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Parcours de vie et entrée en vie adulte Une analyse générationnelle dans la ville de Cotonou au Bénin

Thèse

Judicaël Alladatin

Doctorat en sociologie

Philosophiae doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

© Judicaël Alladatin, 2014

Résumé

La présente thèse vise à comparer les parcours d’entrée en vie adulte des individus issus de deux générations de Cotonois, marquées par des contextes socio-économiques forts différents : les aînés (50-67 ans, nés entre 1945 et 1960, inscrits dans le contexte du paternalisme étatique pourvoyeur d’emploi) et les jeunes (22-37 ans, nés entre 1975 et 1990, inscrits dans le contexte de la crise économique et du renouveau démocratique).

Cette comparaison s’effectue à partir de quatre trajectoires et autant de transitions, examinées selon un modèle à trois dimensions. Les données utilisées proviennent de vingt entretiens de pré-enquête et de cinquante-cinq entretiens semi-dirigés à forte teneur biographique. L’échantillonnage des cinquante-cinq répondants est effectué à partir des données d’une enquête quantitative menée dans la ville de Cotonou et ceci afin de minimiser les inconvénients liés à un corpus d’informateurs biaisé.

Nos résultats révèlent l’existence au sein de chaque cohorte d’une diversité de parcours d'entrée en vie adulte. En comparaison avec les individus nés entre 1945 et 1960, on constate que chez les individus nés entre 1975 et 1990, les premières transitions résidentielles et d’insertions professionnelles sont relativement précoces, alors que les premières transitions de vie féconde et de vie de couple sont relativement tardives. On assiste donc à une tendance vers l’allongement des parcours d’entrée en vie adulte. On note aussi qu'une relative majorité d'individus de la cohorte des aînés sont passés par une série de phases familiales, résidentielles et professionnelles ordonnées quasiment de la même manière. Cette tendance à la ritualisation s’atténue au niveau des individus de la cohorte des jeunes en laissant place à une pluralisation relative des parcours d'entrée en vie adulte. Les parcours d’entrée en vie adulte acquièrent de nouvelles caractéristiques, ils sont de plus en plus complexes, parfois même en marge des normes et valeurs sociales prépondérantes.

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Cependant, ces transformations ne revêtent pas un caractère de sinistrose sociale généralisée. Il semble plutôt que les modalités de régulation sociale se transforment et permettent l'émergence d'un individu entre ritualisation et pluralisation de parcours, entre nouvelles contraintes et affirmation de soi, entre responsabilisation et indépendance. Loin d'annoncer le début du règne de parcours individualisés et personnalisés, la pluralisation des parcours d'entrée en vie adulte au sein de la cohorte récente montre l'émergence de transformations et d’adaptations des logiques sociales au contexte contemporain marqués notamment par une crise économique persistante. Ces transformations et adaptations s'inscrivent dans le courant de l’autonomisation, de la démocratisation communautaire et de l’individualisation communautaire.

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Abstract

This thesis aims to compare transitions to adulthood of individuals from two generations of Cotonois marked by very different socio-economic contexts: seniors (50-67 years, born between 1945 and 1960, registered in the context of state provider of employment) and youth (22-37 years, born between 1975 and 1990, registered in the context of economic crisis and Democratic Renewal).

This comparison is performed based on four trajectories and many transitions, considered in a three-dimensional model. The data used come from twenty interviews in preliminary survey and fifty-five detailed interviews.

Our results reveal within each cohort the existence of a variety of transition to adulthood model. Compared with individuals born between 1945 and 1960, the first residential transitions and professional insertions are relatively early for young people born between 1975 and 1990, while the first reproductive and married life transitions are relatively late. Thus, there is a tendency towards the lengthening of the transition to adulthood. We also note that a majority of individuals in the senior’s cohort have gone through a series of a family, residential and occupational transitions ordered almost the same way. This ritual trend fades at young people level, leaving a relative pluralization of transitions to adulthood. Transitions to adulthood acquire new characteristics; they are becoming more complex, sometimes even overriding margin standards and social values.

However, these transformations have not a widespread social pessimism character. It seems rather that the terms of social regulation are transformed and allow the emergence of an individual between ritualization and pluralization of course, between new pressures and assertiveness, between responsibility and independence. Far from announcing the beginning of the reign of individualized and personalized courses, the pluralization of

v transitions to adulthood in the young cohort shows the emergence of transformations and adaptations of social logics to contemporary context marked notably by a persistent economic crisis. These transformations and adaptations fit into the current empowerment of community democratization and community individualization.

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À toi Appoline FONTON, ma belle et intelligente femme, je dédie cette thèse qui pendant près de quatre longues années a été pour toi une redoutable rivale. Enfin, ma chérie, cette escapade s’achève. Permet moi de dédier ta tendre rivale à toutes les personnes qui, à travers le monde se consacrent par leurs idées et leurs actions, au bien-être social, économique et environnemental de l’humanité.

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Table des matières

Résumé ...... iii Abstract ...... v Table des matières ...... ix Liste des tableaux ...... xv Liste des figures ...... xvii Avant-Propos ...... xix Introduction ...... 1 Partie 1 : Éléments de problématique ...... 5 Chapitre 1 : Lien social et socialisation en Afrique de l’Ouest ...... 7 1.1 Processus et agents de socialisation ...... 9 1.1.1. Les instances de socialisation primaire ...... 11 1.1.1.1 La famille ...... 11 1.1.1.2 L’école ...... 12 1.1.1.3 Les groupes de pairs ...... 13 1.1.2 Les instances de socialisation secondaire ...... 13 1.1.2.1 Le travail ...... 14 1.1.2.2 La religion ...... 14 1.1.2.3 Les médias ...... 15 1.2 Les fondements essentiels du lien social en Afrique de l’Ouest ...... 16 1.2.1 Notion de personne ...... 17 1.2.2 Famille et parenté ...... 19 1.2.3 Notion de hiérarchie, d’autorité et de pouvoir ...... 20 1.2.4 Dialectique dépendance – solidarité ...... 20 1.2.5 Un sens particulier du don, du devoir et de la honte ...... 21 1.3 Les principaux schèmes théoriques pour l’analyse des relations entre individu, famille et société ...... 23 1.3.1 Le modèle communautaire ...... 24 1.3.1.1 La variante traditionaliste : la famille comme école d’apprentissage de la vie sociale...... 25 1.3.1.2 La variante autoritariste : le diktat familial ...... 26

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1.3.1.3 La variante relationnelle : la famille « providence » comme marqueur du retour à la prépondérance du lien de filiation...... 27 1.3.2 Le modèle d’hyper-individualisation : effritement du tissu familial, échecs des politiques et valorisation de l’individualisme ...... 28 1.3.3 Le modèle d’individualisation communautaire : Division du travail, émergence de la vie publique et quête d’autonomie de l’individu ...... 31 1.3.3.1 La variante d’équilibre absolu : l’homologie parfaite entre les quatre types de liens …………………………………………………………………………….33 1.3.3.2 La variante de tutelle : intensité absolue du lien civique ...... 33 1.3.3.3 La variante contractuelle : intensité absolue partagée entre lien civique et lien de filiation ...... 34 1.4 Les facteurs socio-économiques et démographiques porteurs du changement social en Afrique de l’Ouest ...... 36 1.4.1 Colonisation, modernisation et mondialisation ...... 36 1.4.2 Changements démographiques ...... 38 1.4.3 Avatars de l’économie monétaire et crises économiques ...... 40 Chapitre 2 : Problématique et questions de recherche ...... 45 2.1 Modèle préindustriel de l’articulation entre parcours d’entrée en vie adulte et régulation sociale ...... 45 2.2 Facteurs sociohistoriques influençant le modèle traditionnel de parcours d’entrée en vie adulte au Bénin ...... 50 2.3 Vers la transformation des parcours d’entrée en vie adulte? ...... 54 2.4 Présentation de la ville de Cotonou et différences de contexte entre les deux générations à l’étude ...... 59 2.4.1 La ville de Cotonou : Un laboratoire de dynamiques sociales ...... 59 2.4.2 Mise en contexte général des conditions de vie des deux générations de Cotonois étudiés ...... 66 Partie 2 : Cadre théorique et méthodologique de la recherche ...... 77 Chapitre 3 : L’analyse de la dynamique des parcours et des trajectoires d’entrée en vie adulte : Cadre théorique ...... 79 3.1 Relationnisme méthodologique : l’interdépendance dynamique et la réciprocité . 82 3.1.1 L’interdépendance dynamique entre individu et société ...... 83 3.1.2 La Théorie de la réciprocité ...... 85 3.2 Génération et cohorte ...... 87 x

3.3 L’analyse des parcours sociaux : Approches d’analyse des parcours d’entrée en vie adulte...... 92 3.3.1 Apports et insuffisances du modèle des « seuils de passage » ...... 92 3.3.2 L’approche biographique ...... 95 3.3.3 L’approche des parcours de vie ...... 99 Chapitre 4 : Démarche méthodologique ...... 105 4.1 Approches qualitative, méso-sociologique et semi-inductive ...... 105 4.1.1 Une approche qualitative avec un recours à quelques outils quantitatifs notamment dans la collecte (fiche biographique) et l’analyse des données...... 106 4.1.2 Approche méso sociologique ...... 108 4.1.3 Approche semi-inductive et itérative : de la construction du cadre opératoire à la cueillette et l’analyse des données empiriques...... 108 4.2 Les étapes de la démarche méthodologique ...... 111 4.2.1 La phase de documentation et de conception du projet de recherche ...... 111 4.2.2 La phase exploratoire ...... 112 4.2.2.1 Une première vague de pré-enquête ...... 112 4.2.2.2 La seconde vague de pré-enquête ...... 113 4.2.3 Procédure d’échantillonnage à deux degrés ...... 116 4.2.3.1 L’enquête « Activités Économiques des Ménages Urbains (AEMU) » du projet Familles, Genre et Activité en Afrique Subsaharienne (FAGEAC) ...... 116 4.2.3.2 L’échantillonnage proprement dit ...... 117 4.2.4 Stratégie de collecte de données : L'entretien semi-directif compréhensif à forte teneur biographique ...... 119 4.2.5 L’analyse des données : Une analyse qualitative inspirée de la théorisation ancrée ...... 124 4.2.5.2 De l’analyse thématique et propositionnelle de contenu à l’interprétation .... 126 4.2.6 Profil des personnes enquêtées ...... 128 Partie 3 : Résultats, et analyses ...... 133 Chapitre 5 : La perception de soi comme adulte en devenir ...... 135 5.1 Présentation et analyse des résultats sur la perception du parcours d’entrée en vie adulte (module 1 du guide d’entretien) ...... 135 5.2 Quatre trajectoires pour un parcours d’entrée en vie adulte ...... 148 5.3 Un parcours de type idéal d’entrée en vie adulte, supposé normal ...... 150 Chapitre 6 : Dynamique des trajectoires du parcours d’entrée en vie adulte ...... 155 6.1 Trajectoire d’insertion professionnelle du parcours d’entrée en vie adulte ...... 156 xi

6.1.1 Une entrée en insertion professionnelle de plus en plus précoce surtout chez les femmes ...... 157 6.1.2 Mobilité-promotion sociale versus mobilité-instabilité ...... 163 6.1.3 Des jeunes en insertion difficile : précarisation, « informalisation », sous- emploi et « scolarisés au cou long » à Cotonou ...... 171 6.2 Trajectoire résidentielle du parcours d’entrée en vie adulte ...... 177 6.2.1 Une décohabitation de plus en plus précoce, mais à un rythme relativement lent ...... 178 6.2.2 De la première décohabitation vers l’autonomie résidentielle : Mobilité de plus en plus compromise et nouvelles formes résidentielles ...... 179 6.3 Trajectoire de vie de couple du parcours d’entrée en vie adulte ...... 185 6.3.1 Une première mise en couple de plus en plus tardive ...... 186 6.3.2 Mode d’initiation de la première mise en couple : Le fossé entre générations? 187 6.3.3 Vers de nouveaux modèles de conjugalités socialement tolérés ...... 190 6.3.4 Je t’aime, moi non plus! : Difficultés conjugales et séparation des couples, d’une génération à l’autre ...... 198 6.4 Trajectoire de vie féconde du parcours d’entrée en vie adulte : La fécondité un impératif social ...... 202 6.4.1 La première union sexuelle ayant débouché sur une grossesse est de plus en plus tardive! ...... 205 6.4.2 Retarder l’arrivée du premier enfant ou avoir un enfant avant l’entrée en union: le fléchissement relatif de la fécondité pendant l’entrée en vie adulte ...... 209 6.4.3 Le recours à l’avortement, phénomène tabou, mais en évolution ...... 213 Chapitre 7 : Essai de typologie des parcours d’entrée en la vie adulte ...... 219 7.1 Construction de l’architecture typologique des parcours d’entrée en vie adulte . 220 7.2 Diversité des parcours d’entrée en vie adulte dans la ville de Cotonou ...... 225 7.3 Dynamique des grands schèmes de parcours d'entrée en vie adulte à travers les générations : relativiser l’idée de ritualisation des parcours au niveau de la cohorte des aînés et circonscrire la pluralisation des parcours au niveau de la cohorte des jeunes ...... 237 7.3.1 Ritualisation relative des parcours d’entrée en vie adulte au sein de la cohorte des aînés ...... 240 7.3.2 Dé-ritualisation et pluralisation évidente de l’entrée en vie adulte au sein de la cohorte des jeunes, mais… ...... 244 xii

7.4 Articulation entre régulation sociale et parcours d’entrée en vie adulte : Une tendance vers un modèle d’individualisation communautaire tantôt en équilibre tantôt en déséquilibre...... 247 7.5 De l’agent responsable à l’acteur autonome ...... 252 Conclusion ...... 255 Bibliographie ...... 263 ANNEXES ...... 291 Annexe 1 : Code et caractéristiques des répondants ...... 291 Annexe 2 : Outil de collecte de données ...... 295 Annexe 3 : L’état de la protection sociale au Bénin ...... 301 Annexe 4 : Âge médian à la première insertion professionnelle et à la première décohabitation ...... 305

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Liste des tableaux Tableau 1 : Synthèse des trois schèmes théoriques pour l’analyse des relations entre individu, famille et société...... 35 Tableau 2 : Quelques données démographiques sur la ville de Cotonou ...... 63 Tableau 3 : Trajectoire et sous-dimensions à collecter dans le cadre de la collecte de données sociologique ...... 123 Tableau 4 : Distribution par sexe et cohorte de l’échantillon ...... 129 Tableau 5 : Moyenne d’âge des individus de l’échantillon selon le sexe et la cohorte ...... 129 Tableau 6 : Distribution des personnes enquêtées par arrondissement ...... 130 Tableau 7 : Comparaison de quelques caractéristiques des enquêtés en fonction de la cohorte d’appartenance ...... 131 Tableau 8 : Récapitulatif synthétique des perceptions des répondants sur la notion de parcours d’entrée en vie adulte ...... 136 Tableau 9 : Âge moyen (en année) d'accès à la première expérience de type professionnelle ...... 158 Tableau 10: Poids du sous-emploi lors de la première insertion en emploi pour ceux qui ont connus au moins une insertion en emploi ...... 172 Tableau 11 : Proportion de personnes en situation de chômage et/ou de sous-emploi à la fin de la période de collecte de récits biographiques parmi ceux qui ont connu au moins une transition d’insertion en emploi ...... 173 Tableau 12 : Âge (en années) de la première décohabitation ...... 179 Tableau 13 : proportion d’individus de chaque cohorte ayant atteint l’autonomie résidentielle dès la première décohabitation ...... 182 Tableau 14 : Âge (en année) de la première mise en couple pour ceux qui ont connu au moins une mise en couple ...... 186 Tableau 15 : proportion de personnes ayant connu une première mise en couple et dont le mode de formalisation de cette mise en couple est le mariage ...... 188 Tableau 16: Âge à la première union sexuelle ayant débouché sur une grossesse ...... 205 Tableau 17: Architecture typologique des parcours d’entrée en vie adulte ...... 224 Tableau 18 : Les types de parcours d’entrée en vie adulte identifiés ...... 226 Tableau 19 : Synthèse des principales caractéristiques nodales de chaque type de parcours ...... 235 Tableau 20 : Récapitulatif des types de parcours selon le genre et la cohorte...... 239 Tableau 21 : Âge médian à la première insertion professionnelle ...... 305 Tableau 22 : Âge médian à la première décohabitation ...... 305

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Liste des figures

Figure 1: découpage administratif de la commune de Cotonou...... 62 Figure 2 : Schémas du parcours d’entrée en vie adulte selon le modèle des seuils ...... 94 Figure 3 : Procédure d’échantillonnage ...... 119 Figure 4 : Représentation schématique de l’opérationnalisation du parcours d’entrée en vie adulte ...... 149 Figure 5 : Représentation schématique de l’opérationnalisation du parcours de type idéal d’entrée en vie adulte ...... 151 Figure 6 : Séquences de la trajectoire d'insertion professionnelle des répondants de sexe féminin ...... 164 Figure 7 : Séquences de la trajectoire d'insertion professionnelle des répondants de sexe masculin ...... 165 Figure 8 : Séquences de mobilités résidentielles des répondants de sexe féminin ...... 180 Figure 9 : Séquences de mobilités résidentielles des répondants de sexe masculin ...... 181 Figure 10 : Séquences de mobilités de vie de couple des répondants de sexe féminin ...... 191 Figure 11 : Séquences de mobilités de vie de couple des répondants de sexe masculin .... 192 Figure 12 : Séquences des événements de vie féconde des répondants de sexe féminin ... 207 Figure 13 : Séquences des événements de vie féconde des répondants de sexe masculin . 208 Figure 14 : distribution des types de parcours selon le genre et la cohorte ...... 238

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Avant-Propos

Entreprendre l’élaboration d’une thèse de doctorat suppose une certaine dose d’« inconscience » ; persévérer dans cette tâche requiert une témérité à toute épreuve, disait Pierre Moreau (2007) au point où Louise Bourdages (1996) interprète la persistance au Doctorat comme une histoire de sens : sortir de la catégorie des ABD « All But Dissertation » (Berelson, 1960), fréquent en sciences sociales, pour rentrer dans celle des « full dissertation » (Sternberg 1981), constitue l’angoisse classique de la persistance dans ce long projet de formation qu’est le doctorat.

Cette thèse est à l'image des contrées et des personnes qu'elle m'a permis de découvrir ou de redécouvrir. De Québec, à Cotonou, en passant par Montréal, Paris, Accra, Dakar et Yaoundé que de moments éprouvants, mais enrichissants qui donnent envie de dire « enfin », même si je suis persuadé que c’est maintenant que tout commence. C’est ici le lieu de dire un franc et sincère merci à toutes les personnes qui ont contribué et aidé de quelque manière que ce soit à la réalisation de cette aventure formidable.

À l’endroit du Professeur Richard Marcoux, mon Directeur de thèse, je tiens à exprimer ma profonde et infinie gratitude pour son inaltérable soutien, sa franche confiance, ses conseils avisés, son enthousiasme communicatif et son souci permanent du bien-être de ses doctorants.

Je remercie également le Professeur Mouftaou Amadou Sanni du CEFORP (UAC) ainsi que tous ses collaborateurs notamment du projet FAGEAC, qui ont bien voulu faciliter la réalisation de la phase de collecte de données au Bénin.

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C’est le lieu de remercier aussi les Professeurs Daniel Mercure, Guy Fréchet, de l’Université Laval et Anne Calvès de l’Université de Montréal, qui ont contribué considérablement à l’avancement de mes réflexions et dont les travaux et enseignements m’ont fortement inspiré.

Pendant les (près de) quatre ans que j’ai consacré à cette thèse, j’ai reçu pendant dix-huit mois le soutien financier de l’agence universitaire de la francophonie (AUF), et par la suite plusieurs bourses et soutiens financiers du département de sociologie et de l’université Laval, ainsi plusieurs contrats d’assistants de recherche au sein de l’observatoire démographique et statistique de l’espace francophone (ODSEF), puis du groupe interuniversitaire d’étude et de recherche sur les sociétés africaines (GIERSA). Je voudrais témoigner ici ma gratitude à l’endroit de toutes ces institutions et de leurs responsables.

Je tiens ensuite à exprimer toute ma gratitude envers ma brave conjointe Appoline, ma famille élargie au Bénin et ma « famille adoptive » à Québec. À mes parents, Vincent et Éliane, deux enseignants rompus à la tâche, sans qui je n'aurais pu étudier si longtemps et sans relâche. À mes frères et sœurs pour la confiance qu’ils placent en moi. À Axel, Emmanuelle, Micheline et Gilles Nolet ainsi qu’à Sœur. (m.i.c), pour l’esprit de famille dans lequel ils ont permis à Appoline et à moi de vivre à Québec. J’ai aussi une pensée émotive pour mes grands-parents, qui auraient bien voulu vivre assez longtemps pour connaitre ces moments. Je pense spécialement à ma Grand-mère maternelle, une amazone pleine de bravoure et de sagesse qui a véritablement contribué à forger l’homme que je deviens.

Je remercie également tous mes collègues du GIERSA, de l’ODSEF et de l’Université Laval avec qui j’ai partagé pendant ces quelques années une bonne ambiance de travail, mais aussi la persévérance d’arriver à bout. Mes remerciements vont aussi à l’endroit de Maximilien, de Nadia et du professeur Nangbè, pour leurs commentaires constructifs. xx

Ces remerciements seraient incomplets si je ne prenais la peine de dire un tout aussi sincère merci à ceux qui directement ou indirectement, ont essayé de freiner mes élans ou de me dissuader d’aller au bout. Inutile de les nommer, ils se reconnaitront : vous m’aviez à chaque fois apporté un sursaut supplémentaire; soyez-en tous remerciés.

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Introduction

Les parcours de vie, les parcours d’entrée en vie adulte, les trajectoires sociales, les transitions de la vie, ainsi que la régulation sociale sont au cœur de cette thèse de Doctorat. À tort ou à raison, on pense souvent que l'éducation de base en Afrique qui, naguère, était l'apanage du cercle familial, est aujourd’hui réduite à une portion congrue, que la jeunesse a perdu ses repères et s’en remet aux archétypes que lui inculquent les changements sociodémographiques, la crise économique et la mondialisation, que l’étau se resserre sur le tissu social africain qui se désintègre progressivement. À tort ou à raison, on pense qu’en Afrique, les solidarités traditionnelles, les valeurs et les normes communautaires disparaissent faute de transmission intergénérationnelle, cédant la place aux individualismes, aux solitudes suicidaires, que la précarité de la vie, la pauvreté extrême, assommante et humiliante, plonge les populations dans la peur et dans l’inertie totale. À tort ou à raison, on pense que les sociétés africaines sont clouées au sol, enfermées dans le « vendredisme1 » (Kabou, 1991, pp. 53-54) et incapables de se mettre ensemble, de s’organiser dans un mouvement collectif pour rechercher ensemble les chemins possibles d’une solution2.

C’est ce modèle d’ « hyper-individualisation3» que j’ai voulu confronter à la réalité empirique en revisitant le déroulement d’une partie de la vie de gens « ordinaires » dans la ville de Cotonou (Bénin). Des gens qui ont bien voulu se confier à moi parfois comme à un confident, parfois comme à un psychologue ou encore comme à un vieil ami ou un proche parent. Ces gens-là ont des vies qui ne sont triviales qu'en apparence. Chacune d’elles

1 Il s’agit d’un terme utilisé par Axelle Kabou dans son ouvrage intitulé : Et si l’Afrique refusait le développement?, pour symboliser le propre d’une conscience humiliée, inapte à s’affirmer avec dignité et dans les faits, et usant de subterfuges divers pour transformer la honte, la lâcheté, la médiocrité et la paresse en objets d’admiration. 2 Pour plus de détails sur cette perspective, lire Traoré, 1999 ; Kange Fabien, 2000 ; Kabou, 1991, et Tientcheu, 2004. 3 En parcourant la littérature nous avions identifié trois principaux modèles d’analyse des relations entre l’individu, la famille et la société : Le modèle communautaire, celui de l’individualisme communautaire et celui d’hyper-individualisation qui selon certaines analyses seraient adaptés à la réalité contemporaine en Afrique. Nous reviendrons en détails sur ces trois modèles théoriques. 1 participe à la reproduction et à la production de la société. Au sein de chaque famille, se prend sans cesse une impressionnante série de décisions, s'opèrent de nombreux choix qui contribuent non seulement à reconduire l'ordre social, mais aussi parfois à le transformer. Chacune de ces vies recèle un amas de renseignements si on décide de la regarder avec un regard impartial et nouveau, d’où leur intérêt pour l’apprenti scientifique.

L’histoire de l'intérêt scientifique pour la problématique de la jeunesse et de l’entrée en âge adulte remonte aux années d’avant la seconde guerre mondiale avec les recherches sur les « jeunes adultes » de plus en plus confrontés à des difficultés de la conjoncture sociopolitique et démographique aux États-Unis (Mead, 1939; Linton, 1940; Davis, 1940; Parsons, 1942; Merton, 1944). Depuis cette période, les recherches sur le devenir adulte se sont multipliées dans diverses disciplines et les approches théoriques et méthodologiques ont beaucoup évolué.

En Afrique, si la jeunesse comme étape de la vie a émergé dans la période d’après indépendance sous l’influence de changements sociaux profonds (Bledsoe et Cohen, 1993), il faut attendre la fin des années 70 pour assister à une large reconnaissance des jeunes comme groupe social distinct méritant l’attention des chercheurs et des politiques, du fait de la crise multidimensionnelle : crise financière, crise économique, crise politique (Assogba 2011; Calvès et al, 2006, Mongo Dzon, 2009).

Le sujet n’est donc pas inédit et la problématique se déploie dans un champ de recherche qui est loin d’être vierge. Cet état de choses introduit un élément de difficulté supplémentaire eu égard aux exigences d’originalité et d’apport au processus de construction du savoir, auxquelles est soumise une thèse de doctorat. Il y a donc un besoin d’être judicieux et innovant dans le choix des objectifs, des outils et des méthodes.

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La présente recherche s’interroge sur les perpétuations et les ruptures de parcours d’entrée en vie adulte et des logiques sociales sous-jacentes dans la ville de Cotonou. Notre objectif est de réaliser une analyse comparative de l’entrée en vie adulte de deux « générations » de Cotonois (Bénin), marquées par des contextes socio-économiques fort différents : les aînés (50-67 ans, nés entre 1945 et 1960, inscrits dans le contexte du paternalisme étatique pourvoyeur d’emplois) et les jeunes (22-37 ans, nés entre 1975 et 1990, inscrits dans le contexte de la crise économique et du renouveau démocratique). Ce faisant, le travail souhaite apporter aussi une contribution méthodologique sur le sujet, car comme le soulignent certains auteurs, la pertinence des jalons utilisés dans l’analyse de l’entrée en vie adulte doit être réévaluée à la lumière du nombre croissant de jeunes citadins africains vivant dans un état transitoire flou entre « l’enfance et l‘âge adulte » (Calvès et al, 2006, pp. 138-143).

Nous appréhendons l’objet de recherche à travers une approche focalisée sur les réalités et les perceptions des acteurs sociaux (microsociologique), sans faire abstraction des contraintes macrosociologiques ou structurelles qui déterminent dans une certaine mesure les comportements individuels, de même que les interrelations dynamiques entre les individus et leurs « entourages » (Bonvalet et Lelièvre, 1995).

En résumé, cette recherche aborde la question de la dynamique générationnelle des parcours d’entrée en vie adulte à un niveau méso sociologique, par le biais d’une approche globalement qualitative et semi-inductive, faisant appel aux récits d’acteurs et d’actrices individuels de la vie sociale dans un milieu urbain typiquement africain : la ville de Cotonou.

Située sur le Golfe du Bénin entre 6°21' de latitude nord et 2°26' de longitude Est, Cotonou, ancienne plate-forme coloniale est bâtie sur le rivage du Golfe du Bénin entre l'océan Atlantique au Sud et le lac Nokoué au Nord. Avec une superficie de 79 km², cette ville qui constitue à elle seule le département du littoral, comptait en 2013, une population de 3

678874 habitants (Rapport provisoire RGPH 4). Le taux d’urbanisation de Cotonou est passé de 36% en 1992 à 40,4 % en 2002 (INSAE, RGPH3, 2002). Cette urbanisation se réalise non seulement par l’extension et la densification de la trame urbaine, mais aussi par l’occupation progressive de sa périphérie. De ce fait, Cotonou, qui est aussi le plus important pôle économique et politique du Bénin, connaît progressivement une co- urbanisation avec les localités périurbaines telles que, Abomey-Calavi (encore appelé cité- dortoir de Cotonou), Ouidah et Sèmè-Kpodji.

Cette thèse est composée de trois grandes parties. La première partie aborde le changement social comme facteur d’influence du lien social, de la socialisation et des parcours de vie en Afrique, puis expose la problématique de la dynamique des parcours d’entrée en âge adulte. La deuxième partie présente la perspective théorique de la recherche et propose un cadre opératoire et méthodologique. Enfin, la troisième et dernière partie est dédiée à la présentation et à la discussion des principaux résultats de nos investigations.

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Quand le rythme du tambour change, la cadence du danseur change aussi

Proverbe béninois (fon)

Partie 1 : Éléments de problématique

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Chapitre 1 : Lien social et socialisation en Afrique de l’Ouest

La notion de lien social est intimement liée au besoin historique des humains de vivre ensemble et de faire société. La « chose » comme l’appelle Pierre Bouvier (2005) existe donc bien avant le mot et bien avant l’avènement de la discipline sociologique. La notion de lien social a été développée entre le XVIIe et le XVIIIe siècle avec des penseurs comme Hobbes, Locke et Rousseau, lorsque vivre ensemble est devenu un sujet d’interrogation, de réflexion et de recherche. Le concept fût ravivé au XIXe siècle où se mêlent deux révolutions sans précédent (révolution industrielle et révolution démocratique). À l’époque, les pères fondateurs de la sociologie (Durkheïm, Weber, Simmel, etc.) s’intéressaient à l’analyse des conséquences sociales du passage de la société traditionnelle à la société industrielle. La notion de lien social demeure d’actualité à cause des débats qui accompagnent le passage de la société industrielle à la société post-industrielle (Bell. 1967, Cohen, 2006).

S’interroger sur le lien social revient à se demander comment les individus tiennent ensemble pour former la société, c’est-à-dire comment ils arrivent à constituer un ensemble organisé, cohérent et non un ensemble d’individus juxtaposés sans aucun lien.

Au fur et à mesure que l’on a eu recourt à la notion de « lien » pour caractériser la problématique du « vivre ensemble », il s’est développé une ambiguïté autour même de cette notion et de la compréhension des éléments qui entrent en relation (Pédro et Delage, 2003). Cela justifie d’ailleurs le fait que le lien social reste une problématique centrale de la sociologie4 (Aquatias, 1997, Nisbet, 1970).

4 Au sein de l’abondante littérature sur le lien social, on peut citer sans prétendre à l’exhaustivité : Bouvier, 2005 ; Farrugia, 1993 ; Juffé, 1995 ; Bajoit, 1992 ; Cyrulnik, 1989 ; Bercellona, 1993. 7

Il existe plusieurs façons de concevoir le lien social. On peut retenir avec Cusset (1997) que le lien social est

…l'ensemble des relations que l'on entretient avec sa famille, ses amis, ses voisins (...) jusqu'aux mécanismes collectifs de solidarité en passant par les normes, les règles, les valeurs (...) qui nous dotent d'un minimum de sens d'appartenance collective » (Cusset, 1997, p. 5).

Le lien social est donc le « ciment » de la société, ce qui unit chaque individu avec l’ensemble. Trois principaux fondements justifient l’existence du lien social : d’abord un besoin de reconnaissance et de protection (Paugam, 2006), mais aussi un besoin d’intégration sociale. Serge Paugam dira que « l’expression "lien social" est aujourd’hui employée pour désigner tout à la fois, le désir de vivre ensemble, la volonté de relier les individus dispersés et l’ambition d’une cohésion plus profonde de la société dans son ensemble » (Paugam, 2009, p. 4). Le lien social s’apparente donc à ce qui lie l’individu à chacun de ses réseaux de relations et maintient tous les individus en contact plus ou moins intensif avec la société. Ces réseaux prennent une forme concrète à travers la famille, l’école, l’entreprise, les réseaux sociaux sur internet, les groupes d’amis, l’État, et une forme abstraite par le biais du langage, des valeurs et des croyances.

La vie en société nécessite la maîtrise du langage, des codes sociaux, des conventions, des normes. Mais cette maîtrise n’est pas simplement innée et c’est lors du processus de socialisation que l’homme va devenir progressivement un être social, apte à vivre en société.

Dans ce premier chapitre composé de quatre sections, nous proposons un bref aperçu théorique des processus et agents de socialisation avant d’aborder les spécificités du lien social et de la socialisation dans le contexte géographique de notre étude. Par la suite nous présentons les trois principaux schèmes théoriques pour l’analyse des relations entre la

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famille, l’individu et la société et nous finissons par une présentation des facteurs qui justifient les mutations du lien social et de la socialisation en Afrique de l’Ouest.

1.1 Processus et agents de socialisation

La construction du lien social repose sur différents mécanismes d’action qu’on regroupe sous le vocable de « socialisation ». On retrouve généralement trois types de définition de la socialisation.

D’abord, celle qui voit dans la socialisation la façon dont la société intériorise chez l’individu certains facteurs normatifs et culturels afin de le rapprocher le plus possible d’un certain modèle idéal de l’homme. On fait ici référence à Durkheim qui conceptualise la socialisation comme l’éducation méthodique de la jeune génération à travers l’apprentissage d’un ensemble de règles et de normes en vue de perpétuer et de renforcer l’homogénéité de la société (Durkheim, 1989).

Ensuite, celle qui privilégie les thèmes de distanciation, de l’activité des individus, de l’écart entre l’acteur et le système. Cette conception fait référence une différenciation sociale croissante, qui creuse l'écart entre les positions sociales et les motivations individuelles. Mead (1963), parle alors d'individuation pour désigner ce processus de différenciation par lequel l'acteur apprend à se regarder avec les yeux des autres. On peut retenir ici la définition de Dubet et Martuccelli (1996) qui considèrent la socialisation comme « le double mouvement par lequel une société se dote d’acteurs capables d’assurer son intégration, et d’individus, de sujets, susceptibles de produire une action autonome » (Dubet et Martucelli, 1996, p. 511).

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Enfin, un troisième type de définition plus générale comme celle de Guy Rocher (1970), qui définit la socialisation comme « le processus par lequel la personne humaine apprend et intériorise au cours de sa vie les éléments socioculturels de son milieu, les intègre à la structure de sa personnalité sous l’influence d’expériences et d’agents sociaux significatifs et par là, s’adapte à l’environnement social où elle doit vivre » (Rocher, 1970, p. 132).

En considérant cette dernière définition, il appert que deux mécanismes importants sont au cœur du processus d’apprentissage des normes et des valeurs par l’individu qui au fur et à mesure du temps, est appelé a joué un rôle social (comportement ou ensemble de comportements) en raison du statut qu’il occupe : d’abord, l’inculcation qui est la transmission volontaire et méthodique des valeurs et des normes par les agents de socialisation (famille, société, États, école, Etc.) et ensuite, l’imprégnation qui renvoie à l’intériorisation de la culture d’un groupe par un individu qui adopte ainsi le mode de vie de ce groupe.

On distingue généralement deux catégories d’agents ou instances de socialisation : les agents primaires et les agents secondaires. Il semble cependant que la socialisation ne se déroule presque jamais de façon linéaire. C'est-à-dire que la socialisation primaire ne disparait pas pour laisser place à la socialisation secondaire. Selon certains auteurs, les différentes instances de socialisation, qu’elles soient primaires ou secondaires, peuvent agir à n’importe quel moment du parcours de vie de l’individu avec des effets différentiels sur la reproduction sociale (Mead, 1963; Tournier, 2010; Lacourse, 2004; Bajoit 1995; Lahire, 2001; Dubar 1991).

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1.1.1. Les instances de socialisation primaire

Elles sont dites de socialisation primaire car leurs actions de socialisation sont souvent explicites, interviennent dès la petite enfance et peuvent perdurer dans le temps. L’idée de la socialisation primaire s’inspire de la théorie des groupes primaires développée par le sociologue américain Charles Cooley. Les groupes primaires sont « les groupes qui se caractérisent par des relations de coopération et d’association de face à face, marqués par la familiarité » (Cooley, 1963 [1909], p. 23). Ces groupes sont qualifiés de primaires non pas à cause de leur taille, mais parce qu’ils jouent un rôle fondamental dans la formation de l’identité sociale des individus et des relations sociales plus complexes qui se développent à partir d’eux. Ils reposent sur le lien de type communautaire construit sur les sentiments affectif et émotionnel.

D’où tenons-nous nos notions d’amour, de liberté, de , etc. que nous appliquons aux institutions sociales? De philosophies abstraites? Non. Bien davantage, à l’évidence de la vie affective, que nous menons dans ces formes de sociétés élémentaires et largement répandues, dans la famille et les groupes de jeux (Cooley, 1963 [1909], p. 32).

La socialisation primaire met en place les structures mentales qui font de l’individu un être apte à s’intégrer dans la société. La famille, les groupes de pairs, l’école ou encore la communauté locale tiennent une place importante dans cette socialisation primaire.

1.1.1.1 La famille

La famille est une instance primordiale de socialisation. Elle est chronologiquement l’instance où l’enfant développe ses premiers liens (lien affectif avec les parents). La famille transmet à l’individu dès son plus jeune âge, le langage, les dispositions et les codes sociaux les plus élémentaires (apprentissage de la « bonne tenue » à table par exemple), mais aussi les valeurs et les normes qui l'aideront ensuite à développer ses relations sociales

11 et à se repérer dans le monde social. Toutes les familles ne socialisent pas de la même manière. On observe par exemple une socialisation différentielle selon le milieu social. En se référant à la notion d’habitus développée par Pierre Bourdieu (1987), on découvre que les parents de milieu ouvrier en France seraient plus autoritaires et exerceraient un contrôle direct des faits et gestes assorti de sanctions physiques dans le but de parvenir à une satisfaction immédiate. En revanche, les parents des catégories supérieures accepteraient de négocier leurs décisions en mettant l’accent sur l’intériorisation des normes et la maîtrise de soi (Bourdieu, 1987). La socialisation familiale est un processus qui se poursuit même à l’âge adulte.

1.1.1.2 L’école

La théorisation du rôle de l’école dans la socialisation a été l’œuvre de certains penseurs dont notamment Émile Durkheim. Pour lui, l’école a une importance primordiale dans la formation morale. Face à la diversité culturelle et familiale, seule l’école est capable d’offrir un lieu de socialisation commun aux enfants et d’éduquer les futurs citoyens en transmettant des valeurs communes. Il s’agit donc pour l’école d’unifier la société autour de valeurs générales comme le respect de la patrie, de la raison et de la discipline (Durkheim, 1970 [1898], 1989). Ce rôle est d’autant plus important que, selon lui, les individus sont asociaux et des principes forts doivent atténuer l’individualisme. L’école doit aussi préparer les individus aux différents emplois. L’école a subi de profondes mutations depuis le XIXe siècle dans tous les contextes et l’on en arrive même à interroger sa capacité à jouer un rôle dans la socialisation et à assurer l’égalité des chances (Hohl et all., 2000). Il reste qu’aujourd’hui encore l’école se voit toujours assigner des objectifs multiples au nombre desquels l’éducation citoyenne, la prévoyance des incivilités et des comportements violents et déviants, l’intégration culturelle des individus puis l’insertion des individus dans la division sociale et technique du travail.

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1.1.1.3 Les groupes de pairs

En dehors de la famille et de l’école, les groupes de pairs peuvent aussi agir comme agent de socialisation en offrant à l’individu la possibilité de lien de participation élective. Ces groupes de pairs peuvent être de simples prolongements de la famille dans le cadre de communauté locale ou de famille élargie, mais il peut aussi s’agir de groupes qui adoptent souvent des valeurs et des normes innovantes par rapport à celles en vigueur dans la famille ou la communauté d’origine.

1.1.2 Les instances de socialisation secondaire

Alors que la socialisation primaire ne peut prendre place sans une identification émotionnellement chargée de l'enfant à ses autres significatifs, la socialisation secondaire, elle, peut le plus souvent se dispenser de ce type d'identification et s'effectuer avec la simple identification mutuelle qui s'intègre dans toute communication entre êtres humains. Ainsi, il est nécessaire d'aimer sa mère, mais pas son professeur (Berger et Luckmann, 1966, p. 193)

Comme l’indique leur appellation, les instances de socialisation secondaire interviennent généralement plus tardivement dans la vie de l’individu. La socialisation secondaire est le processus qui permet aux individus de s’intégrer à des milieux sociaux particuliers et représente une étape supplémentaire dans la construction des identités à travers l’apprentissage de nouveaux rôles. Certaines étapes du cycle de vie sont à l’origine de ruptures et de transitions majeures dans la socialisation secondaire (mariage, naissance d’un enfant, entrée sur le marché du travail, adhésion à une association, deuil, retraite). Les principales instances de socialisation secondaire sont : le travail, la religion, les médias.

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1.1.2.1 Le travail

Le travail est devenu progressivement un agent de socialisation au terme d’une évolution qui a vu cette instance de socialisation s’inscrire dans la norme de la société contemporaine comme une valeur centrale (Weber, 1893 [1967]). Compte tenu de la séparation entre espaces familial et professionnel, de la division du travail et du salariat, l’entreprise est devenue un facteur d’identité professionnelle et d’appartenance sociale. Selon Durkheim, « la division du travail a créé un lien social d’un type nouveau, non plus de solidarité mécanique, mais de solidarité organique » (Weber, 1893 [1967], pp. 113-114). Le travail est un lieu où se forgent les identités sociales fondées sur l'appartenance à un groupe socioprofessionnel voire à une communauté de travail (lien organique, intégration) à travers les relations avec la hiérarchie, les autres collègues et le syndicat. En plus d'être la source des revenus primaires déterminant le niveau de vie et l'accès à la sphère de la consommation marchande, le travail donne accès aux droits sociaux (assurance chômage, maladie, vieillesse) protégeant l'individu des aléas de la vie. Selon le type d’entreprise (milieu de travail), le travailleur va même se distinguer d’autres personnes qui exercent un métier différent (différenciation) et acquérir des valeurs et attitudes spécifiques (Bernoux, 1981).

1.1.2.2 La religion

La théorisation de la religion comme instance de socialisation s’inscrit dans une longue de la pensée occidentale qui prend racine chez Hegel en passant par Weber jusqu’à Blumenberg. La religion socialise l’individu, car elle suscite des réseaux et des regroupements particuliers, tout en définissant un univers mental à travers lequel des individus et des collectivités expriment et vivent une certaine conception de l’homme et du monde (Willaime, 2003, p. 261). La société contemporaine, notamment celle occidentale, se caractérise selon certains auteurs par « la sortie de la religion » et l’extinction du rôle socialisateur de la religion (Willaime, op cit, p. 248). Mais comme le dit Jean-Claude Monod, il faut bien distinguer sécularisation et « sortie de la religion » (Monod, 2002, p. 7)

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et ceci d’autant que certains principes religieux ont été progressivement intégrés aux normes et valeurs véhiculées par d’autres instances de socialisation comme la famille, l’école, le droit, etc.

1.1.2.3 Les médias

Le rôle socialisateur des médias est souvent controversé, car les médias ont parfois été considérés comme un facteur perturbateur du processus de socialisation (Lazarsfeld et al. 1944). Cette controverse des médias est souvent reliée à plusieurs facteurs dont ils seraient responsables et au nombre desquels l’affaiblissement de la morale, la diminution du temps passé au travail ou à des occupations plus importantes, l’impact négatif sur la vie familiale ou de groupe et l’augmentation de la violence (Lazar, 1991). Les types de médias considérés comme sources de socialisation malgré la controverse sont d’une part les médias audio visuels (télévision, radio, cinéma, etc.) et de l’autre l’internet et ses réseaux sociaux. Les médias audiovisuels remplissent une fonction de socialisation dans la mesure où ils permettent une familiarisation de l’individu aux objets et aux comportements d’un monde qui lui était inconnu. En ce qui concerne l’internet et les réseaux sociaux, la théorie de « la force des liens faibles » énoncée par Mark Granovetter en 1973 et résumée dans l’ouvrage intitulé « Le Point de Bascule » (The Tipping Point) de Malcom Gladwell (2003), fournit une bonne explication du rôle socialisateur de ces derniers. Selon cette théorie, les liens forts se définissent comme nos relations avec les personnes de notre famille, nos amis, nos collègues et tous ceux que nous voyons régulièrement. Les liens faibles par contre concernent les relations établies de façon occasionnelle avec certaines personnes que nous ne connaissons parfois même pas ou en tout cas pas comme les membres de notre famille ou de notre groupe de pairs. Cependant, les liens faibles nous connectent à des personnes qui peuvent nous transmettre leur vision du monde, nous informer sur des opportunités que nous n’aurions pu déceler sans elles ou alors être pour nous une source de reconnaissance et d’affirmation de soi.

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Après cet aperçu général sur le lien social et la socialisation, nous présentons dans la section suivante, les spécificités du lien social et de la socialisation dans le contexte géographique de notre étude.

Lorsqu’on aborde un sujet de recherche touchant le cœur de la vie sociale ou plutôt le « ciment de la société » et qui plus est, sur un territoire francophone ouest-africain, il y a lieu de commencer par documenter les spécificités du lien social, pour déblayer le terrain et inscrire l’ensemble de l’argumentation dans le courant spécifique du terrain de recherche. Les valeurs qui fondent le lien social relèvent généralement de l'imaginaire social et n’existent pas à l’état « pur » dans une société. Elles sont en réalité enfouies dans le psychisme des individus comme une donnée traduite en habitus par l'éducation et l'histoire, et perceptibles en dernier ressort à travers les actes, les comportements, les parcours et les manifestations sociaux. De ce fait, l’appréhension de cette « réalité idéelle » (Leblanc, 1994, p. 416) dans un contexte donné, relève d'une interrogation sociologique de ses manifestations sociales au sens de Bourdieu (1993). Notre réflexion théorique sur le lien social en Afrique de l’Ouest francophone s'inscrit dans cette perspective.

1.2 Les fondements essentiels du lien social en Afrique de l’Ouest

Aborder la question du lien social en Afrique de l’Ouest, c'est aborder la problématique de la centralité et de l’intensité du lien de filiation tant dans la protection sociale de l’individu que dans sa quête de reconnaissance et d’intégration sociale. Selon Farrugia, « le lien social est constitué d'une agrégation de valeurs (affectives, éthiques, religieuses, politiques et économiques) distinctes, intégrées ou dissociées, centripètes et centrifuges (Farrugia, 1997, p. 30). Les valeurs constitutives du lien social en Afrique sont celles qui, dans la conscience et l'imaginaire collectif, ont du sens pour les individus, quant à la cogestion de ce qu'ils

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estiment être un bien commun : la société (Akindes, 2003, p. 8). En parcourant la littérature, il appert que la notion de lien social en Afrique de l’Ouest fait référence à quatre facteurs essentiels répertoriés par Aminata Ndiaye (2010) : la notion de personne, la parenté et la famille, la notion de hiérarchie, d’autorité et de pouvoir ainsi que la dialectique entre dépendance et solidarité. À ces quatre facteurs fondateurs du lien social en Afrique, nous ajoutons le sens particulier du don, du devoir et de la honte, théorisé par des auteurs comme Roth (1997, 2010), Bawin-Legros (1996), Marie et al. (1997), Jacques Godbout (2000) et Alain Caillé (1996, 1994).

1.2.1 Notion de personne

C'est le « groupe de Dakar » qui, sous la direction de Henri Collomb5, a mené les recherches les plus intéressantes et les plus approfondies sur la personnalité africaine. Il oppose la « personnalité isolationniste et granulaire occidentale », faite surtout de la personne, à la « personnalité diffuse et diffusée » dans l'indivision de soi et d'autrui, faite surtout de personnages, qui caractérise l'Africain (Collomb, 1965, p. 41). Cette distinction s’illustre à travers la rareté des idées d'auto-accusation, d'indignité personnelle et de culpabilité, ainsi que la fréquence des accusations portées par le groupe ou l’individu (un malade ou un individu ayant connu un échec par exemple) contre certains membres de la famille ou de l'entourage, accusés d'être à l'origine des maux de la personne (Corin, 1965, p. 137). Si le ciment qui lie l’individu à son groupe permet d’amortir les chocs et les risques de la vie quotidienne, il est également par le biais du refus de l’auto-accusation, un bon prétexte pour détourner la responsabilité individuelle, puisque comme on le dit souvent en Afrique : « c’est mon destin », « c'est mon créateur qui l'a voulu ainsi », ou « c’est écrit comme ça pour moi, ça devait arriver après tout ». La pérennité de ce système de valeurs et de normes est fonction des formes de socialité et de socialisation à l’œuvre. Toute l'éducation de l'enfant est tournée vers son intégration à différents niveaux de socialisation

5 Longtemps en poste à Dakar, il est l'un des fondateurs d'une approche alors nouvelle de la psychiatrie consistant à prendre en compte les facteurs liés à la culture des patients et s'inscrivant en opposition avec la psychiatrie coloniale qui marquait son époque. C’est en 1958 qu’il arrive à Dakar où il est le premier titulaire de la chaire de neuropsychiatrie de la faculté de médecine. Il s'installe au nouveau Centre hospitalier de Fann, et va progressivement créer ce qui deviendra l'École de Dakar, le groupe de Dakar ou « École de Fann ». 17 et plus tard dans sa vie, les codes structurant la communauté continuent d'exercer un tel impact sur lui, qu'il lui est difficile de voir l’individuation comme une valeur. Mungala (1982), dira que l’éducation traditionnelle en Afrique est essentiellement collective, fonctionnelle, pragmatique, orale, continue, mystique, homogène, polyvalente et intégrationniste (Mungala, 1982, p. 1).

La socialisation africaine, qui laisse peu ou pas de place à l'individualisme, et érige en donnés les valeurs et pratiques sociales, constitue, par son caractère coercitif et naturalisant du social, le mécanisme d'impression par excellence des valeurs identitaires, à la base des liens sociaux intégrateurs, dans le psychisme individuel et collectif (Akindès, 2003, p. 14).

Henri Collomb, dans son analyse des rituels marquant les différentes étapes de la vie de la personne au Sénégal, relève que ces rites qui jalonnent la vie de l'individu de sa naissance à sa mort, suivant un schéma linéaire et progressif, attestent du désir du groupe de détruire le désir individuel de la personne (Collomb 1978, 1980). « Le culte des ancêtres est le fondement de la solidarité et de la soumission à l'autorité … les défunts sont en même temps à l'origine des lois et des coutumes et continuent de s'occuper des affaires de leurs descendants » (Erny, 1968, p. 85).

Cela ne signifie pas que la notion d'individualité est totalement absente dans les sociétés africaines. Cette notion n’est cependant pas considérée comme une valeur et reste confinée à une reconnaissance dans le quotidien, de l'individualité des personnes dans leur unité physique et psychique, reconnaissance d'ailleurs sous condition et sous contrôle (Ndiaye, 2010, p. 21). Lorsqu'on demande à un Africain, qui il est, il se situe dans un lignage et marque sa place dans un arbre généalogique (Bastide, 1971, p. 37). La personne est donc définie par un statut, lui-même défini par l'ordre social, considéré comme extérieur, antérieur et supérieur à l'individu. Ce statut concerne un personnage, un rôle, une position et non un individu, puisqu’il est appelé à changer dans le temps (Ndiaye, 2010, p. 21). On

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peut donc retenir que dans le contexte géographique de notre étude, la notion de personne est traditionnellement définie par celles de statut et de rôle.

1.2.2 Famille et parenté

En Afrique de l’Ouest, le système de la famille étendue est le plus fréquent, dans les conditions de l’habitat traditionnel, et le repli de la famille élémentaire n’est pas encouragé par les usages anciens (Binet, 1979). Les finalités essentielles de l’individu en terme d’intégration sociale, de reconnaissance et de protection sociale sont donc presque entièrement assurées par le réseau familial (lien filial). Ce lien de filiation n’est pas ici considéré comme un simple lien de sang, mais comme une relation intégrant le lien communautaire élargi au lieu (village, voisinage, communauté locale) et à l’esprit (culture, croyance aux mythes, religion, conscience d’un ancêtre commun). Les droits et obligations auxquels sont soumis les membres d'une même famille découlent alors de la croyance aux mêmes cultes, aux mêmes mythes et aux mêmes règles sociales (Ndiaye, 2010 ; Akindès, 2003). Dans les faits, c’est la notion de génération qui structure les différentes formes de la parenté ainsi que les relations familiales (Ezembé, 2008). On appellera ainsi « Papa » toutes les personnes de même génération que le père, « Maman » toutes celles de la même génération que la mère, et frère ou sœur ceux qui sont de la même génération que les frères et sœurs. Dès sa conception, l'enfant appartient au groupe familial et les parents biologiques n’ont pas un droit exclusif sur lui, car les membres de la famille élargie sont autorisés à donner leur point de vue sur la conduite des enfants. Les liens s’établissent de groupe en groupe et non d’individu à individu et à l’intérieur du groupe on retrouve la famille conjugale. Par exemple le mariage en Afrique n’est pas une simple alliance entre une femme et un homme, mais « il ratifiait plutôt l’alliance entre deux lignages et parfois entre deux familles, lesquels décidaient alors du choix des conjoints » (Pilon et Vignikin, 2006, p. 73).

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1.2.3 Notion de hiérarchie, d’autorité et de pouvoir

C’est la forme d’organisation pyramidale de la famille africaine qui justifie la valeur centrale accordée à la hiérarchie, à l’autorité et au pouvoir. Le pouvoir appartient aux aînés par une variété de facteurs entremêlant, l’âge, le sexe, le degré d’instruction mystique et religieuse, le degré de puissance en sorcellerie, le nombre d’épouses, l’importance numérique des dépendants et l’étendue des terres. L’organisation pyramidale de la famille se caractérise par cinq (5) niveaux hiérarchiques respectivement du haut vers le bas: le chef de famille (l’aîné), ses frères adultes mariés (chefs de ménages), les épouses âgées des chefs de ménage, les jeunes hommes non mariés, puis les jeunes filles et les enfants (Ndiaye, 2010, p. 23). Au fur et à mesure qu’on monte vers le sommet de la pyramide, le niveau d’autorité et de pouvoir se concentre créant un clivage (dépendance) légitime entre cadet et aîné, entre aîné et adulte, entre hommes et femmes. À travers les rites, les jeunes sont initiés à l’entrée de chaque palier, ce qui consolide le respect de la hiérarchie et l’obligation de se plier à l’autorité de tous ceux qui ont connu des rythmes de niveau plus élevé afin de mériter une place dans le lignage et de continuer à bénéficier de la protection et de la reconnaissance de la communauté (Mungala, 1982, p. 4). Cependant, le déploiement de la hiérarchie, de l’autorité et du pouvoir reste au service de la communauté familiale pour assurer la solidarité.

1.2.4 Dialectique dépendance – solidarité

La dialectique entre dépendance et solidarité se fonde sur l’idée d’une société traditionnellement agricole qui fonctionne sur le système d'avance et de restitutions comme il ressort de l'analyse de Claude Meillassoux (1975). La dépendance prend corps dans la hiérarchisation et la concentration des pouvoirs aux mains des aînés alors que la solidarité s’impose comme obligation aux aînés de maintenir la cohésion sociale et de pourvoir aux besoins de tous les membres de la famille. Dans la mesure où toute la production est concentrée entre les mains des aînés, ce communautarisme est quasiment de l'ordre d'une contrainte douce, puisque l'individu ne peut qu'adhérer au groupe; il s’agit d’une contrainte

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vécue non pas comme un fardeau, mais comme une évidence (Ndiaye, 2010, p. 25). Les aînés sont tenus de garantir les besoins du groupe par la redistribution des ressources afin de protéger l’honneur de la famille, d’éviter la colère des ancêtres et de perpétuer les solidarités familiales. En effet, la famille africaine n'est pas composée uniquement des vivants, elle s'étend aux aïeux et aux ancêtres (Mungala, 1982, p. 2) : il s’établit là l’idée d’une hiérarchie longue qui consolide le devoir de reconnaissance de l’individu envers les ancêtres à travers des cérémonies, mais aussi à travers les efforts déployés pour garantir la satisfaction des besoins de tous les membres du réseau familial afin d’éviter la honte et la punition. Dans ce cycle de dépendance-solidarité, les générations descendantes sont tributaires des générations ascendantes qui leur ont donné la vie, les ont nourries et leur ont légué la terre et les autres ressources productives. Ce flux ou plutôt ce « contrat intergénérationnel » (Antoine, 2007 ; Marie, 1997 ; Roth 2005, 2007, 2008) est reproduit socialement à travers les générations grâce au sens particulier que l’on accorde aux notions de don, de devoir et de honte.

1.2.5 Un sens particulier du don, du devoir et de la honte

Compte tenu du contexte communautaire des sociétés ouest-africaines, le don n’y est pas perçu comme un acte altruiste, mais comme une « dette sociale ». Cette dette, à la différence de la dette économique, n’admet pas de réciprocité identique et immédiate (Godbout et Caillé, 1992, pp. 104-105).

Ceux qui ont une meilleure récolte aident ceux qui ont souffert des aléas de la production. Ainsi, cette dette, en liant les générations et les membres de la communauté, crée les conditions même du lien social. On peut même aller jusqu'à dire que cette dette peut représenter le lien social lui-même (Ndiaye, 2010, p. 25).

En clair le système du don ou de la dette n’est en général jamais en équilibre dans la famille ouest-africaine, car l’équilibre suppose la fin de la dette et la sortie du lien de filiation. Il s’agit d’une dette qui admet une réciprocité diffuse et différée : on n’est pas tenu de payer exactement ce qu’on a reçu, ou de rembourser tout à la fois, de rembourser avant d’en 21 recevoir encore ou de rembourser seulement celui chez qui on a reçu directement. Comment en effet, rendre à ses parents le don de la vie ou à ses aïeux la conquête des terres du patrimoine? Plusieurs pratiques sociales témoignent de cette particularité du don, par exemple l’importance accordée à la procréation, le système de solidarité sociale, la pratique du Zindo au Bénin6, etc. La réciprocité qui est à l’œuvre ici n’est pas simplement une réciprocité en chaîne au sens de Bawin-Legros (1996), mais une réciprocité à la fois en chaîne et en boucle. De ce fait, la boucle n’est jamais fermée. Comme le dit Vuarin, ce système de dette répond « à la double injonction du devoir et de la honte, valeurs polaires d’un code d’honneur social » (Vuarin, 2000, 149). La conviction que les parents se sont sacrifiés pour nous en nous donnant la vie, en nous élevant, en nous donnant une situation socio-économique et en nous léguant les moyens de production, laisse en nous le besoin et le devoir d’affection et de soutien à leur égard, à l’égard de la descendance et de l’ensemble du cercle familial élargi. Entendu de cette façon, le sens phénoménologique fondamental que l’on donne à l’obligation de perpétuer le cycle de la dette devient même plus important que ce qui circule entre les individus. Comme l’affirme Vuarin (2000), « rien n’est pire que de voir les autres “gâter son nom” et pour un noble, “sa ka fisa ni malo ye” : “ la mort est préférable à la honte” » (Vuarin, 2000, p. 144).

Cette relecture des fondements du lien social en Afrique de l’Ouest, laisse apparaître une place prépondérante ou quasi exclusive de la famille élargie dans le lien social et la socialisation. Sur le plan théorique, cette manière d’appréhender les relations entre la famille, l’individu et la société s’inscrit dans le modèle communautaire enraciné dans un contexte d’absence de politiques publiques redistributives (retraite, assurance sociale).

6 Soirée de collecte de fonds organisé dans le but d’aider financièrement un individu qui a perdu un parent afin qu’il puisse organiser les cérémonies d’enterrement. Cet individu mémorise ou tient un cahier pour y inscrire les noms de ces donateurs. C’est à ceux-là ou aux familles de ces derniers seulement qu’il donnera ou que ces enfants donneront lorsqu’un décès surviendra dans une des familles concernées. Indépendamment donc des individus, la dette circule entre les familles et chaque nouveau Zindo est une occasion pour payer, mais en même temps pour endetter.

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Or, les transformations qui s’opèrent en Afrique notamment sur le plan social, économique et démographique depuis les trente dernières années amènent à penser que les relations entre la famille, l’individu et la société dans le contexte ouest-africain, doivent désormais être analysées à la lumière d’un modèle différent du modèle communautaire. L’analyse documentaire nous permet de repérer deux autres modèles théoriques permettant d’analyser les relations entre la famille, l’individu et la société.

