Hassan Ramou Institut des Études Africaines Université Mohammed V de Rabat, Maroc [email protected]

La carte linguistique du nord du Maroc

Resumé : Cet article traite la question de la cartographie linguistique dans une espace ayant connu le colonialisme espagnol : le nord du Maroc. Pendant la période coloniale, plusieurs espagnols ont réalisé des travaux ethnographiques, sociolinguistiques et linguistiques décrivant les parlers amazighs du nord du Maroc. (P.Fr. Pedro Sarrionandia en 1905, Angel Muñóz Bosque et A. Martinez Pajarès & J. Jungfer, en 1918 et Fr Estéban Ibanez 1947 et 1994, etc.) Mais ces travaux, bien qu’ils aient contribué à connaître la culture amazighe du , ils apportent peu d’informations sur la géographie des parlers. À ce niveau, l’apport essentiel provient des français, et ce depuis la période précoloniale : A. Moulineras en 1888, les travaux de Biarnay, A. Basset, E. Laoust, A. Renisio, J. Dresh, etc. Durant cette période, la production cartographique s’est limitée à des cartes tribales et ethnolinguistiques, basée sur une approche ethnographique. Après l’indépendance, cette approche a persisté dans les travaux des linguistes et sociolinguistes marocains. L’approche consiste à dresser les limites des parlers en se basant sur les limites tribales. Mais, à cause des mutations ayant affecté les imazighens du nord (migration, arabisation, etc.), l’approche demeure limitée et les cartes réalisées ne reflètent pas la dynamique linguistique qu’à connu la zone. Ces dernières années, de nouveaux travaux (Fekioui 2007, Behnstedt & Benabbo, Naciri-Azzouz) et les données statistiques linguistiques du RGPH 2004 et 2014 ont permis d’approcher les parlers de la zone sur des bases quantitatives. En se basant sur tous ces données, nous avons développé une approche méthodologique spécifique pour dresser la carte linguistique du nord du Maroc, et qui décrit les espaces amzighophones, les zones mixte arabo-amazighe et l’espace arabophone. Mots-clés : Carte linguistique, Rif, Maroc, Espagne, période coloniale.

Abstract:This paper analyses the question of linguistic cartography in a space that has known Spanish colonialism: the north of . During the colonial period, several Spaniards carried out ethnographic, sociolinguistic and linguistic works describing the Amazigh dialects of northern Morocco. (Fr. Pedro Sarrionandia in 1905, Angel Muñóz Bosque and A. Martinez Pajarès & J. Jungfer, in 1918 and Fr Estéban Ibanez 1947 and 1994, etc.). But these papers, although they have contributed to knowing the culture Amazigh from the Rif, they provide little information on the geography of the dialects. At this level, the essential contribution comes from the French in the precolonial period: A. Moulineras in 1888, the work of Biarnay, A. Basset, E. Laoust, A. Renisio, J. Dresh, etc. During this period, cartographic production was limited to tribal and ethnolinguistic maps, based on an ethnographic approach. After independence, this approach persisted in the work of Moroccan linguists and sociolinguists. The approach is to draw the boundaries of speech based on tribal boundaries. But, because of the changes that affected the imazigherns of the north (migration, Arabization, etc.), the approach remains limited and the maps produced do not reflect the linguistic dynamics that have known the area. In recent years, new work (Fekioui 2007, Behnstedt & Benabbo, Naciri-Azzouz) and linguistic statistical data from the RGPH 2004 and 2014 have made it possible to approach the dialects of the area on a quantitative basis. Based on all this data, we have developed a specific methodological approach to draw the linguistic map of northern Morocco, which describes the Amzigh-speaking areas, the mixed Arab-Amazigh areas and the -speaking area. Keywords: Linguistic map, Rif, Morocco, Spain, colonialism.

(Recibido el 11/11/2019. Aceptado el 11/05/2020) Al Irfan / n°: 5 49 ISSN: 2351-8189 Introduction

Au Maroc, la géographie culturelle et linguistique est très peu développée. Malgré la diversité des parlers dans le pays, le Maroc ne dispose pas encore d’une carte linguistique approuvée par la communauté scientifique (Ramou, 2011, 106) ni au niveau national ou à des niveaux régionaux. Le Rif, a attiré depuis la période précoloniale, l’attention des linguistes et ethnographes et demeure la zone la plus étudiée sur le plan sociolinguistique. Depuis la fin du 19ème siècle, un ensemble d’écrits, d’ouvrage, et récemment, des thèses en linguistique ont été réalisées. Ce cumul scientifique des linguistes sur le Rif est important et permet de dresser des isoglosses linguistiques (phonétiques, sémantiques et lexicales) mais sans qu’il soit encore exploité pour dresser une carte linguistique. Or, la réalisation de cette carte est avant tout une question de méthodologie. Pour les linguistes, l’intérêt est accordé aux méthodes de classification linguistique, à la linguistique contrastive, à la dialectologie ou à la dialectométrie. Pour les géographes, notre apport consiste à « représenter par des cartes et des graphiques, les données révélées par les spécialistes linguistes après enquêtes de terrain et analyses comparatives et, finalement, à placer la dynamique des langues dans sa prospective propre » (Breton R., 2010, 51). En plus des données produites par les linguistes basées sur des travaux de terrain, les deux derniers recensements de la population RGPH de 2004 et 2014 apportent des statiques relatives aux parlers utilisés par les populations, et qu’on peut exploiter dans une matrice cartographique. Mais la question qui se pose est de savoir si ces données sont transposables ? Notre article vise d’abord à exposer les travaux linguistiques portant sur le nord du Maroc, notamment ceux ayant intégré des cartes. Puis il est question de décrire la méthodologie adoptée, ensuite décrire la carte linguistique obtenue pour le nord du Maroc.

