Louis XIY le Roi Soleil

1661-1715

HISTOIRE DE ILLUSTRÉE / 2000 ans d'images

Jacques Aldebert

Louis XTV

le Roi Soleil 1661-1715

Préface de Pierre Miquel

Librairie Larousse 17, rue du Montparnasse, 75006 Notre couverture L'établissement de l'Académie des sciences et la fondation de l'Observatoire. Peinture d'Henri Testelin. Château de Versailles. Phot. Lauros-Giraudon.

Rédaction Alain Melchior-Bonnet avec le concours de Pierre Thibault Secrétariat Jocelyne Bierry Correction-révision Bernard Dauphin, Annick Valade Documentation iconographique Jacques Grandremy Mise en pages Eva Riffe assistée de Jean-Michel Barthélèmy Couverture Gérard Fritsch Photographie Gérard Le Gall, Jacques Bottet, Gilles Lours, Jacques Torossian, Michel Toulet Direction artistique Frédérique Longuépée et Henri Serres-Cousiné

Dépôt légal : mars 1987. — N° de série Éditeur : 13901 Imprimé en France (Printed in France) par l'Imprimerie Didier ISBN 2-03-253117-8

@ 1987, Librairie Larousse Préface

n présente généralement Louis XIV comme le monarque heureux du 0 temps de la monarchie absolue : avant lui, les difficultés, les Frondes, l'insoumission des corps intermédiaires; après lui, la décadence, le retour à l'anarchie, la montée du pouvoir ministériel, le regain des privilèges et l'aigre mois de mai de 1789. Le siècle du grand roi serait un point d'orgue dans l'histoire de France, un moment de gloire, de prospérité, de puissance. Il est vrai que Versailles symbolise durablement la gloire du « Roi-Soleil ». Les grandes eaux, les navires de guerre reconstitués sur le canal, le parc aux larges perspectives gardé par les statues des dieux antiques, l'escalier de pierre aux marches innombrables, la galerie des Glaces, la chambre du grand et du petit coucher, le cérémonial et l'étiquette, un spectacle permanent orga- nisé autour du souverain, tout indique la volonté de faire de l'homme une sorte de dieu vivant, de représentant de Dieu sur terre. Certes, Louis XIV tient son pouvoir de Dieu et tient à le faire savoir. Nul sujet ne peut l'ignorer. Un pouvoir d'origine divine est incontestable. Le jeune roi a trop souffert des troubles de la Fronde pour n'en être pas conscient : il doit spectaculai- rement manifester sa puissance royale, sans supporter le moindre ombrage. Il n'est pas question d'accorder attention aux revendications des parlemen- taires, si virulentes pendant la Fronde. Quant à la noblesse, elle est domesti- quée, réduite à présider aux repas de Sa Majesté, à solliciter un mauvais loge- ment à Versailles, pour être plus près du Soleil qui réchauffe les carrières et dispense les pensions. Le roi est absolu dans la mesure où il ne supporte pas que les privilégiés luj fassent de l'ombre. Il prétend régner seul et ne s'encom- brer d'aucun intermédiaire. Fouquet en fit les frais : le roi n'aime pas que ses sujets manifestent leur puissance dans le faste. Seul le roi peut être fastueux, parce qu'il est glo- rieux. Qui est monsieur Fouquet? Un fournisseur adroit. Qu'il se démette, et parte pour la Bastille. Point de Fouquet dans le royaume, le roi ne veut que des Colbert! Mais celui-ci ne mourut-il pas plus riche que Fouquet? Il n'importe! Les Colbert savent travailler pour le bien de l'État et le faire savoir. Le roi aime les ministres zélés. Il n'a que mépris pour ceux qui font étalage de leur richesse, devant les «nymphes de Vaux». Ce Fouquet se piquait de protéger les artistes et les écrivains! Privilège royal, que Louis XIV revendique