20 Les Écoles De Théologie Dominicaines À L'heure Des

20 Les Écoles De Théologie Dominicaines À L'heure Des

20 Les écoles de théologie dominicaines à l’heure des ébranlements et renouveaux1 Henry Donneaud Dans la tradition dominicaine, la production de la théologie n’est pas affaire seulement personnelle, mais aussi et d’abord communautaire. Il s’agit toujours plus ou moins d’une théologie d’école. Entendons-nous : d’une théologie produite au sein d’une communauté de frères qui vivent ensemble, qui prient, qui prêchent, qui étudient, qui enseignent les uns avec les autres, par les autres et pour les autres. Si le XXe siècle a inévitablement distendu l’unité doctrinale de l’« école dominicaine », ne fût- ce que par l’irruption de nouveaux types de questionnements dépassant de beaucoup l’ancien cadre unitaire de la métaphysique thomiste, si le thomisme dominicain lui-même s’est diversifié non seulement entre provinces mais à l’intérieur même des couvents d’études provinciaux, n’en demeure pas moins un lien congénital, du fait même du charisme et des constitutions dominicaines, entre production de la théologie et vie commune. C’est au prisme de ce principe que j’aborderai l’état de la théologie dominicaine française entre 1965 et 1980. Plutôt que de partir des productions théologiques dominicaines, en particulier d’analyser les revues des trois provinces (Revue thomiste pour la Province de Toulouse, Revue des sciences philosophiques et théologiques pour celle de France, Lumière et vie pour celle de Lyon), plutôt que de parcourir les grandes collections ou productions éditoriales dominicaines de ces années-là, je vais tenter une investigation par les fondements institutionnels, à savoir par le biais de la vie des communautés, sources de la production théologique dominicaine, les fameux studia ou couvent d’étude où les Provinces, depuis le XIIIe siècle, concentrent le meilleur de leurs capacités intellectuelles. Il s’agit donc d’aborder la théologie dominicaine par son milieu de production plutôt 1 Une première version de cet article a été publiée sour le titre : « Les écoles de théologie dominicaines à l’épreuve de la crise », Dominique Avon, Michel Fourcade (sous la dir.), Un nouvel âge de la théologie ? 1965- 1980. Colloque de Montpellier, juin 2007, Paris, Karthala, 2009, p. 109-127. 1 qu’en ses résultats. Il ne s’agit évidemment que d’un premier chemin historiographique frayé en terra incognita. Il ne s’appuie que sur une masse documentaire très restreinte, essentiellement les bulletins de liaison internes aux Provinces. Pour l’espace géographique, je m’en tiendrai principalement aux deux Provinces de Paris et de Toulouse. Un studium toulousain à bout de souffle Voici la thèse que je me propose d’étayer et illustrer. La crise des institutions intellectuelles dans la Province de Toulouse a été plus précoce que dans la Province de France. Elle est notoirement antérieure aux ébranlements post-conciliaires. Par contre, elle a été plus vite dépassée, des germes de renouveau parvenant plus rapidement à y éclore et s’y développer. Chronologiquement, cela signifie que la crise est devenue manifeste dans la Province de Toulouse dès les années 1950, alors qu’un renouveau y éclôt dès le début des années 1970. Dans la Province de France, par contre, la crise n’ébranle vraiment le studium du Saulchoir qu’à la fin des années 1960, c’est-à-dire comme à la suite du concile et des événements de 1968, sans que des perspectives de renouveau ne parviennent à se dessiner avant la fin des années 1970. Partons de deux faits emblématiques, dans l’une et l’autre des Provinces, avec quelques données explicatives, avant de nous arrêter sur l’expérience du renouveau toulousain des années 1970. En mai 1967, le chapitre provincial de Toulouse décide la fermeture du studium provincial, mesure approuvée le mois suivant par le maître de l’Ordre. Toutes les études de philosophie et de théologie des frères de la Province de Toulouse se feront désormais au Saulchoir, érigé en « studium commun des provinces de Toulouse et de Paris2 ». De fait, en suspendant son studium, la Province de Toulouse abdique l’intégralité de la formation intellectuelle de ses jeunes frères. Décision hautement symbolique qui marquait la fin d’une époque inaugurée quarante-sept ans auparavant, en 1920, par la réouverture du studium provincial à Saint-Maximin qu’avaient dispersé les expulsions de 1903. Fin également du magistère doctrinal exercé sur la Province par l’équipe de la Revue thomiste qui l’avait pris en main de façon continue depuis le milieu des années 1930. Marie-Joseph Nicolas3, l’une des chevilles ouvrières de ce thomisme maximinois qui avait succédé à son compagnon Marie-Michel Labourdette4 à la régence des études en 1958, se retrouve en 1967 régent des études d’une Province sans frères étudiants. Alors que le transfert du studium de Saint-Maximin à Toulouse, en 1957, ne devait être qu’un changement géographique en vue d’un plus grand rayonnement, il a comme préparé, sinon annoncé la fin de tout un système religieux et intellectuel. 