Littérature Et Nouvelle Vague: Y A-T-Il Eu Un Cinéma Hussard? Intermedia Review 1
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Pour citer cet article: Maillart, Olivier (2012). Littérature et Nouvelle Vague: y a-t-il eu un cinéma hussard? Intermedia Review 1. Génération de 50: Culture, Littérature, Cinéma. nº1, 1ère série, no- vembre 2012, pp. 69-79. Littérature et Nouvelle Vague: y a-t-il eu un cinéma hussard? Olivier MAILLART 1 Abstract By overstressing the equation of «aesthetic modernism = progressive political posi- tions (or even revolutionary)» one often forgets what makes the uniqueness of the real, of the art and of history. This applies to the 50’s generation in France, in the cinema industry. Young people who will form what is still now called ‘New Wave’ (Francois Truffaut, Jean-Luc Godard, Claude Chabrol, but also, somehow, Louis Malle), although writing in journals such as Cahiers du cinéma , are characterized more by their contempt for the great figures of engagement, whether humanists (Al- bert Camus) and Communists (Louis Aragon, Jean-Paul Sartre). Their references are more classic (unless they are those of the American cinema which they defend against “French quality”: Hawks, Hitchcock, Ang), and on contemporary literature, their tastes will respond better to the insolence of the Hussars (Roger Nimier, Paul Gégauff) than to the seriousness of existentialism and engagement. Likewise, they have no interest in Theatre of the Absurd or in the New Romance vanguards. There is therefore an entire genealogy to establish as much aesthetic as political, to tie the different threads that explain the figures of the right-wing anarchists who populate their first films in the late 50’s ( The Cousins of Chabrol, Godard’s Le Petit Soldat ) but also the appreciation of François Truffaut for the collaborationist writer Lucien Rebate (never contradicted), not to mention the film adaptation of Pierre Drieu la Rochelle’s Feu folle by Louis Malle. So much so that perhaps we should rethink our categories on the French art scene of the 50’s: the phrase ‘New Wave’ enjoying a misleading echo with the «new novel», perhaps it would be more correct to speak of an hussar cinema? Mots-clés: literature, nouvelle vague, cinéma hussard Les histoires de la littérature française du XX e siècle accordent généra- lement peu de place aux Hussards, soit comme mouvement, soit, pour ceux qui l’auraient composé individuellement. On reconnaît en eux (Roger Ni- 1 Univ. Paris Ouest Nanterre La Défense. Olivier Maillart mier, Jacques Laurent, Antoine Blondin, quelques autres encore) des écri- vains de qualité, mais pas de grands auteurs, et certainement pas les égaux de certains de leurs contemporains, ceux que justement ils vilipendaient le plus (Sartre et Camus). Ceci s’explique sans doute aussi parce que, notre regard rétrospectif se moralisant à mesure que les années passent (ce qui est paradoxal, puisque la distance devrait plutôt atténuer les effets de dis- putes politiques qui nous concernent moins), leur posture dandy, provo- cante, très marquée à droite, gêne la sensibilité contemporaine. À l’inverse, les cinéastes de la Nouvelle Vague (mouvement dont l’émergence succède de peu d’années à celle des hussards, à la fin des an- nées cinquante) demeurent des références quasi obligatoires dans l’histoire de leur art – et les hommages succédant aux décès récents de Claude Cha- brol et d’Éric Rohmer ont encore mis en évidence le vide relatif qui a suivi, en France, cette remarquable génération. Or, ces deux groupes d’artistes, le premier qui s’illustra dans le champ littéraire, le second dans le champ cinématographique, firent au cours des années cinquante un bout de chemin ensemble. Et ce rapprochement à la fois politique et esthétique mérite que l’on s’y arrête, car il est souvent gommé par une vision trop linéaire de l’histoire artistique, qui fonctionne par gros concepts («aussi gros que des dents creuses» comme écrivait De- leuze), et qui veut voir du côté du classicisme ou de l’académisme la marque de la réaction politique, du côté de la nouveauté formelle un pro- gressisme politique (parfois révolutionnaire, ça n’en est que mieux) obliga- toire. Dans le cas qui nous occupe il n’en est rien, et nous allons voir pour- quoi. Les Hussards Il faut pour les voir émerger s’imaginer la situation de la France litté- raire des années cinquante. D’abord le souvenir de l’Occupation et surtout du Comité d’épuration, à la Libération, qui a conduit à l’interdiction de publier un certain nombre d’écrivains reconnus avant-guerre. Il y a, dans les esprits, le poids des partis vainqueurs, et notamment du Parti Commu- niste, rallié par nombre de personnalités du monde artistique. L’importance d’une conception engagée de la