Délimitation de l’espace d’étude

Selon le traité de protectorat signé à Fès le 30 mars 1912 et l’accord du 27 novembre 1912 signé entre la France et l’Espagne, cette dernière disposait d’« une zone d’influence qui s’étend de l’embouchure de la Moulouya sur la méditerranée à celle du Loukkous sur l’Atlantique ». Le traité franco-espagnol -que le sultan accepta à travers le Dahir du 13 mai 1913- accorde à l’Espagne une zone d’influence de 20000 km² dans le Rif, au sens géographique du terme (montagne rifaine), le périf et les plaines du Loukkous et du Habt. Au niveau humain, il s’agit d’un territoire peuplé d’une dizaine de tribus arabes et amazighes englobant un poids démographique en majorité rural. Cette zone a été délimitée par une série de croquis et de cartes des militaires espagnols. Elle a connu ensuite un découpage administratif et militaire en cinq zones, dont les noms officiels sont d’ordre tribal ou hydrique.

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Carte 1 : Délimitation et découpage de la zone d’influence espagnole

Pour notre travail cartographique, la délimitation de cette zone demeure essentielle. D’abord pour comparer ce territoire délimité avec les différentes cartes linguistiques établies par d’autres chercheurs. Puis, sa délimitation nous permettra de définir la liste des communes appartenant à cette zone pour entamer les analyses statistiques des données produites par le HCP.

La zone d’occupation espagnole dans les travaux géolinguistiques

Avant la période coloniale, plusieurs essais ont donné des indications sur les parlers du Rif. Il s’agit essentiellement des écrits des voyageurs et des missionnaires (anglais, espagnoles, allemands, etc.). Ces écrits, basés sur des descriptions ethnolinguistiques et géographiques, ont affirmé la dualité linguistique ; l’arabe à l’ouest et les dialectes amazighes qui s’étendent vers l’est jusqu’à la basse Moulouya. Selon E. Laoust, la production des études linguistiques sur le Rif a commencé avec les français alors que les espagnols ne se sont intéressés aux parlers rifains que si peu et si tard (Laoust, E, 1920, 114). Première phase : de la carte linguistique littéraire à la carte tribale illustrée Les premières descriptions de la zone sont réalisées par des missionnaires et des militaires de plusieurs nationalités (français, espagnols, anglais, allemands, etc.). Mais, les productions berbéristes à caractère universitaire ont été réalisées par des français. Jusqu’à la moitié du 20ème siècle, la majorité des écrits sur la zone d’influence espagnole ont apporté des informations d’ordre ethnolinguistique basées sur la distribution des tribus. La première «carte ethnolinguistique» réalisée pour la zone est celle d’August Mouliéras en 1888. Dans son ouvrage le Maroc inconnu, 1895, Mouliéras A. dénombre plus de trente tribus dans le Rif et qui « sont presque toutes des Berbères, auxquels la langue arabe est étrangère. Leur idiome, appelé Thamazîr’th, offre une assez grande variété de dialectes, assez rapprochés les uns des autres » (Mouliéras A., 1895, 48). Comme a été affirmé par d’autres auteurs, Mouliéras

Al Irfan / n°: 5 51 ISSN: 2351-8189 souligne la caractéristique des sous-dialectes rifains, qui se présentent, sur un espace réduit, toutes les variations consonantiques signalées dans la grande famille Zénète. Cet auteur est le premier ayant intégré des cartes décrivant les tribus du Rif : carte du Rif occidental à 1/250000 et la carte du Rif occidental au 1/500000. Plus tard, d’autres français ont élaboré des travaux à caractère ethnolinguistique. René Basset demeure le premier à consacrer des recherches linguistiques à la zone du Rif. En 1897, il a publié Études sur les dialectes berbères du Rif Marocain, en étudiant les parlers des Temsaman, Ait Said, Igrâyen, Ait Ouriaghel, Ibeqqoyenet Kebdana. Son travail s’est basé sur une description littéraire et historique des espaces linguistiques sans aucune illustration. En plus aux français, des espagnoles ont produits des écrits sur la diversité linguistique de la zone, mais d’une manière très timide et limitée notamment : Missionnaire P. Fr. Pedro Sarrionandia (1905) qui a édité un ouvrage intitulé Gramática de la lengua Rifeña. L’ouvrage ne comporte pas d’indications cartographiques fiables et s’oriente vers un contenu pédagogique et didactique en étudiant la morphologie et la syntaxe rifaine. Angel Muñóz Bosque ayant édité en 1918 un Manual De Conversación bereber rifeña. estudio práctico de la lengua bereber del Rif. A. Martínez Pajares et J. Jungfer, ayant réalisé des travaux sur la toponymie et l’anthroponymie à travers leurs ouvrage paru en 1918 : Estudio sobre apellidos y nombres de lugar hispano- marroquíes 1918. Puis un autre ouvrage par A. Martínez Pajaros en 1919: El vascuence y el bereber. Estudio crítico de algunas de sus afinidades. Et enfin, Fr Estéban Ibáñez ayant elaboré lediccionario rifeño-español en 1949 et Voces hispano- latinas en el dialecto rifano en 1947. En plus des français et des espagnols, on trouve des anglais comme COON, Carleton Stevens, ayant rédigé un ouvrage intitulé Tribes of the Rif, ou des allemands comme Hermann Lüderitz, ayant publié en 1899 Sprüchwörter aus Marokko mit Erläuterungen im Dialekt des nördlichen Marokko. Dans tous ces travaux, on ne trouve pas de cartes linguistiques ayant un caractère illustratif, mais plutôt une description littéraire des limites des parlers qu’on peut cartographier. Les illustrations produites sont avant tout des cartes tribales, plus ou moins précises. Deuxième phase : De la carte tribale à la carte ethnolinguistique Depuis le début du 20ème siècle, les services militaires espagnols ont réalisé une série de cartes tribales plus fines en intégrant des données d’ordre ethnique (noms et limites des tribus Jbala et rifaines, douar, dchars, kasba) et géographique (mont, réseaux hydrographiques, point d’eau, cités, sites religieux etc.). La plus ancienne de ces cartes est celle de 1910. Cette carte a été reprise par A. Martínez Pajares1. Ce docteur en droit a bien défini les limites de la zone d’influence espagnole, les limites des espaces tribaux et les frontières entre la région du Rif et celle de Jbala- Ghomara (ligne en bleu, carte ci-après :

