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Les écoles de théologie dominicaines

à l’heure des ébranlements et renouveaux1

Henry Donneaud

Dans la tradition dominicaine, la production de la théologie n’est pas affaire seulement personnelle, mais aussi et d’abord communautaire. Il s’agit toujours plus ou moins d’une théologie d’école. Entendons-nous : d’une théologie produite au sein d’une communauté de frères qui vivent ensemble, qui prient, qui prêchent, qui étudient, qui enseignent les uns avec les autres, par les autres et pour les autres. Si le XXe siècle a inévitablement distendu l’unité doctrinale de l’« école dominicaine », ne fût- ce que par l’irruption de nouveaux types de questionnements dépassant de beaucoup l’ancien cadre unitaire de la métaphysique thomiste, si le thomisme dominicain lui-même s’est diversifié non seulement entre provinces mais à l’intérieur même des couvents d’études provinciaux, n’en demeure pas moins un lien congénital, du fait même du charisme et des constitutions dominicaines, entre production de la théologie et vie commune. C’est au prisme de ce principe que j’aborderai l’état de la théologie dominicaine française entre 1965 et 1980. Plutôt que de partir des productions théologiques dominicaines, en particulier d’analyser les revues des trois provinces (Revue thomiste pour la Province de Toulouse, Revue des sciences philosophiques et théologiques pour celle de , Lumière et vie pour celle de Lyon), plutôt que de parcourir les grandes collections ou productions éditoriales dominicaines de ces années-là, je vais tenter une investigation par les fondements institutionnels, à savoir par le biais de la vie des communautés, sources de la production théologique dominicaine, les fameux studia ou couvent d’étude où les Provinces, depuis le XIIIe siècle, concentrent le meilleur de leurs capacités intellectuelles. Il s’agit donc d’aborder la théologie dominicaine par son milieu de production plutôt

1 Une première version de cet article a été publiée sour le titre : « Les écoles de théologie dominicaines à l’épreuve de la crise », Dominique Avon, Michel Fourcade (sous la dir.), Un nouvel âge de la théologie ? 1965- 1980. Colloque de Montpellier, juin 2007, , Karthala, 2009, p. 109-127.

1 qu’en ses résultats. Il ne s’agit évidemment que d’un premier chemin historiographique frayé en terra incognita. Il ne s’appuie que sur une masse documentaire très restreinte, essentiellement les bulletins de liaison internes aux Provinces. Pour l’espace géographique, je m’en tiendrai principalement aux deux Provinces de Paris et de Toulouse.

Un studium toulousain à bout de souffle

Voici la thèse que je me propose d’étayer et illustrer. La crise des institutions intellectuelles dans la Province de Toulouse a été plus précoce que dans la Province de France. Elle est notoirement antérieure aux ébranlements post-conciliaires. Par contre, elle a été plus vite dépassée, des germes de renouveau parvenant plus rapidement à y éclore et s’y développer. Chronologiquement, cela signifie que la crise est devenue manifeste dans la Province de Toulouse dès les années 1950, alors qu’un renouveau y éclôt dès le début des années 1970. Dans la Province de France, par contre, la crise n’ébranle vraiment le studium du Saulchoir qu’à la fin des années 1960, c’est-à-dire comme à la suite du concile et des événements de 1968, sans que des perspectives de renouveau ne parviennent à se dessiner avant la fin des années 1970. Partons de deux faits emblématiques, dans l’une et l’autre des Provinces, avec quelques données explicatives, avant de nous arrêter sur l’expérience du renouveau toulousain des années 1970. En mai 1967, le chapitre provincial de Toulouse décide la fermeture du studium provincial, mesure approuvée le mois suivant par le maître de l’Ordre. Toutes les études de philosophie et de théologie des frères de la Province de Toulouse se feront désormais au Saulchoir, érigé en « studium commun des provinces de Toulouse et de Paris2 ». De fait, en suspendant son studium, la Province de Toulouse abdique l’intégralité de la formation intellectuelle de ses jeunes frères. Décision hautement symbolique qui marquait la fin d’une époque inaugurée quarante-sept ans auparavant, en 1920, par la réouverture du studium provincial à Saint-Maximin qu’avaient dispersé les expulsions de 1903. Fin également du magistère doctrinal exercé sur la Province par l’équipe de la Revue thomiste qui l’avait pris en main de façon continue depuis le milieu des années 1930. Marie-Joseph Nicolas3, l’une des chevilles ouvrières de ce thomisme maximinois qui avait succédé à son compagnon Marie-Michel Labourdette4 à la régence des études en 1958, se retrouve en 1967 régent des études d’une Province sans frères étudiants. Alors que le transfert du studium de Saint-Maximin à Toulouse, en 1957, ne devait être qu’un changement géographique en vue d’un plus grand rayonnement, il a comme préparé, sinon annoncé la fin de tout un système religieux et intellectuel.

2 Actes du chapitre provincial de la Province de Toulouse de l’Ordre des frères prêcheurs célébré au couvent Saint-Dominique de Montpellier, mai 1967, p. 31. 3 Marie-Joseph Nicolas, né en 1906, entré dans l’Ordre en 1926, mort en 1999. 4 Marie-Michel Labourdette, né en 1908, entré dans l’Ordre en 1925, mort en 1990.

2 De fait, loin de marquer le déclenchement d’une crise nouvelle, liée à la conjoncture ecclésiale et sociale immédiate de l’après-concile, la fermeture douloureuse du studium toulousain en 1967 manifeste au contraire l’aboutissement d’un lent processus d’érosion intérieure remontant à une bonne quinzaine d’années, perceptible dès le début des années 1950. Nous pouvons rapidement remonter ce processus à rebours. À la rentrée 1965, Toulouse avait dû envoyer au Saulchoir à la fois ses jeunes frères sortant du noviciat et débutant leurs études, et ses jeunes frères quittant la philosophie pour entrer en théologie. Ainsi le cycle de philosophie toulousain se trouvait déjà condamné de facto, alors que se tarissait la source du cycle de théologie. La fermeture de 1967 était donc programmée dès 1965. Plus haut dans le temps, c’est en 1960 que se trouva fermé le noviciat provincial, lui aussi installé à Toulouse depuis le déménagement de 1957. Les novices étaient désormais confiés au noviciat de la Province de France à Lille. Le premier facteur de ce processus d’essoufflement intérieur du studium toulousain est sans conteste une crise précoce des vocations, rendant les effectifs des jeunes frères insuffisants pour justifier son existence. Alors que le nombre annuel moyen des premières professions était de cinq dans la décennie 1940-1949, il tombe à trois dans les années 1950-1959 et à deux entre 1960 et 1967. Petite par sa taille géographique et située dans des régions globalement peu fertiles en vocation, la Province de Toulouse souffre depuis sa fondation en 1862 d’une faiblesse chronique du recrutement. Un cycle particulièrement heureux, entre 1920 et 1950, avait pourtant assuré un solide dynamisme démographique à la province, allant de pair avec une vitalité intellectuelle rendue emblématique par l’équipe de la Revue thomiste. C’est cet âge d’or qui s’éloigne dès le début des années 1950. Comment maintenir un studium provincial quand la province ne compte plus que cinq étudiants en philosophie, en 1965, et six en théologie en 1967 ? Or les facteurs démographiques ne semblent pas devoir être totalement détachés des facteurs spirituels et intellectuels. Étienne Fouilloux a bien décrit les liens directs unissant les crises à répétition du studium de Saint-Maximin, dans les années 1950, avec le décalage croissant existant entre l’équipe de la Revue thomiste, assurant à elle seule la maîtrise totale de la formation intellectuelle dans le cadre de son thomisme intégraliste, et les attentes des jeunes générations soucieuses d’ouverture aux problématiques nouvelles. Dès 1957, suite à la crise provoquée par les jeunes lecteurs (Pierre Hermand5, Bernard Montagnes6, Jean-Pierre Planty-Bonjour7), il avait fallu interrompre le cycle de philosophie et envoyer au Saulchoir les jeunes frères débutant leurs études. Cet « exil à Babylone » n’avait duré qu’un an, mais il dû être provisoirement renouvelé pour l’année 1962-1963, faute d’un nombre suffisant d’étudiants (seulement six). La faculté toulousaine de philosophie fut encore portée à bout de bras entre 1963 et 1965, avant sa fermeture définitive. Selon la très juste remarque d’Étienne Fouilloux, c’est « la passation normale de témoin entre deux