Nous reviendrons dans la section 1.4 sur les transformations économique, démographique et politique en cours en Afrique de l’Ouest depuis trois décennies. Mais avant, nous faisons dans la section 1.3, une esquisse des trois principaux schèmes théoriques permettant d’analyser les relations entre la famille, l’individu et la société puis nous présentons brièvement les facteurs socio-économiques et démographiques porteurs de changement social en Afrique de l’Ouest.

La présentation des principaux schèmes théoriques pour l’analyse des relations entre individu, famille et société nous permettra de pouvoir inscrire les parcours empiriques des individus dans les modèles de socialisation qui conviennent et de pouvoir identifier les permanences et les ruptures qui s’opèrent dans la manière dont les individus des deux cohortes construisent leurs relations sociales pendant le déroulement de l’entrée en vie adulte.

1.3 Les principaux schèmes théoriques pour l’analyse des relations entre individu, famille et société

Il existe une abondante littérature sur l’analyse des relations entre l’individu, la famille et la société. Nous tentons ici de circonscrire les grandes typologies et les grands cadrages qui permettent l’analyse des rapports entre famille, individu et société. À cet effet, nous abordons les grands débats qui ont traversé la sociologie pour penser les rapports entre la famille, l’individu et la société. Plus précisément, nous présentons succinctement les acquis 23 de la sociologie classique et les pistes ouvertes par la sociologie contemporaine pour mieux comprendre les mécanismes à l’œuvre dans la production de l’homme comme être isolé, en famille, en communauté, en société ou tout à la fois.

Il faut préciser qu’il y a une certaine difficulté dans cette entreprise consistant à dégager les grands schèmes théoriques pour l’analyse des relations entre individu, famille et société, tant la littérature sur le sujet est vaste, tant les mutations sociales sont nombreuses et enchevêtrées.

Pour contourner cette difficulté et par souci de systématisation, nous avions analysé la littérature sur la base de trois dimensions qui sont : a. le ou les types de liens (lien de filiation, lien de participation élective, lien de participation organique, lien civique), b. leur importance (centralité relative des quatre types de lien et intensité absolue d’un type de lien dans les trois types de finalités) et enfin, c. la régulation sociale qui est la finalité du ou des liens (et qui peut être observée en terme de : protection sociale, intégration sociale et satisfaction du besoin de reconnaissance).

L’analyse documentaire effectuée à la lumière de ces trois dimensions, permet d’esquisser les contours et les variantes de trois principaux modèles théoriques pour l’analyse des relations entre individu, famille et société : Le modèle communautaire, le modèle d’individualisation communautaire et celui de l’hyper-individualisation.

1.3.1 Le modèle communautaire

Ce modèle prend racine dans une perspective historique où l’individu naît et grandit dans une famille élargie fonctionnant comme une petite communauté (ou une tribu). La thèse

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familialiste a persisté malgré l’émergence de l’État, de l’école, de l’individualisme, etc. Cette thèse repose sur une prépondérance quasi absolue du lien de filiation tant dans l’intégration, la reconnaissance que dans la protection sociale accordée à l’individu. Autrement dit, dans le modèle communautaire, le lien de filiation a une centralité relative plus forte que les autres types de liens et une intensité absolue dans toutes les dimensions de la finalité du lien social (protection sociale, intégration sociale, besoin de reconnaissance). Le lien de filiation n’est pas ici considéré comme un simple lien de sang, mais comme une relation de filiation intégrant le lien communautaire élargi au lieu (village, voisinage, communauté locale) et à l’esprit (culture, religion, conscience d’un ancêtre commun). Ce modèle est généralement associé aux populations défavorisées (Fortin, 1987), vivant en milieu rural (Daatland et Herlofson, 2003), ou de pays en voie de développement (Luna, et al 1996, Daatland et Herlofson, 2003). On peut distinguer trois variantes de ce modèle.

1.3.1.1 La variante traditionaliste : la famille comme école d’apprentissage de la vie

sociale.

Le traditionalisme, conception chronologiquement la plus ancienne des relations entre l’individu et son entourage, prévalait dans les sociétés traditionnelles et fût redécouvert au XIXe siècle sous l’impulsion de certains auteurs (, Louis de Bonald) défenseurs des droits de l'institution familiale menacée par la Révolution française, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la chute des anciennes classes dirigeantes et l'essor de la bourgeoisie. La famille y est conçue comme une structure à forte intégration, avec sa judicieuse hiérarchie interne et « les fils de la famille vivent paisiblement sous le joug salutaire qui les assujettit » (Maistre de, 1968, p. 34). Cette conception de la famille est encore défendue aujourd'hui par des hommes politiques de droite. Elle subsiste aussi dans les milieux intégristes catholiques et de façon plus diffuse, dans certaines mentalités, par exemple chez ceux qui voient dans l'élargissement de la législation sur le , la mort de la famille (Bréchon, 1976). Pour De Bonald, la famille est une école d’apprentissage de la vie sociale, ce qu’il appelle aussi la « société domestique », définie 25 par l’exercice d’un pouvoir (le père) et d’une sujétion (les enfants), la mère étant « ministre », mettant en œuvre l’activité productive et conservatrice (De Bonald, 1847, pp. 159-160). Ce courant prétend à l’universalité de la famille comme école d’apprentissage de la vie sociale et école de la paix sociale comme le montre le titre de l’ouvrage de Frédéric Le Play, « l’organisation de la famille, selon le vrai modèle signalé par l’histoire de toutes les races et de tous les temps » (Le Play 1989 [1879]). La notion d’amour n’était pas présente dans ce modèle, celle d’autorité y était discrète et l’individu, maintenu dans une altérité totale, mais douce (récompenses et sanctions) par rapport à la famille, bénéficie selon son rôle, son statut et sa position dans la hiérarchie, de l’intégration, de la reconnaissance et de la protection sociale qui conviennent. La seule fin de la famille, selon le modèle traditionaliste, c’est « la production et la conservation des enfants » (De Bonald, 1830, p. 106).

1.3.1.2 La variante autoritariste : le diktat familial

Contrairement au traditionalisme, la variante autoritariste a été conceptualisée à partir d’un courant critique envers la famille et ses liens suspects avec l’État. La théorisation de cette variante est l’œuvre de penseurs comme et Théodor Adorno (1950), de l’école de Francfort. L’originalité de ces derniers est de fusionner Marx, Engels et Freud dans une même théorie dite « critique ». Se démarquant du Marxisme orthodoxe et de la psychanalyse aveugle, les théoriciens de l’école de Francfort ont pu montrer que c’est parce que l’individu a longtemps été totalement assujetti à la famille autoritaire dans une altérité totale, ne connaissant que le lien filial, qu’il a pu intérioriser l’obéissance inconditionnelle au point d’accepter après la famille fortement autoritaire (sanctions), les injonctions de l’État dictatorial et fasciste. En effet, le monde mental dans lequel l’individu a vécu à une certaine époque dans la famille est dominé par l’idée que certains hommes exercent un pouvoir sur d’autres, donc un monde des ordres et un monde de l’obéissance (Horkheimer, 1974, pp. 283-284). Plus tard cette autorité va être substituée par celle de l’État et on parle là de régulation sociale formelle en lieu et place du contrôle social informel exercé par les

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groupes primaires. Selon Wilhelm, la famille patriarcale maintient l’individu dans un lien filial autoritaire privilégié, il « rend l'individu apeuré par la vie et craintif devant l'autorité » (Reich, 1982, p. 125), et réprime les pratiques interdites. Les traditionalistes s'en réjouissent, mais les théoriciens de l’école de Francfort le déplorent.

1.3.1.3 La variante relationnelle : la famille « providence » comme marqueur du retour à la prépondérance du lien de filiation.

La variante relationnelle s’intéresse aux relations entre l’individu et sa communauté restreinte (famille de moins en moins élargie). Elle a été progressivement théorisée pour rendre compte des mutations dans le lien filial qui, tout en restant prépondérant dans le contrôle social de l’ « individu », a connu des transformations pour s’adapter aux changements familiaux. On parle aussi de cette variante pour caractériser la situation des individus, qui, ayant rompu d’autres types de liens et craignant de se retrouver en marginalité sociale, effectuent un retour vers le lien filial pour assouvir leurs finalités sociales. Des auteurs comme Singly, Kaufmann et Commaille parlent à cet effet, de « réarmement familial/communautaire ». Dans ce modèle, l’individu n’est pas moins en relation fortement prépondérante avec la famille ; ce qui change c’est qu’il y a désormais la notion d’« amour ». Un peu comme le disait Khalil Gibran, « Tenez-vous ensemble, mais pas trop non plus : car les piliers du temple s’érigent à distance, et les chênes et les cyprès ne se croissent pas dans l’ombre l’un de l’autre… » (Gibran, 1972, pp. 25-26). La variante relationnelle procède donc à une réconciliation entre amour et institution ; la famille devient pour l’individu une communauté où l’amour prime sur le droit, le statut et la place dans la hiérarchie. Attias-Donfut parle alors de famille providence (Attias-Donfut et al., 1997).

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1.3.2 Le modèle d’hyper-individualisation : effritement du tissu familial, échecs des politiques et valorisation de l’individualisme

Le modèle d’hyper-individualisation voit le jour avec la modernisation et se renforce à l’ère de la post modernité. Ce modèle part du postulat selon lequel, avec les transformations de la société, les instances traditionnelles de socialisation sont mises à mal. On assiste à une extinction des fonctions de la famille, à la désaffection du politique et à la crise de l’école et de l’Église. À partir des années 1970, Ronald Inglehart, coauteur de plusieurs études avec P. Abramson, développe la thèse de la « révolution silencieuse » en lien avec la montée des valeurs « postmatérialistes » dans les générations nées après la guerre (Inglehart, 1993 ; Abramson et Inglehart, 1994). Désormais, l’essor économique semble ne plus aller de concert avec le progrès. Aquatias (1997, p. 2) rapporte que le privé et le public se confondent à nouveau, non plus au sein de la famille, mais au sein de l’individu alors que l’économie et les cultures, les identités et les échanges se disjoignent (Touraine, 1997). L’exclusion, la désaffiliation et la disqualification sociales deviennent des concepts centraux de la sociologie contemporaine (Castel, 1991; Paugam, 1993). La remise en cause de l’intégration par les groupes primaires (familles, voisinage, etc.) et les difficultés des institutions politiques (États, syndicat, etc.) à réduire les inégalités et à satisfaire la protection sociale y participent tout autant. Il semble alors que sociabilités primaires et solidarité nationale deviennent inopérantes (Aquatias, op cit, p. 3). Ce relâchement du contrôle social favorise l'écart aux normes et aux valeurs : c'est le cœur de la théorie de la « désorganisation sociale » par laquelle les premiers sociologues de la tradition de Chicago (William Isaac Thomas, Florian Znaniecki, Robert E. Park, Luis Wirth et George Herbert Mead) expliquent la délinquance urbaine. Le diagnostic porté par ces auteurs sur la société se nourrit de plusieurs arguments: échec du projet étatique, montée de l’individualisme, effritement des relations sociales authentiques, recomposition autour de valeurs hédoniques.

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Devant le manque de force des véritables liens de parenté, on crée des groupes de parenté fictifs. Face à la disparition de l'unité territoriale comme base de la solidarité sociale, on crée des unités d'intérêts. Dans le même temps, la ville en tant que communauté se résout en une série de relations segmentaires ténues, superposées à une base territoriale pourvue d'un centre défini, mais sans périphérie, et à une division du travail qui dépasse de loin le cadre de la localité immédiate et dont la portée est à l'échelle du monde. (Wirth, 1990, pp. 279-280).

L’idée de rupture cumulative des liens sociaux fait donc référence à deux facteurs clés. D’abord, les changements familiaux et sociaux et l’échec des politiques publiques : Frédéric Leplay, à qui l’on doit les premières enquêtes sociologiques sur le fonctionnement des structures familiales, affirmait déjà en 1871 :

Notre plus fatale erreur est de désorganiser par les empiètements de l’État, l’autorité du père de famille, la plus naturelle et la plus féconde des autorités, celle qui conserve le mieux le lien social en réprimant la corruption originelle, en dressant les jeunes générations au respect et à l’obéissance. (Leplay, 1871, p. XVI de l’Avertissement).

Cette erreur, poursuivra-t-il, est celle qui soumet le foyer, l’atelier de travail et les membres de la famille à l’autorité des légistes, des bureaucrates et de leurs agents privilégiés (Leplay, Op. Cit, p. 100).

Ensuite, la montée de l’individualisme par le biais de la division du travail social qui pousse les individus à s’éloigner progressivement de la conscience collective (Durkheim, 1960). L’indifférence et l’apathie sociale des individus vont de pair avec l’exigence croissante d’une responsabilisation de l’individu dans la construction de son propre destin (Elias, 1987). Il y a alors comme une nostalgie de la vie communautaire théorisée par les penseurs

29 de l’école de Chicago qui présentent les citadins modernes comme des « individus isolés et aliénés qui portent seuls tout le poids des transformations de la société » (Wellman et Leighton, 1979, p. 371). Pour désigner le type d’individu contemporain, caractéristique du modèle d’hyper- individualisation, parle « d’individu indiscipliné », alors que, certains auteurs américains comme Lasch ou Sennett parlent de « narcissisme hédoniste ». Le narcissisme hédoniste est l’aboutissement d’un processus global par lequel le système produit à la fois les marchandises, et les individus amateurs et consommateurs de ces marchandises (Lipovtsky, 1983, p. 35). L’individu dont il s’agit ici est « centré sur la réalisation émotionnelle de soi, avide de jeunesse, de plaisir, incité à jouir, obsédé par son corps, sa forme, par une recherche constante d’auto réalisation » (Op. Cit. p. 36). D’autres auteurs comme Pascal Bruckner (2000), dans « l’Euphorie perpétuelle » et Jean Claude Guillebaud (1998) dans « la Tyrannie du plaisir », abondent dans le même sens tandis que Merton emprunte le concept d’« anomie » développé par Durkheim. Pour Pascal Bruckner, « nous sommes la première société dans l’histoire à rendre les gens malheureux de ne pas être heureux », disait Bruckner (2000, p. 33).

Cependant, différents travaux7 soulignent que la famille et la communauté continuent de jouer un rôle important dans divers contextes, même si elle subit plusieurs transformations à travers le temps et les pays. Certains auteurs parlent même de néo-tribalisme (Maffesoli, 1993) et d’autres de néo-communautarisme (Ehrenberg, 1991). On peut alors identifier entre le modèle communautaire et celui d’hyper-individualisation, un troisième modèle qui permet de réconcilier l’individu avec la communauté, malgré les transformations et les injonctions contemporaines.

7 Voir les travaux de Alain Marie (1997) Pitrou (1992), Roussel (1976), Paugam (2008), Bawin-Legros (1996), Singly (2001, 2007), Dagenais (2000), Attias-Donfut (1997), Kellerhals (1987), Vallois (2009), Ségalen (2010), etc.

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1.3.3 Le modèle d’individualisation communautaire : Division du travail, émergence de la

vie publique et quête d’autonomie de l’individu

C’est le modèle le plus prolifique en termes de littérature, mais aussi en termes de variantes.

D'après Michel Maffesoli, la société actuelle favorise le repli sur le groupe et l'approfondissement des relations à l'intérieur de celui-ci. Loin de générer de l'isolement, la modernité offrirait les conditions favorables au « néo-tribalisme » qui caractérise les nouvelles formes de relations sociales avec la famille, le voisinage, la communauté locale, les écoles, les mouvements sociaux, musicaux et idéologiques, etc. (Maffesoli, 1993). Dans un autre registre, Alain Ehrenberg envisage la post-modernité comme une généralisation de la compétition et de la concurrence. Mais au fur et à mesure que la réussite individuelle devient la forme dominante de la participation sociale, on voit apparaître des formes de néo-communautarisme favorisées entre autres par le sentiment d'être exclu de l'accès à la concurrence (Ehrenberg, 1991).

L’individualisation communautaire suppose une certaine importance relative de tous les quatre types de liens dans le contrôle social de l’individu. Ce modèle voit son développement à travers un processus où interviennent deux facteurs importants : la division du travail avec la séparation entre travail et famille/communauté, puis l’émergence de la vie publique à travers l’État, le droit et la démocratie.

Pour les des Lumières (Machiavel, 1962 [1515], Hobbes, 1971 [1651], Locke, 1992 [1690]), en garantissant l’ordre social, l’État marque le passage de l’état de nature, caractérisé par la guerre de tous contre tous, à l’état civil, dans lequel chacun est libre en obéissant à la loi de tous (Rousseau, 1762, pp. 16-18). Avec en plus la démocratie et la modernité, l’État, investi du pouvoir des citoyens, concentre le monopole des fonctions dites régaliennes : l’édiction de la règle de droit (législation et réglementation), l’emploi de

31 la force publique (justice, police), de la force armée et de la diplomatie ainsi que l’intervention dans de nombreux domaines où existe un intérêt général (éducation, santé, travail, culture, recherche, etc.). Quant à la division du travail, elle amène deux éléments nouveaux : d’abord le salariat qui en devenant la norme, apporte une relative sécurité et différents acquis sociaux (diversification des horizons relationnels), puis le travail qui s’est imposé comme une instance du lien social. Au regard de ces transformations, Tönnies (1922) entrevoit un passage de la communauté (Gemeinschaft) à la société (Gesellschaft). Selon ce dernier, la communauté se développe à partir de la famille et trouve son expression la plus parfaite dans le village. Même si la petite ville appartient encore au domaine communautaire, elle est le théâtre de la naissance de corporations et des gildes conduisant au développement de l'aspect économique de la communauté, à la séparation organique entre biens et individus et à la naissance de la société.

On pourrait dire avec Margaret Mead (1979), Georges Mendel (1971) et plus proche de nous Attias-Donfut (1991), au risque de céder à un excès inverse, qu’après le temps du « tout famille » voici venu le temps du « fossé entre les générations » avec le passage de la communauté à la société.

Les transformations évoquées ont permis la montée du lien citoyen, du lien de participation organique et du lien de participation élective. Serge Paugam (2006, pp. 13-14), apporte une définition assez explicite de ces types de liens. Pour lui, le lien de participation élective relève de l’environnement extra-familial ; c’est le lien entre l’individu et d’autres individus, qu’il apprend à connaître dans le cadre de groupes divers (les groupes d’amis, les communautés locales, sportives, culturelles, etc.). Autant dans le lien de filiation absolu, l’individu manque de liberté de choix, autant dans le lien de participation élective, il dispose d’un espace d’autonomie qui lui permet de s’allier et de s’opposer. Le lien de participation organique relève aussi de la socialisation extra-familiale, mais se distingue du précédent en ce qu’il se caractérise par l’apprentissage et l’exercice d’une fonction

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déterminée (organisation du travail ou étude d’une matière à l’école par exemple). Enfin, le lien de citoyenneté repose sur le principe de l’appartenance à une nation. En théorie, ce lien est censé dépasser et transcender tous les clivages, les oppositions et les rivalités en accordant aux citoyens désormais égaux et autonomes, des droits et des devoirs socio- économique et politique. De façon plus systématique, on peut dire que dans le modèle d’individualisme communautaire, les quatre types de liens ont une centralité relative apparente et aucun d’eux n’a une intensité absolue dans l’atteinte des finalités du lien social. Nous présentons dans la suite les trois principales variantes du modèle d’individualisation communautaire. 1.3.3.1 La variante d’équilibre absolu : l’homologie parfaite entre les quatre types de liens

Elle part de l’hypothèse d’une homologie parfaite entre l’ordre familial, l’ordre social et l’ordre politique. L’individu accorde une centralité relativement apparente à l’ensemble des quatre types de liens, de sorte qu’aucun type de liens n’ait une intensité absolue dans l’atteinte des finalités du lien social. L’individu est amené à réaliser un équilibre parfait dans l’importance qu’il accorde à chaque type de liens dans la recherche de ses finalités personnelles de reconnaissance, de protection et d’intégration. On est donc dans un schéma de complémentarité absolue (Commaille, 1999, p. 201) entre instances de socialisation. Paugam parle de modèle de « responsabilité partagée » entre l’individu, la famille et la société (Paugam, 2006, p. 27).

1.3.3.2 La variante de tutelle : intensité absolue du lien civique

Dans la tutelle, l’individu accorde une centralité relative à l’ensemble des quatre types de liens, mais le lien citoyen à une intensité absolue dans l’atteinte des finalités du lien social. Même si une certaine importance relative est accordée à tous les types de liens, une importance plus marquée est accordée au lien civique. Tout se passe ici comme si l’État prend les commandes de l’individu et délègue des responsabilités à la famille et à l’individu qu’il surveille de façon rapprochée : on est ici dans un schéma de pure régulation sociale par le biais des institutions de la République comme l’école, la fonction publique,

33 l’assurance sociale, etc. Dans cette perspective, Louis Althusser (1970, p. 21) considère la famille comme un « appareil idéologique d'État » c'est-à-dire une institution qui renforce l'ordre établi et la reproduction des rapports de production. Parmi les appareils idéologiques d'État, il cite les Églises, l'école, la famille, les organes d'information, les partis politiques, les syndicats, les organismes culturels (lettres, beaux-arts, sports...). L’individu entretient donc aussi des liens de filiation, des liens de participation organique et de participation élective. Mais les fonctions à remplir par ses liens sont fortement sous le contrôle de l’État qui, non seulement, contrôle finalement tout le système relationnel de l’individu, mais intervient aussi au sein des autres instances susceptibles d’entrer en relation avec l’individu, non pas pour poser simplement les limites de la cohabitation comme nous le verrons dans le cas de la variante contractuelle, mais pour dicter la conduite à tenir.

1.3.3.3 La variante contractuelle : intensité absolue partagée entre lien civique et lien de

filiation

Dans la variante contractuelle, l’individu accorde une centralité relative à l’ensemble des quatre types de liens. Cependant deux types de liens se démarquent pour avoir une intensité absolue dans l’atteinte des finalités du lien social : D’une part le lien citoyen comme garant de la protection sociale et de l’intégration sociale et de l’autre le lien de filiation comme principal agent de satisfaction des besoins de reconnaissance et d’aide à l’intégration sociale. Ici, individu, famille et société peuvent être perçus comme des partenaires liés par un contrat social. L’État définit les limites de chaque type d’institution à travers le droit (droit de l’homme, droit de la personne, droit civique) et reste le garant de l’individualisation (Singly, 2007, p. 21). Régulation sociale et contrôle social se côtoient alors et, dans une certaine mesure, l’individu peut tisser des relations sociales en optant pour un maillage entre les divers types de liens dans la « cité civique ».

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Le tableau 1 propose un résumé très synthétique des principales caractéristiques de chacun de trois schèmes théoriques pour l’analyse des relations entre individu, famille et société.

Tableau 1 : Synthèse des trois schèmes théoriques pour l’analyse des relations entre individu, famille et société.

Modèle de Principales caractéristiques Principales socialisation variantes Modèle communautaire Centralité relative forte du lien de filiation Traditionnaliste, par rapport aux autres types de liens Autoritariste, Intensité absolue du lien de filiation des Relationnelle finalités du lien social Modèle Les quatre types de liens ont une centralité Équilibre absolu, d’individualisation relative apparente et aucun d’eux n’a une Tutelle, communautaire intensité absolue dans l’atteinte des finalités contractuelle du lien social Modèle d’hyper- Rupture cumulative des liens sociaux Déviance, individualisation Individualisme contemporain Individu (« confinitaire ») indiscipliné, recomposition autour de valeurs hédoniques Anomie

L’esquisse des principaux schèmes théoriques d’analyse des relations entre individu, famille et société nous permet de saisir les différentes facettes de l’univers relationnel de l’individu au fur et à mesure que s'opèrent les transformations sociétales. Le modèle communautaire a été confronté à d’importants facteurs de transformations socio- économiques et démographiques dont les tenants et aboutissants restent encore à être

35 appréhendés. On doit alors se garder de confondre d’une part, disparition de la famille traditionnelle étendue avec disparition de la socialité primaire et du lien de filiation et d’autre part, recomposition familiale et dépérissement familial.

Dans la section suivante, nous abordons dans les grandes lignes les principaux facteurs socio-économiques et démographiques porteurs de changement social dans le contexte Ouest-africain.

1.4 Les facteurs socio-économiques et démographiques porteurs du changement social en

Afrique de l’Ouest

Les facteurs qui influencent le modèle traditionnel de lien social et de socialisation en Afrique de l’Ouest se situent au cœur de l’évolution historique, de la crise économique et des mutations sociodémographiques de ces trois dernières décennies. Nous proposons dans cette section une lecture actualisée des facteurs qui sont porteurs du changement social en Afrique de l’Ouest.

1.4.1 Colonisation, modernisation et mondialisation

La modernisation est constituée de l’ensemble des transformations qui font passer les sociétés d’une morphologie segmentaire à une morphologie différenciée (Marie, 1997, p. 21). Marie-Thérèse Lacourse (2004) énumère les variables qui sont généralement associées au changement social suscité par la modernisation comme suit : l’urbanisation, la sécularisation, l’accessibilité à l’éducation scolaire et la croissance des réseaux de communication populaire (Lacourse, 2004).

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Urbanisation, scolarisation, division du travail, progrès technologique, État, droit moderne, diversification des formes de médiation sont autant de variables qui font de la modernisation un facteur clé de changement social. Si l’urbanisation ne s’est pas généralisée en Afrique de l’Ouest depuis les années 50, le phénomène n’en connait pas moins depuis lors une croissance rapide et la population urbaine totale est passée de 15 % dans les années 50 à près de 40 % au début des années 2000 (Pilon et Vignikin, 2006, p. 49). Du fait de l’amélioration des niveaux d’éducation en milieu rural, de l’augmentation de la productivité agricole, et de l’amplification de l’exode rural, le poids relatif de la population urbaine en Afrique de l’Ouest est appelé à augmenter et le niveau d’urbanisation aussi (Amadou Sanni, Klissou, Marcoux et Tabutin, 2009, p. 21; Pilon et Vignikin, 2006, p. 83). Les villes Ouest africaines sont alors le théâtre de la diversification et de la restructuration des formes familiales avec l’instauration de nouveaux rapports intrafamiliaux notamment entre les générations. La rupture la plus fondamentale qui marque l’entrée de l’Afrique dans la modernité est sans doute la séparation entre milieu familial et milieu professionnel, puis la scolarisation des enfants. En effet, avec la colonisation, la scolarisation et la création de l’État, l’activité professionnelle rémunérée devient possible en dehors de la famille et les jeunes générations ne sont plus exclusivement nourries aux valeurs familiales, mais à celles prônées par la division du travail et l’école. La scolarisation des jeunes se développe en Afrique et l’école est « entrée en force dans la famille » pour emprunter l’expression de Boyer et Coridian (1996, pp. 196- 200). L’école inculque des valeurs et porte en elle le changement social, même si ce changement n’apparaît réellement que lorsque la scolarisation a été de longue durée (Pilon et Vignikin, 2006, p. 89). Avec, le progrès de l’éducation des filles, la scolarisation bouleverse les systèmes de hiérarchie de genre et de génération. La ville favorise le travail non familial, le salariat, l’activité féminine ainsi que de nouveaux rapports de genre (Amadou Sanni, Klissou, Marcoux et Tabutin, 2009, p. 11). Les progrès technologiques qui accompagnent la modernité fonctionnent aussi comme de véritables facteurs de changement. Par exemple les moyens de communication de masse (télévision, radio, téléphone et récemment internet) gagnent un plus grand nombre de personnes et diffusent des informations pluralistes et tolérantes envers la différence tout en proposant de nouveaux 37 divertissements et de nouvelles options. Le citadin a alors le choix entre passer un coup de téléphone à ses parents chaque weekend ou faire la route jusqu’au village pour s’enquérir de leurs nouvelles. Mieux l’érection des États ouest-africains sur un fonds de mimétisme occidental laissé par la colonisation ainsi que le droit moderne et les nouveaux modes de vie religieuse (christianisme, islam) favorisent et/ou amplifient la redéfinition des rapports de genre et de génération au sein de la famille et de la société (Pilon et Vignikin, 2006, p. 89).

1.4.2 Changements démographiques

D’importants changements démographiques se sont produits en Afrique subsaharienne ces trente dernières années, notamment en milieu urbain. L’âge au premier mariage a reculé, les mariages arrangés ont diminué, la sexualité prémaritale a augmenté ainsi que les naissances pré conjugales (Locoh, 2009, pp. 23-36). La fécondité commence à fléchir dans certains pays surtout dans les villes, en raison d'une augmentation relative de la pratique contraceptive, mais également d'un développement des avortements provoqués (Locoh et Mouvagha-Sow, 2005; Schoumaker 2004). À l’échelle des familles, la taille et la structure des unités domestiques évoluent (Pilon et Vignikin, 2006, p. 85), avec toutefois des disparités entre pays, occasionnant un changement de rapports de dépendance démographique (entre aînés, adultes et jeunes) et entraînant une redéfinition des relations familiales.

L’Afrique a cependant la croissance démographique la plus rapide de tous les continents (2,6 % en croissance annuelle durant la période 1975-2009, contre 1,7 % pour l’Asie par exemple) et le fossé avec les autres régions en développement est profond (Tabutin et Schoumaker, 2004; Guengant, 2007). Selon les mêmes auteurs, la population africaine, très jeune (avec 40 % de moins de 15 ans), est marquée par une fécondité élevée en comparaison avec les autres régions du monde (4,6 enfants en moyenne par femme) et une mortalité élevée (espérance de vie à la naissance de 54 ans). Contrairement à l’Afrique,

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toutes les autres régions en développement sont en transition démographique avec une fécondité proche du seuil de remplacement des générations (2,1 enfants par femme) et une espérance de vie se rapprochant de 70 ans (United Nations, 2009). L'Afrique de l’Ouest se transforme à grande vitesse d'abord par sa démographie: en 2050, selon le scénario de projection médian des Nations unies la population de l’Afrique subsaharienne sera d’environ 1,8 milliard d'habitants, soit le cinquième de la population mondiale. Selon Severino et Ray (2010), il s’agit d’un « phénomène de rattrapage », après les traumatismes démographiques de la traite négrière et de la colonisation. Cette évolution démographique pose plusieurs défis, car elle s'accompagne d'une explosion urbaine sans précédent dans l'histoire, dans un contexte interne de crises multiples.

L’Afrique, et en premier lieu l’Afrique de l’Ouest est le continent des jeunes. De ce fait, la scolarisation y représente un enjeu majeur dont le coût ne peut pas toujours être assumé par les parents. Les modalités de l’insertion professionnelle, de l’acquisition de droits fonciers, de l’entrée en union et de la constitution de la famille font alors intervenir une redéfinition des types de solidarité et de soutien. Compte tenu des changements démographiques en cours en Afrique, de la sortie de plus en plus tardive du système éducatif et de la paupérisation économique qui fait peser une charge de plus en plus importante sur la génération pivot (Antoine et al., 1995), la prise en charge intrafamiliale des enfants, des jeunes et des vieux connaît des changements majeurs. En Afrique, la croissance démographique provoquera au cours des prochaines décennies une progression spectaculaire des « plus de 60 ans » qui de 9 millions en 1950, pourraient être 80 millions en 2025 et 200 millions en 2050 (Antoine, 2007, p. 11; Attias-Donfut et Rosenmayr, 1994). De nos jours, de plus en plus de personnes âgées vivent dans une situation de « non- cohabitation intergénérationnelle » au sein de ménages composés des deux époux ou d’une seule personne (Antoine, 2007).

Tous ces bouleversements se traduisent dans les faits par une profonde remise en question des idéaux familiaux qui étaient privilégiés dans la société traditionnelle ouest-africaine

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(Goody, 1976; Caldwell, 1976; Lesthaeghe, 1989; Diop, 1985; Hertrich, 1996; Letang, 1995).

1.4.3 Avatars de l’économie monétaire et crises économiques

L’introduction de la monnaie dans le contexte africain a été le moteur de changements importants dans les structures sociales. Avec en plus les crises économiques et leurs corollaires de chômage et de pauvreté dans un environnement où l’argent s’est largement installé dans toutes les instances de la vie quotidienne, les rapports familiaux sont appelés à s’adapter. L’Afrique a en effet été soumise à un contexte contradictoire de monétarisation accrue de l’ensemble des rapports sociaux et de raréfaction simultanée des ressources monétaires (Marie et al. 1997, p. 424). Kokou Vignikin (1992) explique comment, avec la pénétration coloniale, de nouveaux besoins sont apparus. L’introduction des cultures de rentes et la levée des taxes civiques ont déstabilisé les principes fondamentaux de l’organisation sociale communautaire par le biais de l’émergence de la logique capitalistique d’accumulation et l’évolution vers la propriété privée (Pilon et Vignikin, 2006) dans des sociétés où, comme on peut le lire chez Marie (1997), la ressource monétaire avait toujours rempli une fonction de médiation et de régulation des rapports sociaux.

Cela se vérifie déjà dans les relations entre hommes et femmes (le paiement de la compensation matrimoniale, la dot...), entre aînés et cadets (dans le cadre du système d’avances-restitutions, de l’héritage...), entre ressortissants d’un même collectif (dans le cadre familial, lignager ou rural, participer à des cérémonies comme le baptême, le mariage ou les funérailles, s’accompagne d’une obligation d’apporter sa « quote-part »). Traditionnellement, la ressource monétaire trouve l’objet de sa circulation dans le fonctionnement du don et du contre-don, et plus encore de la dette entre générations qui participe à l’assignation des places et rôles individuels (Marie et al., 1997, p. 424).

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L‘argent est à ce titre un moyen d’accumuler divers capitaux socio-économique (femmes, intrants, etc.) et de nature symbolique (prestige social, influence, rang, créances). Ce qui a changé donc, ce sont les nouveaux besoins qui sont apparus, c’est aussi l’apparition de nouveaux produits d’origine occidentale, permettant désormais de relever le prestige social individuel ainsi que la possibilité maintenant offerte d’accumuler du capital culturel en dehors du cercle familial (scolarisation, diplôme ou formation professionnelle) et de réaliser une accumulation privée de capitaux par le biais du salariat. Dans ce contexte, la monétarisation tend à ne plus être seulement au service de la reproduction de rapports sociaux préexistants, ces rapports se renouvellent, s’adaptent ou se transforment.

Depuis la fin des années soixante-dix, la crise économique s’est installée en Afrique. Il s’agissait au départ de la « tragédie des cycles économiques » et des effets de la crise économique mondiale des années 1970 (Severino et Ray, 2010). Ensuite, l’Afrique a été le théâtre de la « crise des ciseaux », dans les années 1980-1990 caractérisé par un poids croissant de la dette, conjugué à une baisse des revenus des exportations (Severino et Ray, 2010). Dans le même temps, l'aide publique au développement sert de plus en plus au refinancement de la dette souveraine africaine envers les créanciers publics, et de moins en moins à l'investissement tant économique que social. Cette crise s’est complexifiée du fait des fameux plans d’ajustements structurels successifs imposés par les institutions de « Bretton Woods » prônant le dogme du « moins d'État » comme mesure corrective, accompagnés de leurs cortèges de mesures déflationnistes8, puis la dévaluation du franc CFA dans les années 90 qui renchérit le coût de la vie par le biais de l’augmentation du coût des produits importés et des produits locaux. Tous ces facteurs concourent à mettre radicalement en cause le contrat social (Marie et al., 1997; Antoine 1992; Vimard, 1993; Pilon et Vignikin, 2006).

8 Désengagement de 1’État; privatisations assorties de compressions de personnel; « dégraissages » des effectifs de la fonction publique; faillites, dépôts de bilan et licenciements collectifs; blocages des salaires et suppression des avantages indirects; aggravation de la pression fiscale; détérioration des services publics - santé, assainissement, transport, école - etc.

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Face à l’incapacité de plus en en plus marquée de subvenir de façon adéquate aux besoins de leurs membres, les familles africaines adoptent de nouveaux comportements en matière de constitution, des unions conjugales, d’éducation et de socialisation des enfants (Pilon et Vignikin, 2006, p. 94). I1 s’avère ainsi que cette crise aux multiples visages et quasi permanente depuis les années 70, n’est pas seulement économique, mais indissociablement sociale et politique. En l’occurrence la crise économique combinée à la forte démographie et la poussée de la scolarisation met à rude épreuve la capacité des États africains à enrôler les diplômés. Les solidarités publiques sont en panne et les solidarités sociales sont extrêmement sollicitées. Achille Mbembe (1992), souligne que les crises économiques n’affectent « pas seulement l’institution étatique en tant que telle », mais elles menacent aussi et surtout de « pourrir l’ensemble de la fabrique sociale » (Mbembe, 1992, p. 44).

D’autres crises interagissent avec les trois types de facteurs clés présentés pour induire en Afrique des transformations du lien social et de la régulation sociale. Ces transformations demeurent encore faiblement étudiées. Au nombre des autres crises, on peut noter l’épidémie du VIH-Sida et les conflits armés.

S’il est vrai que le changement social enclenché en Afrique semble marquer une mutation de la famille élargie vers la famille nucléaire puis de la famille nucléaire vers la famille « individu », les auteurs ne sont pas unanimes sur les tendances en cours. De la même manière, l’hypothèse d’une évolution conséquente du modèle communautaire vers le modèle d’hyper-individualisation ne fait pas l’unanimité.

Certains auteurs (Marie 1997 et al., Marcoux et Piché 2001, Pilon et Vignikin 2006, Antoine 2007, etc.) pensent en effet, que les facteurs de changement social, ne conduisent pas la famille africaine vers le modèle nucléaire et la socialisation africaine vers le modèle

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d’hyper-individualisation de façon stricto sensu. Certes, les ménages nucléaires font partie du paysage familial, mais ils n’en constituent pas le modèle dominant.

Il faut reconnaitre que sur la base de la littérature, il n’est pas aisé d’identifier à travers le temps les transformations de la socialisation, des parcours de vie et de la régulation sociale qui accompagnent les facteurs socio-économiques et démographiques abordés plus haut.

Notre travail aborde la problématique de la dynamique du lien social et de la socialisation à travers le temps en se focalisant sur une portion importante des parcours de vie individuels : le parcours d’entrée en vie adulte de deux générations de Cotonois, marquées par des contextes socio-économiques et démographiques fort différents.

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Chapitre 2 : Problématique et questions de recherche

« Devenir adulte », « se sentir adulte », « être adulte », autant de désignations d’un même rôle qui renvoient dans les faits à des approches différentes (Van de Velde Cécile, 2008). En Afrique de l’Ouest, l’entrée en vie adulte s’apparente traditionnellement à une période de la vie où l’on laisse progressivement derrière soi l’enfance pour commencer par adopter des rôles d’adultes. C’est une période de la vie qui a attiré une attention considérable ces dernières années, comme le montre la riche littérature sur le sujet, notamment au cours de la dernière décennie en raison principalement de sa complexité croissante et de sa diversification. Les jeunes focalisent de plus en plus l’intérêt des chercheurs et des politiques en Afrique de l’Ouest, mais les concepts d’adolescence, de jeunesse et de passage en vie adulte y sont relativement nouveaux (Calvès et al 2006, p. 143).

Notre problématique aborde la question des transformations des parcours et des trajectoires d’entrée en vie adulte dans la ville de Cotonou au Bénin. Dans ce chapitre, nous présentons les différents éléments de notre problématique de recherche puis les questions et objectifs de recherche.

2.1 Modèle préindustriel de l’articulation entre parcours d’entrée en vie adulte et régulation sociale

Il existe une diversité d’idées reçues sur les sociétés africaines préindustrielles. Ces idées reçues sont d’ailleurs souvent véhiculées tout en ignorant le fait que les réalités, d’un bout à l’autre du continent, sont diverses. Nous tentons ici à partir de quelques auteurs, et sur la base d’exemples de certains clans ou tribus, de faire ressortir les principales caractéristiques du modèle préindustriel de parcours d’entrée en vie adulte, dont par ailleurs la localisation dans le temps constitue un autre défi scientifique important. Il faut préciser que ce modèle

45 préindustriel de parcours d’entrée en vie adulte s’inscrit bien dans le cadre d’une socialisation de type communautaire, tel que présenté à la section 1.3.1. Le Thành Khôi (1965) distingue trois phases marquantes de la socialisation dans les sociétés africaines traditionnelles. D’abord vers l'âge de sept ou huit ans, les enfants reçoivent une éducation générale qui constitue la base du processus de socialisation : ils s'imprègnent à ce moment des croyances de leur groupe social, en ce qui concerne ses origines, ses mythes, son totem, sa morale et ses guerrières. La seconde phase a lieu plus tard, vers l’âge de douze ans, et permet aux enfants, dépendamment de la fonction de leur père, d’apprendre progressivement les secrets d’un métier pour prendre la relève de leur père. La troisième étape, enfin, représente la véritable initiation par laquelle les jeunes, dans la solitude, le jeûne, la peur et la souffrance, accèdent à un statut de personne sexuée dotée de responsabilités. Les épreuves redoutables qu'ils doivent passer leur apprennent non seulement à vivre dangereusement, mais aussi, sous peine de sanctions rigoureuses allant jusqu'à la mort, à respecter la discipline et la solidarité collectives : elles leur insufflent la volonté de préserver le fonds commun de valeurs sans lequel le groupe perd son âme et se désintègre. Comme l’ajoute Le Thành Khôi (1965), les deux fonctions de socialisation et de différenciation se complètent ainsi à travers un processus où chacun est éduqué selon sa place dans l'échelle sociale, mais une morale commune s'impose à tous et intègre tout le monde dans un ensemble cohérent (Le Thành Khôi, 1965, p. 338).

Le système ainsi présenté affiche une rigidité quant à la régulation sociale, à la conservation des valeurs sociales et spirituelles sur lesquelles il repose. Le but étant de prévenir tout changement et de maintenir la cohésion et l'ordre social existant par le biais de la reproduction et de la ritualisation des parcours. C’est pourquoi Calvès et al. (2006) affirment que « dans la plupart des sociétés africaines, la socialisation des jeunes générations est traditionnellement une responsabilité communautaire qui s’effectue sous le strict contrôle des aînés » (Calvès et al., 2006, p. 143).

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En réexaminant les éléments constitutifs du modèle préindustriel de parcours d’entrée en vie adulte en Afrique, il appert que ce modèle reste activement encadré par les fondements du lien social que nous avions évoqué plus haut : Notion de personne, famille et parenté, hiérarchie, autorité et de pouvoir, dialectique entre dépendance et solidarité, puis le sens du don, du devoir et de la honte. Dans ce contexte, le parcours d’entrée en vie adulte est précédé d’une phase de préparation ultime constituée par une série de rites de passage et de cérémonies initiatiques. Les rites de passage sont décrits dans les sources ethnographiques restituées par Mircea Eliade (1959) et surtout Van Gennep (1909) comme le processus marquant la puberté sociale, qu’il faut distinguer de la puberté physiologique.

Au Bénin, on connait les rites de circoncision et de camp initiatique chez les Tanéka et les Oshori ainsi que les rites d’excision des filles Gourmantché et Waaba comme étant des processus permettant aux jeunes hommes et jeunes femmes concernés d’intégrer la classe démographique et sociale des personnes dotées d’un sexe et susceptibles de cheminer vers la vie adulte. On retrouve aussi des rites de circoncision suivie de camp initiatique chez les Diola du Sénégal (Pison et al., 2001), les Mossi du Burkina et chez plusieurs autres ethnies ou tribus (Peulh, Dogons, Malinkés, Sinikés, Bambaras, Kabiéys, Yorubas, Bozos, et Pygmées équatoriaux). Chez les Peulh du Mali on retrouve le « Tchoodi, » qui est un rite au cours duquel les femmes reçoivent des tatouages très douloureux sur le contour de la bouche, tandis que chez les Peulh du Bénin on retrouve le « Goja » (Guichard, 1990) qui prépare l’entrée en vie adulte des jeunes hommes par un processus où ces derniers affichent leur bravoure grâce à des acrobaties et à la flagellation. Au Cameroun, le rite Sò et sa retraite initiatique marquent l’entrée des garçons Béti dans la sphère des hommes (Mbala Owon, 1982; Atangana, 1945) tandis que le Mevungu prépare les filles pubères à leur futur rôle d’épouse et de mère (Ngoa, 1968; Laburthe-Tolr, 1985). Il y a aussi le très redoutable rite de l’Oukouli, cérémonie d’initiation pour les jeunes chez les Hamer d’Éthiopie ou le Saginé des Surma éthiopien (Abbink, 1999).

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Le contenu des rites qui apprête l’individu à entrer dans la vie adulte révèle que les rites masculins se définissent par un rapport problématique à la filiation alors que les initiations féminines sont généralement orientées vers le mariage. Il n’en reste pas moins que plusieurs rites féminins soient composés d’épreuves rituelles, de révélations de secrets et d’enseignement initiatique (Azria et al., 2010): On peut citer à titre d’exemple le Tchoodi chez les Peulh, le mevungu chez les Beti au Cameroun, le Sande des Kpelle en Sierra Leone, le Chisungu des Bemba en Zambie, ou le Ndjembe des Myene au Gabon. En fait, on pourrait citer quasiment autant d’exemples de rites que de sociétés traditionnelles. Au-delà de leur diversité, il semble que le sens fondamental de l’ensemble de ces rites reste le même. Van Gennep (1909) dira d’ailleurs que ces « rites prennent place dans tout un ensemble organisé, allant des rites de la naissance à ceux de la mort et c’est pourquoi ils ne peuvent être compris que si on les situe dans cette totalité » (Van Gennep, 1909, pp. 13-14) : comme on dit, l'Afrique (traditionnelle) est une multitude de sociétés initiatiques où tout est rites (rite de passage ou rite initiatique).

Toutes les sociétés traditionnelles se sont préoccupées d’organiser le passage à l’âge adulte en proposant un modèle initiatique aussi efficace que possible pour réaliser de la façon la plus économique les transformations et l’acquisition des capacités sociales inhérentes à cet âge (Galland, 2011). Pour Van Gennep (1909), les rites qui préparent l’individu à entrer dans la vie adulte constituent un élément important du fonctionnement des sociétés traditionnelles, que l’on peut caractériser de sociétés « compartimentées » dans la mesure où les compartiments sociaux y sont bien isolés les uns des autres et qu’en particulier l’enfance se distingue nettement de l’âge adulte (Van Gennep, 1909, p. 114). Il s’agit alors pour les adultes d’intégrer les enfants au groupe social en leur imposant des épreuves relativement violentes, qui exigent une soumission totale, où le corps est directement concerné, recevant les marques tangibles qui doivent le situer dans la lignée des sexes et des générations. En même temps, le sujet reçoit un enseignement destiné à l’introduire aux secrets de la tradition (Galland, 2011). Van Gennep (1909), distingue trois phases du parcours initiatique : la séparation, la réclusion en marge ou limen (liminalité, seuil) puis

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l’agrégation et le retour. La séparation est toujours brutale, l’enfant est comme arraché à sa famille et on feint de faire croire qu’il ne reviendra pas, comme s’il était destiné à une mort certaine. La phase de réclusion peut être assimilée à un semblant de retour dans le ventre maternel. Les néophytes, le plus souvent relativement nus, sont réunis dans un lieu et subissent des épreuves tant physiques que psychiques puis reçoivent un enseignement social, moral, religieux et pratique qui les introduit au monde des croyances, des pouvoirs occultes, de la magie, des mystères de la filiation, de la sexualité et de la génération. Circoncision, excision, infibulation et autres mutilations visent, à conférer un statut de personne dotée d’un sexe bien défini, en supprimant les signes d’ambiguïté sexuelle propres à l’enfance. Cette phase s’achève par des rites qui miment l’accouchement et qui font clairement comprendre à l’initié qu’il est définitivement mort à sa condition d’enfant, radicalement séparé du monde maternel et affranchi de la bisexualité (Galland, 2011). Enfin l’agrégation ou retour consacre la réinsertion sociale, mais avec un nouveau statut et de nouveaux rôles sociaux. Le rite permet de superposer l’idéal du moi avec l’idéal du groupe, d’affirmer la primauté du collectif sur l’individuel (Gluckman, 1962). C’est un puissant outil de socialisation, qui permet à la société de contraindre l’individu à adopter des comportements conformes à ses valeurs et normes. Ces rites apparaissent alors non seulement comme élément central d’une forte régulation sociale, mais aussi comme important vecteur de reproduction sociale (Bozon, 1997; Bonhomme 2006). L’aspect formel du rite est tout aussi important que sa signification sociale : il constitue, pour le sujet, un moment d’apprentissage de la société, qui lui permet d’être intégré dans de nouveaux réseaux d’échanges matériels et symboliques et d’être initié aux mythes et aux fondements sacrés de la communauté (Bozon, 1997).

En dehors de son rôle formateur, intégrateur et d’identification formelle à un sexe, le rite vise à préparer le jeune homme ou la jeune femme à assumer efficacement les rôles traditionnels, dévoués au statut d’adulte en devenir : le mariage, la procréation, et la perpétuation du groupe, de ses normes et de ses valeurs. S’il est vrai que ces rites existent encore dans plusieurs communautés à travers l’Afrique, il faut reconnaitre que surtout en milieu urbain, ils ont quasiment disparu avec certainement des conséquences encore mal 49 connues sur les formes de régulation sociale, les parcours de vie et les parcours d’entrée en vie adulte.

2.2 Facteurs sociohistoriques influençant le modèle traditionnel de parcours d’entrée en vie adulte au Bénin

Dans les sociétés occidentales, le passage de la société préindustrielle à la société industrielle puis de la société industrielle à la société post-industrielle a induit de sérieux changements sociaux tant au plan macro qu’au plan micro social (Beck, 1992, 1997; Giddens, 1991, 1992, 2000; Bajoit et al., 2000; Schehr, 2000). En Afrique subsaharienne, même si l’évolution sociohistorique paraît différente et que l’on semble passer d’une société préindustrielle à une société pseudo-industrielle puis à une société simplement contemporaine, les mutations sociales sont aussi majeures, contrairement à l’imaginaire d’une Afrique aux réalités immuables.

Les travaux de Calvès et al. (2006) permettent de résumer efficacement les facteurs sociohistoriques qui en Afrique influencent la socialisation et qui auraient progressivement « modifié les modes d’accès traditionnels au statut d’adulte » (Calvès et al., 2006, pp. 143- 145). On retiendra de ces travaux, quatre facteurs majeurs qui sont de façon évidente en relation étroite avec les facteurs socio-économiques et démographiques identifiés plus haut comme étant porteurs de changement social en Afrique. Il s’agit de la scolarisation et de la croissance urbaine, de l’éloignement de la famille d’origine et de l’accès à un emploi salarié, puis de la crise économique des années 1990 qui parachève la reconnaissance des jeunes comme un groupe social, puis enfin de l’évolution des politiques et programmes.

Dans le cas particulier du Bénin, il faut dire qu’à partir de la date de son accession à l’Indépendance (1er août 1960) jusqu’à nos jours, l’histoire sociopolitique et économique a 50

été marquée par plusieurs périodes : celle comprise entre 1960 et 1980, caractérisée par une instabilité politique et un système économique de type socialiste; la période allant de 1980 à 1989 caractérisée par une politique marxiste puis enfin, la période de 1990 à nos jours, marquée par l’avènement de la démocratie avec une économie de marché, davantage tournée vers l’extérieur dans un contexte de mondialisation, mais qui attend encore de faire ses preuves (Akindé, 2010; Banegas, 1995, 2003; Noudjenoumè, 1999; Bayart, 1989, Gnancadja et al 2011).

En effet, entre 1960-1980, la politique économique et sociale du Bénin a pris appui sur une certaine « assimilation » des élites et de la couche moyenne par le biais de recrutements automatiques et massifs des jeunes diplômés et l’évolution accélérée aux « postes juteux » démultipliés de l'administration publique. Une certaine solidarité publique venait en soutien à la solidarité familiale et communautaire pour entretenir la reproduction sociale. Même si entre 1960 et 1972, le pays a traversé une période d’instabilité politique chronique marquée de coups d’État militaires (Gnancadja et all 2011), à la prise de pouvoir du Général Mathieu Kérékou le 26 octobre 1972, la politique de cooptation des élites et de recrutement massif s’est poursuivie (Diop, 2001). Le service militaire des jeunes, fût alors institué comme obligatoire, pour renforcer le lien civique et intégrer les jeunes dans la république marxiste. Avec la nationalisation des entreprises, de nombreux postes étaient disponibles dans l’administration publique à divers niveaux, notamment pour les personnes scolarisées. La stabilité du Régime Marxiste-léniniste, qui rompt avec l’instabilité des années 60, reposait classiquement sur divers mécanismes d'accumulation et de gestion politique des « richesses » basées sur la conjoncture économique, les revenus croissants tirés de l'exportation de matières premières, les aides attirées habilement de l'Est et de l'Ouest puis la perception et le détournement des droits de douane et des taxes à la réexportation dans un État devenu « entrepôt », avec sa politique de transit (Banegas, 1995). Tout ceci permettait la rétribution et l’entretien des soutiens, avec en plus la contrebande et le commerce informel avec le Nigéria, tolérés si ce n'est entretenu par le régime qui garantissait par ce biais l'approvisionnement de la population urbaine et s’assure la loyauté des commerçants (Banegas, 1995). Entre 1970 et 1980, on est passé de 12 000 à 49 000 fonctionnaires 51

(Banegas, 1995). Dénommée « politique du ventre " en lien avec deux adages locaux « pour avoir le ventre plein, il faut avoir une bouche qui ne parle pas » et « la bouche pleine ne parle pas », la politique économique notamment entre 1972 et 1980 a contribué à anéantir la formation de contre-élites et d’opposition potentielle. Mais la crise économique des années 1980, semble avoir fissuré l'édifice. Malgré les réformes partielles qu'il entreprend, le régime voit sa capacité de reproduction s'éroder : faillite bancaire, crise fiscale, et conditionnalité limitent les possibilités de renouveler le « compromis post-colonial », d'assimiler les nouvelles élites qui expriment de plus en plus leurs frustrations de ne pas participer au partage du « gâteau national ». En outre, la paupérisation croissante des couches moyennes urbaines érode les bases sociales du régime et, dès le milieu des années 1980, le mécanisme de régulation semble s'enrayer, victime de ses contradictions (Banegas 1995, Médard, 1990). La crise des finances publiques, déjà sensible depuis 1983, atteint son point culminant fin 1988-début 1989 avec l'accumulation des dettes intérieure et extérieure et la cessation de paiement par le trésor public. En 1988-89, le Bénin était donc dans un état de faillite bancaire et de banqueroute totale. Les trois banques du pays se retrouvent en situation d'illiquidité, la Banque Commerciale du Bénin avait déjà perdu quarante-trois fois son capital. Ce que Banegas (1995) appelle une « bombe » sociale et politique était alors perceptible au plan économique, social et politique. L'accumulation des arriérés de salaire (6 à 8 mois) dans la fonction publique et le contrôle puis le gel des retraits bancaires porte à son comble une tension déjà vive (Banegas 1995, p. 4). Cette désagrégation de la « politique du ventre » va avoir une importance non négligeable dans la mobilisation des acteurs béninois et étrangers en faveur du renouveau démocratique.

La faillite financière s’est accompagnée d’un tarissement des circuits de redistribution clientéliste et du blocage des mécanismes de régulation interne déjà érodés par le marasme économique des années 1980. Face à la situation, le Fonds Monétaire international (FMI) a imposé dès 1989, des mesures économiques draconiennes connues sous le nom de Programme d’Ajustement Structurel (PAS I) : prélèvements supplémentaires de 10 % sur les salaires, gel des embauches, encouragement au départ à la retraite. Mais le Programme

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n’a pas été conduit à terme en raison de l’évolution politique qui a débouché sur la Conférence des forces vives de la Nation tenue en février 1990 (Diop, 2001; BAD, 2003). Sous le PAS I, la crise du recrutement systématique dans la fonction publique, déjà à l'œuvre depuis quelques années, s'accentue en 1988-1989 et place les jeunes de plus en plus nombreux à être diplômés dans une situation inédite et nouvelle par rapport leur avenir professionnel, leur réseau de soutien et même leur passage en vie adulte. Une grève massive des étudiants et des fonctionnaires fût alors déclenchée conduisant le pays dans une transition démocratique conjointement avec le processus de réformes économiques. En 1990, un gouvernement de transition fût mis en place ouvrant la voie à la démocratie et au multipartisme avec l’organisation d’une conférence nationale puis d’une élection présidentielle. La situation économique peut enfin s’améliorer, mais très vite la dévaluation du franc CFA vient anéantir les espoirs. Le 11 janvier 1994 à Dakar en présence du Directeur général du FMI (M. Camdessus) et du ministre français de la Coopération (M. Roussin), les chefs d'États et de gouvernement des pays de la Zone franche « décidaient ou acceptaient » de dévaluer de 50 % la parité du franc CFA par rapport au franc français. La valeur du Franc CFA passait ainsi de 0,02 franc français à 0,01 franc français.

Lorsqu’on observe la situation du Bénin depuis 1960, on constate des améliorations, notamment en matière de santé et de scolarisation, mais la qualité de vie reste insatisfaisante. Le Bénin est classé 166/184 pays, selon l’indice de Développement Humain (IDH, PNUD, 2013). Le chômage et le sous-emploi restent préoccupants, touchant plus de 70,7 % de la population en âge de travailler et plus particulièrement les jeunes. Selon le dernier recensement (RGPH, 2002), 33 % des jeunes ont un emploi rémunéré contre 72,5 % pour les adultes et 17 % des jeunes sont des travailleurs familiaux non rémunérés contre 5,9 % pour les adultes. En outre 40 % de la population vivent en milieu urbain et Cotonou est de loin la plus grande ville du Bénin avec 815 000 habitants sur 6 769 914 (RGPH, 2002).

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2.3 Vers la transformation des parcours d’entrée en vie adulte?

Malgré le nombre croissant de productions scientifiques sur la modernité africaine (Copans, 1998; Ela, 1998), l’échec des programmes de développement et les très mauvais indicateurs sociaux et économiques dans la plupart des pays africains font que « l’Afrique des idées reçues » domine le débat et cantonne encore trop souvent le continent dans ses traditions immuables (Calvès et Marcoux, 2008). Or ces trente dernières années, le lien social en Afrique a été confronté à l’épreuve des mutations qui se sont imposées du fait des changements démographiques, sociaux (modernité, modernisation, urbanisation, démocratie, mondialisation) et notamment de la crise économique persistante qui induit une sollicitation à l’extrême des solidarités sociales en même temps qu’un épuisement des ressources disponibles pour répondre efficacement aux diverses sollicitations. Dans le même temps, les États dérogent à leurs engagements quasi paternalistes caractérisés, entre autres dans le cas béninois, par la fin des recrutements massifs et automatiques des diplômés dans la fonction publique au détour des années 1980. Plus généralement, les relais de solidarité susceptibles de provenir du système public sont quasiment inexistants dans les villes ouest-africaines en proie à une urbanisation rapide comme c’est le cas à Cotonou. Ces villes deviennent alors de « véritables laboratoires de dynamiques socio-économiques ».

Dans la perspective intergénérationnelle, la solidarité et la régulation sociale qui peut en découler se manifestent surtout durant le passage de l’individu vers l’âge adulte comme il découle de l’analyse des rites traditionnels de passage. Cette période constitue donc un champ d'observation privilégié des dynamiques générationnelles de la socialisation et des parcours de vie.

Les transformations que l’on note dans les parcours d’entrée en vie adulte sont essentiellement le fruit des influences que les institutions (famille, couple, école, État), de régulation sociale et les systèmes de solidarité ont subi à travers le temps (Bajoit et al.,

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2000; Schehr, 2000). Si on définit les institutions comme « un ensemble de schémas de conduite, de modèles (patterns) de comportement fixés sous l’effet de la répétition d’actions individuelles » (Dubar, 2000, p. 43),

…la famille, le couple et l’État demeurent des institutions, même moins fortes et moins consensuelles. Ces institutions ne correspondent plus tout à fait à ce qu’elles étaient au moment de la société industrielle et se sont diversifiées (Gaudet, 2001, p. 2)

Il y a eu comme une désinstitutionalisation, qui influe aussi sur les rôles et les statuts liés aux différents moments du cycle de vie (Giddens, 1991).

Comme le souligne Bozon (2002),

les rites de passage, qui organisaient et solennisaient naguère le processus de passage à l’âge adulte, ont cédé la place à une transition plus progressive, reposant sur des procédures informelles et éventuellement réversibles, parsemées de rites ponctuels. Ces « premières fois » n’inaugurent pas forcément l’entrée dans une phase d’expérimentation féconde, ni la construction progressive de la maturité sociale. Elles entretiennent un statut d’individu en transition et dissimulent mal le caractère tâtonnant du passage à l’âge adulte (Bozon 2002, p. 22).

