MASARYKOVA UNIVERZITA PEDAGOGICKÁ FAKULTA Katedra francouzského jazyka a literatury

Entre presse et littérature : reportages de Joseph Kessel

Diplomová práce

Brno 2014

Vedoucí práce: Autor práce: Mgr. Václava Bakešová, Ph.D. Bc. Kateřina Matějíčková

Prohlašuji, že jsem závěrečnou diplomovou práci vypracovala samostatně s využitím pouze citovaných literárních pramenů, dalších informací a zdrojů v souladu s Disciplinárním řádem pro studenty Pedagogické fakulty Masarykovy univerzity a se zákonem č. 121/2000 Sb., o právu autorském, o právech souvisejících s právem autorským a o změně některých zákonů (autorský zákon), ve znění pozdějších předpisů.

V Brně dne 18. dubna 2014 ……………………………… Kateřina Matějíčková 2

Ráda bych poděkovala Mgr. Václavě Bakešové, Ph.D., vedoucí mé práce, za cenné rady, mnohá doporučení, mimořádnou ochotu, laskavost, vstřícnost, trpělivost a v neposlední řadě za čas, který mi věnovala. Děkuji i za projevený zájem o vybrané téma. Vážím si rovněž podpory a optimismu, který po celou dobu spolupráce projevovala. Mé poděkování patří také Mgr. Marcele Poučové, Ph.D., vedoucí Katedry francouzského jazyka a literatury, která mi umožnila vyjet v rámci programu Erasmus na zahraniční studijní pobyt do Francie, kde jsem se tématem diplomové práce nechala inspirovat.

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Table des matières

Introduction ...... 7 PARTIE THEORIQUE ...... 10 1 La presse française ...... 10 1.1 Les fonctions de la presse ...... 10 1.2 Les approches culturelle et littéraire...... 11 1.2.1 Le feuilleton ...... 12 1.2.2 Le roman-feuilleton ...... 13 1.3 La création littéraire dans la presse ...... 14 1.4 La presse et les écrivains ...... 15 1.5 Les écrivains-journalistes ...... 17 1.5.1 Au XIXe siècle ...... 17 1.5.1.1 Le romantisme ...... 18 1.5.1.2 Le réalisme ...... 19 1.5.1.3 Le naturalisme ...... 20 1.5.2 Au XXe siècle ...... 22 2 Le reportage et les reporters français ...... 25 2.1 Le reportage ...... 25 2.1.1 L’évolution du genre ...... 25 2.1.1.1 Le reportage français à l’américaine ...... 27 2.1.1.2 Le reportage à la française ...... 28 2.1.2 La définition du genre ...... 30 2.1.2.1 Petit et grand reportage ...... 30 2.1.2.2 Le reportage d’aujourd’hui ...... 33 2.2 Le reporter ...... 36 2.2.1 Le reporter d’hier ...... 36 2.2.2 Le reporter d’aujourd’hui ...... 39 2.2.3 Les sujets et les motifs du reporter ...... 44 2.2.4 Qualités du reporter ...... 46 2.3 Pionniers du grand reportage ...... 48 2.3.1 Pierre Giffard ...... 49

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2.3.2 Gaston Leroux ...... 49 2.4 Reportage entre presse et littérature ...... 51 2.4.1 Ecrivains reporters ...... 56 2.4.1.1 Louis Aragon ...... 57 2.4.1.2 Philippe Soupault ...... 58 2.4.1.3 Blaise Cendrars et Jean Cocteau ...... 59 2.4.1.4 André Malraux ...... 60 2.4.1.5 Colette ...... 61 2.4.2 Reporters écrivains ...... 62 2.4.2.1 Andrée Viollis ...... 62 2.4.2.2 Albert Londres ...... 65 3 Joseph Kessel ...... 72 3.1 Témoin du XXe siècle...... 72 3.2 Grand reporter romancier ...... 76 3.3 Du reportage au roman ...... 85 3.3.1 Du vécu vers le reportage ...... 85 3.3.2 Du reportage au récit ...... 94 3.3.3 Du reportage au roman ...... 97 3.3.4 Du réel vers l’imaginaire ...... 102 3.4 La technique de Joseph Kessel ...... 114 PARTIE PRATIQUE ...... 118 FICHE PEDAGOGIQUE 1 FICHE D’ENSEIGNANT séance 1...... 120

FICHE PEDAGOGIQUE 1 FICHE D’ELEVE séance 1 ...... 124

FICHE PEDAGOGIQUE 1 FICHE D’ENSEIGNANT séance 2...... 126 FICHE PEDAGOGIQUE 1 FICHE D’ELEVE séance 2 ...... 130

FICHE PEDAGOGIQUE 2 FICHE D’ENSEIGNANT séance 1...... 132

FICHE PEDAGOGIQUE 2 FICHE D’ELEVE séance 1 ...... 135

FICHE PEDAGOGIQUE 2 FICHE D’ENSEIGNANT séance 2...... 137 FICHE PEDAGOGIQUE 2 FICHE D’ELEVE séance 2 ...... 139

FICHE PEDAGOGIQUE 2 FICHE D’ENSEIGNANT séance 3...... 140

FICHE PEDAGOGIQUE 2 FICHE D’ELEVE séance 3 ...... 142

FICHE PEDAGOGIQUE 3 FICHE D’ENSEIGNANT séance 1...... 143 FICHE PEDAGOGIQUE 3 FICHE D’ELEVE séance 1 ...... 145 5

FICHE PEDAGOGIQUE 3 FICHE D’ENSEIGNANT séance 2...... 146

FICHE PEDAGOGIQUE 3 FICHE D’ELEVE séance 2 ...... 148 FICHE PEDAGOGIQUE 3 FICHE D’ENSEIGNANT séance 3...... 149 Conclusion ...... 150 Bibliographie et sitographie ...... 152 Résumé ...... 160

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Introduction « Les journalistes : ils s’occupent de choses qui passent et disparaissent. Les écrivains sont des journalistes de l’éternel. » (Jean-François Somain)*

Quoique la société différencie l’écrivain du journaliste tout en réservant l’espace dans la presse exclusivement au journaliste et celui du monde littéraire à l’écrivain, leurs chemins marqués par le désir d’écrire se croisent. Nombreux sont les journalistes qui ont recours au livre ainsi que les écrivains qui sont séduits par les colonnes d’un journal. En liant la création littéraire avec la publication dans la presse ou en s’inspirant des expériences et sujets journalistiques pour les retravailler dans des ouvrages littéraires, les écrivains journalistes dont l’âme littéraire se combine avec l’esprit journalistique, contribuent à la liaison de ces deux mondes. Et c’est justement le rapport entre la presse et la littérature qui devient le thème général de notre travail. Le présent mémoire a pour but de prouver que le reportage en tant que genre journalistique est sous certaines conditions susceptible de devenir source pour la création d’une œuvre purement littéraire. En mentionnant les circonstances de la naissance du reportage dont les racines consistent probablement dans l’invention des écrivains français, nous avons l’intention de montrer que le reportage est donc dès son début inséparable de l’art littéraire. C’est sur l’exemple du reporter romancier Joseph Kessel que nous essayons de manifester à quel point la presse peut être proche de la littérature. Nous consacrerons le début de notre travail à la presse française. Nous présenterons non seulement ses fonctions et son rôle dans la société, mais aussi les circonstances de l’apparition des éléments littéraires dans le journal. En nous penchant sur la présence du feuilleton et du roman-feuilleton dans la presse, nous focaliserons notre attention sur quelques cas concrets des écrivains français dont la participation à la vie journalistique complète leur création littéraire. Sur l’exemple d’Alexandre Dumas le père, d’Honoré de Balzac et d’Emile Zola, nous nous occuperons surtout du XIXe siècle avant de n’esquisser que marginalement les écrivains français qui prêtent leur plume à la presse au XXe siècle. Les relations mutuelles du monde des journaux avec celui de la presse une fois montrées, la deuxième partie de ce mémoire traitera le genre du reportage. Nous nous intéresserons à son évolution tout en décrivant deux théories de l’apparition du

7 reportage dans la presse française. Après la description et la définition historique de ce genre, nous nous concentrerons sur la forme, les définitions et les traits caractéristiques du reportage d’aujourd’hui. Nous résumerons sa technique et sa pratique. Puis, nous dirigerons notre attention vers le personnage du reporter. En prenant en considération l’évolution de ce métier, nous mentionnerons de petits et de grands reporters français. Nous nous concentrerons ensuite sur le reporter d’aujourd’hui en énumérant des motifs et des sujets fréquents de ses reportages et en décrivant ses qualités significatives ainsi que ses pratiques de travail. Nous présenterons non seulement les grands reportages des plus grandes vedettes du reportérisme français, mais aussi leur création littéraire, très souvent inspirée justement par leur métier. A la fin de cette deuxième partie, nous n’oublierons pas de mentionner quelles sont les circonstances de la naissance du roman-reportage ou du reportage littéraire en donnant des reporters qui tendent vers le monde littéraire et des écrivains qui s’imposent dans le journal. C’est ainsi que nous prouverons le rapport entre le reportage et la littérature. Après toute la théorie présentée en détail avec quelques exemples, la troisième partie de ce mémoire apportera un cas unique de cette intersection presse-littérature : Joseph Kessel. Nous justifierons sur sa vie et sa création à quel point la littérature et le reportage sont unis à son temps. En nous penchant sur ses reportages qui donnent naissance à nombreux de ses romans, nous caractériserons Kessel reporter ainsi que Kessel romancier. Nous nous intéresserons ensuite au reportage Marché d’esclaves en révélant la réalité vécue que l’auteur publie dans la presse. Le reportage sous forme d’un témoignage frappant une fois résumé, nous le comparerons avec son édition en volume, le récit Marchés d’esclaves. L’analyse du rapport entre l’enquête et le roman d’aventures Fortune carrée fermera notre travail de recherche. En nous concentrant sur les éléments réels que le roman emprunte à l’enquête, nous présenterons d’abord les personnages concrets du roman, puis certains motifs et quelques scènes de clé inspirés du vécu que Kessel reporter reprend dans cette œuvre romanesque. De cette analyse, nous en déduirons la technique de l’auteur et montrerons alors en quoi consiste le rapport entre le monde littéraire et journalistique que Kessel pratique dans sa création durant toute sa vie. A la partie théorique montrant l’union de la presse et de la littérature françaises fait suite la partie pratique. Nous nous y focaliserons sur une approche didactique à la

8 problématique étudiée. En développant quelques réflexions pédagogiques, nous présenterons comment le sujet du présent mémoire ou certains de ses fragments peuvent être appliqués dans l’enseignement en classe de FLE.

* Jean-François Somain. Le coin des mots [en ligne]. [cit. 2014-04-13]. Disponible sur : .

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PARTIE THEORIQUE 1 La presse française

L’histoire de la presse française est dès son début inséparable de l’histoire de toute la société. Divers événements dans le monde et surtout ceux en ont influencé considérablement l’évolution de la presse et ont laissé des marques importantes sur sa forme. Une époque concrète, l’actualité politique, la situation économique, des innovations techniques et d’autres facteurs liés à la société se sont reflétés dans la création des journaux aussi bien que dans leur contenu.

1.1 Les fonctions de la presse La presse sert de miroir de la société, son rôle principal est celui d’informer. Les journaux transmettent, expliquent et commentent toute nouvelle en la proposant aux lecteurs sous forme d’actualités au niveau politique, économique, social et culturel.1 La tâche de la presse consiste à prendre une certaine époque et tout son caractère en considération. La presse devient alors un outil politique, social, culturel, un instrument de divertissement, d’engagement, de mobilisation et dans certains cas aussi un instrument de réflexion critique. En tant qu’acteur politique, la presse informe ce qui veut dire, influence. Ce trait est propre à la presse française dès le XVIIIe siècle et subsiste dans la société d’aujourd’hui. Les journaux « participent au jeu politique » 2 en commentant la vie politique. Ils montrent leur lien au pouvoir et à travers les articles, ils provoquent des débats publics. Auparavant, c’était aussi des souverains et des gouverneurs qui se servaient du journal pour s’adresser au public, lui transmettre des ordres et l’informer de ses devoirs.3 A part les fonctions politiques, le journal implique l’aspect économique. Etant considéré comme un média de masse, il représente « une entreprise et un moyen de lutte dans le champ économique par le biais de la publicité »4. La presse se caractérise également par son lien social. Elle veut s’adresser à tous les types de lecteurs. C’est ainsi qu’elle leur propose des rubriques différentes et un

1 Cf. ALBERT, P. La presse française. Paris : La documentation française, 2008, p. 28. 2 Ibid., p. 30. 3 Cf. Ibid. 4 CHARLE, C. Le siècle de la presse (1830 – 1939). Paris : Seuil, 2004, p. 12. 10 contenu varié qui tiennent compte de divers intérêts des lecteurs. La presse tourne ses efforts vers la société en essayant de la façonner, modeler, instituer.5 En ce qui concerne l’aspect culturel, le journal réagit à la culture d’époque et propose de nouvelles formes culturelles. Il faut souligner aussi le caractère combatif de la presse qui est lié à sa fonction politique déjà mentionnée. Notamment le XIXe siècle est considéré comme le point de départ qui évoque certains changements dans le domaine de la presse. « Instruments de lutte pour le pouvoir, les journaux sont pris dans tous les combats politiques de ce siècle d’avènement de la politique libérale et démocratique. »6 Dès son début, le journal est un moyen qui permet à ses lecteurs d’avoir des rapports avec le monde entier. A part d’informer ses lecteurs sur des événements passés, il sert à instruire et à distraire. En tant qu’instrument d’éducation, le journal complète et élargit les connaissances de ses lecteurs. Il leur propose même une formation permanente.7 A l’aide des articles, il instruit, à travers des genres à caractère littéraire, comme celui du roman-feuilleton, il divertit.8 Le journal exerce d’une certaine façon une thérapie psychologique. Il transmet au public des émotions et permet aux lecteurs de se détendre, de fuir le monde extérieur et de se concentrer sur eux d’une part ou de briser l’isolement des individus et de se lier à la société d’autre part.9

1.2 Les approches culturelle et littéraire Après avoir esquissé certaines fonctions de la presse qui lui sont propres encore aujourd’hui, nous nous concentrerons sur l’approche de l’histoire culturelle et de la littérature. L’aspect culturel commence à apparaître dans le journal au XIXe siècle qui est considéré comme un « siècle d’or de la presse écrite française »10. Le caractère de la presse de cette époque est influencé par les événements qui se manifestent dans la société. Le journal qui jusqu’à ce temps-là reflétait surtout l’aspect politique, se trouve tout d’un coup devant l’esprit du public révolté qui, dans son

5 Cf. Ibid., p. 13. 6 Ibid., p. 20. 7 Cf. ALBERT, P. Op. cit., p. 29. 8 Cf. THERENTY, M.-E., VAILLANT, A. Presse & Plumes. Journalisme et littérature au XIXe siècle. Paris : Nouveau Monde, 2004, p. 211. 9 Cf. ALBERT, P. Op. cit., p. 30. 10 KALIFA, D., REGNIER, P., THERENTY, M.-E., VAILLANT, A. La civilisation du journal. Histoire culturelle et littéraire de la presse française au XIXe siècle. Paris : Nouveau Monde, 2011. 11 expression, demande la liberté. Plus tard, la liberté opprimée, il est exposé de nouveau au contrôle mené par l’état. La presse est constamment surveillée, exposée aux avertissements. En cas d’infraction, elle paie des amendes infligées à certains articles traitant des sujets politiques ce qui peut même mener jusqu’à la suspension du journal. Le journal devient l’objet de ce va-et-vient permanent qui est présent dans la société. Pour échapper au timbre, au cautionnement, à la censure, les journalistes modifient leur inventaire en se servant de formes littéraires qu’ils introduisent de plus en plus dans la presse. 11 Cette pratique consiste à « fonder des périodiques de divertissement qui échappent aux contraintes du régime de la presse politique »12. Les circonstances de l’époque changent ainsi le contenu des journaux et c’est exactement à ce moment-là que l’union de la presse et de la littérature apparaît. « La création générique du journal modélisée à partir de catégories littéraires accompagne dans un échange constant l’apparition de nouveaux genres littéraires qui à leur tour vont s’immiscer dans le journal. Les rapports entre presse et littérature s’esquissent donc dans le journal au XIXe siècle à travers un tourniquet sans fin, un cercle vertueux […]. »13 Le littéraire sous diverses formes fait alors désormais partie intégrante du journal en lui permettant la publication sans restriction. A part des raisons politiques qui rendent la publication de journaux plus compliquée, la presse se bat aussi avec un certain désintérêt de la part du public. Pour changer cette situation défavorable, elle invente une nouvelle stratégie de vente en attirant l’attention sur le littéraire présent dans le journal. La presse veut aussi être accessible aux couches moins politisées et peu argentées. C’est ainsi qu’au XIXe siècle, le prix du journal est baissé, la publicité augmentée et le feuilleton et le roman- feuilleton sont introduits.14 L’époque de journaux-romans, plus tard de revues littéraires, commence.

1.2.1 Le feuilleton Le feuilleton occupe dans les journaux du XIXe siècle le bas de page, appelé familièrement « rez-de-chaussée ». Les contributions proviennent de la plume de

11 Cf. Ibid., p. 44. 12 CHARLE, C. Op. cit., p. 106. 13 THERENTY, M.-E. Pour une histoire de la presse au XIXe siècle. In: Revue d’histoire littéraire de la France 3/2003 (vol. 103). Cairn.info [en ligne]. 2003. [cit. 2013-11-11]. Disponible sur : . 14 Cf. CHARLE, C. Op. cit., p. 44. 12

« collaborateurs bénéficiant de signatures réputées »15. Il est apanage de journalistes importants ou de collaborateurs extérieurs prestigieux. Voulant représenter une lecture pour tous, le choix du feuilleton est bien prémédité. Se rendant vite populaire auprès de cercles familiaux, il fait l’objet d’une lecture en commun. Les « témoignages évoquent des lectures familiales du feuilleton, le soir, au retour du travail […] »16. Le feuilleton est donc conçu comme une « lecture à haute voix, qui réunit deux, voire trois générations »17. Parfois il est aussi considéré comme une partie de la presse réservée exclusivement aux femmes. « A la fin du XIXe siècle, un clivage classique réserve la partie politique du journal aux hommes et le feuilleton aux femmes. »18 Ce qui joue un rôle important et favorise la popularité du feuilleton, c’est sa périodicité.

1.2.2 Le roman-feuilleton Le roman-feuilleton remplit la fonction d’un produit d’appel. Il attire et séduit le lectorat. Pour conserver son attrait, il « est publié chaque jour en rez-de-chaussée, en première page »19. La première œuvre qui pourrait être considérée comme un roman- feuilleton, est celle de Dumas intitulée Règnes de Philippe VI de France et d’Edouard III d’Angleterre.20 Ce texte qui fait plus tard partie du roman La Comtesse de Salisbury, a été publié sous forme d’un roman-feuilleton dans La Presse du 15 juillet au 11 septembre 1836.21 Pourtant la publication du premier roman-feuilleton reste attribuée à Balzac. C’est en 1836 dans La Presse d’Emile de Girardin, du 23 octobre au 4 novembre, que Girardin y lance La Vieille Fille, l’œuvre provenant de la plume du célèbre Balzac.22 La limite entre le feuilleton et le roman-feuilleton étant très floue, le texte de Balzac est classé dans « Variétés ». Plus tard, « […] plus aucun roman ou longue nouvelle ne paraît dans cet espace […] »23.

15 BENARD, S. Les mots de la presse écrite. Paris : Belin, 2002, p. 178. 16 KALIFA, D., REGNIER, P., THERENTY, M.-E., VAILLANT, A. Op. cit., p. 56. 17 Ibid. 18 CHARLE, C. Op. cit., p. 14. 19 EVENO, P. Emile de Girardin. L’inventeur de la presse moderne. In: AGNES, Y., EVENO, P. Ils ont fait la presse. L’histoire des journaux en France en 40 portraits. Paris : Vuibert, 2010, p. 58. 20 Cf. KALIFA, D., REGNIER, P., THERENTY, M.-E., VAILLANT, A. Op. cit., p. 935. 21 Cf. SALLES, D. Du roman feuilleton au fait divers : les débuts de l’industrie culturelle. Journalistes et écrivains au XIXe siècle. La presse à la une [en ligne]. 2013. [cit. 2013-11-11]. Disponible sur : . 22 Cf. KALIFA, D., REGNIER, P., THERENTY, M.-E., VAILLANT, A. Op. cit., p. 927. 23 Ibid., p. 936. 13

Le roman-feuilleton a « ses grandes heures de gloire au XIXe siècle »24. Les représentants de la presse qui se rendent compte du succès de ce genre littéraire, profitent de l’effet de la publicité et annoncent des romans-feuilletons à venir.25 Petit à petit des auteurs célèbres sont invités par les journaux à collaborer. Ils n’hésitent pas à s’investir dans le domaine de la presse. En acceptant de participer à la création de feuilletons ou romans-feuilletons souvent utilisés, ils découpent leurs romans et les publient par épisodes.

1.3 La création littéraire dans la presse L’édition de livres est sous l’Empire soumise au contrôle administratif de l’Etat. Il rencontre aussi des problèmes sur le plan économique et financier ce qui mène à la déstabilisation du milieu éditorial.26 Ce fait touche durement le secteur de la librairie en France. Pour que le lectorat ne soit pas privé de toute création littéraire, sous la monarchie de Juillet, le journal s’impose en occupant « le terrain laissé vacant par le livre »27. La manière d’écriture propre à la presse ne correspondant pas aux pratiques d’écritures des auteurs, les écrivains sont obligés de modifier leur style et de s’adapter à celui présent dans le journal. L’écriture journalistique se caractérise en étant fragmentée, collective, périodique et en se rapportant à l’actualité.28 L’espace limité réservé à l’écrivain représente le premier domaine dans le cadre duquel l’auteur doit changer ses pratiques d’écriture. Le plus souvent alors, il est forcé à fragmenter ses œuvres à l’aide d’un découpage bien réfléchi qui garantit le succès nécessaire.29 Le formatage et le découpage fonctionnent dans ce cas donc comme une règle de poétique. Et même si l’auteur est un écrivain célèbre, « il est impossible par exemple de dépasser les colonnes allouées au feuilleton sauf à utiliser le fameux "à suivre" »30. L’un des autres facteurs importants qui influencent l’auteur dans sa création littéraire fournie au journal, est représenté par un aspect temporel. « L’œuvre ne se conçoit plus comme un tout livré dans un "ici et maintenant" mais s’inscrit dans de

24 BENARD, S. Op. cit., p. 178. 25 Cf. KALIFA, D., REGNIER, P., THERENTY, M.-E., VAILLANT, A. Op. cit., p. 933. 26 Cf. Ibid., p. 317. 27 Ibid., p. 16. 28 Cf. THERENTY, M.-E. Op. cit. 29 Cf. KALIFA, D., REGNIER, P., THERENTY, M.-E., VAILLANT, A. Op. cit., p. 1511. 30 THERENTY, M.-E. Op.cit. 14 nouveaux rythmes d’écriture et même de lecture. »31 Tandis que l’écrivain qui veut publier son livre, peut prendre tout son temps pour le créer, l’écrivain-journaliste doit respecter la règle d’or de la presse : sa périodicité. Les journaux sont publiés quotidiennement d’où le rythme de l’écriture modifiée, tronçonnée, obligeant l’auteur de construire son œuvre jour après jour.32 C’est aussi le principe de l’actualité et de la collectivité qui doit être pris en considération dans la pratique des écrivains-journalistes. L’écriture journalistique est une écriture référentielle. L’auteur n’a alors plus recours aux sujets historiques, il puise l’intrigue dans l’actualité. « Même la fiction du feuilleton n’échappe pas à cette tentation de l’actualisation. »33 La collectivité, elle aussi, change les pratiques d’écriture classique. Le journal représente un lieu collectif et « chaque numéro est l’émanation d’une collectivité de rédacteurs […] » 34 . Cette expérience collective résulte des relations liées entre les journalistes et les écrivains dans la rédaction. Elles échappent au lectorat du journal mais se reflètent dans sa création.

1.4 La presse et les écrivains L’état dans lequel les éditions se trouvent et l’intérêt des lecteurs qui cherchent dans les journaux des traits littéraires, favorisent l’affinité du monde littéraire avec celui de la presse. « Bien des hommes de lettres placent dans la presse leurs productions de fiction sous forme de nouvelles, de romans-feuilletons, de critique littéraire ou de chroniques périodiques […]. »35 Les conditions paraissent donc idéales pour que les écrivains s’imposent pleinement. Les règles d’une nouvelle écriture une fois adoptées, les écrivains deviennent de plus en plus présents dans les rédactions. En profitant de toutes les possibilités que la presse leur propose, ils perçoivent le journal comme un espace idéal qui leur ouvre la porte pour prendre diverses directions et qui élargit l’horizon de leur activité. C’est le journal qui garantit la célébrité des écrivains, rend possible la prépublication liée à la publicité, leur fait gagner leur vie et leur permet d’influencer la société.

31 Ibid. 32 Cf. Ibid. 33 THERENTY, M.-E. Op. cit. 34 KALIFA, D., REGNIER, P., THERENTY, M.-E., VAILLANT, A. Op. cit., p. 18. 35 ALBERT, P. Op. cit., p. 18. 15

En premier lieu, le journal construit les notoriétés. Les écrivains, surtout ceux qui sont peu connus, se tournent vers la presse pour y faire leur gloire, pour se faire connaître. C’est dans les journaux que les auteurs se font la publicité personnelle. « Dans les années 1830 et 1840, les carrières d’écrivains commencent souvent dans les petits journaux comme Le Figaro, Le Corsaire… »36 Plus tard, des écrivains fondent même leurs propres journaux pour renforcer leur position dans le monde de la presse littéraire. Le journal devient aussi un lieu de prépublication. Sous une forme fragmentée, diverses œuvres littéraires y font leur apparition. Leur succès se fonde sur la publicité et le commentaire. Les journaux « font des livres de véritables produits qu’ils lancent sur le marché notamment grâce à la quatrième page des journaux quotidiens réservée à la publicité »37. La plupart du temps, la publicité autour de la littérature est un phénomène bien prémédité. La presse garantit ainsi aux œuvres d’écrivains « une chambre d’écho et un soutien médiatique »38 de même qu’elle leur offre « un débouché éditorial »39. La possibilité de gagner de l’argent est également attirante pour les écrivains. En publiant leurs œuvres régulièrement durant une période assez longue, le journal représente pour eux une certaine assurance dans le domaine financier. Les journaux leur font gagner leur vie et rapportent même plus d’argent que la publication d’ouvrages. La presse du point de vue d’un écrivain est « une source de revenus appréciables, puisque le noyau d’abonnés assure un tirage qui dépasse le plus souvent celui des ouvrages séparés »40. Les périodiques deviennent alors dans certains cas un mot synonymique du « gagne-pain des écrivains »41. Notamment « avec le feuilleton, […] la presse a inventé un genre littéraire et un style d’écriture nouveaux qui ont fait la fortune de certains auteurs populaires »42. Les écrivains se servent des journaux de même pour exercer l’influence sur la société. Ils commentent toute actualité importante, se battent contre le régime politique. Ils partent de l’idée que « pour jouer un rôle politique, disposer d’un journal est indispensable »43. En exprimant leurs idées, propageant leurs opinions à propos de tout

36 KALIFA, D., REGNIER, P., THERENTY, M.-E., VAILLANT, A. Op. cit., p. 1509. 37 Ibid., p. 1499. 38 Ibid., p. 317 39 Ibid. 40 CHARLE, C. Op. cit., p. 62. 41 BELLANGER, C. Histoire générale de la presse française. De 1815 à 1871. Paris : PUF, 1969, p. 285. 42 CHARLE, C. Op. cit., p. 19. 43 Ibid., p. 82. 16 ce qui se déroule dans la société, « […] l’auteur use de sa plume comme d’une arme. En certaines circonstances, il s’approprie même les colonnes du journal pour régler ses comptes avec un confrère. »44

1.5 Les écrivains-journalistes Pour mieux montrer tout l’éventail de possibilités qui sont offertes aux écrivains par l’intermédiaire de la presse, dans ce chapitre, nous porterons notre attention sur des exemples concrets. Nous traiterons d’écrivains français dont la participation au journal et à la vie journalistique complète leur création littéraire. Les écrivains se servent des journaux pour atteindre des buts spécifiques. Les uns pour y publier leurs œuvres, les autres pour se battre, s’exprimer. « Tous les écrivains du XIXe siècle (mais aussi un grand nombre au XXe comme Kessel, Colette, Proust, Camus, Mauriac, Sartre…) sont en contact étroit avec la presse. Ils multiplient articles et chroniques dans les journaux, prépublient leurs œuvres sous une forme fragmentée, créent eux-mêmes des journaux ou fondent de petites revues… » 45 L’influence des écrivains sur le monde des journaux est alors bien évidente. C’est le XIXe siècle, l’époque des premiers cas concrets, qui semble être plus fécond en collaboration des écrivains au journalisme. Cette participation des auteurs français au journal devenant plus tard toute naturelle, les écrivains du XXe siècle ne sont souvent mentionnés que marginalement, sans plus de détails sur la forme de leur écriture journalistique.

