Pluralisme Juridique Et Sécurisation Foncière Dans Une Commune
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Pluralisme juridique et sécurisation foncière dans une commune cadastrée Le cas de Miadanandriana Sigrid AUBERT1, Philippe KARPE1, Serge RAZAFIARISON4, Kiady RALAMBOMANANA2, Andry Tahina RANAIVOSON3, Christophe DELCOURT1, Toky RAKOTONANDRASANA4, Céline FABRE5, Alain BERTRAND1 1CIRAD, 2 ONG HARDI, 3 Commune Rurale de Miadanandriana, 4Université d’Antananarivo, 5CNASEA - Réunion Sur la base du décret du 29 août 1929 relatif au droit foncier indigène, une procédure cadastrale a été engagée sur la commune de Miadanandriana en 1935. Depuis l’établissement du plan cadastral jusqu’à l’inscription des titres cadastraux à la matrice foncière, près de 40 ans se sont écoulés. De gros investissements en moyens humains, financiers et techniques ont été justifiés par le fait que la maîtrise du foncier constitue pour l’administration centrale un enjeu stratégique majeur de gestion des territoires et de leur développement. Aujourd’hui, l’heure est à la décentralisation de la gestion du foncier, une compétence qui, de fait, à Miadanandriana et ailleurs, est investie par les autorités locales à la demande des citoyens. A partir des informations rassemblées dans le cadre de la mise en place d’un guichet foncier dans la commune rurale de Miadanandriana, il s’agit de mettre en exergue les interactions entre droit et pratiques pour une meilleure compréhension des dynamiques territoriales. Ainsi, une mise en perspective historique permet de faire le lien entre la réglementation foncière héritée de l’époque coloniale (1), les pratiques actuelles des usagers (2) et la qualification de ces pratiques par le droit positif (3). Dans le contexte de la réforme foncière engagée par le gouvernement malgache en 2005 (PNF, 2005), l’accès, l’évolution et l’appropriation du Droit foncier constituent un enjeu majeur pour la viabilité et la pérennisation de la gestion décentralisée du foncier. 1. Le droit foncier avant l’indépendance, instrument de stratégies coloniales ? La commune de Miadanandriana fait partie des territoires qui ont fait l’objet d’une procédure cadastrale initiée par l’administration coloniale française dans les années 30. Cependant, les documents légaux établis à l’époque et conservés par l’administration des domaines, comme les dires d’acteurs, témoignent de la réticence des populations à adhérer à cette procédure qui pourtant, favorisait l’accession à la propriété foncière par les agriculteurs. Au travers d’une étude historique, nous avons tenté de comprendre ce qui avait, à l’époque, motivé l’administration à établir un cadastre indigène dans la région de Miadanandriana. Il nous est alors apparu nécessaire de remettre en perspective cette initiative dans une étude sur la longue durée qui restitue les actions de l’Administration dans un contexte politique où l’attribution de propriétés foncières à des particuliers relevait davantage d’une stratégie générale de maîtrise des populations que d’une réelle volonté d’aménagement du territoire. Pour bien comprendre comment et pourquoi l’attribution de droits fonciers vise aussi un meilleur contrôle des populations par le colonisateur, nous devons remonter au 18e siècle, à l’époque de la colonisation merina. Au 18e siècle, la province de Sisaony, dans laquelle se situera la future commune de Miadanandriana, est l’une des premières concernée par l’entreprise d’unification du roi Andriampoinimeriana. A cette époque, il est en effet primordial pour la royauté merina de faciliter son commerce avec les Anglais et donc de pouvoir accéder aux ports de l’Est et de sécuriser les routes sur lesquelles transitent les marchandises. Des soldats colons, les voanjo, sont donc envoyés dans la zone afin de la conquérir et de la peupler. Les Bezanozano pour lesquels Ambatomanga était jusqu’à présent la capitale sont alors 1 repoussés vers l’Est, et une population de colons merina, en majorité des hova, s’installe sous l’autorité de la noble Rasendra (future femme de Radama 1er). Le souverain lui concède un fief. Ce dispositif permet de pourvoir les nobles qui soutiennent le roi de moyens de subsistance conséquents, essentiellement constitués d’impôts fonciers (hetra na isam-pangady). Il permet aussi de conserver le contrôle d’une population de soldats colons susceptibles de constituer, à terme, une menace pour le jeune royaume. Lorsque le premier Ministre hova Rainilaiarivony (1828-1861) est institué régisseur du royaume merina, il va considérer la province de Sisaony comme une région test pour la mise en place de l’administration royale. Désormais, cette zone sera directement administrée depuis la capitale ; elle verra en outre la naissance de Mantasoa, la fameuse cité industrielle de Jean Laborde1. La maîtrise du foncier par l’administration