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La vie mouvementée et passionnante

de Pierre Pène

Table of Contents La vie mouvementée et passionnante ...... 1 de Pierre Pène...... 1 Introduction ...... 7 Sources d'information, notations et conventions...... 8 A : Pierre Pène jusqu'en 1940...... 8 A :I L'enfance de Pierre Pène...... 8 A :I.1 Les ancêtres, ''grand-mère-fais-tes-règles''...... 10 A :II La guerre de 1914...... 11 A :II.1 Son frère Henri mort pour la ...... 11 A :II.2 Pierre Pène capitaine d'artillerie pendant la guerre de 14-18...... 11 A :III Les voyages de Pierre...... 12 A :III.1 Le mariage avec Françoise...... 12 A :III.2 Ingénieur des ponts et Chaussées à Madagascar...... 12 A :III.3 Ingénieur en chef en Abyssinie, aujourd'hui nommée Éthiopie 1930 à 1933.....13 A :IV Retour en France...... 14 A :IV.1 1933-1936, le conseil des Ponts et Chaussées...... 14 A :IV.2 Soissons 1936-1939 ingénieur en chef d'arrondissement...... 14 A :V La seconde guerre mondiale...... 17 A :V.1 La ''drôle de guerre'' ...... 17 A :V.1.1 Pène dirige une batterie d'artillerie...... 17 A :V.1.2 Pène au service des routes de la 7ème Armée...... 18 A :V.2 La débâcle...... 19 A :V.2.1 L'étrange défaite vue par Marc Bloch...... 19 A :V.3 Vers la Résistance...... 20 B :La résistance de Pierre Pène dans l'Aisne, puis à Paris...... 21 B :Avant-propos...... 21 B :I Introduction...... 21 B :II La Résistance dans l'Aisne...... 22 B :II.1 La zone interdite et le premier contact avec la Résistance...... 22 B :II.1.1 Les lois anti-juives et Simone Weil...... 22 B :II.1.2 Laon, la zone interdite et Roosevelt...... 22 B :II.1.3 Les centres de la WOL et la rafle de janvier 44...... 23 B :II.1.4 Boulloche et les contacts avec la Résistance...... 23 B :II.2 Pène est membre de l'Organisation Civile et Militaire (OCM) ...... 23 B :II.2.1 L'OCM prépare la libération ...... 23 B :II.2.2 La question juive mal traitée par l'OCM...... 24 B :II.3 Le travail d'information des alliés...... 25 B : II.3.1 La constitution du groupe des ponts et chaussées de l'Aisne : ...... 25 B :II.3.2 Le Bunker de Hitler à Margival ...... 26 B :II.3.3 Recherche des renseignements militaires, politiques et économiques27 B :II.3.4 Étienne Dromas et le groupe de résistance de Chaunis...... 27 B :II.3.5 André Point chef des FFI dans les Ardennes...... 28 B :II.3.6 Transmission des informations, les infiltrations ennemies dans le BCRA...... 28 B :II.4 Le ''plan Taille'' et autres actions militaires...... 29 B :II.4.1 Les demandes de certificats d'appartenance aux FFI et de médailles 29 B :II.4.2 Pierre Pène obligé de démontrer qu'il était FFI...... 30 B :II.4.3 Les maquis...... 30 B :II.5 Le danger d'être repérés par les occupants...... 31 B :II.5.1 Le rendez-vous avec Farjon...... 31 B :II.5.2 Surprenante mise en garde du chef SS de l'Aisne...... 31 B :III Pierre Pène à la tête des FFI de la Région parisienne ...... 32 B :III.1 Les pertes de L'OCM : ...... 32 B :III.1.1 Pène au comité Directeur de l'OCM...... 32 B :III.1.2 Des infiltrations dans l'OCM des Ardennes ?...... 32 B :III.1.3 L'unification des forces armées des Résistants dans les FFI...... 34 B :III.2 Pène Inspecteur Régional de la Région Parisienne...... 34 B :III.2.1 Le fonds d'archive du colonel Fouré...... 35 B :III.2.2 La bataille pour promouvoir Robert Fouré au titre de général à titre posthume...... 35 B :III.2.3 Le travail déjà fait par Coquoin et Fouré, ...... 36 B :III.2.4 La région Parisienne était trop vaste :...... 37 B : III.2.5 Les actions de sabotage dans la Région Parisienne...... 38 B :III.3 Désaccord entre Rol Tanguy et Pène à propos d'un appel à l'action immédiate. 39 B :III.3.1 Brèves remarques sur l'insurrection de Paris...... 40 B :III.3.2 Le Programme d'Action de la Résistance du 28 février 1944...... 40 B :III.3.3 Probablement le texte en question : émis par Rol-Tanguy et vu par Pène et Robert Fouré...... 41 B :III.3.4 La crainte d'une insurrection communiste ...... 42 B :III.3.5 Et pourtant ils ont su s'unir ...... 44 B :III.4 La vie quotidienne de la famille Pène et des parisiens ...... 45 B :III.4.2 Lettre d'une jeune fille de 12 ans à son frère...... 46 B :III.4.3 La cachette de Bures sur Yvette...... 47 B :III.4.4 Ceux qui nous ont aidés, ou même sauvés...... 47 B :IV Arrestation, tortures et évasion de Pène...... 49 B :IV.1 Arrestation et tortures...... 49 B :IV.1.2 La prison de Senlis et l'évasion avec Farjon...... 50 B :IV.1.3 L'affaire Roland Farjon...... 51 B :IV.1.4 La région Parisienne après l'arrestation de Pène...... 53 B :IV.2 Après l'évasion De Pierre Pène...... 53 B :IV.2.1 Arrestation de Françoise et Clotidle Pène...... 53 B :IV.2.2 Françoise et Clotilde Pène à Fresnes...... 54 B :IV.2.3 Pierre Pène très recherché...... 57 B :IV.2.4 La libération de Paris : Les barricades, la 2ème DB et Von Choltitz.58 B :IV.3 Les batailles de La libération de St Quentin...... 59 C :Commissaire de la République pour la Picardie et les Ardennes...... 61 C :Avant-propos...... 61 C :I. Introduction...... 61 C :II La prise de fonction ...... 62 C :II.1 L'épuration ...... 64 C :II.2 Le retour des déportés...... 65 C :II.2.1 La colère de Mme Mairesse ...... 66 C :II.2.2 Carte des camps et bilan de la Déportation...... 66 C :II.3 Raymonde Fiolet ...... 67 C :III Les Commissaires de la République...... 67 C :IV La guerre, la contre-offensive Von Rundstedt...... 68 C :IV.1 L'offensive allemande...... 68 C :IV.1.1 La fermeture de la frontière avec la Belgique...... 69 C :IV.1.2 Les espions allemands en France...... 70 C :IV.1.3 Bilan de la bataille des Ardennes et de la fermeture de frontière...... 71 C :V. L'activité du Commissaire de la République...... 72 C :V.1 La représentation ...... 72 C :V.1.1 de Gaulle ...... 73 C :V.2 La misère de la population, ravitaillement, reconstruction, etc...... 74 C :V.2.1 Ravitaillement...... 74 C :V.2.2 Betteraves...... 76 C :V.2.3 Charbon ...... 76 C :V.2.4 Transports ...... 76 C :V.2.5 L'Industrie ...... 76 C :V.3 Les griefs contre les régions et les Commissaires...... 77 C :V.3.1 Les ''pétroleuses'' de St Quentin...... 78 C :V.3.2 Tension entre Pène et le préfet Hyacinthe Tomasini...... 79 C :V.4 L'effacement progressif des organisation issues de la Résistance ...... 79 C :V.4.1 Les élections de 1945 dans la Région ...... 79 C :V.4.2 Les FFI et les milices patriotiques...... 81 C :V.4.3 Les Comités de Libération...... 82 C :V.5 La situation sociale, politique et administrative ...... 84 C :V.5.1 La Réaction ouvrière...... 84 C :V.5.2 La Réaction patronale ...... 85 C :V.5.3 Regard de Pierre Pène sur l'avenir économique, discours à la chambre de commerce...... 85 C :V.5.4 Regard de Pierre Pène sur la situation et l'avenir politique et social et les grèves de 47...... 86 C :V.5.5 Regard de Pierre Pène sur la situation administrative...... 87 C :VI La fin des Commissaires et la réunion de Soisson ...... 89 C :VI.1 La constituante et la démission de de Gaulle...... 89 C :VI.2 Les adieux de Pène à ses collaborateurs ; les Commissariats vichystes ? ...... 90 C :VI.3 La réunion de Soissons...... 91 C :VI.4 Quelques leçons d'un an et demi de Commissariat de la République ...... 91 C :Appendice : Les ''écoles'' des Commissaires ...... 92 C : App.0 Que nous apprennent ces réunions de Commissaires ?...... 92 C :App.1 Réunion du 28-30/9/44 ...... 93 C :App.2 Réunion du 21-24/11/44...... 95 C :App.3 Réunion du 7-9/2/45...... 99 C :App.4 Réunion du 3-5/4/45...... 101 C :App.5 Réunion du 21-23/6/45...... 103 C :App.6 Réunion du 17/9/45...... 105 C :App.7 Réunion du 18/1/46...... 105 C :Notes relatives à ''l'école des Commissaires''...... 105 D :Pierre Pène, Gouverneur du Bade ...... 110 D :Avant-propos ...... 110 D :I Introduction...... 110 D :I.1 Pourquoi la France avait-elle une zone d'occupation en Allemagne ? ...... 111 D :I.1.1 moqueries et rumeurs allemandes concernant l'occupation française. ...112 D :I.2 Prise de contact ...... 112 D :I.2.1 Pène négocie son statut avec Laffon...... 112 D :I.2.2 Premières informations sur la ligne politique et sur la situation...... 113 D :1.2.3 Géographie économique du Bade ...... 113 D :I.2.4 Le château d'Umkirch...... 113 D :I.3 Le Bade-sud, ses villes, ses cercles...... 114 D :I.3.1 Les gouvernements allemands du Bade-sud et les crises franco-badoises...... 115 D :I.4 L'Allemagne en ruine...... 116 D :I.4.1 Fribourg en ruine...... 117 D :I.5 La sécurité...... 117 D :I.5.1 Propagande nazie et blanchiment des armées françaises...... 117 D :I.5.2 Ecoutes téléphoniques et mécontentement des Allemands...... 118 D :II Les restes et les relents du nazisme...... 118 D :II.1 Les Charniers et les autre victimes allemandes du nazisme...... 118 D :II.2 Heidegger, le philosophe...... 119 D :II.3 Le camp de Balingen, jugements et rééducation des nazis...... 120 D :II.4 L'affaire Tillessen, meurtrier de Erzberger, un allemand très influent...... 120 D :II.5 L'archevèque Gröber, Rauch, clémence catholique pour le nazisme...... 122 D :II.6 Pène assiste au procès de Nüremberg : ...... 122 D :II.7 Les généraux nazis parlent à nouveau...... 123 D :II.8 Le Dr Oskar Vogt, anti-nazi, mobilisé à 69 ans ! ...... 123 D :II.9 Schumacher n'est pas le bienvenu. Il dirige le SPD...... 123 D :II.10 L'anti-nazisme chez les badois...... 124 D :II.11 Méfiance et admiration vis à vis de l'Allemagne...... 124 D :III L'administration française en Allemagne occupée...... 125 D :III.1 La politique française en Allemagne, selon de Gaulle...... 125 D :III.1.1 L'évolution un peu chaotique de la politique française...... 126 D :III.2 La complexité de l'administration française...... 126 D :III.2.1 Commission d'enquête parlementaire...... 127 D :III.2.2 Pène calomnié : l'affaire Leibbrandt...... 127 D :III.2.3 Conflit entre Koenig et Laffon...... 128 D :III.3 L'attitude des occupants ...... 129 D :III.3.1 Des brutalités scandaleuses...... 129 D :III.3.2 Une administration pléthorique et des brimades de la population...... 129 D :III.3.3 Des anciens vichystes en Allemagne, des occupants qui se goinfrent...... 130 D :III.4 le Haut Commissariat produit un document confidentiel et très intéressant....130 D :IV Les réparations de guerre, le ravitaillement et les réfugiés ...... 130 D :IV.1 Le ravitaillement et l'affaire Dichtel...... 131 D :IV.2 Luttes ouvrières contre le ravitaillement insuffisant...... 132 D :IV.3 Les réparations de guerre, prélèvements et réquisitions...... 133 D :IV.3.1 Les réparations ...... 133 D :IV.3.2 Les démontages de machines 1946-1947...... 133 D :IV.3.4 Les Prélèvements de bétail...... 134 D :IV.3.5 Autres prélèvements...... 134 D :IV.3.6 Les frais d'occupation, les réquisitions et les abus des occupants...... 135 D:IV.4 Les réfugiés Allemands et les autres...... 135 D:IV.4.1 Les réfugiés et déportés dans le Bade-sud...... 136 D :V La reconstruction politique dans le Bade...... 136 D :V.1 La constitution du Bade...... 137 D :V.1.1 Le chapitre I droits fondamentaux...... 137 D :V.1.2 Le chapitre II Devoirs fondamentaux et la vie sociale ...... 137 D :V.1.3 Le chapitre III structure de l'Etat...... 139 D :V.1.4 Le chapitre IV : La protection de la Constitution ...... 140 D :V.1.5 Dispositions finales ...... 140 D :V.1.6 Discussions sur la constitution du Bade ...... 141 D :V.2 Le gouvernement élu du Bade-sud et le conflit des prérogatives et des prélèvements...... 141 D :V.3 La visite du secrétaire d'Etat aux affaires Allemandes et Autrichiennes, Pierre Schneiter...... 143 D :VI Le tournant de 1948-1949, la création de la RFA ...... 144 D :VI.1 La rencontre de Francfort...... 145 D :VI.1.1 Recommandations des commandant en chef alliés aux Allemands (Francfort)...... 145 D :VI.1.2 Les Allemands gardent l'espoir d'une Allemagne réunifiée, est et ouest...... 146 D :VI.1.4 Les Anglo-Saxons refusent la contre-proposition allemande...... 147 D :VI.1.5 Les Anglo-Saxons obtiennent des Allemands qu'ils rédigent la loi fondamentale...... 147 D :VI.2 La Réforme monétaire de juin 1948...... 147 D :VI.2.1 Marché noir, miracle économique ? ...... 148 D :VI.3 Les syndicats et les mouvements sociaux pendant le tournant...... 149 D :VI.3.1 Les conseils d'entreprise...... 149 D :VI.3.2 L'unité syndicale...... 150 D :VI.3.3 Les démontages de machines contestés de toute part en 1948-1949...151 D :VI.4 Le remplacement des gouvernements militaires par des Hauts-Commissaires152 D :VI.4.1 François Poncet arrive...... 153 VI.4.2 L'ambassadeur F. Poncet ne se montre pas très diplomate ! ...... 153 D :VI.4.3 Les nouveaux statuts de l'occupation ...... 153 D :VI.4.4 Les échanges acerbes entre François-Poncet et Schumacher ...... 154 D :VI.5 Relations entre Français et Allemands de 1949 à 1952...... 155 D :VI.5.1 Les frais d'occupation en 1949-1952...... 155 D :VI.5.2 Climat psychologique de la relation franco-allemande...... 156 D :VI.5.3 Vers l'union européenne par la coopération franco-allemande, de Gaulle...... 158 D :VI.5.4 Europa Union et le Conseil de l'Europe ...... 159 D :VI.5.5 l'organisation des fonctionnaires résistants en Allemagne (OFRA) ....160 D:VI.5.6 Les couples franco-allemands...... 161 D:VI.6 Alain Poher et les licenciements dans l'administration française...... 161 D :VII Relation avec les alliés, création de la RFA ...... 162 D :VII.1 La création de la RFA...... 162 D :VII.1.1 Wohleb contre le réarmement Allemand...... 163 D :VII.2 Relation avec les alliés,...... 163 D :VII.2.1 Une commission US et la crainte d'une attaque communiste...... 163 D:VII.2.2 Particularités de l'occupation françaises...... 164 D :VII.2.3 Relations avec les alliés américains...... 164 D :VII.3 La bataille perdue contre la fusion Bade-Würtemberg...... 165 D :VII.3.1 Les premières passe-d'armes, la pression américaine pour le Südwest- Staat (SWS)...... 165 D :VII.3.2 Vote pour ou contre SWS, l'archevêque soutient la reconstitution du Bade...... 167 D :VII.3.3 Des manœuvres contre le SüdWestStaat (Bade-Wurtemberg)...... 168 D :VII.3.4 Les oscillations de la Haute Cour Constitutionnelle...... 169 D :VII.3.5 Le Référendum décisif, défaite de ''l'Ancien Bade''...... 170 D :VII.3.6 Les débuts du SWS, nommé Baden-Württemberg (Bade-Wurtemberg)...... 171 D :VII.4 La question de Kehl...... 171 D :VII.5 La guerre froide, une peur panique ? ...... 173 D :VII.5.1 Les aérodromes militaires français ...... 174 D :VII.6 Résurgence du nazisme, l'exploit de Beate Klarsfeld...... 174 D :VIII Divers : la vie d'un gouverneur ...... 176 D :VIII.1 Les ingénieurs ...... 176 D :VIII.2 Des rencontres instructives...... 177 D :VIII.2.1 Von Choltitz...... 177 D :VIII.2.2 L'interrogateur de Hardy, qui a trahi ...... 177 D :VIII.2.3 Les forces Allemandes en 1939...... 177 D :VIII.3 Les activités, les voyages, les discours, …...... 178 D :VIII.3.1 Les tournées dans les cercles...... 178 D :VIII.3.2 Manifestations distrayantes...... 178 D :VIII.3.3 Rencontre de personnalités intéressantes. xxxxxxxx...... 178 D :VIII.3.4 Cérémonies religieuses et militaires ...... 179 D :VIII.3.5 Le mariage d'Annette...... 179 D :VIII.4 Un bilan ? ...... 180 D :IX Le Départ de Pierre Pène et des autres...... 180 D :IX.1 L'attachement de Pène pour le Bade ...... 180 D :IX.1.1 Pierre Pène et Leo Wohleb, ''nous avons fait quelque chose''...... 182 D :IX.2 La fin de la période badoise...... 183 D :IX.2.1 Qui voulait faire partir Pène avant l'heure ?...... 183 D :IX.2.2 Reclassement des résistants ...... 184 D : IX.3 Les adieux ...... 184 D :IX.4 Les démarches commencent à la poursuite d'un poste éminent ...... 186 D :IX.5 20 ans après ...... 186 E : Les 20 dernières années de la vie de Pierre Pène...... 188 E : Avant-propos ...... 188 E :I Les postes qui lui échappent ...... 188 E :II Assemblée générale de l'ONU, le rapport de Pène...... 189 E :II.1 Guerre froide à l'ONU ...... 189 E :II.2 Contre l'Apartheid ...... 191 E :II.3 Les colonies françaises dans le collimateur, la question tunisienne xxxxxxx....191 E :II.4 Le rapport de Pène sur l'usage des fond de l'ONU...... 193 E :II.5 Un peu de tourisme à New-York...... 194 E:III Super-expertise...... 194 E :III.1 Les ''malgré nous'' ...... 195 E :III.2 Les résistants des arrivistes et des voyoux ? ...... 195 E :III.3 La famille et l'exposition des tableaux de Françoise...... 195 E:IV Les Compangons de la Libération...... 196 E:IV.1 L'affaire Guingouin et la revanche de Vichy...... 196 E:IV.2 Tempête chez les Compagnons de la Libération...... 196 E :V Le Cabinet de Chaban-Delmas...... 198 E :V.1 Tremblement de terre à Orléansville ...... 199 E :V.2 Conférence européenne des ministres des transports et autres réunions...... 200 E :V.2.1 Réunion des rectifieurs de cylindres et de villebrequins...... 201 E :V.3 Menace de bureaucratie et réformes à faire...... 201 E :V.4 Remaniement ministériel...... 202 E :V.5 Plaque pour Jacques Henri Simon...... 202 E :VI Pène à Monaco ...... 203 E : VI.1 La blessure de Didier Pène, Le FLN algérien est-il un mouvement de résistance ? ...... 203 E :VI.2 L'enterrement de la voie ferrée...... 204 E :VI.3 La Principauté de Monaco, géographie et politique ...... 205 E :VI.3.1 Une Monarchie presque absolue ...... 206 E :VI.3.2 Piscine, terre-pleins et urbanisme...... 206 E :VI.4 Corruption, Pastor...... 207 E : VI.5 Pelletier et le départ de Pène...... 208 E :VII Pène Ingénieur Général des ponts et chaussées...... 209 E :VII.1 Les inspections particulières...... 209 E :VII.1.1 La liaison Méditerranée-Niger...... 209 E :VII.1.2 Les transports routiers et ferroviaires bretons...... 209 E :VII.1.3 Les scientifiques...... 210 E :VIII Les dernières années ...... 210 VIII.1 L'infarctus de Pierre Pène...... 210 E :VIII.3 Les positions politiques de Pène sous la 5ème République...... 211 E :VIII.3.1 La guerre d'Algérie...... 211 E :VIII.3.2 La guerre ''des 6 jours''...... 212 E :VIII.3.3 Mouvement de 68 et la suite ...... 212 E :VIII.3.4 Les obsèques de de Gaulle ...... 213 E :VIII.3.2 La mort du maréchal Kœnig...... 213 E :VIII.4 La vie de famille...... 213 E :VIII.5 Pène a beaucoup souffert...... 214 E :VIII.6 Reconnaissance tardive de la ville de Paris...... 215 E :VIII.7 Un homme hors du commun...... 215 Références ...... 217 Index des organisations et autres sigles utilisés...... 222 OFRA : organisation des fonctionnaires résistants en Allemagne, crée en 1947, fonctionnaires de la ZFO...... 225 Index des noms :...... 226 Notes : {n} est le numéro de la note dans le texte, ...... 237 REMERCIEMENTS...... 238

Introduction La vie de Pierre Pène mérite certainement d'être racontée. Ce fut une vie hors du commun. Il est né le 10/11/1898 dans une famille de classe moyenne modeste. La France voulait sa revanche de la défaite de 1870. Il a fait des études brillantes, fut admis à l'Ecole Polytechnique en 1917 et comme tous les autres envoyé au combat. Il est sorti de l'Ecole Polytechnique ingénieur des ponts et chaussées. À Grenoble il rencontra Françoise Lévy-Neumand qu'il épousa. Il fut nommé à Madagascar, alors une colonie française. De retour de Madagascar il fut envoyé au Abyssinie (Ethiopie) pour conseiller et aider le Négus, le ''roi des rois'' sur les travaux publics dans ce grand pays. Rentré en France il est nommé ingénieur à Soissons. En 1939 il est mobilisé dans l'artillerie, il est désespéré par l'immobilisme de la ''drôle de guerre''. ''L'étrange défaite'' de 1940 le désespère. La capitulation de Pétain le met hors de lui. Le régime de Vichy le révulse d'autant plus que sa femme étant juive la ''collaboration'' avec les Nazis leur paraît monstrueuse. Il rejoint donc la Résistance. C'est une troisième guerre contre l'Allemagne occupante, une guerre secrète du faible au fort, une guerre asymétrique. Il rejoint le mouvement ''Organisation Civile et Militaire'' (OCM) de la Résistance et fonde un groupe dans le département de l'Aisne. Repéré dans l'Aisne par la Police Nazie (Gestapo) il part à Paris où on le nomme à la tête des ''Forces Françaises de l'Intérieur'' (FFI) de la région parisienne. Arrêté, torturé, il parvient à s'évader le 10/6/44. Il apprendra qu'il devait être fusillé 15/6/44. De Gaulle le nomme Compagnon de la Libération. Il est nommé Commissaire de la République pour la région de la Picardie et des Ardennes. Le voici chargé d'une tâche administrative de haut niveau, à laquelle il n'avait pas été préparée. En 1946 il doit quitter ce poste qui a été supprimé et on le nomme ''gouverneur'' du Bade-Sud occupé par la France. Il faut aider ces Allemands, qu'il a tant combattus, à se reconstruire démocratiquement. Il y restera 6 ans et se réconciliera avec eux. Sa vie ultérieure est moins prestigieuse mais elle l'amènera à participer à une assemblée générale de l'ONU, au ministère de Chaban-Delmas, à conseiller le Prince de Monaco pendant 5 ans, puis, revenant à son métier initial à inspecter des ingénieurs de ponts et chaussées dans toute la France. La fin de sa vie fut très douloureuse. Il est décédé le 20/4/1972. Ce bref résumé nous le montre : sa vie était émaillée d'aventures, d'expériences originales, de ''bruit et de fureur''. Il a fait preuve d'un immense courage, cet homme d'origine modeste a fréquenté les ''grands de ce monde''. Il jouait un rôle historique, et en suivant son parcours nous en apprenons beaucoup sur l'Histoire du 20ème siècle. Françoise et Pierre Pène, qui avaient miraculeusement survécu à l'occupation nazie, ont eu quatre enfants, et au total une postérité de 31 personnes vivantes aujourd'hui. Les enfants se nomment Annette, Florence, Didier et Olivier. Sources d'information, notations et conventions Pierre Pène nous a laissé un assez grand nombre de documents, de journaux personnels, d'études et d'analyses, et aussi des livres qu'il a lus. Ces documents laissaient quelques trous, souvent ils nécessitaient des compléments. Nous avons donc consulté des livres et articles qui ont étudié ces périodes, des documents d'archives, des souvenirs personnels, et des informations accessibles sur internet. Nous donnerons à la fin du livre, dans la section ''Références'' les références utilisées, le numéro de la référence étant entre crochets : [n]. Les notes seront aussi numérotée mais entre des accolades {n}, et écrites en fin de livre dans la section ''Notes''. Lorsqu'une citation nécessite quelques informations complémentaires, celles-ci seront insérées entourées d'accolades : {….}. Les sigles seront explicités en fin de livre dans la rubrique ''Index des organisations et autres sigles usuels''. De nombreuses personnes sont citées, les plus notoires auront un bref rappel de leur biographie en soulignant ce qui est relié à notre récit, dans la section ''Index des noms''. Nous avons été amenés à faire appel à des historiens ou d'autres personnes pour nous éclairer. Nous les citerons et les remercierons. Réciproquement nous pensons que la vie de Pierre Pène, de par sa position en ''première ligne'' peut éclairer des points de l’histoire du 20ème siècle. Nous insisterons précisément sur ces moments de sa vie où il était aux premières loges et où il devait prendre des décisions d'importance. Nous découpons la vie de Pierre Pène en cinq parties. La partie A portera sur ses origines, son enfance, sa vie et ses combats, jusqu'à la capitulation de Pétain. La partie B (comme''bataille'') décrira sa résistance et celle de ses compagnons proches. La partie C (comme Commissaire) parlera de son rôle en tant que Commissaire de la République. La partie D (comme Deutschland) décrira son activité comme ''gouverneur'' du Bade-sud. La partie E parlera du reste de sa vie qui n'est pas dénuée d'intérêt. A : Pierre Pène jusqu'en 1940 L'essentiel de cette partie provient des souvenirs de Florence, étayés par ceux d'Annette. La première personne du singulier désignera Florence. A :I L'enfance de Pierre Pène Pierre, né le 10 mars 1898 dans le 13ème arrondissement de Paris, était le deuxième des trois enfants de Jean Marie Louis Pène et de Marie Armande Alice Bétille. Louis, né le 18 mars 1859 a Paris, était employé à la compagnie du Chemin de Fer d’Orleans, et Alice, née le 7 septembre 1862 à Neuilly, était professeur de piano. Chacun était donc déjà parisien, et appartenait à la petite bourgeoisie. Les racines de Louis étaient au pied des Pyrénées, où la maison ancestrale existe encore à Cier de Rivière. Les racines d’Alice étaient en Normandie, dans un village au joli nom de ''La Neuville chant d'Oisel''. Des amis les avaient fait se rencontrer, nous ne savons pas qui, où, ni quand. Ils se marièrent à St Cloud en avril 1893. Ils passaient le plus gros de l'année à Paris, au 1, rue de la sœur Rosalie dans le 13 ème arrondissement, mais fuyaient à Cier de Rivière dès que leurs fils étaient en vacances, sans se soucier de leur fille Clotilde, la plus jeune, dont les vacances commençaient souvent un peu plus tard. Ils pouvaient vivre ainsi car Louis était en semi-retraite de bonne heure, en repos de maladie…maladie que les docteurs ne comprenaient pas. Les symptômes ressemblaient apparemment à ceux de l’alcoolisme, qui cependant n'en n'était pas la cause. Sa ''maladie'' ne l’empêcha pas de vivre presque jusqu’à 80 ans. Son congé de maladie était une bonne chose pour les vacances, mais pas pour les revenus, diminués au moins de moitié…et les principes macho de Louis lui faisaient interdire à Alice de pratiquer son métier. Ils vivaient donc assez chichement, et le pauvre Pierre était blessé d’être envoyé tous les matins acheter ''3 sous de pain fantaisie rassis''. Henri, l'ainé, né le 26 aout 1894, était apparemment très vivant, parfois catastrophique, se faisant tomber une cuisinière dessus quand il avait à peu près 18 mois. Plus vieux, il courait dans les bois, chassait, mangeait les fruits des voisins, faisait enrager ses parents et la pauvre Clotilde qu’il taquinait sans merci. Pierre, né le 10 mars 1898, était plus calme, mais faisait parfois les mêmes bêtises avec son frère. Florence a entendu parler du jour ou les deux garçons, punis (qu’avaient-ils fait ?), se sont installés sur les deux piliers de chaque coté de la grille d’entrée de la propriété. Ainsi, les Cierrois qui passaient devant la maison en menant leurs vaches aux champs les voyaient et leur demandaient ce qu’ils faisaient là. Ils se plaignirent de leurs parents de façon si convaincante que ceux-ci durent les faire rentrer. Les enfants organisaient aussi des courses de tortues, leurs animaux domestiques. Pour pouvoir suivre leur course dans l’herbe qui les aurait rendues invisibles, ils avaient attaché à chaque tortue une quille de couleur différente. Ils s’amusaient bien de la tête des visiteurs qui voyaient les quilles avancer lentement dans l’herbe, apparemment de leur plein gré. A l'époque, avant la première guerre mondiale, le village de Cier était vivant, bien peuplé. Les trois enfants étaient très bons élèves en classe et il y a encore à Cier un bon nombre des prix qu’ils gagnèrent, de beaux livres reliés de rouge, à tranche dorée. Henri était extrêmement doué pour le dessin, et rapportait de ses tournées en forêt de ravissants croquis d’animaux et de fleurs. Il se destinait d’ailleurs à devenir dessinateur industriel. Hélas il ne survivra pas à la guerre ! Pierre était plus brillant en classe que son frère, et plus sérieux, probablement plus ambitieux. Il était le chou- chou de ses parents, et donc pouvait se permettre de protéger sa petite sœur. Il la protégea non seulement quand, petite, elle se faisait houspiller par Henri, mais aussi plus tard. Quand, fatiguée d’être toujours considérée et traitée à la maison comme valant moins que ses frères, elle décida de faire des études de physique. Son père refusa, disant ''Tu te marieras, et n’as pas besoin d’un métier'', Pierre intervint, démontrant à son père qu’elle était aussi intelligente que lui et méritait de faire ce qu’elle voulait. Elle avait un fiancé qui est, lui aussi, mort à la guerre. Plus de la moitié des jeunes gens français de sa génération étant morts à la guerre, elle ne se maria jamais. Heureusement qu’elle était ingénieur et put gagner sa vie correctement. Dans le grand amphi de la Sorbonne les filles étaient une infime minorité en ce temps. Il y avait Ève Curie, et Denise Quivy qui devint une grande amie de Clotilde et de toute la famille. On raconte que quand Clotilde descendait les marches de l'amphi avec Denise Quivy, la foule masculine murmurait ''clo-clo-clo'' car ''Clotilde'' était souvent résumée à ''Clo'' et nous l'avons d'ailleurs toujours appelée ''tante Clo''. Denise Quivy hébergera Annette, Florence, Jeanine Molaye (la bonne) et Olivier dans sa maison de Bures- sur Yvette pendant l'occupation. Elle servira aussi de ''courroie de transmission'' quand Pierre, totalement clandestin, voulait communiquer avec sa famille. Pierre n’était cependant pas un saint. Un jour, il tomba saoul sur le paillasson devant la porte de l’appartement où son père le trouva le lendemain matin. Il était peut-être déjà lycéen, ou au delà. Vivant dans le 13ème arrondissement, il n’aurait pas dû aller au lycée Henri IV. Mais sa mère voulait qu’il y fasse ses études, car cet établissement avait la meilleure réputation. Elle alla voir le proviseur, insista et lui promit que s’il acceptait Pierre comme élève, il ne le regretterait pas. En effet, Pierre y fit des études brillantes, passa les deux baccalauréats disponibles à l’époque (science et lettres) avec mention, et fut accepté à l’Ecole Polytechnique et bien classé. Après le concours il fut mobilisé comme toute sa promotion. Nous parlerons plus tard de sa guerre. Avec les autres de sa génération il n'entra à l'Ecole Polytechnique qu'en 1920, on appelait cela la ''promotion 1920 spéciale''. Là aussi, bien qu’étant peu à l’aise parmi les autres jeunes gens qui venaient de milieux plus prospères, il eut d’excellents résultats, finissant ''dans la Botte'', c’est-à-dire parmi les 20 premiers. Il choisira de poursuivre ses études dans le corps des Ponts et Chaussée. C’est sans doute à cette époque que, pour gagner un peu d’argent de poche, il fit de la figuration au théâtre. Il était bel homme et en tirait vanité, se présentant dans certaines photos de groupe sous ce qu’on lui avait dit être son meilleur profil (alors que tout le monde y est de face). En novembre 1917, on envoya sa promotion combattre, Pierre comme sous-lieutenant d’artillerie coloniale.

A :I.1 Les ancêtres, ''grand-mère-fais-tes-règles''. Pendant leur enfance, l’atmosphère familiale était affectueuse, mais la discipline régnait, sous l’autorité de la redoutable « grand-mère-fais-tes-règles », Pierrette née Dufor, la mère de Louis. Ainée de 12 enfants (dont Annette et Florence ont connu au moins le plus jeune, Omer, grabataire), elle s’arrangea pour n’en avoir qu’un, Louis. Elle fit tout son possible pour faire sortir de leur pauvreté ceux de ses frères qui en avaient l’ambition. Au moins un de ses frères est devenu curé, un autre officier (ou sous-officier), etc… Elle avait passé un peu de temps avec chacun d’eux à Paris pour les aider à s’adapter. Quand son mari Augustin (qui l’avait épousée à son retour de la guerre de Crimée) mourut, au tournant du siècle, elle vint vivre chez Louis et Alice, et devint le gendarme des enfants. Dès qu’elle en voyait un lever les yeux de ses devoirs du soir à la table de la cuisine, elle lui disait gravement « Fais-tes-règles », ce qui devint son sobriquet. Comme elle occupait ce qui aurait été la chambre de Clotilde (née le 3 avril 1900), celle-ci dormait dans la chambre de ses parents…jusqu’à la mort de sa grand-mère, 14 ans plus tard ! Bonne méthode de contrôle des naissances. Quand j'ai vu Alice, ma grand-mère, pour la première fois, en 1933, elle avait déjà 71 ans, et avait eu au moins un ou deux AVCs. Elle était gentille, mais assez ronchon, et on sentait toujours une légère désapprobation de sa part. Annette la faisait enrager et Alice, peu agile, lui courait après autour de la table de la cuisine de Cier, scène assez comique. Annette à 9 ans était peu habituée à des femmes âgées et elle ne parlait pas bien le français, élevée à Madagascar dans le langage local. Les parents nous ont dit que, jeune, Alice avait été très drôle, faisant par exemple des imitations parfaites de personnages politiques, etc… Elle et Louis semblaient bien s’entendre. Il était doux et discret. Il lisait beaucoup, un peu de tout, mais s’intéressait particulièrement à la géographie et au jardinage. Il avait fait des greffes intéressantes aux arbres fruitiers qu’il avait plantés dans le pré de Cier. Le pré de Cier était au milieu du 20ème siècle une vrai merveille et on le devait à Louis. Etait-ce lui qui avait participé à la conquête de la Tunisie et, en étant tombé amoureux, avait demandé (en vain) à ses parents de lui prêter 10.000 francs or pour acheter la Baie de Tunis ? Je le crois bien. Il en avait ramené entre autres les bambous qui, plantés près de la maison de Cier, nous servaient de tonnelle quand nous y étions. Le bambou est très vivace et, bien que certains ont été arrachés, ils ont proliféré, au point qu'ils ont envahi la rue longeant la propriété, au grand dam de la Mairie qui exige de les arracher en 2019. Louis aimait aussi la musique, il avait joué du violon et, ne pouvant s’offrir d’aller au concert quand il était à Paris, il aimait écouter les concerts en plein air offerts dans les jardins publics. Louis et Alice avaient des amis, avec qui ils se rassemblaient régulièrement, et jouaient aux cartes, bavardaient, etc… Je me souvient seulement des Petiqueux. Il était importateur de choses asiatiques, surtout chinoises, ce qui explique les dieux et les vases chinois que nous avions. Ce qui impressionnait le plus chez eux était un tableau animé, contenant créatures et personnages qui bougeaient et faisaient de la musique. Je ne sais pas si Pierre aimait ces choses. Il n’y avait pas de grandes réunions familiales, Louis et Alice étant tous deux enfants uniques. Le père de Louis, Augustin, avait été l’ainé de 4 ou 5 garçons. La loi de l’époque permettait de donner la ferme, à la mort des parents, entièrement à l’ainé. Une petite ferme n'était pas partageable. La loi actuelle demande une compensation pour les autres. Etait-ce déjà le cas ? En tout cas ils ne pouvaient pas facilement trouver du travail dans leur région. C'était l'époque du ''gold rush'' (ruée vers l'or) en Amérique, particulièrement en Californie. Ses frères sont donc tous partis pour la Californie, pendant le « gold rush ». J'ai rencontré certains de leurs descendants quand je suis allée en Californie pour la première fois en 1954, à la fin d'une année à Columbia University. Ils m’ont reçue très gentiment. Ils nous avaient envoyé des colis à la libération : du savon, du chocolat, des vêtements. Une grand-mère, plus tard, m'expédiait des vêtements qu’elle cousait pour les poupées de ma fille Kay. Pourquoi Augutin est-il venu à Paris ? Il semble qu'il est venu pour l'exposition universelle de 1889. Q'y a-t- il fait ? Nous l'ignorons. C'est en tout cas vers cette date qu'ils ont loué l'appartement du 1 Ave de la Sœur- Rosalie, près de la place d'Italie, dans un immeuble qui existe toujours. C'est là que sont nés les trois enfants de Louis et Alice : Henri, Pierre et Clotilde. La mère de Louis, Pierrette « grand-mère-fais-tes-regles », avait de nombreux frères et sœurs, surtout à Cier, où les pauvres travaillaient fort en été. Quand Pierre et sa famille y étaient, les aidaient-ils aux champs ? Je ne sais pas. Je n’en n'ai pas l’impression sauf peut-être quand un orage menaçait et qu'il fallait rentrer l’herbe très rapidement (chose qu’Annette et moi avons faite à l’occasion). À Cier, la famille avait la réputation d’être ''riche''. Ils apportaient des livres, que quelques-uns des paysans empruntaient ensuite. La famille d’Alice est un mystère pour nous. Alice n’avait ni frère ni sœur et quand Pierre et Clo sont allés dans le village normand pour dire bonjour à leurs cousins, ils ont été reçus très froidement. Mais alors, qui est cette femme dont il y a une photo dans la chambre du fond à Cier, assise en crinoline, tenant un parasol à manche d’ivoire ? Quel est son nom ? Elle n’avait pas d’enfants, mais avait de l’affection pour Clo, à qui elle donnait de jolis bijoux. Clo a reçu d’elle l’affection que ne lui exprimait pas sa mère, concentrée sur les garçons. Clo la considérait comme une tante. Il y avait aussi un petit portrait miniature portable sur bois d’un jeune homme en costume militaire période Napoleon III, sans doute son mari…. Mais qui donc était-il ? Etait-il le Victor, l'oncle Totor, dont Pierre portait le nom en second et qui était son parrain ? Pierre Victor Pène détestait ce second prénom, car il considérait qu’il lui avait été donné par flatterie, et avec l’espoir d’un héritage. C’était clairement des gens beaucoup plus à l’aise que la famille Pène, parents d’une façon ou d’une autre. Mystère. À un moment, d’ailleurs, quelqu’un mourut et il y eut une vague attente de fonds qui débarqueraient soudainement, attente qui fut frustrée. Les Mellis, ancêtres maternels de grand-mère Alice, ''famille Mellis- Bétille'' sont au cimetière de Thiais. Mme Tiercin, une des tantes de Grand-mère Alice décédée en 1909 est au cimetière d'Asnières. Françoise Pène parlait beaucoup, Pierre parlait peu. Cela explique les lacunes de nos connaissances au sujet de ses ancêtres. Il y eut pourtant des moments où Pierre et tante Clotilde, décontractés autour de la table du diner, se remémoraient leur jeunesse. Ils riaient énormément, dans ces moments bénis.

A :II La guerre de 1914

A :II.1 Son frère Henri mort pour la France Henri, avait 20 ans au moment de la déclaration de guerre en 1914. Nous ne possédons pas son livret militaire, nous ne pouvons pas en dire beaucoup sur sa guerre. Il fut grièvement blessé à la bataille de la Somme en 1916. Sa colonne vertébrale fut sectionnée par un éclat d'obus, il fut paralysé à partir de la taille, pendant deux ans. Il mourut le 27 avril 1918 pendant la dernière grande offensive allemande, croyant la guerre perdue. Il avait 23 ans. Il avait dit parfois à ses parents qui lui rendaient visite aux Invalides (bâtiment utilisé à l’époque selon ce que son nom indiquait) ''si vous m’aimiez vraiment, vous me laisseriez mourir''. Il devait aussi se sentir coupable d’avoir tant taquiné Clotilde et lui fabriqua un beau sachet à linge, que Florence a encore. La façon dont il avait atterri aux Invalides était intéressante. Selon ses papiers, il avait d’abord été envoyé dans un quelconque hôpital de la région de Toulouse. Ce n’était pas du tout pratique pour ses parents qui passaient la plus grande partie de l'année à Paris. Ils firent donc mille démarches pour essayer de le faire transférer a Paris, sans succès. Un jour, ils se plaignirent de ce problème à la postière de Cier, qui leur dit ''Ne vous faites pas de souci''. En effet, Henri partit peu de temps après pour Paris et les Invalides où il resta jusqu’à la fin. Qu'avait fait la postière ? Nous avons donc un oncle que nous n'avons jamais connu. Sa mère Alice, a décidé de ne plus porter d'autre couleur que le noir pour que nul (Dieu surtout) n’ignore son chagrin. Pierre en garda une sainte horreur des vêtements noirs. Clotilde aussi a été très affectée par cette mort, la pire des morts puisqu'elle fut précédée d'une longue souffrance. Le 27 avril 1918 Pierre était encore au front quand son frère mourut, et il ne put donc pas se rendre à ses obsèques. On a du mal à imaginer ce que ces générations ont souffert ! Ajoutons que le beau-père de Pierre, le père de Françoise Pène, Armand Lévy-Neumand, est mort en 1915 des conséquences de l'exposition aux gaz de combat.

A :II.2 Pierre Pène capitaine d'artillerie pendant la guerre de 14-18 Le 16/4/1917 il était incorporé au 3ème Régiment d'Artillerie Coloniale. Il fut nommé aspirant le 25/12/17. En janvier 1918 il était au front à la tête de la 6 ème batterie d'artillerie. Le 28 juillet 1968 Pierre Pène écrivait dans son journal ''Il y a 50 ans, à 4h35 je tirais un des premiers coups de canon de l'offensive Mangin contre le flanc ouest de la poche de Château Thierry ; le succès se dessinait très vite : dés 10h la division annonçait la capture d'obusiers de 210, mais les Français ne sauront pas refermer complètement la nasse et transformer un succès incontestable en un triomphe comme Stalingrad''. Il faut dire qu'à Stalingrad Hitler a aidé les Soviétiques en interdisant au général Von Paulus de faire retraite. En janvier 1919 Pierre Victor Pène a été cité à l'ordre de sa Division, ''Jeune officier plein d'allant s'est signalé à plusieurs reprises dans les combats d'avril à septembre 1918 par sa crânerie au feu. Le 18 octobre, sur un parcours vu de l'ennemi, a dirigé avec un remarquable sang-froid et en dépit d'un bombardement intense en obus toxiques l'installation d'une ligne téléphonique allant à un observatoire avancé'', signé ''le Colonel Commandant la 127ème D.I.{Division d'Infanterie}''.

A :III Les voyages de Pierre

A :III.1 Le mariage avec Françoise Après Polytechnique, Pierre choisit d’aller à l’Ecole des Ponts et Chaussées. Il faisait un stage d’hydrologie à Grenoble en 1924-25, où il rencontra Françoise. Celle-ci raconte dans ses mémoires [24] leur rencontre, leur première dispute, et finalement leur réconciliation. Françoise était juive, et Pierre d'une famille catholique. Pourtant le mariage de Pierre et Françoise ne créa pas de remous dans leurs familles, malgré les mondes différents d'où ils venaient. La mère de Françoise, Hélène, avait aimé un jeune goy (non juif) que son père ne lui avait pas permis d’épouser, et elle n’aima jamais son mari, qui le lui rendit. Les parents de Pierre, assez conservateurs mais tolérants, n’avaient contre Françoise que sa religion, qu’elle accepta de changer. Donc, pas de problème. La famille de Françoise, qui avait été très raffinée, était appauvrie maintenant, son père n’ayant pas été doué pour les affaires et étant mort à la guerre en 1915. La famille de Pierre, qui avait été pauvre, montait de niveau. Ils se sont retrouvés à la jonction de ces deux mondes, et sont partis à l’aventure…une aventure soutenue par les diplômes de Pierre. Jean Richard Bloch, un cousin de Françoise, a écrit un roman ''Et Compagnie'' (Gallimard) inspiré de la réalité, où un mariage entre un juif et une catholique est rendu impossible du fait de la pression de la famille juive. Donc pour Françoise et Pierre cela s'est bien passé. Leur vie a été tumultueuse, Pierre a eu des aventures extra- conjugales, mais au moment de mourir il a dit à sa fille Annette n'avoir vraiment aimé qu'une seule femme, Françoise. Comme la pauvre Alice avait souffert sous la férule de sa belle-mère, elle fut très gentille avec sa bru, en fait trop affectueuse pour le goût de celle-ci, qui, bien que l’appréciant, lui reprochait quelques autres travers : son manque de coquetterie. Elle avait un corps lourd, des cheveux rares, plats et graisseux, tenus dans un filet. Alice avait son « jour » le lundi, jour de lessive. Elle ''recevait'' donc en tablier, courant parfois vérifier ou en était sa lessiveuse. La lessiveuse de l'époque, dit Annette, envoyait l'eau en l'air et elle retombait en pluie. Il convenait donc de la surveiller en permanence. La lessive se faisait encore dans les campagnes au bord du ruisseau. Alice était moderne, elle avait une lessiveuse ''champignon''. L'eau était chauffée par en dessous, cela la vaporisait, la pression de vapeur faisait monter l'eau qui se déversait sur le linge. Françoise reprochait non pas à Alice sa cuisine excellente (spécialement son canard aux navets et olives) mais le fait qu'elle la faisait, par économie, à la margarine. Elle lui reprochait son manque de goût. Sa maison contenait de nombreux bibelots très laids. Et aussi sa religiosité : Il y avait à Cier plusieurs prie-dieu, plusieurs chapelets. Elle avait fait promettre à Françoise, convertie à sa demande, d’élever ses enfants dans le catholicisme, ce que Françoise fit…religieusement. Après la mort d’Alice en juillet 1942, Françoise, avec l’autorisation de Clotilde, fit un feu de joie de toutes les ''horreurs'' qui s’amoncelaient à Cier (dont plusieurs étaient grandement admirées par moi, surtout une cloche de verre protégeant une collection de beaux oiseaux tropicaux de toutes les couleurs, et même un crocodile, suspendu au plafond du palier du premier étage) : c’était un tas plus grand que Françoise qui fuma pendant plusieurs jours. Travaillant à côté, elle fit ensuite gratter par ses filles et enlever tous les papiers peints, nettoyer et peindre les murs.

A :III.2 Ingénieur des ponts et Chaussées à Madagascar A Madagascar, où Pierre faisait fonction d’ingénieur des Ponts, les parents se lièrent avec les Dalin, Germain Dalin étant du même âge qu’Annette. Monsieur Dalin, très vieux jeu, eut à un moment des problèmes d’argent (je crois qu’il faisait du commerce de vins entre autres) et j’ai cru comprendre que les parents les avaient aidés, d’où « lamitiékinouli », fréquemment citée par madame Dalin et qui devint son sobriquet. Antoinette Dalin avait donc dû travailler. Elle était intelligente et courageuse, et fit les études idoines. Pendant la guerre, elle était secrétaire particulière du préfet de police de Paris, et nous aida quand ce fut nécessaire. Clo et moi étions bien contentes de parfois utiliser la loge du préfet au théâtre (les parents s’étaient juré de ne pas mettre les pieds dans un théâtre aussi longtemps que nous serions occupés par l’ennemi). Heureusement, monsieur Dalin ne fit pas de vieux os, et nous restâmes amis avec le reste de la famille. Mme Dalin voulait bien, sous l'occupation, aider les enfants Pène en tant que juifs et elle a trouvé une cachette pour Annette et Florence. Mais elle avait peur d'aider un Résistant. Elle interrogeait avec inquiétude ''Franchement, Annette, ton père fait-il de la Résistance ? - Mais non, je ne pense pas...'' répondait Annette, très habile à jouer l'ignorante. Parlant de l'aide apportée à Monsieur Dalin, il faudrait mentionner la générosité discrète des Pène. Alors que nous nous serrions sérieusement la ceinture (au point, à certaines périodes, de tous nous baigner dans la même eau), les parents donnaient de l’aide à qui en avait besoin, sans en parler… les Dalin, le jeune garçon blessé en Allemagne par une mine malencontreuse, et bien d’autres… mais bien d’autres nous ont aussi aidés, grâce à quoi nous avons survécu. Pierre Pène était d'une honnêteté scrupuleuse, il a rendu les ''fonds secrets'' non utilisés en quittant l'Allemagne. Cela a surpris. Annette est née à Madagascar.

A :III.3 Ingénieur en chef en Abyssinie, aujourd'hui nommée Éthiopie 1930 à 1933 Pène fut ingénieur en chef des travaux publics d'Éthiopie du 28/3/1930 au 27/8/1933. En Éthiopie, Pierre était employé par Haïlé Sélassié, au couronnement duquel ils avaient été invités à leur arrivée, comme responsable des travaux publics…qui incluaient, en plus des routes et ponts, la construction de quelques églises chrétiennes orthodoxes. La-bas les parents avaient les relations les plus cordiales avec les Anglais et une Russe, mais leurs meilleurs amis furent les Garicoïx. Basques comme leur nom l’indique, ils étaient un peu une réplique des Pène, lui digne, silencieux et férocement patriote (il mourut assez jeune ) ; elle, exubérante et très bavarde, tenait les parents au courant des bobards du coin. Eux aussi sont restés nos amis jusqu’au bout. Annette et Florence ont rendu visite à leur fille ainée Maïten, très malade et alitée, il y a quelques années seulement. Annette allait à l'école ''Tafari makonen'' dont les Garicoïx étaient les directeurs et les professeurs. Il y avait dit-elle, des petits blancs comme elle et des abyssines de la haute société, grosses car c'était un signe de prospérité sociale. Les deux clans se disputaient, les aristocrates abyssines se considérant comme supérieures. Un jour Annette se promenait avec le ''boy'', les Garicoïx et la petite Marguerite Garicoïx, qu'elle appelait ''Guiguite''. Un type passe, attrape Marguerite et se sauve avec elle sous le bras. Le boy a eu le réflexe de lui jeter des pierres, et le voleur a lâché l'enfant. Françoise [24] raconte d'autres épisodes illustrant la tension qui régnait dans ce pays : un jour, Annette allant à son école avec le boy et un cheval, un policier arrête le boy et le cheval en prétendant les avoir vus galoper, ce qu'Annette dément. Le policier cherchait à monnayer sa ''prise''. Il sera puni de trois mois de prison du fait de la position de Pierre Pène. Françoise mentionne l'attitude menaçante des Italiens en Ethiopie. De fait en 1935 Mussolini attaquera l'Éthiopie. Les Italiens gagneront cette guerre, contrairement à la défaite subie en 1896 et qui avait fait de l'Éthiopie le seul pays non colonisé d'Afrique. Pendant cette guerre, on demandait à Pierre Pène de parler de ce pays qu'il avait quitté deux ans auparavant. On peut trouver différents documents dans la référence [155].Un texte détaillé et intéressant sur ce pays complexe se trouve référence [156]. Florence est née en Éthiopie ce qui favorisera son mariage avec un Américain, Pete Rosenberg, car peu d'éthiopiens voulaient s'établir aux USA alors que pour les français la liste d'attente était longue.

A :IV Retour en France

A :IV.1 Paris 1933-1936, le conseil des Ponts et Chaussées Le 1/3/34 Pène est nommé secrétaire de la 1ère section du Conseil Général des Ponts et Chaussées. Quand et comment les parents se sont-ils liés d’amitié avec les David ? Il était un artiste, et lui et sa famille pique-niquaient souvent avec nous dans les forêts de la région de Soissons lorsque nous habitions là-bas. Leurs filles avaient à peu près nos âges. Quand et pourquoi ne les avons-nous plus vus après Soissons ? mystère. J’ai un faible souvenir qu’ils sont peut-être partis à l’étranger…peut-être étaient-ils juifs ? À part cela, les meilleurs amis des Pène à Soissons étaient les Roy, les Deshayes et, avec réserve, les Touzé. Il y en avait d’autres moins intimes. Françoise organisait des réceptions dansantes, car nos parents croyaient bien danser (Pierre admirait beaucoup Fred Astaire à qui il ressemblait un peu). Elle aimait aussi les réunions déguisées, que Pierre détestait. Pierre était toujours très discipliné. Il ne manquait jamais sa gymnastique quotidienne. Il s’en est bien réjoui quand, se trouvant en prison à l’âge de 46 ans, il fut capable, lorsqu’on lui avait mis les menottes dans le dos, de les passer devant, ce qui était bien plus pratique et confortable, et de les remettre en arrière quand il entendait des bruits de pas dans le couloir. Pendant un été froid où nous étions à la plage de Wimereux, tous grelottant sur le sable, Je le revois encore, marchant dignement, toujours bien droit, vers la mer glaciale et faisant sa natation obligatoire…mais il ne nous y poussait pas. D’où tirait-il sa passion pour le sport ? Personnellement, je crois, surtout de son patriotisme. Il fallait des citoyens sains pour sauver la France. Quand quelqu’un lui demanda quelle qualité serait primordiale dans son choix d’une épouse, il répondit : la santé. Son principe était qu’il fallait faire 4 enfants : 2 pour remplacer les parents, un pour mourir à la guerre, et un pour repeupler la France. Il y mit le temps, mais il le fit…. Et nous ne sommes même pas morts pour la France ! ….mais j'émigrai ! Pour un homme si plein de principes, il était remarquablement souple en ce qui concernait ses enfants. Quand il rentrait, fatigué, du travail, et Françoise lui demandait de nous punir pour une raison ou une autre, on pouvait voir que la tâche ne l’enthousiasmait pas du tout. Il ne s’exprimait pas, mais je sentais son affection. Quand nous montions, le soir, nous coucher, il nous embrassait sur le haut du crâne, mais toujours avec réserve, sa grande peur étant que nous fassions un mouvement brusque et lui cassions les dents. Car il était fier, non seulement de son bon profil, mais aussi de ses bonnes dents, régulières et bien rangées, chose rare à l’époque en France. Il disait parfois : ''tu sens le chien mouillé''. Quand il rentrait du travail, il montait dans sa chambre, enlevait son veston et mettait une veste d’intérieur pour être plus à l’aise (Tous les soirs avant de se coucher, il mettait son pantalon sous le matelas pour conserver le pli) puis il descendait diner avec nous. Plus jeunes, les parents avaient laissé leurs enfants diner séparément, avec les domestiques. Malheureusement, quand ils rentrèrent en France en 1933, la pauvre Annette dont le meilleur camarade de jeu à Addis-Abeba avait été le ''boy'' du cuisinier (l’esclave qu’il avait acheté avec son premier salaire), eut du mal en classe, sachant à peine parler français. Après cela, les enfants Pène dinèrent avec leurs parents, de préférence sans parler. Pendant ces quatre années à Paris 1933-1937, ils habitaient rue Alexandre Cabanel dans le 15ème arrondissement. Je n’ai gardé de cette période que de très vagues souvenirs : Françoise, très habillée, et sentant bon, nous disant bonsoir au lit avant de sortir; la bonne russe soulevant les couvercles des casseroles pour sembler occupée quand elle entendait Françoise arriver, la même bonne nous rapportant des colifichets des bals ou elle allait; Annette me quittant pour l’école; la naissance de Didier, bébé rouge de colère, couvert de sueur et hurlant; ma peur de me perdre lorsqu’on m’envoyait faire une course… Pierre et Françoise Pène, heureux d’être à Paris dans cette période folle de l’entre deux guerres, en ont profité à fond: théâtre, chansonniers, boui-boui louches, dancings élégants, ils sortaient tout le temps. Et puis ils ont réalisé que leurs économies, à ce rythme-là, fondaient. C’est pourquoi Pierre a cherché un job en province, et qu'ils ont atterri à Soissons.

A :IV.2 Soissons 1936-1939 ingénieur en chef d'arrondissement. Le 1/3/36 Pierre Pène est nommé ingénieur chef d'arrondissement à Soissons . Florence raconte que ''De 1936 a 1942, notre résidence fut à Soissons, en haut du Bd Jeanne d’Arc. Pierre, autant que Françoise, méprisait, ou redoutait, les ragots. Donc la vie de famille était le centre de leur vie. À table, ils parlaient des évènements, et comme ceux-ci devenaient de plus en plus menaçants, leurs conversations devenaient de plus en plus sourdes. Ils semblaient toujours d’accord sur ces thèmes. D’ailleurs, quand ils n’étaient pas du même avis, ils s’arrangeaient en général pour ne pas nous le montrer. Lorsque l’un d’eux s’enfermait dans la salle de bains, ils parlaient assez fort à travers la paroi mais, s’ils faisaient des commentaires sur quelqu’un, ils ne prononçaient jamais le nom de la personne, ce qui nous frustrait prodigieusement. Le dimanche matin, ils nous envoyaient à la messe, et passaient je suppose, une matinée en amoureux. Pendant le diner, la radio était souvent en marche. S’il y avait un bon tango, il leur arrivait de se lever et de danser, laissant le diner refroidir, et nous bouche bée. Tous les deux lisaient beaucoup. Etaient-ils les seuls à Soissons à avoir lu ''Mein Kampf'' ? La librairie, tenue par deux sœurs vieilles filles bien pensantes, était notre magasin favori. Papa lisait un peu de tout je crois, mais avait une préférence pour l’histoire et les romans policiers. Il fut content, plus tard, d’apprendre que de Gaulle les aimait aussi. Et, lève-tôt, il faisait une petite sieste de 10 minutes après le déjeuner, se sentant justifié par le fait que Churchill faisait la sieste aussi''. Retournons au sport. C’est probablement sous les tropiques que nos parents apprirent à jouer au tennis. Ils savaient sans doute déjà nager. En tous cas, bien qu’ils n’aient jamais particulièrement brillé en ces activités, ils étaient assez bons pour que Pène soit élu directeur du club sportif à Soissons. Il s’intéressait surtout à la natation, dans laquelle il lança Annette et Florence, très tôt. Leur entraineur, Mr Nibourel, était présent à Soissons lors d'une conférence qu'y fit Florence le 30/11/2013. Sa femme a dit à Annette que son mari aimait beaucoup les enfant Pène à qui il avait appris à nager. Florence fut une championne. Le vœuf de Maïten Garicoïx était également présent à cette conférence. En plus du sport et des livres policiers, Pène avait une passion pour les montres. ''L’heure, c’est l’heure ; avant l’heure, ce n’est pas l’heure, après l’heure, ce n’est plus l’heure, l’heure c’est l’heure'', répétait-il. Heureusement, Françoise était ponctuelle elle aussi. On ne peut pas en dire autant d’Annette. Pierre Pène avait plusieurs montres bracelets (il y eut entre autres la remarquable Omega qui passa un hiver sous la neige d’un hôtel de ski, que Pierre récupéra l’année suivante, et qui eut seulement besoin d’être remontée pour marcher correctement) et s’amusait à les mettre à la même heure exactement, pour vérifier si une d’entre elles avait la malencontreuse idée d’avancer ou retarder d’une minute. Ceci se combinait très bien avec nos efforts à la piscine ! Sa possession la plus précieuse fut sa Patek Philippe en or. Ce fut une acquisition d’après la guerre. Il aimait l’or aussi. Presque autant que ses montres, Pierre aimait ses voitures (une à la fois bien sûr), des Peugeot en général. Il était formellement interdit de toucher leur carrosserie, même du bout du doigt le plus léger. Il n’était pas recommandé non plus d’en salir l’intérieur. Il dédia à sa Peugeot 402 (produite entre 35 et 42) le sonnet suivant : ''A fidèle''. ''Elle était fine et légère ; légère comme un papillon ; franchissant, douce et régulière ; La descente le raidillon. A tous nos souvenirs joyeux; des dernières années de paix; Son profil net, harmonieux ; se trouve mêlé à jamais. Que de fois s'est elle lancée ; Toujours agile, souple et puissante ; vers la grande ville embrumée ; Paris, le plaisir, la détente. Et même dans cette heure grave ; où tu te mourrais, mon cher père ; c'est encore elle fidèle et brave; qui menait à mon calvaire. Et je comptais aussi sur elle ; en cas de menace ennemie ; Pour vous emmener sous son aile ; Vous tous ma famille chérie. Elle restait infatigable ; Rien ne semblait la menacer ; quel était l'accident probable ? Elle en avait tant vu passer. Mais depuis longtemps la minait ; Fort d'une ignorance coupable ; un mal secret qui grandissait ; Et la rendait plus vulnérable. Il a suffi d'une étincelle ; D'un rien, d'un atome enflammé ; Pour que s'élance la nouvelle ; qu'un incendie s'est allumé. Elle n'est plus que fer calciné ; et moi qu'une larve rampante. Jamais plus ne serai mené ; Par ma très fidèle servante. Signé P.Pène Cet incendie se produisit juste au moment où, poussée par les Roy et les Touzé, Françoise voulait conduire les enfants et la bonne à Cier, avant l’arrivée des Allemands. Comment a-t-elle trouvé une petite voiture bleue d’occasion, et comment l’a-t-elle payée, à une époque où les femmes ne pouvaient signer un chèque que contresigné par leur mari, alors que le sien était au front ? Pène a écrit d'autres récits de fiction en poèmes ou en prose. On peut les trouver à la référence [201]. En prose on peut lire ''la voix'' dans un camp, et dans un style humoristique ''Le sous-préfet à l'Autel'', ''Le prix de la ville de Paris'', et ''la grippe''. Les poèmes : ''la joyeuse brigade'', ''Pendant la guerre Russo-Finlandaise'', ''Tapi dans ton trou d'ombre'' (sept-oct 1939)'',''Quelque part au front (septembre-octobre 1939)'', ''VIIème armée Tristesse'',''1940- Défaite'', ''Jupiter dans L'autobus'' (Vichynsky), ''Infarctus'' (1965), ''D'un doigt distrait...'', ''Le rameau étiolé'' (pour la mort de son petit fils), ''à sa femme'', copié par elle. Ces textes, dûment versifiés, chantent les moments douloureux de sa vie et parfois moquent des scènes réelles (Vichynsky était le représentant de l'URSS à l'ONU pendant la session à laquelle Pène a participé en 1952. Il est mort subitement à New-York en 11/1954). Pène suivait les résultats de différentes équipes sportives et alla en spectateur, en y invitant sa sœur Clotilde, aux Jeux Olympiques organisés par Coubertin à Paris en 1924. Il l’invitait aussi parfois à diner au restaurant, chez Taillevent entre autres. Clotilde était gourmande, et Françoise, qui n’était pas au courant, professait un manque d’intérêt pour la cuisine raffinée. Malgré sa manie de la santé, Pierre Pène avait un fort appétit et n’était pas difficile, mais tenait qu’il fallait avoir encore un peu faim en quittant la table. (Il aimait le champagne et en faisait lécher un bouchon à ses nouveaux-nés, mais buvait peu, et aimait les desserts, entre autres les religieuses). C’était une bonne chose, car la cuisine était faite par nos bonnes qui se succédaient assez rapidement (jusqu’à Marie-Rose et Jeanine Molaye). C’était en général de pauvres filles de 16 ou 17 ans que leurs parents plaçaient pour qu’elles apprennent un peu à tenir une maison, et quelques ''bonnes manières''. Une d’elles, Henriette, se jeta dans l’Aisne un jour, et fut repêchée par des soldats qui passaient. Françoise Pène était en général plus difficile que Pierre, mais était contente d’économiser sur le budget familial. Jeanine Molaye, dont le comportement très courageux et très digne est décrit dans la section B:IV.2.1, est décédée d'une maladie. En Parlant de soldats, ceci me rappelle que nous avions une caserne pratiquement en face de chez nous, dans des bâtiments qui avaient fait partie de l'Abbaye St Jean des Vignes à Soissons. Nous entendions la trompette du matin, celle du soir, et la présence de ces jeunes gens distrayait nos pauvres bonnes. Ces troufions se tenaient assez mal, étaient peu soignés, et parfois saouls. Quand nous fûmes occupés par les Allemands et la caserne se remplit de soldats bien attifés, propres et disciplinés qui chantaient dans les rues à plusieurs voix de façon merveilleuse, il me fut difficile de les haïr, ce dont je sentais pourtant que c’était mon devoir. Au début de l'occupation les Allemands s'efforçaient d'être ''Korrekt''. Cela ne dura pas longtemps. Avant la guerre, Pène semblait aimer son travail. Florence se rappelle le jour ou ils leur a montré fièrement les nouveaux réflecteurs qu’il avait trouvés pour, sur ses routes, orienter les conducteurs la nuit. Il leur expliquait parfois les étoiles, un peu de géologie, leur montrait des sites historiques, le Chemin des Dames {lieu d'une terrible bataille entre avril et octobre 1917} entre autres. Il était tendu quand il conduisait, et encore plus quand Françoise le faisait. Il était déjà assez remarquable qu’elle eut eu un permis de conduire, contrairement à de nombreuses femmes en ce temps-là. J’ai souvenir d’une grande discussion entre eux et des amis sur la question : fallait-il ralentir ou accélérer dans un tournant ? Pourtant la réponse paraît évidente !! En été, ils mangeaient parfois dans le jardin. Les week-ends, ils faisaient souvent des pique-niques dans la forêt, en général avec des amis. Le docteur Roy était connaisseur de champignons sauvages et très gourmand. La chasse aux champignons était une des activités appréciées par Françoise, qui, ainsi qu’Annette, remplissait des paniers, alors que Pierre et Florence ne trouvaient pas grand-chose. Et les fourmis et les moustiques les dévoraient. À chacun ses plaisirs ! Pierre aimait le sport, ses montres, ses voitures. Aimait-il aussi les femmes ? Sa sensitivité, en contraste apparent avec sa rectitude, lui permettait de les comprendre (il savait toujours avant tout le monde, elle- même parfois incluse, si une femme était enceinte) et elles, le sentant, étaient attirées par lui, surtout quand il eut des positions de pouvoir. Il aimait être admiré et aimé, ce qui n’est pas rare. Un jour, Annette lui demanda, sur sa fin, s’il avait trompé sa femme. Sa réponse oblique, donc probablement véridique fut qu’il n’avait jamais aimé qu’elle. Il est clair qu’il eut des écarts. Madame Touzé, presque certainement, dont Françoise parle dans son livre [24]. Nous éviterons de citer d'autre noms. Dans certains cas il semble que Pierre a aidé les maris de ces femmes en échange de leurs faveurs. Selon Françoise la liste de ses conquêtes, qu'elle a découverte et détruite, était très longue, ce qui l'a rendue furieuse contre lui après sa mort. Ses commentaires en postscriptum du dernier journal de Pierre témoignent de sa colère.

A :V La seconde guerre mondiale

A :V.1 La ''drôle de guerre'' Pierre avait quitté sa famille en août 1939 à Cier où ils s'étaient arrêtés pendant un tour de France en famille et en voiture. Rizou (Didier), âgé de 3 ans, dormait dans un hamac suspendu d’un coté à l’autre de la voiture, derrière les sièges avant. Ils avaient commencé par l’est, avec une brève étape à Grenoble où Pierre et Françoise s’étaient rencontrés en 1924-25, et une autre à Cap d’Ail, tout près de Monaco, ou Hélène, la mère de Françoise, avait une petite villa. Nous visitions au passage les châteaux, musées ou églises d’intérêt historique ou artistique, malgré la nervosité croissante des parents, leur besoin partout de se mettre au courant des nouvelles, et l’anxiété générale en cette période. À Cier, Pierre trouva la lettre lui demandant d’aller se présenter à telle caserne…à une date déjà périmée. Il partit donc, conduit par Françoise, chercher son uniforme à Soissons pour faire son devoir, comme capitaine cette fois, toujours dans l’artillerie coloniale. Il a écrit quelque part que quand il fut appelé le 25/8/1939 ses soldats rappliquèrent chaussés d’espadrilles ou de sandales, pas du tout des brodequins requis. Le capitaine dut donc improviser, mendier auprès de ses amis, Françoise organisa des représentations théâtrales au lycée etc.. pour avoir de quoi chausser correctement ces pauvres soldats. Pauvre France…

A :V.1.1 Pène dirige une batterie d'artillerie Du 31/3 au 11/4/39 Pène fait un stage ''cours des commandants de batterie''. Didier a baptisé cela la ''petite guerre de papa''. Pène a tenu son journal jusqu'au début de l'occupation. Il est accessible sur le site [157]. Le 1/9/39 il est affecté au 3ème Régiment d'Artillerie Coloniale avec le grade de capitaine. Le déplacement de la batterie se faisait en train ou à cheval. Il fallait transporter les chevaux dans le train, ce qui n'enthousiasmait pas ces animaux. Trois chevaux sautent sur la voie. Il faut les rattraper. Ils en rattrapent deux, le troisième galope sur une route nationale. ''Nous sommes tous énervés et rions sans arrêt de la corrida imprévue''[157]. Ils se déplacent ainsi de gare en gare. Finalement ils débarquent à Stambach. ''Le débarquement est pénible, les hommes sont éreintés, certains se planquent. Des chevaux morts doivent être tirés hors des wagons, heureusement les bêtes sont abruties de fatigue en ne réagissent pas devant les cadavres de leurs camarades. La Brigade finit par se former, la tête en dehors de la gare. Je passe une dernière revue et alors que je suis entre les pièces {d'artillerie} et le quai, mon cheval recule brusquement et tombe les deux pattes de derrière dans le vide. Il se renverse sur moi, je me dégage à temps, évite ses ruades, je n'ai qu'une égratignure, mais Sublime file sur la voie vers la gare. L'adjudant réussit à le rattraper et nous partons enfin''[157]. '' ''qui est-ce qui vient de se casser la gueule'' demande un conducteur proche qui ne m'a pas reconnu, ''c'est le capitaine'' dis-je. Il doit avoir une haute idée de mes talents équestres'' ''[66]. Pène pratique assez couramment l'autodérision !! ''Je commande la 6ème batterie... Le matériel est bien prêt, c'est le fameux {canon de} 75, mais il date du XIXème siècle {1897 il a un an de plus que Pierre Pène}, et dans quelques jours en traversant les Vosges nous ne manquerons pas de comparer nos 4 km/h de vitesse moyenne aux 40 km/h des divisions blindées allemandes en Pologne''[66]. Nous ne pouvons pas citer toutes les remarques de Pène sur le moment dans son journal ou plus tard avec du recul. Qu'apprenons-nous sur la débâcle à venir. Nous venons de le voir : le matériel était vétuste, incomplet, la préparation de la guerre quasi-inexistante. Les ordres étaient incohérents. Après voir échangé quelques coups de canon avec une batterie allemande, celle de Pène reçoit l'ordre de se reculer derrière la ligne Maginot. Puis ''C'est peu de temps après qu'on nous fait préparer des positions en avant de la ligne Maginot. Gamelin {généralissime de l'Armée française} va-t- il attaquer sachant le tuyau précédent crevé ? {le tuyau crevé était l'annonce d'une attaque imminente allemande}. Nous apprendrons plus tard en occupant l'Allemagne qu'il n'y avait à cette époque devant nous entre Bâle et Karlsruhe que 2 divisions. Malgré les obstacles du Rhin et de la Forêt Noire, il y avait quelque chose à tenter, mais Gamelin n'est ni Napoléon ni Foch. Il n'est pourtant pas besoin d'être un grand homme de guerre pour sentir que l'ennemi en face est peu agressif, peu désireux de s'engager, et qu'une initiative française le gênerait beaucoup''[66]. Gamelin a une immense et incontestable responsabilité dans la débâcle à venir. Il était soutenu par le haut commandement et en particulier par un certain Pétain, ce qui a entravé Paul Raynaud, président du conseil, qui a eu un mal fou pour remplacer Gamelin par Weygand le 17/5/40, sans succès. A des niveaux de commandement moins élevés on trouvait d'autres cerveaux éminents. En voici un bel exemple : on avait demandé à Pène de relever toutes les lignes téléphoniques reliant sa batterie au commandement de la division. Le colonel est nerveux. Il avait été vague sur l'heure de la relève des lignes. ''Relevez toutes les lignes'' ordonne-t-il et 10 minutes après ''Téléphonez à l'A.D. que toutes les lignes sont relevées – mais mon Colonel, je ne puis pas puisque les lignes sont relevées – vous avez la trouille''[157]. Parfois la vie réelle dépasse toutes les plus extravagantes comédies. A :V.1.2 Pène au service des routes de la 7ème Armée. Le 2/1/40 Pène est affecté à la Direction du service du génie de la 7ème Armée, Service des routes. La première armée est alors dirigée par le général Giraud. ''Cet officier grand par la taille et, paraît-il par le courage ne semblait pas destiné au rôle politique que Roosevelt, dans sa fantaisie, devait s'efforcer de lui faire jouer plus tard''[66]. De fait Roosevelt, influencé par , a soutenu jusqu'au débarquement Giraud contre de Gaulle qu'il considérait comme un communiste, ce qui était pour le moins exagéré. Mais écoutons l'ingénieur Pène ''Nous logeons à Wizernes (pas de Calais) près de St Omer, je suis affecté au service des routes ce qui est en principe logique.....Plus encore que dans une unité combattante nous avons l'impression dans cette drôle de guerre de nous battre les flancs. En circulant nous suivons la construction des ouvrages dont l'ensemble prolongerait la ligne Maginot. La conception de certains est ahurissante : 2 prédroits de brique supportant une lourde dalle de béton armé : de véritables pièges à combattants, la dalle tombant après l'effondrement inévitable des prédroits sous les coups des canons écrasera les défenseurs.....''[66] {que sont les prédroits ? Un terme d'ingénieur des ponts et chaussées, mais on comprend le message}. Les menaces allemandes sur les Pays-Bas et la Belgique amènent le commandement français à envoyer des forces vers ces pays : les 7ème, 1ère et 9ème armées. Le mari d'Annette, Paul Guillaut, pense que cette manœuvre stupide d'envoyer les meilleures troupes très loin alors qu'il n'y avait plus de réserve pour bloquer l'avancée Allemande vers Dunkerque après la percée de Sedan, que cette manœuvre a été imposée par les Britanniques qui menaçaient, sinon, de quitter le continent. ''Très vite les mauvaises nouvelles arrivent tandis que nous faisons mouvement vers la Belgique et la Hollande. L'objectif est présomptueux : il s'agit d'atteindre Breda au delà d'Anvers ; pour ce faire le commandement a rassemblé dans l'armée Giraud, qui est l'aile marchande, des troupes les meilleures, les plus nombreuses et les plus équipées. Je remarque en particulier la première D.L.M (Division Légère Mécanique) aussi frappante par son matériel que par la tenue du personnel, elle se battra bien, bien qu'un peu légère devant les Panzer Divisionen. On ne voit pas encore les divisions cuirassées plus lourdes dont l'une devait être confiée à de Gaulle à la fin du mois''[66]. Pène est à Anvers. La population flamande qui avait reçu fraîchement l'armée française avec des ''Je ne parle pas le Français, Mr'' prononcés dans un français parfait [157]'', cette population découvre qu'elle est gravement menacée et le ton change. Elle voudrait que la 7ème armée française reste avec sa DLM pour combattre la 18ème armée Allemande qui est arrivée à Bréda. ''Nous avons traversé Anvers et sommes au delà de l'Escaut quand la rupture complète de la 9ème armée (CORAP) nous oblige à une retraite précipitée. C'est la ruée vers le sud. Toute la population s'écoule en torrent les civils d'abord, de jeunes belges apparemment en état de porter les armes, très nombreux sur leurs vélos, tous munis d'une étrange couverture rouge, un signal peut-être''[66]. La 9ème armée était au sud de la Belgique, près de la frontière française. Elle a subi de plein fouet l'attaque de la 4ème armée allemande [154]. On voit sur cet exemple le désordre du commandement français. ''Hitler aurait pleuré de joie quand il apprit que les Alliés commençaient à avancer dans son piège belge''[154]. Ces troupes et surtout la 7ème armée étaient l'unique réserve qui aurait pu bloquer l'invasion des 12ème et 16ème armées allemandes qui avaient réalisé la percée de Sedan. Le 16 mai Churchill, récemment nommé premier ministre, vient à Paris. Au quai d'Orsay, il rencontre Reynaud, Daladier et Gamelin. ''Où est la réserve stratégique ? Demanda Churchill, avant de répéter, dans son français particulier : Où est la masse de manœuvre ? Se tournant vers lui, Gamelin, avec un hochement de tête et un haussement d'épaule répondit ''aucune''. Churchill remarqua que de la fumée montait par la fenêtre''[154]. Des fonctionnaires du ministère brulaient des dossiers dans des grands feux de joie. On peut rêver à ce qui se serait passé si la 7ème armée avait été en position de bloquer l'offensive allemande. Elle s'est repliée vers le sud, dirigée par le général Frère qui succédait au général Giraud, emprisonné par les Allemands. ''L'appel du général de Gaulle nous parvient. Il émeut bon nombre de réservistes, il est au contraire tourné en ridicule par la majorité des officiers d'active''[66]. En fait peu de gens ont entendu l'appel le 18 juin, mais l'information a vite circulé.

A :V.2 La débâcle ''La fuite vers le sud est aussi rapide que la progression vers le nord.....Donc, la pointe avancée des armées allemandes atteint la mer peu après notre passage, les armées alliées sont coupées en deux, le segment nord est encerclé. Des chefs résolus tenteraient peut-être la jonction des deux segments par une offensive combinée, mais l'armée belge capitule, et Weygand qui succède à Gamelin est plus préoccupé de l'ordre intérieur en France que du gain de la bataille {Comme Pétain, Weygand pensait qu'il valait mieux capituler le plus vite possible dans l'espoir de garder une zone libre}. Il essaiera de résister sur la Somme, mais de Gaulle, vainqueur sur la Serre, ne pourra réduire la tête de pont d'Abbeville. Une tentative de rétablissement sur l'Aisne n'aura pas plus de succès...... de coupure en coupure toutes franchies aisément par nous comme par l'ennemi, nous atteignons vers le 20 juin, St Junien dans la région de Limoges''[66]. Le général Frère resta dans l'armée de Vichy mais il fonda en décembre 1942 l'Organisation de Résistance de l'Armée (ORA). Il sera arrêté par la Gestapo le 13/6/43, déporté dans le camp de Struthof, en Alsace, où il mourra le 13/6/44. On peut consulte l'allocution de Pétain et l'Ordre du jour du général Frère le 24/6/40 trouvées dans les documents de Pène [217]. Pierre Pène a rejoint sa famille à Cier de Rivière. A :V.2.1 L'étrange défaite vue par Marc Bloch Marc Bloch était un des historiens les plus importants entre les deux guerres. Un des fondateurs en 1929 des ''Annales d'histoire économique et sociale'' dont le titre révèle un point de vue tout à fait nouveau sur l'histoire. Bien qu'âgé de 54 ans il a demandé à être mobilisé en 1939 et a écrit en 1940 ''l'étrange défaite'' [158] pour comprendre et expliquer la débâcle de l'Armée française en 1940. Il a par la suite rejoint la Résistance et a été arrêté, torturé, puis fusillé le 16/6/44. Son livre sur l'étrange défaite est très riche et très complexe. Nous en extrairons surtout un témoignage d'une grande importance. Il était affecté à l'état major de la 1ère Armée. où il était officier de liaison avec les forces britanniques et officier du ravitaillement en essence. Pène était affecté à la direction du service du génie de l'état-major de la 7ème Armée, service des routes. La 1ère Armée, la 7ème et la 9ème avaient été envoyées en Belgique. La 7ème était au nord. Elle a rejoint Anvers et même effectué des avancées jusqu'à Breda quand l'ordre de retraite a été donné. Elle a pu rejoindre la Somme près d'Abbeville et la franchir avant que l'armée allemande n'ait totalement verrouillé ce passage. La 1ère armée, plus au sud, n'a pas eu la chance d'échapper au piège allemand. Il ne restait que la fuite par le seul chemin qui restât libre, par la mer. Marc Bloch aida ses collaborateurs à embarquer vers Douvres de Malo-les-bains, à la frontière franco-belge, près de Dunkerque. Il partit ensuite à son tour, mais est vite rentré en France. Il écrit de juillet à septembre 1940 ''l'étrange défaite''. Il cite une phrase de Weygand ''La France a commis l'immense erreur d'entrer en guerre n'ayant ni le matériel qu'il fallait, ni la doctrine militaire qu'il fallait''[158]. Étrange formulation : prise à la lettre cela signifierait qu'il ne fallait même pas faire semblant de combattre Hitler ! Le gradé le plus élevé que Marc Bloch ait connu fut le général Blanchard qui dirigeait la 1ère armée pendant la drôle de guerre, puis le premier groupe d'armées à partir du 23 mai 1940. Ce groupe d'armées comportait entre autres la 7ème où était Pène et la 9ème aussi envoyée en Belgique. La nuit du 25 au 26 mai Marc Bloch avait fait installer son lit dans un recoin d'un couloir de l'état-major. Il entend des voix dont celle du général Blanchard. ''j'entendis le général Blanchard dire, avec plus de sang- froid que je ne l'eusse cru possible : ''je vois très bien une double capitulation.'' Et nous n'étions que le 26 mai ! Et nous avions encore les moyens, sinon de nous sauver, du moins de nous battre longuement, héroïquement, désespérément, comme, en juillet 1918 les îlots de combat encerclés, sur la ligne avancée du front de Champagne, et de retenir ainsi devant nous, en les usant, un grand nombre de divisions allemandes'' [158]. Ce défaitisme du haut commandement est confirmé par de Gaulle [163]. Nommé le 6 juin par Paul Raynaud au gouvernement il rencontre le généralissime Weygand le 8 juin. Weygand lui annonce avec fierté que les Allemands passent la Somme comme il avait prévu ! ''Soit ils passent la Somme et après ? - Après c'est la Seine et la Marne – Oui, et après ? - Après mais c'est fini ! - Comment ? Fini ? Et le monde ? Et l'Empire ?'' le général Weygand éclata d'un rire désespéré – L'Empire ? Mais c'est de l'enfantillage ! Quant au monde, lorsque j'aurai été battu ici, l'Angleterre n'attendra pas huit jour pour négocier avec le Reich.'' et le Commandant en chef ajouta en me regardant dans les yeux : ''Ha si j'étais sûr que les Allemands me laisseraient les forces nécessaires pour maintenir l'ordre !...''. Cette dernière phrase en dit long sur la base de son défaitisme. Son ennemi c'est l'ennemi intérieur, le front populaire, le peuple français. Marc Bloch commente '' « Capitulation », le mot est de ceux qu'un vrai chef ne prononce jamais, fût-ce en confidence ; qu'il ne pense même jamais. Pas plus qu'il n'annonce à ses troupes, comme devait le faire, le 17 juin, un maréchal jusque là chargé de tant de gloire''[158]. Ce défaitisme semble invraisemblable ! Ajoutons que ces mêmes hauts gradés de l'armée se sont efforcés d'incriminer le front populaire ou le défaitisme des soldats pour expliquer l'étrange défaite. Pène écrit ''De vives discussions tournant en disputes éclatent entre officiers, entre soldats de diverses catégories : anciens combattants de 14-18 contre les plus jeunes, troupes terrestres contre les aviateurs. Pourtant ceux-ci ont fait de leur mieux : je lirai plus tard que 300 chasseurs français équipés d'avions modernes ont abattus 900 avions ennemis''[66]. Ils sont démobilisés, ''la distinction entre active et réserve {pour qui ne connaît pas le jargon militaire, ce sont les militaires de métier et ceux qu'on a mobilisés} s'accentue imperceptiblement. Nous ne sommes fiers ni les uns ni les autres. Chacun des clans rend l'autre responsable. Pour les uns la nation est responsable dans son ensemble, aux yeux des autres les soldats de carrière ont failli à leur tâche, leur stratégie sans imagination, leur absence de réaction quand l'ennemi fonçait vers l'ouest sans flanc-garde ont causé puis accéléré la chute''[66]. La population ne nous est pas hostile. Devant cet exode massif, troupes et civils mélangés, la réaction est un soulagement d'être débarrassés d'un cauchemar. Le coup de matraque de la défaite a été si brutal que la plupart des français ont perdu tout sens national. Ceux, très rares, qui, comme moi, l'ont gardé, se sentent déplacés au milieu de ce remous éhontés''[66].

A :V.3 Vers la Résistance Pierre avait écrit un sonnet a la gloire de sa 402. Il en écrivit d’autres. Il écrivait bien, et c’était parfois pour lui la seule façon d’exprimer ses sentiments. Ce fut aussi parfois bien utile. Pendant la ''drôle de guerre'', les sonnets qu’il envoyait à Françoise lui indiquaient, par la première lettre du second mot de chaque vers, l’endroit ou il se trouvait. Il utilisa cette méthode de nouveau quand, en 1944, il était emprisonné par la police nazie, et permit ainsi à Françoise de planifier une évasion…qu’il fit sans son intervention. Leur ami Pierre Turbil, qui avait déjà organisé l'évasion de son propre fils préparait l'évasion de Pierre quand on apprit qu'elle avait déjà eu lieu. Florence dit ''Pierre, sous sa carapace de dignité et rigueur quasi militaires, avait des sentiments profonds qu’il ne parvenait pas toujours à cacher. Son enfance modeste l’avait rendu assez timide, ce pourquoi il devint pointilleux sur les questions de préséance. Il se contrôlait bien, mais pas toujours. Le volcan faisait parfois, mais rarement, éruption. Il m’a giflée deux fois dans ma vie (alors que les gifles de maman étaient fréquentes). La première fut durant ce terrible été de 1940, après que Pétain eut signé l’armistice. La France avait été vaincue de façon grotesque. Pierre, qui nous avait rejoints à Cier quand l’armée le libéra, était de l’humeur la plus noire que je lui aie jamais vue, humeur qui dura longtemps. Il rageait, humilié. Il n’avait pas entendu l’appel du 18 juin par le général de Gaulle. Mais il eut dès le début de l’occupation le désir de s’engager et d'essayer de rendre un peu de dignité et prestige à la France. Il nous avait appris qu’au travail, il faut s’appliquer de son mieux, mais qu’il faut aussi savoir saisir les bons moments et bien en profiter. Il n’aimait pas nous voir étudier pendant les vacances. Il aimait la vie, et il n’aimait rien de plus que d’être entouré de sa femme et ses quatre enfants. Il nous aimait beaucoup, ne l’exprimait pas, mais c’était clair. Il est d’autant plus remarquable qu’il osa nous mettre tous en danger mortel par ses activités clandestines. Il aimait son pays avant tout. Un jour, a table, Maïten du haut de ses 19 ans, déclara qu’elle ne comprenait pas qu’on puisse supporter d’être occupé par l’ennemi, sans s’engager contre lui. Son discours causa un étrange silence, assez lourd, qui me resta mystérieux, mais que je compris plus tard. Il s’engageait passionnément. Quand un compagnon de résistance, avant une opération, lui dit : « Tu as peur », il répondit : « Oui, j’ai peur, mais j’y vais quand-même». Il savait qu’une discrétion totale était indispensable. Il est remarquable que Françoise le comprit aussi.'' Florence a un autre souvenir ''Je nous vois, a Soissons, en pays occupé. Papa, au réveil, se mouche très bruyamment, tous les jours…au point que nous le taquinons, lui disant qu’il ferait tomber les murs de Jericho. Nous avons deux soldats allemands (un tailleur et un cordonnier) occupant le rez-de-chaussée, donc nous n’avons plus de cuisine (et dinons, avec les Roy, à la sous-préfecture, tout un chacun participant à la contribution de vivres) ni de salon. Pour remplacer ce dernier, Annette et moi avons évacué notre chambre et, dans le même lit toutes les deux, cohabitons avec Rizou-Didier. La chambre du milieu, qui était la nôtre, est devenue le salon, avec un petit poêle qui fait tant de fumée quand on l’allume qu’on doit ouvrir la fenêtre pour ne pas mourir étouffés. Le soir, en famille, nous écoutons “les Français parlent au Français” à la radio, qui vient de Londres (et est interdite, bien sûr). Il y a un programme de messages personnels, qui semblent absurdes: “le renard a trois pattes”, "la voiture est bleue”, “le bébé a souri.”, etc… Et un jour, papa nous a dit: “Si je dois un jour vous envoyer un message, je parlerai de Jericho.” C’est peut-être le moment ou j’ai eu la première intuition de ce qui se passait'' conclut Florence. B :La résistance de Pierre Pène dans l'Aisne, puis à Paris. B :Avant-propos La débâcle de 1940 a été un choc terrible pour Pierre Pène comme pour la grande majorité des Français. Sa vie a basculé. Il a rejoint la Résistance dés qu'il en a trouvé le moyen. Pendant la Résistance, Pène n'a évidemment pas tenu de journal personnel. Il en a raconté de mémoire plusieurs aspects après la guerre, et nous utiliserons ces récits, mais cela ne suffisait pas. Il nous a donc fallu chercher dans les archives, dans les livres, dans les souvenirs de ses enfants les plus âgés, etc. Nous avons voulu parler de ses actes de résistant, de ses camarades, des désaccords, de la trahison, de ce qu'il a souffert, de ce qu'ont souffert sa femme et sa sœur, des nombreux compagnons assassinés et aussi des aides reçues. Il ne s'agit évidemment pas d'une histoire de la Résistance mais il nous faudra parfois rappeler le contexte. B :I Introduction Pierre Pène, alias (Taille, Périco, Portet, Pointis), a appartenu au Mouvement ''Organisation Civile et Militaire'' (OCM) et à son service de renseignement Centurie. Il a été nommé ''Compagnon de la Libération'' par un décret du 11 août 45 [119]. Ses activités se sont déroulées dans l'Aisne jusqu'à la fin 43, puis à Paris où il fut nommé Inspecteur Régional des FFI de la Région Parisienne. Il fut arrêté, torturé et parvint à s'évader. Il avait des documents dans une chambre de l'escalier G du groupe d'immeubles du 60 rue de la Tourelle à Boulogne-Billancourt. Françoise Pène avait très peur que les Allemands ne tombent sur la clef et ne découvrent ce local. Elle avait donné des directives en ce sens à ses filles qui ont très habilement fait sortir la clef de l'appartement et l'ont transmise à une amie [24]. A la libération, la chambre de l'escalier G a dû être rendue, et les documents ont peut-être été jetés, ou plus probablement détruits par Pène lui-même comme trop compromettants. Quel dommage ! Donc nous devons nous reposer sur les souvenirs, en particulier les récits [66,81,24,146], des livres, en particulier celui d'Arthur Calmette [78], des documents d'archive, des sites Internet tels celui des Compagnons de la Libération [129] ou wikipedia. Les archives personnelles de Pierre Pène contiennent de nombreux récits et des documents de ses camarades afin d'obtenir la reconnaissance officielle de leur activité de Résistance [36]. La défaite de 40 l'avait bien sûr profondément affecté. Il dit que le nom de de Gaulle commençait à être connu. Les lois anti-juives de Pétain en octobre 40 ne pouvaient le laisser indifférent, sa femme Françoise, née Lévy-Neumand, étant juive. Mais il fallait trouver un réseau. Un jeune ingénieur, André Boulloche, devait lui en donner la possibilité. Nous allons constater que raconter la résistance de Pierre Pène, c'est évoquer quantité de figures de résistants dont un grand nombre a payé son courage de sa vie, et presque tous ont été d'authentiques héros, souvent peu connus. C'est sans doute un intérêt majeur de ce récit. Nous écrirons en italiques les noms de guerre c'est à dire les alias des résistants. B :II La Résistance dans l'Aisne

B :II.1 La zone interdite et le premier contact avec la Résistance Pène avait été nommé Ingénieur en chef des ponts et chaussées à Laon le 23/1/40. Après la démobilisation, il va retrouver sa famille réfugiée à Cier de Rivière, au pied des Pyrénées, dans la maison familiale. Puis il rejoint son poste à Laon.

B :II.1.1 Les lois anti-juives et Simone Weil Pendant la débâcle il avait déjà ressenti fortement le désir de poursuivre la lutte. Il ne semble pas qu'il ait eu d'illusion sur Pétain, ce qui était pourtant assez courant au début. Il faut dire que les lois anti-juives de Vichy ont vite éclairé Pierre et Françoise Pène. Quand ils se sont retrouvés à Cier ils étaient d'accord sur la nécessité de résister. Parlant des lois anti-juives, la philosophe Simone Weil en fut une victime. Elle était apparentée à Françoise Pène de la façon suivante : L'oncle paternel de Françoise était marié à la tante maternelle de Simone Weil. Simone Weil est morte en Angleterre le 24/8/43. Françoise a reçu de la mère de Simone des copies de lettres écrite par elle [133]. La lettre du 18/10/41 ''remerciement ironiques …'' porte justement sur le fait que Simone, normalienne, n'a pas été admise comme professeur du fait de la loi du 3/10/1940 qui exclut les juifs de la fonction publique. Cette lettre est d'une ironie cinglante. Elle dit qu'on l'avait ainsi obligée à rejoindre la terre et de fait elle a vendangé et pratiqué d'autres activités agricoles, pour lesquelles elle remercie le destinataire qui n'est pas mentionné. Il s'agit de Xavier Vallat, responsable du Commissariat aux Questions juives dans le gouvernement de Vichy. En effet la date et un extrait coïncident avec ce qui est donné dans la référence [134]. Elle écrit aussi à Georges Bernanos dont elle était politiquement aux antipodes, elle de gauche et lui de droite, à propos de la guerre civile en Espagne. Cette lettre est mentionnée dans la référence [134] comme datant du 22/5/1938. Elle cite le pamphlet de Bernanos ''Les grands cimetières sous la lune'', dans lequel celui-ci dénonce violemment les répressions franquistes. Elle décrit de nombreux exemples d'atrocités accomplies dans le camp de ceux qui lui étaient les plus proches, les anarchistes espagnols de la CNT-FAI (Confédération Nationale du Travail-Fédération Anarchiste Ibérique) dirigés par Durruti. Bernanos gardera cette lettre dans son portefeuille jusqu'à sa mort, nous a dit François L'Yvonnet sur France culture le 3/7/19. Attirée par le christianisme, elle communique avec le père Perrin. Cette lettre pourrait dater du 19/1/42 [134]. Le père Perrin la met en contact avec Gustave Thibon, qui l'embauche comme ouvrière agricole et avec qui elle échange plusieurs lettres. Thibon a été proche de Vichy mais a refusé toute récompense de ce régime. Simone Weil a gardé une relation très amicale avec lui et lui transmet ses manuscrits en quittant Casablanca.

B :II.1.2 Laon, la zone interdite et Roosevelt. On sait que les Allemands avaient partagé la France en une zone occupée, au nord de la Loire, et une zone ''libre'' au sud, sous le gouvernement de collaboration de Pétain. En outre, ils avaient annexé à nouveau l'Alsace-Moselle, ils avaient isolé une ''zone rattachée'' (Nord, Pas de Calais) une ''zone interdite'' le long de la frontière belge (nord de la Somme et de l'Aisne et ouest des Ardennes) et une ''zone réservée'' le long de la frontière allemande et Suisse, dont l'est des Ardennes (cf la carte [84]). ''C’est donc pour préparer l’annexion d’une grande partie Nord-Est de la France, qu’Ostland {entité administrative mise en place par le Troisième Reich sur des territoires conquis en 1941}, dès 1940, est chargée de coloniser, de germaniser les zones interdite et réservée''[84]. Ajoutons une zone militaire littorale le long des côtes. Ce dépeçage de la France était un projet cher à Hitler. Pène pensait que le but de Hitler n'était pas d'Annexer la zone interdite à l'Allemagne mais à un État flamand satellite de l'Allemagne. Longtemps après la guerre, Pène lit un livre de Anthony Eden, 1965 [18]. Dans ce livre, p 432, Eden rapporte une discussion qu'il avait eue en 1943 avec Roosevelt. Ce dernier envisageait l'avenir et décrit un projet, qu'il avait mentionné à Oliver Lyttelton quelques mois auparavant, d'un nouvel Etat nommé ''Wallonia''. Il engloberait la partie wallonne de la Belgique, le Luxembourg, l'Alsace-Lorraine et une partie du nord de la France. Eden a ''versé de l'eau, il l'espère poliment et le président n'est pas revenu sur le sujet''{I poured water, I hope politely, and the president did not revert to the subject} . Cette lecture rend Pène furieux contre Roosevelt : ''j'apprendrai avec indignation que ce plan (le plan nazi d'un état flamand) était à peu près celui du président Roosevelt notre allié, l'homme dont une de nos plus belles rues porte le nom'' [66]. Laon, où Pène devait exercer son métier, était donc dans la ''zone interdite''. La famille habitait à Soissons dans la zone occupée. Les ingénieurs des Ponts et Chaussée, de par leur métier doivent se déplacer dans le département. Pène a le privilège de distribuer les ''Ausweis'' (laisser-passer) et ses ingénieurs sont répartis sur tout le département, zone occupée et zone interdite [66]. Qu'aurait-il pensé s'il avait su que le général américain Marc W Clark avait signé le 22/11/42 un accord avec l'amiral Darlan {ancien chef de gouvernement de Vichy, commandant en chef du gouvernement de Vichy} mettant l'Afrique du nord à la disposition des américains et faisant de la France un pays vassal soumis à des capitulations [219].

B :II.1.3 Les centres de la WOL et la rafle de janvier 44 La zone interdite et la zone réservée subissaient un joug encore plus dur que la zone occupée. La WOL (Wirtschaftoberleitung, Direction Générale de l'Agriculture, sous l'égide de l'Ostland) avait confisqué environ 170 mille hectares, dont 110 mille (199 centres) dans les Ardennes et 17 mille (27 centres) dans l'Aisne [84] sous forme de 367 centres (on peut appeler cela une WOL ou une ferme) qui exploitaient la terre au profit de l'Allemagne. Chaque centre avait un ''chef de culture''. Beaucoup de juifs réfugiés ont été utilisés dans ces fermes comme main-d'œuvre gratuite. Une grande rafle s'est déroulée du 4 au 7 janvier 1944 dans les Ardennes et en Picardie, et de nombreux juifs ont été envoyés dans des camps d'extermination. On estime, de façon probablement non exhaustive, qu'environ 160 juifs venant des villages investis par la WOL dans les Ardennes ont été dans le convoi de déportation n° 66 partant de Drancy, ainsi qu'une cinquantaine de juifs venant de l'Oise et une autre de la Somme. Une cinquantaine raflée dans l'Aisne a été déportée dans le convoi n° 67. Il faut ajouter environ 200 juifs d'Anvers qui étaient détenus dans le camp de travail des Mazures, dans les Ardennes, et périrent dans les camps d'extermination.

B :II.1.4 Boulloche et les contacts avec la Résistance. André Boulloche [83] est nommé ingénieur auprès de Pène. Il a des contacts avec la Résistance. Le groupe qui se constitue sera en relation avec différents groupes de Résistance. Il était au début relié au réseau civil du musée de l'Homme-Hauet-Vildé. Germaine Tillion en témoigne [80]. Les renseignements récoltés par les ingénieurs étaient transmis au réseau du musée par l'intermédiaire d'André Boulloche puis d'André Postel- Vinay. Mais le réseau du musée de l'Homme a été infiltré par des agents ennemis et a subi une répression féroce. Boris Vildé, l'animateur de ce groupe, est arrêté le 26 mars 41 et Germaine Tillion prend sa succession. Les relations entre le groupe de résistants des ponts et chaussées de l'Aisne et le réseau du musée de l'Homme-Hauet-Vildé sont alors interrompues par cette répression. Le groupe rejoint l'OCM (Organisation civile et militaire). L'OCM aura un service de renseignement, le réseau Centurie, réseau relié au BCRA (Bureau central de renseignements et d'action), créé à Londres par le colonel Rémy (Gilbert Renaud), avec l'aide du colonel Touny, dirigeant de l'OCM. Pène raconte [66] (p 8) son premier contact avec l'OCM. Boulloche lui donne les coordonnées de Rollet (Dacre), qui l'emmène chez Maxime Blocq-Mascart, le chef à l'époque du bureau civil de l'état-major de l'OCM et plus tard le président de l'OCM après l'arrestation du colonel Touny en février 44. Pène trouve Blocq-Mascart cordial, il le met en contact avec Deconninck avec qui Pène collaborera jusqu'à son arrestation, et aussi avec Roland Farjon.

B :II.2 Pène est membre de l'Organisation Civile et Militaire (OCM) Pène est donc, début 1941, membre de l'OCM. Il y restera jusqu'à la libération. Arthur Calmette [78] a publié en 1961 une excellente histoire de l'OCM. Ce livre étant introuvable en librairie nous nous sommes permis d'en donner une version accessible en ligne [78]. L'OCM est considérée comme une organisation de droite, sa base sociale est essentiellement dans les classes supérieures : des officiers supérieurs, des industriels, des intellectuels, des ingénieurs de l'Etat (dont Pène). Cependant le groupe des ponts et chaussées de l'Aisne comprendra dans ses rangs tous les échelons depuis l'ingénieur en chef jusqu'à des ouvriers, des cantonniers des chauffeurs. B :II.2.1 L'OCM prépare la libération Disons quelques mots sur l'OCM. Elle s'est longtemps concentrée dans le renseignement, domaine où elle excellait, et une de ses particularités intéressantes était de réfléchir très tôt à la société que la Résistance souhaitait instaurer en France à la libération. Calmette analyse en détail ces textes. Une chose frappante, c'est le programme économique et social, publié en mai 1943. Les citations qui suivent viennent de la référence [78] page 61. Le programme n'est pas marxiste, mais certainement socialiste ''Nous considérons souhaitable et inévitable d'adopter un régime socialiste''. ''Nous voulons que l'Etat dirige l'économie … au service de l'intérêt général'', ''Il faut ….mettre fin à la concurrence'', ''cette guerre du temps de paix'' ''. ''Au concept de société anonyme,...nous souhaitons que corresponde désormais l'idée d'un groupement de travailleurs associés pour effectuer un travail commun et disposant pour cela de l'aide que leur apportent les capitalistes qui leur confient leur argent pour le faire fructifier''. Blocq-Mascart dit que les milieux patronaux, bien représentés au sein de l'O.C.M. étaient ''au fond à peu près d'accord – tout prêts à accepter s'ils sentaient qu'un gouvernement fort le leur imposait...Le patronat était prêt à se mettre aux ordres''. Aujourd'hui ce programme serait à l'extrême gauche. Le projet traitait aussi des institutions, de l'éducation, de la presse, de la culture, etc. Les textes étaient écrits collectivement par différents groupes de personnes. L'idée générale de l'OCM était la méfiance vis à vis des anciens partis, dans la droite ligne de de Gaulle. Seules les organisations de résistance devraient prendre en main la reconstruction du pays à la libération. Cela a créé une forte tension avec Jean Moulin, qui souhaitait rassembler dans le CNR toutes les forces de la Résistance, y compris les membres d'anciens partis et des syndicats. B :II.2.2 La question juive mal traitée par l'OCM. Il y a eu un accroc sérieux. C'est le texte portant sur ''les minorités nationales'' et particulièrement sur les juifs. Il semble que Blocq-Mascart, lui-même juif, ait joué un rôle dans la rédaction de ce texte. Or ce texte prévoit un nouveau statut des juifs au lieu de la simple assertion républicaine que les juifs sont des citoyens comme les autres. Le texte explique la difficulté qu'il y a à assimiler les juifs dans le pays. Le fait que l'antisémitisme soit universel ''doit faire présumer qu'il n'a pas une base purement imaginaire''. La conclusion ''La question se pose donc : comment franciser les juifs ? Deux mesures principales à prendre : arrêter l'immigration juive, et, comme pour les autres minorités, ''éparpiller'' les juifs, pour éviter la survivance du groupe minoritaire et faciliter l'assimilation''. On reconnaît le genre de propos qui visent aujourd'hui les musulmans ou les roms (autres victimes du génocide nazi). Cet article a suscité des réactions très vives dans la Résistance et à Londres. Le texte en question traitait aussi des peuples colonisés et les traitait de ''minorités''. Il faut pour juger ce texte rappeler le contexte de l'époque, la forte pression antisémite, ou plus précisément anti-judaïque qui régnait depuis des siècles. La relative timidité de la Résistance à dénoncer la persécution des juifs a été analysée dans le livre d'Olivier Wieviorka [139]. Il cite Henri Fresnay, dirigeant d'une autre grand mouvement de droite, Combat, qui veut revoir les naturalisations de juifs étrangers et ressort le poncif antisémite ''le capitalisme juif était particulièrement dangereux parce que particulièrement puissant''. Wieviorka cite le rôle néfaste de la hiérarchie catholique, heureusement contrée par le mouvement ''Témoignage Chrétien''. Les communistes ont entraîné dans la Résistance les juifs d'origine étrangère au sein des MOI{Main dœuvre Immigrée}. Le parti a soutenu la publication du périodique Yiddish ''Undzer Vort'' (notre parole). 89 numéros parurent sous l'occupation [139]. Si les persécutions des juifs étaient connues de tous (et utilisées à leur profit par certains) le génocide était encore inconnu, même en juin 44. Même les premiers témoignages du génocide des juifs, ou judéocide, venant de l'est étaient considérés comme de la propagande communiste peu crédible. Ceux qui connaissaient probablement le génocide ne propageaient pas de dénonciation de ces ignominies. En témoigne les déconvenues de Jan Karski. Catholique et résistant polonais, ayant visité clandestinement un camp d'extermination nazi, il a rencontré de hautes personnalités anglaises et américaines, y compris des juifs. Il espérait qu'ils dénonceraient le génocide. Il n'obtint rien. Pourquoi ? Certains partageaient les idées antisémites, mais surtout ils étaient convaincus que leurs peuples les partageaient et qu'il ne fallait pas que l'on parle trop de l'extermination des juifs, des tsiganes, des malades mentaux, etc. En France, toutefois, la rafle du Veld'hiv (16-17/7/42) a choqué la population, comme l'avoue la préfecture de police dans un rapport cité par Wieviorka [139]. ''C'est cette séparation des parents de leurs enfants qui touche le plus les masses françaises''. Wieviorka dit à juste titre ''la majorité des juifs furent secourus par des gens ordinaires'' et la famille Pène en connaît des exemples. Le fils ainé de Pierre, Didier fut caché dans un lieu de vacances catholique par des voisins très croyants et admirateurs du Maréchal ! Clotilde, la sœur de Pierre avait hébergé des cousins juifs de Françoise, Alexandre et Denise Lévy et leurs enfants, dans sa maison de Cier de Rivière au pied des Pyrénées. Des gendarmes sont venus voir cette famille pour les prévenir qu'ils avaient reçu l'ordre d'arrêter le lendemain tous les juifs proches de la frontière espagnole, (qui était avec la Suisse une voie d'évasion possible). Ainsi alertés les Lévy sont bien sûr partis. Antoinette Dalin, apparentée à Françoise mais par ailleurs secrétaire du Préfet de Police vichyste a caché Annette et Florence dans une école d'infirmières en tant qu'enfants juifs [81]. Elle ne pouvait les cacher aussi en tant qu'enfants de ''terroriste''. Mais cela l'intriguait et elle demandait sans cesse à Annette, la fille ainée ''Franchement Annette, est-ce que ton père fait de la résistance – je ne sais pas'' répondait Annette pourtant fort bien informée. Wieviorka [139] estime que grâce à ces interventions individuelles, si 11600 enfants juifs ont subi l'enfer, 72400 ont été sauvés. Il souligne que c'est le résultat de milliers de réactions individuelles, trop peu encouragées par la Résistance. Quelques prêches d'évêques courageux et de personnalités protestantes ont plus fait dans ce sens, malgré la compromission de la hiérarchie catholique avec le régime. Cette aide fut aussi le fait d'organisations confessionnelles ou communautaires. Plusieurs organisations juives, religieuses ou politiques, dont l'œuvre de secours aux enfants (OSE), se sont regroupées dans le ''Comité de la rue Amelot''. Très vite elles ont pris leur distance vis à vis de l'Union Générale des Israélites de France (UGIF), crée par Vichy, et dont les dirigeants ont cru pouvoir protéger leur communauté en dialoguant avec le gouvernement. Ces dirigeants furent arrêtés et déportés en 43. Le Comité Inter- Mouvements auprès des Evadés (CIMADE), protestant, créé en 1939 est intervenu dans les camps pour soutenir les juifs et les opposants à Hitler, puis après l'invasion de la zone sud, le CIMADE est passé dans la clandestinité et à poursuivi son activité : organisation de passages vers la Suisse, production de faux papiers, etc. Dirigé par l'Américain Donald Lowry, le Comité de Nimes, regroupant des organisations juives et chrétiennes, coordonna l'aide apportée aux internés [84,139]. Pierre Pène ne fait jamais allusion à ce texte de l'OCM sur la question juive, un tel texte l'aurait certainement beaucoup troublé : Les juifs sont des citoyens français, Françoise et lui étaient par principe hostiles au port de l'étoile jaune et Françoise ne l'a jamais portée. Il ne parle pas non plus des textes de l'OCM concernant les autres questions. Etait-il trop occupé par l'action immédiate ou les documents en question n'étaient-ils pas assez massivement distribués ?

B :II.3 Le travail d'information des alliés B : II.3.1 La constitution du groupe des ponts et chaussées de l'Aisne : Pène raconte la constitution de ce groupe dans la référence [66,86]. Il a pour mission d'informer les alliés de ce qui se passe dans son département, l'Aisne. Il cherche à recruter des résistants parmi les membres des ponts et chaussées du département. Surtout les ingénieurs mais aussi les ouvriers du parc de réparation, des cantonniers et son chauffeur ''le fidèle Hombrouck''. Y participent les ingénieurs d'arrondissement, Jean Bertin et André Boulloche, polytechniciens et, comme lui, futurs Compagnons de la Libération, ainsi que les ingénieurs ordinaires et Ingénieurs TPE (Ingénieurs des travaux publics de l'Etat). Pène a l'impression que tous marcheraient, mais un petit nombre sont trop âgés ou timorés pour être contactés. Ces résistants jouissaient d'une grande liberté de déplacement dans le département puisque l'ingénieur en chef délivrait les ''Ausweise'' (laisser-passer). Les ingénieurs étaient répartis dans tout le département, la partie occupée comme la partie interdite. Ils étaient aux premières loges pour observer les mouvements de troupes ennemies, les construction militaires, etc. Des contacts prudents avec les agents du service des pont et chaussées, permettent de sélectionner les résistants. ''Nous vivons en célibataires'' dans la zone interdite, ce qui permet de bien connaître ses ''camarades de popote''. Très vite ils ne cherchent pas à recruter beaucoup, mais surtout à recruter des éléments sûrs. ''En peu de temps cependant bon nombre sont mis dans le coup : 2 ingénieurs d'arrondissement sur 3 (Bertin et Boulloche), la plupart des ingénieurs TPE, mon chauffeur le fidèle Hombrouck, plusieurs ouvriers du parc de réparation''[66]. ''L'organisation du réseau est parallèle à l'organisation départementale du service des ''ponts et chaussées'', les renseignements à tous les échelons à partir des chefs cantonniers sont transmis par ceux-ci au cours des tournées à ceux de leurs chefs qui font partie de l'organisation de la Résistance. D'échelon en échelon, ils parviennent aux ingénieurs d'arrondissement et à l'ingénieur en chef'' [86]. ''Le service des ponts et chaussées est devenu pour certains une organisation de Résistance'' [86]. Ce n'était pas un cas exceptionnel. On peut citer le Groupement des contrôles radioélectrique, créé par le gouvernement de Vichy dont les moyens ont été détournés par ses chefs, Paul Labat et Gabriel Romon pour servir la Résistance [152]. Les organisations de ''Noyautage des Administrations Publiques (NAP)'' se sont développées surtout à partir de 1942. Cela permettait à la fois d'obtenir des renseignements sur l'ennemi et de dissimuler une activité de résistance. Dés l'invasion de la zone sud en décembre 1942 André Boulloche ne tient plus en place. Il veut combattre, il passe en Espagne où il est incarcéré, il parvient à s'échapper, rejoint le consulat britannique et rejoint l'Angleterre [86]. Pierre Pène doit alors prendre directement contact avec les résistants parisiens à qui Boulloche transmettait les informations. Il contacte Rollet alias Dacre, puis Farjon alias Rolland alias Dufor [86].

B :II.3.2 Le Bunker de Hitler à Margival Hitler avait combattu dans la région de Margival en 1918, et dès juin 40 il décide d'y faire construire un monstrueux bunker. Le lieu s'y prêtait, un tunnel de 700 m pouvait abriter un train à l'abri des bombardements. Les travaux importants que cela impliquait ont attiré l'attention de divers groupes de Résistance : ''Chaque réseau travaille seul sans connaître les autres. Cet isolement évite en cas d’arrestation, que plusieurs ne tombent. Ces réseaux portent un nom de code, et chaque membre de celui-ci est désigné par un pseudonyme. Les réseaux les plus actifs dans la région de Margival furent :Vélite-Thermopyles, Eleuthère, Bir Hakeim, Gautier, OCM ( organisation civile et militaire), FFI ( forces françaises de l’intérieur), FTP ( franc tireur et partisan). Le courage de ces hommes et femmes dans une région administrée par les Allemands n’est plus à prouver. Au nez et à la barbe de l’occupant, un simple épicier devint le chef d’un réseau et la fille du coiffeur passe les contrôles avec, dans la pompe à vélo de sa bicyclette, des messages pour Londres.'' [85] Lisons le résumé d'une conférence de Jacques Blot {Blot} ''Agé de 16 ans à l’époque, il entre dans le réseau Libération Nord, avec d’autres camarades. Son professeur d’anglais, lui-même lieutenant de réserve et chef régional du réseau Velite-Thermopyles les encourage et affecte ces jeunes recrues à des tâches d’aide à la population. Jacques Blot et trois de ses amis du même âge coupent les fils d’un central téléphonique appartenant à l’occupant nazi {ce n'était certes pas très malin !}. Arrêté par les Feldgendarmes, il est incarcéré à Soissons, puis à la prison de Laon, enfin à la prison du cherche-midi à Paris. Jacques Blot quittera la prison avec le groupe du 28 juillet 1944 comprenant 31 Français, 1 Polonais et 1 Suisse, entassé dans un wagon cellulaire accroché en queue du train Paris-Berlin. Après une étape à la gare de Strasbourg, les déportés « NN » (Nacht und Nebel) descendent du train à Rothau, dernier village avant Natzweiler, KL{Kriegslager, camp de guerre} du Struthof. Immatriculé, 20177 Jacques Blot reste un mois au Struthof, avant l’évacuation vers le KL Dachau. Profitant d’un bombardement, il s’échappe de son kommando de travail avec trois camarades. Il revient à Soissons, ne pesant plus que 32 kilos. Son professeur d’anglais, ayant appris par Jacques qu’il se trouvait encore des Soissonais dans le KL de Dachau, déniche un camion gazogène, et part chercher les survivants. Une histoire extraordinaire d’horreurs, mais aussi d’espoir dans la survie d’un adolescent pris dans la tourmente de la guerre''{5} Pène nous raconte comment l'OCM a procédé [66] ''Notre attention est bientôt attirée par des travaux considérables que font les Fritz à l'entrée nord du tunnel de Margival : de nombreux ouvrages en béton armé répartis sur les pentes jusqu'à mi-hauteur. Nous connaissons les entrepreneurs, ils travaillent ou ont travaillé aussi pour nous, il nous est facile de pénétrer en fraude sur le chantier. Nous regardons avec soin et aussitôt sortis portons sur un plan les ouvrages aussi exactement que possible. Bertin est le spécialiste de ce jeu. Grâce à lui, nous pourrons envoyer à Londres le plan complet exact. J'aurai d'ailleurs la surprise désagréable, plus tard, après mon arrestation, de voir le dit plan étalé sur la table du policier qui m'interroge à St Quentin ; il aura été intercepté et mon interrogateur voudra par cette manœuvre me mettre en condition.'' Comment ce plan est-il venu entre les mains des Allemands ? On pense immédiatement à l'imprudence de Roland Farjon qui a laissé quantité de documents chez lui où ils ont été trouvés par les Allemands. Cependant Roland Farjon a écrit une ''confession'' [130] que Gilles Perrault a publié en Appendice de [32]. Farjon y énumère tout ce que les Allemands ont trouvé chez lui après son arrestation. Le plan de Margival n'y est pas mentionné. Comme il y avoue quantité de documents extrêmement compromettants, on peut penser que ce plan est parvenu par d'autres mains aux Allemands. Le mystère reste entier. Les Alliés ont tout de même reçu l'information par d'autres réseaux, même si les plans étaient probablement moins précis que celui de Bertin. Les actes de Résistance autour de Margival sont décrits avec une grand précision dans les documents [85]. On y trouve aussi le récit de la visite de Hitler à Margival le 17 juin 1944. Son discours annonçait que les V1 allaient retourner la situation. Il pensait probablement à l'arme nucléaire sur laquelle Heisenberg et ses collaborateurs travaillaient et échouèrent fort heureusement. Les USA y ont réussi, Roosevelt ayant été alerté par Einstein et Szylárd des recherches allemandes. Hélas rien ne peut justifier l'utilisation réelle de la bombe par les USA, par deux fois avec deux types de bombes différentes, comme pour faire une ''expérimentation'' diabolique de cette arme, avec des civils pour cobayes. Le 17/6/44 se tient à Margival une réunion du Haut Etat-Major allemand, incluant Hitler, Rommel, et Von Rundstedt. Rommel et Von Rundstedt ''demandent au Führer d'aller sur le front évaluer la situation. Le réseau Gautier de Coucy-le-Château, mis au courant de la visite du dictateur par un sergent allemand trop bavard, projette un attentat, mais la Gestapo veille, elle réussit à s'introduire dans le réseau et arrête le 8/6/44 les membres du groupe'' [87]. Dans la nuit du 17 au 18 juin un V1 allemand {bombe volante utilisée par le Reich contre la Grande-Bretagne, premier missile de croisière} tombe à 3 km du Quartier Général de Margival. Hitler annule la tournée préconisée par Rommel et Von Runsdedt et rentre en Allemagne chassé par un engin allemand !!

B :II.3.3 Recherche des renseignements militaires, politiques et économiques Pène a donné en décembre 1945 un long témoignage [86]. Il prend le nom de guerre de Taille. Il cite de nombreux noms de Résistants héroïques dont la plupart n'ont pas survécu. Par Dacre (Rollet) il reçoit des instructions sur le parachutage des armes et le sabotage. Il reçoit la visite de Royaux (Max, Duval) qui précise la consigne de chercher les plus grands terrains d'atterrissages possibles dans l'Aisne. Royaux sera arrêté début 44 et fusillé à Arras ! Le Dr Mairesse, de St Quentin, qui a l'enthousiasme et la ténacité d'un jeune étudiant mourra étouffé dans le train de la mort du 2 juillet 44 [218]. M Bauchey, chef d'arrondissement SNCF à St Quentin mourra en déportation [123]. Le docteur Fresnel, à Hirson, sera déporté en Allemagne. Il rentrera vivant. Il a sous ses ordres un agent d'assurances, Merlin, d'une témérité folle. Nous en parlerons à propos des sabotages. ''Notre activité première est donc la recherche de renseignements militaires, politiques et économiques, facilitée par un métier qui oblige à des déplacements fréquents et nous met en contact avec nos agents répartis sur tout le territoire du département et bien connus de nous. Les armes abandonnées par les combattants en mai-juin 1940, les explosifs, sont rassemblés et cachés dans les creutes (installations souterraines déjà utilisée lors de la première guerre mondiale).''[86] En décembre 41 une organisation de Résistance soissonnaise est démantelée et les membres seront fusillés ou mourront en camps. Il s'agit du réseau ''Vérité française'' rattaché au réseau du musée de l'Homme [87]. Ils ont été arrêtés par la Feldgendarmerie suite à une trahison le 25/11/41 et tous exécutés. Pène et ses camarades utilisent donc l'appareil d'Etat vichyste pour leur activité de renseignement. C'était largement pratiqué dans la Résistance, et l'OCM, par sa base sociale, y était particulièrement apte. Les militaires, nombreux dans l'OCM, avaient des contacts avec des gradés dont une partie fonderont l'ORA (Organisation de la Résistance Armée) après l'invasion allemande de la zone sud. Tous les mouvements de Résistance ont d'une façon ou d'une autre utilisé les relations dans l'administration, leurs informateurs dans les usines de guerre, etc. Calmette [78] cite des gendarmes qui protégeaient des résistants lors d'opérations d'atterrissage d'avions anglais. D'autres hélas étaient fidèles au Maréchal. Nous avons vu que dès l'invasion de la zone sud (11/11/42) Boulloche décide de partir à Londres et que Pène prend directement contact avec Rollet (Dacre), puis Farjon (Roland, Dufor). On donne des formules d'engagement dans les FFL (Forces Françaises Libres) à signer avec son alias, mais sans que le signataire ne reçoive une copie. C'est à ce moment que Pène choisit Taille comme alias. En charge des deux départements Aisne-Ardennes il est remplacé à la tête du département de l'Aisne par Jean Bertin (Le Merle, Dubourg) et dans le département des Ardennes par André Point (commandant Fournier) dont il sera question ci dessous.

B :II.3.4 Étienne Dromas et le groupe de résistance de Chaunis Si l'on va de nos jours au musée de la Résistance et de la Picardie, 1 place Carnégie 02700 Tergnier, on apprend que ce musée a été édifié sur l'initiative de Etienne Dromas. Qui était donc cet Etienne Dromas ? Le groupe d' Étienne Dromas agissait autour de Chauny dans l'Aisne. On peut avoir une idée de son activité en regardant Dromas sur la référence [36]. On apprend que Dromas, capitaine FFI, dirigeait le secteur B de l'Aisne autour de Chaunis. Le groupe comportait environ 3000 membres des FFI. Sont cités le 7/4/43 le sabotage du pont canal de Abbecourt, qui a bloqué le trafic pendant 1 mois, l'accueil d'un parachutage à Bertaucourt le 19/9/43, le sabotage à Tergnier de 12 locomotives le 6-7/10/43, le sabotage d'une usine de produits et d’alliages légers, à Ham, 4 hommes ont été arrêtés dont 3 tués à la prison d'Amiens. Puis, les 9 et 28 8/44 deux parachutages bien reçus ; La fiche ajoute de nombreux sabotages de lignes téléphoniques souterraines et aériennes avant et après le 9/6/44. On y ajoute la récupération et l'hébergement d'aviateurs alliés, avant et après le 6/6/44. B :II.3.5 André Point chef des FFI dans les Ardennes En 43 Pène était nommé responsable pour l'AS (Armée Secrète) de deux départements, l'Aisne et les Ardennes. Il fait pleinement confiance pour les Ardennes à André Point (Mehul, Rousseau, commandant Fournier), garçon coiffeur d'un grand courage et très bon organisateur. Son rôle à la tête de l'AS puis des FFI du département des Ardennes est avalisée le 10 mai 1944 : ''Forces Françaises de l'intérieur, région C ; Grandval, désigné par l'EMN {Etat Major National}, de la région C et placé sous le commandement du général Kœnig, désigne Monsieur Fournier (pseudonyme à la date du 10 mai 44) comme commandant des FFI du département des Ardennes''. Signé du 10 mai 44 [151] Pène écrira en 1965 ''Ce brave garçon devait avoir une fin tragique : promu officier de police à la libération il s'acquittait de son mieux de sa fonction dans son département quand un nouveau texte réglementaire imposa l'obligation de certains titres universitaires; il ne les avait pas, ne peut supporter d'être évincé de son poste qui lui convenait et se suicida''. André Point est mort en 1949. Nous n'avons pas trouvé d'autre mention du fait qu'il s'agirait d'un suicide. Cependant Pène le dit comme une certitude et il faut se souvenir qu'il avait été commissaire de la République de la région englobant les Ardennes et devait bénéficier d'informations de première main. Les circonstances de la mort d'André Point restent un mystère à éclaircir. Mais la brutalité du traitement infligé aux grands résistants par la bureaucratie est incontestable. Les chefs de la Résistance n'avaient pas été choisis selon leur diplômes ni selon leur grade dans l'armée, mais selon leur courage, leur capacité d'organiser, d'entraîner, de diriger et d'éviter les pièges. Un exemple notoire est celui de Georges Guingouin, simple instituteur, qui dirigeait en 44 un maquis de 20 000 personnes. Cette décision meurtrière est-elle simplement le reflet du vieux pêché bureaucratique de la France, ou, plus politique, signifie-t-elle le début d'une résurgence des vichystes qui se vengent de héros tel que André Point ? Pène rencontrera l'adjoint de Point dans les Ardennes, Poirier, âgé de 55 ans. Il s'agit probablement de Georges Poirier. ''Il fut arrêté à son domicile par la Gestapo le 18 novembre 1943, après la découverte à Paris de documents concernant les effectifs du mouvement OCM en zone Nord et le vaste coup de filet opéré par la police allemande dans les milieux résistants''[107]. La date de son arrestation indique clairement qu'elle est la conséquence des documents trouvés le 13/10/43 chez Farjon. Il fut condamné par le tribunal militaire allemand le 12/2/44 et mourut la 4/6/44 ''de faiblesse générale''. Dans l'équipe de Poirier, ses camarades Robert Coispine et René Bouré furent arrêtés le 17/11/43 et fusillés le 17/2/44 [107]

B :II.3.6 Transmission des informations, les infiltrations ennemies dans le BCRA. La liberté de déplacement dont bénéficiait Pène lui permettait chaque semaine d'aller à Paris donner les informations recueillies à Deconninck (Maisonneuve, André), qui les transmettait à Roland Farjon, lequel les envoyait en Angleterre. Chaque semaine Pène porte à Paris une serviette pleine de documents contenant [86] - des plans et points de repaire exacts de nouveaux terrains de parachutage ou d'atterrissage proposés, - des renseignements militaires : unités rencontrées sur telle route, allant dans telle ou telle direction, changement de cantonnement, réquisitions importantes de produits agricoles, résultats de bombardements alliés. - Il doit aussi s'occuper des aviateurs alliés abattus : Pène a pris contact avec une filière d'exfiltration de ces aviateurs, rue Oudinot, il attend en bas qu'on lui remette six aviateurs anglais avec mission de les conduire gare de Lyon. Il apprend que tout le monde a été arrêté. D'ailleurs ces missions de rapatriement d'aviateurs alliés ne sont pas conseillées. ''Nos chefs estiment qu'ils font courir beaucoup de risques pour un résultat moyen''. - On a demandé à Pène de préparer des unités de combat et de renseignement (UCR). On trouve une directive de ce genre sur le site de l'Amicale Mémoire du Réseau Gallia [207]. Pène résume ainsi cette mission ''L'UCR consiste essentiellement en un poste émetteur situé à quelques kilomètres à l'arrière des lignes allemandes et chargé de transmettre aux Alliés supposés débarqués les renseignements militaires sur l'ennemi''. ''Nous devons dès maintenant préparer des refuges où des spécialistes de radio parachutés par les Alliés pourront s'abriter'' [86]. Le BCRA (Bureau Central de Renseignement et d'Action) de Londres demandait que l'adresse des refuges et le nom de leurs propriétaires leur soit adressés en clair afin que les parachutés puissent s'y retrouver. ''Vive protestation de notre part, l'ordre est confirmé, nous protestons encore, l'ordre est maintenu. La mort dans l'âme nous nous exécutons et je communique la liste de plusieurs de mes collaborateurs TPE. Naturellement la malchance joue, la liste est interceptée, et mes TPE arrêtés mi- décembre 1943. C'était Jacquemot, Berlemont, Salvy. Par chance ils ne sont pas maltraités, leur régime n'est pas sévère, ils peuvent se rencontrer et préparer un plan cohérent''[66]. Comment les Allemands ont-ils reçu cette information ? En 1945 [86] Pène pense qu'ils l'ont trouvée chez Farjon. Dans sa confession [32,130], Farjon mentionne ''les plans des UCR de l'Aisne (aucun nom en clair, tous codés)''. Le codage était-il insuffisant ou les noms en clair sont-ils parvenus aux Allemands par un espion infiltré dans le BCRA ? Dans tous les cas Pène suspecte des agents ennemis infiltrés dans le BCRA, lisons la suite. ''Les Allemands commirent la maladresse de ne pas les arrêter en utilisant le mot de passe qu'ils connaissaient cependant. Les tenants purent ainsi soutenir qu'ils ignoraient tout de l'affaire et que leur nom avait été donné sans qu'ils sussent pourquoi. Ils furent tous libérés après deux mois d'incarcération. Cependant l'un d'eux, nommé Brindœuf, de Vervins, déprimé ou soumis à un trop dur interrogatoire, se suicida au bout d'un jour de prison''[86]. ''Cette maladresse de Londres est à rapprocher du parachutage manqué de mi-septembre 43 où une dizaine de Résistants, dont A. Boulloche et A. Rondenay (Jarry) largués chacun vers un refuge connu, étaient attendus par la Gestapo. Le chef du stick (un stick désigne un groupe de parachutistes sautant en une seule fois d'un même avion), un lieutenant colonel d'aviation, sur le point d'être arrêté, avalait sa pillule de cyanure, Jarry se blessait au pied en atterrissant précipitamment pour s'échapper, Boulloche devait se sauver sans demander son reste. Tout donne à penser que les milieux gaullistes de Londres étaient infiltrés par des agents ennemis; ordres insensés d'une part, trahison de l'autre, étaient leurs armes''[66].

B :II.4 Le ''plan Taille'' et autres actions militaires Le temps des combats décisifs approchant les actions militaires prenaient de l'importance. Dès 1942 des actions de sabotage des voies ferrées ont été effectuées avec des moyens modestes : pétards de cavalerie récupérés après la défaite, ou en dévissant les voies. En 1943 cette activité s'intensifie, du matériel explosif est livré et les futurs saboteurs sont formés par des spécialistes. Arthur Calmette parle du ''plan Taille'' (Taille, alias de Pène) [78, 86]. Ce plan comportait 52 sabotages sur des voies de communications essentielles. Calmette cite les plus spectaculaires, ''En septembre 43, l'ingénieur de la navigation Pierre, de Soissons, détruit le même jour l'écluse de Vauxrot et la ligne de transport de 150 000 volts à Sermoise. La centrale électrique de Beautor (près de Chauny) est sérieusement endommagée. A Hirson, en 1943, l'agent d'assurance Merlin qui monte un sabotage de voies ferrées, fait dérailler plusieurs wagons portant un gros canon de 280 ; il redouble son exploit deux jours plus tard, au cours des travaux de dégagement du canon, à quelques centaines de mètres du chantier allemand.'' L'audace de Merlin est incroyable. Le rapport du capitaine Dupont, chef de l'OCM pour le département de l'Aisne après le départ de l'ingénieur Bertin, muté à Bar le Duc, évalue à 300 le nombre d'opérations de sabotage jusqu'au 6 juin 44 [131]. Il donne la répartition de ce nombre par arrondissement. Il évalue par arrondissement les effectifs de l'OCM le 6/6/44, à un total d'environ 6000 personnes. Il évalue aussi les pertes allemandes : 2500 prisonniers, 340 tués, et celles dans les rangs de l'OCM : 130 tués. Plus de détails sur les actions effectuées se trouvent dans les documents [36] dans lesquels 16 résistants de l'Aisne décrivent dans les années 48-54 leurs actions de Résistance afin de les faire reconnaître. Pène précise à propos des terrains de parachutage et d'atterrissage clandestins ''Le nombre de nos terrains de parachutage croît continûment ; nous en avons 15, homologués par des inspecteurs venus de Paris et reconnus bons. Un seul terrain est reconnu admissible pour l'atterrissage d'un avion ; il sera utilisé le 10/12/1943, dans des conditions tragiques que je dirai plus tard.''[86] . Pène fait allusion au parachutage manqué de mi-septembre 43, cf la fin de la section B :II.3.6.

B :II.4.1 Les demandes de certificats d'appartenance aux FFI et de médailles Fin juin 1950 un décret portant forclusion au 1er janvier des demandes de reconnaissance officielle des grades dans les FFI a amené Pène à alerter ses anciens camarades de Résistance. Les requérants étaient obligés de décrire avec précision leurs actions militaires dans la Résistance. Ce sont donc des sources précieuses. Nous n'avons qu'un nombre restreint de ces documents [36]. Le contexte juridique est précisé dans une lettre de Pène à Jean Bertin [36]. Il y a les tableaux remplis par les résistants : date, lieu, durée de l'action, effectif du personnel, résultats obtenus, et observations. Pène devait bien sûr attester de l'activité des résistants concernés. Il était alors gouverneur du Bade-sud. Certains dossiers ont duré jusqu'en 1954. Il est aussi parfois question de la médaille de la Résistance. Beaucoup de membres des ponts et chaussées sont dans le lot des personnes contactées. Cela concerne tous les échelons de la hiérarchie. Des ingénieurs, tels Bertin, polytechnicien, jusqu'au bas de la hiérarchie, le chauffeur Hombrouck, Jomotte, chauffeur de goudronneuse, l'ouvrier mécanicien Lecomte, les ingénieurs de différents grades. La Résistance perturbait la hiérarchie sociale. Il y a un dossier de Pierre Pène (Taille, Périco, Portet, Pointis) qui donne une liste des gens de son mouvement qu'il a connus dans la clandestinité, la liste des sabotages qu'il a dirigés ou auxquels il a participé. Cette fiche [90] est un résumé riche des activités de résistance de Pène. La liste des personnes contactées par Pène dans les années 50 (entrées de [36]) comprend des résistants de l'Aisne, mais aussi des personnes de la direction nationale de l'OCM. Au sein des résistants de l'Aisne, la liste va au-delà du groupe nombreux des ponts et chaussées. En particulier signalons le groupe de Chauny, dirigé par le capitaine Etienne Dromas, un groupe nombreux, rattaché à l'OCM. Après la guerre cf ci dessus la section B :II.3.4. Jusqu'à présent nous n'avons cité que des hommes. Signe des temps ? Deux entrées concernant des femmes se trouvent néanmoins à la fin. Il y a Anne-Marie Vennin, qui fut secrétaire de Pasteau, puis de Pène, puis de Yarmoukine, qui ''a fait preuve de courage, de calme, de force de caractère, et de dévouement'', et dont la demande de médaille de la Résistance n'a pas été transmise ! Et les femmes russes ! Sofka Nossovitch et Vicky Obolenski !! Leur arrestation, la torture subie par Sofka, qui l'a rendue sourde, Vicky guillotinée à Berlin, leur invraisemblable courage a été décrit par Calmette [78] {pages 180-181}.

B :II.4.2 Pierre Pène obligé de démontrer qu'il était FFI Mais il fallait aussi que Pène démontre qu'il avait lui même été un chef des FFI. Aussi surprenant que cela paraisse cela n'a pas été facile. Cette bataille est bien documentée [153]. Cela dépendait du Général de Division Commandant la deuxième Région Militaire. Le 3/1/53 Pène envoie un courrier expliquant en substance toutes les récompenses qu'il a reçu, sa fonction à la tête de l'OCM pour l'Aisne et les Ardennes, puis de l'Armée Secrète pour les mêmes départements. Il s'étonne de ce que ces départements apparaissent comme absents de la Résistance. Ironiquement il poursuit en signalant qu'en ignorant son rôle à la tête des FFI de la région parisienne du 1/1/44 au 4/4/44, jour de son arrestation, on élimine aussi cette région ! Le préfet de l'Aisne est consulté. Il ne connaît pas Pierre Pène, il est prudent, Pierre Pène a certes accompli des actes de résistance, mais a-t-il été le chef ? Il se réfugie habilement derrière le fait que si on l'a nommé Commissaire régional pour la région de Laon St-Quentin, et ensuite gouverneur militaire du Bade, il doit bien y avoir des raisons pour cela. Et puis il y a dans les archives SHD {Service historique de la Défense} une attestation manuscrite de Anselme ARSA, qui dit "il évita la potence à 8 de mes hommes lors de l'attaque de la prison de Laon fin 1943". Nous n'avons trouvé aucun autre trace de cette attaque de la prison de Laon, ce qui ne veut pas dire qu'elle n'a pas eu lieu. Mais il y a une ironie dans le fait que seule cette action mystérieuse soit invoquée quand le ''plan Taille'' et les actions de la région parisienne sont absentes. S'agissait-il d'une mauvaise volonté de la part de cette deuxième Région Militaire, ou simplement du fonctionnement de la bureaucratie ? Nous ne le saurons jamais. Dans le cas de Pène, il était difficile de faire croire à de ''fausses vérités'', ce terme à la mode maintenant. Mais on peut hélas citer des exemples de Résistant moins ''visibles'' dont le courage fut nié et de collaborateurs notoires qui ont réussi à passer pour des résistants. Notons aussi qu'en 1953 Pierre Pène n'occupait plus de haute fonction dans l'Etat. Il avait quitté l'Allemagne en 1952. C'était aussi un moment de retrait de la vague : à la libération, les résistants survivants étaient très populaires. Dans les années 50 cela reculait, on voyait accéder au pouvoir des hommes politiques qui n'avaient pas résisté, et un général demandait à Pène de démontrer … sa résistance ! En 1953 des propos vichystes ressortaient sans pudeur allant jusqu'à traiter les résistants de voyous (cf E.III.2). B :II.4.3 Les maquis. Pène n'a pas eu à notre connaissance de contact direct avec les maquis. Mais, quand il fut Commissaire de la République de la région Picardie-Ardennes, il a prononcé des discours à la mémoire de ces maquis. Le maquis des Manises : Commémoration des 106 victimes du Maquis des Manises (Revin, Ardennes) sauvagement massacrées par les Allemands les 12 et 13/6/44 [91]. ''Les auteurs de ce massacre, le Feldkommandant de Charleville, le colonel Botho Grabowski, ainsi que le commandant ... Karl-Theo Molinari ne furent pas inquiétés après la guerre.....Molinari connut une ascension fulgurante dans l'Allemagne de l'après-guerre'' [109]. Il a rejoint la CDU, parti de Konrad Adenauer et en fut le représentant régional. Puis il est nommé officier supérieur dans la Bundeswehr. Il termine sa carrière militaire avec le grade de major général. On est désagréablement surpris par la complaisance dont on a fait preuve, tant du côté de la République fédérale d'Allemagne que du côté de la France, à l'égard de ce criminel de guerre. [205]. Le maquis de la coupille à St Algis : Commémoration des 5 morts du maquis de St Algis (Thiérache, nord de l'Aisne), mais aussi du brillant succès des maquisards qui ont tué 12 ennemis, ont détruit le matériel et pu dégager une partie des combattants en suivant un ruisseau [87,92]. On peut admirer des photos des maquisards de St Algis dans le livre de Mme Pitois-Dehu [87]. Dans un discours, Pène préside une commémoration conjointe du Dr Claude Mairesse (Hache) et d'Arnaud Bisson [93]. Ce dernier avait organisé la maquis de la Coupille à St Algis, il fut tué devant un barrage de route allemand. Il faisait partie du BOA (Bureau des Opérations Aériennes), une émanation du BCRA (Bureau Central de Renseignement et d'Action), situé à Londres. Pène fait allusion à une rivalité entre le BOA et les FFI c'est à dire entre Londres et la Résistance intérieure. Et pourtant dit-il, les deux héros qu'étaient Claude Mairesse et Arnaud Bisson, prêts à tous les sacrifices pour combattre l'occupant, se sont fort bien entendus. Outre le maquis de la Coupille, le groupement organisé par Arnaud Bisson comportait en juin 700 combattants répartis en trois équipes : les sabotages, les transports et les parachutages. Ces derniers étaient à la Coupille, les autres répartis dans des cachettes diverses [87]. La Coupille communiquait tous les jours par radio avec Londres, en changeant sans cesse les émetteurs de place pour éviter la détection par les goniomètres allemands. Ce maquis disposait de 21 terrains de parachutage ! [87]. Mme Pitois-Dehu parle d'un autre maquis, celui d'Osly-Courtil, situé à 10 km de Soissons, du 10/6 au 24/8/44. Il est composé de ''6 jeunes âgés de 16 à 19 ans, activement recherchés par la Gestapo. Leur chef est Jean Coret''. Ils sont rattachés au mouvement Libération Nord. ''Le 30 août 44 le groupe se rassemble à l'Hôtel de ville de Soissons et se met à la disposition de l'EM FFI (Etat Major des FFI)'' [87].

B :II.5 Le danger d'être repérés par les occupants Florence dans sa conférence à Soissons [144] dit à propos de l'année 43 : ''L’atmosphère devient de plus en plus lourde ; Pierre se sent sans cesse observé. Notre ligne téléphonique est interceptée. Nous sommes souvent suivis, recevons des visites incongrues, et prenons des habitudes de Sioux, croyant que nous ne les perdrons jamais'' [144].

B :II.5.1 Le rendez-vous avec Farjon. Le 15/10/43 Pène avait rendez-vous avec son chef dans l'OCM, Roland Farjon (Dufor). Il raconte ce qui s'est passé [66]. Il a un porte-document bourré de papiers compromettants. Trois Allemands arrivent et lui demandent ''vous êtes Taille ?... nous venons de la part de Dufaure''. L'accent a alerté Pène. Il prétend avoir rendez-vous avec une femme, fait un numéro théâtral, il regarde sa montre, prend l'air furieux, et finalement part lentement, rejoint Bertin et Boulloche et apprendra que Farjon a été arrêté le 13/10/43. Pène fait un commentaire sur son sang froid. Il avoue que plus tard, après son arrestation le 4/4/44 il entendra les Allemands dire ''Er ist bleich'' (il est livide) et ''cette pâleur me perdra''. Pourquoi dans des situations différentes réagit-on différemment, dit-il. En fait, nous, ses enfants, avons plutôt l'impression que son visage montrait assez généralement ses émotions. C'est plutôt son sang-froid lors du rendez-vous avec Farjon qui était exceptionnel et lui a donné cinq mois de liberté. Quoi qu'il en soit, cet événement marque le début de la période de grand danger. Nous reviendrons sur les effets de l'arrestation de Farjon, mais l'alerte avait été chaude.