1. La carte militaire est dressée par le lieutenant J. Mendez Plaza Los Mostenses, répertoriée dans la cartothèque de l’Institut Cartographie de Catalunya.

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Carte 2 : Découpage tribal de la zone d’influence espagnole

En 1914, Maurice Gaudefroy-Demombynes a relevé la nécessité de réaliser des enquêtes linguistiques dont les résultats seraient condensés dans une carte des langues au Maroc. C’est ainsi que les recherches ethnographiques comportaient de plus en plus des cartes ethnolinguistiques. Plusieurs chercheurs linguistes se sont intéressés à la zone. Ces chercheurs affirmaient que la zone est partagée entre l’arabe à l’Ouest et la tarifite dans le centre et l’Est. La publication de Biarnay 1917 constitue un bon exemple de cette description littéraire des espaces linguistiques. Une description que nous pouvons la cartographier à l’aide des limites tribales.

Carte 3 : Carte de Biarnay

Al Irfan / n°: 5 53 ISSN: 2351-8189 En plus de Biarnay, on trouve plusieurs chercheurs ayant consacré leurs travaux à cette zone, notamment : 1922 : Évariste Lévi-Provençal, Textes arabes de l’Ouargha, dialecte des Jbala 1926 : André Basset, Arabophones et berbérophones dans le nord marocain 1926 : Louis Brunot, Le parler arabe des Jbala 1927 : E. Laoust, Les dialectes berbères du Rif 1929 : G.S. Colin, Le parler berbère des Ghomara, et en 1921 Notes sur le parler arabe du nord de la région de Taza 1932 : Renisio, Études sur les dialectes berbères des Beni Iznassen, du Rif et des Senhaja Sraïr, en étudiant les parler (Ait Ammert, Ibeqqoyen, Ait Ouriaghel, Ait Touzin, Ait Bechir, Ait Ahmed, Ait Bunsar, Taghzout) 1938 : A. Basset, Notes sur les parlers rifains du Zerhoun Ce cumul de travaux linguistiques a permis aux géographes de l’époque de mieux dresser la carte ethnolinguistique du Rif. Et c’est dans ce sens qu’on peut citer la carte ethno-tribale de R. Montagne en 1926. La carte comporte les limites du Rif (espace linguistique du Tarifite proprement dit, en hachure). Il a aussi dressé des limites pour mieux identifier l’espace tribal des Ghomara de celles des Jbala et de Sanhaja Sraïr.

Carte 4 : Carte du rif et des Jbala de R. Montagne

Troisième phase : De la carte ethnolinguistique à des cartes linguistiques La cartographie linguistique et ethnographique a connu une importante évolution au milieu des années 20 du 20ème siècle, suite aux travaux d’A. Basset, G.S. Colin, Brunot L., Lévi-Provençal, et Renisio. C’est ainsi que la première illustration des espaces ethnolinguistiques du Maroc a été produite en 1924.

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P. Bernard & A. Moussard (1924) ont dressé la première carte linguistique du Maroc. Pour le nord du Maroc, ces deux auteurs ont affirmé que la zone est partagée entre deux variantes de l’Amazighe : la zenatia et la tarifite. Ces deux parlers constituent deux espaces amazighophones purs surtout dans le centre du Rif. (P. Bernard, A. Moussard, 1924, 274.). Selon ces deux auteurs, il existe dans la zone des parlers erratiques, comme le cas du parler des Ketama et des Sanhadja de Sraïr qui se rattache à tamazight du Moyen Atlas. La zone comporte aussi des espaces linguistiques mixtes notamment pour les tribus bilingues. Ils affirment que les zones de contacts ont connu une forte arabisation notamment dans le sud (Gueznaïa, Beni Touzin et les Mernissa) et à l’ouest (Ghomara). Alors qu’à l’Est, ces parlers entrent en contact avec le Zénète notamment au niveau du Kebdana Metlasa et Beni Bou Yahia. Dans les Jbala, le tamazight est disparu et les tribus sont des arabophones (Masmouda, Beni Mestara, Ghezaoua, Beni Zeroual, etc.) malgré leur origine amazighe. Dans le haut Loukkous et le Habt, c’est le territoire des tribus arabophones purs (Kholt, des Sefian, des Beni Djabert, etc.).

