Paul Fournel Ecrivain, Membre De L'oulipo LES
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Paul Fournel Ecrivain, membre de l’OULIPO LES ECRIVAINS DE RAYMOND QUENEAU Raymond Queneau vivait avec les écrivains, travaillait avec les écrivains, buvait avec eux, partait en vacances avec eux. Tout comme ses journaux rendent un compte scrupuleux de ses lectures, ils nous révèlent au jour le jour les rencontres avec tel ou tel : auteur étranger de passage, habitués de la NRF, membres de l’écurie Gallimard, auteurs en quête d’éditeur, proches comme Sartre ou Vian, amis fidèles comme Salacrou ou Bataille. Il ne semble pas y avoir eu de compagnons alternatifs dans la vie de Queneau, pas de personnages animés par des passions annexes, pêcheurs à la ligne, coureurs cyclistes, copocléphiles [copocléphile: «copoclé-» abréviation de « COllection de POrte-CLÉs»], aquariophiles. Toute sa vie est centrée autour des écrivains et des créateurs dont les ressorts ne sont pas fondamentalement différents : peintres, musiciens, metteurs en scène, mathématiciens. Queneau les observe, note leurs petitesses, déjoue leurs stratégies. Il est au spectacle. Travailler chez Gallimard dans les années 40-70 c’est se trouver au cœur de la cible. Tout ce qui s’écrit de littérature dans le monde passe par là. Après avoir collaboré quelques temps avec la NRF, Queneau entre en 1938 dans la maison comme spécialiste du domaine anglo-américain. Dans le dispositif complexe et compétitif des éditions de la rue Sébastien Bottin, Queneau se taille au fil des ans une place de choix, même s’il n’est pas assis sur un trône et s’il prend sa part de coups (à la face et dans le dos). Soigneusement orchestré par la famille Gallimard et particulièrement par le père, Gaston, le ballet des écrivains-éditeurs de la maison est loin de danser toujours du même pas et sur la même musique. Mais après avoir été souvent menacée, la position de Queneau se conforte au fil des années, surtout après son entrée à l’Académie Goncourt et le succès commercial considérable de Zazie (plus de 200 000 exemplaires dans la seule collection Blanche). La qualité discrète et obstinée de son travail, au double profit de la Littérature et de la maison, a également payé sur le long terme. Michel Deguy, dans son livre, Le comité, ne ménage pas les patrons et les lecteurs de Gallimard mais il range Queneau parmi les « grands conseillers, artisans des programmes de la maison et de sa renommée ». Il ajoute qu’il était écouté et respecté même si ses affrontements avec Paulhan et les Gallimard étaient fréquents. Il faut reconnaître que le catalogue des écrivains qu’il a soutenus est impressionnant. Nous ne le dresserons pas ici, mais soulignons simplement que Duras y côtoie Bens, que Hemingway y côtoie Roubaud, que Le Clézio y côtoie Hélène Bessette, que Memmi côtoie Wittgenstein et Vian. On a du mal à imaginer une plus grande ouverture de compas assortie d’une aussi grande sûreté de jugement littéraire. Parmi les refus qui sont aussi révélateurs, citons Les gommes de Robbe-Grillet. Parmi les échecs, citons Le degré zéro de l’écriture de Barthes que Queneau ne parvint pas à imposer au Comité. Parmi les acceptations contre son goût profond mais en toute reconnaissance d’un vrai talent, citons Michel Tournier. Sa connaissance quasi encyclopédique des littératures lui permettait de jouer en permanence à la frontière de ses goûts et de ses raisons, faisant de lui un éditeur personnel et sûr. Si l’on se fie à ses journaux et à ce que l’on a pu deviner de on comportement, les modes de relations qu’il établissait avec « ses » auteurs pouvaient varier considérablement. Jusqu’à leur fâcherie de 1954, il était très amicalement proche de Marguerite Duras. Il l’est toujours resté avec son compatriote Salacrou, avec Vian, avec Sartre. De ses auteurs plus jeunes, il faisait volontiers des collaborateurs, Jacques Bens travaillait à l’Encyclopédie de la Pléiade, il m’a moi-même enrôlé comme esclave à l’Oulipo. Il aimait à construire un réseau au centre duquel il se sentait sûr. Un indice intéressant sur ses goûts et sur ses fidélités nous est aussi donné par ses votes au Goncourt. Il s’était éloigné de la compagnie et avait quitté les déjeuners à cause des intrigues qu’on y menait, mais il s’était bien gardé de démissionner. Il avait fixé lui-même la règle de son comportement. Les choses étant ce qu’elles étaient, il votait pour le livre qu’il préférait dans la production annuelle de son éditeur. Il tentait ainsi de ne trahir ni son appartenance ni ses goûts. En 1953, il préfère Les Poulpes de Raymond Guérin au Temps des