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U.E.R.DES LETTRESET SCIENCESHUMAINES CENTREDE RECHERCHESLITTÉRATURE ET SPIRITUALITÉ

- 1979-

MoniqueWATRIN

Dieu et le Sensde la Vie dano ta €honôon €.onter^Poraine

GeorsesBRASSENS JacquesBREL

THESE Présentée

en vue de I'obtentiondu Doctorat de Troisième GYcle

sous la directionde M. FLORKOWSKI Professeurà I'Universitéde Metz -.f

IIiTRODUCTION 2-

peut 11 paraît,re étrange de consacrer un

, \* (1) poésie Yi' claude Roy, Trésor de la populai-re, segihers, Lg67, P. 25.

Q) Le mot "Troubadour" vient de l,ancien provençal ,,trobador,,, trouveur, de "trobar',, trouver, composer. (3) ,.TacquesCharpentreau, Georges-, Brassens et la poésie quoti_ dj-enne d.e la chanson, Cerf Lg6O, p. 49. 3-

classes Terminales, où le sens de rrexistence est battu en brèche par 1e structuralisme, il s'est produit une sorte d,e "récupération" sauvage de ces thèmes par Ia chanson poétique I contemporaine. paradoxalementr crest e1Ie quj_ reprend à son compte Ia question essentielle philosophie, de la si claire_ ment formulée par Kant : "Que sonrmes-nous ? D,où venons-nous ? Où allons-nous ?,, A sa manière et sans prétention, ,,oiseau mouche perché sur le grand mur du sorl" (r), elle se bat contre l,affirmatlon gu'"à tous ceux qui posent encore des questions sur ce qu,est I'homme en son essence (...), on ne peut qu,opposer un rire philosophique " (2) .

pourquoi notre choix s,est_il porté sur Brassens et sur BreI ? Tout simplement parce gue ces deux auteurs-composi_ teurs-j.nterprètes nous paraj-ssent les plus représentatifs de ce que nous venons d'écrire (3). En s, i-nterrogeant eux-mêmes, ils nous provoguent à la réflexion :

J'ai beau m,dir, que tpeun z*ien n,est ëte-rnel, J pas tz,ouuer ça tout naturel chante le premier (4). Et le second : Mais pouz,quoi pottzquoi moi ? maintenant ? Pouz,quoid.ëja Z Et où aLier ? (5)

(f ) Claude Nougaro, La Chanson (Michel Seghers, poésie Gj_roud, Claude Nougaro, et chansons, 1975, p. 77). (2) Les mors er res choses, #:t;lr::;;:"t., Garrimard,, 1s66,

(3) lJous avions égaiement songé à Léo Ferré, mais connaître qu'il il faut re- devient aé pius-àrr-iro" ésotérique Ie rien entre Ie persorrrr.g. er que et 1,oeùvre est, malheureuse_ menÈ, de moins en moins éviaent (4) Brassens, Le Fossoyeur (Lg52, di_sque f ). (5) Brel, J'arrive (196g, Barclay 4). 4-

i,4 I., nous somn'es aperp Au cours de notre recherche ' nous les entraÎnait à se que Ia personnalité des deux chanteurs I ,,Dieu,'et celle du',SenS de la vie'' par Poser Ia question de priviléqié, différent pour chacun l,intermédiaire d'un thème de déveropper celui de ra d,eux. rr nous a donc paru logique cnez BreI mort chez Brassens, celui de I'amour : pourquoi' Notre travaj-r pourra paraître déséquilibré eneffet'consacreruneplacesimj-nimeàl'oeuvred.eBrassens, alorsquece}IedeBreloccupelamajeurepartiedecettethè- se?Nousavonsagiintentionnellement:lepoèteSétoisnous de choix avant l'aud'ition Serar êo quelque Sorte, une ouverture de Ia grande SYmPhon:e bréIj'enne' Davantageconnu,5-mprégnéd.unericheculturepoétique, justesse et précision' Brassens utilise maniant res termes avec ,,religieux,'. les questions que posent une foule de inots Mais Seschansons,êÊparticulierlorsqu'ilparledelamort,sont d'un MoRALIqTE ; l'éternité davantage, nous semble-t-il, celles à ses désirs ' lui conviendrait si elle s'ajustait à ajuster ses désirs à BreI., au contraire, passe sa vie l'éternitéquifrémitenlui.Ivloins',connu''queBrassens,il ,.écouté,,. culture SanS douÈe plus est davantage A partir d'une restreinte,d.,unvocabulairereligieuxauregistremoinséten- du,etbienqu'ils'endéfende'sâdémarcheestcelled''un I{ETAPHYSTCIE}J . jugenent de valeur' Loin de nous I'idée de porter un plusforteraisonunjugement'moralrsUrcestroubadoursccn- temporainsdontnousnesaurionsdireauqueldesdeuxvanotre notre amour du poème préférence, tant l.un et l,autre comblent permettant de pousser plus chanté. Mais l,oeuvre bréli-enne nous que nous ayons large- avant notre investigation, il est normal ment privilégié son aPProche' 5-

Larecherched.unelréthode.detravailnousaoccasion. nédesdj.ffi-cultésquitiennentàIanaturemêmedesmatériaux ! [o univers Ia chanson est' êD effet' employés : I'univers de particuli-erquirloino'êtreclosParlasignificationd'es Ia présence est ind'is- prolonge dans Ia musique' dont mots, sê pé- aux symboles-clés de lr aux images et pensable Pour Permettre I nétrerdanslamémoireet'surtout'danslecoeurdel'audi- de ce cri fugace ? z I teur. Sans eIIe, 9uê resterait-il

vie brève La chanson, celle qui a Ia A peine a-t-elle fait Ia là la la qu'elle n'est Plus La chanson (1). "

détruit cette es- Nous savons' certes' 9u€ "Iranalyse pèced,echarmerd'équilibresubtilentrelesparolesetles notesroùI'interprétationfugitivejoueunrôlequi-n'estpas négligeable"(2'),mai'snoussavonségalementquepersonnen'a pour 1'étude du rangage originai su encore d.éfinir une méthode .art (3) entre le texte et la méIodie' de cet de synthèse* obliSjg'- faute de mj-eux' serons, Pâr conséquent' Nous plus mais d'une faÇon beaucoup / drutiliser I'outiI analvtigue, a.*a"- une chanson,nêqêdine se di-s- ffi= ,,"*orr..ato' u'nr, sèquePâS,elles,êprouvedel'intérieur.Ncusnelasaj.sissons sera^^'â plus n'l rtq quj. nous empoisne. Ainsi, norre érude ;":;=.i:1. "ir" globalequ'analytique'Lerêve'I'imagination'lêvagabondage autourd'esmotsetdeslignesmélodiquesviendrontparfoisla cela même trop grande rigueur ne tue soutenir, de peur qu'une ,( 'rû" gue nous voudrions voir vivre'

(Michel Giroud, Claude Nougaro' (1) Claude Nougaro, Lâ Chanson L974, P. 77). Seghers, Poésie et chansons , (2)FranceVernillatetJacquesCharpentreau,Lêchansonfran- sais:ie ?) ' t97t' P' lle' çaise, P.u:;:-iô"" (3) rbid. 6-

ajoutées des A ces d.ifficultés d'ordre général se sont proPres à chaque comPo- difficultés venant des particularités celles-ci pour coini siteur. 11 nous est nécessaire d.'expliquer prendre celles-Ià. élaborées ; Ia musi- I Les chansons de Brassens sont très ElIe épousel gu€, qui paraÎt inexistante, est, en fait, subtile. que le simple supporÈ de les paroles à la perfection, si bien celui de la contrebasse) Ia guitare (auquel s'ajoute, parfois, poétique. Malgré cela - est suffisant pour créer 1'atmosphère quelque chose dtessentiel- et bien qu,en ce cas il leur manque lorsqu'ils sont lus les textes de Brassens "passenÈ" très bien de France culture' sans Ie support de Ia mélod.ie. une émission et de la langue iniitulée : "Brassens, I'amour de Ia musique (r). Le poète avoue lui-mêrne française," I,a démontré avec brio s'iI ne clevait pas y avoir de "j'écris d,abord. un vers coflIme musique" Q) . Deplus,iln'yapasd'évolutionperceptibleàI'j-nté- forme un tout ' La rieur d.es thèrnes de Brassens. chaque chanson Oéfinie nous semble méthode d.,analyse tell-e que nous I'avons ne servira 9uè- convenir parfaitement, êt I'étude chronologique aspects d'une re qu,â nous laisser entrevoir les d.ifférents même pensée. ChezBrelrPatcontre,IesparolesneSontguèresigni. percutant et roman- fiantes en d.ehors du support musical, aussi et classique' Lrunivers tique que celui d,e Brassens est discret bré}ienpassed'abordParcequ'EdgarMorinappellenotre pouvant aller ,,ubris,', c'est-à-d,ire par une psycho-affectivité s'avère jusqu,à la démesure (3). Dans ces condiÈions, I'analyse beaucoupplusdifficile,puj-squ'illuimanquel'armaturede

Nemo, 17 et 19 fêvrier LgTg' Archives o. R.1 . F. Georges Brassens (2) Brassens à And.ré sève (And,ré sève, interroge LeCenturi-onr"lesinterviews",1975'p'37)' nature humaine' (3) Cf. Edgar Morin - Le paradigme perdu , ia Seuj"I, Parj-s,L973, p. L22 sq. 7-

Ses ré- l,orchestration sans laquelle elle demeure boÎteuse' aimerions, cePen- sultats peuvent paraÎtre PIus Pauvres : nous pour "écouter" dant, guê Ie lecteur dépasse nos "commentaires" I'oeuvre qui lui apparaÎtra tout autre' LaPenséedeBreI,enfj-n,contrairementàcelIede t Chaque chan- Brassens, est une pensée en constante évolution' Sonestunmouvement,guiprendappuisurlepassépourmieux compte êt, se projeter vers I'avenir. Nous avons dû en tenir établj-r des d.ans le contexte d'une indispensable chronologie, ,'péri.odes" dont les dates se chevauchent parfois, tout cofirme analyse s'in- srentrecroisent les thèmes. En conséquence' notre beaucouP moins sèrera d,ans un ensemble beaucoup plus flou et struturé que celui du poète sétois ' GEORGES BRASSENS

Né à Sète en L92L- Prix de I'Académi-e Charles Cros en L954' Grand prix de poésie d'e I'Académie f ran- çaise en L967.

,,ST J ' ETATS I]N PHILOSOPHE' JE PHlLOSO- PHERATS. JE SUTS UN FATSEUR DE CHANSONS' JE CHANTE. LA-DEDANS PASSENT DES IDEES' CIEST SUR. NT MA PETTTE PHTLOSOPHTENÏ MA MORALE NE M,APPARTTENNENT' DI.4TLLEURI, ELLES SONT A TOUT LE tr|ONDEII.

Bras I ens CHAPITRE I

I LA MORT OU LE DESTTN DE L HOMI4E

I'CAR BONHOTLTLEVA T(OURÏR 'I DE MORI NATïJRELLE . r0

dans mes chansons "La mort est un personnage important BRASSENS(1)

S,ilestuneconstantedansl'oeuvredeBrassens'c'est EIle apparaÎt cès 1-e pre- sans contred.it sa hantise de la mort. grande partie de ses chan- mier disque (2) et imprègne la plus sons.Eneffet,nonseulementlecompositeurSétoisenconsa- relève pas moins de cre douze à ce seur thème, mais on n'en autour de lui' Ajoutons cinquante et, une tournant plus ou moins (.,Le Petit Cheval'', à cela cinq poèmes qu'i1 a mis en musique jadis" de François PauI Fort ; "Ballade des dames clu temps ' de '.Le ,.II de Louis Aragon; Villon; n'y a pas d.'amour heureux'', "Pensée des verger du roi- Louis", d.e Théodore de Banville ; PauI Fort qu'il a morts", de Lamartine) et troj-s textes de "Gerrnaine choisi de réciter ("L'enterrement de Verlaine" ; " . Tourangelle " ; "A Mireille , dit petit. verglas ) : Par ailleurs, à Georges Lafaye quJ- lui demandait parmi ,,J,aimerais COnnaÎtre tes ChanSOns prêférées", Brassens Iesquinzedontild,isaitnepouvoirsePasser-enénuméraiÈ septsurlamort:IeFossoyeurPauvreMartin-LeTestament - - et Les Funérailles oncle Archibald Le Vieux Léon Bonhomme d'antan (3). Dèslors,o[comprendsanspeinequel'onaitpuPar-

(1)RadioscopiedeJacquesChancelavecGeorgesBrassens, 30. 11. 1971, Archives I'N'A'

(2)A]'orsqu'elleneferaSonaPParitionquedansletroisième u-disquedeJacquesBrel'quatreansaprèsqu,ilaitaébuté. Brassens avec (3) ProPos sur Ie mélier, entretien de Georges de Brassens", Ceo-rges LafaYe, Disque PhiliPs : "Dix ans 1963, P 77 2L0 L- 1I

: obsession tour- ler de I'obsession de la mort chez Brassens à l'aide d'hu- nanÈ à l.angoisse, même lorsqu.il 1'exorcise ou de gauloi-series mour t de raillerie, de pirouettes lui-même Puisque c'est à partir d'e ce qu'iI appelle pose des questions mé- ,,la plus terrj-b1e réalité" (l) qu'iI se " taphysiques'enparticu1iercel1edusensdelavieetcel1e que nous esquissions un de l,existence de Dieu, il esi logique la mort pour thème' conrmentaire d,es chansons ayant directement AuParavant,arrêtons-nousuninstantàl'extraordinaire pour la dire (2) ' étendue du vocabulaire qu'i-l emploie Aeuxseu}s'cesmotssuffiraientàjustifierlaremar- son at- que d.rAlphonse Bonnafé : "La mort retient constamment hante êt le fasci- tention, peut-être faut-il dire qu'eIle Ie ne" (3).

Toute une vie pour (r) André SEVE interroge Georges Brassens' p' 113' Commenous t"i::: la chanson, lÀ éenÉurion, !g'75' â ce rivre, nous nous contenterons désor- :3"i'iii-iËici"";" i'Br.=s"rt= à André sEvE", op' mais d,e re sig;iiei àinsi , les ouvrages gue nous cj-- cit., De plus' Presque tous P.... paris, nous ne mentionnerons leur terons ayant. àtà-Caitè= à cas' Iieu d'éàition que dans les autres

(2)NotreProposn|estpasdefaireuneanalysed'econtenu.Nous si nous pensons qu;-Ia seutè lecture d.e cette énumération' nous sera profitable prenons le temps, ,roù= itupefiera et en dite' Par ail- pour entrér ensuil.e dans I'oeuvre ProPrement leurslachanson'pourBrassens,estl'artde.'falreunepe-exprirnent des réa- tite fête avec les mots,;r-rnême si ceux-tà (Cf André Sève' oP' Iités qui nront rien de réjouissant ! " cit., P. 65) . Poésj-es et (3) Alphonse Bonnafé, Georges Brassens, Collection L976' Chansons, Edition refondue et augrnentée, Seghers, P. 27. L2

I - LE VOCABULAIRE (T ).

1) \ .^l^ $zgoglpes. nVV ,(t^1. q . .^^^' I :,.. t' u' LA MORT : LI ,n.,..,! 7or{' - dernier soupir - dern'ier sommeil ,t^,l," \ Dernière heure tréPas arretdemort-bouillondeonzeheuresletempsqui a levé Ie camp. Sa majesté la Mort la Camarde la Faucheuse'

- IIOURIR 3 quitter Avoj-r vécu - être emporté cesser de vivre périr - pas- la vie partir Pour I'autre monde succomber - - la terre ser lrépasser - sren aller expirer dormir sous - le dernier sou- dormir sous le temps casser sa pipe rendre Pir rendre ltâme à Dieu. des Faire son trou au fond des cieux prendre Ia cIé cieux - prendre un linceul Pour costume'

LE (ou les) tvtORT(s) : - Défunt déPouille - corPs macchabées tréPassés - - vi-e à tréPas. cendres restes mortels disParus passés de

assogiation 2) Sols-W,e-ngus avons legrougég Par (contiguité, ressemblance ou contraste) :

- Testament - faj-re part nécrologue' - Enterrer - porter le d'euil exhumer '

I'oeu- (I) Tous ces mots sont' évidemment, dispersés à travers vre du Poète ! I3

- Enterrement - funérailles - obsèques PomPes funèbres Ievée d.u corPs Cercuei1-bière-quatrep1anches-boÎteàdominos chapelle ard.ente. - corbillard - croque mort cordons du poêIe marche funèbre - pleureuses fossoYeurs. - Enfants de choeur - curé goupillon eau bénite musique d'orgue - chants liturgiques. - Gerbe - couronne chrysanthème irnnortelles myoso- - tis fleurs en pierre croix cyprès. - cimetière - nécropole charnier champ de navets Père Lachaise - Charnier des Innocents. - Tombe - trou - tombeau - sépulcre caveau concession - - pierre tombale tertre - dernière demeure monument mauso- lée Panthéon. Ici-gÎt - De profundis Regrets éternels Forget me not - Vergiss mein nicht-

' 3) $ots---reflets-dg f imagerie-populaire

Faux - osseleÈs - ossements tibias crâne squelet- te suaj-re - drap blanc linceul feux follets d'anse maca- bre.

' 4 ) Mots-dÉisignanÈ-I au-d'elà '

- a) Royaume des ombres - génies Enfers Caron les dieux. b) Autre monde - au-delà fantômes revenants le Grand Manitou. c) Damnés le diable - Satan. - d) La-haut cieux firmament paradis céIes- - te Empire - Eternité - La Jérusalem âme-viatique fin du 14

- - seigneur rnonde ressusciter Jéhovatr-Dieu Ie Bon Dieu Le Christ Jésus.

5) Expressigns transforgégs.

contes à mourir d.ebout - Empêcheursd'enterrer en rond'

cul-tu- ? cette première approche donne déjà une idée de la re du Poète.

II - LE THEIVIEDE LA MqBl.

- LE FOSSOYEUR- L952 (1) .

au music- "Pour Ia première fois, écrit René Fallet, d'Hanlet' hall Ia Canrarde !" (2). Ce fossoyeur, frère de celui Ia mort"' inaugure ce que l'on pourrait. appeler Ie "cycle de choisi de Pour nous faire partager son inquiétude, Brassens a jour après jour, mettre en scène un homrneque son métier oblige, à une confrontation dramatj-que '

rapPro- (1) Dans nos commentaires, nous ferons fréquernment.des chementsentrecequechanteBrassensetcequ'ildit.

(2) René Fa1let, Brassens, DenoëI, L972, P' 54' r5

de Ia chanson, L' absurdj-té transParaÎt au d.êbut mêrne de celui qu'iI puisque la vie du fossoYeur est Iiée à la mort enterre !:

Mais si Lton ne moutait PLus Jterèu'nais d''faim suv mon taLus" ' Jtsuis un Pauore fossoYeur si I'on arri- cettesituationnepeutêtredépasséeque par raPPort à son ob3et. En ve à prendre une certaine distance Brassens ne libère Pas introciuisant un quatrain tragi-comj-quet : il nous libère nous- le héros de sa tristesse, il fait mj-eux aurait pu nous communi- mêmes de f inquiétude que le fossoyeur quer :

Et pLus i'Lâ'eh' La br'ide à mcn ëmoi Ut pt"" ies eopains starws'nt de moi Y';'&tstnt : 'lMonuieu'æ Par moment I T' as un' firyt' dt enterr'ment't' (1) où chaque rnot a Dans cette chanson très éIaborée ' sonpoidsrchaquenotesagravité(2)'nousrencontronsd'eux id'éesqueBrassensreprendraetdévelopperaSousdesformesva- riées dans les oeuvres suivantes :

f) La-mort est "le glus-terlible"-réalité'

d'être heureux. It ressent Sa Présence emPêche I'homme I'état d'un êÈre qui, cle au fond d,e lui I'ambiguité ProPre à

( . . je livre (f) chansons (. . ' ) sont-iignofee"... travaillées - )- Quand "Mes - Brassens à And'ré Sève' une chanson, je I'ai oP. cit., P. 64' qu'au textet seu- (Z),,Je donne autant d'importance à la nusj-que La musique est indispensa- Iement p.t"orrrr" tt" s'ên aperçoit' gu'elle soit cOmmede Ia ble. l4ais il faut qu'on l-',ouÉlier le pas sur les paro- musi-que ae-iiiÀ, qû,elIe ne prenne-pas 9e Art' ra chanson les". nappoiaé-;J Angèle euiler' rà I978, P' 82' française àônteirporaine, Vokaer, Bruxelles, r6

qu'iI coit toutes ses forces, aspire à vivre et sait cependant mourir :

Jtai beau m,diy,, que rien ntest étevneL Jtpeuæ pas ttouuev ça tout natuteL EtianaisienePaz"tsiens -- I A prendte La mort eontneeLLe uient' ',Je ,,Je n|aime pas la mort'', explique le poète. Ie dis elle assez nettement d.ans le Fossoyeur (...). Mais elle vient, humaine est 1à partout, c'est une des réalités d.e I'existence (...). Et j'essaie de faj-re prendre cette réalité 1à c'est Ia plus terrible - avec Ie sourire" (I) ' 'q 2) La-mort met en-cause-llexistence-de Digu' r llvl \rl} Nilv' pas. Tout "Je ne maintienclrai jamais : Dieu nrexiste \ J'ai oscillé ce que je peux d.ire c'est que je n'en sais rien. une forte dans ma vie (. . . ) entre une négation très forte et envie de croire" (2). Le dernier couplet du Fossoyeur est une sorte d'illus- nort com- tration de cette confi-dence ; le vivant s'adresse au son me à un intermédiaire Possible entre sa "négation" et "en- vie de croire" :

Si du fond dtLa tetre on uoit Ltbon Dieu Es-Lui LtmaL que m'a cotîté ffitane peLLetée... (3)

(r) Brassens à André Sève, oP. cit', P' It3'

(2) Ibj-d. ' p. I20.

(3) Nous soulignons intentionnellement ces mots' L7

PAUVREMARTTN 1953

i' t. pauvre Martin est 1e frère du fossoyeur' Christian I' héros qui luttent Hermeli,n n'hésiÈe pas à les conparer à "des I contre le 'd'estin avec d.ignité tels des personnages ce tragédie implacable qui les guette" (I) ' Tousdeuxrêoeffet,êpuisentleurviedansuntravail que Brassens évo- qui ne leur laisse aucun répit. tvlais, alors son "pain quait brièvement la fatigue du premier, qui "gagnait" à ses senti- Sur Ie dos des morts" donnant plus dtimportance -, insiste sur la dure ments qu,à sa siÈuation cle "pau.,/re" iI chamPS", celui condition d.u second qui s'en va "trimer aux "des autres" Par surcrolt i

Toujours bëchant, tou;jotus bêehant' ' ' Pau- A I'angoisse du Fossoyeur a succédé la résignation' Ia rêvolte et du vre Martj.n estr êr quelque sorter âu delà de était impossible d.ésespoir, colnme s'il avaj.t compri-s qu'il lui- nature des choses (2)' d'échapper à son destin et de changer la grandeur. Brassens nous cette résignation n'est pas exemPte de : dépeint 1'héroisme du paysan qui travaille

diÈ poètes' (1) Christian Hermelin, ces chanteurs que I'on LrEcole, L97O, PP. 73-74'

(2)tiousnePouvonsnousempêcherd'esongeràla.finaled.une s'est aPerçue d,es ,'petitàs fables" de Kafka où Ia souris : . .Me voici que f" moràé àevenait del6 en.plus êtroit ". jlaperçois lf-bas le piège déjà dans Ia dernière pièêe, et - changer d'e direc- dans lequel je vais tomber. Tu n'âs éu'à R. I'Iarie Albérès' tion, dit ie-chat en fa àérorant". p' 75' Kafka, Editions universitaires, L967' I8

Aoee, à La Lèure un dou'æehant ADee, à L'àne wt grand eollrage (...) Sans Laisser uoir sur son tsisage Ni Ltair jaLottæ, ni L'air méehant'"

n'a développé cette attitud'e de soumis- Iviais le poète ? I'attitude, iden- sion à l,égard d.e Ia vie que Pour souligner il fait 1e tique, de soumission à 1'é9ard' de la mort, dont t : dernier acte d un d.rame de c e instant

Et quand La mort Lui a fait signe De iaboure? lon demier cVwnP IL creusa Luï'mâme sa tornbe En faisant uite, en se eaeVtant (...) Et s'g éterd.it sans nien dire"' qul- Brassens r ê[ Èermi-nant, exprime sa comPassion Pour de rePos : troqué un temPs d'e Iutte contre une éternité

Pauure lulattin, pauqTe misère Dors sot'ts La terre, dors sous Le tentps ! la terre, ,,Je ne comprends Pas déjà comment on est sur peine de discuter' alors une vie éternelle I Ce n'est pas la (I)' c'est instinctif, ie ne Peux pas y croire"

(f) Brassens à And.ré Sève, oP. cit., P' I14' r9

LE TESTAMENT 1955

Ecrit en une suite de huj-tains d'octosyllabes' avec qui en des accents tantôt sérieux, tantôt ironiques, mettent nrest évidence le thème de la fuit'e du tempsr Cê "Testament" et par Ie fond'' ceLui de .pas sans raPPeler, Pêr Ia forme : François villOn dont il pourraj-t illustrer un vers

Car à la mort tout s'assouvit (f)

à Dieu aPParaÎt dès Ie début Ce La chanson. Un dieu "là- la fois inquiétant et familier. Sa missj-on est d''envoyer : haut" un être auquel suffisent les joies de Ia terre

Je serai triste eomneun sauLe juar1d Le dieu qui Partout me suit Me dùra' La main suY L'ëPauLe, ,Va-tten uoin Là-haut si i'a suistt' ALors, du cdaL et de 7'a terYe (2) ÎL me faudra faire mon d'euiL...

De mêmeque la vie et la mort s'opposent, aj-nsi I'ici- joie; l'autre' bas et l,au-delà : d,'un côté, Ia clarté, la de à I'existen- I,absence d.e petit,s plaisirs qui donnent du charme peu de cas de cêr mais surt,out (même si le poète semble faire 'Ia grand bonheur fidéIité de Ia femme) lrabsence d'arnour' Ie ce senti- de Ia vie. D'où Ie désir d'êprouver une d'ernière fois ment :

de (1) Vi11on, Lê Testament' XXVIII, Poésies complètes, Livre Poche L2L6, Galli-rnard, 1964, p. 60. I ,rl- '\ quêr pour le poèÈe, Ie "ciel" fait partie t$-"\ (2) On aura remarquê \.Ii+ de I'ici-bas. Lt* 20

Eneore un'fois dire : ttJe ttaime't... Eneore untfois perdte Le nord En effeuiLLant Le ehrgsanthème . Quitest La matgruerite des morts-

Pour toutes ces raisons, la mort est un mal. On rechi- gne à se mettre à son école. C'est la comparaison très poéti- t que qu'emploie Brassens pour dire son désir de flâner Ie plus longtemps Possible sur Ia terre :

StiL fatt alLer au einetière, Jtprendrai Le ehernin Le plus Long, Jtferai La tonbe buissonnière, J'quitterai La uie à necuLons.-. (...) Je tteuæpartin pan L'autre monde Par Le ehemin des éeoLiers.

Sous les plaisanteries d'un homme qui, contrairement' à Villonr rrê croit guère en un au-delàr s€ dissimule une tristes- se que Brassens trouve, Par contre, scandaleuSe lorsqu'el]e surgit {nez Ie croyant. 11 Ie disait à son ami, Ie "Frère An- dré" : "Permets-noi de te dire que la peur de la mort ci:rez tes nravez pas chrétiens, ça prouverait que vous, les curés, vous bien fait votre boulot. Si crest le départ vers le Bon Dieu, sj. c'est un nouveau genre de vie, et du Super' vos fidèles ne d.evraient tout d,e même pas être Si tristes. Jraime Ia vie, tU Sais..." (ici s'insère Ie quatrain d.e Ia "tombe buissonnière", cité plus haut) . . . "mais j'ai toujours accepté la vie telle qu'elle est. Et elle va vers Ia mort..." (1). Alors autant être beau joueur ! :

J'aurqù pLus ianais maL aun dents

plaisante Brassens. EÈ il ajoute, dans une chute semblable à celle de Ia chanson Précédente, pour signj-fj-er, une fois enco-

(I) Brassens à André Sèver oP- cit., P. 1f3' 2L

: rêr que Ia mort e,st l-e destin de lrhomme

t' Me u'La dæts La fosse eotwwne La fosse commnte du tentPs'

QuenouslègueBrassensdansceTestament?Unimnenser I amourdelavie,U[regretétonnéd'edevoirlaquittersivite tous : et une interrogation qui nous concerne

Est4L encore d.eboui Le chêne Ou Le sapin de mon eerateiL ? (I) portrait de Ia Ces vers saisissants nous rappellent le petitefitle-poète,qu'ilavaitbrossél'annéeprécédente:

cantonnde Q,wzd eLLe entend. queLqu'un dite à La ie sais que mon cet'cueiL n'est déià pLus un atbre' ELLe Lui d.efend de nounir. (2)

ique avec celui de Jacques BreI : La mort m'at'tend àux dernières feuilles (La - 1959) ' De t,aiUre qui fera 1non cercueil lvlort

(2)citédans:GeorgesBrassensetlapoésiequotid,iennede 1960, p' 106' Ia chanson, Jààq".= Charpentreau, Cerf, 22

BONHOI&,IE- 1955

t, Brassensnouslivre,avecBonhomme'unedesesoeuvres paroles (où les Ies plus réussies, tant au point de vue des coulme un mots "mort,' et "mourir", revenant à douze reprises sensible la présen- douloureux leitmotiv, finj-ssent par rendre point de vue de la mu- ce de ,,la plus terrible réalité") qu'au oe rythme en- f' sique (dans laquelle un extraordj-naire décalage tristesse du ré- {'{"'t/'; tre le chant et I'accompagnement accentue la cit) (1). ToutelacompositiondupoèmevientbuterSurlere- notre fraj.n obsédant, qui Cécrit ce que lieidegger appelle "ETRE-POUR-LA.MORT'' Q) :

Cax Bonhoïtne ua maæir De mort rntureLle

cettechansonsurlamisère,Iasolitude,ledéchire- et qu'on a passé men! de devoj.r se quitter quand on est vieux (3), j'nscrit dans un pay- toute une vie I'un près de I'autre s' jadis, fut témoin sage désolé. A travers ra "forêt brême" Qui, de somme" accomplit' de ses rêves de bonheur, la "pauvre vieille rêalj-té, uD dans Ia d.étresse, conme pour conjurer I'affreuse ultirne act'e d'amour :

(I)NloussavonsqueBrassens,influencéF"rlamusiquede)azz toute qu' iI prerérË à ""1::1. :11"::-^.1?..1t::"::.*:":";"?::-(vouruJ T:.:'"1:E'ii=.iu;"ià;";-àc'âràg" accentué-1:-:*T1: pour Y1t"' ne Pas dans ,'Bonhomn";l-"é âêcarage eét trop signifj-er autre chose' L964' (2) Ileid.egger, LrEtre et le temps' Gallimard' (1964) ' (3) Comparer avec "Les Vieux" ' de BreI 23

(... ) Yûr.asler du bois mort Bonhornne Pou.v elnuffer '! Bonhomnequi ua mouYir . "

Apartird'ecethumblegeste,Brassensvanous''sug- t géreru (1) deux idées I

de-Ia de-la 1) L'amour E'esg Pag !'gpangge begu!é-ou jeunesse.

I LecompositeuraremplacéI'imagetraditionnelleet poétique d'une femme morte : (2), ,,En sa belle jeunesser êD sa premj-ère fleur'' une vieil- par f,image pathétique d'un vieil homme "céIébré"par et que bouleverse le femme dont iI est d.emeuré tout l'univers la pensée z

De eeLui qu'eLLe aime fuu'eLLe aime et qui ua mouwLt" '

2)Parlefaitmêmequ.ilatriomphécesapParences' I'amour déf ie le t'emPs. . .

I'héroi- aussi bien le temps présent' contre lequel se bat ne:

kien n'anrâteta Le eouYs De La uieiLLe qui moissonne Le bois mort de ses doigts gou'nds' ' ' : que le temps passé, dont la "sombre voix" vient

Ikontant da pLus Ptofond dt eLLe Luù r'æppeLerque Patfois IL fut infidèLe

Brassens (1) ,,Je préfère suggérer les choses que de les dire" : d'e à philippe Nemôr France culture, L7.2.L979, Archives lro.R.T.F. L974' (2) Ronsard' Alrours d'e Marj-e, II , 4', Poésie' Gallimard' p. 250. 24

et que Ie temps à venirr gu'elle nie en rejetant de toutes ses pauvres forces "cette voix de malheur" :

qli dLt : ttSuand tu rentYeras Chez toi tout à L'heu.Ye Bonhorwnesera dëià movt.-.tl

Ainsi qui est mise en éCheC, €t l'acte de ranasser du bOis "mort" prend. une dimension symbolique. Un an Plus tard, Brassens chantera :

Pautsre amour tiens bon La batre Le tentpsûa passe?Pax Là .-- (r)'

Dans l,oeuvre de 1956, l'amour a triomphé de l'épreuve : d.u temps, malgré I'impossibilité de retenj-r le souff le d'e

Bonhorwrcqui ua mour"iz' De mort natuz'eLLe.

(f) Les Lilas (1957, disque 4). 25

ONCLE ARCHIBALD L957

I' Nous retrouvons, d.ans "Onc1e Archj-bald" , 1'alIégorie I desdansesmacabresduXVesiècle.Lamortestpersonnifiée. des attributs E1le devient "sa Majesté la Mort", accomPagnée et la "longue faux" ' classiques : le "sguelette", Ie "linceul" reprend ,I1 faut s'apprivoiser à Ia mort" (I). Brassens il inverse les rôIes â son compte la pensée d.e Montaj-gne, mais imprévisibler vê s'ef- crest Ia mort gui, rencontrée d'e façon de Ie séduire et d'e forcer d'apprivoiser I'homme, bien plus' le réd.uire à sa merci- :

TeLLeun' fenrn'de Petit' uertu ELLI atpentait Le ttottofu da Cimetière' Aguiehant Les honrnts en troussant Ulnpeu pLus haut qu'iL ntest déeent Son suaire...

orl,oncleaimelaplénitudedelavieetleluidit sans ambages :

Fi I des femeLLes d-ëcVnrmées! Vioent Les beLL'l un tantinet RondeLettes !

Maisityamald'onne.L'hommeest,nousl'avonsVUr autre registre que un uETRE-POUR-LA-MORT".Brassens utilise un pour nous Ie rappeler : 1e registre dramatique de "Bonhomme"

6t Livre de (f) Montaigne, Les Essais, Livre second, chapitre Poche, tome I' Gallimard, I965' P- 450. 26

ConvneiL ntatait pas L'air eontent ELLe Lui dit : ttça LongtenrPs fait : @teje ttaime... Et notre hgmen à tous Les deu'æ Etait pnéou depuis L'iour de Ton baptêmet'.. i Entre Ie symbolisme religieux du "baptême" de la vi'e et celui des "noces" de la mOrt, s'intercale une sorte de prg- pédeutique visant à faire comprendre qu'après tout, Ia mort ne peu, semble paS "Si féroce". IIOuS nouS V arrêterons guelgue car eIIe nous ttra dresguisser certains traits du expriment le sens de la vie tel qu'il le Brassens présente Ia mort conme une LIBERATION de tous les maux que laissait entrevoir la solennelle harangue du dé- but.

f) La_mort libère I'homme de Ia méchanceté et de Ia sotti-se

Si tu te couehes duts mes bras, ALors La uie te sernbLeY'a PLus faeiLe... Iu y seras hors de portée Des ehiens, des Lottps, des honmts et des IrnbéciLes.. .

Que I'hommer êfr certaines circonstances, soit un loup pour I'homme, Brassens I'a chanté à maintes reprises. I1 n'est que drécouter "La rose, Ia bouteille et 1a poignée de mains" (1) où i! dêmontre, mais sans pessimisme, 9u€, dans un monde où lton refuse I'amour et Ie partage :

0n est tombébien bas, bien bas...

(1) La rose, Ia bouteille et la poignée de mains (1969, dj-sgue r0). 27

Voilà pourquoi sa tendresse s'adresse à tous les lais- sés pour compte, les pauvres, Ies petits, ceux que lton mépri- se parce qu'ils ont "mal tourné" (1). Nous reviendrons sur cette idée du "Bon Samaritain", qui place certaines oeuvres dans un contexte assez semblable à celui d'e Ia parabole d'e I'Evangile (2) .

2) La_mort libère_également_de la_conlraigtg politigue :

BraSSenS fut, à un Certain mOment de sa vier UII anar- chiste milj-tant... ou plutôt un anarchiste poète, si I'on en juge par ce qutil disait à Jacques Chancel : "Pour moi, lranar- chie, crest le respect des autres, une certaine attit'ude mora- le" (3). De telle sorte guêr lorsqu'iI chante, Pêt Ie truche- ment de la mort :

NuL ne contestera tes dtoits,

iI s'agit, dans son esprit, d'une liberté qui s'arrête là ou commence celle des autres. cette attitude de "sage" n'est pas appréciée, tant s'en faut, de tout le monde. Brassens 1e d.épI0rait dans sa tou- : te première oeuvre, en s'appuyant sur une référence bibligue

Pas besoin dtêtre Jénémie Pouv d'uiner L'sott qui mtest Ptomis : S'iLs troutstnt une cotde à Let'ægoût, \ ILs me La passenont ant eou. pe?sonne' r [.È Je ne fais pouttant de tott à ; f l'- En suiuanties ehtmins qui ntmèn'nt pas à Rome"' (4) ' ,, \ù' Ê=:=:r- lj-

(I) Celui qui a mal tourné (1957, disque 4)'

(2) Dans 1'émission que France-Culture a consacrée à Brassens (17.2.Lg7g) | ehifippe Nemo a très rapidement fait allusion à ce point de vue.

(3) Radj_oscopie de Jacques chancel avec Georges Brassens, 30. 11 . 197I , Archives I -N.4.

(4) La mauvaise réputation (r952, dj-sque r)' 28

Decepointdevue,lamortd'oncleArchibaldesten- viable, eIle qui :

( ... ) faucha d'un seuL coup' d'un seuL, Le Bonhonvne. i' I 'lnQSalité I ' in;ius- 3) La_mort libège-enf in-de t et-d'e tice : l I Les ttpLaît-iL matttett ? anæontpLus couts' PLus ionais tu n'au.!a,s à cour ber La tête... celui- Brassens affiche une certaine idêe de I'homrne' bréIien du terrr'e - là doit vivre "debout", non dans le sens quiimplj.que'nousleverrons,uneexigenced'absolu-,mais humaniste qui pense dans Ie sens que peut donner à ce mot un que tous les êtres humains ont droit à un égal respect' (cour,/ber tête) qui, on aura remarqué 1'enjambement la àluiseul'estplusparlantquetouteautrecitation. ,.Serviràn'importequelleplace,c.estaiderunmonde moralj-ste Brassens' à être, à naÎtre' (1). cette pensêe est du

AprèscettelonguepropédeutiquerâUboutd'elaquelle par ,,oncIe Archibald" SIeSt laissé convaincre' "apprivoiser" familiarité, soulève la rnort, Brassens, au milieu dtimages de unetoutepetitequestionquenousnePouvonsnousempêcherde souligner :

(1) Brassens à André Sève, oP' cit', P' 145' 29

Et mon oneLe emboîta Le Pas De La beLLt qui ne sembLait Pas Si féroce... Et ies poiLà, bras dtss?ts, bras dtssol'll' Les uoilà partis ie ntsais où Faiv" Letæsnoces...

Laconclusionestuneconc]-usiondepositiviste.Le pour poète pense, à sa manière, que I'infini est "un océan (l). à lequel nous n,avons ni barque ni voiles" contrairement pour avoir une Brel, gui cognera jusqu'à sa mort à Ia porte retour- réponse, Brassens, voyant que Ia porte ne s'ouvre Pâs' : dois nera Sagement à SeS occupations auprès des hOmmes "Je avoirdessoucismétaphysiquesrmaiscommejenePeuxPasles résoudre, je ne m'en mêIe plus" (2)'

GRAND-PERE T957

''LamortvueparBrassensfaitdespirouettesetdes pourtant bulIes. Elle nrest pas celle d'Edgar Poe. Et crest assez bien ce Ia même (3). La remarque de René Fallet illustre ainsi que nous percevons en écoutant les deux oeuvres de L957, que la plupart de celles qui suj-vront' Dans "Grand-Père", Ia La truculence, objet de drame mais comme un objet de comédie. de et aussi ce que I'on appelait à 1'époque l'anti-c}éricalj-sme y trompons : Brassens, S'y donnent libre cours. Mais ne nous Pas

(f) LiÈtré. Cité dans le "Court Èraité de philosophie"' Paf DenisHuismanetAndréVergez,TomeI,Nathan,L974,p.376. Archi- (21 Brassens à Philippe Nemo, France-culture, L7.2.L979, ves de lrO.R-T.F.

(3) René Fallet, Brassens, DenoëI, L972, P' 75' 30

la mort que ce nrest ni plus ni moins d.e I' inêgalité devant de tous, elle' traite cette chanson. car si la mort est le lot d.if f ère pourtant selon les condj'tions ' Iten- Toute une satire sociale et religieuse accompagne avait d'e i têtement souriant d.es enfants, auxquels I'aieul "donné faire des funé- son vivant tant de bonheur" et quj- veulent lui railles dignes de lui :

Et Lton eoumtt à toutes iænbes Qtérin une bièz'e, mais... Contneon était Légers dtargent' Le marehartd nous neçut à bras fennés'

ttChezL'épicier, Pffi dtatgent, pas d'épiees, . Chez La belLe Suzonr pas dtargentr Ws d'e euL8sea"' Les monts de basse eondition, Ctest pas de ma iuridietion".

.Maislespetitsenfantssontobstinésetrépondentaux qu'ils nrhésitent pas refus par des coups de pied"au cul", sainte, au vi- même à admj.nj-strer I accompagnés d'une formule caire réCalcitrant qui ose Se COnduj-re coilIme un "marchand" de "goupillon" :

ttLes morts de basse eondition' C'est pas de ma bénëdietiontt'

La réaction ne se faif Pas attendre :

Atsqft mêmeque Le uieqite Ait pu Lâ,ehenun eri, J'hxù bottai L'cuL au nom du Pète' Dtt EiLs et du Saint EsPrit. ' poète' je ,,Dans "Grand-père", expliquera plus tard le se fâchent' botte les fesses d'un prêtre. si les catholiques renarqué que mon tant pis pour eux et pour noi (.. . ). Avez-vous passer' crest mort passe par l'égIj-se ? J'essaj-e de I'y faj-re ne comPren- le curé qui n,en veut pas. Beaucoup de chrétiens 3r

nent pas de quoi iI s'agit..."(1). De fait, est-ll encore si de première classe ?..., Iê loin le temps des enterrements ! temps où I'on refusait aux suiciclés' aux divorcés..., et à d''au- tres, la dernière bénêdiction de I'Eglise"' ? pau- L'aieul Sera Porté à sa dernière demeure colnme un - Vre, d.ans une "bière droccasion" et Sur le dOs de ses enfants - qui ironisent d'une ironie qui serre le coeur :

StiL eût pu reuiure un instant Grard-Père autait été eontent DtaLLer à sa dentièr' d'emetæ' Cornnem elTq)ereur...

I1- y a un petit côté anarchiste dans cette oeuvre au refrain revanchard :

Bon papa, Ne tten fais pas : Nous en oiendYons A bout de ces entpëchetæsd'entercer en tond.

DanS Ce contexte peut-on vraiment parler, comme on Ira fait de "1'anticléricalisme de Brassens" ? si l'on reprend ses chansonsr ofl s'aperçoit qu'iI y a peu Oe Chgses â Ce sujet. Certes, dans "Grand-Père", il "botte Ies fesses d'un prêtre", selon Sa PrOPre expressign ; dans "Ie Mécrêant" (oeuvre sur laquelle nous reviendrons), iI Se traves- tit d'une soutane et chante, eni toute innocence, des couplets gaillarcls (2), ailleurs, il S'amuse du "Père Duval, Ia calotte que chantante" (3) ; icj_, iI parle de "la prtite enfant drMari'

quoti- (f) Jacques CharPentreau, Georges Brassens et ta Poésie d.ienne d.e la chanson, Le Cerf ' I960, p. 88. (2) Le Mécréant (1960, clisque 6) .

(3) Les Trompettes de la renommée (L962, d.isque 7) . 32

de !û,a soufflé 1'évêque" (1) ; Ià, il ramasse une bouteille la messe ivre vi-n "tombée de la soutane dtun abbé Sortant de mort" (2) ; il grogne, pour finirr suf "ces fichus calotins" qui ne célèbrent plus Ia messe en latj-n (3). t4ais, comme iI coeur" Ie dirait lui-même, "il n'y a pas de quoi fouetter un (4). 11 ne faut pas oublier que le poète, qui se dit "fou- cour- trement moyenâgeux" (5), utilise non seulement Ia veine les toise, mais aussi Ia veine gauioise, Pour Peind're toutes réalit.és de lrexistence. 11 y a du villon dans I'absolution qu'il se donne à lui-même :

Les bonnes ùnes dtiei bas Conrptent ferTne qu'à mon tréPas Satan ua uenir embYoeheY Ce mort maL enrbouché- - . I4ais, Ihais ueuiLLe Le grand manitou, Pan qui Le not ntest z"Lendu tout, Adnettre en sa Jérusalem, A L'heuYebLâme

Le powtogxaphe Du phonographe Le poLisson De La ehmtson.

 côté d.e ces coups de. patte contre Ie clergé, nous trouvons, dans certaines chansons d'e Brassenst Une évidente

(I) Misogynie à part (1969, disque I0)' (1969, (2) La rose, Ia bouteille et la poignée de mains disque 10) .

(3) Tempête dans un bénit'ier (1976' disque P 9r0r092).

(4) PénéIope (r960, disque 6) -

(5) Le Moyenâgeux (1966, disque 9)' 33

sympathie Pour certains ecclésiastiques : : Le eu.xéd.e ehez nous' petit saint besognettn"' (f )' ou encore , u

Et gLoire à ee et'æé sauoant son ennenrt forâ du maasacre de La Saint BatthéLénta Q) . d'un Dans "Ia messe au pendu", il prend. Ia d'éfense prêtre qui est I'antithèse d,u vicaire de "Grand-Père"' Animé d,une ,,sainte colère" contre la foule qui vi-ent d'assassiner un homme' :

Ce ratiehon fii wt seandn'Le Et z'ugit à tYaoeYs Les staLLes : Mort à toute Peine de moYt- (...) IL partit cottuneà Ltoffensiue Dirê une grand'messe eæeLusiue A eeLui qui dmtsait en L'ait (3) -

Et Brassens conclut :

AnticLérieau.æ fanatique s, Gros mangeurs d' eecLésiastiques, Quand uous uous goinfretez wt PLat De ctæeton, ie oous eæhotte Conoxades, à faite en sotte Que ce ne soit Pas ceLui-Là (4) . j 'étais ,,J'ai été anticlérical militant du temps que religion" ' anarchiste - encore que je contj-nue de considêrer Ia quels qu'ils soient tous les dogrnes... comme tout à fait nocifs, anticléri- mais je n'ai jamais, dans mes chansons, êEê nettement cal" (5).

(r) Le grand chêne (1966, disque 9)'

(2) Don Juan (L976, disque P 9r0I092) '

(3) La messe au pendu (1976, disque P 9101092)'

(4) rbid.

(5) Brassens à Philippe Nemo, France-Culture, L7.2.L979, Archi- ves de 1rO.R.T.F. 34

LE VIEUX LEON r958

Dans "Le Fossoyeur", Brassens posait une guestion : et si Dieu existait ?... Dans "le Vieux Léon" , il fait comme si Dieu existait. Arrêtons-nous, tout d'abordr âo vocabulaj-re qu'il uti- lise et auquel il accOrde, comme nous I'avons dit, une grande importance. Certaj-ns moÈs émergent, êt nous Sommes frappés Par }e fait qu'iIs se relient à un langage chrétien. Citons-Ies, dans I'ordre où ils surgissent : - - - "Parad.is - Jehovah - Sainte Cécile Ave Cieux au-d.elà Seigneur - Bon Dieu - firmament". En écoutant I'oeuvrer oll pourrait Penser que le poète' à I'ai-de de ces mots, dépeint une certaine recherche de ltau- delà, pâI f internréd.j-aire cl'un anj- mort auquel il chante sa f i- ,délité. Mais évitons ce contresens : Brassens dépeintr êrI réa- Iit,é, la lité dans I'amitiér êo utilisaht I'imaqe d'une certaine recherche de I'au-deIà-

,,Je n'ai- jamais Perd.u un ami en route. Les seuls amis que j'ai perdus sont les morts. Je suis fidèIe en amitié" (l)' sa fidélité nous a valu cette très belle chanson, où Ia brièveté de la vie est rendue par un rythme musical entiè- rement bâti Sur des vers têtrasyllabiques. Nous revivons, à travers eux, I'enterrement du vieux joueur dtaccordéonr enter- rement de misère magnifiquement compensé par Ia richesse fra- ternelle de ceux qui "sqnt restés du parti des myosotis" :

(f) Brassens à Philippe Nemo, France-Culture, L7.2.L979, Archi- ves de 1rO.R.T.F. 35

Mon uieus tu as dû T'eontenter du Cha.ntpde nauets Sans gnmdes pom- pes et sans potnpoms Et sans aoe Mais Les eopains Suioaient L'sapin Le eoeur sercë En rigoLant Pour fair'senbLant De ntpas pleurer (L)

("')' Seu- "J'envoie ce joueur d'accordéon au paradis Iement, comme je m'adresse à des gens pour qui Ia notion d'e j'emploie' Dieu et la récomPense éternelle ont de f importance, ce SUBTERFUGE"(2). Or ce subterfuge nous ParaÎt intéressant d.ans 1a mesure où il véhicule une certailqe-merlÈère de concevoir Dieu et Itau- deIà. DIEU n'est plus ce Personnage fami.lier rencontré d'ans (3) il "le Testament", quj- mettait "la main sur l'épaule" ; apparaÎt comme un être loj-ntain. "Jéhovah" (aPpelé, il est vrai, tout à Ia fin du poème, "Le Bon Dieu") vit dans son "fir- mament" et ne semble guère se soucier des hommes réfugiés dans "I'amicale des feux follets". C'est donc "le vieux Léon" que le poète Presse de ques- tions, pour connaÎtre le genre dtexistence que I'on peut mener après Ia mort :

QueL tentps fait-iL Chez Les GentiLs De L'au-deLà ?

(f) COmparOnS"Le vieux LéOn" et "Fernand", de JaCqueS BreI : 1à, une multitude de "copains" I ici, un seul ami" '

(2) Jean Batteux, ElIe est Pour toi cette chanson, Cahier ronéo- typé, centre d,e musique sacrée, Nevers, 2e édition, Avril L967, p. 25.

(3) Le Testament (1955, dj.sque 3). 36

La musique, I'annour, Ie vin ont-ils "gardé droit d'e rele- cité" dans ce monde mystérieux ?... Pour notre plaisir, sont vons quelques verst dont les rimes et les enjambements d'une imagination à couper le souffle : i' Et Le pttit bLeu Est-e'que ça ntLe I Rend pas meiLLeur D'âtre serui Au sein des tsi- gnes du Seignetæ Si d'tentps en ternPs tJntdant dt antart S'Laisse embrasser Sû.rement PaPa Que tu r'grett'Pas D'être passé... ' Bref, I'AU-DELA est intêressant dans la mesure où l'on a d'onné retrouvera EN MIEUX ce à quoi I'on tient ici-bas' Dieu t pas da- à Ses enfants un paradis terrestre, ils n en d'emand'ent vantage. conversant avec André sève, auquel il enviait son . uJ'aimerais penser que bonheur de croj.re, Brassens dj-sait jour en tout ce que nous vivons reprendrait ailteursr trn et mieux (. ..).Avecd'esidéespareilles,tuterendslamarcheà la mort plus facile' (l) - cette dimension est, certes, importante. on remarquera cependant qu'aucune place n'est faite à une autre dimension' ce celle du dialogue avec Dieu : ce qui intéresse Brasse4s' Dieu en tant que personner mais Dieu en ta moven nécessaire pour assurer une SUR-VIE' petite phi- Quelque huit ans plus tard, explicitant Ia vieux losophie quril suggérait dans "Le Testament" et dans "Le perpétuelle Lé_on", il imaginera cette survie comme une détente

(f) Brassens à André Sèver oP. cit', p' f20' 37

Vous enuierez w7 peu LtëtetmeL estiuant, fui fait da pédalo sur La uague en râoant, Qui passe sa mort en uacarlces... (1) '

voilà pourquoi le poète souhaite gentiment Ie Paradis qui à tous ceux qui se sont montrés bons et charitables et que les lui ont donné du feu, d.u pain, de Ia tendresse, alors autres fermaient leur maison, leur huche et leur coeur :

(. .. ) qLtandtu mottrras, -morts Quand Le eroq'u.' t' enrpottera' Qu'iL te conduise, à ttauers eieL' Au Père EtewteL...(2) .

Paradoxalement, quand Brassens semble affirmer 1'exis- s'i]" tence de Dieu par delà la mort (et non plus faj-re "comme moderne' existait), la survie ressemble à une espèce d'e shéol Finies les joies réeIles de l'existence :

Alons da cieL et de La terre IL me faudra faire mon deuiL (3)

La question essentielle du "vieux Léon" pourrait bien petites être celle qui est contenue dans trois merveilleuses flot lignes, gui risquent de passer inaperçues au milieu du d'images qui les suPPortent :

Les rmtsieiens }nt4Ls enfin Trouué Le La ?...

(f966, dis- (r) Supplique Pour être enterré à la plage de Sète que 9). (1954, 3). (2) Chanson Pour I'Auvergnat disque

(3) Le Testament (1955, disque 3). 38

Le "Ia" est ce qui permet aux exécutants d.e jouer avec harmonie, ,,de concert". Pourquoj, ne serait-il PâS, ici, une ! sorte de symbole où seraj-t contenue Ia réponse à toutes les autres questions ? "I1 faut en d.ire PêU, disait Brassens' êt (I)' permettre à celui qui vous écoute de se faire sa fête" l Dès lors, gui nous interdirait d.e rapProcher ce que chante le poète d.es derniers mots de "Jean-chrj-stophe", de Romain Rolland je "La porte stouvre t Voici 1taccord que cher- chais" ! (2).

LES FUNERAILLES D.ANTAN 1960

Faisant menti.on des "funérailles C'antan" dans un livre qu'il intitulait "Thanatos", le professeur Jacques Bréhant' ér,ninent cancérologue, êcrj-vait : "I1 est heureux que I'on fas- que se encore des chansons sur ce thème et réconfortant d'e voir notre civilj.sation d'agités trouve matgré tout le temps d'en rire" (3). une fois encore, Brassens a choisi de réagir à son in- quiétude par un humour noj-r... Après avoir examiné "Ifenviron- nement" du sujet, nous nous introd'uirons dans cette oeuvre en esquissan!, en guise de commentairer ull rapide parallèIe enfre

(r) Brassens à Phitippe Nemo, France-culture, L7.2.1979t Archi- ves de 1rO.R.T.F.

(2) Romain Rolland, Jean-christophe, Albin Michel, I93I, Livre de Poche, tome 3t P. 483-

(3) Jacques Bréhant, Thanatos, Laffont, 1976, pP' 243 et 25L' 39

que le poète ce qu'écrit I'auteur de "Thanatos" et ce chante Sétois.

1) "Lrenvirogngmgn!"

Nous remarquerons 1'oppositj-on de deux mots introdui- sant respectivement Ia première et Ia deuxième strophe : "Ja- d'u ca- dis"... "Maintenant'r. Ils révèlent un trait important (1). ractère de Brassens : la nostalgie du passé sans doute, embellir comme i] le reconnaÎt lui-mêmer avons-nous tendance à tout ce qui est révolu Q) ; il n' importe :

Je mou.rrai, pas mâmePend.atd Atsec einq sièeLes de retard. I,Ia dewièxe paroLe soit QueLquesuers de Maître Ftançois Et que itemporte entte Les dents (3). un fLoeon des neiges dtantmt

Le resret des Cérémonies "drantan", que Brassens déve- toppe en prenant Ia mort pour thème, trouvera son expression ultime lorsqu'il déplorera I'abandon officiel, d'ans Ia religion catholj.que, de la langue liturgique (Ie latin). La similitude des d,e ton est évidente : en 1960, consÈatant Ia disparj-tion rites funéraires, iI chante, à I'aide de mots apparemment sau- grenus qu'accompagne un rythme sautillant et endiablé, Ia nos- talgie des :

( . .. ) beLLes pom, pom' pom' pom' pom' poîtPesfunèbres'

(1) Cf. La route aux quatre chansons (1965, disque 8), Ie grand Pan (j-bid. ) , Ie MoYenâgeux (1966, disque 9).

(2) Cf . Le temPs Passé Q962, disque 6) .

(3) Le Moyenâgeux (1956, disque 9). 40

En L976, aYant conservé Ia même mesure à 9, le Poète ironise sur ce qui lui tientàcoeurrSl

PLus de grand's PontPes, soudain, Sarts Le Latin, sans Le Latin, f PLus de mustète magique Le rite qùious enuoûte S'affie aLors qtodin (I).

oncomprendsanspeinepourquoinousnoussommesarrê- tée quelgue peu à ce que Iton pourrait appeler "l'environne- à 1tégafd ment', deS "FUnérailleS dtantan" : BrassenS éprOuve, du passé du passé religieux, la même nostalgie que vis-à-vis sujet' profane. Avec son bon sens coutumier, iI faisait, à ce prêtre : des remarques fort pertinentes à son aml qui ne "La soutane et le latin, ctétait pour ceux Pou- vaient pas affronter la foi nue. Je comprends I'avant-garde et des ro- qui dit : ,'sril f aut protéger Ia foi avec du latj-n êtres à qui bes, non !'. Mais vous ne semblez pas Penser aux juger par on n'a pas donné assez de force pour eux-mêmes, Pour de RITES" (2) affronter Ia foi nue, sans revêtement de mystères, ren- si nous poursuivons nos investigations, nous nous drons comPte rte de la fof i se relie elle-même à un désir d'éterni- précédemment' té, de "survieu au sens où nous la définissions Rienn'illustreramieuxnosProPosqueladernière grand Pan" (3) : strophe d'une oeuvre Peu connue, intitulée "Le

(1976, P 9101092). Nous (f ) Tempête d.ans un bénitier disque soulignons à dessein les mots-cIés.

(2) Brassens à André Sève, oP' cit', P' Ir7' une rémi- (3) Le grand Pan (1965, disque 8).-Cette chanson est Aj:né d'e niscence de 1a 18e strofhe de la Chanson du Mal IIamour,_Jésus- Guillaum" Àpàrrinaire : "Le grand !"r, 1956 Livre Christ morts" . (Poémes, Gallimard' ' très de poche"ottf-ùiàn iit, p. 44\ . Nous nous devons de citer ce Iong extrait- 4T

Et quand., fataLe, sonnait L'heur' De pnendte wt LineeuL pooæ costume' [Jn tas de gëni's, L'oeiL en Pleur, Vous offz'aient Les horanet'æsposthumea ' Potæ aLLex at eëLeste entPire Dans Leuv batque iLs uenaient uous pren'dz'e' C'était presque un pLaisir de ren'd're Le dernier soupir. La plus hunbLe-dépouiLLe ëtatt aLors bénie, Embaz,qué'pav' Caton, PLuton et eontpagnie. Au pire deê minus L'ùne était aeeordé' morteL aoait L'ëtewtité' Et ie moindre t'Jtai touehant Le crâne en eriant : trouoëtl Mois, se | La bard.e au ptofesseu.x Nimbus est artiué , Qui s'est miêe à fnappet Les eiet'w dtaLignement' Chassev Les dieuæ du firTnænent. AuioundtVai' çà et Là, Les gens, passent -enco?' MaTs La tontbe-est, héLas ! La dewtiène daneute, Et Les dietn ne népondent pLus de cetæ qui meutent : La mort est natureLle et Le gtand Pan est mort'

Et Brassens conclut :

Jtai bien peur q,Le La fin du monde soit bien tniste.

2) Un-raPide ParallèIe'

Nos rapprochements sont, évidemment, fortuits : Brassens professeur n'a pas davantage plagié Ie professeur Bréhant que le Bréhant n'a écrit en songeant à I'oeuvre de Brassens !"' Mais iI existe une telle correspondance de pensée entre les deux exerciCe Comme Un "oeuvres" que nous pourrions utili-ser nOtre jeunes exemple de démarche pédagogique auprès d.es : Ia chanson' qu'elle par I'intérêt qu'elle suscite et par les quest'ions véhi- culer'peut devenir une excellente introduction à des lectures plus philosophiques ou plus scientifiques' 42

a) "Jadis la mort était lroccasion d'un rassem- blement autour de celui que 1'on "veillait". C'était un ultj:ne témoignage d'affection, de respect porté au d'éfunt. Ces rites aidaient "à surmonter 1'épreuve en favorisant les conditions d.'une meilleure restauration psychique Sur Ie plan individuel, d'une meilleure réorganisation sociale sur Ie plan collectif" (1).

Jadis Les payents des morts uous mettaient dans Le bain ffionne gra.e ils en ftsaient ptofiten Les eopains : "Ita Ltn môfi à La maison, si Le eoeu-Yuous en dit, Venez L'pleuæer auee nous sur Le coup de midi"'tl

A présent, on a perdu le Sens de ces démarches, ou elles sont devenues individuelles : Ia société moderne a esca- moté, évacué la mort parce qu'elle en a Peur. "En tout cast on constate que la coutume des "veillêes" a tendance à disparaÎ- tre" Q) .

trfuaisLes uiuants awiourd'hui n'sont pLus si généret'æ Qtmd iLs possèaeffitLs Le gatdent pour eu&'

b) Jadj.s encorer orr suivait à pied Ie corbillard flanqué d,e chevaux caParaçonnés d.e noir et d'argent, qui con- duisait lentement Ie mort jusqu'au cirnetière. A présent, "les chevaux caparaçonnés ne sont plus qu'un souvenir (.")' Mais les cortèges automobiles, même réduits au strict minimum, sont encore une cause non négligeable de stress" (3) '

(f) Jacques Bréhant, Thanatos, Laffont, L976, P' 246'

(2) Ibid. ' P. 255.

(3) Ibid.r PP. 250-25r. 43

Iulaintenant, Les corbiLLards à tornbeau granâ. outtert Enrportent Les trépassés iusqt'au diable uauuent, Les maLheureuÆn'-ont mâmepLus Le pLaisit enfantin D'uoit Leurs hér'ùtiets mait'on mateher dans Le erottin'

"I1 n'est pas douteux non plus que les enterrements à "soixante à Itheure" sont lourds en éIéments nocifs' dévelop- I' pant chez 1es survivants un inévitable sentiment de culpabili- té vis-à-vis d'un défunt aussi ma1 honoré" (1) ' Brassens va plus loin encore lorsque, relatant un fait divers, il écrit :

Ltautne semain' des saLauds, à eent quatante à L'heurt, Vez,s un eimetiènt minabLe entpoxtaient tm des Laæs" ' fiuand., su? un æbre en bois dut' tLs se sont apLatis On staçterçut qutLe mort atsait fait d'es petits.

c) Jadis enfin, après les enterrementsr or se réunissait pour boire ensemble (ce qui se fait encore, d'aiI- Ieurs, dans Ia pluparÈ des campagnes), même si I'on avaj't Per- du Ie sens de ce rite qui était que "Ia disparition d'un mem- bre du clan ayant été déplorée et hommage lui ayant été rendu' i1 était nécessaire d.e se tourner vers d'autres horizons pour affirmer Ia pérennité de la vie communautaire" (...). C'est ce joie qui "motivait qu'autrefois la fête suive Ie deuilr Qu€ Ia succède à I'affliction" (2) :

Quarld.Les hérùtiers étaient eontents' même Au fossogeurs aLr e"oqu'-rnort, au ctæë, ann eheuant* ILs payaient un oerre.

. En conclusion, Brassens émet d.eux souhaits. Le premier va à Irencontre de ce que le professeur Bréhant considère com- me un progrès de notre civilisation : "Nous ne voyons plus

(r) rbid., p. 25L. (2) rbid., p. 246. 44

- justifiaient d'enterrements de grand apparat ceux qui autre- fois le terme d.e pompes funèbres avec draperies et tentures, catafalques et char porte-fleurs (. .. ) . une plus grande simpli- que cité a prévalu et iI n'y a qu'à sren louer, bien de telles t manifesÈations et d.épenses de prestige puissent être valable- ment consi-dérées conrme un exutoire d.e la frustation sociale" (r).

0, que rennisse Le tetnps des morts bouffis dtorgueiL' L-'époque des m' as- tu-ou-dan s-mon-j oLi- eeteuei.L, 0ù,' quitte à tout dépenset iusry'au demier écu, que Leur cuL. fes )ers auaient à àoeur de notyir pLus haut

Le second' souhait révèIe' de façon plaisamment voilêe' sa hantise de la mort :

PLutôt qu'd'auoit des obsèquts manquant de fioritunts' Jtaim,ràis mieu.æ,tout eontpte fait, mtpasser de sëpuLtt'æt' Jtaimtyais mieu.æmouyit dans Lteau, dans Le feu, n'inrpotte oUs Et mâme, à La gnand' t'igueur' ne pas mourit d:t tout'

c'est à cela qu'il voulait nous conduire, n'en doutons pas. Cette phrase en dit. Iong sur celui qui confiait à "Frère les ci- André" : "I1 n'y a Personne dans les cercueils et dans metières. Plus Personne" (2) . Et comme le professeur BréhanÈ avait raison de recon- (3) ' naître en Brassens un "troubadour égaré parmi nous" !

(1) Ibid., P. 250.

(2) Brassens à André Sève, oP. cit', p' L20'

(3) Jacques Bréhantr oP- cit., P' 25L' 45

LA BA.LLADEDES CIMETIERES T962

I

si les psychanalystes prenaient au sérieux Ia ballade goûts des cj:netières, guê ne trouveraient-j.ls à dire sur les morbides du personnage qui nous est Présenté l " ' Fort heureu- sement, il ne s'agit que dtun "joli conte absurde à la manj-ère gui'lleret des humoristes anglo-saxons" (l), narré Sur un rythme extrêmement sYncoPé. crest pourquoi nous nous y arrêterons moins, laissant à Chacun Ie soin de Savgurer lrhumour nOir de Brassens' dans cette oeuvre où tout est superbement "absurde" ' j.onne - Absurde r êfr ef fet r cê maniaque qui collect même à I'étranger - des concessions et qui, bien que très riche en demeure ce domaine (le vocabulaire accumule les précisions) I hantê par I'idée fixe de trouver un tombeau dans le seul cime- tière où il n'en Possède Pas :

Au eimetièr' du lûontPawnsse A quatne pas de ma maison.

Absurde, cette passion morbide des "tombeaux", "sépuI- ttmaUSOIéêSt', ttmOnUmgnts", tufes", "ter.tI,estt, "pieffeS tomba1eStt, "caveaux" r "cimetières'r r "nécropoles"''' Absurdes et macabresr ces promenades du "jour des morts" où notre homme court, vole "de nécroPole en nécropole" et de "couronne dt immortelles" en "cyprès". Absurde encore, alors que les héritiers drune de ses riCheS- tanteS, "marggise de Carabas", Convoitent Ses immenSes ses, de convoiter, Iuir soll futur caveau... à Montparnasse.

(r) René Fallet, Brassens par René Fallet, Denoël, L972t P. 9r. 46

Absurde, enfj-n, Ie couP que lui décoche "La camarde", puisque les fossoyeurs se trompent de cimetière et I'envoient' loin d,u MontParnasse de ses voeux :

Mais Les etoqutmorts, qui étaient de CVnrtres' Funeste er?eur de Litsraison, Ihenèr'nt sa dépouiLLe à Montmattne, De Ltatftt' eôtë de sa maison.

Nous ferons simplement deux remarques : la première est que, tout conrme dans le "Testame1t", Dieu est une instance suprême qui décide de Ia mort de l'homme :

Et Dieu fit si4ne à La camarade De L' eæpédiev'Ru.e Froidexatæ, ..

ç.0 La seconde est que I'on pourrait dire d'u comique dont rlf gurrril devient de plus en plus un outil \\' rts" i fait preuve Brassensr ,rrr, pour faire contrepoint avec Ie drame" (1)' ^\ \ En effet, Ie poète, qui se dj.ra "cerné par les enter- uln tou- rements" (2), prend ses distances avec "Ia mort, Ia mort \t jours recoilrmencée" .(3) en imaginant un double qui, loin de flat- fuir cette mort qui I'attend., Ia contemple, la cajole, la te. prendre "L,humour", écrivait encore Tonesco, "ctest de conscience d.e I'absurdité, tout en continuant à vivre dans que I'absurd.ité" (4). Brassens a le sens de I'humour te1 le jusqu'à d.éfinissait le d.ramaturge. 11 va le pousser I'atroce, t I d,ans la f arce des "Quat z arts " .

Idées (1) Eugène- fonesco, Entretiens, Notes et contrenotes' no to7, Gallimard., 1966, P. L76- (2) supplique pour être enterré à la plage de sète (1966, dis- que 9). (3) Mourir pour d.es idées (1972, disque rr).

(4) Eugène lonesco, oP. cit-, P- L52. 47

LES QUATTZTARTS 1965 -

Ici, Ia mort nrest plus un fantôme contre lequel on se bat. EIle a frappé, et de très près. Les QuatrzrArts est une oeuvre de désespoj-r, malgré les gaudrioles ou les imperti- nences d,e tsrassens utilj-sant le sacré pour en faire un objet de dérision. Toute Ia chanson (mj-s à part le dernier couplet) nie la réalité de 1a mortr sâ présence, son évj-dence. Le Personna- ge qui monologue tient à la fois de cet "étranger", décrit par Camus, incapable de réaliser ce qui le concerne, et de ce "clown", peint par Bernard Buffet, dont Ie maquillage outré fait ressortir la tristesse. La mort y est traitée conrme une représentation dont on serait le spectateur ; représentation comique, puisqu'elle a lieu aux "Quattz'Arts" (qui fut, de 1893 à L924, lrun des ca- barets montmartois les plus en vogue d.e Paris). Chacun, revêtu d'habits d'emprunt (aj-nsj- fait semblant de croire Ie narrateur) , y joue Ia "farce" macabre d'un enterrement. Tous les personnages semblent entrer dans le jeu (Ies "copains", le "mort", Ies "croque-morts", les "commères choi- Sies pour les COrdOnSdu pOêle", le "curé", 1"'enfant d.e choeur") de même,Ies gbjgts., qui ne lai-ssent pas deviner leur trucage (Ie "goupilIoo", le "cercueil", le "faire-part") :

On deseendit La bière et ie fus bien &çu' La bLa4ue maintenant frùsait Le mauuais goût, Cat Le mort se Laissa ieter La terr' dessus Sans Leuen Le coutsereLe en stéeriant : "Coueou" !

A chaque "farce", le héros applaudit, comme à Ia fj-n d'une pièce où lron est satisfait, parce que les acteurs ont bien joué leur rôIe : "Bravo ! ". 48

Les Q,nttztArts aoaient fait Les choses conrneiL fatft L'enterrement paxaissait officieL : Brauo ! (...) Le maeehabéesembLaït tout à fait mort. Btatso ! (...) Les pLeureuses sangLotæient pour de bon. Brauo ! etc... jusqu'à ce que I'incroyable atteigne le comble :

Jtétais Le pLus proche parent du défimt. Brauo !

A ce moment, Ia mort est reconnue. Hélas, iI ne s'agis- sait pas d.tune "farce" :

Adieu ! Les fau.ætibias, Les erânes de eazton... (...) Les urais enterrements oiennent de cotrtneneer.

Même si Ie langage vert de Brassens a pour fonctionr dans les Quat'z'Arts, de briser le t.ragiquer OII peut parler dtune "chanson terrible (...) de .pluie, de Toussaint, de no- vembre, êt qui vous laisse glacê" (1). En peu de mots, le poète a su dire à quel point la mort d'un proche peut assombrir tout le paysage iniérieur d,run ul'â homme et lui d,onner le sens de ce que Ionesco appelait quoi bon ? u (2) :

"ressorti Qtand je suis de ee chorp de nnvets' Ltombre de L'ICFGIT pas à pas me suiuait, tJne petite croiæ de trois fois rien du tout îaisætt, à eLLe seul', de Ltombre un peu pattout'

(1) René Fallet, Brassens, Denoël, L972, pp. I03-r04.

(2) Eugène lonesco, Journal en miettes, Mercure de France, 1967, p. 38. 49

SUPPLIQUE POUR ETRE ENTERRE A LA PLAGE DE SETE 1966

Jtai eru bon de remettre à ioun mon testonent' De me paAev un codiciLLe-

"CODICILLE : Acte postérieur à un testament, le modifiant' le comPlétant ou lrannulant (1). cette d.éfinition va nous permettre de comprendre en quoi la "Supplj-qllê", qui est lravant dernière et }a plus lon- gue d.es chansons de Brassens Sur la mort (elle ne dure pas moins de sept minutes) , prolonge le "Testamerlt", écrit quelque onze ans plus tôt.

1) "Le_modifiant". ..

Le TON a changé : à la triStesse que nous avions déce- Iée en écoutant I'oeuvre de 1955, a succédé une mélancolie sou- riante :

Cette tombe en sanù.'sich, entre Le eiel et L'eatt' Ne donnera. pas une ombre triste au tabLeat't' Mais un chæTneindëfinissable.

cette sérénité se traduit dans la \ÆRSIFICATION'où 1'oc- tosy}J.abe, rappelant "le Testament", alterne avec des alexan- drins qui se donnent, selon I'expression de René Fallet, "d.es

(f) Paul Robert, Dj-ctionnaire alphabétique et analogique de Ia langue française, 1973. 50

balancements de voilier" (f). ' Le changement est également perceptible au niveau du | VOCABULAIREêt, si nous j.nslstons sur ce dernier, c'est que nous savons (Brassens 1'a avoué lui-même) que chacune des oeu- vres du poète a son point de départ dans quelques mots-images, f autour desquels i1 va tisser son paysage intérieur (2). Nous reprendrons, par consêquent, dans I'ordre où ils se présentent, les mots-CléS du "Testament" et nOuS cOnstaterons que ceux qui leur sont substitués dans la "supplique"r accompagnent fort à propos- le changement de ton que nous relevions plus haut : DEUIL ; échos de villanelle, fandango, tarentelle, sardane. CERCUEIL : sleePing Paris-Méditerranée. CII"IETIERE : grève, plage de la corniche. TOIIBE BUISSONNIERI : tombe en sandwich entre le ciel et I'eau. AIqES DES DAMNES: celles de Gavroche et de Mimi Pinson. CHRYSANTIiEME: Pin Parasol. FOSSE COMMUNE: petit trou moelleux, bonne petite nj-- che.

Plus de traces, par contre, d.e "crogue-mortstr r dt "en- terrements " .

2) "Le_complÉtant".. .

Nous avons, dans la Supplique, exprimée de façon extrê- mement poétj-que, une véritable définition théologique de la mort séparation de I'âme et du corPs :

(f) René Falletr oP. cit., P. If3.