5 Pierre Hermand, né en 1920, entré dans l’Ordre en 1939, sorti de l’Ordre en 1964. 6 Benoît Montagnes, né en 1934, entré dans l’Ordre en 1943. 7 Jean-Pierre Planty-Bonjour, né en 1924, entré dans l’Ordre en 1946, sorti de l’Ordre en 1965, mort en 1991.

3 générations de lecteurs » qui a été ratée, « celle qui préside aux destinées du studium depuis la fin des années trente et celle qui devait lui succéder8 ». Un fait hautement significatif est à cet égard, en 1958, le départ pour le Saulchoir de Benoît Montagnes, écarté de Saint-Maximin en 1957 alors qu’il était appelé à en devenir une pièce maîtresse. Sa manière minutieusement historique d’aborder la métaphysique de saint Thomas ne réussit pas à éclore dans le studium toulousain, alors qu’elle s’accordait naturellement à l’atmosphère intellectuelle du Saulchoir. Si l’on veut bien admettre que, derrière les divergences de sensibilité intellectuelle, se tenaient de profonds clivages sur la manière d’envisager vie et apostolats dominicains, on ne peut s’empêcher d’établir un lien entre ce conflit de génération et la crise précoce du recrutement. Il paraît donc fort probable qu’une certaine crise de l’identité intellectuelle et du rayonnement apostolique de la province de Toulouse a contribué, pour une bonne part, à l’affaissement précoce des vocations.

Un Saulchoir glorieux en son implosion

En vis-à-vis, le deuxième fait emblématique nous porte dans la Province de France. En juillet 1969, son chapitre prend deux décisions hautement significatives d’une crise institutionnelle et intellectuelle toute différente. D’une part la refonte complète du système des études et de la formation religieuse de ses jeunes frères ; d’autre part, et dans la même perspective, l’abandon programmé du Saulchoir d’Étiolles par transfert des facultés dominicaines au couvent Saint-Jacques de Paris. Il ne s’agit pas ici de l’ultime péripétie d’une crise débutée quinze années auparavant, mais d’une réaction directe, et se voulant éminemment positive, à l’ébranlement des esprits provoqué par l’après concile et les événements de 1968. Dans l’immédiat après-concile, il n’est pas abusif de parler, avec Étienne Fouilloux, d’un « Saulchoir glorieux9 », porté non seulement par le prestige de ses nombreux et très influents experts au concile (Yves Congar10, Marie-Dominique Chenu11, Thomas Camelot12, Pierre Gy13, Dominique Dubarle14), mais plus profondément par son dynamisme intellectuel à la fois unifié et pluriel, traditionnel par la persistance de ses références thomistes, en même temps que très largement ouvert à toutes les problématiques nouvelles. Loin qu’un conflit d’autorité et de génération bloque le renouvellement intérieur du système, le jeu déjà ancien et subtil de la pluralité des thomismes

8 Étienne Fouilloux, « Quitter Saint-Maximin ? (1951-1957) », Mémoire Dominicaine, 14, 1999, p. 83-102 (99). 9 Étienne Fouilloux, Une Église en quête de liberté. La pensée catholique française entre modernisme et Vatican II, 1914-1962, Paris, Desclée de Brouwer, 1998, p. 125. 10 Yves Congar, né en 1904, entré dans l’Ordre en 1925, mort en 1995. 11 Marie-Dominique Chenu, né en 1895, entré dans l’Ordre en 1913, mort en 1990. 12 Thomas Camelot, né en 1901, entré dans l’Ordre en 1935, mort en 1993. 13 Pierre Gy, né en 1922, entré dans l’Ordre en 1941, mort en 2004. 14 Dominique Dubarle, né en 1907, entré dans l’Ordre en 1925, mort en 1987.

4 salicétains15 assure à cette véritable usine intellectuelle un foisonnement créatif et, au moins en apparence, riche d’avenir. Lors de sa régence entre 1962 et 1965, André Duval16 assure l’entrée dans le corps enseignant d’une nouvelle génération de lecteurs (Jean-Pierre Jossua17, Patrick-Dominique Jacquemont18, Bernard Quelquejeu19, Hervé Legrand20, Bernard-Marie Lemaigre21, Bernard Rey22). Claude Geffré23 qui lui succède de 1965 à 1968 porte très haut l’exigence d’une spécialisation des compétences intellectuelles en vue d’une rencontre de la pensée chrétienne avec la pensée séculière. Le père Chenu triomphe vraiment au Saulchoir en ses héritiers directs. Quant aux effectifs des jeunes frères en formation, quoiqu’en baisse par rapport au faste des années 1945-1955, ils restent considérables. En 1963, par exemple, le noviciat interprovincial ne comptait rien moins que vingt-huit frères, dont trois seulement pour Toulouse et vingt-cinq pour Paris ; en 1966, vingt-quatre frères dont trois pour Toulouse ! La décroissance ne devint sensible qu’en 1967, avec seulement dix novices, dont six pour la province de France. Cela explique que les effectifs des frères étudiants restent fort stables au Saulchoir, entre soixante-dix et quatre-vingt, jusqu’au séisme de 196824. Loin d’être subies, les décisions de 1969 se présentent au contraire, derrière un processus un peu révolutionnaire lié aux événements de mai-juin 1968, comme des réponses audacieuses et ardentes aux signes des temps. La réforme du système des études et de la formation, par les ruptures profondes qu’elle introduit dans l’ancien équilibre doctrinal et religieux, est une décision majeure qui a engagé durablement les provinces dominicaines francophones25. Cette réforme se caractérise principalement par la suppression des trois années initiales de philosophie, remplacées par ce que l’on appelle désormais le « second temps de la formation ». Entre le noviciat et le cycle de théologie, les jeunes frères seront envoyés deux ou trois ans dans des couvents apostoliques « de plein-vent » (Strasbourg, Marseille). Ils s’initieront à la réflexion philosophique non plus par des cours réguliers donnés à l’intérieur d’un studium fermé et monastique, mais plutôt par des travaux personnels, des groupes de