En Afrique, si le discours d’une complexification des parcours d’entrée en vie adulte et de l’affaiblissement de la régulation sociale est de plus en plus avancé, les analyses approfondies basées sur de véritables comparaisons intergénérationnelles demeurent rares. Quelques auteurs (Calvès et al., 2007; Calvès et al., 2006; Hertrich et Lesclingand, 2003; Gondard-Delcroix, 2010; 2008; Antoine et al., 1992, 2001; Marroquin, 2009; Mouvagha- Sow M., 2001, etc. ) ont approché les mutations de parcours d’entrée en vie adulte en Afrique sous l’angle des trajectoires et de façon rétrospective. Quatre types de trajectoires 55 reviennent souvent dans les analyses : la trajectoire professionnelle, la trajectoire résidentielle, la trajectoire de vie féconde et la trajectoire matrimoniale. En dépit des différences de contexte, les résultats de ces études semblent globalement converger vers un consensus.

À Ouagadougou (Calvès et al 2007), Dakar, Antananarivo et Yaoundé (Antoine et al., 2001, 1992), les études montrent une entrée sur le marché de l’emploi de plus en plus tardive pour les hommes et les femmes de la nouvelle génération et plus particulièrement chez les personnes scolarisées. On note aussi une « informalisation » croissante du premier emploi, contrairement aux aînés scolarisés qui travaillent en grande partie dans la fonction publique. L’entrée en union est aussi nettement plus tardive chez les jeunes femmes, mais relativement aussi chez les jeunes hommes. À Ouagadougou par exemple l’entrée en union se fait autour de 21 ans chez les plus jeunes alors qu’elle s’établit à 17 ans pour les ainés (Calvès et al., 2007). Ces études montrent l’apparition de nouvelles formes d’entrée en union non maritale (Calvès et al., 2007 ; Calvès et al., 2006 ; Hertrich et Lesclingand, 2003 ; Marroquin 2009). Par exemple à Ouagadougou environ 28 % de personnes de la jeune génération sont en union non maritale contre à peine 5 % chez les aînés (Calvès et al., 2007). Il y a alors un changement du contexte d’union à la première naissance, celle-ci étant d’ailleurs différée. L’autonomie résidentielle subit aussi des modifications avec un départ du foyer familial retardé même chez ceux qui travaillent déjà, s’établissant autour de 24 ans au sein de la jeune génération à Ouagadougou (Calvès et al., 2007).

À 25 ans, à Dakar, seulement 14,7 % des hommes de la génération la plus âgée avaient connu les trois événements (emploi, mariage et autonomie résidentielle) contre une infime proportion de la plus jeune génération (6,7 %). Les proportions sont plus élevées à Yaoundé (respectivement 28,1 % et 18,4 %) et à Antananarivo (33,4 et 26,5 %), mais marquent dans les villes un retard dans le franchissement des étapes de passage au statut d’adulte (Antoine et al., 2001 p. 22).

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On assisterait donc de plus en plus à un allongement de la période de transition entre l’enfance et l’âge adulte et à l’émergence de nouvelles catégories de jeunes urbains difficilement « classables », qui transitent par des « états transitoires flous » (Calvès et al 2006).

Face à toutes ces mutations, Antoine et al., (2002), parle de « désynchronisation des étapes » et d’indépendance au rabais des jeunes, contraints de rester jeunes (Antoine et al., 2001, p. 27 ), alors que Calvès et al., (2007) évoque l’émergence de deux catégories nouvelles d’adultes émergents : les “apparents brûleurs d’étape” (mères célibataires par exemple) et les “passeurs de fausses étapes” (travailleurs hébergés par exemple).

La plupart des études précédemment évoquées ont porté sur des pays ouest-africains, mais pas spécifiquement sur le Bénin. De plus, toutes ces études ont été réalisées, il y a plus d’une dizaine d’années et, compte tenu du rythme des bouleversements socio-économiques au Bénin on est bien tenté de croire qu’il y a un besoin de renouvellement des approches méthodologiques, mais aussi d’appréhension des tendances nouvelles que prennent les trajectoires et les parcours d’entrée en vie adulte.

Selon Calvès et al., (2006) et Calvès et Marcoux (2004), le contexte typique de mise à mal du système de solidarité sociale et d’affaiblissement des relais de solidarité susceptibles de provenir du système public aurait entrainé des « états flous » et des « trajectoires complexes » de « devenir adulte ». Or, les enchaînements et les temporalités que prennent les évènements marquants le parcours d’entrée en âge adulte expriment pour une grande part, les modèles (parcours de vie et régulation sociale) transmis ou non, mais aussi les aides (solidarités, soutiens et supports) provenant de l’entourage social. En cherchant donc à analyser la dynamique des parcours d’entrée en vie adulte, l’on pourrait aussi réussir à savoir, comment, au fil du temps, les modalités de régulation et d’entraide sociale se transforment, s’affaiblissent ou disparaissent.

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Plusieurs questions subsistent: Par quels processus et quels cheminements, les jeunes deviennent adultes à Cotonou? Comment se construisent ces processus à travers les générations? Sous l’influence de quels types de régulation sociale? Quelles différences et ressemblances peut-on noter dans les parcours d’entrée en vie adulte en fonction du genre et de la génération? Ce sont là les questions fondamentales au cœur de notre thèse de Doctorat.

L’entrée en vie adulte pourrait se définir comme le franchissement d’un seuil au-delà duquel on sort de la catégorie des personnes à charge pour prendre en main son existence et devenir un véritable acteur de la société (Antoine et al., 2001). Selon Olivier Galland, entrer dans la vie adulte signifie occuper un certain nombre de statuts : avoir un emploi, être installé dans un logement indépendant de celui de ses parents, vivre en couple et fonder une famille (Galland, 1996). La définition des seuils occulte, de ce fait, l’ensemble des statuts intermédiaires qui peut s'intercaler entre les situations qui relèvent de l’adolescence et de l'âge adulte : emplois temporaires, stages professionnels rémunérés, apprentis-aide rémunérés, vie solitaire, vie en couple hors des liens du mariage, vie en couple sans enfant, célibataire avec enfants, etc.

Cette définition des seuils à franchir, censés délimiter l’entrée en vie adulte semble ne plus convenir au contexte social ouest-africain et béninois puisque l’entrée en vie adulte se révèle comme étant un processus dynamique et non un statut. C’est pourquoi Calvès et al. (2006, p. 143) affirment que les marqueurs « classiques » de l’entrée en vie adulte ne suffisent plus pour rendre compte « des états transitoires flous » qui caractérisent un nombre grandissant de jeunes dans les villes africaines aujourd’hui.

La présente recherche envisage alors de renouveler l’approche d’appréhension des modes d’entrée en vie adulte en articulant plusieurs dimensions pour aboutir à la définition des grands schèmes de parcours d’entrée en vie adulte. Nous envisageons aussi d’analyser

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chaque sphère ou trajectoire du parcours d’entrée en vie adulte afin d’appréhender les états intermédiaires, les « allers-retours » ou bifurcations ainsi que les logiques sociales sous- jacentes. En analysant les processus d’entrée en vie adulte, nous interrogeons aussi ce que la société apporte comme soutien et support aux jeunes, comment elle contribue à la structuration de leur parcours et sur quelles bases repose cette structuration.

L’objectif général poursuivi à travers ce travail est alors d’appréhender, dans une perspective générationnelle, la dynamique des trajectoires et des parcours d’entrée en vie adulte ainsi que les logiques sociales qui sous-tendent cette dynamique. De façon spécifique, il s’agit d’abord de procéder à une conceptualisation propice de la notion de parcours d’entrée en vie adulte et d’identifier les trajectoires pertinentes. Ensuite, il s’agit de repérer dans le séquençage des trajectoires les diverses transitions ainsi que les ruptures et les permanences d’une génération à l’autre. Enfin, il s’agit de procéder à une typologie des parcours d’entrée en vie adulte et de comparer la distribution des types de parcours au sein des deux cohortes étudiées.

Il faut préciser que les deux générations objet de cette étude ont été choisies sur la base de l’histoire socio-économique et politique du Bénin, mais aussi en prenant en compte les changements assez radicaux de conditions de vie qui séparent ces deux générations de Cotonois comme nous le verrons dans la section suivante.

2.4 Présentation de la ville de Cotonou et différences de contexte entre les deux générations

à l’étude

2.4.1 La ville de Cotonou : Un laboratoire de dynamiques sociales

La ville de Cotonou, érigée en commune puis en département (Littoral) à la faveur de la décentralisation et de la déconcentration de l’État, est la capitale économique de la 59

République du Bénin, en Afrique de l’Ouest. Sur le plan physique, Cotonou est située sur le cordon littoral qui s’étend entre le lac Nokoué et l’océan Atlantique.

L’origine de la ville de Cotonou remonte aux années 1830 sur l’initiative du Roi Guézo (illustre Roi d’Abomey). La ville fut créée pour des besoins liés essentiellement à la traite négrière pour laquelle, « Okutonou » ou « Koutonou » devenu Cotonou servait de point de transit et d’embarquement. Selon l’une des légendes, « Okutonou » serait une appellation signifiant en langue locale fon « au bord de la lagune de Okou ». Ce dernier serait un habitant toffin rencontré sur les lieux par l’envoyé du roi d’Abomey. Okoutonou désignerait donc un élément physique du cadre géographique (Koukpaki, 1986).

En 1888, le territoire de la ville a été cédé à la France par le roi d’Abomey, ce qui eut pour effet l’accélération du processus d’urbanisation avec des flux de peuplement venant d’horizons divers (Grand- Popo, Agoué, etc.) pour participer à la construction du Wharf de Cotonou puis à la mise en place et au fonctionnement des infrastructures de circulation des produits de l’économie de traite (Fondation ATEF OMAIF, 2010). Le petit village qui comptait 1175 âmes en 1905 est devenu aujourd’hui une grande ville ouest africaine, selon les données récentes de l’Institut Nationale de Statistique et l’Analyse Économique (INSAE 2003 ; INSAE, 20139).

Cotonou est aujourd’hui marquée par une co-urbanité galopante et accélérée, donnant progressivement naissance à une vaste « région urbaine » allant de Porto- Novo (à l’Est) jusqu’à Ouidah (à l’Ouest) et Abomey-Calavi (au Nord). Le taux d’urbanisation de la ville est passé de 36 % en 1992 à 40,4 % en 2002 (INSAE, RGPH3, 2002). Ce processus de co- urbanisation est favorisé non seulement par l’extension et la densification de la trame urbaine, mais aussi par l’occupation spontanée de la périphérie cotonoise; situation qui

9 Le dernier recensement en date au Bénin a eu lieu de 2012 à 2013. Au moment de la rédaction de la thèse, les résultats officiels n’étaient pas encore disponibles. Cependant nous avions eu accès aux résultats provisoires que nous présentons dans la suite (page 54). 60

exerce une pression parcellaire sur la végétation et le foncier (Tchibozo, 2008). Cotonou connait des vagues récurrentes de migration interne du fait de sa position socio-économique particulière. On y rencontre la quasi-totalité des services administratifs nationaux, les ambassades, les agences de coopération, les sièges des institutions internationales, etc., mais aussi la quasi- totalité du potentiel économique du pays (maisons de commerce, industrie.) y compris le marché international de Dantokpa, le seul aéroport du Pays et l’unique port autonome. La ville subit aussi les influences socio-économique et démographique du géant voisin qu’est le Nigeria.

Sur le plan administratif, Cotonou est aujourd’hui divisée en 13 arrondissements (figure 1), subdivisée en 144 quartiers et s’étendant sur une superficie de 79 Km².

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Figure 1: découpage administratif de la commune de Cotonou.

Source : Plan de Développement communal de la ville de Cotonou, 2009

Selon le Recensement Général de la Population et de l’Habitat effectué par l’INSAE en 2002, les ethnies rencontrées à Cotonou sont majoritairement les Fon (32,9 %) et les Goun (15,2 %). On y trouve également les Mina (5,9 %) et les Yoruba (5,5 %). Sur le plan religieux, on retrouve notamment les catholiques (57,8 %) et les musulmans (14,2 %). Les autres chrétiens et les célestes font respectivement 4,4 % et 7,8 %, mais il faut noter un fort syncrétisme religieux dans un contexte où la pratique religieuse reste presque toujours influencée par les us, les coutumes et les pratiques de la religion vodoun. C’est ce constat qui faisait dire au missionnaire Francis Aupiais, alors Curé de Porto-Novo en 1928 que la religion vodoun contient les vestiges d’une révélation (c’est une religion « naturelle ») et ses valeurs doivent être récupérées, par exemple en africanisant les rites catholiques, et en formant au plus tôt un clergé indigène (Aupiais, 1928 cité par Martine Balard, 2007).

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La population dénombrée à Cotonou était de 665 100 habitants en 2002 suivant les résultats du 3ème Recensement Général de la Population et de l’Habitation de 2002 (RGPH 3, 2002). Il a été dénombré dans cette population 94,5 hommes pour 100 femmes. Le poids démographique de Cotonou était d’environ 10 % de la population du pays avec une densité moyenne de 8420 habitants au Km2. Cette population serait passée à 678874 en 2013 (Rapport provisoire RGPH 4, INSAE 201310).

Le tableau 2 qui suit, résume pour la ville de Cotonou quelques statistiques importantes tirées du RGPH 3 (2002).

Tableau 2 : Quelques données démographiques sur la ville de Cotonou

Population de moins de 15 ans 34,1 %

Population 15 à 34 ans 62,7 %

Population 35 à 60 ans 34 %

60 ans et + 3,3%

Taille moyenne des ménages 4,31

Taux de croissance démographique 2,17 %

Population de moins de 15 ans scolarisée 78,6 %

Source : Recensement Général de la population, 2002

À l’instar de plusieurs villes africaines, la population Cotonoise est relativement jeune. Les données du recensement de 2002 montrent que 78,6 % de la population a entre 15 et 59 ans. Les plus âgés, à savoir ceux qui ont 60 ans et plus, ne représentent que 3,3 % de la

10 Rapport partiel et provisoire du recensement de la population béninoise en 2013 disponible sur http://www.insae-bj.org/ 63 population et les moins de 15 ans 34,1 % de l’effectif total. Autrement dit, environ 6 personnes sur 10 ont 18 ans et plus à Cotonou.

L’ensemble des données présentées permet d’inscrire l’urbanisation cotonoise dans le courant du modèle de la « ville africaine » perçue comme un « ensemble urbain mal fagoté, bricolé à la hâte » (Pedrazzini et al., 2009). Dans cette perspective, plusieurs auteurs montrent que les villes africaines se trouvent engagées dans une urbanisation accélérée, mosaïque, intermittente, anarchique, mal négociée et mal construite (Dubresson et Jaglin, 2002; Houssay-Holzschuch, 2002, 1998; Jaglin, 2001; Chandon-Moêt, 1998; etc.). Ces auteurs s’accordent sur la « crise de l’urbanisation » africaine, avec comme résultats des villes « éparpillées », « poubelles », « villes insalubres ou polluées », « villes fragmentées », « villes cruelles », « bidonvillisées », « disloquées » où des populations en provenance continue des campagnes, font face à la grande pauvreté urbaine et inventent des réseaux et des pratiques illicites qui compromettent toute efficacité d’une réelle politique urbaine. Les regroupements ethniques et la réinvention des habitus communautaires sont visibles dans les quartiers populeux et entraînent une recréation des « villages dans les villes » (Young et Willmott, 1983). Les auteurs soulignent une véritable « colonisation » des rues et des espaces vides qui sont transformés de façon anarchique en des lieux de la « débrouillardise » (Ela, 1998).

Ces analyses globalisantes ou dominantes en termes de blocages structurels et conjoncturels ne prédisposent pas à découvrir l’invention de la ville africaine. Les évocations en termes de poids du passé colonial, de déficits de planification, de politiques urbaines confuses et d’une omniprésente pauvreté qui condamne à la survie et à l’insécurité, sont certes justifiées, mais elles semblent cependant assez réductrices. Cotonou à l’image de l’Afrique urbaine semble être aujourd’hui en pleine mutation, à la fois pour des raisons démographiques et pour les dynamiques plurielles créatrices d’innovations sociales renouvelées et diversifiées qui s’y déroulent. Djouda Feudjio (2010) dira que l’Afrique urbaine n’est pas seulement un espace de violence, d’insécurité, de pauvreté et de crises. 64

Elle est aussi le lieu de multiples métissages, de construction de réseaux sociaux et économiques, de nouvelles cultures urbaines, de solidarités innovantes et de syncrétismes créateurs (Djouda Feudjio, 2010).

C’est dire que la ville africaine ne saurait plus être analysée seulement comme « ville disloquée », sans avenir, mais il y a lieu de l’observer aussi comme un véritable « laboratoire » des dynamiques urbaines. Cette perspective se retrouve de plus en plus chez bons nombres d’auteurs (Ela, 1998; Durang, 2001). Pour Ela (1998), ce qu’il faut voir aujourd’hui, c’est une Afrique à l’état naissant, dans une période de transition où l’on doit être attentif aux lieux d’initiatives, aux champs sociaux où se construisent les nouveaux modes de vie, les réinterprétations confuses, les dynamiques imprévues, les évolutions annonciatrices de ruptures politiques, sociales et économiques (Ela, 1998). La « ville africaine » est le lieu de gestation d’une culture urbaine qui n’est ni celle du village, ni comme on l’a longtemps cru, une sous-culture mimétique d’importation. Cette culture urbaine transparaît dans les mentalités et dans les paysages urbains, ainsi qu’au cœur de la vie quotidienne domestique (Durang, 2001).

C’est dans cette perspective de dualité qu’il faut désormais lire les phénomènes sociaux (dynamiques des parcours de vie, transitions vers l’âge adulte, dynamiques des trajectoires de vie, etc.) dans les milieux urbains africains comme la ville de Cotonou.

65

2.4.2 Mise en contexte général des conditions de vie des deux générations de Cotonois

étudiés

Compte tenu des objectifs de notre recherche, il est important de choisir les deux générations à soumettre à l’analyse en tenant compte des différences de contexte sur les plans socio-économiques et politiques. Étant donné que la présente recherche vise à comparer les parcours d’entrée en vie adulte des individus issus de deux «générations» marquées par des contextes socio-économique, politique et démographique fort différents, il est primordial de s’assurer que ces différences de contexte existent réellement entre les deux générations. À cet effet, nous avions entrepris de réaliser un tour d’horizon de la littérature afin de saisir les mutations de contexte et de conditions de vie dans la ville de Cotonou depuis 1945. Ce tour d’horizon nous permet de cibler de façon appropriée les cohortes à soumettre à l’analyse.

Dans le contexte d’étude, les données statistiques font souvent défaut, notamment lorsqu’on souhaite retracer des évolutions dans le temps. Nous avions alors combiné plusieurs sources de données afin d’avoir un aperçu global des principales transformations économique, démographique et politique que la ville de Cotonou a connues depuis 1945. Pour ce faire, nous faisons référence aux données de différentes enquêtes démographiques et de santé, mais aussi aux données de recensement général de la population. Nous utilisons aussi les résultats de quelques rares travaux de recherche qui retracent dans une perspective historique le portrait socio-économique et politique de la ville de Cotonou.

Au terme de cet exercice, deux générations nous semblent pertinentes comme population cible de la présente étude. D’abord, les personnes nées entre 1945 et 1960 et qui auraient pour la plupart réalisés leur parcours d’entrée en vie adulte entre 1960 et 1985, puis ensuite, les personnes nées entre 1975 et 1990, et qui seraient pour la plupart en train de réaliser leur parcours d’entré en vie adulte entre 1990 et actuellement. 66

Nous focalisons la suite de la présentation sur les principales différences de contexte et de conditions de vie, qu’on peut noter entre la période 1960-1985 et la période de 1990 à nos jours dans la ville de Cotonois.

Porte océane et aéroportuaire, Cotonou était déjà la capitale commerciale de la colonie Dahoméenne (nom du Bénin avant l’indépendance) et abritait le siège de toutes les maisons de commerce, ainsi que les quatre premières banques du Dahomey: Banque d'Afrique occidentale (BAO), Banque nationale pour le commerce et l'industrie (BNCI), Crédit Lyonais (1942) et Banque commerciale africaine (1950). À l’époque seconde ville béninoise après Porto-Novo, Cotonou s'est développée selon un plan en damier entre 1945- 1985. En effet, du fait de sa position géographique au bord de la côte atlantique et de sa fonction de drainage et d'évacuation des produits de traite, la ville a bénéficié à partir de 1945 d’un intérêt croissant de la part du gouvernement colonial, intérêt qui s’est poursuivi après l’indépendance en 1960 et d’une certaine manière jusqu’à nos jours.

Entre 1945 et 1952, Cotonou, où se trouvaient concentrées d'importantes infrastructures de transport (routes, ponts, wharf, aéroport) et une forte colonie de Français (en 1945, 848 européens et assimilés habitaient Cotonou, contre 427 à Porto-Novo), connut un regain d’intérêt puisqu’à Porto-Novo, le plan d'aménagement urbain se heurtait dans sa phase d'application à d'énormes difficultés liées à des traditions ancestrales (Sotindjo, 1999, p. 92). D’importants crédits publics furent alors déboursés pour la réalisation du zonage de la ville, la rénovation du wharf, la modernisation de l'aéroport de Cadjèhoun et l'installation des réseaux techniques d'eau, d'énergie électrique et de téléphonie à Cotonou.

L'entrée du pays dans l’ère de l’indépendance le 1er Août 1960, n'a fait qu’accélérer cette polarisation des investissements publics à Cotonou. Plusieurs autres réalisations urbanistiques et socio-économiques ont en effet vu le jour entre 1960 et 1985 à la faveur des deux premiers plans de développement économique et social du Bénin (1962-1966 et 67

1966-1970) qui accordèrent à Cotonou plusieurs financements en plus d’une responsabilité de siège du gouvernement. Ces deux plans de développement, en plus des accords de crédits externes (Fonds d’Investissement de Développement Économique et Social, Fonds d’Aide et de Coopération, Fonds Européen de Développement) et internes (budget local ou national, Fonds d’investissement National,) ont vu la liste des réalisations socio- économique, s’allongée considérablement (Sotindjo, 2009 p. 95).

Au nombre des réalisations, on note la construction de l'imposant hôpital des 350 lits (1963), du bâtiment multi-étagé des travaux publics (1962-1963), de la grande maternité lagune (1961), du palais présidentiel (1963), du palais de l’Union Africaine et Malgache (1963) dont la rotonde évoque la «calebasse africaine », du palais de justice (1961-1963), du hall des arts (1961-1963), de la place de l’indépendance (1961-1963) et la création du nouveau quartier de la Patte d'Oie avec un projet immobilier pour y domicilier les grands services administratifs nationaux ainsi que certains fonctionnaires (Sotindjo, 1999, p.93 ; 2009, p. 95).

Avec l’installation du siège du gouvernement à Cotonou en 1963, on assiste à un repli des services publics d’intérêt général et des fonctionnaires (ministère et direction de services publics notamment) de Porto-Novo vers Cotonou. D’autres réalisations d’infrastructures s’enchaînent alors. On peut citer, la construction du grand marché international de Dantokpa à partir de 1968, du stade omnisport de Kouhounou et des hôtels PLM Alédjo et Shératon. L’idée du remplacement du wharf de Cotonou par un port en eau profonde, déjà latente en 1950, se concrétisa aussi avec la finition des travaux au printemps 1965 (Bernard, 1964 p. 711). Sur le plan économique et administratif, la construction du port autonome de Cotonou fût un précieux outil d’intégration régional. L’évolution impressionnante du trafic exigea d’ailleurs la nécessité d’entreprendre des travaux d’extension dès 1979 jusqu’en Juin 1982 (Sotindjo, 2009, p. 99).

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Les activités du port de Cotonou, avec son fort potentiel en création d’emploi, les nombreuses constructions de bâtiments administratifs et de services administratifs ainsi que les opportunités socio-économiques affiliées, ont attiré vers la ville une foule impressionnante et diversifiée de population (ouvrier, technicien en bâtiment, administratif, fonctionnaire, cadre, ouvrier industriel, etc.). On assiste alors véritablement à l’émergence d’une métropole nationale entre 1976 et 1985.

Arrivé au pouvoir en Octobre 1972, le Général Mathieu Kérékou procède à une nouvelle orientation politique et économique du pays à partir de 1974. Le marxisme-léninisme devient la nouvelle philosophie politique du pays et le socialisme scientifique la nouvelle voie de développement économique (Banegas, 1995, p. 34). Sur le plan économique, cette réorientation s’est traduite par l’extension rapide des sociétés d’État suite à la vague de nationalisation, soldée dans un premier temps par des résultats économiques encourageants. C’est d’ailleurs pendant cette période entre 1973 et 1981 et sous le régime révolutionnaire que le pays a connu sa plus forte croissance économique de l’histoire avec un taux de 8 à 11 %. (Igué 2011, pp. 3-4).

De douze en 1972, le nombre d’entreprises publiques et semi-publiques passe rapidement à 120 en 1980. Selon le recensement des entreprises réalisées par l’INSAE en 1976, sur les 75 entreprises industrielles recensées au Bénin, 63 étaient localisées à Cotonou (Sotindjo, 2009 p. 107). Le recensement des entreprises en 1980, montre que 71% des entreprises modernes, 69,6% des travailleurs d’entreprises modernes et 80% des cadres supérieurs des entreprises se retrouvent à Cotonou qui est devenu une plate-forme incontournable en tant que marché de l’emploi et destination privilégiée des primo-demandeurs d’emploi et autres déclassés du monde rural (Guingnido, 1992, p. 83). Fidèle à son engagement marxiste, le Président Kérékou entreprend d’intégrer automatiquement à la fonction publique les diplômés de la seule université de l’époque, ceux des écoles normales d’enseignants et d’instituteurs ainsi que les béninois formés à l’extérieur, provoquant ainsi un gonflement des effectifs de l’administration publique. Entre 1977 et 1980, l’effectif de l’administration

69 publique béninoise a connu une croissance de 48%, avec des effets bénéfiques pour Cotonou, siège du gouvernement (Guingnido, Op. Cit.). Selon Loko (2001, p. 2), les effectifs sont passés de 9200 à 47000 agents permanents de l’État entre 1972 et 1987. Ce gonflement des effectifs, dont le but implicite était d'assurer une certaine gestion sociale de 1'emploi, s'est effectué sans référence à l'évolution des recettes courantes de l'État. La répartition des effectifs d’agents permanents de l’État en Juillet 1984, montre que 45% des cadres supérieurs et 26% de l’ensemble du personnel public sont en fonction à Cotonou (Guingnido, 1992, p. 83).

Le contexte socio-économique particulièrement favorable de la ville, notamment entre 1970 et 1980, ainsi que l’amélioration progressive des conditions de vie associées, a entraîné une croissance importante au plan démographique. La population de Cotonou est en effet passée de 78300 en 1961 à 536827 en 1992 (Sotindjo, 1999, p. 93). Le rythme moyen de croissance de la ville de Cotonou passe de 4 % par an entre 1945-1955 à plus de 8 % entre 1976 et 1985 avant de descendre à 4 % au cours des années 1990 à 2000 (Sotindjo, 1999). Cette baisse du taux de croissance de la population cache des dynamiques d’extension de la ville de Cotonou vers sa périphérie, mais révèle aussi un ralentissement de flux migratoire consécutif à la dégradation des conditions de vie dans la ville après les années difficiles 1989-1990. En effet, le ralentissement accusé dans l'augmentation des effectifs de la population de la ville s'explique aussi bien par l'imposition des limites territoriales de la ville, qui sont restées inchangées depuis 1979, que par la croissance de la banlieue de Cotonou, comme en témoigne le rythme de croissance élevée de la population des villes avoisinantes (Sèmè-Kpodji et Abomey-Calavi) perçue comme une réponse aux contraintes socio-économiques, environnementales ou liées aux foncier (exiguïté, insalubrité, inondation chronique, pollution de toutes sortes), et à l’augmentation de la pauvreté urbaine qui a favorisé la péri-urbanisation.

À la faveur de la crise économique devenue politique, de la corruption au cœur de l’appareil d’État et de la baisse des soutiens venant de l’Est (chute du mur de Berlin), 70

plusieurs entreprises publiques en difficultés en 1982-1983, ont mis en place des plans de liquidation. Les négociations avec les Institutions de Bretons Woods aboutirent à un premier programme d’ajustement structurel en 1989, suivi d’un second en 1991. Ces programmes d’ajustement ont entraîné des vagues de mise à la retraite, de licenciement massif et une dégradation des conditions de vie des Cotonois. Le Bénin venait d’entrer dans une nouvelle ère et après quelques années de tension politique, la conférence nationale permet l’entrée au gouvernement du président Soglo qui, malgré la situation économique désastreuse, conduit le pays vers sa première élection présidentielle démocratique.

Selon l’observatoire de l’emploi, entre 1990 et 1995, 17410 emplois ont été supprimés dont 9500 spécifiquement dans la fonction publique (Projet Ben/87/023, Cotonou, p. 23). Le taux de chômage à Cotonou est estimé en 1993 à 8,5 % et celui du sous-emploi à 30 % (Agoli-Agbo, 1996, p. 1). La situation des années 90 est donc complètement inédite, lorsqu’on sait par exemple qu’en 1968, le taux de chômage et de sous-emploi avoisinait ensemble à peine 4% à Cotonou (Hausser, 1970, p. 672). La plupart des nouveaux chômeurs ont reçu des primes de licenciement et certains se sont achetés des motocyclettes afin de se lancer dans le transport urbain à Cotonou faisant ainsi passé l’effectif des taxis- moto (Zémidjan) d’une douzaine en 1982-1983 à plus de 20000 en 1992-1993. Cotonou doit désormais faire face aux problèmes de gestion urbaine, de chômage, de sécurité et de vente d’essence frelatée en provenance du Nigéria voisin. L’économie s’informalise à outrance puisque les nombreux chômeurs et les nouveaux diplômés développent désormais des stratégies de débrouille. Étant donné que Cotonou reste de loin le pôle économique du pays, il continue à recevoir des flux de populations qui viennent des villes et villages périphériques pour y chercher leur pain quotidien, puisque la morosité a atteint l’ensemble du pays.

Après la conférence nationale, le nouveau gouvernement démocratique, dirigé par Nicéphore Soglo, a entrepris l’assainissement des finances publiques, l’aménagement du réseau routier et la relance de l’économie dans un contexte difficile caractérisé par les

71 programmes d’ajustement structurel et plus tard la dévaluation du franc CFA. À partir de 1994 par exemple, pour pallier à la pénurie d'effectifs du personnel de l'État suite au gel du recrutement dans la fonction publique intervenu à partir de 1986, le Gouvernement béninois a opéré des recrutements d'agents contractuels avec cependant des contrats précaires et une disparité dans les salaires. La reprise des concours de recrutement d’agents permanents ou contractuels de l’État est devenue dès 1997 une nécessité absolue, mais de façon maîtrisée par le biais du principe d’un recrutement pour trois départs à la retraite (Loko, 2001, p. 1). Plusieurs travaux d’envergure ont été mis en œuvre par le gouvernement de façon relativement plus disséminées sur l’ensemble du territoire. À Cotonou, on assiste par exemple au pavage de plusieurs tronçons de voie et à la construction de la voie autoroutière venant de Porto-Novo, de l’avenue Monseigneur Steinmetz, de l’avenue Pierre Delorme, du boulevard de France, de la voie autoroutière du rond-point « Le bélier », etc. (N’bessa 1997).

De 536827 en 1992, la population Cotonoise passe à 665100 habitants en 2002. Une population confrontée à des conditions de vie devenues certes plus modernes, mais plus difficiles et inégalitaires. De plus en plus de gens commencent à s’installer à la périphérie de la ville afin d’éviter de subir l’augmentation du prix du loyer et du foncier. Sur les 665.100 habitants de Cotonou, 62,7% était des actifs (15-59 ans) avec des disparités selon l’âge et le genre (Troisième récemment de l’habitat et de la population, 2002). Par exemple, avant l’âge de 25 ans, 42 % des femmes étaient en activités contre 30 % des hommes du même âge. Après 55 ans, plus d’une femme sur deux était en activité (54 %) contre 45 % pour les hommes. La structure de l'emploi montre que la population active est occupée en majorité dans le secteur informel. En effet, ce secteur utilise 82 % des actifs contre 17,2 % pour le secteur formel réparti de façon inégale entre le secteur public (7 %) et le secteur privé (10,2 %). Le recensement de 2002 a permis de dénombrer 154 346 ménages à Cotonou, avec une taille moyenne de 4,31 personnes par ménage. Parmi ces ménages, 61 000 sont classés comme pauvres et 30 874 sont considérés comme très pauvres. Il importe de préciser qu’il y a dans la ville de Cotonou une spatialisation relativement homogène de

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la pauvreté. En ce qui concerne les conditions d’habitation, sur les 154346 ménages que comptait la ville en 2002, 48% était des locataires. Entre 1979 et 2002, on note une modification dans la structure du statut d'occupation des unités d'habitation selon les données des 3 recensements (RGPH, 1, 2 et 3). En effet, si la proportion de locataires reste relativement stable, il a été observé une baisse progressive de la proportion des propriétaires, tandis que celle de la propriété familiale commence par croître. Cette modification trouve une explication plausible dans les difficultés économiques des années 1990-2000, qui auraient limité l'accès au statut de propriétaire et contraint les éventuels prétendants à rester en location ou regagner des propriétés familiales. L'acquisition d'une parcelle devient difficile, du fait de l’augmentation des prix du foncier à Cotonou en l’espace de quelques années. Certains propriétaires fonciers préfèrent même vendre leur propriété aux opérateurs économiques pour aller chercher des sites d’habitations vers les périphéries de la ville. L'absence de planification urbaine appropriée et le retard dans les opérations de lotissement ont conduit à une occupation spontanée des zones inondables et l'extension des structures villageoises de base dans des conditions d'habitat peu saines, créant ainsi des problèmes de salubrité, malgré la mise en œuvre du projet d’assainissement des quartiers populeux de Cotonou démarré en 1996.

Sur le plan économique, le produit local brut de Cotonou (PLB) est passé de 470 milliards en 1990 à 629 milliards en 2005, mais le produit brut local moyen par habitant a baissé passant de 906 000 FCFA en 1990 à 887 000 CFA en 2005 (Mairie de Cotonou, 2006). Cette baisse est principalement imputable à la stagnation du secteur industriel, dont la contribution au PLB de Cotonou a chuté passant de 55% en 1990 à 50% en 2005, entraînant la baisse de la contribution de la commune de Cotonou à la formation du Produit Intérieur Brut national qui passe de 36% en 1990 à 27% en 2005 (Mairie de Cotonou, Op. Cit.).

Les difficultés socio-économiques des années 1990-2000, ne semblent pas s’estomper après le passage dans le 21ème siècle, même si le pays a connu des améliorations notables en terme de scolarisation, de santé et d’enracinement de la démocratie et des droits humains.

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De 4% en 1968, la somme des taux de chômage et de sous-emploi, a connu une évolution en dents de scie tout en restant au-dessus de niveau national. Ce taux était à Cotonou de 9,3% en 2006 ; 5,1% en 2007 ; 3,2% en 2010 et 6,1% en 2011 et 6,7% en 2013 (EMICOV, 2011, p. 25 ; résultats provisoires RGPH 4). Par ailleurs, le chômage augmente avec le niveau d’instruction. Il atteint 12,5% pour les individus ayant le niveau supérieur et 8,4% pour ceux ayant le niveau secondaire. Le sous-emploi visible (moins de 35 heures de travail par semaine) et le travail excessif (48 heures ou plus de travail par semaine) touchent quant à eux près de la moitié des actifs occupés à Cotonou en 2011 (EMICOV, 2011, p. xiv). La baisse du taux de chômage à Cotonou entre 2006 et 2010 coïncide avec la série des travaux et de réformes initiées par le nouveau gouvernement après les élections de 2006. En 2011, la hausse du chômage est la conséquence de la croissance économique, des scandales financiers et du déficit de vision prospective tant au sommet de l’État qu’au niveau de l’administration municipale.

En 2013, la pauvreté monétaire touchait environ une personne sur quatre (25,9%) à Cotonou, selon les données de l’institut national de statistiques et de l’analyse économique (INSAE, 2013). Depuis la mise en œuvre de l’initiative de décentralisation et de déconcentration qui aboutit aux premières élections communales et municipales en décembre 2003, les efforts de développement sont de moins en moins concentrés sur Cotonou, alors que la municipalité n’a visiblement pas les moyens et les politiques pour prendre en charge le destin de la ville. Cotonou, qui ne s’est pas encore relevé des difficultés précédentes, est amené à partager de plus en plus les investissements publics avec d’autres localités, même si elle conserve une place primordiale dans les politiques publiques. Avec 28,2% de salariés, Cotonou reste malgré tout la ville qui enregistre le plus fort taux de salarisation contre 11% pour les autres milieux urbains (INSAE, 2013, p. 135), mais les réalités connues par la jeunesse entre 1960 et 1985 et la jeunesse actuelle depuis 1990, sont substantivement différentes.

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Pour désigner les deux générations ciblées par la présente étude, nous utiliserons souvent les concepts de cohorte ou de génération des jeunes, puis de cohorte ou de génération des aînés. Dans certains cas, nous parlerons de cohorte récente et ancienne ou simplement de « jeunes » et d’ « aînés » avec les considérations suivantes :

• Sont considérés comme aîné les personnes nées entre 1945 et 1960 et qui ont alors en 2012 entre 50 et 67 ans : il s’agit ici de la génération qui représente historiquement le groupe des enfants de l’indépendance et qui était jeune adulte émergeant à l’époque du paternalisme étatique comme présenté dans la première partie. • Sont considérés comme jeune les personnes nées entre 1975 et 1990 et qui ont alors en 2012 entre 22 et 37 ans : Ces derniers représentent la génération des enfants du renouveau démocratique, de la dévaluation du franc CFA, et du chômage. Il s’agit en fait du groupe des jeunes qui vivent la résultante de tous les bouleversements socio-économiques et démographiques du pays à un moment où ils passent probablement leur entrée en vie adulte.

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E sɔ bese nyi do kpa gudo : dɔn xwe ɖe xwe (proverbe fon du Bénin). Traduction : On a lancé une grenouille par-dessus la palissade: maison là-bas, maison ici rétorqua-t-il. Explication: se dit pour signaler qu'on s’adapte facilement à toutes situations ou pour signaler à quelqu'un qui essai de vous mettre en situation embarrassante ou négative, qu'il est encore loin d’avoir raison de vous.

Partie 2 : Cadre théorique et méthodologique de la recherche

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Chapitre 3 : L’analyse de la dynamique des parcours et des trajectoires d’entrée en

vie adulte : Cadre théorique

Il existe en sociologie, une longue tradition de recherche sur la jeunesse et l’ « entrée en vie adulte », qu’on peut aussi appeler la « maturescence », par analogie à l’adolescence (Attias-Donfut, 1989). Les analyses sociologiques qui portent sur la jeunesse ont foisonné dans le courant des années 1940 à 197011, puisque les jeunes, comme groupe social, devenaient des acteurs sociaux en raison de la conjoncture sociopolitique et démographique.

Avant la Deuxième Guerre mondiale, un courant de la sociologie s’est intéressé aux jeunes comme initiateur de changement social, puisqu’ils étaient soit bénéficiaires, soit victimes de plans d'action dans le domaine de l'emploi, de la formation et de la politique globale (Merton, 1944; Centers, 1950). On retrouve dans ce courant les travaux de Merton (1944) sur le problème de « l'employabilité » des jeunes sortant des « high schools » pendant la crise des années 30, ainsi que les travaux de Centers (1950, 1953) sur la «génération du New Deal». Dans ces travaux, les jeunes ne sont pas directement considérés comme objet de recherche, mais l’analyse des effets de politiques publiques et notamment des mesures interventionnistes du New Deal12 (de 1933 à 1938), amènent les auteurs à aborder entre autres la situation des jeunes.

Une seconde perspective sociologique inaugurée par Linton (1949) et Parsons (1951, 1955, 1956, 1957) s’est aussi développée notamment depuis la Deuxième Guerre mondiale. L’originalité de ce courant réside dans le fait que le statut, les manifestations et le contenu du vécu de la jeunesse deviennent des objets sociologiques par eux-mêmes, significatifs dans un cadre théorique général ou mieux d'un système : le structuro-

11 Dans la vaste littérature produite aux États-Unis à cet effet, on retrouve: Mead (1939); Linton (1940); Davis (1940); Parsons (1942); Merton (1944); Centers (1950); Einsenstadt (1956); Coleman (1961); Kenniston (1971). 12 Ensemble de mesures mises en place le Président Franklin Delano Roosevelt pour lutter contre les effets de la Grande Dépression aux États-Unis. 79

fonctionnalisme (de Maupéou-Abboud, 1966, p. 492). L’analyse de faits empiriques en lien avec la jeunesse est déduite d'une analyse des principes de fonctionnement du système social tels qu'analysés par Parsons et son école. Ce dernier analyse la société comme un système où les individus adultes ont des rôles sociaux bien définis et où la famille comme sous-système social est un creuset de transmission des rôles, des normes et des valeurs implicites et explicites qui définissent une société donnée (Parsons, 1951, 1957). Bien que cette perspective théorique comporte plusieurs biais, notamment parce qu’elle ne permet pas d’analyser la résistance à la conformité sociale, elle a néanmoins influencé fondamentalement l’analyse de la jeunesse.

Une troisième perspective sociologique en marge du structuro-fonctionnalisme, conserve le souci de lier le contenu, le statut et les manifestations de la jeunesse d'une part, et les caractéristiques de la société où on les saisit, d'autre part (Maupéou-Abboud, 1966, Matza, 1955; Berger, 1963). Ce courant s’inspire des analyses marxistes, mais aussi, et surtout du relationnisme méthodologique de (1938), ainsi que ses extensions que sont : l’interaction dynamique (Norbert Elias) et la réciprocité (Marcel Mauss). Cette dernière perspective présente l’intérêt de tenir compte des interactions sociales entre la société et l’adulte en devenir. À cet effet Matza (1955) propose une excellente définition de la conformité sociale, point de vue d’ailleurs repris par Berger (1963). La conformité sociale est :

Un trait latent chez l'homme des sociétés modernes, au même titre que la volonté de conformité face aux normes de conduite imposées par l'ensemble social. En tout individu existe donc une possibilité d'ambivalence à l'égard du système social; cette possibilité s'actualise d'autant plus que le lien est plus lâche entre l'individu et le système social, c'est-à-dire que le premier est moins intégré dans des structures et des rôles fonctionnels contraignants : c'est le cas de l'adolescent qui, par suite de l'allongement de la période d'apprentissage social dans les sociétés modernes, est, comparativement à l'adulte, davantage socialement « en roue libre » (Matza, 1955, p. 32).

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Notre propos s’inscrit amplement dans cette dernière perspective sociologique qui permet de ne pas s’enfermer dans des idées reçues ou de se cantonner à la dichotomie entre conformité et résistance ou entre individualisme et communautarisme pour explorer véritablement l’essence sociale des interrelations entre l’individu et son entourage.

Pour répondre par ailleurs au besoin méthodologique souligné dans plusieurs recherches antérieures sur les parcours d’entrée en vie adulte (Calvès et al., 2006 ; Calvès et al., 2007 ; Beaujot, 2004 ; Galland 1996 ; Bidart 2004) et reprises dans notre problématique, la présente recherche garde une distance par rapport à la « théorie des seuils » dans l’appréhension du parcours et des trajectoires d’entrée en vie adulte. Notre recherche s’inscrit dans une perspective de parcours de vie, portant une attention particulière à la biographie et à la perception (subjective) des acteurs.

Dans ce chapitre, nous commençons d’abord par présenter les bases du relationnisme méthodologique dans lequel s’inscrit notre propos, avant d’aborder les concepts de génération et de cohorte puis enfin les orientations théoriques pour l’analyse dynamique des parcours sociaux.

Il est important de souligner que l’inscription de la recherche dans le courant du relationnisme méthodologique se justifie par le fait que cette perspective permet de ne pas cantonner les analyses au modèle communautaire des relations entre l’individu, la famille et la société.

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3.1 Relationnisme méthodologique : l’interdépendance dynamique et la réciprocité

Dans la présente recherche, nous nous inscrivons dans la perspective du relationnisme méthodologique ou comme l’appelle la perspective de l’ « individualisme structural » où les individus font la société et les sociétés font l’individu (Simmel, 1908). L’usage des singuliers et des pluriels sont dans cette assertion de Simmel, particulièrement important. Ce sont les individus qui, en adhérant à un groupe social en fonction de leurs intérêts, par choix ou par nature, font le groupe social. Mais à partir du moment où les groupes sociaux ne connaissent vraisemblablement plus de frontière ni de délimitation tranchée, ce sont les groupes sociaux auxquels appartient l’individu qui en exerçant une contrainte relativement formelle lui confèrent son individualité.

Le relationnisme méthodologique, inscrit le fondement des actions de l’individu dans les relations sociales. Ainsi au début de son « Introduction à la philosophie de l'histoire », Raymond Aron, qui cherchait à situer la connaissance historique dans les formes de connaissance de l'homme par lui-même, consacre une section au thème « Esprit objectif et réalité collective » où il affirmait :

Nous avons jusqu'à présent simplifié l'analyse en supposant d'abord un individu isolé, puis en mettant face à face deux individus, en dehors de toute communauté sociale ou spirituelle - abstraction commode, mais qui défigure la situation [....]. Un fait est pour nous fondamental : la communauté créée par la priorité en chacun de l'esprit objectif sur l'esprit individuel est la donnée historiquement, concrètement première. [....] Dans et par les individus, les représentations communes arrivent à la clarté, dans et par eux se réalisent les communautés qui toujours les précèdent et les dépassent. La description ne justifie aucune métaphysique, ni celle des âmes nationales, ni celle d'une conscience d'une réalité à la fois transcendante et interne aux hommes, sociale et spirituelle, totale et multiple (Aron, 1938, pp. 73-79).

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Cette tentative d'aller au-delà du clivage entre communautarisme et individualisme a aussi été le souci de bon nombre de sociologues contemporains (Martucelli, 2002, Piaget, 1965, Dagenais, 1999, etc.).

L'analyse sociologique de l'individu ne doit plus se faire en revenant à une théorie désormais incantatoire de la société, et au primat absolu de l'analyse positionnelle, ni en partant d'une théorie de l'individu, où il s'agirait de faire « revenir » la sociologie vers l'acteur en lui octroyant une tâche de totalisation. Ce n'est qu'en évitant ces excès et ces défauts, qu'une sociologie de l'individu pourra véritablement se constituer (Martuccelli, 2002, p. 236).

Norbert Elias a été l’un des porte-étendards de cette œuvre de réconciliation entre individu et société, en plaçant son analyse au niveau de l'interaction elle-même.

3.1.1 L’interdépendance dynamique entre individu et société

Norbert Elias (1897-1990) n’aura bénéficié que de reconnaissances tardives : celle de l’Université où il occupera longtemps un statut précaire, comme celle du public, car ses ouvrages ne commenceront à être traduits en français qu’au début des années 1970. Philosophe et sociologue allemand que l'on classe dans le courant constructiviste, Norbert Elias a tenté tout au long de ses travaux de dépasser la traditionnelle opposition entre individu et société. Pour y arriver, il en cherche d'abord l'origine, en faisant la « sociogenèse » de cette opposition à travers les « civilisations ». Faut-il partir de l’analyse des individus puisque le social résulte de l’agrégation des comportements individuels? Ou, à l’inverse, doit-on considérer que les structures ont une existence indépendante, sont dotées d’une « anima collectiva », qu’il importe de révéler puis d’expliquer (Elias, 1991, p.117). Cette opposition méthodologique est au fondement des coupures disciplinaires : d’un côté, des « sciences », telles l’économie, utilisant le « paradigme individualiste », de l’autre, des « disciplines » comme la sociologie cantonnée, au moins à l’origine, dans le « holisme ». Pour alors dépasser « l'impasse de faux problèmes insolubles » (Elias, Op. Cit., p. 301), il faut sortir des conditions historiques d’émergence de cet antagonisme. Cet exercice de dépassement se révèle à

83 travers la fécondité d’une analyse sociale de la langue. Celle-ci symbolise parfaitement l’articulation de l’individu et de la société : transmise par la société aux individus, condition de la communication, elle laisse place, dans le même temps, à une certaine forme d’individualisation, son maniement étant plus ou moins personnel (Elias, 1991, p. 78). Le langage est ainsi un précieux objet d’étude pour le sociologue. Les mots sont connotés et témoignent davantage de « la situation affective des personnes qui parlent [plus] que ce dont elles parlent » (Elias, 1991, p. 133). L’individu est soumis aux instruments langagiers à sa disposition et qui lui imposent des « normes sociales de pensées » (Op. Cit., p. 135), mais il est aussi capable d’innovation, de transformation, d’individualité. Ce retour sur la langue comme fait social total vaut principe de méthode. Chez Elias donc, la société n'est pas l'instance qui domine les consciences individuelles, comme le pense Durkheim (1895, 1884), et elle n'est pas non plus le simple agrégat des unités individuelles, tel que stipulé par Weber (1922) et Boudon (1884, 1982). Norbert Elias, considère que les phénomènes sociaux résultent de l'interaction entre des individus à l'intérieur de jeux dont les règles sont fixées. La vie en société suppose effectivement l'existence de règles et de contraintes qui encadrent le comportement des acteurs (régulation sociale), mais ces règles ne suppriment en aucune façon la capacité d'analyse et de jugement des individus qui, face à chaque situation sociale, font des choix et développent des stratégies. La contrainte sociale cohabite donc avec l'autonomie des acteurs sans que l'une soit ad vitam æternam prédominante sur l'autre. L'individu possède relativement un libre arbitre, mais ses actions sont influencées par celles des autres, par celle de son groupe, sa famille ou sa communauté : c’est l’interdépendance dynamique. La notion d'interdépendance est au cœur même de la théorie d'Elias.

Comme au jeu d'échecs, toute action accomplie dans une relative indépendance représente un coup sur l'échiquier social, qui déclenche infailliblement un contrecoup d'un autre individu (sur l'échiquier social, il s'agit en réalité de beaucoup de contrecoups exécutés par beaucoup d'individus) limitant la liberté d'action du premier joueur (Elias, 1985, pp. 152-153).

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Dans le langage d’Elias, les formes spécifiques d'interdépendance entre individus sont appelées « configurations ». Une configuration inclut les acteurs, leurs interactions et le cadre qui les entourent. Norbert Elias prend l’exemple de la configuration que forment quatre hommes assis autour d’une table pour jouer aux cartes : « Ce qu’il faut entendre par configuration, c’est la figure globale toujours changeante que forment les joueurs ; elle inclut non seulement leur intellect, mais toute leur personne, les actions et les réactions réciproques » (Elias, 1991, p.48-50.). Il faut rompre avec la pensée sous forme de substances isolées et passer à une réflexion sur les rapports et les fonctions par le biais de la pensée relationnelle. Norbert Elias s’appuie aussi sur l’exemple des individus composant une foule dans les rues. Ils ne se connaissent pas et chacun obéit à ses propres préoccupations. Mais chacun remplit aussi des fonctions (professionnelles, familiales...) qui le mettent en rapport avec d’autres. Les individus sont ainsi liés par une multitude de chaînes invisibles. Cette interdépendance fonctionnelle n’est pas le résultat d’une volonté individuelle (décision d’un monarque) ou collective (contrat social ou référendum), il recourt à une image. Dans son analyse de l'interdépendance, Elias propose aussi de dépasser le simple interactionnisme. En effet, si la notion d'interaction permet de penser l'articulation des individus entre eux, Elias considère que les auteurs qui s'en réclament traitent ces relations de façon trop « décontextualisée » en ne s'attachant qu'à leur aspect symbolique. Dans la notion d'interdépendance qu'il propose, il reconnaît l'imbrication nécessaire des relations sociales qui évite ainsi de les « déhistoriciser ». Cette vision vivante et dynamique de la société et des relations sociales représente aussi dans un autre registre, celle de Marcel Mauss, avec sa notion de fait social total, dont le support analytique est la théorie du don.

3.1.2 La Théorie de la réciprocité

L'élément le plus marquant de la sociologie de Marcel Mauss est sa théorie du don. Mauss n'aborde pas le don, fait social total, comme un concept pur, ni comme un simple élément de la socialité. Pour lui, on ne peut comprendre le don que si on se met dans une perspective de connaissance globale de la dimension sociale. Le don comme fait social total doit être compris au-delà de l'échange et de la contrainte. Mauss en effet part d'une

85 question : « Quelle est la règle de droit et d'intérêt qui, dans les sociétés de type arriéré ou archaïque, fait que le présent reçu est obligatoirement rendu ? Quelle force y a-t-il dans la chose qu'on donne qui fait que le donataire la rend ? » (Mauss, 1925, p. 148). C’est en cherchant à répondre à cette question centrale à travers son essai sur le Don que Mauss en vient à démontrer que le don est une prestation, malgré ses diverses formes, et qu’il véhicule ou est véhiculé par une logique sociale identique qui entrelace les hommes, les choses et les Dieux, dans un réseau. Dans cette imbrication dynamique, des hommes, des choses et des Dieux, le politique, le juridique l'économique, le religieux et l'esthétique sont indissociables. La chose donnée n'est pas une chose inerte, elle possède une âme. Mauss, analysant les formes de l’échange « dans les sociétés primitives », fait observer que celui-ci y prend la forme du don apparemment pur et gratuit, mais qu’en réalité, quand on adopte un point de vue totalisant, on y constate que le don est toujours suivi d’un contre-don différé dans le temps, mais dont le caractère d’obligation impérative est manifeste. D’abord, parce que dons et contre-dons constituent un cycle ininterrompu, ensuite, le don est un « défi » et enfin, l’une des conditions impératives du fonctionnement du cycle, c’est que le contre-don soit différé, car s’il suivait immédiatement le don initial, il n’instaurerait d’autre rapport que celui, éphémère, strictement utilitariste et contractuel, s’épuisant dans l’instant et n’induisant aucune obligation ultérieure.

En effet, si le don oblige, c’est que, ne pouvant (ou, dans les cas de figure plus complexes, ne le devant pas) être annulé d’un contre-don immédiat, il endette le donataire et le soumet à la domination (ne serait-ce que morale, symbolique et provisoire) du donateur (rappelons à ce sujet l’analyse de Mauss, selon laquelle il s’agit là d’une logique universelle : celui qui donne, provoque celui qui reçoit, le met dans l’obligation de rendre et affiche dans bien des cas sa supériorité sur lui) (Marie , 1997, p. 75).

Le don est donc un « fait social total », dont le rôle symbolique est de lier et de maintenir le lien social. Les faits sociaux totaux sont selon Mauss,

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des « touts », des systèmes sociaux entiers dont nous avons essayé de décrire le fonctionnement [...] C'est en considérant le tout ensemble que nous avons pu percevoir l'essentiel, le mouvement du tout, l'aspect vivant, l'instant fugitif où la société prend, où les hommes prennent conscience sentimentale d'eux-mêmes et de leur situation vis-à-vis d'autrui. (Mauss, 1925, p. 119)

Le fait social total chez Mauss est dynamique et marqué par l'interaction. Par exemple le don fait constamment le va-et-vient entre l'individu, la famille, et la communauté. La solidarité prend alors son sens dans son rapport avec la réciprocité. Et qui dit réciprocité, dit opposition entre deux parties distinctes et reconnues comme telles. Ainsi vu, un phénomène social ne peut être correctement appréhendé comme une unité amorphe et indépendante, mais plutôt dans une dimension relationnelle.

3.2 Génération et cohorte

Le concept de génération est au cœur de notre réflexion. Il importe alors de parcourir brièvement la littérature sur cette notion sans rentrer dans le long débat historique, afin de préciser la conception que nous retenons dans le cadre de nos travaux. La notion de « génération » appartient à la fois au sens commun, au lexique médiatico- politique et aux discours savants de différentes disciplines.

Utiliser la notion de génération, c’est-à-dire réunir sous le même nom tel ensemble d’hommes qui ont à peu près le même âge […] c’est supposer, soit que cet ensemble d’hommes, qui sont à peu près du même âge, forme un “groupe mobilisé”, partageant les mêmes représentations, dispositions et pratiques, soit qu’il constitue un “groupe mobilisable”, uni au moins par le sentiment de contemporanéité, un état d’âme, une mentalité des souvenirs, des réminiscences (Mauger, 1985, cité par Blöss et Feroni, 1991, p. 11).

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Avant la Seconde Guerre mondiale, la notion de génération était utilisée pour désigner le renouvellement de la population à travers la succession de générations « familiales », de parents à enfants. Progressivement au cours des années 1950 et 1960, avec l’adoption de l’analyse longitudinale, le terme de génération (ou de cohorte), devient un concept démographique avec un sens bien précis : une génération est un ensemble de personnes nées la même année (ou groupes d’années). Le terme ainsi construit saisit le partage d’une histoire commune par l’ensemble des individus d’une même cohorte. Cette évolution du concept est l’œuvre de plusieurs auteurs dont notamment Ryder 1956, qui, dans un article de la revue Population publié en 1956, appréhende la notion de génération comme une conception particulière de l’appartenance à un groupe, appartenance qui, par son inscription dans une temporalité historique spécifique, va donner sens à des comportements sociaux et démographiques eux-mêmes spécifiques. Selon Rollet et Samuel, (2006), après les années 1970, l’usage de la notion de génération est devenu très codifié (génération = année de naissance commune) et seuls se différencient les travaux selon leur capacité à incarner la génération par une contextualisation historique de la structure sociale.

De nos jours, il existe toujours plusieurs conceptions de la notion de génération qui reste cependant dominée par un système de classement en trois âges. Selon Bourdelais (1994), c’est l’anglais Gregory King (1694) qui est l’un des premiers à distinguer trois grands groupes d’âge dans les dénombrements : les 0-15 ans, les 16-59 ans et les 60 ans et plus. Cette distinction en trois âges de la vie était principalement fondée sur une répartition des âges où seuls les adultes (16-59 ans) étaient en capacité d’être combattant. Cependant, dans certains contextes une même génération peut être très étendue en âge, et à côté des générations, il existe une autre construction sociale du temps, celle des classes d’âges (Antoine 2007, p. 9). Ces deux systèmes s’entremêlent pour créer un système complexe parfois à quatre générations (enfant, jeune, adulte, vieux) où on peut appartenir à une même génération tout en étant de classes d’âges différentes. Compte tenu de cette complexité du concept de génération, il est parfois confondu avec les concepts de groupe d’âge et de cohorte.

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En réalité, la génération réfère à la position dans le cycle de vie, alors que le groupe d’âge provient notamment de la psychologie du développement : petite enfance et enfance, adolescence et jeunesse, adulte, travailleur vieillissant et retraité. Le concept de cohorte quant à lui s’applique généralement au champ démographique et concerne des individus nés durant une même année ou période.

Sur le plan anthropologique, le concept de génération renvoie aux liens de filiation, familiaux ou symbolique dont l’usage peut aller au-delà du cadre familial au sens strict. L’approche anthropologique reste donc marquée par le classement en générations d’individus dans un même rapport de filiation (Attias-Donfut et Rosenmayr, 1994). Au plan sociologique, la génération renvoie à une réalité d’ordre temporel (Attias Donfut 1988, p.210). Cette approche des générations en tant que communauté historique de mémoire et d’expérience rapproche la notion de génération de celle de cohorte. C’est pourquoi en sociologie et même en démographie sociale, la notion de génération est communément utilisée pour désigner soit des cohortes socialisées dans des conjonctures historiques semblables, soit des groupes sociaux précis ayant la conscience d’appartenir à une même génération. Cependant, les spécialistes américains de la famille et des générations, comme Bengston par exemple, distinguent quant à eux les générations familiales des groupes d’âge sociaux ou « ages cohorts ». Selon Galland (2011), on distingue trois dimensions de la génération : la génération généalogique qui concerne les rapports familiaux, la génération historique animée par une forte conscience de génération, et la génération sociologique qui s’inscrit dans une même période de l’histoire, mais sans identité générationnelle.

Dans le cadre de cette étude, nous optons pour une définition de la génération qui puisse permettre à la fois de mettre en exergue les rapports familiaux intergénérationnels, ainsi que la perspective historique des générations vivant dans des contextes socio- économiques et marqués par des réalités structurelles spécifiques. À cet effet nous retenons la définition d’Attias-Donfut, (1988), et nous utilisons de façon indifférenciée les concepts de génération et de cohorte.

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La génération est une totalisation secondaire, réalisée après coup, d’une durée concrétisée par des événements, des faits sociaux, des œuvres, entre lesquels une continuité est établie par les discours sociaux, les représentations sociales, les idéologies. Elle a cependant de fortes résonances dans les vies individuelles, des points de contacts multiples, des recouvrements partiels, elle est symbolisée par des groupes, par des personnes, autant de médiations repères qui facilitent les correspondances entre ses membres comme entre durée individuelle et durée commune, entre temps privé et temps public. (Attias-Donfut, 1988, p.229).