(2) Cf. entretien de Brassens avec Georges Lafaye, 13 septembre f963, Archives de I'O.R.T.F. 5I

Note ee qu'iL faudrait qutiL adutnt de mon cozTs Lorsque mon ùne et Lui ne seront pLus dtaeeord Que sur un seuL point : La m'ryh'æe. :

Mais Ia "théologiie" d.e Brassens s'arrête là : en ef- fet, si LrAIvlEprend. "son vol vers lthorizon", nous nten savons pas davantage sur sa destinée et, Si le poète s'en dêbarrasse ainsi avec beaucoup dtéIégance, c'est, n'en doutons Pas, que la survie de "lrâme" ne }tintéresse guère. LE CORPS' PêI con- tre, a une destination (et non une destinée) bien précise :

Juste at bord de La mer, à deun pas des flots bLeus, Creusez, si ctest possible' un petit trou moeLLeu.æ, (Jne bonne petite niehe, Auprès de mes onis dtenfonce, Les dnuphins, Le Long de eette gnèoe où Le sable est si fin, Sur La pLage de La Cowdehe.

Crest, en effet, à travers lrimaqe du corps gue Brassens évoque Ia survie et, dans cette imaginaire immortalité, nous retrouvons tous les souhaits exprimés dans "Le vieux Léon" (1) : LA MUSIQUE, dont, le vent Parfumé apporte au poète les échos :

De uiLLanelLe wt ioun, un iou.n de fartd.arzgo' De tatentelLe, de satdane...

LIAMITTE :

Est-ee trop dernande?... ! Sux mon petit Lopin' PLantez, je uous en prie, une espèee de pin' Pin parasoL, de préférenee' Qui salæa pnérmmir eontre L'insolation Les bons qnis uenus fair' sLtTma concession D' affectueus es rëoérences.

LTAIvIOURTsurtout, 9ui occuPe une grand.e place dans Ia "Suppliqtf,ê", puisque le poète I'évoque â trois reprises. Le

(r) cf. P. 36. 52

lieu où il désire être enterré est celui où iI connut "la pri- me amourette" et i1 espère que Sa pierre tombale aura des fonc- tions bien partj-culières :

Les baigneuaes sten seroiront de parauent Pour eTnnger de tenue...

Enfin, dans une strophe pleine de fraîcheur, iI déve- loppe, en quelque Sorte, Ies vers du "Testament" ( "Engore une fois dire je t'aime, Encore une fois perdre le nord"), en uti- lisant Ie "subterfuge" du symbolisme religieux :

Et quætd, pnenant ma butte en guise dtoreiLLer, tlne ondine oiendra gentiment sonmeiLLer Auee moins que rien de costume, Jten demandepardcn Pæ auance à Jësus' Si L'ombre de ma eroiæ s'y eouche un peu dessus Pou.xun petit bonheur posttttttne.

Toute la chanson respire un profond amour de la vie et baigne dans des images vj-suelles, olfactives, Sonores, mariant 1'or du sable au bleu du ciel, l'odeur des pins à celle de ia mer et les airs de d,anse de l'Espagne à ceux de I'It'alie. Rien ne manque, pas même le rappel d'un illustre Sétois' Valéry : le "Cimetj.ère marin" n'était-il Pas également une se- reine méditati.on sur Ia vie et sur Ia mort ? z

(...) Je hume ici ma future fumée, Et le ciel chant.e à I'âme consumée Le changement d.es rives en rumeur ( f ) .

(f) Paul Valéry, Lê Cimetière marin, Poésies, Gallimard' 1958, p. I01. 53

Dans Ia "Suppliqlf,ê", nous retrouvons toute lrirnagerie t de Ia survie telle que nous I avj-ons évoquée dans "Le vieux Léon"r ltll lieu où "L'ETERNEL estj-vant (...) Passe sa mort en vacances'r, imagerie qui est un Prolongement logique de la vie terrestre pour celui qui chante : "La vie est à peu près" le " seul luxe i.ci-bas' ( 1) .

3) "Ou-I'annulan!".

DIEU EST LE GRANDABSENT DE CE CODICTLLE (21. Si' dANS le "Testamellt", il apparaissait Pour expédier dans lrautre mon- d.e (,,Va-t-en voi-r lâ-haut si j'y suis") , 1a rupture entre I'âme et le corps se fait ici de façon naturelle. 11 y arbien sûr, dans 1a "Suppliqlr€", une discrète aI- lusion à Jésus et à sa croix : nous avons dit qu'j-l ne sragis- sait que dtun "subterfuge".

(t) Mourir pour des idées (L972, disque rr).

(2\ Brassens avait tout d'abord pensé donner le titre de "Co- dicille" à la "SuPPlique". 54

TROMPE LA MORT 1976 -

?. II serait intéressant d'établir une comparaison entre "Trompe la Mort" , d.e Georges Brassens ' et "Vieillir", d'e (f) : on y rencontre Ie même rejet de la mort, par Ie refus du temps qui passe. BreI laisse filtrer sa révoI- t€, sa douleur et son angoisse d'une façon tragj-que, Presque insoutenable. Brassens utilise un procédé totalement différent, celui d'une souriante coméd.ie. Il a apprivoisé Ia mort au point d.e la berner, de la "tromper", en faisant semblant de porter les griffes de la vieillesse, tandj-s qu'à "ltenvers du décor" iI demeure plus vivant que jamais :

Auee eette neige à foison Qui coiffe, eoiffe ma toison, On peut me eroire à uue de nez BLmehi sous Le harmais. Eh bien, Mesdaneset Messieuts, C I est rùen que de La poudte aL& Aeu'æ Ctest nien que de La conédie Que de La patodie" C'est pout tenter de eouqer eoutt A Ltauqtee du tentps qfi coutt... ''Toutembroui11erdans1efat'idiquesab1ier'',''@

Ie temps",âU point de lui faire croire gue "le coeur bas moj-ns souvent" et n'a plus la même vj-olence dans son désir d'aimer, te1 est Ie but de "Trompe la Mort". Mais' comlne ltêcrivait un poète du XVIe sièc1e :

(f) Vieillir, L977' BarcIaY 96010. La limi-tati-on de notre tra- vail ne nous Permet Pas de le f ai.re d'une manière détail- lée. 55

Le temps sren va, le temps sren va, ma dame i nous nous en allons... Las ! le tempsr non' mais (r) Dans Ie dernier couplet (celuj- qui nous intéresse plus partj.culièrement), la crainte de la mort est évacuée par une situation dont la mise en scène reprend celle des "Quattz'Arts'ê. Mais, contrairement à ce qui se Passait dans la farce tragique d.e 1965, ici,Ie "macchabée" soulève Ie Couvercle: "Trompe la Ivlort" décoche à "Ia Camarde" un coup de pied vengeurr êrI repre- nant vie sous les applaudissements de ses amis :

Et puis, eoup de thëâtre' quan'd. Le tentps aura Leué Le eænP. Estimarù que La fatce est iouëe, I4oi tout hettteztn, tout enioué' Je m'eæhumerai du caueaut Pour saLuer sous Les bnaoos. Ctest pas demain La oeille, Bon Dieu ! De mes adieun.

Au terme de cette brève étude sur la façon d.ont Brassens envisage la mort - et que Ie poète nous pardonne d'avoir ainsi d,issêqué Ses textes - t nous ne Pouvons nous empêcher de Songer à 1a d.istinction f aite par le philosophe Vladj-mir Jankelevitch ' Iorsqu'j-l parle de "Ia mort en troisièmer €o seconder êIl Pre- mière personne" (2) . Si nous reprenons ces catégories r nous nous apercevrons que Brassens les a toutes chantêes.

(r) Ronsard, Pièces retranchées d,es Amours, "Je vous envoie un bouguet" , XVfe sièc1e, Collection "textes et littérature", -\"1 Bordas, 1965, p. L42. L977 pl'd (2) Vladimir Jankelevitch, La Mort, Champs, Flammarion, ' P. 24. 56

t) "La mort en TROISIEME PERSONNEest-. la mort-en-généraI, la mort abstraite et anonymer ou bien Ia mort-Propre en tant que celle-ci est impersonnellement et conceptuellement envisa- gée" (1). ON meurt... Cette première approche est celle que I'on, rencOntre dans "Oncle ArChibald", "Grand-Père", "Les Funérail- Ies drantan" et "La ballade des cimeti.ères".

2) "La PREMIEREPERSONNE" est assurément source d'an- goisse. Je suis traqué. En première personne, la mort est un mystère qui me concerne intimement (...). C'est de moi gu'il s'agit, moi que la mort appelle personnellement. par son nom" (2) Cette angoisse du "je mourrai" se ressent dans "Le Fossoyeur", "Pauvre lvlartin", "Le Testament", la "Supplique" et "Trompe 1a Mort".

3) "Entre I'anonymat de Ia troisième personne et Ia subjectivité tragique de la premj.ère, iI y a le cas intermé- diaire (...) de ta DEUXIEMEPERSONNE (...). Le TOI représente en effet le premier Autre (...). Aussi Ia mort d'un être cher est-eIle presque comme Ia nôtre, Presque aussi d.échirante que la nôtre" (3). Toi, tu .meurs ! . . . TeI est Ie cri qui retentit dans "Bonhomme", "Le vieux Léon" et "Les Quattz|Arts". "I1 y a, êcrivait Ionesco, LTAGEDIOR: c'est l'âge de I'enfance, de f ignorance; dès que I'on sait que lfon va mou- rir, l'enfance est terminée (...). En dehors de I'enfance et d.e I'oub]i, iI n'y a que 1a grâce qui puisse vous consoler d'exis- ter ou qui puisse vous donner la plénitud.e, le ciel sur la ter-

(I) Vladimir Jankelevitch, La Mort, Champs, Flammarion, L977 ' P. 25.

(2) Ibid. , p. 26.

(3) Ibid. , p. 29. 57 re et dans le coeur (. . . ) Comment peuL-on vivre sans la 9râ- ce ? On vit, cePendant" (1). cornme nous le montrerons cans la seconde partie de notre thèse, Brel quêtera cette "grâce" avec une âme tourmen- tée. 11 demandera Ie Paradis à la femme êtr quand i} aura "o*j pris qu'elle ne pouvait Iui donner I'infin! qu'i1 mend'iait (2) , il poursuivra une recherche solitaire dont "L'homme d'e la Man- - cha" pourraiÈ bien être Ie symbole (3). Brassens, avec une sagesse quj- rappelle celle de Mon- taigner S€ contente d'une "grâCe" à la mesure de I'homme. Nous - voulons dire Par 1à qu'i1 ignore du moins dans ses oeuvres ltélan qui veut "aÈteindre à sren écarteler Itinaccessible étoi]e" (4). Et 1'amour qutil chante, heureux ou malheureuxt nrest jamais enveloppé de cette "aura" brélienne. Redisons-Ie, notre jugement nrest pas un jugement de valeur. La richesse de I'oeuvre nrest nullement mise en cause. Nous avons simplement constatér âU cours d,e notre étude, 9Uê le poète Bruxellois témoignait d'un désir de transcender la vie que nous ntavons pas rencontré chez Ie poète Sétois. Sans doute trouve-t-oflr dans ltgeuvre de Brassensr des phrases comme celle-ci :

(. .. ) i'auais aequis Cett'eonuietion qti Du reste me nao?e ?ue mort ou ûiuant Ce n'est pas souuent Qtton arriue au Haore (5).

(f) Eugène lonesco, Journal en miettes, l4ercure de France' 1967, p. 31.

(2) Cf. .

(3) "Lrhomme de Ia Mancha", (Don Quichotte) , comédie musj-cale américaine adaPtêe et jouée par Brel en f968.

(4) Ibid. , "La Quête".

(5) Les RicocheÈs (1976, disque P 9101092). 5d

Cependant, même avec une majuscule, Ie Havre (qu'il appellera en drautres cj.rconstances "L'Auberge du Bon Dieu" . (f) ) représente une sécurité humaine. Quelle que soit la matiè- re de cette sécurité (amitié ou amour), Ia forme en demeure id.entique. Et le but, du poète, dans le couplet ci-dessus' est I, de nous livrer ce qu'j-l aPpelle sa "petite philosophie" et sa "morale" . (2) . 'EST POURQUOI LIOEUVRE DE BRASSENS EST A LIRE AVEC UN REGARD DE MORALISTE. Ainsi est-il moraliste dans sa façon d'renvisager la mort, parce qutil ne nous la dépeint

(I) Jeanne (1966, disque 7) (2) Brassens à And,ré Sève, oP. cit-, P. 47.

(3) Propos recueillis par Georges Bégou, Ciné Magazine, Décembre L976, p. 58.

(4) Cf. Brassens, I'amour de la musique et de la langue françai- sêr Emission de Philippe Nemo, 17 et 19.2.L979, Archives de 1'O. R.T. F.

(5) rbid. 59

pensées religieuses qur entre vous et Le nOnde rnoCerne", il répondait : ',J'ai pr5.s le partirune fois Pour toutes, de ces- ser de me mêIer de ce1a. J'essaie de conserver dans mes chan-' Sons certaines valeurs auxquelles je suis attaché et auxquel- les je crois que certains sont attachés" (l). Lressai d'intégration au domaine religieux srest soldé par un échec et Ie poète a replacé la conversation sur le ter- rain de la morale. "Mais Dieu", inSistait-onr "est COnstarnsnentprésent -"Parce dans vOs Oeuvres sgus Ia figure de Ia m6rt". .. que je ne peux le remplacer Par rien d'autre !" s'étonnaj.t BrassenS (.. . ) , "parce que je ne sais vraiment pas pourquoi nous sommes 1à, ni qui nous a faits, ni si ce rnonde a été fait ( . . . ). Pour- quoi Dieu existerait-il forcément ? Pourquoi, me direz-vous' nrexisterait-il Pas non p}us, bien sûr. Eh bien ! s'il existe, permettez-moi de vous d.ire que c'est un drôle d'oiseau !... Quand on voit tout ce qui se Passe !... " (2) . Au cours de cet.te même émission, iI affirmait nette- ment : " - JE N'AI PAS BESOIN D'UN GRÀNDFRERE LA-HAUT QUI ME PROTEGEET QUI ME DICTE SES LOIS" (3). 11 nten reste pas moins que ses chansons témoignent d.'une imprégnation religieuse. Il le reconnaÎt sans d'ifficulté et 1r explj-que ainsi : "Ma mère était très pratiquante" (4)... "J'ai tout de -(5). même reçu un enseignement catholi-que

(f) Cf. Brassens, I'amour de Ia musique et de la langue françai- s€r Emissj-on de PhiliPPe Nemo, 17 et L9.2.L979, Archives de I'O.R.T.F. (2) rbid.

(3) rbid.

(4) Brassens à André Sèver oP. cit-, p. 115.

(5) Brassens, I'amour d.e Ia musique et de Ia langue française, Emission de Philippe Nemo, 17.2.L979, Archives de I'O.R.T.F. 60

',La religion nous marque assez profondément dans les années d'enfance, elle restera toujours celle que j'ai connue, à ce moment-là. JE NIAI NI LE GOUT NI LE TEPIPSDE TOUT REMET- lRE SOUSLE MICROSCOPE"(I). en Après cette démythification, nous soîrmes davantage L mesure dtanalyser une thématique qui occuPe une place très im- portante dans Itoeuvre de Brassens : celle d.e I'AMOUR.

(f) Brassens à André Sève, oP. cit', p' f15 ' CHAPITRE II

LA PETITE LUEUR DE L I A}TOUR

ttAu I j ourd hui , çà et Là, Les coeu?s battent encop Et La règLe du i eu de Ltamour est La même, It'lais Les dieur ne répondent pLus de eeul qui s'aimen Vénus stest faite femme et Le grand Pan est mort". 62

l

Qutil se réfère à la "veine gauloise" ou à la "veine avec d'infinj-es nuances courtoise", 1e poète chante la femme i. allant de la tendresse à l'amour ou, mieux encore, à lramitj'é, que car "Ltamitié c'est plus profond et plus solide l'amour' Les amours solides sont justement celles où I'homme et la fem- me ont réussi- à devenir des amis" (1). Nous ne CqntmenterOnS pas chaque oeuvre, co1nmenous }ta- vons fait précédemment. Cette méthode, nécessaire Pour aPPro- fondir la façon dont Brassens envisageait la mortr rIê nous Se- rait ici d,aucune utilité. Nous avons donc choisi de rechercher, à travers la thématique amoureuse, les différentes nuances sus- ceptj-bles dtéclairer la façon dont Ie composj.teur donne un ',sens" à sa "vie", sans nous soucier de Itordre chronologique des oeuvres que nous citerons.

(f) Brassens à André Sève, oP. cit., P. lOt- 63

A) !lispsÉglelieg-seligiegse-êe-geilcieeg-eesvres.

La culture religieuse de Brassens lui- permet d'opérer, avec un rare bonheur quand iI s'agit de l'amour, le déplace- ment dtun vocabulaire "sacré" à un niveau "profane". t Dans une de ses premières compositions, il traduit ain- si Itémoi quril ressent, en rencontrant une fernme dont Ia dou- ceur candide éveille en lui des sentiments de tendresse, un dé- sir de protection (slæbolisé par le parapluj-e) , cles rêves un peu fous que Peynet (I) seul saurait illustrer :

J'atæais uouLu, eontmea,t déLuge, Voi.r sans avnât tomber La pLuie, Pour La gatder soua non refuge Q,nyante jouts, quaz,ante rwits (...) IJn pttit eoin d'parapluie, Contye un coin d'paradis, ELLeauait queLqueelns'd'un ange... (2)

11 utilise, plus tard., une image sirnilaire qu'il glisse d.ans un contexte beaucoup plus charnel :

JtLui ai dit : ttPa? La Madone, Reste anprès de moi /" (3)

Mais la douceur féminine peut se muer en une jalousie tyrannique. "Il y a d.ans lramour, d.it Brassensr quelque chose d.'exclusif , de possessif . Je n'aime pas ce mot, (...) mais j'ai des yeux pour voir" (4). La possessivité tue I'amour ou Ie ré- d.uit en esclavage :

(1) Dessinateur français né à Valence, céIèbre par ses couples d'amoureux-poètes et par ses "médaillons dtamour".

(2) Le parapluie (f952, disque 1).

(3) Je suis un voyou (1954' dlsque 2).

(4) André Sèver op. cit., p. LO2. 64

Tous Les sonmærhuLes,tous 1'esmages mtont Dit, sans maLiee, Qt'en ses bz,as en cv'oiæ je subiz'ai mon Dernier suppLiee., . (I ) .

parallètement à 1'évocation de la crucj-fixj-onr oII ren- contre celle, délicieusement profane, de la résurrecti-onr È s'insêrant dans une chanson de répertoire folklorique (2) cons- truite sur le thème d,e la métamorphose, cher aux Poètes depuis le XIIe siècle. Un faux noyé reprend vie sous l'ardeur de I'a- mour :

Conuaineuede m'auoiz'oecis, m'auoir oeeis, La uoiLà qti se radoucit' se tadoueit, Et qui mtembrasse et qui me motd Pout me ressuscitex des morts, eiter des motts (3).

A plusieurs reprises, Brassens utilise le symbolisme du baptême, pour exprimer tantôt Ia révélation qurapporte I'a- mgur, considêré comme une sorte de "grâce" accordée à I'hOm- me:

Toi, qti m'a donné Le baptême Dtonour et de septième eieL, Ir4oi, ie te gaz'de, et, moi, ie ttaime' Dewtier eadeaztdu Pèr'NoëL I (4).

(f) Je me suis fait tout Petit (1955, disque 4).

(21 Pour la signification de ce mot, nous nous référons à ce qutécrj-t Christian Hermelin : "Nous n'emploierons Pas le mot ae folklore dans Ie sens où lrentendent les savants folklo- ristes (. .. ) . Nous voulons parlerr êD termes généraux et plus vagues, du folklore tel qu'il est présent aujourdrhui â la mêÀoire collective nationale, avec ses chansons de ma- rinsr ses "claires fontaines", ses routes de Dijon et de Louviers, ses brigands, SeS pauv' soldats... ; avec' encoret ses comPtines enfantj.nesr'. (Ces chanteurs que lton dit poè- tes, Collectj-on "Donnêes actuelles", Lrêcole des loisirs, I970, p. 39).

(3) Commeune soeur (f958, disque 5).

(4) La première fitle (1954, disque 21. 65

tantôt I'importance de la relation qui. srétablit entre deux êtres, 1'appellation du nom prenant un relief que n'a peut-être pas entrevu le poète :

ttToi qu' i'ai payéteent solls, dis'moi queL est ton nom, t Ion p'tit nom de baptâme ? - Je m'appeLLeNinette. -Eh bien, pauu?e Ninon, Console-toi, je ttaimett (f ) .

L'emploi le plus imprégné de culture évangélique qu'il aiÈ fait de ce sacrement Se trouve, paradoxalementr dans une oeuvre de Ia veine gauloise, sorte de transposition de 1répiso- d.e de Marie-Madeleine la pécheresse, dont le Christ disait : "11 lui sera beaucoup pardonné, puisqu'elle a beaucoup aimé" (2). Après avoir dépeint lrinconstance d'une femme quj- se prête à tout Ie mond,e sans se d.onner à personne :

ù Tu n'es pas de ceLL's qtd meut'nt où eLL's s'attaehent (3),

Brassens reprend à son compte, dans un jeu de mots comique, I'attitude des fanatiques des guerres d.e religj-on, qui obéis- saient à Itordre célèbre : "Tuez-Ies tous, Dieu reconnaÎtra les si.ens":

Passe-Les tous pat tes arrnes Passe-Les tous pat tes ehat'rnes, iusqu'à e'que L'un d'euÆ, Les btas en exo'f^t, Totu,rzede LtoeiL dqrc tes bras, Des grand.s qu'æpttits, en aLlarzt iusqutaun LiLLiputiens, Embrasse-Lestous (bis ) Dieu neeonnattra Le sien ! (4)

(r) La fille à cent sous (L962, disque 6).

(2) Luc, 7' 47.

(3) Embrasse-Ies tous (1960, disque 6).

(4 ) rbid. 66

ce refrain est destiné à mettre en valeur la fin du t,exte, où le poète décrit les effets de l'amour véritable : sa rencontre entraÎne une conversion (dans Ie sens étymologi- que d.u terme) et efface les fautes "comme" le Sacrement d'ont il fait état :

ALors toutes tes fred.aines, GttiLLedous et prétentaines, Tes écarts, tes grand.s écatts, Ie seront patdonnës' car tUe Les fiLL's quand ça dit : ttaimet', C'est cotfine wz seeond baptëme, Ca Leut donne un eoeur tout neuf Conmean sortir de son oeuf (1).

Nous retrouvons Itidée crue 1r amour rachète toutes les fautes dans un récit intitulé "L! assassinat" :

ALors, prise d'un urai remords ELLe eut ehagrin du mott Et, sur Lui, tombarLt à genoun, ELLe dit : ttPardonne-nous ltl (...) Ctest une Larrne au fond. des yan ?ui Lui ualut Les cieu.æ Et Le matin quton La Pertdit, ELLe fut en patadis (2).

Le poète sétois J-gnore la face sombre de I'amour' 9uê nous rencontrerons dans I'oeuvre bréIienne. Sa culture reli- gieuse ne Ie conduit pas au d.ualisme tragique que vécut, sans aucun doute, le poète Belge (3). Que I'on comPare, Par exemple' tout le symbolisme dont Brel charge l'esprit du mal (4) et les

(r) Embrasse-Ies tous (1960, d'isque 6) .

(2) L'assassinat (1966, di-sque 7).

(3) cf. p. 372.

(4) Cf . La haine , Lê diable, ltlathj.lde. 67

pirouettes amusées de Brassens lorsqutil parle du "démon" (1), (2) ou du (3) . d.e "Satan" "diable" , une seule fois, il retrouve son sérieux, dans une oeu- vre toute de tendresse, où il formule Ie souhait que l'amour oure :

(...) iusqt'à L'heu.redu ttéPas Si Le diable s'en mâLePas (4).

Pas plus que le diable, le péché, pour Brassens, n'est chargé d'une signification traumatisante. Pour ceux qui s'ai- ment, il nty a drautre loi que "1'é1an farouche de deux êtres qui se ruent I'un sur lrautre, Srembrassent, Srétreignentr S€ parlentr' (5 ) . "vous, les catholiques, reproche-t-il, avec votre en- fet, vos cuJ-pabilisations continuelles, I'importance exagérée que vous dOnnez aux chOses sexuelleS, vous sentez peser Sur vous un reglard, d.e juge (. . . ) . Vous avez donné cette Peur aux gens. Ca, je ne Peux pas vous Ie pardonner" (6). Le poète rassure l'épouse "d'un ulysse de banlj.eue" qui berce "de jolies pensées interlopes" :

Ntaie crainte que Le CieL ne t'en tienne rtgueux' ÎL n'yta tra'isnent pas Là de quoi fouetten un eoeu? Qui bat La eantpagne et gaLoPe ! C'est La faute comtwne et Le péehé uénieL ( 7 ) .

(f ) Le Mouton de Panurge (f 965, di-sque 8) .

(2) Le Pornographe (1958, di-sque 5).

(3) L'Epave (r956, d.isque 9) .

(4) Bécassine (r959, disque r0).

(5) Brassens â Andrê Sèver oP. ciÈ., p. f30.

(5) Ibid.. ' pP. Ir9-120.

(7) Pénélope (r960, disque 6). 68

Quant à lui, il ne s'embarrasse dtaucun scrupule :

0n n'a plus rien à se eaeher, On peut s'aimer coltnntbon nous sembLe, Et tant miaæ si etest un Péchë : Nous i!'ons en enfer ensembLe! ( I )

Ou encore :

La mignonne aLLait aun uâpres Se mettre à genouæ ALors jtai mordu ses Lèores Pour sauoir Lezægoût... (...) Le Bon Dieu me Le patdortne, Je nty tenais pLus ! }u'iL me Le pardonne ou non' D'aiLLeurs ie m'en fous, J'ai dëià mon àne en peine : Je suis un uogou (2) .

B) La "morale"de Brassens.

Lti:nprégnation religi_euse des oeul,/res gue nous venons d'évoquer n'est pas étrangère au comportement d.u poète. Elle se prolonqe d,ans ce gut j-l appelle "une certaine diqnitê de qeste:l et d.e pensées" (3) . Nous d.écouvrirons cette "dignité" par Irintermédiaire de deux valeurs essentielles à SeS yeux : Ia reconnaissance et la fidélité. Reconnaj.ssance envers des femmes qui ont su Ie comprendre et I'aider dans ses difficiles débuts ; fidéIité en- vers Ia femme incarnant la conception qu'il Se fait d'e I'amour.

(1) I1 suffit de passer le pont (1953, disque r).

(2) Je suis un voyou (1954 ' disque 2).

(3) Brassens à André Sève, op. cit., p. ff9. 69

1) La_recongalsgagcg.

I "I1 y a un plus grand. nombre de bonnes Samaritaines que de bons Samaritains. La femme est (...) en général plus généreuse..., plus a1truiste..., plus grande en amour que , 1|homme" (1). Brassens a composé troj-s oeuvres, dans lesquelles nous retrouvons un univers culturel qui rappelle Ia parabole à Ia- quelle il fait allusion (,2). La première et la plus célèbre, "'hanson poor ltAut gg!", pourrait passer, stil ne s'en était défendu, Pour une chanson "chrétienne". Un couplet, consacré à Ia femme, stins- pire directement de I'Evangile du Jugement dernier, rapporté dans Mathieu : "Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger" (3).

ELLe est à toi, eette ehanson, Toi, L'Hôtesse qui, sans façon' M'a donné quatre bouts de pain @tand, dans ma uie, iL faisait faim... (...) Ce n'éta.it rien qu'un pat de pain, Mais iL m'aoaii ehauffé Le eorye Et dans mon &ne iL brûLe encor A La manièr' d'un grand festin... (...) Toi, L'Hôtesse, quwd. tu mourras, I Qtand Le croqut'mort t ernportera, Qu'dL te conduise, à travers eieL, Au Père EterneL (4).

(r) Brassens à Philippe Nemo, France-Culture, L7 .2.L979, Archi- ves de I'O.R.T.F.

(2) Luc l0' 29-38.

(3) Mathj.eu 25 ,35.

(4) Chanson pour I'Auvergnat (1954, disque 3). 70

Nous avons expliqué précédemment (I) quêr pour luj-, pas d'un acte de foi dans I'au-delà, mais il ne s'agissait I d'une manj-ère ai:nab1e d,e remercier ceux et celles qui I'ont 1 soutenu 3 "Je peux tout de mêmer rr€ croyant pas en Dieu, t, écrire cette chanson à I'Auvergnat (...) Puisqu'iI pense quril (2) i y a un au-delà (. .. ) , je parle de Dieu -

La seconde oeuvre est intitulée : "La fqmme drHeclqq". Le registre est tout autre : comme il est difficj-Ie de chanter la misère sans tomber d.ans le mélodrame, Brassens a choj-si de nous attendrir Par Ie biais d.'un humour souriant :

En notre tour de BabeL, LaqueLLeest La pLus beLL', La pLus aimabLe patni Les fermn's de nps onis ? LaqueLLe est notre uv'aie noltnoul' La pttitt soeu? des pauures de nous ?... (3)

sa "tour de Babel" pourraj-t bien être une cour des Mi- racles Où srest réfugiée toute la "faune" que l'on délaisse ou que l'on Èraque. Ici, comme dans "La Prj.ncesse et !e Croque- Notes" (4), une présence fémj-nine vient adoucir Ia dureté de I'existence. L' "Hôtesse" de "I'Auvergnat" étai.t ani:née d'une charité compatissante. La "fefiEne d'Hector" :

(. .. ) dispense sa tend,z'esse, Tout,ts ses écorzoni's d'earesses (5) .

(r) cf . p. 37.

(2) Brassens â Phillppe Nemo, France Cu]ture, L7.2.L979 ' Archj-- ves de I'O.R.T.F.

(3) La femme drHector (1958, disque 5).

(4) Cf. La Princesse et Ie Croque-notes (L972, disque 11).

(5) La femme d'Hector (f958, disque 5). 7L

On retrouve' chez "{gæ", les qual.j-tés des femmes précédentes :

Par La façon qu'eLle Le d.onne, Son pain ressembLe à du gâ,teau. llk 1...t Dans son eoeuv, en s'poussant ttn peu' Reste enco?eune petite pLaee (f) ...

...mais le poète a voulu, vingt trois ans plus tard, faire de celle qui fut son abri et son soutien (2) , une sorte de déesse- mère :

Etre mèz,ede tvois pouLpiquets, à quoi bon ! Q,nnd eLLe est mèneunùserseLLe, @tartd tous Lee enfætts de La terne, De Lamer et du eiel sont à eLLe... (3)

Notre comparaison se justifie aisément au moyen d'une image saisissante, dans laquelle I'amour est accolé à la mort :

Son auberge est ouùerte auÆgens sans feu ni Lieu, 0n pourrait LtappeLer L'auberge du Bon Dieu StiL n'en eæistait déià une' La dewdère où Lton peut entter (4) Sans frapper, sarrs montrer patte bLanche... - on a voulu à tout prix coflIme ce fut le cas Pour ,,I,Auvergnat" faire, des oeuvres dont nous venons de parler, des chansons à résonance métaphysique :

(r) Jeanne (1966, d.isque 7).

(21 C'est en 1943 guer profitant drune "permission" Pour ne plus retourner au camP de Basdorf où il effectuait le S.T.O., Brassens rencontre celle qui va devenir sa mère adopti- verr. Jeanne est morte en 1968.

(3) Jeanne (1966, disque 7).

(4) rbid. tz

"Sans Ie souvenir ou sans lrespérance de queique chose comme Dieu, sans une puretê absolue comme Dieu, Iui di- sait son interlocuteur, iI n'y auraiÈ peut-être pas des "Jeanl ne" et des "femmes dtHector" ? temps du polythéisme, répondit Brassens, il "Du Y t- avaj.t déjà des "femmes d'Hector". Or, à ce moment là' Ies dieux étaj-ent encore plus dérisoires que celui quton nous a in- venté. .. " (r)

2) La_fidêlité.

"Je peux comprend.re qu'il y ait de I'infidélj.té' de lrinconstance, êt je le chante. Mais moi, Personnellementr êrl amitié ou en amour, je ne me reprends pas" (2). Certes, Brassens a chanté f infidélité féminine, mais elle occupe, dans son oeuvre, une place restreinte par raPport à 1'émerveillement ressenti Pour Ia femme-princesse (3), 1a femme-Cendrillon (4) ' Ia femme-fleur (5). 11 déplore surtout, à travers I'abandon de celle qui est aimée' l'état où se re- trouve I'abandonné :

JtLui en ai bien uouLu mais, à présent, J'ai pLus d'rancune et mon coeur Lui pardonne D'auoir mis mon eoeur à feu et à sang Potæqu'il ne puisst pLus seruir à personne... (6).

(f) Brassens à Philippe Nemo, France Culture, L7.2.L979, Archi- ves de IrO.R.T.F.

(2, Brassens à André Sève, oP. cit., P. 98.

(3) Cf. La Princesse et le Croque-notes (L972, disque ff).

(4) Cf. La Chasse aux papillons (1952' disque f).

(5) Cf. Les Lilas (1957, disque 4).

(6) Une jolie fleur (1954, disque 3). 73

A ses yeux, qui use, gui dépoétise, qui "passe et fauche à I'aveuglette" (1), ou fait "s'envoler 1a fauvette des d,imanches" (2). I1 y a une sorte de pessimisme craintif dans des chants contme celui- ci:

Pautsre qnoLt?, tiens bon La barre, Le ternps ua passev pat Là Et Le tentps est un batbate Dans Le genve d'AttiLa.

Au,æeoeurs où son cheuaL pasêe' Ltættouv,ne repousse pas, Aun quatre eoins de L'espaee IL fait Le dësert sous nos pas. ALors, nos ûnottvs sont mortes... (3) .

Mais le poète a su éqalement brosser d.e merveilleux tableaux de femmes fidèles : l'épouse d.e "Bonhomme" ne craint ni le froid ni la désespérance pour aller ramasser du bois mort et "chauffer (...) celui qu'elle aime et qui va mourir" (4). "J'estime, d.j.t Brassensr gu€ crest une des meilleures chansons d'amour que j'ai faites. Cette femme est très grande. 11 y a, en réa1ité, quantité d'êtres qui sont capables d.e cet amour 1à, invisible" (5) . La "femme drHector prend :

su.yLes t)ertus à;"^Zlati;s fidèL'îs (6) .

(1) P... de toi (1953, disque 21.

(2) Les Lilas (1957, disque 4).

(3) rbid.

(4) Bonhomme(1956, disque 5).

(5) Brassens à AngèIe Gu}]er, Ie 9e Art, la chanson française contemporaine, Vokaer, Bruxelles, 1978, P- 90.

(6) La femme d'Hector (1958, disque 5). 74

La " jolj-e fée" d'un vilain bistrot

Punir dtun flie-fLac Les atda,ees(f ).

"Attendant le retour d'un Ulysse de banlieue", une Pénélope du XXe siècle se voit offrir ce ravissant hommage

Toi, L'épouse modèLt, Le griLLon du foyer, Toi, qui n'as point d'acez'oe dans ta rob' de natiëe' Iai, Lt intraitabLe PénéLope, En sttiuant ton petit bonhormnede bonheut, Ne berees-tu janais, en tout bien tout honneur, De joLits pensëes interLopes ? (2)

Remarquons enfin que Ies filles "de moeurs 1ê9ères" qui apparaj-ssent dans Ses chansons gaillardes ne Sont PaS un témoignage de I'infidéIité féminine, mais' comme 1'a écrit Ma- dame Angète Gullerr uII symbole de "I'oppression des faibles par les fOrtS" et un "catalyseur des idées sociales d'un homme épris de justice, ennemi des préjugés et de I'hypocrisie" (3). Brassens devient alOrS à son tOur un "BOn Samaritain" : on le voj,t défendre toutes celles qu'il considère comme des victimes de la société et qu'il s'interdit de juger :

FiLs de péeore et de minus, Ris pas de La pauu?e Vénus, La paut:re uieiLLe casseroLe, (...) IL s'en faLLait de peu' mon ehen, &te eett' putain ne fût ta màte, Cette putain dpnt tu rigoLes' ParoLe, paroLe... (4) .

(1) Le Bistrot (f960, d,isque 6).

(2) Pénélope (1960, disque 6).

(3) Angèle Guller, le 9e Art, Ia chanson française contemporaj-- rr€r Vokaer, Bruxelles , 197I , P. 92 .

(4) La complainte des Filles de joie (L962, disque 7). t5

ou encore :

Ne jetez pas La Pierne à La fernne aluLtère, Je su:ts derz'ière... (1)

La comPassion qu'il exPrime laisse deviner sa fidéIi- té envers une certaine image de la femmer €o même temPs que la fidélité de ses sentiments.

a) FidéIité envers une certaj'ne image... (2)

11 y a, chez ce compositeur qui utilise, en certaj-nes circonstancesr Uo langage très vert ("Je me défends dravoir écrj-t des chansons malsaines ou d.éshonnêtes, protestera-t-il " ' ' Ronsard, Du Bellay ont une verdeur de langage plus grande que pu: Ia mienne ! " (3) ) , une valorisation extrêmement délicate et dique de Ia femme, qu'i1 dissimule, la plupart du temps' sous une plaisanterie :

Jtsuis pas bien gro.sst, fit-eLl', d'une uoiæ qui se nout, Mais ee n'est Pas ttw faute... ALors moi, tout érmt, i'La pri's sur mes gertau'æ Poun Lui eonqtter Les eôtes ( 4 ) .

Nous retrouvons !e même resPect, voilé Sous une ironie tOuchante, dans une Oeuvre Où il met en SCène un "croque-notes" ' que vient tenter une petite Princesse de la "zône" :

(1) A I'ombre des maris (L972' disque 11)'

(2) Nôus nous permettronsde citer, Pour aPpuyer nos dires, de longs extrâits de deux'ou trois oeuvres. Cela nous semble indispensable Pour 1a compréhension de I'ensemble de notre étude.

(3) propos rapportés par Jacques charpentreau d.ans : Georges BraËsens êt Ia poésie quotidienne de Ia chanson, Cerf' 1960, P. 70. (4) La fille à cent sous (L962, disque 6). to

0r, tut soir,, Dieu du eieL, protégez-nous ! La tsoiLà qui monte sur Les genou.æ Du croqu.e-note et doueement soupite' En rougissattt quand mëne tm petit peu : ttCtest toi que j'atsne et, si tu ueu.æ'tu peuæ Mtembrassersl,tr La bouche et mâmepire...tt (1).

Avant de "filer à l'anglaise" Pour ne Pas succomber à son désir, le croque-notes, PluS ému qu'i1 ne veut le 1aj-sser paraître, décourage lradolescente :

- Ntinsiste pas, fit-iL d'un ton raiLLeur' Dtahord, tu ntes pas mongevwe, et d'aiLLeurs' Mon eoeur est déià pn'ùs par une grande... ALors prineesse est partie en cottrant, ALors princesse est partie en pLeurant, Chagrine qu'on ait boudé son offrande (2).

En puisant avec beaucoup de bonheur dans notre réper- Èoire folklorique (3), Brassens a ctêê "Les sabots d'HéIène", "oeuvre qui défend", selon ses proPres termes, "Ia dignité d'un être que des j-dj-ots dédaignent à cause des apparences" (4)

Les sahots d'HéLène Etaient tout erottés, Les tz,ois eapitaines Lt auraient appeLé' uiLaine, Et La pauore HéLène

(f) La Princesse et le Croque-notes (L972, disque ff).

(2) rbid.

(3) Le thème de notre étud.e ne nous permet pâsr et nous le re- grettons, de développer un aspect des oeuvres de Brassens qui prouverait, si besoin était, gu€ "Ia véritable poêsie populaire n'est pas une poésie un peu moins bonne que 1a poésie savante, crest une poésie aussi belle, mais quj_ est simplement plus immédiat,ement universelle, et plus innocen- te". (Claude Roy, Trêsor de la Poésie populaire, Seghersr L967, p. L7) . (4) Brassens à André Sèver oP. cit., P. 62' tt

Etait eommetme &ne en peine... Ne eherche pLus Longtenps de fontaine, loi qtd as besoin d'ect't, Ne eherehe pLus : a)'æ LarrnesdtHéLène Va-tt-en rentpLir ton seau. (...)

Moi i'ai pnïs La peine De mtg arxâter, Dffi.s Le coeur d'HéLène' Iûoi qui ne suis pas eapitaine, Et j'ai uu ma peine Bien z,écontpensée... Et, dnns Le eoeur de La pduure HéLène, Quit aoait jænais eTnnté, Moi j'ai trouué L'qttour d'une reine Et moi je L'ai gæd.é (I) .

"Bécassine"r êIf, contraire' est convoitée par tous les "Cupidons à particule". Elle Se moque cependant des honneurs et de la richesse, Pour ne Suivre que les élans de Son coeur. La délicatesse d.es mots, la fraÎcheur et Ia richesse des'ima- ges sont un enchantement :

un ehanp de bLé prenait rac'ùne Sous La eoiffe de Bécassine, Ceun qti cherehaient La toison d'oY' AiLLeuxs artaient bigrenent tot't. (...)

C'est une espèce de vobin Ntayæft pas Ltombre d'un Lopin SuteLLe Laissa pendre, uainqueur, Au bout de ses aceroehe'eoeurs. Ctest une sorte de mancnt, [Jn antouteuædu tout

(1) Les sabots d'Hélène (1954, disque 3).

(2) Bécassine (1969, disque 10). 78

Après cela, il est aisé de comprendre fg-@ e témoisne Ie te lorsgue la femme ne correqpe44-ÈuE--Ê Itimaqe idéale qu'il sten fait. Après un tour de France Sym- bolique sur "La route aux quatre chansgns", Où il a retrouvé une "MarjOlaine" vênale, 1eS belles dames du "POnt d'Avignon" cruelles et la fille du geôlier de Nantes d'épourvue de pitié, il exprime sa décePtion :

VouLant mene? à bonne fin Iûa eouv,se uagabonde, Vers mes pénates ie reuins Pout dornix aupxès de ma bLonde, Mais eLLe auait ehæryé de ton. Auee eLLe, sotts Ltédredon, IL y aoait du monde Donnant près de ma bLonde. Jtai pris Le coup d'un air bLagueur, Mais, en caehette, darts mon coeurt La peine était profonâe, Ltehagrin Lâehnit La bonde. HéLas ! du iatdin de mon Pète La CoLombestest fait La paire... (1)

Nous aurons perçu, une fois encore, la nostal-gie d'une époque révolue (2) dans laquelle, selon Ie poèter or vivait mj-eux, oî mOurait mieux et, Surtout r OrI aimait davantage :

Quand deu,æi:nbéeiles heuretæ S'amtsaient à des bagateLLes, 'un tas de génits ûnoureu,û Venaient Letæ tenir La chqndeLLe- Du des Chonps ELysées, fin fond 'tJe Dès qltiLs entendnient un ttaimett, ILs aeeoutaient à Ltinstant même Conrpter Les baisene (...) L'unour donnait un Lustre au pire des minus Et La moinlve ûTtou.?euseaoait tout de Vénus. (...)

(f) La route aux quatre chanson (1965, disque 8).

(2) cf. p. 39. 79

AujourdtVrui, çà et'Là, Les coeuz's baitent encor Et La règLe du ieu de L'qnouv est La mâme, Mais Les dietæ ne répondent pLus de ceun qui staiment : Vénus s|est faite fenrne et Le Grand Pqn est mort (1) .

b) Fidélité de ses sentimenfs.

Tout est dit dans Ia finale d'une chanson de randon- née (2) . -.*-**'"u

- Si etest mon trisi:e Lot De faine un trou dans Lteanl, Racontez à La beLLe Qte ie suis maxt fidèLe (3).

ce quatrain, datant de L966, est une sorte de charniè- re entre deux oeuvres majeures ; I'une, écrite lrannée précé- dente : "Saturrrê", 1|autre, Itannée SuiVante : "La nOn-demande en mariage". Nous leS ConsidérOns comme le "TestamenÈ" amoureux de Brassens, crest pourquoi nous nous y arrêterons quelque Peu.

Lrécrivain René Fallet, ami du poète' considère SATURNE conrme "une des oeuvres caPitales de la maturité d'e Brassens'r (4), En effet, nous Soilrmesen présence drun très beau Poème, soutenu

(1) Le Grand Pan (1965, disque 8).

(2) Les folkloristes aPpellent randonnée un "emboÎtement d'es évènements les uns dans les autres (...), lrexacte réplique de notre histoire de "Biquette qui veut pas sortir du chou, le chj-en veut Pas mordre BiqueÈte, Ie loup veut Pas manger Ie chien" etc..." (Christian Hermelin, Ces chanteurs qu'on dit poètes, Ecole des loisirs, 1970, p. 4f).

(3) Je rejoindrai ma belle (1966, disque 7) -

(4) René I'allet, Brassens, DenoëI I Ig72, P. llt. 80

par une rnêIod.ie extrêmsnent méIanco1ique, dans lequel' déta- chant un par un ses mots, il nous dit que lramour et la fidé-. }it,é sont des valeurs caPables d.e triompher de I'usure du temps. Le "sens de Ia vie", Pour Brassens, nous paraÎt rePoset en partie sur cette fidélit.é anoureuse que "le dieu inquiétarlt", qui "joue à bousculer les roses" (l), nra pu mettre en échec. Les traces physiques de I'usure du temps valorisent le visage de 1a fernmer êIl lui donnant un aj-r de gravité qui- émeut Ie poète, comme l'émouvait, jadis, le doux minois de 1'héroÎne du "Parapluie" (2):

Cette saison, c'est toi, ma beLLe' Q,Li as fait Les frais de son ieu, Ioi qui as payé La gabeLLe Un grain de sel dans tes cheuetæ.

C'est pas oiLain, Les fleurs dtcutonme, Et tous Les poètes Ltont dit. Je te regarde et ie te donne MonbiLLet qutiLs n'ont pas menti (3) .

De même qu'iI a voulu apprivoiser la mort, ainsi Brassens a désiré apprlvoiser le temps. Au lieu de regretter, - -, dans "Saturne", les "jadis" comme i! Ie fit si souvent abandonnant sa réserve coutumj.ère, il exprime, dans un quatrain d'un raffinement exquj-s, 1'éclat drun amour qui porte encore tant de promesses :

(I) Saturne (f 965, d.isque 8) .

(2) Cf. Le Parapluie (1952, disque f).

(3) Saturne (1965, disque 8). 8r

Viens eneor, uiens na fa'.uot'ite, DeseendnnsensembLe att iatdin, Viens effeuiLLen La marguen'ùte De Ltëté de La Saint-trûaytin (I) .

On pourrait penser, cofltme le fit André Sève, que ce poème chante "une folie capable de rendre supportable Ia coha- I biÈation à vie", qu'iI est une sorte d,e cantique du : "Nous vieillirons ensemble" (2). Mais Saturne n'est pas une oeuvre sur le mariage. "Je l'ai écrite, nous dit Brassens, dans f i- dêe de L'ETERNELLEFIANCEE" (3)...

"LA NON-DEMANDEEN MARIAGE" reprend et explicite la phrase quelque peu énigrmatique du poète :

8u' en éternelLe fiarrcée, A La dsne de mes pensée I Ioujouts je pense (4) .

En composant cette chanson, qui complète 1a précéden- tê, BrasSens nous apprend pOurquoi I'amour ne Srest PaS éteint, pourquoi Ia fidéIité a su résister à I'usure du temps. A plusieurs reprises, iI s'est expliqué sur le sens du refrain, gui a fait pâ1ir tant de moralistes :

J'ai L'Vtpnneurde Ne pas te de' mander ta main, Ne grauons pas Nos noms att bas D'un patehemin (5) .

(f) Saturne (r965, disque 8).

(2) And.ré Sèver oP. cit., P. L29.

(3) Brassens à André Sève, ibid..

(4) La non-demande en mariage (1966, dj.sque 9) .

(5) rbid. 82

I1 ne se réserve pas ainsi, corlme on pourrait Ie pen- ser, une "porte de sortie" ; i1 ne revendique Pas d'avantage une liberté qu'iI craindrait d.e perdre ; il fait cette profesi sion de non-mariage AU NOM DTUNE CERTAINE IDEE DE L'AIVIOURQU|IL ''CICSt A PEUR DE VOIR SE BAIiIALISER : UNC PT1SC dC POS1I1ON CON-È tre la cohabitation (...). Si I'on résume ma chanson : ne vous marj-ez pês, parce que Ia femme va être dépoétisée" (1) :

Vërws se fait uieiLLe sow)ent ELLe perd son Latin deuant La Lèehe-frite... A aueun pniæ, moi, ie ne Deu'æ EffeuiLLer dans Le pot-au-feu La marg:uerite.

ON LEUR OTE BTEN DES ATTRAITS EN DEVOTLANTTROP LES SECRETS DE MELUSINE. L'enere des biLLets doun PâLit Vite entre Les feuiLLets des Li- unes de euisine (2).

Pessj:nisme ou réalisme ? Albert cohen, dans un des ro- mans les plus éblouissants qui aient été écrj.ts sur le thème de la lassitude engendrée Par la cohabitation, ionstatait, avec une tendresse crueIle, 9u'il n'y avait d'heureux que les amants séparés, et gue le fait de vivre constamment ensemble condui- sait à l,enferr âu désespoir ou à la mort (3). 11 n',y a Pâs, il j-rmatj-on est vrai , cltez Brassens ' une af f aussi désespérée que chez Cohen : "J'aime, mais je ne cohabite Pas" (...). "Parce gue c'est cela, finalement, le mariage : fai.re cohabiter deux corps, deux caractères (...). C'est assez fou" (4) -

(I) Brassens à Philippe Nemo, France Culture, L7.2.L979 | Archi- ves de I'O.R.T.F.

(2) La non-demande en mariage (1966, disque9). Nous faisons ressortir les mots-cIés. j-rnard, ( 3 ) Albert Cohen, Belle du Seigneur, Gall f 968 '

(4) Brassens à André Sève, op. cit., p. L27. 83

"BfaSSenS, aVeC "La non-demande en mariag€", PeUt tOUt, d,e même faire réfléchir un Peu (...) sur tout ce qu'il faut de d.éIicatesse pour rendre supportable, à vie, la cohabitation" (I) - On dira que cela est trop facile, 9uê l'amour suPpose des difficultés et des luttes cofirmunes. Brassens ne le nie Pas'f maj-s il se reconnaÎt incapable de vj.vre à un niveau où il se heurterait sans cesse à Ia banalité du quotidien : ,'Beaucoup pensent trop vite" que I'amour "permet de tout supporter et que c'est même adorable, Pâr exemple, une ' femme aimée qui se lave devant vous ou se fait 1es ongles (. . . ) Eh bien, pour un caractère conme le mien, non ! " (2) ' "crest peut être affreux ce que je vais te dire, mais (...) on a besoin d'un peu de diète d'amour (...)'Si I'arc en ciel duraj-t trop longtemps, Personne ne Ie regarderait plus" (3) :

IL peut sembLende tout rePos De mettre à Ltombre, au ford. dtun pot De eonfiture, La joLie poïme défendu'' Mais eLLe est euite, eLLe a Pendu Son goût ttnattÆe" (4).

MAIS I'amour d.ans Ia nOn-cOhabitation, loin de d.onner toute licence, exige une fidélité d'autant prus qrrande que nul "parchemj-n" (5) ne I'aura légalisé :

(1) Brassens à André Sève, oP. cit., P. L28.

(2) rbid.

(3) Ibid,.' P. I00.

(4) La non-demande en mariage (1966, disque e). (s) rbid. 84

Laissons Le ehatnpLibre à Ltoiseau, Nous serons tous Les delæ ptiso- nniers sur paroLe... (1). ,!

Cette oeuvre, composée cependant voici plus de treize ans, obtient un vif succès auprès des jeunes. -. succès dû, , é9a1ement,aufaitqueBrasSenSd.éfendl,idéed'unecertaine émancipation de la femme :

Au diable, Les mattvesses queuæ Qui attachent Les eoeu?a qu'æqtæu's Des casseroles ! (...) De sereante n'ai pas besoin Et fu méruge et de ses soins Je te dispense (2).

"Je n'aimerais pas, disait-il, fréquenter un type qui considérerait Sa femme comme Sa subordonnée, conrme un être qui doit uniquement se préoccuper des problèmes domestiques" (3). Pour terminer, relatons ce fait : on d,emandait à Brassens "S'il divorcerait, en ad.mettant qur iI fût marié". 11 rêpondit : "Non, je garderais ma femme comme une maladie" ! (4)

3) ''JE CROIS EN CERTAINS HOMMES JE_çBgIg_EN_!:êrjggB'(s) .

L'amitié étantr €r quelque sorte, Ia fine fleur de I'amour que le poète Porte aux êtres, nous commencerons Par

(r) La non-demande en mariage (1966, disque 9).

(2) rbid.

(3) Brassens à André Sèver oP. cit., P. 130.

(4) Rapporté par Philippe chatel, dans : Georges Brassens, gdilions Saj-nt Germain des Prés, L972, p- f58.

(5) Brassens à Philippe Nemo, France Culture, I7.2.L979, Archi- ves de 1ro.R.T.F. 85

expliciter le second terme de son "Cred'o"

a) JE CROIS EN LIA}4OUR.

Nous avons pu vérifier cette assertion ; mais Brassens. .: en élargit 1e sens. fI tente de nous convaincre que Ia vre ne peut être supportable que si chacun de nous s'efforce de ten- dre une main secourable à son Prochain :

Et j'étais Là, tout nu, sur Le bord du tt'ottoir (...) Le n'pz,ésentant dtLa Loi oint, dtun pas dÉbonnaiz'e. (...) Le bougne, ùL me eouut'it auec sa pëLenine ( I ) .

"Celuj- quj. a ma1 tourné" s'attend, à sa sortie de pri- SOn, à "VOir IeS hUmainS Se détOUrnef de" SOn "Chemin". Maj.s leur attitud.e 1ui redonne foi en I'humanité :

Iten a un qti m'a dit : ttSaLut! Te reuoir, on n'y eontptait pLus..." ! | en a un qti m'a demandtâ Des now)eLLesde ma santé (2). Lot's, i'ai uu qu'iL z'estait encor Du monde et da beau mond'suY terre Et jtai pLeuté, Le cuL par terre, Ioutes Les Larmes de mon eoYPs (3).

Et Brassens affirme :

Qt'au Lieu de mettre en iou' quelqte ùague ennemi, Miaæ oaut attendre un peu quton Le ehange en qni (4) .

(r) L'épave (1966, disque 9).

(2) Jeu de mots puisque I'homme était enfermé à Ia prison de "La Santé".

(3) Celui qui a mal tourné (1957, disque 4)-

(4) Les deux oncles (1965, dj-sque 8) . 86

11 a condensé sa MORALEDE FRATERNITE dans une oeuvre à laquelle il attachaiÈ beaucoup de prix, mais qui "n'a pas rencontré auprès du public la faveur" qu'il espérait. "CeIa me trouble", reconnaissaj-t-il (f) l

Cette paw)re poignée de mains Gisait, oubLiée, ert ehemin, Par deun onis fâ,ehés à mort. (...) Je La reeueiLLis sarta remonds

Et je nepris ma route auee Ltintention De faire eiretfler La uiriLe effusion (...) Le premier mta. dit : t'Fotts Le conp ! J'aurais peuz, de saLir mes gartts". Le deztrième, d'un ain déuot, Me dorvta eent sous, d'aiLLeurs faun. Si Le troisième, oltrs maL Léehé, Dqns ma main tendue a craché, Le quatrièm|, c'est plus méchant, Se mit en quâte d'un agent. Car au;joutd'hui, c I est saugrernl, Sans ât'ne Louche, on ne peut pas Serrer La main des irtconnus On est tombé bien bas, bien bas (2) .

Dans son derni.er disque, enregistré en L976, il enton- ne un hymne à la louange de tous ceux qui se sont efforcés de pratiquer un amour "universel" :

GLoire à qui freine à mont de peur d'écv'abouiLLer Le hérisson perdu, Le erapaud fout'uogé Et gloine à don Juan, d'auoir un iout' sotlti A eeLLe à q,ri Les cutres n'attaèhaient aucun p?i'æ. (...) GLoire au premie? uerlu qui passe et qui se tait 'tharo Quard La cuniLLe erie sur Le baudet't (3) .

(1) Brassens à André Sèver oP. cit., P. 53.

(2) La rose, Ia bouteille et Ia poignée de mains (1969, disque 10).

(3) Don Juan (L976, disque P 9f0r092). -87

,' Avec obstinatj.on, i1 ne cesse, au fond, de nous redire : ,' ". Mais' cofltme Èoujours, il Prl- vient 1'étiquette "chrétienne", 9uê 1'on pourrait' appliquer à sa "petite morale", en ayant soin d'ajouter, sous forme de boutade . ,

GLoire à qti ntayant pas d'idéaL sacro-saint Se borme à ne pas trop ernnerderses uoisins (1) .

Aimer, c'est être capable de pardonner. "J'ai, dit Brassens avec beaucoup de simplicité, une tendance' assez heu- reuse à mon sens, à pardonner les offenses (2)". A f inconnu qui dévalise sa maison (3), il adresse des stances plaisantes, dans lesquelles iI j-ntercale ce joli qua- train :

Pout toutes ees raisons, uois-tu, ie te patdonne Sans arrière pensée apnès rûr eronen' Ce que tu m'as ooLé, mon uteun, ie te Le donne, Ca poutsait pas tomber en de meiLLeuv'esmains (4) .

Ailleurs, il est beaucouP plus sérieux et, dans une transposition de 1a parabole de I'Enfant Prodigue (5), donÈ les héros sont quatre "bacheliers" arrêtés Pour vol, il dépeint I'atÈitude des pères resPectifs :

Les trois premiens pènes, Les trois, (...) En perdirent tout Laæ san4-froid... (...) Conrneun seuL iLs ont dÉeLaté (...) Qu'on Les auait déshonorës... (...)

(f ) Don Juan (L976, di-sque P 9I0f 092).

(2) Brassens à Philippe Nemo, France Culture, I'7.2.1979, Archi- ves de lrO.R.T.F.

(3) Ce fait est authentique.

(4) Stances à un cambrioleur (L972, disque fl).

(5) Cf. Luc I5,1L-32. 88

ttC'est Cormneun seuL ont dit : fini, (...) FiLs indigne, ie te reni'..."

Le quatnième des Paz'ents, (...) Quand iL uint ehereher son uoLeuz', (...) On stattendnit à un malheur... Mais iL nta pas déclaté, non, (...) @te Lton auait saLi son nom. (...) Dæts Le siLenee, on L'entendit (...) ttBoniout', @ti Lui disait : petit..-t'

La conclusion est. d.igne drun prône !

Et si Les chréttens du pags (...) Jugent que cet honvnea faiLli /l Ca Laisse à penser que, pour euæ' LlEuangiLe, etest de L'hébreu (f ) .

point est impor"ant Elle sous-entend également et ce : guril nrest pas nécessaire d.rêtre chrêtien pour pratiquef, la mo- rale de f 'erneur. Le poète le d'it nettement ailleurs :

C'ëtaient pas des anges rnn pLus, Lthsangile, iLs Ltauaient pas Lu, Mais iLs s'aimaient toutts uoiL's dehors, (...) Jean, Piez'xe, PauL et contPagnie, C'était Leuv seuLe Litanie, Leur CRED)Lettr C)NFTTE)R.,. (2) -

(t) Les quatre bacheliers (1966, d'j-sque 9) -

(2) Les copains d'abord (1965, di.sque 8) . 89

"Brassens, écrit Jacques Charpentreaur paraÎt être surtout sensible à une certaine morale chrétienne' tout en refusant ce qu'iI doit considérer coïtme une mythologie" (1). Cet aspect de morale sans Dieu (un Dieu dont il se demande toujours cependant stil existe) se reflète dans toute son oeu- t vre. Sans doute nous était-elle apparue ça et 1à, mais de ma- nière assez floue ; eIle se précise au fur et à mesure gue nous avançons dans nOtre étude : "J'essaie dtaimer les autres tels qu'ils sont, j'essaie de prendre les choses telles qu'e}1es sont" (2) . Nous venons dtécrire : "morale sans Dieu". De fait, si on rêduit le christianisme à une morale et Ia figure du Christ à celle d'un Sager orl ne voit plus très bien ce que pourrait être I'essence même de cette religion. L'aspect de Sa- lut et d,e partage de Ia vj-e d.ivj-ne, lorsqu'ils sont escamotés au profit de Ia seule morale, entraÎnent d.es réflexions coflIme celle-ci : "Je n'ai plus aucune certj-tud.e... Jtai cru un moment que les hommes pouvaient se Sauver... je n'aj- mêmeplus cette certitude... Je me dis que si Dieu existe, il n'accueillera pas trop mal Brassens... Je ne vois pas ce qu' j-l reprocherait à Brassens : je suis un chrétien dans ce qui est essentiel, Parce que j'aime vraiment les gens, je suj.s gentil" (3) . "si Dieu existe". . . mais est-il vraiment nécessaire, dans ce contexte, qu'iI existe ? L'hypothèse de I'existence

(1) Jacques Charpentreau, Georges Brassens et la poêsie quoti- dienne de la chanson, Cerf, 1960, p. 61.

(2) Georges Brassens à Philippe Nemo, France Culture, L7.2.L979, Archives de I'O.R.T.F.

(3) Georges Brassens à André Sève en L966. Reproduj.t d'ans 3 "E11é est pour toi cette chanson", J. Batteux, Cahier ronéo- typé, Centre de musique sacrée, Nevers, 2e édition, avril L967, p. 29. - 90

dtun Absolu, lorsqu'elle a son point de départ dans une re- cherche morale, est moins vitale que lorsqu'elle stenracine dans une recherche métaphysique ; eIle est moins angoissante aussi 3

Est-iL en notve tentps rien de pLus odieu.æ' De pLus désespérant-, que de n'pas ctoire en Dieu ?

J'ooudtais attoiv' La foi, La foi dtmon charbonnier Quitest heureun commeun pape et con commeun panier'

Mon ooisin de dessus, un certaïn BLadstPascaL, M'a gentiment donné ce conseiL amdcaL:

'tMettez-uous à genou.æ'priez et irnpLotez' Eaites sembLantde c?oire' et bientôt oous etoiz'ez" (I)'

on saisit toute I',ambiguit,é de cette oeuvre, qui fut (2) Considérée par les uns coflIme "une Oeuvre de tOlêrance" , par 1eS autres cgfiIme une "farce" acgompagnée de la "passion d,u sacrj-lège" (3), par certains encore coilrme "une excellente chanson athée" (4). ce qui nous intéresse, dans "Ie Irlécréant", crest l'i- dentification gue Brassens opère insensiblement entre Dieu et Ia morale :

*t", sutLtehemin du eieL' ie n'ferai pLus un pal' pas' na 7ài uiendra d'eLL'mêmeou eLL'ne uiertdta

(1) Le Mécréant (1960, disque 6)-

(2) Renê Fallet, Brassens' Denoël' L972' P' 93'

(3) Alphonse Bonnafé, Georges Brassens, seghers, I97L, p. 16.

(4) Jean Batteux, Elle est pour toi eette chanson, Cahier ronéo- typé, centre de musique sacrée, Nevers, 2e édition, avril 1967, p. 30. - 9r

Je ntai janats tué, ianais oioLë non pLus, Ita déjà qteLque tentps que ie ne ooLe plus, : SI LTETERNELEXISIE, EN EIN DE C)II'LPIE, IL V2ÏT QT]'JEtr4,CONDI]IS GI]ERI PLUS MAL ]UE ST JIAVATSLA FOI (T).

I{ême si Dieu exj-ste, ce ntest pas la foi qui Sauve mais Ia bonne volonté. Brassens ne fera pas un drame de cette Absence essen- tie11e êt, petit à petit, il cessera de poser, dans ses oeuvres' ce genre de questions.

1966 :

Notre Père qui, j tespère" Etes a.m cieu.æ(2) .

L972 :

Mon Dieu, qu'il ferait bon surLa terne des honrnes (...) Si uous n'auiez tiré du néant ces ioba.tds, Pneuue, peut'àtre bien, de uotv'e ineæistence : Les inbéciLts heureun qui sont ntâs quelque patt (3) .

L976 :

Nous n'aoons r'ien Laissë debout FLanquant Letæs Credo, Leuts tabous Et Leurs dieu.æ, euL pat dessus tâte (4) .

(r) Le Mécréant (1960, disque 6).

(2) La Marguerite (f966, disque 7) -

(3) La ballade des gens qui sont nés quelque Part (1972, dis- que 1I). gIOl (4) Boulevard du temps qui Passe (Lg76, disque P Og2). 92

Nous parlons, répétons-Ie, de I'oeuvre... Ce pudique n'a cependant pas fini de nous ét.onner. Voici quelques mois, il disait à Philippe Nemor âu micro de France culture : "Bien sûr que je me suis prêoccupé de ces choses 1à ! (...). t"laintenant, je m'en préoccupe moins, APPAREMMENT.Parce. que (...), voyant que je me butais contre des murs, cela finis- sait par me faire mal. On devient "dingue" de trop réfléchir quand gue..." à ça : "Si Dieu n'existe pas, il faut bien même moi, et ça conmence... et ça part... et on se bute... surtout qui n'ai pas 1es moyens, la culture et la connaissance qui me pennettent d' évoluer Ià-dedans" (1) . . .

b) ''JE CROIS EN CERTAINS HOMMES".

"Je suis plus pudique en matière d'amitié qu'en matière d'amour. T1 m'est plus d.ifficile de dire à un homme que je Itaime que d,e le di-re à une femme, bien que les deux soient difficiles et même preque impossibles" (2). cette pudeur nous a valu quelques rares et jolies Pe- tites fleurs qui, toutes, ont pour nom : partage et fidélité. Le premi-er disque de Brassens contenait déjà un quatrain fort bien tourné :

IL pLeuuait fort s,æ La grand-route, ELL| eheminait sûLs pa?qPLuie. J'en auais m, ooLé' sarts dnute, Le matin mâmeà. un ani (3).

Dans une oeuvre très imagée, Ie poète développera' qua- tre ans plus tard, I'importancer êIl anitié, du partage des joies :

(f) Brassens à Philippe Nemo, France Culture, L7.2.1979, Archi- ves de lrO.R.T.F.

(2) Brassens à Angèle Guller, Ie 9e Art, la chanson française contemporaj.ne, Vokaer, Bruxelles, 1978' p. 88.

(3) Le parapluie (L952, disque t). 93

ILs n'aeeonrpegntnt à La rnairie (...) CVnquefois qute je me matie (L) . comme celui des peines :

t CTnq)' fois @'ie me1lrs, fid.èLenent' (...) ILs saiuent mon enterrement (2) -

Entre chaque couplei, Brassens intercale un tendre petit refrain :

Au bois d'CLonart y'a des petit's fLeuts Ita des petites fLeuns, I'a des eopains, au bois dtmon coeur' Au, azt bois dtmon eoe'ur (3) .

"L'amitiér crest plus profond et plus solide que I'a- mour' (4). Cette fidéIité lui fait chanter "}es copains d'a- bord" :

Des bateauæ, i'en ai pris beaucot4t, Mais Le seuL qui'ait terut Le couP, Qti n'ait jatnais uiré de bord, (...) \ Nauiguait en pène peirtard &n La gnutd-mare des eanavds Et stapp'Lait LES C)PAINSD|AB2RD (5) .

on se souvient du "vieux Léon" (6) que regrettaientr bien après qutil eût fait Son "trou au fond des cieux", SeS amis "restés du parti des myosotis". Brassens reprend cette image et nous cOnstatons guer stil nous a dj-t que l'amour était plus fort que 1e temps, j-I affirme que I'amitié est plus forte que Ia mort :

(r) Au bois de mon coeur (1957, disque 4)-

(2\ rbid.

(3) rbid.

(4) Brassens à André Sèver oP. cit., p. 101.

(5) Les copains d'abord (1965, disque 8).

(6) cf. p.34 sq. 94

Du vendez-oous des bons eoPains It auait pas souuent de LaPins, Qtartd L'un d'entre eufi ïtdrtquait à bord, Ctest qu'iL était mort. 1ui, mais jonais' au gvand ionais' Son trou dans L'eau ntse referrnait, Cent ans après, coquin de sort ! IL nanquait encor (r).

Parmi les amj.s du "Vieux Léon" gui suivaient 1renÈerre- ment : En rt)goLant Pour fairt sembLant De n'pas pLeuner (2) ,

sans doute y avait-il déjà ce "modeste" qui ressemble, à s'y méprendre, à Brassens :

Quond on entewe un imbéciLe De ses amis, s'iL raiLLe, stiL A LtoeiL sec et ne manifeste Aucun chagvin, tty fie pas troP : Sur La patate, iL en a gros, Ctest un modeste (3).

cepend.ant, si le chanteur éprouve le besoin de s'en- tourer d'amis, de "faire circuler Ia virile effusion" (4), iI nous dit sa répulsion Pour tout ce qul ressemble à d'e I'embri- gadement à I'intérieur d'un groupe :

Le pLu.r'ieL ne uaut rien à L'hontne et sitôt quton Est pLus de quatre on est wte bqnde de eons. Bqrd.:eà part, saerebLeu ! ctest ma tègLe et i'A tiens (5)'

(1) Les copains d'abord (f 965, d.isque 8) .

(2) Le vieux Léon (déjà cité, P. 35

(3) Le Mod,este (1976, dj-sque P 9101092).

(4) La rose, la bouteille et Ia poignée de mains (1969, disque I

(5) Le pluriel (1966, d,isque 9). 95

CeIa peut nous sembler paradoxal, après tout ce qu'ii nous a confié sur I'amitié et la fraternité. Maisr quoi,/qu'il

tl dise, Brassens demeure fondamentalement un solit.aire' én proie à des "aspirations contradictoires" (1). Même s'il paraît à 1'aise au milieu drun petit grouPe d'amj-sr orr a sans cesse I'impression qu'i1 écoute en Iuj- on ne sait quelle petite mu- sique nostalgique :

J'espère àtre assez grand pour m'en al-Ler tout seul, Je ne ueu,æpas quton m'aide à descendxe à La tombe, Je pattage nti.rtponte qtrci, pas mon LinceuL... (2)

(f) AngèIe Guller, le 9e Art, la chanson française contempo- raj-ne, Vokaer, Bruxelles, 1978, p. 84.

(2) Le pluriel (1966, disque 9). 96

CONCLUSION

I

Notre brève étude nous aura permis de prend.re conscien- ce de l'Srnportance des thèmes véhiculés par "ce troubadour é9a-t rê parmi nous" (l)... êgaxê peut-être aussi en lui-même, en des.' ,{ qu'il accepte avec humour : iI est fasciné par Ia t paradoxes un profond amour de Ia vie ; il s'adres- { mort, mais il Possède ! pas; Ia t Se à Dieu, mais en pensant qu'i1 n'existe iI valorise { que est grande que lramour'; I femme, mais iI chante I'amitié Plus I iI recherche la solitude, mais il ne peut vivre qu'entouré I I intérieure, dit-il lui-même, est un dé- tI d'amis fidèIes. "Ma vie I sordre total (...). Je reçois une émotion. Je doj-s Ia traduire pour ne Pas me perdre" (2). ces aller et retour constants sont 1e propre d'une pen- sée inquiète : "Crest un cri. que je pousse à chaque chanson. Un cri étouffér uIt espèce d'appe1 au secours" (3), et qui- ne peut Se reposer Sur aucune séCurité, parce gue "les autres aus- sj- appellent au secours, et nous sommes tous Ià à nous chercher dans ce monde di-fficile" (4). Brassens sème, dans toute son oeuvre' des Petites fleurs d,e morale fraternelle, qui nous parviennent à travers d,es poèmes ciselés avec une minutie d'orfèvre. Cependant, si elles forcent notre ad.miration, elles ne nous entraÎnent guère au-delà de nos horizons terrestres. C'est pourquoi nous allons à présent analy- ser I'oeuvre d,tun compositeur qui a cherché à "atteindre lrinac- cessible étoile" (5), et passer insensiblement de la morale à la métaphysique.

(1) Jacques Bréhant, Thanatos, Laffont' L976, p. 25I (déjâ ci- té, p. 44.

(2) Cité par AngèIe Guller dans : Le 9e Art, la chanson françai- se contemporaine, Vokaer, Bruxelles, 1978' p. 84.

(3) Ibid. ' p. 85. (4) rbid. (5) Brel, L'hommede Ia Mancha, "La Quête". JACQUES BREL

Né à Bruxelles en L929. Ivlort à Paris en 1978. Prix de l'Académi-e Charles Cros en L957.

nJE ?LAIS A CEUX QUI ?NT S)IF, QUI CHER- CHENT, TNSATISFAITS, ET QAT CROIENT QI]IIL Y A ENCOREQUELSUE CHOSE A TROU- VER,I.

bTE L CHAPTTRE I

IIATTIERJUSSU ' A LA DECHIRUREI' 99

"Jacques Brel, écrivait' A1aln Bosquet, a la beauté i*- t pit,oyable d.e ceux qui ne pardonnent pas au monde de s'accep- ter" (f). Cette remarque donne la note particulière de I'uni- vers dans lequel nous allons entrer. Brel apparaît d'emblée comme un être épris d'absolu et rien ne l-'a mieux défini que le cri de Ia "Quête" de "L'Homme de la Mancha" :

Ràter un intpossibLe rëue Porter Le ehagrin des dépants ,(...) Aimer mâmetrop mâmemaL (...) Pour atteirdz,e à s'en écatteLeY Lt inaeessibLeëtoiLe (2) .

Toute son oeuvre n'est qu'une tentatj-ve de retour à une sorte de Terre Promise où I'homme redeviendrait originelle- ment pur. Et I'amour, tel qu'i1 I'envisage, aura pour missj-on redoutable de lui d.onner le Paradis, de sorte que Ie sens d.e I'existence, la vision de la mortr Cê qu'il appelle lui-même la "vie spirituelle" (3), ne prendront de relief qu'en fonction d.e sa foi ou de Son scepticisme par rapport à ce sentiment. Nous "analyserons", Par conséquent (avec toutes les nuances que nous avons indiquées dans notre introduction), les quarante quatre chansons que le poète bruxelloj-s lui a consa- crées.

(f) Rapporté par AngèIe Guller dans "Le 9e Art, Ia chanson fran- p- çaise contemPoraine, Vokaer, Bruxelles, 1978, 136'. (2') Jacques Brel, L'Homme de la Mancha, "ta Quête" (1968).

(3) Lettre à Monsieur Hector Bruyndonckx, L956, inédit. PREI4TERE PERIODE

r955-r958

'tQuand on nta que Ltamout Poux tracer un ehemin tt Et foreer Le destin.. . 10r

Si Ie thème de la mort n'a été abord.é qu,en L959, c'est dès 1955 que Jacques BreI, dans un premier microsilI0n, nous parle de Sa concgption de I'amour. II le fait "gentimeflt"' pourrait-on direr €r utilisant une palette où domlnent les qui perce teintes roses, malgré un certain accent corrosif, Pour ca- déjà dans "La haine" et s'accentuera Progressivement' à par- ractériser Ie jeune chanteur, Jean clouzet n'hésite Pas ,,sorte (1)' Le dé: ler d,une de naiveté un tantinet... scoute" toute sa cor n'a pas encore basculê et le monde s'offre dans place richesse un monde un Peu figê, où chacun occupe une bien déterminée :

Près des fiLLes Y a Les garçons Les Longs. Les minces et Les gros Qui parLent d.e Lets's bachots Et des yeu,æde Louisa (...)

Près des gorçons Y a Les PaPas Qui ont Ltain g?aues et séoères (...) ILs cr\ent Pow ntintPorte quoi Et sov,tent Le soiY Par denr'ière Pout iouen au Poeker (...)