2 Actes du chapitre provincial de la Province de Toulouse de l’Ordre des frères prêcheurs célébré au couvent Saint-Dominique de Montpellier, mai 1967, p. 31. 3 Marie-Joseph Nicolas, né en 1906, entré dans l’Ordre en 1926, mort en 1999. 4 Marie-Michel Labourdette, né en 1908, entré dans l’Ordre en 1925, mort en 1990. 2 De fait, loin de marquer le déclenchement d’une crise nouvelle, liée à la conjoncture ecclésiale et sociale immédiate de l’après-concile, la fermeture douloureuse du studium toulousain en 1967 manifeste au contraire l’aboutissement d’un lent processus d’érosion intérieure remontant à une bonne quinzaine d’années, perceptible dès le début des années 1950. Nous pouvons rapidement remonter ce processus à rebours. À la rentrée 1965, Toulouse avait dû envoyer au Saulchoir à la fois ses jeunes frères sortant du noviciat et débutant leurs études, et ses jeunes frères quittant la philosophie pour entrer en théologie. Ainsi le cycle de philosophie toulousain se trouvait déjà condamné de facto, alors que se tarissait la source du cycle de théologie. La fermeture de 1967 était donc programmée dès 1965. Plus haut dans le temps, c’est en 1960 que se trouva fermé le noviciat provincial, lui aussi installé à Toulouse depuis le déménagement de 1957. Les novices étaient désormais confiés au noviciat de la Province de France à Lille. Le premier facteur de ce processus d’essoufflement intérieur du studium toulousain est sans conteste une crise précoce des vocations, rendant les effectifs des jeunes frères insuffisants pour justifier son existence. Alors que le nombre annuel moyen des premières professions était de cinq dans la décennie 1940-1949, il tombe à trois dans les années 1950-1959 et à deux entre 1960 et 1967. Petite par sa taille géographique et située dans des régions globalement peu fertiles en vocation, la Province de Toulouse souffre depuis sa fondation en 1862 d’une faiblesse chronique du recrutement. Un cycle particulièrement heureux, entre 1920 et 1950, avait pourtant assuré un solide dynamisme démographique à la province, allant de pair avec une vitalité intellectuelle rendue emblématique par l’équipe de la Revue thomiste. C’est cet âge d’or qui s’éloigne dès le début des années 1950. Comment maintenir un studium provincial quand la province ne compte plus que cinq étudiants en philosophie, en 1965, et six en théologie en 1967 ? Or les facteurs démographiques ne semblent pas devoir être totalement détachés des facteurs spirituels et intellectuels. Étienne Fouilloux a bien décrit les liens directs unissant les crises à répétition du studium de Saint-Maximin, dans les années 1950, avec le décalage croissant existant entre l’équipe de la Revue thomiste, assurant à elle seule la maîtrise totale de la formation intellectuelle dans le cadre de son thomisme intégraliste, et les attentes des jeunes générations soucieuses d’ouverture aux problématiques nouvelles. Dès 1957, suite à la crise provoquée par les jeunes lecteurs (Pierre Hermand5, Bernard Montagnes6, Jean-Pierre Planty-Bonjour7), il avait fallu interrompre le cycle de philosophie et envoyer au Saulchoir les jeunes frères débutant leurs études. Cet « exil à Babylone » n’avait duré qu’un an, mais il dû être provisoirement renouvelé pour l’année 1962-1963, faute d’un nombre suffisant d’étudiants (seulement six). La faculté toulousaine de philosophie fut encore portée à bout de bras entre 1963 et 1965, avant sa fermeture définitive. Selon la très juste remarque d’Étienne Fouilloux, c’est « la passation normale de témoin entre deux 5 Pierre Hermand, né en 1920, entré dans l’Ordre en 1939, sorti de l’Ordre en 1964. 6 Benoît Montagnes, né en 1934, entré dans l’Ordre en 1943. 7 Jean-Pierre Planty-Bonjour, né en 1924, entré dans l’Ordre en 1946, sorti de l’Ordre en 1965, mort en 1991. 3 générations de lecteurs » qui a été ratée, « celle qui préside aux destinées du studium depuis la fin des années trente et celle qui devait lui succéder8 ». Un fait hautement significatif est à cet égard, en 1958, le départ pour le Saulchoir de Benoît Montagnes, écarté de Saint-Maximin en 1957 alors qu’il était appelé à en devenir une pièce maîtresse. Sa manière minutieusement historique d’aborder la métaphysique de saint Thomas ne réussit pas à éclore dans le studium toulousain, alors qu’elle s’accordait naturellement à l’atmosphère intellectuelle du Saulchoir. Si l’on veut bien admettre que, derrière les divergences de sensibilité intellectuelle, se tenaient de profonds clivages sur la manière d’envisager vie et apostolats dominicains, on ne peut s’empêcher d’établir un lien entre ce conflit de génération et la crise précoce du recrutement. Il paraît donc fort probable qu’une certaine crise de l’identité intellectuelle et du rayonnement apostolique de la province de Toulouse a contribué, pour une bonne part, à l’affaissement précoce des vocations.

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