hautement. Lui seul a les moyens d'engager les Perrault et les Le Nôtre pour qu'ils servent sa gloire au Louvre, à Versail- les. Lui seul doit protéger l'illustre Académie, créée par le cardinal de Riche- lieu. Il nourrit Lulli et pensionne Molière. Il aime Racine et Corneille, Boileau et La Bruyère. C'est à lui seul d'encourager les rimeurs, même s'ils ont, comme La Fontaine, le front de pleurer sur la disgrâce de Nicolas Fouquet. Pendant cent ans, l'Europe des cours construisit des petits Versailles, meublés et décorés à la française, avec des parcs imités de Le Nôtre. Les rois apprirent le français et furent soumis à une éducation calquée sur celle des princes héritiers de France. Le modèle versaillais s'impose et se diffuse. La gloire du grand roi est celle d'une mode durable. On se souvient du faste déployé à Versailles pour la venue des ambassadeurs du roi du Siam en 1684. Même si le roi n'a pas les moyens d'achever, jusqu'au château, le grand aque- duc qui devait permettre à Versailles de ne pas manquer d'eau, en fournis- sant en abondance l'eau de l'Eure (cet aqueduc, que l'on peut voir à Mainte- non, n'arrive toujours pas jusqu'à Versailles), il a ébloui l'Europe de ses fêtes, de ses cérémonies, de son immense prestige. Il n'est pas de petit prince en Europe centrale qui ne rêve d'imiter le Roi-Soleil. Le drapeau fleurdelisé des bâtiments de la Royale a répandu le nom du grand roi sur toutes les mers. Grâce à Colbert, cette flotte est efficace, elle garde les routes maritimes, les compagnies de commerce créent des colonies outre-mer et ouvrent des comptoirs en Acadie, à Terre-Neuve, au Canada, dans le Mississippi et en Louisiane... Les Antilles et la Guyane sont, comme le Sénégal et l'île Bourbon, des relais pour la flotte, des ports accueillants pour les capitaines des navires marchands qui vendent les produits de France et viennent chercher le sucre, la gomme, bientôt le tabac, le chocolat, le café. La marine du roi est la plus puissante que la France ait jamais possédée. Elle est construite pour le grand affrontement de l'Atlantique entre la France, nation marchande et coloniale, l'Angleterre et la Hollande. Pour Colbert, la France a besoin de marins. Louvois préfère les soldats d'infanterie, qu'il drape dans des uniformes splendides, sous les drapeaux multicolores des régiments du roi. Si l'armée compte 72 000 hommes de troupes réglées en 1667, elle en a 300 000 en 1703. La cavalerie a 47 000 chevaux. L'artillerie est nombreuse et bien entraînée. Aux frontières, Vauban a imaginé un système révolutionnaire de fortifications, en tenant compte du feu qui oblige les nouvelles places fortes à s'enter- rer pour n'être pas vulnérables. 39 forts «à la Vauban », 200 vieilles forteres- ses aménagées forment une ceinture autour du royaume. Le roi peut faire la guerre. Qui pourrait l'en dissuader? Il exerce, dans le pays, une autorité centra- lisée, qui ne tolère pas la moindre opposition. Le Conseil royal juge souverai- nement, les intendants royaux représentent directement le roi dans ses pro- vinces, qui ont été pacifiées, réduites à la loi commune. Assuré de l'ordre à l'intérieur, le roi peut faire la guerre à l'Europe. Il commence par l'Espagne, envoie Turenne dans le Brabant, Condé en Franche-Comté. En 1668, la Flandre est conquise. La Hollande en prend ombrage? Il n'importe, l'armée française envahira la Hollande. Rude campagne, car la grande puissance marchande du Nord n'entend pas perdre sa primauté. Elle