15 Voir Henry Donneaud, « Le Saulchoir : une école, des théologies ? », Gregorianum, 83, 2002, p. 433-449, où nous distinguons, dans le Saulchoir des années 1930-1950, un « thomisme de classique observance » (Thomas Philippe, Vincent Héris), un « thomisme historico-doctrinal » (Hyacinthe Dondaine, Jean Tonneau, Thomas Camelot, Pierre-Marie Gy), un « thomisme critique » (Louis-Bertrand Geiger, Dominique Dubarle, Benoît Montagnes) et un « thomisme du dépassement de soi » (initié par les figures de Marie-Dominique Chenu, Yves Congar, Henri-Marie Féret, Pierre-André Liégé). 16 André Duval, né en 1912, entré dans l’Ordre en 1933, mort en 2005. 17 Jean-Pierre Jossua, né en 1930, entré dans l’Ordre en 1953. 18 Patrick-Dominique Jacquemont, entré dans l’Ordre en 1954. 19 Bernard Quelquejeu, entré dans l’Ordre en 1957. 20 Hervé Legrand, né en 1935, entré dans l’Ordre en 1954. 21 Bernard-Marie Lemaigre, entré dans l’Ordre en 1953, sorti de l’Ordre en 1970. 22 Bernard Rey, né en 1933, entré dans l’Ordre en 1951. 23 Claude Geffré, né en 1926, entré dans l’Ordre en 1948. 24 En 1958, 85 frères étudiants dominicains au Saulchoir dont 67 pour la Province de France ; en 1960, 72 dont 62 ; en 1964, 81 dont 75 ; en 1966, 77 dont 61 ; en 1967, 80 dont 60 ; en 1968, 73 dont 56. 25 Voir Yann Raison du Cleuziou, « La Province dominicaine de France et Mai 1968. Genèse de la mise en crise d’un ordre religieux », dans Jean-François Galinier-Pallerola, Augustin Laffay (dir.), L’Eglise de France après Vatican II (1965-1975), Colloque de Toulouse, octobre 2009, Paris, Parole et silence, 2011, p. 277-310.

5 travail, des sessions ou des cours suivis dans d’autres institutions universitaires, ecclésiastiques ou publiques, avec une place importante laissée à l’apostolat sur le terrain. À un enseignement systématique, on substitue un éveil à la réflexion personnelle, par confrontation avec les sciences humaines. À une structure conventuelle trop formelle, hiérarchique et contraignante, on substitue un modèle de petites communautés plus égalitaires, moins formalistes, respectueuses de la singularité de chaque parcours personnel26. Outre le souci évident d’atténuer, voire éliminer les ferments d’autarcie intellectuelle générés par le traditionnel studium dominicain, il s’agit surtout d’éveiller les jeunes frères « au pluralisme actuel des philosophies et des cultures27 ». Plus aucune référence normative n’est faite à la tradition philosophique dominicaine. Nul doute que cela ne se soit traduit, immédiatement, par l’abandon du cadre thomiste et métaphysique qui constituait jusqu’ici la matrice intellectuelle de la formation de tout jeune dominicain. Une page décisive est alors tournée, aux conséquences durables et profondes. Le maître de l’Ordre ne s’y est pas trompé qui, dans ses remarques accompagnant son approbation, tente de désamorcer le plus décisif de cette réforme en pointant le risque d’« éclectisme » et en rappelant que la doctrine de saint Thomas doit rester la base sans laquelle « il n’y a pas d’authentique frère prêcheur28 ». Inutile de préciser que cette invitation timide est restée lettre morte, noyée dans la ferveur d’un nouvel âge intellectuel dont le Saulchoir se voulait l’un des foyers les plus inventifs. Yves Congar lui-même osa s’interroger sur la portée de ce déferlement des philosophies existentielles et post-chrétiennes « d’auto interprétation du sujet » au détriment de la philosophie objectiviste traditionnelle dans l’ordre dominicain. De pures « techniques », explique-t-il, « qui ne donnent pas de finalité » :

Elles peuvent devenir des instruments de destruction des certitudes et finalement des structures essentielles de la foi ou de l’anthropologie chrétienne29.

Le théologien ne fut guère entendu, car l’heure n’était plus au magistère des théologiens cléricaux. Certes, le cycle de théologie, est censé compenser cette diminution de la médiation philosophique, puisque le chapitre de 1969 demande que soit instauré dans ce troisième temps de la formation un « dialogue entre les études de théologie et les études de philosophie30 ». Mais il est frappant que la mention de saint Thomas, jusqu’ici centrale dans l’enseignement de la théologie conçu comme un commentaire de la Somme de théologie, est maintenant réduite à une vague initiation :

26 Une présentation lucide, autorisée et suffisamment distanciée de cette réforme radicale du régime des études en 1969 a été faite par Jean-Pierre Jossua, « Le Saulchoir : une formation théologique replacée dans son histoire », Cristianesimo nella storia, 14, février 1993, p. 99-124 (117-123). 27 Actes du chapitre provincial spécial de la Province de France 1969, Étiolles (Le Saulchoir), 58, p. 25. 28 Id., p. 50-51. 29 Propos rapportés dans Alain Tarrius, Théologie et sciences humaines dans les changements (contenu des enseignements et organisation) survenus de 1960 à 1970 dans l’institution de formation des dominicains de la Province de France, thèse de doctorat en sociologie (EPHE, Ve section), dact., 1973, p. 203. 30 Id., p. 28.

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On fera en sorte que tous les étudiants soient initiés au propos et à l’architecture de l’œuvre théologique de saint Thomas31.

Couplet obligé et simple vœu de piété familiale dont on devine que l’application restera fort marginale, voire nulle, sans incidence sur une réflexion théologique entièrement bouleversée par les problématiques contemporaines. Nul doute, certes, que les contestations estudiantines internes au Saulchoir, pendant et à la suite des événements de mai-juin 1968, n’aient précipité, sinon gentiment brutalisé ces changements. La chose reste entièrement à étudier, et en détail. Mais les troubles extérieurs ne sont que l’épiphénomène d’un déplacement intellectuel de fond encouragé et même suscité par les forces vives du Saulchoir, les lecteurs de la jeune génération (Jean-Pierre Jossua, Patrick-Dominique Jacquemont, Jacques Pohier32, Bernard Quelquejeu), avec la bénédiction plus ou moins consentante et explicite des Chenu et Congar. Autant qu’on puisse en croire Alain Tarrius33, auteur de la seule étude menée sur la situation intérieure du Saulchoir autour des événements de 1968, l’enjeu de la contestation opposa concrètement l’intellectualisme théologique un peu élitiste incarné par le régent Claude Geffré aux aspirations plus existentielles, affectives, voire libertaires, incarnées par le maître des études Jacques Pohier, plus préoccupé d’ouverture aux nouvelles sciences humaines (psychanalyse et ethnologie) que de cohérence théologique et rationnelle34. Si révolution il y a eu au Saulchoir autour de Mai 1968, elle réside bien dans la mise à l’écart d’une conception exigeante, hautement spécialisée et potentiellement élitiste de la théologie, au profit d’une pratique plus existentielle, subjective, éclatée et informelle de la réflexion chrétienne. Signe de ce déplacement, dès l’été 1968, suite aux événements du printemps, une nouvelle équipe de direction avait été mise en place, dirigé par un trio significatif, uniformément réformiste (Jean- Pierre Jossua, régent, Jacques Pohier vice-régent, Patrick-Dominique Jacquemont, secrétaire). L’équilibre entre les différents thomismes du Saulchoir, longtemps incarné par les figures de Jérôme Hammer35, André Duval puis Claude Geffré, est définitivement écarté au profit de la tendance la plus progressiste, celle d’un « thomisme du dépassement de soi » qui a achevé de se dépasser, récusant toute normativité historique et objective en théologie, se défiant d’un intellectualisme trop coupé du monde et se livrant tout entier aux nouveaux paradigmes des sciences humaines. L’abandon du campagnard Saulchoir d’Étiolles au profit du couvent Saint-Jacques, au cœur des masses urbaines ne fut que la concrétisation symbolique de cette révolution intellectuelle positivement voulue comme participation au vaste courant d’aggiornamento post-conciliaire. Programmé dès le

