Tapiola, Cité Jardin: Un Paysage Habité
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LESARCHITECTES-CONSEILSDEL’ÉTAT HORSPROGRAMMESÉMINAIRE 2013 ENVIE[S]DEVILLE[S] TAPIOLA,CITÉJARDIN:UNPAYSAGEHABITÉ HELSI NKI D U 2 6 AU 2 9 S EPTEMB R E 2 0 1 3 CORPSDESARCHITECTESCONSEILSDEL’ETAT www.architectes-conseils.fr•[email protected] Tapiola, cité jardin: un paysage habité L’urbanité, qui consiste à partager explicitement des espaces publics, et offrir à tous les services urbains à proximité des emplois et des logements, est-elle compatible avec une faible densité et un paysage omniprésent? C’est la grande question de l’urbanisme contemporain, qui est essentiellement diffus, étalé, fragmenté, et n’offre qu’un niveau de service assez faible aux habitants, dont les déplacements se démultiplient. Ce fut aussi le grand rêve du mouvement moderne, on l’a vu, pour associer les avantages de la ville et de la nature en un même dispositif. La cité jardin de Tapiola, construite à partir des années cinquante à dix kilomètres à l’ouest de la capitale finlandaise, sur le territoire de la commune voisine d’Espoo, est un terrain d’expérience inégalé pour cette hypothèse d’une «urbanité naturelle». Tapiola, réalisée selon plusieurs phases, et encore en pleine métamorphose plus de cinquante ans après sa création, est à la fois un paysage et un quartier, un «paysage habité», témoin de cette recherche d’une urbanité nouvelle. On verra ci-après à quel point la finesse des articulations et des interfaces entre l’édifice, le sol, la végétation et les jardins, qui se déclinent à l’infini, est savante, et fonde les conditions de cette nouvelle forme de ville. La vision, un projet humaniste Comme beaucoup de cités jardins, Tapiola est un projet politique, porté dans la durée par un pouvoir volontaire. Le projet s’organise avec soin, malgré l’urgence de la situation d’après guerre: le nécessité de construire massivement de nouveaux logements n’empêche pas les autorité d’innover avec un haut niveau d’exigence. L’innovation consiste d’abord en une nouvelle forme de gouvernance, qui associe un fort contrôle public avec des fonds d’origine mixte. Une «fondation pour le logement» (Asuntosäätiö) est créée pour constituer une maîtrise d’ouvrage pérenne et puissante: elle achète les terrains, revend les lots, installe les équipements, choisit et rémunère les architectes. Encore aujourd’hui, en ce début de vingt-et- unième siècle, Asuntosäätiö est un des acteurs principaux de l’immobilier de la métropole finlandaise, aux côtés des acteurs privés (Skanska,…) et des opérateurs institutionnels des collectivités chargés du logement social. La fondation est dirigée dès le milieu des années cinquante par Heikki von Herzen, personnage clef de la construction de Tapiola: haut fonctionnaire, il connaît aussi bien le monde de la finance et de l’immobilier, et sert d’intermédiaire efficace entre les politiques et les techniciens chargés de la conception. Alors que Tapiola devient, très vite, un modèle reconnu et visité par des représentants du monde entier, c’est aussi lui qui reçoit, explique, convaincq. L’innovation se traduit aussi par le mode de sélection des architectes, et leur diversité: on retrouve dans la cité-jardin des édifices de tous les plus grands architectes finlandais, qu’il s’agissent des plus connus sur la scène internationale (A. Aalto, A. Blomstedt, R. et R. Pietilä, V. Revell) ou de ceux, moins célèbres mais non moins précis, qui y édifièrent peu à peu toute une série de chefs d’œuvre… Heikki et Kaija Sirén, Osmo Sipari, Arno Ruusuvuori, Pentti Ahonen, Markku Tavio, etc. Cette richesse s’est confirmée au cours des années, avec des réalisations 2 Tapiola plus récentes de la génération suivante. Tapiola est ainsi, à l’instar du laboratoire du Weissenhoff de Stuttgart, mais sur une bien plus ample échelle, une collection d’architecture moderne, une exposition à ciel d’ouvert d’expériences remarquables, pour toutes les formes de logements, de la villa à la maison en bande, de la barre à la tour, mais aussi pour l’ensemble des équipements et services: centre commerciaux, écoles, piscine, églises. Enfin, le «plan» n’est pas une maille ni une structure figée, mais un outil assez simple, fondé sur de grands principes esquissés dès après-guerre par l’architecte Otto-Livari Meurman (*). Les conditions du «bien-être» des habitants sont représentées sous la forme d’un arbre, associant thématiquement une grande diversité de termes et de domaines, groupe de branches par groupe de branches. Cette représentation de la «ville idéale» ne cède rien au simplisme, et se démarque des figures rhétoriques des cités jardins, plus élémentaires, moins instrumentales, des illustres urbanistes prédécesseurs (Unwin, E. Howard). C’est de fait l’une des premières tentatives de restituer la complexité des phénomènes urbains, en associant aussi bien des questions de programmes, techniques, que des notions sociales, économiques ou spirituelles. Notons que les racine de l’arbre, qui fondent l’ensemble, sont d’un part