littérature, défendue par Aragon et sa revue Les Lettres Françaises , mais aussi Sartre et sa revue Les Temps Modernes . Il y a également le saint laïc, Albert Camus. Bref, autant d’éléments qui contribuent à la domination d’une conception sérieuse de la littérature, 70 Littérature et Nouvelle Vague: y a-t-il eu un cinéma hussard? adulte, engagée, parfois pleurnicharde, contre laquelle quelques jeunes écrivains vont s’élever. Ils disent souhaiter retrouver le goût de l’insolence et de la superficialité, et pour cela réhabiliter les grands auteurs frappés d’interdit pour leur attitude plus ou moins coupable pendant la guerre (Louis-Ferdinand Céline, Paul Morand). C’est une guerre littéraire, qui passe beaucoup par les revues, car ces jeunes gens ont aussi les leurs (les Cahiers de la Table Ronde , autour de François Mauriac, Arts ou La Parisienne ). Pour en donner un exemple parlant, voici une attaque de Jacques Laurent contre son grand ennemi, Jean-Paul Sartre, auquel il avait déjà consacré en 1951 un tonique petit pamphlet, Paul et Jean-Paul , dans lequel il comparait l’auteur de La Nau- sée à Paul Bourget. Ici, le parallèle joue sur une opposition avec un écri- vain aimé de Laurent, Raymond Radiguet, mais l’objectif est toujours le même: rabaisser Sartre en le rapprochant d’une littérature désuète de façon inattendue. Après le chantre bourgeois de la Belle Époque Paul Bourget, c’est Maurice Barrès et le roman militariste de la Grande Guerre qui de- vient la préfiguration de la littérature sartrienne (et qui permet une compa- raison entre deux situations historiques dont Laurent souligne les ressem- blances: les après-guerres de 1918 et 1945): Au moment où Barrès servait, Radiguet se servait. Munis d’une plume sergent- major, les écrivains engagés de l’époque travaillaient dans la grandeur à coups d’anecdotes faussement pudiques, de litotes crânes, et de poilus qui serrent les dents en rigolant. La littérature militairement engagée se reconnaît à ce qu’elle n’est lue que par les civils. C’est déjà beaucoup et l’écrivain peut espérer que s’étant engagé au char éternel de la gloire et de l’héroïsme national, il bénéficiera de leur longévité et durera autant qu’eux. Et s’il lit Radiguet, il sourit de son imprudence. […] Voici des années que la revue de Jean-Paul Sartre répète tous les mois le même slogan: « Les Temps modernes se proposent, sous la pression chaque jour plus sen- sible de l’Histoire…» Depuis que ça dure, Les Temps modernes eussent cent fois éclaté si cette pression avait été aussi quotidiennement croissante que l’affirme Jean-Paul Sartre. Or, c’est plutôt l’inverse qui s’est produit. 2 Ce ton moqueur est assez représentatif de ceux que l’on désigne donc sous le nom de «hussards». Cette appellation vient d’un article de Bernard Frank justement paru dans Les Temps modernes , en décembre 22 Jacques Laurent, «Pour Radiguet contre Jean-Paul Sartre», Arts , 8 mai 1952, re- pris dans Arts. La culture de la provocation 1952-1966 , Éditions Tallandier, 2009, pp. 17,18. 71 Olivier Maillart 1952: «Grognards et Hussards». C’est un texte moqueur et brillant, qui baptise le mouvement d’une appellation qui restera (même si les principaux intéressés la contesteront, le plus souvent). Frank y insulte ces jeunes au- teurs de droite, les traite de «fascistes», même s’il finira par se lier à eux, et même à leur être associé, lui qui a commencé sa carrière littéraire auprès de Sartre. Au moyen d’une écriture enlevée, il oppose les écrivains ayant du style (Saint-Simon) à ceux qui n’ont qu’un ton , ainsi ses contemporains Montherlant et Nimier. À propos de ce dernier, Frank ironise gentiment sur son « retard » (un certain classicisme esthétique, une vision politique assez droite, périmée par la guerre), qui était une manière de prendre de l’avance sur les années cinquante et d’en devancer la mode. Son Hussard Bleu ? Un «livre médiocre, dans le bon sens du mot» 3. C’est en partant du titre de cet ouvrage qu’il baptise le mouvement, décrivant ces jeunes hussards comme des «lurons» dont le goût de la blague et de la provocation ne dissipe nul- lement une ambition dont le sérieux vaut bien celui de leurs adversaires. Quant à leur fameux ton, il le décrit avec une ironie qu’il faut bien sentir pour ne pas faire de contresens, l’appellation «fasciste» n’ayant pas chez Frank, grand admirateur de Drieu la Rochelle, la même valeur de condam- nation morale que chez Sartre ou Simone de Beauvoir: Comme tous les fascistes, ils détestent la discussion. Ils se délectent de la phrase courte dont ils se croient les inventeurs. Ils la manient comme s’il s’agissait d’un couperet. À chaque phrase, il y a mort d’homme. Ce n’est pas grave. C’est une mort pour rire. 4 Les Jeunes Turcs d’une Nouvelle Vague encore à venir Voilà pour nos Hussards.