B :II.5.2 Surprenante mise en garde du chef SS de l'Aisne. À de nombreux signes Pène ''sent l'étau se resserrer autour de lui''. Ses ingénieur ont été arrêtés (cf B :II.3.6). Il tente un coup de poker. En tant qu'ingénieur en chef il est normal qu'il se soucie de ses ingénieurs arrêtés. Il va, en décembre 1943, se jeter dans le gueule du loup, à la Gestapo de St Quentin, réclamer la libération de ses ingénieurs. ''Le SS croit devoir me dire : ''la résistance dans le département, nous la connaissons très bien, nous en connaissons les chefs mais nous ne les arrêtons pas encore, nous préférons surveiller leur activité'' ''. Quelle était l'intention du Nazi en donnant un tel avertissement ? On ne saura jamais. De la forfanterie ? Peut-être sous-estimait-il la rapidité de réaction de Pène ? L'âme humaine est souvent impénétrable ! Peu après ils intervenaient brutalement dans son bureau. Pène avait évidemment entendu l'avertissement et fui la région pour Paris en prétextant un congé de santé en. Il était censé se soigner en Savoie, et des cartes postales de Pierre Pène, préalablement envoyées à Elisabeth, la sœur de Françoise, étaient renvoyées par elle à Françoise de Savoie, où elle habitait. Depuis plusieurs mois la famille avait quitté Soissons pour Paris où Françoise avait trouvé un appartement à Boulogne, au 60 rue de la Tourelle, dans un groupe d'immeubles de structure complexe, les appartements ayant deux entrées dans deux escaliers différents, ce qui pourrait faciliter une fuite en cas de besoin. Pène passe dans la clandestinité totale, ce qui lui donne du temps pour la Résistance. Mais il doit trouver à se loger. Après plusieurs logements temporaires, Françoise et lui trouvent à louer un appartement ouvrier, rue Amelot, dans le 11ème. Ils font comme s'ils étaient un couple illégitime et Pène en fait son PC jusqu'à son arrestation. Il se rend parfois rue de la Tourelle, un code, un chiffon rouge au bout du balcon, visible de loin, lui indique si la voie est libre. Il vient voir le bébé Olivier né le 9/5/43, et il le traitera de meilleur agent de la Gestapo car ses sourires lui font courir de gros risques. De toutes façons il fallait quitter la Résistance dans l'Aisne. Bertin a succédé à Pène mais il a vite été muté à Bar-le-Duc, remplacé par l'ingénieur Couvreux, puis par le capitaine Dupont. Le département des Ardennes est alors rattaché à la région C (Châlons sur Marne). La description détaillée de ces activités se trouve dans le livre de Calmette [78], pages 86-90. B :III Pierre Pène à la tête des FFI de la Région parisienne Pène s'est donc réfugié à Paris. La répression a aussi fait de terribles dégâts à Paris et à la tête de l'OCM. B :III.1 Les pertes de L'OCM : Le colonel Touny, chef de l'OCM, est arrêté le 25 février 44 [78], p 180. Maxime Blocq-Mascart, vice- président de l'OCM, échappe de justesse, grâce à une concierge courageuse et habile, à l'arrestation le 28 août 1943, et jouera, comme il le dit, ''au jeu du chat et de la souris'' [94]. Il prendra la direction de l'OCM après l'arrestation du colonel Alfred Touny. Le 16 décembre 43 Sofka Nossovitch et Vicky Obolenski sont arrêtées (cf B :II.4.1). Arthur Calmette [78], p180 donne une liste certainement incomplète des arrestations début 44 : ''En janvier Richez, chef de la région Nord, et son agent de liaison Royaux ; en Février Lepercq, le colonel Touny (le 25), Rouzée (le 28), Rebeyrol (le 29) ; en mars Berthelot, Gallois, en avril Delvallez, du Nord, Charles Verny de l'OCM-Jeunes ; en avril Pène, Jacques Henri Simon, son hôte le Dr Richier, et l'agent de liaison pour l'Ouest , l'étudiant Joseph Michel. Pour le mois d'avril 1944 Piette évalue à 1600 le nombre des arrestations dans le seul département du Nord.'' Parmi ces personnes on trouve le chef de l'OCM, Touny, qui sera fusillé à Arras, son acolyte de la première heure, Gallois, Jacques Henri Simon, représentant l'OCM au conseil National de la Résistance, qui mourra en déportation, etc. On peut aussi consulter l'article de Guillaume Piketty sur l'OCM [101], p 135. B :III.1.1 Pène au comité Directeur de l'OCM En janvier 1944, Pène est nommé au Comité Directeur de l'OCM Il a exercé les deux fonctions. Il ne fait pas de doute que cette nomination suivait les arrestations de haut responsables. Quatre membres de ce Comité venaient d'être arrêtés. La question évidente n'était pas seulement de les remplacer mais de chercher d'où venaient les informations qui avaient permis ces arrestations. ''Pierre décide de mettre sur pied un service de contre-espionnage à l'intérieur des groupes''[24]. A quoi ont abouti ces enquêtes ? Nous ne le savons pas. Pène n'en a pas écrit ni dit un mot après la guerre, mais Françoise ne l'a pas inventé. Pourquoi cette discrétion ? Nous l'ignorons. B :III.1.2 Des infiltrations dans l'OCM des Ardennes ? La situation dans le département des Ardennes peut donner quelques lumières. Les documents consultés montrent de façon certaine des anomalies graves qui touchaient en particulier l'OCM. Penser que Pène a effectivement épuré ce secteur est une simple conjecture. Pène qui dirigeait l'OCM et l'AS de l'Aisne, s'était vu chargé aussi des Ardennes pour ces deux organisations. Il s'était largement déchargé sur André Point (commandant Fournier) dont nous avons parlé dans la section B:II.3.4. Il n'y a aucun doute sur l'intégrité de Point ni sur ses qualités remarquables de chef. Il est un exemple brillant de ces personnes de position sociale modeste (il était garçon coiffeur) qui révélaient dans les combats des capacités de commandement remarquables. La Résistance dans les Ardennes a été précoce et très combative. Il y avait des maquis, nous avons évoqué celui des Manises, dont les membres furent exterminés le 13 juin 44. Il faudrait aussi mentionner le maquis du Banel, à la frontière Franco-Belge [109]. Ce maquis très actif fut anéanti par les Allemands le 18 juin 44 suite à l'infiltration d'un espion, Roemen. Cela nous amène aux zones d'ombre de la Résistance dans les Ardennes. On mentionne parfois un autre maquis dirigé par Ernest Cardot, sous le nom de ''maquis d'Autrecourt''. Ernest Cardot était un industriel ayant appartenu à un mouvement fasciste français des plus extrêmes : le parti franciste. Ce parti a collaboré avec l'occupant Nazi. Alors Ernest Cardot aurait-il été un dissident qui combattait l'occupant ? Cardot a été tué le 5/6/43 par un des maquisards qu'il avait lui-même enrôlé et qu'il se proposait d'assassiner. Le maquis a enrôlé un nombre de jeunes appelés au STO (Service du Travail Obligatoire) qu'on dissuadait d'y aller et qu'on aidait dans ce sens. Cardot se présentait comme un résistant et a été nommé en mai 42 par Paul Royaux, alors chef de l'OCM des Ardennes, responsable OCM pour le secteur de Sedan. Il l'est resté jusqu'à sa mort : André Point, qui a succédé à Royaux l'a accepté dans cette fonction. L'OCM n'était évidemment pas à l'abri d'infiltration d'éléments ennemis. Cardot en faisait-il partie ? Il y avait parmi les maquisards de Cardot des jeunes gens sincèrement désireux de combattre l'occupant nazi. Il semble que ce soit le cas de Jacques Rousseau qui s'est étonné auprès de Cardot du fait qu'il prétendait être un résistant alors que son organisation franciste était pro-nazie. Il reçut la réponse laconique ''aujourd'hui les francistes sont divisés'' [108]. En pratique, le travail des maquisards de Cardot servait plus ses intérêts que la Résistance. Il est vrai qu'ils accumulaient des armes, mais pour quel combat ? Un ami de Jacques Rousseau, Alphonse Masier, a été jugé par un tribunal allemand à propos de la constitution de ce maquis. Il fut condamné à mort par ce tribunal. Voici un extrait du jugement le concernant. ''[Alphonse] Masier reconnaît avoir été avec [Jacques] Rousseau le chef de l'organisation. Il reconnaît également avoir recruté systématiquement les jeunes gens, les avoir empêchés de se rendre en Allemagne et avoir pourvu à leur ravitaillement et à leur logement. Il a en outre pris des dispositions pour que les jeunes gens obtiennent de fausses cartes d'identité et d'autre part a favorisé leur armement. Il avait également le projet d'agrandir l'organisation et de résister par les armes au moment du débarquement ennemi, l'organisation devait recevoir la désignation ''phalange ardenaise''. Comme motif de ses actes, il déclare être Français et catholique et prêt à donner sa vie pour ses idées si cela est nécessaire'' [108]. Le colonel allemand qui présidait le tribunal, l'a félicité ''vous êtes un héros (Sie sind ein Held)'' et il aurait aimé avoir un tel fils. Masier fut néanmoins condamné à mort et fusillé. Quel ennemi devait débarquer sinon les alliés Anglo-Américains ? Donc Masier se proclame pro-nazi. Peut- on penser qu'il jouait un double jeu et se présentait comme ami des Allemands pour attendrir le tribunal ? Le double jeu marche dans les deux sens : des vrais résistants faisant croire aux nazis qu'ils les soutenaient ou de vrais nazis français faisant croire à la Résistance qu'ils étaient des leurs. Cette situation trouble avait de quoi inquiéter la direction de l'OCM. Or il se trouve que peu de temps après la mort de Cardot, Pène était chargé par l'OCM et l'AS de s'occuper des Ardennes en même temps que de l'Aisne. Est-ce une coïncidence ? La veuve Hélène Cardot, fille de paysans aisés, a construit une spectaculaire carrière politique en faisant de son mari un héros de la Résistance. Elle n'a reculé devant aucun mensonge. Pour ne citer que le plus gros, elle a attribué à son mari la création du maquis du Banel, à la frontière avec la Belgique. Si le but du maquis d'Autremont qu'a créé Cardot est louche celui du Banel était un vrai maquis de résistance aux nazis. Mais Cardot n'y a jamais mis les pieds ! Par contre la liquidation de ce maquis a été facilitée par Hélène Cardot. Elle a reçu Charles Roemen, agent belge au service de l'Allemagne. Ce dernier lui a demandé de le mettre en contact avec les chefs de la Résistance des Ardennes, montrant un faux papier de l'Intelligence Service [109]. Elle prévient la Résistance (Point ?) et l'Abbé Fontaine, agent de liaison avec le maquis du Banel. Très vite Jean Hercisse, le successeur de Cardot pour le secteur de Sedan, vient lui dire de la part de Point que Roemen travaille pour les Allemands. Mais le mal a été fait. En 1946, Hélène Cardot fait partie des 21 femmes élues au tout nouveau Conseil de la République où elle occupe le poste de secrétaire dès son arrivée au Palais du Luxembourg. Elle a été Sénateur des Ardennes en 1948 puis a été vice-présidente du Sénat. Son pouvoir au niveau ardennais et national était considérable. Elle a persécuté l'Abbé Fontaine dont le seul crime était de dire la vérité sur le maquis du Banel, et on peut se demander si elle est étrangère à la décision qui a provoqué le suicide de André Point qui a dit la vérité sur Roemen. Les archives du maquis du Banel, cachées dans un tonneau, ont miraculeusement disparues. ''il fut sorti de sa cachette en présence de l'abbé le 16 septembre 1944, juste après la libération. Des scellés y furent apposés par Maître Jeanty, notaire à Izel, qui l'emmena pour une destination inconnue. On ignore à l'heure actuelle ce qu'il est advenu de ces documents'' [109]. Y avait-il quelque chose à cacher ? Pour résumer, le rôle d'Ernest Cardot et son objectif sont pour le moins très ambigus. La déclaration de Masier, membre du groupe Cardot est une déclaration d'allégeance aux nazis. Cela peut être un double jeu, mais crée plus qu'un doute. La propagande outrancièrement mensongère de la veuve de Cardot tend à renforcer a posteriori les soupçons concernant l'objectif réel de Cardot, qui fut, rappelons-le, responsable de l'OCM pour le secteur de Sedan. Cela justifiait largement une enquête de la direction de l'OCM. Nous n'en savons pas plus à ce sujet. L'abbé Fontaine s'est adressé à André Dulin, Résistant dans les Ardennes au sein du mouvement Libération Nord. Il lui a adressé un texte dévoilant les mensonges de Hélène Cardot et la persécution dont il faisait l'objet. Dire la vérité est souvent dangereux.

B :III.1.3 L'unification des forces armées des Résistants dans les FFI Pène arrive à Paris début 44. Calmette [78] p184 ''Dans la région Parisienne, la plupart des commandements de l'A.S.avaient été réservés à ''Ceux de la Libération (CDLL)''. Le groupement est à peu près complètement annihilé en décembre par les arrestations de ses chefs, notamment Ripoche (Dufour, Pons) et Coquoin (Lenormand). Touny, qui dirige l'OCM, récupère ce qui en reste et met à la disposition du nouveau responsable de CDLL, André Mutter, que son isolement fait appeler, par triste et amicale moquerie ''celui de la Libération'', les agents de liaison nécessaires. Ce surnom vient d'un témoignage de Françoise Pène par qui passait le courrier de Mutter. Calmette poursuit ''A qui confier le commandement de l'AS qui va devenir bientôt FFI, pour la région parisienne ? Touny songe à Pène, qui, suspect aux yeux des Allemands, a quitté l'Aisne en décembre 43 et est venu à Paris. Il est intégré aussitôt au Comité Directeur de l'O.C.M. Et désigné chef des FFI de la région P (son titre exact est Inspecteur Régional des FFI), sous le nom de Perico ou de Pointis'' avec grade de colonel. L'Armée Secrète, devenait FFI (Forces Françaises de l'Intérieur). En effet Le 29/12/43 les FFI (Forces Françaises de l'Intérieur) sont nées d'un accord signé par Pierre Dejussieu (Pontcarral) au nom de l'Armée Secrète, par le colonel Beaufils (Latour) au nom des Francs Tireurs et Partisans Français (FTPF) et par Louis Eugène Mangin, délégué militaire national du Comité français de Libération national. Les FTPF étaient l'organisation militaire du parti communiste. L'Organisation de Résistance de l'Armée (ORA), c'est à dire les résistants de l'armée de Vichy, seront admis dans les FFI le 26/2/44. L'ORA était l'objet d'une méfiance car c'était l'armée de l'armistice, et beaucoup de ses membres n'avaient basculé du coté de la Résistance que tardivement, essentiellement après l'invasion de la zone sud par les Allemands, fin 42. Il faut cependant reconnaître que l'ORA a vraiment combattu Vichy et les Nazis. Elle a aussi eu dans ses rangs bon nombre de martyrs. Nous avons cité le général Frère, mort au camp de Struthof, nous parlerons du général Joseph Guillaut torturé et assassiné le 27/6/44 (cf D:VIII.3.5). Il y en eut bien d'autres. En tout cas, la création des FFI unifiait vraiment les principales forces militaires de la Résistance Intérieure, nonobstant les inévitables tensions. Nous verrons un exemple de ces tensions mais aussi la preuve de leur sincère solidarité à Paris. Pour être complet, il faut ajouter l'appareil militaire directement piloté par l'Etat major gaulliste. Il y avait un chef militaire de la Résistance intérieure. Début 1944 c'était le général Dejussieu (Pontcarral). En dessous on trouve les Délégués Militaires de Zone (Zone Nord et Zone Sud), et en dessous les Délégués Militaires Régionaux (DMR). Le DMR de la région Parisienne est début janvier André Boulloche, le vieil ami de Pène. Hélas il sera arrêté et grièvement blessé le 12 janvier. Son successeur sera André Rondenay (Lemniscate) dont Pène dira ''une des plus belles figures de Résistant que j'ai connues''[54].

B :III.2 Pène Inspecteur Régional de la Région Parisienne Donc, début janvier, Pène est nommé à la tête de la région P. La région P est très étendue. De l'Oise, au nord de la région parisienne, elle s'étend jusqu'à l'Allier au sud [125] ! Le titre de Pène est ''Inspecteur Régional''. Cette fonction est commentée dans les Archives Nationales, archives de Bouchinet-Serreules [95]. Après l'arrestation de Jean Moulin, Serreulles et Bingen se partageaient sa succession. L'Etat Major National des FFI a proposé la fonction d'inspecteur régional. Serreules et Bingen approuvent cette décision [95]. ''On verra que la décision du Comité Central {des mouvements de Résistance : CCMR} du 1er Février prévoit la désignation d'inspecteurs régionaux. Leur nécessité se fait surtout sentir en zone nord où les chefs de région nommés par les mouvements sont dans plusieurs cas notoirement insuffisants ; la création d'inspecteurs régionaux représentants de l'Etat-Major permet ainsi de résoudre un certain nombre de cas épineux et d'éliminer des hommes (tels que Moreau de l'OCM dans la région M.) qui n'ont pas l'autorité pour présider à la création d'un Etat-Major qui soit l'émanation de tous les mouvements''. Cela permettait de résoudre le problème suivant [95] ''Quand les DMR (Délégués Militaires Régionaux), à partir de septembre 43, arrivèrent pour occuper leur postes, ils ne trouvèrent en zone nord dans la majeure partie des cas, personne qui fût qualifié pour les accueillir. Il leur fallut plusieurs mois pour prendre contact dans leurs régions respectives avec les chefs militaires des différents mouvements, qui souvent s'ignoraient entre eux. L'un d'eux était théoriquement le chef régional de l'ensemble, mais il ne contrôlait en réalité que les militants de son groupement d'origine''. Le texte du 1er février du Comité Central des Mouvements de Résistance (CCMR) évoqué par Serreulles ci- dessus a été déposé par lui aux Archives Nationales [126]. Ce CCMR n'est pas très connu. Dans le dictionnaire [101] p 174, Claire Andrieu dit qu'il s'est formé dans une réaction au CNR, par rejet des partis politiques et dans une volonté d'autonomie par rapport à la délégation générale. Cependant ''Claude Bouchinet-Serreules obtient d'en être le président dès la deuxième séance''. Créé en juillet 43, il cesse de se réunir en janvier 44. Le texte [126], qui a créé la fonction des inspecteurs régionaux, déclare ''Le Comité Central décide que les forces armées de la Résistance sont placées sous l'égide du C.N.R. Un état-major des F.F.I. est constitué''. Ce sera le COMIDAC (Comité d'Action), fusion des comités militaires des deux zones.

B :III.2.1 Le fonds d'archive du colonel Fouré Pène a donc été nommé à ce poste d'Inspecteur Régional de la région P à la suite du décès tragique de Roger Coquoin, qui a tenté de s'enfuir lors de son arrestation et a été blessé à mort. On n'a jamais retrouvé son corps, ce qui a accru la douleur de son épouse. Mais Roger Coquoin avait déjà, avec l'aide de son chef d'Etat-Major, Robert Fouré (Leroy, le Targuy, Bontemps), étudié en détail les conditions d'une insurrection de Paris en vue de sa libération. Le fonds d'archives de Robert Fouré [96] a été découvert par hasard en 1987 par des ouvriers venus mettre aux normes un ascenseur au 128 rue de Rennes. Robert Fouré se cachait dans une chambre de bonne au 6ème étage, et pouvait accéder au monte-charge qui partageait la colonne de l'ascenseur. Il cachait ses documents sous la tôle supérieure du monte-charge{1}. Ce fonds est d'une grande richesse{2}. On y trouve des documents d'intérêt national qui proviennent des réunions de l'Armée Secrète. Nous en verrons des exemples dans la section B :III.2.3 B :III.2.2 La bataille pour promouvoir Robert Fouré au titre de général à titre posthume Le colonel Robert Fouré a été arrêté le 17 mai 1944, il a été vu pour la dernière fois au camp de Dora, son corps n'a jamais été trouvé. Sa famille et ses amis se sont battus en vain pour qu'il soit nommé général à titre posthume. Leurs interventions nous font mieux connaître son rôle dans la Résistance. Dans une attestation du chef d'escadron Pornot-Leparc, datée du 31 août 46, sans doute pour soutenir la promotion de Robert Fouré au grade de général à titre posthume, il est dit ''Le colonel Fouré a mis sur pied, depuis juin 43, les plans de la Résistance dans les départements de la Seine et de la Seine et Oise. En particulier c'est lui qui a organisé Paris en ''secteurs'' dont il a assigné les chefs : Secteur Nord, commandant Suchet. Secteur Sud, commandant Rivière. Secteur Est commandant Bourgoin. Secteur Ouest, commandant Heymann dit ''Bertrand''. Ces chefs ont été ceux qui ont commandé jusqu'à la libération de Paris.'' Beaucoup d'autres attestations le soutenaient. Ronzier qui a fait partie du même convoi pour Buchenwald dit que tout le monde le nommait ''général''. Henri Ribière, qui fut membre du CNR, Henri Rol-Tanguy et le général Dejussieu (Pontcarral) interviennent. La veuve de Robert Fouré et son fils ont échangé quantité de courriers avec le ministre de la guerre puis le ministre de la défense nationale, et ses services. Cela n'a pas suffi, Robert Fouré n'a pas été promu au grade de général à titre posthume ! Robert Fouré exerçait les fonctions d'un général de brigade quand le 28/9/41 il fut mis à la retraite d'office par le régime de Vichy. L'administration ne prenait rien d'autre en compte. Oui, vous avez bien lu, en 1949 l'administration prenait tout simplement le point de vue du régime de Vichy !! La mauvaise foi des ministres est flagrante. Citons Mme Robert Fouré dans une lettre au ministre le 11 Janvier 1949, ''cela revient à dire que deux ans de résistance très active, un an dans les bagnes et la mort dans les camps nazis ne comptent pour rien.'' Louis Roussel, ''commandant Sahara'' a mené une campagne vigoureuse en faveur du titre de général pour Robert Fouré. Après la guerre il dénonce avec vigueur ceux qui, membres du mouvement Libération Nord, comme Robert Fouré, ''sont bien assis à une adresse où il n'y a plus de danger''. ''Vous vous êtes d'ailleurs tous servis en places, galons et citations, appliquant en cela le principe égoïste ''chacun pour soi''... vous avez promis les étoiles au colonel Robert Fouré (le Targuy) et vous ne respectez pas votre promesse.'' On ne peut que partager cette colère, surtout si on considère le travail fait par Fouré au profit de la Résistance que nous allons examiner maintenant. Dans ce parcours nous découvrons tant d'admirables actes d'héroïsmes, mais aussi tant de honteuses mesquineries. B :III.2.3 Le travail déjà fait par Coquoin et Fouré, Concentrons-nous sur la région parisienne. On trouve dans le fonds Fouré des descriptions détaillées de l'organisation de la Région P pour la bataille à venir. Ces documents ne sont pas tous datés, mais un organigramme intitulé ''Directives pour l'organisation des départements'' qui porte sur ''l'organisation du commandement'' est daté du 10 décembre 43, il porte la mention F.F.I. Il ne semble pas que ce fonds contienne de documents de l'année 44. Des documents organisent en détail l'action dans les PTT, d'autres mettent en garde contre les agents de la Gestapo munis de fausses lettres de commandement signées de Gaulle. Un document du 6 XII 43 est signé de Condé, adressé à Turenne, Luxembourg, Villars, Vauban. Qui est Condé ? C'est le nom de la région P, donc Coquoin, Fouré, … Les quatre destinataires sont les régions P1, P2, P3, P4 : P1 Seine ; P2 Seine et Oise, Oise, Seine et Marne ; P3 Eure et Loire, Loiret , Loire et Cher, Indre et Loire ; P4 Aube , Yonne, Cher, Nièvre, Allier [125]. Ce texte appelle, au vu de la dégradation de la situation matérielle et morale de l'ennemi, à un renforcement de la préparation et des actions militaires. ''Il importe donc - de pousser activement l'encadrement et l'instruction des éléments par un militaire récemment recruté. - De rechercher avec soin et d'attaquer tous les points sensibles de l'armée d'occupation – Services Généraux, Ravitaillement, Moyens de Transport, Industrie de Guerre, Dépôts d'Armes, de munitions, de carburant, etc.... - De s'emparer, toutes les fois que c'est possible, de son armement, de son matériel soit en s'attaquant à des postes mal gardés, soit en détournant en cours de route la production des usines qui travaillent pour son compte.'' La directive poursuit en demandant des informations sur l'état actuel de l'armement, sur ce qui a déjà été distribué aux combattants ou pourrait l'être en distinguant les armes qui proviennent des parachutages (BOA Bureau des Opérations Aériennes, et IS Intelligence Service) et celles qui proviennent des stocks français et allemands récupérés. Permettons-nous une anecdote. Le 10/2/2017 Robert Endewelt donnait une conférence. Résistant, il était membre de la direction régionale des jeunesses communistes juives de la MOI. Il est né en 1923. Il est resté à Paris pendant toute l'occupation et a tout de suite participé à la Résistance, mais il n'était pas dans les secteurs d'action militaire comme les FTP-MOI, il s'occupait plutôt de la propagande. Malgré son grand âge, sa lucidité est aujourd'hui totale et son intelligence politique impressionnante. On lui a demandé si les combattants de la libération étaient armés. Il a eu cette réponse admirable, en substance ''Oui, on ne savait pas d'où venaient ces armes mais les armes ont surgi quand il a fallu mener les combats de rue.'' Si on rapproche ces propos, concernant les combats d'août 1944 et les directives dont nous venons de parler qui datent de la fin 43 on prend la mesure de la longue et systématique préparation de l'insurrection de Paris, et ce, dans un climat de répression épouvantable. Le 10/12/43, Condé adresse aux mêmes une série de conseils concernant les actions de sabotage. : ''1° : Son efficacité doit être maximale, 2° : Elle doit avoir le moins de conséquence possible sur le minimum vital laissé aux Français 3° : Elle doit épargner le plus possible le patrimoine national,....'' Une note concernant ''Luxembourg'' c'est à dire la Seine et Oise, Seine et Marne et l'Oise (25 ou 28/12/43), demande aux départements de fournir la liste des ''interdictions'' qu'ils pourraient exécuter et entretenir. ''Le but recherché est l'immobilisation des armées allemandes au moment de la reprise des hostilités''. Voyons la liste de ce qu'il faut interdire : interdire les routes, voies ferrées, voies d'eau, transport aérien, transmissions, bloquer les états-majors, capturer les dépôts d'armes et de munitions, enfin détruire le service de renseignement ennemi et assurer notre sécurité. On le voit ce plan est précis, détaillé et bien pensé. Une note enseigne comment identifier correctement les positions des troupes allemandes afin de les signaler. On trouve ensuite des directives détaillées de sabotage à faire à l'encontre de lignes téléphoniques et de lignes de trains. Des questionnaires ''action'' établissent l'enquête nécessaire autour d'une action proposée, les réponses et dessins qu'il faut fournir. Des plans de sabotage des lignes téléphoniques, des voies de chemin de fer sont présentés. Remontant le temps, le fonds Fouré contient des textes de septembre 1943 concernant les services de santé nationaux ou régionaux. Sans entrer dans les détails, cette façon de prendre en main, au nom de la Résistance, cet aspect de la vie des citoyens est étonnante et encourageante. Notons que, dans ces documents, les initiales S.S signifient ''Service Santé'', pas de confusion avec les Schutzstaffel ! Passant du coq à l'âne, un ''Compte-Rendu du comité militaire de la zone Nord, 13 août 1943'' puis un texte du 7 octobre 1943 décrit un accord entre l'armée de l'armistice et les responsables des huit mouvements de Résistance, cela se résume à un engagement d'obéissance au CFLN (Comité Français de Libération Nationale), situé à Alger. Il faudra à l'armée de l'armistice encore du temps avant d'être admise au sein des FFI. Devait-on se priver du général de Lattre, du colonel Joseph Guillaut, et de bien d'autres, dans ces combats ? Notons en passant que l'unité de la Résistance au sein des FFI avait fait bien des progrès : Roger Coquoin de CDLL, Robert Fouré de Libération-nord, Pène de l'OCM, Rol-Tanguy des FTP.

B :III.2.4 La région Parisienne était trop vaste : La région P était trop vaste. Nous avons déjà vu que la région P était nommée Condé. Nous avons déjà vu la liste suivante de la région P découpée en 4 parties, déjà présentées dans la section B:IV.1.3 : P1 Seine (Turenne); P2 (Luxembourg) seine-et-Oise, Oise, Seine-et-Marne ; P3 (Villar) Eure-et-Loire, Loiret , Loire- et-Cher ; P4 (Catinat, Vauban) Aube , Yonne, Cher, Nièvre, Allier. Sur un atlas antérieur au redécoupage des départements on peut se rendre compte de ce que cela représente [125]. Cette carte montre, entourées de rouge P1 et P2 et entourées de bleu P3 et P4. P1, c'est Paris et quelques villes de la proche banlieue, telle Boulogne Billancourt. P2 c'est autour de Paris une région s'étendant jusqu'à 100 km de distance de Paris vers le nord au delà de Beauvais. P3 s'étend vers le sud-ouest jusqu'à 175 km de Paris, au delà de Blois ! Et P4 s'étend vers le sud à 300 km de Paris, jusqu'à Vichy (sic). Il est évidemment impossible d'en faire une seule région, les situations sont très différentes dans P3 et P4, zones rurales de celles de P1 et P2. N'oublions pas que ces distances considérables devaient être franchies dans un pays truffé d'Allemands. Les descendants de Robert Fouré ont découvert dans les archives de l'armée à Vincennes une lettre adressée au général de Jussieu (Pontcarral), qui dirigeait les FFI à l'échelle nationale, signée de Pène (Péricault) et Robert Fouré (Leroy) [88]. Cette lettre demandait de séparer P3 et P4 de P1 et P2. Nous ne connaissons pas la date de ce courrier, mais le message a été entendu. Déjà fin 43 la région P3 quittait la région P : avec le Cher elle était dans la région centre et elle avait son DMR, Marc O'Neil [78]. La liste [96] mentionnée ci-dessus a probablement été établie fin 1943. C'était la décomposition en Régions de l'Armée Secrète. Calmette [78] donne une décomposition un peu différente. Elle est postérieure à celle de Fouré, il place une partie de P4 dans la partie D3 de la Région D (Dijon), en signalant qu'auparavant ces départements dépendaient de Paris. Sur wikipedia [140] on trouve une décomposition concernant les FFI qui qui semble être finale, probablement établie par le général de Jussieu (Pontcarral) avant son arrestation en mai 44. De nouvelles Régions apparaissent, par exemple le Centre. Les Régions P1 et P2 sont les mêmes que chez Fouré. P3 et P4 sont réparties de façon un peu compliquée, nous allons en donner un petit tableau. Département Fonds Fouré [25] Calmette [3] wikipedia [70] Eure-et-Loire P3 P3 Centre Loiret P3 P3 Centre Loire-et-Cher P3 P3 Centre Indre-et-Loire M1 (Normandie-Bretagne) P3 Centre Aube P4 P4 Champagne-Ardennes Yonne P4 P4 Bourgogne Cher P4 D3 (Dijon) Centre Nièvre P4 D3 Bourgogne Allier P4 D3 Auvergne Les effectifs des FFI de cette Région sont décrits [124] à la date du 1er février 1944 pour Libération, OCM, FTP, CDLR. Il manque CDLL. Sur toute la vaste région P on compte 835 hommes armés, on estime à cent fois plus, 85605, le total en ajoutant les hommes entraînés non armés et les réserves. La Seine en compte 135 armés et au total 42882. La région P2 en compte 145 et 17463. Le manque d'armes est bien sûr criant. B : III.2.5 Les actions de sabotage dans la Région Parisienne Comme nous l'avons dit, nous avons trouvé peu d'informations concernant l'action des FFI de la Région Parisienne, alias ''Condé'', pendant cette période de début janvier à début avril 1944. Nous allons traiter dans la suite du désaccord sur la stratégie de la préparation de l'insurrection entre Pène et Rol-Tanguy. Mais parlons maintenant des actions menées. Voyons d'abord qui sont les dirigeants de Condé pendant cette période. Pène est l'Inspecteur Régional, et Robert Fouré le chef d'Etat-Major. Rol Tanguy est déjà responsable du 3ème bureau, c'est à dire précisément le bureau ''Action''[98]. Dans un témoignage recueilli en 1957 par Arthur Calmette [54], Pène cite aussi Lefaucheux et Lepercq, de l'OCM. Lepercq a été son adjoint pour Paris jusqu'à l'arrestation du colonel Touny, Lepercq prenant alors la présidence de l'OCM [101]. Pierre Lefaucheux (Gildas) a donné un témoignage de son activité de Résistance en particulier à Paris [127]. Il détaille l'organisation qu'il met en place, les responsables qu'il nomme, les contacts qu'il prend. Après le départ d'Aimé Lepercq (25/3/44) et l'arrestation de Pierre Pène (4/4/44), il se retrouve de facto à la tête de Paris, la Seine et la Seine et Oise. Il réclame des armes, ''Ce fut le point noir. On n'en eut jamais assez. Gildas entra en contact avec les DMR qui étaient chargés de distribuer les armes et n'en obtint pas ou presque pas. il vit Rondenay (Jarry), Boulloche (Armand), ainsi que Pierre Sonneville officier de marine envoyé par Londres à Paris. Celui-ci dit carrément à Pierre Lefaucheux que Londres ne voulait pas donner d'armes à la région parisienne. Sans doute craignait-on une insurrection communiste''[127]. Lorsque Lefaucheux fut à son tour arrêté le 3 juin, à la veille de l'insurrection parisienne, il n'y avait pratiquement pas d'armes dans la région parisienne ! Cela contredit-il le témoignage de Endewelt (B :III.2.3) ? Il semble qu'à partir de juillet 1944 les alliés aient compris l'importance d'armer la Résistance, mais ils n'ont pas envoyé beaucoup d'armes dans la région parisienne. Le 19 août les FFI sont au nombre de 35.000, dont 20.000 FTP, mais Rol-Tanguy ne peut en armer que 2.000. ''Au cours des journées insurrectionnelles, les effectifs vont grossir – l'armement également grâce aux prises sur l'ennemi – et à la fin des combats, les FFI regroupent 50.000 combattants dans la région parisienne'' [150]. Pène mentionne aussi André Mutter, de ''Ceux de la Résistance'' (CDLR) qui avait succédé à Roger Coquoin (François) (CDLR) au CNR comme représentant de ce mouvement. Enfin le colonel de Marguerittes (colonel Lizé), venu de Bordeaux, dont il fait son adjoint qu'il informe de tout pour le cas où il serait arrêté. Ce colonel remplacera Lefaucheux après son arrestation (3 juin) et il participera à l'insurrection de Paris comme responsable FFI de Paris sous le commandement de Rol-Tanguy. Dans le même témoignage [54], Pène mentionne l'organisation de sabotages, dont ceux des usines S.N.F et Bronzavia. Il est très probable que, suite à une erreur de mémoire ou de transcription, il se soit agi de S.K.F., une usine de roulements à bille. Le récit détaillé du très spectaculaire sabotage des usines Bronzavia à Courbevoie par Pierre Henneguier (julien) est accessible [120]. En janvier 1944, Pierre Hennéguier (Capitaine Julien) avait été nommé chef des actions de sabotage dans la région P (Paris, Seine, Seine-et- Oise, Seine-et-Marne, Yonne, Loiret, Nièvre). Son groupe attaqua les usines : Bronzavia à Courbevoie, Rossi à Levallois ; Timken à Gennevilliers ; Malicet et Blin à Aubervilliers et surtout Renault à Boulogne- Billancourt, où au cours de deux expéditions, huit chars, un pont-roulant et cinq autos-mitrailleuses furent détruits et des armes récupérées. L'entreprise SKF à Ivry a été l'objet d'un sabotage très bien réussi, témoignage de Roger Deniau [121]. Roger Deniau appartenait au réseau ''Libération-nord''. Il était à Paris et présidait le ''Comité Parisien de Libération (CPL)''. Il souligne un exploit de son mouvement : ''Un des sabotages les plus importants fut le sabotage effectué par un groupe franc de Libé-Nord aux usines S.K.F. d'Ivry. Les usines fabriquaient des roulements à bille''. ''Dans les premiers jours du mois de janvier 1944, un envoyé de Londres vint à Paris, accompagné d'un instructeur saboteur chez Saillant et Deniau auxquels il déclara que l'Etat Major interallié demandait que l'usine S.K.F soit neutralisée au plus tôt sans quoi 500 forteresses volantes bombarderaient ces usines''[121]. Il est inutile de préciser les dégâts que ces forteresses volantes auraient faits aux civils voisins de l'usine. Il fallait donc que les Résistants s'en chargent. Le témoignage de Deniau se poursuit ''plusieurs groupes avaient déjà des instructions pour faire cette opération, mais aucun ne l'avait réussi''[121]. De fait, deux Compagnons de la Libération, Pierre Briout (Pelle), et François Fouquat (Cisaille), envoyés du BCRA, furent blessés lors d'une tentative de sabotage de S.K.F. La garnison allemande avait été prévenue par un informateur. Cela nous confirme dans l'opinion que le BCRA était sérieusement infiltré par des agents ennemis. Voici donc comment s'y sont pris les Résistants de Libération Nord [121]. Cette opération, le sabotage de S.K.F. ''fut réalisée par 12 francs-tireurs de Libé-Nord. Ceux-ci pénétrèrent dans l'usine habillés en ouvriers et furent guidés par un camarade déjà dans la place. Ils avaient pour mission de faire sauter les rectifieuses et le dépôt de mazout. Chacun portait une petite boite dans laquelle se trouvaient l'explosif, les détonateurs, etc. Celui qui était chargé du dépôt de mazout passa tranquillement devant la sentinelle allemande qui lisait un roman et ne fit aucune attention à lui. En principe tout devait sauter à 18h, après le départ des ouvriers. Mais les premières explosions commencèrent vers 16 heures et se prolongèrent jusqu'à 19 heures. Dès les premières détonations les ouvriers quittèrent l'usine et les saboteurs se joignirent à eux, sans qu'aucun ne fût inquiété. Les Francs- tireurs de Libé-Nord avaient d'ailleurs eu beaucoup de mal à se procurer le matériel nécessaire pour l'exécution de ce sabotage. Ils avaient dû aller jusqu'à Bordeaux pour chercher le plastic. Cette opération fut effectuée, croit Deniau, vers le mois de Mars 1944.'' Les deux du BCRA mentionnés ci-dessus, Pierre Briout et François Fouquat, remis de leurs blessures, ont participé sous les ordres d'André Rondenay (Jarry), avec succès, dans des conditions extrêmement périlleuses, au sabotage en équipe de plusieurs usines entre février et mai 1944 (Timkem à Gennevilliers, Malicet & Blin à Aubervilliers, Ets Rossi à Levallois, Sté Bronzavia à Courbevoie, Usine Renault de Billancourt, Sté Hotchkiss de Clichy)[122]. Il s'agit des actions dirigées par Pierre Hennéguier (Capitaine Julien) mentionnées ci-dessus. Ces actions de sabotage ont été très spectaculaires d'autant qu'elles étaient très délicates à mener à bien. Elles étaient menées pas un seul mouvement de Résistance, pour des raisons de sécurité évidentes, le groupe Action dans le cas de Pierre Hennéguier, le groupe Libé Nord dans le cas décrit par Deniau. Ce n'était pas la fonction de L'Inspecteur Régional de planifier et organiser ces actes, mais certainement de les encourager et de les aider. L'argent étant le nerf de la guerre, l'inspecteur avait cette tâche de recevoir l'aide financière de Londres et de la répartir dans la région qui, répétons le, était très vaste. Quand Pène se fera arrêter avec une grosse somme d'argent sur lui, cela aura un effet négatif sur toute la Résistance de la région privée de financement. Cette répartition demandait de continuels contacts qui étaient bien sûr toujours dangereux. Le jour de son arrestation il avait rendez-vous avec ''Maxime et Personne''. Maxime, c'est Bloq- Mascart, qui dirige l'OCM. Personne est Jacques Piette qui est à l'époque chef militaire de l'OCM. Il fallait aussi contrôler les dirigeants des FFI au niveau des départements. Cette fonction était saluée par Bingen et Serreules. Il fallait bien sûr veiller à la collaboration des FFI des différents mouvements. Enfin la vision stratégique du chemin vers les combats de la libération était importante. Avec cette difficulté supplémentaire que la vision de de Gaulle véhiculée par le Délégué Militaire National (DMN) différait de celle du Conseil National de la Résistance (CNR) qui était assumée par le COMAC et le COMIDAC. Nous allons voir un autre exemple de désaccord sur la vison stratégique, mais aussi plus tard nous verrons la véritable convergence de différents mouvements de Résistance que l'organisation des FFI a permise.

B :III.3 Désaccord entre Rol Tanguy et Pène à propos d'un appel à l'action immédiate. Pierre Pène nous a laissé peu de témoignages sur la période où il a dirigé les FFI de la région parisienne. Une question qu'il souligne se présente comme un désaccord avec Henri Rol-Tanguy. ''Vers mars 44, Rol Tanguy lui apporte un plan d'insurrection de masse, à déclencher au moment du débarquement allié. M. PENE trouve le plan dangereux et ne le transmet pas''[54]. Plus tard Pène dira ''Un jour Rol m'amène, en sa qualité de chef d'Etat-Major un appel à l'insurrection parisienne rédigé par le PC. Il s'agissait pour la population de Paris désarmée, inorganisée, sous-alimentée de se soulever contre la puissante force d'occupation allemande. L'énoncé seul du problème suffit à en faire apparaître le caractère déraisonnable. Transmettre cet ordre pour exécution, c'était conduire les plus courageux des habitants de la capitale au massacre. L'entreprise était si insensée que je me demande si elle ne cachait pas une manœuvre; mais laquelle ? Envoyer en tête au casse-pipe les cohortes bourgeoises pour les éliminer ? En acculant les groupements non communistes à refuser leur collaboration, se donner à bon compte un rôle apparemment héroïque ? Je n'hésitai pas longtemps, mis le papier sous le coude et n'en entendis plus jamais parler. L'insurrection parisienne éclate dans des conditions bien meilleures avec l'appui matériel et moral de la division Leclerc et des armées américaines. L'exemple de Varsovie durant la guerre de 39-45, celui de en 1957, montrent qu'un insurrection populaire dans une grande ville ne peut qu'échouer si elle n'a pas le soutien ferme d'une armée étrangère. '' [66]. Notons une inexactitude, le chef d'Etat-Major était Robert Fouré. Rol était responsable du 3ème bureau, celui des opérations. A ce titre il pouvait tout à fait intervenir sur l'action immédiate. Ce désaccord révèle la méfiance entre les communistes et les gaullistes. Le hasard de l'histoire a fait que précisément Rol-Tanguy, s'est trouvé à la tête des FFI de la région Parisienne à partir de début juin jusqu'à l'insurrection de Paris. Cette insurrection a-t-elle été aventureuse comme le craignait manifestement Pierre Pène ?

B :III.3.1 Brèves remarques sur l'insurrection de Paris. Rol-Tanguy était communiste et Pène a naturellement vu dans sa proposition la main du Parti. La lecture du livre de Roger Bourderon [98] révèle que c'est plus compliqué : quand il a eu des fonctions dans les FFI, Rol-Tanguy a privilégié les directives de la hiérarchie des FFI sur celles du Parti Communiste. Nous verrons plus loin le texte que Rol a probablement proposé à Pène et nous comparerons ce qui y était écrit avec le déroulement de l'insurrection de Paris. L'insurrection a été de fait déclenchée par la révolte des policiers qui ont occupé la préfecture de police le 19 août. Rol savait bien sûr qu'il était impossible à des FFI légèrement armés de faire sauter la demi-douzaine de verrous allemands dotés de chars ''Panzer''. Pourtant, une fois commencée il était d'avis de poursuivre cette insurrection jusqu'à la libération de la ville. Le 20 août il y eut une proposition de trêve. Suivons le récit de Christine Lévisse-Touzé [147]. La disproportion des moyens militaires inquiète Parodi, représentant du Gouvernement provisoire, Chaban son adjoint et Délégué Militaire National et Hamon, vice président du Comité Parisien de Libération. Sans consulter Rol, Parodi donne l'ordre d'évacuer la préfecture de police, mais le Comité de libération de la police refuse. Le consul de Suède, Nordling, engage des négociations avec Von Choltitz pour une trêve. Le 20 au matin, des tracts diffusés par des voitures de la police et de la Feldgendarmerie annoncent la trêve. Parodi lance aussi un appel à la trêve. Mais la majorité des résistants est hostile à cette trêve, et Rol-Tanguy le premier. Le colonel de Marguerites (Lizé), à qui Pène avait accordé toute sa confiance, était aussi hostile à cette trêve. De fait elle ne fut respectée par aucune des deux parties. Notons en passant qu'une trêve aurait sans doute autorisé les troupes Allemandes en retraite à passer par Paris, alors que la poursuite de l'insurrection a obligé ces troupes à contourner Paris par le nord, les retardant ainsi beaucoup. Le 22 août l'appel aux barricades est lancé, il y en aurait eu près de 600. Le 24 août la colonne du capitaine Dronne, essentiellement composée de républicains espagnols, arrive place de l'hôtel de ville et les cloches sonnent. L'émotion est intense, les parisiens ont des larmes de joie, même si au bruit des cloches se joignait encore celui de combats en certains points de la ville. Dans la banlieue, les soldats de la 2ème Division Blindée apprenaient par les cloches que Dronne et ses républicains espagnols avaient réussi. Aujourd'hui encore, peut-on rester indifférent à l'écoute des enregistrements de ce moment historique ? Le lendemain le gros de la division Leclerc pénètre par plusieurs voies dans Paris, vite appuyée par la 4ème division d'infanterie US. Paris était libérée ! Mais revenons au début 44, quand un texte est parvenu entre les mains de Pène transmis par Rol. De quel texte s'agit-il ? Mme Cécile Rol Tanguy, agent de liaison de Henri Rol-Tanguy, nous a dit ne rien savoir à ce sujet. Nous avons longtemps cherché ce texte et nous pensons finalement l'avoir trouvé aux Archives Nationales dans un fond déposé par Michel Pasteau, un ami de longue date des Pène. Mais nous y viendrons dans la section B:III.3.3, voyons d'abord le contexte. La date évoquée par Pène correspond à celle de la parution du ''Programme d'Action de la Résistance'' adopté par le bureau du CNR le 28 février 1944. Evoquons rapidement l'historique et le contenu de ce programme afin de connaître les débats sur l'activité de la Résistance et les conclusions de ces débats. B :III.3.2 Le Programme d'Action de la Résistance du 28 février 1944 Une ''charte de la Résistance'' a été élaborée par le Front National (FN), proche du PC. Claire Andrieu [79] décrit les discussions autour de ce texte et les modifications successives qui lui sont apportées. Le bureau du CNR a d'abord modifié le texte et écrit une ''charte de la Résistance'' du bureau du CNR en janvier 44. Elle est transmise aux autres membres du CNR et reçoit des ''critiques non négligeables''. ''Le bureau du CNR le confie au Comité Directeur (CD) des Mouvements Unis de Résistance (MUR), principal organisme de résistance en zone sud.'' Le MUR s'adjoint le comité directeur du Mouvement de Libération Nationale tout nouvellement formé qui révise le projet du bureau. Ce texte est finalement ''unanimement accepté avec des corrections minimes'' par le bureau du CNR le 28 février 44 sous le nom de ''Programme d'Action de la Résistance''. Le représentant du FN dans le bureau du CNR, Pierre Villon a donc accepté ce texte, et Pierre Villon était communiste. Ce texte était accepté par Bingen qui représentait le CFLN au bureau du CNR. Les critiques de ce texte sont venues surtout du Parti Socialiste (PS). Un texte définitif du ''Programme d'Action de la Résistance'' recueillant l'accord des socialistes est finalement adopté le 15 mars 1944. On peut le lire intégralement dans l'App 5 de [79]. Ce n'est pas un appel à l'insurrection immédiate. Le texte dit ''Les représentants des organisations de Résistance, des centrales syndicales et tendances politiques groupés au sein du CNR...... proclament leur volonté de libérer la patrie, en collaborant étroitement aux opérations militaires que l'armée française et les armées alliées entreprendront sur le continent, mais aussi de hâter cette libération, d'abréger les souffrances de notre peuple, de sauver l'avenir de la France, en intensifiant sans cesse et par tous les moyens la lutte contre l'envahisseur et ses agents commencée dès 1940.'' Le paragraphe suivant adjure les alliés d'ouvrir vite le second front. Un souhait tout à fait général. Certes l'URSS avait hâte de ne pas supporter seule le poids de la guerre, mais qui, à part les partisans de Vichy ne souhaitait pas être libéré le plus vite possible. Il n'est pas question d'insurrection générale sans l'appui des armées alliées et françaises. Avec du recul, ce texte était prémonitoire. Il s'est révélé plus tard très difficile d'obtenir des alliés que la division Leclerc puisse débarquer en France, et aussi que de Gaulle ait le droit de venir dans les zones libérées. Il a été difficile ensuite d'obtenir des Alliés que la division Leclerc appuyée par la 4ème division d'infanterie américaine aie le droit d'aller soutenir l'insurrection parisienne. Tout le monde s'y est mis, de de Gaulle aux insurgés parisiens, pour convaincre les Américains. Le scénario du CNR s'est finalement à peu près réalisé comme prévu ! Et de plus, répétons-le, il s'est avéré, contrairement aux craintes US, que la libération de Paris n'a pas été un poids supplémentaire pour les Alliés, mais bien au contraire une entrave redoutable au repli des troupes allemandes. On peut être fiers, non ? (ce n'est pas toujours le cas dans cette période). Dans ce texte il est question d'actions militaires qui affaiblissent l'ennemi. Cela faisait déjà longtemps que les résistants pratiquaient le sabotage, cf la section B :II.4. Pène avait organisé le ''plan Taille'' dans l'Aisne, mais aussi cf, section B:III.2.5, les sabotages mentionnés parmi d'autres de Bronzavia et de SKF. Le texte appelle à créer des comités de libération à différents échelons et ces comités doivent soutenir toutes les actions de lutte contre l'occupant. L'Etat major des FFI est invité à harceler l'ennemi, paralyser ses transports, ses productions de guerre, etc. Les FFI sont aussi invités à appuyer et protéger militairement les actions de protestations de masse, ''les manifestations patriotiques, les mouvements revendicatifs des femmes de prisonniers, des paysans et des ouvriers, contre la police hitlérienne, d'empêcher les réquisitions de vivres et d'installations industrielles, les rafles organisées contre les réfractaires et les ouvriers en guerre, et de défendre la vie et la liberté de tous les Français contre la barbare oppression du vainqueur provisoire.'' Pour résumer, ce texte semble bien adapté aux combats à venir et il faisait l'objet d'un consensus large. Bien que la date corresponde à celle que mentionne Pène pour le texte de Rol Tanguy qui lui déplaisait, on ne peut pas imaginer qu'il rejetait un texte avalisé par le bureau du CNR représentant toute la Résistance. Il faut donc chercher ailleurs.

B :III.3.3 Probablement le texte en question : émis par Rol-Tanguy et vu par Pène et Robert Fouré Nous avons un bon candidat pour le texte soumis par Rol et qui a déplu à Pène. Michel Pasteau était un ami de Pierre et Françoise Pène depuis leur séjour en Ethiopie. Il était un des premiers membres de l'OCM, aux côtés du colonel Touny. Il s'est évadé d'une façon spectaculaire le 16/12/43 [78]. Il a montré des documents à Arthur Calmette, historien de l'OCM, qui demandait son témoignage. Il les a déposés aux Archives Nationales [118]. Le document se nomme ''note de Condé pour l'action immédiate''. Il est consultable en version numérisée aux Archives. Condé désignait les FFI de l'Île de France. Ce document était signé du responsable du 3ème bureau (bureau ''action'') de Condé qui n'était autre que Rol-Tanguy [98]. Il contient deux textes, le premier date du 18/1/44 et le second du 28/2/44. Le second est noté ''Vu l'Inspecteur Régional'', c'est à dire Pierre Pène, et ''Vu, le chef d'E.M. Condé'', le chef d'Etat Major de Condé était le colonel Robert Fouré. Nous retrouvons plusieurs personnages importants des FFI parisiens au printemps 44. Du premier texte nous retiendrons le Nota Bene final qui traite de la nécessaire soumission au C.M. (probablement Commandement Militaire) FFI. Cela illustre ce que rapporte R. Bourderon [98] que Rol souhaitait une discipline militaire dans les FFI plutôt que des continuels marchandages entre mouvements. Cela explique le ton désabusé ''Vu l'état actuel de la question, il est bien entendu que les opérations conçues par ces C.M. seront ordonnées à ces groupes par les organisations auxquels ils appartiennent, ceci jusqu'à nouvel ordre''. En d'autres termes, l'organisation des FFI ne permet pas encore de fonctionner vraiment comme une armée. Le deuxième texte a donc été vu, mais probablement pas approuvé par Pène. Nous ne connaissons pas l'opinion de Robert Fouré. Il part d'une référence au Programme d'Action de la Résistance du 28 février 1944, cf B :III.3.2 résultant d'un accord entre les différentes tendances de la Résistance au sein du bureau du CNR. Celui de Rol est plus énergique, plus proche de ce que les communistes auraient souhaité. L'action immédiate est vitale pour les FFI car, ''résolue avec une énergie et des moyens croissants (en combattants et en armes), que seule l'action peut donner, cette même question réalisera la préparation réelle du jour J, la libération nationale par l'insurrection nationale et la formation d'une puissante armée française''. Le mot d'ordre est ''faire la guerre'' en citant les poilus de 1918. Ironie de l'Histoire car en 1918 les communistes n'étaient pas d'accord pour faire cette guerre là. Le texte poursuit en citant des exemples : les partisans soviétiques, les partisans yougoslaves du Maréchal Tito, et la libération de la Corse. Ces exemples avaient de quoi inquiéter Pène et Fouré : chacune des ces situations avait ses spécificités. Il est fait mention de l'unification que les FFI ont fait des forces armées de la Résistance, mais il n'est pas fait mention de la nécessaire ''coopération avec les Alliés en cas de débarquement'' comme dans le texte du CNR. Nous avons déjà dit que dans les faits, en août 44, Rol a fait très attention à cette nécessaire ''coopération avec les Alliés'' qui avaient enfin débarqué. Ce texte est-il une initiative de Rol ou vient-il de l'appareil du Parti ? On sait que les relations de Rol avec l'appareil du parti n'étaient pas au beau fixe. Après la libération Rol décidera de rester dans l'armée, ce qui lui attirera la méfiance de l'appareil, tout en lui attirant la méfiance de l'armée car il était communiste. Nous pouvons donc imaginer le scénario suivant : le parti fait une pression énorme sur Rol, nouveau dans les FFI, pour qu'il transmette des propositions énergiques et aventuristes, il cède, et il l'amène à Pène comme une proposition sérieuse, devinant que Pène ne lui donnera aucune suite. Cette interprétation est confirmée par le premier texte ''Vu l'état actuel de la question, il est bien entendu que les opérations conçues par ces C.M. seront ordonnées à ces groupes par les organisations auxquels ils appartiennent, ceci jusqu'à nouvel ordre''. Il a fait ce qu'on lui demandait, les papiers sont là, signés par Rol et ''vus'' par Pène et Fouré. Quand Rol tiendra la barre des FFI de la région parisienne, à partir du 6 juin 44, on est passé dans le ''nouvel ordre'', et ce sont les FFI qui donnent les ordres, pas les mouvements. Il soutiendra une insurrection spontanée avec vigueur mais aussi avec une grand prudence. Le texte se poursuit par une excellente leçon de guérilla. Le mot guérilla vient de l'espagnol, le pays où Rol a appris à ''faire la guerre'' dans les brigades internationales au côté des républicains espagnols. Ce passage est reproduit par R. Bourderon [98].

B :III.3.4 La crainte d'une insurrection communiste Le texte mentionné ci-dessus avait de quoi réveiller la crainte d'une prépondérance communiste car les FTP étaient une puissance militaire considérable au sein de la Résistance. La crainte planait qu'en armant les résistants, et donc les FTP, on ne leur permette de prendre le pouvoir par la force. Claire Andrieu [79], p 68, écrit ''Depuis mais 43 le CFLN (Comité Français de Libération Nationale, à Alger de juin 43 au 20 août 44) a admis le principe de l'action immédiate. Au sein de l'armée secrète (AS), un cinquième bureau est chargé depuis cette date des groupes francs. Par ailleurs une Commission de l'Action Immédiate fonctionne depuis l'été, mise en place par la Délégation et les mouvements''. Rappelons que la ''Délégation'' désigne le Délégué général. Après l'arrestation de Jean Moulin, c'était Bingen. Claire Andrieu poursuit ''Cependant des Alliés au Délégué Général en passant par le CFLN, l'attentisme subsiste, s'atténuant légèrement à mesure qu'on se rapproche de la Résistance intérieure''. Elle poursuit ''En avril 43 les alliés insistent : ''Que l'AS évite de se livrer actuellement à des attaques de personnel ou même de matériel ennemi, ce qui ne pourrait qu'inciter celui-ci à renforcer son dispositif militaire en France, donc à entraver le débarquement''.'' Cela ressemble à un sophisme, et nous avons vu que l'AS puis les FFI ne se sont pas privés d'attaquer le personnel et le matériel ennemi. Claude Bourdet explique cette réticence du CFLN ''Si la Résistance devenait, grâce à ses action multiples, à l'équipement de ses troupes et à leur entrainement, une force militaire autonome, elle deviendrait encore davantage ce ''deuxième pôle'', dont de Gaulle ne voulait à aucun prix''. Cependant de Gaulle était pris dans un piège, car la force de la Résistance intérieure, qui le reconnaissait comme chef, était la base de sa légitimité face aux Anglo-Saxons. Le Parti Communiste avait-il le désir de tenter une prise de pouvoir en France ? Le PC était étroitement contrôlé par l'URSS. Donc la question est de savoir si celle-ci encourageait une tentative de conquête du pouvoir. Nous sommes en février-mars 1944. Philippe Buton [117], au vu des archives de Moscou, pense qu'il y a bien eu un tel plan début 44 consistant à profiter d'une insurrection générale pour s'emparer du pouvoir. Cela justifierait la méfiance des gaullistes à l'égard d'un armement des résistants. Pourtant, la force militaire du PC, les FTP, avait rejoint les FFI depuis la fin 1943. Cela impliquait une discipline militaire. Le chef de l'Etat-Major national des FFI était nommé par le CFLN d'Alger. Fin 43, le PC avait reconnu l'autorité de de Gaulle sur la Résistance. Cela bridait pour le PC tout espoir de prendre la direction des FFI, malgré l'influence certaine du Parti au sein du CNR et du COMAC. Rol Tanguy, fin février, début mars, apporte le texte litigieux à Pène, Inspecteur Régional des FFI de la région parisienne et membre de l'OCM, pour l'entraîner dans une insurrection communiste ? On a du mal à le croire. Par ce geste Rol acceptait la hiérarchie des FFI comme il l'a fait jusqu'à la libération [98]. En même temps il exerçait une pression sur cette hiérarchie. Tenter une insurrection nationale avant le débarquement allié n'était pas réaliste et n'était d'ailleurs pas mentionné dans le texte ci-dessus du 28/2/44. Il était question de guérilla. Pourtant l'allusion à la Yougoslavie ou la Corse laissait pointer cette idée. Ce qui était demandé était un armement des FFI et des milices patriotiques, et leur entraînement à travers des actions militaire immédiates. Il s'agirait donc d'une insurrection préparée début 44 pour avoir lieu plus tard dans des conditions plus favorables ? On imagine difficilement une insurrection communiste en présence des troupes alliées anglo-saxonnes. Les dirigeants anglo-saxons avaient déjà du mal à tolérer les gaullistes ! Ajoutons que l'expérience de l'insurrection de Paris, ainsi que de celle antérieure de Varsovie, montre que même une immense métropole massivement soulevée contre une armée moderne ne pouvait en venir à bout sans l'aide d'une autre armée moderne. Dans le cas de Paris ce fut celle de la division Leclerc et de la 4ème division d'infanterie US. Les Varsoviens, hélas n'ont pas reçu cette aide. Pène avait d'ailleurs invoqué cet argument pour se convaincre que le texte présenté par Rol était une provocation communiste. Bref, on a du mal à trouver très réaliste le projet d'insurrection du PC que Philippe Buton a vu dans les archives de Moscou. Il est vrai qu'au moment où ce texte paraît, les alliés occidentaux n'avaient pas encore pris pied en France et une insurrection communiste était peut-être envisageable si ce débarquement tardait trop. Il faudrait ajouter qu'entre l'appareil stalinien et les résistants communistes il y avait plus qu'une nuance. En témoigne l'attitude de Rol Tanguy [98] qui refusait les directives du PC au profit de celles de la hiérarchie des FFI. Cela lui a valu d'être traité avec une certaine distance après la guerre. Il y avait loin entre les arcanes du Kremlin et les résistants communistes. A la libération, les FTP comme les autres FFI ont rejoint les armées de la France libre ou des unités US. Même le colonel Fabien, célèbre résistant communiste et FTP : il est fameux pour avoir commis le premier attentat spectaculaire contre un militaire allemand le 21/8/41 et pour avoir, à la tête d'un groupe de FFI établi la jonction avec les éléments d'avant-garde de la division Leclerc et conduit avec eux la prise d'un point fort de la résistance allemande dans les locaux du sénat. Il est mort accidentellement le 27/12/44 dans l'armée De Lattre en manipulant une mine. En février-mars 44 la crainte d'une insurrection communiste existait dans les milieux de résistants non communistes. Charles Riondet [106] décrit au sein du Comité Parisien de Libération (CPL) ''la situation de concurrence entre les deux tendances de la Résistance, qui ne sont pas toujours opposées dans les faits, mais qui ne se comprennent pas et se méfient fondamentalement l'une de l'autre''. Les deux tendances sont bien sûr d'un côté le PC, le FN et de l'autre côté les mouvements influents à Paris, CDLL, CDLR, Libération-nord et l'OCM. Cette façon de voir les choses est probablement la plus juste ''les deux tendances de la Résistance, qui ne sont pas toujours opposées dans les faits, mais qui ne se comprennent pas et se méfient fondamentalement l'une de l'autre''. Il faut en outre se souvenir que dans le feu du combat les camarades des deux bords n'avaient pas la vision que nous avons maintenant avec du recul. Connaissait-on les accords de Yalta qui laissaient l'ouest de l'Europe entre les mains des anglo-saxons ? Et nous verrons plus tard, a contrario, de nombreux exemples de camaraderie entre communistes et non-communistes, d'amitié et même d'admiration réciproque quand tous risquaient leur vie pour la même cause. Les Archives Nationales nous livrent aussi des textes du parti communiste datant du 23/2/44 concernant l'organisation du parlement après la libération [123]. C'est un texte d'une grande érudition, adressé aux comités locaux de libération. Il critique deux propositions d'organisation de la première assemblée parlementaire élue à la libération. L'une provient du CFLN, et l'autre, socialiste, de . Nous n'allons pas entrer dans ce débat. Il faut signaler que les arguments du PC sont forts, il veut que les vrais résistants aient leur place à la libération, et bien sûr, parmi les vrais résistants on trouve en première ligne les communistes. Ils passent sous silence les ambiguïtés de l'attitude du parti avant l'attaque ''Barbarossa'' des Nazis contre l'URSS. L'esprit de ces textes de février 44 ne semble pas préparer une insurrection communiste mais plutôt préparer une forte présence communiste dans l'assemblée constituante. Car le fond du débat est que le parti demande une véritable assemblée constituante, ce que semblent vouloir éviter les deux projets en question. Il en vient à citer de Gaulle qui avait admis le principe d'une assemblée qui vote une nouvelle constitution. L'avenir leur donnera raison : il y aura une assemblée constituante avec une forte présence communiste.

B :III.3.5 Et pourtant ils ont su s'unir La complexité des relations au sein de la Résistance pendant ce premier trimestre de 44 est effarante, et pourtant ils ont réussi à trouver les compromis, à édifier le programme du CNR pour l'après-guerre, un texte qui est encore une référence 70 ans plus tard. Le CFLN voyait d'un œil suspicieux les comités de Libération, et même le CNR qu'il soupçonnait d'être trop à gauche. De Gaulle a bien été obligé de compter avec les communistes, qui ont finalement accepté de se ranger sous sa bannière, et il faut reconnaître que sans eux, sans Fernand Grenier, le CFLN n'aurait pas accordé le droit de vote aux femmes, et la France libre aurait été arriérée dans ce domaine. Les relations entre les FFI et les Comités Locaux de Libération n'étaient pas faciles non plus. Le partage des tâches n'était pas simple. Surtout que pendant ce temps les arrestations et les meurtres de résistants se multipliaient. Il n'y avait pas que la tension entre communistes et non-communistes. Au sein des non-communistes, les luttes politiques et parfois les luttes d'ego étaient violentes. Le conflit entre les dirigeants de ''Combat'' et Jean Moulin ont eu des conséquences tragiques en provoquant l'arrestation à Calluire des principaux dirigeants de la Résistance et avant tout celle de Jean Moulin. Les conflits entre Brossolette et Bingen étaient violents, et pourtant tous deux, arrêtés, se sont suicidés avec le même héroïsme pour ne pas parler. Ces hommes et ces femmes étaient des géants. Bingen, qui était riche et avait eu une vie facile avant la guerre a écrit ''Que les miens, mes amis, sachent combien j'ai été prodigieusement heureux pendant ces huit derniers mois. Il n'y a pas un homme, sur mille, qui durant une heure de sa vie, ait connu le bonheur inouï, le sentiment de plénitude et d'accomplissement que j'ai éprouvé pendant ces mois.'' Leur acte d'héroïsme le plus remarquable, c'est d'avoir su éviter la guerre civile comme en Grèce, d'avoir pu se réunir dans des conditions de danger redoutable, d'avoir élaboré, outre un plan d'insurrection efficace, une vision utopique de la société d'après, le programme du CNR. Le miracle, c'est que ce programme, largement cautionné par le GPRF, a créé en France un ''compromis historique'' unique au monde. Sur sa lancée, Ambroise Croizat, ministre communiste du travail de de Gaulle puis dans d'autres gouvernements, a encouragé la mise en place par les militants ouvriers de l'assurance maladie, des retraites, des allocations familiales, des comités d'entreprise, de la médecine du travail, de la réglementation des heures supplémentaires....Plus de 70 ans plus tard ce qui s'est fait à cette époque est sans cesse attaqué par d'importants membres du patronat et leurs appuis politiques ! N'est-ce pas étonnant ? Tout cet acquis, que l'oligarchie continue à combattre, est l'héritage des héros de la Résistance, et pas seulement des résistants communistes. Nous avons vu précédemment que le programme de l'OCM était très favorable aux classes laborieuses bien que le mouvement fût plutôt classé à droite. Nous verrons section B :IV ce qu'ont subi nos héros et nos héroïnes ! Nous avons rencontré récemment Alain Kergall dont le père, Antoine Kergall, dirigeait le 2ème bureau dans l'équipe de Rol-Tanguy, c'est à dire le renseignement, sous le nom de résistance de ''Arcouest''. Alain Kergall nous dit que politiquement son père était très éloigné de Rol-Tanguy, pourtant ils ont combattu ensemble ! Nous avons organisé le 13 mars 2015 une réunion des descendants de personnages qui ont joué un rôle important dans les FFI de la région parisienne. Mme Lévisse-Touzé, qui dirigeait le musée de la Résistance au dessus de la gare de Montparnasse nous avait aimablement prêté ses locaux et avait animé cette réunion. Des historiens de la Résistance dont Bourderon, nous accompagnaient. La réunion était très stimulante. Étaient présents des descendants de Rol-Tanguy et sa femme, d'une mémoire stupéfiante, des descendants de Robert Fouré, des descendants d'Antoine Kergall, de Pierre Pène et le fils de Jacques Monod, pourtant handicapé. Cette réunion a été très enrichissante, même si les vrais héros n'étaient plus là, à l'exception de Mme Rol-Tanguy, alias Cécile Le Bihan, agent de liaison de son mari. Nous avions l'impression d'honorer cette fructueuse complicité résistante de nos parents ou grand-parents virtuellement présents. Mais revenons à la famille Pène à Paris.

B :III.4 La vie quotidienne de la famille Pène et des parisiens La vie quotidienne sous l'occupation a été décrite maintes fois. La famille Pène en a souffert comme les autres. Elle n'a jamais fait appel au marché noir. ''A Soissons, en 1941-42, Françoise qui avait été épargnée jusque là, entend de plus en plus souvent des réflexions désagréables pleines de sous-entendus. La propagande antisémite et les nouveaux édits contre les Juifs deviennent oppressants, et influencent la population. Ce nouveau danger s’ajoute à celui des activités clandestines de Pierre. Il faut partir vers Paris, sans laisser d’adresse''[148]. B :III.4.1 fuite à Paris Florence a donné une conférence à Soissons le 30/11/2013. Elle y décrit la ''fuite à Paris'' de la famille Pène [148]. ''Paris est le choix évident pour qui veut passer inaperçu. La sœur de Pierre, Clotilde Pène, habite à la Porte de St Cloud et travaille, comme ingénieure dans une usine d’électronique à Boulogne Billancourt, chose remarquable pour une femme née en 1900. C’est donc dans ce quartier que Françoise cherche. Il y a beaucoup de disponibilité à Boulogne, de nombreux habitants ayant fui après le bombardement allié de mars 1942 qui, visant l’usine Renault, tua des centaines d’habitants de la ville. Françoise y choisit un petit appartement propre, au 6ème étage sans vis- à-vis, avec un long balcon, et un système compliqué d’escaliers, garages, et sous-sols, qui pourraient faciliter une évasion en cas de besoin. Il était petit mais Clotilde venant de perdre sa mère qu’elle avait soignée jusqu’à la fin, aimerait peut-être avoir la compagnie d’Annette. Nous emménageons donc à Boulogne en 1942. Annette reste avec nous et, à peine sommes-nous installés que Françoise découvre qu’elle est enceinte. L’appartement est vraiment petit. Je viens d’avoir 11 ans, Annette en a 16, et Didier en aura bientôt 7. Nous couchons tous les trois dans la même petite chambre. Le bébé Olivier, qui naîtra en mai 43, logera avec ses parents'' [148]. Parfois ils échangeaient des tickets de tabac et d'alcool contre des tickets de sucre et de matière grasse. De son côté Clotilde voulait trouver de la laine pour couvrir sa mère. Mais il fallait des tickets. Une secrétaire de son usine étant enceinte avait un ticket de laine pour les bébés mais n'en avait pas besoin ayant déjà la layette. Elle avait cédé son ticket de laine à Clotilde. Mais celle-ci s'inquiétait, la laine pour les bébés est rose ou bleue et sa mère ne portait que du noir depuis la mort tragique de son fils ainé Henri des suites d'une blessure en 1916 à la bataille de la Somme. Dans le magasin, la vendeuse lui dit d'un air navré qu'elle a bien de la laine, mais hélas, seulement du noir. On imagine la joie de Clotilde. La chance !! La famille Pène en a eu, vraiment beaucoup, puisque nous nous en sommes tous sortis vivants au mépris de toutes les probabilités. Pour illustrer cette chance citons ce que dit Françoise Pène [146]. Elle parle de son interrogateur le Dr Schott ''L'évasion {de Pène et de Farjon} a bousculé tous ses plans minutieusement élaborés. Il espérait, vainement sans doute, les confidences de mon mari à Dufor {Farjon}, il espérait grâce à elles prendre encore deux résistants importants. Lui-même cet avoué {la profession de Schott}, va être rendu responsable de cette évasion qu'il n'a pas pu empêcher. Il passera deux fois en conseil de guerre. La première fois avec son interprète Robert. Celui-ci ayant porté le colis où se trouvaient les draps et la lime est fort suspecté et arrêté. Gardé par un camarade, il se sauve, préférant déserter qu'être fusillé. Après la libération, nous le retrouverons prisonnier de guerre à Laon. Mon mari le fera interroger par les services de contre-espionnage, et beaucoup de point obscurs seront éclairés de ce fait. Nous apprendrons ainsi que Pierre devait être fusillé 5 jour après son évasion'' [146]. A la fin des vacances de Pâques 1944 Florence écrit ''Il ne faisait plus terriblement froid, heureusement car nous étions sans eau chaude et très peu chauffés. Mais nous avions toujours faim, malgré nos amis soissonnais qui nous vendaient quelques denrées. La chambre supplémentaire de l’immeuble où Pierre se cachait parfois contenait aussi des sacs de pommes de terre et de pois cassés, notre mets le plus fréquent. Annette et moi étions élèves du lycée la Fontaine. Celui-ci étant malheureusement occupé par l’armée allemande, comme celui, voisin, de Claude Bernard, les populations des trois lycées étaient groupées au lycée Jeanson de Sailly. Nous prenions le métro pour y aller. Nous n’avions pas de livres. Le papier, rare et gris, sentait mauvais. Annette préparait son bac. Entrée en 4ème à à peine 11 ans, je dus redoubler ma classe. Nous allions dans les caves à chaque alerte, que ce soit à Boulogne ou au lycée. Nous restions debout dans les corridors, à attendre que les sirènes mugissent pour annoncer la fin de l’alerte. A Boulogne, la nuit, c’était drôle de voir les gens en général assez dignes, en pantoufles et bigoudis ! Annette et moi subissions un entraînement de natation intensif, souvent dans des piscines lointaines. Les métros s’arrêtant pendant les alertes aériennes, nous faisions souvent le trajet au moins en partie à pied, et n’avions droit qu’à un ressemelage par an ! Notre quartier étant parfois bombardé (toujours à cause de l’usine Renault, à quelques kilomètres de là) nous voyons en passant des pièces éventrées, des baignoires suspendues dans le vide, et même parfois des corps tirés d’abris, tout près de chez nous. Parfois nous rentrons de la piscine sans savoir si nous avons encore un logement, ni une famille''[148].

B :III.4.2 Lettre d'une jeune fille de 12 ans à son frère Comme nous le verrons plus tard la situation a encore changé le 10 juin après l'évasion de Pierre. Françoise et Clotilde étaient enfermées dans la prison de Fresnes, Pierre dans la clandestinité totale. Didier, qu'on appelait ''Rizou'' car il riait toujours, était dans une colonie de vacances. La rumeur de la mort de son père était venue là-bas et les religieux lui disaient de prier pour lui, sans lui annoncer directement cette terrible et fausse nouvelle. Rizou ne riait plus. Florence lui écrivait. Elle essayait de lui faire comprendre ce qui se passait sans être trop claire à cause de la censure. Une lettre de cette fille de 12 ans à son frère de 8 ans : ''14-6-1944 Cher petit Rizou, Tu dois t'inquiéter de ne pas avoir de nouvelles de nous. Je te rassure, tout en m'excusant de ne pas t'avoir écrit plus tôt. Mais pour cela j'ai les meilleures raisons du monde et les excuses les plus valables, que je te dirai tout à l'heure. Ta lettre m'a fait beaucoup de plaisir. Elle est très gentille, mignonne, adorable, etc …. mais …., si tu me permets encore de te faire des observations (c'est que ayant presque neuf ans, tu es un vieux monsieur auquel il ne manque que la barbe et la moustache) je te ferai remarquer que c'est passablement mal écrit (tu l'as peut-être remarqué) et que tu n'as pas ménagé les fautes d'orthographe. Sans injustice tu en as fait 20 ou plus. Mais il ne faut pas t'attraper, parce que tu es très gentil (si tu es avec l'abbé Renhas, tu dois le savoir) Est-ce que tes crises de désespoir sont passées ? Est-ce que nous t'aimons maintenant ? N'oublies-tu jamais de faire ta prière ? Vas-tu à la messe tous les matins ? T'es-tu confessé déjà à fond ? Maman m'a raconté une jolie histoire le jour de ton départ (ou plutôt la veille) à propos de clefs ! Mais puisque nous sommes séparés, je ne veux pas t'attraper, et en suivant les conseils de ma gentillesse naturelle, je te laisse réfléchir tout seul, ce qui, peut-être te fera beaucoup plus de bien. Il me semble (j'en suis presque sûre) que mon petit doigt me dit que tu essayes. Est-ce vrai, es-tu toujours m.....! Je n'écris pas le mot en entier 1°) parce qu'il est trop laid 2°) parce que j'espère que tu le trouveras tout seul 3) parce que je veux savoir si l'abbé Renhas, qui lira cette lettre, sera capable de le deviner. Je vais t'envoyer dans cette enveloppe 5 images dont tu en connais 3. Je te les donne, tu en es entièrement maître. Si tu en donnes à quelqu'un, garde pour toi la plus belle, c'est un conseil et un ordre. Dans ta lettre il y a quelque chose que je ne comprends pas : sur un grand bout de bois un ? En miniature repose. Puisqu'en ce moment je n'ai pas d'autre idée, je vais te raconter ce qui nous est arrivé ces jours-ci. Samedi, à 4h ½ (ils sont matinaux) coups de sonette. J'entends vaguement, somnolente. Quelqu'un se précipite et ouvre. Des voix d'hommes. Je ne sais pas pourquoi, je me figurais que c'était les plombiers. Ils bavardent longtemps avec maman, puis ouvrent la porte de la chambre, armés de lampes électriques. Maman ''c'est la chambre des enfants''. (il paraît qu'en entrant ils ont dit à Maman ''un malheur est arrivé''). Là je me suis aperçu que ce n'étaient pas des plombiers mais bel et bien des Allemands. Ils disent à maman dans le couloir de s'habiller et nous aussi. Maman rouspète, protestations ''si si plus de pitié après ce que votre mari a fait'' – ''Mais vous ne voyez pas ! Un bébé ? Et ses biberons, et ses …'' ''S'il vous plaît, Madame, habillez-vous'' et ainsi de suite tout le temps. Je me lève, il faut que je m'habille. Je commence. Annette arrive en trombe ''traîne traîne, maman a dit de ne pas s'habiller'' je veux bien, cherche mes affaires et dans le noir ne les trouve pas (nos plombs ont sauté) je mets un temps interminable, je cherche mouchoir, chaussette, chemise, peigne, … Les Allemands rouspètent parce que nous ne sommes pas encore prêtes, tout en discutant. Enfin, voyant maman tout habillée, nous en faisons autant, sous leurs yeux, aidés de leurs lampes électriques (ce sont les yeux qui sont aidés). Tous enfin prêts y compris O, sortons, et rentrons dans une voiture, sauf maman accompagnée des 2 Allemands, pour aller chercher Jeanine. Maman fait la bête : elle ne sait pas la porte. Elle en désigne une au hasard, et dit : c'est peut-être celle-là ? Les Allemands la défoncent. Non ce n'est pas là – on frappe à toutes les portes. Enfin une s'ouvre : celle des voisins de J. Les A : ''qui couche à côté ?'' et ''une jeune fille de 25 à 30 ans''; M : ''Oh ! Ça ne peut par être ça, ma bonne est toute jeune !'' les A au v : ''donnez-moi un marteau''; le v tend les clefs. Enfin, Jeanine ouvre. Elle s'habille. Ils l'emmènent dans l'auto; là, défense de parler. Maman nous donne quelques renseignements par signes. Enfin, nous arrivons à 5h3/4 à une maison d'Allemands. Gardés par un Allemand, nous n'avons pas le droit de parler. Nous allons dans la cuisine, dans la chambre à coucher, dans la salle à manger. Là, table, chaises, lit – vieilles épées drapeaux, 3 anglais, 3 français. Tableau : les Allemands s'enfuyant devant un tank français. Nous restons là longtemps, toujours sans manger. Les Allemands ont prété à O 3 jouets. Nous jouons aux cartes. Maman discute politique, et demande qu'on nous libère. Elle plaide tellement bien, qu'à 4 h, nous sommes à la maison. Mais 2 Allemands sont restés jusqu'à hier soir au salon, ayant les clés de service. Ils couchent et mangent là. Défense de parler à qui que ce soit, ou de sortir. Ils ont gardé maman. Tante Clo aussi y est. Ils n'ont pas pris Léonie, parce qu'elle a trop rouspété. Ils ont toutes ses clés , et elle ne peut pas rentrer chez Taco. Excuse-moi à l'abbé Renhas. Je comptais lui écrire aujourd'hui, mais je ne peux pas''[145].

B :III.4.3 La cachette de Bures sur Yvette Françoise et Clotilde en prison, les filles, Jeanine et le bébé avaient été relâchés. Au bout de trois jours les policiers allemands étaient partis, mais la surveillance subsistait. Pierre Pène avait fait savoir qu'il jugeait dangereux leur présence à Boulogne. L'amie de Clotilde, Denise Quivy, avait une petite maison à Bures-sur- Yvette et elle acceptait de la prêter, dans la lointaine banlieue de Paris. Aujourd'hui une partie de l'Université Paris-sud est sur le territoire de cette commune. ''Nous enfourchons donc trois bicyclettes, le bébé est assis dans le panier derrière le vélo de Jeanine et la voiture d'enfant, contenant nos maigres bagages, est attachée au mien avec une ficelle. C'est très bien en terrain plat et dans les montées, mais dans les descentes la voiture d'enfant me tombait dedans. Alors Annette plus dégourdie s'en chargea. Le maison était minuscule. Il y avait deux chambres, séparées par un espace cuisine/salle d'eau. Il y avait un jardin et, merveille, des framboises et des tomates mûres ! Car Olivier aimait surtout tout ce qui était rouge'' [144]. Mais les magasins locaux n'étaient pas en mesure de fournir à tous les tickets de rationnement qui se présentaient. Donc : ''Annette et moi partions à l'aube sur nos vélos, faire des queues interminables sous le soleil pour arriver enfin près de la porte d'une ferme, pour nous entendre dire : ''désolés, nous venons de vendre le dernier chou. Retournez chez vous''. Alors nous repartions avec des masses de parisiens, vers une autre ferme … et ne rapportions pas grand chose. Heureusement, les épiciers du coin avaient une petite fille de 5 ou 6 ans qui aimait jouer avec Olivier, donc ils nous refilaient parfois un œuf, ou un peu de beurre'' [144].

B :III.4.4 Ceux qui nous ont aidés, ou même sauvés. Si Pierre et Françoise sont sortis vivants de cette épreuve et qu'en 2019 on compte 31 de leurs descendants vivants, c'est pour une très grande part grâce à de nombreux soutiens qu'ils ont reçus. Ces soutiens dont nous brosserons une liste incomplète comprenaient des résistants, des sympathisants de la Résistance, jusqu'à quelques personnes du camp adverse qui ont aidé. Voici cette liste Georges Hombrouk, résistant (OCM), qui file à Soissons prévenir l'ingénieur des Ponts et Chaussées de la venue de la Gestapo à Laon pour arrêter Pierre. L'ingénieur des Ponts de Soissons dont le nom nous échappe, informé par Hombrouk qui part immédiatement à Paris alerter sa soeur, doctoresse. La sœur du précédent, qui profitant de la liberté de circulation dont elle jouissait en tant que médecin, va alerter Clotilde. Elle savait que Françoise était juive et voulait la faire prévenir. Jeanine Molaye, ''bonne'' de Pierre et Françoise, faisait fonction d'agent de transmission. Elle a accueilli les Allemands venus l'arrêter dans sa chambre de bonne, rue de la Tourelle, avec une grande dignité et sera emmenée une journée en détention. Elle est restée avec les Pène malgré l'insistance de ses parents pour qu'elle retourne à la campagne. Le Docteur Roy et son épouse, amis proches qui seuls connaissaient l'adresse des Pène à Boulogne. Le Docteur Morax qui a hébergé Pierre après son évasion. Il a convaincu Pierre de ne pas se rendre dans l'espoir illusoire de sauver sa famille. Marcelle, la ''bonne'' du Dr Morax, qui avec un sang froid extraordinaire a fait partir les policiers français venus arrêter la femme juive du Dr et auraient bien entendu arrêté Pierre s'ils avaient visité l'appartement. Denise Quivy, amie proche de Clotilde, qui a permis la communication entre Pierre et sa famille pendant qu'il était recherché. Elle a aussi hébergé les enfants et Jeanine, sauf Didier, dans sa maison de Bures sur Yvette. Le Dr Quivy, frère de la précédente, qui recevait Pierre dans son cabinet pour transmettre à, ou recevoir de, sa sœur les échanges entre Pierre et sa famille. Pierre Turbil, entrepreneur, héberge Pierre après l'intrusion de la Gestapo à Laon. Il projettera ensuite l'évasion de Pierre de sa prison, et avait trouvé un endroit pour cacher sa famille. Les gardiens du 60 de la rue de la Tourelle à Boulogne, qui ne transmettaient pas les appels téléphoniques quand cela leur était demandé et prévenaient quand des personnes ''louches'' cherchaient les Pène. Les gardiens de la rue Amelot qui ont prévenu Françoise de la venue des Allemands dans l'appartement loué par Pierre et Françoise. La gardienne de la bibliothèque de la rue d'Assas qui a essayé de faire connaître le piège à Pierre et Jacques Briffaut. Roland Farjon qui avait ''donné'' Pène aux Allemands, mais l'a aidé lors de leur évasion, lui sauvant la vie. Le directeur de l'usine Farjon à La Croix Saint Ouen organise le voyage de Pierre et Roland (son patron il est vrai) vers Paris et les accompagne. Deux chauffeurs du précédent qui conduisent vers Paris le camion où sont cachés Roland Farjon et Pierre Pène. Le Docteur Funck-Brentano, chirurgien, résistant, qui opère le poignet de Pierre dans sa clinique. Mr Marotteau, ingénieur, héberge Pierre dans son appartement du XVIIIème arrondissement. Mme Babut héberge Pierre après l'intrusion de la Gestapo à Laon. Un entrepreneur dont le nom nous échappe, héberge Pierre en bordure du canal Saint-Martin. Un couple d'ouvriers brossiers hébergent Pierre à Chennevières sur Marne. Un ami d'Hélène Franckel (parente de Françoise) héberge Pierre. Les Roumens, bien que partisans de Pétain, organisent le séjour de Didier Pène dans une colonie catholique à N.D. du Gerson, Arcis le Ponsard dans la Marne. Ils habitaient l'immeuble voisin et, lors de la présence des soldats allemands dans l'appartement, Suzanne Roumens est montée sur le toit de son immeuble pour recevoir le message d'Annette demandant que le téléphone et le courrier soient interrompus. Simone Roumens suivait parfois Annette à vélo pour vérifier qu'elle n'était pas suivie. Mr Roumens pédalait toutes les semaines à la colonie pour vérifier que tout allait bien. Antoinette Dalin, pourtant secrétaire particulière du préfet de police et mariée avec un haut fonctionnaire vichyste, mais parente de Françoise, cache Annette et Florence dans une école d'infirmières à Versailles en avril 44. La directrice de l'école d'infirmières a gardé quelque temps Annette et Florence, pensant sans doute qu'elle protégeait des enfants juives. Répétons-le, cette liste n'est pas exhaustive. Rappelons que ceux qui ont hébergé Pierre Pène risquaient la mort. Il en est ainsi d'autres soutiens dans la liste ci-dessus. Il y avait donc de l'héroïsme dans leur attitude, après quatre ans d'une occupation très dure.

B :IV Arrestation, tortures et évasion de Pène

B :IV.1 Arrestation et tortures Pierre Pène a été arrêté le 4 avril 1944 à 10h00 en compagnie de son agent de liaison, Jacques Briffaut. Jacques voulait vérifier les faux papiers de Pène dans la bibliothèque d'un centre catholique, rue d'Assas. Ils ont été arrêtés par erreur, ils sont tombés dans une souricière visant un Dardenne. Mais les papiers et l'argent que Pène avait sur lui ont vite permis aux Allemands de l'identifier. Pène portait sur lui 300 000 francs (il dira 800 000 fr dans [66]) à répartir entre les sous-régions et des papiers très compromettants à transmettre à Jacques. La perte d'argent a bien sûr été ressentie par les Résistants de la région. Roger Bourderon [98], p 306, dit que cette arrestation puis, le 3 juin 44, celle de Pierre Lefaucheux (Gildas), qui dirigeait les FFI parisiens, avait créé une situation financière critique. Suivons le récit de Pène [97]. Il est brutalisé lors de son arrestation, menotté dans le dos, puis amené rue des Saussaies, où sévissait la Sichertheitsdienst (SD) et sa sinistre branche Geheime Staatspolizei (Gestapo). Il est amené dans le bureau 533, au 5ème étage, et tout de suite interrogé avec brutalité. Son agenda ne contient que les heures décalées de ses rendez-vous, pas les lieux ni les noms. Les heures qui suivent ce genre d'arrestation sont décisives. Les ''Boches'' veulent frapper immédiatement l'organisation avant que la nouvelle de l'arrestation ne soit connue. Ils accumulent les brutalités, coups de poing dans le visage, coups de pied dans le ventre, puis on l'amène dans une ''Bereitschaftzimmer'', chambre de préparation, puis on le ramène dans le bureau 533 où les brutalités reprennent ''pendant qu'on entend dans la pièce voisine un camarade subir le même sort''. Lassés de ses réponses évasives, ils menacent Pène de ''la baignoire''. Vers 11h30 ils l'emmènent au 6ème, ''une sorte de chambre de bonne avec un lavabo et une baignoire''. ''On te fera passer à la baignoire électrique, en dix minutes tu seras mort – dix minutes c'est vite passé – on peut faire durer plus long, une heure, un jour''. On le redescend au 533. Vers 13h, ils sont décidés à user du supplice de la baignoire. On le fait monter à nouveau, lui enlève les menottes et attache ses coudes très serrés au corps et les deux pieds ensemble. Ils sont trois, on l'assied sur le rebord, le dos tourné vers l'eau. On le plonge dans l'eau, il suffoque. On le sort avant qu'il ne meure, il faut le faire parler. ''ils me flagellent les pieds avec un corde. Je grelotte à me casser les dents.... ''Et maintenant tu parles ?'' mais ma défense n'est pas encore au point, je ne suis pas à bout, je ne réponds rien.'' Nouvelle immersion, suffocations, ses poignets saignent....''j'ai l'esprit moins clair que tout à l'heure et du mal à penser''. Après trois ou quatre autres immersions, ''Sur ton carnet tu as marqué 14h00, avec qui as-tu rendez-vous ? – Avec Leclerc (nom imaginaire) – où ça ? - à la gare Montparnasse'' En réalité il a rendez-vous rue Littré à 16h30. Il ne risque rien à les emmener à la gare Montparnasse, où il aura peut- être l'occasion de s'évader. ''Rhabille-toi en vitesse''. Bien entendu, personne n'apparaît gare Montparnasse. ''À deux heures et demi nous repartons''. Les ''Bereitschaftzimmer''s et les coups recommencent. Pène a peur de laisser passer un quelconque indice. Il a rendez-vous avec ''Maxime et Personne''. Maxime, c'est Bloq- Mascart, qui dirige l'OCM. Personne est Jacques Piette qui est à l'époque chef militaire de l'OCM [99]. Le chef lui dit ''Tu as vu comment j'opérais, je saurai bien te faire parler demain''. Ce chef aurait été un français nommé Rudi Van Mérode [66], de son vrai nom Frédéric Martin [100]. Ils sont une quarantaine de prisonniers, homme et femmes. Pène retrouve Jacques Briffaut. Ce dernier raconte comment il a failli s'évader. On l'avait amené à un rendez-vous de son carnet (heure décalée), il s'est aperçu que la chaînette de ses menottes était cassée, il est parti en courant. Ils ont tiré une quinzaine de coups de revolver, l'ont raté, mais un homme qui traînait une voiture à bras l'a jetée dans ses jambes pour le faire tomber. Les Allemands l'ont rattrapé. Entre temps les témoins avaient appelé un car d'agents. ''les S.D., furieux de voir des agents français, les ont chassés en les insultant. Les agents sont partis en me souhaitant bonne chance''[97]. Nous sommes en avril 44. Des policiers français ne cachent plus leur hostilité aux occupants. Jacques Briffaut était membre de l'OCMJ. Il est mort en mars 45 dans le camp de neu-Stassfurt, un Kommando de Buchenwald {Unité de travail forcé à distance du camp}. Pène rapporte que ''vers la fin il dira, paraît-il, à un camarade, qu'il a été heureux et fier de travailler avec moi. Je n'ose croire à un tel honneur'' [66] Pène est emmené à Fresnes où il trouve le concierge de la bibliothèque où il a été arrêté, soupçonné avec sa femme d'avoir été ses complices. ''Il ne semble pas avoir plus de rancune que sa femme à l'égard du maladroit qui l'a fait prendre'' [66]. Pène apprendra plus tard qu'ils seront relâchés au bout de deux mois. ''Un jour, dans un couloir souterrain de la prison, je me trouve à quelques mètres de Roland Farjon dont l'imprudence a failli causer ma perte. Je ne cille pas, c'est la règle : ne jamais se reconnaître pour éviter les confrontations dangereuses. Mais lui s'avance, souriant, la main tendue. Comment éviter de la serrer ? Son attitude me surprend et m'inquiète, j'en aurai plus tard l'explication'' [66]. ''Vers la fin de mai on m'extrait de la cellule et commence un périple par Senlis, St Quentin. Là, comme chambre préparatoire, ils n'ont rien trouvé de mieux qu'un placard. Quand ils le ferment j'ai l'impression d'étouffement et commence à me débattre, mais, vite convaincu qu'aucune aide ne viendra et que tout énervement m'est nuisible, je prends sur moi de rester plus calme ; on s'accommode de bien des choses quand il le faut''. Un problème tracasse les interrogateurs : comment se procurer le code des liaisons avec Londres ; un beau jour au cours de ce voyage ils m'amènent dans une pièce où ils sont plusieurs et parmi eux un petit jeune de type anglais le plus pur, un vrai physique d'espion, il m'interroge sur le chiffre mais, sans mentir, je puis répondre que je n'en sais rien, je ne sais même pas entièrement l'alphabet Morse. Ils sont peu convaincus et à plusieurs reprises me tourmentent avec ce chiffre. Pas de chance, quand on a contre soi tous ou presque tous les chefs d'accusation capitaux, sauf un, d'être suspecté aussi de celui-là.'' [66] Cette dernière phrase nous rappelle l'humour particulier de Pène. Le résistant arrêté devait ne rien apprendre à l'ennemi, mais il devait aussi préserver sa dignité. ''Dans l'une des prisons que je traverse mon compagnon est un jeune communiste, gâte-sauce de son métier; nous parlons de nos activités, sommes tous deux convaincus que nous risquons la mort et très préoccupés de notre attitude au dernier moment. Comment être sûr de rester digne au moment suprême ? En chantant la Marseillaise, dit- il. Le malheureux est mort déporté'' [66]. L'humour noir, lui aussi, est une arme contre l'oppression. Cette conversation entre un jeune communiste et un moins jeune OCM illustre la complicité forgée par le sort commun qu'ils considèrent comme certain. ''Me voici donc dans le placard à St Quentin. J'en sors pas trop mal en point et suis introduit dans un bureau ; l'homme qui l'occupe a un regard gris bleu, impitoyable, devant lui sont étalés tous les plans et documents sur le P.C. de Margival que j'ai eu tant de mal à rassembler. Encore une préparation dont je me serais bien passé, mais l'interrogatoire n'est pas très pénible. La villa où il a lieu, je l'aurai visitée dans 3 circonstances successives très différentes : d'abord comme Ingénieur en Chef pour protester fin décembre 43 contre l'arrestation de mes Ingénieurs T.P.E, puis comme prisonnier, enfin comme Commissaire de la République, en visite chez les Américains ; nous découvrirons alors dans la cave, sur les murs, les traces de nombreuses exécutions capitales'' [66]. L'horreur nazie ! Et maintenant le perpétuel danger des ''moutons''. ''De retour à Fresnes j'ai la surprise et le plaisir de me retrouver dans la même cellule qu'au départ avec les mêmes camarades. A la réflexion c'est peut-être ce fait qui doit le plus faire croire à la présence d'un mouton parmi nous. Celui que je soupçonne aujourd'hui était justement mon confident ; le premier avec moi dans la cellule m'avait-il inspiré confiance ? Ou plutôt avais-je éprouvé le besoin irrésistible de me confier à quelqu'un'' [66]. Par chance Pène ne lui a confié que sa nostalgie familiale. Notons l'usage du mot ''camarade''. ''Ce mot de camarade a alors le sens de communiste. Il est une étiquette dangereuse à porter. Dans le panier à salade, un jour, 2 communistes : un homme dans une des petites cellules, une femme dans le couloir central. Ils conversaient et terminaient toutes leurs phrases du mot ''camarade'' comme pour afficher leur qualité. Cette scène avait beaucoup de grandeur'' [66]. De fait le mot camarade était souvent utilisé aussi par des résistants non-communistes, mais aussi ''compagnon'' pour marquer la différence (Compagnons de la Libération). Soulignons ici l'admiration qu'inspire à Pène cette grandeur des résistants communistes. Nous avons vu sa méfiance des communistes à propos de Rol Tanguy, mais il y avait aussi cette solidarité du combat et du risque communs. Les avions alliés survolent la prison, leurs bombes éclatent mais Pène se demande si sa famille ne va pas en être victime et si elle a à manger.

B :IV.1.2 La prison de Senlis et l'évasion avec Farjon Pène est conduit à Senlis dans une villa aménagée en prison. ''Au rez-de chaussée est le corps de garde, au 1er les chambrées, au deuxième et au sous-sol les cellules. Les premiers jours nous restons au corps de garde et dormons attachés au fer du lit par une menotte. Les soldats de garde ne sont pas hostiles, certains, de gauche, nous comparent avec une certaine sympathie à Schlageter, patriote allemand fusillé par nous en Rhénanie après la première guerre mondiale. L'un d'eux se fâche un jour de voir notre nourriture qu'il juge insuffisante. Et pourtant en comparaison de Fresnes c'est la Tour d'Argent. Nous avons avec nous le colonel Donnet du Génie célèbre dans toute l'armée pour sa bravoure, il a été arrêté alors qu'il transmettait des messages à Londres, malmené, puis conduit à Senlis. Il fait partie de l'OCM Pas-de Calais qui a par ailleurs tant souffert de trahisons. Donnet est un homme coloré, grand et fort, très vigoureux, l'allure d'ensemble est un peu paysanne. Nous arrivons à échanger quelques mots à la faveur de certains repas pris en commun, de nos rencontres dans nos mauvais abris car ici, contrairement à Fresnes, on nous abrite quand un raid passe''.[66] On constate même une certaine sympathie avec les gardes allemands. ''Un beau jour Roland Farjon apparaît, fringant comme à l'accoutumée, très beau garçon, assuré. Il partage une cellule du 2ème étage avec Jacques-Henri Simon, nous autres sommes au sous-sol. Un matin on me fait monter à sa place et on emmène Simon, il disparaîtra sans laisser aucune trace, sans doute assassiné au coin d'un bois'' [66]. En fait il est mort en déportation [101]. L'évasion de Pène et Farjon a été racontée en détail [66], [103] et de façon succincte [54]. Résumons la. Les détenus sont dans une cellule au 2ème étage à plus de 8 m de haut. Ils attaquent avec une fourchette aiguisée le scellement d'un barreau et, miraculeusement, il cède tout de suite ''le mortier est incroyablement faible'', les maçons français qui ont fait ce travail l'ont saboté, devinant l'usage de ces barreaux. Pène et Farjon enlèvent le barreau, le remettent pendant la journée en regarnissant le trou du scellement de mie de pain et de poudre tombée par terre. Pour les cordes ils déchirent leurs draps longitudinalement et les attachent ensemble. Cela résiste. Ils cachent cela sous les matelas. Minuit moins le quart, Farjon passe le premier comme convenu. Ils ont attaché leurs chaussures autour du cou. Farjon est passé, Pène a l'impression qu'il a fait un bruit infernal. Il y va à son tour, il croit voir une lumière qui s'allume et se hâte, il tombe de 6 m le bras en avant dans un buisson. Il se brise le poignet droit. Farjon a couru vers le mur d'enceinte. Pène le suit, parvient à passer le mur d'enceinte, son poignet étant encore chaud. S'ensuit une longue marche en direction de Compiègne. Pène a laissé ses chaussures tombées, la marche pieds nus lui fait de plus en plus mal. Des convois allemands passent sur la route. Ils se jettent dans les bois pour se cacher. Ils décident de contourner Verberie de crainte d'y trouver des sentinelles allemandes. Ils doivent franchir des barrières et des barbelés. Farjon aide Pène et le porte même une fois. Ils poursuivent après Verberie. ''Au loin un barrage nous inquiète. Un ouvrier passe à bicyclette, nous l'interrogeons ''ce sont les Allemands qui demandent des papiers''. Sans aucun doute c'est un patrouille lancée à nos trousses. Nous entrons dans la forêt par un layon et décidons de passer sous-bois la patrouille dangereuse. Après quatre kilomètres de marche environ, nous devons être tout prêt de la Croix St Ouen, notre but. Voici un homme. Est-ce une sentinelle ? Nous approchons prudemment ; non, c'est un vieux bûcheron que nous abordons. Tout de suite il devine qui nous sommes ; il nous indique un chemin de traverse qui conduit à la croix St Ouen et les points à éviter où nous pourrions trouver des sentinelles allemandes, car dans ce village est stationné un Etat Major. Pène raconte à Farjon qu'il a vu la lumière s'allumer et était tombé pour cela. Farjon répond qu'elle l'était déjà quand il est passé. Il n'a pas entendu le cri que Pène pensait avoir poussé en tombant. ''Combien fragiles et douteux sont les témoignages les plus sincères'' [66]. ''Les derniers mètres sont un calvaire. J'ai épuisé mes forces dans cette marche atrocement pénible. Il est 6h du matin. Mon camarade a là une petite usine qui pourrait nous recevoir''. Le directeur de l'usine les accueille à bras ouverts. Le téléphone ne marche pas, Pène ne peut pas appeler sa famille. Une chance car celle-ci avait déjà été arrêtée à 4h du matin. Une ouvrière secouriste fait une attelle à Pène. On les installe dans une grande caisse dans un camion de l'usine et au dessus de la caisse on entasse des sacs de charbon de bois. Pour éviter Senlis le camion part par Chantilly, conduit par le directeur accompagné de deux chauffeurs. Après Chantilly le camion est contrôlé. Comme convenu on tape trois coups sur la caisse pour les faire taire. Quand le camion roule ils chantent à tue tête ''comme des gosses''. Ils quittent leur cachette vers midi dans un endroit désert des Bld des maréchaux, près de l'usine à gaz. Ils se séparent. Il va falloir entrer dans une totale clandestinité, trouver des refuges, des vêtements propres et des chaussures, etc. Nous verrons cela dans la section B :IV.2.3. ''Nous saurons plus tard que nos geôliers, marris de l'évasion ont le lendemain étendu des matelas au soleil comme pour les sécher et dit à nos camarades : ''Farjon et Pène ont voulu s'évader mais ils ont été rattrapés, blessés à mort, et étendus sur ces matelas''. La rumeur a couru de la mort de Pène. Son fils ainé Didier était caché dans une colonie de vacances catholique où les religieux lui disaient qu'il devait prier pour son père.

B :IV.1.3 L'affaire Roland Farjon. Gilles Perrault a consacré tout un livre [32] à l'affaire Farjon, c'est à dire à identifier la responsabilité de Farjon, s'il a trahi ou seulement été d'une imprudence grave, etc. Le point de vue de Perrault est manifestement favorable à Farjon, sans toutefois nier ses graves responsabilités. Il porte de nombreuses critiques à Pierre Pène parmi lesquelles celle d'avoir témoigné contre Farjon après la guerre sans souligner l'aide apportée par Farjon lors de leur évasion commune. Le fait que Farjon se soit évadé avec Pène serait à porter à son crédit. Pène pense que Farjon a simplement changé de camp compte tenu du débarquement allié. Nous ne parlerons pas trop de cette polémique. On peut se reporter au site [102]. ''A peine réunis (en cellule) nous pensons à l'évasion. Roland qui avait depuis son arrestation flirté avec les Allemands, beaucoup trop flirté, sentait depuis le 6 juin le vent tourner. Nos interrogateurs, fervents nazis, proclamaient l'échec complet du débarquement mais les braves gars de la Wermacht (armée allemande) qui nous gardaient, de moins en moins chauds, à mesure que les chances de leur pays s'amenuisaient, nous avaient passé des journaux. Nous savions qu'en un point au moins la tête de pont tenait. Aussi Roland, renseigné, infléchissait-il sa position peu à peu ; dès le 8 juin il était décidé à s'évader. (Roland n'en continua pas moins à jouer la carte allemande jusqu'au dernier moment. Au retour d'un interrogatoire sur mes 5 subordonnés arrêtés le 13/12/43 je dis joyeux, ''j'en connais 5 qu'ils n'auront pas''. Ce propos est aussitôt rapporté à mon interrogateur le Dr Schott, il le dira à ma femme – qui est à Fresnes – quelques jours plus tard. Où est la fuite ? Ce ne peut être que Roland.)'' [66]. Lepercq parle d'une expérience analogue avec Farjon. ''Appelé à l'interrogatoire il en revient radieux et dit sa joie à Roland : il a réussi à éviter une question gênante. Aussitôt Roland est appelé à son tour, Lepercq le voit par la fenêtre faire les cent pas dans la cour avec l'enquêteur S. qui lui a passé familièrement le bras autour des épaules. Roland revient, Lepercq est appelé, et S. lui pose la question qu'il tenait à éviter.''[104] Lepercq était le beau-frère de Farjon et il a insisté auprès de Pène pour qu'il témoigne à charge, ne pouvant le faire lui-même à cause de ce lien familial [24]. Farjon l'a reconnu : ''Epuisé physiquement, mis au pied du mur par un interrogateur connaissant admirablement son métier, et le dossier mieux que moi, je finis par lâcher Pasteau, Gallois (pour sauver le colonel), Pène...''[32,130]. Dans la même cellule Farjon a parlé à Pène : ''Il raconte à M. Pène qu'il a été affreusement torturé (deux mois avec les menottes derrière le dos ce qui l'obligeait à ''laper'' sa nourriture) et avoue qu'il a dénoncé un certain nombre de camarades dont Pène lui-même''[54]. Lors de l'interrogatoire de Françoise, Schott lui montre un rapport daté de janvier 1944, écrit pendant l'interrogatoire de Farjon (Dufor). ''Mon mari y est décrit physiquement, son titre d'ingénieur en chef, son adresse, tous les détails y sont donnés en clair''. Elle demande pourquoi ils chargent tellement cet homme qui les a tant servis ''parce que nous avons cru à sa collaboration sincère, qu'il a démentie en se sauvant'' [113] {p106_110.pdf}. Il n'est pas douteux que Farjon ait été plus qu'un grand étourdi, mais un homme qui a changé de camp. Gilles Perrault dit qu'il était un alibi commode pour éviter de chercher d'autres traîtres ou espions infiltrés. Il y avait probablement des infiltrés à Londres au sein du BCRA. En témoigne ci-dessus l'insistance du BCRA pour avoir en clair les noms et adresses des hébergeurs d'aviateurs alliés (section B:II.3.6) et le parachutage piégé par la Gestapo de mi-septembre 43, (cf la fin de la section B:II.3.6). Nous avons aussi vu que le plan de Margival confectionné par Bertin n'a pas été détourné par Farjon. André Deconninck était l'adjoint de Roland Farjon. Ce dernier, arrêté, dénonce aussi Deconninck sous son vrai nom. Par chance il avait quitté son domicile à Boulogne et n'est connu que par ses pseudonymes. ''Il ne garde aucune rancune à Farjon dont il comprend l'attitude et tente en vain de le faire évader (témoignage d'André Deconninck, recueilli par Arthur Calmette [128]). Il parvient à rencontrer Farjon dans sa prison (étrangement mal protégée), et apprend de lui ''qu'ils savent tout''. Rouzée rencontre aussi Farjon en détention, qui l'engage à parler ''ils savent tout'' [135]. Les témoignages accablants de la trahison de Farjon sont très nombreux. Parmi eux citons celui de Georges Fourdrinoy [105]. Juste un extrait : ''Le témoin [Fourdrinoy] … est interrogé 8 fois en un mois, il nie toujours. …. à chaque interrogatoire du témoin, Farjon, en liberté, écoutait les dépositions sans interroger..... Lebourvat (PTT Arras) a raconté que Farjon l'avait interrogé dans une pièce où ils étaient à deux, mais dans une autre pièce un agent de la Gestapo écoutait, qui recueillit des faits précis : rendez-vous avec des chefs de secteur, ainsi que sur l'activité de résistant de Colle (PTTNord). Lebourvat, sans méfiance, parla aussi de Cléret ce qui déclencha l'arrestation de celui-ci..... ''. Ajoutons le témoignage de Françoise Pène [102], dont le contenu est évoqué section B : IV.2.2. Schott était certes habile et Farjon bien fragile. Pierre Pène explique sa trahison (Pierre Pène sur la personnalité de Farjon, [102]), par cette fragilité, mais aussi par ambition. Il décrit le mécanisme qui a entraîné Farjon à donner de plus en plus aux Allemands. Farjon l'a beaucoup aidé lors de leur évasion après avoir avoué en cellule ''je t'ai donné''. ''Il ne pense alors même pas que ses anciens camarades de combat pourront lui demander compte de sa trahison, des 150 noms et descriptions remises à l'ennemi, des pertes qui s'en sont suivies.'' Gilles Perrault se targue d'avoir fait connaître l'affaire Grandclément. Il faut lui en rendre acte. Grandclément, chef de l'OMC dans le sud-ouest a été convaincu par l'Allemand Dohse de contribuer à un retournement d'alliances contre l'URSS. Il a accepté un accord de trahison. Jacques Rebeyrol [136] pense que ''Grandclément était anti-communiste et il avait fait savoir depuis longtemps à ses amis qu'en cas d'arrestation, il avait arrêté une ligne de défense qui consisterait à dire aux Allemands qu'il était effectivement à la tête d'un groupe armé, mais que ce groupe n'était pas armé dans l'intention de nuire aux Allemands mais pour se prémunir contre un putsch communiste en cas de départ précipité de l'occupant.'' Que ce soit Dohse ou Grandclément qui ait proposé ce renversement d'alliance, cette trahison a détruit dans cette région la Résistance de droite alors que le puissant maquis de Guinguoin montrait la force de la Résistance communiste. C'est probablement pour cela, en l'absence de non-communiste dans la Résistance de cette région, que de Gaulle a accepté à son service Maurice Papon dont il savait qu'il avait collaboré avec l'ennemi. Papon sera préfet de police lors du massacre des Algériens le 17/10/61 et même ministre de Raymond Barre. Puis il sera condamné pour complicité de crime contre l'humanité (jugement du 2/4/98) pour avoir organisé le départ des juifs vers les camps d'extermination. Symétriquement, le Parti Communiste s'est vite débarrassé de Georges Guingouin, trop imprégné d'esprit de résistance. Il est vrai que l'histoire peu glorieuse de Grandclément n'était pas très connue avant le livre de Perrault. Il est curieux que Perrault ne se soit pas demandé si le retournement de Farjon n'était pas de même nature. S'est-il rangé du côté allemand depuis son arrestation jusqu'au 8 juin 44 seulement parce qu'il les jugeait invincibles, ou dans cette idée d'un renversement d'alliance, comme l'a fait Grandclément ? Farjon faisait partie d'une grande famille industrielle probablement peu sympathisante de l'URSS. A notre connaissance Farjon n'a pas évoqué l'anti-communisme comme une cause de ce qu'il faut bien appeler sa trahison. Il a invoqué des brutalités qu'on ne peut nommer torture, et l'argument ''ils savent déjà tout''. Argument stupide, s'ils avaient tout su ils n'auraient pas perdu leur temps à interroger. Et de plus nous avons vu deux exemples ci dessus où Pène d'un côté, Lepercq de l'autre, lui disent en confiance quelque chose que les Allemands ne savent pas, et il va le leur apprendre !!

B :IV.1.4 La région Parisienne après l'arrestation de Pène Les nombreuses arrestations qui se sont produites début 44 en incluant celle de Pène désorganisaient la Résistance dans la région parisienne et en particulier celle des FFI. Que s'est-il passé entre le 4/4/44 et la nomination de Rol le 5/6/44 ? Cette période est peu connue. Nous avons trouvé un document dans les archives Kergall, au musée de la Résistance {au nom de ''musée du Général Leclerc de Hauteclocque et de la Libération de Paris - Musée Jean Moulin''}. Nous présentons [142] ce document daté du 14/4/44. On voit que l'Inspecteur Régional qui succède à Pène est Robert Fouré (Leroy). Lefaucheux (Gildas) souvent cité est responsable de ''Seine et Seine et Oise''. Robert Fouré a été arrêté le 17/5/44 ! Il a été déporté et n'est pas revenu du camp de Dora. Lefaucheux (Gildas) lui a-t-il succédé ? En tout cas il se bat pour obtenir des armes mais les alliés seront sourds jusqu'au débarquement du 6 juin [127]. Seulement en juillet d'importants parachutages d'armes seront réalisés [150]. Dans son témoignage [127] Lefaucheux parle de Leroy {Fouré} et d'autres résistants en soulignant la nécessité d'une union de toutes ces forces, sans préciser les dates. Les actions concrètes qu'il mentionne concernent essentiellement la région qui lui est dévolue dans le diagramme [142]. Hélas, Lefaucheux a été arrêté deux semaines et demi après l'arrestation de Fouré, le 3/6/44 , et avec lui 9 chefs de la Résistance !!! Un élément infiltré les avait dénoncés. Hélène Lefaucheux a sauvé son mari d'une façon exemplaire, mais ceci est une autre histoire. Rol Tanguy était nommé à la tête des FFI de la région parisienne le 5/6/44. Rol a dirigé l'insurrection de Paris déclenchée par les policiers de la Préfecture de Police. Ceci est bien connu et nous n'en parlerons que du point de vue de Pène, qui, pouvant enfin se montrer, observait les évènements en spectateur, avant de devoir devenir acteur en tant que commissaire de la République pour la région Picardie et Ardennes. B :IV.2 Après l'évasion De Pierre Pène B :IV.2.1 Arrestation de Françoise et Clotidle Pène La nuit même de l'évasion de Pène et de Farjon, Françoise, Clotilde, sa sœur, ses enfants ainsi que Jeanine Molaye, la ''bonne'', avaient été arrêtés {comme raconté par Florence à son frère B:III.4.2}. Françoise a été interrogée par le Dr Schott, membre du GFP {Geheime Feld Polizei}, dépendant de l'Abwehr, c'est à dire les services de renseignement de l'armée allemande. Elle décrit son interrogatoire dans son livre [24]. Ses deux filles et le bébé étaient dans la pièce attenante au lieu de l'interrogatoire. ''ANNETTE : maman est incroyable. Quand le policier (Schott) l'interrogeait, nous pouvions l'écouter derrière la porte, notre garde dormant un peu plus qu'à moitié. Elle le traitait de sauvage, ils étaient pires que les Russes, emprisonnant des enfants ! Quelle réputation cela ferait dans nos écoles ! Elle était innocente de tout ce qu'avait fait son mari, mais comprenait qu'ils veuillent la prendre en otage. Mais pourquoi la bonne et les enfants ? C'était criminel ! (d'ailleurs j'appris plus tard que le bruit avait couru dans le lycée de ma mort en déportation). Il répondit qu'il avait d'autres griefs contre elle, sans doute son origine juive, qu'il connaissait certainement. Mais cela n'arrêta pas son flot de réprimandes et d'accusation de sauvagerie et d'injustice.'' [81] La Gestapo aurait envoyé immédiatement Françoise en camp d'extermination. Par chance elle était interrogée par l'Abwehr {l'armée}. Celle-ci n'était pas Nazi, l'extermination des juifs n'était pas son affaire. Son souci était de décapiter la Résistance Française. Schott a-t-il été convaincu par les arguments de Françoise ? On peut penser aussi que Schott était un ''malin'' et s'est dit que l'incarcération de la bonne et des enfants ne lui servait pas à grand-chose, mais en les libérant il avait un hameçon pour attraper le ''gros poisson'', Pierre Pène. Toujours est-il qu'il n'a gardé dans la prison de Fresnes que Françoise et Clotilde Pène, ainsi que la mère et la femme de Roland Farjon. La famille avait des voisins nommés Roumens. C'étaient des catholiques fervents, et des admirateurs du Maréchal Pétain. Cependant deux des filles Roumens avaient des relations amicales avec Annette et Florence. Les Roumens avaient obtenu que Didier soit envoyé dans une colonie de vacances catholique à Arcis le Ponsart, car il avait huit ans et ses parents craignaient qu'il tienne des propos dangereux. Seuls la bonne Jeanine, les deux filles, le bébé étaient donc libérés par Schott, mais deux soldats allemands les accompagnaient et s'installèrent dans l'appartement afin, bien évidemment, d'attraper Pène s'il se présentait, et éventuellement d'autres résistants. L'appartement avait un long couloir, une entrée de service dans un autre escalier que l'entrée principale, et des fenêtres des deux côtés : de la rue et de la cour intérieure. Les deux filles montrent un grand sang-froid, Florence subtilise sous les yeux des Allemands un carnet compromettant, et Annette parvient à contacter Suzanne Roumens par une fenêtre sur la cour intérieure et à lui envoyer un message et une clef, lui demandant de garder la clef d'une chambre du groupe d'immeubles louée discrètement dans un autre bâtiment, où Pierre dormait parfois et surtout qui contenait des documents très-très compromettants. Elle demandait aussi à Suzanne de prévenir la loge des gardiens de transmettre aucun appel téléphonique à l'appartement. Car le téléphone passait par un standard situé dans un local collectif. Les gardiens de ce local respecteront cette demande. Notons au passage la solidarité large dont bénéficiait la Résistance en juin 44.

B :IV.2.2 Françoise et Clotilde Pène à Fresnes Françoise et Clotilde Pène sont donc prisonnières à Fresnes depuis le 10 juin 44. Elles seront libérées au bout de six semaines, le 22 juillet. Françoise a raconté [24] sa vie en cellule. Sa pire souffrance était l'impression d'étouffement dans ce local dont la fenêtre était fermée. Elle a dit un jour à une de ses gardes, la gentille, qu'elles appelaient la ''souris grise'', qu'elle voudrait aller dans un camp en Allemagne, où elle respirerait de l'air pur. Et la gentille ''souris grise'' lui a répondu "oh non, vous ne voulez pas aller là-bas". En effet si les chefs d'Etat, le pape, la Croix-Rouge etc. savaient ce qui se passait dans les camps et en particulier dans les camps d'extermination, c'était encore ignoré du commun des mortels. Mais la ''souris grise'' le savait. La même ''souris grise'' lui avait dit dans le charabia franco-allemand dans lequel elles communiquaient ''oui, pauvres prisonniers, mais eux, quelque fois, en sortent, tandis que nous, les gardiennes, nous y restons''. ''Elle me dit qu'elle n'est pas volontaire, mais mobilisée. Mobilisée avec huit enfants''. Peut-être cette gardienne était-elle politisée, anti-nazie, ce qui expliquerait qu'elle soit si bien informée sur les camps Nazis. Ce genre de complicité entre la prisonnière et la gardienne est émouvant. Nous en verrons d'autres. Donc Françoise force la fenêtre pour respirer. Cela lui vaudra le cachot où elle a failli mourir de faim, de faiblesse. ''Victime d'un malaise dû au froid et au manque de nourriture, j'étouffe subitement et me mets à claquer des dents. Mon nez se pince et je sens mes membres s'agiter en mouvements désordonnés. J'entends alors des cris rauques près de moi. ''Levez-vous''. Une gardienne est entrée, elle me prend le pouls puis s'en va. Je reprends un peu conscience au moment où l'on m'apporte un bol de soupe chaude. Petit à petit la vie revient en moi''[24]. Au delà de ce qu'elles ont souffert, il est très intéressant de lire ce que Clotilde et Françoise ont écrit à propos de leurs compagnes d'infortune. Clotilde [114] décrit son arrestation, puis la manière dont les prisonnières communiquent avec les voisines d'à côté, d'en haut et d'en bas. Elle parle de ''radio Fresnes'', les nouvelles en général très optimistes propagées par les détenues sur la guerre. ''Nous pensions presque toutes que la libération de la France entraînerait l'élargissement des prisonniers. Hélas mes pauvres camarades sont toutes parties en Allemagne vers le 15 Août''. Elle raconte le rôle de Georgie, ''la grande consolatrice de celles qui ont le cafard'', des scènes joyeuses, mais plus souvent les soirs de tristesse, la folie d'une détenue. ''Le cafard est contagieux, celle qui en est atteinte doit le cacher avec soin''. ''En résumé, les sentiments s'exaspèrent en prison. La gaieté prend l'allure un peu nerveuse des chahuts d'étudiants, la tristesse peut dégénérer en désespoir et quelquefois en folie''. Françoise Pène aussi parle des codétenues [24],[113]. Le texte écrit en 1945 [113], avant même la fin de la guerre en Orient, est plus complet d'autant que les souvenirs sont plus frais. Mais le texte le plus complet, le plus précis et, il faut le dire, le plus émouvant concernant les détenues femmes de la prison de Fresnes est la référence [146]{p 39 à 43}. Commençons par Florence, Francine Froment de son vrai nom. Condamnée à mort elle a chargé Françoise de transmettre à sa sœur un texte d'adieu déchirant [115]. Cette amitié profonde entre Florence la communiste et Françoise qui ''n'y croyait pas'' évoque le poème d'Aragon ''celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas''. L'héroïsme de ''Florence'' et de sa famille est impressionnant [113] {p81_85.pdf et p86_90.pdf}. Sa mère est morte des suites d'un interrogatoire brutal, son mari est prisonnier de guerre en Allemagne. Il ne lui reste qu'une sœur poitrinaire, sans argent, avec un enfant chétif âgé de cinq ans. ''Cette communiste fanatique est une tendre''. Cet oxymore en dit long sur la distance entre ces deux femmes dont la détention a fait deux amies, deux camarades. À travers le tuyau d'eau Florence parle de sa mère ''Elle était encore si jeune et jolie, et elle nous aimait tant. Petite couturière, simple ouvrière, elle nous habillait avec tant de goût et d'élégance que ses clientes voulaient avoir les mêmes toilettes que nous''. Françoise ira voir la sœur de Florence quand elle sera libérée, l'aidera un peu. Le 11 juin 45 elle reçoit bien tard une lettre posthume dans laquelle Florence lui demande d'annoncer avec précaution sa propre mort à sa sœur. Elle a été inhumée le 5 août 1944 à 12h15 !!! Une autre voisine, Suzy, femme d'un facteur, a été arrêtée comme complice de son beau-frère. La nouvelle se répand, Suzy va être libérée, un peu de joie, hélas sa libération a eu lieu le lendemain du jour où son beau- frère était fusillé à Fresnes ! Ce beau-frère a laissé une lettre à sa femme à propos de ses enfants ''Fais-en de bons et courageux ouvriers, dis leur qu'ils peuvent être fiers de moi car tout ce que j'ai fait est honnête et pur. Je l'ai fait pour mon pays. J'espère qu'ils ne connaîtront pas comme moi dix ans de guerre pour quarante années de vie.''[113] (p86_90.pdf). Ce résistant avait été trahi par un français ! Jeannette appelle désespérément chaque matin son Jeannot. Il faisait de fausses cartes d'identité pour des résistants ou des réfractaires (au STO). Jeannette vendait des bas dans une petite boutique. Les miliciens sont venus les arrêter. La grand-mère n'a pas d'argent, comment fait-elle maintenant que ses enfants sont en prison ? Françoise fait une description détaillée des modes de communication entre prisonnières, des conseils des anciennes, de l'accueil d'une nouvelle, de l'aumônier qui parle avec douceur, ... [113] (p91_95.pdf). La plupart de ces femmes avaient accepté de faire le sacrifice de leur vie par patriotisme, pour un monde de justice sociale, et elle furent presque toutes assassinées par les nazis. Françoise Pène souligne [146] cette intense solidarité de résistantes de différents milieux et de différentes opinions politiques. Pour illustrer cette fraternité Françoise décrit la cérémonie des ''bonjours'' et des ''bonsoirs'' qu'échangent les détenues. ''Comme ils sont poignants lorsque c'est un enfant qui s'adresse de loin à son père ou à sa mère, une femme à son mari. Les autres plus anonymes, s'échangent entre voix connues, sous un prénom. Il y a aussi les chants. Les voix claires des femmes, plus graves et plus rares les chants des hommes. Ces chansons représentent, comme les prisonniers, tous les milieux sociaux ; des classiques assez rares en passant par les vieilles chansons françaises, et les hymnes glorieux les plus chantés, on descend aux couplets sentimentaux qui ont, dans certains coins, beaucoup de succès. Dans le secteur de ma belle-sœur une danseuse de Tabarin et deux étudiantes donnent le ton et l'on y raconte d'amusantes histoires spirituelles. Mon secteur, dominé par la voisine communiste, l'ancienne du coin, autodidacte militante, a un genre plus austère. A chaque nouvelle venue elle se présente : ''je suis depuis un an au secret et condamnée à mort''. Elle est sûre de son petit effet. Deux jeunes femmes, avec qui je ne converse pas, trop éloignées de moi, me plaisent ; elles chantent très tard à deux voix un nombre incalculable de vieilles chansons ; elles terminent la soirée en scandant sur l'air de ''formez le monôme'', ''Bonsoir Simone, bonsoir Simone, bonsoir'', successivement sur tous les prénoms du coin. Car bien entendu nous ne nous connaissons que par nos prénoms. Prudence élémentaire vis à vis des ''moutons'''' {ce mot est ancien : mouton désigne les espions mêlés aux détenus pour les faire parler}[146] ''Les hurlements stridents des sentinelles interrompent généralement des discussions de cellule à cellule, et qui finissent maintes fois au cachot, à moins d'avoir à faire à un humoriste comme ce soldat de garde qui, entendant une prisonnière dire comme bonsoir ''Vive de Gaulle, à bas les boches'', lui répond ''C'est encore un peu tôt, mademoiselle'' ''[146]. Le texte [146] de Françoise Pène contient un appendice intéressant ''J'ai ressenti avec force ce qui distinguait ces hommes et ces femmes de ceux qui ont trahi, en retournant à Fresnes en cette année 1945. Nous allions à plusieurs anciennes internées, à la recherche d'indications sur la mort de la mère de ma voisine {Francine Froment, Florence}, sa mère qui revint de l'interrogatoire en soufflant à sa voisine ''je suis très fatiguée, je n'en puis plus, pourvu qu'ils n'en fassent pas autant à ma fille''. Elle s'étendit sur un grabat et, dans la nuit, les gardiens s'agitèrent et les détenus des cellules proches entendirent les Allemands apporter un cercueil. C'est tout ce que nous savons d'elle. Quelle émotion pour nous de revoir nos cellules, d'y retrouver nos inscriptions, la trace des longues heures de solitude''[146]. Elle constate que les conditions de détention sont bien meilleures que ce qu'elles avaient connu, mais en même temps ''Nous avions devant nous des visages sans âme.... Madeleine la sœur de Florence souffrait de penser que les dernières heures de sa mère et de sa sœur avaient pu se passer dans cette atmosphère grise. Et d'un seul élan, les deux anciennes de Fresnes, revenantes de Ravensbrück et moi-même, nous lui dîmes ''Fresnes n'est plus Fresnes ; ce sont bien les mêmes cellules avec un régime plus acceptable mais, ici, il n'y a rien qui soutienne ces hommes''. Aucun idéal, aucune communion entre eux, aucune fraternité, aucun espoir....Ils ont indéniablement plus d'espoir que nous de sortir de l'internement, même les condamnés à mort, ces collaborateurs, car la justice actuelle est faible ou humaine, qualificatif au choix, ..mais ce n'est qu'un espoir personnel, donc vain. Tandis que nous nous espérions que la France serait sauve ….Et cette espérance est justifiée. La France est libre. C'est déjà beaucoup, messieurs les grincheux....nous savions qu'autour de nous, derrière les murs, il y avait des vies précieuses et que ces vies précieuses avaient tout accepté volontairement. Dans sa cellule, avant d'être fusillée, le 5 août 1944, Francine Froment (Florence) a écrit ''Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux'' ''[146]. Ce texte se passe de commentaire, si ce n'est, encore une fois, l'attachement si fort de Françoise pour la mémoire de Francine Froment, qui n'était pas du même milieu social et ne partageait pas du tout les mêmes idées politiques. Puis elle raconte ses interrogatoires par le Dr Schott et ses acolytes. Il cherche à la convaincre que Farjon a véritablement trahi la Résistance et d'autre part à lui faire avouer qu'elle était au courant des activités de Résistance de son mari. Il parle d'une charge très importante contre elle qu'il aurait. Il s'agit probablement de sa judéité. Elle fait mine de ne pas comprendre. Elle parle aussi du voyeurisme des gardiens allemands au moment des douches des détenues. Enfin elle parle de sa libération ainsi que de celle de Clotilde, le 22 juillet. Les codétenues se réjouissent et bien sûr chargent Françoise de messages pour leurs familles. La mémoire de Françoise est mise à rude épreuve. La femme et la mère de Farjon sont libérées en même temps. Elles échangent leurs impressions de la prison. ''Nous savons toutes quatre que nous sommes lâchées en appât pour nos deux évadés. Ce sera une liberté apparente qui nous attend. Chacun de nos déplacements, de nos coups de téléphone, de nos lettres sera épié. Qu'importe, nous saurons déjouer les filatures ; nous serons prudentes et patientes. La libération de Paris ne peut plus tarder''[146]. Une fois libérées il faut retrouver les filles, le bébé et la bonne Jeanine que Pierre avait envoyés à Bures-sur- Yvette chez Denise Quivy, pour plus de sécurité. Une épicière offre à Françoise et Clotilde du pain sucré et beurré, un régal après Fresnes. Françoise reçoit par téléphone des bonnes nouvelles de ''Lisette'' c'est à dire de Pierre. Elle apprend où sont les enfants. Ils reviennent deux jours après. Clotilde s'aperçoit que son appartement a été cambriolé, apparemment par son concierge qui a disparu tout de suite après ce cambriolage. La libération de Paris s'annonce. Les services de la police militaire allemande qui s'occupaient d'eux quittent Paris. Pierre peut rejoindre sa famille et on peut faire revenir Didier d'Arcis le Ponsart. Toutes ces joies sont assombries par la nouvelle de la mort de Biqui, fils de Hélène Fraenckel, une cousine et amie très proche. Biqui a été blessé à mort dans les combats de la libération. Il avait envoyé une lettre poignante à ses parents [116]. ''Nous sommes tous atterrés, notre joie brisée. Biqui ce charmant garçon de 17 ans ½, si ouvert et franc, le gentil enfant plein de fantaisie, intelligent et studieux''[146]. Son père, le Dr Franckel et sa mère étaient restés à Paris pendant toute l'occupation en portant l'étoile jaune, malgré les risques que couraient des juifs si visibles. Et lors de la libération ils ont perdu leur fils ! Leur fils ainé, Jacques était prisonnier de guerre en Allemagne. Françoise va le voir à l'hôpital ''Biqui est admirable, il sourit et me dit – Jacques sera fier de moi quand il saura ce que j'ai fait. J'ai pris des armes aux Allemands pour aller combattre contre eux ; j'en ai tué deux avec mon camarade''[146].

B :IV.2.3 Pierre Pène très recherché Après son évasion Pène était bien sûr très recherché par les Allemands. Clotilde Pène écrit ''Le chef de ceux qui sont venus m'arrêter {que tous appellent docteur Schott} donne un ordre. Une dizaine d'Allemands en civil, jeunes, à tête de brute, entrent et se tiennent au garde à vous devant lui. Ostensiblement il remet à chacun d'eux deux photos (l'une de face l'autre de profil, des deux évadés)''[114]. Les deux évadés sont Pène et Farjon. Il fallait se cacher. Roland Farjon conduit Pène chez des amis industriels ou des parents éloignés. ''Les couleurs vives et harmonieuses, la noblesse du mobilier, les parfums du jardin nous conduisent dans un autre monde... ces hôtes sont bienveillants, mais ne veulent pas prolonger le risque''[103]. Pène dit adieu à Farjon. On lui donne des espadrilles et lui dit de suivre la maîtresse de maison. ''Je fais donc le suiveur, mais mes pieds, dont la plante n'est plus que plaie, ne me permettent d'avancer que d'un pas de tortue. Mon guide s'arrête fréquemment et feint l'intérêt devant les magasins. C'est curieux comme les devantures qui ne présentent guère que des hardes et des sachets d'orge baptisé café, offrent de l'intérêt pour cette jolie femme ! Quant à moi, traînant mes espadrilles, j'ai une allure étrange mais, fort heureusement, de nombreux réfugiés de Normandie où la bataille fait rage parcourent la ville et l'on ne me remarque pas. Nous voici à un nouveau refuge où l'on m'offre un déjeuner hâtif ; ces riches bourgeois veulent être en règle avec leur conscience et aussi en bons termes avec la Résistance, avec le camp des vainqueurs, mais ils tremblent devant le risque. Le repas à peine achevé ils tiennent conseil de guerre. Ils me garderaient bien mais ….mais c'est un vrai crève- cœur pour eux de ne pouvoir. ''Mais j'y pense'', dit l'un ''et le Dr Morax ? Il a déjà abrité tant de fugitifs – justement '' dit un autre ''il est sûrement repéré, d'autant que sa femme est juive – mais elle est partie par prudence – où ? - je ne sais pas. Il prendra sûrement monsieur'' ''[103]. Cette description humoristique des couches aisées de la société à un moment où les vainqueurs ne sont plus les mêmes n'est que la description de ce que Pène a vécu et observé. On croirait pourtant une comédie. On va soudain basculer vers des personnalités d'une autre carrure. Pierre alla donc chez le Dr Morax. Ce dernier lui apprit l'arrestation de sa famille, et le dissuada de se livrer, cela ne servirait à rien. ''on m'offre à déjeuner, on fait ma toilette – ce que je ne puis faire seul – on me donne une allure décente, et, dès trois heures après-midi, un chirurgien, le Professeur Funck-Brentano vient m'examiner'' [103]. Le Dr Funck- Brentano emmène Pène dans sa clinique et opère son poignet cassé en le présentant comme un accidenté de bicyclette. Il était un dirigeant de la ''Résistance médicale'' à Paris. La femme du Dr était une ''juive égyptienne d'une grande beauté'', et des policiers français sont venus la chercher. Elle était heureusement partie la veille. Pène fut sauvé par le sang-froid d'une femme de chambre ''qui a juré ses grands dieux que sa patronne n'était pas là et les policiers n'ont pas perquisitionné. Etaient-ils favorables aux résistants ? Sentaient-ils le vent tourner ? Quoi qu'il en soit ils n'ont pas montré beaucoup de mordant''[66]. Il dut chercher d'autres personnes acceptant de l'héberger. Un ami d'Hélène Franckel {cousine de Françoise}, puis Mr Maroteau, ami de Charles Lagille {beau-frère de Françoise}, des ouvriers brossiers ''qui m'hébergèrent chez eux à Chennevières'' [66]. Pène a honte d'avoir oublié leur nom, ils lui ont sauvé la vie en risquant la leur. Ils n'ont jamais reçu de médaille, leurs actes ont été peu connus, oubliés, et pourtant eux aussi étaient des héros. Pène reprend contact avec l'OCM par l'intermédiaire de Sonneville (Montrose) [54]. ''Déjeunant avec Piette je lui signale que son domicile, son restaurant habituel sont connus''[103]. Pène remonte jusqu'au sommet de la Résistance, Parodi (Délégué Général du CFLN) et Laffon (chargé de sélectionner les Commissaires de la République), qu'il rencontre dans les jardins du Trocadéro [103]. Il sera nommé Commissaire de la République pour la Picardie et les Ardennes le 28 juin 44 [54]. Malgré la foule de Paris, le danger est toujours présent. Pène a un rendez-vous avec Marie-Hélène Lefaucheux. ''Tout à coup, à cinquante mètres, venant vers moi, un groupe d'Allemands ''Mais je les connais, ce sont mes enquêteurs de Senlis dont je me suis évadé''. Béats, ils goûtent ce début d'été d'Île de France, en respirent les parfums, reposent leurs yeux sur la verdure''. Pène hésite, traverser attirerait leur attention. Il poursuit sa route, frôle, les jambes tremblantes, les Allemands et ''la mine décomposée, retrouve Marie- Hélène dans le petit bistrot modeste où elle m'attend''. Annette Pène (la fille ainée) amenait et ramenait un vélo à son père. Un jour elle lui en a amené un. A l'aller elle était sur un vélo et en tenait un autre à ses côtés. Au retour elle était simplement à vélo. Soudain elle voit les deux Allemands qui avaient occupé l'appartement pendant quelques jours. Ils l'interpellent, que fait-elle ? Elle donne un vague prétexte, elle vient de chez une amie. Heureusement qu'elle ne les avait pas rencontrés à l'aller, avec deux vélos ce qui, sans aucun doute, leur aurait paru suspect. Et puis, en cette fin de guerre, les soldats allemands non fanatisés n'allaient tout de même pas envoyer à la mort une jolie fille ! Ils l'ont laissé partir. Comment Pène communiquait-il avec sa famille ? La personne clef était Denise Quivy, une amie proche de Clotilde, la sœur de Pène. Elles avaient été ensemble sur les bancs de la Sorbonne, seules filles, ou presque, dans un amphi bondé d'étudiants de physique. Le frère de Denise était médecin. Pène pouvait discrètement aller dans son cabinet comme s'il voulait se faire soigner. Le docteur Quivy prenait ou lui donnait les messages. La chaîne se poursuivait entre le Dr Quivy et sa sœur. Celle-ci allait à la boulangerie de la rue des princes près de la rue de la Tourelle et faisait la queue. Annette s'y trouvait et elles s'arrangeaient pour être l'une derrière l'autre dans la queue et échanger discrètement les documents. La même Denise Quivy a offert une maison qu'elle possédait à Bures-sur-Yvette pour héberger les filles et le bébé, Pierre ayant jugé dangereux qu'ils restent à Boulogne.

B :IV.2.4 La libération de Paris : Les barricades, la 2ème DB et Von Choltitz. En attendant le moment opportun pour rejoindre la région qu'il devait diriger en tant que Commissaire de la République, Pène vivait en spectateur l'ébullition révolutionnaire de Paris. ''Paris est vibrant de passion ...Par hasard j'assiste un matin à la rébellion de la Préfecture de Police. Un autre jour c'est le Grand Palais qui brûle avec une réserve de sucre de plusieurs millions. Un char, attaqué du Grand Palais par des FFI plus ardents que réfléchis, a riposté et mis le feu. Des barricades se dressent dans les rues, hétéroclites et parfois ridicules, un char et parfois même une auto-mitrailleuse les renversent d'un effort''[66]. Pourtant des directives sur la manière d'édifier des barricades et de les défendre avaient été données. Une de ces directives datée du 20 août 1944 provient du chef du 3ème bureau de l'Etat-Major National (EMN) des FFI. Il signe ''Malivert''. Malivert n'était autre que Jacques Monod, qui obtint le prix Nobel de biologie en 1965 en compagnie de François Jacob, lequel a combattu dans les Forces Françaises Libres, et de André Lwoff, qui a beaucoup aidé la Résistance et en particulier Jacques Monod. Ce dernier émet une directive en tant que chef du 3ème bureau [112,110]. Il souligne le danger de l'occupation de points fixes mais prend acte du fait que la révolte des policiers de la Préfecture de Police a aboutit à ce que ''la possession de la cité étant un fait acquis dont la valeur morale sinon stratégique est considérable, il ne saurait être question naturellement d'abandonner cette position, qui doit être tenue à tout prix. Mais le commandement cherchera à créer de fortes diversions partout où ce sera possible et aussi souvent que possible. En conséquence : 1)Multiplier les patrouilles armées en voiture sur toute l'étendue de Paris et de la banlieue 2)Installer partout où ce sera possible, et pour commencer, sur les grandes artères fréquentées par les patrouilles ennemies, des barricades assez puissantes pour arrêter voitures, camions et auto-mitrailleuses. Ces barricades seront munies de chicanes permettant le passage de patrouilles amies. 3)Elles seront défendues par des groupes armés qui auront pour mission d'en interdire le franchissement par des voitures ennemies. 4)Les milices patriotiques non armées et la population seront invitées par voie d'affiches et de hauts-parleurs montés sur voitures à participer à la construction des barricades. 5)Des systèmes d'alerte seront organisés entre les différents groupes défendant les barricades successives, pour annoncer l'arrivée des chars que l'ennemi cherchera sans doute à utiliser pour forcer les passages. Les gardes des barricades se replieront alors dans les immeubles voisins, et chercheront à attaquer les chars à la grenade si ils en possèdent. Sinon ils le laisseront passer et reconstitueront la barricade aussitôt après. pour le chef d'EMN {Etat Major National} et P.O.{par ordre} Le chef du 3ème bureau, Malivert''. Monod s'est tourné vers Geniève Noufflard, son assistante et agent de liaison, et lui dit d'une voix impatiente ''Bien sûr, cet ordre ne sera pas appliqué. C'est honteux, cela pourrait être très utile''[110]. Monod avait-il raison d'être si pessimiste ? Il semble que non. Un grand nombre de barricades ont été dressées dans Paris. On estime à environ 600 leur nombre. Certaines étaient-elles ridicules comme le dit Pène ? Probablement mais Pène était quand même sévère avec elles. Monod avait bien dit qu'une barricade ne pouvait pas résister à des chars et suggéré la tactique de l'envoi de grenades (ou cocktails Molotov) sur ces chars. Un fait est certain : ces barricades n'étaient pas de simples gesticulations romantiques pour imiter les grandes révolutions de l’histoire de France. Elles ont joué un rôle militaire important : elles ont empêché les forces allemandes en retraite de passer par Paris, et les ont contraintes à contourner Paris par le nord. Cela a eu une conséquence sur le chemin qu'a dû parcourir Pène pour rejoindre son poste de Commissaire de la République. Les troupes allemandes n'avaient d'autre solution que de se replier par le nord de Paris. Et c'est pourquoi, pour rejoindre St Quentin où il devait prendre sa fonction de Commissaire de la République, Pène a dû traverser deux fois les lignes de front, avec les risques que cela comporte. Car le front était très mobile dans cette région, du fait justement que l'insurrection de Paris l'avait déplacé vers le nord. Au delà de son rôle symbolique puissant, l'insurrection du peuple de Paris (une de plus) a joué un rôle militaire important. Les premiers contacts des Résistants parisiens avec les généraux américains se heurtaient à un refus de passer par Paris, ''on ne peut pas rester un mois et nourrir des millions de parisiens …''. Mais en fait la division Leclerc et la 4ème division d'infanterie américaine ne sont restées que quelques jours à Paris pour faire sauter les verrous allemands fortement armés. Car les résistants faiblement armés ne pouvaient pas prendre une demi-douzaine de points forts tenus par les Allemands et leurs chars tigre. Il fallait pour cela une armée bien équipée, ces deux divisions s'en sont chargé et ont vite poursuivi leur route à l'est aux trousses des armées allemandes en retraite. On peut voir des films de la construction de ces barricades. Pierre Fouré, le fils de Robert Fouré dont nous avons parlé, dirigeait l'édification d'une barricade au carrefour du bld Raspail, et de la rue du cherche-midi. L'enthousiasme populaire y était très réconfortant. La population descendait des immeubles avec enthousiasme aider les FFI que l'on appelait parfois amicalement les FIFI. On voyait partir les véhicules allemands. Avant de quitter Monod il faut noter qu'il donnait aussi des ordres de liquidation de collaborateurs particulièrement dangereux pour la Résistance. ''Ordre d'exécuter le dénommé Bruschi, patron du bar Express , 7 rue Tardieu. Prévenir les exécutants que Bruschi est très dangereux et qu'il a peut-être été informé de ce que son exécution était décidée [111]. Ordre à exécuter de toute urgence pour le chef d'EMN {Etat Major National} et P.O.{par ordre} Le chef du 3ème bureau, Malivert'' [112]. Cette exécution a échoué. Nous ne savons pas ce qu'est devenu Bruschi. Pène poursuit son récit de l'insurrection parisienne ''L'effet majeur de ces escarmouches, de cette guérilla est de créer chez l'assaillant un sentiment d'insécurité qui le trouble et le paralyse. Perdus dans une masse de 5.000.000 de parisiens excités et hostiles quelques milliers d'Allemands, ballotés comme des bouchons sur la mer oscillent entre une morne résignation et la rage meurtrière'' [66]. On estime que les combats de la libération de Paris ont tué environ 700 combattants français, 2.800 civils français, et 3.200 Allemands. Nous verrons plus loin les pertes de la libération de St Quentin. Lorsque Pierre Pène était ''gouverneur''{3} du Bade-sud, de 1946 à 1952 il a appris la présence de Von Choltitz dans ce territoire et l'a invité plusieurs fois pour entendre son point de vue. ''Von Choltitz habitant le Land de Bade a été invité à plusieurs reprises à la table de M. PENE. Il a expliqué son attitude au moment de la libération de Paris. Il aurait vu Hitler écumant lui donner des ordres de destructions. ''on n'obéit pas à un fou'' ''[54]. Il avait pourtant obéi à ce fou avec une férocité particulière depuis longtemps. Hitler l'avait nommé gouverneur militaire du ''Gross Paris'' précisément du fait de la brutalité dont il avait fait preuve à Rotterdam et à l'est. Il est maintenant établi que Von Choltitz avait fait miner tous les ponts de Paris et de nombreux bâtiments y compris la tour Eiffel. Il a combattu les insurgés de Paris sans ménagement. Il n'attendait probablement pas l'arrivée de la division Leclerc si tôt. A ce moment il a pensé à son avenir et a capitulé. Choltitz ''sauveur de Paris'' ? Ce furent bien sûr les insurgés parisiens et les troupes alliées qui furent les sauveurs de Paris. ''À la demande de Kriegel-Valrimont et sur l'insistance de Chaban, Leclerc accepte que Rol-Tanguy, ayant pris une large part dans les combats en tant que chef des FFI, signe une des ampliations de la convention de reddition''[147]. De Gaulle a félicité Leclerc et Rol-Tanguy mais n'a pas aimé la signature du chef des FFI sur l'acte de capitulation. Toutefois de Gaulle reconnaît ''C'est, en effet, l'action des forces de l'intérieur qui a, au cours des précédentes journées, chassé l'ennemi de nos rues, décimé et démoralisé ses troupes, bloqué ses unités dans leurs îlots fortifiés. En outre, depuis le matin {du 25/8/44}, les groupes de partisans, qui n'ont qu'un bien pauvre armement ! assistent bravement les troupes régulières dans le nettoyage des nids de résistance allemands. Même, à eux seuls, ils viennent de réduire le bloc de la caserne Clignancourt'' [149]. Les FFI ont aussi participé avec le détachement du capitaine Dronne {arrivé à Paris la veille su soir}à la libération de la Caserne Prince Eugène [206] et le groupe FFI du colonel Fabien {Pierre Georges}a participé à la dure bataille de la libération du jardin du Luxembourg avec des unités de la 2ème DB [206].