Carte 5 : Carte ethnolinguistique de P Bernard & A Moussar1924

En plus, les deux auteurs apportent une quantification du poids démographique de chaque espace linguistique : les Zénètes comptait 300 milles, rifains sont de l’ordre de 500 000 personnes. L’œuvre de d’A. Mouliéras a relevé les spécificités linguistiques de certaines tribus du nord du Maroc. C’est ainsi, que certains chercheurs se sont penchés sur le cas des Ghomara et Senhaja Sraïr. G. S. COLIN, ayant consacré un article intitulé Le parler berbère des Ghmara a dressé deux cartes ; l’une intitulé carte linguistique du Maroc et une autre à caractère régional en délimitant l’aire linguistique des ighomariyine et des isanhajienne.

Al Irfan / n°: 5 55 ISSN: 2351-8189 Carte 6 : Carte des parlers dans le Rif selon G.S. Colin

Carte 7 : Carte de l’espace dialectal Ghomara et Sanhadja de Colin

Dans la même optique, Dresch J. a dressé une autre carte ethnographique et linguistique en janvier 1935. Ce géographe ayant consacré une dizaine de travaux au Rif, a considéré le nord du Maroc comme étant un espace amazighophone dans sa totalité, tout en distinguant l’espace du parler des Zénètes (Rif et Ghomara) des autres tribus amazighes plus ou moins arabisées.

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Carte 8 : Carte ethnographique et linguistique du J. Dresch, 1935.

En analysant les écrits de la période coloniale, nous pouvons ressortir les remarques suivantes : - Existence de deux blocs linguistiques : l’amazighe dans l’espace tribal des rifains à l’est de l’Oued Ghis et l’arabe à l’Ouest. - L’existence de plusieurs zones mixtes arabe-amazighe notamment à l’ouest (Ghomara et Jbala) et au sud (Sanhadja Sraïr), mais sans qu’ils soient suffisamment étudiées, ce qui ne permettent pas de les bien cartographier. Et si l’espace de tarifite a attiré l’attention de plusieurs linguistes français plus que les espagnoles, les zones mixtes ou de contact entre l’arabe et l’amazigh n’ont été que rarement étudiées. - L’existence de plusieurs sous dialectes de tarifite dans un espace réduit et étroit, comme a été relevé par Moulineras. Un constat qui complique l’analyse des zones de contact et ne permettrait pas de les cartographier. Par contre, la production scientifique sur les dialectes des Jbala est très faible. - L’importance des facteurs géographiques dans la délimitation des parlers notamment les oueds. Les différentes cartes réalisées démontrent la superposition des limites linguistiques avec les limites tribales, qui sont dictées par des limites géographiques que constitue le réseau hydrographique. A titre d’exemple, les oueds de Kert et Ghis, constituent des limites linguistiques comme le démontre la carte de Biarnay. - Le travail de Colin demeure le plus complet en termes de trames linguistiques ; mais qui ignore les particularités linguistiques de Tarifite. - L’importance du découpage tribal dans la délimitation des parlers. C’est ainsi qu’à la veille de l’indépendance, les grandes lignes de la carte linguistique de la zone

Al Irfan / n°: 5 57 ISSN: 2351-8189 ont été dressées, mais en se basant surtout sur le découpage tribal et à moindre échelle sur des travaux sociolinguistiques. Un travail qui sera enrichi par les chercheurs marocains et étrangers après l’indépendance du Maroc.

Le nord du Maroc indépendant dans les recherches linguistiques

Après l’indépendance, plusieurs chercheurs marocains et étrangers se sont consacrés à l’analyse des parlers dans le nord du Maroc. Ces recherches universitaires sont constituées essentiellement de thèses de doctorat. Il s’agit, entre autres, de travaux de thèses portant sur la tarifite, notamment de Chami M. 1979 sur la tarifite orientale, de Kaddour Cadi, 1981, 1990, de Chtattou M., 1982, de Hamdaoui M., 1985 et 1997 d’Allati A., 1987, d’Aissati A., 1989, de Tangi O., 1992,de Belahrch M., 1997, de Souifi H, 1998, d’El Harrak, M. (1998): de Sayahi, L. (2005): de Lafkioui M., 2007 et d’autres. D’autres travaux ont porté sur les parlers arabes de la zone, notamment ceux des Jbala. Plusieurs thèses de doctorat et mémoires de Master sont réalisés sur les parlers citadins (Tanger, Larache, Chefchaouen, Tétouan, Ouezzane) notamment ceux d’Assad, M. (1978) portant sur le parler arabe de Tanger, d’A. Saliha (2014) sur le parler d’Asilah, d’ A. Lhadri (2009) sur la diversité des parlers dans la région de Chefchaouen, en plus des travaux sur les parlers ruraux, notamment les travaux de Messaoudi (2004), Amina Naciri-Azzouz (2017) et les différents auteurs de l’ouvrage collectif La région du nord-ouest marocain : parlers et pratiques sociales et culturelles, 2017. En plus des travaux des marocains, nous citons ceux des étrangers, notamment : - Ángeles Vicente Sánchez, (1998), 2000, El dialecto árabe de Anjra (Norte de Marruecos). Estudio lingüístico y textos. - Francisco Moscoso García, 2002, El dialecto árabe de Chauen (Norte de Marruecos). Estudio lingüístico y textos. - Laura Gago Gómez, 2015, Aproximación a la situación sociolingüística de Tánger- Arcila: variación léxica y grafemática. - Jairo Guerrero Parrado, 2014, Estudio del dialecto árabe de Larache (Norte de Marruecos). - Article de Peter Behnstedt and Mostafa Benabbo, 2005.