1.5.1 Au XIXe siècle Pour mentionner vraiment de grands écrivains-journalistes, nous nous concentrerons surtout sur ceux du XIXe siècle. C’est justement pendant cette période que l’affinité du monde littéraire avec celui de la presse se montre le mieux. Enfin, ce sont « les grandes plumes comme celles d’Honoré de Balzac, de Théophile Gautier, de George Sand, […] d’Emile Zola qui marquent le journal »46.

44 DELPORTE, C. Les journalistes en France. 1880-1950. Naissance et construction d’une profession. Paris : Seuil, 1999, p. 54. 45 SALLES, D. Journalisme et littérature, frère ennemis. Journalistes et écrivains au XIXe siècle. La presse à la une [en ligne]. 2013. [cit. 2013-11-12]. Disponible sur : . 46 THERENTY, M.-E., VAILLANT, A. Op. cit., p. 367. 17

1.5.1.1 Le romantisme Les romantiques célèbres comme Victor Hugo, Alexandre Dumas le père, Alfred de Musset ou Alfred de Vigny contribuent à la Revue des Deux Mondes. La plupart de leurs textes contiennent l’aspect culturel qui se lie à l’aspect littéraire. C’est George Sand qui représente « le plus fidèle pilier de la revue »47. Elle y « publie presque tous ses romans avant l’édition en volume »48. Le représentant romantique le plus intéressant est sans doute Alexandre Dumas, un homme littéraire qui prend part à la fois aux journaux. Ce romancier se caractérise par son activité journalistique très riche. Non seulement qu’il publie dans les journaux, mais Dumas fonde aussi ses propres quotidiens. Il devient même directeur de ces journaux ce qui lui permet de « "rebondir" et de continuer à diffuser son œuvre, ses pièces de théâtre en particulier »49. Dumas se rend célèbre grâce à ses publications de feuilletons dramatiques et ses critiques théâtrales. Il contribue également à l’évolution du roman-feuilleton et introduit le roman historique dans la presse. « Ses plus grands succès littéraires paraissent en feuilletons dans Le Siècle (Les Trois Mousquetaires, 1844), La Presse (La Reine Margot, 1844) et le Journal des débats (Le Comte de Monte- Cristo, 1844) […]. »50 En 1853, Dumas fonde son premier propre quotidien Le Mousquetaire. Celui est parfois surnommé « Journal de M. Alexandre Dumas » et représente « un cas assez unique de journalisme culturel de qualité »51. Il s’y adresse directement au lectorat en l’abordant « chers lecteurs ». Cette première expérience de directeur de journal qui semble réussie, se termine quand même par un échec. Dumas y réagit en créant un mensuel qui s’appelle Le Mois et qui est entièrement dirigé par lui. Ce journal paraît de mars 1848 à février 1850, alors pendant l’époque où, avec la révolution de 1848, « la vocation journalistique de Dumas s’est affirmée »52. A travers Le Mois, Dumas diffuse ses idées politiques et artistiques et il présente également « sa vision des événements

47 CHARLE, C. Op. cit., p. 64. 48 Ibid. 49 Quand presse et littérature s’épaulaient… Le site de vulgarisation scientifique de l’Université de Liège [en ligne]. 2009. [cit. 2013-11-12]. Disponible sur : . 50 MOMBERT, S. Alexandre Dumas (1802-1870). In: KALIFA, D., REGNIER, P., THERENTY, M.-E., VAILLANT, A. Op. cit., p. 1126. 51 Quand presse et littérature s’épaulaient… Le site de vulgarisation scientifique de l’Université de Liège [en ligne]. Op. cit. 52 Ibid. 18 révolutionnaires »53. Avec le coup d’Etat, Dumas perd l’espoir et part en Italie. Là-bas, il fonde le quotidien L’Indipendente dont les articles français sont traduits pendant la nuit en italien. Après son retour en France, Dumas relance son ancien journal Mousquetaire qu’il intitule Dartagnan. Au début de sa carrière, Dumas se trouvant endetté, il s’exile à Bruxelles. Pour régler cette situation, c’est le journal qui l’aide. Grâce à ses publications l’auteur peut « gagner quelque argent sur lequel ses créanciers n’auront pas de prise »54. A part cela, la création journalistique permet à Dumas de devenir célèbre, reconnu. « Les feuilletons qu’il publiait avec grand succès, au rez-de-chaussée des journaux ont contribué à populariser son œuvre dans l’Europe entière, le faisant entrer dans le petit groupe des romanciers-journalistes les plus lus […]. »55

1.5.1.2 Le réalisme Après Dumas, l’un des romanciers-journalistes les plus connus, « de Balzac à Zola, c’est bien sûr aussi tout le roman réaliste qui est en relation profonde avec le journal […] »56. A citer par exemple Gustave Flaubert qui a publié en 1857 sa Madame Bovary dans la Revue de Paris57 ou Bouvard et Pécuchet, l’œuvre qui a paru dans la Nouvelle Revue.58 Pourtant la figure la plus marquante de cette époque, c’est Honoré de Balzac. Balzac entre dans la presse en 1830. En travaillant pour les journaux, il devient témoin de changements dans ce milieu causés par les changements dans le régime d’Etat. Au début de sa carrière journalistique, Balzac affronte un grand manque d’argent. Ses ouvrages dont l’édition est atteinte par la crise, ne lui rapportent pas trop d’argent. Endetté, l’auteur recourt à l’activité journalistique plus rentable. Il collabore au Voleur, au Feuilleton des journaux politiques, à La Silhouette, à La Mode ou au Temps. Il se jette aussi dans la littérature périodique. « Il fait insérer aux journaux en prépublication des œuvres courtes, contes ou nouvelles surtout, ou encore des passages que l’on

53 Ibid. 54 Ibid. 55 Les Journaux d’Alexandre Dumas. Edition des journaux d’Alexandre Dumas [en ligne]. 2013. [cit. 2013-11-12]. Disponible sur : . 56 CURATOLO, B., SCHAFFNER, A. La chronique journalistique des écrivains (1880-2000). Dijon : EUD, 2010, p. 13. 57 Cf. CHARLE, C. Op. cit., p. 107. 58 Cf. Ibid., p. 173. 19 retrouvera dans des romans à venir […]. »59 Balzac écrit environ quatre-vingt articles dans différents journaux. Mais il se caractérise surtout comme feuilletoniste. « En treize années de production feuilletonesque, Balzac publie trente-trois romans […] dans treize journaux différents. »60 Il leur fournit des extraits de La Peau de chagrin, d’Eugénie Grandet ou du Père Goriot. En réussissant et célébrant le succès dans le monde de la presse, il rêve de posséder un périodique. Mais ses efforts n’atteignent jamais le but déterminé. Finalement la relation de Balzac par rapport à la presse devient ambivalente. Fasciné par la presse d’une part, il la critique d’autre part. En publiant son roman Illusions perdues, il exprime les limites du métier du journaliste.61 Il se plaint surtout de l’esprit des journaux qui veut être à tout prix en conformité avec celui du public qui les lit. « Tout journal est […] une boutique où l’on vend au public des paroles de la couleur dont il les veut. S’il existait un journal des bossus, il prouverait soir et matin la beauté, la bonté, la nécessité des bossus. Un journal n’est plus fait pour éclairer, mais pour flatter les opinions. » 62 En 1842, Balzac poursuit sa critique du milieu journalistique en publiant Monographie de la presse parisienne.63

1.5.1.3 Le naturalisme Après le romantisme et le naturalisme, représentés par Alexandre Dumas et Honoré de Balzac, les plus grands des écrivains-journalistes du XIXe siècle, nous conclurons le passage consacré à cette période par deux grands écrivains naturalistes : Guy de Maupassant et Emile Zola. Guy de Maupassant se caractérise par son activité de chroniqueur. Pendant sa vie, il publie près de deux cent cinquante articles. Il est « employé en qualité de grand reporter au quotidien par des journaux tels que Le Gaulois, Le Goncourt, L’Evénement, Le Figaro, ou encore le Gil Blas »64. Maupassant gagne sa vie en publiant dans les journaux qui lui garantissent renommée, puissance et une liberté quasiment totale

59 GOBENCEAUX, N. Honoré de Balzac et le journalisme. Culture A Confine [en ligne]. 2008. [cit. 2013-11-12]. Disponible sur : . 60 THERENTY, M.-E. Honoré de Balzac (1799-1850). In: KALIFA, D., REGNIER, P., THERENTY, M.-E., VAILLANT, A. Op. cit., p. 1121. 61 Cf. GOBENCEAUX, N., Op. cit. 62 Ibid. 63 Cf. Ibid. 64 Maupassant le Journaliste. CanalBlog [en ligne]. 2013. [cit. 2013-11-12]. Disponible sur : . 20 d’expression. Il est considéré aussi comme reporter en s’élançant sur la piste du colonialisme en Afrique dans l’effort de mener une véritable enquête qui apporte toutes les vérités observées.65 Néanmoins le représentant des écrivains-journalistes français qui a dans son activité littéraire et journalistique le mieux réussi, c’est Emile Zola. Justement grâce à la presse l’auteur devient célèbre. Il commence sa carrière journalistique à l’âge de 19 ans. Des journaux moins connus, il passe aux grands quotidiens comme Le Figaro, L’Evénement illustré, La cloche ou Le Voltaire. Puisqu’il peut y montrer son talent d’écrivain, la presse « est pour lui un puissant levier pour sa carrière littéraire »66. La promotion de ses œuvres littéraires est dans le journal assez fréquente. Il y publie régulièrement par exemple les Rougon-Macquart ce qui lui permet de gagner l’autonomie financière. Puis c’est Thérèse Raquin qui paraît en 1867 dans L’Artiste.67 A part la prépublication et la publicité, Zola occupe dans le journal la position de critique littéraire, plus tard de critique d’art. Encourageant Edouard Manet dont tout le monde de peinture se moque, Zola s’approprie du journal comme de moyen pour sa défense. En lui consacrant un article entier dans lequel Zola le désigne comme le plus grand des peintres, l’auteur provoque tout de suite un scandale.68 Critiqué pour son insolence, Zola ne se laisse pas décourager et continue à cultiver en lui l’esprit de défenseur. Zola se sert aussi de la presse pour exprimer ses opinions politiques. Il critique le régime instauré sous le Second Empire et parfois il risque à tel point qu’il est même mis en état d’arrestation. Ce fait lui est arrivé deux fois et « à chaque fois, il a été libéré le jour même »69. C’est à l’occasion de l’affaire Dreyfus que Zola fait de la presse sa véritable arme de combat. Dans la pléiade de ses articles, il se bat pour la révision du procès du capitaine d’origine juive, Alfred Dreyfus, qui a été condamné pour la trahison. Sa « Lettre ouverte au président de la République » dite J’accuse, publiée dans L’Aurore le 13 janvier 1898, dans laquelle Zola défend le Dreyfus innocent, est devenue un acte fameux révolutionnaire. Comme dans le cas de la défense de Manet, Zola utilise la pratique du scandale pour attirer l’attention. « L’article se répand du jour au

65 Cf. REVERZY, E. Guy de Maupassant (1850-1893). In: KALIFA, D., REGNIER, P., THERENTY, M.-E., VAILLANT, A. Op. cit., p. 1269. 66 Zola-journaliste. CenterBlog [en ligne]. 2008. [cit. 2013-11-12]. Disponible sur : . 67 Cf. Ibid. 68 Cf. MITTERAND, H. Emile Zola. La passion de la lumière. In: AGNES, Y., EVENO, P. Op. cit., p. 84. 69 Zola-journaliste. CenterBlog [en ligne]. Op. cit. 21 lendemain en France et à travers le monde. »70 Telle était la force de l’expression zolienne. Par rapport à cette cause, Zola se penche aussi sur la problématique de l’antisémitisme croissant. En refusant cette haine, il publie dans Le Figaro une série d’articles où il prend la défense des juifs et en appelle à la jeunesse.71

1.5.2 Au XXe siècle Après avoir présenté les écrivains-journalistes les plus connus au XIXe siècle, nous n’esquisserons que marginalement ceux qui se consacrent au journalisme au XXe siècle. Le journal de cette époque a des fonctions variées. Il permet aux écrivains de s’exprimer à propos de la guerre ou leur donne la possibilité de créer une revue pour y présenter un mouvement littéraire et ses idées principales. De cette pratique qui consiste à utiliser le journal pour y répandre des principes d’un mouvement littéraire, profitent par exemple le futurisme et le surréalisme. L’initiateur du futurisme est Marinetti qui présente ce mouvement dans le Manifeste du futurisme en le publiant en 1909 dans Le Figaro.72 En ce qui concerne d’autres mouvements, « les principales avant-gardes des années 1920, le dadaïsme et le surréalisme, se sont fait connaître par leurs célèbres provocations, mais aussi par de nombreuses et éphémères petites revues à l’instar des avant-gardes de la fin du XIXe siècle […] »73. Les revues surréalistes les plus connues qui sont destinées aux membres du groupe et présentent son programme, sont La Révolution surréaliste (1924) qui est devenue en 1930 Le Surréalisme au service de la révolution. Les deux revues refusent des rubriques habituelles d’une revue littéraire, servent de manifestes et se fondent sur les pratiques collectives. André Breton qui s’occupe du Surréalisme au service de la révolution, fait dans la revue la publicité pour son mouvement et profite aussi du journal pour exprimer le lien de ses membres à la politique du gauche.74 Nombreux sont les écrivains qui se lient aux journaux du XXe siècle et peuvent donc être considérés comme journalistes célèbres. Les uns profitent de ce rapport entre la presse et la littérature pour fournir au journal avant tout le littéraire. Les autres entrent au journal pour des raisons différentes comme par exemple à des fins politiques, pour

70 MITTERAND, H. Op. cit., p. 89. 71 Cf. CHARLE, C. Op. cit., p. 207. 72 Cf. SUTER, P. De la presse comme modèle de l’œuvre à la presse dans l’œuvre – et à l’œuvre comme modèle de la presse. COnTEXTES [en ligne]. 2012. [cit. 2013-11-12]. Disponible sur : . 73 CHARLE, C. Op. cit., p. 347. 74 Cf. Ibid., p. 348. 22 pouvoir se battre, pour exprimer leurs points de vue sur la guerre et sur divers événements de la société. Les écrivains qui en tant que journalistes continuent à se consacrer aux traits littéraires dans le journal, sont par exemple Paul Valéry, Paul Claudel, Marcel Proust ou André Gide qui collaborait à la Revue blanche « avant de créer, en novembre 1908, la fameuse Nouvelle Revue française qui était en 1914 la revue littéraire parisienne la plus originale »75. Il faut mentionner aussi Henri Barbusse qui était directeur littéraire dans Le Populaire de Paris 76 ou Anatole France qui contribuait dans la Revue de Paris.77 Plus tard, c’est Boris Vian qui représente le type de journaliste qui écrit des articles d’opinion, des récits et des chroniques dans divers périodiques. A part ces contributions, il prépublie en 1947 dans la presse de Sartre quelques chapitres de l’Ecume des jours avant sa parution chez Gallimard. Par cette démarche, il fournit au journal l’œuvre à l’esprit existentialiste.78 A part certains écrivains-journalistes qui propagent le caractère littéraire du journal, il y a des écrivains qui, bien que de la manière littéraire, se focalisent plutôt à l’esprit combatif et intellectuel de la presse. C’est Romain Rolland qui joue, dans ce contexte, un rôle assez important. D’août à décembre 1914, il publie ses articles dans Le Journal de Genève. Il se concentre surtout sur le sujet de la Première Guerre mondiale. En proclamant le pacifisme, « pour lui, cette guerre est une guerre civile absurde entre nations civilisées qui va détruire la culture européenne »79. François Mauriac, lui aussi, prend part au journal. Il donne son « Bloc-notes » à différentes revues comme celle de La Table ronde, puis à l’hebdomadaire L’Express ou enfin au Figaro littéraire.80 En 1937, Louis Aragon crée Ce soir, un grand quotidien, auquel il fournit ses chroniques.81 Deux ans plus tard, lors de la guerre d’Espagne, il exprime aussi son soutien aux réfugiés espagnols et fait « des appels vibrants à la solidarité et à la générosité des lecteurs »82. Un autre combattant contre la guerre se cache dans la personne d’Albert Camus. Ses articles qui avertissent du danger de la part d’Adolf Hitler sont publiés successivement dans les années trente dans l’Alger républicain. « A ses yeux, la guerre

75 BELLANGER, C. Histoire générale de la presse française. De 1871 à 1940. Paris : PUF, 1972, p. 392. 76 Cf. Ibid., p. 442. 77 Cf. Ibid., p. 392. 78 Cf. Ibid., p. 192. 79 CHARLE, C. Op. cit., p. 237. 80 Cf. BAUDORRE, P. Presse et littérature au XXe siècle : essai de bibliographie. COnTEXTES [en ligne]. 2012. [cit. 2013-11-12]. Disponible sur : . 81 Cf. CURATOLO, B., SCHAFFNER, A. Op. cit., p. 48. 82 Ibid., p. 50. 23 prochaine est d’abord un échec de l’homme. »83 Plus tard, Camus fonde avec Pascal Pia Soir républicain et participe à la rédaction clandestine du Combat. La contribution des écrivains français du XIXe siècle aussi bien que ceux du XXe siècle une fois résumée, il se montre que leur influence sur le contenu et le caractère des journaux est considérable. De la même manière comme les écrivains, ce sont aussi des reporters qui s’imposent dans les journaux et qui profitent de toutes les possibilités que la presse leur propose.

83 AJCHENBAUM, Y.-M. L’Algérois de « Combat ». In: AGNES, Y., EVENO, P. Op. cit., p. 240. 24

2 Le reportage et les reporters français

Après avoir présenté les fonctions de la presse française et son rôle dans la société, après avoir souligné l’influence importante des écrivains français sur le journalisme et ainsi avoir montré les relations mutuelles du monde de journaux et de celui de livres, nous nous concentrerons, dans le chapitre présent, sur le genre du reportage. En premier lieu, nous expliquerons son évolution en France et nous définirons ce genre en général. Le reportage une fois élucidé, nous nous focaliserons sur le personnage du reporter en nous concentrant sur ses qualités significatives. Ensuite nous nous intéresserons à des pionniers français du grand reportage qui ont contribué à l’évolution du genre ainsi qu’à la création du personnage du reporter. Finalement nous esquisserons les circonstances de la naissance du roman-reportage ou du reportage littéraire et nous donnerons des cas concrets prouvant le rapport entre le reportage et la littérature.

2.1 Le reportage L’expression « reportage » est issue de l’anglais to report ce qui veut dire rapporter, relater. C’est Stendhal qui l’introduit pour la première fois en France, en 1829, dans ses Promenades dans Rome en l’écrivant en italiques pour signaler qu’il s’agit de l’emprunt. Même si ce mot fait depuis ce moment-là partie intégrante du vocabulaire d’un journaliste ou d’un écrivain français, il faut attendre jusqu’en 1934 pour que le mot « reportage » soit admis par l’Académie française.84

2.1.1 L’évolution du genre Avant de définir le reportage tant que le monde journalistique le perçoit, nous décrirons les circonstances de l’apparition de ce genre dans le journal français et son évolution. Le reportage s’introduit dans la presse française au début du XXe siècle au moment où la presse d’opinion, toujours de moins en moins lue par le lectorat français, commence à être remplacée par la presse d’information. Ainsi le fait divers et le reportage préférés par la presse d’information succèdent au commentaire et à la

84 Cf. BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Villeneuve d’Ascq : Presses Universitaires du Septentrion, 2004, p. 71-72. 25 réflexion qui caractérisent un journal d’opinion.85 Pourtant l’intérêt des lecteurs à de nouveaux genres journalistiques se manifeste dans la société française déjà à la fin du XIXe siècle. Le lectorat français et ses goûts se caractérisent à la fin du XIXe siècle par une énorme avidité d’informations. Sa curiosité toujours de plus en plus grande pour diverses nouvelles, pour des faits divers et son besoin d’être informé influencent directement le monde de journaux. Le public demande de lire des événements dans le pays et aussi de ceux passés à l’étranger le plus tôt possible après leur déroulement. C’est surtout grâce au progrès technique de l’époque que ce besoin du public peut être satisfait. L’essor du progrès technique permet de transmettre assez vite des nouvelles et contribue ainsi à l’expansion de l’information, la base du reportage. La rapidité de transmission de grande ou de petite actualité devient l’un des critères fondamentaux pour la réussite du journal. A part les goûts modifiés du public et la rapidité de transmission de l’information, ce sont le caractère de l’information fournie par les agences, son exclusivité, la concurrence entre les titres et l’accélération de la vie dans la société qui prennent part à la transformation du contenu des journaux.86 Toutes les circonstances mentionnées modifient la structure des journaux qui, essayant de satisfaire le lectorat, « élargissent leur champ d’information et différencient plus nettement leurs rubriques »87. « La conquête de la presse par l’information et le reportage » 88 provoque alors qu’à côté du roman feuilleton, une nouvelle pratique d’écriture s’impose, celle qui est fondée sur « l’internationalisation de l’information »89. A partir des années 1870, sous l’influence de tous les changements liés au développement de l’époque, les conditions semblent être idéales pour accueillir un nouveau genre dominant désormais dans les journaux, le reportage. Le journaliste tend à devenir reporter qui gagne un statut souverain dans la rédaction en remplaçant petit à petit le chroniqueur et l’échotier. Dans les années 1880, c’est alors le reporter, celui qui est le mieux informé, qui éclipse l’un de ses plus grands rivaux jusqu’à ce temps-là très

85 Cf. FEYEL, G. La presse en France des origines à 1944. Histoire politique et matérielle. Paris : Ellipses, 1999, p. 4. 86 Cf. BELLANGER, C. Histoire générale de la presse française. De 1871 à 1940. Op. cit., p. 279. 87 Ibid. 88 DELPORTE, C. Op. cit., p. 60. 89 GUENNOC, J.-F. Le reportage ou « l’ineffable poésie de la réalité ». De la reconnaissance d’un nouveau genre littéraire. Ecrivains-journalistes [en ligne]. 2008. [cit. 2014-02-06]. Disponible sur : . 26 populaire, le chroniqueur.90 A part la chronique, le reportage relègue au second plan aussi d’autres rubriques, ainsi il « sort de l’ornière du fait divers pour accéder à la une et s’imposer sur plusieurs colonnes »91. Bien que le reportage fasse partie intégrante du journal à la fin du XIXe siècle, sa définition et reconnaissance officielle n’apparaissent que plus tard, quand diverses théories de la naissance du genre et de ses pratiques de base sont éclaircies. Il existe deux théories de l’apparition du reportage dans la presse française. La première est fondée sur la supposition que le modèle français s’inspire du reportage à l’américaine. La deuxième favorisant le reportage à la française soutient le pur modèle français en supposant que le reportage a évolué sur la base des tendances littéraires et journalistiques précédentes.

2.1.1.1 Le reportage français à l’américaine La première hypothèse, celle du reportage français basé sur le modèle américain, part de l’idée que la version française est une simple transposition des pratiques du journalisme américain.92 Cette théorie est soulignée par le fait que le mot même, le reporter, est d’origine anglaise to report ce qui veut dire rapporter. Le journal américain New York Herald qui publie le 16 avril 1836 le premier grand reportage criminel, représente, prétendument, l’un des modèles desquels le reportage français s’inspire.93 Quand son directeur James Gordon Benett s’installe en 1887 à Paris pour y lancer une édition européenne de son journal, l’influence du modèle américain sur le journalisme français est incontestable.94 Quoique la théorie de l’origine américaine du reportage à la française soit très probable, les théoriciens français soutiennent pourtant plutôt une autre hypothèse. Leur refus de la filiation américaine résulte surtout de la pratique du genre. Les reporters américains rapportant des informations brutes et racontant très précisément des faits, ne savent pas contenter les journalistes et les écrivains français, plus attachés au mot qu’au fait, qui veulent introduire dans le reportage « une part d’interprétation, de subjectivité, de création »95. En refusant le style américain et en contestant la valeur artistique de

90 Cf. DELPORTE, C. Op. cit., p. 60. 91 GUENNOC, J.-F. Op. cit. 92 Cf. MARTIN, M. Les grands reporters. Les débuts du journalisme moderne. Paris : Louis Audibert, 2005, p. 31. 93 Cf. DELPORTE, C. Op. cit., p. 62. 94 Cf. FERENCZI, T. L’invention du journalisme en France. Paris : Payot, 1996, p. 47. 95 FEYEL, G. Op. cit., p. 124. 27 reportages à l’américaine, Pierre Giffard, l’un des théoriciens français importants, reproche aux reporters américains de n’avoir « aucun sens artistique »96. D’après lui, « ce sont des machines à noter. Ils ne sont d’ailleurs ni écrivains, ni artistes, ni critiques. »97 En demandant que les reporters français combinent en eux toutes ces caractéristiques, que des écrivains et des journalistes français utilisent une différente pratique de ce genre, Giffard devient propagateur de la deuxième théorie qui présente le reportage adapté à l’identité de la presse française.