Dans Les eafës Y a Les eoPains Et Les lerres quton boit auide (...)

Près des coPains g a La uiLLe La oiLLe irwnenseet inutiLe (...) La uiLle auee ses PLaisits uiLs (...)

(I) Jean Clouzet, Jacques Brel, Poésies et chansons, seghers, 16e édition, 1975, P. 38. B.U.METZ L02

Près de La uiLle y a La cûftpagne 0ù Les fiLLes bm,tnesou bLondes Dansent à La ronde (f) . !

comment changer I'ordre établi ? Brel ne le voit pas encore très clairement :

C'est eommeça depuis que Le monde tourne Ia r'ien à faire poLt! A ehanger C'est cottne ça depuis que Le monde tout'ne Et y uaut rrieus Pas A toueheY (2) .

Dès cette époque, cepend,ant, I'amour apparaÎt cofillfrê une valeur sûre, êt il est fréquemment utilisé pour défendre les idées chères au héros brélien. Crest ainsi que lridéal prend I'aspect d'une jeune fil1e ("Sur la P1ace") et que, Pour transformer la vie des hommes, il existe un moyen plus effica- cêr à ses yeux, 9uê toutes les révo1ut'ions du monde :

0n a détmtit La BastiLLe QuandùL faLLait nous aimer (3) .

Petit à petit, I'amour se fera providence (4) :

&tartd on n'a que Ltenou? Pour tracer Ltn ehenrzn Et foreer Le destin (5) .

et même religion :

Ntest4L pas urai Inlar'ieque etest prier poun oous Que de Lui dine ie t'aime en tombant à genou'æ Que pLeuter de bonheu.r en r'iætt eonrneun fou (6) .

(I) C'est comme ça. LE MANQUEDE PONCTUATIONDANS LA CITATION DES TEXTES DÉ BREL EST VOLONTAIRE : NOUS LES REPRODUISONS TELS QU!ILS ONT ETE PUBLIES.

(2) C'est comme ça. (3) La Bastille.

(4) En ce Sens qu'iI stoPPosera au "destin", qu'il comblera les dêsirs de I'homme.

(5) Quand on n'a que I'amour.

(6) Prière paienne. 103

Cependant BreI avoue ne pas connaÎtre*assez profondé- ment ce qu'il chante avec une telle fougue :

Iais-toi done &te eortnais-tu de L'amouv Des geu,x bleus des eheuetræfous F. Iu n'en connais rien du tout (L) .

"Rien du toutu ?. . . Pourquoi donc Ie héros brélj-en ex- prime-t-il déjà une idée que nous retrouverons dans ses oeuvres plus existentielles : Ie temps a raison de I'annour ?

I C est trop facile quand un amou.?se mettrt qt'iL cr.qque en detæ pa?ee qu'on Lta trop pLié D'aLLer plezæer eoûtneLes hormtespLeurent Cornnesi L'onour durait Ltëtewdté (2) .

fe décor est planté. Nous pouvons à présent analyser ces oeuvres de jeunesse' Sans perdre de vue le contexte dans lequel elles ont êté écrj"tes.

(1) Grand Jacques.

(2) rbid. r04

LA HAINE

I 11 est curieux que la première oeuvre ait pour thème un amour malheureux. En effet, Brel voue à cette époque un vé- ritable culte à la femme. Maj-s peut-être pressentait-iI déjà un désenchantement qui ne vj,endra que bien plus tard ? L'intérêt de cette chanson se situe, d'une part au ni- veau du langage, de lrautre au niveau du contenu. En effet, Si elIe nous familiarise avec Ia phrase brélienner où Iton rencon- tre de nombreuses structures parallèles et répétitives' elle contient également certains termes-clés, que nous relevons dans I'ordre où Ie poète les utilise. "Commeun marin je Partirai" : La mer est le symbole par excellence d'u voyage inté- rieur. BreI emploiera très Souvent ltimage de I'eau, Ces vagues, du flux et du reflux, Pour exprimer ses états d'âme (f).

tt@tt'

La dénomination ne comporte aucune nuance péjorative. En L966, BreI 1'utilisera dans un parallélisme méprisant : "Les filles et les chiens" (2).

tt@ttt

Le chanteur traduit presque toujours la représentation qu'iI se fait de Dieu, quels que soient par ailleurs ses senti- rnents sur I'au-delà, Pâf cette épithète exprimant une qualité essentielle à ses yeux (3).

- (r) cf. en particulier : Le PIat Pays - Une ÎIe La Fanette .

(2) Les Filles et les chiens (1966).

(3) Cf. en particulier : Grand. Jacques Fernand - Le Bon Dieu. r05

"L'amour-éternité": Le héros brélien attendra, mais en vain, 9uê Iramour lui ouvre les portes d.u Paradis (I).

tt@ttt

Fréquemment, le personnage brélien noie son chagrin d.ans I'a1cool (2) . Mais r tout cornme dans certains tableaux de Jérome Bosch et de Bruegel, 1a fête dissimule 1'angoisse et la présence de 1a mort.

"Comme un soldat" : BreI abhorre la guerre et ne se privera Pas de Ie dire. 11 ne faut pas oublier qu'elle a marqué son adolescence : "Je regrette que Ia guerre ait duré quatre ans (...).Je crois que c'est la seule chose que je regrette dans ma vie" (3).

"Les enfants" : L'enfance est le thème brélj-en Par excellence, celui qui se lit en filigrane dans toute son oeuvre. Brel I'appelle- ra son "Far West" et tenterar sâ vie durantr de retrouver ce domaine perdu. Le thème proprement dit, annoncé par Ie titre, est bien d.éfendu : il s'agit de faire souffrir I'autre, parce qu'elle a été incapable de maintenir I'amour à la hauteur où le héros brélien I'avait placé :

Tu as peint notre amoux en gr'ùs Terniné notre étemité

(1) Comparer, par exemple, "La lumière jaj.llira" et "Jt aimais".

(2) Cf. Lrivrogne - Jef - A jeun.

(3) Radioscopie de Jacques Chancel avec Jacques BreI , 2L.05.73, Archi.ves I. N.A. 106

Dès lorsr pêu importent les moyens utilisés pour hu- milier Ia femme méprisée (se saoûIer de filles, de prières, de bOissons Ou de Canons, êïl Se faisant tour à tour marin, Doj vice, ivrogne, soldat), pourvu qu'iIs atteignent leur but. Cha- qu'il Ie héros brêlien jubite. Sa haine que fois fait mouche, , atteint son point culminant lorsqu'iI chante :

Corwneun'soLdat ie partirais Mouvir cotwnemeurent Les enfartts Et si janais tu en moupais Jten uoudvais reoenir uiuant

EIIe nrest cependant pas méchante' cette fille que l'on voit prier et pleurer. Sa seule faute est d'avoir dévalo- risé ce que Ie héros brélien considère alors colTllrrêune valeur t absolue. En effet, s'il est des femmes qui "d.istillent I amourtt , celle-ci a enfermé, dans la médiocrité quotidienne' un être qui a besoin de mouvement pour se sentir exister :

Tu n'as corwnisdtautne péehé Que de distiLLer ehaque iour L'ennui et La banalité

Brel a le pressentiment qu'un amour nrest jamais tout entier donnér gu'i! doit être inventif et actif' sous peine de disparaltre :

L'ottou.r est mort uiue La haine d'où les injures, qui ne sont finalement que ltenvers d'un grand amour déçu :

Et toi matériel dÉeLassë Va-t-en dpne acerocher ta peine Au mtsée des amouts ratées

Une dernière allusion au démon clôt cette chanson au rythme précipité. r07

IL PEUT PLEUVOIR

Le ton, ici, est tout autre. Une joyeuse insouciance éclate dans cette courte chanson que 1'on croirait échappée d'une comédie musicale américaine (1). Lramour fait déborder un coeur encore adolescent :

IL peut pLeuuoir sur Les trottoirs Les grands bouLeoavds moi itm'en fiehe Jtai ma mie auprès de moi

La jeunesse est 1'âge de I'enthousiasme. Le héros bré- lien éprouve Ie besoin de "crier" sa joie "à pleins poumons" :

Et ann gens qui sten uiennent Et auægens qui sten Dont Jou.z,et nuit touwter en rond

Lramour est porteur d'espérance ; le temps ne I'a pas encore fLgê, détruit. Comme il nous paraÎt sympathiguê, ce jeu- ne compositeur qui nous dit :

Ia pLein d'espoir szæ Les trottoirs I Les grands bouLeuards et i en suis RICIIE Jtai ma mie attprès de moi

et qui conclut fougueusement, cofltme pour bien Se Persuader de son bonheur :

Car ma mie c'est toi Ctest toi

(f ) Nous Songeons à "Singinr in the Rain" (19521 ' d,e Gene Kelly, dont le rythme et, I'entrain ont fait tout le succès- r08

QUAND ON NIA QUE LIA.I4OUR

t Cette oeuvre, gui valut à BreI le grand prix du disque 1957 de l'Académie Charles Cros (l), nous confirme dans l'id.ée que nous nous faisions de sa vision du monde. L'amour y est cé1ébré comme on céIèbre une divinit-é ; il est porteur de "joie", de "promess€s", de "richess€s", de "mervej.lles", de "Sgleil". BreI prône, prêche cet amour avec une fOugue rgman- tique, entraÎné par cette convictj-on qu'il est à lui seul caPa- ble de transformer "Ie mond.e entier". Dtoù Ie slogan répandu â I'époque ' 'rltabbé BreI ou la tentation de la chaire" (21 - Jean Clouzet parle de "lraspect incantatoire" de la chanson. En ef fet, BreI utilise, Pour 1a première fois r lrrl procédé de crescendo qu'il reprendra plus tard avec autant de bonheur (3) -t dans lequel on peut constater l'existence d'une harmonie parfaj.te entre Ie signifiant et, le signifié. La première strophe évoque I'idée de dépari. Ainer crest se déposséder, aller au-delà de soi, être dans une atti- tude "oblative" : -

Quandon nta que L'qnoun A s|offrir en pa*tage Au jour du gnand uoAage Qt'est notre grand qmour

(I) Cette Académie céIèbre Ia mémoire de Charles Cros (L842-I888) poète et inventeur du "paléophoner' (précurseur du phonogra- phe) en décernant, chaque année, des prix aux meilleurs dis- ques.

(21 Cit,é par Christian Hermelin, Ces chanteurs qu'on dit poètes, L'école des loisirs, Paris, 1970, p. 92- - - (3) Cf. "La valse à mille temps" - "Seul" "Ces gens-là'r "Amsterdam" "Mon enfance" - "Knokke-le-Zoute-tango". r09

Dans les chansons des périodes suivantes, Ie héros brélj.en reviendra de ce "voyage", mais j-cj-, I'idée ne I'ef- r fleure même pas. Le couple quj. est au centre du poème ("mon amour toi et moi") rayonne de bonheur et magnifie le sentiment joie que heure et qui les a réunis. Leur est si forte chaque I chaque jour en "éclatent". I1s se sont juré de s'aimer éternel- lement et lrarnour devient, tout comme Dieu dans lracte de foir Itobjet en même temps gue Ie qarant de leur promesse :

Q,wrtd on n'a que- Ltûrtour Pour uiuz'e nos p?omesses Sans nuLLe autre richesse &te d'g eroire toqiaæs

La croYance anime Ia vie et la vie devient croyance, transfigurant Ia "Iaideur des faubourgs", qui se meuble de "merveilles" et se couvre de "soleil". L'amour du couple est prj-s :

Potæ uniqt'te v'aison Pout unique chutson Et unique secours

La strophe suivante montre le rayonnement d.e cet amour sur tout ce qui est détresse dans le monde, qu'il s'agisse de Ia détresse physique des "pauvres et malandrj.ns", de la détres- se spirituelle de "ceux-là dont I'unique combat est de chercher le jour", ou de Ia détresse morale. Le sentj.ment que I'homme et la femme éprouvent I'un Pour I'autre est une force capable de ',parlef aux CanOnS" et de "Convaingfe Un tambgUr". Le pOème s'élève jusqu'à une attitude quasj--mystique :

Quarlâ on nta que L'ûno'Lt! A offn'ùn en prière Pouz, Les nwu'æde La texne

Finalement, c t est d.ans cette d,épossession de soi que réside Ie secret de 1a possession du monde. Le rien débouche 110

sur 1e tout. L'amour est I'opposé de la mort ; il est vie, qu'exprime !e viatique pour le voyage terrestre. Crest ce I chanteur dans ce quatrain,où, selon une sp,ibolique typiquement brélienne, I'espace s'agrandit de façon illimitée :

ALors sans aooir RIEN QUELa force d'aimer Nous aunons dans nos ma'Lns Anis Le M)NDEENTIER

Le héros bréIien - et par conséquent BreI lui-même, puj-sque Jean Clouzet admet sans difficulté qu'à cette époque il n'y a pas "un seul héros de SeS chansons qui ne soit Brel lui-même et rien drautre que Brel" (l) - entre en amour comme on entre - en reliqion. Comment s'étonner que, Plus tard' revenu Pour quelles raisons mystérieuses ? - de ce terrible et magnifique voyage pour lequel il avait accepté de tout perdre' BreI se soit montré aussi amer, sarcastique et cruel quril fut tend're ?..

LA BOURREEDU CELIBATAIRE

Nous retrouvons ici, mais décrit dans un style PIus populaire (à l'hymne a succédé Ia bourrée), f idéal brélien de l,amour êt, plus précisément, d,e Ia femme qui incarnera cet anour (2) . QueIIe sera-t-elle, celle que Ie chanteur appelle "Ia fi1Ie que jtaimera ?" : une espèce dtEve d'avant la chJ:te, et 1'exigence du héros est telle que, comParant lrimage quril

(f) Jean Clouzet, Pochette du disque P 6325 203 (Jacques Brel, 2l

(2') "Idéa1" : en effet, toute la chanson est écrite au futur. rll

se fait de son amour et Ia réalité, il évince au refrain tou- tes les figures féminines qul f'entourent :

Non ee n'est pas toi La fiLLe que j'aimerons Non ee ntest pas toi La fiLle que j'aimera

Le premier couplet magnifie celle avec laquelle 3

Entnerons en eharttant Dans Les rruvs de La uie En offrant nos oïngt uts Poræqu'eLLe nous soit ioLie

Cette femme d.evra posséder tout drabord. "UN COEURSA- GE" capable d'apaiser les tumultes et les contradictions du héros brélien :

Au ereu.n de son riuage Mon coeur s'arrâtera

L'eau et le rivage sont cles symboles de lumière et de liberté. Quelques années plus tard, cependant, Brel en inverse- ra Ie sens :

Je sais dëià que c'est pan Let'ætmlTtml?e Que Les étangs mettent Les fLeuues en pmson (I) .

Les qualitês physiques ne sont pas méprisées' encore que Ia "PEAU TENDRE" ne soit sans doute, pour Ie Personnage brêIien de 1'époque, guê Ie reflet extérieur de cette t.endres- se dont il parlera plus loin et qu'il ne cessera de quêter. Dans ces condj-tions, la réciprocité ne peut être que parfaite :

(I) Le prochain amour. LT2

Et moi je L'aimerons Et eLLe m'aùnera Et nos eorps brûLez'ont Du mâmefeu de ioie

Nous retrouvons cette noti-on dtoffrande amoureuse et de fusj-on lumineuse dans le second couplet, qui reprend. Ies termes mêmes de l'hymne à I'amour :

Et nous nous offrirons Tout LtûnoLtr qte L'on a Pauoiserons tous deu.æ Notre uie au soLeiL

Lraccent est mis sur les qualités qui permettront à I'amour de triompher du temps et au couple de construire un bOnheur "avant que dtêtre vieux". On y trouve et nous ne di" sons pas cela dans un sens péjoratif - des accents de premier 'communiant : PURETE, ETAT DTINNOCENCEPARADISIAQUE :

La fiLLe que itaimera Aura sa maùsonbasse BLanche et sirnpLe à La fois Cornneun état de grâee

Le dernier couPlet nous Permet de mesurer Ia distance qui sépare le héros brélj.en de L957 et celui d.e 1978 ("Vieil- lir ! oh, vj-eillir ! ") (I) :

La fiLLe que itaimera VieiLLira sans tnistesse

Brel a crur Uo momenÈ, 9Uê I'amour pouvait faire oublier cette dure réalité, mais lorsque le thème de la mort se profi- Iera à I'horizon des "vieux" il parlera, plus que de tristesse' d.e déchirement et d,'"enfer" (2) .

(1) Vieillir.

(2) Les Vieux. 1r3

Dans "!a bourrée du célibataire" r la femme aura encore la chance de vieillir :

Entre son feu de bois Et ma gnande tendtesse ? Le terme de "tendresse" occupe une place majeure dans f idéal brélien. PeÈit à petiÈ iI sera dissocié du mot'ramourrr. "L'amour, dira plus tard Brel' est une expression de Ia pas- sion. La tendresse, crest autre chose" (1). i"lais j-ci, les deux mots sonÈ synonymes. La chaleur de cette tendresse épanouira la fenune, guê te poète compare au "bon vin qui se bonifiera un peu chaque matin". Le passé ne sera Pas un temps que lron regrette mais -un temps que I'on magnifie 3

Et ferons des eLnnsons De nos anciennes ioies

L'amour sera plus fort que Ia peur de la mort. Que pour- raient craindre ceux gu'un tel sentiment a unis ? z

Et quitterons La terce Les yetæ pLeins Ltun de Ltautre

Mais, surtout, I'amour sera plus fort que la mort eIle- même, et les amants continueront à le semer dans Itau-delà, chez les plus malheureux des malheureux (l'enfer n'est-iI Pas dêfini comme Itabsence dtamour ?) :

Pou.r fLeurir tout L'enfer Du bonheur qui est nôtre

(1) BreI à Jean Clouzet, Jacques Brel, Poésies et chansons, Seghers, 16e édiÈion, L975' P. 52. 1r4

Ne sourions pas trop vite : iI y a' chez le jeune Brelr un pressentiment de vérités beaucoup plus profondes que les apparences. Si cette chanson d.evait être illustrée, crest à Cha- gatl que nous ferions appel, à ses images lumineuses et dis- continues, dans lesquelles :

Un couple au-dessus du monde perpétue La muette chanson d'aimer (1).

HEUREUX

Dans "Heureux", Brel utilise à nouveau un procédé de CrescendO et la chanson S'enfle Progressivement' pour ngus faire percevoir l'êlargissement du bonheur que 1'amour apporte aux amants. Cette oeuvre nous intéresse particulièrement' par- ce qu'elIe débute avec un regard sur I'enfance et se continue avec un regard sur I'amour, ces deux lhèmes étant à l'époque liés dans I'esprit du poète. De fait, l'amour est innocence, ou rend Irinnocence. Quand Ie héros brélien réalisera, ou croi- ra réaliser, que cela est impossible et que son désir srest trompé d'objetr cê sera I'effondrement d.e ce qu'i1 appelle ail- leUrS SOn "Far WeSt" : "On nOUS aSSUre que lramOUr eSt éternel jusgu'au moment où on nous avoue qu'iI s'agissait Iâ de farces. Quand. j'étaj-s petitr orr a oublj.é de m'avertir que le Far !{est

(f) Àragonr "L'ApocalyPse selon Marc", Chagall' XXe siècle, Cahiers drart, Milan, 1973, numéro spécial, P. I35. rr5

et I'amour ntétaient que des farces" (l). Mais Ie poète de f957 n'a pas encore connu le désen- chantement, et la chanson dont nous parlons est baignée d"un bonheur grave : 2 Heu.reræqui eTwnte pou? L'enfant (...) Heureu,æqui sanglote de ioie Pour stâtre enfin donnë d'onoun

BreI présente trois situations, à travers lesquelles il laisse cependant percer une certaine inqui-étude : "Séparés", les amants possèdent le bonheur, même srj-Is ne le "savent pas encofe",Car "ils vOnt demain se fetfOu- ver". Le temps passé à travaj-llé Pour leur amour. "Epargnés", les amants réalisent que toutes leurs jeu- nes fOrces ne peuvent servir "à rien qu'à bien staimer". Ainsir 1e temps présent n'est pas figê,mais agissant. Paradoxalement, "loin Itun de 1rautre", les amants possèdent la béatitud.e. En effet, ils savent avec certi-tude qutS-ls peuvent compter sur le temps futur, où ils se rejoin- d.ront dans une fidélité qui apparaÎt alors conme une valeqr d'éternité :

Heureun Les onants que rlous sotwnea Et qui demain Loin de L'qttne S'aimeront staimeront Par dessus Les hornnes

Le temPs et I'espacer oo I'aura remarquér sê sont agrandis indéfiniment.

(1) Brel à Jean Clouzet, Jacques Brel, Poésies et chansons' Seghers, I6e éditj-on, L975, P. 49. II6

LES BLES

i "Les blés" sont une aimable fantaisie, chantée sur un rythme de marche très rapide, où I'on retrouve I'ingénuité et I'enthousiasme du jeune Bre1. I1 y avait eu déjà de ces "alle- -' uil - gretto'r charmants ("C'est conrmeça" peut p1euvOir" ',Qu,avons-nous fait bOnnes gens'r - "La bourrée du célibataire") - i} y en aura d'autres ("Au printemps" "L'aventurer') et tOus seront au service de Ia joie. Mais cela ne durera guère êt, par la suite, Brel utilisera ce genre de rythme pour parodier Ie désespoj-r ( "Madeleine" "Titine" ) . Avec "les blés", nous soûrmesen face drune évidence 3

Les bLés sont pour La faueiLLe Les soleiL pour Lthort'zon Les gatçons sont pottz' Les fiLLes Et Les fiLLes pour Les ga:îçons

La cand.eur baigne cette oeuvre où le poète valorise !a main, Ies yeux et le coeur de Ia femme. On y retrouve les ima- ges utilisées précédemment Pour signifier pureté et clarté : I'eau, le soleil qui accomPlit sa révolution, tandis que I'on prépare la moisson, gerbe Ie blê et glane le bonheur t ce mot ne surgira qutau d.ernier couPlet, maisr €II réalité, crest lrim- patience même du bonheur qui frémit au détour de chaque vers :

Le bLé nous a trop attendus EI nous attendpns tnoP de Pain

ou encore :

Venu est Le tentp,sde staimeY

Brel présente une image toute de douceur de Ia femme' devant laquelle l'amoureux ne peut être que prévenant, ce qui LT7

donne lieu à des vers gracieux tels :

Ta main sur mon bras PLeine de douceur Bien gentiment demandera De uouLoir épatgner Les fLeurs Ma faueiLLe Les éuitez'a Pour éuiter qLre tu ne pLeures

Avec beaucoup de fraÎcheur, le pcète évoque la femme dans son aspect Plus charnel :

Et si parfois ton iupon uoLe Pardorane-moi de negarden Les trésors que uient déuoiLez' Pour mon pLaisir Le uent fritsole

La fin de Ia chanson voit le héros "écrasé d'ramour, ébloui de joie" exactement comme dans "Heureux" - car Ie bonheur, aSSimj.lé au "temps de s'aimer", contient les promes- ses d'éternité.

DEI4AIN L I ON SE }4.ARIE

"Demain I'on se marie" est un d'ialogue €rmoureux dans lequel chacun pense en termes de "nous". A chaque question ("Dis-moi ce que nous chanterons (...) verrons (-..)' dis-moi où nous irons"), Ie poète répond avec ces tableaux de lumj.ère et d'espérance auxquels les oeuvres précédentes nous ont habj-- tués. L'homme et Ia femme deviennent les artisans de leur Pro- pre félicité :

Nous foree?ons L'qnoun à bereer notte uie Dtune ehanson iolie qu'à deun nous eltartterons rr8

A f image du berceau, assimilée au bonheur paisible, en succède imrnédiatement une seconde qui évoque, dans une vé-. ritable isomorphie, lrautre face de ce même bonheur :

Nous foreerons L'ærtottv si tu Le ueu'æma mie È A ntâtne de nos uies que LtVrumbleforgeton

"I1 faut se laver les yeux entre chaque regard" r xê- commandait Ie cinéaste Mizoguchi. Brel ne nous dj.t rien d'au- tre :

Nous foreerons nos AeuÆ,à ne ianais rien ooir Que La chose ioLie qui oit en chaque ehose (...) Nous foreerons nos Aeu,Êà ntâtne qu'un espoiz' Qu'à deuæ nous offrirons coîtne on offre une rose

Parallèlement à cet élan du moi, 9uê l'amour fait écla- jusqu'au ter hors de SeS ProPres limites, 1'espace stagrandit d.ésir de possession du monde :

Nous foree?ons Les pontes des pays dt2rtent A stouurir deuant nous' deuant nptre sourire

Mais il est des conquêtes plus accessibles :

Nous foneerons ma nrie Le sourtte des gens A n'âtre pLus ianais une ioie ryi soupine

La femme avait ouvert le dialogue. L'homme Ie clôtr ên reprenant les mêmes mots :

h.tisque demain s'ouore La oie (...) h,tisqte demain L'on se matie Apprenons La même chanson 1r9

AU PRINTEMPS

I. Par son inspiration, cette valse rapide rejoint "Les b]és". Le prj.ntemps réveille Ie besoin d.'aimer, et BreI faj-t défiler Sous nos yeux une foule d.e couples d'amoureux, sembla- bles à ceux de Brassens qui Se "bécotent Sur les bancs publics" (I). Mais j-cj-, nul regard scandalisé ou jaloux ne vient trou- bler la fête universelle, dernier miracle "qui s'offre encore à nous sans avoir à ltappeler". Il y a un élargissement du regard porté par le poète Surcettemontéedesève.I1s'étendrêDeffet,de''@ I artichauts !i,fÀË." (dont les coeurs sont comparés à d aimables qui "s'offrent" ou à de gentils mêgots qui "senflamnent") à "tout Paris" (qui, baigné de soleil se change en "pâturages pgur troupeaux d'amoureux aux bergères Peu sages") puis à "tou- te la terge" (qui se mue "en baisers qui parleront d'espoir"). Un couple est au centre de ce charmant tableau :

Au printentps au printentpe Et mon coe?,,tret ton eoeu? sont repeints au uin bLane Au printerys aLt pn'intentps Les qnants uont prien Notre Dqn' du bon tenrps

(r) Brassens, Les amoureux des Bancs Publics, L952, disque 2. r20

Aj-nsi semble se terminer la "période rose" des chansons ' de Brel. Si nous voulions Ia caractériser, nous dirions que I'idéal brélj-en est un idéal d'irrésistible élan, d'expansion infinie. Lramour lj-vre "le monde éntier" (I) et Ie bonheur est à portée de mains :

Tous ceuæ que L'on eherehe à poutsoir ainer Sont aupnès de nous et à chaque instant (2) -

La femme est conductrice, mêdj-atrice de cet amour. Elle a pour mission dten révéler à I'homme Ia grandeur, droù I'es- pèce d'adoratj.on fervente que lui voue le héros bréIien :

J'en appeLLe à ton cri à nuL autre paxeil (...) A La pesante main de notre amour sincère A nos uingt ans trouués à tout ee qutiLs espèrent Pour que monte de nous et pLus font qu'un dësir Le désir inerogabLe de se uouLoir eonstmtire En pnéférant pLutôt que La gLoire irutiLe Et Le bonheur profond et puis La ioie tnanquiLLe (3) .

11 faudrait, pour nous résumer, citer toutes les Paro- leS de "Voir". Enumérant ses mille "vou1oirs", qui sont autant d'élans généreux qu'iI Sent monter en lui, le héros reconnaÎt qu'i1 doit leur éveil à la rencontre de la femme et conclut :

VoiLà ce que je uois VoiLà ce que ie ueun Depuis que ie te uois Degtis que je te ueuæ(4) .

(r) Quand on n'a que I'amour.

(2) L I aventure.

(3) J'en appelle.

(4) Voir. DEUXIEME PERIODE

r958-1959

t]e ne sais rien de tout eeLa Ifuaisie sais que ie t'aisne,enc9re..." r22

JE NE SAIS PAS

une nouvelle pérj-ode s'ouvre pour Brel, qui va désor- mais nuancer sa Paletter avec des oeuvres oscillant entre I'espoir et la d.êsespéranCe. "Je ne Sais PaS" est une chansOn de "séparation". A travers les quatre très belles strophes de cette élégie, le poète s'achemine vers I'abandon définitif de celle à laquelle iI répète inlassablement :

Mais ie sais que ie ttaime encore

crest à un paysage de Delvaux (1) que fait songer cet- te avancée quasi-somnambulique, Surréelle : Ia route "pousse vers Ia ci!é", Ia nuit "force à venir i-ci", Sans que le hérOs en d.écouvre net.tement les causes d.'où le titre Mais Ie génie de BreI est de nous Permettre de les d'eviner à travers I'atmosphère musj.ca1e et les images utilisées. L'arnour, nous I t avons dj.t, était iusqu'alors dépeint à I'aide d,e mots lumineux : Ie jour, Ie so]eil, la clarté, Ia joie, le sourire ; Ia pluie même faisait "briller" ses flaques. TOute une autre symbOlique Surqit j.ci : la "nuit", "le vent", "Ie bfgUillard. glaCé", "1thiver", Ia "dérgqte", Ia "froidegr" et Ia pluie qui tombe de "nuages gris". Le d.ébut de la chanson est une sorte de balancement entre la détresse présente et Ia joie passée, qui devient d'au- tant plus déchirante :

(1) paul Delvaux, peintre, dessj.nateur et graveur belge né à Antheit en 1897. l-23

Je ne sais pas pounquoi Le uent Stærnrsednns Les matins cLairs A eoLporter rires dtenfants CatiLLons fz'êLes de Lthiuez'

Ce nrest pas un hasard si Ia clarté du passé appelle aussitôt l'image de lrenfance. On aura désormais de plus en plus lrimpression gue Ia déception causée par lramour a fait mourir cette enfance dnez Ie héros brélien et qu'il ne s'en remettra jamais. Nous trouvons, dans cette première stropher url excellent exemple de }a poétique de Brel lorsqu'i.1 décrit' sur un accom- pagnement imitant. une marche pesante, une chose toute SimPle' Ia pluie qui tombe :

Je ne sais pas pounquoi La pLuie Quitte Là-hatû ses oripeau.æ }ue sont Les Lourds nuages gnis Pour se eoueher sur nos eôteaun

Dans Ia strophe suivante, la tristesse se fait plus lourd.e et nous voyons surgir des images de mort. La marche rythme un vérj-table enterrement. Un quatrain de Brel, qu'il n'a pas retenu dans son interprétationr êII témoigne. 11 avaitr €Il effet, initialement ajouté :

Je ne sais pas pourquoi Les gens Poux mieuæ céLébrer ma défaite Pou.r mietæ suiure LTENTERREITENT 2nt Le nez eoLLëau,æ fenâtres (I).

Dès lors, nous comprenons mieux ce que veut nous signi- fier Ie poète quand' il nous dit :

(f) Cf. "Je ne sais Pas" dans : Brel, Jean Clouzet, Poésie et Chansons, I6e édition, Seghers, 1975, P. 72- L24

(. .. ) La z'ouxe A L'odetæ faâ.e des déroutes De peupLiev en peupLien ou encore. :

(... ) Le ooile Du brouiLLatd gLaeé qui m'escorte Me fait pensev auæ cathédraLes Où L'on prie pottz Les anooæsmortes

La troisième strophe exprime Ie bouleversement devant I'irrémédiable. Le héros se sent poussé à venir "pour pleurer devant cette gare". Son coeur est comparé à une guitare que manj-erait Ia nuit, donc la solitude et I'abandon. Nous évo- quions plus haut Delvaux. Pourrions-nous mieux justifier notre rapprochement qu'en citant le début de ce dizain ? :

Je ne sais pas pounquoi ees rues Stow)rent deuant moi une à une Vierges et froides froides et nues Rien que mes pas et pas de Lune

Dans Ia dernière strophe, les accords plaqués du piano intensifient encore I'impression de désespérance. Le "grand voyage gu'est notre grand amour" (f) sera vécu par un autre ; le train symbolise cet arrachement :

Ce triste tnain pour hnsterd.CIn Qutun coupLe doit prendre ee soix tJn eoupLe dpnt h,t es La fenrne

Le rival connaîtra les promesses infinies de 1'amour et Ia joie des grands départs, traduits par des symboles êvo- quant'Ia mer. Ce1uj- qui reste peut dj.re alors :

(f) Quand.on n'a que I'amour. 125

Ft ie ne sais pds pour queL port Payt dtAmsterdam ee gnand nauire @d brise mon eotps et mon coeur Notre ûnour et mon aoeniz'

Ce dernj-er terme est dans la logique du héros brélien : I'amour ouvre à I'espérance, qui est une vertu portant Sur I'aJ venj-r. Sa mort figer pour ainsi dire, le temps. Désormais, à de rares exceptions près, tous les voyages auront leur reflux. Notons encore - eÈ il en sera toujours ainsi chez BreI (I) - que f infioélité est le fait de 1a fennme: c'est elle qui part. Quand il arrive que lrhomme }a quitte - conrme dans la chanson suivante - c'est de sa faute. Bien plus : ici, elle fuj.t avec un autre. Nous retrouverons souvent, désormals, ce rival et sêparateur. 11 y aurait une intéressante étude psycha- nalytique à faire à ce sujet, car Ie "complexe d'abandon", chez Ie héros brélien, ira en s'intensifiant. Mais d'autres s'y sont 'aéja essayé (2) êt, pour notre part, tout en n'éIiminant pas ltéclairage que peut apporter ce genre d.'analyse sur Ia con- naissance de 1'homme, nous nous situerons dans une perspective_ plus métaphvsique, Sans Pour autant "mettre une étiquette" sur un poète que nous respectons troP pour cela. Mais sa déception envers I'amour qui- ne tient, pas ses promesses (peut-être' tout simplement, parce que Ie héros brélien I'a trop idéalisé) nous sernble beaucoup plus proche du cri de Claudel : "Ahr tu n'es pas le bonheur ! tu es cela qui est à la place du bonheur ! " (3) . Quand on a tout investi dans une va- leur et que celle-ci se rêvèIe relative, Ie monde semble s'é-

(1) Sauf, peut-être,dans "orly".

(2) Voir à ce sujet les quelques pages fort intéressantes de Bruno Hongre et Paul Lid.sky d.ans "Jacques BreI", Profil d'une oeuvre, Hatier, L976, Pp. 2L à 28.

(3) Claude], Partage de Midi, Acte III, Gallimard' L949, Livre d,e Poche I508 , p. f 05 . r26

crouler. BreI a vécu cette tragédie jusqu'au déchirement i nous allons le découvrir dans les oeuvres qui suivent.

DORS MA MTE

Le titre indi-que une berceuse. De faitr crest ainsi que conmence la chanson, appuyée par un balancement musical interprét,é au vloloncelle. Mais, Petit à petit, I'orchestre srenfle et nous devinons que Ia douceur des premières notes ca- chait une souffrance qui éclate, Puis se calme dans les d.erniè- res mesures où nous retrouvons le rythme init'ial. La structure musicale est accompagnêe drun texte qui fait admj.rablement corPs avec elle. Le poème débute d,e f açon ambiguë; il s'agit encore d'une séParation' mais on en ignore Ia cause :

Dors ma mie bonsoir Dors rw. mie Ctest notre detmier soin

La solitude de "demain déjà" appelle, comme dans le poème précédent, des images de privatj.on de lumière : "la nuit est noire", les fleurs "ferment leurs paupières"' la pluie "pleure", I'Oiseau se tait et Ia femme aimée Se trOuve enchâs- sée dans ce décor, gui symbolise déjà Ia mort. Mais }e ton change et un crescendo dramatique accentue Ies paroles du personnage, qui reproche à la femme d'avoir vou- Iu I'emprisonner dans les limites d'un amour possessif :

Et tu m'qLttas perdu Rien quten me uoulant trop L27

Or le..héros brêIj-en/a bes in dtespace intérieur et de mouvement ï iI ËEô-uffé-Tâns tout ce qui lui sernble f igé. La femme n'a-t-elIe pasr d'ailleurs' cherché davantage sa ProPre | satj-sf act j.on que celle de I être aimé ? :

Tu mtaupas gaspiLlé A te uouLoir bâ,tit' UnAonheun ëterneL Ennuyeu,æà périr

Le dernier grief qu'iI fait à celle qui dort (mais au- rait-il osé luj- dire tout cela si elle avait été éveillée ?) son égard : est de ne Pas avoir eu une attitude de tendresse à

(...) Au Lieu de te penchez' Vers moi tout sintPlement Moi qui auais besoin Si fort de ton PrintentPs

Alors viennent des réflexions désabusées' non plus Sur Ia femme aimée, mais Sur "les filles que I'on aime". Brel Sem- ble croire, à I'inverse de tout ce qu'il a cru jusqu'a]ors, à f impossibilité de communication et de dialogue dans I'amour :

Non Les fiLLes que L'on aime Ne eontpnendnont ianais Qt'eLLes sont à eha4ue fois Notre d.ewder rmtguet Notre dewùère ehance Notre dewtier sursaut Notve dernier déPatt Notre dewder bateau

cependant la femme reste, sinon en fait, du moins en théorier cê qui permet à I'homme de se gard'er dans }'état d'en- fance. Les images de voyage qui terminent la citation précéden- te n'ont pas d'autre SenS. Bien aprèS lui, un autre chanteur, reprenant la même idée, osera dire que "Ia femme est I'avenir r28

'-\ (2) de I'homme" (1) i Brelrfoastichera un jour cette parole , '1...,-''"'.o*,ë. maisr €D f958, iI nrinjurie Pas sa "mie", iI Ia quitte douce- ment pendant son sonmeil :

nrte pats Dors ma ie I Ajoutons, pour finir, gutify'ne se reconnaÎt aucune res- "J ponsabj-lité dans cette rupture. Pourtant, quelques années au- paravant, il n'en était Pas ainsi :

Ctest trop faciLe quand un ûnou? se meurt Qu'iL craque en deun parce quton Lta trop pLié D'aLLer plaæer contneLes hownespLeu-rent (3) . ou encore :

Patdon paæ eette fiLLe que Lton a fait pLeuner Pav'donpour ce regard que Lton quitte en v"iant (...) Et puis pour tous ees mots que L'on dit mots d'@nou.r Et que nous ernpLoAonsen guise de monnaie Et pour tous Les serrnents qtti meurent au petit iout Pardon pou.z'Les iænais pardnn pout Les tou;jott'xs (4).

Plus tard, Brel n'accusera plus ni 1thomme ni Ia fem- rnêr mais Ia nature humaine dans ce qu'elle a de limité (5), avant de prendre ses distances envers I'amour et les femmes' dans une attitude de misogynie parfois féroce (6).

(f) Jean FerraÈ.

(2) La ville s'endormait (L977).

(3) Grand Jacques (1955).

(4) Pardons (r957).

(5) Cf. "le prochain amouru (I951). (1966). (6) Ainsir Pâr exemple, dans "Les filles et les chiens" r29

COLONEL

Colonel est une fable allégorique, dont I'auteur ne nous Iivre le sens que dans les dernières lignes. Commeil nous pa- raît sympathique ce g-tâd=è)qui, sans nêglj-ger les devoirs de sa \*--*- charger II€ cesse de penser à celle qu'il aime, rêve sa vie réelle et vit sa vie de rêve. chaque couplet exprime Ia fonction sociale du héros, ses qualités d'action ; chaque refrain' ses qualités de coeur, sorr ârfrour pour une femme. Lrorchestration traduit à merveille les deux physionomies de I'homme : une musique martiale, 9uê domi.nent les clairons, scande les strophes (d'une façon quelque peu d.issonante au départ), tandis qu'un accompagnement bien diffêrent infléchit, pendant le refrain, les sévères instru- ments VerS un rythme totalement et ironiquement en désaccord avec ce qui a précédé. Les trois couplets comportent Ia même structure :

CoLoneLfaut-r'L puisque. . . Eaire... CoLoneLfaut4L... CoLoneLCoLoneL...

Dans cette structure vont s'insérer trois moments im- portants de la vie militaire du héros

r) te_jcus se_Iève. Faut-il préParer le grand branle- bas dravant la bataille ? Les mots importants sonnent aussi fOrt que I'orchestration : "battre les tambgurs", "réveiller IeS pand,Oufs'r, "Sgnnef tOUS IeS CIairOnSrr, "rasSembler IeS eS- cadrons". A I'imminente et importante décision qui va suivre :

CoLoneL CoLoneLnous attendons... 130

répond, pâr un ef f et volont,airement et gentiment moqueur r UII souvenir de la vie anoureuse d.u Colonel :

IL effeuiLLe me fLeur Et nâue à son snie Qui Luï a pz'is son coeur (...) Son qnie est si douce et beLle Dans sa robe au soLeiL Que eha4ue ioun passé pr'ès d'eLLe Se meubLede nenueiLLes

2) Lrennemi-est-Ià. A nouveau émergent les mots sé- rj-eux : "tirer n6tre artillerie", "disposer I'infanterj-e"' "charger comme des fous ou... partir à Pas de loup". Un mil.i-- tairer êIr règ]e générale, aime I'acti-on. Mais "le Colonel sren- nuie..." A cette d.euxième phase répond un autre souvenir tendre, celui où la douceur des baisers d,e Ia belle a conduit :

A Ltétattnqjon de L'arnour Le CoLoneLraui

Cette trouvaille de Brel met. I'amour bien au-dessus de Ia réussite sociale...

3) I.e_Colcnel-egt blessé et lron se demande ce qui est' Ie plus important : "trouver un abbé" ou, "puisqu'est nort I'a- pothicaire', chercher le vétérinaj-re", cet effet tragi-comique traduisant lrhorreur viscêrale de la guerre chez le héros bré- lien. Mais Ie Colonel semble insensible à son ProPre sort. I1 "S,ennuie" toujourS et Ia fOrce de Son amour est telle quêr mê- me à I'approche d.e Ia mort, iI évoque celle qu'i1 aime :

IL La uoit et Lui tend Les bras IL La ooit et L'appelLe Et c'est en Lui parLant tout bas Qu'iL entre d.ons Le eieL r3r

/ du coeur qui est privilé- il Ici encore, c'est Ia santé ! de l'âme, I giée pour ouvrir "le ciel", et non celle du corps ou symbolisées par I'apothicaire et I'abbé. L'apologue nous fait comprendre gue le héros est mort "de chagrin", blessérnon pas dtune balle, mais "dtune fil1e t dans Ie coeur" et que :

Le ooLoneL Loin de sa beLLe'Loin C'est mon coellr du tien

cette chanson reste dans Ia logique des précêdentes, mais la fin est ambiguë : "mon coeur loin du tien" peut signi- fier la séparation infligée par la guerre, et Ie héros s'ins- crit dans la lignée des grands romantiques ; mais cela peut également vouloir dj-re I'abandon de I'homme par la femme : le Colonel devient alors pitoyable. De toute façon, Pour BreL I'a- mqur, qu'i.l soit Ou non partagé, tue celui qutil a "blessé". 'rColonelrl 11 serait intéressant de comparer rapidement 'rZanqra", et son antithèse, écrit guatre ans plus tard (f ) . Ce lj-eutenant, lui, ne songe qu'à Ia gloj-re et surveille impatiem- ment, de Son fort "qui dOmine Ia plaine", I'ennemi qui viendra et le "fera héros" :

En attendaztt ee iour ie m'ennuie queLquefois

Le verbe est Ie même dans les deux chansons. Mais, dans la première, I'amour est I'essentj-el - donc I'objet de I'ennui Ia gloire tout à fait secondaire ; dans la seconde, les valeurs sont inversées, I'amour n'est qurun Passe-temPs permettant dtOu- blier .l'absence de gloj.re :

ALors ie uais au botæg uoir La ieune ConsueLa Mais eLLe parLe dtanour et noi de mes eheuau'æ

(I) Zangra est inspiré du roman de Dino BuzzaEi : "Le d'ésert des Tartares'r . L32

ce lj-eutenant, promu successivement aux grades de ca- pitaine, puis de commandant, conserve toujours Ia même attitu- d.e. Au moment où, devenu colonel, iI "parle enfin dtamour", I'ironie du sort veut que la femme n'entende plus ce langage et s'intéresse, mais trop tard, à ses chevaux !... L'évolution, des êtres s'est faite en SenS inverse' contme si Brel voulait sicrnifier dans un amour, on ne se rencqntree jamais.. La fin d.e "Zangra" est aussi triste que celle de "Co1o- nel" : Ie vieux général, qui vient juste de prend're sa retraiee' constate avec amertume :

Et L'ennerniest Là 1... Je ne sev'ai pas hét'os

Dans un cas comme dans I'autre, f id.éal est impossible, j_rréalisable t la vj-e humaine se termine Par un constat d'échec. 'est d.'ailleurs peu après "Colonel" le thème de la mort va surqir dans 1'oeuvre de BreI, el 1'on comprend mieu pourquoi celle-ci a pris initialement le visage de Ia femne'

LA LUMIERE JAILLIRA

Nous disj.ons, plus hautr gu€ Brel allait osciller, d.ans son attitude vis-à-vis de Ia femme et de I'amour, entre I'espoir et Ia désespérance (I). De fait, qui pourrait croire que "ia lumière jaillira" ait été écrit exactement à la même époque que "je ne sais pas" et "dorsr ma mie" ? Le hêros brélien

(1) cf. p. L22. r33

Se cherche encore, d'où ces apparentes contradictions : elles nous révèIent une imperceptible faille' 9ui ira sans cesse en I s | élargissant. On sait que cette oeuvre, ains.i que celle qui la pré- cède ("L'homrne dans la citê") et celle gui la suit ("Voici"), e. font partj-e de ce que BreI appelle lui-même ses "tentations musicales". C'est pourquOi nous avons une orchestration très différente de celles que nous connaissions jusqurici. Mais iI nous semble difficile, en écoutant "La lumière jailiira"' de n,y voir qu'une entreprise esthétique et de ne pas constater que I'accompagnement d'orgue élève Ie thème amoureux au niveau dtun véritable hymne à caractère "religieuX", dans Ie sens Ie plus large du Èerme (f). En effet, la veine lyrique de Brel exalte la femme jus- ou'à en faire I'illumi-nation de sa vie : le ti-tre est rêpété douze fois dans la chanson et devient une esPèce d'e leitmotiv, sur lequel vont se greffef. toutes les images de la symbolique brélienne de I'amour (c1arté, blancheur' beauté, feu' joie, espace, voyage' conquête) . On peut parler' sans exagérer, de l'Ë!gi@ qui sous-tend toute la première strophe. Pour Platon, nous ne nous sonmes jamais remis dtêtre devenus des hommes, d'avoir "chuté" d'un monde où nous contemplions la Lumière. Le souve- nir de celle-ci nous tenaille et, seule, la médiation de I'a- mour nous permetr Pâx une dialectique admirablement décrite d.ans "Le Banquet'r, de reconnaÎtre, puis de rejoindre le monde des "Idées". Brel, à sa façonr rI€ nous dit rien d'autre ; lramour n'est pas seulement moyen de connaissance, mais de re-connais- sance :

(I) Crest-à-dire : reliant I'homme à quelque chose qui Ie dé- passe, à une ttvaleurtt. 134

La Lztnière iaiLlira Et La REC)NNAITRAI Pour L'auoir tartt de fois Chaque iour espérëe La Ltuntère iaiLLïra Et de La poir si beLLe Je eorvtaitrai poutquoi Jtauais tattt besoin d'eLLe

Cette idée est reprise dans Ia dernière strophe :

La Lwnière iaiLlira Qu'éterneL uogageur Mon eoetæ en uain chereha Et qui était dans mon coeur

Mais, emporté par son élan, le poète identifie la fin et Ie moyen, }a lumière et I'amour (c'est pourquoi nous par- Iions, non de platonisme, mais d'esprit platonicien) :

La Lwntène iailLira Et portera ton nom

Remarquofisr ici encore, que I'amour est pratiquement. qeifié par Brel... La deuxième strophe met lraccent sur la transmutation d.e l'existence opérée Par lramour (dont nous savons à présent qu'iI s'identifie à la lumière) :

La Lumière iaiLLiz'a Et je L'inuiterai A penir sous mon toit Poux y tout tran'sformet (...) Et itau.rai un PaLais Iout ne ehwrye-t'tL Pas Au soLeiL de iuilLet Cette transmutati.on attei.nt Ie monde intérieur :

La Lwntère iaiLLira Et dpià. modifié Y 4 Lui aoouerai du doigt Les meubLesdu passé 135

Le héros bréIien éprouve }e besoin de faire découvrir aux autres Ie bonheur ou la lumière rencontrés :

La Lumière jaiLLira Et toute ma maison Assise au feu de bois Apprendra ses chutsons

Le dernier couPlet est une espèce d'extase amoureuse :

La Lutnt,ènejaiLlira Patsemant mes siLenees De sour[res de ioie Qui mettrent et vecontneneent

Cette joie illimitée fait éclater I'espace d'une maniè- re fant,astique :

La Lwniène jailLina RecuLqnt Lthov4zon tandis que la plongée dans I'infini est ponctuée par une triom- phale sonnerie de trompettes.

LITANIES POUR UN RETOUR

En généraI, on n'analyse pas d.es "litanies", Pour la simple raison que I'essentiel n'est pas dans les mots qurelles utilisent, mais dans Ia ferveur qui les anime. De fait' nous assistons ici à une véritable emprise amoureuse, qui tourne â I'adoration. Un mot résrrrre et appuie ce que nous disions dans nos commentaj.res précédents (I'amant a tout misé sur I'amour) : "Mon bien" t et, d.ans le contexte, BreI eût pu également 1'ê- crire avec une majuscule. r36

Un essai'de classificat.ion des images ressemble à une d.issection, mais, en les recomposant ensuite dans 1'ordre que leur a donné Brel, nous saisirons mieux }a richesse du poème. On est tout d'abord frappé Par Ie fait que Ia symbo- -i Iique bréIienne concerne 1'amour sous son asPect total (corps coeur - ârne) et que Ie monde évoqué emprunt.e sa représentation - aux quatre éléments (ciel - terre - eau feu). Que lron nous pardOnne d'avance ce tableau si froid, que nous essaierons en- suite d'animer quelque Peu.

f ) CORPS - chair - vie :' s-ang

faim pain - bIé. soif vj-n source - Pui-ts. voi-x chant - rire cri.

2\ COEUR- feu - flamme - fièvre

miel - baume joie - mie.

- - - - - 3) âI{.8- Eo! giel---bien Graal lour---agbe nuit - quide force.

voile - vague. val - terre - soc roc - Pierre. Pour terminer cette énumération, relevons Ie mot qui témoigne, mieux que tout autre, 9Uê I'amant s'est littéra}e- ment anéanti en celle qu'il aime, puisque, dans un cri quasi mystique il lui diÈ t "@". L37

si nous reprenons I'écoute des litanies dans 1'ordre où BreI les a composêes, nous nous rendrons compte qutil mêIe. toutes ces images avec un rare bonheur, chacune Prenant un re- lief saisissant par rapport à celles quj- la précèdent' ou la suj-vent. Ainsi, Pâr exemPle : ,

MonbLé monor ma tewe Mon sac mon roc ma Pienre Ma nuit nw soif ma faim

on diraj-t un de ces bouquets que les peintres flamand.s savent si bien rendre sur la toile' avec cette manière parti- culière d'arranger les fleurs, comme Sj- chacune, à la fois était unique à contempler et ne tirait sa beauté que de Ia pré- sence des autres 11 faut souligner I'extrême tendresse de lrorchesÈra- tion, qui débute très discrètement, évoque un balancement de na- vire pour accompagner Ies mots :

Ma uoiLe ma uague mon g'uide ma ooiæ

culmine aux expressions :

Mon aube mon cni ma uie ma foi

devient presque douloureuse' cotnme si I'absence étaj.t un arra- chement insupPortable :

Mon eorps ma ehair mon bien

sonne enfj-n triomPhalement :

VoiLà que tu reuiens r38

JE TIAIME

Dans ce poème, où f rémj-t f impatience du retour de Ia 1. femme aimée, nous nous trouvons en présence d'e toute une série de métaphores, qui permettent au héros brélien de dj.re son amour' et Ie choix d.e lralexandrin en prolonge la profondeur, très 1o j-n, conune en écho. Sont valorisés tour à tour Ie coeur, le chant, le front' le rire et la joie de I'aimée, à I'aide de mots qui, tous, êvo- quent la douceur fémj-nine ; ainsi les verbes : trembler, jouer, balancer, frémir, denÈeler ; les noms : rosée, calice, fleurs, pluie, clavecin, étang, Iune, aurore, oj-seau ; Ies adjectifs : lumineuse, fragile, légère. t{êIant harmonieusement ces données, BreI nous offre des images très visuelles, qu'une analyse de texte ProPrement d'ite risquerait d.e dessécher :

Pour La rosée qui ttembLe at caLice des fLettns De ntâtre pas atmée et ressembLeà ton eoeu? Je t'aime Pou.r Le doigt de La pLuie at eLauecin de Ltétang Jouant page de Lune et ressembLe à ton ehant Je ttaime

Les strophes suivantes utilisent la même image initiale (l'aube, ltaurore, le jour qui Se lève ou qui revient) ' Pour accentuer 1' j-dée que l'amour est véri.tablement une promesse d'e Iumière qui marche vers son zénith. Ainsi :

Pour Ltanttone Légète qu'un oiseau fait frérntt En La battætt de L'aiLe et tessembLeà ton z'ite Je ttaime

ou encore : I39

Pou.r Le iout qui reuient d'une nuit sans amour Et ressembLedéià ressembLeà ton netour Je t'aime

La musique, qui semblait au départ ne renvoyer, à cha- que "je t'airne", gu'un lêger écho, Srest enflée imperceptible- ment; elle éclate, enfi-n, à Ia dernière stroPhe qui céIèbre' d.ans une symbolique d'élargissement de I'espace (la porte qui s'ouvre) et du coeur (Ie cri qui jaillit) }e bonheur de I'uni- tê retrouvée :

Pou.r La porte qui s'ouu?e pour Le eri qui iailLit EnsembLede deu.æcoeurs et ressembLe à ee er'i Je t'aime (ter)

Avec ce procéd.é de métaphores, Brel rejoint les poètes symboli-stes belges. Toute sa chanson Pourrait paraÎtre une il- lustration de quelques vers de Charles Lerberghe :

l4ais pour toi de mes Yeux ardents J'ai regardé dans lrair et l'ond'e Dans Ie feu clair et dans le vent Dans toutes les splendeurs du monde Afin d'apprendre à mieux te voir Dans toutes les ombres du soir (1).

(f) Charles Lerberghe, 1904' "De mon mystérieux voyage" (Geor- ges-Emmanuel Clancier, Dê Rimbaud au Surréa1isme, Seghers, t96l , p. r35 ) . TROTSTEME PERIODE

L959-L962

"Je ssLs déià q1,@ Le tentps des baisers Pout deun ehenrins ne dttre qu'Lln eatnefouv..." 141

NE ME QUITTE PAS

L'amourr gu€ Ie hêros brélien avait vécu dans le bonheur et 1témerveillement ("Quand on n'a que I'amour"), puis dans des alternances d'espoir ("Litanies pour un retour") et de déses- poir ("Je ne sais Pâs"), va désormais se vivre dans Ia douleur, 1'échec et Ia solitude DanS ce que lton pourrait appeler une "troisième pério- de, Brel va présenter toute une série de situations malheureu- SêSr à travers lesquelles iI analVsera les réacti-ons de ses personnages. "Ne me quitte pas" est le porirait dtun hOmmequi' Sur le point d'être abandonné, mendie I'amour au Point d'accep- ter de s'anéantir totalement en I'aimée,:

Laissetnoi deoenix /l L'ombre de ton ornbre

Les strophes sont entièrement construites en vers de cinq pieds, pour donner plus d.'intensitê au poème et comme si Ie héros perdait souffle. Le douloureux leitmotiv, quj- a donné son titre à 1a chanson, ne revj-ent pas moins de vingt deux fois' Le d.ébut est une longue plainte, dont les mots progres- sent de façon parfois irréelle :

IL fant oubLier Tout peut s'oubLier Qui s'enfuit déià OubLier Le tenrps Des maLentendus Et Le tentps perdu A sauoir eormnent OuhLïer... (etc...) L42

Ce procéd.é, voulu par BreI, nous permet de mj-eux com- prendre l'état du personnage gui, à I'idée de la séparation qu'iI entrevoit, se sent brisé et veut tenter I'impossible pour obtenir un retournement de sj-tuation. Mais nous pressen- tons qu'iI est trop tard. Comment peut-on, en effet :

OubLier ees heures Qti tuaient parfois A eoups de pourquoi Le eoeur du bonheur

Vj-ennent alors trois Promesses impossibles, qui sont autant de folies poétiques. La première ressemble à ces contes de fées où, comme dans Ia Belle et la Bête, l'amour veut réa- liser I'incroyable :

Moi je t'offrirat Des perLes de pLuie Venues de pays Où nL ne pLeut pas

La seconde, guidée par une passion charnelle magnifi- quement, traduite' défie Ia mort :

Je ev,euserai La tenre Jusqt'après ma mort Pour couuriv' ton corps D'or et de Luniène

Pour mieux saisi.r I'anéantissement total d'ans la vo- lonté de I'autre que signifie Ia d,ernj.ère Promesse' i1 faut se souveni-r de ce que Ie héros brélien chantaiÈ précêd.emment :

ÎL g a toi iL A a Ltqnou! iL y a moi (I) .

(I) La valse à mille temPs. r43

or ici, curieusement, le troisième terme a disparu :

Je ferai un domaine UU Ltunour sera z'oi UU L'amouv sera Loi UU tu seras reine

on peut avoir deux réactions face à ce dernier ser- ment : trouver notre personnage pitoyable et le plaindre de sa folj-er ou bien être frappé, une fois de p!us, Paf le parallé- lisme qui existe entre lrattitude du héros brélien qui a fait de lramOur son tOut, sOn "dieu" - comme le dit si justement le langage populaire - et lrattitud'e du mystique :

Qui pour l'amour est en Peine Guérir ne peut... Qu'en présence du visage d.e I'Aimé (...)

Mon âme s'est emploYée Avec son domaine entier à son service (...) Je n'ai plus d'autre oeuvre que celle d'aimer (f)

Dans Ia trois j-ème strophe, I'amant essaie de retenj-r I'aimée, non plus, comme précédemment, par des promesses privi- légiant 1'action (je t'offrirai... je creuserai... je ferai), mais par d.es Promesses privilégiant Ie langage : "Je trinvente- rai d.es mots... je te parlerai... je te raconterai". Nous re- trouvons, d.ans Ie contenu d.e ce langage, le Cé1ire amoureux qui baignait les engagements précédents. La passion, nous laisse

(r) saint Jean de Ia croix, cantj-que spirituel xI et xx, Les oeuvres spirituelles, édition nouvelle revue et augrmentée par le Pèie Lucien-Marie de S. Joseph, Desclée de Brouwer, 1949, p. 695 et P. 697. L44

entenCre Bre1, ne peut conduire qu'à la folie ou à Ia mort :

Je ttirnsenterai Des mots INSENSES Qte tu conrprendtas Je te raconterai L'histoire de ee roi M1RI de ntauoir pas ht te rencontrer - Entre ces deux extrêmes se glisse I'espoir insensé, lui aussi - de voir I'amour' tel Ie phéni-x ' renaÎtre de ses cen- dres :

Je te parLetai De ces anants Là ?ui ont uu DEUXF2IS Leurs coeurg s I ernbraser

Le d.ésir de renaissance anime toute la quatrième stro- phe, et Ie poète ut,ilise trois éléments pour nous le faire per- cevoir.

r) te_FEU

0n a ûu souuent ReiaiLLir Le feu De Ltaneien uoLeæt. Qu'on eroyait troP uieu'æ

2) La_TERRE (assocj-ée à ltimage du bIé, lui-même lié au temps du bonheur) (f) :

IL est paratt-iL Des te?Tes brûLëes Donnsft pLus d.e bLë Qu'un meiLLeur auriL

(1) Cf. "Les Blés". r45

3) LE CIEL :

Et quond uient Le soir Pour qu'un eieL flænboie Le rouge et Le noin Ne s'épousent-i7.s Pas ,

Les mots prennent un relief d'autant plus saisissant qu'un très léger glj-ssement srest opéré dans leur symbolique. Le feu jaillit d'un "ancien Volcan", "trop vieux". Les terres SOnt "brûIées". Le ciel ne flambe Pasr il "flamb6ie", et sty mêIent ("stépousent") "Ie rouge" (1'amour) et "le noir" (}a mort). La dernière strophe est une tentative désespérée. L'a- mant se rapetisse jusqu'à accepter de se taire :

Je ne uais plus pLeurer Je ne uais pLus parLer

et même de ne Plus ParaÎtre aux regards de celle qu'il aime, pourvu qu'iI continue à la contempler :

Je me cacherai Là A te xegatder Dqnser et sourire Et à t'éeouten Chanter et puis rire

se savoir aimé fai-sait de lui un vi-vant. Le voici ré- d,uit à ltétat ',drombre", mendiant lramour de Ia même façon qu,un "chien" ramPe aux pieds de sOn maÎtre pour en recevoir une caresse :

Laisse moi deueniY Ltombre de ton ombre L'ontbre de ta main L'ombre de ton chien Ne me quitte pas

cette espèce d'anéantj.ssement passionnel fascine et fait peur à Ia fois : il fascine, en ce sens qu'j.l révèle la L46

grandeur de I'homme capable d'aimer jusqu'à 1'o'.tbli total de soi iI fait peur, parce que l'état auquel conduit une sembla- ; I ble passion Ie Prive de toute dignité. Avoir voulu voier si haut €t, tel lcare, s'abÎmer à une telle profondeur !... Qurest- ce d.onc que l'homme ? 4

LA TENDRESSE

ce mot, gui revient si souvent dans les chansons de Brel, suffirait à Ie définir: car ses violences, ses aigreurs' SeS révoltes ne Sont que l'envers d'une tendresse qui se cher- che ou qui nta Pu staccomplir en soi et dans }es autres. "La passion d.isparaÎt un jour ou lrautre, confiait-il à Jean Clouzet, alors que Ia tendresse est immuable". Mais il ajoutait aussitôt : "Je crOis que Ce que j'appelle "amour" dans mes chan- sons est, en réaLitê, de la tendresserr (1). Passion - Amour - Tendresse. I1 est parfois d.ifficile de s'y reconnaÎtre. Sans vouloir anticiper, disons que lors- gu,on approfondit lroeuvre brêIj-enne, on se rend compte que la passion est considérée conlme destructrice, nêgative, contrai- remenÈ à la tendresse gui, elle, est êminemment constructive et' positive. Quant à I'amour, il oscillera pendant un certain temps entre ces d.eux états, pour être f inalement ni-é à travers une "misogynie" dont Ia responsabilité incombera à Ia femme'

(r) op. cit., p. 52. Jean ClouzeÈ, Jacques Brel, Poésie et chan- sôns, l6e édition, Seghers, I975' p. 52' L47

Seule, alors, demeurera Ia tendresse cgnrme "valeur sûre au marché d.es sentiments" (1) . Nous pouvons mieux aborder, â présent, cette chanson qui ressemble à une ballade d'un autre âge et dont le rythme, tout empreint de douceur, met en relief f importance que Brel accorde à 1'état de tend,resse-

Trois dizains d,évetoppent une même idée : Pour "un peu de tendresse", le héros brélien est prêt à tout abandonner : richesse, puissance, jeunesse.

f) Richesse.

Pour m peu de tendresse Je donnerais Les diqnæfts }ue Le diabLe caresse Dans mes coffnes d'argent

Nous saisissons déjà Ie glissePgni qui s'est opéré dans I'esprit - ou dans Ie coeur deferel): auparavant' c'é- tait l,amour qui conduisait à cette aelOSéssion ("sans nulle autre richesse que d'y croire toujours") (2) ; à présent, il est supplanté par la tendresse. Le poète a dépassé 1e temps où iI chantait :

Voir un amour fLeutir Et s'g uouLoir bz'ûLer (3)

(1) L'expression est de Jean Clouzet, op. cit., P. 43. t (2) Quand on n'a que I amour.

(3) Voir. r48

Dans la tendresse, écrit clouzet, "on brûIe peut-être un peu moins que dans I'amour mais on Sty brûIe également r moins" (l). Brel nous donne icir comme en filigrane, une proprié- té de la tendresse : elle est, selon Iui, au delà de }a sêxuâ- r 1ité i orlr plus exactement, celle-ci n'est qu'un moyen Pour ac- céder à celle-là :

Pourqtoi cro'is-tu La beLle Que Les marins au pott Vident Leurs eseateeLles Poun offrir des trësors A de fausses prineesses Pottp un peu de tendresse

2\ Puissance.

II s'agit d'une véritable dépossession de soi. t" hé'") bréli-en accepterait de se transformer totalement dans =" *bitrg{ re d'être ou de ParaÎtre :

Je eLtmtgerais de uisage Je changerais dtiuresse Je charzgerais de Lartgage

La tend,resse possède une autre propriété : elle établit une certaine éqaIité entre des hommes que tout semble séparer :

. ..Au somnet de Leurs ehæûs Enrçterezæset ménestreLs Abudonnent sotntent htissqtces et riehessea Poux un peu de tend.resse

(1) Jean Çlouzet, oP. ciÈ., P. 43. r49

3) {eunesge.

! Faust vendait son âme au d,iable' pour retrouver la jeu- nesse. Icir lfII autre Faust offre sa jeunesse à Ia femrnerPour rencontrer Ia tendresse 3 1

Pour un peu de tendz'esse Je ttoffr'irais Le ternPs 8u'iL neste de ieunesse A Ltétë finissartt

Le poème se clôt, dans sa rigoureuse constructionr sur la dernière propriété de Ia tendresse qui se révèle être (et ceci se trouvait déjà dans "Dorsr IIIâ mie" (1)) une attitude mq- ternelle :

Pourquoi crois-tu La beLLe }ue monte ma ey'tanson Vens La eLaire denteLLe Qui danse sur ton front PENCHEWRS na détnesse Pout, un peu de tend.resse

Telle est la nostalgie du héros brélienr ou plutôt de Brel lui-même, qui disaj.t : i [Jtaime la tendresse. J'aime Ia donner et jraime la re- , cevoir. Mais, d'une manière généra1e' nous manquons tous de tendresse, Sans dOuÈe Parce que nous n'Osons pas la d'onner et nrosons pas Ia recevoi-r. Sans doute aussi Parce que Ia tend'res- -- se aurait dû venir des parents et que Ia famille n'est plus ce qu'elle était autrefois. La tendresse s'évanouit peu à peu, êt Ie drame, crest qu'elle nrest remplacée Par rien. Les femmes, I particulier, ne sont plus aussi tendres qu'elles l'étaient "n ' jadj.s' (2).

(1) ',Au lieu de te pencher vers moi tout si-mplement". et Chansons, f6e édiÈion, I (2) Jean Clouzet, Jacques Brel, Poésie fl seghers , L975 , P. 52 - 150

L I IVROGNE

on saisira 1tévolution du chanteur en comParant "Ne me quitte pas" et "L!ivrog1ê", qui sont des oeuvres ayant passé toutes deux pour thème un amour malheureux. BreI est' du mode tragique au mcde tragi-comique et les réactions des héros sont totalement d.ifférentes. Dans Ie premier cas' I'homme se traînaj-t aux pied.s d.e la f emme ; dans le second, iI noie son angoisse dans I'alcool. Là, il témoignait encore d'une haute idée du monde féminin ; ici, Ia femme est devenue "la putain" ' sur lui- Le premier Personnage se recroquevillait complètement essaie même ; Ie second, quoique drune manière artificielle, de s'ouvrir au monde qui I'entoure. Pour comprendre, "vivre" cette nouvelle chanson qu'est f ivrog.ne, il f aud.rait, non seulement I'écouter attentivement, maj-s voj.r Brel lui-même, ce mime fantastiQu€ r tituber sur scè- ne et nous faire ressentir avec ses yeuxr sê voix' ses mains' ses jambes, son être tout entierr Cê qu'il a voulu signifier :

Anri rentpLis mon ue??e Eneore Ltn et ie uas Eneore un et ie uais Non je ne pLeure Pas Je ehmtte et ie suis Yq" Mat-sj'ai maL d'âtre moL hnt rentpLis mon ue?re kni rentplis mon ue??e

'J,ai mal dtêtre moi'r, dit le héros. Boire le fera de- les venir "autre". La façon dont Ie poète chante successivement quatre refrains rend sensible ce Passage du désespoir â l'oubli d.u d,ésespoir, de 1'accablement à la fausse gaÎt'érqui conduit à (. Un mOnde "SanS tfiSteSSe" (. .. ) , "SanS Cglère" . . ) , "SanS passion", (. . . ) "sans mémoire" et "sans esPoir" ' I5I

Chacun des six couplets (où I'on retrouve une construc- tion symétrique typiquement brélienne) est une sorte de toast porté par f ivrogne à des personnages différents.

I) Le premier est pour I'ami, dont Ie nom ouvre Ia I. chanson et dont on devine Ia présence discrète et attentive' II s'efforce de dé-dramatiser Ia situationrêD disanÈ quelques pj-eux mensongies :

Que tout peut s'artangen SuteLLeDa reuenir

l4ais l,ivrogne nta pas encore assez bu pour être dupe. de ce manège. CeIa viendra quand iI sera "saoûl, dans une heu- re". En attendant, 1'autre est traité purement et simplement de "tavernier sans tendresse".

2) La femme, responsable de tout ce drame, a sans doute êEê très possessive, puisque le second couplet conrmenceainsi :

Buuons à La sqtté Des ant s et des riv'es Que ie uais retYouuer Qti oont me reuenir

Un doute s' insinue d'ans I'esprit du personnage : et sj. les "amj-s", eux aussi, I'abandonnaient ?... Qurimporte ! vin fera oublier toutes les trahisons.

3) L'ivrogne fait alors un retour sur lui-même

Buuons à ma sdlté

et invite les gens à danser, à boire avec }ui, à partager sa ,'joie", rejoignant ainsi Itattitude du "Moribond" qui désiraj-t que son enterrement fût une fête- A nouveau pointe 1'angoisse d,'être abandonné, vi-te cal- mée par la perspective de 1'enivrement : L52

Tuft pi,s si Les dansetu's Me Laissent sous La Lwze Je serai saoûL dans une heute Je senai sans rancune

qui 4) Dans Ie couplet suivant, les termes désignent ,, la femme vont se modifj-er. On passe des "jeunes filles" aux "filles". Les premières représentent un "possible" anour, les autres une "possible" vengeance :

Buùons au* iewtes fiLLes Qu'iL me reste à aimer Buuons déià aw fiLLes Que je oais faire PLeuz'er Et tætt pis pour Les fLeurs QuteLles me refusenont Je serai saoûL doæ une heure Je serai sans passion

5) 11 peut alors porter un toast à Ia femme infidèle qui suprême injure est devenue "Ia putain qui m'a tordu le coeur. Ces mots trad.uj-sent un anour déçu,9uê le héros brélien nous livre en raccourcis éclairant's :

Bw)ons à pLein ehagrùn Butsonsà pLeines peurs Et tqtt pis pour Les PLeu.rs Qui ne pLeuuent ce soiv' (f).

6) Dans le dernj.er toast, f ivrogine a fait le tour de son malheur :

(r) "pleuvoir" décrit, dans une image rapide de fusion entre }a pluie et les larmes, une souffrance plus féminine et I moiis vj-rile que celle qui s exprj-me Par le verbe "pleurer" ' (Cf. "Ne me quitte Pas", "Les fenêtres", "Jtaimais", êt, surtoutr "Jtarrive" : Les hormes pLeurent Les fermnespLewlent ) - r53

Bw)ons x'ien que pour boire

11 mesure I'étendue de cette solitud,e qui va 1'étrein: d'être dre "nuit aPrès nuit" et ne croit plus à la Possibilité airné :

Puisqtæ ie suis troP Laid Poup La moindre SYLuie Pour Le moindxe regret en pro- "Je serai- sans espoi-r", chante le héros bréIien, longeant la sonorj-té de ce mot. Par là, il nous annonce, comme dans "Marieke", que "tout est fini". Maisr âu dernier refrain, I'alcool a fait son oeuvre. ,'Je chante et je suis gai"rclame I'ivrogne qui, dans un état de surexitation croissante, d.emande par trois fois à son ami pas de remplir Son verre. "J'ai un désespoir qui nrest triste L'es- du tout, disait un jour BreI, parce que je n'attends rien' pâs" poir rend méchant parce que tout ce qu'on espère n'arrive (r).

(I) Rapporté dans I'album souvenir sur "Jacques Brel", SuPPIé- *enl "téIê-poche", Paris t L978, no 66L, p. 55. 154

MARIEKE

C'est encore un personnage désespéré que nous reÈrou- vons d.ans ltextraordinaire comPosition de t4arieke, où le Fla- jusqurà mand et le Français se mêlent de façon si poétiqu€r faire sentir à 1'auditeur (et, Paradoxalement' Peut-être da- vantage encore stil ne connaÎt pas un mot de Flamand) ta d'é- tresse causée par une rupture. ca et 1àr âu milieu d'es sonori- coilrme tés musicales d'un Pays que Brel a tant chanté, émergent des plages de douleur, que nous repérons Parce qu'elles sont dites dans notre Propre langue :

tout est fini

Le hêros de Marj.eke se saoûle de mots cornme I'ivrogne se saoûlait de vin. Mais iI n'arrive pas à sortir d'e I'espèce d'hébétud.e dans laquelle I'a plongé 1'éloignement d'e celle qu,il aime. Son coeur va à Ia dérive, comme les eaux d'u canal quinze reliant Bruges à Gand, villes dont les nomsrrépétés fois durant la chanson, deviennent une sorte d'e symbole obçessionnel de l'amour perdu :

Age Marieke Marieke ie ttaimais tant gntre Les tol&s de Bmqes et Gand Ay Mar'ieke lûarLeke ùL g a Longtetnps gntre Les touzs de Bmqes et fund (L) .

(f) On ne peut s'empêcher de rapprocher-le procédé employé Par èelui qu'utilise Apollinaire : "Sous le Pont le chanteur de 'r Mirabeau Cou1e la Sei-ne Et nos alnours ' ' ' (Le Pont Mj.rabeau, Alcoolsr. Gallimard, 1956, Livre de Poche 77I, P. 37) . r55

Le poète associe à sa tristesse le ciel flamand, si d.ans un bj.en décriÈ par Georges Rodenbach "Bruges-Ia-Morte", ! Cj-el "COUIeur de tOUrS", qgi "pleure" aVeC lUi et quj- "pesait" sans doute trop sur les vingt ans de cette Marieke qu'j-l "ai- mait tant".

"Je serai sans espoir",chantait ltivrogne. L'espoir, Brel vient de nous le d'ire, engend're menson- ges et illusions : on fait semblant de croire au bonheur, tout en sachant que "Ni temps passé ni les amours reviennent" (1). Ainsi, après avoir clamé avec une vêritable fièvre :

Ay Marieke Mar'ieke reuienne Le tentps Reoiervte Le tenrps de Bm'qes et Gand Ay Marieke Mar'ieke reuienne Le ternps Où tu m'admais de Bruges à fund dans un crescendo orchestré par des carj-lIons déchaÎnés ' pre- nant conscience de la folie de son désir, le héros crie son d,ésespoir, dans une image de mort qui est répercutée en. un écho indéfini :

tous Les étætgs M'ouurent Laæs bras de Bmqes à Gand

(r) rbid. r56

LE PROCHAIN AT4OUR

I A cette époque, tout sembte s'êcrouler pour Brel : "Serait-il impossible de vivre debout" ? demande-t-ilr ên voyant disparaltre ses certitudes (f ). Adieu 1e "vert parad'j-s des ar.ours enfantinêS", ou Plutôt celui du Far West, de lrAmour absolu. Vj.ent Ie temps des amours successives, qui essaient de faire oublier I'Eden Perdu :

VoiLà que Lton se eache Duts chaque amour naissant Qui nous dit après L'autte Je suis La certitude (2).