En plus de ces recherches doctorales, nous pouvons ajouter des ouvrages et des articles ayant apporté une spatialisation des parlers dans la zone nord du Maroc : il s’agit de : - Dialectologie et Sciences Humaines au Maroc, 1995. Ce qui nous intéresse c’est surtout l’article de M. Mohammed Laghouat « L’espace Dialectal Marocain, sa structure actuelle et son évolution » qui comporte une série de cartes. - Société, langues et culture au Maroc. Enjeux symbolique, d’Ahmed Boukous, 1995, qui comporte une carte linguistique du Maroc. - La région du nord-ouest marocain : parlers et pratiques sociales et culturelles, 2017, édité par Vicente Ángeles, Caubet, Dominique et Naciri-Azzouz, Amina (éds.), 2017. - L’article « Les parlers arabes du Nord-Est marocain » publié en 2005 par Peter Behnstedt et Mostafa Benabbou, où on trouve une série de cartes linguistiques sur le Rif central et les Iznassen. En analysant la production scientifique de cette période, il demeure que les recherches sont

58 Revista de Ciencias Humanas y Sociales Hassan Ramou La carte linguistique du nord du Maroc riches et diversifiées, et leur lecture permet de ressortir les remarques suivantes: 1. D’abord, les parlers des « Jbala » sont, en comparaison avec la tarifite, peu analysés et décrits ; les rares écrits réalisés les considèrent comme un seul bloc linguistique. L’apport des chercheurs marocains est notable et se limite à l’analyse des différents parlers citadins (Larache, Asila, Chaouen, etc.). Par contre, le cumul des recherches sur la tarifite nous permet de ressortir une série de parlers distincts. 2. Les essais cartographiques pour spatialiser les données sociolinguistiques sont très peu ou limités. Seuls les travaux de M. Lafkioui, de Laghouat, de Peter Behnstedt et de Mostafa Benabbou ont intégré des cartes. 3. Les recherches ayant concerné la zone sont à différentes échelles : - D’abord au niveau national (travaux de Boukous, Laghouat, etc.) à partir desquels on peut dresser la carte linguistique du nord du Maroc. - Régionale, qui englobe la partie arabophone et amazighophone ou des travaux qui se limitent uniquement à la tarifite. C’est le cas du travail de Chami, Souifi, Lafkioui, Peter Behnstedt, Mostafa Benabbou, etc. - Locale, notamment avec les travaux focalisés sur une tribu ou une localité, comme celui de Saliha (2014) sur le parler d’Asilah, d’A. Lhadri sur Chefchaouen. 4. Les travaux ayant spatialisé les parlers de la zone se sont basés sur trois méthodes distinctes : - Le découpage tribale comme fut le cas de la carte réalisée par Boukous.

Carte 9 : carte linguistique d’A. Boukous

- Enquêtes de terrain basées sur des questionnaires ou des guides d’entretiens conçus par le chercheur : (c’est le cas des travaux d’Amina Naciri-Azzouz, de P. Behnstedt &M. Benabbo, etc.). Le travail de Lafkioui M. (2007) demeure

Al Irfan / n°: 5 59 ISSN: 2351-8189 très riche sur le plan cartographique. L’auteur a étudié la spatialisation des parlers tarifite-s sur le plan phonétique-phonologique, morphologie-syntaxe et au niveau lexical.

Carte 10 : Exemple de cartes réalisées par Lafkioui, basé sur la méthode Levenshtein (Lafkioui, 2009, p. 15)

- Des méthodes quantitatives basées sur des statistiques, comme celle adoptée par Laghouat M. (1995), mais uniquement pour les parlers citadins des villes marocaines.

Carte 11 : Carte linguistique de Mohamed Laghouat, 1995

5. L’évolution des recherches universitaires sur la zone a démontré la particularité de plu- sieurs espaces linguistique notamment :

- l’îlot arabophone des Ulād Sattūt ;

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- les espaces mixtes au sud des tribus rifaines le long de la ligne Ghafsaï-Taou- nate-Aknoul et à l’ouest en contact avec les Ghomra et Sanhaja Sraïr ;

- l’espace Ghoamrien et des Sanhadja Sraïr qui ont attiré l’attention de plusieurs chercheurs.

Ces zones de contact amazigh-arabe ont leur particularité et ont été de plus en plus ana- lysés et cartographiés. Ce qui permet de mieux dresser les limites de ces espaces mixtes.

6. Le manque de recherches sur d’autres particularités linguistiques dans le territoire Jbala (Ghafsaï, Taïnaste, Mersnisa, Mettiouia au nord de Taounat) et les parlers particuliers, notamment le judéo-amazighe ou le judéo-arabe dans les médinas du nord (Tétouan, Chawen, Larache, el Ksar, Arzila et Tanger, comme le signale Haïm Zafarani (1997) et Simon Levy (1990).

