […] où c’est super utile. Et à l’international, si tu couvres une crise au Caire sur la révolution arabe, bien en allant sur Twitter tu vois de gens qui disaient : « on vient de se faire tirer par la police ». Là c’est vraiment des infos cruciales que tu n’aurais peut-être pas eues sans Twitter. L’impact de Twitter pour ces formes de journalisme peut être immense, mais elle est un peu moins présente pour le journalisme politique, institutionnel, dans une démocratie où il n’y a pas de révolution, où il n’y a pas d’attaque d’État contre ses citoyens (Journaliste 18).

Le second motif invoqué par les journalistes politiques est celui de la crédibilité de l’information. De manière traditionnelle, lorsqu’un journaliste reçoit ou prend connaissance d’une information, il procède à l’évaluation de sa source. Ce reporter décrit les critères qui orientent sa démarche, ceux-ci référant à l’antériorité de la relation entre le journaliste et la source, la valeur de l’information échangée dans le passé, de même que le niveau hiérarchique et l’affiliation de la source :

[c]ombien de fois cette personne-là m’a donné des informations partielles, incomplètes ou fausses? [...] Ensuite, cette personne-là je la connais depuis quand? Donc plus ça remonte à loin, plus j’ai gardé contact avec cette personne-là, plus ça a de la valeur pour moi. Là, je parle de sources, ce ne sont pas des amis, c’est vraiment des sources on s’entend. Maintenant, il y a la proximité du pouvoir, donc le niveau de proximité, ça entre dans mon échelle […]. Plus la personne est proche, plus l’information est fiable, mais en même temps il faut connaître la personne, l’intérêt qu’elle défend et bien sûr tu dois comprendre l’information qu’elle te donne (Journaliste 1).

Or, ce procédé routinier d’évaluation des sources s’applique aussi à l’information colligée sur les réseaux socionumériques.

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Ça ne change pas parce que c’est Twitter, même que j’ai peut-être tendance à être encore plus prudent, parce que les sources que je peux avoir par téléphone, les gens que je connais, je leur fais confiance. C’est-à-dire que je connais leurs intérêts. Je les connais depuis longtemps. Je sais pour qui ils travaillent donc, tout ce qu’il est important de savoir pour comprendre l’information qui t’est donnée […]. Sur Twitter, des fois, je ne sais pas c’est qui donc, c’est difficile de faire confiance d’emblée (Journaliste 1).

Enfin, outre la pertinence et la crédibilité de l’information, un troisième motif intimement lié à la compétition expliquerait la tendance des journalistes à limiter la diffusion de contenus externes à leur organisation et, par conséquent, de contenus non médiatiques.

Ça mériterait d’être vérifié, mais j’ai la conviction, par expérience de plusieurs années là-dedans, que les médias en général sont vaniteux. Je veux dire par là qu’ils vont pousser une histoire, surtout si elle sort de son propre four, plutôt que quelque chose qui a été rapporté (Journaliste 25).

En ce sens, dans un contexte de compétition et dans un souci de maintenir une certaine forme d’autorité dans la sphère publique, les journalistes privilégient la diffusion de leurs propres contenus par rapport à ceux émis par une autre organisation médiatique ou d’autres types d’usagers.

5.4 Normalisation et hybridité sur le plan normatif

Dans le discours des journalistes politiques sur la pratique, la proximité du public citoyen constitue certainement un des changements les plus importants liés à l’avènement d’internet et des réseaux socionumériques. D’une part, les citoyens ont désormais accès à une masse importante d’information politique en temps réel. Les journalistes politiques, les politiciens ainsi que de nombreux acteurs de la société civile contribuent à faire circuler l’information politique à l’extérieur du microcosme politique traditionnellement composé des journalistes politiques, des élus et de leurs stratèges.

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Il n’y a plus seulement quelques journalistes politiques dans une bulle qui s’appelle l’Assemblée nationale. Chacun de ces journalistes-là, ou la plupart d’entre eux, lancent ou relaient de l’information à l’extérieur de la bulle à tout moment de la journée, contrairement à une fois par jour dans les journaux ou dans les bulletins de fin de journée (Journaliste 3).

Les publics du journalisme politique – les journalistes, les politiciens, mais également les citoyens – ont désormais l’occasion de réagir directement et publiquement à l’information qui leur parvient. Pour les journalistes, ces publics sont maintenant présents et visibles.

Avant, le métier, c’était bien simple : tu écrivais un texte, tu l’envoyais au journal, le lendemain, il était publié, on en parlait à la radio et tu recommençais. Tu n’avais pas vraiment de feedback du grand public, alors c’est ça la différence, le grand public a accès au journaliste (Journaliste 25).

De nombreux journalistes précisent cependant que le public présent sur Twitter demeure un public circonscrit. « Ce n’est pas « monsieur et madame tout le monde » nécessairement sur Twitter, là, il faut le dire, c’est beaucoup la bulle dans bulle » (Journaliste 1). Plusieurs journalistes soulignent aussi que cet accès du public citoyen aux journalistes n’est pas nouveau en soi, rappelant notamment le rôle joué par le courrier des lecteurs envoyé par voie postale, qui perdure toujours. Toutefois, la rétroaction du public envers les journalistes en ligne et sur les réseaux socionumériques serait plus abondante aujourd’hui : « c’est amplifié, accéléré » (Journaliste 13). Cette rétroaction de membres du public s’inscrit aussi dans un rapport au temps différent, marqué par l’immédiateté.

Il y a quand même une intervention immédiate et tu sais vite ce que les gens pensent de ce que tu viens d’écrire […]. Cette interaction-là est beaucoup plus présente, on est moins dans un monde à part. C’est moins la tour d’ivoire (Journaliste 21).

Une majorité de journalistes politiques affirme tenir compte, du moins dans une certaine mesure, de la rétroaction du public dans leur processus de production de l’actualité politique. En écartant les commentaires très partisans ou ceux qualifiés de

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« monomaniaques » (Journaliste 13), les journalistes estiment que cette rétroaction leur permet d’évaluer l’appréciation de leur travail et, à certaines occasions, d’enrichir leur traitement de l’actualité politique.

Je le vois d’un bon œil, parce qu’on sent qu’il y a de l’intérêt et qu’on ne fait pas ça pour rien. Puis, aussi, ce sont souvent des lecteurs informés, donc qui peuvent préciser des informations, qui peuvent ouvrir notre perspective sur un enjeu. Ce sont aussi parfois des personnes qui ont des informations privilégiées qui commentent, donc ça, ça nourrit la réflexion journalistique (Journaliste 3).

De manière plus exceptionnelle, les journalistes expliquent que les commentaires citoyens sur les réseaux socionumériques peuvent influencer l’ordre du jour, de même que le cadrage médiatique.

Ça nous ramène sur le plancher des vaches, ça nous ramène à leurs propres préoccupations, très propres aux citoyens et, des fois, ce ne sont peut-être pas les mêmes que celles qu’on a (Journaliste 21).

Ça m’est arrivé que des gens me disent que j’ai fait une erreur factuelle ou que j’ai fait une erreur d’appréciation dans mon traitement de la nouvelle […]; que j’insistais trop sur un bout ou que je n’insistais pas assez sur un autre aspect. À ces deux égards-là, c’est vrai qu’il y a quelque chose qui vient intrinsèquement de Twitter et non pas quelque chose qui pourrait aussi avoir été su à la machine à café (Journaliste 18).

Si 21 journalistes interrogés sur 28 affirment s’intéresser à la rétroaction ou à l’information fournie par le public en ligne, la nature de la relation entre les journalistes et leurs publics ne fait pas consensus, comme le souligne ce journaliste : « [j]e trouve que c’est important d’avoir une certaine proximité avec notre public, entre guillemets. J’ai déjà eu ces débats-là avec des journalistes qui, eux, ne trouvent pas que c’est nécessaire » (Journaliste 9). Notons qu’à la lumière des entretiens réalisés, aucune des organisations médiatiques représentées à la Tribune de la presse ne semblait posséder de règle définie portant sur l’interaction des journalistes avec le public sur les réseaux socionumériques.

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On n’a pas de mot d’ordre de la direction à cet égard-là. En fait, c’est un petit peu free for all à cet égard-là selon ce que j’en vois. Je ne suis pas allé chercher de l’info là-dessus, je fais comme je pense. Mais si les gens s’adressent à moi, me posent des questions, qu’est-ce que tu veux, ils s’adressent à moi, c’est comme si quelqu’un m’appelait, c’est ça sauf que c’est version 2.0, c’est tout. Alors oui, je vais répondre à ça, tout simplement, c’est strictement une norme personnelle et avec des critères personnels (Journaliste 21).

En ce sens, ce qui est considéré comme acceptable et ce qui ne l’est pas fait l’objet de débats parmi les membres de la Tribune. Pour bien saisir cette diversité de points de vue, nous nous proposons de situer le positionnement des journalistes sur cette question sur un continuum allant de la fermeture à l’ouverture au dialogue. Ainsi, dans un premier temps, nous retrouvons dans le discours des membres de la Tribune la logique plus traditionnelle qui consiste à concevoir la relation entre le journaliste et le public comme un rapport professionnel impersonnel d’émetteur à récepteur d’information, comme l’illustrent les propos de ce journaliste, à qui nous avons demandé s’il était disposé à répondre aux usagers qui l’interpellaient sur les réseaux socionumériques, dans la mesure où ceux-ci faisaient preuve de civisme.

Non, je les ignore tous. Peut-être qu’il y a des personnes qui le prennent mal, mais comme les gens qui appellent, à moins que ce soit si quelqu’un disait : « j’aurais une info pour vous », ça va piquer ma curiosité. Mais les commentaires de Pierre, Jean, Jacques… Je n’anime pas une tribune téléphonique ou les courriers du cœur (Journaliste 15).

Pour une proportion significative des journalistes membres de la Tribune, dialoguer en ligne avec le public ne fait pas partie de leur rôle. Rappelons que 33 % des journalistes n’ont émis aucun tweet dialogique.

Dans un deuxième temps, nous observons dans le discours une logique qui combine la fermeture et l’ouverture. Dans le cadre des entretiens, six des vingt-huit courriéristes parlementaires interrogés se sont montrés ouverts au dialogue, mais uniquement dans la mesure où l’interaction en ligne s’inscrit dans le prolongement du rôle de diffuseur d’information assumé traditionnellement par le journaliste.

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Je ne vais pas commencer à répondre […]. Ce n’est pas mon travail. Moi, j’écris. Et si la personne n’est pas contente... Mais si c’est une question légitime et que je considère que j’aurais pu être plus clair, ou que je considère que je n’ai pas donné assez de contexte […], je vais répondre, ça, ça ne me dérange pas (Journaliste 6).

A contrario, dix des journalistes interrogés considèrent que répondre aux usagers du web et des réseaux socionumériques fait partie de leur travail, dans la mesure où l’intervention répond à certains critères de civisme et de pertinence. Parmi eux, certains considèrent l’usager comme un client qui doit être satisfait. Le dialogue constitue, en ce sens, une forme de « service après-vente » (Journaliste 22). Ce service n’est toutefois pas prioritaire, par rapport aux tâches qui consistent à colliger et à diffuser de l’information et doit demeurer strictement d’ordre professionnel :

parce qu’il y en a aussi, quand tu leur réponds une fois, après ça, ils te réécrivent et ils te parlent au « tu » et à « toi » […]. Ce sont des gens que tu ne connais absolument pas, alors tu ne veux pas établir un contact à ce point personnel avec tes lecteurs […]. Il faut maintenir cette frontière-là, parce qu’on serait toujours là-dessus. Déjà, on est trop là-dessus. (Journaliste 22).

Enfin, une petite minorité de journalistes (cinq), embrassent volontiers le potentiel interactif des réseaux socionumériques qui devient partie intégrante de leur pratique. Ce journaliste décrit la manière dont il conçoit son rapport aux usagers des réseaux socionumériques :

je m’adresse à eux et ils réagissent, c’est normal que je réagisse encore. Ne pas le faire, pour moi, ça serait comme, à la limite, simplement de l’impolitesse. C’est sûr qu’il y a des questions professionnelles qui vont avec […]. Je suis en démarche professionnelle, les gens interviennent dans la démarche que je fais et c’est la nature de ce médium. Alors, bon, on joue le jeu, si on veut (Journaliste 21).

Notons que les journalistes qui partagent cette logique occupent pour la plupart la fonction d’analyste ou d’éditorialiste au sein de leur organisation.

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En dernière analyse, nous nous pencherons sur la manière dont les journalistes politiques conçoivent le rôle des citoyens dans la production de l’actualité politique. À nouveau, les perspectives normatives ne sont pas tout à fait univoques. Près de la moitié des journalistes de la Tribune interrogés perçoivent le citoyen avant tout comme un consommateur d’information politique.

Je pense qu’il est davantage un consommateur parce que, premièrement, même s’ils ont peut-être le potentiel de diffuser de l’information et, encore là, ce n’est pas tout le monde qui a beaucoup d’abonnés. Ça ne veut pas dire qu’ils vont avoir accès à l’information aussi vite et aussi facilement que nous. Évidemment, nous, ici, on est dans les corridors, on entend des choses, on passe notre journée à faire des appels, à vérifier des choses (Journaliste 8).

En ce sens, du point de vue de ces journalistes, l’accès aux sources, de même que le temps alloué à la production de l’infirmation contribuent à différencier les journalistes des citoyens ordinaires. De plus, ces journalistes parlementaires demeurent sceptiques quant à la capacité des citoyens de contribuer à la production de l’information politique, en raison des intérêts partisans qui pourraient motiver leurs actions. Ainsi, nombreux sont ceux qui remettent en question l’impartialité de l’information générée par le citoyen :

parce que tu ne sais pas qui c’est, tu ne sais pas d’où ça vient, tu ne sais pas quel intérêt il a. Par exemple, je recevais des courriels de quelqu’un, un avocat du comté de Sainte-Anne. Il dit : « je vous donne un scoop : Sophie Stanké va se présenter comme candidate, c’est une grosse nouvelle! ». C’était cousu de fil blanc. Ce n’est pas un Joe Bleau. Ça devait être son chum ou quelqu’un qu’elle connaît bien, à qui elle a dit : « mets-moi sur la map un peu » (Journaliste 19).

Cependant, un peu plus de la moitié des journalistes interrogés soulignent que les citoyens sont en mesure de jouer un rôle actif dans la production de l’actualité, particulièrement en transmettant de l’information de première main aux journalistes et en réagissant aux nouvelles en ligne, apportant parfois une contribution significative.

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Les citoyens ont toujours eu un rôle important, peu importe l’information. Les grandes enquêtes journalistiques commencent en général par des citoyens qui constatent quelque chose, qui appellent un journaliste et les journalistes font des vérifications par la suite. Les citoyens ont toujours été des sources d’information extraordinaires. […] Oui, les réseaux sociaux sont un outil extraordinaire. Le contact est relativement direct avec des sources d’information citoyenne. Est-ce que les gens sont des journalistes citoyens et peuvent diffuser de l’information eux-mêmes? Je pense que oui, en effet, ils peuvent diffuser de l’information, mais à ce moment-là il faut qu’ils se donnent aussi les mêmes normes professionnelles, sans en faire un métier, mais il faut qu’ils soient naturellement nuancés dans leurs propos et dans les informations qu’ils diffusent et qu’à la rigueur, même qu’ils vérifient leurs informations (Journaliste 17).

En ce sens, les journalistes estiment que les normes de vérification de l’information et l’impartialité constituent des traits fondamentaux qui distinguent le discours journalistique des autres types de discours sur la politique.

5.5 Discussion et conclusion

L’ouverture des journalistes politiques québécois à la participation du public dans la production de l’actualité politique en ligne se manifeste à la fois dans des démonstrations de transparence sur les réseaux socionumériques, de dialogue et, dans une moindre mesure, dans la rediffusion de contenus émis à l’origine par des utilisateurs qui n’œuvrent pas dans une organisation médiatique professionnelle.

Sur Twitter, les journalistes politiques font preuve de transparence dans une partie non négligeable de leur production, dans l’optique de soulever l’intérêt et de répondre à la demande du public. Cette demande est parfois formulée explicitement par des usagers vigilants qui surveillent de près le travail des journalistes et qui agissent comme « chiens de garde des chiens de garde » (Singer, 2007 : 79). Dans certaines circonstances, les journalistes lèveront le voile sur la manière dont l’information est construite (Karlsson, 2010). Ils abandonneront ainsi une partie du contrôle qu’ils exercent sur l’information (Revers, 2014). En même temps, cette démarche contribuera à protéger, voire à rehausser leur crédibilité auprès des citoyens.