la nature et les conditions premières de l’installation (le climat, le sol…) et d’autre part l’organisation sociale, ses ressources, y compris dans les aspects symboliques et spirituels. C’est une vision humaniste, qui situe l’homme dans un rapport dialectique avec le milieu urbain, qu’il s’agisse des éléments de nature ou des phénomènes sociétaux. Ce regard complexe, croisant de nombreux paramètres, ne suffit pas à expliquer le plan de Tapiola. Mieux, il en est la règle d’or, ce qui permet, au fil du temps, toutes les variations: si le plan n’est pas immédiatement «visible», comme une figure unique, ni même comme une empreinte de son temps -car le quartier se développe dans la durée, peu à peu-, ce n’est pas par défaut de vision, par manque d’ambition de conception, mais plutôt par la définition préalable d’une méthode (plutôt qu’un dessin), d’un rapport équilibré entre les choses, les êtres et les énergies mises à l’œuvre (plutôt qu’un programme). Les préalables de Tapiola préfigurent ainsi les (*) Otto-Livari Meurman, «ma- nuel d’urbanisme», 1947 - voir la recherches contemporaines sur le développement durable des villes: une manière gigure ci-dessus (traduction des d’agir, une méthode plutôt qu’un plan prédéfini, une capacité à respecter des termes du finnois, F. Bonnet) objectifs en maintenant une grande capacité d’adaptation, dans la durée. Et un système expérimental, interactif, qui réajuste le dispositif en fonction des résultats de l’expérience. On est bien loin des visions corbuséennes. Tapiola 3 Une structure ancrée dans le grand paysage Une esquisse pour Tapiola avait été établie en 1949 par Otto- Livari Meurman. La comparaison de cette première esquisse avec celle élaborée quelques années plus tard, sous l’autorité de von Herzen, par l’architecte Aarne Ervi et le paysagiste Jussi Jännes, témoigne du caractère innovant du plan définitif. Dans la version de Meurman, le plan est réglé par les voies, disposées en croix, le centre actif du quartier étant rassemblé au croisement, reprenant l’idée d’un village traditionnel. Le reste des lots est regroupé en grappes autour de voies de desserte, la plupart en impasse. C’est une manière très suburbaine, avec une faible diversité typologiques (une même voie ne dessert que les mêmes catégories de bâtiments). La topographie ne Le domaine agricole de Tapiola semble pas déterminante. Tout au plus, la structure des voies primaires est insérée avent la construction du quartier, photo d’archive, 1953 dans de grandes respirations paysagères, détachées des secteurs habités, à l’image des parkways, plus probablement en accord avec les plans de villes satelites qui se Nota: en finnois, la terminaison en «…la» d’un toponyme indique développent dès la fin des années quarante en scandinavie. un grand domaine agricole Enfin, le plan de Meurman décrit une «totalité», un quartier fini: c’est un plan cohérent - le nom d’usage de Tapiola était sa version suédoise masse dans la pure tradition. Cette esquisse est traduit à l’époque dans un plan «Hagalund», que l’on retrouve de régulation urbaine, qui dans le droit foncier finlandais règle la constructibilité dans de nombreux documents. de façon très précise, parcelle par parcelle, avec des indications spécifiques de localisation, de typologie et de programme pour les édifices. Les esquisses de Ervi sont plus fragmentaires. Malgré une bibliographie pléthorique, pratiquement aucun «plan masse» de Tapiola n’est publié, si ce n’est les plans de recollement contemporains réalisés a posteriori pour présenter les œuvres architecturales. Le plan de synthèse de Ervi, publié par la municipalité de Espoo en 1956, met à jour les enjeux fondamentaux de la cité jardin de Tapiola: > la topographie guide le plan. Le plan de Ervi met en exergue les courbes de niveau. La structure orographique est renforcée par la coloration jaune des parcs (parc- ways et grandes prairies), qui sont rassemblés sur les points bas du site. C’était déjà le cas dans le plan de Meurman, mais de manière moins explicite: les parties basses ne sont pas construites: elles doivent être drainées et sont susceptibles d’être très humides, détrempées lors de la fonte des neige, et, argileuses, elles sont aussi les moins propices aux fondations des bâtiments, que l’on préfère fonder sur les parties hautes, rocheuses, stables et bien drainées. A l’instar des principes développés dès le dix-neuvième siècle par Frederick Law Olmstedt, dont le paysagiste Jussi Jännes assumait d’ailleurs à Tapiola l’héritage spirituel, l’empreinte hydrographique détermine la structure du plan. Dans le plan figure clairement la rivière qui draine toute la partie sud de Tapiola; le centre «civique» du quartier est construit en partie basse, au croisement des lignes de foce topographique, autour d’un grand bassin: ornemental, c’est aussi le lieu de recueil des eaux de ruissellement: décision simple, appuyée sur des siècles d’histoire du paysage, dont on trouve l’équivalent aussi bien chez les anglais du 18eme que chez les français du 17eme siècle.