chasse son «grand pensionnaire» Jean de Witt pour se constituer en république dirigée par le stathouder Guillaume de Nas- sau. C'est un protestant fanatique, qui fait la guerre au grand roi jusqu'au bout. Avec le Taciturne, Louis XIV s'est découvert en Europe un ennemi beaucoup plus implacable que le Habsbourg. Guillaume fait ouvrir les digues pour arrê- ter l'invasion, inonder les Français. L'or des Hollandais nourrit une coalition de princes allemands et réunit le très catholique roi d'Espagne et le roi du Dane- mark, protestant. Les cuer la Hollande. Anglais tournent le dos à Louis XIV isolé, qui doit éva- Turenne l'emporte sur les Impériaux dans la plaine d'Alsace avant de mourir, percé d'un boulet, devant Salzbach. Condé envahit les Pays-Bas espa- gnols. Les 276 bâtiments de ligne de la Royale prennent la mer. La flotte hol- landaise de l'amiral Ruyter est défaite par Duquesne en 1676. Les Français, à la paix de Nimègue, sont maîtres de la Franche-Comté, d'une grande partie de la Flandre et du Hainaut. Le roi se permet en outre, après la paix, d'an- nexer le comté de Montbéliard, Strasbourg et la moitié du Luxembourg et de s'emparer de plusieurs villes de la Sarre. Personne n'ose protester. Sa gloire est à son sommet. Il ose alors révoquer l'édit de Nantes et sommer les protestants de ren- trer dans la religion catholique. Ils refusent et émigrent en masse. Le Roi Très Chrétien devient intolérant, persécuteur. Les jansénistes sont une inoffensive coterie de grands bourgeois et d' « intellectuels». Ils sont poursuivis. Le roi s'érige en gardien de la plus stricte orthodoxie catholique. Son mariage secret avec la dévote Mme de Maintenon l'encourage dans la voie de la répression. Les «dragonnades» multiplient les exactions dans le Midi. Les soldats du roi soumettent par la force les provinces révoltées. En Europe, la guerre reprend contre les puissances protestantes, la Suède, la Hollande, l'Électeur de Brandebourg. Des souverains catholiques se joignent à la coalition : le roi d'Espagne et l'empereur Habsbourg. Même le pape, maltraité par Louis «le Grand», rejoint le camp des indignés. Les Fran- çais ravagent le Palatinat et obtiennent des victoires en Hollande et en Savoie. Mais les Anglais entrent en scène, leur flotte rejoint celle des Hollandais et bat la Royale à la Hougue. La guerre dure neuf ans, de 1689 à 1697 et le grand roi doit rendre la Lorraine à son duc, abandonner le Luxembourg et les pla- ces de la frontière italienne. Comment rester sur cette défaite? On accroît les impôts, on écrase les camisards révoltés dans les Cévennes, et l'on repart en guerre, en l'an 1700. Les ennemis sont les mêmes, sauf l'Espagne, qui a changé de camp. De grands capitaines dirigent les armées de l'adversaire, le prince Eugène de Savoie, le duc de Marlborough (John Churchill), Heinsius, le grand pensionnaire de Hollande. Villars, le général français, ne dispose que de 300000 hommes pour protéger les frontières immenses. Ces frontières sont ouvertes et le territoire, envahi. Les victoires de Villars à Malplaquet, puis à Denain arrêtent l'invasion et permettent de signer la paix. La France devait raser Dunkerque, qui n'aurait plus de corsaires, elle cédait aux Anglais Terre- Neuve, l'Acadie, Hudson. Avant de mourir, le roi songeait à reconstituer une coalition des puissances catholiques (France, Espagne, Autriche) contre l'Europe marchande et protestante. Ainsi le plus long règne qu'ait jamais connu la France (Louis XIV mourut en 1715) fut aussi celui des guerres les plus nombreuses et les plus meurtrières. Le peuple de France ne devait pas pleurer Louis le Grand. Pierre Miquel Sommaire Louis XIV « l'État c 'es t moi » 1 1667-1678, les guerres heureuses 21 Le roi à Versailles 41 Louis XIV et l'ordre classique 61 La France de Louis XIV 81 Les ombres du règne 101 1689-1697, la guerre de la ligue d'Augsbourg ...... 