"Le prochain amour" déveloPPe ce thème de I'i-mpossibi- lité d,u bonheur, inscrite au coeur du bonheur même. Le couple semble être Ie jeu de forces qui dépassent son vouloir :

Je sais déià que Le ternps des baisers Pour deu.s ehenrins ne dut'e qu'un carrefout

chose d.e nouveau dans I'univers de Brel. Il avait, jusqutici, accusé les autres, particulièrement la femme' 11 continuera à le faire, mais I'origine de sa d,éception semble être liée à la nature humaine en tant que telle. L'amour et Ia durée se nient i ltamour et la mort se rejoignent, et nous som- mes nous-mêmes "jusqurau bout notre Propre défaite" :

(r) Vivre debout.

(2\ rbid. 157

Je sais deià à Ltent'rée de La fëte La feuiLLe morte que sera Le petit iottt

Le héros brélien porte en lui Ie pressentiment d'une fêlure originelle, qu'iI exprime dans la chanson qui suit im- médiatement celle-ci :

VoiLà qu' on s' agenouilLe Et déjà retornbé Pouv aooir étë grartd Ltespace d'un nn)v'oir(L) .

Alors on rabaisse son idéalr OfI capituler oII se con- tente de petites joies illusoires :

VoiLà qle L'on se eouehe Pout La moindv'e qnotæette Pou.r La moindre fLeunette A qui L'on dit touiou.xs (2) .

Mais une inquiétude fondamentale demeure au fond du coeul et "Le prOChain amour" aura pgur fonCtion d'apporterl I'oubli :

VoiLà que Lton se eouche Poun nrieu,æperd.re La tâte Pour ndeuæbz"ûLev' Ltermui A des reflets d'onffi.

Les philosophes de la lignée platonicienne auront beau nous répéter qu"'il suffit de bien juger Pour bien faire", crest le poète qui nous paraÎt Ie plus proche de la réalité, lorsqu'il nous montre son héros écartelé entre son désir de bonheur et sa lucidité face à la précarité du même bonheur :

(1) Vivre debout.

(2) rbid.

(3) rbid. r58

Je sais pourtætt ( ... ) Je sais déjà (... ) Je sais, je sais (... ) nous dit-iI sans arrêt Et, malgré tout, cet amoureux de lramour répète :

On a beau faire on a beau dire Ca fait du bien d'êtz'e qnoureoLæ

Lramour, tout au long du poème, présente les partenai- res (victimes, répétons-Ie, d'-U4_e__fatalit.é qui semble les dé- -'-__ passer) conme deux antagonistes ' _-_ - Je sais sais que ce proehain bonh@ ie \'... Sera pour moi La proehaine des guez'r€s

Dans "la chanson des vieux amants", écrj-te quelque six ans plus Lard, Brel nuançera et parlera de "tendre guerre". Irlais ici, c'est une lut,te Sans merci, qui Se termi-ne par la ca- pitulation de I'un et par Ie trj-omphe de I'autre. Lrhomme semble tout d'abord' vaincu par Ia femme :

Je sais pou.rtæù que ce pnochain ænour Sera poun moi La prochaine d.ëfaite

Dans le second couplet, cela devient moins évident :

Je sais déià eette affreuse Priète ql'iL faut pLeurer q,tætd Ltautte est Le oainqueun

Dans le dernier, enfin, chacun des d.eux semble Ie cap- tif , 1'esclave d.e " 1t autre" :

Je sais pou.rtant que ee pnochnin qnottr Sera pouv nous de uitsre Ltn nouueau xègne Dont ffifuons tous dezæporter Les ehatnes Dont nous eroixons que Ltqutte a Le ueLouza r59

Peut-on mj-eux dire 1e pessimisme foncier de Brel à l'égard de l'amour ? t Nous retrouvons êgalement I j-mage de Ia femme Posses- sive, de Ia femme "castratrice", déjà rencqntrée dans "Dors ma miett ::

Je sais ie sais sqrls laùoir ton pt'énom . Que ie serai ta Proehaine caPture Une toute petite lueur subsiste cependant au fond du coeur d.u héros bréIien, lueur qui prend I'image d'un voyage (mais ce dernj-er nta plus I'importance de ce "grand voyagfe" qu,était "ngtre grand alngur'r (f ) ), où t'On part "ensemble", mal- gré tout ce qui peut exister, Pour essayer d'atteindre, à dê- faut d,e Itamour, Ia tend.resse :

Je sais ie sais que ma tendre faibLesse Eera de nous des nauires ennemis Mais mon eoeur sait des nauires ennemis Pa.rtqnt ensembLepouz' pâcher La tendtesse

11 y a des affinités entre le héros bréIien de 1961 et le poète belge Max E1skamp, qui écrivait :

Mais maintenant vient une femme Et lors voici qu'on va I'ainer, Mais maintenant vient une femme Et lors voici qu'on va Pleurer,

Et puis gu'on va tout lui donner De sa maj-son et de son âme, Et puis quron va tout lui donner Et lors après gu'on va Pleurer (...)

(I) Quand on n'a que I'amour. r60

Car maintenant vient une femme Suivant sa vie Pour des baisers' Car maintenant vient une femme, Pour s'y complaire et s'en aller (1) -

LES PRENOMS DE PARIS

Dans cette oeuvre peu connue, Paris sert de véhicule - â I'histoire d.,un amour à trois temPs : bonheur rupture recofirmencement, €t Ie procédé constant dtappositions, accolées au nom de la capitale, rend sensible les états d'âme du héros.

Ier temrrs : bonheur

L'espace s'élargit à la dj-mension de Paris, dans lequel nous promène le chanteur (la Seine, 1'Î1e Saint Louis, ies Tuj-- leries) , puis des envj.rons de Paris (Versailles) , enfin de Ia France toug/entière. Mais cette avancée dans I'espace n'est tla que le symbole d'un bonheur où Ie temps se fait amical, accom- pagnant Ia montée imperceptible de I'anour : un sourire' une main quj- s'offre, Ie premier rendez-vous' Ie premier baiser... La ville gui, tout au début, nrétait vue qu'à travers la montée du jour et Ia sinueuse avancée de la Seine, devient : "PafiS b6njOUf", "Pafis Itamouf", "Pafis qgi COInmenCerrr"PafiS la chance" , "Paris romancerr.

(r) Max Elskampr "Huit chansons reverdies dont quatre Pleurent et quatre iient", Ie livre d'Or de la poésie_française des orig-ines à 1940r'Pierre Seghers, Marabout, L972, 9' 260' r61

Dans Ia deuxième strophe, la Progression du sentiment s'accentue. Après Ie temps de "Paris ce SOir"rvient Celui de "Paris nous d,eux", de "Paris si tu veux" et de "Paris merveilj }eux", pour éclairer Ia première nuit, le premier don, le pre- qui, à I'heurer Sê tournaj-ent mier serment. Les "deux" tOut , vers de Vastes horizOnS, deviennent "un Seul'r' et les yeUx de la f emme ai-mée sont Ie miroir reflétant à f inf ini lramour de l-'autre :

tln negard qui reçoit La tendtesse du monde

Cependant, au coeur même de cette strophe, surgit une imperceptible fêIure, êt I'on ne Prête drabord guère attention à deux vers insérés dans un paysage de joie :

Une ehqttbTe LLnpeu triste Où statrête La ronde

or, précisément, Ie héros bréIien a horreur d.e tout ce qui "s'arrête" ; iI lui faut un bonheur qui bouge Pour ne Pas mourir

2e temPs : rupture

paris a perdu la fraîcheur des aubes lumj-neus€sr chan- Èées touÈ au d.ébut. 11 nrest plus que "Paris tout g:ris"' "Paris Ia pluie" Èémoin de :

(...) La fin du uogage La fin de La ehanson Dernier iot'tz' derniène heute Première Lavme aussi

Les Tuileries deviennent, avec "Paris 1'ennui" :

Ces jardins remontés }ui ntont pLus Leut pan?e L62

et nous retrouvons, conme clans "Je ne sais Pas" et dans "La colombe", Irimage du train associée à la séparation' à Ia mort :

La gate où staeeontPLit La dewdère déchintYe Et c'est Paris fini

Le jardin de I'Eden a refermé ses portes. Dans un "Paris chagrin", Ie héros se sent :

Chassë du Paradïs

comme toujours, cfest Ia femme qui est coupable d'in- constance. C'est elle qui est partie et Brel dresse un constat d'amertume en rePrenant une sentence populaire :

Loin des geuæ Loin du eoeuY

3e temps : recommencement

Un si.mP1e mot va ramener la joie :

(...) une Lettte de toi ïlne Lettre qui dit oui

Dès lors, "Paris demain" , "Paris en chemin" et "Paris je revie[S", accomPagnent, dans la traversée des villes et d'es villages, Cê voyage intérieur à contresens gu'accompliront ceux qui s'étaient quittés. La frénésie d'attente impatiente jusqu'à de I'homme fait que les roues "tremblent d'e chance", ce que surgisse à nouveau Ia femme aj-mêe 3

Et toi qui mtattends Là Et tout qui reeontnenee r63

La "ronde", dont nous parlait plus haut Ie poète, a repris. Sans doute ne durera-t-elle pas "jusqu'au prochain été" (1), mais "ça faj-t du bj-en d'être amoureux" (2) .

CLARA

"Ay Marieke Marieke je t'aimais tant" (3). '!Je traimais tant Clara je traimais tant".

La similitude entre Ie début des d.eux chansons est frappante. EIle se poursuivra dans les situations évoquées, l'état d'espri-t des personnages et leur façon de rêagir. clara - tout conrme Marieke - met en scène un être qui ne peut se cons61er d'une rupture amoureuse et qui ressasse interminablement ses souvenirs, cette évocation Ie conduisant' peu à peu à une sorte d'état de "transe". Le héros de Marieke, dans son hébétude, mêIait les mots français aux mots flamands i celui de C1ara est emporÈé par le tourbillon d'une samba, dont le rythme obsédant met en lumière son désordre intérieur. - un procédé souvent employé par le chanteur le cres- cendo est particulj-èrement heureux ici, de même que celui qui consiste à prolonger indéfiniment une exPression, pour la mettre en relief. Nous en avons un excellent exemple, lorsque le per- sonnage brélien nous dit qu'il est mort :

(r) Le prochain amour. (2) rbid.

(3) Ivlarieke. L64

ttPour un prénom de fiLLe qui m'auait ddi touiotttstl

La prolongatibn d,e ce dernier mot nous met dans un état de malaise car, s'iI s'accorde très bien avec sa signification, il nous paraÎt incongru dans une situation où 1'amour, précisé- ment, n'a pas su résister à I'érosion du temps. 2. clara est un poème de mortr gue ne parvient pas à exor- 'L'ivrogne", ciser }a fête. à la fin de sa beuverie, pouvait d,ire : "Tout s'arrange déjà'. Icj-, au contraire, le Carnaval ttdansertt, t'chantertt tttournert' ttbousculê1' t' d.e Rj-o a beau , , , "Cfi.e1'", "Saoûler" Ou "Carnavaler", le hérOS rêpète arreç déSeS- poir le même leitmotiv :

Cawntsal à Rio tu nry pet'æ rien ehanger

L'abandon a figé Ia vie intérieure. Le temps s'est arrêté avec le départ de Clara :

Je suis mort à Pavis iL y a miLLe soirs IL g a nriLle nuits iL n'g a pLus d'espoir

La femme est présentée comme doïneuse de mort :

Je suis moxt à Paz+s iL y a LongtentpsdÉià IL y a Longtenrpsd'erutui iL y a Longtentps de toi

L'amour passé ne fut-il Pas une lutter urlê "guerre" (image que nous trouvions déjà dans "Le prochain amour"), I'hom-_ me cherchant sans cesse à reconquérir la femme volage, Pour être finalement vaincu Par elIe ? z

Je suis mort à Parts tombé au chanp. d'ænotæ (...) Je suis mort à Paris fusiLLé par une fLeur Au poteau d.e son Lit de dpuze rires dnns Le coeur

La cruauté, I'insensibilité, Irinfidélité sont tout entières du côté de Ia femme; l'homme, â I'inverse, apparaÎt investi de douceur, de tendresse et de confiance : r65

Je suts moz,t à Paris de m'âtre trop tr'ortpé De mtâtre trop meuttr4 de m'être trop dormé

Devant 1'échec, iI se révèIe incapable de réagj-r au- trement qu'en Se fermant à tout autre sentiment qu'à celuj- d'e espèce de rumina- sa douleur. I1 est dans Ia logique de cette ? tion masochiste qu'e}le débouche, à la fin d.e la chanson, sur une véritable obsession de la mort Iiée à celle de l'amour :

Je suis nort à Paris que 7.a mov't rne eonsoLe La mort est pan ici La moz't est espagnoLe Je ttaimais tant CLara ie ttaimais tætt Je t'aimais tant CLara ie ttaimais tant QUATRIEI4E PERIODE

L962-L966

"ELLes sont notre Pnemdet ennenri QuandeLLes stëchaPPent en Yùarù Des pâtutages de Ltennui.--'l L67

une quatrième périod'e va s'ouvrj-r après "Clara"' Dé- sormais, I'idéal ne prendra plus Ia forme de I'annour. 11 y au-i ra ençOfe, fneZ Brel, UIl dernief SUrSaUt aVeC "Une Île"r lf,II dernier compromi-s avec Ia très belle "Chanson d.es vieux amants", mais Cfest â Son enfanCe qutj.l fera retOur, à ce rêve d'e "f in- accessible étoile", Chanté dans "l'homme d.e la ManCha" ou dans des oeuVres telles que "Regarde bien petit", "La ville s'endor- mait". La femme apparalt désormais comme une irréalité' un my- the, une supercherie. Vont lui succéder les femmes, "Les biches" qui savent si bien tricherr OU "Les filles" qui nront même pas la f idélité des chi-ens. Brelr âtr fond, oê pardonnera jamais à Ia femme d,e ne pas lui avoir ouvert les Portes du parad.is. Sa tendresse ira désOrmais à des personnages Coltune"LeS Vieux", "Les Bergers", à deS amiS Cgmme "Jef ", "Fernand" OU "JOjO", à deS SiteS Cofirme "" Ou "LeS Marquises", tandis que Son agressivité pour Ie monde féminin ne cessera, semble-t-il, de croÎtre.

T'NE ILE

Nous parlions, Plus haut, d'un "dernier sursaut" de Brel, avant sa plongée dans une forme beaucoup PIus caricatura- Ie et grinçante de lramour. Mais, 1à encore, iI faudrait nuan- cer, car Brel est un Personnage complexe et ses oscj-llations entre l'espoir eÈ Ie désesPoir, ltamour et la haine, la beauté 168

et la laideurr Dê cessent d'étonner celui quj. se livre à I'exé- gèse de ses chansons PoI Vandromme nous apporte Peut-être un fil conducteui dans ce labyrinthe, lorsqutil écrit : "Brel sera désormais un orphelin d,e 1'Î1e. 11 en portera le deuil dans son oeuvre. Maiq de son étreinte avec Ie songer,le souvenir lui restera doux. Entre cette douceur et ce chagrin, entre cette fai:n et ces lar- mes , sa rebellion se f j-xera maI. Tantôt eIle aura d.es bouf fées de vague â l'âme, tantôt des hauts-Ie-coeur" (I). Ce que 1'é- crivain dit plus particulièrement de I'j-dêa1 brélien est vrai' égalernentrde sgn rêve de fusion aJngureuse' dOnt "Une Île" sem- ble être un des derniers vestiges. L'Île a toujours fait rêver les navigateurs et les Poè- tes. Pour la rejoind.re, Ies premiers embarquent sur un voilier, les seconds suivent le sillage de leur imaginatj-on. Brel' avec Son insatj-able curiosité, aura vécu I'expérience des uns et des autres : "Une Île" est le chant du pOète I "LeS Marquises", celui du navigateur qui a enfin réalisé le grand désir d'e son enfance :

Voiei qutune tLe est en partanee Et qui sonrneiLLait en nos Ueu'æ Depuis Les portes de Ltenfætee

on remarquera le pluriel "nos yeuxrr : en effet, le cou- ple est au centre de la chanson (alors qu'i1 en aura totalement disparu en f 978, dans l'évocation des "l"larquises") :

Mais qui donc poutrait retenir Les rêues que L'on rêue à deu'æ

(1) Pol Vandromme, Jacques Brel, L'exil du Far West, Labor, Bruxelles, L977, P. 56. r69

La femme possède des attributs que Brel ne lui recon- naissait plus depuis un certain temps déjà :

UNE L LE Une tLe au Latge de Llespoir tù Les honrnesn'auraient Pas Peut Et douce et eaLme cofttne ton nixoiz'

Le poète rejoint sa source d'inspiration de 1956, Iors- qutil partait du "gfrand voyage qurest notre grand anour" (f ) et il veut, une fois encore, PâI deIà les déceptions, prendre ce risque :

Viens mon amou? Cav etest Là-bas que tout contnence Je cv,ois à La derniàre ehanee Et tu es eeLLe que ie uetæ

La fascination pour un monde autre, qui ne serait pas frelaté, éclate presque à chaque mot. Peu d.e temps auparavant' Brel avait stj-gmatisé notre civilisatlon' celle des singes :

Aonrlt eu.æauant Les cuLs PeLés La fLeur Ltoiseau et nous éttons en Liberté Mais iLs sont avriués et La fLeur est en pot Et Ltoiseau est en cage et nous en numéro (2)'

DanS nOtfe ChanSOn "les SingeS" SOnt deVenUS "les fOUS"

Là-bas ne seraient Point ces fous ?ui nous cachent Les Longues pLages (...) }ui nous disent dtêtre sages Ou que uingt qrzs est Le beL â,ge

et I'île est le retour à I'innocence originelle :

(1) Quand on n'a que lramour.

(2) Les Singes. r70

UNE L LE CLaire commezm matin d.e Pâques (...) | Chaude contne La tend.resse Espéz.artte coîtne un dÉsert

que viej-Ilir et vouloir commencer", chan- "voir Iton va " tait Brel quatre ans auparavant (1). 11 Pressent de plus en plus, semble-t-il, !a fragilité du bonheur et, Pour }e préser- ver, ne trouve dtautre refuge que cet Î}ot de tendresse que chacun peut délivrer en soi, au prix d'ailleurs de mille dif- ficultés :

une iLe qu'iL nous reste à bdtir (...) Fugons Ltorage Voici uenu Le tentps dtaimer

Au fond, seul peut espérer survivre le couple en marge d'un certain type de sociêté : nous ne saurions assez souligner I'actualité des propos bréIiens de L962... Mais Brel reviendra très vite de son rêve êt, dans un tout petiÈ poèrne récité, intitulé "Chanson Sans Paroles"' i1 accusera à nouveau la femme de lui avoir fait manquer ce départ' pour IrîIe :

Je t'qtrais dit 'tanow" Je t'anæais dit 'ttouiouts'l Iûais par nn LLe dëtours Je t'auzais dit 'tPartottst' Je ttatrais dtt tbmiLonst' BzûLons d.e iour en ioun De saisons en saisons (...)

Mais Le terTrpsde me dine Comnent uais-ie L | éeYiz'e Et Le tentps est uenu Où ttt ne m'aimtis PLus

(1) Voj-r. L7L

MADELEINE

On ne sait si I'on doit s'attendrir sur le héros de Madeleine ou }e plaindre. Voir quelqu'un croire, espérer' quand tout, autour de lui, démontre f inutilité ou I'absurdi- j-rrj-tant. té de telles attitudes , ce Peut être touchant ou BreI a lui-même avoué à Clouzet que, "après avoir interprété plus de mille fois "l'ladeleinê", il ne savait pas encore si son héros devait être tenu pour un exemple de courage et de réso- lution ou, au contraire, Pour un symbole d'e bêtise et d'e fai- blesse" (l). En lout cas, Ie chanteur semble avoir pris une certai- ne distance par rapport à ses Personnages. Le héros d'e "Made- leine" t1e représente plus gu'un "type" d.'espOir insensé, Sur leque1 Brel porte un regard suraigu, Pour nous inviter, impli- citement, à ne pas I' j-miter. Il y a une.parfaite unité de temps, de lieu et d'action dans cette petite tragédie. Tout se passe en une soirée, en un endroit dont, le héros ne bouge Pas d'une semelle' Parce quril attend 1'arrj.vée de quelqu'un qui, d'ailleurs, "ne viendra pas". chacune des quatre strophes représente un instant de - sa longue attente. Le rythme du d,ébuÈ que la voix de Brel infléchira en fonction de Ia d.éception ou de 1'espoir renais- sant du héros traduit Parfaitement la fièvre qui accomPagne cet état particulier, dans leque1 Ie désir part à Ia rencontre de 1'objet convoitêr pour en devancer la possession.

(1) Jean Clouzet. Pochette du disque no 5 P.6325206- 172

La situation nous paraÎt d'abord tout à fait normale : unanoureux,attendantavecimpatience1afemmequ.i1aime iI a poussé Ia délicatesse jusqu'à apporter d.es lilas forme des projets pour la soirée :

0n prendra Le tram trente-trois Pouæmmtger des frites ehez Eugène (...) On ira avt einéma Je Lui diraù des ie t'aime MadeLeineeLLe aime tant ça

L'ad.miratj-on pour Ia femme ("eIle est tellement jolie") srest muêe en adoration éperdue. Ne sachant comment exprimer tout ce que représente I'amour Pour lui, Ie héros ne peut que répéter à chaque refrain :

ELLe est teLlement tout ça

...ce qui laisse un champ infini au rêve et â f imagination. Mais - et cela n'est dû qu'à la rigoureuse construction du poème - au fur et à mesure gue le temps Passe ("ce soir j'attends... j'attendais... j'attendrai Madeleine") , Brel nous fait conprend.re que rien n'arrivera de ce que désire le Person- nage. Prenons I'exemple du bouquet qu'i1 tient en mains :

Jtai apportë des Lilas Jten appotte toutes Les semaines

Cela deviendra :

Î,Iais iL pLeut s'ur mea LiLas IL pLeut coïtne toutes Les semaines

puis :

Mais j'ai jetë mes LiLas Je Les ai jetës contne toutes Les semaines

et enfin : r73

Je napponterai du LiLas Jten napporterai toute La semaine

des lilas es!, p19F gu'un de -te_Ile 9o5t-ç,gue le fait d'apporler geste, une sorte d.e rite symbolisant une espérance qui se fane et que lton ressuscite. r: Dans Ies chansons précédentes, devant lrabsence ou 1'abandon de la femme, le héros brélien se réfugiait dans 1e passé, ruminant à loisir ses souvenirs. Le personnage de Made- leiner luir sê réfugie dans lravenlr, Pour nier un passé d'at- tentes vaines. Il est probable quêr sans cette fuite dans lri- maginaire, il serait incapable d.e survlvre. Ne dit-it Pas lui- même :

ELLe est toute ma uie MadeLeine que iMds ta

Une modification du même genre se produit au niveau de ce que nous appelions plus haut les "Projets" : ils vont dis- paraître les uns après les autres r â1f,fur et à mesure que I'es- poir de voir Madeleine sramenuise, mais ils seront récupérés par la négation de Ia réa1ité 3 "Crest Èrop tard pour le tram trente-trois" (..-) "Tiens le dernier tram s'en va" (...) "On prendra le tram trente-trois". "Trop tard pour 1es frites drEugène" (...) "On doit fermer dnez Eugène". Mais demain, on pourra "manger des frites chez Eugène" "I1 me reste le cinéma" (...) "Crest fichu pour le cinéma" (. . . ) "On ira au cinêma" - On voitr par ces coupes à lrintérieur de chacun des coupletsr guê Ia sit,uation fi.nale devienÈ à son tour la situa- tion initiale et que la chanson peut recofirmencer indéfi,niment. Le passé a été nj.ê au profit d'un avenir plein d,e promesses et d I espoir. Par contre, ce qui. demeure un présent perpétueI, c'est lramour du héros pour Madeleine : "Madeleine c'est mon Noë!", L74

"mon horizon", "mon espoir", "ctest mon Amérique à moi". Tra- duisons : lridéa1, Ia naissance, le Far West, lrenfance retrou- vés. Dans "Je ne sais pas", pour 1a première fois, f image d'un "tiers" s'interposait entre I'homme et la femme et rendaiÇ le bonheur j-mpossible. On le découvre de nouveau, à travers la prêsence successive des troj-s cousins JoëI, Gaston et Gaspard, qui nourrissent à 1'égard de leur jolie cousine d'autres ambi- tions :

MêmequtelLe est trop bien potæ noi Contnedit son cousin. ..

Le héros brélien semble sorti tout droit du théâtre de Beckett. Souvenons-nous de ce dialogue entre Vladimir et Es- tragon :

- Allons-nous en. - On ne peut pas. - Pourquoj- ? - On attend Godot. (...) - Et s'il ne vJ.ent pas ? - Nous reviendrons demain. - Et puis après-demain. - Peut-être. - Et ainsi de suite. - Crest-à-di.re... - Jusqurà ce quril vienne. - Tu es impitoyable. - Nous sommes déjà venus hier (f).

(1) Samuel Beckett, ED attendant Godot, Editions de Mj-nuit, 1952, pp. 20, 2L. L75

Le héros de "l4adeleine" a tué en lui la voix de son double(ce11ed'lEstragon),quj-insinuerait1edoutedansson esprit en lui exposant lrinutilité de son attente immobile. De p1us, comme dans la tragédie de Beckett, nous savons que la même sj-tuation se reproduira Ie lendemain et que re temps i ne modifj.era pas lrattitude stéréotypée.des personnages. Le marheur des uns comme des autres est d.respérer quelque chose, ou quelqu'un, "qui ne vj-endra pas". Brel a très bien réussi, dans Madelej_ne, à nous faire toucher du doigt I'ambiguité de lrespoir, voire son absurdité dans une situation extrême conrmecelle gu'il dépeint ici.

LES BTCHES

C'est par cette chanson', écrite en L962, guê débute ce qu'il est courant drappeler la "misogynie" de Brel. Et pour- tant... I'accompagnement est d.'une telle douceur ;que les re- proches faits aux femmes apparaissent davantage conrme un re- gret, une désillusion, une incompréhensiorl peut-être, que com- me une at,t.aque. I PartanÈ de son expérience de Ia femme (qu,eIle s'appe1- I le l4arieke, Clara, Madeleine, Rosa ou Mathifael .-\.-. bré- i {:-e-ftâiaq--_ 1j-en va dresser un constat sur les femmes, et la comparaison qu'il.utilise pour le faire est celIe de ces dêlicieux animaux, farouches et caressants, gracj-eux et insaisissablesrque I'on appelle "Ies biches". En quelques minutes, par leur intermé- diaire, multipliant les détails incisifs, BreI va dérourer sous nos yeux toute une vie, en nous laissant entendre que les fem- mes sont essentiellement, quel que soit leur âge, des êtres qui L76

"trichent", et que, seules, varieront les modaliÈés de cette tricheri.e.

elles sont le ennemj-" d'e f ) Adolescentes, "premier I l'homme, gui devrait S'en méfj-er. Mais comment rêsister à I'en- chantement de qui possèd.e :

( .. . ) des ciLs eomlnedes cheueua Des eheuezLæen aceroehe-faon

La tricherie demeure encore superficielle "seulement du bout des yeux" - et, SanS doute, j-nconsciente : le charme de la jeunesse opère de lui-même. Si le châsseur s'arr-ête, Ie-s biches sont capables de le chasser "e-n rougissalt".

Une certaine peur de la femme contmence à apparaÎtre d.ans les chansons de BreI. Et' Sans aucun doute' une peur de Son aspect charnel. Jusqu'à présentr oD nous parlait d'un re- gard, d'un sourj-rer Cê qui demeurait assez Vague. Voici que la déesse stest incarnée : elle a des "cils", un "corps", des "seins". Les réa1ités Physiques paraissent insupportables au héros brélien. D'ailleurs Brel ne nous a-t-iI pas donné' à la même époque, une oeuvre très révélatrice, dans laquelle iI avoue, à travers }timage d'une armée de campagne qui Se "dé- niaisait", }e choc que lui a causé ltécroulement de son rêve et aussi, Sans doute, la découverte de Sa ProPre sensualité :

Moi j'aurais bien aimé un peu pLus de tendtesse Ou aLors Lm sourire... (...) Ce ne fut pas WaterLoo man)see ne fut pas AreoLe (f). Ce fut L'heure où L'on negtette d'auoir manquéL'écoLe

(I) Au suivant. L77

cette peur de Ia femme - qui est peut-êtrer ên réalité, une peur de soi-même est encore celle d'une castration psycholo-; gique, les "biches" étant capables de déviririser 1'homme en Iui retirant ce qu'i1 consid.ère comme des attributs spécifique- ment masculins : la violence, la fougue, qui 1'élan est aussi à liberté 3

(... ) je sais des ouragants QuteLles ont ehangé en poètes

2) Devenues jeunes filles, les femmes sont "le plus bel ennemj-". Leur beautê est rayonnante : semblables au navire qui avance toutes voiles déployées, elres "passent toute vertu dehors", possédant "I'éclat de la freur et déjâ la saveur du fruit". La peur et Ie recul du personnage brélien semblent plus nets, puisqu'il accuse les biches de tricher avec "tout leur coeur", avec "tout leur corps" et de détruire ilhomme, non seulement dans son être, mais aussi dans son avoi-r, car elles se révèlent cupides :

Lorsqu'eLLes gnignotent Le mari Ou Lonsqu'eLLes enoquent Le dianant 'élé*"rrtaire Usant d.'une psychologie asse" - mais gui, -'l reconnaissons-le, a déjà fait ses preuves -t I'homme en dêdui.t guer pour séduire Ia femme, iI suffit parfois d'être riche bi-en que Ia coquette ntavoue jamais son amour de I'argent qu'elle noflrmepudiquement (une tricherie de plus) d'un autre nom-3

ùt'on Les chasse à coups de zubis Ou quteLLes nous ehassent qu sentiment ELLes sont notre pLus bel ennemi r78

3) Aux alentours de Ia trentaine, Ies femmes devien- nent Ie "pire ennemi". El1es ne sont plus seulement infidèles, par vénalité, mais par sensualj-té, consj-dérant en chaque hom- me une "chance" à ne pas manquer : ! Trontpant L'ennui pLus que Le eerf Et Ltqnant auee Ltanttre qnartt Et L'autre onant auee Le eerf Qti biehe

El1es connaissent à Ia fois leur "pouvoir" et leur "sursis" ; aussi, 1|intelligence s'alliant au corps et au coeur, trichent-elles "avec toute leur science", affolant lrhom- me avec beaucoup dtélêgance, "du bout des gants". Dans cette troisième strophe, BreI a décrit avec talent le comportement d'un certain type féminin,mais sans réaliser, semble-t-il, le fond d'angoisse qui pourrait 1'expliquer : cer- taines de ces "biches" ont tellement peur de "vieiIIir", de perdre leurs "charmes".- et donc d.e ne plus être aimées -r qutelles essaient de se rassurer en utilisant les armes de Ia coquetterle. Elles ne le font pas d'abord pour dêtruire I'hom- rnêr cornmeBrel semble Ie croire, mais pour s'assurer qu'elles peuvent encore être reconnues coilIme femmes.

4) Même "quand leurs seins tombent de sommeil", c'est- à-dire quand Ia vieillesse s'est installée, Ies femmes sont en- core Ie "dernier ennemj-" de lthomme. Le temps qu'il leur resÈe à vivre s'amenuise. Quti:nporte ! "C'est avec tout leur passé qutelles trichent". Elles refontr êrI sens inverse, des voyages intêrieurs, que la symbolique de I'espace nous laisse entre- voir :

(,..) eLLeeont Le pas résigné Des pëLerins qti sten reuiennent

Lthomme demeure leur dernière chance. Aussi s'y accro- chent-elles de toutes leurs forces : r79

(...) eLLesttiehent Afin de mieun nous retenir Nous qui ne sen)ons d ee tenPs ! Qutà Les enrpâehez'de oieiLLir (...) Mais qu'on Les ehasse de notre oie 0u quieLLes nous ehassent panee qu'il est tentps '. ELLes restent notv'e denier ervtemi précé- Le verbe "ChaSSer", qui avait eu dans les deux strophes d.entes Ie sens de "pourchasserrr' reprend celui quril Possédait initialement : "élOi-gller't ces femmes "de trqp lOngtemps". cette dernière strophe semble cruelle. Essayer de "re- tenir" quelqu'un, avoir "peur de le perdre", Brel Ie dira lui- même dans "Les Vieux", est aussj- une forme d'annour et de ten- dresse. Si I'homme se Sent diminué Parce qutil a I'impression qu'i] ne "sert qu'à empêcher de vieillir", il oublie que cette peur de la solitude a pour origine Ia dé.couverte de la riches- se prodigieuse de lramour :

La fiLLe que itaimeYa VieiLLira sans tvistesse Entre son feu de bois Et ma grande tendYesse (Ll.

Que de chemin parcouru par Brel entre "Ia bourrée du célibataire" et "les Biches" ! Cinq ans ? Non ! Une vie, sem- ble-t-il. . .

(f ) La bourrée du célibataj-re. r80

LES BONBONS

COmmedans "lrladele j-fiê", nous avons affaire à une chan- son de type circulaire, qui peut recomnencer indéfiniment. Mai3, contrairement à ce qui se passait alors, la quête du personnage nrest pas fixée Sur une femme, Si bien qu'au lieu d.e nier son échec en fuyant dans I'imaginaire, il se Prêcipite sur Ia première proie capable de remplacer celle qui vient de lui échapper, n'hésj-tant Pês, Pour Ia séduire, à la parer de toutes les qualités qu' il lui avait déniées quelques j-nstants auparavant. BreI se PIaÎt, Pour décrire cette ronde minable, à accumuler, avec un humour grinçantr des traits de dérision qui sont autant de caricatures de ta bêtise et de la méchanceté. La musique, volontaj-rement ridicule, est calquée sur celle de ces petites marionnett.es tournant avec des gestes stérêotypés et notre chanteur emploie d.es intonations doucereuses qui' Po- sées sur un accent bruxellois volontairement appuyér IIê nous laissent aucun doute sur les véritables mobiles d.e son héros. ce petit d.rame à six temps commence par une offrande : d.es bonbons ont remplacé les lilas que I'on trouvait dans "Ma- d.eleine" et Ie pitoyable galant en exPlique Ia raison, accumu- Iant bévues et malaoresses :

Je oous ai apporté des bonbons Paree que Les fLeuns e'est pétissabLe htis Les bonbons etest teLLement bon Bien que Les fleuns soient pLus ptésentabLes Surtout quutd eLLes sont en boutons Mais ie uous ai apporté des bonbons

Les distractions qu'il propose à son interlocutrice té- moignent de sa Petitesse d'esprit : I'après-midi, Si Madame Mère y consent, sera passionnante. Que I'on en juge plutôt : r81

'"-'0n ira uoiY'Passer Les tYains A fuib heures ie uous z'anènetai ,, I Le langage se fait aussi banal que les propositions du héros : "Quel beau dimanche Pour la saj-son ! " our plus loin "Ca vous avez mj-Ile fois raison ! ". t La belle accepte, tout colnme dans "Ires Biches", ce guilleret- "chasseur qui est une chanc€", tandis qutune musique te et moqueuse suit Ia marche de cet étrange couple :

Les gens me regardent de tranters I en a mêmequi rient derrùère noi t t4ais contme aucun complexe d inf ériorité n'accompagne ' en général, la sottise, notre homme conclut :

Le mondeest pLein de PoLissons

Tout en nous promenant avec les personnagêsr nous as- sistons à un dialogue, que nous devinons par les seuls acquies- cements obséquieux de lthomme, Ia femme restant d'ans 1'ombre, mais n'en parai-ssant que plus présente. Brel esquisse une sa- tire de la perfid.ie féminine guir selon lui-, s'ingénie à déni- grer toute rivale en Puissance :

0h oui Gev,naineest moins bien que oous 0h oui GerTnaineeLLe est moins belLe C'est urai que GerTnainea des eheueuæroun C'est t:rai que GevTnaineeLLe est emteLLe

ce genre de propos sera stignatisê dans "La Parlote" qui est, paf certains côtés, une espèce de prolongement de Ia méchanceté des Personnages des "Bonbons" :

Ctest eLLe qui rentpLit Les squares (...) Si e'est eLLe qui attire La cætdeur Dæts Les fiLets d'une Promenade Ctest par eLLe que Lttrtou'r en fleut' Souueit se meurt dsrzs Les saLades (...) C'est eLLe qui dessèehe Les eoeurs La PatLo-ote' La PatLo-ote 182

Mais voici gu€r dans un décor vaguement esquissé ("la GrandP1ace'',''1ekiosqueoù1'onjoueMozart''),surgitun -. tiers, Léon - que le chanteur prononce suavement Léion Et BreI, une fois de plus, souligne Irinconstance de 1a femmerQui abandonne le premier comPagnon Pour rejoi.nd.re Ie second. !, Après un instant de déception, notre homme reprend ses bonbons, court les offrir... à cette Germaine dont iI venait de rirer êIt lui disant les mêmes phrases absurdes... et nous nous retrouvons au début de la chanson-

TITTNE

Pour écrire "Titine", Brel s'est inspiré de d'eux chan- sons que Léo Darniderff (1) avaiÈ écrites pour son amie Gaby Montbreuse : "Je cherche aPrès Tit,j-ne' (f917) et: "J'aj- re- trouvê Titj.neu (1926). 11 en a gardé Ie thème et I'a jumelé avec le comique de Chaplin. Bien que Possédant Ie même entrain que "Madelei[ê", témoignant de Ia même solj.tude, du même esPoir et du même échec nié par le même refus, "Titine" en diffère ce- pendant en ceci que la caricature et la parodj-e sont poussées à I'extrême et que Ie héros n'est plus pitoyable' mais ridj.cule. par ailleurs, contraj-rement à lramoureux transi de "MadeleiD€"r qui attend.aiÈ fLgê dans un espace minuscule, celui-ci parcourt le monde entier Pour retrouver la femme qui I'a abandonné :

(1) Léo Darniderff, né à Angers en f878, mort à Rosny-sous-Bois en f 943. 183

Je L'aoais chexehée Pattout Au Gahon au lonkin Je Ltatsais cherchée en uain r Au ChiLi au Pér'ou

Le cocasse est présent tout au long de la chanson et !a farce prend des proportions énormes, qui ne Sont pas sans + rappeler Ionesco. Ainsi, lorsque Ie héros retrouve litine :

Je Ltai v'etrouuëe par hasatd Qui oerd.ait du buuard Derrière une uitrine De La gare Saint-Lazare

Les reproches qu'il fait à Irinconstante commencent presque à nous émouvoir. On Songe à une certaine page de "La femme du Boulanger'r r de Pagnol :

Potæquoi m' auoir quitté Tu es partie coïtne ça Sans un geste sans wL mot... maisIasuite,inattendue,bascuIed'ansIeri-d'icu1eetd'écIen- che le rirer tout cornme le film burlesque sur lequel Brel aP- puie sa parodie :

...Voir un fiLm de Chatlot Au ciné de L')LynrPia Et iL g a tnente ans déià fuue nous te chenehions Partout Mon Hispano et noi

La seconde strophe est bâtie de la même manière et Ie comique naÎt de la distance qui existe entre les truculences bréliennes et I'attitude du Personnage :

Tu as ehangé ie Le sais bien Iu es m Peu moins tentante Pttis tu matehe eommeChaPLin

Brel ne se prive pas d'égratigner au passage Ia femne, faiseuse de "Parlote" : 184

Puis tu es deuenue PatLante

Aprèsquoi,nousvoi1àrepartisPourunautrevoya9e au pays du burlesque. En effet, à pelne conmence-t-on à s'api- toyer Sur le sort du marj- berné, lorsqu'il avoue vivre "depuis t' trente ans tout seul avec un chien", que tout bascule à nou- veau, dans cette chute imPrévue :

Et auec dpuze enfants

Dans la dernière strophe, nous comPrenons soudain qu'en réalité "Titine", que nous imaginj-ons Présente, était déjà "re- partie" au moment où commençait la chanson :

Mais hien quand ie Lui ai dit (...) Est ce que tu m'aimes encore ELLe est repartie cotrtneça Sans wt geste sans m mot Voir un film de ChavLot

Le pauvre héros, comme celui de "Madelei1lê", refuse de reconnaître son êchec et se réfugie dans un avenir où I'espoir est encore possible :

Mais je retrounsev'ai Titine (...) Et tout statrangera

En attendant, la poursuite éperd.ue recofiImence et Ia chanson reprend depuis le début' conme si rj-en ne Srégait pas- sé. on peut suivre l'évolution de Brel à travers Ia façon dont iI peint l'échec anoureux. Nous avons quitté I'univers de Ia tragédie (Marieke, Clara) pour entrer dans celui de la paro- die, Car "Tj.tine" n'est rien d'autrer €II faitr guê le pastiChe de "Ne me quitte Pas". La veine Èragique et Ia veine comique se retrouvent tout au long de I'oeuvre brélienne, mais i} est frappant de 185

priviiégier le constater qutà Partir de L962, si Brel semble au- traqigue dans son roche de Ia mort' iI iviléqie sans e et le burlesque 4ans Ie reqard qu'il te sur lrannour, privilège qui nrentraÎne aucune exclusion' puisque Ia chanson suivante nous plonge à nouveau clans Ia des- cription d'un désespoir tragique.

LA FAI{ETTE

sur un rythme cle flux et de refluxr Brel nous dit, dans ',La Fanette", à la fois son amour pour une femme doublement perdue et son amour Pour cette Mter du l{ord qui I'a toujours envoûté. 11 y a une espèce de fusion poêtique, 9ui court tout au long du poème, entre la femme et I'eau, la magie d'u verbe ima- brélien nous faisant partici-per Presque vi-suellement à des ges se poursuivant à I'j-nfini et que Ie chanteur décrit dans une série anaPhorique :

Faut &tre Fcut &ire qu'eLLe étq|t beLLe Contnettne PerLe d'eau Tout Ie drame se situe entre Ia phrase d'u début :

Nous étions deuæanis et Fanette mtaimait

et la toute petite modification finale :

Nous étions deun anris et Eanette L'aimait

La femme, disions-nous, est en quelque sorte assimilée Iteau, à ce point qutelle mourra emportée par les vagues' 186

Mais il y a également une osmose romantique entre Ie paysage brélien. Les vagues sont coiltme lrécho de et l'ârne du héros "": joies, de ses d.éceptions ou de ses colères :

Si eLLes s I en sout)iennent Les uagues uous dcz'ont Combienpozæ La Fanette i'ai ehanté de chartsons

Crest par leur intermédiaire que l'amoureux évoque son amour. c'est encore par elles qu'il évoque Ia rupture :

Si eLLes s'en sout)iennent Les uagues uous dixont Corment pou.r La Fanette s'arrâta La chanson

Crest par elles enfin que Fanette lui demeure présente

Et Le soir queLqttefois QuandLes uagaes s'arrêtent J'entends eomlneune uoiæ J)entends.., e'est La Fanette

La plage semble participer également au drame : eIIe juillet" "dort", "ment" et "pleure sous ' C'est dans ce Èrès beau contexte que s'enchâsse I'his- toire d'amour et de mort gue nous dépeint Brel. L'i-nfidéIité de Ia femme trouve peut-être, à Ses yeuxr ll1ê légère excuse t il Ie dit au tout début de 1a chanson :

Faut dire qu'eLLe était beit'e Et ie ne suis pas beau

L'auto-portrait est net : on sait-que BreI a main- tes fois exprimé la hantj-se de ce.qu'il appelait sa "laideur" (r).Mais,souscephysiqueingrat,l'amoureuxdeFaneÈtecache un améur émerveillê :

- ( 1) Cf . rad,ioscoPie Jacques Chancel Jacques Brel, 2L.05.73' Archives d.e 1r I.l'1.4. 187

Eaut dire qu'eLLe était bntne Tant La dune était bLonde : - Est-i1 encore besoin d.e signaler nous I',avons déjà fait à plusi-eurs reprises - à quel point lrespace s'agrandit pour celui qui aime ? z

Et tennrtt Ltautre et Ltune Moi je tenais Le mond.e

cette phrase est une exacte réplique de ce qu'écrivait BreI quelque sePt ans PIus tôt :

Alors sans auoir r[en Que La foree d'aimeY Nous auvons dmts nos mains tunts Le mondeentier (f).

A peine le héros brélien a-t-il esquissé Ie portrait de Sorr âIiorJrrgu'j.l nous dit, Son amertume et sa d'êception en des termes très denses :

Faut dire que itétais fou De eroire à tout ceLa Je Le crogais à nous Je La croyais à moi

11 en tire une leçon de pessimj.smer gui n'est pas sans rappeler Plaute (2) :

Faut dire Qt'on ne nous aPPtend Pas A nous méfien d.e tout j-dé- Le seconcl couplet évoque les circonstances de I' inf lité de Ia femme et, plus précisêment, le lieu où Ie personnage brélien a perdu ses illusions, I'image de Ia mer symbolisant en

(1) Quand on n'a que I'amour- Déjà cité P' 1f0'

(2) "Homo homini luPus". 188

même temps la prise de conscience de la mort de I'amour et la mort qui guette "La Fanette" :

Faut dire quten sontant Dtune Ddgiuemoutante Je Les uis s'en aLLant Cornneqnqnt et anante

on retrouve, dans la phrase brélienne, I'opposition, fréquente' entre Ie bonheur et le malheur :

Eaut dire qu'iLs ont ri Quand ùLs n'ont 0u PLeuren Eaut dire qu'iLs ont eharfté @tmd je Les ai maudits

Brel semble faire parler son héros avec une certaine réticence, conrme si celui-ci ne voutait pas affronter sa dou- leur. Chaque d,ébut de strophe évoque cette difficulté, à tra- vers les deux Premières syllabes, 9ui ne charrient les Souve- ni-rs qu'après un temps d'arrêt et de reprise, exactement colrune qu'e1le- le reflux de 1a mer quand elle laisse enfin entrevoir ce cache :

Faut dire Eaut dire que...

A la fin, Ie souvenir devient insupportable :

Eaut dire Quton ne nous aPPtendPas... Mais patLons dtautre ehose

cette "autre chose", en réalité, est }a mênrechose, Ie héros'bréIien ne Pouvant que ressasser indéfiniment sa décep- tion face à I'amour et aussi, nren doutons PêS, face à I'amitiê' c'estr êD effetr ur ami qui joue ici Ie rôle de la dans ce "tierce,' personne que nous avons plusieurs fois évoquée qui précède. Ce fait unique entraÎne un certain nornbre de re- r89

marques. Tout d,abord, c'est toujours contre la femme que Bre1chante1lamj.tié.C'étaittrèsnetdans''L'IvrogI1€'.,''Le Iu1oribond." ou "Fernand". Ce 1e sera plus encore dans "Jef " et dans "Voi-r un ami p1eurer". Si bien 9uê, replaçant les troi-s personnages de "La Fanette" dans Ie contexte général, oD peut l: se demander si Brel nraccuse pas tout autant la fefiulle dravoir brisé son amitié que lrami d'avolr brisé son amour. Dans ce 'cas, la seule solution possible était de les faire périr I'un et I'autre :

Eaut &Lre Que etest bien ee iou.x Là }u'iLs ont nagé si Loin QutiLs ont nagé si bien Quton ne Les reuit Pas

Le renversement de situation est clair i on finit avec 1'OppOsitiOn : eux-moi, alOrs qu'on avait commencé avec 1'Op- position : nous-elle. It est vrai que Brel nous entraÎne dans un dédale presque mathêmatique de changements de sens' que I'on peut retrouver dans cet ordre : - nous-eIle (premi-er refrain) . - elle-moi (début du premier couplet). - nous-lui (fin d.u premj-er couplet) - - eux-moi (deuxième couPlet). - nous-ellerenfin, Pour fermer le cercle, mais avec la nuance que nous avons signalée. Toute cette ambiguité de la chanson, qui nrest guère déce1able à une première audition, nous explique mj-eux peut- être Ie "mais parl0ns d'autre chose". La t,rahison dtune amitié n'entraîne pas la même réaction (passionnelle) que celle d'un amour. Remarquons cepend.ant que I'exemple rencontré dans "La Fanett,e,' est unique dans toute ltoeuvre brélienne. r90

J I AIMAIS

? Cette chanson est comme I'adieu nostalgique à un idéa] féminin,qui n'existe plus dans I'esprit' du héros brélien. EIle récapitule un rêve de jeunesse inaccessible, dans une espèce d.'atmosphère brumeuse qui rejoint, mais sur un mode mineur, les grandes chansons oe 1968. Nous avons ici le portrait du drame de la fernme atten- due, dêcouverte, adorée et rejetée Par un homme assoiffé d'e tendresse, d.e grands horizons, déçu par la réalité et peut-être i-ncapable d'y ajuster son rêve. Le dêbut de I'oeuvre est signi- ficatif à cet égard :

Jtaimais Les fëes et Les princesses Qu'on me disait ntettsten Pas J'aimaïs Le feu et La tendresse Tu t:ois ie uous rêoais déià

ce besoin d'amour, comme toujoursr Ilê peut se séparer d,u besoin d'esPace : Ia strophe suivante semble récapituler ce que nous avions dit à ce sujet :

J'aimais Les tot'tvs hautes et Larges Pou.v tsoix au Large oenit L'onour Jtaimqis Les totns de coeur de gande Iu uois ie uous guettais déià

Inversement, Ia mort de f idéal srexprimera, plus loin, dans une image d,espace réduit aux dimensions d'un corPs humain, les "fleuves prOfOndS" n'appelant plus alors qu"'au lit". La chanson se poursuit par une évocation de la beauté féminine vue à travers le "col Ondoyant des vagues" et "la li- gne tournante des algues". Sans doute s'agit-il, à cette éPo- guê, d'un hommage semblable à celui dtAndré Breton dans son ad- mirable poème de "l'Unj.on libre" : 19r

Ma femme (...) Aux bras d'écume de mer et d'écluse (...) (1) Ma femme aux hanches de nacelle "' I ''Knokke- Par contre, reprenant les mêmes symboles dans des Ie-Zoute-tango", BreI en inversera les valeurs : désirant et qu'il voudrait "on- "lianes qui auraient. ce tei-nt de femne" fêmininermai's d.uleuses", iI les associera'non plus à la d'ouceur à Ia grâce "féline" et Se plaira à imaginer ces créature "cer- Srest muée clées de serpents" : au fil d.es années, I'admiration s'est in- en ressentiment, sans doute parce qu'alors "Ia" femme de poitrine et carnée ; elle compense ses maladresses "à coups le de fesses " (2) , et nous avons ditr à propos des "Biches" ' rêve à la choc que semble avoir êEê, Pour BreI, le Passage du réalité. II y a, dans le tempérament bréIien' une recherche de ne sera la démesure, de l'excès. L'amour lui-même sera fou ou jus- pas. Lorsqu'on airne "COUrj-r jusqu'à tomber" et "Ia nuit gu'au matin", il est dans la logique des choses que I'on avoue finalement :

Je n'aimais rLen,non i'ai adoté t11" ' L4 uois ie oous aimans deià ima- Lrété du sentiment nrentraÎne dtailleurs que des une re- ges d'orage, de foudre, d'éclair, qui se concluent sur marque désabusée

Je oous btûLais déià

(r) André Breton, L'union Libre, 193r (G.8. Clancier, Dê Rim- baud au Surréa1isme, Seghers, 1959, p' 34f) '

(2) Knokke-le-Zoute-tango. L92

crest qu'après Ia douceur du rêve et, la flambée d'es sens, lê héros brélien a retrouvé le quotid'ien. Incapable d'e - 1 vivre un amour qui serait "ordinairê", i1 préfère y renoncer.l La douleur des lj-ens qui se brisent s'exprime en images de - ',p]Uie nOyant ltespace", de "bfume que le vent ChaSSe"r trans-, plat" formant tout Ie paysage intérieur du Poète en un "pays ' La finale est int,éressanterParce qu'elle d'écrit une q_Æ, attitude typiqn"*ent brélienne : Ie héros, ayant placé son idêal fémj-nin trop haut - et, par conséquent, ne pouvant rencon- -, jette trer aucune créaÈure capable d.e répond're à ce "rêve" Se dans les bas fonds des "laides de nuit" :

Tu uois ie oous oubLiais déià

Tout colnme chez Baudelaire qui, lui aussi, comparai-t , Ia femme à un "Serpent qui danse" (1) et son corps à ces "longs pla- réseaux de la houle des mers " (2) , il ne semble y avoir d'e C€r {nez Brelrque Pour I'ange ou la prostituée. PoI Vandromme le dit tout crûment : "A un bout de Ia chaîne, la vierge Mère, à I'autre la putain". Et il ajoute: "A ces deux points extrêmes, BreI, âLl (3) fil des alternances de la vie, continuera à se blesser" '

(I) Bâud.elaire, Les fleurs du mal, "Le serpent qui d,anse", Garnj-er , L96L, P- 33.

(2) Ibid. "Sed non satiata"' P. 32'

(3) Pol Vandromme, Jacgues Brel, L'exil du Far west, Labor, Bruxelles, L977, P- 90- r93

LES FILLES ET LES CHIENS

?. Les femmes comparées aux biche.s ont fait place aux fil- pIuS Ies comparées aux chiens. La "misogynie" de Brel nrest nuancée de tendresse, elle éc1ate dans une sorte de fureur;qui se déchaÎne Sur un accompagnement de musique de foire, celle des anciens manèges de chevaux de bois' on pourrait dire que cette chanson pastiche cê1le de Lg62 (1), en insistant lourdement sur les défauts féminins, qui étaient alors d,épeints avec b'eaucoup Plus de délicatesse. Allumeuses et coquettes, capricieuses et intéressées, trj'cheu- - Ses et menteuses, telles sont les filles ni p}us, Di moins A côté d'elIes, Ies chiens font figure de modèle !...

r) on se souvient d.e Ia beauté des "biches", décrite en termes é}égants eÈ racês, dans des octosyllabes de luxe : dans la première strophe d,e notre chanson, cette beauté est peinte à I'aide de lambeaux d,e phrase précipitês, hachés' qui sont comme autant de reproches, chaque comparaison sous-enten- ("beau dant, chez la femme, beaucoup de coquetterie comme un jeu (...) conrmeun retard"), d.e cruauté ("beau colnme un renard' (...)colnmel'adieu'')êtrdnezl'homme,beaucoupdenaiveté (',béau co1nmeun feu (...) comme un fruit"). Tout cela est in- supportable au héros 9ui, dans sa fièvre' accumule des effets d,e style inattendus :

Les fiLles (...) Ctest beau corruneLa nuit C' est beaucottPd' ennuis (...)

(r) 11 s'agit des "Biches", bien entendu' L94

Ctest beau eonuneun renay,d Ctest beaucot4t tnoP tard

2) Les "biches" êtaient possessives. L'homme acceptait ' pour elles, de changer sa violence en douceur' Ici, cette Pos- sessi-vité lrexasPère :

Les fiLLes Ca oous pend au nez Ca uous prend ou thë Ca uous prend Les dés

Des "filles", BreI ne nous dit plus, éIégamment, qu'eI- les "croquent Ie diamant" mais, reprenant Ie même démonstratif méprisant ("ça"), il désigne ainsi leur cupidité :

Ca dépend de tout Ca dépend surtout Ca dépend des sous

Leur attitude sembler' parfois, totalement incompréhen- sible au héros brélien,quj- a I'impression, en étant livré à leurs humeurs changeantes, de perdre toute liberté :

Ca uous pend au eou Ca uous pend au cLou Ca dëpend de uous Les fiLLes Ca uous Pend at eoeur Ca oous pend anx fLeurs Ca déPend des heu.res -

3) Les "biCheS" Savaient trj-Cher "avec tOute leur scien- cerl et le "chasseqr" Sty laiSsait prendre. L'hgmme, désOrmais, est devenu trop lucide :

Les filLes Ca joue L'onadou Ca joue eontne ioue Ca se joue de uous

Brel enchaÎne aussitôt' comme si Ia femme était inca- pable d.'aimer Pour d'autres raisons que des motifs d'rintérêt r95

égoiste ou de méchant triomPhe :

Ca joue à iouer Ca ioue à aimer Ca ioue Pour gagner

C'est ce quti.I appellera, plus loin, le jeu du "drame"'

4) Les "biches" n'étaient inq!-gQlçe que pour tromPer leur "ennui". Les "filles" Ie sont par une logique assez cu- rieuse :

Ca donne de L'onour A e\ta.c-l/Tlson tour Ca dorme sur La cour

Avec une sorte. drinconscience, eIles font souffrir 1'hom- meren lui donnant "cgngé" Ie plus naturellement du mOnde. "Ca se donne pourtant", médite Ie héros bréIien, qui ajoute immé- diatement :

Ca se donne un tentPs Ca donnqnt dPnnqft

Nous sommes loin de I'êpoque où Brel faisait rimer amour et toujours. Mais nous Pouvons nous demander s'il ne projette pas sur la femme cette espèce d'impossibiliÈé d'aimer "I'autre" dans Sa réalité totale (corps et âme),9U€ nous avons cru déceler en différentes circonstances. 11 ajoute, d'aiI- leurs, une nuance signifj.cative VerS Ia fin de la chanson :

Les fiLLes Ca oous^donne son corps Ca Ee-6nne si font q,e ça donne des remords

Le héros bréIien ne semble pas assumer cet aspect de (1) lramour, préfêrant inconsciemment "rêver un impossible rêve"

(f) Lthomme de Ia Mancha : "La Quête". r96

et croire que la femme fait seulement semblant de se donner, ce qui lui êvite de se remettre en question. Comrnent s'étonner, dès lors, guê Ia comparaison Ia plus immédiate qui lui soit vé- nue à l'esprj-t ait êté celle d.es chiens, même si c'est sur leur fidélité qu,il srappuie t,out d'abord ? Ne dit-on Pâs, dans Ie Iangage populaire: "elle a du chien"r €II parlant dtune femme qui fascine les hommes ?... (1). Mais, en claj.rr cê nrest pas ce qui nous est présenté : les chiens sont d'abord beaux Parce qurils Irignorent et que leur amiÈié est à la fois silencieuse et fid.èIe ; iIs aiment Sans rien attendre en retour, gratuitement ; ils ne savent ni tricher, ni faire semblant de donner. "Crest peut-être pour ce- Ia", ajoute BreI après chaque couplet, "gu'on croit les aimer". La fin de Ia chanson comporte, cependant, un retournement inattendu, coflIme si la "mi-sogynie" d.u héros brélien ntétait que Ia face cachée de sa tendresse (nous retrouverons Ie même Pro- cédé dans "Knokke-Ie-Zoute-tango" ) . Malgré toute 1a bassesse dont la femme est coupable à ses yeux, iL ne peut s'empêcher de la prêférer à ces anirnaux même dont iI n'a cessé Oe vanter Ia fidêlj-té affectueuse :

Et ctest pourtant pour Les ftLLes Qt'au moindte matin Qu'au moind.re chagrin On renie ses ehiens

(1) Cf. encore : "C'est bassement que je te séduirai", dit avec mépris un personnage d'Albert Cohen (.. .). "En attendant, reste avec ton Deume jusqu'à ce qu'il me plaise de te sif- fler conrme une chienne ! ". (Albert Cohen, Belle du Seigneur' Gallimard, I968, p. 4r). L97

JEF

"Jef" expose, une fois de plus, la situation d'un hom- me abandonné et incapable de réagir en face de son échec amou- reux. Nous ne I'entendons pas. 11 esÈ littêralement muet et fi- gê. Mais nous saj-sissons le drame qu'il vit à travers 1es exhortatiOns de son double, un ami "poivrgt", qui a Sans d'Oute connu jadis Ia même déception. Celui-ci s'efforce de le tirer de son marasme et de son désespoirr ê[ utilisant des arguments faisant appel au passé de "Jef" (lère strophe), à Son Présent (2e strophe), à une fuite dans l'imaginaire (les refrains), quj-rd,'ailleurs, ne fera que replonger les deux ivrognes dans Ie temps où ils possédaient jeunesse' argent, bref dans Ie temps :

Dtauant qu'on soit Poiunots

La musique suit pas â Pas cette durée circulaire : s'en- flant jusqu'à la démesurerquand Ie rêve se substitue à la réa- lité, elle redescencl brusquement; lorsque cette dernière impose Sa lOi à Ia grande "Carcasse" de "cent kilOgs"r QUi derneure hé- bétée. A la fin, cepend.ant, Jef esquisse un mouvement et son amj- 1'encourage presque en hurlant :

ALLez uiens Jef oiens uiens oiens Ouais ouais Jef ouais uiens

"L'ivrOgII€", Ie pefSOnnage de "Itladeleillê", étai-ent in- sensibles à 1'opinion d'autrui. Le hêros brélien, ici, a un sursaut de dignité au milieu de sa déchéance. Tous ces gens transformés en voyeurs I'exaspèrent et iI voudrait que son aml en prenne conscience : 198

Tu sais que tu me fais honte A sangLote? conne ça Bêtement deuqnt tout Le monde (...) Les gens se paient notre tâte Foutons Le canp de ee trottoir

Dans cette première strophe, Ie héros porte un juge- menÈ plein de rancoeur sur la femme volage, qui a "relaissé tomber" I'homme et qui ne mérite certes pas l'étalage d'un tel chagrin, nrétant qu'une "trois-quarts putain", une "demi- vieille", une "fausse blonde", c'est-à-dire une tricheuse mé- prisable à tous Points de vue. L'évasion proposêe se situe au niveau du réel : "man- ger des moules et puis des frites, des frites et Puis des mou- les" (mais entend.-t-il, ce malheureux Jef , ce qu'on lui répète à deux reprj-ses ?), boire "du vin de Moselle" et s'offrir des "filIes" (Ies fitles faisant oublier Ia femme). Dans la d.euxième strophe, I'anni a renoncé à 1'évocation du passé. seul compte Ie présent, ce temps insupportable, où Ia foule S'accumule et commence à Se moguer des deux poivrots. 11 faut fuir, vite, malgré le chagrln ("Je saj.s que t'as le coeur gros") et le désespoir ("Arrête de répéter que t'es bon à te fout,re à I'eau, 9u€ ttes bon à te pendre"). Toutes ces "girimaces" entraÎnent un nouveau sursaut d'e dignité :

Mais e'est plus un trottoir Ca deuient un cinéma Où Les gens ûiennent te uoin

Ici, l'évasion proposée se situe au niveau de f imagi- naire gui, partant du présent (jouer d,e Ia guitare' raconter une hj_stoire) entraînera une fuite soit dans 1e passé :

0n sera EspagnoLs Cormp quartd on était mômes 199

soit Cans un futur plus qu'improbable :

On parLera de L'Amérique Où etest quton ua aLLer Q,nnd on aula du ftic (...) Je te v,aconterai eonrnent Iu deuiendtas RockfeLLez'

Dans Jef, BreI a vouIu, semble-t-il, à la fois stigma- tiser f inconstance de Ia femme et magnifier Iramj-tié à travers les six déclarations touchantes de son héros :

Non Jef t'es pas tout seuL

Mais pour ressentir cela, il ne suffit pas dranalyser. 11 faut écouter Ie merveilleux interprète qurest Brelr lorsqu'iI laisse percevoir, à travers le ton q'utiI donne au moindre bal- butiement,, sa d.éception ou son espoir. 11 faut voir le mime Brel devenir tellement son Personnagfe' gue nous solnmes à notre tour, malgré nous, participants du drame qu' j-I décrit' SeuI un grand chanteur peut nous provoquer ainsi'

MATHILDE

Dans "I"1athi1d,e", Brel nous a donné une parfaite peintu- re d.e 1'état passionnel. Le rythme haletant exprime à merveille 1'émotiviÈé exacerbée du héros bréIien et, lorsque 1'orchestre éc!at,e, à Ia fin, couvrant presque ses crisr oII devine quril nrest plus maltre de lui : sa passion a cristallisé toutes ses énergies, au service dtun amour qui }e laissera, sans'doute, aUsSi d.ésemparé que le perSOnnage de "Clara" ou de "Mrarieke". c'est I'image d,'une femme perfide et fatale que lai.sse entrevoir la chanson. Connaissant Son Pouvoir, elle se prépare 200

de nouveau à déchirer I'homme dont e"l}e a fait son esclave. Le héros brélien en a conscience et lance une Sorte d'appe1 à ceux qui lrentourent (la mère, Ie bougnat, la servante et lest amis), pour qu' j-Is l'aident à ne pas se laisser reprendre Par Mathilde.

I) La_mère

E1Ie représente la "tendresser'. Nrétait-ce Pas une at- titude toute maternelle qui était déjà réclamée dans Ia chan- son portant ce nom ? La Iutt,e que va mener Ie héros brélien sera une lutte entre les deux seules formes d'amour quril est capable de connaÎtre et que nous signalait Pol Vandromme (I). Coeur et esprj.t ont beau lutter contre la chaj-r :

Ma mère uoiei Le tençts uenu DtaLLer prier pour mon saLut MathiLde est revenue

La chair, fj.nalement, prendra le pas sur tout le reste :

Ma mère arrâte tes pz'ières lon Jaeqttes retouwte en enfer

Ce dernier mot montre que 1'amour est considéré comme une passion quasi démoniaque. L'évolution de la pensée brélien- ne est très nelte à ce Sujet. Au début, la femme êtaj-t une es- pèce d'ange venu Sur terre, dont }e chant s'identifiait à un "hymne d'amour et d.e bonté" (2). Plus tardrelle est assimilée - à la mort, tantôt porteuse de clarté "princesse" t tantôt donneuse de nuit "Carabosse" (3). A présent, seul reste

(r) cf. p. L92. (2) Sur Ia place (1955). (3) La Mort (r959). 20L

Iraspect négatif et destructeur de I'amour, 9ui n'est plus qu'un "enfer", c'est-à-dire un état où I'on brtle Sans espoir' la femme devenant une espèce de suppôt de Satan. Le héros bré- lien n'avouait-il pas, quelques années auparavant' nravoj-r prié Satan que lorsqu'il était amoureux ? (f). Dans "Mathilde", se jetant à corPs perdu dans sa Passion, iI srécrie : "je crache au ciel encore une fois". on pourrait dire, plus généralement enco,re, 9uê le pas- sionné se d.éfinit conme "possédé par une force qui Ie d'épasserr' "Cette force toute puissante et fatale, écrit Dugas, lui inspi.- re une sorte d,horreur sacrée ; il I',appelle dj-vine : "sua cuique deus fit dira cupido" ; toute passion est regardée com- me une emprise de Ia divinité sur l'homme (...) Quoiquril la trouve en soi, Irhomme la juge étrangère à soi, transcendante" (2) .

2) Le_bougnet.

11 lui est tout d'abord d,emandéde garder son vin' puis d'apporter "celui des noces et des festins'!. Le passionné oscille sans cesse entre des désirs contradictoires, selon la coloration d.e sa passion ; le bougnat est Ie véhicule de cette Iogique spéciale à toute déraison.

3) La-servagte.

son aide est implorée avec une certaine hésitation : "vaudrait peut-être mieuX..."1 puis I'ordre Se fait péremptoi-

(r) La Statue (I962).

(2) Rapportê dans 1e "Nouveau court traité de PhilosophS-e", Denis Huisman et André Vergez, Nathan, L974, tome L, P. 125. 202

re : "va tendre mon grand lit de draps".

4) Les amis.

On décèle, vis-à-vis d'eux, Ia même inconsêquence. Après les avoir suppliés de ne pas le laj-sser dans Ie "combat" qui se livre en luj-, Ie héros les abandonne :

Amis ne eontptez plus sur moi

Entre le point de départ et le point d'arrivée de la chanson, Srintercale toute la lutte entre la chair et lresprit, dont nous parlions plus haut et que Brel décrit à travers un état drémotivité incontrôlable :

Iûon coeun mon eoeur ne ttembaLLe pas Eais eornne si ttl ne sauais pas &,e La MathiLde est reuenue - Le coeur "bringuebale" entre le présent qui fait voir Mathilde "plus belle qu'avant l'été" et donc encore plus oési- rable et Ie passé - qui tient un autre langage : "Souviens-toi qu'elle t'a déchiré". Mais on devine déjà, à l'égarement du héros, f issue de ce combat :

Dites-moi dites-moi q'L'iL ne fant pas

La passion est source d'émotions nombreuses et variées, et toute émotion intense est une criser Qui comporte d'es mani- festations physiologiques. Le coeur, qui bat de façon incontrô- Iée, est trahi par les mains, qui se mettent à trembler. L'es- prit a beau sressayer à calmer 1e corPs, rien nry fait :

Et tsous mes anis restez trmtquiLles C'est un ehien qui nous reuient de La uiLLe (...) Et uous mes mains ne trentbLez pLus Souuenez<)ous quutd ie uous pLeurais dessus 203

j.nver- Alors Ie héros va s'efforcer, Par un processus sêr de commander à ses membres dragir sur SA raison, mais en vain :

Vous mes mains ne DOUSoUUTez pas Vous mes mains ne uous tend.ez pag

La lucidj-té, qui possédait encore Ie passionné avant tout d'a- Ia crise, 1'à Progressivement abandonné. "Mathilde", bord injuriée à deux reprisesr "maud,ite", devient "Sacrée", puis adorée : "Ma be1le Mathilde". Passer de I'injure à I'ado- ration en si peu d'e temps est égarement symptomatique de cette crise passionnelle que subit Ie malheureux héros brélien : I'amour et la haine sont les deux pôles d.e la vie affective et Ies grands passionnés oscillent facilement de I'un à I'autre' Nous nous Sommes quelque peu éÈendue sur cette oeuvre' parce que Brel a fait un aveu précieux à son sujet : 'rIJa chanson qul me représente Ie mieux ? Pour lramourt ce serait Initathilde". Et il ajoutait : "MaiS Pour Ia tendresse' dans mon esprit, ce serait "les Vieux" (1). Et Raymond Devos, qui 1e connaissait bien, portait sur lui ce jugement :'"Je l,appelais "1'aventurier de l'esprit", Parce qu'iI semblait qu,i-l digérait mal 1'aventure humaj.ne. La dualité chaiI:!5i! c}aez lui était à vif" (2).

(1) A1bum souvenir, Supplément hors série à Té1é poche no 66L, 1978' P. 32.

(2) Rapporté dans "Jacques Brel", Philippe Dampenon, Ed'itions céiârd Cottreau, 1978, P- L7 . CINQUIEI{E PERIODE

1966-1968

t'Je n'ëtais qu'un eheual' mais ttt mtas eouiLLonné Pat antout pour toi ie me suis dev, iév'isë--." 205

GRAND-IVIERE

Àvec Grand-mèie, le cycle brélien va prendre un nouvel aspect - ce qui ne signifie pas une rupture totale avec I'an- cien : la "Chansqn des Vieux amants" et "Orly" en témoignent. Mais, à part ces deuX Oeuvres, toutes les chansons d'amOur vOnt devenir des descriptions de personnaqes insérés dans un Çertain de société et réagissant-n fonction de leur m ' ,,on est passé du drame mêtaphysique au drame bourgeois" (I). "Grand-mère" est une femme castratrice. Menani ses af- faj-res tambour battant, pieuse par intérêt, elle laisse loin derrière elle son malheureux mari, dont elle a étouffé toute inj-tiative et quj. ne Peut pas ne Pas Ia tromper avec la bonne ' En même temps, Brel dresse une satire f éroce d.u mj-lieu "bourgeols" et de son hypocrisi-e, thème qu'Ll avait abord'é d'ès Lg62 (2) ; Ia conclusj-on de son regard aigu sur ce couple pi- toyable est qu'il est i-rnpossible, Pour ceux qui ne possèdent' ni fortune, Di galon, tri foj-, ni prestige social, oi expérj.en- ce "d,avoir le sens des valeurs", puisque les d.eux représentants dtun milieu censé les incarner ne cessent de s'opposer à eIles.

(I) Bruno Hongre et Paul LidSky, chansons, Jacques BreI, Pro- fit drune oeuvre, Hatj.er, L976t p. 72.

(2) Les Bourgeoj.s. Cf . P. 208- 206

Les trois premières strophes ont pour héroine la fem- me ("faut voir Grand-mère") ; la dernièrer pêr oppoèition, met en valeur 1'homme ("mais faut voir Grand-père").

La femme

E1Ie est devenue la caricature de celles qui 1'ont pré- cédêe. EIle n'a même plus ce côté attendrissant des "bj.ches" vieillissantes, dont "les seins tombent de sommeil". Au con- trairer Sâ fière opulence stétale au physique conme au moral :

Fatt poir Grartd-mèv'e Grand-mèv'eet sa poitrine (I) Grand-mère et ses usines Et ses uingt seev'étaiz'es

De même, Sâ sécheresse de coeur s'exprime Par un autre symbole, d'où toute douceur a di-sparu :

QtarzdeLLe contpte son magot Ca fait des tas de zéros Pointés conrne son devrièYe

L'anti-féminisme brélien trouve, d.ans Ie couplet sui- vant, d.es accents Savoureux POur nous présenter ce type de femmes "tramontane", tellement masCulinisées qu'elles en Ont adopté le style. Et Brel, Pour les stigrmatj-ser, ne trouve pas de comparaison plus méprisante que celle d'e la vie militaire qutil excèCre. Grand.-mère (qui "fume Ie havane", s'entoure de généraux au point d,r"être culotte de peau", joue à la "guéguer- re" ) est un vrai désastre ! :

(I) Cf. "Les Paumés du petit maÈin" : "Elles, elles ont 1rarro- gance des filles qui ont de Ia poitrine". 207

CI est Watev,Loo Où n'strait pas utnu BLuchet

supputant ses intérêts, la femme va mettre Ia religion même à SOn service. Commedans "les dames patronnesses" Ou dans "les bigotes", !a foi, Iiée aux valeurs bourgeoises, est rédui- te à la petite dimension d'un rite, destinê à "s'assurer Sur la rnort" :

Eaut ooir Gnqnd-mère Quand eLLe se eroit p,âeheresse un grartd uer?e de Grutd messe Et un doigt de couuen (1).

L'homme

11 se fait tout petit et tient un rôle très effacê dans 1es trois premières strophes de Ia chanson, où Brel nous !e montre en opposit,ion complète avec les id,ées de sa femme. Dé- laissé par celle-ci, il trouve refuge chez Ia bonne et crest à elle qu' j.I se conf ie en Iui disant :

Qte Ltargent ne fait pas Le bonheur (...) ?ue L'année eLLe bat Le beuYre (...) Qte Les anés sont fatceu.ts

Mais ce personnage falot prend soud.ain, dans la derniè- re strophe, une dj:nension extraordinaj.re : s'il n'avait aucun relief tant qu'il n'apparaissait que dans I'ombre de la femme castratrice, il suffit qu'il Ia quitte et se retrouve dans "les bistrots bavarcls où claquent les billards et Ies chopes de

(I) Nous reviendrons sur cette at.tj.tud,e dans notre étude sur Ia vie spirituelle de Brel. 208

bière", pour que nous découvrions sa valeur profonde : Grand- père est, en réa}ité, un poète qui n'a pas rencontré la d,ou- ceur féminine dont iI avait rêvé et qui a gardé le coeur assei pur pour se retrouver "honteux et regrettant d'avoir trOmpé grand-mère" :

Faut uoir Grand-père Catesser Les roseaun EffeuiLLen Les ëtætgs Et pLeurer du Rimbattd

Est-ce pour venger cet homne humj-lié et incompris que Brel décoche sa f1èche Ia plus perfide contre 1a responsable de tout son malheur ? z

Mais pendattt ee temPs Là Grand-mère se tape La borme En Lui disant Que Les honrnessont mentetæs

on le voit, les "bonnes manières" n'ont guère changé depuis "" et la ChansOn, outre une "misogynie" féroce, développe Ie distique de 1962 :

Les Botttgeois e'est eonrme Les cochons (f). PLus ça deuient uietæ pLus ça deuient e...