31 Ibid. 32 Jacques Pohier, né en 1926, entré dans l’Ordre en 1949, sorti de l’Ordre en 1989, mort en 2007. 33 Alain Tarrius, né en 1943, entré dans l’Ordre en 1966. Est-il sorti avant sa profession simple ? 34 Alain Tarrius, op. cit., p. 199-201. 35 Jérôme Hammer, dominicain belge, né en 1916, entré dans l’Ordre en 1934, mort en 1996.

7 chapitre provincial de 1969, ce transfert des facultés du Saulchoir à Paris est réalisé pour la rentrée académique de septembre 1971. Si l’enthousiasme de rénovation intellectuelle ne fait pas de doute, la réalité de la formation des jeunes frères se heurta vite à l’effondrement simultané du recrutement. Le noviciat de Lille comptait encore huit frères pour l’année 1968-1969 (dont sept pour la Province de France et un pour Toulouse36) et six pour l’année 1969-1970 (dont quatre pour Paris et un pour Toulouse). Il n’en a plus que trois en 1970-1971, dont un seul pour la Province de France. Après une petite embellie l’année suivante 1971-1972, due en partie aux novices de la Province de Lyon désormais associés au noviciat interprovincial (huit dont quatre pour Paris), il n’y eut plus aucun novice l’année suivante, 1972-1973. Le noviciat de Lille fut fermé à la rentrée 1974 faute de combattants. Jusqu’en 1978, la province de France n’aura plus de noviciat canonique, se contentant d’envoyer ses quelques candidats à L’Arbresle ou à Toulouse. Ce tarissement des vocations rejaillit très rapidement sur les instances de formation intellectuelle. Lors de son installation au couvent Saint-Jacques, à la rentrée 1971, le collège ne comptait plus que vingt étudiants dominicains, alors qu’il y avait encore soixante-deux au Saulchoir d’Étiolles, trois ans auparavant, en 1968-1969, trente-sept en 1969-1970 et vingt-neuf en 1970-1971 – soit une chute des deux tiers en quatre ans. L’effondrement se poursuivit à Paris, avec seulement quatorze frères étudiants pour 1973-1974 et huit en 1974-1975. La conclusion s’imposait. Dès juin 1974, la décision était prise par les provinciaux francophones de mettre fin au collège interprovincial du Saulchoir, ce qui entraîna en 1975 la suspension de la faculté de théologie et la dispersion de son corps enseignant. Désormais chaque Province allait s’organiser séparément pour la formation de ses quelques frères étudiants, principalement en les envoyant dans les Instituts catholiques (Paris, Lyon et Toulouse).

À y bien regarder, cette fermeture des facultés du Saulchoir marque une date capitale dans la vie dominicaine française. Cela signe d’abord l’échec de la politique d’inter-provincialisation qui avait été engagée depuis la fin des années 1950. Surtout, c’est la première fois, depuis la restauration de l’Ordre en France par Henri-Dominique Lacordaire37, qu’aucune des trois provinces n’est en mesure d’assurer la formation intellectuelle des jeunes frères. Rien moins que la mise en sommeil d’un aspect décisif de la théologie dominicaine, une rupture vitale de tradition institutionnelle et intellectuelle. Certes, à la fermeture du collège succéda aussitôt la création d’un Centre de recherche théologique du Saulchoir, dans lequel des dominicains et des non-dominicains seraient rétribués pour des travaux de recherche sur « quelques grandes questions se posant aujourd’hui aux chrétiens38 ». L’enseignement qui y serait

36 Vaillante génération ayant pris l’habit quelques mois après les événements de mai ; parmi eux, deux actuels évêques, Jean-Louis Bruguès et Jean Legrez. 37 Henri-Dominique Lacordaire, né en 1802, mort en 1861, restaurateur de l’Ordre des frères prêcheurs en France. 38 Actes du 34e chapitre provincial de la Province de France de l’Ordre des prêcheurs, 22 avril-2 juin 1975, p. 21.

8 donné viserait non plus les frères étudiants dominicains mais un public extérieur, extra-académique, désireux d’une libre confrontation de la foi avec les problématiques contemporaines. L’optimisme du projet ne saurait cacher la réalité de ce fait : les facultés du Saulchoir sont mises en hibernation, et avec elles, l’existence même, en France, d’une structure dominicaine d’enseignement universitaire en philosophie et théologie. Une question délicate, à laquelle il est trop tôt pour répondre aujourd’hui, serait d’analyser les liens ayant pu exister, à l’intérieur des institutions intellectuelles dominicaines françaises, en particulier au Saulchoir mais aussi à l’Arbresle, entre d’une part une tendance assez radicale de déconstruction philosophique et théologique, dont le thomisme servait de repoussoir emblématique, d’autre part la désintégration de fait des institutions conventuelles autant qu’intellectuelles. Sans doute n’y a-t-il pas seulement une simultanéité chronologique, réductible au seul effondrement des vocations. C’est ce qu’il faudra essayer de comprendre à travers l’expérience toulousaine, dont le renouveau simultanément communautaire, liturgique et théologique démarre dès le début des années 1970, au moment même où se délite le système interprovincial mis en place dans la décennie précédente.

Genèse d’un renouveau toulousain

En septembre 1972, après des mois de discussions difficiles et infructueuses avec les deux autres provinces françaises, la Province de Toulouse prend la décision unilatérale d’ouvrir elle-même, chez elle, une nouvelle structure de noviciat. Une structure d’ailleurs fort peu traditionnelle, car il est prévu que ce noviciat puisse être dispersé en plusieurs couvents, avec pluralité des maîtres des novices, selon les circonstances. De fait, le couvent de Toulouse accueille aussitôt un novice et celui de Montpellier deux novices. Quelle que soit la modalité nouvelle, assez typique des années 1970, de ce noviciat provincial en plusieurs couvents, le fait important, et somme toute paradoxal, est que la Province de Toulouse, qui avait fermé son noviciat bien avant les soubresauts post-conciliaires, le rouvre au cœur de ces années agitées, au moment même où la Province de France ferme le sien. Il serait important, mais pour l’instant difficile, de saisir exactement les points de divergence ayant abouti à cet acte unilatéral de la Province de Toulouse, à l’encontre des deux autres provinces. Derrière les textes officiels, on pressent des divergences profondes non pas directement théologiques, mais plutôt religieuses et spirituelles quant à la manière d’assumer l’identité dominicaine. Lisons en particulier l’analyse proposée par le conseil provincial de Toulouse, en septembre 1972, pour justifier sa décision de rompre avec l’impératif interprovincial :

En soi la formule du noviciat interprovincial pour les trois provinces françaises est souhaitable dans la ligne de l’effort de collaboration poursuivi depuis plusieurs années, mais elle exige un consensus réel, – et non seulement verbal et tactique, – sur le projet de l’Ordre concernant la finalité et ses moyens essentiels

9 ainsi que les exigences de vie personnelle et communautaire précisées par les constitutions. Il nous paraît que ce consensus n’existe pas actuellement. En conséquence la formule d’un noviciat interprovincial ne nous semble pas possible39.