B :IV.3 Les batailles de La libération de St Quentin. Pène ayant été nommé le 28 juin 44 Commissaire de la République pour la Picardie (Oise, Somme, Aisne) et les Ardennes, devait rejoindre son poste avant la libération de ces territoires. Il fallait en effet installer l'autorité du Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF) avant l'arrivée des Américains. Le gouvernement US avait conçu le projet AMGOT (Allied Military Government of the Occupated Territories). Ce plan visait à imposer dans les pays libérés de l'occupant nazi et dénués de gouvernement démocratique, un gouvernement militaire allié, afin d'assurer une transition pour un retour à la démocratie. Ils se méfiaient de de Gaulle et refusaient de considérer le GPRF comme un gouvernement démocratique. Ils ont laissé à contre-cœur de Gaulle venir en France et il y eut sa réception triomphale par la population de Bayeux. Cela a, semble-t-il, convaincu les Alliés de reconnaître l'autorité du GPRF et de de Gaulle. Donc, fin août 44, on peut penser que le danger que constituait l'AMGOT était abandonné. Pourtant les Alliés, par la plume du général Eisenhower, prônaient encore la soumission du peuple français à leur directives. De Gaulle s'est fortement opposé à ce texte comme nous le verrons section C:II. Pène avait un ordre de mission signé du général de Gaulle. Ses premières tâches étaient de destituer les préfets et superpréfets de Vichy, d'installer les préfets nommés par le GPRF et de prendre le pouvoir à St Quentin, sa capitale, par les armes si nécessaire [54]. Le 18 août, il franchit une première fois les lignes allemandes à Saint-Denis. ''J'étais accompagné d'un jeune hurluberlu nommé Boistière qui se disait sans raison mon directeur de cabinet''[66]. Ils longent la voie ferrée, se font voler leurs bicyclettes par des ''Feldgrau'' {soldats allemands} et entrent dans l'Oise. Pène parvient à prendre contact avec la Résistance locale grâce à un chef cantonnier qui l'oriente vers un maire. On les loge et le matin de jeunes résistants ''du cru nous font un brin de conduite''. On déconseille à Pène de prendre une voiture, car les avions alliés les détruisent toutes. Il en trouve cependant une et parvient, seule voiture à rouler dans le département, à Beauvais, auprès de Perony, préfet désigné. Pène, Perony et une dizaine de résistants se rendent à la préfecture pour destituer le préfet en place, Malick. Ce dernier réclame un document habilitant Pène, qui s'aperçoit que le papier qu'il avait cousu dans son manteau a disparu, peut-être à la suite d'un changement de veste. Cependant le rapport de force dissuade Malick d'insister. Les chars anglais sont aux portes de Beauvais le lendemain ou le surlendemain. Ils pénètrent au centre vers 17h00, la joie populaire éclate. Péronne est libérée, puis Amiens où les destruction sont considérables au voisinage de la gare. L'atmosphère y est lourde, le Préfet désigné, nommé ''Vivant'', mais mort de peur, n'a pas pris son poste. Il est provisoirement remplacé par Atolin, président du Comité Départemental de Libération (CDL), en attendant la désignation d'un autre Préfet [54]. Ce sera Bernard Cornut-Gentille ''qui aura le mérite de remettre de l'ordre quelques jours plus tard, de vider les couloirs de la Préfecture des tables où siégeaient de prétendus résistants, se gonflant, molestant la population dans un style très Grande Terreur''[66]. Pène y passe quelques heures. Il est à nouveau derrière la ligne de front qui se déplace vite vers l'est. ''Je repars derrière les armées alliées, sur les talons des Allemands, escorté de 2 jeunes FFI qui portent leurs mitraillettes comme de beaux jouets neufs''. Il repasse la ligne de front le 1er septembre 1944 à Holnon dans l'Aisne. A St Quentin il va trouver le Préfet de Vichy, Homo qui, ''plus souple que Malick, ne croit pas utile de faire le zouave. Il se borne à me dire : l’histoire jugera''. Il n'a pas mauvaise réputation en ville, mais sera condamné à mort par contumace dans un des départements où il avait été précédemment en poste sous Vichy. Il est remplacé à St Quentin par le préfet désigné Tomasini. ''A St Quentin la libération a été très meurtrière. Les gardes prétoriens créés par Vichy et qui devaient devenir des C.R.S. ont à cœur de participer à la libération de la ville : ils sont plus compromis que les autres polices vichyssoises. Ils se portent donc vers les Champs-Elysées (de St Quentin) accompagnés de FFI, leur armement est léger ; ils se heurtent à des automitrailleuses allemandes très décidées et la lutte est par trop inégale. En quelques minutes, 30 morts français jonchent le sol. Ces 30 malheureux devaient nous obséder des jours durant : plusieurs cérémonies allaient être successivement organisées pour les honorer et toujours on les retrouvait alignés sur le sol''[66]. Cette bataille a été la plus dure de la libération de l'Aisne [143]. Mr Pierre Chemery, de St Quentin, suffisamment âgé pour avoir connu cette période, nous a raconté avoir demandé en 2014 à la municipalité de donner le nom d'une rue de St Quentin à Pène. Cela fut refusé en prétextant ces trente morts. Il aurait fallu selon eux attendre les Américains qui n'étaient pas loin. Qu'il y ait eu une erreur militaire grave à l'origine de cette hécatombe, c'est indéniable, mais la solution d'attendre les Américains était en opposition formelle avec la ligne de de Gaulle comme nous l'avons explicité ci-dessus. Il faut aussi rappeler ce que dit Pène : une partie de ceux qui se sont lancés dans cette bataille avaient beaucoup de choses à se reprocher. En tout cas ce n'est pas Pène qui a organisé cette attaque inconsidérée. Quand aux Américains, il est vrai qu'ils n'étaient pas loin. ''La résistance allemande était si affaiblie, leur fuite si rapide que les Américains, entrés en ville le même jour, avaient mis leur artillerie en tête de colonne. Dans mon bureau de Commissaire le 1er contact eut lieu entre Dauvergne chef FFI de l'Aisne et les officiers libérateurs {Dauvergne était le Colonel de Sarrazin, information de Mme Pitois-Dehu}. C'était la joie complète, elle s'exprimait dans tous nos gestes surtout après que les décisions militaires urgentes furent prises. En arrivant à ma résidence qui était l'ancienne villa du Préfet Régional aux lisières de la ville je trouvai sur la rue une sorte d'arc de triomphe sommaire mais émouvant''[66]. ''Il fallait se mettre vite au travail'' et c'est ce que nous verrons dans la partie C.

C :Commissaire de la République pour la Picardie et les Ardennes C :Avant-propos Dans cette partie nous parlerons de l'activité de Pierre Pène en tant que Commissaire de la République de la Région Picardie-Ardennes. Il a exercé cette fonction depuis le 1/9/1944 jusqu'au 22/3/1946 quand les régions ont été supprimées par l'assemblée constituante. À la fin de cette partie nous aurons un appendice consacré aux notes que Pène prenait dans les réunions bimestrielles des Commissaires au ministère de l'Intérieur. Ces notes manuscrites, en abrégé sont difficiles à lire. Des copies de ces notes sont accessibles [166]. Il nous a fallu compléter les phrases, marquer nos doutes, et placer un ensemble de commentaires spécifiques afin d'éclairer autant que possible ce à quoi il est fait allusion. Malgré la difficulté de leur décryptage nous pensons que ces notes sont d'un grand intérêt car elles décrivent la situation de la France libérée et suivent l'évolution de la situation matérielle du pays, celle de sa politique, celle de son administration, le retour des absents, etc. Nous ne savons pas si les minutes de ces réunions existent dans les archives ou ailleurs. En tout cas il s'agit d'un document historique de valeur. Il faut cependant avouer que la lecture de cet appendice est assez indigeste. Débutons par le récit de l'activité de Pierre Pène dans cette nouvelle fonction. C :I. Introduction Dans la partie parlant de sa résistance, nous avons vu comment Pierre Pène est arrivé à St Quentin et a pris son poste de Commissaire de la République. Il y est resté jusqu'au 22 mars 1946 [159]. Nous avons un peu les mêmes difficultés qu'à propos de la Résistance : Pierre Pène ne tenait pas de journal il n'en avait pas le temps. Il a écrit quelques récits assez succincts sur cette période. Il a laissé quelques brouillons de discours, quelques coupures de presse, et des notes. Au moment de quitter ses fonctions Pène écrit sur la demande du ministère de l'intérieur une analyse détaillée de l'état de sa région et ses pronostiques concernant l'évolution politique et sociale à venir, pronostiques étonnamment vérifiés par les évènements, cf section C :V.5. Pour le reste nous devons nous reposer sur les livres, les archives, une thèse et un article de Grégory Longatte [143], des sites internet et sur les souvenirs des plus âgés. Pierre Pène était un ingénieur. Les hasards de la vie lui ont fait faire trois guerres, un an et demi de la guerre de 14, la drôle de guerre suivie d'une débâcle pas drôle du tout, puis la Résistance. Il n'était pourtant pas un militaire de profession. Un hasard malheureux a voulu qu'on le charge de la région Picardie-Ardennes, une région qui avait été parmi les plus touchées par les guerres. En faisait partie l'endroit où son frère ainé, Henri Pène, avait été mortellement blessé lors de la bataille de la Somme. Et voici qu'il était un administrateur de haut niveau, Commissaire de la République, pas du tout préparé à cette activité. Il n'était pas le seul dans ce cas. Ces Commissaires de la République et Préfets de la libération avaient été choisis pour leur courage dans la Résistance et leur chance d'avoir survécu. Ils ne poursuivaient pas une carrière. La période était en ce sens vraiment révolutionnaire, bien que le but était de rétablir une vie normale pour les Français, une vie meilleure et l'ordre républicain. Ajoutons qu'au début on avait gardé le principe d'une économie dirigée, l'Etat devait assurer la vie quotidienne de la population et reconstruire un pays ruiné (triplement de la dette publique de 39 à 44) et … en ruine. Dans les périodes plus paisibles, la haute fonction administrative est une carrière. Pour ceux de la libération c'était une gageure. La population civile avait payé un lourd tribu. On peut estimer à 230 000 le total des civils déportés décédés en Allemagne, fusillés par les occupants ou les collaborateurs, 120 000 victimes des opérations militaires, dont la moitié victimes des bombardements. 460 000 immeubles ont été totalement détruits, 1 900 000 partiellement détruits, 6000 km de voies ferrées, 1900 ouvrages d'art, 24 gares de triage sur 40. En 1945 la production agricole représente 31 % du niveau de 1938, la production industrielle 50 %, les exportations 34 % et les importations 10 % [150]. Oui, la joie de la libération n'empêchait pas la terrible misère que révèlent ces données. C :II La prise de fonction Le journal ''La Dépêche de l'Aisne'' du 5/9/44 publie une adresse du Commissaire de la République aux populations libérées [183] : ''Le Gouvernement Provisoire de la République Française m'a fait l'honneur de me charger de le représenter et d'exercer les droits de la souveraineté française dans les territoires libérés de la région de Laon. Je tiens d'abord à manifester mon admiration et mes remerciements à tous ceux qui, depuis plus de quatre ans, ont mené l'âpre combat pour la libération du pays. Que nos compatriotes, heureusement peu nombreux, soumis encore aux souffrances de la guerre, reçoivent par mon intermédiaire l'assurance de la sympathie et de la sollicitude du gouvernement. La guerre se termine dans le triomphe éclatant des alliés, dans la déroute de l'ennemi, encore accélérée par les FFI qui le harcèlent sans relâche et couronnent ainsi dignement leurs quatre années de luttes secrètes. Ma reconnaissance va à tous nos valeureux alliés qui, dans leur effort gigantesque, viennent de remporter une des plus grandes victoires de l'Histoire. À ces Alliés, à ces Amis, vous devez apporter toute l'aide possible, en frères d'armes, unis dans le même idéal. Rapprochons-nous dans l'après-guerre, dans la joie de la liberté, comme nous l'avons fait au danger et au combat et tendons, sans relâche, nos efforts pour que la France vive plus grande. Vive la République ! Vive le général de GAULLE ! Vive la France ! St Quentin, le 3 septembre 1944, Pierre PENE, Commissaire de la République'' [183]. Cet exemplaire du journal contient aussi une déclaration de Pène avec le Préfet de l'Aisne, Hyacinthe Tomasini. De plus on peut y lire une déclaration du général Dwight D. Eisenhower, Commandant suprême des forces expéditionnaires alliées. Pour résumer cette déclaration traduite en bon français, on constate un recul par rapport à la position US de l'AMGOT consistant à traiter la France comme un pays ennemi qu'il fallait occuper : ''lorsque la victoire sera remportée et que la France sera libérée de l'oppresseur, le Peuple français sera libre de choisir, le plus rapidement possible et selon les méthodes démocratiques, le gouvernement sous lequel il veut vivre''[183]. Toutefois ''En ma qualité de Commandant suprême des forces expéditionnaires alliées, j'ai le devoir et la responsabilité de prendre toutes mesures essentielles à la conduite de la guerre. Je vous demande d'obéir aux ordres que je serais amené à promulguer'' [183]. Le Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF) est ignoré. Une vague formule dit '' Sauf instructions contraires, il faut que chacun continue à remplir sa tâche. Ceux qui ont fait cause commune avec l'ennemi, trahissant ainsi leur pays seront révoqués''. Qui sera chargé de les révoquer ? ''C'est au peuple français qu'il appartiendra d'établir sa propre administration civile et d'assurer la sécurité des troupes par le maintien de la loi et de l'ordre public. Les membres de la Mission militaire française affectés à mon quartier général aideront à réaliser ce but''[183]. Eisenhower est fier d'avoir sous son commandement les troupes françaises, Forces Françaises Libres. ''Le courage et l'immense sacrifice des millions de citoyens qui ont combattu ont déjà contribué et contribueront encore au succès de nos armes''[183]. Là il exagère vraiment avec ses ''millions de citoyens''. Il parle ensuite des bombardements ''qui vous ont causé tant de pertes et de souffrances. Vous avez accepté ces sacrifices avec courage et dans la tradition héroïque de la France, comme étant la rançon inévitable que nous devons consentir pour atteindre notre but, la liberté''[183]. Ce texte semblait annoncer des grincements sérieux avec l'administration du GPRF. De Gaulle a proposé à Eisenhower un texte alternatif [150]{p 14}. Dans ce texte Eisenhower demanderait aux populations françaises ''de suivre les ordres de l'autorité française qualifiée. Le général Koenig, qui est auprès de moi, donnera à vos forces de l'intérieur, d'après mon plan stratégique, les instructions ….''[150]. Il mettrait en garde contre une insurrection prématurée. ''L'administration de votre pays, à mesure de sa libération, appartient à l'autorité française. Vous savez que cette autorité vous assurera, quand les oppresseurs auront été chassés, les moyens de choisir vous-mêmes vos représentants et votre gouvernement''[150]. Ce paragraphe vise à répondre à une accusation de tendance dictatoriale que les Américains faisaient à de Gaulle. Ce contre-projet ne sera pas retenu par Eisenhower. Ces échanges avaient lieu en juin 44, peu après le débarquement. La tension est vive pendant plusieurs semaines. Les Américains diffusent des billets de ''francs'' qui mettent de Gaulle en rage, il appelle cela de la ''fausse monnaie''. Dans la pratique il semble que la tension se soit apaisée progressivement. À la fin de la partie B de ce livre nous avons vu que la rencontre avec les libérateurs américains à St Quentin a été très cordiale. Nous n'avons pas de documents sur le nombre de troupes en garnison dans la Région de Laon-Saint-Quentin, ni sur la nature des échanges avec l'administration française. A partir de la ''percée d'Avranche'', fin juillet, jusqu'en décembre, le front bougeait vite vers l'est et le nord-est, puis il y eut la contre-offensive allemande dans les Ardennes belges, avec le risque d'un retour des troupes allemandes en France ! Nous reviendrons là dessus dans le chapitre C :IV. Au même moment, pour Pène, ''Il fallait se mettre vite au travail, tout était à faire : les voies de communications étaient à bout, l'aspect des voies ferrées vers Paris était apocalyptique, les destructions nombreuses et graves, les ressources alimentaires épuisées. De plus un ardent désir de politique, plus encore que de liberté, animait la population opprimée depuis 5 ans. Les anciens partis de gauche : P.C., S.F.I.O., radicaux renaissaient, de nouveaux se créaient : MRP'' [66]. ''Dans la région commence pour les quatre préfets, Tomasini (Aisne) (bientôt remplacé par Samama), Cornut-Gentille (Somme), Pérony (Oise) et Scaillierez puis Rastel (Ardennes) et pour leurs cabinets, et pour moi-même une période de labeur acharné. Plus de dimanche, sinon que le dimanche je suis à mon bureau à 8h30 au lieu de 7h30. Autant de représentation que de travail de bureau, le tout formant un fardeau lourd'' [66]. Le site [170] décrit ''la restauration de la République et les nouveaux pouvoirs dans l'Oise (1944-1945)''. ''Le 30 Août 1944, à 17h00, le commissaire régional de la République, Pierre Pène, le nouveau préfet de l'Oise, Yves Pérony, le Secrétaire Général de la Préfecture, devenu maquisard, Guy Malines, et le président du Comité Départemental clandestin de Libération, se présentent chez le préfet nommé par Vichy, Georges Malick, en poste depuis novembre 1942. Ils lui signifient sa destitution et sa mise en résidence surveillée. Georges Malick obtempère {l'épisode de l'ordre de mission de de Gaulle, que Pène avait perdu, est omis}.... Dans l'Oise, l'Etat est restauré à travers la nomination d'un nouveau préfet, Yves Pérony. Né au Havre, le 6 octobre 1910, c'est un juriste, magistrat en 1937. Entré dans la Résistance et membre du réseau Interallié, il est nommé préfet de l'Oise le 10 août 1944 par le GPRF''[170]. L'installation de l'administration du nouveau pouvoir s'est faite relativement facilement. L'administration vichyste était en pleine désintégration et n'a pas opposé de vraie résistance aux représentants du GPRF. L'avancée rapide des troupes US en a dissuadé les membres. Les relations du Commissaire et des préfets avec la Résistance locale se sont bien passées. Pène venait de la Résistance dans l'Aisne. Les résistants locaux s'emparaient du pouvoir municipal à travers les CLL (Comités Locaux de Libération) qui faisaient fonction d'administration municipale. Les divergences au sein de la Résistance, particulièrement entre communistes et non-communistes, n'ont pas fait obstacle à un combat commun sous l'égide des FFI. La question a été étudiée pour l'Aisne [143,87]. ''le 3 septembre au matin Pierre Pène procède à l'installation de la délégation municipale de Saint Quentin, composée de membres du CLL et présidée par Emile Pierret. Celui-ci, communiste, … remplit provisoirement les fonctions de maire'' [143]. Dans l'Oise, de même, le nouveau pouvoir collabore avec les organisations issues de la Résistance. ''Yves Pérony... parcourt le département, installe dans les communes des délégations spéciales ou des conseils municipaux et collabore avec les comités de Libération issus de la Résistance, soit au niveau départemental soit au niveau local. Ces comités s'occupent surtout de ravitaillement et de l'épuration''[170]. ''Le 7/9/44, en présence de Lucie Aubrac, le Comité Départemental de Libération (CDL) de l'Oise est officiellement installé et s'élargit, selon les instructions du Conseil National de la Résistance (CNR) ''en cooptant des personnalités en vue dans le département pour respecter les couches sociales, les courants politiques et religieux, mais aussi géographiques''. Le CDL crée plusieurs commissions : municipalités, épuration, ravitaillement, transports et surveillance des prix. Le CDL déclare remplacer le conseil général d'avant-guerre, exercer un rôle politique et économique et siéger en permanence''[170]. L'aide apportée par les FFI de l'Aisne à l'armée US n'est pas négligeable. Ils ont mené des combats surtout dans le nord du département, on compte 123 tués [143]. La libération de St Quentin a fait 30 morts, pas tous FFI, des gardes prétoriens vichystes y participaient aussi pour se faire pardonner [66]. La Résistance locale ''prépare la libération des localités juste avant l'arrivée des Américains, elle libère les villages situés à l'écart des voies empruntées par les troupes américaines'' [143]. Dans le nord ils ont harcelé avec succès des unités allemandes y compris des unités armées de chars. Et ils ont passé la ligne de front et informé les Américains des positions ennemies. ''Un groupement FFI empêche de justesse la destruction du pont de Vierzy et évite le détour de plusieurs colonnes américaines prenant le chemin de Soissons'' [143]. Bref il y a dans l'Aisne une bonne unité entre résistants et Américains, entre résistants locaux et la nouvelle administration issue de la Résistance, entre les différents courants de la Résistance. Les victimes furent nombreuses, beaucoup d'unités allemandes résistaient avec force et voulaient se venger des ''terroristes''. Ils ont perpétré des massacres de civils pour se venger des prétendus terroristes [87]. Ils tendaient aux FFI des pièges mortels. ''Les volontaires FFI de Soissons, appelés en renfort d'une soi-disant formation américaine à Vic-sur-Aisne , tombent dans une embuscade. À peine le camion est en vue du bois, qu'ils sont accueillis par des rafales de mitrailleuses. Du bois viennent des appels en français : « Par ici, Monsieur !» malheur à ceux qui obéissent, ils sont abattus. D'autres plus prudents ou plus touchés ne bougent pas. Cela les sauve'' [87]. Le 3 septembre Pierre Pène, Emile Pierret, la délégation municipale provisoire et les St Quentinois se rendent ensemble au monument aux morts. La population était massivement favorable à cette libération, aux libérateurs, aux résistants et au nouveau pouvoir. Cependant les collaborateurs ne s'étaient pas évanouis. Ils se sont parfois déguisés en résistants et livrés à des provocations. Les ''résistants de la dernière heure'' pensaient se dédouaner en faisant une surenchère facile, en tondant des femmes ou en prétendant pratiquer eux-mêmes une ''épuration'' suspecte. Nous en verrons des exemples. Florence Pène venait d'avoir 13 ans en arrivant à St Quentin. ''je suis en troisième, le lycée n'est pas disponible, je ne sais pas s'il a été détruit pendant la guerre. Alors nous occupons une banque qui est en bas d'une rue très en pente, et couverte de gros pavés anciens. La descente est difficile, surtout quand les pavés sont couverts de glace, ce qui arrive souvent cet hiver. Le premier jour de classe une fille m'a demandé ''Florence Pène, c'est ton père qui a signé ces affiches qu'on voit partout en ville ?''. J'ai bien dû dire que oui. Alors elle a conclu ''Ah bon, alors tu n'auras jamais zéro''. Je comprends alors que je serai observée sans complaisance, et même avec envie et ressentiment, peut-être même haine, qui que je sois et quoique je fasse. Il faudra être aussi irréprochable que possible, et me détacher, être indifférente aux ragots''[61]. Cela illustre la difficulté qu'il y a d'être ainsi exposée. Cette réflexion de la fille reflète-t-elle simplement une jalousie d'adolescente ou l'opinion de parents mécontents de voir la Résistance au pouvoir ? Un journal clandestin non identifié, publie avant la libération un billet qui accueille très favorablement Pierre Pène en le mettant en parallèle avec le Préfet Homo qui dirigeait la même région sous Vichy [174] {5ème entrée} : ''Aisne44'', peut-être est-ce le nom du journal. Le titre de l'article ''Mouvements de Préfets''. ''Le ''Journal officiel'' du 8 juin a publié la nomination de Roger Homo comme préfet régional de Laon. C'est le 3ème préfet à occuper ce poste essentiel pour le maintien de l'ordre et le ravitaillement. L'autorité du Préfet de région de Laon s'étend, non seulement sur l'Aisne et les deux autres départements de la Picardie actuelle, l'Oise et la Somme, mais aussi sur le département des Ardennes. Bizarrerie administrative : le Préfet régional de Laon réside depuis 1943 à St Quentin''. La belle carrière du Préfet Homo est racontée. Puis ''Roger Homo ne prendra ses fonctions dans l'Aisne que vers le 20 juin. Il ignore évidemment que c'est à peine pour le temps d'un été. Le Comité Départemental de la Résistance a déjà désigné celui qui me succèdera après la Libération. Il s'agit de Pierre Pène, un résistant que tout oppose à Roger Homo. Né en 1898, cet ingénieur des ponts et chaussées est un des fondateurs dans l'Aisne du mouvement OCM. En décembre 42 il devient responsable départemental de l'Armée secrète. Fin 1943 il quitte son poste de fonctionnaire et entre dans la clandestinité. Le 4 avril 1944, il est arrêté et torturé. Il est incarcéré successivement à Fresnes, à Senlis, à St Quentin, à Senlis encore. Le hasard veut que le lendemain même de la nomination de Roger Homo, dans la nuit du 9 au 10 juin 1944 il parvienne à s'évader de la prison de Senlis. Il gagne alors Paris où il participera à la Libération. En attendant de pouvoir s'installer à son poste à St Quentin'' [174] {5ème entrée}. Signé Jacques Sénéchal. La formule ''qui me succédera'' suggère que le nom de Jacques Sénéchal est pour un préfet de la Région, sous le régime de Vichy, qui serait devenu résistant. Il s'agit d'Emile Pelletier. Il a rejoint l'OCM assez tardivement. Il est étonnant qu'il connaisse si bien les activités de résistance de Pène et aussi les sévices qu'il a subis. Ce texte est chaleureux. Pène l'a retrouvé comme Ministre d'Etat, c'est à dire son chef, à Monaco, entre 59 et 61. Leurs relations n'ont alors pas été chaleureuses du tout. Ce sera détaillé dans la section E:VI.5.

C :II.1 L'épuration ''L'inévitable épuration commençait, je faisais tous mes efforts pour la tenir dans un cadre légal et éviter les règlements de compte sommaires au coin des rues ; je n'ai pas eu connaissance de violences plus graves que la tonte des filles faciles. Ce n'était d'ailleurs pas là un spectacle plaisant : il est pénible de les voir livrées sans défense à la foule, même si celle-ci se limite à des violences mineures. Le département le plus sensible était la Somme ; la police française y avait été brutale à l'égard des résistants pendant l'occupation, certains policiers étaient repérés par la population et à plusieurs reprises pendant les cérémonies, on devait voir une femme ou une veuve de déporté se jeter, griffes en avant, sur un agent qu'elle reconnaissait pour avoir arrêté son mari. Cornut-Gentille, le préfet, fut plusieurs fois forcé de se jeter lui- même dans la mêlée en de telles circonstances pour éviter le pire ; la défaillance du préfet Vivant dont j'ai parlé plus haut a laissé ses traces durant de longues semaines, le désordre, la confusion des esprits se sont installés [66]''. Un rapport [164] daté du 13/10/44 décrit la libération de Compiègne en soulignant les excès d'une ''épuration'' sauvage. Le 1er septembre 44, plus un seul Allemand dans la ville, la première patrouille américaine a pénétré. ''Vers six heures du matin nous assistons à une avalanche FFI sur Compiègne. Tous sont munis de brassards et armés. Un spectacle vraiment écœurant nous fut donné de voir. Dans toutes les rues de la ville on voyait des gosses de 15 ans porteurs de brassards FFI trainer des femmes vers la place de l'Hôtel de Ville pour leur couper les cheveux, sans autres formalités ou enquêtes''. Les Américains présents critiquèrent sérieusement les dirigeants FFI qui laissaient faire. Un officier US dit que ces messieurs auraient mieux fait de les attendre à la porte de la ville pour les guider, les aider ou au moins leur souhaiter la bienvenue. Un Mr Martin, ayant le grade d'aspirant ''dirigea ce beau spectacle''. Il s'avéra que ces gens arrêtaient des ''femmes de peu d'intérêt moral, mais celles qui avaient eu des liaisons avec des officiers allemands restaient en liberté. Il en fut de même pour les vrais collaborateurs. Ceux-là aucune sanction n'a été prise, et la rumeur cite des noms''. Et l’auteur du rapport cite des noms. Si ces faits sont exacts, il s'agit de bien plus grave que des débordements de la foule, de résistants de la dernière heure ou de colère de femmes victimes des collabos comme à Amiens. Il s'agit d'une manœuvre de diversion menée par des collaborateurs ! Il y aurait eu environ 9.000 exécutions sommaires en France et seulement 767 par cour de justice et 766 par des tribunaux militaires et 10.000 à 20.000 femmes humiliées [180]. Cependant il convient de distinguer parmi les 9000 les 2500 exécutions de collaborateurs antérieures au 6 juin 44, 5000 après le 6 juin et avant la libération, et seulement 1500 exécutions non judiciaires après la libération [150]. ''L'épuration administrative et l'épuration économique furent extrêmement limitées, exception faite de la presse et de Renault''[150]. Le cas de Compiègne, créé semble-t-il par des provocateurs pour créer du désordre en protégeant les vrais collaborateurs fut-il exceptionnel ? Il faut dire que Compiègne avait l'épouvantable privilège de posséder un camp de déportation, sur les lieux de la caserne de Royallieu. Ce camp a vu passer plus de 50 000 résistants, juifs, militants syndicaux et politiques, ... Il n'est cependant pas évident que cela ait à voir avec l'épuration provocatrice évoquée ci-dessus car le camp de Royallieu était sous l'administration directe de la SD (Sicherheitsdienst). Il ne semble pas que des militaires français y aient participé. ''PIERRE : Les pouvoirs des Commissaires sont énormes, ces hauts fonctionnaires réunissant entre leurs mains les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire : leur poste avait été conçu dans l'hypothèse où les provinces seraient coupées du pouvoir central par les opérations de guerre et devraient être gouvernées en toute indépendance. J'avais commencé à étudier entre autres une affaire que je laissai à grande joie à d'autres quand les relations avec Paris furent définitivement assurées. La voici en résumé : Une bicyclette est posée à Amiens le long d'un trottoir ; un homme arrive en courant et s'apprête à l'enfourcher ; le propriétaire du vélo le maîtrise et l'accable de reproches, un attroupement se forme ; l'homme dit ''je vous en prie laissez moi fuir, je suis poursuivi par la Gestapo (police nazie), si elle m'attrape je suis perdu. - Bon, en ce cas sauve-toi avec le vélo'' dit le propriétaire. Alors un spectateur s'interpose ''je m'y oppose, puisque cet homme est poursuivi, il est coupable, il faut le livrer à la Gestapo''. Il fait si bien que les poursuivants arrivent et arrêtent l'homme. Il est déporté et ne revient pas. L'importun mérite-t-il la mort ? Je penchais pour la sévérité : livrer un français était pour nous, à cette époque, un crime majeur. Avec quel soulagement je me suis déchargé de cette décision''[61]. Une tragique variante du thème du ''voleur de bicyclette'' ! Concernant l'épuration dans l'administration, elle fut totale dans la Région Picardie-Ardennes au niveau des Préfets (aucun préfet de Vichy ne fut gardé), seulement 6 sur 99 ne furent pas épurés dans toute la France [180]. Pène s'est occupé très vite de cette épuration des Préfets et Sous-Préfets. Le 11/9/44, une semaine après son entrée en fonction, il envoyait un questionnaire aux Préfets des Ardennes, de l'Oise et de la Somme demandant ''les curricula vitae, y compris l'activité de résistant, s'il y a lieu (indication du groupement), de vous même, de vos prédécesseurs, et des Sous-Préfets de votre département'' [165]. Il y eut aussi des épurations dans les entreprises et dans les partis politiques, mais cela ne le concernait pas directement.

C :II.2 Le retour des déportés ''La plupart, la presque totalité, revient de ces camps tristement célèbres, Buchenwald, Auschwitz, Neuengamme, Dora,....nous attendons anxieusement nos compagnons de Résistance, ceux qui coude à coude avec nous ont partagé les mêmes périls'' [66]. Comment prendre en charge les survivants de ces camps dont la santé était fatalement critique ? ''Une kermesse organisée au profit des déportés où chaque parti se vante de ses tués, grimpe sur des tas de cadavres pour arriver plus haut que le voisin et être avantagé dans la répartition des terrains pour les stands. Ma femme se débat de son mieux au milieu de cette confusion, aidée par Samama qui a remplacé à la préfecture de l'Aisne, ce farceur de Tomasini'' [66]. Françoise raconte ces difficultés dans son autobiographie [24]. Nous ne pouvons pas détailler ici la façon dont le nouveau pouvoir a abordé la question des déportés survivants. Nous en trouverons beaucoup de traces dans les réunions de Commissaires C:App.2. Henri Frenay, anciennement dirigeant du mouvement de Résistance Combat, était ministre des prisonniers, déportés, et réfugiés (PDR). Il y avait les survivants résistants, les survivants juifs, les prisonniers de guerre, les travailleurs du STO. Tous ces cas différaient. Le rapatriement était essentiellement contrôlé par les Alliés, qui se préoccupaient d'abord de rapatrier leurs prisonniers de guerre. Mais cela laissait en attente les rescapés de camp très durs, tels Buchenwald où de camps d'extermination tels Auschwitz. Or ces rescapés, ces morts- vivants, avaient un besoin immédiat de soins. Et, pour des raisons évidentes, leur nombre était ignoré du ministère PDR qui ne pouvait pas préparer de façon adéquat leur réception en France. La ''société civile'' y a contribué à côté de l'Etat. Le Comité des œuvres sociales des organisations de Résistance (COSOR), sorti de l'ombre, s'occupe des Résistants survivants. Nous retrouvons ici Marie-Hélène Lefaucheux qui a secondé le père Chaillet, fondateur du COSOR [101]{p 178}. Nous l'avons déjà dit : elle et son mari Pierre étaient proches de Pierre Pène dans la Résistance. Malgré tous ces obstacles, nous connaissons le cas d'un rescapé juif du camp d'Auschwitz - Monowitz, Daniel Schildkraut, qui a perdu toute sa famille à Auschwitz. Il fut atteint du typhus, sauvé par les Américains près de Dachau en Bavière et rapatrié en France, pesant 35 kg. Il fut pris en main par les services d'accueil, soigné puis envoyé dans des ''camps'' de remise en forme, à La Baule puis à Menton. Il a vécu jusqu'à l'âge de 94 ans ! Il serait donc hâtif de dire que l'accueil des déportés survivants ne fut qu'un échec.

C :II.2.1 La colère de Mme Mairesse ''Je pense beaucoup à Mairesse ce jeune docteur bon, brave, extraordinairement jeune de caractère ; sa femme n'est qu'espoir, ses enfants sont trop jeunes pour bien comprendre. Je rencontre de ses camarades revenant d'Allemagne. ''Mairesse ? Mais il n'est pas arrivé, il est mort dans le train qui a quitté Compiègne le 31 juillet''. Comment annoncer cette terrible nouvelle à sa femme, à sa veuve ? C'est pourtant mon devoir, il le faut. Pendant quelques secondes la pauvre n'y croit pas, puis l'accablante vérité se fait jour en elle et alors elle éclate en imprécations. ''J'ai toujours été contre la Résistance, mais il ne voulait rien entendre. Ah ! C'était beau la Résistance ! des mots et pour finir un mari qui ne revient pas, qui me laisse toute seule sans ressources, avec mes enfants. Quelle dérision ! ''. Comment la consoler ? Elle est bouleversée et moi aussi : terrassé par l'émotion et le travail sans relâche je dois garder le lit pendant deux semaines. La pauvre Mme Mairesse avait raison d'appréhender l'avenir, elle ne trouvera pas auprès de ses compatriotes l'appui qu'elle était en droit d'espérer et se contentera, pour élever sa famille, d'une modeste situation d'assistante sociale ''[66]. Dans le discours qu'il fait sur cette déportation [93] Pène s'adresse à elle en insistant sur la fierté qu'elle devrait ressentir d'avoir eu un tel héros pour mari, mais il est peu probable que cela l'ait convaincue. Derrière les images héroïques, il ne faut jamais oublier les souffrances immenses que la Résistance a causées.

C :II.2.2 Carte des camps et bilan de la Déportation. Le livre de la Fédération Nationale des Déportés et internés de la Résistance [189] dresse le bilan sinistre de la déportation. Ce livre contient une carte montrant la disposition des camps. Nous l'avons reproduite [208]. Contrairement au titre de la carte, il ne se limite pas aux déportés politiques mais contient aussi les camps d'extermination des juifs et tsiganes. ''Lorsque vint, pour l'Allemagne, le commencement de la fin, ses maîtres auraient voulu faire disparaître toute trace de l'organisation concentrationnaire, afin que personne ne sût jamais ce qui s'était passé. Mais les bourreaux n'eurent pas toujours le temps de procéder aux éliminations ordonnées. Ce fut d'abord l'évacuation des camps de l'Est et leur ''repli'' vers l'Allemagne. Puis on chercha à regrouper les kommandos et les petit camps. Mais au fur et à mesure que se poursuivait l'occupation du Reich par les Alliés, la machine se désorganisait... D'interminables colonnes furent lancées sur les routes, avançant, piétinant, se croisant dans un désordre croissant, jalonant leur marche de cadavres. Seuls, les plus valides purent alors s'évader, ou marcher jusqu'au bout. Ceux qui tombaient, ceux qui restaient en arrière, étaient impitoyablement massacrés. Quand les soldats libérateurs arrivèrent aux portes des camps, un spectacle horrible s'offrit à eux....Le monde apprit ces choses avec une stupéfaction indignée. Les Allemands, eux, voulaient nier l'évidence et beaucoup affirmaient ne rien savoir'' [189]. Le bilan est introduit par une citation du père Ubu ''je tuerai tout le monde...''. Cela peut choquer de plaisanter sur un tel sujet, mais il faut reconnaître qu'il y avait de la folie dans le nazisme. Comment expliquer que l'Allemagne, dans une situation militaire très défavorable dépensait tant de ressources pour exterminer, exterminer encore, déplacer les prisonniers, d'une façon qui devenait de plus en plus chaotique à force que la défaite approchait ? Comment ont-ils pu espérer dissimuler un crime contre l'humanité aussi massif ? ''Le bilan est difficile sinon impossible à établir. En effet les nazis, qui tenaient pourtant une comptabilité précise des ''entrées'' et des ''sorties'', ont, dans la plupart des cas, détruit les archives des camps. On peut avancer le chiffre total de 10.000.000 à 12.000.000 de victimes, dont 6.000.000 pour les seuls israélites exterminés à Auschwitz, ou dans les camps polonais, et plusieurs centaines de milliers de tziganes d'Europe Centrale et Orientale''[189] . Près de 200 000 Français ont été déportés dans les camps de concentration, 75 000 pour des raisons raciales (Juifs en quasi-totalité), 63 000 pour des raisons politiques et plus de 50 000 pour délits de droit commun. 160 000 d'entre eux sont morts, soit 80%, le chiffre semblant atteindre 97% pour les juifs''[44]. Il faut comprendre ''Français'' au sens de ''de France'', en effet sur les 75 000 juifs déportés de France 55 000 étaient étrangers. Si l'on ajoute à ces chiffres celui de ses 30.000 fusillés, on aura une idée de ce qu'a coûté à la Résistance son combat pour la libération [150]. La grande masse des retours était constituée de prisonniers de guerre. Sur 1 850 000 prisonniers de guerre il en restait entre 1 000 000 et 1 200 000 à l'automne 1944. 40 000 sont décédés en Allemagne. 750 000 Français sont allés travailler en Allemagne, dont 150 000 volontaires et 600 000 réquisitionnés. 40 000 y sont décédés [150]. Enfin la Wehrmacht ou la Waffen SS ont incorporé de force 200 000 Alasciens-Lorrains. 40 000 sont morts au combat [150]. C :II.3 Raymonde Fiolet Le 28/11/44 Pène était reçu à Soissons, une ville qu'il connaissait bien, il y avait vécu avant la guerre et sa famille y était restée sous l'occupation, jusqu'à la fuite vers Boulogne sur Seine. Il était reçu par la maire (officiellement présidente de la délégation municipale provisoire, DMP), Raymonde Fiolet. Les discours échangés nous furent révélés lors d'une réunion à Soissons le 30/11/2013, cf section C :VI.3. Ils sont accessibles en [160]. Raymonde Fiolet (Roberte) était une résistante héroïque [161]. Membre de ''Libération-Nord'', elle a organisé le sabotage de l'écluse de Vauxrot qui était cité comme un des exploits du ''plan Taille'' (cf section B:II.4). Capitaine FFI, elle a commandé 600 hommes !! Arrêtée le 15/6/44 elle a été terriblement torturée, au point qu'elle a été hospitalisée. Un infirmier a informé la Résistance qui l'a fait évader de l'hôpital. Le 20/8/44 présentée par le PCF,elle est désignée ''maire'' de Soissons (présidente de la DMP : Délégation Municipale Provisoire) par le Comité de Libération. On la voit sur une photo [87]{p136} défiler rue Saint Martin à Soissons le 10/9/44, seule femme, entourée du commandant de la division américaine et d'un autre officier américain. Affaiblie par les tortures nazies elle meurt le 27/2/47 à l'âge de 32 ans !!! Elle a donné sa vie à la Résistance [161].

C :III Les Commissaires de la République Il y avait 18 Commissaires de la République, en charge de régions le plus souvent identiques à celles des superpréfets de Vichy (quelques réajustements étaient nécessaires en particulier pour les régions qui avaient été soustraites au contrôle de Vichy). Ils représentaient le GPRF, puis, le gouvernement : il s'agit des deux gouvernements de Gaulle en 44 et 45. Après la démission de de Gaulle le 20/1/46 ils devaient vite disparaître. Selon Calmette [78] Pène était le seul Commissaire issu de l'OCM. C'était compensé par une vingtaine de préfets et un ministre : Aimé Lepercq. Ils sont désignés, ainsi que les préfets par Michel Debré et Emile Laffon. Une place réelle était accordée à la Résistance intérieure et extérieure. Même le parti communiste est représenté par quatre Commissaires membres ou sympathisants. La reconduction des préfets ou superpréfets de Vichy est refusée par Debré et Laffon [139] même quand les mouvements les soutiennent pour avoir aidé la Résistance. Les Commissaires avaient des pouvoirs étendus au début. Cela diminuera avec le temps, pendant vingt mois jusqu'à leur départ, intitulé fort aimablement : ''leur nomination au titre de Commissaires honoraires de la République''. Leurs pouvoirs ont été fixés par une ordonnance du 10/1/44. Pendant la période de guerre sur le territoire l'ordonnance leur donne des pouvoirs exceptionnels pour le cas de difficulté de communication avec le gouvernement. Nous en verrons un exemple quand Pène sera confronté à la contre-offensive allemande dans les Ardennes belges et devra prendre une décision qui était du ressort du gouvernement. Ces pouvoirs étendus comprennent le droit de ''1) suspendre l'application de tous textes législatifs ou réglementaires qui se trouveront en fait en vigueur, à charge d'en référer au Commissaire à l'Intérieur (ministre de l'Intérieur) dés que possible, 2) Ordonner toutes mesures et prendre toutes décisions nécessaires pour assurer le maintien de l'ordre, le fonctionnement des administrations et services publics, des entreprises privées, ainsi que la sécurité des armées françaises et alliées [139]''. On le voit, ce radicalisme rappelle le ''salut public'' sous la convention. La période était véritablement révolutionnaire, même si cette révolution aurait été impossible sans la force de nos Alliés. Révolutionnaire aussi par le fait que ces Commissaires de la République et ces préfets n'étaient pas des professionnels de l'administration, diplômés et préparés à ces fonctions, mais majoritairement des hommes peu préparés et choisis pour leur courage dans le combat clandestin. Le 30/7/45 le ministre de l'intérieur Adrien Tixier envoie une note aux Commissaires intitulée ''avant projet d'ordonnance, Relative aux pouvoirs des Commissaires de la République.'' Elle mentionne que la guerre étant terminée, il convient de supprimer ces pouvoirs exceptionnels. ''Il importe donc, pour pouvoir poser le problème des Commissaires dans son état actuel, de prendre pour base de départ les pouvoirs de ces préfets régionaux …. ceux-ci résultent des actes dits lois des 15 avril 1941, 20 mai 1941 et 11 août 1941 ainsi que les actes dits décrets des 13 mai 1941 et 8 Décembre de la même année''[162]. Cela peut sembler étonnant de s'appuyer sur des textes vichystes pour une question aussi importante, surtout sous la plume d'un résistant de la SFIO qui a rejoint de Gaulle en 1941 !! L'ordonnance est curieusement datée du 27/7/45, antérieure à l'avant-projet. Elle est accessible en ligne [162]. Il faut noter l'article 2 : ''Les Commissaires Régionaux constituent, sous l'autorité du ministre de l'intérieur, un corps administratif provisoire, dont les membre sont révocables ad nutum''. Ad nutum signifie ''sur un signe de tête''. Le caractère provisoire du corps des Commissaires est déjà annoncé, alors que de Gaulle est encore au pouvoir. La démission de de Gaulle le 20/1/46 condamnait ce corps à une suppression rapide, car l'assemblée les considérait comme un obstacle au rôle des départements et des préfets, plus proches des citoyens. Leur mission à la libération visait à rétablir très vite les libertés républicaines et l'autorité de l'État, en empêchant toute vacance du pouvoir. En effet de Gaulle avait deux objectifs. Primo que les Alliés trouvent une administration française déjà en place. Secundo la crainte d'une insurrection communiste hantait de Gaulle et le poussait à traiter de façon distante, parfois blessante, plusieurs dirigeants FFI (Toulouse) et des institutions issues de la Résistance intérieure (le Comité Parisien de Libération et le Conseil National de la Résistance à Paris).

C :IV La guerre, la contre-offensive Von Rundstedt Dans ce chapitre nous abordons l'épisode le plus angoissant pour le Commissaire de la République Pierre Pène qui s'est trouvé, sans directive ministérielle, obligé de prendre une décision de type régalien.

C :IV.1 L'offensive allemande. La Région Picardie-Ardennes était libérée, début septembre 1944, mais la guerre n'était pas terminée. Début décembre les troupes alliées, essentiellement américaines, ont pris pied en Belgique. Anvers est libre, mais pas l'estuaire de l'Escaut ni l'île de Walcheren qui le borde au nord [209]. Quatre armées américaines tiennent un front étendu à travers la Belgique. Hitler a un plan consistant à partir de l'Allemagne de reconquérir la Belgique et rééditer la bataille de Dunkerque autour d'Anvers. Son État-major restait plutôt sceptique quand à ce plan. Il a pourtant été mis en œuvre. Le 15 décembre Hitler vient s'installer près de Frankfurt au voisinage de l'offensive. Le début de l'offensive allemande a eu lieu le 16 décembre 1944 à 5h30. La surprise a joué et les lignes alliées ont été enfoncées. Cependant les Allemands n'ont pas réussi à franchir la Meuse et les Américains résistent héroïquement dans le réduit de Bastogne. Dès la fin décembre, le temps clair permettait aux Alliés de faire jouer leur supériorité aérienne. Le 28 décembre Hitler admet qu'il ne pourra pas atteindre Anvers. Pourtant les Allemands ne seront totalement rejetés derrière leur ligne de départ que fin janvier. Ils possèdent les chars tigres, beaucoup plus lourds que les chars alliés. Ces chars avaient déjà beaucoup retardé la percée alliée en Normandie après le débarquement. Ils ont joué leur rôle dans l'offensive ardennaise. Ils avaient cependant leur point faible dans ce terrain très accidenté : étant très larges ils ne pouvaient pas passer partout. Les Allemands ont utilisé des soldats parlant anglais dans des uniformes américains ou britanniques pour semer le trouble. Le froid extrême a été très dur pour les troupes des deux camps, mais plus pour les Américains : Parlant de la 101ème division aéroportée américaine : ''En raison des problèmes d'approvisionnement au cours des trois mois précédents, la priorité absolue avait été accordée au carburant et aux munitions. La plupart des hommes portaient encore leurs uniformes d'été et ils souffraient terriblement des températures glaciales, en particulier durant les longues nuits où elles chutaient brusquement. Ils ne pouvaient pas allumer de feu, car cela aurait immédiatement attiré les tirs de l'artillerie allemande et les bombardements de mortiers'' [154]. John Toland parle ainsi de la situation du côté américain la veille de l'attaque allemande ''Ce 15 décembre, à minuit, on était donc en possession de toutes les données : rapports sur des concentrations de troupes à l'est de Clairvaux, déclarations de prisonniers annonçant une grande offensive, informations de première ligne sur des mouvements importants de lourdes unités blindées, et même prise de documents ennemis révélant l'existence d'une école destinée à camoufler des Allemands en Américains. Tout cela ou même seulement une fraction, aurait dû dévoiler l'imminence de ce qui allait se passer dans les Ardennes. Il n'en fut rien. Chacun de ceux qui avaient une responsabilité quelconque dans la conduite des affaires alliées, les stratèges suprêmes Churchill et Roosevelt aussi bien que les chefs militaires, dormirent paisiblement cette nuit là, convaincus qu'il n'y avait rien à craindre de l'Allemagne. Hitler était battu même s'il ne le savait pas encore'' [185]. A minuit ''Tout était calme le long des 135 kilomètres de front fantôme. A l’exception d'un mystérieux grondement sourd en direction de l'est. Face aux 75.000 G.I. américains, sur les rails et les routes couvertes de paille pour amortir le bruit, 250.000 soldats allemands, 1.900 pièces d'artillerie lourde et 970 chars d'assaut et canons blindés s'avançaient lentement vers l'ouest et leur position d'attaque. Dans moins de six heures, la plus violente et la plus inattendue des offensives du front Ouest allait être déclenchée'' [185]. Le hasard de la vie a voulu qu'un des combattants américains de cette terrible bataille, Harry Levin, devint beaucoup plus tard le compagnon de Florence Pène !

C :IV.1.1 La fermeture de la frontière avec la Belgique Pène en fait le récit suivant [66] : ''Mi-Décembre : Von Rundstedt lance son offensive des Ardennes, l'armée américaine est enfoncée, cependant sa 101 division aéroportés sous le général Gavin, futur ambassadeur à Paris, résiste à Bastogne. (Devant un trou de 40 km les alliés ne disposent que de quatre bataillons FFI encore peu entrainés). Heureusement les deux bords de la brèche sont bien tenus par les Britanniques d'un côté, les Américains de l'autre, les Allemands n'osent pas s'engager à fond et perdent peut-être ainsi l'occasion de jeter dans nos arrières un trouble irrémédiable. Tous les deux jours je vais à Givet pour soutenir le moral des populations et pour couper court aux bruits alarmistes qui circulent à St Quentin. Un jour à la tombée de la nuit je me vis soudain entouré à Givet de chars britanniques qui prenaient position : ils semblaient des montagnes d'acier à côté de notre voiture. Quelle impression de réconfort donnait leur force tranquille. Un autre jour, arrivant à la tombée de la nuit à Givet, accompagné de Rastel {Préfet des Ardennes}, je vois un douanier en uniforme qui déménage quelques affaires sur une brouette et part sur la route. Nous le convoyons aussitôt et lui ordonnons de rebrousser chemin sous peine de révocation immédiate ; il obéit. Je crains tellement de voir la population s'affoler et fuir vers le sud par un froid de -15° à -20°. Mais cet exemple ne suffit pas à arrêter l'exode il faut prendre des mesures administratives ; je n'ai pas le temps de consulter le ministre de l'intérieur, après avoir consulté Rastel je prends la décision de bloquer la frontière pour empêcher les Belges fuyant éventuellement devant les Allemands d'entrer en territoire français et d'entrainer avec eux toute la population comme en 1940. Décision lourde car elle peut avoir des conséquences diplomatiques. Rien n'arrive, le froid de -20° pousse moins à partir sur les routes que le soleil de juin 40. C'est seulement après 3 semaines, quand la bataille est gagnée et qu'aucune réaction diplomatique n'est à craindre, que je suis approuvé par le ministre. Les premiers jours de la bataille le temps est très couvert, les avions ne peuvent sortir et l'aviation américaine ne peut concrétiser sa supériorité ; puis, un beau jour la situation s'éclaircit en même temps que le ciel, les avions alliés écrasent les troupes ennemies, les Américains se reprennent, la partie est gagnée'' [66]. Ce témoignage est précieux et il révèle certains aspects peu connus de la bataille des Ardennes. Précisons d'abord que Givet était très près de la bataille, à une dizaine de kilomètres de Dinant, toutes deux sur la Meuse qui était la première cible allemande. La deuxième Panzer division à pris Celles-lez-Dinant, à 8 km à l'est de Dinant soit à une douzaine de km de la frontière française [209]. Nous apprenons ainsi que des renforts blindés britanniques sont passés par Givet. Nous ne savons pas d'où ils venaient. ''Eisenhower, commandant en chef, a fait venir à partir du 20 décembre des troupes britanniques et le 2ème régiment de chasseurs parachutistes SAS''[209]. On peut supposer que dans ce régiment se trouvaient les quatre bataillons FFI mentionnés par Pierre Pène. SAS était la caractérisation britannique, ''Special Air Service'', de cette unité française. Nous n'avons trouvé aucune autre indication d'unités françaises dans la bataille des Ardennes. La décision de fermer la frontière prise par Pierre Pène et Georges Rastel était risquée car elle aurait pu entraîner une crise diplomatique avec le gouvernement belge de Hubert Pierlot qui n'avait pas pu être consulté. Elle risquait aussi de livrer au massacre des populations belges désireuses de fuir en France. Rien de cela ne se produisit. Le gouvernement Pierlot était un vieil allié de la Résistance française. Il avait été le premier à reconnaître, en 1941, de Gaulle comme chef de la France libre, contre l'avis des Anglais.

C :IV.1.2 Les espions allemands en France. Ce dont nous allons parler dans cette section est un aspect peu connu de cette bataille des Ardennes, et il révèle une préparation méticuleuse de l'offensive des Ardennes par les Allemands. Dans les archives du département des Ardennes on trouve la preuve d'une présence importante d'espions allemands peu avant l'offensive allemande en Belgique. Les services de police et de gendarmerie informent, début décembre, les services préfectoraux de preuves d'une présence d'espions ennemis. Citons quelques uns de ces messages d'alerte. ''1°) Dans la soirée du 25 novembre, à 21 h, le commissaire de police de Rethel a remarqué de nombreuses fusées rouges et vertes à l'est de la route Rozoy-Rethel et a entendu des moteurs d'avions à 2 temps. 2°) De nombreux parachutages sont signalés, surtout dans la région de Tagnon. Dans la semaine du 29 novembre au 3 décembre, des fusées éclairantes ont été remarquées, et à leur suite, les habitants ont compté une vingtaine de parachutes qui tombaient en direction de la faisanderie, territoire de Tagnon, à proximité des bois. Un battue policière organisée le 30 novembre, par la gendarmerie de RETHEL avec le concours des FFI n'a rien donné. Les bois de la région de Tagnon qui dissimulaient efficacement les patriotes peuvent également bien protéger les espions de l'ennemi. 3°) Dans la soirée du vendredi 1er décembre, au samedi 2 décembre, un avion allemand a survolé à basse altitude les environs immédiats de RETHEL, vers 20h30 et a été entendu à nouveau vers 4h du matin. 4°) Le 1er décembre, deux prisonniers allemands évadés de REIMS se sont présentés à la ferme de la guinguette à GRAND-CHAMPS. Ils ont été arrêtés à THIN-LE-MOUTIER le samedi 2 décembre à 19h00 par la brigade de gendarmerie et remis à la Military Police. Enfin, dimanche 3 décembre, la gendarmerie de CHAUMONT-PORCIEN a découvert, sur le territoire de la commune de DOUMELY-BEGNY une caisse de 100 kg d'origine allemande, contenant des appareils de transmission. Cette caisse, de toute apparence à été parachutée au cours de la nuit précédente'' [210]. Tous ces évènements préparent manifestement l'offensive des Ardennes. Il s'agit de mettre en place l'espionnage. Pourquoi espionner en France alors que l'offensive vise à rester en Belgique ? Y avait-il un plan B de Hitler consistant à revenir en France ? Cette rumeur a circulé et on raconte que les collaborateurs emprisonnés se réjouissaient déjà. Cette idée est considérée comme fausse et n'a été confirmée par aucun document allemand. Pourtant les faits rapportés ci-dessus ne peuvent être contestés. S'agissait-il de la part des Allemands d'une manœuvre de diversion ? Ou plus probablement du désir de surveiller la France d'où pouvaient venir les renforts alliés ? Un autre rapport daté du 11 décembre a le mérite d'être signé et d'avoir mention du destinataire. C'est adressé à ''Ministère de l'Intérieur, Direction générale de la police nationale, Renseignement généraux des Ardennes, poste de Sedan n° 297''. Il est signé ''Les Inspecteurs de Sûreté Nationale CARBON et MAISON''. Le rapport dit ''OBJET : découverte d'un parachute anglais et arrestation de deux prisonniers de guerre allemands évadés'' [210]. Le rapport détaille ces deux points. Nous voyons qu'il ne s'agit pas d'intrusion ennemie, mais d'un avion anglais qui a dû être gêné par la brume. La caisse de 100 kg contenant des appareils de transmission est signalée dans un autre document et signé du Lieutenant DOSTES, Commandant de la Section, sur la découverte du matériel parachuté, mais le Lieutenant étant en permission le signataire est l'Adjudant chef OGOYARD. Un autre rapport des Inspecteurs CARBON, Louis et MAISON, Robert ''Samedi dernier 2 décembre, vers 16h00, une bombe volante est tombée dans un verger, à une centaine de mètres à l'ouest du hameau du VIVIER, territoire de la commune d'ARTAISE, canton de RAUCOURT. Cet engin avant sa chute venait de la direction du Nord-Est. L'explosion a creusé un entonnoir de 3m50 de profondeur et 6 mètres de diamètre. Il n'y a pas de victimes à déplorer, mais plusieurs habitations voisines ont souffert de l'explosion. En effet 8 maisons sont plus ou moins ébranlées. Certains murs sont lézardés, des plafonds sont tombés, et des toitures sont plus ou moins endommagées. On compte une centaine de vitres brisées par la déflagration. On a retrouvé à proximité du point de chute, des débris de tôle de 2 mm ½ d'épaisseur, provenant de l'engin en question. D'autre part, le même jour vers 16 heures, 3 avions de chasse américains (monoplaces), qui volaient à faible altitude en raison du brouillard, après avoir fauché la cime d'un bois sur environ 200 m, sont venus s'écraser au sol, à proximité du village de Nogues, canton de Carignan. On déplore la mort des 3 pilotes qui ont été tués sur le coup'' [210]. Il s'agit ici d'avions alliés, mais ce rapport témoigne du temps très couvert qui a fortement handicapé l'action alliée en Belgique, jusqu'au 23/12/44 Un dernier rapport manuscrit concerne encore la commune de DOUMELY-BEGNY. Il est signé de deux gendarmes LALLEMENT, Prosper et TORCHET, Rémy. Ils ont trouvé un cylindre de 1m50 de long et 50 cm de diamètres ''cet engin a été vraisemblablement parachuté, mais l'on remarque que les bandes de parachute ont été coupées''. Remarque importante. Un destinataire a fait cela. Ce cylindre contient du matériel électrique : piles, prises, fils électriques, lampes, … probablement destiné au matériel de transmission [210]. Le premier janvier des rapports de gendarmerie font état de mitraillages et d'incendies en France dus à des avions ennemis. La bataille bat son plein à ce moment en Ardennes Belge. Quelle était la raison de ces mitraillages en France ? Comment fonctionnait la communication entre alliés ? On voit dans tous ces rapports comment ils remontent l'échelle hiérarchique française, les copies sont adressées aux Préfets, qui les répercutent probablement au Commissariat de la Région et au ministère. La transmission aux Américains se fait bien sûr dans le cas de pilotes US morts et dans le cas de prisonniers allemands évadés. Les autres informations sont-elles parvenues à l'Etat Major interallié ? On peut répondre cyniquement : Primo, si elles étaient parvenues elles auraient conforté l'Etat Major dans l'idée d'une offensive allemande vers Paris. Le général américain Patton était déjà persuadé de cela, et sa politique était de laisser les allemands aller à Paris et de leur couper les arrières dans les Ardennes [185]. On imagine les souffrances endurées en France si le scénario de Patton s'était réalisé !! Secundo, nous avons vu que selon John Toland [185] les Etats-Majors alliés avaient toutes les informations en main, et qu'ils n'y ont tout simplement pas cru et n'ont pris aucune mesure de précaution.

C :IV.1.3 Bilan de la bataille des Ardennes et de la fermeture de frontière La bataille des Ardennes s'est heureusement terminée par la défaite des nazis, mais à quel prix ! ''Le Department of Defense reconnait 19 000 tués, 47 500 blessés et 23 000 disparus ainsi que la perte de 773 tanks et tank destroyers et 592 avions. Les pertes allemandes officielles sont de 84.834 hommes dont 12 600 tués et 38 000 blessés ainsi que la perte de 600 à 800 blindés dont un grand nombre furent réparés et environ 800 avions''[209] . Passons sur le désordre, sur les avions abattus par leur propre DCA dans chaque camp. Passons sur les fortes tensions entre Anglais et Américains, sur les rivalités entre généraux. Saluons l'héroïsme de ces soldats américains, britanniques, et quelques français selon Pierre Pène, qui ont réussi à arrêter l'avance allemande au bout d'une semaine et ont finalement regagné tout le terrain perdu, malgré une considérable infériorité numérique initiale. Pour Pierre Pène ce fut la plus dure épreuve de la période où il fut Commissaire de la République. Cela s'est produit trois mois après sa prise de fonction, quand les pouvoirs des Commissaires n'avaient presque pas de limite, précisément en prévision d'un possible isolement de la Région du fait de la guerre. Bien que la bataille ne se soit pas déroulée en France, mais à 12 km de la France, Pène s'est trouvé, du fait du silence embarrassant du gouvernement, contraint de prendre une décision ''régalienne'', qui pouvait avoir des conséquences humaines et diplomatiques très graves : la fermeture de la frontière avec la Belgique. Il a opté pour la fermeture en consultant Georges Rastel, le préfet des Ardennes. La chance l'a aidé, il n'y eut ni désastre humanitaire ni problème diplomatique ! C :V. L'activité du Commissaire de la République Les réunions des Commissaires de La République avec les représentants du gouvernement, cf Appendice, nous donnent un tableau de la variété et du nombre des questions qu'ils devaient traiter. On comprend que Pène ait dit ''Plus de dimanche, sinon que le dimanche je suis à mon bureau à 8h30 au lieu de 7h30. Autant de représentation que de travail de bureau, le tout formant un fardeau lourd'' [66]. Ajoutons que les tâches et les priorités variaient très vite avec le temps. On était véritablement dans une période révolutionnaire ou, si ce mot fait peur, de bouleversements rapides. Une autre difficulté concernait cette position d'intermédiaire entre les Préfets ainsi que les autres autorités départementales et le gouvernement. Il est bien sûr impossible de rapporter tout ce qui a été fait mais nous pouvons tenter d'en donner une idée.

C :V.1 La représentation Il est commode de distinguer la représentation des tâches plus pratiques. La représentation consistait dans les relations avec les personnalités françaises ou alliées de passage dans la région, et dans les cérémonies de mémoire aux victimes ou parfois de célébration d'un anniversaire heureux. Nos sources sont essentiellement des copies de discours de Pierre Pène et des coupures de journaux locaux. Il recevait de hautes personnalités. Commençons par la tragédie. Pène devait recevoir le 9/11/44 Aimé Lepercq, ministre des finances du GPRF, proche camarade de Résistance de Pène. Lepercq était membre de l'OCM et Pène l'avait nommé responsable des FFI de Paris en 1944. Roulant la nuit, Le véhicule de Lepercq, conduit par un chauffeur, est tombée dans le canal de la Deûle au lieu-dit ''le Pont-maudit'', après avoir quitté la route dans un virage donnant accès à un pont provisoire. Ils sont morts tous les deux. Lepercq venait de lancer l'emprunt de la libération. René Pleven lui succèdera. Le Ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme, Raoûl Dautry, est venu ''inspecter''. Il s'est fendu d'un billet plus que sobre [168]. Pène commente : ''les blessures morales d'un peuple sont plus longues à guérir que les destructions matérielles. Celles-ci se réparaient lentement en France, les liaisons ferroviaires avec Paris étaient rétablies dans un paysage apocalyptique, les distribution d'électricité assurées par un miracle d'équilibre instable s'amélioraient lentement. Les ruines étaient déblayées trop lentement au gré du terrible DAUTRY qui fit une scène à CORNUT-GENTILLE un jour dans la Somme ; Dautry voulait que les sinistrés se missent d'eux-mêmes à déblayer, CORNUT-GENTILLE voulait attendre l'aide de l'Etat. Le même DAUTRY devait quelques semaines plus tard, reprocher vivement à un ingénieur de la SNCF de construire en pierre de taille un tout petit bâtiment. Il est difficile d'agir tout seul quand les destructions sont générales et souvent le sinistré reste inactif, non par paresse mais pour ne pas commettre de bévue. Il attend le plan d'aménagement, il l'attend si longtemps qu'il finit par se lasser et est tenté de construire n'importe quoi''[66]. Ce Dautry était resté très paisible pendant l'occupation ce qui devait contribuer à irriter Pène. Les discours prononcés par Pène sont accessibles par la référence[169]. Le discours de Château-Thierry insiste sur le pacte Franco-Russe signé en 12/44. Cet accord donne plus d'autonomie à la France vis à vis de ses alliés anglo-saxons, et, ce qui n'est pas dit, il rend caduque la crainte d'une insurrection communiste en France. En effet Maurice Thorez, rentré en France le 27/11/44 donnera devant le comité Central, les 21- 23/1/45 l'ordre de désarmer les milices patriotiques et de façon générale tous les groupes armés irréguliers [150]. Ces discours officiels ne peuvent pas échapper à un style un peu convenu. Résumons brièvement ceux qui concernent les personnages les plus importants. Recevant Maurice Schuman Pène rappelle le rôle moral qu'a joué cette voix venant de Londres sous l'occupation. En effet Maurice Schumann était porte-parole de la France libre grâce à son émission ''Honneur et Patrie''. Recevant à Beauvais Tanguy-Prigent, ministre de l'agriculture et Teitgen, ministre de l'information, il nous apprend que Tanguy-Prigent avait fondé le mouvement de Résistance paysanne. Teitgen avait fondé le Mouvement ''liberté'' puis rejoint ''Combat''. Déporté, il a pu s'échapper. Pour le ''Memorial day'' (mai 1945) Pène salue les troupes américaines qui ont percé en 1918 la ''ligne Hindenburg'' près de Beauvais, et bien sûr il salue les troupes qui sont venues libérer la France en juin 44. Il honore Roosevelt. Il ne savait pas encore ce qu'il a lu beaucoup plus tard dans un livre de Anthony Eden que Roosevelt avait envisagé de dépecer la France (cf section B : II.1.2 ). Il célèbre aussi des évènements heureux, la capitulation allemande le 8/5/45, la libération de Beauvais, d'Amiens, de Compiègne, de Sedan. En essayant de tenir compte des spécificités de chaque département, il célèbre l'évènement, rappelle les souffrances qu'il a coûté, celles de la Résistance, des combats de la libération, et plus généralement il évoque toutes les victimes du nazisme. Puis il appelle à l'unité française, combat les mécontentements en soulignant ce qui a été fait, et, bien sûr, loue le général de Gaulle. Il célèbre le 11 novembre 1945 à Rethondes, où en 1918 le maréchal Foch recevait la reddition allemande, rappelant au passage que c'était au même endroit que Hitler a reçu la capitulation de Pétain en 1940. Ce discours est centré sur l'honneur dû aux morts. ''Il faut maintenant refaire la France, la route est longue et difficile, semée d'écueils ; nous les franchirons en évitant le naufrage si nous sommes unis entre nous et avec le passé. Profitons de la présente circonstance pour affirmer notre communion avec nos morts. En cette clairière de Rethondes, évoquons le souvenir de tous nos disparus, ceux de la Marne, de Dunkerque, ceux de Bir Hakeim et de Strasbourg, ceux du Vercors et de Chateaubriand, ceux de Buchenwald, de Belsen ...Ils ont tous lutté sans défaillance. Associons-les dans une même pensée. Ce serait une trahison à leur égard, et un crime envers les générations futures, que de nous égarer à nouveau dans les discordes'' [169]. L'orientation de ce discours contre les discordes s'explique par la situation politique. Les élections se sont tenues, et si de Gaulle restait reconnu comme le chef du gouvernement, il n'avait pas de majorité dans l'assemblée constituante. Deux mois plus tard, le 20/1/46 de Gaulle décidera de démissionner. Plusieurs discours commémorant des héros de Résistance ou des maquis ont été évoqués dans la partie sur la Résistance. Nous avons déjà parlé du Dr Mairesse. Un discours dont nous ne savons pas à qui il s'adresse évoque aussi les souffrances de la France et il englobe dans ce combat la guerre qui commençait en Indochine, car la France pour lui, comme pour la majorité des français, englobait l'empire colonial. Deux discours sont un peu différents. L'un honore le 67ème régiment d'infanterie. Pène ne boude pas son plaisir, cette unité s'est battue héroïquement en 40, résistant deux semaines contre les blindés allemands. La blessure que représentait pour lui la débâcle de 40 n'a jamais été cicatrisée et ces exploits lui faisaient du bien. Devant la chambre de commerce, Pène développe son opinion sur la situation économique. Nous la regarderons plus en détail dans la section C : V.2

C :V.1.1 de Gaulle Bien sûr la plus haute personnalité reçue par Pène a été le général de Gaulle. Il a visité deux fois cette région. Laissons parler le général. ''Revenu à Paris j'en repartis le 30 septembre {1944} en compagnie des ministres : Tixier, Mayer et Laurent, cette fois pour me rendre en Flandre. Nous passâmes par Soissons et St Quentin où Pierre Pène, Commissaire de la République, nous guida dans la visite de ces citées démolies''[163]. Pène n'était en place que depuis moins d'un mois. Le deuxième voyage l'a mené à Beauvais, Amiens, Doullens (Somme), à partir du 11 août 45. Il a poursuivi sa visite à Béthune et Dunkerque dans la Région Nord. Il écrit ''La Picardie et la Flandre me démontrèrent que leur foi en l'avenir était de taille à tout surmonter. A Beauvais, puis à Amiens, où je fus reçu le 11 août en compagnie de Dautry, Lacoste, Laurent et Mayer, il ne manqua pas une voix au concert de l'enthousiasme. Par Doullens, Saint-Pol, Bruay, je gagnais Béthune où 50 000 mineurs m'attendaient devant l'Hôtel de Ville. Du balcon je m'adressai à eux et à la nation'' [163]. On voit une photo de Pène à côté du Général [24, 173], probablement à Beauvais. Le discours de Pène est sur le thème ''la France vous aime mon Général''[169]. Il fait allusion aux batailles brillantes menées par de Gaulle à la tête de la 4ème Division cuirassée (de chars) aux alentours de Laon vers Montcornet. ''La France vous aime parce que, dans la défaite, vous êtes restés debout, seul, inébranlable au milieu des décombres, comme la cathédrale d'Amiens que vous verrez tout à l'heure se dressant devant un désert de ruines. La France vous aime parce que vous lui avez rendu la liberté et elle souhaite vous voir rester longtemps à la tête du gouvernement pour la préserver des périls nombreux qui la menacent. Je vous demande d'excuser l'audace de ces quelques mots..''. De fait ce ton affectueux est inhabituel, mais Pène est sincère. Il avait pour le Général, au delà de l'admiration, une réelle affection, comme en témoignent les lettres échangées en avril 46 [169] alors que, de Gaulle ayant démissionné, et que la fonction de Commissaire ayant été supprimée, ils n'avaient rien à attendre l'un de l'autre sinon de se réconforter. Pène a gardé ce sentiment pour de Gaulle jusqu'en 67, vers la fin de leurs vies, car ils sont morts à un an et demi d'intervalle, de Gaulle en 70, Pène en 72. Nous ne connaissons pas le discours de de Gaulle à Beauvais. La presse [174] raconte l'évènement. On trouve dans un journal non identifié cet extrait du discours ''Beauvais sera une des premières villes martyres à être reconstruites. De jour en jour elle s'éveillera à une vie meilleure''. Du courrier Picard nous avons des photos de Pène à côté de ce grand général (par sa taille aussi) à Amiens. Un journal non identifié [174] raconte ce voyage du général de Gaulle. À Amiens il a prononcé un discours dont voici un extrait ''Oui, nos mains, nos cœurs, nos esprits, voilà les forces de la France. Voilà de quoi nous ferons l'avenir de la patrie, c'est à dire celui de nos enfants et petits-enfants. Voilà de quoi nous ferons une France non seulement prospère, mais plus juste, plus fraternelle, voilà de quoi nous ferons une France mieux à sa place parmi les autres, car on n'a que la place que l'on prend''. Cette dernière phrase résume la politique de de Gaulle. Et il faut reconnaître qu'il a réussi l'impossible par cette méthode : il a fait admettre la France parmi les vainqueurs de l'Allemagne et parmi les membres permanents du conseil de sécurité de l'ONU ! On peut consulter son discours à Béthune du 11/8/45 [163, {dans les Documents}] et [174] : ''Nous avons été parmi les plus malheureux parce que nous étions les plus exposés. Mais nous sommes en train d'accomplir un extraordinaire redressement...''. Ensuite lui aussi, le Grand Charles, parle de ''l'intendance'', de la production de charbon qui a déjà doublé depuis la libération, de celle d'électricité qui a plus que triplé, de même que pour la fonte, l'acier, l'aluminium, et un facteur dix pour le minerai de fer. A la fin il parle politique, il prêche l'union puis ''Nous le faisons et le ferons en bâtissant, peu à peu, du neuf et du raisonnable, et non point, -ah ! Non, certainement ! - en retournant aux vieilles formules ou en courant aux aventures … Au travail''. Les ''vieilles formules'' c'est le régime de la 3ème république, et ''l'aventure'' vise probablement les communistes. Nous savons la suite il a perdu cette bataille, il a démissionné le 20 janvier 1946 et la constitution de la quatrième République devait fort ressembler à celle de la troisième. Il aura sa revanche en 1958, quand il fondera la cinquième république, débarrassée certainement de l'instabilité de la quatrième, mais qui souffre d'autres plaies.

C :V.2 La misère de la population, ravitaillement, reconstruction, etc Cette section touche aux problèmes les plus sérieux, les plus urgents, les plus enchevêtrés. La pénurie touche tous les produits, et toutes ces pénuries sont liées entre elles. Le pays est ruiné, détruit, exsangue, et il fonctionne comme une économie dirigée. Il est impossible de traiter l'ensemble de ces problèmes, mais nous pouvons essayer d'en donner une idée à partir de quelques exemples. Les principales sources seront d'une part un discours de Pène devant la chambre de commerce dans lequel il délivre ses idées sur l'économie [175]. D'autre part, quand les Commissariats ont été supprimés, le ministère lui a demandé un rapport qui soit une sorte de bilan de la situation dans sa région. Nous avons ce rapport et nous utiliserons ici sa partie économique.

C :V.2.1 Ravitaillement Excusez-nous pour cette section qui prendra nécessairement un tour assez technique. Il faut se souvenir que les Français avaient faim, malgré la chute du nazisme. Le ravitaillement occupait la tête des responsables comme celle des citoyens et elle occasionnait beaucoup de conversations. ''D'une façon plus générale, M. PENE ne se souvient pas d'avoir eu des difficultés sérieuses. 2°) L'organisation du ravitaillement fut plus difficile et plus longue {que le rétablissement de l'ordre et l'installation de l'Administration}, surtout celle du ravitaillement en lait pour les enfants. Cependant ici aussi les choses s'arrangèrent vite : l'Aisne département agricole à cultures riches, disposait en effet de ressources considérables''[54]. Dans le rapport final [176], Pène note que dans l'année écoulée (de mars 45 à mars 46) les rations de denrées contingentées ont été régulièrement honorées. Toutefois des retards ont eu lieu dans l'approvisionnement des commerçants en huile, margarine, chocolat, etc. Aucun centre important n'a manqué de viande. L'approvisionnement en légumes est déficient. Quelques arrivages de fruits, oranges et mandarines ont été enregistrés. La viande [176] : Jusqu'en septembre 45 on imposait des expéditions de bétail vers l'extérieur de la région. Sur 10 000 tonnes imposées 5.200 ont été faites au profit des centres déficitaires, dans d'autres régions. Ces obligations ont été annulées à partir d'octobre. Depuis octobre 45, bien que les bouchers locaux aient la possibilité d'acheter directement en culture, les expéditions de bétail vers les grands centres voisins (hors région) continuent à s'effectuer. Un tableau de ces expéditions est joint [176]. Citons le plus récent, janvier 46, en nombre de têtes expédiées vers l'extérieur : 2400 bovins, 1000 veaux, 1200 moutons et 500 porcs. Rappelons que la région contenait l'Aisne, région agricole riche et pour cela les exportations vers des régions voisines étaient importantes. ''Le ravitaillement de la population a été régulièrement assuré, sur la base d'une ration hebdomadaire de 350 à 400 grammes (charcuterie comprise). La mise en vente de viande frigorifiée a pallié dans certaines villes l'insuffisance de viande fraiche. Le problème des prix ne semble que partiellement résolu. Si les bouchers s'estiment en général satisfaits de la marge de détail qui leur a été accordée, ils se plaignent vivement des difficultés qu'ils éprouvent pour acheter du bétail à la production. Les cours pratiqués atteignent fréquemment 45 et même 50 francs le kilo vif. Les contrôles pratiqués montrent que la taxation est respectée dans les villes bénéficiant d'une subvention. Il n'en est pas de même dans les localités rurales dépourvues de subvention. Des démarches sont entreprises auprès des Ministères intéressés pour obtenir une modification du système actuel de répartition des subventions'' [176]. Le lait [176] Là aussi la région a fait un gros efforts en faveur des grands centres de consommation. Un tableau [176] montre un progrès de la collecte entre 43 et 45. Par exemple 26 000 000 litres en octobre 45 contre 23 700 000 en octobre 43. L'expédition vers Paris est passée pour les mêmes mois de 4 000 000 à 7 800 000 ! Pommes de terre ''Sur une imposition {il faut comprendre imposition au sens des quotas de production imposés} de 114 000 tonnes, 75 000 environ ont été réalisées à ce jour. La collecte de cette campagne n'a pas donné les résultats satisfaisants de celle de l'an dernier. Les raisons en sont les suivantes : - Le manque de plants, par ailleurs de mauvaise qualité. - Une récolte déficitaire due aux conditions atmosphériques défavorables. La production de cette année n'a atteint que 60 % de celle de l'année 1944/45. - Le suppression des impositions au stade individuel, qui interdisait aux cultivateurs la libre disposition des excédents de récolte, a engagé la plupart d'entre eux à écouler leurs produits au marché irrégulier. - Les changements de régime successifs (3 arrêtés ministériels intervenus en moins d'un mois modifiant la réglementation de la collecte et des expéditions). - Les évasions importantes au titre des jardins familiaux. - Une assez grande quantité de pommes de terres de consommation ont été commercialisées sous la dénomination ''semences'' [176]''

Céréales panifiables : ''Les entrées de blé en organismes stockeurs depuis le début de la récolte (Août 1945) ont été satisfaisantes puisqu'elles sont supérieures à celles de 1942, prise comme année de référence ( la récolte de 1942 est sensiblement égale à celle de 1945). C'est ainsi qu'au premier février 1946 le pourcentage moyen de 65 % était atteint pour l'ensemble de la région {6}. (A noter que l'échelonnement des livraisons fixées par l'arrêté régional du 28 Décembre 1945 est dépassé puisque celui-ci avait prévu 60 % au 31 janvier 1946). La distribution du pain aux consommateurs s'effectue sans incidents notables et conformément aux institutions en vigueur. Mais il est certain que la période d'agitation du début du mois de janvier n'a pas permis de réaliser toutes les économies désirables'' [176]. La période d'agitation dont il est question est la tension entre la majorité de l'assemblée constituante et le général de Gaulle qui a amené ce dernier à démissionner le 20/1/46. Produits divers : ''Pour les autres produits, le ravitaillement est satisfaisant. Toutefois quelques remarques s'imposent. Les denrées d'épicerie telles que l'huile, la margarine, le café et le chocolat sont toujours servis avec un trop grand retard. L'approvisionnement en légumes des marchés est déficient. J'ai pu obtenir l'octroi d'un petit contingent de choux et de Choux-fleurs de Bretagne qui ne parviennent que difficilement du fait que nous nous refusons à payer les soultes {7}. Quelques arrivages d'agrumes ont été enregistrés dans la région au cours du mois. A cette occasion je dois signaler la proportion considérable de fruits avariés'' [176]. Vue sur l'avenir de l'agriculture {ce texte est écrit en avril 46} : '' Pour la prochaine campagne il a été possible d'emblaver une superficie de blé d'hiver représentant à peu près 95 % de la superficie ensemencée avant la guerre et il est permis d'espérer une récolte nettement supérieure à la dernière. Même constatation en ce qui concerne les oléagineux. La pénurie de plants et le manque d'engrais rendront cette année encore difficile la culture de la pomme de terre. Dès maintenant on constate une nette reprise dans le domaine de la production animale ; pour l'accentuer il est nécessaire que des aliments de bétail (céréales secondaires, pulpes, tourteaux, etc.) soient distribués aux producteurs. Toutefois, pour permettre aux agriculteurs de produire au maximum il convient de porter son effort sur les point suivants : remembrement {9}, attributions de tracteurs, aménagement de l'habitat rural et électrification des campagnes, orientation agricole, sélection des plants et semences, attribution d'engrais, enseignement agricole, politique de prix et de salaires''[177]. Ce rapport nous révèle la complexité de la gestion de cette économie dirigée qui est une économie de pénurie : il faut nourrir le moins mal possible la population dans un système complexe où les différents domaines économiques se conditionnent les uns les autres. Ce sont les difficultés communes à toutes les économies dirigées, mais qui sont ici détaillées dans tous leurs rouages. La conclusion dresse un étonnant tableau de la modernisation de l'agriculture telle qu'elle se produira dans les années 50-60, en relation avec les autres aspects de la vie économique et sociale. Pierre Pène sait probablement que l'économie française ne va pas rester longtemps une économie dirigée, mais elle sera pendant des décennies une économie planifiée qui mettra en œuvre les grandes lignes décrites ci-dessus. Cette modernisation engendrera aussi un important exode rural que l'on considérait alors comme un progrès : on voulait se détourner du culte de l'agriculture traditionnelle vantée par Pétain. On ne va pas reprocher à Pène et aux autres responsables de l'époque de ne pas avoir anticipé que 70 ans plus tard on découvrirait les graves méfaits environnementaux de cette agriculture moderne.

C :V.2.2 Betteraves Dans son discours à la chambre de commerce de St Quentin Pène fait la remarque suivante ''je sais les craintes qui se font jour à l'entrée de la période betteravière 1945-1946. Les livraisons de charbon sont nettement insuffisantes. J'étudie la question de très près et j'ai demandé à Mr le Ministre de la production industrielle de constituer sur le parc des sucreries un stock de combustible représentant au moins un mois de fonctionnement. La constitution de ce stock pourrait s'échelonner sur les mois de juillet, août, septembre. Nous sommes ici face à un problème vital : assurer la campagne betteravière, c'est assurer non seulement la production du sucre indispensable à la nourriture des français, de l'alcool pour l'industrie et la carburation, mais aussi celle de la viande, du lait et du beurre puisque la pulpe de betterave est une partie essentielle de l'alimentation du bétail'' [175]. La production de betteraves en 1945 a chuté à 15 millions de quintaux contre une moyenne de 34 millions avant-guerre. Le rendement à l'hectare était tombé de 280 à 220. La chute de production est donc surtout due à la chute des surfaces de culture. La production de sucre s'en ressent, tombant de 4 millions de quintaux avant guerre à 1,9 millions en 1945 [177]

C :V.2.3 Charbon L'approvisionnement en charbon était indispensable à de nombreuses industries. Citons une note datée du 11/9/45, St Quentin ''DU CHARBON POUR LA CAMPAGNE BETTERAVIERE LE COMMISSARIAT RÉGIONAL COMMUNIQUE : Tout le charbon nécessaire aux sucreries et distilleries sera attribué en temps utile aux usines de la région. Les livraisons sont en cours. En conséquence les planteurs de betteraves peuvent compter sur les pulpes pour nourrir leurs animaux. Ils peuvent établir leurs plans d'engraissement à l'auge et dans ce but procéder aux achats de bêtes maigres''[162].

C :V.2.4 Transports ''3°) Le rétablissement des communications, surtout par voie ferrée où les destructions par l’aviation alliée avaient été nombreuses et efficaces, fut très difficile. Les services de la SNCF préparèrent à M. PENE un choix difficile imposé par les moyens dont ils disposaient : rétablir les communications vers Paris et négliger le Nord, ou le contraire. M. PENE a choisi Paris''[54]. En avril 46 Pène fait le constat suivant ''les transports ferroviaires marquent une nette amélioration ; néanmoins les difficultés subsistent pour le transport des matières pondéreuses dont l'industrie chimique a le plus grand besoin. Ces difficultés ne pourront que s'accroître avec le développement de la production. En ce qui concerne les transports routiers, l'apport des camions américains et l'octroi d'un nombre important de licences d'achat pour camions de fabrication française ou étrangère a provoqué une nette amélioration, si bien qu'à l'heure actuelle, les transporteurs publics recherchent du fret'' [177]. C :V.2.5 L'Industrie En mars-avril 46 Pène note ''L'accroissement des contingents de charbon, la levée des restrictions d'électricité et l'augmentation des contingents alloués aux industries, permettent d'espérer une franche reprise dans les différents secteurs dès le mois de mars. Mais, pour le moment, les retards dans les réalisations des attributions de charbon, la remise en état de fours, de refroidisseurs, les ruptures de pièces maitresses dues à l'usure trop poussée, provoquent un ralentissement dans la fabrication. Cet ensemble de faits explique des chutes brutales de production suivies de reprises nettement marquées'' [177]. Il résume ensuite la situation comme suit. Sidérurgie : ''Une aggravation s'est produite dans l'approvisionnement des usines en demi-produits {8}, par suite de la réduction d'activité imposée aux hauts-fourneaux lorrains. D'autre part, les contingents de charbon attribués à ce secteur industriel sont descendus à 3950 tonnes en février contre 6150 en janvier'' [177]. Industrie mécanique : ''Un effort considérable a été demandé aux usines productrices de fil à paille afin de permettre l'exécution de battage sur un rythme accéléré. De décembre à février la production des établissements LEFORT à Mohon est passée de 64 tonnes à 160, celle des clouteries et Tréfileries de Ham de 75 tonnes à 150 et celle de Creil de 50 à 130'' [177]{ Tréfilerie : Opération destinée à diminuer le diamètre d'un fil métallique par traction à travers une filière}. Industrie chimique et parachimique : ''Un gros effort est effectué par l'industrie des engrais et les tonnages produits sont en nette progression'' [177]. Industrie textile et des cuirs : ''La collecte des cuirs est satisfaisante et certains industriels de la Somme se plaignent même de la faiblesse des tâches qui leurs sont confiées et qui sont inférieures à leurs possibilités de fabrication'' [177]. A l'exception des textiles et cuirs, on constate que l'effort est mis dans l'industrie pour servir l'agriculture : le battage et les engrais. Cette région était essentiellement agricole.

C :V.3 Les griefs contre les régions et les Commissaires. Pène n'était nullement ''parachuté'' dans sa fonction de Commissaire de la République à St Quentin. Avant d'être obligé de fuir fin 43 il avait eu un rôle de premier plan dans la Résistance de l'Aisne, et de façon moins directe dans les Ardennes. Il avait été en 43 responsable de l'AS (Armée Secrète) de l'Aisne et des Ardennes. Il a de ce fait été bien accueilli. Mais sa fonction était très exposée. Au début il était investi de pouvoirs exceptionnels. Ayant tous les pouvoirs il était forcément la cible de tous les mécontentements, et dans la situation de la France en 44 et 45 les mécontentements étaient légion. Par ailleurs la Région (Aisne, Ardennes, Oise et Somme) était une région créée par Vichy. Un courant de l'opinion était très attaché aux départements, qui dataient de la Révolution et ne voyaient pas l'intérêt de cet échelon intermédiaire entre le département et l'Etat Français. D'ailleurs sur ce point il n'y avait pas en principe de débat. La Région et la fonction de Commissaire de la République étaient provisoires. Quand les élections se tiendront en 45 aux niveaux municipal, départemental et national, il n'était pas prévu d'élections régionales comme il en existe de nos jours. Donc la région et le pouvoir des Commissaires étaient condamnés à une extinction progressive, comme on le constate dans l'évolution des réunions de Commissaires {cf Appendice}. Pierre Pène en était conscient. Dans le rapport du Commissaire de la République de la région de Laon-Saint- Quentin en vue de la conférence des CRR (Commissaires Régionaux de la République) du 21,22 et 23 juin 1945, ''Pierre Pène observe que la rivalité existant entre les préfectures et le Commissariat de la République résulte en grande partie d'une autre rivalité, celle qui met face à face les départements et régions. Il constate d'ailleurs que les rivalités entre la région et le département se traduisent par des attaques injustifiées'' [143,211]. ''Peu à peu nos pouvoirs s'amenuisent, ceux des Préfets augmentent. Les Commissaires de la République étaient des résistants mais ils avaient chaussé les bottes des Préfets Régionaux de Vichy, ils portaient ombrage aux hommes politiques qui feignaient de les craindre et, en fait, admettaient malaisément d'avoir une influence moindre sur l'Administration. La 1ère question posée par un socialiste de l'Aisne à la Libération ou plutôt juste avant, nous étions encore clandestins, était : ''Vous, résistants, avez-vous l'intention de reconnaître les anciens partis ?'' Les opinions politiques des français étaient contradictoires ; autant ils couvraient de critiques et de sarcasmes la IIIème République, autant ils désiraient retrouver le confort, les habitudes politiques et administratives d'antan : département, Préfet, Président du Conseil Général, arrondissement, Sous-préfet, conseil d'arrondissement, commune, maire … Que viendraient faire ces nouveaux venus, ces gêneurs de Commissaires ? Pourtant la réforme, le remplacement des départements par des unités administratives plus grandes sont inévitables ; les départements datant de 1794, correspondant au genre de vie et aux moyens de communication d'alors, sont périmés. En 1966 quand j'écris ces lignes, la région se manifeste à toute occasion mais on a peur de l'avouer; on se garde de prendre une mesure d'ensemble, d'annoncer qu'on crée les régions, mais on prend des mesures partielles, on favorise des évolutions qui ne peuvent qu'y conduire''[66]. Trois ans plus tard, de Gaulle a organisé un référendum sur ''le projet de loi relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat''. Mais il a perdu ce référendum et démissionné. L'année suivante il mourait. Les régions n'ont acquis un statut de collectivité locale qu'en 1982. Il a fallu attendre 1986 pour que des conseillers régionaux soient élus au suffrage universel. Bien sûr le découpage de ces régions était différent de celui de la libération. Par exemple il y avait une région Picardie, mais les Ardennes étaient avec la Champagne. Ajoutons que depuis 2016 des régions encore plus grandes couvrent la France au nombre de 13. La Picardie est fusionnée avec le Nord-pas-de-Calais, les Ardennes sont avec la Champagne, l'Alsace et la Lorraine. Mais revenons au début 1946.

C :V.3.1 Les ''pétroleuses'' de St Quentin Nous avons évoqué le mécontentement populaire, en voici un récit haut en couleur ''De Gaulle est parti début 46, la situation ne s'est pas améliorée pour autant et il faut revenir aux restrictions et aux cartes d'alimentation; la population ne comprend pas, s'énerve et un beau jour elle envahit le Commissariat de la République. On ne peut fermer les grilles que lorsqu'une vague de manifestants est déjà entrée. Certaines femmes ont des mines de pétroleuses, elles semblent sorties d'un tableau représentant la famille royale ramenée de Versailles à Paris par la foule parisienne. Nous les recevons, Samama {préfet de l'Aisne} et moi dans mon bureau et les apaisons mais cette crise peu grave a montré combien était sensible l'opinion publique''[66]. Les images révolutionnaires sont évoquées par Pène, ces images meublent notre culture, même s'il est évident que la dimension tragique était moindre que le 5/10/1789. Mais la France sortait d'une tragédie, et Pène poursuit en attribuant cette sensibilité de l'opinion publique à l'enchaînement de la défaite de 40 avec quatre ans d'occupation très dure. Le terme de ''pétroleuses'' est intéressant. Quand les femmes entrent en révolution, c'est compris comme le signal d'un profond mécontentement populaire. On sait aujourd'hui qu'il n'y a pas eu de femme pétroleuse, c'est à dire de communarde versant du pétrole pour incendier Paris lors de la semaine sanglante (21- 28/5/1871). C'est Adolphe Thiers qui a donné l'ordre d'incendier Paris tout en propageant ce mythe des pétroleuses. En effet, si les pétroleuses sont un mythe, il est vrai que les femmes ont joué un rôle important dans la Commune de Paris, et il importait aux ''Versaillais'' de les discréditer. Le Commissaire, représentant du gouvernement, était visé par les griefs contre le gouvernement. Un autre grief, porté surtout par le PC et ses proches, dénonçait une épuration insuffisante qui, selon les détracteurs, laissait bien des ''collabos'' à l'abri de toute sanction. La sanction principale était la déchéance des droits politiques. ''le gouvernement est décidé à lutter contre la déchéance des droits politiques prononcée à la légère''. Permettons-nous une digression. Il ajoute un commentaire intéressant ''les défaites militaires n'ont peut-être pas l'importance que leur accordaient les historiens d'il y a 50 ans, mais sans être la cause des événement elles en marquent le caractère général, et étant plus perceptibles provoquent les grandes dépressions psychologiques, les impressions démoralisantes de grand malheurs [66]''. Ces lignes sont peut-être le fruit de doutes qui saisissaient Pierre Pène en 1965 quand elles ont été écrites. Il était un patriote, né en 1898 entre la défaite de 70 et la guerre de 14 qu'il a faite en partie. Son frère ainé a été blessé à mort dans la bataille de la Somme. Il a subi la défaite de 40. De Gaulle et la Résistance ont réussi in extremis à rétablir la situation. Mais ensuite vient une défaite humiliante à Dien Bien Phu le 7/5/1954, la perte des colonies, y compris en 62 l'Algérie. Il comprenait que le monde avait changé, mais il s'y sentait mal à l'aise. Un témoignage très surprenant que Didier Pène a recueilli pratiquement par hasard, nous montre que Pierre Pène, tout en restant patriote, pour la France, ne pouvait s'empêcher de reconnaître au moins partiellement, dans la Résistance algérienne … des traits de la Résistance française [51] {cf E:VI.1}. Il a approuvé de Gaulle de faire la paix avec le FLN algérien. Rencontrant son très proche camarade de Résistance Pierre Bertin, partisan de ''l'Algérie Française'', il constatait avec plaisir qu'ils avaient pu discuter calmement de la question algérienne. Cette remarque illustre la forte tension qui a déchiré les anciens résistants, les gaullistes, entre partisans et adversaires des accords d'Evian, qui accordaient l'indépendance à l'Algérie. C :V.3.2 Tension entre Pène et le préfet Hyacinthe Tomasini. La tension a été vive entre Pène et Tomasini. L'un était Résistant, l'autre, rompu aux arcanes de l'administration préfectorale, n'a pas résisté tout en montrant son hostilité à Vichy. Le journal ''La Dépêche de l'Aisne'' du 5/9/44 souligne la carrière résistante de Pène et ajoute ''Mr Hyacinthe Tomasini est un fonctionnaire de carrière qui, en 1940, préféra sacrifier son avenir à ses opinions. Il était préfet de Seine et Marne, département voisin, lorsqu'en 1940 le gouvernement de Vichy le révoqua''[183]. ''A la fin de l'année 1944, le préfet de l'Aisne supporte de moins en moins les directives du commissaire de la République. Il demande à Jean Pierre-Bloch, élu local et membre de l'assemblée consultative, de faire parvenir directement au général de Gaulle une diatribe contre les régions. Cette lettre inspirera l'intervention du député de l'Aisne dans le débat sur la suppression des régions administratives au début de l'année 1946''[143]. Il est probable que Pène a été informé de cette démarche pour le moins inélégante. Parlant de l'accueil des déportés il se réjouit du fait que Samama a remplacé à la préfecture de l'Aisne ce farceur de Tomasini''. De fait ce ''farceur de Tomasini'' a été prié d'exercer ses talents dans un autre département et le 22/6/1945 il était remplacé par Jacques Samama [167]. C'est Samama qui a aidé Françoise Pène dans son activité autour du retour des déportés {C:II.2}. C :V.4 L'effacement progressif des organisation issues de la Résistance La même cause, qui faisait disparaître les régions et les Commissaires au fur et à mesure que se restaurait l'ordre Républicain, faisait aussi disparaître les organisations issues de la Résistance : FFI, CDL, CLL, … Cela amenait même parfois à des conflits entre les autorités de la Région et certains groupes de Résistants qui pensaient avoir le droit de pratiquer l'épuration et de juger les collaborateurs ou supposés tels.

C :V.4.1 Les élections de 1945 dans la Région Il est beaucoup question des élections de 1945 dans les réunions de Commissaires {cf Appendice}. Les élections municipales se tinrent entre le 29/4/45 et le 13/5/45, les élections cantonales le 23/9/45 et le 30/9/45, les élections constituantes le 21/10/45. En effet l'assemblée législative élue devait aussi élaborer la constitution de la 4ème république. Ces élections marquent non seulement un retour à la démocratie, mais aussi une véritable révolution puisque ce sont en France les premiers suffrages vraiment universels : les femmes avaient acquis le droit de vote ! Le droit de vote des femmes en France était un ''serpent de mer'', déjà voté par la Chambre des députés en mai 1919, mais repoussé avec obstination par le sénat. Le 23 juin 1942 de Gaulle dit ''Une fois l'ennemi chassé du territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l'Assemblée Nationale qui décidera souverainement des destinées du pays'' [163]. Même le programme du Conseil National de la Résistance (CNR), très avancé socialement, avait ''oublié'' le droit de vote des femmes, du fait du veto d'un de ses membres, Paul Bastid. Le 21/4/1944, le droit de vote est accordé aux femmes en France, après un amendement du communiste Fernand Grenier, par une ordonnance du Comité Français de Libération Nationale (CFLN) siégeant à Alger. Le parti communiste était actif dans la promotion du rôle politique des femmes, en particulier à travers l'Union des Femmes Françaises (UFF). En fait toutes les organisations de la Résistance ont beaucoup bénéficié de l'activité féminine y compris à la tête de certains mouvements. Que savons nous sur les élections dans la région dont Pène était le Commissaire ? Grégory Longatte [143] donne une description détaillée des élections dans l'Aisne. Il se livre à une comparaison avec les élections antérieures à la guerre. Pour les élections municipales Longatte fait la comparaison avec les élections de 1935. On observe un net mouvement vers la gauche. La gauche (PCF, SFIO, Socialistes indépendants, Radicaux socialistes) passe de 285 communes à 441 dirigées. La droite (Radicaux-indépendants, MRP, Républicains de gauche, URD, conservateurs) de 549 à 393 communes. Les sigles sont explicités dans le tableau en index. Au sein de la gauche les Radicaux socialistes qui étaient hégémoniques en 1935 baissent de 203 à 159, alors que le PCF passe de 3 à 69, la SFIO de 58 à 155 et les socialistes indépendants de 21 à 58. Au sein du groupe de droite, on voit l'URD s'effondrer de 387 à 201, alors que le MRP apparaît avec 17 communes et les radicaux indépendants passent de 57 à 92. Dans les grandes villes le mouvement à gauche est encore plus net. Le PCF devance la SFIO dans les villes de plus de 1000 habitants : il a conquis 16 villes au lieu de 14 pour la SFIO. Les socialistes et les communistes se sont entr'aidés lors des élections municipales grâce à des listes communes ''Union Républicaine Anti-fasciste'' (URA). Mais la relation entre ces deux partis s'est détériorée, après bien des hésitations et des interventions de la direction socialiste nationale [143]. À la mi-octobre elle est franchement mauvaise. Il n'y aura donc pas d'alliance pour les cantonales et la constituante. Concernant les élections cantonales, Longatte [143] fait la comparaison avec les élections de 1939. Il y a 37 cantons dans l'Aisne. La droite perd 9 cantons et en gagne 2. Au sein de la gauche, les radicaux socialistes En perdent 8 au profit de la SFIO, 6 au profit du PCF, et la SFIO, 1 au profit du PCF. Aux élections de l'Assemblée Constituante dans l'Aisne, le PCF l'emporte avec 35 % des voix (plus que la moyenne nationale de 26,1%). La SFIO chute par rapport à 1936, elle perd trois députés et n'a que 26,8 % des voix. A droite l'Union Nationale (UN) {liste de l'URD} et le MRP font presque jeu égal avec 16,9 % et 16,5 %. Le parti radical-socialiste s'effondre à 4,5 %. Les Députés de l'Aisne sont Adrien Renard et René Thuillier (PCF), Elie Bloncourt et Jean Pierre-Bloch (SFIO), Charles Desjardins (UN) et Marie-Hélène Lefaucheux (MRP). Cette dernière ainsi que son mari Pierre Lefaucheux étaient bien connus de Pierre Pène. Membres de l'OCM, Lefaucheux était responsable des FFI parisiens quand Pène en dirigeait la région, Marie-Hélène est une des premières personnes que Pène a contactées quand il était très recherché par la police. Nous l'avons déjà rencontrée dans la section C:II.2 à propos du Comité des Œuvres sociales des organisations de Résistance (COSOR). Par ailleurs, elle a réussi à faire évader son mari de Buchenwald par une ruse étonnante [212]. Nous avons moins de détails sur les autres départements. Dans la référence [170] concernant l'Oise, sont mentionnées des réunions de partis à l'approche des élections : la SFIO le 7/9/44, les radicaux socialistes un peu plus tard, le PCF le 8/10/44, et apparaît le MRP en juillet 44. On y signale le renouvellement de 45 % des élus municipaux, et 80 % des élus cantonaux. Les isariens (habitants de l'Oise) votent à 95,8 % pour que l'assemblée soit constituante. Les élus étaient André Mercier et Jeanne Léveillé (PCF ; 30,56%), Jean Biondi (SFIO; 25,34 %), Jean Legendre (Parti Républicain de la liberté, de droite ; 20,64 %), Eugène Delahoutre (MRP ; 15,23 %). Ces résultats ne diffèrent pas beaucoup de ceux de l'Aisne. Dans la Somme on peut trouver sur wikipedia le résultat, encore plus nettement à gauche, du vote pour la Constituante : Max Lejeune et Pierre Doutrelot (SFIO ; 30,61%), Léon Debouverie et Pierre Garet (MRP ; 30,06%) et Louis Prot, René Lamps (PCF ; 29,61%). Trois groupes quasi-identiques dont deux de gauche. Dans les Ardennes on trouve les élus suivants à la Constituante : Pierre Lareppe et Jules Mouton (PCF ; 31,76%), Jacques Bozzi (SFIO ; 30,64%) et René Penoy (MRP; 22,57 %). Aux voix de droite il faut ajouter deux partis, le PRL (Parti Républicain de la Liberté) et les radicaux qui cumulent environ 15 %. Dans la Région, le PCF est vainqueur des élections à l'Assemblée Constituante, sauf dans la Somme où il est légèrement devancé par la SFIO. Ces deux partis sont en tête partout dans la Région. Le MRP, tout nouveau, rassemble cependant la majorité des voix de droite. Grosso modo on peut dire que l'on a 60 % des voix pour la gauche, réparties à peu près également entre le PCF et la SFIO, et un vote de droite d'environ 30 % dominé par le MRP. A titre de comparaison, à l'échelle nationale le PCF obtenait 26,1 %, le MRP 25,6 %, la SFIO 23,8 %, les modérés, 13,3 % et les radicaux 9,3 % [180]. On retrouve le même trio de tête, PCF, MRP et SFIO, ce qui fait une forte majorité à gauche. Nous résumons ces résultats dans le tableau suivant concernant le nombre de députés : PCF SFIO MRP MODERES RADICAUX Aisne 2 2 1 1 Oise 2 1 1 1 Somme 2 2 2 Ardennes 2 1 1 Région 8 6 5 2 Nation 148 135 143 65 31

Ces élections créaient des institutions élues qui devaient supplanter les comités de libération. De même les forces armées de la Résistance devaient être supplantées par des forces de l'Etat. La victoire des deux grands partis de gauche très engagés dans la Résistance allait-elle entraver cette ''normalisation'' ? C'est ce que nous allons voir. Par ailleurs les mouvements de Résistance non rattachés à un parti, l'OCM, Combat, CDLL, CDLR, .. n'avaient pratiquement aucune présence dans ces résultats électoraux. Libération-Nord étant proche de la SFIO, on peut dire que ce mouvement était présent. Ces mouvements de Résistance, et surtout l'OCM, avaient comme projet de créer de nouvelles forces politiques indépendantes des anciens partis. Notons aussi que si la plupart des partis vainqueurs reconnaissent le rôle dirigeant du général de Gaulle, on n'a pas de parti spécifiquement gaulliste. Cela viendra plus tard, après le retrait de de Gaulle du pouvoir, avec le Rassemblement du Peuple Français (RPF) fondé par lui en 1947. Par contre, après son retour au pouvoir en 1958, sont apparus plusieurs nouveaux partis gaullistes, à commencer par l'UNR (Union pour la nouvelle République).

C :V.4.2 Les FFI et les milices patriotiques. Beaucoup de combattants FFI désiraient poursuivre la guerre jusqu'à la victoire. Mais il leur fallait mener une autre guerre dans des armées régulières, de préférence les unités des FFL, sauf le groupe du colonel Fabien qui a été d'abord rattaché à la division Patton. Dans ce cas il fallait un traducteur ou une traductrice ce que fit Geneviève Noufflard, ancienne assistante de Jacques Monod (Malivert) . Pène a reçu le général Kœnig, commandant en chef des FFI. Il devait le revoir souvent en Allemagne. Il s'agit d'encourager les membres des FFI à rejoindre les troupes des FFL. On essayait autant que possible de verser les groupes FFI dans une même unité FFL. Nous ne possédons pas d'estimations chiffrées du nombre de FFI de la région qui ont rejoint les FFL. On les estime à l'échelle nationale à un tiers des effectifs qui étaient environ 100 000 en janvier 44, 200 000 en juin, 400 000 en octobre. Environ 120 000 ont rejoint les FFL [150], surtout l'Armée de Lattre. Il faut ajouter les 75 000 FFI qui ont contenu les poches de résistances allemandes dans les ports de l'Atlantique, sous la direction du général de Larminat [150]. On dit que Leclerc avait une piètre estime des FFI, contrairement à de Lattre [213]. Nous avons vu (section C:IV.1.1) que selon Pène quatre unités issues des FFI se trouvaient au centre face à l'offensive allemande dans les Ardennes belges le 16/12/44. La question du statut des FFI et de leur mutation dans les FFL était traitée dés la première Réunion des Commissaires le 28/9/44 (Appendice App.1). La question des grades était abordée. On estimait que les grades donnés au sein des FFI devaient être rabaissés dans l'armée régulière. Pène qui était colonel FFI n'est que lieutenant-colonel sur son livret militaire. Rol-Tanguy, colonel FFI fut aussi intégré dans l'armée comme lieutenant-colonel et il raconte que face à la crispation des militaires de carrière il conseillait à ses camarades d'accepter de baisser d'un galon [98]. En septembre 43, dans un mot d'ordre, le PC réclame la création de milices patriotiques (MP). Le 15/3/44 le programme d'action immédiat du Conseil du CNR les reconnaît ''chargeant les Comités de Libération de les créer en accord avec les FFI''[101]. Le CNR leur assigne des missions d'ordre public et de soutien des comités de libération. Le 28/10/44 le Gouvernement déclare la dissolution de ces milices. Dans l'Oise ''Le retour à la normale est parachevé par la dissolution des milices patriotiques et la reddition des armes. Les milices patriotiques avaient pour objectif d'organiser "la résistance des masses" lors du futur débarquement allié afin de paralyser l'ennemi et de protéger les populations contre d'éventuelles exactions. A la veille du débarquement, les milices patriotiques sont peu nombreuses et n'ont jamais rassemblé "le peuple en armes". Le 10 août 1944, le CNR place les milices patriotiques sous l'autorité des Comités de Libération. Après la Libération, rebaptisées "Gardes Civiques", elles s'occupent surtout de l'épuration'' [170] La politique du gouvernement était de désarmer les groupes issus de la Résistance ou de les rattacher aux forces officielles, FFL, police, etc. Mais ce ne fut pas immédiat, le CNR a critiqué la dissolution des MP le 28/10/44 et le PC la condamnait. De fait, surtout dans les zone de guerre, les MP remplissaient une fonction utile. Dans les régions rurales les patrouilles de ces milices (composées assez souvent de combattants FFI) permettaient de surveiller les endroits isolés, les bois, bien connus des habitants des lieux et qui pouvaient servir de cachette à des agents ennemis, comme ils l'avaient fait au profit de la Résistance. Nous avons vu (section C:IV.1.2) qu'un certain nombre de rapports de police ont signalé des intrusions allemandes dans les Ardennes françaises. Elles préparaient l'offensive Von Rundstedt. Mais qui a prévenu les policiers ? Il est certain que les FFI et les MP ont joué un rôle dans ce contre-espionnage. On nous dit ''Une battue policière organisée le 30 novembre, par la gendarmerie de RETHEL avec le concours des FFI n'a rien donné''. Nous avons aussi d'autres témoignages dans les Ardennes de patrouilles effectuées par des FFI après la libération. André Dulin le faisait. Dans les rencontres de Commissaires au Ministère de l'Intérieur on peut lire ''Autres propositions : police auxiliaire ou police supplétive à la disposition de l'autorité publique. La position du gouvernement : la police est insuffisante. Elle doit être renforcée par des éléments pris dans la Résistance. Il faut suspendre pendant quelque temps le recrutement de la police dans des conditions normales. Un nouveau recrutement serait accepté par le gouvernement sur la proposition d'un comité. La police doit être armée.'' (cf appendice Ap.1). L'importance de ces groupes armés issus de la Résistance s'est atténué petit à petit, alors que le front se déplaçait vers l'est. La situation politique évoluait aussi. En particulier la rencontre Staline-de Gaulle (2- 10/12/1944) mettait un terme à toute idée de prise du pouvoir militaire par les communistes. Le 21/1/45 Maurice Thorez, revenu en France, se prononçait pour une police nationale unique et la fin des groupes armés irréguliers, c'est à dire pour la dissolution des Milices Patriotiques [101]. C :V.4.3 Les Comités de Libération. A la libération les CLL (Comités Locaux de Libération) se sont dans beaucoup de communes institués en Délégation Municipale Provisoire (DMP) qui devaient provisoirement faire fonction de Mairie. Nous avons cité (section C:II.3) le cas de Raymonde Fiolet, qui dirigeait la DMP de Soissons. C'est un exemple notable parce que Soissons est une ville importante et parce qu'une femme faisant fonction de maire était très rare dans cette France pas très avancée sur la question du droit des femmes. Mais surtout c'est notable du fait de la personnalité exceptionnelle de Raymonde Fiolet, de son héroïsme qui a abrégé sa vie. Mais d'autres grandes villes se sont trouvées gouvernées par des DMP issues du CLL. Ainsi nous avons vu que Pène, à peine arrivé à St Quentin, installait à la mairie la DMP présidée par Emile Pierret, communiste (section C :II). L'exemple de l'Oise illustre bien l'évolution des relations entre les représentants de l'Etat et les organisations issues de la Résistance. Nous avons vu qu'à Beauvais le président du CDL (Comité Départemental de Libération) s'était joint à Pène et au préfet nommé, Pérony pour destituer le Préfet vichyste Malick. ''Yves Perony, ...parcourt le département, installe dans les communes des délégations spéciales ou des conseils municipaux et collabore avec les comités de libération, issus de la Résistance, soit au niveau départemental, soit au niveau local. Ces comités s'occupent surtout du ravitaillement et de l'épuration''[170]. ''Mis sur pied dans la clandestinité avant même la Libération, le Comité départemental de libération avait pris des décisions concernant la répartition des trois sous-préfectures de l'Oise. Une seule de ces décisions devient effective (Il s'agit de la sous-Préfecture de Compiègne). Le chef départemental de l'OCM est promu sous-préfet de Clermont. A Senlis, le sous-préfet nommé par le Front Populaire et maintenu par Vichy reste en poste jusqu'en juillet 1945'' [170]. Toujours dans l'Oise, ''Le 7 septembre 1944, en présence de Lucie Aubrac, le Comité départemental de libération (CDL) est officiellement installé et s'élargit, selon les instructions du Conseil National de la Résistance (CNR) « en cooptant des ''personnalités en vue'' du département pour respecter les couches sociales, les courants politiques et religieux mais aussi géographiques ». Le CDL crée plusieurs commissions: municipalités, épuration, ravitaillement, transports et surveillance des prix. Le CDL déclare remplacer le conseil général d'avant-guerre, exercer un rôle politique et économique, et siéger en permanence. Dans les mois qui suivent la Libération, l'entente est parfaite entre le préfet Pérony et le CDL. Toutefois à l'approche des élections cantonales, des tensions surgissent: le préfet avait caché le caractère provisoire du CDL qui devait disparaître après ces élections'' [170]. Dans les Ardennes, la tension entre le CDL et le Préfet Scaillierez fut très forte. La création même du CDL avait vu de forts affrontements entre Libération-Nord, qui tentait de créer ce comité, et l'OCM, qui dirigeait les FFI en la personne d'André Point. Selon la référence [107], André Point jugeait que la priorité était de combattre l'ennemi et non pas de préparer la Libération, tâche qui était assignée au CDL. Il n'acceptait pas non plus que les FFI soient subordonnés au CDL comme indiqué par le CNR. Sur ce dernier point, il nous semble que le CNR n'a pas été suivi, les FFI n'étaient pas réellement soumis aux CDL, ils avaient leur propre hiérarchie nationale et une autonomie de fait à l'échelle régionale. Le premier préfet des Ardennes à la libération, Marc Scaillierez, était membre de l'OCM. Il était réputé de droite pendant que le CDR évoluait vers la gauche. ''Le conflit latent éclate le 22 septembre 1944, à propos d'un sujet délicat et particulièrement symbolique, l'épuration au sein des fonctionnaires de l'administration préfectorale. Il est reproché à Marc Scaillierez sa tiédeur sur ce sujet. Il est convoqué de façon très sèche par le CDL, le représentant de la SFIO se montrant particulièrement intransigeant et désagréable avec le préfet. Celui-ci subit deux votes hostiles. « Le comité départemental de libération, devant l'opposition préfectorale, décide d'ajourner ses délibérations jusqu'à ce qu'il puisse entrer en contact avec un préfet qui tienne compte de ses vœux et de ses conseils ». Malgré une médiation tentée par Pierre Pène, le CDL exige le départ de Marc Scaillieriez, et l'obtient quelques semaines plus tard''[190]. Scaillierez est Remplacé par Georges Rastel que Pène a beaucoup consulté à propos de la fermeture de la frontière avec la Belgique pendant l'offensive de Von Rundstedt. Dans l'Oise : ''Dans les communes et dans la semaine qui suit la Libération, le pouvoir est entre les mains des comités locaux de libération (CLL) et des FFI. Les CLL sont issus le plus souvent des organisations de résistance implantées dans les communes. Plus de 300 CLL (sur 698 communes) ont existé dans l'Oise. A l'approche des élections municipales du printemps 1945, le pouvoir des CLL s'efface au profit de structures plus traditionnelles'' [170]. Qu'en disait le ministère aux Commissaires ? Pendant la réunion des Commissaires le 28/9/44 (cf Appendice Ap.1) ''Demander l'opinion du CDL sur le personnel préfectoral depuis 1940. Ces renseignements ainsi que ceux demandés par la circulaire du 10 et 11/9/44 sont à fournir pour le 15/10. On peut prévoir un titulaire déporté et un intérimaire pour occuper le poste''. Mais plus loin ''Au début il était compréhensible que les CDL fussent représentatifs de la Résistance. Mais la situation ne doit pas rester telle. Elle entrainerait la coupure de la Résistance avec le pays. Opérer par la persuasion. Les CDL sont des organes consultatifs. S'ils prennent des arrêtés, les annuler et rendre la décision publique. Les consulter sur les choses essentielles''. On voit une tactique de réduction progressive et prudente des pouvoirs des CDL Les CDL se sont vite affaiblis du fait des querelles politiques en leur sein. Essentiellement les querelles entre gauche et modérés, mais aussi au sein de la gauche la rivalité PCF – SFIO. Et puis, les CDL ayant de moins en moins de pouvoir certains membres ne venaient plus aux réunions ce qui changeait le rapport des forces en son sein. Le PCF cherchait à faire entrer des membres d'organisations proches de lui (par exemple l'Union des Femmes Françaises), la SFIO contrait cela en faisant venir des modérés. Nous allons en citer un exemple, dans l'Aisne, car il touche un ami proche de Pierre Pène. Il est cité par Grégory Longatte [143] .'' Marcel Levindrey, parlant tant en son nom que celui de M. Couvreux (OCM) rappelle qu'aucun représentant des partis ''modérés'' ne figure parmi les membres du CDL et demande s'il ne serait pas possible de faire appel à un représentant de ces partis, par exemple à M. Turbil''. Cette proposition est finalement rejetée, les communistes faisant valoir que les partis modérés n'ont mené aucune action de résistance, qu'ils ne sont pas à l'heure actuelle organisés dans le département et qu'ils n'ont fait aucune demande au CDL'' [215]. ''Le CDL Rejette tour à tour les demandes d'admission de la Confédération fédérale des travailleurs chrétiens (CFTC), des démocrates populaires (famille politique à l'origine du M.R.P.), de défense de la France (organisation du MLN.) et celle de Jean Pierre-Bloch. Pourtant trois nouveaux membres intègrent le CDL : Jean Gauthier (MRP) le 21 novembre, Jules Cotteret, le responsable départemental du NAP. (Noyautage de l'Administration Publique), le 29 du même mois et Pierre Turbil pour les modérés le 26 décembre 1944 [215]''. Pierre Turbil n'était pas à notre connaissance membre d'un mouvement de Résistance, mais dire qu'il n'avait mené aucune action pour la Résistance est faux. En effet Pierre Turbil était un ami proche de Pierre Pène. Il l'avait hébergé à Paris quand il avait dû fuir l'Aisne : ''Je me réfugie d'abord au 60 rue de la Tourelle (Boulogne/Seine) dans une chambre de domestique où nous entreposions des vivres en prévision d'une disette. Un lit de camp me suffit, puis je passe successivement chez un éditeur, chez une vieille dame, Mme Barbu, habitant rue Madame ; chez Pierre Turbil, entrepreneur rue du Sommerard où j'intrigue la bonne qui me surprend une après-midi, en train de brûler un gros paquet de papiers compromettants, puis dans un logement ouvrier, rue Amelot. Ce sera mon P.C. pendant plusieurs semaines précédant mon arrestation. J'y cacherai quelques heures des papiers, des fonds : un million de billets neufs à répartir entre mes services'' [66]. Plus tard, Pierre Turbil, informé par Françoise Pène du fait que Pène était incarcéré à Senlis lui avait dit qu'il préparerait son évasion, ayant déjà fait évader son propre fils de Compiègne. Il n'en eut pas le temps, Pierre Pène s'était évadé avec Farjon le 10/6/44. Fin 44 le gouvernement a déjà en tête les élections municipales qui auront lieu le 29/4/45 et les cantonales le 23/9/45. Ces élections rendent caduques les CLL et leurs délégations municipales, ainsi que les CDL. Dès novembre 44 le gouvernement veut inciter les CDL à présenter aux communales des conseillers ruraux pour que ceux-ci soient représentés dans les conseils généraux. L'idée est de faire participer les organisations de résistance à leur propre disparition. Stratégie habile et qui permettra de garder autant que possible une bonne représentation de la Résistance dans les instances élues. Le 7/2/45 (Appendice App.3) '' Avenir des CDL On ne peut les supprimer. Ils permettent la Coordination de la Résistance dans le cadre du Département. Ils contribuent à la désignation des représentants de la Résistance dans les comités et organes créés régulièrement pour la reconstruction, le ravitaillement...'' Le 3/04/45 (Appendice App.4) Le ministère de l'Intérieur dit ''Réhabilitation par le préfet sur proposition du CDL pour ceux qui ont pris part à lutte contre l'usurpateur''. Réhabilitation signifie annulation de la privation de droits. En effet qui d'autre que les Résistants peut savoir qui a lutté contre ''l'usurpateur''. Mais le 5/04/45 l'Intérieur a changé d'avis ''La réhabilitation est confiée à un jury d'honneur unique pour toute la France. Le Rôle des CDL et des Préfets tombe''. Le rôle des CDL et aussi des CLL s'estompe ainsi dès le printemps 1945.

C :V.5 La situation sociale, politique et administrative Le 18/2/46 le Directeur de Cabinet du Ministre de l'Intérieur demande à Pène un rapport sur la situation générale dans sa région, et sur les réformes qu'il estime devoir être réalisées sur le plan départemental ou interdépartemental. Nous allons exploiter le rapport qu'il a rédigé. Nous utiliserons aussi son discours à la chambre de commerce de St Quentin et de l'Aisne [175]. ''L'élément caractéristique de la Région est l'ouvrier agricole qui forme un prolétariat presque entièrement gagné aux idées communistes. Les fermes de la plaine picarde (Aisne-Oise-Somme ) ont très souvent des superficies de 300 hectares, en atteignant parfois 1000, et leur personnel constitue un véritable prolétariat. La tendance de ces ouvriers est de réclamer les mêmes avantages que dans l'industrie et il faut leur donner satisfaction si on ne veut voir les campagnes désertées. Ce prolétariat agricole est encore au début de son organisation syndicale ; on le constate à l'inexpérience, à la maladresse et à l'inefficacité de ses représentants. Les conflits sociaux ont, de ce fait, et aussi par la mentalité anachronique des gros propriétaires terriens, un aspect qui rappelle celui des conflits de l'industrie il y a 25 ans. Les gros propriétaires n'ont pas été sérieusement atteints par les idées sociales et défendent âprement leurs intérêts, sans souci de ménager les susceptibilités ouvrières. Moins disciplinés que leurs camarades des villes, les ouvriers agricoles suivent moins docilement leurs dirigeants syndicaux : les menaces fréquentes de grève, malgré les consignes cégétistes de production plus intensives, en sont la preuve'' [178]. Pierre Pène était très éloigné des idées communistes, mais il exprime ici une plus grande sympathie pour les ouvriers agricoles que pour les gros propriétaires. Il considère que le mouvement de l'histoire va vers plus de justice sociale : cela transparait dans la comparaison qu'il fait avec les ouvriers des villes il y a 25 ans. C'était un temps où le vent soufflait vers la gauche. La comparaison est frappante avec la période contemporaine de la grande marche-arrière sociale. Remarquons aussi que nous retrouvons dans la question sociale la même importance majeure de l'agriculture que nous constations dans l'économie. Concernant le mécontentement social on peut se reporter à la section C:V.3.1, qui décrit l'invasion du Commissariat par des femmes en colère, et à la section C :V.5.4 C :V.5.1 La Réaction ouvrière ''Les ouvriers sont mécontents des différences sensibles entre le coût de la vie et les salaires. Tout en concevant que l'amélioration ne peut provenir que de l'augmentation de la production et de la suppression du marché noir, ils n'en désirent pas moins obtenir des salaires nominaux élevés. Dans le domaine agricole les difficultés proviennent de la position prise par les employeurs qui refusent d'appliquer dans l'Aisne la rétroactivité prévue par les arrêtés préfectoraux. Ils déplorent également le rationnement, le rétablissement de la carte de pain a provoqué chez eux un mécontentement général. ''Certains produits alimentaires, dont le pain, sont rationnés jusqu'en 1949'' [150]. Ils se heurtent en outre à d'énormes difficultés pour se procurer du bois, du charbon, des vêtements et les objets les plus essentiels. A part quelques difficultés rencontrées dans la Somme qui ont pu être réglées par les Services de l'Inspection du travail, les syndicats s'attachent principalement à prévenir tout mouvement revendicatif et multiplient les consignes de production. En matière de chômage, la situation est satisfaisante dans l'Aisne, les Ardennes et l'Oise ; il n'y a pas de chômeur total, même après le licenciement des ouvriers occupés sur les chantiers ''Aide aux forces alliées''. Dans la Somme la situation est différente : faute de crédits les ponts et chaussées se trouvent dans l'obligation de fermer un certain nombre de chantiers. Les maires des localités touchées par le chômage font cause commune avec ces ouvriers et refusent d'ouvrir des fonds de chômage'' [177] {Ce refus d'ouvrir des fonds de chômage vise probablement à faire pression sur le gouvernement afin d'obtenir des crédits pour les ponts et chaussées}. L'ironie de l'histoire a voulu que Pierre Pène, ingénieur des Ponts-et-Chaussées, ne se heurte au chômage que dans les pont et chaussées de la Somme, pour un manque de crédits dont nous ignorons la raison. Notons aussi la position des syndicats, qui sont absolument hostiles à la grève considérant que la priorité était de reconstruire. Cette position leur fut reprochée par l'extrême gauche.

C :V.5.2 La Réaction patronale ''L'application des récentes instructions ministérielles tendant à élever au maximum les salaires, paraît peu aisée. Les industriels font état de leur trésorerie qui serait en péril en raison notamment des hésitations des banques à avancer des fonds et des difficultés à se faire rembourser des sommes qu'ils ont engagées à divers titres (chômage résultant des mesures de rationnement de l'électricité, primes de libération et allocations versées en 1944 et au cours du premier trimestre 1945 en applications de la loi du 20 mai 1944) Le point le plus sensible est celui du ravitaillement en matières premières : le charbon manque, les matières premières font défaut et les frais généraux augmentent de jour en jour'' [177].

C :V.5.3 Regard de Pierre Pène sur l'avenir économique, discours à la chambre de commerce. ''Les indications précédentes {C :V.5.1 et C :V.5.2} ont montré quelles étaient actuellement les difficultés mais il ne fait pas de doute que les mois à venir amèneront une amélioration sensible. Par une extraction et des importations sans cesse accrues de charbon, les industries développeront leur production ; l'agriculture, si les conditions atmosphériques continuent à être bonnes, procurera une aide au ravitaillement dont le système de collecte mis soigneusement au point permettra à la population de subvenir à ses besoins immédiats'' [177]. Pierre Pène a aussi développé sa vision de l'avenir agricole (cf la fin de la section C:V.2.1). Devant la chambre de commerce il a tenté de prendre plus de recul. Son discours est très surprenant. Pène n'était pas un économiste. Pourtant il essaie de repérer des pathologies de l'économie de la France déjà avant la guerre, et présentes aussi après, bien qu'on soit en économie dirigée. Il fait preuve de clairvoyance. Ce discours suit aussi une cible politique : bien qu'en économie dirigée, Pène fait appel à la collaboration de la chambre de commerce. Lisons des extraits de ce discours. ''Je veux d'abord rendre hommage à M. Blondet, qui fut président de la Chambre de Commerce de St Quentin après avoir été celui de la Région Économique à Amiens, pour son zèle infatigable et l'autorité avec laquelle il sut, dans des périodes difficiles, mettre son expérience et sa connaissance des problèmes économiques et sociaux au service du bien public. Je saluerai aussi tout particulièrement M. Wandendriessche, votre nouveau président, et M. Ternynck dont les titres d’anciens déportés politiques s'ajoutent à ceux que tous, Messieurs, vous avez acquis dans les différentes branches de notre économie que vous représentez ici...... Mais messieurs, tous les problèmes que nous avons à résoudre ne nous causeraient pas encore trop d'inquiétude s'ils trouvaient uniquement leur origine dans la guerre et dans ses conséquences immédiates ; la réalité est toute autre et, bien souvent les Français l'oublient. Nous nous trouvons placés aujourd'hui en face de difficultés qui, déjà, paralysaient l'économie d'avant-guerre. La crise que nous traversons a comme caractéristique dominante la pénurie de toutes choses mais celle-ci cessera un jour et nous retrouverons alors les problèmes auxquels nous nous heurtions déjà en 1939. Tous ces problèmes, Messieurs, vous les connaissez parfaitement : c'est celui de l'apprentissage et du manque de main d'œuvre qualifiée, c'est celui de l'équilibre à établir entre l'industrie et l'agriculture, tant sur le plan des prix que celui des salaires ; c'est le problème également de la rationalisation du commerce, de l'aménagement de la distribution ; c'est enfin la question de la simplification de notre fiscalité, tâche à laquelle certaines Chambres participent avec tant de compétence ; autrement dit il ne faut pas que notre ambition se borne à faire tourner les usines, à voir les magasins à nouveau remplis ; il nous faut aussi attaquer de front et dès maintenant toutes les causes du déclin de l'économie française. Pour accomplir cette mission si difficile et nécessaire à la fois, le Gouvernement Provisoire de la République Française compte sur vous, Messieurs. Certains ont cru, un moment, que l'institution d'un régime d'économie dirigée aboutirait à l'abolition des chambres de Commerce, condamnées comme des institutions périmées. Mais, Messieurs, l'expérience a prouvé, vous serez j'en suis sûr d'accord avec moi, que l'économie dirigée telle qu'elle a été conçue en France a suscité une bureaucratie para-administrative très lourde et très lente à laquelle les conseils éclairés n'auraient certes pas été inutiles. C'est pourquoi quelle que soit la future structure économique de la France, quelle que soit en particulier, l'importance respective du secteur libre, contrôlé et nationalisé, je suis convaincu que tous les organismes de représentation des intérêts au premier rang desquels figurent les chambres de commerce, auront une mission capitale à jouer. Il n'est pas possible d'administrer ni sur le plan départemental, ni sur le plan régional, encore moins sur le plan national, sans avoir à chaque instant une claire conscience des réalités économiques. Et ces réalités ne sont pas seulement matérielles : elles sont également sociales et psychologiques. Ce que j'attends donc de vous, Messieurs, est un concours constant et impartial. Je m'attacherai à recueillir vos avis, à vous réunir souvent en compagnie de représentants de toutes les Chambres de Commerce de la Région. Je suis convaincu que la chambre de Commerce de St Quentin et de l'Aisne saura être un modèle pour toutes celles que compte la Région par son travail, par son esprit critique, par la valeur de ses suggestions. Soyez assurés, Messieurs, que je ne manquerai pas de tenir compte de vos avis et de les transmettre très fidèlement au Gouvernement Monsieur le Président de la Chambre de Commerce l'a souligné dans son remarquable discours : être membre de votre Assemblée est une charge autant qu'un honneur ; l'accepter, a-t-il dit c'est s'engager '' à mettre à la disposition de la collectivité ses capacités et son temps''. Je suis convaincu, Messieurs, que cette formule est valable pour nous tous. Le monde entre dans une phase de profonde transformation – n'ayons pas peur des mots – de révolution. Comme toutes celles où se révise la hiérarchie des valeurs, la période que nous allons vivre sera sévère pour les hommes. Conserveront seuls leur rôle de chefs ceux qui auront fait la preuve de leur utilité sociale. Les cadres économiques et politiques de la France d'aujourd'hui vont donc jouer dans les années qui vont venir, à la fois leur existence et leur honneur : je suis sûr, Messieurs, que vous remplirez votre tâche avec passion tant dans cette compagnie qu'en dehors d'elle, pour le plus grand bien du département de l'Aisne et du pays'' [175]. Le contenu de ce discours ainsi que la mention au début de M. VANDENDRISSCHE qui a présidé la Chambre de Commerce de 44 à 45, nous fait penser que ce discours a été tenu en 1944, à partir d'octobre. Ce qui est étonnant c'est que quand on lit les tares que Pène relève concernant l'économie et l'administration française on croit lire une critique contemporaine. Evidemment la pénurie n'est plus là. Mais l'apprentissage est toujours une faiblesse en France. Le manque de main d'œuvre qualifiée est criant d'abord à cause de la faiblesse connue de la formation professionnelle, comparée par exemple à l'Allemagne. Et quiconque a une réparation à faire sait la difficulté qu'il y a à trouver des ouvriers compétents. La formation des ingénieurs est aussi très problématique, certaines écoles d'ingénieurs formant plutôt des ''managers'', des spécialistes du tertiaire, voire des permanents de la politique. L'équilibre entre industrie et agriculture : la crise agricole actuelle est aigüe : on cite des revenus dramatiquement faibles des agriculteurs, un tiers touche moins de 350 € par mois ! Une des principales raison en est la distribution qui baisse les prix au détriment des producteurs. Pène mentionne le nécessaire aménagement de la distribution. Quand à la complexité fiscale et à la bureaucratie para-administrative, tout le monde reconnaîtra que c'est une plaie d'aujourd'hui. Et tout cela bien que l'économie actuelle soit aux antipodes de l'économie dirigée de 1944 et probablement très différente de celle de 1938. Pourquoi ces permanences ? Cela mériterait qu'on se penche dessus. C :V.5.4 Regard de Pierre Pène sur la situation et l'avenir politique et social et les grèves de 47 Le rapport écrit par Pène à la demande du Ministère de l'Intérieur au moment de quitter sa fonction de Commissaire de la République sera notre principale source dans cette section [178]. ''La région de Laon-Saint-Quentin contient les quatre départements de l'Oise, la Somme, l'Aisne et les Ardennes. Les trois premiers comprennent essentiellement la totalité de la Picardie et représentent une homogénéité géographique et économique incontestable. Les Ardennes sont à l'écart. On a critiqué leur rattachement à la région St-Quentin ; il aurait été tout aussi difficile de les rattacher à une autre région de France {Plus tard elles seront rattachées à la Champagne}. La population picarde est calme, sérieuse, et réservée, pour ne pas dire renfermée. Ces caractères naturels ont été développés par les nombreuses invasions qu'elle a subies. Ses aspirations politiques, orientées en principe vers la liberté, sont masquées dans la majorité de la population par les préoccupations matérielles de tous les Français. Bien que la Région de Laon-Saint-Quentin et particulièrement les trois départements de l'Aisne, l'Oise et la Somme soient les plus riches de France du point de vue agricole et que, par suite, l'alimentation de la population en soit facilitée, les restrictions inévitables ont créé un climat de mécontentement qui explique le succès des partis d'extrême gauche aux dernières élections du 21 octobre 1945 {8 communistes, 6 socialistes,5 MRP et 2 modérés pour la région Picardie-Ardennes}. Ce mécontentement tend à s'accroître ; il était dirigé en partie contre le général de Gaulle quand ce dernier était à la tête du gouvernement ; il n'a pas diminué au départ de celui-ci. Bien au contraire, la population s'inquiète de voir évincés et remplacés systématiquement les compagnons de lutte du général par des équipes à caractère politique marqué. Les mécontents, chaque jour plus nombreux, échappent de plus au contrôle des partis politiques, tous – même le parti communiste – trop modérés, trop gouvernementaux à leurs yeux. La preuve en est dans les manifestations violentes et incontrôlables où les chefs communistes et syndicalistes sont nettement débordés. On peut prévoir le développement d'un parti d'extrême gauche représentant une fraction importante et active de la population et sans rapport avec la représentation qu'il pourra avoir au parlement. Qu'on les appelle anarchistes, trotskistes, gauchistes, qu'ils aient des représentants ou non, ces mécontents joueront un rôle important dans l'avenir immédiat ; ils provoqueront dans la rue des troubles, qui ne pourront être réduits que par la force. Les mesures tardives prises par les administrations centrales depuis la libération et les mesures incohérentes prises par les Préfets surtout depuis le déclin des Commissaires Régionaux et de leur influence coordinatrice, ne feront qu'aggraver le mal et l'on peut, sans pessimisme, prévoir un désordre généralisé dans le domaine économique. La veulerie générale sera peut-être la seule garantie contre des troubles de caractère anarchique mais elle ne les préservera pas des aventures politiques'' [178] Que faut-il penser de ces pronostiques pessimistes écrits en mars-avril 1946 ? De fait l'année 1947 a connu de sérieux troubles sociaux, ''les grèves de 1947 en France sont une série de grèves insurrectionnelles initiées fin avril à la régie Renaultet aggravées en septembre par la dénonciation du plan Marshall par le Kominform. On compte vite 3 millions de grévistes'' [179]. Le pronostique pessimiste de Pène se vérifiait. ''La grève est initiée , entre autres, par le trotskiste Pierre Bois, militant de l'Union Communiste et l'un des fondateurs de ''Lutte ouvrière'', ainsi que des militants anarchistes (Gil Devillard, de la fédération anarchiste) et des membres du ''Parti Communiste Internationaliste''(PCI, trotskiste) [179]. Ce rôle de l'extrême gauche avait aussi été anticipé par Pène. Il avait de même anticipé que le mouvement échapperait au Parti Communiste ''la grève ne reçoit pas, au début, l'appui du Parti Communiste Français (PCF) et de la Confédération Générale du Travail (CGT). Le PCF est en effet au gouvernement dans le cadre du (SFIO, PCF, MRP)'' [179]. Le PCF s'est fait critiquer lors d'une rencontre secrète des partis communistes européens : ''les représentants français furent taxés de ''crétinisme parlementaire'' ''[180]. Le parti fut chassé du gouvernement par le président du conseil le 5/5/47 L'année suivante, en 1948, le gouvernement Ramadier et le ministre de l'intérieur Jules Moch envoyaient la troupe pour réprimer la grève des mineurs [182]. Le décret Lacoste attaque les droits des mineurs et réduit énormément leur salaire. Il y eut 6 mineurs tués, 3000 licenciés, environ autant de condamnation pénales, dont 1300 à la prison. Cette violence ne pouvait manquer d'évoquer celle qu'avaient exercé les nazis contre la grève des mineurs en mai-juin 1941, plus d'une centaine d'arrestations, des exécutions, 270 déportés. Cette analogie nauséabonde était renforcée par l'expulsion hors des forces d' l'ordre des anciens résistants et des personnes de sensibilité de gauche. La guerre froide battait son plein et les violences gouvernementales étaient motivées par une insurrection communiste soi-disant en préparation. Il est donc important de souligner ici que Pierre Pène avait anticipé ce genre d'évènements un an avant que la guerre froide ne débute. Il est en outre assez évident qu'une réduction dramatique des droits des mineurs et le leur salaire en période d'inflation rapide expliquait suffisamment cette colère ouvrière sans qu'il soit besoin d'inventer un complot communiste. Il y a certes eu de nombreux actes de solidarité des militants communistes envers ces mineurs sauvagement traités par l'Etat, mais on a envie de dire que c'est bien la moindre des choses ! Revenons à l'étonnante clairvoyance de Pène en l'occurrence. Quand il anticipe ces évènements violents il n'imagine pas de complot communiste, il prévoit au contraire une relative tiédeur du Parti Communiste vis à vis de la colère ouvrière, et ce fut bien le cas en 1947. Comment a-t-il perçu avec une telle finesse le grondement de la colère ouvrière plus d'un an avant qu'elle n'explose ? Nous ne le savons pas vraiment, mais les textes sont là ! Il faut imaginer qu'il était vraiment à l'écoute de ses administrés. Quand la situation a explosé en France, Pène était en Allemagne et, à notre connaissance, il n'a pas commenté ce qui se passait en France. Il n'a pas non plus mentionné cela dans son récit après son infarctus [66]. Heureusement il nous a laissé les textes contenant ses analyses de fin de Commissariat de la République. Nous pouvons être fiers de lui !!