centrale reste en effet une priorité, dans un contexte où l’impôt foncier est la première source de revenus des nobles et où les hova s’enrichissent avec le commerce. A partir de 1880, les français se montrent de plus en plus exigeants. Ils s’ingèrent dans les affaires du royaume et revendiquent leur souveraineté sur des portions importantes de territoires malgaches. Les régions côtières sont les premières concernées. Face à cette situation, le pouvoir Merina, appuyé par les Anglais, entend renforcer son administration par sa réorganisation. Les fonctionnaires se multiplient, notamment en Imerina. La population est de plus en plus encadrée2. Le prélèvement de l’impôt s’intensifie afin de soutenir l’effort de guerre. Mais en 1890, en échange du retrait des Français de Zanzibar, les Anglais acceptent d’abandonner leur emprise sur Madagascar. La grande île devient une colonie française en 1896. Une des premières lois promulguées, la loi du 9 mars 1896, établit la présomption de domanialité. La colonie, afin d’assurer son autonomie financière et l’approvisionnement de la France en matières premières, va alors, notamment sur les côtes considérées comme les zones les plus propices, concéder aux colons français des terrains de grande superficie en vue de leur mise en valeur3. Parallèlement, le pouvoir colonial entend s’allier les hovas qui restent des pièces maîtresses de l’administration indigène. On leur reconnaît donc la propriété des terres jadis concédées par la royauté en Imerina4 qui, largement exploitées et appropriées, n’intéressent pas (ou peu) les colons français. Les fiefs sont démantelés et l’influence de la noblesse s’amoindrie. Dans les années 20 cependant, les limites de l’attribution de grandes concessions à des colons français s’imposent : les colons, ne disposant pas de moyens financiers suffisants, ne parviennent pas à mettre systématiquement en valeur les terres qui leur ont été attribuées. La population malgache doit être mise à contribution. C’est dans cet esprit que sont institués les « Services de Main d’Oeuvre et de Travaux d’Intérêt Généraux »5. Cependant cette mesure donne des résultats contraires à ceux escomptés : les campagnes se vident car la population fuit ces corvées. La terre apparaît alors à nouveau comme le meilleur moyen de fixer les populations et donc de renflouer les caisses de la colonies grâce à la fiscalité. Le décret de 1929 va donc réformer le régime de l’immatriculation en instituant le cadastre indigène (OLIVIER, 1931). Le district de Manjakandriana fait à nouveau figure de pionnier. C’est ainsi que les opérations cadastrales sont ouvertes dans la zone dans les années 30. Avec la deuxième guerre mondiale, alors que la colonie se rallie au gouvernement de Vichy, les Anglais organisent le blocus de la grande île. Madagascar doit alors assurer son autosuffisance alimentaire. Des pouvoirs plus importants sont concédés aux chefs de districts chargés d’organiser la production des denrées agricoles et le recouvrement des recettes fiscales. Ils sont craints par la population de Miadanandriana qui hésite à se manifester lors du passage des tribunaux terriers. Il faut 1 Des aménagements ont été réalisés afin de produire de la fonte, des fusils, des cannons, des marmites, mais également du verre, du ciment, de la soie … 2 « Ces Gouverneurs étaient assistés par les Andriambaventy choisis dans les grandes familles, pour procéder aux enquêtes judiciaires et remplir les fonctions d’assesseurs auprès des tribunaux (…). Ils étaient représentés dans les cantons par les Gouverneurs madinika (…) percepteurs, officiers d’état-civil, notaires et officiers de police judiciaire » (MASSIOT, 1971) 3 Archives Nationale de Tsaralalana, dossier n°191 du Cabinet Civil : l’attribution des terres à Madagascar, 1912. 4 Le Journal Officiel de la Colonie du 23 Juin publie des instructions du Gouverneur Général de la Colonie pour amener à l’accroissement de la population en Emyrne et favoriser l’extension de la race hova dans la Colonie (p.809), Archives Nationales de Tsaralalana, Notes reconnaissances explorations, 1er semestre 1898. 5 SMOTIG : 48 heures/homme adulte/semaine 2 dire que le tribunal terrier passe plus de 10 ans après l’établissement des Procès Verbaux Collectifs de Bornage (PVCB) pour consacrer les doits de propriété reconnus à la population. La population ne se manifestant guère, 12 % des parcelles identifiées sur les planches cadastrales, malgré une mise en valeur effective, se voient immatriculées au nom de l’Etat français, et deviennent de ce fait susceptibles d’être aliénés par les notables les plus instruits. Quoiqu’il en soit, la multiplication des petites propriétés avant l’indépendance de Madagascar implique une mobilisation importante des agents de l’administration dans les procédures d’immatriculation. Ceux-ci se trouvent rapidement surchargés