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De manière un peu moins fréquente, les journalistes parlementaires vont aussi dialoguer publiquement sur Twitter. Ce type d’échange, auquel ont participé 60 % des journalistes durant notre collecte de données, représente un peu moins d’un dixième de leur production. Néanmoins, nous avons découvert que lorsqu’ils dialoguent sur Twitter, les journalistes de la Tribune le font avec une grande variété d’usagers incluant d’autres collègues journalistes ou des politiciens, de même que des membres du « grand public ». Autrefois une abstraction (Gans, 1979), le public citoyen en ligne est désormais bien présent et visible pour les journalistes politiques qui se font régulièrement interpelés par celui-ci. Twitter n’est évidemment pas le seul lieu d’échange en ligne, le courriel demeurant un outil privilégié par les journalistes pour interagir de manière confidentielle avec les sources d’information. Le service de messagerie privée de Twitter est également utilisé à cette fin par de nombreux journalistes. Enfin, une poignée de journalistes disent préférer dialoguer sur leur blogue ou sur Facebook.

Ces échanges entre citoyens et journalistes sont facilités par des outils techniques qui permettent aux usagers d’intervenir plus facilement et plus rapidement dans le débat politique. Les messages dialogiques des journalistes visent à répondre aux demandes des usagers qui les sollicitent abondamment. De plus, dans un contexte où l’information se construit fragment par fragment (Hermida, 2010), les citoyens ont désormais l’occasion d’intervenir en temps opportun (Chadwick, 2013), contribuant parfois à enrichir le processus de collecte d’information des journalistes.

Cependant, plusieurs barrières au dialogue en ligne sont aussi mentionnées par les journalistes. D’une part, des journalistes parlementaires invoquent le manque de temps pour justifier leur refus de dialoguer en ligne. D’autre part, la majorité d’entre eux refusent de s’engager dans un échange partisan ou de répondre aux commentaires qu’ils jugent agressifs. Les échanges entre les citoyens et les journalistes politiques s’apparentent donc parfois à un dialogue de sourds où chacun s’exprime en fonction de logiques différentes, les citoyens énonçant des opinions et des arguments partisans, alors que la plupart des journalistes désirent conserver une position de neutralité dans le débat

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politique. Certains analystes et éditorialistes font figure d’exceptions à cet effet, se prêtant plus volontiers au jeu de la discussion. Rappelons que ces derniers œuvrent non seulement dans un horizon temporel différent de celui des reporters, ils ont aussi plus de latitude pour exprimer un jugement ou une opinion.

Enfin, la spécificité du journalisme politique constitue en soi une barrière à la participation des citoyens dans la construction de l’actualité. Très centré sur le fonctionnement des institutions parlementaires et les stratégies des élus, le journalisme politique tel qu’il se pratique actuellement serait moins susceptible de bénéficier de la contribution des citoyens que d’autres formes de journalisme. Dans la mesure où le temps se fait rare et en l’absence d’incitatifs à l’interaction de la part des organisations médiatiques, des journalistes politiques priorisent sans hésitation la diffusion d’information au dialogue sur les réseaux socionumériques.

Finalement, les journalistes de la Tribune demeurent généralement peu enclins à partager leur rôle de gatekeeper en rediffusant des contenus émis par des usagers qui n’œuvrent pas dans les médias. Dans le cadre de notre analyse de contenu sur Twitter, seuls 5 % des tweets portant sur la politique visent à partager (à retweeter) un contenu émis par un usager qui n’œuvre pas dans une organisation médiatique professionnelle. Pour expliquer cette tendance, les journalistes invoquent le manque de pertinence et, surtout, le manque de crédibilité des sources citoyennes sur les réseaux socionumériques. À cet égard, plusieurs critères traditionnels permettant de juger de la crédibilité des sources continuent de conditionner l’accès des citoyens à l’ordre du jour médiatique en ligne. Parmi ces critères traditionnels, nous recensons les relations antérieures entre la source et le journaliste, le statut de la source de même que son rattachement à une institution ou une organisation reconnue (Dimitrova et Strömback, 2009; Gandy, 1982; Goldenberg, 1975; Reich, 2011).

En somme, nous observons une certaine forme d’hétérogénéité dans les logiques qui régissent le rapport des journalistes politiques aux publics en ligne. Une majorité de journalistes montrent une forme d’hybridité entre des logiques de fermeture et

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d’ouverture à la participation du public dans la production de l’information politique, principalement à travers des manifestations de transparence et de dialogue en ligne (Chadwick, 2013; Lewis, 2012). Ces journalistes établiront parfois un rapport plus direct avec des usagers qu’ils tenteront de satisfaire, dans la mesure où ceux-ci agissent avec respect à leur égard. Dans un deuxième temps, un plus petit groupe de journalistes demeurent peu enclins à abandonner le contrôle qu’ils exercent sur la production de l’information politique au profit du public. Leur utilisation des blogues et des réseaux socionumériques se limite à l’observation ou à la diffusion de contenus, sans manifestation de transparence. Ils conçoivent toujours leur relation au public comme un rapport d’émetteur à récepteur. Ils normalisent ainsi leur utilisation des réseaux socionumériques en transposant à ces plateformes les normes caractéristiques des médias de masse (Singer, 2005; Lasorsa et al., 2012). Parmi les journalistes politiques, certaines figures d’exception embrasseront la culture de participation caractéristique des réseaux socionumériques, s’engageant plus activement dans la discussion avec les citoyens en ligne.

Cependant, notre analyse sur Twitter montre que les journalistes de la Tribune ne partagent que très rarement la scène en rediffusant des contenus non journalistiques. À cet égard, ils joueront un rôle de gardien de l’information qui s’apparente à la notion de network gatekeeping (Barzilai-Nahon, 2008). Même si le contrôle des journalistes professionnels sur l’information politique est considérablement réduit dans un contexte de communication en réseau, l’ouverture des portes de leur réseau individuel – qui compte généralement plusieurs milliers d’usagers – dépendra non seulement de la capacité technique des citoyens à produire de l’information, mais aussi de leurs relations, de leurs ressources de pouvoir et de la valeur relative de l’information qu’ils transmettent (idem). Ainsi, nous constatons que ces logiques, antérieures à l’avènement d’internet, contribuent à façonner le développement des usages que font les journalistes politiques des réseaux socionumériques.

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Chapitre 6. Exit l’objectivité ? Opinion, humour et autopromotion

Objectivity is a particular form of media practice and embodies a neutral attitude to the task of collecting, processing and disseminating information. It presumes a lack of ulterior motive or concealed service to a third party. This means being rational, logical, undistorded by emotion or manipulative intention and dedicated only to uncovering and disseminating demonstrative truth. It invites the trust of those who accepted the sincere intention of being truly objective (McQuail, 2013 : 101).

Le mardi 2 décembre 2014 à 22h30, le légendaire capitaine du Club de hockey Canadien, Jean Béliveau, rend son dernier souffle à l’âge de 83 ans. À l’aube le lendemain sur la colline parlementaire, les journalistes de la Tribune s’affairent à récolter la réaction des politiciens au décès du célèbre hockeyeur, comme l’illustrent ces tweets de deux reporters rapportant les paroles du ministre (@MNAgeoffkelley) et du premier ministre Philippe Couillard.

Max Harrold @MHarroldCTV 3 Dec 8:29 ‘The great Habs fan in me is very sad today,’ says Liberal MNA @MNAgeoffkelley

Martine Biron @M_Biron 3 Dec 9:16 Les drapeaux en berne à #Assnat en hommage à Jean Béliveau. Un grand homme dit le PM Couillard #JeanBeliveau

En chambre, les élus observent une minute de silence à la mémoire du joueur étoile. Puis, en après-midi, le gouvernement fait une annonce officielle, relaté par ce journaliste de La Presse.

Martin Croteau @martincroteau 3 Dec 16:05 Québec annonce la tenue de funérailles nationales pour Jean Béliveau #assnat #polqc

Ainsi, tout au long de la journée, des membres de la Tribune de la presse ont partagé des réactions et mis à jour l’actualité parlementaire liée au décès de Jean Béliveau, par le truchement de quelque 70 tweets.

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Cependant, le lendemain après-midi, leur couverture prendra une orientation différente, alors que le chroniqueur au Journal de Québec, Michel Hébert, met en ligne un blogue intitulé : « Béliveau : un souvenir inventé ». Dans son texte, Hébert critique vertement des propos tenus la veille par le député libéral André Drolet, qui affirmait avoir vu jouer Béliveau avec les As de Québec durant son enfance :

la plus scintillante connerie a surgi de la bouche d’un député, libéral de surcroit, un député de Québec, nul autre qu’André Drolet, digne représentant de Limoilou-Jean-Lesage. Quand Béliveau est mort, il s’est, lui aussi, épanché devant les micros qu’on tendait devant tout le monde, en quête d’un témoignage quelconque. Drolet y est allé à fond la caisse, puisant dans ses plus lointains souvenirs ce qui pourrait le ramener, lui aussi, à Béliveau. Il a fini par trouver ceci dans ses circonvolutions cérébrales : « Je suis allé avec mon frère quand j’étais jeune, il m’amenait ici, aux As de Québec, et à ce moment-là, M. Béliveau était là... », a-t-il dit aux journalistes, mercredi. […] Plus tard, en y repensant, on s’est demandé comment Drolet avait pu aller au Colisée du temps de Béliveau. Drolet est né en 1954 et Béliveau avait joué pour les As jusqu’en 1953... Il y a donc ici, un souvenir inventé.52

Michel Hébert diffuse son blogue sur Twitter. Plusieurs collègues du Journal de Québec et d’autres organisations y partageront également son texte.

Michel Hébert @hebert_mic 4 Dec 15:04 Béliveau : un souvenir inventé blogues.journaldequebec/michelhebert/page/1 #assnat

Sébastien Bovet @SebBovetSRC 4 Dec 15:07 Oh bo boy! Un blogue de @hebert_mic . "Béliveau : un souvenir inventé" blogues.journaldequebec/michelhebert/page/1 #assnat

Antoine Robitaille @Ant_Robitaille 4 Dec 15:52 Mots et maux est jaloux de cette entrée de Michel Hébert. «Béliveau: un souvenir inventé» http://t.co/chRyM4WfPj

De leur côté, les journalistes du Soleil souligneront que c’est leur confrère, Michel Corbeil (@michelcorbeil), qui a évoqué en premier l’incohérence des propos d’André Drolet, dans un article publié dans le journal du matin.

52 Michel Hébert, « Béliveau : un souvenir inventé », Le Journal de Québec, 4 décembre 2014. En ligne : http://www.journaldequebec.com/2014/12/04/beliveau-un-souvenir-invente-1#.VIC9eLnyxpw.twitter 171

Simon Boivin @Simonboivin 4 Dec 15:10 RT@VGaudreau Le député André Drolet se souvient d'avoir vu jouer #JeanBeliveau un an avant sa naissance. @michelcorbeil http://t.co/7KRP

Puis, dans les heures qui suivront, non seulement les journalistes de la Tribune feront-ils référence à la bourde du député de Jean-Lesage, mais certains d’entre eux partageront (retweet ou RT) aussi de nombreux tweets humoristiques de citoyens se moquant d’André Drolet.

Charles Lecavalier @CLecavalierJDQ 4 Dec 16:12 J’ai réécouté le "scrum" avec André Drolet et ses souvenirs de Jean Béliveau. Il souligne même que Jean Béliveau "soulevait la foule."

Marc-André Gagnon @MAGagnonJDQ 4 Dec 16:15 RT @SylvainPichett1 C'est André Drolet qui a proposé à Clarence Campbell de suspendre Maurice Richard pendant les série [sic] #souvenirsinventés

Patrick Bellerose @PatBellerose 4 Dec 16:25 RT @RichMous Ils étaient 5. D’Artagnan, Portos, Aramis, Athos et André Drolet #souvenirsinventés

Marc-André Gagnon @MAGagnonJDQ 4 Dec 16:27 Le hashtag #souvenirsinventés devient viral. MT@magagnonjdq Béliveau : un député invente un souvenir…@hebert_mic ow.ly/FnVMg

En réalité, au moment où le journaliste Marc-André Gagnon rédige ce dernier message, le mot-clic #souvenirsinventés ne regroupe qu’une dizaine de tweets. Une quarantaine de tweets s’y ajoutent à la suite de son intervention. Puis, le mot-clic #souvenirsinventés cède sa place à #AndréDroletFacts. Ce mot-clic a été créé par un citoyen, un militant du parti Projet Montréal, Simon Delorme, environ une heure après la diffusion du blogue de Michel Hébert. Ici, le courriériste parlementaire Sébastien Bovet attire l’attention de ses abonnés sur ce phénomène en devenir :

Sébastien Bovet @SebBovetSRC 4 Dec 16:51 C’est devenu délirant à #AndréDroletfacts ou #AndreDroletfacts!

Certains journalistes parlementaires diffuseront même des blagues de leur propre cru en utilisant le mot-clic #AndréDroletFacts.

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Patrick Bellerose @PatBellerose 4 Dec 17:22 C’était moi, le garde du corps de François-Ferdinand… #AndréDroletFacts

Alain Laforest @AlainLaforesTVA 4 Dec 17 :22 Juste une! #citationrêvée " Marty, SVP Back to the futur [sic.]" #AndreDroletFacts

Puis, l’emballement créé autour du mot-clic deviendra en soi un objet de couverture médiatique, à la fois sur Twitter et sur les sites de nouvelles en ligne.

Julie Dufresne @JuDufresne_RC 4 Dec 17:33 Le député @andredrolet projeté dans une sorte de tempête politico-médiatico- twitterienne 2.0 : les #andredroletfacts

Michel Hébert @hebert_mic 4 Dec 19:18 RT@TrendieCA "Trending Canada: 08:15 PM AST" 1. #bill10 2. #EricGarner 3. #AndreDroletFacts 4. Alfie 5. Christmas 6. #ICantBreathe

À la fin de la journée du 4 décembre, le mot-clic #AndréDroletFacts regroupera plus de 1200 tweets (pour un total de 1755 recensé en date du 18 décembre 2014).

Durant cet épisode, des journalistes parlementaires sont sortis de leur réserve traditionnelle pour diffuser des propos humoristiques sur un politicien, contribuant, du moins dans une certaine mesure, à l’ampleur de la vague satirique. Notons que seule une minorité de journalistes de la Tribune (14 journalistes) a participé à ce mouvement humoristique. Néanmoins, cet événement révèle que l’humour fait désormais partie du répertoire des journalistes parlementaires québécois sur les réseaux socionumériques.

Dans la foulée de cette observation, ce chapitre révèle comment et dans quelle mesure les journalistes politiques prennent leurs distances par rapport à l’idéal de l’objectivité, autrefois considéré une norme journalistique fondamentale en Amérique du Nord. Pour ce faire, nous étudierons leurs usages de Twitter. De manière plus spécifique, nous relèverons la présence d’opinion, d’humour et d’autopromotion dans les messages qu’ils diffusent sur cette plateforme (en réponse à nos questions spécifiques de recherche 1.7 à 1.9). Puis, à partir des entretiens semi-dirigés avec les journalistes, nous analyserons les motivations qui sous-tendent leurs usages de la plateforme, de même que la manière

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dont ces usages et ces motivations contribuent à transformer (ou non) les normes du journalisme politique québécois (nos questions de recherche 2 et 3).

6.1 Tweeter son opinion

Dans le cadre de notre analyse de contenu sur Twitter, nous avons mesuré la présence d’opinion dans les messages diffusés par les journalistes parlementaires. De manière plus précise, nous considérons qu’une opinion est exprimée lorsque le journaliste émetteur pose un jugement de valeur dans son tweet. Nous avons relevé que 6,4% des tweets politique contenaient une opinion, contre 7,5% pour l’ensemble des tweets générés par les membres de la Tribune. Cette pratique observée chez 50 % des journalistes s’avère toutefois plus fréquente chez ceux qui occupent la fonction d’analyste, de chroniqueur ou d’éditorialiste que chez les autres journalistes (voir annexe 6).

Les opinions émises par les courriéristes parlementaires sur Twitter revêtent plusieurs formes différentes. Dans un premier temps, nous observons que 40 % des opinions portant sur la politique (82 tweets sur un total de 207) ont été émises en temps réel durant la couverture d’un événement. Ces tweets s’apparentent souvent à une description commentée de la joute politique, sur un ton proche de celui du commentaire sportif, comme l’illustrent ces messages de deux courriéristes parlementaires à propos de la prestation des leaders des deux principaux partis, Philippe Couillard (@phcouillard) et Pauline Marois, durant la période des questions à l’Assemblée nationale :

Michel Pepin @MPepin_RC 11 Feb 15:47 Bonne performance de @phcouillard cela dit P Marois particulièrement en forme #assnat

Kevin Dougherty @doughertykr 12 Feb 11:22 Marois [is] hot. "Are you against the people of the Gaspé?" to Legault, who questions wind energy. Marois says CAQ candidate likes cement plant.

Parfois, le ton de ces opinions émises en temps réel devient informel, voire familier, un peu comme si les journalistes amenaient les usagers dans les coulisses, discutant librement de l’évènement en cours.