Cette définition permet de nuancer les distinctions effectuées par Galland (2011), puisqu’elle montre que la conscience de génération n’est pas une conscience immédiate : la génération sociologique n’est donc pas fondamentalement distincte de la génération historique et de la génération généalogique.

Dans le cadre de cette thèse, la génération est donc appréhendée comme un ensemble d’individus ayant connu quasiment au même moment, approximativement dans une même tranche d’âges ou encore à des moments comparables du cycle de vie, les mêmes événements historiques, politiques, économiques ou culturels. On peut ainsi délimiter dans le cas de Cotonou, par exemple une génération de l’indépendance nationale (autour de 1960) et une génération de la crise (autour de 1980), caractérisée par un même rapport avec la conjoncture économique et ses corolaires.

Au-delà d’une conceptualisation historique ou conjoncturelle des générations, le concept de génération permet de rendre compte des évolutions structurelles qui affectent les différents moments du parcours de vie et plus particulièrement ici le parcours d’entrée en vie adulte. Nous portons une attention au contraste ou différenciation sociale, non seulement entre génération, mais aussi au sein de chaque génération. Cette conceptualisation nous permet de situer les pratiques d’accession à l’âge adulte dans le temps biographique et historique, et non en termes de seuil de passage ou d’âge de passage. Elle permet aussi de tenir compte des rapports intergénérationnels afin de mieux

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appréhender les rapports sociaux qui structurent, contrôlent ou régulent l’entrée en vie adulte.

L’approche générationnelle permet concrètement de souligner les effets des rapports entre générations sur la construction et le traitement social de la jeunesse. Loin de s’opérer dans un vide social à l’abri de tout contact inter-âge, ou à l’intérieur d’un groupe de pairs mystiquement replié sur lui-même et séparé du monde, la construction de la jeunesse s’opère constamment dans un réseau actif de rapports sociaux qui met aux prises plusieurs générations, notamment celle des parents avec celle des enfants (Blin et Feroni, 1991, p. 14).

Selon Blin et Feroni (Op. Cit.), la jeunesse se retrouve confrontée à trois types de rapports sociaux intergénérationnels: les rapports de solidarité, de conflit et de concurrence ou rapports de succession économique, professionnelle entre générations pour l’occupation des places sociales.

L’analyse générationnelle nous permettra donc de comparer les biographies et les parcours sociaux des jeunes de générations différentes, marquées par des contextes socio- économiques et politiques différents et de rendre ainsi compte, des perpétuations et des ruptures de modèle et de régulation dans leurs parcours d’entrée en vie adulte en fonction des époques.

Plusieurs approches d’analyse de la dynamique des parcours sociaux peuvent être utilisées en vue d’appréhender les parcours d’entrée en vie adulte. Dans la section suivante, nous présentons d’abord les apports et les insuffisances de l’approche des seuils de passage, avant d’inscrire la recherche dans une perspective de parcours de vie et d’analyse biographique.

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3.3 L’analyse des parcours sociaux : Approches d’analyse des parcours d’entrée en vie

adulte.

L’analyse des parcours sociaux et des temporalités de la vie constitue un domaine d’investigation des sciences sociales en expansion depuis les recherches africanistes pionnières réalisées par Bernadi (1952, 1955) et Eisenstadt (1954, 1956) sur les systèmes de groupes d’âge en Afrique. Déjà à ce moment, les auteurs ont noté la complexité des temporalités et des mouvements entre classes d’âge, en raison de la fréquence et de la variété des systèmes de classes d’âges, mais aussi du degré remarquable de vitalité de ces institutions partout où l’ordre colonial ne les a pas directement minées (Tornay, 1988. p. 281).

On retrouve généralement deux approches d’appréhension des parcours et temporalités de la vie : l’approche des transitions relativement standardisées et l’approche processuelle, ouverte aux bifurcations, aux subjectivités et aux poids des contraintes. Le modèle des seuils peut-être cité comme un exemple d’approche des transitions relativement standardisées, tandis que l’approche des parcours de vie et l’approche biographique sont des exemples d’approche processuelle, ouverte aux bifurcations, aux subjectivités et aux poids des contraintes.

3.3.1 Apports et insuffisances du modèle des « seuils de passage »

L’idée des « seuils de passage » vient d’une conception de la jeunesse comme étant une phase de transition entre l’enfance et l’âge adulte.

Galland (2011), définit l’entrée en vie adulte comme le franchissement des étapes sociales introduisant aux rôles d’adulte. Ces étapes ou bornes permettent d’introduire les individus dans de nouveaux statuts et de nouveaux rôles sociaux à travers des transitions clés. Les transitions en cause s’effectuent suivant deux axes que Galland nomme axe 92

scolaire-professionnel et axe familial-matrimonial (Galland, 2011). L’axe scolaire- professionnel va de l’école au travail alors que l’axe familial-matrimonial va de la famille d’origine à la vie matrimoniale. L’auteur mentionne quatre principales bornes de passage en vie adulte. Ces bornes sont en lien avec chacun des deux axes : sur l’axe scolaire- professionnel on retrouve les seuils de la fin des études et du début de la vie professionnelle, alors que sur l’axe familial-matrimonial, on retrouve comme seuils le départ de chez les parents et la formation d’un couple (Galland, Op. Cit.).

Comme le montre la figure 2, l’entrée en vie adulte selon le modèle des seuils est marquée par l’obtention d’un emploi et le départ de la vie familiale pour la vie en couple. L’individu passe ainsi d’un statut d’adolescent dépendant de la famille à un statut d’adulte caractérisé par l’autonomie économique, résidentielle et affective (Galland 1996). Deux caractéristiques importantes des parcours, faisant penser au modèle traditionnel de socialisation (ordre social traditionnel), sont à souligner : Il existe un fort synchronisme dans le franchissement de ces étapes par la majeure partie des individus et le passage à l’âge adulte se fait de façon relativement abrupte avec une frontière bien délimitée entre l’état d’enfance/adolescence et l’étape d’âge adulte.

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Figure 2 : Schémas du parcours d’entrée en vie adulte selon le modèle des seuils

Source : adapté par Babin 2006 à partir de Galland (1996)

Le modèle des seuils a le mérite de faciliter l’appréhension relativement simple des modalités de passage en vie adulte en se basant sur les bornes traditionnelles qui délimitent l’entrée en vie adulte dans le contexte européen ou plus globalement occidental. Sur la base de cette approche, plusieurs travaux ont réussi à démontrer la diversité des modèles d’entrée en vie adulte en Europe (Van de Velde, 2004 ; Chambaz, 2000 ; Deschavanne et Tavoillot, 2007 ; Guillemard, 2005), ainsi que la désynchronisation progressive des étapes et le brouillage de l’âge d’entrée en vie adulte (Galland, 2011 ; Shanahan, 2000 ; Fournier, 2008). Certains auteurs (Calvès et al., 2007; Calvès et al., 2006; Antoine et al., 1992, 2001) ont adapté la méthode de seuil au contexte africain ou se sont basés sur une redéfinition des axes et des transitions de l’approche des seuils pour construire des analyses biographiques de parcours d’entrée en vie adulte.

Parce que le contexte sociopolitique est très différent et que l’imprévisibilité, la réversibilité et l’hétérogénéité des expériences de vie augmentent à la mesure du contexte de crises, l’approche des seuils devient obsolète pour appréhender convenablement les parcours d’entrée en vie adulte.

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D’abord, l’approche des seuils utilise des marqueurs et des transitions clées standardisés alors que ces marqueurs et transitions n’ont possiblement plus une réelle signification sociale. Ensuite, l’approche des seuils occulte la réversibilité de certaines situations (« recohabitation » avec les parents, séparation, chômage de longue durée, etc.), de même que les états « transitoires flous » (emplois temporaires, apprentis rémunéré, couple non cohabitant, etc.). Enfin, le modèle des seuils produit des résultats souvent agrégés, masquant d’une certaine façon l’hétérogénéité des processus individuels. Par ailleurs, le modèle des seuils ne se prête pas à une analyse des interdépendances entre différentes sphères de la vie. Il est donc nécessaire dans le cadre de ce travail de redéfinir les axes d’analyse et de ne pas prédéfinir les transitions.

Dans le cadre de cette thèse, le choix de notre approche doit donc rester ouvertes à la fois aux unités conceptuelles signifiantes dans le contexte d’étude et pour les acteurs, ainsi qu’aux bifurcations et aux états intermédiaires.

Compte tenu des objectifs de la thèse, nous avions choisi d’inscrire la recherche dans une perspective de parcours de vie. Cependant nous faisons aussi recours à des outils de l’approche biographique (fiche de collecte biographique par exemple). Dans la suite de ce troisième chapitre, nous présentons successivement l’approche biographique ainsi que l’approche plus complète des parcours de vie.

3.3.2 L’approche biographique

L’étude de William Isaac Thomas et de Florian Znaniecki en 1919, portant sur l’histoire d’un paysan polonais aux États-Unis est probablement l’étude pionnière de la méthode biographique. Cette étude a en effet inspiré au sein de l’école de Chicago, de nombreuses études qualitatives sur la base des biographies. Dans ce courant, l’étude d’Anderson (1923) est devenue l’une des classiques de la sociologie américaine. Dans cet ouvrage l’auteur aborde les conditions de vie de diverses populations masculines pauvres du quartier de Chicago à partir d’une forme d’observation participante des biographies

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réalisée par l'enquêteur, de récits autobiographiques et des emprunts à des documents produits par diverses agences officielles ou semi-officielles. Cependant la validité des sources biographiques et autobiographiques usitées est sujette à des critiques. C’est pour cela que les auteurs de la seconde école de Chicago (Everett Hughes, Anselm Strauss, Barney Glaser, etc.) ont œuvré pour l’amélioration des modes de collecte biographiques (à travers les interviews), en soulignant la dimension processuelle de l’approche avec les concepts de trajectoire, de transition et de carrière utilisés par exemple dans l’analyse de la déviance (Becker, 1963).

Avec la montée en puissance de la sociologie quantitative après la seconde guerre mondiale, sous l’impulsion du courant fonctionnalisme aux États-Unis (Robert Merton ; Paul Lazarsfeld, etc.), l’approche biographique a subit de sérieuses critiques notamment en ce qui concerne le mode de recueil qui reste journalistique de même qu’en ce qui concerne les modes d’analyse peu structurés et les résultats qui ne se prêtent pas à la généralisation (Ferrarotti, 1983).

La réhabilitation de l’approche biographique, fût l’œuvre d’anthropologues dont notamment Oscar Lewis qui à travers son ouvrage intitulé « Les enfants de Sanchez » (Lewis, 1961), réalisé à partir des récits de vie de cinq membres d’une famille mexicaine, a contribué à populariser la collecte des récits de vie comme modèle d’approche biographique. Cette réhabilitation reçoit un écho favorable en Europe, et d’abord en Allemagne auprès des auteurs phénoménologues (Husserl, Luckmann, Shütz, etc.). Alheit (1992), adapte l’approche biographique aux études en éducation des adultes en inventant le concept de « biographicité » défini comme étant « une compétence d’agir nouvelle et complexe, une capacité d’enrichir par des savoirs nouveaux et modernes les ressources biographiques existantes et porteuses de sens » (Alheit, 1992, p 279).

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Les processus d'apprentissage entre la structure et la subjectivité sont multiples, mais ils ne peuvent être compris que si nous faisons justice à deux pôles: le cadre structurel des conditions régissant nos vies et les dispositions spontanées que nous adoptons envers nous-mêmes (Alheit, 1992, p 288).

En France, Daniel Bertaux (1976), a d’abord redonné une légitimité à l’utilisation de l’approche biographique dans les sciences sociales, avant de montrer avec Isabelle Bertaux-Wiams (1980), que les contextes et déterminants sociaux permettent de comprendre le maintien singulier de la boulangerie artisanale en France. Il se base à cet effet sur des « récits de vie » croisés d’artisans et de leurs femmes. Le terme « récit de vie » est préféré à celui d’histoire de vie, pour éviter les confusions entre l’histoire vécue par une personne et le récit qu’elle en fait.

Plus tard, sous l’impulsion en particulier des travaux de Daniel Courgeau et Eva Lelièvre, on assiste à un renouvellement des approches biographiques par le biais de méthodes quantitatives de collecte (fiche biographique) et d’analyse des biographies (méthodes de survie). Ce nouveau projet théorique et méthodologique oblige à changer d’optique en considérant tout ou partie de la biographie individuelle comme unité d’analyse et comme processus complexe (Courgeau et Lelièvre, 1988). Un événement biographique doit pouvoir être mis en relation avec les expériences individuelles passées et la situation au moment de sa survenue. Cette nouvelle orientation permet de mieux situer les événements dans leurs temporalités et leur espace propres. On assiste alors au développement des enquêtes biographiques en France à partir de l’ « Enquête 3B - Biographie familiale, professionnelle et migratoire » réalisée par l’Institut national d’études démographiques (Ined) en 1981. L’objectif de ces enquêtes est de reconstruire l’intégralité des trajectoires individuelles tout en saisissant avec la plus grande précision les particularités de chaque situation (Courgeau, 2006).

Le développement de ce courant n’a pas empêché l’évolution des méthodes qualitatives en approche biographique, notamment pour des soucis d’analyse d’ensemble approfondie et de flexibilité dans la collecte des données biographiques.

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Globalement, l’approche biographique relie plus directement le temps et l’individu. L’échelle d’analyse est micro et permet de construire pour chaque individu une vision des parcours. Cette temporalité individuelle est multidimensionnelle puisque différents champs (familial, professionnel, résidentiel, relationnel, santé, etc.) sont abordés. L’approche impose une mesure fine du temps individuel, année par année.

Malgré les améliorations apportées à l’approche biographique au fil du temps, Pierre Bourdieu (1986) parle d’illusion biographique diluée dans l’oubli des relations objectives et des structures (Bourdieu 1986). Ce dernier considère que la relation entre le chercheur et l’enquêté méritait plus d’attention dans la production de ce matériau particulier : Le récit de vie. Ricoeur (1985), quant à lui souligne la fragilité du mode de recueil biographique et met en cause le contenu du discours re(produit).

L’approche des parcours de vie permet de répondre à ces critiques en permettant d’inscrire les parcours dans un processus dynamique avec une histoire passée et des implications futures. Elle permet ainsi d’aller au-delà de l’analyse des parcours individuels pour tenir compte des contextes locaux dans lesquels se réalisent les parcours. Ceci conduit à une analyse méso sociologique permettant de retracer et d’articuler les trajectoires et les parcours individuels avec les dynamiques historiques des espaces territoriaux.

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3.3.3 L’approche des parcours de vie

L’approche des parcours de vie s’inscrit dans la perspective de la théorie des transitions. Ce sont les sociologues qui s’intéressent à la problématique du vieillissement, qui donnent à cette approche ses premières bases conceptuelles (Cain, 1994 ; Clausen, 1972 ; Elder, 1974). Ces derniers inscrivent les parcours de vie dans la perspective de la théorie des transitions en mettant l’accent sur les notions de trajectoire et de transition.

L’avancement en âge n’est plus alors vu comme un processus immuable, basé principalement sur des repères biologiques, mais plutôt comme une réalité expérientielle impliquant des interactions continuelles entre le corps, le psyché, et le monde social (Carpentier et White, 2009, p. 281).

La théorie des transitions considère le parcours de vie comme un enchaînement continu de changements qui ne sont ni synchrones, ni monotones, ni unidirectionnels (Baltes et al., 1999), mais constitués de croissances et de déclins, ce qui entraîne gains et pertes. Cette théorie intègre le « devenir adulte » dans une dimension évolutive à travers le life « span » dans la perspective psychosociale (Baltes, 1987) ou le « life course » dans une perspective plutôt interdisciplinaire (Gusdorf, 1963, 1983, 1990) ou même transdisciplinaire (Piaget, 1970; Basarab Nicolescu, 1996).

En effet, le « life course » ou parcours de vie a émergé et s’est développé à l’intersection de divers champs disciplinaires (sociologie, sciences de l’éducation, gérontologie, psychologie sociale, etc.). De ce fait, l’expression est usitée à tort par certains auteurs pour désigner à la fois cycle de vie, trajectoire de vie, biographie, etc. Il en va de même pour les termes comme transition et trajectoire associées aux parcours de vie et qui sont utilisés de façon indifférenciée pour désigner des réalités vraisemblablement différentes. Cette variabilité conceptuelle impose un minimum de consensus et de constance sur certains thèmes dans la présente recherche.

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Le parcours de vie comme paradigme doit être distingué du parcours de vie comme concept, ce dernier désigne l’ensemble des régulations, aussi bien matérielles que symboliques, ordonnant les itinéraires empruntés par les individus tout au long de leur vie, dans une société et un temps historique donné. Vu comme concept, le parcours de vie est donc une institution sociale (Kohli, 1986; Elder, 1998; Lalive d’Epinay et al., 2005a).

Le paradigme du parcours de vie peut être défini comme l’ « étude interdisciplinaire de la vie humaine dans son extension temporelle et dans son ancrage socioculturel » (Bickel et Cavalli, 2002, p. 2). Dans son ouvrage « Children of the Great Depression », Elder (1974) montre que les effets de la crise des années 1930, ont profondément influencé les trajectoires personnelles et familiales, selon l’âge chronologique au moment de l’événement. Les travaux d’Elder constituent d’ailleurs la référence pour plusieurs chercheurs s’intéressant à la perspective du parcours de vie (Bickel et Cavalli, 2002, Carpentier et White, 2013, Lalive d’Epinay et all., 2005, Bessin, 2009). Selon Elder,

Le « parcours de vie » vise à relier en un cadre théorique unique l’étude d’une part, des processus développementaux biologiques et psychologiques; d’autre part, des trajectoires biographiques qui résultent des séquences d’étapes et de transitions définies et organisées socialement, et de leur négociation par les individus en fonction de leurs ressources (statutaires, matérielles, relationnelles) et des cadres d’interprétation cognitifs et symboliques dont ils sont porteurs; puis enfin, du contexte sociohistorique et de son évolution, des opportunités et contraintes qui en découlent pour les choix et actions des individus (Elder, 1998, p. 942).

Pour Ricoeur (1985), il s’agit de

l’analyse interdisciplinaire du déroulement de la vie humaine (ontogenèse); c'est-à-dire l’analyse et l’intégration dans un cadre théorique commun des interactions et interdépendances entre : a; les processus développementaux biologique et psychologique, b; le contexte sociohistorique et les dynamiques qui l’affectent, ainsi que ses médiations institutionnelles dont en particulier les modèles de 100

parcours de vie comme forme de régulation sociale, et c; les parcours individuels qui se développent dans le cadre des contraintes et des possibilités délimitées par a; et b; , cela en fonction des ressources propres à chaque individu, du travail de réflexivité qu’il opère et de son identité narrative propre (Ricoeur 1985).

Les parcours de vie individuels se composent d’un ensemble de trajectoires, plus ou moins liées entre elles et renvoyant aux différentes sphères (ou, selon les auteurs, champs, système d’actions, mode de vie) dans lesquelles se déroule l’existence individuelle : on parle ainsi de trajectoire scolaire, professionnelle, familiale ou associative (Lalive d’Epinay et al., 2005b, p. 202). Les diverses trajectoires constitutives d’un parcours de vie individuel se présentent comme des séquences plus ou moins ordonnées de positions relativement durables souvent associées à des ressources, normes, valeurs et rôles spécifiques de transitions et d’évènements.

L’approche des parcours de vie apparaît comme une perspective particulièrement féconde pour la présente recherche pour deux raisons principales : Il permet de dépasser les limites de l’approche des seuils afin de prendre en considération la dimension temporelle ainsi que les probables bifurcations dans l’analyse des diverses trajectoires de vie et plus généralement de l’ensemble du parcours d’entrée en vie adulte. Il offre ensuite l’occasion d’articuler, sur les plans théorique et empirique, les logiques structurelles, symboliques et psychologiques de l’agir des individus, et la capacité d’action et de choix propres de ces derniers à travers un positionnement dual des parcours de vie en tant que socialement organisé et individuellement construit. À cet effet, l’accent est mis sur la co-construction entre chercheur et acteurs dans le processus de recherche.

En adoptant une approche de parcours de vie, il s’agit alors de suivre, dans une dynamique longitudinale, l’ensemble ou une partie des parcours de vie individuel d’ « acteur-sujet », façonné dans des contextes locaux particuliers et mettant en interaction plusieurs trajectoires significatives, jalonnées de bifurcations, d’événements et

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de transitions diverses. C’est pourquoi les notions de transition et de trajectoire sont largement associées aux études sur le parcours de vie (Passeron, 1990). La notion de transition fait référence au déroulement du temps et, par conséquent, au changement. Elle désigne généralement le passage d’un état à un autre qui s’accompagne d’une redéfinition des manières d’être ou de faire (Dandurand et Hurtubise 2008 p. iv). La transition de vie fait référence « aux changements relativement graduels de statuts qui sont modestes et limités en termes de durée », alors que la trajectoire de vie s’applique à des « modèles de stabilité et de changement à long terme, qui incluent des transitions multiples » (Elder, 1985 cité par George, 1993, p. 358). Il faut cependant, distinguer transition et événement, car un événement fait référence aux changements très abrupts et inattendus (Elder, 1998, Settersten, 1999), qui selon le cas peut créer une véritable bifurcation (turning point) ou une réorientation des trajectoires et du parcours de vie. On parle alors d’événements idiosyncratiques pour désigner « …ces circonstances particulièrement cruciales qui provoquent un changement durable et substantiel, souvent même une cassure dans le déroulement de la vie » (Lalive d’Epinay et Cavalli, 2009, p. 26).

La sociologie du parcours de vie souligne l’importance des processus cumulatifs dans la structuration des trajectoires de vie. Dans tous les champs sociaux, de petites différences, lorsqu’elles s’accumulent et se combinent, produisent des parcours types qui se différencient l’un de l’autre (Spini et Widmer, 2007). La littérature révèle que les parcours de vie peuvent être chronologisés, déchronologisés, standardisés, déstandardisés, institutionnalisés ou désinstitutionnalisés (Bergeron, 2013, p. 104). Avec la modernisation avancée, on parle même de standardisation avancée et d’institutionnalisation avancée (Bergeron, 2013, p. 111).

L’approche des parcours de vie peut être adoptée dans un cadre méthodologique qualitatif ou quantitatif pour une analyse synchronique ou diachronique des structures sociales, des individus et des sociétés (Diewald et Mayer, 2008). Dans un cadre méthodologique quantitatif d’analyse diachronique des parcours, une analyse de survie (Cox, Kaplan

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Meier) peut permettre « de situer les individus dans leur parcours de vie, où se tissent la trame complexe de leur existence et de celle de leurs proches dans leurs échanges avec diverses structures méso sociales […] » (Bernard et Boucher, 2005, p. 131). Les mêmes objectifs peuvent être atteints par le biais d’une étude approfondie en utilisant un cadre méthodologique qualitatif, tout en se référant aux cinq principes analytiques de l’approche des parcours de vie (Bernard, 2007; Elder, 1998; Lalive d’Epinay et all., 2005b; Mayer, 2004; 2009) : 1. développement tout au long de la vie (transitions et trajectoires, chronologiquement, tout au long de la vie), 2. de la capacité d’agir (l’ « agentivité » des acteurs), 3. de l’enchâssement sociohistorique (contexte sociopolitique et démographique), 4. articulation entre changements sociétaux et vies individuelles (interrelation entre individus et sociétés) et, 5. vies liées (réseaux familiaux et sociaux, régulation sociale)

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Chapitre 4 : Démarche méthodologique

La méthodologie est la réflexion préalable sur la méthode qu'il convient d'adopter pour mener à bon terme une recherche (Mucchielli 1996, p. 129). Il s'agit ici de préciser les moyens privilégiés pour atteindre une plus grande compréhension du sujet à l'étude et en définitive répondre aux questions de recherche. S’il est vrai que le choix d'une démarche méthodologique repose sur la nature de l'objet de la recherche, il dépend aussi de l’approche théorique.

Avant d’expliquer la méthode usitée pour apporter des réponses aux questions de recherche, nous présentons d’abord les approches qualitative, méso sociologique et semi- inductive que suggère le cadre théorique de la recherche.

4.1 Approches qualitative, méso-sociologique et semi-inductive

L’enjeu de la présente recherche est fondamentalement pluraliste (théorique, méthodologique, heuristique et politique). Nous sommes face à une problématique temporelle soumettant à l’analyse approfondie, des sujets-acteurs sociaux (agents et sujets) et impliquant un rapport particulier du chercheur avec le savoir et les conditions de sa production dans le but de limiter ou de maitriser les biais plausibles.

Au moment de la naissance des sciences sociales au XIXe siècle, une des grandes préoccupations était de neutraliser le plus possible les intérêts politiques et éthiques de l'analyste pour atteindre plus facilement la réalité objective ou la vérité. On reprenait ici un objectif établi dans les sciences de la nature. Actuellement, ces mêmes sciences de la nature semblent nous dire que le plus important n'est pas de s'embarrasser d'une connaissance neutre de la réalité objective, mais, au contraire, de produire une connaissance, certes utile, mais explicitement orientée par un projet éthique visant la solidarité, l'harmonie et la créativité. Le « biais » était un problème ; maintenant, à condition d'être éthiquement bien orienté, il est ce qui compte pour la science (Pires, 1997, p. 9).

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Le positionnement de la recherche sur le plan théorique suggère fortement d’adopter une approche méso-sociologique, semi-inductive et qualitative.

4.1.1 Une approche qualitative avec un recours à quelques outils quantitatifs notamment

dans la collecte (fiche biographique) et l’analyse des données.

La problématique de recherche, les objectifs visés ainsi que le cadre théorique recommandent une attention particulière à la perception, la sensation et les impressions des acteurs-sujets, objets de la recherche, car une exploration en profondeur de la perspective des acteurs sociaux est jugée indispensable à une juste appréhension et compréhension des conduites sociales (Poupart, 1997). Ceci plonge dans un univers de recherche qui accorde une place centrale aux acteurs sociaux en restant soigneusement attentif à la recherche de significations et de complexités de leurs actions. Il s’agit là d’une approche qualitative qui repose sur la prise en compte de la complexité, la recherche de sens, la prise en compte des intentions, des motivations, des attentes, des raisonnements, des croyances et des valeurs des acteurs. Elle met l'accent sur le recueil de données subjectives pour accroître la signifiance des résultats. Son option interprétative prend en compte le fait que le chercheur est aussi un acteur et qu'il participe donc aux événements et processus observés (Pourtois et Desmet, 1996).

L’approche qualitative considère la réalité comme une construction humaine, reconnaît la subjectivité comme étant au cœur de la vie sociale et conçoit son objet en terme d’action- signification des acteurs (Boutin, 2000; Deslauriers, 1991; Lessard-Hébert, Goyette & Boutin., 1995; Savoie-Zajc, 2000). De ce fait, les enjeux de l’analyse qualitative sont ceux d’une démarche discursive et signifiante de reformulation, d’explicitation ou de théorisation de témoignages, de récits, d’expériences ou de pratiques (Muchielli, 1996; Paillé, 1996d ; Paillé, 1996c).

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Selon Deslauriers et Kérésit (2007), la recherche qualitative évite généralement de prendre comme point de départ une théorie « encadrante » dont la réalité deviendrait l'esclave : elle voit la théorie comme un tremplin, non comme une voie ferrée. De ce point de vue, nul ne s'étonnera que la base théorique sur laquelle s'édifie l’approche qualitative n'ait pas toujours le raffinement formel de la recherche hypothético-déductive, bien que les interrogations théoriques puissent être tout aussi poussées et les résultats aussi souvent plus évocateurs de la réalité sociale (Deslauriers et Kérésit, 1997).

L’intérêt des méthodes qualitatives est qu’ils ont pour objet l'étude des comportements, des pratiques et des points de vue des individus en tenant compte de leur environnement propre. Il s'agit davantage de comprendre la complexité subjective, que de décrire simplement une situation.

Le choix d’une approche qualitative induit généralement l'utilisation de méthodes qualitatives de cueillette de données et l'analyse qualitative du matériel. Dans le cadre de la présente recherche, notre approche qualitative privilégie effectivement l'utilisation de méthodes qualitatives de cueillette de données et l'analyse qualitative du matériel, sans pour autant omettre le recours à quelques outils quantitatifs notamment lors de la collecte de données (fiche biographique) et de l’analyse des données. À cet effet, le modèle conceptuel, bien que déjà sous-jacent au moment d'entreprendre la phase terrain, s'est raffiné au cours de la pré-enquête. Tout en se précisant au fil des enquêtes, le modèle conceptuel a donc orienté la phase de cueillette de données approfondie de même que l’analyse des données.

Dans la droite ligne de notre approche qualitative, la méthode, la grille de collecte, et la grille d’analyse doivent être « inventés » (Becker, 2006) ou « fabriqués » (Benelli, 2011) au fil de l’avancement du travail scientifique. Contrairement à ce que certains manuels de méthodologie ont tendance à suggérer, la méthode n’existe donc pas ici indépendamment de l’objet étudié, ce qui entraine plusieurs conséquences pour la rédaction du chapitre méthodologique.

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4.1.2 Approche méso sociologique

Dans le cadre de cette recherche, il est important de mettre en exergue la distribution des parcours selon les générations et selon les contextes socio-économique et politique, sans pour autant tomber dans les excès d’une étude macrosociologique. De ce fait, bien que la collecte de donnée se fasse au niveau des individus et que nous essayons d’appréhender les parcours individuels, nous essayons aussi d’en saisir le sens et les logiques à travers l’analyse des interactions entre individus, structures de relations sociales et contexte local. Nous nous inscrivons ainsi dans une approche méso sociologique permettant de saisir les phénomènes sociaux à un niveau « intermédiaire » comme l’appel Georg Simmel (1908).

En effet, la plupart des études de Simmel, tout en présentant une étonnante variété de domaines d’application (l'art, la religion, la mode, l'amour, le mensonge, l'étranger, l'argent), sont habitées par une préoccupation constante de saisir les « formes sociales » à un niveau « intermédiaire »: celui des interactions entre les individus (Mercklé, 2011, pp. 3-4). L’exemple le plus cité est celui que Georg Simmel présente dans l'essai sur les pauvres (1908). Le niveau « intermédiaire » où Simmel saisie l’objet de sa sociologie n'est ni celui microsociologique de l'individu, ni celui macrosociologique de la société dans son ensemble, mais celui, que l'on pourrait qualifier de « méso sociologique », des « formes sociales » qui résultent de l’action réciproque ou des interactions entre les individus ou encore des structures de relations sociales (Op. Cit., pp. 4).

4.1.3 Approche semi-inductive et itérative : de la construction du cadre opératoire à la

cueillette et l’analyse des données empiriques.

Les choix théoriques opérés suggèrent une certaine posture aux trois moments de la recherche définis par Bachelard (1965), à savoir la conquête, la construction et le constat. Charmillot et Seferdjeli, (2002, pp. 187-188), nous apportent des éclairages sur les implications de chacun des trois moments.

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Dans la phase de conquête, l’objet n’est pas envisagé comme une chose pouvant être séparée radicalement du sens commun à l’aide de procédures élaborées a priori ou de préjugés. Plutôt qu’en termes de rupture, on parle en termes de césure (rupture progressive, relative) pour exprimer le processus de reconnaissance du sens commun en tant que savoir. Le chercheur doit découvrir le sens subjectif, explicite et implicite que les acteurs donnent à leurs actions notamment par le support des méthodes qualitatives sur lesquelles nous reviendrons plus loin. Il doit aussi construire une interprétation globale de l’action, à partir de la confrontation des intersubjectivités. La démarche ne s’appuie pas sur l’énoncé préalable d’hypothèses, mais avant tout sur une observation empirique de la réalité. La phase de construction doit être caractérisée par des raisonnements pluriels, tantôt déductifs, tantôt inductifs, et non par un raisonnement exclusivement hypothético- déductif : elle est donc d’ordre empirico-inductif ou semi-inductif.

L’idée d’une recherche semi-inductive peut paraître difficile à envisager. Cependant, elle procède d’une perspective résolument réaliste de la recherche. Même si la recherche qualitative a réhabilité la démarche inductive, la distinction induction/déduction ne semble plus être aussi tranchée. En effet, les chercheurs remettent de plus en plus en question la possibilité et l'efficacité d'une approche purement inductive, entendue dans le sens d'aborder le travail de cueillette d’analyse des données sans aucun a priori théorique. Il est de plus en plus reconnu qu'il est impossible d'entreprendre une recherche en faisant table rase des connaissances acquises reposant sur l'expérience personnelle, sur le sens commun des acteurs concernés, ou sur des théories scientifiques, autant d'éléments contribuant au développement de la sensibilité théorique du chercheur (Chalmers, 1987; Burgess, 1985; Ferrarroti, 1980; Gagnon, 1980; Stanley et Wise 1990). Les chercheurs expérimentés ressentent peut-être moins le besoin d'une recension des écrits avant d'entreprendre leur terrain. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu'ils aient l'esprit complètement vierge de toute conception théorique (Deslauriers, 1991; Deslauriers et Kérésit, 1997; Paillé, 1996a). De ce fait même lorsque l’on s’engage, comme c’est le cas ici, à comprendre et analyser le phénomène social étudié à partir de la perception des

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acteurs et à impliquer les acteurs dans le processus de construction du savoir, il faut être réaliste pour dire qu’il est impossible de faire de la pure induction : delà l’idée d’une recherche semi-inductive.

Dans cette perspective, le raisonnement permet de construire l’objet de manière progressive en partant des savoirs concrets des acteurs accompagnés souvent de façon réaliste d’une faible dose d’a priori théorique (paradigme, résultat de recherche antérieure, etc.) que nous avions d’ailleurs exposé dans la première partie. Des concepts, théories et hypothèses sont alors renforcés, déconstruits et reconstruits au fur et à mesure de l’investigation sur le terrain (Deslauriers 1991). La possibilité est également offerte de démarrer la recherche sans hypothèses, mais à partir de questions de recherche comme abordée dans la présente thèse. La recherche nécessite alors une phase exploratoire importante, et le processus de construction de l’objet devient itératif; c'est-à-dire que les actes de recherche déployés à chaque étape peuvent être redéfinis depuis la construction du cadre opératoire à la cueillette et l’analyse des données empiriques par opposition à la linéarité de la démarche explicative dont le cadre théorique, l’hypothèse de recherche, les outils et procédures de collecte et d’analyse sont stabilisés en amont (Lessard-Hébert et al., 1996). Cette démarche de recherche est caractérisée selon Schurmans (2008) par une triangulation entre chercheur, théorie et terrain.

Le lien entre terrain et théorie implique, de la part du chercheur, une analyse constante qui donne à l’ensemble de la démarche une allure circulaire : l’information issue du terrain est lue à travers les concepts dont dispose le chercheur, mais elle l’engage aussi à affiner de plus en plus sa conceptualisation, à la compéter, à la réviser (Schurmans, 2008, pp. 97-98).

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4.2 Les étapes de la démarche méthodologique

La « fabrication » du paragraphe méthodologique relève d’une reconstruction a posteriori, laquelle oblige le chercheur à faire l’ethnographie de son travail de recherche et à mettre au jour les logiques qui le sous-tendent (Benelli 2011), avant de rendre compte de la démarche méthodologique.

La démarche méthodologique adoptée est globalement qualitative et s’appuie sur la collecte et l’analyse de récits biographiques et de données sociologiques. Ces différentes données sont utilisées comme outil d’appréhension de la dynamique générationnelle des trajectoires et des parcours d’entrée en vie adulte. Notre démarche méthodologique a été marquée par cinq phases importantes. Nous présentons donc dans la suite ces cinq étapes de la démarche méthodologique adoptée.

4.2.1 La phase de documentation et de conception du projet de recherche

L’objectif de la phase de documentation est de commencer par faire le point sommaire des théories, concepts et résultats d’études antérieures. Ces présuppositions seront affinées au fur et à mesure de la recherche pour en arriver à une certaine triangulation entre chercheur, théorie et terrain.

En réalité, on ne saurait parler d’une phase de documentation puisqu’il s’agit d’un exercice qui s’est étalé tout le long du processus de recherche depuis l’élaboration du projet à la rédaction de la thèse. Cette phase couvre toutes les étapes de notre recherche. À cet effet, plusieurs sources de documentation ont été consultées dans des bibliothèques et sur internet au fur et à mesure du déroulement de la recherche.

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4.2.2 La phase exploratoire

L’objectif ultime de cette importante phase est de partir de discussions de terrain pour commencer à affiner les outils de collecte, mais aussi élaborer un certain nombre de connaissances propres au milieu d’étude et primordiales pour la recherche. À cet effet, une pré-enquête en deux vagues distinctes a permis d’atteindre les objectifs assignés à la phase exploratoire.

4.2.2.1 Une première vague de pré-enquête

Pour les fins de cette première vague de pré-enquête, un échantillon non probabiliste au jaugé composé de dix (10) personnes dans la ville de Calavi (voisine de Cotonou) a été constitué. Deux thèmes de discussions ont été abordés avec les individus rencontrés. Dans un premier temps, leur conception et perception du parcours d’entrée en vie adulte puis ensuite, les principales trajectoires, ainsi que les séquences devant idéalement marquer le parcours.

Cette première vague de pré-enquête a permis de recueillir la perception des répondants sur la délimitation entre vie adulte et parcours d’entrée en vie adulte (qui nous intéresse dans cette thèse). Elle a aussi permis de mieux cerner dans la perspective des spécificités du milieu d’étude et à partir d’entretiens semi-structurés, les diverses trajectoires qui pourraient entrer en ligne de compte dans le parcours d’entrée en vie adulte, leurs enchaînements et temporalités supposément idéaux typiques, ainsi que les interactions sociales et leur rôles, soutiens ou supports dans la régulation du parcours d’entrée en vie adulte. Ces divers éléments sont venus compléter les éléments théoriques obtenus sur la base de la documentation pour permettre de faire une avancée notable dans la construction de l’objet.

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4.2.2.2 La seconde vague de pré-enquête

La seconde vague de pré-enquête a été d’un apport particulier dans l’affinement des outils de collecte et la conception de la stratégie d’enquête. À cet effet, un autre échantillon non probabiliste au jaugé composé de dix (10) personnes dans la ville de Calavi (voisine de Cotonou) a été constitué. Les entretiens avec ces personnes se sont déroulés sur la base des outils de collecte conçus pour les enquêtes proprement dites.

Ces entretiens ont permis d’abord de compléter les informations de la première vague de pré-enquête. Au fil des entretiens, en enchaînant l’analyse de divers points de vue, diverses trajectoires, événements et transitions cités, il a été possible de commencer par dégager des trajectoires pertinentes, un type idéal de parcours d’entrée en vie adulte, jugé normal, ainsi que des types de parcours alternatifs. D’ailleurs en ce qui concerne les trajectoires clées et le type idéal de parcours d’entrée en vie adulte jugé normal, nous avions constaté qu’au bout d’une quinzaine d’entretiens de pré-enquête, nous avions atteint le niveau de saturation d’informations. C’est-à-dire que de nouvelles informations n’apparaissent plus malgré l’augmentation du nombre de répondants.

La deuxième vague de pré-enquête a aussi permis de collecter des informations sur les événements et les transitions susceptibles de se dérouler dans chacune des trajectoires pertinentes définies et de tracer les repères susceptibles de permettre d’identifier chez chaque personne enquêtée la portion de son parcours de vie à documenter.

Les deux phases de la pré-enquête ont permis d’obtenir des informations permettant de faire une première ébauche de l’architecture typologique devant servir à identifier les types de parcours d’entrée en vie adulte. L’opportunité qu’offre la pré-enquête a été judicieusement exploitée avec comme principale finalité la production et l’affinement d’outils de collecte de données, adaptés au contexte d’étude. La pré-enquête a permis de sélectionner quatre trajectoires, significatives au plan social et se prêtant à une collecte de données telle que envisagée. Il a aussi été possible de trouver les concepts les plus appropriés pour désigner ces trajectoires et de se familiariser avec les sous-dimensions

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qui reviennent le plus souvent à propos de chacune des quatre trajectoires identifiées : trajectoire de vie féconde, trajectoire de vie de couple, trajectoire résidentielle, trajectoire d’insertion professionnelle.

En réalité, plusieurs types de trajectoires ont été identifiés dans la littérature avant la pré- enquête : trajectoire de santé : trajectoire professionnelle, trajectoire matrimoniale, trajectoire génésique, trajectoire des services échangés avec l’entourage, trajectoire résidentielle, trajectoire scolaire. Mais le choix final des trajectoires qui définissent le parcours d’entrée en vie adulte dans le contexte spécifique de la ville de Cotonou a été suggéré par les répondants de la pré-enquête et confirmé au fil des entretiens approfondis. Les répondants de la pré-enquête ont aussi contribué à l’opérationnalisation de chacune des trajectoires et donc de la notion même de parcours d’entrée en de vie adulte. Les quatre trajectoires ici évoquées sont alors quelque peu différentes des trajectoires traditionnellement évoquées dans les études antérieures sur les trajectoires et les parcours d’entrée en vie adulte (Antoine et al., 1992, 2001, Calvès et al., 2006, Calvès et al., 2007).

Nous nous intéressons à quatre trajectoires, conceptualisées de manière suffisamment large pour intégrer des formes nouvelles de transitions, de blocage ou de fausses transitions :

- Trajectoire d’insertion professionnelle : Il s’agit des alternances de situations socioprofessionnelles (petits « job », sous-emploi, précarité, chômage, intérim, contrat à durée déterminée, contrats à durée indéterminée, formation-emploi, etc.) de tous types, significatifs pour l’individu dans le déroulement de sa vie sur la période de collecte de données.

- Trajectoire de vie de couple : Il s’agit des successions de célibat et d’union de type sexuel où l’individu estime qu’il était en couple, que les deux personnes aient vécu sous le même toit ou non, qu’ils aient eu des enfants ou non.

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- Trajectoire résidentielle : On aborde ici les alternances de lieu de résidence pendant une période assez significative selon l’individu pour que ce lieu puisse prendre l’appellation en langue nationale fon « dô tin » insuffisamment et littéralement traduite en français comme étant la « crèche » ou « la piaule » même si l’on n’est pas le propriétaire ou le principal payeur de loyer. Il ne s’agit cependant pas simplement d’un lieu où l’on a passé une ou deux nuits, mais d’un lieu qui revêt une signification sociale particulière en tant que dortoir, mais aussi espace de vie sociale.

- Trajectoire de vie féconde : Il s’agit ici des successions d’unions sexuelles ayant conduit à une grossesse que cette dernière soit parachevée par un avortement, une fausse couche ou une naissance, que l’enfant ait survécu ou non.

On remarquera que ces trajectoires ont été reformulées pour que leurs définitions puissent se prêter aux réalités contemporaines décrites par les répondants. Par exemple, compte tenu des cas de mise en couple sans mariage qui apparaitraient de plus en plus, nous avions préféré parler de trajectoire de vie de couple et non de trajectoire matrimoniale, pour prendre en compte les situations nouvelles. Et même là encore la vie de couple est définie de façon suffisamment large pour intégrer les personnes ne vivant pas sous le même toit, mais qui se considèrent comme étant en couple.

Au total, la pré-enquête permet d’affiner la conceptualisation de la notion de parcours d’entrée en vie adulte, d’apporter des corrections aux outils de collecte initiaux, d’affiner les outils de collecte, de peaufiner la stratégie d’enquête et de faire avancer la construction de l’infrastructure typologique des parcours.

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4.2.3 Procédure d’échantillonnage à deux degrés

La subtilité de l’échantillonnage dans ce genre d’études réside dans le fait que nous visons une collecte approfondie de données, donc coûteuse en temps. Mais dans le même temps, il est important de veiller à obtenir une certaine diversité au sein de l’échantillon. Il n’est donc pas conseillé de prendre un échantillon trop petit ou trop grand. De plus quand la population à échantillonner est trop étendue ou complexe (comme c’est le cas ici), des problèmes pratiques liés à la taille de l’échantillon et à la durée des enquêtes, limitent l’utilisation d’un simple échantillonnage probabiliste. Dans ce cas de figure, on peut alors recourir à un échantillonnage à plusieurs degrés. Par exemple, si l’échantillonnage est à deux degrés, premièrement, la population totale peut être divisée en un nombre d'unités primaires distinctes ou sous-populations dont on prend un échantillon. Dans chacune de ces sous-populations échantillonnées, on prend ensuite un second échantillon ou sous-échantillon des individus.

Nous avions opté pour une procédure d’échantillonnage à deux degrés dans le cadre des enquêtes de terrain. Cette stratégie d’échantillonnage n’a pas été appliquée directement à la population de Cotonou, mais plutôt à une autre base de données obtenue par le biais d’un échantillonnage à deux degrés appliqué à l’ensemble de la population de Cotonou. Nous revenons très brièvement sur l’origine de la base de données qui a été utilisée pour effectuer notre échantillonnage avant d’expliquer concrètement la procédure d’échantillonnage utilisée.

4.2.3.1 L’enquête « Activités Économiques des Ménages Urbains (AEMU) » du projet

Familles, Genre et Activité en Afrique Subsaharienne (FAGEAC)

L’enquête AEMU a été réalisée dans trois villes africaines (Cotonou, Lomé et Ouagadougou), dans le cadre du projet Familles, Genre et Activité en Afrique subsaharienne (FAGEAC). L’enquête AEMU vise à appréhender les formes contemporaines de familles dans trois grands centres urbains africains (Cotonou, Lomé,

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Ouagadougou), à étudier la répartition des ressources et des dépenses au sein des ménages et des familles et à analyser les formes de mobilités associées à l’activité économique des femmes ainsi que les implications sur le profil des ménages, les dynamiques conjugales et les rapports sociaux de sexe.

À Cotonou, l’enquête s’inscrit dans le cadre de la collaboration scientifique entre le Laboratoire Population Environnement et Développement de l’Institut de Recherche et Développement (LPED/IRD de l’Université Aix Provence de Marseille) et le Centre de Formation et de Recherche en matière de Population (CEFORP) de l’Université d’Abomey-Calavi.

La ville de Cotonou a une population de 665 100 habitants, divisée en treize (13) arrondissements subdivisés en quarante-quatre (44) quartiers qui n’ont pas tous les mêmes tailles et caractéristiques résidentielles. Pour contourner la difficulté de l’échantillonnage au sein d’une population aussi large, l’équipe d’enquête a recouru à un échantillonnage à deux degrés. La base de sondage utilisée est la liste des Zones de Dénombrement (ZD) par arrondissement au dernier recensement général de la population et de l’habitat (2002). Ainsi au premier degré, 25 ZD distribuées dans les 13 arrondissements ont été échantillonnées proportionnellement à la taille de la population recensée au dernier recensement au sein de chacune des 743 ZD qui existent au total. Ensuite, au second degré, 20 ménages sont sélectionnés au hasard par ZD. Au sein des 500 (20 ménages X 25 ZD) ménages ainsi échantillonnés, tous les individus de 18 ans et plus sont éligibles pour l’enquête.

4.2.3.2 L’échantillonnage proprement dit

Dans le cadre de cette étude, deux générations ont été identifiées pour faire objet d’analyses : une génération qualifiée d’« aîné » (entre 50 et 67 ans en 2012) et une génération appelée « jeune » (entre 22 et 37 ans en 2012). Comme on peut le lire au paragraphe 2.4.2, ces deux générations ont été soumises à des conditions de vie assez distinctes.

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Pour les fins de notre enquête, nous avions opté pour une procédure d’enquête à deux degrés avec comme base de sondage l’échantillon de l’enquête effectuée à Cotonou dans le cadre du projet FAGEAC. La figure 3 donne un aperçu de notre procédure d’échantillonnage. Le premier degré d’échantillonnage a consisté à choisir par tirage aléatoire 5 ZD parmi les 25 couverts par l’enquête du FAGEAC. Au second degré, nous avions entrepris le repérage des ménages préalablement enquêtés par l’équipe du FAGEAC dans chacune des cinq ZD. Au sein de chaque ménage nous nous intéressons à la composition pour savoir s’il y a au moins une personne qui répond à notre critère d’inclusion relatif à l’âge : être né soit entre 1975 et 1990 ou entre 1945 et 1960 (cohorte). Ce faisant nous procédons à l’échantillonnage systématique des dix premiers ménages répondants au critère d’inclusion puis de l’ensemble des individus appartenant à l’une ou l’autre des deux cohortes au sein de ces ménages. Au total cinquante (50) ménages ont ainsi été échantillonnés dans les cinq ZD avec un échantillon final de cinquante-cinq (55) répondants.

Certes, la procédure d’échantillonnage utilisée ne permet pas d’obtenir un échantillon statiquement représentatif. Cependant, comparativement aux méthodes d’échantillonnage couramment utilisées dans les approches qualitatives (boule de neige, réseau, volontaire), elle permet au chercheur de disposer d’un échantillon assurément aléatoire, évitant ainsi les écueils liés à un corpus d’informateurs biaisés.

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Figure 3 : Procédure d’échantillonnage

4.2.4 Stratégie de collecte de données : L'entretien semi-directif compréhensif à forte teneur biographique

Au plan éthique et stratégique, l'entretien semi-directif ouvre la voie à une compréhension et une connaissance de l'intérieur des dilemmes et enjeux, vécus par les acteurs sociaux. Du point de vue méthodologique, c'est un outil privilégié pour avoir accès à l'expérience des acteurs (Poupart 1997 ; Bayle 1986 ; Mucchielli 1996; Boutin 1997; Passeron 1993). Ce type d’entretien met à contribution l'expérience et l'interprétation des acteurs de même qu'il permet de saisir la complexité du processus à l'œuvre dans la dynamique des trajectoires et des parcours d’entrée.

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En effet, pour comprendre la forme concrète que prennent les parcours d’entrée en vie adulte d’une génération à l’autre, il faut situer ces parcours dans les biographies spécifiques des individus par le biais de l’approche des parcours de vie. À cet effet, la méthode de récit de vie offre l’avantage de servir de cadre pour montrer le sujet dans l'action, c'est-à-dire comme acteur dans la situation vécue. Elle permettra ici d’élucider la dialectique des changements sociaux et leur intériorisation dans la conscience individuelle. Nous ne nous intéresserons pas systématiquement à une collecte de l’ensemble de la biographie des individus, mais seulement à la collecte d’une portion de récit de vie délimitée de façon méthodique grâce aux informations fournies par les enquêtés. Les récits sont d’abord circonscrits par une collecte biographique standard (fiche biographique), avant d’être collectés en intégralité puis approfondis sur la base d’une collecte sociologique.

Une telle approche suscite évidemment des interrogations sur la fiabilité des données, compte tenu des problèmes de mémoire et du caractère sensible de certaines questions. Toutefois, le recours aux déclarations présente l’avantage de ne prendre en compte que les éléments ayant une importance significative pour les acteurs. Ainsi, nous préférons ici une évaluation certes subjective, mais substantivement pertinente : ce sont donc les éléments les plus pertinents pour les acteurs que nous mettons au centre des discussions.

Pour toutes ces raisons, nous utilisons dans le cadre de la collecte de données, l'entretien semi-directif compréhensif à forte teneur biographique avec comme support deux types d’outils : une fiche biographique de collecte rétrospective de portions de récit biographique et un guide d’entretien sociologique. Il s’agit précisément, d’une collecte rétrospective de portions de récits biographiques, doublée d’une enquête sociologique à trois volets : contexte et condition sociale déterminante, régulation sociale et leur articulation avec les parcours d’entrée en vie adulte.

Le recueil des biographies s'appuie en particulier sur un bon repérage dans le temps des événements et des transitions vécus par l'enquêté. Ces événements et transitions peuvent

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concerner l’ensemble du parcours ou certaines trajectoires en particulier, parmi les quatre identifiées. Or, peu de personnes notent ou mémorisent les évènements selon le calendrier occidental. En revanche, il est plus facile de garder en mémoire l'enchaînement des évènements et des transitions. C’est pourquoi la porte d’entrée de l’entretien vise à permettre aux personnes enquêtées de partir des enchaînements pour positionner dans le temps les principaux moments de leur vie (date de naissance, mise en couple, mariages, naissances des enfants, ruptures d'union, vie migratoire, logements, vie professionnelle, périodes de chômage ou d'inactivité, etc.). Nous nous inspirons à cet effet, de la fiche Âge-événement ou AGEVEN (Antoine, Bry et Diouf, 1987) et faisons recours à la technique de datation par référence à des évènements marquants la vie commune et de large portée.

De façon concrète l’entretien se déroule en quatre modules complémentaires, sur la base des outils de collecte présentés dans l’annexe 2.

- Module 1 : Généralités Ce premier module consiste en une discussion introductive. Il permet d’expliquer au répondant les objectifs de la recherche et le but de la discussion. Il s’agit ensuite de démarrer une discussion générale avec le répondant sur sa conception et sa perception de la notion de parcours d’entrée en vie adulte, de ses marqueurs et trajectoires, sa régulation sociale, ses délimitations avec la vie adulte proprement dite et de la permanence ou non des modèles de parcours et de trajectoire à travers les générations.

- Module 2 : Identification du segment de parcours de vie à raconter Au niveau de ce module, les trois questions suivantes permettent d’identifier le segment biographique à collecter : En quelle année aviez-vous effectué votre première mise en couple (de tous types)? En quelle année aviez-vous pour la première fois réalisée une décohabitation? En quelle année aviez-vous eu pour la première fois une expérience en emploi rémunéré?

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Une fois les réponses à ces trois questions obtenues, l’année la plus ancienne citée par le répondant constitue la date de début du segment biographique à collecter et on y ajoute 10 ans pour trouver l’année de fin du segment biographique. Le choix d’une décennie comme durée du parcours de vie à collecter émane des résultats de la phase exploratoire. Nous y reviendrons dans le premier chapitre de la partie 3, consacré à l’analyse des résultats.

Il faut signaler que dans la suite de la collecte de données, il est spécifié au répondant que le segment ainsi identifié n’est pas rigide. Il est donc possible pour lui de nous raconter des faits hors segment biographique (avant la décennie identifiée ou au-delà) notamment pour expliquer ou clarifier des choix et des situations qui se déroulent au sein du segment biographique.

- Module 3 : Remplissage de la fiche biographique Le remplissage de la fiche biographique commence par une discussion sur la perception que le répondant a de son état de santé, de sa formation-scolarisation, de niveau de vie et de ses conditions de vie plus généralement dans le contexte de l’année de début de la portion biographique identifiée. Cette discussion qui amène souvent les répondants à parler parfois de leurs conditions de vie avant le segment biographique, a pour but de replacer l’individu dans le contexte du moment et de le préparer a mieux fournir les informations devant permettre de remplir l’ensemble de la fiche biographique.

Le remplissage de la fiche biographique consiste à amener progressivement le répondant à raconter avec précision de dates, à partir du début du segment délimité et de la première des transitions précédemment identifiées, les autres transitions, les événements marquants et les changements intervenus tout le long de son parcours de vie sur la décennie indiquée ou un peu au-delà si nécessaire13.

13 Certaines personnes ont trouvé les discussions tellement intéressantes qu’ils ont insisté pour raconter quasiment l’ensemble de leur parcours de vie. Nous n’y avions opposé aucune résistance, même si cela a allongé considérablement le temps des discussions. 122

Si au début de cette collecte biographique, on laisse le répondant raconter les faits à sa convenance, par la suite, nous essayons de focaliser la discussion sur les trajectoires de vie couple, de vie féconde, résidentielle et d’insertion professionnelle.

- Module 4 : Collecte sociologique pour l’approfondissement des données biographiques collectées

La collecte sociologique permet d’articuler autour du récit biographique, les conditions sociales qui ont favorisé, influencé ou contraint l’individu à réaliser ce type de parcours. L’entretien sociologique permet en effet d’approfondir avec les acteurs, la discussion sur le sens des divers événements et transitions, les influences et interactions entre diverses trajectoires d’une part puis entre trajectoires, régulation sociale et entourage d’autre part. À cet effet, une liste non exhaustive de sous-dimensions a été apprêtée pour permettre d’orienter la discussion lors de l’entretien sociologique. Le tableau 3 présente pour chaque trajectoire les principales sous-dimensions à documenter.

Tableau 3 : Trajectoire et sous-dimensions à collecter dans le cadre de la collecte de données sociologique

Trajectoire Quelques Sous dimensions à renseigner Insertion professionnelle Déterminants des séquences et itinéraires d’insertion professionnelle, difficultés professionnelles, appui/aide reçu ou donné pour insertion professionnelle, structuration réseau de solidarité/entraide, régulation. Vie de couple Déterminants de l’histoire de vie de couple, choix du conjoint, type mariage et espace de vie, amour, consentement des parents, structuration réseau de

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solidarité/entraide, régulation. Vie féconde Déterminants de l’histoire de vie féconde incluant ceux où il n’y pas eu de naissance (avortement par exemple), gestion de la garde des enfants, structuration réseau de solidarité/entraide, régulation. Résidentiel Déterminants de l’itinéraire résidentiel, statut d’occupation, condition de cohabitation et de décohabitation, structuration réseau de solidarité/entraide, régulation, déterminants

4.2.5 L’analyse des données : Une analyse qualitative inspirée de la théorisation ancrée

La théorisation ancrée se caractérise par une conceptualisation des données empiriques gouvernées par un aller-retour constant et progressif entre les données recueillies sur le terrain et le processus de théorisation. Nous nous inspirons de cette méthode dans notre analyse qui reste de type qualitatif.

L'analyse qualitative est une activité qui s’appuie sur une masse importante de données pour produire une description, une compréhension et une analyse minutieuses d'un phénomène social intelligemment questionné. Entre la collecte des données et l’induction finale, il se déroule une longue et patiente activité d'interprétation passant par une série de procédés précis; une suite de réflexions, de remises en question, de découvertes et de constructions toujours plus éclairantes, toujours mieux intégrées (Paillé, 1996d). Comme l’affirme Jean-Claude Kaufmann, « les méthodes qualitatives ont pour fonction de comprendre plus que de décrire systématiquement ou de mesurer » (Kaufmann, 1996, p. 30). Nous investiguons donc plus du côté de la compréhension des impressions et des verbatim que du côté des mesures et des quantités.

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La phase de l'analyse demeure certainement dans la recherche qualitative, la plus difficile, car elle ne fait pas référence à une recette unique et plus que toutes phases de la recherche, doit s'ajuster à l'objet d'étude pour permettre une compréhension réelle de l’objet de recherche (Paillé 1996d). Nous essayons ici de combiner les procédés de théorisation ancrée et d’analyse qualitative de biographie (Battagliotta et al., 1990,1994; Bouchayer, 1989,1994; Malan 1991, 1994; Menahem et al., 1994), afin d’obtenir une bonne compréhension de dynamique des trajectoires et des parcours d’entrée en vie adulte

Dans ce genre de recherches qui combine théorisation ancrée et analyse qualitative de biographies, la phase d’analyse ne peut se résumer à une analyse thématique, dans le sens d'un découpage généreux des transcriptions selon les grands thèmes de la recherche. Selon Paillé, l'analyse thématique dépasse rarement la fonction descriptive et ne peut servir à l'interprétation ni mener à une théorisation (Paillé 1996d). Même si nous réalisons dans le cadre de ce travail une analyse thématique, nous essayons d’aller au- delà par le biais d’une analyse propositionnelle et d’interprétations stratégiques (factuels et subjectives).

Notre stratégie d’analyse des données se résume en trois grandes étapes complémentaires.

4.2.5.1 Retranscription des entretiens enregistrés

L’analyse commence par la retranscription des entretiens enregistrés. L’ensemble des entretiens réalisés a été retranscrit du « fon », du « goun » ou du « mina » (les trois langues locales utilisées dans le cadre de la collecte de données) en français et dans la mesure du possible au fur à mesure de la collecte de données afin qu’au moment de la retranscription l’on soit toujours dans le même état d’esprit que lors de chaque entretien toujours caractérisé par un contexte particulier révélateur de non-dits, de nuances et de subtilités qu’il importe aussi de retranscrire pour éviter au mieux la perte de sens et la surinterprétation.

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L’analyse se poursuit par le biais de la lecture des transcriptions, pour y souligner des passages importants et y créer des codes initiaux pouvant permettre plus tard de faire des typologies. On prend aussi le temps de souligner déjà des phrases évocatrices, des verbatim pouvant faire objet de citations et représentatif de certaines situations particulières.

4.2.5.2 De l’analyse thématique et propositionnelle de contenu à l’interprétation

Laurence Bardin définit l'analyse de contenu comme « un ensemble de techniques d'analyse des communications visant, par des procédures systématiques et objectives de description du contenu des messages, à obtenir des indicateurs permettant l'inférence de connaissances relatives aux conditions de production/réception de ces énoncés (Bardin, 1977, p. 43).

Une fois les données retranscrites et relues, nous avions réalisé d’abord une analyse de contenu par thématique (trajectoires), puis ensuite, une analyse de contenu propositionnelle (parcours et ancrage sociologique).