Partant de ce qui précède, la zone du nord du Maroc demeure mieux étudiée que d’autres zones du Maroc. Un cumul d’études et de recherches qui constituent la matière première pour dresser une carte linguistique régionale très détaillée.

La carte linguistique du nord du Maroc : Questions méthodologiques

La réalisation d’une carte linguistique demeure difficile. Une difficulté qui augmente selon l’échelle ; plus la carte est à petite échelle et couvre un espace régional, provincial ou communal réduit, plus c’est difficile de la réaliser d’une manière fine. À cette échelle, il est impératif de délimiter les variations dialectales avec précision, alors que la production scientifique linguistique demeure au Maroc peu diversifié. Heureusement que le Rif est couvert par un grand nombre de travaux linguistiques. Par contre, la carte linguistique nationale, et vu son échelle, est moins difficile2. L’échelle impose la généralisation des données et l’agrégation des espaces linguistiques rapprochés.

La méthodologie adoptée consiste à construire une base de données cartogra- phique et statistique, constituée de :

- Données empiriques de terrain produites par des linguistes, qui décrivent les caractéris- tiques dialectologiques des espaces, la nature des parlers et leurs limites. Dans le Rif, les recherches réalisées sont riches et diversifiées par rapport à d’autres zones du Maroc. La partie rifaine amazighe semble attirer plus l’attention des chercheurs, ce qui engendré a engendré un cumul scientifique très diversifié qu’on peut l’exploiter dans la réalisation de la carte linguistique régionale. À ce niveau, les travaux de Biarnay, Colin, Bernard A. et Moussard P., Montagne, Chami, Lafkioui, Nait-Zerrad, Peter Behnstedt and Mostafa nous ont apporté une précieuse contribution dans notre essai cartographique. Ces données em- piriques ont été digitalisées, adaptées et corrigées par rapport au fond cartographique, puis intégrées dans un logiciel de type SIG système d’information géographique (Map info). - Données statistiques recueillies par le RGPH 2004 &RGPH 2014, et qui permettent d’en- treprendre une approche quantitative, certes limitée mais intéressante et utile. Son utilité

2. Pour plus de détail, veuillez consulter, Ramou H., 2013 « la carte linguistique du Maroc » in revue Asing, n°8, 2013, pp. 105-127 (en arabe).

Al Irfan / n°: 5 61 ISSN: 2351-8189 réside dans le fait que les statistiques concernent la totalité des communes de la zone et à une échelle très réduite (la commune). Ces données sont intéressantes puisqu’elles sont produites d’une manière régulière, ce qui permettrait le suivi de la dynamique linguistique. Depuis 2004, le RGPH a intégré une variable sur les langues parlées localement, ce qui permet de calculer le pourcentage des habitants parlant l’arabe dialectal, la tarifite, la tama- zighte, la tachelhite et la Hassania. En 2006, le HCP a publié des données statistiques très intéressantes sur le % des populations parlant uniquement l’amazighe3. Mais ces données, qui permettent de dresser des cartes linguistiques selon la méthode per- ceptuelle, ont des limites. Le questionnaire s’est limité à trois variables linguistiques pour tout le Maroc, ce qui camoufle les disparités régionales linguistiques. Dans le nord du Ma- roc, le parler jabla, bien qu’il ait fait l’objet de plusieurs recherches, est considéré comme arabe dialectal. À notre sens, l’apport du RGPH se limite à décrire statiquement la distribu- tion spatiale des perceptions des parlers, alors que l’apport quantitatif demeure très contesté. - La carte officielle des tribus qui permet de dresser ou corriger les spécificités linguistiques. Le Maroc dispose de deux versions de la carte des tribus, celle de 1977 et la version édi- tée en 1989. Mais, ces deux cartes sont d’une faible précision. Un constant qui implique des corrections ; surtout lorsqu’on veut calquer cette carte avec les autres cartes (carte de découpage communal, carte du réseau hydrographique ou des cartes des autres auteurs4). - La carte des communes géoréférencées dans laquelle on peut intégrer les données statis- tiques. Le calquage de cette carte avec les données précédentes semble très intéressant et offre des résultats pertinents ; les limites des tribus coïncident en général avec les limites des communes ou des provinces. Au niveau méthodologique, plusieurs approches sont adoptées pour réaliser la carte Linguistique. Il ne s’agit pas dans cet article d’adopter les approches méthodologiques des linguistes (isoglosses, intuitive, par structure linguistique, ou de dialectométrie). Notre méthodologie consiste à intégrer l’ensemble de données disponibles (données du RGPH, carte des tribus, cartes géographiques, cartes du découpage communal et les données produites par les linguistes que nous avons pu digitaliser). 1. La première étape consiste à réaliser une analyse thématique des statistique du RGPH 2014 sur la variable des populations parlants l’amazighe par commune dans ses deux variantes (Tarifite surtout, et à moindre mesure tamazight). Pour des considérations techniques liées à l’échelle, nous avons exclu les villes, vu que leurs superficies sont insignifiantes, et mérite d’être analysées séparément. 2. Puis il est question de calquer les résultats obtenus sur les autres cartes, notamment la carte tribale. Cette opération a démontré la nécessité d’établir des corrections sur les limites des tribus avec certaines communes ou des oueds. Le résultat de cette deuxième phase est une première carte qui confirme les résultats des études précédentes basées sur les méthodes traditionnelles (Biarnay, Basset, Risnio, Colin) et même de dialectométrie (Lafkioui, Benabbou).