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Max Harrold @MHarroldCTV 11 février 15:02 The level of niceness in the @assnat is nearing unbearable level; no doubt that's about to end any moment @phcouillard @CTVMontreal #assnat

Michel Hébert @hebert_mic 12 Feb 13:50 #AssNat Fatima Houda-Pépin ne peut retenir ses larmes « Je ne pensais jamais être traitée ainsi par le Parti libéral » #Ayoye

Véronique Prince @véroniqueprince 13 Feb 10:43 Mon feeling me dit qu'à chaque période de questions, @phcouillard #plq va demander au #pq de s'engager à déposer un budget avant élections

Par ailleurs, certaines opinions constituent aussi des prises de position explicites sur des enjeux ou des stratégies politiques. Ce type de tweets est quasi exclusivement l’apanage des chroniqueurs ou des éditorialistes de la Tribune. C’est notamment le cas dans ces commentaires du chroniqueur au Journal de Québec Michel Hébert, adressés au président de l’Union des producteurs agricoles Marcel Groleau (@GroleauM) et à un propriétaire de ferme du Lac Saint-Jean (@ANDRMNARD).

Michel Hébert @hebert_mic 24 Nov 19:00 @GroleauM Si on assure le revenu des agriculteurs, pourquoi ne le fait-on pas pour les opticiens, les garagistes, les stations de ski?

Michel Hébert @hebert_mic 24 Nov 19:23 @ANDRMNARD @GroleauM Je ne conçois pas que l'on doive assurer vos profits sur le porc ou le lait. Année après année.

Notons que plus du tiers des tweets d’opinion portant sur la politique (34 %) font partie d’un dialogue, alors que les tweets dialogiques ne représentent que 8 % de l’ensemble des tweets à teneur politique.

6.2 Des gazouillis comiques

Toujours dans le cadre de notre analyse de contenu, nous avons observé que 6,0% des tweets étudiés contenaient des propos visant à faire rire les internautes. Plus de 60 % des journalistes ont diffusé des propos humoristiques durant notre collecte de données sur

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Twitter. Ces messages prennent plusieurs formes différentes. Dans un premier temps, nous retrouvons des éléments humoristiques sous forme de discours rapporté. Ici, le journaliste Antoine Robitaille reprend les propos du leader de la Coalition Avenir Québec, François Legault (@françoislegault)53, sur le ministre libéral (@Heurtel).

Antoine Robitaille @ant_robitaille 11 Feb 14:35 Très drôle @françoislegault sur @Heurtel. Avant, le PQ vantait ses mérites. Aujourd’hui c’est différent. « Suis passé par là, on s’y fait. »

Toujours dans le registre politique, les journalistes rapporteront parfois les propos humoristiques de collègues journalistes ou de citoyens, comme l’illustre ce message de la journaliste Geneviève Lajoie, reprenant un tweet du site web satirique LaPravda.ca, en réaction à la hausse des frais de garde annoncée par le gouvernement.

Geneviève Lajoie @GLajoieJDQ 3 Dec 14:52 RT @lapravdaca Les frais de garde pour les lutins de Noël passeront de 0 $ à 250 $ par jour, annonce le PLQ lapravda.ca/frais-de-lutins/ pic.twitter.com/JbeUDRuWH4

Nous avons aussi observé que près du quart des tweets humoristiques à teneur politique (23 %) font partie d’un dialogue. Toutefois, seulement 8 % de l’ensemble des tweets politiques font partie d’un dialogue. Ici, la journaliste Véronique Prince répond à un citoyen (@TiJosConnais) sur un ton rigolo.

Véronique Prince @VeroPrinceTVA 24 Nov 20:17 Bon…ça fait maintenant cinq heures qu’on attend la sortie du conseil des ministres. Grosses décisions à prendre #tvanouvelles.

Le Souriant @TiJosConnais 24 Nov 20:20 @VeroPrinceTVA Ils ont p-e sorti par une autre porte ;-)

Véronique Prince @VeroPrinceTVA 24 Nov 20:20 @TiJosConnais Nous surveillons toutes les portes ;)

Chez certains, l’humour devient une partie intégrante de leur personnalité journalistique sur Twitter. Les exemples les plus frappants sont ceux du chroniqueur au

53 Chef de la Coalition Avenir Québec qu’il a fondé, François Legault a été député péquiste de 1998 à 2009. 176

Journal de Québec, Michel Hébert, et de l’éditorialiste au Devoir, Antoine Robitaille. Les tweets humoristiques représentent plus du cinquième de leur production sur Twitter (respectivement 21 et 22 %). Le chroniqueur Michel Hébert a l’habitude de publier des tweets empreints d’ironie où figurent des jeux de mots comiques.

Michel Hébert @hebert_mic 19 Feb 10:47 #AssNat «Coupures chez les docteurs» - Yves Bolduc. Ça va saigner dans la santé...

De son côté, l’éditorialiste Antoine Robitaille utilise régulièrement Twitter – comme il le fait avec sa chronique au Devoir intitulée « Mots et maux de la politique » – pour dénoncer la faible qualité de la langue française de la classe politique québécoise. Dans ce tweet, il souligne avec une pointe d’humour le caractère exceptionnel du temps de verbe employé par le premier ministre (@phcouillard) lors des débats en chambre.

Antoine Robitaille @ant_robitaille 26 Nov 10:38 ALERTE, de l'imparfait du subjonctif à l'#assnat ! «Il aurait fallu qu'ils tombassent», lance @phcouillard.

En somme, quoiqu’exceptionnel, l’humour fait néanmoins partie de la production d’une majorité de journalistes parlementaires sur Twitter.

6.3 Humour et opinion : les motivations

Durant les entretiens de recherche, seule une poignée de journalistes politiques (quatre) se sont dits prêts à émettre leur opinion ou encore à diffuser des propos humoristiques sur les réseaux socionumériques. Les éditorialistes et les chroniqueurs seront généralement plus enclins à le faire. Ceci étant dit, dans le cadre de l’analyse de contenu, nous avons aussi constaté que l’opinion et l’humour étaient présents dans la production de plusieurs reporters. Les motivations qui expliquent leur choix relèvent à la fois de facteurs d’ordre culturel, organisationnel et individuel.

D’une part, la nature personnelle et subjective du discours caractéristique de la culture des réseaux socionumériques influencerait dans une certaine mesure le discours journalistique sur ces plateformes.

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On constate que les personnalités vont peut-être être plus perceptibles sur Twitter, les personnalités des journalistes, que dans les articles. J’ai l’impression qu’il y a une conception des réseaux sociaux qui est aussi l’expression de l’individu usager, donc je pense que les journalistes, on n’échappe pas à ça. Le média social, c’est quand même un endroit dont beaucoup de gens se servent pour exprimer des opinions […]. Sur le contenu ou en tout cas, sur la profession journalistique, moi, je pense que ça laisse plus de place au commentaire (Journaliste 16).

Certains facteurs organisationnels contribuent aussi à expliquer le recours à l’humour ou à l’opinion sur Twitter. D’une part, les étapes qui précédaient la diffusion de contenus journalistiques dans les médias de masse sont éliminées sur les réseaux socionumériques, comme le relate ce journaliste :

il n’y a pas de filtre. Tu le dis, puis c’est tout de suite publié, alors que quand tu écris un texte, il faut quand même que tu y penses. C’est comme une tentation, Twitter, il n’y a pas de filtre, il n’y a personne. Tu n’as pas de correcteur, tu n’as pas de pupitreur qui passe à travers ton tweet (Journaliste 15).

D’autre part, ce journaliste souligne que certaines organisations médiatiques ouvrent davantage la porte à une forme de subjectivité dans le discours journalistique sur les réseaux socionumériques, dans l’optique de susciter l’intérêt du public.

C’est un peu contradictoire parce que, dans les journaux, il y a des chroniqueurs qui ont le droit de faire des opinions et il y a des gens, les reporters comme moi, qui ne sont pas censés d’avoir des opinions. Moi, quand j’écris, je ne peux pas dire ça. Mais là, on nous encourage à écrire des choses qu’on ne peut pas dans nos textes (Journaliste 4).

Sur le plan individuel, des journalistes expliquent aussi leur recours à l’humour sur Twitter par une volonté de plaire au public, une intention à laquelle s’associe celle de demeurer authentique.

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En fait, je veux être comme journaliste comme je suis dans la vie. Je ne veux pas jouer un personnage. Moi, ma personnalité, c’est des fois de penser que parfois je suis rigolo, ou de vouloir être un peu rigolo, ou de montrer des côtés un peu inusités du métier. […] Ça montre un côté de ma personnalité qu’on ne découvre pas nécessairement à la télé, parce que même si c’est un compte professionnel de Twitter, c’est moi. Alors je le fais parce que je pense que ça va intéresser les gens. Ce qui m’étonne toujours, c’est que souvent ce sont les tweets les plus retweetés. L’information factuelle, les gens la regardent peut-être, mais ne la retweete pas nécessairement, mais quand ils trouvent ça anecdotique, inédit, ils veulent la partager avec d’autres personnes et le retweete (Journaliste 17).

Cependant, comme mentionné précédemment, la majeure partie des journalistes interrogés se montrent réticents à publier de l’opinion ou des plaisanteries sur les réseaux socionumériques, demeurant très attachée aux normes traditionnelles associées à l’idéal d’objectivité, soit l’exactitude, l’honnêteté et l’impartialité.

6.4 Continuité et transformation sur le plan normatif

Dans le discours des journalistes sur leur pratique, l’importance de la séparation entre les faits et l’opinion revient constamment. Pour la quasi-totalité des journalistes interrogés, la pratique sur les réseaux socionumériques demeure assujettie à cette norme fondamentale qui définit la profession.

Émettre des opinions, moi, jamais. Peu importe la raison, c’est non. Tu ne fais pas ça et de toute façon, bravo à celui qui est capable de m’accoler une étiquette, mais pour moi ça ne se fait pas. Ce que je mets sur Twitter, est-ce que je serais capable de le publier dans le journal? Est-ce que tu mettrais dans le journal des trucs un peu légers, un peu gnagnan, insipides? Non. Des trucs un peu drôles mais avec un certain contenu, ça peut… une information peut faire sourire aussi. Je ne veux pas non plus paraître trop sérieux, mais envoyer une blague pour envoyer une blague, non. Je ne suis pas fort là-dessus et émettre des opinions, jamais. Pour moi, ce n’est pas le journalisme. Je comprends que la tentation peut être forte, mais des opinions jamais, jamais. Ça n’a aucun bon sens (Journaliste 1).

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Cette séparation entre l’information et l’opinion s’incarne dans des rôles différents joués par les reporters et les éditorialistes (ou les chroniqueurs). Pour ceux qui font partie du premier groupe, l’impartialité apparaît comme une norme incontournable sur laquelle repose leur crédibilité en tant que journaliste politique : « moi, je me tiens à l’écart de toute expression d’opinion et je pense que ça fait de moi un journaliste plus crédible » (Journaliste 3). Un journaliste développe davantage ce raisonnement qui sous-tend sa pratique, en ligne comme hors ligne, en mettant l’accent sur la fonction particulière du journaliste politique :

…je crois fermement en la barrière entre l’opinion et les faits, le reportage. Moi, je suis un journaliste, je fais des reportages, je fais des textes de nouvelles et je ne donne jamais d’opinion. Et notamment, quand tu es en politique, moi, je pense qu’il ne faut jamais laisser croire ou laisser entendre, se faire pogner à donner une opinion sur un parti politique, sur un choix d’un parti politique, sur ci ou ça parce qu’après ça, ça peut revenir contre toi. Je pense que ça, c’est très important, notamment en politique. Je pense que si tu fais du fait divers, tu peux bien donner ton avis sur la politique, mais moi, je suis en politique, donc je ne veux pas que les partis doutent de mon impartialité (Journaliste 20).

Plusieurs interviewés rapportent cependant une tendance à la hausse de l’opinion dans le discours journalistique. Ils évoquent aussi une tension entre l’idéal d’objectivité et le potentiel d’expression individuelle présent sur les réseaux socionumériques.

Ça fait réagir aussi, de l’opinion, et ça fait du bruit. Moi, c’est tout un élément de ça, des réseaux sociaux, de Twitter, avec lequel je ne suis pas à l’aise […]. C’est sûr qu’il y a une dimension auto-promotionnelle dans ça aussi. On ne peut pas le dissocier non plus. Des fois, c’est même un peu too much de la part de certains. Donc, il y a ça aussi. C’est quoi, la mesure à garder ? Vraiment être dans une auto-promotion perpétuelle à travers un paquet de contenu et d’opinions? […] Moi, c’est sûr que j’ai envie de garder le plus de neutralité possible (Journaliste 16).

Néanmoins, si une majorité de journalistes se montrent critiques ou prudents par rapport à ce potentiel expressif parfois utilisé à des fins promotionnelles, quelques individus estiment que la subjectivité peut s’intégrer au discours journalistique dans la

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mesure où celui-ci demeure cohérent à l’image de marque, à la fois personnelle et organisationnelle, des journalistes.

Moi, je ne vais pas dire : tous les journalistes peuvent faire ça ou ne peuvent pas faire ça. Ça dépend du genre de branding, le genre d’image de marque qu’ils veulent envoyer au public. Il y a d’autres journalistes, comme moi, qui vont ajouter un aspect humain à leurs tweets. Si j’étais un journaliste qui n’écrivait que des faits tout le temps et, de nulle part, j’écris un tweet qui est très opinion ou très humour, tu peux être mal compris parce que le monde va peut-être prendre ça comme un fait et ne pas comprendre qu’il y a un certain milieu où on joue un petit peu. Mais si on me suit d’une façon normale et on voit que c’est mon style, et c’est le style de plusieurs autres journalistes que je pourrais nommer comme Monique Muise fait la même chose, Steve Faguy fait la même chose. Si tu connais ce genre de style qu’on peut « expecter », on va peut-être regarder ces tweets d’une autre manière (Journaliste 12).

En somme, si l’attachement à l’idéal d’objectivité perdure sur les réseaux socionumériques, des formes de subjectivité sont considérées comme acceptables par certains membres de la Tribune, à la fois dans le journalisme d’opinion à proprement parler, mais aussi dans le journalisme d’information, dans la mesure où cette subjectivité permet d’informer ou encore, de présenter le journaliste de manière authentique, tout en suscitant l’intérêt du public.

6.5 L’étendue des pratiques d’autopromotion sur Twitter

Comme nous le mentionnions au Chapitre 2, une analyse préliminaire des données récoltées durant notre analyse de contenu suggérait non seulement la présence d’éléments de subjectivité sous la forme d’opinion ou d’humour, mais également sous la forme de discours autopromotionnels. Nous avons donc entrepris de mesurer de manière systématique les pratiques d’autopromotion sur Twitter, et ce, à l’aide de trois indicateurs : le retweet, l’hyperlien et le texte du tweet.

Dans un premier temps, nous avons analysé les messages rediffusés par les journalistes parlementaires (retweets) et, plus précisément, la source de ces messages. Nous avons classé ces sources dans trois catégories : un usager œuvrant dans le même

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groupe de presse que le journaliste émetteur, un usager œuvrant dans un autre groupe de presse ou tous autres types d’usagers. Seuls les retweets provenant d’un usager œuvrant dans le même groupe de presse que le journaliste émetteur étaient considérés comme de l’autopromotion. Aussi, comme l’illustre le tableau 6.1, nous avons observé qu’un peu plus de la moitié (50,2%) des partages (retweets) effectués par les journalistes de la Tribune visaient à diffuser des messages émis par des usagers de leur propre groupe de presse. À titre d’exemple, le journaliste du Journal de Québec, Charles Lecavalier, partage ici un tweet émis à l’origine par son organisation médiatique (@JdeQuebec).

Charles Lecavalier @CLecavalierJDQ Nov 26 RT @JdeQuebec Six débats des chefs à TVA? Françoise David pourrait participer aux duels #assnat #polqc http://www.journaldequebec.com/2014/02/17/six-debats-des-chefs-a-tva

En comparaison, 37,4 % des retweets des journalistes de la Tribune visaient à partager un message émis par un usager d’un autre groupe de presse. Parmi ces messages, nous retrouvions notamment des nouvelles exclusives de médias québécois ou canadiens, de même que des tweets de médias étrangers. Enfin, seuls 12,4 % des retweets visaient à partager un message émis par d’autres types d’usagers, que ce soit des politiciens ou des citoyens.

Tableau 6.1 Sources des messages qui font l’objet d’un retweet par les journalistes parlementaires Source Nombre de RT Pourcentages Groupe de presse du journaliste émetteur 464 50,2 Autre groupe de presse 345 37,4 Autres usagers 114 12,4 n=923 Dans un deuxième temps, nous avons analysé les hyperliens inclus dans les messages des journalistes de la Tribune sur Twitter et, plus spécifiquement, la destination de ces hyperliens, comme le montrent les résultats au tableau 6.2. Nous avons observé que la majorité (63,4%) des hyperliens recueillis visait à orienter l’usager vers le site web de l’organisation ou du groupe de presse du journaliste émetteur. En comparaison, seul

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un hyperlien sur cinq (20,7%) menait au site d’un autre groupe de presse; à peine un hyperlien sur six (16%) orientait l’usager vers un autre type de site internet.

