Le Saulchoir: Une École, Des Théologies?
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Le Saulchoir : une école, des théologies ? Henry Donneaud To cite this version: Henry Donneaud. Le Saulchoir : une école, des théologies ?. Gregorianum, 2002. hal-02494616 HAL Id: hal-02494616 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02494616 Submitted on 3 Mar 2020 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Le Saulchoir : une école, des théologies ? Henry Donneaud Les théologiens utilisent depuis longtemps la notion de « lieu théologique ». Les historiens de la théologie contemporaine exploitent encore fort mal celle de « lieu de la théologie ». Aussi est-ce un hommage appuyé que nous devons rendre aux Professeurs J.-D. Durand et Sergio Bastianel : dans une journée d'étude consacrée aux philosophes et théologiens catholiques français du XXe siècle, ils ont eu à cœur d'honorer non seulement des personnalités, mais aussi des lieux. Il y a là une intuition des plus fécondes : la théologie n'est pas seulement affaire d'individus, si géniaux soient-ils ; sa vitalité et son progrès doivent beaucoup à des facteurs tels que la tradition, l'héritage, la communauté, l'échange, la confrontation entre proches. Dans son manifeste de 1937 Une école de théologie, le Saulchoir, M.-D. Chenu écrivait : « Nous ne concevons pas notre régime de travail intellectuel en dehors de notre vie religieuse dominicaine1 ». Certes, il évoquait surtout, ici, l'exigence de contemplation indispensable selon lui à une pratique vivante de la théologie ; mais aussi, le climat de communion fraternelle que la tradition dominicaine a toujours tenu pour le terreau de toute fécondité intellectuelle : Quaerere veritatem in dulcedine societatis, disait déjà S. Albert. Or il n'y a pas là que pieuse recommandation à usage de moines intellectuels. Il y a aussi une réalité historique, jusqu'ici mal mise à jour par les historiens de la théologie contemporaine : l'influence du caractère communautaire, c'est-à-dire des filiations, des échanges, des points communs comme des diversités présents à l'intérieur même des hauts lieux de la théologie catholique au XXe siècle. Pionnier dans cette élaboration en cours des outils conceptuels et topographiques de l'histoire de la théologie contemporaine, Étienne Fouilloux a suggéré ce qu'il appelle une « relève » ou un « passage de témoin »2 : le premier réveil des sciences ecclésiastiques en France, sous Léon XIII et Pie X, avait trouvé ses principaux acteurs dans le clergé séculier, au sein des séminaires et surtout des nouveaux Instituts catholiques, mais la répression anti-moderniste, en frappant durement ces derniers, a comme essoufflé, voire éreinté ces lieux de la théologie, en particulier Paris et Toulouse. C'est alors qu'un certain relais, avec une impulsion nouvelle, semble pris, à partir des années 1920, et par des intellectuels laïcs, les « théologiens en veston », et par certains grands ordres religieux, au premier chef les jésuites et les dominicains, avec leurs lieux spécifiques. Notre Saulchoir, lieu phare de la théologie dominicaine au XXe siècle, occupe ainsi une place de choix dans cette sorte d'âge d'or de la théologie catholique francophone que furent les années 1920 à 1960. Plutôt que de brosser une fresque historique du Saulchoir, - entreprise déjà bien esquissée par les acteurs ou héritiers de ce lieu et maintenant affinée par ses historiens critiques, - notre interrogation portera sur la qualification thomiste de la production salicétaine. Si l'on tient pour pertinente, sans trop la durcir, l'hypothèse d'Étienne Fouilloux répartissant en deux grandes familles le mouvement « progressiste » ou rénovateur de la théologie catholique entre Modernisme et Vatican Il, avec la filiation thomiste d'une part, la filiation blondélienne de l'autre3, le Saulchoir trouve place naturellement au cœur de la 1 Nous utilisons la réédition : Marie-Dominique CHENU, Une école de théologie : le Saulchoir, avec les études de Giuseppe Alberigo, Etienne Fouilloux, Jean Ladrière Jean-Pierre Jossua, Paris, Éd. du Cerf, 1985, p. 122. 2 Etienne FOUILLOUX, Une Église en quête de liberté, La pensée catholique française entre modernisme et Vatican II, 1914-1962, Paris, Desclée de Brouwer, 1998, p. 106-107. 3 Cf. Ibid., p. 109. 1 première. Or c'est un lieu commun, depuis Gilson parlant de la « grande famille des “thomistes”4 », que d'insister sur la pluralité des thomismes contemporains, à l'intérieur même de ce grand courant rénovateur. Le Saulchoir apparaît alors comme l'une des composantes spécifiques, l'un des rameaux bien individualisé de ce thomisme rénovateur. La pointe de notre interrogation portera précisément sur la nature de ce thomisme du Saulchoir, sur son unité et sa diversité. L'unité du lieu est-elle représentative d'une véritable unité intellectuelle ? Et si unité intellectuelle il y a, ne recouvre-t-elle pas, malgré tout, une non moins réelle pluralité des sensibilités thomistes à l'intérieur même de cette « école de théologie » ? C'est en fait la question de l'unité ou de la pluralité du thomisme salicétain que nous posons. 