2.1.1.2 Le reportage à la française Le reportage français apparu dans la presse autour de 1880, quand le journalisme est proche du monde des écrivains, « il convient de considérer le reportage non comme un pur produit d’importation, mais comme le fruit d’une évolution du journalisme français »98. Cette deuxième théorie est donc fondée sur l’hypothèse que le reportage se développe des sujets et des pratiques du fait divers, des « choses vues » et du roman naturaliste. Le reporter remplace ainsi dans le journal l’échotier, l’auteur des faits divers, le chroniqueur et s’inspire des techniques des grands écrivains français du XIXe siècle tels que Victor Hugo ou Emile Zola qui sont considérés comme des ancêtres des reporters français. Le reporter-échotier représente d’après cette théorie l’un des premiers précurseurs du reportage. Dans ses articles, il se concentre sur la vie parisienne, dans la plupart des cas même sur la vie parlementaire, en ne recueillant que des informations auprès des députés ou des sénateurs. Mais le reportage qui refuse de se limiter à ces sujets, se développe et vise plus tard à informer des faits importants. Après l’échotier, c’est alors un autre personnage qui est surnommé reporter, celui de l’auteur des faits divers. « Son but n’est pas d’amuser, mais d’informer. » 99 Le fait divers « devient réellement reportage lorsque la recherche de la nouvelle exclusive […] oblige les journaux à se saisir du moindre crime […] »100. Les titres donnent alors la place de plus en plus grande « aux crimes, aux accidents ou aux horreurs […] »101. Ce genre de reportage s’intéresse aussi aux cambriolages, aux bagarres de cabaret, « à l’assassinat

96 MARTIN, M. Op cit., p. 33. 97 Ibid. 98 DELPORTE, C. Op. cit., p. 64. 99 FERENCZI, T. Op. cit., p. 35. 100 DELPORTE, C. Op. cit., p. 65. 101 FERENCZI, T. Op. cit., p. 36. 28 d’une femme infidèle ou à l’empoisonnement d’un mari détesté » 102 . Les sujets mentionnés se rendent très vite populaires auprès du public et augmentent le tirage des journaux. Pour prouver qu’en fait-diversier repose un vrai reporter, il enquête à partir de diverses sources précises et rassemble des nouvelles sur différents lieux parisiens comme par exemple dans le Palais de Justice ou dans la préfecture de police. Le fait- diversier ressemble au « petit reporter » parce qu’il « doit faire preuve d’astuce et d’initiative »103, surtout au moment où il interroge des criminels, des témoins de crime ou des familles, proches parents ou voisins de victimes. Les indices montrent que le fait divers semble donc être précurseur du reportage et Pierre Albert, spécialiste de la presse française, soutient cette hypothèse en confirmant que c’est par le fait divers que le reportage pénètre dans la presse française.104 Avec la naissance du nouveau journalisme, la théorie du reportage à la française prétend aussi que le reporter succède à l’un de ses plus grands concurrents, le chroniqueur.105 C’est Jules Huret, chroniqueur littéraire et théâtral, qui, d’après cette théorie de l’évolution du reportage français, devient reporter. Sa pratique des enquêtes fréquentes sur divers sujets qui s’évolue en interview avec des personnages variés de la société française, est très appréciée et représente la base du travail d’un bon reporter. A part des rubriques différentes, ce sont aussi les courants littéraires du XIXe siècle qui influencent l’évolution du reportage. Il est prouvé que « […] bien des écrivains, alors même qu’ils sont profondément redevables de leur culture littéraire, interrogent et pratiquent tout à la fois la "chose vue" […] »106. C’est justement la technique de la chose vue consistant dans le principe d’une observation permanente qui devient l’une des pratiques fondamentales du reportage. Son propagateur principal est Victor Hugo, considéré à la fin du XIXe siècle comme un reporter de génie.107 Choses Vues, l’œuvre de Hugo, qui porte le même nom comme la pratique journalistique, sert d’exemple pour d’autres écrivains et journalistes qui tendent à travailler et à écrire à la manière de vrais reporters. En préférant le journalisme de terrain, en se concentrant sur

102 MARTIN, M. Op. cit., p. 35. 103 DELPORTE, C. Op. cit., p. 66. 104 Cf. MARTIN, M. Op. cit., p. 48. 105 Cf. FERENCZI, T. Op. cit., p. 35. 106 PINSON, G., THERENTY, M.-E. Autour de Vallès. L’invention du reportage. Université Jean Monnet Saint-Etienne [en ligne]. 2010. [cit. 2014-02-07]. Disponible sur : . 107 Cf. FERENCZI, T. Op. cit., p. 35. 29 l’observation, la chose vue remplace la chose dite qui est propre au journalisme de fameux chroniqueurs précédant le personnage du reporter. Le romancier naturaliste joue également un rôle important dans l’évolution du reportage français. Utilisant l’interview et l’enquête, qui se développent dans les années 1890, les naturalistes enrichissent le monde du reportage. Leur représentant fondamental est Emile Zola qui est désigné comme précurseur du reporter. Ce grand écrivain journaliste crée les romans basés sur la documentation qui sont le résultat d’une longue observation. En regardant et en décrivant le réel, en analysant dans ses romans la vie sociale, Zola a sans doute beaucoup contribué non seulement au développement du journalisme littéraire, mais surtout, grâce à ses pratiques de l’interview et de l’enquête, à l’évolution du reportage français. 108 Puisque le romancier naturaliste dont l’œuvre montre déjà certains éléments du reportage, procède comme un véritable reporter, « Zola revendique à plusieurs reprises une ressemblance certaine entre le romancier et le reporter »109. Zola souligne, outre l’interview et l’enquête, la pratique de la prise des notes, non moins importante pour le reporter. Muni d’un « carnet d’enquête qui devient bientôt l’outil de tous les naturalistes » 110 , le romancier, lui aussi, influence donc considérablement le reportage dans la presse française qui veut tant se distinguer du modèle américain.

2.1.2 La définition du genre Après avoir présenté les théories de l’apparition du reportage dans la presse française, nous nous concentrerons sur le genre en fournissant ses définitions importantes. Le reportage faisant auparavant l’objet d’un débat incessant, soumis à une évolution permanente, sa définition n’est pas tout à fait nette. C’est pourquoi nous traiterons de diverses définitions de ce genre liées aux circonstances historiques.

2.1.2.1 Petit et grand reportage Dès le début, les théoriciens et les reporters français distinguent deux pratiques du reportage : le petit et le grand reportage. Ces deux techniques se rapportent à l’évolution du genre et les termes sont utilisés justement pour mieux montrer les changements que le reportage subit. Il y a des théoriciens, comme par exemple Pierre

108 Cf. DELPORTE, C. Op. cit., p. 71. 109 KALIFA, D., REGNIER, P., THERENTY, M.-E., VAILLANT, A. Op. cit., p. 1538. 110 Ibid., p. 1537. 30

Giffard, qui refusent une telle distinction. En inventant le mot « reportérisme » qui dépasse le fait divers, Giffard réunit dans ce terme à la fois le grand et le petit reportage consistant dans la chasse aux faits divers.111 Mais ses adversaires, comme par exemple Fernand Xau, qui accentuent l’évolution du genre et observent des sujets du reportage qui changent, insistent catégoriquement sur la classification du reportage en soulignant que « le petit reportage est l’école du grand »112. Ainsi expliquent-ils que les grands reporters fondent leurs grands reportages sur les pratiques et techniques des petits propres aux petits reporters. Les sujets, la méthode, l’écriture ou le mode de publication des reportages deviennent critères pour juger s’il s’agit d’un petit ou d’un grand reportage.113 « Alors que le petit reportage n’est souvent qu’un montage de textes à la colle et aux ciseaux, le grand reportage est un texte "écrit", où compte le talent du journaliste en tant qu’auteur. »114 Le petit reportage se distingue du grand en s’intéressant, dans la plupart des cas, aux scandales mondains et à la vie à Paris. En racontant des événements scandaleux passés dans la société française, en se mêlant dans les affaires des Parisiens, en décrivant ce qu’il observe, le petit reporter, présent dans le journal à la fin du XIXe siècle, ressemble très souvent au fait-diversier. 115 Le tournant qui modifie le petit reporter en grand, se produit au moment où les sujets changent. Quand le thème de la guerre prédomine dans les reportages, le petit reporter est tout d’un coup élevé au grand. Le grand reportage semble naître à l’époque de la guerre russo-japonaise en 1904-1905.116 Les reporters comme Pierre Giffard (pour Le Matin), Ludovic Naudeau (pour Le Journal) se consacrent au thème de la guerre, traitent de divers conflits internationaux, de troubles révolutionnaires en Russie de 1905-1906. Les grands reporters participent aussi à des expéditions coloniales, mentionnent le danger auquel ils sont exposés, informent sur des crises qui agitent le monde et font découvrir au lecteur les grands pays du monde de la Russie aux Etats-Unis, de l’Inde à la Chine.117 Quoique la nature des sujets propres aux grands reporters soit bien définie, le grand reportage, en tant que genre et écriture, fait l’objet des discussions fréquentes.

111 Cf. DELPORTE, C. Op. cit., p. 62. 112 MARTIN, M. Op. cit., p. 37. 113 Cf. BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 56. 114 Ibid., p. 67. 115 Cf. DELPORTE, C. Op. cit., p. 68. 116 Cf. FERENCZI, T. Op. cit., p. 50. 117 Cf. BELLANGER, C. Histoire générale de la presse française. De 1871 à 1940. Op. cit., p. 478. 31

Les circonstances de la naissance du grand reportage sont expliquées à travers deux théories différentes qui s’affrontent. La première, défendue par Fernand Xau, suppose que « le grand reportage est fils du naturalisme »118. Les propagateurs de cette théorie tentent alors de rattacher le grand reportage aux pratiques naturalistes. Par contre la deuxième hypothèse, présentée par Pierre Giffard, affirme que le grand reportage est un héritage du passé du journalisme français et représente ainsi « un prolongement de l’enquête de fait divers »119. Bien que cette question reste sans une réponse évidente, ce qui est incontestable, c’est qu’« avec le grand reportage, le journalisme français reçoit à la fois ses lettres de noblesse et son identité »120. Le grand reportage qui « grandit » avec le choix des sujets et avec l’importance des faits décrits, s’installe peu à peu « dans les colonnes des journaux jusqu’à devenir à son tour le genre noble par excellence »121. S’intensifiant au cours des années 1920 et 1930, le grand reportage devient omniprésent dans tous les journaux de l’époque de l’entre-deux-guerres qui est indiquée comme l’âge d’or du grand reportage dans la presse française. Son essor se produit dans les années trente où le grand reportage, « un genre à maturation lente »122, atteint son apogée absolu. A part les sujets déjà mentionnés plus haut, le grand reportage se consacre plus concrètement à la guerre d’Espagne, aux révolutions russes et allemandes, à la monté du fascisme, à la situation en Allemagne hitlérienne ou au colonialisme.123 Il se concentre sur les problèmes du monde entier et son but est d’écrire la réalité sociale et économique, de présenter la situation politique telle qu’elle règne dans divers pays et bien sûr son influence sur le peuple en question. Les reportages de crise, de guerre, de découverte d’un pays mal connu et de son peuple sont écrits. Le grand reporter, passionné pour la vérité, rapporte alors ses témoignages de l’action, du vécu, de la réalité observée. Le grand reportage s’occupe également de la problématique de l’éloignement. « Plus la destination sera lointaine, l’expédition périlleuse ou l’entreprise inédite, plus le reportage y gagnera en "grandeur" […]. » 124 Certains

118 MARTIN, M. Op. cit., p. 46. 119 Ibid. 120 FERENCZI, T. Op. cit., p. 47. 121 MARTIN, M. Op. cit., p. 10. 122 BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 27. 123 Cf. COLLOMB, M. La littérature art déco. Paris : Méridiens Klincksiec, 1987, p. 194. 124 BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 59. 32 reportages sont donc fondés sur la distance géographique. Par contre d’autres s’inspirent de l’éloignement social ou culturel.125

2.1.2.2 Le reportage d’aujourd’hui Après avoir montré comment le reportage est défini par rapport à son évolution, nous nous concentrerons sur sa forme, sa définition et ses traits caractéristiques d’aujourd’hui qui sont basés justement sur le développement de ce genre. En confrontant diverses sources qui s’occupent du reportage, nous comprendrons qu’il n’y a pas une seule définition qui soit à cent pour cent valable. Chaque auteur, même chaque reporter interprète le reportage à sa manière. En utilisant différents mots, leurs définitions ont quand même des points en commun. Les reporters d’aujourd’hui perçoivent le reportage tout simplement comme « un événement ou un ensemble d’événements rapportés par le journaliste »126. D’après cette définition, « on peut parler de reportage chaque fois que le journaliste rapporte ce qu’il a vu, lu ou entendu »127. Une autre perception du reportage souligne le rôle du reporter en tant que témoin et définit le reportage comme « article ou série d’articles pour lesquels les éléments d’information sont recueillis par le journaliste (reporter) sur les lieux-mêmes de l’événement, ce qui fait de lui une sorte de témoin privilégié »128. La spécificité du reportage consiste dans trois traits caractéristiques : la réalité, l’authenticité et le rapport entre l’auteur et le lecteur. Premièrement, tous les personnages et les événements décrits sont réels. « Leur réalité est même la principale justification de leur présence dans le reportage. » 129 Deuxièmement, l’auteur du reportage qui le transmet, est, lui aussi, présent dans le reportage en tant que témoin qui garantit l’authenticité de l’information. Troisièmement, la liaison entre l’auteur et le lecteur s’établit en permettant au lecteur de « s’identifier avec le journaliste, de voir par ses yeux »130. Ce qui est alors le plus important dans la pratique du reportage, c’est que l’auteur apporte l’authenticité, rapporte le réel, exprime en toute circonstance la réalité,

125 Cf. MARTIN, M. Op. cit., p. 11. 126 KRAVETZ, M. Eloge du grand reportage. In: ALIA, J., AMOUROUX, H. Grand reportage. Les héritiers d’Albert Londres. Paris : Florent Massot Présente, 2001, p. 93. 127 Le reportage. Fralica [en ligne]. 2007. [cit. 2014-02-08]. Disponible sur : . 128 BENARD, S. Op. cit., p. 325. 129 COLLOMB, M. La littérature art déco. Op. cit., p. 213. 130 Ibid. 33 cherche et trouve la vérité et restitue la vie « comme si le lecteur y était »131. Le reportage est aussi un témoignage décrit qui se caractérise par sa subjectivité créée selon le point de vue choisi par le reporter.132 Un bon reportage n’est pas créé tout de suite, sa manière d’écriture s’apprend.133 Et puisque le reportage est une question d’apprentissage, le journaliste qui veut devenir reporter, s’entraîne et est obligé de prendre connaissance des techniques de ce genre. Il devrait « commencer par décrire une situation au moyen d’un détail fort, significatif et remonter vers l’idée générale. Jamais l’inverse. »134 En ce qui concerne la narration, il est recommandé d’utiliser le présent de l’indicatif et l’écriture à la première personne du singulier ou du pluriel. Le présent est le temps préféré par le reportage parce qu’il exprime directement le vécu, 135 la première personne marque la personnalisation nécessaire.136 Si des articles sont livrés au retour du reporter, le passé simple, plus rarement le passé composé, sont acceptables. 137 Le reportage linéaire avec l’ordre chronologique est bien souhaitable. Le découpage en chapitres ou en épisodes est une bonne méthode pour motiver le lecteur et le tenir dans l’attente de la partie suivante.138 Le reporter, surtout celui qui voyage et rapporte des événements passés à l’étranger, utilise très souvent un lexique particulier, des mots étrangers ou des termes techniques, spécifiques. D’après Albert Londres, l’un des plus grands reporters français, le reportage est (hier comme aujourd’hui) inséparable de l’enquête et de l’interview en s’inscrivant dans « le journalisme d’enquête, de terrain »139. L’interview et l’enquête qui complètent et renforcent le sujet, sont alors deux techniques indispensables qu’un reporter-débutant devrait apprendre pour écrire un bon reportage. En interviewant, le reporter doit maîtriser la technique d’interrogation et savoir interroger les personnes concernées. L’autre technique, l’enquête, qui touche des sujets de la société plus légers aussi bien

131 PIVOT, L. Le reportage en presse écrite. Préparation, terrain, écriture. Paris : CFPJ, 2012, p. 18. 132 Cf. COGNAT, C., VIAILLY, F. Les rubriques du journalisme. Décrypter, organiser et traiter l’actualité. Grenoble : PUG, 2012, p. 19. 133 Cf. KRAVETZ, M. Op. cit., p. 101. 134 MARTIN-LAGARDETTE, J.-L. Le guide de l’écriture journalistique. Paris : La Découverte, 2003, p. 114. 135 Cf. CIOBOTEA, R. Le mot vécu. Le reportage français et roumain dans l’entre-deux-guerres. Paris : Orizons, 2010, p. 45. 136 Cf. MARTIN-LAGARDETTE, J.-L. Op. cit., p. 115. 137 Cf. BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 150. 138 Cf. ANTOINE, F., DUMONT, J.-F., GREVISSE, B., MARION, P., RINGLET, G. Ecrire au quotidien. Pratiques du journalisme. Bruxelles : EVO, 1995, p. 91. 139 DELUCHE, J. Albert Londres, le premier des reporters heureux. In: BOUCHARENC, M., DELUCHE, J. Littérature et reportage. Limoges : PULIM, 2001, p. 35. 34 que plus graves, consiste dans la maîtrise de poser de bonnes questions et se fonde sur le fait de ne pas avoir des préjugés et de donner une certaine conclusion à partir des réponses reçues. 140 Il est nécessaire de porter l’attention sur le détail parce qu’il représente le critère de la vérité. « Le détail crédibilise le reporter et le reportage, […] visualise, […] sensibilise et recrée une atmosphère. »141 Aujourd’hui comme auparavant, les reporters écrivent de grands reportages qui se distinguent par leur importance du reportage au quotidien. Les reporters actuels refusent quand même qu’il y ait un petit et un grand reportage, un petit ou un grand reporter. Selon eux, ce n’est pas une question de distance ou de lieu. « Les bons sujets de reportage ne se trouvent pas forcément à l’autre bout du monde. »142 Ce n’est pas non plus la question du sujet. « Aujourd’hui, le reportage de qualité n’est plus basé sur la recherche de l’exotisme, du pittoresque, ou de l’étranger. Il concerne souvent la vie des gens dans leur quotidien apparemment très ordinaire. »143 Afin de réussir son reportage, le journaliste, selon Albert Londres, doit quitter la rédaction de journaux. Le reportage signifie pour lui « aller voir pour raconter »144, aller là-bas où un événement se passe pour pouvoir le raconter aux lecteurs. Quant au sujet du reportage, « […] il faut raconter des drames, des joies, des peurs, des craintes, des espoirs, des bouleversements du monde qui se déroulent au quotidien » 145. Le reporter d’aujourd’hui devrait se consacrer aux grands problèmes de l’époque moderne. S’il part à l’étranger pour révéler un événement sensationnel, le journal consacre généralement une place assez grande à la publicité pour attirer des lecteurs. Le reportage une fois écrit, il est annoncé par « de notre envoyé spécial » ce qui devrait contribuer au prestige du reportage et relever sa valeur. L’un des derniers critères du reportage est son influence car le reportage influence le lecteur. Ce caractère du genre devient même l’un des critères fondamentaux d’un bon reportage. Peu importe de quel sujet il s’agit, l’influence devrait se manifester à tel point que le reportage arrive à « émouvoir le public, à provoquer son engouement ou son indignation, à créer des liens d’identification et à nouer un rapport personnel entre le lecteur et l’auteur »146. Cette profonde relation avec le lecteur est propre au

140 Cf. COGNAT, C., VIAILLY, F. Op. cit., p. 66. 141 BOUCHER, J.-D. Le reportage écrit. Paris : CPJ, 1993, p. 75. 142 Ibid., p. 24. 143 Ibid. 144 PIVOT, L. Op. cit., p. 17. 145 DESJARDINS, T. Tout a changé, tout est pareil. In: ALIA, J., AMOUROUX, H. Op. cit., p. 69. 146 CIOBOTEA, R. Op. cit., p. 28. 35 reportage français. Il faut proposer au lectorat la possibilité d’identification, lui transmettre des informations et « le sentiment vif de la réalité »147. « Il faut l’informer, le séduire, l’émouvoir et – idéalement – le transporter sur les lieux mêmes du récit. »148 A travers la lecture, le lecteur se trouve donc au cœur de l’événement et vit le suspense, la surprise, l’inattendu, le drame vécu par le reporter et éprouve l’audace comme s’il se trouvait à côté du journaliste. Bien que le reportage soit aujourd’hui toujours pratiqué, il n’est plus au zénith de la gloire comme il était dans les années trente. Mais ce n’est pas la fin du mythe. C’est seulement l’époque moderne, le modernisme, le progrès technique qui ont repoussé le reportage et le reporter du faîte de la gloire. A l’heure actuelle, le reporter n’est plus le seul ou l’un des rares personnages qui sillonnent le monde. Aujourd’hui, tout le monde part à l’étranger et un reporter qui rentre après une mission d’une contrée lointaine, n’impressionne plus autant. Quoique le métier reste apprécié et le reporter soit dans le monde d’aujourd’hui indispensable, « rien n’y fait, le prestige du reportage est écorné »149.

2.2 Le reporter Le reportage, l’évolution de ce genre, sa définition et sa perception d’aujourd’hui une fois expliqués, nous porterons notre attention sur le personnage du reporter. Ce mot est issu aussi de l’anglais. Intégré à la langue française, il est admis officiellement beaucoup plus tôt que le mot « reportage » : il apparaît dans le dictionnaire de l’Académie française dans sa septième édition en 1878.150

2.2.1 Le reporter d’hier Avant de décrire le reporter d’aujourd’hui et ses qualités nécessaires pour effectuer ce métier, nous esquisserons son rôle dans les journaux auparavant. En prenant en considération l’évolution du métier, nous mentionnerons de petits et de grands reporters français aussi bien que les précurseurs de grands reporters. Nous énumérerons quels journalistes et pourquoi en fait sont appelés reporters.

147 Ibid., p. 28. 148 BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 146. 149 PIVOT, L. Op. cit., p. 18. 150 Cf. BENARD, S. Op. cit., p. 326. 36

Avant que ne soit créé le personnage d’un grand reporter, le journaliste qui pratique un journalisme d’investigation, est surnommé le petit reporter. Sa « petitesse » consiste dans les sujets qu’il choisit et dans les limites du terrain où il bouge. Il représente dans la plupart des cas un reporter anonyme et en ne se déplaçant que rarement, en étant assis chaque jour et souvent chaque nuit dans la salle de rédaction, il est désigné comme un reporter sédentaire.151 Il entretient de bons rapports avec la police en visant les mêmes objectifs que le policier, c’est-à-dire de trouver et arrêter des criminels et « contribue au respect de l’ordre social et de la morale »152. Il enquête, cherche et trouve des réponses nécessaires et propage ainsi la vérité. Le reportage s’évoluant très vite, dans peu de temps, le petit reporter est remplacé par le grand. Le grand reporter quitte le commissariat, le terrain propre au petit reporter, et devient spécialiste du champ de bataille.153 A la fin du XIXe siècle, les pionniers du grand reportage sont alors les envoyés spéciaux qui commencent à mener une vie d’aventuriers. « Ce sont les précurseurs des aventuriers qui feront la renommée du métier dans l’entre-deux-guerres. »154 Parmi ces envoyés spéciaux appartiennent les correspondants de guerre. Il s’agit des journalistes qui sont délégués sur place pour couvrir des événements pour leur journal.155 « Par goût, certains diraient par goût du risque, ils sont toujours volontaires pour couvrir manifestations, rébellions, révolutions ou conflits. »156 Avec la mention « de notre envoyé spécial », les journaux publient des articles ou des dépêches qui traitent de la guerre russo-turque de 1877-1878, de la guerre russo- japonaise de 1904-1906 ou de la Première Guerre mondiale (1914-1918). Le reportage de guerre domine donc dans les journaux et le nombre de reporters en tant que correspondants de guerre augmente. En se trouvant tous sur les mêmes lieux, sur les mêmes champs de bataille, la concurrence entre eux et leurs journaux est omniprésente.157 Les reporters sont à cette époque-là comme quelques années plus tard en rivalité. « Les grandes réussites et les réputations se construisent sur la défaite des

151 Cf. MARTIN, M. Op. cit., p. 11. 152 DELPORTE, C. Op. cit., p. 236. 153 Cf. BOUCHARENC, M., DELUCHE, J. Le reportage dans quelques-uns de ses états. In: BOUCHARENC, M., DELUCHE, J. Op. cit., p. 7. 154 MARTIN, M. Op. cit., p. 49. 155 Cf. COGNAT, C., VIAILLY, F. Op. cit., p. 108. 156 Ibid. 157 Cf. MARTIN, M. Op. cit., p. 59. 37 confrères […]. »158 Afin de régler cette situation et pouvoir s’entraider ou collaborer, les correspondants de guerre en tant qu’envoyés spéciaux, surnommés reporters, s’efforcent de se regrouper. Ils revendiquent dans l’entre-deux-guerres un statut officiel, la reconnaissance de leur métier du reporter. C’est ainsi qu’en novembre 1934, l’Association française du grand reportage, un groupement indépendant de reporters, est créée. Les reporters se réunissent et seulement quelques mois après la création de l’association, en février 1935, l’association compte quarante-deux membres. Pour arrêter le nombre augmentant de reporters réunis, les conditions d’entrée sont définies. Ceux qui veulent adhérer à l’association, sont obligés de poser leur candidature. Une commission de reporters consulte ces candidatures et décide ensuite d’accepter ou de refuser ces nouveaux journalistes, voulant se classer parmi les reporters. Finalement ce sont le grand nombre de reporters, leur intérêt énorme et incessant et leur volonté de faire partie d’un groupe officiellement reconnu qui représentent donc paradoxalement des causes de la fin de cette association.159 Avec la pratique fréquente du grand reportage, le grand reporter sort de l’anonymat et devient vite un personnage respectable, admiré du public. Outre qu’il se trouve au cœur de l’événement et informe sur des conflits internationaux, il est apprécié parce qu’il travaille dans des conditions difficiles, souvent dangereuses. A la recherche d’informations exclusives, exposé au danger, il risque sa vie et se transforme donc en héros vivant. « […] Le grand reporter est plus qu’un simple observateur ; il est acteur de l’événement. »160 Après la Première Guerre mondiale, la première génération des reporters professionnels s’impose, désignés comme flâneurs salariés ou coureurs des continents.161 Les sujets de leurs reportages présentent par exemple le monde agité, les expéditions coloniales ou d’autres guerres qui se déroulent en Europe.162 « Le grand reporter est celui qui va voir, va vérifier sur place l’information transmise par les sources étrangères, et va rétablir, si nécessaire, au prix d’une investigation poussée, la vérité ; et ce, au risque de sa vie. »163 Il est donc non seulement journaliste nomade,164 voyageur qui est envoyé par son journal au loin, mais aussi porteur de vérité.