Tableau 6.2 Destination des hyperliens inclus dans les tweets des journalistes parlementaires Destination Nombre de Pourcentages RT Un site web du média ou du groupe de presse du 685 63,4 journaliste émetteur Un site web d’un média d’un autre groupe de presse 223 20,7 Un autre type de site 173 16,0 n=1081

Dans un troisième temps, nous avons analysé le texte de chacun des tweets pour vérifier si celui-ci contenait un élément d’autopromotion. Plus précisément, nous avons vérifié s’il y avait présence de propos référant directement au journaliste émetteur (self- refential) – à son travail ou à sa personne – ou encore à son organisation médiatique ou à son groupe de presse, à un usager de cette organisation ou à un contenu produit par celle- ci. Nous avons exclu de cette catégorie les tweets décrivant le contexte de la couverture qui sont plutôt considérés comme des indicateurs de transparence (voir Chapitre 5). Notre analyse montre que 6 % des tweets émis par les journalistes de la Tribune comportaient un élément promotionnel, soit sur le plan individuel ou organisationnel. Souvent, ces tweets avaient pour objectif d’annoncer une intervention du journaliste en ondes, comme l’illustre ce tweet de Ryan Hicks (@rhicks), un correspondant parlementaire de la Canadian Broadcasting Corporation (@CBC).

Ryan Hicks @rhicks Nov 26 On @CBCNoon in a couple mins to talk pension reform – the reason everyone is protesting today – and new amendments to the bill #cbcmtl

Nous avons également recensé des tweets mettant en scène le journaliste lui-même. À titre d’exemple, le chef de bureau de Radio-Canada, Sébastien Bovet, a commenté et

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partagé un tweet humoristique émis à l’origine par l’usager Pierre Bouchard (@pbouchard) qui réfère directement au journaliste.

Sébastien Bovet @SebBovetSRC Dec 5 Trop drôle! MT @pbouchard Chaque fin session, 1 journaliste est retenu en studio, forcé à faire du direct. Donnez généreusement: #liberezBovet

En somme, comme l’indique le tableau 6.3., la promotion est une caractéristique relativement importante de la production de la presse parlementaire québécoise sur Twitter. Plus du quart des tweets colligés (28 %) contiennent au moins un élément d’autopromotion. De façon plus précise, 13 % des tweets des journalistes visaient à partager les messages (retweets) émis par des usagers de leur propre organisation ou de leur propre groupe de presse. Un cinquième (20 %) des tweets colligés contenaient un hyperlien menant à un contenu généré par le/la journaliste lui-même/elle-même ou un utilisateur œuvrant dans son groupe de presse, que ce soit un article, un blogue, une image ou un vidéo. Enfin 6 % des tweets affichent un texte à saveur promotionnel, soit sur le plan individuel ou organisationnel.

Tableau 6.3 Les fonctions utilisées par les journalistes politiques à des fins de promotion sur Twitter Fonction Nombre de % tweets Retweet 464 13 Hyperlien 685 19 Texte du tweet 218 6 Total des tweets contenant un élément 998 28 d’autopromotion54 n=3577

54 Le total des tweets promotionnel est inférieur à la somme de chacune des cellules incluses dans une même colonne car chaque tweet peut contenir plus d’un élément promotionnel. 184

Dans l’analyse, nous avons aussi distingué la promotion sur les plans individuel et organisationnel. Ainsi, pour chaque hyperlien autopromotionnel, nous avons noté si le contenu provenait du journaliste émetteur (promotion individuelle) ou d’un autre usager de son organisation (promotion organisationnelle). De même, en analysant le texte du tweet, nous avons distingué les messages référant directement au journaliste émetteur, à son travail ou à sa personne (promotion individuelle), de ceux référant à son organisation médiatique, à un usager de cette organisation ou à un contenu produit par celle-ci (promotion organisationnelle). Aussi, comme l’illustre le tableau 6.4, la promotion sur le plan organisationnel s’avère plus fréquente que celle sur le plan individuel, une tendance observée durant les deux périodes de collecte de données. Au total, 12,1 % des tweets contenaient au moins un élément de promotion sur le plan individuel, alors que 18,6% des tweets comportaient au moins un élément de promotion de l’organisation.

Tableau 6.4 Autopromotion individuelle et organisationnelle sur Twitter Promotion Promotion Fonction individuelle organisationnelle Nombre % Nombre % Retweet - - 464 13,0 Hyperlien 378 10,6 312 8,7 Texte du tweet 91 2,5 129 3,6 Total des tweets incluant un élément 436 12,1 664 18,6 promotionnel55 n=3577

6.6 Expliquer les pratiques d’autopromotion en ligne

Lorsqu’ils sont interrogés sur les motivations professionnelles associées aux pratiques promotionnelles en ligne, 26 des 28 répondants réfèrent à l’autopromotion comme une pratique répandue chez les journalistes politiques. Trois participants sur

55 Le total des tweets promotionnels est inférieur à la somme de chacune des cellules incluses dans une même colonne car chaque tweet peut contenir plus d’un élément promotionnel. 185

quatre ont affirmé utiliser Twitter ou Facebook pour partager leurs propres contenus ou ceux de leur organisation. Fréquemment, ils ont utilisé les termes « promouvoir » ou « autopromotion » pour décrire ce type de pratique. Les journalistes parlementaires disent utiliser des mots-clics pour gagner en visibilité, les retweets pour partager les contenus de leurs collègues, de même que les hyperliens comme des interfaces qui permettent aux usagers d’accéder aux contenus web de leur organisation médiatique.

Les journalistes participants aux entretiens ont mentionné de manière récurrente trois motivations pour utiliser Twitter à des fins d’autopromotion : gagner en visibilité, demeurer compétitif et suivre une recommandation formulée par l’organisation. Dans leurs réponses, 22 des 28 correspondants parlementaires ont expliqué utiliser les réseaux socionumériques – et principalement Twitter – dans la perspective d’augmenter leur visibilité, en étant vu, lu ou entendu. Cette quête de visibilité était régulièrement associée à une autre motivation, soit celle de répondre à une demande formulée par un supérieur hiérarchique. Ce journaliste décrit la requête explicite de la direction.

Avant la campagne électorale, en sachant que ça s’en venait, c’est plus là qu’ils nous en ont parlé. On a changé par exemple notre nom; tous les journalistes ont changé leur nom de compte. […] Ils voulaient vraiment qu’on ait [le nom de l’entreprise] dans le nom du compte. Le vice-président des informations nous a demandé de tweeter le plus possible et la responsable des communications pour [notre organisation] nous a demandé idéalement de retweeter aussi nos collègues (Entrevue 9).

Un autre journaliste relate les efforts de son organisation médiatique pour intégrer différentes plateformes, en ligne et hors ligne, afin d’augmenter le lectorat de son journal et la fréquentation du site de son entreprise.

Nous, on a comme intégré nos opérations : une nouvelle, elle s’en va tout de suite sur internet et c’est devenu comme une façon de faire. Twitter, Facebook, internet, le journal papier…tout ça, c’est relié. Moi, dans le journal, ils ont mon adresse Twitter. […] En fait, c’est quoi notre but, nous? Évidemment, on veut informer les gens, alors on prend tous les moyens pour les rejoindre (Entrevue 25).

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Ce désir d’augmenter la visibilité des organisations médiatiques est également associé à la volonté de demeurer compétitif. Des journalistes de différentes organisations ont dit préférer partager les contenus générés par les collègues de leur organisation. Néanmoins, s’ils estiment qu’une information exclusive d’un compétiteur est importante pour leur public, ils vont la partager et l’attribuer. Ce journaliste explique ce raisonnement.

J’aime mieux tweeter mon monde. […] Je tweete professionnellement, alors je me dis que je vais encourager mes collègues avant d’encourager la compétition sur le même sujet, par exemple, sur un sujet qui est commun. Si c’est une primeur, une grosse primeur d’un collègue ailleurs, je vais peut-être le retweeter, mais j’essaie d’être « sectaire » avec mon organisation à moi (Journaliste 23).

Twitter est également utilisé pour favoriser la visibilité au niveau individuel. De nombreux journalistes œuvrant dans une grande diversité d’organisations ont décrit leur tendance à promouvoir le fruit de leur travail, leurs contenus ou encore leur prochaine apparition en ondes sur Twitter. Aussi, quelques participants ont mentionné le potentiel de la plateforme pour accroître leur visibilité professionnelle à travers le pays en entier. Ce raisonnement a surtout été évoqué par des journalistes des médias régionaux, comme l’illustre cet extrait d’entretien :

Moi, je veux augmenter mon profil comme journaliste. […] Sur Twitter, je peux avoir des gestionnaires, de grands éditorialistes de Toronto, de partout à travers le pays, qui peuvent me suivre, qui me connaissent juste grâce à Twitter. Alors, c’est une façon pour moi de promouvoir un petit peu le fait que je suis là, le fait que je couvre la politique. Ils vont me connaître…mon nom, ma face (Journaliste 12).

Dans certaines organisations, les thèmes de la visibilité et de la compétition, évoqués comme motivations pour utiliser Twitter à des fins promotionnelles, étaient également associés à un discours sur les mesures d’audience. Un journaliste explique qu’il encourage les collègues de son organisation à être actifs sur les réseaux socionumériques : « l’entreprise a fait des études et nos lecteurs sont là. Et, quand on fait

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du monitoring de nos sites internet, on se rend compte que les sources viennent de Facebook et de Twitter » (Journaliste 25). Dans une autre organisation, un journaliste explique comment les mesures d’audience sont partagées avec les employés :

C’est par courriel. On reçoit toutes les statistiques, donc les nouvelles les plus partagées, les plus lues à chaque heure et à chaque fin de journée on a un total. Personnellement ça ne m’affecte pas nécessairement dans mon travail de tous les jours, mais en tant qu’équipe on a certains objectifs de maintenir les statistiques (Journaliste 26).

Lorsque les mesures d’audience et l’importance de générer des « clics » sont mentionnées, un thème revient constamment dans le discours des journalistes : l’immédiateté. De nombreux journalistes relatent la course qui se dessine entre les membres de la Tribune de la presse sur Twitter pour diffuser l’information le plus rapidement possible, notamment pour gagner en visibilité.

En étant le premier […], tu peux t’accaparer la totalité, l’exclusivité du nombre de clics, ce qui fait que, ta nouvelle, elle se ramasse partout et, si les gens veulent la lire en premier, il faut qu’ils cliquent sur ta nouvelle. Donc, oui, c’est ça que ça donne être le premier, c’est d’aller chercher le clic des gens qui ne viennent même pas sur ton site nécessairement en créant le buzz (Journaliste 7).

En somme, une large proportion de participants affirment qu’ils utilisent Twitter pour augmenter leur visibilité en ligne et demeurer compétitifs. Des facteurs organisationnels, comme les demandes de l’organisation et la disponibilité des mesures d’audience, jouent aussi un rôle important dans la manière dont les journalistes politiques utilisent le site. Cependant, certains participants ont aussi exprimé des réserves importantes sur l’utilisation des réseaux socionumériques à des fins promotionnelles. Ces participants œuvrent principalement dans la presse écrite ou dans les agences de presse. Pour ces journalistes, les pratiques d’autopromotion constituent une rupture avec certaines normes fondamentales du journalisme.

6.7 Autopromotion : une norme contestée

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Comme le résument Bicchieri et Muldoon (2014), « [l]ike a grammar, a system of norms specifies what is acceptable and what is not in a society or a group ». Or, en ce qui concerne les pratiques promotionnelles des journalistes politiques sur Twitter, ce qui est acceptable ou ce qui ne l’est pas est loin de faire consensus parmi les journalistes interviewés. La quête de visibilité en tant que norme semble pratiquement faire consensus; toutefois, l’intensité du processus de compétition pour atteindre cet objectif, les moyens auxquels les journalistes doivent recourir, de même que les logiques économiques qui y sont associées ne font pas l’unanimité.

Pour de nombreux journalistes, le contexte de crise des revenus dans le secteur des médias d’information et la rentabilité de l’organisation pour laquelle ils travaillent constituent une source d’inquiétude importante. Plusieurs invoquent la viabilité des entreprises sur le plan financier comme justification aux pratiques promotionnelles. Certains parlent de « vendre » le produit. Ici, un journaliste a recours à ce que Mark Coddington (2015 : 74) appelle la rhétorique de la survie (survival rhetoric) pour décrire comment et pourquoi il utilise Twitter :

[p]our moi aussi, c’est une question de visibilité, pour l’entreprise aussi. Si tu mets un lien vers le site web, c’est assez clair qu’il va y avoir des clics sur le site web, ce qui est très bon. Quand c’est [notre plateforme], généralement je le fais plus systématiquement le matin justement pour mousser un peu cette plateforme-là. Aussi, c’est un peu notre avenir qu’on joue avec ça et disons que ce serait le fun que je contribue (Journaliste 1).

De manière plus générale, un journaliste explique comment l’économie de l’information en ligne contribue à transformer la pratique journalistique, désormais influencée par une perception quantifiée du public, même dans la sphère plus traditionnelle du journalisme politique.

C’est sûr qu’on cherche à avoir des « clics », car c’est comme ça qu’on est payé. C’est comme ça qu’on fait de la publicité, qu’on a des revenus et donc ça change ce que l’on considère être de la nouvelle […]. On couvre tout ce que l’on couvrait avant, tout ce qui est pertinent comme actualités politiques, mais on parle aussi de trucs plus légers qu’on n’aurait peut-être pas faits dans un journal papier avant. Par exemple, il y a des listes qu’on va faire : 10

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citations étonnantes de la Commission Charbonneau, des trucs comme ça qu’on n’aurait pas faits avant (Journaliste 26).

Cependant, cette quête de clics et de revenus entraîne aussi des questionnements parmi les courriéristes parlementaires. Plusieurs participants ont affirmé qu’ils n’étaient pas prêts à diffuser leur opinion personnelle ou des propos humoristiques pour gagner en visibilité. Ce journaliste souligne la tension qui existe entre les impératifs de nature économique et le rôle d’information que jouent les médias en démocratie :

C’est sûr que je suis content quand mon article est le plus lu sur [notre site web], ou le plus lu de la semaine, ou le plus lu de la dernière heure. […] Mais après, c’est que cette logique-là, ça s’inscrit dans tout le contexte de la mise en marché de l’information et de commercialisation des journaux, de comment ça se fait l’argent. (Journaliste 11).

Enfin, une minorité de journalistes se sont montrés en complet désaccord avec les pratiques émergentes d’autopromotion en ligne. Ceux-ci considèrent l’autopromotion comme une entorse à la séparation traditionnelle entre l’information et le marketing, un changement incompatible avec leur rôle premier qui consiste à servir l’intérêt public.

Personnellement je n’ai pas envie de participer à ça. Même en restant dans l’ombre je préfère travailler pour un média qui n’est pas là-dedans parce que je trouve que c’est deux choses différentes le marketing et l’information et je ne trouve pas là-dedans que l’intérêt public est bien servi. On cherche l’intérêt de l’entreprise, c’est ça que je vois. C’est malsain (Journaliste 5).

En somme, malgré une forme de questionnement et, plus rarement, de contestation parmi les journalistes de la Tribune de la presse du Parlement de Québec, nous considérons néanmoins que l’autopromotion constitue une norme émergente dans la pratique du journalisme politique au Québec. Chez les journalistes, Twitter est généralement perçu comme un dispositif utile dans l’acquisition d’une forme de notoriété, la construction d’une image de marque, de même que pour la promotion et la distribution de contenus médiatiques, à la fois sur le plan organisationnel et individuel. Seule une minorité de répondants (trois journalistes) se sont montrés totalement opposés à l’utilisation des réseaux socionumériques pour augmenter la taille de leur auditoire ou

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de leur lectorat. La rentabilité apparaît aussi comme une préoccupation importante chez les journalistes. Alors que certains soulignent la tension entre la logique commerciale et l’intérêt public, plusieurs correspondants ont exprimé des inquiétudes liées à la survie de leur organisation sur le plan financier. Ces préoccupations servent souvent de justification aux efforts promotionnels des journalistes sur Twitter. Bien que ces enjeux normatifs ne soient pas totalement nouveaux dans l’environnement médiatique québécois (voir notamment Brin et al. 2004; Le Cam 2005), la prévalence actuelle des logiques commerciales suggère une transformation dans la manière dont les journalistes définissent les contours de leur profession, la frontière entre l’information et le marketing apparaissant de plus en plus poreuse.

6.4 Discussion et conclusion

Dans le cadre de ce chapitre, nous avons étudié le rapport des journalistes politiques québécois à une norme fondamentale du journalisme moderne nord-américain : l’idéal de l’objectivité. De manière plus spécifique, nous avons mesuré la présence d’opinion, d’humour et d’autopromotion dans les contenus publiés sur Twitter par les journalistes parlementaires québécois. Puis, à travers leurs discours sur la pratique, nous avons analysé les motivations qui sous-tendent leurs usages, de même que la manière dont ces usages et ces motivations influencent le rapport qu’ils entretiennent avec la norme de l’objectivité.