C :V.5.5 Regard de Pierre Pène sur la situation administrative Puisque le ministère lui demande son avis sur le fonctionnement de l'administration, Pène ne va pas se faire prier. Le texte s'intitule ''REFORMES A REALISER SUR LE PLAN DEPARTEMENTAL ET INTERDEPARTEMENTAL'' [181]. ''Les départements actuels ont été définis par la Constituante en 1790 ; ils étaient l'aboutissement d'études et d'expériences entreprises depuis une dizaine d'années sous l'ancien régime. Les moyens de communication, la vitesse des transports ont, depuis lors, radicalement changé : on va de Paris à Toulouse en rapide en 10h35, et de Paris à New-York en avion en 12 heures. Cela n'empêche pas l'habitant rural de mettre, dans bien des cas, une demi-journée pour se rendre en car ou en voiture à cheval au chef lieu du département. La modification des conditions de vie ne suffirait donc pas seule à justifier une modification corrélative du découpage administratif car elle a en outre comme contre-partie l'accroissement considérable des attributions du Préfet. C'est là le point important. Tant de fonctions incombent aujourd'hui au Préfet qu'il est transformé, et son Secrétaire Général l'est encore davantage, en machine à signer. Les questions techniques, même les plus courantes, telles que la délivrance des permissions de voirie, la fermeture des barrières de dégel, qui sont des questions purement techniques et pour lesquelles il suit toujours l'avis des techniciens, sont de son ressort ; la décision lui appartient en principe, la signature est donnée par lui. Ces tâches matérielles, sans intelligence, le détournent de la fonction essentielle de l'administrateur qui est d'animation, d'orientation, de coordination et de contrôle. Ces attributions multiples interfèrent les unes avec les autres : l'étatisation généralisée qui se développe en France est un fait nouveau auquel le pays n'est pas adapté. A chaque instant se produisent, dans le fonctionnement de cette machine lourde et compliquée, des heurts, des grippages. Un des rôles importants de l'administrateur est de parer à ces accidents et d'assurer le fonctionnement de l'ensemble. Il coordonne l'action des services multiples dont les attributions sont souvent différentes ; il signale les doubles emplois ; les suppressions à faire ; il redresse les erreurs trop criantes ; il stimule la conscience de tous. C'est ce rôle, dégagé de toute préoccupation matérielle, de toute paperasse administrative, de toute tâche de bureau, qui était celui du commissaire régional ; c'est ce rôle nécessaire qu'il faudra, dans l'avenir, confier au préfet, car il faut que quelqu'un le remplisse. Les Commissaires régionaux sont supprimés par un vote hâtif de l'Assemblée constituante sans que la question de principe de leur maintien ait été étudiée au fond, sans que la réforme administrative ait même été esquissée. Je ne puis répondre à la question de la lettre N° Cab 12534 du 18 février 1945, relative aux réformes sur le plan interdépartemental, qu'en déplorant la suppression de la Région. Celle-ci en effet, après des aménagements à l'ordonnance du 25 octobre 1945 et, en particulier après augmentation des pouvoirs des Commissaires, conduisant à une déconcentration réelle, aurait pu donner satisfaction. Le rôle de véritable administrateur ne pouvant être dévolu au Commissaire ne sera plus joué sur le plan interdépartemental ; sur le plan départemental il incombera au Préfet qui recevra en outre une partie des attributions de police du Commissaire régional. Je pense en effet que des quatre directions Régionales actuellement existantes : Renseignements Généraux, Police judiciaire, Sécurité publique, Sécurité du territoire, la suppression des Renseignements Généraux à l'échelon régional n'entraîne aucune modification puisqu'il existe déjà un service départemental, la Sécurité du Territoire peut-être sans dommages, rattachée directement à la Direction Générale de la Sureté Nationale ; mais s'il ne reste pas des services régionaux pour la Sécurité Publique et la Police Judiciaire, la tâche du préfet s'en trouvera accrue d'autant, dans des conditions difficiles à définir, tant qu'il n'existe pas par exemple une C.R.S. au moins par département. Pour remplir dans de meilleures conditions ses attributions anciennes et ces attributions nouvelles, le Préfet devra être dégagé d'une partie de son travail de bureau au profit des Sous-Préfets et des Directeurs Départementaux. Le Sous-Préfet, dans l'organisation actuelle, est insuffisamment occupé et c'est un paradoxe que de le préparer aux lourdes fonctions préfectorales en lui confiant, dans une Sous-Préfecture, un rôle représentatif et insuffisant. La réforme de 1926 serait donc accentuée et complétée : A. En confiant aux Sous-Préfets : 1°) La totalité des attributions préfectorales concernant l'administration et la tutelle des petite et moyennes communes de moins de 10.000 habitants et celles de leurs établissements publics ; 2°) Les attributions en matière de police administrative et d'administration générale. C'est ainsi que les questions de naturalisation, de circulation (délivrance des S.P. , délivrance des bons d'essence, etc...) peuvent être sans dommage confiées aux Sous-Préfets. 3°) Une limite serait fixée qui définirait le rôle du Préfet et du Sous-Préfet en matière de gestion des domaines de l'Etat et de conclusion de ses contrats. Le Sous-Préfet recevant ainsi des attributions accrues, devrait être d'autre part, épaulé et renseigné. En particulier on lui adjoindrait réglementairement un Inspecteur des Renseignements Généraux, mesure qui est actuellement laissée à l'initiative du Préfet. En outre le Sous-Préfet prenant plus d'importance, devrait être assisté d'une assemblée élue qui assurerait sur lui le contrôle du corps électoral. Le Conseil d'Arrondissement qui n'a pas été supprimé mais qui n'est plus réuni en pratique, assurerait auprès de lui ce contrôle et lui donnerait en même temps l'appui des représentants de la population. B. En confiant aux Directeurs Départementaux les décisions actuellement confiées au Préfet concernant le fonctionnement de leurs services et les questions purement techniques pour lesquelles, en pratique, le Préfet se contente d'entériner leur avis. En outre, la tâche du Préfet et de son Secrétaire Général serait allégée par la désignation d'un Sous-Préfet pour l'Arrondissement du chef-lieu. Actuellement, cette fonction est remplie, en principe, par le Préfet, en fait par le Secrétaire Général. Ces deux hommes, déjà surchargés de besognes administratives et de bureau, ne peuvent y suffire et seraient très utilement aidés par un Sous-Préfet Supplémentaire'' [181]. Il y a fort à parier que ces suggestions de Pierre Pène n'ont pas même été prises en considération. Elles sont cependant intéressantes par ce qu'elles nous apprennent de la fonction d'administrateur telle que Pène la concevait après 18 mois de ''travaux pratiques'' : ''Il coordonne l'action des services multiples dont les attributions sont souvent différentes ; il signale les doubles emplois ; les suppressions à faire ; il redresse les erreurs trop criantes ; il stimule la conscience de tous. C'est ce rôle, dégagé de toute préoccupation matérielle, de toute paperasse administrative, de toute tâche de bureau, qui était celui du commissaire régional.'' Il ne parle pas de décision politique. Il est vrai qu'il était là pour appliquer la politique du gouvernement, sauf quand, ce gouvernement étant muet, il a du prendre une décision régalienne au moment de l'offensive de Von Rundstedt. Mais ceci est exceptionnel. C :VI La fin des Commissaires et la réunion de Soisson Les Commissariats de la République et les Régions correspondantes ont donc été supprimés fin mars 1946. Pierre Pène a, à la demande du ministère de l'Intérieur, décrit sa Région et donné son avis sur différentes questions. Nous avons utilisé ce texte dans la section C :V.5. Voyons d'abord le contexte politique.

C :VI.1 La constituante et la démission de de Gaulle. Récapitulons brièvement l'enchaînement politique qui a suivi l'élection de l'Assemblée Constituante du 21/10/45. La participation est massive de 78 % et les résultats favorisent massivement la gauche : De la gauche à la droite :PCF, 26,1 %, SFIO, 23,8 %, radicaux UDSR 11,1 %, MRP 24,9 %, Modérés 13,3 %, Divers 0,8 % [150]. On ne relève ni représentation gaulliste, ni représentation de la partie de la Résistance qui refusait les anciens partis, tels l'OCM, Combat, CDLL (Ceux de la Libération), CDLR (Ceux de la Résistance),...La droite est dominée par un nouveau parti, le MRP. En même temps que l'élection de la Constituante on votait pour un double referendum. ''Voulez-vous que l'assemblée élue ce jour soit constituante ?''. Le oui l'emporte massivement, 96 % des voix. À la seconde question, demandant l'approbation de la loi constitutionnelle provisoire proposée par le gouvernement le ''Oui'' l'emporte par 12 795 213 voix contre 6 449 206. Ce referendum était un succès incontestable pour de Gaulle qui avait prôné le oui-oui. Mais de Gaulle n'avait pas une majorité dans l'Assemblée Constituante. Toutefois il est prévu que ''La Constitution adoptée par l'Assemblée sera soumise à l'approbation du corps électoral des citoyens français, par voie de référendum, dans le mois qui suivra son adoption par l'Assemblée''. Le 13/11/45 novembre l'Assemblée élisait à l'unanimité de Gaulle comme président du gouvernement. Le 21/11/45 son gouvernement était constitué : ''Quatre portefeuilles allaient à des députés communistes .. quatre à des socialistes .. quatre à des républicains populaires (MRP)... deux à des résistants de l'Union démocratique.. un radical, deux à Dautry et Malraux, non parlementaires... quatre ministres d'Etat, un socialiste Auriol, un républicain populaire Gay, un modéré Jacquinot, un communiste Thorez''[163]. Suivant toujours le récit de de Gaulle nous apprenons que le 1er janvier, lors du vote du budget, ''les socialistes demandèrent, tout à coup, un abattement de 20 % sur les crédits militaires''. Une intervention de de Gaulle menaçant de démissionner obtint un vote massif du budget. Il a quand même compris que la Constituante pouvait le mettre à nouveau dans une telle position. ''Après huit jours passés dans le Midi, je rentrai à Paris le 14 janvier. C'était lundi, ma démission serait pour le dimanche.....à plusieurs de mes ministres j'annonçai mon retrait imminent. J'en fis autant à l'adresse des Commissaires de la République que j'avais spécialement convoqués'' [163]. Il démissionna le 20/1/46 et le sort des Commissaires de la République était scellé.

C :VI.2 Les adieux de Pène à ses collaborateurs ; les Commissariats vichystes ? Pène a fait un discours d'adieu à ses collaborateurs [186]. ''Mes chers amis J'ai hésité à vous réunir pour vous faire mes adieux et cela pour deux raisons : la première est que cette cérémonie me peinait et la deuxième c'est qu'à mon regret de vous quitter s'ajoutait celui de n'avoir aucune certitude à vous donner au moment de la séparation. Vous savez comment les évènements se sont déroulés récemment. Après un vote du 27 décembre n'accordant aux Commissariats Régionaux des crédits que pour trois mois de fonctionnement, l'Assemblée constituante a, le 22 mars, décidé leur suppression. Il semble que la question des services de police ne soit pas réglée définitivement ; il semble aussi que les services économiques doivent subsister sous une autre forme mais, en ce qui concerne le Commissariat proprement dit, la suppression est certaine. C'est là une décision que le pouvoir législatif a prise dans la plénitude de ses droits et devant laquelle il faut s'incliner. Seuls étaient regrettables et injustes les considérants qui accompagnaient la proposition de loi. Heureusement au cours des brefs débats de la constituante, justice nous était rendue et avant-hier encore, nous recevant successivement, MM Le Troquer, Ministre de l'Intérieur, et Gouin, Président du Conseil, voulaient bien reconnaître les services rendus par nous. Je veux avant de vous quitter, revivre avec vous l'histoire des Commissariats de la République, et particulièrement celle que nous connaissons bien : du Commissariat de Laon-St-Quentin. On nous a dit que nous étions une survivance de Vichy ; certains même, poussant l'offensive jusqu'aux hommes, ont laissé entendre que les Commissaires étaient des créatures de Vichy. Rien n'est vrai dans ces affirmations. Les Commissariats n'ont, à l'origine, gardé de Vichy que les limites territoriales ; son esprit était foncièrement différent, son organisation n'était pas la même puisque le Commissaire n'avait pas, comme le Préfet Régional, la charge d'un département et les pouvoirs des Commissaires, infiniment plus étendus que ceux des Préfets Régionaux, n'avaient rien de commun avec eux. Quand aux hommes j'aurais mauvaise grâce à en parler mais l'injure qui leur est faite en les traitant de vichyssois ne tient pas devant le plus léger examen, elle ne relève que du mépris. Les pouvoirs des Commissaires ont été peu à peu s'amenuisant, le pouvoir central prenant son assiette et, le 24 octobre 1945, une ordonnance les codifiait en fixant aux Commissaires un rôle d'animation, de coordination et de contrôle. Ce rôle était utile, il était même nécessaire, dans une période d'économie dirigée comme celle où nous vivons encore. Ce rôle d'animation, de coordination et de contrôle, vous savez tous, mes chers amis, que vous m'avez aidé à le jouer avec dévouement et avec efficacité ; vous avez apporté dans votre tâche un désir de rénovation, un sens du bien public, un souci constant de la collectivité et surtout une probité morale qui n'était pas toujours le fait des organismes existants. Maintenant la suppression est un fait acquis, les modalités de son application à la Police et aux Affaires Economiques seront prochainement précisées. Au moment où nous sommes dispersés, regardons tous vers l'avant. Quels que soient les postes auxquels vous serez amenés à servir dans l'avenir, mettez de côté toute rancœur et toute amertume, n'oubliez jamais que vous servez l'Etat dans son sens le plus élevé, directement si vous êtes dans l'Administration, indirectement si vous êtes dans les affaires. À vous tous qui m'avez servi si courageusement, si loyalement, à vous tous qui avez fait de cette maison un organisme fonctionnant sans heurts, dans l'harmonie, je vous dis mes regrets amers de ne pouvoir vous donner une certitude quant à votre avenir. Soyez assurés cependant que vous pourrez trouver en moi, dans les temps qui viennent, une bonne volonté, agissante je l'espère, pour vous soutenir. Il ne serait pas digne de nous de terminer sur une note pessimiste ou découragée. Je veux donc, en vous quittant, vous citer les paroles du Général de Gaulle lorsqu'il nous réunit le 19 janvier : ''Les hommes ne comptent pas, l'Etat seul compte, n'oubliez jamais que vous êtes à son service et que vous travaillez pour la France''. Je vous demande à mon tour d'unir vos voix à la mienne pour terminer cette brève allocution par les cris de : ''VIVE LA FRANCE'' [186]''. On est atterré de lire les calomnies déversées par on ne sait qui contre les commissaires ! Pierre Pène quand à lui, devait servir l'État en Allemagne, ce qui fera l'objet de la partie ''D''. Son action comme Commissaire de la République a été peu reconnue par la suite. Pourquoi ? Nous savons que la municipalité de St Quentin a refusé en 2013 à un habitant âgé qui avait connu cette période, M. Chémery, de donner à une rue le nom de Pierre Pène. L'argument était les 30 morts de la brève bataille de St Quentin (cf B:IV.3). Ce n'est pas l'activité du Commissaire de la République qui est critiquée, c'est celle du résistant qui met en place le GPRF avant l'arrivée des américains pour assurer l'existence d'un Etat français. C'était la directive de de Gaulle. Et ce fut un succès puisque la France fut traitée comme un allié des vainqueurs, soviétique et anglo-saxons. Une partie des morts appartenait à une garde prétorienne vichyste. Rappelons le récit de Pène ''À St Quentin la libération a été très meurtrière. Les gardes prétoriens créés par Vichy et qui devaient devenir des CRS ont à cœur de participer à la libération de la ville : ils sont plus compromis que les autres polices vichyssoises. Ils se portent donc vers les Champs-Elysées de St Quentin accompagnés de FFI, leur armement est léger ; ils se heurtent à des automitrailleuses allemandes très décidées, et la lutte est par trop inégale. En quelques minutes, 30 morts jonchent le sol''. (cf B:IV.3).

C :VI.3 La réunion de Soissons Pourtant, longtemps après sa mort, l'action de Pierre Pène fut honorée à Soissons. Une réunion organisée par la municipalité de Soissons le 30 novembre 2013. Nous remercions chaleureusement Monsieur Patrick Day, maire de Soissons et le conseil municipal qui ont organisé une très émouvante cérémonie. Madame Pitois- Dehu et Monsieur Alain Deshayes lequel, depuis lors, nous a malheureusement quittés, furent à l'initiative de cette réunion. Madame Pitois-Dehu a présenté une très intéressante mise en perspective historique. Florence Pène-Rosenberg, a parlé de son père et raconté de nombreux souvenirs liés à Soissons et aussi à la Résistance. Nous remercions les très nombreuses personnes (environ 150) qui ont assisté à cette évocation d'un précieux héritage du passé. La plupart des documents présentés ont été trouvés par Madame Pitois-Dehu dans des archives locales. Les documents de cette célébration sont accessibles sur le site [144]. Il convient de rappeler que Pierre Pène avait été ingénieur des Ponts et Chaussées à Soissons à partir de mars 1936 jusqu'à sa mobilisation le 1/9/1939. L'évocation du discours de Raymonde Fiolet, qui avait été à la Libération Présidente de la Délégation Municipale Provisoire (''maire'') de Soissons nous a fait connaître cette héroïne de la Résistance, cf section C :II.3. Florence a rappelé une phrase de Benjamin Franklin : ''Ceux qui sacrifieraient la liberté essentielle pour un peu de sécurité ne mériteraient ni l'une ni l'autre''. Un principe qui a guidé l'activité dans la Résistance de Pierre et Françoise Pène, de Raymonde Fiolet et de tant d'autres. Cette leçon devrait nous guider aujourd'hui plus que jamais.

C :VI.4 Quelques leçons d'un an et demi de Commissariat de la République Pierre Pène quittait donc cette fonction de Commissaire de la République. Cet homme formé comme un ingénieur, résistant éminent ayant eu la chance inouïe de survivre, le voici nommé dans une fonction administrative importante. Il devait diriger une région frontalière en ruine comme toute la France. Il fallait reconstruire mais avant tout nourrir la population dans les conditions d'une économie dirigée. La tâche était immense et les choses évoluaient à vive allure. Il était la cible de tous les mécontentements, et il le savait. Heureusement il a laissé des documents où il donnait son analyse de la situation et nous les avons exploités. Il montre dans ces documents une grande lucidité, et même une étonnante clairvoyance. Nous en citerons les exemples les plus frappants. Dans la section C:V.5.4, les textes ont été écrits en février-mars 1946. Il y décrit la crise sociale à venir. Il écrit cela avant que la guerre froide entre les deux blocs ait débuté. Et pourtant son pronostique est étonnement conforme à ce qui s'est produit en 47 et 48. Il avait senti monter la colère populaire, ce qui est rare dans la haute administration et il avait anticipé la position des différents partis. Dans la section C:V.5.3 il décrit des maladies permanentes de l'économie française. On croirait lire un article de 2018 :''Tous ces problèmes, Messieurs, vous les connaissez parfaitement : c'est celui de l'apprentissage et du manque de main d'œuvre qualifiée, c'est celui de l'équilibre à établir entre l'industrie et l'agriculture, tant sur le plan des prix que celui des salaires ; c'est le problème également de la rationalisation du commerce, de l'aménagement de la distribution ; c'est enfin la question de la simplification de notre fiscalité''. Enfin, notons la décision qu'il a prise, en accord avec le préfet Rastel, de fermer la frontière avec la Belgique, sections C:IV.1.1 et C:IV.1.3. Le gouvernement ne lui donnant aucune directive il se trouvait avec une énorme responsabilité sur les épaules. Sa décision fut la bonne, il n'y eut ni incident diplomatique ni massacre d'une population en fuite et l'arrivée des renforts alliés sur le lieu de la bataille fut facilitée.

C :Appendice : Les ''écoles'' des Commissaires

C : App.0 Que nous apprennent ces réunions de Commissaires ? Si les Commissaires étaient des résistants qui avaient démontré leur courage dans des conditions difficiles et très dangereuses, la plupart n'avaient pas de formation à la haute administration. C'est pourquoi le ministère de l'intérieur organisait tous les deux mois une réunion des Commissaires pour faire le point de la situation. Pierre Pène prenait des notes de ces réunions sur un cahier. Nous n'avons lu nulle part d'allusion à ces réunions et à leur contenu. Peut-être ce cahier est-il un des joyaux légués par Pène. Il est accessible en ligne [166]. Nous en citons des extraits dans le style télégraphique de ces notes prises au vol. Nous mettrons en italique la complétion des mots abréviés. Certaines parties sont très difficiles à lire et nous avons pu nous tromper dans leur lecture. Les mots que nous ne parvenons pas à lire seront remplacés par des points d'interrogation. Un point d'interrogation après un mot indiquera un doute. Des commentaires sont souvent nécessaires pour expliquer des termes ou donner le contexte. Nous les mettrons dans les Notes de l'appendice, situées à la fin de l'appendice et distinctes des notes concernant le reste de la biographie de Pierre Pène. Ces notes seront indiqués par {n], n étant le numéro de la note. Ces notes sont nombreuses du fait du caractère assez cryptique des documents que nous présentons ici. Il nous faut toutefois mettre en garde la lectrice ou le lecteur, ce texte est très ardu et il n'est pas essentiel à la connaissance de la vie de Pierre Pène. Il nous informe plutôt sur la politique de la 4ème République dans ces années de reconstruction révolutionnaire. Mais peut-être mieux encore, il nous fait sentir l'état d'esprit de ces gouvernants, pratiquement tous anciens résistants, et armés de bonnes intentions, mais aussi confrontés à des difficultés immenses. La première réunion des Commissaires (C:App.1) a duré du 28 au 30/9/44. Elle est particulièrement intéressante. En effet nous sommes dans le mois même de la libération de la Région Picardie +Ardennes. Ces notes donnent une idée impressionnante de la multiplicité, de la variété, de l'urgence et de la complexité des problèmes auxquels la nouvelle administration est confrontée !! Ce que l'on constate est que les Commissaires (une fonction annoncée comme provisoire), avaient comme tâche de faire face à l'onde de choc de cette ''révolution de 44'', de ce brutal changement de régime. L'immensité de leur tâche est terrifiante. Au fur et à mesure du retour vers le fonctionnement normal du régime démocratique leur rôle s'amenuisera. La seconde réunion (C:App.2) a duré du 21 au 24/11/44. Ce qui frappe c'est une forte tendance à la reprise en main de la situation par l'Etat. C'est surtout l'administration nationale, mais il faut aussi installer des structures provisoires aux niveaux de la commune, du département .... Il faut remettre le pays en ordre. On élimine les structures issues de la Résistance et on essaie de réutiliser les résistants dans les nouvelles structures. On doit assurer le contact avec les déportés et travailleurs à l'étranger, se préparer à leur arrivée massive. Mais aussi faire le tri parmi les étrangers en France entre ennemis et amis. On doit trouver de l'argent, réduire les salaires excessifs, entamer la reconstruction mais aussi renforcer les institutions policières et de renseignement : on est en guerre. La troisième réunion (C:App.3) a duré du 7-9/2/45/ Cette réunion est moins étoffée que les deux précédentes et les thèmes évoqués semblent plus anodins que les précédentes réunions. On continue à éliminer les résidus du régime vichyste. La quatrième réunion (C:App.4) a duré du 3 au 5/4/45. Elle est marquée par la préparation fébrile des élections avec des économies de bout de chandelle sur le papier électoral. C'est aussi l'arrivée massive des prisonniers de guerre qui mobilise des moyens considérables et en particulier les hôpitaux. La cinquième réunion (C:App.5) a duré du 21 au 23/6/45. Les élections ont eu lieu. Mais les deux autres grandes tâches de la quatrième se retrouvent : l'accueil d'un nombre considérable de prisonniers de guerre et les tâches qui pèsent sur le système hospitalier français. Ajoutons une opération d'échange de billets décidée par René Pleven, ministre des finances Les sixième et septième réunions furent évanescentes, les Commissaires de la République perdaient de leur importance, ils subissaient de nombreuses attaques d'un courant hostile à l'existence même des régions. Lors de la septième de Gaulle leur avait déjà annoncé sa décision de démissionner. Il devait en résulter la suppression de la fonction de Commissaire de la République. Oublions les deux dernières. Ces notes d'une lecture difficile nous donnent pourtant une idée de la tension, du rythme et de l'énergie déployée par l'administration française dans cette période. Du début qui affronte le défi de mettre en place le nouveau régime en pleine guerre, au dernier qui affronte la masse des personnes déplacés, des prisonniers, des réfugiés, de tous pays, déferlant sur la France. La richesse de ces notes tient aussi au fait que chacune nous montre un panorama large et complet de la France : police, ordre public, épuration, reconstruction, salaires, économie, aide aux alliés, santé publique, …. Et tout cela dans un pays très pauvre, on doit économiser le papier, et en même temps accueillir et soigner un nombre considérable de réfugiés, de prisonniers libérés, de malades, …. On doit respecter les valeurs humanistes de la Résistance et faire preuve de fermeté, écarter les vichystes et rétablir la démocratie. Chapeau bas, mesdames et messieurs qui avez accompli cela !!

C :App.1 Réunion du 28-30/9/44 Les Commissaires : Maintien des pouvoirs exceptionnels jusqu'à nouvel ordre. Réserve dans l'usage des pouvoirs législatifs, large pouvoir réglementaire et de régulation. Les Relations directes avec les autres ministères sont autorisées, mais il faut passer par l'intérieur pour les questions importantes. Mouvements : ZN (Zone Nord) action militaire contre le boche, ZS (Zone sud) action politique contre Vichy (sauf FN){1]. Partis : Le gouvernement marquera brutalement la différence entre les parlementaires qui ont voté pour et ceux qui ont voté contre les pleins pouvoirs à Pétain. On attend beaucoup du gouvernement. Le gouvernement est gêné par le manque d'expression de la volonté du pays. La Résistance ne s'est pas exprimée dans les groupements non-politiques{2] Maquis clandestins : les signaler. Etre brutal. Forces armées de la Résistance : le statut des FFI, le faire appliquer. Les FFI qui le désirent peuvent s'engager dans l'armée française. La Commission examine leurs titres de participation à la libération. Est FFI celui qui était FFI au dernier jour de la bataille{3] une épuration est nécessaire. Cadres : trop de colonels et de généraux. Les Unités seront maintenues de l'échelon compagnie à division {4]. Des écoles spéciales seront crées pour les Commandants, Colonels, Généraux. Les Chefs FFI doivent l'accepter {5]. Les Commandants territoriaux des régions sont souvent insuffisants{6]. Abus des FFI Il faut prendre des positions très nettes. Les Perquisitions, arrestations, jugements ne leur incombent pas. Le dire publiquement. Milices patriotiques Il semble qu'on ait voulu remplacer les FFI qui allaient disparaître par un organisme se réclamant du maintien de l'ordre. Position négative du gouvernement, non rendue publique. CNR est saisi (cf section C:V.4.2). Autres propositions : police auxiliaire ou police supplétive est à la disposition de l'autorité publique. La position du gouvernement : la police est insuffisante. Elle Doit être renforcée par des éléments pris dans la Résistance. Il faut Suspendre pendant quelque temps le recrutement de la police dans conditions normales. Un nouveau recrutement serait accepté par le gouvernement sur la proposition d'un comité. La police doit être armée. Information : Il y a une dualité législative entre Alger et la résistance. Un Accord de principe. Suspension des journaux parus plus de 15 jours après armistice en zone Nord, et après entrée des Allemands en Zone Sud {7]. Un administrateur séquestre {8] nommé par tribunal civil doit remplacer l'administrateur provisoire dans un délai de 1 mois après l'ordonnance. l'administrateur séquestre peut n'être pas sur la liste. Epuration : Une Commission de presse délivrant des cartes provisoires doit avoir été nommée dans la région. A partir 1/1/45 une commission nationale remplacera les commissions régionales provisoires. Papier : Il manque. La question du format : grand format ou 4 pages (le samedi). Envoyer sans délai l'état des stocks fabriqué ou possible. On allouera les stocks dont nous serons maîtres. Tirages : Huma 300.000, Populaire (parti socialiste). 280.000, autres 160.000. Le prix ne doit pas être trop bas. Il faut les uniformiser. À Paris 2 francs est bénéficiaire, 1,50 doit être le bon prix, l'adopter en principe. Un journal doit vivre normalement. Ne pas lui faire de crédit. Il doit payer ses frais. Les Commissaires peuvent faire par contrat une avance démarrage. Floraison de journaux d'extrême gauche . Le journal ne peut s'installer dans une autre région que celle où il a été clandestin. 1 journal pour une tendance politique. Les journaux suspendus seront jugés devant une cour de justice. Le parquet les poursuit d'office. Il sera Rendu compte au Commissaire de l'information des poursuites engagées par le procureur de la République. Insister pour la constitution de sociétés de presse nouvelles. Les missions militaires n'existent plus ni en Zone Nord ni en zone Sud {9] . Le délégué régional est sous mon autorité {10]. agence Havas lever le séquestre du bureau OFI (Office français d'information, vichyste) les mettre à la disposition de l'AFP (Agence Française de Presse). Fixer le traitement d'après la classe intellectuelle de l'intéressé. Afficher dans les mairies l'affiche du 18/6/40 du général de Gaulle. Il faut Permettre à Malick de retourner à Paris {11]. Personnel : Demander l'opinion du CDL sur le personnel préfectoral depuis 1940. Ces renseignements ainsi que ceux demandés par la circulaire du 10 et 11/9/44 sont à fournir pour le 15/10. On peut prévoir un titulaire déporté et un intérimaire pour occuper le poste. Un fonctionnaire révoqué pour appartenir à une Société secrète (franc maçon) doit être réintégré et son affectation décidée par le Commissaire autant que possible à son ancien poste. Il n'y aura pas de rappel automatique. L'intéressé présente sa demande. Traitement des Sous-Préfet. Le Commissaire fixe leur classe personnelle. Cabinets {12]Un Directeur de cabinet, 2 ou 3 chargés de mission, 1 chef de bureau, 1 rédacteur. Suspension, épuration, Elle s'applique aux administrations communales, départementales. Au personnel municipal et départemental : Sous-Préfets et Préfets. Frais du CDL 150f à 160f par jour, pour 40.000 habitants dans le département, 175f pour 100.000 habitants. Il est imputé sur l'article 21 du budget départemental. Relations des CDL avec les Préfets. Dans la Région de Laon-St Quentin, les difficultés sont seulement dans les Ardennes. Au début il était compréhensible que les CDL fussent représentatifs de la Résistance. Mais la situation ne doit pas rester telle. Elle entrainerait la coupure de la Résistance avec le pays. Opérer par persuasion. Les CDL sont des organes consultatifs. S'ils prennent des arrêtés, les annuler et rendre la décision publique. Les consulter sur les choses essentielles. Conseils municipaux Le projet primitif prévoyait des délégations municipales nommées partout. Protestation de l'assemblée consultative qui a été chargée de préparer un nouveau texte et a sorti une ordonnance du 21/4/44 {13]. Elections municipales Le gouvernement est décidé à lutter contre la déchéance des droits politiques prononcée à la légère. Le budget ? La question est réservée. Tous les conseillers généraux nommés par Vichy encourent la déchéance. L'épuration est confiée au ministre. Il faut prendre la décision définitive en application de l'ordonnance. Arrestations Il y a eu un immense flot ; à Paris 8.000, en Seine, Seine et Oise, Seine et Marne > (plus que) 20.000. Il faut créer une commission de triage près de chaque camp, de chaque prison. Sur avis de cette commission le préfet prend sa décision par arrêté. Relations interalliés. SHAEF (Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force) = GQG d'Eisenhower pour le théâtre occidental. Les services des affaires civiles sont unis cependant les britanniques sont plus compréhensifs. La délégation française est au 14-16 rue Lord Byron Ely 82.00. 1) quand un service nouveau allié apparaît et demande le contact avec un ministère. Coulé le reçoit et met en présence les spécialistes compétents des 2 côtés. 2) coordination des rapports avec ''détachements civil affairs''. Régime des réquisitions : convention du 25/8 Aide aux forces alliées Les prestations demandées par les Forces Alliées seront procurées par l'administration française qui effectuera les réquisitions. A l'échelon national, l'organisme est au conseil d'Etat (Louvre 55 (téléphone) au 13-14-15 place du palais Royal). Il faut régler les réquisitions effectuées. Faire cesser les nouvelles, il faut recevoir les demandes, les orienter vers les services compétents. Les commandes devront être avalisées par un délégué national, régional ou départemental. Si les Alliés s'adressent directement à l'administration, les AFA (Aide aux Forces Alliées) doivent prendre part aux discussions. 1 délégué à l'échelon régional nommé par le Commissaire a charge de l'Intendance Militaire : paiement et tout ce qui en découle des réquisitions de logement et de cantonnement. Quand aux fournitures aux A.A. (Armées Alliées), remboursement en nature ou paiement en devises. G4 intendance, G5 Civil affairs ou mieux section spéciale de SHAEF formée d'ingénieurs. Buttin de guerre A.A. (Armées Alliées) devront réquisitionner le butin appartenant aux français {14]. Emploi main d'œuvre par A.A. Selon les accords du 29.9 les A.A. Doivent pour le recrutement s'adresser aux Services Régionaux M O (Services Régionaux de la Main d'œuvre). Recrutement direct en cas d'extrême urgence. Les Salaires sont payés par les Autorités françaises selon le taux réglementaire des régions. Il y a des retenues pour les allocations familiales --- Reconstitution d'urgence On Passe maintenant à l'économie nationale. SIPEG (Service Interministériel de protection contre les Evènement de guerre ) coordonnait : les réfugiés dépendant maintenant de Frenay DP (Déportés Prisonniers). Lutte contre incendie S.N.(?). Leçons demandées aux P.C. (?) Des Stocks de verre sont bloqués à St Gobain. Il faut une liaison entre l'Economie Nationale et la Production Indépendante. Il faut voir les besoins en baraques, faire un rapport. Les besoins En péniches. Impositions agricoles Elles continuent en principe. Au nord de la Loire un allégement de l'imposition est à prévoir. Diminution de l'avoine de 50 %. Au sud de la Loire aucun allégement à prévoir. Le Gouvernement fixera le prix du blé {15]. Ravitaillement 1300 calories pour la moyenne de la population par jour. Donc la situation en France est encore grave {16]. Le personnel Administratif : mutation. Le comité central du ravitaillement demeure mais devient une para-administration. Il est placé sous les ordres du chef du Service administratif dont dépend le produit. Le pr(ésident ?) est remplacé par un directeur. Les Commissions (?) d'achat ne fonctionnent pratiquement plus. Les rétablir en changeant le personnel si nécessaire. Collecte : résultats lamentables : (du fait des ?) délégués Régionaux et locaux. 85 % (des rations de 1943?) unification et élévation à 310 grammes pour les ACTV (Adultes, 21-70 ans, C Consommateurs agricoles >21 ans, T travailleurs de force, Vieux >70 ans, J2 de 6 à 13 ans) E (<3 ans) :125 gr; J1 (3 à 6 ans) 250 gr, J3 de 13 à 21ans : 375 gr. {17] Salaires Le gouvernement envisage le relèvement des allocations familiales. Situation du travail (???) Santé Publique Les Comités Médicaux de Libération vont jouer un rôle de conseillers techniques auprès des Préfets {18]. Les syndicats médicaux sont rétablis dans leurs prérogatives. Les CML (Comités Médicaux Libération) départementaux désigneront leurs représentants au conseil Régional de l'Ordre des médecins {19]. Un bilan des destructions sera fait par l'envoyé du Ministère. Epuration : faire des propositions avec avis du CML (Comité Medical Libération) et du Directeur Départemental. Autorité de fait des FFI Elle tend à diminuer. Mais les officiers qui n'ont pas fait de résistance sont immédiatement mis en disponibilité {20]. Les interventions irrégulières des FFI, tels les contrôles de la circulation, sont plus difficiles à faire disparaître. Les Arrestations et réquisitions (par les FFI) doivent disparaître. Etat de siège La Région Laon - St Quentin est dans la zone intérieure (hors état de siège) : l'autorité de police et elle seule à pouvoir de police. Les Anglo-saxons prévoient une zone réservée 20 mille le long des frontières et des côtes et Paris {21]. Les Bataillons FFI iront soit renforcer des unités existantes, soit constituer de grandes unités si l'armée le permet. Internements administratifs. Mouvement des étrangers. 100 à 120.000 étrangers déferlent du Nord vers Paris. Les Ressortissants allemands, même civils de l'OT (Organisation Todt) = prisonniers de guerre. Les autres sous uniforme allemand arrivés avant sept. 39 avec des moyens d'existence, on les laisse, sans moyens d'existence, on les groupe. Ceux qui sont arrivés après sept 39 les grouper et les trier {22] Justice Les Cours martiales doivent disparaître {23]. Cours de justice Une liste des jurés doit être établie sans délai. Les principes sont dégagés du code de Justice militaire de 1928 et de textes ultérieurs. Combien de cour de justice par région ? Au moins 1. Autant qu'on veut. Le Commandant de région saisit le ou les tribunaux militaires. Chaque tribunal a compétence pour toute la région. Sa Compétence : infraction à la sûreté intérieure de l'Etat (art 71 ? et suivants du code pénal). Avoir recours aux décrets des 15 et 20 mai 1940 qui érigent le tribunal militaire en cours martiale. On tend à supprimer l'obligation de flagrant délit pour citer devant cour une martiale. On pratique la Citation directe. Les Tribunaux militaires seront dessaisis à partir du jour où la cour de justice sera installée.

C :App.2 Réunion du 21-24/11/44 Les cabinets des Commissaires régionaux : Bordeaux : des relais assurent le contact avec les Directeurs Régionaux. Pouvoir des Commissaires {24]. Fonds {24]. La DGSS (Direction Générale des Services Spéciaux) devient la DGER (Direction Générale des études et Recherches){25] Rétablissement des Conseils Municipaux {26] Rétablissement des Conseils Généraux Une évolution à gauche était attendue à Alger beaucoup plus marquée qu'elle ne se révèle. S'efforcer par la persuasion d'obtenir une représentations cantonale D'après le Comité juridique les anciens Conseillés Généraux ne sont pas ''nommés'' au sens du mot ''nommé'' dans article 18 de l'ordonnance du 21/4/44. Il faut obtenir des organisations départementales de résistance qu'elles désignent un représentant rural au lieu d'un représentant urbain pour obtenir une représentation cantonale. Pousser à la constitution Conseils Généraux {26]. Révision des listes électorales Les enveloppes seront fournies par le Ministère de l'Intérieur. Les cartes électorales aussi. Réfugiés Ils seront inscrits de droit dans la Commune où ils avaient leur domicile réel quand ils sont partis. Sinon les communes d'origine disparaitraient du point de vue électoral et ça apporterait le trouble dans la Commune de refuge. On ouvrira le droit de vote dans la Commune refuge aux réfugiés pouvant prouver leur intention de s'y installer, leur début d'installation. Faire alors rayer l'inscription de droit dans Commune d'origine. Il faut lutter contre la désertion au point de vue électoral dans Commune d'origine en organisant le vote par correspondance. Maquisards transplantés ils sont assimilés aux réfugiés. Militaires y compris les FFI incorporés sont inscrits dans la Commune où ils auraient dû l'être quand ils sont devenus militaires. Pas de droit de vote à moins d'être titulaire d'une Permission de 30 jours. Prendre comme base d'inscription des femmes les listes d'attribution des nouvelles cartes d'alimentation. C'est une base d'examen. Salaires Stopper la hausse des salaires. Un texte va être pris pour bloquer les salaires. Il faut transformer toutes les augmentations de salaires depuis septembre en indemnités qui devront disparaître dans un certain délai. Salaires anormalement élevés a) parce qu'ils sont la conséquence des salaires pratiqués pour les Allemands il faut les éviter. Essayer l'alignement sur la norme moyenne : les ouvriers touchant moins pourraient être augmentés, ceux touchant plus verraient le supplément transformé en indemnité temporaire {27].

9h M Frenay {28] . Il y a 5 500 000 à 6 000 000 clients (réfugiés) 2 700 000 Français en Allemagne, 500 000 déportés politiques. a) Direction Générale du Rapatriement. b) Direction Générale du Service des Allemands et Français c) Direction Générale des affaires sociales. a) La Direction Générale du Rapatriement prend des hommes et des femmes à un point A et les transporte à domicile après les avoir habillés, installés. Directeur Départemental est un exécutant, Directeur Régional est le coordinateur. Il y a un Bureau de coordination auprès du Répartiteur de transports. Un autre pour les questions d'Assistance. Etrangers Nous aurons sans doute à recevoir une masse croissante de prisonniers et de déportés. 1°) Les rassembler en vrac dans des camps et installations militaires 2°) camps et installations militaires. 2 régions sont bloquées par les Alliés. Triage par BSM (Bureau de Sécurité Militaire) et BST (Bureau de Surveillance du Territoire ). Regroupage par nationalité des isolés. Une Direction Départementale comprend un ancien personnel. Le matériel ne peut être mis à disposition à partir de Paris. Il faut le traiter à l'échelon local. Les Directeurs Regionaux et Departementaux sont payés comme de rang égal. Ravitaillement. Des Colis mensuels pour les déportés. L'acceptation est Soumise au bon vouloir allemand {29]. Correspondance 2 lettres et 2 cartes par mois et par prisonnier. 2 messages de moins de 25 mots pour les travailleurs. Les Messages non interdits, rédigés en allemand pour les déportés politiques. Protection La Maison du prisonnier devenue Maison du prisonnier et du déporté est rattachée complètement à la Direction Départementale dont elle devient la Maison Départementale. Le directeur de la Maison est assisté d'un Comité de Direction consultatif. Des centres d'entr'aide des Prisonniers existent. Par analogie on conçoit des Centres d'entr'aide des déportés et des travailleurs. Il faut créer aussitôt que possible des centres d'entr'aide en passant du plan de l'assistance au plan de l'entraide. Une circulaire prochaine demandera l'institution au Département d'un fichier unique. Les Allocations militaires sont étendues aux déportés à partir du 1/11. Le COSOR (Comité des Œuvres Sociales de la Résistance) va être intégré à la Fédération Nationale des Centres d'Entr'aide. Semaine de l'absent du 23/12 au 1/1/45 Les fonds iront nominativement au camarade choisi, seront portés au livret {30] MNPGD (Mouvement National des Prisonniers de Guerre et Déportés) mouvement Résistance tend à fusionner avec le centre d'entraide et à former l'Assemblée Nationale P.G (Prisonniers de Guerre){31]. Finances M. Pleven (ministre des Finances, suite à la mort tragique de Aimé Lepercq, cf C:V.1) I Confiscation profits illicites Le Vice président d'une Commission Départementale [Commission de Confiscation des Produits Illicites, CCPI] est en principe membre du CDL; donc il peut y avoir deux vice- présidents dont le 1er est exclu du CDL désigné par le Commissaire. La publication de la décision du Commissaire va être autorisée. La modification en cours dûe à l'ordonnance ne doit pas retarder fonctionnement. Le délai limite de déclaration peut être prorogé par arrêté du Commissaire. Il faut développer le nombre d'enquèteurs. L'administration centrale s'en occupe {32]. II Emprunts Faire travailler le CDL à la propagande pour les emprunts. L'Emprunt n'empêche pas de poursuivre les gros bénéficiaires. Faire afficher le discours Billoux {33]. La remise à disposition (?) du Ministère (de la santé publique?) est acceptée par le Ministère des finances mais promet de régler par téléphone les mutations d'urgence demandées {34]. III Aide aux forces alliées Nouveaux (?) pare-chocs américains permettent de reconnaître les voitures. Le paiement par les autorités françaises de la Main d'Œuvre employée par les anglo-saxons est important du point de vue politique. Economie Nationale Reconstruction déminage. La lenteur du déblaiement est due d'abord à la difficulté à loger les ouvriers. Transports routiers Circulaire en date 15/11/44 traitant l'ensemble de la question des tarifs des transports. Des routes sont en cours révision. Épuration : {35] Ravitaillement Respecter les dispositions générales concernant la collecte et le rationnement. Les Secrétaires généraux économiques sont responsables de la collecte. Une circulaire a été envoyée par le Ravitaillement aux Commissaires sur la suppression des organismes professionnels (notamment GIL ?) nous ne l'avons pas reçue. Agriculture Suppression des corporations paysannes. Pour les comités d'action agricole, tenir compte de la représentation géographique, professionnelle, de l'activité politique. Il faut Des comités de coordination, 1 par Département. Ils vont être constitués pour provoquer la création de syndicats de spécialités {36]. Salaires agricoles : enquête en cours. Prime de libération : le Ministère conseille de la donner. Travail Emploi de la main d'œuvre. La loi du 20/5/44 sera reconduite. a) loi de 11/7/38 b) les ouvriers toucheront les salaires habituels au lieu de leur travail. Une allocation spéciale de communes sinistrées, de communes dévastées sera attribuée. c) Il faut la mobilisation véritable d'une classe. Veiller au fonctionnement de commissions Départementales Mains d'Œuvre. L'Indemnité de chômage sera portée à de 2 à 3 fois le taux actuel. La vérification de la qualité de Français est difficile. Celle du Casier judiciaire aussi. DGSS Le BCRA est rattaché à de Gaulle, SM (Suveillance Militaire) rattachée à Giraud, fusionnés à Alger après 8 mois de lutte en une DGSS (Direction Générale des Services Spéciaux). Ces jours-ci le SM est divisé en 2 : a) La Sécurité des armées passe à la guerre (Ministère de la guerre) b) Le contre-espionnage passe à la DGSS devenue DGER (Direction Générale des Etudes et Recherches). Elle est divisée en Bureaux de Documentation Rattachés à la Région Militaire. BST (Bureau de Surveillance du territoire ?) dépendant du secrétaire Général de Police. Eux seuls peuvent arrêter et interroger et perquisitionner. Les CT (Comités territoriaux ?) dépendaient de l'Intérieur. Ils ont été rattachés à l'ensemble des Services Spéciaux. Ils sont seuls officiels. Il faut supprimer tous ceux qui ne dépendent pas de la DGER. Il faut donner des instructions aux CT et leur demander beaucoup. Rapports La périodicité est maintenue, il faut rendre compte rapidement. Russes L'ambassade soviétique envoie dans chaque région une mission militaire soviétique. Lavigne va venir de Châlon S/M. Ne pas interner de résistants même étrangers. Proposer des solutions pour les questions soumises. INFORMATION 1) Un décret va définir la mise sous séquestre des journaux suspendus. Séquestre = gérée par l'administrateur des Domaines assisté éventuellement d'un conseiller technique qui pourrait être un administrateur provisoire. 2) Commission Nationale Elle remplacera la commission régionale pour la presse, elle délivrera une nouvelle carte obligatoire à partir du 1/04/45. Avertir journaux région. La carte ne peut être délivrée à l'Information {37]. 3) Poursuites Constituer un dossier (concernant les journaux collaborateurs) et le déposer entre les mains du juge d'instruction avant 6 mois à compter du 1/9/44. Il faut la liste des membres du conseil d'administration + les 50 plus mauvais articles + la liste de la direction de la rédaction. Il faut porter plainte contre toute l'équipe en bloc pour obtenir la liquidation de la Société. En référer au cas où un membre de l'équipe devrait être disjoint. 4) Qualité de la Presse régionale Toutes les semaines la synthèse des évènements sera envoyée par le Ministère. Le Commissaire doit faire des conférences de presse . Des équipes seront envoyées formées de spécialistes n'ayant pas écrit depuis le 16/6/40. 5) L'ordonnance du 26/8/44 permet la lutte : voir notamment le délit d'atteinte au crédit public par rapport à l'emprunt, diffusion fausses nouvelles, atteinte au crédit de l'Etat, diffamation. 6) Emissions politiques Il est formellement ordonné de les suspendre, voix de la Résistance et celles du CNR. Les journaux FFI doivent être interdits {38]. L'ordonnance du 30/9/44 laisse au Ministère seul le droit de donner l'autorisation de paraître. Il n'est pas nécessaire pour avoir l'autorisation que l'équipe soit rattachée à un mouvement de résistance. Il faut donner la meilleure imprimerie au meilleur journal. La Vente au dépositaire doit être à compte ferme pour connaître leur importance relative et leur faveur dans l'opinion. Il faut faire tomber les journaux qui n'ont pas avec eux l'opinion. Huma 306 000, Figaro 240 000, Populaire 200 000, Combat 192 000, Aurore 60 000, Résistance 140 000, Parisien Libéré 180 000, Franc tireur 170 000, Libé 176 000, l'Aube 168 000, Libé soir 225 000, France soir 225 000, ce soir 225 000, Paris Presse 200 000. Les journaux de province qui ne veulent pas paraître sur petit format doivent être saisis. 3150 Tonnes de papier (pour la province?) au lieu de 5100 pour décembre et toute la France {39]. Radio diffusion Impossible de faire vivre de nombreuses radios régionales de qualité. Car il n'y a (?) aucune censure militaire sur la radio{40]. Justice Cours de justice Elles doivent être aussi nombreuses que nécessaire. Il y a eu le rattachement de 67 tribunaux pour dégager les juges instruction et les Commissaires du gouvernement. Un texte à paraître va modifier la loi sur les cours de justice en allégeant la procédure, en supprimant la possibilité de Sursis, il va aider au maximum les cours de justice en moyens de police. Une compétence exclusive des cours de justice est le pourvoi en cassation et le recours en grâce rétabli. Les magistrats impliqués pourront être jugés dans un autre ressort. Il faut susciter des demandes d'avocats pour entrer dans la magistrature. Il faut proposer nommément des magistrats à démobiliser {41]. Ministère guerre Les Ordres mission doivent être signés par le Ministre ou le Commandant Mass.. Les Ordres de rappel individuels sont impossibles en ce moment. Les BSM (bataillon de Sécurité Militaire) FFI et non FFI doivent fusionner. Ils se bornent à des questions strictement militaires {42]. Si une troupe est utilisable au maintien ordre, le Ministre les mettra par réquisition permanente à la disposition du Commissaire {43]. Il faut Créer une prévôté FFI ou une formation analogue (bataillon de sécurité) {44]. Intérieur Etrangers il faut faire un recensement général. Les classer par nationalité mais aussi d'après l'attitude à l'égard de Vichy et de la Résistance. Première révision de l'internement automatique pour libérer des étrangers de nationalité ennemie qui ont combattu nos ennemis {45]. Répression de la collaboration. Il faut modifier ce qui a été établi pour appliquer progressivement les directives gouvernementales. La répression est une prérogative gouvernementale. Réorganisation police La police relève du gouvernement seul. La zone des armées est plus grandes que nos espoirs parce que les alliés nous ont dit ''Vous n'administrez pas partout''. Il faut des effectifs et de l'armement. Une troupe spéciale sera mise directement à la disposition du Commissaire (bataillon de Sécurité). Les G.M.R (Groupes Mobiles de Réserve de Vichy) {46] sont remplacées par les Compagnie Républicaine de Sécurité (CRS) : 60 compagnies de 200 hommes armés. Réorganisation Police La PJ (Police Judiciaire), la Sécurité publique et les RG (Renseignement Généraux) sont organisés à l'échelon Régional ; La Surveillance du Territoire est rattaché directement à la Direction Centrale. Il y a une Direction de l'administration des affaires Générales et une Direction des étrangers et passeports. I Police Judiciaire Le chef régional P.J. a autorité directe sur les inspecteurs. Ils doivent réprimer les délits de toute nature à l'exception du contre-espionnage : 1° Affaires criminelles 2° Menées antinationales 3° Affaires économiques et financières. Il y a Des brigades groupées dans chaque région. Elles agissent à la demande : du Parquet, du contrôle des prix, de la sécurité publique, de leur propre initiative. II Sécurité publique Le chef de district a l'autorité départementale, il veille au maintien de l'ordre. Depuis 1942 il ne s'occupe que de l'ordre sur la voie publique. Un retour à la situation de 1939 est envisagé. De lui relève tout le personnel en tenue. Il faut poursuivre l'étatisation. Il dispose du personnel de police régionale d'Etat en civil, des ex GMR devenus CRS, du corps urbain en uniforme. Il dispose Des compagnies de sécurité mobiles et mises à la disposition des Commissaires Régionaux. III Renseignement Généraux Le chef régional a autorité directe sur les inspecteurs. Réunit pour l'Intérieur des renseignements de tous ordres qui lui sont nécessaires. Il aide les autre services de police en leur signalant tous les faits suspects ; il assurait l'ordre dans les gares, les postes, les champs de course, fonction qui était de la compétence de la P.J. Fichier Le fichier central du Ministère de l'Intérieur est Mauvais IV Surveillance Territoire (ST) Rechercher et centraliser les renseignements de contre-espionnage et veiller à la sécurité extérieure de l'Etat. La collaboration ne relève de S.T. que s'il y a eu un contact avec un service secret ennemi. Les brigades ST sont seules qualifiées pour exploiter le renseignement relatif au contre- espionnage. Elles peuvent seules arrêter et perquisitionner à l'exception de BSM (bataillon de Sécurité Militaire) et du 2ème bureau (bureau de renseignement militaire). En temps de guerre les instruments d'exécution sont ceux du BSM et dans les zones armées le BSM a en cas d'urgence le droit d'arrêter et interroger en dehors de présence de RST (Renseignements de la Surveillance du Territoire). Le Commissaire Régional S.T. doit rendre compte sans délai à l'échelon central et aviser le Commissaire de la République. Ils agissent à la demande de BSM ou de leur propre initiative. Ils dépistent les liaisons aériennes et les communications radio clandestines. Armement et équipement Une Direction spéciale qui possède son représentant régional appelé chef du service Régional du matériel et relevant directement du S.G. (Secrétaire Général de la) Police. Le recrutement des femmes est arrêté {47]. La mise en sursis d'appel de tous les fonctionnaires de police mobilisés est demandée. Chiffre Le cabinet Ministériel doit envoyer des chiffreurs (pour un code secret). 1 chiffre pour S.T. (Surveillance Territoire), 1 chiffre P.J. (Police Judiciaire). Les Code 23 et MOP sont grillés. Instituer une clé personnelle du Commissaire République et des Préfets pour communiquer avec le gouvernement. Les directives arrivent. Production industrielle Reprise industrielle Charbon 6 jours de travail (par semaine) 54 % du meilleur chiffre de 1940, 68 % du meilleur chiffre de 1944. Les Besoins de la SNCF passent de 8100 à 17 400 en Décembre {48]. Prévu 2520 kilotonnes au lieu de 7400 pour le dernier trimestre 44 et le premier trimestre 45. Commandes alliées 2 500 000 tonnes, 600 000 patins de chars. Condition minimale d'une reprise La 1ère est l'épuration. Les Commissions d'épuration régionales inter- professionnelles doivent fonctionner sans délai, mais il est difficile de trouver des magistrats. Comités consultatifs d'entreprise {49]. Répartition faite à l'avenir uniquement par le Ministère.

C :App.3 Réunion du 7-9/2/45 INTERIEUR Conseils Généraux {50] 1° La passivité ne peut être assimilée à la collaboration 2° Le rachat de la déchéance doit être appliqué avec parti pris 3° Choix des remplaçants. La base est la moitié des anciens de l'ancien Conseil Général avec des correctifs. Il faut rassembler des renseignements sur les évacués d'Alsace-Lorraine et leur activité pendant l'occupation. Il faut pousser à la création de syndicats agricoles qui redonneront aux paysans le droit de voter et les consoleront de la disparition de la corporation paysanne (de Vichy). La proposition de CG (Conseils Généraux) consacrent une révolution politique qui n'existe pas dans le pays dans la réalité. Les élections auront lieu le 29 avril 1945 et le 20 mai 1945. Rapports entre CDL et Préfets Des Préfets ne résistent pas assez aux CDL. Ils seront relevés malgré la difficulté à les remplacer. Ces décisions seront irrévocables malgré les démarches de la Résistance. Avenir des CDL On ne peut les supprimer. Ils permettent la Coordination de la Résistance dans le cadre du Département. Ils contribuent à la Désignation des représentants de la Résistance dans les comités et organes créés régulièrement pour la reconstruction, le ravitaillement... Forces Armées de la Résistance. Il faut lutter. Organiser les CRS. Liquider les bandes armées avant les élections. La gendarmerie et la garde sont armées. Il faut éviter le noyautage des CRS en création, ils doivent être exclusivement aux ordres du Gouvernement. La responsabilité administrative et politique des Commissaires est engagée {51].

ECONOMIE NATIONALE Ravitaillement les Maquignons agréés peuvent être employés à acheter le bétail si la commission l'appelait définitivement (??). Le texte du 13/11/44 créant Commission du Ravitaillement sera remaniée. Il est Interdit d'aménager les rations à l'intérieur d'une Région. Transport l'Amérique a promis 300 locomotives et 45 000 wagons. Au 15/11/44 il y a 180 000 véhicules dont la moitié inférieure à 1250 kg; des véhicules neufs civils 30 % de fabrication : au 4ème trimestre 44 et 1er trimestre 45 cela fait 3600 véhicules. Les Britanniques vont envoyer 1200 camions retapés. Le Colonel D(???) a une flotte de 3000 véhicules. Pneus 1ère livraison de 2000 Tonnes de gomme dont 1800 utilisées en Janvier Février Mars dont 900 pour civils soit 45 000 pneus de quoi équiper 6 000 camions. Un nouveau texte permet réquisitionner un parc ou un simple véhicule en cas de fraude. GUERRE Rations sont difficiles à réduire pour les jeunes recrues à l'instruction. Formation de nouvelles g ran des unités Appel de la classe 43. Cette Opération est difficile étant donné moyens matériels le faire comprendre 1ère tranche : 3 Divisions. 2ème tranche : 2 Divisions d'Infanterie 3ème tranche :1 Division Blindée et 2 Divisions d'Infanterie. JUSTICE au 31/1 6000 affaires jugées par les Cours de justice. Tout devrait être terminé dans 80 % des Départements à fin juin, dans tous les Départements au 31 juillet {52]. Officiers ministériels : Les notaires et avocats semblent n'avoir pas été épurés. Les CDL doivent transmettre les renseignements aux Procureurs Généraux. De même pour les magistrats consulaires. Avocats les conseils de l'ordre mettent de la mauvaise volonté. La Voiture des Procureurs Généraux peut être payée sur les crédits de la Cours de Justice. Des Conférences régionales sont nécessaires entre le responsable de l'épuration administrative = et le Commissaire de la République, entre le responsable de l'épuration fiscale = et le Représentant des Finances et des Parquets. La Coordination pourrait se faire sur le plan régional comme à Lyon (suggestion). Répression du marché noir Personnel de police à la disposition de la Cours de Justice faire le maximum. Chambres civiques Il faut une Collaboration étroite entre le Commissaire et les Préfets d'une part et les Chambre civiques {53]. Prochaines élections Les Chambres civiques pourront décider en l'absence des prévenus d'exclure provisoirement certaines personnes des listes électorales, texte en préparation. La question est de saisir assez vite les Chambres civiques. Indignité Nationale Les poursuites en indignité nationale peuvent être intentées après le 1/02/45. Un délai avait été fixé pour presser les parquets. Une échelle de peines s'impose. Durée de validité ord onnan ce du 6/7/44 (ordonnance relative à l'épuration) Une circulaire interprétative est nécessaire honoraires d'avocats excessifs Une commission d'office s'impose. PRODUCTION INDUSTRIELLE suppression des Comités d'organisation {54] Les Commissaires provisoires feront le bilan de la gestion par les organismes Vichy. Le Ministre de la Production Industrielle publiera alors un livre blanc de la production industrielle française sous Vichy. Sur 127 anciens Présidents de Comité d'Organisation nommés par Vichy, il reste 17 Présidents tous couverts par la Résistance. Sur 46, les deux plus gros sont confiés à des syndicalistes ouvrier. 46+17 = 63 nombre auquel ont été réduits les 127 initiaux. Pour : les matériaux de construction – charbon – bois - matériaux ferreux, des contingents de dépannage de l'ordre de 5 % du contingent national sont laissés à disposition I.G. (Inspection Générale ?) de la Production Industrielle. Les Commissaires ont maintenant le pouvoir de modifier la répartition régionale dans le cadre national en fonction des transports et des ressources. Reprise industrielle Entreprises concentrées : peuvent rouvrir tout de suite. Les entreprises ayant refusé les commandes allemandes : faire leur prospection auprès des entrepreneurs. Que ces entreprises se fassent connaître pour le 31 mars. Une Ordonnance Spéciale pour Bâtiments et Travaux Publics répartit le matériel des entreprises-champignons {55] entre celles qui se sont sabordées (en refusant de collaborer). Répartition des camions : la région de Châlon remplace la vente par la location. TRAVAIL Mr Parodi {56] a obtenu l'accord pour entreprendre la remise en ordre des salaires par la première réunion de la Commission Nationale. La remise en ordre se fera nécessairement en hausse. Il y aura sept zones de salaires. INTERIEUR faire 4 exemplaires au lieu de 3 des rapports des Commissaires. Budgets communaux La Généralisation de la taxe sur les ventes au détail risque de provoquer augmentation coût de la vie. Revenir aux subventions d'équilibre. Pouvoir des Commissaires faire topo {57] INTERIEUR Ne plus faire d'administration directe. Contrôle. Coordination et surtout représentant du gouvernement. S'abstenir de critiques publiques contre le gouvernement {58]. 1° ) Internés au total le nombre est passé de 40 000 à 28 000. Les internés sans arrêté préfectoral de 6000 à 2800. Les Internés sans examen de 4000 à 1300. 2°) Hâter la commission de vérification des internements administratifs 3°) Les Internements administratifs n'ont pas un but répressif, ils ne remplacent pas la justice, il ne faut pas d'automatisme dans les mesures d'internement : apprécier. Pour la lutte contre le marché noir des instructions vont intervenir. Le BST (Bureau de Surveillance du territoire ) exerce la répression. Le Bureau de Documentation rassemble la documentation sur le contre espionnage. Il faut Interner les suspects d'avoir été parachutés signalés par le BST. Dans les zones des armées le C.I.C. (Counter Intelligence Corps ; service de contre-espionnage) américain peut revendiquer l'exploitation des renseignement. Les Camps d'internés civils allemands venus d'Alsace-Lorraine : Il faut dresser les listes rapidement (par un échange avec les chefs de la Résistance). C :App.4 Réunion du 3-5/4/45 RECONSTRUCTION Déminage M. Aubrac (Raymond){59] Il faut Faire faire un rapport comme celui du préfet du Loiret. Programme 1er Les abris doivent être achevés pour le mois d'août 45. faire un plan d'urbanisme. Économiser les matériaux. Voir l'ordonnance sur les travaux circonstanciels. En 46 il faut commencer la construction. INTERIEUR Les élections municipales auront lieu le 29 avril. Réunir les préfets pour appliquer la réglementation. Élimination des candidats a) Un membre du gouvernement constitué le 16/6/40 et qui n'a pas été relevé par décision de justice. b) par application des textes sur l'épuration a été déclaré inéligible c) frappé d'amendes ou déclaré solidaire (d'une personne frappée d'amende) par application des textes sur l'épuration. d) n'étant pas au Conseil Général élu ou au Conseil Municipal Pa?? a été nommé au Conseil Départemental élu ou au Conseil municipal élu et y a siégé (sous le régime vichyste) ; e) étant membre du sénat ou de la chambre au 3/9/39 et a voté la délégation du pouvoir constituant (à Pétain) ou était resté en fonction après 1942 (après le retour de Pierre Laval comme chef de gouvernement). Réhabilitation par le préfet sur proposition du CDL pour ceux qui ont pris part à lutte contre l'usurpateur. Il n'y a pas de juridiction d'appel. Les avis du CDL ne doivent pas s'inspirer de passion politique. Si il y a carence du CDL il faut passer outre. En principe la Réhabilitation doit être prononcée avant 13 avril. Voir le texte de Vichy 41 permettant internement pour marché noir. INTERIEUR Le 13 avril le Préfet prend un arrêté de convocation du collège électoral pour le 29 avril pour les élections communales. Inscription il faut savoir le nombre d'électrice et d'électeurs par arrondissement, canton, commune. Vérifier que le nombre d'inscrits n'est pas très supérieur à celui de 1935-6-7 {60]. Conseils Généraux les élections ne sont pas encore dans les cartons (?) Vote par correspondance Pour les citoyens ayant quitté leur résidence habituelle pour raison de guerre … S'ils sont inscrits dans leurs communes d'origine et s'ils font preuve du désir de voter dans un nouveau pays ils peuvent voter dans la commune d'accueil. Les travailleurs mutés par mobilité de la main d'œuvre ne pourront pas voter par correspondance. N om b re de Conseillés municipaux Il est proportionnel à la population validée avec le chiffre réel d'après le recensement de 1936 Propagande électorale Papier : les cartes électorales distribuées par la mairie ont été envoyées. Demander aux préfets où en est impression carte. S'il manque du papier, demander à l'Intérieur, il y parera à tout prix {61]. 90 000 000 enveloppes ont été imprimées, cf élections municipales et cantonales. 1 affiche 80x40 + 2 petites c'est à dire 1/6 de colombier (format de papier) pour convoquer les élections. Si l'affiche unique est lacérée, du papier supplémentaire est prévu pour la remplacer. Si 2 affiches se sont faites lacérer la 2ème fois avertir la presse de cette mesure. Des bulletins seront distribués avec les candidats. En dehors des affiches, tout moyen de propagande écrit : tract , affichette (???) est interdit. Les fo ???. Les réunions électorales sont autorisées. Essence pas d'allocation d'essence aux candidats. Radio émissions seulement nationales militaires ne votent pas sauf en congé de plus d'un mois. Ils sont éligibles s'ils sont du cadre de relève. Ne sont pas éligibles les militaires de carrière. Transmission télégraphique des résultats Dans la nuit des élections les préfets envoient les résultats par chef lieu département, d'arrondissement et de Commune > (de plus de) 4000 habitants {62]. ECONOMIE NATIONALE Prix et salaires Bloqués après septembre 39. Principe respecté pour les salaires, moins fortement pour les prix. Salaires augmentation régionale Jari ???? de l'ordre de 30 % a) salaires féminins régulation retardent (?) beaucoup sur salaires autres (?) ; pratiquement avant septembre ils sont de 20 %, en septembre 15 à 16 %, intention de le ramener à 10-12 % b) payer le salaire normal depuis 18 ans ? Et non de puis 20. Le Ministère résiste. Taux du min imum ?? a) un seul taux ou plusieurs ? 2 taux peu différents. Max de salaires : le maximum moyen par catégorie ; Le minimum 1ère catégorie 19 francs de l'heure, taux commun, 20 francs pour le bâtiment et l'armement (métallurgie){63].

FINANCES Donner au pays l'impression que l'effort doit être continu, partagé. PRISONNIERS M Magron Prisonnier de Guerre 15-18 dirige le zoné (?) des prisonniers vers les centres (régulation). Pour les étrangers M Raymond qui dispose de 10 à 15 000 places. Comité d'accueil Les rapatriés pour 10 jours (?) reçoivent des tickets d'alimentation. Au centre d'accueil départemental le rapatrié est dirigé vers le centre libération. Les Directions D ???? devront constituer un vestiaire départemental. 1000 F d'indemnité aux prisonniers libérés. Intérêt extrême à créer association départementale de l'accueil Il faut que l'accueil soit celui du pays tout entier. C'est le centre d'accueil et non le maire qui délivre la carte d'alimentation. On ne peut contraindre un étranger allié à travailler. Hâter la création de Maisons du prisonnier, annexées. SANTÉ PUBLIQUE En principe hôpitaux militaires pour PG (prisonniers de Guerre) libérés. Les Hôpitaux civils pour les civils. Contrôle médical rapatriés 1ère phase contrôle général de la santé (?). 2 examens successifs : le 1er 1 mois, 1 mois et demi après le retour. Le 2 ème 6 mois après le premier au chef lieu d'arrondissement dans le centre d'examen. Contrôle par des médecins requis. Tous les médecins des classes 1? et 2? {64] et plus anciennes seront soumis à la réquisition. De même les pharmaciens, dentistes, assistantes sociales avec les spécialistes et consultants requis à temps partiel. Contrôle par Mr l'inspecteur départemental de la santé sous l'autorité du préfet. Un fichier est établi. Hospitalisation rapatriés malades Les régions chargées seront aidées par les hôpitaux américains. PDR (Ministère des Prisonniers Déportés Réfugiés) prend en charge les sujets fatigués. Le Ministère de la Guerre s'occupe des rapatriés non démobilisés, Le Ministère de la Santé des rapatriés malades. Faire débloquer le plus possible les hôpitaux militaires et défendre les hôpitaux civils. Prévision nombre malades 2 % au minimum à hospitaliser, 5 % à mettre en maison de repos ou de convalescence. Principale maladie: tuberculose - ensuite vénériennes, épidémies, psychiques. a) mobilisation max des hôpitaux et hospices : en sortant les malades chroniques. b) construction de nouveaux pavillons en matériaux légers ; utiliser des locaux scolaires s'il est impossible de faire autrement. Envoyer sans délai l'indication des établissements à libérer par les Américains à la suite de l'avance des fronts. Indication des établissements en cours de constructions qui peuvent être achevées rapidement. Tuberculeux 1,78 % sont porteurs de tuberculose active, soit 50 000. 25 à 30 000 lits. Dépenser à la charge de la santé publique. PDR rembourse le prix de la journée pour tous les hospitalisés. Colonies de vacances. Préparer la question pour 1945. 40 000 enfants sont passés devant des tribunaux en 1944 {65]. INTÉRIEUR La réhabilitation est confiée à un jury d'honneur unique pour toute la France. Le Rôle des CDL et des Préfets tombent. Hâter l'envoi des dossiers en application du nouveau texte d'ordonnance. Dater les arrêtés préfectoraux du 7/4/45. Ne pas soulever de cas nouveaux. Les Préfets devront fournir au jury d'honneur les renseignements si possible après avis du CDL. C :App.5 Réunion du 21-23/6/45 INTÉRIEUR Tous les départements sont réintégrés dans la zone intérieure à compter du 1/7/45. Les militaires perdent leur pouvoir de réquisition. Les Instructions suivent. Envoyer les informations sur les civils en uniforme existant en dehors des services normaux du temps de paix, Ceci pour libérer les réquisitions inutiles. DGER (Direction Générale des études et Recherches). Elle démobilise, il ne restera bientôt plus dans les régions que le Bureau de Documentation avec un officier et quelques hommes. Les autorités civiles connaîtront la liste des agents qualifiés; seules exceptions : agents du contre-espionage : Informations et Instructions suivent. Autorité des Commissaires de la République et des Préfets sur les Administrations Régionales et Départementales Il va y avoir une hécatombe de Préfets. Quiconque ne réussira pas dans sa collecte sera relevé de ses fonctions; {66]. Relations entre les Commissaires de la République, les Préfets et les services de Police. Les attentats se multiplient depuis le retour des PDR (Prisonniers Déportés Réfugiés). Comment parer à ces évènements ? Toucher les Déportés prendre une ordonnance ajoutant 20 jurés déportés aux 100 parmi lesquels est fait le choix des jurys. Faire représenter les déportés dans les commissions de vérification des internements administratifs et les commissions de sécurité publique. Le problème de la magistrature {67].

SANTÉ PUBLIQUE Projet : 3 secteurs 1° Santé : médecine générale, publique, sociale 2° Protection de la maternité, de l'enfance et de l'adolescence, et de l'entr'aide sociale. 3° Famille et Population. Répondre à la Circulaire sur les délégués régionaux à la famille. Un Haut-Comité à la population a été créé auprès de la Présidence du gouvernement; favoriser les naissances de 2ème et 3ème rang. Une Communication nous sera faite de tous les projets de réorganisation pour que nous puissions faire des observations et suggestions. 1 école d'assistantes sociales par département. Tuberculose Soigner avant d'avoir déterminé qui paie. L'équippement national hospitalier est sur les préaux. Faire connaître tous les bâtiments, sanatoriums, hôpitaux utilisables. Voir s'il y a lieu de conserver les installations hospitalières de lycée. Examen médical des rapatriés après leur retour dans leur département d'origine fiches distribuées. Demander aux préfets le budget même? fractionné (2 mois) sur la base du nombre de rapatriés. Aide médicale temporaire aux rapatriés Colonies de vacances Les subventions relèvent de l'Éducation Nationale. Instituer un Comité Départemental des colonies de vacances présidées par le Préfet. ''L'entr'aide française''{68] dispose de sommes importantes. Défense morale de l'enfance en danger. Il faut donner son avis sur la fonction du Comité Régional de coordination. Réprimer la prostitution clandestine. Mise en carte {69].

PRISONNIERS Habillement des rapatriés {70] 1 450 000 rapatriés venus surtout de la zone franco anglo américaine (la zone qu'occupent les armées occidentales) : Aisne 6700, Ardennes 6000, Oise 4000, Somme 4000; total 20 700. Nord Pas de Calais 40 000 Champagne (?) 35 000. Disponibilité (pour toute le France). Disponibilités 400 000 collections livrées de l'intérieur, 200 000 résultat réquisitions, 200 000 à espérer d'Allemagne, 250 000 C.R. (croix Rouge) américaine. Besoin : 4 à 5 000 000 (on en est loin) . Existence de comités d'investigation où siègent notamment des prisonniers et déportés. Pour augmenter nos ressources 1° accroître les importations 2° répartir le peu que nous produisons 3° Elargir la notion de catégories prioritaires pour allouer tout ce dont nous disposons et cela à titre gratuit{71]. Accueil à long terme Maison de repos ordonnance 3/04/45 : L'Ouverture est subordinée à une autorisation préfectorale après avis du comité d'accueil. La Gestion est faite par le comité accueil. Le financement 38 F/jour est payé par Ministère PDR (Prisonniers Déportés Réfugiés). AMT (assurance maladie des travailleurs ?) assure le remboursement selon barême fixé par le Préfet. AS (Assurance Sociale ?). Appel à la générosité publique. Séjour dans hôtels organisé p ar le groupe Tourisme et Travail accueil familial. Faire le recensement des maisons d'accueil déjà ouvertes pour éviter les ouvertures inutiles. Signaler d'une part les centres nécessaires à la région, d'autre part, ceux qui peuvent être utilisés par d'autres régions. Bureau Central de voyages existe au Ministère dispose de nombreuses places. Les familles peuvent accompagner, mais ne sont pas payées, elles doivent payer elles-mêmes ou être subventionnées par le Comité Départemental d'accueil. Campagne du retour Rien n'est dit INTÉRIEUR Les Mairies peuvent demander une avance de trésorerie au Préfet qui transmet les demandes au Ministère Intérieur. Etats Généraux Renaissance Française Budgets des CDL {72] ECONOMIE NATIONALE RAVITAILLEMENT Les Commissaires République et les Préfets demeurent les grands responsables du ravitaillement. Les Directeurs Régionaux doivent être plutôt animateurs qu'un nouvel échelon. Politique Générale C'est une Economie dirigée. Suppression de l'organisation de Vichy. Les Comités Départementaux de Ravitaillement sont tripartites : producteurs, consommateurs, intermédiaires sont consultés. Collecte avoir un accord des producteurs. Prix assez large revalorisation. Pommes de Terre : prix différentiels. Les Arrêtés de taxation des fruits et légumes n'ont pas été pris. Marché parallèle 2 formes 1° marché familial très important 2° marché noir, trafic. Seule l'administration du Ravitaillement est habilitée à délivrer des ordres de transport et ordres de mission. FINANCES L'Opération échange billets est un grand succès. Pas très lisible 400 000 Mf (millions de francs) dém...... (???) : entre le 14-12 et le 1/6/45 . Impôt de péréquation; train de simplifications fiscales (?) contrôle du crédit. Les pouvoirs de réquisition civil et militaire sont supprimés. Réquisition de biens meubles et immeubles caduques le 1-10 (?). Accord avec la Suède pour la pâte à papier, le bois de charpente {73]. Traitement des auxiliaires Une prime de technicité va être créée; Une passation du salaire régional au salaire national a été demandé par les organisations syndicales CGT et CFTC. Alimentation en bois de la Région Parisienne 1 800 000 stères seraient nécessaires pour les foyers domestiques. 14 000 000 possibles pour toute la France dont 6 000 000 par des carburants forestiers. Les impositions actuellement mises en place pour 10 000 000 stères. TRAVAIL Une grande souplesse sera laissée dans l'emploi PG (prisonniers de Guerre). Consulter la Commission M.O. (Main d'œuvre) avant emploi pour obtenir l'accord des organisations ouvrières {74]. PRODUCTION INDUSTRIELLE En 1938 en France 5 100 000 Tonnes (charbon probablement)/mois étaient distribués, dont 2 000 000 étaient importées. Aujourd'hui 2 000 000 distribués dont 200 000 importées. Aucune attribution aux foyers domestiques n'est à prévoir l'hiver prochain. Il faut trouver par mois 1 270 000 T de plus. SNCF a besoin de 600 000 Tonnes/mois; les stocks de 6(?) jours de marche. Sidérurgie 20 % d'activité. Il y a eu des pénuries en mai, il faudra arrêter. 1° Les Usines à feu continu à clouteries : ne seront pas arrêtées; et les usines consommant du mauvais (?) charbon ne seront pas arrêtées (?) en juin- juillet. 2° Les Autres devront marcher à 40 % de prévision en juin-juillet {75]. Relèvement production Nationale Effectifs ont baissé de 170 000 à 140 000. Absentéïsme en 41 : 11%, année 45 : 23%. Rendement horaire en 1940 : 167 kilos (de charbon, par mineur), en 1943 : 115, en avril 1945 : 110. Un seul remède, emploi PG (Prisonniers de Guerre) mais il faudra les loger et les équipper. En septembre il y en aura 30 000, puis 45 000. Matériel très fatigué. Pour augmenter le rendement horaire on a institué un supplément de rémunaration de 12,5 % le jour, de 25 % le fond (mineurs). En plus une prime d'assiduité. Recours à l'importation, peu d'espoir. La Sarre ne dépassera sous doute pas en Décembre 20 000 T/jour. La Ruhr 4 000 000 T charbon, 2 000 000 de coke sur le carreau. Donner la liste des destinataires, rapport au ministère.

C :App.6 Réunion du 17/9/45 RAVITAILLEMENT Viande Date choisie pour une raison technique et en dehors de la période électorale {76] achat libre à la production, obligation amener bêtes à un centre d'abattage public ; le boucher est débité du poids qu'il reçoit, la prime lui est payée quand il rapporte le poids correspondant de tickets d'où a) une gêne pour l'abattage clandestin b) Le boucher est poussé à exiger des tickets des clients. Faire respecter par préfets taxe prix vente détail Le rationnement est maintenu. Pour tenir les prix : a) orientation des marchandises par un bon de circulation b) importation de viande 15 000 Tonnes/mois mesuré en carcasses sous deux formes : frigorifié, conserves, ces dernières pour l'hiver. Faire porter en octobre tout l'effort du contrôle économique sur la boucherie : attaquer seulement l'abattage clandestin destiné à l'extérieur de la commune. Sanction fermeture de la boucherie. Payer la prime de 20 % à toutes les livraisons en septembre. Importations 150 000 Tonnes/mois de blé pour la métropole ; 200 000 T de matières grasses pour le 2ème Trimestre 1945. Ration 600 g de matières grasses en octobre, 500 g de sucre maintenu (?), café très amélioré. POMMES DE TERRE Récolte déficitaire, contrôle du transport par bons de circulation. Grouper les consommateurs et développer les rapports entre les groupes d'achat et de consommation {77].

C :App.7 Réunion du 18/1/46 INTERIEUR Les mouvements sont plus contre le gouvernement que contre l'Assemblée {78] carte de pain M. de Gaulle. (nous sommes deux jours avant la démission de de Gaulle) Mouvements Spontanés … : boulangers, voyous. Le Rôle du PC est apaisant. La police n'a pas fait grève, le désir de travailler. 18h Période de crise. L'importance que la région a gardé, qu'elle pourrait avoir : Plan, Hache {79]. Elle jouerait un rôle utile tel que défini par l'ordonnance 24/10/45 (la lettre du 27/12 la rappelle) et laisserait l'essentiel des pouvoirs {80].

C :Notes relatives à ''l'école des Commissaires'' {1] Cette formule est à l'emporte-pièce. L'action militaire et politique s'imposait dans toute la France et visait les Allemands et leurs alliés vichystes. {2] Non politiques : probablement non rattaché à un parti, OCM, Combat, …. {3] A prendre ironiquement. {4] Pour les FFI transférés dans l'armée. {5] Roll Tanguy lui-même a dû suivre un stage de Perfectionnement à Provins à compter du 18/1/45. ''Mais il ne s'y rend pas en simple stagiaire. Le 19 , une note de Koenig au colonel directeur du centre précise ''en raison du commandement qu'a exercé effectivement le colonel Rol-Tanguy dans la Résistance (chef régional des FFI de l'Île de France), je vous prie de vouloir bien considérer cet officier supérieur comme auditeur libre et de lui donner en cette qualité toute facilité pour suivre les cours et conférences''. Rol n'était donc pas astreint à faire tous les travaux demandés aux stagiaires''[98]. Rol étant explicitement et à juste titre une exception on en déduit que ces stages de Perfectionnement n'étaient pas un plaisanterie. {6]insuffisants en nombre ou en qualité ? {7] En zone nord on considère que les journaux postérieurs à l'armistice du 22/6/1940, c'est à dire à la soumission officielle de Pétain à Hitler. Pour la zone sud qui jouissait d'une certaine liberté jusqu'à son invasion par les troupes allemandes le 11/11/1942, on prend cette invasion pour la date à partir de laquelle tout journal qui paraît légalement est collaborateur. {8]Un administrateur séquestre administrait les biens réquisitionnés par le pouvoir. {9] Il s'agit probablement des missions militaire de journalistes sur les zones de combat. {10] Sous quelle autorité ? Probablement Pène parle ici de son autorité en tant que Commissaire. {11]Malick était l'ancien préfet de l'Oise, assigné à résidence, cf sections C :II et C:V.4.3. {12] il s'agit peut-être des cabinets des sous-préfets. {13] L'ordonnance du 21/4/44 a prévu l'élection des conseils municipaux et donné le droit de vote aux femmes pour la première fois en France. {14] Il s'agit du butin de guerre réquisitionné sur l'ennemi. Les français veulent leur part. {15] Les impositions sous l'occupation allemande étaient des quantités de produits divers exigés des agriculteurs. Ces impositions ont été maintenues un certain temps à la libération par le gouvernement. {16]On estime à 2400 calories par personne la quantité acceptable. {17] Il s'agit probablement du poids de pain par jour. {18] On désignait probablement de ''Comités Médicaux de Libération'' les précédemment nommés ''Comités Médicaux de Résistance''. {19] La question ouverte en septembre 44 était : que faire de l'ordre des médecins instauré par Vichy en même temps que les syndicats médicaux étaient interdits ? Le supprimer, le conserver, le modifier ? Le 24/9/45 une ordonnance le modifiera peu. Les syndicats sont rétablis dans leurs prérogatives. {20]Les officiers FFI qui n'ont pas fait de résistance, c'est un oxymore. S'agit-il des FFI de la dernière heure ? {21]L'Etat de siège concernait en particulier différente poches de résistance ennemies près le la mer : Pointe du Grave, Royan, Oléron, Dunkerque, Lorient, St Nazaire, La Rochelle [150]. Les FFI faiblement armés ne peuvent les réduire mais les encerclent. En septembre 44 le territoire National est loin d'être totalement libéré. L'ennemi résiste en Alsace-Moselle. Les zones réservées près des côtes et des frontières sont sous administration militaire. La référence à une zone réservée près de Paris surprend. {22] Ce passage est très intéressant et décrit avec précision, comment on doit triller et traiter les Allemands en territoire français. {23] Les cours martiales ont été instaurées par Vichy en 1944. {24] Aucun contenu ne suit ces titres. {25] Il s'agit des services de renseignement. {26]Les élections des conseils municipaux élus n'auront lieu qu'en avril-mai 1945, et le cantonales en septembre 1945. L'ordonnance du 21/4/44 est celle qui a définitivement fixé sans délai le droit de vote des femmes suite à l'amendement Grenier (PCF). Cette ordonnance prévoyait l'organisation de l'élection de conseils municipaux et de conseils généraux dés que les listes électorales seraient complétées. Il était précisé que la date serait fixée dans chaque département. En réalité les élections ont été organisées à la même date dans toute la France. Les dates retenues ne sont pas trop tardives si l'on prend en compte le fait qu'il fallait attendre le retour d'un grand nombre de prisonniers, déportés et réfugiés, pour avoir des listes électorales suffisamment complètes. Le souci légitime de demander aux organisations de Résistance d'équilibrer les candidatures entre les villes et les campagnes correspond au contexte de novembre 44. En avril et septembre 45 il s'avérera que l'élection reposera plus sur les partis anciens ou nouveau (MRP) que sur les organisations de Résistance. Si les organisations de gauche étaient liées aux partis PCF et SFIO, les organisations de Résistance ''de droite'', OCM, Combat, CDLL et CDLR pèseront très peu dans les élections. {27] Pourquoi stopper la hausse des salaires ? Cela visait à ralentir la hausse des prix. Il n'est pas évident que ce but sera atteint. La hausse des prix atteindra 38% en 1945 et 64% en 46 [191]. L'argument avancé est aussi que les anciens salaires pour les Allemands ont déséquilibré les salaires. On corrige ces inégalités mais en les dissimulant sous des indemnités provisoires. C'est habile. {28] il s'agit de Henri Frenay, chef du mouvement de Résistance ''Combat'', Ministre des Prisonniers, Déportés et Réfugiés dans le premier GPRF. {29] l'Allemagne n'était pas encore occupée par les troupes alliées le 11 novembre 1944 [193]. Beaucoup de français y sont encore travailleurs STO, prisonniers de guerre ou prisonniers politiques (des résistants). {30] Il s'agit d'une quète organisée en faveur des absents, prisonniers de guerre, .. {31]Le plan présenté ici par Frenay s'est heurté à de nombreux obstacles. Les alliés souhaitaient que l'effort principal soit porté sur les prisonniers de guerre ce qui les concernait directement. Ils souhaitaient aussi entraver le moins possible les opérations militaires. Au moment de cet exposé de Henri Frenay les Alliés de l'Est et de l'Ouest n'ont pas encore envahi l'Allemagne. La France ruinée aura-t-elle les moyens de créer ces centres d'entr'aide annoncés ici ? Une chose est très étonnante. Frenay ne dit pas un mot des prisonniers ethniques, juifs et Tsiganes qui étaient pourtant les victimes d'un monstrueux génocide, les juifs étant les plus nombreux. Certes les pires camps d'extermination ne sont pas encore libérés en 1944, les alertes venant des premies camps libérés à l'est sont considérés avec scepticisme par les occidentaux. Mais on les a vus partir, les victimes des nombreuses rafles effectuées en France, les 75 000 juifs déportés de France dont seulement 2000 revinrent. Faut-il interpréter le silence assourdissant de Frenay sur ce sujet comme un signe du malaise qu'il avait avec la question juive. En Février 43 il recommandait au Gal de Gaulle d'éviter ''que le Général soit l'homme qui ramène les juifs. Bien que notre devoir soit de supprimer toute distinction ''raciale'' il faut dans la pratique, tenir compte de l'attitude de la population, qui a effectivement changé depuis deux ans'' [139]. Cet argument ''pratique'' est nauséabond, et de plus faux. L'opinion a basculé avec la rafle du vel'hiv, surtout la déportation des enfants, les services de Vichy l'ont reconnu. 72 000 enfants juifs échappèrent à cette horrible mort grâce à des actions individuelles de nombreux hommes et femmes de France. Et en novembre 44 on n'avait rien à en dire ? {32] Ces notes sont éclairées par la citation suivante ''Les comités de confiscation ont été instaurés par l’ordonnance du 18 octobre 1944 complétée ensuite par celles du 6 janvier et du 2 novembre 1945, afin de saisir des profits réalisés entre le 1er septembre 1939 et la date légale de cessation des hostilités en Europe soit le 8 mai 1945. Dans chaque département se mettent en place un à plusieurs CCPI (Confiscation des Profits Illicites) composés de représentants des services fiscaux (Contributions directes et indirectes, Enregistrement, etc.) et du comité départemental de Libération (CDL), article de Florent Le Bot [192]''. {33] Billoux, ministre de la santé publique, communiste. {34] Début novembre 1944 un emprunt d'Etat, ''l'emprunt de la Libération'' était lancé par Aymé Lepercq, ministre des finances. Lepercq est mort dans un accident de voiture le 9/11/44 en se rendant chez Pierre Pène (cf section C :V.1). Il fut remplacé par René Pleven qui parle ici. L'emprunt rapportera 165 milliards de francs. {35] Epuration, il y a juste le titre, sans contenu. {36] Les corporations paysannes étaient une création de Vichy. Il importait donc de les supprimer. Les syndicats de spécialités sont encouragés. Il n'est pas fait mention de la Confédération Générale de l'Agriculture, clandestine, d'où a émergé la FNSEA, qui a rassemblé tout le syndicalisme agricole et est aujourd'hui encore la principale organisation syndicale agricole. Quel fut le rôle des ''Comités d'action agricoles'' mentionnés ici ? Il semble qu'il était très variable. {37] Pourquoi refuser la carte de presse à l'information de la presse régionale ? La raison est peut-être seulement économique, le papier est rare et fourni par l'Etat. {38] Pourquoi cette interdiction des émissions politiques y compris de la Résistance ? L'interdiction des journaux FFI vise à restreindre les FFI au secteur Militaire ? On sent une offensive puissante contre les institutions issues de la Résistance. {39]Toutes ces restrictions peuvent ressembler à de la censure politique. Toute expression vichyste est censurée, mais les voix de la Résistance ? C'est la forte pénurie de papier et de moyens radiophoniques qui expliquent cela. L'Etat devait non seulement nourrir et chauffer la population, mais aussi fournir les moyens de la presse, de l'armée, y compris une aide aux armées alliées, etc, sans oublier la reconstruction. {40] Faut-il comprendre ceci dans le sens qu'une radio pourrait transmettre des infos utiles à l'ennemi ? L'ensemble de ces mesures concernant les médias surprend au premier abord. Il y a censure des collaborateurs et séquestre des journaux collaborateurs, on le comprend. Mais on censure aussi les instances issues de la Résistance, CNR et FFI. Pour les FFI, la raison en est qu'on veut leur disparition, qu'ils joignent l'armée régulière ou se dissolvent simplement, car on estime que leur existence ne se justifie plus. Concernant le CNR, on considère aussi que cette autorité de la Résistance intérieure n'a plus lieu d'être dans le pays libéré et qui possède un gouvernement. Bien sûr il y a ici un paradoxe, puisque la quasi totalité des Commissaires et des Préfets étaient des résistants, et qu'on leur demande d'assurer la propagande gouvernementale : le Commissaire doit faire des conférences de presse. Les journaux nationaux sont libres et classés par leur tirage. D'autres contraintes non-politiques amènent à limiter l'action des médias : la nécessité de tenir compte des impératifs de la guerre et aussi la misère de la France en ruine dans une économie dirigée : rationnement du papier, des émetteurs radio, etc. {41]Il faut préciser que par ''cour de justice'' on entendait des tribunaux spéciaux pour juger les fait de collaboration. Selon wikipedia, ''l'épuration à la libération de la France'' elles étaient 90 à la libération, réduites à 30 en janvier 46. Le problème est de les créer dans l'urgence. Les 67 rattachées évoquées ci-dessus sont peut-être des tribunaux transformés en cours de justice fin 44 et faisant ainsi partie des 90 du début. {42] On veut faire partir les FFI du politique.On retrouve cet objectif en beaucoup d'endroits. {43] Le Commissaire de la République est le garant de l'ordre. {44] Prévôté est un nom attribué à des unités de gendarmerie chargées de la police militaire. Il semble qu'il s'agisse ici d'utiliser les FFI à des missions de sécurité intérieure. Peu après elles seront incorporées aux unités militaires, ou dissoutes. {45] Cela paraît urgent : les étrangers de nationalité ennemie qui avaient combattu le nazisme n'étaient pas rares. Les premiers prisonniers des camps étaient des Allemands. {46] Les GMR de Vichy sont dissoutes le 8/12/44 et remplacées par les CRS. {47] Le recrutement des femmes est arrêté. Cela prouve qu'il y en a eu, sous Vichy ? L'arrêt de ce recrutement, alors que le droit de vote leur était enfin accordé, est encore un paradoxe. Il ne faut pas s'en étonner dans une période révolutionnaire comme celle de la libération. {48] Quelles unités de poids sont utilisées ici ? Le symbole ''T'' semble renvoyer à la tonne. Mais il nous faudra préférer les kilotonnes (1000 tonnes). En effet, 1) les locomotives à vapeur consommaient de 10 à 20 kg de charbon par km. Les besoins de la SNCF estimés en tonnes correspondraient à un kilométrage très faible de l'ordre de 1000 km pour un mois entier. 2) les commandes alliées ci-dessous sont en millions de tonnes ce qui serait aussi le cas des besoins SNCF si nous utilisons ici les kilotonnes. {49] La relation entre l'épuration et la reprise économique ne saute pas aux yeux. Il s'agit peut-être du fait que l'on soupçonne le marché noir de faire obstacle à la reprise, ou tout simplement que pour une reprise il faut une communauté de travail rénovée, dépouillée des collaborateurs. {50] Il s'agit ici des critères d'interdiction de se présenter aux élection à venir. {51] Il est intéressant de voir le louvoiement du gouvernement et par conséquent des Commissaires de la République avec la Résistance. C'est assez compréhensible. C'est un pouvoir issu de la Résistance qui veut rétablir l'ordre républicain. La Résistance était par définition hostile à l'ordre germano-vichyste. D'où ce désir du pouvoir d'éliminer à terme les organisations de la Résistance, CNR, CDL, ...sans brutalité, puisqu'il s'agit bien de ce qui fonde la légitimité de ce pouvoir. Mais il veut désarmer les groupes armés issus, en principe, de la Résistance. Les élections sont canalisées par la déchéance des anciens élus gravement compromis, mais pas trop radicalement. On tient compte des sentiments des agriculteurs {52] Rappelons que les cours de justice ne jugeaient que des fait de collaboration, une tâche temporaire {53]Les chambres civiques : créées par l' ordonnance du 26/8/44 afin de juger les collaborateurs dont les actions ne sont pas punissables pénalement. Elle met les condamnés en état d'indignité nationale, et les punit de dégradation nationale. {54] Les Comités d'Organisation étaient chargés sous Vichy d'organiser la production industrielle du pays après l'armistice. {55] Entreprises champignons : nom donné aux entreprises qui surgissaient pour participer à la construction du mur de l'Atlantique. {56] Alexandre Parodi : Ministre du Travail et Sécurité sociale. En février 44 il avait été nommé délégué général du Comité Français de Libération Nationale en France occupée. {57] topo, en langage familier signifie discours, rapport. On imagine que Pène à utilisé ce terme dans ses notes pour faire court et par ironie. Il faut noter que dés février 1945 le ministère insiste sur la baisse du pouvoir des Commissaires. {58] A quoi cela fait-il allusion ? On sent une tension forte entre le gouvernement et les (certains) Commissaires de la République. {59] Raymond Aubrac (Raymond Samuel de son nom de naissance), résistant dans le mouvement Libération -sud, fut nommé Commissaire de la République à Marseille. Objet d'attaques il est destitué en janvier 1945. Il devient directeur au ministère de la reconstruction et c'est à ce titre qu'il présente l'exposé mentionné. D'autres attaques infondées contre sa personne seront nombreuses [101]. {60]Ce dernier commentaire est surprenant. Etant donné que les femmes votent, le nombre d'inscrit(e)s devrait approximativement doubler les nombres de 1935. Ce qui est surprenant aussi c'est que seul le petit mot ''électrice'' signale que les femmes votent. Ces élections du 29 avril 1945 étaient historiques car c'était la première fois en France que les femmes votaient. La discrétion de ces réunions de Commissaires sur ce fait est étonnante. {61] La misère du pays amène à se poser ce genre de question ! {62] On pense à tout ! Cette profusion de détails peut sembler naïve, mais il faut comprendre que c'était la première organisation d'élections par ce nouveau pouvoir, dans un pays en ruine où tout manque, un pays en guerre, avec pour la première fois en France les femmes électrices ce qui double le nombre d'électeurs. Cela explique l'angoisse que l'on sent dans ces préparatifs. {63] La hausse de salaire a été très vite annulée par l'inflation [150]. {64] C'est une étrange définition des classes de mobilisation, habituellement représentées par l'année de mobilisation. Il faut peut-être simplement soustraire le chiffre à l'année présente (1945) pour avoir la classe de mobilisation. {65] En ce début d'avril 45, les deux grandes affaires sont la préparation des élections avec participation féminine, un événement historique, mais aussi la santé. L'onde de choc du retour des rapatriés frappe ce pays dont le système sanitaire est encore très faible. Il est beaucoup question des prisonniers de guerre qui constituent les plus gros contingents. On ne parle pratiquement pas des survivants des camps d'extermination, hélas beaucoup moins nombreux, et des Résistants rescapés des camps. On le regrette un peu car si leur nombre était beaucoup moindre leur état de santé épouvantable nécessitait sûrement des mesures spécifiques. Il est vrai que la plupart ne sont revenus qu'à la fin de la guerre, en mai 1945. {66]De quelle collecte s'agit-il ? S'agit-il de la collecte pour l'emprunt cf section A.2, ou de la collecte du ravitaillement auprès des producteurs, cf ci-dessous, économie nationale ? {67]Cette remarque sur les attentats est surprenante. De quel type d'attentat s'agissait-il ? Qui en étaient les auteurs, qui les victimes ? Nous n'avons pas trouvé d'autre source en parlant. {68] Entraide française est un organisme de solidarité qui succède en 1945 au Secours National, soutenu par Vichy. Il a été supprimé en 1949. {69] On mesure le poids considérable que constituait l'arrivée des Prisonniers Déportés Réfugiés dans un état de santé lamentable, pour la France détruite, pillée, etc. dans laquelle la nourriture était encore rationnée, etc. Ce qu'on lit ci-dessus et ci-dessous c'est une énergie remarquable déployée pour faire face. L'afflux gonflait comme conséquence des progrès des Alliés en Allemagne. Il y a eu bien sûr des mécontentements, des insuffisances, mais des témoignages de survivants nous apprennent aussi qu'ils ont été soignés à leur retour. Peut-on, en lisant cela, ne pas avoir honte de la frilosité de la ''riche France'' du 21ème siècle dont se réjouissent les journaux financiers face au petit nombre de Réfugiés qui demandent l'asile. L'esprit de Résistance soufflait encore bien fort en 1945, et aujourd'hui comment qualifier le vent qui souffle ? {70] hé oui, il fallait même les habiller !! Vu depuis notre vie confortable on oublie ces détails essentiels. {71] Ce point 3° ne contribue évidemment pas à l'accroissement des ressources au contraire. Souvenons- nous qu'il s'agit de notes prises au vol d'un discours oral. Mais retenons surtout son contenu, cet admirable esprit de solidarité. {72] Rien n'est dit. Les CDL (Comité Départemental de Libération) perdaient de leur influence dans cette période où se mettaient en place des organismes élus. {73] l'échange décidé par René Pleven, ministre des finances, aurait eu lieu entre le 4 et le 15 juin 45. L'opération fut un succès en ce sens que l'échange a été massif. Cependant le but consistant à réduire la marché noir n'a pas été atteint. On a même dit que l'échange avait permis de blanchir l'argent du marché noir sous l'occupation. Pierre Mendès-France, ministre de l'Economie Nationale avait proposé un échange avec limitation de la somme donnée. Il a démissionné après le refus par de Gaulle de son plan. {74] Cela aussi révèle l'orientation à gauche de la France dans cette période. {75] Ces données sont approximativement en accord avec la référence [188]. En 1938 elles donnent (5 100 000 – 2 000 000) tonnes/mois de production, soit 37 200 000 par an, inférieur aux 46 000 000 [45], peut-être à cause d'une inégalité dans les mois. Pour l'année 1944 (2 000 000 – 200 000) /mois soit 21 600 000 pour 12 mois à comparer aux 26 500 000 [45]. Dans les deux cas l'estimation de la référence [45] dépasse d'environ 20% les données ci-dessus. Nous en ignorons la raison mais l'ordre de grandeur est le même. {76] il s'agit probablement de la date de la réunion des Commissaires au ministère. Puis on parle de la viande. {77] Cette réunion beaucoup plus brève que les autres indique la fin prochaine des Commissaires de la République. Il n'est plus question que de ravitaillement. Les retours de Prisonniers et Déportés doivent approcher de la fin, quatre mois après la capitulation allemande. {78] On parle de mouvements sociaux. L'un deux sera raconté par Pène en section C:V.3 {79] Les commissions de la hache dont la mission était de réduire les dépenses publique essentiellement en supprimant des postes. Ils en ont supprimé environ 100.000 entre 1946 et 1949, cf Emilien Ruiz, Monde Diplomatique, avril 2018. {80] Ainsi se termine la dernière réunion de ''l'école des Commissaires''. La personne qui parle au nom du ministre de l'intérieur, Adrien Tixier, semble souhaiter un maintien des régions mais avec un rôle très réduit. Les Commissaires de la République ne semblent pas nécessaire pour ces tâches. Adrien Tixier avait d'ailleurs signé l'ordonnance du 27/7/45 soulignant le caractère provisoire des Commissariats Régionaux. De toute façon, de Gaulle démissionnant deux jours après cette réunion, les jeux étaient faits. Mais cette question d'un résidu d'activité à l'échelle de la Région transparait aussi dans le discours d'adieu de Pierre Pène [66]. Ce discours est prononcé fin mars 46, donc deux mois plus tard. ''L'Assemblée Constituante a le 22 mars décidé'' la suppression des commissariats régionaux. ''Il semble que la question des services de police ne soit pas réglée définitivement ; il semble aussi que les services économiques doivent subsister sous une autre forme, mais, en ce qui concerne le Commissariat proprement dit, la suppression est certaine''. Nous ne savons pas ce qu'il est advenu de ces résidus des régions, mais il nous semble que les régions ont totalement disparu du paysage administratif. D'autres régions sont apparues en même temps que de Gaulle dans la constitution de 1958. Elles sont parties avec lui et revenues avec lui !

D :Pierre Pène, Gouverneur du Bade

D :Avant-propos Cette partie de la biographie de Pierre Pène concerne son activité comme ''Gouverneur'' du Bade-sud. Pène a tenu un journal pendant toute cette période, contrairement à la période de la Résistance pour des raisons de sécurité évidentes, et à la période où il était Commissaire de la République par manque de temps. Ce journal est une source importante car il nous donne une image de la façon dont Pène a vécu cette période. Il nous montre dans quel ordre apparaissaient les problèmes, les décisions qu'il prenait, et aussi, ses relations humaines avec les Allemands comme avec les Français, avec ses chefs comme avec ses collaborateurs, avec les civils comme avec les militaires, etc. Ce journal est accessible sur la référence [57], mais nous mettons en garde contre la taille de ce document et la difficulté qu'il y a parfois à décrypter l'écriture manuscrite de Pierre Pène. Quand nous citerons ce journal nous mettrons des guillemets mais ne rappellerons pas à chaque fois la référence [57] qui sera implicite en l'absence d'un autre référence. Il est souvent difficile de comprendre ce journal, dans l'ignorance où nous sommes du contexte, d'un certain nombre de noms inconnus, et plusieurs difficiles à décrypter. Souvent nous ne connaissons pas l'issue de tel événement évoqué. Malgré toutes ces réserves, nous espérons que ces citations du journal apporteront des informations nouvelles sur cette période de l'occupation française en Allemagne, particulièrement dans le Bade-sud. Pène a laissé aussi d'autres documents concernant son séjour comme ''Gouverneur'', des coupures de presse, le texte de la constitution du Bade Sud, des lettres échangées, un ''Memento sur l'Allemagne''. Nous avons aussi un récit de François Pène que l'on peut consulter en [46,60,76]. Florence a raconté la vie de la famille et le Bade en fait partie [61]. Il est bien sûr essentiel de nous appuyer sur des écrits d'historiens français et allemands qui nous apporteront une vue d'ensemble sur l'occupation de l'Allemagne par les alliés, et particulièrement sur la Zone d'Occupation Française. Citons Rainer Hudeman, qui nous a beaucoup aidés, Alain Lattard, Marc Hillel, Marie-Bénédicte Vincent, Françoise Berger, ... les références seront données dans le texte. Ces études appuyées sur les méthodes de l'histoire contemporaine nous permettront aussi de situer l'expérience de Pierre Pène dans l'évolution historique, dans l'histoire de l'Allemagne, de son passé nazi et de son évolution vers la République Fédérale d'Allemagne. Mais c'est d'une petite partie de l'Allemagne, au sud-ouest, du sud du Bade dont il s'agira essentiellement. D :I Introduction Pierre Pène est resté dans le pays, ou ''Land'', du Bade-sud pendant six ans depuis l'été 1946 jusqu'à l'été 1952. Comme tout au long de sa vie, c'était une toute autre tâche, un tout autre défi qui l'attendait en Bade. On appelait cela ''Gouverneur du Bade''. Le nom officiel de cette fonction était au début ''Délégué supérieur du gouvernement militaire dans le Bade'', puis ''Commissaire pour le Land du Bade''. Ce changement reflète le changement de la mission qui lui était confiée. Au début il s'agissait d'occuper cette partie de l'Allemagne dans le but de la dénazifier, et aussi, il faut l'avouer, d'en extraire des compensations matérielles pour le pillage de la France effectué par l'occupant allemand. Le général Koenig dirigeait toute la zone française. Petit à petit une autre priorité apparaissait, éviter l'erreur commise après la première guerre mondiale qui a mené à ce que l'on sait, plutôt aider l'Allemagne à reconstruire un Etat démocratique et prospère. Cette tendance s'est accrue quand la guerre froide a entraîné les alliés occidentaux à souhaiter faire de l'Allemagne de l'ouest une digue contre ce qui était perçu comme une menace soviétique. La République Fédérale d'Allemagne était proclamée le 25 mai 1949. ''Officiellement, la zone d'occupation française cessa d'exister le 21 septembre 1949''[13]. La France a maintenu en Allemagne, non seulement des troupes mais aussi une administration civile dirigée par l'ambassadeur André François-Poncet avec le titre de Haut Commissaire. Quelle était la tâche de cette administration civile des alliés dans un pays indépendant et reconnu comme tel ? La réponse n'est pas simple. Il est plus facile de comprendre la tâche antérieure : l'occupation militaire d'un pays vaincu. Nous essaierons d'y voir plus clair en suivant l'activité de Pène. En 1952 cette administration française quittait l'Allemagne mais pas l'armée française. En effet, sous l'égide des USA s'était créé, le 4 avril 1949, l'OTAN (Organisation du traité de l'Atlantique Nord). C'était une alliance militaire incluant essentiellement outre les USA les pays d'Europe occidentale et d'autres ennemis de l'URSS. L'aviation française avait besoin d'aérodromes suffisamment proches de la RDA, zone d'occupation soviétique. Il fallait les construire. Cela ne se fit pas sans difficulté. La zone d'occupation française était au sud-ouest de l'Allemagne, décomposée en 4 parties, la Rhénanie- Palatinat, la Sarre, le Wurtemberg-Hohenzollern et le Bade-sud. Le nord du Bade faisait partie de la zone américaine dans un ''Land'' nommé ''Wurtemberg-Bade''. La Sarre se constitua en un état indépendant et souverain sous protectorat français le 15 décembre 1947. Elle réintégrera la RFA suite au référendum du 23 octobre 1955 avec le statut de Land. La capitale de la zone française était Baden-Baden, où a résidé le général Marie-Pierre Kœnig. André François-Poncet résidera à Bonn mais l'administration du Haut-Commissariat restera à Baden-Baden. Les gouverneurs étaient Claude Hettier de Boislambert (nord) et André Brozen-Favreau (sud) (Rhénanie- Palatinat), Guillaume Widmer (Wurtemberg-Hohenzollern) et Pierre Pène (Bade-sud).

D :I.1 Pourquoi la France avait-elle une zone d'occupation en Allemagne ? C'est à la conférence de Yalta, en février 1945 que, sous la pression de de Gaulle, Churchill a obtenu des USA et de l'URSS qu'une zone d'occupation soit attribuée à la France, une Zone Française d'Occupation (ZFO). Même si les FFL et les FFI ont contribué à la lutte contre les Nazis, leur rôle restait limité, et d'autres pays ont aussi apporté leur aide aux trois grands qu'étaient la Grande Bretagne, les USA et l'URSS. Alors pourquoi la France a-t-elle obtenu ce privilège ? Une ancienne grande puissance, malgré sa lamentable défaite de 1940 et sa collaboration avec l'ennemi ? Le souvenir de la première guerre mondiale ? Peut-être, mais il y avait une autre raison. Sans la France la seule puissance continentale européenne parmi les trois grands était l'URSS. La Grande Bretagne a subi de graves dommages de la part de l'Allemagne, mais grâce à leur admirable héroïsme, ils n'ont pas subi l'occupation allemande. La France, comme l'URSS, l'avait subie. L'habileté tactique de de Gaulle a aussi beaucoup joué. Ayant obtenu cet accord de principe il a donné l'ordre à ses troupes d'aller vite en Allemagne et le plus loin possible, jusqu'à Stuttgart, et de Lattre l'a fait, il a conquis Stuttgart. Les Américains ont exigé leur départ, et l'ont finalement obtenu. En tout cas la ZFO existait, et d'emblée la France était dans une situation différente de ses alliés anglo- saxons : la France était en ruine, elle avait besoin de se reconstruire, et elle demandait à l'Allemagne de rembourser pour une très petite part le pillage qu'elle avait subi des Nazis. Pour ceux qui voyaient plus loin dans l'avenir, une autre raison, peut-être la plus importante, plaidait pour cette ZFO : Bien menée, elle pourrait conduire à une entente franco-allemande qui était le socle incontournable d'une union de l'Europe. Cet objectif n'était probablement pas du tout celui de Pierre Pène en arrivant, il avait déjà, à l'âge de 48 ans, fait trois guerres contre l'Allemagne : la fin de la première guerre mondiale (qui lui a couté la vie de son frère ainé Henri) ; la lamentable guerre de 39-40 ; la Résistance qui était une guerre du faible au fort. Oui, il avait combattu les ''boches'' trois fois, il a été torturé, il est passé à deux doigts d'être fusillé, il venait en Allemagne pour les dénazifier, pas pour une entente franco-allemande. Et pourtant …..... C'est ce roman que raconte la vie de Pierre Pène en Allemagne.

D :I.1.1 moqueries et rumeurs allemandes concernant l'occupation française. On raconte que Keitel, qui signait au nom de la Wehrmacht la capitulation allemande le 8/5/45 avait dit en voyant le drapeau français ''Ah ! Il y a aussi des Français ! Il ne manquait plus que cela !'' . On savait de part et d'autre que la France était une puissance secondaire dans le combat de la libération. Les moqueries concernant la France étaient nombreuses. Citons la ''recette de victoire française'' : ''quelques français prennent l'uniforme américain, escaladent des chars fournis par des Anglo-Américains, ils laissent leurs Marocains et leurs Sénégalais marcher derrière, et le sort de la ''grande nation'' est réglée''[68]. Cette description cinglante ne manque pas d'humour. Elle provient soit de Nazis déterminés, soit d'Allemands nationalistes. Dans une idéologie qui ne valorise que la force militaire ces personnes reconnaissent la victoire américaine et soviétique. Encore que le rôle déterminant de l'URSS était systématiquement minoré [68]. Nous sommes au début de l'occupation, en 1945. Il n'y a pas encore de presse libre, les Allemands sont habitués à la propagande nazie et à ne pas croire la presse. Alors les rumeurs prennent le relai. Et cela atteint des sommets. ''Tous les enfants entre 8 et 14 ans seront envoyés en Sibérie . C'est pour cela que des enfants français viennent en Allemagne. Tous les prisonniers de guerre en France seront condamnés au travaux forcés à vie. Les internés politiques seront envoyés dans les mines de charbon françaises'' [68]. Et on trouve encore pire ''Tous les Allemands des générations 1910-1925 subiront une stérilisation forcée ; les mariages seront interdits en Allemagne ; la culture allemande sera anéantie''[68]. Par contre, quand les informations, hélas trop réelles, concernant les atrocités nazies sont arrivées, elles se sont heurtées à une incrédulité de la majorité des Allemands. ''La population de la zone française a été largement informée, après la guerre, des atrocités commises par de nombreuses manifestations. Une distance inexistante par rapport à l'évènement, une apathie générale face à sa propre situation, ont bien engendré cette ''incapacité à pleurer'', telle que l'a décrite le psychanalyste et philosophe Alexander Mitscherlich. Une grande partie de ce qui était ainsi enseveli a été portée au grand jour au début 1979 par la série télé américaine ''holocaust'' dans la république fédérale et ailleurs aussi''[68]. Avouons que cette incrédulité a été générale vis à vis de l'information soviétique quand les premiers camps de l'est ont été libérés, et même quand les armées occidentales découvraient elles-même ces atrocités, le ''trop horrible pour être cru'' a fonctionné. La première édition du livre de Primo Levi est passée totalement inaperçue ! Ce que toute l'humanité a difficilement cru, était forcément refoulé dans le peuple qui en portait la responsabilité.

D :I.2 Prise de contact

D :I.2.1 Pène négocie son statut avec Laffon. La fonction de ''gouverneur militaire'' du Bade sud était tenue par le général Jacques Schwartz. Le gouvernement a décidé de remplacer les militaires par des civils et Pierre Pène a été choisi pour cette fonction. Avant de prendre ses fonctions Pierre Pène est venu s'informer et négocier. Le 6 avril 1946 il rencontre Emile Laffon, qui avait la fonction ''d'administrateur général de la zone française d'occupation en Allemagne''. Pierre Pène connaissait Emile Laffon. Alors que, clandestin et très recherché par la police de l'occupant allemand, il cherchait à reprendre contact avec les chefs de la Résistance, il avait eu un rendez-vous avec Alexandre Parodi et Emile Laffon. Alexandre Parodi était le délégué général du CFLN, c'est à dire successeur de Jean Moulin, et Laffon était chargé avec Michel Debré de sélectionner les Commissaires de la République et les préfets de la nouvelle administration [8]. C'était donc probablement Laffon qui avait proposé Pierre Pène comme Commissaire de la République pour la région Picardie-Ardennes. Laffon était le chef civil de la zone d'occupation française, alors que Kœnig, succédant à de Lattre, en était le chef militaire. Ce bicéphalisme ne sera pas sans problème, et nous en verrons la crise en 1947. ''Réveil à Kehl, long contrôle des papiers. Un train allemand croise : spectacle inquiétant par l'air solide, désolé et hostile de ces hommes. La voie traverse un pays frais, plus accidenté sur la droite ; les destructions semblent localisées sur la voie ferrée. … Entrevue avec Laffon. Je pose mes conditions, solde maximum (400) et rang aussitôt après le sien (3 étoiles). D'accord. Laffon semble craindre en moi des conflits car nous sommes tous deux Commissaires et je suis le plus âgé. Je le rassure, mais sa méfiance me met sur la réserve. Le Délégué Supérieur {la fonction de Pène} me dit-il a dans sa province beaucoup de liberté mais doit suivre les grandes lignes politiques et économiques transmises par l'A. G. {Administration Gouvernementale ?}. Il est en relation avec un praesidium élu par les Allemands ; sa mission est de contrôle, non d'action directe''. D :I.2.2 Premières informations sur la ligne politique et sur la situation. Le lendemain, le 7/4/46 Pène rencontre Kœnig. Pène connaissait déjà Kœnig qui était le général en chef des FFI en 44 quand Pène dirigeait ceux de la Région parisienne jusqu'à son arrestation le 4 avril. Ils ne s'étaient pas rencontrés alors, mais plus tard quand Pène était Commissaire de la République, Kœnig était venu pour encourager le transfert des FFI dans l'armée régulière. Kœnig l'accueille chaleureusement le 7/5/46. Il parle du général Schwartz que Pène remplace : il a donné satisfaction mais on remplace dans toute l'administration les militaires par des civils. Il décrit la politique allemande, ''nos adversaires les plus acharnés sont les communistes et les conservateurs. Nous pouvons en nous appuyant sur les sociaux-démocrates et les chrétiens, pousser au fédéralisme''. Notons l'importance de cette remarque de Kœnig. Pène tentera d'appliquer cette ligne. Au moment où cette conversation a lieu, les chrétiens du Bade {dans le Bade chrétien = catholique} sont plutôt des chrétiens de gauche, plus tard ils rejoindront les conservateurs de la CDU. Pène tentera d'obtenir que les sociaux-démocrates participent au gouvernement du Bade avec les vainqueurs des élections : la CDU. Cela lui sera reproché. Cérou, jeune inspecteur des finances, apprend à Pène que la situation économique du Bade n'est pas mauvaise comparée à d'autres Länder {10}: électricité, cuir, chaussures, horlogerie, industrie chimique. Sa production électrique dépasse un milliard de Kwh/an dont un milliard part pour la France. Il est le plus gros producteur de tabac d'Allemagne. La situation alimentaire est moins mauvaise que dans les grandes agglomérations de la Ruhr, etc : le Bade est un pays de polyculture et dépend moins des importations de l'est. Cognard, responsable des Réparations et Restitutions lui apprend que le plan des réparations n'est pas encore mis au point par l'IARA (Inter-Allied Reparations Agency). Les Français ont récupéré d'autorité 18000 machines outils. Pour les restitutions de biens français réquisitionnés par les Allemands, les Allemands doivent, sous peine de sanctions graves, déclarer les biens français qu'ils possèdent. Raymond Schmittlein est responsable de l'Education Publique. Il veut créer des écoles françaises primaires et secondaires, il contrôle l'instruction publique allemande et particulièrement les manuels scolaires. Il veut créer des universités à Mayence (Mainz), il y parviendra, et Trèves (Trier), il n'y parviendra pas. Il veut remplacer les universités de Freiburg et Tübingen qui sont ''pratiquement impossibles à épurer''. Par ''épurer'' il faut entendre la dénazification. Nous y reviendrons. Pène a ainsi un premier aperçu de la situation.

D :1.2.3 Géographie économique du Bade Le Memento sur l'Allemagne [16] donne une description précise et utile des ressources économiques du Bade. ''L'économie du Bade sud présente un caractère rural net, 42 % de la population est occupée à l'agriculture et dans l'exploitation forestière, 30 % dans l'industrie et l'artisanat. L'agriculture est caractérisée par la diversité des produits, et la prédominance de la petite propriétés (48 % des exploitations ont moins de 2 ha). L'industrie ancienne est dispersée : horlogerie, travail du bois, du papier, industries agricoles (moulins, laiteries, fromageries, brasseries, distilleries, cidreries, vinaigreries, petites industries du textile …). L'artisanat, très développé, compte 75.000 artisans en 410 groupements formant 61 corporations représentées dans les deux chambres artisanales de Constance et Fribourg. L'industrie nouvelle est concentrée. Elle présente une grande diversité : textile, très importante (rayonne, soierie, coton, teintures et apprêts). Souvent capitaux étrangers (Suisses). Région de Constance, Lorrach, Sackingen, Waldshut. Industrie mécanique et électrique 600 établissements employant au total 34.000 ouvriers, usines Deimler-Benz à Gernbach (camions), Fahr à Gottmadingen (machines agricoles), Saba à Singen (poste de TSF), Schile à Hornberg (appareillage électrique). Industrie chimique assez développée au sud du pays, le long du Rhin : gisements de sel à proximité des sources d'énergie électrique (Solvay Werke à Whylen, Chloberay à Rheinfelden …). Industrie hydroélectrique Les différentes usines situées aux chutes du Rhin à la frontière suisse et en Forêt Noire ont une production annuelle moyenne de plus de 2 milliards de KWH. Industries alimentaires La plus importante est la Maison Maggi à Singen. Le tourisme mérite d'être cité comme ressource non négligeable du Land'' [16].

D :I.2.4 Le château d'Umkirch Pierre Pène a demandé à Françoise Pène de chercher un logement. Il l'a fait partout où ils s'installaient. Mais dans ce cas Françoise a accompli un coup d'éclat : après une longue recherche elle a eu le coup de foudre pour le château d'Umkirch, à une dizaine de kilomètres de Fribourg [24]. Entouré d'un grand parc, il appartenait au prince de Hohenzollern, une des branches catholique des Hohenzollern. La ''Maison'' des Hohenzollern est une très importante famille noble d'Allemagne qui date du 11ème siècle. Nous ne citerons dans la période récente que des rois de Prusse et des empereurs d'Allemagne (branche protestante) dont Guillaume II (Wilhelm II) qui fut destitué par la révolution en 1918. Un accord a été trouvé selon lequel les Hohenzollern occuperaient une dépendance du château pendant la période de l'occupation. Ce beau et grand château nécessitait un nombreux personnel, et ce fut la tâche de Françoise de superviser ce personnel. Elle raconte dans ses mémoires les difficultés qu'elle a eues. Ses mémoires contiennent une photo de ce superbe bâtiment [24]. Un détachement de la légion étrangère gardait le parc. Des réceptions grandioses permettront de recevoir de nombreux ''grands de ce monde''. Umkirch est un village doté d'une église et d'une école primaire. Il y a 70 ans ce village était très rural, essentiellement paysan. Les relations entre Pène et les villageois furent bonnes, amicales. Il envoya son fils Olivier au jardin d'enfants puis à l'école du village, où il était entouré de jeunes paysans et apprenait l'allemand avec l'accent badois. Le maître d'école était très bon pédagogue, et sévère. Il punissait Olivier comme les autres si nécessaire. Nous verrons à propos du mariage d'Annette la relation chaleureuse qui liait le château et le village (cf D:VIII.3.5).

D :I.3 Le Bade-sud, ses villes, ses cercles. Pène doit diriger la région du Pays de Bade, ou Bade-sud. En effet le nord du duché de Bade était occupé par les Américains. Les Bade-Nord a été combiné avec le Würtemberg pour former le Würtemberg-Bade dont la capitale était Stuttgart. Le Bade Nord contenait Karlsruhe et aussi , célèbre ville universitaire. Le Bade est dans la plaine du Rhin, sur la rive droite, en face de l'Alsace. Cette vallée est bordée par la Forêt Noire, qui est un peu symétrique des Vosges. Son altitude est en moyenne de 500 à 700 m, point culminant le Feldberg (1492 m), couvert de résineux et de pâturages [16]. Pour résumer très brièvement l'histoire du Bade (nord et sud), disons que le Bade était un Grand-duché avec Karlsruhe (Bade nord) comme capitale. En 1918, après la proclamation de la République de Weimar, le 9/11/18, la République de Bade (Freistaat Baden) fut proclamée sur le territoire du Grand-duché, comme un état (Land) de la République de Weimar. Durant le troisième Reich, elle formera avec l'Alsace voisine, un ''Gau'' de "Baden-Elsaß" {Bade-Alsace}, avec Strasbourg pour capitale. La ville de Kehl sur le Rhin, faisait partie de ce ''Gau''. Le Bade-sud avait pour capitale Fribourg (Freiburg). Il contenait aussi Baden-Baden, capitale de toute la zone d'occupation française. Il était composé de trois districts, chacun étant décomposé en cercles (Landkreis) dirigés par un Délégué de cercle. District de Baden-Baden : cercles de Rastatt et Bühl District de Freiburg : cercles de Kehl-Renchen, , Wolfach, Lahr, Emmendingen, Freiburg, Neustadt, Müllheim et Lörrach. District de Constance : cercles de Vollingen, Donnaueschingen, Stockach, Überlingen, Waldshut et Säckingen. Le 1/6/48 les Délégations de district de Freiburg et Constance sont supprimées. Il n'y a plus d'échelon intermédiaire entre le ''gouverneur'' (Délégué supérieur pour le gouvernement militaire du Bade) et les délégués de cercles. Après l'entrée en vigueur du statut d'occupation, le 21/9/1949, les délégations supérieures se transforment en commissariats de Land. Pène devient donc commissaire du Land de Bade-sud. Tout au long de son séjour dans le pays de Bade, de 1946 à 1952 il fera des tournées régulières dans tous les cercles. La population des agglomérations : ''De nombreux petits centres artisanaux ou industriels anciens, aux débouchés des vallées descendant de la Forêt Noire vers le Rhin : Lorrach, Lahr, Offenbourg, Rastatt. Plus importantes Fribourg 105.600 habitants, capitale actuelle du Land ; Constance 42.470 habitants'' [16].

D :I.3.1 Les gouvernements allemands du Bade-sud et les crises franco-badoises. En décembre 1945 se constitue dans le Bade-sud une organisation nommée le BCSV dont le président était Leo Wohleb. En février 1946, alors que le général Charles Schwarz est Gouverneur du Bade, l'administration française autorise ce parti tout nouveau. En 1946 ce parti remporte les élection communales dans le Bade. Il hésite entre rejoindre la CDU ou rester distinct et allié au CDU comme l'a fait le CSU de Bavière. Du 2/6/45 au 3/12/46 le gouvernement militaire et le gouverneur Charles Schwarz créèrent dans le Bade du sud un conseil des ministres exécutif (Rat der Ministerialdirektoren). Il était présidé par Alfred Bund, BCSV (Parti populaire badois chrétien-social). Il contenait deux autres membres du BCSV : Paul Zürcher et Carl Diez, deux socialistes (SPD) : Friedrich Leibbrandt et Philipp Martzloff, un DemP (FDP, parti démocratique) Paul Hausser, et un sans-parti Karl Ott. Le 22/11/46 s'était constitué un mouvement consultatif en faveur d'une réunification du Land du Bade (union du Bade-sud sous occupation française et Bade-nord sous occupation américaine). Le conseil des ministres constitué dans les limites du Bade-sud, s'est dissous. À ce moment les autorités françaises veulent créer un successeur à ce conseil des ministres et s'adressent à Leo Wohleb, président du BCSV. Son désir de réunifier le Bade et de faire du Bade réunifié un Land animera Wohleb jusqu'en 1952. Ce combat était fortement soutenu par la France qui y voyait l'espoir d'un Land frontalier qui lui serait culturellement et politiquement proche. On peut peut-être dire que ce combat franco-badois constitue le fil conducteur de la période d'occupation française. Ce combat échouera face à la puissance américaine. Nous en sommes au début de ce combat et Pène fait connaissance avec Wohleb le 10/12/46 : ''Le nouveau gouvernement badois m'est présenté par son président Wohleb. En quelques mots je fais allusion à la difficulté de leur tâche, au procès Tillesen (cf D:II.4). Wohleb me répond en insistant sur la conformité des objectifs français et badois''. Ce gouvernement n'a pas été élu et sera plutôt désigné sous le nom de secrétariat d'Etat (Staatssekretariat). Il est une institution consultative qui sera plus tard confirmée par le vote. La remarque de Pène montre que son soucis premier est à ce moment la dénazification et l'affaire Tillessen. La réponse de Wohleb vise à le rassurer sur la question de l'antinazisme du BCSV pas encore CDU. Pène compatit ''Ces ''collaborateurs'' sont gênés aux yeux de leurs compatriotes. Le chef du gouvernement provisoire du Wurtemberg, Carlo Schmidt, disait au gouverneur Widmer ''à l'école on ne parle plus à nos enfants''.'' Cela illustre bien la méfiance réciproque entre l'occupant et la population. Cette remarque est intéressante, à ce moment Pène fait le parallèle entre l'occupation allemande en France et l'occupation réciproque. La réflexion de Carlo Schmidt va dans ce sens. Heureusement, ce parallèle perdra assez vite de son sens. Le secrétariat d'Etat du Bade-sud comportait 10 membres. Seulement trois BCSV : Leo Wohleb, Anton Hilbert et Anton Dichtel. Deux SPD (socialistes), Marcel Nordmann et Friedrich Leibbrandt. Deux DemP (parti liberal qui deviendra le FDP) Paul Waeldin et Johann Weisser. Un KPD (communiste) Erwin Eckert. Deux sans-parti, Richard Streng et Walter Nunier. Outre les ministères usuels on avait un ministère du ''nettoyage politique''. En avril 1947 le BCSV décide de devenir le CDU Baden, ce qui est approuvé en novembre par le gouvernement militaire français. Le 16/4/47 Pène reçoit Wohleb qui présente ses doléances habituelles : manque d'alimentation, prélèvement des machines,... Il insiste pour nommer Zürcher président de la cour d'appel. Pène n'objecte rien à cette idée ''je ne veux pas en repoussant une nouvelle demande de sa part affaiblir sa position au CDU''. En effet le débat sur l'adhésion ou non au CDU avait déchiré le parti. En mai 1947 le BCSV établit un programme catholique de gauche qui veut faire du parti le parti du peuple et non pas un parti bourgeois et envisage la socialisation des industries clefs. Il suit la ligne de la CDU de Hesse de Eugen Kogon. Mais très vite le BCSV fait marche arrière vers une politique plus modérée. Une crise surgit début mai 1947 qui sera détaillée dans la section D:V.2 Le 18/5/47 les élections se déroulent dans le calme, 68 % des électeurs approuvent la constitution du Bade- sud {La constitution du Bade-sud est décrite dans la section D :V.1}. Les élections pour le parlement (Landtag) donnent au BCSV/CDU 34 sièges, 14 aux socialistes (SPD), 9 aux libéraux Dem/FDP et 4 au KPD communiste. Le 25/7/47 ''Je reçois Wohleb, il me promet ferme un gouvernement pour le soir. Le soir au cinéma Bargeton m'annonce que le refus des socialistes à coopérer avec un ministre de l'éducation national socialiste a tout fait échouer''. Nous ignorons qui est ce ministre ''nazi''. Le départ des Sociaux Démocrates peut aussi être dû à un désaccord avec le BCSV/CDU sur la formulation de la réforme agraire. Dans le camp adverse une campagne intense de la droite contre Leibbrandt s'est déployée. Et Pierre Pène a subi les contrecoups de cette campagne (cf D:III.2.2). Le gouvernement Wohleb_I est intronisé le 6/8/47. C'est le premier issu de l'élection. Wohleb outre la présidence assume les fonction de ministre des cultes et de l'enseignement, et celui de ministre des finances. Le fait que Wohleb prenne aussi la fonction de ministre de l'enseignement est probablement lié au refus des Sociaux Démocrates d'un ministre de l'éducation présumé national socialiste. Deux autre membres du BCSV sont Alfred Schühly pour le ministère de l'Intérieur, et Lambert Schill pour l'agriculture et l'alimentation. Deux socialistes (SPD) en font aussi partie : Marcel Nordmann à la justice et Friedrich Leibbrandt à l'économie et au travail. C'était une ''grande coalition'' incluant une alliance de partis. Le gouvernement militaire ainsi que Pène aimaient ce type de coalition car elle permettait de mobiliser aussi les forces du SPD en faveur de l'édification de l'Etat démocratique et des autres tâches que se fixait la France. On a donc apparemment du côté allemand trois camps, les Sociaux Démocrates, un camp de droite qui ne veut pas les voir au gouvernement, et au centre Wohleb qui, sur la pression de Pène, cherche à constituer un gouvernement de coalition. Vu comme cela on comprend mieux la raison de la campagne de calomnies visant la relation de Pène et Leibbrandt. Cette campagne sera propagée dans les milieux de l'administration française ; est-elle née dans les milieux français ou allemands ? On ne peut le savoir {Le conflit des démontages est détaillé dans la section D :IV.3.2 }. Hélas ! Un nouvel incident se produit. Le 9/1/48 ''Je reçois la lettre de démission de Nordmann, ministre de la justice, celle de Leibbrandt arrivera cette après-midi. Koenig, alerté par moi, ne semble pas inquiet. Il veut une solution rapide, même si c'est un ministère uniquement CDU''. Les adversaires de la présence sociale démocrate au gouvernement ont donc gagné, mais par quel moyen ? Ce serait dû à un désaccord concernant la réforme agraire [73]. Le BCSV/CDU ayant une majorité absolue n'avait pas besoin d'une coalition. Il a donc fallu, et c'était bien le but de cette campagne, reconstituer un gouvernement du Bade mono-colore, c'est à dire entièrement constitué de membres du BCSV/CDU. Ce fut le gouvernement Wohleb_II, institué le 23/1/48. Voyons les changements par rapport à Wohleb_I. À la justice Marcel Nordmann est remplacé par Hermann Fecht. À la finance Wohleb cède la place à Wihelm Eckert. Lambert Schill reste à l'agriculture-et- l'alimentation, puis sera remplacé par Alfons Kirchgässner. Enfin à l'économie et au travail Eduard Lais prend la place de Friedrich Leibbrandt. Tous appartiennent au CDU. Ce gouvernement non plus ne survivra pas jusqu'à la fin. Un nouveau conflit est apparu entre le gouvernement badois et l'autorité d'occupation. Il s'agit des démontages de machines dans les entreprises. {Ce conflit des démontages est détaillé dans la section D:IV.3.2}. Le 26/8/48 ''Wohleb m'apporte une lettre pour m'informer que le gouvernement démissionne devant l'impossibilité où il se trouve de faire adoucir les démontages. Il reste chargé des affaires courantes quand il aura dans quelques minutes présenté sa démission au Landtag. Cette situation de gouvernement démissionnaire mais gérant les affaires courantes a duré longtemps. C'est seulement le 22/2/49 que le gouvernement Wohleb_III sera constitué. Sa constitution est très proche de Wohleb_II : Suppléants du président Hermann Fecht et Alfred Schühly, Intérieur Schühly, Justice Hermann Fecht et Leo Wohleb, Finances Wilhem Eckert et Alois Schnorr, agriculture-et-alimentation Alfons Kirchgässner et économie-et-travail Eduard Lais. Ce sera le dernier gouvernement, il sera dissous le 17 mai 1952, en même temps que disparaît le Land du Bade-sud et l'espoir d'un Bade réunifié. On le voit le CDU a dirigé le Bade pendant toute l'occupation. Le poids respectif des différents partis a été relativement stable. Le ''Memento sur l'Allemagne actuelle'' (janvier 1951) [16] a comparé les pourcentages des partis entre le 15/9/1946 et 14/8/1949. Il donne les pourcentages de chaque parti. La CDU (Chrétien Démocrate) oscille très haut entre 43 % et 60 %. Le SPD (Socialiste) débute à 14 % puis monte et se stabilise entre 20 et 25 %. Le FDP (Libéral) démarre à 8 % puis monte et se stabilise entre 14 et 19 % , enfin le KPD (communiste) reste bas, culminant à 7,5 % et terminant à 4 %. ''Des partis badois, la CDU est celui qui a jusqu'ici manifesté le moins d'opposition à la politique française. Et même certains dirigeants (Wohleb, Person) se sont nettement prononcés en faveur d'un rapprochement étroit avec la France. Dans le problème de la création éventuelle de l'Etat du Sud-Ouest (Süd West Staat) la majorité du parti a soutenu la thèse du retour au Bade historique'' [16]. D :I.4 L'Allemagne en ruine. Le 30/5/46 Pène est d'emblée frappé par la destruction des villes allemandes qu'il visite : ''Karlsruhe, , Ludwishafen, Pforzheim. C'est la tournée des désastres. Peut-être le Havre ou Brest sont-ils dans ce genre mais personnellement je n'ai rien vu de semblable ; des monceaux de décombres sur lesquels sont parfois piquées des croix encombrent encore les rues, le déblaiement paraît seulement entamé. Dans ce chaos circule une population hagarde, affolée. Seuls les enfants, beaux comme tous ceux que j'ai vus jettent une note de vie insouciante. Il y a deux contrôles de circulation, l'un germano-allemand et l'on est un peu choqué de voir un Fritz{appellation péjorative des Allemands} en bleu ardoise vérifier vos papiers comme au bon vieux temps ; l'autre contrôle est assuré par les gendarmes français'' .

D :I.4.1 Fribourg en ruine Le centre de Fribourg autour de la cathédrale était terrifiant. L'édifice religieux avait résisté, on ne peut qu'admirer le talent de ces bâtisseurs du moyen-âge, mais il était entouré de ruines. Un image choc quand nous sommes arrivés. On peut en voir une photo [68]. Françoise Pène écrit ''Je suis frappée par la beauté du site et par la cathédrale de grès rose émergeant du site. Immédiatement cette cité universitaire bien que meurtrie, me plaît. Elle a une âme. On me raconte dès les premiers jours la cause de ces destructions : en quittant la France les Allemands incendièrent sauvagement et inutilement Saint Dié ; en représailles, les Anglais annoncèrent par TSF qu'ils allaient détruire la ville de Fribourg. Les Allemands disciplinés n'écoutaient pas les postes étrangers sur ondes courtes. Mais une postière raconta à sa mère que le Gauleiter Wagner avait téléphoné à sa famille de quitter la ville dans les deux heures. ''Pourquoi cela'' se demandèrent les deux femmes. La mère hélas eut rapidement la réponse, sa fille mourut sous les décombres de la poste. Le nombre total de victimes reste encore inconnu car de multiples réfugiés habitaient cette ville peu industrielle (il est estimé à environ 2700). Les Fribourgeois racontent qu'il y eut également quelques bombes en 1940, et chose surprenante, elles furent lancées par leurs propres avions afin de faire croire aux populations qu'une attaque alliée précédait leur réplique monstrueuse sur la France et les Pays-Bas qui eurent lieu dans la nuit célèbre du 9 au 10 mai 1940. Ces rapports de police semblent exacts''[46].

D :I.5 La sécurité La sécurité était évidemment un des piliers de la politique française en Allemagne. Les occupants marchaient en terrain miné. La première crainte était l'apparition de maquis ou d'autres formes de lutte armée dirigée par les Nazis contre l'occupant. Après tout Pène et beaucoup de ses collègues avait mené la lutte armée contre l'occupant nazi. Hé bien il n'en fut rien. Cela ne veut pas dire que l'influence nazie avait disparu, bien au contraire, comme nous le verrons en détail. En outre le mécontentement de la population dans cette Allemagne en ruine et dans la misère se reportait naturellement contre l'occupant. L'ironie de l'histoire, c'est ce parallèle entre la tâche du Commissaire de la République d'assurer la vie d'une population misérable dans une France en ruine, et ici, la même chose dans une Allemagne en ruine. Voyons quelques documents d'archive.

D :I.5.1 Propagande nazie et blanchiment des armées françaises. En 1946 la méfiance était grande vis à vis des Allemands et cela se reflète dans les réunions de sécurité décrites dans les archives du ministère des affaires étrangères [20]. Avant l'arrivée de Pène, une lettre du 1/3/46 adressée au général Schwartz, son prédécesseur, met en garde contre une manœuvre allemande visant à opposer les français. On cite des propos transmis par des agents allemands anti-nazis ''les marocains sont partis, les soldats français partent, bientôt les officiers partiront et ceux qui resteront ne seront plus à craindre. Dans peu de temps nous serons libres''. Cette allusion aux Marocains doit être expliquée. Les Allemands, en voyant arriver l'armée de Lattre étaient particulièrement mal à l'aise vis à vis des Marocains et autres Africains, venus avec l'armée d'Afrique. La propagande nazie décrivait ces troupes comme ''une armée de terroristes et de nègres''[13]. ''Gunther Shelhl, critique d'art, originaire du Palatinat, se souvient de l'arrivée des premiers Français dans son village : ''ce n'était effectivement pas des Blancs mais des Marocains venus remplacer les Américains qui étaient arrivés avant eux. Ils tiraient en l'air pour nous effrayer et pour nous c'était la panique. À tel point que les parents cachaient les enfants, les petites filles surtout....nous avons eu vraiment peur de ces Français là'' ''[13]. Les généraux de Lattre et Leclerc ont alors décidé de ''blanchir'' leurs armées en remplaçant les troupes africaines par des ''Blancs'' issus des FFI. C'est cela que le Nazi cité ci- dessus voulait dire par ''les marocains sont partis, …''. Ils considéraient ce ''blanchiment'' des armées françaises comme une première victoire nazie. Les Américains ont fait de même avec leurs soldats noirs. Cette reculade face aux préjugés racistes des nazis n'est pas très glorieuse, disons que c'est de la ''politique réaliste'', car ces préjugés étaient très répandus dans la population allemande.

D :I.5.2 Ecoutes téléphoniques et mécontentement des Allemands. Le 9/7/46 un ''conseil de sécurité de la province de Bade'' [20] se réunit, présidé par Pène. On y apprend Que ''les Allemands écoutent les conversations des Français au téléphone''. Que la population allemande est très mécontente et accuse les Français de vouloir faire dépérir la population par des rations de famine : 600 calories ! La population allemande reproche aux Français de procéder trop lentement à la dénazification, en particulier à l'université de Fribourg. Pas d'action de résistance notable à signaler. Il faudrait créer des conseils de sécurité aux niveaux des cercles. Le 28/9/46, nouvelle réunion du ''conseil de sécurité''. Sur demande de Pène sont exposées par le capitaine Dugros les mesures prises pour empêcher les écoutes par les Allemands des communications téléphoniques. Le moral de la population allemande n'a pas changé. Le ravitaillement reste le principal souci. Toujours pas de résistance ouverte, mais beaucoup d'actes d'indiscipline. Il est vrai que les rations alimentaires étaient très faibles, il en était de même en France et la population ignorait que sous le nazisme la population était nourrie grâce à des prélèvements dans les pays occupés, en particulier par les fermes de la WOL en France en ''zone interdite''.

D :II Les restes et les relents du nazisme. Les Nazis avaient été chassés du pouvoir, mais leur influence idéologique restait présente. Nous en avons vu des signes ci-dessus. La crainte d'actions militaires nazies a heureusement été détrompée. Mais l'action militante de propagande était présente. Cela prenait chez certains la forme d'une véritable propagande hitlérienne, chez d'autres celle d'une critique partisane des occupants. Par exemple ils critiquaient le maintien en détention de prisonniers de guerre allemands, ainsi que les actions de dénazification. On les trouvait chez certains intellectuels, chez des étudiants, chez les militaires et aussi dans le haut clergé. Le Bade étant très catholique, ce clergé avait une grande influence.

D :II.1 Les Charniers et les autre victimes allemandes du nazisme. Pène rencontre Poignant le responsable des personnes déplacées, ''très intéressant'' dit-il. Il lui apprend qu'on découvre chaque jour de nouveaux charniers allant jusqu'à 100 cadavres. ''Il y a eu sans doute en Bade des camps d'extermination de petite taille''. Ceci est confirmé par Marc Hillel en général pour toute la zone française [13]. La première armée de de Lattre et aussi la 2ème Division Blindée de Leclerc, avancent le plus vite possible selon les ordres de de Gaulle qui espère élargir la Zone Française d'Occupation. ''Un matin, brusquement, le décor paisible des villages épargnés par le cataclysme, bascule. À Haslach, à Bissingen, à Hinzert, le combattant français découvre des camps, de tout petits camps où quelques survivants veillent sur des morts enterrés dans des fosses communes, parfois au centre même d'un village aux demeures proprettes décorées de fleurs et de fresques pieuses. Lui et ses camarades trouveront une vingtaine de ces petits camps inconnus et qui contiennent les corps de plusieurs milliers d'esclaves originaires de tous les pays d'Europe. Et pourtant la zone qu'il finira par occuper sera bien modeste, pas même le dixième du territoire Allemand''[13]. Une diversion heureuse dans ce noir climat : Poignant dit aussi à Pène que 3500 Français disparus ont été retrouvés installés en Allemagne et ne demandent pas à revenir en France. Et 1700 Français revenus en France ont demandé à y faire venir leurs compagnes allemandes. Parlons aussi des victimes allemandes des Nazis dans la région du Bade-Wurtemberg : Les massacres de masse des Nazis visant la population civile allemande ont atteint dans le Bade-Wurtemberg environ 12.000 Juifs, un nombre élevé de Tzigane, 10.000 malades, et un nombre inconnu d'opposants au régime sacrifiés [35]. De 1933 à 1939 environ les deux tiers des 35.000 Juifs du Bade-Wurtemberg ont émigré. Le 22 octobre 1940 selon Rober Wagner environ 6.000 Juifs badois ont été traînés dans le camp de Gurs, situé dans les Pyrénées- Atlantiques. La plupart d'entre eux ont été emmenés dans les camps d'extermination en Europe de l'est [35] !

