La Douce Rébellion : Le Cinéma De François Ozon
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Document généré le 26 sept. 2021 07:50 Ciné-Bulles La douce rébellion Le cinéma de François Ozon Frédéric Bouchard Volume 35, numéro 2, printemps 2017 URI : https://id.erudit.org/iderudit/85220ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Association des cinémas parallèles du Québec ISSN 0820-8921 (imprimé) 1923-3221 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Bouchard, F. (2017). La douce rébellion : le cinéma de François Ozon. Ciné-Bulles, 35(2), 16–21. Tous droits réservés © Association des cinémas parallèles du Québec, 2017 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Portrait Le cinéma de François Ozon La douce rébellion FRÉDÉRIC BOUCHARD 16 Volume 35 numéro 2 François Ozon sur le tournage de Jeune et Jolie en 2014 — Photo : Jean-Claude Moireau Avec 16 longs métrages à son actif, François Ozon Les Amants criminels (1999), sorte de conte représente aujourd’hui une valeur sûre du cinéma féérique et cauchemardesque, ébranle par sa mise français. Qualifié d’enfant terrible à ses débuts, le en situation plutôt sombre — deux adolescents cinéaste a progressivement troqué ses proposi- meurtriers font la rencontre d’un homme des bois tions provocantes et controversées pour un ciné- en tentant de dissimuler le cadavre de leur vic- ma plus naturaliste et plus accessible, mais pas time — et la sexualité ambiguë nécessairement plus sage. Son dernier film, Frantz, de ses personnages. Gouttes témoigne de cette transformation. Dans les paysa- d’eau sur pierres brûlantes Avec 16 longs métrages à ges de l’Allemagne au lendemain de la signature de (2000), adapté d’une pièce en- l’Armistice de 1918, Anna, une jeune veuve, est core jamais mise en scène de son actif, François Ozon bouleversée par l’arrivée d’Adrien, un soldat fran- Rainer Werner Fassbinder, per- représente aujourd’hui une çais qui prétend avoir connu son fiancé, Frantz, pétue l’envie du cinéaste de dé- durant la guerre. Mélodrame en noir et blanc, et mystifier les archétypes sexuels valeur sûre du cinéma portrait d’une société en pleine crise sociopoli- en chroniquant la vie d’un cou- français. Qualifié d’enfant tique, le long métrage, sous des airs sérieux, mon- ple d’hommes, Frantz et Leo- tre qu’Ozon n’a rien perdu de son caractère sub- pold. Ce huit clos esquisse les terrible à ses débuts, le versif. prémisses d’une première ten- cinéaste a progressivement dance chez Ozon: la théâtralité. Dès les premiers courts métrages qu’il tourne à sa Par un récit découpé en quatre troqué ses propositions sortie de la Fémis dans les années 1990, le jeune actes, des costumes décalés et provocantes et controversées Ozon manifeste un goût pour le scandale. D’un une composition de plans mé- jeune garçon qui assassine ses parents dans Victor ticuleux, le film souligne cons- pour un cinéma plus (1993) au renversement des normes sexuelles dans tamment le texte de Fassbinder naturaliste et plus accessible, Une robe d’été (1996), en passant par le jeu inno- auquel le réalisateur emprunte cent de quatre préadolescents d’Action vérité son intrigue et ses dialogues. mais pas nécessairement (1994), le réalisateur révèle un penchant pour la plus sage. Son dernier film, désobéissance, mais aussi une belle maîtrise du L’intérêt dramaturgique de Frantz, témoigne de cette langage filmique. C’est en 1997, avec le moyen mé- François Ozon prend une nou - trage Regarde la mer, qu’Ozon attire les regards. velle dimension avec 8 Fem - transformation. Au-delà de la troublante rencontre entre une mes (2002), son plus grand suc- nouvelle mère et une mystérieuse étrangère, le cès populaire à ce jour. Réu- cinéaste français expose déjà tous les enjeux de nissant la crème des actrices françaises (dont son cinéma. La limpidité de son écriture cinémato- Cathe rine Deneuve, Isabelle Huppert, Fanny Ar- graphique est évidente alors que les ambiguïtés du dent, Emmanuelle Béart et Ludivine Sagnier), désir commencent déjà à se dessiner comme une le réali sateur adapte la pièce éponyme de Robert obsession chère à ses yeux. Tho mas et rend un hommage explosif et coloré au cinéma classique hollywoodien. Grâce aux codes Sitcom (1998), qui marque l’arrivée de François de la comédie musicale, Ozon multiplie les ré- Ozon dans l’univers du long métrage, imprègne férences à Douglas Sirk et à Georges Cukor; ponc- aussi les esprits. Grâce à une prémisse impro- tuant l’intrigue policière de numéros musicaux bable — un père transforme le comportement de sa et de nombreux renvois à