Dans un premier temps, nous avons observé que l’opinion et l’humour, bien qu’utilisés de manière exceptionnelle, font néanmoins partie du répertoire d’une majorité de journalistes parlementaires sur Twitter. Les motivations qui expliquent ces usages sont à la fois de nature culturelle, organisationnelle et individuelle. Les journalistes doivent désormais naviguer sur des plateformes de communication – les blogues et les réseaux socionumériques – dont la culture dominante est plus expressive, plus personnalisée et plus interactive que celle des médias de masse (Singer, 2005). Ils y travaillent souvent dans l’instantanéité (Elmer, 2013), sans les filtres organisationnels présents dans les médias de masse, notamment les journalistes-pupitreurs ou les chefs de section des

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rédactions. Cette relative liberté leur permet de se mettre en scène sur le plan individuel et de développer une identité en ligne (Cardon, 2008), un processus qui est d’ailleurs valorisé dans certaines organisations médiatiques.

Ceci étant dit, notre analyse montre également un fort attachement à l’idéal normatif de l’objectivité. En ce sens, nos résultats s’inscrivent en continuité avec les travaux de Rogstad (2014) et de Parmelee (2013b), réalisés respectivement auprès de journalistes politiques norvégiens et américains. Chez les journalistes de la Tribune de la presse du Parlement de Québec, l’idéal de l’objectivité se traduit notamment par une séparation entre les faits et l’opinion, toujours fondamentale aux yeux de la vaste majorité des journalistes qui considèrent que les rôles de reporter et de chroniqueur doivent demeurer distincts, même sur les réseaux socionumériques. De plus, pour la quasi-totalité des reporters interrogés, l’objectivité dans sa dimension d’impartialité apparaît comme un socle sur lequel repose leur crédibilité en tant que journaliste politique. Prendre parti entraînerait une perte de crédibilité et, conséquemment, de la légitimité les autorisant à interroger les femmes et les hommes politiques et à faire de l’information leur profession.

Cependant, cet attachement à l’idéal de l’objectivité cohabite avec une vision de la profession qui s’ouvre à la subjectivité et à l’expressivité dans le discours journalistique. Des formes de subjectivité, notamment dans le registre de l’humour, sont jugées acceptables par des chroniqueurs de même que par une petite minorité de reporters, dans la mesure où celles-ci contribuent à leur authenticité ou encore, à soulever l’intérêt du public. Ce phénomène n’est pas neuf en soi. Mourão (2015) souligne par exemple qu’à l’époque de la presse partisane, les journalistes américains n’hésitaient pas à faire dans la satire pour se moquer des autorités politiques ou contrer leurs opposants. Cependant, notre analyse révèle que sans être prédominants, l’humour et l’opinion font désormais partie des pratiques des journalistes politiques sur Twitter. En somme, alors qu’une majorité de journalistes montrent un attachement à l’idéal de l’objectivité (et particulièrement à l’impératif de neutralité), ceux-ci font néanmoins certaines incursions dans la sphère de l’humour et de l’opinion en ligne, empruntant à l’occasion un ton plus informel caractéristique de la culture des communications sur les réseaux

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socionumériques (Holton et Lewis, 2011). Nous l’évoquions précédemment, dans l’optique de rejoindre un public plus vaste (et plus jeune), certaines organisations médiatiques encouragent l’adoption par les journalistes d’une culture des réseaux socionumériques qui se traduit par plus de subjectivité, d’humour et d’opinion dans leurs discours. À notre sens, cette orientation s’inscrit aussi dans deux tendances plus générales et plus anciennes. D’une part, elle apparaît comme une suite logique au phénomène de croissance de l’infodivertissement observé dans les médias d’information et intimement lié à l’intensification de la concurrence (Bastien, 2013). D’autre part, elle s’inscrit en continuité avec le développement d’un journalisme politique de commentaire et de confrontation où les intentions et les gaffes des politiciens sont largement commentées et analysées dans la presse (Sabato, 1991).

Dans un deuxième temps, nous avons analysé les pratiques promotionnelles des journalistes politiques sur Twitter, de même que les motivations et les normes associées à ces pratiques. Premièrement, à travers une analyse de contenu quantitative, nous avons observé que l’autopromotion constituait une part non négligeable de la production des journalistes politiques québécois sur Twitter, présente dans plus du quart des tweets colligés. Nous avons également noté que la fonction retweet et les hyperliens étaient majoritairement utilisés, non pas dans une perspective de construction collective de l’actualité, mais principalement dans une perspective d’autopromotion.

Deuxièmement, la promotion au niveau organisationnel s’est révélée plus fréquente que la promotion au niveau individuel. Ce résultat diffère de ceux obtenus par Molyneux et Holton (2015 : 25), qui étudiaient les perceptions et les facteurs favorisant l’autopromotion et le branding sur les réseaux socionumériques, chez les journalistes spécialisés dans le domaine de la santé aux États-Unis. Leurs travaux suggéraient que les pratiques d’autopromotion des journalistes étaient principalement axées sur la promotion et le branding individuels. Au contraire, selon nos observations, les journalistes politiques québécois sont plus enclins à promouvoir leur organisation qu’eux-mêmes sur Twitter. Les demandes formulées par la direction des entreprises de presse contribuent certainement à cette tendance. En effet, d’après nos entretiens de recherche, la quête de

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visibilité, la compétition entre les organisations médiatiques et les pressions organisationnelles constituent des motivations clés pour utiliser Twitter à des fins d’autopromotion. Dans certaines organisations, la quête de visibilité et la compétition sont associées de manière explicite à un discours sur les mesures d’audience, la rentabilité et l’immédiateté.

Ces résultats contribuent à expliquer comment certaines potentialités technologiques (affordances), combinées à la volonté de répondre à une demande de l’organisation dans un contexte économique de crise, influencent les routines des journalistes politiques. Ces derniers sont encouragés par leurs directions à être proactifs sur Twitter, à y diffuser les contenus de leur organisation et ce, le plus rapidement possible, afin de maximiser la fréquentation de leur site web. Selon Anderson (2011) et Usher (2013) qui ont étudié les usages journalistiques des mesures d’audience en ligne, les orientations et les décisions de nature managériale jouent un rôle fondamental dans l’intégration, les usages et la compréhension des innovations technologiques dans les rédactions.

Troisièmement, l’analyse des entretiens nous indique que l’autopromotion est une norme émergente qui, malgré certains questionnements, s’avère désormais partagée par une majorité de journalistes parlementaires. Dans l’optique d’améliorer leur visibilité et de préserver la viabilité de leur organisation sur le plan financier, plusieurs journalistes acceptent de participer à la commercialisation de leurs contenus médiatiques. Ces journalistes ne font pas que produire des nouvelles en ligne, ils travaillent activement à leur circulation et à leur promotion. Ils justifient ces pratiques en invoquant ce que Coddington (2015) désigne comme un discours de survie en contexte de crise. Cependant, il demeure important de souligner que certains journalistes se questionnent sur la tension entre les logiques commerciales de leur organisation et leur rôle premier qui consiste à informer le public. De plus, une petite minorité de journalistes se sont montrés clairement opposés aux pratiques d’autopromotion en ligne, associant ces pratiques à des impératifs commerciaux incompatibles avec leur mission de servir l’intérêt public. Aussi, comme l’expliquent Bicchieri et Muldoon (2014), « [w]hen norms

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are internalized, abiding behavior will be perceived as good or appropriate and people will typically feel guilt or shame at the prospect of behaving in a deviant way ». Or, dans le cas qui nous occupe, ce qui semble acceptable ou ce qui ne l’est pas ne fait pas consensus. Cette diversité de perceptions suggère que les normes sur l’autopromotion ne sont pas tout à fait fixées au sein des journalistes de la Tribune de la presse.

Notre recherche rend compte d’une forme d’évolution dans le rôle des journalistes politiques qui participent désormais activement à la commercialisation de leurs contenus par le truchement des réseaux socionumériques. Durant les deux dernières décennies, de nombreux chercheurs se sont penchés sur la tendance des organisations médiatiques à développer des contenus en priorisant les impératifs commerciaux (à ce sujet, voir McManus 2009). Aussi, en nous appuyant sur des travaux récents portant sur les usages journalistiques des réseaux socionumériques (Molyneux 2015; Molyneux et Holton 2015), notre étude franchit une étape de plus en documentant comment et dans quelle mesure les journalistes utilisent Twitter pour réaliser des tâches liées à la distribution de contenus et à la promotion d’une image de marque, des fonctions traditionnellement associées au marketing plutôt qu’au journalisme (Geana, 2009).

Notre analyse met aussi en lumière des questions concernant l’érosion de la frontière entre l’information et le marketing et, plus globalement, l’identité journalistique. Durant la plus grande partie du XXe siècle, généralement, les journalistes concevaient les objectifs commerciaux de leur entreprise et leur mission de servir l’intérêt public en opposition l’un par rapport à l’autre (Coddington, 2015). En ce sens, la crédibilité journalistique reposait, du moins dans une certaine mesure, sur le « mur infranchissable » entre les intérêts corporatifs et l’information (Taras, 2015 : 103). Cette frontière permettait aux journalistes d’appuyer leur légitimité sur une norme fondamentale, celle de la responsabilité sociale. Aujourd’hui, les journalistes politiques sont aussi devenus des distributeurs de contenus et des ambassadeurs de leur entreprise ou de leur propre image de marque. Certes, générer des « clics » et des profits tout en produisant une information qui contribue à une meilleure compréhension de la chose publique ne sont pas nécessairement des tâches incompatibles. Cependant, dans un contexte où la frontière

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entre journalisme et marketing s’amincit, la profession est-elle toujours en mesure de maintenir son autonomie, sa crédibilité et, ultimement, la légitimité sur laquelle s’appuie son statut particulier en démocratie? La question mérite que l’on s’y attarde.

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Conclusion

In its self-conception, the popular imaginary, and the social sciences, political journalism is regarded as a key part of democratic politics and at the very heart of the journalistic vocation (Nielsen et Kuhn, 2014 : 1).

Ces propos de Rasmus Kleis Nielsen et de Raymond Kuhn résument fort bien l’importance que revêt le journalisme politique dans les sociétés occidentales. Or, malgré ce constat et l’ampleur des transformations technologiques qui ont marqué les dernières décennies, la recherche portant sur la pratique du journalisme politique en ligne et sur les réseaux socionumériques demeure assez rare, tout particulièrement à l’extérieur des États-Unis et du contexte spécifique des campagnes électorales. Ce constat est à la source de cette thèse. Trois questions générales ont orienté nos travaux. Quels usages font les journalistes politiques de l’internet et des réseaux socionumériques dans leur pratique professionnelle? Quelles motivations sous-tendent ces usages? Comment ces usages et ces motivations influencent-ils les normes du journalisme politique?

À travers les réponses apportées à chacune de ces questions, nous croyons que cette thèse apporte une contribution originale qui se décline sur plusieurs plans. Sur le plan théorique, elle met en relation le fruit de travaux empiriques récents dans le champ des études sur le journalisme et une approche théorique propre à la communication politique – le système médiatique hybride (Chadwick, 2013). Elle propose une méthodologie novatrice qui combine une analyse de contenu quantitative réalisée en temps réel et des entretiens semi-dirigés menés auprès des journalistes qui ont produit les contenus analysés. Enfin, elle présente des données empiriques inédites sur la pratique des journalistes politiques québécois sur les réseaux socionumériques. Au-delà de la spécificité du cas étudié, nos résultats contribuent aux connaissances existantes sur la relation des journalistes politiques au temps, aux sources d’information et aux publics. Cette thèse montre comment, dans un contexte de crise économique dans l’industrie des médias, la concurrence entre les organisations médiatiques et les pressions organisationnelles contribuent à façonner les usages de la technique et, plus précisément, au développement d’une pratique journalistique orientée vers la diffusion en temps réel et

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l’autopromotion davantage que sur la transparence, le dialogue ou la dimension participative des médias socionumériques.

Les limites de la recherche

Cette thèse comporte certaines limites. Plusieurs d’entre elles sont liées aux frontières du cas étudié. Nous étudions une pratique, celle du journalisme politique québécois en ligne et sur les réseaux socionumériques. Nous avons campé notre analyse depuis la perspective des journalistes politiques, apportant ainsi une contribution plus spécifique dans le champ des études sur le journalisme. Cependant, la pratique du journalisme parlementaire s’inscrit dans une dynamique plus large de communication politique qui mériterait également d’être appréhendée dans son ensemble, en tenant compte de l’usage que font les politiciens et les citoyens de l’internet et des réseaux socionumériques dans le processus de construction de l’actualité politique. Comme le soulignent Broersma et Graham (2016 : 90), « [w]ith the rise of the internet and social media the relationship between politics, journalism and the public changed into an actual ménage à trois ». Des recherches additionnelles visant à étudier de manière systématique l’interaction des pratiques en ligne de chacun de ces trois groupes du triangle classique de la communication politique (les journalistes, les politiciens et les citoyens) devraient être envisagées dans l’avenir, au Québec, de même qu’ailleurs au Canada.

Par ailleurs, plutôt que de focaliser notre analyse sur une dimension spécifique de la pratique en l’étudiant de manière très approfondie, nous avons tenté de mieux comprendre la pratique du journalisme en ligne et sur les réseaux socionumériques dans son ensemble. Ce faisant, nous avons dû effectuer des choix méthodologiques pour assurer la faisabilité de l’étude. Les résultats issus de l’analyse de données quantitatives sur Twitter ont servi à développer un pan des entretiens semi-dirigés. Une attention importante a été accordée à l’analyse des données qualitatives issues de ces entretiens, dans l’optique de comprendre les motivations qui sous-tendent certains usages de la technique, de même que la manière dont ces usages et ces motivations influencent les normes du journalisme politique. En contrepartie, nous avons limité l’analyse des

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données quantitatives issues de l’analyse de contenu sur Twitter à une démarche descriptive. Aussi, nous estimons que ces données quantitatives pourraient faire l’objet d’analyses subséquentes visant à améliorer nos connaissances sur les liens qui existent entre certains éléments de contexte (l’organisation à laquelle appartient un journaliste, par exemple) et l’orientation que prend la pratique. Ces analyses pourraient contribuer à contrevérifier et à enrichir certaines des propositions théoriques résultant de notre analyse qualitative.

Nous devons aussi rappeler certaines limites plus spécifiques liées à l’analyse de contenu sur Twitter. Celle-ci ne permet pas de mesurer certains usages importants de la plateforme, incluant la veille sur l’actualité et le dialogue en mode privé. Elle ne permet pas non plus de rendre compte de la manière dont les usages de Twitter se conjuguent à ceux d’autres plateformes. Pour documenter ces usages, nous avons dû recourir à l’enquête par questionnaire et aux entretiens semi-dirigés et, donc, étudier des comportements rapportés plutôt qu’observer des comportements réels. Ces méthodes sont sujettes à des biais de désirabilité sociale et aux limites de la mémoire humaine. En ce sens, un programme de recherche qui associerait l’ethnographie à des analyses de contenu sur une variété de plateformes contribuerait à pallier ces lacunes.

Malgré ces limites, nous estimons que cette thèse amène plusieurs contributions sur le plan scientifique. Les prochaines pages nous permettront d’en faire la démonstration.

Courir pour être lu, vu et entendu sur la toile

Plusieurs travaux en économie politique des médias et en sociologie du journalisme ont soulevé les inquiétudes engendrées par l’avènement, puis l’importance qu’a prise le web dans les rédactions (Fenton, 2010; Francoeur, 2011; Klinenberg, 2005; Lee-Wright et Phillips, 2012). Plusieurs des préoccupations exposées dans la littérature scientifique sont liées au rythme de production, à la convergence dans les entreprises de presse, à la détérioration des conditions de travail des journalistes et à l’homogénéisation

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des contenus. Cependant, encore peu de travaux s’étaient penchés jusqu’ici de manière systématique sur le rythme de production en ligne, et plus spécifiquement sur les réseaux socionumériques.

Parmi les exceptions, le travail ethnographique de Nikki Usher (2014) montre l’importance de l’immédiateté en tant que principe fondamental guidant la pratique des journalistes du New York Times. De leur côté, Reich et Godler (2014) ont recours à l’analyse de contenu pour examiner le rôle des contraintes de temps dans les routines journalistiques en Israël. Leur recherche démontre une association entre le manque de temps, d’une part, et une présence plus faible de diversité et de vérification dans les articles journalistiques en ligne, d’autre part. Cependant, ces travaux n’abordent pas ou peu le rôle des réseaux socionumériques dans le rapport des journalistes au temps. De leur côté, Coddington et ses collègues (2014) ont analysé les discours des journalistes politiques sur Twitter entourant les débats à la présidentielle américaine de 2012, à la fois durant les débats et dans les heures qui ont suivi, afin de mesurer la présence de messages qui contrevérifiaient les affirmations des politiciens. Toutefois, nous n’avons jusqu’ici recensé aucune analyse semblable menée à l’extérieur des États-Unis et du contexte précis d’une campagne électorale.