D :II.2 Heidegger, le philosophe Heidegger avait été nommé Recteur de l'Université de Freiburg (Führer de l'université était le titre exact, [2]) trois mois après l'avènement de Hitler. Il était Nazi, il adhérait totalement aux idées et aux buts de Hitler. Il a quitté cette fonction le 21/4/34 tout en gardant sa carte du parti. La raison en est peut-être qu'il était un ami de Röhm, le chef des S.A. qui devait être exécuté deux mois plus tard par les S.S. (''nuit des longs couteaux'') sur ordre de Hitler. La publication par Peter Tawny des ''cahiers noirs'' en 2014 révèle sous la plume de Heidegger de gros poncifs antisémites, tel que ''l'aptitude tenace pour le calcul, le trafic et la confusion sur lesquels l'absence de monde de la judéité est fondée''. Il faut ici traduire ce langage philosophique. ''L'absence de monde du Juif'' renvoie au ''cosmopolitisme juif'', un des thèmes antisémites, ils n'ont pas de sol où exister, ils n'ont même pas de ''monde''. Le fait de vivre dans quantité de pays leur est imputé comme un crime. Pour en sortir ailleurs que dans un four crématoire les juifs doivent-ils alors prendre le sol d'un autre peuple ? Le Juif apparait à Heidegger comme ''le sujet calculant, dépourvu de monde, dominé par la « machination »''[3]. Il fallait donc ourdir contre lui une autre machination, celle qu'a soutenue Heidegger : tout simplement un génocide !! La littérature concernant Heidegger est très abondante et elle comporte d'intenses controverses. Il était toujours professeur à Freiburg quand a débuté l'occupation française. Avant l'arrivée de Pierre Pène il avait été suspendu, sous l'impulsion de Schmittlein et de Jacques Lacant ''officier de liaison'' qui assurait de facto la direction de l'université de Freiburg. Jean-Paul Sartre était intervenu, en vain, pour faire réintégrer Heidegger dans sa chaire. C'est que Heidegger jouissait d'une grande réputation parmi les philosophes français qui en étaient en quelque sorte les disciples. Ce courant philosophique a continué à venir courtiser Heidegger à Fribourg. Pierre Pène a demandé une note à Jacques Lacant en juillet 46. Jacques Lacant dit de Heidegger ''Il a été à Fribourg le premier Recteur de l'époque nazie.....il s'inscrit au parti en mai 1933, c'est à dire au moment même où débute son rectorat. Il prononce à l'occasion de son entrée en fonction un discours retentissant intitulé ''Selbstbehaubtung der Deutschen Universität'' (L'université allemande affirme son idéal) contenant des affirmations de ce genre : ''Egalement essentiels et fondamentaux pour l'âme allemande, pareillement nécessaires et égaux en dignité sont le service du travail, le service militaire et le service de la science'' [4]. ''Nous voulons que notre peuple remplisse sa mission historique. Nous nous voulons nous-mêmes. La force neuve qui anime notre peuple nous dépasse déjà et a déjà emporté la décision, mais nous ne comprendrons la grandeur sublime de cette révolution que si nous nous replongeons dans cette profonde et vaste lucidité qui a fait dire à la sagesse grecque : ''Toutes les grandes choses ne se réalisent que dans la tempête '' (Platon Politéia)'' Telle est la fin du discours de rectorat de Heidegger''[4]. La ''révolution'' nazie est ardemment glorifiée dans ce texte. ''Il aurait dit dans un de ses discours (la preuve n'a pu en être faite) ''nous avons maintenant beaucoup moins besoin de philosophie que de casernes de S.A.''. Plusieurs témoignages montrent qu'il a entraîné la jeunesse intellectuelle et le personnel universitaire à adhérer au parti nazi. Il a en tout cas mis son prestige au service du nazisme...... peu à peu il a été considéré comme peu sûr et même suspect par le régime. C'est certain. En font foi l'interdiction qui lui est faite d'assister à un congrès international de philosophie, en 1938, et la défense de rééditer une de ses œuvres. Il aurait dans un cercle privé appelé Hitler plusieurs fois : « le criminel » .'' [4]. Il était un ami de Röhm, le chef des Sections d'assaut nazies (S.A.), sa citation sur les casernes de S.A. Le confirme. Le régime nazi l'a probablement poussé à quitter sa position de recteur de l'Université de Fribourg, peu avant la ''nuit des longs couteaux'', qui a vu l'extermination des S.A. par les S.S. Le 30/6/34. On pourrait parler longuement de Heidegger, de son refus d'aller aux obsèques de Husserl, son professeur, et de le citer dans ses œuvres, car Husserl était d'origine juive. On pourrait parler longuement de ses étudiants juifs qui se sont distingués, Hannah Ahrend, Günther Anders, Hans Jonas, Emmanuel Levinas et bien d'autres. Nous nous contentons d'apporter le témoignage de Jacques Lacant [4]. Quand l'occupation française a débuté dans le Bade-sud Heidegger a été suspendu sans traitement. Il s'est mis à donner des cours privés. Jacques Lacant [4] décrit les pressions diverses, en faveur de Heidegger de la part des philosophes parisiens, ou au contraire dans le Manchester Guardian dénonçant le fait inventé que les français l'auraient réintégré. En fin de compte Lacant a proposé une ''Emeritierung'' c'est à dire une retraite anticipée l'écartant des étudiants tout en lui permettant de poursuivre son œuvre philosophique. Parmi les soutiens et amis de Heidegger se trouve l'Archevêque Gröber dont nous aurons encore à parler.

D :II.3 Le camp de Balingen, jugements et rééducation des nazis. Pierre Pène a visité le 22/5/46 ce camp qui garde 1800 Nazis dont 100 femmes. C'est un ancien camp de prisonniers de guerre français. Le camp était dirigé par un capitaine, un lieutenant et un adjudant ancien prisonniers de guerre dans ce camp. Les responsables de l'ordre intérieur étaient des officiers SS vêtus de bleu horizon. Ils tenaient le poste de police à l'entrée et assuraient la discipline. Tout groupe de plus de 4 devait circuler au pas cadencé et aligné, une femme ne devait jamais circuler seule, mais devait être accompagnée d'un ''bleu''. Les détenus étaient divisés en trois catégories, la première fournissait les commandos, les 2ème et 3ème travaillaient au camp. Le commando le plus important était l'extraction des huiles de schiste : travail dur, les détenus qu'il a vu revenir n'avaient cependant pas, de loin, l'aspect de nos détenus politiques. Les punis étaient envoyés au cassage du béton de l'usine de ciment, à la prison (salle de police) ou en cellule. Celles-ci de 2m sur 1m, ne contenaient pas un meuble. En y arrivant le détenu passait 24h sans manger. Il y restait 2 ou 3 jours. Une chorale était organisée. Parmi les notables, un ancien ministre du Reich (propagande), un professeur à la faculté de Berlin, un colonel SS et le 3ème violoniste d'Allemagne. Un atelier de petits jouets découpés en bois donnait des ressources au camp, la vente du gravier de démolition et du béton aussi. Dès le 17/12/1942 les trois grand alliés (GB, URSS, USA) ont pris une résolution considérant l'activité des Nazis comme criminelle et condamnable. La guerre était terminée, mais la dénazification reposait sur le fait que l'appartenance au parti nazi était à juste titre considérée comme condamnable [13]. Outre la punition de ces crimes de guerre et crimes contre l'Humanité, la dénazification de l'Allemagne et de ses alliés était visée. Le camp de Balingen visait ce double but. L'organisation de ce camp évoque les camps de prisonniers de guerre. En particulier le rôle d'intermédiaires entre les prisonniers et les autorités du camp accordé aux officiers SS, c'est à dire les officiers ennemis. Une comparaison avec le rôle des Kapos dans les camps nazis serait déplacée. ''Après le procès quadripartite de Nuremberg (20 Novembre 1945-1er Septembre 1946) qui juge 24 figures de proue du IIIème Reich, des procès militaires sont menés séparément par les alliés : 5.000 criminels de guerre sont jugé au total dans les trois zones occidentales, 13.500 dans la zone soviétique, tandis que de nombreux activistes nazis sont détenus dans des camps d'internement (300 000 personnes concernées pour toute l'Allemagne entre 1945 et 1950). A l'Ouest, ces activistes bénéficient d'amnisties à partir de janvier 1947 ; à l'Est ils sont jugés par les cours spéciales de justice''[58].

D :II.4 L'affaire Tillessen, meurtrier de Erzberger, un allemand très influent. Heinrich Tillessen était un des meurtriers de [5], ministre des finances du cabinet Bauer, membre du parti centriste. Le meurtre a été commis le 26 août 1921 à Bad Griesbach dans la Forêt Noire. Matthias Erzberg a été mentionné fréquemment lors du centenaire de l'armistice qui a mis fin le 11/11/1918 à l'épouvantable massacre de la grande guerre. En effet il avait dirigé la délégation allemande qui a signé cet armistice avec le maréchal Foch, généralissime des forces alliées. Tillessen et son complice Heinrich Schulz étaient membres de ''l''', une organisation terroriste d'extrême droite. Le procès de Tillessen est un de ceux qui a le plus attiré l'attention du public et des spécialistes du fonctionnement judiciaire. Contrairement au procès de Nüremberg, où l'accusation était portée au nom de l'humanité, il s'agissait ici du meurtre d'un Allemand par un Allemand. Les autorités d'occupation faisaient juger cela par un tribunal allemand. Pierre Pène assiste à l'audience du procès Tillessen le 28/11/46. ''Procès de Tillessen assassin d'Erzberger. Très distingué, impassible. Le procureur général requiert la peine de mort, l'avocat présente son plaidoyer, il fait l'apologie de l'attentat politique en en donnant notamment comme exemple l'attentat du 20-7-44 {contre Hitler}. Les éléments jeunes de la salle manifestent leur sympathie ; le président réagit avec énergie''. Pour éclairer la suite il faut parler d'un texte nazi. Ce texte est nommé la ''Straffreiheitsverordnung'' de 1933. Cette ordonnance fut prononcée le 21/3/1933 par le président Von Hindenburg à la demande de Hitler, au pouvoir depuis le 30/1/1933. Elle amnistie quiconque a commis un acte ''im Kampfe für die nationale Erhebung des Deutschen Volkes'', dans le combat pour redresser le peuple allemand. Il existe un vide juridique en 1946 en Allemagne, il n'y a plus et pas encore d'Etat allemand, donc la loi nazie ''restait en exercice''. Des juristes pervers peuvent appliquer cette ordonnance et déclarer que Tillessen est amnistié pour le meurtre d'Erzberger qu'il reconnaît avoir commis. Le tribunal peut donc tranquillement prononcer un'' non lieu'' et interrompre la procédure. Un tel verdict était bien sûr politiquement inacceptable. Cela aurait signifié renoncer à la dénazification. Le 29/11/46 Pierre Pène poursuit ''Le tribunal décide d'interrompre la procédure. Tillessen est arrêté à la sortie de l'audience'' {par les Français}. Un télégramme de Baden-Baden {le siège du Gouvernement Militaire français} ''m'informe'' que Göring, président du tribunal, est révoqué {ce Göring est bien sûr un homonyme du chef Nazi jugé à Nuremberg}. Les milieux intellectuels et politiques de la ville s'émeuvent, les juristes cherchent à circonvenir isolément les membres du Gouvernement Militaire pour les convaincre que l'attitude de Göring est légitime. ''Les communistes et les socialistes outrés projettent une manifestation pour protester {contre le jugement}. Les CSP (parti social chrétien) et les démocrates, moins convaincus ne veulent cependant pas être en reste''. Le 3/12/46 Pène écrit ''Je convoque le recteur Allgeier pour lui demander des explications sur les manifestations estudiantines dans l'enceinte du tribunal. Il arrive flanqué de Von Dietze, sur lequel les avis sont très partagés, les uns voyant en lui un Nazi, les autres un démocrate''. Von Dietze avait fait partie du complot contre Hitler et fut appréhendé par la GESTAPO le 8 septembre 44. Il poursuit ''Tous deux se portent garant que la manifestation n'était dirigée ni contre la France ni contre moi. On tâchera de fournir des noms. Les manifestations annoncées contre le verdict ont lieu sans incident. Eckert, leader communiste, est très applaudi''{Il ne faut pas confondre Erwin Eckert, communiste, et Wihelm Eckert, CDU}. Les communistes ne furent pas, et c'est peu dire, le principal allié des autorités françaises, mais l'affaire Tillessen les a manifestement rapprochés. C'était normal face à ce qui était bien une flambée d'expression nazie, quoiqu'en aient dit Allgeier et Von Dietze. Le président du tribunal se nommait Rudolf Göring. Moins connu que son homonyme Hermann Göring il semble qu'il en partageait les idées. Le 29/1/47 ''On m'annonce que Göring a présidé un Sondergericht {tribunal spécial nazi} pendant l'occupation allemande. Zürcher le savait sûrement''. Zürcher, CDU, était Prèsident de la cour d'appel, ''éminence grise'' de la politique badoise dans les années 1946-1948, très fortement soutenu par Wohleb. Pène est visiblement irrité par son silence sur la personnalité de Göring. La question du maintien de Zürcher à son poste est soulevée le 2/2/47. Son éviction est jugée trop délicate compte tenu du fort soutien du gouvernement du Bade porté à Zürcher. On le laisse à son poste. ''Nous interrogeons Göring, la nuit il couche à la sûreté et le matin, les preuves étant insuffisantes et de peur d'en faire un martyr, nous le mettons en liberté : il sera jugé en vertu de l'ordonnance 38'' [57]. Nous ignorons ce qu'est l'ordonnance 38. Le 11/2/47 Pène écrit ''On parle beaucoup du procès Tillessen : Le ''Tribunal général du Gouvernement militaire de la zone française d'occupation en Allemagne'' qui siège à Rastatt, près de Baden-Baden est saisi en appel par l'accusation. Il a rendu un jugement déclarant inapplicable l'amnistie proclamée par Hindenburg et contresignée par Hitler de mars 1933, c'est sur cette amnistie que le président Göring a fondé sa décision''. Une incidente : le même tribunal de Rastatt, le 17/1/47 faisait le procès des tortionnaires de Struthof, un camp terrible situé en Alsace. Au terme du procès sont condamnés à mort, le 1er février 1947, dix-neuf dirigeants SS des kommandos du Kriegs Lager (''camps de guerre'') Natzweiler-Struthof. Le 11/2/47 Pène écrit que Tillessen doit être jugé à nouveau à Constance sous la présidence d'Anton Henneka. ''Henneka, dûment chapitré a promis une grave condamnation : c'est l'indépendance de la justice. Je crains un coup de force car entre la prison et le tribunal, Tillessen passera à quelques centaines de mètres de la frontière suisse. Méfions nous, quelques gaillards pourraient l'enlever en Suisse. Il faudrait l'extrader et en tout cas quel camouflet ! Kœnig {il ne s'agit pas du général Kœnig mais d'un collaborateur de Pène}, contrôleur de la sureté, va partir à Constance pour voir les lieux''. Il n'y eut pas de coup de force. L'accusation demanda la peine de mort, mais Tillessen ne fut condamné qu'à 15 ans de détention. Son épouse et son défenseur déposèrent un recours en grâce. En décembre 1952 sa peine fut confirmée, mais en mars 1958 la grâce lui fut accordée. La veuve de sa victime, Matthias Erzberger, s'était prononcée pour la grâce. Heinrich Tillessen a trouvé du travail et il a vécu jusqu'à l'âge de 90 ans. Disons qu'il n'a pas été trop maltraité. On ne dit pas s'il a exprimé des regrets dans ces procès. Il semble que non !! On comprend l'attitude de sa femme, on comprend le pardon de la veuve de sa victime, mais les tribunaux ont été très tolérants et surtout, le soutien massif et bruyant des étudiants montre une forte persistance de l'idéologie nazie et tout particulièrement à l'Université de Fribourg. Cette affaire Tillessen est très instructive. Il a assassiné Erzberg, qui au nom de l'Allemagne a obtenu la cessation du massacre mondial en 1918. 35 ans plus tard, après un second massacre, les étudiants allemands de Fribourg approuvaient son acte. Certains membres du clergé aussi, nous y reviendrons. Un juge nazi a présidé le premier procès ! La loi de Hitler a été appliquée !! ''la bête immonde'' de Brecht n'était pas morte ! L'aspect positif, c'est cette étonnante concordance des communistes et des socialistes avec l'administration française. C'est que la démocratie, qui autorise la confrontation de positions adverses, fonctionnait avec l'aide des occupants ! Peut-être cette concordance avec la gauche allemande a-t-elle pesé quand Pène a tant insisté pour que le premier gouvernement élu de Wohleb prenne des ministres socialistes (cf D :I.3.1). Cela débouchera sur la nauséabonde ''affaire Leibbrandt'' (cf D :III.2.2). D :II.5 L'archevèque Gröber, Rauch, clémence catholique pour le nazisme. L'Archevêque de Freiburg s'appelait Conrad Gröber. Son attitude vis à vis du nazisme fut louvoyante [6] : Il a cru à un accord des Nazis avec le clergé, mais il a protesté contre le boycott des entreprises juives. Il n'a pas, semble-t-il, protesté plus tard contre le génocide des juifs et des tsiganes, mais contre celui des personnes handicapées. Il a causé bien des soucis aux autorités françaises et à Pène. Il a, nous l'avons dit, protesté contre la radiation de Heidegger de l'université de Freiburg. Le 16 décembre 46 Pène écrit ''Daty m'annonce que l'archevêque Gröber a diffusé une lettre dans laquelle il réclame le retour des prisonniers. Nous ne pouvons l'admettre et Daty va voir le vicaire général et le secrétaire du Monseigneur. S'il échoue Bargeton ira voir l'archevêque lui-même et en cas de besoin j'interviendrai moi-même auprès de lui en le convoquant''. Daty est ''Directeur des Affaires Administratives du Gouvernement Militaire du Bade'' et Bargeton le directeur de cabinet de Pène. Le 18 Pène écrit ''L'archevêque a accepté de modifier sa lettre en modifiant les passages qui nous gênent. Il a en fait satisfaction puisque la lettre est connue''. Mais Gröber a récidivé dans un sermon en chaire. Le 15/4/47 Pène écrit ''Visite de l'archevêque Gröber. Il fait les plaintes habituelles : manque d'alimentation, prélèvement de machines, DN2 {nous ignorons ce qu'était le DN2}. En terminant il parle de son sermon pascal : il a voulu le prononcer différent du texte préparé et soumis au Gouvernement Militaire de son plein gré et nous avons coupé la transmission. Je lui fais sentir que je me réserve d'agir s'il dépasse la mesure''. Gröber louvoyait comme sous le nazisme. Bien sûr il ne faut pas considérer toute opposition à l'occupation française comme une persistance de l'influence nazie. Mais dans le cas de Gröber on n'entend pas de dénonciation explicite des crimes nazis, il soutient Heidegger dont l'idéologie est clairement nazie. Le 28/6/47 Grimaud téléphone affolé de Baden-Baden. Mgr Gröber a lancé un mandement agressif. Il faut le faire rétracter. Je m'y refuse pour ne pas attirer l'attention et parce que nous n'avons plus de censure. Je verrai ce prélat moi-même. Le 3/7/47 15h ''Je reçois Mgr Gröber : il a très peur et se défend d'avoir voulu attaquer les français. Il promet de faire attention à l'avenir. Je le trouve diminué, son secrétaire semble désireux d'éviter un incident''. Mgr Gröber est mort le 14/2/48. Pène rencontre son successeur, Mgr Rauch. 18/11/48 ''Je rends à Mgr Rauch la visite qu'il m'a faite avant son intronisation : longue conversation. Il me parle des internés et se réjouit de voir leur nombre si réduit. Il est pour les Nazis d'une indulgence qui me choque. Ils ne sont pas vraiment coupables mais victimes d'une philosophie trompeuse.'' Pour résumer le haut clergé du Bade montrait beaucoup de compréhension envers les Nazis. Ils étaient victimes d'une philosophie trompeuse, mais on protégeait le grand philosophe de Fribourg qui propageait cette ''philosophie trompeuse'' : Heidegger.

D :II.6 Pène assiste au procès de Nüremberg : Nous allons maintenant rendre visite aux grands chefs Nazis. Le procès de Nüremberg n'était évidement pas de la compétence de Pène mais il a assisté à la journée du 20/8/46. ''Je suis à la table du commissaire du gouvernement au bout de la rangée des accusés. Tous sont là sauf Hess, au 1er rang : Göring, Ribbentrop, Keitel, Kaltenbrunner, Rosenberg, Franck, Frick, Streicher, Funck, Schacht. Au 2ème rang : Dönitz, Raeder, Schirach, Sauckel, Jodl, Papen, Seyss-Inquart, Speer, Neurath, Fritzsche. L'ensemble a beaucoup de tenue. Face à la porte d'entrée et un peu à gauche, (c.à.d. Face au banc des accusés) le tribunal. De droite à gauche pour le Président : 2 Russes en uniforme, 2 Américains, 2 Britanniques dont le Président et 2 Français en robes. L'avocat de Göring demande l'autorisation de lui poser des questions. Accordé. Göring parle : il flotte dans son vêtement mais n'a rien perdu de sa netteté d'esprit, ni de son sang froid, ni de sa combativité. Après l'avocat le procureur, sir David, ancien ministre de la justice de Grande Bretagne. Göring réussit à plusieurs reprises à le mettre en échec. Après son audition l'avocat des S.D. {Sicherheitsdienst} qui fait de ces bandits une société de bienfaisance...... Séance de l'après midi, les MP {Police Militaire US} guêtrés et gantés de blanc sont debout derrière les accusés : ils veillent à la bonne tenue : ne pas parler, ne pas dormir, ne pas lire le journal. Nous entendons un panégyrique monotone des SS (Schutzstaffel). Même tenue d'ensemble même chez les accusés qui sont si près de la mort''. 13 accusés furent condamnés à mort, 7 à de lourdes peines de prison et 3 furent acquittés. Gustav Krupp, qui avait largement financé Hitler était dans la liste des accusés mais n'a pas été l'objet d'aucune sentence pour raison médicale. Le tribunal jugeait 24 figures de proue du III° Reich. ''Des procès militaires sont menés séparément par les Alliés : 5.000 criminels de guerre sont jugés au total dans les trois zones occidentales, 13500 dans la zone soviétique''[58].

D :II.7 Les généraux nazis parlent à nouveau En 1950, on est dans la seconde période de la présence alliée en Allemagne, l'occupation est beaucoup plus souple. On pourrait penser que l'expression nazie s'est amenuisée. Cependant elle pouvait plus facilement se donner libre cours car la guerre froide amenait les puissances occidentales à plus de tolérance à son égard. 16/12/50 ''Steiner, ancien général de la Waffen SS accompagné d'un colonel vient déjeuner avec Koenig et Yzerman. Type physique parfait d'officier prussien, élocution douce et insistante, intelligence vive. Nous parlons d'abord de la Russie, il distingue le soldat bolchévique du soldat russe, le 1er complètement circonvenu par la propagande, le 2ème complètement disparu depuis la guerre de 14-18. Il ne croit pas à une révolution de palais à la mort de Staline. Il accuse les américains de subjuguer les européens avec leur plan Marshall. La jeunesse allemande est, d'après lui, prête à combattre pour l'Europe, non pour les américains, à condition d'avoir des droits égaux aux autres nations belligérantes. Il nous propose de faire soumettre les questions qui nous intéressent à une réunion de militaires qui doit se tenir à la 18/12. J'explique la position de la population française devant la belliqueuse Allemagne. Quelle garantie peut-on lui donner que l'Allemagne réarmée ne tournera pas ses armes contre elle ?'' Ce texte est fort intéressant. D'abord, ce général nazi ne cache pas vraiment qu'il a conservé ses convictions. Cette réunion ''de militaires'' fait rétrospectivement froid dans le dos. Son discours ''on s'allie tous contre l'Union Soviétique, mais sans les américains'' est exactement celui que tenaient les occupant nazis vis à vis des résistants français non-communistes : ''nous avons le même intérêt de combattre l'URSS'', cf l'affaire ''Grandclément''[32] (cf B:IV.1.3). Pourquoi exclure les américains ? Parce qu'ils sont trop puissants pour laisser une hégémonie allemande se restaurer. Fin 1950, nous sommes dans la période où une Communauté Européenne de Défense (CED) est en gestation. Pène exprime ici le point de vue gaulliste, qui amènera ces derniers à voter contre la CED en 1954. Le 16/2/51 ''Nous apprenons qu'une vue du général Ramcke accompagnée d'une interview passe aux actualités, l'interview est défavorable à la France. F. Poncet l'interdit sur tous les écrans de la zone française''. Ramcke était un général nazi non repenti, même si il bénéficiait du soutien d'un général américain [33].

D :II.8 Le Dr Oskar Vogt, anti-nazi, mobilisé à 69 ans ! Le 25/1/51 ''Déjeuner à Neustadt avec Vogt toujours extraordinaire et sa femme. Il raconte ses démêlés avec les Nazis, sa mobilisation à l'âge de 69 ans. Il ne semble pas aimer Staline''. Il s'agit du Professeur Oskar Vogt (1870-1959), un neurologue très réputé, Son épouse était une neurologue française Cécile Vogt- Mugnier. Oskar était socialiste, et fut d'emblée hostile aux Nazis. Il fut démis de ses fonctions de direction de l'institut Kaïser-Wilhelm-Institut en 1937. Les travaux scientifiques de Oskar Vogt et de Cécile Vogt-Mugnier sont considérables. Oskar Vogt est resté célèbre pour avoir disséqué et décrit la structure histologique du cerveau de Lénine en 1927. Il était alors le directeur de l'Institut de recherche sur le cerveau, nouvellement créé à Moscou. Il avait 69 ans en 1939, donc c'est bien le régime nazi qui l'a mobilisé à 69 ans !!

D :II.9 Schumacher n'est pas le bienvenu. Il dirige le SPD. Kurt Schumacher était un dirigeant du parti socialiste allemand. A la libération il fut très actif dans la renaissance du SPD. Il en fut nommé le dirigeant le 10/5/46. Schumacher souhaitait venir dans le Bade-sud pour tenir un meeting. Pène avait consulté le général Kœnig. Le 20/12/47 ''Le général Koenig m'appelle pour me donner une réponse sur la venue de Schumacher. Il ne veut pas qu'il vienne. Il est un peu désagréable de ton''. Pour quelle raison Koenig s'oppose-t-il à la venue de Schumacher dans le Bade ? Schumacher était très hostile aux communistes. Cette hostilité ainsi que son séjour à Dachau {Dachau était le plus ancien camp nazi, fondé dés 1933} aurait dû le rendre plutôt sympathique. Marquait-il une hostilité aux autorités françaises ? Koenig avait sans doute recueilli des informations qu'il n'a pas transmises à Pène. L'affaire Schumacher rebondira avec violence quand François-Poncet sera haut-commissaire{L'affaire Schumacher sera traitée en détail dans la section D:VI.4.4}.

D :II.10 L'anti-nazisme chez les badois Précédemment nous avons observé des signes de subsistance ou de résurgence du nazisme, mais aussi des victimes comme le Dr Vogt, des personnages ambigus comme Schumacher, tout cela était visible, mais il faut parler de l'antinazisme qui était probablement très majoritaire dans la population. C'est l'impression qu'a Françoise Pène : ''De toute façon il est frappant de constater la mentalité des Badois à notre arrivée c'est à dire un an après le début de l'occupation française. Ils accusent les Nazis de tous leurs malheurs, ils se dissocient entièrement d'eux. J'allais avec une jeune femme amie et mon fils Olivier âgé de 3 ans, visiter la cathédrale; le sort nous favorisa, c'était le jour de la fête-Dieu. Toute la ville décorée de reposoirs, de tapis, certains véritables, d'autres de vulgaires imitations, pendaient des fenêtres et formaient un fond décoratif aux statues de vierges, de saints, ou de christs en bois sculpté..... La cathédrale fort belle est surmontée d'un clocher ajouré très léger, unique au monde. Une foule intense la remplissait, priant et chantant à l'intérieur ; je fus émerveillée par la ferveur de cette foule et par la splendeur des chants. Tous y participaient : paysannes en costume badois, femmes de la ville sans chapeau, hommes aux visages graves, enfants roses et frais qui ne semblaient pas avoir souffert de la détresse de leur pays. Olivier, mon bel enfant aux boucles blondes, voulait voir la procession qui s'annonçait monstrueuse. Une femme inconnue dans la foule saisit le petit Français et le porta d'un geste amical. Je fus surprise de ce geste. Nous sommes pourtant des ennemis – je commençais à comprendre que l'occupation n'avait pas le même sens pour les Allemands que pour nous. D'autres faits allaient confirmer cette impression première''[46]. Françoise Pène donne ensuite son analyse. ''Le Bade est en majorité catholique, Hitler avait interdit les processions, les Français les rétablissent. L'occupation coïncidait pour eux avec la cessation des bombardements et la fin de la guerre. Les nombreuses pertes allemandes sur le front russe, les ruines qui recouvrent l'Allemagne, ont fait perdre de vue les grands succès de Hitler dont ils avaient bénéficié. Ils ont oublié leur enthousiasme passé ou leur passivité. Il n'y a plus de Nazis, il n'y a plus de patriotes, il y a une population anxieuse de trouver un coin ou s'abriter, un peu de nourriture, un peu de calme''[46]. Ce point de vue est un peu simplificateur, les étudiants de Fribourg qui soutenaient Tillessen sont pro-nazis. Mais il y probablement une part de vérité dans ces commentaires inspirés par la ferveur religieuse de la foule. Françoise Pène ajoute avec ironie ''Les Allemands sont vraiment sans rancune pour les souffrances qu'ils nous ont fait endurer pendant de longues années. Avec quelle ingénuité ils nous disent ''c'est si beau Paris, j'y étais en 1941 !'' – ils ne sentent pas notre frémissement, cette date nous rappelle tant de souffrances ! - ils ont toujours eu le respect de l'autorité – nous sommes pour eux l'autorité ; par ailleurs nous sommes les dispensateurs de toutes les faveurs''[46]. En 1946 on peut certainement dire que la majorité, si elle n'avait peut-être pas fait la critique du nazisme, était en tout cas fatiguée de la guerre, des ruines, de la misère, et voulait oublier cela. Cet état d'esprit a permis, sous la direction des occupants, d'instaurer des institutions démocratiques dans les Länder puis à l'échelon fédéral, malheureusement seulement occidental. Mais la crainte subsistait d'un retour de balancier. Cela conduisait Wohleb à combattre vigoureusement le projet d'un réarmement allemand. Un retour de balancier a bien eu lieu, nous en parlerons dans la section D :VII.6.

D :II.11 Méfiance et admiration vis à vis de l'Allemagne Les citations de cette section viennent du journal de Pène [57]. 22/7/47 Une éminence grise de la Zone britannique ''craint que les efforts vers le fédéralisme ne préparent une couronne de triomphateur au nouvel Hitler qui refera l'unité allemande''. 24/7/47 ''Distribution des prix aux lauréats du concours général en Allemand et aux lauréats badois de français. Cérémonie simple, familiale et cordiale comme toujours. Ce sont les mêmes qui nous égorgeront demain''. Cette conclusion cynique, que Pène gardait pour lui même, révèle la méfiance qui animait cet homme qui avait participé à trois guerres contre les ''boches''. Nous le verrons encore évoluer. 10/1/48 ''Visite de la clinique chirurgicale reconstruite. Installation parfaite. Chambre des malades claires et aérées; on est impressionné des résultats obtenus par les Allemands et on craint que leur faculté de redressement s'exerce à nouveau dans un mauvais sens''. Admiration et méfiance. 12/10/49 à Offenbourg ''En fin de journée visite du foyer des syndicats badois, magnifique réalisation, démontrant la puissance de relèvement et l'efficacité du peuple allemand. Ils ont en 6 mois réparé des dégradations considérables causées par les troupes allemandes et françaises''. Admiration, ici la méfiance ne s’exprime plus. Ces extraits du journal de Pène nous donnent une idée de son état d'esprit ambivalent vis à vis de l'Allemagne. Méfiance et admiration ne sont pas vraiment contradictoires, les qualités allemandes permettront à ce pays de se renforcer, et cela sera une menace. En un sens cela s'est produit. L'Allemagne est incontestablement la première puissance économique en Europe, ce qui lui donne une position hégémonique sur le continent, mais heureusement cette hégémonie reste pacifique et démocratique. Bien sûr, la crainte que ''la bête immonde'' de Brecht ne resurgisse est toujours présente : au 21ème siècle, on voit une multitude de ''bêtes immondes'' sortir au grand jour sur tous les continents et prendre le pouvoir en maint pays.

D :III L'administration française en Allemagne occupée

D :III.1 La politique française en Allemagne, selon de Gaulle. Pierre Pène est arrivé en Allemagne après le départ de de Gaulle du pouvoir, et pour cause, on ne l'a nommé en Allemagne qu'après la suppression par le parlement des Commissaires de la République. Il est cependant utile de rappeler la politique de de Gaulle en Allemagne, d'autant que des études récentes ont apporté de précieuses informations à ce sujet. Rainer Hudemann a consacré un article [7] à la politique gaulliste en Allemagne. Il cite de nombreux discours surprenants de de Gaulle en octobre 1945 lors de son voyage dans ce pays. Celui qu'il a prononcé à l'Université de Fribourg [7] : ''Nous avons donc à travailler ensemble (…) à une chose qui s'appelle la reconstruction (…) quand je parle de reconstruction, je parle d'abord, bien entendu, au point de vue matériel, de tout ce qui concerne la reconstruction des bâtiments, l'alimentation de la population et l'activité économique en général. Je parle aussi de tout ce qui concerne le point de vue moral, qu'il s'agisse de l'enseignement, de la justice ou de la religion, de l'administration''. Pène a-t-il eu connaissance de ce discours de de Gaulle, le chef de la Résistance qu'il suivait depuis de nombreuses années ? Probablement pas, il n'y fait jamais allusion. Comme de Gaulle, Pène avait passé une grande partie de sa vie à combattre les Allemands, pendant la première guerre mondiale, en 39-40 et dans la Résistance. Et maintenant il fallait ''travailler ensemble''. Le lieu où de Gaulle tient ce discours n'est pas neutre, l'Université de Fribourg, l'Université où Heidegger avait prêché le nazisme, dont les étudiants se comporteront d'une façon inadmissible lors du procès Tillessen, l'Université dont Schmittlein disait la difficulté à la dénazifier. Probablement le discours de de Gaulle les a-t- il pris de cours comme il a surpris Gebhard Müller ''âpre critique de la puissance occupante'' [7]. Poher a dit avec justesse ''Les gens qui ont joué la réconciliation (avec l'Allemagne) étaient tous des hommes et des femmes qui avaient été dans la Résistance ou avaient été dans des camps de concentration. Ceci est très explicable. Ces hommes ont connu d'autres Allemands, ils ont vu qu'il y avait beaucoup d'Allemands à qui la guerre avait ouvert les yeux. Cette Allemagne-là, une Allemagne démocratique naissante, nous avons pensé qu'il fallait tout faire pour l'accrocher à la démocratie de manière à éviter le retour de ceux qui ne partageaient pas nos conceptions. Il nous apparaissait un peu déshonorant de ne jamais avoir soutenu ceux qui avaient résisté en Allemagne. A l'époque où on recevait Von Ribbentrop à Paris, il y avait des jeunes étudiants allemands qu'on enfermait dans les camps, d'autres qu'on guillotinait à la hache à Munich''[13], sans oublier les communistes, les syndicalistes, les socialistes, tous les opposants et bien sûr les juifs et les tsiganes allemands. ''De 1933 à 1939, 225 000 personnes sont condamnées pour motifs politiques à des peines de prison plus ou moins longues et 1 000 000 d'Allemands et d'Allemandes sont envoyés dans les camps de concentration pour les mêmes raisons'' [31]. Quand ces opposants parvenaient à fuir en France la 3ème République les enfermait dans des camps d'internement où les nazis vainqueurs les trouveront [30] !! D :III.1.1 L'évolution un peu chaotique de la politique française Le très bref extrait du discours de de Gaulle à Fribourg présente les grandes lignes de la politique française en Allemagne. Pourtant de Gaulle ne pourra donner que l'impulsion initiale, il quittera le pouvoir trois mois plus tard, le 20 janvier 1946. La politique française en Allemagne va varier dans le temps et toucher de nombreux aspects différents. Rainer Hudemann résume les objectifs essentiels de cette politique [67] en 1945. Présentons les en bref. Dénazification, destruction de l'unité du Reich, ou ''déprussianisation'', fondée sur l'idée que l'esprit prussien a rendu possible le nazisme. À l'ouest, annexion ou au moins séparation de l'Allemagne de : la Sarre, la rive gauche du Rhin et la Ruhr. Créer un glacis sécuritaire à la frontière orientale de la France. Politique de décentralisation du futur Etat Allemand. Utilisation extensive du potentiel économique allemand pour la reconstruction de la France et affaiblir l'économie du voisin. Nous rencontrerons par la suite tous ces aspects de la politique française et les réactions qu'ils susciteront. Et puis il y avait la politique culturelle, décrite par Raymond Schmittlein ci dessus {cf la présentation de la politique culturelle par Schmittlein, section D :I.2.2}. Elle visait à faire connaître la culture française au voisin, et à constituer des institutions éducatives sur le modèle de ce qui se faisait en France. Mais aussi à créer des institutions qui rapprochaient Allemands et Français. En 2019 il existe toujours des lycées franco- allemands à Fribourg, à Buc près de Versailles, et en Sarre. Ils poursuivent cette mission. En fait ce plan politique français qui paraissait cohérent a montré des faiblesses. L'annexion de la rive gauche du Rhin et de la Ruhr n'était pas un plan très clair et fut souvent modifié. Le potentiel économique du voisin allemand a été renforcé et non pas affaibli. Hudemann souligne que cette politique d'occupation autoritaire des premières années a en réalité jeté les bases d'une collaboration franco-allemande ultérieure. On peut se féliciter de cet ''échec''. Cette ambivalence de la politique française en Allemagne est aussi commentée par Hillel. ''Les résultats obtenus {par Emile Laffon} ne seront pas à la hauteur des projets de cet organisateur hors pair. Les opinions les plus contradictoires ne cesseront de montrer, tantôt une Allemagne, pays de cocagne pillé par les Français, tantôt une poule aux œufs d'or plus ou moins domestiquée. Où se situe la vérité. Pourquoi les Français vont-ils être constamment accusés : 1) d'avoir tué la poule 2) de ne pas l'avoir tuée 3) de la mal nourrir ou de l'affamer 4) de lui donner trop de grain à picorer''[13]. Nous nous concentrerons sur le Bade-sud. Nous avons déjà parlé de la dénazification, mais il fallait aussi veiller aux conditions matérielles des Badois, tout en pratiquant une politique de réquisition de machines et autres produits, aider à la reconstruction du pays détruit, mais aussi à la construction d'une démocratie, à l'édification d'un état badois. Les relations avec les Allemands et avec les Anglo-Saxons, évolueront et ne seront pas toujours faciles. Le Bade étant à la frontière de l'Allemagne avec la France et avec la Suisse, la question des frontières se posera. La ville de Kehl doit-elle être en France ou dans le Bade ? La question la plus sensible sera la constitution des Länder dans la République Fédérale Allemande, l'opposition entre l'idée d'un Land pour tout le sud-ouest de l'Allemagne, et le désir de reconstituer le Bade historique. Ajoutons la question des relations franco-françaises : relations entre l'administration civile et le gouvernement militaire, et aussi l'attitude pas toujours contrôlée de l'Armée française. En outre il fallait mener en parallèle les relations avec les différents ministères français et avec les commissions d'enquête des différents pays occupants. Citons les principaux ministères : ministère des Forces armées, ministère des Affaires étrangères (quai d'Orsay) et secrétariat d’État aux Affaires allemandes et autrichiennes. Cette énumération à la Prévert est sans doute incomplète. Par soucis de clarté nous traiterons séparément ces rubriques. Mais les problèmes de toutes natures surgissaient dans le plus grand désordre, comme en témoigne le journal de Pène. Pène avait un atout : ce fut une bonne entente avec le Président du Bade-sud, Léo Wohleb, ce qui n'empêchait pas les tensions. D :III.2 La complexité de l'administration française L'administration française en Allemagne était en 1946 assez complexe. Elle était bicéphale avec un ''Gouvernement Militaire'' dirigé par le général Koenig et une ''Administration civile'' dirigée par Emile Laffon. Rainer Hudemann [1] compte même trois centres de décision, Kœnig, Laffon, et Tarbé de St Hardouin (représentant du quai d'Orsay). Il ajoute que le gouverneur de la partie nord de la zone, Hettier de Boislambert, premier officier français à avoir rejoint de Gaulle en 1940, jouissait d'une relative autonomie et était surnommé ''le roi de Rhénanie-Palatinat''. Les membres français du conseil de contrôle à Berlin avaient une autonomie certaine, sans oublier R. Schmittlein, responsable de la culture et de l'éducation sur toute la zone française. Ajoutons enfin que la politique française en Allemagne évoluait avec le temps en fonction du gouvernement à Paris, des relations avec l'URSS, avec l'état Allemand naissant et avec les Anglo-Saxons. Françoise Pène brosse un portrait du général Kœnig et des ''gouverneurs'' : Hettier de Boislambert et Brozen-Favereau pour la Rhénanie-Palatinat (respectivement nord et sud), Widmer pour le Wurtemberg-sud, et de son mari Pène [46].

D :III.2.1 Commission d'enquête parlementaire Le 8/7/47 ''convocation à Baden-Baden pour diner au Bühlerhöhe avec les membres de la Commission d'enquête parlementaire. Le 9 nous plancherons massivement. Koenig qui est passé le premier a fourni la meilleure impression, Laffon lui aussi s'en est bien tiré.'' 9/7/47 ''Je passe le premier des gouverneurs devant la Commission. Le Président Teitgen me demande d'exposer la situation politique de la province. Les commissaires me posent ensuite des questions individuelles. De Chambon me colle sur le Börse Verein (association des bourses) et Greiner sur les nouvelles de France. Ces questions ne sont pas de mon ressort, je me défile. On me parle des manœuvres de Mgr Gröber. Capitant me pose des questions sur l'exercice de l'information et de l'éducation. J'oublie de mentionner l'inquiétude dans le personnel.'' On n'y apprend pas grand chose sur le Bade mais assez sur le mode de fonctionnement de ces commissions.

D :III.2.2 Pène calomnié : l'affaire Leibbrandt. 4/9/47 ''Le général Koenig me convoque. Il trouve que mon ''affaire du Bade'' ne va pas. La commission parlementaire a eu l'impression que je n'étais pas assez près de mon travail. Laffon lui a dit que la constitution du gouvernement du Bade avait tardé parce que j'avais voulu imposer Leibbrandt et que j'avais voulu imposer Leibbrandt parce que sa femme était très liée avec la mienne et la voyait souvent. En outre je ferais peu de présence au bureau et irais souvent chasser. Je rétablis la vérité sur Mme Leibbrandt inconnue de ma femme et de moi, sur ma présence au bureau et mes chasses. Il reste quelque chose dans l'esprit de Koenig. L'opinion de la commission parlementaire qui m'a classé en dernier et ma ''modestie'' et mon ''honnêteté'' sont écornées.'' Le 10/9/47 ''Bargeton tient de son ami Brunet qu'une cabale est montée à Baden-Baden contre le pays de Bade, en particulier contre Daty et plus généralement contre moi. Il viendra préciser ces dires ici.'' Daty était un collaborateur de Pène, Directeur des Affaires Administratives du Gouvernement Militaire du Bade. Poursuivons la question de Leibbrandt. Leibbrandt et Nordmann étaient socialistes, membres du SPD. Pène souhaitait que le gouvernement du Bade ait une base politique plus vaste, c'est à dire un gouvernement de coalition CDU-SPD. Le 26/7/47 il rencontre Wohleb. Celui-ci ''recule devant un gouvernement CDU-SPD et peut-être KPD sans les démocrates. Je le sermonne. Il me promet de faire l'impossible, mais ne prend pas d'engagement''. Le gouvernement du Bade constitué en août 47 contenait Leibbrandt au ministère de l'économie et du travail et Nordmann à la Justice. Pourtant ... Le 9/1/48 ''Je reçois la lettre de démission de Nordmann, ministre de la justice, celle de Leibbrandt arrivera cette après-midi. Koenig, alerté par moi, ne semble pas inquiet. Il veut une solution rapide, même si c'est un ministère uniquement CDU''. Quelle est la raison de la démission des SPD ? Le 25/7/47 ''Bargeton m'annonce que le refus des socialistes à coopérer avec un ministre de l'Education ''National Socialiste'' a fait tout échouer''. Nous ignorons qui est ce ministre. Le cabinet Wohleb_II, constitué le 23/1/48 comportait à la justice Hermann Fecht et à l'économie et au travail Eduard Lais. Tous les ministres de ce cabinet étaient membres du CDU. Le cabinet Wohleb_III sera aussi totalement CDU jusqu'en 1952 quand le Bade sera absorbé au sein du Bade-Wurtemberg. Le sens politique des calomnies concernant Pène apparaît clairement à la lumière de cet historique. Certaines personnes ne souhaitaient pas la présence de socialistes dans le gouvernement du Bade, et le soutien de Pène à leur présence était présenté comme dû à une relation personnelle de Françoise Pène avec Mme Leibbrandt. L'élégance du procédé mérite d'être saluée. Que ces rumeurs proviennent de l'entourage de Laffon peut surprendre, puisqu'il était réputé proche des socialistes. Peut-être Laffon a-t-il été victime de quelqu'un de son entourage qui l'aurait trompé en lui faisant croire ces bobards. Ce n'est pas fini, le 8/12/47 ''des bruits stupides courent sur moi, notamment dans les CJL américains suivant lesquels je serais communiste''. Ben voyons ! Un homme qui souhaite que des socialistes participent de façon minoritaire dans le gouvernement du Bade ne peut qu'être un communiste ! La finesse de la pensée américaine atteint parfois des sommets, chaque jour nous le confirme.

D :III.2.3 Conflit entre Koenig et Laffon. Dés 1945 le conflit entre l'administration civile et militaire se manifestait, il a jalonné toute la période de l'occupation et permet d'éclairer les nombreuses contradictions de la politique française d'occupation [59]. La nomination de Pène en remplacement du général Schwartz traduisait ce conflit. Il en sera de même plus tard avec la nomination d'André François-Poncet comme Haut-Commissaire en remplacement de Koenig, chef du gouvernement militaire. Le 15/9/47 Koenig s'indigne des racontars visant Pène et Leibbrandt. Il lance quelques pointes sur Laffon : ''la maison n'est pas sérieuse''. Ces confidences sont faites au bord de la piscine. Pène voit Laffon le même jour. Il lui rapporte les propos calomniateurs le visant et proteste contre les grenouillages de son cabinet. ''Laffon reste aimable et discret''. Le 27/11/47 Le général Kœnig reçoit Pène et reconnaît que les observations qu'il lui avait faites début septembre sur sa relation avec Leibbrandt et sur ses absences pour aller chasser sont fausses. Il est honnête, et on peut aussi penser qu'il a besoin de Pène dans sa querelle avec Laffon : ''Il me demande de répandre sa version quand on parlera de la querelle devant moi.'' Cette querelle s'aggrave. S'agit-il d'un conflit politique ou simplement d'une querelle personnelle ? Le conflit entre le gouvernement militaire de de Lattre puis de Koenig et l'administration civile de Laffon est apparu dès l'été 1945. Les uns dépendaient à Paris du ministère des Affaires étrangères, l'autre du ministère de l'Intérieur. Une autre querelle divisait la Z.F.O (zone française d'occupation) : la division du travail conçue au sein du gouvernement militaire entrait en conflit avec certains chefs de l'armée qui réquisitionnaient et s'approvisionnaient abusivement. Ces abus sapaient les objectifs et les mesures de politique sociale [59]. Revenons à la querelle Koenig-Laffon. Kœnig, comme Pène était gaulliste alors que Laffon était plus proche du parti socialiste. Cela explique-t-il leur désaccord ? ''Les choses étaient-elles vraiment si tranchées ? De fait une grande partie des directives internes du Gouvernement Militaire en faveur d'une politique constructive de démocratisation, à partir d'août 1945, étaient signées Laffon. Mais s'agissant des réparations et de l'exploitation économique, j'ai trouvé un nombre considérable de positions très dures défendues par le même Laffon. De plus, quand Laffon s'est retiré et que ses tâches furent pour l'essentiel assumées par Koenig, les principales lignes constructives de la politique d'occupation demeurèrent inchangées. …..Leurs points de vue ne s'opposaient pas tellement : combiner la mise en valeur économique dans l'intérêts de la France avec la reconstruction du pays occupé'' [64]. La rumeur de la démission forcée de Laffon a circulé le 15/11/1947. ''Pas d'indication sur son successeur''. Il n'y en aura pas. Le chef du gouvernement militaire, le général Koenig, restera seul à la tête de la ZFO jusqu'en septembre 1949, date à la quelle l'ambassadeur André François-Poncet prendra sa succession avec le titre de ''Haut Commissaire''. Selon Françoise Pène [46], c'est une commission parlementaire qui a tranché ce conflit. Peut-être Laffon nous donne-t-il lui-même la clef de ce dont il a été victime. Dans un article du Monde cité par Hillel il écrivait ''Les Français ont amené à Baden-Baden leurs mauvaises habitudes, depuis le ''système D'' (l'intendance avant le récent changement de régime, distribuait deux fois plus de rations qu'il n'y avait d'occupants), jusqu'au péché capital en terre étrangère : le manque d'union.... Trop d'occupants bornent leur horizon à leur bureau et ignorent le service voisin quand ils ne cherchent pas, par intérêt mesquin, à entraver son action. La tradition de l'antagonisme entre civils et militaires n'est pas perdue''[13]. Si nous voulons résumer les sections D :III.1 et D :III.2 nous pouvons dire ceci. La politique française en Allemagne était porteuse d'une ambiguité intrinsèque résumée dans la fable de la poule aux œufs d'or. Il fallait reprendre à l'Allemagne une part de ce qu'elle nous avait volé et il fallait reconstruire l'Allemagne notre futur allié, il fallait reconstruire l'Allemagne mais garder un glacis de protection près de la frontière française, etc. Et d'autre part, l'administration française était très divisée, entre Laffon et Koenig, entre le ministère de l'intérieur et des affaires étrangères, entre l'armée et les civils, entre les socialistes et les gaullistes. Il y avait une division programmatique et une division administrative, une division politique et une division des hommes. Si au moins ces deux divisions se superposaient, cela aurait simplifié les choses. Mais il n'en était rien. La politique ''de gauche'' pouvait être poursuivie par le général Koenig. La crainte d'une Allemagne bien forte et centralisée était celle des deux camps. Mais sans aider l'Allemagne à se reconstruire, on aurait facilité le retour d'une dictature, il fallait donc l'aider. Et comme le disait de Gaulle, ''reconstruire'' voulait dire reconstruire sur les ruines, mais aussi reconstruire la démocratie. Pour compliquer encore plus la situation, le personnel humain des occupants était bien loin d'être satisfaisant. C'est ce que nous allons voir maintenant.

D :III.3 L'attitude des occupants L'attitude des occupants français a souvent été très critiquable et a donné lieu a des incidents répétés.

D :III.3.1 Des brutalités scandaleuses 2/6/48 ''Je reviens de Paris. En mon absence deux pépins. 1° Le commandant d'armes chef de bataillon {illisible} a jugé spirituel de faire récupérer dans la rue par une patrouille d'Annamites les uniformes d'origine américaine. Quelques Allemands sont repartis en caleçon. 2° Un Français a rossé en public un employé de tramway, et les employés se sont tous mis en grève. Le travail a repris sur notre ordre. Le Français sera expulsé''. 7/6/48 ''Les réactions allemandes devant le déshabillage et la grève sont vives et nombreuses. la presse suisse naturellement dénature les faits.'' 9/6/48 ''Nouvel incident : un voyageur français en civil et sans carte refuse de payer et gifle la receveuse. La grève est évitée parce que je fais mettre le coupable sous mandat de dépôt.'' Le 29/10/49 ''….je manque mon train et demande une place à Wohleb dans son auto. Sa secrétaire est avec nous. Sur la demande de celle-ci nous nous arrêtons à Bühl pour nous restaurer. Trois Français assis à côté provoquent un scandale. Je vais chercher les gendarmes mais les trouve difficilement, à leur arrivée les trois ivrognes sont partis. Je les ferai expulser.'' Et voici un meurtre ! Le 24/6/50 ''La sentinelle Bourgeois, de garde au dépôt de munitions de Kenzingen arrête deux Allemands dans la zone interdite, leur fait faire demi-tour, et tire sur eux de dos, il tue l'un deux, père de trois enfants, il s'acharne sur l'autre, et le blesse. Le premier rapport de gendarmerie marque chez Bourgeois un désir ''d'avoir'' l'Allemand. Invraisemblable !'' C'étaient des brutalités inadmissibles exercées par des occupants. Pène se montrait inflexible contre ces débordements mais les a-t-il tous connus ? D :III.3.2 Une administration pléthorique et des brimades de la population. Il y avait aussi des décisions administratives qui maltraitaient la population allemande. En juillet 1945 la circulation des Allemands à bicyclette était sévèrement réglementée, il fallait une autorisation munie du cachet du gouvernement militaire [68]. Quelle pouvait être la justification d'une telle décision. Pène n'en parle pas, cela devait avoir disparu en 46. 15/6/48 ''J'apprends une nouvelle sottise. Les Allemands sont allés trouver l'officier à Baden-Baden pour lui indiquer le marché d'achat des matières grasses conclu. On leur répond : vos conditions ne sont pas fameuses, nous trouverons mieux, d'ailleurs il n'y a pas moyen, les caisses sont vides de devises''. Un bureaucrate qui fait son caprice : il affame les producteurs. 15/9/48 ''Le député Schnorr (CDU) se montre assez acerbe, pas de lumière dans les wagons allemands alors que les wagons français sont éclairés ; un Français l'a chassé d'un wagon où il se trouvait indûment mais sans le savoir vu qu'aucune indication ne le disait. Les alliés montrent une grande différence entre leurs déclarations verbales et leurs actes''. Cette histoire de lumière dans les trains est aussi une brimade injustifiable. Marc Hillel [13] fait sur la base de multiples témoignages une description de la population française de Baden-Baden, la capitale de la zone française d'occupation (ZFO). ''3 états-majors, 2000 bureaux''. Des conflits au sein de l'administration française peuvent prendre un tour déplaisant. Au plus haut niveau nous avons parlé du conflit entre Koenig et Laffon. À un niveau moins élevé : Le 20/4/50 ''Un conflit entre de R. délégué de cercle {à Wolfach} et F. antenne de sûreté, devient inextricable. F est un Corse vindicatif, de R un roi nègre maladroit ; chacun a son clan et tout le monde s'exprime et se dénonce. C'est un panier de crabes. Monteux revient de Wolfach avec un rapport lourd pour de R. Celui-ci nie tout en bloc et en détail. Monteux qui avait voulu éviter d'interroger les Allemands sur une question française, va être obligé de le faire pour établir sans conteste la vérité.'' D :III.3.3 Des anciens vichystes en Allemagne, des occupants qui se goinfrent. Fin 45 il y a dans Baden-Baden 44000 occupants pour 31000 Allemands. ''Bref, Baden-Baden est devenue une ville d'eaux mondaine et française, que nous comparerions à Vichy si le rapprochement ne rappelait certaines attaques de la part des journaux''[13]. Oui, car la ZFO a permis à pas mal de collaborateurs de s'éloigner du lieu où ils étaient trop connus pour leur sympathie envers l'occupant nazi. Citant Edgar Morin [13] : ''Nous avons donc affaire, en Allemagne, à un rassemblement où se coudoient des héros des FFL, des Vychistes et des hommes d'affaires. En fait ce sont ces derniers, ces ''techniciens'' dont en fin de compte la technicité impose le respect aux militaires...'' Ce que l'on a décrit à propos de Baden-Baden peut aussi s'appliquer à Fribourg. Françoise Pène raconte ce qui suit. Des lycéens français ont été surpris en train de voler à l'étalage. ''Afin d'éviter le déshonneur des familles concernées, Pierre a intimé l'ordre aux parents des jeunes voleurs de donner leur démission. Ces derniers essaient, en vain, de justifier le geste de leurs enfants en expliquant qu'ils n'ont fait que récupérer les vols nazis ! Un examen de leur dossier durant l'occupation hitlérienne prouve qu'ils étaient alors pétainistes, pour ne pas dire plus. C'est donc pour cela qu'ils ont préféré quitter la France au moment de la libération. Pierre est scandalisé en lisant le rapport sur les professions de ces parents négligents : gendarmes, instituteurs, petits fonctionnaires, officiers, il y a même un baron d'Empire !''[24]. La disette dans l'ensemble de la ZFO a amené les occupants à accaparer des proportions abusives de certains aliments, en particulier de viande [68]. Hettier de Boislambert, Gouverneur de Rhénanie Palatinat, dénonçait ''le nombre énorme de logements réquisitionnés, d'hôtels occupés par des mess et des popotes pléthoriques et très partiellement utilisés; de même que le nombre de domestiques allemands employés en particulier par l'armée dépasse tout ce qui pourrait être normalement admis'' [13]. Marc Hillel signale aussi en 1948 une arrivée massive de touristes français dans la ZFO qui profitent souvent de telle ou telle relation pour bénéficier des avantages de l'occupant, de réquisitions abusives, etc. En juillet 48 le gouvernement militaire a dû instaurer une ''taxe de séjour'' pour tous ceux qui n'appartiennent pas aux forces d'occupation.

D :III.4 le Haut Commissariat produit un document confidentiel et très intéressant. Terminons ce tour d'horizon de L'administration française sur une note positive. Elle faisait des études sérieuses de la situation de l'Allemagne. Nous pensons ici à un document datant du 16 janvier 1951 et tamponné ''confidentiel'', mais après plus de 68 ans il ne l'est plus, et intitulé ''Memento sur l'Allemagne actuelle''[52]. Ce document faisait partie des affaires de Pierre Pène Il a été composé vers la fin de l'occupation. Il nous donne des indications sur toutes les périodes de l'occupation. Il est détaillé, documenté, et il parcourt un vaste domaine. Toute l'Allemagne, mais bien sûr la ZFO est regardée avec plus de détails. On y trouve un historique de l'occupation, les organigrammes des institutions de la zone d'occupation occidentale. Nous n'avons pas le document annoncé sur la zone d'occupation soviétique. On y trouve des cartes instructives, l'étude de la situation économique des différentes zones d'occupation, de la situation sociale, politique. La géographie des différentes zones y est détaillée, les richesses naturelles et les faiblesses. On y trouve des historiques succincts, des résultats détaillés des élections, les profils des principaux partis politiques et des petits partis, les organisations religieuses, les organisations syndicales, les organisations de jeunesse, une étude de la presse, bref c'est très riche. On peut consulter ce document, sur le site [52] ou aux Archives Nationales, dans le fonds ''Pierre et Françoise Pène''. Inutile de dire que nous avons abondamment exploité cette source.

D :IV Les réparations de guerre, le ravitaillement et les réfugiés Les Français avaient d'importants griefs contre l'Allemagne, l'occupation, les crimes nazis, alors que les Allemands ne pouvaient guère en dire autant vis à vis de la France. Mais les graves difficultés de la vie quotidienne leur donnaient bien des raisons de nourrir des griefs contre l'occupant qui apparaissait comme très puissant et donc responsable de la misère ambiante. Et cette misère était considérable : pour ne prendre qu'un indicateur l'alimentation moyenne était de 600 à 1000 kcalories par jour au début de l'occupation, alors que l'on estime à 2000-2500 kc ce qu'une bonne santé demande !! Il faudra attendre 1951 pour atteindre à nouveau 2000 kc [58]. Rainer Hudemann [44] souligne que cette incrimination par la population de l'occupant était bien compréhensible mais résultait de l'ignorance d'un certain nombre de faits. On ignorait qu'une misère semblable régnait en France, et Pène, qui avait été commissaire de la République dans la région Picardie- Ardennes le savait trop bien. On ignorait que les tickets de rationnement ont existé en France jusqu'en 1949. ''On oublia que les démontages – économiquement d'ailleurs quasiment inutiles et politiquement désastreux pour la France – furent décidés par le conseil de contrôle{Conseil siégeant à Berlin et regroupant les commandants en chef des quatre zone d'occupation} et que peu d'usines démontées allèrent en France. On ne savait pas que pour les biens spoliés par les Allemands en France pendant l'autre occupation, la France n'évaluait en 1954 la contre-valeur récupérée qu'à 1,42 % [44]. On apprend même que la France ''a payé les importations venues de sa zone – contrairement à une autre idée reçue – largement ou complètement en dollars ; dans son euphorie de disposer de sa propre zone, elle aurait importé toutes sortes de produits contre des dollars qui, employés sur le marché mondial, auraient pu lui procurer des marchandises plus indispensables''[44]. Cependant, pour les représentants de la population du Bade-sud l'important était les problèmes qui accablaient leur peuple et le conflit avec l'occupant était inévitable. De façon très humaine on voyait la paille dans l'œil de l'occupant français plutôt que la poutre dans l'œil de l'occupant nazi.

D :IV.1 Le ravitaillement et l'affaire Dichtel Dans un pays ruiné par la guerre la question du ravitaillement tenait une place centrale, comme elle le faisait en France. Cependant dans le Bade, le ravitaillement était géré en même temps par les occupants et par le gouvernement badois. L'alimentation de la population était un devoir du pouvoir c'est à dire de l'occupant mais était essentiellement gérée par le gouvernement badois. Les pommes de terre étaient une denrée de base : c'est un produit riche en calories. Le ravitaillement en pommes de terre a pris un tour politique, ce qu'on pourrait appeler ''l'affaire Dichtel'': Dichtel, ministre du ravitaillement du gouvernement était suspecté par les Français de négligence en n'ordonnant pas la distribution à temps des pommes de terre récoltées, ce qui aurait abouti à des pertes de pommes de terre pourries. Mais Dichtel{11} était un personnage important et le gouvernement badois prenait unanimement la défense de son ministre. On imagine ce qui se passait dans la tête de Pène : ne pas être faible, ne pas être brutal. La tension est devenue maximale en juin 1947. Mais revenons d'abord à l'été 1946. Pène vient de prendre ses fonctions. Le 14 août 1946 une réunion se tient à Baden-Baden ''Création du comité Allemand du ravitaillement''. Sont présents les Présidents des gouvernements allemands de la ZFO, les ministres de l'économie et ministres du ravitaillement de chaque province (pour le Bade-sud le ministre du ravitaillement était Carl Dietz, pas encore Anton Dichtel). ''Laffon fait un exposé long et précis, qu'il lit, sur la situation et ce qu'il demande aux Allemands''. Le 25/3/47, Pène rend visite aux syndicats : ''Visite de l'Union locale des syndicats de Fribourg. Quatre Allemands font connaître leurs doléances habituelles sur le ravitaillement, l'enlèvement des machines, l'épuration. Traub est prolixe. Le soir j'apprends que 30000 tonnes de pommes de terre attendues d'Amérique ne seront pas livrées. C'est une catastrophe. Je suis particulièrement gêné d'en avoir parlé le matin même aux syndicalistes.'' Le 2/5/47 ''Wohleb me signale les mesures violentes prises à Stockach pour la collecte des pommes de terre. Je promets de les faire cesser''. Nous n'en savons pas plus sur ces violences. Le 19/6/47 ''Wohleb arrive affolé chez Daty : Dichtel a été amené ce matin à la police. Il est interrogé et on ne veut pas le laisser rentrer chez lui pour déjeuner. Je donne l'ordre qu'on raccompagne Dichtel sous surveillance discrète, mais l'intéressé refuse. L'interrogation continuera cet après-midi.'' La tactique de Dichtel est claire, il veut embarrasser l'occupant en restant en prison. Le 20/6/47 ''Jourdan, Commissaire du gouvernement et Leblond Inspecteur me rendent compte que Dichtel s'est réfugié derrière Wohleb et que tout le cabinet s'est déclaré solidaire de l'application du plan ''pomme de terre''. Ils ne savent comment continuer. L'affaire a été mal engagée : le grief le plus sensible était le gaspillage de denrées alimentaires par maintien irrégulier du pain à 250 g du 1er au 10 juin et par non distribution de pommes de terre collectées, non distribution qui en a entraîné la perte d'une partie. L'attitude du cabinet au moment de la formation du gouvernement me gêne. Je vais orienter l'enquête vers les second rôles du Ministère du ravitaillement. Puis je prendrai Wohleb à part quand le gouvernement sera formé, et lui demanderai des explications.'' Le 2/8/47 ''Wohleb vient me voir. Il me parle du cas Dichtel, je précise ma politique : pas d'attaque sur la politique d'ensemble des pommes de terre mais enquête poussée à fond sur les détériorations éventuelles de stocks par négligence ou sabotage.'' Il faut primo vérifier que des pommes de terre récoltées ont été gardées trop longtemps et se sont gâtées. Si c'est vrai, Dichtel a une responsabilité en tant que ministre du ravitaillement. A-t-il donné des ordres dans ce sens ? Pène veut éviter de s'attaquer de front au gouvernement badois qui soutient Dichtel. Mais il faut faire une enquête. Nous ne connaissons pas la conclusion de l'enquête. Y a-t-il eu des condamnations pour avoir laissé pourrir des pommes de terre ? Nous l'ignorons, mais il est probable qu'il n'y a rien eu de la sorte. Ce conflit sur les pommes de terre est devenu politique. Les Allemands incriminent les Français d'être la cause de leur disette. Les Français ripostent en accusant les Allemands de négligence. Enfin, les deux camps, dirigés par Pène et Wohleb savent bien qu'il ne faut pas aller trop loin. Nous n'en savons pas plus sur ce sujet.

D :IV.2 Luttes ouvrières contre le ravitaillement insuffisant Le 2/6/47 ''Bargeton m'apprend qu'une grève devrait éclater ce matin et être le préalable d'une grève générale mercredi, le tout à l'insu des chefs syndicalistes. Ceux-ci ont paré le coup mais pour reprendre leur troupes en main voudraient décider une grève de 24h de protestation contre l'insuffisance du ravitaillement. Ils ont accepté de ne rien faire sans avoir été reçus par moi. Je suis décidé à réquisitionner les entreprises et à coffrer les ingénieurs et ouvriers qui résisteront''. Heureusement Pène n'a pas appliqué ce programme annoncé sous le coup de la colère ! Le 6/6/47 ''J'apprends que les ouvriers employés par l'armée française au camp de Stetten sont en grève. En fait ils ont quelques raisons, mais il est difficile de leur céder dans les circonstances actuelles''. Que faisaient ces ouvriers dans l'ancien camp nazi de Stetten ? Le 9/6/47 ''Je reçois les syndicalistes et leur annonce mes décisions : incorporation de farine de maïs à la farine noble pour avoir du pain de 200 g à 5,5 % de farine de maïs, déblocage de 110 T de saindoux, réduction de l'imposition {l'imposition était la quantité de production imposée} en légumes frais de 470 à 300 T, distribution de 400 g de légumes {illisible}, des pâtes (pour 5 villes prioritaires seulement) ces dernières denrées figurent au plan de ravitaillement. Les ouvriers se déclarent satisfaits et on me prédit le calme pour 15 jours''. Le sens de ces mesures n'est pas évident. Il semble que les rations de pain étaient limitées à 200g, Pène les maintient en améliorant le pain. Distribution de saindoux. Le 8/8/47 ''les syndicalistes allemands exposent les difficultés, l'inquiétude de la population devant les prélèvements. Je donne un bon de 240 paires de chaussures''. Ces nombres dérisoires donnent une idée de la crise. Le 14/8/47 ''Je reçois Schaüfler, Président de la Fédération du Bâtiment du Bade et son trésorier. Ils m'expliquent les évènements récents, le mécontentement des ouvriers et la motion de menace de grève. Ils se désolidarisent de l'auteur de l'article de ''Unser Tag'' annonçant la grève. Je précise ma position : je veux être averti des difficultés avant que la menace de grève ne soit réelle ; je ne veux pas me décider sous la pression de la menace''. Ici encore l'enjeu de ces sérieuses menaces de grève est avant tout la nourriture, la vie quotidienne. Il y a deux vagues de menaces de grève. La première, en juin, vient de la base ouvrière à l'insu des dirigeants syndicaux. La réaction initiale de Pène est dure, puis le dialogue se noue et il propose un certain nombre d'améliorations de l'alimentation. La deuxième vague de menace de grève, en août, a paru semble-t-il dans la presse : ''Unser Tag'' était le journal communiste. Pène précise qu'il veut être averti des problèmes avant les menaces de grève, il ne veut pas négocier sous la menace. On est deux ans après la fin de la guerre, et la situation de la vie quotidienne reste critique. Il est vrai que la réforme monétaire n'aura lieu qu'un an plus tard le 21/6/48. La hausse des prix aggravait aussi la situation. Rainer Hudemann signale que les autorités françaises étaient beaucoup plus réticentes à augmenter les prix que les Anglo-Américains. ''Encore en avril 1948 le Gouverneur du Bade Pène, alors qu'il était question de ratifier une hausse des prix, s'opposait aux augmentations des prix quand elles sont intolérables pour les masses laborieuses{en français dans le texte} {lettre au ministre de l'économie Lais} [59]. Le 14/12/48 ''Les Ministres Présidents à Mayence. Le général Kœnig parle de la collecte de céréales qu'il veut voir améliorer et des économies sur les dépenses P.D.R. {Prisonniers, Déportés, Réfugiés}. Il faut se souvenir de ce que la ZFO recevait de nombreux réfugiés qui avaient fui l'avancée soviétique, des prisonniers de guerre allemands libérés par les soviétiques, des déportés libérés des camps {section D :IV.4.1}. Kœnig demande des propositions aux Présidents. Müller, Président du Wurtemberg, en bon Souabe, se glorifie des résultats obtenus en matière financière et met ses collègues au défi d'en faire autant. Le général Kœnig, en traitant à la fois des dépenses PDR et celle de la récolte céréalière saisit le problème par les deux bouts : les ressources et les dépenses.

D :IV.3 Les réparations de guerre, prélèvements et réquisitions.

D :IV.3.1 Les réparations Le désir de la France de récupérer en Allemagne des réparations de guerre s'explique bien évidemment par l'ampleur du pillage effectué par l'Allemagne nazie. Parmi les trois puissances occidentales d'occupation la France était bien sûr la seule dans ce cas. Il est évident que la population allemande n'a pas vécu cela avec plaisir. Il faut ajouter que la situation économique désastreuse en France ne lui permettait pas, comme les alliés anglo-saxons de financer le ravitaillement de ses troupes. On demandait donc aux Allemands d'y pourvoir. 18/9/48 Le curé Walter d'Überlingen ''signale l'irritation de la population à l'égard de l'occupant. Je réponds en lui rappelant les souffrances de la France, son affaiblissement, qui l'obligent, sans faire une politique de vengeance, à prélever ce dont elle a été elle-même démunie par les Allemands et qui lui fait maintenant défaut pour la reconstruction.'' Sans compter que les prélèvements français en Allemagne ne représentaient que 1,42 % de ce que l'Allemagne a pris pendant l'occupation de la France [44]. D :IV.3.2 Les démontages de machines 1946-1947 La question du démontage des usines a été étudié en détail par Françoise Berger dans sa thèse [63] surtout en ce qui concerne la métallurgie. Elle montre les hésitations des puissances occupantes, les ordres et contre- ordres qui se succédaient. Les arguments en faveur des démantèlements étaient d'empêcher l'Allemagne de fabriquer des armes, et pour la France et l'URSS un dédommagement des pillages allemands qu'elles ont soufferts. Les arguments contre étaient l'hostilité des populations allemandes à ces démontages et le fait qu'on faisait ainsi obstacle à la reconstruction de l'industrie allemande et au retour de l'Allemagne vers la prospérité. Le 19/3/47 Pène participe à une conférence des gouverneurs dans le bureau d'Emile Laffon, ''gouverneur civil de la zone française d'occupation en Allemagne'' à propos des machines à prélever. Il écrit ''Conférence des gouverneurs chez Laffon. La France s'était engagée à fournir avant le 31 mars une liste des machines à prélever représentant 15 000 000 RM {Reichsmark}. Aujourd'hui les listes représentent Bade 2000 machines dont 1000 à refuser, reste 1000 Rhénanie 1500 '' dont 70 % '' '' 450 Wurtemberg 500 '' 250 000 RM {Reichsmark} soit au total 2 000 000 de RM {Reichsmark}. Comme on le voit on est très loin du compte. Le Reichsmark était la monnaie issue du régime nazi, restée en circulation jusqu'à la réforme monétaire de juin 1948. Pour secouer les Allemands le Directeur des Réparations et Restitutions va désigner dans 1 ou 2 usines de chaque province 100 machines de grand prix qui seront les ''otages'' garants de l'exécution de l'ensemble. En même temps les opérations de recensement seront poursuivies par les Allemands''. Nous ne comprenions pas très bien ces notes. Françoise Berger [74] nous a éclairés. ''Les Français laissent les Allemands (par usine) proposer des machines pour le démontage (dans le cadre des indemnisations de guerre décidées à Potsdam et négociées ensuite dans le détail dans une Commission internationale des réparations). Ils inspectent ensuite ces machines ou en regardent la liste et décident ce qui peut être utile à la France ou pas. Ils en refusent donc une partie (et il faut sans doute bien imaginer que les Allemands essaient de "refourguer" de vieilles machines...). C'est pour cela qu'il est écrit "Pour secouer les Allemands"... c'est-à-dire pour qu'ils proposent suffisamment de machines en bon état et intéressantes pour remplir le contrat. Ceci dit, il faut aussi noter que les Français ont souvent laissé traîner des mois, sur des quais de gare, des machines démontées, destinées à être rapatriées en France, qui rouillaient sur ces quais pendant de longs mois. Peut- être en raison des crédits Marshall qui leur permettaient de commander des machines nouvelles plutôt que de déplacer - avec des frais - des machines moins performantes''[74]. Le prix moyen par machine est d'environ 1200 RM ce qui ferait dans les 200 € [75]. La somme totale est de l'ordre de 300 000 à 400 000 euros. Une somme dérisoire par rapport aux 300 à 400 millions de F prélevés journellement par les Nazis en 1941-1944. Cela n'empêchait pas les Réparations et Restitutions de constituer un problème majeur dans les relations franco-allemandes. Il engendrait une forte tension. Le 29/3/47 ''Les Allemands cèdent enfin. Le gouvernement badois avait discuté avec nous et mis au point la loi d'application de l'ordonnance 38. L'assemblée l'avait votée en émettant des vœux qui en restreignaient la portée. Le gouvernement hésitait à la promulguer contre l'assemblée. Après de longues tractations ils cèdent enfin.'' Nous ignorons le contenu de cette application de l'ordonnance 38. Le 22/11/47 ''visite de Wohleb. Il me parle des démontages prévus et regrette que le Landwirtschaftsrat (conseil agriculture) ne soit pas autorisé à en discuter. Après réflexion je maintiendrai mon point de vue''.

D :IV.3.4 Les Prélèvements de bétail Les réparations exigées par l'occupant français ne se limitaient pas au démontage d'usines. Il y avait le prélèvement de bétail. 12/4/48 ''Le mécontentement allemand dû aux prélèvements excessifs de bétail s'accentue. Nous sommes menacés d'une démission du cabinet ou d'un refus de sa part d'effectuer toute livraison. Je donne raison aux Allemands car nous avons pris envers eux des engagements que nous violons'' 15/4/48 ''Wohleb vient me voir accompagné de Schill, Person et du Directeur de l'agriculture. Il vient me parler du prélèvement de bétail et se déclare satisfait quand je lui indique les pourparlers en cours. J'ai l'impression qu'il veut à tout prix éviter les difficultés.''

D :IV.3.5 Autres prélèvements Les auteurs de Stunde Nul [68] dénoncent d'importantes coupes d'arbres effectuées par les Français dans la Forêt Noire. Quand on parle dans le Bade de l'occupation française on reçoit cette réponse en badois ''ils voulaient nous prendre toute la Forêt Noire''. Selon eux l'abattage dépassait de 350 % l'abattage normal. Ne reculant devant rien les auteurs comparent cela à la construction de centrales nucléaires plus récemment. Ils énumèrent ce que la France pouvait trouver dans sa zone : de l'acier, des machines-outils, du bois et des produits chimiques. Rainer Hudeman dit à juste titre ''Du point de vue des intérêts français, les dégâts politiques causés par les démontages et les déboisement de forêts (source d'équilibre commercial pour la ZFO, selon le gouvernement militaire) furent certainement bien plus grands que le gain matériel obtenu''[1]. Cela a aussi nui au projet de réunification du Bade. ''Les Badois du nord voyaient sans enthousiasme l'idée de devenir une partie d'une nouvelle zone d'occupation française. Les conditions réelles dans les deux ''Länder'' de l'occupation française {Bade-sud et Wurtemberg-Hohenzollern}, l'approvisionnement précaire de la population et surtout la politique rigoureuse de démontage de la France n'étaient pas vraiment appropriés à ce qu'ils considèrent un tel développement comme souhaitable''[62]. De fait les Badois du nord voteront à 57,5 % pour pour le grand Land du sud-ouest {SWS, Süd West Staat qui sera nommé Bade-Wurtemberg} c'est à dire contre l'unification du Bade ancien {cf D:VII.3.2}. 8/3/48 ''Visite de Wohleb, Dichtel et Heinstein, au sujet du contrôle franco-allemand du ravitaillement. Ils demandent que les Français ne soient jamais seuls : d'accord - qu'un contrôle sur une denrée n'entraîne pas de saisie d'autres produits … que compte soit tenu des livraisons antérieures pour appliquer les sanctions.'' Implicitement c'est reconnaître les excès des autorités françaises dans les opérations de prélèvements. De fait, les habitants de la ZFO étaient défavorisés par rapport à ceux des zones anglo-saxonnes puisque les Britanniques, et encore moins les Américains, n'éprouvaient le besoin, par ailleurs justifié, de réparer le pillage outrancier imposé à la France occupée. Par contre, dans les domaines où ils avaient des besoins, nous pensons ici aux domaines scientifiques et technologiques de pointe, les Anglo-Saxons ne se sont pas gênés pour prélever des savants et des savoirs. Les Français non plus : Pierre Pène nous a raconté comment Yvers Rocard, physicien français responsable scientifiqur de la bombe atomique française, est venu ''se servir'' en Allemagne en instruments scientifiques. D :IV.3.6 Les frais d'occupation, les réquisitions et les abus des occupants. L'occupant prélevait des ''frais d'occupation'' que les gouvernements de Länder devaient acquitter. Ces frais devaient subvenir aux frais des occupants, civils et militaires. Ils étaient mal vécus par les Allemands, qui ignoraient souvent le poids encore bien plus pesant que l'occupation allemande avait imposée à la France. De même les occupants avaient le droit de réquisitionner des logements ou d'autres possessions allemandes dont ils avaient besoin. Nous avons cité une protestation du gouverneur Hettier de Boislambert à propos des réquisitions excessives et totalement inacceptables (cf D:III.3.3). Voici un autre exemple de ces abus : Le 22/10/47 Pène écrit ''J'apprends que le général B..... a occupé d'autorité la villa que la commission locale des logements avait affectée à Doller. Je signale à Baden-Baden que je ne puis admettre le procédé''. Hillel cite aussi Emmanuel Mounier, partisan du rapprochement franco-allemand : ''L'occupant moyen se considère comme vivant en pays colonisé et agit en conséquence. En ce qui nous concerne, la colonie tend à la colonie de peuplement : 3 à 6000 Français dans cette petite ville (de Baden-Baden) que l'on traverse en 20 minutes, plusieurs dizaines de milliers d'enfants en camps de vacances l'an dernier, des gendarmes et des familles de gendarmes à ne plus les compter. Quand la ration quotidienne de viande d'un occupant dépasse la ration mensuelle de l'occupé, quel sentiment pense-t-on que celui-ci nourrisse envers celui-là ? On pourrait ajouter les sottises qui défont en un jour l'œuvre de six mois''[13]. Le comportement colonial de l'occupant était aveuglant : en effet, Françoise Pène a fait pratiquement le même constat ''La vie des Français en Allemagne rappelle celle que les coloniaux avaient sous les tropiques, compte non tenu du climat. Une minorité tient en mains toute l'administration supérieure ; elle occupe les meilleurs logis ; une monnaie avantageuse lui permet d'avoir plusieurs domestiques. Cette vie large et l'éloignement du pays natal favorisent des cocktails et des bals nombreux, coûteux mais distrayants où les mêmes personnes se revoient trop souvent'' [60].

D:IV.4 Les réfugiés Allemands et les autres. Alain Lattard [69] dit que la ''conférence de Potsdam (juillet-août 1945) conclut à la nécessité d'un transfert en Allemagne de la population allemande de Pologne, Tchécoslovaquie et Hongrie. Ce faisant elle rend irréversible l'exode amorcé face à l'avancée de l'Armée rouge, et légalise surtout une politique d'expulsion systématique. Jusqu'en 1950, environ 14 millions d'Allemands quittent les pays nommés à Potsdam, mais sont aussi chassés, au mépris du droit international, de Yougoslavie, Roumanie, et Bulgarie. Près de 2 millions y perdent la vie car, contrairement au vœu pieu formulé à Potsdam le transfert ne s'opère nullement ''de façon ordonnée et humaine''. Les deux tiers des survivants choisissent directement de s'installer dans les zones d'occupation occidentales, si bien qu'en 1950, la RFA compte, pour un peu plus de 50 millions d'habitants, presque 8 millions d'expulsés (vertriebene)''[69]. Il y avait aussi des réfugiés baltes qui voulaient fuir l'occupation soviétique. On imagine que cet afflux supposait des dépenses pour les accueillir. Etaient-ils considérés comme des victimes de guerre, les Kriegsopfer dont le soutien a fait l'objet d'une grande attention dans la ZFO [59] ? Il y avait un moins grand nombre des réfugiés non allemands. Nous citerons des Lituaniens. Les habitants des pays baltes, libérés par les soviétiques de l'occupation nazie, craignaient aussi d'être dans une dictature stalinienne. Beaucoup se sont enfuis en essayant de profiter du petit espace qui séparait le départ des occupants allemands et l'installation des soviétiques. Plusieurs de ces lituaniens furent proches de la famille Pène et certain partirent en France. Citons le sculpteur Antanas Moncys. Nous ne savons pas l'importance numérique de ces réfugiés non-allemands. L'artiste lituanien Vytautas Kazimieras Jonynas a habité à Fribourg de 1944 à 1950. Ses talents étaient multiples : peintre, sculpteur, illustrateur de livres, graphiste, vitralliste, concepteur d'affiches et de meubles. Il a fondé à Fribourg, avec l'aide de Raymond Schmittlein, une École des Arts et Métiers qu'il a dirigée. Antanas Moncys cité ci-dessus y a étudié. Pène a fortement soutenu cette école. En témoigne un tricot offert par la branche textile de l'école de Jonynas en guise de remerciement qui se trouve chez Annette.

D:IV.4.1 Les réfugiés et déportés dans le Bade-sud La référence [62] présente une étudie détaillée des réfugiés et déportés (Flüchtlinge und Vertriebene) dans le Bade-sud. Résumons-la. La masse des réfugiés venant des territoires de l'est a atteint relativement tard le Bade-sud. C'était un avantage pour l'administration du Bade-sud car après la fin de la guerre ils avaient déjà eu à faire avec le rapide retour des victimes de la guerre, des travailleurs forcés et des travailleurs déplacés. Ces derniers ont été pris en charge en particulier par l'UNRRA (United Nations Relief and Rehabilitation Administration) . En 1947 le budget de la ville de Fribourg est de 550.000 RM pour l'UNRRA et 600.000 RM prévu pour les réfugiés étrangers et les personnes déplacées à venir. Mais les relations de l'UNRRA avec le P.D.R français (services des Personnes déplacées et réfugiés) étaient tendues car la limite de leurs compétences respectives n'était pas réglée. Les personnes déplacées sont revenues très vite. En novembre 1945 déjà plus de 550.000 personnes déplacées de toute la ZFO (Zone Française d'Occupation) étaient retournées chez eux (dans leur Heimatländer). Parmi eux 385.000 Françaises et Français constituaient de loin le plus grand groupe. Quand Pène est arrivé, en juin 46 ce grand mouvement de population avait déjà eu lieu {cela surprend que tant de françaises et français aient considéré un Land de la ZFO comme leur Haimatland, très probablement pour des relations personnelles nouées pendant la guerre. En effet cette occupation avait duré longtemps. Nous verrons plus loin, D:VI.5.6, que l'occupation française en Allemagne a engendré aussi ce type de relations personnelles. La venue des réfugiés venant de l'est s'est déployée sur une période plus longue. Le Land de Schleswig- Holstein, situé au nord et limitrophe de la zone soviétique était aux premières loges de l'afflux de réfugiés venant de la zone soviétique et des pays baltes. En octobre 1948 le président du Land de Schleswig-Holstein a envoyé au Président Wohleb une lettre pour demander 1) pression sur les autorités d'occupation pour que les frontières de la ZFO soient ouvertes à un allègement de la charge qui pèse sur le Schleswig-Holstein et 2) que des logements soient aménagés pour les réfugiés du Schleswig-Holstein qui viendraient dans le Bade- sud [62]. En novembre 1946 on trouvait dans le Bade environ 20.000 de ces réfugiés, c'est à dire 1,7 % de la population. Ce nombre grimpait à 48.000 en novembre 1949, il avait quadruplé en 1950 en atteignant 98.000 soit 7,3 % de la population. En 1952 ils étaient 150.000 [62]. Leur logement était très insuffisant. On les logeait dans des camps, par exemple le camp de Betzenhausen qui avait servi aux autorités françaises de camp d'internement. Fin septembre on dénombrait 1268 personnes dans ce lieu. Elles étaient logées dans onze baraques en bois où on avait créé des chambres collectives pour 6 à vingt personnes. Il y eut ainsi 19 camps de nature assez variable rattachés chacune à un ''cercle'' {unité administrative}[62]. Le 4/04/51 Pène écrit ''Neuglasshüte, Séance finale du stage des enfants allemands réfugiés de l'Est hébergés en colonies de vacances sur les fonds de l'ambassadeur. Ambiance cordiale et sympathique. Il y a vraiment en Allemagne des éléments intéressants.'' Cet effort pour accueillir des jeunes réfugiés en colonies de vacances restait assez modeste : 40 filles et 40 garçons pour 4 semaines. Pène écrit : ''La France aurait un geste à la fois politique et utile à faire : accueillir pour naturalisation 500.000 à 1.000.000 Allemands. Nous pourrions choisir et la forte natalité française nous garantit contre la submersion.'' Cette idée hardie semble intéressante. Il ne semble pas que Pène l'ait proposée au gouvernement. Elle était peut-être trop hardie. Elle évoque la politique d'accueil d'environ un millions de réfugiés par Angela Merkel en 2015. Elle aussi était politiquement utile pour donner une image humaniste à l'Allemagne, et utile pour combler, dans ce cas, la faible natalité allemande. Trop hardie cette politique a été férocement critiquée y compris au sein de son parti, la CDU. En passant, il est intéressant de constater que ce parti, la CDU, dont nous parlons abondamment à propos de Wohleb est toujours vaillant soixante dix ans plus tard. Il en est de même du SPD.

D :V La reconstruction politique dans le Bade Les Badois ont voté dès 1946. Pour la période de 46 à 49 [12] ils ont voté aux municipales les 15/9/46 et 14/11/48, aux élections de Kreis {traduit par ''cercle'', il y en avait 20 dans le Bade-sud, équivalent des cantons} les 13/10/46 et 14/11/48, Au Landtag (parlement du Bade-sud) le 18/5/47 et au Bundestag (parlement de la République Fédérale d'Allemagne, Allemagne de l'ouest) le 14/8/49. Ces élections donnent dans le Bade la CDU (Christliche Demokratische Union, Union Chrétienne Démocrate) dominante avec environ 50 % des voix. Vient en second le SPD (Socialistische Partei Deutchlands, Parti Socialiste Allemand) autour de 20 %, puis le FDP (Freie Demokratische Partei, libéral) autour de 15 % et enfin le KPD (Kommunistische Partei Deutchlands, Parti Communiste Allemand) autour de 5 %.

D :V.1 La constitution du Bade. Dès le début 47 la décision de créer des institutions démocratiques en Allemagne est prise. Cependant cela se fait sous le contrôle de l'occupant. Le texte définitif de la constitution pour le pays de Bade est accessible [11]. Il s'agit de la version en Français, le texte allemand seul faisant foi. Ce texte exigeait un accord entre l'administration française et les institutions naissantes du Bade. Voici certains extraits de cette constitution qui nous semblent particulièrement intéressants. ''L'ASSEMBLEE CONSULTATIVE, EN ACCORD AVEC LE SECRETARIAT D'ETAT BADOIS A ADOPTE LE 21 AVRIL 1947 LA CONSTITUTION DONT LE TEXTE SUIT. Monsieur PIERRE PENE, Commissaire de la République, étant Délégué Supérieur pour le Gouvernement Militaire du Pays de Bade Monsieur GABRIEL DATY, Sous-Préfet, Directeur des Affaires Administratives du Gouvernement Militaire du Bade. Monsieur F. FOURCAULT DE PAVANT, Administrateur, chef de la Section Intérieur et Culte du Gouvernement Militaire du Bade. {Dans la section D:V.1 les citations sans référence renvoient à la référence [11]}

D :V.1.1 Le chapitre I droits fondamentaux. Un préambule chrétien, indispensable dans un pays très chrétien (toutes les élections donneront la victoire à la CDU) est suivi d'une déclaration des droits tout à fait démocratique et laïque, où on sent l'inspiration française. Un Français sera étonné que sous le chapeau chrétien des principes laïques soient proclamés, mais c'est le cas. ''PREAMBULE. Confiant en Dieu, le peuple du Bade, fidèle gardien de la vieille tradition badoise, animé par la volonté de réorganiser son Etat dans un esprit démocratique et sur la base des lois morales chrétiennes et de la justice sociale, s'est donné la Constitution suivante''[11]. Article 1er ''Le peuple badois proclame faire sien le principe selon lequel tout individu, sans distinction de race, de religion et de croyance possède des droits inaliénables et sacrés. Ces droits de l'Homme sont formellement confirmés et sont placés sous la protection de la constitution''. Article 2 ''Les hommes et les femmes sont placés sur un même pied en ce qui concerne les droits et obligations du citoyen''. Des droits sociaux y sont inclus, le droit à l'éducation et le droit à la protection sociale (en cas de chômage ou d'incapacité), et l'Etat est tenu de faire respecter ces droits. Le droit à la propriété est bien sûr proclamé. La liberté d'opinion aussi. Article 14 ''Quiconque est incapable de travailler, ou auquel il ne peut être procuré du travail, a droit à l'assistance. De même tout individu tombé dans la misère pour cause de maladie, vieillesse ou pour une autre raison indépendante de sa volonté, a droit à la protection et à l'aide de l'Etat et de la commune'' On voit que cette constitution est progressiste.

D :V.1.2 Le chapitre II Devoirs fondamentaux et la vie sociale Section I : Le mariage et la famille sont les bases de la société. Après ce jugement traditionnel, les idées avancées : Article 21 ''Le travail domestique de la femme, consacré à la famille, est jugé équivalent au travail professionnel. Une part appropriée du bien acquis pendant le mariage doit être attribuée à la femme par le droit civil. Article 22 ''La maternité bénéficie de la protection et de l'assistance de l'Etat''. Article 27 ''La scolarité est obligatoire pour tous. L'instruction publique est entièrement subordonnée aux lois et à la surveillance de l'Etat''. Des bourses pour les parents peu fortunés sont préconisées ''ne sont déterminants que les talents et les inclinations, non la situation pécuniaire, professionnelle ou sociale des parents.'' On retrouve le basculement entre tradition et les idées modernes dans Article 28 ''Les écoles publiques sont des écoles simultanées à caractère chrétien dans le sens de la tradition badoise. Les sentiments religieux de tous doivent être respectés dans les cours de toutes les écoles, …. l'instituteur doit … enseigner avec objectivité les conceptions religieuses et philosophiques''. Les parents ont le droit de refuser la participation des élèves à l'instruction religieuse et aux offices. Article 30 La faculté de théologie dans l'université est maintenue, les professeurs nommés en accord avec l'Eglise. Section II Article 34 ''Il n'existe point d'églises d'Etat. Les églises et les communautés religieuses restent des corporations du droit public...sur demande il est possible de prêter les mêmes droits à d'autres communautés religieuses dont les tâches ne vont pas à l'encontre des lois''. Article 36 La protection du dimanche et jours de fête reconnus par l'Etat est garantie. La Section III porte sur le travail et l'économie. Il est très à gauche, il fait penser au programme du Conseil National de la Résistance en France. Article 37 ''Chacun a droit au travail. Le travail est une obligation morale... il est protégé par l'Etat contre tous les abus, exploitation, les dangers professionnels et les atteintes à la santé...hommes et femmes jouissent de droits égaux.'' Les droits d'association et de grève sont reconnus. Article 39 ''Les ouvriers employés dans des entreprises d'importance économique ont le droit de collaborer à la formation et à la gestion des entreprises et à toutes les affaires qui les concernent. A cet effet ils forment conformément aux lois des conseils d'exploitation (Betriebsräte){comités d'entreprise}.'' Ce droit est limité dans le cas des petites et moyennes entreprises pour ne pas limiter l'esprit d'initiative de l'entrepreneur. Cependant, même limité aux grandes entreprises, le droit de cogestion était une mesure très avancée. D'autres droits sociaux sont égrenés (Article 41), concernant les salaires, les temps de travail, l'interdiction du travail des enfants, (Article 42) l'assurance sociale, etc. (Article 44) ''En vue de garantir à toutes les classes sociales'' (ce vocabulaire est par lui-même de gauche) ''la satisfaction de leurs besoins économiques indispensables en qualité, en quantité et en ce qui concerne les prix, il peut être pris par une loi des mesures de réglementation de la production et de la répartition des produits. Ces mesures doivent, en tant que mesures transitoires, être rapportées dés que la situation le permet''. On envisage la possibilité d'organiser ''des corporations dans lesquelles entrepreneurs et salariés, producteurs et consommateurs sont intéressés à égalité..... Le principe de la coopérative est à encourager. Les coopératives d'utilité publique doivent bénéficier d'avantages fiscaux.'' (Article 45) : ''Si l'exercice du droit de propriété est en opposition avec l'intérêt public, il devra être procédé à l'expropriation au profit de la collectivité de mines, d'entreprises de production du fer et de l'acier, d'entreprises d'exploitation de l'énergie électrique, de transport solidaire du rail ou du conducteur aérien à haute tension ; d'autres entreprises et branches de l'économie appropriées, peuvent être placées sous le contrôle de l'Etat … la nature et le montant de l'indemnisation sont fixés par les tribunaux ordinaires compte tenu des intérêts légitimes de la collectivité et de ceux des intéressés.'' (Article 46) : ''La fusion d'entreprises dans le but de concentration économique et de monopolisation est inadmissible. Sont interdits spécialement, les syndicats industriels, les trusts et les conventions de prix visant à exploiter les larges couches de la population ou visant à la destruction des entreprises indépendantes des classes moyennes.'' (Article 47) : ''La propriété foncière et terrienne du paysan est garantie. En principe la terre cultivable ne doit pas être détournée de sa destination. La paysannerie indépendante doit être préservée. La répartition et l'exploitation des terres est contrôlée par l'Etat et réglementée par une loi de réforme agraire. Les terres non exploitées par leur propriétaire, négligées ou dont il est fait abus dans des buts de spéculation, peuvent être confisquées en vue de leur exploitation appropriée''. Ce texte sur la terre agricole est aussi très marqué à gauche. Il est vrai que dans la situation où la famine menaçait il fallait envisager des mesures énergiques. (Article 48) :Protection des PME, à ''protéger contre les charges financières trop importantes et contre l'absorption. A cet effet il faut élargir leur défense par société coopérative.'' (Article 49) :Le gouvernement dirigera la reconstruction ''Il veillera par un plan de reconstruction que chaque habitant du Bade reçoive un logement équitable.'' Ce chapitre est manifestement très marqué à gauche. Nous ignorons le rôle respectif des Badois et de l'administration française dans ce gauchissement. Du côté badois on se souvient que le parti CDU du Bade est issu du BCSV qui avait à sa création en mai 47 une position chrétienne de gauche très accusée, mais qui ne durera pas {section D :I.3.1}. Ajoutons que le gouvernement badois comportait des socialistes (SPD) . Or la constitution a été promulguée le 21/4/47. Et du côté français d'où venaient les impulsions ? Apparemment de Emile Laffon. Nous y reviendrons dans la section D :V.1.6

D :V.1.3 Le chapitre III structure de l'Etat. Section I :(Article 50) :''Le Bade est un Etat libre démocratique et social et un membre de la communauté des Länder allemands. La souveraineté de l'Etat repose sur le peuple.'' L'adjectif ''social'' est lui aussi marqué à gauche. Par ailleurs, sans surprise on souligne la souveraineté du Bade, et la ''communauté des Länder allemands'' appelle à un fédéralisme assez lâche. (Article 52) :''Les rapports du Pays de Bade avec les autres pays allemands seront réglés par une loi. Le consentement à une constitution fédérale de tous les pays allemands est subordonnée à une loi modificative de la constitution''. Ici on voit les précautions par rapport au fédéral qui animera la bataille pour garder le Bade ancien. (Article 55):Les couleurs du Bade sont horizontalement une bande jaune, une bande rouge et une autre bande jaune. (Article 57) : ''Tout acte de nature à faire obstacle à une collaboration pacifique entre les peuples, en particulier les préparatifs en vue de faire la guerre, est en opposition à la Constitution et interdit. Il est également du devoir de l'Etat d'encourager les efforts et travaux en faveur d'une paix durable''. La France était bien entendue réticente à un réarmement allemand, et sept ans plus tard le parlement français repoussait la ''Communauté Européenne de Défense''. Mais cette réticence était probablement partagée par le peuple badois, et en tout cas par le président Wohleb {cf section D:VII.1.1}. Les sections II et III Portent sur les élections et le mode de fonctionnement de la Diète badoise. Les textes sont très détaillés et précis. La section IV porte sur le Gouvernent du pays de Bade. ''Le gouvernement du Land se compose du Président d'Etat qui est en même temps Président du Conseil, et des Ministres dont le nombre et les attributions sont fixés par une loi.'' (Article 78) ''Le Président d'Etat est élu par la Diète {parlement, Landtag} au plus tard 4 semaines après sa première réunion par la majorité du nombre légal des membres de la Diète''. Il est mentionné que (Article 82), sauf exception ''Les fonctions de Ministre sont incompatibles avec d'autres fonctions publiques ….. L'activité au sein d'une direction ou d'un Conseil de gestion ou d'Administration d'une société industrielle ou commerciale. Des exceptions peuvent être accordées par la Diète ou l'une des Commissions par elle désignée.'' La section V De la mise en accusation des membres du gouvernement du pays. Article 87 : ''La Diète a, … le droit de mettre en accusation le Président d'Etat et les autres membres du gouvernement du pays, devant la Haute Cour pour avoir violé la Constitution ou une loi.'' Article 88 : ''L'accusation est formulée par le Président de la Diète. La proposition de mise en accusation doit réunir obligatoirement la majorité requise pour modifier la constitution. Le retrait de l'accusation peut être obtenu à la simple majorité.'' La majorité requise pour modifier la constitution est la majorité des 2/3, cf l'Article 92. La section VI porte sur la législation. Article 90 :'' Ce qui est prescrit ou interdit à tous les citoyens de l'Etat doit obligatoirement être fixé sous forme de loi. Il en est de même en ce qui concerne les prescriptions d'ordre général ayant pour effet de modifier les lois existantes, de les interpréter ou de les abroger''. En effet les lois existantes sont souvent les lois du nazisme. C'est ce qu'à invoqué la défense de Tillessen et la cour de Fribourg pour refuser de le juger {cf D :II.4}. Article 92 :''Pour l'adoption valable de lois ayant pour objet d'apporter pour tout ou partie de la Constitution des adjonctions complétives, des explications, des modifications ou suppressions, l'approbation par les deux tiers au moins du nombre légal des membres de la Diète est nécessaire ; lorsque la loi est adoptée il faut la soumettre au référendum. Les principes fondamentaux indispensables d'une constitution démocratique ne peuvent être entamés ou écartés par une loi modificative à la Constitution.'' Article 93 : '' Un dixième des citoyens électeurs peut demander, sous forme de requête, la présentation … d'un projet de loi élaboré.....au cas où le texte du projet n'est pas adopté intégralement par la Diète, il est soumis ensuite au référendum''. Article 96 : ''Il est fait appel à la Cour Constitutionnelle au cas de divergence de vues sur la question de savoir si une loi - porte atteinte aux principes fondamentaux indispensables à une constitution démocratique ou en abolit les principes - est soumise aux règles applicables à la procédure prévue pour modifier la Constitution. Cette décision oblige aussi bien le Gouvernement du pays que la Diète''. L'expérience du nazisme explique tous ces verrous destinés à en éviter la réédition. La section VII porte sur l'Administration. (l'Article 102) émet des réserves assez strictes sur l'endettement. (l'Article 106) ''Il sera laissé à chaque citoyen et aux personnes à sa charge, un revenu minimum non imposable''. On retrouve ici la fibre sociale de cette Constitution. La section VIII porte sur la Justice. (l'Article 111) prévoit une surveillance des juges, en particulier par rapport à leur respect de la Constitution ou de son esprit. Il faut se souvenir de l'affaire Tillessen qui a démontré la persistance de positions nazies chez certains juges {D :II.4}. Les juges fautifs peuvent être traduits devant la Cour disciplinaire, présidée par l'Oberlandesgericht {tribunal suprême de second instance}. (l'Article 112) porte sur la composition de la Cour Constitutionnelle du Bade qui jugera les conflits constitutionnels {la Cour Constitutionnelle fédérale de Karsruhe ne sera crée qu'en 51}, et de la Haute Cour de Justice ''qui juge des accusations ayant été déposées contre les membres du Gouvernement.'' (l'Article 115)''Nul ne se soustrait à son juge légal. Les tribunaux spéciaux et d'exception sont inadmissibles.'' La section IX porte sur les partis politiques. (l'Article 118)''Les partis politiques peuvent se former librement à condition qu'ils se déclarent partisans des principes de l'Etat démocratique par leur programme et par leurs actions''. (l'Article 121)''Il est interdit de promettre à un parti politique ou à ses chefs l'obéissance absolue ou d'exiger cette promesse.'' Le but de ces deux extraits concernant les partis vise évidemment les Nazis ou une réédition d'une dictature de type nazi. D :V.1.4 Le chapitre IV : La protection de la Constitution (Article 122)''La Constitution sert à la sécurité et au bien être de tous les habitants. Sa protection contre les attaques de l'extérieur est assurée par le droit international et à l'intérieur par les lois, par la Justice et par la Police. (Article 123) '' le droit fondamental comme tel doit rester intangible. Le droit fondamental ne peut être limité ou précisé que par référendum, ou une loi votée par la Diète. Une telle loi doit définir elle-même avec précision la limitation ou l'aménagement, dont le droit fondamental est l'objet. Il ne suffit pas de s'en rapporter à des réglementations antérieures. En cas de doute il est fait appel à la décision de la Cour Constitutionnelle''. (Article 124) ''Quiconque entreprend d'abuser des droits fondamentaux et des libertés garanties aux citoyens par la Constitution pour combattre ces mêmes droits et libertés se place lui-même en dehors de la Constitution. ...La Cour Constitutionnelle jugera sur plainte si ces conditions sont données''. On comprend facilement que les néo-nazis sont à nouveau visés ici. (Article 125) ''Chacun est obligé de remplir les devoirs civiques imposés validement par la Constitution ou par la loi''. (Article 126) ''Des règlements émanant de l'autorité supérieure et des ordres donnés par des supérieurs ne dégagent pas la responsabilité d'actes commis qui sont reconnaissables comme étant en opposition avec les principes de la Constitution, ou avec les lois pénales''. Ici on a en tête les Nazis qui ont plaidé les ordres reçus pour ne pas avoir à répondre de leurs crimes. Adolf Eichmann en sera un exemple fameux.

D :V.1.5 Dispositions finales (Article 127)'' La situation de droit fondée sur la loi existant au moment de l'entrée en vigueur de la présente Constitution, continuera à être appliquée, dans la mesure où elle ne se trouve pas en contradiction avec cette Constitution, jusqu'à intervention d'une réglementation légale nouvelle. En cas de doute, il sera fait appel à la décision de la Cour Constitutionnelle pour chaque cas d'espèce.'' (Article 128)''Dans le but de libérer le peuple allemand du national-socialisme, du militarisme et de leurs conséquences, en vertu d'une loi, des dispositions particulières peuvent être édictées jusqu'à la date du 31 décembre 1948. Cette loi ne pourra être attaquée pour anti-constitutionnalité. L'article 115 n'est pas applicable en ce qui concerne les organismes d'épuration''. C'est à dire que l'épuration des nazis pourra bénéficier d'une juridictions d'exception sans l'application stricte des droits de la défense. (Article 129)''La Constitution badoise du 21 mars 1919 est abrogée.'' (Article 130 et dernier)''La présente Constitution a été adoptée par l'Assemblée Consultative, en collaboration avec le Gouvernement provisoire du Land. Elle entrera en vigueur le lendemain de son adoption par référendum''.

D :V.1.6 Discussions sur la constitution du Bade Nous n'avons pas le détail des discussions qui ont conduits à ce texte, mais en voici quelques échos : Une réunion a lieu le 12/3/47 dans le bureau d'Emile Laffon à Baden-Baden. Pène écrit ''Réunion de gouverneurs chez Laffon. Boislambert, Brozen-Favereau, Widmer et moi sommes seuls. Laffon est appuyé d'un nombreux Etat Major. On examine d'abord la constitution du Bade la première prête. Objections sur la majorité des 2/3 qui impose la démission du cabinet, sur l'article qui prévoit les divergences entre les lois du Land et les lois du Reich (?)''. Les 2/3 pour la démission du cabinet proviennent de la combinaison des articles 88 et 92. Elle est donc restée dans le texte final. Pourquoi ce point d'interrogation (?) dans les notes de Pène ? C'est toujours le même problème, la ''loi existante'' est une loi nazie. C'est ce qui a été invoqué pour justifier le nazi Tillessen (D:II.4). Donc il est impératif de remplacer la ''loi existante'' par des lois démocratiques (Article 90). On doit ne pas appliquer la loi ancienne (Article 127). Enfin l'article 128 s'autorise des écarts à la démocratie, c'est à dire la levée de l'article 115, dans l'action d'éradication du nazisme. Par prudence la date limite de fin 48 est annoncée pour cette dérogation. C'était Laffon et son nombreux Etat Major qui organisaient cette réunion. Nous avons noté dans la section D :V.1.2, section 3 de la constitution, c'est à dire les articles 37 à 49, une position très marquée à gauche : les travailleurs ont droit à la protection de l'Etat, la cogestion des entreprises, des horaires de travail humains, des salaires suffisants, l'assurance sociale, ''le but à atteindre consiste à établir une existence humainement digne pour tous'', le combat contre la concentration du grand capital, l'usage parfois de l'expropriation par l'Etat, ... Cela semble confirmer ce que nous a dit Rainer Hudemann ''Les socialisations/Sozialisierungen - terme employé plus souvent à cette époque en Allemagne au lieu de nationalisation car la valeur de "nation" était fondamentalement mise en question par la politique nazie - ont été l'un des grands sujets des premières années d'après-guerre dans toutes les zones occidentales. En Hesse p. ex. (zone américaine), elles figuraient également dans la Constitution sans avoir été mises en oeuvre. Les forces autour de Laffon semblent y avoir été assez favorables. Dans la pratique, il en résultait non pas des socialisations, mais des formes de co- gestion assez poussées, le plus loin en Rhénanie-Palatinat [69] - plus loin que dans les années 50 en République fédérale'' [47]. Ajoutons que cette Constitution du Bade a été rédigée alors que le comité de rédaction de la déclaration universelle des droits de l'homme travaillait depuis 1946 et devait être approuvée et signée le 10/12/48 à Paris. Ce texte combinait en un tout indissociable les droits démocratiques soutenus par les occidentaux avec les droits sociaux revendiqués pas l'URSS. L'esprit qui animait ce comité de rédaction se retrouve parmi les rédacteurs de la constitution du Bade. Le 18/5/47 Pène écrit ''Elections dans le calme, 68 % de ''oui'' pour le référendum''. La constitution est acceptée. Le texte allemand de la constitution est accessible sur la toile [48].

D :V.2 Le gouvernement élu du Bade-sud et le conflit des prérogatives et des prélèvements Une tension surgit entre le gouvernement du Bade et les autorités d'occupation. C'est encore une ''affaire Dichtel''. Le 7/5/47 ''Une conférence de presse est tenue par Magnant, Dupuy, Brugère et Oswald. Dichtel{11} et Hilpert, ministres du ravitaillement et de l'agriculture sont attaqués.... Wohleb vient demander que la conférence de presse ne soit pas publiée. Bargeton refuse. Wohleb va à Baden-Baden, voit l'adjoint du commandant Mercier et lui arrache l'ordre pour l'information d'arrêter l'article. Wohleb triomphe et je perds la face si j'exécute. Je donne un contre-ordre et l'article apparaît le 9/5 dans la Badische Zeitung. … le bruit court d'une démission collective du cabinet. Bargeton convoque Wohleb et lui fait demander une entrevue avec moi pour lui, Waeldin, Leibbrandt, Eckert et Dichtel.... le 12/5 entrevue longue (3h) et pénible avec les 5 Allemands, Dichtel intraitable, Waeldin muet, Wohleb buté, Leibbrandt favorable, Eckert faux. En conclusion, un conseil de cabinet se réunira mercredi pour décider du maintien ou du retrait de la démission. J'ai ainsi gagné du temps.... le 14/5 le conseil de cabinet décide de ne pas remettre de démission collective du gouvernement. Noël me rapporte un propos tenu le 10/5 par le prince de Fürstenberg : ''Wohleb ne partira pas définitivement''. Cela m'aurait bien aidé de le connaître le 12/5. Le 18/5/47 se déroulent des élections dans le calme (CDU 34 sièges, SPD 14, FDP 9, Communistes 4) et au référendum 68 % en faveur de la Constitution du Bade. Nous avons détaillé cet accrochage entre l'administration française et le gouvernement badois car il est assez typique du climat qui régnait. Il y a une tension, des intérêts divergents, des rapports de force, mais à la fin on s'entend. On voit sur cet exemple que le parallèle avec la brutalité de l'occupation nazie en France est un non-sens. Le pouvoir de l'occupant et le pouvoir allemand renaissant devaient délimiter leur espace. Avec le temps le pouvoir allemand sera tout à fait indépendant. Dans l'ensemble les relations entre Wohleb et Pène seront bonnes. Sur la question soulevée ici, l'occupant avait raison, censurer la presse était une mauvaise habitude à perdre. Le 27/5/47 conférence des gouverneurs chez le général Kœnig. ''Le gouvernement français s'oriente vers l'autorisation d'aller à la convocation du Dr Erhard à Munich. Réserve : les chefs de gouvernements allemands s'engageront à soutenir la thèse fédéraliste. … Wohleb s'engage à soutenir la thèse fédéraliste et est autorisé à aller à Munich''. Le Dr Ludwig Ehrard défendait une ligne économique libérale, il sera l'inspirateur de la réforme monétaire de juin 1948, puis ministre de l'économie du gouvernement Adenauer en 1949 et chancelier de la RFA de 1963 à 1966. Ses positions économiques semblaient ne pas gêner les autorités françaises bien que cette politique économique qu'on appellerait aujourd'hui d'ultralibérale était aux antipodes des thèses sociales que nous venons de lire dans la constitution du Bade. Cela traduit un mouvement général vers la droite, sans doute sous l'influence anglo-saxonne en même temps que la guerre froide pointait à l'horizon. Mais les français, s'ils ne s'élevaient pas contre la politique économique de Ehrard le soupçonnaient de désirer une Allemagne fédéral assez centralisée, alors que la France préférait une Allemagne de l'ouest plutôt fédérale, laissant à la France une zone d'influence dans les régions allemandes frontalières. Wohleb soutenait volontiers cette politique fédéraliste, tout à son projet de rétablissement du Bade ancien. Les autres présidents de la ZFO ? Le 24/6/47 ''Leo Wohleb est élu chef de l'Etat et chef du gouvernement par le Landtag (CDU et Démocrates). Les socialistes et les communistes s'abstiennent. Les chefs des deux premiers félicitent, et ensuite Leibbrandt (soc) et Eckert (com) le félicitent en leur nom personnel. Sa nomination ne semble pas l'enchanter.'' Le 11/7/47 ''Wohleb et Hoffman entrent chez moi. Ils sont consternés par les faibles pouvoirs dévolus au Landtag. Ils pensent de plus impossible de former un gouvernement avant la conclusion de l'affaire Dichtel. Je m'élève contre cette prétention et ils rompent. Revenant sur les pouvoirs du Landtag, je leur explique qu'ils ont tous conçu des espoirs exagérés et déraisonnables et qu'il leur reste des questions cruciales telles que les questions sociales et de reconstruction sur lesquelles la libre discussion est possible. Je les quitte en leur recommandant instamment de former leur gouvernement avant le début de la semaine''. Le 14/8/47 ''Je reçois le gouvernement : Wohleb, Nordmann, Schuly, Leibbrandt. Wohleb prend la parole, je lui réponds, deux discours banaux. Assistent, Bargeton, Magnant, Koenig {pas le général}, de Béarn, Marcellin, Monteux, Dupeux, Walter, Lottin'' Le 1/10/47 resurgit le conflit des prérogatives entre le Landtag et les autorités françaises. Pène écrit ''Chantage allemand, les groupes du Landtag menacent de ne plus siéger parce qu'ils n'ont pas assez de pouvoir. Nous avons en effet repoussé de nombreuses motions pour la dernière séance. Nous allons voir ce que nous pouvons accorder maintenant que toutes les propositions de motions sont traduites''. De fait le texte constitutionnel semble accorder d'important pouvoirs à la Diète (Landtag). Mais il ne concerne que les relations entre différentes organisations allemandes. L'administration française n'y est pas mentionnée ni ses prérogatives. Nous sommes encore dans la première période de l'occupation, avant septembre 1949, et les pouvoirs de l'occupant sont importants. Le gouvernement se trouve composé comme suit [12] : Wohleb Leo : Président d'Etat, éducation, cultes. Schuly Alfred : Intérieur Fecht Hermann : Justice Eckert Wilhelm : Finances Lais Eduard : Economie Kirchgässner Alfons : Agriculture (après la démission de Schill en difficulté avec son parti)

Le gouvernement Wohleb a démissionné en août 48 pour protester contre les démontages. Il resta néanmoins en fonction jusqu'à sa remise en place décidée par le Landtag le 24/2/1949 26/4/48 ''Wohleb, Hoffmann et Brentano sont invités à Paris. Première entrevue avec Schumann (Président du Conseil), fraîche car celui-ci leur dit quelques vérités sur les réparations et prélèvements de machines. Ils sont séduits par l'aspect de la ville, par la discipline de la circulation, par la piété des fidèles dans les églises. Je les invite à la Périgourdine. Une deuxième entrevue avec Schumann est plus réconfortante.'' Notons tout de même que le fait d'être reçus par le Président du Conseil était une grande marque de considération. Le 14/8/49, élections au Bundestag. CDU (Chrétiens Démoctrates) 51 % SPD (Sociaux Démocrates) 23,7 % FPD (Parti Démocratique Libre, tendance libérale) 17.4 KPD (Communistes) 4,1 % SZT (Rassemblement pour l'action) 3,7 % ''Le vote s'est déroulé dans le calme le plus parfait. Les communistes n'ont pas, comme je le craignais, distribué au dernier moment des tracts interdits''. Pourquoi étaient-ils interdits ? Le SZT est brièvement décrit dans la rubrique ''Index des organisations et autres sigles'' à la fin de cette biographie.

D :V.3 La visite du secrétaire d'Etat aux affaires Allemandes et Autrichiennes, Pierre Schneiter. Pierre Schneiter a été secrétaire d'Etat aux Affaires allemandes et autrichiennes du gouvernement de Robert Schuman (du 24 novembre 1947 au 26 juillet 1948). Il a visité Freiburg le 25 janvier 1948. Il appartenait au Mouvement Républicain Populaire, démocrate-chrétien. Pène écrit ''Il fait un discours politique [15] devant une assemblée en majorité allemande. Ce discours annonce l'octroi de plus grandes responsabilités aux Allemands. Aux premières nouvelles les réactions allemandes sont un peu de déception. Ils attendaient de plus grandes précisions sur les nouveaux pouvoirs qui leur étaient dévolus''. Ce discours [15] est en effet intéressant. Il débute ainsi ''Il y a un an et demi, réunissant les représentants de l'Administration Allemande du Pays de Bade, des partis politiques et des syndicats, je vous annonçais que la France, sachant s'affranchir d'un ressentiment pourtant légitime et de toutes préoccupations s'inspirant d'un esprit de vengeance, entendait faire confiance dans le plus large mesure possible à votre esprit démocratique, et je vous indiquais en même temps notre intention de vous attribuer une part grandissante dans l'administration de votre Land.'' On sent dans ce paragraphe une grande tension. On est au moment de la transition entre la phase de dénazification et de réparations et la période de guerre froide où les occidentaux veulent redresser l'économie allemande le plus vite possible, la période du plan Marshall et donc la restauration d'un Etat démocratique. On sent dans le paragraphe qui précède que les Français sont obligés de suivre le mouvement, mais restent méfiants. Il est vrai que la ligne des alliés anglo-saxons se fera au prix d'une opportune tolérance à l'égard des anciens Nazis. Pour ne citer que ceux là, les grands patrons qui ont bénéficié d'esclaves fournis par le régime nazi en marge des camps d'extermination n'ont guère été importunés. Plus loin le secrétaire d'Etat dit : ''Ainsi, l'occupation a peu à peu changé de caractère. La France, certes, ne renonce et ne peut renoncer à aucune des garanties de sa sécurité et à aucune des responsabilités que lui imposent sa situation de puissance occupante mais elle est décidée à permettre aux autorités allemandes des Länder d'exercer sans contrainte la totalité des pouvoirs qu'elle leur a dévolus par l'ordonnance n° 95 du commandant en chef. L'action des autorités d'occupation doit être essentiellement une action de contrôle sauf dans le domaine, d'ailleurs restreint, qui par la nature même des choses, demeure réservé au gouvernement militaire. Nous sommes décidés à montrer à cet égard le plus grand libéralisme, pourvu que de votre côté, vous sachiez vous montrer dignes de la confiance qui vous est faite...... le contrôle du gouvernement militaire s'exercera particulièrement sur deux points : il veillera à ce que le national-socialisme ne puisse sous aucune forme reprendre racine dans ces pays qu'il a conduit au désastre : il veillera également à ce que l'effort de démocratisation dont vous tous, avez la responsabilité, soit poursuivi sans désemparer..... Nous vous avons remis le soin de préparer une législation sur la dénazification conformément aux directives alliées, à vous d'en appliquer la stricte application. En ce qui concerne la démocratisation en matière d'enseignement, les autorités françaises devront, compte-tenu des difficultés particulières dans ce domaine, garder un certain rôle d'impulsion, mais il est bien entendu que, là aussi, un progrès durable ne sera obtenu que si vous-mêmes savez rénover vos méthodes d'enseignement et insuffler à vos éducateurs un esprit nouveau...... Nous espérons que ces mesures auront pour effet de consolider définitivement la jeune démocratie badoise, dont les débuts ont, dans l'ensemble, répondu à notre attente. Il reste évidemment bien des obstacles à surmonter. Votre Land est morcelé au hasard du découpage des zones d'occupation. J'espère franchement que le Bade pourra retrouver son unité territoriale, qui permettra un développement harmonieux de sa vie politique et économique. …... Il est bon de préciser ici le sens des formules fédérales que la France a préconisées. Il ne s'agit pas d'une politique de morcellement ou d'affaiblissement systématique mais bien au contraire d'une solution de bon sens et de sagesse. Cette solution est la seule possible, une fois écarté le Reich unitaire dont la folie guerrière a, trois fois en 70 ans, amené la ruine de l'Europe, la seule aussi qui reste valable dans l'état actuel des négociations entre alliés et qui ne risque pas de consacrer définitivement cette coupure de l'Allemagne en deux que la France est loin de souhaiter. Cette formule fédérale qui implique une Allemagne fortement décentralisée, nous savons bien que beaucoup d'entre vous, qui n'ont pas oublié l'amère expérience du centralisme prussien, la cherchent, et nous nous intéressons à toutes les idées émises dans ce sens...... L'objectif final doit être l'intégration dans l'Europe qui se cherche et se reconstruit d'une Allemagne politiquement décentralisée, économiquement prospère, et par là même capable à la fois de subvenir à ses besoins et de contribuer à la réparation des dommages causés...... C'est de vous, finalement, qu'il dépendra que la fédération allemande, écartant toute pensée d'aventure ou de revanche, soit finalement admise dans une organisation européenne fondée sur la liberté des échanges et la communauté des intérêts.'' Ce texte résume bien la politique allemande de la France à ce moment. Presque à chaque paragraphe une méfiance persistante est exprimée vis à vis de l'Allemagne. La phrase ''trois fois en 70 ans...'' est chauvine, car si la responsabilité de l'Allemagne dans le déclenchement de la seconde guerre mondiale n'est pas discutable, elle est partagée en ce qui concerne les deux autre guerres évoquées. L'insistance sur une Allemagne fédérale avec une faible force centrale est liée manifestement à l'espoir qu'avait la France de ramener à elle des parties du sud-ouest allemand. Bien sûr le choix des Anglo-Saxons était au contraire d'une Allemagne de l'ouest forte face à l'URSS. La phrase sur une Allemagne ''économiquement prospère, et par là même capable à la fois de subvenir à ses besoins et de contribuer à la réparation des dommages causés'', montre une diplomatie à courte vue. Enfin, il est intéressant de voir ce discours se terminer sur le projet européen, mais c'est clairement un projet qui se résume au libre-échange : le chef du gouvernement était Robert Schuman qui considérait qu'il fallait débuter la construction européenne par là. On comprend que ''Aux premières nouvelles les réactions allemandes sont un peu de déception. Ils attendaient de plus grandes précisions sur les nouveaux pouvoirs qui leur étaient dévolus'' comme l'écrit Pène. A dire vrai le ton assez arrogant, paternaliste et fort peu diplomatique de Schneiter aurait pu attirer plus d'animosité de la part des Allemands. Leur réaction est pragmatique, essayer d'obtenir le maximum de pouvoirs. Les archives du MAE [15] contiennent la traduction d'un article de Friedrich Munding dans le Südkurier du 6/2/48 qui se félicite du discours de Mr Schneiter. En fait il monte en épingle l'allusion finale à l'intégration européenne que Munding justifie en remontant à Charlemagne. Il conclut ''Il est inconcevable d'admettre que, dans les rapports entre la France et l'Allemagne, et sous l'influence de ces derniers, dans tous les peuples de l'Europe, les mêmes énergies ne puissent être libérées pour le même bien de la collectivité''. Pour résumer Schneiter était très maladroit, arrogant et paternaliste, et vague sur les nouveaux pouvoirs dévolue aux Allemands.

D :VI Le tournant de 1948-1949, la création de la RFA La guerre froide amenait les occidentaux à soulager et aider la partie de l'Allemagne qu'ils occupaient, le plan Marshall en est la plus claire démonstration. La dévaluation du Reichsmark, considérée avec méfiance par les Allemands a finalement porté ses fruits. En même temps l'occupation s'allégeait. La zone française suivait le mouvement malgré ses spécificités.

D :VI.1 La rencontre de Francfort La guerre froide est clairement annoncée dans une conférence tenue à Londres du 23/2/48 au 6/3/48 entre les représentants US, Britanniques, Français, Belges, Néerlandais et Luxembourgeois. Ils réagissent au fait que selon eux l'URSS a violé les décisions quadripartites en imposant dans leur zone un régime dominé par les les communistes. Ils veulent donc doter l'Allemagne occidentale d'un régime démocratique. Le 20/3/48 le gouvernement soviétique se retire du conseil de contrôle quadripartite. La guerre froide a commencé. Une étape décisive dans ''le tournant de 48'' est la rencontre de Francfort le 1/7/48 ''Les trois gouverneurs militaires occidentaux remettent aux ministres-présidents des Länder trois documents. Ceux-ci recommandent, entre autres, la convocation, avant le 1er septembre, d'un ''conseil parlementaire'', composé de membres des diètes des différents Länder et chargé d'élaborer pour les trois zones occidentales une constitution, laquelle, après l'approbation des puissances occupantes, serait soumise à un référendum ''[19]. Voyons cette rencontre racontée par Pierre Pène, qui est convoqué à cette réunion avec Wohleb. Ils prennent l'avion. ''Le terrain de Francfort est très animé. Un avion part paraît-il toutes les 5 minutes pour Berlin. Nous attendons notre voiture : belle organisation française. A 10h15 nous voyons le général Koenig. Chacun des Commandant en chef reçoit les Ministres-Présidents. 11H30 séance. 4 tables en carré comme pour le conseil de contrôle {conseil des quatre puissances occupantes}. Clay {commandant en chef US} préside. Les Allemands occupent la place des Russes à Berlin. Chaque puissance a 15 délégués au plus. Les Anglo-Saxons sont aimables, les Allemands anxieux, Koenig en forme. Clay lit une déclaration sur l'organisation future de l'Allemagne et la constituante. Robertson {britannique} sur le partage du pays en Länder, Koenig sur le statut de l'occupation. Les Allemands sont invités à se réunir entre eux, à décider de la forme et de la date de leur prochaine réunion et à demander éventuellement aux Commandants en chef de se joindre à eux. Après leur réunion qui se tient l'après-midi nous apprenons qu'ils désirent se retrouver à Coblence en Zone française d'occupation.''

D :VI.1.1 Recommandations des commandant en chef alliés aux Allemands (Francfort) 16/7/48 ''Le général Koenig nous convoque pour diner avec M Anthony Eden. Après le déjeuner ce dernier nous expose la situation. À Berlin ce sera ou la guerre ou la reculade des alliés. Il ne croit pas à la guerre. Après Coblence Clay est furieux après lui et l'accuse d'avoir fait les couloirs {couloirs d'accès à Berlin}; il lui a retourné son accusation en lui rappelant la convocation par les Américains de ''Bork'' de Tübingen à Stuttgart. Clay est resté muet''. Rappelons que le blocus de Berlin par les Soviétiques a eu lieu le 24/6/48. Disons le franchement ce conflit anglo-américain n'est pas très clair. Nous y reviendrons. ''Le général Koenig voudrait que les Allemands donnent d'abord leur réponse sur la question 2 {limites des Länder}, puis sur 1 {l'organisation future de l'Allemagne et la constituante} qu'ils peuvent refouler, puis sur 3 {statut de l'occupation}. En résumé, {ce que souhaite Kœnig}, c'est pour 2 : ''obligation de donner un avis'', pour 1 : ''liberté'', pour 3 : ''octroi d'un statut qui est un avantage''. Le général veut en outre que les ministres ne se conforment qu'aux ordres envoyés à la fois par les 3 commandants en chef'''. Ce dernier point souligne que Koenig se méfie de la pression des Anglo-Saxons qui, de fait, triomphera. Anthony Eden est alors dans l'opposition en Grande Bretagne, gouvernée par les travaillistes, mais il soutien Ernest Bevin [72], travailliste, secrétaire britannique aux affaires étrangères. La controverse entre l'américain Clay et le britannique Eden n'est pas très claire. Pourquoi Clay reproche-t-il aux Britanniques d'avoir été responsables des couloirs (menant à Berlin) ? Il paraît [17] que le premier plan de Lucius Clay était d'envoyer une colonne blindée vers Berlin. Ce plan a été refusé par le secrétaire de la défense US et par les Britanniques. Clay s'est rallié à l'idée d'un pont aérien, solution très couteuse mais moins dangereuse. Dans les deux cas il faut un couloir traversant la zone soviétique jusqu'à Berlin. Dans ses mémoires [72] Anthony Eden ne parle pas de cet affrontement avec Clay, il se contente de se féliciter du pont aérien. Et en quoi consiste l'attaque en retour, qui est ce ''Bork'' (dont le nom n'est pas clair), qui aurait été convoqué de Tübingen à Stuttgart ? Il s'agit peut-être de Max Bork qui commandait le 13ème corps d'armée en Allemagne en 1945. En évoquant son nom on peut supposer qu'Eden rappelait à Clay son projet d'une attaque terrestre vers Berlin qui fut repoussée même par le gouvernement américain. Ce pourquoi Clay est resté muet. Nous avons cherché une mention de ce conflit Clay-Eden dans les mémoires de Eden. En vain : le nom même de Clay n'y est jamais mentionné. Pourtant Eden cite de nombreux autres généraux. De façon très britannique Eden efface Clay de ses mémoires. Par contre le point de vue de Koenig est assez clair. Il désire d'abord demander aux Allemands leur point de vue sur les frontières des Länder. La France est en position de faiblesse sur cette question car la division entre zone lui a laissé des parties seulement de Länder historiques, une partie du Bade, une partie du Würtemberg, etc. Peut-être Koenig espère-t-il que les Allemands vont défendre le maintien de ces petits Länder à l'encontre du désir anglo-saxon de créer des grands Länder. C'est d'ailleurs ce que Wohleb fera, avec l'accord de la majorité des citoyens du Bade-sud, mais finalement sans succès. Koenig insiste aussi sur le fait que les ministres allemands ne soient contraints que par les ordres envoyés par les 3 commandants en chef, afin d'éviter des manœuvres anglo-saxones contraires aux objectifs français. Le point numéro 1 est très litigieux, les Allemands ne veulent pas s'engager dans la construction d'une Allemagne de l'Ouest au détriment d'un espoir d'une Allemagne unifiée. Koenig prône la prudence à ce sujet. Par contre le point 3, l'octroi d'un statut aux Allemands qui ouvre la porte vers l'édification d'une Allemagne démocratique (unifiée ou pas encore) lui semble opportune. 18/7/48 le général Koenig ''nous prend à part avec Widmer et nous prescrit de proposer une émission de radio annonçant la remise aux Allemands du traité d'application augmentant leurs pouvoirs et leurs responsabilités dans le cadre de l'ordonnance 95. Widmer rapporte que les Américains répandent le bruit que nous ne voulons pas octroyer le statut d'occupation''.

D :VI.1.2 Les Allemands gardent l'espoir d'une Allemagne réunifiée, est et ouest. La guerre froide a débuté. Les occupants occidentaux veulent avant tout une Allemagne de l'ouest pour faire barrage à l'URSS. Les Allemands ne veulent pas cautionner la division de l'Allemagne. A l'issue de leur réunion de l'hôtel Rittersturz près de Coblence en juillet 48, les ministres-présidents répondent aux ''documents de Francfort'' proposés par les commandants en chef : ils estiment opportun ''d'ajourner la convocation d'une assemblée nationale allemande et l'élaboration d'une constitution allemande jusqu'à ce que les conditions nécessaires pour une solution applicable à toute l'Allemagne soient remplies et que la souveraineté allemande soit rétablie dans une mesure suffisante'' [19]. Les gouverneurs militaires n'acceptent pas cette proposition. 23/7/48 ''Wohleb me confie ses soucis quand au point 2 des recommandations de Francfort (fixation des limites des Etats). Cette question, dit-il, est purement allemande et doit être réglée loin des pressions des occupants. Il est gêné que les alliés semblent souhaiter une solution avant le 1/9/48''. Ces réserves de Wohleb sont en accord parfait avec le tactique de Koenig. Pourtant … ''En août 1948, à Herrenchiemsee, une commission d'experts réunie par les ministres-présidents élabore un projet qui, tout en comportant des propositions, alternatives en partie, est destiné à servir au Conseil Parlementaire d'hypothèse de travail'' [19]. Le Conseil Parlementaire a été proposé par les occupants occidentaux dans l'idée d'élaborer une constitution. Il servira pour la loi fondamentale. Il sera composé des membres des diètes des différents Länder. ''Ce projet provoque dans l'opinion des réactions critiques et divise les partis en suscitant de vives controverses au sujet de l'administration des finances et de la représentation des Länder. Le 1er septembre 1948 est constitué, à Bonn, le Conseil parlementaire. Sur 65 membres de ce Conseil, la CDU et le SPD détiennent 27 mandats chacun, le FDP 5 seulement, le DP (Deutsche Partei), le Parti Communiste d'Allemagne (KPD) et le Centre 2 mandats chacun. Berlin est représenté par 5 députés qui n'ont toutefois que voix consultative''[19]. 1/9/48 Pène écrit ''Arrivée au conseil parlementaire. Après quelques minutes d'attente nous nous plaçons. Le doyen d'âge ouvre la séance et propose de procéder à la nomination du président. Le CDU-CSU propose Adenauer, le SPD..., un Communiste se lève et en termes violents proteste contre le mode de désignation du Conseil Parlementaire. Il monte à la tribune malgré le président en criant Geschäftsordnung {règlement intérieur}'' 19/11/48 ''Wohleb vient me parler de la dernière entrevue de Frankfort où les ministres présidents ont parlé de l'Allemagne future : Une forte tendance pousse à la centralisation à laquelle Bavière et Bade sont opposés.'' Cette poussée des gouvernements de Land allemands souligne l'espoir fort chez eux de construire une Allemagne réunifiée, et non pas une ''Allemagne occidentale'' opposée à une ''Allemagne orientale''. On retrouvera chez les jeunes cet espoir d'unification de l'Allemagne. Le 18/4/52 ''Bargeton revient d'une rencontre de jeunes à tendance MRP, CDU,.. de nationalités allemande, française, belge, italienne … L'unanimité des Allemands l'a frappé : ils veulent avant tout l'unité de l'Allemagne et cette tendance domine même chez les partisans d'Adenauer. Un Français un peu vif déclarant en substance ''l'Allemagne est coupée en deux, c'est un fait, il faut en tenir compte et le prendre comme point de départ'' est accueilli par un grand éclat de rire. Le plus grand profit à retirer par les MRP de cette entrevue, n'est pas tant de convaincre les Allemands, que de mieux connaître leur état d'esprit. On ignore en France cette tendance forcenée, et pourtant bien naturelle à l'unité.'' D :VI.1.4 Les Anglo-Saxons refusent la contre-proposition allemande. 19/7/48 ''Le général Koenig nous a convoqués. Les trois experts, américains, britanniques et français ont terminé leurs travaux, ils ont constaté de graves différences entre les propositions allemandes de Coblence et Londres. En fin de réunion des Commandants en chef, Clay a déclaré ne pouvoir sans rendre compte à son gouvernement discuter des propositions si différentes des siennes. Les 3 Commandants ont alors décidé de convoquer les ministres-présidents le lendemain 20 à 15h à Frankfort. Le général nous exhorte de voir nos hommes avant la séance et de leur exposer les faits. Le rêve serait qu'ils refusent encore. Nous n'avons aucun intérêt à suivre une politique américaine très contestable alors que les élections aux USA vont peut-être la changer radicalement dans 3 mois.'' D :VI.1.5 Les Anglo-Saxons obtiennent des Allemands qu'ils rédigent la loi fondamentale ''Les gouverneurs militaires n'acceptent pas cette proposition, des présidents allemands d'ajourner la convocation d'une assemblée nationale allemande. À l'issue de nouvelles négociations, menées au ''Jagdschloss Niederwald'', près de Rüdesheim, les ministres-présidents se déclarent prêts à payer le prix exigé pour une évolution parlementaire et démocratique indépendante. Ils précisent cependant que l'Etat partiel que serait l'Allemagne occidentale se fonderait uniquement sur une ''loi fondamentale'', appelée à donner, comme il est dit dans son préambule, ''un ordre nouveau à la vie publique durant une période transitoire'', seule une constitution approuvée librement par le peuple allemand dans son ensemble saurait remplacer cette solution provisoire''[19]. Ce provisoire n'a duré que quarante ans ! Disons le, cette conclusion était une défaite pour les Français si l'on en croît la tactique discrètement prônée par le général Koenig ci-dessus. Car les français ne souhaitaient pas une Allemagne trop centralisée et malgré la réserve exigée par les Ministres-Présidents, ils acceptaient la création d'une RFA dont nous parlerons plus loin. Les Anglo-Saxons avaient plus de moyens de séduction que les Français, ils avaient un arsenal de mesures en tête, monétaires, financières et politiques et les moyens de les mettre en œuvre. ''Le 8 mai 1949, le Conseil Parlementaire adopte la ''loi fondamentale pour la République Fédérale d'Allemagne'' (RFA) par 53 voix contre 12, ces dernières appartenant à des membres de la CSU {bavarois}, du DP{Parti Démocratique}, du KPD {Communistes}, et du Centre. La loi fondamentale étant adoptée, le 12 mai par les gouverneurs militaires et ratifiée par les parlements des Länder – à la seule exception de celui de Bavière, sa majorité CSU estimant la nouvelle Constitution trop centraliste – les membres du Conseil Parlementaire, les Ministres Présidents des Länder, les présidents des Diètes, les délégués des Gouvernements Militaires et du Conseil Economique de Franckfort se réunissent le 23 mai à Bonn afin de promulguer la Loi fondamentale dans le cadre d'une cérémonie solennelle''[19]. Mais cette Loi fondamentale ne satisfait pas tout le monde. 29/5/49 ''A Offenbourg, le Président Schumann tient une conférence avec Altmayer pour la Rhénanie-Palatinat Wohleb et Eckert pour le Bade Muller et son chancelier pour le Wurtemberg. Le Président parle de la loi électorale qu'il trouve mauvaise parce que Kampfgesetz (loi de combat). Et qu'il trouve par ailleurs adoptée à une trop faible majorité. Elle est en outre un non-sens juridique parce que de caractère fédéral et adoptée avant la fédération. Le Président estime que la question peut-être reprise à condition que les Allemands s'en saisissent sans délai et fassent connaître nettement leur opposition. Ensuite il a fait connaître les conditions posées à la Russie à la conférence des quatre pour la création d'une Allemagne unifiée sous régime quadripartite. Ces conditions sont les garanties d'un rétablissement d'un régime vraiment démocratique (liberté de réunion, de parole, de vote, de presse, de radio, indépendance de la magistrature). Repas très cordial, conversations toutes en allemand''.

D :VI.2 La Réforme monétaire de juin 1948 Après la politique, l'économie. La guerre froide amenait les occidentaux à soulager et aider la partie de l'Allemagne qu'ils occupaient, le plan Marshall en est la plus claire démonstration. La dévaluation du Reichsmark (RM), considérée avec méfiance par les Allemands a finalement porté ses fruits. En même temps l'occupation s'allégeait. La zone française suivait le mouvement malgré ses spécificités. Sylvie Lefèvre [45] cite une lettre de Georges Bidault au général Kœnig du 4 janvier 1948 annonçant la fin de la première période de l’occupation : « Il ne s’agit plus de compenser les pertes du passé, mais de préparer l’avenir. Il faut mettre fin à l’exploitation, aux réquisitions, aux séquestres, nouer avec les Allemands des relations raisonnables, préparer une Europe unie » Les occidentaux ont décidé une réforme monétaire pour, dit-on, stopper l'inflation. La nouvelle monnaie se nommera le Deutsche Mark (Divine Maîtresse). 18/6/48 ''J'annonce la réforme monétaire à Wohleb. Il me dit : c'est maintenant que nous allons nous apercevoir que nous sommes pauvres'' La population se méfie de cette réforme, les échanges de billet doivent avoir lieu le 21/6. Le Reichsmark est dévalué dans la proportion de 1 DM pour 10 RM ; chaque citoyen d'Allemagne occidentale touche, à titre de ''prestation individuelle'', 40 DM qui seront, quelque temps plus tard, suivis de 20 autres [19]. 21/6/48 ''La ville est désertée, les tramways marchent mais les camions sont presque absents. Pas de voitures légères'' 24/6/48 ''Toujours très peu de mouvement dans la ville ; les conséquences de la mesure n'apparaissent pas encore ; il semble que dans le premier stade les ouvriers seront bénéficiaires. On craint le chômage.'' Françoise Pène retrace les taux de change Mark-Francs. 1945-1946, ''le mark (Reichsmark) valait 5 francs, la vie était très bon marché pour les Alliés ; après les très dures privations de l'occupation allemande, les français se ''gobergèrent'' agréablement. Les Allemands acceptaient tout des vainqueurs et furent stupéfiés par leur mansuétude''[60]. La deuxième période, 1946-1948, coïncide avec leur arrivée. ''le mark vaut 12 francs. La vie pour les alliés est encore assez facile, mais la quantité de devises étant limitée, nous ne voyons plus les excès du début. Les Allemands cachent minutieusement leurs réserves. Ils n'ont pas confiance en leur monnaie et font seulement du troc ou du marché noir''[60]. ''La réforme monétaire sous sa forme brutale qui bloque les avoirs et diminue les capitaux des 9/10 fait subitement sortir au grand jour les matières premières jusque là dissimulées, permet une reprise intensive de l'activité industrielle et commerciale et déclenche brutalement la reconstruction à une cadence vertigineuse. Les Allemands et les Alliés font confiance à cette nouvelle monnaie. Officiellement le Deutsche Mark (DM) vaut 83 frs. Au cours libre, c'est à dire en Suisse, il est coté au début à 20 frs, et il augmente progressivement de valeur pour se stabiliser entre 65 et 75 frs en 1950''[60]. ''Le mark des Nazis, monnaie dont personne ne voulait, ce qui fait que la subsistance des Allemands dépendait surtout du troc, fut remplacé par un nouveau mark échangé contre les anciens à raison de dix pour cent et garanti par les Alliés. Cette réforme couplée avec l'aide Marshall marqua le début du ''miracle allemand''. En quelques jours ou peut-être quelques semaines, on commença à déblayer les ruines et à reconstruire. Les vitrines, vides et tristes, furent soudain remplies de choses alléchantes. D'où venaient- elles ?''[61].

D :VI.2.1 Marché noir, miracle économique ? Le constat est incontestable, la réforme monétaire a été suivie d'un développement économique spectaculaire. Les témoignages de la famille Pène [60,61] mentionnés ci-dessus en font foi avec beaucoup d'autres : des richesses cachées ont surgi, les vitrines des magasins se sont remplies, la reconstruction s'est accélérée et même les banques suisses faisaient confiance au nouveau Mark. Cela a été très vite baptisé de ''miracle économique''. Toutefois ce point de vue doit être modulé par la prise en considération du marché noir pendant la période antérieure à la réforme monétaire. Rainer Hudemann [70] a étudié les marché parallèles dans la période 45-49 et constate qu'il y en a eu plusieurs. Des échanges avaient lieu en dehors de l'économie dirigée. Le Bade-sud est indiqué comme une zone où étaient effectuée, dans les années 1945-1948, des estimations mensuelles par les autorités de contrôle des prix dans lesquelles les activités qualifiées de ''marché noir'' étaient estimées quantitativement et qualitativement. Une différenciation régionale très marquée en ressortait. Par exemple dans le siège d'un gouvernement militaire tel que Baden-Baden on pouvait obtenir des articles de luxe qui ne jouaient aucun rôle dans les marchés parallèles d'autres lieux. Cependant ces données ne sont pas scientifiquement utilisables, car il manque souvent l'indication précise du lieu et de la date. Or ces ''marchés noirs'' ont beaucoup évolué selon la date et le lieu. Par exemple les objets de luxe de Baden-Baden faisaient monter les prix à des niveaux qui n'avaient rien à voir avec les niveaux de prix normaux [70]. Il était donc difficile d'estimer la volume de cette activité parallèle et d'en tirer des conclusions solides sur le développement économique dont ces marchés pouvaient être le vecteur avant même la réforme monétaire. Dés le printemps 1945 les liquidités des personnes privées ont migré vers le marché parallèle qui se développait très vite. L'attente d'une réforme monétaire n'y était pas pour rien.... mais le nouvel ordre monétaire s'est fait attendre et durant l'année 1946 l'épargne et les sources d'argent des utilisateurs ordinaires se réduisirent à néant.... Cela a mené l'utilisateur ordinaire en 1946/1947 à se tourner plutôt vers le marché du troc [70]. Pour résumer, il est incontestable que le bon en avant de la production a débuté longtemps avant la réforme monétaire. Cependant cela ne permet pas de minimiser le rôle décisif des réformes de la monnaie et de l'économie dans les années 1948-1949. Elles jouèrent au contraire un rôle fondamental comme en témoignent la métamorphose des vitrines et les cotations du nouveau mark en Suisse. Nous n'avons pas trouvé dans les documents de Pierre Pène de mention de ces ''marchés noirs'' et de leur rôle.