un passé cinéphilique, famille en ramenant un rat à la maison —, le réali- ce film illustre mieux que tout autre le profond sateur exploite des thèmes interdits avec un hu- amour du cinéaste pour l’artifice. Une affection mour corrosif. Homosexualité, suicide et inceste se caractérisée par une forme stylisée et kitsch, qui conjuguent dans un théâtre de l’absurde. À partir sera canalisée de diverses manières tout au long de de ce moment, l’efficacité d’Ozon devient re- sa filmographie. doutable. Avec en moyenne une réalisation par an- née, le cinéaste proposera 16 films en 20 ans, Dans Angel (2006), c’est par le pastiche du film menant l’une des carrières les plus prolifiques des d’époque qu’Ozon magnifie et parodie la Scarlett dernières décennies. O’Hara de Gone with the Wind, alors qu’avec Potiche (2010), il reproduit essentiellement la dé- Les premiers longs métrages d’Ozon témoignent marche fructueuse de 8 Femmes pour parler poli- d’une volonté sulfureuse de bousculer la morale. tique cette fois. En fait, il semblerait que le recul Volume 35 numéro 2 17 temporel sur ces histoires (Gouttes d’eau sur pierres brûlantes se déroule dans l’Allemagne des années 1970, 8 Femmes, dans la campagne fran- Sous le sable 5x2 çaise des années 1950, Angel dans l’Angleterre au début du XXe siècle et Potiche dans la ville fictive de Sainte-Gudule en 1977) favorise l’attrait du ci- néaste pour la comédie. Pourtant, Ozon a réactua- lisé son approche du kitsch dans un contexte con- temporain avec Une nouvelle amie (2014), récit d’un homme endeuillé qui se découvre femme. Les perruques et les habits servent ici à ridiculiser une féminité, certes peut-être un peu anachronique (la 8 Femmes Swimming Pool Virginia de Romain Duris semble tout droit sortie d’un film d’Hitchcock), mais permettent de ren- verser délicieusement le modèle hétéro normatif. Comment expliquer alors que Frantz, une histoire campée au lendemain de la Première Guerre mon- diale, soit totalement démuni de cette palette? Ce serait mal connaître Ozon puisque cette fascina- tion de l’artificialité l’a rapidement mené à réfléchir à la création. Swimming Pool (2003), ce face à face entre une auteure cinquantenaire en panne Sitcom Gouttes d’eau sur pierres brûlantes d’inspiration et une jeune femme aguicheuse, re- pose précisément sur la relation qu’en tre tient le ci- néaste à son métier. Alors qu’il a avoué transposer sa posture dans celle du personnage joué par Char- lotte Rampling, Ozon choisit de méditer sur les implications de l’écriture, surtout celles de la fic- tion. Grâce à un étonnant dénouement, le réali- sateur propose de repenser entièrement son film et de renouveler le rapport de l’auteur(e) à sa muse. Avec le personnage d’Angel, le cinéaste se montre Jeune et Jolie Une nouvelle amie Dans la maison particulièrement cruel. En juxtaposant la carrière rayonnante de la jeune auteure, basée sur un ro- mantisme superficiel, à son mariage perpétuelle- ment décevant, Ozon expose un parti-pris affirmé pour le pouvoir de la fiction. Ici, c’est le décalage entre le discours fabriqué d’Angel, pour magnifier sa propre histoire, et son existence banale qui té- moigne de la puissance de l’écriture dans laquelle l’héroïne se réfugie. À l’inverse, Dans la maison (2012), qui présente un enseignant de littérature enthousiasmé par les textes de son étudiant, Potiche Angel s’amuse à entremêler réalité et fiction. Prétendant s’inspirer du quotidien d’un camarade de classe et de sa famille, le jeune prodige provoque la curio- sité de son mentor en manipulant constamment la mince ligne entre faits et fantasmes. La caméra de François Ozon choisit d’épouser ce point de vue en gommant la démarcation entre la part de l’imagination et celle du réel. À nouveau, le Le Temps qui reste Le Refuge cinéaste exprime une volonté de mystifier le carac- s’enfuit dans une maison sur la côte basque, après tère illusoire de la fiction. Même s’il en montre les le décès de son conjoint, permet au réalisateur rouages à travers la caricature des genres, il affirme d’évoquer le thème de la mort par le biais de celui haut et fort, grâce à une habile conclusion, que cet de la naissance. En intégrant au récit le personnage univers est souvent le plus réconfortant, le plus du beau-frère, qui apaise les souffrances de la jeune hypnotisant et le plus passionnant de tous. femme, le film trace les débuts d’une relation ambiguë entre ces deux personnages. Ce type de Dans Frantz, Ozon exploite le mensonge pour rapport est aussi au cœur d’Une nouvelle amie mieux se jouer des attentes du spectateur.