Cette thèse vient combler ces lacunes. Au Canada, depuis les années 1990, la diffusion de l’information dans l’immédiat constituait le domaine d’une petite proportion de journalistes œuvrant dans les chaînes télévisées d’information en continu, et dans une moindre mesure, des journalistes de la radio. Le spectre des événements couverts et la vitesse de réaction des journalistes demeuraient toutefois inversement proportionnels à l’ampleur des moyens de production qui devaient être déployés sur le terrain. Or, notre étude vient montrer que l’immédiateté fait désormais partie de la routine de presque tous les journalistes parlementaires québécois. Les réseaux socionumériques, les sites de nouvelles en ligne, les chaînes télévisées d’information en continu et, pour certains journalistes, la radio comptent parmi les plateformes utilisées pour diffuser de l’information en temps réel. Munis d’un ordinateur portable ou d’un téléphone intelligent pour couvrir une conférence de presse, les journalistes diffusent désormais de

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l’information au moment même où celle-ci est colligée. Twitter représente le canal privilégié de cette pratique. Plus de 4 journalistes sur 5 l’ont utilisé à cette fin durant notre collecte de données. C’est aussi l’usage le plus fréquemment répertorié dans notre corpus; 59 % de l’ensemble des tweets recueillis portant sur la politique ont été diffusés en temps réel, durant une couverture journalistique.

Nos travaux indiquent aussi que l’utilisation de Twitter par les journalistes parlementaires ne se fait pas en vase clos, mais plutôt en conjugaison avec d’autres plateformes, selon des pratiques variées. Toutefois, certaines configurations d’usages sont mentionnées par plusieurs journalistes. Par exemple, lors d’une couverture journalistique, les reporters vont régulièrement tweeter des fragments d’informations en temps réel. Ces messages seront suivis d’un court article (breaking news) ou d’une première intervention en ondes à la télévision ou à la radio. Les journalistes diffusent ensuite le plus rapidement possible les breaking news par l’intermédiaire de Twitter.

Ces usages de Twitter s’inscrivent en continuité avec la dynamique d’instantanéité développée à la radio, puis dans les chaînes d’information en continu. Cependant, cette logique s’étend désormais à une majorité de praticiens et de contextes de pratique. Ainsi, la réactivité des réseaux socionumériques est transposée à d’autres plateformes. Les journalistes de l’écrit transmettent des contenus en temps réel sur le site web de leur organisation. Les chaînes d’information en continu multiplient les couvertures en direct depuis les couloirs de l’hôtel du Parlement. Celles-ci sont régulièrement diffusées sur le web. Comme le suggère Chadwick (2013 : 13), « [j]ournalists now routinely appropriate the genres of social media and hybridize these with their preexisting routinized, professional practice. But newer media are not uniquely powerful here. Older media have been steadily reinventing themselves ».

Parallèlement à ce travail de diffusion de l’information dans l’instant présent, quelques membres de la Tribune de la presse – analystes, chroniqueurs ou éditorialistes – continuent de produire des contenus à un rythme moins soutenu. Certains journalistes œuvrant dans les organisations de plus grande taille ont encore la possibilité de se retirer

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ponctuellement pour effectuer un travail d’enquête mené à plus long terme. Ainsi, si l’immédiateté domine, plusieurs rythmes de production cohabitent. Nous sommes confrontés à un assemblage complexe, composé d’une grande variété d’acteurs qui contribuent à produire l’actualité politique sur différentes plateformes, en fonction de logiques temporelles multiples.

Du point de vue des journalistes, le processus de négociation de l’actualité politique se transforme. Les périodes de travaux parlementaires, les conférences de presse ou encore les impromptus de presse deviennent non seulement des moments de cueillette d’information, mais également des espaces de diffusion. Dans ce contexte, le traitement journalistique est réduit au minimum. La frontière entre le processus journalistique et le résultat s’estompe. Le processus devient le résultat.

Ainsi, nous avons mesuré que 50 % des tweets politiques diffusés en temps réel durant une couverture visaient à retransmettre les propos d’un politicien ou d’un stratège, alors que seulement 1 % visaient à contrevérifier ces propos. Ces résultats s’inscrivent à la suite de ceux de Coddington et de ses collègues (2014) qui indiquaient une tendance à la « sténographie » dans la production des journalistes politiques américains, en marge des débats à la présidentielle de 2012. Sur Twitter, les politiciens parviennent donc à diffuser en abondance leurs discours par l’entremise des journalistes, en limitant la capacité de ces derniers à filtrer l’information. Le rôle de sélectionneur d’information (gatekeeper) du journaliste est ainsi atténué.

Comment expliquer ces pratiques? Dans Making the News at the New York Times, Usher (2014) tente de comprendre pourquoi l’immédiateté agit comme une force motrice de la pratique des journalistes sur le site web de l’organisation.

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Journalists manning the Web site have decided it is important to keep the site looking new, ‘fresh’, and continually updated. Why? Because immediacy has become a way that The Times has begun to define what counts as good journalism in the digital age. Journalists charged with providing rapid updates to the Web on breaking news stories do so to feed the demands of editors pushing for this content and to meet the expectations of the hungry Web site. But the Web site itself isn’t capable of being hungry; it’s the journalists and editors at The Times who have decided that immediacy is going to be critical to establishing The Times’ authority in the case of breaking news. Immediacy has become a defining principle that guides routines and motivates actions in The Times newsroom (Usher, 2014 : 148).

Usher souligne le rôle des pressions organisationnelles dans les usages de la technique. Elle soutient qu’au-delà des potentialités technologiques qui permettent l’instantanéité, ce sont les journalistes qui décident des usages qu’ils feront de cette technologie. Mais comment l’immédiateté est-elle devenue une norme qui guide les routines et sous-tend les actions des journalistes? La réponse offerte par Usher ne nous apparaît que partiellement satisfaisante. Si les normes influencent la pratique, l’origine des normes journalistiques et leur propagation provient non pas d’une réflexion abstraite sur la pratique, mais plutôt d’une actualisation constante d’un savoir-faire et d’une vision du monde qui se développent dans l’expérience pratique du quotidien (Charron et de Bonville, 1996).

En ce sens, nous croyons que notre travail apporte un éclairage supplémentaire pour comprendre l’influence de la pratique sur les normes journalistiques. L’analyse des entretiens réalisés avec les journalistes de la Tribune de la presse montre que, d’une part, la compétition entre les entreprises de presse et, dans une certaine mesure, entre les journalistes, joue un rôle de catalyseur dans le développement de la production en temps réel. À la suite de plusieurs vagues de convergence dans les médias, et dans un contexte de crise des revenus qui frappe l’industrie, la concurrence s’est exacerbée entre les organisations médiatiques au Québec. Toutes les entreprises se disputent une seule et même arène. Elles doivent aussi composer avec la transformation des habitudes de consommation de leurs publics qui sont à reconquérir en ligne. Dans l’espace numérique, les comportements des consommateurs sont désormais visibles et mesurables. Dans certaines organisations, les données d’audience sont transmises aux journalistes qui prennent conscience de l’avantage de diffuser rapidement des contenus pour maximiser le

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nombre de clics obtenus sur la page web de leur organisation. La majorité des journalistes parlementaires sont encouragés par leurs supérieurs hiérarchiques à diffuser l’information le plus rapidement possible et à être actifs sur les réseaux socionumériques.

L’immédiateté est désormais un objectif en soi, une manière de gagner en visibilité et en influence. En produisant constamment de l’information en temps réel, peu importe le contexte de couverture, les journalistes font eux-mêmes de l’immédiateté une norme. La mobilité de certains outils, la flexibilité des plateformes numériques, de même que la rapidité à laquelle circule l’information en ligne permettent la diffusion dans l’immédiat. Cependant, l’hyperconcurrence entre les entreprises médiatiques ainsi que les demandes organisationnelles jouent un rôle fondamental pour expliquer l’importance que prend l’immédiateté dans la pratique du journalisme politique en ligne et sur les réseaux socionumériques. Ceci étant, la norme d’immédiateté fait néanmoins toujours l’objet de débats parmi les journalistes parlementaires québécois. Bien qu’ils s’astreignent à suivre cette norme, plusieurs journalistes interrogés voient une incompatibilité entre l’impératif de diffuser l’information dans l’instant présent et certaines de leurs fonctions traditionnelles, notamment les fonctions de vérification de l’information et de surveillance des décideurs politiques.

Parallèlement, les entretiens menés avec les journalistes de la Tribune de la presse indiquent que les facteurs économiques et organisationnels jouent également un rôle important dans le développement de pratiques d’autopromotion en ligne. Il s’agit là d’une des contributions importantes de cette thèse. Encore très peu d’études empiriques sur les pratiques d’autopromotion en ligne chez les journalistes ont été publiées jusqu’ici (voir notamment Molyneux, 2015; Molyneux et Holton, 2015). La toute récente étude menée par Brems et ses collègues (2016) au Pays-Bas est l’une des premières à quantifier le phénomène. Au moment d’écrire ces lignes, nous n’avons recensé aucune étude portant sur l’autopromotion chez les journalistes politiques qui oeuvrent sur les réseaux socionumériques.

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Notre analyse de contenu montre que l’autopromotion constitue une part non négligeable de la production des journalistes parlementaires québécois sur Twitter. Plus du quart (27%) de l’ensemble des tweets colligés servait à l’autopromotion. Nous avons aussi observé que les hyperliens et la fonction retweet, visant à partager des contenus émis par d’autres utilisateurs, étaient principalement utilisés à des fins de promotion. La promotion sur le plan organisationnel s’est avérée plus fréquente que la promotion individuelle. Les demandes formulées aux journalistes par leurs supérieurs hiérarchiques semblent avoir contribué à cette tendance. La concurrence entre les entreprises de presse, les pressions organisationnelles et la quête de visibilité sont les raisons les plus fréquemment mentionnées par les journalistes parlementaires pour expliquer les pratiques d’autopromotion en ligne.

Dans l’optique d’améliorer leur visibilité personnelle et celle de leur organisation, plusieurs journalistes acceptent de participer activement à la distribution et à la commercialisation de contenus médiatiques. Ce faisant, l’autopromotion est devenue une norme qui, certes, fait l’objet de questionnements, mais qui est acceptée par une majorité de journalistes interrogés. Plusieurs d’entre eux justifient cette orientation par une rhétorique de survie, dans un contexte de crise économique dans l’industrie des médias (Coddington, 2015). Certains journalistes se questionnent néanmoins sérieusement sur la tension entre ces pratiques, les logiques commerciales de leur organisation et leur rôle qui consiste en premier lieu à servir l’intérêt public.

Malgré ces transformations décrites par les journalistes de la Tribune de la presse, ces derniers montrent un attachement important à l’idéal de l’objectivité. La séparation entre les faits et l’opinion demeure fondamentale aux yeux de la vaste majorité des courriéristes parlementaires interrogés, même sur les réseaux socionumériques. L’impartialité constitue à leur point de vue le fondement sur lequel repose leur crédibilité en tant que chien de garde du pouvoir politique. Toutefois, cet attachement à l’idéal d’objectivité dans sa dimension d’impartialité se conjugue chez certains journalistes à une vision de la pratique qui s’ouvre à la subjectivité et à l’expressivité dans le discours journalistique.

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Ainsi, notre analyse de contenu sur Twitter nous a permis d’observer que l’humour et l’opinion, bien qu’utilisés de manière exceptionnelle, font partie du répertoire d’une majorité de journalistes de la Tribune de la presse. Les motivations qui expliquent ces usages sont d’ordre culturel, organisationnel et individuel. D’une part, les journalistes s’engagent sur des plateformes dont la culture est plus instantanée et plus expressive que dans les médias de masse. D’autre part, les contenus qu’ils y produisent ne passent pas préalablement au travers des filtres organisationnels inhérents aux médias de masse que sont les journalistes-pupitreurs, les réalisateurs ou les chefs de section. Cette liberté permet aux journalistes politiques de développer une identité personnelle en ligne. Ce type d’expression est d’ailleurs encouragé dans certaines organisations, dans l’optique de séduire le public. Certains journalistes préfèrent demeurer effacés derrière la nouvelle. D’autres investissent avec un certain plaisir le potentiel expressif des réseaux socionumériques. En somme, comme le résument Brems et ses collègues (2016 : 14) : « journalists, empowered by social media, have added a new tool to their traditional toolkit : the self ».

La bulle, le microcosme

Si l’hyperconcurrence et les pressions à l’intérieur des organisations amènent les journalistes politiques à produire l’actualité en temps réel et à faire leur autopromotion en ligne et sur les réseaux socionumériques, ces logiques ne contribuent pas ou peu à ouvrir le processus de production de l’actualité aux citoyens.

Certes, les entreprises de presse encouragent les journalistes à être proactifs sur les réseaux socionumériques. Ce faisant, les journalistes parlementaires québécois ont désormais l’occasion de fréquenter leurs lecteurs, leurs auditeurs ou leurs téléspectateurs en ligne. En analysant la production des journalistes sur Twitter, nous avons observé qu’ils font preuve de transparence à l’égard de leur public dans une portion non négligeable de leur production de contenus portant sur la politique. Ils fournissent parfois des détails sur le contexte de couverture ou l’origine de l’information transmise aux

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internautes, dans l’optique de soulever leur intérêt ou de répondre à une demande formulée par des citoyens qui surveillent et remettent en question le travail journalistique. Ces manifestations de transparence visent également à protéger ou à rehausser la crédibilité des journalistes auprès de leur public.

Par ailleurs, nos résultats montrent aussi que, lorsqu’ils dialoguent en ligne, les journalistes échangent avec une diversité d’usagers incluant des membres du « grand public ». Jusqu’au milieu des années 1990, les travaux dans le champ des études sur le journalisme font référence au caractère « imaginé » du public qui ne demeure qu’une abstraction pour la plupart des journalistes (Whitney, 2009). Puis, graduellement, le public est devenu une entité de plus en plus ciblée que l’on cherche à séduire (Brin, Charron et de Bonville, 2004). Aujourd’hui, le public est visible et mesurable; certains de ses membres interpellent aussi directement les journalistes et échangent avec eux. Le dialogue entre les citoyens et les journalistes est facilité par des plateformes qui offrent la possibilité aux internautes d’intervenir dans le débat politique, en temps opportun. À l’occasion, ces échanges viennent enrichir le processus journalistique de collecte d’information.

Cependant, nos résultats montrent aussi que les journalistes de la Tribune de la presse dialoguent assez rarement en public. Aussi, ils ne partagent qu’exceptionnellement leur rôle de gatekeeper en rediffusant des contenus émis par des internautes qui n’œuvrent pas dans une organisation médiatique professionnelle. Ce constat rejoint ceux de travaux antérieurs en montrant une ouverture limitée des journalistes à partager le contrôle qu’ils exercent depuis des décennies sur l’ordre du jour médiatique (Lasorsa et al., 2012; Lawrence et al., 2014).

Or, notre analyse offre une contribution originale en cernant les barrières qui limitent la participation citoyenne dans le processus journalistique. Premièrement, les journalistes parlementaires invoquent le manque de temps pour expliquer leur réticence à dialoguer en ligne. Une majorité d’entre eux refusent aussi de répondre aux commentaires jugés agressifs et s’abstiennent de participer aux échanges à caractère

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partisan. Nous décelons ainsi un décalage entre les logiques plus subjectives, engagées ou partisanes des commentaires citoyens et la position de neutralité défendue par les journalistes. Nous soulignerons cependant des cas d’exception : certains analystes ou éditorialistes s’engagent plus volontiers dans la discussion. Notons que plusieurs d’entre eux travaillent sur un horizon temporel moins rapide que leurs confrères reporters. Ils disposent aussi d’une plus grande latitude pour porter un jugement ou émettre une opinion publiquement.

Par ailleurs, nous l’évoquions plus tôt, les journalistes politiques sont peu enclins à partager les contenus d’usagers qui n’œuvrent pas dans une organisation médiatique professionnelle. De leur point de vue, le manque de pertinence et le manque de crédibilité des sources citoyennes qui diffusent de l’information en ligne et sur les réseaux socionumériques expliquent cette tendance. D’une part, le journalisme politique demeure très axé sur les institutions parlementaires, les stratégies et les personnalités politiques. Dans cette perspective, le potentiel de contribution des citoyens apparaît restreint aux yeux des journalistes. D’autre part, notre analyse suggère que plusieurs des critères traditionnels qui servent à juger de la crédibilité d’une source s’appliquent toujours en ligne. Parmi ces critères, mentionnons l’antériorité de la relation entre le journaliste et sa source, le statut de la source, de même que son affiliation à une organisation reconnue (Dimitrova et Strömback, 2009; Gandy, 1982).

Dans un environnement en réseau, le contrôle des journalistes professionnels sur l’information politique est considérablement réduit. Toutefois, les journalistes parlementaires continuent d’exercer une forme de contrôle sur l’information qui franchit les portes de leur réseau individuel qui compte en moyenne plusieurs milliers d’usagers (Barzilai-Nahon, 2008). L’ouverture de ces portes aux citoyens dépend de la capacité technique de ces derniers à diffuser de l’information, mais aussi de leurs relations, de leurs ressources de pouvoir, de même que de la valeur relative de l’information qu’ils transmettent.