Ce sera un travail important, pour les historiens, de chercher à saisir exactement la nature de cette absence de consensus. Le désaccord semble porter sur des points décisifs de l’identité dominicaine. Le communiqué, en évoquant les constitutions de l’Ordre, sa « finalité » et ses « moyens essentiels », suggère que, entre les Provinces, n’existe plus d’accord véritable sur la manière de comprendre l’essence même de la vie dominicaine. Par « moyens essentiels », il faut sans doute entendre non pas des détails d’observance, mais des points décisifs de la consécration religieuse dominicaine, dont on pressent, sans pouvoir le préciser exactement, que cela peut concerner les vœux de religion, le principe même de la vie conventuelle avec ses institutions traditionnelles, la célébration solennelle de la liturgie, la vie de prière. Quant à la finalité même de l’Ordre, sur laquelle le consensus semble ne plus exister non plus, elle renvoie au ministère de la parole exercée au cœur de l’Église, à l’annonce de l’évangile par la prédication de la foi à la lumière de la tradition, la célébration des sacrements et le témoignage de la miséricorde. Ne peut-on pas deviner ici, en filigrane, le sentiment que c’est la manière même d’exercer le ministère de la parole, et donc le service prophétique de la foi qui ne fait plus l’unanimité ? Une hypothèse que nous posons a priori, sous bénéfice d’inventaire, est que la Province de Toulouse, en dehors de toute nostalgie thomiste, et donc en dehors du champ proprement théologique, a voulu engager, plus rapidement que les deux autres provinces, comme un « retour au centre » religieux et spirituel, en marquant clairement certaines limites objectives au processus de déconstruction radicale largement à l’œuvre dans l’Église de France des années 1970, et dans l’ordre dominicain en particulier. Il est frappant, que très rapidement, les jeunes gens qui vinrent frapper à la porte de la Province de Toulouse arrivèrent de toute la France – ce qui était fort rare auparavant – attirés moins par des raisons géographiques que par le type de projet dominicain qui s’y mettait en place. Cette attirance vers un Toulouse réputé moins « déconstructeur » que d’autres lieux dominicains français ne concerna d’ailleurs pas que les aspirants à la vie dominicaine. Elle toucha aussi quelques jeunes frères de la province de France qui, au terme ou au cours de leur formation (Juan-Miguel Garrigues40, François-Dominique Boespflug41, Daniel Bourgeois42, Jean Legrez43), vinrent frapper à sa porte, jusqu’à demander et obtenir une véritable transfiliation (changement juridique d’appartenance à une province), pour des raisons qui semblent évidemment tenir à cet équilibre religieux dominicain en

39 Communiqué du conseil provincial de la Province de Toulouse, 15 septembre 1972, Concorde, bulletin de liaison de la province dominicaine de Toulouse, 8 (nouvelle série), octobre 1972, supplément destiné exclusivement aux frères de la Province de Toulouse, p. 1. 40 Juan-Miguel Garrigues, né en 1944, entré dans l’Ordre en 1963, sorti de l’Odre en 1979, réintégré en 2002. 41 François-Dominique Boespflug, né en 1945, entré dans l’Ordre en 1965. 42 Daniel Bourgeois, né en 1965, entré dans l’Ordre en 1965, sorti de l’Ordre en 1979. 43 Jean Legrez, né en 1948, entré dans l’Ordre en 1968, sorti de l’Ordre en 1979, réintégré en 1996.

10 gestation à Toulouse, en particulier autour de la liturgie d’André Gouzes44, du souffle spirituel de Jean-René Bouchet45 et de l’autorité théologique de Jean-Philippe Revel46. Dans ce contexte de recomposition religieuse et spirituelle, il ne faut d’ailleurs pas négliger un autre épisode significatif. Au moment même où Toulouse ouvre son noviciat, en 1972, quatre jeunes gens originaires de la Province de France décident d’entrer au noviciat de la Province de Lombardie, à Bologne. Ils partent en Italie fort évidemment par recherche d’un noviciat plus classique que celui que leur aurait offert la province de France (sans négliger, évidemment, la part plus personnelle de l’influence exercée sur eux par Marie-Dominique Molinié47). À tout le moins la question se posait : quelle réponse fallait-il offrir à des jeunes gens désireux de mener une vie dominicaine plus régulière que celle qu’ils pouvaient découvrir dans certains couvents français ? Ne risquait-on pas de les voir partir ailleurs ? De fait, après l’ouverture d’un noviciat dans la Province de Toulouse en 1972, des vocations ne vont cesser de se présenter tout au long de la décennie, assurant chaque année un contingent de trois à cinq novices. La formule du double noviciat (Toulouse et Montpellier) subsista théoriquement, même si de fait c’est le couvent de Toulouse qui devient le lieu principal du noviciat. Les novices devenant rapidement des frères étudiants, la question de leur formation intellectuelle se trouva posée à son tour, avec la même conscience d’un décalage profond entre ce que proposait le centre interprovincial du Saulchoir et les attentes des jeunes frères toulousains. Dans la même logique que pour le noviciat et selon les mêmes considérants, le parti fut pris officiellement par la Province de Toulouse d’assurer elle-même la formation intellectuelle de ses jeunes frères. La décision, cette fois- ci, du fait d’une situation générale encore dégradée depuis deux ans, ne fut pas unilatérale. Devant le malaise exprimé en mars 1973 par Jean-Louis Bruguès48, étudiant toulousain au Saulchoir, une commission interprovinciale fut chargée d’étudier l’avenir de la formation des jeunes frères. Il ne s’agissait de rien moins que de réformer la réforme de 1969, devenue déjà inadaptée. En juin 1974, au moment où est annoncée officiellement la fermeture du Saulchoir, les trois Provinces déclarent ensemble renoncer à un lieu unique de formation. Trois centres de formation théologique sont prévus, à Paris, à Lyon et à Toulouse, ce qui revient de fait à laisser chaque province s’organiser à sa manière, selon ses vues. Les considérants de cette mesure, signés par les trois provinciaux (Joseph Kopf49, Nicolas Rettenbach50 et Luc Moreau51), sont significatifs :

44 André Gouzes, né en 1943, entré dans l’Ordre en 1963. 45 Jean-René Bouchet, né en 1936, entré dans l’Ordre en 1958, mort en 1987. 46 Jean-Philippe Revel, né en 1931, entré dans l’Ordre en 1950, sorti de l’Ordre en 1979. 47 Marie-Dominique Molinié, né en 1918, entré dans l’Ordre en 1944, mort en 2002. 48 Jean-Louis Bruguès, né en 1943, entré dans l’Ordre en 1968. 49 Joseph Kopf, né en 1912, entré dans l’Ordre en 1933, mort en 2007. 50 Nicolas Rettenbach, né en 1910, entré dans l’Ordre en 1928, mort en 2004. 51 Luc Moreau, né en 1929, entré dans l’Ordre en 1948, mort en 2014.