morts de Pierre Gascar, en 1955, il préfère Hélène Bessette à Roger Ikor, en 57 La modification de Butor à La loi de Roger Vaillant, en 59, La plume et l’ange de Jacques Bens au Dernier des justes de Schwartz-Bart, en 60, Des Forêts et Thomas à Horia, en 62, L’inquisitoire de Pinget aux bagages de sable de Langfus, en 63, Le Clézio à Lanoux, en 64, Jelinek à Conchon, en 65 à nouveau, Bens et sa Trinité à l’Adoration de Borel, en 66, Réjean Ducharme à Edmonde Charles-Roux, Simone Balazard et François Nourissier à Bernard Clavel en 68, Modiano à Félicien Marceau en 69, Fafounoux à Jacques Laurent en 71, moi-même à Jean Carrière en 72, Vitoux à Jacques Chessex en 73 et enfin Modiano à Ajar en 75. Cette fréquentation permanente de l’élite des écrivains ne l’empêchait pas d’avoir à l’occasion des rêves d’éditeur utopique : Je me souviens l’avoir un jour entendu suggérer que l’on devrait publier tout ce qui s’écrit en une année, sans aucun contrôle, sans aucun filtre… Il n’a pourtant pas utilisé ce matériau humain qui était son quotidien de façon directe dans ses romans. Si l’on excepte Odile, où l’on voit défiler les surréalistes, les romans de Queneau ne sont pas des romans à clef. En revanche, de toutes ses fréquentations littéraires, Queneau a tiré des types dont il a fait bon usage. La vie d’un éditeur, alors comme aujourd’hui, consiste à dire 1000 fois non pour une fois oui et donc à connaître de l’écriture toutes les franges, toutes les banlieues, tous les rebuts. On peut en éprouver une certaine lassitude mais le modèle le plus courant d’écrivain est l’écrivain déçu, le rejeté du système. Ce n’est pas pour rien que Loin de Rueil commence par un vidage d’ordures et finit par une anthologie de poètes ringards qui ne paraîtra jamais. Avant même d’être éditeur, Queneau était fasciné par les impubliables, par ceux qui écrivent et que l’on tient pour fous. Il leur a consacré des années de sa vie, des centaines de pages pour tenter de mettre un semblant d’ordre dans ce qui ne pouvait être que désordre. Le projet de cette anthologie des fous littéraires s’est terminé exactement comme il le devait : par une lettre de Robert Denoël qui mettait noir sur blanc ce que Queneau savait depuis belle lune : « J’ai lu avec attention votre ouvrage sur « Les Fous littéraires ». C’est un curieux travail qui a dû vous demander beaucoup de ténacité et de recherche. Vous avouerais-je que la lecture m’en a déçu ? On se demande si le sujet réclamait un tel déploiement d’érudition, un appareil si vaste de notes, de citations et de références : vous ne nous épargnez rien. Aussi pour quelques traits saisissants, sommes-nous obligés de lire des pages et des pages d’un attrait discutable. Nous ne croyons pas qu’un travail de ce genre puisse s’adresser à un public important. » Fort de ce constat, Queneau opère un rétablissement spectaculaire. Il fait endosser la plus grande partie de son travail par un personnage créé sur mesures pour la besogne : le bon proviseur Chambernac, héros des « Enfants du limon » et auteur d’une anthologie des fous littéraires dont il finira par reconnaître qu’elle était un « livre inutile » et qui se la fera refuser par un personnage d’éditeur nommé Queneau ! A partir de là, une relation complexe se développe dans l’œuvre entre auteur et personnages. Les personnages des romans de Queneau écrivent beaucoup. Tous ne sont pas écrivains mais presque tous ont des soucis d’écriture ou au moins de langue. Laissons-les à leurs tracas. Laissons aussi la belle Sally à ses jouissances de débutante qui explore conjointement la pratique du français et la pratique de l’écriture (sans parler de tas d’autres découvertes également passionnantes). Intéressons-nous aux écrivains avérés ou se pensant tels. Le plus célèbre d’entre eux, celui qui incarne les 999 refusés sur 1000, est le poète Louis-Philippe des Cigales, très célèbre à Rueil, à Suresnes un peu moins, et dont l’ambition est d’être connu « loin de Rueil », c'est-à-dire exactement de l’autre côté du bois, à Paris, capitale de la poésie ! Poète non publié, il jouit forcément d’une gloire de proximité, d’une gloire à portée de voix ou à portée de regard. Il s’agit donc de ne pas abandonner son apparence au hasard. Faute de construire une œuvre, Loufifi – comme on le surnomme familièrement - se construit un personnage de poète. Il ne lui manque pas un seul des attributs du poète d’opérette. La difficulté, lorsque l’on compose, c’est que pour être identifié, le personnage doit flirter avec la convention du genre. Il est prudent aussi qu’il soit daté. Des Cigales ne recule devant aucun cliché.