121 1697-1715, le crépuscule du règne 141 Chronologie 161 Dictionnaire des personnages ...... 165 E 9 MARS 1661, JULES MAZARIN, Mais, si désormais le roi gouvernait, il ne mieux la vie des provinces par l'intermé- Premier ministre du roi de France, gouvernait pas seul. Les ministres, les diaire des intendants. mourait à Vincennes. Ce fut un secrétaires d'État, le Conseil subsistaient. Le roi s'entoura d'un personnel com- 1 pays soumis, ou du moins guéri Tout au long du règne, les fonctions se pétent qu'il s'attacha par des faveurs soi- Lpour un temps de ses agitations passées, précisèrent. Au Conseil s'adjoignirent des gneusement dosées. Les grands commis, que le cardinal remit au jeune Louis XIV. conseils spécialisés, l'administration cen- les Colbert, les Le Tellier en profitèrent Roi de France depuis le 14 mai 1643, trale s'étoffa et chercha à contrôler au pleinement. Ils constituèrent de véritables celui-ci n'avait pas jusque-là exercé le dynasties ministérielles rivalisant à son pouvoir et n'avait pas donné l'impression service. Mais chacun put méditer sur le d'en avoir le désir. sort du surintendant Fouquet, emprisonné Son entrée dans la vie politique — on à vie pour n'avoir pas compris que le pourrait dire son entrée en scène — n'en temps du ministériat était clos et qu'il eut que plus de relief. Car ce fut une sur- n'était pas question pour lui d'être le prise que de voir le roi s'affirmer comme successeur de Mazarin. son propre Premier ministre. Dès le pre- Louis XIV Cet accroissement de l'autorité royale mier contact avec son Conseil, au lende- et de la centralisation ne doit pas faire illu- main de la mort du cardinal, les cho- sion. Les forces traditionnelles demeurè- ses étaient claires. Se tournant vers le rent : parlements et cours de justice, où • chancelier Séguier, second personnage du s'exprimèrent, avec la discrétion désor- royaume selon l'usage : « Monsieur, dit le "l'État, mais nécessaire, officiers et robins ; petite roi, je vous ai fait assembler avec mes noblesse des campagnes, à défaut de la ministres et secrétaires d'État pour vous haute noblesse, domestiquée à la Cour ; dire que, jusqu'à présent, j'ai bien voulu échevins et consuls des villes. Chaque laisser gouverner mes affaires par feu c'est moi" province, chaque cité était jalouse de ses M. le cardinal ; il est temps que je les privilèges, contre lesquels le roi ne put gouverne moi-même. Vous m'aiderez de guère agir, car ils étaient de tradition et vos conseils quand je vous les demande- parce que cette tradition était un des rai. Je vous prie et je vous ordonne de fondements du régime. La distance, la ne rien sceller que par mes ordres, de ne médiocrité des moyens de communication, rien signer sans mon consentement. » On la différence des parlers firent du royaume pourrait multiplier les témoignages. L'his- une juxtaposition de peuples et de pays et toire les a résumés dans cette formule lapi- non un Etat moderne. Plutôt que de la daire qu'elle prête au souverain : « L'État, France, ne vaudrait-il pas mieux parler des c'est moi. » France ?