D :VI.3 Les syndicats et les mouvements sociaux pendant le tournant

D :VI.3.1 Les conseils d'entreprise. Le 23/12/47 Pène reçoit des syndicalistes allemands. Ils se félicitent du ravitaillement, se plaignent du prix élevé de l'alcool. ''la question importante est le retard sur l'approbation de la loi sur les conseils d'entreprise''. Les conseils d'entreprise allemands ont plus de pouvoir que les comités d'entreprise français car il pratiquent la cogestion avec les dirigeants. Selon les périodes cette cogestion peut englober la politique économique de l'entreprise ou seulement la question des droits des travailleurs. Quel était le texte que les syndicalistes badois souhaitaient voire adopter ? (''Betriebsrat''). Le 5/12/48 ''La loi sur les conseils d'entreprise est approuvée par le général Koenig sans modification. C'est un ''coup dur'' pour Clay. Baden-Baden avait d'abord songé à la repousser à cause de la clause sur les ''Fach Kommission'' (commission de spécialistes) qui sont l'instance permanente en cas de conflit entre les patrons et les conseils d'entreprise. Ils avaient peur que ce caractère permanent donne trop d'importance aux ''Fach Kommission'' et leur reprochaient d'autre part de comprendre des concurrents des patrons en litige''. On constate l'ambivalence de Pène concernant la question sociale. D'un côté il veut éviter le désordre, les grèves, et il est même prêt à des actions assez fortes ''Je suis décidé à réquisitionner les entreprises et à coffrer les ingénieurs et ouvriers qui résisteront''. Et voici qu'il se félicite des ''Fach-Komissionen'' plutôt favorables aux travailleurs. Alain Lattard [69] a étudié l'évolution du mouvement syndical allemand pendant l'occupation de l'Allemagne. Il souligne l'importance des conseils d'entreprise et leur relation avec les organisations syndicales. Il y a une sorte de symbiose entre elles, et subordination des conseils d’entreprise aux syndicats, ces derniers ayant une vue d'ensemble des problèmes. La nécessité de ces conseils d'entreprise (ou comités d'entreprise) n'a été contestée par personne en Allemagne occidentale. Il sont constitués de salariés de l'entreprise élus par les salariés. Il assure avec le patronat une cogestion (''Mitbestimmung''). Quelle est l'étendue du champ couvert par cette cogestion ? C'est la question clef. Dans les premières années après la libération les positions syndicales étaient marquées à gauche ''la socialisations des secteurs clefs de l'industrie (surtout les mines, la métallurgie et la chimie lourde) ainsi que les banques, l'introduction de la planification économique rendue possible par la socialisation, enfin la co- décision à tous les niveaux, celui de chambres économiques nationales et régionales, permettant la participation syndicale à l'élaboration et la mise en œuvre de la planification, mais aussi à celui de l'entreprise, où sont souhaités autant le renforcement du rôle des conseils d'entreprise (Betriebsräte), qu'une représentation paritaire des salariés dans les conseils d'administration et les instances de direction'' [69]. On reconnaît une orientation proche du programme du ''Conseil National de la Résistance'' en France et de la politique du Gouvernement Provisoire de la République Française : nationalisations, planification, … Par conséquent ce programme était plutôt bien reçu de l'administration française mais il n'enthousiasmait pas les Anglo-Saxons. Nous avons vu qu'en décembre 48 la loi sur les conseils d'entreprise a été approuvée par le général Koenig. C'était perçu par Pène comme un coup dur pour Clay, le chef du gouvernement militaire américain. L'antagonisme entre Français et Anglo-Saxons sur la question syndicale et celle des conseils d'entreprise était déjà manifeste. Cependant la guerre froide battait son plein, la prospérité allemande était en croissance sous l'effet d'un changement de la monnaie qui libérait enfin les Allemands des trucages financiers nazis. Les USA voulaient faire de la RFA un pays prospère afin d'en faire un barrage face au système soviétique, d'où le généreux ''plan Marshall''. Le chancelier Adenauer à la tête de la RFA subissait une forte influence américaine. Son ministre de l'Economie, Ludwig Erhard, fait adopter ''l'économie sociale de marché'', la fin de l'économie administrée dès 1948 [53]. Cette politique déclencha une grève générale en novembre 1948. Il est nommé ministre des finances d'Adenauer en septembre 1949. Sa politique sociale qui se proclamait ''ordolibérale'' a donc maintenu les conseils d'entreprise mais en réduisant leur champs d'intervention aux questions des droits des travailleurs et leur interdisant tout droit de regard sur la gestion de l'entreprise. Les élections du parlement fédéral de l'Allemagne occidentale (Bundestag) le 14/8/1949 ont donné le pouvoir à la CDU dirigée par Adenauer, plus proche du point de vue américain que de celui de Koenig sur la question des droits syndicaux et des conseils d'entreprise. Il est vrai que le plan Marshall a rendu la RFA redevable aux USA. Une loi qui limitait les pouvoirs des conseils d'entreprise était déjà en projet pendant l'été 52 et fortement contestée par les syndicats. Le 4/6/52 Pène écrit ''Déjeuner chez Linnemann, homme d'affaire, Linnemann annonce qu'il a réduit les velléités de grève de son personnel. Le Deutscher Gewerkschaftsbund (centrale syndicale allemande) a donné en effet un ordre de grève de 2h en protestation contre la loi qui ne prévoit pas l'intervention des conseils d'entreprise dans la gestion. Linnemann a donné comme argument que son personnel, travaillant en trois postes, ne devait pas faire grève (?)''. Le point d'interrogation est dans le journal de Pène, et de fait l'argument semble étrange. C'était un bel exemple de lutte des classes. La loi sur l’organisation des entreprises (Betriebsverfassungsgesetz, dite “BetrVG“ du 14 novembre 1952), institue les conseils d'entreprise comme un organe de cogestion d’entreprise et de représentation des intérêts des salariés. Mais une cogestion limitée aux droits des travailleurs, à l'exclusion de la politique économique de l'entreprise. Cette loi est commentée par Alain Lattard : ''selon la loi de 1952 ''Sur la constitution des établissements'' (Betriebsvarfassungsgesetz), les conseils de surveillance ne comptent qu'un tiers de représentants salariaux. Quant à la codécision au niveau des unités de production, réglée par la même loi, elle donne à la représentation du personnel (le conseil d'établissement - Betriebsrat) une influence sur les questions sociales et de gestion du personnel, mais pratiquement pas de pouvoir économique direct''[53]. Les Britanniques avaient un gouvernement travailliste entre 1945 et 1951. Cependant leur politique d'occupation de l'Allemagne différait peu de celle des USA et cela pour deux raisons, le gouvernement militaire britannique en Allemagne était peu favorable aux travaillistes, et le foreign office, travailliste, devait prendre en compte leur dépendance financière via à vis des Américains. Par conséquent ils n'ont pas soutenu un pouvoir plus étendu des conseils d'entreprise, ni les projets d'étatisation des mines, du secteur énergétique et du transport [69].

D :VI.3.2 L'unité syndicale Le 14/2/49 se tient une réunion des Ministres Présidents. ''Les Allemands sont encore courtois mais insensiblement on perçoit chez eux une assurance accrue.... La grosse question de la journée est la fusion des unions syndicales, traitée seulement devant les gouverneurs le matin. Là encore la France est entraînée par la bizone {zone des Anglo-Saxons} et devra céder en perdant en partie la face''. Pène considère l'union syndicale comme négative du point de vue de la France. Pourquoi pense-t-il cela ? La question de l'union syndicale a été traitée en détail dans la thèse d'Alain Lattard [69]. Les syndicats qui perçoivent l'orientation à droite de la politique allemande occidentale ressentent fortement le besoin de s'unir. L'union syndicale peut s'entendre de plusieurs façons : union des syndicats des Länder à l'échelle nationale (cela peut déplaire à la France peu favorable à une Allemagne très centralisée), union des différentes tendances politiques, union des différentes branches industrielles, enfin union des syndicats d'ouvriers et d'employés. ''On sait qu'un rapprochement entre les syndicats libres (ADGB, proche du SPD), le courant libéral (Hirsch- Dunkersche Gewerkschaftsvereine) et chrétien (le DGB de l'époque) s'était esquissé à la fin de l'automne 1931, mais il a fallu l'expérience de la répression nationale-socialiste ainsi que le revirement de la politique communiste à partir de 1934 pour que l'unité entre dans les faits. Amorcé dans la Résistance ou l'exil, l'abandon des Richtungsgewerschaften (syndicats politisés) se manifeste donc spontanément en 1945....notons qu'aucune des puissances occupantes ne s'oppose à la constitution d'un syndicalisme qui, selon la formule, se définit comme indépendant des partis politiques et neutre du point de vue religieux. Elles ont même tendance à l'encourager, car la concurrence entre organisations rivales pousserait à la surenchère et donc à l'agitation syndicale''[69]. Quel type d'unité syndicale était envisagée à la réunion des ministres présidents du 14/2/49 ? Nous l'ignorons, mais il faut constater que très vite le DGB (Deutscher Gewerkschaftsbund = centrale syndicale allemande) est devenu hégémonique. Pène rencontrait souvent les syndicalistes qui lui donnaient une autre approche de l'opinion allemande que le gouvernement du Bade. Lors de ses fréquentes tournées dans les ''délégations de cercle'' il rencontrait souvent, outre l'administration française et les notabilités allemandes, les représentants syndicaux. Quand la disette sévissait encore, les syndicats réclamaient pour la population une alimentation plus fournie. Plus tard la question de la compétence accordée aux conseils d'entreprise a pris de l'importance ainsi que celle de l'unité. En octobre 1949 à Munich, était fondé le DGB (Deutscher Gewerkschaftsbund = centrale syndicale allemande) regroupant les syndicats des différents Länder d'Allemagne de l'Ouest''.

D :VI.3.3 Les démontages de machines contestés de toute part en 1948-1949 La transition des années 1948-1949 amène aussi des changements importants dans la question des démontages. La reprise économique consécutive de la réforme monétaire demande des usines en état de produire. Le démontage s'oppose à cet objectif. Le plan Marshall rend moins nécessaire l'appropriation du matériel allemand. Au même moment une perspective d'union européenne se fait jour, soutenue par les Anglo-Saxons qui n'en seront pas partie prenante mais qui veulent construire un glacis face à l'Allemagne de l'est : Le 16/4/48 est instituée l'Organisation Européenne de Coopération Economique (OECE) précisément dans ce but. L'autonomie grandissante des Allemands vis à vis des occupants leur permet de combattre plus librement les démontages, comme nous allons le voir immédiatement. Les citations de Pène qui suivent donnent au premier abord une impression de désordre. On y verra des patrons inciter leurs ouvriers à manifester, un directeur des finances de Baden-Baden conseiller Wohleb, le général Koenig désavouer des décisions prises quelque part en France. Pourtant une certaine logique explique cela. Essayons de la démêler. Le 24/8/48 ''Une nouvelle liste de 11 usines vient d'arriver de Baden-Baden pour être notifiée au gouvernement badois. Des troubles sont à prévoir et probablement la démission du gouvernement. 18H, je signe la notification''. 25/8/48 ''Le Comité Directeur de la CDU siège pour décider si le gouvernement doit ou non démissionner. Séance confuse. Dichtel, Person, Zürcher conseillent à Wohleb de rester. Le reste l'emporte''. 26/8/48 ''10h15, Wohleb m'apporte une lettre pour m'informer que le gouvernement démissionne devant l'impossibilité où il se trouve de faire adoucir les démontages. Il reste chargé des affaires courantes quand il aura dans quelques minutes présenté sa démission au Landtag. Jäckle, Président du parti, se permet des écarts de langage regrettables'' Le gouvernement du Bade n'était pas particulièrement hostile à l'administration française. Cependant les démontages sont de moins bien acceptés par la population et le rapport des forces plus favorable aux Allemands, depuis le tournant, l'obligent à démissionner. En même temps il gère les affaires courantes ce qui donne à cette démission un caractère plutôt symbolique que l'administration française entendra bien. 31/8/48 11h30 ''Nous apprenons par une interception de correspondance que, sur l'instigation des patrons, les syndicats acceptent pour demain une manifestation contre les démontages. Baden-Baden contacté ne fait pas opposition. Nous essayons de rompre l'entente prévue ouvriers-patrons en faisant savoir aux premiers que leur heure de grève sur la voie publique de jeudi ne leur sera pas payée. Notre manœuvre ne réussit pas et nous n'arrivons pas non plus à faire coïncider les deux manifestations de mercredi et de jeudi. Celle de mercredi ne sera qu'un arrêt du travail à l'intérieur des usines pour permettre aux conseils d’entreprise d'exposer aux ouvriers la question des démontages.'' L'alliance ouvriers-patrons n'est pas surprenante : le démontage nuit aux intérêts des deux classes, ce qui le fragilise. 4/9/48 ''Magnant voit Wohleb et lui suggère de demander un adoucissement des démontages dans un but social, par exemple en ce qui concerne l'enlèvement des vieilles machines qui présentent peu d'intérêt pour nous et qui, si on les laisse permettront d'éviter du chômage.'' Magnant, directeur des finances à Baden-Baden donne des conseils à Wohleb ! Ce fonctionnaire haut-placé donne des conseils au camp adverse ! Très surprenant ? Pas vraiment, car beaucoup de hauts responsables français comprennent le caractère contre-productif de ces démontages à ce stade. Le contexte a beaucoup changé depuis 1945, la guerre froide pousse les occidentaux à ne pas entraver le redémarrage de l'industrie allemande, la perspective d'une union européenne pousse dans le même sens, le gain pour la France de ces démontages est de plus en plus hasardeux. Enfin le coût politique vis à vis de la population allemande est évident pour les administrateurs sur place. 9/9/48 16h ''J'ai appelé Wohleb pour lui faire une déclaration au nom du général Koenig. 1° La liste {de démontage} d'octobre 47 représente pour le gouvernement français une liste qui ne sera pas dépassée. 2° Le gouvernement français étudie sur cette liste des aménagements pour l'harmoniser aux buts du plan Marshall. Il insiste pour que la liste définitive soit publiée aussi tôt que possible. 3° Le CCFA (Commandement en Chef Français en Allemagne) se réserve d'étudier des substitutions pour épargner les petites entreprises et éviter autant que possible la diminution de la production actuelle et les transferts de machines-outils'' Le clou, le général Koenig désavoue de facto les ordres reçus de quelque part en France ? Pas vraiment. Le général a certainement discuté avec Paris pour obtenir cette marche arrière. Il l'a fait pour les raisons invoquées ci-dessus. Quel rôle a joué la pression américaine ? On sait que les relations entre les généraux Koenig et Clay n'étaient pas au beau fixe. En tout cas les Américains poussaient à arrêter les démontages. Cette pression américaine est décrite par Françoise Berger. ''Il existait aux États-Unis de gros groupes de pression, parmi lesquels les milieux industriels de racine allemande, pour faire cesser les démontages et critiquer la politique antilibérale qui était imposée à l’Allemagne.... Mais en décembre 1947, a lieu une conférence avec le président Truman au cours de laquelle un certain nombre de personnalités américaines du monde politique et économique lui remettent un mémorandum dans lequel la suspension immédiate des démontages est demandée. En mai 1948, peu de temps avant que ne soit votée, par le Congrès américain, la loi pour le plan Marshall, la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants remet un rapport qui renouvelle les protestations contre les démontages, évoquant la pénurie européenne d’acier [63]''. Marc Hillel décrit la fin de ces démontages ''Le 14 octobre 1949, Adenauer, de sa propre initiative, demande aux gouvernements occidentaux de mettre fin aux démantèlements d'usines, indiquant par là que la véritable négociation se ferait désormais entre lui et les hauts-commissaires. Pressés par les Américains qui tiennent à mettre fin, le plus rapidement possible, à l'occupation, ces derniers acceptent de discuter avec le gouvernement allemand. Le procédé est révolutionnaire puisque, pour la première fois depuis la guerre, l'Allemagne est traitée en partenaire égal. Six semaines plus tard sont signés les accords ''Accords de Pétesbourg'' qui mettent fin aux réparations, limitent considérablement les démontages et accordent à l'Allemagne d'importantes concessions en matière de construction navale. L'accord entérinait d'autre part l'intégration de l'Allemagne dans la communauté européenne et les divers organismes internationaux''[13].

D :VI.4 Le remplacement des gouvernements militaires par des Hauts-Commissaires En septembre 1949 les alliés remplaçaient les gouverneurs militaires par des ''Hauts-Commissaires''. Le 21/9/49 le général Koenig est remplacé par l'ambassadeur André François-Poncet. Celui-ci a-t-il infléchi la politique française en Allemagne ? Tel que le raconte Pène dans son journal on a surtout l'impression qu'il cherchait à faire payer par le gouvernement badois les réparations, et leur faire écrire les textes de loi dans la RFA. Il s'est exilé loin de Baden-Baden où se trouve toute son administration, pour s'installer à Bonn, capitale de la RFA. Réflexe d'ambassadeur ? Petit à petit c'est la politique allemande qu'il faut suivre au lieu de la politique française. Pour la zone américaine le général Lucius D. Clay était remplacé par John J. Mc Cloy en septembre 1949 Pour la zone britannique le général Brian Hubert Robertson prenait le titre de Haut-Commissaire en septembre 1949 et était remplacé en juin 1950 par le diplomate Ivone Kirkpatrick.

D :VI.4.1 François Poncet arrive Le 19/8/49 Réception du Haut-Commissaire François Poncet à Mayence. François Poncet prend ses fonctions. ''10h30, réception des Français, bon discours, bien pensé, bien écrit. Il rappelle les conditions politiques qui ont provoqué le remplacement des militaires par les civils à la tête des occupations. 11H00, réception des Allemands. Au discours de bienvenue de Altmeyer, F.Poncet répond qu'il espère ne pas avoir à faire usage de pouvoirs de coercition.'' L'effet est immédiat : le 24/8/49 ''Je reçois Wohleb et lui remets une lettre signée F. Poncet où celui-ci insiste sur le caractère prioritaire des frais d'occupation et l'obligation pour les Allemands de les payer sous peine de voir les recettes fiscales partiellement bloquées. Wohleb part catastrophé et furieux''. Le 21/10/49 Convocation par François-Poncet qui s'explique sur son long silence et répond à des questions préparées. ''Notre rôle se réduit à une contrôle léger, il devient de plus en plus diplomatique. Il rend hommage aux gouverneurs dont l'action a pu maintenir le calme pendant qu'il était accaparé par le conseil de la Haute Commission alliée {HCA : USA, UK et France pour réglementer et superviser le développement de l'Allemagne de l'Ouest (1949 à 1955) }.''

VI.4.2 L'ambassadeur F. Poncet ne se montre pas très diplomate ! La comparaison entre le général Koenig et l'ambassadeur André François-Poncet est intéressante et assez surprenante : le plus diplomate des deux n'est pas celui qu'on pense. Cela se voit dans leur relation avec leurs subordonnés et en particulier avec Pène. Cela se voit aussi dans leur souplesse politique. Koenig, le général, le ''baroudeur'', le combattant qui était destiné, de son propre aveu à Françoise Pène, à terminer sa carrière en tant que capitaine, devait ses étoiles de général (et sa nomination posthume au titre de Maréchal de France) à la guerre, à son courage, à son exploit de Bir Hakeim quand il a réussi à arrêter l'avancée allemande le temps pour les Britanniques de rassembler leur forces. Mais ce guerrier était fin et agréable dans ses relations humaines, et en particulier avec Pène. Quand Pène a été la cible de calomnies, il s'est informé et, convaincu, il lui a présenté ses regrets. Il avait un aussi un incontestable flair politique. Pour ne citer qu'un exemple, son soutien aux positions syndicales en faveur d'un droit de regard des conseils d'entreprise sur la gestion économique était politiquement habile vis à vis des travailleurs et habile aussi dans la tension avec les anglo-saxons. L'ambassadeur était agressif et cinglant vis à vis de ses collaborateurs et Pène n'y échappait pas : ''Le 11/3/50 François-Poncet téléphone. Aigre doux. Il est mécontent que les Badois ne paient pas (? {dans le texte}) et qu'ils retardent la remise à la Haute-Commission d'un nouveau texte de loi sur l'artisanat. ''Pène est assez grand pour remarquer qu'ils n'ont pas tenu leur promesse de remettre ce texte début mars''. Je n'ai pas pu placer un mot.'' Un autre exemple ''Bargeton paraît toujours catastrophé, sa dernière entrevue avec F. Poncet au matin du 20/10/51 a été brutale. L'ambassadeur, vexé de voir plusieurs affaires paralysées par ses services ou tombées dans les oubliettes s'est retourné contre le Bade. Déjà, le 19/10/51 il m'avait reproché au téléphone de ne pas l'alerter directement en cas d'urgence. Samedi il a ''formellement accusé Bargeton de malveillance à son égard''. Bargeton, sidéré n'a rien répondu. L'entourage a consolé la victime, lui disant que de tels éclats étaient chose courante''. François-Poncet gardait une méfiance à l'égard des Allemands. Le 24/3/50 ''à la séance du matin l'ambassadeur regrette sa mansuétude à l'égard des Allemands ''ils n'ont pas changé'' ''. Pène rendait par contre toujours hommage à François-Poncet pour la qualité de ses discours comme il l'a fait pour son discours d'arrivée ci-dessus.

D :VI.4.3 Les nouveaux statuts de l'occupation Une nouvelle étape de l'occupation était en place. Le statut de l'occupation dans cette deuxième période a été précisé dans les accords de Washington (1-8/4/49) Le régime de l'occupation y est défini par ''Les gouvernements alliés se réservent l'autorité suprême ; ils donnent aux Allemands le droit de se gouverner et s'administrer eux-mêmes et les garanties de l'Habeas corpus {pas d'arrestation sans jugement}; ils réduisent le rôle des autorités d'occupation à un simple contrôle''[16]{entrée ''L'Allemagne occidentale'' du memento confidentiel}. Pourtant les pouvoirs des puissances occupantes restent considérables : ''a) suspendre l'application du statut (sécurité, sauvegarde des institutions, obligations internationales ; b) réviser le statut ; c) intervenir par voie législative ou administrative, directe ou indirecte, dans les domaines réservés ; d) opposer veto à mesures législatives ; e) fixer leur propre compétence''[16]. À lire cela on a envie de dire que les occupants ne laissent en réalité aucun pouvoir aux Allemands. Ces réserves étaient déjà dans le statut d'occupation de Acheson-Bevin-Schuman du 8/4/48. Pour le schématiser, les occupants se réservaient tous les pouvoirs dès que les questions de sécurité étaient en jeu, et l'OMS (Office Militaire de Sécurité) installé à Berlin statuait là dessus [71]. Il faut garder en tête que la crainte d'une guerre chaude contre l'URSS était présente dans les têtes, elle s'aggravera du fait des nouvelles d'extrême orient, en Corée, au Vietnam et en Chine. Pierre Pène usera-t-il de ces réserves ? Nous le verrons au fur et à mesure, mais certainement il a dû le faire en faveur de l'Armée de l'air française qui installait ses aérodromes dans le cadre de l'OTAN d'une façon que Pène a jugé parfois maladroite. Il s'agissait bien là d'installer les troupes françaises de l'OTAN, c'est à dire de sécurité face à ce que l'on ressentait comme la menace soviétique. D :VI.4.4 Les échanges acerbes entre François-Poncet et Schumacher Le 22/4/49 ''Wohleb m'annonce qu'il doit se rendre à une réunion des présidents CDU qui débattront sur la position du SPD à Hanovre (intransigeance à l'égard des observations des Commandants en chef, sur l'instigation de Schumacher)''. Ici on voit la position hostile de Schumacher à l'égard de tous les occupants. Schumacher dirige de façon dictatoriale le SPD. Le 3/10/50 : ''Réunion des gouverneurs chez l'ambassadeur. Il commence par une violente sortie contre une indiscrétion commise à la réunion du 23/6. On aurait rapporté à la SPD ses prétendus propos tendant à une politique hostile à ce parti et à l'achat de certains membres. Schumacher aurait fait des reproches à F. Poncet. Celui-ci en conclut qu'il y avait un traitre dans l'assistance, et que le leader SPD manque d'esprit critique''. Ainsi avait commencé ce ''duel'' entre Schumacher et François-Poncet. Celui-ci ne pouvait pas résister au besoin de répondre sans cesse aux attaques de Schumacher dans la presse. Du 13-18/8/51 ''François-Poncet continue à répondre aux attaques de Schumacher par des banderilles. Il annonce que Schumacher conduit son pays à l'abîme : avant peu s'il continue il sera seulement le chef d'un camps de D.P. {personnes déplacées} quelque part dans le monde car tous les Allemands seront des D.P. Schumacher réplique que François Poncet n'est pas une ''deplaced person'' mais plutôt une ''misplaced person'' {personne mal placée}. Le peuple allemand est las d'être régenté par des critiques qui n'ont, après tout, pas montré tant de discernement dans les 20 dernières années, allusion à un {illisible} que François- Poncet aurait commandé au temps où il représentait la France auprès de Hitler à Berlin. Un propagandiste du Deutscher Block {groupe pro-nazi} dira le 19/9/51 que F.Poncet avait inscrit ses enfants aux jeunesses hitlériennes à Berlin. ''Pourquoi donc alors nous reprocher d'avoir été nazis''. Pène commente ''Il est plus aisé de faire de l'esprit aux dépens du personnel du commissariat qu'au dépends du terrible leader S.P.D. qui ne craint ni Dieu ni Diable.'' François Poncet a été ambassadeur de France en Allemagne de 1931 à 1938. Mais il n'y a pas le moindre indice qu'il ait commandé on ne sait quelle unité ni placé ses enfants aux jeunesses hitlériennes. Il s'agit très probablement de calomnies, ou ''infox'' comme on dit de nos jours où elles prolifèrent. Concernant Schumacher nous avons des informations plus crédibles, prononcées à visage découvert par un témoin oculaire. Les voici : Le 27/8/51 ''Le comte d'Andlau (branche badoise), outré des grossièretés de Schumacher contre F.-Poncet, vient me rapporter ce qu'il sait de l'homme.'' Sur la demande de Pène le comte d'Andlau, un ancien détenu de Dachau {Dachau était le plus ancien camp nazi, fondé dés 1933}, s'est expliqué dans une lettre très émouvante dont nous donnons quelques extraits [34] : ''Schumacher était à Dachau en même temps que moi. Il était le gérant de la bibliothèque des internés ; là je l'ai vu plusieurs fois. Pendant les heures de récréation, on le voyait se promener, presque toujours, avec un certain Zimmermann qui était son ami intime. Ce Zimmermann était le Ober-kapo {chef, bien que détenu} du ''Revier'' {baraquement destiné aux prisonniers malades des camps}, et tout le monde savait qu'il était un monstre : donc Schumacher lui aussi savait cela.'' Dans la suite de sa lettre d'Andlau donne les preuves des crimes de Zimmermann et du soutien qu'il aurait reçu de Schumacher après la guerre, en particulier en le faisant nommer maire de Schöndorf en Bavière. Ces documents seront transmis à F.- Poncet. Le comte d'Andlau a été amené à témoigner en janvier 1947 sur les atrocités dont il a eu connaissance dans ce camp en particulier par Zimmermann, l'ami de Schumacher. Kurt Schumacher est mort un an plus tard, le 20/8/52, sa santé étant fragile du fait de sa détention à Dachau.

D :VI.5 Relations entre Français et Allemands de 1949 à 1952. Pierre Pène était très sensible au climat des relations de l'administration française avec les Allemands, et particulièrement, bien sûr les Badois. Lors de ses nombreuses tournées il jaugeait ce climat et il constatait qu'il était très variable. Par ailleurs, même si les conditions de vie de la population s'amélioraient nettement, il y avait toujours des raisons de tension : les frais d'occupation, les réquisitions, les démontages, ... étaient de moins en moins bien acceptés par la population. Des questions politiques sont aussi débattues, comme la gratuité des écoles, alors que par ailleurs l'idée d'une union européenne fait son chemin. La seconde période de l'occupation, qui débute en 48-49, nécessitait un cadre juridique le plus précis possible, afin de départager les prérogatives des institutions allemandes et celles des alliés. Une réunion à Washington, les 6-8 avril 1949, des ministres des affaires étrangères, Acheson, Bevin et Schumann a décidé la constitution d'une république fédérale allemande et fixaient en même temps un statut d'occupation unique pour les trois zones occidentales [71]. Déjà en 1947 les ministres présidents des Länder réclamaient que les principes juridiques de la relation entre les population allemandes et les autorités d'occupation soient précisés. Les 23-24 mai 1949 la RFA était fondée, dotée d'une loi fondamentale (Grundgesetz), l'équivalent d'une constitution. Cette République et ses Länder devaient vivre pendant trois ans sous une occupation adoucie mais bien réelle. Le texte Acheson-Bevin-Schumann et la loi fondamentale de la RFA encadreront juridiquement les relations franco-allemandes dans cette période.

D :VI.5.1 Les frais d'occupation en 1949-1952 Les frais d'occupation sont acquittés par les gouvernements des Länder et partiellement par le gouvernement fédéral, ou du moins avancés par lui. Ils doivent couvrir les dépenses des administrations occupantes. Ces charges sont lourdes pour les Länder, et les ministres des Länder le disent haut et fort : Le 7/10/49 un télégramme de Louis de Guiringaud, Directeur des affaires politiques au haut-commissariat de France en Allemagne, adressé au ministre Robert Schuman et intitulé ''Déclarations du ministre de l’économie du Bade du Sud lors de l’assemblée générale de l’association patronale des industries métallurgiques du pays de Bade : Le ministre de l’économie du Bade attaque parfois violemment les autorités françaises expliquant les difficultés économiques du Land d’abord par les démontages effectués depuis 1945 et aussi par le fait que la moitié de ses ressources soit consacrée aux frais d’occupation'' [63]. Le ministre en question est probablement Eduard Lais. De son côté l'Ambassadeur surveillait très étroitement le paiement de ces frais. Le 11/3/50 ''François-Poncet téléphone. Aigre doux. Il est mécontent que les badois ne paient pas (?) et qu'ils retardent la remise au Haut Commissariat d'un nouveau texte de loi sur l'artisanat. ''Pène est assez grand pour remarquer qu'ils n'ont pas tenu leur promesse de remettre ce texte début mars''. Je n'ai pas pu placer un mot''. Nous avons déjà vu ce dialogue pour illustrer le caractère de François_Poncet. Le 15/3/50 ''Je reçois Wohleb et lui fais part des observations de François-Poncet. Il promet de me donner vendredi 17 réponse sur 1° Le politique fédérale sur les frais d'occupation du Bade. 2° le texte nouveau prévu pour la loi sur l'artisanat. Le 20/3/50 Wohleb vient à mon bureau. Le ministre des finances fédéral Schäffer lui a refusé une nouvelle avance. Je sais que Schäffer exige même le remboursement des 15.250.000 déjà avancés mais Wohleb semble l'ignorer. Le ministre des finances du Bade a, dès vendredi 17/3 écrit des lettres aux diverses Landescentralbank (banque centrales des Länder) pour demander des avances. En ce qui concerne la loi sur l'artisanat des propositions seront, promet-il, soumises au Landesregierung (gouvernement du Land) la semaine prochaine. 22/3/50 Rivain me téléphone que le Haut Commissaire envisage le blocage des fonds du gouvernement badois à concurrence du temps nécessaire pour payer les fonds d'occupation. Je me promets de faire sentir la menace aux officiels badois. Le 23/3/50 ''Par des sources du ministère des finances badois nous avons connaissance d'un télégramme de Schäfer à Wohleb. Il y dit que le Haut-Commissaire (François-Poncet) a accepté d'attendre un plan de règlement des frais d'occupation arriérés avant 31/8/50. S'il n'est pas satisfait les fonds seront bloqués.'' Schäfer fut le Ministre des finances de la RFA de 1949 à 1957. 12/4/50 ''Les Badois ont payé 7.425.000 DM au titre des frais d'occupation ; ils poursuivent dans leur politique consistant à payer 32 % de leur recettes budgétaires. Pourcentage égal à la moyenne imposée aux Länder de l'Allemagne orientale. Le supplément qui leur est réclamé est à leurs yeux à la charge du Bund''. Le Bund c'est le gouvernement fédéral.

D :VI.5.2 Climat psychologique de la relation franco-allemande Pierre Pène suivait avec tristesse et parfois avec plaisir le climat de la relation franco-allemande. Citons quelques exemples concernant l'attitude amicale ou hostile entre Allemands et Français dans cette période, à partir de 48-49, de l'occupation assouplie. Nous allons peut-être citer trop d'exemples, mais cela peut donner une idée de la variété des tâches que Pène assumait dans toute la région dont il était chargé. Il faut considérer les relations humaines et aussi l'attitude de la presse. Le 14/2/49 ''Réunion des Ministres-Présidents. Les Allemands sont encore courtois mais insensiblement on perçoit chez eux une assurance accrue. Sur la question de la gratuité dans les écoles normales Altmeyer {Rhénanie-Palatinat} résiste nettement au général Koenig. Après la séance tous deux s'écartent pour reparler de la question. Wohleb et Renner, représentant Müller {Wurtemberg-Hohenzollern}, soutiennent leur collègue mais sans enthousiasme. Le 22/10/49 ''Tournée : Offenbourg et vallée de la Rench. Griesbach et Peterstal ont été libérés de toute occupation et ont vu cette année une saison touristique prospère. Openau est encore occupé par un centre de regroupement d'infirmières. Son maire, un ancien officier d'aviation, nationaliste à silhouette d'officier prussien, cache sa hargne sous des gestes aimables...... A Offenbourg, la veille de la fête d'automne, je suis reçu au vignoble municipal dans une atmosphère cordiale et sympathique mêlée de revendications. 18/10/49 ''Tournée à Wolfach, Villingen, Überlingen. La mentalité allemande à notre égard a-t-elle changé ? Il n'y paraît pas actuellement : même satisfaction d'amour propre à être convoqué par moi, même politesse, voire obséquiosité. Je crois encore ces tournées utiles''. Le 25/10/49 ''Magnant arrive, désespéré, et m'annonce qu'Ehrmann, son adjoint, vient de recevoir du ministre Kirchgässner une lettre personnelle insolente. Il fallait bien que cela commençât un jour. Kirchgässner est un petit monsieur mesquin ? Après quelques discussions nous adoptons la proposition Monteux : puisqu'il s'agit d'une lettre traitant d'une question de service, la faire parvenir par la voie officielle. Ehrmann et Magnant n'ont pas compris que les méthodes d'autrefois étaient périmées.'' Ce texte illustre bien la difficulté du tournant qui se produit dans les relations franco-allemandes. Magnant était à Baden-Baden. Kirchgässner était ministre de l'agriculture et de le l'alimentation du Bade-sud. Le 9/11/49 ''Tournée à Rastatt, Baden-Baden et Lahr. Après le diner je parle avec un groupe d'Allemands que Chauchoy a, sur ma demande, invités. Ils semblent vraiment très flattés, même ceux comme Nestler et Wäldin que l'habitude des grosses affaires devrait pousser à plus de scepticisme. Je passe successivement de groupe en groupe, administration, clergé, enseignement, commerce, agriculture, syndicats, Beaux-arts.'' Le 14/2/50 ''le ''Unser Tag'' {journal KPD (communiste)} a été suspendu pour une semaine pour avoir diffusé un récit faux d'une opération de notre sureté dans le district de Lörrach. E Eckert {dirigeant KPD} vient voir Bargeton et lui dit qu'une conversation préalable aurait évité cette crise et propose d'insérer un démenti. Bargeton donne mon accord de principe sous réserve que le texte nous soit soumis''. Cet épisode peu important illustre le fait qu'au début 50 des comportements autoritaires de l'occupant n'étaient pas impossibles. Le 19/10/50 ''M.A. Bérard m'informe qu'il a interdit la vente en zone du n° du 20/10/50 du Weltwoche {journal suisse basé à Zurich}. Un dessin y représente un coq gaulois coiffé d'un képi d'officier français en fuite devant le dragon du VietMinh. Ce dessin vraiment cruel mérite sanction''. Les difficultés de la France en Indochine offraient à la presse une occasion en or d'humilier l'occupant. Et encore, on n'en était pas à la défaite de Dien Bien Phu au printemps 1954. Pène approuvait l'interdiction de ce journal. Ce type de censure ne serait plus accepté de nos jours dans les démocraties. Pène a toujours été un patriote et ce genre de dessin le blessait, ravivant l'humiliation de 1940. Il ne questionnait pas le caractère colonial de la guerre d'Indochine. La guerre d'Algérie le mettra sur des charbons ardents, pris entre son patriotisme et la difficulté de ne pas reconnaître dans les mouvements de libération nationale une forte ressemblance avec la Résistance française. Ce dilemme apparaît très bien dans le récit surprenant de Didier Pène [51]. Le 30/3/50 ''Tournée à Bühl, le délégué est ulcéré de voir seulement trois conseillers municipaux sur 12 venus à sa convocation pour visiter avec moi le nouveau cinéma. Il attribue cette désaffection à la question de la Sarre''. Ici on voit que le climat de la relation franco-allemande était aussi influencé par des questions politiques. La France aurait bien aimé annexer la Sarre. Après de longues et complexes tractations entre la France et la RFA et des votes de la population sarroise, la Sarre sera rattachée à la RFA le 1er janvier 1957. Le 12/4/50 ''Unser Tag {KPD} poursuit sa campagne venimeuse contre les alliés, ''Mr Poncet accueilli à St Blasien par une bordée de coups de sifflets.'' ''Les 200 000 D.M. versés par le Commissaire PENE à la municipalité d'Offenbourg ne viendraient-ils pas des frais d'occupation''. Le 21/8/50 ''Je rédige un avant-propos pour l'exposition badoise de l'agriculture. Etonné devant le prestige que conservent encore les occupants.'' Le 23/8/50 Pène va à Weil ''remettre de la part de l'ambassadeur 130 000 D.M. Pour financer la construction de logements pour les techniciens allemands qui travaillent pour la France à St Louis (Haut-Rhin).'' Il visite la ville et décrit les travaux en cours ou en projet. Ce geste montre un désir de la France de se faire ''bien voir'' de la population et probablement aussi de fixer ces techniciens. Le 21/12/50 Weil am Rhein est dans le Bade, tout au sud, près de Bâle. Pène inaugure le pont sur la voie ferrée dénommé ''Friedensbrücke'' {le pont de la paix}. ''C'est moi qui coupe le ruban après trois discours, du maire Hartman, du Landrat et de moi-même. L'assistance de 500 à 1000 personnes attend paisiblement dans le vent glacial et écoute discours et morceaux de musique de l'orphéon de Weil et de l'orchestre d'accordéon de Lörrach. Le maire me couvre de fleurs et de remerciements. Aucune fausse note dans le public. Un car chargé d'enfants traverse le pont et des bretzels leur sont distribués à l'autre bout'' Les deux notes qui suivent montrent deux faces contradictoires des relations franco-allemandes. Le 16/1/51 ''Je rend à Wohleb sa visite. Je vois Kirchgässner et Schully. Le 1er avait déclaré qu'il n'attachait aucune importance à ces sortes de chose et qu'il ne viendrait pas. Ce roublard de Jany avait fait de même, disant ''quel heureux mortel vous faites'' à Person qui n'était pas invité à Umkirch. Les Allemands glissent de plus en plus loin de nous.'' Le 17/1/51 ''Stockach : adieu à Scheider et présentation de Meyer. Tout le monde s'est dérangé. Landrat Kraut sympathique et courageux, Comte Bodman, et Comte Douglas avec son fils ; il m'invite encore à déjeuner. Discours de moi, Scheider, Meyer, Landrat, celui de Scheider a le plus de succès. Ensuite conversation devant du vin et des gâteaux. Je parle avec le Comte Douglas, le Comte von und zu Bodman, le Kreisschulrat {responsable de l'instruction publique du cercle}, le président du Narrengericht {fête annuelle traditionnelle, carnaval souabe-alémanique} et le doyen. En quittant je regrette d'avoir négligé les syndicats. Je suis étonné de la cordialité et de la déférence des Allemands. Elle est due en partie au retard de ce Kreis agricole à se mettre à la page et à suivre la politique internationale.'' Le 18/1/51 ''Visite à Hoffman, Oberbürgermeister {maire} de Fribourg : il s'est cassé la jambe dans son garage. Il parle d'abondance pendant 45 min, ne me laissant pas placer un mot, parle avec ironie du rôle initial des gouvernements de Länder qui était ''Lächerlich'' {ridicule} alors que le travail réel de contact avec les forces d'occupation et de reconstruction était fait par les municipalités ? Le 1/02/51 ''Hagenmuller me signale ses difficultés récentes avec Fleiz : une loi allemande impose un certain nombre d'heures d'allemand par semaine ; les Allemands qui fréquentent les écoles françaises ne remplissent pas les conditions et Fleiz veut leur imposer des leçons particulières. Tellenbach a proposé qu'un instituteur allemand payé par l'Etat soit chargé du cours d'allemand pour les Allemands des lycées français ; Fleiz a refusé. C'est une manifestation du raidissement allemand. On le sent partout même en Bade. … Les Américains en mendiant presque ouvertement ont rendu les Fritz fous d'orgueil''. La colère fait ressortir le qualificatif de Fritz. Hagenmuller était apparemment en charge des lycées français. Gert Tellenbach était recteur de l'université [2]. Qui était Fleiz ? Il semble qu'il était en charge des lycées allemands. Le 5/2/51 A Mayence défilé de carnaval. ''Défilés de chars par une pluie très légère, beaucoup pour ne pas dire rien que des sujets politiques. En carnaval on peut tout dire et nos bons Fritz en profitent : réarmement par l'oncle Sam, manque de charbon, l'ours rouge arrêté devant la porte de Brandebourg …. beaucoup de beaux costumes historiques inspirés de l'armée française et de la Révolution....grand bal costumé, femmes masquées, elles invitent jusqu'à minuit. Fête vulgaire et brutale, rien de la bacchanale annoncée : quelques couples s'embrassent mais la dominante est plutôt la brutalité '' Le 13/2/51 ''J'écris à Fecht Hermann, ministre badois de la justice pour lui demander des justifications aux propos virulents du procureur général badois contre le centre de recrutement de la Légion Etrangère d'Offenbourg. L'augmentation de la criminalité dans la ville serait due à ce centre : une telle affirmation est contredite par nos renseignements.'' Mais Pène a aussi de bonnes surprises : Le 16/2/51 ''Visite de Chloberag qui fabrique Cl et NaOH à partir de NaCl gemme. L'intérêt de ces visites d'usines n'est pas tant technique que de renseigner sur la mentalité ouvrière. L'attitude à l'égard du visiteur, les saluts qu'on lui adresse en disent long. Le Dr François Jouve est revenu de Paris un jour plus tôt pour me recevoir, une dizaine d'Allemands s'est déplacée''. Le 28/4/51 ''Nous allons au bal du cercle franco-allemand. Moins de monde que d'habitude. Monteux est désolé, on lui retire pour ce cercle le bénéfice de la réquisition. Il propose de le présenter comme cercle de fonctionnaires qui peut bénéficier de la réquisition. C'est une solution momentanée, elle ne résout pas le problème essentiel qui est de créer un organisme viable après notre départ. Il compte sur l'Europa Haus, mais F. Poncet n'a rien promis.'' Le 24/6/51 Il y a une fête à Villingen ''Sous une immense tente, où se pressent 3000 personnes au moins, les groupes cohabitent encore. Les Français ont encore plus de succès que le matin. Les deux tambourinaires marseillais, au son si grêle, s'entendent fort bien tant le silence est profond''. Le 28/9/51 Les adieux du général Guillaume. À cette occasion dans le discours du général de même que dans celui de Wohleb il est souhaité que le resserrement des relations franco-allemandes ''ouvrent la possibilité d'échanges commerciaux accrus du Bade et plus généralement de l'Allemagne avec le Maroc et plus généralement l'Union Française.'' Cela nous étonne mais souvenons-nous que la grande vague de décolonisation n'était intense qu'au Vietnam. Le 21/10/51 à Villingen se déroule un match de football entre l'équipe locale et une équipe de Bâle. Les Bâlois gagnent par 6-3. La fête, une tente de 1000 places où les Allemands dansent et chantent. ''A l'annonce par haut-parleur de mon arrivée, des applaudissements éclatent, Olivier peureux se serre contre moi. Le Président des fêtes, puis le maire prennent la parole. Je me lance et improvise en allemand. Une hésitation, un terme impropre font sourire, mais à la fin beaucoup d'applaudissements.'' Des discours de Pène improvisés en Allemand étaient manifestement rares. En général il bénéficiait d'un traducteur. Le 7/5/52 ''Wohleb me demande de transférer mon droit de réquisition de la troupe à de Forsner pour poursuivre deux bandits qui ont attaqué une banque à Kandern en assommant le gardien de 77 ans, bel âge pour un gardien ! Je ne puis faire cette délégation, mais dois réquisitionner moi-même. C'est ce que je fais par téléphone au colonel de la Ferrière et je confirme par écrit. Wohleb craint que les deux hommes ne s'échappent à la faveur de la nuit.'' D :VI.5.3 Vers l'union européenne par la coopération franco-allemande, de Gaulle. ''Dès Alger, certains hauts fonctionnaires groupés notamment autour de Jean Monnet reprirent comme on le sait des idées qu'ils avaient déjà discutées avant guerre : à savoir que la grandeur de la France passait par une position prépondérante dans un ensemble européen dont les structures devaient dépasser le cadre national. Intervenait ici le deuxième terme clé, inséparable du premier : le charbon, symbole de l'énergie''[44]. Le temps a passé, de nos jours le charbon est devenu le symbole de la production de gaz à effet de serre !! La Ruhr avec ses ressources minières et industrielles obsédait la France et elle avait déjà occasionné une très maladroite intervention militaire de 1923 à 1925. Un cadeau pour le nazisme naissant dont on ignorait encore le danger. Jean Monnet et Robert Schuman ont poursuivi cette ligne avec obstination, et ont abouti à la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier en juillet 1952, au moment même où l'occupation de l'Allemagne tirait à sa fin. Jean Monnet était plutôt un partisan du général Giraud {adversaire de de Gaulle pour la direction de la Résistance} que de de Gaulle. Mais de Gaulle, avec son remarquable sens de la géopolitique a dès octobre 1945 propagé cette idée d'alliance nécessaire entre la France et l'Allemagne. ''En tant qu'Européens de l'Ouest, en dépit de ce qui a pu surgir entre nous, nous devons travailler de concert et nous comprendre mutuellement''[7]. ''La France n'est pas ici pour prendre, mais pour faire renaître'' [7]. A Fribourg en Brisgau ''Nous avons donc à travailler ensemble (…) à une chose qui s'appelle la reconstruction (…). Quand je parle de reconstruction, je parle d'abord, bien entendu, au point de vue matériel, de tout ce qui concerne la reconstruction des bâtiments, l'alimentation de la population, et l'activité économique en général. Je parle aussi de tout ce qui concerne le point de vue, qu'il s'agisse de l'enseignement, de la justice ou de la religion, de l'administration''[7]. Pierre Pène était en octobre 1945 Commissaire de la République pour la Picardie et les Ardennes. Il n'a probablement pas connu ces discours de de Gaulle en Allemagne. Pourtant c'était en quelque sorte sa feuille de route en tant que Gouverneur du Bade-Sud. Quand Pène est arrivé à Fribourg en Brisgau de Gaulle avait déjà démissionné, mais la ligne restait essentiellement la même. Encore plus frappante, cette remarque faite à Fribourg ''Dans les possibilités qu'offre ce monde nouveau où nous avons à travailler, il peut y avoir entre le Bade et la France, des liens qui n'existaient pas, sinon il y a fort longtemps, et qui peut-être se renoueront''[7]. Cela anticipe la bataille pour maintenir le Bade dont il sera question plus tard. Citons aussi une phrase que de Gaulle a dite à Boislambert en octobre 1945 ''Souvenez-vous qu'on ne fera pas l'Europe sans l'Allemagne''[56]. Cette phrase est restée longtemps secrète mais elle révélait une grande lucidité. Nul ne peut nier la clairvoyance de de Gaulle en géopolitique, même s'il l'était moins dans le domaine des relations sociales. De Gaulle ne parle pas d'une union européenne institutionnelle. Il était hostile à une Europe trop fortement intégrée, il visait une confédération de nations souveraines. Le coup d'envoi de l'Union Européenne fut le ''Traité de Rome'' signé le 25 mars 1957. Les hasards de l'histoire, c'est à dire la guerre d'Algérie, ont ramené de Gaulle au pouvoir moins de 14 mois après le traité de Rome, le 13 mai 1958. Il fait alors savoir que la France honorera les engagements contractés lors de la signature du Traité de Rome. Cette déclaration rassurera beaucoup de monde. Les fausses frayeurs n'étaient pas rares. En voici une savoureuse Le 4/10/49 ''Petit de Mülheim, signale une réunion mystérieuse tenue au Schloss Bürzel, chez Sichler. Une trentaine de voitures immatriculées au Wurtemberg nord et sud stationnent devant le château fermé. Nous croyons à une réunion clandestine pour le ''Süd West Stadt''. La chancellerie Badoise, questionnée, ignore tout ou prétend tout ignorer de l'affaire. La sûreté, alertée de son côté, a envoyé aux renseignements. Geiber de Heidelberg est présent. Il s'agissait à Bürzel non de ce qu'on supposait, mais d'une réunion de l'Europäische Akademie pour préparer une adresse destinée au Président Schuman et tendant à une union économique européenne. Wohleb se rassérène.'' Le 3/4/52 Poher doit faire un exposé intitulé ''L'entente franco-allemande, clé de voûte de l'entente européenne''. ''Trois voitures sont parties de Munich amenant le ministre, sa secrétaire et divers maires français et étrangers.'' Un grand désordre s'installe, le ministre arrive en retard, sans s'excuser, il y a plus d'invités que prévu, … ''L'orateur a progressé depuis 3 ans, son texte est solide et de fort intéressantes citations l'ornent. La traduction de Ferber est brillante, mais je trouve moins de maîtrise à Ferber qu'à Chauchoy. Son accent est, paraît-il, meilleur. Nombreux applaudissements à la fin.'' Vers 24h30 ''tout le monde est fatigué, les Allemands sont prêts à rester toute la nuit, mais les Français ont les yeux fixés sur Poher ; rien. En fin de compte je me décide à la satisfaction générale. J'espère que le ministre ne m'en voudra pas.'' Aujourd'hui le thème du ''moteur franco-allemand'' de l'union européenne est devenu un lieu commun, même si ce ''moteur'' a des hoquets. Cette idée était présente implicitement dans le ''plan Schumann'' qui prévoyait la CECA comme un chemin vers l'union européenne. La CECA était un embryon de l'union européenne mais c'était aussi une façon d'assouvir la concupiscence française pour les ressources de la Ruhr, une façon plus pacifique que l'invasion des années 1923-1925 dont on connaît les conséquences désastreuses. D :VI.5.4 Europa Union et le Conseil de l'Europe Mais revenons aux prémices de l'Union Européenne. L'initiative est anglo-saxonne. Le 16/9/46, avant même la guerre froide, Churchill fait un discours à Zurich, il appelait de ses vœux la reconstruction de l'Europe continentale (déjà le Brexit !) en une sorte d'Etats-Unis d'Europe et la création d'un conseil de l'Europe. Une perspective d'union européenne se renforce, à l'initiative des Anglo-Saxons qui n'en seront pas partie prenante mais qui veulent construire un glacis face à l'Allemagne de l'est : Le 16/4/48 est instituée l'Organisation Européenne de Coopération Economique (OECE) précisément dans ce but. Cette organisation est liée au plan Marshall de reconstruction de l'Europe. Le 5/5/1949 le traité de Londres fonde le Conseil de l'Europe. Il faudra pourtant attendre dix ans pour la création de la Cour européenne des droits de l'homme le 18/9/59. Le 22/6/48, dans une ville déserte du fait de l'incertitude qu'a engendrée la réforme monétaire du 19/6, Pène rencontre Schinzinger, ''Président de l'Europa Union il m'expose en termes assez vagues son programme''. Françoise Pène parle des visites de Robert Schuman à Umkirch ''Robert Schuman, ministre des affaires étrangères de 1948 à 1953, passera chez nous à Umkirch et dans les autres provinces, afin de contacter des personnalités allemandes et lancer les premiers jalons d'une Europe Unie. Je ne puis parler de Jean Monnet parce que je n'ai pas eu le plaisir de le rencontrer. Il a jeté les bases de la communauté européenne du charbon et de l'acier en 1950. En 1955 Monnet créa le comité d'action pour les états unis d'Europe. Robert Schuman refusait de répondre aux journalistes voulant éviter toute publicité prématurée. Je devais en tant que maîtresse de maison faire barrage, et ce fut difficile tant ces messieurs montraient de la patience et de la ténacité, sentant qu'il se préparait quelque chose d'important. Homme de grande foi il récitait une prière debout au début et à la fin de chaque repas. Je devais en tenir compte. Lui et l'ambassadeur François-Poncet parlaient aussi bien la langue locale que les plus lettrés des habitants de ce pays'' [76]. Le 25/8/50 ''Diner à la préfecture du Bas-Rhin avec Guy Mollet et la délégation française au conseil de l'Europe. J'y retrouve Piette {Piette appartenait au même réseau de Résistance que Pène, l'OCM [99]}, Directeur de cabinet de Guy Mollet {OCM lui aussi}. Je rencontre Paul Raynaud, Bidault, de Menthon, Bichot, Paris, Frey,...Je suis assis au diner entre P. Raynaud et J. Bardoux. Conversations intéressantes. Raynaud craint l'attaque des Russes par l'intermédiaire de satellites. D'autre part, si les Américains ont 2 ans pour se préparer, ils dépasseront les Russes et seront si forts qu'ils feront une guerre préventive. Je lui rapporte les propos interceptés des généraux et colonels de la Wehrmacht lors du recul américain en Corée.'' Quels étaient ces propos ? Nous l'ignorons. Les retrouvailles avec Guy Mollet et Piette, résistants de l'OCM, engendrait comme une bouffée de camaraderie qui tempèrait les gros soucis du moment. Les personnages historiques tels Paul Raynaud, Georges Bidault, .. sont très soucieux. Paul Raynaud revivait-il cette terrible année 1940 quand il était président du conseil et n'a pas pu imposer son plan d'un repli en Afrique du Nord puis fut obligé de laisser la place à Pétain ? Le 10/6/52 L'Europa Union invite l'épouse de Albert Schweitzer, prix Nobel de la paix 1952, médecin, pasteur, philosophe, fondateur d'un hôpital dans la forêt équatoriale. ''D'une voix faible, un peu cassée, elle parle à l'assistance qui remplit la salle à craquer, les auditeurs sont presque sur les genoux les uns de autres. C'est un long exposé ethnologique, descriptif, géographique, fait en bon allemand. Après elle v. Hungern- Sternberg la remercie, expose le but de l'Europa Union, et l'importance pour une Europe du rapprochement franco-allemand. Sur 2 colonnes, L'Allemagne et la France, doit s'élever l'Allemagne future.'' Le 18/6/50 Inauguration de l'Europa Haus, à Offenbourg. En présence d'Arnaud Bérard, Haut Commissaire adjoint. ''l'Oberburgermeister, dans son discours, oublie de me saluer ; il paraît que ce n'est pas voulu''. Pène était très sensible aux manques d'égards à son endroit ou du moins à sa fonction. D :VI.5.5 l'organisation des fonctionnaires résistants en Allemagne (OFRA) ''L'OFRA (créée en 1947) était l'organisation des fonctionnaires résistants en Allemagne (concernait les fonctionnaires dans la ZFO - en particulier évaluation des critères moraux pour permettre à des fonctionnaires français d'exercer des pouvoirs en Allemagne). A priori, tous les dirigeants militaires et civils, tous les gouverneurs des provinces venaient des réseaux de la Résistance. On y croise bcp d'Européistes de la première heure. '' [74]. 30/6-1/7/50 ''Congrès de l'OFRA. Les exposés prévus à l'ordre du jour sont bons. J'entends ceux de l’après- midi, Manfrey et d'Almoncourt et tous ceux du 1/7 : Bidaut, Béru et Rataud''. Le 1/7/50 ''L'ambassadeur {François Poncet} fait en début de séance une allocution très applaudie. Adroitement il dépouille son ironie habituelle devant ce public convaincu et foncièrement sérieux. Le 30/6/50 l'impression d'ensemble est pessimiste et injuste. On enterre l'occupation, elle a échoué, tous les grands Nazis sont aux postes de commande, etc, Yzerman se distingue dans ce jeu de massacre''. Si l'occupation n'en est pas responsable, il faut avouer que le nazisme se portait bien en Allemagne dans les années 50, aucun des grand industriels qui ont aidé Hitler et été aidés par lui n'a été inquiété. L'avènement de Kiesinger comme Chancelier en sera une preuve éclatante. La crainte du communisme a amené les occupants à fermer les yeux. Sans compter les Nazis récupérés par les grandes puissances pour leur savoir. Citons le fameux Wernher Von Braun, responsable des équippes qui ont mis au point les fusées V2 et qui fut ensuite celui qui a développé les missiles balistiques américains. Nous y reviendrons dans la section D:VII.6

D:VI.5.6 Les couples franco-allemands Françoise Pène a parlé d'un autre versant de la relation franco-allemande rarement évoqué : la relation amoureuse. Il nous faut ici remonter au début de l'occupation, quand le pouvoir de l'occupant était immense, et suivre ce processus jusqu'aux années 50. ''Chacun se surclassera pendant que l'occupé subira momentanément un repli en sens inverse. Des comtesses allemandes serviront d'intendantes ou de bonnes d'enfants pour manger à leur faim et être chauffées; des sous-officiers français auront des maîtresses de la haute bourgeoisie, car les Français célibataires se mettront presque tous ''en ménage'' avec une Allemande..... c'est le droit du vainqueur et qui n'engage à rien. La maîtresse est flatteuse et peu exigeante, et ceux-ci peuvent la quitter le moment venu. La guerre sur le front russe fut si meurtrière que les mâles allemands font défaut et les veuves se consolent. Quatre années ont passé. Presque toutes ces maîtresses sont devenues des épouses légitimées par le consul et souvent par le curé. Les offres nombreuses tenteront les hommes mariés, qui croiront ne faire qu'une entaille au contrat conjugal. En douceur ces dames arriveront à leur fin et l'époux sera surpris comme par hasard car la maîtresse allemande ne tient pas à cette discrétion. Elle compromet le mari qui, un peu gêné au début, ne croyant qu'à une fredaine, doit demander le divorce. L'épouse française, obligée de se rendre à l'évidence, déclenche le drame. Mon mari et moi-même servons de confidents à la victime, qui désire le déplacement de son époux, afin d'essayer d'arranger les choses. Nous prenons en pitié ces femmes éplorées à juste titre, sauf lorsque la question d'intérêt prédomine ce qui est souvent le cas''[60]. On peut trouver ceci anecdotique, mais cela a dû contribuer au rapprochement des deux peuples.

D:VI.6 Alain Poher et les licenciements dans l'administration française Dans cette sous section nous nous appuirons exclusivement sur le journal de Pène. Il s'agit d'une tragi- comédie humaine. Les travailleurs connaissent cela : un ''plan social'', façon pudique de dire ''licenciements massifs''. Les initiateurs expliquent pourquoi c'est indispensable et les victimes voient du jour au lendemain leur vie basculer : ''Pourquoi moi ?''. Mais ici cela se passe dans un milieu plus élevé de l'échelle sociale. Le personnel de l'administration française en Allemagne était-il trop nombreux ? Probablement. Étaient-ils tous de premier choix ? Sûrement pas. Les ''coupeurs de tête'' sont cyniques, on est obligé de l'être quand on fait ce métier ! Pierre Pène est mal à l'aise, ce ''guerrier'' est un homme sensible, nous en verrons d'autres preuves. Nous gardons son langage assez vert à l'encontre de plusieurs personnes désignées, il semble que 70 ans après on peut se le permettre. En effet ce langage traduit bien la tension ambiante. Il faut aussi suivre le crescendo de cette séquence. Nous le commenterons à la fin. Le 3/6/49 ''Inspection de Alain Poher . Il veut prendre effectivement pied en Allemagne, et se renseigne. Sa bête noire : André François Poncet, il a envoyé auprès de lui, comme directeur de cabinet, Rivain, qui, espère-t-il, le renseignera''. Alain Poher avait été nommé par Robert Schuman Commissaire aux Affaires Allemandes et Autrichiennes. Le 10/6/49 ''Nous sommes convoqués à Baden-Baden : Poher est reconnu pour traiter des licenciements : il voit tour à tour les gouverneurs et leur impose des réductions. Dans une réunion du 12/6/49 tout ce travail partiel sera harmonisé. Le pourcentage de réduction est de 40 à 50 %''. Il faut dire qu'un afflux de Français, vivant dans la zone d'occupation aux frais de l'Etat [13], rendait ces mesures indispensables. ''L'émoi devant les licenciements continue à régner dans le personnel''. Le 29/6/49 ''A. Poher me convoque pour lui donner les noms des victimes des licenciements. Je ne sacrifie pas Daty, on me le reprochera à Baden-Baden. Magnant conseiller du ministre prend de grands airs, il veut jouer le rôle de dictateur du personnel, tranche, rogne, carbure, au grand dam de Bargeton fort jaloux de ses prérogatives.'' Le 23/7/49 ''Les propositions des commissions paritaires paraissent. Daty est prévu pour le licenciement. Tout le monde en est content mais lui est désemparé et sa femme bouleversée. Je suis intervenu auprès de Frappart pour l'aider mais embarrassé, ne pouvant affirmer qu'il est un as, je n'ai pas une grande efficacité. Au fond comme dit Laurent il faut considérer qu'il a été en sursis jusqu’à ce jour.'' Le 4/8/49 ''Voyage à Paris. Atmosphère de grenouillage, les incompétents s'en donnent à cœur joie. Il serait bon que les gens de la zone soient représentés dans ces négociations''. Le 28/11/50 ''Commission de licenciement. Dobler, toujours lâche, assez déplaisant avec sa figure de fesse, à côté d'A. Bérard qui préside. C'est la foire à l'homme. J'essaie de sauver Graciano mais en vain. Je suis très désagréablement impressionné par les chuchotements, les apartés, les sous-entendus. La difficulté est grande pour Dobler et Bérard, cependant je voudrais plus de dignité dans les débats.'' Commentaire qui se suffit à lui même sur le fonctionnement de la politique de licenciement initiée par Poher (cf ci-dessus 10/6/49) Pène souffre, ''c'est la foire à l'homme''. Daty et sa femme sont désespérés, ''pourquoi moi ?''. Et voici que le couperet menace les gouverneurs eux mêmes !! Dobler s'obstine dans le rôle du ''méchant'' et les gouverneurs préparent la ''bagarre''. C'est un complot contre un autre complot dit Pène avec ce regard ironique qui le quitte rarement. Le danger créant la solidarité, ces gouverneurs semblent s'entendre comme ils ne l'ont jamais fait auparavant. Pène souffre, ''c'est la foire à l'homme''. Daty et sa femme sont désespérés, ''pourquoi moi ?''. Et voici que le couperet menace les gouverneurs eux mêmes !! Dobler s'obstine dans le rôle du ''méchant'' et les gouverneurs préparent la ''bagarre''. C'est un complot contre un autre complot dit Pène avec ce regard ironique qui le quitte rarement. Le danger créant la solidarité, ces gouverneurs semblent s'entendre comme ils ne l'ont jamais fait auparavant.

D :VII Relation avec les alliés, création de la RFA La création de la République Fédérale Allemande était programmée lors de la rencontre de Francfort comme nous l'avons vu. Ce projet a été soutenu par les trois puissances occidentales. Nous avons aussi vu les réticences des Allemands qui espéraient un état contenant toute l'Allemagne, zone soviétique comprises. Les Américains ont ''acheté'' leur acceptation d'une Allemagne réduite à l'occident au moyen du plan Marshall. Ceci étant acquis, des différences importantes existaient entre les alliés. Les intérêts de la France différaient sensiblement de ceux des Anglo-Américains. Ces derniers voyaient essentiellement leur affrontement stratégique avec l'URSS et par conséquent le danger que représentait selon eux la zone orientale de l'Allemagne. Une RFA forte et bien centralisée leur convenait. La France est géographiquement proche de l'Allemagne du Sud-Ouest. Elle espérait garder une influence spécifique sur cette zone, voir en annexer peut- être certains territoires. D'où la bataille française contre l'unification Bade-Wurtemberg, et les questions de Kehl et de la Sarre. Le rapport des forces ne lui sera pas favorable. Par ailleurs la France, aussi détruite que l'Allemagne et occupée par elle, n'avait pas la même relation économique avec elle que les anglo-américains et surtout les USA qui n'ont pas été bombardés. Mais des Allemands avaient leur vision de cet avenir proche. Pène est allé à Titisee pour une intéressante réunion. Le 3/1/49 ''Titisee, Rencontres de ''Rappel Internationales'' qui groupent des éléments les plus dévoués et les plus efficaces des rencontres précédentes. Le but essentiel de cette réunion est de créer une association de forme allemande sous l'égide de laquelle se feront les rencontres futures. L'évolution politique commande au Gouvernement Militaire de s'effacer; c'est aussi une condition de la pérennité de cette rencontre. J'assiste à une séance de commission : assistance sérieuse, convaincue, et, pour la première fois, pleine d'initiative. On voit reparaître l'esprit travailleur et combatif allemand.'' Nous n'avons pas trouvé ailleurs de référence à ces rencontres. Ces rencontres se font en parallèle des pressions alliées pour créer la RFA. Cinq mois avant cette création des Allemands veulent y penser indépendamment des puissances occupantes. Ils ont gagné l'admiration de Pène ''on voit reparaître l'esprit travailleur et combatif allemand''. Est-ce une vision stéréotypée de l'Allemand ? Peut-être un peu, mais il étaie ici son jugement sur une observation et on peut dire qu'après trois ans en Allemagne il connaît ce peuple qui fut son ennemi. Ce texte souligne le grand virage que prend la politique de ceux qu'on peut de moins en moins appeler des ''occupants''. Il montre la faculté de Pène à isoler le ''but essentiel'' avec une rigueur d'ingénieur.

D :VII.1 La création de la RFA L'année 1948 connaît une série de grand évènements : l'intensification de la guerre froide, en particulier la grave crise du blocus de Berlin par les Soviétiques, et la création de la République Fédérale d'Allemagne (RFA). Comme on le verra, les tensions sont multiples, bien sûr la plus sérieuse oppose les deux blocs. Mais il y a aussi une tension forte entre les occupants occidentaux et les Allemands. Il y a une tension entre les Français et les Anglo-Américains, et enfin une forte aussi entre Anglais et Américains. Tous ces conflits entremêlés accompagnent la naissance de la RFA et aussi celle, parallèle, de la République Démocratique Allemande (RDA) à l'est. 12/5/48 '' Le Landtag {parlement du Bade} tient une séance agitée. Ses adversaires essaient de renverser Wohleb et émettent une motion un peu tapageuse. Ils s'ajournent jusqu'au résultat des tractations en cours. Baden-Baden s'émeut de cette formule qui cependant n'engage pas l'avenir ; elle était employée la dernière fois et elle n'a pas empêché le Landtag de se réunir.'' 15/5/48 ''Le général Koenig … veut parler à Wohleb de la dernière séance du Landtag, lui faire remarquer que son attitude n'est pas adroite, et annoncer qu'il ne prendra aucune mesure favorable avant que le Landtag n'ait repris ses sessions. Il annonce à Wohleb qu'il allait être convoqué avec les Présidents des 3 zones occidentales pour : a) proposer les limites des nouveaux états de la fédération b) jeter les bases d'une constitution. Wohleb est très gêné d'avoir à prendre des décisions sur les limites des Etats. Il aurait préféré un oukase des occupants. D'autant plus qu'une tension très forte existe au sein du Landtag du Bade-sud. Ses adversaires ont tenté de le renverser''. Pourquoi ses adversaires veulent renverser Wohleb ? Nous l'ignorons. Mais il y a un point sur lequel Wohleb était clair : le refus du réarmement allemand. Risquons le jeu de mots : Wohleb ne désarmait pas là-dessus.

D :VII.1.1 Wohleb contre le réarmement Allemand. Lors d'une visite de Mc Cloy {Haut commissaire US}, le 21/1/52, le banquet a lieu à l'Europäischer Hof. ''Aux liqueurs Wohleb se déchaîne de nouveau, attaque la politique de réarmement d'Adenauer, ''L'Allemagne a derrière elle 1945, vous n'avez rien de pareil, vous Américains ! Expliquez donc aux maires, aux habitants, qu'il faut réarmer. On peut au plus demander à l'Allemagne une armée de spécialistes, pas une armée de conscription. Le réarmement ruinerait la démocratie. Vous parlez d'armée européenne, mais où est l'Europe ? montrez-la moi ? Seul le plan Schuman est une petite réalisation''. Wohleb veut-il inviter Wirth {voir Wirth dans l'Index des Noms} ?'' Le 24/5/52 Pène notait ''Maroger et moi allons voir Wohleb. Le président se livre sans retenue. Les Allemands craignent le réarmement et la suprématie militaire et militariste qu'il peut entraîner.'' La position de Wohleb sur le réarmement rejoint curieusement une crainte très répandue en France. Quand Pène écrivait ceci dans son journal, il ne savait pas encore que le projet de ''Communauté Européenne de Défense'' serait rejeté par l'Assemblée Nationale en 54. Alain Lattard [53] parle du mouvement des ''sans moi'' (ohne Mich) ''qui s'opposent spontanément à la décision de réarmer l'Allemagne au début des années 1950. Certes leurs motivations sont très hétérogènes (elles vont du pacifisme militant à la préservation de l'unité nationale, du refus des palinodies de la politique alliée – tour à tour pour la démilitarisation et pour le réarmement – à la simple peur de la guerre)''. Quelle est la motivation du président Wohleb ? On ne peut le dire avec certitude, il semble pourtant que c'est la crainte d'une renaissance du militarisme allemand : ''Le réarmement ruinerait la démocratie'', et en 1952 cette crainte était légitime. L'opinion française la partageait. Sur ce point Adenauer s'est trompé qui était favorable à ce réarmement, la démocratie allemande a intégré cette méfiance au point que plus de 60 ans plus tard, l'Allemagne ne participe qu'avec réticence aux expéditions militaires.

D :VII.2 Relation avec les alliés,

D :VII.2.1 Une commission US et la crainte d'une attaque communiste. Le 12/9/47 Une commission de députés américains vient enquêter dans les zones occidentales pour la mise en œuvre du plan Marshall. Il s'agit donc bien de la préparation du tournant. La guerre froide est entamée. Présidée par F. Case du Dakota du sud, ses membres sont Vorys de l'Ohio, Vurcelle de l' Illinois, Browker de Louisiane et ''last but not least'' Cox de Géorgie {Certains noms ont peut-être été mal lus} . ''Ce dernier est la bête noire des autres : germanophile et nazi. On m'a mis en garde contre lui. Ils viennent dans mon bureau, me posent des questions. Cox me parle des questions ouvrières. Ai-je des difficultés ? - pas encore de grève grâce à une bonne entente avec les chefs syndicalistes – Dois-je faire des concessions pour éviter les grèves ? - non je me borne à faire ressortir les conséquences dommageables pour les ouvriers eux-mêmes – Dans les menaces de grève ai-je senti une influence étrangère ? - je n'en ai pas eu la preuve''. On voit venir ce Cox de loin : les grèves seraient manipulées par les communistes. ''Au déjeuner le général Koenig préside. Atmosphère cordiale. Cox me dit que la région est la mieux gérée de tout l'Ouest. Je ne sais pas s'il parle de la ZFO entière ou du Bade seul''. Le 8/12/47 ''Le personnel est inquiet, il craint un putsch communiste. Les officiers préparent fébrilement un plan de défense dans la crainte d'un coup de main. Je décharge Monteux provisoirement de la DN2 pour l'affecter à ce plan. Je prends cette attitude pour deux raisons a) je ne veux pas être surpris par des factions b) des bruits stupides courent sur moi, notamment dans les états-major américains que je suis communiste''. Cette rumeur explique peut-être aussi l'interrogatoire de Cox. Pène était plutôt de droite, vu de France, cela correspondait à ''communiste'' pour certains Américains. Roosevelt avait bien considéré de Gaulle comme un communiste !

D:VII.2.2 Particularités de l'occupation françaises. Rainer Hudemann a donné des indications sur les particularités de l'occupation française [1]. Sur le plan culturel, si la réforme de l'enseignement primaire et secondaire sur le modèle français a échoué, ''La politique universitaire, par contre, connut plus de succès, notamment avec la fondation des universités de Mayence et Sarrebruck, de l'Institut des Interprètes de Gemersheim, et de l'Ecole d'Administration de Spire ; bien que calquée en partie sur l'Ecole Nationale d'Administration à Paris, la conception de cette dernière fut rapidement modifiée par les Allemands''[1]. Trois lycées franco-allemands existent encore au 21ème siècle à Fribourg, en Sarre et à Buc, près de Versailles. ''Le Südwestfunk, la radio de Baden-Baden est aujourd'hui, en 1989, une des stations les plus importantes de la RFA''[1]. Après des changements de nom et une fusion elle reste très active sous le nom de Südwestrundfunk. ''Le noyau de la rédaction du journal ''Frankfurter Allgemeine Zeitung'', venait de Mayence en ZFO''[1]. ''Mes propres travaux analysent la politique française à partir de secteurs importants de la politique sociale. Dans ce domaine les Français sont allés beaucoup plus loin que les autres occidentaux. Contrairement à l'idée fort répandue d'une politique d'obstruction à Berlin, la France a mieux réalisé les projets du conseil de contrôle {regroupant les commandants en chef des quatre zone d'occupation} que ses alliés. Amorcée en 1945-1946, la vaste réforme de la sécurité sociale assurait non seulement l'équilibre financier des caisses, mais supprimait en grande partie les différences traditionnelles entre les diverses couches sociales, notamment entre ouvriers et salariés....Cette réforme fut annulée en 1949 après la fondation de la RFA. L'autogestion dans l'assurance sociale ...avait été abolie par le régime nazi en 1934 ; elle fut rétablie en ZFO dès 1947-48 par la volonté du gouvernement militaire. Les Länder des zones américaines et britanniques attendirent de telles élections jusqu'en 1953''[1]. De telles mesures pouvaient alimenter dans la droite américaine des accusations de ''communisme'' mais en l'occurrence elles étaient initiées par le général Koenig. A-t-il lui aussi été traité de communiste ? La question de l'autogestion est choquante, qu'est-ce qui empêchait les Anglo-Américains de dénazifier le code du travail ? D :VII.2.3 Relations avec les alliés américains Le 5/2/49 ''Lottin rentrant de Francfort rapporte la séance orageuse entre les 3 commandants en chef. Clay et Robertson ont attaqué de concert Koenig. Clay était très désagréable : il a parlé de la question de Kehl demandant si le préfet du bas-Rhin était le subordonné du général Koenig et si ce dernier pouvait le révoquer. Embarras du général Koenig. En fin de séance le général Koenig dit que malgré l'atmosphère tendue il espérait un accord puisque les experts y sont arrivés. Clay dit ''je me moque des experts et refuse mon accord'', ajoutant ''les Français sont toujours là pour cueillir les violettes mais pas pour peler les oignons''. Nous nous abstiendrons de commenter le style fort peu diplomatique de Clay. Nous avons vu qu'Antony Eden a eu des échanges tendus avec lui et a tout simplement rayé le général Clay de ses mémoires. Le 14/5/49 Clay quittait le commandement militaire de la zone US et, après un court intermède, il était remplacé par Mc Cloy le 2/9/49. Il semble plus policé que son prédécesseur. Le 14/4/51 il y a l'inauguration d'une exposition du plan Marshall. Read, Directeur général des affaires culturelles à Francfort, représente son patron Mc Cloy, chef de la zone d'occupation US. ''Nous disons tous à peu près la même chose : reconnaissance envers l'Amérique, nécessité d'une entente franco-allemande et européenne. Nous nous rendons à l'exposition, Read coupe le ruban, photos et cinéma, tableaux et graphiques très parlants, une immense carte en relief du monde, les mers représentées par de l'eau sur laquelle flottent des bateaux, des trains électriques circulent sur les continents, et les pays fécondés par le plan Marshall, la rouge Russie restant à l'écart.'' Le 21/1/52 Mac Cloy rend visite à Fribourg. Pène décrit cette visite en détail, y compris l'ordre dans lequel sont disposés les différents protagonistes. Son séjour à duré plusieurs jours. ''Friedrich se donne un grand mal pour préparer la visite Mc Cloy, et Neuland cherche à m'évincer''. Neuland est le représentant américain dans la Zone française. Accueil à la gare, puis ils partent chez Wohleb, ''très aimable''. Ils vont tous à l'Université. Le discours de Mc Cloy est bien accueilli, ''les étudiants applaudissent à tout rompre à 2 reprises : quand il proclame le droit de citoyens libres à s'opposer au besoin par la force à un acte de force du gouvernement et plus tard quand il dit que, plus jeune, il aurait participé à la manifestation contre Veit Harlan {acteur allemand, accusé de complicité de crime contre l'Humanité}''. Visite de cours, de l'ASTA {Allgemeine Studentenausschuss, association étudiante influente, créant une sorte de ''gouvernance étudiante''}. En route vers Umkirch. À table Pène est à côté de Mme Mc Cloy et de Mme Neuland. ''Mme Mac Cloy, ouverte, intelligente et vivante, Mme Neuland gentille et suprêmement américaine. Je dis quelques mots en insistant sur les bonnes relations franco-badoises''. Une conférence de presse de Mc Cloy : ''Pourquoi les américains ont soutenu le SWS {Bade-Wurtemberg} – C'est une question allemande, les Américains n'ont pas pris position. - Les Américains vont-ils prendre des précautions contre un renouveau du nationalisme et du nazisme dans l'armée à la faveur du réarmement – Oui – Les autorités françaises ont elles parlé de la question des aérodromes ? - oui, je ne connais pas les détails et j'en parlerai avec Mr François-Poncet. D'une manière générale la construction de terrains est l'affaire du SHAPE {quartier général de l'OTAN}'' ''Pendant la conférence de Presse, Wohleb a cru bon, la petite mignonne, d'assister à la séance féminine, d'y prendre la parole, d'attaquer la députée au Bundestag Hélène Weber, de s'élever contre le réarmement, d'écornifler en passant le plan Schuman. Nous n'y comprenons rien, Mme Mc Cloy est choquée.'' ''Sur le quai j'expose rapidement à Mc Cloy la position du Haut Commissaire français sur les aérodromes.'' D :VII.3 La bataille perdue contre la fusion Bade-Würtemberg Il n'existe plus de Land du Bade-sud ni de Land du Bade. Il y a un land du Bade-Wurtemberg (Baden- Württemberg). Le Land du Bade-sud était une conséquence de la division de l'Allemagne en zones d'occupation. Le Bade-nord constituait avec le Wurtemberg-nord le Land de Wurtemberg-Bade, dans la zone américaine, Le Wurtemberg-sud constituait le Land Wurtemberg-Hohenzollern dans la zone française. Les Länder de la ZFO (zone Française d'occupation ) étaient peu peuplés. Le document ''Memento sur l'Allemagne''[16], 1951, émis par le Haut-Commissariat de la République Française en Allemagne, donnait les populations suivantes en millions d'habitants : Bade-sud : 1,3 ; Wurtemberg-Hohenzollern 1,0 ; le Wurtemberg-Bade, 3,9 ; et pour la comparaison la Bavière (zone US) comptait 9 millions d'habitants, et la Basse-saxe (zone britannique) 7 millions. D'où l'idée de fusionner ces petits Länder en un seul Land. Le projet qui a abouti au Bade-Wurtemberg d'aujourd'hui était alors appelé Südwest-Staat (SWS). Ce projet soulevait des oppositions, d'une part de particularismes locaux, le chef de ce mouvement étant Leo Wohleb, et d'autre part de la France qui pensait pouvoir plus facilement influencer des petits Länder du sud-ouest. La bataille politique et juridique durera longtemps. Les Badois et la France la mèneront ensemble. Elle sera perdue. Ils avaient en face d'eux les puissants états anglo-américains qui préféraient de grands Länder et une RFA assez centralisée qui puisse tenir tête à l'URSS. Voyons les péripéties de ce combat qui a duré de 1948 à 1951. À la suite d'une consultation tenue le 24 septembre 1950 et d'un référendum tenu le 16 décembre 1951, le Wurtemberg-Bade a fusionné avec les Länder de Bade-sud et de Würtemberg-Hohenzollern, appartenant à la zone française, le 25 avril 1952 pour former le Bade-Würtemberg, dans le cadre de l'article 118 de la Loi fondamentale de la République Fédérale d'Allemagne (RFA).

D :VII.3.1 Les premières passe-d'armes, la pression américaine pour le Südwest-Staat (SWS) Selon [22] les ''Le Wurtemberg-Bade est créé le 19 septembre 1945 par la proclamation nº2 du Conseil de Contrôle Allié, en même temps que les deux autres Länder de la zone américaine, la Bavière et la Grande Hesse.'' Ce Wurtemberg-Bade contenait le Bade-nord et le Wurtemberg-nord. appartenant à la zone américaine. Le 29/1/48 ''Retour de tournée à Überlingen, Waldshut, Säckingen, Stockach. Je pose toujours la question de la fusion Bade-Würtemberg. Les auditeurs ne semblent pas avertis et écoutent religieusement. Ils sont ensuite souvent de l'avis du premier qui a parlé.'' 13/5/48 le général Kœnig vient parler avec Wohleb. Il recommande vivement à Wohleb, qui est d'accord, de s'opposer à la fusion Bade-entier avec Würtemberg-entier. 28/5/48 ''Le Président Wohleb réunit les chefs de fractions au Landtag. Ils sont d'accord pour que le Président {du Landtag} Person, réunisse l'assemblée à la demande du Président de l'Etat. On peut prévoir la date pour le 7 juin, après le congrès CDU. Le Landtag du Würtemberg s'est ajourné depuis le 29/4/48''. 18/11/48 17h ''Je vois le général Koenig. Il me recommande de continuer la propagande en faveur de la reconstitution du Bade entier : il envisage de réaliser cette reconstitution par décision des généraux commandants en chef. Il se heurtera à l'opposition du général Clay et compte le vaincre''. Le 14/1/49 ''Réunion des ministres présidents présidée par le général Koenig. La question de Kehl n'est pas discutée ; Wohleb y a contribué. Par contre le général traite celle qu'a posée le Président Müller du Würtemberg : position des Généraux Commandants en Chef devant le problème de la fusion des états du sud-ouest. Volontairement ou non Müller se livre et déclare que les Américains leur ont officiellement fait savoir à Stuttgart que jamais ils n'admettraient la séparation du Bade Nord et du Wurtemberg Nord. Il veut que la 1ère question posée soit : ''voulez-vous la fusion du Bade et du Wurtemberg'' sans que mention soit faite de la reconstitution du Bade. Wohleb répond qu'un tel référendum ne serait qu'une farce. L'assistance est intéressée et surprise par cette joute.'' Le 15/1/49 ''Person, président du Landtag {parlement du Bade sud} devait faire aujourd'hui à Karlsruhe {en zone américaine} une conférence sur la reconstitution du pays de Bade. L'autorité américaine, en l'occurrence le colonel Spitz, le lui interdit. Cette attitude est inadmissible car les Américains ont autorisé la création dans leur zone, à Ludwigshaffen d'un comité pour la reconstitution du Palatinat depuis une partie de la rive gauche (du Rhin) qui fait partie de l'Etat Rhéno-Palatinat, et une partie de la rive droite qui fait partie du Bade. Spitz a prétexté qu'il ignorait la politique de Stuttgart''. On peut imaginer qu'il la connaissait trop bien. La bataille entre les USA et leurs alliés allemands contre les Français et leur alliés allemands prend une tournure,...de plus en plus nauséabonde. Précisons pour comprendre la suite que Karlsruhe se trouvait dans la zone US du Bade-Nord. Le 7/3/49 ''Visite de Ziegler, Secrétaire Général du Deutschlandrat de la Junge Union {conseil national de l'union de la jeunesse}. Étudiant né à Fribourg et y habitant. il est assez pessimiste et ne peut que formuler des espoirs sur l'avenir de la démocratie en Allemagne. Sur la question des frontières du Sud-Ouest de l'Allemagne il distingue son opinion officielle et son opinion personnelle. Celle-ci serait plutôt orientée vers une fusion Bade-Sud Wurtemberg-Sud. Ce serait aussi l'opinion profonde de Wohleb, mais jugeant la réalisation impossible, il se rejette sur la reconstitution du Bade entier. Le but de la Junge Union est de développer chez les Allemands l'intérêt pour les questions politiques. Cet intérêt est actuellement plus vif chez les Bavarois que chez les Badois. A. François-Poncet considère Ziegler comme un homme d'avenir.'' Le 9/3/49 ''Visite de Wohleb. Il aurait voulu un état Bade-Sud Wurtemberg-Sud, mais il aurait fallu le faire plus tôt. La population en serait partisane, mais pas les gouvernements''. Le 14/3/49 ''Le texte de la déclaration du quai d'Orsay nous parvient : ''les Français ont proposé aux Américains l'échange du Bade-nord (US) contre le Wurtemberg-sud (Fr)'' Cela permettra aux partisans de la fusion (du Bade-Wurtemberg) de jouer le ''Franzos schreck''. Wohleb est désolé, et pressé par les journalistes de donner une interview, il fait une déclaration assez désagréable. Zürcher marque moins de désappointement, mais à en croire Walter, cette attitude vient d'une certaine réserve de son caractère. Je ne vois pas nettement les raisons de l'attitude du quai d'Orsay : il fallait bien qu'un jour toute la vérité soit faite sur la position française.'' Qu'est-ce que le Franzos Schreck ? Il semble que cela renvoie à l'occupation de Fribourg en 1796 par les troupes françaises en guerre contre l'Autriche. Diesmal ließen die Habsburger jedoch ihre rechtsrheinischen Besitzungen nicht im Stich; nach drei Monaten vertrieb der Franzosen Schreck, Erzherzog Karl, die Franzosen aus Freiburg (Cette fois pourtant les Habsbourg n'ont pas laissé tomber leur occupation de la rive droite du Rhin, après trois mois de terreur française l'archiduc Charles chassait les Français hors de Fribourg). On imagine que le quai d'Orsay visait à pousser l'unification du Bade en regroupant tout le Bade dans la ZFO. L'opération était maladroite en désignant l'unification du Bade comme une opération française. Le 23/4/49 ''Les ''unionistes'' créent un comité d'action pour la formation d'un Etat du Sud-ouest. En font partie Allgeier, l'ancien recteur, Bezirk (?), Brauzinger (?), Reidel (?), Schneller {Les points d'interrogation désignent des personnes que nous n'avons pas identifiées}. Zürcher est ulcéré de l'attitude de Reidel, qui a une grosse influence, et surtout de celle de Schneller qui a écrit des livres plein de poésie sur le Bade. Franz Schneller était dramaturge, metteur en scène et le chef de la bibliothèque municipale. Le 21/8/50 ''Je reçois Wohleb, et lui parle de la campagne anti-SWS {projet Bade-Würtemberg}. Tout va bien d'après lui. Rien ne sert de partir trop tôt. Les Badois ont un orateur pour chaque village dans le dernier mois. Il va voir Zürcher pour s'assurer que le financement va bien. … Il croît avoir bien fait d'emmener Neuland à Constance ''C'est un Américain type qui présente tout sous le couvert de l'idéalisme''. '' Le 30/8/50 ''On m'annonce que la veille Gebhard Müller, Ministre Président du Wurtemberg-Hohenzollern a tenu une séance publique devant 1500 auditeurs. Servi par une lettre maladroite de Zürcher qui lui reprochait l'inélégance de sa venue à Fribourg, servie par une contestation confuse et emportée de Wirth il a un gros succès et a en passant lancé quelques pointes perfides aux Français : démontage, canal d'Alsace, tout y est''. Joseph Wirth [26] était un ancien chancelier du Reich sous la République de Weimar. Paul Zürcher [28] était un dirigeant du CDU badois, il a dirigé le tribunal régional de Freiburg. Il avait de l'influence, parfois désigné comme ''l'éminence grise du Bade''. Il était très chaudement partisan de la reconstitution du Bade historique, et donc opposé au Südwest-Staat (SWS). Gebhard Müller, on le comprend, y était très favorable et deviendra ministre président du Bade-Würtemberg [29] D :VII.3.2 Vote pour ou contre SWS, l'archevêque soutient la reconstitution du Bade Le 12/9/50 ''Bargeton m'annonce une grande nouvelle locale : l'archevêque Rauch a pris position et s'est déclaré pour la reconstitution du Bade. Il reproche à G. Müller d'avoir utilisé des fragments d'une lettre personnelle et d'avoir ainsi accrédité le bruit qu'il était partisan du SWS. Le 24/9/50 ''C'est le jour du vote pour le SWS. Le matin je vais à la messe à la cathédrale, le prêtre après son sermon lit la fin de la lettre de Mgr Rauch à G. Müller. Le calme règne toute la journée ; à 21h30 je vais au bureau. Les premiers résultats arrivent. Le Bade-Sud marque tout de suite une majorité pour Alt Baden {le Bade ancien}''. Au début le Bade Nord fait de même, mais Mannheim, Pforzheim et Sinsheim l'emportent et le Bade-Nord finit par 57 à 43 pour le SWS. Dans le Bade entier 51 à 49 pour Alt Baden.'' Rappelons que le Bade-Nord était sous occupation US. Les résultats précis [12] sont pour le SWS : Bade Nord 57.5 % , Bade Sud 40,4 %, Bade nord et sud 49,2 % pour les anciens Länder : Bade Nord 42.5 % , Bade Sud 59,6 %, Bade nord et sud 50,8 %. On voit que pour le Bade entier le résultat est très serré. Le 25/9/50 10h ''l'Ambassadeur (François-Poncet) me téléphone : le vote est un succès pour Wohleb : la fiancée badoise n'a pas voulu du gros Souabe. Mais que veut faire Wohleb. Il faut le voir''. 20h ''Sur l'indication de Guiringaud {directeur des affaires politiques auprès de François-Poncet} j'appelle l'Ambassadeur :''Vous connaissez les chiffres, résultats du vote ? - Heureusement car si j'avais attendu après vous – Comment ? Je les ai téléphonés à G. hier à 23h – je sais''. Puis je fais mes commentaires qu'il semble approuver.'' Le 26/9/50 8h30 ''Je reçois Wohleb. Sa ligne est simple : à Bühl, Bebenhause et Freudenstadt l'accord s'est fait sur le décompte des voix dans les anciens Länder. Or le peuple a parlé, la majorité faible mais nette, est pour le Bade ; le Bade doit donc être reconstitué. Les Américains n'oseront pas aller contre les principes démocratiques qu'ils défendent partout''. La suite dira si l'on pratique toujours ce que l'on défend en paroles. Le 3/10/50 ''Réunion de gouverneurs chez l'ambassadeur. Il commence par sa virulente sortie contre une indiscrétion commise à la réunion du 23/6/50 relative à Schumacher (cf D:VI.4.4). Ensuite il parle de l'Etat du Sud-ouest. Il ne partage pas l'optimisme de Wohleb mais croit le SWS impossible''. La conférence de New-York du 15/9/50 Réunissait les ministres des Affaires Etrangères des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France. En conséquence de cette conférence le conseil des ministres français émet le décret 51-883 du 9 Juillet 1951 : ''A dater de la publication du présent décret, les ressortissants allemands ne sont plus réputés ennemis'' [13]. En arrière plan de ces questions se trouve le plan Pleven de Communauté Européenne de Défense, initié en août 1950, qui sera rejeté en août 1954 par l'Assemblée Nationale, la majorité étant hostile à un réarmement de l'Allemagne.

D :VII.3.3 Des manœuvres contre le SüdWestStaat (Bade-Wurtemberg) Dans une lettre datée du 4/1/51 à Mr Mischlich [50], au ministère des affaires étrangères, Pène résume la tactique des adversaires de Wohleb en faveur du SüdWestStaat : ''Cher Monsieur Je vous fais ci-joint le point de la réorganisation territoriale de l'Allemagne du Sud-Ouest. J'y rapporte l'essentiel afin de donner à Mr le Président {Robert Schumann} une notion aussi claire que possible. Depuis le 17 octobre, les trois Ministres-Présidents de Wurtemberg-Bade, de Wurtemberg-Hohenzollern et du Bade-Sud, recherchent vainement une entente. Le 17 octobre, le gouvernement de Wurtemberg-Bade préconise une convention administrative créant une '' '' Arbeitgemeinshaft ''{groupe de travail}, un plébiscite définitif en avril 1951 et à défaut de plébiscite, l'élaboration d'une constitution du ''Südweststaat''. Sur ce dernier point, le gouvernement du Bade-Sud pose ses conditions, le 26 octobre, cette constitution devra être mise au point par les Wurtembourgeois seulement, écarter toute intervention du Landtag du Bade-sud et être soumise au plébiscite en même temps qu'un projet de constitution du Bade reconstitué. Le 7 novembre, à Baden-Baden, les Ministres-Présidents se donnent jusqu’au 15 décembre pour un accord pour un projet de loi commun à remettre aux Autorités fédérales. Les grandes lignes de ce projet sont : a) référendum à deux questions b) décompte des voix dans les deux anciens Länder c) Majorité des votants requise et non majorité des inscrits. Le gouvernement de Wurtemberg-Hohenzollern approuve cette procédure le 22 novembre, et le gouvernement du Bade-sud le 23, mais ce même 23 novembre le gouvernement du Wurtemberg-Bade se refuse à collaborer à un projet de loi commune et le 29, le président Gebhard Müller de Wurtemberg- Hohenzollern accepte de poursuivre seul les négociations avec le gouvernement badois. Les pourparlers continuent entre lui et le Président Wohleb et au cours de ceux-ci, Gebhard Müller notifie à la surprise générale, au président du Bundestag leur échec définitif. Le 14 décembre le gouvernement du Wurtemberg-Hohenzollern renonce à son tour à l'élaboration d'un projet de loi commun à soumettre aux autorités fédérales, tandis que le 15 décembre, le Cabinet badois décide de soumettre au Chancelier fédéral {Adenauer} et au président du Bundestag un projet de loi sur les bases suivantes : a) référendum à deux questions alternatives, b) décompte séparé des suffrages dans les anciens Länder, c)Formation du Südweststaat en cas de majorité dans les deux anciens Länder, d) Reconstitution des Etats historiques en cas de majorité dans un seul des anciens Länder. En résumé, le Bade-Sud, demeuré seul cherche à faire triompher auprès des autorités fédérales son projet de réorganisation du Sud-Ouest, tandis que le Wurtemberg-Bade et du Wurtemberg-Hohenzollern font sur lui pression par la menace d'une union qui créerait un ''petit Südweststaat''. Le bruit répandu par Gebhard Müller ou avec son accord, que le poste de Ministre-Président de ces petits états du Sud-Ouest lui serait confié, est une phase de la manœuvre.'' Notons que Gebhard Müller était, comme Leo Wohleb, membre de la CDU. Comme nous le savons, la reconstitution du Bade ancien a échoué, c'est le ''grand Südweststaat'' qui a été créé sous le nom de Bade- Wurtemberg. Et devinez qui sera Ministre-Président de ce Bade-Wurtemberg ? Après un court intermède de présidence de Reinhold Mayer (FDP/DVP), à la tête d'une coalition avec le SPD et BHE, la CDU a gagné les élections et Gebhard Müller fut nommé Ministre-Président. Une belle leçon de manœuvre politique ! Il est resté Ministre-Président de 1953 à 1958 où il a démissionné afin de prendre, trois semaines plus tard, la présidence du Tribunal Constitutionnel Fédéral d'Allemagne. Le 17/4/51 ''Voyage à Godesberg où François-Poncet me convoque. Rivain m'invite à déjeuner avec Guiringaud et Aubrer. Guiringaud se décourage dans la question du Sud-Ouest et voit Wohleb battu et évincé. Rivain parle de politique électorale. François-Poncet s'inquiète aussi des manœuvres des ennemis de Wohleb. Il les voit profiter de l'absence d'Adenauer pour voter la loi à la sauvette.'' Le 26/4/51 ''Hier, le Bundestag {assemblée fédérale de la RFA} a voté en 3ème lecture le projet sur le referendum pour la réorganisation du Sud-Ouest. Wohleb est encore à Bonn pour préparer le vote du Bundesrat {assemblée des Länder, une sorte de sénat de la RFA} . Le 28/4/51 la radio annonce que le Bundesrat a voté le projet du Bundestag sur la réorganisation du Sud-Ouest. Le 5/7/51 ''Wohleb a été à Munich pour provoquer un écho sans espoir de récupérer les voix pro-badoises de Bavière que le Bundestag ne lui permet pas d'utiliser.'' Le 28/8/51''Wohleb arrive se disant fatigué. Il a vu l'ambassadeur … et l'a ''remonté''. Je lui confirme l'utilité de tels regonflages périodiques. Il a mis le gouvernement fédéral dans l'embarras par ses dernières positions. Adenauer lui est favorable par intérêt, mais ne sait comment faire. La réunion à Karlsruhe du Bund Deutschen Föderalisten {union des fédéralistes allemands} où Schäffer et lui ont parlé a été un succès. Il me demande si de mon côté j'ai des renseignements favorables au Bade. Je lui répond que oui en citant Romier, installé depuis peu à Stuttgart''. D :VII.3.4 Les oscillations de la Haute Cour Constitutionnelle. Le 5/9/51 ''Hermann Höpker Aschoff, ancien ministre de Prusse, est élu par la commission du Bundestag Président de la Haute Cour Constitutionnelle {Bundesverfassungsgericht} ''. Cette Cour devait jouer un rôle important [35]. Le 11/9/51 ''Bargeton me téléphone que la Haute Cour Constitutionnelle a recalé le référendum sur la réorganisation territoriale du Sud-Ouest. Quel soulagement ! Le droit triomphe. C'aurait été un scandale que de juger une question si importante à la hâte. Le clan SWS [Südwest-Staat] Müller, Maïer, est dans le désarroi et recommande à ses troupes d'éviter le découragement. Il y a encore des juges en Allemagne, dit Wohleb.'' Le 24/9/51 ''Déjeuner à Umkirch, Wohleb, Werber, Zürcher, Bargeton, Honecker. Werber est le tribun des Altbadner {partisans de l'ancien Bade} : petit gros, la figure ronde, le cou garni de bourrelets, il parle d'abondance, a l'esprit vif et beaucoup de répartie. Avec Zürcher il fait pression sur Wohleb pour qu'il écarte Schühly, le remplace par Görner du Bade-nord. Schühly ne tient pas son ministère, est discrédité dans le Bade-nord, ne fait aucune propagande effective pour le AltBaden {Bade ancien}. Il faut aux Altbadner un ministre de l'intérieur énergique qui tienne en main l'appareil politique (et policier) du pays. Werber et Zürcher veulent en outre un Commissaire aux réfugiés qui rallie ceux-ci par d'heureuses mesures. Les réfugiés qui représentent 140 000 voix en Bade-Nord ont voté dans la proportion de 80 % pour le SWS le 24/9/50, de nombreuses voix sont à gagner parmi eux.'' Le 3/10/51 Pène voit Wohleb. Sur la presse, ''Wohleb n'a pas autour de lui de spécialiste de presse compétent ni actif''. Pène pense qu'il pourrait avoir le soutien du ''Badische Neuesten Nachrichten'' moyennant 300 000 D.M. A propos de l'avocat du Bade devant la cour constitutionnelle, Kopf, que Wohleb apprécie fort, Pène remarque de nombreuses critiques de la presse à ses thèses. Schüly, pressenti pour prendre le tribunal administratif suprême, n'a dit ni oui ni non. Hanker âgé de 70 ans lui céderait volontiers sa place. La décision sera prise dans 2 semaines. Il présidera le haut tribunal administratif de 1952 à 1955. Un coup fatal est alors donné aux opposants au SWS. Le 23/10/51 ''La Haute Cour Constitutionnelle rend son jugement sur le recours du gouvernement badois. Elle annule la loi dite ''Blitzgesetz'' sur la prolongation par le Bund {RFA} de la validité des ''Landtag'' de Bade-sud et Würtemberg-Hohenzollern. Elle déclare valable la loi sur l'organisation du referendum. C'est une défaite pour Wolheb d'autant que le referendum doit être fixé par le ministère de l'intérieur avant le 16/12/51, la campagne électorale devant se dérouler en hiver et les paysans, soutiens de Wohleb, répugnent à aller voter par la neige et le froid''. Dans une lettre au général Koenig datée du 24/10/51 [49] Pène écrit ''La Haute Cour Constitutionnelle fédérale a, ce matin même, à 10h déclaré constitutionnelle la loi portant organisation du référendum que Wohleb lui avait déférée. Ainsi le référendum aura lieu avant le 16 décembre et les voix seront comptées dans les quatre circonscriptions administratives Bade-Nord, Bade-sud, Würtemberg-Nord, Würtemberg- Hohenzollern, le Südweststaat étant réalisé si la majorité est atteinte dans trois au moins de ces circonscriptions.'' Comment expliquer le retournement de la Haute Cour Constitutionnelle entre la décision mentionnée par Bargeton le 11/9/51 qu'elle avait ''recalé'' le référendum et celle-ci qui au contraire l'accepte ? Nous ne trouvons pas de trace d'une décision du 11/9/51. Rappelons la situation avant le référendum concernant le Sud-Ouest. Il se compose de quatre parties qui sont le Bade-sud (Zone Française), le Bade Nord (zone US), le Würtemberg-sud (ou Würtemberg-Hohenzollern, Zone Française) et le Würtemberg-nord (zone US). Ajoutons que les deux zones US avaient été fusionnées dans un Land, le Würtemberg-Bade. La règle instituée par la Haute Cour le 23/10/51 demandait une majorité dans trois des quatre entités pour que l'unification dans un seul Land du Sud-Ouest soit acquise. Les Badois objectaient que si la majorité des badois demandait une reconstitution du Bade historique il fallait la leur accorder. Mais cette position avait été refusée par la Haute Cour. La position des présidents des gouvernements de Länder était la suivante : Reinhold Maier, président du Würtemberg-Bade et Gebhard Müller, président du Würtemberg-Hohenzollern étaient favorables à un Etat pour tout le Sud-Ouest. Par contre le Président Leo Wohleb était partisan de reconstituer le Bade ancien. Comme on va le voir, les électeurs ont suivi leurs présidents.

D :VII.3.5 Le Référendum décisif, défaite de ''l'Ancien Bade''. Le 9/12/51 ''Referendum sur la réorganisation du Sud-Ouest, la ville reste très calme. 'Pène détaille comment les résultats ont été connus au fur et à mesure de la journée. ''Les résultats finaux sont SWS (un seul Land) alt Länder (anciens états) Bade Nord 57 % 43 % Bade Sud 38 % 62 % Bade entier 47,8 % 52,2 % '' C'est la présentation ''à la Wohleb''. Mais il faut ajouter Nordwürttemberg 93,5 % 6,5 % Südwürttemberg 92,5 % 7,5 % Vu ainsi, on voit qu'il y a bien trois entités en faveur d'un seul Land. Il s'appellera le Bade-Wurtemberg (Baden-Württemberg). Donc Wohleb et les partisans d'un Bade ancien avaient perdu. C'était aussi un échec pour la France qui avait soutenu la position des anciens Länder, dans l'espoir d'avoir une influence sur les Länder voisins. Le coup de grâce avait été donné par une instance fédérale, la Haute Cour Constitutionnelle. Le climat de guerre froide poussait les Anglo-saxons à souhaiter une République Fédérale Allemande forte, suffisamment centralisée, et c'était aussi l'opinion de la majorité des Allemands de l'Ouest. ''A 1h Wohleb fait une nouvelle déclaration contre la violence dont est victime le Bade. Il ne se résigne pas et annonce la création d'une Volksbewegung, sorte de rassemblement au dessus des partis.'' Le 10/12/51 ''Wohleb arrive dans mon bureau gonflé à bloc : il est ''vainqueur moral'' comme disent les sportifs, le combat commence. Le SWS n'a que 38 % des voix inscrites dans l'ensemble Bade-Wurtemberg. Un député du Bundestag appartenant à l'Arbeitsgemeinshaft {groupe d'étude} dépose un projet de loi tendant à la suspension de la loi du 4/5/21 jusqu'à la mise en application de l'article 29 de la loi fondamentale à toute l'Allemagne. Les Badois comptent sur le soutien de l'équipe gouvernementale.'' Qu'était cette loi ancienne ? L'article 29 parle des modalités de redécoupage du territoire fédéral en particulier par le vote {regelt Einzelheiten zur Neugliederung des Bundesgebietes nach Art. 29 GG, insbesondere die Wahlberechtigung}. Le 12/12/51 ''Nous lisons dans le Badische Zeitung la nouvelle de la création d'un Zentrum sous la présidence du prélat Föhr. Coup dur pour Adenauer, il ne l'a pas volé. Föhr a voulu faire pièce d'une part à Dichtel qui voulait renforcer la C.D.U. en fusionnant celles du Bade Nord et du Bade Sud, d'autre part à la création éventuelle d'un Baden-Partei ou d'un Badner-Partei.'' Le 6/5/52 le point de vue de Mme Kaisen qui approuve Leo Wohleb de se battre des pieds et des mains contre les Souabes {le Wurtemberg} car, dit son mari ''il vaut mieux être soumis aux Prussiens qu'aux Souabes''. Le 8/5/52 Lors d'une réunion au rectorat de Fribourg, à la table du prince de Fürstenberg, Pène dit à Wohleb ''dans cette affaire du SWS il y a deux vainqueurs Schumacher et vous''. Cette plaisanterie a eu un gros succès. Que voulait-il dire ? Qu'ils étaient tous deux libérés de la politique ? Il ne pouvait pas savoir que l'avenir en ferait de l'humour noir : Schumacher devait mourir le 20/8/52 et Wohleb le 12/3/55. Pène avait le sens de l'humour, y compris le meilleur, le sens de l'auto-dérision. En général ses plaisanteries étaient plus transparentes que celle-ci. Le 23/5/52 ''Repas d'adieu Wohleb – Jany {Wohleb avait été nommé par Adenauer ambassadeur au Portugal, Jany chef de la chancellerie du Bade-sud}. Invités l'archevêque, le Landesbischof, le Consul Général de Suisse, le Consul de France, Person, Schülly, Kirchgässner, Schorr, Bargeton,..... Wohleb raconte que G. Müller proposant d'appeler le SWS ''Rhein-Schwaben'' {Rhin-Souabe}, le député Vogt de Pfullendorf a répondu, d'accord mais en supprimant le H : ''Rein-Schwaben'' {purement Souabe}. L'humour permet d'accepter la défaite. Le 24/5/52 ''Maroger et moi allons voir Wohleb. Le président se livre sans retenue. Les Allemands craignent le réarmement et la suprématie militaire et militariste qu'il peut entraîner. Adenauer a perdu sa majorité du fait du SüdWestStaat : c'était à prévoir, Wohleb et moi nous l'avions dit mais le chancelier n'en a pas tenu compte. Quel sera le sort des accords contractuels et de la convention d'armement''. Que sont ces accords contractuels ? On peut supposer qu'il s'agit, au moment où l'occupation va cesser, de signer la fin de l'occupation, de régler les contentieux financiers, etc. Qui va les signer du côté badois puisque Wohleb va partir au Portugal. Il faut se hâter avant que le Bade-sud ne disparaisse. Il en est de même pour l'armement. L'Allemagne va se réarmer, ainsi en ont décidé les Anglo-Saxons. Il faut signer même si Wohleb y était très hostile. Le 26/5/52 ''La radio annonce que les accords contractuels seront signés à 10h avant la ratification par les parlements. Certaines clauses entreront en vigueur et notamment la suppression des Hauts Commissariats''. Signature avant ratification, la hâte aboutit à cette petite entorse au droit. Certains Badois voulaient poursuivre le combat dans la ligne de Wohleb. Ils se regroupèrent dans la Heimatbund Badnerland {fédération pour le pays badois}. Leur combat sera inutile. D :VII.3.6 Les débuts du SWS, nommé Baden-Württemberg (Bade-Wurtemberg). Le premier président du nouveau Land fut Reinhold Maier, FDP, de 1952 à 1953, anciennement membre du parlement du Wurtemberg-Bade. Son successeur fut Gebhardt Müller, CDU, de 1953 à 1958, anciennement président du Wurtemberg- Hohenzollern. On voit la prééminence du Wurtemberg qui se comprend : ce sont eux qui ont voulu la fusion au sein du Bade-Wurtemberg. Le troisième fut Kurt Georg Kiesinger, CDU, de 1958 à 1966. Il venait aussi du Wurtemberg-Hohenzollern. Sa carrière future fut brillante, il deviendra chancelier de la RFA. Sa carrière passée, pour brillante qu'elle ait été n'avait rien de très honorable. Beate et Serge Klarsfeld [55] prouveront qu'il a été très haut placé dans l'appareil de propagande nazi. On a ici une illustration de l'ascension vers le pouvoir des anciens Nazis. Libéré d'un camp d'internement des Nazis en 1948, il devenait chancelier 18 ans plus tard après avoir longuement dirigé un Land important ! Que l'on ait été favorable au SWS ou au vieux Bade, il est triste de penser que le SWS servira de marche- pied au retour d'un ancien Nazi au pouvoir fédéral. D :VII.4 La question de Kehl La question de Kehl a été évoquée plus d'une fois comme une épine dans le pied des français dont profitaient des personnages raffinés comme le général Clay. Elle est aussi évoquée à plusieurs reprises dans la référence [62]. Nous en évoquons le contenu. Il y est dit qu'en 1946 la France garde Kehl dans le rattachement administratif de Strasbourg. Le directeur du port de Strasbourg gère aussi celui de Kehl. Cependant le trajet de Kehl à Strasbourg et réciproquement était très limité. La ville restait une zone réglementée. Des familles françaises venant de Strasbourg, que les bombes n'avaient pas épargnée, et d'ailleurs, venaient à Kehl. Les habitants de Kehl qui avaient fui ou évacué pendant le nazisme revenaient massivement. 6.000 habitants de Kehl durent être hébergés dans la ville fin 1947 en même temps que les troupes d'occupation. Le doute concernant l'avenir de la ville faisait que personne n'entreprenait les travaux de reconstruction nécessaires. La rencontre des occupants occidentaux à Washington les 6-8 avril 1949 a décidé que Kehl devait revenir dans des mains allemandes. Le général Kœnig a indiqué que le port de Kehl serait géré en commun avec celui de Strasbourg et que la ville de Kehl serait petit à petit rendue à une gestion allemande. Il a fallu environ quatre ans pour que cela se fasse. La ville fut rattachée au Land de Bade-Wurtemberg à partir de 1952. Pour résumer le problème de Kehl [20], il faut rappeler que le régime nazi l'avait annexé à la ''Großstadt Straßburg''. En 45, Strasbourg avait été libérée, et cet ensemble autour de Strasbourg était conservé. Donc les villes de la rive droites du Rhin étaient de facto annexées par la France. Cela déplaisait fort aux Anglo- Américains qui ont obtenu le retour de Kehl à l'Allemagne, précisément entre 1949 et 1953. Le ''Memento sur l'Allemagne'' [12] parle de réfugiés de Kehl à propos du groupement ''Bund der Fliegergeshädigten'' {Union des réfugiés sinistrés} qui a 8000 adhérents dont la plupart des réfugiés de Kehl, c'est à dire des gens qui ont quitté Kehl pour le Bade-sud. Ce nombre est important. Voyons comment Pène a vécu la question de Kehl qui embarrassait les Français, les Anglo-Saxons accusant la France d'avoir tout simplement annexé la rive droite du Rhin. Le 5/2/49 le problème de Kehl avait donné lieu à un affrontement violent entre le général US, Clay et le général Koenig {cf la section D:VII.2.2}. Le 29/5/49 ''Je raccompagne le Président Schumann à Strasbourg où nous parlons avec le préfet de la question de Kehl. Le président la trouve urgente, préconise une entrevue avec Wohleb. Le préfet préconise la création de sociétés d'intérêt privé pour la gestion de Kehl.'' Le 19/12/49 ''Une campagne se poursuit en Bade contre la construction du canal d'Alsace. Bien que l'idée date de 1909, que les premières études datent du régime allemand on peut invoquer des arguments psychologiques pour défendre le ''Rhin Allemand''. Une solution serait de laisser dans le lit du fleuve assez d'eau pour ne pas changer complètement l'aspect du Rhin. En tout cas il est exclu de renoncer à l'apport considérable d'énergie qu'est le Rhin pour l'économie européenne (5 à 6 milliards de kwh).'' Le grand canal du Rhin est parallèle au Rhin du côté français. Les premiers travaux datent du 19ème siècle. Les barrages de régulation de l'eau dans le grand canal aménagés au 20ème siècle (jusqu'en 1977) permettent une puissante production d'électricité. Le 21/12/49 ''Bargeton m'annonce que Gary Davin, 1er citoyen du monde, sorti de France n'a pas été autorisé à entrer en Allemagne : il s'est donc installé entre les deux postes de douane. Je suis partisan de le laisser s'installer en Allemagne : Kehl est un point névralgique, nous n'y avons vraiment pas besoin d'un homme qui attire l'attention mondiale, les journalistes, les commentaires ...'' Le 23/8/50 Réception à Kehl de membres de la délégation allemande pour l'Europe pour la réunion des conseillers européens à Strasbourg [62]. Deux députés du Bundestag Pünder et Ritzel posent trois questions. ''1 : Est-ce qu'on s'attend à ce qu'une action pour raccourcir le délai de déblaiement de Kehl soit entreprise ? 2 : Si un accord d'aide de la République Fédérale n'a pas été effectué, qu'attend-on dans cette direction ? 3 : S'il n'y a pas un danger que, le port de Kehl restant sous gestion française jusqu'en 1953, il faille compter sur une dégradation totale.'' Il serait trop long de décrire les débats autour de ces questions, mais elles illustrent assez bien la complexité des problèmes de Kehl. La question numéro 1 devrait être traitée à un niveau plus élevé a répondu le Dr Otto Mayer, attaché d'administration à la chancellerie de Stuttgart. La question 3 a été l'objet d'un débat animé. Le 24/11/50 ''Je vais à Kehl remettre au nom de l'ambassadeur 100 000 D.M. pour aider à la solution du problème de logement. Wohleb, Stephan (maire de Kehl), Schindele (Landeskommissar), les conseillers municipaux de Kehl et de Sundheim m'attendent au Rathaus ; les cloches sonnent. Le drapeau français est hissé à côté des drapeaux fédéral et badois. Ce geste est spontané. Laïus de Stephan, de moi, de Wohleb, suivi par ce dernier et par moi de 100000 D.M. Chacun ; remerciements de Stephan, puis Imbiss {collation} à l'hôtel Barbarossa. Florence {fille de Pierre et Françoise Pène} arrive à la fin, seule femme au milieu des ces mâles vigoureux. Atmosphère cordiale, les Allemands sont toujours contents quand on leur apporte quelque chose''. Ils ne sont pas les seuls dans ce cas. Le 5/3/51 ''Déjeuner Kehl : Payre, Graff, Minier (?) - Wohleb, Eckert, Mayer, Schindele – Pène, Bargeton. Café Friedrich, se réunissent pour préparer les textes de l'accord sur le port. Wohleb est comme toujours d'apparence très arrangeante, les strasbourgeois qui ne lâchaient pas un pouce de terrain quand c'était encore utile, sont maintenant prêts à toutes les concessions. Le sort juridique des entreprises françaises qui désirent rester un certain temps à Kehl ne peut être défini clairement ; il fera l'objet d'une mise au point ultérieure''. Le 25/6/51 ''Paraphe de la convention pour l'administration conjointe du port de Kehl. A 12h Graff, Minier et Muller arrivent, nous partons à la chancellerie où Wohleb dit quelques mots. Paraphe suivant le protocole diplomatique international auquel se réfère jalousement Jany, chef de la chancellerie.... Graff emporte une fois de plus de Wohleb une opinion favorable.'' Le 24/10/51 Dans une lettre au général Koenig [49] Pène écrit ''Vous avez sans doute appris que la convention portant administration conjointe du port de Kehl a été signée le 19 octobre à Strasbourg par le président Wohleb au nom de l'état badois et M. Graff, directeur du port autonome de Strasbourg au nom du port. Ainsi se termine une partie de la tâche que vous m'aviez confiée le 4 mai 1949. Les tractations ont été longues, les Strasbourgeois se montrant trop exigeants et les Badois cherchant à profiter de la situation et à faire du chantage. La formule finale : conseil d'administration à présidence française et à vice-présidence allemande, le président ayant voix prépondérante dans les questions de trafic international et direction du port avec directeur français et sous-directeur allemand est je crois satisfaisante.'' Le 24/6/52 ''Adieux à Kehl : je les appréhende. Kehl est un point névralgique, son maire un faux jeton, son ''Landes Kommissar'' franc comme un âne qui recule. On me reçoit dans une pièce du Barbarossa petit hôtel. Discours, réponse du Landrat {''sous-préfet''} Bechtold, palabres et déjeuner chez Grasht. Mme Grasht est dans tous ses états : elle a peur d'une extra engagée quelque heures avant. Elle fait si bien par sa nervosité que l'extra, une femme corpulente, bute dans le tapis et s'étale sur les genoux d'un capitaine de frégate ultra- miché.'' On n'a pas si souvent l'occasion de rire. Le langage de Pène est celui de l'époque, l'expression ''miché'', client d'une prostituée, avec un nuance d'élégance, car c'est le plus souvent le client aisé. L'expression ''franc comme un âne qui recule'' n'est plus très courante depuis que les ânes ont été, hélas, remplacés par les automobiles. Kehl sera rattachée au Land de Bade-Wurtemberg en 1953. D :VII.5 La guerre froide, une peur panique ? Le 7/9/50 ''Je reçois Wohleb que Kleinmann {commandant français de la ville de Mayence} m'a demandé de convoquer. Arrivé avant moi il m'attend en haut de l'escalier. Il est pessimiste, non parce qu'il doit parler le soir, mais à cause de la situation. Il faut renforcer sans délai les effectifs alliés en Allemagne, sinon au premier char les Français seront foutus en l'air, l'armée française est gangrénée par 40 % de communistes. Je rétablis la vérité : 10 % au max sont actifs. Il voit l'évolution comme sous Hitler et nous sommes déjà en 1932''. Cette panique surprend un peu, il n'y avait apparemment pas de tension particulière entre l'URSS et les occidentaux. Il est vrai que la guerre de Corée s'intensifiait, les Américains intervenaient pour endiguer l'invasion de la Corée du sud par celle du nord. Le 30/12/50 ''Soirée chez les Von Dietze,.... la femme du pasteur Hof raconte que son père, ancien directeur de banque, revient de la zone est : il n'a pas vu autour de Leipzig beaucoup de troupes soviétiques, les prêtres sont arrêtés et poursuivis pour les motifs les plus futiles (posséder des clous indûment). Son mari précise qu'on ne peut exprimer une opinion en public sans risquer d'être arrêté....atmosphère familiale, protestante, maladroite dans la présentation matérielle, chaude et touchante sur le plan sentimental.'' Le 22/1/51 ''Cocktail en l'honneur du général Eisenhower chez Mac Cloy, dans un Haus im wald. Réunion très fermée. Eisenhower, Adenauer et les ministres fédéraux, Mc Cloy, Ivone Kirkpatrick, A. Bérard représentant François-Poncet, Speidel, Heusinger, Handy. Du côté français les 3 gouverneurs et Ganeval. L'atmosphère est très relevée et cordiale. Seuls Adenauer, c'est normal {pourquoi ?}, et Carlo Schmidt, ça l'est moins, trainent de salon en salon une hargne incurable. Heusinger, ancien chef du 3ème bureau du Grand Quartier Général allemand clandestin d'avant Hitler a l'air intelligent et rusé. Eisenhower s'écarte successivement avec différentes personnalités. La réunion est suivie d'un diner auquel je ne suis pas invité. Je parle longuement avec un jeune major américain de la suite d'Ike {Eisenhower} qui parle français à merveille. Son assurance en politique étrangère, sa certitude totale m'effraie.'' Le 25/4/51 ''Sybert qui remplace Jourdan, commissaire du gouvernement, et son substitut viennent me voir affolés. L'interrogatoire d'un agent des soviets nommé Neudecker met en cause Schaeffer, KPD {parti communiste} notoire. Ils ne peuvent disent-ils manquer de l'arrêter''. En fait les affirmations de Neudecker semblaient anodines''. Le 10/8/51 ''Fin juillet début août généralement calmes ne l'ont pas été cette année : Le Festival de la Paix {Festival Mondial de la Jeunesse et des Etudiants pour la Paix, 1951 Berlin} a attiré quelques milliers de jeunes gens par la Suisse et l'Autriche ; les Américains les ont refoulés et tout le monde était sur les dents dans l'attente de leur passage : troupes requises, toutes dispositions prises et puis Pfft ! Tout s'est évanoui''. Le Festival était d'inspiration communiste mais attirait aussi des pacifistes non communistes. Le 3/6/52 ''Une partie des gendarmes de zone est envoyée en France en prévision de troubles et la troupe est consignée, permissions supprimées.'' Les troubles dont on parle sont probablement liés à la venue en France du général américain Ridgway, qui a dirigé les troupes de l'ONU en Corée. Le mouvement communiste international l'accuse d'avoir utilisé des armes bactériologiques. Une manifestation s'est déroulée le 28/5/52 qui a donné lieu à des heurts violents entre manifestants et policiers. Il y a des centaines de blessés dont une trentaine gravement et deux manifestants. Jacques Duclos, chef du parti communiste par intérim est arrêté. Parlant de Ridgway, le hasard a voulu que peu après Pène le rencontre. Le 24/6/52 ''Ridgway arrive par le terrain d'aviation de Lahr. Il me frappe par sa puissance physique, sa largeur d'épaules ; il est courtois et calme. Il repart aussitôt pour Baden-Baden''. Un portrait plutôt sympathique. Le 5/6/52 Déjeuner avec Mme François-Poncet et une ambassadrice allemande. ''Elle nous parle beaucoup de son fils condamné à 10 ans de travaux forcés par les Russes. Je le plains, et pourtant si Hitler avait vaincu c'est moi qui pourrirais dans un cul de basse fosse''. Hé oui ! Pène n'avait aucune sympathie pour le système de Staline, mais pour un Résistant la guerre froide ne permettait pas d'oublier que c'était bien l'armée soviétique qui avait brisé l'élan nazi à Stalingrad.

D :VII.5.1 Les aérodromes militaires français En 1952 l'administration française ainsi que les autres administrations alliées quittaient l'Allemagne. Il ne restait plus que l'Armée, qui, elle, élargissait sa présence. Il ne s'agissait plus d'occupation de l'Allemagne mais de l'alliance militaire de l'Atlantique Nord, l'OTAN qui, sous la direction américaine, se préparait à un conflit avec l'URSS. Celle-ci avait conclu le pacte de Varsovie avec ses pays satellites. Les forces de l'OTAN devaient s'installer en Allemagne occidentale, au plus près de l'ennemi dont la pointe avancée était la zone d'occupation soviétique, devenue RDA en octobre 1949. Ils avaient besoin d'avions et donc d'aérodromes. Il fallait de vastes terrains, et l'armée française les a réquisitionnés sans ménagement. Ce sont ces conflits que Pène devra tenter de calmer avant de faire ses adieux. Du 23/1/52 au 1/02/52 problème d'aérodrome à Fribourg. Les aviateurs demandent du terrain pour une extension du dépôt de munitions du terrain d'aviation à Fribourg. Le conseil municipal se réunit sous l'égide de Scheicher. ''J'alerte Schlesser pour demander d'étudier une modification … c'est ennuyeux de céder à la pression allemande : ce l'est autant de ne jamais rien leur accorder''. Cette dernière phrase résume bien le dilemme de cette ''fin de règne''. Le 25/1/52 ''une motion unanime du conseil municipal décide de donner ordre à tous ses services de ne fournir aux Alliés ni renseignements ni aide ayant trait à l'agrandissement de l'aérodrome, à l'agrandissement du dépôt de munitions, ou à la construction de la caserne.'' En réaction Pène refuse d'aller au concert suivi d'un diner de Hoffmann (le Maire). Le 28/1/52 Pène reçoit Hoffmann et qualifie cette délibération de ''surprenante et maladroite''. Hoffmann se confond en excuses et avoue qu'Adenauer a ''savonné la tête de Dichtel'' et qu'un des Directeurs de ministère de Bonn a téléphoné le matin même pour affirmer que le chancelier désapprouvait le conseil municipal de Fribourg. Le 1/02/52 se tient une réunion ''Le colonel Barbier arrive avec la consigne de ''régler la question'' l'ordre est plus facile à donner qu'à exécuter. C'est un peu le ''démerdez-vous'' de l'armée''. Sont présents les représentants des principaux partis du Stadtrat {conseil municipal}, Scheicher (SPD), Littern (CDU), Brendel (FDP). De la discussion Pène déduit ''du fatras d'objections ressort la question des cliniques. C'est le point crucial : Fribourg, ville universitaire, se doit d'avoir des cliniques bien situées. Barbier répond, peu éloquent mais direct, Hoffmann s'en va assez tôt, je résume le point de vue français et surtout la nécessité inévitable d'utiliser l'aérodrome. Vers 17h le colonel devant partir on conclut en prévoyant une rencontre de Noiret avec une délégation du conseil municipal. Ce sera un coup d'épée dans l'eau, mais un geste.'' Le 9/1/52 ''Thorne {délégué de cercle à Lahr} vient me voir. Il est catastrophé. Le Maire Wäldin, jaloux des succès de Schlapper à Baden-Baden résiste de toutes ses forces à la construction de l'aérodrome. Il refuse de recevoir et de transmettre les bons de réquisition pour les terrains. Thorne ne sait que faire. Les bons transmis par nous à Wohleb ont été aussi refusés par Wäldin. Je lui dis que cela n'arrêtera pas les travaux et portera préjudice aux propriétaires en retardant leur indemnisation. Wohleb dit ''Wäldin, mon camarade, fait de la propagande sur mon dos.''.'' Le 10/1/52 Thorne revient me parler de Lahr. Il est ulcéré par un article du Lährer Anzeiger qui oppose le petit délégué de cercle revenant avec ses ordres de réquisition qu'il n'a pu faire accepter par le puissant maire Wäldin. Celui-ci a ouvertement fait recommander aux journalistes de ne pas grossir les difficultés avec les Français, mais vraisemblablement en sous-main il a payé l'un d'eux, CDU, pour écrire l'article venimeux. 11/1/52 ''Nous nous mettons d'accord avec Wohleb pour lui donner le bénéfice d'une modification de terrain à l'avantage des habitants de Hugsweier (quartier de Lahr). Il nous écrira, nous lui répondrons, et Wäldin ne pourra prétendre que sa résistance est efficace''. Pour résumer, les français passent en force pour construire ces aéroports. Ils ont l'appui d'Adenauer qui soutient la présence de forces militaires aériennes contre l'URSS. Pour les riverains c'est la catastrophe et ils le font savoir. C'est la guerre qu'on prépare, et par chance l'Allemagne n'a plus été un terrain de guerre depuis lors. D :VII.6 Résurgence du nazisme, l'exploit de Beate Klarsfeld. Nous avons suivi depuis le début la subsistance et la résurgence du nazisme en Allemagne. Nous ne pouvons pas passer sous silence l'exploit de Beate Klarsfeld. La guerre froide entraîne un freinage de la dénazification, voire même un accommodement avec des anciens Nazis. L'ennemi principal est maintenant le communisme. Les opinions nazies s'expriment ouvertement, et les anciens Nazis peuvent avoir de belles carrières. En occident comme en orient on n'hésite pas à exploiter les talents d'anciens Nazis. On embauchait des scientifiques de haut niveau, le cas de Wernher Von Braun est connu, expert dans les missiles allemands V2 il joue un rôle éminent dans le développement des fusées américaines. Les services secrets français ont aussi beaucoup appris du savoir faire allemand en missiles. Pierre Pène parlait de Yves Rocard, éminent physicien français, qui est venu ''faire son marché'' dans la ZFO, c'est à dire qu'il a emmené des instruments scientifiques de haut niveau. Bien entendu l'URSS faisait de même. Le 10/10/51 Pène écrit à propos de la ville de Wohlfach ''Martin, nouveau maire, successeur de Allgeier décédé, est un ancien Nazi. Petit, trapu, les épaules ridiculement dressées. C'est un bon administrateur qui a cru bon d'adhérer au club franco-allemand : ayons foi en sa sincérité''. Les grands patrons qui avaient exploité les esclaves fournis par les camps nazis, tels ceux d'IG Farben exploitant le camp d'Auschwitz-Monowitz, n'ont pas été inquiétés, à l'exception d'une molle poursuite de Krupp. En 1955 48 % des Allemands pensaient que ''sans la guerre Hitler aurait été un des plus grands hommes d'Etat allemand''[53]. En 1960 ils étaient encore 34 % de cet avis. ''La politique d'Adenauer confirme ce tournant''[53] : tout en faisant interdire le parti d'extrême droite SRP {Sozialistische Reichspartei} et en signant un accord de réparation avec Israël, ''Adenauer n'appelle-t-il pas dans sa première déclaration gouvernementale devant le Bundestag le 20/9/49 à condamner impitoyablement les vrais criminels, mais aussi à ne plus séparer les Allemands en deux catégories, ceux qui seraient politiquement irréprochables et ceux qui ne le seraient pas ?''[53]. On conçoit que ceux qui étaient adultes sous la dictature nazie ne pouvaient pas survivre sans une certaine compromission avec le régime. Mais cela ne justifiait pas de laisser des Nazis de haut rang accéder au pouvoir. Cette évolution s'est poursuivie après le départ de Pène d'Allemagne (en 1952). On peut dire qu'elle a culminé avec l'affaire Kiesinger. Elle est bien connue mais rappelons-en tout de même brièvement le déroulement. Les anciens Nazis ont reconquis les positions de pouvoir. En 1958 l'ancien Nazi Kurt Georg Kiesinger devenait le ministre-président du Bade-Wurtemberg jusqu'à ce qu'il devienne en 1966 chancelier de la RFA. Il succédait au premier chancelier, Konrad Adenauer, et à son successeur Ludwig Erhard. Il avait été un haut cadre du parti nazi, directeur adjoint de la propagande. ''En mai 1945, Kiesinger fut emprisonné par les forces militaires américaines. Après dix-sept mois d'incarcération, il fut libéré au début de la guerre froide et dénazifié par une commission dont faisait partie son beau-père.... son dossier de dénazification a fort opportunément disparu''[55]. Beate Klarsfeld a démontré [55] que Kiesinger avait joué un rôle important dans l'appareil de propagande nazi, y compris dans la propagande anti-juive. Pour avoir expliqué cela dans la presse Beate avait été licenciée sans préavis de l'Office Franco-Allemand pour la jeunesse, Serge Klarsfeld et elle ont alors découvert que cet office était dirigé par des anciens Nazis. Beate Klarsfeld a eu ce courage inouï, au risque de sa vie, de gifler Kiesinger en public devant le congrès de la CDU le 7/11/1968. ''En giflant le chancelier Kiesinger, j'ai voulu témoigner qu'une partie du peuple allemand et surtout la jeunesse, est révoltée par la présence au gouvernement de la République Fédérale d'Allemagne d'un Nazi qui fut directeur adjoint de la propagande hitlérienne vers l'étranger''. Les gardes du corps de Kiesinger auraient tué Beate s'ils n'avaient pas craint que leurs balles touchent Kiesinger et les autres occupants de la tribune. Ce geste héroïque a failli lui valoir 10 ans de prison. Elle a échappé à ce piège en invoquant sa nationalité française par son mariage avec Serge Klarsfeld, et en exigeant d'être jugée à Berlin-ouest sous statut interallié où elle pourrait être jugée par une juridiction française. Cette simple perspective l'a faite libérer et elle a rejoint une réunion de milliers d'étudiants dans l'université libre de Berlin. Cette génération, celle de Rudi Dutschke et de Beate Klarsfeld inaugurait enfin une vraie rupture avec le passé nazi. Cet exploit de Beate a probablement couté à Kiesinger sa réélection en 1969. Willy Brandt, un anti-nazi ferme et courageux, lui succédait. Brandt se rend le 7 décembre 1970 au monument qui commémore les victimes juives du soulèvement du gettho de Varsovie contre les Nazis. Après avoir déposé une gerbe, Brandt se recule pour se recueillir quelques instants et soudain s'agenouille sur les marches. Ce geste d'une grande dignité n'a pas plu à une moitié d'Allemands, ni d'ailleurs aux dirigeants de la Pologne communiste qui l'ont dissimulé à leur peuple {13}. Pène est choqué d'entendre dans une réunion (D:VI.5.5) ce verdict sévère : si le nazisme resurgit ainsi c'est un échec de la dénazification et donc de l'occupation de l'Allemagne. Ce seraient donc les occupants qui n'auraient pas bien dénazifié qui seraient coupables de cette résurgence du nazisme !! C'est le même type de sophisme que celui des ''négationnistes'' qui clament que les juifs sont responsables du génocide des juifs !! Le nazisme avait dominé l'Allemagne pendant 12 ans et les cerveaux avaient été marqués. Le sondage déjà mentionné le montrait ''En 1955 48 % des Allemands pensaient que ''sans la guerre Hitler aurait été un des plus grands hommes d'Etat allemand''[53]. Fallait il exterminer 48 % de la population allemande ? C'est tellement stupide !! On peut certes s'interroger sur l'impunité des grands capitalistes qui ont installé Hitler au pouvoir, Krupp au premier rang. Cette question est posée dans un livre récent d'Eric Vuillard, prix Goncourt 2017 [65]. L'intrication étroite des intérêts des très grandes entreprises de différents pays les a-t-elle protégés ? Concluons en citant encore une fois, si longtemps après, ce propos tellement d'actualité de Berthold Brecht : ''Der Schoß ist fruchtbar noch, aus dem das kroch. (Le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde)''.

D :VIII Divers : la vie d'un gouverneur Les journaux de Pierre et Françoise Pène nous rappellent à un aspect important de leur vie dans le Bade. Ils avaient des loisirs, des voyages, des spectacles, des rencontres amicales, des conférences extra-politiques, etc. Pène rencontrait des hauts personnages, il apprenait des faits historiques, découvrait la personnalité de tel ou tel. C'est ce que nous allons découvrir dans cette section.

D :VIII.1 Les ingénieurs Le 16/12/48 ''diner FASFI (Fédération des Sociétés Françaises d'Ingénieurs) à Baden-Baden : j'y représente le Gal Koenig. But 1er : faire connaître les ingénieurs français, montrer leur vitalité et favoriser ainsi leur placement dans le monde entier. 2° : Reprendre les contacts avec les ingénieurs des autres pays et en particulier allemands.'' Le 23-25/6/49 ''Congrès des ingénieurs à Constance. Qualité relevée des participants – sérieux du travail. Toutes les commissions au nombre de 5 comptent au minimum 35 participants. Les motions expriment les idées essentielles : 1° : nécessité de faire de l'ingénieur un homme et non pas seulement un technicien, de développer dès l'origine les qualités de chef et de l'intéresser davantage à la politique et à la gestion des affaires publiques ; 2° : Intérêt des congrès internationaux, souhait de les voir se multiplier.'' Françoise Pène parle de ce congrès. ''Un ingénieur chimiste revenant d'un camp de la mort, Mr Marchal, homme d'une exceptionnelle valeur morale et d'un grand dynamisme va réunir pour la première fois après la guerre, des techniciens représentant les pays alliés et les vaincus : l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie. Il désire que les grands scientifiques responsables des moyens de plus en plus atroces de destruction, s'unissent afin d'œuvrer pour l'union et la compréhension mutuelle des peuples. Cet homme idéaliste et réalisateur se dévoua jusqu'à sa mort fort proche, à cette tâche, utilisant ingénieusement la grande compétence et les moyens à la portée du polytechnicien gouverneur du Bade, mon époux. J'aurai à recevoir souvent le comité directeur et organisateur au château d'Umkirch {des diners d'ingénieurs que Florence n'appréciait guère :''Et beaucoup de ces diners étaient mortels, surtout ceux d'ingénieurs'' [61]}. Un grand et important congrès sera projeté et aura lieu en juin 1949 à Constance, suivi d'un autre à Rome puis à Bruxelles. Le congrès de Constance aura plusieurs présidents. Le général Koenig, vainqueur de Bir Hakeim, auréolé par cette victoire, sera le président d'honneur. Mr Alain Poher, Ministre des affaires allemandes, œuvra dès cette époque pour l'Europe. Pierre Pène président dirigeant, organisera avec l'aide de son cabinet les séances de travail aussi bien que l'hébergement et les distractions culturelles et touristiques des 500 personnes accréditées. Marchal le président initiateur en sera l'âme. Ayant été élue marraine de ce mouvement unificateur, j'aurai la responsabilité de guider les épouses des congressistes, pour toutes les manifestations culturelles et touristiques'' [46]. Notons qu'il n'est pas question d'une seule femme congressiste, ce qui aujourd'hui soulèverait à juste titre des protestations énergiques. Le récit de Françoise Pène se termine par une anecdote distrayante. ''Je devrai, fait assez amusant, m'opposer à un capitaine qui refusait de laisser passer sur un petit pont nanti d'un drapeau français des personnes du sexe féminin, celles-ci n'étant pas accréditées à le saluer. Je passerai outre, pour plusieurs raisons (sans être une féministe outrancière). Nous devions changer de toilette pour assister au diner suivi d'un concert. Le temps nous était compté. Le petit chemin situé après le pont, s'avérait un précieux raccourci du débarcadère à l'hôtel, et nous évitait de prendre une route caillouteuse où une foule curieuse de Badois, bienveillante mais ironique, attendait notre cortège féminin. Au repas le général Koenig mon voisin, ayant déjà reçu le rapport militaire, me fit aimablement une observation. Je m'expliquai et toujours bienveillant il accepta ma thèse. Il lui aurait été difficile de me mettre aux arrêts de rigueur, comme il le fit au général M...i, qui avait fait fouetter un Allemand échappé de zone orientale avec un uniforme français (et l'avait fait circuler nu)''[46]. L'épisode est amusant, l'Allemand s'échappe de la zone soviétique avec un uniforme français, c'est logique, avec un uniforme allemand il n'aurait pas été loin ! De plus, le fouetter, ce sont des méthodes médiévales. Que Koenig mette ce général aux arrêts de rigueur n'est que légitime. Quand à la désobéissance de Françoise face au capitaine, elle était ainsi, une forte personnalité, c'est ce qui lui a permis de tenir tête à son interrogateur, le Dr Schott sous l'occupation. Que Kœnig se soit contenté d'une légère réprimande pour cette désobéissance de Françoise ne nous surprend pas non plus : elle et le général ressentaient manifestement de la sympathie l'un pour l'autre. D :VIII.2 Des rencontres instructives D :VIII.2.1 Von Choltitz Pierre Pène a plusieurs fois reçu à sa table Von Choltitz, ancien gouverneur du ''Gross Paris'' lors de la libération. Il habitait le Land du Bade. ''Il a expliqué son attitude au moment de la libération de Paris, il aurait vu Hitler écumant lui donner l'ordre de destruction, ''On n'obéit pas à un fou'''' [54]. Cette déclaration est à prendre avec beaucoup de réserve. Il est maintenant établi que Von Choltitz avait fait miner tous les ponts de Paris et de nombreux bâtiments y compris la tour Eiffel. Que se serait-il passé si Leclerc n'était pas entré si tôt avec la 2ème DB, s'il n'avait pas immédiatement convoqué Choltitz à la gare Montparnasse et ne l'avait pas convaincu de capituler ? Il semble que Hitler l'avait nommé à Paris précisément du fait de la brutalité dont il avait fait preuve à Rotterdam et à l'est. Choltitz ''sauveur de Paris'' ? Ce furent bien sûr les insurgés parisiens et les troupes alliées qui furent les sauveurs de Paris. Il était juste que Leclerc et Rol-Tanguy signent ensemble la capitulation de Von Choltitz, n'en déplaise au général de Gaulle (cf B:IV.2.4). D :VIII.2.2 L'interrogateur de Hardy, qui a trahi Jean Moulin. 18/11/49 ''Tournée à Waldshut. Hamoine me fait rencontrer Dietrich, maire de la ville, qui annonce qu'il se sent redevenir nationaliste. Je lui réplique qu'ainsi il contribuera à replacer son pays dans les mêmes épreuves que dans le passé et que l'issue en sera la même.... Hamoine me fait savoir que son cercle héberge l'agent de la Gestapo qui a fait subir le premier interrogatoire à Hardy. Belle confrontation à faire avec Bénouvile !!''. Cette dernière phrase fait référence à la réunion de Caluire le 21 juin 1943, où furent arrêté Jean Moulin et sept autres résistants, plus le Dr Dugoujon qui hébergeait la réunion et ses patientes. L'arrestation a été rendue possible par une trahison de René Hardy que Bénouville, numéro 2 de ''Combat'', a envoyé à la réunion sans demander l'avis de Moulin, l'organisateur. L'hostilité intense du mouvement ''Combat'' envers Moulin explique ce très très grave manquement aux règles de sécurité. Après la guerre les dirigeants de ''Combat'' se sont répandus en calomnies contre Jean Moulin qui avait été torturé à mort du fait de leur propre impéritie [25]. Il a fallu à Daniel Cordier une terrible bataille littéraire pour faire reconnaître cette terrifiante erreur commises par Bénouville, le numéro 2 du groupe Combat, qui a décapité la Résistance [25]. Après la libération, Frenay, dirigeant du mouvement ''Combat'', a essayé de brouiller les cartes en calomniant Jean Moulin. On a même accusé Raymond Aubrac d'avoir été le traitre !! Ces procédés peu ragoûtants se sont déployés pendant des décennies. L'étonnant est qu'en 1949 Pène semblait être parfaitement au courant du rôle de Bénouville dans cette terrible histoire, d'où cette remarque dans son cahier. C'est étonnant parce qu'au moment où il écrit ça, fin 1949, les calomnies des dirigeants de ''Combat'' à l'encontre de Jean Moulin, et aussi les calomnies visant Raymond Aubrac, etc. se répandaient dans les médias. Avez-vous remarqué, Pierre Pène était souvent bien informé !! D :VIII.2.3 Les forces Allemandes en 1939 ''Nous apprendrons plus tard en occupant l'Allemagne qu'il n'y avait à cette époque devant nous entre Bâle et Karlsruhe que 2 divisions. Malgré les obstacles du Rhin et de la Forêt Noire, il y avait quelque chose à tenter, mais Gamelin n'est ni Napoléon, ni Foch. Il n'est pourtant pas besoin d'être un grand homme de guerre pour sentir que l'ennemi en face est peu agressif, peu désireux de s'engager, et qu'une initiative française le gênerait beaucoup''[66]. Sans commentaire. Rappelons que le capitaine d'artillerie Pène, avec beaucoup d'autres, trépignait d'impatience pendant la ''drôle de guerre'' en 1939, attendant un ordre d'attaque. Le haut Etat-major ne l'a pas jugé utile et cela a coûté des années de terribles souffrances. D :VIII.3 Les activités, les voyages, les discours, …. D :VIII.3.1 Les tournées dans les cercles Du début à la fin de son séjour en Allemagne Pierre Pène faisait sans cesse des tournées dans tous les cercles du Bade-sud. Il serait fastidieux de les détailler toutes. Il y rencontrait bien sûr le délégué de cercle, son personnel, mais aussi les notabilités allemandes, le maire de la ville et les officiers commandant les éventuelles unités locales. Au moment de partir il a fait une tournée complète d'adieux. Il serait trop long de la décrire en détail.