158 Ibid., p. 145. 159 Cf. ARON, P. Entre journalisme et littérature, l’institution du reportage. COnTEXTES [en ligne]. 2012. [cit. 2014-02-15]. Disponible sur : . 160 DELPORTE, C. Op. cit., p. 69. 161 Cf. BOUCHARENC, M., DELUCHE, J. Op. cit., p. 8. 162 Cf. FERENCZI, T. Op. cit., p. 49. 163 DELPORTE, C. Op. cit., p. 238. 164 Cf. Ibid., p. 239. 38

Dans l’entre-deux-guerres, le reporter représente le métier le plus noble de la presse. Il est le modèle du journalisme et fait partie de l’élite professionnelle.165 Dans les années vingt, le grand reporter devient vedette du journalisme et est en vogue auprès des lecteurs.166 Le grand reporter est perçu comme « celui qui reprend, en variante moderne, le mythe du héros, le héros doué du pouvoir de franchir les frontières insurmontables pour l’homme ordinaire et de sanctionner l’injustice, quand c’est le cas »167. Ce type du héros qui se bat pour le bien, gagne dans la rédaction un statut extraordinaire et en profite pour continuer sa fameuse carrière du grand reporter. Il arrive donc très souvent que ce sont des reporters, attachés à un journal, qui dictent des conditions de leur collaboration avec la presse. Cette exclusivité concerne surtout des reporters qui sont très populaires ou ceux qui sont indépendants en étant des écrivains de talent.168 Parmi les grand reporters français qui ont contribué à l’évolution du métier aussi bien qu’à l’évolution du genre du reportage, appartiennent Pierre Giffard, Fernand Xau, Ludovic Naudeau ou Gaston Leroux. Ces reporters se consacrent à la théorie du genre, puis dans leurs reportages, ils couvrent divers conflits internationaux. Ensuite c’est Albert Londres qui personnifie l’un des meilleurs reporters. En représentant une vraie célébrité du reportage, c’est lui qui détermine vers quels sujets le reportage devrait se diriger. Sa réputation et son statut d’un des plus grands reporters égalent souvent la création et l’activité de Joseph Kessel. L’une des grandes reportères est Andrée Viollis, la première femme qui s’est affirmée dans ce métier. Les reporters sont souvent liés à un journal, ainsi Albert Londres publie dans Le Petit Parisien, Ludovic Naudeau au Journal, Joseph Kessel au Matin, Andrée Viollis au Petit Parisien.169 Profitant de leur notoriété et de leur reconnaissance, ce sont eux qui choisissent les journaux et passent souvent d’un journal à l’autre.

2.2.2 Le reporter d’aujourd’hui Après avoir présenté le personnage du petit et surtout du grand reporter, nous nous concentrerons sur le reporter d’aujourd’hui. Nous esquisserons ses techniques et ses pratiques de travail, sa manière d’écriture en nous penchant sur des activités qui

165 Cf. Ibid., p. 237. 166 Cf. CIOBOTEA, R. Op. cit., p. 120. 167 Ibid., p. 116. 168 Cf. BELLANGER, C. Histoire générale de la presse française. De 1871 à 1940. Op. cit., p. 478. 169 Cf. Ibid. 39 font d’un journaliste un bon reporter. Ces pratiques ressemblant au travail d’anciens reporters, nous nous intéresserons à des sujets et des motifs fréquents des reportages que les reporters d’hier et les reporters d’aujourd’hui ont en commun. Nous énumérerons ensuite des qualités de base qu’un reporter doit posséder pour se consacrer au reportage. Il est incontestable que l’époque des reporters de l’entre-deux-guerres et celle des reporters actuels diffèrent. Les changements les plus marquants sont liés aux pratiques et aux instruments que le reporter utilise. En s’intéressant à ces différences, trois générations de reporters se proposent. La première est représentée par des reporters qui travaillent comme Albert Londres. Munis d’un stylo, ils voyagent en train ou en bateau et utilisent le télégraphe. La deuxième génération contient des reporters qui se trouvent « entre les frontières de la vie, entre les techniques rudimentaires d’hier et celles, sophistiquées d’aujourd’hui […] » 170 . La troisième génération regroupe de « nouveaux reporters » contemporains dont des outils indispensables sont le téléphone portable et l’ordinateur. Il s’agit des reporters qui profitent de toutes les possibilités que l’époque moderne leur offre.171 S’il y a des différences dans les outils d’un reporter, en ce qui concerne l’exécution de ce métier, rien n’a changé : « Les stylos ont été remplacés par des ordinateurs, les paquebots par des supersoniques, mais la folie des hommes, leur lâcheté, leur vanité sont toujours les mêmes et la recherche de la vérité est toujours aussi difficile. »172 Le reporter actuel est « un type particulier de journaliste qui se distingue par sa façon de travailler »173. Il pratique le journalisme debout et n’est plus assis (comme par exemple le petit reporter auparavant) dans la salle de rédaction. Il part sur les lieux d’un événement « pour y puiser des informations afin de rendre compte d’une réalité humaine »174. Le reporter est donc un homme de terrain dont la passion du terrain le caractérise. Pour pouvoir révéler les mystères du monde lointain, il est obligé de « partir à l’étranger entre trois et six mois par an et, dans la plupart des cas, dans des pays où, très souvent, les touristes ne peuvent pas aller »175. L’esprit de voyage à travers le monde est alors l’une des dispositions nécessaires que doit posséder le reporter. Se déplaçant presque sans cesse, le reporter expérimenté qui travaille depuis

170 AMOUROUX, H. Ce livre a une histoire… In: ALIA, J., AMOUROUX, H. Op. cit., p. 9. 171 Cf. Ibid. 172 DESJARDINS, T. Op. cit., p. 70. 173 DELPORTE, C. Op. cit., p. 61. 174 Ibid. 175 Grand reporter. Le métier. Routard.com [en ligne]. 2013. [cit. 2014-02-15]. Disponible sur : . 40 des années, peut être atteint par la dromomanie. C’est une maladie consistant dans le désir permanent de voyager, c’est un besoin impérieux de déplacement, de voyage.176 Un tel reporter ressemble à un vagabond et « ne supporte plus le séjour et ne peut vivre que dans le mouvement ou son apparence […] »177. Le métier du reporter, inséparable du voyage, repose aussi sur la transmission d’informations qui permettent aux lecteurs d’apprendre de nouvelles réalités. Le journaliste voyageur devient alors « explorateur, découvreur de lieux, de faits et de personnes dont les lecteurs ont une totale ignorance ou une grande méconnaissance »178. La tâche de base d’un reporter consiste justement à transmettre les informations les plus exactes possible parce qu’un reporter est surtout un « professionnel de l’information »179 dont la mission est de rapporter ce qu’il a vu et entendu. Les reporters sont des témoins subjectifs qui observent les faits avec leur propre sensibilité. Pourtant ils ne devraient jamais inventer des faits et rester fidèles à la vérité. « Les reporters, s’ils sont des raconteurs d’histoires, demeurent, avant tout, des informateurs. »180 Pour faciliter et réussir son reportage, chaque reporter, avant de partir à la mission, est invité à consacrer le temps à la préparation nécessaire. Tout le travail du reporter commence en effet dans son bureau par l’enquête préalable. Le journaliste lit des livres ou consulte des guides touristiques du pays où il part,181 il fait des recherches et prend connaissance de la documentation de base. Il s’informe naturellement du sujet du reportage, identifie l’événement, le localise et obtient des renseignements précis sur son déroulement. Il se renseigne aussi sur le pays, sur les données géographiques ou sur le peuple, son histoire et ses coutumes. Pour qu’il n’arrive pas que le reporter se trouve tout seul dans des situations compliquées, difficiles, il devrait se munir d’un carnet d’adresse et rechercher des personnages, prendre contact avec « ceux qui connaissent bien la réalité que le journaliste s’apprête à découvrir à son tour »182. Il crée ainsi un réseau de contacts qui peuvent l’aider à réussir sa mission. Le conseil général, c’est de « ne jamais partir en reportage les mains dans les poches, en se fiant à son sûr

176 Cf. GUENNOC, J.-F. Op. cit. 177 Ibid. 178 BENARD, S. Op. cit., p. 325. 179 KRAVETZ, M. Op. cit., p. 114. 180 BOUCHER, J.-D. Op. cit., p. 11. 181 Cf. Ibid., p. 53. 182 ANTOINE, F., DUMONT, J.-F., GREVISSE, P., MARION, P., RINGLET, G. Op. cit., p. 89. 41 instinct »183. Une fois muni d’un cahier de notes, de cartes et de plans, avec le passeport et le visa validés, le reporter peut alors se mettre en route. Si le succès du reportage se rapporte à la préparation détaillée du reporter, sa façon de travail sur le lieu de l’événement est non moins importante. En activant tous ses sens, le reporter regarde, écoute, respire, touche et goûte pour pouvoir transmettre ces expériences captées par les sens au lecteur. 184 En tant que « professionnel du regard »185, il se focalise surtout sur l’observation et l’écoute. « Le reporter, c’est un œil, un nez, une oreille branchés sur un stylo. »186 Il prend alors des notes pour mettre en mémoire « des gestes, des paroles, des couleurs, des odeurs, des rires, des regards, des larmes, des cris, des colères, des tendresses, des bouts de conversation […] »187. En ayant tous ses sens en éveil et en notant tous les détails, le reporter doit savoir décrire des actions et des images et créer ainsi des émotions et des sentiments chez les lecteurs.188 Présent sur le terrain, le reporter aborde les témoins de l’événement et utilise les techniques de l’enquête et de l’interview. En posant des questions, il gagne un matériel important pour son reportage. Parfois, pour obtenir des informations exclusives, le reporter opère comme un caméléon en essayant de s’intégrer au maximum, de s’immerger dans la foule.189 Les informations une fois reçues, le reporter se rendant compte de sa responsabilité, doit les vérifier et confronter avant de les transmettre. Dans l’effort de rester objectif, il ne devrait jamais abuser de son rôle pour faire de la sensation.190 Pourtant il n’est pas un observateur passif. Dans la société où il se trouve, il lutte contre les clichés. En s’apercevant de l’injustice, il la dénonce pour rétablir la justice. De sa position de journaliste, il défend les pauvres et les infortunés, leur retourne les droits que d’autres tentent de leur arracher.191 C’est ainsi qu’il gagne de la confiance auprès du peuple ce qui lui permet ensuite de découvrir les vérités cachées ou de participer même à la vie des gens en étant présent pendant des rituels étudiés

183 BOUCHER, J.-D. Op. cit., p. 43. 184 Cf. Ibid., p. 17. 185 CIOBOTEA, R. Op. cit., p. 26. 186 MARTIN-LAGARDETTE, J.-L. Op. cit., p. 113. 187 ANTOINE, F., DUMONT, J.-F., GREVISSE, P., MARION, P., RINGLET, G. Op. cit., p. 91. 188 Cf. PIVOT, L. Op. cit., p. 23. 189 Cf. Ibid., p. 20. 190 Cf. ANTOINE, F., DUMONT, J.-F., GREVISSE, P., MARION, P., RINGLET, G. Op. cit., p. 93. 191 Cf. CIOBOTEA, R. Op. cit., p. 20. 42 auparavant exclusivement par des ethnographes, géographes, musicologues, folkloristes ou faisant l’objet de l’imagination des écrivains.192 En comparant le métier du reporter d’hier et celui d’aujourd’hui, il est évident que le décor a changé mais les pratiques restent toujours les mêmes.

Il faut toujours […] aller sur place, essayer de comprendre ce qui se passe, voir le plus de gens possible, sentir l’atmosphère, et surtout chercher la vérité au milieu de la propagande des uns, des mensonges des autres, des hallucinations collectives et puis essayer de raconter tout cela à des lecteurs qui sont, au fond, un peu comme des amis lointains auxquels on voudrait faire comprendre ce qu’on a cru comprendre.193

Le reporter d’aujourd’hui travaille donc de la même façon que celui d’hier. Il est voyageur, observateur, spectateur qui parle aux gens et décrit tout ce qui l’entoure. En tant que garant de la vérité, il analyse, vérifie et interprète tout ce qu’il apprend. Pour transmettre toutes ses expériences, dans le reportage, le reporter raconte. Il recrée l’atmosphère qu’il a vécue et décrit les lieux, les personnages, leurs attitudes, leurs actions, leurs façons de parler pour que le lecteur puisse imaginer tout.194 Il mêle des portraits des personnages avec la description des événements et du décor. Le travail des reporters aussi bien que celui des autres journalistes ou des écrivains est apprécié. Le prix Albert-Londres représente la récompense la plus prestigieuse et couronne le meilleur reporter francophone de la presse écrite. Ce prix porte le nom d’un des plus grands reporters français et a été créé en 1933, une année après la disparition mystérieuse d’Albert Londres, à la diligence de sa fille Florise et de son ami, reporter, Edouard Helsey. Le prix est décerné chaque année le jour de sa mort et appartient au meilleur reporter de moins de quarante ans pour le meilleur reportage de l’année. 195 Le jury apprécie ainsi son travail d’investigation dans l’esprit d’Albert Londres : « Une quarantaine d’articles ou de documentaires sont présélectionnés par une dizaine de journalistes, puis un jury de dix-sept personnes d’âge respectable, présidé par Henri Amouroux, procède à des votes successifs jusqu’à la décision finale. »196

192 Cf. Ibid. 193 DESJARDINS, T. Op. cit., p. 68-69. 194 Cf. MARTIN-LAGARDETTE, J.-L. Op. cit., p. 113. 195 Cf. PIVOT, L. Op. cit., p. 11. 196 WEBER, C. L’esprit du prix Albert-Londres aujourd’hui. In: BOUCHARENC, M., DELUCHE, J. Op. cit., p. 363. 43

2.2.3 Les sujets et les motifs du reporter Le reporter d’hier et d’aujourd’hui une fois caractérisé, nous porterons notre attention sur des sujets et des motifs fréquents qui apparaissent dans les reportages. A part l’écriture, les sujets et les motifs représentent un trait qui fascine le lecteur. Le reporter peut se consacrer aux thèmes variés. Etant chargé par le directeur du journal, dans la plupart des cas, il ne choisit pas sur quel événement il part faire son reportage. Il y a quand même des reporters vedettes qui proposent leurs propres sujets. Ayant la confiance totale du directeur, ces grands reporters peuvent choisir quel événement ils vont couvrir et étant soutenus par le journal, ce sont eux qui décident du déroulement de leur reportage. Les sujets des reporters d’hier comme ceux d’aujourd’hui « varient d’un extrême à l’autre et vont du mariage d’une tête couronnée à un tremblement de terre au Bangladesh, en passant par une prise d’otage aux Philippines ou à une guerre pure et dure »197. Parmi les sujets les plus fréquents appartiennent les guerres, la vie des gens dans des milieux sombres, le colonialisme ou le voyage. La guerre est même une immense inspiration pour les reporters.198 Quant aux milieux où les reportages se préparent, ce sont la pègre, des bas-fonds, des souterrains humains, puis des bagnes, des prisons, des asiles ou des milieux interlopes qui dominent.199 Les motifs préférés par les reporters sont le risque et la criminalité. Les reporters choisissent les personnages de leurs reportages parmi des forçats, des fous, des prostitués ou des esclaves, en voulant montrer des personnages de misère. « Ils ressentent souvent le besoin de plonger aussi profondément que possible dans des espaces étrangers au grand public, d’emprunter les vêtements et de tenter de penser tout comme les gens sur qui ils se préparent à écrire. »200 Les reporters qui sont avant tout voyageurs, écrivent le plus souvent des reportages dont le sujet est le tour du monde. Certains reporters aiment découvrir et faire découvrir des lieux de luxe où leur caractère luxueux et l’ambiance joyeuse y associée règnent. Ainsi décrivent-ils par exemple des bateaux de luxe, des plages, des boîtes de nuit, des casinos élégants, des restaurations ou des cabarets pleins d’alcool et

197 Grand reporter. Le métier. Routard.com [en ligne]. Op. cit. 198 Cf. AMOUROUX, H. Op. cit., p. 10. 199 Cf. BOUCHARENC, M. Aux origines… In: Reportage. Initiales [en ligne]. 2010, p. 10. [cit. 2014-02- 15]. Disponible sur : . 200 CIOBOTEA, R. Op. cit., p. 20. 44 des femmes accessibles.201 Telle est la réalité de la vie de l’après-guerre et les reporters s’intéressant à ce sujet, fréquentent ces lieux pour décrire l’atmosphère caractéristique de l’époque.202 Les milieux où les reporters bougent, varient d’un moment à l’autre. En se déplaçant presque sans cesse, aujourd’hui comme auparavant, les reporters peuvent se trouver sur des places antagonistes dont les différences sont évidentes. « Les reporters de l’entre-deux-guerres passent passionnément d’un monde à l’autre, des concerts à la Scala de Milan ou à l’Opéra de Paris à la misère des villages […]. »203 Les motifs préférés qui caractérisent la plupart des reportages sont l’exotisme et l’aventure. Le reporter est souvent surnommé un « professionnel de l’aventure »204 et pour cette raison propose même divers types des aventures : aventure du départ, aventure des lieux éloignés, aventure du vol, aventure africaine, aventure de la traversée des océans, des mers, des expéditions ou aventure liée à la passion de découvrir et d’interpréter l’esprit des grandes villes. Dans les reportages, c’est l’aventure sous forme d’un voyage à travers les mers et les océans qui est assez fréquente. Ces reportages sont souvent désignés comme reportages maritimes. 205 Pour décrire tout ce qui est aventureux, le reporter utilise divers symboles. Ceux qui sont propres au reportage maritime, sont représentés par la mer, le navire ou le paquebot en tant que symbole des grands voyages, moyen important qui les ramène vers des mondes peu connus. Le reporter porte son attention aussi sur l’embarquement parce que c’est ce moment concret qui symbolise l’entrée dans l’espace de l’aventure.206 En traversant l’océan ou la mer, d’autres motifs symboliques peuvent surgir comme par exemple la tempête et la lutte avec de l’eau démontée. Un autre type du reportage, celui de l’aviation, montre comme motifs populaires l’avion et le travail des pilotes. Leurs expériences et leur vie dans le ciel sont des sujets préférés surtout par les reporters aviateurs.207 Une fois sur terre, le reporter a recours aux symboles des mondes mystérieux, ténébreux. Dans le reportage colonial créé au XXe siècle, son attention est dirigée sur l’esclavage et le reporter se consacre à l’aventure liée à la rencontre des esclaves.208 Présent sur le terrain, le reporter peut

201 Cf. Ibid., p. 92. 202 Cf. Ibid. 203 Ibid., p. 20. 204 Ibid., p. 119. 205 Cf. Ibid., p. 122. 206 Cf. Ibid., p. 123. 207 Cf. Ibid., p. 127. 208 Cf. Ibid., p. 19. 45

éprouver aussi l’aventure liée à la nuit. « Pour l’auteur du reportage, la nuit est un territoire nouveau, à conquérir. »209 La nuit témoigne des forces du reporter qui essaie de l’apprivoiser. Pour prouver sa résistance à la nuit, il ne dort pas, reste lucide et est capable de vaincre la fatigue et le sommeil afin d’avancer, afin de continuer son reportage. La nuit est pour chaque reporter un moment idéal pour réaliser une investigation journalistique. Elle lui donne l’occasion de nouer des contacts importants, d’entrer dans le monde clandestin. La nuit dévoile tout, même le secret qui veut rester invisible, caché aux yeux du monde. « L’entrée dans l’univers de la nuit est encore une traversée de la "frontière" invisible qui sépare le normal de l’anormal, et, parfois le reporter du lecteur. »210 L’aventure se montrant surtout dans les reportages sur des pays éloignés, il n’est pas exclu qu’elle apparaisse plus proche que l’auteur ne pense. Un bon reporter qui pourchasse l’aventure, reste persuadé qu’elle peut se trouver n’importe où, même au bout de la rue ou de la route.211 Vu que c’est grâce à l’aventure que le reporter réussit à attirer des lecteurs, il consacre à ce motif l’espace nécessaire. Il se rend compte que les lecteurs veulent éprouver des aventures caractérisées comme « un besoin aigu de vérité […], une soif de vie authentique, problématique, une soif de vie dangereuse […] »212. Le danger et les risques qui traversent le reportage, couronnent l’aventure. « C’est le départ héroïque, avec pour destination la Découverte ; c’est le jeu qui peut finir en tragédie, mais personne ne sait quand. »213 Le reporter risque alors sa vie et est souvent exposé à diverses formes du danger. C’est pourquoi le reportage est perçu comme « école du courage »214.

2.2.4 Qualités du reporter Pour pouvoir effectuer le métier et réussir sa carrière, le reporter doit posséder certaines qualités. C’est grâce à son caractère et des qualités de l’écriture que le reporter peut pratiquer le genre du reportage. En représentant un journaliste spécial, « les qualités nécessaires au grand reporter sont quasiment inverses de celles qui mettent en valeur le grand journaliste : s’immerger dans le sujet au lieu de le mettre à distance,

209 Ibid., p. 134. 210 Ibid., p. 135. 211 Cf. PIVOT, L. Op. cit., p. 18. 212 CIOBOTEA, R. Op. cit., p. 115. 213 Ibid., p. 118. 214 Ibid., p. 129. 46

émouvoir au lieu de raisonner, faire parler les témoins au lieu de prendre à témoin le public […] »215. Le reporter travaille donc autrement qu’un journaliste et doit maîtriser les pratiques du reportage. Ces qualités d’écriture lui sont indispensables pour créer un vrai reportage. A part l’écriture, le reporter se caractérise par d’autres qualités. Un bon reporter, c’est celui qui est naïf et cynique. La naïveté l’aide à s’enflammer, à rester passionné pour tout ce qui se passe dans le monde. Le cynisme l’accompagne « pour ne jamais être dupé » 216 . Il doit être naturellement courageux afin de pénétrer au cœur de l’événement caché devant les yeux du monde. A l’affût de la moindre information, le reporter doit être toujours prêt à agir. La curiosité pour le monde lui est propre, le reporter est curieux de tout. Il est aventureux en ayant le goût de l’aventure. Il est discret, parfois invisible et fait partie de la foule pour obtenir des informations importantes. Il éprouve de l’empathie pour les gens, compatit avec eux. Il est sensible, « capable de ressentir et de capter des informations avec tous ses sens »217. Il devrait être polyglotte, maîtriser plusieurs langues étrangères pour se faire comprendre. S’il ne l’est pas, il devrait au moins savoir parler anglais. Un bon reporter qui part au loin doit être résistant aussi bien au plan physique que psychologique en étant obligé de supporter diverses conditions de transport ou d’hébergement. Il doit savoir combattre la solitude, savoir s’adapter et être prêt à toute éventualité. En traitant d’un événement grave dont les circonstances sont peu connues, le reporter reste patient en sachant que « les humains mettent du temps à donner leur confiance »218. S’il voyage pour longtemps dans un pays étranger où il se déplace, il lui est conseillé de « ne pas être fragile du foie. Un reporter doit pouvoir boire et manger n’importe quoi, n’importe où. » 219 Un reporter est bien sûr attentif et sensible. Il maîtrise le regard parce qu’« il voit ce qu’à côté de lui d’autres ne voient pas »220. Il sait s’étonner, fureter en étant sans cesse aux aguets parce que tout l’intéresse. Il sait s’imprégner, respirer une ambiance, se laisser impressionner. D’après Andrée Viollis, le talent ne suffit pas. Il faut avoir des qualités littéraires, être un homme d’action et avoir « le tact du diplomate, le flair du détective, le courage

215 CHARLE, C. Op. cit., p. 276. 216 DESJARDINS, T. Op. cit., p. 70-71. 217 PIVOT, L. Op. cit., p. 21. 218 Ibid. 219 Ibid. 220 BOUCHER, J.-D., Op. cit., p. 20. 47 du soldat, la patiente ténacité du savant […] »221. En écrivant son reportage, le reporter doit être avant tout sincère, honnête avec le public. Il a quand même droit à une certaine subjectivité parce qu’« il est témoin de l’événement, mais non pas témoin amorphe… »222 Pour résumer le métier du reporter, il faut souligner que ce travail apporte aussi bien des joies que des difficultés et reste, pour les reporters, le métier le plus beau du monde parce qu’il « fait rêver leur enfance, leur donne la joie de voir, rencontrer, connaître, pour transmettre et faire connaître »223. Ce métier est aussi une question de choix. D’après Albert Londres, on ne naît pas reporter, on le devient. Le choix une fois fait, il devient reporter pour toujours.224 « Le métier n’est pas sans risque, mais c’est un métier […] choisi, non pas une fois mais à chaque fois. »225 Le travail du reporter en tant que messager peut donc être perçu comme une vraie vocation. Quelles que soient leurs techniques ou leurs pratiques, les reporters représentent un pont entre deux mondes : celui du reporter et celui du lecteur. « Qu’ils aient une caméra, un appareil photographique, une souris ou un stylo en main, les reporters demeurent les merveilleux passeurs d’histoires dont on a besoin pour mieux comprendre le monde. »226

2.3 Pionniers du grand reportage Après avoir défini le métier du reporter et expliqué dans quoi consiste son travail, nous présenterons brièvement des reporters français qui participaient à l’évolution du genre du reportage aussi bien qu’à l’évolution du métier. Nous ne porterons notre attention que sur des reporters qui sont considérés comme personnages marquants de ce genre et dont les noms sont déclinés à chaque fois par rapport aux débuts du reportérisme français. Nous esquisserons ainsi des premiers auteurs qui ont créé le personnage du reporter.

221 COLLOMB, M. Andrée Viollis : reportage et idéologie. In: BOUCHARENC, M., DELUCHE, J. Op. cit., p. 290-291. 222 BOUCHER, J.-D., Op. cit., p. 21. 223 AMOUROUX, H. Op. cit., 224 Cf. PIVOT, L. Op. cit., p. 19. 225 KRAVETZ, M. Op. cit., p. 115. 226 PIVOT, L., Op. cit., p. 12. 48

2.3.1 Pierre Giffard Pierre Giffard et Fernand Xau sont de grands théoriciens du reportage. Quoique chacun soit d’un autre avis par rapport au petit et au grand reportage, les deux auteurs sont désignés comme promoteurs de ce genre.227 Pierre Giffard en tant que journaliste collabore au Figaro, au Petit Journal et au Matin. De 1879 à 1887, il est reporter au Figaro et publie dans ce journal durant cette période six cents articles. Giffard devient célèbre en contribuant considérablement à la naissance du reportage. C’est en 1880 qu’il publie un recueil de reportages Le Sieur de Va-Partout, souvenir d’un reporter. 228 Il ne s’agit pas d’un best-seller mais c’est une œuvre novatrice qui révèle le métier du reporter. Il faut souligner qu’à cette époque, il n’y a que peu d’ouvrages qui se consacrent à ce métier, encore mal reconnu.229 L’œuvre décrit le travail et la vie du reporter Va-Partout, ses débuts dans la rédaction et son enthousiasme pour le reportage. Le reporter est toujours prêt à partir pour pénétrer partout.230 C’est ainsi que Pierre Giffard devient grand reporter qui, de même comme son héros, va partout. Propageant le reporter à l’époque où il n’est pas encore considéré comme un véritable métier, le mérite de Giffard de l’évolution du métier et du genre du reportage lui est attribué à juste titre.231

2.3.2 Gaston Leroux Après Pierre Giffard, c’est Gaston Leroux qui devient un personnage important pour le reportérisme français. Il collabore par exemple à L’Echo de Paris, au Paris-Soir ou au Matin. En tant que reporter, il écrit surtout dans Le Matin et reste fidèle à ce journal pendant treize ans, de 1894 à 1907.232 Dans ses reportages, il couvre plusieurs procès d’anarchistes et se consacre à la révision du procès du capitaine Dreyfus. Les reportages les plus connus sont L’Agonie de la Russie blanche, Du capitaine Dreyfus au pôle Sud.233 En analysant son travail de reporter, le lecteur ressent de tous ses reportages un grand « appétit d’embrasser le monde et de le comprendre absolument »234.