Selon Negura, (2006), l’analyse propositionnelle de contenu a un double objectif: d'un côté, elle tente de dégager la signification de l’énoncé pour l'émetteur, c'est-à-dire sa subjectivité, de l'autre côté, elle cherche à établir la pertinence pour le récepteur, à savoir son objectivité (Negura, 2006. p. 2). De ce fait, l’analyse propositionnelle de contenu est une analyse de contenu libre en quête de significations, car le « sens n’est pas directement donné » (Mukamurera et al., 2006, p. 125).

Dans le cadre de nos analyses, nous avions procédé à un découpage thématique autour de chacune des trajectoires étudiées afin d’identifier pour chaque trajectoire, les événements, les transitions, la régulation sociale et le rôle de l’entourage. Nous passons ensuite à l'analyse propositionnelle qui, il faut le dire est une variante de l’analyse thématique de contenu, mais qui présente l’intérêt de permettre d'aller au-delà du découpage de contenu

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en catégories (thématique), à la fois en répertoriant les « modèles argumentatifs » et en travaillant sur la signification des énoncés. L’analyse propositionnelle a été appliquée aux trajectoires, mais surtout aux parcours d’entrée en vie adulte. Elle a été utile dans la typologie des parcours d’entrée en vie adulte en fonction de critères significatifs.

Une base de données Excel a été conçue pour enregistrer les informations biographiques portant sur la description des séquences objectives d’expériences chronologiques (trajectoires, événements, transition, parcours) vécues par le locuteur pendant la période de temps concernée par l’entretien, mais aussi pour résumer par individu les acteurs et personnages qui jouent un rôle dans le séquençage, puis enfin le sens subjectif qu’il donne aux expériences vécues et le contexte social.

L’analyse de contenu s’est prolongée par la construction d’une infrastructure typologique à trois dimensions (temporalité, enchaînement et conditions sociales de production) des parcours d’entrée en vie adulte. Sur la base des écarts par rapport au type idéal supposé normal de trajectoire et de parcours, révélé par les entretiens de la phase exploratoire et confirmé lors de la collecte proprement dite, nous essayons de procéder à une typologie des parcours d’entrée en vie adulte auxquels diverses dénominations significatives ont été par la suite attribuées.

Nous finissons la phase d’analyse par des interprétations et représentations visuelles. L’interprétation organise et lit le matériel pour dégager les mécanismes en œuvre dans la définition des projets individuels, dans la construction des trajectoires et des parcours d’entrée en vie adulte selon le genre et la génération. Une attention très grande a donc été accordée au processus décisionnel d'une part, et d'autre part, aux ressources mobilisées et aux contraintes évoquées. Différentes représentations visuelles ont été effectuées fournissant des schémas récapitulatifs des diverses trajectoires, des parcours d’entrée en vie adulte et leur dynamique.

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Nous prenons le soin de finir ce chapitre méthodologique par la présentation du profil des personnes qui ont accepté de participer à l'enquête approfondie. Il faut signaler que nous faisons ici seulement référence aux 55 personnes enquêtées à Cotonou, puisque les 20 répondants de la pré-enquête ont été interviewés à Calavi, ville voisine en situation de co- urbanisation avec Cotonou. Ces portraits sont nécessaires pour bien mettre en contexte les résultats de l'étude, dont la présentation fait l'objet de la troisième et dernière partie.

4.2.6 Profil des personnes enquêtées

Les descriptions statistiques effectuées ici permettent de saisir certaines caractéristiques importantes des personnes enquêtées (âge, sexe, le statut matrimonial, situation professionnelle actuelle, perception du niveau de vie, etc.). Ces caractéristiques socio- économiques, mais aussi démographiques permettent de pouvoir apprécier la diversité des situations présentent au sein de notre échantillon bien qu’il s’agisse d’une recherche qualitative.

Le tableau 4 présente les effectifs des deux cohortes à l’étude. Au total, vingt (20) personnes de la cohorte des aînés nés entre 1945 et 1960 (50-67 ans) ont participé à nos enquêtes, alors qu’au niveau de la cohorte des jeunes nés entre 1975 et 1990 (22-37 ans), trente-cinq (35) personnes ont été enquêtées. Du point de vue genre, le tableau 4 montre que 24 femmes contre 31 hommes ont participé à la phase de collecte de données proprement dite.

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Tableau 4 : Distribution par sexe et cohorte de l’échantillon

Femmes Hommes Total Aînés 9 11 20 Jeunes 15 20 35 Total 24 31 55

Comme le montre le tableau 5, l’âge moyen des personnes enquêtées s’établit à 41,82 ans. Il est en moyenne de 59,40 ans au niveau de la cohorte des aînés et en moyenne de 31,77 ans dans la cohorte des jeunes.

Tableau 5 : Moyenne d’âge des individus de l’échantillon selon le sexe et la cohorte

Femmes Hommes Moyenne (ans) Aînés 61 58,09 59,40 Jeunes 31,06 32,3 31,77 Moyenne 43,04 41,45 41,82

Les personnes enquêtées proviennent de façon relativement équitable de cinq divers arrondissements comme le montre le tableau 6. Il s’agit en l’occurrence du deuxième, du sixième, du neuvième, du dixième et du douzième arrondissement de Cotonou.

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Tableau 6 : Distribution des personnes enquêtées par arrondissement

Arrondissement d’enquête Effectif de répondants par arrondissement 2 em Arrondissement 11 6 em Arrondissement 13 9 em Arrondissement 11 10 em Arrondissement 10 12 em Arrondissement 10

Le tableau 7 résume plusieurs autres informations concernant les personnes enquêtées. Il montre que les personnes de la cohorte des aînés sont soit nées à Cotonou, soit installées pour la première fois à Cotonou avant 1990 tandis qu’une majorité des personnes de la cohorte des jeunes déclarent s’être installées pour la première fois à Cotonou après 1990.

Notre échantillon est majoritairement constitué de personnes mariées (53 %) et de personnes en couple non mariées (27 %), mais on y retrouve aussi des célibataires avec et sans enfants, des veufs et veuves puis des personnes divorcées.

La situation professionnelle (tableau 7) des enquêtés est aussi diversifiée, mais l’échantillon reste dominé par des personnes actives (75 %), même si l’on note que certains répondants (25%) sont en situations de sous-emploi (faible salaire, faible nombre d’heures de travail par semaine, etc.).

Les personnes enquêtées vivent dans des ménages de tailles variables entre 1 et 8 avec une moyenne de 3,85 personnes par ménage. Leur niveau de scolarisation (tableau 7) est très diversifié avec une relative dispersion des enquêtées dans les divers niveaux de scolarisation. Peu de personnes (environ 11%) sont parvenues cependant au niveau universitaire.

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Tableau 7 : Comparaison de quelques caractéristiques des enquêtés en fonction de la cohorte d’appartenance Perception du Aisé assez bon passable Miséreux niveau de bien- être Jeunes 8,60 % 25,70 % 57,10 % 8,60 % Aînés 0,00 % 60,00 % 35,00 % 5,00 %

Niveau de aucun Primaire premier second cycle université 1er université 2nd ou 3em cycle scolarisation cycle cycle Jeunes 17,10 % 27,50 % 22,90 % 17,10 % 11,40 % 5,70 % Aînés 35,00 % 10,00 % 20,00 % 25,00 % 5,00 % 5,00 %

Situation en Chômage au foyer étudiant ou en Retraité invalide pas d'activité professionnelle activité formation Jeunes 85,70 % 2,90 % 2,90 % 8,60 % 0,00 % 0,00 % 0,00 % Aînés 55,00 % 0,00 % 0,00 % 0,00 % 15,00 % 20,00 % 10,00 %

Situation marié Célibataire Divorcé veuf (ve) en couple célibataire avec enfant matrimoniale Jeunes 45,70 % 5,70 % 2,90 % 0,00 % 37,10 % 8,60 % Aînés 65,00 % 0,00 % 10,00 % 15,00 % 10,00 % 0,00 %

Effectif Ménage 1 2 3 4 5 6 7 8 Jeunes 20,00 % 17,10 % 14,30 % 28,60 % 17,10 % 2,90 % 0,00 % 0,00 % Aîné 20,00 10,00 % 0,00 % 0,00 % 30,00 % 30,00 % 0,00 % 10,00 % %

Cohorte Né à Installation Installation Cotonou avant 1990 après 1990 Jeunes 22,90 % 5,70 % 71,40 % Aînés 45,00 % 55,00 % 0,00 %

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La perception que ces personnes ont de leur niveau de bien-être (tableau 7) est relativement variable, mais reste dominée par les mentions assez bonne (38 %) et passable (49 %).

Le tableau 7 résume pour chacune de nos deux cohortes, les principales caractéristiques socio-économiques et démographiques. Les informations contenues dans ce tableau annoncent des divergences importantes entre les deux cohortes notamment en termes de niveau de scolarisation, de perception du niveau de bien-être, de composition du ménage et de situation professionnelle et matrimoniale. Il est vrai que certaines de ces divergences peuvent être considérées comme quasiment normales puisque l’on compare des individus à un temps (t) où ils ne sont pas tous dans la même tranche d’âge et ne sont pas appelées à jouer le même rôle social.

Nous verrons dans la suite si ces divergences s’expriment aussi lorsqu’on compare les individus des deux cohortes pris dans un intervalle de temps où ils sont sensés jouer le même rôle social : l’entrée en âge adulte.

Nous identifierons en l’occurrence les divergences et les similitudes entre les deux cohortes au sujet des trajectoires puis des parcours d’entrée en vie adulte. Mais avant d’en arrivée là, il nous faudra d’abord analyser les perceptions que les individus ont du parcours d’entrée en vie adulte.

L’annexe 1 présente une liste exhaustive des répondants, les codes qui leur ont été attribués dans le but de respecter l’anonymat lors de l’analyse des données ainsi que les principales caractéristiques concernant l’âge, le sexe, la génération et l’arrondissement de résidence.

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Ce qui existe, ce n'est pas l'être, mais le devenir: il n'y a de réel que le changement ... L'univers est comme un fleuve: On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve » (les penseurs grecs avant Socrate, 1966).

Partie 3 : Résultats, et analyses

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Cette troisième partie de la thèse est consacrée à la présentation et à l'analyse des résultats de nos travaux. L'objet central de l'analyse est de comprendre la dynamique des trajectoires et des parcours d’entrées en vie adulte. L’analyse s’est focalisée sur les parcours des individus appartenant à deux cohortes (aînés et jeunes) séparées en moyenne par trois décennies. Comme le montre l’évolution sociohistorique du Bénin, le « devenir adulte » des individus des deux cohortes considérées s’est déroulé dans des contextes socio- économique, démographique et politique très différents.

Nous cherchons à cerner les similitudes et les divergences de l’ « adultisation » de ces deux cohortes dans la ville de Cotonou en mettant aussi l’accent sur les différences de génération et de sexe ainsi que les modèles de régulation sociale sous-jacents.

La dynamique générationnelle des parcours d’entrées en vie adulte est une problématique complexe. En privilégiant une approche théorique à la croisée des chemins, notre recherche permet de co-construire avec les personnes rencontrées, les résultats que nous présentons ici et en premier lieu la définition et le contenu même que l’on donne au parcours d’entrée en vie adulte dans le milieu de recherche.

Le chapitre 5 rend compte de la définition pratique qu’il convient de retenir dans le cadre de ce travail en ce qui concerne le parcours d’entrée en vie adulte ainsi que la perception que les répondants ont de ce processus. Le chapitre 6 aborde de façon séparée la présentation des résultats et l’analyse des quatre différentes trajectoires qui interviennent dans l’opérationnalisation du parcours d’entrée en vie adulte dans le milieu d’étude. Enfin, le chapitre 7 s’intéresse à l’analyse de la diversité des types de parcours d’entrée en vie adulte ainsi qu’à leurs caractéristiques selon le genre et la génération. Ce dernier chapitre tente aussi de repérer les logiques sociales sous-jacentes à la dynamique des parcours d’entrée en vie adulte d’une génération à l’autre, d’un genre à l’autre.

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Chapitre 5 : La perception de soi comme adulte en devenir

Ce chapitre présente les résultats de l’exercice de co-contruction du concept d’entrée en vie adulte, que nous avions mené avec les répondants, d’abord lors de la pré-enquête puis validé lors de l’enquête proprement dite. Étant donné que les vingt entretiens de pré- enquête se sont déroulés en dehors de Cotonou, dans la ville de Calavi, communément appelée « cité-dortoir de Cotonou », nous ne ferons pas spécifiquement recours aux données de la pré-enquête dans cette section. Puisque le modèle conceptuel, suggéré par la pré-enquête a été validé par les entretiens approfondis (module 1) réalisés à Cotonou, nous partons directement des résultats de l’enquête approfondie pour présenter les pluralités et les uniformités de perceptions selon les générations. Nous dégageons par la suite les implications pour la suite de la recherche.

5.1 Présentation et analyse des résultats sur la perception du parcours d’entrée en vie adulte

(module 1 du guide d’entretien)

Le tableau 8 permet de synthétiser par cohorte les thèmes qui ressortent de l’analyse des données sur la perception des répondants en ce qui concerne les parcours d’entrée en vie adulte. Ce tableau montre qu’on peut distinguer cinq principales dimensions en termes de perception des parcours d’entrée l’entrée en vie adulte. On y dénote plusieurs différences de perceptions de même que certaines uniformités.

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Tableau 8 : Récapitulatif synthétique des perceptions des répondants sur la notion de parcours d’entrée en vie adulte

Perception générale Perception des événements qui Perception des types Perception des finalités Perception du parcours déclenchent le parcours de trajectoires idéal, supposé normal Aînés - Premier emploi + - Professionnelle - Devenir un adulte - Premier mariage traditionnel + - Résidentielle (perception individuel et - Première parentalité - Matrimoniale regard de l’entourage) - Première décohabitation - Génésique - Responsabilisation+ - Rites traditionnels - Autonomisation - Enchainement de type Notion de processus - Décès d’un ou des parents - Apprentissage idéal complexe - Temporalité Jeunes - Première parentalité + - Insertion - Devenir un adulte - Centralité du réseau - Première décohabitation + professionnelle (perception individuel et familial dans la production - Première mise en couple - Résidentielle regard de l’entourage) du parcours - Premier emploi - Vie de couple - Autonomisation - Vie féconde - Responsabilisation - Apprentissage

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Que ce soit au niveau des jeunes ou des aînés, le parcours d’entrée en vie adulte est perçu comme un processus complexe s’étalant dans le temps: « On ne se lève pas un beau matin pour se retrouver adulte ». Cette portion de verbatim tiré d’un entretien avec une femme d’une soixantaine d’années à Cotonou résume à elle seule la perception unanime des répondants au sujet du parcours d’entrée en vie adulte.

Cette femme s’exprimait dans les termes qui suivent :

Connais-tu le dicton qui dit qu’on ne se lève pas d’un sommeil profond pour demander à partager les choses en trois parts égales? Et bien c’est la même chose que ce que tu demandes là hein! On ne se lève pas un beau matin pour se retrouver adulte! C’est comme si tu quittes un village pour aller vers un autre qui n’est pas voisin… tu dois obligatoirement traverser champs et rivières. Propos de AF.114.

Un jeune homme d’une trentaine d’années nous faisait part de sa perception du parcours d’entrée en vie adulte comme suit:

[…] Ounh! C’est […], un cheminement qui vous permet de devenir soi-même, par rapport à votre famille et à votre entourage. Vous voyez ce que je veux dire? C’est un chemin qui permet progressivement de se donner et/ou de recevoir des autres, les conditions et les moyens qui vont te permettre de commencer à donner à toi-même et aux autres, beaucoup plus que tu ne reçois d’eux […]. Propos de JH.3.

14 Ce code signifie qu’il s’agit ici d’un individu de sexe masculin, de la cohorte des jeunes et ayant un niveau de scolarisation atteint correspondant au premier cycle de l’enseignement secondaire. Pour plus de renseignements sur les caractéristiques et les codes de l’ensemble des individus dont les verbatim ont été cités voir l’annexe 1 qui présente quelques caractéristiques de l’ensemble des enquêtés. 137

Il ressort donc de nos investigations que le parcours d’entrée en vie adulte est largement perçu dans le contexte d’étude comme un processus complexe, enraciné dans le ciment social et influencé par des facteurs individuels et structurels.

L’analyse des perceptions des trajectoires du parcours d’entrée en vie adulte nous amène à constater que globalement les individus des deux cohortes font toujours référence à quatre types de trajectoires. On constate que les répondants des deux cohortes font tous référence à la trajectoire résidentielle. Pour le reste, les individus de la cohorte des aînés évoquent presque toujours les trajectoires professionnelles, matrimoniales et génésiques, alors que les individus de la cohorte des jeunes mentionnent très souvent les trajectoires d’insertion professionnelle, de vie de couple et de vie féconde. Même si on peut établir des passerelles entre trajectoire professionnelle et trajectoire d’insertion professionnelle, entre trajectoire matrimoniale et trajectoire de vie de couple, puis entre trajectoire génésique et trajectoire de vie féconde, il faut constater que le contexte de « crise » amène les individus de la cohorte des jeunes à élargir les horizons des trajectoires, pour y inclure des situations de bifurcations et transitions floues d’ordre contemporain, probablement plus fréquentes au sein de cette cohorte. Comme nous le verrons dans la suite, les trajectoires retenues pour les fins de l’analyse sont celles évoquées par les individus de la cohorte des jeunes, puisque cette conception permet d’inclure lors de la collecte et de l’analyse, les quatre trajectoires tel qu’identifié par les individus de la cohorte des aînés. Nous reviendrons plus loin sur la définition des sous-dimensions et des types de transitions que l’on peut retrouver au sein de chaque trajectoire.

L’analyse de la perception des événements qui peuvent induire le début du parcours d’entrée en vie adulte, révèle une variabilité de marqueurs caractéristiques des bornes d’entrée du parcours d’entrée en vie adulte.

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C’est difficile de te dire qu’il y a une seule chose qui déclenche ce parcours … tout le monde sait que, commencer par travailler et gagner son pain c’est la bonne manière pour commencer à devenir adulte. Mais, de nos jours c’est une affaire de chance hein! Si tu es sur les bancs encore et tu enceintes une fille et que tes parents n’ont pas les moyens, tu n’as pas le choix. Si tes parents décèdent par exemple, tu es précipité dans la course. Si tu quittes tes parents pour aller à l’université à Calavi et que tu dois cohabiter avec un frère et que ce dernier n’a pas véritablement les moyens, c’est là que tu commences à cumuler de petits jobs, […] tu vois, il y a plein de choses aujourd’hui qui te mettent sur la voie pour devenir adulte. Propos de JH.6.

Selon certains répondants c’est l’obtention d’un premier emploi salarié (y compris stage payant, statut de boursier ou apprentissage-aide rémunéré) qui marque le début de parcours d’entrée en vie adulte. Selon cette perception, c’est à partir du moment où l’individu commence son insertion professionnelle, gagne un revenu et entame son autonomisation économique que l’on peut dire qu’il démarre son parcours d’entrée en vie adulte.

À notre époque, une fois que tu finis tes études tu avais un emploi salarié dans l’administration publique. Dans la plupart des cas on s’achète une motocyclette « bbct » avec les premiers salaires et le reste suit : mariage enfant, etc, […] Je me souviens qu’à partir du moment où tu achètes ta « bbtc », le regard de l’entourage change parce que tu changes de statut en passant de receveur à potentiel donneur. Propos de AH. 5.

Selon une autre perception, le mariage (notamment chez les aînés), la mise en couple et surtout l’engagement parental, du fait de son caractère irrévocable, concrétise le plus, l’entrée dans le parcours qui mène l’individu vers la vie adulte.

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Quand tu vas prendre la fille d’autrui avec toi, que tu la mets enceinte, et puis l’enfant vient au monde, toi l’homme tu as le devoir de trouver à manger pour ta nouvelle famille et la femme a l’obligation de prendre soin et d’éduquer l’enfant […]. Pour moi c’est à partir de là qu’on commence à devenir adulte. Si tu arrives à assumer tes responsabilités comme cela se doit, là très vite tu deviens vraiment un adulte, mais quand ça va et ça vient, quand tu ne peux pas assumer et qu’on le fait à ta place, je crois que là tu es toujours dans la voiture qui mène vers le monde des adultes et parfois, pour certaines personnes, je peux te dire que le voyage dure longtemps. Propos de JH.4.

[…] Dans mon temps, on disait que c’est à partir du jour où tu donnes la dot pour te marier que tu commences à devenir adulte. Avant ça tu n’es qu’un enfant! Propos de AH. 4

Ce n’est pas la même chose pour tout le monde hein, mais je pense surtout pour une femme là, à partir du moment où tu quittes tes parents pour te lier à un homme et surtout le jour où tu accouches d’un enfant, là, toi-même tu sens que la cadence change […], tu n’as pas d’autre choix que de devenir adulte, tu dois assumer. Propos de JF.5.

Il y a dans ces verbatim deux facteurs qu’il importe de relever, car ils ne sont pas toujours imbriqués: il s’agit de la transition à la parentalité et de la mise en couple.

On note aussi selon certaines perceptions une possibilité d’entreprendre le parcours d’entrée en vie adulte par le biais de la décohabitation.

Selon moi si on te remet une chambre séparée dans la concession familiale ou qu’on te permet d'aller louer un appartement pour toi seul ou avec un frère, c’est qu’on perçoit en toi quelqu’un capable de cheminer vers la vie adulte, mais il te reste bien de sauts (étapes) à faire pour être vraiment un adulte à part entière ». Propos de JH.4.

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L’idée de parcours d’entrée en vie adulte commence donc selon ce répondant, avec la première décohabitation. Cette décohabitation fait référence à toutes situations où l’individu est dans une certaine mesure responsable de la gestion de son lieu de résidence en termes de nettoyage, d’aménagement et/ou en termes de prise en charge financière (loyer, construction).

Il faut dire qu’il existe selon certaines perceptions l’idée d’un déclenchement du parcours de l’entrée en vie adulte par le biais d’événements à haute teneur symbolique appelés rites traditionnels de passage (Galland 2011, Bozon 2002). Cette perception persiste encore chez quelques rares personnes de la génération des aînés.

Pourquoi tu crois qu’aujourd’hui encore des jeunes hommes et des jeunes femmes, qui ont déjà des enfants et qui gagnent bien leur vie à Cotonou décident un jour de se rendre dans leur village pour se soumettre aux rites traditionnels...C’est par là que tu apprends à devenir adulte et c’est par là que tu deviens adulte. Propos de AH.2.

En réalité, les rites traditionnels ne remplacent pas les trajectoires d’un parcours d’entrée en vie adulte. Elles permettent d’intégrer l’individu dans la sphère communautaire, dans la lignée familiale et de le socialiser de manière à ce qu’il puisse reproduire durant son parcours de vie les normes et les valeurs communautaires.

Les résultats nous permettent de noter des différences générationnelles de perceptions en ce qui concerne les premiers événements des parcours d’entrée en vie adulte. Les événements les plus évoqués par les aînés sont le premier mariage (dot) et l’obtention d’un premier emploi, alors que les événements les plus évoqués par les jeunes concernent le premier engagement parental et la première décohabitation. Certains aînés évoquent aussi l’engagement parental, la première décohabitation, le décès d’un ou des deux parents et les rites traditionnels, tandis que certains jeunes évoquent la première mise en couple,

141 l’obtention d’un premier emploi et le décès d’un ou des deux parents comme événements pouvant déclencher le processus d’entrée en vie adulte.

Ces résultats révèlent que le contexte socio-économique et politique a un effet sur la perception que les répondants ont des événements qui marquent le début du processus d’entrée en vie adulte. Si pour les aînés le mariage traditionnel (dot) et l’obtention d’un emploi sont perçus comme les premières transitions du parcours d’entrée en vie adulte chez la plupart des individus, le contexte socio-économique et politique qui marque la vie des individus de la cohorte des jeunes les amène à percevoir que désormais la première parentalité et la première décohabitation, sont les événements qui marquent la plupart du temps le début des parcours d’entrée en vie adulte.

Les rites traditionnels de passage ont été très peu évoqués par les répondants de la cohorte des aînés, tandis qu’aucun répondant de la cohorte des jeunes n’y a fait référence. Il semble donc qu’en tenant compte des perceptions, le modèle communautaire ne convient véritablement plus pour rendre compte des relations entre les individus, leurs familles et la société globale.

L’analyse précédente permet d’avoir une idée des événements pouvant induire le début du parcours d’entrée en vie adulte. Cependant, il nous manque des éléments pouvant permettre de délimiter les frontières entre le parcours d’entrée en vie adulte et le début de la vie adulte proprement dite. Autrement dit nous nous sommes intéressés à savoir à partir de quand on pourrait dire qu’un individu est devenu adulte à part entière. L’analyse de la perception que les réponds ont des finalités du parcours d’entrée en vie adulte nous édifie à cet effet.

L’analyse de la perception des finalités du parcours d’entrée en vie adulte, permet de constater qu’« être adulte » est la finalité ultime du parcours d’entrée en vie adulte. Dans le présent travail, nous ne nous intéressons pas spécifiquement à la notion d’« adulte », mais

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plutôt au parcours d’entrée en vie adulte. Cependant les entretiens ayant porté sur les caractéristiques pouvant définir un « adulte », font apparaître que l’ « adulte » est une notion polysémique et complexe, déterminée par deux facteurs : - la perception qu’un individu à de lui-même par rapport à son niveau d’autonomie et/ou de responsabilité, et - la perception que l’entourage à d’un individu par rapport à son niveau d’autonomie et/ou de responsabilité

Deux notions sont donc primordiales pour définir la finalité du parcours d’entrée en vie adulte: l’autonomie et la responsabilité. Cela signifie donc que le parcours d’entrée en vie adulte est marqué par un processus d’autonomisation et/ou de responsabilisation. Tandis que les individus de la cohorte des aînés ont tendance à mettre l’accent sur la responsabilisation, ceux de la cohorte des jeunes ont tendance à mettre l’accent de façon indissociable à la fois sur la responsabilisation et l’autonomisation.

Toi-même tu sais non? Bon : la famille, les amis et autres là, ils t’aident pour que tu trouves un travail, une femme et te marier, un endroit où tu peux vivre avec ta femme et commencer à avoir des enfants. Lorsque tout ça est stable maintenant et que tu peux faire les choses par toi-même et que tu peux en donner plus aux autres (tes enfants, ta famille, tes amis, etc.) que ce qu’ils te donnent, alors tu peux dire que tu es responsable; tu es devenu un adulte quoi. Tu sais c’est mon grand-père qui sait bien dire les choses comme ça hein! Propos de JH.3.

Dans le verbatim précédant, le répondant évoque la responsabilisation et l’autonomisation qu’il prend soin de différencier du concept d’indépendance, car il perçoit les interactions avec l’entourage familial comme un déterminant des parcours. Un autre répondant, une femme d’une soixantaine d’années nous livre sa conception du passage en vie adulte dans les termes qui suivent :

Avant de devenir adulte, il faut que tu commences par apprendre comment être capable de gérer ta vie toi-même. Ça là, c’est la famille, 143

qui te montre comment on doit faire, on te tient par la main pour t’aider à traverser les différentes étapes (travail, maison, mariage, enfant), pour que tu deviennes toi-même un responsable, capable d’assumer tes dépenses, tes décisions, tes devoirs envers la famille et bien sûr capable de refaire la même chose pour ta progéniture avec l’aide de la famille. Tout ça là, ce n’est pas du jour au lendemain!… Même si vous les jeunes d’aujourd’hui, vous ne suivez plus bien les conseils et que vous êtes pressés parfois de faire comme vous voulez, vous savez… vous savez… ça s’apprend doucement et vous ne pouvez pas tout faire comme vous voulez. Propos de AF.1.

Ce second verbatim aborde l’entrée en vie adulte sous l’angle d’un processus et positionne au cœur de ce processus la notion d’apprentissage. Ainsi perçue, la finalité du parcours d’entrée en vie adulte est la responsabilisation de l’adulte en devenir.

Au regard des deux verbatim, on peut dire que l’entrée en vie adulte est conçue et perçue comme étant un apprentissage progressif de la vie sociale faisant intervenir un processus d’autonomisation et de responsabilisation de l’individu et dont la finalité est l’ « être adulte ». Au terme du processus, l’individu entre dans la catégorie sociale des adultes. Il importe de revenir ici sur les notions d’autonomisation et de responsabilisation utilisées pour qualifier les finalités des parcours d’entrée en vie adulte.

La notion de responsabilisation signifie ici que l’individu entre dans un processus d’apprentissage de la vie sociale d’adulte où le groupe social se charge progressivement de lui faire prendre conscience des étapes et des cheminements à opérer. Lors du parcours, l’entourage ne reconnaît donc pas en l’individu les capacités nécessaires pour avoir un parcours d’entrée en vie adulte idéal. Ce n’est qu’au terme du processus que le sujet est apte à commencer par occuper un rôle d’acteur dans la production de son parcours vie. Au terme du parcours, l’individu reste sous l’influence du cadre social, dont il peut continuer à recevoir des ressources matérielles, sociales et financières, mais il dispose désormais de réelles possibilités d’action et de réaction.

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La notion d’autonomie tel que perçue ici s’éloigne quelque peu du concept d’indépendance. En réalité, l’indépendance se définit à partir de catégories objectives : c’est un état dans lequel se trouve l’individu lorsqu’il dispose de ressources suffisantes pour gérer sa vie sans le soutien financier, matériel et social de la famille et de l’entourage. Or, l’autonomie renvoie ici à l’idée que l’individu valide ou se donne lui-même ses règles de conduite sociale. Elle est considérée comme une perception positive de soi vers laquelle l’individu tend. C’est une catégorie de l’identité qui implique que l’individu, ici le jeune adulte émergeant, participe à l’élaboration de l’univers social dans lequel s’intègre son parcours d’entré en vie adulte. Autrement dit, l’entourage reconnait ou agit comme s’il reconnait en l’individu une certaine capacité à réaliser un parcours idéal à partir des ressources personnelles et des ressources provenant de l’entourage. Contrairement donc à la phase d’enfance, où ce sont les parents ou la famille qui décident quasiment de tout pour l’individu, dans la phase d’entrée en vie adulte empreinte d’autonomisation, l’individu prend une part plus importante dans la définition des séquences du parcours. Ce n’est donc pas parce que l’on s’autonomise que l’on est indépendant, sans interrelation et totalement affranchi des normes et des pratiques prédéfinies par le réseau famille. Comme l’affirme un répondant:

Même à cinquante ans tu es toujours l’enfant de tes parents, quelques soit ton niveau de scolarisation, ils ne manqueront pas de te suggérer parfois fortement certaines choses et toi aussi tu ne manqueras pas d’aller demander leur avis pour certaines choses: c’est comme ça ici. Tu ne pourras jamais tout savoir. Propos de AH.4.

Deux cas de figure d’autonomisation peuvent se dégager selon les perceptions de nos répondants. D’abord une autonomisation au rabais où l’accent est mis spécifiquement sur l’éthique de la responsabilisation qui est une dimension subjective et un concept pivot de l’entrée dans la

145 vie adulte (Gaudet, 2002). Dans cette perspective, le jeune apprend à inscrire dans son projet les attentes de son groupe familial. Cela passe par une conformité relative aux normes et valeurs communautaires. C’est ce type d’autonomie que l’on note dans le discours des individus qui perçoivent la responsabilisation comme finalité du parcours d’entrée en vie adulte. La notion d’autonomisation n’occupe donc pas une place importante dans cette perception de la finalité des parcours d’entrée en vie adulte largement répandue auprès des répondants de la génération des aînés. Dans la seconde perspective d’autonomisation, le jeune adulte négocie et valide progressivement les normes et valeurs communautaires dans le but de répondre à la fois à ses aspirations personnelles et aux aspirations du groupe. Ainsi, au fur et à mesure que l’individu fait l’expérience de l’autonomisation, il s’engage dans la voie de la responsabilisation et acquiert progressivement la capacité de se projeter dans le futur, de clarifier ses buts et d’organiser la vie en fonction d’objectifs à court, moyen et long terme au regard de lui-même et de son entourage. Cette perspective de l’autonomie est largement répandue dans les perceptions des individus de la génération des jeunes pour qui responsabilisation et autonomisation sont deux finalités indissociables des parcours d’entrée en vie adulte.

« Ce n’est parce que tu commences à travailler et gagner de l’argent seulement là que tu vas penser que tu es déjà un adulte hein! […]. Ce que je t’explique, c’est qu’il faut que tu sois capable et que ta famille et ton entourage te regardent comme “quelqu’un” à part entière. Quand on commence par te traiter comme un adulte…toi-même tu sais. Et ce n’est pas une question d’âge. Mon grand frère qui est toujours à la maison sans femme ni enfants là, je vois que les parents ne le considèrent pas encore comme un adulte parce qu’il n’est pas autonome! Alors qu’il trouve quand même de petits jobs. Moi j’ai enceinté une fille à l’âge de 18 ans, j’ai laissé l’école et j’ai commencé par faire de petits boulots parce que je ne voulais pas que ce soit mes parents qui fassent tout, j’ai connu la souffrance et les parents savent maintenant que je suis capable d’en prendre sur moi dans la vie, que j’ai des objectifs pour maintenant et pour demain, que je me bats bien pour m’en sortir et que même si j’avais besoin encore de leurs aides et

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de leurs conseils, ça ne sera plus tout le temps et pour tout ce que je dois faire ». Propos de JH.3.

Malgré les distinctions générationnelles que l’on peut noter dans la perception que les individus ont des types de trajectoires, des premiers événements et des finalités des parcours d’entrée en vie adulte, on constate de façon assez étonnante qu’il y a une uniformité relative des perceptions en ce qui concerne le parcours de type idéal, supposé normal. En effet, que ce soit lors de la pré-enquête ou lors des enquêtes proprement dites, les répondants ont défini les caractéristiques d’un modèle de parcours idéal, supposé normal selon leurs perceptions. En relisant l’ensemble des entretiens, il appert que les caractéristiques énumérées par les répondants convergent globalement vers un même modèle quelques soit la génération du répondant.

Le parcours de type idéal supposé normal de parcours d’entrée en vie adulte tel que perçu par les répondants peut être caractérisé en se référant à trois dimensions: - l’enchaînement - la temporalité, et - la centralité du réseau familial dans la production du parcours

Dans les sections 5.2 et 5.3, nous faisons d’abord une synthèse générale du concept de parcours d’entrée en vie adulte en tenant compte des diverses perceptions des répondants, avant d’exposer de façon détaillée et schématique les caractéristiques de chacune des trois modalités (enchaînement, temporalité, centralité du réseau familial).

Avant d’en arriver à ces sections, il importe de signaler que l’existence d’un type idéal de parcours d’entrée en vie adulte met en exergue les ambivalences entre les deux cohortes étudiées et pousse à formuler deux hypothèses.

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Il semble que les régulations familiale et communautaire demeurent vivaces et fonctionnelles dans le contexte de la ville de Cotonou. Malgré les différences évidentes de contexte socio-économique, démographique et politique dans lequel les individus des deux générations ont évolué, il semble que la socialisation arrive encore à reproduire dans l’imaginaire populaire et d’une génération à l’autre, la perception d’un parcours d’entrée en vie adulte de type idéal, supposé normal. Il semble ensuite, que la socialisation de certains individus de la cohorte des aînés s’inscrit dans le modèle communautaire, alors que la socialisation des individus de la cohorte des jeunes et de certains individus de la cohorte des aînés ne s’inscrit pas dans un modèle communautaire étant donnée l’absence de la notion de rite traditionnel dans les discours. Il semble enfin, que la socialisation des individus des deux cohortes ne s’inscrit pas dans le modèle d’hyper-individualisation eu égard à la place prépondérante que les répondants semblent accorder au réseau familial dans la réalisation des parcours.

5.2 Quatre trajectoires pour un parcours d’entrée en vie adulte

La figure 4 ci-dessous résume bien le concept de l’entrée en vie adulte. Elle montre que l’entrée en vie adulte est un parcours qui sous l’influence de facteurs naturels (génétique ou liés à l’environnement) et de l’écosystème social, devient jalonné de transitions et d’événements touchant principalement quatre (4) types de trajectoires : trajectoire d’insertion professionnelle, trajectoire résidentielle, trajectoire de vie de couple et trajectoire de vie féconde.

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Figure 4 : Représentation schématique de l’opérationnalisation du parcours d’entrée en vie adulte

Comme l’indique la figure 4, événements et transitions n’ont pas toujours vocation à faire évoluer le parcours dans une perspective de continuité. Ils peuvent aussi agir pour créer selon le cas des « états intermédiaires » qu’on peut qualifier de « dormances biographiques ».

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L’état de « dormance biographique » est celui qui plonge l’individu de façon relativement prolongée dans une situation d’entre-deux. Par exemple une cohabitation résidentielle de plus ou moins longue durée avec un membre de la famille outre que le père et la mère au lieu d’une évolution vers l’autonomie résidentielle, ou encore un statut de « stagiaire à durée indéterminée » au lieu d’une évolution vers un « vrai premier emploi rémunéré ».

Certains événements idiosyncrasiques sont particulièrement cruciaux et peuvent infléchir le parcours d’entrée en vie adulte pour provoquer un changement durable et substantiel, un aller-retour biographique (« turning points ») ou « souvent même une cassure, dans le déroulement de la vie » (Lalive d’Epinay et Cavalli, 2009, p. 26). Par exemple, le retour à une situation de sans emploi après une période d’emploi stable, l’incendie d’une maison où l’on réside et dont on est propriétaire, etc., sont des évènements susceptibles de produire des « turning points » (Elder, 1998; Rutter, 1996), encore appelés bifurcations biographiques, c’est-à-dire des moments dans lesquels l’existence change significativement de direction ou devient discontinue (Clausen, 1995).

Si les événements et les transitions à l’origine des bifurcations, des états intermédiaires et des dormances biographiques traduisent des dynamiques structurantes de biographies personnelles, ils sont aussi la résultante des dynamiques socio-économique et démographique, mais aussi de la redéfinition des rapports sociaux, entrainant des possibilités de pluralisation voir d’individualisation des parcours d’entrée en vie adulte.

5.3 Un parcours de type idéal d’entrée en vie adulte, supposé normal

Comme le révèle l’analyse des résultats sur les perceptions que les répondants ont des parcours d’entrée en vie adulte, il existe dans l’imaginaire populaire un type idéal supposé normal de parcours d’entrée en vie adulte. Nous avions essayé alors d’en saisir les

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principales caractéristiques dans cette section. Les dimensions qui permettent d’analyser les caractéristiques de ce type idéal de parcours nous ont permis par la suite de trouver les variables discriminantes susceptibles de permettre la réalisation d’une meilleure typologie des parcours empiriques. Il faut le rappeler, un type idéal est une « stylisation de la réalité » (Schnapper, 1999, p. 18), un « construit mental » (Burger, 1976, p. 164). Dans le cas présent, cette stylisation de la réalité est comme une idéalisation qui fait consensus au sujet des caractéristiques d’un parcours d’entrée en vie adulte de type « normale », socialement souhaité. Ce type idéal de parcours d’entrée en vie adulte socialement reconnu comme étant « normal » ou « normatif » peut se schématiser comme suit (figure 5).

Figure 5 : Représentation schématique de l’opérationnalisation du parcours de type idéal d’entrée en vie adulte

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Trois dimensions permettent de caractériser ce parcours d’entrée en vie adulte de type idéal, supposé normal.

1. l’enchaînement des transitions au niveau des trajectoires : Dans ce type de parcours, les diverses transitions au niveau de chacune des quatre trajectoires se déroulent de sorte que l’insertion professionnelle précède l’autonomie résidentielle et l’entrée en vie de couple. L’autonomie résidentielle et l’entrée en vie de couple peuvent être couplées ou inter changées et précèdent toutes deux la première naissance. Les quatre transitions (première insertion professionnelle, première autonomie résidentielle, première expérience de vie de couple et première naissance), ainsi énumérées sont alors identifiées comme étant des transitions clées du parcours d’entrée en vie adulte et pouvant permettre de discriminer les types de parcours.

2. La temporalité Bien que le parcours de type idéal admette la survenance de bifurcations et d’états intermédiaires, les évènements et les transitions s’enchevêtrent de manière à ce que, en termes de temporalité, les quatre transitions clées précédemment abordées puissent se produire dans un intervalle de temps d’au plus quatre années après la première de ces transitions clées (insertion professionnelle).

3. Centralité du réseau familial dans la production du parcours L’ensemble du parcours de type idéal de passage en vie adulte, supposé normal est caractérisé par une centralité absolue du cercle familial et une réceptivité relativement forte par rapport aux valeurs sociales (solidarité sociale, relations familiales, mariage, relation intergénérationnelle, etc.). Le lien civique et le lien de participation élective doivent y avoir une centralité relative.

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Dans le chapitre suivant, nous passons de l’analyse des perceptions à celle de faits empiriques vécus par les répondants. Nous procédons donc dans le chapitre 6 à une analyse de la dynamique et des tendances empiriques de chacune des quatre trajectoires du parcours d’entrée en vie adulte.

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Chapitre 6 : Dynamique des trajectoires du parcours d’entrée en vie adulte

Ce chapitre traite de la dynamique des quatre trajectoires significatives des parcours d’entrée en vie adulte des répondants dans la ville de Cotonou. Les trajectoires que nous analysons ici sont les quatre plus significatives dans la définition et le contenu du parcours d’entrée en vie adulte. S’il est vrai que la définition du parcours d’entrée en vie adulte qui émerge de nos investigations pousse à une analyse multi trajectoire, nous nous intéressons d’abord dans ce chapitre à une analyse de chaque trajectoire prise séparément.

L’intérêt d’une analyse de chaque trajectoire réside dans le fait qu’elle nous permet d’approfondir d’abord l’analyse des permanences, des mutations et des ruptures probables en lien avec les données contextuelles et institutionnelles, pour ensuite construire une infrastructure intelligible des parcours d’entrée en vie adulte.

Il faut préciser qu’il y a une certaine difficulté à vouloir analyser ainsi chaque trajectoire. En effet, dès lors qu'on demande aux répondants de raconter le déroulement de leur vie à partir d’une première transition clairement identifiée au préalable, on réalise vite que le récit aborde généralement les quatre trajectoires de façon fortement imbriquée et qu'il est impossible d'exposer l'une sans faire intervenir les autres.

Nous essayons donc ici de dépasser cet enchevêtrement afin de dégager et d’expliquer pour chaque trajectoire les principales caractéristiques, mais aussi les grandes tendances en fonction de la cohorte et du genre des individus.

Sur le plan pratique, il fallait dégager de chaque récit biographique, relativement à chaque trajectoire, les diverses séquences qui rendent compte de la position dans laquelle se trouve chaque personne interrogée à chaque instant du déroulement de la portion de leur parcours de vie collectée ainsi que la durée des séquences identifiées, tout en portant une attention 155 particulière aux chevauchements et aux jonctions des transitions, des bifurcations et des états intermédiaires.

6.1 Trajectoire d’insertion professionnelle du parcours d’entrée en vie adulte

Le terme « insertion professionnelle » est assez polysémique. On rencontre en effet dans la littérature une kyrielle de définitions. Une définition assez proche de notre conception est celle élaborée par Bordigoni, Demazière & Mansuy (1994). Selon ces derniers, l’insertion professionnelle est « un processus socialement construit, dans lequel sont impliqués des acteurs sociaux et des institutions historiquement construites, des logiques sociétales d’actions et des stratégies d’acteurs, des expériences biographiques sur le marché du travail et des héritages socio-scolaires » (Bordigoni, Demazière et Mansuy, 1994, cités par Akkari et Solar-Pelletier, 2007, p.12). Ainsi perçue, la trajectoire d’insertion professionnelle est historiquement inscrite dans une conjoncture (économique et politique), dépendante d’une part, de l’architecture institutionnelle qui traduit des relations sociétales spécifiques entre éducation, emploi et rémunération et d’autre part, des stratégies d’acteurs.

Dans le cadre de nos travaux, nous abordons la trajectoire d’insertion professionnelle au sens large, car elle permet d’aborder tout le cheminement professionnel des individus depuis la première tentative d’insertion. Comparativement à la notion de trajectoire professionnelle, celle de trajectoire d’insertion professionnelle, nous permet d’analyser les phases successives (recherche d'emploi, emploi, chômage, formation, inactivité...) par lesquelles l’individu transite dans sa quête de se stabiliser dans un type d’emploi. Les représentations individuelles et collectives ont ainsi un impact significatif dans la définition de l'insertion professionnelle puisque la « stabilisation » sera caractérisée de façon différente selon les personnes. On peut toutefois considérer, de manière générale, que la « stabilisation » désigne le fait de trouver un emploi correspondant au niveau et à la

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formation de l’individu, et dans lequel celui-ci est amené à rester de façon relativement pérenne.

Plusieurs caractéristiques (âge de la première transition, durée cumulée de chômage, relation entre formation et emploi, situation des conditions d’emploi, etc.) apparaissent comme étant non seulement porteurs de la dynamique de l’insertion professionnelle, mais aussi révélateurs des mutations qui s’opèrent au cœur du fonctionnement du marché de l’emploi et dans la société plus globalement à travers le temps.

6.1.1 Une entrée en insertion professionnelle de plus en plus précoce surtout chez les

femmes

Certains travaux antérieurs (Calves et al 2006, Antoine et al., 1992, 2001,) analysant les trajectoires professionnelles à travers les générations dans les villes de Bobo-Diaoulasso et à Dakar, font état d’un recul progressif de l’âge d’accès à l’emploi du fait notamment de l’allongement de la scolarité puis de la crise économique et de l’emploi public. En procédant à une analyse plus large à travers la notion de trajectoire d’insertion professionnelle, nos travaux semblent ne pas confirmer ces résultats antérieurs, mais apportent des clarifications intéressantes au sujet des enjeux majeurs du secteur professionnel à Cotonou.

En effet, l’analyse de contenu des récits révèle une précocité de l’insertion professionnelle au sein de la cohorte des jeunes comparativement aux ainés.

Quand il n’y a plus moyens chez tes parents, toi-même tu sais, tu n’as pas le choix hein. 500 F par ici 1000f par là, tu commences à chercher ton argent, surtout pendant les vacances car, a l’école quand on te renvoie pour la contribution scolaire là, c’est d’abord ta honte. Propos de JH.2

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L’analyse de l’âge médian et de l’âge moyen à la première insertion en emploi nous permet de confirmer qu’il a une tendance vers la précocité de l’insertion en emploi chez les jeunes, comme le relate le verbatim précédent. L’analyse de l’âge moyen à la première insertion (tableau 9), montre en effet que globalement, la période d’entrée en vie adulte se caractérise par un début d’insertion professionnelle de plus en plus précoce chez les individus de la cohorte des jeunes comparativement aux individus de la cohorte des aînés. La situation n’est cependant pas la même selon le sexe des répondants. Chez les femmes, par rapport à leurs aînés, les jeunes démarrent l’insertion en emploi de façon nettement plus précoce (en moyenne autour 20 ans pour une femme de la cohorte des jeunes contre 23 ans chez les femmes de la cohorte des aînés) alors que chez les hommes, l’entrée précoce en emploi semble relativement moins prononcée (en moyenne 21,21 ans pour un jeune contre 21,54 ans en moyenne chez les aînés). De plus, si chez les individus de la cohorte des aînés, les hommes connaissent généralement leur première expérience en emploi avant les femmes, on remarque au niveau de la génération des jeunes que la situation s’est inversée au fil des générations. Il faut préciser que l’analyse de l’âge médian à la première insertion, nous conduis aux mêmes conclusions (voir annexe 4).

Tableau 9 : Âge moyen (en année) d'accès à la première expérience de type professionnelle

Femmes Hommes Aînés 22,77 21,54 Jeunes 19,74 21,21

Il semble qu’il y a là une transformation majeure qui s’opère dans les sphères économique, sociale et professionnelle, et qui accélère de plus en plus l’entrée sur le marché du travail des jeunes cohortes et en premier lieu des femmes de la cohorte récente.

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Pendant que j’allais à l’école, au cours des congés et des weekends, j’aidais ma maman dans son commerce de vente de pain et d’articles divers. En 1999, je fréquentais la classe de 4ème (3ème année du secondaire). Cette année-là, mes parents ont eu beaucoup de difficultés financières et j’étais souvent renvoyé de l’école pour non- paiement de frais de scolarité. À la fin de l’année, j’ai échoué pour la deuxième fois la même classe. J’ai aidé ma mère dans son commerce pendant les vacances qui ont suivi, mais à la reprise des classes mon père a annoncé qu’il n’avait plus les moyens de me scolariser en même temps que mes autres frères et sœurs. J’ai alors continué à aider ma mère dans son commerce jusqu’en 2004 où avec son aide j’avais enfin mon propre étalage et gagnais mes propres revenus que j’utilisais pour acheter mes choses, mais aussi pour aider mes parents. C’était une activité très difficile où il fallait se lever très tôt pour aller chercher le pain à la boulangerie et il fallait revenir à la maison le soir pour préparer à manger, malgré la fatigue. Propos de JF.4.

Ce verbatim montre que, compte tenu des difficultés conjoncturelles croissantes, certains parents opèrent à un moment donné un « tri structurel » entre les enfants, les uns devant regagner tout au moins partiellement le marché de l’emploi pour venir en soutien à la famille pour diminuer les charges qui pèsent sur les parents, les autres devant poursuivre leur scolarisation ou l’apprentissage d’un métier. On constate alors que dans ce système de « tri structurel », ce sont les filles qui sont le plus souvent amenées à faire les premières, leur entrée sur le marché de l’emploi. Cet état de choses n’est ni anodin, ni sexiste, puisqu’on constate dans les faits que ce sont les femmes qui sont les plus flexibles, débrouillardes et susceptibles de saisir véritablement les opportunités courantes du marché de l’emploi à Cotonou. En effet, ces dernières années, le moyen le plus courant de commencer à gagner des revenus dans le paysage économique de Cotonou, reste largement le petit commerce de détail, l’aide domestique, l’aide-apprentissage, le taxi-moto, les métiers de restauration et d’hôtellerie (serveuse, cuisinier…), etc. Il s’agit là en majorité de métiers conçus dans l’imaginaire populaire et ancrés dans les pratiques comme étant adaptés à l’agilité et à l’ingéniosité dont font montre en général les femmes.

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La précocité de l’entrée en insertion professionnelle est de plus en plus fréquente chez les femmes de la cohorte récente, mais elle concerne aussi les jeunes hommes de la même cohorte. Plusieurs récits biographiques de jeunes hommes font état d’une entrée précoce sur le marché du travail. Dans certains cas, il s’agit d’une sortie du système scolaire puis d’une entrée sur le marché du travail à travers un premier emploi ou un emploi à temps partiel parfois temporaire, parfois cumulé avec un statut d’apprenti dans un atelier ou un centre de formation. Dans d’autres cas, l’individu se maintient dans le système scolaire, mais s’insère dans des emplois à temps partiel et le plus souvent temporaires (petits jobs divers, répétiteur de cours pour élèves, transporteurs occasionnels, etc.)

Je me souviens que j’ai commencé à faire des cours de maison pour gagner un peu de sous quand j’étais en classe de première (13ème année d’enseignement), parce que ça devenait de plus en plus difficile pour les parents de payer déjà la scolarité, l’argent de poche et en plus les frais de photocopie de nombreux manuels de cours et d’ouvrages scolaires. Pendant les congés de février 1998, mon grand frère qui était étudiant en première année d’université à Calavi était revenu à la maison. En discutant, il me racontait comment il arrive à gagner de petits sous en aidant certains élèves de parents plus aisés en français chez eux. À la reprise des classes, je suis allé voir un monsieur du quartier qui avait des enfants au primaire pour lui proposer d’aider ses enfants contre rémunération. À ma grande surprise, il a tout de suite accepté et je lui ai dit qu’il pourra me payer ce qu’il aurait. Trois mois après le début des séances bihebdomadaires d’étude avec ses enfants, il ne m’a payé qu’un montant total 500 F CFA (environ 1 dollar canadien d’aujourd’hui), mais je n’ai pas pour autant abandonné les enfants. C’est ainsi qu’un jour il m’a dit que ses enfants avaient de bons résultats et que d’autres parents auraient besoin de mes services. Il m’a mis en contact avec deux autres familles du quartier et je réunissais trois à quatre enfants deux fois par semaine pour les aider. C’est là que j’ai commencé à gagner des revenus autour 3000 à 6000 F CFA par mois, même pendant les vacances… Ça m’a trop aidé dans ma scolarisation! Propos de JH.6.

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La question de la précocité de l’insertion en emploi chez les individus de la génération des jeunes ne renvoie pas simplement aux difficultés engendrées par la crise économique, mais dénote aussi certains facteurs d’ordre social. Ces difficultés existaient certes au niveau des individus de la cohorte des aînés, mais au niveau de la cohorte récente, leurs fréquences sont de plus en plus décuplées. Puis elles interagissent avec la conjoncture économique pour mettre à rude épreuve la résilience du cercle familial en poussant les jeunes sur le marché de l’emploi plus tôt que leurs aînés l’ont été au moment de leur parcours d’entrer en vie adulte. Au nombre de ces facteurs sociaux, on peut citer les difficultés économiques au sein des ménages, le besoin d’un revenu pour s’acheter des gadgets modernes, le décès d’un ou des parents, les grossesses précoces ou non désirées, les mauvais résultats scolaires et le besoin de travailler pour financer les études de type classique ou une formation technique ou professionnelle.

Les deux verbatim qui suivent sont issus d’entretiens avec des répondants de la cohorte des jeunes. Ces verbatim mettent en exergue plusieurs facteurs précédemment cités comme étant des motifs qui sous-tendent la précocité de l’insertion professionnelle chez les répondants de la génération des jeunes.

[…], J’avais un talent pour le dessin et je faisais de très beaux dessins […] Il y a des copines qui m’amenaient des cahiers de chants de leurs petits frères et sœurs du primaire, pour que j’y mette de bons dessins […] En classe de terminale, il se fait que j’ai enceinté une fille de ma classe. On a essayé d’avorter, mais impossible […] On a dû en parler aux parents. C’était des remontrances partout… ça, c’était en 2002 hein, et j’avais 22 ans. Les parents de la fille ont dit que je devrais la marier, mes parents ont alors décidé de prendre ma copine à la maison et de tout assumer. Moi j’ai commencé par réclamer des payements pour mes dessins dans les cahiers de chants, ce n’était pas grand-chose hein (100 F CFA par cahier décoré), […] J’ai eu mon diplôme de BAC cette année-là et je devais aller continuer des études au département de littérature à l’université à Calavi... je me suis inscrit, mais entre-temps un grand cousin du même village que moi, m’a

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recruté comme dessinateur dans son entreprise de sérigraphie. Le salaire était bas, parce que j’avais le talent, mais pas la technique, et donc il m’a aussi un peu formé quoi. Propos de JH.4.

Ma mère est décédée quand j’avais quatre ans et mon père s’est remarié avec une dame qui a eu cinq enfants avec mon père. J’ai fait deux ou trois ans seulement à l’école… Je crois que j’avais l’âge de 13 ans quand mon père m’a laissé partir avec une riche dame du village qui habitait ici à Cotonou. Je devais travailler comme domestique chez elle ici à Fidjrossè, mais c’est mon père qui venait chercher le salaire chaque fin du mois. Je ne sais même pas combien hein. La dame me battait et me faisait travailler trop […]. Malheureusement à chaque fois que j’arrivais à fuir en volant de l’argent à ma patronne pour aller au village et raconter ce que je vivais à mon père, lui, il me traite de paresseuse et me ramène encore chez la dame […]. Je venais d’avoir 16 ans, quand j’ai définitivement fugué parce que j’ai compris que si je ne me sauve pas moi-même, personne ne le ferra pour moi. J’ai commencé à dormir à Tokpa dans la rue hein et parfois sous le pont, je vivais de n’importe quoi, parfois j’aidais des femmes à décharger des marchandises, ou bien je surveille l’étalage et elles me donnaient de petits sous pour manger, j’ai même fait des activités interdites surtout les soirs vers Jonquet là-bas…faut pas chercher à en savoir plus ooooh, Dieu même sait (larmes) […]. J’ai finalement rencontré une vendeuse du marché Dantokpa, qui a eu un passé similaire et qui a accepté de m’héberger pour que je travaille avec elle au marché… hooun! (soupire) […] Excusez-moi hein… est-ce qu’on peut continuer demain? Propos de JF.2.

Les trois verbatim qui suivent proviennent des discussions avec deux répondants de la cohorte des aînés et fournissent un éclairage supplémentaire sur les différences de la première insertion en emploi d’une génération à l’autre.

J’ai commencé par travailler quand j’avais 24 ans environ […] Quand je faisais ma formation en mécanique auto, ce sont mes parents et mon grand-frère qui me soutenaient financièrement. J’ai terminé la formation et pour les démarches préalables à la « diplomation », il fallait que je contribue un peu. C’est là que j’ai négocié avec mon

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patron pour commencer à travailler dans le garage en temps qu’aide- mécanicien. Propos de AH.2.

En réalité comme je n’ai pas été à l’école, j’ai commencé à aider ma mère dans son commerce depuis […] bon disons vers l’âge de 12 ans déjà hein… mais je ne gagnais pas d’argent pour moi, donc je ne peux pas dire que je travaillais non! C’est lorsque je me suis mariée que j’ai commencé avec l’aide de ma maman et de mon mari à faire du commerce pour moi-même […], c’est pourquoi j’ai dit que c’est à partir de 22 ans que j’ai commencé à travailler. Propos de AF.1.

Je n’ai jamais été à l’école […], jeune, je travaillais la terre avec mon père au village[…]. J’ai commencé à travailler pour gagner de l’argent avant l’extension du port de Cotonou en (1979), […], disons 5-6 ans avec les travaux d’extension […], j’avais 20-21 ans […] En ce temps-là c’est mon frère qui faisait une formation en mécanique à Cotonou ici et il allait les soirs travailler au Port comme docker. En ce moment la formation en mécanique était longue […], pas comme aujourd’hui […] donc on avait besoin de l’aide des parents et aussi […]. Comme le travail du champ ne n’était plus rentable, je suis venu rejoindre mon frère et on allait décharger les bateaux le soir[…], ça payait bien. Propos de AH.1.

En dehors de la précocité de la première transition d’insertion professionnelle chez les répondants de la cohorte des jeunes par rapport à ceux de la cohorte des aînés, il semble que c’est plus globalement l’ensemble de la mobilité d’insertion professionnelle lors du parcours d’entrée en vie adulte qui se transforme d’une génération à l’autre, comme nous le verrons dans la suite.

6.1.2 Mobilité-promotion sociale versus mobilité-instabilité

Les figures 6 et 7 permettent d’avoir en fonction de l’âge, une vue synthétique des diverses séquences par lesquelles transitent les individus le long de leur trajectoire d’insertion professionnelle sur la période de parcours de vie collectés.

163

Figure 6 : Séquences de la trajectoire d'insertion professionnelle des répondants de sexe féminin

Âge 1ère expérience en emploi

Durée 1er emploi

Durée chomage avant 2em emploi

Durée 2em emploi

Durée retour étude après 2em emploi Durée chomage avant 3em emploi

Durée 3em emploi Cohorte Jeune CohorteÂînée CohorteJeune Durée chomage avant 4em emploi

Durée 4em emploi

Durée retour étude après 4em emploi Durée chomage avant 5em emploi

0 Âge 5 10 15 20 25 30 Durée 5em emploi Séquences de la trajectoire d'insertion professionnelle

164

Figure 7 : Séquences de la trajectoire d'insertion professionnelle des répondants de sexe masculin

Âge 1ère expérience en emploi

Durée 1er emploi

Durée chomage avant 2em emploi

Durée 2em emploi

Durée retour étude après 2em emploi Durée chomage avant 3em emploi

Durée 3em emploi

Cohorte Jeune Cohorte Aînée Cohorte Jeune Durée chomage avant 4em emploi

Durée 4em emploi

Durée retour étude après 4em emploi Durée chomage avant 5em emploi

0Âge 10 20 30 40 Durée 5em emploi Séquences de la trajectoire d'insertion professionnelle

Deux constats importants dérivent de l’allure de ces graphiques. D’abord, on note globalement chez les femmes qu’elles transitent par moins de séquences, comparativement aux hommes. Ensuite, au niveau de chaque sexe, il apparaît que les individus de la génération jeune transitent globalement par plus de séquences que les individus de la génération des aînés.

165

Les figures 6 et 7 révèlent donc une permanence dans la sexualisation de la mobilité de l’insertion professionnelle (les hommes étant les plus mobiles), mais aussi une « générationalisation » de la mobilité de l’insertion professionnelle (les individus de la génération jeune étant plus mobiles que ceux de la cohorte des aînés). Globalement, les hommes connaissent en effet, une plus forte mobilité professionnelle que les femmes quel que soit la génération considérée et on note une plus forte mobilité au niveau des individus de la génération des jeunes comparativement à ceux de la génération des aînés peu importe le sexe considéré.