11 Le petit nombre des étudiants d’une part, la diversité de leurs aspirations notamment quant aux conditions de vie communautaire d’autre part rendait fragile, à plus ou moins long terme, le regroupement à Paris de tous les théologiens52.

Derrière cette « diversité des aspirations notamment quant aux conditions de vie communautaire », on devine, prudemment évoqués, de profonds clivages quant à la manière de vivre la vocation dominicaine, en particulier la question du cadre conventuel et liturgique, et, sans doute plus profondément, l’élan spirituel, le contenu doctrinal et les modalités apostoliques de la mission dominicaine. Le centre de formation théologique toulousain, de fait, ouvrit ses portes à la rentrée 1974. Pour cette première année, il ne comptait que quatre frères étudiants, mais huit l’année suivante 1975-1976, neuf pour l’année 1976-1977, onze en 1977-1978, quatorze en 1978-1979. La petite taille de cette structure ne doit cacher ni sa vitalité en un temps de repli généralisé, ni son originalité, caractéristique d’une manière nouvelle de concevoir l’enseignement théologique dans ces années de crise post- conciliaire. Dégageons-en quelques particularités. Ce centre de formation théologique ne prétend pas du tout relever l’ancien studium. Ni par les personnes, ni par les méthodes, ni par le contenu il ne se veut la continuation de ce qui avait été interrompu en 1967 par l’envoi des étudiants en théologie au Saulchoir. Le vocabulaire lui-même est significatif. On ne parle plus pour Toulouse d’un studium mais d’un « centre de formation théologique », ni d’un « régent des études » mais d’un « responsable provincial de la formation ». Le choix des personnes, lui aussi, est clair. L’ancienne équipe de la Revue thomiste, elle qui avait dirigé sans discontinuité le studium provincial de 1945 à 1967, ne joue plus aucun rôle dans la conduite du nouveau centre. Marie-Michel Labourdette et Marie-Joseph Nicolas, anciens régents, participent certes à l’enseignement, mais de manière marginale, sans aucune participation à la direction des affaires. Les deux responsables provinciaux de la formation qui vont se succéder ne sont plus des maîtres « thomistes », mais des biblistes extérieurs au sérail de la Revue thomiste, Jean-Luc Vesco53 (1974- 1976) puis Jean-Hugo Tisin54 (1976-1980). Par sa structure et par son contenu, le nouveau centre toulousain prétend même assumer une certaine continuité avec la réforme interprovinciale des études de 1969, en particulier par le maintien du fameux « deuxième temps ». Loin de rétablir un cursus académique de philosophie unifié par la doctrine aristotélo-thomiste, le projet conserve ces deux années préparatoires à la théologie passées dans des couvents appelés « apostoliques », de plus petite taille que celui de Toulouse, en l’occurrence Marseille et Montpellier. L’initiation à la réflexion philosophique et aux sciences humaines s’y fait de manière souple, progressive et personnalisée, sans programme officiel ni cours systématique, avec

52 Lettre des trois provinciaux français sur la formation théologique des frères étudiants dominicains, 17 juin 1974, dans Interprovince, 63, 1er juillet 1974. 53 Jean-Luc Vesco, né en 1934, entré dans l’Ordre en 1954. 54 Jean-Hugo Tisin, né en 1938, entré dans l’Ordre en 1965.

12 large ouverture vers la vie intellectuelle séculière. L’insistance est mise sur l’apprentissage du questionnement personnel et sur « l’approche des problématiques actuelles55 », en particulier par la priorité donnée aux cours suivis dans les universités publiques ou à la faculté protestante. Aucune référence n’est faite à la Ratio studiorum de l’Ordre ni à sa tradition doctrinale. La perspective d’ensemble du « deuxième temps » nous situe donc très loin d’une quelconque restauration thomiste, tant pour les méthodes que pour le contenu. Le même constat doit être fait pour le « troisième de temps », ou cycle de théologie, intégralement mené au couvent de Toulouse. Quelques accents intellectuels y sont particulièrement intéressants à relever, signes de la délicate recherche d’un équilibre entre d’une part un solide enracinement spirituel dans la foi et tradition de l’Église (contre les tendances déconstructrices), d’autre part l’ouverture aux recherches et interrogations d’un nouvel âge de la théologie (contre le mythe d’une restauration thomiste). Derrière les méthodes d’enseignement, apparaît un souci évident de ne pas reproduire le régime traditionnel de l’ancien studium. Les cours magistraux annuels sont réduits à la portion congrue. L’essentiel de l’enseignement est dispensé par mode de « groupes de travail » (de quinze jours à un mois) et surtout de « sessions » (de quelques jours à une semaine). Autrement dit, aux maîtres d’autrefois, peu nombreux, tout-puissants et omni-présents, on substitue des enseignants variés et nombreux, se succédant à rythme rapide. Ainsi, pour la première année du nouveau centre toulousain, 1974-1975, vingt enseignants intervinrent pour quatre frères étudiants, avec seulement deux cours annuels et tout le reste en « sessions » et « groupes de travail » ; l’année suivante vingt- cinq enseignants pour huit frères (il est vrai que ces sessions étaient ouvertes à tous les frères du couvent, invités eux aussi à se recycler). À travers ces nouvelles méthodes d’enseignement, il s’agit d’abord d’éveiller les jeunes frères à la variété des méthodes et des champs de recherche, comme à la complexité des problèmes, beaucoup plus qu’à leur transmettre des synthèses théologiques unifiées. Le contenu même de l’enseignement mériterait une analyse approfondie, tellement il apparaît significatif du projet délicat d’une théologie adaptée aux défis de l’époque, à la fois confessante, fondamentalement ancrée dans la tradition ecclésiale, en même temps qu’ouverte à l’amplitude des problématiques et méthodes nouvelles. Relevons d’abord la grande variété des enseignants, mais aussi, signe d’insertion dans la tradition de l’ordre, leur qualité très majoritairement dominicaine. Parmi les rares non-dominicains, on ne remarque guère que quelques professeurs de la faculté de théologie de Toulouse, le capuçin Simon Légasse et le franciscain Jacques Dutheil, et telle ou telle personnalité comme Louis Bouyer ou Olivier Clément. Parmi les frères, c’est la diversité qui nous frappe, très représentative de la variété de la théologie dominicaine des années 1970. Une place respectable est laissée à l’équipe de la Revue thomiste, puisque Marie-Michel Labourdette, Marie-Vincent Leroy56 et Marie-Joseph Nicolas interviennent chaque année, déployant en morale comme en dogmatique

55 Actes du chapitre provincial de la Province de Toulouse de l’ordre des frères prêcheurs célébré au couvent de Toulouse, 3-21 juillet 1976, p. 29. 56 Marie-Vincent Leroy, né en 1917, entré dans l’Ordre en 1936, mort en 1994.