227 Cf. KALIFA, D., REGNIER, P., THERENTY, M.-E., VAILLANT, A. Op. cit., p. 1011. 228 Cf. Ibid. 229 Cf. MARTIN, M. Op. cit., p. 16. 230 Cf. Ibid., p. 16-17. 231 Cf. Ibid., p. 20. 232 Cf. LAFON, M. Gaston Leroux. Le mystère de la main rouge. In: Reportage [en ligne]. Op. cit., p. 17. 233 Cf. Ibid. 234 Ibid., p. 18. 49

Gaston Leroux, de même comme Pierre Giffard, invente un nouveau héros qui influence le reportage. De sa plume naît Rouletabille, personnage qui provient du monde journalistique. Rouletabille, aussi bien que son créateur, est reporter et devient très vite un reporter idéal, aventurier, enquêteur astucieux.235 Par ses pratiques et ses qualités, Rouletabille valorise les journalistes. « Il est plein de qualités et donne d’eux une image idéale. Jeune, toujours présent sur le terrain et témoin des événements, au plus près des sources, comme l’est Gaston Leroux dans ses reportages. »236 En tant que la figure la plus populaire, Rouletabille incarne déjà en 1907 toutes les qualités du grand reporter et reste pour longtemps un modèle à imiter.237 A part Rouletabille, Gaston Leroux s’inspire aussi du monde littéraire. En tant que pionnier du roman policier, il crée quelques personnages de détectives. Avec d’autres auteurs comme par exemple (et son commissaire Maigret), il propage des détectives intelligents « doués de ténacité, du sens de l’observation et d’un grand désir de comprendre ce qui se passe autour d’eux. Ils ont à peu près les mêmes qualités que les grands reporters d’investigation de l’entre-deux-guerres. »238 Ainsi montre-t-il que le reporter, par ses pratiques propres au reportage, rassemble au détective. Gaston Leroux est aussi journaliste à qui s’attribue l’invention du scoop au tournant des XIXe et XXe siècles.239 Les uns parlent de l’invention, les autres de son introduction dans le journalisme français. Le scoop, c’est la chasse à l’information sensationnelle, c’est le combat entre les reporters, c’est la concurrence. Il consiste dans la rivalité des reporters (ou des journalistes en général) dont chacun essaie de recevoir comme le premier les informations exclusives. Le scoop à cette époque déjà bien connu dans le monde, en France, c’est grâce à Leroux qu’il commence à être pratiqué.240 L’immense contribution de Gaston Leroux au monde journalistique aussi bien qu’au reportérisme français une fois présentée, il n’est pas surprenant que l’auteur est surnommé « le prince des grands reporters »241 et qu’il gagne de la sympathie auprès des lecteurs.

235 Cf. FEYEL, G. Op. cit., p. 124. 236 MARTIN, M. Op. cit., p. 156. 237 Cf. BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 94. 238 CIOBOTEA, R. Op. cit., p. 110. 239 Cf. KALIFA, D., REGNIER, P., THERENTY, M.-E., VAILLANT, A. Op. cit., p. 1016. 240 Cf. MARTIN, M. Op. cit., p. 134. 241 Ibid., p. 125. 50

2.4 Reportage entre presse et littérature Après avoir présenté des pionniers français du grand reportage, après avoir défini tout ce qui est important pour la compréhension du genre du reportage et avoir ainsi montré certains traits du reportérisme français, nous porterons notre attention sur les rapports entre la presse et la littérature. Nous esquisserons dans quoi consiste leur liaison et nous proposerons aussi des personnages concrets des reporters qui tendaient vers la littérature et des écrivains qui pratiquaient le journalisme en choisissant comme leur genre principal le reportage. Dès le début, le reportage se trouve à l’intersection du champ journalistique et du champ littéraire. Le succès du genre est dû à ses interférences avec le roman-feuilleton et avec les chroniques qui augmentaient au XIXe siècle le tirage de la presse. En partant du modèle de la naissance du reportage français qui est issu des tendances du roman réaliste et naturaliste, les sources du reportage se trouvent justement dans la littérature.242 « A l’époque du naturalisme triomphant, un tel programme relève autant de l’art du romancier que du savoir-faire du journaliste. »243 Déjà au XIXe siècle, il y a donc une certaine liaison entre le reportage et la littérature. « Mais, dans l’ensemble, grands reporters et éditeurs ne se fréquentent guère. »244 Les premiers signes concrets visant à lier le reportage à la littérature viennent à la fin du XIXe siècle avec Jules Huret qui est « le premier journaliste français à prolonger systématiquement ses reportages par une publication en librairie »245. Le reportage, faisant partie intégrante du journal, montre alors un certain goût de la forme et du style de la littérature ce qui l’approche de la littérature. « Dans les dernières décennies du XIXe siècle, à l’époque héroïque de ces pionniers que furent Gaston Leroux, Jules Huret ou encore Pierre Giffard, le reportage ne songe qu’à acquérir ses lettres de noblesses en se rêvant littérature. »246 L’influence de la littérature sur le reportage et du reportage sur le roman à la fin du XIXe siècle est alors incontestable. La liaison la plus forte se montre quand même plus tard, dans les années vingt et trente du XXe siècle. C’est à cette époque qu’« Albert Londres, Joseph Kessel, Roger Vailland, écrivains reporters ou reporters écrivains, prennent la suite des grands feuilletonistes du passé pour

242 Cf. CIOBOTEA, R. Op. cit., p. 24. 243 FERENCZI, T. Op. cit., p. 52. 244 MARTIN, M. Op. cit., p. 154. 245 Ibid., p. 155. 246 BOUCHARENC, M. Aux origines… Op. cit., p. 11. 51 maintenir, dans la presse écrite, le lien entre littérature et journalisme, narration palpitante et enquête sociale, éloquence dramatique et fait divers en continu »247. Les années 1920 et 1930 jouent dans l’interpénétration des milieux littéraires et journalistiques un rôle important. L’avènement du grand reportage est un des phénomènes qui marque la vie littéraire. Avec l’apogée du grand reportage naît dans l’entre-deux-guerres un genre « à mi-chemin du journal et du livre, de l’enquête et de la littérature, voire de la vérité et de la fiction » 248 . Un grand nombre d’écrivains s’essaient dans le reportage aussi bien que des reporters sont séduits par la création littéraire. « L’histoire du journal et celle du livre sont inséparables. Mais si au XIXe siècle le journal empruntait au livre, cent ans plus tard c’est le livre qui puise dans le journal […]. »249 Dans l’entre-deux-guerres, le reportage est donc perçu comme un genre littéraire qui exerce une influence considérable sur la littérature. « Fugitive ou durable, plus souvent expérimentale que stable, féconde à certains égards, décevante à d’autres, l’alliance de la littérature et du reportage reste […] une réalité de l’histoire littéraire et culturelle de l’Entre-deux-guerres […]. » 250 Ainsi, les frontières du journalisme et de la littérature sont effacées et rien n’empêche le développement d’un nouveau genre surnommé littérature de reportage ou roman-reportage. Le reportage en tant que genre littéraire est fondé sur le récit. Il apparaît dans les années vingt comme « l’héritier de deux genres littéraires en crise ou en voie d’épuisement : le roman d’aventure et le récit de voyage »251. Le reportage est donc considéré comme fruit du regroupement de ces deux genres plus anciens en sachant les adapter. Le grand reportage qui pactise avec le récit de voyage, le roman d’aventures ou même la biographie gagne ainsi dans le journalisme un statut privilégié en empruntant au récit de voyage, au récit de vie et au roman.252 Il y a mêmes des similitudes de composition et de motifs entre tous les genres mentionnés. En comparant le reportage et le roman, « […] les deux genres reposent sur les mêmes techniques de filtrage de la réalité et de choix de sujets […] »253. Le reportage fournit à l’écrivain une abondante provende de sujets, d’images, de donnés chiffrées et de personnages que le lecteur

247 KALIFA, D., REGNIER, P., THERENTY, M.-E., VAILLANT, A. Op. cit., p. 1023-1024. 248 BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 27. 249 MARTIN, M. Op. cit., p. 312. 250 BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 12. 251 COLLOMB, M. La littérature art déco. Op. cit., p. 200. 252 Cf. BOUCHARENC, M. Petite typologie du grand reportage. In: BOUCHARENC, M., DELUCHE, J. Op. cit., p. 223. 253 CIOBOTEA, R. Op. cit., p. 38. 52 retrouve sous des formes diverses dans les romans. Le reportage nourrit donc l’invention romanesque. Par la pratique du roman-reportage, le reportage tend vers le roman de même que le roman tend vers le reportage. En s’influençant réciproquement, en s’inspirant des pratiques de l’un pour les utiliser dans l’autre, le reportage et le roman, dans les yeux de certains critiques de leur intersection, font face à un problème. Celui repose sur la question où se trouve en fait la frontière entre la réalité et la fiction. « A la fois sociologue, anthropologue, explorateur, le journaliste conduit le public vers des terres lointaines – de préférence inhospitalières – dont la description nourrira l’imaginaire. »254 Les grands reporters qui deviennent écrivains, publient donc leurs reportages et leurs récits de voyage sous forme d’ouvrages et créent ainsi un nouveau genre littéraire qui se trouve entre la réalité et la fiction.255 En mélangeant l’aventure et le récit de cette même aventure, en installant le narrateur dans le cœur de l’événement, en donnant à toutes les descriptions un aspect alerte et surtout « en privilégiant des sujets sensationnels, dramatiques, susceptibles de frapper vivement les sensibilités, le reportage introduit paradoxalement dans le secteur informatif les thèmes et les modes d’expression jusqu’alors réservés à l’imaginaire »256. Le soupçon de la fiction met donc le reportage, qui est basée sur la réalité pure, aussi bien que la pratique du roman-reportage en doute. « Quand le reporter est aussi un écrivain, c’est non seulement l’œuvre lue mais l’œuvre écrite qui entre en concurrence avec la chose vue. »257 Le livre basé sur le reportage efface en plus toutes les traces du texte journalistique et en reposant sur de graves remaniements, il est ainsi contesté que le reportage soit vraiment la source du roman, l’inspiration réelle pour l’œuvre romanesque. Les critiques de cette pratique refusent donc l’influence du reportage sur le roman en soulignant que ce n’est pas une influence simple mais qu’il s’agit d’une fusion totale des deux genres. « C’est pourquoi Kessel parle de "romans d’aventures réels". »258 Il évite ainsi la dénomination du genre et propage quand même la technique qui lie le reportage à la littérature. Quoique la pratique des reportages qui deviennent des œuvres littéraires, soit mise en cause, parfois même refusée, il y a, dans l’entre-deux-guerres, de nombreux cas de

254 DELPORTE, C. Op. cit., p. 241. 255 Cf. Ibid., p. 73. 256 COLLOMB, M. La littérature art déco. Op. cit., p. 217. 257 BOUCHARENC, M. Petite typologie du grand reportage. Op. cit., p. 230. 258 Ibid., p. 229. 53 reporters et d’écrivains dont la création est fondée justement sur l’interaction du reportage et de la littérature. Les reporters ont la tentation du romanesque, veulent écrire des romans et se rendent compte que le reportage en tant que genre exigeant demande de grandes qualités littéraires. « L’expérience du journaliste nourrit le talent de l’écrivain. »259 Pour prouver la vérité de cette idée, afin de montrer leurs qualités et pour rendre leurs reportages célèbres, les reporters acceptent donc de les faire publier en volumes. C’est ainsi qu’une nouvelle tendance gagne le monde journalistique qui s’approche encore plus du monde littéraire. Le reporter est conscient du fait que son reportage, « pour être définitivement célébré, il faut passer par le livre »260. Seul le livre l’immortalise. Le reportage est alors désormais cultivé par des maisons d’édition et plusieurs éditeurs font paraître des reportages découpés en plusieurs articles dans la presse en un seul volume. Sous forme d’un livre édité, le lecteur retrouve le texte complet du reportage.261 Cette pratique qui jouit très vite d’une vogue auprès du public, prouve donc que le reportage reste le meilleur exemple de l’interaction entre la presse et la littérature. Après la première guerre mondiale, les maisons d’édition collaborent avec la presse. Dès qu’ils rencontrent l’intérêt du public, les reportages de presse sont édités en volume. « Les textes eux-mêmes passent aisément d’un champ à l’autre : publiés dans la presse, ils sont réédités ensuite par des éditeurs littéraires. » 262 Les éditeurs littéraires placent dans les reportages de plus en plus leur argent et créent même des hebdomadaires qui font une large place au reportage. Les plus connus sont Candide lancé en 1924 par Fayard, Gringoire lancé en 1928 par Les Editions de France, Détective racheté en 1928 par Gallimard ou Voilà que Gallimard lance en 1931 en soulignant son sous-titre « l’hebdomadaire du reportage ». 263 En ce qui concerne les maisons d’édition les plus réussies, les reportages paraissent chez Albin Michel, aux Editions de France, chez Grasset ou chez Gallimard. Chaque maison d’édition crée des collections consacrées au reportage. Albin Michel fonde en 1923 sa collection « Les Grands Reportages » et le premier reportage y publié, c’est l’enquête d’Albert Londres sur le bagne de Cayenne. Puis c’est Gallimard qui intègre des reportages dans la

259 KRAVETZ, M. Op. cit., p. 113. 260 DELPORTE, C. Op. cit., p. 242. 261 Cf. Ibid., p. 240. 262 ARON, P. Op. cit. 263 Cf. BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 29-30. 54 collection « Documents bleus » et finalement aussi Grasset qui crée la collection des « Cahiers verts ».264 En supportant et subvenant l’édition des livres basés sur les reportages, c’est alors que « l’éditeur vient d’ouvrir un nouveau filon qui va prospérer jusqu’à la fin des années 1930, celui des grands reportages les plus réussis, publiés en livres, parfois presque textuellement, comme ceux d’Albert Londres, parfois un peu remaniés »265. Les maisons d’édition attirent donc les plus grands reporters en voulant s’assurer leur fidélité. C’est par exemple Albin Michel qui gagne, dès le début, la faveur d’Albert Londres qui devient leur reporter principal en y publiant la plupart de ses reportages. La pratique qui fait des reportages des œuvres littéraires, est si à la mode que « désormais, la sortie en librairie suit de quelques mois à peine la parution dans le journal »266. Les maisons d’édition se concentrent surtout sur des enquêtes qui « décrivent des pays étrangers, des personnages hors du commun, des situations dramatiques ou pittoresques, des enquêtes qui dévoilent ce qui est caché, nourrissent la curiosité du lecteur et lui font vivre une aventure »267. Par ce choix stratégique, le lectorat s’élargit et le livre, de plus en plus préféré par le public, devient accessible aux couches moyennes. Les reporters sont désormais considérés aussi comme écrivains ce qui contribue à leur célébrité. A part le succès des maisons d’éditions, c’est aussi le journal qui profite de cette affinité du roman avec le reportage et qui invite des écrivains à s’appliquer dans le reportage. En soulignant les traits littéraires du reportage, le nouveau genre séduit la suite des femmes qui lisent la partie littéraire des journaux. Elles y retrouvent des portraits, des interviews et continuent ainsi la tradition de la lecture du littéraire pratiquée au XIXe siècle en remplaçant le feuilleton, lus par leurs mères et grand-mères, par le reportage.268 Il arrive alors que non seulement les maisons d’éditons, mais aussi des journaux gagnent de la popularité en se vantant de pouvoir proposer des romans ou des reportages d’un célèbre reporter ou écrivain. Cela provoque un seul effet : le livre ainsi que le journal sont lus de plus en plus et la collaboration des écrivains aux journaux aussi bien que des reporters aux maisons d’édition tend vers la création des liens forts entre la presse et la littérature.

264 Cf. Ibid., p. 31-33. 265 MARTIN, M. Op. cit., p. 311. 266 Ibid., p. 312. 267 Ibid. 268 Cf. Ibid., p. 283. 55

2.4.1 Ecrivains reporters Après avoir montré comment le reportage pénètre dans le monde littéraire et comment le littéraire fait partie intégrante du reportage, nous porterons notre attention sur des cas concrets des écrivains français (ou francophones) qui exercent aussi le métier du reporter. Il y a vraiment de nombreux écrivains qui se retrouvent sur le terrain de l’enquête, des écrivains marqués par le reportage.269 Déjà au XIXe siècle, la liaison entre la presse et la littérature est bien prouvée. En rappelant les techniques des écrivains naturalistes qui sont considérés comme précurseurs des reporters, il est évident que c’est le courant littéraire, le naturalisme, qui influence le reportage. Emile Zola, écrivain, journaliste, enquêteur, est perçu aussi comme reporter. Ses enquêtes dans les mines ou les chemins de fer, ses combats contre les plus grands problèmes de l’époque (antisémitisme, affaire Dreyfus) sont les reportages marquants du XIXe siècle. A part Emile Zola, c’est aussi Guy de Maupassant, chroniquer, écrivain, qui travaille comme reporter en s’essayant au reportage. Ses chroniques qui correspondent plus tard aux critères des reportages, sont intitulées « Lettres d’Afrique ». Elles représentent un dossier de la colonisation où l’auteur défend les populations locales. « Maupassant décide de mener une véritable enquête et de ne pas se contenter d’une chronique hâtive pour dire ce qui lui semble la vérité du colonialisme, qu’il découvrit sur place. » 270 En séjournant en Afrique, en faisant l’enquête parmi les autochtones, en interviewant, en observant tout ce qui se déroule autour de lui, il crée un reportage dans lequel il dénonce le colonialisme. Le reportage se répandant et se rendant populaire au XXe siècle, c’est surtout à cette époque que des romanciers se lancent dans le grand reportage, se font de grands reporters et collaborent aux journaux. Il y a de nombreuses raisons qui les mènent à cette collaboration. La raison gagnante est celle des finances parce que le journal paie souvent mieux que l’éditeur et surtout tout de suit après avoir fourni le reportage.271 En constatant une participation massive des écrivains au journalisme d’investigation, les journaux continuent donc à séduire des écrivains réputés. En combinant le reportage à la littérature, « à quelques rares exceptions près, tous les écrivains de la première moitié du siècle sont journalistes »272. Le journal Paris-Soir occupe dans la liaison entre le reportage et la littérature une place particulière en réussissant le mieux à attirer le plus

269 Cf. BOUCHARENC, M., DELUCHE, J. Op. cit., p. 8. 270 REVERZY, E. Op. cit., p. 1269. 271 Cf. MARTIN, M. Op. cit., p. 313. 272 BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 109. 56 grand nombre d’écrivains prestigieux : Cendrars, Cocteau, Colette, Kessel, Saint- Exupéry, Simenon…273 C’est grâce à ces écrivains de talent que le genre du reportage accède au statut d’œuvre littéraire. « Réunissant des écrivains venus d’horizons littéraires variés, depuis le roman policier jusqu’à l’avant-garde, appartenant à des générations différentes, de la génération de l’affaire Dreyfus à celle de la crise, la tentation de l’enquête apparaît bien transversale. »274 Nombreux sont alors ceux qui arrivent à harmoniser leur carrière d’écrivain à celle du reporter.

2.4.1.1 Louis Aragon Louis Aragon, l’un des représentants importants du surréalisme, l’avant-garde littéraire du XXe siècle, travaille entre autres dans la presse. Il est journaliste, contribue à L’Humanité et devient directeur du journal Ce soir et Les Lettres françaises. Dans les années trente, il se consacre au reportage. Bien qu’il ne pratique le reportage que très rarement, sa création à la frontière entre la presse et la littérature est souvent citée en représentant une technique intéressante. En réalité, il n’y a que deux cas où Aragon, le reporter, se trouve entre le reportage et la littérature : dans l’œuvre Hourra l’Oural et dans Les Cloches de Bâle, les deux ouvrages parus en 1934.275 C’est dans l’Oural lors du voyage en Asie soviétique en été 1932 qu’Aragon devient reporter. En accompagnant Elsa Triolet pour voir la famille de sa femme, l’écrivain crée un reportage sur la vie culturelle en Russie soviétique. Les deux premiers articles sont publiés dans L’Humanité : le premier le 20 janvier 1933 intitulé « Saison d’Asie – I », le deuxième le 27 janvier avec le titre « Saison d’Asie – II ». Il s’agit des reportages qui racontent la vie culturelle sous le socialisme dans l’Oural et qui sont surtout considérés comme des avant-textes du recueil de poèmes Hourra l’Oural.276 En s’inspirant dans son reportage qui passe sous forme du recueil à l’écriture poétique, l’écrivain montre incontestablement son effort de rapprocher le reportage à la poésie. En ce qui concerne le deuxième cas, le roman Les Cloches de Bâle, l’œuvre est basée sur les reportages d’Aragon sur la grève des taxis en février 1934 qui s’opposent à la loi imposant la taxe pour l’essence. Les passages de ce reportage se retrouvant dans des descriptions du roman, l’auteur veut créer une transposition romanesque du

273 Cf. Ibid., p. 30. 274 Ibid., p. 120. 275 Cf. VASSEVIERE, M. Aragon journaliste à L’Humanité : Du reportage à l’écriture. In: BOUCHARENC, M. L’universel reportage. Lausanne : L’âge d’homme, 2005, p. 147. 276 Cf. Ibid., p. 151-152. 57 reportage. L’ouvrage est donc caractérisé par l’effort d’Aragon d’insérer le reportage dans le roman, l’effort de passer du reportage de fait divers à l’écriture romanesque.277

2.4.1.2 Philippe Soupault Philippe Soupault, écrivain et l’un des fondateurs du surréalisme, est aussi connu comme reporter, voire le grand reporter. Pourtant il est d’abord écrivain avant de passer au reportage. Etant observateur dans ses romans, il s’intéresse au journalisme d’investigation. C’est ainsi qu’il tend vers l’enquête et le reportage. Son procédé, par rapport à des cas des reporters devenant écrivains, est donc atypique en montrant que Soupault devient reporter du romancier. « Alors que le reportage était d’ordinaire considéré comme l’école par excellence du romancier, c’est donc à celle du roman que Soupault semble avoir fait ses classes de reporter. »278 L’auteur s’intéresse au reportage dès les années vingt où il part enquêter sur la vie intellectuelle de l’Allemagne. En donnant ensuite plusieurs séries de reportages sur l’Allemagne, la Grande Bretagne, les Etats-Unis et l’Autriche à Excelsior, Soupault est officiellement reconnu comme reporter. « Ce journalisme en rupture avec la geste du poète surréaliste n’est pas sans présenter une certaine continuité avec l’œuvre romanesque, qu’il abandonne justement dans ces années trente où le reportage occupe de plus en plus de place dans sa vie. »279 Il collabore à Excelsior et au Petit Parisien.280 De 1932 à 1938, Soupault en tant que journaliste actif, devient l’auteur des reportages sur l’actualité. Il est spécialiste des Etats-Unis où il analyse les effets et les suites de la crise aussi bien que spécialiste de l’Allemagne où il décrit la montée du péril nazi et manifeste ainsi son inquiétude de l’avenir.281 Soupault représente un cas unique qui ne se trouve qu’une fois à la frontière entre la presse et la littérature. Témoignant de cette liaison forte, c’est son œuvre Les Moribonds qui en est preuve. Il s’agit d’un roman de reporter plus que de romancier. Paru en 1934, l’ouvrage s’inspire de ses enquêtes sur l’Allemagne publiées en 1933 dans Excelsior.282 Les Moribonds semblent alors « une œuvre de transition : celle d’un romancier en train de se métamorphoser en reporter, sans doute, mais plus encore,

277 Cf. Ibid., p. 147, 156-158. 278 BOUCHARENC, M. Soupault à Excelsior : Du roman au reportage. In: BOUCHARENC, M. L’universel reportage. Op. cit., p. 170. 279 BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 112. 280Cf. BOUCHARENC, M. Soupault à Excelsior : Du roman au reportage. Op. cit., p. 166. 281 Cf. Ibid., p. 174. 282 Cf. BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 112. 58 celle d’un reporter en train d’abandonner le roman »283. Le livre est donc l’œuvre de base pour la création et la vie de Soupault qui devient après sa publication reporter et qui réinvente le reportage en apportant une conception personnelle de ce genre. Ainsi, en quittant le roman pour le reportage, Soupault s’inscrit alors dans les peu de cas d’écrivains qui, se trouvant un moment à mi-chemin entre le reportage et la littérature, quittent finalement la deuxième pour s’imposer dans le premier. « Là où la plupart des journalistes briguent l’accès à la littérature, empruntant la petite porte du journal avec l’espoir de parvenir un jour au royaume des Lettres, Soupault est un écrivain reconnu lorsqu’il abandonne le roman pour devenir grand reporter. »284 C’est par cette pratique unique que Philippe Soupault représente un cas intéressant qui lie d’une certaine façon le reportage à la littérature.

2.4.1.3 Blaise Cendrars et Jean Cocteau Blaise Cendrars en tant que reporter contribue à Excelsior et à Paris-Soir. Cendrars envoie une série d’articles sur le Brésil au journal Excelsior et lui donne en 1934 une enquête intitulée « Les gangsters de la mafia ».285 La plupart de ses reportages paraissent cependant à Paris-Soir. C’est dans ce journal qu’il publie le reportage d’Hollywood où il se trouve en février 1936 pour le tournage de son roman L’Or. Son reportage remplit les pages du journal du 31 mai au 13 juin en neuf livraisons, intitulé « Hollywood 1936 ».286 La même année, il est édité en volumes et paraît chez Grasset sous le titre Hollywood, le Mecque du cinéma. La pratique de Cendrars consiste dans la transformation de ses reportages avant de les publier en volume. C’est alors ainsi que le reportage sur Hollywood est remanié. Le livre comporte de nouveaux chapitres ajoutés par l’écrivain et montre aussi certaines modifications concernant des titres et des sous-titres. Certains épisodes sont regroupés ou découpés différemment et la réécriture du reportage à des fins éditoriales est donc bien évidente. 287 Le journal Paris-Soir, en recevant la plupart des reportages de Cendrars et en publiant aussi des reportages d’Henri de Monfreid, de Georges Simenon

283BOUCHARENC, M. Soupault à Excelsior : Du roman au reportage. Op. cit., p. 171. 284 Ibid., p. 170. 285 Cf. MARTIN, M. Op. cit., p. 313, 315. 286 Cf. BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 201. 287 Cf. Ibid. 59 ou de Jean Cocteau, devient le périodique dominant qui propose régulièrement des preuves concrètes de la liaison entre le monde littéraire et celui du reportage.288 A part Blaise Cendrars, c’est aussi Jean Cocteau dont le travail contribue au renommé du journal. Cocteau écrivain se montre aussi comme grand reporter voyageur. En voulant éprouver une aventure, il accepte de faire pour Paris-Soir le tour du monde en touriste et de refaire ainsi le périple de Phileas Fogg. C’est dans ce reportage, publié entre le 28 mars et le 17 juin 1936,289 qu’il puise le sujet de son ouvrage intitulé Mon premier voyage (Tour du monde en quatre-vingts jours). A travers cette œuvre, Cocteau imite donc Jules Verne en prenant la place de Phileas Fogg et en entreprenant un voyage magique. Pour résumer cet ouvrage exceptionnel et esquisser la pratique de l’écrivain reporter, il faut souligner que « le reporter à la Cocteau ne respecte pas les frontières qui séparent ordinairement les plans du réel ou les ordres de signes »290.

