Le Temps Des Hussards (1945-1960)
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LE TEMPS DES HUSSARDS (1945-1960) e ne voudrais pas faire de peine à Blondin. Ni donner un coup J de vieux à quelques garçons que le culte de l'amitié, les filles et le goût de se battre comme des lions, au rugby, protègent mira• culeusement de la redoutable maturité. Après tout, une étude de revue, ce n'est ni une thèse en Sorbonne, ni la consécration pos• thume par le Prix Goncourt... Le monde va si vite, cependant, qu'on peut tirer un trait sur une époque intense, parler du temps des « hussards » comme on parle du temps des cerises et dire que, de 1945 aux environs de l'année 1960, une école brillante et désinvolte fit passer un peu d'air frais dans une littérature où l'on devait, je le suppose, s'ennuyer tragiquement. Quels étaient ces hussards ? D'où venaient-ils ? Quel était leur propos ? Il faut pour répondre à ces questions se mettre dans l'atmosphère de l'immédiat après-guerre ou, lorsqu'on a comme Philippe Labro, Matzneff ou moi l'âge de l'Algérie, s'efforcer de l'imaginer. Ce fut probablement une époque très sérieuse, pleine de gens décidés à faire le bonheur des autres malgré eux, où M. Prévert était considéré comme un poète, M. Kanapa comme un penseur, et dont l'achèvement glorieux devait éclipser à jamais un certain nombre d'écrivains mineurs : MM. Giono, de Montherlant, Char- donne, Paul Morand, Jouhandeau, pour ne parler que du fretin. I! faut dire surtout que cet après-guerre se caractérisait par une démission quasi-complète du roman et des genres d'inspiration gratuite ; un genre qui avait cependant donné à la France le meil• leur de ses chefs-d'ceuvres, de La Princesse de Clèves aux Liaisons Dangereuses et à La Chartreuse de Parme. Il ne s'agissait plus que « d'en-soi », de « pour-soi », d'engagements politiques, d'un dur jargon philosophico-teutonique ; à croire que, comme devait le faire remarquer Jacques Laurent, les créateurs les mieux doués LE TEMPS DES HUSSARDS (1945-1960) 507 n'étaient plus capables de faire que de la philosophie dans leurs romans et du roman dans leur philosophie. C'est alors qu'en réaction à tant d'existentialisme et d'hérésie, apparut un groupe de jeunes gens passionnés de littérature pure, suffisamment anti-conformistes pour voir le conformisme où il est vraiment : parmi le plus grand nombre, et qui allaient regimber devant le débraillé de l'heure et la démagogie. Ces jeunes écrivains avaient encore sur le dos l'uniforme du Hussard Bleu. Ils avaient été copieusement ballottés sur ce qu'il restait de routes en Europe. Le grand air et l'expérience leur avaient donné le goût de la tendresse, de la férocité. Au sens du classicisme ils ajoutaient celui d'un fantastique amer et saugrenu. Ils s'appelaient Jacques Laurent, Michel Déon, Antoine Blondin, Roger Nimier, Kleber Haedens. Nous pourrions leur « apparen• ter », comme on disait alors, Roland Laudenbach, polémiste et éditeur, Bernard de Fallois, journaliste de talent, François Sentein, chroniqueur épisodique et japonisant, un avocat insolite et osten• tatoire comme Stephen Hecquet, un ancien normalien du nom de Pierre Boutang, tout bardé de maurrassisme, et qui allait déserter la littérature pour fonder La Nation Française, vigoureux hebdo• madaire politique. Peut-être aussi, dans un ordre d'idées très va• riées, devrions nous citer Félicien Marceau, ainsi que François Nourissier, habitué d'autres milieux mais qu'animait le même goût de bien écrire. Est-il besoin de préciser que ces écrivains adoraient Balzac, Stendhal, Retz et Gobineau ? Ils admiraient parmi les contempo• rains Montherlant et Drieu la Rochelle, Brasillach et Jacques Char- donne, le nouveau visage de Giono. Mais par dessus tout les en• chantait la verve de Cocteau, l'humour tendre de Marcel Aymé, aussi, l'ironie voluptueuse des livres d'André Fraigneau. Ils écrivirent d'abord dans la revue La Table Ronde où, entre Camus et Mauriac, ils parurent trop remuants. Ils eurent ensuite leur revue bien à eux, La Parisienne, et bientôt un hebdomadaire, Arts première-manière, sur lequel régnait Jacques Laurent avec un talent fou et quelques canulars. La joyeuse escouade se mit à chahuter le professeur Sartre, à collaborer à Aspects de la France sans être monarchiste, à Contre- Révolution sans être réactionnaire. Simplement. Pour le plaisir. Ils tinrent des réunions au Quartier-Latin où, comme le signale Pol Vandromme, brillant biographe de la Droite Buissonnière (1) et lui-même rescapé nostalgique du groupe, il s'agissait de récla• mer le retour au traité de Westphalie, la guillotine pour Joanovki, la fessée publique pour toute bestiole politique. Bref, un quart de (1) Aux Sept couleurs. 