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En dernière analyse, nous soulignerons que les journalistes œuvrent dans un contexte d’hyperconcurrence où le temps constitue une denrée rare. Souvent, le temps leur manque non seulement pour vérifier l’information de source citoyenne, mais également pour la consulter. Les orientations managériales des entreprises de presse favorisent l’autopromotion et la diffusion en temps réel sur l’internet et les réseaux socionumériques. Cependant, peu d’incitatifs sont mis en place pour encourager le dialogue entre les journalistes politiques et les internautes sur les réseaux socionumériques ou, plus largement, pour contribuer à l’ouverture à la participation du public dans la production de l’actualité politique. Cette ouverture demeure donc à la discrétion de chaque journaliste.

Dans ce contexte, une forme d’ouverture à la participation émerge parmi les courriéristes parlementaires. Leurs pratiques hybrides intègrent à la fois des communications de masse unidirectionnelles et des manifestations de transparence et d’interaction avec le public. Cependant, la vaste majorité des courriéristes parlementaires accordent toujours la priorité à la diffusion plutôt qu’au dialogue. Comme le souligne Hermida (2012 : 116), « [l]a place du journaliste en tant que médiateur entre les élites du pouvoir et le grand public a été institutionnalisée au sein d'un système médiatique conçu pour atteindre le plus grand nombre ». L’utilisation que font les journalistes parlementaires de l’internet et des réseaux socionumériques est encore largement tributaire de cette logique antérieure au web.

Le journalisme politique : remises en question et perspectives de recherche

Ces différents constats portant sur la pratique journalistique soulèvent plusieurs questionnements sur le plan normatif et, plus largement, sur le rôle du journalisme politique en démocratie. D’une part, malgré le potentiel interactif de l’internet et des réseaux socionumériques, l’ouverture des journalistes politiques à la participation des citoyens dans la production de l’actualité demeure relativement faible. Les journalistes parlementaires expliquent cette tendance par le manque de civisme de certains citoyens à leur égard et le manque de temps à consacrer au dialogue ou à vérifier l’information

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transmise par des sources dont la crédibilité reste, selon eux, à établir. De plus, la particularité du journalisme politique contemporain, très centré sur les institutions, la personnalité des élus ainsi que leurs stratégies, laisse peu de place à la participation citoyenne. Toutefois, nous estimons qu’en fermant la porte aux citoyens actifs en ligne, les journalistes et les institutions médiatiques prennent le risque de nourrir une forme de cynisme et de déconnexion envers le journalisme et, plus généralement, à l’égard des institutions politiques dont les journalistes parlementaires sont devenus partie intégrante (Hudon et Poirier, 2011, chapitre 2).

Nous croyons que la recherche peut contribuer à favoriser un dialogue constructif entre les journalistes politiques et les citoyens, tout en tenant compte des contraintes particulières liées à la pratique journalistique. Déjà, des travaux menés par des chercheurs américains sur Facebook suggèrent que l’intervention de journalistes connus dans les processus de délibération en ligne aurait une influence positive sur le contenu de la délibération (Stroud et al., 2015). Par ailleurs, nous posons l’hypothèse selon laquelle l’information politique pourrait bénéficier, en termes de richesse et d’exactitude, de la contribution d’une plus grande variété d’acteurs, incluant des acteurs citoyens (Levy, 1997; dans Lewis, 2012). Les journalistes politiques traitent quotidiennement d’une multiplicité de sujets complexes. Les connaissances existantes sur ces différents enjeux dépassent évidemment largement celles des journalistes. Ces derniers font parfois appel à des sources d’information à l’extérieur des sphères parlementaire ou gouvernementale pour combler cette carence en information. Néanmoins, les journalistes politiques pourraient désormais tirer un plus grand profit de l’expertise d’une variété de sources en mettant à contribution le potentiel collaboratif de l’internet. Un travail est déjà amorcé en ce sens, notamment dans certaines grandes organisations médiatiques américaines56 (Nieman Lab, 2016). Cependant, beaucoup reste à faire dans le domaine du journalisme politique pour instaurer et coordonner la participation citoyenne de manière à en faire bénéficier les journalistes et les citoyens.

56 Lichterman, Joseph (2016). « The Coral Project unveils its first product to make comments better », Nieman Lab. En ligne : http://www.niemanlab.org/2016/03/the-coral-project-unveils-its-first-product-to- make-comments-better/ . 210

Par ailleurs, nos travaux soulèvent également certaines préoccupations concernant la frontière entre l’information et le marketing dans la pratique du journalisme. La légitimité du journalisme en société s’appuie en grande partie sur son indépendance, à la fois par rapport au pouvoir politique et aux intérêts commerciaux. La capacité des journalistes politiques à exercer leur rôle de chien de garde et à maintenir un certain rapport de force avec les élus et leurs stratèges dépend de cette légitimité. Dans un contexte où les journalistes participent activement à promouvoir leur personne ou leur entreprise, nous croyons qu’une forme de vigilance s’impose. Plaire au public et produire une information de qualité qui enrichit le débat public ne sont pas des actions incompatibles. Cependant, générer des clics ne suffit pas à servir l’intérêt public. Les mesures d’audience sont désormais accessibles aux journalistes. Dans certains cas, elles leur sont distribuées sur une base régulière par leur organisation. Aussi, nous estimons nécessaire que la recherche s’attarde à l’influence de ces mesures sur le processus de prise de décision journalistique, en fonction des différents contextes organisationnels et économiques, une problématique encore peu explorée jusqu’ici (Anderson, 2011; Usher, 2013). De plus, nous croyons que la recherche scientifique est appelée à jouer un rôle dans le développement de mesures d’audience plus sophistiquées, qui tiennent compte de l’apport des contenus médiatiques dans le débat public.

Enfin, les conclusions émanant de nos travaux soulèvent des questions additionnelles liées au caractère instantané de la pratique journalistique contemporaine. Si l’information est régulièrement diffusée par les journalistes au moment même où celle- ci est disponible, sur quelles bases s’appuient leurs décisions de sélection et de cadrage de l’information? Lorsque les journalistes doivent colliger de l’information et la diffuser en même temps, de quelle manière leur attention est-elle sollicitée par l’une et l’autre de ces tâches? Ces questions demeurent largement inexplorées dans la littérature scientifique en communication.

Cependant, les études réalisées dans le domaine de la psychologie cognitive suggèrent que la réflexion rationnelle exige des efforts et du temps. Comme l’explique le psychologue et économiste Daniel Kahneman (2013), certaines tâches spécifiques

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requièrent une attention soutenue; celles-ci sont perturbées lorsque l’attention est mobilisée ailleurs. C’est notamment le cas lorsque vient le temps de vérifier la validité d’un argument logique complexe, d’effectuer un calcul arithmétique difficile ou d’évaluer l’à-propos d’un comportement dans une situation sociale donnée (Kahneman, 2013 : 20-23). Durant une conférence de presse sur la mise à jour du budget du gouvernement, un journaliste qui doit diffuser l’information en temps réel est-il en mesure de scruter les chiffres qui lui sont transmis? Lorsqu’un journaliste écrit un tweet ou un breaking news durant l’événement auquel il assiste, est-il en mesure de capter l’hésitation d’un politicien qui ne dit pas toute la vérité en réponse à une question posée? Ce type de situation mériterait d’être étudié empiriquement. Certains répliqueront que les journalistes sont souvent en mesure d’effectuer des vérifications après la diffusion initiale de l’information. Cependant, l’information publiée dans l’immédiat n’est pas sans conséquence. « Immediacy matters, because first impressions matter », rappelle Alfred Hermida (2014 : 19-20), en soulignant les effets potentiellement nuisibles de la désinformation diffusée à grande échelle dans l’opinion publique.

De plus, les journalistes disposent en principe d’un temps limité pour effectuer leur travail. Dans une organisation donnée, nous pouvons formuler l’hypothèse selon laquelle plus de temps et de ressources sont accordés à la diffusion de l’information en direct, moins de temps et de ressources seront alloués au travail de vérification et d’enquête. Or, le processus de vérification est précisément ce qui différencie le journalisme du divertissement, de la publicité ou de la parole citoyenne ordinaire. Quel rôle le journalisme politique entend-il se donner dans l’avenir? Ce rôle sert-il la démocratie? Ces questions méritent à notre avis un temps de réflexion, à la fois dans le milieu de la recherche comme dans la communauté journalistique, car comme l’énonçait Walter Lippmann il y a maintenant près d’un siècle dans Liberty and the News, « [t]here can be no liberty for a community which lacks the information by which to detect lies » (Lippmann, 1995, 1920 : 58).

Ainsi, le journalisme politique a ceci de particulier qu’il est consacré à un champ d’activités dont les résultats concrets se matérialisent le plus souvent dans le long terme.

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Or, en valorisant une production qui carbure à l’instantanéité, le journalisme politique s’éloigne du rythme des processus démocratiques réels qui, de par leur complexité, fonctionnent dans un horizon temporel plus long. Comme le soulignait l’économiste et écrivain Jacques Attali lors de son passage à l’Assemblée nationale du Québec en 2011 :

« il n’y a pas de démocratie qui ne soit pas en charge du long terme et qui ne remette pas en permanence tous les débats autour de ce choix de long terme du pays. […] Je pense que la défense de la démocratie passe par la récupération, par la démocratie, de son seul champ de bataille qui est le long terme et dans lequel les médias devraient s’inscrire comme lecture de ce que l’action quotidienne est ou non conforme au projet explicite du long terme » (2011 : 23).

Nous croyons, à l’instar de plusieurs journalistes interrogés durant ce projet, qu’en cette période de changements technologiques majeurs et de turbulence économique dans l’industrie des médias, le journalisme politique a la responsabilité de préserver sa mission de surveillance du pouvoir politique, non seulement en scrutant les agissements et les discours des élus de minute en minute, mais également en observant avec un certain recul la portée des actions gouvernementales qui structurent déjà la société de demain.

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Annexe 1. Guide de codage pour l'analyse de contenu quantitative des tweets des journalistes parlementaires membres de la Tribune de la presse du Parlement du Québec.

L'unité d'analyse est le tweet, soit le message individuel de 140 caractères ou moins.

A. Notez l'auteur du tweet (ex : @VeroniquePrinceTVA). B. Notez la date d'émission du tweet (ex : 13/02/14). C. Notez l'heure d'émission du tweet (ex : 14:23).

D. Classez l'objet du tweet selon le type d'enjeu qu'il soulève.

 Si l'enjeu soulevé est de nature politique (nous incluons dans cette catégorie ce qui a trait à l’élaboration des politiques publiques57, au parlementarisme, à l’administration publique, aux relations internationales, à la communication politique et à la vie des partis politiques) : codez 1.  Si l'enjeu est d'une autre nature (ex : la vie personnelle des journalistes, le sport, les faits divers sans lien avec la politique telle que définie précédemment) : codez 0.

E. Relevez la présence de mot(s)-clic(s) (hashtags) dans le tweet.

 S'il y a un ou plusieurs mot(s)-clic(s) : codez 1.  S'il n'y a pas de mot-clic : codez 0.

F. Transcrivez le ou les mot(s)-clic(s) (hashtags) présent(s) dans le tweet.

G.1. Identifiez si le tweet vise à rediffuser un message ou un extrait de message émis par un autre usager (retweet). Un des éléments suivants doit être repéré dans le tweet pour que l’on considère qu’il s’agit d’un retweet : retweeted, RT, MT ou via@. S’il y a retweet, vous devez classer la source du message (ou de l’extrait) rediffusé selon trois catégories.

 Si la source du tweet original est un journaliste professionnel ou un média d’information : codez 1.  Si la source du tweet original est un élu, un stratège politique professionnel (attaché de presse, attaché ou conseiller politique, directeur ou directeur adjoint d’un cabinet ou d’un parti politique) ou un parti politique : codez 2.

57 L’élaboration des politiques publiques comprend les étapes de la mise à l’ordre du jour politique, de la formulation, de la prise de décision, de la mise en œuvre et de l’évaluation (Howlett, Ramesh et Perl, 2009). Ainsi, nous tenons compte de l’action des mouvements sociaux, des groupes d’intérêt et des individus qui peuvent jouer un rôle important dans l’élaboration des politiques publiques, à l’extérieur des institutions politiques formelles, particulièrement à l’étape de la mise à l’ordre du jour. 231

 Si la source du tweet original n’entre dans ni l’une, ni l’autre des deux catégories précédentes : codez 3.  S’il ne s’agit pas d’un retweet tel que défini ci-dessus : codez 0.

G.2. Cette catégorie vise à identifier des éléments d'autopromotion. S’il y a retweet, vous devez classer la source du message (ou de l’extrait) rediffusé selon trois catégories.

 Si la source du tweet original est un usager qui oeuvre dans la même organisation médiatique que l'émetteur du retweet (ou une organisation appartement au même propriétaire): codez 1.  Si la source du tweet original est un usager (un journaliste, un animateur ou un chroniqueur) qui oeuvre dans une organisation médatique qui ne peut être incluse dans la catégorie 1 : codez 2.  Si la source du tweet original n’entre dans ni l’une, ni l’autre des deux catégories précédentes : codez 0.

H. Transcrivez le nom d’usager (@usager) de l’auteur du tweet original.

I. Identifiez si le tweet s'inscrit dans une fonction de diffusion d'information ou de dialogue. Il y a présence de dialogue uniquement lorsque le tweet inclut le nom d’un ou de plusieurs autre(s) usager(s) (@usager). Cependant, cette mention ne suffit pas; vous devez considérer qu’il y a présence de dialogue uniquement lorsque l'usager s'adresse directement et explicitement à un ou plusieurs autre(s) usager(s). Voici deux exemples incluant le nom d’un autre usager, mais qui ne sont pas considérés comme des dialogues (ex.1 : « Qc National Assembly unanimously adopts #PQ motion asking the federal govt to retain the name Champlain for new bridge @CTVMontreal #assnat » ; ex.2 : « @phcouillard réitère sa promesse de créer 250 000 emplois d’ici 4 ans #assnat »). S’il y a dialogue, vous devez classer l’interlocuteur ou les interlocuteurs selon trois catégories.

 Si l’interlocuteur est un journaliste professionnel ou un média d’information : codez 1.  Si l’interlocuteur est un élu, un stratège politique professionnel (attaché de presse, attaché ou conseiller politique, directeur ou directeur adjoint d’un cabinet ou d’un parti politique) ou un parti politique : codez 2.  Si l’interlocuteur n’entre dans ni l’une, ni l’autre des deux catégories précédentes (« autres usagers ») : codez 3.  Si le tweet comprend plusieurs types d’interlocuteur vous devez en tenir compte. Codez 12 si le tweet est destiné à des interlocuteurs appartenant aux catégories « journaliste professionnel ou un média d’information » et « élu, stratège politique ou parti politique». Codez 23 si le tweet est destiné à des interlocuteurs appartenant aux catégories « élu,stratège politique ou parti politique » ou « autres usagers ». Codez 13 si le tweet est destiné à des interlocuteurs appartenant aux catégories « journaliste professionnel ou un média d’information » et « autres usagers ». Codez 123 si le tweet est destiné à des interlocuteurs appartenant à chacune des trois catégories mentionnées précédemment.  S’il ne s’agit pas d’un tweet dialogique tel que défini ci-dessus : codez 0.

232

J. S’il y a présence de dialogue, transcrivez le nom (@usager) de l’interlocuteur ou des interlocuteurs.

K. Vous devez analyser si le tweet vise à communiquer en temps réel de l'information sur un événement, en temps réel, durant une couverture (live-tweeting). Nous avons identifié de façon distincte les messages qui rapportaient en temps réel (en citant ou en paraphrasant) les propos d'un élu, d'un stratège ou d'un parti politique.

 Si le tweet vise à communiquer en temps réel de l'information sur un événement couvert dans le cadre de la pratique professionnelle du journaliste émetteur : codez 1.  Si le tweet vise à communiquer en temps réel de l'information sur un événement couvert dans le cadre de la pratique professionnelle du journaliste émetteur ET qu’il rapporte les propos d’un élu, d’un stratège ou d’un parti politique : codez 2.  Si le tweet ne correspond ni à l’une ou ni à l’autre des deux catégories précédentes : codez 0. Les tweets émis plus de 30 minutes après la fin d’un événement couvert dans le cadre de la pratique professionnelle du journaliste émetteur doivent être codés 0.

L. Cette variable porte sur la vérification de l’information.

 Si vous relevez dans le tweet la présence de propos qui visent explicitement à récolter de l'information (ex.1 :« @DrYvesBolduc À combien chiffrez-vous les économies liées à une abolition des commissions scolaires ? »; ex.2 : « À 8h20, @MFBazzo reçoit Hubert T. Lacroix, pdg de Radio-Canada. Questions/commentaires? #CPTT » : codez 1  Si vous relevez dans le tweet la présence de propos qui visent à vérifier ou à contrecarrer une assertion faite par un élu, un stratège politique ou un parti politique : codez 2 (ex.1 : « Les allégations du ministre sont corroborées par la police »; ex.2 : « Ministre Leitao: créer 250000 emplois, une cible et non une promesse. C’était pourtant une promesse de campagne : http://bit.ly/1qdbl07 »  Si le tweet ne correspond ni à l’une ou ni à l’autre des deux catégories précédentes : codez 0.

