Graveur D'histoires, Conteur D'images / Le Monde De Tivi Etok De
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Document généré le 26 sept. 2021 06:36 Spirale Arts • Lettres • Sciences humaines Tivi Etok : graveur d’histoires, conteur d’images Le monde de Tivi Etok de Jobie Weetaluktuk et Robin Bryant. Institut culturel Avataq et les éditions MultiMondes, 207 p. [ill.] Nelly Duvicq et Valérie Bernier Phénomènes contemporains de la culture inuit Numéro 225, mars–avril 2009 URI : https://id.erudit.org/iderudit/16672ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Spirale magazine culturel inc. ISSN 0225-9044 (imprimé) 1923-3213 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Duvicq, N. & Bernier, V. (2009). Tivi Etok : graveur d’histoires, conteur d’images / Le monde de Tivi Etok de Jobie Weetaluktuk et Robin Bryant. Institut culturel Avataq et les éditions MultiMondes, 207 p. [ill.]. Spirale, (225), 16–18. Tous droits réservés © Spirale, 2009 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ iPQSSIFR PHENOMENES CONTEMPORAINS DE LA CULTURE INUIT Tivi Etok : graveur d'histoires, conteur d'images LE MONDE DE TIVI ETOK de Jobie Weetaluktuk et Robin Bryant Institut culturel Avataq et les éditions MultiMondes, 207 p. [ill.] a Grande Place au Salon du livre de UJ Montréal. Nous sommes le 21 novem Z ce L bre 2008, il est dix-neuf heures. En UJ présentation spéciale, Tivi Etok, artiste, chas m seur, conteur du Nunavik. Autour de lui, à la Tivi Etok est né en 1929 dans un campement à Qirnituartuq, table, sa petite nièce Lydia Etok traduit, et proche du village de Kangiqsualujjuaq situé sur la rive est de la ce Donat Savoie, ancien négociateur fédéral en rivière Georges. Toute sa vie, il a sillonné l'est de la baie UJ -i chef du Nunavik, mène l'entrevue. La musi d'Ungava, là où se rencontrent le Québec et le Labrador, deux calité des mots prononcés en inuktitut par régions séparées par une frontière politique, mais indistinctes du *•> l'aîné trouvera ce soir des oreilles attentives ; point de vue géographique. O) son discours chargé d'émotion, de culture et a o d'histoire atteindra le public. Un Inuk des L'expérience quotidienne de ce « territoire où vivre » — traduc > cendu de Kangiqsualujjuaq parle de son livre, tion littérale de Nunavik — a permis à l'aîné de compléter le intitulé Le Monde de Tivi Etok lors de la plus savoir qu'il avait reçu des générations précédentes grâce à la tra O importante exposition commerciale du livre dition orale. Son territoire, il le pense comme un tout en mouve au Québec. Un événement en soi ! ment, chargé d'émotions, instable et soumis à la contingence. -I UJ Publié par l'Institut culturel Avataq et les édi Le lecteur retrouvera l'imaginaire du Nord, de l'Arctique, pays de tions MultiMondes, le témoignage de Tivi neige et de glace, vaste étendue de toundra. Mais le récit, de l'in ro Etok a été recueilli par Jobie Weetaluktuk, un térieur, dans une communauté du Nord du Québec, en surpren auteur et cinéaste d'Inukjuak qui a été dra plus d'un. appuyé dans le travail editorial par l'auteure jeunesse Robin Bryant. Ainsi, l'entrevue De la cultuTe du récit au récit culturel donne une forme plus participative à la réflexion développée sur cet artiste, son Une succession d'événements a permis à Tivi Etok de devenir passé, son art et sa culture. Loin d'être une l'Inuk qu'il est aujourd'hui et les premières pages, où l'on relate simple biographie, Le monde de Tivi Etok, un ses « premières fois », nous plongent dans un récit d'initiation. ouvrage trilingue — par ordre d'apparition Dès lors, le lecteur pourra concevoir toute la saveur du premier inuktitut, français et anglais — correspond poisson attrapé, les odeurs du premier festin partagé. Il sondera davantage à une manière de penser inuit, pré aussi la fierté d'être consacré par la communauté après une pre sentant sous de multiples formes (photogra mière chasse réussie. La première rencontre avec un Qallunaaq, phies, estampes, dessins, textes) les différents terme qui signifie « celui qui a de gros sourcils » et qui désigne aspects d'une vie, celle de Tivi. l'homme blanc, témoigne d'un instant fragile, sur le fil du rasoir. D'abord marquée par l'inquiétude, cette première rencontre avec Tivi Etok s'amuse de se voir en couverture un Blanc, un arpenteur en l'occurrence, se matérialisa en une d'un livre. Pourtant, l'artiste possède une agréable surprise. Le mystère l'entourant s'est dissipé au moment réputation internationale. Depuis le début des de