508 LE TEMPS DES HUSSARDS (1945-1960) siècle après le Surréalisme, on parlait de redonner toutes ses chances à l'anarchie. On le voit, c'étaient là pirouettes. Mais à côté de ce folklore d'étudiants et d'époque, certains d'entre eux allaient écrire de bons livres, parmi les meilleurs de ces temps maussades, et c'est en cela qu'ils vont nous intéresser maintenant. On sait le fin critique qu'est devenu Kléber Haedens à Paris- Presse. De cette époque juvénile, l'auteur des Paradoxes sur le roman, le pourfendeur des techniques inhumaines d'aujourd'hui, devait tirer un roman ferme et poétique, Salut au Kentucky (1) dont le titre résonne encore comme un chant d'adolescence. Il faut croire qu'alors les plus clairvoyants marchaient comme des aveugles dans une histoire qu'ils ne comprenaient pas... Wilfrid fuyait la bonne conscience bourgeoise, perdait deux fois Catherine, mais refusait d'être le serviteur des choses. Ce beau livre de relus se terminait comme une féerie. Wilfrid choisissait un loin• tain pays où il verrait des maisons blanches, des nègres, des arbres inconnus et de jolies filles à travers les plantations, où il lui res• terait toujours assez d'argent pour s'offrir un cheval, un piano, un pistolet. Rien d'étonnant à ce que Pol Vandromme et quelques autres aient rattaché d'Instinct Kleber Haedens à son véritable univers : celui de Gérard de Nerval. Une Jeune Serpente, Magnolia- Jules, Adieu à la Rose constituent la production de Kléber Haedens, romancier, qui devait connaître le succès récemment avec l'Eté finit sous les tilleuls (2), acerbe portrait d'une Bovary du Bordelais, à mi-chemin entre la pochade et la satire brillante. Jacques Laurent est une personnalité qui a le don d'ubiquité. Nous avons signalé son rôle de rassembleur et d'homme de presse. En fait, si Laurent-le-magnifique a pu se permettre de perdre autant d'argent dans la noble industrie du papier imprimé, c'est qu'il était plus connu sous le nom de Cécil-Saint-Laurent, auteur comblé des Caroline Chérie (3). La postérité risque donc de se montrer injuste envers lui. Ce serait dommage. En premier lieu parce que la série des Caroline, comme on dit vulgairement, « il faut les faire ! » Et il y faut du tempérament... Philippe Sénart ne parle-t-il pas de l'auteur des Hortense 14-18 (4) comme de l'Alexandre Dumas de notre époque ? En second lieu, l'historien Albéric Varenne, autre pseudonyme de Laurent, est tout à fait res• pectable. Enfin, si le romancier « sérieux », et signant de son vrai nom cette fois, des Corps Tranquilles ou du Petit Canard n'a ja• mais très bien réussi, l'insolent auteur du Mauriac sous De Gaulle (4), par contre, est passé maître dans l'art du pamphlet. (1) Robert Laffont; (2) Grasset ; (3 et 4) Presses de la Cité ; (4) La Table Ronde. LE TEMPS DES HUSSARDS (1945-1960) 509 Tout autre nous apparaît aujourd'hui, à la lumière de sa vie étincelante et de sa mort brutale, le cas Roger Nimier. Nimier était un pur produit de La Table Ronde (manèè-re Le Confort Intellectuel de Marcel Aymé). Le Hussard Bleu (1), fruit de l'insolence et d'une lucidité corrosive, fut un succès d'estime, bientôt suivi par Les Enfants Tristes (1), gros livre un peu hâtif où le héros, Olivier Malentraide, que l'armistice trouve tout plein monté contre sa famille, devient auteur à succès, aime Dominique mais épouse son amie Catherine, avant qu'un accident d'auto ne fasse de ladite Catherine la plus jolie veuve de Paris. Entre Morand et Drieu la Rochelle, Nimier avait trouvé sa voie : Perfide, Les Epées, Amour et Néant, Histoire d'un Amour (1) allaient être les œuvres-clés de cet écrivain singulier dont je mettrais hors de pair un livre d'essais mordant et tonique : Le Grand d'Espagne (2). « Les défauts que je vous recommande sont la frivolité, la discrétion, la pudeur, la débauche, et un peu de vieillesse sans excès », était-il écrit. Roger Nimier était là, dans ce badinage profond, ce goût du paradoxe, cette élégance un peu crispée. Mais était-il entièrement là ? Non. Ensemble de sept courts essais de littérature et de morale, Le Grand d'Espagne était aussi et surtout une pétition de principe. Dans une époque où « sur les lèvres des vieillards un rire lent et fatal était le signe de la bouillie retrou• vée », où la France semblait avoir dilapidé tout héritage, un jeune écrivain, les larmes aux yeux, allait vers Bernanos et choisissait ce capitaine. Nimier n'allait pas seulement à Bernanos parce qu'il lui fallait comme à d'autres ces mots « un peu décolorés : la sainteté, le génie. » Il le choisissait comme Bernanos et Malraux s'étaient trouvés : dans le même camp, ou plutôt dans la même indignation. « Un pas encore et nous serons les maîtres.