U MOMENT OÙ LA MORT DE MAZARIN jour de nombreuses heures à s'entretenir par l'expérience plus que par le contact lui permit d'exercer la totalité du avec ses ministres ou des personnalités des livres. pouvoir, Louis XIV était un jeune dont l'expérience pouvait lui être utile, Le premier autographe que l'histoire ait . homme de près de vingt-trois ans : présidant les conseils, réfléchissant, à vrai conservé de lui est une page d'écriture où Ail était né le 16 septembre 1638 à Saint- dire plus rarement, dans le silence de son il avait recopié six fois la formule : « L'hom- Germain-en-Laye. C'était un bel homme, cabinet. Il s'était en effet toujours refusé mage est deub (dû) aux roys, ils font ce de taille moyenne, à l'air majestueux mais à prendre des décisions précipitées, répli- qu'il leur plaist. » Roi depuis l'âge de cinq sans arrogance, qu'il conserva jusqu'à la quant aux impatients un « Je verrai », qui lui ans, encensé par son entourage, parfois fin de ses jours. Le visage était régulier, permettait d'examiner les problèmes à loi- dans l'espoir d'en tirer plus tard quelque les yeux vifs ; les lèvres minces ne se sir et de ne rien laisser paraître à l'avance avantage substantiel, il eut toujours besoin ressentaient guère de son ascendance de ce qu'il déciderait. Cette attitude allait d'adulateurs, ce qui ne manquait pas dans habsbourgeoise. de pair avec la circonspection, voire la la liturgie monarchique. On a souligné son méfiance que lui avaient inspirées les orgueil : sans doute a-t-il été trop sensible Le roi et ses sujets. Tous les mémoria- épreuves de la Fronde. aux flatteries des courtisans ; mais son listes ont souligné sa politesse raffinée, Les temps troublés qui avaient marqué ambition ne faisait pas la différence entre son affabilité, le charme de sa conversa- son adolescence n'avaient pas permis à la lui-même et le pays qu'il était certain tion. Excellent danseur, bon cavalier, féru reine et au cardinal de lui donner la forma- d'incarner. de jeux d'adresse, il évoluait avec naturel tion désirée. Saint-Simon déclara qu'il était Placé là par la Providence, il n'avait de et aisance dans le cadre pourtant contrai- ignorant, ce qui était tout à fait excessif, compte à rendre qu'à Dieu qui, lors du gnant de la Cour, que ce fût au Louvre car le roi parlait l'italien et l'espagnol — sacre — le 16 juin 1654 à Reims — l'avait d'abord, puis surtout, plus tard, à Ver- alors la première langue en Europe —, et fait bénéficier, comme ses prédécesseurs, sailles. possédait plus que des rudiments en latin. du pouvoir quasi miraculeux de guérir les À côté de ce personnage, extérieur, qui Il avait étudié la géographie, l'art militaire, écrouelles : comme toujours, les foules jouait son rôle dans une sorte de repré- les éléments des mathématiques, et, sur- s'étaient précipitées. Cette manière de sentation permanente, il existait un autre tout, l'histoire, celle de l'Antiquité et celle concevoir son pouvoir était, en effet, celle Louis XIV, celui qui proclamait le métier de ses prédécesseurs, en particulier celle de son temps. La responsabilité devant de roi «grand, noble, délicieux». Il enten- de son grand-père Henri IV. Ce n'était pas Dieu, en un siècle où l'incrédulité était dit l'exercer pleinement : aussi donna-t-il un « intellectuel » ni un brillant esprit, mais presque inexistante, n'était pas une vaine l'exemple du travail, consacrant chaque il était doué d'un solide bon sens, affiné formule, comme notre temps serait porté à La monarchie absolue