M. Vous devez relever s’il y a présence d’une opinion émise par le journaliste dans le tweet. Nous considérons qu’il y a présence d’opinion lorsque le journaliste émetteur pose un jugement de valeur (ex.1 : « Bonne passe d’armes entre le PM et le chef de l’opposition #assnat »). L’expression d’opinion est parfois condensée dans un mot-clic expressif (ex.2 : « P Manning vient de battre le record de B Favre. 509 TD passes en carrière. #respect #nfl »).

 Si le tweet contient une opinion émise par le journaliste : codez 1.  Si le tweet ne contient d’opinion émise par le journaliste : codez 0.

233

N. Vous devez relever s’il y a présence de propos humoristiques émis par le journaliste dans le tweet. Nous considérons les propos comme étant humoristiques lorsque ceux-ci visent à faire rire les internautes; nous incluons dans cette catégorie les propos ironiques, c’est-à-dire les propos qui tendent à se moquer de quelqu’un ou de quelque chose en disant le contraire de ce qu’on veut faire entendre (ex : #CitationRêvée « Je dis bravo au niveau des récipients d'air de la #FPJQ » - @DrYvesBolduc).

 Si le tweet contient des propos humoristiques: codez 1.  Si le tweet ne contient pas de propos humoristiques: codez 0.

O. Cet indicateur porte sur le concept de transparence (Karlsson, 2010; Lasorsa, Lewis et Holton, 2012). Plus précisément, vous devez repérer s'il y a présence de propos décrivant le contexte de la couverture ou les conditions de travail des journalistes, donnant de l'information sur leurs sources d’information58, exposant le raisonnement derrière la nouvelle, expliquant la manière dont l'information a été obtenue ou corrigeant une erreur que le journaliste émetteur a lui-même commise dans le cadre de ses fonctions.  Si le tweet contient au moins un des éléments énumérés ci-dessus : codez 1.  Si le tweet ne contient aucun de ces éléments : codez 0.

P. Vous devez repérer s’il y a présence d’hyperlien(s) dans un tweet. Notons que les hyperliens menant à des images (ex : pic.twitter.com/lEQsAEmuwN) sont considérés comme des hyperliens (s’il n’y a pas d’indication contraire, on considère que le journaliste émetteur est à la source de cette image). Vous devez également classer la source des hyperliens selon 4 catégories.

 Si l’hyperlien sert à partager le travail du journaliste émetteur : codez 1.  Si l’hyperlien sert à partager un contenu provenant de l’organisation médiatique du journaliste émetteur autre que son propre travail : codez 2.  Si l’hyperlien sert à partager un contenu provenant d’une autre organisation médiatique : codez 3.  Si l’hyperlien sert à partager un contenu provenant d’une source différente de celle mentionnée précédemment : codez 4.  Si le tweet contient plus d’un hyperlien provenant de plusieurs types de source, inscrivez les chiffres correspondant aux différentes catégories de source en ordre croissant (ex : 14, 123, 134).  S’il n’y pas d’hyperlien dans le tweet : codez 0.

Q. Recopiez l’hyperlien s’il y en a un

R. Cet indicateur porte sur l'autopromotion. Vous devez repérer dans le contenu59 du tweet s’il y a présence de propos référant directement au journaliste émetteur (self- referential) - à son travail ou à sa personne - ou encore à l'organisation médiatique (ou à

58 La simple attribution d’une position politique ou d’un énoncé à un acteur n’est pas considérée comme un élément de transparence. 59 Le contenu à analyser inclut le verbatim du tweet, mais exclut l'hyperlien. 234

un journaliste professionnel ou à un contenu produit par l'organisation) pour laquelle il travaille. À titre d'exemple, nous incluons dans cette catégorie l'annonce d'une prochaine intervention en ondes, la promotion du blogue d'un collègue ou de la nouvelle télé-série diffusée par l'organisation dans laquelle oeuvre le journaliste, ainsi que le discours (positif ou négatif) portant sur le journaliste ou son organisation (par exemple, le journaliste Sébastien Bovet partage un contenu de @pbouchard qui réfère à lui-même: « Trop drôle! MT @pbouchard Chaque fin session, 1 journaliste est retenu en studio, forcé à faire du direct. Donnez généreusement: #liberezBovet »). Nous excluons les tweets décrivant le contexte de la couverture ou les conditions de travail des journalistes (voir catégorie O.).

 Si le contenu du tweet réfère directement au journaliste émetteur ou à son travail60: codez 1.  Si le contenu du tweet réfère directement à l'organisation médiatique pour laquelle travaille le journaliste émetteur (ou à une organisation appartement au même propriétaire), à un contenu produit par cette organisation, ou encore à un usager oeuvrant dans cette organisation ou à son travail (incluant les journalistes, les animateurs et les chroniqueurs, mais excluant le journaliste émetteur) : codez 2.  Si le contenu du tweet réfère directement à une autre organisation médiatique, ou encore à un usager oeuvrant dans une autre organisation ou à son travail : codez 3.  Si le tweet ne fait aucune référence en ce sens : codez 0.

S. Recopiez le tweet.

60 Lorsque le tweet s'insère dans un dialogue, l'emploi du pronom personnel « je » ne doit pas être considéré automatiquement comme de l'autopromotion. On considère qu'il y a autopromotion lorsque le journaliste parle directement de lui (ex : « Je suis heureux de... »). Lorsque le journaliste utilise le « je » sans auto- référencement, cela n'est pas considéré comme de l'autopromotion (ex : « Je vous remercie »). 235

Annexe 2. Questionnaire en ligne Question 1

Parmi les choix suivants, quelle(s) plateforme(s) numérique(s) utilisez-vous dans le cadre de votre pratique professionnelle? Cochez tous les choix qui s'appliquent.

 Facebook  You Tube  Google +  LinkedIn  Twitter  Flickr  Soundcloud  Vimeo  Reddit  Vine  Autre(s), spécifiez : ______

Question 2

Dans une semaine typique de travail, à quelle fréquence utilisez-vous la plateforme Twitter pour surveiller l'actualité politique ? Identifiez le choix qui s'applique le mieux.

1) Jamais 2) Une fois par semaine 3) Quelques fois par semaine 4) Une fois par jour 5) Plusieurs fois par jour 6) En continu 7) Je ne sais pas/Ne s’applique pas

Question 3

Dans une semaine typique de travail, à quelle fréquence utilisez-vous la plateforme Twitter pour vérifier de l'information ? Identifiez le choix qui s'applique le mieux.

1) Jamais 2) Une fois par semaine 3) Quelques fois par semaine 4) Une fois par jour 5) Plusieurs fois par jour 6) En continu 7) Je ne sais pas/Ne s’applique pas

236

Question 4

Dans une semaine typique de travail, à quelle fréquence utilisez-vous la plateforme Twitter pour trouver des idées de reportage ? Identifiez le choix qui s'applique le mieux.

1) Jamais 2) Une fois par semaine 3) Quelques fois par semaine 4) Une fois par jour 5) Plusieurs fois par jour 6) En continu 7) Je ne sais pas/Ne s’applique pas

Question 5

Dans une semaine typique de travail, à quelle fréquence utilisez-vous la plateforme Twitter pour repérer des sources potentielles d'information ? Identifiez le choix qui s'applique le mieux.

1) Jamais 2) Une fois par semaine 3) Quelques fois par semaine 4) Une fois par jour 5) Plusieurs fois par jour 6) En continu 7) Je ne sais pas/Ne s’applique pas

Question 6

Dans une semaine typique de travail, à quelle fréquence utilisez-vous la plateforme Twitter pour dialoguer avec des sources d'information ? Identifiez le choix qui s'applique le mieux.

1) Jamais 2) Une fois par semaine 3) Quelques fois par semaine 4) Une fois par jour 5) Plusieurs fois par jour 6) En continu 7) Je ne sais pas/Ne s’applique pas

237

Question 7

Parmi les différentes sources d'information présentes sur Twitter, laquelle ou lesquelles vous sont utiles dans la production de nouvelles politiques? Cochez tous les choix qui s'appliquent.

 les tweets des politiciens élus, des leaders de parti et de leurs stratèges  les tweets des partis politiques  les tweets des organisations publiques et parapubliques  les tweets des groupes d'intérêt  les tweets des médias  les tweets des think thanks et des chercheurs universitaires  les tweets des consultants et des experts  les tweets du public

Question 8

Parmi les choix suivants, pour quel média travaillez-vous en priorité? 1) presse écrite 2) radio 3) télévision 4) internet 5)Autre(s), spécifiez : ______

Question 9

Veuillez indiquer votre nombre d'années d'expérience comme journaliste professionnel : ___

Question 10

Veuillez indiquer votre nombre d'années d'expérience à la Tribune de la presse du Parlement de Québec : ___

238

Annexe 3. Schéma d’entretien semi-dirigé

A. Introduction Bonjour, Je me nomme Geneviève Chacon et je suis étudiante au doctorat en communication publique à l'Université Laval. L'entretien que nous réaliserons aujourd'hui s'inscrit dans le cadre de ma thèse de doctorat qui porte sur l'utilisation que font les journalistes professionnels du web 2.0 dans leurs pratiques et leurs discours professionnels. La durée de l'entretien sera d'environ 60 minutes.

Si cela vous convient toujours, la discussion sera enregistrée afin de pouvoir retranscrire le verbatim des propos tenus durant l'entretien. Les propos recueillis seront anonymisés, c'est-à-dire qu'aucun propos ne pourra vous être directement attribué. Les différents documents contenant l'information recueillie durant les entretiens seront codifiés pour assurer la confidentialité de vos propos; seuls la chercheuse, son directeur et sa co- directrice de recherche auront accès à la liste des noms et des codes. Tout le matériel et les données utilisées dans le cadre de la présente étude seront détruits au plus tard quatre ans après la fin du projet de recherche.

Si vous avez des questions, il me fera plaisir d'y répondre. Si vous êtes prêt(e), nous amorcerons maintenant l'entrevue.

B. Schéma d'entretien

1. On entend souvent que l'avènement d'Internet - et des médias sociaux - est en train de révolutionner le journalisme. Qu'en pensez-vous? Est-ce vraiment le cas dans la pratique?

2. Quelle(s) types de plateforme(s) web... (i.e Twitter, Facebook, Google +, etc.) utilisez- vous dans le cadre de votre pratique professionnelle quotidienne?

2.1 Pourquoi privilégiez-vous une ou certaines plateformes en particulier? 2.2 Quels sont les avantages et les inconvénients liés à leur utilisation?

3. Espace réservé à une ou plusieurs questions portant sur la production spécifique du ou de la journaliste sur Twitter, avec exemples à l’appui. Ces questions peuvent être tirées des questions 4 à 8.

4. Est-ce que vous avez l'impression que le fait d'utiliser ces plateformes contribue à transformer le rythme de la production des nouvelles ? 4.1 Est-ce que l’utilisation des médias sociaux a une influence sur votre le cycle de la nouvelle? 4.2 Est-ce que l'internet et les médias sociaux vous permettent d'économiser du temps et d'atteindre vos objectifs plus rapidement ? De quelle manière? 4.3 Est-ce que les exigences de votre employeur pour la mise à jour de l'information se sont transformées (dans les bulletins radio/télé, en ligne)?

239

4.4 À votre avis, quel impact a cette utilisation sur le contenu (exactitude, diversité, profondeur, mise en contexte, travail d'enquête, relai etc.)?

5. Est-ce que l'utilisation de ces plateformes transforme votre travail de vérification de l'information? 5.1 Si oui, de quelle manière? 5.2 Par exemple, considérez-vous les tweets comme une source fiable d'information?

6. Jugez-vous les médias sociaux et les blogues sont utiles dans le cadre de votre travail de collecte d'information? Pourquoi? 6.1 Est-ce que ces plateformes du web 2.0 vous permettent de diversifier vos sources d'information. De découvrir de nouvelles sources vers lesquelles vous n'auriez pas été naturellement auparavant? 6.2 Est-ce que ça change le rapport de force avec les élus?

7. Vous arrive-t-il de dialoguer avec d'autres usagers en ligne? Y voyez-vous certains bénéfices ou inconvénients? Si oui, lesquels?

7.1 Est-ce que l'utilisation de ces plateformes transforme votre relation avec les élus ou les attachés de presse? Comment? 7.2 Et qu'en est-il des autres utilisateurs? Les citoyens ordinaires qui s'adressent à vous sur Twitter? Voyez-vous un avantage à dialoguer avec eux? Pourquoi?

8. Croyez-vous que ces internautes, ceux qui vous suivent ou qui suivent et qui écrivent sur le mot-clic #assnat ont maintenant un rôle à jouer dans le processus de production de l'information? 8.1 Les considérez-vous comme des consommateurs ou des participants? 8.2 À votre avis, de quelle manière peuvent-il participer (à l'observation et la cueillette, la sélection, le traitement, la diffusion et l'interprétation de l’information)?

9. Dans un contexte où des citoyens peuvent interagir avec les politiciens et diffuser de l'information aussi rapidement que les journalistes, croyez-vous que le rôle du journaliste professionnel demeure le même?

C. Conclusion

Je vous remercie de votre temps et de votre collaboration tout au long de cette rencontre. Votre participation est précieuse et me fournit un éclairage important pour la réalisation de cette recherche portant sur l'utilisation du web 2.0 chez les journalistes politiques, dans le cadre de leur pratique professionnelle.

240

Annexe 4. Production des journalistes de la Tribune de la presse sur Twitter la semaine et la fin de semaine, répartie en fonction de la période de collecte de données

Nombre moyen de tweets par jour (n=3577) 250,0

200,0

150,0

100,0

50,0

0,0 Collecte 1 Collecte 2

La semaine Le week-end

241

Annexe 5. Nombre moyen de tweets par semaine en fonction de l’usager

Usagers Nombre moyen de tweets par semaine @ajmontgomery 169,5 @patbellerose 77,0 @PhilipAuthier 70,8 @CLecavalierJDQ 70,5 @JuDufresne_RC 68,0 @MHarroldCTV 61,3 @SebBovetSRC 46,0 @hebert_mic 45,8 @PaulJournet 40,0 @M_Biron 36,3 @doughertykr 33,0 @gentiled1 33,0 @ryhicks 28,8 @MAGagnonJDQ 28,3 @GeoffVendeville 25,0 @MPepin_RC 23,0 @AlainLaforesTVA 22,3 @VeroPrinceTVA 21,0 @GLajoieJDQ 17,8 @Ant_Robitaille 17,0 @hugolavallee 14,0 @MBelairCirino 13,5 @martincroteau 13,0 @louis_gagne 11,8 @Simboivin 10,0 @ChouinardT 8,3 @MHTremblayRC 6,3 @arobillard 5,5 @CaronRgys 5,5 @Shawnlyonscbc 5,0 @ouellet1969 4,0 @cplanteglobal 3,3

242

@JLLavalleeJDQ 3,0 @JeanMarcSalvet 2,8 @lacroixFM93 1,8 @michelcorbeil 0,3 @denis_lessard 0,0 @Jo_Richer 0,0 @lavogi 0,0 @micheldavid8980 0,0 @pabergeronpc 0,0 @rdustrisac 0,0 @RhealSeguin 0,0 N=3577

243

Annexe 6. Présence d’opinion dans les tweets des journalistes de la Tribune de la presse 61 (en pourcentage)

Usagers Fonction Présence d'opinion dans les tweets (%) @hebert_mic éditorialiste 34% @Ant_Robitaille éditorialiste 21% @lacroixFM93 journaliste 14% @ouellet1969 journaliste 13% @AlainLaforesTVA journaliste 12% @MPepin_RC analyste 12% @PaulJournet journaliste 11% @SebBovetSRC analyste 11% @ryhicks journaliste 10% @doughertykr journaliste 10% @gentiled1 journaliste 9% @ajmontgomery journaliste 8% @VeroPrinceTVA journaliste 7% @JuDufresne_RC journaliste 6% @MHTremblayRC journaliste 4% @martincroteau journaliste 4% @CLecavalierJDQ journaliste 4% @MAGagnonJDQ journaliste 4% @M_Biron journaliste 3% @Simboivin journaliste 3% @MHarroldCTV journaliste 2% @patbellerose journaliste 1% @PhilipAuthier journaliste 1% @GeoffVendeville journaliste 0% @GLajoieJDQ journaliste 0% @hugolavallee journaliste 0% @MBelairCirino journaliste 0% @louis_gagne journaliste 0% @ChouinardT journaliste 0% @arobillard journaliste 0% @CaronRgys journaliste 0% @Shawnlyonscbc journaliste 0% @cplanteglobal journaliste 0% @JLLavalleeJDQ journaliste 0% @JeanMarcSalvet journaliste 0% @michelcorbeil journaliste 0%

61 Seuls les journalistes qui ont émis des tweets durant la collecte de données ont été inclus dans le tableau. 244