13 l’essentiel (certes condensé) de la doctrine thomiste. Mais des frères des Provinces de Paris et de Lyon, et non des moindres, viennent aussi, comme en contrepoint créatif, apporter des approches nettement moins classiques, en particulier Jean-Pierre Jossua, Christian Duquoc57, Bernard Lauret58, Hervé Legrand, Bernard Rey. Quant aux jeunes enseignants de la Province de Toulouse, ils assurent une bonne part de l’enseignement de la patristique (Jean-René Bouchet, Juan-Miguel Garrigues, Daniel Bourgeois), non sans participer également à des essais de synthèse unissant fondements thomistes et ouverture aux approches contemporaines (Jean-Philippe Revel, Jean-Louis Bruguès). Si l’on passe des enseignants aux matières enseignées, une logique sous-tend assez évidemment la répartition globale, à savoir le souci d’une présentation aussi large que possible des différentes facettes du mystère chrétien, aussi bien dans son historicité de tradition que dans ses questionnements les plus actuels. Arrêtons-nous par exemple sur le programme des cours de l’année 1977-1978, centré sur la christologie59. L’exégèse biblique s’y taille une place fondamentale (Émile Boismard60, Jean-Hugo Tisin, Jean-Luc Vesco, Simon Légasse, Raphaël Weijers61), surtout en début d’année, signe à la fois de l’accueil des questions et réponses de la science historico-critique en même temps que de la volonté d’ancrer prioritairement et vitalement les jeunes frères aux sources même de la foi, en amont de toutes les diversifications théologiques ultérieures62. Un cours continue d’hébreu et de grec biblique (Tisin) assure l’arrimage personnel des frères étudiants dans le texte biblique. Vient ensuite la patristique, particulièrement honorée comme expression autorisée et ouverte, sûre et pluraliste, de l’intelligence de la foi (Jean-René Bouchet, Matthieu de Durand63, Michel Tardieu64)65. La synthèse thomiste vient ensuite en bonne place, une place centrale mais ni exclusive ni définitive (Marie-Michel Labourdette, Marie-Vincent Leroy, Louis Bruguès)66. Puis l’impérative ouverture à la variété des problématiques contemporaines (Christian Duquoc, Bernard Lauret, Antoine Lion67, Bernard Rey)68. Sans oublier un

57 Christian Duquoc, né en 1926, entré dans l’Ordre en 1948, mort en 2008. 58 Bernard Lauret, né en 1940, entré dans l’Ordre en 1962, sorti de l’Ordre en 1978. 59 Présenté dans Concorde, 59, septembre 1977, p. 7-8. 60 Émile Boismard, né en 1916, entré dans l’Ordre en 1934, mort en 2004. 61 Raphaël Weijers, né en 1915, entré dans l’Ordre en 1940, mort en 2006. 62 Jean-Hugo Tisin : « Onction et idéologie royale dans l’Ancien Testament » (octobre, 8 h) puis « Messianisme juif inter-testamentaire jusqu’à l’époque talmudique » (décembre, 8 h) ; Jean-Luc Vesco : « Le messianisme dans l’Ancien Testament » (octobre, 6 h) ; Émile Boismard : « Problèmes de christologie johannique » (octobre, 12 h) ; Raphaël Weijers : « Introduction à la christologie johannique » (décembre, 10 h) ; Simon Légasse : « Christologie du Nouveau Testament » (novembre, 20 h) puis « L’hymne aux Philippiens » (janvier, 10 h). 63 Matthieu de Durand, né en 1923, entré dans l’Ordre en 1946, mort en 1997. 64 Michel Tardieu, né en 1938, entré dans l’Ordre en 1959, sorti de l’Ordre en 1986-1987. 65 Michel Tardieu : « Expérience gnostique du Salut » (janvier, 10 h) ; Jean-René Bouchet : « Points de vue sur le Christ avant le concile de Constantinople » (février, 10 h) puis « Christologie des Cappadociens » (mars, 10 h) ; Matthieu de Durand : « Le Christ de Chalcédoine » (mai, 14 h). 66 Jean-Louis Bruguès : « Introduction à la théologie morale » (novembre, 10 h) ; Marie-Michel Labourdette : « Péché et grâce » (janvier, 20 h) ; Marie-Vincent Leroy : « Christologie de saint Thomas » (février, 20 h) puis « Synthèse de christologie dogmatique » (avril, 10 h) ; Marie-Joseph Nicolas : « La figure du Christ dans l’École française » (avril, 10 h). 67 Antoine Lion, né en 1940, entré dans l’Ordre en 1963, mort en 2012.

14 peu d’histoire de l’Église (Guy Bedouelle69)70. Pour résumer ce programme d’études théologique, il convient de considérer simultanément et un souci d’enracinement authentique dans la vérité des sources de la foi et une ouverture à la nécessaire pluralité des expressions de cette foi en quête permanente d’une intelligence plus pleine. Ce pluralisme n’est pas subi comme un nivellement déconstructeur, mais assumé comme un ensemble organique où tous les niveaux ne s’annulent ni ne s’égalent. On perçoit le souci des maîtres d’œuvre de ce programme d’assurer au mieux le délicat équilibre entre l’unité transhistorique de la foi et la pluralité évolutive de ses expressions. Au lieu de quelques maîtres couvrant à eux seuls l’ensemble d’un programme exhaustif, se succèdent de très nombreux enseignants, plus chargés d’initier les frères étudiants à leurs champs de recherche respectifs qu’à leur fournir une synthèse achevée, non sans leur transmettre les moyens d’un discernement éclairé par la foi, la Parole de Dieu et la tradition chrétienne.

Un programme intellectuel d’écoute et d’humilité

Si l’on veut essayer de saisir l’inspiration profonde de ce programme théologique, le mieux est de se reporter aux quelques réflexions présentées aux frères étudiants en septembre suivant par les deux chevilles ouvrières du centre d’étude toulousain, Jean-Hugo Tisin et François-Dominique Boespflug :

[…] Les temps seront aux tâches d’humilité. Les frères ne sont pas équipés d’un bagage uniforme pour aller au front. Non, ils devront longtemps, patiemment, déchiffrer d’humbles sentiers où la Parole et la méditation théologique auront quelque goût de sel. Il n’y a pas de recettes pédagogiques, de vade- mecum de la théorie chrétienne. Il n’y a pas de servante philosophie pourvoyeuse de concepts affûtés une fois pour toutes, pour permettre à la Maîtresse des sciences de dérouler son ciel Empirée. Et puisque les modes de pensée modernes se sont installés, à notre insu, dès la maternelle, puisqu’ils vivent en nous sous mille formes fascinantes, laminantes, décapantes, eh bien, il faudra ensemble les faire monter patiemment et non s’en débarrasser d’un coup d’épaule anti-moderne comme si elles n’existaient pas. Oui, la tâche urgente est de mâchonner la Parole de vie, de puiser aux sources d’Évangile, se laisser enseigner par l’Église, la Tradition des Pères dans la foi. Tâche non moins urgente : faire douloureusement œuvre de discernement dans toutes les sagesses du langage (de la Grèce ou de la cité technicienne, que sais-je ?) pour entrer dans la seule sagesse qui soit vie pour nos cœurs et pour les hommes. Les tâches humbles commenceront par l’étude de la tradition de l’Église, la Bible, les maîtres de vie. Et dans le texte. Primauté du texte, et si possible, de première main. Primauté du texte aussi pour les sagesses du monde.