< Louis XIV en armure.

AChâteau de Vaux-le- la résidence princière du tiale de Versailles : Le Vau, Vicomte, côté jardins. surintendant Fouquet réunis- Le Brun et Le Nôtre. Construite de 1656 à 1661, sait par avance l'équipe ini- Phot. Guy Plessy-Explorer lés incapables de créer quoi que ce soit de avait à peine neuf ans — où il avait dû Ce fut le constat de cette véritable dépen- positif : l'anarchie n'avait fait qu'accroître quitter Paris en proie à l'émeute pour dance qui, d'entrée, scandalisa le roi : la misère. Plus ou moins consciemment, la s'installer à Saint-Germain, dans un châ- l'État, au point de vue financier, n'existait France attendait d'être gouvernée d'une teau vide et glacial. Il entendait bien être pas. Aussi la perte du surintendant et la main ferme. obéi et ne pas voir se reproduire de tels suppression de cette fonction furent-elles De son côté, le roi gardait un très désordres. Mais, en récupérant la totalité vraisemblablement décidées dès les pre- mauvais souvenir de ces troubles, en parti- d'un pouvoir, qui dans le principe avait tou- miers jours. Mais le roi avait jugé néces- culier de cette nuit du 6 janvier 1649 — il jours été le sien, Louis XIV répondait aussi saire de temporiser. à l'essentiel de ce qu'avaient réclamé Louis XIV poussa alors la duplicité les frondeurs : voir le roi gouverner lui- jusqu'à demander à Fouquet de lui offrir même, sans Premier ministre. Ce fut ce que une fête dans son château de Vaux, Louis XIV allait faire pendant cinquante- près de Melun — aujourd'hui Vaux-le- quatre ans. Vicomte —, un Versailles avant Versailles, où avaient travaillé Le Vau, Le Nôtre, Le L'affirmation de l'autorité : l'affaire Brun et Mignard. La splendeur de la fête, Fouquet. Dans les heures qui avaient le 17 août 1661, dépassa l'imagination :-le suivi la mort du cardinal, le roi avait indis- cutablement réussi son entrée. Mais la Cour pensait que ses résolutions seraient de courte durée : « La plupart, disait-il lui- même, considéraient l'assiduité de mon travail comme une chaleur qui devait bien- tôt se ralentir. » Il lui fallait prouver le contraire : la disgrâce et le procès du surintendant Fouquet allaient en être l'oc- casion. À la mort de Mazarin, Nicolas Fouquet était un des hommes les plus puissants de France. Il était d'ailleurs appelé au Conseil en même temps que Michel Le Tellier et Hugues de Lionne. Surintendant des Finan- ces, il apporta au roi le crédit dont il jouissait auprès des milieux financiers, cré- dit sans lequel l'État eût fait banqueroute.

Nicolas Fouquet. Portrait > présumé du surintendant des Finances, qui connut les sommets de la fortune et la chute la plus specta- culaire. Peinture attribuée à Sébastien Bourdon, château de Versailles. Phot Giraudon/Editoriat Photocolor Archives.

Château de Vaux-le- l'importance de la clientèle > Vicomte, côté entrée. de Fouquet, qui fut une des L'animation qui règne causes de sa chute. Gra- devant le château manifeste vure de Pérelle. B. N. Phot. Larousse. <3 Lettre de Louis XIV à d'Artagnan. Datée de juin 1663, cette lettre, signée de la main du roi, montre l'importance que celui-ci attache à l'affaire Fouquet. Elle a trait en effet au trans- fert de l'ancien surintendant des Finances du donjon de Vincennes à la Bastille. Res- ponsable du prisonnier, d'Artagnan a carte blanche pour en assurer la garde, notamment en ce qui con- cerne le nombre des mous- quetaires nécessaire à cette mission. À cette date, le procès était encore loin d'être terminé et le roi sem- blait craindre une évasion ou un enlèvement. Phot Snark International.