Mieux, les mobilités de l’insertion professionnelle des individus de la cohorte des jeunes sont le plus souvent révélatrices d’une forte instabilité en emploi, caractérisée par une forte fréquence de bifurcations (chômage, retour étude) et d’états intermédiaires (stage longue durée, formation-emploi de longue durée), alors que chez les aînés, il s’agit la plupart du temps d’une mobilité-promotion sociale.

- Une trajectoire marquée par la continuité chez la plupart des aînés : mobilité- promotion sociale

Les figures 6 et 7 montrent que la plupart des individus de la génération des aînés connaissent une trajectoire d’insertion professionnelle dont le séquençage est relativement linéaire. En effet, plusieurs individus de la cohorte des aînés, n’ont pas changé d’emploi après leur première expérience en emploi. Pour ceux qui ont changé d’emploi, le séquençage de leur trajectoire montre que les événements s’enchaînent de manière à mener l’individu à chaque fois vers une situation d’emploi plus confortable sur le plan de la rémunération et des conditions de travail. Dans un cas où dans un autre, la trajectoire d’insertion professionnelle ne connaît pas ou connaît peu de bifurcations (perte d’emploi, retour aux études, etc.) et d’états intermédiaires (chômage chronique, stage de longue durée, apprentissage-emploi de longue durée). Que ces derniers aient été scolarisés

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longtemps, peu, ou pas du tout, leur insertion professionnelle reste incontestablement marquée par la continuité en dehors de quelques rares cas.

S’il est vrai que les plus scolarisés commencent souvent leur insertion par des états intermédiaires (cours de maison, boursier en formation, etc.), on constate aussi qu’ils s’insèrent presque toujours par la suite et « pour de bon », dans la sphère professionnelle publique (enseignant et enseignante à tous les niveaux, fonctionnaire dans divers services publics, etc.) et y restent jusqu'à la retraite. La plupart d’entre eux occupent un emploi en lien avec leurs études, emploi qu’ils ont par ailleurs déniché peu de temps après ou parfois même avant l’obtention de leur diplôme d’études.

Pour les moins scolarisés, la situation est assez différente selon le sexe de l’individu. Chez les femmes moins scolarisées, on note une insertion dans un emploi de type commerce, revente ou restauration avec très peu de bifurcations et états intermédiaires. Chez les hommes moins scolarisés, on note certes un peu plus de mobilité et même quelques bifurcations et états intermédiaires. Mais on remarque aussi que bifurcations et états intermédiaires ne se multiplient pas pour autant dans la trajectoire d’insertion professionnelle de ces personnes et que les individus retrouvent le plus souvent un emploi stable après une phase de bifurcation ou d’états intermédiaires. Autrement dit, une seule et même personne de la cohorte des aînés, ne traverse pas plusieurs phases de chômage ou de retour aux études par exemple au cours de la portion de sa trajectoire d’insertion professionnelle étudiée et il arrive à retrouver assez rapidement un statut d’emploi habituellement plus confortable que celui qui a précédé son chômage ou son retour aux études.

Pour toutes ces raisons, on peut donc dire que la trajectoire d’insertion professionnelle de l’entrée en vie adulte chez les individus de la génération des aînés connaît certes des mobilités, mais en nombre faible comparativement à la génération des jeunes et que cette 167 mobilité, s’apparente à une mobilité promotionnelle. La mobilité-promotion sociale peut être définie ici comme le passage d’une catégorie socioprofessionnelle à une autre plus confortable en termes de conformité emploi-formation, de revenu et de conditions de travail pour l’individu, le long de la trajectoire d’insertion professionnelle. Par exemple, passage de réviseur de cours à domicile à boursier en formation à l’école normale des instituteurs, puis à enseignant à temps plein dans le secteur public par exemple.

Les verbatim qui suivent donnent un aperçu des formes de séquençage de la trajectoire d’insertion professionnelle, qu’on retrouve chez les répondants de la génération des aînés.

En 1970, j’étais en classe de 3ème au collège (10ème année d’étude) et je suivais aussi des cours de sténodactylographie quand un ami de mon père avait besoin d’une secrétaire et il m’a proposé. J’ai commencé à travailler dans cette entreprise à Porto-Novo jusqu’à ce que 2 ans plus tard, il fallait que j’aille rejoindre mon mari au Gabon. J’ai laissé ce travail et je suis donc partie au Gabon. Là-bas mon mari avait un très bon emploi comme enseignant et il a préféré que je fasse un petit commerce à la maison pour qu’à la naissance de nos enfants, je puisse les garder à la maison […]. J’ai fait cela pendant 20 ans. Propos de AF.3.

En 1973, j’ai eu mon diplôme de fin d’apprentissage en maçonnerie. Mais j’avais déjà commencé à gagner de petits sous en allant travailler sur certains chantiers parfois de nuit surtout dans la fabrication des briques et des dalles de béton. J’ai continué à faire ces petits jobs jusqu’en 1975 avant de commencer par avoir mes propres marchés de construction, et c’est ce que je fais jusqu’à ce jour […] . Mais entre 1973 et 1975, je dois te dire que j’ai connu une période de galère hein, c’est entre décembre 1973 et la naissance de mon fils là[…] oui en Juin 1974[…] pas de chantier, pas de briques à fabriquer, rien quoi […], je me souviens même que j’ai été obligé de demander l’aide de certains parents en plus d’aller chercher de produits alimentaires au village… j’ai aussi travaillé quelques 5 mois comme docker au port de Cotonou, mais c’était un travail d’à peine un ou deux jours par semaine hein ! Propos de AH.1.

168

En 1981, lorsque j’étais en classe de terminale, mes parents m’ont convaincu de passer le concours pour aller à l’école normale des instituteurs pour devenir instituteur au primaire comme beaucoup de jeunes de ce temps-là. Il fallait seulement avoir le niveau de la classe de première hein ! Ce n’est pas comme aujourd’hui où vous finissez l’université et vous ne trouvez même pas de poste d’enseignant à la maternelle! Bon, comme je disais j’ai eu le concours et j’ai obtenu une bourse du gouvernement pour aller à l’école normale. C’est comme ça que j’ai commencé à gagner de l’argent et après ma formation, les affectations sont sorties quelques jours après et j’ai rejoint mon école d’affectation pour servir l’État jusqu’à la retraite. Propos de AH.4.

[…] j’étais seulement docker et je travaillais la nuit 3 jours par semaine environ pour décharger les bateaux. Mais il y avait de plus en plus de bateaux et de marchandises […], donc beaucoup plus de travail et comme mon frère travaillait là depuis 2 ans déjà avec d’autres cousins, il m’a vite servi d’échelle […] moi j’ai fait trois ans seulement quand on m’a proposé de devenir pointeur […] je n’étais pas allé à l’école donc c’était un peu difficile pour moi […], j’ai d’abord été chef d’équipe d’un groupe de dockers avec environs 5 jours de travail de nuit, puis en 1980, je suis devenu pointeur au port. Propos de AH.1.

- Une trajectoire ponctuée de ruptures chez les jeunes : mobilité-instabilité Chez la plupart des répondants de la cohorte jeune, on remarque que la trajectoire d’insertion professionnelle connaît plusieurs mobilités notamment chez les hommes et que ces mobilités sont en en majorité des moments de ruptures qui occasionnent des remises en question, des revirements de situation, voire des retours en arrière. En effet, on aperçoit à travers les figures 6 et 7 qu’un même individu de la cohorte jeune peut connaitre au cours de sa trajectoire d’insertion professionnelle, plusieurs bifurcations (perte d’emploi, retour aux études, etc.) et plusieurs états intermédiaires (chômage chronique, stage de longue durée, apprentissage-emploi de longue durée). On note aussi une fréquence de plus en plus forte d’expériences de travail de courtes durées un peu à la manière d’un tâtonnement constant et une forte fréquence d’emploi « déqualifiant » au regard de la formation, même après l’obtention d’un diplôme universitaire. Chez les individus de la génération des jeunes, la trajectoire d’insertion professionnelle du parcours d’entrée en vie adulte est donc faite en

169 grande partie de mobilités différentes de celles observées chez les individus de la génération des aînés. Les mobilités au niveau des individus de la génération des jeunes traduisent une sorte de tâtonnement et d’instabilité professionnelle, preuve que les expériences professionnelles ainsi parcourues ne donnent pas satisfaction aux individus sur le plan du contenu et des revenus. On parlera donc dans ce cas d’une mobilité-instabilité. Ce type de mobilité traduit un certain nombre de transformations du marché de l’emploi, caractérisées notamment par une tendance vers la précarisation, le sous-emploi, l’ « informalisation » et le développement du phénomène des « scolarisés au cou long ». L’expression « scolarisés au cou long » est une traduction littérale d’une expression en langue fon (langue très populaire au Sud et au centre Bénin), servant à désigner ceux qui, faute d’emploi ou voulant éviter d’occuper des emplois « déqualifiants », s’offre une « carrière » de longues études, cumulent les diplômes même si elles sont de même nature (plusieurs maîtrises par exemple ou DEA, DESS, Master à la fois par exemple), et ceci à la faveur de certaines bourses d’études, ou de la gratuité des frais de scolarité à l’université dans certaines facultés. Cette stratégie de scolarisation est adoptée dans l’optique d’avoir le plus de diplômes possible en vue de saisir une bonne opportunité d’emploi, mais elle offre aussi aux individus une certaine « excuse sociale » par rapport au retard ainsi accusé dans le déroulement du cycle de vie.

Les verbatim qui suivent donnent un aperçu des formes de séquençage de la trajectoire d’insertion professionnelle, qu’on retrouve chez les répondants de la cohorte récente.

J’ai fini ma formation en couture février 1996, mais mes parents n’avaient pas les moyens pour m’aider à ouvrir un atelier. J’ai donc négocié avec un cousin à moi qui avait un atelier déjà pour coopérer avec lui. Selon notre entente, il devait me payer un forfait sur chaque tenue que je confectionne… mais les choses n’ont pas évolué comme prévu. Il évoquait le payement du loyer et de l’électricité pour me remettre des miettes. C’était pénible, mais je n’avais pas le choix. J’ai collaboré ainsi avec lui jusqu’en 2000, je crois, jusqu’à peu près la fin de l’année 2000 où j’étais tombé enceinte. Avec les économies que j’ai pu faire, je me suis créé un petit commerce de détail que j’ai

170

exploité pendant environ 3 ans. Après, je n’ai pas vraiment laissé le commerce, mais avec l’aide de mon mari j’ai pu enfin ouvrir mon propre atelier et l’équiper un peu. C’est donc à partir de la mi- mars 2003, que j’ai commencé de façon autonome, ma carrière de couturière. Propos de JF.3.

Sur le plan professionnel, après mon BTS en comptabilité et gestion 1999, j’ai connu 5 mois de chômage et comme la plupart de mes copains, je me suis trouvé un stage bénévole de six (06) mois vers avril 2000. Deux mois après le début de mon stage, le patron à décider de commencer par me payer des frais de transport… quelque chose comme 20 000 par mois. J’ai finalement fait au total 8 mois dans cette société d’expertise comptable avant de me retrouver au chômage pendant environ six mois. En juillet 2002, j’ai été rappelé par la structure où j’ai fait le stage pour un contrat de travail de quatre ans (2002 à 2006). Le fait que je sois rappelé a été l’œuvre du directeur adjoint de la structure. Ce dernier était un ami à l’un de mes oncles. Et c’était aussi par son biais que j’ai obtenu le stage. Mais à la fin de ce contrat, je n’ai plus été reconduit comme convenu. C’était dû, d’une part au remplacement du Directeur Adjoint qui avait des problèmes de santé et d’autre part au fait que le courant ne passait pas bien entre moi et le nouveau DA. J’avais déjà une famille et je ne pouvais pas me permettre de rester longtemps au chômage. J’ai alors commencé des cours de vacation dans un établissement secondaire jusqu’en 2008. En 2009, j’ai appris par le biais d’un ami qu’une pharmacie recherchait un comptable. J’ai rempli les formalités nécessaires et j’ai été retenu. J’ai pris service en décembre 2008 et c’es là que je suis toujours. Propos de JH.5.

6.1.3 Des jeunes en insertion difficile : précarisation, « informalisation », sous-emploi et

« scolarisés au cou long » à Cotonou

L’analyse de la trajectoire d’insertion des répondants révèle une tendance vers le développement du sous-emploi et la précarisation de l’emploi. Le tableau 10 montre le poids du sous-emploi lors de la première insertion en emploi. Il faut préciser que ce calcul tient compte seulement des répondants qui ont connu au moins une insertion en emploi.

171

Tableau 10: Poids du sous-emploi lors de la première insertion en emploi pour ceux qui ont connus au moins une insertion en emploi

Femmes Hommes Aînés 22 % 35 % Jeunes 63 % 60 %

Alors qu’au sein de la cohorte des aînés, 35 % des hommes et 22 % des femmes se retrouvent en situation de sous-emploi lors de leur première expérience en emploi, 63 % des femmes et 60 % des hommes de la cohorte des jeunes se retrouvent dans la même situation lors de leur première expérience d’insertion en emploi.

Le sous-emploi est ici utilisé pour désigner les salariés précaires et ceux qui sont surqualifiés au regard de l’emploi occupé, ou encore les employés travaillant sur une base occasionnelle ou à temps partiel alors qu’ils voulaient travailler davantage.

À cette augmentation de la proportion de personnes en situation de sous-emploi s’ajoute l’augmentation de la fréquence des périodes de chômage des répondants de la cohorte des jeunes. Comme on peut l’observer sur les figures 6 et 7, les périodes de chômage (en vert foncé, orange citrouille, rouge incarnat et bleu ciel) sont plus fréquentes chez les répondants de la cohorte des jeunes.

On pourrait penser qu’au fil du temps, les situations du sous-emploi et de chômage s’amélioreront le long de la trajectoire d’insertion professionnelle. Cependant, le tableau 11 qui présente la proportion de personnes en situation de chômage et/ou de sous-emploi à la fin de la période de collecte de récits biographiques (pour ceux qui ont connu au moins une

172

transition d’insertion en emploi), ne fournit aucun indice qui laisse présager d’une amélioration notable de la situation.

Tableau 11 : Proportion de personnes en situation de chômage et/ou de sous-emploi à la fin de la période de collecte de récits biographiques parmi ceux qui ont connu au moins une transition d’insertion en emploi

Femme Homme Aîné 14 % 11 % Jeune 42 % 39 %

Il s’est même développé au sein de la cohorte récente certaines formes de sous-emploi ou d’emploi précaire quasiment inexistantes chez les individus de la génération des aînés. En l’occurrence, il s’est développé par exemple au fil du temps, une forme d’apprentissage- emploi où l’individu est en formation professionnelle dans un atelier (couture, mécanique, etc.), mais fournit en même temps des prestations rémunérées de gardiennage, d’aide ou de domestique à temps partiel pour son formateur. On rencontre aussi de nouvelles formes de domestiques qui sont en réalité censés être hébergées et aidées par un parent en ville, mais qui deviennent des domestiques rémunérées à temps partiel. Le développement massif de stages quasi bénévoles avec parfois une couverture des frais de déplacement du stagiaire entre aussi dans cette catégorie.

On observe aussi une « informalisation » croissance du secteur de l’emploi préjudiciable à l’insertion professionnelle des individus de la jeune génération. En effet, lorsqu’on observe les emplois occupés par les répondants, il apparaît clairement que la part de l’emploi public est de plus en plus infime au sein de la cohorte récente alors que la vague de diplômés qui sort des universités béninoises chaque année est en augmentation constante. Cet état de

173 choses rend obsolète l’idée reçue d’un secteur public hypertrophié, ayant probablement prévalu lors du passage en vie adulte des individus de la génération des aînés.

Faute de réglementation et de cadre propice au développement de l’entreprenariat privée, l’informalisation progressive de l’emploi place certains jeunes à la croisée des chemins dans un univers de débrouille « ni chômeur ni travailleur à temps plein ».

Au regard de nos résultats, il y a une permanence dans l’importance de l’insertion professionnelle pour les jeunes contrairement aux idées reçues sur la supposée « paresse de jeunes ». Il y a cependant, de plus en plus de difficultés pour les jeunes d’atteindre une stabilité dans la vie professionnelle. En effet, les mobilités professionnelles s’inscrivent beaucoup moins qu’avant dans le schéma global de transition promotionnelle de l’emploi vers l’emploi. On observe de plus en plus de mobilités « à risques », comportant des périodes de chômage plus ou moins durables et fortement sensibles à la conjoncture. Le risque est paradoxalement concentré aussi bien sur les personnes les moins scolarisées que sur les personnes les plus scolarisées. La question de la mobilité professionnelle se trouve alors exposée en des termes nouveaux. Le compromis social antérieur de “mobilité- promotion sociale” est remis en cause.

Il se développe alors au sein de la génération des jeunes et notamment chez les femmes, une certaine adaptation aux transformations de l’insertion en emploi.

Pour une femme, ce n’est pas un problème. Même si j’avais eu mon BEPC, cela ne me dérangerait pas de devenir vendeuse parce que je sais que même pour les personnes qui ont le BAC, ce n’est une garantie d’emploi. Au moins avec ça je peux gagner un revenu […]. Si j’essaye avec la vente du pain et que cela ne marche pas, j’essaye avec les friperies, sinon, j’y vais avec les produits alimentaires. On se débrouille comme ça[…]. Propos de JF.4. 174

Les transformations structurelles de la mobilité professionnelle intervenues depuis trois décennies dans le paysage béninois se traduisent donc par un double phénomène : d’une part, une croissance des mouvements liés à l’augmentation des passages par le chômage et les états intermédiaires pour une partie sans cesse plus importante des actifs ; d’autre part, un renforcement des convergences entre deux catégories: ceux qui subissent la situation de l’emploi et pour qui la mobilité signifie un passage assuré par le chômage, les états intermédiaires ou parfois une virée déviante (prostitution, brouteur, etc.,) et ceux qui, faute d’emplois convenables, choisissent de cumuler petits boulots (enquête, campagne de sensibilisation, contrat, répétiteur à la maison) et retour aux études ou encore cycle d’études de longues durées dans l’hypothétique but d’opérer enfin une mobilité valorisante. Ces derniers sont communément désignés comme étant des « scolarisés au cou long » ce que Calvès al. (2006) nomment les « crayons longs ». Dans ce contexte les diplômes semblent perdre peu à peu de leur valeur intrinsèque, certains en arrivent même à se demander à quoi sert-il encore d’aller à l’école?

J’ai une maîtrise en sociologie, une autre maitrise en Droit, un DEA en droit de l’homme et un Master en science de population […]. C’est vrai qu’à chaque fois, j’avais une bourse d’études pour compléter ces diplômes. Mais après, c’est très difficilement. C’est après plusieurs années que je suis arrivé à trouver quelques heures d’enseignement de Français dans un collège et je fais aussi quelques heures de surveillance et correction d’examens à l’université. […] certains soirs, je conduis même le taxi-moto pour ramasser un peu de sous. Ça fait pitié quoi! […]. Je me demande vraiment s’il sert encore à quelque chose d’aller à l’école aussi longtemps dans ce pays? Je te dis mon grand-père là, il n’a jamais fait le collège en son temps, mais il a fait une carrière d’inspecteur de l’enseignement primaire […]. Avec le même niveau aujourd’hui tu n’es bon à rien du tout hein! Propos de JH.1.

Ce verbatim pose avec insistance la question des conséquences de la dévalorisation des diplômes sur les perspectives de carrière offertes et sur les stratégies individuelles dans ce nouveau contexte d’aggravation des écarts entre effectifs d’opportunités d’emploi et

175 effectifs de diplômés. Pour un même poste, un diplôme de plus en plus élevé est demandé de nos jours. Ce changement de rapport entre emploi et qualification cache trois enjeux majeurs : 1- l’inadéquation entre les filières de formation et les besoins réels du marché de l’emploi, 2- la qualité des formations données dans les filières ouvertes, car « une chose est d’avoir des diplômes, une autre chose est de savoir vraiment faire sa job », 3- l’état défavorable de l’environnement des affaires qui n’est ni propice, ni attractif aux investisseurs et aux porteurs d’idées d’entreprises privées

D’une manière générale, l’insertion professionnelle des jeunes se trouve alors placée devant un paradoxe : les jeunes générations sont beaucoup plus scolarisées que leurs aînées, et l’emploi n’a jamais été autant fermé aux jeunes au plan national et régional. Il importe de souligner le rôle de l’État dans le tarissement du marché de l’emploi des jeunes et, partant, dans la pérennisation de leur instabilité. En l’occurrence, les politiques publiques ont contribué à instituer une forme d’insertion en emploi passant par le biais de l’entrée dans la fonction publique, phénomène mis en branle depuis le gel des recrutements dans la fonction publique au détour des années 1988-1989. Dans le même temps, le sous-emploi des jeunes semble constituer une variable d’ajustement pour les quelques entreprises privées alors que l’État n’intervient que faiblement en amont sur les régulations (faible régulation de l’obligation de déclaration à la caisse nationale de sécurité sociale, du salaire minimum, etc.) à l’œuvre au sein même des marchés internes de l’emploi.

176

6.2 Trajectoire résidentielle du parcours d’entrée en vie adulte

L’analyse de la trajectoire résidentielle concerne les diverses positions résidentielles successives occupées par les répondants dans l’intervalle de temps concerné par la collecte de récits biographiques. La notion de trajectoire résidentielle fait référence aux positions résidentielles successivement occupées par les individus et à la manière dont s’enchaînent et se redéfinissent au fil du temps ces positions en fonction des ressources, des contraintes, des mécanismes sociaux et des motivations.

… cela ne signifie pas pour autant qu’une trajectoire résidentielle puisse à tout coup s’interpréter comme l’accomplissement réussi d’un projet initial fermement conduit jusqu’à son terme, ni même comme une suite de décisions librement prises à chaque fois par les agents au seul gré de leur préférence du moment. (…) [En effet,] parler de trajectoires ne préjuge (…) pas du degré de maîtrise que les personnes exercent sur leur propre mobilité. C’est, plus largement, faire l’hypothèse que les mobilités ont néanmoins un sens. Autrement dit, qu’on peut non seulement les décrire, mais en rendre raison, à condition toutefois de situer l’explication au carrefour de logiques d’acteurs et de déterminants structurels (Grafmeyer, Authier, 2008, cité par Authier et al., 2010).

Identifier les tendances des trajectoires résidentielles et rendre compte des logiques sociales sous-jacentes ainsi que des déterminants structurels sont les principales intentions qui gouvernent la présente analyse des trajectoires résidentielles des parcours d’entrée en vie adulte de nos répondants. À cet effet, nos résultats semblent présenter des divergences avec certaines conclusions d’études antérieures (Calvès et al, 2006, Antoine et al., 1992) pourtant assez unanimes sur la question.

177

6.2.1 Une décohabitation de plus en plus précoce, mais à un rythme relativement lent

Dans un sens large, la décohabitation fait référence à toutes situations où l’individu quitte une situation de cohabitation pour une situation où dans une certaine mesure il est responsable de la gestion de son lieu de résidence en termes de nettoyage, d’aménagement et/ou en termes de prise en charge financière (loyer, construction). Si la première décohabitation constitue l’amorce de la mobilité résidentielle, l’objectif ultime dans le est d’obtenir une autonomie résidentielle.

L'analyse des données concernant l'âge de la première décohabitation, nous permet de constater que l’ensemble des répondants a connu au moins une première décohabitation même si pour certaines personnes, il s’est agit d’une décohabitation à l’intérieur de la concession familiale. L’analyse de contenu des données concernant la trajectoire résidentielle à été complétée par le calcul de l’âge médian et de l’âge moyen de la première décohabitation.

Le tableau 12 nous permet d’analyser l’âge moyen de la première décohabitation en fonction des sexes et des générations. Il montre que globalement celle-ci devient de plus en plus précoce chez les individus de la cohorte des jeunes comparativement à ceux de la cohorte des aînés. En effet, la première décohabitation chez les individus de la génération des aînés de notre échantillon d’enquête se produit en moyenne à 21,4 ans chez les femmes et à 22,5 ans en moyenne chez les hommes. Cependant pour les répondants de la jeune génération, la première décohabitation à lieu en moyenne à 20,4 ans chez les femmes et 21,7 ans en moyenne chez les hommes. Que ce soit au niveau des aînés ou au niveau des jeunes, les femmes connaissent leur décohabitation avant les hommes même si l’écart semble se resserrer entre les deux sexes au niveau des individus de la jeune génération.

Il est important de signaler que l’analyse de l’âge médian à la première décohabitation (voir annexe 4), nous permet de faire les mêmes conclusions par rapport à la première décohabitation.

178

Tableau 12 : Âge (en années) de la première décohabitation

Femmes Hommes Aînés 21,4 22,5

Jeunes 20,4 21,7

6.2.2 De la première décohabitation vers l’autonomie résidentielle : Mobilité de plus en

plus compromise et nouvelles formes résidentielles

Les figures 8 et 9 permettent d’avoir une vue synthétique des diverses séquences par lesquelles transitent les individus le long de leur trajectoire d’insertion professionnelle sur la période de parcours de vie collecté.

L’allure des deux figures laisse présager qu’il y a une diversité de situations de mobilité résidentielle au sein de chacune des cohortes à l’étude, de sorte qu’il paraît difficile de dégager une tendance dominante par cohorte, surtout que la fréquence des mobilités résidentielles s’apparente d’une génération à l’autre notamment pour les individus de sexe masculin. Cependant, les femmes de la génération des aînés connaissent moins de mobilité résidentielle que les femmes de la cohorte des jeunes. Ces situations de cohabitation permanente, permettent de nuancer l’idée d’une décohabitation de plus en plus précoce pour inscrire l’analyse dans une perspective de pluralisation des trajectoires résidentielles.

179

Figure 8 : Séquences de mobilités résidentielles des répondants de sexe féminin

Âge 1ère décohabitation

Durée séjour 1ère mobilité pour ceux qui ont connus une 2ème mobilité

Durée séjour 2ème mobilité pour ceux qui ont connus une 3ème mobilité

Durée séjour 3ème mobilité pour ceux qui ont connus une 4ème mobilité Cohorte des Jeunes Cohorte des Aînés Aînés des Cohorte Jeunes des Cohorte

Durée séjour 4ème mobilité jusqu'à fin période de collecte

0Âge 10 20 30 40

180

Figure 9 : Séquences de mobilités résidentielles des répondants de sexe masculin

Âge 1ère décohabitation

Durée séjour 1ère mobilité pour ceux qui ont connus une 2ème mobilité

Durée séjour 2ème mobilité pour ceux qui ont connus une 3ème mobilité

Durée séjour 3ème mobilité pour ceux qui ont connus Cohorte des Jeunes Cohorte des Aînés Aînés des Cohorte Jeunes des Cohorte

une 4ème mobilité

Durée séjour 4ème mobilité jusqu'à fin période de collecte

0Âge 10 20 30 40

Si la forte mobilité résidentielle est un phénomène essentiellement masculin au niveau des individus de la cohorte des aînés, le phénomène se féminise au sein de la cohorte des jeunes.

Pour mieux apprécier les tendances en présence, nous avons superposé à l’analyse de la mobilité résidentielle, l’analyse du statut d’occupation de la résidence lors de chaque mobilité.

181

Cette analyse conjointe nous permet de constater que lors de la première décohabitation, une proportion plus élevée d’individus de la cohorte des aînés passe directement de la cohabitation initiale à un statut d’autonomie résidentielle (souvent un appartement loué aux frais de l’individu) tandis que la majorité des individus de la cohorte récente, notamment les hommes, passent de la cohabitation initiale à une autre forme de cohabitation (voir tableau 13), le plus souvent même à l’intérieur de la concession familiale.

Tableau 13 : proportion d’individus de chaque cohorte ayant atteint l’autonomie résidentielle dès la première décohabitation

Femmes Hommes Aînés 88 % 45 % Jeunes 53 % 36 %

L’observation du statut de résidence le long des trajectoires résidentielles, fait apparaître le fait que la plupart des individus de la cohorte des aînés, ont non seulement atteint l’autonomie résidentielle après la première ou la deuxième mobilité, mais qu’il est aussi extrêmement rare d’observer chez ces derniers, après l’autonomie résidentielle, des mobilités sous forme de recohabitation ou de nouvelles cohabitations. Autrement dit, les statuts d’autonomie résidentielle chez les individus de la cohorte des aînés sont le plus souvent de nature définitive.

Cependant, les individus de la cohorte des jeunes ont plus de difficultés à atteindre un statut d’autonomie résidentielle et il est plus fréquent d’observer chez ces derniers des trajectoires résidentielles avec soit de longs états intermédiaires (décohabitation, puis nouvelle cohabitation ou semi-autonomie), soit des bifurcations résidentielles (recohabitation et nouvelle cohabitation après autonomie ou semi-autonomie résidentielle). Leur situation de 182

résidence reste assez diversifiée entre cohabitation initiale et autonomisation résidentielle en passant par la semi-autonomie résidentielle (décohabitation, mais loyer pris en charge majoritairement par un parent), la recohabitation (retour au sein du foyer parental), la cohabitation avec un autre membre du cercle familial ou du cercle communautaire (colocation).

Les verbatim qui suivent donnent un aperçu de quelques particularités des trajectoires résidentielles de nos répondants selon les générations.

[…] je n’ai pas vraiment parlé de changements de lieu de résidence parce qu’il n’y a pas grand-chose à dire hein! Comme je suis le fils aîné de mes parents, vers 1998, alors que j’avais 19 ans et que j’étais dans mon avant-dernière année de collège technique, mon papa m’a donné une chambre dans la maison. Bon, en vérité là, c’est moi même qui ai demandé hein, je lui avais dit que j’allais faire des séances d’études dans la chambre avec mes amis. C’est le petit frère de papa qui occupait l’endroit là avant et depuis c’est devenu pour moi. Tu vois c’est ici, c’est une entrée couchée et c’est quand même un peu grand et un peu indépendant du reste de la maison. Depuis je suis ici, j’ai fait quelques aménagements pour pouvoir avoir une chambre séparée dedans, mais je n’ai jamais déménagé d’ici. Propos de JH.3.

Je faisais l’apprentissage de la coiffure à Cotonou ici en 1996 et je vivais avec mes parents dans une location, quand j’ai rencontré un garçon avec qui je m’entendais très bien. Vers la fin de l’année 1996, je suis tombée enceinte de lui. Mes parents ont très mal pris la nouvelle, j’ai pensé à l’avortement, mais je n’avais pas les moyens d’avorter et mon ami non plus. Nos deux familles se sont alors rencontrées et la décision était que je devais quitter mes parents pour rejoindre le monsieur à Calavi, là où il loue. Je n’ai pas pu continuer ma formation en coiffure. Je suis restée avec lui jusqu’en 2010 et nous avions eu 2 enfants. On était dans un logement d’une chambre et un que ses parents nous aidaient parfois à payer, car lui-même faisait des cours de vacation et ce n’est pas très bien payé […] je l’ai quitté finalement. C’est mon grand frère qui m’a accueilli en 2010. Il m’a loué un petit appartement à Cotonou avec mes enfants[…]. Je ne suis même pas restée avec lui plus de 2 jours hein, on ne peut pas dire

183

que j’ai vécu vraiment ensemble avec mon grand-frère. Pour le nouveau logement-là, il payait le loyer et m’a offert une aide financière pour commencer finalement mon petit commerce. Mais le commerce n’a pas bien fonctionné, en plus avec deux enfants à élever toute seule […] j’ai finalement rejoint mes parents avec mes enfants cette année, il y a peine deux mois. Propos de JF.1.

J’ai toujours habité avec mes parents jusqu’à mon mariage traditionnel […]. Trois jours après la dot, mes tantes m’ont accompagné chez mon mari […], une petite cérémonie pour nous bénir. Lui, il était en location déjà et nous sommes restés dans cette maison, environ 15 ans, je crois. Propos de AF. 1.

C’est en 1971 que j’ai décohabité pour la première fois parce que je devais quitter Porto-Novo pour venir étudier à l’Université à Calavi. En ce moment-là j’ai loué à Godomey ensemble avec un ami, les parents me donnaient un peu d’argent, mais j’avais aussi une bourse d’étude. Je suis resté là jusqu’en 1975, lorsque j’ai obtenu une bourse pour aller en Russie après le service militaire. En Russie, j’ai été logé gratuitement dans une résidence universitaire […]. En fait, avant de voyager, j’ai fait la dot à ma copine et on s’est arrangé pour qu’elle tombe enceinte avant mon départ. Elle a rejoint mes parents avant mon départ. À mon retour en 1980, nous avions pris une location à Cotonou, puisque je devais y avoir un poste. Nous sommes restés dans cette location jusqu’en 1983, mais déjà à partir de 1981, j’avais commencé à faire construire une maison petit à petit. Propos de AH.5.

Ces verbatim viennent confirmer la tendance vers la pluralisation des trajectoires résidentielles chez les répondants de la cohorte des jeunes et montrent aussi qu’au sein de ces derniers, il apparaît de nouvelles formes résidentielles.

Plusieurs raisons expliquent cette tendance. En effet, à niveau de scolarisation égal, l’âge de diplomation semble avoir baissé au fil des générations et les jeunes regagnent plus tôt l’université ou les centres de formation professionnelle, toutes choses qui nécessitent la plupart du temps une décohabitation suivie d’une semi-autonomie résidentielle ou d’une autre cohabitation. Cependant, faute d’une insertion adéquate sur le marché de l’emploi, 184

leur insertion professionnelle est compromise, ce qui ne favorise pas une évolution vers l’autonomie résidentielle. Aussi, du fait de la conjoncture, certaines familles se réorganisent pour équilibrer les charges et ainsi, naissent des formes de décohabitation suivies d’une nouvelle cohabitation avec un frère, un parent, un ami (les frais financiers étant ici partagés entre les cohabitants) et parfois des retours dans le foyer familial (recohabitation). D’autres types d’événements (grossesse non désirée, relation de couple rejeté par la famille, etc.) de plus en plus fréquents au sein de la génération des jeunes, interviennent aussi pour favoriser la pluralisation des trajectoires résidentielles. La situation semble plus favorable aux femmes à cause de la mise en couple qui permet à certaines femmes de la cohorte des jeunes de passer directement de la décohabitation à l’autonomisation résidentielle. Cependant, pour les hommes de la même cohorte, ce qui constitue une autonomie résidentielle apparente pour les femmes de la même cohorte, peut bien être une chambre ou un appartement aménagé au sein de l’unité résidentielle des parents.

6.3 Trajectoire de vie de couple du parcours d’entrée en vie adulte

L’analyse de la trajectoire de vie de couple s’intéresse dans l’intervalle de temps concerné par la collecte des récits biographiques, aux successions de célibat et d’union de type sexuel où l’individu estime qu’il était en couple, que les deux personnes aient vécu sous le même toit ou non, qu’ils aient eu des enfants ou pas.

L’identification d’une relation comme étant une relation de couple est laissée à la libre appréciation et à la perception du répondant. Cette démarche confère un statut commun et une homogénéité aux différentes unions dont le mode de formalisation peut toutefois varier du mariage (civil, traditionnel ou religieux) à la cohabitation hors mariage ou au sentiment parfois subjectif d’être en couple même si l’on n’habite pas une même résidence. Ce faisant, nous appréhendons de manière plus fine la réalité des conjugalités pendant le parcours d’entrée en vie adulte. 185

6.3.1 Une première mise en couple de plus en plus tardive

Le verbatim qui suit est tiré du récit d’un répondant de sexe féminin de la cohorte jeune.

Tu n’es pas rassasié et tu vas jouer amour? Propos de JF. 3

Ce verbatim traduit explicitement la tendance au sein de la cohorte des jeunes de prioriser la recherche de l’assurance économique par rapport à la mise en couple.

L’analyse de contenu des données concernant la trajectoire de vie de couple à été complétée par l’analyse de l’âge moyen à la première mise en couple. Le tableau 14 fournit pour chaque cohorte et pour chaque sexe, la moyenne de l’âge des individus à la première mise en couple. Il faut préciser que le calcul tient compte seulement des individus qui ont connu au moins une mise en couple.

Tableau 14 : Âge (en année) de la première mise en couple pour ceux qui ont connu au moins une mise en couple

Femmes Hommes Aînés 21,2 23,3 Jeunes 22,4 24,8

L'analyse des données concernant l'âge de la première mise en couple montre qu’il y a globalement un retard de la conjugalité chez les jeunes comparativement aux aînés que ce soit au niveau des femmes ou des hommes. En effet, la première mise en couple a lieu chez les individus de la génération des aînés de notre échantillon d’enquête en moyenne à 21,2 ans chez la femme et à 23,3 ans chez l’homme tandis que pour les répondants de la jeune génération la première mise en couple a lieu en moyenne à 22,4 ans chez la femme et 24,8

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ans chez l’homme. Que ce soit au niveau de la cohorte des aînés ou au niveau de la cohorte des jeunes, les femmes connaissent la mise en couple avant les hommes et cet écart se maintient à travers les générations et à même tendance à s’accentuer au fil du temps.

Le recul des unions arrangées, la montée du travail salarié des femmes, l’allongement de la durée des études et des formations, mais aussi l’instabilité professionnelle en lien avec la conjoncture économique et caractérisée par l’augmentation du chômage et du sous-emploi, semblent constituer le lot de facteurs sous-jacents au recul progressif de l’âge de la première entrée en couple, puisque la mise en couple rime dans le contexte social avec compensation matrimoniale, décohabitation, maternité et évidemment besoin financier.

Nos travaux permettent de confirmer les résultats de plusieurs études antérieures ayant fait état d’un recul progressif de l’âge de la première mise en couple à travers les générations (Hertrich et Pilon, 1997 ; Hertrich et Locoh, 1999 ; Antoine, 2002 ; Tabutin et Schoumaker, 2004, Hertrich, 2007).

Le retard dans l’âge de la première mise en couple est un des signaux des transformations sociales en cours dans le contexte urbain Cotonois. Nos travaux permettent de relever d’autres types de signaux ayant trait notamment à la forme de la mise en couple et au développement de nouvelles formes de conjugalité. Ces autres changements que l’on observe dans les trajectoires de mise en couple de nos répondants ont aussi été relevés par plusieurs auteurs. Il s’agit en l’occurrence de la diversification des formes d’unions (union consensuelle, concubinage ou cohabitation hors mariage et parfois même union informelle) et du développement du célibat prolongé (Hertrich, 2007 ; Younoussi et Legrand, 2004 ; Enquête sur les Migrations et Insertion urbaine à Lomé, 2002 ; Calvès, 2007 ; Roth, 2010).

6.3.2 Mode d’initiation de la première mise en couple : Le fossé entre générations?

Parmi les éléments fondateurs du lien social en Afrique, on retrouve en bonne position l’institution matrimoniale. Traditionnellement, la mise en couple passe de façon inéluctable

187 par le mariage qui unifie non pas deux individus, mais deux familles élargies. Le mariage est perçu comme un élément primordial, l'une des instances de contrôle social traditionnellement les plus organisées et les mieux gardées. Nous essayons ici de déterminer si, en dépit du recul de l’âge à la première mise en couple, la reproduction sociale est à l’œuvre pour perpétuer l’institution matrimoniale. Autrement dit quelle est la place que le mariage occupe dans le parcours des individus des deux cohortes? Nous nous intéressons d’abord, à la nature des premières unions à travers l’analyse du tableau 15 qui traduit pour chaque sexe et cohorte la proportion de personnes ayant connu au moins une mise en couple et pour lesquelles le mode de formalisation de la première mise en couple est le mariage, qu’il s’agisse d’un mariage traditionnel, religieux ou civil.

Tableau 15 : proportion de personnes ayant connu une première mise en couple et dont le mode de formalisation de cette mise en couple est le mariage

Femme Homme Aîné 90 % 73 % Jeune 56 % 65 %

L’analyse du tableau 15 montre que l’institution matrimoniale se perpétue largement au sein de la génération des aînés, alors qu’elle semble être relativement mise à mal au sein de la cohorte des jeunes même si plus de la moitié des individus des deux tous sexes au sein de la cohorte des jeunes ont opté pour une première mise en couple par le mariage.

En ce qui concerne le type de mariage, il faut dire que parmi ceux qui optent pour une entrée en vie de couple à travers le mariage, l’on observe une diversité de situations. Mais le constat est flagrant que la grande majorité de ces derniers, toutes générations confondues,

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ont opté pour le mariage traditionnel, parfois succédé ou associé à une autre forme de mariage (civil ou religieux). Comme l’affirme d’ailleurs un répondant : « […] au regard de la famille et de la société en général, c’est ça le vrai mariage ».

Quand j’ai connu ma copine, je n’avais pas encore un bon travail et j’étais encore chez mes parents. Mais elle est tombée enceinte par erreur quand j’avais 24 ans. Mes parents la connaissaient bien et ils sont allés voir ses parents. Les beaux parents ont dit qu’on ne pouvait pas faire de dot pour une femme enceinte et qu’on devrait attendre qu’elle accouche. Ils ont insisté cependant, pour que mes parents promettent de faire la dot après l’accouchement, parce que selon eux et selon mes parents aussi d’ailleurs lorsque tu ne fais pas le mariage traditionnel, il n’y a pas de respect mutuel dans le foyer. Ma femme est alors restée chez ses parents jusqu’à l’accouchement, mais à ce moment-là on pouvait dire qu’on était bien en couple hein, tout le monde était content de notre relation […], finalement on a fait la dot quand même assez tard, c'est-à-dire un an et demi après l’accouchement et ma femme m’avait déjà rejoint entre temps dans l’appartement que j’ai loué trois mois après son accouchement. On n’a plus fait un autre type de mariage jusqu’à ce jour hein, mais j’y pense en tout cas. Tu sais c’est le mariage traditionnel qui est vraiment obligatoire […] au regard de la famille et de la société en général, c’est ça le vrai mariage […]. Certaines familles acceptent maintenant même de négocier le contenu de la dot pour que ce qu’on donne là soit vraiment symbolique parce que le pays est dur et les mentalités évoluent aussi doucement. Ce qu’on recherche vraiment c’est le contact entre les deux familles, pour connaitre qui peut parler à ton conjoint afin qu’il se ravise quand viendra le moment des discordes parce que ça-là, ça ne manque jamais […] avec les femmes (rire). C’est vrai aussi que d’autres s’endettent pour ça afin de montrer qu’ils sont capables et rassurent les parents de la fille. Propos de JH.3.

De notre temps le mariage traditionnel, c’est très important hein […]. Moi par exemple j’étais en amitié avec mon futur conjoint lorsque ses parents sont venus rencontrer mes parents. Ils ont discuté de comment la dot se fait chez nous et ils ont convenu d’une date. J’ai fait mon mariage traditionnel à l’âge de 22 ans et une semaine plus tard mes tantes m’ont accompagné chez mon mari. Depuis je suis en couple avec la même personne. Comme il est fonctionnaire et que nous sommes des croyants, nous avions fait ensuite notre mariage civil et

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religieux ensemble 3 ans après la mise en couple. Le mariage civil lui permettait d’avoir les allocations familiales pour les enfants. Quand tu sais que tes parents ont dit un oui solennel à la demande de la belle famille et même que les colas ont été acceptés par les ancêtres de vos familles, lorsque vient le temps des disputes et des mésententes, tu as intérêt à trouver les solutions avec ton conjoint ou avec l’aide de la famille, puisqu’en cas de séparation là vous risquez tous les deux d’avoir des problèmes toute votre vie. C’est ce que les jeunes ne comprennent plus! Propos de AF.1.

S’il est vrai que l’institution du mariage est progressivement secouée, il semble aussi que le mariage et plus largement le mariage traditionnel continue de jouer un rôle social prépondérant dans la société Cotonoise, ce qui fait d’ailleurs que même ceux qui vivent une « aventure de couple » sans être mariés y pensent toujours dans la perspective d’accomplir dans le futur ce qui continue d’être perçu comme une obligation sociale.

Si tu n’es pas fonctionnaire, mariage civil tu va faire quoi avec ça, ceux qui font ça c’est pour affaire de papier et d’argent que le gouvernement donne aux fonctionnaires pour entretenir les enfants […], pour l’église là, c’est une autre affaire […], mais pour la famille pour ta sécurité, là en tout cas […], tu dois te marier. Moi par exemple j’ai eu plusieurs copines depuis des années hein, mais c’est seulement à 26 ans que j’ai trouvé celle qui me convient et on est en couple depuis. Nous n’avions pas fait le mariage traditionnel ni aucun autre d’ailleurs, mais c’est un sujet qui revient sans cesse. […] je ne voudrais pas trop en demander aux parents, parce que je sais tout ce qu’ils font déjà pour moi. Je veux faire un mariage traditionnel correct pour que les gens ne parlent pas mal de moi après. Ce n’est pas parce que la belle famille ne demande pas grand-chose que tu vas te présenter avec n’importe quoi! Il faut avoir autour de 500 000 FCFA pour faire le tout avec les réceptions des invités. C’est beaucoup d’argent pour moi actuellement. En tout cas, c’est pour bientôt […], si Dieu le veut! Propos de JH.2.

6.3.3 Vers de nouveaux modèles de conjugalités socialement tolérés

Les figures 10 et 11 permettent d’avoir une vue synthétique des diverses séquences par lesquelles transitent les individus le long de leur trajectoire de vie de couple sur la période

190

de parcours de vie collectés. On note une diversité de situations, mais on peut dégager quelques tendances en s’intéressant non seulement aux mobilités, mais aussi à leur forme.

Figure 10 : Séquences de mobilités de vie de couple des répondants de sexe féminin

Âge 1ère mise en couple

Durée entre 1ère mise en couple et 1ère mobilité

Durée entre 1ère mobilité et 2ème mobilité

Durée entre mobilité précédente et séparation momentanée

Durée entre mobilité précédente et remise en couple Cohorte des Jeunes Cohorte des Aînés des Aînés Cohorte Jeunes des Cohorte Durée entre mobilité précédente

et séparation totale

Durée entre mobilité précédente et 2ème mise en couple

Durée entre 2ème mise en couple et 1ère mobilité de la 0Âge 10 20 30 40 2ème mise en couple

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Figure 11 : Séquences de mobilités de vie de couple des répondants de sexe masculin

Âge 1ère mise en couple

Durée entre 1ère mise en couple et 1ère mobilité

Durée entre 1ère mobilité et 2ème mobilité

Durée entre mobilité précédente et séparation momentanée

Durée entre mobilité précédente et remise en couple

Cohorte des Jeunes Cohorte des Aînés des Aînés Cohorte Jeunes des Cohorte Durée entre mobilité précédente

et séparation totale

Durée entre mobilité précédente et 2ème mise en couple

Durée entre 2ème mise en couple et 1ère mobilité de la 0Âge 10 20 30 40 2ème mise en couple

On note à travers les figures 10 et 11 que Cotonou est de plus en plus le théâtre d’une mobilité croissante des unions. Si pour les individus de la cohorte des aînés, la plupart des unions étaient formelles (mariage de tout genre) et que la mobilité des unions s’exprimait en termes d’une nouvelle forme de mariage avec la même femme (mariage traditionnel puis civil et religieux par exemple) ou de polygamie et très faiblement en termes de divorce puis nouvelle mise en couple, chez les individus de la cohorte des jeunes, la trajectoire de vie de

192

couple devient de plus en plus une véritable marche pied vers l’union formelle, laissant apparaître une tendance vers des unions fragiles et de nouvelles formes de mise en couple.

Pour les personnes de la cohorte jeune, débuter la vie de couple sans mariage devient de plus en plus fréquent, même si l’évolution de la relation de couple vers une union formelle (mariage, dot) reste globalement un souhait partagé lors de la période de l’entrée en vie adulte. On divorce ou on se sépare de plus en plus, pour éventuellement se remettre en couple une deuxième fois, alors que la polygamie semble être en train de perdre du terrain à la faveur cependant, d’une succession de mise en couple précaire ou d’aventures extraconjugales.

Si la mise en couple s’opère de moins en moins par union formelle à travers le mariage, la place sociale importante accordée au mariage ne semble pas véritablement remise en cause. Ce qui change donc, c’est l’injonction d’une formalisation de la mise en couple dès le début de cette dernière par le biais du mariage. Certains individus de la cohorte des jeunes par choix ou par contrainte préfèrent reporter l’étape de la formalisation de la mise en couple. Parmi ces derniers, certains essayent de se rattraper quelques années après leur mise en couple en procédant à une ou plusieurs formes de formalisation d’union selon les préférences, d’autres par contre espèrent toujours formaliser leur union par le biais du mariage, mais du fait d’un manque de moyens économiques et/ou parfois par choix, sont toujours en situation d’union non formelle. Il faut dire aussi que sur le plan social, les unions non formelles sont de plus en plus tolérées surtout lorsque le couple attend ou a déjà un enfant.

Il reste qu’au regard des perceptions et des trajectoires, le mariage demeure un élément important de la vie des individus du fait de son caractère formel et porteur d’éléments de stabilisation pour les couples. Même s’il s’agit d’une étape de moins en moins

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« obligatoire », le mariage demeure aussi toujours nécessaire pour la reconnaissance sociale espérée et recherchée par la plupart des individus.

Par le biais des médias, de l’internet, de l’école, de l’emploi et de l’hétérogénéité culturelle du milieu de résidence, les jeunes sont de plus en contact avec des modèles divers. Cet état de choses induit pour les individus de la cohorte jeune, une tendance à vouloir prendre une part active dans les décisions qui les concernent et en premier lieu le choix des partenaires et le mode d’insertion en vie de couple dans un contexte marqué par la crise économique. On voit alors se développer des formes de conjugalités floues et même quelque peu le célibat prolongé avec des « vieux garçons » et « vieilles filles » résidants parfois toujours dans le domicile parental et qui ont une perception d’eux-mêmes comme étant des êtres « résignés ».

Au nombre des conjugalités floues, librement consenties, mais précaires et peu acceptées ou socialement tolérées, on retrouve notamment la cohabitation de longue durée hors mariage ainsi que de nouvelles formes de mise en couple avec résidences séparées, distinctes des conjugalités avec résidences séparées pour raisons de migrations ou de carrière professionnelle comme on en rencontre parfois au sein de la cohorte des aînés. Comme forme de cohabitation hors mariage, on peut citer comme exemple : femmes en couple avec parfois un ou plusieurs enfants, mais vivant encore chez ses parents ; partenaires en couple vivant dans des résidences séparées, chacun vivant chez ses parents ou dans des résidences louées, la résidence de la femme pouvant être prise en charge par l’homme ou pas.

En 1983, j’étais encore boursier à l’école normale des instituteurs quand mes parents m’ont suggéré fortement de me marier avec la fille d’un couple ami de notre famille. En fait, ils avaient déjà discuté entre eux et comme je connaissais bien la fille j’ai accepté. Mes parents se sont occupés de tout le mariage traditionnel et comme j’habitais au 194

nord du pays dans le cadre de ma formation, ma femme a rejoint mes parents après le mariage et je revenais à la maison environ une fois tous les trois mois […] À la fin de ma formation, j’ai obtenu un poste d’instituteur au Nord en 1986. Cette année-là, j’ai commencé à sortir avec une fille qui était en classe de quatrième dans le temps […]. Elle est tombée enceinte, là c’était vraiment un choix personnel, mais je n’ai pas fait de mariage avec elle et elle m’a rejoint malgré l’opposition de ses propres parents […]. Mes parents et ma première femme étaient aussi contre cette mise en couple. Mes parents n’ont pas voulu rencontrer les parents de la fille. Elle est devenue comme on dit ma femme du Nord et l’autre ma femme du Sud […]. C’est comme ça que je suis devenu polygame. Propos de AH.5.

En 1996…..je devais quitter mes parents pour rejoindre le monsieur à Calavi là où il loue. […]. On n’était pas marié. En 2010, j’ai appris que le salaud me trompait avec une étudiante du quartier. Je l’ai coincé avec la fille au moins deux fois, nous sommes disputés plusieurs jours et il a levé la main sur moi […] je l’ai quitté finalement. […] j’ai finalement rejoint mes parents avec mes enfants cette année, il y a à peine deux mois. Propos de JF.1.

J’ai connu ma femme à l’âge de 22 ans, lorsque j’étais à l’université, elle étudiait aussi dans la même université. Bon je ne peux pas te dire exactement quand est-ce qu’on est entrée en couple hein! Selon moi, on était en couple avant même de vivre sous le même toit parce qu’elle venait chez moi elle préparait et parfois même elle dormait là. Mais tout comme moi ses parents lui ont loué un appartement proche de l’université et il fallait qu’elle vive là-bas pour éviter les problèmes avec ses parents. Tu t’imagines s’ils apprennent qu’elle découche? […]. Je peux donc dire que c’est vers l’âge de mes 24 ans qu’on était vraiment un couple parce qu’elle avait les clés de chez moi et j’avais les siennes. Je l’ai présenté à mes parents cette même année et elle m’a aussi présenté à ses parents. Deux ans après mes parents sont allés rencontrer ses parents à elle. De plus en plus, tout le monde savait qu’elle venait dormir chez moi alors elle a fini par déménager finalement. Depuis nous avions quitté Calavi pour aménager à Cotonou, mais nous sommes toujours ensemble. Nous n’avions pas fait de mariage, mais c’est dans nos plans. Avec tous ces diplômes il faut bien se battre pour être stables dans un bon emploi d’abord hein! Ce n’est pas un problème ni pour nous, ni pour nos parents. Ils comprennent, d’ailleurs ma conjointe est actuellement enceinte. Propos de JH.6. 195

Le choix du partenaire et la forme de mise en couple sont de plus en plus l’œuvre autonome des partenaires. Mais la mise en couple continue d’impliquer dans une large mesure l’ensemble du réseau familial à travers les procédures d’homologation du choix du conjoint et de rencontre interfamiliale en cas de grossesse pré conjugale ou en prélude à la mise en couple et l’organisation même de la cérémonie de mariage.

La permanence de la compensation monétaire ainsi que les rites affiliés au mariage traditionnel, permettent aussi de conserver la place incontournable de la famille dans les décisions de mise en couple. Si la compensation monétaire est toujours à l’honneur, elle est de plus en plus négociable entre les partenaires avec le concours des familles.

Il y a donc une transformation dans la manière dont les jeunes se projettent dans la vie de couple. L’institution matrimoniale quoi qu’en transformation continue de jouer un rôle de reproduction sociale, de légitimation de l’union et de filet de sécurité, malgré le développement de nouvelles formes de conjugalités, désormais tolérées dans une certaine mesure, compte tenu des difficultés économiques réelles, mais aussi de la modernité et du désir des jeunes de prendre le contrôle de leur vie. Ces transformations rencontrent parfois la résistance des aînés et laissent place à un conflit de générations à l’intérieur des familles.

En 2002, j’aidais ma mère à écouler son étalage ambulant, mais je faisais aussi de petits jobs dans notre quartier comme la lessive et l’aide domestique ponctuel quoi! Cela me permettait d’avoir un peu de sous pour m’acheter des tenues et des produits cosmétiques. Je faisais ça jusqu’en 2004 quand j’ai rencontré un homme et j’ai aménagé avec lui malgré le refus de mes parents. Mes parents n’étaient pas du tout d’accord de mon choix, je me souviens que mon père m’avait même dit que je n’étais plus son enfant. Mais c’était la jeunesse et moi j’en avais marre de la vie que je menais, je m’étais entêtée et sans aucun mariage de fait ou de prévu j’ai rejoint mon homme. En fin de l’année 2006, je venais d’avoir mon second enfant. Pendant ce temps, j’ai 196

perdu tout contact avec mon père et mes frères, c’est ma mère et une de mes sœurs qui venaient me voir parfois à l’insu de mon papa et des autres. Suite à une série de mésententes, mon conjoint m’a battu une fois. La situation financière était déjà un problème et en plus, j’étais souvent battu. J’ai l’ai alors quitté en 2007 et je suis retournée chez mes parents. Ça a été très difficile parce que j’ai été accueillie quasiment en étrangère par ma famille et je savais qu’ils ont raison, car j’ai déconné. Pendant le même temps, mon conjoint que je venais de quitter passait par tous les moyens pour me supplier de revenir […]. En 2008, j’ai trouvé un job de serveuse dans une buvette à Fidjrossè. Mon ex me rendait visite sur mon lieu de travail plusieurs fois par semaine, il m’envoyait des cadeaux par ses frères et me donnait des rendez-vous secrets. Il a complètement changé, alors avec sa complicité j’ai abandonné les enfants à mes parents et je l’ai rejoint encore en 2009, puis nous avions emménagé dans un autre appartement. J’étais enceinte de lui vers la fin de l’année 2009 et mes relations avec mes parents et même ma mère se sont totalement dégradées. Cependant, mes parents ont gardé les deux premiers enfants. Ils disaient que cet homme m’avait ensorcelé et que je finirais par comprendre un jour et qu’ils gardent les enfants pour éviter que nos conneries les impactent. J’ai eu mon troisième enfant avec mon homme en 2010 […]. J’ai heureusement découvert que cet homme me trompait et qu’il avait mis enceinte une autre femme dans la même période et prétextait de difficultés économiques pour donner moins d’argent de popote. Je l’ai définitivement quitté en 2011, emportant mon troisième enfant. J’ai retrouvé encore refuge chez mes parents et je me suis trouvé un nouveau job de serveuse dans un restaurant-bars, jusqu’à ce que je rencontre à la fin de l’année 2012, un autre homme dont je gère la buvette présentement. Je suis en couple avec cet homme maintenant et mes parents sont d’accord. Mais cet homme a déjà une autre femme donc pour le moment il hésite à me marier […], il m’a loué un appartement et c’est lui qui prend tout en charge. Mon premier mari m’a fait vivre des scènes horribles que j’ai regrettées et dont je ne voudrais plus la répétition. Mes trois premiers enfants sont toujours avec mes parents. Propos de JF.3.

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6.3.4 Je t’aime, moi non plus! : Difficultés conjugales et séparation des couples, d’une

génération à l’autre

Le verbatim précédent expose un exemple assez représentatif des difficultés conjugales que l’on rencontre au sein de la cohorte des jeunes. Si ces difficultés ne constituent pas véritablement une nouveauté, elles sont de plus en plus fréquentes dans un contexte de plus en plus marqué par la mise en couple non « formelle ». Les nouvelles formes de conjugalités, pourtant de plus en plus centrées uniquement sur « l’amour » des deux partenaires sont caractérisées par des mises en couple sans mariage, ainsi que des difficultés relationnelles de plus en plus fréquentes au sein des couples d’individus de la cohorte récente. Dans ce contexte, la séparation des couples devient une réalité de plus en plus courante.

En effet, l’analyse des trajectoires de vie de couple de nos répondants, permet de comprendre que chez les individus de la génération des aînés les épisodes de séparation totale entre partenaires au moment de la période de l’entrée en vie adulte, sont rarissimes comparativement aux individus de la génération des jeunes. Même lorsqu’il y a séparation entre partenaires de la cohorte des aînés, il s’agit très rarement d’une séparation totale. On préfère parler d’une séparation partielle ou de corps, surtout lorsqu’il y a déjà au moins un enfant commun et les deux partenaires maintiennent parfois une sorte de lien économique assez complexe.

Tu sais, c’est un peu complexe hein… On a eu avec les parents plusieurs réunions de conciliations[…] mais ça n’a pas marché parce que ma première femme ne voulait pas vivre dans une famille polygame… Depuis notre séparation, elle a loué d’abord et ensuite elle a construit sa propre maison parce que son commerce marche bien. Tu vois, je ne vis plus avec elle, mais elle est toujours ma femme parce que nous avons deux enfants ensemble et j’ai fait le mariage traditionnel avec elle! Je vais la voir parfois avec les enfants et j’apporte un soutien financier de temps en temps. Elle ne s’est pas 198

remariée depuis et ma jeune femme comprend bien la situation. C’est comme si j’étais polygame, mais ce n’est pas exactement ça. Propos de AH.1.

Compte tenu du contexte socio-communautaire, de l’honneur familial, et de la symbolique de la « femme mariée », le divorce que nous désignons ici comme étant une séparation totale des partenaires pour en occulter le caractère juridique, était quasiment « proscrite ». Plusieurs mécanismes de contrôle des unions et de règlements des conflits conjugaux au sein de la cellule familiale élargie, permettaient de maintenir cet idéal social.

Cela ne veut pas dire que la séparation totale était inconcevable durant le passage en vie adulte des individus de la génération des aînés. Mais la norme socialement valorisée est de voir durer les alliances jusqu’à ce que la mort sépare les deux conjoints, puisqu'une séparation contrevient au choix que les familles des deux partenaires ont conclu à leur avantage respectif et au nom des ancêtres. Traditionnellement, les pressions familiales font obstacle à la séparation totale, qui est perçue comme un échec social, une mauvaise éducation donnée à la femme par sa mère, une honte pour les familles impliquées et une offense à l’endroit des ancêtres des deux familles, lorsqu’il y a eu compensation matrimoniale. Lorsque dans des cas extrêmes une vraie séparation totale devrait intervenir, des raisons comme l’infécondité (ou la sous-fécondité) et parfois la polygamie et la violence conjugale constituent les principales causes de rupture totale d’union chez les individus de la génération des aînés. Ainsi vue, la séparation totale est souvent l’initiative des hommes.