68 Bernard Lauret : « Christologies contemporaines » (décembre, 10 h) et « L’obéissance jusqu’à la mort. Incarnation et mystère pascal. Le langage de » (avril, 10 h) ; Christian Duquoc : « L’homme Jésus- Christ » (mars et mai, 16 h) ; Antoine Lion : « Messianisme et millénarisme. Quelques aspects de la sociologie religieuse contemporaine » (juin, 10 h) ; Bernard Rey : « L’expérience du salut en Christ » (juin, 8 h) ; Dominique Dubarle : « Le Christ chez Hegel » (juin, 8 h) ; Louis Bouyer : « Le Fils éternel » (juin, 8 h). 69 Guy Bedouelle, né en 1940, entré dans l’Ordre en 1965, mort en 2012. 70 Guy-Thomas Bedouelle : « Les réformes protestantes au XVIe siècle » (mars, 10 h) puis « Lectures de la Bible au XVIe siècle » (avril, 10 h).

15 Par delà les commentaires, savoir reconnaître et goûter les Sources. Comment nous y préparer ? Dans quelle communauté ? En France, dans la Province de Toulouse, vivrons-nous de cet idéal ? C’est ici que se dévoile la modestie de tant d’efforts. Il faut le dire, nous sommes démunis, et nous le serons encore longtemps, non seulement pour répondre aux appels des hommes, mais simplement pour nous mettre à leur écoute, pour voir se profiler, dans leurs actes et leurs paroles les chances et risques de la foi. Peu de communautés, en France, peuvent recevoir les jeunes frères pour l’initiation à la vie d’un prêcheur (vie commune dans la simplicité des rapports fraternels, charité fraternelle vraie où se vérifie ultimement la véracité de la foi, vie de prière ardente et belle, étude humble et passionnée). Nous devons aussi être vigilants, pour ne pas tomber dans les erreurs passées (grosses communautés engluées dans la pesanteur de ses rouages internes, studium formel, ou bien, petites communautés affectivement fragiles, dévorées par des tâches séculières). Notre génération a trop souffert de cet entassement ou de l’atomisation d’équipes spécialisées. Peut-être sommes-nous déjà engagés sur des chemins où s’accumulent de nombreux obstacles. Il faut que nous nous aidions, dans le respect de nos approches différentes ou opposées. Il faut que nous nous aidions, non pas d’abord à assurer la pérennité d’un groupe, d’une famille vénérable et sublime, mais surtout à ne pas perdre de vue l’essentiel : la proclamation de la Parole, l’appel des hommes et l’écoute silencieuse, oui, silencieuse, parfois, de ceux qui crient, de ceux qui ne demandent rien, de ceux qui feignent de ne pas nous entendre. […]71

On est frappé par la posture d’écoute et d’humilité qui se dégage de ce texte. Comme en contre- point lointain et discret au manifeste exposé par Marie-Dominique Chenu lors de la rentrée académique du Saulchoir en 193672, cette exhortation ne se veut modeste, centrée sur l’essentiel, ni réformatrice ni exhaustive. Loin de toute assurance ou prétention unilatérale à détenir la vérité intellectuelle du moment, qu’elle soit réactionnaire ou progressiste, on y sent affleurer l’inquiétude du croyant qui sait ne pas posséder a priori la réponse aux questions qui l’assaillent, mais entend se mettre en posture d’écoute. Écoute de la parole de Dieu, d’abord et avant tout, en toutes ses expressions vitales, traditionnelle autant que nouvelles, mais aussi écoute des hommes de ce temps, avec leurs attentes souvent provocantes ou tout simplement silencieuses. La méfiance envers toute référence philosophique rectrice et structurante a priori est sans doute perçue comme le prix à payer pour préserver cette posture d’écoute et de modestie. Elle se trouve compensée par l’exigence d’un milieu de vie équilibré et fortement spirituel, contemplatif sans rigidité, communautaire sans enfermement, caractéristique de cette recherche toulousaine d’un point d’équilibre vraiment dominicain au milieu des désintégrations ou durcissements ecclésiaux du moment. Pas de théologie sans communauté ; pas de communauté sans contemplation ; pas de contemplation sans une commune attitude d’écoute de la parole de Dieu

71 Hean-Hugo Tisin et François-Dominique Boesflug, « Quelques réflexions à propos de la formation des frères », dans Concorde, 69, août-septembre 1978, p. 7-8. 72 Marie-Dominique Chenu, Une école de théologie : le Saulchoir, 1937 ; Paris, rééd. Les Éditions. du Cerf, 1985.

16 en toutes ses résonances, des plus traditionnelles aux plus contemporaines. Une histoire affinée de ce renouveau dominicain toulousain des années 1970 devra s’arrêter sur ses nombreux points de faiblesse. Les dissensions internes, tout d’abord, n’ont pas permis que dure dans son unité foisonnante l’équipe de frères qui l’avait initié puis animé. Des divergences de sensibilité aiguisées par des désaccords institutionnels aboutissent en 1977 à des départs douloureux, soit hors de l’ordre dominicain (Jean-Philippe Revel, Juan-Miguel Garrigues, Daniel Bourgeois, Jean Legrez qui fondent une fraternité monastique à Aix-en-Provence, puis à Avignon et à Lyon), soit vers d’autres provinces, comme Jean-René Bouchet élu prieur du couvent de Strasbourg et qui y fait venir plusieurs de ses anciens novices. Une sourde rivalité entre les couvents de Toulouse et Montpellier, sur fond de désaccord idéologique, fragilise de plus en plus l’unité des institutions provinciales de formation. Derrière ces divisions entre les hommes qui le portent, et plus profondément, le centre d’étude souffre d’un manque d’unité intellectuelle : une solide convergence sur les aspirations spirituelles, liturgiques et religieuses dominicaines ne saurait masquer le manque de cohésion doctrinale, en particulier l’absence d’un socle philosophique commun capable d’ordonner et structurer la variété des spécialisations. Il est significatif que la Revue thomiste, pourtant produite dans ce même couvent de Toulouse, reste en marge du centre d’étude, lequel, en contrepartie, ne dispose d’aucun organe propre d’expression. Entre le pôle thomiste qui semble ne plus survivre que dans l’espérance de jours meilleurs, et les forces vives du centre d’étude attachées à développer leur fragile chemin de crête, on perçoit plus un prudent respect mutuel qu’une réelle collaboration intellectuelle. Le couvent de Rangueil des années 1970 a réussi à rassembler des éléments caractéristiques d’un renouveau spirituel, religieux, apostolique et intellectuel ; il n’est pas redevenu une école de théologie au sens traditionnellement dominicain du terme. Sans doute ne le voulait-il d’ailleurs pas, au nom même du primat de cette Parole de Dieu qu’aucune théologie n’est censée pouvoir enclore ni même servir de façon exclusive. Si pourtant la véritable théologie est avant tout la Parole de Dieu résonnant dans l’histoire, nul doute qu’il n’a apporté une pierre modeste mais originale au chantier de recomposition post-conciliaire de l’intelligence de la foi.

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