D :VIII.3.2 Manifestations distrayantes. Pène devait souvent aller à des manifestations diverses, souvent un peu guindées, où il fallait faire et écouter des discours conventionnels. Mais parfois il s'amusait : Le 12/9/49 ''Visite de l'exposition des restaurateurs et hôteliers à Constance. Avant le diner nous passons rapidement dans les stands escortés par Wohleb et le Landrat qui paraissent aussi saouls l'un que l'autre. Diner dans la grande salle de l'exposition. Table de 20 couverts au milieu de 1000 convives badois gais et bruyants. Wohleb, dégrisé, n'a pas craint de se mettre à ma table où les voisins l'appellent souvent pour trinquer à distance. Le rôle de ''collaborateur'' n'est pas encore tout à fait vilipendé. Il s'en va discrètement à 10h30, j'en fais autant à 11h00. Passage rapide à la roulette où je gagne''. Ça continue, le 30/9/49 ''Dégustation de vins de France. Je fais un discours qui essaie d'être spirituel. Nous dégustons 12 vins, dont 2 champagnes et un Muscat. Wohleb se déplace durant tout le repas, il fait de la propagande contre le ''Süd West Staat'' (qui sera nommé Bade-Würtemberg).'' Le 6/4/51 ''Revenant de Bâle je prends dans ma mercedes une femme d'environ 45 ans qui fait signe. Au moment de nous quitter, après m'avoir félicité pour ma prudence, elle dit : ''Je vous souhaite bonne chance avec cette voiture allemande''. La voiture allemande en question était peut-être la mercedes blindée de Hitler pour ses déplacements dans le Bade, dont Pène avait l'usage et qui ne passait pas inaperçue. D :VIII.3.3 Rencontre de personnalités intéressantes. Le 29/3/50 ''Déjeuner, hôte d'honneur : Wirth. Wohleb est là aussi avec toute l'équipe des badois. Wirth est grand, gros, haut en couleur, très bien conservé. Il garde de son séjour à Paris des connaissances plutôt argotiques. Lui et Wohleb reviennent de Mannheim où ils ont été secoués''. Probablement parce que Mannheim était dans la zone américaine du Bade. Joseph Wirth [26] était effectivement une personnalité. Né et mort à Fribourg, il a été nommé chancelier le 10 mai 1921, et reste jusqu'à aujourd'hui, le plus jeune chancelier élu. Anti-nazi convaincu il s'est exilé en Suisse en 1933. Rentré en 1949 à Fribourg, il était assez hostile à la politique d'Adenauer, lui reprochant de vouloir diviser l'Allemagne en deux. Le 23/1/52 ''Déjeuner avec le général Juin. Il me frappa par son intelligence, sa simplicité, qui n'exclut pas l'allure d'un grand chef. On ne s'étonne d'ailleurs pas qu'il ait été au bord de la compromission avec Vichy : il est assez habile pour cela de même qu'il a été assez habile pour se dégager. Il nous raconte comment il a déposé le bey de Tunis.'' Juin avait été plus qu'au bord de la compromission avec Vichy, il avait préparé un plan de résistance au débarquement des alliés [38], et fut d'ailleurs arrêté avec Darlan le 8/11/42 par le petit groupe de 400 résistants qui sous la direction de José Aboulker avait pris le contrôle de la ville d'Alger [38]. Le 19/4/52 Le général Schlesser (qui dirige l'installation des troupes françaises dans le cadre de l'OTAN) marie sa fille. Pène y rencontre Mme André Citroën. Elle lui parle longuement de son frère Jacques Bingen, alias Cadillac, alias Cléante. Jacques Bingen fut un héros de la Résistance. Il fut arrêté à Clermont-Ferrand le 13/5/44 et a croqué une pilule de cyanure. Entre décembre 43 et mars 44, il fut ''Délégué général par intérim du Gouvernement Provisoire de la République Française dans les territoires occupés'', c'est à dire successeur de Jean Moulin. Cette période correspond à celle pendant laquelle Pène dirigeait les FFI de la région parisienne. Pourtant Pène ne mentionne jamais de relation avec Jacques Bingen, nous n'en avons pas trouvé de trace et il ne le fait pas non plus en rapportant les propos de Mme André Citroën sur son frère. Le 26/4/50 Pène reçoit Theodor Heuss, qui fut le premier président de la RFA, de 1949 à 1954 et réélu jusqu'en 1959. Il le rencontre à nouveau le 10/5/52, ''Je n'ai jamais été tant mitraillé d'éclairs au magnésium..... long discours fin et subtil de Heuss, poésie alémanique dite par une belle fille, morceau final de Wagner''. Le 27/10/49 ''Conversation avec l'ambassadeur Eisenlohr : il souhaite que la France redevienne forte pour avoir une politique affirmée et donner confiance au reste de l'Europe qu'elle doit guider. C'est lui que Hitler avait projeté de faire assassiner à Prague où il était ambassadeur pour créer un ``casus belli``''. Cet ambassadeur avait été nommé par Göring dans le bureau central du Reich pour l'émigration des juifs, en janvier 1939 [23]. Florence cite une liste impressionnante de personnalités reçues à Umkirch ''Nous recevions des gens passionnants : des savants tels Max Planck ; des musiciens tels que Stravinski et Olivier Messiaen ; des gens du spectacle tels que Gaston Baty, Jean Marais ou Philippe Noiret ; des écrivains tels que Vercors et Bernanos, ce dernier venu avec le père Bruckberger (celui-ci chantait à tue-tête ''boire un petit coup c'est agréable'') ; princes et princesses, archevêques, généraux, ministres, etc. Mais j'étais trop jeune, inculte, et amoureuse de Gilou, pour en profiter intelligemment. Et beaucoup de ces diners étaient mortels, surtout ceux d'ingénieurs''[61]. D :VIII.3.4 Cérémonies religieuses et militaires Le 23-24/8/51 ''Exercice d'artillerie. Déguisé en lieutenant colonel j'assiste à ces manœuvres destinées au gratin de l'armée française. Du matériel très nouveau, notamment 2 mortiers d'infanterie Roanne et Brandt qui tirent à 7 km, un camion qui transmet au sol des photos prises par un avion, un radar américain (prix 800 000 $). Le 20/3/52 Pène va à la cathédrale de Fribourg pour la messe funèbre de Mgr Wilhelm Burger, évêque auxiliaire. Il fait une longue description du faste et de l'organisation parfaite de la cérémonie. C'est Mgr Rauch, l'Archevêque, qui officie sans montrer d'émotion. ''Comme toujours, dans cette magnifique nef on éprouve une impression encore plus artistique que religieuse. Devant vous le triptyque de Baldung, dit Grien (en raison de sa prédilection pour la couleur verte), présente ses couleurs vives mais non choquantes''. Cette cérémonie, cette cathédrale nous rappellent la puissance et l'influence de l'église catholique dans le Bade. Le hasard de l'histoire a voulu que le pape François a nommé le 30/5/2014 Stephan Burger archevêque de Fribourg ! Y a-t-il un lien de parenté avec Mgr Wilhelm Burger ? Selon wikipedia [39], Mgr Wilhelm Burger, prieur de 37 à 43, a sous Hitler traité le nazisme de maladie de l'époque ; dans ses prêches il dénonçait le culte de la violence, l'idolâtrie de la race et du sang, l'oppression de la liberté et de la dignité humaines. D :VIII.3.5 Le mariage d'Annette Le grand événement familial chez les Pène, durant leur séjour en Allemagne, fut le mariage d'Annette, la fille ainée de Pierre et Françoise Pène. Annette a épousé Paul Guillaut, le fils du général Joseph Guillaut, Résistant, chef de l'Organisation de Résistance de l'Armée (ORA) pour la région Languedoc, arrêté le 11 mai 1944, torturé puis fusillé le 27 juin 1944. Paul Guillaut avait choisi la carrière militaire comme son père héroïque. Quand ce dernier avait été arrêté (on ne savait pas encore qu'il était mort) la Résistance locale a ordonné à Paul de quitter la France, de peur que son arrestation ne serve de moyen de pression contre son père. Sa traversée des Pyrénées, son arrestation en Espagne, son évasion, sa traversée de l'Espagne jusqu'à Gibraltar, terre anglaise, tout cela mériterait un récit en soi. Il a pu rejoindre les forces françaises libres en Algérie, et en particulier le général de Lattre, un ami de son père. Il a participé au débarquement en Provence du 15/8/44, à la campagne de France, à l'entrée en Allemagne de l'armée de Lattre. Cette origine et ce passé ont contribué à séduire Annette qui avait vécu l'occupation Allemande dans l'atmosphère de la Résistance. Quand Pierre Pène était évadé et dans une clandestinité totale, Annette l'aidait, lui amenait ou ramenait des vélos dans un contexte risqué. Plus tard Paul a été mobilisé pour la guerre d'Indochine, dont il est revenu, avec beaucoup de chance, indemne. Il avait 25 ans, l'air très jeune, et les Allemands l'appelaient ''Bubi'' (petit garçon), un surnom qui lui est resté. Annette avait 24 ans. Le Mariage civil a eu lieu le 8/9/50. Les habitants du village de Umkirch participèrent activement aux festivités. Le 8/9/50 ''Nous finissons de diner, tout à coup nous sommes surpris par une musique devant la façade postérieure du château. Eclairés par de petits projecteurs l'orphéon et le chœur du village sont rangés au pied des marches, et surtout de la pelouse tout le village, 600 personnes, femmes et enfants compris regarde la scène. Discours du maire, réponse de moi, morceau de musique, discours de l'instituteur, chef du chœur, morceau de chœur, discours du chef de l'orphéon, morceau de chœur …. puis le chœur et l'orphéon viennent boire, et le chœur, vraiment de qualité, termine par un morceau dans le hall. Mes amis sont très émus''. C'est vrai que cette scène est émouvante. Il ne s'agit bien sûr que d'un village, Umkirch, mais cela nous montre sous un jour positif des liens qui se sont tissés entre les occupants et la population : ils sont devenus amis, à la veille de la fin de l'occupation. Le 9/9/50 le mariage religieux avait lieu dans la petite église du village. Pène donne une description détaillée de cette cérémonie bénie par l'aumônier. La messe est dite par le curé, ''un morceau de Bach par le meilleur élève de Schuck, le remarquable chœur du village chante dans la galerie.... retour au château entre deux rangs de villageois...à 17h arrivent les invités de l'après-midi, 2 orchestres... Réunion gaie, bonne ambiance jusque vers 23h00. Nous sommes épuisés Françoise et moi par une grippe menaçante'' Le jeune couple est parti habiter à Tübingen où Paul était en garnison. Le 22/5/51 naissait leur fille Christine. Cela incitait les Pène à aller à Tübingen autant que possible. D :VIII.4 Un bilan ? Il est difficile de faire un bilan de six années d'activité de Pène dans le Bade-sud. Essayons tout de même. Quand Pierre Pène ira en Allemagne, un an avant sa mort {cf section D :IX.3}, outre l'accueil chaleureux qui lui sera fait on lui a offert un livre reproduisant les articles de presse parus lors de son départ en 1952. Nous utiliserons ces articles pour jauger le souvenir que le ''gouverneur Pène'' laissait. Le 22-23/8/49 voyage de Robert Schuman. ''Tout le monde et R. Schuman lui-même me dit que l'impression est excellente, l'unanimité est en notre faveur tant à Fribourg qu'à Constance''. Robert Schuman était ministres des affaires étrangères. Trois ans plus tard pourtant quand il faudra se dire adieu, les principaux protagonistes et d'abord Wohleb et Pène, sont amers. Le maintien du Bade a échoué et le redouté Südweststaat existe sous le nom de Bade- Würtemberg. Wohleb part au Portugal comme ambassadeur et il décèdera peu après, le 12/3/55. Pène retourne en France. Il serait trompeur de se limiter à cet échec politique. La situation économique et les conditions de vie du peuple badois ont fait un bond pendant ces six années. Il s'agit d'un mouvement d'ensemble dans lequel Pène a joué son rôle. Ce résultat permet toutefois de minorer l'effet négatif dans l'opinion allemande des démontages d'usines et autres réparations{cf D :IV.3.5}. D'un point de vue politique il faut se souvenir qu'à l'arrivée de nombreux évènements montraient une présence rémanente du nazisme {section D :II}. Au moment du départ on ne parle plus du tout de ça. C'est un Bade démocratique qui a été restauré grâce à la constitution proposée par la France et pratiquée par Wohleb et ses amis. Les tensions ont existé, le gouvernement badois a démissionné plusieurs fois, mais cela n'a jamais atteint un point de rupture grave. La RFA se constituait elle aussi sur une base démocratique. Nous avons vu {D :VII.2.2} que dans le domaine éducatif et culturel si une partie des réformes françaises a été vite annulée par le gouvernement fédéral, d'importantes séquelles en sont restées. Il existe encore des lycées franco-allemands, à Fribourg, Sarrebruck et Buc, près de Versailles. Il en est de même dans le domaine social. Rainer Hudemann [44] souligne la coopération franco-allemande qui s'est développée de facto : ''A tous les échelons de la hiérarchie, ces administrateurs durent faire face aux difficultés posées par une population qui, à son tour, connaissait misère et famine, que les pays occupés avaient subies pendant la guerre. Dès Noël 1945 le général Koenig tenta de refuser la livraison de matériaux de reconstruction immobilière à Paris qui en avait un besoin tout aussi urgent, en se réclamant des discours publics du général de Gaulle sur la reconstruction à réaliser en commun....Toute une population au passé ''franco-allemand'' …. ce vivier, des années 1950 à 1990, a servi de toile de fond au rapprochement franco-allemand''[44]. Ce que Hudemann évoque ici est un aspect positif du bilan projeté dans l'avenir. Quand Pène est parti la presse a commenté ce départ et fait à sa façon son bilan (cf D :IX.1). Concluons sur deux commentaires élogieux. Robert Schuman le 20/7/52 ''A son avis je ne dois pas me déprécier, je suis un des rares Commissaires de la République non critiqués, j'ai réussi en Bade, …''. Le 28/4/51 Pène a été reçu en audience par le général de Gaulle (alors dans l'opposition) pour lui demander s'il faisait encore un travail utile en Allemagne. La réponse à été affirmative [77]. Elle est citée dans une lettre à de Bénouville où il se propose de se présenter à des élections. À notre connaissance c'est la seule fois dans sa vie où il a eu la tentation de devenir un élu. Nous ne savons pas si de Bénouville a répondu, mais il n'y a pas eu de suite à cette lettre. C'était mieux ainsi : rappelons que Pène tenait à juste titre de Bénouville pour responsable de l'arrestation de Jean Moulin et des autres victimes à Caluire le 21/6/43 (D:VIII.2.2). D :IX Le Départ de Pierre Pène et des autres. D :IX.1 L'attachement de Pène pour le Bade Lors de son séjour à Fribourg en 1971 (cf D:IX.5) on lui a offert un livre qui contient un grand nombre d'articles de presse parlant de son départ. Examinons deux de ces articles, la Badische Zeitung n° 106 (9/7/52) et la Basler Nachrichten n° 297 (16/7/52)[43], un regard extérieur de la ville de Bâle en Suisse. Cette ville est très proche de la zone du Bade-Sud et on y suit de près ce qui s'y passe. Pène avait développé des relations avec la ville de Bâle et son université, et il y avait de bons amis. Les deux articles sont essentiellement laudatifs pour Pène. On dira qu'il est d'usage de louer les partants, mais voyons de près leurs arguments. Le journal suisse, la Basler Nachrichten, mentionne brièvement la biographie de Pène, son arrestation par les Nazis et les tortures qu'il a subies. Les journaux allemands ne le mentionnent pas. Ce n'est pas étonnant, il y a un refoulement courant des ignominies commises par son pays, la France a eu du mal avec le souvenir de Vichy, et n'a toujours pas réglé son contentieux avec les peuples colonisés. La Basler Nachrichten dit que Pène est arrivé sans esprit de vengeance contre ces tortures. C'est tout à fait vrai, mais il faut mentionner une crainte légitime de l'influence nazi rémanente après sa défaite, et même la crainte d'actions armées, terroristes, contre les occupants. Les actions armées ne se sont pas produites mais l'influence nazie était très sensible au début. En témoigne l'affaire Tillessen et le soutien que ce criminel Nazi reçoit des étudiants de Fribourg, l'affaire Heidegger, des prêches archiépiscopaux difficilement acceptables (cf section D :II). Les deux journaux, la Badische Zeitung (BZ) et la Basler Nachricht (BN) rappellent sans insister les premiers temps de l'occupation qui furent durs, l'occupant décidait de tout, nommait les représentants allemands, et les''réparations'' et autres prélèvements étaient difficilement ressentis par la population. Pène qui avait été Commissaire de la République, savait que la misère en France était égale à celle de l'Allemagne. Il savait que la richesse récupérée en Allemagne au titre des réparations était infime comparée au pillage nazi en France. Les journalistes l'ignoraient. Ils ne pouvaient pas non plus savoir que la misère allemande était essentiellement la conséquence de manipulations financières effectuées par les nazis [1]. Mais voyons de quelles qualités Pène est gratifié dans ces journaux. La Badische Zeitung : ''Pène … nach seinem eigenen Zeugnis gelernt, dass man eine andere Nation nicht nur achten sondern auch Lieben könne'' ( Pène selon son propre témoignage a appris qu'on pouvait, non seulement respecter une autre nation mais aussi l'aimer). C'est de fait de l'amour pour ses Badois qu'on perçoit lors de son ultime visite. La Badische Zeitung (BZ) écrit que selon le maire de Fribourg grâce à son savoir, ses talents diplomatiques et ses qualités morales, il avait su affronter de nombreuses vicissitudes, cf le discours d'Hoffmann le 5/7/52. La BZ le compare à d'autres zones d'occupation : ''Pène bemüht gewesen ist auch mancherlei zu glätten, was durch andere Besetzungstellen aufgewühlt worden war'' (Pène a pris la peine, en beaucoup d'occasions, d'aplanir ce qui dans d'autres zones d'occupations était devenu très épineux). La rédaction de la BZ a recherché dans ses archives les références à Pène. Il n'y en a pas beaucoup, ce qu'ils portent à son crédit. Ils trouvent au printemps ''der den wichtigsten Abschnitt der Rückgabe der selbstaverantwortlichen Landesführung an das badische volk darstellt'' (la tâche la plus importante est la restitution au peuple badois d'un pouvoir qui respecte son émancipation).'' Ensuite ils ne trouvent plus rien dans leurs archives et en déduisent que Pène a sincèrement respecté sa promesse de responsabilisation. La BN dit qu'après les frictions du début une relation amicale s'est installée. Que le tact du gouverneur et de son épouse ont établi des liens avec les milieux politiques et aussi entre l'université de Fribourg et des universités françaises. Une comparaison implicite avec les autres zones ''Das es viele gibt, die Pène mit wirklichen Bedauern sheiden sehen, macht seiner Person alle Ehre und ist Ruhmesblatt in einer in allen Zonen sonst nicht immer rühmlichen Besatzungzeit'' (que le départ de Pène crée de vrais regrets, honore sa personne, et est une fierté dans l'une, parmi toutes les zones, pas toujours si brillantes, de l'époque d'occupation). A la fin la BN révèle une des raisons de cette émotion que crée le départ de Pène : après le départ de Wohleb, celui du Landeskommissär c'est le dernier symbole de leur ancienne autonomie qui s'évanouit. Par un étrange raccourci historique l'article note que le ''Musterländle (région modèle)'' érigé par Napoléon en grand-duché perd avec un gouverneur français le dernier représentant de leur indépendance. Pène a-t-il remarqué qu'on l'avait mis en parallèle avec Napoléon qu'il admirait tellement ? Il est certain que dans le pays de Bade, Pène était honoré en partie pour son combat avec Wohleb et beaucoup d'autres en faveur de la restauration du Bade ancien, même si cette lutte a finalement échoué. Revenons sur la phrase de la Badische Zeitung ''Pène selon son propre témoignage a appris qu'on pouvait, non seulement respecter une autre nation mais aussi l'aimer.'' Rappelons que cet homme a fait trois guerres contre l'Allemagne, 17 mois de la première guerre mondiale, dans laquelle il a perdu son frère ainé, Henri Pène, la guerre de 39-40, et la Résistance, qui lui a valu des tortures et une exécution programmée. Que cet homme en soit venu à aimer, sinon toute l'Allemagne, du moins son pays de Bade, n'était-ce pas une perspective très encourageante ? Que dirait-il aujourd'hui s'il voyait dans toute l'Europe se réaliser cette terrifiante prophétie de Berthold Brecht ''Le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde.'' ? Le Südkurier n° 109 (12/7/52)[43] cite lui aussi cette phrase qui a beaucoup ému les Badois et est sans aucun doute très sincère : ''Ich habe früher nicht gewußt, daß man auch ein anderes Land als sein eigenes lieben kann'' (''Je ne savais pas avant que l'on pouvait aussi aimer un autre pays que le sien''). Pierre Pène qui a mené au cours de sa vie tant de combats très durs était très émotif. Ce n'est pas contradictoire.

D :IX.1.1 Pierre Pène et Leo Wohleb, ''nous avons fait quelque chose''. Concernant les relations franco-allemandes il faut parler de l'entente étonnante entre Pierre Pène et Leo Wohleb, pendant les six années qu'a duré la présence de Pène au Bade-Sud. Le tandem Pène-Wohleb a bien fonctionné, et lors des discours d'adieu chacun faisait l'apologie de l'autre. Ces deux hommes, très différents à bien des égards, ne représentaient pas non plus les mêmes intérêts. Quand il y avait des tensions, ils s'écoutaient l'un l'autre et ils trouvaient le plus souvent des solutions de compromis. Il ne faut pas oublier que dans bien des cas, notamment dans la question de la reconstitution du Bade ancien, opposée au SWS, ils défendaient la même cause, d'où une complicité entre eux. Cela n'a pas échappé à R. Hudemann [1] qui écrit ''Il semble par exemple que le célèbre Président du Bade Leo Wohleb, qui fut vivement attaqué dans son Landtag pour avoir souvent négligé les décisions de la représentation parlementaire, ait agi dans ces cas avec l'accord du gouverneur''. Nous n'avons pas trouvé d'exemple de contournement d'une décision parlementaire, mais c'est parfaitement plausible. Bien sûr un sujet de tension était la question du paiement des réparations et les réquisitions. Pierre Pène amortissait la rugosité de François Poncet tout en transmettant ses mises en demeure. Wohleb amortissait les expression de mécontentement anti-françaises sans les dissimuler. Prenons pour exemple le prélèvement de bétail : 12/4/48 ''Le mécontentement allemand dû aux prélèvements excessifs de bétail s'accentue. Nous sommes menacés d'une démission du cabinet ou d'un refus de sa part d'effectuer toute livraison. Je donne raison aux Allemands car nous avons pris envers eux des engagements que nous violons'' ; 15/4/48 ''Wohleb vient me voir accompagné de Schill, de Person et du Directeur de l'agriculture. Il vient me parler du prélèvement de bétail et se déclare satisfait quand je lui indique les pourparlers en cours. J'ai l'impression qu'il veut à tout prix éviter les difficultés.'' Les démontages de machines sont aussi l'objet d'une grande tension : 24/8/48 ''Une nouvelle liste de 11 usines vient d'arriver de Baden-Baden pour être notifiée au gouvernement badois. Des troubles sont à prévoir et probablement la démission du gouvernement. 18h, je signe la notification'' ; Le gouvernement Wohleb a démissionné en août 48 pour protester contre les démontages de machines. Il resta néanmoins en fonction jusqu'à sa remise en place décidée par le Landtag le 24/2/1949. Parfois ils s'opposaient ''à front renversé''. Lors de la visite de Mc Cloy, Wohleb, ayant trop bu, ce qui lui arrivait souvent, ''a cru bon, la petite mignonne, d'assister à la séance féminine, d'y prendre la parole, d'attaquer la députée au Bundestag Hélène Weber, de s'élever contre le réarmement, d'écornifler en passant le plan Schuman. Nous n'y comprenons rien, Mme Mc Cloy est choquée.'' Wohleb est contre le réarmement de l'Allemagne au moment où Pène et Mme Mc Cloy sont pour. Pourtant, en 1954, le parti gaulliste, dont Pène était proche, votera contre la Communauté Européenne de Défense, par crainte d'un réarmement de l'Allemagne. Début 1952, la construction pour les troupes françaises d'un aérodrome à Lahr faisait l'objet d'un vif conflit entre l'Etat major français et le maire de Lahr, Paul Wäldin. Le 11/1/52 Pène se met d'accord avec Wohleb pour que ce dernier intervienne sur la question et qu'on puisse réaliser une modification de terrain à l'avantage des habitants du quartier de Hugsweier, sans que cela n'apparaisse comme une victoire de Wäldin. Cet épisode souligne comment leur complicité permet de prendre en compte les désirs de la population sans offrir une victoire à Wäldin dont l'attitude agressive les indispose tous deux. On peut parler d'amitié entre ces deux hommes. Bien sûr ils partageaient des valeurs : d'abord l'anti-nazisme, mais aussi le désir de reconstruire le pays de Bade : la France est partagée d'une part, entre le désir de prélever dans sa zone d'occupation des machines, du bétail, du terrain, comme l'Allemagne nazie l'avait fait en France à bien plus grande échelle, pour aider à la reconstruction de la France, et d'autre part, aider à reconstituer cette zone sur le plan économique, politique, culturel, car elle espère pouvoir entrainer cette partie limitrophe de l'Allemagne dans sa zone d'influence. Le 28/4/52 ils coprésident une conférence, et Pène écrit ''Cela marche très bien, je garderai un bon souvenir de mon travail de 6 années avec cet homme intelligent, fin et courageux''. En 52 leur bataille pour la reconstitution du vieux Bade échouait. Pène quittait l'Allemagne en novembre 1952, l'occupation française cessait. Wohleb quittait aussi le Bade, nommé ambassadeur au Portugal. Il est mort peu après, le 12/3/55. Le 23/5/52 Repas d'adieu de Wohleb. ''L'atmosphère est lourde. C'est un enterrement. Jany parle le premier, puis je lis en allemand une allocution qu'apprécie Dichtel, enfin Wohleb fait un long et bon résumé de son activité.... Wohleb, comme moi, a insisté sur notre collaboration, chacun de nous, à tour de rôle, s'est félicité d'avoir l'autre pour partenaire''. Dix ans plus tard, son épouse, Maria Wohleb, publiait une biographie de Leo [42]. Ce texte contient une autobiographie que Leo n'a pas pu terminer. On y apprend comment sous le nazisme, il était étroitement surveillé par le régime qui n'ignorait pas son désaccord. Enseignant il a évité bien sûr d'attaquer frontalement le régime, il centrait son enseignement sur les antiquités et avait un franc succès. Maria a poursuivi sa biographie, et elle a demandé à des personnalités d'écrire leur avis sur Leo. François-Poncet a écrit un beau texte sur cet homme qu'il houspillait de son vivant quand il était en retard dans le versement des frais d'occupation. Il parle de sa capacité, en cas de divergences, de trouver des arrangements. Il savait que ce qu'aujourd'hui on ne peut pas faire, demain on le pourra peut-être. Il montrait les qualités d'un excellent diplomate. Il était un fervent partisan de l'union européenne et du rapprochement franco-allemand. Il parle de son combat pour rétablir son vieux pays, le Bade. Il conclut ''Personnellement, le connaissant, j'ai apprécié et aimé sa joie de vivre, sa parfaite culture humaniste, sa profonde humanité''[42] (''Ich Persönlich Wusste ihn, seine Lebensfreudigkeit, seine vortreffliche humanistische Kultur, seine tiefe Mensclichkeit zu Schätzen und zu lieben''). L'amitié entre Maria Wohleb et la famille Pène a duré, et quand Maria Wohleb a appris la grave maladie dont souffrait Pène elle a pris des initiatives pour l'honorer lors d' un dernier voyage en avril 1971, nous en parlerons plus loin. Le 9/6/52 Pène offre un repas d'adieu au gouvernement badois, le président et les ministres sont là, un général, le recteur etc. ''Ambiance animée jusqu'à mon allocution qui fait effet de douche. Il s'agit pourtant d'un double enterrement et les repas funèbres sont généralement gais.'' C'est typique de l'humour de Pène. On enterre le Bade, et la ZFO. ''Wohleb improvise une réponse, il parle de l'excès de générosité à l'égard des Allemands, de l'abondance des libertés sous lesquelles on les a noyés. Il me retourne mes remerciements à lui et ses collaborateurs, et se réjouit de pouvoir dire comme moi ‘‘nous avons fait quelque chose’’.'' D :IX.2 La fin de la période badoise. D :IX.2.1 Qui voulait faire partir Pène avant l'heure ? Le 13/11/50 ''Durant tout mon séjour en Allemagne le bruit a toujours couru que je m'en allais ; mais depuis quelque temps il semble vraiment se préciser. Wolf l'annonce à mon entourage en se léchant les lèvres....''. Pène se renseigne. ''Maroger me confirme qu'il y a au quai d'Orsay une ''question Pène''. Parce que j'ai une position de repli aux Travaux Publics, on envisagerait de me remettre à disposition de mon administration d'origine en me nommant Inspecteur Général. Je suis sidéré. Sitôt après le succès de la consultation populaire du 24/9 me récompenser ainsi ! D'autre part quelle est la valeur de la promesse de promotion aux Travaux publics''. Le 24/9 est le jour où les habitants du Bade-sud se sont massivement prononcés pour maintenir le Bade. Il n'en était pas de même pour le Bade nord. ''Maroger fait allusion à une conversation avec Bousquet, Directeur du personnel au quai. Bousquet lui a dit ''il y a en Allemagne de nombreuses personnalités, elles ne doivent pas espérer être intégrées dans le corps diplomatique. Elles feraient mieux quand elles le peuvent de réintégrer leur administration d'origine. Mr Pène, par exemple, pourrait négocier son retour aux Travaux Publics, nous le pousserions et il serait promu Inspecteur Général (?). Plus tard il serait obligé de se contenter de moins.'' Nous pensons Maroger et moi qu'il vaut mieux rester ici où le travail est intéressant et utile que de poursuivre un avantage problématique et mince.'' Ce propos de Bousquet montre bien l'enjeu typiquement français : le corps diplomatique veut se débarrasser des ces personnalités, fussent-elles issues de la Résistance, mais qui ne sont pas de leur sérail. Par ailleurs cette ambiance de manœuvre, de coups fourrés, était, il faut le dire, assez répugnante. Pène avait été projeté dans ces hautes fonctions administratives pour son rôle éminent dans la Résistance, il n'était pas préparé à un tel milieu que nous ne qualifierons pas de peur d'être désagréables. Ceci dit, son choix pris avec l'aide de Maroger de rester jusqu'au bout était le bon choix. Le 15/11/50 Pène va voir Alain Poher (commissaire aux affaires allemandes et autrichiennes) à Dusseldorf qui lui dit que ''La Commission n'aurait même pas étudié mon cas. ''Je rentre aux Travaux Public comme Inspecteur Général''. Je serai remplacé par Duteil, d'Autriche. Poher juge la chose intolérable. Duteil a réussi moyennement, moi très bien ; nous sommes tous deux fonctionnaires. Cette Commission aurait, d'après lui, été une honte. Dobler et Bloch se seraient sucrés eux-mêmes. Il craint une hypocrisie générale à mes dépens. Il va partir à Paris, me dire ce qu'il apprend et est prêt à tout pour me défendre''. Ici on peut dire ce que c'est : ''un nid de vipères''. Il semble que Poher a effectivement réussi à défendre Pène puisqu'il est en définitive resté dans son poste jusqu'à la fin de l'occupation. Ceci dit cette fin approche et il doit envisager ce qu'il fera après. Le 20/9/51 Pène parle avec Poher de son avenir. ''Nous pensons que l'essentiel est de ne pas me démonétiser, mieux vaut accepter un poste au ministère qui soit visiblement un poste d'attente et de saisir au vol le poste international ou de me présenter aux élections sénatoriales dans l'Aisne. Il attend comme moi la fin administrative de sa maison.'' Le 17/12/51 ''Bernard Renaud, Directeur du personnel aux Travaux Publics me reçoit. Très aimable il me reprendra comme Ingénieur en Chef à ne rien faire au service central. La promotion au grade d'Inspecteur Général est lointaine. Il est question de la Bolivie comme Vice-Ministre. C'est à peu près ce que m'offrait l'Ethiopie il y a 20 ans avec 1000 m d'altitude de plus, et peut-être un paiement plus assuré grâce à l'ONU.'' Le 18/12/51 12h ''Bousquet, Directeur du personnel aux Affaires Etrangères me reçoit après une attente savamment dosée. Faiseur et faux il n'a que des lumières vagues sur moi, m'appelle Inspecteur Principal des Travaux Publics et des Transports.'' 18H ''Yrissou, directeur de cabinet de Pinay, ministre des travaux publics, me reçoit en présence d'un beau chat noir grimpé sur mes genoux puis sur son bureau. Il m'a connu comme Commissaire, estime que la maison n'a rien à m'offrir et pense pour moi à un poste au plan Schumann.'' Le 22/5/52 ''Mercier de Baden-Baden est furieux de son licenciement le 1/7. Il envisage de faire des articles venimeux. Son attitude me pousse vraiment à garder ma dignité. Il faut prendre garde dans les jours qui viennent de ne tomber ni dans la fureur ni dans la tristesse''. Le 27-28/5/52 ''Je hante le ministère des Travaux Publics, cela me rajeunit : je suis mêlé aux jeunes ingénieurs qui font leurs visites pour passer en chef. Les Inspecteurs Généraux m'apparaissent sous un autre jour que lorsque j'étais au conseil, je les trouve racornis.... On me reçoit parfois avec intérêt, toujours avec gêne, on ne sait que me donner. Le ministre à écrit aux Affaires Etrangères pour lui demander de me trouver quelque part un poste international : ONU, Plan Schumann ....''. Pène soulève aussi l'hypothèse d'un poste à Madagascar. Le 21/6/52 ''Robert Schumann me reçoit. Il a l'air fatigué. La veille l'Assemblée l'a violemment secoué. Cependant, détendu il m'accueille courtoisement. Je le remercie et lui demande son appui pour entrer dans le pool charbon-acier. Il m'explique que l'Autorité suprême doit d'abord se former par cooptation, puis elle définira son budget et l'effectif demandé à chaque pays : celui de la France sera voisin de 60. Il faudra un personnel d'exécution mais un personnel de direction de haute qualité. Sur ma demande si je lui semble remplir les qualités, il donne accord : je lui enverrai une demande sous pli personnel et il la transmettra lui- même à Monnet qui sera avec le sidérurgiste Daum, le représentant français à l'autorité suprême. ''

D :IX.2.2 Reclassement des résistants Le 14-15/1/52 ''Voyage à Paris pour pousser le décret portant règlement d'administration publique de la loi de septembre 51 sur le reclassement des résistants dans la fonction publique. Paris est sans dessus dessous par l'enterrement de de Lattre. Braunschweig-Barbier puis Holtzer me rassurent notamment sur le délai et le danger de forclusion. Le deuxième prendra contact avec Daniel Mayer. Je crois utile de pousser ces bonnes volontés occupées. De temps à autre.'' Pendant cette période Pène s'est beaucoup occupé pour guider et aider ses camarades résistants de l'Aisne à remplir leurs dossiers. Ces démarches exigeaient des résistants de décrire en détail leur activité de Résistance [36], et ils devaient bien sûr ajouter des recommandations de leur supérieur de l'époque, en l'occurrence Pène (cf section B:II.4.1). Le 14/5/52 Pène est au ministère de la défense. ''Schlesser m'y envoie pour obtenir l'homologation définitive au grade de colonel FFI. Il en a besoin pour une proposition de colonel de réserve. J'apprends qu'il manque au ministère une pièce essentielle qui est le tableau de notre activité de Résistants dans l'Aisne. Mon dossier est arrêté de ce fait à Lille. Je vais combler cette lacune en écrivant à tous les camarades.'' Cette exigence bureaucratique a été très utile pour nous donner une description assez détaillée des activités de Résistance dans l'Aisne, que nous avons exploitée dans la partie sur la Résistance de Pène (cf section B:4.2). D : IX.3 Les adieux Il est temps de faire ses adieux. Ils ont duré environ un mois et demi du début juin au jour du départ le 20/7/52. Il fallait rendre visite à beaucoup de monde dans beaucoup de lieux. Nous ne les citerons pas tous. Nous avons déjà vu les adieux au gouvernement Wohleb. À tout seigneur tout honneur, cela commence par François-Poncet, le 6/6/52 ''Je revois l'ambassadeur et lui parle de diverses questions. Il a visiblement déjà dételé. Après lui de Bresson, empêtré, très important, puis Bérard qui semble avoir pris les questions du personnel en main : Monteux doit partir, F. de Pavant doit le remplacer. Mais attention à la susceptibilité de Bargeton. Le 13/6/52, adieux à Baden-Baden. ''Mystère, la municipalité ne me reçoit pas''. Pène s'interroge, une manœuvre d'un Français, ou une ''vacherie'' de Schlapper ? Plus tard, Schlapper lui annoncera une réception ultérieure comme hôte d'honneur. Il est reçu par le général Noiret, et le général Navarre, en présence des Schlapper et du président de l'Europa-Union. Le 16/6/52 il fait ses adieux au cercle de Rastatt, de Bühl, de Lörrach, le 18/6/52 ''Un anniversaire célèbre, personne n'y songe''. La tournée des adieux se poursuit : Offenbourg, Villingen, Donaushingen. Le scénario est presque toujours le même ''la série recommence'' dit Pène. Quand il y a une garnison il y a aussi un adieu aux militaires. Adieux à Mulheim où les coloniaux chantent la marche de la 2ème DB. Adieux à Constance : il y a un accident de circulation, Friedrich, le chauffeur, dépasse un camion à l'arrêt, une femme veut reculer pour laisser la place, prend son pied dans le rail du tramway et tombe sur la voiture. On l'emmène à l'hôpital. Pène pense que Friedrich n'a pas commis de faute. Un ouvrier lui dit ''On sait bien que vous, Français, allez toujours trop vite.'' Le 5/7/52 Adieux au district de Fribourg. ''Tout le personnel français et Allemand rangé m'attend dans l'entrée. Monteux lit une allocution fort bonne et émue, il rappelle en particulier la responsabilité que j'ai prise en libérant les Nazis les moins chargés. Je réponds''.. Cette attitude souple dans la dénazification est signalée par R. Hudemann [44]. Municipalité : dans la salle de Statthaus les notabilités m'attendent et d'une petite estrade je lis mon discours d'adieu en allemand. Hoffmann me répond, me couvre de fleurs, vante mon sens diplomatique. On sort alors du vin du Lorettenberg, un peu chaud pour les 39 ° de température. Tout le monde est gai.'' Le 6/7/52 ''Le margrave qui ne peut venir le 8 arrive avec son baron. Très cordial et suprêmement distingué. Je gaffe en disant que le commerce proche-oriental est entre les mains des Indiens, des Arméniens et des Grecs, mais que les Européens réussissent moins. F de Pavant me demande si les Grecs ne sont pas européens, et le margrave le remercie en soulignant que sa femme est grecque. Au départ nous admirons sa belle 300.'' Pendant ce mois de juillet 52 les cérémonies d'adieu se poursuivent, avec les chefs de service, le personnel, le plus spectaculaire est la cérémonie militaire. le 8/7/52 ''Schlesser me prend dans sa voiture et m'amène au CEPM {?}. 2000 hommes sont rangés, gendarmes, le RCCC {Régiment Colonial de Chasseurs de Chars}, le 110 ème RIC {régiment d'Infanterie colonial}, les aviateurs, nous saluons le drapeau, passons sur le front des troupes. Puis Schlesser remet les Légions d'Honneur, Médailles Militaires, Croix de guerre. À la tribune nous saluons les invités et les officiers sans troupe. Défilé, sur un podium Schlesser, Navreau et moi. Les 3 Allemands, Wohleb, Jany et Schully. Bon défilé qui ne satisfait pas complètement Schlesser.'' Et plus tard ''Schlesser revient me chercher et nous arrivons au mess des officiers. Dans la rue, devant le mess, la musique du RCCC nous attend et chante. Nous montons, dés que nous sommes en vue un guetteur crie ''Monsieur le Gouverneur'' et sur 3 côtés d'un rectangle, les officiers se figent au garde-à-vous. Schlesser me parle et m'offre un beau coffret à cigarettes en argent massif. Je réponds, et nous ne nous attardons pas car notre escorte barre la rue principale. Gare aux articles de presse.'' Chez Schlesser ''Les Allemands arrivent en rangs serrés, donnent de vigoureuses poignées de main et se précipitent sur le champagne en délaissant la bière. Ce sont des protestations d'apparence sincère, de regrets à notre égard, certains comme Zöllner ont des larmes aux yeux, de Marrolles et Rivain qui arrivent un peu tard, semblent sidérés. Nous estimons à 700 le nombre de présents et nous sommes éreintés par les 1400 poignées de main.'' S'ensuit une cérémonie chez les Légionnaires. Le 14/7/52 Une cérémonie à Umkirch. Il fait beau, ''le ciel nous favorise et à 18h00 quand arrivent les premiers invités nous pouvons leur proposer de parcourir le parc. J'évalue leur nombre à 800 et pourtant les auxiliaires ont boudé je ne sais pourquoi. On daube dans le château, la mélancolie règne, et le jour tombe sur les adieux. Le 20/7/52 ''Départ. Les Bargeton, Friedrich, Hagenmüller sont venus nous saluer à la frontière. Mme Bargeton, la voiture lourdement chargée avec la remorque, disparaît au tournant de la route.'' René Bargeton restait en Allemagne en tant que ''Délégué Provincial pour le Bade-sud'', le titre qui apparaît dans le document qui atteste de la remise par Pène des ''fonds secrets'' qui lui restent [40]. L'usage de ces fonds reste …. un secret. Il paraît qu'il arrivait à certains hauts responsables d'oublier de remettre leurs ''fonds secrets'' quand ils quittaient leur fonction, mais cela aussi est un secret. D :IX.4 Les démarches commencent à la poursuite d'un poste éminent Le 20/7/52 ''Les démarches commencent, Maroger se démène. Daum, représentant français ne me donne pas grand espoir d'entrer au pool {charbon acier CECA}. Monnet qui est le grand, le seul patron, ne veut pas bâtir un grand organisme d'après un plan préconçu mais engager au fur et à mesure des besoins. M. Schuman à qui j'ai demandé rendez-vous, me téléphone rue de la Tourelle {l'adresse de Pène à Boulogne}. A son avis je ne dois pas me déprécier, je suis un des rares Commissaires de la République non critiqués, j'ai réussi en Bade, de plus il vient seulement d'apprendre que je suis ingénieur en Chef des Ponts et Chaussées ; S'il l'avait su plus tôt il aurait pu me proposer pour la haute autorité même. Un poste comme président de l'EDF ou gouverneur général de Madagascar dont je lui parle m'irait. Rentrer au Ministère des Travaux Publics en attente et n'accepter qu'un poste éminent, voilà ce qu'il y a lieu de faire. Maroger me conseille de voir Gès père de la femme de son beau fils qui a un poste à l'ONU.'' Pène part en vacances. Sa recherche d'un poste éminent ne sera pas fructueuse. Pourquoi ? Il y a une part de chance dans ces questions, il y a que les mérites dans la Résistance pesaient de moins en moins face au soutien d'un parti, et Pène n'a adhéré à aucun parti. Il sera quelques mois dans le cabinet de Chaban-Delmas, un ancien résistant. Il semble clair que la carrière de Pène le prédisposait à participer à un haut niveau à l'Union Européenne. Ce n'était pas l'idée de Jean Monnet. Rainer Hudemann [44] remarque que les études historiques sur l'unification européenne n'ont longtemps pas tenu compte ni de l'héritage nazi, ni de celui de l'occupation française en Allemagne. Peut-être la même idée trottait-elle dans la tête de Monnet s'agissant de choisir les acteurs de cette unification : l'idée que l'occupation serait un mauvais souvenir pour les occupés et devait donc être clairement séparée de l'édification d'une union. Ajoutons que Pierre Pène, qui avait eu beaucoup de chance dans sa vie, et en était conscient, n'en a pas eu cette fois-ci. Robert Schuman n'a appris que trop tard qu'il était ingénieur en chef des ponts et chaussées. Il l'aurait proposé pour la haute autorité de la CECA !

D :IX.5 20 ans après La famille Pène et Mme Wohleb (Mr Wohleb était mort en 1955) gardaient des relations amicales. Mme Wohleb a appris en 70-71 que Pierre Pène était très malade. Il devait mourir le 20/4/72. Elle a conçu une opération très émouvante qui ne lui rapportait rien mais était le pur fruit de l'amitié tissée pendant ces 6 années et qui a sans aucun doute beaucoup ému Pène. Le 23/2/71 Il recevait à l'ambassade d'Allemagne la croix du mérite allemande, das Grosse Verdienstkreutz attribuée le 16/11/70 par le président de la RFA, Gustav Heinemann [41]. Le Président du Sénat français, Alain Poher, 2ème personnage de l'Etat, assistait à cette cérémonie, ce qui a donné lieu à de longues palabres entre l'ambassade de la RFA et le Sénat pour fixer la date. ''La cérémonie de remise de la croix de Commandeur du Mérite Allemand fut simple, brève et de bonne tenue. L'ambassadeur puis moi dîmes les banalités inévitables. Mme Wohleb prend le train gare de l'est, très touchée que nous l'accompagnions tous les deux. Elle a gardé de l'occupation de son pays l'impression que nous avions barre sur elle. Plus que le sens de la discipline, les Allemands ont le sens de la hiérarchie.'' Il y a un peu de cynisme dans ce dernier commentaire. ''La veuve du maire de Fribourg de notre temps, Mme Hoffmann nous écrit une lettre aussi remarquable par les sentiments exprimés que par la langue''. Le 17-27/3/71 ''Je subis un bombardement de lettres du Bade. Peu à peu le programme de mon voyage se dégage, mais arrivent aussi des mots de particuliers qui se souviennent de moi, me félicitent, souhaitent me rencontrer ...Je ne suis pas surpris : l'Allemand est plus laïusseur que le Français, quand on a un poste officiel on est sûr, partout où on s'arrête, de trouver un homme armé d'un petit papier qui fait un laïus ; Les pauvres Latins sont calomniés''. Encore le même ton un peu désabusé. Pène sous-estime le fait qu'il n'avait plus de pouvoir et que les gestes de Mmes Wohleb, Hoffmann, et de tous ces correspondants anonymes étaient des actes gratuits. Que cela exprimait forcément un sentiment de reconnaissance sincère, un signe du succès de Pierre Pène dans son action dans le Bade-sud. Mais peut-être aussi ces propos désabusés dissimulaient-ils une sensibilité trop forte à ces gestes. Car il n'avait cessé lors des dernières années en Allemagne de guetter chez les Allemands les attitudes hostiles, revanchardes, et les attitudes amicales et reconnaissantes. Il y était très sensible. Le 24/4/71 Pène est arrivé à Fribourg. ''C'est la journée clé, celle à laquelle je me prépare depuis plusieurs semaines, celle que je veux à tout prix réussir.'' Pène est accueilli par le Président Bruecher du Cercle franco- allemand. Il y rencontre les généraux Vuillermet et Demotte-Maynard. Il s'est préparé longtemps à cette journée et à tout ce voyage car, rappelons-le, il est très malade. ''Puis, nous en premier, les militaires ensuite comme les grandes vedettes, nous rendons au Basler Hof où nous attend le ''Regierungs Präsident'' Person, fils du Président du Landtag que j'avais connu durant l'occupation. Person est un grand et bel homme aux yeux bleus aux manières aisées et courtoises....il prend la parole en termes clairs et courtois, me couvre de fleurs, exalte mon rôle dans le rapprochement franco- allemand. J'ai préparé un discours écrit, croyant à une réception plus nombreuse, je le lui lis puis la conversation s'engage générale. Il n'y a plus de Bade-Sud mais un Bade-Wurtemberg divisé en 4 Bezierke dont Bade-Sud est celui du Sud-Ouest. Person a été, je le sais maintenant, l'artisan de ma décoration, d'autres amis badois ont poussé à la roue. Avant de nous quitter Person nous montre qu'il travaille sur mon ancien meuble-bureau remis en état. Le voici aussi célèbre ou presque que celui de Vergennes. Person me remet une belle série de vieilles gravures du Bade.'' ''Le centre de Fribourg est modernisé, mais les Fribourgeois ont su lui garder l'ambiance de netteté et de bonhomie familière qui faisaient son charme 20 ans plus tôt. Les abords immédiats du centre n'ont guère varié, nous retrouvons inchangé le quartier de Loretto-Berg où fut notre première résidence.'' Il parle avec le professeur et Madame Von Dietze. ''Je rappelle à sa femme quel danger a couru son mari quand il a été arrêté après l'attentat du 20/7/44 contre Hitler ; la 1ère visite que sa femme a reçue alors est celle du futur archevêque Mgr Rauch.'' ''La salle est décorée de posters immenses, l'un me représente en tenue de ski serrant la main de Werner, elle date de 1947, l'entente paraissait alors si improbable que l'artiste nous a figuré des ailes diaphanes voulant signifier que nous travaillions dans les nuages''. ''La soirée se prolonge très détendue ; je dirais très badoise, entendant par là un mélange de bonhomie calme, de sympathie, de simplicité liante.'' En partant, ils font halte à Umkirch ''où le maire nous attend à sa mairie. Une jeune femme me tend un bouquet de tulipes roses, c'est Hilde, notre femme de chambre qui a épousé notre maître d'hôtel légionnaire Adolphe.... le maire est un paysan d'aspect assez simple, il me reçoit autour d'une table bien garnie : de nombreux sandwichs arrosés de l'excellent vin blanc du pays. Il me fait l'inévitable discours et je lui réponds puis la conversation se prolonge, détendue, plus d'1 heure. Avant de nous conduire à la frontière on nous montre fièrement un immeuble presque terminé de 7 étages du sommet duquel on a une fort belle vue.'' Françoise Pène rapporte que le général Kœnig avait amicalement reproché à Pène sa trop grande sensibilité. Quand il parle de ses ''Badois'' on sent une vraie amitié, presque une tendresse. Et la réciproque ils l'ont démontrée en organisant toutes ces fêtes pour un vieil homme malade. C'était aussi comme si on était en famille, la veuve de Wohleb, le fils de Parson. Il est évident que ce voyage à Fribourg fut pour Pène la dernière et très précieuse joie de sa vie. Cet homme qui a combattu les Allemands en 1917-18, en 39-40, en 1941-44 (la Résistance), qui a ensuite occupé l'Allemagne, cet homme proche de la mort a reçu de ces Allemands du Bade-sud un très beau et très sincère témoignage de profonde amitié. N'est-ce pas un encourageant symbole ? A son retour à Paris il était pris de violentes douleurs, qui ne le quitteront plus jusqu'à sa mort le 20/4/72. Françoise Pène rapporte qu'il a dit, en revenant d'Allemagne, ''heureusement que j'ai pu me rendre en Allemagne, quel bel hommage !''. E : Les 20 dernières années de la vie de Pierre Pène E : Avant-propos Nous entrons dans la dernière tranche de la vie de Pierre Pène. Il n'aura plus de poste éminent. Mais il aura beaucoup de fonctions intéressantes qui dureront un certain temps. Il sera envoyé en 1952 à l'assemblée générale de l'ONU à New-York, puis on lui donnera pour une année une fonction de super-expertise dépendant du MRU (Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme) pour un an en 1953. En été 1954 il est nommé au cabinet de Chaban Delmas, ministre des travaux publics, des transports et du tourisme du gouvernement de Mendès-France 1954. Ce gouvernement tombera en février 1955. Pène sera mêlé à des querelles au sein de l'Organisation des Compagnons de la Libération. En octobre 1955 il se retrouve conseiller du gouvernement monégasque pour les travaux publiques, un poste qu'il n'avait pas sollicité !! Il y restera jusqu'en octobre 1960. Il rejoint alors son corps des ponts et chaussées où il est Inspecteur Général et il inspecte. Sa santé se détériore quand il a un infarctus en 1965, puis un cancer qui lui sera fatal. Il est mort le 20/4/1972 à l'âge de 74 ans. Nous allons suivre cette trajectoire au fil du temps. Nos sources seront essentiellement son journal et les écrits de Françoise. Tout au long de cette période, sa vie de famille l'occupe bien sûr et en particulier une exposition des peintures de Françoise qui aura lieu du 10 au 17/3/66. Les évènements politiques internationaux et nationaux ne laissent pas Pène indifférent. Nous parlerons brièvement de ses positions sur les événement importants. Le journal ou plutôt les journaux de Pène sont accessibles, les références seront données ci-dessous dans la section Références. Nous mettons en garde contre la taille de ces journaux et la difficulté qu'il y a parfois à décrypter l'écriture manuscrite de Pierre Pène. Les citations sans référence seront celles du journal de Pierre Pène. E :I Les postes qui lui échappent Pierre Pène a fait de nombreuses démarches afin de trouver un poste digne de son passé. Nous ne détaillerons pas ces démarches. Nous avons quitté Pène faisant ses adieux multiples au pays de Bade et à la recherche d'un poste éminent comme l'était celui qu'il quittait, ''gouverneur du Bade''. Sa première idée était un poste important à la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier (CECA). Cela correspondait vraiment bien à la poursuite de sa carrière, puisqu'il s'agissait du rapprochement franco-allemand. Robert Schuman soutenait Pène, mais il semble que c'était plutôt Jean Monnet qui tenait les commandes. Le 1/02/53 Pène a rencontré Jean Monnet. Rien n'en est sorti. Monnet semble-t-il trouvait les postes occupés par Pène trop important pour la tâche dont il avait besoin, qui était un contrôle administratif de la CECA. Le 3/8/52 la famille rejoint Cier de Rivière. C'est la maison ancestrale des Pène, ils y ont habité depuis le 18ème siècle, une ancienne ferme que possède Clotilde Pène, la sœur de Pierre. Ils la rejoignent et y passent le mois. ''A Cier après une semaine de repos la frénésie du propriétaire nous prend, Ramassage des fruits, séchage des pommes, confiture dont un bon tiers se sauve dans le feu {de cheminée}, sciage de bois. Le casino de Barbazan est la détente et Rizou {Didier Pène} ne le quitte plus. Sa mine s'en ressent. Notre triomphe est la cueillette de 16 kg de mûres''. Le 3/9/52 ils partent pour Biaritz, mais le temps incertain les fait rentrer à Paris le 16/9/52 ''Retour vers Paris par Bordeaux, Poitiers, Chatellerault, Dangé, les châteaux de la Loire, Chenonceau, Montrésor, Blois, Chartres''[196]. Le 18/9/52 ''Je vois B. Renaud, toujours éploré, le ministre {Vincent Auriol} n'a pas encore nommé Maloni à l'aviation et par suite aucune décision n'est pris en ce qui concerne la succession de Maloni par moi au Secrétariat Général du Conseil Supérieur des Transports''[196]. Cette piste n'aura pas de suite car Auriol se souviendra que Maloni a été Directeur de cabinet de Bichelonne et ne voudra donc pas le promouvoir. Décidément Pène n'a pas de chance. Ça continue : Poignant lui parle d'une poste de Résident officier chargé de la coordination des experts de l'ONU dans un pays ou une partie du monde. Mais, renseignement pris, un autre chef de mission français de l'ONU a été désigné, il est peu probable que l'on en nomme deux. Le 6/10/52 ''diner chez J. Laurent, avec P. Baulart, les Boursicot, les Pompidou ….. Pompidou qui ne gagne que 110 000 F/mois se lamente avec moi''[196]. C'est bien sûr en raison de la célébrité que Pompidou n'avait pas encore acquise, que nous mentionnons cet épisode. Deux ans plus tard, en 1954 Pompidou rejoignait la banque Rothschild qui a probablement résolu son problème de salaire. De Gaulle le nommera premier ministre en 1962, il le restera jusqu'en 1968. En 1969 il sera élu président de la République, jusqu'à sa mort pendant son mandat le 2/4/74. Le diner se poursuit ''Boursicot épanoui au milieu de cette chaire succulente fait le boute-en-train. Il s'indigne lorsque Pompidou annonce que Papy et Georges, propagandistes communistes notoires sont professeurs à Science Po''[196]. Ce milieu qui n'est pas très à gauche préfèrerait que Science Po enseigne leur point de vue.

E :II Assemblée générale de l'ONU, le rapport de Pène. Pène pense que s'il pouvait aller à l'assemblée générale de l'ONU il pourrait chercher là-bas un poste durable. Le 10/10/52 ''{Illisible} m'appelle, et m'annonce ma désignation dans la délégation française à l'Assemblée Générale de l'ONU à New-York. Je lui dois dit-il cette nomination. Mille mercis. 2 heures plus tard Maroger à qui j'annonçai ma nomination et la sienne me laisse entendre que ma foi ! lui aussi, a fait quelque chose. Nouveaux mercis. On me demande de quoi je veux m'occuper à New-York. Je réponds ''de transports'' ma spécialité théorique. Mais de telles questions ne sont pas à l'ordre du jour. Je me rabats alors sur l'assistance technique. Ce sera pour moi un moyen de pénétrer dans les milieux dirigeants à New-York. Je vise toujours un poste marquant sédentaire ou à défaut en mission l'assistance Technique''[196]. Pène n'a pas perdu son sens de l'humour particulier à propos des ''mercis''. Le 20/10/52 ''Je reçois l'avis officiel de l'arrêté me désignant pour la délégation française à l'Assemblée Générale de l'ONU à New-York. Je m'efforce en vain d'avoir des précisions sur la date de mon départ. On ne sait pas quand seront discutées les questions d'assistance technique. Or les crédits sont comptés, les délégués sont nombreux, et chacun ne séjournera à New-York que pour les questions l'intéressant Maroger me téléphone le soir. Il s'est heurté à la même incertitude et en désespoir de cause a décidé lui- même de partir vers le 10. Il tâchera de voyager avec R. Schuman. Bien qu'on l'en ait prié il n'assistera pas à l'élection présidentielle {il s'agit sans doute de l'élection américaine du 4/11/52 qui a désigné Eisenhower}'' [196]. Finalement Pène décide de partir le 7/11/52 en avion. ''A Orly je retrouve les miens. Olivier très excité. J'ai pu grâce à ma qualité de délégué les avoir auprès de moi''. Suit une longue description du voyage en avion. Il voit dans l'avion deux délégués de couleur, ''l'une de la Guadeloupe, l'autre du Togo''. À l'arrivée, les délégués de couleur sont envoyés à l'hôtel Hudson, et les ''blancs'' au Barbizon, d'un meilleur standing. La guadeloupéenne, Mme Vialle est furieuse : ''Au moment où la France défend sa politique coloniale, où elle se vante d'admettre les gens de couleur à toutes les fonctions, elle ne peut imposer cette tolérance aux américains qui critiquent sa prétendue dureté ?''. Cet incident donne le ton de cette assemblée générale de l'ONU. Les peuples colonisés ou anciennement colonisés se révoltent. En 1952 la France avait toutes ses colonies. Pène rencontre dans son hôtel Tessier, président des syndicats chrétiens et Châtenet, conseiller d'Etat, beau- frère de Parodi {Délégué Général du Comité Français de la Libération Nationale, nommé en mars 44}. La famille visite New-York, puis elle rentre à Paris sauf Pierre. Le 10/11/52 ''Premier contact avec la délégation française. Nous y sommes arrivés avec les deux sénateurs noirs qui semblent remis de leurs émotions. Personnel aimable. Poli, le vice-consul chargé des questions matérielles mérite son nom. Je vais voir Wolfram, ministre plénipotentiaire, pour mon affectation à une commission. Il me remet à demain et peut-être à l'arrivée de Maroger. Je retrouve Schneiter et Falaize ancien directeur de cabinet de Bidault, maintenant ministre plénipotentiaire. Schneiter part écouter Vychinski qui parle en commission à 10h30.

E :II.1 Guerre froide à l'ONU Trygve Lie, secrétaire général de l'ONU depuis 1945 est attaqué par l'URSS pour son attitude trop favorable aux USA au sujet de la guerre de Corée. Dans les interventions qui suivent on verra les partisans des deux camps s'affronter. ''Van Zeeland ouvre le feu après que Trygve Lie {secrétaire général} a donné sa démission et que le président a décidé de la soumettre à la commission plénière. Van Zeeland est un excellent orateur et son discours très documenté en matière économique et fort bien écrit. Il lance des pointes vives à nos adversaires et à l'URSS. Schuman lui succède, très applaudi. Son discours est confus mal composé et surtout mal dit. On a l'impression qu'il s'ennuie et trouve le pensum trop long. Les vérités qu'il assène font rigoler Vychinski et rendent fou de rage un délégué irakien''[196]. Pène décrit le bâtiment de l'ONU et la salle des assemblées générales. Le 11/11/52 Il retourne à la réunion. La ville est en demi-fête pour l'anniversaire de l'armistice de 1918. ''A 11h Eden monte à la tribune élégant, assuré, trainant tous les cœurs après soi. Il déplore la démission de Trygve Lie, souhaite la voir reprise, appuie Schuman, ironise sur Vychinski, domine la situation. Dés qu'il a fini ruée générale vers la sortie. Un grec suit devant une salle demi-vide, eng... lui aussi les soviets, et le délégué du Costa-Rica nous enchante de son espagnol mélodieux aux roulements sonores''[196]. ''J'assiste à la 2ème commission sur l'Aide Technique. Scénario habituel : le bloc occidental ironise sur le totalitarisme soviétique, le gramophone soviétique, tandis que les soviets et leurs satellites, Gromyko en tête, dénoncent l'impérialisme américain. Un Birman à l'assemblée générale attaque la thèse de Schuman, il a l'habileté d'opposer la France et l'Angleterre. Tessier, Andrieu et Torman parlent de la ''Démocratie combattante'' de Jouhaux. C'est paraît-il un geste honnête de Jouhaux qui veut gagner après coup son prix Nobel {de la paix en 1951}. Jouhaux l'a obtenu grâce à l'aide maçonnique : derrière la CGT-FO il y a la franc-maçonnerie, derrière la CGT l'idéologie stalinienne et derrière la CFTC l'idéologie chrétienne.''[196]. Le 12/11/52 ''Réunion à la délégation sous la présidence de R. Schuman. Les représentants aux diverses commissions rapportent ce qui s'y est passé et comme on demande au ministre l'attitude à prendre devant les questions individuelles posées par les délégués il recommande de dire à tous sans exception que notre procédure n'est pas arrêtée''. Tessier, Andrieu et Pène vont à l'hôpital français pour soigner Tessier qui souffre de l'auriculaire, suite à la chute d'une valise. Le lieu est mal tenu, et finalement ils apprennent que c'est un hôpital pour nécessiteux. Le 13/11/52 ''Quand j'arrive à l'assemblée générale un Chinois de Formose fait un procès du communisme, il est suivi d'un Ukrainien qui fait le procès de la France ; le gramophone soviétique est en action : la France qui a préféré l'aide américaine voit son activité économique croître de 6,7 % par an tandis que l'Ukraine, aidée libéralement par les Républiques démocratiques accroît sa production de 27 % d'une année à l'autre. De telles attaques mériteraient une réponse, mais la ferons-nous ? Je crains que nos officiels n'aient pas l'épiderme sensible....''. {cette formule de ''gramophone soviétique'' visait le caractère stéréotypé de la propagande soviétique}. Après être monté au sommet du Rockfeller building pour admirer New-York, Pène se rend à la réception de l'ambassade de France, pleine de monde. Des Américains notables : Dean Acheson et Eleonor Roosevelt. Le 14/11/52 ''A l'ONU, commission 2, le Brésil est d'accord pour une augmentation de la cotisation, mais avoue que son pays n'a encore rien payé. L'Iran couvre de fleurs le représentant français {illisible} qui a fait un discours si clair. Mais la partie passionnante est le discours de {illisible} répondant aux attaques de l'URSS contre l'aide technique des Nations Unies. Il lui oppose les modalités de l'aide que cette même URSS offrit à son pays. La comparaison est de façon écrasante en faveur de l'ONU. Le soviétique, un gros rouge, ronge son frein à son banc. On ne saura jamais la vérité, chacun défend sa thèse avec force statistiques, et cela sur toute question. Chacun sait ce que valent les statistiques''[196]. Le 24/11/52 ''Le matin commission politique spéciale. Un Tchécoslovaque attaque violemment les USA qui en Allemagne occupée, ont laissé les enfants de Lidice (Tchécoslovaquie) à la garde de leurs parents adoptifs allemands {14}, il nie toute responsabilité dans le maintien des enfants grecs loin de leur famille {15}. L'Ukraine poursuit l'attaque. Il en est toujours ainsi : les gens du bloc oriental marchent toujours par vagues. la Grèce est d'après lui incapable d'héberger ses propres enfants. Cette affirmation énorme fait frémir. L'uruguay intervient avec éloquence comme toujours''[196]. Cette affrontement au sujet d'enfants subtilisés est assez déprimante. Cela rappelle la querelle des enfants de résistants argentins tués, qui ont été adoptés par des partisans de la dictature lorsqu'elle régnait. Aujourd'hui l'inénarrable président brésilien Bolsonaro rétablit le travail des enfants. Les enfant comme gibier des conflits politiques !!! Le 17/11/52 ''En 1ère commission le Biélorussien prend vivement à partie la Corée du sud et ses défenseurs, surtout les USA. Il parle des calomnies et des mensonges de son ''voisin de droite'' qui est le Canada''[196]. Le 21/12/52 ''On annonçait il y a quelques jours que Trygve Lie {Secrétaire Général de l'ONU} avait été ''convoqué'' devant la commission sénatoriale américaine d'enquête sur les activités anti-américaines. C'était énorme et avait beaucoup ému les milieux de l'ONU. On lit aujourd'hui dans les journaux que Trygve Lie a conféré avec les enquêteurs. Ce n'est plus une comparution devant un tribunal. Il y a une nuance''[196]. E :II.2 Contre l'Apartheid Le 15/11/52 ''C'est le dernier jour de la semaine, le programme s'étend jusqu'à 14h. 4ème commission. La Syrie, l'Arabie Saoudite déclarent à leur avis l'assemblée générale compétente pour décider si un pays est capable de s'administrer lui-même. S'il y a des doutes sur cette compétence, consulter la cour internationale de justice. Commission politique spéciale Traite la passionnante question du Sud Afrique. L'Indonésie attaque violemment le Dr Malan {fondateur de l'apartheid en Afrique du sud} faisant des citations de ses discours de journaux britanniques favorables aux gens de couleur. Pour l'Uruguay parle un petit homme chauve, vif, agité comme un diable, appuyant de grand gestes une éloquence réelle. Evoquant les atrocités nazies, il en prend motif pour repousser toute discrimination raciste''[196]. Le 18/11/52 ''Commission politique spéciale, on braque l'artillerie sur l'Afrique du sud. Le Liberia qui a lui aussi des questions raciales et les a résolues dans le sens des recommandations de l'ONU ne comprend pas les difficultés de South Africa. Le Chili s'étonne que l'Afrique du sud ne cherche pas à les résoudre et est le seul pays au monde qui prenne cette attitude devant les difficultés racistes. L'Ukraine marque qu'aux USA aussi il y a discrimination. En Sud Afrique les laisser-passer sont nécessaires pour tout sauf pour respirer ; il cite Staline qui rejette toute discrimination et conclut à la dégradation des pays oppresseurs''[196]. E :II.3 Les colonies françaises dans le collimateur, la question tunisienne À l'assemblée générale nos adversaires font entendre leur éloquence. Un Colombien fait le panégyrique de son propre pays, effleure à peine les question de la Tunisie et du Maroc. Le Liban prend alors la parole en un français éloquent et aborde le sujet après avoir protesté contre l'éviction de grands pays tels que l'Italie et l'Espagne'' {En 1946 l'Espagne de Franco a été exclue de tous les organismes relevant de l'ONU. Elle n'a été admise qu'en 1955 de même que l'Italie https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_États_membres_de_l'Organisation_des_Nations_unies.} Le 21/11/52 il y deux incidents. L'un dû à la présence dans la délégation irakienne d'un agitateur de nos colonies d'Afrique du nord non délégué à l'ONU. L'autre vient quand le président tchécoslovaque de la 2ème commission a donné la parole à Mr Li. Celui-ci a répliqué qu'il ne prenait pas la parole en tant que Mr Li mais en tant que délégué de la Chine''. ''Ancien secrétaire général en Tunisie Georges-Picot critique la tendance des français à déclarer que ''on ne peut rien faire de ces gens là'' et à en conclure qu'il ne faut leur laisser aucune liberté et prendre tout en main. L'emprise française s'est sans cesse montrée plus lourde numériquement parlant. Il est vrai que son augmentation correspond aux services techniques'' Le 2/12/52 ''Il neige, et la ville prend un air surpris et un peu vexé ''faire ça à New-York''...séance à la 2ème commission. Les délégations sont décalées d'un rang chaque jour, aujourd'hui c'est la Suède qui est à ma place. Le Pakistan et l'Egypte vont répondre à Dulbin {peu lisible, nous le noterons D}. Le Pakistan, mesuré, prend acte des déclarations de D sur la prospérité amenée par la France en Afrique du nord et souhaite que fidèle à sa tradition, elle donne aux populations leur autonomie. Elle pourra alors compter davantage sur une aide économique efficace. L'Egypte avait fait hier un discours modéré qui avait relevé et cité le New-York times. Les membres de la ligue arabe le lui ont reproché. Elle va sans doute se rétracter. Pas du tout. Son exposé, au fond, maintient toutes les affirmations antérieures. La séance est présidée par un Haïtien, M Li est donc le représentant de la Chine, et à ce titre il couvre d'injures l'URSS. Le délégué de celle-ci s'en prend au Président qu'il accuse de laisser les débats s'égarer dans les propos injurieux''[196]. Hé oui, il y avait déjà la querelle entre l'URSS et la Chine !! Le 3/12/52 Réunion de délégation. L'ambassadeur confirme la position d'absence de la France. Nous aurons deux observateurs dans le public. Personne parmi les délégués. Ne pas trainer dans les couloirs en quête de tuyaux. Je travaille toute la journée à mon rapport à la délégation. Le 9/12/52 Encore la question tunisienne. Elle doit être discutée devant la première commission (paux et sécurité) mais aussi devant la 4ème (tutelle) Le 17/12/52 On demande comme un service à Pène d'aller chercher Abdelkader Cadi, député berbère. ''J'y pars, le reconnais assez facilement et le sauve littéralement du naufrage tant il est en désarroi. Très orgueilleux, il demande son titre exact, son rang, celui de ses amis (?) politiques''. Le 18/12/52 ''Je signe mon rapport et pars à l'Assemblée après une scène violente de Abdelkader Cadi. Ne se voyant affecté à aucune commission, il arrache le papier du tableau et part chez l'ambassadeur, menaçant même de saisir le gouvernement''. C'est sur cet épisode tragi-comique de la colère de Abdelkader Cadi que le séjour de Pierre Pène à New-York se termine. Cela fait 40 jours. Il nous a raconté ses impressions sur les débats, surtout ceux qui mettaient en cause la France. Or cette mise en cause était fréquente car la France était avec la Grande-bretagne la principale puissance coloniale. Et l'air du temps était à la décolonisation, ce que la République française avait du mal à accepter. Patriote, Pène souffrait de ce spectacle. Son regard jamais totalement dénué d'ironie sur le fonctionnement de l'ONU lors de sa 7ème session ne manque pas de fraîcheur ni d'intérêt. C'est un autre regard que ce que les résolutions de l'assemblée générale nous enseignent. ''À la 4ème commission on se perd dans les amendements sur l'affaire du Cameroun. Le Polonais en dépose une sévère pour nous'' Le Cameroun était partagé en deux, une zone britannique et une zone française. Aujourd'hui il est unifié dans la République du Cameroun, mais des incidents opposent encore des habitants de l'ex-zone britannique et le gouvernement soutenu par la France. Le 4/12/52 ''Réunion de délégation. On y va sans doute nous parler de la journée d'hier. Je suis passé parmi les visiteurs extérieurs à la salle, au dessus de la salle de la 1ère commission. La place de la France était vide. C'était impressionnant. Qui nous défendra ? Que ferons-nous si l'audition des agitateurs marocains et tunisiens est admise. Le temps est déplorable, une pluie diluvienne, ses vêtements sont trempés, son chapeau ''que je vais à la pêche avec''{une formule moqueuse alors populaire dans la famille} est liquidé''[196]. Le 5/12/52 ''La discussion tunisienne reprend en 1ère commission. 6 discours, 2 favorables : royaume uni et Belgique, un défavorable, la Norvège, un très violent, l'Indonésie, un très dangereux, l'Égypte, un utile sous une forme critique, l'Iran grâce à {illisible}.Le soir jusqu'à 20h la délégation travaille fébrilement 79ème rue à rédiger rapports et dépêches. Abdelkader Belkodja, ancien ministre de la griculture du Bey {de Tunis} apprend que sa villa d'été a sauté. D'abord très ému, parce que les mots ''d'été'' lui ont échappés, il se rassure un peu par la suite. Nous présentons nos condoléances à ce collègue loyal''[196]. Ce récit dévoile le caractère très ouverts des débats en assemblée plénière de l'ONU. Certes il y a des ''blocs'' mais les positions des différents pays sont plus complexes que ça. Par exemple la Norvège est contre le protectorat français. Le français Georges-Picot critique la politique franaçaise en Tunisie et, souvenons-nous, que la Tunisie sera indépendante moins de deux ans plus tard. La situation en Tunisie est très tendue. De nombreux attentats, des assassinats sont accomplis par les partisans de l'indépendance. Bourguiba est arrêté. Des bombes sont lancées sur les édifices représentants le protectorat. Le 17/12/52 la résolution suivant sera adoptée en assemblée plénière sur proposition de la commission 1. ''611(VII) la question tunisienne, L'assemblée générale, ayant examiné la question proposée par treize Etats Membres dans le document A/2152, consciente de la nécessité de développer entre les nations, des relations amicales fondées sur le respect du principe d'égalité de droit des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes, Considérant que l'organisation des nations unies, centre où s’harmonisent les efforts des nations vers leurs fins communes aux termes de la Charte, devrait s'efforcer d'éliminer toutes les causes et tous les facteurs qui créent les malentendus entre les Etats membres, réafffirmant ainsi les principes généraux de coopération dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, Exprime sa confiance que, conformément à sa politique déclarée,le Gouvernement français s'efforcera de favoriser le développement effectif des libres institutions du peuple tunisien, conformément aux buts et aux principes de la Charte ; Exprime l'espoir que les parties poursuivront sans retard leurs négociations en vue de l'accession des Tunisiens à la capacité à s'administrer eux-mêmes, compte tenu des dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies. Fait appel aux parties intéressées pour qu'elles tiennent compte, dans leurs relations et dans le règlement de leurs différends, de l'esprit de la Charte et qu'elle s'abstiennent de tout acte ou mesure qui risquerait d'aggraver la situation actuelle. Un texte très proche a été voté pour le Maroc [197] ''Le 8/12/52 après-midi la question tunisienne est encore discutée à la première commission. Jerrip {peu lisible} ancien ambassadeur à Paris, fait le meilleur exposé qu'on pût rêver, le Brésil attaque avec talent et méchanceté, l'Uruguay avec talent et ménagement. Les nouvelles de Tunisie et surtout du Maroc nous inquiètent beaucoup''. Le 20/12/52 le Bey signait les réformes qu'il avait refusé en septembre. Le 31/7/54 Le gouvernement de Pierre Mendès France annonce l'octroi de l'autonomie interne à la Tunisie et la formation d'un gouvernement intérimaire. On ne peut s'empêcher de enser que l'ONU a joué un rôle dans l'accession de la Tunisie à l'indépendance. Doit-on dire que cette ONU toute jeune, dans une époque où le souvenir de la guerre et des atrocités nazies hantaient encore les epsrits, cette ONU était plus efficace que celle d'aujourd'hui ? Les vents soufflaient à gauche vers la décolonisation. De nos jours ils soufflent vers un retour mondial de la ''bête immonde''. Le 12/12/52 ''En 4ème commission le sénatur Ajavon répond au nom du comité togolais du progrès aux violentes attaques de son adversaire Silvanus Olympio {du Togo allemand, porte-parole de Al Ewe conférence à l'ONU}, ancien sénateur qui accuse la France de faire régner la terreur, d'influencer les élections, de peser sur la partie qui ne serait indépendante qu'en principe … Ajavon parle le français avec l'élégance de beaucoup de noirs et accuse Olympio de mensonge dans un but démagogique intéressé, il fait te tableau des partis politiques locaux. Pignon lui succède et relève des inexactitudes dans les allégations particulières de Sylavnus Olympio. Son ironie est mordante au début mais son débit monotone lasse à la fin. Le délégué soviétique demande pourquoi le parti togolais du progrès n'a pas fait parler son représentant comme le parti adverse, le parti d'unité du Togo. Le président répond qu'il parlera en début d'après-midi'' [196].

E :II.4 Le rapport de Pène sur l'usage des fond de l'ONU Pène contacte Barrett ''Vêtu de gris, aimable et réservé, fin et intelligent, très anglais. Nous ne parlons qu'anglais....je lui parle d'une poste de résident officier. Il y en a peu pour chaque pays pour des raisons politiques. Il n'a rien pour le moment mais me fera signe''[196]. Le 19/11/52 Maroger ''très fin'' a senti une difficulté diffuse : membre de la commission du sénat ''il s'inquiète de voir la France donner par an plusieurs milliards à des organismes internationaux divers, sans savoir où passe l'argent. Il voudrait me faire confier pour le parlement une mission d'investigation à ce sujet, mais il faudrait que je sois officiellement accrédité et que les français reçoivent ordre de me donner les renseignements que je demanderai.... Maroger veut, avant de foncer, prendre contact avec les français qui auront des renseignements à fournir pour apaiser leur crainte éventuelle''. Il faudra pour cela qu'il rencontre l'ambassadeur Hoppenot {Représentant permanent au Conseil de Sécurité de l'ONU en 1952-1955} Le 20/11/52 ''La délégation est toujours disloquée. Les gens du quai {ministère des affaires étrangères} ignorent les autres, ne leur donnent rien de précis à faire, ne les tiennent pas au courant. Le ministre a pourtant désigné les délégués mais le ministre à tort ! Je m'ennuie toujours à la 2ème commission. …à la 2ème commission prennent la parole les uns après les autres les petits pays ravis de se faire entendre ; les délégués veulent justifier leur voyage. Parbleu, New-York est plus agréable que Téhéran ou Addis-Abeba. La Russie, l'Ukraine, la Bielo Russie, la Pologne et la Tchécoslovaquie votent toujours ensemble. Aujourd'hui la Yougoslavie les imitait. Le Russe est toujours l'attraction par ses violences contre les Américains''. Le 25/11/52 ''L'ambassadeur Hoppenot avait essayé en vain de me voir hier. Aujourd'hui c'est moi qui n'arrive pas à le rencontrer. Le grand événement est le déjeuner avec Marie Hélène {Lefaucheux, Résistante, elle et son mari étaient très proches de Pène dans la Résistante}. Avant le rendez-vous nous nous retrouvons par hasard au salon : elle écrit fébrilement une demande de déjeuner plus tôt que prévu, bref et toujours tendue. Après le déjeuner où elle veut absolument payer sa part. Longue conversation sur la Résistance. Détails sur l'évasion de son frère {André Postel-Vinay}, elle effleure celle de son mari {Elle a réussi à faire évader son mari du camp de Buchenvald d'une façon invraisemblable en obtenant l'aide d'un officier de la Gestapo [212]}. Je n'insiste pas, elle ne voudrait à aucun prix revivre ces temps difficiles''[196]. Le 26/11/52 ''Réunion de délégation. Après elle Hoppenot se déclare d'accord pour que je fasse un rapport d'ensemble sur des organismes internationaux rattachés de près ou de loin à l'ONU. Maroger en attend une vue plus claire d'un problème difficile et une opinion sur le profit tiré par la France de versements totaux de 3 000 000 000 F. Après midi, pour être dans le bain j'accompagne Maroger en comité de négociation des fonds extra-budgétaires. Chaque pays qui le peut, et se sont les principaux, annonce sa contribution. Cocktail, Moch, Pernot, Maroger où ils ont invité la délégation française au moins en partie et la 5ème commission. Les étrangers sont nombreux et sympathiques. Un beau suédois ne quitte guère Mme Maroger. Mme Moch fait beaucoup de frais pour moi et son mari semble choqué du peu de cas que l'on fait de moi en me laissant sur le sable''[196]. Le 28/11/52 ''La séance de délégation est remise à demain. J'en profite pour donner à lire à de Seyne la lettre de Maroger à Hoppenot, il semble intéressé et me met aussitôt en contact avec Hessel du quai {il s'agit du célèbre Stéphane Hessel} et Amarich et Gorse qui me donnent des documents. Je crois être arrivé à intéresser les gens sans les rétracter : ils craignent mon rapport. Il faudra aussi prendre contact avec l'ONU (secrétariat) sans lui dire toute la pensée de Maroger, ce qui le ferait hérisser. Le 30/11/52 ''À la délégation on commente avec satisfaction le résultat des élections de la Sarre, puis je pars à l'ONU où je prends rendez-vous avec Guillaume Georges-Picot. C'est un homme extrêmement distingué et vif d'esprit, élégant d'allure et de langage. Il me suggère pour mon rapport de proposer de remplacer les versements actuels à l'ONU par un prélèvement indirect, non visible, par exemple une surtaxe postale. Le 8/12/52 Pène avec Maroger rencontrent Guiraud, directeur adjoint du budget, et lui parlent du rapport que Pène doit rédiger. Puis ils vont voir le secrétaire général adjoint chargé des questions économiques et dont le job principal est la coordination de tout ce qui a trait à l'Assistance technique élargie. Maroger lui explique le point de vue français, la crainte de la France de recevoir une contre-partie insuffisante de ses efforts financiers, de voir ses experts mis de côté, malgré leur compétence incontestable... Le 10/12/52 ''Il faut encore bien des précisions à mon rapport et ce sera un monument par l'importance mais non par la fixité car il sera en perpétuel devenir'' Le 11/12/52 ''Au salon des délégués arrivent deux jeunes gens, l'un américain du sud, l'autre égyptien qui parlent le français comme moi. Ils nous démontrent que les Français ne sont pas désavantagés, que sur 20 postes de résidents officiers, 4 sont aux USA, 3 à la France. Cela ne m'enchante que pour le pays car je vise un de ces postes et me vois compromis dans mes espoirs par deux nominations récentes : de la Laurencie au Brésil et Haguion à Haïti''. Cela se présente mal, en effet, pour Pierre Pène. Encore une fois pas de chance. Le 14/12/52 Pène profite du dimanche pour rédiger son rapport. Le 15 il consulte encore différentes personnes pour avoir les informations nécessaires. L'une d'elle lui permet d'extraire quelques vérités utiles de multiples statistiques. Le 16 rédaction de son rapport. Difficultés avec les sténos qui se plaignent d'être surchargées. Le 18/12/52 il signe son rapport. Pierre Pène aurait fait un bon journaliste. Il a donné une vision vivante et riche de l'Assemblée Générale de l'ONU. E :II.5 Un peu de tourisme à New-York E. Giraud, collaborateur de Tessier a de son bureau une vue admirable sur New-York. Il trouve l'ONU trop étoffée, la SDN moins nombreuse était plus efficace (?). Il m'invite à venir la nuit voir le panorama depuis son bureau''[196] Pène visite la collection Frick. Il va a radio city, ''la plus grande salle du monde paraît-il'', c'est très américain comme remarque. ''Au moins cinquante belles girls lèvent et baissent la jambe avec un ensemble parfait. Le rythme est endiablé, pas une seconde de perdue''. Pour profiter du temps clair, Pène va aux ''Cloysters'', des reconstitutions de cloitres européens. Mais c'est trop neuf, il ne se croirait pas à St Bertrand de Comminges. Le Comminges, près des Pyrénées, près de Cier de Rivière d'où son grand-père paternel est venu à Paris. St Bertrand de Comminges est une splendeur. E:III Super-expertise Le 23/2/53 B. Renaud, qui cherche toujours à aider Pène lui propose une super-expertise. ''B. Renaud me parle de super-expertise à confier aux inspecteurs Généraux (IG) pour des dommages dont les expertises sont suspectes pour le MRU (Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme). On me confierait l'Alsace, la Loraine et les Vosges, car l'I.G. En titre, Thierry, est fatigué. Cela ne m'étonne pas {il est très âgé} il y aurait là une mission qui augmenterait mes revenus, qui ne me ferait pas déchoir. En outre ce serait une occupation. Je donne mon accord''. Le 10/3/53 Cette mission est confirmée par B. Renaud. Une prime de rendement est attribuée à Pène de 20.000 F/mois depuis le 1/10/52. Mais Pène apprend que Thierry n'a pas été informé du fait qu'il était remplacé. ''C'est un exemple intéressant de l'emploi du cocotier à l'élimination des vieux. J'insisterai pour qu'on apporte dans cette affaire quelque correction. E :III.1 Les ''malgré nous'' et Oradour sur Glane. D'avoir à inspecter l'Alsace va mêler Pène à une autre question très conflictuelle, celle des ''malgré nous''. Ainsi se désignaient les alsaciens qui avaient été mobilisés dans les troupes allemandes car ils étaient considérés comme des Allemands. ''Je rencontre Aubard au ministère que j'ai vu à Mulhouse lors de la visite de l'aérodrome en construction. Il me raconte ses ennuis en Alsace lors du procès d'Oradour. Les alsaciens étaient tout près de la révolte et bien décidés à accueillir les assassins d'Oradour avec les honneurs''. Le 12 janvier 1953 s'ouvrait le procès des massacres d'Oradour sur Glane. Le 10/6/44 avaient été massacrés er e la population de Oradour (642 victimes), par un détachement du 1 bataillon du 4 régiment de Panzergrenadier ''der Führer'' appartenant à la Panzerdivision ''das Reich''. Il y avait dans cette division un nombre important d'Alsaciens. Ils avaient été mobilisés en tant qu'allemands. Ils insistaient sur le fait qu'ils avaient été mobilisés malgré eux , on les appelait les ''malgré nous''. Cependant ils avaient été les acteurs d'un crime contre l'humanité. La question du rôle des alsaciens dans le massacre d'Oradour sur Glane devenait un sujet de divergences très aigües. Les alsaciens refusaient d'être considérés comme des responsables de ce massacre. Le 30/3/53 ''Hill {?} reprend l'image du ''bouclier'' de Pétain que François Poncet opposa à l'épée de de Gaulle dans son discours à l'académie, déclare que l'Alsace n'a pas bénéficié du bouclier et pose la question d'Oradour. Sa thèse est la thèse alsacienne intégrale : un tribunal militaire français n'a pas qualité pour juger les criminels d'Oradour, la culpabilité incombe à la France vaincue en 1940, d'ailleurs il est sûr que les alsaciens n'ont pas tiré dans le tas. Nous le contredisons sur ce point de fait. Il a exposé sa thèse à Jean Paul Sartre qui en a tiré argument sur sa théorie de l'absurde : tout le monde a raison et à tord''. Un peu simpliste, non ? Jean-Paul ça t'apprendra à soutenir Heidegger. Cela mériterait de longues digressions !! Par ailleurs cette histoire de ''bouclier'' est stupide. Pétain n'était pas un bouclier protégeant les français mais l'épée un peu émoussée de Hitler en France ! E :III.2 Les résistants des arrivistes et des voyoux ? Nous venons de voir qu'en 53 il y a une vague de retour de la phraséologie vichyste. Voyons en d'autres signes. Le 30/12/52 Rouy, un ami de Pierre Pène, amène Pierre Pène chez un de ses beau-frère dans l'espoir de trouver à Pène un emploi dans le privé sans succès. Pène est interrogé sur les Etats-Unis. ''Je suis La bête curieuse, tout le monde veut mes impressions et est déçu parce que je n'insiste pas sur le caractère inhumain de New York''. Le 23/2/53 les Pène sont dans une réunion organisée par Florence Martel, fille d'un des frères Martel, ''le flirt d'Antanas Moncys''. La dispute oppose les Pène et les Touzée. La question qui les oppose est s'il était vraiment nécessaire de remplacer les préfets et sous-préfets à la libération. Le fait est que Touzé était sous- préfet sous vichy et n'a pas été chassé à la libération, peut-être grâce à la protection de Pierre Pène dont Mme Touzé avait été la Maîtresse. En 53 c'est une histoire oubliée et Pierre et Françoise font front contre Touzé et sa femme. ''Fallait-il, comme on l'a fait, suspendre tous les préfets à la libération ? La résistance a-t-elle rendu des services ? N'a-t-elle été comme on tend à le prétendre qu'un ramassis d'arrivistes et de voyous ? Touzé ne voit que son cas particulier et se fâche tout rouge à la pensée des collègues qui ont habilement manœuvré, qui n'ont pas tenu leur poste avec tous les risques (?) que cela comportait. Le diapason s'élève et la maîtresse de maison est très gênée. Françoise reproche à Touzé d'avoir accepté de Laval le chapeau de préfet. Il réplique qu'il devait passer et ne doit rien à Vichy. C'est la querelle des piqués et des miteux''. Nous avons rapporté cette dispute car elle est significative du climat de l'époque. En 44-45 le rôle positif de la Résistance n'était pas discutable. En 53 Touzé se permet de parler d'un ramassis d'arrivistes et de voyous. Si ce genre d'opinion était répandu on ne s'étonne pas de ce que le résistant éminent Pierre Pène ne parvienne pas à trouver un poste à sa mesure. Nous verrons à propos de l'affaire Guingouin que 1953 marque bien un retour d'opinion hostile à la Résistance (cf E:IV.1). E :III.3 La famille et l'exposition des tableaux de Françoise Pour nous détendre, revenons à des choses plus plaisantes, l'art en l'occurence. Le 30/3/53 Pierre et Françoise vont à Tübingen en Allemagne, où Paul Guillaut est en garnison. La merveille est Christine qui a presque deux ans, et son jeune frère, Gérard-Gilles, dont la vie sera tragique. La vie de famille se concentre autour de la préparation de l'exposition des tableaux de Françoise. Françoise a obtenu du peintre Vytautas Kasiulis, artiste lituanien, qui possédait une galerie de peinture à Paris, d'y exposer ses œuvres. Mais Kasiulis abandonne sa galerie fin juin. Il faut donc faire vite. Le vernissage a lieu le 16/6/53 à 16h. Il fallait que quelqu'un écrive un texte pour attirer le public à cette exposition. De Boisdeffre a suggéré de faire appel à Daniel Rops qui a accepté et écrit un texte de qualité [24]. Le vernissage est un succès. Le journal ''le Parisien'' est présent. Il faut dire que Le Parisien est dirigé par Claude Bellanger, un ancien de l'OCM dans la Résistance. Claude Béllanger est présent lors de ce vernissage. Daniel Rops est là à 4h et le photographe du Parisien l'a pris sous tous les angles. ''Les vues en paraitront dans ''Points de vue et Images du monde''. Précisons que l'on peut regarder les œuvres de Françoise en recourant à la référence [216]. Le 25/12/53 Ils vont à Tübingen où sont Annette et son mari. ''Christine devant l'arbre de Noël, fait la timide puis s'assoupit''. Elle a deux ans et demi. ''Gilles est plus impassible. Il le restera et sera l'objet de nos commentaires intrigués. Après moult consultation nous conclurons que le petit a été un peu délaissé. Son père l'a regardé comme un petit canard, ne trouvant pas en lui sa ressemblance, il a été laissé dans un home plus d'un mois pendant que ses parents prenaient leurs vacances ; au retour par peur de la jalousie de sa sœur on a comblé celle-ci de prévenance et d'affection. Il faudrait le prendre dans les bras, le sortir le jour de son lit à barreaux et il cessera de ne s'intéresser qu'aux ficelles''. E:IV Les Compagnons de la Libération La communauté des Compagnons de la Libération réservait à Pène une surprise d'une toute autre nature. E:IV.1 L'affaire Guingouin et la revanche de Vichy Précisons d'abord que Guingouin, l'instituteur qui avait réussi à rassembler en Haute-Vienne, sous son autorité, un maquis très actif de plusieurs milliers de maquisards. Il était Compagnon de la Libération. En février 1954 se tient un repas des compagnons de la libération. ''Nous sommes placés d'autorité, ...Boulloche bouscule les prévisions et vient s'asseoir près de moi''. ''Roumeguère arrive et fait deux propositions de la part de Mairey. 1° Pour prendre de vitesse le PC proposer au nom des compagnons de donner à une rue de Lyon le nom de Yves Farge. Boulloche, le compagnon assis à ma droite et moi sommes d'accord. 2° Faire une démarche discrète, sans aucune publicité auprès du garde des sceaux pour attirer son attention sur le cas Guingouin et les égards qui lui sont dus comme à tout inculpé et qui paraissent avoir été oubliés. Je suis à la table le seul partisan de la proposition de Mairey. Boulloche ne se sent aucun point commun avec Guingouin qui est un bandit. Je lui réponds qu'il est solidaire de Guingouin qu'il le veuille ou nom. Chacun reste sur ses positions. Roumeguère nous surprend beaucoup, la proposition Farge rencontre beaucoup plus d'opposition que la proposition Guingouin''. Cela demande quelques explications. Fabrice Grenard, qui a étudié la vie de Guingouin, nomme le chapitre qui débute en 1953 ''Le revanche de Vichy'' [198]. C'est précisément l'impression que nous ont donné les sections précédentes. Guingouin a dirigé le et il avait 20.000 hommes dans ce maquis. Membre du parti communiste il en est exclu en 1952. Il est emprisonné le 24/12/53 pour l'assassinat de deux paysans en Corrèze le 27/11/45. Il a failli perdre la vie sous les coups de matraque de ses geôliers. Il sera finalement totalement innocenté par la chambre des mises en accusation de Lyon en 1959 [198]. Donc Mairey et par conséquent Pène avaient bien raison de le défendre. Guingouin a été soutenu par quantité de personnalités et en particulier ''Jean Mairey, l'ancien Commissaire de la République à Dijon, président de l'amicale des Compagnons de la Libération, écrit le 25 février 1954 au garde des sceaux : « Il n'est pas possible aux Compagnons de la Libération de demeurer muets face au drame qui atteint l'un d'entre eux »''. Georges Bidault, ministre des Affaires étrangères, fait connaître son soutien à Guingouin. La liste complète des soutiens de Guingouin est impressionnante [198]. Et pourtant, malgré tous ces soutiens prestigieux, malgré de bons avocats, malgré l'absence totale de preuve du crime qu'on lui reprochait, il a fallu 5 ans d'action judiciaires pour que Guingouin soit innocenté, dans un état de santé déplorable !! Vichy prenait sa revanche.

E:IV.2 Tempête chez les Compagnons de la Libération Le 11 février 1955 Pierre Lefaucheux, un proche camarade de résistance de Pène mourait dans un accident de voiture. Il était le directeur général des usines Renault. Pène assiste à la cérémonie de deuil dans les locaux des usines. Il se hisse à la tribune. Il estime que 30 000 ouvriers, employés, cadres et compagnons de Lefaucheux sont présents et endeuillés. Bien sûr Pène continuait à suivre les activités des Compagnons de la Libération. Il sera propulsé au cœur d'une dispute violente dans laquelle les Compagnons donneront une étrange image d'eux-mêmes. Le 29/1/55 se célébrait le dixième anniversaire de la création de l'Ordre de la Libération. De Gaulle, mécontent de la 4ème république, a fait trois citations. ''Rien n'est rien, il n'arrive rien et tout est indifférent'' de Nietzsche. On comprend son intention. Puis il a cité un dicton du moyen-âge ''Celui- là a beaucoup compris qui a connu l'ahan'' {ahan signifiait souffrance, douleur, effort difficile''}. On en comprend aussi le sens pour cet homme écarté du pouvoir depuis 9 ans. Puis il termine par St Augustin ''Vous tous qui me lirez, priez pour moi''. Il ne savait pas que les ''évènements d'Algérie'' comme on disait alors allait le ramener au pouvoir dans un peu plus de 3 ans. Pène ne savait pas non plus qu'il allait être immédiatement plongé dans une tempête au sein des Compagnons de la Libération. Ces hommes (car il y a très peu de femmes), avaient bien évidemment de fortes personnalités mais aussi les défauts des humains ordinaires comme nous l'allons voir. Le journal de Pierre Pène qui décrit cet épisode de l'histoire des Compagnons de la Libération se trouve dans la référence [202] d'où sont extraites les citations qui suivent. Les personnes citées seront tous des compagnons dont on peut trouver une biographie brève sur le site [129]. Le 30/4/55 se réunit une assemblée des Compagnons chez les FFL. ''Ensuite se réunit une assemblée où Mairey a l'idée peut-être mauvaise créer une commission de 5 membres pour mettre sur pied un statut des compagnons. Dés les premières séances deux tendances s'affrontent : Le président Amiral Auboyneau (?) est pondéré. L'esprit revendicatif de Demolins, Jeanneau et Barberot invité par eux lui dressent les cheveux sur la tête. Il insiste sur la nécessité de rendre compte à la Chancellerie de l'Ordre ; il voudrait aussi que le texte final soit rédigé seulement par la commission désignée par l'Assemblée Générale. Barberot se sent alors visé, voit rouge et réplique très insolemment. Je crains une cassure parmi nous. 16/5/55 ''A la SNCF, l'Amiral Auboyneau et moi rencontrons un fonctionnaire compagnon qui nous éconduit avec les plus grands égards''. 22/5/55 ''Réunion de la commission des compagnons. Ils me désignent pour l'intérim de la présidence'' en l'absence d'Auboyneau. ''Nous continuons la rédaction d'un projet de décret et d'un exposé des motifs. 2 clans se marquent toujours parmi nous : les jeunes revendicateurs et les vieux nantis. L'amiral Auboyneau part le soir. Scamarelli et moi sommes convoqués au conseil de l'ordre Jeudi 26''. 26/5/55 ''Dans la grande salle du conseil de l'Ordre. L'Amiral sur un petit côté. À sa droite le général Legentihomme, à sa gauche Boislambert. En face, sur le petit côté le Procureur général Scamarelli et moi. Le secrétaire donne lecture des 2 projets. Postel Vinay puis les autres font leurs observations. Modifications légères, lénifiantes jusqu'à l'intervention de Boislambert. Quand il parle il lance un bombe : ''en sa qualité de président des médaillés de la Résistance il se doit d'intervenir en leur faveur. De plus il est de bonne tactique parlementaire de s'assurer les voix de nombreux médaillés''. Poser le problème c'est torpiller le projet. On ne peut et personne n'ose le faire, repousser systématiquement les médaillés, mais d'après une argumentation basée sur le petit nombre des compagnons, introduire 35 000 nouveaux résistants est une incohérence. Cependant personne ne fait opposition, j'ai la lourde charge de rédiger un texte forcément boiteux. Les conflits se multiplient, certains veulent distribuer des cartes d'identité à ces 35.000 résistants, d'autres disent que cela va réduire l'autorité des administrations chargée de distribuer les cartes d'identité. Boislambert a vraiment semé la zizanie. 27/5/55 ''Un mot de l'Amiral trouvé à la chancellerie m'annonce que nous sommes reçus le Procureur Général et moi à 11h45 par Palewski''. Gaston Palewski, Lui-même Compagnon de la Libération était Ministre Délégué à la présidence du Conseil du gouvernement Edgar Faure. ''Palewski saute en l'air à la vue des médaillés de la Résistance. ''Vous allez tout faire capoter – Nous avons pourtant l'accord du Conseil de l'Ordre – Il est pourtant constitué de gens sérieux. En tout cas donnez moi le nombre des médaillés bénéficiant du Fonds à créer''. Belle explosion à la Commission quand je raconte nos démarches. Demolin veut d'abord renvoyer ses décorations, Barberot veut faire sauter le conseil de l'Ordre par une Assemblée Générale où il se fait fort d'obtenir 400 voix''. 30/5/55 ''L'amiral d'Argenlieu s'énerve de ces conciliabules qui se tiennent à la chancellerie et où son ennemi personnel Barberot joue un grand rôle..... Les Compagnons sont en général revendicateurs. Je me débats entre eux et les vieux Turcs avec à leur tête l'amiral d'Argenlieu, sans grand espoir. Je ne sais ce que nous tirerons de notre tentative de création d'un Fonds National. Nos textes sans prétention ont été remis à Palewski, recommandés à Postel-Vinay''. Postel-Vinay était directeur de l'institution financière ''Agence française de développement''. 11/6/55 ''Réunion chez moi de la Commission des Compagnons. À 20h45 Barberot me téléphone : il a vu de Courson qui attend du chancelier une démarche auprès du Min de la Justice demandant l'inscription d'un crédit supplémentaire de 90,5 Millions. Nous sommes d'accord pour que je fasse une démarche auprès de d'Argenlieu.... L'Amiral d'Argenlieu, sachant l'Amiral Auboyneau à Paris et ayant eu une entrevue avec lui n'admettra de démarche que de lui.'' En plus ils sont tatillons ! 17/6/55 ''Demolins téléphone une bonne nouvelle. Barberot a rencontré Mairey chez Bourgès et celui-ci a accepté une réunion du conseil d'Administration de la Société d'Entraide, de la Commission grossie de ses membres extérieurs''. Bourgès-Maunoury était ministre de l'Intérieur du gouvernement Edgar Faure. Cette réunion entre la société d'entraide et la Commission des Compagnons a lieu en juillet et elle sera le lieu de nouvelles disputes entre Compagnons, entre Mairey et Demolins. Mairey fait partir tous ceux qu'il n'a pas invité, en particulier Sammarcelli. L'éviction de Sammarcelli met Pène en colère, car ''il a œuvré si utilement, il est le père du Fonds National, a représenté la Commission devant le Conseil de l'Ordre, chez Palewski...Roumeguère lance une attaque contre la Commission qui serait partie irréfléchie ''dans la nature'' sans liaison avec la société d'Entraide. L'amiral Auboyneau relève vertement cette incorrecte critique puis donne lecture du rapport de sa Commission...... 2/7/55 Auboyneau nous réunit chez lui. L'Amiral déclare considérer la mission de la Commission comme terminée ; il fait part de ses déceptions, explique aussi le point de vue de certains Compagnons qui préféraient rester dans leur dignité sans paraître quémander''. Ainsi se termine l'aventure de cette Commision des Compagnons de la Libération. Vous avez suivi ? Non, c'est difficile de s'y retrouver. Si encore cela avait été deux camps qui s'affrontent, mais c'est beaucoup plus compliqué que cela sans compter les manifestations d'orgueil assez puériles, l'amiral ne parle qu'à l'amiral, etc. Bref, cette histoire a dégénéré en farce. Les acteurs sont des personnages respectables et respectés, au passé héroïque, et ils nous font rire !! Cela nous montre que les Compagnons, ces héros, sont des humains comme les autres. Entre temps il y a eu le 18 juin, ''Après une longue attente la cérémonie du Mont Valérien se déroule ; de Gaulle s'attarde dans la foule. Olivier est ravi de lui serrer la main''[202].

E :V Le Cabinet de Chaban-Delmas L'armée française était vaincue à Dien Bien Phu le 7/5/1954. Il apparaît clairement qu'il faut négocier avec le Vietminh. Pierre Mendès-France (souvent désigne par ses initiales PMF) avait depuis plusieurs années critiqué la politique inconséquente de la France en Indochine. Il appartenait au parti radical. Le 18 juin 1954 il est nommé président du conseil à une forte majorité. Le 20/7/1954 il signe à Genève un accord sur la cessation des hostilités. Le Vietnam est divisé en deux, de part et d'autre du 17ème parallèle, le Vietminh au nord et les troupes françaises au sud. Ce jour là Pène en parle avec un nommé Yann. Ce dernier dit que les anglais parlent de capitulation. ''il se demande comment Mendès-France a pu signer un tel traité ; je réplique qu'il lui a fallu du courage''. Le général Leclerc avait été envoyé en Indochine en 45 pour combattre le Japon. Dés mars 46 il a encouragé une négociation entreprise par Jean Sainteny avec Ho Chi Minh. Il avait mesuré le rapport des forces et surtout il avait compris que ce n'était pas la lutte entre la communisme et le capitalisme, mais une lutte nationale contre le colonialisme. Il fut désavoué par L'amiral d'Argenlieu son ''supérieur'' et le gouvernement. Avec le recul nous savons que l'invincible puissance américaine, qui a pris la succession des français, s'est enfuie piteusement de Saïgon le 30/4/1975. Si Pène saluait le courage de Mendès-France, c'est qu'il avait l'intuition du rapport des forces. Sans cet accord la France n'aurait pas tardé à être chassée de Saïgon. Mais revenons à sa recherche d'emploi. Il avait présenté sa candidature pour être le Secrétaire Général de l'OACI (Organisation de l'Aviation Civile Internationale). Il reçoit un appel de B. Renaud lui disant que Ziegler, directeur de cabinet du ministre, ''ne veut pas signer sans avoir vu ma lettre d'envoi de la candidature. Il veut me parler du poste visé, me dire qu'on l'a pressenti pour l'occuper, qu'il n'en a pas voulu parce que trop administratif. Quelle sollicitude''. Le 2/8/54 ''Henri Ziegler me reçoit et me dit deux choses : 1° Le poste d'OACI n'est pas pou moi, mais il transettra si je le désire ; 2° Puisque j'ai des loisirs, ne pourrais-je pas travailler avec eux au cabinet ? Il est difficile de refuser et puis Ziegler me fait remarquer que ce pourrait être un tremplin. Nous prenons rendez-vous''. En décembre 54 Pène sera convoqué par le secrétaire général, Ljimberg, de passage en France, qui ''apprécie ma carrière mais me trouve trop âgé : du même âge que lui''. La question de l'OACI était définitivement réglée. Le 3/8/54 Pène rencontre Ziegler et Eisenman, Ingénieur en chef des ponts et chaussées (ICPC). ''Je le déchargerai des questions de grands travaux : tunnel sous la Manche, canalisation de la Moselle, ce peut être intéressant. Je fais préciser les relations avec Eisenman, avec qui, je le sens il me serait difficile de m'entendre. Il est précisé que je ne dépendrai que de Ziegler. Alors commence la vie de Cabinet, je suis un peu vieux pour elle. L'installation matérielle est déficiente et pourtant il faut que j'aie un refuge au Cabinet. Je n'abandonne pas pour autant mes expertises''. Comme il l'a dit, ainsi commence la vie de Cabinet, qui durera autant que le gouvernement de Mendès- France. Notons que le président du conseil, Mendès-France, le ministre Chaban-Delmas et henri Ziegler, son chef de cabinet, sont tous d'anciens résistants. Ce n'est pas un hasard s'ils proposent à Pène un travail intéressant qui durera ce que durera le gouvernement et sous la 4ème République, c'est fatalement peu de temps. Nous avons vu 53 comme une année de revanche de Vichy. Peut-on dire que l'intermède de Mendès marquait un retour en sens inverse ? E :V.1 Tremblement de terre à Orléansville Le 14/8/54 ''Chaban-Delmas fait ses adieux''. Déjà ? Il proteste contre une décision concernant la Communauté Européenne de Défense. Mais il s'agit d'une démission pour une courte période. Ouf ! Bourgès- Maunoury assure l'intérim. ''A 13h30 Ziegler m'annonce qu'il me maintient sur la liste du cabinet intérimaire et me conseille de prendre un congé''. ''Du 16 au 21 je profite de ce répit pour avancer mes expertises, mais ce n'est pas facile, tout le monde est absent, tout est paralysé''. Le 3/9/54 Chaban-Delmas reprend ses fonctions de ministre des Travaux publics, des Transports et du Tourisme. Deux semaines plus tard, le 9/9/54 : ''Tremblement de terre à Orléansville''. Un terrible tremblement de terre, de degré 7 sur l'échelle de Richter, suivi d'une réplique le 16/9/54. Entre ces deux dates la terre n'a pas cessé de trembler. La ville a été détruite à 90%, on l'a appelée ''El Asnam'' après sa reconstruction qui n'était achevée qu'en 1958. On estime à 1500 le nombre des morts, 14.000 blessés, 300.000 sinistrés. Les dégâts se sont étendus aux communes de Ténès, Oued-Fodda, Ponteba, Hanoteau, Flatters, Lamartine, Bougain-ville, Carnot, Les Attafs. Les photos que l'on peut voir sont épouvantables. Le 11/9/54 ''Ziegler me charge de partir sans délai en Afrique du nord représenter le ministère, je me joins à Mitterrand qui représente le gouvernement. Au vol je fais retenir une place dans son avion et m'installe. ...à son arrivée je me présente au ministre qui reste froid. C'est seulement à l'arrivée qu'il ordonne à sa suite de me prendre en charge''. Décidément, les relations avec Mitterrand sont difficiles. Reçu à Umkirch en Allemagne son attitude a été jugée très grossière et spoliatrice par Françoise Pène [24]. ''Nous nous posons seuls à l'aérodrome militaire d'Alger. Drapeau, régiment du colonel Léonard et toute sa suite, les élus autochtones. En route vers le Palais d'Eté. Beaucoup de figures de connaissance : Cuttoli, général Parde {orthographe incertaine}. Mme Léonard, toujours fine et jolie. Dés le début on me colle sur les dégâts par séisme''. Le 12/9/54 ''Départ en avion militaire pour Orléansville. 2 Dakotas sommairement équipés. 15 passagers dans chaque. Je suis dans le premier avec le ministre, les ministres des cultes sont dans le 2ème, archevêque, Mufti, Gd Rabin, pasteur....sous un soleil torride qui met KO le général Cailles, chaque représentant religieux officie à son tour. Alors trois discours. Biscambiglia maire de la ville, corse en explosion perpétuelle, le président Sayah {Sayah Abdelkader, président de l'Assemblée algérienne} très digne, et le ministre. Auparavant en une longue caravane poussiéreuse nous avons parcouru la ville. 2 grands immeubles, Hôtel Beaudouin et immeuble de 9 étages HLM sont des tas de décombres; la nouvelle sous-préfecture au porche écroulé paraît, de l'extérieur, peu touchée. En regardant de plus près on voit l'intérieur lézardé. La sous- préfète terrorisée n'ose rentrer pour chercher une robe. Sur les grosses destructions une foule s'affaire : Bull- dozers, pelle à vapeur. Les légionnaires aident beaucoup. Les pluies approchent, il faut se hâter, le soleil de feu, la poussière aveuglante, sont des bienfaits du ciel. Il faut abriter les gens tant qu'il est temps : réparation des gourbis dans le bled, tentes, réparation dans les villes des immeubles peu endommagés''. Le 13/9/54 ''Journée passée au Gouvernement Général {immeuble abritant le pouvoir exécutif de l'administration coloniale de l'Algérie} à discuter de l'organisme qui prendra en main réparations et reconstructions. Le soir à diner, devant Mme Sayah (ex Antoinette Dalin {une vieille connaissance de la famille Pène !!}) le gouverneur général m'explique les querelles intestines de son cabinet''. Pène retourne en France. Le 14/9/54 ''Je rends compte au Ministre qui veut faire d'Orléansville le test du redressement français. À côté du comité de secours extra-administratif présidé par Mitterrand on en crée un petit avec Payre, Carme, Valabrègue et moi pour préparer les textes administratifs et financiers. Nous nous mettons au travail : 1° estimation des besoins 5 milliards : 1 fourni par la France et 4 avancés par la caisse des dépôts et le crédit Foncier de France, les intérêts de cette avance étant à la charge de 20% Algérie, 80% la France. Un fonctionnaire technique détaché au Gouvernement Général animera et dirigera les travaux, on pense à Blachère, il sera auprès du préfet ou faisant fonction qui coiffera le tout''. Le 17/9/54 ''Ce projet est présenté aux trois ministres rassemblés : Mitterrand, Chaban-Delmas et Jacques Chevallier, Maire d'Alger secrétaire d'Etat à la guerre. Tous trois font une grosse correction administrative ils veulent tout administrer de Paris. Le Gouvernement Général ne sera pas content mais ils puniront sans pitié toute tentative d'obstruction. Nous avons jusqu'à mardi 18h pour présenter autre chose. Nous sortons matraqués, et Blachère parle de se retirer ce qu'il fera d'ailleurs le lendemain''. Le 20/9/54 ''La semaine se passe en étude de l'organisation de la reconstruction d'Orléansville et en préparation de décrets-lois. La 1ère est paralysée par la grippe du ministre des Travaux Publics, mais un texte peut être présenté au conseil des ministres samedi 25/9 à 11h30. La 2ème se poursuit''. 27/9/54 ''Tous les entrepreneurs de France et de Navarre se précipitent dans mon bureau pour faire des offres de service. Tous ont des procédés merveilleux et des références incomparables. 28/9/54 Netter, Directeur Général d'un gros bureau d'étude de bâtiments revient d'Orléansville, il a trouvé moyen d'embaucher Blachère qui n'a aucune mission officielle mais qui est l'homme du Gouverneur Général''. Hélas, face à un tel désastre humanitaire beaucoup d'hommes d'affaire ne se posent qu'une question : combien d'argent vais-je pouvoir gagner en réparant ces ruines. Pène reçoit ces entrepreneurs sans enthousiasme. E :V.2 Conférence européenne des ministres des transports et autres réunions. xxxx Une autre tâche urgente prend le relai du tremblement de terre. 4-9/10/54 ''Je commence à préparer la Conférence Européenne des Ministres des Transports (CEMT)''. La référence [199] contient le premier rapport de la CEMT, publié le 25/1/55, soit après la réunion dont parle Pène en octobre 54. On y apprend que la CEMT a été crée le 17/10/53 à Bruxelles. Cette organisation est née dans un contexte marqué par la guerre froide, la loi Marshall d'aide aux pays européens afin de les renforcer face à l'URSS. Les USA incitent les pays de l'Europe occidentale à s'unir. Le 16/4/48 est fondée l'Organisation for European Economic Co-operation (OECE). Les européens suivent le mouvement. Sous l'impulsion de Jean Monnet et Robert Schuman est fondée le 23/7/52 la Communauté Européenne du charbon et de l'Acier ( CECA). Il va de soi que ces coopérations économiques en Europe impliquaient des transports de marchandises importantes. Surgirent alors une multiplicité d'organisations s'intéressant au transport routier, fluvial, ferroviaire, ce qui créa un certain désordre et incita à la constitution de la CEMT. Cette organisation est souple, elle ne constitue pas une autorité supranationale, elle autorise des groupes restreints de pays pourvu que ces groupes en informent tous les membres [199]. ''Je me débats pour savoir si Pierre Mendès-France présidera le repas du 21/10. Les membres du quai prennent des airs supérieurs de gens avertis s'adressant à des Béotiens. Je fais une note pour Pierre Mendès- France qui me fait répondre qu'il ne présidera pas. 18/10/54 ''Commencent aujourd'hui le travail des Suppléants qui prépare le travail des ministres. C'est là que se font jour les idée les plus intéressantes, que s'élèvent les discussions les plus vives. Le plus souvent les ministres ne font qu'entériner les propositions des suppléants''. De fait ''Par ailleurs, la Conférence (CEMT) a veillé attentivement à ne pas constituer une bureaucratie nouvelle. De larges délégations de pouvoirs ont été donné par le conseil des Ministres au Comité des suppléants''[199]. Ce n'est probablement pas un hasard : Pène, sur la demande du Ministre, cherchait à réduire la bureaucratie au ministère. Il avait par ailleurs bien aimé le mode de fonctionnement des Comité des suppléants, dont l'existence visait aussi à réduire la bureaucratie dans le CEMT. Mais trêve de digression, il fallait que Pène organise cette Conférence. La Conférence se tenant en France il fallait que Chaban-Delmas, le Ministre français des transports, y participe et si possible en soit élu Président. Le 20/10/54 Pène nous raconte une drôle de séance. ''Convoquée à 19h30 et reçus à 21h, Dorgès et moi, assistons avec Ziegler, Eisenman, et plus tard Schmidt à une séance de grand style : le secrétariat et son ami Michard-Péllissier ont engagé le ministre à deux repas le même soir. Il est furieux et décide d'aller prendre le potage avec les restaurateurs et amis de Bordeaux et de terminer chez Jean Michard-Pellissier. Se tournant vers Dorges et moi : ''alors vous voulez me laisser le derrière sur une chaise pendant 2 jours alors que vous m'exposez la question en 15 minutes''. ''Mais dis-je, il peut y avoir des objections, des discussions.'' - ''Ha l'homme calme, et il me dit cela !''. Il se résigne à ces 2 jours de présidence et nous quitte à 21h25''. Le 21/10/54 ''La séance commence. Les tractations portent leur fruit. Les propositions prévues sont faites; Chaban Delmas est élu Président et tout de suite prend le galop. L'impression favorable au début, se nuance d'inquiétude devant ce train d'enfer qui ne permet pas à tout le monde de suivre. Des sourires se dessinent mais ce diable d'homme rétablit la situation dans un brillant exposé final. Il confirme son succès le soir même au Crillon où la perfection du service fait oublier en partie le Turbot fade et le Bordeaux légèrement acide. Avec son cravachage le Ministre a traité en 1 jour ce qui était prévu pour deux. On décide de recevoir le 22 les organisations professionnelles. Elles boudent; on sait que Armand (SNCF) menace de ne pas venir lui-même, mais Chaban-Demas arrange tout''. Le 22/10/54 ''Tout le monde est fidèle au rendez-vous. Le Ministre fait un exposé fort clair et Armand dans sa réponse lance quelques pointes aux organisations internationales. Les ministres {qui représentent leur pays à la Conférence} montent dans leur voitures ... Nous traversons Paris comme Staline sans nous arrêter une fois. … Les portes de la cour de l'Elysée sont ouvertes toutes grandes et nous entrons dans un salon où sont rangés les fauteuils et les divans. Je dois asseoir mes ministres dans l'ordre alphabétique de leur pays ; Chaban a appris par cœur les noms et quand Coty {président de la République} est entré il s'en tire très bien. Il fait ensuite assis un petit speech auquel répond le Président. Il rappelle qu'il a été président des grands ports européens et se déclare européen malgré sa difficulté à se débrouiller dans une langue étrangère. Photo de groupe. Champagne. Je retrouve des figures de connaissance : Merveilleux du Vigneau Directeur de cabinet, que j'ai rencontré en Allemagne accompagnant Bidault, le général Ganeval qui semble s'intéresser à ma situation''. Le 23/10/54 ''Je ne suis pas au bout de mes peines : il me faut représenter le ministre auprès du ministre belge qui visite l'aéroport d'Orly et assister à un nouveau excellent et éreintant banquet. Toutes les huiles de l'aviation civile sont présentes au déjeuner. Bonenfant fait la gueule, je ne sais pas pourquoi''. Le 25/10/54 ''Commence la semaine de détente après la conférence européenne''. Le 26/10/54 Ziegler offre chez lui un cocktail, peut-être pour marquer la fin de la conférence. Chaban porte un toast sensible, il présente Ziegler comme une valeur sûre pour le pays : un as. Pène trouve Mme Schmidt, sœur du ministre, fort jolie.

E :V.2.1 Réunion des rectifieurs de cylindres et de villebrequins. Cette profession dont l'intitulé est bien d'époque organise un banquet et une réunion. G. Villiers a accepté de présider le banquet et la réunion. Le 13/10/54 ''On me communique le discours du Président des rectifieurs, il encense Pinay et Laniel et fait les plus expresses réserves sur le gouvernement de Pierre Mendès-France. Dés son arrivée Villiers lui fait retirer son panégyrique de Pinay et Laniel''. Pinay et Laniel appartenaient au ''centre national des indépendants et paysans'', le parti le plus à droite. Ils ont été tous deux président du conseil avant Mendès- France. Pierre Mendès-France a été un président du conseil marquant de la quatrième République. Il a permis à la France de résoudre bien des problèmes. Mais il inspirait de la haine, à cause de sa politique courageuse, d'une part, et probablement aussi parce que juif : l'antisémitisme n'était pas mort. Poursuivons le récit de cette réunion.''Restent {dans le discours du président des rectifieurs} des critiques usées de l'Etat tentaculaire. Je me promets de répondre. Quant je le fais, pas de protestation mais un certain succès. Villiers, après moi, parle bien et est très applaudi''.

E :V.3 Menace de bureaucratie et réformes à faire. Le 3/10/54 ''Le ministre nous convoque : il se languit de nous, nous parle des réformes à faire par décrets lois, nous stimule amicalement et nous renvoie à 20h15. Le 4-9/10/54 ''Pour répondre au désir de renouveau et de remise en ordre du cabinet, je recherche les ''abus'' pour les signaler et essayer de les corriger. Je m'attache surtout : aux lenteurs administratives, mais comment aboutir vite ? aux excès de contrôle des finances mais beaucoup de mes collègues sont financiers et ne voient pas matière à critique là où mes cheveux se hérissent. Et des juristes qui interviennent nécessairement !'' E :V.4 Remaniement ministériel Le 30/10/54 ''Chaban nous rassemble : il expose la situation intérieure, en particulier la situation ministérielle. Portant beau, faisant tête aux déceptions, il ne peut tout à fait cacher celles-ci. Deferre {socialiste, membre de la SFIO} n'entrera au cabinet qu'en prenant la marine marchande. Celle-ci fait pourtant bien partie des transports, mais l'impératif politique commande. La reconstruction reviendra à Maurice Lemaire à qui Chaban a gardé sa place toute chaude sans espoir de reconnaissance. Les P.T.T passeront aussi en d'autres mains {André Bardon, ARS}. Pourtant Chaban, Président du groupe parlementaire ARS {Action Républicaine et Sociale, gaulliste dissident du RPF} représente 65 voix et les SFIO guère plus de 100. En tout cas il n'envisage pas de jeter dans la balance une menace de démission''.

E :V.5 Plaque pour Jacques Henri Simon que Pène avait croisé en prison avant sa disparition. Jacques Henri Simon était un éminent Résistant [101]. Pène donnait le 12/7/45 le témoignage suivant ''En mai les services allemands de la Gestapo de Senlis étaient installés dans une villa qu'ils aménageaient en prison. Les détenus étaient tous gardés à vue dans un corps de garde unique. C'est ainsi que Roland Farjon et moi restâmes dans ce poste avec d'autres détenus, dont Jacques Henri-Simon entre le 20 et 25 mai 1944 et nous pûmes communiquer. Une des premières questions que me pose Jacques Henri-Simon ''peut-on avoir confiance en Farjon''. Je répondis que Farjon me paraissait très impressionné par la somme de renseignements que les Allemands avaient pu recueillir mais que en conscience je ne pensais pas qu'il fût un traître. Farjon disait en effet, en parlant des interrogateurs : ''Ils savent tout – ils nous ont tout pris – il est inutile de nier''. J'ai été frappé de la différence des comportements de mes deux compagnons après interrogatoires : Simon en revenait chaque fois plus abattu comme s'il avait conscience que les mailles du filet se resserraient de plus en plus et qu'il ne pourrait pas échapper à des preuves toujours plus nombreuses. Au contraire Roland Farjon n'était pas effondré, il semblait serein, comme si son affaire ne se gâtait pas''[200]. Hélas la méfiance de Jacques Henri-Simon envers Farjon était plus que justifiée et il en fut la victime. Farjon rapportait aux Allemands ce que Simon lui disait. Ils partageaient une cellule au 2ème étage, Pène est au sous-sol. Un matin on fait monter Pène à sa place et on emmène Simon, il disparaîtra sans que ses codétenus sachent vers où. Il a été déporté et il est mort en détention. Précisons que Farjon et Jacques Henri-Simon étaient comme Pène membres du mouvement de Résistance OCM (Organisation Civile et Militaire). Jacques Henri-Simon a représenté l'OCM dans le Conseil National de la Résistance (CNR) avant que Maxime Blocq-Mascart, le chef du mouvement, ne l'y remplace. Le 2/11/54 il a été décidé de poser une plaque à la mémoire de ce grand résistant. ''Réunion chez Mme Alexandre-Debray pour préparer la cérémonie de la plaque à la mémoire de J.H. Simon. Tout est déjà fait, cette maîtresse femme s'en est chargée. Une difficulté : Simon était-il du CNR ? Il a assisté aux réunions constitutives mais, quand il a été en mission en Grande Bretagne, Blocq-Mascart a pris sa place et est devenu en droit membre du CNR. Les 2 hommes ne se sont plus parlés. Blocq-Mascart ne tiquera-t-il pas devant le blabla de la plaque qui présente Simon comme membre du CNR ? Bah, le texte est maintenu et sera communiqué à Blocq-Mascart. Je suis chargé de demander à Chaban-Delmas s'il veut assister à la cérémonie et si il veut y prendre la parole.... le Ministre me répond qu'un lundi sa présence est douteuse''. Le 7/12/54 ''Inauguration de la plaque de Jacques Henri-Simon. Chaban-Delmas pour qui on a avancé l'heure est absent : Il défend son budget à l'assemblée. Prennent successivement la parole : B. Lafay {Dr B. Lafay, résistant notoire}, Blocq-Mascart pour le C.N.R, Piette pour l'O.C.M., Soustelle. Piette fait un magnifique discours et l'assistance transie de froid est bouleversée d'émotion. Blocq-Mascart a paru un peu gêné : souvenir de la vieille querelle qui l'a opposé à Jacques Henri-Simon au sujet du siège au C.N.R''. La plaque a été posée au 21 Bd. de Beauséjour où Jacques Henri-Simon a vécu dans le 16ème arrondissement. Son contenu est : ''Ici vécut Jacques Henri-Simon (Sermoy dans la Résistance) avocat au conseil d'Etat et à la cour de cassation, Membre du C.N.R., Et du Comité Directeur de L'O.C.M. Arrêté par la GESTAPO le 15 avril 1944, Mort pour la France, 1909 – 1944''. Le hasard veut qu'au moment où nous rapportons le récit de la pose d'une plaque à la mémoire de Jacques Henri-Simon, le Conseil de Paris a décidé de poser une plaque au 4 rue des Frères-Périer (16e) ainsi libellée : «En mémoire de Roger Coquoin, commandant de la région P (Paris et la région parisienne) de l’Armée secrète à partir de l’été 43. Mortellement blessé par la Gestapo dans cet immeuble le 29 décembre 1943. Et de Pierre Pène, qui lui a succédé dans ces responsabilités et a dirigé les FFI de la région P jusqu’à son arrestation le 4 avril 1944.» Nous y reviendrons en E:VIII.6 Le 22 février 1955 le gouvernement de Mendès-France est renversé et celui d'Edgar Faure le remplace. Corniglion-Molinier Ministre des Travaux publics, des Transports et du Tourisme remplace Chaban Delmas. Pène le rencontre. Le ministre le couvre d'éloge, il est un des Compagnons de la Libération pour lesquels il a le plus d'admiration, et il ajoute qu'il a déjà une équipe ministérielle au complet. Il n'a pas besoin de Pène. Celui-ci est de plus en plus habitué à ce genre de réponse qu'il accueille avec une ironie désabusée. Mais Corniglion-Molinier allait engager Pène dans une fonction inattendue. E :VI Pène à Monaco comme conseiller pour les travaux publics xxxxxx Le 18/8/55 Pène écrit ''B. Renaud me reçoit très gêné, il fait dans sa culotte et m'explique une histoire de fous. Probablement pendant ou après le conseil des ministres on a parlé du désir de M Soum, chef du gouvernement monégasque d'avoir un français pour conseiller aux Travaux Publics. Corniglion a appelé B. Renaud. Mon nom a été prononcé et le Ministre s'est fait fort d'avoir mon accord. B. Renaud a eu l'impression que la chose avait déjà été discutée entre Kœnig et Corniglion. Par correction d'autres noms ont été donnés au Prince mais je suis proposé en 1er. La sinécure est lucrative mais c'est une voie de garage. Ma famille me pousse à accepter ; les camarades pressentis n'ont pas marqué d'enthousiasme. Je crains que ce détachement intempestif ne gêne mon inscription au tableau {d'Ingénieur général de Ponts et Chaussées}. B. Renaud me rassure, mais je ne suis pas absolument convaincu par ses arguments. '' Après bien des hésitations et des consultations Pène va donc à Monaco comme conseiller pour les Travaux Publics et les services concédés. On lui a retiré les affaires diverses dont s'occupait son prédécesseur apparemment pour qu'il ne contrôle par radio Monte-Carlo. Pierre, Françoise et Olivier arrivent le 2/10/55 à Monaco. Ils resteront jusqu'en septembre 1960. En un sens Pène retrouvait son métier, il s'occupait de ponts, de chaussées, de tunnels etc. Par contre l'atmosphère de cette petite principauté n'était pas en accord avec le tempérament de Pierre Pène. Le pays regorgeait d'intrigues, il fallait sans cesse se méfier de presque tout le monde. Il fallait même se méfier d'un ancien camarade de Résistance comme nous le verrons. Nous n'entrerons pas dans le dédale de ces intrigues. Nous essaierons de mentionner les axes essentiels de son activité en tant que membre du gouvernement monégasque. Il nous faudra aussi mentionner la fracture de Didier Pène qui a mis trois ans à être guérie non sans lui laisser des traces. E : VI.1 La blessure de Didier Pène, Le FLN algérien est-il un mouvement de résistance ? En septembre 1956 la famille Pène avait décidé de prendre des vacances à St Dalmas-Valdeblore. Didier et Olivier partent en randonnée. Il ne s'agit pas de montagne mais le terrain est accidenté. Le chemin passe sur un rocher qui possède une paroi verticale d'une hauteur d'environ 8 m. Didier passe les bras accrochés au rocher, les pieds dans le vide. La pierre qu'il tenait se détache et voici qu'Olivier voit avec horreur son frère tomber la tête en bas. Il entend le bruit de chute, il appelle son frère, miracle le frère répond. Il s'était dans sa chute accroché à des plantes de la paroi et était tombé en se cassant la cuisse. Didier demande à son frère d'appeler du secours. Olivier court, traverse une rivière en sautant et arrive pâle à l'hôtel. Une équipe part avec une civière : L'hôtelier, Ciais, son fils et un biologiste. La descente du blessé sous la pluie sur un terrain glissant est ''un calvaire'' écrira Pierre Pène. Arrivés à l'hôtel il faut trouver une ambulance. Monaco n'en ayant pas, on en commande une de Nice. ''Sur le conseil unanime des gens présent nous alertons le Dr Descamps, le meilleur spécialiste. Pour comble de malheur Françoise Pène souffre d'un kyste au sein qui grossit continument. L'opération de Didier à Nice a-t-elle causé une infection nosocomiale ? Ce qui est certain c'est qu'il a souffert d'une ostéomyélite, due à un staphylocoque doré. En janvier 1957 on apprend que huit jours après une seconde opération à Neuilly un nouvel épanchement sanguin avait eu lieu, comme la première fois trois mois après la première opération. Il revient à Monaco, part en promenade à San Remo avec des amis. ''Je sentis ma jambe gauche se dérober sous moi. C'était comme si ma cuisse s'effritait sans douleur, la chair autour de l'endroit de la fracture semblant insensibilisée... on me posa un plâtre qui couvrait tout mon corps jusqu'au cou...puis il fut décidé qu'il me fallait du bon air pour guérir ! On me transporta donc à la clinique ''les mélèzes'' à Briançon pendant l'été 1957''[51]. Didier poursuit ''Le docteur Puthod me crut guéri au bout de l'apparemment fatidique délai de 9 mois''. Didier sympathisa avec un algérien, militant du FLN, nommé Mohamed Bouyahia.''Un jour du début de mai 1958 Mohamed loua gentiment un scooter pour me promener dans la nature que je voyais à peine de ma fenêtre. ...je vis une fleur dans un pré, … j'eus envie de cueillir une jolie plante...je ne l'avais pas touchée que mon fémur se brisait sans le moindre choc pour la troisième fois''. Cela faisait presque deux ans que l'accident avait eu lieu !! Le docteur Trillat, de Lyon, suivait de loin le ''cas'' de Didier Pène. Il décida de l'opérer à Lyon. Pierre et Françoise Pène sont sévères envers Didier lui reprochant sa randonnée. Ils sont trop sévères, son fémur étant fragile se serait de toutes façon cassé. Pour comble de malheur Didier a une grosse fièvre due à une phlébite. Trillat dit qu'on aurait dû faire une greffe osseuse. Il opère, corrige l'angle des os et place ''Une tige extérieure en métal rattachée au fémur par 6 clous au dessus du genou et 6 autres en haut de la cuisse afin d'empêcher l'os de bouger, devait permettre, accompagnée de fortes doses d'antibiotiques, de consolider le fémur avant une greffe qui pouvait prendre ou non m'avait-il prévenu''[51]. L'ossification se fait très lentement. La date de la greffe est fixée au 18-19/10/58. Le 24/12/58 Didier a une mine florissante. ''Pas de température mais hélas pas de radio récente'' dit Pène. ''Guéri grâce à la greffe pratiquée par le professeur Trillat, qui, conscient des risques, m'a demandé, ce qui est rare de la part des chirurgiens, si j'étais d'accord, car il ne pouvait rien garantir, je récupérai en 1959 une cuisse gauche un peu coudée avec 5 cm en moins ! Je repris mes études''[51]. Didier pouvait mener une vie presque normale. Les séquelles l'ont néanmoins poursuivi toute sa vie et se sont évidemment aggravées avec l'âge. Et Mohamed Bouyahia ? Il avait disparu. Il craignait que l'arrivée de de Gaulle au pouvoir en 58 n'ait des conséquences dangereuses pour lui. Didier le rencontre plus tard alors que l'Algérie est devenue indépendante. Il l'interroge sur son départ mystérieux. Mohamed révèle qu'il représentait le FLN à la frontière italienne. Il désirait passer en Italie. Mais comment passer une frontière bien gardée ? Il révèle alors un fait qui en dit long sur Pierre Pène. Voyant qu'il avait une plaque diplomatique il a eu l'audace de demander à Pène de le conduire en Italie. Pène a refusé. Jusqu'à ce que Mohamed fasse le récit suivant ''En fait je suis un résistant comme vous l'avez été, même si mon rôle est beaucoup plus modeste que le vôtre. Vous m'avez dit aussi qu'il vous est arrivé d'être sauvé par de brave gens qui n'étaient même pas toujours dans la Résistance ! Et vous ne voulez pas m'aider alors que je vous appelle à l'aide ! Et je n'ai tué personne. En plus vous et votre famille ne risquez rien''[51]. Comment concilier son patriotisme et la solidarité avec une autre Résistance ? Pierre Pène a conduit Mohamed en Italie, sans dire un mot jusqu'au moment de le laisser à Turin où il lui a souhaité ''bonne chance''. Pène n'en a jamais parlé et il a juste mentionné dans son journal que Mohamed avait disparu. E :VI.2 L'enterrement de la voie ferrée dans une marne mortelle. De toutes les tâches dont Pène a eu à s'occuper à Monaco, la plus complexe était la construction d'un souterrain permettant la déviation de la voie ferrée traversant Monaco. La tâche était par elle même très difficile : creuser un tunnel sous une ville alors même que la nature du sous-sol n'est pas connue partout. Le projet impliquait trois acteurs : le gouvernement monégasque, la SNCF et l'administration française, auxquels il faut ajouter les entreprises qui causeront bien des soucis. La compagnie ''Travaux Souterrains'' est choisie. Ce projet aurait été très délicat sous n'importe quelle ville, mais l'atmosphère monégasque, avec ses tensions multiples et entrelacées ne facilitait pas ce travail. On trouvera de nombreuses informations dans la référence [203]. Le contenu de ces informations démontre qu'en été 1960, au moment du départ de Pène, le projet était très loin d'être achevé. Les travaux avaient tout de même été entamés en divers lieu de la trajectoire. La première attaque pour creuser la roche fut l'objet d'une cérémonie en présence du Prince et de la Princesse Grace. Cela se passait le 12/4/58 devant l'église Ste Dévote. Pène : ''Je prononce un discours où je précise le caractère d'honnêteté de l'appel d'offre''. Cela peut passer pour une pointe contre d'autres méthodes d'adjudication. Pene : ''j'ai voulu aussi lui donner un ton affectueux''. Il s'avance ensuite vers Son Altesse Sérénissime (S.A.S.) qui lui prend le bras et lui dit ''vous avez été très gentil''. Le prince est censé faire exploser la première charge de dynamite. Un mineur apporte l'appareil de mise à feu. Le Prince laisse à sa femme l'honneur de tourner la clef. Ce fut donc cette célèbre actrice, Grace Kelly, qui a ouvert la première brèche du futur tunnel. Notons donc que le percement de ce tunnel n'a débuté que presque trois ans après l'arrivée de Pène à Monaco. En fait même plus tard. Le 22/11/58 Pène constate que le percement a franchi 250 m pour 3000 attendus. Il progresse d'environ 6 m par jour. Cela signifie que le vrai percement n'a débuté que début octobre. À ce rythme on pouvait anticiper que le tunnel serait achevé vers février 1960. C'était compter sans la marne noire. Pène écrit le 12/2/59 ''à 11h le Chef d'équipe travaillant avec le chef Mineur au dessus des cintres métalliques dans un terrain dangereux Assebag a été écrasé par un gros bloc de marne noir contre un cintre et tué sur le coup. Son compagnons a échappé à l'écrasement pour être projeté et n'a évité la chute que par miracle en s'accrochant au cintre. Assebag avait une femme et un fils de 10 ans. Je vais aussitôt sur le lieu de drame, silencieux car le personnel l'a quitté jusqu'aux obsèques ; je vais ensuite à la morgue de l'hôpital voir la dépouille. Les ouvriers se sont rassemblés à la maison des syndicats pour élire des délégués. Les mesures de sécurité seraient par eux jugées insuffisantes. Maury qui est arrivé sur place juste après l'accident le considère comme un mal inévitable mais comment dire cela et le faire admettre par les camarades du mort ?'' Cette catastrophe s'est produite au point 850, à l'endroit prévu pour l'apparition du marne [203]. ''Mais contrairement à ce qui était envisagé la situation se présente sous un jour beaucoup plus difficile. Le passage entre l'albien avec la marne cénomanienne et le calcaire sous-jacent jurassique ne se fait pas suivant un plan incliné clairement caractérisé. Au contraire la surface de contact ondule constamment autour du niveau du souterrain de sorte qu'on trouve du calcaire a des niveaux continuellement variables''[203]. Ajoutons que la question de l'évacuation de la fumée du tunnel quand les trains y passeront est assez préoccupante. Le 14/5/59 Pène écrit ''de 14h30 jusqu'à 18h45 Campana {un de ses collaborateurs} me fait marcher : je suis éreinté. Le tunnel est encore pour plus de la moitié de sa section dans la marne noire. On ne perce que la galerie de reconnaissance juste suffisante pour le passage des Dumpers et des Jumbos {outils de transport de matériel}. On espère franchir la mauvaise passe assez vite et revenir en arrière en grande section en se protégeant toujours par des cintres métalliques au fur et à mesure de l'avancement. Depuis l'accident mortel du 12/2/59 la belle cadence d'autrefois est perdue. Que d'ennuis en perpective !''. Le 13/6/59 Pène écrit ''visite du tunnel où la situation demeure mauvaise, nous ne sortons pas de la marne grise ; la ligne de séparation avec le rocher est toujours à mi-hauteur. Nous ne pouvons pas encore passer sur la marne''. Le 5/10/59 il écrit ''en visitant le tunnel je constate une activité toujours aussi ralentie. La marne grise se prolonge et l'entreprise comme la SNCF hésitent sur la marche à suivre. Et puis, la SNCF est une grande dame très lente.'' Fin octobre 59 des protestations s'élèvent contre le bruit des travaux du tunnel. Le 12/11/59 Pène mentionne un accident sous le tunnel qui aurait pu être grave. La méthode de l'entreprise n'est pas encore arrêtée. ''J'insiste pour voir bientôt une réunion tripartite SNCF, entreprise, Monaco''. Le 24/11/59 La compagnie ''Travaux Souterrains'' invite Pène à la sortie du côté Vintimille (à l'est). Une bonne surprise l'attend : ''le terrain que l'on croyait sans cohésion est cohérent à faible profondeur, d'autre part on trouve le roc en place à la cote +20 et non au niveau de la mer''. Une fois n'est pas coutume ! Le 7/1/60 Pène visite le tunnel avec Maury, le responsable du tunnel au sein de son équipe. La sortie Vintimille donne toujours bonne impression. Le chantier est dans la marne de haut en bas. ''Des ruissellements se manifestent un peu partout et des sections qui devraient être spécialement étanchées sont restées en l'état. La compagnie ''Travaux Souterrains''(TS) montre une certaine mollesse. C'est ce que dira avec force Maury lors de la réunion tripartite SNCF, TS, gouvernement. Le 26/2/60 ''L'avancement dans le grand tunnel est de plus en plus difficile : on est en plein dans la marne, la poussée est telle que les boisages cassent, le quart de la longueur n'est pas encore achevé. Que de beaux sujets de critiques ! À la sortie Vintimille le travail est délicat mais moins que nous ne le craignions. Dans l'ensemble nous jouons de malchance''. 29/2/60 Pez : Nuages entre lui et le Prince à cause de la princesse Grâce : elle ne pardonne pas à Pez sa fidélité à la princesse Charlotte. Pez s'inquiète de son avenir. Il me fait des avances pour lui trouver quelque chose dans les affaires. Je ne lui parle pas encore du renouvellement de mon détachement. 23/3/60 Nouvelle visite du tunnel. ''En voyant les chantier de l'entreprise TS on ne peut manquer d'être surpris par la qualité du travail, la bonne tenue des hommes, leur ordre, leur discipline, et au total tout avance lentement''. Entre l'accident mortel du 12/2/59 et ce jour le grand tunnel n'a avancé que de 200 m. Avec le petit tunnel cela fait 300 m pour 300 jours ouvrables. ''Si rien ne change nous en avons encore pour 8 ans''. E :VI.3 La Principauté de Monaco, géographie et politique 2 La Principauté est petite. C'est le plus petit Etat européen, après le Vatican. Sa superficie est de 1,95 km . Or ce pays attirait beaucoup de monde, par la beauté du site et aussi par les avantages fiscaux dont on y bénéficiait. Pour accueillir ce monde, il fallait étendre les possibilités de logement, c'est à dire l'étendre horizontalement en gagnant du terrain sur la mer, ou verticalement en construisant de très hauts immeubles. Ces deux types d'extension dépendaient du domaine de Pène. Il a dirigé la conception et la fabrication de terre-pleins à l'aide de matériaux tirés du tunnel, et, traitant de l'urbanisme de la ville il devait réglementer les constructions, en évitant des immeubles trop hauts et susceptibles de gâcher la vue par exemple sur le Rocher de Monaco. La Principauté de Monaco comprend d'ouest en est les quartiers de Fontvieille, le Rocher de Monaco, La Condamine, et Monte-Carlo. Les tâches de Pène comportaient, outre le percement du tunnel, les terre-pleins et l'urbanisme, le contrôle et l'aménagement du port de la Condamine. Cette dernière tâche a comporté l'édification d'une piscine attenante au port.