Chez les individus de la jeune génération, la famille et les instances communautaires de conciliation demeurent présentes dans le paysage des conjugalités, peut-être moins vivace, mais leurs rôles se transforment et s’adaptent progressivement au besoin d’émancipation et d’autonomie des partenaires. Cela ouvre une brèche et rend de plus en plus possible la rupture totale pour les mêmes raisons que par le passé, mais aussi pour défaut de participation du mari à la satisfaction des besoins matériels de l'épouse et des enfants, de 199 mésentente prolongée entre partenaires, d’infidélité conjugale et/ou de bris de confiance ou d’amour entre conjoints. L’initiative de la rupture conjugale se transforme aussi et devient de plus en plus l’affaire des femmes.

Comme c’est moi-même qui suis allé chercher ma chose, si ça ne va plus ou bien si je n’aime plus le gars, c’est mieux de prendre mes jambes à mon cou. Si mes parents avaient choisi pour moi ou m’avaient orienté dans le choix, là j’aurais pu leur demander de faire une médiation […], de toutes les manières, avant il n’y avait pas à dire qu’on ne s’aime plus et qu’on se quitte. Maintenant oui! Propos de JF.1.

Pour les hommes et les femmes de la cohorte des jeunes, la vie de couple pendant le passage à l’âge adulte devient donc une réalité sensiblement plus précaire qu’elle l’était pour leurs aînés, chez qui, la relation de couple était « sacrée » et devait généralement être préservée même lorsque surviennent des évènements comme la violence conjugale. S’il reste relativement important pour la jeune cohorte de préserver les couples « officiels », le choix de la séparation est beaucoup plus accessible lorsque survient un désaccord ou un désintérêt entre conjoints.

Plusieurs récits collectés suggèrent que les progrès de la scolarisation des femmes, d’autonomisation des individus, de même que les difficultés économiques croissantes, les formes de conjugalités floues et précaires puis le défi du contenu de la dot, de plus en plus négociée, parfois même assez symbolique, concourent aux transformations des trajectoires de vie de couple d’une génération à l’autre.

Pour autant, la voie de la rupture totale de couple, tout en devenant de plus en plus possible, reste largement redoutée par les partenaires parce qu’il est le signe d’un échec social, d’une précarité sociale surtout s’il y a déjà des enfants et qu’il affecte les réseaux de parenté et d'alliance puis apparaît comme un désordre affaiblissant le groupe de solidarité ancêtres-

200

descendants. D’ailleurs les rites du mariage traditionnel impliquent toujours les défunts des deux familles qui sont supposés accepter ou refuser l’union à travers le jet de « Ata et Vi ». Il ne faut donc surtout pas décevoir ces ancêtres puisqu’en cas d’acceptation, ils unissent normalement à jamais.

Si la rupture totale reste un « affront social », que l’on prend de plus en plus le risque de côtoyer, on constate cependant, chez les individus concernés par la séparation au sein de la cohorte des jeunes une mobilité conjugale à la « je t’aime moi non plus », c’est-à-dire une vie de couple instable avec des états intermédiaires et des bifurcations (séparation partielle, remise en couple avec le même partenaire, séparation totale, nouvelle mise en couple ou célibat prolongé). Autrement dit, les cas de séparation totale et définitive entre conjoints sont rares. La plupart du temps, les couples transitent d’abord par une série de séparations et de remises en couple avant la survenance de la séparation totale comme l’illustre bien le verbatim tiré de l’entretien avec le répondant JF.3 et présenté dans le paragraphe 6.3.3.

Au total, la valeur symbolique de la « femme mariée », notable chez les individus de la cohorte des aînés, persiste sous une nouvelle forme chez les individus de la cohorte jeune malgré l’autonomisation des femmes et implique une fois que l’on a été en couple ou qu’on a un enfant, d’éviter « à tout prix » de rester célibataire, comme on peut le lire à travers plusieurs récits collectés. Cet état de choses amène souvent certaines femmes à se remarier assez rapidement après la survenance d’une séparation totale. Quel que soit les transformations sociales en cours, la célérité des nouvelles remises en couple, et des retours en couple, notamment chez les femmes, démontrent bien que le statut social le plus valorisé pour une mère, un père ou un individu ayant déjà été en couple est : de « rester en couple ».

201

6.4 Trajectoire de vie féconde du parcours d’entrée en vie adulte : La fécondité un impératif social

L’analyse de la trajectoire vie de féconde concerne les successions d’unions sexuelles ayant conduit à une grossesse, que cette dernière soit parachevée par un avortement, une fausse couche ou une naissance, que l’enfant ait survécu ou non.

Dans l’imaginaire populaire, la triade « femme, mariage, maternité » est largement présentée dans les discours comme la succession idéale type, gage de reconnaissance sociale de la valeur féminine. Selon la perception commune, la capacité de procréation est à la fois une capacité biologique et sociale qui s’oppose à l’incapacité biologique et sociale que symbolise la non-procréation. De ce fait, après la mise en couple, une attente sociale se met en place pour questionner la fécondité du couple, quasiment considérée comme exigence.

Les informations collectées montrent que chez les individus de la cohorte des aînés, la quête de l’enfant apparaît comme l’ordre normal de la conjugalité et les relations entre la famille du mari et celle de l’épouse peuvent être particulièrement détériorées par l’absence prolongée d’un enfant. Un « retard » dans la procréation du couple est considéré comme un « solécisme social » parce qu’il menace la continuité de la famille du mari et la perpétuation de son nom.

202

« Dans les sociétés traditionnelles, ce sont les capacités reproductrices de la femme qui déterminent le statut auquel elle peut prétendre. (…) Son statut social évolue en fonction des étapes de sa vie génésique. La femme stérile, dans ce système, est dramatiquement “auréolée” d’indifférence ou, dans certains cas, accusée de sorcellerie. On dit parfois qu’elle “mange” la force vitale des enfants des autres femmes. Chez les Mossi, une femme sans enfant est une “femme vide”. C’est dire que la représentation de la femme est celle d’une bonne mère qui n’interrompt jamais le cycle de la reproduction. Elle féconde, elle accouche, elle allaite, etc. Il est même fréquent d’entendre dire qu’une femme “a soit un enfant au dos, soit un enfant dans le ventre” » (Desjeux C. et B., Bonnet D. 1983, ouvrage non paginé).

Les données collectées permettent de dire que la plupart du temps, ce sont les femmes qui sont rendues responsables de l’infécondité momentanée ou prolongée du couple. En cas de prolongement de l’infécondité, les femmes font d’ailleurs souvent l’objet d’acharnement de la part de la belle-famille et parfois de leur propre famille qui n’hésite pas à les soupçonner dans certains cas d’avoir procédé en cachette à des avortements multiples dans leur vie célibataire, de refuser volontairement de faire des enfants et dans des cas extrêmes d’être une sorcière.

L’analyse des données collectées auprès des individus de la cohorte des jeunes, révèle une permanence du modèle « idéal-typique » de la maternité et de la valeur accordée à la fécondité dans l’imaginaire populaire. L’expérience génésique est toujours définie comme une étape fondamentale et nécessaire dans la vie d’un individu.

[…] trois grosses années hein, entre ma mise en couple et ma première grossesse. Mon mari disait que c’était l’œuvre de Dieu et que ça allait venir, mais j’avais peur […] Je me demandais s’il ne tentait pas déjà de prendre une seconde épouse pour s’assurer d’avoir une progéniture, comme le font d’autres hommes[…]. Toi-même tu sais non? Si tu rejoins ton mari, les gens commencent par poser des questions après

203

quelques mois: tu n’as pas de nouvelles pour nous? […] ha « Yao15 » débrouillez vous hein….Nous, on veut de quoi pour jouer avec… C’est très important pour une femme, mais aussi pour les hommes d’avoir une progéniture. Après la mise en couple, il faut qu’on t’appelle « Papa tel » ou « maman telle », c’est là ta fierté. Moi il y a plein de gens qui ne connaissent même pas mon prénom. Dans tout le quartier ici, c’est Maman Fannie que les gens m’appellent. D’ailleurs on dit que si tu ne connais pas la douleur de l’accouchement là, ça veut dire que tu n’es pas encore une vraie femme. Quand tu passes par là, voilà tu mérites le respect des gens, tu es considérée. Propos de AF.4.

La procréation confère un nouveau statut social qui permet à l’individu surtout à la femme d’acquérir de la reconnaissance sociale, et du respect de la part de son entourage, alors que la non-procréation est perçue comme un malheur, une source de préoccupation, de tristesse ou de paresse, donnant lieu à un harcèlement verbal à l’encontre des personnes et notamment, les femmes en couple, dont la fécondité n’est pas attestée. Les rumeurs et les propos insultants sur l’infécondité confortent les femmes en couple sans enfants dans la culpabilité.

Cependant, on constate dans les récits d’individus de la cohorte récente que le retard de la procréation est de plus en plus pardonné ou toléré lorsqu’une raison apparente (études longues, condition économique, chômage, etc.) semble justifier ce qui reste largement « un solécisme social » au regard de l’entourage. Ce qui est ici toléré ce n’est pas la non- procréation pure, mais plutôt le retard du début de vie féconde. On remarque d’ailleurs que la plupart des personnes ayant connu de longues études ou ayant vécu un long chômage, ont une procréation plus rapprochée à la sortie des études ou du chômage un peu comme pour rattraper leur retard.

15 Veut dire en français : Madame, belle-sœur ou bru 204

Plus globalement, les transformations que l’on note dans les tendances des trajectoires de vie féconde sont le reflet combiné de la pluralisation des formes de conjugalités, de la crise économique et de la modernité. Il faut noter que les récits de vie féconde sont toujours très complexes à collecter puisqu’il ne s’agit pas simplement de collecter des informations sur les naissances, mais aussi sur les avortements, les fausses couches, etc. Cet état de choses introduit une difficulté supplémentaire et certainement une limite dans nos travaux, compte tenu du caractère intime et du tabou qui règne encore sur la plupart des événements de vie féconde.

6.4.1 La première union sexuelle ayant débouché sur une grossesse est de plus en plus

tardive!

L’analyse de contenu des données concernant la trajectoire de vie féconde, amène à observer une tendance des jeunes à retarder la première naissance. Cette analyse de contenu à été complétée par le calcul de l’âge moyen de la première décohabitation. Le tableau 16 fournit pour chaque cohorte et pour chaque sexe, la moyenne de l’âge des individus à la première union sexuelle ayant débouché sur une grossesse. Il faut préciser que le calcul tient compte seulement des individus qui ont connu au moins une union sexuelle ayant débouché sur une grossesse.

Tableau 16: Âge à la première union sexuelle ayant débouché sur une grossesse

Femmes Hommes Aînés 21,8 24,3 Jeunes 22,2 25

L'analyse des données concernant l'âge à la première union sexuelle ayant débouché sur une grossesse (tableau 16), montre qu’il y a globalement un retard de la manifestation de la fécondité chez les individus de la cohorte des jeunes comparativement aux individus de la 205 cohorte des aînés que ce soit au niveau des femmes ou des hommes. En effet, pendant la période de passage en vie adulte, on constate que la première union sexuelle ayant débouché sur une grossesse a lieu chez les répondants de la génération des aînés en moyenne à 21,8 ans pour les femmes et à 24,3 ans pour les hommes. Cependant, pour les répondants de la jeune génération, la première union sexuelle ayant débouché sur une grossesse, a lieu en moyenne à 22,2 ans chez les femmes et 25 ans chez les hommes. Que ce soit au niveau de la cohorte des aînés ou au niveau de la cohorte récente, les femmes connaissent leur premier événement de vie féconde avant les hommes. Cet écart se maintient à travers les générations et a même tendance à s’accentuer.

Le recul progressif de l’âge de la première union sexuelle ayant débouché sur une grossesse peut s’expliquer par plusieurs facteurs relatés dans les récits collectées et dont notamment : la montée de l’activité féminine le recul des unions précoces et/ou arrangées, l’allongement de la durée des études et des formations, puis enfin l’instabilité professionnelle en lien avec la conjoncture économique et caractérisée par l’augmentation du chômage et du sous- emploi.

Il faut dire que plusieurs études antérieures dans divers autres contextes ont fait le constat d’un recul sensible de l’âge à la première naissance (Calvès et al., 2007; Mensch et al. 2005 ; Mondain et Delaunay, 2003 ; Hertrich, 2007). Selon Guiella et Woog (2006) on assiste aussi à une modification du contexte dans lequel s’inscrivent les premières grossesses et naissances avec en toile de fond, le développement de la sexualité préconjugale.

Le recul de l’âge à la première union sexuelle ayant débouché sur une grossesse met en exergue la question de la contraception et cachent une pluralité des trajectoires de vie féconde et de réalités sociales contemporaines repérables dans les récits et dans l’allure des figures 12 et 13, qui présentent l’enchaînement des séquences de la vie féconde des répondants pendant la période de leur entrée en vie adulte.

206

Figure 12 : Séquences des événements de vie féconde des répondants de sexe féminin

Âge 1er événement de vie féconde

Durée entre 1er et 2em événement de vie féconde

Durée entre 2em et 3em événement de vie féconde

Durée entre 3em et 4em événement de vie féconde

Cohorte des Jeunes Cohorte des Aînés des Aînés Cohorte Jeunes des Cohorte Durée entre 4em et 5em

événement de vie féconde

Durée entre 5em et 6em événement de vie féconde

0Âge 5 10 15 20 25 30

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Figure 13 : Séquences des événements de vie féconde des répondants de sexe masculin

Âge 1er événement de vie féconde

Durée entre 1er et 2em événement de vie féconde

Durée entre 2em et 3em événement de vie féconde

Durée entre 3em et 4em événement de vie féconde

Cohorte des Jeunes Cohorte des Aînés Cohorte Jeunes des Cohorte Durée entre 4em et 5em événement de vie féconde

Durée entre 5em et 6em événement de vie féconde

0Âge 5 10 15 20 25 30 35

208

6.4.2 Retarder l’arrivée du premier enfant ou avoir un enfant avant l’entrée en union: le

fléchissement relatif de la fécondité pendant l’entrée en vie adulte

L’analyse de contenu des données concernant la trajectoire de vie féconde, amène à observer que, si au sein de la cohorte des aînés la plupart des naissances ont lieu quelques mois après l’entrée en union, chez les jeunes les naissances on constate qu’il y a des naissances avant même l’entrée en union « officiel », quelques mois après ou encore plusieurs mois après l’entrée en union. Les figures 12 et 13 permettent d’observer en fonction de l’âge, une vue synthétique des diverses séquences par lesquelles transitent les individus le long de leur trajectoire de vie féconde sur la période de parcours de vie collectés.

On note que pendant la période d’« adultisation », la fécondité connaît une baisse au niveau des individus de la cohorte des jeunes comparativement aux réalités vécues par les individus de la cohorte des aînés lors de leur passage en vie adulte.

On note aussi que la très grande majorité des évènements de vie féconde racontés par les répondants sont en fait des événements génésiques (naissance d’enfants). Dans de très rares cas, les répondants ont fait spontanément référence à des fausses couches et presque jamais à des avortements.

On constate enfin, que plusieurs individus de la cohorte des jeunes n’ont pas connus d’événements de vie féconde et donc aucune naissance pendant leur période de passage en vie adulte. Ce genre de situation est présente aussi, mais très rarissime au sein de la cohorte des aînés.

En arrimant à l’analyse des événements de vie féconde, l’analyse des finalités de ces événements de vie féconde (naissance, avortement, etc.), on constate que les individus de la 209 cohorte des jeunes ont tendance à réduire les naissances pendant leur période d’entrée en vie adulte comparativement aux aînés.

Du fait des diverses difficultés d’insertion professionnelle, d’autonomisation résidentielle et de mise en couple, révélées par les analyses, le désir d'avoir une descendance nombreuse pendant l’entrée en vie adulte n'est plus aussi répandu qu'il l’était une trentaine d’années plutôt. Deux lots de facteurs imposent de façon réaliste aux individus de limiter la fécondité pendant la période de plus en plus instable que constitue l’entrée en vie adulte. D’une part, la progression de la scolarisation notamment des filles, l’allongement de la durée des études, la montée de l’activité féminine et les progrès en matière de santé de la reproduction. D’autre part, la crise économique des années 1980 avec son cortège de gel des emplois dans le secteur public à partir de 1987, de difficultés financières quotidiennes accrues, de « perte des cerveaux », de détérioration des infrastructures, prolongée par une conjoncture économique qui perdure depuis la fin des années 1990 et une incapacité des politiques publiques à garantir une protection sociale pour tous et un bien-être pour la majorité des citoyens. L’ensemble de ces facteurs participe à introduire de nouveaux rapports entre partenaires. Ces nouveaux rapports sont basés sur le dialogue et conduisent progressivement à la prise de conscience des contraintes à avoir une descendance nombreuse, alors même que l’on est en train de réaliser un passage vers la vie adulte. À cet effet, le développement des programmes de planning familial et de santé de reproduction (espacement des naissances, pratiques contraceptives modernes, etc.) depuis le début des années 1990, offre dans une certaine mesure aux partenaires, notamment ceux qui sont scolarisés, la possibilité de mieux organiser le retard ou la baisse de la fécondité pendant l’entrée en vie adulte.

C'est à la rencontre des progrès dus à la croissance des années 1960- 1975 et des effets négatifs de la crise économique, qui n'ont cessé de s'aggraver depuis, que s'enracine le désir de familles moins nombreuses en Afrique de l'Ouest. Si on considère (a) l'érosion des idéaux de la famille nombreuse, (b) le nombre conséquent de femmes qui sont capables de gérer elles-mêmes leur famille et d'en prendre la 210

responsabilité économique (c) l'arrivée de jeunes adultes ayant été scolarisés (d) et enfin l'émergence, dans certains milieux, de couples plus fortement solidaires, on a là des facteurs qui tous convergent à une meilleure prise de conscience de l'intérêt des descendances moins nombreuses (Locoh, 2009, pp. 36-37).

Le fléchissement de la fécondité pendant l’entrée en vie adulte, dissimule bien d’autres réalités vécues par les jeunes et ayant trait à la transformation même de la socialisation à la sexualité. En effet, on assiste à une transformation de la socialisation à la sexualité, à la vie reproductive et aux relations amoureuses. Par le passé, cette socialisation était tardive et était l’œuvre quasi exclusive des parents et du cercle familial qui faisaient « semblant » d’en savoir le moins possible pour maintenir une sorte de psychose répressive sur les relations sexuelles et pour contrôler la sexualité.

On dit chez nous que si tu ne touches pas au beignet, tu n’auras pas d’huile sur la main. De notre temps, c’est ça qui dirige notre éducation : si tu ne veux pas avoir d’enfants, il ne faut pas coucher avec une femme… parce que ce n’est pas une affaire de plaisir seulement… ça a des conséquences. Aujourd’hui, j’ai l’impression que les jeunes s’en foutent. Ils ont tous des méthodes bizarres pour éviter de tomber enceinte jusqu’aux préservatifs qui se vendent partout même au marché… mais les grossesses non désirées sont plus fréquentes. Propos de AH.6.

Avec les progrès de la scolarisation qui favorise l’instruction, mais aussi, la possibilité d’appartenir à des groupes de pairs de plus en plus mixtes ainsi que la pluralité des sources anonymes d’informations (télévision, internet, roman, école, etc..), les parents qui eux ont tendance à reproduire le même type de socialisation qu’ils ont connu se retrouvent très vite dépassés par la redistribution des places et des agents de socialisation à la sexualité.

La source ou plutôt les sources des premières informations sur la sexualité, la grossesse et la relation de couple se transforment donc, de même que la nature des informations diffusées. Cette transformation laisse apparaitre des profils de socialisation à la sexualité 211 d’un genre nouveau favorable à la précocité sexuelle non pas obligatoirement en termes absolus d’âge, mais en termes d’anticipation de plus en plus poussée de l’expérience sexuelle par rapport à la mise en couple. Étant donné que l’entrée en vie de couple est de plus en plus retardée, les jeunes débutent de plus en plus leur vie sexuelle bien avant la mise en couple. La sexualité s’exerce de plus en plus dans bien de cas hors du cadre de la planification d’une vie de couple en cours ou à venir et connue de tous, échappant ainsi au contrôle des aînés. Il s’en suit que, malgré le développement de la contraception qui reste relativement accessible, on assiste de plus en plus à des cas de grossesses non désirées hors vie de couple.

Au regard des données collectées, la survenue d’une grossesse chez une femme non en couple, l’engage généralement dans une série de rapports difficiles avec les membres de sa famille. Le parcours d’une femme qui du fait de sa fécondité « précoce », va à l’encontre de l’ordre des choses socialement admises est avant tout un déshonneur pour la famille de la femme. De ce fait, même si la fécondité est toujours valorisée on assiste paradoxalement à une désapprobation sociale de la procréation hors union, pouvant aller jusqu’à l’expulsion de la maison familiale. Dans ce contexte, être enceinte avant la mise en couple s’accompagne d’un risque important de désaffiliation, de précarisation, de précipitation de l’entrée en vie de couple et même parfois d’exposition à la violence conjugale, puisque la jeune femme se retrouve parfois sans attache familiale.

Compte tenu de la fréquence des grossesses hors union, de la peur de voir son enfant vivre la précarisation et la violence conjugale, certains parents et les mères en premier lieu œuvrent de plus en plus pour une désapprobation symbolique de la grossesse hors union, dans une optique éducative. Cette forme de désapprobation peut parfois succéder à l’expulsion de la maison familiale et permet de réunifier la famille. Chez certaines filles, la seule option pour éviter le déshonneur personnel et familial de même que la désapprobation familiale de la grossesse hors union reste parfois l’avortement, phénomène certes tabou, mais en évolution dans la ville Cotonou. 212

6.4.3 Le recours à l’avortement, phénomène tabou, mais en évolution

S’il y a une réalité qui reste palpable à propos de l’avortement à Cotonou, c’est bien qu’il demeure un véritable tabou, peu importe le sexe du répondant, peu importe la génération. En témoigne le fait qu’aucun de nos répondants n’a directement fait allusion à un épisode d’avortement dans leur récit. Cette attitude de dissimulation de la survenance d’un avortement lors du récit de vie tient à deux facteurs. D’abord sur le plan social, il y a une forte valorisation de la maternité qui persiste et qui amène à voir l’avortement comme un crime « social ». Ensuite, sur le plan juridique, l’interruption volontaire de grossesse reste un acte criminel. En effet, la Loi n° 2003-04 du 03 mars 2003 relative à la Santé sexuelle et à la Reproduction autorise en son article 17, l'interruption volontaire de grossesse seulement pour trois types de motifs:

• lorsque la poursuite de la grossesse met en danger la vie et la santé de la femme enceinte;

• à la demande de la femme lorsque la grossesse est la conséquence d'un viol ou d'une relation incestueuse;

• Lorsque l'enfant à naître est atteint d'une affection grave au diagnostic.

Il a fallu donc user de beaucoup de tacts, de relances et parfois même d’imagination afin de discuter de ce sujet avec nos répondants, afin de saisir les tendances du recours à l’avortement au cours de la période d’entrée en vie adulte de nos répondants. Plusieurs constats nous poussent à croire d’une part, que dans les faits, les individus notamment ceux de la cohorte de jeunes dissimulent dans leurs récits les épisodes de recours à l’avortement et que d’autre part, il existe bel et bien un recours de plus en plus prononcé à l’avortement « clandestin ».

213

[…] Ahiii, […], houn grand-frère, ce n’est pas dans ma bouche que tu vas entendre parole hein. […], Quand on faisait voyou avant là oui, mais depuis que je suis en couple non ma conjointe n’a jamais fait d’avortement. Propos de JH.2.

Ah! Toi là tu veux me rappeler des choses anciennes hein! En tout cas moi je n’ai pas fait hein. S’il te plaît laisse cette affaire-là sinon je vais oublier ce que je te raconte hein […] laisse cette affaire-là tonton! Propos de JF.4.

Non, moi je n’ai jamais fait ça. C’est chez vous les jeunes de maintenant que cette affaire existe beaucoup et les cliniques ont aussi du matériel maintenant pour ça, sinon avant c’est peut être chaque 5 ans que tu vas entendre que telle cousine a fait en clando et elle est décédée. Est-ce que toi tu vas oser faire? […]. Est-ce que tu vas même oser tomber enceinte comme ça? Aujourd’hui, il y a tellement de publicités sur comment faire pour ne pas attraper une grossesse. Je me demande même comment les jeunes s’arrangent encore pour tomber enceinte sans vouloir. De notre temps, on n’avait pas les préservatifs et toutes ces choses-là. Bon c’est vrai qu’on avait des méthodes traditionnelles pour éviter les naissances rapprochées (…] : l’abstinence sexuelle en période post-partum, la séparation temporaire des époux (vacance de maternité chez les parents), la séparation temporaire de résidence, l’allaitement maternel intensif et prolongé, les tisanes de la pharmacopée, les cordelettes de coton appelé en fon « Tafo ». Propos de AF.4.

Ces verbatim montrent que si le recours à l’avortement n’est pas une nouvelle réalité dans le paysage social, il est de plus en plus sollicité; et pour cause : la sexualité précoce, l’accès de plus en plus médiatisé (affiche, télé, radio, internet, journaux, livre, école), mais encore relativement limité de la contraception, les mauvaises conditions économiques, l’augmentation des grossesses hors unions ainsi que le déshonneur social qu’ils impliquent.

Les trois verbatim plus haut résument bien les antagonismes entre les générations en ce qui concerne les réactions que l’on a une fois que la question de l’avortement est abordée lors de l’entretien. La question qui revient souvent dans les discussions avec les répondants de 214

la cohorte des aînés et que nous partageons aussi est : pourquoi c’est au moment où la contraception est la plus médiatisée que l’on assiste de plus en plus à un recours aux avortements?

Si tu vas dans une pharmacie et tu dis que tu veux acheter « la chose » […] tout le monde sait que tu veux faire « la chose » […] même si tout le monde fait sans être marié, les gens peuvent te critiquer […]. Et puis dans Cotonou là ce n’est jamais trop loin, tu peux tomber sur des connaissances ou bien des connaissances peuvent te voir et iront dire et puis […] (rires) c’est radiotrottoirs ici hein. Et puis c’est affaire d’argent aussi […]. Propos de JF.2.

Le verbatim ci-dessus résume assez bien la réponse à la question précédente. En effet, depuis le début des années 90, on voit se développer au Bénin des programmes de planning familial, ainsi que plusieurs programmes de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles qui proposent et médiatisent plusieurs méthodes de contraception. Notamment, le préservatif est entré sur la scène comme un moyen de prévenir les grossesses, mais aussi, de lutter contre le virus du SIDA. Depuis lors, les préservatifs sont en vente dans les pharmacies, au marché, dans les buvettes, etc. Cependant, il semble que la peur d’être indexé, les fausses informations qui circulent sur le port du préservatif, le manque de moyen financier, l’incapacité de certaines femmes à exiger des relations sexuelles protégées, le coût des services et du matériel de planning, leur accessibilité sociale, géographique et économique exposent notamment les filles au risque de grossesses non désirées et d’avortements. Dans l’imaginaire populaire le planning familial est largement conçu comme étant réservé aux femmes mariées et là encore il semble que ce sont les individus les plus scolarisés qui ont le plus tendance, dans une certaine mesure à saisir les moyens offerts par la santé de la reproduction pour retarder l’arrivée de la première naissance.

215

7.5 En guise de conclusion partielle

Au terme de cette tentative d’appréhension de l’entrée en vie adulte à travers l’analyse du déroulement des quatre principales trajectoires qui la composent nous pouvons dire sans craindre de nous tromper que le milieu d’étude est un véritable chantier de transformations sociales, qui paradoxalement se déroulent à l’intérieur d’un univers où plusieurs valeurs et normes, fortement ancrées dans l’imaginaire populaire continuent de persister à travers les générations.

L’opérationnalisation particulièrement adaptée au contexte du milieu d’étude que nous faisons pour chacune des trajectoires, nous permet d’aboutir à des résultats intéressants sur les tendances des trajectoires; résultats qui semblent parfois se démarquer de certaines études pionnières sur le sujet, dans le contexte ouest-africain.

Cependant, le fait de dégager des tendances générales ne signifie pas que les individus de la cohorte des aînés s’identifient à une seule trajectoire type alors que ceux de la cohorte des jeunes s’identifient à un seul autre modèle complètement différent pendant leur parcours d’entrée en vie adulte. L’analyse a permis en effet, de montrer la permanence de plusieurs valeurs, normes et modèles de trajectoires, à travers les générations avec cependant, une plus grande diversification des trajectoires de plus en plus empreintes de bifurcations et d’états intermédiaires chez les individus de la cohorte des jeunes et pouvant parfois constituer une réalité totalement nouvelle dans le paysage social. Les résultats mettent ainsi en évidence l’importance des changements structurels et montrent la portée des mouvements conjoncturels qui s’y superposent par choix ou par contrainte. D’une part, les individus de la cohorte récente, en fonction de leurs aspirations, de leurs valeurs socioculturelles et des ressources disponibles, sont amenés à élaborer des choix propres à leur génération ou à reproduire à leur manière les modèles de trajectoires identifiés chez les individus de la cohorte des aînés. D’autre part, le contexte socioéconomique spécifique de

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chaque période constitue une contrainte à laquelle doivent s’adapter les individus de chaque génération.

L’analyse générationnelle de la dynamique des trajectoires du parcours d’entrée en vie adulte permet de montrer la tendance vers une insertion professionnelle et une mobilité résidentielle de plus en plus précoce lors de la période d’entrée en vie adulte alors que la mise en couple et l’entrée en vie féconde sont de plus en plus retardées par les individus lors de la même période. Du fait de l’effet combiné d’une tendance vers la précocité de certaines trajectoires puis d’une tendance vers le report d’autres trajectoires, on assiste à un écartèlement de l’entrée en vie adulte. La durée du parcours d’entrée en vie adulte s’allonge donc au niveau des individus de la cohorte jeune comparativement aux individus de la cohorte des aînés : il y a donc un fossé qui se crée entre les générations.

Les trajectoires ainsi analysées de façon séparée ne permettent pas pour autant d’émettre des conclusions holistiques, sur la dynamique des modèles empiriques de parcours d’entrée en vie adulte à travers les cohortes. C’est pour cela que dans le dernier chapitre nous essayons de réaliser une typologie des parcours d’entrée en vie adulte puis d’analyser leur diversité et leur spécificité, ainsi que la dynamique des supports et soutiens sociaux (régulation sociale) qui sont à l’œuvre à travers les générations.

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Chapitre 7 : Essai de typologie des parcours d’entrée en la vie adulte

Les analyses que nous effectuons jusqu’ici concernent les trajectoires des parcours d’entrée en vie adulte. L’ambition de notre recherche est aussi d’appréhender les parcours d’entrée en vie adulte dans leur ensemble. Cet essai de typologie vise alors à permettre de résumer et d’étudier les parcours en tant qu’unité d’analyse.

Ce chapitre aborde l’analyse des parcours d’entrée en vie adulte dans une perspective d’interaction des existences humaines. L’utilisation de la notion de parcours, nous permet d’appréhender la dynamique des processus, mais aussi des conditions sociales de production de l’entrée en vie adulte.

Nous commençons d’abord par identifier les variables discriminantes des parcours d’entrée en vie adulte puis nous identifions dans la diversité des séquences individuelles, les régularités et les ressemblances entre les parcours dans le but de construire une typologie des parcours d’entrée en vie adulte. Cette typologie constitue un moyen de décrire les parcours, d’appréhender leur distribution à travers les générations, mais aussi de mieux comprendre les caractéristiques qui structurent les biographies d’entrée en vie adulte des individus en fonction de la cohorte.

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7.1 Construction de l’architecture typologique des parcours d’entrée en vie adulte

La typologie est une classification d’un ensemble d’individus ou de cas présentant des caractéristiques tantôt divergentes, tantôt ressemblantes. Dans le cas d’espèce, chaque individu est identifié à son parcours d’entrée en vie adulte. Le principe de notre typologie est alors de regrouper les individus qui se ressemblent, en sous-groupes homogènes et disjoints. Pour arriver à créer une typologie dont les individus d’un même sous-groupe sont assez semblables entre eux et assez différents des individus des autres sous-groupes, il faut porter une attention particulière sur le choix des variables discriminantes susceptibles de créer à la fois un appariement optimal entre sous-groupes et une homogénéité optimale à l’intérieur de chaque sous-groupe, tout en évitant de tomber dans les excès d’une classification trop réductrice ou d’un appariement en multiples sous-groupes. De ce fait, la typologie est avant tout modelée par la structure des variables discriminantes et des données qu’elle intègre.

C’est l’ensemble des choix opérés en amont de l’analyse, au moment de la sélection de l’information et de sa mise en forme, qui fixe les objets « parcours » et par voie de conséquence, les rapports de proximité qu’ils ont entre eux et donc les classes qui les regroupent (Grelet, 2002, p. 1).

Dans le cadre de notre étude, le choix des variables discriminantes a été fortement inspiré par deux types d’informations. - D’abord, les perceptions que les répondants ont du parcours d’entrée en vie adulte et de son type idéal, supposé normal. - Ensuite, l’analyse que nous faisons précédemment sur les quatre principales trajectoires qui jalonnent le parcours d’entrée en vie adulte.

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Sur la base de ces deux types d’informations, nous avions effectué une relecture de l’ensemble des données collectées. Ce faisant, nous avons identifié quatre transitions clées auxquelles nous relions trois critères discriminants permettant d’apparier les divers parcours individuels.

Les quatre transitions clées concernent la première expérience d’insertion professionnelle, la première autonomie résidentielle (et non la décohabitation), la première mise en couple et la première naissance. Les trois critères discriminants identifiés sont : la temporalité, l’enchaînement des transitions clées et la centralité relative du réseau familial. Chacun des trois critères discriminants identifiés à plusieurs modalités:

- la temporalité La temporalisation est le fait d’inscrire l’observation d’une situation donnée dans un processus dynamique, à travers le temps. La dynamique temporelle du parcours d’entrée en vie adulte d’un individu fait référence non seulement aux temporalités des trajectoires enchâssées, mais aussi au temps historique au sein duquel s’inscrit le parcours individuel. Lorsqu’on observe les données collectées ainsi que les caractéristiques du type idéal de parcours d’entrée en vie adulte, supposé normal, on constate qu’en matière de temporalité, ce qui importe le plus est la durée de temps pendant lequel un individu arrive à réaliser au moins les quatre transitions clées identifiées (première expérience d’insertion professionnelle, première autonomie résidentielle, première mise en couple et première naissance). Trois modalités ont été alors définies pour ce critère:

o Achèvement des quatre transitions clées en 4 ans ou moins o Achèvement des quatre transitions clées en plus de 4 ans et moins de 8 ans o Non-achèvement de toutes les quatre transitions clées, 8 ans après la première

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- l’enchaînement des transitions L’enchaînement des transitions concerne l’ordre de succession des transitions. Cet enchaînement n’est jamais linéaire. Les différentes transitions, événements, bifurcations et états intermédiaires de chaque trajectoire, s’enchevêtrent énormément. Mais pour les fins de la typologie, nous nous intéressons seulement aux quatre transitions clées préalablement identifiées. Selon la perception commune largement partagée par les répondants, quel que soit le genre de l’individu, la première transition professionnelle doit normalement précéder toutes les autres transitions, suivie de l’autonomie résidentielle et de l’entrée en vie de couple qui peuvent être couplées ou interchangées, puis enfin la première naissance. Autrement dit, lorsque l’enchaînement des transitions d’un parcours individuel correspond à l’enchaînement énuméré, on peut dire que ce parcours se réalise suivant la logique d’enchaînement de type idéal des transitions clées.

Deux modalités ont alors été créées pour ce critère:

o enchaînement de type idéal o enchaînement de type autre que celui idéal

- la centralité du réseau familial dans la production du parcours Ce critère est relatif aux ressources, soutiens, supports et encadrements fournis par l’entourage (famille, État, communauté sociale), et qui déterminent ou conditionnent l’évolution du parcours d’un individu dans un sens et non dans un autre. Le recours à la centralité de l’entourage dans la production du parcours permet d’identifier, entre la famille, les institutions publiques et la communauté sociale (groupe de pairs, réseau secondaire, groupement d’entraide, etc.), lequel détermine ou conditionne en premier lieu l’ensemble du parcours d’entrée en vie adulte de chaque répondant. Compte tenu du fait qu’au niveau des perceptions et des valeurs, on appréhende encore une centralité absolue ou une centralité relative du réseau familial dans l’encadrement et la construction du type idéal de parcours, nous essayons ici de repérer dans chaque récit empirique, si en termes de soutiens, supports et encadrement du parcours, le réseau familial

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(régulation familiale) occupe la place la plus importante (centralité absolue), l’une des places les plus importantes (centralité relative) ou aucune place (non-centralité). Deux modalités sont alors reliées à ce critère de typologie:

- centralité absolue du réseau familial - non-centralité absolue du réseau familial (c'est-à-dire centralité relative ou non- centralité)

En arrimant l’ensemble des modalités des trois critères de typologie, il est possible d’aboutir à une architecture typologique en 12 sous-groupes comme le montre le tableau 17.

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Tableau 17: Architecture typologique des parcours d’entrée en vie adulte

Temporalité du Enchaînement des Centralité du réseau Type de parcours transitions clées familial dans la parcours production du parcours Enchaînement de type Centralité absolue du Type 1 idéal réseau familial Achèvement des Non-centralité absolue du Type 2 quatre transitions réseau familial clées en 4 ans ou Enchaînement de type Centralité absolue du Type 3 moins autre que celui idéal réseau familial Non-centralité absolue du Type 4 réseau familial

Enchaînement de type Centralité absolue du Type 5 Achèvement des idéal réseau familial quatre transitions Non-centralité absolue du Type 6 clées en plus de 4 réseau familial ans et moins 8 ans Enchaînement de type Centralité absolue du Type 7 autre que celui idéal réseau familial Non-centralité absolue du Type 8 réseau familial

Enchaînement de type Centralité absolue du Type 9 Non-achèvement idéal réseau familial de toutes les quatre Non-centralité absolue du Type 10 transitions clées, 8 réseau familial ans après la Enchaînement de type Centralité absolue du Type 11 première transition autre que celui idéal réseau familial Non-centralité absolue du Type 12 réseau familial

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L’architecture typologique ainsi obtenue, permet d’articuler plusieurs dimensions afin d’aboutir à la définition des grands schèmes de parcours d’entrée en vie adulte. Cette typologie tient compte à la fois de l’enchaînement des transitions clées, de la temporalité du parcours et des conditions sociales de productions des parcours.

Il faut préciser qu’une fois que tous les individus ont été appariés dans les types qui conviennent, nous avions réduit par la suite l’effectif des sous-groupes (types) en regroupant certains types qui se révèlent très peu distants l’un de l’autre au regard des caractéristiques des parcours individuels qui s’y retrouvent. Les caractéristiques des parcours classés dans chaque type ainsi obtenues, nous permettent enfin d’attribuer des dénominations significatives et expressives à chaque type.

7.2 Diversité des parcours d’entrée en vie adulte dans la ville de Cotonou

La démarche typologique que nous empruntons se base sur l’architecture typologique précédemment présentée pour styliser les parcours individuels, améliorer leur compréhension puis réduire leur complexité en proposant des résumés synthétiques à partir des caractéristiques nodales des parangons. L’analyse des entretiens à partir des dimensions de l’architecture typologique révèle que l’agencement de ces dimensions donne lieu à différentes configurations de parcours d’entrée en vie adulte. Nous avions d’abord apparié les individus dans les douze (12) types initiaux. En essayant ensuite de dégager les éléments de cohérence interne aux discours de nos répondants ainsi répartis dans les douze (12) sous-groupes, nous avons pu regrouper certains sous-groupes en vue de finaliser la construction de la typologie par l’attribution d’une dénomination significative et expressive à chacun des sous-groupes finaux.

Le tableau 18 présente les modalités des variables typologiques, ainsi que les sept (7) sous- groupes finaux retenus et leurs dénominations. 225

Tableau 18 : Les types de parcours d’entrée en vie adulte identifiés

Temporalité du Enchaînement des Centralité du réseau Type de parcours transitions clées familial dans la parcours production du parcours Enchaînement de type Centralité absolue du Ritualiste idéal réseau familial Achèvement des Non-centralité absolue du Harmoniste quatre transitions réseau familial clées en 4 ans ou Enchaînement de type Centralité absolue du Expérientiel moins autre que celui idéal réseau familial Non-centralité du réseau Autonomiste familial

Enchaînement de type Centralité absolue du Pseudo Achèvement des idéal réseau familial ritualiste quatre transitions Non-centralité absolue du Harmoniste clées en plus de 4 réseau familial ans et moins 8 ans Enchaînement de type Centralité absolue du Expérientiel autre que celui idéal réseau familial Non-centralité absolue du Autonomiste réseau familial

Enchaînement de type Centralité absolue du Pseudo Non-achèvement idéal réseau familial ritualiste de toutes les quatre Non-centralité absolue du Atypique transitions clées, 8 réseau familial ans après la Enchaînement de type Centralité absolue du Atypique première transition autre que celui idéal réseau familial Non-centralité absolue du Erratique réseau familial

Notre typologie comporte finalement au total sept (7) types de parcours d’entrée en vie adulte, allant du parcours ritualiste au parcours erratique. Nous nous intéressons dans la

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suite à la description des principaux traits caractéristiques de chacun des sept (7) types de parcours d’entrée en vie adulte que l’exercice de typologie nous permet ainsi d’identifier.

- Parcours ritualiste Dans le sens commun, un rite désigne à la fois des actes et des gestes qui ont un caractère répétitif, presque tombé dans une forme d’instinct, que l’on opère, en référence à un ensemble de valeurs et de normes, représentant un idéal social. C’est justement ce caractère idéaliste, qui confère au rite sa force et sa perpétuation à travers le temps.

Le rituel se reconnaît à ce qu’il est le fruit d’un apprentissage, il implique donc la continuité des générations, des groupes d’âge ou des groupes sociaux au sein desquels ceux-ci se produisent. (Segalen, 2000, p.20).

La ritualisation du parcours consiste à exécuter de façon symbolique, à travers les séquences du parcours d’entrée en vie adulte, des actes, des décisions et des choix qui s’inscrivent dans un processus répétitif concentré dans le temps et faisant recours aux valeurs, aux normes et aux pratiques généralement reconnues comme idéal typique dans la société. Le parcours ritualiste est donc caractérisé par une matérialisation empirique du système de valeurs et de normes dominantes dans la société. Ce système de normes et de valeurs est sans contredit, très proche de celui qui gouverne le type idéal de parcours d’entrée en vie adulte, supposé normal.

Dans cette perspective, un parangon de ce type de parcours réalise d’abord sa première expérience d’insertion en emploi avant d’accéder à l’autonomie résidentielle qui peut précéder ou succéder sa première mise en couple, pourvu que l’écart maximum de temps entre ces deux transitions soit d’environ deux années. Vient enfin la première naissance. L’enchaînement des quatre transitions clées se réalise toutefois dans un intervalle de temps maximum de quatre années. L’ensemble des séquences du parcours d’entrée en vie adulte reste largement guidé, aidé, et appuyé par les membres du réseau familial. Cela n’occulte pas le fait que l’individu puisse entrer selon le cas, en interaction favorable et se faire 227 appuyer par son réseau communautaire (lien de participation élective) ou des politiques publiques (politique d’emploi pour les jeunes, recrutement dans la fonction publique, bourse universitaire, etc.). Si lien de participation élective et lien civique encadrent et supportent le parcours individuel d’entrée en vie adulte, on note toutefois de façon claire que c’est la régulation familiale qui conserve une centralité absolue dans le séquençage, l’enchaînement et la temporalité du parcours d’entrée en vie adulte. Lien civique et lien de participation élective ont alors une centralité relative.

- Parcours harmoniste Globalement, un parcours de type harmoniste reste empreint d’une volonté d’éviter le conflit entre l’individu et l’entourage, même si le parcours s’écarte parfois considérablement des normes et valeurs sociales, largement admises dans la société. Le parcours harmoniste adhère plus ou moins aux normes et valeurs sociales prépondérantes. Il se caractérise en effet, par un enchaînement de type idéal des transitions clées se déroulant dans un intervalle de temps inférieur ou égal à 8 années. Autrement dit, ce parcours se différencie du parcours ritualiste soit par une temporalité plus longue, soit par la centralité relative du réseau familial.

Un parangon de ce type de parcours se caractérise par la prédilection qu’il accorde à l’insertion professionnelle et l’autonomie résidentielle au détriment de la mise en couple et de la naissance. Même si le parcours suit l’enchaînement de type idéal, il s’étire dans la durée, puisque première mise en couple et première naissance sont décalées et se réalisent souvent au-delà de quatre années après la première expérience d’insertion professionnelle, sans pour autant excéder 8 années. Chez certains individus l’ensemble des quatre transitions clées se réalise dans un intervalle de temps de quatre ans au maximum. Chez ces derniers, le parcours commence toujours par une première expérience d’insertion en emploi. L’autonomie résidentielle est reportée et survient après une période de vie de couple (sans cohabitation des conjoints) relativement longue (1 à 3 années), puis vient enfin

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la première naissance. Le plus souvent, c’est l’arrivée de la première grossesse qui vient déclencher l’autonomie résidentielle.

L’objectif de l’individu harmoniste n’est pas juste de réussir son parcours d’entrée en vie adulte, mais de réussir le mieux possible selon sa vision de la vie. Il y a dans ce type de parcours quelque chose d’égoteliste, tout comme un « égoïsme » qu’on pourrait qualifier de « rationnel » en ce sens que l’individu poursuit d’abord l’objectif de la recherche d’un emploi et d’une résidence suffisamment confortable avant de vivre sous le même toit avec son (sa) « conjoint (e) » et d’avoir des enfants. Il essaye toutefois de rassurer l’entourage sur ces projets de mise en couple et de vie féconde, ce qui passe parfois par une vie amoureuse dont tout le monde est au courant, mais qu’il met du temps avant de concrétiser véritablement.

Dans cette perspective, le réseau familial n’a pas une centralité absolue, mais plutôt une centralité relative dans la production du parcours. C'est-à-dire que l’entourage familial constitue un des supports et des appuis de l’individu, sans toutefois être le plus prépondérant. La régulation familiale est l’une des plus importantes, mais pas la plus importante. L’individu reste donc largement ouvert à d’autres écosystèmes sociaux (groupe de pairs, groupement professionnel, etc.), puis harmonise lien de filiation et lien de participation élective, valide les orientations suggérées par eux et réalise ses choix sans pour autant créer des conflits ouverts. Le parcours harmoniste est donc caractérisé par une grande flexibilité et une prudence accrue. Si l’individu ne refoule pas les injonctions du système de normes et de valeurs sociales, il reste cependant sélectif, aménage lui-même son séquençage en tenant compte de la cohésion entre ces valeurs personnelles et les valeurs sociales. Il accorde donc une importance aux finalités et à l’utilité sociale que lui procure chaque type de réseau ou d’entourage; l’essentiel étant de réussir à négocier et à trouver un compromis avec le réseau familial ainsi que l’entourage pour éviter d’éventuels conflits.

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- parcours expérientiel Le parcours expérientiel est assez particulier en ce sens qu’il est fortement influencé par les expériences que l’individu réalise au fur et à mesure de son parcours. Le parcours emprunte aux expériences antérieures et modifie l’itinéraire des expériences ultérieures. Comme le témoigne un répondant : « les conséquences corrigent mieux que les conseils ». Paradoxalement, le réseau familial a une centralité absolue dans la production de ce type de parcours. Le parcours expérientiel est caractérisé par un contact et une communication entre l’individu et son entourage à l'intérieur duquel se joue sans cesse le principe de l'interaction entre les conditions objectives de l'environnement et les états subjectifs de la personne. Au regard de ces expériences personnelles souvent éprouvantes surtout lors des toutes premières transitions, l’individu remet en question certaines valeurs et conduites prises auparavant pour acquises pour construire progressivement son identité.

La principale caractéristique d’un parangon de parcours de type expérientiel est que le réseau familial garde une centralité absolue dans la définition du parcours même si la relation entre l’individu et l’entourage familial oscille entre conflit, négociation et compromis. Même si l’enchaînement est de type autre que celui idéal et que les quatre transitions clées se déroulent dans un intervalle de temps inférieur ou égal à 8 années, le réseau familial reste mobilisé autour de l’adulte en devenir pour sauver l’honneur et éviter d’aggraver déjà ce qui est perçu comme un « solécisme social » (grossesse avant mise en couple par exemple, mise en couple avant insertion résidentielle, plusieurs mise en couple successivement, etc.). Par choix ou accidentellement, le parcours débute souvent par une mise en couple ou une grossesse et parfois même par une autonomie résidentielle instable et une insertion professionnelle précoce du fait de désaccord avec le réseau familial. Par la suite, l’individu tente de reprendre un parcours apparemment conforme aux injonctions sociales. Dans cette tentative, il se retrouve dans une période caractérisée d’une part, par des états intermédiaires notamment en ce qui concerne la mise en couple et les naissances, et d’autre part, par une suite de multiples bifurcations au niveau d’une ou de plusieurs trajectoires. Le parcours expérientiel est stimulé par l’interpellation du réseau familial, mais

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il procède en dernier ressort à un séquençage du parcours qui reflète les leçons tirées de ses propres expériences et de ses échecs.

- parcours autonomiste Le parcours autonomiste s’apparente à une forme de radicalisation du parcours expérientielle où, par choix, par manque de ressources financières ou encore pour des raisons de décès d’un ou des deux parents, le réseau familial n’occupe pas une centralité absolue, dans le déroulement du parcours. En effet, le parcours autonomiste revendique clairement une indépendance sociale préjudiciable au système de normes et valeurs communautaires. Dans cette perspective, le parcours ne se déroule pas suivant l’enchaînement de type idéal des transitions clées.

Un parangon de ce type de parcours est caractérisé par une centralité relative des liens de participation élective, des liens de filiation et des liens civiques et parfois par une centralité absolue des liens de participation élective. L’enchaînement des transitions est autre que celui de type idéal et les quatre transitions clées se déroulent dans un intervalle de temps inférieur ou égal à 8 années. L’objectif de l’autonomiste est après tout, de devenir autonome, voire indépendant, peu importe que cela soit à travers l’insertion professionnelle, l’autonomie résidentielle, la mise en couple ou la naissance. Le parcours est ponctué par de multiples bifurcations et parfois plusieurs états intermédiaires au niveau d’une ou de plusieurs trajectoires. Cependant, on constate que, lorsque les ressources et les appuis offerts par l’entourage (familial, communautaire ou civique) sont consistants et conformes aux valeurs de l’individu, la temporalité du parcours se réduit considérablement pour que les quatre transitions clées puissent tenir dans l’intervalle de quatre années. A contrario cette temporalité s’allonge lorsque l’individu a accès à des supports et des soutiens insuffisants et/ou non conformes à ces désirs personnels. Dans tous les cas, l’ensemble des quatre transitions clées, se réalise sur une période de temps inférieure ou égale à 8 ans.

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- parcours pseudo ritualiste Le parcours que nous dénommons pseudo-ritualiste est un parcours qui présente plusieurs affinités avec le parcours de type ritualiste. Nous avons même à un moment donné feint de mettre ces deux types de parcours ensemble. Cependant, en relisant les récits des individus classés dans les deux types (ritualiste et pseudo-ritualiste) de parcours, il apparaît sans contredit que le parcours pseudo-ritualistes est fortement marqué par beaucoup plus de bifurcations et d’états intermédiaires que le parcours ritualiste. Cette caractéristique particulière des parcours pseudo-ritualiste, traduit au niveau du réseau familial, une raréfaction des ressources financières et des circuits de connaissances et de promotion sociale, disponibles. Même si globalement, l’enchaînement des transitions clés s’effectue selon l’enchaînement de type idéal, il est pris en otage entre les injonctions du système de valeurs et de normes dominantes et les contraintes socio-économiques réelles. Cette situation engendre de multiples bifurcations et états intermédiaires qui inscrivent le parcours dans une temporalité longue : les quatre transitions clées se réalisent toujours dans un intervalle de temps supérieur à quatre années. Le réseau familial a une centralité absolue dans le déroulement du parcours, même si ce réseau ne fournit pas toujours à l’individu les ressources et les moyens nécessaires. Cela étant, l’individu a un univers relationnel assez enchâssé allant au-delà du cercle familial. Puisque le soutien venant notamment du lien civique n’arrive pas à suppléer au déficit du soutien accordé par le réseau familial, l’individu n’a pas les moyens et les outils suffisants pour enchaîner les transitions dans une temporalité similaire à celle d’un parcours ritualiste.

Un parangon de ce type de parcours réalise d’abord sa première expérience d’insertion en emploi avant d’accéder à l’autonomie résidentielle qui peut précéder ou succéder à sa première mise en couple. Vient enfin la première naissance. L’insertion professionnelle reste donc la priorité en termes de première transition, mais peut se voir déclenchée par une grossesse non désirée alors que l’individu n’était pas en couple. Chômage parfois répétitif et prolongé, retard de la première mise en couple et de la première naissance, choix de conjoint non accepté par le réseau familial, échec de mise en couple, séparation totale,

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remise en couple et parfois recohabitation familiale, contribuent à inscrire le parcours dans une temporalité relativement longue. L’ensemble des quatre transitions clées se réalise alors dans un intervalle de temps qui se situe entre 4 et 10 années (souvent entre 4 et 8 ans et rarement entre 8 et 10 ans). L’ensemble des séquences du parcours d’entrée en vie adulte reste largement guidé, aidé, et appuyé par les membres du réseau familial. L’individu entre aussi en interaction avec son réseau communautaire ou des groupes de pairs, etc., pour diversifier ses sources de recours et de soutiens, mais il fait très peu référence au lien civique. Le réseau familial conserve une centralité absolue dans le séquençage, l’enchaînement et la temporalité du parcours d’entrée en vie adulte.

- parcours atypiques Les types de parcours que nous réunissons dans ce sous-groupe sont atypiques puisqu’il s’agit de formes particulières de parcours empreints d’indicateurs de modernité et de conditions socio-économiques difficiles et dont le séquençage révèle des incohérences apparentes. L’insertion professionnelle est la première transition au niveau de ce type de parcours. Du fait de nombreuses bifurcations et états intermédiaires au niveau de la trajectoire d’insertion professionnelle, on note que plus de 8 ans après la toute première des transitions clées, l’individu n’a pas encore réalisé l’ensemble des transitions. Le plus souvent, c’est la première naissance qui est largement retardée, même si l’individu connaît une mise en couple. Réseau familial, lien civique et lien de participation élective occupent tous une centralité relative dans le déroulement du parcours de l’individu avec parfois une centralité absolue pour l’entourage familial.

Un parangon de ce type de parcours connaît soit un enchaînement de type idéal, mais avec une centralité relative du réseau familial, soit un enchaînement de type autre que celui idéal, avec une centralité absolue du réseau familial. Quelle que soit l’option empruntée, 8 ans après la première transition clée, l’individu n’a toujours pas connu l’ensemble des quatre transitions clées. 233

On retrouve ce type de parcours souvent chez les personnes qui cumulent les diplômes, saisissent les rares opportunités de bourses et deviennent des scolarisés au « cou long ». Ils sont des élitistes, avec une perspective idéaliste de l’insertion professionnelle, accèdent à des emplois temporaires relativement bien rémunérés parfois, mais reportent l’entrée en vie de couple au profit de la poursuite des études et évitent d’avoir un enfant avant d’avoir une situation professionnelle relativement stable. Ces individus enchaînent plusieurs programmes d’étude, afin de repousser les frontières du chômage, puisque le marché de l’emploi présente pour eux des barrières à l’entrée. Ils ont accès à des ressources financières tantôt par le biais parfois d’emplois temporaires (parfois sous-emploi), parfois grâce aux bourses d’études ou parfois grâce aux aides fournies par le réseau familial ou les amis. Cependant, l’autonomie résidentielle proprement dite survient presque toujours assez tardivement. Le parcours atypique ressemble donc à une forme de bricolage véritable de la vie sociale. On peut d’ailleurs remarquer que l’atypique ressemble à une sorte de mélange entre le pseudo-normatif et l’expérientiel.

- Erratique La particularité du parcours erratique est que la vie de l’individu s’inscrit dans un contexte de rupture sociale, notamment avec le réseau familial combiné paradoxalement à un développement assez restreint de liens de participation élective. Le parcours ressemble vraiment à celui d’un aventurier, individualiste et très souvent déviant (expérience de la prison, prostitution, activités suspectes, grossesse non assumée, etc.). Le récit biographique et les informations sociologiques collectées sur ces types de parcours révèlent un enchaînement des transitions clées dont le type est toujours différent de celui idéal. De plus, le réseau familial n’a ni une centralité absolue, ni une centralité relative dans le séquençage et le déroulement du parcours.

L’expérience d’insertion en emploi n’est jamais la première des transitions clées à être réalisée. Le parcours reste fortement marqué par de multiples bifurcations notamment au niveau de la trajectoire résidentielle. Décohabitation, cohabitation et « récohabitation » se 234

succèdent sans que l’on observe un état de véritable autonomie résidentielle à un moment donné. Plus de 8 ans après la toute première des transitions clées, l’individu peine encore à obtenir une réelle autonomie résidentielle et n’a parfois pas vécu encore une mise en couple, alors qu’il a parfois déjà un ou plusieurs enfants, souvent abandonnés à la charge de l’autre parent. S’il a connu une mise en couple, il s’agit toujours d’une mise en couple difficile, ponctuée de séparations momentanées, de retour en couple, de séparations totales puis d’une nouvelle remise en couple ou non.

Le tableau 19 permet de faire une synthèse des principales caractéristiques nodales de chaque type de parcours.

Tableau 19 : Synthèse des principales caractéristiques nodales de chaque type de parcours

Type de Synthèse des principales caractéristiques nodales parcours Ritualiste - Enchaînement de type idéal des transitions clées se déroulant dans un intervalle de temps égal ou inférieur à 4 ans - Centralité absolue du réseau familial dans la production de ce type de parcours - Centralité relative du lien civique et du lien de participation élective Harmoniste - Enchaînement de type idéal des transitions clées se déroulant dans un intervalle de temps inférieur ou égal à 8 années. - Prédilection de l’insertion professionnelle et possibilité de vie de couple sans cohabitation des conjoints - Centralité relative du réseau familial et du lien de participation élective Expérientiel - Enchaînement de type autre que celui idéal, où les quatre transitions clées se déroulent dans un intervalle de temps inférieur ou égal à 8 années - Centralité absolue du réseau familial Autonomiste - Enchaînement de type autre que celui idéal et les quatre transitions clées se déroulent dans un intervalle de temps inférieur ou égale à 8 années

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- Centralité relative du lien de participation élective, du lien de filiation et du lien civique et parfois centralité absolue du lien de participation élective Pseudo - Enchaînement de type idéal des transitions clées se déroulant dans un ritualiste intervalle de temps toujours supérieur à 4 ans et inférieur ou égal à 10 ans - Report de la première mise en couple et surtout de la première naissance - Centralité absolue du réseau familial, centralité relative du lien de participation élective Atypique - Enchaînement de type idéal, mais avec une centralité relative du réseau familial, ou enchaînement de type autre que celui idéal avec une centralité absolue du réseau familial. - 8 ans après la première transition clée, l’individu n’a toujours pas connu l’ensemble des quatre transitions clées. - Réseau familial, liens civiques et liens de participation élective occupent toute une centralité relative dans le déroulement du parcours de l’individu avec parfois une centralité absolue pour l’entourage familial. Erratique - Enchaînement de type autre que celui idéal - L’insertion en emploi n’est jamais la première des transitions clées - Huit ans après la première transition clée, l’individu n’a toujours pas connu l’ensemble des quatre transitions clées. - Le réseau familial n’a ni une centralité absolue, ni une centralité relative

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7.3 Dynamique des grands schèmes de parcours d'entrée en vie adulte à travers les générations : relativiser l’idée de ritualisation des parcours au niveau de la cohorte des aînés et circonscrire la pluralisation des parcours au niveau de la cohorte des jeunes

Après cet exercice de classification typologique, nous procédons ici à l’analyse de la distribution des types de parcours d’entrée en vie adulte selon la cohorte et le sexe puis, nous en déduisons un certain nombre de principales conclusions.

La figure 14 fournit une représentation de la distribution des types de parcours identifiés selon le genre et la cohorte des répondants. Cette figure permet d’observer qu’il y a une diversité de parcours que ce soit au niveau des groupes d’individus de même genre ou de même génération, même si certains types de parcours ont tendance à prédominer au sein de chaque catégorie de genre ou de génération.