3. Cette variable n’a pas été publiée lors du RGPH 2014. 4. Nous avons jugé utile l’ajout de la couche du réseau hydrographique dans la carte des tribus et linguistique parce que, dans plusieurs, les oueds constituent des limites tribales et linguistiques.

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Carte 12 : Carte linguistique du nord du Maroc par méthode statistique (RGPH 2014)

Une première lecture de la carte permet de ressortir les remarques suivantes :

• La distinction entre deux blocs : l’arabe à l’ouest et l’amazigh au centre du Rif et à l’Est. La ligne Assif Amdouch-haut Ouergha constitue une limite géographique entre les deux espaces. À l’ouest de cette ligne, les parlers arabes dominent, alors qu’au centre du Rif et à l’Est le taux des amazighophones est supérieure à 50%. C’est presque la même configuration avancée par Biarnay, Colin, Bernard & Moussard, et d’autres chercheurs marocains.

• Sur le plan quantitatif, les tribus rifaines et celles situées à l’Est de l’Assif Kert enregistrent les taux les plus élevés en terme d’amazighophones. En plus, en se basant sur les données de 2004, on constate que des communes d’Al Hoceïma et du , notamment entre l’amont du Ghis et de Kert constituent le « noyau dur » de Tarifite. Cet espace enregistre des taux de population parlant uniquement la Tarifite, qui varient entre 30% et 50%, et atteint 62% dans une commune de montagne (province Nador). Un constat qui permet de déduire que l’arabisation ou le bilinguisme est très faible dans ce territoire, qui abritait selon Bernard et Moussard des « berbère purs ».

• L’existence d’une série de zones mixtes que nous avons définies sur des bases statistiques : nous avons considéré toute commune qui enregistre un taux d’amazighophones variant de 10 à 50% comme zone mixte. Il s’agit de :

- L’espace mixte d’Oulad Settout : où on trouve 37,9% d’amazighophones et 95,1% d’arabophones, alors que Mouliéras le décrit en 1890 comme un îlot d’arabophones

Al Irfan / n°: 5 63 ISSN: 2351-8189 « le Séttoutien est arabe de langue et de costume. Il parle l’idiome du Prophète avec une pureté remarquable » ; de même pour Chami, qui la qualifié d’espace arabo- phone.

- L’espace mixte à l’ouest de tarifite, notamment au niveau des tribus Beni Itteft, que représente la commune rurale . Située au cœur des tribus rifaines, Ayt Itteft est considérée par Biarnay comme amazighophone. Au niveau de cet espace, l’arabe dialectal est parlé par 89,7% des habitants de la commune. Pour Bernard & Mous- sard, l’espace bilingue ou de contact entre tarifite et l’arabe s’est situé à l’ouest du l’Assif Oûrînga, alors qu’il a reculé vers l’est de l’Assif Amdouch, en s’étendant sur la tribu d’Ayt Itteft.

- La zone mixte de la tribu Tasgout dans le territoire des Sanhaja Sraïr (commune ) et qui enregistre 27% des habitants parlant tarifite et 98,8% parlant l’arabe dialectal

- L’îlot mixte au sein des Ghomara au niveau de Bni Bouzra5 (Commune Rurale Beni Mansour) qu’a classé Colin en 1934 comme tribu amazighe. La commune enregistre un taux de 20% des populations parlant tarifite et 99,5% parlant l’arabe dialectal.

- Les villes du nord du Maroc sont des espaces bilingues notamment Tanger, Fnideq, Medieq, Larache, . Ce sont des villes qui abritent un grand nombre de mi- grants issus des tribus rifaines. Dans les Jbala, seule les villes de Tétouen, Chaouen, Asilah, en plus de la ville de Nador à l’Est, enregistrent des taux inférieurs à 5%.

• La carte affirme le rôle majeur de l’hydrographie dans le Rif comme limite tribale et lin- guistique. Les limites entre les parlers sont dictées ainsi par la géographie. Un constat qui se confirme par les limites du découpage communal.

Mais, malgré ces apports intéressants, la carte réalisée ne reflète pas la réalité linguistique. La partie occidentale de la zone est marquée par un seul espace linguistique qui est l’arabe dialectal, alors que plusieurs études ont affirmé la spécificité des parlers Jbala par rapport au parler hilalien des Kholt. La même chose pour l’espace de Tarifite qui est considéré comme un espace homo- gène, alors que la majorité des études berbéristes affirme l’existence de plusieurs sous-dialectes.

3. La troisième étape de notre méthodologie consiste à détailler dans la carte réalisée par méthode statistique, en intégrant les limites des parlers tracés par les linguistes. Nous nous sommes basés sur les travaux réalisés par Biarnay, Colin, Chami, Lafkioui, N’Ait Zerrad pour la partie tarifite, et G.S. Colin pour différencier entre les parlers Jbala et le parler des Kholt. En calquant ces cartes d’ordre linguistique sur les données du RGPH 2014 et avec la carte des tribus, nous pouvons dresser une carte des parlers plus détail- lée.

5. Dans tribus 1989, on trouve l’anthroponyme de Bni Bouchera alors que le nom officiel de la commune ayant les mêmes limites tribales est Bni Bouzra tel qu’il est écrit par G.S. Colin.