(I) Les Bourgeois. Ce terme désigne ceux qui sont satisfaits d,eux-mêmeS, IeS "repus", et non un Statut SOCial, 9ue BreI utilise Pour vêhiculer ses idées (Cf. Jean Clouzet : Jacques Brel, poêsie et Chansons, Seghers, l6e édition, L975, P. 29\ 209

LE CHEVAL

cette chanson est dans le prolongement de Ia précéden- t,e. On y retrouve, avec un vocabulaire dêsormais beaucoup plus réaliste, |a même "misogynie", la même rage, la même fougue. L'image d,e la femme nry est guère flatteuse : el}e semble ra- masser, condenser en eIle toute cette possessivité que redou- tait lant le jeune BreI (f). En effet, notre "jolie Madame" n'a de cesse qu'elle ait étouffé Ie héros. Celui-là semble avoir été un jouet entre ses mains. Par amour pour elle' il a accepté toutes ses exigences, jusqu'au jour où il srest rendu compte (ne stenfuit-elIe pas avec un "zèbre ma1 rayê") quril avait été dupé. La dépersonnalisation de l'homme s'exprime par des ima- ges réalistes et violentes de castratlon, la plus marguante étant, sans aucun doute, celle-ci :

Je n'étais qutun cheuaL mais tu m'as couiLLonné Par amour pour toi ie me suis derriér'isé

Hervé Bazj.n parlait de "la mort du petit cheval", en analysant I'extinction de sa haine vis-à-vis drune mère castra- trice. Chez Brel, "Ie cheval" est loin dtêtre mort et la prise - de conscj-ence tard.ive de sa castration puisqu'iI Se voit "re- - fuser 1tamour par les femmes et par les juments" engendre une révolte, soeur de celIe d.u héros de "Vipère au poing" (2) :

( f ) Cf . Dors ma mj-e.

(2) Cf . Ilervé Bazin : "Vipère au poing", Grasset, I948 (Livre de Poche 58) et "La mort du petit cheval", Grasset, 1950 (Livre de Poche 112). 2r0

Tu ne mtanttas Ladssé que mes dents Et uoiLà pourqtoi ie cours iè'eouts' Je cours Le monde en hennissant I

Dans cette fable grinçante où le héros ne cesse de re- gretter le passé, iI faut lirer €fr filj,grane, le drame d'un homme en lequel la femme a tué trois valeurs essentielles. Cha- que sÈrophe développe Ia mort de I'une d''elles : une certaine idée de lramour, la liberté, l'enfance.

1) Une certaine idée de I'amour.

"Tu as voulu que je quitte ma jument". 11 y a loin du rêve amoureux à Ia réalité. Nous nous trouvons une fois de plus en présence de lridéal du hêros brélien, capable d'adorer les princesses lointaines (symboliquement, Ie cheval se contente alors d.e traÎner leur landaur cê qui laisse Ie champ libre à son imagination), mais que Ia vie réelle étouffe ou déçoit. De- venu I'amant d.e "l"Iadame", i1 dOit se cOntenter d'un amour Capi- tonné et sans tendresse :

Et depuis toutes Les nuits Dans ton Lit de satin bLcnc Je regnette mon écuYte Ihon éeurie et ma iument

2) la-Ilberté.

Elle est, pour BreI, une valeur fondaméntaie ce qui explique que nous trouvions à son ProPos Ia plus forte des ima- ges castratrices que nous avons citée plus haut C'est Sur- tout à partir d'elle que le début des strophes prend tout son sens : 2LL

Jtétais oraiment itétais bien pLus heureun | Bien pLus heu.rezmauartt quand.i étais cheuaL

Brel accentue le Processus de va-et-vient entre un paÉ- sé heureux et un présent SanS bonheur. Jadis, Ia femme ntavait pas encore réduit I'homme à sa merci ; il était maÎtre de la si-tuation et suivaj-t, avec un anusement compl5.ce, les échecs sen- timentaux de "Madame" :

(... ) tu te foutais l,ladoneLa gaeule par tenre JoLie Madsne quand tu forçais Le eetf

L'image du cerf, succédant à celle du cheval, est Par- lante : on traque un cerf r orl ltépuise, jusqurà ce quton en vienne à bout. L'arme va Se retourner contre le cheval-homme. 11 va progressivement perdre toute sa personnalité, Pour être dressé selon les normes de 1'autre. Passé du statut de person- ne à celui de personnagie (le cheval apprendr SUt les instiga- tiOns féminines, "IeS bonnes manières", et se dénature en "marchant Sur les pattes de derrière"), i1 voit toute sa fou- gue et sa vitalité brisées, domestiquées : le rythme de ses courses folles srest ralentir âu point de d'evenir une mesure de lenteur langoureuse :

Et depuis toutes Les nuits Qtand nous dansons Le tutgo Je regrette mon éctn"ùe Mon éeurie et mon gaLoP

3) L'enfance.

A ltenfancer pays d.u rêve, où toutes les évasions sont possibles (Ie cheval se promène dans la forêt de Fontainebleau) s,oppose 1'âge adulÈe, caractérisé par Ia réussite sociale' Ia cupid.ité, Ie reniement de la simplicité et de }a gratuitê qui sont I t apanage d.e I'enfant : 2L2

Iûais tu as DouLu que ie sois ton ban4tden Tu as mêmeuouLu que ie me mette à chsntez'

pour bien comprend.re à quel poi-nt le regret f inal est' un reglret du paradis brélien perdu :

Je regrette mon éeutie Et mes siLences dtautnefois iI faut se souvenir que Brel a explicité ailleurs cette image :

tJn enfartt auee un Peu de eltnnce Ca entend Le siLence Et ça pLeure des diamants (1)

D'ailleurs, si nous en doutions, l'allusion à la chan- - son de 1959 (2) dont ceIle-ci n'est gu'une parodie suffi- rait à nous en convaincre. La femme (elle seule) est responsable d.e cet échec. "Tu en as profité (...) tu en as abusé",répète le héros bréIien gui, d,evant I'infidé}ité de sa "jolie Madame", ne se traÎne plus à ses pieds, rapetissé et suppliant comme dans "Ne me quj-tte pas", mais hennit en lui lançant une dernière ruade Pour liquider son Passé :

'étais &tqnd j ehettaL et quætd tu ëtais ehanteat

(1) Un enfant.

(2) Ne me quitte Pas. 2L3

LES BONBONS 67

Pastiche de Ia chanson portant Ie même titre et qui avait été écrite cj-nq ans auparavant, "les bonbons 67" nous permettent d,e mesurer, à travers la dégradation du personnage' l'évoluÈi-on de Ia pensée et du style de Brel. La bêtise et Ia méchanceté ont mis des gants et Ie ridicule a fait place à I'ab- surd.e et au dêrisoire. Lramour - ou plutôt le manque d'amour n'est plus vé- cu comme quelque chose d.e d.ramatique t le temps et le renonce- ment aux exigences de la jeunesse ont passé par 1à €t, si Brel habille depuis guelques temps ses personnages en bourgeois, ctest mieux nous faj-re toucher du doigt, derrière ce s bolisme, ltusure de leur coeur :

Maintenartt ie suis un qutre gançon J'habite à LthôteL GeorgesV

(que le chanteur prononce, pour accentuer I'inrbécillitésnobinar- de de Son hêros, et comme si ce sigle désignait une IeÈtre et non un chj-ffre, Georges "Véu). c'est I'homme qui désj.re se libérer de la femme; mais il Ie fait d.e façon "bête et brutale", à partir d'un prétexte qui paraÎt tout d'abord absurde :

Je uiens reehercher mea bonbons Vois-ttt Gerrnaine itai eu trop maL Qtand tu m'as fais cette rëfleæion Au suiet de mes eheueu.æLongs

Mais nous comprend.rons, plus loin, 9uê ses cheveux sont le signe extérieur de ce qu'il croit être un changement inté- rieur, mutation qu'il observe avec un intêrêt tout narcissi- que : 2L4

Et tous Les sunedis soirs que ie petæ Gerqnaineitéeoute pousser mes cheoetæ

En réalité, sa sottise nra fait que revêtir d'autres oripeaux à la mode du jour. Les proPos tenus en têmoignent :

Suand père m'agaee..moi itLui fais Zop Je traite ma mère de néoroPathe Faut dine que përe est uaehement bath ALors que mèz'eest un Peu snob

son propre snobisme, dont il n'a même pas conscj-ence' ne peut s'exprimer qu'à Èravers de puériles onomatopées témoi- gnant d.e son désir de vivre à ras de terre :

t'glougLoutt 'tmiatnniûntl Je fais ie fais

11 est vraj- guêr pour se donner bonne conscience et re- - monter encore dans Sa propre estime et' dans sa bêÈise t il enchaÎne immédiatement :

Je défiLe cv"ùarrftPaiæ au Vietnan Patee qutenfin i'ai mes oPini'ons

Le personnage, fortement typé, fait partie de ce "trou- peagrr et de CeS gens "repus" dgnt BreI nOuS dit, danS "Mon en- fance", qu'ils sont déjà morts ! L'auteur d.ramatique Ionesco, analysant le comportement des personnages de "La Cantatrice chauve", tenaj-t d'es PTOPqS qui pourraient s'appliquer parfaitement au héros minable des "bonbons 67": "I1 ne sragit pasr dans mon esprit, dtune satj-re d.e la mentalité petiÈe bourgeoise liée à telle ou telle société ' 11 s'agit surtout drune sorte de petite bourgeoisie universelle, le petit bourgeois étant 1'homme des idées reçues, des SLOGANS, le conformiste de Partoutr'- Et le dramaturge donnait les caractéristiques du "petit' bourgeois : 2L5

"Le parler parce qu'il nty a rien à di-re de personnel, I'absence de vie intérieure, la mécanique du quotj-dien, I'hom- me baignant dans son milieu socialr II€ Sten distinguant plus"' (r). Cependant le thème de l'amour, esquissé au début de ce pastiche, reprend Ses droits, êt d'une manière inattendue' dans les dernières lignes, lorsque surgit Ie frère de cette "Germai- ne". (dont on ne perçoit, durant toute la chanson, que les rires Sots ou 1es applaudissements, SanS discerner s'iIs sont plus admiratifs que moqueurs ou plus bêtes que méchants);: Ie héros semble fasciné par Ie jeune garçon et une note aiguë et stri- dente, longuement tenue Pendant qu'il réf}échit, nous fait Pres- sentir un rebondissement. De fait, iI reprend soudain une at- titude de minet PoIi :

0h mais etest ça uotre ieune frère mademoiseLleGevTnaine ffi avant d'aller offrir (à Germaine ? à son frère ?) les bonbons qu'il venait de reprendre et de rejoindre, en rePrenant les Pa- roles qui ouvraj-ent "les bonbOns" cinq ans auparavant, 1e per- sonnage falot qu'iI n'a jamais cessé drêtre. La sottise a toujours d,échaÎné Brel. Peut-être est-ce afin drexorciser la peur de viej-llir en ressemblant à ces fan- toches qu'il se pastiche lui-même, dans Sa chanson' en faisant dire à son monument de bêtise :

J'ai penda L'aecent brunelLois D'aiLLetæs pLus pe?sonne nta eet aceent Là Sauf BreL à La tëLëuision

(f) Eugène Ionesco, Notes et contre notes, Début d.'une causerie prànoncée aux InstiÈut,s français d'Italie, 1958, "Idêes", èallimard. Lj.vre de Poche n" L07' P. 253- 2L6

LA CHANSON DES VTEUX AI4ANTS

Insérée entre "Ies Bonbons 6'7" et "A jeun", Ia "Chan- son des vleux amants" a de quoi surprendre. Mais Brel ne ces- sera jamais de nous étonner et Ie répit qu'i1 nous donne avec cette oeuvre ne peut que nous enchanter. Aucune Chanson "d'amour", depuis cinq ans, nravait atteint une telle maturité' une telle profondeur, êt, peut-être aussi - malgré les apparen- ces de sérénité - t une telle mélancolie, car Ie héros bréIien n'attend plus d.e Ia femrne qu'elIe lui ouvre les portes du para- dis. Lorsquril dit :

Vingt ans dtûnour ctest L'anotæ fol

i} ne s'agit, PaS d'un amour fou, cofllmecelui qu' iI chantait dans I'éblouissement d,es premières découvertes, mais dtun anour qui risque, si les amants nty prennent garde, de s'enliser dans 1'habitude, de devenir quelque chose d'absurde, d'irrationnel. D'où Ia lutte constante, Ia "tendre guerre", dans laquelle cha- cun s'efforce de maintenir 1e lien qui I'unit à l'autre et jus- tifie ainsi cette espèce d.e parade amoureuse :

Mais ntest-ee pas Le pire Piège De uiure en paiæ pour des onants (L).

La tend,resse a succédé à la passion, une tendresse fai- te de compréhension et de concessions mutuelles. C'est ce

(1) Albert Cohen a brillamment justifié I'idêe de ce d,istique ! (Cf . Belle du Seigneur, Gallimard, r968). 2L7

qu'expriment à la fois les paroles, la musique et I'interpré- Èation bouleversante de ferveur de Brel, quand il répète ce leitmotiv :

0 mon amour Mon datæ mon tendre mon menseiLLeu.æamour' De Ltaube eLaire iusqutà La fin du iout Je t'aime encore tu sais ie ttaime

La structure de I'oeuvre reflète ces moments où les amants bréliens se prennent, se déprennent, Sraiment, se déchi- rentr Sê retrouvent. A f intérieur de chacune des strophesr êII effetr orl remarque, d.rune part les oppositions : tu... jer ou : tu...moi, évoquant les sêparations qui existent dans le couple, de I'autre lremploi d.u: "notls", où les amants s'uniSSent COntre ce qui nenace leur alnour (leur ProPre tempérament, source dr in- compréhensions, êt le temps, qui ne cesse de travailler contre eux) . par ailleurs revient toujours Ia nostalgie d.'un idêal anoureux impossible, en même temps qu'une espèce d.e stupeur émerveillée devant ce qui subsiste contre vents et marées, ex- primées par I'expression : "Bien Sûr". Evidemment' dit en subs- tance le héros, nous avons connu des d.éfaites, quJ- ont terni notre union mais , malgré cela, " j € t'aime encoretr . La première strophe évoque les difficultés passées. L'hier semble avoir été Ie temps de constants déchirements, de heurts, d'oppositions exprimêes par des images de lutte entre IeS élêmentS, dt"Orages", de "vieilles temPêteS" i Ia femme ne possédait plus la clarté rêvée, e1Ie n'était plus une source à laquelle on désirait boire :

Tu auais perdu Le goû,t de L'eaut Tt moi eeLui de La eonquête

on remarquera gue, pour la première fois, les torts sont partagês. Plus haut, également, Brel disait : 2t8

I,ttLLe fois tu pris ton bagage MiLLe fois jz pris mon entsoL

chez lui, I'image fait toujours sens ; personnj-fiant Ies objets familiers, iI les rend, Pâr ta mémoire qu'il leur attribue, témoj-ns des combats passés :

Et ehaque meubLe se souuient Dans eette ehantbre sæts bereeau Des ëeLats des uieiLLes tentpàtes

La vie quotidienne a tué I'amour. Lridéal a fait nau- frage, i} ne reste plus que 1'Î1e de la tendresse. Pour expri- mer'1'écroulement d.e SeS rêves, Ie changement radical du paysa- ge intérieur qurentraîne toute grande désillusj-on, Brel a trou- vé un octosyllabe très expressif dans sa concj-sion.:

PLus rien ne ressembLait à rien

Les deux autres strophes dépeignent, avec une douceur feutrée, Ies d.ésenchantements présents. L'habitude a supprimé ltêclat d.e la nouveauté des rencontres, l'étonnement heureux :

Moi je sais tous tes sontilèges Tu sais tous mes enysoûtements

Elle a supprirné également Ie jaillissement des émotions' atténuant par conséquent les souffrances causées par 1'être cher

Bien sûr tu pLeutes un Peu moins tôt Je me déchire un Peu PLus totd

Aj-nsi lorsque la femme, voulant gotter d'autres plai- sirs, trompe 1'homme, I'extrême indulgence d'ont il fait Preuve à son égard nous fait comprendre que quelque chose s'est brisé' Car peut-on vraj-ment aimer Sans ressentir, dans une t'elle sj-- tuation, les morsures de Ia jalousie ? 2L9

Bien sû.r tu pr'is queLques ænants IL faLLait bien passe? Le tentPs IL faut bien que Le eotps etttlte : 11 serait intéressant de rapprocher cette vision Pes- simiste de ce qu'écrivait Brel, à la même époque, dans un poè- me qui- n,a jamaj.s êté enregistré et qui s'intitulait "Ies amantstt :

ILs staiment staiment en pLeurant Chaque iour un peu moins ænartts Qumd iLs ont bu tout Leun nrYstère Deuiennent cormnesoeur et frère BrûLent Leurs aiLes dtinquiëade Redetsïennent detæ hobitudes ALov,schangent de parternire (L) .

Dans la "chanson d.es vieux amants", "redevenir deux habitudes" est une vengeance du temps :

Et plus Le tenqs nous fait eortège Et pLus Le tentps nous fait tourrnent

Si Ie temps a usé I'amour, il n'a cependant pu Ie tuer :

EinaLement finaLement fL nous falLut bien da taLent Pou.r âtve uieuæ sans être aduLtes

Devenir "adulte", c'eût êté accepter la mort de I'a- m6ur. Or, ngus I'avgns d.it, la "tendre gqerre" a eu raisOn de ce "pj-ège", Si bien que la fin de I'oeuvre évoque une certaine maturité qui peut être interprétêe, soit comme un "embourgeoj-se- ment", soit comme un apProfondissement de Itamour :

(f) Les amants, Texte reproduit par Jean Clouzet dans : Jacques Brel, poésie et chanèons, l6e édition, Seghers, L975, PP. r83 et 184. 220

Nous protëgeons moins nos nrystères On Laisse moins faire Le hasatd 0n se méfie du fiL de L'eau Mais e'est tou;jout's La tenfue WeYTe

Brel semble oublier qutil exj-ste des "vieux amants" qui ne cessent de naÎtre chaque jour I'un à I'autre' et que I'on pourrait dire de leur amour ce que Paul Eluard d.isait du sien :

Même quand nous dormons nous veillons I'un sur I'autre Et cet amour plus lourd que le fruit mûr d'un Iac Sans rire et sans pleurer dure depuis toujours Un jour après un jour une nuit après nous (f).

A JEUN

pour Dans "à jeun", Brel pastiche toutes les chansons lesquelles Ia présence d'un "tiers" brisait la vie du couple' Cette situatj-on, évoquée tantôt sous une forme d'ramatj'que ("Jef"), tantôt sous une forme éIégiaque ("Je ne sais Pas" ("Le moribond "La Fanette"), tantôt SouS une forme tragi-comique parod5-que' "Le tango funèbre"), l'est ici Sous une forme COmmed'aUtres oeuvresr cgntmencée sur Un tOn jOyeux, la chanson bascule soud.ain dans le tragique qui, accouplé à un j-nat- burlesque que n'eût Pas renié Ionesco et à un effet final tend.u, luj- confère, après coup' une dimensj-on totalement autre que celle que nous lui prêt5-ons jusque Ià.

(1) Paul Eluard, Lê dur'désir de durer, Les derni-ers Poèmes dtamour, Seghers, 1966, P- 23. 22L

La première strophe semble une réhabilitation déliran- te de la fête. La voix ivre du héros, ses ProPosr sê d'émarche (i} faut voir BreI mimer à 1a perfection I'ivresse) nous font' ri-re aux éclats et nous nous imaginons avoir en face de nous quelqu'un qui a dû "faire la nocerrr CO11ù11êle dit !e jargon po- pulaire :

':Parfaitementàiewt' Vous me uouez sutpt'is De n'pas trow)er mcn Lit ici

Lorsque I'homme, pris de boisson, appelle son lit com- me si celui-ci pouvait se d,éplacer (maisrdans Ia logique d'un buveur, c'est parfaitement possible, êt d.'ailleurs ne voit-il pas ce lit, animé d'un mouvement de recul et de bascule ?), lorsqu'il Ie flatte pour qu'i! lui obéisse, lorsqu' j-1 use de chantage avec lui et lorsqu'enfin, d'une voix pâteuse, il tire de son échec une leçon de morale j-nattendue, venue du fin fond de son cerveau qurembrument les VaPeurS alcooliques' le burles- que devient déIirant :

qunLLi quiLLi quiLLi Viens Là non petit Lit Si tu n'uiens pas t'à moi C'est pas moi qui irai t'a toi Mais qui ntquanee pas xeeuLe Conrnedit Monsùeur ùuPneu Un mee qui attieuLe Et qui est ehef du. contentietn

Nous acquiesçons d'emblée au début de la deuxième stro- phe, quand Ie héros nous confie qu'i} revient "d'une belle fê- te"... nni_s notre rj-re se fige, car i1 enchaine aussitôt :

Jtai enterué Huguette ce matin

Dès lors, I'amusement fait place à Ia compassion. L'hom- me a beau nous dire : "jrai fait Semblant dtpleurer", son ivres- se nous montre I'étendue de son chagrin. Brel nous interdit de nous apitoyer davantage et nous relance très vite dans le bur- Iesque : 222

Ztétaient tous en noir Les ooisins Les onis I auait qu'moi qui étais gris Dans eette foire

Lorsque notre héros, hoquetant, nous dêsigne, parmi la foule venue assister à I'enterrement, outre la présence de ce mystérieux Monsieur Dupneu deux fois cité, "beau maJllan, belle pâpê", nous rêalisons qu'iI vient drenterrer Sa Propre femme en la personne drHuguette. Dans la dernière strophe, la vérité se dévoile enfin et Ie puzzle prend. forme : Ie matin des obsèques, Iê malheureux mari a appris f inconstance de cette femme qu'il avait cru fi- dèIe :

En entevv'ant ma fenme Jtai su.?tout enterré La maittesse d'Aruiré

"I1 me reste deux solutions", dit lri'vrogne qui en propose trois, aussi dérisoires et inutiles les unes que les autres La première atteindrait son rj-vaI ("ou bien frapper And.ré") ; la seconde, la femme de son rival ("ou bien gnou- gnougnaffer la femme d'André sur son balcon") ; la troisième' Sa propre femme ("ou bien rester chez moi feu cocu mais joyeux") 11 fallait y Penser ! Et, conrmesi Èout cela ne suffisait pâs I BreI nous livre la dernière pièce du puzzle : André et Monsj.eur Dupneur SofI chef d.e contentieuxr Ilê sont qu'une seule et même personne. "Même un enterrement, disaiÈ un jour BreI, crest une fête. On est tous 1à. "Cette toile de fondr guê nous trouvions déjà d.ans "Le Moribond" et danS "Le dernier rePas'rt est deve- nue ici une peinture beaucoup plus incisj-ve, cruelle même, fai- sant ressortir Ia culpabilité de la femme infidèle. 223

LE GAZ

La femmer Çuê chante ici le héros bréIien, est la soeur prolêtaire de ces "Biches", ÇlJi Savaient si bien tricher rrlra- aVeC "tOUt leUr COrpSrr, brOutef "Ie diamantrr, trOmper mant avec I'autre amantrr,mais aussi de ces "Filles", Çlf,i dOn- naient cle I'amour "à chaCun SOn tour". En effet, eIIe "reçoit" tous ceux qui viennent, sans discriminatiOn ; "plombier", "be- ttfaçtellf tt, ttdOCteU1' t', ttnotaifett, ttpoètett, ttfIiCSt' SOnt deagtt, accueillis au même titre que des personnages Plus douteux, tels (qui, ce "demi-artilleur" et la soeur du personnage principal lui, vient "pour Le gaz") . Bre1 ironise :

Ctest pas grand non mais A'a d'La pLace

Parallèlement â ce persiflage, Ia chanson recèIe une quête érotique, 9uê I'on Perçoit à travers la progression des termes : la maison... I'escalier... Ie boudoir... Ies photos.. ' Ie divan... le porto... Ie phono... 1es seins'

r) cette quête débute par la description de Ia maison où trabite Ia femme : personnification perfide, dans laquelle, outre d'excellentes trouvailles poéÈiques' nous rencontrons des slrmboles tortueux, comme si- le contenant reflétait déjà le contenu :

We maison qui se dëVwnche Une maison qui se tire bouehonne Et qui pLeu.xeà grosses PLarrches L IescaLien eolima4ortne - Ironie suprême : cette courtj-sane et ' Pour Brel, à - cette époque, une femme n'est rien d'autre habite "rue de la Madone" !... 224

2) Avec le héros, nous pênétrons dans le "boudoir". C'est alors une description des plus visuelles, agrénentée de mots qui déconcertent, s'appellent les uns les autresr Sê heui- tent, dans }a clarté des bougies et dans le ruissellement du taffetas, tandis que I'orchestration suit pas à Pas ce baro- quisme étrange :

Iu as wt boudoir pLein de Bouddhas Les bougies dmtsent dcns LeLæsbougecirs Ca sent bon c'est sans Tzistoires (...)

Tu as un orai diuan de z'oi un urai dioan de dioa Du porto qu'tu z'aPPotta:s De La porte des LiLas Iu as wt pttit chien et un grand ehat un phono qui joue du iazz

un détail souligne 1'égoisme et la futilité de cette femme vénale, incapable de s'attacher à d'autres qu'à soi, nar- cissique à 1'extrême :

Ctest renpli dtphotos de toi Q,ti sottrient d.euant La gLace

3) Vient enfin Ia description des seins, qui symbolise tout ce que Ie héros brêlien semblait attendre de Ia femme tant qu,il I'idéalisait : clarté, éblouissement, douceur, extase :

Iu as des seins eofttnedes soleiT,s Cornnedes fruits eommedes reposoits Tu as des seins commedes nrttoixs Cornnedes fmLits commedu rtiel

IIs symbolisent êgalement cette part PIus sombre de lui, qu'il nra peut-être jamaj-s acceptée sans déchirement tra- gique : 225

Tu Les déeouùres tout deoùent noin Tu Les découures et ie depiens Pégase Tu as des seins comlnedes trottoits

La conclusion est une j-nvitation'que Iton pourraj-t croire empreinte dtamertume' sans le ton méprisant qui 1'ac- compagne :

ALLez-y done tous tue de La lûadone Et dites bien que etest Pour Le gaz

VESOUL

Vesoul est dans la lignée de "Ivladeleine" et cles "Bon- bons". Le temps redevient circulaire et lthomme, entraÎné d'ans ce tourbillon Par une femme aussi fantasque que capricieuse, ne trouve même plus la force d'échapper à cet enfer. Le rythme époustouflant, Itaccompagnement d'un accordéon qui ne souffle pas une seconde, le ton de BreI, tout nous laisse enèendre que Ia musique est beaucoup plus importante que les paroles Pour trad,uire I'oPPression du héros. Jeu gratuit, brillant, 9ui ne doit pas nous faire ou- blier I'asphyxie et Ia mort lente que cache cett'e instabilité permanente. Le dêsir d.e l'homme se heurte sans cesse à celuj- de Ia femme, qui ne faj-t jamais de concessions. 11 s'agit drune ( guerre absurd,e, dans laquelle I'opposition ("tu as voulu " ' ) j'ai voulu") cesserait très vite, si le héros bréIien, après des velléités de révolte, oê reprenai-t place dans ce circuit burlesque : 226

Mais je te Le dis Je n'irai pas pLus Loin Mais je te préoiens Jtirai pas à ParLs (...)

T'as uoulu uoir Paris Et on a uu Part s Ttas louLu uoir Dutnonc Et on a uu Dutronc Jtai uouLu ocin ta soeur Jtai uu L'mont VaLérien (...) Je uoulais uoiz' Bgzanee Et on a uu PigaLLe

L'image de la femme capricj.euse, toujours insatisfaj-te, se traduit par de subites et imprévisibles volte-face :

Ttas pu ainë Paris on a quitté Pav4s Ttas pu aimé Dutrone 0n a quitté Dutronc (etc. .. )

Brel ironise à plaisir sur la faiblesse de son héros, mené "par le bout du nez" et qui a beau répéterr €II essayant de se suggesti-onner luj--même :

Je te Le re-redis Je ntirai pas pLus Loin il nten fait rien. La chanson-course reprend alors, avec une perspective d.'avenir qui donne Ie vertige, Parce qu'on ne peut I'imaginer que conme un perpétuel présent ("comme toujours"), et donc une tension sans fin, d,ans une vie transformée en en- fer. Semblables à Lucky et à Pozzo (l), les deux héros, mal- grê tout ce qui les séPare, sont liés à jamais I'un à Irautre par des rapports sado-masochistes assez complexes, gue symbolise parfaitement, dans Ia pièce de Beckett, !a corde qui va de }a

(I) Deux personnages d,u théâtre de Beckett : "En attendant Go- dot" ' Editions de Minuit, L952. 227

main d.e Pozzo au cou de Lucky, êt ^.-dans }a chanson de Brel, Ia course absurde d.u héros derrière celle qu'il ne cesse de cri- t.iquer. Et, de même que Ie dramaturge nous invitait à réfléchiÉ sur le scandale de faits courantsr gui nous paraj.ssent normaux sous prétexte qu'ils sont habituels, ainsi BreI nous invite à réfléchir sur la misère et I'esclavage d'un homme,incapable de se libérer d'un amour qui n'en a plus que le nom'

COMMENT TUER LIAMANT DE SA FEMME

Le thème de I'esclavage, poussé jusqu'au masochisme, se continue dans ce pastiche burlesque, où Ia parenté avec le personnage de Titine est évidente :

Pour un hontne qui a mon d.ge Qi nta pLus de fernne et onze enfants

Le pauvre héros est hanté Par une idée fixe : se d'é- barrasser de 1'amant de sa femme. I1 imagj-ne mille solutions pour y parvenirrmais, aussi velléitaire que Ie Personnage de de "Vesoul'", il nta jamais le courage de passer à I'exécution sesdesseins(1).Sibienqu'àlaquestioninitiale:''Comment faire pour Èuer" ? il en substitue une autre, à Ia fin de la ChansOn : "PourquOi vOulOir tuer ?" L'acCOmpagnement, de Sty1e falot et "New-Orleans", est destiné à faire ressortir I'aspect ridicule d'un marj- bafoué, mais qui l'accepte' Le début donne le ton d'e I'oeuvre :

(f) Heureusement Pour I'amant t Quand nous disons "courage", la moralité est ici hors de question ! : crest. le Processus psychologique qui- nous intéresse' 228

Contnent tuen L'anant de sa fentne Qtartd on a étë eontne moi ELeué dmts Les traditions Conrnenttuer Ltarwnt de sa fermne Qrcnd on a été eonrne moi ELeué dans La reLigion

ce premier type d'excuse, selon laquelle Ie personnage veut garder de lui-même une certaine image donnée par le mi- lieu social et religj-eux, revient à plusieurs reprJ-ses. I1 se- rait dOmmaged.e salir Sa "rêputati6n", surtout lorsqu'on a re- ! çu "la croix d'honneur chez les bonnes soeurs" un deuxj-ème type d'excuse vient de la faiblesse du hé- ros lui-même : "Et même si jtétais lâche" "comne je n'ai pas Ie courage de...".Mais ces aveux débouchent sur un burles- que encore plus délirant que celui que nous rencontrj.ons dans "Titine" i On vOit ainsj- notre homme transformé en valetr €D bonne à tout faire :

Bien sûr ie dors darts Le garage Bien sûv iLs dprnent dæts mon Lit Bien sûr e'est moi qui fais Le ménage (...) Bien sûr ie Leun fais La euisine Je bats Les chiens et Les taPis ttNuits Le soix ie Leut chartte de Chine'l

"Pauvre Èype", disons-nous en riant, d'rautant qutil ajoute : "mais qui n'a pas ses petits soucis" (!) et que nous le voyons accepter, SanS broncher, les provocations et les ros- sées d,e 1r amant Un troisième tYPe d'excuse vient des ci-rconstances ex- térieures : du temPs, tout d'abord, qui dêvore notre homme et l'empêche de prêparer une vengeance convenable :

'en Mais du tertps i ai Pas Pou.r eLLe ie tratsaiLLe tout Le tetnps La nuit ie oeiLLe de radt Le jou.r ie ueilLe de ioun Le dinanche ie fais des eætras

puis des objets qui pourraient mettre fin à cette situation : 229

Ia Ltaz,senie. oui c'est trop Long ïa L'téooLtser mais eIest trop cotttt

Un tel circuit mental a probablement fati-gué notre héi ros qui faj-t un retour sur lui-même, Pour imaginer des attitu- des qu'il Se reconnaÎt, Pour diverses raisons que nous appel- lerons "paresseusesrr, incapable d.e prendre dans la vie réelle :

Ia Ltqnitié ctest trop cher Ia Le mépr-is e'est wt péché

Tous les "comment" ont avorté dans son esprit. Nous voici revenus à notre point de départ. La chanson a besoin d'une petite impulsion pour rePartir. Une id.ée traverse alors Ie cerveau du pantin r elle Ie déculpabiliser êrI même temps qu'elle lui fournit une vague satisfactj-on de vengeance 3

Potæquoi tuer Ltamætt de sa fenrne h.tisque etest à ealse de moù qu'iL est un peu Dé?oLë (...) qu'iL est pëniciLLinë

Avouons que la férocité de Brel n'a pas de limites, quand il s'agit de dénoncer la faiblesse de l'homme et la noirceur de Ia femme... SIXTEME PERIODE

L977

tUe La ueu.æ commeun trauelot folLe tl Et eependmû... éuaneseente-.. 23r

Non seulement BreI a consacré, dans son dernier disque, quatre chansons à I'amour et aux fernmes, mais ce thème revient dans presque toutes les oeuvres de cet enregistrement, tantôt fugj-tivement, tantôt longuement. Le rêve de I'adolescent y cô- toie la tend,resse déçue de I'homme mûr, si bien que I'on ne saurait s'étonner, après avoir suivi le cheminement et I'évolu- tion du chanteur, de rencontrer parfois d.es accents boulever- Sants, comme ceux de "OrIy", parfois un mépris cuisant, Comme celui des "Remparts de Varsovie", quand ces deux pôles de Ia vision bréIj-enne de ltamour ne Se retrouvent pas dans Ia mêne -' chanson, - crest le cas d'e "Knokke-1e-Zoute tango"

1) Le_rQve de_l' adolescent.

. Le thème d.e la jeune fille insaisissable, 9uê Brel abor- dait en 1955, à l'époque où son idéa1 prenaj-t la forme de I'a- mour, continue à le hanter malgré lui :

Et uous êtes Passëe DemoiseLLe ineonnue A deu.ædoigts d'âtre nue Sous Le Lin qui dcnsait (I).

cette vision fugitive rejoint celle de sa jeunesse :

Sur La pLaee chauffée att soLeiL tJne ftLLe s'est mise à dnnsez' ELLe tourme touiouts PareiLLe ALLædanseuses dtantiqtité (2) .

(r) La ville s'endormait.

(2) Sur la place (1955). 232

Ailleurs, Brel trace une esquisse de la femme, t'oute de d.ouceur et de rêve

Et si anæ ieunes fiLLes on ose wt ctnnt fLanand ELLes s'enuoLent en nâuant aun oiseanæ?ases et bLartcs(L)'

Ici encore, il retrouve la clef des symboles anciens, lorsque la tendresse appelait des J:nages d'envol :

Paæ L'antvore Lëgère qutun oiseau fait frëmir En La battætt de L'aiLe et ressembLeà ton v'ire (2).

La femme, l'amour, I'enfance, tous ces thèmes étaient alors liés dans I'esPrit du Poète :

Qtand IsabeLLe ehante at bereeau de sa ioie Sais-tu qu'eLle uoLe La denteLLe Tissëe au coeur de nossignoL Et Les baisers que Les ombreLLes Ernpêchentde prendre Leut ooL (3).

Enfin, dans la dernière chanson qui nous reste de lui, tsrel nous parle de "cocotiers qui écrivent des chants d''amour" (4), mots qu'iI n'avait plus prononcés depuis fort longtemps ou qu'il avait tournés en dérisj-on...

2) La_tendresse_dÉçue.

'tnfidèLes Bien sûr Les fermnes Et Les oiseau,æassassinés (5).

(r) Les F...

(2) Je traime (r959). Déjà cité, p- 138.

(3) Isabe1Ie (1959).

(4) Les Marquises.

(5) Voir un ami Pleurer. 233

Nous soulignions, à I'instant, lrunion symbolique d.e Ia tendresse et de I'envol. Ici' nous avons Ie pôle négatif de cette union, la déception causée par Ia trahison de Ia fem: me entraÎnant aussitôt, dans 1'esprit du poète, I'image d'oi- Seaux quton a fait mourir. D'ailleursr Cês lignes ét'aient pré- cédées de celles-ci :

Bien slîr tout se manque de tendre (...) Bien sût on marehe sur Les fLeuxs (1)

ce qui est très signifiant Par raPPort à toute Ia thêmatique brélienne amoureuse que nous avons analysée. 11 ne faut cePen- dant pas oublier que ces mots sont insérés dans la plus belle chanson d'amitié que BreI ait écrite où, énumérant toutes les laideursdelavie,cellesquinousatteignentcollectj-vement ou ind.ividuellement - conrme I'infidéIité en anour, dont il est ici question -, Ie poète les esti.rne moins insupportables que Ia souffrance causée par la vue d'un ami qui souffre : I'amitié (2) n'a pas d,éçu BreI, alors que I'amour n'a cessé de Ie blesser Ailleurs, Ie chanteur dissocie les symboles dont nous parlons ; quand I'homme perd SeS illusions, Ia vie, la mort, la joie, la peine se mêlent. Les oiseaux eux-mêmes prennent d'au- tres aPParences :

IL est urai qte patfois pnès du soir Les oiseau'r RessembLentà deè Dagues et Les uagues anLæoiseau'æ Et Les honnnesau-æ tires et Les rites aun sangLots IL est unai qte souuent La mer se désenchante Je ueus,dire-en eeLa qu'eLLe ehante dtautres chants gue eeztr que La mer ehutte duts Les Liutes dtenfants (3).

(1) Voir un ami Pleurer-

(2) C'est pourquoi, estimane Ia femme incaPable de lui aPPorter (Cf. cette "tendressê", iI en fera une vertu virile P. 357).

(3) La ville srendormait. 234

seules, Ies femmes demeurent toujours aussi méprisa- bles

Mais Les fermnestouiouns ne tessemblent auæ ferrunes Et dtentre eLLes Les eonnesne yessembLentqu'aun eonnes(L).

Bien plus, alors que Jean Ferrat vient de SOrtj-r Sa Cé- 1èbre chansOn "La femme est I'avenj.r de lrhomme", BreI prend le contrepied de cette idée, allant jusqu'à imiter la voix du chanteur engagé Pour nous dire :

Et ie ne suis pas bien stîr cornnechante un eertain t'L'auenir Qu'eLLessoient de L'honrne" (2) -

sa hargne éclate davantage encore dans les rêves quril fait :

Mourir baiseur intègre Entz,e Les seins d'une g!'o6se Contre Les os d'une maigre Dans un euL de basse fosse (3) .

Brel semble avoir rejoint ce qu'i1 disait, sans Ie comprendre alors, dans sa toute première oeuvre :

L'onouz' est mort uiue La haine( ) .

Et pourtant... pourtant... i1 nous a laissé ORLY'

(1) La ville s'endormait.

(2) Ibid., cf . pp. L27-L28.

(3) Vieillir.

(4) La haine (1955). 235

ORLY I

Dans cette mj-ni tragédie, nous retrouvons le "BreI" passionné et déchiré de I'année f959. Cependant, contraj-rement à ce qu'i1 faisait, il ne s'i:npIi.que pas rlirectement dans Ia - chanson sinon à Ia fin, très discrètement et se contente de décrire ce qu'i1 voit. Mais on peut Penser qu'un auteur Se révèle davantage dans les oeuvres où il ne parle pas de lui et Iaisse agir ses personnages : iI Peut, alors, Se projeter en eux, sans redouter (de façon d'ailleurs plus ou moins consciente) la censure d.u public ou Ia sienne Propre. orly est Ia description d'une séparation' douloureuse, entre deux êtres qui sraiment et ne peuvent' Sans d.oute pour des raisons dtordre social, demeurer ensemble. Cel- }e-ci s,accomplj-t, non plus "sur le quai d.'une gare" (l), mais dans un gigantesque aéroport, à "Orly". La foule qui s'y presse fait ressortir la situatj-on dramatique des personnagêsr leur solitude et leur tendresse :

ILs sont pLus de deun miLle et ie ne uois qu'et'æ detæ

On pourrait parler, en langage cinématographique, d'une prise de vue au télé-objectif. De fait, Brel agit à Ia façon d.'un cinéaste qui- fixerait une même scène sous différents an- gles. Braquant sa caméra tantôt sur le couPle, tantôt sur I'hom- rnêr tantôt sur la femme, i} nous fait participer à la richesse d,es sentiments qui animent ses hérosr êD cadrant leurs attitu- des, leurs gestes, Ieurs regard.s ou leurs larmes. Entre chaque plan, le poète nous donne une vision assez désabusée de I'exis- tence :

(I) Cf. : Je ne sais Pas - La Colombe. 236

La uie ne fait pas de eadeazt Et nom de Dieu c'est tr'iste 2r'Ly Le dinanche Auee ou sæts Bécau.d ( f ) .

r ) LE_COUELE_.

11 était logique 9uê, ne voyant "qu'eux deux", Brel reprenne cette expression initj-ale pour désigner Ie couple : "Ces deux là" "ces deux déchirés" ... "tous les deux" -.. "ces deux corps". Le plus souvent, 1e chanteur emploie le "iIs" : "ils sont en train de" "tout entourés qu'iIs sont" . .. "ils p1eUrent" ... "iIS Se rePrennent" "iIS Consomment lrad.i.eg" " ils bavent quelques Inots'r . Mais les deux modes de dénomination se rejoignent dans I'esprit de Brel. 11 nous dêpeint I'unité de ce coupleren pri- vilêgiant tantôt I'individualité de chacun ("tous les deux"), tantôt ce qui les joint ("ils") :

Et maintenant iLs pLeurent ie ueun dite tous Les deu'æ parfois La jonction entre .'iles deux" et "ils" s'opère par I' intermédiaire d.e 1'expression "l'un, I'autre", et nous avons

La pLuie Les a soudës sembLe-t-iL L'un à Ltautre (...) Tout eneastrés qu'iLs sont iLs ntentendent plus tien Que Les swryLots de Ltautre...

Notons que Ia séparation a lieu sous 1a pluie (associée, comme toujours, aux larmes). Mais, à cette image de nuit, suc-

(I) Pourquoj- cette allusion â Bécaud ? BreI a-t-il voulu rendre un hommage discret à celui qu'on appelle "Monsieur f00 000 volts,,, ou ltégratigner au passager ou encore, plus simple- ment, a-t-i} trouvé une rime qui lui convenait ? A chacun de choisir I'hypothèse qui le séduit ! 237

cède celle du Feur gui unit et fond les partenaires I'un dans I'autre. Nous nous devons de citer en entier lrextrait central, d.ans lequel les amants passent de l'union à la séparati-on, d'ans une émouvante symbolique de flux et de reflux :

Et puis... et puis infiniment eonrmedeun eonps qui pt'ient Infiniment et Lentement ces deuæ eozps se séparent Et en se sépatant ees deuæeorps se déchiv'ent Et je oous iure qtl.tiLs cYient Et puis iLs se z'ePnennent Redeuiewtent un seuL redeuierment Le Feu Et puis se redëchiz'ent se tiennent pat Les yelæ Et puis en reculant comne La mer se retire ILs eonsonrmentLtadieu ILs bauent queLqtes mots Agitent urlp ùarye main...

ce déchiremenÈ, cette mort, impliquent une sorte de mystique du couple que Denis de Rougemont a très bien analysée dans "l'Amour et ltOccident" (l), lorsqutil écrit par exemple : "Lramour heureux n'a pas d'histoire. Il n'est de roman que de l'amour mortel, crest-à-dire de ltamour menacé et con- d,amné par Ia vie même. Ce qui exalte Ie lyrisme occidental, ce nrest pas Ie plaisir d.es Sens, ni la paix féconde d'u couple. Ctest moins lramour comblé que la passion d'amour. Et passion signifie souffrance" (2')... et/ Plus subtilement encore : ',Attirés par Ia mort loin de la vie qui les Pousse, proies voluptueuses de forces contradictoires mais qui les pré- cipitent au même vertige, Ies amants ne pourront se rejoindre qu,à lrinstant qui les prive à iamais de tout espoir humain' de tout anour possibler âU Sein de ltobstacle absolu et dtune Su- prême exaltation qui se détruj-t par son accomplissement" (3). pour le héros brélienr êI1 effet, I'amour doit brûIer sans cesse, sous peine de mourir dans Itextinction d'u désir'

(I) Denis de Rougemont, LrAmOur et I'occident, PIon, L939, 10- 18, 11o34-35.

(2) Op. cj-t., PP. rl-I2.

(3) Ibid., PP. 43-44. 238

i"tais en même temps, i1 lui dênie cette possibilité :

IL doit Lui dire ie t'aime eLLe dpit Lui dire ie t'aime Je erois qu'iLs sont en train de ne rten se ptomettte Ces detm'Là sont trop maig?es pour âtne maLhonnâtes

D'où la création drun obstacle, qui va renforcer Ia passj.on. Ainsi, €t paradoxalement, séparant à jamais ses Per- sonnages, brisant ce quj- les faisait vivre (leur raPProchement) il sauve leur amour. Cette attitude demeure incompréhensible à la majorj-té des gens, désignês comme des "bouffeurs d'espoir", des "chiens", d.ont I'opinion Ilrimporte pas :

Mais ces deuæ dëehinés superbes de ehagrin Abard.onnent aun chiens L'eæploit de Les iuger

Analysons à présent chaque individualité présente dans Ie couple. Brel faiÈ preuve d'une psychologie remarquable lors- qu'iI décrit - très d,j-scrètement Pour 1'homme, beaucoup plus Ionguement pour Ia femme Ia façon dont chacun vit sa douleur.

2) LTHOMME.

"Lrhomme est, en effet, vite au bout de ses forces de résistance. 11 ne peut supporter longtemps (...) Ies pleurs' les génnissements des êtres qui lui sont chers. Un moment con- centré en lui-même, il éprouve des bouffées de violence ; 1l se retourne alors avec j-mpatience contre la cause qui le fait atro- cement souffrir ou, s'il le peut, s'en éloigne (...). Lrhomme ne supporte ses difficultés douloureuses qu'en s'iso1ant" (1). On voit, dans Orly, le héros manifester Ie premj-er sa douleur, et, de façon spectaculaire :

(r) Louis J.M. SAHUC,Homme et Femme, Bloud et Gay, Nouvelle éd,itiont L977t PP. 69 et 95. 239

Et maintenuft iL pLeure iL pLeu'xeà gros bouiLLons

puis, trait fond.amental de Ia psychologie masculine ! (comme Ie souligne si bien Ie Docteur Sahuc que nous venons d.e citer), Ia souffrance de I'autre lui devenant aussi insup- portable que ]a sienne ProPre, il ne peut que fuir dans un ar- rachement brutal :

F+ bzwsquementiL fuit iL fuit sarts se retounter EI puis iL dispffiouffé par Ltesealier

3 ) IA_FEDIME.

"Quand la femme souffre, elle se sent poussée à venj-r auprès de celui qu'elle aime ; elle voudrait se blottir d'ans ses bras (...). Tandj-s que I'homme fuit 1es occasions, les per- Sonnes qui I'ont meurtri, la femme ne craint pas d'assister à des scènes douloureuses ; elle désire regarder en face ceux qui Iui ont porté Préjudice. Bien plus, elle conserve fidèlement d.ans sa mémoire d.es souvenirs qui Ia font pleurer" (l).' Cette différence d.e rêaction est soulignée Par BreI au début du dernier couplet, entièrement consacré à la femme :

Et eLLe eLLe reste Là eoeuz'en eroiæ bouehe ouoerte Sans tm eri sans un mot ELLe eonrwit sa mort eLLe uient de La croiset VoiLà quteLLe se i'etotærle et se tetouwrc encore Ses bras uont iusqut à terre ça y est eLLe a nriLle æts La porte est referTnée La uoiLà sans Lutnière

Une fois encore, I'amour et Ia mort se sont rejoints êt, aux i-mages de nui-t, succèd'e une symbolique du cercler cofiuttê si' privée de son centre, tout équilibre rompu, la femme ne pouvait que tournoyer indéfiniment :

(I) Louis J.M. SAHUC,Homme et femme, Bloud et Gay, Nouvelle éd.j-tion, 1977, P. 95 et pp. 78-79. 240

ELLe tourme aur eLLeqêne ei déià eLLe sait 8u' eLLe touwtena toujotæs ELLe a penùt des honmesmais Là eLLe perd L'Amoun LtAmour Le Lui a dit retsoiLà Ltinutile

Brel plai-nt son héroine qui- r s€ refusant à ad'mettre Ia réalité, imaginera d'impossibles bonheurs à venj.r, afin de se maintenir en vie :

ELLe uiuv,a de proiets qui ne feront qu'attendre

Mais, pês plus qu'à I'amour éternel, Ie héros brélien ne croit. à la fidélité :

La retsoiLà fragile auætt qre dtâtne à oendre

11 y a cependant, sous cette remargue, une foi implici- te en I'amourr gui a été capabler uD instant, de sortir "I'au- tre" de son originelle "fragilité" et de I'ouvrir à une dimen- sion qutelle n'eût jamais eue sans lui. Par ailleurs, pour Ia première et Ia dernj-ère fois dans toute I'oeuvre brélienne, c'est la femme qui est I'abandonnée, Ia victime, et elle i-nspire au poète un sentiment de pitié et de compassion 3

Je suis Là je La suis je n'ose rien pou.r eLLe Que La fouLe gr'ùgnote eontneun queLconque fruit 24L

LES REMPARTSDE VARSOVÏE

COmmesril avaj-t hOnte de sa dernière "chanson d'amour1, Brel, dans une de ces opPositions qui d.éconcertentr êIl même temps qu'eIles font son charme, e1cj11Î..5te: "Les remparts de Vars6vj.e". Tout sépare ces deux OeuVreS : amour, déchirement, tendresse de f interprétation, gravité et lenteur du rythme dans la première ; misogynie, rage, férocité, hargne et cadence de plus en plus accélérée dans Ia seconde. Cependant, dans un cas comme dans I'autre, c'est la dra- matique pulsation d,u Temps, allié de Ia mort, 9uê nous fait percevoir 1e poète : la femme abandonnée de "Orly" voit ses bras traîner " jusqu'à terre" et semble avoir "mj-lle ans", le héros des "Remparts de Varsovie" est lj-vré au cycle infernal d'une temporalité dont il n'a plus la maÎtrise. "Au lieu de Ia crise des tragédies classiques, on a un drame du mouvement per- pétuel", écrj-vent finement Bruno Hongre et Paul Lidsky (I)' qui défini-ssent ce drame comme un état contradictoi-re : "continuer à espérer alors que I'espoir est vain et faire appel à cela mê- me (Ie Temps) qui rend les espoirs illusoires" (2) - "Les Remparts de Varsovie" se situent dans le prolonge- rÈent de "Vesoul". On y trouve, il est vrair uD accent parodique beaucoup plus poussé, ainsi qu'une violence et une liberté de langage traduisant 1'état sado-masochiste d'un homme incapable de Se libérer d'une femme coquette, capricieuse et vénale, à Iaquelle il demeure lié comme malgré lui (3).

(f) Bruno Hongre et Paul Lidsky, Chansons, Jacques Brel, Profil d'une oeuvre, Hatier, 1976, Pp. 66-67.

(2) Ibid., p. 66.

(3) Cf. ce que nous disions à ce Propos pP. 226-227. 242

Dans une construction rigoureusement symétrique et ana- phOrique, Brel lance SeS anathèmes COntre "Madame", en n'épar- gnant ni ses attributs physiques' nj- ses attributs moraux, rri' ses attrj-buts sociaux, mê1ant le tout avec brio pour nous don- ner un succulent cocktail verbal.

1) Ses attributs PhYsiques :

Citons, dans lrordre, "son cul, son ombre, Ies Preuves de SeS inSOmnies, SeS SeinS, SOn aCCentr SOn CheVeU, SOn re- gard, SOn fire, SeS mainSrrl SâIIS OUblief "SeS CUiteS" et "les gènes" de ses amants.

2) Ses attributs moraux :

"Ses états d'âme' ses lubies' son spleen, son enfance'.

3) Ses attributs sociaux :

"Son chien (un boudin noir nommé Byzance), ses sous, carosse, banco, bijoux, Rolls' l'été dans Ie mid'i de Ia France"- Lorsqu'on a repéré ces différents registres d'expres- siOnr OIt se retrOuve avec deux mOts inclaSSables : "Son Coeur'l (maj-s on s'aperçoit que Brel, férocement, a mis celui-ci en Pa- ra!!è}e a17eg "SOn Cul") et : "un Conrr (lthOmme, bien entend'u ! POur que Madame puisse "vivre sa vie'r, il devient auSsi ram- pant que lorsqu'i-l rêvait de "tuer I'amant de sa femme" (l) et se fait engager conrme "vestiaire" ou Comme "barman" à ItAlcazar.

(1) Cf. : Comment tuer l'amant de sa femme. 243

Parfois, il doit se contenter d'une place de plongeur ou, Pis encore, drun rôIe d,thomosexuel d.ans Ie spectacle !). I A prêsent, goûtons la saveur de quelques unes des gouttes de ce cocktail fracassant, et admirons une fois de plus Ie génie brélien, Iorsqu'il décrit : la coquetterie de La femme :

Madane promène un eon qui assu.z'eque Madane est ioLie i (...) Madqnepromène son rire comnedtautres promènent Leur ua- seline

sa sexualit,é provocante :

Madanepnomène son euL sun Les Ren'rpattsde Vavsooie (...) Madanepromène ses seins iusque dans Le midi de La ehance (1)

sa vie dissolue et son inconstance :

Madnnepromène à Ltaube Les preuues de ses insonmies (...) Madsnepromène ses cuites de uerv'e en oe?re de fine, en fine Madmtepz,omène Les gènes de uingt miLLe officiers de marine (...) Madonepnomène ses mains dans Les différents eo?ps d'annëe (2) Madqnepromène mea sous ehez des demi-seLs de bas quattiets

sa duplicité et sa fausse ingénuité :

Madone traîne son enfanee qui ehange seLon Les cireonstances Madanepromène pattout son aeeent mtsse auee aisartee C'est orai que ùladone est de VaLenee

(I) Cf. : Les biches.

(2) Cf. : Grand Mère. 244

sa vénali.té :

trfuad.qnepnomène son rega?d su.r tous Les uieu.æqui ont des' ugLne9 (...) Madsnepromène cavosse qu'eLLe uoudtait bien me uoir tirer ( r ) Je txouue que Mad.ane est gonflée Mad.qnepromène banco qu'eLLe ueut bien me Laisset régLen Madanepromène biioun qutelLe ueut bien me faire factu.ten Madanepronène ma RoLLs que po1Æsuiuent queLques huissiers ;

€t, pour finirr sâ façon méprisante de traiter celui sans lequel elle ne serait rien :

Madoneraconte partout que Lton m'appeLLe tata JacqueLùne Je txouue Madnne mauuaise eoPine Tartdis que moi eofttnetous Les soits Je suis ehanteuse Légène à L'ALeazar

Nous avons souvent parlé de la "misogynie brélienllerr. Et, cependant, nous ne pouvons nous empêcher de nous demander si ce terme s'applique vraiment aux sentiments du chanteur vis-à- vis d.e la femme. De quelle blessure secrète BreI a-t-il été at- teint, pour qu'iI ne cesse de vouloir Ia guérir et' I'exorciser d.urant tant d'années ? ... Quel amour est devenu cette haine ? Ne dit-on pas quton ne brûle vraiment que ce qu'on a adoré ? La "misogynie" brélienne ne serait-elle pas une adoration re- tournéer U11reproche amoureux fait à Ia femme, idéalisée' il est vrai, et, qui I'a tant déçu ?-..

(1) Cf. : Le Cheval. 245

KNOKKE-LE-ZOUTETANGO

Avant dtaborder cette chansonrbeaucouP plus ambiguë qu'i! n'y paraît, et pour en faciliter la compréhension' nous nous permettons de renvoyer à ce que nous avions dit dans notre _ analyse de "jraimais", ainsi qutà Ia fin de notre étude Sur '! "Ies filles et les chiens", lorsque, faisant d'ailleurs têfê- rence à "Knokke-1e-Zoute tango", nous évoquions les deux pôles entre lesquels oscillaient les sentiments du héros brélien vis- à-vis de la femme : tendresse-misogynie. Nous remarquerons dtabord que ces deux tendances, ap- paremment contradictoires, se rejoignent ici dans Ia même oeu- vre. Seu1s Ie ton de Brel et ltaccompagnement musical font res- sortir ce fait surprenant, puisque les mots du quatrième cou- plet reprennent ceux des deux premiers (I) : application inté- ressante de ce que les psychologues appellent la "Gestalt", parce qu'eIIe nous permet d'envisager la re-création indéfinie d.'une chanson (comme celle d'un poème, d'une pièce d.e théâtre, d'une oeuvre d'art) par des Personnages qui ne mod.ifient en rien sa structure principale, mais se contentent de I'intégrer danS un ensemble lui donnant une "forme" d,ifférente, "prégnan-

tett. Le tango est utilisé c'est souvent Ie cas chez Brel (2) conme genre parodique. De fait, "Knokke-1e-Zoute tango" ca- ricature I'attente du héros de "Madeleirl€", attente différente'

(f) On objectera que le temps des verbes varie, Passant du Pré- sent au futur. Mais ceci n'intéresse pas Ie fait que nous signalons et renvoie à la conception d.e I'imaginaire brê- lien telle que nous Ia trouvions d.ans "Madeleinerr.

(2) Cf. Le tango funèbre Rosa - Les Toros. 246

cependant, dans son objet et dans Ses nuancesr puisqu'il s'agit du rêve impossible de LA femme qul, tout à Ia fois' attj.re et. répugne :

ELLe mtattendrait depuis touiours Cerelée de sezpents et de plantes

f) "Cerclée de_sergents gt-de plgnleg".

A travers les fantasmes d.u personnage, nous découvrons une femme "liane... féline... ond.uleuse... folle conrmeun tra- velot". Elle affole I'hommer Qui ne peut voir en e]]e qurun objet sexuel et la désj-re avec violence, quitte à ne }a possé- der qutà travers les prostj.tuées "des jolis quartiers d'Amster- d.am"r oLl celles des quartiers moins nobles de Hambourg ( "des carmencitas de faubourg qui nous reviennent de vérole") - A ce niveau, cependant, Ie héros brélien méprise ce qui Irattire. Le chasseur des "Blches" n'a plus Ia même élégance ni la même classe lorsquril est à la recherche de ce genre de gi- bierr ou guê, I'ayant trouvé, il sren repaÎt; les termes em- ployés parlent d'eux-mêmes :

Je gLisse de PaLaee en PaLace Pou.r g dënichex Le Gros Lot que mon coup de gnâee @i(...) rytattend

Je suis Le ffis en chasse (L) (...)

Je mtoffre queLques argentines (...)

(1) Terme argotique signifi-ant : "je drague"' 247

ELLes passent toutes à La eassez'oLe(I) (...)

De ees femeLLesquton gestapote (2) Patee qu'eLLes ne sauent Pas encor ?ue Franco est tout à fait mort

Mais n'est-ce pas 1'homme lui-même qui exi-ge des fem- mes qu'e1les répondent à ce premier tyPe d'attente purement éro- tique ? - -a

Ce soir Là ie Les ùeLLæfëLines Auec un rûeffintine CoLLé au.æ"eeuetræ't de La Lang:ue

ou encore :

Je me Les uetæ (.. . ) mi andaLouses TIri onduLeuses

et enfin :

Je La ueu.æfoLLe comnetm traueLot (3) .

La psychologie du héros bréIien, dans ses éclats de mi- sogynie, est intéressante en ce Sens qu'elle révèle une guerre subtile entre }es d.eux partenaj-res : I'homme pu.ise dans la pro- vocation venant de Ia femrne la justification de sa misogynie i mais en mêmetemps iI exige d,telle ("je Ia veux"...) cette at- tity;de, Sans reconnaÎtre que Sa Propre sensualité rend lrauÈre à son Èour victime, Si bj-en que chacun se retrouve au bout du compte à Ia fois vaincu et vainqueur, proie et tourmenteur.

(f) Expression argotique signifiant : "posséder avec brutalité, dêflorer".

(2) On remarquera au passage, à travers ce néologisme et dfautrer encore ( " je panalna, je partagasse" ) Ie génie de _I'écrj-ture brélienne-qui lui donne un impact et une force difficilement égalés dans Ie monde de Ia chanson.

(3) Terme argotique signifiant, : "homosexuel travesti en femme". 248

Notons enfin que ces "prouesses" masculines, que BreI décrit dans un langage d'une violence superbe, rlê sontr êfI r fait, que des fruits de son imagination ; les refrains en té- moj-gnent :

Mais ce soiz, y d pas dtargentùnes I a pas d'espoir A a pas de doute , Non ee soir iL pLeut sur l?rckke Le Zoute Ce soir eomne tous Les soins ie me rentre ehez moi Coeur en déroute et La bite sous Le bvas (f) .

2\ "Elle_m' attendrait $epuls_tou;i-ourg" .

La tendresse brélienne se donne libre cours dans Ia deuxième partie de }a chanson, celle où le poète reprend ce qu'il venait de d.j-re, non plus à I'intérieur d'un présent de fantasmes sexuels, maj-s dans un futur qui compensera toutes SeS désillusions. Un accord.éon nostalgique, que rejoint doucement Itorchestre en arrière-plan Sonore, accomPagne le désir, I'at- tente d'une femme "princesse" (2) , succédant à la femme' "fille" (3). BreI retrouve, pour un instant, les intonations ferventes de l'époque où I'annour donnait sens à la vie. Alors émergent, comme venant de plages dtattente distraitement survolées, des mots limpides et reposants, auxquels nous n'avions guère pris gard.e tout d' abord :

ELLes seront ft'atehes eonrnedes mangues (...) Je Les uouàvai fraîehes et iogeuses Bonnes trauaiLLeuses sqrls patLote (...)

(r) Expression argotique signifiant : "rentrer bred.ouille".

(2) Cf. J'aimais.

(3) Cf. Les filles et les chiens. 249

Et voj-ci que les expressions 9ui' précédemment, nous paraissaient sulfureuses et méprisantes, recouvertes par le velours d.'une vOix tend,re, Prennent un aspect naif, tOuChant, implorant. Ces "lianes qui auront ce teint de femme avec ce rj-en de brillantine collé aux cheveux (f) de Ia langue", qui "compenseront leurs maladresses à couPs de poitrine et de fes- ses", nront plus rien de commun avec les créatures provocantes '-' du début. '' Cepend.ant, Brel ne veut pas terminer sa chanson (qui, en réalitê, continuera indéfiniment son circuit, conrme celle d'e "Madeleine") en laissant son héros au pôle de 1a tendresse. 11 I'arrache d.u rêve de douceur dans lequel il I'avait placé durant un instant et Ie projette à nouveau dans Ia férocité. un court passage résume parfaitement les polari-tés que nous venons de découvrir dans le désir ambigu du Personnage (fenme fatale - ange) et dans la contradiction d.e ses sentiments (misogynie - tend.resse) :

Je La ueuæfoLLe eomlneun tY'aueLot Et eouuev,te de uieun ridem.æ Et cepend.ant éuanescente

"comment, a-t-on écrit, Ia femme peut-elle se situer en face du héros bréIien, répondre â sa double attente, sinon en ayant I'air e1le-même inconstante et contradictoire ?" (2) Pas plus que la femme, pourrions-nous ajouter, I'homme ne Par- vient à trouver l'équilibre de ses élans de sensualité et de ses désirs de tendresse. lil'aurions-nous pas ici une clé de Ia ',misogynie" brélienne : la projection' sur Ia femme ou sur "Ies"

(r) PrOnoncé "Cheveqx" et ngn "Singé" cqmme préCédenment, lOrs- que le chanteur d.isait "ceveux".

(2) Bruno llongre et PauI Lidsky, Chansons, Jacques BreI, Profil d' une oeuvre , Hat j-er t L976 , P. 20 . 250

femmes, d'une ambiguÏté propre au poète ?-.- Et n'est-i} pas dramatique de le voir se déchirer entre Ia chair et 1'espritr. sans parvenir à les réconcilier ? La teneur de notre étude ne nous permet Pas d'élargir une analyse portan! sur un héritage socio-culturel que BreI a €ltr Sans le vouloir, le mérite de mettre en lumière. Quril nous suffiser êII terminant, de rappeler quelques lignes pénétrantes ' ':-: d'un livre dont on a beaucoup parlé "L'attitude mascutine à ltêgard du "deuxième sexe'r a Èoujours été contrad.ictoire, oscillant de 1'attirance à la tê- pulsion, de 1'émerveillement à I'hostilj-té (...) Cette vénéra- tj-on de l'homme pour la femme a été contrebalancée au long des âges par 1a peur qu'il a éprouvée pour I'autre sexe (...) une peur que I'on a longtemps nêg1i9ê d'étudier et que la psychana- lyse elle-même a sous-estimée jusqu'à une époque récente" (1). Et lrauteur, explicitant un peu plus loin I'inquiétude suscitée par la femme dans I'inconscient de I'homme, ajoute ce que BreI semble avoir illustré par toute une partie de son oeuvre : ',De toute façon, lrhomne nrest jamais gagnant dans Ie d.uel sexuel. La femme 1ui est "fatale". EIle l'empêche d'être lui-même, de réalj-ser sa. spiritualité, de trouver Ie chemin de son salut. Epouse ou amante, elle est geôlière de I'homme. A tout le moins, celui-ci doit-i!, à Ia veille ou sur le chemin d.e grandes entreprises, résister aux séductions féminines (. . . ) Succomber à Ia fasc j-nation d,e Circé, c'est perdre son identi- ré" (2).

(1) Jean Delumeau, Lâ Peur en Occident' FaYard, L978' PP. 305- 306.

(2) Ibid.., p. 308. 25L

LE LTON

on n'a guère diffusé sur les ondes cette petite fable grinçante, dont la moralité est I'inverse de ce que I'on at- tendrait logiquement. Brel, dans un pied de nez final, semble se moquer de ses propres contradictions. La musique est clow- nesque, Ie ton tour à tour tendre et féroce' Pour exprj-mer les sentiments d.run lion, tiraillé entre sa sensibilité qui Ie por- te vers une lionne, êt sa raison quj- lui souffle, Pêr la voj-x drun tiers - BreI lui-même -t d.e sten méfier. Finalement, la première I'emportera et causera sa perte :

Ca fait une heu.Yeet uingt minutes Que dans Le fLeuoe ryi bouiLLonne lJn Lion est mort Pour une Lionne

"oeuvre la plus faible du disque" : ainsi juge-t-on or- dinairement "Le Iion". Vraiment ? Nry retrouve-t-on Pas t'Out Brel ? ... L'attitude du couple est désormais stéréotypée pour Ie chanteur. Durant Ies trois couplets presque id.entiques (seul varie le tempsr gui semble avoj-r une vie propre, irréductible) I Ia lionne-ferune rêve d.'emprisonner Ie lion-homme dans les filets de sa possessivité cruelle :

AppeLLeappeLLe La Lionne (...)

Répond Le Lion à La Lionne /

"CIest commecela depuis que le monde tourne" semble nous dire Brel (1) i et iI i-ntervient dans les trois refrains

(r) gs'il y a loin de ce regard désabusé sur Ie couple au regard innocent du jeune Brel sur les filles et Ies garçons dans "Crest commeça" (r95s) ! 252

qui tranchent, Par leur virulence, Sur Ia grisailie des cou- plets, pour exprimer tour à tour Ie refus de I'amour, les to-, Ses d.e l'homrnerpuis celles de Ia femme. Après ce que nous avons écrit, tout commentaire détaillé serait superflu.

f) Refus êe_lramour :

-a

Vas-y pas Gaston (...) Mâmesi eLLe ose te dire Qu'eLLe ttaime pour La uie

Cet amour romantique, éternel, sera pastiché plus loin à tra- vers I'évocation d'un couple dramoureux céIèbres :

ELLe sev,a ta Muton Tu seras son des Grieu"æ Vous sez'ez deu'æimbéciLes

2) Buges de_l'homme :

IL faut qu'eLLe soit Patiente Eais eeLui q,ri a Le tentps CeLui qui est débov'dé Mets-La en Lt'ete d'attente

3) Ruses de_la legme :

on retrouve, une dernière fois, Ie "tiers" srinterPo- sant entre le héros brélien et l'objet de son amour:

Vas-y pas Gaston Mâmesi eLLe te signaLe Qu'y en a un autre en ùue ttn qui est ieune qui est beau Qui dnnse eoîtne un dieu 253

Qui a de La tenue I)n qu.i a de La crinièxe Quù est très inteLLigent Et qui ua faire fortune lJn qui est généreuæ Un qui que quand eLLe ueut Lui offrira La Lune

Mais' par une pirouette toute bréIj-enne, la leçon de I'apologue est diamétralement opposêe à ce que nous attendrions- Brel s'y implj-que dj-rectement en se caricaturant' collune s'il voulait nous montrer, avec beaucouP de pudeur, 9Ûê, malgré son pessimisme en ce qui concerne les relations de I'homme et de Ia femme, Son côté tendre se surprend encore à espérer I'amour ou. ' ' à tOmber dans Ie piège : "- Jacques, JaCques", Susurre une ten- ,- dre voix féminine crest moi qu'on appelle ?" demande Brel "Oui, je suis 1à..." et lron devine que Ie poète est Prêt' com- me le lion, à mourir pour ltamour t que Sa présence dans Ia fa- b1e était à Ia fois celle du roi des animaux et celle de I'ami, mettant Ie lion en gard.e contre son futur malheur. Jacques Brel semble avoir terminé ses "chansons d.ramour" rejoignant Ie temps d.e sa jeunesse, où il se plaisait à fai- re le clown potlr amuser les autres et pour affj.rmer son origi- nalj.té, en faisanÈ Ia nique à ce qu'iI appelait injustemenÈ sa Iaideur. 254

Notre conclusion sera double. Nous laisserons d'abord parler Brel lui-mêmer êr ses propres contrad.ictions. Ensuite, reprenant notre thèse énoncée Page I25, Ia croyant désormais justifiée par toute notre analyse' nous méditerons sur Ia quê- te de cet homme "guettant dans les miroirs on ne sait quel pas- - tt '-' sagerrr selon les mots de Georges Rodenbach.

I- BREL LUI-MEME EN SES PROPRES CONTRÀDICTIONS (I)

Après avoir écouté I'oeuvre, iI nous sera bénêfique d'écouÈer 1'auteur. Quel rapport Brel entretient-iI aveç ses personnages ? (2) "La chanson me permet dtexprimer mes indignations. Mais je ne mren prends pas à des personnes prêcises : i} ne s'agit jamais d,une femme mais d'un type_9:_f,e-mme" a-t-iI dit ; mais auSsi : "Mes chansOns sOnt inspirées Par ce qui m'arrive, ou par ce qui m'est arrivé.il y a longtemps. Jrai des sensations qui reviennent avec dix ans de retard". De toute manière' il existe toujours des liens étroits entre un homme et son oeuvre, ne serait-ce qu'au niveau drun certain univers intérieur' d.'une façon d'appréhend.er Ie monde, de poser d,es questions. Et si

(1) On pourra retrouver tous les Propos que nous citerons dans : les Archives d.e I'o. R.T. F. et, de 1' I.N.A. (Hommageà Brel : 9.f0.f978 ; Rad,ioscopie de Jacques Chancel : 2L'5'1973) i Brel, Seghers, L975 ; Jacques BreI, Une vie, Delville' Paris f978 ; Biel, Tchou, Paris, L979 i Brel no hors série, Les Archers, Bruxelles, octobre f978.

(2) Nous avions déjà soulevé cette question à propos de "Orly". 255

nous abordons ici-ce problème, c'est qu'iI nous semble que Ia recherche de I'amour et le sentiment d,'échec qui en est résul- térdéfinissent tout Brel : non seulement parce qu'il a répété maintes fois : "tout se manque de tendre", "jtai un besOin vi- goureux d'aj-mer les gens", "on ne peut être intelligent qu'au dessUs du coeur", mais encore parce qur il a COnSaCré quarante quatre chansons à ce seul thème En L972, commentant son film "Frantz", iI déclarait | -,= "J'ai essayé d,rexpliqUer que 1'amour à quarante anSl colTur,êà dj-x-huit ans ou à soixante, Ça ne marche PaS mieux i c'est Ia même duperier C€ sont les mêmes erreurs'r. Pourtant, quelques années plus tôt, dans une comédie musicale qu'il avait montée avec I'enthousiasme que lton sait, il chantait :

Aimer jusqutà La déehimtre Aimer mâmetrop mâmemaL Tenter sans foree et sans anfture D Iatteindre L I inacessibLe ëtoiLe (...) Peu m'intporte Le tentps ou ma désespénance Et puis Lutter touiours s6ns question ni ?epcs Se dqrmerpoun Lton dtun mot dtqnout (1)'

Quant aux femmes, iI leur en veut Pour plusieurs rai- sons. Nous rappellerons Ies plus connuesr êr soulignant qurelles ont toutes Ia même origine : leur incapacité d'incarner I'idéaI' Ie rêve anoureux du Poète.

- Elles sont possessi.ves et tricheuses (2) :

"E1les prennent toujours plus qutelles ne donnent". "Jrai:ne les femmes parce qutelles sont' des femmes. Je les hais -.i.!!- parce qu'elles jouent. EIIes jouent à I'amour, elles jouent au travail, elles ne font que jouer".

(f) Lthomme de la Mancha "La guête"-

(2) Cf. "Les Biches". 256

- Elles empêchent I'homme de vivre et de bouger (r) :

"Lorsgu'on aime une femme en s'imaginant qu'el-le est I une locomotive, ça fait très mal lorsquton s'aperçoit qutelle nrest qu'une femme et pas une lOcomOtiVê", ce qui entraÎne 1o- gj,quement I'impossibilité de cohabj.ter, de Peur de voir mourir I'amour (2) : 'r- Pourrj.ez-vous rester avec une femme touÈe une vie ? : - Non, je crois que non, je suis même actuellement sûr--= que non. - Parce qutil nrest pas possible de faire un contrat pour une vie ? - Nonr parce que ça s'abÎme vite, n'est-ce Pas, Çâ sta- bime trop vite, iI faut faire durer les belles choses".

- Mais Ia femme gêne également I'homme parce qu'e1le lui révèIe des aspects cachés de lui-même dont it n'est pas fier : vantardise, manque de sincérité ou don juanisme : "Dès qu'il y a des femmesr orl est obligé d,e mentir ne serait-ce que Pour briller ; ou alors, si on veut être parfai- tement honnête, c'est la femme qui dirige Ie débat et I'on ment. Dès qu'il y a une femme qui arrive, il y a chez l'homrne quelque chose qui se décomPose... ou qui se comPose" ... "On est tout déchiré : vous aimez passionnément une femme, Ça ne vous empê- che pas de rencontrer dans la rue une fille qui vous paraÎt ra- vissante, êt VouS avez vaguement envie d'e lui Sauter dessus. Et vous vous dites : crest drô]e; j'adore pourtant une femme, j'en vois une autre et j'ai bien envie de... Et bien voilà !" A plusieurs reprises, Brel s'est défendu d'être miso- çIyne :

( 1) Cf . "Dors r Itrê mie" .