1 . Une réalité institutionnelle Certes, la topographie connaît au moins deux Saulchoir, - sans oublier l'actuel qui en est un troisième. Le premier Saulchoir était cet ancien couvent cistercien situé à Kain- la-Tombe, dans la banlieue de Tournai, en Belgique, à quelques kilomètres de la frontière française, dans lequel trouva refuge le couvent d'étude (ou studium) de la province dominicaine de France en 1904, suite à l’expulsion des religieux par le gouvernement Combes. Pour des raisons plus matérielles que politiques, ce n'est qu'en 1938-1939, que le studium put rentrer en France, et s'installer à Étiolles, sur au sud de Paris. Le prestige déjà acquis par le Saulchoir entraîna le transfert du nom lui-même sur les bords de la Seine. En 1971, enfin, suite à une réforme générale du système des études, le couvent d'Étiolles fut vendu et ce qu'il restait du studium transféré à Paris intra muros, au couvent Saint-Jacques reconstruit à neuf pour la circonstance. Sa bibliothèque, rue de la Glacière, a relevé le nom du Saulchoir qu'elle porte encore. La véritable unité du Saulchoir lui vient de sa mission institutionnelle. Le Saulchoir, c'est d'abord et avant tout un studium, le couvent d'étude de la province dominicaine de France : lieu dans lequel tous les jeunes frères clercs de la province passent pour y recevoir leur formation intellectuelle et religieuse. Les années 1920-1960 correspondent à la période la plus faste du catholicisme français eu égard aux vocations : une moyenne de quinze novices chaque année pour la province de France. D'où, au Saulchoir, un corps abondant de frères étudiants, atteignant souvent la centaine à partir des années 1930, à quoi il faut ajouter une vingtaine d'étudiants d'autres familles religieuses (en particulier les Missionnaires de Notre-Dame de la Salette ou Salettins)5. Durant toute notre période, la structure de cette formation est stable. Quant à la durée d'abord, avec trois années de philosophie et quatre de théologie, soit sept années consécutives. Quant au contenu surtout : la Ratio studiorum de l'ordre, jusqu'à la fin des années 1960, détermine que l'enseignement soit essentiellement basé sur la doctrine et les textes mêmes de Saint Thomas. Outre la philosophie, il se compose avant tout des deux parties majeures de la théologie dite spéculative ou systématique : dogmatique et morale. On ne pouvait baigner dans un cadre plus thomiste. Pour enseigner ces frères, un collège de lecteurs, au nombre de quinze à vingt, dirigé par le régent des études. La mission de ces lecteurs consistait avant tout en la transmission aux frères étudiants de la doctrine de Saint Thomas par le commentaire direct de ses œuvres. Toute la recherche qui pouvait éclore de ce terreau intellectuel, si novatrice fût- elle, ne faisait que procéder de cet enseignement élémentaire, lui-même codifié ne varietur, 4 2 Etienne GILSON, Le Philosophe et la théologie, Paris, Fayard, 1960, p. 216 (Paris, Vrin, 2005 , p. 178). 5 D'après les différents Catalogus generalis ou Catalogus Provinciœ Franciœ Ordinis Prœdicatorum, le Saulchoir comptait 95 frères dont 54 étudiants en 1921, 128 dont 91 étudiants en 1931, 150 dont 105 étudiants en 1949, 157 dont 95 étudiants en 1958, 122 dont 73 étudiants en 1968. 2 dans son contenu comme dans sa forme. Le commentaire de la Somme de théologie constituait ainsi une rigoureuse matrice intellectuelle, imprégnant en profondeur les maîtres comme les disciples, si loin que leur vie apostolique pût ensuite les conduire de l'univers doctrinal de Saint Thomas. 2. Une réalité légendaire D'un autre point de vue, non plus historique mais historiographique, le Saulchoir se présente comme une réalité également une, mais d'ordre mythique ou légendaire, à la manière d'une légende dorée. Étienne Fouilloux ne craint pas de dire du Saulchoir qu'il « est devenu une sorte de mythe derrière lequel il n'est pas facile de débusquer la réalité6 ». Non seulement aujourd'hui mais dès les années 1930, lorsque l'on parle du Saulchoir, c'est davantage cette entité légendaire qui est visée, que la réalité institutionnelle et historique du studium. Les mystères du Rosaire salicétain De cette épopée mythique, Étienne Fouilloux donne une esquisse chronologique joliment illustrée, à la manière dominicaine, par analogie avec les mystères du Rosaire. Un « Saulchoir joyeux », dans les années 1920-1930, stimulé par l'application fervente de la méthode historique à l'œuvre de S.