Le tableau 20 quant à lui, nous permet de récapituler l’ensemble des informations fournies par la figure 14.

Au niveau des répondants de la cohorte des jeunes, les parcours de type ritualiste et atypique ont tendance à prédominer chez les répondants de sexe féminin alors que chez les répondants de sexe masculin, ce sont les parcours de type pseudo-ritualiste et harmoniste qui ont tendance à prédominer.

Chez les répondants de la cohorte des aînés, on constate que les parcours de type ritualiste et expérientiel ont tendance à prédominer aussi bien chez les répondants de sexe masculin que ceux de sexe féminin.

237

Figure 14 : distribution des types de parcours selon le genre et la cohorte

7

Ritualiste 6

Harmoniste 5

Expérientiel 4

Autonomiste 3

pseudo ritualiste 2

Atypique 1

Erratique 0 Jeune fille Jeune Homme Femme Aîné Homme Aîné

238

Tableau 20 : Récapitulatif des types de parcours selon le genre et la cohorte

Grands schèmes de parcours Jeune Jeune Femme Homme Total d'entrée en vie adulte fille Homme Aînée Aîné général Ritualiste 5 2 4 4 15 Harmoniste 3 5 1 9 Expérientiel 1 1 3 3 8 Autonomiste 1 1 4 Pseudo-ritualiste 7 2 2 9 Atypique 5 3 1 9 Erratique 1 1 Total 15 20 9 11 55

On remarque aussi indépendamment des cohortes, que les parcours des répondants de sexe masculin se dispersent toujours dans beaucoup plus de catégories que les parcours des répondants de sexe féminin. Cette tendance est particulièrement frappante chez les individus de sexe masculin de la cohorte des jeunes dont les parcours se distribuent dans l’ensemble des sept catégories de parcours identifiées.

L’ensemble de ces constats inspire un certain nombre d’analyses et de commentaires que nous abordons dans la suite.

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7.3.1 Ritualisation relative des parcours d’entrée en vie adulte au sein de la cohorte des aînés

La ritualisation des parcours de vie fait référence à la standardisation des parcours et à la reproduction de nouvelles formes de rites de passage en milieu urbain. La conceptualisation de la standardisation des parcours a été l’œuvre de recherches notamment menées dans des contextes occidentaux. Selon, les travaux de Schumacher et al., (2006), les parcours sont standardisés à partir du moment où le calendrier du passage de l’enfance à l’âge adulte et l’enchaînement des principales étapes de la vie représentent une norme sociale largement admise (premier emploi, départ du foyer parental, premier mariage et enfants, et répartition des tâches). De ce fait, la standardisation repose sur un ensemble de marqueurs ou de premières fois, vécus dans un cadre temporel linéaire, selon un enchaînement d’événements prévisibles et organisés sous la régulation d’institutions communautaires et familiales d’une part et sous la régulation d’institutions modernes (notamment État, école, armée, marché capitaliste du travail, assurances sociales, etc.) d’autre part.

Pour adapter cette définition à notre contexte, on peut dire que l’entrée en vie adulte standardisée passe par l’accomplissement successif de chaque transition clée, sous la régulation de diverses institutions, dont en premier lieu l’institution familiale.

Trois éléments clés permettent alors de définir la ritualisation ou la standardisation : l’institutionnalisation, la synchronisation et la « chronologisation ».

L’analyse des parcours d’entrée en vie adulte au sein de la cohorte des aînés, montre que les parcours des femmes sont majoritairement (à plus de 75 %) de type ritualiste et expérientiel et que certaines femmes (à peine 25 %) de la cohorte ont des parcours de type pseudo-ritualiste. La même tendance majoritaire (environ 65 %) orientée vers les parcours

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de type ritualiste et expérientiel se dessine aussi pour les hommes de la cohorte des aînés avec cependant, une proportion (35 %) d’hommes de la cohorte des aînés dont les parcours sont soit pseudo-ritualiste, soit harmoniste, ou atypique.

Ces résultats révèlent deux significations empiriques importantes. D’abord, il semble que les parcours d’entrée en vie adulte au sein de la cohorte des aînés se déroulent suivant une synchronisation et une « chronologisation » peu variables (entre le type ritualiste et expérientiel) chez une majorité relative (70% environ) des répondants de cette cohorte. Ensuite, cette tendance permet de réfuter l’hypothèse des modes sexués de parcours d’entrée en vie adulte (Battagliola, 2001) au sein de la cohorte des aînés, puisqu’au regard des résultats, l’entrée en vie adulte se déroule majoritairement suivant deux types de parcours (ritualisme et expérientiel) et ceci que ce soit au niveau des répondants de sexe féminin ou des répondants de sexe masculin.

S’il est vrai que l’analyse de nos résultats permet d’appréhender une tendance prépondérante vers la ritualisation des parcours chez les individus de la cohorte des aînés, il semble que cette ritualisation n’est pas aussi largement généralisée qu’on aurait pu penser. De plus, au regard des caractéristiques conceptuelles de la ritualisation que nous avons préalablement évoquées, il y a un certain nombre de distinctions qu’il faut apporter pour mieux clarifier cette tendance à la ritualisation des parcours d’entrée en vie adulte au sein de la cohorte des personnes nées entre 1945 et 1960 dans le contexte Cotonois.

En effet, à la faveur de l’urbanisation et plus globalement de la modernité, les rites traditionnels de passage en vie adulte ont perdu énormément de terrain, en témoigne le peu de référence que les répondants, même les plus âgés y font. Cependant, la perception d’un modèle idéal de parcours d’entrée en vie adulte, supposé normal a perduré au sein de la cohorte des aînés grâce à l’implantation en milieu urbain de réseaux familiaux et communautaires sur fond de rapports traditionnels, garantissant la reproduction et la perpétuation de marqueurs sociaux et de l’horloge sociale d’entrée en vie adulte. Par le 241 biais du service militaire, de l’interdiction de certains rites initiatiques et de passage, de l’octroi de bourses d’études et des recrutements systématiques des diplômés dans la fonction publique, l’État béninois a aussi contribué à renforcer ce modèle idéal de parcours d’entrée en vie adulte, adapté aux nouvelles réalités nationales et urbaines intervenues dans les années 1970. Il s’agit donc ici d’une institutionnalisation particulière de l’entrée en vie adulte, dans laquelle, lien civique et lien de participation élective viennent en soutien au réseau familial, qui représente toujours, l’institution par excellence de régulation sociale. L’institutionnalisation des parcours de vie a été appréhendée par plusieurs auteurs (Evans- Pritchard, 1968 [1937] ; Kohli, 1986), comme étant un « ensemble de règles qui organise une dimension-clé de la vie » (Kohli, 1986, p. 272). Dans cette perspective, les parcours sont intégralement normatifs et standardisés chez l’ensemble des individus.

Selon Lalive d’Epinay et al., 2005a, Ces modèles consistent, d’une part, en des systèmes de normes et d’allocation de ressources prenant la forme de profils de carrière et de statuts d’âge, ainsi que de transitions généralement associées à des âges typiques; d’autre part, en un ensemble de représentations collectives et de références partagées. Ils constituent l’une des médiations centrales entre le système socioculturel et les individus (Lalive d’Epinay et al., 2005a, p. 201).

Sur le plan empirique, nos résultats montrent que l’ensemble des individus de la cohorte des aînés n’inscrit pas leur parcours d’entrée en vie adulte dans le cadre d’un modèle unique. En effet, une relative majorité d'individus de la cohorte des aînés (environ 40%) sont passés par une série de phases familiales, résidentielles et professionnelles ordonnées quasiment de la même manière et relevant du modèle ritualiste. Ce constat amène donc à nuancer les propos et en premier lieu à relativiser l’idée d’une ritualisation poussée des parcours d’entrée en vie adulte au niveau des individus de la cohorte des aînés, idée nostalgique pourtant très populaire dans l’imaginaire et même dans certains travaux. Au niveau des individus de la cohorte des aînés, le modèle ritualiste et standardisé de

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franchissement des étapes marquant le parcours d’entrée dans la vie adulte est donc certes prédominant, mais ne constitue pas la règle absolue. On constate par ailleurs que, même au niveau des personnes de la génération des aînés dont les parcours d’entrée dans la vie adulte ne sont pas de type ritualiste, la plupart s’inscrivent dans les parcours pseudo-normatif et expérientiel. Autrement dit, environ 90 % des répondants de la cohorte des aînés ont eu un parcours d’entrée en vie adulte soit ritualiste, soit pseudo-ritualiste ou encore expérientiel. S’il est vrai que les parcours pseudo-ritualiste et expérientiel s’éloignent de celui ritualiste sur le plan de l’enchaînement des transitions, il faut dire que ces deux types de parcours sont relativement proches du parcours ritualiste en termes de temporalité, mais surtout en termes de conditions sociales de production. Les trois schèmes prépondérants de parcours d’entrée en vie adulte chez les individus de la cohorte des aînés font tous référence à des soutiens publics ainsi qu’aux réseaux communautaires et aux groupes d’amis, mais restent caractérisés par une centralité forte de la régulation familiale. Cette forme d’institutionnalisation particulière du parcours d’entrée en vie adulte chez les individus de la cohorte des aînés, prône la nécessité de respecter « l’horloge sociale » (Sapin, Spini et Widmer, 2007, p. 112) que chaque enfant en grandissant intériorise en tant que symbole d’une institution sociale et communautaire qui pousse tant bien que mal à une homogénéisation des trajectoires professionnelles, résidentielles et familiales en termes de temporalité et d’enchaînement.

L’hypothèse de l’existence d’une forte pression sociale qui obligerait les individus de la cohorte des aînés à développer une autodiscipline à l’égard des contraintes du temps de l’horloge et du calendrier de passage en vie adulte ne semble donc pas fonctionner à la perfection au sein de la cohorte des individus nés entre 1945 et 1960, comme développé par Elias (1996 [1984]). .

243

7.3.2 Dé-ritualisation et pluralisation évidente de l’entrée en vie adulte au sein de la cohorte des jeunes, mais…

La dé-ritualisation des parcours d’entrée en vie adulte fait référence au concept de « déstandardisation » des parcours et représente le mouvement inverse à la standardisation. Ce mouvement inverse est celui qui voit les principales institutions sociales perdre leur pouvoir organisateur sur les parcours de vie avec comme corolaire la désynchronisation des parcours.

De nombreux travaux réalisés dans le contexte occidental, rapporte que dans le cadre du passage de la société industrielle à celle postindustrielle, désinstitutionalisation et désynchronisation se combinent pour provoquer la « déstandardisation » des parcours d’entrée en vie adulte avec comme conséquence ultime une pluralisation poussée des parcours individuels voire une individualisation et une personnalisation de ces parcours (Schumacher et al., 2006 ; Brückner et Mayer 2005 ; Heinz 2003 ; Gauthier, 2000 ; Beck 1992).

En passant à un type de société post-industriel, les transformations de la société industrielle font que le modèle normatif antérieur du cours de la vie s’érode. Les exigences du premier stade du modèle industriel du parcours de vie sont bouleversées; le calendrier et la synchronisation des principaux événements sont remis en question et les anciennes trajectoires de vie normatives doivent être redéfinies ou même abandonnées. Les parcours de vie se déstandardisent et se pluralisent (Schumacher et al., 2006, p. 154).

En revisitant un certain nombre de travaux (Beck, 2001; Leccardi, 2005a; Leccardi, 2005 b) menés dans des pays occidentaux, on appréhende que le concept de pluralisation des parcours de vie, part de l’hypothèse d'une augmentation significative de la complexité et de la diversité des types de parcours d’entrée en vie adulte au sein d’une même cohorte. Ce

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processus de pluralisation s’accompagne d’un affaiblissement du contrôle social, d’une individualisation des évènements, des transitions et des épreuves de la vie. Cette série de transformations aurait même tendance à créer une hyper-individualisation des acteurs.

Au regard des résultats de l’analyse des données collectées auprès des individus de la cohorte des jeunes, il semble effectivement que dans le cas de Cotonou, on assiste à une tendance vers la pluralisation des parcours d’entrée en vie adulte. Cependant, il s’agit d’un processus de dé-ritualisation et de pluralisation dont il faut préciser les contours puisqu’il ne se conforme pas véritablement au schéma d’individualisation des parcours et d’hyper- individualisation des acteurs évoqué précédemment. En effet, au sein de la cohorte des jeunes, les personnes de sexe féminin ont des parcours variables entre cinq types de parcours en comparaison à trois types chez leurs aînés du même sexe. Au niveau des hommes, il y a une distribution à travers sept types de parcours alors que les hommes de la génération des aînés empruntent généralement l’un ou l’autre de cinq types de parcours d’entrée en vie adulte. Même si le nombre d’« avenues » empruntées par les filles de la cohorte jeune reste inférieur à celui des hommes de la même cohorte, il apparaît que, par rapport à leurs aînés les parcours d’entrée en vie adulte des individus de la cohorte née entre 1975 et 1990, connaissent plus de diversifications. Cette diversification ou pluralisation récente des parcours d’entrée en vie adulte, donne lieu à des parcours de type totalement nouveau. On observe en effet, au sein de la cohorte récente, des parcours, s’inscrivant de plus en plus en marge par rapport aux normes et valeurs sociales prédominantes surtout en ce qui concerne l’enchaînement et la temporalité des transitions. En l’occurrence, les parcours de type erratique et autonomiste ne s’observent pas du tout au niveau de la cohorte des aînés et reflètent des réalités nouvelles ainsi que des transformations sociales sous-jacentes à l’entrée en vie adulte de la jeune cohorte.

Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, la sexualisation des parcours d’entrée en vie adulte apparaît au niveau des individus de la cohorte des jeunes. Alors que chez leurs aînés hommes et femmes empruntent de façon primordiale deux types de parcours (ritualiste et

245 expérientiel), on constate au niveau de la cohorte des jeunes une tendance vers les parcours harmoniste, atypique et ritualiste chez les femmes alors que les hommes s’inscrivent dans des parcours de type pseudo-ritualiste, harmoniste et atypique. Il se produit donc au sein de la cohorte des jeunes, certaines différenciations entre parcours féminins et masculins (Galland, 1996 ; Battagliola, Jaspard et Brown, 1993).

Les transformations sous-jacentes à cette pluralisation des parcours chez les plus jeunes sont à situer à trois niveaux. D’abord, les principaux évènements du cours de la vie se « déchronologisent » de façon relative en se produisant de plus en plus tôt pour certaines trajectoires (insertion professionnelle et résidentielle) et de plus en plus tard pour d’autres (vie féconde et vie de couple). Il y a donc un allongement des parcours, complexifié par des phases d’états intermédiaires et conduisant à les inscrire de plus en plus dans une temporalité plus longue que celle des aînés. Ensuite, les parcours se désynchronisent puisque les transitions ne se succèdent plus en majorité selon un même séquençage d’un individu à l’autre. Ces transitions deviennent même réversibles du fait de nombreuses bifurcations qui entachent l’ensemble des trajectoires et en premier lieu, les trajectoires résidentielles et d’insertion professionnelle. Enfin, il semble que de nouvelles pratiques comme la vie de couple avec résidences séparées, la mise en couple sans mariage, les naissances prénuptiales, les naissances sans mise en couple, la cohabitation parentale de personnes en couple ou en insertion professionnelle, etc. voient le jour ou deviennent de plus en plus fréquentes, remettant ainsi en cause le système de valeurs et de normes préexistant.

Globalement donc, le passage à l’âge adulte devient un processus de plus en plus complexe, flexible, intermittent, pluriel et hétérogène. Les moments et les séquences de ces parcours sont de moins en moins stabilisés, organisés et uniformisés. La réalité sociale semble donc dessiner pour la cohorte née entre 1975 et 1990, de nouvelles conditions sociales auxquelles ils tentent de s’adapter par contrainte ou par choix.

246

Dans un contexte de pluralisation et de transformation de la linéarité relative classique des parcours d’entrée en âge adulte, on pourrait avancer l’hypothèse de l’érosion concomitante de la valeur symbolique et normative des marqueurs et des transitions clées qui caractérisent ces parcours. Cependant, nos résultats ne corroborent pas véritablement cette hypothèse de rupture sociale, en témoigne le fait que certains individus de la cohorte récente ont encore des parcours ritualistes et que les valeurs et la régulation familiales sont encore à l’œuvre dans la production de plusieurs types de parcours d’entrée en vie adulte prépondérants chez les individus de la cohorte des jeunes. En témoigne aussi la fréquence des remords, ainsi que la profondeur des efforts déployés et des actions envisagées par les répondants ayant des parcours non ritualistes, pour se « remettre en bonne voie ».

Cela dit, les transformations dans le passage en vie adulte sont réelles et palpables. Ces transformations concernent principalement comme nous le verrons dans la suite: la régulation sociale et le développement de l’agentivité des individus. Cette pluralisation évidente, mais relative des parcours d’entrée en vie adulte des individus de la cohorte des jeunes est assez proche des travaux de Widmer et al. (2004), qui relèvent l’importance de circonscrire la pluralisation des parcours et de le distinguer de l’individualisation des parcours.

7.4 Articulation entre régulation sociale et parcours d’entrée en vie adulte : Une tendance vers un modèle d’individualisation communautaire tantôt en équilibre tantôt en déséquilibre.

La typologie des parcours de nos répondants montre qu’au sein de la cohorte des jeunes, les parcours d’entrée en vie adulte des femmes sont majoritairement (à près de 85 %) de type ritualiste, harmoniste et atypique, même si quelques femmes (à peine 15 %) ont des parcours de type expérientiel ou autonomiste. Chez les hommes de la même cohorte, les parcours sont majoritairement (à près de 75 %) de type harmoniste, pseudo-ritualiste et 247 atypique avec cependant certains individus (à peine 25 %) qui ont des parcours ritualiste, expérientiel, autonomiste ou erratique.

On observe donc qu’il y a encore des répondants de la génération des jeunes qui s’inscrivent dans des types de parcours assez répandus au sein de la cohorte des aînés. En effet, près de 45 % des répondants de la cohorte jeune, ont des parcours de type ritualiste, ou expérientiel. Lorsqu’on sait que les deux types de parcours précédemment cités sont les plus largement répandus chez les individus de la cohorte des aînés, on réalise alors que les distinctions de type parcours entre les deux cohortes à l’étude sont relatives. Les parcours les plus répandus au sein de la cohorte des aînés ne sont pas présents seulement au sein de cette cohorte. Ces types de parcours se perpétuent au moins partiellement au sein de la cohorte des jeunes, falsifiant ainsi l’hypothèse de la rupture des mécanismes intergénérationnels de transmission des normes et des valeurs, développée au sein de l’école de Chicago (Lipovtsky, 1983). Les parcours de type erratique et autonomiste, qui ont par ailleurs des effectifs marginaux, sont les seuls véritablement nouveaux et qui s’éloignent résolument des types de parcours rencontrés chez les individus de la cohorte des aînés.

Ces résultats apportent des preuves supplémentaires à la transformation des parcours d’entrée en vie adulte qui s’opère au sein de la cohorte récente. L’hypothétique sinistrose de changement intégral des parcours et de rupture générationnelle de la régulation sociale n’est cependant pas empiriquement justifiée. Il semble même que cette sinistrose fortement ancrée dans l’imaginaire populaire fonctionne en premier lieu comme un instrument de régulation sociale.

Malgré la remise en cause de plus en plus fréquente des normes et valeurs prépondérantes en termes d’enchaînement et de temporalité, on note que très peu d’individus de la cohorte des jeunes inscrivent leur parcours dans des modèles qui remettent véritablement en cause

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le rôle structurant de la régulation familiale. En effet, en dehors du parcours de type erratique qui reste cependant très marginal, le réseau familial conserve une centralité absolue ou tout au moins une centralité relative forte dans la conduite du parcours. La régulation sociale d’origine familiale est donc toujours à l’œuvre, mais différemment.

Par conséquent, dé-ritualisation et pluralisation ne signifient pas obligatoirement que les marqueurs sociaux traditionnels et la régulation familiale des parcours sont complètement abandonnés, mais plutôt que leur valeur transitionnelle en tant que marqueurs empiriques s’amenuise et est perçue ou valorisée selon un enchaînement et une temporalité différents.

L’analyse des articulations entre transformations socio-économiques et dynamique des parcours d’entrée en vie adulte, permet de saisir comment malgré les transformations en cours au sein des réseaux de relation et des groupes familiaux, ces derniers opèrent encore comme des instances de régulation sociale et des facteurs de résistance à la non-conformité sociale.

Avec la crise économique des années 1980, on assiste à une mise à mal du système néo- patrimonial béninois où l'appartenance aux réseaux de « l'État rhizome » était elle-même déterminée par l’appartenance aux réseaux communautaires et déterminait l’ascension sociale, rendant ainsi la voie individuelle très coûteuse. Cette érosion des circuits de redistribution clientéliste, conduit à une remise en cause des modes de régulation sociale. Outre ces nouvelles conditions socio-économiques, l’évolution démographique en milieu urbain Cotonois ainsi que la modernité et les nouvelles valeurs véhiculées par l’école et les médias conduisent à un choc des valeurs et appellent à un renouvellement des contours de l’identité et des solidarités. Sollicités à l’extrême, les réseaux communautaires se restreignent dans le but de se maintenir, mais en s’approfondissant et en devenant plus tolérants et plus accommodants.

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Le tarissement des opportunités économiques internes s'est donc combiné à la fin des années 1980 à la baisse des possibilités de commerce sous-régional (notamment en direction du Nigéria), à la modernité, aux transformations démographiques, aux progrès de la scolarisation et à l'assouplissement des modalités de contrôle pour transformer l'option collective et communautaire à Cotonou. On assiste alors dans les années 1990 à la création de nombreux groupements de femmes ou de producteurs, des institutions de microfinance, des organisations de développement villageoises et des Organisations Non Gouvernementales se positionnant comme de véritables courtiers du développement, mais qui sont en fait des réseaux de perpétuation des solidarités communautaires restreintes. On accorde alors de plus en plus d’intérêt aux liens de participation élective, qui s’opèrent cependant, et très souvent par choix et par sélection au sein d’un même réseau communautaire restreint ou de réseaux de filiation proches et deviennent, autant que faire se peut, déterminants dans l’accès aux moyens et aux ressources ascensionnelles. La socialisation secondaire se développe de plus en plus dans ce mode d’approche où les copains et plus globalement les liens électifs jouent un rôle de plus en plus important dans les parcours.

Ce qui change donc ici, c’est que, d’une position de principal facteur déterminant la production des parcours d’entrée en vie adulte, le réseau familial devient de plus en plus l’une des instances de régulation sociale. De nouvelles instances ont vu le jour ou se sont renforcées et l’individu réclame aussi plus d’espace de contrôle. Cependant, la régulation familiale ne s’étiole pas, elle se transforme et se maintient en coexistant avec l’établissement de liens de participation élective, qui eux-mêmes s’établissent principalement sur des critères d’appartenance à des réseaux de filiation élargis. On constate en revanche que le lien civique est de moins en moins évoqué au chapitre des soutiens et des appuis au parcours, même si la scolarisation est en augmentation graduelle, ce qui est révélateur d’une certaine incapacité des politiques publiques à trouver les solutions efficientes pour perpétuer le contrat social et renforcer le lien civique.

250

Entre contraintes réelles et modernité choisie, l’individu se repositionne donc et développe son identité en fonction de ses aspirations, des valeurs prépondérantes de la société et des ressources disponibles. Ce positionnement s’opère encore pour une grande partie des individus au sein d’un univers des « possibles » déterminés par l’ensemble des normes et valeurs portées par la régulation sociale et celle familiale en premier lieu. Dans le même temps, les évolutions historiques élargissent le champ des « possibles » et des « avenues » puisque la structure des contraintes et des opportunités imposent aux institutions sociales une plus grande tolérance dans un contexte nouveau d’individualisation communautaire.

Cependant, cet élargissement de l’univers des « possibles » reste distinct de la règle, fonctionne comme un système d’accommodements temporaires ou de dérogations raisonnables et s’opère dans un processus qui mêle conflits « restructurant », négociations et compromis entre l’individu et son groupe social. L’univers des repositionnements identitaires, lors du parcours d’entrée en vie adulte des individus de la cohorte récente, s’étale de la traditionnelle responsabilisation de l’adulte en devenir à la répréhensible indépendance des adultes en devenir. Mais le lien familial ne semble pas avoir disparu de la sphère relationnelle. On note même des signes de néo-tribalisme avec le repli de l’individu sur sa famille restreinte et son groupe sélectif d’amis et l'approfondissement des relations à l'intérieur de ce cocon relationnel (Maffesoli, 1993). Au fur et à mesure que la réussite du parcours individuel devient la forme dominante de la participation sociale, on voit donc apparaître des formes de néo-communautarisme favorisées entre autres par le sentiment d'être exclu de l'accès à la concurrence (Ehrenberg, 1991).

Au total, il semble donc que d’un modèle communautaire oxillant entre traditionalisme et relationnisme, les individus dans la ville de Cotonou tendent vers un modèle d’individualisme communautaire, tantôt en équilibre (Commaille, 1999, p. 201), tantôt en déséquilibre entre l’individu, la famille et la société. En reprenant la lecture des récits des individus de la génération des aînés, il semble que le modèle communautaire n’y est

251 cependant pas si prépondérant, elle cohabite avec le modèle d’individualisation communautaire, qui est assez prépondérant au sein de la cohorte des jeunes.

Lorsqu’on observe les caractéristiques des types de parcours, notamment ceux de type autonomiste et erratique, on se demande si la transformation de la régulation sociale pousse les tendances identitaires de la jeune cohorte vers l’indépendance.

7.5 De l’agent responsable à l’acteur autonome

La transformation des conditions socio-économiques et démographiques provoque au sein de la société un dilemme désorientant, déclencheur d’un processus d'adaptation global. À société moderniste et instable semble donc correspondre, individualisation communautaire, régulation dérogatoire, solidarité sélective, bifurcation de la circulation de la dette intergénérationnelle et parcours pluriels, instables, voire indépendantistes. Compte tenu du changement du contexte relationnel, la prise en compte de la problématique du conflit identitaire développé par des auteurs comme Tourraine (1992) est donc incontournable dans l’élaboration d’une réflexion sur les dynamiques du passage en vie adulte.

Réseaux familiaux et communautaires ainsi que réseaux culturels, religieux et amicaux, constituent pour les individus de la cohorte récente, un tissu social par lequel se réorganisent et se restructurent dans le contexte urbain, les parcours d’entrée en vie adulte. Ces réseaux véhiculent des normes et valeurs souvent semblables et opèrent dans la mesure du possible comme instruments d'entraide, de recherche d'emploi et de logement pour les jeunes. Tout en s’insérant dans ces réseaux, les jeunes revendiquent de plus en plus des espaces de contrôle et souhaitent être de plus en plus des agents actifs de la fabrique sociale de leurs parcours dans un contexte où la régulation sociale décourage l’indépendance et l’individualisation des parcours. La multiplicité des cercles sociaux implique alors une effervescence sociale propre au nouveau contexte urbain et implique un degré beaucoup 252

plus fort d’interdépendance entre les individus ouvrant ainsi la voie aux conflits identitaires.

Chez les individus de la cohorte des aînés, la ritualisation faisant office de modèle dominant, l’espace du conflit générationnel était limité. En revanche, avec la pluralisation des parcours chez les individus de la cohorte des jeunes, il s’opère des transformations majeures au cœur de la matrice sociale. Le rapport de force entre générations s’accentue aussi, mais la rupture sociale et le repli individualiste ne semblent constituer une option fréquemment explorée. On peut donc dire que pour les deux cohortes à l’étude, le parcours d’entrée en vie adulte est un fait social total (Maus, 1925) qui se déroule dans un contexte d’interdépendance dynamique (Elias 1991) et de réciprocité (Maus, Op. cit.) entre générations, entre régulation sociale et désir personnel.

S’il est vrai que les parcours autonomiste et erratique sont assez marginaux, il est aussi vrai que ces deux types de parcours remettent en cause l’efficacité de la régulation sociale puisqu’ils s’inscrivent dans la recherche de l’indépendance comme finalité du parcours d’entrée en vie adulte. Cependant, dans la majorité des cas, le conflit identitaire débouche sur un processus de négociation et de compromis, favorable à l’autonomisation des individus. Sur le plan sociologique, le concept d’autonomisation permet de sortir d'une analyse principalement intéressée par l'acquisition d'une indépendance socialement répréhensible pour s'ouvrir aux processus d'interdépendance.

La particularité du parcours d’entrée en vie adulte est qu’il marque le passage d’un statut de jeune receveur « dominant » à celui de l’adulte donneur « dominant ». Au sein de la cohorte des aînés, le jeune donneur potentiel se voit assigner un certain nombre de positions et l’entourage relationnel s’occupe de lui fournir les capacités, les compétences et les motivations pour assumer progressivement son nouveau rôle social. Il s’agit là d’un processus de responsabilisation de l’agent qui prend conscience que l’entrée en vie adulte doit se faire suivant des normes et valeurs prépondérantes prédéfinies. Ainsi, l’entrée dans 253 la vie adulte est perçue comme un moyen de se préparer à répondre aux besoins des autres, de la famille, tant en termes de progéniture qu’en termes de rayonnement social et de ressources financières. De ce fait, le processus d’autonomisation au cœur de l’entrée en vie adulte au sein de la cohorte des aînés est une autonomisation « au rabais ».

Pour la cohorte des jeunes, puisque le parcours devient de plus en plus long et plus réversible, et que l’entourage relationnel de même que la circulation des ressources se transforment, le positionnement identitaire aussi change. Désormais l’individu a tendance à devenir d’abord autonome. C'est-à-dire qu’il acquiert une capacité à « répondre de soi », à être en mesure de négocier, de valider par lui les valeurs communautaires qui doivent gouverner sa responsabilisation tout en tenant compte du regard des autres. Le parcours d’entrée en âge adulte se déroule alors dans le souci de « répondre de soi » pour mieux répondre aux besoins des autres sans trop compromettre les objectifs personnels. C’est là toute la subtilité de l’interdépendance dynamique qui s’opère dans le paysage urbain Cotonois. S’il est vrai que, quelques rares individus prennent la voie de l’indépendance (parcours erratique notamment), la grande majorité des individus de la cohorte récente s’installe dans un schéma d’autonomisation.

L’autonomisation des individus de la cohorte des jeunes part du principe que, dans un contexte de démocratie communautaire et de conflit socio-générationnel, chaque individu acquiert plus de capacité de négociation et de décision sur son destin familial, social, économique et professionnel ; l’objectif étant toujours d’éviter à l’individu de devenir un fardeau pour la communauté.

De ce fait, le conflit socio-générationnel n’est presque jamais un conflit permanent. Il devient un conflit « restructurant » du lien social, un produit de la transformation des modes de socialisation et constitue avec les mutations de la solidarité, les nouvelles modalités de rapports intergénérationnels.

254

Conclusion

Cette thèse de doctorat émane d’une volonté de dépasser les perceptions communes et stéréotypées véhiculées, ainsi que les approches parcellaires basées sur les seuils de passage, pour élargir le regard vers les dynamiques qui sous-tendent les parcours d’entrée en vie adulte dans la ville de Cotonou, en tenant compte de la particularité du contexte culturel et socio-économique dans lequel les individus nés entre 1945 et 1960 puis ceux nés entre 1975 et 1990 ont réalisé leurs parcours d’entrée en vie adulte.

Appréhender le parcours d’entrée dans la vie adulte, c’est à la fois rendre compte de la façon dont les jeunes prennent leur place dans différents espaces sociaux que l’on pourrait qualifier d’intégrateurs, mais c’est également saisir le processus par lequel ils se construisent comme personnes, comme adultes en « devenir ».

À travers l’analyse du discours des 75 individus rencontrés dans le cadre de cette recherche (dont 55 lors de la phase de collecte proprement dite), il a été possible de bâtir un modèle conceptuel et méthodologique d’appréhension des trajectoires et des parcours, de dresser un portrait des trajectoires, puis des parcours d’entrée en vie adulte et enfin de cerner l’ancrage social de ces parcours et trajectoires. La lecture dynamique des trajectoires permet de saisir en aval les permanences et les ruptures qui s’opèrent dans les parcours d’entrée en vie adulte d’une génération à l’autre.

La contribution de notre travail à la construction des connaissances peut donc s’observer principalement à trois niveaux : au niveau conceptuel et méthodologique, au niveau de la connaissance empirique et au niveau de la construction théorique.

255

Sur le plan conceptuel et méthodologique, notre approche générationnelle, dynamique et centrée sur la co-construction entre le chercheur et l’acteur nous permet de tracer une piste alternative au « modèle des seuils » (Galland, 1996 ; Antoine et al., 2001), désormais inadapté. Notre approche rend compte en effet, des statuts intermédiaires qui peuvent s'intercaler entre les situations qui relèvent de l’adolescence et de l'âge adulte : emplois temporaires, stages professionnels rémunérés, apprentis-aide rémunérés, vie solitaire, vie en couple hors des liens du mariage, vie en couple sans enfant, célibataire avec enfants, etc. Le travail permet aussi d’apporter des éléments de réponses aux préoccupations de certains auteurs comme Calvès et al. (2006), pour qui les marqueurs « classiques » de l’entrée en vie adulte ne suffisent plus pour rendre compte « des états transitoires flous » qui caractérisent un nombre grandissant de jeunes dans les villes africaines aujourd’hui (Calvès et al., 2006, p. 143).

De façon spécifique, l’analyse des récits biographiques superposés aux données sociologiques collectées sur les parcours d’entrée en vie adulte de nos répondants, nous permet de saisir pour chaque cohorte, à la fois les perceptions des individus, les principaux modèles empiriques de parcours d’entrée en vie adulte, puis d’apprécier le poids des contraintes normatives et des conditions matérielles ou institutionnelles sur la « reproductibilité des parcours ». Les parcours d’entrée en vie adulte ont donc été appréhendés à la fois dans leur dimension ontogénétique, au travers de l’histoire de vie de l’individu et dans leur dimension phylogénétique, c’est-à-dire en termes d’héritage intergénérationnel avec ses continuités, ses ruptures et ses bifurcations.

256

Au total, sept types de parcours d’entrée en vie adulte ont été identifiés : ritualiste, harmoniste, expérientiel, pseudo-ritualiste, autonomiste, atypique et erratique. L’analyse de la distribution des types de trajectoires au sein des catégories de sexe et de génération permet de conclure qu’il y a une tendance vers la pluralisation et la sexualisation des parcours d’entrée en vie adulte. En effet, on note que les parcours féminins et masculins se distinguent fortement au sein de la cohorte des jeunes, alors que chez leurs aînés, le modèle ritualiste prédomine de façon indifférenciée du sexe des individus. On constate aussi qu’il y a une tendance vers la pluralisation relative des parcours d’entrée en vie adulte au sein de la cohorte des individus nés entre 1975 et 1990, alors que l’on décèle une tendance vers la ritualisation relative des parcours au sein de la cohorte des individus nés entre 1945 et 1960. Les parcours d’entrée en vie adulte deviennent donc de plus en plus diversifiés, marqués par des processus de bifurcations et d’états intermédiaires.

Nos résultats de même que plusieurs travaux (recensement général de la population, 1992, 2002, 2013) montrent que la réalité sociale de la cohorte des jeunes est caractérisée par l’amélioration de la fréquentation scolaire, dans un contexte où il y a un allongement des périodes d’études et de formation. Même si les jeunes citadins des cohortes récentes sont en général plus instruits que leurs parents, ils abordent leur entrée en vie adulte dans un contexte économique difficile se traduisant en emploi précoce, en petits boulots, en sous- emploi, en phases répétitives de chômage, d’emplois temporaires, en difficultés d’autonomie résidentielle, le tout parfois combiné à un maintien dans le système scolaire ou de formation professionnelle. On assiste aussi à une modernité qui ouvre la voie à de nouvelles pratiques et de nouvelles valeurs. Ces nouvelles pratiques (nouvelles relations entre individu, famille et société, nouvelles formes de socialisation, prééminence de l’amour dans le couple, précarité des unions, précocité sexuelle, etc.), associées aux transformations socio-économiques et démographiques, poussent de plus en plus l’individu, mais aussi le système social à enclencher un processus de négociation et de compromis, se traduisant par des dérogations raisonnables pour certaines pratiques autrefois plus rares ou inexistantes. De ce fait, la cohabitation hors mariage, le report de la première naissance, le célibat prolongé et la parentalité extraconjugale sont davantage pratiqués et de plus en plus 257 tolérés. D’autres transitions, comme le mariage ou l’arrivée d’un enfant, sont non seulement retardées, mais bien souvent, se caractérisent par une inversion de leur « séquentialité » traditionnelle, voire une disparition de leur interdépendance.

La dynamique sociale qui conduit la société à accorder ces dérogations raisonnables a pour principal « moteur », les conflits sociaux au sens de Bourdieu (1980). En effet, pour Bourdieu, loin d’être statiques, les champs sociaux représentent un espace de conflits structurants. Les acteurs ici représentés par les générations tentent selon leur rang de maintenir ou de transformer l’ordre et les règles sociaux. Bourdieu dira qu’il s’agit d’une « lutte entre les prétendants et les dominants » (Bourdieu, 1980, p. 113). Les premiers emploient des « stratégies de conservation », les seconds des « stratégies de subversion – celles de l’hérésie » (Bourdieu, 1980, p. 115). Le conflit occupe alors une fonction fondamentale dans le champ social, car il ouvre la voie à la négociation et permet à la société de procéder à des transformations nécessaires au sein de la régulation sociale pour s’adapter au temps, aux contraintes et aux réalités actuelles (Touraine, 1992). C’est de cette manière que de nouvelles pratiques peuvent émerger ou devenir socialement tolérées, même si certaines familles demeurent plus conservatrices et d’autres largement plus tolérantes. Notre travail de recherche permet de constater que le résultat de la négociation qui s’engage, entre les générations à propos de la régulation sociale et du modèle d’entrée en vie adulte, n’aboutit ni à une conservation stricte des valeurs et des pratiques les plus répandues chez les aînés, ni à une rupture stricte de la jeune génération avec ces valeurs et pratiques.

Notre travail apporte une contribution nouvelle à la connaissance empirique sur l’entrée en vie adulte dans le contexte ouest-africain. Nos résultats remettent en cause les conclusions de plusieurs études antérieures notamment en ce qui concerne la trajectoire d’insertion professionnelle et la trajectoire résidentielle. En effet, certains travaux antérieurs (Calves et al 2006, Antoine et al., 1992, 2001,) analysant les trajectoires professionnelles à travers les générations, font état d’un recul progressif de l’âge d’accès à l’emploi alors qu’en 258

procédant à une analyse plus large à travers la notion de trajectoire d’insertion professionnelle, nos travaux parviennent à des résultats différents dans la ville de Cotonou. De même, les tendances des trajectoires résidentielles de nos répondants semblent présenter des divergences avec certaines conclusions d’études antérieures (Calvès et al, 2006, Antoine et al., 1992).

Cependant, nos résultats par rapport à la trajectoire de vie féconde et la trajectoire de mise en couple, confirment globalement les résultats des études antérieures. Plusieurs travaux antérieurs rapportent en effet, un recul de l’âge au premier mariage au fil des générations (Hertrich et Pilon, 1997 ; Hertrich et Locoh, 1999 ; Antoine, 2002 ; Tabutin et Schoumaker, 2004, Hertrich, 2007), ainsi qu’une diversification des formes d’unions (union consensuelle, concubinage ou cohabitation hors mariage et parfois même union informelle) et un développement du célibat prolongé (Hertrich, 2007 ; Younoussi et Legrand, 2004 ; Enquête sur les Migrations et Insertion urbaine à Lomé, 2002 ; Calvès, 2007 ; Roth, 2010). D’autres études rapportent aussi un recul sensible de l’âge à la première naissance (Calvès et al., 2007; Mensch et al. 2005 ; Mondain et Delaunay, 2003 ; Hertrich, 2007).), ainsi que des modification du contexte dans lequel s’inscrivent les premières grossesses et naissances et le développement de la sexualité pré-conjugale (Guiella et Woog, 2006).

Pour en revenir à nos travaux, il faut dire que les résultats montrent pour la génération des jeunes, que les premières transitions résidentielles et d’insertion professionnelle, ont tendance à être plus précoces alors que les premières transitions de vie de couple et de vie féconde, ont tendance à être plus tardives. Un fossé se crée alors entre les générations puisque la durée du parcours d’entrée en vie adulte s’allonge au niveau des individus de la cohorte jeune comparativement aux individus de la cohorte des aînés.

Pour les deux cohortes à l’étude, le passage en vie adulte se déroule dans des contextes très différents d’insertion dans le jeu des opportunités socio-économiques, des aspirations personnelles et des conjonctures. De ce fait, les mobilités, les comportements 259 démographiques, les positionnements sociaux ainsi que la régulation sociale se transforment tout en maintenant plusieurs affinités avec les modèles antérieurs. Devenir adulte devient alors un enjeu de construction identitaire dans un contexte d’individualisation communautaire. En opposition avec l’objectif traditionnel de responsabilisation de l’adulte en devenir, appelé à répondre aux besoins des autres (groupe social), les jeunes de la cohorte récente se fondent sur une vision relationnelle du monde qui valorise à la fois l’autonomie et l’interdépendance dynamique. La théorie de l’interdépendance dynamique entre individus et société (Elias, 1991) convient alors amplement à l’analyse de la dynamique des parcours d’entrée en vie adulte.

La possibilité désormais offerte de « répondre de soi », de valider les normes et valeurs, de les négocier et parfois même de les rejeter en partie, vise toujours dans la plupart des cas à acquérir les capacités pour répondre progressivement aux besoins du groupe social. En ce sens, la volonté de ne pas faire honte au groupe social et la capacité à maintenir un lien avec son réseau familial et sa communauté restreinte lors du parcours d’entrée en vie adulte, restent déterminantes aussi bien pour l’individu que pour son groupe familial et communautaire : Il s’agit là du fondement qui gouverne la perpétuation de la protection sociale traditionnelle et du contrat intergénérationnel malgré leurs transformations. C’est en ce sens que la théorie de la réciprocité de Mauss (1925) trouve tout son sens dans l’analyse des parcours d’entrée en vie adulte.

Il faut dire qu’en dehors de la gamme variée de pratiques sociales répertoriées comme étant de l’ordre de la protection sociale traditionnelle (protection communautaire de type traditionnelle et la protection sociale familiale), que la présente recherche a permis de mettre en exergue, on retrouve au Bénin un système de protection sociale publique et un système de protection sociale privé, embryonnaires et accessibles seulement à une catégorie précise de clients : le plus souvent les fonctionnaires ou les personnes ayant un niveau de vie assez élevé.

260

Dans un contexte où les politiques publiques demeurent impuissantes et incapables de garantir pour le moment un bien-être social ainsi que la création progressive d’emplois pour les jeunes, les protections communautaires et familiales demeurent le seul filet de sécurité sociale durable existant pour la grande majorité des Béninois. Même si la présente recherche ne porte pas spécifiquement sur le déploiement des solidarités familiales et communautaires, elle apporte plusieurs clarifications sur leurs transformations, leur essoufflement et leur vivacité dans le cadre des parcours d’entrée en vie adulte. La notion même de protection sociale publique doit alors être reconfigurée sur la base de la diversité des modèles de temporalité et d’enchaînement des parcours qui s’instaure, afin de venir convenablement en soutien et en appui aux efforts des réseaux communautaires et familiaux notamment en matière d’amélioration de l’accès au système éducatif, de l’emploi, du soutien aux aînés et de la prise en charge sanitaire.

La présente étude a permis d’appréhender la dynamique des parcours d’entrée en vie adulte en se focalisant sur l’enchaînement, la temporalité et la régulation sociale de l’ensemble des quatre trajectoires les plus importantes des parcours. À cet effet, la collecte de données a été effectuée auprès d’un échantillon restreint et sur une période précise des parcours de vie. En guise de perspectives, un échantillon plus large, ainsi qu’une collecte de données plus élargie sur l’ensemble du parcours de vie des individus, apporterait sans doute des informations intéressantes sur la dynamique des parcours sociaux, si les considérations conceptuelles révélées par nos travaux sont prise en compte dans la confection des outils d’enquête.

Il serait aussi intéressant d’étendre la méthode qualitative d’analyse de données utilisées pour la compléter par des méthodes d’analyse de survie (Cox, Kaplan–Meier) ou par des méthodes comme l’analyse harmonique qualitative, l’appariement optimal ou encore des méthodes plus inférentielles permettant de tester directement, voire de modéliser les liens entre covariables et trajectoires ou entre covariables et parcours.

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ANNEXES

Annexe 1 : Code et caractéristiques des répondants

Légende Variable Code Sexe 1 = Femme ; 2 = Homme Cohorte 1 = Jeune ; 2 = Aîné Niveau de 1 = Aucun scolarisation 2 = Primaire atteint 3 = Premier cycle 4 = Second cycle 5 = Université 1er cycle 6 = Université 2nd et 3em cycle

numéro Code Arrondissement Sexe Cohorte Âge Ethnie Niveau de résidence scolarisation atteint 1 JF.3 12 1 1 34 Mina 3 2 AH.1 10 2 2 59 Goun 1 3 JH.4 12 2 1 32 Fon 4 4 JH.3 12 2 1 24 Adja 3 5 JF.1 6 1 1 27 Fon 2 6 JH.2 12 2 1 30 Adja 2 7 JF.3 2 1 1 26 Aïzo 3 8 JH.6 6 2 1 37 Fon 6 9 JF.1 6 1 1 37 Fon 1 10 JF.2 9 1 1 37 Fon 2 11 JF.2 9 1 1 25 Mahi 2 12 AH.4 10 2 2 51 Mahi 4 13 AH.2 9 2 2 50 Yoruba 2

291

14 JH.2 12 2 1 32 Mahi 2 15 JF.2 12 1 1 37 Mina 2 16 JH.2 9 2 1 37 Fon 2 17 JF.2 10 1 1 35 Aïzo 2 18 JH.3 6 2 1 34 Fon 3 19 AH.5 6 2 2 60 Goun 5 20 AF.1 2 1 2 50 Goun 1 21 JH.5 2 2 1 35 Mina 5 22 AH.4 2 2 2 50 Nago 4 23 AH.1 2 2 2 63 Mahi 1 24 JH.4 2 2 1 33 Goun 4 25 AH.1 2 2 2 59 Goun 1 26 JH.2 2 2 1 31 Goun 2 27 AF.3 6 1 2 62 Mahi 3 28 AH.6 6 2 2 65 Mahi 6 29 JH.2 10 2 1 27 Adja 2 30 AH.3 9 2 2 66 Aïzo 3 31 JF.1 9 1 1 35 Fon 1 32 JF.2 9 1 1 26 Goun 2 33 JF.1 9 1 1 35 Yoruba 1 34 JH.3 9 2 1 32 Fon 3 35 AF.3 9 1 2 63 Goun 3 36 JH.3 6 2 1 33 Nago 6 37 JH.1 12 2 1 34 Adja 1 38 AF.4 6 1 2 63 Goun 4 39 JF.5 10 1 1 29 Fon 5 40 JH.5 10 2 1 30 Aizo 5 41 JH.3 12 2 1 32 Fon 3 42 JH.3 2 2 1 32 Aizo 3 43 JH.4 12 2 1 34 Aizo 4 44 JH.4 12 2 1 34 Fon 4 45 AF.3 6 1 2 62 Fon 3 46 AF.1 6 1 2 62 Yoruba 1 292

47 JF.4 10 1 1 29 Fon 4 48 JH.4 10 2 1 33 Nago 4 49 JF.3 10 1 1 27 Fon 3 50 JF.5 10 1 1 27 Fon 5 51 AF.4 9 1 2 63 Goun 4 52 AH.4 6 2 2 51 Mahi 4 53 AH.2 6 2 2 65 Mahi 2 54 AF.1 2 1 2 62 Yoruba 1 55 AF.1 2 1 2 62 Yoruba 1

293

Annexe 2 : Outil de collecte de données

Introduction La problématique centrale de la présente recherche est de savoir comment les jeunes de maintenant et ceux d’il y a une trentaine d’années passent leur entrée en vie adulte. On veut donc discuter avec vous de comment vous êtes passé de votre statut de jeune adolescent à un statut de jeune adulte. Pour commencer on souhaite connaitre votre conception et votre perception de l’entrée en vie adulte : Pour vous c’est quoi le parcours d’entrer en vie adulte, qu’est-ce qui la caractérise généralement? Comment elle se déroule généralement? Quels sont les évènements, les trajectoires et les transitions importantes qui meublent normalement ce parcours et dans quels agencements? Dans quel contexte, conditions sociales et sous l’influence de quels types de régulations sociales se déroule généralement ce cheminement vers la vie adulte?

Selon vous il y a-t-il une différence dans le déroulement de l’entrée en vie adulte des jeunes adultes d’aujourd’hui en comparaison à ce qui se passait il y a 3 à 4 décennies chez leurs aînés ou leurs pères? Si oui quelles différences et pourquoi?

295

I. Identification du segment biographique à raconter: 1. Segment de récit biographique16 : Comme nous avions au plus 1h 30 à passer avec vous, nous allons délimiter une période de votre vie que vous allez nous raconter. Une fois que la période sera délimitée, cela ne vous empêche pas de me raconter des choses en dehors de cette période surtout si c’est pour expliquer ou pour justifier quelque chose qui s’est produit durant la période délimitée.

2. En vous replaçant dans le contexte de l’année de début du segment biographique indiquée, parlez-nous de la perception que vous aviez de votre santé, de votre formation, niveau de scolarisation, et niveau de vie.

II. Histoire du passage en vie adulte, structure et dynamiques des solidarités familiales et communautaires (remplir fiche biographique).

Nous allons maintenant nous focaliser sur la décennie allant de (année de début du segment biographique) à (année de fin du segment biographique). Je souhaiterais que vous me racontiez à partir de la première des transitions précédemment identifiées, avec précision de dates, les évènements marquants et les changements intervenus dans votre vie sur la décennie indiquée. Je vous suggère de vous replacer dans le contexte du moment et d’essayer de repérer l’enchainement des évènements de vie couple, de vie féconde, résidentielle et professionnelle. Comme je l’ai signalé tantôt, n’hésitez pas à aller au-delà de la période identifiée, surtout si c’est pour expliquer ou pour justifier quelque chose qui s’est produit durant la période délimitée

16 Pour trouver le segment biographique à collecter, trois questions importantes doivent être posées. En quelle année aviez-vous effectué votre première mise en couple (de tous types)? En quelle année aviez-vous pour la première réalisée une décohabitation? En quelle année aviez-vous eu pour la première une expérience en emploi rémunéré? L’année la plus ancienne donnée en réponse à ces trois questions constitue la date de début du segment biographique à collecter et on y ajoute 10 ans pour trouver l’année de fin du segment biographique. 296

Nous allons ensuite approfondir en abordant en profondeur pour chaque dimension, les sous-dimensions concernées et les structures de solidarité et de régulation à l’œuvre.

Trajectoire Sous dimensions à documenter Insertion professionnelle Déterminants des séquences et itinéraire d’insertion professionnel, difficulté professionnelle, appui/aide reçu ou donné pour insertion professionnelle, structuration réseau de solidarité/entraide, régulation. Vie de couple Déterminants de l’histoire de vie de couple, choix du conjoint, type mariage et espace de vie, amour, consentement des parents, structuration réseau de solidarité/entraide, régulation. Vie féconde Déterminants de l’histoire de vie féconde incluant ceux où il n’y pas eu de naissance (avortement par exemple), gestion de la garde des enfants, structuration réseau de solidarité/entraide, régulation. Itinéraire résidentiel Déterminants de l’itinéraire résidentiel, Statut d’occupation, condition de cohabitation et de décohabitation, structuration réseau de solidarité/entraide, régulation, déterminants

297

Fiche biographique

Année Durée Itinéraire Observations Itinéraire de vie Observations d’insertion de couple et professionnelle et Itinéraire de vie Itinéraire féconde résidentiel

298

III. Informations complémentaires (à demander seulement à la fin de la collecte de données)

Arrondissement de Résidence |___|___|___| Numéro enquêté |___|___|___| Code enquêté |___|___|___|___|___| 1. Sexe : Homme |___| Femme |___| 2. Âge |___|___| 3. Nationalité : 4. Ethnie : 5. Religion : 6. Année d’installation à Cotonou 7. Niveau de scolarisation/alphabétisation 8. Formation 9. Situation professionnelle17 : 10. Situation matrimoniale : 11. Nombre de femmes : 12. Situation professionnelle des femmes : 13. Nombre d’enfants : 14. Effectif et composition du ménage 15. Type d’habitation : 16. Nombre de personnes par chambre : 17. En remontant votre arbre généalogique, vous êtes à quelle position par rapport à la première génération de votre famille qui s’est installée à Cotonou.

17Activité professionnelle, chômage, recherche d’emploi, Pas d’activité professionnelle, Retraité, Invalide, Etudiant, Au foyer. Autre 299

Annexe 3 : L’état de la protection sociale au Bénin

Au Bénin, les dispositions de la constitution nationale qui garantissent le respect des droits des personnes sont appuyées par un arsenal juridique, renforcé par le Code des Personnes et de la Famille (loi 2002-7) ainsi que des conventions et traités signés par le Bénin à l’échelle régionale et internationale. La volonté du gouvernement béninois de promouvoir la protection sociale est aujourd’hui manifeste à travers la vision à long terme « Bénin Alafia 2025 », les Orientations Stratégiques du Développement (OSD) et la Stratégie de Croissance pour la Réduction de la Pauvreté (SCRP), ainsi que des politiques et documents stratégiques dans des domaines spécifiques, comme l’emploi et la promotion des mutuelles de santé. Le renforcement de la protection sociale a d’ailleurs été affirmé comme une des composantes de l’axe 3 du SCRP 2007-2009 (axe relatif au renforcement du capital humain). Selon le SCRP (2007-2009), le renforcement de la protection sociale passe essentiellement par la promotion de la famille et de la femme, la réduction des inégalités de genre, la protection et le développement de l’enfance, la « dynamisation » de la protection sociale et la promotion des mutuelles de santé pour surmonter les barrières financières d’accès aux soins de santé. Le Gouvernement Béninois a aussi adopté un document intitulé « Politique et Stratégies nationales de Protection Sociale (PSNPS) 2004-2013 ».

L’étude sur l’état des lieux de la protection sociale au Bénin effectuée en juillet 2010, nous permet de constater que la protection sociale publique est composée des programmes, mécanismes et mesures dans les six domaines suivants :

Assistance sociale : L’assistance sociale ou branche non contributive de la protection sociale est très peu développée au Bénin. Les programmes existants incluent les secours fournis aux indigents et sinistrés par le Ministère de la Famille et de la Solidarité Nationale (MFSN), ainsi que des programmes alimentaires en faveur de groupes spécifiques comme les enfants d’âge scolaire en zones défavorisées et les personnes affectées par le VIH/SIDA. Le nombre de bénéficiaires est très faible et varie entre 1.982 et 1.802 respectivement en 2007 et 2008 (Hodges, 2010, p. 44) sur une population d’environ 8 millions de personnes,

301 dont 36,8 % (SCRP, 2007, p. 21) de pauvres (vivant avec moins de 1 dollar par jour). Services d’action sociale : Les services de soutien psychosocial et les mesures de prévention et de réponse aux incidents d’abus, de violence et d’exploitation, sont généralement de petite envergure par rapport à l’importance des problèmes auxquels ils prétendent faire face. Ces services sont fournis prioritairement par un certain nombre d’organismes étatiques, confessionnels et non gouvernementaux, souvent avec l’appui financier de bailleurs de fonds bilatéraux ou d’agences internationales, ce qui les rend fragmentés, mal coordonnés et difficiles à pérenniser. Les services publics, délivrant des prestations d’action sociale sont notamment les 84 Centres de Promotion Sociale (CPS), chargés du soutien des personnes en difficulté dans leurs localités, et 25 Services Sociaux Spécialisés (SSS), le tout sous la tutelle du Ministère de la Famille et de la Solidarité Nationale (Hodges, 2010, p. 46).

Politiques de gratuité dans les secteurs sociaux : certaines mesures de gratuité de services publics peuvent être appréhendées sous l’angle de stratégies de protection sociale eu égard à ce que l’objectif poursuivi est de surmonter les barrières financières qui entravent l’accès des pauvres aux services sociaux. Ainsi, dans le secteur de l’éducation, les frais de scolarité sont désormais gratuits au niveau de l’enseignement maternel, primaire et dans certaines facultés universitaires. Dans le secteur de la santé, la gratuité des soins pour les enfants de moins de 5 ans ainsi que la gratuité de la césarienne ont été annoncées par le gouvernement respectivement en décembre 2006 et en décembre 2009, mais la mise en application de ces mesures reste fortement entachée par des défaillances opérationnelle, technique, et financière. Des mesures de gratuité plus restreintes ont été adoptées, notamment pour le traitement du VIH/SIDA et de la tuberculose, et pour quelques services préventifs.

Subventions à la consommation : Il s’agit ici de mesures occasionnelles. Par exemple des subventions à la consommation ont été introduites de façon indirecte en faveur des ménages sous forme d’allègement des droits de douane pendant plusieurs mois entre 2007 et 2008, afin de répondre à l’impact de la hausse mondiale des prix des produits alimentaires et

302

énergétiques. Mais ces mesures ont duré en réalité moins de 6 mois et ont profité plus aux ménages aisés à cause de la catégorie de produits subventionnés.

Promotion de l’emploi et des activités génératrices de revenus : le Gouvernement béninois met en œuvre plusieurs politiques, stratégies et mesures en appui à la promotion de l’emploi et des revenus, ainsi que des programmes d’appui à la sécurité alimentaire et au développement communautaire. Le développement des institutions de microfinance est particulièrement notable, dû au rôle que celles-ci jouent dans la sécurisation de l’épargne et dans l’offre de microcrédits pour le financement des activités génératrices de revenus, qui profitent aux couches de la population exclue des services bancaires. Le Bénin est le pays de l’UEMOA où la microfinance est la plus développée, avec 978.341 clients (environ 20 % de la population active) en 2008 (OCS, 2009, p. 14; Hodges, 2010, p. 58). Néanmoins, une large majorité de la population, incluant notamment les plus pauvres, ne jouit toujours pas d’accès aux microcrédits et faute de réglementation adéquate des cas de spoliations massives des clients compromettent l’avenir du secteur.

L’Assurance sociale : moins de 10 % de la population béninoise bénéficie des deux systèmes de sécurité sociale, qui sont gérés par la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) et par le Fonds National de Retraite du Bénin (FNRB) et destiné aux personnes employées respectivement dans le secteur privé de l’économie formelle et dans la fonction publique (Hodges 2010, p. 27). La grande majorité de la population par ailleurs la plus pauvre et vulnérable, sans revenu fixe ou gagnant sa vie dans le secteur informel, reste donc exclue des programmes d’assurances. Même pour les personnes incluses, les risques couverts excluent l’assurance chômage et, dans le cas de la CNSS, l’assurance maladie. La Mutuelle de Sécurité Sociale du Bénin (MSSB), créée en 1999 dans le souci d’étendre l’assurance sociale (assurance maladie et pensions de vieillesse) aux populations de l’économie informelle, reste assez restreinte, avec environ 12.000 bénéficiaires en début 2010 selon les données de la Direction Nationale du Travail du MTPF (Hodges, 2010, p. 31). Les mutuelles de santé ont été initiées en tant que modèles alternatifs pour l’amélioration de l’accès financier des populations aux soins de santé. Elles ont cependant, obtenu de faibles taux d’adhésion (environ 1,8 % de la population en 2009) et de 303 pénétration dans leurs zones de couverture variant entre 5 % et 20 % selon la zone considérée (Turcotte-Tremblay, 2010, p.1). Seulement 9 % de la population était couverte en 2010 par l’assurance maladie : environ 6 % par le FNRB, moins de 2 % par les mutuelles de santé et moins de 1 % par l’assurance privée (Hodges, 2010, p. 40). Le Gouvernement a décidé depuis le 29 décembre 2008 de créer un Régime d’Assurance Maladie Universelle (RAMU) en vue de l’amélioration de la couverture nationale du risque maladie. Malgré les contraintes anthropologique, institutionnelle, matérielle, financière et opérationnelle à la mise en œuvre du RAMU, le gouvernement a annoncé à grand renfort médiatique (et démagogique), le lancement du programme en 2013 à un moment où, tous les indicateurs sont réunis pour conduire le RAMU vers l’échec.

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Annexe 4 : Âge médian à la première insertion professionnelle et à la première décohabitation

Tableau 21 : Âge médian à la première insertion professionnelle

Femmes Hommes Jeune s 20 21,1 Aînés 23 23

Tableau 22 : Âge médian à la première décohabitation

Femmes Hommes Jeune s 19 22,5 Aînés 21,8 23

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