2.4.1.4 André Malraux Avant de devenir romancier, Malraux fonde et dirige avec son ami Paul Monin deux journaux dans l’ancienne Indochine française. Il s’agit des journaux révolutionnaires intitulés L’Indochine et L’Indochine enchaînée dont le but est de combattre le gouverneur français et son administration colonialiste, de dénoncer les injustices sociales, de provoquer une réforme politique. Malraux est alors bien actif en tant que journaliste.291 Dans les années trente, c’est une aventure personnelle qui le ramène à la pratique du reportage. En 1934, l’écrivain participe à une expédition dans le désert d’Arabie pour tenter de découvrir la capitale, ville mystérieuse de la reine de Saba. Pour le journal L’Intransigeant qui finance son aventure, Malraux donne lieu à une série de reportages fabuleux que l’écrivain publie dans je journal en mai 1934. Le reportage lui fournit de l’inspiration pour créer un roman qui paraît sous le titre La Reine de Saba, Une « aventure géographique ». Le livre rassemble les articles du reportage paru dans le journal.292 Malraux s’inspire de ce reportage aussi plus tard en créant une tout autre œuvre littéraire. « Dans Le Temps du mépris, qui montre le début de l’ascension du

288 Cf. MARTIN, M. Op. cit., p. 314. 289 Cf. LEROY, C. Emmène-moi autour du monde !... ou Comment Phileas Fogg est devenu reporter. In: BOUCHARENC, M., DELUCHE, J. Op. cit., p. 145. 290 Ibid., p. 149. 291 Cf. DE FREITAS, M. T. Roman et reportage chez André Malraux. In: BOUCHARENC, M., DELUCHE, J. Op. cit., p. 154. 292 Cf. Ibid., p. 156-158. 60 nazisme en Allemagne, Malraux utilise intégralement un de ses reportages sur l’expédition en Arabie. »293 Par cette pratique Malraux prouve que l’intersection du reportage et de la littérature est dans sa création bien présente. Puisqu’il insère certains reportages dans ses récits tels qu’ils ont paru dans les journaux, le reportage sert d’élément de base dans la composition de certains passages de ses romans. Le roman de Malraux est donc construit sur les traits romanesques et poétiques de l’aventure qui se reflètent dans son reportage.

2.4.1.5 Colette Colette en tant que journaliste, romancière écrit des chroniques-reportages sur des sujets très différents pour divers journaux comme par exemple Le Matin, La Vie parisienne, L’Eclair ou Le Figaro. Ses reportages écrits pendant trente ans sont regroupés, remaniés, parfois développés en volumes. Elle les publie dans Dans la foule (1918), Aventures quotidiennes (1924) ou Prisons et Paradis (1932).294 Au début, Colette collabore au Matin où elle est engagée pour la rubrique « Les contes des mille et un matins ». C’est ainsi qu’elle se passionne pour le reportage et qu’elle commence à construire sa création littéraire sur ce genre. L’ouvrage Dans la foule en est preuve. C’est un recueil de reportages publiés dans Le Matin sous la rubrique « Contes des mille et un matins », écrits entre décembre 1911 et avril 1914. Puis en 1915, elle est envoyée par Le Matin en Italie comme reportère de guerre. Ses articles du front italo-autrichien avec des impressions de Rome et de Venise sont publiés dans le journal et ensuite une fois regroupés, ces reportages donnent naissance à l’œuvre littéraire Les Heures longues.295 Paru chez Fayard en 1917, il s’agit alors d’un recueil d’articles publiés pour la plupart dans Le Matin et écrits entre 1914 et 1917. Plus tard, Colette ne renonce pas à cette pratique et publie alors Paris de ma fenêtre, recueil d’articles publiés dans Le Petit Parisien en 1940 et 1941 dont la première édition en volume est intitulée De ma fenêtre (1942), puis rééditée en 1948 sous le titre Paris de ma fenêtre. En publiant ses chroniques-souvenirs qui se trouvent à la frontière du reportage, du journal intime et de l’autobiographie, Colette représente alors une romancière venue

293 Ibid., p. 160. 294 Cf. GOUDEY, P. L’écriture du reportage. In: BOUCHARENC, M., DELUCHE, J. Op. cit., p. 63. 295 Cf. Ibid., p. 59-61. 61 au journalisme, précurseur d’une forme tout à fait littéraire du reportage. Sa précision d’observation, sa sensibilité qu’elle utilise dans ses descriptions font d’elle une exceptionnelle journaliste, reportère du quotidien. « Elle semble toujours à l’affût de sensations, de couleurs, d’odeurs de visages à saisir pour les fixer dans un livre, comme si elle était constamment en reportage de la vie. »296 Telle était Colette reportère.

2.4.2 Reporters écrivains Après avoir présenté certains écrivains qui sont venus au journalisme pour lier leur création littéraire à la pratique du reportage, nous esquisserons tout l’inverse : les reporters qui, en publiant leurs reportages en volumes, gagnent le statut d’écrivains. Avant de traiter du cas unique représenté par Joseph Kessel, reporter écrivain ou écrivain reporter qui montre le mieux à quel point la littérature et le reportage sont unis à l’époque de l’entre-deux-guerres, nous mentionnerons deux vedettes du reportérisme français qui sont considérés aussi comme écrivains. Nous ne nous concentrerons que tout brièvement sur Andrée Viollis et puis surtout sur le roi des reporters, Albert Londres. La publication de livres de grands reporters est toute naturelle dans l’entre-deux- guerres. « Les meilleurs parmi les reporters deviennent vedettes du journalisme de l’époque et leurs récits sont aussitôt repris en volumes. »297 C’est ainsi que les reporters profitent de l’enquête pour redoubler leur œuvre. En reprenant leurs articles en volumes, ils créent alors une certaine continuité entre les deux écritures.

2.4.2.1 Andrée Viollis Andrée Viollis représente l’une des plus célèbres reportères. S’étant formée dans le journalisme à Londres, elle représente une journaliste universelle qui occupe durant sa vie diverses positions dans le journalisme français. A part l’une des plus grandes reportères de son temps, elle est journaliste d’investigation, envoyée spéciale ou correspondante de guerre qui collabore au Petit Parisien et à Ce Soir. Elle gagne sa vie aussi comme écrivain et traductrice.298 Née en 1879, Viollis débute par des chroniques. Elle collabore au journal féministe La Fronde de Marguerite Durand où elle occupe la place de chroniqueuse-

296 Ibid., p. 67. 297 COLLOMB, M. La littérature art déco. Op. cit., p. 195. 298 Cf. SMOLAR, P. Andrée Viollis. L’élégance de l’engagement. In: Reportage [en ligne]. Op. cit., p. 24. 62 reportère.299 Elle y entre en 1899 et découvre ainsi le journalisme d’investigation et d’idée. Elle défend Dreyfus et rédige des articles pour défendre les droits des femmes. Depuis 1914, l’auteure collabore au Petit Parisien où elle s’oriente vers le grand reportage. Elle couvre les domaines les plus divers : manifestations sportives, grands procès et interviews politiques, correspondance de guerre. Elle parcourt le champ de bataille et livre aux lecteurs ses notes de guerre. Viollis approche la quarantaine quand elle devient célèbre en tant que reportère.300 En 1933, elle fait partie du premier jury du prix Albert-Londres. 301 Penchée pour la gauche, elle est aussi l’une des auteures qui fondent en 1935 l’hebdomadaire Vendredi, organe intellectuel du Front populaire où Viollis exprime sa sensibilité communiste.302 En 1938, elle commence à collaborer à Ce soir, quotidien communiste, dirigé par Louis Aragon où elle publie des reportages dramatiques sur la guerre d’Espagne et aussi sur l’Europe centrale et la menace fasciste. Durant toute sa vie, Viollis ne cesse pas d’informer les lecteurs et leur apporte plusieurs témoignages du monde entier. Elle informe sur la révolution bolchévique, sur la guerre civile afghane ou sur la révolte indienne. Elle accompagne aussi le Ministre des Colonies en Indochine, suit le conflit sino-japonais. Elle couvre la guerre civile en Irlande, la guerre d’Espagne ou décrit l’Allemagne nazie. Viollis livre aux journaux toutes ses observations qu’elle récolte et chacune de ses expériences fait ensuite l’objet d’un livre. Grâce à son enthousiasme et ses nombreux voyages d’où elle rapporte les témoignages clés, Viollis atteint sa pleine notoriété de grande reportère internationale. Elle devient célèbre surtout grâce à ses deux reportages marquants : celui effectué en Russie de 1926 et le reportage qui l’amène en 1931 en Indochine. Son premier grand reportage se déroule en Russie des années vingt. Il s’agit d’une série d’enquêtes sur la Russie soviétique. Elle voyage durant trois mois pour Le Petit Parisien et le reportage est enfin publié sous le titre « Seule en Russie de la Baltique à la mer Noire ».303 Déjà après avoir écrit ce premier grand reportage, Viollis s’approprie aux tendances d’époque en reprenant le texte paru dans le journal et en l’éditant en volume. C’est ainsi que le reportage donne naissance à l’œuvre littéraire qui

299 Cf. MARTIN, M. Op. cit., p. 293. 300 Cf. Ibid., p. 174. 301 Cf. COLLOMB, M. Andrée Viollis : reportage et idéologie. Op. cit., p. 288. 302 Cf. Ibid., p. 289. 303 Cf. MARTIN, M. Op. cit., p. 204. 63 paraît chez Gallimard en 1927 sous le titre Seule en Russie de la Baltique à la Caspienne.304 Après le grand reportage sur la Russie, c’est sur la base des événements passés en Indochine à la fin de 1931 qu’Andrée Viollis crée son plus grand reportage qui s’intéresse à la question du colonialisme. La reportère prend part au voyage officiel et accompagne le ministre Reynaud pour visiter l’Indochine pendant la période da la crise économique mondiale. En tant que journaliste accréditée, elle informe les lecteurs du Petit Parisien sur des déplacements et des allocutions officielles du ministre et préfère, dans ses articles, rester en retrait sur les questions politiques en ne proposant que quelques ombres au tableau de la colonisation française en Indochine. Par contre dans ses carnets de notes, elle accumule des faits précis et saillants qui provoquent le contraste entre le décor officiel et les réalités politiques, économiques et sociales observées dans le pays. A part Le Petit Parisien où elle publie ses reportages neutres, c’est à la revue Esprit que Viollis fournit plus de détails sur cette mission et révèle donc la réalité rencontrée. Dans les reportages intitulés « Quelques notes sur l’Indochine », elle aborde alors des problèmes du pays, critique le système colonial et montre ses défauts. En dévoilant le comportement des colonisateurs français envers le peuple colonisé, en décrivant toutes les conditions dans lesquelles la colonisation se déroule, le reportage d’Andrée Viollis fait scandale. Quoique la reportère soit accusée de mentir, durant toute la publication de ses articles, elle ne relâche pas et continue à dénoncer les méthodes de la colonisation, à mettre en lumière le dysfonctionnement et les injustices qui règnent dans le pays. Son grand reportage « exprime l’urgence d’une dénonciation ferme des erreurs de l’administration coloniale française »305. Elle révèle alors par exemple les répressions du peuple, la famine, les prisons et « fait entendre les différentes voix de la colonie » 306 . En défendant sans cesse le peuple indochinois, Viollis devient symbole des reportages de soutien pour les peuples colonisés. Son reportage sur l’Indochine joue alors un rôle important dans le reportérisme français en contribuant à son grand prestige. Plus tard, les événements observés en Indochine incitent l’auteure à publier ce reportage marquant en un seul volume. Viollis hésite beaucoup à éditer ses articles sur

304 Cf. DELPORTE, C. Op. cit., p. 241. 305 COLLOMB, M. Andrée Viollis : reportage et idéologie. Op. cit., p. 298. 306 Ibid. 64 la mission en tant que l’œuvre littéraire. Mais finalement, quatre ans après son grand reportage, elle regroupe ses carnets de notes, tous ses reportages des journaux, les complète de d’autres documents et crée ainsi un texte unique qui paraît sous le titre Indochine S.O.S. L’œuvre sort en 1935 et comporte, entre autres, une préface brillante d’André Malraux qui sert de réflexion consacrée au reportage.307 L’influence de Viollis sur le monde des journaux ainsi que sur celui de livres une fois résumée, il est évident qu’elle représente une figure marquante du journalisme d’information et du grand reportage. Grâce à sa manière de travail, sa pratique du journalisme de l’immersion et de la sensation, Andrée Viollis, qui cherche de l’authenticité, montre la vérité et se bat durant sa vie contre le colonialisme et le fascisme, accède au statut de grande reportère. Elle est aussi la première femme qui est entrée dans le club très fermé de l’Association française du grand reportage.308 Viollis est donc à juste titre placée au même rang qu’Albert Londres ou Joseph Kessel, deux grands reporters de son époque. 309 En publiant ses reportages en volume, l’auteure prouve également que, à part l’esprit journalistique, le talent d’écrivain se cache en elle.

2.4.2.2 Albert Londres En présentant des reporters français importants qui influencent considérablement le genre du reportage et le reportérisme français, le personnage d’Albert Londres ne doit pas être oublié. Ce grand reporter qui est parfois désigné comme le roi du genre, incarne un mythe vivant, modèle et référence pour toute la profession.310 Pourtant au début, la carrière de Londres ne semblait pas être dirigée du tout vers le reportage. Né en 1884 à Vichy, Albert Londres est tout d’abord comptable. Puis, il devient poète. C’est son goût pour la poésie qui n’indique pas qu’il puisse devenir un jour un grand reporter.311 Mais comme il représente, malgré ses efforts et son amour pour la poésie, un poète médiocre et maladroit, il abandonne rapidement cette carrière pour travailler comme rédacteur. Il entre ainsi dans le monde du journalisme et écrit

307 Cf. Ibid., p. 289. 308 Cf. BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 107. 309 Cf. SMOLAR, P. Op. cit., p. 24. 310 Cf. MARTIN, L. La presse écrite en France au XXe siècle. Paris : Libraire Générale Française, 2005, p. 96. 311 Cf. MARTIN, M. Op. cit., p. 180. 65 occasionnellement des articles pour des journaux régionaux.312 En tant que journaliste parlementaire, il collabore au Matin.313 Il ne commence sa carrière du reporter véritablement qu’en 1914 lorsque le rédacteur en chef du Matin l’envoie en reportage pour couvrir le bombardement de la cathédrale de Reims.314 Au début de la guerre, il est donc l’auteur du premier reportage marquant, pris sur le vif, qui décrit Reims en flammes et informe sur l’incendie de la cathédrale bombardée par les Allemands. Le récit de Londres paru dans Le Matin le 21 septembre 1914 315 est considéré comme le premier grand reportage de la presse française du XXe siècle. La date fixée représente même l’introduction véritable du reportage dans le journalisme français. Albert Londres gagne du jour au lendemain le renommé de grand reporter et désormais, sa carrière de reporter commence. « La destruction de la cathédrale devient pour lui, le point de départ d’une grande aventure humaine et spirituelle. » 316 Londres s’impose comme « le premier des reporters heureux »317. Pendant sa vie, il écrit de nombreux reportages pour Le Petit Journal, L’Excelsior ou Le Petit Parisien. Albert Londres est représentant du journalisme debout qui consiste dans un déplacement fréquent.318 L’auteur est donc en mouvement permanent et en tant que voyageur, il parcourt la terre pour les plus grands journaux français. Il est reporter, enquêteur, témoin, aventurier, toujours passionné pour des sujets qu’il traite, et couvre les grands événements politiques de l’époque. « Il est le premier de ces aventuriers lucides que l’on appelle les grands reporters. »319 Ses reportages ont un grand succès et Londres se construit ainsi très vite une position exclusive dans la presse française. « Lorsqu’un rédacteur en chef veut lui dicter sa conduite, il démissionne. »320 Londres, le modèle et le symbole du « journalisme de terrain »321, s’inspire dans le monde entier pour créer ses reportages. C’est à l’étranger qu’il trouve la source principale de sa création. « Exemple pour toute une profession, Albert Londres incarne le journaliste mythique qui parcourt sans cesse le monde, approche les puissants, côtoie

312 Cf. PIVOT, L. Op. cit., p. 11. 313 Cf. VAN RENTERGHEM, M. Albert Londres. Une présence assumée. In: Reportage [en ligne]. Op. cit., p. 15. 314 Cf. MARTIN, L. Op. cit., p. 95-96. 315 Cf. DELPORTE, C. Op. cit., p. 187. 316 DELUCHE, J. Op. cit., p. 33. 317 BOUCHARENC, M., DELUCHE, J. Op. cit., p. 10. 318 Cf. AGNES, Y. Albert Londres. Le journalisme debout. In: AGNES, Y., EVENO, P. Op. cit., p. 156. 319 DELUCHE, J. Op. cit., p. 32. 320 AGNES, Y. Op. cit., p. 158. 321 Ibid., p. 156. 66 les humbles, va puiser la nouvelle à la source, dans les Balkans, au Moyen-Orient, en Russie bolchevique, au Japon, en Inde, en Asie du Sud-Est. »322 Ainsi bouge-t-il d’un coin du monde à l’autre pour raconter aux lecteurs français ce qui se passe dans le monde. Bien qu’il soit connu surtout comme reporter à l’étranger, avant de devenir reporter vedette, Londres séjourne et travaille en France. C’est ici qu’il cherche des sujets pour ses reportages. Au début de 1923, il crée une série d’enquêtes à travers les villes françaises.323 Finalement le besoin de mouvement envahit son esprit du reporter et il part en voyage sans jamais s’arrêter vraiment. Londres ne représente pas seulement un grand reporter ; il est célèbre aussi comme écrivain. L’auteur introduit la littérature dans le reportage parce qu’il ne veut jamais renoncer aux traits littéraires dans son œuvre. C’est à partir de 1923 qu’il publie chez Albin Michel la plupart de ses articles, le plus souvent sans réécriture. Il ne modifie pas ses reportages et les publie sous forme sous laquelle ils paraissent dans les journaux, peu importe la chronologie ou la suite des événements.324 L’un des premiers reportages de Londres les plus réussis se déroule en Guyane. En 1923, il y mène des enquêtes sur les bagnes de Cayenne. En décrivant la vie des forçats, ce reportage, publié dans Le Petit Parisien la même année, bouleverse le monde du reportage français, jusqu’ici calme.325 Albert Londres choque le monde en étant le premier qui dénonce officiellement les conditions effroyables dans la prison. Il révèle la violence et le nombre de morts qui augmente chaque jour. Il donne des portraits des malfaiteurs, mentionne des histoires d’évasion et relate des punitions concrètes que les bagnards doivent supporter. Son œuvre, c’est « un acte d’accusation contre le système pénitentiaire »326. En révélant toute la vérité cachée derrière les murs du bagne, ses articles constituent un tournant dans l’histoire du journalisme. Depuis ce reportage, les grands reporters, voulant suivre l’exemple d’Albert Londres, s’intéressent aux misères des hommes et cherchent à éclairer des coins sombres de la société.327 La première expérience de Londres reporter écrivain arrive en 1924. L’auteur s’inspire justement de ses reportages sur les bagnes en Guyane, publiés dans le journal qu’il rassemble en recueil. L’œuvre intitulée Au bagne paraît chez Albin Michel et est

322 DELPORTE, C. Op. cit., p. 237. 323 Cf. MARTIN, M. Op. cit., p. 185. 324 Cf. DELUCHE, J. Op. cit., p. 41. 325 Cf. MARTIN, M. Op. cit., p. 185. 326 Ibid., p. 216. 327 Cf. Ibid., p. 220. 67 même plusieurs fois rééditée. Le livre inspire aussi une pièce de théâtre. Au bagne « connaît un tel succès que, six ans après sa sortie, il est porté au théâtre […] »328. Après les bagnes de Guyane, Londres se rend en Afrique. Du 1er avril au 10 mai 1924, il enquête dans les bagnes militaires d’Afrique du Nord. Ici à Biribi, de la même manière comme à Cayenne, il décrit des traitements barbares de la part des sous- officiers envers les détenus. Ce reportage, lui aussi, est édité en volume. Le récit Dante n’avait rien vu (Biribi) représente une série de 19 articles publiés dans Le Petit Parisien. Paru de nouveau chez Albien Michel en 1924, le livre fait appel à la réforme du système pénitentiaire.329 Du 29 juin au 20 juillet 1924, Albert Londres retourne en France pour accompagner le Tour de France. C’est pour Le Petit Parisien qu’il écrit le reportage sur des souffrances des cyclistes que l’auteur surnomme « forçats de la route ». En 1925, le reporter s’intéresse à des asiles d’aliénés. Il doit même se faire passer pour un fou afin de pénétrer dans ce monde fermé. En observant la réalité et en enquêtant, il dénonce les horribles conditions de vie des malades et les maltraitances pratiquées dans les asiles psychiatriques.330 Le reportage de Londres sur des maisons des fous publié dans Le Petit Parisien en mai 1925 devient une nouvelle impulsion pour l’auteur à créer un autre ouvrage littéraire. Albin Michel édite donc en 1925 Chez les fous. Londres multiplie ainsi ses reportages et ses livres sur la souffrance et sur des conditions de vie difficiles des gens, le sujet qui semble être préféré par ce grand reporter écrivain. En 1925 naît l’œuvre La Chine en folie. Paru chez Albin Michel la même année à la base d’une série de 13 articles écrits en 1922 et complété de 9 articles écrits à la même époque, le livre répond au goût du public pour l’exotisme. Et c’est justement après cette œuvre que Londres reprend régulièrement une partie de ses articles pour écrire des livres. « Dès lors, ses enquêtes donnent toutes lieu à un livre à succès. »331 En mars 1927, Le Chemin de Buenos Aires. La traite des Blanches paraît chez Albin Michel. Le livre, basé sur son reportage bien sûr, a pour le sujet la prostitution à Buenos Aires. Le grand reporter écrivain observant les rapports entre prostitution et proxénétisme, se trouve personnellement au milieu des prostituées qui gagnent leur vie de cette façon pour ne pas vivre dans la misère, ne pas mourir de faim et de froid.

328 DELPORTE, C. Op. cit., p. 241. 329 Cf. Ibid., p. 240. 330 Cf. MARTIN, M. Op. cit., p. 185, 219-220. 331 Ibid., p. 186. 68

En 1928, Londres se consacre au sujet de l’esclavage domestique pratiqué en Afrique. Il dénonce les souffrances des esclaves africains, la position inférieure des femmes et le comportement du peuple africain envers les Européens. « […] Albert Londres ne condamne pas la présence coloniale, il demande seulement davantage de transparence, appelant la métropole à porter plus d’intérêt à son empire africain et plus de respect à ses populations. »332 En luttant contre les traitements inhumains des bagnards et des colonisés, en défendant les pauvres, en donnant la parole à ceux qui ne parlent pas, c’est en 1929 que Londres se trouve au sommet de la gloire. La même année, Albin Michel, la maison d’édition indissociable du personnage d’Albert Londres, édite l’ouvrage Terre d’ébène. Il s’agit de la reprise de sa série de 25 reportages publiés en 1928 dans Le Petit Parisien. Le livre, aussi bien que le reportage, présente la situation des esclaves d’Afrique noire. L’auteur y critique le colonialisme ce qui suscite de nombreuses réactions du public. En 1929, le journaliste se consacre à la question juive qui touche l’Europe et la Palestine. En voyageant à travers l’Europe centrale, il se rend à cette occasion aussi à Prague pour y faire l’enquête. Il visite la synagogue et le cimetière juif, s’intéresse particulièrement aux ghettos qu’il découvre en Tchécoslovaquie. Il apprend que toutes les villes d’Europe centrale ont leur ghetto, le refuge des Juifs, le seul endroit où les Juifs ne se sentent pas menacés. A part l’observation, le reporter devient aussi témoin des cas fréquents des Juifs persécutés qui fuient l’Europe et que l’émigration conduit en Palestine.333 Dans son reportage, Londres révèle donc l’antisémitisme qui gagne toute l’Europe centrale et signale ainsi un grand problème de la société. En quittant l’Europe, il poursuit son enquête et continue son reportage sur les traces des émigrants juifs d’Europe centrale vers la Palestine.334 Son texte journalistique sur la question juive devient aussi l’œuvre littéraire. Les 27 articles que Londres publie dans Le Petit Parisien du 5 octobre au 5 novembre 1929 sous le titre « Le Drame de la race juive, des ghettos d’Europe à la Terre promise », sont repris dans un livre publié par Albin Michel en janvier 1930 intitulé Le Juif errant est arrivé.335

332 Ibid., p. 227. 333 Cf. ALIA, J. Israël-Palestine, Albert avait tout compris. In: ALIA, J., AMOUROUX, H. Op. cit., p. 19- 20. 334 Cf. MARTIN, M. Op. cit., p. 269. 335 Cf. ALIA, J. Op. cit., p. 18. 69

En écrivant d’autres reportages comme par exemple sur les pêcheurs de perles dans la mer Rouge, sur les Balkans en guerre ou sur les pays arabes, il est évident que ce grand reporter ne ralentit jamais son zèle. En voyageant d’un sujet à l’autre, « il erre partout où des êtres sont opprimés […] »336. Dans ses reportages, deux dimensions de son art d’un grand reporter se mêlent : la première prouve que Londres est un grand reporter, « celui qui veut aller voir sur place, raconter, donner sa vision »337 et la deuxième montre Londres comme justicier et redresseur de torts, « celui qui dénonce, qui met au jour des scandales, qui apostrophe les politiques »338. Etant donc le roi des reporters, Albert Londres est avant tout un homme du peuple qui se bat contre l’injustice, montre la vérité à tout prix et dénonce l’inhumanité, la douleur et la souffrance. Les cas mentionnés des ouvrages littéraires crées par Londres montrent indéniablement que la pratique de l’auteur consistant dans l’édition régulière de ses reportages, est dans sa création bien fréquente. Peut-être que cette technique est même caractéristique pour son œuvre. Fidèle à la vérité et créant ses ouvrages littéraires sur des principes du reportage, il n’invente jamais rien de nouveau, ne crée jamais la fiction. Tout est donc fondé sur le réel, « le réel est son seul référent, le reporter ne veut jamais leurrer »339. C’est pourquoi Albert Londres publie ses reportages en livres presque textuellement. En s’imposant comme écrivain de reportage, Londres entre finalement à la Société des Gens de Lettres.340 Ainsi l’affinité de Londres reporter avec Londres écrivain, plus général du reportage avec la littérature de l’entre-deux-guerres, est évidente. La vie légendaire d’Albert Londres se termine inopinément à l’âge de 47 ans. Il disparaît en mai 1932 lors du naufrage du paquebot Georges-Philippar en mer Rouge. Avant de quitter le monde des reporters et des écrivains français, il a rendu visite à Andrée Viollis qui était hospitalisée à Shanghai et qui devait partir sur le même bateau comme Londres.341 Noyé ou mort dans l’incendie du bateau qui le ramenait de Chine, sa disparition reste mystérieuse. 342 Pourtant sa mort ne l’empêche pas de continuer à influencer le monde aussi bien que le reportérisme français. Quinze ans après son

336 DELUCHE, J. Op. cit., p. 35. 337 AGNES, Y. Op. cit., p. 156. 338 Ibid. 339 DELUCHE, J. Op. cit., p. 44. 340 Cf. BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 105. 341 Cf. MARTIN, M. Op. cit., p. 187. 342 Cf. AGNES, Y. Op. cit., p. 157. 70 enquête, les bagnes sont supprimés.343 Le monde des reporters réagit à sa mort en créant le prix Albert-Londres. Décerné pour la première fois en 1933, il récompense l’auteur d’un grand reportage ce qui « montre que ce genre est désormais reconnu au sein du journalisme »344. La vie et le style des reportages de Londres une fois résumés, le reporter est à juste titre considéré comme le « personnage légendaire de la profession »345. « Londres, c’est lui le premier, le modèle, le génie, le grand reporter en chef […]. »346 Mais en le présentant comme grand reporter, à chaque fois, il faut ajouter qu’il était aussi écrivain.