(2) cf . p. 237. 257

"on dit que je suis misogyne parce que je ne cavale pas. Alors que ce sont ceux qui Ouvrent les portes aux d.ames I et s'effacenÈ devant elles Pour mj-eux leur mettre la main aux fesses qui sont le plus misogynes... Moj-, je ne méprise person- ne. DanS mes chanSons, les gens sOnt conrme je les vOiS avec Ce que la vj.e mta appris" "On dit que je suj-s misogyne... un peu parce que je ne vais jamais dans les boÎtes de nuit. Je crois que les femrnes ont une Part de responsabilité ; elles ap--- prennent trop la prudence aux hommes : "Ne dis rien - Pense à lravenir". Commesl on pouvait penser à lravenir ! On nrest que Ie présent". Cette dernière remarque a fournj. une partie d,u thème de ,! t" son fj.lm, "L€ Far West", qui fut d'ailleurs un échec. Une scène cependant a retenu notre attention, car eIle peint les contra- d.ictions du coeur tendre de BreI 3 celle où I'acteur-auteur- metteur en scène (lui-même, par conséquent), di-sserte sur I'a- mour en n'en peignant que l'aspect négatif, mais s'abandonne à Iui dès gu'une femme le lui offre (processus exactement sembla- b1e à celuj- qui était en oeuvre dans "Le lion"). "- Et les femmes ? ..." demande I'infirme. "- Les femmes ? Ce qui compte Pour el1es' crest la sé- curité, alors que I'homme (...) est un aventurier; il se Pro- mène de colline en colline et ce qui le préoccuPe toujours' c'est de découvrir ce qu'j-l y a de lrautre côté (...) Les fem- mes n'aiment pas cela du tout, les femmes sont immobiles". " (...) - Jacques, je traime ! "- Ah bon ?... Commeje disais, les femmes sont immo- biles. Elles veulent nous prendre au piège (...) et c'est ainsi que par arnourr o[... "- Jacques, je t'ajme ! "- Lina ! Moi aussi, je traime !"

BreI a lui.-même avoué que les hommes "ne d.isent que des sott,ises" lorsqu' ils Parlent des femmes, alors que Ia réciProqu ntest pas vraie : "Mais c|est aussi sans doute Parce que les 258

femmes se préoccupent des hornmes toute Ia journée et que lrhom- me ne sren que dans Ia marge de ses apPétits"' PréoccuPe ! Enfin, iI ne faut pas oublier certaines paroles du chanteur qui nous montrent, Si besoin était, 9Uê ce que I'on a qualifié d.e misogynie - mais ce mot recouvre tellement dratti- tudes ! - n'était, en fait' que Ia face cachée de sa tendresse et traveu ind.i-rect de son "impossible rêve" (1) : "On n'en finit pas de couri-r après les rêves qu'on = avait quand on était petit' crest sûr, c'est pour cela qu'un homme qui ne tremble pas devant une femme, il ne faut pas venir me dj-re que c'est de Ia virilité, c'est de ta Sottise, n'est-ce pas t il faut trembler jusqu'à sa mort devant les femmes. Sûre- menttt. Terminons avec cet aveu quj- nous paraÎt très précieux : ',Les fernmes, je crois bien que je suis passé à côté" que je n'ai pas su les comprendre ; peut-être Par pudeur, je ne sais pâS, mais en tout cas je n'ai pas à en être fier. JIAI coNscIENCE D'AVOIR MANQUEQUELQUE CHOSE D'ESSENTIEL".

II 'GUETTA}TT DAIIS LES MIBOIRS ON NE S4IT QUEL PASSAGE'"

"Je te conseille, Tcare, de te tenj.r à mi-distance d'es ondes, de crainte 9u€, si tu vas trop bas, elles n'alourdissent tes ailes, €È du soleil, pour n'être pâsr si tu vas trop haut, brûlé par ses feux : vole entre les deux" (2). BreI a vculu vo- ler jusgu'à brtler :

(1) L'homme d.e Ia Mancha - "La quête".

(2) Ovide, les l4étamorphoses, Chant VIII, P. Brunel et L. Gues- pin, Textes ancj-ens, Nathan, L967, P. 158. 259

Je ntaïmaùs rien non j'ai adoré (f).

Faut-i1 srêtonner si, revenu du "grand voyage'rr il a I trouvé la vj-e insipid'e ? z

0n n'oubLie rïen de rien On s'habitue ctest tout (2).

Crest, €rI effet, à travers le thème de I'amour que '-= nous saisissons le mieux la soif d'absolu de ce "Don Quichotte flamand" (3)r s'identifiant totalement au héros qu'il a chanté :

Partir où personne ne part (...) TeLLe est ma qttâte suione LtétoiLe Peu m'intportent mes ehances (...) Je ne sais si je senai ee héros Iûais mon eoeur serait tranqtiLLe et Les uiLLes Stéclabousseraient de bLeu paîee qutun maLheureun BrûLe eneore bien qu'ayant tout br'ûLé Brtî.Le encore mêmetrop mâmemaL Pour atteindpe à s'en éearteLer LtinaecessibLeëtoiLe (4) .

Un cri semblable s'éIève sur Ia scène du théâtre fran- (5) çais, l'année même où Brel découvre "L'homtne de la Mancha" : "Ce n'est pas la paix que je veux ! Ce n'est pas Ie sj-mpIe bonheur ! I1 me faut une joie débordante ! L'extase ! Mais dans ce cadre Ià, I'extase n'est pas possible" (6).

(I) J'aimais.

(2) On n'oub1j.e rien.

(3) Lrexpression est de AngèIe Guller : Le 9e Art, la chanson françai-se conÈemporaine, Vokaer, Bruxelles, I978' P. 140-

(4) Lthomme de la Mancha : "La quête".

(5) La pièce de Ionesco "La soif et Ia faim" fut créée à la Co- médie française le 28 février f966. En 1966, à New York, Brel, enthousiasmé par la Comédie musj-cale de Dale Wasserman Joe Darion et Mj-tch Leyh, décida d'adapter en français "Lthomme de la Mancha".

(6) Eugène ïonesco, La soif et la fai.m, I, Théâtre, Gallimard, L976, tome IV, p. 82. 260

I1 y a plus qu'une simple similitude entre le héros de la "Quête" et celui de "La soif et Ia faim" : aucun des deux ne peut accepter la cond.ition humaine ; Ieur passj-on com- mune est !e refus du monde dans son essence même, qui est la temporalité. Drun côté' nous entendons 3'

Eeoute-moi pauure monde insuppontable monde Cten est tnop tu es tombé tz,op bas Tu es trop gtis tu es trop Laid abominable monde Ecoute-moi tm cheuaLier te dëfùe (f)

de lrautre :

"Je suis parti depuis longtemps sur les routes pour conquérir !e mond.e. It y a bien eu les routes. 11 n'y a pas eu le mond.e (. . . ) Je suis malade (. . . ) Un mot sur-f irait pour me guérir. Qui est celui qui le détient ?" (2) C'est à partir de ce refus de Ia condition humaine que Iton peut parvenir à comprendre, dans toute son anrpleur, I'iné- vitable échec de I'amour humain et le drame qui s'ensuit. Dans Ia première période brélienne, contme dans Ie pre- mier acte de Ia pièce de lonesco, Ies hêros sont installés dans lramourrne lui demandant rien de moins que Ie Paradis :

Q,mrtdon n'a que L'ûnour Pou.r unique raison ( 3 )

chante notre Bruxelloj-s, cet amour qu'il appelle "ma soif r IItê faim (...) mon jour (...) mon bien" (4).

(I) L'homme de Ia Mancha : "Lfhomme de la Mancha"'

(2) La soif et la faj-m, II, oP.. ciÈ., p' f 18'

(3) Quand on n'a gue I'amour. premiè- (4) Litanies Pour un retour. On remarquera que les deux res épithées sont Ie titre même de Ia pièce de lonesco. 26L

"J'éclairerai avec la lumière de mes yeux", dit de son côté Marie-Madeleine à Jean (f). Mais I'Eden lumineux semble bien vite un jardin clos ; quj- rêve d'esPace et de voyage :

Tu m'antras gaspiLLé A te oouLoir bâtit' IJn bonheur éterneL Ennuyeu,æà périr (2)

dit Brel. r- Rien ne lui manqrl€", Se désole Marie-Madeleine. (3)' "Tout est 1à et iI veut courir les routes !" pour de tels êtres, le bonheur est impossible. Amants d.e I'abso1u, i1s sont incapables de transformer le relatif qurils vivent en plénitude. Nous saisissons mieux, à présent, I'aveu de Brel que nous citions en terminant la première partie de notre conclusion : "Jtai conscienCe d'avoir manqué quelque chose d'essentiel" ; de même Jean, à Ia fin de la pièce, com- prend, mais trop tard, qu'il eût pu faj-re de sa vie une suite de joies essentielles s'il avait êcouté Marie-Madeleine. "Cha- que jour est une fête" lui avait-elle dit (4), et encore : (5) "plus tard, j'irai avec toi dans un pays où tout commencera "Je t'aime, mon arnour (...) Celui qui- n'oublie pas est bles- sé pour l'éternitê" (6).

(r) La soif et Ia faim, I, oP. cit., P- 8I.

(2) Dors ma mie.

(3) La soif et Ia faim, I, oP. cit., P. 96.

(4) rbid., p. 95.

(5) rbid., p. 1r0.

(6) rbid., p. rI3. 262

on nous pardonnera cette esquisse hâtive qui n'a pas la prétention d,e mettre en valeur toute Ia richesse d'e la Piè; ce de IoneSCO, celle-ci nous Servant si-rnplement' en quelque Sor- te,dramorce pour la compréhension du drame bréIien sur lequel nous voudrions porter un double regard ; 1run, plus littéraire; I'autre, plus métaPhYsj-que.

.. f) Un-regard plus-littéraire.

si I'on ne peut définir f inspiration bréIi-enne à Par- tir d'une école quelconque, on ne saurait cependant nier Sa Pa- renté avec toute une conception de ltamour romantique et de 1'atmosphère magique et tragique qui 1'enveloppe. Dans cette espèce de chevauchée d,e I'impossible (aiguillonnée' redisons- Ie, par une passion essentielle qui est le refus du temps), le d,ésir des êtres dêpasse infiniment leurs possibilités ; voulant briser toute limj-tation, its placent d''emblée leur amour dans ItAbsolu. C'est pourquoi cette démarche' comme nous I'avons dé- jà dit, rappelle I'expérlence mystique (I) :

Je te sauais déià Je sauais ton prënom ton AIIRA ton écLat ta LunièYe Je te saoais T)UJ)URS Je sauais de touiours que ce jour me mènerait iusqu'à tot' (...) MEMEM1Rf ie iure ie iune NE BRULERque de toi (...) Laisse-rnoi C1NTEMPLERdu regard Ltombre ehère de tes Pas (...) Laisse-moi semsir ta GL2IRE(2).

(1) Cf. notre analYse de : "Ne me quitte Pas".

(2) L'homme de la lvlancha, "Dulcinéa". Nous soulignons à dessein Ies mots-c1efs. 263

Toutefois, il n'est pas dans Ie pouvoir drun mortel de se maintenir toujours à cette hauteur. L'amour bréIj-en demeure Ie Paradis tant que cette évidence est estompée par les élans quasi mystiques qui I'animent 3

Ainsi certains iotæs paratt une fLumne à nos Yeun A LtégLise où i'allais On Ltappelait Le Bon Dieu L Iqnoupeu.æ L' appeLLe L Iatnou.x (I)

par contre, i1 devient enfer lorsque cessent 1'éblouisse- ment eÈ I'extaser €I1 particulier au moment de la trahison et de son cortège de désesPoir :

ILs ont bniLé Leurs aiLes ILs ont perdu LeuYs branches TeLLement naufragés }ue La mort paraît bLartehe ILS REVTENNENTDIAMOUR ILs se sont réueiLLés ILs mayehenten siLenee (2).

De même, Ia femrne esÈ ange ("mon ci-el") tant qu'on peut la célébrer dans I'exaltati-on du rêve ou de Ia vie intense :

ILs s'aiment staiment en Y'iant ILs s'aiment staiment pot'tt touiouts ILs staiment tout at Long du iour ILs s'aiment s'aiment staiment tant Qt'on dirait DES ANGESD'AIA1UR Des anges fous se Protégeant @tand se netrow)ent en eotttant Les onqnts Les ahartts de eoeur Les anants (3)

(I) Sur Ia place.

(21 Les désesPérés. (3) Les amants. 264

Se mais elle se transforme en 5!@, dtune part lorsque produit chez le héros brêlien Ia chute de cet imaginaire, d'tÏ- tre part lorsqu'elle-même révèle à lrhOmme les tensions exis- tant entre Ia chair et l'esprit. EIIe cesse alors drêtre aurore pour devenir nuit. Souvenons-nous de "Mathilde" :

Ma mèz,eatv'ëte tes pz+èz'es Ton Jacques netounte en enfer - MathiLdem'est Teoenue(1).

PoI Vandromme analyse ainsi la d'émarche amoureuse du poète : "C'eSt le romantisme même : la beauté des originest I'attrait de I'inconnu; Ie ratage et le dégoût au terme' Brel nren guérira jamais : sois douce, ô ma douleur, Circê au balcon passé d,e Baudelaire. Tristan suit Don Juan comrne son ombre. Le du premier est l'avenir du second" (2)' I1 y a, dans cette conception, une tragique confusion d.u temps et d.e I'éternité. Le héros bréIien, à force d'e vouloir retrouver lrextase première d,e I'amour, méconnaÎt I'approfon- que dj-ssement que lui apporterait Ie temps, dont iI n'envisage I'aspect destructeur :

Et plus Le tenrps nous fait eortège Ut pLus Le tenrps nous fait tourrnent ( 3 ) .

L'amour brélien rejoint I'analyse faite par Kierkegaard Pucelle dans "1'Alternative", et que rePrend à son compte Jean (4) :

(1) Déjà cité, p. 200.

(2) Pol Vandromme, J. Brel, Lrexil du Far west, Labor, Bruxelles L977, P. 90.

(3) La chanson des vieux amants, déjà citê, P' 2L9'

(4) On se souvient que Ie philosophe danois avait douloureuse- ment cherché unà posseision gui ne fûÈ pas souillée ou dé- truite Par le temPs- 265

qutâ "Lramour romantique ne stintéresse la conquête i mû- iI S.gnore I'art de Ia possession durable où les sentiments que rissent. II faut plus de force et de talent pour conserver pour acquérir (...) crest pourquoi l',amour romantique échoue' I'absolu, il ne Quand Tristan et Iseut croient avoir touché ("') Ieur reste plus qurune ressource, c'est de mourir ensemble : Lramant romantique attend quinze ans le moment du bonheur Ie mais après iI ne se passe rien. L'éternité est venue après -.' temps, mais ELLE A TUE LE TEMPS" (I) '

2) 9n-reggrd glus-métaPhYgigue'

L'échec de lramour chez le héros brélien nous pose une question : Qurest-ce que I'Homme pour qutil désire I'absolu ab- avec une telle soif ? "Il est, éCrit Ferd.inand Alquié, des qui sences d.éfinitj-ves qui révèIent I'insuf f isance de tout ce deS ab- nous est proposé", €t iI ajoute plus loin : "L'objet pud'i- sences essentielles semble métaphysique" Q)' Brel d'ira quement et avec beaucoup de nostalgie :

Je oouLais pxertdre un train Qte je n'ai ionais Pris (3). j-ncompréhensible ce que nous allons écri-re semblera à livrer celui qui n'est pas croyant. Nous voudrj-ons cependant foi les réflexions que suscitent en nous, Pâf rapport à la recher- cilrêtienne, les élans et les retombées du chanteur à la tout che d.'un Parad.is perdu, 9uê l'amour, sur lequel iI avait misér rIê lui a Pas rendu-

(t) Jean Pucelle, Lê temps, P.U.F.' L972, p. L02. 2 (2) Ferdinand A1quié ' Le désir d'éternité, P.U.F., 1966, P. et p. 3.

( 3 ) lvlon enf ance . 266

Avant lui, un homme avait vécu une expérience sembla- ble. Le rappel de cette dernière nous montrera f inachèvement, de Ia démarche bréIienne, qui explj-que peut-êtrê Ie tragique de certaines oeuvres, sur lesquelles nous reviendrons : C1aude1, Iui aussi, avait ét.é poursuivi par Ie problème de I'amour et du désir qr.l'iI entraÎne dr :

Une réunion telle - Que ce ne soj-t plus 1e temps qui Ia fasse cesser, mais elle qui soit capable au contraire d,e faj-re cesser le temps (r).

"Crest I'amour, écrivait-il, qui doit me donner les clefs d.u mond.eet non Pas me les retirer" (2). A cette époque' ttAh iI avait traversé Ie Feu du "Partage de Mj.di" : ! tu n'es pas le bonheur ! tu es cela qui es à Ia place d'u bonheur ! (. . . ) (3) O chère chose qui n'es Pas le Bonheur ! " disait Mesa à Ysé . Le poète avait fini par donner un sens à cette épreuve douloureuse et par découvrir - ce que n'a Pu faire BreI que 1'amour humain, d.ans sa relativité, avait pour mission d'ouvrir dans 1'âme une brèche,par où pouvait entrer un Amour encore plus grand gui, non seulement ne niait pas lrautre, mais lrassumait totalement en lui confêrant une dimension d'éternité :

Connais dans toute leur i.mmensité Ie devoir et I'exigence d.e ltamour ! Ah ! iI n'y aurait pas ce désir vers nous et cette bouche sur notre bouche dans Ie noir,

(I) Paul Claudel, Lê Père humilié, Acte IV, scène 2, Gallirnard, 1956' L. de Poche II02-II03, P- 430-

(2) Paul Claudel, Lê Soulj-er de Satin, Deuxième journêe' Ga}li- mard, 1953' L. de Poche L295-L296, P. 207.

(3) Paul Claudel, Partage d.e Midi, Acte II, Gallimard, 1949, L. de Poche 1508, PP. I05 et f06. 267

EI cette certitude si étrangement vers nous hors d.e tous raPPorts avec notre valeur et notre Pouvoi-r Si cet être qui dit qu'iI est bien Pour toujours entre nos bras et qui ne veut plus à jamaj-s sten arracher Du fond de sa cause en Dieu avec nous nous demandait autre chose que 1'éternité ! (l)---=

Ici, la dualité chair-esprit est totalement dépassée': Dieu se sert de 1'étreinte charnelle Pour ouvrir l'âme à cette "prqmesse qui ne peut êtfe tenue", mais dont la "grâce consiste en cela même" Q) . BreI en est resté à cette première partie de I'excla- mation de Lala. II n'a pas su opérer le dépassement auquel convie C}aud.el (fidèIer êIl cela, à ce qu'il y a d'e plus Pro- fond. dans Ia théotogie chrétienne du mariage), et Ia confusion qu'iI a fait entre I'absolu et le relatif (confusion a1lant de paj-r avec celle du temps et de 1'éternité que nous avons analy- sée plus haut), paraÎt à I'origine de f inquiétude que véhicu- lent ses chansons, Ies plus amères conrme les plus cyniques. Dans une telle perspective, on comprend qu'il n'ait sai- si que I'aspect douloureux du mystère de l'amour (que Claudel a eu }a grâce d'entrevoir, semble-t-il, dans sa totalj-té) r ce- Iui de la solitude fondamentale éprouvée par une natrf,re humaine coupée de ses racines reliqieuses.

(1) Paul Claud.el, Feuilles d,e Saints, Bj-blioÈhèque de la P]éia- de, Oeuvre Poétj-que, Gallimard, 1957, p' 662'

(2) Paul Claud.el, La Vi}}e, Acte III' Mercure de France, L967, L. de Poche 2776, P. r57. 268

0n esi deu.æmon ancut Et L'qnour ehattte et rit Mais à La mort du iotæ r Dans Les drops de L'ennui On se retrouoe seuL (...) On est deun à uieiLLiz' Contre Le tenrps qui eogne Mais Lov,squ'onuoit uenix En r'iant La ehatogne (L) 0n se retz'ouue seuL . - - Nous disions que Claudel a'rait vécu une expérience sem- blable. De fait, avant ce qu'il a appelé sa "conversion défini- tive", dans "Tête d'or", écrit à l'âge de vingt et un ansr et dont il avouait: "Ce fut l'oeuvre de I'époque Ia plus tragique de ma vie" Q), iI mettait dans la bouche de cébès des accents aussi désespêrés que ceux du jeune Brel :

''SEUL JE },IEURS ! Car je ne sais qui je suis moi-même, et je fuis et m'échappe conrmeune source perdue ! Pourquoi donc dis-tu que tu mraimes ? Pourquoi mens-tu ? Car qui peut mraimer, Puisque je n'existe Pês, alors que je ne subsiste pas ? C'est I'indignation qu'il y a en moi ! (...) Seul je meurs ! et je suffoque et il y a quelque chose en moi qui n'est pas satisfait ! (3).

(1) Seul.

(2) paul Claudel, Lettre écrite en 1894, reproduite d,ans la présentation de "Tête d'or", Livre de Poche 2322'

(3) Paul Claudel, Tête d'or , 2e partie, Mercure de France, 1959, Livre de Poche 2322, P- 108. 269

"L'homme, d.ira Brel, est un animal parfaitement seul, tous les jours avec sa femme et c'est certain ! Qu,il vive '! ses enfants ou qutil vive sur une Île déserte, l'état de soli- tude morale reste le même' (1). La solitude engendre I'ennui, dont Ie thème revj-ent fréquemment chez notre poète (2). Maj-s ne nous y trompons Pas : lrennui brélien nta rien de commun avec cette impression fugi- tive d'abattement vite calmée par une occupation quelconque (bien que }a vie de Brel, dévorée par d.es tournées harassantes, ait pu donner cette impression) ; il ressemble, à s'y mépren- fre, au "tourment d.e I'âme causé par (...) 1a perte d'espéran- ce" (3). Une complainte inédite, dont nous détachons les deux dernières strophes, nous aidera à le comprend're :

(...) Pourtant iL nous reste à tàteP Pouttant iL nous reste à saooiY' Et tous ces Loups qu'iL faut tuer Tous ees printernps qu'iL reste à boire Désespér,anceou dësespoit IL nous neste à être ëtonnés Paæquoi faut4L que Les horwness'enrtuient ?

Pourtant iL nous reste à tnichet Etre Le pique et iouer coeu.? Etre La peur et reiouet Etre Le diabLe et iouer fLeu.z' Pouttarft iL nous neste à patientet' Bon an maL an on ne uit qu't*te heute Pou.rquoi faut-iL que Les honvness'enrutient(4)?

(1) Rapporté dans : "Brel", de Martin Monestier, Tchou, L978, p. 238. - (2) Cf. La haine - Colonel - Seul - Vivre debout On n'oublie - - rien - Le Moribond - Zangra Les Biches La Statue Les Toros.

(3) Littré Sens du L1e siècle-

(4) Pourquoi faut-i] que les hommes s'ennuient, Complainte du film "Un roi sans d,ivertissement", Inédit rapporté par Jean clouzet, J. Brel, Seghers, Poésj-e et chanSgns, L964, p. L82. 270

Dès lorsr orl admet sans Peine que Ia déception causée par I'amour (incapable de sortir I'homme de son ennuj- et de sa solitude) ait été si tragique Pour Brel. L'amour n'était-il pas' en fin de te, Ie lj-eu privilécié d'une demafr4e-ggi--1-e--4é- passait infiniment et qui n'a trouvé nulle réponse z "Pourquoi suis-je né ?" disait cébès. "car je meurs et voici que je n'existe plus (...) Donne-moi de Ia lumière ! - Donne-moi d.e Ia lumière ! Donne-moi de Ia lumière ! Donne-moi d.e Ia lumière ! car je veux voir" (I) Et Brel :

L'â,ge d'ov, ctest quartdion meurt Qu'on se eouche sous lon uentre Q,t'on se eache sous son uentre QUIONA LES YEUXENETN OUWRTS Mais qttton ne se regarde PLus qllt)N REGARDELA LUMIEREet ses rutages pertius L'âge d'or etest APRESLTENFER (...) On tedetsient petit enfant dednns Le uentre de La terre (2).

Il aura manqué au chanteur, nous semble-t-il, Itexpé- rience relicri-euse qui, seule, eût été capable de contenir Ia i.i demande d,'éternité qu'il faisait à 1'amour humain. Mais nous découvrj-rons. que sa vision de la foi fut totalement séparée de sa vision du monde. Nous terminerons ces réflexions sur le sens d'e I'amour, en laissant parler un auteur qui eût pu s'adresser à Brel en ces termes : "comment passe-t-on d,e l'amour à la haine d.éclarée ? Je vais vous le dire si vous ne le savez Pas... Je te hais de n'être pas cel1e que j'attendais, parce que je ne suis Pas ce- Iui que tu attendais. Crest dans Ie mystère d'un autre amour

(r) PauI CJ-audeI, Tête d'or, 2e partie, Mercure de France I 1-959, Livre de Poche 2322' PP. 101 et 102.

(2) L'âge idiot. 27L

que j'auraisPu t'accepter et que tu m'aurais accueilli. II mraurait fallu la part divine de Èoi, ce qui en toi était Ueji je du mond.e à venir. En vérité je ne pourrais t'aimer que si te voyais comme n'étant pas à moir guê si j'adhêrais à ce qui te fais exj-ster, mais je ne te veux que dans Ie temps, objet, passage, alors tu n'es plus qutune dans la multitude' connue' déjà vieiller uII exemplaire d'humanité, laide, haissable, tu me fais penser à la mort, je Veux vivre, €t I'amour par dessus---= toi s'échaçpe. un compllce, une Prostituée, tu nras été que cela parce que je n'ai su t'aimer gu'avec un fragment de moi- même (...) (1).

(I) Jean Sulj-van, "Car je t'aime, ô Eternitê", Gallimard, L966, pp. 237 et 238. CHAPITRE II

,,JE VOULATSPEENDRE UN TRATN ]UE JE N,AT JAMAISPRLS'|. 273

On a porté des jugements d.ivers et contrad,ictoires sur la vision religieuse d,e BreI. "Lrexlstence ou I'absence d'un au-delà est un problème qui (.. . ) ne Ie préoccupe Pas", écrit' Jean Clouzet (1)... mais, à la même époque, François Pierre parle d"'une si poi-gnante inquiétude religieuse" Q). "Brel n,engage pas son intelligence dans Ia recherche d.e lrabsolu", estime PoI Vand.ronrme (3) mais un d'es amj-s du chanteur' I,abbê Casy Rivière, auquel on demandait : "Que cherche-t-il ?-!'., répond.ait sans hésiter : "Dieu, bien sûr !' (4)' crest dire les difficultés auxquelles nous nous heur- que tons. Mais elles ne nous étonnent Pâs, d'une part Parce I'on est évidemment tenté d'infléchir des propos ou des textes que dans une d,irection déterminée (5), de I'autre parce Brel fut un être de contraste et que sa personnalité échappera tou- jours à nos essais d.e compréhension. Loin de nous déso]er, C€- pendantr cê fait nous réjouit, coflImeil eût réjoui BreI : ne prouve-t-il pâs, une fois de plusr gu€ chaque personne est au- I d,elà d,e toutes les limites dans Iesquelles nous voudrions I en- - fermer, et que saint-Exupéry Pour lequel notre chanteur avouait avoir une particulière préd'ilectj-on (6) avait raison, lorsqu'il faisait comprendre à son merveilleux Petit' Prince

(1) Jean Clouzet, Jacques BreI, I6e édition, Poésie et chan- sons, Seghers, 1975, P. 35.

(2) François Pj.erre' Jacques Brel, Editj-ons Foyer Notre-Dame, Bruxelles, 1966' P- 28-

(3) Pol Vandronrme, Jacques Brel, I'exi1 d.u Far West, Labor, Bruxelles, L977' P. 111.

(4) Propos recueillis par Claude Goure' Panorama aujourd.' hui' septembre 1976, P. 20-

(5) Nous ne prétend,ons Pas plus que drautres échapper à ce sub- jectivisme ! - f957- (5) "Conversation Jacques Brel Robert de Prez", Hiver 1958, Cahier ronéôtypé à Bruxelles en 1977 par les amis du chanteur. 274

que sa rose était unj-que au mOnde : "On ne voit bien qu'avec 1e coeur. Lressentiel esÈ invisible pour les yeux" (1). Ef- forçons-nous donc d'entrer, Pâr cette voie' sur la pointe des pied.s, dans la VIE SPIRITUELLE de Jacques Brel (2) .

(I) Antoine de saint Exupéry, Lê Petit Prince, Gallimard, Paris I L946' P. 72.

(2) Nous prenons I'expression "vj-e spirituelle" dans un Sens très large, englobant non seulemenÈ une recherche religieu- se ou métaphysique, mais également tout ce qui fait que I'homme esèaie de vivre à une certaine hauteur, de "vivre debout", selon Itexpression du chanteur. Lui-même emploie ce terrne (cf. Iettre inédite du 13 février 1956, p' Par ailleurs, si l,on excepte "Dites si ctétait vrai", "Les dames paÈronnesses" et "Les bigotes", Brel nta pas écrit de chânson exPressément religieuse. C'est pourquoi noÈre mêthode sera différente : il nous faudra glaner à travers toute I' oeuvre. PREMIERE PERIODE

r955-r959 ''L'ABBE BREL"

t'on a détmdt La BastiLLe Qtand iL faLLatt nous aimet-..t' 276

L,enthousiasme du jeune chanteur devant Ia vie, 1'amour, qui caractérise ce que nous appelions, ?près Jean Clouzet, sê "période roserr, sraccompagne, jusque dans sa façon de se pré- Senter au public, d'une expression reliqieuse qui nra pas été sans frapper ceux qui lront approché. Jacques Canetti, qui Ie fit débuter à Paris en f953, écrit : "I1 avaj.t adopté une cu-=-: rleuse tenue, une sorte de chasuble grise qui correspondait bien aux id.ées mystiques qui I'agitaient alors" (l), d'où Sans doute le Surnom dr "abbé Brel", auquel nous avons déjà fait allu- sion (2) et qui devait Ie suivre un certain temps. sa première oeuvre gravée en France, sur Ie sens de la- quelle nous ne reviendrons pasrpuisque nous I'avons analysée précédemment,utiIj.setoutun@héritéd'unetrad'i- - tj-on chrétienne : "Le Bon Dieu le démon éternité prier péché novice" (3). Déjà, €t ceci culminera dans la "Prière paîenne", Ies mots religieux servent à exprimer d'es réalj-tés humaines. Peut-être même y a-t-iI en germe Ia dichotomie cieL/ terre, gui eut pour conséquence quê sa croyance ne devint ja- mais, du moins aPparenrment, une Foi, crest-à-dire la rencontre de Quelqurun, Jésus-Christ mort et ressuscité, coeur et noeud du christianisme t de Ià cette espèce de démarche touchante, par laquelle il essaie de concilier, d'unifier, en ses débuts, 1e sacré et le Profane :

(1) Rapporté par Pierre Barlatier dans : Jacques Brel, Solar, 1978, p. 28.

(2) cf . p. r08.

(3) La haine. 277

Ntest4L pas urai lulanieque c'est chanter pottt' uous &te semer nos ehemins de sintpLe poésie N'est-LL pas urai Matie que c'est ehanter pot'& Dous I Q,rc uoir en chaque ehose une ehose ioLi,e I Que chnnter pour L enfant qui bientôt nous uiend.ra Ctest chufter pour LtEnfant qti xepose en uos bras N|est-dL pas orai Marie Ntest-il pas unai Marie (1).

LTATTITUDE DE PRIERE revient assez fréquemment à 1'é- , -\ poque et Brel Ia trouve naturelle. EIle semble faire partie de---. ses habitudes de vie (alors que plus tard il refusera tous les agenouj-llements) (2). 11 Ia mêle à I'élan qu'il ressent devant la beauté du mond.ergui se cache "derrière Ia saleÈé" :

IL nous faut éeouter L'oiseau au fond des bois Le rnnrmtre de L'été Le sartg qui nonte en soi Les bereeuses des mères Les prières des enfants Et Le bmtit de La terce &,ti s I endort doueement(3) .

11 la mêIe également à son id'éal aJnoureux- On se sou- vient que non seulement "les amants vont prier Notre Dame du bon temps" (41, mais encore qu'ils se Èrouvent comblés lors- qu'ils nront "que lramour à offrir en prière" (5). Brel va mê- me jusqu'à êcrire .

(r) Prière paienne.

(2') Cf . "Vj.vre debout".

(3) I1 nous faut regarder.

(4) Au printenPs.

(5) Quand on n'a que I'amour. 278

Que eoutsrir de tendresse nos paîennes qnou?e Ctest fleurir de prières chaqt'e rutit clnque iout (f ).

Lorsque surgj.ront les déceptions, f image s'infléchirâ VerS la tristesse et Itamoureux trompé évoquera "Ies cathédra- Ies où l'on prie pour les anours mortes" (2). Mais cette "prière" ne possèd.e aucune efficacité. E]le est un geste poétique, SanS plus. C'est en ce SenS qu'il con- vient de comprendre les virulents reproches adressés à la fem- -- me que I'on nraine PlusrParce qutelle a profanér êII la rendant banale, la valeur sacrée de I'amour :

Et toi tu pnis et toi tu pLeu.z'es Au Long des iours au Long des qns Ctest contnesi auee des fLeurs 0n ressoud,ait dan eontinents (3).

Toutes les IMAGESRELIGIEUSES qu'il utilise durant cet- te périod.e respirent encore l'émerve j-Ilement d'e I'enf ance, les carj.llons de Belgique, les Processions auxquelles il a sans doute participé, êt, comme il n'a pas encore trouvé un Style qui Iui soj.t ProPre, iI leur emprunte !'émotion qu'elles ont soulevée en luj.rPour ltaccorder aux émotions nouvelles qu'il ressent aIors. De telle sorte que non seulement le déplacement des valeurs du sacré vers Ie profane est sensible, cofiIme nous I'avons soulj-gné, à Èravers Ie vocabulaire utilisé par BreI ou à travers une attitud.e comme Ia prière, *u,i= qu'il s'opère au nj.veau d.u SENTIMENT. On voit, Par exemple'Ie jeune chanteur' animé par Ie besoin de Partager I'immense tendresse qui I'a toujours posséd,é, ut j-liser la comparaison de la Nativité :

(I) Prière paienne.

(2) Je ne sais Pas.

(3) La Haine. 279

Je prendrai Dans Les yeun dtun qni Ce qu'iL A a de plus chand et de pLus beau r Et de pLus tertdre anssi (...) Je pz,endtai Un Lit un grand Le mien Qui sait ce que c'est qutun honrne Et son chagrin lJn grard. Lit d'âtre futtnain

Je prerdrai tout eeLa Et puis ie bâtinai Je bâtirai et i'appeLLerai Les gens Qui passeront dqns La mte Et je Leut montrerai Ma erèehe de NoëL (I) .

Plus loin' pour changer Ia trj-stesse et la nuit des hommes en joie et en clarté, il fait retour au premier acte d.e la vie publique d.u Christ I

Je prerdrai Ce mtisseau eLain et fràLe dtautiL Qui disparatt a,r.æpremiers froids Qui dispataît tout L'hiuer Et eouLZ alors patatt-iL sur La table des Noees de Cana (2).

Ailleurs, il regrette les temps idylliques où la bonté origi-nelle des gens peuplait les trottoirs d'une "foule de pe- tj-ts Saint, I'lartin" (3). Mais, en même temps, iI est rempli d'es- poir pour ltavenir, 9uê l'amour illuminera, et il traduj-t cette vision dans un symbolisme révélateur de ce que nous disions plus haut :

v01,cL Q,t'un CIEL PENCEEses nuages Sur ees ehemins dtTtaLie Pout anouveun stl.s bagages (...) Des CL)CHESsonnant La îEIE Des fâtes pour q1/e L'on rie Des rires que rien n'aprâte (...)

(1) Je prendrai - Inédit.

(2) rbid. (3) 0u'avons-nous fait. 280

Des amours en R2BE BLANCHE Moitié fleur et moitié fruit Que rnus jaLousent Les AItrGES (...) Des promesses de SAINI JEAN Des Saint Jean qui dtnent La uie (1).

Le même processus se retrouve dans une oeuvre dont le rythme est totalement'différent : -- En riant toute La terre se changena en baisers qui paxLe- ront dtespoir Voùs ce MIRACLEcar ctest bien Le deznier &ti stoffre enco?e à nous sans auoir à L'appeLen Vois ee miz,aele qui deuait atY'iuen C'est La premièxe ehanee La seuLe de L'arvtée Q) .

11 faut enfin rappeler que lrAmour étant la valeur sa- crée par excellence, I'image du CieI exprj-me le bonheur amou- reux. on nous d'ira que ce symbolisme se retrguve chez tous les poètes ; i} nous semble cependant prendre un relief particulier çJrrezBrel : au mOment de mourir, Ie "ColOneI" a une visiOn ana- logue (3) à celles que nous rapportent les vies édifiantes de saints i ce qutil voit,r olf, croit voj.r (son amie) , entraine une attitùde "religieuse", puisqu'i-I meurt de Iramour, PâI I'amour, en ltamour, êt qu'i} entre ainsi "dans Ie ciel" (4). Mais de même guêr pour le chrétien, la vie éternelle est dêjà commencée icj--bas, de même, pour Ie militaire, le paradis est une conti- nuatj.on de ce qu'i} a vécu, c'est-à-dire : }a femme. A l'époque,

(I) Voici - Nous avons fait ressortir à dessein les mots-c}és.

(2) Au printemps.

(3) NOuS disOns bien "analggue"r et non "semblablê"r potlf marquer, une fois encore, le déplacement opéré à ce niveau'

(4) Le Colonel. 28L

pour Brel, e}le représente ]a "foi", Ie "bien", }e "ciel" et c|est à elle qu,i1 adresse des "litanies" (f). L'attitude du Colonel est en parfaite harmonie avec Ie distique célèbre, dans }a compréhension duquel nous pénétrons ainsi davantage :

La Luniène iaiLLira Et portera ton nPm (2) .

L'image de l'enfer - qui, dans Ia logique brélienne, tt*- fera Son entrée réelle qu'avec les déceptions causées par I'a- mour -, est explicitement évoquée dans Ia "bourrée du céliba- taire", d'une façon qui rejoint et prolonge ce que nous venons de dire : car il ne s'agit Pâs, Pour Ie jeune couple qui est au centre du récit, en mourant, de quitter Ia Èerre pour aller au cj.e} : celui-là est déjà présent par I'amour qui Ie comble 1 il s'agit d.e porter Ie "ciel" jusque dans l'enfer, Pour faire d.isparaitre ce dernier :

Et quitterons La teYre Les yeu.æpLeins Ltun de Ltqutte Pou^r,fLeurin tout L'enfer Du bonheuvqui est nôtYe (3).

Pas plus que Ie ciel brélien, I'enfer nrest au-delà du temps et d.e I'espace. 11 est cet'te partie du mond'e qui réjouit (5) qurelle "Le Diah1e" (4), venu, prêciSément, "Sur terre" t ParCe croupit dans la bêtise, dans I'avarice et dans Ia malhonnêteté' trois maux sur lesquels nous allons revenir et que Brel ne ces- sera, tout au long de son oeuvre, de d'énoncer d'e plus en plus violemment. Mais transformer le coeuf des hommes et qu'il existe une réd ton du bien à I'intérieur même du mal. crest I'objet d'e Ia chanson suivant immédiatement le di-scours du Diable 3

(1) Litanles Pour un retour.

(2) La lumière jaillira - Déjà cité, P. f34.

(3) La bourrée du célibataire - Déjà cité, P. 1r3. (4 ) Le Diable. (s) rbid. 282

Debnière Les yeun pLissës Et Les uisages mous Au-deLà de ces mains r }uuertes ou ferTnées Qui se tendent en uain Ou qui sont poing Leué PLus Loin que Les fnontières }ui sont de batbeLés PLus Loin que La misète (...) IL nous faui regarder -.i Ce qu'iL A a de beatt (1) .

"![pf}s[" est le moyen d'expression quf emploie le jeune Bruxellois, pour dire déjà une vision du mal qui le dé- range et deviendra plus tard insoutenable. Cette oeuvre nous paraît importanterpuj.squ'elle va nous Permettre de déboucher sur un certain nombre de questions reli-gieuses et de comPren- dre à quel point le SAIUT, même s'il nrest pas formulé dans ce terme, est LA question brélienne par excellence. Quand ce Sa- lut venu de Ia terre (I'amour) s'effondrera, le "délivrez-nous du mal" - que Brel chante à sa manière : "serait-il impossible d.e vivre debout ?" (21 n'aura pour réponse que les accents des "désespéréS" (3) ogr plus émOuvants encore, dans un avant dernier disque, ceux d'un guetteur du dêsert à lrâme don Qui- gu'iI es' chottesquer qui attend toujours cet "homme d.ans la cité" pérait en 1958 (4).

(f) 11 nous faut regarder.

(2) Vivre d,ebout.

(3) Les désespérés.

(4) Regarde bien Peti.t. 283

Analysons Les trois dénonciations opérêes par bouche du DiabIe.

I) La_Bêtise.

Elle fascine et inquiète Brel, au poj-nt qu'il lui con- sacre une chanson dans laquelle, reprenant Itair de la Calomnie'= du Barbier de Sévit1e, iI en donne une définition peu commune :

Mère des gens sans inquiëtude Mère de eeu.æq1/e Lton dit forts Mère des saintes habitudes Princesse des gens sans'remotds SaLut à toi Done Bêtise Toi dont Le règne est méeonnu (1) .

Mais cette fausse endormie contj-ent, en e11e un pouvoir explosif, car elle fleurit Ia vie :

De basses réuérenees De mesqtines enuies De nobLe intoLérance (2) .

Le premier couplet du "Diable" dénonce la sottise d.é- mOniaque des hommeS,lOrSqutils "Stamusent comme des fous" à faire oeuvre de mort et détruisent Sans cessêr pêx leurs guer- res,ce qu'iIs ont eu tant de mal à bâtir :

IL g a toqiours un Peu Pattout Des feztæ iLLuminant La tenre ça ua

(1) L'air de la BêÈise.

(2\ rbid. 284

ce genre de brasier remplit }e Diable de satj.sfaction :

Ca fait des monts sans confessùon Des eonfessions sans témission ça Da

une fois de plus, Brel utilise un langage religieux pour exprirner son indignation face à un "péché" que non seule- ment on nta pas le temps d'avouer, à cause de Ia mort violente --- qui surprend, mais 9ui, même si On parvenait à Ie "cgnfesser", serait impardonnable ! Dans ce distique on devine, sous jacente, une concep- tion d,u sacremen gue", est devenu I'essentiel et oùr Pâr conséquentt }a lettre a tué ltesprit. On pourrait traduire ainsi : "Si vous ne trou- vez pas le moyen d'avouer vos fautes à un Prêtre avant de mou- sans dou- rir, vous ne Pouvez qutaller en enfer !". II y a Ià' tê, un reflet de toute une éducation religieuse des collèges de I'époque (f) t mais n'est-ce pas encore de cette façon que beaucoup, même parmi les croyants, envisagent Ia mise en oeuvre de la foi ? L'aspect rituel du christianismer €It tout' cas, agace BreI et iI dénonce ailleurs cette pratique d,e la confession dans laquelle iI voit, sinon une institution hypocrite, du moins un instrument au service de l'hypocrj.sie des chrétiens gui, selon lui, calment leur conscience à Peu de frais :

C'est trop faeiLe d'entre? au'æëgLises De dëtserser toutes ses saLetés Eaee at eu,né qui dans La Lutniète grise Eerme Les yeu'r pour mieu-ærnus patdonner (2) '

(r) Nous reviendrons sur cetÈe question dans notre conclusj-on.

(2) Grand Jacques. 285

Dans son honnêteté, cependant, il ajoute aussitôt' avouant ainsi qu'iI ne possède qutune connaissance superficiel- le de ce dont il vient de Parler :

Tais-toi donc Grand Jaeqttes Que eonnais-tu du Bon Dieu tJn eantiqte une image Iu n'en eonnais nien de mietæ ( I ) . -=-z Il faut êgalement replacer nos citations dans Ie con- texte de la chanson, qui est une dénoncj-ation de I'hypocrisie, fille d,e ta bêtise,telle que BreI l'a définie. En ce sens' nous rejoignons. I'idée de "concept habillê", sur laquelle in- siste Jean Clouzet Q) - Maj-s il est symptomatique que ce soit I Ie mod.èle religieux qui ait surgi le premier dans I esprit d'u chanteur pour exprimer son indi-gnation' De plus, il nous fait un aveu précieux d,e son aPproche (" et de Sa connaissance d.e Dieu : "un Cantique' une image ') rien de mieux". PoI Vandromme parle dtune "espèce de religiosi- plus té" (3). A nos yeux, iI y a peut-être quelque chose de profond., car Brel semble très attiré r. à l'époque, PâE les va- leurs chrétiennes qu'il a rèncontrées à Ia "Franche Cordée" - (4). Sans vouloir anticiper, disons que I'idéa1 de fraternlté, d,'annour, de douceur ne nous paraÎt pas uniquement hérité de prouver conceptions humaines ; nous nous efforcerons de le d'ans notre synthèse, où nous ferons intervenir des témoignages iné- dits. En tout cas, }e héros brélien éprouve le besoi.n de "con- fesser" leS manques dramour des autres comme leS siens PrOpreSt dans une très belle chanson inti-tuIée "Pardons" :

(r ) rbid.

(2) Jean Clouzet, Jacgues BreI, I6e édition, Poésie et chansons' Seghers, L975, PP. 30-31.

(3) Po1 Vandromme, JaCques BreI, I'exil du Far West, Labor' Bruxelles, 1977, P- ltf.

(4) Mouvement fondé en 1940 Par un militant chrétien, Monsieur Hector Bruyndonckx, et sur ltinfluence duquel nous revien- drons 286

Pardon poLt! ce uisage qtttune LarTnea ehnrqé Pardpn polu ees maisons où qtteLqutun nptts attend (...) Pandon pouz ces haneaus qui ne ehantent ianais Pardon pou.z'Les eités où nuL ne se eonrtaît (...) Pardon dt être de ceu.æqui se foutent de tout Et de ne pas auoiz' ehaque iout essagé

l4ais, s'il Ie fait en dehors de toute référence à la foi, son amour rée} de }a vie et d'autrui lui inspire cette profond.e finale :

Et puis pardon encove et puis pat'don surtout De ne ionais saooir qui doit nous patdnnner

seize ans plus tard il emploiera, dans une interview' Ies mêmes termes : "I1 stagit de vivre sur Ia pointe des pieds, nous dérangeons à chaque mouvement, ntest-ce PâSr alors iI faut une infinie pudeur pour Se faire pardonner le mouvement que Iton commet" (1). Brel fut en effet extrêmement lucide sur ce que nous appellerons sa "vie spirituelle" (2) êt, loin d'avoir battu son "mea culpa" sur Ia poitrine du voisin, iI s'est toujours glissé à I'intérieur des chansons où il dénonçait une méchance- Lé, une laideur, comme s'il voulait Par là exorciser Ia peur d'une vie qui, faite de repos, serait déjà morte à ses yeux :

Penchant mon uisage an-dessus de L'ean Je oois mon image moi ie oois Ltidiot (3).

2L- 05.73, (1) Rad,ioscopie de Jacques Chancel avec Jacques BreL, Archives I.N.A.

(2) Cf . Iettre inédiÈe' P. 382.

(3) Les pieds dans Ie ruisseau' 287

Et "ltair de Ia Bêt,ise" se termi-ne ai-nsi :

SaLut à toi Dqne Bêtise Mais dis-Le noi eormnentfais-tt't (...) Pout qu'iL puisse mtarY'ilex De ctoisez' eertains soirs Ton regard fatniLier Au fond de mon miYoir

2) Lràvaricg.

Le second couplet du "Diab1e", sur lequel nous aurons moins à nous attarder, s'attaque à une autre forme de malt qui "fait des morts dr inanition" :

Rien ne se uend mais tout s'aehète L'honneur et mâmeLa sainteté ça ua

Î'out geste d'amour doit être gratuit. L'avarice engen- dre, elle aussi, I'hypocrisie spirituelle, crest pourquoi il faut également demander Pardon :

(.. . ) pou.r tous ces mots que Lton dit mots dtûnottr Et qte nous entpLoAonsen gwise de monrnie (l) '

QueIIe peut donc bien être cette "nîonnaie" Par laquelle on S'efforce d'acheter "même Ia sainteté" ? Celle que représen- tent, précisément, tous les gestes rj-tuels (y compris la confes- Brel sion) r lorsqu'ils sont utilisés pour marchander f infini' dressera plus tard une satj-re féroce de ce genre de supputation, lorsqu'iI peindra 1'acharnement indigne que met Ia dame d'oeu- (2) vres à "ne pas se laisser vOler Ses pauvresses" , ou CeS

(1) Pardons.

(2) Les dames Patronnesses. 288

(1) fausses dévotes qui "confondent lramour et I'eau bénite" t SanS Oublier I'aieule qui Va "stassurer Sur Ia mortrr, f, I'aide d,,,un petit coup de presbytère" et dt"un petit coup de remordé" (2) . On pourrait continuer Sur }a lancée bréIienne €t, nten- visageant que I'aspect Positif de sa dênonciation, rappeler qu,à une certaine êpoque On "Vendait" des indulgences, qu'ac- tuellement encore on risque, d.ans une théologie maI comPrise, -- de se braquer Sur la noti-on d.es "mérites par-Iesquels-on-ga- gne-Son-ciel", oubliant que le paradis chrétien, avant d'être objet de marchandager €St objet d''amourr guê lramour se donne gratui-tement et que tous les efforts du croyant ntont d'autre but que de se préparer à }a rencontre lumineuse drun Visage, conrme une épouse qui se Pare.: pollI celui qu'elle aime et qui vient (3). Dans une transposition des Béatitud.es, Brel dit admira- blement :

Heuneu.æqui sangLote de ioie Pou.z,s'âtre enfin D1NNED|AM)UR (4) '

3) La malhognQtetQ - log I' in;iustice)

Le dernier couPlet dénonce un mal engend'ré par la per- te de I'idéal, du sens des valeurs, et qui "fait rire les mal-

(I) Les bigotes.

(2) Grand-mère.

(3) Cf. Saint Jean, APocaIYPSe 2L (f s9), T.O.B. , Le Cerf' L972, p. 807.

(4) Heureux. 289

honnêtes gens

On traite Les bnaues de fous Et Les poètes de nigauds Mais dans Les iournau,æ de Partout Tous Les saLquds ont Leur Photo

Les hommes ont à ce poj-nt oublié tout ce qu'il y a de bOn en eux et danS les autres, que "Ieurs yeux sOnt devenu giris" et qu'ils commettent des injustices folles Pour éÈouft-er Ia vérité, cofiune s'ils s'amusaient à promouvoir Ie mal. Brel déve- loppe cette idée dans une allégorieroù I'on voit un roi faj.re pendre son "fou" trop lucide et décorer un comte malhonnête après avoir, lui aussi, "ri" durant "tout un jour'r (I). Nous disions que Ie "salut" était LA.ouestion bréliênne par excellence (2). Elle se Èose ici. En effet, face à un tel manque d.ramour, comment lthomme n'éprouveraj-t-il Pas le besoin de respirer à une certaj-ne hauteur ? A cette époquer oD peut percevoir troj-s essais drouverture dans les chansons de BreI : unsa1ut''.@'',auquel,d''ai1IeurS,iIneparvientpasà croire ; un salut modelé sur un idéal de fraternité humaj-ne, où 1'on discerne une sorte de douceur évangélj-que quril aban- donnera plus tard ; le salut Par excellence, enfin, I'amour (3).

A) LE sALqr BE!IqIEq4.

On pourrait Ie qualifier, pour la pêrj-ode que nous étu- d,ions, de tentat.ion brélienne. Le tout premier disque de Brel' un "78 tours", contient une valse musette intitulée "La

(r) Le fou du roi.

(2) cf. p. 282.

(3) sur lequel nous revienCrons très brièvement, puisquril a fait lrobjet de notre étude Précéd.ente. 290

foire" (I). Nous en extrayons quelques lignes, qui nous présen- tent I'aspect idéaliste du jeune poète et dans lesquelles on peut d.éceler une certaine recherche, un certain besoin de transcender la vie quotidienne et banale :

Et Lorsqt'on n'a pLus de sous Pour se faire tot'æneY La tête Stæ Les manèges a,æ cheuau'æ?ouæ Au son d'une rrusique bëte 0n rentre ehez soi Lentement Et tout en regatdmtt Les eieu'æ On se demand.esintpLement StiL nteæiste rien de mieun

A la même époque, Brel exprime son attente à travers I'irnage d'une jeune fille, dansant et chantant Pour réveiller le coeur des hommes "assoupis". Que symbolise cette apparj-ti-on fugitivervenue on ne sait d'où ? Le chanteur donne plusi-eurs clés d'interprétation et, dans ce méIange d'e sacré et de Pro- fane, On ne peut nier Irattirance qutil éprouve pour lridéal chrêti-en :

Ainsi eertains iou.rs Paratt une fLamne à nos geu'r A L'égLise où itaLLais On LtappeLait Le Bon Dieu L' onoureun L IappeLLe L' ænottt Le mendiant La eVnrité Le soLeiL LtappelLe Le iout Et Le braue honvneLa bonté (2)

uA 1,église où j'allais"'dit-iI. Brel' qui avait fait j-ques, toutes ses études dans des collèges cathol ne pratj-quait plus. Un de ses amj.s Se Souvj-ent "qu'iI ntallaJ-t pas à la mes- se Ie di.rnanche mais qu'il Iui arrivait d'y aIler en semaine'

(I) Valse que I'on a complètement oubliée, puisqu'enregistrée à Bruxèlles Ie L7 février 1958, elle n'a jamais étê "pres- sée', en Erance et quten Belgique même elIe est d.evenue Pra- tiquement introuvable.

(2) Sur Ia Place. Déjà cité en partie, p. 263. 29L

curê parce quril trouvait que "crétait tellement triste le reflète parfai- tout seul dans son êglise" (1). Cette réaction jamais supporter la tement Ie coeur tendre de Brel, qui ne put peine des autres SanS mettre à leur service toutes les ressour- dans ceux ces de sa générosité. on le reconnaÎt sans difficulté qu'il d.épeint ainsi :

I en a qui ont Le coeuY'si tendte Qtty reposent-qui Les mésætges I eit a ont Le coeut ttop tenâre Moitië hormneet moitïé ange (2) - cet- La suite du couplet re joint et précise I' i:nage d'e uà parlait te ,,flamme" qui parait nos yeux", dont il nous Pré- cédemment :

I en a qui ont Le coeuY si taste Qu'iLs sont touiouns en ûoAage I en a qti ont Le coeur troP uaste Pou.r se pritser de mitages Z'ont pL-ein de fleurs dans Les geus Les yeun à fleut de Peu.t De peut de manquer L'heure Qui eonl"uit à Paris (3) . et la comment mieux dire I'immense attente brélienne n'est gu'un faim de voyage et d'espace intérieursrdont Paris srinsère substitut nécessaire aux besoins du film dans lequel Ia chanson ? (4).

Barlatier (1) Témoignage de Monsieur Zwick rapporté par Pierre d.ans i .ràcques BreI, Solar, !978, P' 18'

(2) Les coeurs tendres.

(3) rbid.

(4) 11 s'agit d'u film : "Un idiot à Paris"' 292

quê- 11 faut un courage surhumaj.n pour entreprendre Ia ' te intérieure, qu'elle s'appelle "Le Bon Dieu, "' lramour" t plus à la charité le jour" ou "Ia bonté". 11 est facile I'homme de faire Ie sourd et I'aveugle :

Mais rpus ne ùouLons ianais Laisse? Luire sa LueuY Nous npus bouchons Les oreilLes Et nous nous uoiLons Les Yet'æ Nous ntaimons Point Les réueils De rntv,e eoeuv déià uieuæ ( 1) '

Cette sorte de "grâce" ne reviendra pas' Elle "sten assou- est a1lée", en laissant les humains dans la nuit d.e leur pissement :

Et eontneLe ehien hunLant La mort PLeurent Les honrnesLeur destinée (2) -

un poème récité semble montrer que Brel, comme chaque po- homme à un moment d.onnê d,e son histoi-re personnelle r s'est prétendons pas sé la question de I'existence de Dieu. Nous ne gu,il ltait fait avec une angoisse pascalj-enne, mais nous ne pouvons nier que le chanteur ait été touché Par ce problème. Même Si, plUS tard, 1l déclare avec son bon sourire : "Dieu, (3), j-ci nous ce sont les hommes, et un jour ils sauront" i1 interroge :

Dites, dites' si e'â,tait urai ? S'iL était otaiment né d BethLéem Darts unp ëtabLe ? (...) Si c'ëtait orai ee qutiLs ont éerit Lue, tr'lathieu et Les deux autnes ? (4)

(f) Sur la Place-

(21 rbid.

(3) Archives de I'o.R.T.F. (rapporté dans la soirée drhommage àlamémoiredeBrel-Ant.2-23octobre1978). ponctué' (4) Si c'était vrai. ce poème est exceptionnellement 293

MêIé à ce premier genre de questions on en t'rouve un autre, pour lequel BreI emploie un langage beaucoup plus fa- milier, celui par exemple qui concerne les miracles. un magi- di- cien de la TéIévisionr dont I'émissj-on a fait fureur, nous rait : "T1 Y a un truc" (1)

Si e'était urai Le coup des rnees de Cana Et Le coup de LazaYe ? (2).

Cepend.ant, à aucun moment n'est soulevée la question du mira- (3), du cle essentiel sans lequel 1a "foi est vaine" celui Christ mort et ressuscité (4). onrepèreenfinunderniertyped'interrogatioryqui reflète un asPect essentiel de 1'âme bréIj-enne, 1'Enfance, avec ses émerveillementsr sâ vision poétique du monde, celle pour laquelle un détail le mouton qui dort dans sa caisse par exemple (5) est plus j:nportant que les problènes les plus sérieux des grandes personnes. II y a d.u Petit Prince plus dans Jacques Brel, quand il s'arrête à un récit beaucoup de symbolique qu'historigu€r mais qui permet à son irnagination stévader "fort loin" :

Si Les rois mages étaient oenus de Loin De font Loin Pour Lui porter L'on, La myrthe, Lteneens Si etétait orai ? (6) .

gui a (r) It s'agit, de I'émission de Majax: "I1 y a qn truc", mobilisé chaque soir pendant àes mois' une foule de té}é- spectateurs devant leur petit écran'

(2\ Si c'était vrai.

(3) Saint Pau1, ler êpltre aux Corinthiens, 15(17), Bible de Jérusalem, Cerf , L956, P. L524 jugement (4) Notre : "cependant" n'exprSrne Pas un de valeur mais un jugèment de faitl une constatation par laquelle nous nous Ëiiotçons d,e montrer que ce nrest PaS-tant I'exis- qui semblè préoccuper B,rel-que celle tence de Jésus-ônrist - d'un certain idéal réndu possible à travers elle où les comme il le chante ô""" "sraineront par dessus les hommêS", dans "Ileureux".

(5) Cf . Le Petit Prince. (6) Si q'était vgêi. 294

C'est également par Ie biais de I'enfance et d'une irnage familiale, le mot "Père" entraÎnant tout naturellement dnez lui celui d'e "Mère" , qu'iI reprend la question soulevée dans "La Foire" :

Si e'était urai ce qu'iLs raeontent Les petits enfants Le soir aoant d'aLler dotnir ? Vous sauez bien, quand iLs disent "Notre Père'l 'tNotz'e Quætd ils disent Mèret' ( 1) .

La chute du poème étaie notre hypoÈhèse : le salut re- ligieux fut une questJ-on Pour Brel à un moment donné de sa que vie i on ne peut parler de cette manière de choses I'on n,a pas éprouvées soi-même. Mais ce salut n'a pas Ia lumière d'une évidence et, è regret, Ie poète va chercher désormais ai-Ileurs une sibilité de voir "s'iI nlçxiste rign--qe-mieux" qu'une existence à ras de terre :

Si ctétait urai tout ceLa ie dirais oui 0h sûrement ie dirais oui ! Paree que e'est teLLement beat tout eeLa fucrtd on croit... que e'est urai (21

Parti de cet aveu poignant, Brel aura Ie même type de réaction qu'en face de lramour qui ne tint pas ses Promesses, guoique d'une façon beaucoup plus atténuée, puisqu'il ne semble pas avoir accordé au salut religieux Ia même importance qu'au salut par I'amour de Ia femme. Cela se terminera en 1978rpar une oeuvre extrêmement pudique et passée pratiquement inaper- çue :

Toi- toi si ttétais Le Bon Dieu T'u ne serais pas économede eieL bLeu (. " ) Mais kt n'es pas Le Bon Dieu loi tu es bear'rcouPmieu'æ Tu es', un hormte ( 3 )

( r ) rbj-d. (2) rbid.

(3) Le Bon Dieu. 295

Entre tempsrBrel aura fait la d,écouverte de I'échec, donc de ta déception, du mal qui peut exister sur terre, eÈ celle du silence de Dieu, à travers 1'opacité de Ia souffran- demeuré ce qui brise I'espoj-r. Et nous comprendrons qutil est d'es dé- fidèIe, malgré les apParences' à ce royaume intêrieur parts, où Ie salut venu de Ithomme va progressivement remplacer Ie salut venu de Dieu.

B) LE--S.g!qT-PèN9-Lè-EEê!EENITE-ESUèINE .

,'L'homme est celui qui porte en soi plus grand que celui Iui" (f). L'acte de foi de Saint Exupéry est également les d.e Brel, €t la seconde ouverture gue nous décelons dans près à Ia chansons de cette époque s'apparente parfois de très pas mystique humaniste de Itauteur de "Cj-tadelle"' 11 nrest de reflet jusqutà "Lthomme dans Ia Cité" qui ne soj-t une sorte inhé- d.u seigneur Berbère, fondant son empire sur les valeurs rentes à Ia nature humaine. 11 est frappant de constater à quel point le salut "par conme lrhonune'r est calctué Sur I'archétvpe reliqieu>ç'même Si, crest probable, notre auteur nten est Pas absolument conscient' bonne nou- En effet, tel un prophète moderne, Brel proclame une velle à l' intéri. universel comblée. I1 s63ngs sa foi et son espérance en Iramour et attend une sorte d'e l'lessie. religieusê", "Si j'ai perdu le bénéfice de I'explication j'en les écrivait saint Exupéry, "il faut au moins que transpose (2) valeurs, car elles sont nécessaires et fertiles"

(1) Saint Exupéry, citadelle, L97e édition, Gallimard, 1948, p. 194.

(2) Carnets, Gallimard, 1953, P' 40' 296

a) La Bonne Nouvelle.

"Révej-Ilez-vous !u clamaient les prophètes. "Jten appe]Ie", chante Jacques Brel, qui veut réveiller les gens "aS- soupisu (1) Pour leur annoncer cette chose incroyable : Ie sa- lut est en eux.

J I en appelLe aun amottts que ehantent Les titsières (...) A La fraîeheuv eertaine dtun uieu.æpuits de dës-ert A LtétoiLe qutespère Le uieiL hontneqtti se pexd Pouz.que monbe de rnus et pLus-uouLoir font qu'un désir ne déàir incroyffi se eonstruire (2)'

Nous pouvons supposer que I'image de 1'étoile et ceIle du vieux puits de désert ne sont pas sans racines exupériennes pour Brel, qui avait monté "Le Petit Prince" à ]a "Franche Cor- dée". Qrg*H'if en soit, il'entreprend une démarChe analogue à celle de Itenfant aux cheveux d'or, qui cherchait des amis dans toutes les planètes qu'il visitaiÇ pour leur apprendre que nous mourons d.e soif auprès des Sources et qu'iI suffit drouvrir les yeux du coeur pour humaniser le désert dans le- quel nous vivons. Car cette bont'é, que nous avons "enfouie dix pieds SouS terre", et cet amour, que ngus avons "vendu pour fai- re la guerre" (3), représentent des valeurs qui ne sont pas mortesrmais seulement endormies. "Tu entends", disait Ie PetiÈ Prince, "nous réveillons ce puits et iI chante" (4). Et Brel affirme :

(1) Sur Ia Place.

(2) Jren appelle. Nous soulignons à dessein les mots clés.

(3) Qu'avons-nous fait.

(4) Saint ExupérY, Le Peti-t Prince, Gallimard, 1946, P. 80. 297

Mais nous retrouoenons bonnes gens croAez-moi Toutes ees ioies profondes on Les retrouùelgit æt fond de soi qle ça On Les rettouuerait sous La poussière Qte ça ne m'étonnerait Pas (L) .

b) Les vertus théologales.

"ïI n'est pas indifférent", écrit pertj'nemment Luc Estang, guê I'homme "soit fondê dans ltEternel ou qu'il tâche de fonder en soi I'éternité d.ont il a le goût (...) N'empêche que I'humanisme théiste et I'humanisme athée répondent à un même appel, où que s'en situe I'origine. Thêologales d''un cô- Eê, naturelles de I'autre, les trois vertus de foi, d'espéran- ce et de charitê (celle-ci profanât-elle son nom) les animent" (2) . ces vertus sont inséparables. En effet' pour aimer vraimenÈ, il faut avoir foi en I'objet d''amour et espérer, à partir de lui, de nouvelles découvertes :

StiL te faut L'aLt?ore poun eroine a) Lenâ.emain Et des Lend.emainspour pouuoir espérer Retrouuer L'espoit qui tta glissé des mains Retrouuer La main que ta main a quittée ALors (...) Tu n'as rien contptis (3) .

(1) Qu'avons-nous fait.

(2) Luc Estang, Saint Exupéry, Collection "Ecrivaj-ns d'e tou- jours", Seuil , L978r PP- 9L-92.

(3) S'iI te faut. 298

BreI insiste sur les méfaits de la foj- sans amour, 9ui engendre fanatisme ou vlolence et fait retonber Ithomme sous (I) la domination de }a Bêtise, mère "de noble intolérance'r :

Mon ani qui erois que tout doit chætgez' Te erois)kt Le droit de tten aLLer tuer Les Bo,rgeois Si tu eroïs encove qu'iL nous faut deseerdre Dqts Le creuæ des taes paæ monter au poutsoit Si tu crois encore au râue du Gtard. Soir Et que nos ennemis iL faut aLler Les perldze Dis-Le toi désornais MêmestiL est sincèz'e Aueun rà:e iunais Ne mërite unp gaer?e (2).

Nous avons cj.té ce long extraiq Parce quril comporte un triple intérêt par raPPort à notre recherche. horreur- Io) 11 nous Prouve 9uê, tout jeune, BreI a déià particulier. Le de Ia violence en général et de Ia erre en changement. qu'il espère ne Passe pas par cette forme d'action. Sans doute connaÎt-il les réflexions de ltauteur de "Pilote de qu'el1e guerre" : "Ltaventure repose sur la richesse des liens établit, des problèmes qu'elle pose' des créations qu'elle Pro- voque (...) La guerre n'est Pas une aventure. La guerre est une maladj-e. Comme le tYPhus" (3) .

2") II semble démontrer encore que "1'aventure" brêIien- - ne ne se situe Pas ae que. Si Brel fut toute sa vie profondément heurté Par l'injus- tice, iI n,a apparemment jamais envisagé qu'elle puisse être t il a consacré une de réd.uite Par une action de ce genre ; et s que ce Ses dernières oeuvres à Jaurès (4) , nous Pouvons Penser

(f) L'air de Ia bêtise.

(2) La eaétille.

(3) Saint ExuPérY, Pilote de guerre, Gallimard, 1942, P. 76.

(4) Jaurès. 299

au fut parce guê, attj-ré Par une certaine générosité sociale sens le plus large et Ie plus idéaliste du terme, la figure d'ire ses attachante de ce pacifiste lui serviÈ de support Pour propres sentiments face à la misère humaine'

3") 11 permet enfin de COmprend,re ce que nous voulions signifier, lorsqu êvan- ternité humaine semblait modelé sur une sorte de douceur pour qéIique. 11 y â, en effet, dans I'Evangile, une béatitude qui d'eviennent ceux qui sont assoiffés de justice et Pour ceux qu' j-l faut des artisans de palx (I). Brel va jusqu'à oser dj're vivre :

En se dësirartt faibLe et PLutôt qu'orgueiLLeu-æ En se désiv'ant Lâche pLutôt que monstrueuÆ(2).

Cette attitude est aux antipodes de la facilité. EIle sur lui- suppose même une certaine vj-olencer guê I'homme exerce même :

Ltauenit ne ueut ni feu ni sang ni guerre Ne sois pas de ceun-|'à qui uont rnus Les donner L' auenir dépend.des réuoLutionnaite s Mais se moquebien des petits réuoLtés (3) ' : 11 s' agit, bien évi-d.emment, de la rêvolution du coeur

0n a dëtmrit La BastiLLe Qtand iL fallait nous aimet (4) ' yeux Brel Lr idéal d'amour nrest pas une utopie aux de joie,où Ia et son espérance éc1ate d.ans une sorte d''hymne à la

(6 Le (1) Cf. Evangile selon Saint Mathieu' 5 et 9) , T.O.B. ' Cerf, L972, P. 53.

(2) J'en aPPeIle.

(3) La Bastille.

(4) rbid. 300

fraternité joue en quelque sorte Ie rôle de Ia grâce en théo- Iogie et s'avère capable de changer la haine en anour, abolis- sant ainsi Ia solitud'e humaine :

VOLCL Ces fletæs poussant en PagaiLLe Entte nous et L'enrtemi Pour entpêeher La batailLe (...) Qu'au catrefour des anitiés La douLeur s'ëuanouit Broyée par nos mains serrées (l-')' pé- II est enfin j-ntéressant de noter que si, dans les riodes suivantes, Brel a considéré 1'Eglise et ses ministres de beaucoup plus conrme une force de mort que coxrme un Pouvoir ,'voicj.", vie, dans il associe à son espérance le travail de ceux que 1'on appelait alors les "prêtres ouvriers" :

En rns fauboungs déLaués Des pr'âtres en Litæùes Sont detserwsouuriers (2) .

c) Le Messie-

"L'homme d.ans la Cité" : le titre de cette oeuvre "mes- sianique" nous rappelle déjà "Cj.tadelle", et il est vrai 9u€r dans un cas C6mmedanS I'autre' nous soÎImes en présence dtun Chef Survenu ici, attendu Ià qui va construire son empire sur les valeurs humaines. Support slmbolique de I'être nouveau' je iI introduit ses sujets dans Ia religion de I'Homme' "Car quril demeu- suis celui qui bâtit 1'urne autour du parfum Pour re" (3) :

(r) Voici.

(2) rbid.

(3) Saint ExuPérY, Citadelle, l97e édition, Gallimard, 1948' P. 24. 30r

Pouruu que rlous uierme un hotmte Attæportes de La Cité ùte Ltamot,æsoit son YoAaume Et L'espotr son int:ité (L).

"r1 m'est apparu, disait encore Ie Grand Caid, 9uê I'homme éÈait tout semblable à Ia citadelle. 11 renverse les murs pour s'assurer Ia tiberté : mais iI n'est plus que forte- jeune resse démantelée" Q). Conscient de cette vérité, Ie BreI intensifie son esPoir :

Pottrou que rnus oierme un hOtrtne Aun portes de La eité Atsqft que Les autres honmtes Qui uiuent dans La citë HwniLiës d' espoirs meu-Y'tris Et Louvds de Leuts eoLèYes ftoides Ne dv,essent au creuÆ des nuits De npuueLLesbarrieades (3).

L'Homme brélien est cependant plus nuancé que I'Homme que exupérien. cela nous parait provenir non seulement du fait I'influence du Petit Prince tempère, c:nez lui, I'intransigean- pas) : ce du Grand Caid. (encore que les deux ne S'excluent

Et qte Les rires dtenfants ?ui Lui tintent dcns La tâte Ltëclahoussent de refT>ets de fëte (4) .

mais aussi de ce qu'une fois de plus, le jeune chanteur utj'Iise des comparaisons où I' irnage de la personnalité humai-ne de Jêsus nrest pas absente :

(1) L'homme dans Ia Cité.

(2\ Saint Exupéry, Citad'e1le, oP. cit', p' 25'

(3) L'homme dans Ia Cit'é-

(4) rbid. g.u. riETz 302

Pouv"ttuErc rlous uienne un honme (... ) Et qui ne soit pas un bawne I4ais une foree une eLarté Et que sa eoLèz'esoit iuste Jeune et beLle coïtmeLtorage Qu'iL ne soit ianais ni uietæ ni sage Et qu'ùL rechasse du tentpLe Lt écriuain sans opinion Marehand de rien manehartddt ëmotions ( f ) .

On ne peut non plus s'empêcher de respirer un certain parfum évangélique dans la strophe suivante (2) :

Que son negatd soit un psql'one Eait de soLeiLs éeLatés qu'iL ne stagerauiLLe pas Deoant tout L'or d'un seigneur Mais pæfois pout eueiLLir une fLeun Et qt'ïL chasse de La main A jonais et pottt touiours Les soLutions qti seraient stls ûnou.?

Brel nten f inira plus, désormais, de scruter I'horj-zon pour guetter ce qui lui rendra Ie Royaume d.e lrEnfance et de lrinnocence. Dix ans plus tard, il reprendra la même image sYmbolique :

Regarde bien petit regarde bien Sur La pLaine Là-bas A ltaztteut des roseau.æ Entre eieL et mouLin I a un hormnequi uient Qte ie ne eonnais pas (3).

(1) Ibid. Nous nous devons de citer de larges extraits de cet- te oeuvre imPortante.

(2) Pour d.issiper toute équivoque, répétons que nous ne préten- dons pas annexer BreI à une foi religieuse quelconque : mais, frappée par le fait que f idéalisme chrétien semble avoj-r influencé 1'expression et Ia vision brélienne de cer- taineS Oeuvres de Ia "périOde rOSe", nOuS nOuS permettOnS de le signaler.

(3) Regard.e bien pet.it. 303

Entre temps, tous ses héros incarneront I' Attent,e. Par f intermédiaire de "Zangfra", de Grand-père, de I'amoureux de "Madelei-ne" et de tant drautres (I), ils espèreront la gloire, I'aventure ou la tendresse' substituts d'une Quête in- finiment plus profonde représentée par Ie mythe de la Toison drOr :

Vous Les unais CharLemagneoous Les fau-æCharles Quint En ehereltant La ouissanee oous ne eherehâ,tes rien Que Les refLets ffison dtor

Et uous p?eu.æehetsaLiers assoiffës de gnandeurs (.. . ) Cherehant La oictoiTe uous ne eherehâtes z'ùen hue Le panaehffiloison dtor

Diseoureurs de L'anout pour des cieuæ andnlous En écoutant uos nwses ntauez rien ehartté dtatftre Qte Le uieu.ærâue de La Toison d'1r (2).

Brel termine ce long poème inédit sur une cIé de lec- ture à laquelle on n'a guère' jusqu'ici, prêté attentj-on i on y retrouve 1'attitude de "1'Homme dans la Cité" chassant les "Vendeurs du Temple" :

Et uous gens de jadis dtauiouxd'fud de demain Vous baLatJeuvsdtidoLes de dieun de maLins Cherehant La uérité uous ne recherehez rien Que La eLartëffia Toison dtor ( 3 ) .