prendre le repas. Invité dans la famille de Tivi, l'homme refusa années 1970, ses estampes attirent l'attention l'assiette qu'on lui proposait, il prit la viande de phoque, se des spécialistes d'art inuit et reflètent une coupa une énorme portion dont la taille laissa tout le monde pratique singulière pour le moins originale. bouche bée et la mangea crue. À partir de ce moment, l'homme En 1975, il est le premier Inuk à diffuser sa blanc, qui possédait de surcroît des rudiments d'inuktitut, était collection de gravures. Tivi Etok n'est pas un intégré. « simple artiste », il est un chasseur, détenteur d'histoires anciennes ou vécues, graveur et Le récit prend une valeur historique lorsqu'il raconte l'établisse dessinateur. Toutes ces pratiques s'alimentent ment de la première coopérative en 1959 et l'élection de son pre et se répondent les unes les autres. mier conseil d'administration. À cette occasion, il raconte : « Quand la région a été rebaptisée Nouveau-Québec, j'ai pensé que c'était sim plement un changement symbolique. Ma seule préoccupation était que notre coopérative amène les gouvernements à reconnaître notre 16 peuple et montre que nous pouvions nous diriger nous-mêmes. » Cette phrase trouve son écho dans l'actualité dans la mesure où, aujourd'hui, les Inuit du Nunavik concrétisent leur objectif d'auto Passant ou passeur, témoin ou gardien, guet nomie gouvernementale. En décembre 2007 a été signée une teur ou veilleur, l'Inuk habite son monde, entente de principe pour la création d'un gouvernement régional du porte sa culture et les expérimente à l'infini. Le Nunavik, dont la mise en place est prévue pour 2011-2012. récit pour Tivi Etok est un moyen de traverser les mondes, dont les mots agencent les retours. À travers les légendes dont il fait le récit dans la dernière partie, il reconnaît l'existence d'une échelle différente et ouvre sa solitude à la pré sence des alentours, au bruit des choses. Dès lors, l'imaginaire se déploie, sans seuils, dans ses gravures, comme si les espaces s'écou La langue laient sans se fixer. Dans la langue des Inuit, l'inuktitut, le mot Inuit désigne plusieurs personnes. On dit un Inuk, des Inuit. L'Office québécois de la langue française préconise que les Au commencement, il y avait la pierre mots étrangers importés dans la langue française doivent prendre l'accord en En inuktitut, artiste se traduit par sanaji et genre et en nombre, selon les règles de celle-ci. Donc, il faudrait dire des Inuits, signifie « celui qui fabrique ». Tivi Etok a la culture inuite. Mais plusieurs s'opposent à cet accord en raison de la nature commencé à dessiner bien avant d'apprendre plurielle de ce mot dans sa langue d'origine. qu'on pouvait gagner sa vie en tant qu'artiste, à une époque où il savait déjà chasser. Ses C'est dans ces conditions que l'orthographe du terme Inuit fait débat. Il est même premiers dessins, productions éphémères l'objet d'une querelle dont l'histoire remonte à plus de trente ans. Lorsque dans réactualisées par ses souvenirs, ont été gravés les années 1970, le mot esquimau est remplacé par le terme Inuit, la question à même le sol : « Quand j'étais enfant, j'avais orthographique ne se posait pas. Que ce soit les spécialistes, les médias ou le l'habitude de dessiner dès que je trouvais une public, la forme invariable Inuitest utilisée par tous. D'ailleurs, en 1979, l'Office étendue de sable lisse et fin. Je dessinais des québécois de la langue française entérine cet usage. Mais en 1993 un linguiste animaux de toute sorte^ Je dessinais même des de l'Office décide de rétablir l'accord en genre et en nombre au nom de l'inté villages, bien que je n'aie jamais vu de grité de la langue française. Qu'en est-il alors de celle de la langue inuit? bâtisses. » D'aucuns diront que tous les Derrière ce débat en apparence strictement linguistique émergent des enjeux poli enfants dessinent, mais les premières produc tiques et identitaires. Le respect de la culture passe par la langue. L'usage correct tions de Tivi annoncent déjà la démarche de d'un terme selon les standards de la langue d'où il est issu participe à la reconnais l'artiste qu'il deviendra : celle-ci consiste à sance de la spécificité d'une culture. Nous voici donc au cœur du discours revendi représenter non seulement ce qui se dévoile catif des Inuit, spécialement au Nunavik puisque un certain nombre d'entre eux sont au regard, mais une réalité invisible, qui ne se francophones, contre un processus de standardisation francocentriste.