6, LOUIS XIV « L'ÉTA T, C EST MOI ,,. roi put admirer les bâtiments, le parc orné ries» du surintendant et avait attisé la eut risqué de se retourner contre les accu- de statues antiques, les jeux d'eau, un feu colère du roi contre le ministre, dont il sateurs, Colbert au premier rang, qui savait d'artifice ; il écouta la musique de Lully, comptait bien prendre la place. à quoi s'en tenir sur la fortune du cardinal. applaudit Molière dans les Fâcheux, créés Ce fut Colbert encore qui anima en C'est pourquoi les juges se montrèrent fort pour la circonstance. Le dîner fut servi sous-main le procès intenté à Fouquet, peu curieux sur ce point : ils avaient dans de la vaisselle d'or. Trop belle fête qui, procès qui dura près de quatre ans. On compris que Fouquet « devait » être le derrière les sourires et les remerciements, reprocha à l'ancien surintendant « l'horrible coupable exemplaire. ne fit qu'exacerber la jalousie royale ! confusion » qu'il avait commise entre les L'accusation insista beaucoup aussi sur Trop beau domaine qui parut au souverain finances publiques et sa fortune person- des documents découverts dans sa maison comme un crime de lèse-majesté, mais nelle, celle-ci s'étant évidemment édifiée de Saint-Mandé, près de Paris, derrière une dont il se souvint en aménageant Ver- aux dépens de celles-là. Mais Fouquet glace : Fouquet semblait avoir envisagé, sailles. pouvait montrer que cette « confusion » en cas de disgrâce, de se retirer à Belle- Coup de théâtre : le 5 septembre 1661, s'était bien souvent établie dans l'autre Île, qu'il avait achetée et fortifiée, et de d'Artagnan et ses mousquetaires arrêtè- sens et que le principal auteur des détour- s'appuyer sur toute une clientèle, en parti- rent le surintendant à Nantes, où le roi nements qu'on lui reprochait n'était autre culier en Bretagne, pour rallumer la guerre s'était rendu pour présider les états de que le cardinal. Il est significatif que les civile. Ce plan datait de 1657 et n'avait pas Bretagne. « Je croyais, déclara Fouquet au juges n'aient pas accédé à la demande de recu le moindre commencement d'exécu- moment de son arrestation, être mieux l'accusé de dresser un inventaire évaluatif tion : il n'en pesa pas moins lourd dans la que personne dans l'esprit du roi. » L'opé- de l'ensemble de ses biens, en parallèle décision des juges. Nicolas Fouquet fut ration avait été préparée en détail par avec ceux de Mazarin et de son fidèle condamné, en 1664, au bannissement à Jean-Baptiste Colbert ; Mazarin, qui lui Colbert. Cela aurait permis de constater perpétuité, peine que le roi aggrava en avait naguère confié la gestion de sa for- que les dettes du surintendant n'étaient détention perpétuelle : il fut enfermé dans tune personnelle, l'avait vivement recom- pas loin d'égaler sa fortune apparente, la forteresse de Pignerol, où il devait mou- mandé au roi qui l'avait nommé intendant alors que ce qu'avait amassé Mazarin — rir en 1680 ou 1681. des Finances. C'était Colbert qui avait le double de l'actif de Fouquet — ne Procès finalement plus politique que apporté au roi les « preuves » des « pille- comportait qu'un léger déficit. Le procès financier : Fouquet fut sacrifié à la raison

rain d'Europe. Le 29 juil- savoir aux princes étrangers qu'il était le let 1664, au palais de Fon- premier souverain d'Europe et que les tainebleau, Louis XIV donna temps de la Fronde étaient révolus. Deux audience au cardinal Chigi, affaires, en elles-mêmes de peu d'impor- neveu du pape Alexandre VII, qui lui lut une lettre de regrets tance, allaient le manifester. de celui-ci ; elle mettait un Le comte d'Estrades, son ambassadeur terme au conflit entre les à Londres, s'étant pris de querelle, le deux souverains. Sans doute la garde corse au service 10 octobre 1661, avec le baron de Watte- du pontife avait-elle maltraité l'ambassadeur de France, son épouse et ses gens, et le roi de France était en droit d'en demander réparation. Il s'agissait surtout pour lui de montrer à l'Europe qu'il en était le plus puissant souve- rain. Dessin à la pierre noire lavé d'encre de Chine de . Musée national de Fontainebleau. Phot. Réunion des musées nationaux.