Plus tard., ironi-sant sur son passé d'idéaliste (mais Èout le monde saJ.t que I'ironie nrest gue la politesse du dé- sespoir), Brel reconnaÎtra que, même si la réalité a sapé ses rêves les plus purs, 1a nostalgie de son Désir ne cesse de le tourmenter :

(I) Cf. Zangra - Grand'mère - Madeleine.

(2) La Toison d'Or - Complainte pour Ia pièce de Corneille "Ia Toison d'Or". Inédit. Nous soulignons Ies mots clés.

(3) rbid. 304

Ivlâmesi toujou.rs trop bonne pomme Je m'erèoe Le eoeur et L tptr esprit A oouLoir eonsoLen Les hormnes Je sais quand mâmeque ehaque nuit J'entend.vai dæts mon paxadis Les Anges Les Saints et Lueifer Me ehanter ma ehanson d'naguère CeLLedu ternps où itn'app'Lais Jacky

Etre une heute une heute seuLement Etre une heute une heure queLquefois Etre une hetpe rien qu'une hanre dtæartt Bean beau et con à. La fois / (1).

"En attendant ce jour, disait Zangta, je m'ennuie quel- quefois" (2). Heureux ennui, gui empêche lrhomme de vieillir dans de fausses certitudes et de ne plus rien espérer ! Lre Grand Caid. trouvait i-nfiniment triste cette immobilité de 1râ- me : "Vois, dit mon père. 11 ne peut même plus bâiller. 11 a renoncé jusqu'à I'ennui qui- est attente des hommes" (3).

C) LE SALUT PAR LIAMOUR DE LA FEMME.

Nous avons suffisamment développé ce thème pour ne Pas y revenir. Néanmoins, il serait bon d.'opérer, chacun à notre niveau, une relecture des textes d'amour bréliens à la lumière de ce gue nous venons de préciser. Tous portent la même espé- rance :

La Lwnière jaiLLina Qu'ëtentel uoyaqeut Iûon eoeur en uain eherelta Et oui était en tnon coeu.?

(1) Jacky.

(2) Zangra.

(3) Saint Exupéry, Citadelle, L97e édition' Gallimard', L948 ' p. 105. 30s

La Lwvière jaiLLina Reer,rLantLthorizon La Lwnière jaiLLira Et portera ton nom (1).

Un jour, l'amour humain ne sera plus, Pour le héros bréIien, qutun "colIier" pour tromper 1"'ennui" (2) et qutune recherche décevante :

De paasages en paasages de uisages en uisages (3)

"Autre chose, d.isait de façon similaire le Grand Caid, est d.e réussir I'ascension de la montagne ou, porté en litiè- xêt de rechercher de paysage en paysage !a perfection. Car à peine as-tu mesuré les contours de la plaine bleue que tu y trouves déjà I'ennui et pries tes guides de te porter ailleurs (. . . ) . Je me suis hât,é parmi 1es femmes conme dans un voyage sans but. J'ai pej-né auprès d'elles (...) à }a recherche de I'oasis quj- n'est point de I'amour mais au-delà" (4).

Pourtant Les hôtesses sont douces Au"x a,tberges bondées de neige Pounquoi faut-iL que Les horwness'ennuient ? (5).

(r) La lumière jaillira. Déjà cj.té, p. I34.

(2) On n'oub1j.e rien.

(3) rbid.

(4) Saj.nt Exupéry, Citadelle, op. cit., PP- 487 et 489.

(5) Brel : Pourquoi faut-il que les hommes srennuient. Inéd,it. 306

Nous mettons à part la joyeuse fantaisie de "$!g! g@',, dans laquelle le "bon saint", amoureux fou drune étoi- pense à Ie, effeuille',Iraile des anges" pour voir si elle au servj-- lui : le vocabulaire religieux devient un g@ire une ce de la description d'une passion de "collégien"' Toute d'e- imagerie, parente des d,éIicieux dessins de Peynet, défile vanÈ ngusr êt ltOn vOit ainsi Ie "Bon Dieu" aider }e malheu- au reux saint à la longue barbe et à I'auréole défraîchie 9ui, trouvé : retour de son 1on9 voyage dans 1a voie lactée, avait

Ses copains autéoLës Qti crùaient qui PLewaient Tout en se moquarlt de Lui EffeuiLLons Ltaile d'un ange (...) Pottt poir si eLLe ttaimera (L) -

Dieu transformera les anges peu charitables et "déplu- I'enfer" mêS,,par les amours du bon Saint Pierre en "démons de

Ceu.æqui eYient eeuæqui PLeurent Dqns un eoin de uotre esPrit

Brel s'amuse conrmeun petit fou et l'on retrouve, dans peut cette comédie en miniature, la verve et I'entraj-n d'e "I1 pleuvoir".

(f) Saint Pierre. DEUXIEME PERIODE

r959-L967

LA CHUTE DIICARX

ttIL est bxisé Le eri Des heures et des oiseauæ Des enfants à ee?ceauæ n Et du noir et du gris.. . 308

cette longue périod.e, 9ui s'ouvre et se termine par (1959) deux oeuvres aux titres significatifs : "seul" , "Les pour le désespérés" (1966), est une épogue de mutation brutale héros brélien. En effet, Ia chute de I'idéal amoureux va de pair avec Ia d,écouverte de Ia mort et la perte de l'espérance dans ce que nous avons appelé "le Salut" ' ',Nous ne demandons pas à être éternels, écrivait Saint Exupéry, mais à ne pas voir les actes et Ies choses tout à coup perd.re leur sens. Le vide qui nous entoure se montre : alors" (1). C'est précisément ce que semble éprouver Brel

Pourquoi Ltheure que uoilà tù finit notre enfance tù finit notre ehance Où notre train s'en ua (2).

La chute d'Icare a commencé. Quelque chose semble ma1 fonctionner dans Ia machine humaine. Lrhomme voit son élan bri- (3) sé par d.es forces qui le d,épassent. 11 Se "retrouve seul" ' "chassé du Paradis" (4). je "pourguoi ? (...) Moi aussi, vous interrogerai" osait dire à Dieu un héros de claudel (5). Désormais, beaucoup jalonner les chan- de "pourquoi", explicites Ou implicites, vont sons de Brel. Mais, contrairement à Mesa, iI ne trouve aucune rêponse satisfaisante.

(r) saint Exupéry, vol de Nuit, Gallirnard, I93I ' P- I49.

(2) La Colombe.

(3) Seul.

(4) Les prénoms d.e Paris-

(5) Claudel, Partage de midi, Acte III, Cantique de Mesa, Livre de Poche no r5o8 ' 1965r PP. 158 et r59. 309

Lramour nrest qu'un mirage :

VoiLà que Lton se eaehe Dans elta,que amoltr naissant Qui nous dit après L'atftre Je suis La eertitude (L) .

L'Eqlise apparaÎt de plus en plus comme une force de mort ayant desséché les valeurs d.u chrj-stj-anisme :

Auant eræ iL n'y auait pas de probLème Quand poussaient Les bananes mùne penÀ.artt Le Carâme Mais iLs sont avrioés batdés dtintoLéranees (2) .

Et, surtout, l'homme ne peut trouver en 1ui de quoi bâtir une Citadelle libre et heureuse. 11 porte en sa nature une impuissancer une sorte de faiblesse, de tare originelle :

VoiLà qtt t on s' agenouiLLe Dtâtre à moitié tombé Sous L'ineroyahle poids De nos eroiæ iLLusoires (3).

11 découvre que le mal n'est pas seulement dans les institut,ions, qu'eIles soient polj.tiques' morales ou religieu- S€sr mais en lui. Dtoù ce constat d'échec :

IL est trop tard (...) On ne peut pLus gagne? A tous ces rendez-ooug &te nous cuona man4uës (4) .

"Je ne serai pas héros"r dit amèrenrent un Personnage bréIj-en (5). Et Brel a peur de vivre, malgré lui :

(r) Vivre debout.

(2) Les singes. (3) Vivre debout.

(4) rbid. (5) Zangxa. 310

Le eoeut a't Tepos Les yeun bien su.r terve ( f ) .

"Je sais qutil nty a plus d'un côté les bons et de I'autre les méchants" confie-t-il à Jean Clouzet (2), ce qui sous-entend que chacun de nous porte en lui-même le ciel et I'enfer. Quand on rêve dtune sorte dtétat paradisiaque, disons- le, d'une nature sans péché originel, êt qu'on a perdu d'e vue le sens du Salut, on est irrémédiablement voué à Ia solitude intérieure. Brel a très bien défini cet état : "Je ne suis pas du tout solitaire- Maj-s je me sens par- faitement seul. Ouj., Personne ne répondra jamais à mes ques- tj-ons. Je crois que pour avoir une réponse à ces questions et ne pas être seul, il faut être ou marxiste ou croyant. Ne pas être seu1, crest Sren remettre à ltautorité de quelque chose. Un Communiste Sren remet au marxisme et un Croyant Sren remeÈ à Dieu" (3) .

"J'ai vécu, disait Mésa, d.ans une telle solj-tude entre les hommes ! (...) Je suis parti, il me faut revenir à la même Place. Tout a été en vain. It n'y a rien de fait. J'avais en mol- La force d'un grand. espoi-r t I1 nrest plus. J'ai été trouvé manquant. Jrai perdu mon sens et mon propos (4).

Seulement Mêsa "S'en remet à Dieu" r Pour reprendre les mots de Brelr cê qui brise sa solitude. L'amour trahi devient pour lui chemin vers la source de lrAmour et vers "la transfi- guratj-on de Mldi" (5). "Grand Jacques", peut-être Parce que

( 1) Les Bourgeo j-s .

(2) Jean Clouzet, Jacques Brel, I6e édition, Poêsie et Chansons, Seghers , L975' P. 49.

(3) Rapporté dans : "Bre1", de Martin Monestier, Tchou, 1978 ' p. 89.

(4) Claudel, Partage de Mj.di, Acte I' oP. cit-, PP. 55 et 56.

(5) Ibj.d., Acte III, p. f83. 31r

"c'est trop facile" (f) à ses yeux, n'emprunte pas cette rou- te:

VoiLà qut on s' agenouiLLe ALors que notz'e esPoit Se réduit à prier (2) .

Beaucoup plus tardr êD L973, il tj-endra ces proPos : "Les gens finissent par se faire absorber par une femme et Par deux maîtresses (...), à croire à f immortalité de I'âme, êt je ne veux pas faj-re cela, je préfère continuer à être en mar- che" (3). Or sa seule manière de "vivre debout" consiste à fai- re partager à un public de PIus en plus attentif ce quril res- j'en sent: ,'si jtai décid,é d'aller sur scène, crest parce que avaj-s tellement assez d'être seul ! c'est un peu ma "grand- messe" à moi" (4). sorte d"'officiant qui a pour chapelle un music halI" (ainsi Ie définj-ssait-on après sa grande Première à 1'Olympia' en 1964) (5), Brel va dêsormais utiliser la scène conunecathar- sis. Dénonçant, dans un style de plus en plus incisj-f, les ins- titutions "bourgeoises" (famille-école-armée-religion)' il Sro- - blige à une sorte d'ascèse épuisante ne se produira-t-il Pas - jusqu'à trois cent soixante dix fois Par an ! qui lui donne le sentiment exaltant de s'être dépassé, d'avoir vaincu I'as- phyxie spirituelle, de ne pas devenj-r semblable au héros re- croquevillé qu'il dênonce :

(r) Grand Jacques.

(2\ Vivre debout.

(3) Radj-oscopie de Jacques'Chancel avec Jacques Brel, 2L.05.73' Archives I.N.A.

(4) Rapporté dans : Brel, de Martin Monestier, op. cit., P. 89.

(5) Paris jour, Article signé Jacques Chancel, reproduit au verso du disque Barclay 80 243. 312

fui fait ses P'tites affaires Auec son p'tit ehaPeau Auee son pttit manteau ADeesa pttite auto ùui aimerait bien auoit Ltait Ifuaisqu'a pas L'air du tout (L) -

, A Jean clouzetrqui lui faisait remarguer qu'il n'arri- veraj-t jamaj-s à abandonner Ia scèner BreI avait alors vivement je répondu : "Je vous jure que j'arrêterai Ie jour où I'aurai pas. décidé (...) i I'acte de chanter ne me manquera absolument Ce que je ri.sque de regretter, PêI contre, crest Ie mouvement que cela apporte dans ma vie" (2). 11 tiendra parole' A La fin de l'époque dont nous parlonsr €II 1966r âu sommet de la réussi- tê, à Ia stupéfaction générale, il a Ie courage et l'éIégance d'abandonner d.êfinitivement le tour de chant (3) : "Les animaux Sentent I'orage, les hommes aussi. Jtallais devenir un ind'us- triel du show-business. Je suis redevenu nomade" (4) je avant "Lrhomme libre est nomade. Alors choisis la liberté qu'il ne soit trop tard" (5) . Il ne veut pas rejoindre le trou- peau d.es singes civilj-sés qu'il avait attaqués :

Aoant ettn ansant Les anLs PeLés La fLeur L'oïseau et nous étions en Liberté Mais iLs sont atriués et La fLeur est en pot Et Ltoiseau est en cage et nous en numéro (6)'

(r) Ces gens-là.

(2) Jean Clouzet, oP. cit., PP. 53 et 54'

(3) Adieux à I'Olympia le ler novembre L966. 11 honorera cepen- dant ses contiats à I'étranger jusqu'à Pâques 1967.

(4) Rapporté par Pierre Barlatj-er d.ans : Jacques Brel, Solar, 1978, p. 48.

(s) Rapporté dans : BreI, de Martin Monestier, op' cj-t' ' p' 112'

(6) Les singes. 3r3

pour srar- "un homme, dit-iI encorer cê nrest pas fai-t ("') rêter, crest fait pour continuer et mourir en mouvement Le malheur vient toujours de I'immobilité" (1) ' NouS avions besoin de ce contexte pour situer et mieux comprendre I'évolution de Brel par rapport à la religion.

si, comme auparavant, 1e vOCABULAIRERELIGTEUX utilisé par Brel exprime des réalités humaines, iI apparaÎt davantage chargé de densité dramatique que dans ses premières oeuvres' Les images lumineuses o4t fait place à des i I I ESPRIT DU MAL intervj-ent beaucoup plus l'espri.t du Bien. Ainsi "res diamants que re d'iabre caresse" symbolisent I'ultime désir ,ile I'homme, voulant à n'irnporte quel prix possé- i-n- der "un peu de tendresse" (2) ; lorsqu'iI est amoureux, il bré- vgque "Satan" (3), et "Lucifer" vient tOurmenter le héros lien en mal de son enfance (4). Brel insiste sur ce qui n'était qu'un fugitif Pressen- â lrin- timent dans "Ia bourrée du célibataire" : L'ENFER est térieur même de'I'homme t il participe de 1a temporalité' et son lj.eu privilégiê est Iramour humain. ce dernier est d'evenu aux yeux du chanteur' comme nous le disions précédemmentt une force d.émoniaque ; chaque fois qutun être S'y lj-vre, il "re- tourne en enfer" (5). Le héros du "tango funèbre" ricane à la pensée guêr tandis qu'il va "s' j-nstaller bien triste bien au froid" dans la tOmber son infidèle épouse va "entrer en Son

(r) Radioscopie de Jacques chancel avec Jacques Brel, 2L.05.73' Archives I.N.A.

(2\ La tendresse.

(3) La statue.

(4) Jacky.

(5) Mathilde. 3r4

enfer', par I'intermédiaire du "quelconque", éIu de son coeur. Dès lors,la mort devient douce. Le moribond part "aux fleurs la paj.x dans I'âme" (f ) et les désespérés terminent leur route sans regret :

Et en dessous du Pont Lteau est, douee et Profonde Voici La bonne hôtesse Voici La fin du monde(2) . . ' chanson : : Brel s'implique djailleurs dans cette sombre

Et ie sais LetP chemin Potæ L'auoix eheminé Déià PLus de eent fois Cent fois PLus qu'à moitië (3)

C'est d,ans "ltâge idi-ot" que sa vision pessimiste trou- ve son aboutissement u1t'ime, à ce Point où, comme d.ans de nom- breuses traditions, Ie retour à Irêtat embryonnaire sYmboli se I'accès à LIETAT EDENIQUE :

Ltâge dtor etest aPrès Ltenfer (...) on redeuient petit enfant dedans Le uentre de La terre(A)

La nostalgie d,e cet état se trad,uit dans la façon dont il évoque les grandes fêtes religieuses ' NOEL d,evient Ia clarté d'' un monde perdu : ',Madeleine c'est mon Noël" (5), dit le héros brélien qui continue à 1'attendrertouÈ en sachant qu'elle ne viendra

(r) Le moribond. (2) Les désespérés.

(3) rbid.

(4) L'â9e idiot. Déjà cité, P. 270- (s)l'ladeleine. 3r5

pas. Et, dans "Ies Bergers", la fête de la Nativité srinsère tout naturellement au milieu dr images de transparence et de lumière enfuies :

Ceoæ-Làont des sourires quton dirait une fleur Et des ëeLats d.e rire à faire iaiLLïr de L'equ Lea pergers Ceu.æ-Làont des regatds à uous bmîLer La pea't A uous défianeen à oous cLouer Le eoeur (...) Ctest un peu eoûrneNoëL NoëL et ses trésots Qtù s'atrêteraient ehez nous au,æEquinoæes d'ot' Les bengers(I).

PAQUESsymbolise le passage du monde désertique de Ia o"rrr à o d. rrr-" "" dans ltespérance et dans l'amour :

UNE LLE Une îLe au Latge de Ltespoit' Où Les horwnes n'antnaient pas peur (...) UNE LLE Claire eommeun matin de Pâ,ques (...) Chaude coïtne La tendpesse Espërante cotnne un dësert (3) . '",' Mais Ie héros brélien n'accepte pas toujours avec une ' telle sérénité l'évidence du Paradis perdu. Alors il Per:ji9 les sl.mboles qu'il avait, utilisés dans Ia périod.e précéd.ente :

(1) Les Bergers.

(2) Une île. En partie cité P. 169. 3r6

Mêmesi un iozæ à PABADIS ,Ie deoiens comne i'en serais suzpris Chqnteu.r pour fenrnes à AILES BLANCHES Mâmesi itLeur ehqrzte ALLELUA En z,egnettartt Le tentps d'en bas Où e'-est pas tous Les jotæs DIILANCHE(1) ,, (...) J|entendrai dans mon PARADÏS Les AItrGESLes SAINTS et LUCIFER Me chqntev ma elwnson dtrnguère CeLLedu tenrpsoù itm'app'Lais Jacky (2) '

on aura remarqué les deux emplois que le chanteur fait le re- du mot "Paradis" : le sien ("mon Paradis") représente gret de I'Enfance, de I'époque où le "coeur ouvrait les bras" (3). Au bonheur passé, iI oPpose une joie fadasse, pour laquel- Ie il utilise le même vocable, mais I'article a été intention- nellement supprimé et "Paradis" devient un lieu d'ennui,où I'on se prend à regretter Ia terre et ses difficultés qui forçaient I'homme à se déPasser lui-même. A cette époque, LE MONDECELESTE ET LE MONDEDEMONÏAQUE sont souvent êvogués ensemble :

Ange ou démonqutintPotte (4) .

Le hêros brélien implore indifféremment lresprit de lumj-ère et I'esPrit de tênèbres :

Moi qui n'ai janais Prié Dieu Que qtand i'ai eu Peur de Satan (...) Moi qtfi n'ai Pnié Satan @e qumd i?ai eu Pan du Bon Dieu (5) .

(1) Jacky - Nous faisons ressortir les mots-cIés'

(2) rbid. Déjà cité p- 304.

(3) Mon Enfance.

(4) La mort.

(5) La statue. 3r7

Dans ',Les Blgotes", il eSt intêressant de noter 9uêr si ces deux esprits se trouvent unis par une même réPulsion, leur réaction est révélatrice du symbolisme que BreI a attri- bué à chacun d'eux :

Si i'étais diabLe en Les uogætt patfois Je cv,ois que ie me fetais ehâtner Si i'étais Dieu en Les uoYant Priez' Je erois que ie perdrais La foi (1).

on peut se demander si cette union des motsr êD conti- nuation logique avec I'essai de conciliation entre le sacré et Ie profane que nous avions remarqué dans la période précédente, n'exprime pas Irimpossibilité de résoudre autrement cturau ni- veau d.u vocabulaire le d.ualisme ciel-terre, esprit-chair' dolrt semble marquée toute lroeuvre bréIienne. Nous reviendrons sur cette question dans notre conclusion, où nous montrerons les conséquences de cette dichotomie. L'ATTITUDE DE PRIERE est devenue, 1es extraits ci-des- sus nous Ie montrent déjà, une attitude négative. Bien p}us, jadis. elle s,oppose aux vertus essentielles que Brel défendait On ne peut effectivement que perdre la FOI en voyant I'aveu- glement de celles qui, dans leur fausse et hypocrite sécurité :

(...) stembigotent Les yeuæbaissés Corme si Dieu dprrnait sous Leurs ehaussutes (2) -

on viÈ une fausse ESPERANCEen cherChant un refuge dans ce qui empêche I'homme d'être lucide sur sa condiÈion' Ainsi, décrivant de façon réaliste une famille sur laque1le semblent srêtre accumulées toutes les injustices de Ia terre, BreI renarque :

(1) Les bigotes.

(2) rbid. 318

Chez ees gens Là (... ) On n'pense pas on Prie (r).

Et le héros de "Mathilde" t avant de jeter à corPs perdu dans I'AI{OUR' lance un défi railleur :

Ma mère ooici Le tenrPs uenu D'aLLer prder Pou? mon saLut MathiLde est reuerwe (2) .

Brel, sans rompre totalement ses attaches exupériennes, 1e Grand' s|en sépare ici quelque Peu: "Et celui-là, d'isait je en lui caid, si je veux le faire naÎtre à l',amour, fonderai violence 1'amour par I'exercice de la prière" (3). De même, Ia de qui se manifeste dans les oeuvres bréliennes nta plus rien que avions commun avec Itespèce de douceur évangélique nous proposé' Mai's relevée. C'est un univers camusien qui nous est avant d.e justifier notre comparaison' nous voudrions examiner qénéral Chris- la façon dont Brel envisage la Religion en et Ie nous tianisme en particulier, I'Eglise et ses ministres' Nous : demanderons alors de I Etre iI Ie lorsqu'il dit "Diqu"-

Si trois oeuvres dominent !a période qui nous intéres- : sêr nous nren ferons pas cependant Itanalyse aPprofondie tout et iI nous paraÎt d,une Partr €D effet, elles forment un impossible d,e séparer "Les Flamandes" deS "Dames Patronnessesrr un véritable et des "Bigotes", à travers lesquelles BreI dresse réquisitoire t de I'autrer nous y retrouvons ces fameux "con- souligné cepts habilIês" dont nous avons plusieurs fois déjà

(1) Ces gens-là.

(2) Mathilde.

(3) Saint Exupéry, citadelle, 197e édiÈion, Gallimard' 1948' p. L26. 3r9

Itimportance. En drautres lermes, BreI se sert d'une certaine catégorie de gens, les chrétiens (où ceux qui se croient tels), pour faire le procès de I'embourgeoisement spirituel et de l,absence d'amour qutil suscite. Mais ce déplacement ne doit pas nous faire oublier qu'5.1 n'a pas choisi ses modèles au ha- sard. crest pourquoi nous majorerons le premier aspect-

- 1) La_Religion !'Eglise.

a) Tout cornmeI'école, Ia relé ion représente une force sociale alliêe aux valeurs bourgeeéEe-s traditionnelles . L'oeil vigilant des "dames patronnesses" en témoigne :

Pour faixe ulLe bonne dænepattonnesse ÎL faut être bonne mais sans faibLesse Ainsi i'ai dû raAe? de ma Liste Une pauonesse qui fr'équentait un soeiaListe (L) .

"Les Flamand.es" ne sOngent même pas à remettre en cau- se une morale méd.iévale, dont Ia raideur se traduit dans le (.. fait quielles d,ansent "sans rien d,ire (...) Sans frémir ') sans sourire (... ) sans mollir" Q) . Ce qui devrait être éPa- nouissement du corps et d.e I'esprit n'est plus gu'un moyen en vue de :

Se fiance? pou? Pouuoir se maYiet Et se matien Poun auoir des enfants Ctest ee que Leu.vont dit Let'æspatents Le bedeau et mëmeSon Eminenee L'Arehiprâtre qui prâehe alt eouoent (3).

(I) Les dames Patronnesses.

(2) Les Flamandes.

(3 ) rbid. 320

Ce genre de comportement nrest que Ia conséquence 1o- jeune gique d'un d.ressage éducatif, entrepris d'ès le plus âge (1) : à 1t école conf essi-onnelle tenue par les "bons pères"

Qwi surueiLLent LtoeiL sétsèYe Les Jules et Les PtosPer @ti senont La France de demain (...) Et ryi seront Phat'rnaeiens Pav,eeque papa ne Ltétait Pas (2)'

b) Par !e fait même le Christiani.sme est considêré à comme une force d'inertie et de vieillissement, qui conduit la mort spirj-tuelle. A aucun moment la danse des "Flamandes" ne S'anime. Bien au COntraire, elle va S'alOurdiSsant au fur et à mesure que ces dernières avancent en âge :

Toutes oâtues de noiz' cotttne Letæs patents CornneLe bedecu et eorwneSon Etrùnenee LtArchiprâtne qui radote au eow)ent ELLes hZritent et etest pottx ça q1t'eLLesdqnsent (3) '

tristes, qui.- prolongent celles .Danses pesantes, danses de Ia jeunesse, où sévissait :

(... ) Le tango des Ptomenades Deu.æpat seuL sous Les ateades Cem.éê de eorbeau'æet dt aLcades Qd nous protégeaient des pourquoi (4)'

une pédagogie de ce style forme une génération de "Pau- brj-ser més" (5),gui vivent une existence rapetissée, sans osêr

(r) Rosa.

(21 rbid. (3) Les Flamandes- (4) Rosa.

(5) Les paumés du Petit matin. 32L

Ie carcan imposé au "collège" :

Qui pnend Les râues au piège Et dont iL est sacrùLège De ne pas sortir maLin (I) .

c'est pourquoi ils se consolent en se racontant à eux- mêmes :

Les poèmesqt'iLs ntonr. Pas Lus Les romartsqu'iLs ntont Pas écnits Les qnou.rs qu'iLs ntont Pas uécues Les uér'ités qi ne seruent à z'ien (2) .

ce seront ces mêmes "vérj-tés" qui, Pâf voie de consé- quence, fabriqueront plus tard des êtres ratatj-nés et intolé- rants. Les Bigotes :

(... ) uieiLLissent à Petits Pas De petits ehiens en Petïts eVnts (...) ELLes oieiLLissent dtautant plus uite QtteLLes eonfondent Ltamouret L'eau béndte (3) -

ce galvaudage spj-rituel se retrouve chez la dame d'oeu- vresrqui confond, elle, ltamgur et ]es "mérites", nOtion Sur laquelle nous avions déjà insistê en en montrant les écueils (4). Brel explicite ce qui, quatre ans auparavant, Iui avait arraché un cri d'indignation :

Rien ne se uend mais tout staehète Lthonneur et mêmeLa Sainteté (5) .

(f) Rosa.

(2) Les paumés du Petit matin-

(3) Les Bigotes

(4) cf. PP. 287-288.

(5) Le Diab1e - Déjà cité P. 287. 322

Poussantcetteattitudejusqu'à1'absurde,ilbrosse la pauvreté un portrait féroce de ces dêvotes; qui utilisent (du le croj'ent-elles) matérielIe des gens Pour acquérir moins des richesses sPj-rituelles :

Pout faine une bonne dune patrovlnesse C'est qutiL faut faine ttès attention A ne pas se Laisser uoLen ses paw)?essea C'esi qu'on setait sarls sitltation (L) ' de La CHARITE semble réduite à une comptabilisation pacotille :

Et un point à Ltentsets et un point à Ltendvoit Un por;nt potæ Saint Joseph ui point potæ Saint Thomas Q) ' ,'Jedétestelacharité,',diraunjourBrel(3).Nenous : étonnons donc pas de t'ironie d'e ses conseils

(... ) Mesdænes Tricotez tout en couLeuPcaca dtoie granÀ-messe Ce ry.i pertnet Le dimanche à La De ieeonnaître les patues à soi (4) '

,,commebeaucoup de jeunes idéalistes, écrivait un Pro- passé par une pé- fesseur qui Ie connaissait bien, Jacques est ,,mysti-que". à tort bien sûr, que riode Peut-être a-t-il crur en voyant I'Eglise était composée de "purs". 11 a dû déchanter effetr uIIê belle tant de chrétiens inconsêquents. II fautr €I} soit un pé- maturité chrét.ienne pour accepter que le chrétien cheur" (5).

(f ) Les d.amesPatronnesses'

(2) rbid. I'exil d'u Far (3) Rapporté par PoI Vandromme : Jacques Brel, weèt, Labôr, Bruxelles, L977, P' 113'

(4) Les dames Patronnesses' - Monestj'er (5) lvlonsieur I'abbé Deschamp Rapporté par Martin dans : Brel, Tchou, L978, p. 245. 323

Pa- Personnellement, nous aimons I'acid'iÈé des "Dames creux", 1â paro- tronnesses", où Brel nous aide à comprendf,ê, "en et pour ton Ie de Monsj-eur vincent : "ctest Pour ton amour, Ie pain que amour seulement, que les pauvres te pardonneront avec brio Ie fana- tu leur donnes' (1). Cette oeuvre démontre tismeauquelpeutconduiretoutereligionsielleaperdule sens de ce qui Ia fonde, le sens du divin' (...) ,,Autrefois, écrivait Saint, Exupéry, le sacrifice à travers son prenait Ie nom de charité quand. iI honorait Dieu à Dieu, ou à image humaj-ne. A travers I'individu nous donnions nous ne donnions plus l'Homme. l"laiS, Oubliant Dieu ou I'Homme' figure qu,à I'indj-vidu. Dès lors, la Charité prenait souvent de démarche inaccePtable" Q) ' Ia mort Pour tOUS Ces êtres aveugles ou sans anour, de chaque physique nrest.que le dernier acte d'une déchéance : instant. La danse des Flamandes les conduit

(...) retrouuer Leurs Parents Le bedeau et mâmeSon Eminenee LtArchiprâtre qtù xepose ct't c.ouuent (3). Et c,eslt potr ça qu,ïne detnière fois eLLes dnnsent

Ayantprocessionnétouteleurvj.e',àpetitpasd'ebéni- : tier en bénitier" (4), les fausses dévotes

autre sens r urr (I) François Pierre faisait déjà, mai.s dans un Editj-ons FoYer rappiochement sernblable' Cf ' Jacques Brel, nolre Dame, Bruxelles, L977, P. 28-

(2) Pilote d'e guerre, Gallimard, L942, p. 234.

(3) Les Flamandes-

(4) Les Bi-gotes. 324

(.,. ) meurentà Petits Pas A petit feu en Petit tas Les bigotes Qti cimetùèrent à Petits Pas Au petit iou.Y dtun Petit ftoid De bigotes (1) .

.,LeS Bigotes colnme celles que je déf inis, dit Brel, Bigotes moi c'est Itexcès, crest ça n,existe plus. Les Pour chapelle, s,en remettre totalement à une Phil0sophie, à une par excès de et devenir un individ.u atrophié et déformé cet foi bon vouloir. Mais moi je suis, PâI exemple, d''une mauvaise positions et je incroyable dans la vie vis-à-vis d'e certaines (2)' réflexion me rends compte que je suis 1à un bigot" Cette Foi que se nous permet de comprendre que ce ntest pas de Ia Brel, mais de le façon dont on fa ft' II décèle' sous ou Ia beaucoup dtattitud.es dites "reli9ieuses", I'hypocrisie jour sans ménage- crainte servile qul les meut et les met à ment :

Faut uoir Grand-Mène Stassttrer sun La moY't tJn p'tùt couP dtPresbYtète Un p'tit eoup de temords (3) (...) Faut uoir GtaYrd-Mère qucnâ.eLLe se croit Péehenesse (Jn græd ûewe de Grand-messe Et un doigt de couuent (4).

c) de mou- transition de Ia s thie à I'hoqtili!É. Sur le Point des senti- rir, Ie personnage brélien de 1961 éprouvait encore

(r) rbid. - 23'10' (2) Archives de I'O.R.T.F. (TF I Ant.2, témoignages: r978).

(3) Grand-Mère-

(4 ) rbid. Déjà cité, p. 207. 325

ments de fraternité Pour Ie prêtre qui se trouvait à son che- vet :

Adieu Curé ie t'aimais bien Adieu Cuz'éje ttaimais bien kt sais On n'était pas da mêmebord On n'était pas du mâmeehemin Mais on eherehait Le mâmePot't ( 1) -

cependant, en Lg64, Ie héros du "dernier rePas" désire ,'qu'on y dévore (...) quelques soutanes" (2) et I'on voitr €II que les Lg66, "Grand-Père" Iutiner Ia bonne. "en lui d.isant que curéS sont farceurs" (3). Les "prÇt{es Ouvrj-ers", Brel sa- luait dans la périod'e précédente (4), sont devenus des fonc- ires bo is qui entretiennent tout ce qur iI dénonce ceux dans la religion. ses termes les plus méprisants seront qqt il emploiera en '1977 z

JtinsuLterai Le fLie saceYdotaL Penchë oers moi cofttneun Latbin du cieL (5) .

Le chanteur fera encore d.eux allusions aux héritières d,es Béguines, que Georges Rodenbach joignait au clergé dans le souvenir du gris des rues de Bruges, "ce gris co1nmefait avec le blanc des coiffes de religieuses et le noir des soutanes de prêtres (...), gris d'un demi-deuil éternel" (6)'BreI sera beaucoup plus irrévérencieux, Iorsqu'i1 écrira :

'un jour ie me ferai euL de iatte ou borme soeu? ou pendu (7) .

(f) Le Moribond.

(2) Le dernier rePas.

(3) Grand-Mère.

(4) cf. Voici.

(5) La Ia la.

(6) Georges Rodenbach, Bruges la Morte, Flammarj-on, L978, P. 46-

(7t Au Suivant. 326

Quant au héros du "dernier repasrr, il éprouve I'irré- sistible envie de chanter :

Les paiLLardes romardes (I) &ui font peu.r auÆnonnettes .

2) Dieu.

c'est dans la façon dont BreI utilise, après 196I, Ie vocabulaire sur Dieu, gUê nous constatons une évolution très joue nette. Si allèlement au personnage du diable' Dieu ne 'un fois r coilfilê nous 1'avons constaté rôle de véhicule, il va également servir de s rt aux interrogations esselrtiel- 'rmystère les du héros brélien lorsqutil se heurtera au du malrl (2'). Désormais, le thème de la mort va S'insérer dans l'oeuvre du chanteur et, à partir de L964 (annêe où iI perd.it successi- vement son père, puis sa mère pour laquelle it éprouvait un profond att.achement) , il devj.endra interrogation tragique et révoltée. A cette charnière, BreI rompt avec I'humanisme de Saint Exupéry, qui demeure résolument spiri.tualiste (3) : même si Dieu n'est pour I'auteur de citadelle que le "noeud essentiel d'ac- tesdivers''(4),mêmesilamortd'unenfantluiapparaÎtScan- (5) daleuse : "Cinq ans ci-nq ans et c'est permis !" ' Ia dureté du monde lui inspire des lignes que n'eût sûrement pas pour écrites I'artiste belge : "Tu leur as fait Peur une fois

(r) Le dernier rePas. - (2) L'expression est de Gabriel Marcel Nous la préférons à celle de "problème du mal".

(3) Cf. André - A. Devaux : Saint Exupéry, Les écrivains devant Dieu, Desclée de Brouwer, 1965r €rl partj-culier les chapi- tres IV et V.

(4) Saint ExuPérY, Citadelle, 197e édition, Gallimard, 1948, p. 53r.

(s) Courrier Sud, Gallimard, 1928, p. 3f. 327

toutes avec les dents, les épi.nes, les grj-f f es, les venins ' fauÈ bien les écaj-lles pointues, les ronces d.e ta crêation. I1 (. '' Apparais- du temps pour les rassurer et qu'ils reviennent ) goût de Dieu" moi, seigneur, car tout est dur lorsqu'on perd le (1). pensée Brel, à Irépoque, rejoint davantage la de canus qu'i] disait "adorer" (2) et dont I'influence est certaine' mêmes puisque le poète Louis Nucera, Qui habitaj-t' Nice dans les plus d,e céline et de années, "se rappelle que Jacques parlait Camus que de Music HaIl" (3). CeIaétantrollcomprendrasanspeinequenousinsérions qui passe, ici Ia thémat,i,que de la mort, liée à celle du temps puisque c'est à partir d'elles que Brel va commencer à êvoluer nos cha- dans un univers où il d.épeindra "I'absurdité de tous grins,' (4), avant de mettre Dieu en cause d'ans un mouvement typiquement camusien-

A) De 1959 à L964-

si I'on se souvient gue ces années marquent le début sai- des d.êceptions du héros bréIien par rapport à I'amour, oî le vi- sira la raison pour laquelle la mort prend initialement sage d'une femme, tantôt "vieille fille", tantôt "princess€"' jusqu'ici tantôt ,,carabosse" (5). En effet, Si Ia femme a été révéIatrj.ce de vie, elle va devenir progressivement initiatri-

(1) Saint Exupéry, Citadelle, op' cit' r PP' 160 et 202' Hiver L957- (2) "Conversatj-on Jacques Brel Robert de Prez", du 1958, Cahiài ronéôtypé à Bruxelles en L977 Par les amis chanteur. p. 5 (3) Rapporté par Martin Monestj-er dans : Brel, Tchou, 1978'

(4) Propos de BreI en f965 Rapporté Par Martin Monestier, oP' cit., p. f04.

(s) La Mort 328

Ia pré- ce de mort. c'est à parti.r d'eIle que Brel appréhendera la dé- carité d,u bonheur que ne cessent d.e saper Ie temps et sillusion :

La mort mtattend. dæts tes mains eLaires Qui deuront ferner mes PauPières Pàuv rct'etn quittet Le tentps qui passe (L) '

Le thème du temps revient de façon obsessionnelle, dans Irae"' Cette chanson, Contmeun lej-tmotiv. Sur I'air d'u "DieS le Ia mOft le "Cueille", Ie "pleUfe" OU en "fit", le "91ace", que Ie ',C1OUe" et le "fleUrit" aVant d.e le "fermer", Cependant poète pose toujours Ia même questi.on et se donne à luj--même, pour se rassurerr une provisoire réponse :

Mais quty a-t-iL derYière La Porte Et qui m'attend d.éià Ange ou démon qutintPotte Au deuant de La Potte iL Y a toi (2) ' jour (3) une certaine inquiétude méÈaphysique se fait : et Brel s'épouvante de 1a solitude qu'elle crée en lui

0n est deuæà uieiLlir Contre Le tenPs quï eogne trûais Lorsquton uoit oenit En riant La ehatogne On se retrouùe seuL (4) . médiatrice Que dire alors, lorsque la femme cesse d'être entre ce monde et lrautre ? Par son infidéIité elIe est "vécue

( 1) rbid'.

(2) rbid.

(3) Même si Brel déclareren L973, avoir ignoré_ce genre d'inquié- sem- tude (cf. radioscopie avec Jacques chancel), son oeuvre b1e témoigner du contraire'

(4) Seul. 329

physique devient en conrme Première mortrr (1), et Ia destruction : quelque sorte la matêrialisation de I'anéanti-ssement intérieur

Je paz's atæ fLeuts Les geun ferTnës ma fenvne Cat uu que ie Les ai ferrnés souoent Je sais que tu pnend-tas soin de mon âtne (2) '

Lesjoyeuxaccentsd'unebeuveriebreughélienne,gui le change ont succédé à ceux du Dies lrae, Dê peuvent donner sur Itangoisse brélienne :

Je uetæ qu'on rie Je ueu.æquton dmtse Je ùeu,r qu'on stûmtse eontne des fous (...) (3) Qtmd ctest qu'on me mettxa d.ans Le txou . d'eux Le chanteur ne demande plus r cofiIme il I'avaj't fait (4) . rI ans auparavant, ce qu'il y a "derrière Ia porte" Procla- éter- me quril nrV a rien et que nous qlissons dans un soruneil train pour Ie geI. Même s'il éCrit quelque part : "Je prends Ie Bon Dieu" (5), ne voyons Ià qu'une image poétique, hérit'ée' certes,d,unetrad'itionchrétienne,maj.sutiliséePourIeseul brélj'enne besoin de Ia rj-me i car le contexte de toute I'oeuvre qu'il ne met pas de la période que nous étudions démontre bj-en vi-eux meu- en doute I'anéantissement total de I'homme : Ies "ne longtemps (6) i rent pas ils s'endorment un jour et dorment trop

Lid.skY dans (1) Selon I'expression de Bruno Hongre eÈ de PauI Profil d'une leur opuscûle "chansons, Jacques Brel" , Hatier, oeuvre no 52, L976, P' 13'

(2) Le t'loribond.

(3) rbid.

(4) La Mort.

(5) Le Moribond. Notons que le train, chez Brel, est Presque (le - La toujours symbole de mort : mort physique Diable gnf de I'amour Cofômbe) , irort de I' idéa1 (Mon ance) , mort (Je ne sais Pas).

(6) Les vieux. 330

(I) L'âge dtor c'est "guand on dort dans sa dernière caserne" i ,,toi Èu sais pas tu dors" chante encore Ie poète à son ami dans Ie défunt (2). En effet, "partir aux fleurs" ou "aller en 196I' trou", pour reprendre les exPressions qu'il utilise Brel d'it ne témoiginent Pas drune foi lconque en un au-delâ. lui-même : "Je croj-s quril nty a rien" (3) ' La présence de la mort n'est pas encore vécue de façon sourdement dramatique, conrme elle le sera après L964. Elle fait comporte affleurer - à la conscience 1',J-mpression que Ie monde crest en- Un,,Enr/efs" et Un "EndrOit" et gue "le grand COUrage, sur Ia core de tenir les yeux ouverts sur la lumière colnme mort" (4 ) :

C I est &tr de moutir au pn'intentps tu sais (5) ' Mais je pa?s au'æfLeuxs La paiæ dans L'&ne

or "L'Envers et I'Endroit" se retrouvent à f intérieur titre : même de l'homme. c'est Ie thème d'une oeuvre, dont Ie qui fLgê' ,,La statue,,, évoque Ia mort, Ia froideur, tout Ce est qu'elIe met Au delà de I'abÎme séparant I'être et le paraÎtre perdue : à jour, nous retrouvons la nostalgie d'une innocence

(6) J'aimevais que Les enfants ne me tegctdeni pas '

(1) L'â9e idiot-

(2) Fernand.

(3) Interview accordé à Ra1lye, Jeunesse, NOvembre 1962' de Ia (4) Camus, I'Envers et lfEndroit, Essais, Bibli-othèque P1éiade, Gallimard, L977, P' 49 '

(5) Le Morj.bond-

(6) La Statue. 33r

rr s' il est vrai-, conme I'a écrit Jean onirnus , 9ue 1r i- dée d'une culpabilité (...) est un de ces sentj-ments d'origine athêe" chrétienne qui subsistent d.ans Ie cadre de I'humanisme plus lan- et que "Ia nostalgie de I'innocence se fait d'autant cinante que Dieu s'éloigne et que Ie bien n'a plus de suPPort absolu" (1), nous comprendrons mieux la fièvre drauto-accusa- tion du héros brélien qui d,écouvre, comme le héros camusien' (2) : "Ia duplicité profonde de Ia créature'r

Jtaimerais tenir Ltenfant de earême Qti a fait grauer sous ma statue Les Dieu.ærappeLlent eeu.s qu'iLs aiment Et etétait L;i qutiLs aimaient Le pLus (3) .

TeI est Itendroit, 1a face vi-sib1e que nous aPercevons' ce m1- Mais la lucidité empêche I'homme de se reconnaÎtre dans : roir que lui tend Ia sociêtê. Et voici I'envers d'u décor

Ikoi qui ntai iamais Pnié Dieu- Que iorsque itauais maL aun dents (4) Moi qui n'ai iænais Pt"ië Dieu Qte quætd i'ai eu Peur de Satut (5) .

"on ntoublie rien", dit par ailleurs Ie héros bréli.en, poursuivi par le regret d'avoir manqué sa vi'e :

(r) Jean Onimus, camus, Les écrivains devant Dieu, Desclée de Brouwer, 1965, P. 91.

(2) Camus, Lê chute : Théâtre, Récits, Nouvelles, Bibliothèque de la P1éj-ade, Galli:nard, L974, p' I 5fB'

(3) La Statue.

(4) rbid.

(5) rbid., déjà cité p. 316. JJZ

Ni ce gran'd Lit où mes remords Ont rendez-1)ous avec La mort Ni ee gnand Lit que ie souhaite A eertains iout's comne une fête (I) ' que Ia DC même, Clamence avouait : "C'est à ce moment quoti-dienne'r (2). pensée de la mort fit irruption dans ma vie

B) qe-!9q1-a-r929.

à I'Olym- En octobre 1964, Ia grande première du chanteur journaux I'époque pia est un triomphe. Les critiques des d'e du monde ; les soulignent 1'évolution de la vision brélienne aideront'à nous fa-- Iarges ext.raits que nous relevo-ns-.nous ensuite' miliariser avec un changement que nous analyserons ! (3) ' "On croyait "QueIle'poésie, quelle d'ésespérance " un révolté pourtant savoir à quoi s'en tenir avec I'abbé Brel' parce qu'i1 anti-bourgeois décidé à changer la face du monde tous ces est d'une famille troP riche. Il va fa110ir réviser tout' Et lorsqu'iI clichés. Jacques BreI ne veut rien chanqer du la bêtise qui dit son dégoût d.e I'exisÈence, la médiocrité et préchi-Prêcha. Pourquoi règnent en maÎtre, le ton nrest au (4)... cêIine, faire semblant d.e croire au salut ?" "Comme Des injures qui l,injure lui vient naturellement à Ia bouche' photo de touchent souvent au blasphème" (5) ; et' sous une un geste de priè- I'artiste chantant les mains jointes comme en fêronaplacécettelégende:''Ilatoujourslesgestesde les bons l'abbê BreI, mais Ie est fini où il chantait

(f) On n'oublie rien.

(2) Camus, Là Chute, oP. cit', P' 1521. articles dont (3) Jacques Chancel dans "Paris Jour". Tous Ies au ver- noui faisons mention ont été reprod.uits à Itépoque so du disque BarcIaY 80 243'

(4) Anne Andreu dans "Paris Presse" ' (s) rbid. 333

sentiments" (1). Ques.est-ilpassé?EtienneBornenousrépondrait est poussée jusqu'au que "Irangoisse d.evant la mort, si eIIe de I'homme bout de sa logique, met en questj-on la condj-tion que Brel a découvert dans le monde" (2) . De fait, iI apparaÎt : la ce qurexprirnait camus par Itintermédiaire d'e "ca1i9u1a" dans la conditj'on mort est Ie s le de ce qu' iI y a d'absurde humaine. pas sa- ,,Les choses telles qutelles sont ne me semblent (3) étant ce tisfaisantes", dit I'Empereur fou ' "Les choses qu'el}esSont,jetrouvequ'ilestpratiquementimpossiblede yeux, Ia vie' rythmée vivre", déclare le chanteur (4) . A ses n'est par des séparations et des déchj-rements successifs, rend sen- qu,une marche lente vers I'immobilitê de Ia mortrque sible Ie rapetissement de I'espace :

de rides Les tsieun ne bougent- pLus Leut-s gestes ont tt'op Leur mondeest troP Petit du D1tLit à La fenêtre puis dil Lit au fauteun1,.et.puis Lit au Lit (5) -

Sous L'amour lui-même, quand, PâE miracle iI subsiste de nous préci- forme de tendresse, ne peut empêcher 1'absurd'ité piter dans I'enfer de la solitude :

lLs se tiennent La main iLs ont peu'x de se perdte et se Pendent Pou'rtætt ou Et Lta,ttre reste Là Le meiLLeutbu Le pire Le-dptæ Le séuère CeLa n'irnpotte pas ceLui des deuæqri reste s^etetTouue en enfer (6) .

(1) Paris Presse. 1960, p' 29' (2) Et,ienne Borne, Le problème du mal' P.U.F.' Récits' Nou- (3) Camus, Caligu1a, Acte T, scène Iv : Théâtre, L974, 15. velles, Bibliothèque de Ia Pléiade, Gall5.mard, P- Tchou, L979 (4) Rapporté par Martin Monestier d'ans : "BreI", , p. I01 .

(s)Les vieux.

(6) rbid. 334

Quant à celui qu5- Part, il endosse un "costume de bois" funè- (1) et "glisse dans les AbYsses" (2). Le héros du "tango bre" ricane, en imaginant Ia fin de ce faux voyage qurest Ia vie :

Ah je me oois dëjà Je me tlois tout au bout De ce uoyage Là Dtoù Lton xeuient de tout (3) .

vie et mort seront d.ésormais Iiées dans I'univers bré- port 1ien, coflIme les deux pôles d.rune même destinée : dans le drAmsterdam d.es marins meurent "pleins d.e bière et de drames"' et des marins naissent "dans la chaleur épaisse des langueurs océanes"(4)rtandisquelapulsationdutempsrdéjàimplaca- ble dans "les vieux", devient de plus en plus haletante. presque plus "A trente cinq ans, dit BreI, (...) on nta de temps à perdre (...) On a encore tout son avenir, bien sûr"' mais derrière soi" (5). L'oeuvre Ia plus si-gnificative à cet gu'un égard, nous semble être "Fernancl" ; toute Ia chanson n'est long et douloureux monologue orchestrê Par un rythme lancj-nant, êvoquant le froid des pavés de Paris et la solitud'e du vivant conune du mort :

ùine que ie suis seuL derrièxe Dire qutiL est seuL deuant Lui dans sa dewdère biète Ikoi dnns mon brouiLLatd Lui dmts son eorbiLLard Et moi dmts mon désert (6) .

(f) Tango funèbre.

(2) Les timides.

(3) Tango funèbre.

(4) Amsterdam.

(5) Rapporté Par Martin Monestier, op. cit., P. f01.

(6) Fernand. 335

cettetentativedecommunicationavecunabsentest' marche dans Ia pluj'e sans espérance, d'où Ie tragique de cette et dans 1es larmes. qu'Epicure) La présence du maI (et nul ne lra mieux dit Dieu existe et iI est Iace I'horune en face de ce dilemne : ou disait en ce sens méchant ("peut-êÈre vaut-il mieux Pour Dieun qu'on lutte de le docteur Rieuxr gu'on ne croie PaE en lui'et les yeux vers ce toutes ses forces contre la mort sans lever pas et Ia vie est pri- ciel où iI se tait" (I)), ou il n'existe vée de sens. BreI,àsamanière,interrogeraDieuavant'deconclure une attitude de au ,,ciel quj. n,existe pas" Q) et d,tabandonner camus, "métaphysi- révolte que nous appelleronsr à la SUite d'e ce d,ernier : que,,, si nous adoptons la définition quten donne contre sa condition ,,Le mouvement Par lequel un homme se dresse et Ia création toute entière" (3) ' ,.Lanotiond'uDieupersonnel,créateuretdoncresPon- à la protestation sable de toutes choses donne seule son sens marj'ns d'Amsterdam' humaine" (4). Déjà, à travers le défi des autre chose qu'une nous entrevoyons que I',image du ciel est bj-en image purement Profane :

F+ quand iLs ont bien bu Se pLantent Le nez au cieL Se mouchentd.æts Les ëtoiLes (5).

Nouvelles, Bibliothèque (r) Camus, Lê Peste : Théâtre, Récits, de la Pléiade, Gallimard' L974, p. I 323.

(2',)Les bigotes.

(3) Camus,L'hommerévolté:Essais,BibliothèquedelaPléiade' Gallimard, 1977, P. 435.

(4) Ibid. ' P. 440.

(s) Amsterdam. 336

exPres- En effetr oû retrouvera deux ans Plus tard une sion équivalente :

Je ez'aeheau eieL enco?e une fois (L) .

EnfinBreI,d'éplorantpeudetempsavantsamortla héros une dimen- vieillesse qui nous immobilise, donnera à son 3 sj-on titanesque lorqu'il lui fera souhaiter

(... ) terTninen8a eou?se La nuit de ses niLLe ans VieiLLard tonittaant (...) CLou.éà La Grcrtde OuYse Craeher sa derrlïène dent En ehæùant Arnsterdan (2) .

Entretemps,Cêsursautdel|hommefaceàsacondition mortelle,,,revendicationmotivéed,uneunitéheureusecontre (3), aura mis de façon ex- Ia souffrance de vivre et de mourir" plicite Dieu en accusatlon :

Et puis ie ueun encore Lanber des Pierres qu eieL En er'ùætt Dieu est moY't une dermière fois (4). de I'oeuvre' Ce cri, si on Ie replace dans le contexte voulant t'riompher est I'expression de Ia crispation d'un homme de la mort en Ia bravant :

Je briserai mon uerre (...) Et ehartterai à tue tâte A La mort qui s'auanee (51'

(1) Mathilde.

(2) Amsterd.am.

(3) Camusr oP. cit-, P. 436'

(4) Le dernier rePas.

(5) rbid. 337

,.Le révolté, écrit Camus, défie plus qu'il ne nie. Pri- lui parle sj'm- mitivement au moins, il ne supprime pas Dieu, iI plement d'égal à êgal. Mais il ne s'agit pas d'un dialogue désir de vai-n- courtois. 11 s'agit d'une polémique quranime Ie dans le monolo- cre,r (1). cette attitude intérieure se retrouve première fois un gue de "Fernand.n, qui est interromPu une Par cruel et in- cri de protestation à travers lequel Dieu apparaÎt d,ifférent :

Moi si itëtais Le Bon Dieu Je enois que itautais des temotds Dixe que maintenant ïL PLeut ùire que Fermætd est mont (21 . sa PIus loj-n, Dieu devient un personnage qui a manqué ratages' création et demeure impuissant devant ses Propres héros brélien : d'où 1'espèce d'excuse et de pitié méprisante du

Et puis si i'étais Le Bon Dieu Je brois We ie senais Pas fier Je sais on fait ce quton Peut Ikais iL g a La mutièYe (3) .

A Ia fin, Dieu nrest plus qu'un mot servant à expri:ner du Ia douleur de I'homme ; on est passé' dans cette oeuvre' cri relj-qieux au cri Profane :

Et maintertant Bon Dieu Tu uas bien n'ûgoLer Et maintenant Bon Dieu ùlaintenmtt ie oais PLeuYer(4) .

(f) Camus, oP. cit-, PP. 436-437'

(2) Fernand.

(3) rbid. rrturr défunt' (4) Ibid. Le sradresse ici évidemment à I'ami 338

En 1965 r oo d.emandait à Brel pourquoi Ia mort reve- sa rê- nait sans cesse dans ses oeuvres depuis quelques temps' qui ponse rejoint tout ce que nous avons cru déceler dans ce prêcède : de "si j'en par1e, crest Pour souligner Itabsurdité pas important tous nos chagrins. Tout va s'arrêterr cê nrest même à soi. Alors de vivre, Çâ ne sert à rien, à Personne, PâS justice' si je ie parle de la mort. c'est la justice, Ia vraie Ia Itutilise dans mes chansons, c'est Parce que c'est lridée (I) plus absurde qui soit accessible à tout Ie monde ' Etcequ'ilajoutemontregUê,toutcommeCamus'il que par Ia est davantage touché par cette vision métaphysique crainte PhYsique de Ia mort : ',Ivlais la mort, moi je mtan fous. Je m'en contrefous' que mort Je n'ai pas bien peur de Ia mort. D'abord parce la 'i'aie pas peur du crest la seule certiÈude gue (...) Je n'ai je fait de ne plus rien être. voilà : ce soir, vais m'endormir I'ordre et demain je ne me réveillerai pas. ca me paraÎt dans des choses. En Plus (2) d,errière ne me dérange PaE, cette notion de mort"

IL est brisé Le eni Des heu.res et des oisean'æ Des enfants à eereeauæ Et dil noir et da gnis (3) - Brel, Ies hommes... Que reste-t-iI alors ? "I1 reste, dit l'amour ni Ia chaleur des hommes" (4). Le salut nrest Plus dans

lchou, L979 t (1) Rapporté Par Martin Monestier dans : "Bre1", P. 104. (21 rbid.

(3) Bre1, inédit en France. Ed.itions Pouchenel, Bruxelles, 1965' l0I' (4) Rapporté Par Martin Monestier, oP. cit., P. 339

dans I'espoir d'un au-detà. Ï1 rési'de d'ans la fraterniËé-hg- maine :

Non Jef ttes Pas tout seul (L) (...) .Tu sais ie reoiendrai On boiva du silence (2) . ce monde n'a "Je continue à croire, écri-vai.t camus, 9uê PaSd'esenssupérieur.Maisjesaisquequelquechoseenluia être à exi- du sens, êt c'est I'homme, Parce qutil est Ie seul ger d'en avoir" (3).

de vi- "II nty a Pas dtamour de Ia vie sans désesPoir vi-qéon de, vre" (4). Contrairement à ceux rdent, dans IA- des chan- la mort, Ie goût de vivre, fes Per s bréIiens 6@5i3rd'e sons funèbres ent un surcroit de force et un jouir au maximum des possibilités qu'offre I'existence :

Ah je me oois déià M'instaLLant à ianais Bien triste bien au fnoid Dans mon chanPs dtosseLets Je uois déià tout ça Et on a Le braue euLot D'oser me demqnder De n'pLus boite que de Ltean't . De ntpLus ttousset |-es fiLLes De mettre dtl'atgent de eôté DI aimev L' fiLet d'maquez'eau Et dtevùer Viue Le Roi Ah ah ah ah (5).

(r) Jef.

(2) I'ernand. de (3) Camus, Lettres à un ami allemand, Essais, Biblj-othèque la Pléiade, Gallimard, L977, p. 24L. 44' (4) Camus, I'Envers et I'Endroit, P1éiader oP' cit" P'

(5) Le tango funèbre- 340

',ce n'est pas un hasard, a-t-on écrit, si l'appêtit d'e vivre éclaÈe si souvent dans les chansons funèbres : Ie deuil Le mouve- et }a fête s'attirent comme de fraternels contraires. diver- ment masque Ie mal de vivre. La fête, à Ia manière du (1)' tissement pascalien, est une fuite en avant" "Naturam philosophie sequere", disait déjà Epicure i et I'on sait que sa d'e la avait pour but d'éIoigner, entre autres craintes., .9e11e à mort. L'espèce de fable satirique du tango funèbre reflète' sa manière, cette visj-on pessimiste Oe I'existence' De même, de au moment de sa fin, un autre Personnage brélien s'entoure son der- tout, ce quj- a d,onné du prix à sa vie, êtres et objets. (2\ nier repas se veut une fête : on y boiÈr on Y "dévore" i y sent mais, cofllme dans les toiles de Bosch ou de Bruegetrr oII fête est la présence de "la mort gui s'avance' (3). Lorsque la : Ia terminée, Iê héros renvoie tous ceux qu'i} avait conviés de mort n'est-elle pas un affrontement où se fait' Itexpêri'ence d'ans Ia plus profond.e solitude ? 11 y a une espèce d'e majestê : ce face à face de lthomme avec Ie néant qrr'il entrevoit

Après mon dentier rePas J-e uaæ que Lton m'instaLLe Assis seuL conrtteun toi AeeueiLlant ses uestaLes (...) Puis je xegardetai Le havû de ma coLLine jui dmse qui se deoine Qui finit paz sornbrer Et dms Ltodeur des fLeuz's Qui bientôt s' éteirtâra Je sais rye i'arcai Peur une dermière fois (4).

(1) Bruno Hongre et Paul Lid,sky, Chansons, Jacques Brel, Profil d,'une oeuvre, Hatiert L976, p. 9.

(2) Le dernj.er rePas.

(3) rbid.

(4) rbid. 34r

(...) iviais cela ne fait "Jrai peur, d.isait caligula . pas' Je vais retrouver ce rj-en. La Peur non plus ne dure héros ca- grand. vid.e où Ie coeur s'apaise" (I). En mourant, Ie quelque chose musien n,a pas trouvé de réponse à sa soif" d'e monde" qui soit dément peut-être mais qui ne soit pas de ce (2) . 11 en est d'e même du héros brélien :

Dans ma pipe ie bzûLetai Mes souuenirs dt enfance Mes râoes inaeheoës trLesrestes d' es?érance Et ie ne gatderai Pout habiLLer mon ùne Que L'idée d'un rosiet Et qutun prënon de fentne(3)

,,L,enfanC€,,, Ies '.rêves'', tout ce que Brel appelle Son jamai.s remis, ,,Far West,'et de Ia perte duquel il ne s'est qu'il va désormais tout ce dont Ie temPs a eu raison, voi-là ce ayant vu s'efforcer de rejoindre. Tout comme Rimbaud Qui, un définitif échouer sa quête Pour découvrir un au-delà, dj-t au tour de adieu à Ia poésie, Brel dit un définitif adieu ,'J'ai envie de m'of- chant (4) : envie d.e respirer un Peu. J'ai (5)' "Je frir Ie temps de me taire. Cela s'appelle la liberté" manière de vi- veux être en accord avec ce que je pense d'ans ma vre" (6).

Récits, Nou- (r) camus, caligula, Àcte lv scène 14 : Théâtre, j-ade, L974 p ' I07 ' velles , eibiiotfrèque de Ia Plé Gallimard, ,

(2) Ibid., Acte I scène 4, P. f5'

(3) Le dernier rePas. êD 1968- (4) Même s,il remonte sur scène durant quelques moisr iI s'agit de 1969, pour ing-rpréter "1'Homme de Ia Mancha", américaine ' I'adaptation iiàiiç"i"e d'une coméd'ie musicale où I'artiste- non de ce que-fi"i appelle "le tour de chant", toute une -àmposit.oi-ittt"rprèLé tient seul 1a scène durant soirée. - : 9'I0 'J-97 (s) Archives de I'O.R.T.F. (TFI Ant. 2, témoignages

(6) Rapporté dans : "Brel", de Martin Monestier, Tchou, 1979, p. I09. TROISTEMEPERIODE 1967-r978

LE PARADIS PERDU ET RETROUVE

'tL'Enfance qui nous entpàehe de La oipre De La reuiore infiniment De tsiure à nemontet Le tentps" ' " 343

perdu' 1) L997-I969.:- è la-recherche-dg Para9is

c'est "Je crois, dira Brel en I973r guê Ie malheUr, réel exactemenÈ Ia différence qu'il y a entre le rêve et le (I) pour un homme. Donc il faut combler cette différence" ' Mais avant de Ia combler, il va la chanter' que Le nrêve,,, ctest ItEnfance. Le "réeI", crest "tOUt guit elles' casse tout Ie temps" (2). "Partant sur des données joie Et sont assez lugubres, j'essaie de d.ire que la existe. ou même si Ia joie est cassée, après, Pâr les évènements Par vit crest tout. si elIe est soi, ça n'a aucune importance. on problème ne cassée irrémédiablement, alors c'est Ia mort et le nous concerne PIus' (3).

A) !ee-:ÊeelÉce-lggg!ses:-:-!e-l=9e1"'

Deplusenplus,Iapulsationdutempstourmentele petit héros bréIj-en. Qurest-ce que la vie, sinon un tout voya- ge entre deux actes, naÎtre et mourir ? z

Jtatr'iue i'atriue Ctest mâmePas toi qui es en auance Ctest dei,à moi qui suis en retatd J I arritse bien sû-r i'atrt'ue (4) ' aais ai-ie iarais rien fait dtautte qu'aw"ioer ?

Alors surgit I'étOnnement devant la brièveté de I'exis- tence :

Ar- (I) Radioscopie de Jacques chancel avec Brel , 2L.05.19'73, chives I.N.A. par (2) Téléciné no L44, Août 1978, Propos recueillis Gilbert Salachas, P. 4-

( 3) rbid.

(4) Jrarrive. 344

Mon enfance Passa (...) Et La guerce atYLua Et nous uoiLà ce soit' (I) .

Maisonpeutremplird'ifféremmentsavie,mêmesielle ne dure que "le temps d'un soupir" Q) ; d'où la distinction importante que fait le Poète : ':

IL g a deus sortes de tenP,s IL y a Le tentPs qui attend Et Le tentPs qui esPète IL -gy a deuæ sortes de gens IL a Les uiuants et moi ie suis en mer (3) ' par Itimmobilité "Le temps gui attend" est caractérisé (4), ceux spirituelle ; il est le propre des "repus" de tous même qui ne remettent rien en question et qui sont déjà' sans sren douter, des morts-vivants :

Je mtétonnais encore De ces ronds de fæniLLe ELânant de mort en moY't Et que Le deuil habiLLe (5)' pressentiment' "Le Èemps qui espère" est animé Par le d'e celuj- d,une manière d.e vivre en plénitude t iI est Ie Propre qui a su rester fid'èle à son enfance :

(1) Mon enfance.

(2) Titre d'un livre d'Anne PhiliPPe sur la mort de Gérard Philippe, L969, Livre de Poche no 12690.

(3) L'Ostendaise.

(4) Mon enfance.

(s) rbid. 345

Ious Les enfartts ont un entPire (...) Tous Les enfætts ont un roAaltme (...) Ious Les enfants sont des Poètes ILs sont bergers iLs sont rois-mages Z'ont des nuagespour mietæ ooLer (I)'

Mais le désir d'envo} et d'espace où Ie "coeur ouvrait les bras" (2) se termine par un sentiment d'échec :

Moi qui toutes Les nuits AgenouiLLé pot'æ rien Arpégeais mon ehagt'tn Au pied du trop grmd Lit Je tsouLais prend.re un train &te je ntai iornis Pris (3) .

Le parad,is est bel et bien perdu. Le temps a eu raison des rêves , iI débouche sur 1a mort et Ie néant,, mettant fin au besoin de voyage intérieurr symbolisé 1à Par un train' i'ci par Ia mer :

Mon Pàre disait Ctest Le pent du Nond Qui portera en terY'e Mon eorys scrzs ùne Et sans coLèxe Ctest Le oent du Nond Qui portera en terce Mon cotps sans àne Eaeeà La mer (4) .

BreI exprime parfois les mêmes pensées d'une façon beau- coup moins sereine, ai.nsi dans cette parodie des chansons Pré- cédentes, où la mort devient :

(1) Fils de.

(2) Mon enfance.

(3) Ibid. ' cf. P. 272.

(4) Mon père disait. 346

(...) Lthettre imbéeiLeet fataLe Où iL parait que queLqu'un nous appeLLe (L) '

C'est d t ailleurs d.ans cette même oeuvre qu'imméd'iate- ment, j-l enchaÎne sur les deux vers que nous citions précéd'em- ment (2) :

J'insuLterai Le fLie sacetdotaL Penchë uens moi eomneun Larbin du cieL

Le clergé, commenous 1'avions signalé' nrest Plus' aux yeux de Brel, gu'un corpus méprisable, Parce qu'il essaie d.e sécuriser 1'homme en Itenfermant dans dtillusoires certitu- des. 11 est encore représenté sous les traits d'un :

( -. . ) abbé Porteu.n De ces fausses nouuelLes Qui aident à uieiLLiz' (3) .

Ctest en pensant à ces messagers de mensonges que Ie chanteur laisse éclater sa verve :

Je mourirai eewté de rigoLos En me disant qu'iL était ehouette VoLtaiz'e Et qu'si A en a qui ont une pLYe æt ehapeaut I eà a deâ qui ont une pLumedcns L'derrièv'e (4) '

Remarquons I'heureux néologisme "mourirai", formé du verbe mourir et d.u verbe rire : I'absurd'ité de Ia vie, assj-é- gée par la mort, explique cette attitude que BreI reprendra quelque Exeize ans PIus tard' :

(I) La Ia Ia.

(21 cf . P- 325.

, (3) Regard'e bj-en Petit.

(4) La la la. 347

Mourir motæir de rLre (...) Mourir de faire Le Pitne Paæ dérider Le dÉsert (I)

B) "!e-i.9ig-grig!9--:-:Le-!9v9"'

(2). "un homme passe sa vie à comPenser son enfance" une fuite L'impression d,'échec va créer dnez le héros brélien que cha- au royaume de I'Enfance, ce passé quelque peu mythique cun reconstruit en ltidêalisant et en en faisant Ia "durée" perdu" privilégiée de ses rêves brisés. La "recherche du temps lui devient, cltez Brel, celle de I'enfance enfuie. ce thème d'ramour eÈ servira de trame Pour continuer à tisser Son oeuvre de mort. ,,Monenfance", "MOn Père disait", "Les coeurs tendres", : IeS titreS SOnt "F1IS de", "Regarde bien peti-t", "Un enfant" planète suffj.samment parlants. Brel a Ia nostalgie d'une autre Prince" et retrouve des aCcents semblables à ceux du "Petit ' de la vle' conme s'il comprenait à son tour 9uê, dans Ie raPide Les ,,Les enfants seuls écrasent leur nez contre les vitres' enfants seuls savent ce qu'ils cherchent" (3) :

lln enfant c'est Le dewdet Poète Dtun mondequi stentëte A oouLoir deuenir grand (4).

(r) Vieitlir. Il serait intéressant de comParer cette réaction re- avec celle du hêros d.e "Fin de partj-e", Clov : à chaque gard qu'il porte sur le monde vide et. déjà mort, Beckett a I : iote iaconiquement, dans le scénario du d'ébut de lracte iiRir" bref " (Editions de Minuit, 1969, P. 14). Ie (2) Brel - Archives de la R.T.B. Interview red'onnêe dans cadre de Itémission : "Et si nous ntallions Pas au cinéma ce soir", AnÈ. 2, 3 sePtembre L979'

(3) SaintExupéry,LêPetj.tPrince,Gallimard,L947,9.75.

(4) Un enfant. 348

L'enfant aux cheveux d'or apprend. à I'aviateur' Par Itintermédiaire du renard, que "1'essentiel est invisible (1). pour les yeux", qurflon ne voit bien qu'avec le coeur' êga- Dans une magnifique parabole, le héros brélien a besoin, lement,du regard d'un enfant pOur retrguver "1'essentiel"' conti- sorte de guetteur aux yeux empoussiérés par la vie, iI d'un hom- nue d'espérer le sa1ut. Et ce d,ernier prend la forme me:

Regarde bien Petit tegarde bien Sur La pLaine Là-bas A hauteur de roseat'æ Entne ciel et mouLin I a un hormnequi oient }ue je ne connais Pas Regarde bien petit regaz'de bien (2) .

Mais I'homme "que nous ne saurons Pas" (3) sren va et I'adulte console en lui 1'enfant toujours à la recherche du paradis Perdu :

ALLonsctest bien Le uent Qui gonfLe un Peu Le sabLe Pou.r nous passer Le ternPs (...) IL fant sécheY tes LarTnes(4).

Il y avait lOngtemps que Ie chanteur n'avait pas expri- messie mé de façon aussi explicite I'attente du salut et d'un te1 que nous le définissions plus haut (5) '

(1) Saint Exupéry, Lê Petit Prince, oP' cit', p' 72'

(2) Regard,ebien petit - En partie cité, p' 302' (3) rbid.

(4) rbid.

(5) cf. P. 300- 349

multiples Brel va continuer sa "quête" à travers d'e un recoflImencement' activitês imptiquant toutes une rupture et un nouveau disque Neuf ans s,écouleront avant qutil ne sorte ce bond d'ans Ie Ie dernier -. Nous voudrions, avant de faire I'état d'esprit temps, nous arrêter Sur une oeuvre illustrant à qua- du compositeur en 1968, oeuvre que nOUS n'hêsitons Pas que la démarche phi- Iifier de "phi.losophique", s'il est vrai losophiqueconsj-steavanttoutdansl'artdebienPoserles questi-ons.Ils'agi.td'un.dialogueaveclamort,danslequel le langage poétique l,orchestration (1) épouse à 1a perfection un pour signif ier I" drame de Irhornrne cherchant désesPérément sens à son existence. Nonseulementlavieetlamortysontliées'coilIme première n'est plus dé- dans les chansons précédentes, mais la finiequeparrapportàlaseconde'commeuneavancée''d'emort de l'homme et en mort" (2), tand.is que le vide se fait autour en lui-même :

De ehrgsanthèmes en ehrysanthèmes A chaque fois PLus soLitaite De chnyganthèmesen chrysartthèmes A ehaque fois 'sutmutnéraire (3) ' if ruse et 4,e temps est d'evenu un ennemi avec lequel marchande :

GçoisRauber,dontIeta1entn|estplusàsouligner

(2) Mon enfance. sa vie (3) J'arrive - cf. Kafka : L'homme, "dès le milieu de petit (...) se restreint à un esPace sans-cesse plus et - Journal' s,iI *.r.,rir-f" cercueil toirt juste lui convient" et P' 3 novembre'1911, cité dans : Kafka, Pêr R'Y: Alberès universi- de Boisdeffre, classiques du xxe siècle, Editions taires , L967, P. 29. 350

tatriue J tarriue i Mais q,ttest-ee que i'anttais bien aimé Eneore wte fois tYaîner mes os Jusqu'au soLeiL iusqutà. Ltété Jusqu'aut printenrps iusqu'à demain (L)

Le cri du héros brélien est un cri d'enfant : "Encore" ! Encore vivre, encore ad.mirer le monde, encore aimer :

(.. . ) et tombet mort BrûLé d'anozæ Le eoeur en eend.ves(2) .

Crest dans cette oeuvre que surgit Irinterroqation es- sentielle :

T4ATSPOURQUOI MOI POURSUOTIIATNTENANT POURSUOTDEJA EY OUALLER (3) .

Question rnétaphysique s'iI en est ! Mais elle ne com- porte, pour Brel, nulle réPonse :

RappeLLe-toi qutentte Les doigts Lune fond en poussiète (...) MaLheuxd qui peut pnéférex Le lserbe âtre au uetbe aooir Je sais son désespoir (4) -

on se souvient de ce qu'écrivait Ie poète Jean Cocteau, lorsqu,il fit "}a planche sur le fleuve des morts" (5) . Ses vers reflètent une conception diamétralement opposée à celle d,e BreI :

(f ) Jrarrive. Comparer ce rétrécissement d.u t-:gmps+vec.-Ie ré- tréc isseql""t ir"t"11èI. Çèstes ont troP de rides leur monde est troP Pet'it Du lit à la fenêtre puis d'u lit au fauteui-l et puis du lit au lit... On trouve ce même phénomène dans I'oeuvre de Boris Vian.

(2) J'arrive.

( 3) rbid. - (4) L'homme de 1a Mancha : "chacun à sa Dulcinea' cf. caligu- Ia, de Camus : "Si j'avais eu Ia lune, Si ltamour suffisait', tout serait changé. Mais où étancher cette soif ?" Thêâtre, Récits, Nouvelles, Bibliothèque de la PIéiade, Gallimard, L974, 9. I07. (5) Préface de son "Requiem", Gallimard, L962. 351

Son visage étant un des masques de la vie J'ai de le connaÎtre I'envie Et près de Ia pendule où s'accorde le temps Je consulte 1'heure et j'attends (1)'

Pour 1e chanteur, à f inverse, le "visage" de la vie pai'si- est "un des masques" de Ia mort ; et, loin d'attendre ment blement "près de la pendule", de quitter le monde "qui qui triche et qui sabote" (2), le héros bréIienr coilffiê il le signifiait d.ans "les vieux", voit avec effroi }a vie rongée par un temps ennemi que module Ie tic tac de :

(... ) La PenÂuLedtatgent hui ronronne qu saLon qui dit oui qui dit non- et puis qui nous attend

2) f968-1971 z Le-Parad'is-retrouv9.

chancel à "Que1 est votre idéal ?' demandait Jacques Jacques Brel en L973. (...) couPs "Ctest essayert c'est tenter tenter des et tenter d'aimer le Plus longtemps possible", réPondit le chanteur (3).