343 Cf. DELUCHE, J. Op. cit., p. 45. 344 MARTIN, M. Op. cit., p. 280. 345 PIVOT, L. Op. cit., p. 11. 346 VAN RENTERGHEM, M. Op. cit., p. 13. 71

3 Joseph Kessel Après avoir esquissé les rapports qui existent au XXe siècle entre la presse et la littérature, après avoir montré les cas concrets des écrivains qui s’imposent dans le reportage et des reporters qui tendent vers le monde littéraire, nous nous concentrerons sur le personnage de Joseph Kessel. Reporter romancier ou romancier reporter, Kessel incarne l’idéal de cette affinité littéraire. Dans ce troisième chapitre, nous présenterons d’abord sa vie, ensuite nous porterons notre attention sur son œuvre en nous penchant sur ses reportages qui donnent naissance à nombreux de ses romans et puis nous nous intéresserons au reportage Marché d’esclaves dont l’auteur s’est inspiré pour créer le roman d’aventures Fortune carrée. En analysant les deux œuvres, nous révélerons la technique de Kessel et découvrirons en quoi consiste le rapport entre le monde littéraire et journalistique que Kessel pratique dans sa création durant toute sa vie.

3.1 Témoin du XXe siècle Joseph Kessel, fils d’un médecin juif d’origine lithuanienne, est né en janvier 1898 à Clara en Argentine. Dès sa naissance, la famille est en mouvement. C’est à cause de l’origine juive de la famille que le petit Kessel passe son enfance dans divers pays. Après avoir vécu en Amérique du Sud dans la pampa d’Argentine, les Kessel retournent dans les années suivantes deux fois en Russie. Excepté la période entre 1901 et 1905 pendant laquelle la famille séjourne en France, Kessel grandit alors surtout sur des steppes dans l’Oural d’Orenbourg. Pour des raisons de la santé fragile des parents, les Kessel quittent en 1908 la Russie pour s’installer à . En fuyant des persécutions antisémites, la vie de Joseph Kessel, qui grâce aux voyages fréquents observe divers horizons étrangers du monde, est dès son enfance remplie d’aventure. En 1913, la famille se déplace pour la dernière fois en montant vers Paris pour que Kessel puisse poursuivre ses études.347 Agé de 16 ans, Kessel devient témoin de la Première Guerre mondiale. Il veut s’engager, or il est trop jeune pour pouvoir participer aux combats, il est donc brancardier et infirmier volontaire.348 Un an après l’éclatement de la guerre, en 1915, c’est-à-dire à l’âge de 17 ans, Kessel commence sa carrière journalistique en collaborant

347 Cf. HEURE, G. Joseph Kessel. Reportages, romans. Paris : Gallimard, 2010, p. 35-37. 348 Cf. Ibid., p. 39. 72 au Journal des Débats. Il contribue dans le service de politique étrangère du journal et traduit aussi des articles russes. Journaliste, il se montre aussi comme dramaturge en montant quelques pièces de théâtre avec son frère. Après les études de Lettres, il est reçu, avec son frère Lola, en 1916 au Conservatoire national supérieur d’art dramatique. Son goût pour le théâtre l’amène même en tant qu’acteur sur la scène de l’Odéon.349 Mais finalement son désir de s’engager l’emporte et Kessel devient en décembre 1916 engagé volontaire. D’abord dans l’artillerie, puis, à l’âge de 18 ans, dans l’aviation.350 C’est dans la guerre que « se révèle en grande partie un goût prononcé du risque et de l’aventure héroïque qui alimenteront largement son inspiration à venir »351. Kessel termine la guerre par une expédition volontaire en Sibérie. En 1919, il se lance dans une nouvelle mission dont les membres sont envoyés sur place pour se battre sur le front russe. Il devient donc témoin de la guerre civile entre l’armée blanche et l’armée rouge. Arrivé à Vladivostok en passant par les Etats-Unis et puis revenu en France à travers le Japon et la Chine, Kessel effectue son premier tour du monde à l’âge de 20 ans.352 Ce long voyage pendant lequel il a éprouvé d’extraordinaires aventures, marque sa vie. Après son retour à Paris et le refus de devenir professeur, Kessel reprend sa collaboration au Journal des Débats. Il excelle à rédiger des comptes rendus et des articles.353 Depuis ce temps-là, il est toujours présent dans les journaux en suivant petit à petit la piste de l’aventure, du grand reportage. « Dès lors, Kessel est partout où il se passe quelque chose […]. »354 En tant qu’envoyé spécial, il devient en 1920, à vingt-deux ans, témoin de l’Irlande en trouble. Il y part pour réaliser son premier grand reportage. Le succès que lui apporte son premier essai dans le journalisme d’investigation, fait de Kessel un reporter reconnu dont le renommé dans la presse lui ouvre une autre porte : celle de la littérature. C’est en 1922 qu’il publie le recueil La Steppe rouge, son premier roman paru chez Gallimard sur la révolution bolchévique. Un an plus tard paraît chez le même

349 Cf. WEBER, O. Kessel : le nomade éternel. Paris : Artaud, 2006, p. 23. 350 Cf. BERTHE, J.-R. Le sens de l’aventure dans l’œuvre romanesque de Joseph Kessel. Montpellier : Université Paul-Valéry Montpellier III, 1984, p. 13. Thèse de doctorat de 3e cycle : Littérature française. Sous la direction de Monsieur le Professeur D. Moutote. 351 Ils ont fait le journalisme. Joseph Kessel. Journalisme.com [en ligne]. 2008. [cit. 2014-03-12]. Disponible sur : . 352 Cf. WEBER, O. Op. cit., p. 38. 353 Cf. Ibid., p. 43. 354 BERTHIER, P. Gautier, Simenon, Kessel, écrivains-journalistes : quel statut ? In : Le français aujourd’hui 3/2001 (n° 134), p. 32-42. Cairn.info [en ligne]. 2001. [cit. 2014-03-12]. Disponible sur : . 73

éditeur L’Equipage, le roman d’aventures basé sur son expérience d’aviateur. Les deux premiers romans ainsi que son premier reportage connaissent un grand succès. « A vingt-cinq ans, Kessel est célèbre – héros, journaliste, romancier. »355 Pendant les premières années de la Seconde Guerre mondiale, entre 1939 et 1940, Kessel est correspondant de guerre de Paris-Soir. 356 Après la débâcle de l’armée française, il entre dans la Résistance. En passant par le Portugal, il rejoint finalement en 1942 le général de Gaulle à Londres. En Angleterre, il s’engage dans les Forces françaises libres et met aussi sa plume au service de la Résistance. En mai 1943, l’auteur compose avec son neveu les paroles du qui sert d’hymne de la Résistance. En 1944, engagé pour la deuxième fois dans sa vie, il est chargé de commander des volontaires français au sein d’une escadrille. 357 A la Libération, il reprend ses activités d’écrivain et de journaliste en couvrant les grands procès des criminels nazis pour la presse. L’un des plus célèbres, c’est le procès du maréchal Pétain que Kessel rapporte en 1945 aux lecteurs du journal France-Soir.358 En 1948, l’auteur devient témoin d’un autre événement important : il couvre la création de l’Etat d’Israël. Ayant le visa numéro un, il est le premier visiteur étranger du nouvel Etat. Kessel journaliste collabore durant sa vie à beaucoup de titres différents. En 1922, une fois célèbre, « La Liberté, Les Débats, Le Figaro, Le Temps lui réservent un accueil élogieux »359. Puis Joseph et Georges Kessel lancent en 1928 leur propre journal intitulé Détective. L’hebdomadaire dont Georges est le directeur, connaît une réussite rapide.360 Joseph Kessel collabore aussi à Gringoire et Mercure. En 1934, il publie ses articles dans Marianne, le « grand hebdomadaire politique et littéraire illustré »361. Il contribue également aux grands journaux comme Le Matin ou Paris-Soir, journal qui est devenu France-Soir après la guerre. 362 « Kessel est bon, mais Kessel est cher. » 363 C’est pourquoi l’auteur a la possibilité de changer de journal à sa guise, de se proposer à celui qui lui offre plus d’argent pour ainsi réclamer son indépendance. En tant que journaliste

355Ibid. 356 Cf. HEURE, G. Op. cit., p. 80. 357 Cf. Ibid., p. 87. 358 Cf. Ibid., p. 88. 359 Ibid., p. 53. 360 Cf. Ibid., p. 60. 361 Ibid., p. 15. 362 Cf. Ibid., p. 14. 363 Ibid., p. 15. 74 d’investigation, « il n’a jamais été le journaliste d’un seul titre, ce qui, ajouté à sa position d’écrivain, lui assurera une totale liberté »364. Mais Joseph Kessel n’est pas seulement reporter et romancier. Il se lance aussi dans le cinéma en collaborant au film. C’est surtout après avoir fini sa fameuse carrière du grand reporter que Kessel se consacre exclusivement au cinéma. Il part par exemple en 1956 en Afghanistan pour tourner un film documentaire. Enchanté par le pays et par ses habitants, l’auteur raconte dans le film la vie et les habitudes des cavaliers afghans. Après le journalisme et la littérature, Kessel s’impose alors aussi dans le septième art comme scénariste et dialoguiste pour quelques-uns des films qui sont tirés de ses romans.365 Après s’être montré comme un homme universel et surtout comme un auteur éminent de romans d’aventures, Kessel est élu le 22 novembre 1962 à l’Académie française.366 « La reconnaissance de son talent et ses amitiés sont […] suffisantes pour lui ouvrir, à lui juif, né russe, sioniste, gaulliste, les portes de l’Académie française. »367 Malgré des objections de certains écrivains français, la contribution de l’auteur au monde littéraire est ainsi officiellement reconnue. C’est le 23 juillet 1979 que le grand voyageur, journaliste, reporter, romancier, aviateur, résistant dont le sens de l’aventure est omniprésent dans toute son œuvre, meurt d’une crise cardiaque.368 « Avec quatre- vingts romans, quelques guerres, cinq continents, soixante ans de journalisme et quatre-vingts d’existence, Kessel […] a fait du monde, autant que de sa vie et de son œuvre une fresque haute en couleurs qui donne à voir le tumulte, l’horreur et la grandeur du XXe siècle. »369 Tel était Joseph Kessel, le témoin des événements majeurs de son temps. Comme cet auteur éminent a représenté un cas exceptionnel de l’homme qui a dominé les mondes journalistique et littéraire, le prix Joseph Kessel a été créé après sa mort. Désormais, il est remis chaque année et récompense « l’auteur d’une haute qualité littéraire (voyage, biographie, récit ou essai) »370. Par rapport à la forme, il n’y a

364 MARTIN, M. Op. cit., p. 191. 365 Cf. WEBER, O. Op. cit., p. 179. 366 Cf. Joseph Kessel. Académie française [en ligne]. [cit. 2014-03-12]. Disponible sur : . 367 BERTHIER, P. Op. cit. 368 Cf. Joseph Kessel. Encyclopédie Larousse [en ligne]. [cit. 2014-03-12]. Disponible sur : . 369 Ibid. 370 NESSI, J. Joseph Kessel. Un témoin engagé. Routard.com [en ligne]. [cit. 2014-03-12]. Disponible sur : . 75 pas de frontières, le prix pouvant être remis du récit documentaire à l’enquête journalistique, du roman historique à la poésie. La décoration est pourtant destinée seulement à ceux qui, en défendant l’esprit de Kessel, partagent la passion de voyager et de se confronter aux hommes.371 Le prix récompense alors écrivain voyageur qui à travers son œuvre semble héritier de Kessel.

3.2 Grand reporter romancier La vie de l’auteur une fois présentée, nous nous concentrerons sur sa création. En montrant sa pratique du reportage et de la littérature, en mentionnant ses reportages que nous lierons avec son œuvre romanesque, nous caractériserons Kessel reporter ainsi que Kessel romancier. Joseph Kessel parcourt pour ses reportages le monde entier. Sa pratique consiste dans l’effort maximal de s’immerger dans la foule pour pénétrer au cœur d’un événement. Fasciné et jamais distant, il observe tout ce qui se passe autour de lui. Il ne survole pas les pays qu’il visite, prend le temps de parler aux gens, de manger et de boire avec eux.372 Pour réussir son reportage, il n’hésite pas à voyager durant plusieurs mois. Il profite de tous les moyens de l’époque pour se déplacer ainsi que pour transmettre des informations. Pendant ses séjours dans des pays différents, il mélange des conditions de luxe et l’improvisation. « Il n’hésite pas à dormir à la rude lors de ses reportages. »373 Pour lui, c’est une opportunité de rencontrer des gens. Sa recherche de la vérité est basée sur son instinct qui est très important pour sa profession. C’est surtout son instinct, son empathie et son sens de l’aventure qui font de lui un grand reporter. En 1933, il fait partie du premier jury du prix Albert-Londres qui récompense les meilleurs reporters français.374 Le métier devient pour lui une vocation. En tant que témoin des événements majeurs du XXe siècle, il raconte surtout l’actualité qui forme des moments forts de l’histoire. C’est son regard, un œil de peintre, qui caractérise son reportérisme. « Il prend le temps de décrire les ciels, les aubes, les crépuscules du soir, les nuages, les brumes : les paysages ont des couleurs

371 Cf. Ibid. 372 Cf. HEURE, G. Op. cit., p. 11. 373 NESSI, J. Op. cit. 374 Cf. HEURE, G. Op. cit., p. 70. 76 annonciatrices des tragédies ou des héroïsmes qu’il va décrire. »375 Profitant de son instinct, il va « là où il devine que les hommes se confrontent à l’histoire, ont des horizons spirituels différents, voire plus vastes que les nôtres, et s’adossent à des valeurs que seul celui qui sait les écouter et partager avec eux des moments d’humanité, peut comprendre et, accessoirement, restituer »376. C’est ainsi qu’il effectue le reportage. L’auteur utilise dans ses reportages des symboles variés. Il descend par exemple dans le monde souterrain, dans la pègre, fait partie du monde clandestin des rebelles et des combattants pour y découvrir le secret. En tant qu’aviateur, il se consacre dans ses reportages aussi au phénomène de l’aviation. En travaillant sur des reportages dangereux qui le menacent parfois en vie, c’est durant la nuit que l’action se déroule. Ce symbole est donc présent assez souvent dans son œuvre. A part le danger, la nuit l’aide aussi à découvrir des réalités cachées, à trouver le chemin qui le mène à la vie clandestine et lui permet de nouer des contacts qui lui assurent ensuite des rencontres importantes. La caractéristique principale des reportages de Kessel est représentée en général par l’aventure. Elle prend des formes différentes. L’aventure « est caractérisée par le mouvement, par le déplacement, par le changement qui introduisent une situation nouvelle »377. Kessel qui déteste la monotonie, est donc en mouvement permanent. Ainsi, il repart toujours, de ville en ville, d’un pays à l’autre afin de quitter le monde qui lui est devenu trop connu pour vivre de nouveau dans l’inconnu. « Mais ce changement, cette transformation implique […] un élément rarement dissociable de l’aventure […] : le danger. »378 Passionné pour le danger, la vie de Kessel est pleine de risques. En faisant face à l’imprévu, en surmontant divers obstacles, le courage amène le reporter toutefois à la découverte.379 L’aventure apparaît aussi sous forme du hasard. Kessel aventurier erre. « Il va où son étoile, sa chance ou le malheur l’entraînent. C’est un découvreur et il ne sait souvent pas ce qui l’attend demain et où conduit son chemin. »380 Ne sachant pas ce qui surgira, il accepte alors tout ce que le hasard propose. Kessel joue ainsi avec le destin et profite du hasard de la route et des rencontres, des

375 Kessel reporter universel. La Croix [en ligne]. 2010. [cit. 2014-03-12]. Disponible sur : . 376 HEURE, G. Op. cit., p. 21. 377 BERTHE, J.-R. Op. cit., p. 39. 378 Ibid., p. 44. 379 Cf. Ibid., p. 44-47. 380 Ibid., p. 52. 77 occasions qui s’ouvrent à lui. Quelle que soit la forme de l’aventure, « le reportage de Kessel est construit sur l’idée que l’aventure est un miracle quotidien, sans justification, sans commentaire »381. Il faut souligner que la carrière de Kessel s’inscrit dans l’âge d’or du grand reportage. A l’époque de l’entre-deux-guerres, les journaux investissent dans le genre et n’hésitent pas à financer des voyages lointains afin de découvrir de nouvelles réalités pour en informer ensuite le lecteur. Kessel, l’un des meilleurs reporters, décrit alors des faits variés : des crises à travers des insurrections et des révoltes jusqu’à la guerre. Ses articles sur la révolte irlandaise, sur la Russie soviétique, sur la crise économique, sur la guerre civile espagnole, sur la propagande et la violence politique de l’Allemagne nazie représentent un tableau d’événements importants de son temps dont il témoigne. Dans ses reportages, il analyse ce qui se déroule mais de surcroît, il annonce ce qui s’y prépare, prévoit les choses. Kessel, qui se rend sur des territoires interdits représentés autant par les pays lointains que par les milieux interlopes, s’intéresse, à part la situation du pays, surtout à l’homme. Fasciné par la condition humaine, son reportérisme repose alors sur l’effort de décrire la valeur d’un geste, la profondeur d’un silence, l’intensité d’un regard, les décors d’un pays, l’angoisse des gens, leur joie, fraternité ou tragédie.382 Kessel est particulièrement sensible à la misère des hommes. Le sujet de ses reportages, c’est alors un homme, « un type, un individu dans son micro-milieu, avec ses comportements, ses sentiments, ses ressorts intimes »383. Voilà pourquoi Kessel, défenseur des pauvres, admirateur des forts, est souvent surnommé témoin parmi les hommes. « Mais, poussé par son besoin d’aventures et sa recherche des individus hors du commun, où qu’ils soient et quels qu’ils soient, il va entamer une double carrière de grand reporter et de romancier. »384 Ses reportages qui se caractérisent par leur valeur d’informer, de convaincre et d’émouvoir, inspirent Kessel aussi à créer de nombreux romans. En lui fournissant la matière brute, ce sont les reportages qui sont à l’origine de toute sa création littéraire.385 Son expérience journalistique nourrit donc et fait grandir l’écrivain. Kessel, lui-même, parle du journalisme comme de l’école du romancier. L’activité de grand reporter

381 CIOBOTEA, R. Op. cit., p. 130. 382 Cf. HEURE, G. Op. cit., p. 19. 383 MARTIN, M. Op. cit., p. 251. 384 Joseph Kessel. Académie française [en ligne]. Op. cit. 385 Cf. HEURE, G. Op. cit., p. 10. 78 alimente alors son œuvre littéraire. Son impressionnante production compte plus de 80 titres publiés entre 1922 et 1975 : reportages et souvenirs, contes et nouvelles, documentaires, récits, un mélodrame, deux biographies et 20 romans que l’auteur divise en romans historiques, ceux de guerre ou d’aventures, sociaux ou de mœurs.386 Presque sans cesse en voyage ce qui est en conformité avec sa profession du grand reporter, « partout il a le don de rencontrer des gens étonnants, dont les confidences nourrissent ses écrits […] »387. En mélangeant ainsi la carrière du reporter avec celle de l’écrivain, il commence vite à tenir la frontière entre l’écriture journalistique et l’écriture romanesque. Kessel, le « reporter à succès des plus grands quotidiens du temps (Le Matin, Paris-Soir) reste la figure la plus marquante de cette "nouvelle alliance de la littérature et du vécu" […] »388. Comme nous l’avons déjà mentionné, le premier grand reportage de Kessel se déroule en Irlande. C’est en 1920 que l’auteur y est envoyé par le quotidien La Liberté. De ce lieu, Kessel rapporte un excellent témoignage de la révolution locale.389 « Son premier reportage, il le gagne de haute lutte. Sa série de dix articles emporte l’estime des confrères. »390 Plus tard, le reportage lui fournit la matière pour écrire une nouvelle. Mary de Cork est publiée en 1925 chez Gallimard et raconte l’histoire des révoltes irlandaises.391 Après l’Irlande, l’auteur se rend en 1921 en Union soviétique pour pénétrer dans la Russie des bolcheviks. Parlant russe et représentant ainsi un grand danger pour le régime, le visa lui est refusé. Kessel séjourne alors à Riga en Lettonie où il noue des contacts importants. Grâce à diverses histoires qu’il écoute et note, l’auteur découvre quand même la nature du régime bolchevique, l’existence de la Tchéka. Tous les témoignages rassemblés sont finalement publiés dans Le Figaro.392 Cette expérience l’inspire aussi à créer un ouvrage littéraire. En 1922 paraît aux éditions de la Nouvelle Revue française La Steppe rouge, l’œuvre qu’il dédie à Lazare, son frère décédé.393 Le livre décrit la Russie d’après la révolution d’Octobre.

386 Cf. TASSEL, A. La création romanesque dans l’œuvre de Joseph Kessel. Paris : L’Harmattan, 1997, p. 13-14. 387 BERTHIER, P. Op. cit. 388 BOUCHARENC, M., DELUCHE, J. Op. cit., p. 8. 389 Cf. HEURE, G. Op. cit., p. 48. 390 WEBER, O. Op. cit., p. 45. 391 Cf. HEURE, G. Op. cit., p. 54. 392 Cf. Ibid., p. 50. 393 Cf. Ibid., p. 53. 79

Influencé considérablement par la Première Guerre mondiale dont l’expérience vécue poursuit l’auteur même dans les années après sa fin, il donne naissance, en 1923, au roman L’Equipage. L’œuvre qui s’inspire de son séjour au sein de l’escadrille, décrit ce qu’il a vécu en tant que sous-lieutenant dans l’aviation lors du conflit.394 Elle rend hommage à tous les aviateurs, en particulier au capitaine de Kessel. « Ode aux combattants du ciel, écrite dans le souvenir obsédant de la mitraille, de la fraternité et des cris dans le sang, L’Equipage […] est le premier roman français sur l’aviation de guerre et ses incroyables débuts […]. »395 Ecrit en trois semaines seulement, « […] le roman, publié dans un élan de fort enthousiasme par Gaston Gallimard, connaît un succès immédiat, le plus grand de la saison 1922-1923 »396. A ce moment-là, Kessel devient célèbre du jour au lendemain. L’esprit du grand reporter amène Kessel dans les années vingt aussi en Proche- Orient. « Il découvre Jaffa, Tel-Aviv, Jérusalem, avant de poursuivre l’aventure à Beyrouth, Damas et dans le désert syrien. »397 En Palestine, le reporter observe surtout des colonies juives qui accueillent des migrants juifs venus de Pologne, Russie ou Grèce. Il est témoin de la construction d’un Etat juif.398 Pour Le Journal, il parcourt la Palestine afin d’arriver finalement en Syrie où il est fasciné par le désert mais plonge aussi dans les bas-fonds de Beyrouth. En visitant la ville de Damas qui est en révolte, Kessel observe aussi des combats et des guerriers. A son retour en France, il publie les reportages de Palestine et de Syrie qui connaissent un grand succès.399 « Les "choses vues", les personnages rencontrés, la fabuleuse épopée des colons juifs de Palestine, ses aventures dans le désert syrien rencontrent un succès immédiat, au point qu’il devient l’égal, à 28 ans, des meilleurs grands reporters de l’époque, Albert Londres ou Edouard Helsey. »400 Ses reportages sur les opérations militaires en Syrie paraissent dans le journal sous le titre « Le journal en Syrie ». Il s’agit de onze articles publiés de mai à décembre 1926 qui avec la série sur les bas-fonds de Beyrouth donnent naissance au récit En Syrie qui sort en 1927 chez Kra.401

394 Cf. Ibid., p. 12. 395 WEBER, O. Op. cit., p. 26. 396 Ibid., p. 46. 397 NESSI, J. Op. cit. 398 Cf. WEBER, O. Op. cit., p. 53. 399 Cf. Ibid., p. 65. 400 Ibid. 401 Cf. Ibid., p. 58. 80

Kessel est connu aussi comme reporter et écrivain aviateur. Son sujet favori est son expérience aéronautique qui apparaît dans le reportage ainsi que dans le roman. En 1929, passionné pour l’aviation, Kessel a la chance de devenir l’un des premiers passagers civils sur la ligne Casablanca-Dakar.402 En tant que témoin d’assurance d’une nouvelle liaison aérienne, l’auteur vole au-dessus du désert Sahara, rencontre une tempête de sable et éprouve ainsi l’aventure liée au danger. « […] Kessel goûte à nouveau aux joies et aux peurs de l’épopée aérienne. »403 Puisqu’il passe trois semaines dans le monde d’aviateurs, son reportage chante le courage admirable des pilotes et leurs exploits quotidiens. Kessel décrit ses rencontres avec des pilotes de l’aéropostale, donne des portraits des aviateurs. Le reportage est imprimé dans le quotidien Le Journal qui donne à sa série d’articles le nom « Le messager du bled » et puis aussi dans Gringoire sous le titre « Courriers du Sud ». Tous les articles sont finalement réunis dans le volume Vent de sable que publie en 1929 l’édition de la Nouvelle Revue française.404 L’aviation permet à Kessel de rencontrer des personnes exceptionnelles. A part Antoine de Saint-Exupéry, le reporter se lie d’amitié avec Jean Mermoz. Suivant la piste du grand aviateur disparu en 1937, Kessel devient finalement l’auteur de sa biographie. C’est en 1938 que le reportage sur l’effort de Kessel de trouver Mermoz est publié dans le Paris-Soir. La même année, Gallimard publie la biographie du célèbre aviateur, intitulée tout simplement Mermoz. 405 Kessel l’écrivain y met toute son amertume d’avoir perdu un ami. Le sujet et l’écriture de Kessel connaissent un grand succès en librairie ainsi que dans la presse. Après l’aviation, Kessel reporter va au-devant du danger en voulant devenir témoin du trafic des esclaves. Ayant entendu que l’esclavage continue à être pratiqué, il voyage en 1930 en Abyssinie. Le reportage sur l’esclavage en mer Rouge, caractérisé par un certain exotisme et surtout par le goût de Kessel pour l’aventure et le danger, est publié dans la presse. Tout d’abord dans Le Matin entre mai et juin 1930 sous le titre « Marché d’esclaves », puis en juin et juillet comme « Les secrets de l’Arabie ». Des articles sont imprimés aussi après l’expédition, entre août et décembre, dans Gringoire, intitulés « Sous le ciel abyssin ».406 « De ce périple long, étrange, aux réminiscences