< Portrait de Louis XIV. Parmi les artistes du règne de Louis XIV, Charles Le Brun fut un des plus féconds. Ce portrait du roi, sans doute autour de la trentaine, est plein de natu- rel et de spontanéité : regard majestueux mais sans arrogance, nez très discrètement « bourbonien >,, lèvres fines soulignées par une étroite moustache, bien différentes de la bouche plus lippue des Habsbourg Ce dessin à la sanguine avec quelques rehauts de blanc servit sans doute de préparation pour un tableau plus élaboré. On conserve quelque 2 800 feuilles de dessins transférés de l'ate- lier de l'artiste dans les collections royales. Cabinet des Dessins, musée du Louvre Phot C F L .Gtraudon

8. L OUIS XIV « L'ÉTAT, C 'EST MOI ,, guère changé de comportement. Plusieurs un de ses pages tué. Peu après, l'ambas- contacts ne furent jamais rompus, si bien incidents minimes avaient mis aux prises sade était l'objet d'un blocus de quelques que, en février 1664, Alexandre VII pro- des domestiques français et la garde corse heures, puis Créqui devait quitter Rome. nonça la dissolution de la garde corse et qui patrouillait dans la ville. Mais, au soir L'outrage était patent et Louis XIV envoya, quelques mois plus tard, son neveu du 20 août, lorsque le duc de Créqui, adopta une attitude menaçante, expulsant comme légat pour présenter au roi les ambassadeur de France, voulut regagner le le nonce et faisant ordonner par le parle- regrets du souverain pontife. Fille aînée de palais Farnèse, il fut accueilli par des coups ment d'Aix la saisie d'Avignon et du com- l'Église, la France devait être considérée - de mousquets, tandis que la duchesse avait tat Venaissin en février 1663. Mais les comme majeure !

C'est par l'image - dessins, gravures, peintures, sculptures, photographies, documents d'archi- ves - que cette Histoire de France redonne vie au passé en le présentant tel que l'ont vu les témoins oculaires de chaque époque. Accompagnée d'un texte clair et concis, dans un cadre chronologique très sûr, cette remar- quable iconographie fait défiler les grands bouleversements qui ont secoué la France, ses heu- res glorieuses et exaltantes ainsi que ses malheurs et ses sursauts d'énergie après les tempêtes. Elle montre en même temps l'existence et les travaux quotidiens, les mœurs et le cadre de vie des différents groupes sociaux, l'activité intellectuelle et artistique, l'évolution des modes, les inventions techniques, les découvertes scientifiques. Une somptueuse rétrospective de ce que la France a été pour devenir ce qu'elle est aujourd'hui.

1. NAISSANCE D'UNE NATION 10. NAPOLÉON des origines à 987 consul et Empereur I 2. LA FRANCE DES CAPÉTIENS 1799 -1815 / 987-1328 11. RESTAURATION ET RÉVOLUTIONS 3. LA GUERRE DE CENT ANS 1815 - 1851 et le redressement de la France 12. LE SECOND EMPIRE 1328 -1492 1852 -1870 4. RENAISSANCE ET RÉFORME 13. LA IIIe RÉPUBLIQUE 1492 -1547 à ses débuts 1870 - 1893 5. LES GUERRES DE RELIGION 14. LA IIIe RÉPUBLIQUF 1547 -1610 au tournant du siècle 1893 - 1914 6. VERS LA MONARCHIE ABSOLUE 15. LA GRANDE GUERRE 1610 -1661 et ses lendemains 7. LOUIS XIV, 1914 -1935 le Roi-Soleil 16. LA FRANCE EN GUERRE 1661 -1715 du Front populaire à la victoire 8. LE SIÈCLE DES LUMIÈRES 1936 -1945 1715 -1789 17. LA IVe RÉPUBLIQUE 9. LA RÉVOLUTION 194- -1958 1789-1799 18. LA yc RÉPUBLIQUE . de 1958 à nos jours Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal. Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en accord avec l’éditeur du livre original, qui dispose d’une licence exclusive confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.