(I) Le RÊquiem, Gallimard, L962r PP' r05-r05'

(2) rbid. (3) On pourra retrouver tous les ProPos que nous citerons d'ans les-Archives de I'o.R.T.F. et d.ansles Archives I.N.A. éctriquier" consacré à Brel, Brassens"' et d'autres iièrand à,Pre1 : artistes :@ t ?:10.1978_; Homm+qe 23.10.1978)'ains1@îFIe1ivredePieireMonestier sur BreI, ichou, Lgig. Les interview rêalisées I'ont êté lors des rapides retours de Brel en Europe' 352

Rien ne définissait, mieux I'exj-stence qu'il avait com- jus- mencée depuis quelques années et qu'j.l allait poursuivre qutà son arrivée aux lles Marquises.

A) "EggeyeEle--leg!eE-999,-999P9"'

Encore qutelle soit importante, ce n'est pas'la filmo- graphie de I'acteur Brel qui nous intéresse (1), mais lressai fait de mouvement intérieur qu'elle reflète : "un homme, c'est pour bouger (. . . ) on use les choses en étant immobile". ce mouvement intérieur va également se traduire Par un besoin d.thorizons neufs, d'où ces voyages que le poète effec- pilo- tuera, affrontanÈ tour à tour le ciel et I'eau, d'evenant je te et navigateur 3 "Je cherche, oui, je ne sais Pas si trou- vêr maj-s je cherche". "MaiS dis-moi donc ce que je cherche", d.emandait un Per- sonnage de Saint Exupéry, "et pourquoi contre ma fenêtre, êP- puyé à }a ville de mes amis, de mes désirs, de mes souvenirs, je d.ésespère" (2). Pour 1'auteur de "Courrj-er Sud'" comme Pour Celui de "Mon Enfance", ltglg devient un moyen de retrouver (-..) gu'un ce que le premier appelait "cette Promesse obscure : dieu obscur ne tient Pas" (3) et que le second exprimait ainsi

tl (r) Lg67 : Les Risques du métier (André cayatte) ; 1968 : Band.e à Bonnot (Philippe Fourastié) i L969 : Mon oncle Ben- jamin (Edouard l,tolj-naio) i 1?70 : t"lont Dragon (Jean Valère) 1971 : Les Assassins d,e I'offi (Marce1 Carné) ; l97r : FEî" (Jacques Brel) ; L9'72 : I'aventure, C'est I'aventure (Alaj'n (Claud,e f,efouch) ; t972fie Bar de Ia fourche Levent Lg73 : Le Far West GEques BreI) i 1973 : L'Emmerd'eur Fndouard Molinaro).

(2) Saint Exupéry, Courrier Sud, Gallimard, 1928, p' 52'

(3) rbid. 353

Je tsolcis ie Le iure Je jure que ie uolais Mon eoeu.r ouurait Les bras (Il je (...) "Je ne vole pas très haut. lvlaj.s suis heureux (...) Vo]er, crest une dimension qui a toujours marqué I'homme C,est cela lraventure, Ia liberté. J'appe1le cela vivre' Crest mon Far West" (2). Bientôt être pilote ne suffit plus à Brel. La mer l',a toujours attiré. Après I'avoir chantée, il va la parcourj'r en tous SenS : navigateur, il sj-Ilonnera tour â tour I'Afrique du Nord, les Antilles, I'Océanie, Papeete, leS archiPels de Toua- motou, les l'larquises (où iI reviendra se fixer en 1975), Tahiti' voya- "Bien sûr, êcrivait Saint Exupéryr oII srenfuit en ge à Ia recherche de l'êtendue. Mais l'étendue ne se trouve pas. EIle Se fonde" (3). Si nous lrosionsr nous parlerions, à propos de tsrel, de voyage initiatique dans lequel la découver- te du monde se double d'une quête intérieure : "vivre seul est un Projet que je réaliserai. 11 ne sra- git pas d'un désir de solitude complète, je veux vivre en re- un cer- traj-t, non PaS en ermite. J'agirai ainsi Pour écarter tain nombre d.e malentendus quj- me détruisent peu à peu" avaiÈ- il dit avant de s'embarquer (4). Fuite et, recherche, tqlle est en effet, durant ces netrf années la double d,émarche brél:!e44e. Ltune ne va Pas sans ltau- que tre, Baud,elaj-re (5) le savait lorsqu' il écrivait Ie quatrai'n nous avons tous en mémoire :

(I) Mon Enfance.

(2) Rapporté dans : "Brel", d'e Martin Monestier, Tchou, L979, p. r70.

(3) Pilote de guerre, Gallimard, L942, 9' 105' ,,E}rel", - (4) Rapporté dans : de Martin Monestier oP. cit., p. L75-. j'ai Ca (5) "Quand je tis Baudelaire, je saj-s ce que raté' rêna huirble". Brel en L973. Archives de l,o.R.T.F. 354

Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme, Le coeur gros de rancune et de désirs arners ' Et nous allons, suivant le rYthme de Ia lame, (1) Berçant notre infini sur le fini des mers ...

Dans ce qui va suivre, nous laisserons parler Jacques entre Brel' nous contentant de quelques remarques pour lier glanées (2)' eIles les différentes citations que nous avons

a) FUITE... de la mort.

comme nous en avj.ons fait la remarque (3), il ne s'agit physique de Ia pas essentiellement, Pour Brel, de la crainte qu'iI mort (encore qu'eIle ne soit pas absente, surtout depuis peur connaît Ia nature de son ma1), mais de la de I'asphvxie entre spirituelle. c'est ainsj- qu'i-l fait une distj-nction "vieillir" et "le vieilli-ssement" 3 (...) pas "II faut vieillir d,ans Ia mobilitê on nrest : le but f ait pour mourir ( . . . ) puj-sque mourj-r crest s'arrêter de la vie, c'est d'e vieilIir... " ',Il y a une chose qui me fait assez peur, crest le puisque vieillissement i c'est très important d'être vieux' I voya- c'est le d.ernier âge de la vie r c est I'aboutissement du ge. ce n'est qu'à ce moment Ià qu'on sait si on a raté sa vie du ou si. on I'a vaguement réussier... et on ne s'en occuPe Pas tout ! u

(1) Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Lê VoYage, Garnier, 196'1, p. I55.

(2) Cf . p. 35I note 3.

(3) Cf. p. 338. 355

La perspective de la mort est inéIuctable, il s'agit dans une donc de I'apprivoiser. Les arguments de BreI se situent jours tradition toute épicurienne : "I1 faut savoir tous les gu'on est mortel" (...). "Dans Ie tempsr o[ montrait 1es morts' (...) même encore quand. j'étais petit, oD voyait les morts, (...) mais on ne. les voj,t plus (...) et maintenant (...) les gens se croient bien portants. Et de se croire bien portant à se croj.re éternel, i} n'y a qu'un pas. Et, me semble-t-il par problè- moments, un certain nombre de leurs problèmes Sont des je mes d'i-mmortel, alors cturon est mortel. Crest Pour cela que veux dire qu'iI faut aller voir, il faut" ' se souvient-il de "caligula" dans cet 9ÉË' datant de Lg72, où j.! reprend presque mot à mot Ie cri final du héros de Camus : "Je suis encore vivant !" (I) ? Nous y trouvons, en tout cas, une COnfj.rmatj.On du sens que nous dOnnions au mguve- ment bréIien de "fuitel :

De Rottendan à Santiago D'Amsterdqn à VaYsouie De Craeooie à San Diego De dtone en dqne Passe La uie

De peu à peu De coeur en coeul De peuz' en Peu? De port en port Le tentps d'une fLeur Et Lton s'endort Le tentps d'un rêue Et Lton est mort

De terre en te?re De place en pLace De jeunes uieiLLes en uieiLles grasses

(f) Camus, Caligula, Théâtre' Rêcits, Nouvelles. Biblj-othèque de la Pléiade, Gallimard'' L974, p. I08. 356

De guerre en g)erre De guewe Lasse La mont nous ueiLLe Le mort nous glaee Mais de biève en biète De boixe en boire De oerne en uerre Je mords encore à PLeines dents

JE S'Ufi UNMORI ENC)RE VMNrt' ( r ) .

b) RECHERCHE... de 1'Enfance'

seulsr êrr effet, les Poètes et les mystiques peuvent espérer redevenir des enfants. Il s'agit d'une lente et dou- IOureuse reconquête, d'une t,raversée de miroirs r âll bout de laquelle on approche un peu de sa propre vérité et d.e celle du monde :

Ltenfanee qui nous entpêehede La uiore De La reoiuv'e infiniment De ttiure à remonter Le tentPs De déehiner La fin du Liure (2). je "Je crois qu'on peut mouri-r parfaitement enfant et' crois que crest souhaitable. Je veux que ce soit comme cela pour moi. Je vais essayer". ses idées, sur ce point, n'ont pas changé : ne chantait-iI pas déjà en L967 I'ingéniosité que (3) I'homme doit déployer "pour être vieux sans être adulte ?" parce "ce que je n'ai.me Pasr ce sont les adultes... que c'est installé et qu'ils nous enseignent de toute part Ia

(I) Inédit. Reprod,uit dans un Cahier ronéotypé à Bruxelles en L977 par les amis du chanteur.

(21 L'Enfance. Extrait d.u fitm de BreI : "Far West" , L973'

(3) La Chanson des vieux amants. 5)t

je prud.ence, I'intérêt, et des choses cofirmecela dont ne com- prends pas du tou! Itimportance.''" BreL a décid.ément, coflIme le Petit Prince face au busi- nessman, "Stlr les choses sérieuses des idées très différentes des idées d.es grandes personnes" (f ) :

L'enfance c'est enco? Le dtoit de râuez' Et Le d'roit de rêoeY enco? Ikon Père était un chez'eheurdt or ' L'eirrui e'est qu'iL en a tYouuë(2)'

B) "Ist!95-gleiger-Ie-pIgg-legglegeg-P999ib19"

Nous aurons moins à nous êtendre sur cette seconde partierqui n'est que la conséquence de tout' ce que nous venons liés d.e d.ire. En ef fet !' amour, Ia tendresse, l' enfance sont de dans ltesprit de BreI : "On manque de tendresse, or manque I'enfance, enfin on manque d'éblouissement"'

que nous étudions ? z peut "La Èendresse, c'est un jeu égalitaire' On tendre- qui ment ai-mer une f emme, mai-s la tendresse c'est une chose s'ad.resse continuellement aux hommes' (3) ' '' ,'Je crois finalement que j'aime beaucoup plus les hom- mes qui donnent' que les hommes qui expliquent" .'' "Je crois naivement au coeur. Je crois à Ia difficulté leur com- d'aimer les gens, je crois surtout à Ia difficulté de muniquer cela, êt puis c'est tout"'

(1) Saint Exupéry, L€ Pet,it Prince, Gallimard, 1958, P. 49.

(2) L'Enfance. Extraj.t d,u film de Brel : "Far vilest"r L973.

(3) Document inédit de la R.T.ts. datant de 1969 et retransmis le 3.g.Lg7g par FR3 dans I'êmission intitulée : "Et si nous n'allions pa; au cinéma ce soir ?u. On notera I'êvolution qu'a subi i" .on""pt de tendresse dans I'esprit de BreI (cf . P. r46 à 148). J5ë

A Jacques Chancel qui lui demande s'il vit avec les gens ou près des gens, il réPond : je "Je ne sais pas si je vis avec les gens (. . . ) , crois je pour même gu€r dans une certaj-ne partie (...) de ma vie, vis des gens r c€ qui me paraÎt plus intéressant" ' Nous ne ferons pas de Brel un "chrétien qui s'ignore". Les étiquettes nous ont toujours semblé racoleuses. .Cependant 'il prend pour nous ne vons nous her de r maxj-rne de vie une morale héritée du christianisme, bien que cQg- pée d.e ce quj-' la fonde i ca16iPour Ie chrétien, I'amour de I'hom- me ne peut être vécu que dans et par l'amour de Dieu. "Jtaime les hommes",dira BreI. qu'on "LeS hommes sont merveilleux. Il faut peut-être leur dise... " quel- "La main dtun homme, ctest une fête. Retrouver qu'un, crest une fête et Pour moi DIEU CE SONT LES HOMMES.EI un jour ils sauront. . . "

que salut- "Dieu ce sont les hommes" : cela siEni-fie le est à chercher dans I'amour que chacun porte à aut celui qu'il en reçoit,. En corollaire, nous trouvons une défini- tion de I'homme basée sur ce "jeu égalitaire" : ',un homme quj- nrest pas tendrer cê n'est pas un homme.. "Je n'aime pâs, disait le Grand Caid, les sédentaires du coeur. Ceux-là qui n'échangent rien ne deviennent rien' Et la vie n'aura point servj- à les mûrir. Et le temps coule Pour eux conrme la poignêe d.e sable et les perd" (1) ' voilà ce que BreI a découvert dans son Paradis terres- tre d.es IIes Marquises, où il s'est installé depuis 1975 ' Loin

(I) Saint Exupéry, Citadelle, Gallimard, 1951, p' 40' 359

de }a civilisation européenne, iI mène une vie primitive faite de joies très simples et met toutes les ressources de son coeur et de son ingéniosité au service des habitants de Hiva-Oa' "compagnon fraternel de tous' (1)' N'a-t-il pas trouvé ce qu'il chantait de façon Prophé- tique en L962 ? z

UNE 'LLE Chwude eomne La tendtesse Espé.rarfte eommeun désert (...) Et qui sormneiLLait en nos Aeu't Depuis Les pottes de Ltenfmtce(2) .

se désenehante 3) L9Z7-I978 z "IL est orai que souuent La mer Je oettæ dire en ceLa qttteLle ehqrtte dtautYes ehan'ts ]ue cetæ que La mer chante dnns Les Liures d'enfants (3) .

La paix nrest janais acquise une fois pour toutes. ElIe té- Se conquiert par une lutte de chaque instant. C'est ce dont pathé- moigne le dernier disque de Brel. It récapitule, de façon tique, toute son attenter sâ fièvre de bonheur, ses dêsillusions, son horreur de la vieillesse et d.e la mort, avant de nous lais- ' Ser une Sorte de testament spirituel intitulé "LeS l4arquises"

A) TOUTE SON ATTENTE...

Brel semble avoir relégué définitivement Ie catholicis- me au magasin des accessoires i nous le Pensons' non seulement parce qu'i! ne fait qu'une brève allusion à Ia vie de ses ancê-

(1) Pierre Barlatier, Jacques Brel, Solar, 1978' p' 67'

(2) Déjà cité, p. 170.

(3) La Ville s'endormait- 360

(t), ses tres qui "mouraient couverts de prêtres" et à celle de contemporains, auxquels sa hargne reproche injustement d'oscil- (ce qui bien Ier "Sans cesse du fusil au missel" (2\ montre qu,il continue de considérer la religj-on comme une force de mort et 1e clergé comme un allié du pouvoir et de I'injustice), mais surtout parce que ses préoccupatj-ons ont changé : il ne (3) que d'e sragit plus tant Pour lui d.e fustiger "la Bêtise" ]a trouver une sorte de sagesse et de paix spirituelles, malgré quril en- tristesse de ne Pas avoir été à Ia hauteur de I'idéal trevoyait :

On se croit mèche on n'est que suj-f (4)'

sur une musique de manège infiniment lente et nostal- gique - qui nrest pas sans correspondance avec Ie titre d'un en regar- inéd,it : "La Foire" -, Brel ne Se demande plus "tout (5), un dant les cieux s'il n'existe rien de mieux" it chante un isomor- credo humaniste qu'il intitul-e : "Le Bon Dieu". Dans in- phisme révélateur, les limites qu'il dépIore chez I'homme tristesse capable d,e supprimer Ia vieillesse, Ia pauvreté et la qui du monde - sont en même temps un reproche indirect à Dieu ne peut pas être puisque ces maux sont :

(f) Jaurès.

(2') Les F. . . joie (3) 11 faut dire cePendant qu' iI s'en donnera à coeur détri:nent des femmes. Cf . p. 234 et P. 24L sq.

(4) Voir un ami Pleurer.

(5) La Foj-re, inédit. Cf . P. 290. 361

loi toi si t'ëtais L'Bon Dieu Tu ftrais uaLser Les uian AuæëtoiLes (...) Tu aLLumenaisdes baLs Potp Les guetÆ (...) Iu ntstrais pas éeonomeda ciel bLeu (f).

Et il ajoute aussitôt :

Ifuaissi tu n'es Pas Le Bon Dieu Tôi tLt es beantcouPmieua Tu es un Honrne(2) .

A I'Homme, êD effeÈ, de bâtir Ia citadelle puisque Dieu S'en est retiré. "QUe m'importe que Dieu nreXiste PâS", écrivait Saint Exupéry vers la fin de sa vie, "Dieu donne à I'homme de la divinitê"' (3). Et il semble bien 9uê, pour Brel également, Dieu soit d,evenu "Ie parfaj-t supPort symbolique de ce qui est à Ia fois inaccessible et absolu" (4), même s'iI a un d.ernj-er sursaut de révolte face à "I'Arbitre" (5) qui fait cesser Ie jeu de la vj-e. Peut-être est-ce, à son insu, cette Absence essentiel- le quj- donne, dans leg dernières chansons, un ton si pathéti à sa quête d'Enfance sans cesse contredite Par les limites d'e (6), Ia nature humaine, Prisonnière du "temps qui va troP vite" et qui ne peut contenir Ia "soif qui prend garde qu'elle ne se voj.e pas" (7) . - Reprenant les images de clarté de jadis (l'eau Ie ima- ciel Ie feu), merveilleux Don Quichotte d'un instant, il

(r) Le Bon Dieu.

(2) Ibid., déjà cité, P. 294.

(3) Carnets r Gall j-mard, 1953, P. 40.

(4) rbid.

(s)VieilIir.

(6) Voir un ami Pleurer.

(7) La Ville s'endormait. 362

gine, à travers ltune de ses oeuvres Ies plus "sYmbolistes", (l) indique- une sorte de Jérusalem laique où "le temps arrêtéu (2) rait enfin au voyageur le but de sa quête :

La uilLe stendorTnait Et jten oubLie Le nom Sur Le fLeuue en amont Un eoin de cieL bfrLait La uiLLe stendorTnait Et jten oubLùe Le nom Et La nuit peu à Peu Et Le tentps atxâtë Et mon eheuaL boueu'æ' Et mon eoryl fatiguë Et La nuit bLeu à bLeu Et Lteau dtune fontaine (...) Et La fontaine chante Et La fatigue PLante Son eouteau dæts mes reins Et je fais ceLui-Là Qui est mon souuerain ON ILIATTENDQUELQUE PART )1MME0N ATTENDLE R01 (3) .

Mais, derrière ce miroir à alouettes, il ne rencontre que Ia solitude et Ia mort :

trkaison ne mtattend Point Je sais depuis dëià ?ue Lton meurt de hasatd En aLLongeantLe pas (4). jamais D'où Ia tentation de désespérer de pouvoir re- joindre ItEnfance,où I'on devenait "Indien" (5) dans un "Far

(f) La Ville s'endormait.

(2) Nous nous d,evons de citer de larges extraits de cette oeuvre si funPortante Pour notre Propos'

(3) La Ville s'endormait.

(4) rbid.

(5) Mon Enfance. 363

hlest" (I) d.e rêve et où, tel Icare, s'élargissant aux dirnen- (2) sions du monde, Ie "coeur ouvraiÈ les bras" :

Bien sûr tout se manque de tendYe Et iL n'A a PLus d'Amérique (...) Bien sût nos coeu?s perdent Leurs aiLes (3).

si I'on se souvient d.e notre analyse du "salut dans la (4), ne fraternité humaj.ne", calqué sur !e modèIe religieux on s'étonnera pas, sachant combien elles sont liées dans 1'esprit du poète (5), que Itébranlement d'une "vertu" en l'occurren- faud'rait ce ltespérance - fragilise ltassise d,es autres : "I1 il se nous g!g', chanÈait le jeune Brel (6) ; à l'âge mûr, rend compte que rien n'est plus difficile :

Bien sûr ees uiLLes éPuisées Par ces enfants de einquætte ans Notre inrpuissanee à Les aideY Et nos qnou?s qui ont maL auæ dents (...) Et tous ees honnnesqui sont nos frères TeLLementqu'on n'est PLus étonné Que pæ amour iLs nous LaeèYent (7).

11 y a Ià une lutte entre la chai.r et ltespriÈ. Nrest- ce pas a5.nsi que peut se comprendre cette image ? :

(f) Mon Enfance.

(2) rbid.

(3) Voir un ami Pleurer.

(4) Cf . P- ,295 sq.

(5) cf . P. 297.

(6) La Bastille.

(7) Voir un amj- Pleurer. 364

Bïen sûv 'iL y a nos dëfaites Et puis La mott qui est tout qu bout Le borps incLine dëià La tâte Etonné dtêtre eneor debout (1).

Nous voici rendus à la vision de Ia mort- Dans I'oeu- dans Ia- vre Ia plus réaliste qu'il ait écrite sur ce sujet et quelle Ie verbe'mourir revient à vingt deux reprises, Brel se révolte une dernière fois :

Mourir, eela ntest rien ! Moutit' La beLLe affaine ! Mais oieiLLir I oh uieiLLit ! (2)' (3) comrne il sait bien "cracher sa dernière d,ent" r ce- lui qui nrignore pas qu'iI est condamné à :

Maæir faee att etlee? Par arràt de LtArbitte ! (4).

rI nous crie avec violence, comme Par Ie passé' 9uê (5) que toute mort est absurde, aussi bien la mort à la guerre (7) que la mort dans I'amour (6), la mort dans la gloire la mort dans I'insignj-fiance (8). Mais que dire de Ia vieillesse et de Ia déchéance qu'elIe entraÎne ! :

(1) Voir un ami Pleurer. pas j-mpri- (2) Vieillir. Exceptj.onnellement, le texte n'en étant mieux Iné, nous nous permettons d.e ponctuer ces phrases Pour faire sentir le cri de Brel'

(3) Vieillir.

(4) rbid.

(5) Cf. Le Diable (1955), La Colombe (r959) '

(6) Cf. Le Tango Funèbre (1964), La la Ia (1967).

(7) Cf. La SÈatue (1962).

(8) Cf. Fernand (1966). 365

Mottrit' de frissonner Mourir de se dissoudYe De se nacxaPoter trfuourirde se dëeouire (L) . (2). que L'homme est un "être-pour-1a-mort" Voilà ce est Ie découvre re héros brélien au bout du voyage : "Mourir est une mala- seul acte naturel d'e l'homne ; être bien Portant die honteuse" (3). (4) lorsqu'on 11 y a vraiment de quoi "mourir de rire" ,,La qu'on en a appelé "A a chanté : lumière jaillira" (5) et (5)' Nrétait- la fralcheur certaine d.'un vieux puits de désert" jour : ce donc qu'un mirage et faudra-t-j'l chaque

lhotæïr de faire Le Pitre Pour déridez'Le désett ?-.. (7)

B) gNE__s_9 BIE -D-E -!E- g!êI-4ENI - I BI BME! .'

poète' CePendant tout cela n'est que Ia face sombre du nous dire 11 ne nous I'a livrée' semble-t-il, que Pour mieux les 'il a retrouvé' auI Iles Marquises, I'es ir d.e traverser miroirs. Tout comme Gauguin (s) dont it évoque fugitivement

(r) Vieillir. et Ie (2) Selon Ia céIèbre d,éfinition d'Heid'egger dans "LrEtre I 'Allemand) . temps,, , Galiimard, L964, (traduit de Tchou, L979 (3) Rapporté dans : "BreI", de Martin MOnestier, t p.20r.

(4) Vieillir.

(5) La lumière jaillira (1958) '

(6) Jren aPPelle (1957).

(7) Vieillir. Déjâ cité' P. 347.

(8) Auprès duquel il est enterré' 366

I'ombre (1) et d.ont on a écrit qu'iI fut "un mj-ssionnaire à rebours qui voulait demander d.es leçons aux indigènes au lieu d,e leur en donner" Q) 'r il a quitté la civilj'sation occid'en- tale et ses "métros remplis de noyés" (3)r pour retrouver une exj.stence où il y a place Pour la vie intérieure. qui en , son "testament spirituel" commence par ces mots disent long :

ILs paxlent de La mov't eonrnetu parL,es dtun fmtit ILs ïegatd.ent La me? commetu regardes un puits (4) '

A cet.te lumière, nous pouvons écouter le d.ernier d'ialo- gue de BreI avec la mort. on n'y retrouve ni le désespoir ni Ia - révolte qu'i1 avait exprimés dans "Fernand" une oeuvre simj-* laire -t mais I'affirmation que LA TENDRESSEEST PLUS FORTE QUE LA MORT :

Siæ pieds sous tewe Joio tu frères eneore Siæ pieds sous tetre Joio tu n'est pas mott' (5)

La mort ne peut pas davantage anêantir ITESPERANCE:

Nous patLons en siLenee d'une ieunesse uieiLLe Nous sauons tous Les deun que Le monde sornneiLLe Par manque d' intPt'uâ.ence Siæ pieàs sous ierxe Joio tu espèxes eneote (6) '

(1) ,,La pLuie est ttauersièxe eLLe bat de grain en grain gueTqtes oieu,æ cheoauæbLancs qui fredorment Gauguintl (Les Marquises).

(2) H. et D. Janson, Lê peinture dans Ie monde, de la préhistoj-- re à nos jours, Flammarion I L957, Pp' 274-275'

(3) Voir un ami Pleurer.

(4) Les Marquises.

(5) Jojo.

(5) rbj-d. 367

(I)' "J'aurai ltair d'être mort et ce ne sera pas vrai" re- Le poète sait-il qu'j-l retourne au Petit Prince conrme on tourne à son Enfance ?... Queluiresterait-ilàperdre-ouàdécouvrlraprès délabre- cette sorte d,'épuration du coeur et de I'esprit, êt ce les té' ment physique qu'iI cache avec une infinie pudeur sous ponses parfois bouffones qu'il fait aux journalistes trop cu- rieux ? A son ami mort il confie :

Je ne rentYe PLus nuLle Part Je mthabiLLe de nos râoes 2ryhelin iusqu' au.æLèures MAùS HEUùEUXDE SAVOTRlUE JE TE VTENSDEJA (2) . proche cette sérénité face à la mort qu'il saj-t est lque chose de d,ifférent de tout ce qu'il a chanté Ict e sans doute est-elle née au contact des habitants de Hiva-oa i autre que ils lui auront appris un rythme intérieur totalement : celui du temps contre lequel il n'a cessé de se battre

Le rire est dæts Le éoeut Le mot dmts Le tegatd Le coeur est ûoAageu? Ltauenir est au hasard (3) . (4), Dans cette ÎIe où "gémir n'est pas de mise" où "Ia infini- nuit est soumise" (5) lors même que "la mer se déchj're

(f) Saint ExuPérY, Le Petit Prince, Gallimard, I958, P' 89'

(2) Jo jo.

(3) Les Marquises.

(4) rbid.

(5) rbid. 368

mentbrisée''(l),dansces''pointsdesilencequivonts|éIar- gissant'. (2), Brel a retrouvé ce qu'il avait cherché jusqu'aux confins du monde et de lui-même :

LE TEMPSSIIMMOBTLISE (3)

or le temps immobilisé, n'est-ce Pasr aux heures de plénitude, notre rêve à chacun ? Même sj- Brel nrest pas cons- cient de Ia portée de son désir, nous I'appellerons d'un autre nom : I'Eternité.

(f ) Les Marquj-ses. (21 rbid. (3) rbid. CONCLUSION 370

Au terme de notre étude, nous nous poserons une seule question : QUELLE CONNAISSANCEBREL A-T-IL EUE DU CHRISTIANIS- de IvlE ? Nous distinguerons, pour y répondre, deux "sources" toutes formatj-on. La première nous entraÎnera à examiner, dans évoqué à ses .orr"éqo"nces, Ie dualisme brélieq que nous avons j'ntervenir des maintes reprises (1). La second'e, en faisant asPect témoignages et des documents inéd'its (2), dévoilera un peu connu de la "vie spirituelle" du chanteur'

PREMIERE SOURCE : LA RENCONTREDU CHRISTIANISME'

ce Flamand, francophone fréquenta, durant toute la du- pri- rée de ses études, des écoles religieuses : après 1',école I'Institut maire, tenue par les frères de Saint-Viateurr Cê fut pour grands saint-Louis, quj- était alors un collège catholique bourgeois libéraux

(r) Cf. en particulier, P- 317.

(2) Nous ne saurions assez remercier Madame Hector Bruynd'onckx à et Monsieur Guy Bruynd.onckx, qui ont bien voulu répondre BreI, nos question= êt noûs confier des lettres d,e Jacques Rauber âi""i que drautres documents inédits, Madame Franço'i.s chan- e! Monsieur François Rauber (ami et accompagnateur d'u re- teur) gui, malgré un emploi d'u temps très chargé ' nous t"it de genlillesse, Thierry Maertens qui nous çurent-avec quelques à envoyé, de I'Univeisité de Laval où il ensei.gne, tous souvenirs sur Bre1... et tant drautres amj.s : auprès de qui nous avons rencontré un accueil et une disponibilité nous ont beaucoup aidée dans noÈre travaj-l' 37t

comme ses camarades, Brel y suj.vit les cours d'e caté- chj-sme et il y fit sa première communion ; il s'engagea é9a1e- ment dans un groupe de louveteaux avant de devenir éclaireur. Mais reçut-j-l autant une éducation chrétienne ? 11 ne le semble pas. Cette assertion nrest nullement un rePro- des che vj-s-à-vis d'institutions d'où sortirent, par ailleurs, gênérations d'hommes enracinés dans leur chistriariisme : elle est Ia simple constatation de Ia mentalité d'une époque 9ui, ici comme ailleurs, en Belgique comme en France, risquait oe fer- former davantage de chrétiens ritualistes que de croyants vents, dans I'appartenance à une Eglise dont on prj-viIégiait I'aspect insti-tutionnel au détriment de 1'aspect prophétique (I). Brel en fut indubitablement marqué, êt cela retentira in- directement sur son oeuvre. en parle "Jacky" fit joyeuse figure au collège où l'on plus encore colnme du "garçon à la fois le plus secret et Ie gai du monde" (2) : iI décid,a pourtantr êrl L947, "de renoncer aux contraintes d'une institution pour laquelle" il ne Se re- (3) c-onnais'sait "décidément aucune attirance" '

(1) Nous citons quelques témoj.gnages qui ne veulent peiner Per- : sonne et qui-n'orit pas Ia prétentior] d'être infaillibles plus- que "Jacqùes Brel est né dàns un milieu catholique chrétien : bourgeoisie bruxelloj-se attachée à une certaine ;'pratique" voiré à certains engagements. ' ' " ,,Le christianisme que Brel a connu étai-t un éIément de Ia structure bourgeoj-se, rien de plus ' ' ' " pas ,'Brel n'est pâs athée mais agnostique : -iI ne nie que Dieu mais il affirme qu'on ne peut rien en dire et ceux qui en disent quelque-chose sont des domj.nants. . . " et "II a rejeËé l'-Egli-se comme marchande d'illusions comme pouvoii sur les faj-bles" .''

(2) Monsieur I'abbê Deschamps, cité d.1! le livre d'e Pierre Barlatier : Jacques Brel, So1ar' L978, p' 14'

(3) Pierre Barlatier, Ibid., P' f4' 372

Que restera-t-il de cet "apprentissaqe" ? : une oeuvre que nous avons déjà évoquée (1), où le chanteur tout à la fois fustige et regrette sa formation (ne faj-t-elIe Pês, elle -t aussi, partie de son "Enfance" ?) un aveu : "Jrai été lou- veteau, scout et routier, mais ça ne m'a pas tellement marqué" (2) , st surtout, nous semlcle-t-il, une vision du monde totale- ment dualiste (3), qui ne sera sans doute pas étrangère à son ressentiment vj-s-à-vis drune Eglise qu'i1 tiendra en mésestj-me.' En effet, même si Brel nous a dit reconnaÎtre que l'hom- me n'était "ni ange ni bête" (4), parce qu'en lui se jouait le partage d.es valeurs (5), il n'est pas arrivé, semble-t-il, à réaliser dans sa vie 1'équilibre qurentraÎne une telle connais- sance. 11 y d, en particulier, chez Ie héros brélien, une con- ception de l'amour qui nous est apparuer âu fur et à mesure notre étude, totalement étrangère au christianisme :

Atsant eu.æLthonrne était un ptince La fernne une prLncesse L'amour une p?ouince-. Mais iLs sont atriués Le pnince est un mendïant La prouince se meuri La princesse se uend CAi lLS ONTTNWNTE LIAI^OT]R ]UT EST UN PECHE(6).

Comment ne pas identifier, dans cette dernière affirma- tion, Ia conséquence drune éducation quelque peu janséniste'

(r) cf. pp. 320 sq. (2) Conversation Jacques Brel Robert de Prez' enregistrée au magnétophone (Bruxelles' Hiver 1957-58).

(3) cf. pp. 249-250. (4) Pascal, Pensées, Oeuvres complètes, Seuj-I, I964, p. 590 (pensée 678).

(5) cf. P.309. (6) Les Singes (r96r). 373

(le mal qui insistaj.t davantage sur les consêquences du ma1 péché par excellence étant, bien entendu, considéré comme "le ? (1) : de la chaj-r") que sur l'épanouissement du bien

Tout ça dresse une rrutq|LLe de Chine Entv'e Le pautsre otd Piettot Et sa fugaee CoLombine(2).

Lechristianisme,PourBrel,semble,enfaiÇseréduire I'homme d'e Ia à une morale qutil récuser pârcê qu'elle couPe il parle en vj-e réelle i souvenons-nous d,e ces fenêtres, dont Ies chargeant d'une valeur métaphorique :

Ah ie ntose Pas Pense" SuteLLes seruent à uoiLer PLus qu'à î;aisseY entten La Lumière de L'été (3) .

Noustrouvons,danslamêmeoeuvreldesphrasesdontle symbolisme est clair 3

Les fenêtaes nous guettent Qtand nptre eoeuT s'axnâte En croisqnt Louisette Pour qui bniLent nos ehairs (...) Les fenêtTes me suiuent Me suiuent et me Pot'ttsuiuent Jusqu'à ee que Peur s'ensuiue Toui au fond de mes draPs (4)'

con- (f ,,Cette foi où les scrupules (...) I'emportent sur la ) que la nostalgie fiance .t qùi a plus lâ peur de I'enfer Flammarion' du Ci-eI". i"org"Ë Rodenbâch, Bruges Ia Morte, I978, PP. 58-59.

(2) Les jardins du Casino (1964) '

(3) Les !'enêtres (1966) -

(4) rbid. 374

Faut-i1 s'étonner, finalement, si Ia difficulté de concilier la chair et I'esprit a pu faire assimiler au héros bréIien tout ce qui touche à I'amour comme totalêment mYstiaue ou, à 1r .inverse, coilIme totalement démoni En 1956, nous avons un Hymne :

fuand. on nta que L'ûnour A offnir en PYièY'e(L) .

En Lg66rnous avons une sorte de blasphème :

Ma mère awête tes Priètes Ton Jacqttes Yetoutne en enfer IaathiLde est reuenue (2) .

11 lui eût été doux de pouvoir apaiser ce tumulte' com- me le fit un poète chrétien dans un des cris les plus extraor- dinaires que I'on ait lancês vers Dieu :

Ah je saj-s maintenant Ce que c'est que l'amour ! et je sais ce que vous avez enduré sur votre Croix, dans ton Coeur Si vous avez aimé chacun de nous Terriblement comme j'ai aimé cette femme (...) ET AU DESSUSDE LIAMOUR IL NIY A RTEN, ET PAS VOUS IIEME ! (3)

Maj.s Brel ne connut Pas ce chemj.n et continua à se dé- chirer. on voit Ie danger d'un tel duali-sme, qui méconnaÎt con- crètement la division originelle de Ithomme. CommenÈce dernier'

(I) Quand.on n'a que l'amour' déjà cité, p. 109.

(2) Mathilde' déjà cité, p. 200.

(3) Paul Claudel, Partage de Midi, Livre de Poche n" 1508, Gal- Iimard, L97L, P. 160. 375

profonde' peut-il ac- avant perdu Ie sens de sa compréhension sans cueillir le "Sa1ut" I qutil soit, sans le remettre cesse en question ou sans désespérer ? quj- eut une Un auteur contemporain, mort récemment' et Brel' "pour éd,ucati-on "religi.euse" assez semblable à celle d'e je à I'époque I,unique raison que "ça se faisait" Ià où vivais, qui Ie ca- où j,y vivais" (1), développe, dans le style coloré brélien- ractérise, ce que nous décelons dans certaines oeuvres entravant une nes : "corps pri-son, corps chalnesr corps boulet terre val- âme que Ia mort, ouf ! délivrait enfin de ses fers ; qui se justifiait lée de larmes ; vie terrestre bref passage ne où 1'â- que par l'êpreuve préparant à Ia vraie vie, Ia céIeste, que corps, enfoui me évaporée du corps feraj.t I'ange tandis 1e en attendant le dans Ia terre contme une ordure, ferait Ia bête gangrène du désir' taratata du Jugement Dernier ; Ie diable s'il prison du plaisir t la mortification d.e la chair, comme 'la (2) fallait tuer chair avant sa mort !' Et Jean-Louis Bory, qui assure plus loin : "Dieu POUr s'obsti- moi crest finj." (3) , avoue : "N'empêche. Le décalogue de danser en ne (. . . ) eÈ il se pose un peu 1à coilrme empêcheur rond" (4 ) . Brelquestionnera:''Maislediabledort-ilSousla c'est un mot Bible" ? (5), avant d,e finir par dire : "Dieu, pour moi" (6).

I973, p. 35. (r) Jean-Louis BorYr Ma moitié drorange, Julliard'

(2) Ibid. , P. 34 .

(3) Ibid. ' P. 37.

(4) rbid., p. 35. Inédit' (s) Pourquoi faut-iI que les hommes s'ennuient, Tchou, (6) f950 RaPPorté dans : "BreI" de Martin Monestier, L979, p. 79. 376

on comprend sans doute mj-eux, à présent, pourquoi le christianlsme, I'Eglise et le clergé sont aPparus au chanteur comme des forces de mort : quand Ia formation religj-euse est coupée d,e ses racines humaines, eIle aboutit infailliblement à une conception dramatj-que de I'existence. Et Brel préfère paraÎt en finir une fois pour toutes en rejetant ce qui lui absurde et culPabilisant. saint-Exupéry, qui fut êIevé dans une famille profon- d.êment relj-gieuse, et qui avait cessé de pratiquer aux alen- Èours d.e sa vingtième année, dressait un réquisitoire contre qui vi- Ia "lettre qui tue" et empêche de discerner "l'Esprj-t vifie" (l) : ',Tu connais le festin des noces, une fois que l'ont jour déserté les convives et les amants. Le petit exPose Ie désord,re qu'ils ont laissé. Les jarres brisées, les tables d'un bousculées, la braise éteinte, tout conserve 1'empreinte mon tumulte qui s'est durci. Maj-s à lire ces marquesr me dit père, tu ntapprendras rien sur I'amour' A peser et à tourner Ie livre du Prophète, me dit.il encore, à s'attarder sur le d,essin des caractères ou Sur I'or non des enluminures, I'illettré manque I'essentiel qui est du cier- I'objet vain mais Ia sagesse divine. Ainsi I'essentiel ge n'est point Ia cire qui laj.sse des traces mais la lumière" (2) . première I1 y a un "Grand caid" Chez BreI. De cette préféré, source de formation il lui restera, comme à son auteur jusqu'à une exigence d'idéaI eÈ de fraternité poussés Ia 9éné- rosité sans li:ni.tes.

Jêru- (1) Saint Paul, 2e éPîÈre aux Corinthiens, 3 (6) , Bible de salem, Lê Cerf , L956, P. r528.

(2) Saint Exupéry, Citadelle, Gallimard, 1948, P' 19' 377

DEUXTEMESOURCE : LA RENCONTREDE CHRETIENS.

jeunesse qui "J'ai été dans un mouvement (...) de est jtai inconnu, gui s'appe1le la "Franche Cordée" (...). Et 1àt trouvé une æspèce d'équilibre. (...) Il y avait un pourcentage de meneurs et de gars très bien... un Pourcentage très éIevé" " (..')' plus éIevé qu'en général dans les groupes d'individus Ce fut une expéri.ence extraordinaire" (1) ' Qu'était-eller âu juster cette FRANCHE-CORDEEdans la- quelle Brel trouva à employer toute sa soi-f de générosité, où qutil i1 monta "Le Petit Prince, où iI iI chanta une oeuvre avait composée en l'honneur de Saint Exupéry et dont 1e refrain se Èermj-nait ainsi : "Accroche tes ailes à l'étoile qui luit" ? Pour le savoir, laissons parler un des amis du chanteur, Mon- sieur Jacques Zwick : "Mouvement de jeunesse mixte, fondé en pleine guerre par un homme extraordinaj.re, Hector Bruyndonckx, à qui Jacques a toujours conservé une immense tendresse, ce grouPe était un centre dtanimation, de loisirs actifs, dtéducation Permanente avant la lettre. on y était ferventsrenthousiastes, fraternels, on y rebâtissait le monde" (2). l4onsieur Pierre BreI, le frère de Jacques, nous écrit : ',Le nom de son fondateur évoque toute une époque qui a très cer- tainement joué un rôIe détermj.nant dans Ia carrière et la vie de celui que je me plaj.sais par amj-cale boutade à appeler mon grand petit frère" (3).

- (1) Conversation Jacques BreI Robert de Prez enregistrée au magnétophone, Bruxelles, Hiver 1957-58'

(2) Extraj.t d'un article Paru dans un journal belge Ie lende- main de Ia mort de BreI.

(3) Lettre de Monsieur Pierre Brel, 8 février L979. 378

"PLUS EST EN TOI", telle êtait la devise de la Franche juge Cord.ée. Et si I'on veut en connaÎtre Ie styler QUê I'on en dtaprès les extraits de la charte composée par Monsieur Bruyndonckx, uvait à la foi-s être un chrétien convainc " : "Aie soif et faj:n de beauté, de grand'eur, de silence' Ne te replie Pas sur Ia médiocrité (...) N'étouffejamaisentoilaflammedel'amitj-é En elle se consunrme notre humaine dé- tresse.

Donne, dans Ia commune ascension, Ie meilleur de tgi- meme. Tu es. Iié à tous les hommes de Ia cordée humaine. Sois riche d'avoir beaucoup donné' (...) Porte ta vie vers son plus grand Principe Ton bien éternel DIEU Source de tout Amour et de toute Justice" ' si le poète nous a semblé, précédemment, ne pas avoir ressenti la nécessité d'approfondir sa foi, s'i1 n'a considé- mO- rê, dans I'Eglise, 9Uê les "Curés" Chargés d'enseigner une rale trad.itionaliste, il a cependant été attiré par Iridéalis- me chrétien et lrouverture sociale rencontrés à Ia Franche Cordée. Au début de son mariage n'organisait-il pas et ne fi- nançait-il pas déjà des camPs de vancances Pour les enfants né- sa cessiteux ? Cette générosité se retrouvera tout au long de vie et nous nous sonmes étendue sur ce qui précèd'e pour bien montrer Itorigine d'un trait de son caractère qui, d'après tous les témoignages que nous avons Pu recueillir, Ie d'éfinissaj.t tout entier. "Vous qui avez faj-t de lui un homme"" ', écrivait Ia mère de BreI à Monsieur Bruyndonckx, qui nous semble avoj'r êEê effectivement une sorte de père spirj-tuel pour Ie chanteur' On en Sera convaincu lorsquton aura Iu les lettres ou les extraits des lettres échangées, de 1955 à 1965, entre les 379

deux hommes. Nous les publions, avec I'aimable autorisation de Madame Bruynd,onckx, parce qu'e1les nous permettent d'e com- prendre que si BreI, à la fin d,e sa vie, a retrouvé une certai- qu - ne sérénité dans le don de lui-même aux autres' ce contra et vécut à la fra4che Cordée n'y fut s étranger.

ttGenèueLe 3 octobte 55 Moncher P.S.C. (I) Jtai connu autrefois un beau poiLier tout blanc (2) qui transpor- tait d.e pat Le mond.e, Les idées qui font que des hontnes, patfois' ne uieil- Lissent pas. [)n jour, e,ëtait auant de pattir pour son dernier uoyage(3) , Le uoiLiex prit à son bord. un ieune mousse(4) auqueL Les membresde L'équipa- ge entrepriv'ent d'apprendte Le métiez' de marin' Et iL L'appv'it au cours de eette croisièz'e '

Lonsque Le rnuiYe retsint Le mousse auait grartdi : iL était ptes- q1,Leun hprme et sauait rnuiguen. Le uoiLiet étant uieu.æ On Le uendit.

Les mernbresde L'ëquipage' alo?s' achetètent dtauttes petits uoi- Liers

(1) Parti Social Chrétien - On reconnaÎt I'humour de BreI'

(2) 11 s'agit de la Franche Cordêe.

(3) Le mouvement prit fin en L952 et se continua avec une nou- velle jeune franche Cordée qui avait pris conrme nom "LrEn- tonnoir".

(4) BreI lui-même. 380

Et par grol,tpes de 3 ou 4 iLs repartirent rieVrcs de Ltenseigne- ment reçu. Le mousse aussi nePattit Mais seuL (L)

IL uogagea deu.æans, partout iL s'en aLLa débarquer Les grartdes caisses d'idéal enty'eposéesdaos La caLe (2) de son petit' uoiLier. Ilais autrefois, aoec Les anttres, iLs débavquaient touiouts en d.es ports connus où'Lton était sûr Le soir, de reneontnet quelques oieuæ eanarades. Des ponts où des hotrtnessoutsent uernient demartderde transpotten au Loin queLques caisses, queLques Liures.

Mais Le petit uoiLier poulait aLLer pLus Loin' IL y est aLLé. En d.es ports saLes et tnistes où nuL ne uous conn'aît où ruL ne oous propose queLqtle marehartdise. IL traaersa des mers où L'eau est coutserte de nappes d'VtuiLe qui saLissent un uoiLùer eontnenien au monde. Des mers pLeines de récifs.

CeLa du.ra deu-æans. - - Et un iour iL heutta un réeif tout pnès de La côte en un Paus inconnu. Su.r Le pont Le mousse attendait que oiertne dtt seeours. IL atriua. Trop tand. Le uoiLier, baLLotë par Les oagues, était dsts un bien tt'iste ëtat. IL était à bout de eoutse-

(I) BreI a souligné ce mot.

(2) BreI a souligné cette Phrase- 38r

Loxsqu,après auoir remorqué Le nauixe en un pont uoisin' Le mous- se ?eme?ei.ases sauqetetæs et se mit à rëpatet son bateant Des honmesL'aidèrent. Des ineonrrus. ILs ditigèrent Les trauau.æet GLLmousse étonnë, iLs disaient ,Von ainsi ce sera mieutt" Ce ioræ Le uoiLiev naùigaa à nowsea't Mais iL a bien ehangë Ce n'est PLus ttn ooiLier c I est une sorte de bateau marehm.d qui uend des ehansons C|est une sorte de bateau marehand Ctest une sorte de marehand.

Parfois iL passe en uotre Port- vous saoez bien, Le port où Lton uend.it Le uieu,r nauive

Et Tqnt pis si eette histoite est uéridique'

AmicaLement Jacques."(L)

De la réponse de Monsieur Bruyndonckx, nous extrayons ces lj.gnesrpar lesquelles nous voyons Itexigence affectueuse- ment humaine et chrétienne qu'il osait avoir pour Brel : ,'Non, tU n.es pas seul , car ceux quêr durant deux ans, d'' Idéal dans tous les Ports, tu as nourri de tes grandes caisses ont toujours les yeux tournés vers toi et attendent davantage' Non, tu n'es pas seul (2), car Celui qui seul eSt source

(1) Ici conrmeailleurs, nous respectons Ia disposition du texte de Brel.

(2) Nous ne pouvons nous empêcher de remarquer que tsrel a repris ces mOtS danS une ChanSôn d'amitj.é, "Jef " : "NOn, Jef t'eS pas tout seul" (1964) - 382

d'Idéal' a encore besoin de toi. (...) It en est de toi, colnme de ces gens qui veulent con- vaincre les autres de la nécessité et de la valeur d'une recet- tê, qutils n'ont jamais voulu expérimenter' 11 en est beaucoup co1nmecelar âU service du Seigneur, qui allument les cierges de I'autel, 9ui sonnent lrappel des cloches (...) et ne voient pas les tabernacles vivants' Peut-être qu'un jour, réalisant Ie danger qu'ils cou- rent, ayant buté sur }e récif, convaincus qurils avaient eu tort d'abandonner un métj-er de marchand (I) pour un autre, ils j'aI- s'empresseront d.rallumer la petite lampe qu'à 1'é91ise où lais on appelle le Bon Dieu (2). Ainsi soit-il. Hector"

L'année suivante, de Paris où il se trouve, Brel écrit :

,,Rien à dire d,un métier qui, brwsquement, étant Ceueru aduLte' me paraît trop cormnode,trop eonfortahLe autssi' Rin, à dit,e dtune Uie spititueLLe deUenue, par ma fatte' pv'esaueùëQatati- ue (3) (...) Peut-âtre ne suis-ie Pas assez hwnbLepou? poul)oit neceuoir ? peut-âtne ai-je bmtsquement enuie dtâtre heureus d'urt bonheur qtle L'on ntaurqit pas trop de maL à se eonstmdre ?

(I) Brel avait en effet quitté 1'entreprise familiale de carton pour monter à Paris.

(2) Ces mots sont la reprise exacte de "Grand Jacques" (1955).

(3) ltrous soulignons à dessein. 383 -

Ntai pLus entsie de rien dire, de rien faire. Je suis Las. Et n'ai pas La foree de eroire que c'est de ma faute. Peut-âtre aussi ne suis-ie à La mesure des choses qu'iL m'a été dornté de eonrprend.re ( f ) . Bonsoir bean Prinee. Très sineèrement. {w"

En 1959, année où Brel compose, entre autres, "Les da- mes patrOnnesses" et "LeS F1amandeS", Ie tOn Change. A une rê- primande de Monsieur Bruyndonckx, il rétorque sèchement :

nyaoré de constatez, que Le mot chxétien est tr'istement sépaté du mot humoup. (...) - Nauv'ésurtout de ne pLus txop aimer Les sev'rnons"(2) '

I"lais cette bourrasque n'est que Passagère :

Roquebmtne77 - 9. L962

tUe oous espère en pleine forTne, en pLein feu, en pLeine ioie. Fort eornne La paiæ et souple eornmeLa tendtesse. (...) Soutsent soutsent ie pense à uous, a.ta uôtnes, à uotte toute. Et eeLa est dou'æ".

Patis 3.7.L963

"Irieyei pour cette ehaLeur et eette tendtesse aussi De tout mon eoeu.!'l

(1) Nous soulignons à dessein

(2) Bruxelles, 22.7.1959. 384

on aura remarqué I'importance que prend, chez Brelr le qutil aime' Crest mot "tendresse" lOrSqu'il s'adresse à ceux qu'à côté d,u "-Grand Caid" se cache un "$!!!-$!3g" f i-dèle jour passage, du dans ses amitiés au point de profiter, un de peu de temps que lui laissait lrentrracte d'un récital à venir Bruxelles pour sauter, tout maquillé, dans un taxi et embrasser Monsieur Bruyndonckx qui était alité. Lepublicqu'ilvarejoindrecomPrend-iltoutcequj-se ? z cache de nostalgie derrière la férocité qu'il affiche

Mâmesi itme saoùLe à LthYdtomeL Potæ mieun patLen d'uiriLité A des mémèresdëeorées Corwnedes atbYes de NoëL Chaquenuit dans ma saoûLographie Pour un pubLie dtéLéPhattts noses Je chant'rai La ehanson morose CeLLedu tentpsoù itm'app'Lais Jacky (1)'

',Le vieux Jacky" : C'est ai-nsi qu'il signe la carte qu'il envoie, de Leningrad, en 1965, à son "cher Hector" et son dans laquelle, une dernière fOis, iI peut luj- dire encore affection..',JeuousembrassedeLoinmaisLeeoeurestproche'....

Petit Prince et Grand Caid', te1 nous est apparu BreI tout au long de notre étude. Nous pensons, avec Pol Vandronme, 9Ùê la grande réussi- SEIN I\'IEME te de cet être de contraste est "DTAVOIR SU DIRE, AU DU MON- DU PECHE ORIGINEL, UNE CERTAINE TENDRESSEDE L'AME ET DE" (2) .

(1) Jacky (I964). Labor, (2) Pol Vandromme, Jacques Brel, L'exil du Far West, Bruxelles, 1977' P- L28. 385

Je vais es- "Je voudrais mourir Parfaitement enfant. à sayer", avait-j-I dit dans une de ses dernières aPparitions la télévision. I1 semble qu'iI Y soit Parvenu'

"Lorsque j'étais petit garçon' j'habitais une maison an- cienne, àt la légende racontait qutun trésor y était en- foui. Bien sûr, jamais Personne nta su le découvrir, ni peut-atre mêmene lra cherché. Mais il enchantait toute cette maison. Ma maison cachait un secret au fond de son coeur"' - oui, dis-je au Petit Prince, 9u'il s'agisse de la mai- son, des étoiles ou du désert, ce qui fait leur beauté est invisible ! - Je suis coûtent, dit-ilr gue tu sois dtaccord avec mon renard" ( I )

(f) Saint Exupéry, L€ Petit Prince, Ga1limard' L947, p. 78. CONCLUSION GENERALE 387

contemPo- "Dieu et Ie sens de la vie d.ans Ia chanson raine. .. "

Les nusieiens 2nt-iLs enfin Trouuë Le'tlatt ? (f ) demande Georges Brassens, t.émoin de la d'ifficulté d'exister dans un univers clos où il recherche une harmonie-..

Je ooulais prendte un train Q,e je ntai iærwis Pnis (2) Ia bar- chante Jacques Brel qui, tel Magritte (3), veut abolir (4) rière du temps pour "pattïr où personne ne patttt "' Deux personnalités. Deux démarches. Deux univers' Dans Ie destin le premier, on apprivoise la mort, puisqu'elle est s'amuse de l,homme ; I'amour devient un jardin fermé où saturne interro- méchamment à 'houscuLen Les roses" (5) . Dans le second r OD ge la mort :

Mais qttry a-t-iL dentière La porte Et qui mtattend dëià ? (6)

(I) Brassens, Lê vj.eux Léon (f 958, disque 5) '

(2) Brel, l"lon enfance (L967, Barclay 2) '

(3) René Magritte, peintre et dessinateur belge mort à Bruxelles en L967.

(4) Brel, LtHomme de la Mancha, La Quête (1968) '

(5) Brassens, Saturne (f 955 , d'isque 8) '

(6) Brel, La Mort (1959, PhiliPs 3)' 388

(1) et I'amour, 9ui devait être réponse, lumière et "voyage" t se révète incapable de tenj-r ses Promesses '

Nous ne prétendons Pas faire de Brassens, de Brel et d.e tant drautres des "Phil0sophes" qui donneraient, aux in- terrogations qu'ils sOulèvent, des réponses rationnelles ! Nous avions dtailleurs parlé, d,ans notre inÈroduction, de "ré- cupération sauvage" des thèmes métaphysiques Par la chanson contemporaine (2). 11 nous semble cependant que ,a' Celle qui fait sa Place au soleil dans l'ombre de nos coeurs et que rien n'effarouche-.. (3)

peut être une voie d'accès non seulement, cotnmeon }ta dit, à thèmes qu'el1e Ia "véritable poésie" (4), mais encore, Paf les véhicule, à Ia véritable philosophie' Finalement ces chanteurs nous; posent, à leur insu sans doute, à travers leurs cris et leurs murmures, Ieurs rires et Ieurs larmes, Ieurs êlans et leurs chutes, Ieurs attentes et leurs désespoirs, une question essentielle : "QU'EST-CE QUE L'HOMME ?.'

(I) Brel, Quand on n'a que I'amour (1956, PhiliPs 2).

(2) LorSque n6us d.isOns "chansgn cOntemporaine", nOuS n'envisa- gaOttJ évidemment pas Ia chanson commercj.ale, 1e "Èube", les ;hit-parades", deËtinés à assurer Ia fortune d'une ind'ustrie pauvre en poéiie que Boris Vian a plaisammant critiquée : nOn a toutè tiberté d'imaginer une race d'hommes sans cor- des vocales, et qui ne chanterait point. Rêve revigorant quand on a ècouté quelques temps la radiodiffusion, nationa- fe oo privée, êt qriand on a fait Passer quelques auditions ! ("En avant la Zizique", La Jeune Parque, L0/l-8r PP' I0-fl)'

(3) Claud.e Nougaro, Lê Chanson (Michel Giroud, Claude Nougaro' Seghers, p6ésie et chansons, 1974, p' 77)'

(4) Cf. AngèIe Guller, Lê 9e Art, La chanson française contem- porainé, Vokaer, Bruxelles, 1978, P' 14' 389

En les écoutant, nous Percevons obscurément qu'iI existe une part de nous-mêmes qui ne Peut se d'éfj-nir ni par un progranme génétique, nj- par une place privilégiée au sein d'un écosystème, ni par un certain type de comportements ou de relati.ons à f intérieur d'un groupe : iI s'agit de cette "UBRIS" qui fait d.e I'homme "un animal doué d,e déraisor-I" (1). Ainsi, à travers ce.qu'iI appelle "Ia brèche anthropo- présen- logique" (2) , Edgar Morin considère la conscience de la telle a mort et "lranxiété sPêçtfigge" soulève comme fondalement humaine. A sa manière, êt sans préÈention, Itoeuvre de Brassens pourrait illustrer cet assertion... :

Les dieun ont tou;iottts soif' n'en ont ianais aasez Et e'est La mort, La mort tou;jot'æsreeonrmeneée (3) ' qu'un Quant à BreI, dont I'oeuvre toute entière n'est long cri dans lequeI iI se déIivre, il nous révèle ce que I'au- teur du "Paradigime perdu" définit comme "la face de I'homme ca- ( chée par Ie concept rassurant et émollient de sapiens " ' ) , un être d'une affectivité intense et instable qui sourit, rit, pleurer UIt être anxieux et angoissé, un être jouisseur, ivre, extatique, violent, furieux, aimantr UII être envahi par I'ima- ginaire (...)r 11IIêtre soumis à I'erreur, à lterrance, un être ubrique qui produit du d.ésord,re" (4).

(r) Edgar Morin, Lê parad.igrme perdu : Ia nature humaine, Seuil' 1973' p. I07.

(2) Ibid. ' P. 1It.

(3) Brassens, Mourir pour des j-dées 0972, disque 1I)'

(4) Edgar Morinr oP. cit., P. L25- 390

Mais, pâr delâ ce désordre, à son insu, le poète bruxel- lois nous entraÎne vers un monde qutil n'a cessé de chercher, t'debout" (L), un monde dans lequelr Pâr }a foi, nous vivons déjâ un monde enfin où "la mort ne sera plus" (2) , où "il n'y aura plus de nuit", où "nul nraura besoin de Ia lumière du fl-ambeau ( ' ' ') ni d,e Ia lumière du soleil, car 1e Seigneur Dieu répand'ra Sa Lumière" (3).

(Vivre (r) Cf. BreI : "Serait-il impossible de vivre debout ?" d,ebout, L961, PhiliPs 4) .

(2') Saint Jean, APocalyPse, 2I,4'

(3) rbid,. , 22,5. DISCOGRAPHIE' BIBLTOGRAPHIE DES OEUVRES, EMISSIONS, OUVRAGES ET ARTICLES, CITES 392

GEORGES BRASSENS

DISCOGRÀPHIE 3

Georqes BRASSENSt : "La mauvaise réputation" ' (Grand Prix du disque 1954). Philips 9r01043. - La mauvaise réputation - Le fossoyeur Le gorille - Le petit cheval (Paul Fort-Brassens) Ballade des dames d.u Lemps jadis (Villon-Brassens) - Hécatombe La chasse aux papillons - Le parapluie - La marine (Paul Fort- erassens) - Corne d'auroch Il suffit de passer le pont - Commehier (Paul Fort-Brassens)

Georqes BRASSENS2 : "Les amoureux des bancs publics". Philips 910I044. - Les arnoureux des bancs publics Brave Margot Pauvre Martin - La première fi1le La cane de Jeanne Je voyou - Jtaj- rendez-vous avec vous Le vent suis un - Il n'y a pâs d'amour heureux (Aragon-Brassens) La mauvaise herbe - Le mauvais sujet repenti P... de toi.

Georqes BRÀSSENS3 : "Chanson Pour I'Auvergnat"' Philips 9I01045 - chanson pour l'Auvergnat - Les sabots drHêlène Mari- nette - une jolie fleur - La Iégend.e d.e Ia nonne (v. - Hugo-Brassené) - Colombine (Verlaine-Brassens) Auprès - de mon arbre - Gastibel-za (V. Hugo-Brassens) Le testa- - ment - La prière (Francis Jammes-Brassens) Le nombril des femmes d'agents Les croquants'

Georges BRASSENS4 : "Je me suis fait tOut petit". Philips 910r046

- me suis fait tout petit - Lramandj.er Oncle Àrchibal Je - La marche nuptiale - Les lilas - Au boj-s d.e mon coeur - - Grand'père - Celui qui a mal tourné Le vin Les Phi- listinË (Jean Richepin-Brassens) . 393

Georges BRjASSENS5 : "Le pornograPhe". Philips 9r0I047 - Le vieux Léon - La ronde des jurons A I'ombre du - coeur de ma mie - Le pornograPhe Le Père NoëI et Ia - petite fille La femme dtHector - Bonhomme Les funé- railles d'antan - Le cocu - Comme une soeur.

Georqes BRASSENS6 : "Le Mécréant". Philips 910I048 - - La traÎtresse Tonton Nestor Le bistrot Embrasse- Ies tous La ballade des cimetières Lrenterrement deVerlaine(PaulFort-Brassens)-GermaineTourangelle - (paul Fort-Brassens) - A Mireille (PauI Fort-Brassens) - Pénélope - L'Orage Le mécréant Le verger du roi - f,ouis iT. de Banville-Brassens) Le temps passé La fille à cent sous.

GEORGESBRASSENS 7 : "Les trOmpettes de la Renommée". Philips 9101049

- Les trompettes d,e la Renommée Jeanne Dans I',eau de Ia clairé fontaine Je rejoind.rai ma belle La mar- guerj-te Si le Bon Dieu liavait voulu (P. Fort-Brassens) - ia guerre de f4-fg - Les amours d'antan Le temps ne fait rien à I'affaire - Marquise (corneille-Tristan Bernard-Brassens) - L'assassinat La complainte des fj-lIes de joie.

Georges BRASSENSI : "Les copains d'abord". Philips 9r0I050

Les copains d'abord - Les 4 z'arts - Le peÈit joueur de fIûteau - La tondue - Le 22 septembre - Les deux oncles Vénus Gallipyge - Le mouton de Panurge La route aux quatre chansons Saturne Le grand Pan.

Georqes BRÀSSENS9 : "supplique Pour être enterré à Ia plage de Sète". Philips 9r01051 - Supplique Pour être enterré â la plage de Sète Le fantôme La fessée - Le pluriel - Les quatre bacheliers Le bulletin de santé - La non-demande en mariage - le grand chêne - Concurrence déloyale - L'épave - Le moyenâgeux. 394

Georqes BRASSENSIC : "La Religieuse". Philips 9I0I052 - je- Mysoginie à part - Bécassine L'ancêtre Rien à ter - Les oiËeaux de passage (,f. Richepin-Brassens) La Religieuse - Penséés des morts (Lamartine-Brassens) La rose, r" bouteille et la poignée de maj-ns sale Petit Bonhomme.

GCoTgCS BRASSENS Philips 6499472 - Fernande stances à un cambrioleur La ballade des qui sont nês quelque part - La Princesse et le gens - .toqrré-ttotes Sauf Ie respect que je vous dois Le - Mourir pour des idées - Quatre vingt quinze Blason - pour cent - Les passantes (Antoine Pol-Brassens) Le Roi - A ltombre des maris' Georges BRASSENS- Nouvelles chansons Philips 9r0I092

Trompe-la-mort - Les ricochets Tempête dans un béni- tier - Le boulevard du temps qui Passe Le modeste - Don Juan - Les casseuses - cupidon s'en fout MontéIi- - mar - Histoire de faussaire - La messe au pendu Lèche-cocu - Les patrj.otes - Mélanie.

EMISSIONS :

"Propos sur Ie métier", nntrétien de Brassens avec Georges Lafaye, 13 Septembre 1963' Archj-ves d,e I'O.R.T.F. (reProduit dans le coffret Philips "Dix ans de Brassens", P 772L0 t) .

Radioscopie de Jacques Chancel avec Georges Brassens, 30. 1I. 197L. Archives I.N.A.

"Brassens, I'amour de Ia musique et de la langue française". Emissi-on de PhiliPPe Nemo. France Culture : 17 et L9.2.L979- Archives O.R.T.F. 395

BIBLIOGRAPHTE :

BONNAFEAlphonse, Georges Brassens, Edition refondue et augimen- téé, Seghers ("Poésie et chansons"), Paris, 1976'

BRASSENSGeorges, Poèmes et chansons' Editions Musicales 5'7, Paris ' 1973.

BR.ASSENSGeorges, Chansons, Album no L4, Ed'itions Musicales 57, Paris , 1976.

CHARPENTREAUJacques, GeOrges BrasSens et 1a poésie quotidienne de Ia chanson, Cerf, Parisr 1960.

CITATELPhilippe, Georges Brassens , Editions Saint Germain d'es Prês, Parj-s , L972-

FALLET René, Brassens, Denoël, Parj-s ' L972

JOLY Pierre et CARDOTVera, Brassens, céIébration du visage, Robert Morel, Lê Jas, Haute Provence, L966'

RUY-VIDAL François, Georges Brassens ' (chansons illustrées Par Folon, Alain Gauthier, Alain Lefort etc"'), Alain Pierson,/Weber, Turin, L977 -

SEVE André, André Sève int,erroge Brassens, "toute une vie Pour Ia chansonrr. Le Centurion ("les intervie!.ts") , Parj-s, 1975.

REVUE :

Brassens - Propos recueillis par Georges Bêgou et reproduits dans "Ciné-Magazine", Décembre L976 - 396

JACQUES BREL

DISCOGRAPHIE :

!Èse-gÉsie

Jacques BREL I : "Grand' Jacques". Philips 6325202

Jacques 11 pleut - Le diable It La haj-ne Grand - nous faut regarder - crest comme ça 11 peut pleuvoj-r - - Le fou du roi - Sur Ia place S'i1 te faut La Bas- til1e - Prière Paienne'

Jacques BREL 2 : "Quand on n'a que lramour"' Philips 6325203

Grand Prix d.u disque 1957. Académie charles cros.

Ia bêtiSe fait, bonnes gens L'air de Qu'avons-nous - Pardons saint-Pierre - Les pieds dans le ruisseau - on n'a que ltamour : Jren appelle La bourrée Quand - du cétibatairé - Heureux - Les Blés Demain I'on Se mari.e. -

Jacques BREL 3 : "Au PrintemPs". Philips 6325204 - - Au printenps - Je ne saj.s Pas Dors r IIIâ mj.e Dites, - si è'était vrai - Le Colonàl L'homme dans la cité - - La lumière jaillira - voici Litanies Pour un retour - Seul - La dame Patronesse La mort'

Jacques BREL 4 : "La valse à mille temps"' Philips 6325205 - La valse à mille temps - Je t'aime Ne me quitte pas La tendresse - La col0mbe - Les Flamandes Isabelle - L'ivrogne - l"larieke - Le moribord- Le prochain anour Vivre debout. 397

Jacques BREL 5 : "Les Bourgeois" '

(Face 2 t enregistrement public à I'Olympia) Philips 6325206 - - Les prénoms de Paris clara On n'oublie rj.en Les - - singàs - Voir - L'aventure Mad.eleine Les Biches - - Les Paumés d,u peti t matin Zangra La statue Les Bourgeois.

ZÈee-sÉsie:

I - "Le plat PaYs". Barclay 90015 - plat Les bourgeois - Les Paumés du petit matin Le - pays zàngra - Une Île - Mad'eleine Bruxelles - - ôhànson Sans Paroles - Les biches Casse-Pompon La statue Rosa.

2 - "La chanson des vieux amants". Barclay 900f6 - - Mon enfance - Le cheval - Mon père d,j-saj-t La La La - - Les coeurs Èendres Fils de Les bonbons 67 La - - chanson des vieux amants A jeun Le gaz

3 - Enregistrement public "Amsterd'arn" ' Barclay 90017 - - jardins Amsterdam - Les timides Le dernj-er rePas Les - du casi.no - Les vi-eux - Les bonbons Au suivant La Fanet,te - Les bigotes - Les filles et les chiens Les fenêtres.

4 - "Vesoul". Barclay 90018 - J'arrive - Vesoul - L'Ostend'aise Je suis un soir d''été petit - Comment tuer I'amant de sa femme Regaràe bien - quand on a été élevé comme moi dans 1a tradition i'éclusier - Un enfant - La Bière' 398

5 - "La Fanette". Barclay 90019 - - - - Mathilde - La Fanette - Jef Titine Rosa Jacky Fernand - Zangra - Madeleine'

6 - "Les'vieux". Barclay 90020 - bonbons - Les vieux - La parlote Le dernier repas Les - - Au suivant, - Les Toros - La Fanette Jraimais Titine - Les filles et les chiens - Les bigotes Les fenêtres.

7 "Ces gens-là". Barclay 90021 - ces gens-là - Jef - Jacky - Les Bergers Tango funè- bre Fernand - Mathilde - L'âge idiot Grand'mère Les désesPérés.

I "Ne me quitte Pas". Barclay 90022 - - Ne me quiÈte pas - Marieke on n'oublie rien Les Fla- mandes - Les prénoms de Paris Quand on n'a que I'amour - - Les Biches - Le prochain amour Le Moribond La valse à mille temPs - Je ne saj-s Pas'

'BREL'"

Barclay 96010 - - - Jaurès - La ville s'endormait vieillir Le Bon Dieu LesF...-orly-LesrempartsdeVarsovie-Voirun - - - ami pleurer - Ihokke-1e-Zoute tango Jojo Le lion Les Marquises-

L'Homme de la Mancha. Barclay 80381 - - L'Homme d.e la Mancha - un animal Dulcinea vraiment jenePensequ'àlui-Lecasqued'ordeMambrino Chacr.rn sa dulcinea - Pourquoi fait-il toutes ces choses - - - La Quête sans amour Gloria Aldonza Le chevalier aux miroirs - La mort. 399

EMISSIONS :

Radioscopie de Jacques Chancel avec Jacques Brel, 2L'05'f973' Archives de lrI-N-4.

Jacques BreI, Georges Brassens, Léo Ferré. "Le Grand échiquier", A2' 19'73 et L976' Archives O.R.T.F.

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FILMOGRAPHIE :

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Mon oncle Benjamin (Edouard Molinaro) I 1969'

Mont Dragon (Jean Valère), 1970'

Les assassins de 1'ordre (Marcel Carné), l-97L'

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Frantz (Jacques Brel), L972'

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INEDITS :

Bruxelles, BreI - Cahj-er ronéotypé Par les amis du chanteur' t971 . - Bruyndonckx' fon- Correspondance Jacques Brel Monsieur llector d.ateur du mouvement "Franche Cordée"' 402

BTBLIOGRAPHIE GENERALE

I

LA CHAAISON

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2

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BECKETT Samuel, Fin de Partie. Ed.itions de Minuit, Paris , L969 '

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CLAUDEL Paul, Partage

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VILLON, Poésies. Gallirnard', Paris, L964. (Lj-vre d'e Poche 1216). TABLE DES MATTERES 408

INTRODUCTION GENERÂLE

GEORGES BRASSENS

9 CHAPITRE T : LA MOTI OU lE Destin de I'homme 10 Introduction L2 I - Le Vocabulaire I4 II Le Thème de Ia Mort

Conclusion )f,

6r CHAPITRE II : La petite lueur de I'amour 62 Introduction 63 A) L'imprégnation religieuse de certaines oeuvres 68 B) La "morale" de Brassens 69 1) La reconnaissance 72 2) La fidéIité crois en certains hommes, )e crois en 3) "Je 84 I I amourtt 85 a) Je crois en ltamour 92 b) Je crois en certains hommes 96 Conclusion

97 JACQUES BREL

98 CIIAPITFE I : "Aimer jusqu'à la déchirure" 99 fntroduction 100 Première Période : 1955-1958 "Quand on a que lramour Pour tracer un chemi'n Et. forcer le destin" .'' 409

Deuxième périod.e : 1958-1959 "Je ne sais rien de tout cela Maj.s je sais que je t'aime encor4' f40 Troisième Période : 1959-L962 "Je sais dêjà que le temps des baisers ' Pour deux éttemins ne d'ure qu'un carrefour"'

165 Quatrième période z L962-1966 "E1les sont notre Premier ennemi Quand elles s'échaPPent en riant Des Pâturages de l|ennui".

Cinquième péri-ode : 1966-1968 204 "Je n'étais qu'un cheval mais tu m'as couil- lonné Par amour pour toi je me suis derriérisé" '

Sixième pérj-ode z 1977 230 "Je la veux folle conrme un travelot Et cePendant évanescente"

Conclusion I-Breltui-mêmeenSesProPrescontradictions 254 II "Guettant dans les miroj-rs on ne sait quel passage" 258

1) Un regard Plus littêraire 262 2) Un regard PIus métaPhYsique 265

je CIIAPITRE II : "Je VOulaiS prendre un train que n'ai jamais pris" ... 272

Introduction 273

Première période : 1955-1959, 1'"abbé" Brel 275

1) La Bêtise 283 2) L'Avarice 287 4r0

288 3) La Malhonnêteté

289 A) Le Satut religieux 295 B) Le Salut dans Ia fraternité humaine 296 a) La Bonne Nouvelle 297 b) Les vertus théologales ' 300 c) Le Messie 304 c) Le Salut par I'amour de Ia femme

307 Deuxièmepériode:1959-1967rIachuted'Icare 319 1) La Religion - L'Eglise 326 2\ Dieu 327 A) De 1959 à 1964 332 B) De L964 â 1967

perdu et Troisième période z L967-1978, le Paradis retrouvé 342

: A Ia recherche du Paradis Per- 1) Lg67-1968 343 du - .... 343 A) "Les données lugubres" "Le réel" 347 B) "La joie existe" "Le rêVe" 351 2) 1968-Lg7'7 : Le Paradis retrouvé 352 A) "EssaYer" 354 a) Fuite de Ia mort 356 b) Recherche de I'Enfance

B) "Tenter d''aimer Ie plus longtemPs Pos- sible" 357 la mer Lg77-f978 : "I1 est vrai que parfois 3) 359 se désenchante" ... 359 A) Tout,e son attente 365 B) Une sorte d'e testament spirituel 411

369 Conclusi.on

f) La rencontre du Christianisme 369 2) La rencontre de Chrétiens 377

386 Conclusion générale

Bibliographie des Oeuvres, Emissions' Discographie, 39r Ouvrages et Artiçles cj-tés 392 Georges BRASSENS Jacques BREL 396

' 402 BibliograPhie générale 402 f) La Chanson 2) L'environnement culturel 402

407 Table des matières