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Carte 13 : Carte des parlers dans le nord du Maroc

Partant de cette carte, le nord du Maroc comprend ainsi deux blocs linguistique :

1. L’espace amazighophones où on trouve :

• La tarifite orientale comme a été citée par Biarnay. Il s’agit des parlers situés à l’Est de l’Oued Kert. En calquant cet espace avec le découpage réalisé par Lafkioui 2007, on obtient trois sous-dialectes distincts : - Le parler des Kebdana - Le parler des Bou Yahi et Mtalsa - Le parler des Ayt Sidel, Ayt Bou Ifrour, Ayt Boufacar, Ayt Sikar et Mazouz • La tarifite du centre : c’est celle qu’a étudié Biarnay, notamment entre Assif et Assif Kert. Il s’agit d’un parler des Temsamane, Ait Saïd, Iqrayene, Ait Oulichek, Ait Touzine et d’Igzennayene. Dans le travail de Lefkioui M. (2007), l’espace des Igzen- nayene se différencie des autres parlers situés au nord.

• La tarifite occidentale : située à l’ouest de l’Assif Nekkour. Elle englobe les parlers suivants : - Parler des Ayt Outiaghel, Ibqqoyen et Ayt Ammart - Parler des Sanhaja Sraïr

Al Irfan / n°: 5 65 ISSN: 2351-8189 En comparant les cartes réalisées à partir des Tavaux du Biarnay, Bernard et Moussard et Colin, avec les données du RGPH 2014, il demeure que l’amazighe dans cet espace connait une régression importante et la limite de l’amazighe recule vers l’Est. C’est un constat qu’on peut déduire seulement en comparant les données linguistiques du RGPH de 2004 avec celles de 2014. 2. Les zones mixtes arabo-amazigh comprennent plusieurs îlots :

• Zone mixte des Oulad Settout : qui connait un processus d’arabisation. Le pourcentage des populations parlant tarifite est de l’ordre de 37,9% en 2014, en régressant de 42,8%, enregistré lors du RGPH 2004.

• La zone mixte des Ayt Itteft (commune rurale Senada) : le pourcentage des populations parlant tarifite est de 32,1% selon le RGPH 2014, un plus qu’en 2004 (28,8%).

• L’espace de Tasgaout dans les Sanhja Sraïr (commune rurale de Abdelghaya Souahel) qui connait une augmentation des habitants parlant tarifite, en passant de 23,9% en 2004 a 27% en 2014.

• Et enfin la zone mixte des Ghomara au niveau de la commune /espace tribal Bni Bouzra, où les amazighophones constituent 20% en 2014 et 99,4% parlant l’arabe dialectal.

• Le cas de cet espace démontre clairement les erreurs du RGPH. En se référant au RGPH 2004 et 2014, on constate que les deux communes ont une tendance linguistique incom- préhensible : la commune de Bni Bouzra où l’amazighe constituait 0,1% en 2004 passe à plus 20%, alors que sa commune voisine Bni Mansour a enregistré un taux d’ama- zighophones de 9,8% en 2004, et chute à 0,03% en 2014. S’agit-il d’une confusion entre les deux communes ?

2004 2014 Arabe dialectal Tarifite Arabe dialectal Tarifite Bni Bouzra 99,4 0,1 99,5 20,0 Bni Mansour 99,4 9,8 99,9 0,03

Tableau 1 : variables linguistiques des communes Bni Bouzra et Bni Mansour, selon le RGPH 2004 et 2014 Source : HCP, 2004 et 2014

3. L’espace arabophone. Cet espace est composé de deux parlers :

• Le parler des Jbala. C’est un espace vaste et peu étudié. La délimitation de cet espace demeure difficile (Messaoudi L., 1999). La zone s’étend de la pointe de la péninsule tingitane aux sources d’Ouergha. C’est un parler ou un géolecte défini en premier lieu par la situation géographique (Messaoudi L. 1999, 168). Il englobe, selon Jairo Guerre- ro, les parlers d’Anjra, Ouargha, Ghomara, nord de Taza en plus des tribus Jabla. Pour rappel, ce parler se caractérise par son substrat amazigh et son lexique très particulier. Le patrimoine onomastique, notamment la toponymie, est amazighe. Comme nous le

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rappelle J. Vignet-Zunz (1995), les parlers contemporains Jbāla et Ghmāra sembleraient montrer une parenté avec les parlers chleuhs, en plus de celle qu’ils ont avec leurs voi- sins Ṣanhāja et Rifains6. • Le parler Hilalien ou bédouin, selon le terme du G.S. Colin, qui s’étend sur le haut Loukkous (Province de Larache) et qui coïncide avec le territoire des tribus Kholtt.

Conclusion

Le nord du Maroc a fait l’objet d’une série de travaux linguistiques pour produire une carte des parlers. Notre essai cartographique a abouti à une carte des parlers qui confirme l’apport des études linguistiques. Le Rif est partagé entre deux espaces linguistiques très distincts : l’amazighe, bien étudié, ce qui permet de ressortir les dialectes et les parlers en détail, l’autre est arabophone, peu étudié et n’offre que deux espaces dialectiques. Le suivi statistique et cartographique démontre que ce dernier est en expansion.

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6. Pour nous, ce parler est très entendu et masque les sous-dialectes, surtout ceux des Ghomara, des Jbala et des autres îlots linguistiques dans le prérif (Ouezzane, Taïnaste, Ghafsaï, Zoumi) qui diffèrent légèrement des parlers Jebli des et Chaouen.

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