E :VI.3.1 Une Monarchie presque absolue Dans toutes ces activités, nous trouvions les mêmes partenaires : Le Prince Rainier désigné comme Son Altesse Sérénissime (S.A.S.), son entourage, le gouvernement composé d'un Ministre d'Etat et de conseillers dont Pène, l'Etat Français à travers les accord franco-monégasques mais aussi la SNCF, le département des Alpes-Maritimes et les municipalités limitrophes. Ajoutons les entreprises privées en charge des travaux, et enfin des conseillers, architectes ou autres. Une structure aussi complexe ne pouvait qu'être assez instable. Cette instabilité était fortement accrue par le caractère primesautier du jeune Prince, d'autant que le régime monégasque est une monarchie absolue ! Comme le disait Pez, un conseiller du Prince, à Pène peu avant son départ ''Son caractère est aussi différent que possible du vôtre : vous étudiez les problèmes sérieusement, lui, à peine il a un désir qu'il voudrait le voir réalisé. Il a cependant beaucoup d'estime pour vous''. Á côté du Prince il y avait ce gouvernement dont Pène faisait partie, un Conseil d'Etat, un Conseil National élu, un Conseil Communal, et un certain nombre de commissions spécialisées dans telle ou telle question. Le 29/1/59 Pène écrit ''Coup de théâtre : Raoul Biancheri entre dans mon bureau et me montre le texte d'une ordonnance suspendant Conseil National et Conseil Communal et confiant leurs fonctions au Conseil d'Etat et à une délégation spéciale où siègent Raymond Biancheri et Robert Campana. Je saurai plus tard les détails de l'opération. Pez {conseiller du Prince} tenait les fils : il a feint de préparer une prolongation du budget et, pendant que tous regardaient dans cette direction, a tranquillement soumis cette ordonnance à la signature du Prince. Les assemblées suspendues restent pantoises. Le gouvernement va profiter de ce répit et de l'autorité sans limite que vient de prendre le Prince pour sortir les textes en souffrance depuis longtemps : Règlement de voirie, convention et cahier des charges sur le gaz''. N'ayons pas peur des mots, ce ''coup de théâtre'' a tout du coup d'Etat, un petit coup d'Etat. E :VI.3.2 Piscine, terre-pleins et urbanisme. Nous avons vu sur l'exemple du tunnel ferroviaire que le sous-sol, parfois très fragile, ne facilitait pas les choses. Ce sous-sol fragile a de nouveau frappé en février 60 : un mur de placage s'est brusquement effondré, heureusement sans faire de victime, mais mettant en danger non seulement les ouvriers en charge de reconstruire un mur de soutènement, mais aussi les immeubles voisins. Les règles d'urbanisme coûtaient beaucoup de temps à Pène qui recevait sans cesse la visite de tel ou telle propriétaire de terrain qui avait des projets de construction d'immeuble. Une question essentielle était la hauteur admise de ces immeubles. Un des impératifs concernait la hauteur des immeubles. Ces immeubles étaient un peu en dessous de la route située en France et baptisée ''moyenne corniche'' qui longe la côte en hauteur. Le Prince ne voulait pas que la vue sur le rocher de Monaco depuis cette corniche soit obstruée par de grands bâtiments. Sur cette question le gouvernement était d'accord. Mais la pression des porteurs de projet contre ces limitations de hauteur était puissante. Nous avons vu les nombreuses difficultés rencontrées voyons maintenant les succès. La terre récupérée du tunnel souterrain de la voie ferrée a été disposée dans la mer pour créer le terre-plein du Portier. Il a été 2 construit entre 1958 et 1961 et a une surface de 35.000 m . Il est situé à côté de la route de bord de mer à la sortie du tunnel qu'on emprunte en quittant le port vers l'est. En 1966 le ''hall du centenaire'' y sera édifié. Un second projet de terre-plein a été conçu plus à l'est, le terre-plein du Larvotto édifié entre 1961 et 1963. Le 5/7/63 Pène était de passage dans son appartement à Monaco. Cet appartement était au bord de la mer sur l'avenue de la Princesse Grace. Devant l'immeuble, en traversant la rue on se trouvait sur une petite plage. Pène écrit ''le terre-plein du Larvotto est achevé par la Société des Bains de Mer, et notre pauvre petite plage populaire est serrée entre lui et mon terre-plein''. Son terre-plein est celui du portier qu'il a mené à bien. Pène poursuit ''Le terre-plein du Portier est l'objet d'une lutte entre le Prince et le Conseil National. Le Prince veut céder une partie du terre-plein pour y édifier un grand hôtel de haut gabarit. C'est contraire à tous les projets formés par moi il y a 5 ans et approuvés alors par tous. Il y a là encore anguille sous roche. Le malheureux pays, qui pourrait être un Eden, continue à souffrir de la cupidité de son souverain''. Un autre problème fut le gazomètre qu'il fallait installer à la frontière entre Monaco et les communes limitrophes. Le projet de piscine, près du port a rencontré aussi un obstacle inattendu mais qui fut surmonté. Citons l'équipe qui aidait Pène dans ces travaux. Raoul Biancheri, un monégasque fervent, ''nationaliste monégasque'', mais très efficace et souvent source d'informations précieuses. Robert Campana, très rigoureux, s'attirait les foudres des corrompus et des corrupteurs et en particulier de Pastor. Donc le 1/7/60 Pène et Campana se retrouvent au port avec Tué et Noiray de l'entreprise Spada qui a été 3 retenue. ''Malgré la puissance de la pompe : 2500 m par heure on n'arrive pas à épuiser''. Après une longue réflexion ils se souviennent qu'en fouillant le fond avant d'entamer la construction de la piscine, on y a trouvé un objet métallique qui a fait peur. On a craint une bombe. Ce n'était pas une bombe, mais une grosse plaque métallique qu'il fallait retirer. On a dragué à 9 m de profondeur et remblayé avec du tout venant de rivière. Spada a fait ce remblaiement. ''On a ainsi créé une zone drainante par où l'eau de mer circule aisément''. Comment neutraliser cette circulation de l'eau ? Ils en arrivent à décider de remonter et étancher le fond en y injectant un mélange d'argile, de sable et de ciment. Les 29/8/60 ils pompent l'eau de la piscine. Le niveau de l'eau baisse de 1 cm par minute. Le 30 ce résultat est confirmé. Ils ont gagné ! Malgré ce succès Pène ne sera pas invité à l’inauguration de la piscine, le 19/8/61. Un ''oubli'' de Pelletier. Mais pour tous ses anciens collaborateurs c'était la piscine de Pierre Pène. Le 7/8/63 Pène dit ''Je suis très fier à la vue de ma piscine : c'est une belle réussite, la conception en est parfaite et l'exécution très soignée. Peu de personnel d'exploitation, 50x20 elle a les caractéristiques olympiques, les douches d'eau douce sont chaudes. Un seul défaut mais compréhensible, la verdure manque''. E :VI.4 Corruption, Pastor. Outre le système monarchique archaïque Monaco souffrait d'être trop riche. L'argent engendre la corruption. Pène devait sans cesse refuser des cadeaux que lui proposaient telle ou telle entreprise. Un défenseur d'un projet immobilier qui portait le beau nom de ''projet Beaumarchais'' propose à Pène une montre ''Patek Philippe'' valant 200 000 F. Bien sûr Pène a refusé, mais connaissant son amour des montres de luxe on imagine ses regrets ! Le plus pur représentant de la corruption à Monaco était Gildo Pastor. D'origine modeste, son père avait fondé une entreprise de travaux publics qu'il a reprise et il a profité d'un essor de l'immobilier à Monaco pour devenir milliardaire. Il a construit quasiment tous les grands immeubles de l'avenue de la Princesse Grace, en bord de mer. Dés 1957 Pastor a reconnu en Pène un obstacle à ses affaires. En particulier le projet de terre-plein du Larvotto lui semblait de nature à gêner son projet de construction sur l'avenue de bord de mer. Le 16/5/57 il vient, tout miel, expliquer à Péne qu'il possédait tous les terrains en bord de mer et qu'il faudrait que l'on se réunisse pour en parler. Derrière l'écran ses méthodes étaient beaucoup moins conciliantes. Il avait ses entrées auprès du Prince. Le 18/10/57, Raymond Biancheri, collaborateur de Pène, lui fait ''des confidences intéressantes, voire passionnantes. Je suis tout surpris de sa confiance. On lui aurait demandé comment obtenir mon rappel en France vers le 15/8. Maintenant la crise serait atténuée. Je ne sais à quoi attribuer cette position sévère du Prince''. Pastor avait quelque chose d'un héros de Pagnol. Ce dernier a habité de 51 à 54 à Monaco, où il était un ami du Prince qui admirait son talent. Pastor avait des héros de Pagnol leur truculence, leur théâtralité, et bien sûr leur accent méridional. Il n'avait malheureusement pas leur aspect bon-enfant. Il s'enrichissait encore et encore. Le 16/1/59 ''Pastor joue la grande scène de la colère, de l'indignation, quand Campana lui demande s'il prend à sa charge les fondations des palmiers. Une réunion à huitaine est prévue où des précisions seront arrêtées... s'il plait à Dieu''. Le 23/1/59 ''Pastor joue son inévitable comédie : il prend son chapeau et part ...assez lentement pour qu'on puisse le rattraper sans lui faire perdre la face. À la fin excédés nous lui proposons de revenir tout simplement au tracé et au plan de 1957 joints au protocole. Cette offre qui devrait le combler d'aise, semble le laisser pantois''. Gildo achète à bas prix l’essentiel des terrains du bord de mer libérés par l'enfouissement dans le terre-plein du Larvotto et il construit des immeubles résidentiels de luxe tout le long de l’avenue Princesse Grace. À son décès, ses trois enfants, Victor (1936-2002), Hélène (1937-2014) et Michel (1943-2014), héritent d'un patrimoine immobilier de 500 000 mètres carrés estimé à 19 milliards d'euros. Le 6/5/2014 Hélène Pastor a été la cible d'une fusillade qui l'a blessée à mort. Sa fille Sylvia et son gendre ont été placés en garde à vue. C'est sur le gendre que pèsent les principaux soupçons. L'argent ne fait pas le bonheur dit-on. Pire, trop d'argent mène à la grande délinquance. E : VI.5 Pelletier et le départ de Pène En décembre 58 le ministre d'Etat (chef du gouvernement) Soum terminait son mandat. Pène aurait bien voulu le remplacer, on ne sait pas d'où est venue l'opposition à cette candidature, du Palais princier ou du ministère des affaires étrangères français. On a vu arriver Emile Pelletier. Ce n'était pas un inconnu, bien au contraire. Pendant l'Occupation, de 9/40 à 5/42 il est le préfet de la Somme, puis de mai à décembre 1942, préfet régional de la zone couvrant la Somme, l'Oise, l'Aisne et les Ardennes. Cette zone est celle dont Pène a été le Commissaire de la République à la libération. Donc doit on dire ''Pelletier un ancien collaborateur'' ? C'est plus compliqué. Il est écarté par Laval, alors chef du gouvernement de Vichy, et mis en disponibilité officielle en avril 1943. Il devient membre de l'OCM, l'organisation de résistance à laquelle Pène appartenait. Pelletier entre en clandestinité en janvier 1944 jusqu'à la Libération. Quand il a appris la nomination de Pierre Pène comme Commissaire de la République il a écrit sous le pseudonyme de Sénéchal un article qui se félicitait de cette nomination [174] {5 ème entrée}. On imagine que leur relation était ambigüe : dans les camps opposés puis dans le même camp. De même à Monaco, cela s'est passé plutôt bien au début. Pelletier soutenait le point de vue de Pène sur quantité de ces questions complexes. Cependant vers la fin leur relation s'est tendue. Le contrat de Pène se terminait en 1960 mais il aurait aimé une prolongation de deux ans. Il n'a pas caché son ambition, mais, pour rester digne, il ne l'a pas exprimée directement au Prince. Parmi les conseillers du Prince, les membres du gouvernement et les entrepreneurs bien introduits, certains ont soutenu Pène, d'autres ne l'ont pas fait. On imagine facilement le point de vue de Pastor. Les rumeurs circulaient vite et bien dans la Principauté. Pène a vite su que Pelletier faisait partie de ceux qui ne le soutenaient pas du tout. Ils s'en sont expliqué. Le 6/8/60 ils opposent leurs points de vue sur leur lointain passé pendant l'occupation ''Un long historique suit de nos rapports où il a le beau rôle. Il prétend même que j'ai postulé l'emploi d'Intendant des affaires économiques et qu'il m'en a dissuadé ; en fait il m'avait fait pressentir, et apprenant que ma femme était juive il m'en avait dissuadé. Quand je le contredis il s'obstine. Puis il me reproche étant donné notre amitié, d'avoir même pu penser qu'il ne m'avait pas défendu de son mieux. Je lui précise ''m'avez-vous défendu toutes les fois que SAS m'a attaqué devant vous ? - certainement – Alors je le crois'' Le 19/9/60 Pène précise ce qui s'est passé sous l'occupation ''Je lui précise en y insistant que je n'ai jamais posé en 1941 ma candidature au poste d'Intendant des affaires économiques. C'est lui qui m'a convoqué à Amiens où il liquidait son poste de préfet de la Somme avant de prendre celui de préfet régional. Je n'ai jamais rien demandé à Vichy. Il l'admet mais ne sait plus qui lui a dit que j'étais candidat''. Le 16/8/61, Pène a quitté son poste depuis le 30/9/60. Une dernière altercation avec Pelletier éclaircit les derniers doutes. Il n'a pas invité Pène à l'inauguration de la piscine le 19/8/61. Pourtant c'est bien Pène qui a mené cette édification de la piscine et tous ses anciens collaborateurs l'appellent ''sa piscine''. Non seulement Pelletier n'a pas soutenu Pène mais c'est lui qui a trouvé un successeur à Pène, Champsaur, ingénieur des ponts, d'une compétence très discutée dans le corps des pont et chaussées. Pène et Pelletier se sont connus en 1942 dans deux camps adverses, ils se quitteront de même. La carrière de Pelletier ne s'est pas prolongée très longtemps car une crise franco-monégasque était en germe. Elle est racontée par Stéphane Mourlane [204]. La crise éclate à la suite d’une ordonnance prise le 14 janvier 1962 par le prince Rainier III. Cette ordonnance favorisait la Société des Bains de Mer au détriment d'intérêts de l'Etat français. Le ministère des Affaires Etrangères français charge Pelletier d'avoir une explication avec le Prince. Cela se passe mal et Pelletier est congédié immédiatement par le Prince. La France prend des mesures de rétorsion contre Monaco, elle entoure la Principauté d'un cordon douanier. Un accord ne sera trouvé que le 18/5/63. Tout bien considéré, Pierre Pène a eu de la chance de terminer son temps dans le gouvernement Monégasque le 30/9/60 et d'éviter ainsi d'être impliqué dans cette crise. C'est le fameux adage qui veut qu'un événement malheureux peut se révéler heureux, et réciproquement. Ayant gardé l'appartement de la rue de la Princesse Grâce la famille Pène retournera souvent à Monaco. E :VII Pène Ingénieur Général des ponts et chaussées, la mort de Gilles Pène est donc retourné dans le corps des ponts et chaussées dont il avait été si longtemps détaché pour diverses missions. Le 12/10/60 il assiste à la séance plénière du conseil des Ponts et chaussées. Il est près du président, mieux classé que les autres membres de sa promotion du fait de sa résistance. Le 8/6/61 Pène rencontre Callet, Directeur des transports terrestres au Ministère des Travaux Publics. Il propose à Pène un des deux postes d'Ingénieur général des transports, l'autre étant confié à Buteau. Pène devra beaucoup voyager pour aller dans les départements dont il devait inspecter les Ingénieurs en Chef et les Ingénieurs Ordinaires. Il observait comment les équipes travaillaient mais aussi entendait leurs récriminations qu'il transmettait au ministère. Il dit qu'il est devenu le ''Goy errant'' par allusion au ''Juif errant''. Pendant l'été 1966 Pène entend parler de ''cellules régionales de transport''. Il se promet de démêler ce que cela signifie à la rentrée. Dans les réunions officielles on entend des forfanteries concernant des services régionaux qui n'existent que sur le papier. À Lyon, Pène constate une colère ''Le service Régional de l'équipement mis en place est en ébullition : la Direction départementale qui doit lui fournir les moyens en personnel et en matériel les brime. On aurait recherché les incidents on aurait pas agi autrement''. On dirait que le désordre dans l'administration publique de nos jours n'est pas vraiment une nouveauté. Quand Pène rapportait ce mécontentement général qu'il observait concernant ces services régionaux, il ne trouvait pas d'oreille très réceptive. Les assemblées plénières du Conseil Général des Ponts et chaussées ont un déroulement qui dépend beaucoup de la personnalité de leur président. Pierre Renaud les préside, il est caractériel, coléreux et brutal. On imagine que cela ne facilite pas le travail. Début avril 1963 on apprend avec un grand soulagement qu'il part à la Compagnie Générale Transatlantique. Quand ses tournées d'inspection l'amenaient dans le sud-est, Pène en profitait pour faire un saut à Monaco où, par ailleurs, Françoise et lui allaient en été tous les ans. Si son inspection se passait dans le sud-ouest il passait par Cier de Rivière d'où venaient ses ancêtres et où vivait sa sœur Clotilde. Il allait aussi voir son petit fils Gilles dans l'institution d'accueil des enfants handicapés jusqu'à la mort tragique de Gilles le 9/12/66. Ce garçon de 13 ans ne parlait toujours pas. Il était un véritable acrobate et aimait grimper le long des façades. Rue de la Tourelle il montait à l'étage supérieur par l'extérieur !! Donc dans l'institution où il était en 66, il est un peu malade, on l'amène à l'infirmerie. L'infirmière, seule, est occupée par un autre enfant. Il fait nuit. Gilles ouvre la fenêtre pour grimper sur des échafaudages qu'il avait vu dans la journée, mais ces échafaudages avaient été enlevés. Il est tombé et est mort sur le coup. Annette et Paul Guillaut ont tout fait pour dédouaner l'institution d'une quelconque responsabilité dans cet accident tragique en disant aux autorités que leur fils avait toujours été difficile à contrôler. E :VII.1 Les inspections particulières Callet chargeait aussi Pène de tâches additionnelles.

E :VII.1.1 La liaison Méditerranée-Niger On lui a demandé d'étudier une liaison entre la mer Méditerranée et le Niger. Une organisation créée en 1957, nommée ''Organisation Commune des Régions Sahariennes'' (OCRS) ambitionnait de détacher des espaces territoriaux de l’Algérie, du Soudan Français (le futur Mali), du Niger et du Tchad, des zones réputées riches en ressources minières au bénéfice de la puissance coloniale. La plupart de ces états avaient conquis leur indépendance. Le 5/2/62 Pène préside une réunion concernant la liaison Méditerranée-Niger en présence des représentants de l'OCRS. Pène appréhende cette séance car ''l'OCRS a les dents longues''. Il leur donne la parole en premier, et, ''Miracle'', l'OCRS se montre tolérant, elle entend respecter les positions acquises par l'organisation ''Méditerranée-Niger''. E :VII.1.2 Les transports routiers et ferroviaires bretons. On le charge de faire un rapport sur les transports routiers et ferroviaires en Bretagne. En effet, les bretons ont le sentiment d'être abandonnés par l'Etat national en particulier concernant les transports routiers et ferroviaires et leur raccordement au reste de la France. Pène demande un rendez-vous à René Pleven, qui est d'origine bretonne. Le 18/12/61 il le rencontre, ''il a peu changé,...nous parlons comme deux amis''. La question concerne la mise à Voies Normales des voies ferrées anciennement à voie unique et écartement différent de l'écartement national. Pène a consulté plusieurs personnes. Les avis diffèrent. Certains pensent qu'il vaut mieux développer des routes. Ou peut-être se limiter à transformer l'ancienne ligne de Guingamp à Carhaix. Mais Pleven tient à avoir un réseau complet breton qui puisse se raccrocher au réseau national. Il voudrait que la voie Guingamp à Carhaix soit prolongée en Guingamp-Carhaix- Rosporben {Guingamp est plutôt au nord, Carhaix est au milieu de la péninsule un peu à l'ouest et Rosporben, dans le prolongement près de la côte sud}. Il voudrait aussi la mise à Voie Normale de la seule ligne médiane de Camaret-Chateaulin-Carhaix{Camaret est à la pointe occidentale, Chateaulin vers l'est et Carhaix plus à l'est} encore prolongée vers l'est. Pène se demande comment faire admettre à la commission une position aussi peu défendable, car Pleven veut que les point extrêmes, tels Camaret appartiennent au réseau à Voie Normale. Le 22/1/62 Pène est consulté par le directeur de cabinet du ministre. Le lendemain il y a conseil des Ministres sous la présidence de Michel Debré. Debré reproche aux Travaux Publics de ne rien faire pour la Bretagne. Pène écrit ''je sors mon petit cours bâtard, pas trop fier de mon produit : mise à voie normale de Guingamp-Carhaix, abandon de Chateaulin-Camaret et Carhaix-Morlaix, diésélisation du reste. Que dira Pleven quand il connaîtra mon rapport ?''.

E :VII.1.3 Les ingénieurs des ponts scientifiques Un nombre non négligeable d'ingénieurs des Ponts et Chaussées avaient été détachés au Centre à l'Energie Atomique (CEA) et à d'autres laboratoires de recherche. Pène devait les inspecter. Pène rencontre Laroche qui se plain d'avoir été mal traité. Il donne une vision du CEA comme bicéphale : le Haut Commissaire lié à l'Université et l'Administrateur général lié au corps des mines. Ce bicéphalisme a peut-être encore en 1961 une connotation politique. Le premier Haut Commissaire en 1945 fut Frédéric Joliot-Curie, prix Nobel de chimie, mais révoqué en 1950 par Bidault car communiste et surtout réticent à contribuer à la bombe atomique. Gaudin fait de la physique théorique au CEA. ''C'est comme ses pareils un garçon modeste et content de son sort'' et il parle de ses communications scientifiques. Crussard travaille aussi au CEA sur les très hautes énergies qui ne sont pas directement liées aux objectifs du CEA. Il a une santé fragile. Il descend d'une dynastie connue de l'Ecole polytechnique : son père, son grand- père et son oncle ont été ''major'' {premier} au concours d'entée et à la sortie de l'Ecole. Par sa mère il est apparenté à la famille Friedel, une dynastie scientifique dont le dernier, Jacques Friedel a été un des fondateurs du laboratoire de Physique de Solides de l'université de Paris-Orsay. Pène inspecte aussi Pierre Astier, du collège de France. Le 4/4/63 un grand nombre d'Ingénieurs Généraux partent en bus admirer le radiotélescope de Nancay. C'est une belle installation scientifique qui utilise à grande échelle la détection des ondes radio émises par les astres pour les observer. E :VIII Les dernières années VIII.1 L'infarctus de Pierre Pène Les ennuis de santé de Pierre Pène ont débuté par un infarctus. Le 9/8/65 ''Tout à coup une violente douleur grandit sans limite du côté du cœur, une poigne de fer me serre et la douleur s'irradie, gagne le sternum où elle s'installe, prend tout le côté gauche''. Françoise alerte immédiatement les voisins très sympathiques, les Campora. Mme Campora alerte son mari, pharmacien, qui se précipite. ''Le malheureux qui a tant à faire, qui est debout depuis 6h, reste à mon côté 1h30''. Après une longue recherche le Dr Simon arrive et il fait une piqure de dolosal. La douleur s'atténue. La nuit une nouvelle douleur, Campora fait une piqure de dolosal. Une chambre se libère à l'hôpital. Les médecins soumettent Pène à un régime alimentaire strict, il ne doit faire aucun effort. Les examens se succèdent. Même quand il y a un mieux, il reste des traces inquiétantes. On lui interdit d'aller travailler hors de chez lui avant le mois d'avril 1966 ! Justement en avril 66 un choc émotionnel l'attend, sa sœur Clotilde quitte définitivement l'appartement où ils ont passé leur enfance, où sont décédés leur père en 38 puis leur mère en 42. Pène rentre dans la vie active, il reprend ses tournées d'inspection, mais en se ménageant tout de même. À quelque chose malheur est bon, sa fille Florence lui dit en substance que cette alerte devrait l'encourager à raconter sa vie par écrit. Pierre Pène s'est exécuté et son récit par écrit se trouve sous la référence [66]. E :VIII.2 le comité d'histoire de la deuxième guerre mondiale La vie de Pierre Pène a été une vie d'une rare intensité, pleine de vie et de fureur mais aussi de joies et d'honneurs, de souffrances terribles et de grands plaisirs, de victoires et de défaites, il a exercé de nombreux métiers combattants ou pacifiques, mais, au crépuscule de sa vie il devait en découvrir un autre : celui d'historien amateur ! Il a rendez-vous le 29/11/66 avec l'historien Henri Michel qui dirige le Comité d'Histoire de la 2ème Guerre Mondiale''. Henri Michel ''est fin et courtois'', il lui expose les buts de son organisme : coordonner, donner une impulsions, entreprendre des tâches dont personne ne peut se charger. Les prédécesseurs étaient Roger Renault et Chary. Pène représentera le Ministère des Travaux Publics auprès du Comité d'Histoire. ''Mon premier travail sera de rechercher les archives et les moyens d'action qui peuvent exister au Ministère. Y a-t-il un archiviste ? Les archives ont-elles été déposées aux Archives Nationales avec des références permettant de les consulter ? Autant de questions. Tout un genre de travail nouveau pour moi qui n'ai jamais fait œuvre d'historien''. Cette remarque nous amuse, qui n'avons jamais fait œuvre d'historien et avons dû cependant consulter de très nombreuses archives pour raconter la vie de Pierre Pène. Le 6/2/67 Pène assiste pour la première fois à la séance de la Commission d'histoire économique et sociale du Comité d'Histoire. Jean Fourastié, économiste renommé, parle à cette assemblée formée essentiellement d'universitaires. ''Quand mon tour vient je signale mon émoi devant la masse énorme de dossiers (10 000) entreposés aux archives propres du ministère. Rien ne signale sur les bordereaux s'il y a ou non dans le dossier une pièce intéressant la Résistance. Henri Michel me répond que l'important est d'éviter la destruction de toute archive supposée pouvoir contenir une pièce intéressante. Nous voici donc à plus de 20 ans de la fin de la guerre préoccupés surtout de préserver ce qui reste des dossiers de résistance. La rédaction semble encore lointaine''. Chary, son prédécesseur, vient voir Pène. Il a accumulé des documents intéressants à l'en croire. Il en a 30 kg et les enverra par morceaux à Pène. L'a-t-il vraiment fait ? Il ne semble pas, Pène n'en parle plus. Le 3 avril 69 Pène dit qu'il va parfois à la Mission des Archives au Ministère. ''Je n'y fais pour le moment qu'un travail d'archiviste, voire de sous-archiviste, l'accession au rang d'historien est pour plus tard. Quel fatras il faut consulter avant de trouver une pièce intéressante, que de poussière sur les papiers et sur les doigts''. Sa maladie l'empêchera d'aller plus loin. E :VIII.3 Les positions politiques de Pène sous la 5ème République

E :VIII.3.1 La guerre d'Algérie Pierre Pène commentait souvent les évènements politiques. En 1958 la guerre d'Algérie provoqua une crise politique sérieuse qui a permis à de Gaulle de rependre le pouvoir qu'il avait quitté en janvier 1946. Pène avait toujours été gaulliste, et il est plutôt content de voir de Gaulle au pouvoir. Mais il est assez pessimiste sur les chances de succès de de Gaulle. ''Le délai de 6 mois est bien court ; s'il a le temps d'apaiser l'Algérie, il aura du mal à préparer et faire admettre une nouvelle constitution et à rétablir les finances en si peu de temps''. Pène est trop pessimiste, De Gaulle a quand même réussi cet exploit. Ce sera seulement dix ans plus tard qu'il affrontera une révolte. De Gaulle était réaliste et un fin observateur de la géopolitique. Il a vite compris qu'il fallait se résigner à accorder l'indépendance à l'Algérie (comme Mendès-France l'avait fait pour la Tunisie et le Maroc) et il a habilement trompé les partisans de l'Algérie française avec son fameux ''je vous ai compris''. On peut comprendre quelqu'un sans être d'accord. De Gaulle maniait la langue avec virtuosité. Pène était parfaitement d'accord avec lui sur cette question. Ce débat était très violent parmi les politiques, parmi les anciens résistants, il divisait les familles et les amis, on aurait dit ''l'affaire Dreyfus''. Pène était encore à Monaco. Le 22/8/62 il y eut l'attentat du Petit-Clamart perpétré par l'OAS dans le but d'assassiner de Gaulle. Et le fils de Jean Bertin, l'étudiant Pascal Bertin, faisait partie du commando qui a exécuté cet attentat. Le 29/1/63 les compagnons fêtent la fondation de l'ordre, et bien sûr on parle de Jean Bertin, compagnon de la libération, et de l'acte commis par son fils Pascal. ''Boulloche est cité comme témoin de moralité de Jean Bertin, et n'en est pas plus fier. Il estime ne pouvoir manquer de dire toute la valeur de Bertin dans la Résistance et je pense comme lui. Quelle aberration d'avoir conduit son fils au crime, ou du moins de l'avoir entouré d'une ambiance conduisant au crime politique !'' Le 2/12/63 Pène écrit ''Bertin me fait visite, nous avons des opinions politiques aussi différentes que possible, et nous parlons politique sans nous quereller : C'est un exploit. Content de n'être plus fonctionnaire, il fait des projets pour un entrepreneur replié d'Algérie à Luchon. Mais il n'a aucun collaborateur : je retrouve tout son désordre qui annihile de si grandes qualités. Son fils prend courageusement son sort et lui aussi ; la mère a eu une dépression nerveuse après l'arrestation''. E :VIII.3.2 La guerre ''des 6 jours''. Avant, pendant et après la ''guerre des 6 jours'' entre Israël et l'Egypte Pène a très nettement soutenu Israël, déclarant que l'existence d'Israël avait été en grand danger et que la responsabilité de cette guerre incombait à l'Egypte. Ce faisant Pène prenait, peut-être pour la première fois de sa vie, le contre-pied de de Gaulle. Cette guerre s'est déroulée du 5 au 6 juin 1967. Israël a remporté une victoire écrasante, qui a même amené Nasser, le dirigeant égyptien, à envisager sa démission. De Gaulle a critiqué Israël, lui reprochant d'avoir déclenché cette guerre alors même qu'il essayait d'obtenir un accord entre les deux parties. Il s'est expliqué dans une fameuse conférence de presse en novembre 1967. Citons en un extrait impressionnant : l'état d'Irsaël ''ayant attaqué, s’est emparé en six jours de combat des objectifs qu’il voulait atteindre. Maintenant, il organise sur les territoires qu’il a pris l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions et s’y manifestera contre lui la résistance qu’à son tour, il qualifiera de terrorisme''. Un demi-siècle plus tard, nous en sommes toujours là. La tentative de paix des accords d'Oslo a avorté du fait de l'extrême droite d'Israël qui a organisé l'assassinat de l'Israélien Rabin et du dirigeant palestinien Arafat. Cette extrême droite est au pouvoir sans discontinuer depuis longtemps et elle poursuit très précisément ce que de Gaulle anticipait en Cisjordanie et à Gaza. Pène n'a pas connu cette évolution. Pène rencontre Videau, une relation de Didier Pène, qui travaille à l'Agence France Presse et donne des précisions sur les évènements qui ont déclenché cette guerre : ''La diplomatie française avait à l'en croire apaisé le conflit et obtenu des deux parties : Egypte et Israël, la promesse de ne pas attaquer : c'était le 4 juin. Dans la nuit du 4 au 5 les Américains, pour couper l'herbe sous les pieds de de Gaulle, donnent le feu vert à Israël. Les israéliens ne résistaient pas au plaisir de remporter une nouvelle victoire et attaquaient à fond''. Pène maintient qu'Israël était dans son bon droit en attaquant. L'opinion, en général, ignorait ce que de Gaulle savait sans doute, l'armement très puissant vendu à Israël par ….. la France de la quatrième république ! De Gaulle savait que la France avait installé en Israël les moyens de développer un armement nucléaire. La France avait fourni une centrale dans la région de Dimona. En 61 de Gaulle refuse d'aider à la séparation du plutonium, ce qui aurait été un pas vers la bombe, mais il poursuit l'aide au réacteur de Dimona. Par la suite les britanniques aident massivement Israël. L'arme atomique israélienne était-elle opérationnelle en 67 ? nous l'ignorons. Aujourd'hui bien sûr que oui, c'est un secret de polichinelle depuis la révélation de Mordéchaï Vanunu en 1986, condamné à 18 ans de prison pour avoir dit la vérité. Le métier de lanceur d'alerte est dangereux ! Pierre Pène n'était plus là pour l'apprendre. E :VIII.3.3 Mouvement de 68 et la suite Un an plus tard, éclatait en France le mouvement de mai 68. Pène n'avait naturellement aucune sympathie pour ce mouvement. Il le décrit au jour le jour. Il sous-estime le caractère spontané du mouvement ouvrier ''à qui obéissent les ouvriers de Renault ?'' Ici il rejoint de Gaulle qui de bonne foi ou par ruse a imputé le mouvement ouvrier au Parti Communiste. En fait ce parti et son syndicat, la CGT, étaient terrorisés par ce mouvement qui leur échappait, et c'est pourquoi ils ont accepté de signer un accord qui ne donnait aux ouvriers qu'une augmentation de salaire qui serait épongée en quelques années par l'inflation. Ils ont aussi eu le droit à la section syndicale d'entreprise qui était encore loin des droits des travailleurs allemands. En juin 68 de Gaulle gagne les élections. Commentaire de Pène ''Le 1er tour des élections marque un succès gaulliste. Beaucoup d'électeurs ont voulu voter contre le désordre. Rien n'est encore joué, mais si le succès de l'UDR se confirme on ne pourra plus du tout faire entendre raison au général''. On le voit, Pène n'était plus du tout gaulliste. On apprend l'assassinat de Robert Kennedy à Los Angeles, le frère de John Fitzgerald assassiné en novembre 1963 à Dallas. ''Naturellement on a rapproché ce drame du meurtre de John Kennedy ; dans les deux cas le tueur, en abattant un membre du clan Kennedy, ouvre la voie à un politicien du clan Johnson : Johnson lui-même à Dallas, Humphrey son vice président à Los Angeles''. Cette remarque est pertinente. On ne sait pas qui a assassiné les deux frères Kennedy. C'est peut-être lié à la guerre du Vietnam. Johnson croyait pouvoir la gagner et Robert Kennedy plaidait pour un retrait honorable et négocié. Les mises en garde de de Gaulle aux américains sur la question du Vientam se sont révélées fondées, mais ni de Gaulle ni Pène ne seront témoins de l'humiliante défaite américaine en 73-75. Le mouvement de 68 était mondial. La Tchécoslovaquie s'était soulevée contre le système soviétique. Le 21/8/68 une alliance dirigée par l'URSS envahit ce pays. ''Comment les Russes ont-ils pu prendre un risque pareil, commettre une vilénie pareille ? ''. Les Pène et les Guillaut décident de boycotter les chœurs et danses de l'armée rouge. Il est vrai qu'en 68 de Gaulle aussi avait envisagé une invasion militaire de la France. Il était allé voir le général Massu en Allemagne dans ce but. Et Bubi, le colonel Paul Guillaut, a raconté que son régiment, le 7ème chasseur, basé à Arras, avait été avancé à Pontoise pendant les jours sombres de fin mai, début juin de 68 et ''les hommes auraient marché bien que désolés de combattre des français''. En contre-partie, les unités de la région parisienne étaient acheminées vers le nord pour éviter d'opposer des hommes de la même région''. Voici un aspect peu connu des évènements de 68 ! En 68 de Gaulle a perdu son sang froid, il comprenait merveilleusement la géopolitique, mais pas les rapports de classe. Il faut rendre grâce à Pompidou qui a réussi à le dissuader de créer un bain de sang digne de Thiers en 1871. En 1969 de Gaulle lance un référendum destiné à réformer le sénat. Il perd ce référendum par 52,4 % de contre. Le 28 avril il annonce sa démission. Il faut reconnaître à de Gaulle que c'est l'unique personnage politique qui a, à deux reprises, quitté le pouvoir volontairement : le 20/1/46, et le 28/4/69. Pène n'a pas commenté ce départ.

E :VIII.3.4 Les obsèques de de Gaulle Le 10/11/70 on apprend la mort de de Gaulle. ''Dans l'ensemble les français sont bouleversés. Pompidou donne connaissance des volontés du mort sur son enterrement : aucune cérémonie, pas de discours ni d'homélie, pas de président, pas de ministre ; seuls assisteront au service la famille et les Compagnons de la Libération, les honneurs militaires seront rendus sans sonnerie. La cérémonie est prévue pour le 12. L'organisation du voyage des Compagnons est difficile. Un train spécial les amène à Colombey. Le hasard a mis Savary en face de Pène et Piette à sa hauteur sur l'autre rangée. À Bar sur Aube des cars les emmènent à Colombey. Et c'est l'entrée goute à goute par une porte latérale dans l'église. ''J'attendris l'appariteur pour être assis''. Souvenons-nous en effet que Pène est en convalescence de son infarctus. ''La cérémonie funèbre s'est déroulée dans une ambiance de ferveur et de sincérité. Les moments les plus émouvants furent les traversées de l'église de la porte à l'autel et de l'autel à la porte par le cercueil drapé de tricolore et porté par 12 gars du village. Il progressait avec une lenteur infinie, comme si l'assistance, comme si la France toute entière retenait le grand mort sur la route du tombeau. Seule la famille assista à l'inhumation. Nous sortîmes aussitôt après : j'étais au fond de l'église et sortis un des premiers, j'arrivai à la tombe et me penchai, rien, un homme en blanc maçonnait au fond du tombeau''.

E :VIII.3.2 La mort du maréchal Kœnig Les Morts célèbres se suivaient. Le 2/9/70 c'est le général Maire-Pierre Kœnig qui mourrait. Pierre Pène le connaissait bien. Kœnig était jusqu'en septembre 49 le commandant en chef de la zone d'occupation française en Allemagne. Il était donc le chef de Pierre Pène, gouverneur du Bade-sud. ''J'ai eu de nombreux chefs dans ma longue carrière, aucun ne m'a paru si humain, si estimable que Kœnig. Au cours des 3 années que j'ai passées sous ses ordres en Allemagne, j'ai pu apprécier la qualité à la fois délicate et ferme de son commandement. Avait-il une observation à faire, elle était toujours nette, elle n'était jamais blessante. On connaît ses exploits militaires, notamment à Bir Hakeim, on apprécie les services rendus comme Ministre, mais surtout on garde une affection profonde à l'homme de bien, au chevalier sans peur et sans reproche''. Il est nommé Maréchal de France à titre posthume, le 6/6/84, par Mitterrand. Modeste, il disait à Françoise Pène ''n'ayant aucun titre et ne sortant d'aucune grande école, j'aurais fini capitaine s'il n'y avait pas eu la guerre''[24].

E :VIII.4 La vie de famille Pierre Pène était très attaché à sa vie de famille. Il était très attaché à sa femme Françoise, sa sœur Clotilde, ses quatre enfants et ses petits enfants. Il a été très affecté par la mort accidentelle de son petit-fils Gilles et il voyait un signe heureux dans la naissance de son petit-fils Cédric qui a suivi de peu cette tragédie. Il a écrit un poème à ce sujet : Décembre 1966 Le rameau étiolé négligé par la sève Végétait lentement, condamné à vie brève Tous les soins étaient vains. Mère, parents, amis, Un orage soudain, imprévu et brutal, Frappa la pauvre branche dans un élan fatal. L'infortuné rameau projeté jusqu'à terre, y tomba d'un seul coup, s'y brisa comme verre, laissant le souvenir d'un ange silencieux, Hier encore réprouvé, aujourd'hui bienheureux. Mais sur le tronc meurtri, un bourgeon verdoyant, pointe encore minuscule et déjà chatoyant Promettant l'avenir, l'oubli de la disgrâce, une vie accomplie dans la joie et la grâce. Pierre Pène (le grand-père) Il aimait voir les progrès de Cédric, le ''bourgeon verdoyant''. Il a peu connu son petit fils Nayen. Il admirait la vivacité de ses petites filles Christine et Patricia. Il fréquentait bien sûr aussi les cousins et cousines à différents degrés. Il aimait les grandes réunions familiales. Il serait heureux de savoir qu'en 2019 excepté Gilles, tous ses descendants sont vivants. Il ne ratait aucune des fêtes usuelles. Il était ému quand ses filles ou ses fils manifestaient à son égard l'amour filial, en particulier quand il était malade. Il aimait aller au spectacle avec Françoise. Il aimait faire tes tournées touristiques à travers la France. Il a profité de tournées d'inspection pour admirer la France et parfois a emmené Françoise avec lui. Du 27/7/62 au 27/9/62 il visite les USA avec Françoise. C'est une occasion de rencontrer Florence et son mari Pete, mais aussi la famille de Pete. Et surtout ils ont vu leurs petits-enfants américains Kay, Daniel (alias Kabba) qu'ils avaient déjà vus en France. La dernière, Barbara, naîtra après leur voyage mais elle viendra en France an 1969. E :VIII.5 Pène a beaucoup souffert Le 31/3/69 Pène va voir le Dr Bernal. Il souffre de migraines douloureuses. ''L'examen est satisfaisant et la migraine a une cause inconnue''. Il a souffert par intermittence pendant trois ans, le rythme et la douleur s'accroissant sans cesse. Nous ne savons pas de façon certaine la nature de ce mal et il n'est pas sûr que les médecins aient pu l'identifier exactement. Deux maladies ont apparemment coexisté, une arthrose cervicale et un cancer de la prostate. L'arthrose cervicale : Il arrivait que tournant la tête trop rapidement, il tombe en syncope et tombe brutalement, se faisant mal. Le 4/4/70 cela lui est arrivé dans une piscine à Monaco. Il nage à côté de Françoise, il tourne la tête vers elle, mais il l'a tournée trop vite. ''d'un seul coup c'est le voile noir, je perds conscience. Je retrouve mes esprits au fond de l'eau ne sachant plus ou est le fond, où est la surface, un pied est près de moi, je le saisis mais il se dégage, je commence à suffoquer. Enfin ma bouche sort à l'air libre mais je ne peux presque plus respirer. Françoise m'aide à gagner le bord et je grimpe l'échelle, cahin-caha, suffocant, livide''. Il rejette de l'eau. Il est emmené en clinique où il continue à hoqueter. C'est une cruelle ironie de l'histoire que cet homme qui a subi le 4/4/44 la ''torture de la baignoire'' ait failli se noyer accidentellement dans une piscine. Sans doute alerté, le Prince envoie une invitation à l'Opéra en matinée, mais impossible de connaître l'horaire et ils ne verront que l'acte final ! Le cancer de la prostate est envisagé dés le 27/5/69 par le Dr Raynaud et le neurologue Bonduelle. Les médecins ne savent pas si cela a un lien avec l'arthrose. ''Ne leur jetons pas la pierre, leur tâche est redoutable devant des maladies nouvelles, des malades aux réactions imprévues, des remèdes inconnus''. Il faut essayer le TACE ''remède miracle''. Les malaises espacés ne disparaissent jamais vraiment. Par moment on a l'impression d'un mieux. Puis cela reprend en plus douloureux. Il souffrait de plus en plus. Ce calvaire a duré trois ans. Il continuait à suivre l'actualité, les évènements politiques, les évènements sportifs et il était fasciné par l'aventure spatiale : le 21/7/69 il se passionne sur les premiers pas de Armstrong et Aldrin sur la lune et Collins qui restait dans le vaisseau pour permettre aux deux autres de rentrer sur terre. Le 3/2/71 un intermède joyeux, on remet à Pène dans l'ambassade d'Allemagne la croix de commandeur du mérite allemand. Un étrange bras de fer se livre pour cette cérémonie entre l'ambassade d'Allemagne et le Sénat qui devait aussi participer à cette cérémonie. Alain Poher, président du sénat, donc deuxième personnage de l'Etat, est venu à l'ambassade. Pène reçoit beaucoup de lettres d'Allemagne pour organiser son voyage là-bas. Le 15/4/71 Pène a une fièvre de 39,6°. Le remplaçant du Dr Raynaud, Boissonat, prescrit de l'aspirine et procède à des analyses. Le 21/4/71, au vu des analyses il donne le feu vert pour aller en Allemagne. Nous avons décrit ce voyage cf D:IX.5. Ce séjour a rendu Pène très heureux par la reconnaissance et l'amitié qui lui ont été prodiguées. Le Regierungs-Präsident (président du gouvernement) Person, fils du président du Landtag Person, a fait les démarches pour la croix de commandeur du mérite allemand, décernée par le Président de la RFA. A son retour en France la santé de Pène ne cesse de se détériorer. Les douleurs apparaissent partout dans son corps. Il réveillonne tout de même fin 71. Le 20/3/72 ''L'appartement résonne du rire clair de Florence. Elle arrive pour une petite semaine ...sa visite me fait le plus grand bien, quoique son départ m'éprouve. La vie est ainsi faite, toute médaille a son revers''. Cette remarque dans le style de Pène termine ses journaux. Il est mort dans la nuit du 19 au 20 avril 1972. Annette lui faisait déjà depuis un certain temps des piqures de morphine pour atténuer la souffrance. Elle lui a demandé s'il avait trompé sa femme, il a répondu qu'il n'avait jamais aimé qu'elle. Puis il a dit ''pourquoi, pourquoi, pourquoi ?'' et il est parti.

E :VIII.6 Reconnaissance tardive de la ville de Paris. C'était incontestablement un homme hors du commun qui nous quittait il y a plus de 47 ans. Sa vie posthume commençait. La quatrième génération de ses descendants est apparue il y a dix ans. Sa personnalité était complexe. Après avoir trois fois combattu les Allemands, il a trouvé une étonnante harmonie avec les badois du sud. Mais pas le moindre monument, pas le moindre nom de rue ne préservait sa mémoire. Même si l'espèce humaine court avec énergie vers un suicide collectif, c'est la mémoire que nous voulions préserver. Il a dirigé les FFI de la région parisienne du 1er janvier au 4 avril 1944. Il succédait à Roger Coquoin et fut à son tour suivi par Robert Fouré et Henri Rol-Tanguy. Le nom d'un place a été donné près de Denfert à Rol- Tanguy. Nous avons donc demandé qu'une plaque honore Coquoin, Pène et Fouré. Le comité d'histoire de la ville de Paris a étudié avec sérieux la question. Il nous a répondu que Robert Fouré était honoré par un plaque sur l'immeuble où il avait vécu, le 128 rue de Rennes, avant d'être arrêté et déporté sans retour (cf B:III.2). Le comité d'histoire a choisi l'immeuble à la sortie duquel Roger Coquoin a été abattu par balles le 29 décembre 1943. Ce projet a été accepté par les copropriétaires de cet immeuble, puis par le conseil de Paris à l'unanimité. Le 19 juin 2019 une plaque était dévoilée au 4 rue des frères Périer dans le 16ème arrondissement. Mme Vieux-Charier a parlé au nom de Mme Hidalgo, maire de Paris. Mr Thierry Martin au nom de la maire du 16ème arrondissement, Mme Carnot de Giuli a parlé de Roger Coquoin, étant la nièce de son épouse, et Olivier Pène a parlé de son père. La plaque a alors été dévoilée et elle portait le texte suivant En mémoire de Roger Coquoin Commandant de la région P (Paris et région parisienne) de l'armée secrète à partir de l'été 43 mortellement blessé par la Gestapo dans cet immeuble le 29 décembre 1943 Et de Pierre Pène qui lui a succédé dans ces responsabilités et a dirigé les FFI de la région P jusqu'à son arrestation le 4 avril 1944

E :VIII.7 Un homme hors du commun. Pierre Pène était un homme hors du commun et le siècle dans lequel il a vécu l'a entraîné dans une vie turbulente et passionnante. Il a vécu le pire et le meilleur. C'était notre père, nous l'aimions et l'admirions, mais en creusant nous avons trouvé que sa vie était encore infiniment plus variée et plus complexe que nous ne le pensions. Issu de la classe moyenne inférieure, il s'est hissé à des hauteurs qui lui ont fait connaître ceux qu'on appelle ''les grand de ce monde''. Il a connu la merveille de la solidarité humaine et de l'esprit de sacrifice, ainsi que les turpitudes de la corruptions et de la trahison. Il était un combattant, un battant, et en même temps émotif et sensible. Il avait le sens du compromis, et les badois lui en ont su gré. Faut-il faire la liste invraisemblable des fonctions qu'il a assumées au cours de sa vie ? Presque toutes sont inhabituelles pour ne pas dire exceptionnelles. Nous espérons avoir donné une idée de ce personnage et de son regard toujours un peu distancié, ironique, sur les autres et sur lui-même. En le suivant au long de son parcours nous rencontrons quantité d'hommes et de femmes exceptionnels parmi les puissants et parmi les humbles. Nous rencontrons des héros et des salauds (parfois c'est le même). Sa vie en a fait un personnage de l'Histoire, avec un H majuscule. Notre récit éclaire-t-il la dite Histoire ? Nous l'espérons. Pour ne prendre qu'un exemple nous pensons avoir démontré que l'insurrection de Paris ne s'est pas résumée à une mouvement spontané comme on le lit parfois, mais au contraire une action préparée depuis presque un an (B:III.2.3). De même l'anticipation par Pène en mars 46 des grands mouvements de 47- 48 démontre que ce n'était pas principalement une conséquence de la guerre froide ni une manœuvre communiste (C:V.5.4). Suivre dans le détail cette vie à quelque chose d'étourdissant. 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[9]''Dictionnaire historique de la Résistance'', François Marco, Bruno Leroux et Christine Levisse-Tousé, Robert Laffont, 2006 [10] https://fr.wikipedia.org/wiki/Zone_d'occupation_française_en_Allemagne [11]http://pierrepeneetfamille.free.fr/Bade/Bade.pdf La version en allemand : http://www.verfassungen.de/bw/baden/verf47.htm [12] http://PierrePeneetfamille.free.fr/Bade/index_memento_lander_bade.html [13]''L'occupation Française en Allemagne, 1945-1949'' par Marc Hillel, Balland, 1983. [14] https://de.wikipedia.org/wiki/Erwin_Eckert [15]Archives du ministère des Affaires Etrangères code 1ADM/34, accessible sur http://pierrepeneetfamille.free.fr/Bade/schneiter/indexp.html [16] http://pierrepeneetfamille.free.fr/Bade/index_memento_table.html, entrée ''L'Allemagne occidentale'' du memento confidentiel. [17] http://fr.wikipedia.org/wiki/Blocus_de_Berlin#La_m.C3.A9sentente_des_Alli.C3.A9 [18] The Eden Memoirs, the reckoning, 1965, Houghton Mifflin Company Boston. [19] Interrogeons l'histoire de l'Allemagne, Deutscher Bundestag Referat Öffentlichkeitsarbeit, Bonn 1992 [20] Archives du ministère des Affaires Etrangères code 1BAD/1 [21] https://fr.wikipedia.org/wiki/Kehl [22] https://fr.wikipedia.org/wiki/Wurtemberg-Bade https://fr.wikipedia.org/wiki/Résistance_allemande_au_nazisme [23] https://www.unicaen.fr/recherche/mrsh/crdfed/nuremberg/consult/Nuremberg/03/11e.xml/pm03121945 [24] Françoise Pène, la vie d'une femme résistante, Editions Grandvaux 2013 [25] Jean Moulin, la République des catacombes, Daniel Cordier, folio histoire, Gallimard 1999. [26] https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Wirth [27] http://fr.wikipedia.org/wiki/Theodor_Heuss [28] https://de.wikipedia.org/wiki/Paul_Zürcher [29]https://fr.wikipedia.org/wiki/Gebhard_Müller [30] Denis Peschanski, La France des camps - L'internement (1938-1946), Gallimard, 2002; https://clio-cr.clionautes.org/la-france-des-camps-1938-1946.html; https://tel.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/362523/filename/DenisPeschanski_2000_TEL_TheseEtat.pdf; https://tel.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/362523/filename/DenisPeschanski_2000_TeL_Resum_TheseEtat.pdf; [31]https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9sistance_allemande_au_nazisme [32] La longue traque, Gilles Perrault, Fayard (1998) [33] https://en.wikipedia.org/wiki/Hermann-Bernhard_Ramcke [34]http://pierrepeneetfamille.free.fr/Bade/dachau.pdf [35]https://de.wikipedia.org/wiki/Baden-Württemberg#Vorgeschicht [36] http://pierrepeneetfamille.free.fr/operations_aisne/index_operations.html [37]https://de.wikipedia.org/wiki/Lahr/Schwarzwald#Geschich [38]L'Afrique du nord dans la guerre, Christine Levisse-Touzé, Albin Michel (1998) [39]https://de.wikipedia.org/wiki/Wilhelm_Burger_(Weihbischof) [40]http://pierrepeneetfamille.free.fr/fiches/secret.pdf [41]http://pierrepeneetfamille.free.fr/documents_officiels/verdienst_kreutz.pdf [42]Leo Wohleb 1888 – 1955, Badenia Verlag Karlsruhe, http://pierrepeneetfamille.free.fr/Bade/ wohl eb [43]http://pierrepeneetfamille.free.fr/Bade/adieux_14.pdf [44]''L'occupation française après 1945 et les relations franco-allemandes'' Rainer Hudemann, in Marie- Bénédicte Vincent (Hrsg.) 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Fayard Flammarion (2015) [56] Boislambert, les fers et l'espoir, Paris, Plon, 1978 [57] http://pierrepeneetfamille.free.fr/journaux_PP/journal_46_51/index_46_51.html Il s'agit de photographies du journal dont l'original est déposé aux archives Nationales, dans le fonds ''Pierre et Françoise Pène''. [58]Histoire de la société allemande au XXème siècle, 1900-1949, Marie-Bénédicte Vincent, Ed La Découverte, collection Repères. [59] Sozialpolitik im deutschen Südwesten, zwischen Tradition und Neuordnung 1945-1953, Rainer Hudemann ed. Hase & KOEHLER VERLAG MAINZ, 1988 [60] http://pierrepeneetfamille.free.fr/Bade/recit_francoise_bade_4.pdf [61] La famille Pène 1937-1952, par Florence Rosenberg-Pène : http://p ierrepeneetfamille.free.fr/LA_FAMILLE_doctravail2.pdf http://p ierrepeneetfamille.free.fr/addendum_photos.pdf [62]Die Protokolle der Regierung von Baden (Dritter Band), Kurt Hochstuhl Christof Strauss, ed. Kommission für geschichtliche Landeskunde in Baden-Würtemberg. 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[75] http://www.historicalstatistics.org/Currencyconverter.html [76] http://pierrepeneetfamille.free.fr/Bade/recit_francoise_bade_5_1.pdf [77] http://pierrepeneetfamille.free.fr/fiches/benouville.pdf [78] L' «OCM», organisation civile et militaire, Arthur Calmette, Presses Universitaires de France, 1961. Accessible en ligne : http://pierrepeneetfamille.free.fr/recits_resistance/ocm/index_ocm.html [79]Le programme commun de la Résistance, des idées dans la guerre, Claire Andrieu, Les éditions de l'érudit, 1984. Acessible sur gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3328883c/ [80] http:// PierrePeneetfamille.free.fr/documents_officiels/germaine_tillion.pdf [81] La famille Pène 1937-1952, par Florence Rosenberg-Pène : http://p ierrepeneetfamille.free.fr/LA_FAMILLE_doctravail2.pdf http://p ierrepeneetfamille.free.fr/addendum_photos.pdf [82]The Memoirs of Anthony Eden, The reckoning, The Riverside press, Cambridge. [83] https://fr.wikipedia.org/wiki/André_Boulloche [84] Des juifs dans collaboration (II), Une terre promise (1941-1944), Maurice Rajfus, Ed Lharmattan. http://www.tracesdhistoire.fr/resources/DIGESTS+-+02+-+L$27OCCUPATION+-+08+- +L$27OSTLAND+EN+FRANCE+-+FICHIER+PDF+TRACES+D+HISTOIRE+CONTEMPORAINE.pdf https://fr.wikipedia.org/wiki/Zone_interdite_(Seconde_Guerre_mondiale)#/media/Fichier:France_map_Lambert- 93_with_regions_and_departments-occupation-fr.svg [85] http://margival.fr/crbst_51.html , http://www.margival.fr/crbst_52.html , http://www.margival.fr/crbst_76.html , http://www.margival.fr/crbst_74.html [86] http://pierrepeneetfamille.free.fr/recits_resistance/SCAN_Pierre_temoignage_45.pdf Archives Nationales (site de Paris) 72 AJ 67. [87] ''L'Aisne dans la guerre 1939-1945'', Marie-Agnès Pitois-Dehu Ed. Horvath (1986). [88] http://pierrepeneetfamille.free.fr/recits_resistance/foure_dejussieu.pdf et http://pierrepeneetfamille.free.fr/recits_resistance/a_Dejussieu.pdf [89] Alya Aglan ''La Résistance sacrifiée'' ed. Flammarion 2006. [90] http://pierrepeneetfamille.free.fr/operations_aisne/pene/resistant.pdf [91]http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/discours/revin.pdf [92]http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/discours/st_algis.pdf [93] http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/discours/mairesse_bisson.pdf [94] Chroniques de la Résistance, Maxime Blocq-Mascart, ed. Corrêa [95] Archives de Bouchinet_Serreulles, AN, Pierrefitte, 72AJ/2320, et AN, FFI, VI 72AJ/54 Dossier n° 3 pièce 1. [96] Fonds d'Archives Robert Fouré, Musée du Général Leclerc de Hauteclocque et de la Libération de Paris - Musée Jean Moulin ; cf en ligne http://pierrepeneetfamille.free.fr/recits_resistance/regions_foure.jpg [97] http://pierrepeneetfamille.free.fr/recits_resistance/arrestation.pdf [98] Rol-Tanguy, Roger Bourderon, ed. Taillandier, 2004 et 2013 [99] https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Piette [100] https://fr.wikipedia.org/wiki/Rudy_de_Mérode [101] Dictionnaire Historique de la Résistance, François Marcot, Bruno Leroux et Christine Levisse-Touzé. Ed. Bouquins, chez Robert Laffont, Paris 2006. [102] http://pierrepeneetfamille.free.fr/recits_resistance/farjon/index_farjon.html [103] http://pierrepeneetfamille.free.fr/recits_resistance/evasion.pdf [104] http://pierrepeneetfamille.free.fr/recits_resistance/EVADE.pdf http://pierrepeneetfamille.free.fr/recits_resistance/farjon/traitre.pdf [105] Fourdrinoy Georges AN OCM VI 72AJ/67 Dossier 2 pièce 6 [106] Le Comité Parisien de Libération 1943-1945, Charles Riondet, Presses Universitaires de Rennes 2017 [107] Le temps des partisans, Philippe Lecler, Ed. Dominique Guéniot, Langres 2009 [108] Revue Historique Ardennaise, Année 2013, N° 45 [109] Face à la Gestapo, Annette Biazot, Philippe Leclerc, euromedia (Douzy), 2011 [110] ''Brave Genius'' Sean B. Carroll, Crown Publishing Group, New York www.crownpublishing.com [111] http://pierrepeneetfamille.free.fr/recits_resistance/jacques_monod/IMG_2665.JPG , Fonds d'archives Alain Kergall, Musée du Général Leclerc de Hauteclocque et de la Libération de Paris - Musée Jean Moulin [112] http://pierrepeneetfamille.free.fr/recits_resistance/jacques_monod/Barricade_ordre.jpg [113] http://pierrepeneetfamille.free.fr/recits_resistance/recit_FP_PP/index_FP_PP.html [114] http://pierrepeneetfamille.free.fr/recits_resistance/Clotilde.pdf [115] http://pierrepeneetfamille.free.fr/adieux/Florence.pdf [116] http://pierrepeneetfamille.free.fr/adieux/Biqi.pdf [117] Les lendemains qui déchantent. Le Parti communiste français à la Libération, Philippe Buton, Presses de Sciences Po (1993) [118] Archives Nationales, Organisation civile et militaire OCM, III (72AJ/67 Dossier n° 3, pièce 17) cf note n° 2 (28.2.44) consultable en ligne aux Archives Nationales et sur le site http://pierrepeneetfamille.free.fr/recits_resistance/rol/indexp.html [119] Page Pierre Pène de l'ordre de la Libération http://www.ordredelaliberation.fr/fr/compagnons/pierre-pene [120] sabotage de Bronzavia http://www.fondationresistance.org/documents/ee/Doc00006-011.pdf [121] sabotage de SKF, Archives Nationales, Libération-Nord, 72AJ/59 Dossier n° 5, pièce 15 http://pierrepeneetfamille.free.fr/recits_resistance/Deniau/indexp.html [122] http://www.ordredelaliberation.fr/fr/les-compagnons/148/pierre-briout [123] Archives Nationales, Parti communiste I 72AJ/69 Dossier n° 2 [124] Effectifs : Archives Nationales, FFI, I 72AJ/53 Dossier [125] http://pierrepeneetfamille.free.fr/recits_resistance/carte_region_P.jpg carte de la région Parisienne (P) au début de 44. Les régions P1 et P2 sont entourées de rouge, P3 et P4 de bleu. P3 et P4 seront ensuite détachées de P. [126] Comité Central des mouvements de résistance : CNR, 72AJ/49 Dossier n° 3 pièce 35 [127] Témoignage de Lefaucheux : Archives Nationales, OCM, IV, 72AJ/67 Dossier n° 4, pièce 18 [128] Deconninck : Archives Nationales, OCM III, 72AJ/67 Dossier n° 3, pièce 20 [129] http://www.ordredelaliberation.fr/fr/compagnons/1038-compagnons [130] ''Confession'' de Farjon : AN, Organisation civile et militaire OCM, III 72AJ/67 Dossier n° 3 pièce 2 [131] Rapport du Capitaine Dupont (commandant Robert) AN, OCM, IX (72AJ/68 Dossier n°5, pièce 6) [132] Courrier entre D. Gallois et G. Perrault AN, OCM XI 72AJ/68 Dossier 7 pièce 1. [133] http://pierrepeneetfamille.free.fr/Simone_Weil/index_simone.html [134] Simone Weil œuvres quarto Gallimard, 1999 http://pierrepeneetfamille.free.fr/recits_resistance/IMG_3592_leroy_IR.JPG [135] Témoignage de Rouzée AN, OCM III 72AJ/67 Dossier 3 pièce 13 [136] Témoignage de Rebeyrol, AN, MNR 72AJ/64 Dossier 5 pièce 1 [137] Note sur Jean Delvallez : http://railetmemoire.blog4ever.com/delvallez-jean [138] Berthelot AN OCM III 72AJ/67 Dossier 3 pièce 16 [139] Histoire de la Résistance, Olivier Wieviorka, Ed. Perrin 2013 [140] https://fr.wikipedia.org/wiki/Forces_fran%C3%A7aises_de_l%27int%C3%A9rieur [141] http://archives.aisne.fr/expositions/salle-dans-la-clandestinite-actions-de-resistance-15/n:104 [142] http://pierrepeneetfamille.free.fr/recits_resistance/IMG_3592_leroy_IR.JPG Organigramme des FFI de la région P après l'arrestation de Pène. Fonds Kergall. [143] La libération de l'Aisne, pouvoirs, résistance et population, Grégory Longatte. Nous remercions Mme Pitois-Dehu pour nous avoir donné copie de cette thèse. Du même auteur : http://www.histoireaisne.fr/memoires_numerises/chapitres/tome_47/Tome_047_page_251.pdf [144] http://pierrepeneetfamille.free.fr/soissons/index_soissons.html [145] http://pierrepeneetfamille.free.fr/lettres_occupation/index.html [146] http://pierrepeneetfamille.free.fr/recits_resistance/francoise.pdf [147] Paris libéré, Paris retrouvé, Christine Levisse-Touzé, ed. Découvertes Gallimard, Histoire. [148] http://pierrepeneetfamille.free.fr/soissons/Florence_SOISSONS_NOVEMBRE_2013.pdf [149] Mémoires de guerre, l'unité 1942-1944, Général de Gaulle, ed. livre de poche 1956. [150] La France et les français de La libération 1944-1945, catalogue Philippe Buton, musée des deux guerres mondiales BDIC. [151] Archives des Ardennes, 129 W2 [152] Les écoutes radio dans la Résistance française, 1940-1945, François Romon, ed. Nouveau Monde 2017. http://reseaualliance.e-monsite.com/pages/biographie-des-membres/gabriel-romon.html [153] http://pierrepeneetfamille.free.fr/operations_aisne/pene/index_pene.html {6}_B [154] La seconde guerre mondiale, Antony Beevor, traduit de l'anglais, Ed Calmann-Lévy, 2012 [155] Textes sur l'Abyssinie http://pierrepeneetfamille.free.fr/abyssinie/index.html [156] Considérations sur l'Abyssinie http://pierrepeneetfamille.free.fr/abyssinie/considérations_abyssinie.pdf [157] Journal de Pène pendant la ''drôle de guerre'' http://pierrepeneetfamille.free.fr/journaux_PP/journal_39_40/drole_de_guerre/index.html [158] Marc Bloch ''l'étrange défaite'', ed Folio, 1990 http://classiques.uqac.ca/classiques/bloch_marc/etrange_defaite/bloch_defaite.pdf [159] http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/gouin.html [160] http://pierrepeneetfamille.free.fr/soissons/discours_fiolet.pdf Archives Départementales de l'Aisne, Fonds Biard 82 J 24 (archive trouvée par Mme Pitois Dehu). [161] http://pcfevry.hautetfort.com/archive/2014/01/04/histoire-raymonde-fiolet-resistante-maire-communiste-de-sois- 5262390.html Biographie de Raymonde Violet (Roberte), résistante, maire communiste de Soissons. [162] Archives départementales des Ardennes, cote 1W 129. Ordonnance ''pouvoir des Commissaires'': http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/ordonnance_pouvoirs_com/ord_pouv_com.html [163] Mémoires de guerre, l'appel 40-42, l'unité 42-44, le salut 44-46, Général de Gaulle, livres de poche. [164] Rapport critique sur l'épuration à Compiègne datée du 13/10/44, fonds Kergall, archives du Musée du général Leclerc de Hauteclocque et de la Libération de Paris-Musée Jean Moulin. [165] http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/epuration_compiegne/epuration_compiegne.html [166] Notes prises dans les réunions bimestrielles des Commissaires de la République http://pierrepeneetfamille.free.fr/journaux_PP/commissaires/index_commissaires.html [167] https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_préfets_de_l'Aisne [168] http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/index_com.html [169] http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/discours/index_discours.html [170] http://crdp.ac-amiens.fr/cddpoise/concours_resistance/La_restauration_de_la_republique.pdf [171] https://fr.wikipedia.org/wiki/Comité_départemental_de_Libération [172] https://fr.wikipedia.org/wiki/Forces_françaises_de_l'intérieur [173] http://pierrepeneetfamille.free.fr/degaulle/index_degaulle.html [174] http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/presse/index_presse.html [175] http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/discours/commerce.pdf [176] http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/prefectoral/ravitaillement.pdf [177] http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/prefectoral/situation_eco_sociale.pdf http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/prefectoral/agriculture.pdf [178] http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/prefectoral/situation1.pdf [179] https://fr.wikipedia.org/wiki/Grèves_de_1947_en_France [180] La politique en France de 1940 à nos jours, Alain Garrigou, La Découverte, collection Manuels. [181] http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/prefectoral/reformes_departements.pdf [182] https://fr.wikipedia.org/wiki/Grève_des_mineurs_de_1948 [183] http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/presse/depeche_aisne_5_9_44.pdf [184] https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_des_Ardennes#Situation_des_Alliés_début_décembre_1944 [185] Bastogne, John Toland, Traduction Roland Mehl, Calmann-Lévy, 1962 [186] http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/discours/adieux.pdf [187] http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/epuration_compiegne/IMG_7599_epuration_pref.JPG [188] http://www.persee.fr/doc/ingeo_0020-0093_1947_num_11_2_5253 [189] De la Résistance à la Déportation, Union Nationale des Associations de Déportés Internés et Familles de Disparus, Fédération Nationale des Déportés et internés de la Résistance, Impr A. Humblot, 21 rue St Dizier, Nancy, Juillet 1969. [190] https://fr.wikipedia.org/wiki/Marc_Scaillierez [191] Inflation, État et opinion en France de 1944 à 1952, Michel-Pierre Chélini, IGPDE [192] L'Epuration économique en France à la Libération, Marc Bergère, Presses Universitaires de Rennes, 2008. [193] La Seconde Guerre Mondiale, Pierre Miquel, Ed. Fayard, 1986 [194] Archives départementales des Ardennes, cote 1 MM 54. [195] Archives départementales des Ardennes, cote 5 MM 25 [196] http://pierrepeneetfamille.free.fr/journaux_PP/journal_51_57/ONU/indexp.html [197] http://research.un.org/fr/docs/ga/quick/regular/7 Chercher sur ce site la référence A/RES/611(VII) [198] Une légende du maquis, Georges Guingouin, ed. Vendemiaire 2018 [199] https://read.oecd-ilibrary.org/transport/first-report-of-the-activities-of-the-conference-1954_ecmt_report-1954-en-fr#page8 [200] http://pierrepeneetfamille.free.fr/recits_resistance/farjon/temoignage_pierre_12_7_45.pdf [201] http://pierrepeneetfamille.free.fr/fictions/index.html [202] http://pierrepeneetfamille.free.fr/journaux_PP/journal_51_57/cabinet/indexp.html [203]http://pierrepeneetfamille.free.fr/Monaco/index_monaco.html [204] https://www.departement06.fr/documents/Import/decouvrir-les-am/rr179-crise.pdf [205] https://fr.wikipedia.org/wiki/Karl-Theodor_Molinari [206] http://mapage.noos.fr/liberation_de_paris/episodesenat.htm [207] http://www.reseaugallia.org/index.php/le-reseau-gallia/ [208] http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/Camps_FNDIR.jpg [209] https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_des_Ardennes#Situation_des_Alli.C3.A9s_d.C3.A9but_d.C3.A9c embre_194 [210] http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/espions/espions.html ou bien chercher l'entrée ''Alertes...'' dans http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/index_com.html Archives des Ardennes 1w/126. [211] Archives départementales des Ardennes, cote 1 MM 54 [212] https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Lefaucheux [213] https://fr.wikipedia.org/wiki/Comit%C3%A9_d%C3%A9partemental_de_Lib%C3%A9ration [214] https://fr.wikipedia.org/wiki/Marc_Scaillierez [215] Archives départementales des Ardennes, cote, 5 MM 25, procès-verbal de la réunion du CDL de l'Aisne du 2 octobre 1944 [216] http://pierrepeneetfamille.free.fr/peintures/index_peintures.html [217] http://pierrepeneetfamille.free.fr/documents_officiels/petain_et_frere_a_la_7eme_armee.pdf [218] http://pierrepeneetfamille.free.fr/commissaire/discours/mairesse.pdf [219] Annie Lacroix-Riz, Le monde Diplomatique, Manière de voir, numéro 166 (août-sept 2019).

Index des organisations et autres sigles utilisés

Abwehr : Service de renseignement de l'armée allemande; ADGB : Allgemeiner Deutsche Gewerkschaftsbund, Confédération syndicale allemande générale. Créé en 1919, proche du SPD. Elle fut détruite en 1933 par les nazis. AE : Ministère des Affaires Etrangères AFA : Aide aux Forces Alliées AFP : Agence Française de Presse AMGOT : Allied Military Government of the Occupated Territories, projet de mettre sous tutelle US les pays libérés de l'occupation nazie. ARS : Action républicaine et sociale (ARS) dissidents du parti gaulliste le RPF AS : Armée Sécrète, organisation commune aux mouvements de Résistance pour les actions militaires à partir du printemps 1942 en Zone Sud et de l'Automne en Zone Nord Altbadner : Partisans de l'ancien Bade ASTA : Allgemeine Studentenausschüsse (conseil général représentant les étudiants) Ausweise : Laisser-passer BCRA : Bureau Central de Renseignement et d'Action. Créé le 1/7/40 à Londres, il se déplace partiellement à Alger en 43. BCSV : ''Badische Christlich-Soziale Volkspartei'' (BCSV) ''Parti populaire badois chrétien-social'', fut un précurseur du CDU dans le Bade-sud. Bereitschaftzimmer : ''Chambre de préparation'' avant interrogatoire. BHE : Block/Bund des Heimatvertriebenen un Entrechteten (Union des Allemands déplacés et privés de droits). Bizone : zone occupée par les USA et la Grande-Bretagne. BN : Basler Nachricht, journal suisse, de la ville de Bâle. BOA : Bureau des Opérations Aériennes Boches : terme péjoratif pour désinger les Allemands, cf Fritz. BRD : Bundesrepublik Deutschland (RFA) BSM : bataillon de Sécurité Militaire. BST : Bureau de la Surveillance du Territoire. BZ : Badische Zeitung, journal du Bade. BUND : fédération, désigne souvent le niveau fédéral de la RFA. BUNDESTAG : Assemblée fédérale de la RFA. CCFA : Commandement en Chef des Forces Françaises en Allemagne CCMR : Comité Central des Mouvements de Résistance. Créé 7/43 en réaction au CNR. Sa dernière action est de créer le COMIDAC le 1/2/44 [101, 106] CCPI : Commission de Confiscation des Produits Illicites CD : Comité Directeur CdL : Compagnon de la Libération [129] CDL : Comité Départemental de Libération CDLL : Mouvement de Résistance ''Ceux de la Libération'' : créé par Maurice Ripoche (Dufour, Pons), Gilbert Védy (Médéric) et Roger Coquoin (Lenormand) lui succèdent. CDLR : Mouvement de Résistance ''Ceux de la Résistance''. CDU : Christlich Demokratische Union Deutschlands (Union Chrétienne-Démocrate) CECA : Communauté européenne du charbon et de l'acier, traité de Paris (1951), créée le 23/7/52 CED : Communauté Européenne de Défense. Projet élaboré en 1950, rejetté en 1954 par l'Assemblée Nationale française. CEMT : Conférence Européenne des Ministres des transports cf ECMT CFLN : Comité Français de Libération Nationale, ''gouvernement'' composé de membres nommés, siégeant à Alger. CFTC : Confédération Française des Travailleurs Chrétiens CG : Conseils Généraux. CGA : Confédération Générale de l'Agriculture, créé clandestinement en 1943 par François Tanguy-Prigent pour s'opposer à la corporation paysane vichyste. CGT : Confédération Générale du Travail Chambres civiques : créées par l'ordonnance du 26/8/44 pour juger les collaborateurs. Elle met les condamnés en état d'indignité nationale, et les punit de dégradation nationale. Circ : circulaire CIMADE : Comité Inter-Mouvements auprès des Evadés, protestant, est intervenu dans les camps pour sauver des juifs et des opposants à Hitler. CLL : Comités Locaux de Libération. CDL : Comités Départementaux de Libération CGT : Confédération Générale du Travail, confédération syndicale. CND : Confrérie Notre-Dame, vaste filière de renseignement en lien avec le BCRA couvrant l'ensemble de la Zone Nord. CNR : Conseil National de la Résistance, fondé par Jean Moulin le CNR représentait une majorité de mouvement de Résistance et reconaissait l'autorité de de Gaulle et du CFLN. Il a élaboré un programme politique, approuvé par toutes les forces de la Résistance en 3/44, démocratique et orienté à gauche qui a gardé la valeur symbolique d'un compromis historique issu de la Résistance. CNT-FAI : Confédération Nationale du Travail-Fédération Anarchiste Ibérique, pendant la guerre d'Espagne. Collabos, Collaborateurs : désigne ceux qui ont collaboré avec Vichy ou les Nazis. COMAC , COMIDAC : Comité d'Action Militaire. Le COMIDAC a été créé par le CCMR le 1/2/44. Le (13/5/44) le CNR l'a pris sous sa tutelle sous le nom de COMAC [101]. COMBAT : Important mouvement de Résistance dans la Zone Sud, dirigé par Henri Frenay. De Bénouville en était le numéro deux. CONDé : Nom donné à l'organisation FFI de la région parisienne. Conseil de contrôle : Conseil siégeant à Berlin et regroupant les commandants en chef des quatre zone d'occupation. COSOR : Comité des œuvres sociales des organisations de Résistance CPL : Comité Parisien de Libération CRR : Commissaires Régionaux de la République CRS : Compagnie Républicaine de Sécurité, ont été instaurées à la libération. CSU : Christlich-Soziale Union (Union Chrétienne-sociale). Existe uniquement en Bavière. DB : Division Blindée, utilisé souvent pour la 2ème DB dirigée par le général Leclerc de Hauteclocque DGB : Deutscher Gewerkschaftsbund (centrale syndicale allemande), la plus puissante des centrales. DGER : Direction Générale des études et Recherches = services de renseignement DGSS : Direction Générale des Services Spéciaux. Elle devient la DGER fin 44 (cf C:App.2) DM : Deutsche Mark, vaut 10 RM lors de la conversion le 21/6/48. DMP : Délégation Municipale Provisoire, en générale issue du CLL. DN2 : Nous n'avons pas trouvé le sens de ce sigle. D pour Démontage ? N pour Neutralisation ? Le démontage visait à neutraliser la production d'armes. DN2 est fortement critiqué par les badois. DP : Demokratische Partei DVP : Demokratischne Volkspartei (Parti démocratique du peuple). ECMT : European Conference of Ministers of Transport [199], cf CEMT E.M. : Etat Major FASFI : Fédération des Sociétés Françaises d'Ingénieurs FDP : Freie Démokratische Partei (Parti libre et démocratique). FFI : Forces Françaises de l'Intérieur, combattaient l'occupant à l'intérieur de la France. FFL : Forces Françaises Libres, combattaient l'Allemagne en dehors de la France. FIANI : Fédération Internationale des Associations Nationales d'Ingénieurs. FN : Front National, fondé par le PC mais rassemblant aussi des résistants au delà du PC. FNEC : Fédération Nationale des Centres d'Entr'aide. FNSEA : Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles, fondée en 1946. Fritz : terme péjoratif pour désigner les Allemands, cf Boches. FPD : Freiheitliche Partei Deutschlands (Parti Libéral d'Allemagne) Gauleiter : responsable régional politique du parti nazi et responsable administratif d'une, subdivision territoriale de l'Allemagne Nazie. GCR : Le Groupement de communications radioelectriques était une unité française de renseignement d'origine électromagnétique salariés des PTT. Il transmettait les informations aux alliés et à la Résistance. GDR : German Democratic Republic (RDA en Français) Gestapo : Geheime Staatspolizei (police secrète d'Etat). GFP : Geheime Feldpolizei (police militaire secrète) dépendante de l'Abwehr (armée). GMR : Groupes Mobiles de Réserve, du régime de Vichy. Remplacés à la libération par les CRS. GPRF : Gouvernement provisoire de la République Française HC : Haut Commissaire IARA : Inter Allied Reparation Agency, organisation interalliée destinée à gérer la reconstuction du pays. IC : Ingénieur en chef des Ponts et Chaussées IG : Inspecteur Général des Ponts et Chaussées IR : Inspecteur Régional des FFI IS : Intelligence Service (service de renseignement britannique). J.E.C. : Jeunesse Etudiante Chrétienne. JEIA : Joint Export-Import Agency. Entre 1946 et 1950, instrument des occupants occidentaux pour fixer les taux de change GMZFO : Gouvernement Militaire de la Zone Française d'Occupation Haute Commission alliée (HCA): USA, UK et France pour réglementer et superviser le développement de l'Allemagne de l'Ouest (1949 à 1955) HC : Haut Commissariat (François Poncet et son équipe). HCA : Haute Commission Alliée. USA, UK et France réunis pour réglementer et superviser le développement de l'Allemagne de l'Ouest (de 1949 à 1955). KL : Konzentrationlager (Camp de Concentration). KPD : Komunistiche Partei Deutschlands (Parti Communiste d'Allemagne) Land : Pays, nous l'utiliserons pour les Etats régionaux tels que le Bade, le Würtemberg. Pluriel : Länder. Libération-Nord : Groupe fondé par des syndicalistes et des militants socialistes. LO : ''Lutte Ouvrière'', parti trostkiste. MAE : Ministère des affaires étrangères. 1ADM/34 sont les archives de ce ministère utilisées ici. Mgr : Monseigneur, titre accordé aux évêques et archevêques. Min : Ministère MLN : Mouvement de Libération Nationale visant à unir les mouvements de résistance. MNPGD : Mouvement National des Prisonniers de Guerre et Déportés. MNR : Mouvement National Révolutionnaire MOI, FTP_MOI : Main d'œuvre immigrée, organisation proche du PC. FTP_MOI en est la branche militaire sous l'occupation. M.O. : Main d'œuvre MP : Milices patriotiques, parfois nommés gardes civiques. MRP : Le Mouvement Républicain Populaire, démocrate chrétien, centriste. MRL : Ministère de la reconstruction et du Logement MRU : Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme. MUR : Mouvements unis de la Résistance, principal organisme de résistance en zone sud. Musée de l'Homme : Un des premiers mouvements de résistance, dirigé à sa création par Boris Vildé, puis Germaine Tillion. NAP : Noyautage des administrations publiques. Nazi : Nationalsocialistich (National-socialiste), NSDAP : Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, Parti National-Socialiste des Travailleurs Allemands. OACI : Organisation de l'Aviation Civile Internationale, située à Montréal. OAS : Organisation de l'Armée Secrète, crée le 11/2/61 défendait le maintien de l'Algérie comme colonie française. Ils ont utilisé des méthodes terroristes y compris un attentat raté au petit Clamart contre de Gaulle, président de la Réppublique, le 22/8/62. OCM : Organisation Civile et Militaire, mouvement de Résistance auquel Pène a adhéré. OCMJ : Branche jeunesse de l'OCM. OCRS : Organisation Commune des Régions Sahariennes OECE : Organisation Européenne de Coopération Economique, crée le 16/4/48. OFI : Office français d'information, vichyste. OFRA : organisation des fonctionnaires résistants en Allemagne, crée en 1947, fonctionnaires de la ZFO. OMS : Office Militaire de Sécurité, installé à Berlin le 17/1/49. ORA, OMA : Organisation de Résistance de l'Armée, issue des rangs de L'Armée de de Vichy, fondée par le Gal Frère. OSE : Oeuvre juive de secours aux enfants (ose) sous l'occupation en france. OT : Organisation Todt, organisation de génie civil et militaire nazi : mur de l'atlantique, plateformes de lancement missiles, ... OTAN : Organisation du Traité de l'Atlantique Nord. Alliance militaire des occidentaux contre l'URSS dirigée par les USA. PC, PCF : Parti Communiste (Français). PCI : Parti Communiste Internationaliste, parti trotkiste. PDR : Prisonniers, Déportés et Réfugiés. PG : Prisonnier de Guerre PJ : Police Judiciaire PMF : Abréviation commune pour Pierre Mendès France. PS : Parti socialiste RCCC : Régiment Colonial de Chasseurs de Chars RDA : République Démocratique Allemande, sous influence soviétique. En allemand DDR, Deutsche Demockratische Republik. région P : Région Parisienne RFA : République Fédérale d'Allemagne, crée en 1949. RG : Renseignements Généraux RIC : régiment d'Infanterie colonial RPF : ''Rassemblement Populaire Français'', gaulliste, fondé par de Gaule en 1947 RM : Reichsmark. Mark hérité du régime nazi. Sera converti en DM le 21/6/48. S.A. : (troupes d'assaut des nazis), dirigés par Ernst Röhm, liquidés le 29-30 juin ''la nuit des longs couteaux'' sur ordre de Hitler par les SS. SAS : Special Air Service SAS : Son Altesse Sérénissime (le Prinde de Monaco). Sce : Service S.D. : SicherheitsDienzt (service de sécurité), importante organisation nazie. SDN : Société des Nations était une organisation internationale introduite par le Traité de Versailles en 1919. l'Allemagne nazie, l'Italie fasciste et le Japon la quittent. La SDN ne peut contrer ces pays. SDS : Sozialistischer Deutscher Studentenbund (Union socialiste allemande des étudiants). SFIO : parti socialiste (section française de l'Internationale Ouvrière). SHAEF : Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force, Quartier général des forces alliées de 43 à 45. SHAPE : Supreme Headquarters Allied Powers Europe (Grand Quartier général des puissances alliées en Europe). C'est le centre de commandement militaire des forces de l'OTAN en Europe. SIPEG : Service Interministériel de protection contre les Evènement de guerre SOE : Special Operations Executive (Direction des opérations spéciales) service qui opérait dans les pays occupés. SPD : Sozialdemokratische Partei Deutchlands (Parti Socialiste d'Allemagne) SRP : Sozialistische Reichspartei, parti nazi. Créé en 1949, interdit par Adenauer en 1952 SSM ou SM : Services de Surveillance Militaire ou Surveillance Militaire. Vichy, puis rattaché à à Alger. SWS : Süd West Staat, Etat du sud-ouest, projet qui aboutira au Bade-Wurtemberg (Baden-Württemberg). S.S : Schutzstaffel (escadron de protection). Une des principales organisations nazie. STO : Service du Travail Obligatoire, qui devait le plus souvent se faire en Allemagne. Beaucoup de jeunes ont tenté d'y échapper en rejoignant des maquis. SZT /EVB : Sammlung zur Tat / Europäische Volksbewegung (rassemblement pour l'action / mouvement populaire européen), synthèse du capitalisme et du communisme. TP : Travaux Publics TPE : Un ingénieur TPE est un ingénieurs des travaux publics de l'Etat. TS : Travaux Souterrains, entreprise chargée du tunnel de Monaco. UFF : Union des Femmes Françaises, organisation de défense des droits des femmes fondée par le PCF. UGIF : Union générale des israélites de France, créé sur la demande nazie afin d'assurer la représentation des juifs auprès du gouvernement de Vichy. UN : Union Ntionale, liste de l'URD aux élections nationales en 1945. UNR : ''Union pour la Nouvelle République'' parti gaulliste fondé en 1958 UNRRA : United Nations Relief and Rehabilitation Administration, soutien aux réfugiés et déportés. Unser Tag : Journal communiste dans le Bade, fondé en 1946 URAS : Union des Républicains d'Action Social ; groupe parlementaire fondé par des gaullistes après l'éclatement du RPF (Rassemblement du Peuple Français). URD : Union Républicaine et Démocratique. Parti de droite de la 3ème République. A chuté à la libération. Vallat Xavier : Responsable du Commissariat aux questions juives dans le gouvernement de Vichy. WOL : Wirtschaftoberleitung, Direction Générale de l'Agriculture. A confisqué des terres en grand nombre au profit de l'Allemagne en utilisant une main d'œuvre gratuite (prisonniers et juifs). Trizone : Structure regroupant les zones d'occupation US, UK et françaises. ZFO : Zone Française d'Occupation. ZN : Zone Nord ZS : Zone Sud

Index des noms : Aboulker José : Juif algérien, fonde des septembre 40 un réseau de résistance à Alger, il a rendu possible débarquement allié à Alger en prenant avec 400 résistants le contrôle de la ville dans la nuit précédent le 8/11/42. Ils avaient arrêté Darlan et le futur maréchal Juin. Acheson Dean : Secrétaire d'Etat (ministre des affaires étrangères) du président Truman de 1949 à 1953. Adenauer Konrad : Homme politique allemand, démis de ses fonctions par les nazis en 1933, brièvement arrêté. Un des fondateurs du CDU après la guerre, il sera le premier chancelier de la RFA de 1949 à 1963. Altmeier Peter : CDU, Ministre Président du Land de Rhénanie-Palatinat de 1947 à 1969 Allgeier Arthur : professeur de théologie, recteur de l'Unversité de Fribourg. Armand Louis : Compagnon de la Libération, polytechnicien, entre à la SNCF. Il organise le réseau NAP- fer. En 1949 directeur général de la SNCF jusqu'en 1955. Aubrac, Raymond et Lucie : Raymond Samuel de naissance, dans libération-Sud, arrêté avec Jean Moulin à Calluire. évadé avec l'aide de Lucie. Il est Commissaire de la République à Marseille, puis dirige le déminage au Ministère de la Reconstruction. Raymond fut victime de violentes calomnies à propos de Calluire. Auriol Vincent : a eu de nombreux postes ministériels et est devenu président de la République en 1947 Bargeton René : Chef de cabinet de Pierre Pène au commissariat de la République puis dans le pays de Bade cf .https://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9_Bargeton . Barre, Raymond : Premier ministre de Giscard d'Estaing, de 1978 à 1981. Il a nommé Maurice Papon ministre du budget. Bauchey : Chef d'arrondissement SNCF à St Quentin. Mort en déportation. Beaudouin Eugène : Architecte et urbaniste français. A contribué aux plans d'urbanisme à Monaco. de Bénouville Pierre : dirigeant du mouvement de Résistance Combat en l'absence de Fresnaye. A envoyé Hardy à la réunion CNR de Calluire [25]. Bérard Arnaud : Haut Commissaire adjoint aux côtés de André François-Poncet. Berlemont : Ingénieur TPE, arrêté pour avoir proposé un refuge aux opérateurs radio des UCR. Fut libéré. Cf II.2.5 Bernanos Georges : Ecrivain français, chrétien, a écrit le ''journal d'un curé de campagne'' et ''les Grands Cimetières sous la lune'' à propos du franquisme. Berthelot, Marcel (Lavoisier, Giraudet) : premier noyau de l'OCM, CD de l'OCM. A mis Rémy en contact OCM. Organise le renseignement, groupe paramilitaire, lien CND. Arrêté en mars 44. Train stoppé à Malines par sabotage [78,101,138] Bertin, Jean (Le Merle, Dubourg, Rotation): CdL [129], OCM, dans l'Aisne avec Boulloche et Pène. Recherché, il poursuivra la Résistance ailleurs, jusqu'à un maquis dans les Vosges. Bertin Pascal : fils de Jean Bertin, OAS, a participé à l'attentat du petit Clamart contre de Gaulle le 22/8/62. Bevin Ernest : Secrétaire aux affaires étrangères britannique après la guerre. Bichelonne Jean : Ministre de Vichy, s'est entendu avec Albert Speer pour localiser en France la production industrielle destinée au Reich. Bidault Geroges : Président du Conseil National de la Résistance après l'arrestation de Jean Moulin, fondateur après la guerre du Mouvement Républicain Populaire (MRP), puis ministre dans de nombreux gouvernements, et deux fois chef de gouvernement. Billoux, François : Député communiste, arrêté le 3/4/40, libéré à Alger, ministre des gvt de Gaulle et autres. Bingen, Jacques (Cléante, Necker, Reclus, Cadillac, Talbot, Rabeau) : parachuté le 15/8/43 il devient DG (ZS) puis DG par interim, puis de nouveau ZS. Arrêté le 13/5/44 il se suicide [101]. Blanchard Georges : dirigeait la 1ère armée pendant la drôle de guerre, puis le premier groupe d'armées à partir du 23/5/40 Bloncourt, Elie : Président du CDL de l'Aisne, à Laon. Membre de la SFIO et de Libération-nord. Blot Jacques : jeune coupe avec d'autres des câbles téléphoniques allemands dans Margival. Déporté au camp de Struthof, reviendra vivant. Bloch Marc : Historien fondateur des ''Annales'', a demandé à être mobilisé, a écrit ''l'étrange défaite'', a rejoint la Résistance et été fusillé le 16/6/44 Bloch Jean-Richard : écrivain, homme politique, poète et journaliste français. Il était un ''descendant de Moyse Blin, comme l'était François Pène. Proche du parti communiste il se réfugie en URSS pendant la guerre. Rentré en France il est élu ''conseiller de la République, communiste, en 1946. Blocq-Mascart, Maxime (Maxime, Baudin, Féry) : OCM. Adjoint du colonel Touny il prend la succession de Leperc à la tête de l'OCM en mars 44. Il participe au CNR malgré ses fortes réticences à la présence des partis. De Boisdeffre Pierre : petit fils du général de Boisdeffre connu pour son action contre le capitaine Dreyfus injustement condamné. Pierre a été amoureux sans succès de Florence Pène. Avec beaucoup d'élégance il a accepté d'aider Françoise Pène à préparer son exposition et a suggéré, outre son soutien, de faire appel à Rops Daniel : Henri Petiot de son vrai nom, écrivain catholique, très orienté à droite, accadémicien. de Boislambert Claude Hettier : Compagnon de la Libération, gouverneur de la Rhénanie-Palatinat. Bouchinet-Serreules, Claude (Sophie, Scapin, Clovis, Sauvier) : nommé DG par interim après l'arrestation de Jean Moulin (20/6/43), puis le partage avec Bingen (lui au nord, Bingen au sud), [101]. Boulloche, André : CdL [60], OCM, crée un réseau en 01/41 dans l'Aisne, il y fait entrer Pierre Pène et Jean Bertin. Membre du BCRA, Nommé DMR de la région P. Arrêté le 12/1/44 il reviendra vivant des camps, mais trois membres de sa famille y sont morts. Bourguiba Habib : Homme d'Etat tunisien, a obtenu l'indépendance de la Tunisie qu'il a doté d'un régime progressiste concernant le droit des femmes. Il a dirigé la Tunisie de 1957 à 1987. Bouquet : Directeur du personnel au ministère des affaires étrangères. Bouré, René : OCM (Ardennes), sous les ordres de Roger Poirier, arrêté le 17/11/43, fusillé le 17/2/44 Von Braun Wernher : principal créateur des fusées allemandes V2 en 1943. Fondateur de l'astronautique américaine, dont la fusée Appollo11. Von Brentano Clemens : Conseiller d'Ambassade, nommé par Wohleb à la tête de la chancellerie du Bade- sud. Brecht Bertold : Auteur dramatique, marxiste, foncièrement anti-nazi, ''la Résisttible ascension d'Arturo Ui''(1941) est une satire de Hitler écrite aux USA contenant la phrase célèbre : ''Le ventre est encore fécond d'où a surgi la bête immonde.'' Briout Pierre (Pelle, Pierre Le Dûr, Pierre Blanche, Louis Parrot) agent du BCRA , Compagnon de la Libération, blessé lors d'une tentative de sabotage de SKF à Ivry, participe aux sabotages de Timken, Malicet et Brun, Rossi, Bronzavia, Renault, Hotchkiss. Brozen-Favereau André : Compagnon de la Libération, Gouverneur de la Rhénanie-Palatinat, Résistant du mouvement Combat, organise le service du maquis, zone Nord. Cadi Abdelkader : né à Batna, Algérie, il fut député français de 1946 à 1955. Calmette, Arthur : Historien de l'OCM, [3]. Chauchoy Henri : Commissaire de Rhénanie Palatinat, à Mayence (Mainz). Chaban-Delmas Jacques : Délégué militaire national en 1944, il sera ministre des travaux publics, des transports et du tourisme du gouvernement de Mendès-France 1954, puis premier ministre en 1969-1972. Von Choltitz Dietrich : Général allemand, il a participé à l'extermination des Juifs pendant la campagne de Russie. Il a été brièvement gouverneur militaire du ''Grand Paris (Grossparis)''. Il a prétendu avoir désobéi à Hitler qui exigeait la destruction de Paris, plus probablement fut pris de vitesse par les Alliés. Clay Lucius D : Gal US a dirigé la zone US d'occupation. Gouverneur général de la zone US (47-49). Coispine, Robert (Noguet): OCM (Ardennes), sous les ordres de Roger Poirier, arrêté le 17/11/43, fusillé le 17/2/44 Corniglion-Molinier Edouard : Ministre des Travaux publics, des Transports et du Tourisme en 1955. Cornut-Gentille, Bernard : Préfet de la Somme de 9/44 à 5/45, fut en 58-59 ministre des gouvernements de Gaulle et Michel Debré. Coquoin, Roger (Lenormand): Succède à Maurice Ripoche à la tête de CDLL, dirige l'AS de la région parisienne jusqu'à son assassinat, 27/12/43. Dictionnaire. Coty René : Président de la République de 1954 à 1959. Couvreux, Ernest : Ingénieur des ponts et chaussées de l'Aisne, chef départemental de l'Aisne après le départ de Bertin cf [36]. Croizat Ambroise : Militant syndical, ministre de de Gaulle et d'autres gouvernements a patronné la création de la sécu, de la retraite ….. Daladier Edouard : Radical, Président du conseil en 1938 jusqu'en 1940, il crée des camps d'internement des ''indésirables étrangers'' et signe avec les Britanniques et Hitler les accords de Munich. Dalin Antoinette : Amie des Pène depuis Madagascar, fut sous l'occupation secrétaire du préfet de police de Paris, épousa en secondes noces Sayah Abdelkader, Président de l'Assemblée algérienne. Daty Gabriel : Directeur des Affaires Administratives du Gouvernement Militaire du Bade. Dautry Raoûl : Ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme du 16/11/44 à 20/1/46, puis administrateur Général du Commissariat à l'énergie atomique. Day Patrick : Maire de Soissons de 2008 à 2014. A présidé une réunion à la mémoire de Pierre Pène le 30/11/13 Debré Michel : Résistant du mouvement CDLR, a participé au choix des préfets et Commissaires de la République à la libération, sera premier ministre de de Gaulle (1959 – 1962)[8]. Deconninck, André (Maisonneuve, André): OCM, adjoint de Roland Farjon. Archives Nationales : OCM, III (72AJ/67 Dossier n° 3, pièce 20) Deniau Roger : Membre de Libération Nord, membre du bureau du CPL Deshayes, Alain : Fils de Jacques et Madeleine Deshayes, amis des Pène, ami d'enfance de Florence. A pris les contacts pour organiser la réunion du 30/11/13 à la mémoire de Pène. Deshayes : famille amie des Pène à Soissons. Dewavrin, André (colonel Passy): Chef du BCRA depuis sa création jusque fin 43. Dichtel Anton : temporairement arrêté par les nazis, CDU, chargé du ravitaillement dans le secrétariat d'Etat du Bade sud, instance consultative, sous la direction de Wohleb, de 3/12/46 à 26/6/47. Dietze Constantin Von : Les avis sont très partagés, les uns voyant en lui un Nazi, les autres un démocrate''. Von Dietze avait fait partie du complot contre Hitler et fut appréhendé par la GESTAPO. Dobler : Fonctionnaire du Quai d'Orsay qui décide des licenciements et veut aussi faire partir Pène. Donet : Colonel du Génie, OCM Pas de Calais. Dohse, Heinrich : chef d'une section du SD à Bordeaux, a amené Grandclément à une alliance anti- communiste qui a détruit l'OCM dans la région. Dromas, Etienne (René, Camille) : CNE, A dirigé un groupe nombreux et très actif autour de Chauny, cf[18]. A créé le musée de la Résistance et de le Déportation de Picardie. Dronne Raymond : CdL dans le Régiment du Tchad il commande la 9e Compagnie, la Nueve, essentiellement composée de volontaires espagnols. Dans la 2ème DB, Leclerc le charge avec sa compagnie de pénétrer dans Paris le soir du 24/8/44. Son arrivée fut saluée par les cloches de Paris. Dulin André : Instituteur ardenais. Appartint au mouvement libération Nord. Etait lié au maquis du Banel. Dupont (Commandant Robert) : CNE, chef départemental de l'Aisne après Bertin, AN OCM, IX (72AJ/68 Dossier n°5, pièce 6) Dutschke Rudi : Le plus connu des étudiants allemands du mouvement de 1968. Atteint de trois balles tirées par un ouvrier nazi le 11/4/68 il mourra des conséquences de ses blessures. Eckert Erwin : KPD (Communiste), condamné à la réclusion en 36, membre du premier gouvernement Badois dirigé par Wohleb. Eckert Wihelm : CDU, ministre des finances de plusieurs gouvernements Wohleb du Bade-Sud. Eden, Anthony : Secrétaire britannique aux affaires étrangères pendant la seconde guerre mondiale. A écrit ses mémoires. Ehrard Ludwig : Il défendait une ligne économique libérale, il sera l'inspirateur de la réforme monétaire de juin 1948, puis ministre de l'économie du gouvernement Adenauer en 1949 et chancelier de la RFA de 1963 à 1966. Eichman Adolf : Au début de la guerre il est chargé de l'émigration juive vers la Palestine et est en contact avec les associations sionistes. À partir de 42 il participe au génocide des juifs. Jugé à Jerusalem le 11/4/61 sa ligne de défense d'Eichmann était d'affirmer n'avoir rien fait d'autre que ''suivre les ordres''. Endewelt Robert : Militant des MOI, communiste, vivant et remarquablement lucide en 2017. Erzberger Matthias : homme politique et journaliste allemand, signataire de l'armistice le 11/11/1918. Membre du gouvernement Scheidemann, Il est assassiné le 26/8/1921 par deux militants d'extrême droite, Heinrich Tillessen et Heinrich Schulz. Falaize Pierre-Louis : Ambassadeur français, Directeur de cabinet de Georges Bidault, en 1953 directeur du centre des Nations Unies. Farge Yves : Compagnon de la Libération, membre du premier Etat-major de l'AS commandé par le général Delestraint, soutient le maquis du Vercors, Commissaire de la République pour la région Rhône-Alpes. Farjon Roland (Roland, Dufor): Chef de la région nord de l'OCM, arrêté a donné des informations à l'ennemi. Faure Edgar : Radical, il est président du Conseil des ministres en 1952 et de 1955 à 1956. Fiolet Raymonde (Roberte): Résistante de Libération-Nord, Cne FFI, Arrêtée, torturée, évadée, Maire communiste de Soissons en 44, décède en 47 Foch Ferdinand : Général commandant en chef des armées alliées en 1918, Maréchal de France. Fontaine Roland (Delcourt) : Abbé, Agent de liaison du maquis du Banel. A dénoncé les mensonges de Hélène Cardot après guerre. Fourcault de Pavant François : Maire de Versailles sous l'occupation bascule dans la Résistance en 41. Ayant voté les pleins pouvoirs à Pétain en 1940 il aura des difficultés à la libération. Il va alors comme fonctionnaire dans le Bade-sud. Fouré, Robert (Leroy, le targuy, Bontemps) : Directeur d'EM de l'AS Région P, puis des FFI de Condé, arrêté le 17/5/44, disparu au camp de Dora. Pierre son fils était dans les FFI. Fouquat François ( François Favier, Cisailles, Fernand Fourmont, Fournier, Lieutenant André): agent du BCRA , Compagnon de la Libération, blessé lors d'une tentative de sabotage de SKF à Ivry, participe aux sabotages de Timken, Malicet et Brun, Rossi, Bronzavia, Renault, Hotchkiss. François-Poncet André : Ambassadeur, a dirigé la zone française de septembre 1949 à novembre 1951. Frankel, Hélène : Cousine et amie proche de Françoise Pène. Son mari docteur est resté ostensiblement en activité sous l'occupation. Ont perdu tragiquement leur fils Biqui tué dans les combats de la libération. Frenay Henri (Charvet, Gervais) : Chef du mouvement Combat (ZS), en conflit avec Jean Moulin. Ministre des Prisonniers, Déportés et Réfugiés dans le premier GPRF. Frère Aubert : général pendant le guerre de 40 a dirigé la 7ème Armée, où pène était affecté, en succession du général Giraud arrêté par les Allemands. Lors de la débacle il a réussi à échapper à l'encerclement et son armée est arrivée indemne dans le sud. Il est resté dans l'armée de Vichy mais a fondé en 12/1942. l'Organisation de résistance de l'Armée (ORA). Arrêté en juin 43 im meurt au camp de Struthof le 13/6/44. Fresnel, Pierre Louis : OCM, Déporté à Buchenwald, est revenu vivant, fut maire de Hirson en 45. Friedrich : collaborateur de Pène Froment, Francine (Florence) : Voisine de cellule de Françoise, communiste, fille de couturière, assassinée par les nazis ainsi que presque tous les membres de sa famille. Funck-Brentano chirurgien. A dirigé le Comité Médical Départemental de Paris, membre du comité directeur du FN des médecins (AN 72AJ/80), a soigné le poignet cassé de Pène lors de son évasion. Von Fürstenberg Karl Egon : Prince de vieille souche Souabe, très présent en Bade. Il y a une rue de Fürstenberg à Paris, près de St Germain des prés. Gallois, Daniel : OCM Un des premiers et des plus proches compagnons du COL Touny, assurait ses liaisons y compris avec le CNR, centralisait les infos militaires pour l'OCM. AN: OCMII 72AJ/67 D 2 p 27, et [3]. Gamelin Maurice : Généralissime de l'armée française pendant la ''drôle de guerre jusqu'en mai 1940. Sa stratégie purement défensive et attentiste fut un désastre, une des principales causes de la défaite de 1940. Ganeval Jean : Général. En 1946 il est nommé gouverneur militaire de Berlin. Garicoïx : famille amie des Pène. Les parents dirigeaient l'école française d'Addis-Abeba en Ethiopie. Georges Pierre (Fredo, Henri, colonel Fabien): communiste, FTP, commet le 21/8/41 le premier attentat spectaculaire contre un militaire allemand. Le 25/8/44 il, participe au bouclage du Sénat, meurt en manipulant une mine le 27/12/44. Georges-Picot Guillaume : Secrétaire Général adjoint de l'ONU de 1952 à 1956. Neveu de François Georges-Picot, signateur des accords ''Sykes-Picot'' qui ont partagé le proche orient entre la Grande-Bretagne et la France, des accords secrets signés le 16/5/1916. Girard, Marcel (Malherbe, Mallet, Rivière, Lebret, Moreau, Garnier) : Chef OCM de la région ouest, membre du CD de l'OCM. Giraud, Henri : Gal, Soutenu par les Américains et rival de de Gaulle a dirigé l'Afrique du Nord après le débarquement allié en novembre 42. Garde d'abord la législation vichyste. Accord difficile avec de Gaulle. Sera finalement évincé par de Gaulle. Gouin Félix : résistant socialiste fut président du conseil après la démission de de Gaulle de janvier à juin 46. Guillaume Augustin : Général, a dirigé brillamment les troupes marocaines, de 1947 à 1951 il commande les troupes françaises en Allemagne. Guillaut Joseph : Gal à titre posthume. Dirige l'ORA pour le Languedoc. Arrêté le 11/5/44, torturé, fusillé le 27/6/44. Joseph Guillaut est le beau-père d'Annette Pène; ref : allocution du Gal de Lattre, http://pierrepeneetfamille.free.fr/delatre_joseph_guillaut.pdf Guingouin, Georges : Enseignant, membre peu discipliné du PC a créé et dirigé un maquis puissant dans le Limousin. Maire de Limoges à la libération, exclu du PC, victime d'un complot, inculpé sur des allégations mensongères en 53 alors que Maurice Papon était secrétaire général de la préfecture de police de Paris. de Guiringaud Louis : Directeur des affaires politiques au haut-commissariat de France en Allemagne. Goldenberg, Léo Hamon : CDLR, vice-président du CPL, s'empare de l'Hôtel de ville le 19/8/44. Graff : Directeur du port autonome de Strasbourg Grandclément, André : Chef de l'OCM dans la région de Bordeaux, lié au SOE anglais. Il a conclu un accord de trahison avec l'enquêteur Dohse. Il est exécuté le 28/7/44 sur ordre du SOE. Grenier Fernand : Résistant communiste. A établi les relations entre le PC et de Gaulle. Membre du CFLN le 4/4/44. Présente un amendement qui about it au droit de vote des femmes. Grimaud Maurice :directeur de cabinet de l'administrateur général français à Baden-Baden en Allemagne, de 1945 à 1947. Gröber : Archevêque de Fribourg. Ambigu sous le nazisme, soutient Heideger et lance des prêches provocateurs Gromyko Andreï : Ambassadeur de l'URSS auprès du conseil de sécurité de l'ONU. Hamon Léo : Lew Goldenberg de son nom de naissance. Résistant dans le mouvement Combat puis CDLR. Vice-président du Comité Parisien de Libération pendant l'insurrection de Paris. Hardy René : Résistant de Combat, retourné, a conduit les Allemands à la réunion CNR de Calluire, provoquant l'arrestation de Jean Moulin et de plusieurs autres chefs de la Résistance [25]. Heidegger Martin : Philosophe dans la tradition de la phénoménologie de Husserl. Il fut un des principaux inspirateurs des philisophes existencialistes en France. Il a été nazi à partir de 1930. Heinemann Gustav : Président de la RFA (Bundespräsident) entre 1969 et 1974. Heisenberg Werner : Physicien allemand, un des fondateurs de la mécanique quantique, prix Nobel 1932, quoique anti-nazi avant la guerre, il soutient le régime pendant celle-ci, dirige le programme nucléaire allemand qui échoue heureusement. Henneguier Pierre (julien): dirigeant de l'AS de plusiuers départements des environs de Marseille, nommé en janvier 44 chef des actions de sabotage de la région Parisienne. Bronzavia à Courbevoie, Rossi à Levallois ; Timken à Gennevilliers ; Malicet et Blin à Aubervilliers et surtout Renault à Boulogne- Billancourt. Henri-Simon, Jacques : Résistant OCM, membre du CNR, mort en camp. Hessel Stéphane : d'origine allemande, naturalisé français en 1937 fut résistant, arrêté en août 44 échappa miraculeusement à la mort de nombreuses fois, fut après la guerre diplomate à l'ONU et a été témoin de la rédaction de la Déclaration Universelle des droits de l'Homme. Il a défendu la cause palestinienne. Hettier de Boislambert Claude : Gouverneur de la Rhénanie-Palatinat constituée de la Rhénanie Prussienne de la Hesse rhénane et du Palatinat rhénan. Heuss Theodor : Premier président de la RFA, de 1949 à 1959. Hilpert Werner : Ministre président du Land de Hesse. Von Hindenburg Paul : Chef de l'Etat-Major de l'armée allemande en 1916, puis plusieurs fois président de la République de Weimar, il a aidé Hitler en 1933 à s'emparer de tous les pouvoirs. Ho Chi Minh : chef de la lutte d'indépendance du Vietnam. Hoffmann Wolfgang : Oberbürgmeister (Maire) de Freiburg Hombrouck Georges : Résistant OCM, membre des Ponts et Chaussées, chauffeur de Pène. Hoppenot Henri : Ambassadeur. Représentant permanent au conseil de sécurité de l'ONU en 1952-1955. Jäckle Richard Karl : SPD membre du Landtag du Bade puis en 9/48 président de la fraction SPD. Janssen Sigurd : Professeur de pharmacologie de l'Université de Fribourg. Fut recteur en 52-53 Jany : chef de la chancellerie du Bade-sud Jomotte Henri : chauffeur de gourdronneuse du parc de Laon, membre de l'OCM, a participé à la dissimulation d'armes de guerre, et à la préparation d'un terrain d'atterrissage. Jouhaux Léon : Militant syndical, secrétaire général de la CGT de 1909 à 1947. Il quitte la CGT en 47 pour fonder la CGT-FO (Confédération générale du Travail-Force Ouvrière). Prix Nobel de la paix en 1951. Karski Jan : Catholique polonais qui a tenté en vain d'obtenir des réactions des dirigeants anglais et US contre le génocide des juifs, cf wikipedia. Keitel Wilhelm : Generalfeldmarshall (Maréchal), chargé par Hitler de contrôler l'armée allemande, a signé la capitulation de l'Allemagne le 8/5/1945; Kergall Antoine (Larcouest): chef du 2e Bureau de l'état-major régional FFI d'Ile-de-France, nommé par André Boulloche. Les archives Kergall sont déposées au musée de la Résistance. Kiesinger Kurt Georg : Nazi, dirigeant de la propagande radio du Reich, puis CDU, fut ministre-président du Bade-Wurtemberg en 1958, chancelier de la RFA de 1966 à 1969. Kirchgässner : ministre de l'agriculture et de l'alimentation du Bade. Kirkpatrick Ivone : Haut Commissaire de la zone britannique de 1950 à 1953 Klarsfeld Beate : Allemande, elle a découvert les atrocités nazies en rencontrant en France Serge Klarsfeld. Ils ont ensemble engagé ensemble une chasse des nazis dissimulés, elle a, au risque de sa vie, gifflé devant son parti, Kiesinger, un chancelier nazi de la RFA. Klarsfeld Serge : Juif, son père Arno a été gazé à Auschwitz. Il a entrepris avec sa femme, Beate, une chasse tous azimuths et très efficace des nazis, criminels contre l'humanité, qui se dissimulaient. Koenig Marie-Pierre : général, célèbre depuis la bataille de Bir Hakeim, a dirigé les FFI puis la zone d'occupation française en Allemagne de juillet 1945 à septembre 1949. Koenig : Collaborateur de Pène, contrôleur de la sûreté. Kogon Eugen : Détenu à Buchenwald, il devint un dirigeant de l'organisation clandestine du camp. Auteur après la guerre d'une étude du système concentrationnaire nazi. Témoin au procès de Nüremberg, et à d'autres procès, il a prôné une démocratie chrétienne de gauche. Labat Paul : il a joué un rôle de premier plan dans le camouflage des services de transmissions de l'armée au sein des PTT via le Groupement de communications radioélectriques (GCR). Lacant Jacques : Germaniste, était dés 1945 officier de liaison entre l'ocupant et l'université de Fribourg. Laffon Emile : Chargé par le CFLN de désigner les Commissaires de la République, il a été nommé administrateur général de la zone française d'occupation en Allemagne jusqu'en novembre 47. Lais Eduard : ministre de l'économie et du travail du Bade sud. Lecomte André : ouvrier mécanicien, membre de l'OCM, a participé au transport et à la dissimulation d'armes de guerre, et à la préparation d'un terrain d'atterrissage. Lefaucheux Marie-Hélène : Responsable des œuvres sociales de l'OCM et active pour unifier les œuvres. Epouse de Pierre. Elle a secondé le père Chaillet, fondateur du COSOR. Lefaucheux Pierre (gildas): Responsable des FFI de Paris. PDG de Renault. Mort dans un accident en 55. Epoux de Marie-Hélène. OCM III, 72AJ/67 Dossier n° 4 Leibbrandt Friedrich : SPD, brièvement membre du gouvernement badois, cf l'affaire Leibbrandt III.2.2 Lepercq, Aimé (Landry) : CdL, OCM, CD de l'OCM, CPR, brièvement président de l'OCM, arrêté le 8/3/44, libéré le 17/8/44. Ministre des finances du GPRF. Mort dans un accident automobile le 9/11/44 alors qu'il allait rejoindre Pène à St Quentin. Le Troquer André : membre de l'assemblée constituante d'Alger, ministre de l'intérieur du gouvernement Gouin. Levi Primo : Survivant italien du camp de Auschwitz-Monowitz, un des premiers informateurs sur les camps d'extermination, a écrit ''si c'est un homme'' (se questo é un uomo), et d'autres œuvres. Loretz : Colonel, directeur du British Institute. Lottin Jean: Chef de cabinet du délégué supérieur du Pays de Bade, puis adjoint au délégué Provincial pour le Bade sud. McCloy John J.: Haut Commissaire de la zone américaine de 1949 à 1952, succédant au Gal Clay. Magnant Dominique : Directeur des finances à Baden-Baden. Maïer Reinhold : FDP, membre du parlement régional du Land de Wurtemberg-Bade, sous occupation US. Mairesse, Claude (Audroy): OCM, Médecin, chef de l'OCM pour la région de St Quentin, arrêté le 5/4/44, mort étouffé dans le train de déportation [93,205]. Mairey Jean : Compagnon de la Libération, particpe à l'orgnisation du NAP. Victime d'un accident en mai 1944. Membre du Conseil de l'Ordre de la Libération il exerce, d'octobre 1952 à mars 1970, les fonctions de Président de la Société d'Entraide des Compagnons de la Libération (SECL) dont il était le co-fondateur. Malaguti Michel : Gal, commandant la zone sud d'occupation en Allemagne. Malan Daniel : Membre de l'église hollandaise réformée, en Afrique du sud, fondateur de l'apartheid dans les années 1948-1950. Malick, Georges : Préfet de l'Oise de Vichy, de 42 à 44. Mangin Charles : Général pendant la premère guerre mondiale. Hostile à Pétain. À la tête de la Xème armée Le 18 juillet 1918 il réalise la célèbre contre-attaque qui, précédée de centaines de chars d'assaut, brise l'offensive ennemie vers Paris et déclenche la retraite allemande. de Marguerittes, Jean Teissier (Lizé) : colonel, adjoint de Pène à la tête des FFI de la région P, responsable FFI de Paris au moment de l'insurrection, sous les ordres de Rol-Tanguy, hostile à la trêve. Maroger Jean : Polytechnicien, ingénieur des ponts, sénateur, assemblée commune CECA. Maroteau : ami de Charles Lagille, a hébergé Pène en 44, au risque de sa vie. Marshall George (Plan) : Le plan Marshall a consisté dans une aide des USA aux pays d'Europe occidentale pour réparer les destructions de la guerre et retrouver une prospérité qui réduisait l'influence communiste. Martel Jean et Joël : jumeaux, sculpteurs et décorateurs français. Mendès France Pierre : Nommé président du conseil par le président René Coty en juin 1954, il cumule cette fonction avec celle de ministre des affaires étrangères. S'il parvient à conclure la paix en Indochine, à préparer l'indépendance de la Tunisie et amorcer celle du Maroc la question algérienne le fera tomber. Merlin : agent d'assurance à Hirson, fait dérailler un wagon portant un canon de 280 et recommence au cours des travaux de dégagement du canon. Michel Henri : Historien, adhère à la SFIO en 36. Participe à la Résistance en Provence, collabore à la presse clandestine, il fonde le Comité d'Histoire de la Seconde Guerre Mondiale. Moch Jules : Socialiste, résistant dans un groupe de résistants de polytechnique ''X-libre''. Ministre dans de nombreux gouvernements de la 4ème république. On lui a reproché en tant que ministre de l'intérieur une intervention très brutale des CRS contre les mineurs en grève en fin 1947. Molaye Jeanine : fille d'agriculteurs de l'Aisne, ''bonne'' des Pène, mais aussi boite aux lettres pour la Résistance, a refusé de retourner chez ses parents malgré sa connaissance des dangers. Mollet Guy : Résistance au sein de l'OCM. Président du conseil en 1956. Moncys Antanas : Sculpteur d'origine lituanienne. Son style est moderne, l'inspiration souvent chrétienne. Monnet Jean : Homme d'affaires et politicien. Aux USA sous l'occupation, envoyé en Algérie en 43 par Roosevelt pour soutenir le général Giraud. Il s'oppose à de Gaulle. Il propage la vision américaine de l'union économique européenne. Il est considéré avec Robert Schuman comme un père de l'Union Européenne. Monod, Jacques (Malivert): Biologiste et biochimiste de l'institut Pasteur, sous l'occupation rejoint les FTP, responsable pour les FFI du bureau action de Condé, puis de l'EMN des FFI. En 1965 il sera lauréat du prix Nobel de physiologie en compagnie de François Jacob et André Lwoff. Monteux : Colonel, Délégué de cercle de Fribourg Morax : Médecin, a hébergé Pène à Paris après son évasion. A contacté le chirurgien Funck-Brentano. Moulin Jean (Rex, Max) :Premier délégué de de Gaulle en France, fonde le CNR le 8/5/43. Arrêté à la suite d'une trahison le 21/6/43, torturé, meurt le 8/7/43. Müller Gebhard : CDU, Président du Wurtemberg-Hohenzollern, sera Ministre président du Bade- Wurtemberg en 1952. Mutter André (Carre, Valton) : de ''Ceux de la Résistance'' (CDLR) a succédé à Roger Coquoin au CNR. Réf : AN CDLL 72AJ/42 D1, p2 Navarre Henri : général, en Allemagne chef d'état-major de Juin. En Indochine décidera de tenir la position de Dien Bien Phu qui sera fatale à l'armée française. Neuland : Observateur américain dans la zone française. Newhouse : Succède à Loretz à la tête du British Institute. Noël André : Délégué de cercle à Donaueschingen puis à Constance, nommé représentant du Haut Commissaire dans la région de Trèves. Noiret Roger : général d'armée, commandant en chef des forces françaises en Allemagne (1951-1956). Nordmann Marcel : SPD Nossovitch, Sophia (Sofka) : Secrétariat et liaisons. Arrêtée le 16/12/43 en même temps que Vicky, internée à Ravensbrück, revenue sourde du fait des Tortures [13,18]. Noufflard, Geneviève : Fut sous l'occupation l'assistante et l'agent de liaison de Jacques Monod. Obolensky, Vera (Vicky) : Princesse, OCM dirige le secrétariat de l'OCM. Intelligence, vivacité, courage. Décapitée le 4/8/44 à Berlin. [3,18] Olympio Silvanus : Premier ministre du Togo indépendant d'avril 1958 au 13 janvier 1963, jour où il est assassiné lors du coup d'Etat de Eyadema. O'Neill Marc (Tyrone) : OCM, responsable du maquis ZN en 7/43, puis DMR pour P3 plus le Cher. Avec ses troupes participe brillament à la libération de Paris [3]. Papon Maurice : Responsable de la déportation de 1600 juifs de 42 à 44. Préfet de police il est responsable du massacre d'algériens le 17/10/61, de l'assassinat de 10 manifestants au métro Charonne le 8/2/62. Condamné le 2/4/98 pour complicité de crime contre l'humanité. Parodi, Alexandre (Cerat, Belladone): Délégué Général du Comité Français de la Libération Nationale, nommé en mars 44. Pasteau, Michel (Tourelle) : Cdt, OCM (CD), proche du colonel Touny (sorte chef EM), ami de Pierre et Françoise Pène en Abyssinie. Réf [78,105] Pastor Gildo: homme d'affaires monégasque. Il a achèté à bas prix l’essentiel des terrains du bord de mer et construit des immeubles résidentiels de luxe tout le long de l’avenue Princesse Grace. Von Paulus Friedrich : Général commandant la 6ème armée allemande jusqu'à Stalingrad, encerclé il est capturé le 31/1/43. Pelletier Emile : Ministre d'Etat (chef du gouvernement) de Monaco de 1959 à 1963 Pène Pierre (Taille, Périco, Pointis, Portet) : ingénieur des Ponts et chaussées, compagnon de la Libération, le sujet central de ce livre. Pène, Françoise :épouse de Pierre; Clotilde, sa sœur; les enfants : Annette, Florence, Didier, Olivier, âgés de 17, 12, 8 ans, 8 mois au début de 44. Perony, Yves : Préfet de l'Oise de 44 à 46 nommé par le GPRF. Perrault, Gilles : Ecrivain, auteur de ''La longue traque'' consacré à l'affaire Farjon [32]. Perrin Joseph-Marie : Prêtre, père Perrin a fondé ''Caritas Christi''. Pendant l'occupation il diffuse les ''cahiers du témoignage Chrétien''. Il a rencontré Simone Weil. Person Karl : (Landtags Präsident) Président de l'Assemblée du Bade-Sud de 1947 à 1951 Person Hermann : Fils de Karl, Regierungspräsident de 1967 à 1979 de la Regierungsbezirk de Fribourg. Pierre : Ingénieur de la navigation de Soissons, a détruit l'écluse de Vuaxrot, et la ligne de 150 000 Volts à Sermoise. Pierlot Hubert : Chef du gouvernement belge en exil à Londres, de retour en Belgique en décembre 1944. Pierret Emile : communiste, membre du FN, chef dest FTP de St Quentin. ''Maire'' de St Quentin à la Libération. Piette, Jacques : Socialiste, OCM ( CD), Responsable économique, associé de Touny (direction des opérations), IR Région Nord, bureau du CPL. Réf [78,99,106]. Pitois-Dehu Marie-Agnès : historienne et professeur d'histoire. Auteure de [87], organisatrice de la réunion du 30/11/13, elle nous a beaucoup aidés à propos de la Résistance et du Commissariat de la Républque dans l'Aisne. Pleven René : a rejoint de Gaulle à Londres fin juin 1940, numéro deux de de Gaulle, président du conseil sous la 4ème république (1950-1951) Poher Alain : De 1948 à 1952 Commissaire général aux affaires alldes et Autrichiennes. Président du sénat en 1968 (2ème personnage de l'Etat). Point André (Mehul, Rousseau, commandant Fournier): Coiffeur, qui a dirigé les FFI des Ardennes. S'est suicidé après la libération. Poirrier, Georges : adjoint de Point. Il fut arrêté le 18/11/43 probablement suite aux informations venant de Roland Farjon. Pompidou Georges : Normalien, rejoignait la banque Rothschild. De Gaulle le nommera premier ministre en 1962, il le restera jusqu'en 1968. En 1969 il succédait à de Gaule comme président de la République, jusqu'à sa mort. Postel-Vinay, André : Dés 10/40 contacte la Résistance et des services brtanniques. Arrêté le 14/12/41, il tente deux suicides. Evadé, il rejoint la France libre. Quivy Denise : Amie de longue date de Clotilde Pène. Elles étaient ensemble sur les bancs de l'université parmi un tout petit nombre de filles. Rainier III : Prince de Monaco de 1949 à 2005 Rajsfus Maurice : Ecrivain, journaliste, historien. A étudié et critiqué le rôle de l'UGIF sous l'occupation. Ramadier Paul : a rufsé les pliens pouvoirs à Pétain, rejoint la SFIO, premier président du conseil de la 4ème république, chasse le PCF du gouvernement. Rastel Georges : Préfet des Ardennes de 11/44 à 8/45, cf https://fr.wikipedia.org/wiki/Georges_Rastel Raynaud Paul : Président du conseil en 1940, veut poursuivre la guerre en afrique du Nord, obligé de démissionner et remplacé par Pétain. Rauch : Archevêque de Fribourg après la mort de Gröber. Indulgent à l'égard du nazisme. Rebeyrol, Jacques (Robin) : MNR puis OCM, membre du CD. Tente d'unifier OCM et Libé-N. arrêté le 29/2/44, [78,136] Reidel : dirigeant d'une union syndicale dans le bade sud. Renaud B : membre du ministère des travaux publics, aide Pène dans sa recherche d'un poste. Renault, Gilbert (Raymond, colonel Rémy, Roulier): Créateur de la CND (Confrérie Notre Dame). Reymond Jean-Emile : Ministre d'Etat de Monaco à partir de 1963 à 1967. Richard Raymond : Membre de la cagoule, agent de la Gestapo, proche de Pierre de Bénouville et de René Hardy. Richard a enquêté dans les Ardennes sur le maquis du Banel et contribué à sa destruction [109]. Richez : OCM, chef de la région Nord, arrêté en janvier 44. Rivain : Directeur de cabinet de André François-Poncet Robertson Brian Hubert : sir; commandant de la zone britannique du 1/9/47 au 21/11/49 Rocard Yves : Physicien, pendant la guerre fait partie du réseau Cohors fondé par Christian Pineau et Jean Cavaillès. Après la guerre, responsable scientifique des travaux vers la bombe atomique française. Son fils, Michel Rocard sera un homme politique notoire. Roemen, Charles-Antoine (Rudeault, Antoine, Dubois) : agent des services français et belges, retourné par l'abwehr, prend la suite de Raymond Richard pour espionner le maquis du Banel aidant efficacement à sa destruction par les Nazis. Röhm Ernst : Nazi, fondateur des S.A. Il fut assassiné le 1/7/34 sur ordre de Hitler Rol Tanguy, Henri : (Col) Communiste, a participé aux Brigades Internationales en Espagne, FTP, Nommé à la tête du 3ème bureau des FFI de la région P, puis dirige les FFI de la région à partir de juin 44 jusqu'à l'insurrection et la libération de la ville [98]. Rol Tanguy, Cécile : née Marguerite Le Bihan, assura le secrétariat et les liaisons de son mari. Parfaitement lucide en 2017 âgée de 98 ans. co-présidente de l’association des Amis des combattants de l'Espagne république, ACER. Rollet (Dacre) : Travaillait au comité d'organisation du textile, contact parisien de Pène après le départ de Boulloche. Rommel Erwin : Generalfeldmarschall (Maréchal), dirigeant l'Afrikakorps en Afrique du nord, compromis dans l'attentat contre Hitler du 20/7/44 il est contraint au suicide. Romon Gabriel : Camouflé dans l'administration des PTT il a fondé un réseau d'écoute radio et de transmission aux alliés des informations concernant l'occupant. Arrêté le 12/12/43, fusillé le 21/8/44. Roosevelt Franklin Delano : Président des USA de 1933 à sa mort en 1945. A relancé l'économie au moyen du ''new deal''. Churchill le convainc de se joindre à la guerre contre les nazis. L'attaque japonaise contre pearl Harbour lui en donne l'occasion le 11/12/41 les USA sont en guerre contre le Japon et l'Allemagne. Roosevelt Eléonor : épouse du président Roosevelt, mort peu avant la fin de la guerre, a joué un rôle important pour créer l'ONU, et a présidé la rédaction de la déclaration universelle des droits de l'Homme. Rondenay, André (André Claude - Lemniscate - Sapeur - Jarry - Jean-Louis Lebel - Francis Courtois): Compagnon de la Libération [129], Parvient à Londres le 4/4/43, affecté au BCRA, parachuté le 13/9/43, remplace Boulloche comme DMR région P en 2/44, participe à de nombreux coups de main, arrêté le 27/7/44 assasiné par la Gestapo, ''une des plus belles figures de résistant que j'aie connue'' dit Pène. Roumeguère Jacques : Compagnonsde la Libération, membre des FFL, fut héroïque à Bir Hakeim. A proposé aux compagnons de soutenir le compagnons Georges Guingouin injustement attaqué. Roumens : Famille de voisins des Pène à Boulogne. Catholiques résolus et politiquement admirateurs de Pétain, Simone Roumens a pourtant aidé les Pène, trouvé un camp de vacances catholique à Arcis le Ponsart pour y cacher Didier, etc. Rouzée, Jean (Cartier) : OCM, châpeaute le renseignement pour la région P, centre et Sud-Ouest. Arrêté le 8/3/44, libéré le 17/8/44 [78,135] Royaux (Max, Duval) : Transmet les directives concernant les terrains d'atterrissage. Il sera fusillé à Arras. Roy : famille amie des Pène à Soissons. Le père était docteur. Rudy de Mérode, de son vrai nom Frédéric Martin, est un espion français à la solde des Allemands. Von Rundstedt Gerb : Generalfeldmarschall (Maréchal), Commandant la contre-offensive des Ardennes de décembre 1944, heureusement ratée, qui préoccupera beaucoup le Commissaire de la République Pène. Sainteny Jean : Compagnon de la libération, a dirigé le réseau Alliance pour la Normandie puis la région Nord-est. Il est arrêté et torturé par la Gestapo. Hospitalisé, il parvient à s'évader grâce à la complicité d'un de se geôliers. Nommé Commissaire de la République pour le Tonkin et l'Annam, il signe un accord avec Ho Chi Minh. Malheureusement un ordre militaire de bombarder Haïphong enclanchera la guerre d'Indochine. Samama, Jacques : succède le 22/6/45 à Tomasini comme préfet de l'Aisne. de Sarrazin (Dauvergne) : colonel, membre de l'ORA, Chef des FFI de l'Aisne à partir du 1/7/44, a réalisé l'unité effective des FFI de l'Aisne [87,143]. Savary Alain : Compagnon de la libération, dans la marine pendant la guerre il est gouverneur de St Pierre et Miquelon qui a rejoint la Résistance. 43 il rejoint le premier régiment de fusillérs marins en Lybie. Il participe en 44 à la campagne d'Italie. Socialiste, il est ministre de l'Education nationale en 1981. Sa réforme dans le sens de la laïcité de l'enseignement sera désavouée par Mitterrand et il démissionne en 1984. Scaillierez, Marc : Agriculteur, Démocrate Chrétien, rejoint l'OCM très tôt, nommé préfet des Ardennes. Schäffer Fritz : Ministre des finances de la RFA de 1949 à 1957 Schieler Fritz : SPD, membre du Landtag du Bade. Maire de Fribourg de 1948 à 1964. Schlapper Ernst : CDU, Maire de Baden-Baden de 1948 à 1969. Schill Lambert : ministre de l'agriculture et du ravitaillement dans le gouvernement du Bade-Sud, CDU. Schlesser Guy : Général a dirigé la 5ème division blindée en Allemagne. Installe les aérodromes en 1952 pour les troupes françaises dans le cadre de l'OTAN. Schmid Carlo : SPD, Prédident du Land Wurtemberg-Hohenzollern, puis vice-présiendt du Bundestag. Schmittlein Raymond : Germaniste, Membre des FFL, directeur général des affaires culturelles dans la zone d’occupation française en Allemagne. A créé l'université de Mayence (Mainz). Schneider Hermann : CDU, né à Constance, de 1946 à 1952 membre du parlement du Bade. Schneiter Pierre : Secrétaire d'État aux Affaires allemandes et autrichiennes du gouvernement de Robert Schuman du 24 novembre 1947 au 26 juillet 1948. Schneller Franz : habitant de Fribourg, était un dramaturge, régisseur, écrivain. A écrit sur le Bade. Schnorr Aloïs : mariée à une juive, en 38 il fuit Staufen in Breisgau. Ministre des finances dans Wohleb_III Schühly Alfred : ministre de l'Intérieur dans le gouvernement du Bade-Sud, membre du CDU. Schumacher Kurt : SPD, Emprisonné à Dachau par les nazis, ami du monstureux ober-kappo Zimmermann. Schumann Maurice : Porte-parole de la France Libre sur Radio Londres, puis plusieurs fois ministre. Schuman Robert : Président du conseil des ministres, puis ministre des affaires étrangères, un des principaux initiateurs de l'Union Européenne. Schwartz Jacques : Général, défenseur de Strasbourg a précédé Pène comme gouverneur du Bade Schweitzer Albert : médecin, pasteur et théologien protestant, a créé un hopital dans la forêt tropicale. Prix Nobel de la paix en 1952. Seebohm Hans-Christoph : Ministre des travaux publics et transports de la RFA (gvt Adenauer). Sonneville, Pierre (Equilatéral, Montrose) : CdL, Commandant, fut DMR de la Région Parisienne en février 44. Soum Henri : Ministre d'Etat (chef du gouvernement) de Monaco de 1953 à 1959 Speer Albert : Ministre de l'armement et des munitions du Reich. Condamné à 30 ans de prison à Nuremberg. Stephan Friedrich : Maire de Kehl de 1949 à 1951 Süsterhenn Adolph : CDU, Ministre de la justice, enseignement et de la culture de Rhénanie-Palatinat. Szilárd Leó : Physicien théoricien hongrois, juif, a incité Einstein à alerter avec lui Roosevelt des recherches allemandes en vue créer la bombe atomique. Roosevelt les a écoutés marlgré les réserves des militaires US Tanguy-Prigent François : d'origine paysane, fondateur de la CGA en 43, il est ministre de l'agriculture dans le GPRF. Teitgen Pierre-Henri : Résistant dans le mouvement combat, il devient ministre de maint gouvernements sous la 4ème république. Ternynck Louis : Né à Chauny dans l'Aisne en 1892, croix de guerre 14-18, prisonnier de guerre en à l'oflag 21, croix de guerre 39-45, membre de chambre de commerce et d'industrie de l'Aisne. Thibon Gustave : Catholique fervent, ami de Simone Weil, il a été proche de Vichy mais a refusé toute récompense de ce régime. Thorne : Délégué de cercle de Lahr Tillion, Germaine : Appartient au réseau du Musée de l'Homme-Hauet-Vildé qu'elle dirige après l'arrestation de Boris Vildé le 26/3/41. Arrêtée à son tour le 13/8/42 elle est déportée à Ravesbrück dont elle sera libérée, mais où sa mère est assassinée. Tixier, Adrien : Ministre de l'intérieur des gouvernements de Gaulle du 9/9/44 au 26/1/46 Tomasini Hyacinthe : Nommé préfet de l'Aisne par le GPRF Touny, Alfred (Langlois, Lacroix, Murat) : COL Le 12/41, Devient le dirigeant de l'OCM, dirige l'ASZN fin 43. Le 25/2/44 il est arrêté, puis fusillé. Touzé : Famille amie des Pène. Le père était sous-préfet. Trillat Albert : chirurgien orthopédique à Lyon. Il existe un centre Albert Trillat. Il a guéri Didier Pène. Trygve Lie Halvdan : politicien norvégien, socialiste, secrétaire général de l'ONU de 1946 à 1952. Turbil Pierre : Entrepreneur, ami de Pierre Pène, l'a hébergé après sa fuite de l'Aisne, a planifié son évasion de Senlis. Vallat Xavier : Commissaire général aux questions juives du gouvernement de Vichy de 41 à 42. Van Zeeland Paul : Homme politique Belge, moteur de l'union européenne, ministres des affaires étrangères. Vennin Anne-Marie :Secrétaire de Pasteau, Pène, Yarmounkine, missions dangereuses, courage, force de caractère. Vildé Boris : Fondateur du réseau du musée de l'Homme. Arrêté le 26/3/41 il est fusillé au Mont Valérien le 23/2/42. Villon Pierre : De son vrai nom Roger Ginsburger, membre du Comité Directeur du FN puis du bureau du CNR. Vincke Johannes : Professeur de théologie de l'Université de Fribourg. Fut recteur en 51-52 Vogt Oskar : Neurologue très réputé, Vogt est resté célèbre pour avoir disséqué et décrit la structure histologique du cerveau de Lénine en 1927. Vychinski Andreï : Procureur des procès de Moscou, il devient le représentant soviétique au Conseil de Sécurité de l'ONU. Wagner Robert : Gauleiter (responsable nazi) du Bade, puis de l'administration civile en Alsace, a finalement été capturé à Mannheim et condmané à mort [68]. Waeldin Paul : FDP, Maire de Lahr de 1945 à 1952 Vandendrissche Gustave : président de la chambre de commerce et d'industrie de l'Aisne (1944-1945). Weil, Simone : Philosophe, apparentée à Françoise Pène, Brigades internationales, victime des lois anti- juives. Morte en Angleterre le 25/8/43 [133,134] Werber Friedrich : CDU, porte-parole des ''vieux badois'' désireux de restorer le Bade. Weygand Maxime : Généralissime de l'Armée française à partir du 19 Mai 1940 jusqu'à la capitulation. Il succédait trop tard à Gamelin, congédié par Paul Raynaud. Widmer Guillaume : Gouverneur du Wurtemberg-Hohenzollern Wirth Joseph : né à Fribourg. Chancelier de la République de Weimar en 1921-1922. Il était signataire des accords de Rapallo le 16/4/22 avec l'URSS. Il quitte l'Allemagne en 1933 pour la Suisse. Il y retourne en 1949. Opposé à Adenauer il s'oppose à l'entrée de l'Allemagne dans l'OTAN, plaidant pour une Allemagne neutre et réunifiée. Cela le rapproche des idées de Wohleb contre le réarmement allemand. Wohleb Leo : a présidé le Bade-Sud pendant toute la période où Pène y était. Ziegler Henri : polytechnicien, Résistant lié à l'armée de l'air, dir de cabinet de Chaban-Delmas en 1954. Zürcher Paul : CDU, Prèsident de la cour d'appel, ''éminence grise'' [59] de la politique Badoise dans les années 1946-1948.

Notes : {n} est le numéro de la note dans le texte, {1} merci à François Fouré, son petit-fils, qui nous a donné ces précisions. {2} merci à Christine Levisse-Touzé qui nous a autorisés à le consulter. {3} le terme ''gouverneur'' était utilisé pour des titres officiels qui ont changé pendant la période, cf la Partie ''Pierre Pène Gouverneur du Bade-sud'' {4} Le rôle de Pène dans la Résistance était ignoré par le Général de Division Commandant la deuxième Région Militaire. On peut lire deux attestations de ce rôle, mais le plus savoureux est la réponse de Pène à ce général, 5ème entrée dans [153]. Plusieurs documents proviennent des Archives SHD GR 16 P 464884, du Service historique de la Défense. Ils nous ont été aimablement fournis par François Romon. {5} Ce document nous a été aimablement fourni par le Dr Gilles Dansac, longtemps médecin à Châteaufort (78117), dont le parrain avait été Jacques Blot. {6} Nous ne savons pas par rapport à quoi on indique ces pourcentages, peut-être par rapport à l'avant-guerre comme indiqué plus bas pour l'année 46 {7} Soultes : Une soulte doit compenser financièrement un échange ou partage qui n'est pas égal entre les parties. {8} Demi-produits : produits destinés à une transformation complémentaire avant utilisation. {9}Le remembrement ou remembrement rural a pour but la constitution d'exploitations agricoles d’un seul tenant sur de plus grandes parcelles afin de faciliter l'exploitation des terres. C'est l'agriculture des grandes exploitations, qui à l'époque apparaissait comme une façon de sortir de la crise, et de nos jours accentue une crise environnementale encore plus grave ! {10} Land, pluriel Länder : strictement c'est pays, mais de la taille d'un département français ou un peu plus grand : un résidu de l'histoire allemande. Ce mot apparaîtra souvent. {11} Dichtel, ministre du ravitaillement du gouvernement était suspecté par les français de négligence en n'ordonnant pas la distribution de pommes de terre récoltées. Le gouvernement badois a pris la défense de son ministre. Le ''Memento'' en dit du bien ''Anton Dichtel, Président du parti, ancien syndicaliste, représente l'aile gauche, influence modératrice dans les difficultés avec le parti socialiste''. {12} Bizone, zone occupée par les USA et la Grande-Bretagne. Alain Lattard [69] rappelle qu'en principe la France était peu désireuse de l'union des syndicats des différents Länder, attachée qu'elle était à une Allemagne décentralisée. Cependant les anglo-saxon montraient de leur côté la crainte d'une influence communiste sur une union des syndicats. Ils ne se sont toutefois pas opposés à cette union qui s'est faite huit mois plus tard. Les Allemands étaient probablement les plus désireux de cette union. {13} Concernant l'attitude du régime polonais sous influence soviétique, Olivier Pène voudrait raconter son expérience de 1981. Avec deux collègues d'une conférence qui avait lieu près du cite d'Auschwitz, ils y sont allés. Le site était presque désert, ils étaient les seuls visiteurs. La présentation dissimulait le fait incontestable que ce camp avait avant tout été le lieu de l'extermination des juifs. Les victimes semblaient être essentiellement des slaves. Certes les slaves étaient aussi considérés comme une ''race inférieure'' par les nazis, et environ autant de polonais non juifs ont été exterminés que de polonais juifs (dans les 3 millions). Mais pas à Auschwitz qui fut le principal lieu d'extermination des juifs. La génuflexion de Willy Brandt a été dissimulée au peuple polonais par les médias officiels qui l'ont filmé sous un angle tel qu'on ne le voyait pas à genoux. Pourquoi le régime polonais, encore sous domination néo- stalinienne, refusait-il de voir en face le génocide des juifs ? Pourquoi, alors que c'est l'armée soviétique qui la première a alerté le monde à ce sujet quand ils ont libéré les camps d'extermination de l'est ! {14}Enfants de Lidice https://www.curioctopus.fr/read/13951/la-triste-histoire-des-enfants-de-lidice-qui-emeut-quiconque- les-regarde-dans-les-yeux {15}Il faut revenir à l'intervention très brutale des USA en Grèce contre la Résistance de gauche qui se proclamait ''gouvernement libre'' ou ''gouvernement de la montagne''. Les USA ont utilisé le napalm (avant de faire de même au Vietnam) contre cette gauche et réalisé un massacre. Nous parlons d'environ 25 000 enfants principalement de la Grèce du Nord. Bien sûr, ce fait avait deux interprétations différentes. Pour la gauche l'idée était de soustraire les enfants à l'horreur de la guerre civile et des camps pour enfants organisés par la reine qui essayait de laver le cerveau des enfants. Ajoutons que Staline, respectant les accords de Yalta qui livraient la Grèce à la domination anglo-américaine, n'autorisait pas les combattants de gauche à se réfugier dans les pays sous son influence. Seuls les enfants ont été autorisés à s'y rendre. De leur côté en 1949 les guérilleros de gauche étaient à court d’hommes. Ils ont commencé à recruter des adolescents, garçons ou femmes. Mais pour s’assurer que les femmes continueront à se battre sans penser à leurs enfants, les chefs de la guérilla ont emmené les enfants et les ont envoyés à l’étranger. Les vainqueurs de droite sous égide américaine ont incinéré leurs adversaires. La guerre avait fait environ 150.000 morts. Il n'est pas évident que ces enfants grecs avaient encore une famille en Grèce. Nous remercions Savvas Zafeiropoulos pour ces explications détaillées sur cette question.

REMERCIEMENTS Nous remercions Christine Levisse-Touzé qui nous a autorisés à consulter le fonds Fourée et le fonds Kergall au Musée Musée du Général Leclerc de Hauteclocque et de la Libération de Paris - Musée Jean Moulin, Les Archives Nationales, Roger Bourderon et Laurent Dauzou qui nous ont conseillé dans nos recherches, Cécile Rol-Tanguy et Geneviève Nouflard qui nous ont transmis leurs souvenirs de la Résistance, les descendants de Robert Fouré, d'Alain Kergall, de Henri Rol-Tanguy et de Jacques Monod. Nous remercions François Romon pour une lecture critique très profitable de ce texte. Nous remercions Mme Pitois-Dehu qui nous a beaucoup appris sur l'Histoire de l'Aisne et sur le commissariat de la République de Pène. Nous remercions Messieurs Patrick Day et Alain Deshayes ainsi que Mme Pitois Dehu qui ont organisé la réunion de Soissons. Nous remercions Grégory Longatte pour sa thèse très utile et Mme Pitois Dehu qui nous en adonné le texte. Nous remercions les Archives départementales des Ardennes, et Nicole Pène qui nous ont fourni des documents sur l'histoire ardennaise. Nous remercions Rainer Hudemann qui nous a fourni quantité de documents précieux y compris sa thèse sur l'occupation française en Allemagne. Nous remercions Françoise Berger qui nous a éclairés sur plusieurs aspects des relations économiques des occupants français avec les Allemands. Nous remercions Mme Wohleb, Mr Person et tous ceux qui ont offert à notre père, Pierre Pène, la dernière joie de sa vie. Nous remercions ce peuple badois à qui il a exprimé son affection au moment de partir. Nous remercions la mairie de Paris qui a posé une plaque à la mémoire de Roger Coquoin et Pierre Pène.