402 Cf. HEURE, G. Op. cit., p. 63. 403 WEBER, O. Op. cit., p. 71. 404 Cf. CIOBOTEA, R. Op. cit., p. 129. 405 Cf. HEURE, G. Op. cit., p. 79. 406 Cf. TASSEL, A. Op. cit., p. 392. 81 obsédantes, Kessel rapporte un reportage et deux livres. » 407 Se montrant comme romancier et s’inspirant de son reportage sur l’esclavage, Kessel crée en 1932 le roman d’aventures Fortune carrée. Les articles parus en 1930 dans la presse sont partiellement recueillis dans Marchés d’esclaves, livre rédigé en 1933 aux Editions de France.408 Le sujet de l’esclavage une fois présenté, Kessel se focalise dans les années trente sur quelques événements de l’époque qui marquent la société. En 1932, il se rend alors par exemple en Allemagne en pleine crise économique et sociale pour effectuer une série de reportages destinés au Matin. Le reporter explore d’abord les bas-fonds de Berlin, décrit la pègre de la capitale allemande. Son reportage sur les milieux interlopes berlinois est intitulé « L’Allemagne vue des bas-fonds » et paraît dans Le Matin dès le 25 mars 1932.409 Le dernier épisode de la série est publié dans la presse le 17 avril 1932. Comme déjà tant de fois auparavant, ce reportage, de nouveau, tente Kessel écrivain à créer un ouvrage littéraire. Le livre Bas-fonds qui est basé sur l’expérience allemande, est publié aux Editions les Portiques le 30 avril 1932.410 Cela veut dire qu’à peine quinze jours séparent la dernière livraison du journal de l’édition en volume. Kessel semble devenir un vrai maître de sa technique qui prouve des rapports évidents entre le monde journalistique et littéraire. A part la situation de vie en Allemagne, l’auteur témoigne des élections présidentielles. Il assiste même à une réunion d’Adolf Hitler et dans ses reportages, il avertit du danger que, d’après lui, Hitler représente. « Ses reportages sur la réalité de l’Allemagne des années trente et la menace nazie sont publiés dans Le Matin. »411 En 1933, Kessel arrive aux Etats-Unis. Il devient témoin de la crise économique américaine. C’est pour Le Matin qu’il décrit la situation à New York, la misère qu’il observe à chaque pas.412 Mais les années trente se caractérisent, à part la crise, aussi par les guerres. Le reporter qui n’est pas indifférent aux conflits, se rend tout d’abord en Espagne de 1938 pour fournir au Paris-Soir ses reportages sur la guerre civile. Puis, en 1939 à l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale, Kessel devient pour le même journal correspondant de guerre dont les articles y sont publiés sous le titre « un grand reportage au front de notre correspondant de guerre Joseph Kessel ».413 Une fois entré

407 WEBER, O. Op. cit., p. 98. 408 Cf. HEURE, G. Op. cit., p. 66. 409 Cf. Ibid., p. 68. 410 Cf. BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 77. 411 NESSI, J. Op. cit. 412 Cf. MARTIN, M. Op. cit., p. 241. 413 Cf. WEBER, O. Op. cit., p. 113. 82 dans la Résistance, il rencontre en Angleterre le général Charles de Gaulle qui lui suggère d’écrire un roman sur les hommes de la Résistance. « Le chef de la France libre impressionne l’écrivain, qui est ému par cette rencontre qu’il n’espérait plus. Il se jette aussitôt dans la rédaction du roman, qu’il intitule L’Armée des ombres. »414 Ce livre qui représente un témoignage touchant sur cette époque, est publié en 1943 aux éditions Charlot. 415 Il s’agit d’un roman bouleversant sur le sacrifice et l’engagement des combattants de la résistance. Après la guerre, Kessel reporter assiste au procès de Nuremberg. En 1953, le grand reporter se rend à Nairobi pour se renseigner sur la révolte des Kikuyus. Après un mois d’enquête, le reportage sur la rébellion tribale surnommée par Kessel « révolte des Mau-Mau » ainsi que sur la découverte du Kenya est publié du 3 au 23 juin dans France-Soir sous le titre « Nuits de terreur au pays des Mau-Mau ». La révolte une fois révélée aux lecteurs, l’auteur voyage au Rwanda, en Afrique des Grands Lacs, dont il admire le paysage. Son reportage sur les grands lacs africains est publié de nouveau dans France-Soir.416 Fidèle à sa méthode de travail, Kessel s’inspire de ses articles fournis à la presse pour les remanier ensuite en livre. En 1954, il regroupe alors ses reportages sur l’Afrique pour les publier chez Gallimard sous le titre La Piste fauve.417 Puis, quatre ans plus tard, Kessel l’écrivain tire de ses aventures africaines Le Lion, l’un de ses plus beaux romans d’amour et d’aventures. Le roman qui est basé sur ses souvenirs du Kenya, est publié en 1958 chez Gallimard et raconte l’histoire d’amitié entre une petite fille et un lion.418 L’œuvre connaît très vite un énorme succès non seulement en France, mais aussi aux Etats-Unis. « Cent mille exemplaires sont très vite vendus, puis la barre de demi-million est franchie, propulsant Joseph Kessel au rang des auteurs les plus lus du siècle, avec Camus, Malraux et Saint-Exupéry. »419 En 1955, Kessel devient témoin du commerce des pierres précieuses en Birmanie. Il a la chance de pouvoir observer des morceaux uniques ainsi que le déroulement des négociations des prix. Enchanté par la beauté des diamants, le reporter décrit ses impressions dans un nouveau reportage qu’il fournit du 20 juillet au 3 août au France- Soir sous le titre « Les Secrets de la Vallée des Rubis ».420 La même année encore,

414 Ibid., p. 117. 415 Cf. HEURE, G. Op. cit., p. 10. 416 Cf. Ibid., p. 95. 417 Cf. Ibid. 418 Cf. Ibid., p. 99. 419 WEBER, O. Op. cit., p. 166. 420 Cf. HEURE, G. Op. cit., p. 96. 83

Kessel crée La Vallée des rubis, roman d’aventures. Publiée chez Gallimard, l’œuvre s’inspire des voyages au cœur des mines en Birmanie. Puis il poursuit son voyage à Bangkok, Hong Kong et Macao. Ses articles sont publiés par France-Soir du 2 au 17 novembre, intitulés « Hong Kong, ville mystère » et du 15 au 27 janvier 1956 sous le titre « Rien ne va plus à Macao ».421 Les deux reportages sont réunis finalement dans un seul livre Hong-Kong et Macao. Les derniers pas du grand reporter ainsi que du grand voyageur se dirigent vers l’Afghanistan. Ce pays occupe une place particulière dans le cœur du reporter romancier. En observant le paysage qu’il aime, en y rencontrant un peuple admirable, Kessel visite ce coin du monde à la fin de sa vie plusieurs fois, toujours avec envie d’y tourner un film. Finalement c’est néanmoins un ouvrage littéraire qui reproduit le mieux la passion de Kessel pour ce pays. En 1967 paraît chez Gallimard l’ouvrage Les Cavaliers, son grand roman sur l’Afghanistan. Il met près de six ans pour l’achever et l’œuvre qui devient son chef-d’œuvre romanesque, le roman de sa vie, recueille un immense succès. 422 L’écrivain y rend hommage à la beauté et au courage des cavaliers des steppes. En sentant que la fin s’approche, « Kessel y met toute sa force, sa puissance poétique, son imagination créatrice, un souffle épique par ses périples en Afghanistan et en Orient, mais aussi par les réminiscences de son enfance, les souvenirs de ses grands voyages »423. La carrière du grand reporter touche à sa fin en 1970. L’immense contribution de Kessel au journalisme d’investigation est évidente. Grâce à leur valeur inestimable, tous ses reportages rédigés entre les années 1919 et 1964 sont réunis en six volumes aux Editions Tallandier. En proposant les reportages les plus fameux, ce sont surtout les trois premiers tomes qui sont les plus connus : Le temps de l’espérance (1919-1929), Les jours de l’aventure (1930-1936) et L’heure des châtiments (1938-1945).424 L’héritage de Kessel est conservé aussi sur l’écran. De nombreux films sont réalisés à partir de ses romans. Kessel, lui-même, participe à des adaptations au cinéma et à l’élaboration du scénario et des dialogues. Ainsi, son roman L’Equipage donne naissance à deux versions de cinéma. Le premier réalisateur Maurice Tourneur

421 Cf. Ibid. 422 Cf. Ibid., p. 109. 423 WEBER, O. Op. cit., p. 171. 424 Cf. VACHON, C. Joseph Kessel, reporter du XXe siècle. Librairie Pantoute [en ligne]. 2010. [cit. 2014-03-14]. Disponible sur : . 84 s’approprie du sujet en 1928.425 En 1935, c’est qui met sur l’écran la deuxième version du film portant le même nom comme le roman. L’auteur de scénario est Joseph Kessel. En 1954 est créé le film Fortune carrée. Bernard Borderie s’occupe de la réalisation, scénariste est de nouveau Joseph Kessel. Le roman Le Lion est adapté en 1962, produit par Twentieth Century Fox. Réalisateur Jacques Cardiff.426 En 1969 sort le film L’Armée des ombres dont le réalisateur devient Jean-Pierre Melville.427 Le réalisateur s’inspire en 1970 des Cavaliers. Les livres de Kessel représentant une matière intéressante pour le cinéma, « une douzaine de films sont adaptés de ses livres »428. La création de Kessel tant appréciée par les cinéastes, il se montre les qualités de Kessel écrivain et aussi à quel point l’auteur incarne l’idéal de l’affinité du reporter avec le romancier.

3.3 Du reportage au roman L’œuvre de Kessel une fois présentée, nous nous concentrerons sur son reportage Marché d’esclaves qui a fourni le sujet au roman d’aventures Fortune carrée. Nous présenterons d’abord la réalité vécue pendant la mission de Kessel ainsi que la valeur journalistique du reportage. Nous comparerons ensuite le reportage et son édition en volume. L’analyse du rapport entre l’enquête et le roman d’aventures fermera notre travail dont l’intention est de prouver, sur un exemple concret, la liaison entre la presse et la littérature dans la création de Kessel, reporter romancier.

3.3.1 Du vécu vers le reportage Dans les années vingt, Kessel qui s’est déjà fait connaître par ses enquêtes en Syrie et en Palestine pour Le Journal, jouit d’une position exceptionnelle dans la presse. Représentant un journaliste à succès, il est recherché par de nombreux journaux. L’un des quotidiens qui lui proposent la collaboration, c’est aussi Le Matin. En 1929, le tirage du journal se trouve en baisse. Pour l’augmenter, Maurice Bunau-Varilla, patron du quotidien, qui est impressionné par les reportages de Kessel, s’adresse au reporter. Ayant une confiance totale en lui, le chef du journal lui donne carte blanche pour le

425 Cf. HEURE, G. Op. cit., p. 53. 426 Cf. Ibid., p. 99. 427 Cf. Ibid., p. 116. 428 WEBER, O. Op. cit., p. 179. 85 sujet en ne demandant qu’« une enquête qui arrache le lecteur à la routine, aux soucis de chaque jour » 429 . Etant obligé de fournir une aventure étonnante susceptible de réveiller le lectorat, Kessel est donc chargé de trouver un thème qui fascinerait les lecteurs et améliorerait à la fois la situation financière du journal. Les premières idées mènent l’auteur tout de suite vers des « hommes noirs, taciturnes et résignés »430 qu’il a remarqués il y a trois ans en Arabie. Il a eu l’idée d’une enquête sur la survivance de la traite des esclaves déjà en 1926 au cours de son voyage au Moyen-Orient. Pendant son séjour en Syrie, la présence des esclaves lui est confirmée. « Quand on m’avait conté cela, j’avais rêvé de surprendre […] le négoce millénaire et terrible, et de dépister les derniers successeurs des négriers d’autrefois […]. »431 En se souvenant des récits sur « le commerce de la chaire humaine »432 qu’il a entendus pendant ses voyages et qu’il ne cesse pas d’entendre de la part de ses collègues reporters, le sujet de Kessel, sans doute d’une actualité durable, est clair.433 En août 1929, Kessel propose alors de suivre la piste des esclaves dont le trafic se fait du centre de l’Ethiopie aux côtes africaines de la mer Rouge d’où ils sont transportés sur des boutres arabes jusqu’au Yémen. 434 Le sujet est accepté sans objections et le reportage sur l’esclavage est donc « vendu » au Matin. Le chef du journal accorde à Kessel l’une des plus grandes avances sur frais de l’époque un million de francs.435 Cette somme incroyable ajoutée au fait qu’il s’agit d’un reportage illimité au niveau des dépenses, font de l’enquête à venir le grand reportage le plus coûteux de l’entre-deux-guerres. Avant de commencer l’aventure, une réflexion profonde sur le reportage et le voyage est nécessaire. Kessel choisit d’abord son équipe que forment ses amis : Pierre Lablache-Combier, lieutenant de vaisseau, un officier de marine en congé « dont le talent de marin permettrait de se sortir de quelque péril en mer Rouge »436, puis Emile Peyré, le médecin militaire qui est arabisant, et Gilbert Charles, chroniqueur, poète, « que Kessel veut tirer d’un mauvais pas »437. Avec ses compagnons de route l’auteur consacre beaucoup de temps à la préparation du périple. « Pendant plusieurs jours

429 KESSEL, J. Les jours de l’aventure. Reportages 1930-1936. Paris : Tallandier, 2010, p. 9. 430 Ibid. 431 Ibid., p. 10. 432 Ibid., p. 9. 433 Cf. MARTIN, M. Op. cit., p. 234. 434 Cf. COURRIERE, Y. Joseph Kessel ou Sur la piste du lion. Paris : Plon, 1985, p. 349. 435 Cf. HEURE, G. Op. cit., p. 64. 436 WEBER, O. Op. cit., p. 77. 437 Ibid. 86

Kessel, Lablache-Combier, le Dr. Peyré et Gilbert Charles étudient par le menu les étapes qu’ils devraient suivre, épluchent les documents fournis par la Société des Nations, et arrivent à la conclusion que sans clé, sans un homme qui connaîtrait à la fois le terrain et les tribus qui se livraient à l’esclavage, l’expédition courra à l’échec. »438 C’est Henry de Monfreid qui incarne cet homme de clé dont Kessel a besoin. En tant qu’aventurier et contrebandier en mer Rouge, Monfreid est réputé pour ses trafics d’armes et de drogues avec des marchands arabes et africains. Sa participation à l’expédition étant d’après Kessel indispensable pour le succès final du reportage, Monfreid accepte après leur rencontre à Paris la proposition du reporter. Engagé comme le cinquième membre de l’équipe, il y joue le rôle le plus important, celui du guide.439 La mission s’embarque à bord du paquebot André-Lebon à Marseille pour l’Extrême-Orient le 1er janvier 1930.440 Afin de découvrir, durant un périple de quatre mois, la réalité du commerce des esclaves, l’itinéraire est simple : rejoindre la Côte française de Somalie d’où il faut gagner Addis-Abeba avant d’arriver enfin au Yémen.441 En se lançant sur la piste des esclaves en Ethiopie, au Yémen et en Arabie Saoudite, dès le début de son expédition, malgré le sujet secret de la mission, Kessel doit faire face à divers obstacles. Ce sont surtout des autorités locales qui compliquent son enquête. Le gouverneur de Djibouti fait tout pour empêcher Kessel et ses compagnons de rejoindre l’Abyssinie. 442 En essayant de freiner leur enquête sur l’esclavage, il refuse de les autoriser à traverser le pays avec Monfreid sous prétexte que le dernier se consacre à la contrebande. La réalisation du reportage semble alors être bien difficile. En Somalie, les premiers pas de l’équipe se dirigent vers Addis-Abeba, la capitale de l’Abyssinie. « Les individus que Kessel croise dans les rues, les serviteurs, les palefreniers, les valets des seigneurs sont pour beaucoup des esclaves, rossés à coups de trique à la moindre incartade. »443 En observant les habitants de la ville, le reporter découvre donc que tous les valets, porteurs, chasse-mouches ou messagers qu’il a rencontrés, représentent en fait de vrais esclaves.444 En fournissant ces informations à

438 COURRIERE, Y. Op. cit., p. 351-352. 439 Cf. Ibid., p. 352. 440 Cf. KESSEL, J. Les jours de l’aventure. Reportages 1930-1936. Op. cit., p. 10. 441 Cf. HEURE, G. Op. cit., p. 65. 442 Cf. WEBER, O. Op. cit., p. 81. 443 Ibid. 444 Cf. COURRIERE, Y. Op. cit., p. 358. 87 la presse française, il révèle ainsi une réalité choquante qui montre qu’en Abyssinie, tout le monde est propriétaire des esclaves et qu’un homme ou une femme au visage négroïde ne peut être jamais libre parce que les autres ont le droit naturel de se l’approprier.445 Une semaine plus tard, Kessel et ses compagnons atteignent la propriété de Monfreid à Haraoué. Avant de trouver à Harrar Saïd, le marchand d’hommes, qui les mettra plus tard sur la voie du commerce des esclaves, ils demeurent chez Monfreid qui, dans l’effort de leur montrer la vie des hommes noirs, leur prépare une rencontre fascinante. Les esclaves réunis autour d’un bœuf égorgé qu’ils dévorent, puis dansant et chantant autour d’un feu de camp tout en célébrant la nourriture, fournissent au reporter un vrai spectacle qui devient finalement un moment fort marquant l’enquête.446 C’est alors « grâce à Monfreid que Kessel a la preuve qu’à un jour de marche de la linge de chemin de fer Djibouti-Addis-Abeba l’esclavage existe en Abyssinie dans sa forme intégrale, absolue »447. Au bout de quelques jours passés chez Monfreid, c’est Saïd, lui-même, qui contacte Kessel. Avec l’aide de Henry de Monfreid le reporter gagne petit à petit la confiance du marchand d’hommes. Le contrebandier et l’aventurier Monfreid prouve ainsi qu’il est vraiment indispensable pour le succès de l’enquête. Un jour, Saïd retrouve Kessel pour l’inviter à le suivre durant son dernier trafic d’esclaves. Kessel accepte sans hésiter et se rend alors à une piste hasardeuse. En considérant le reporter comme l’un de ses hommes, Saïd lui explique son métier et ses pratiques. Il a deux moyens de se procurer des esclaves. L’un consiste dans la vente classique. « Lorsqu’un village a besoin d’argent, Saïd prête au chef la somme requise et reçoit en échange des hommes. »448 L’autre est plus radical : Saïd fait chasser et enlever les hommes. Durant l’enquête, Kessel, lui-même, devient témoin d’un enlèvement d’une jeune fille que Saïd veut vendre. En accompagnant le chasseur Sélim, « il assiste à un rapt comme cette région du monde en connaît depuis des millénaires »449. Tourmenté par ce qu’il a vu, le reporter négocie avec Saïd le rachat de la fille qui est vendue pour trente livre avec la promesse de pouvoir revenir dans son village.450 C’est Sélim, son

445 Cf. WEBER, O. Op. cit., p. 83. 446 Cf. Ibid., p. 86. 447 COURRIERE, Y. Op. cit., p. 361. 448 WEBER, O. Op. cit., p. 84. 449 COURRIERE, Y. Op. cit., p. 364. 450 Cf. WEBER, O. Op. cit., p. 84. 88 ravisseur, qui l’accompagne. Puis Saïd amène Kessel dans un village aragouba qui représente une sorte d’entrepôt où le trafiquant rassemble ses esclaves avant de les livrer à leurs futurs maîtres. Ce village dont le système des maisons avec des caves permet de cacher les esclaves, se montre donc comme un lieu idéal où le trafiquant entasse sa marchandise précieuse.451 Au moment où Saïd décide de transporter les esclaves, une vraie aventure dangereuse s’ouvre à Kessel et à ses compagnons. Ayant deux possibilités pour suivre la caravane de Saïd, l’une à travers la mer, l’autre par une voie terrestre, c’est le second trajet, celui qui est plus ardu et mène à travers les monts, le désert et les montagnes, que le reporter choisit.452 Pour ne pas perdre le convoi et garantir le succès de l’enquête, les membres de l’équipe se séparent. Monfreid et le poète Charles se rendent à Djibouti pour rejoindre la mer tandis que Kessel, Lablache et Peyré restent sur le terrain et suivent la piste des esclaves selon l’itinéraire de Saïd. Les derniers étant obligés de traverser les déserts issas et danakils, le territoire de deux ethnies qui sont en guerre et qui se massacrent, sont exposés donc à un grand danger.453 Durant leur voyage, c’est aussi l’un des guides danakils, Gouri, guerrier, tueur d’hommes, qui, refusant de respecter la discipline de Kessel, représente pour l’équipe une grande menace en prétendant de tuer trois hommes de la caravane. En le surveillant sans cesse, la mission devient plus compliquée, la marche plus dure et il semble presque impossible d’arriver à temps sur le lieu de rendez-vous avec Monfreid. Mais Kessel et ses hommes réussissent cette épreuve difficile et retrouvent finalement la caravane des esclaves menée par Saïd. Au fur et à mesure que Kessel réalise son reportage, il subit une transformation évidente. « L’écrivain malgré les fatigues et les privations du périple, veut aller jusqu’au bout de ce fantastique reportage comme il n’en connaîtra sans doute plus de sa vie. »454 Devenu un caravanier, le journaliste confronté au danger n’a plus peur. « Il prend goût aux marches de nuit, à la lumière de la lune, aux feux de camp, aux bivouacs à la belle étoile. Dans l’infinie solitude du désert, Kessel semble retrouver ses racines. Plus que jamais, il ressent le besoin de décrire le monde, beau et barbare à la fois, discipliné et sauvage. »455 Après avoir découvert la réalité abyssine, toute l’équipe suit les esclaves jusqu’en Arabie, le lieu de leur vente. Après l’Abyssinie, Addis-Abeba,

451 Cf. COURRIERE, Y. Op. cit., p. 362. 452 Cf. WEBER, O. Op. cit., p. 83. 453 Cf. COURRIERE, Y. Op. cit., p. 365. 454 WEBER, O. Op. cit., p. 87. 455 Ibid., p. 85. 89

Obock, les déserts danakils, c’est alors la mer Rouge, le Yémen et ses côtes qui attirent l’attention de l’équipe. « Des milliers d’esclaves sillonnent encore les sentiers de la honte. Kessel sent qu’il tient là une enquête hors norme, et peut-être l’aventure de sa vie. »456 Pour pouvoir présenter aux lecteurs la suite du destin des esclaves de Saïd, le reporter et ses compagnons décident de traverser la mer Rouge avant d’arriver en Arabie. Kessel, « tenant le plus extraordinaire reportage de sa vie, entend le mener à son terme et connaître le sort qui attend le bétail humain sur les rives asiatiques de la mer Rouge »457. En quittant la caravane de Saïd, en se séparant de Monfreid qui a d’autres affaires au Yémen, Kessel et ses amis voyagent entre l’Afrique et l’Arabie à bord du Mousterieh, boutre de Monfreid. Sur la mer, c’est une tempête furieuse qui complète leur aventure dangereuse tout en menaçant toute l’équipe en vie. Le bateau plongé dans les flots, fouetté par un vent violent, résiste à peine à la mer enragée. « Kessel ressent lui-même une peur morbide et la fin approcher. »458 Mais c’est le lieutenant de vaisseau Lablache-Combier qui garde le sang-froid et s’empare du gouvernail pour donner des ordres aux marins. En hissant une voile unique, la « fortune carrée », qui représente la voile de la dernière chance, Lablache-Combier pare la catastrophe imminente. A part lui, c’est alors aussi cette petite toile qui sauve leur vie. Fortune carrée, « un nom inoubliable que Kessel, accroché à la barre auprès de son ami, grave à jamais dans sa mémoire »459. En se cachant devant la tempête dans une baie, c’est ici qu’ils retrouvent le boutre des esclaves de Saïd. Kessel reconnaît les hommes et les femmes qu’il a rencontrés dans le village, sous la terre. Il leur donne de la nourriture et le docteur Peyré s’occupe de leur état de santé. Arrivés au seuil du Yémen, Kessel et ses hommes sont obligés d’attendre l’autorisation à entrer dans le pays, à rejoindre Sanaa, la capitale. Dans l’entre-temps, ils découvrent donc par exemple la présence des pirates zaranigs sur la côte. Au bout de quelques jours, toute l’équipe est chaleureusement accueillie par le fils de l’imam, le prince yéménite. Kessel et ses hommes visitent la capitale. « Sanaa est une capitale magique, une de ces villes que Kessel ne croyait découvrir que dans son imagination, nourrie par les récits d’enfance. »460

456 Ibid., p. 79. 457 COURRIERE, Y. Op. cit., p. 367. 458 WEBER, O. Op. cit., p. 87. 459 COURRIERE, Y. Op. cit., p. 368. 460 WEBER, O. Op. cit., p. 93. 90

En séjournant à Sanaa, Kessel espère retrouver la piste des esclaves. Mais suite à la disparition de la caravane de Saïd, il perd à jamais le chemin des hommes noirs. Une fois appris qu’il n’y avait plus d’esclaves au Yémen, il ne cache pas sa déception. C’est Cadi Rahib qui lui révèle finalement le secret de toute l’affaire : quoiqu’il soit invisible, l’esclavage est omniprésent au Yémen. 461 Malgré l’absence évidente du marché d’hommes, enchanté par la beauté du pays et par ses habitants, le journaliste désire donc rester à Sanaa où il est fasciné non seulement par le personnage de Cadi Rahib déjà mentionné, mais aussi par d’autres représentants de l’Etat. Le cavalier russe Hakimoff, chef de la mission commerciale soviétique à Sanaa, est l’un des personnages les plus marquants. 462 En se liant très vite d’amitié, le reporter qui discute avec Hakimoff pendant des heures, prend de nombreuses notes sur lui et révèle dans le missionnaire un goût profond pour l’aventure. « Hakimoff deviendra même l’un des personnages principaux du roman que Kessel entreprend d’écrire à son retour à Paris. »463 Le reporter est émerveillé aussi par le cheval du cavalier, un magnifique pur-sang arabe que Hakimoff appelle Chaïtane. « C’est à Sanaa, à la mission russe ou lors de longues chevauchées sur les hauts plateaux volcaniques […] que s’organisent les grandes lignes d’un roman comme on n’en faisait plus depuis Kipling. »464 Le Yémen éveille donc en Kessel reporter l’esprit de son deuxième métier, celui de l’écrivain. « Ce pays farouche, ces tribus rebelles, ces Yéménites […] subjuguent l’écrivain, qui rêve d’un roman ambitieux, d’aventures et de morale, mêlant tous les personnages rencontrés sur la piste des esclaves, et jusqu’à Monfreid, autre pirate qui pourrait bien finir comme les Zaranig décapités d’Hodeïda. »465 Pour vivre encore d’autres aventures pendant son expédition en Arabie, Kessel accepte de découvrir Mareb, l’antique cité de la reine se Saba, une ville mythique cachée dans le désert. De par une pure admiration pour la légende que les indigènes racontent sur Mareb, il a même l’intention de visiter ce lieu gardé par des tribus bédouins tuant ceux qui tentent d’y pénétrer. Mais faute de temps, il n’emporte de ce lieu où sont rassemblés prétendument tous les trésors de la reine légendaire qu’une statue que quelqu’un a volée.

461 Cf. Ibid., p. 95. 462 Cf. COURRIERE, Y. Op. cit., p. 372. 463 WEBER, O. Op. cit., p. 96. 464 COURRIERE, Y. Op. cit., p. 373. 465 WEBER, O. Op. cit., p. 95. 91

Après avoir quitté le Yémen, Kessel et ses compagnons se rendent à Hedjaz qui représente la dernière étape de ce voyage fabuleux. Se dirigeant vers les lieux où se trouvent des esclaves, c’est pour la dernière fois pendant cette mission que l’équipe aperçoit les esclaves. Déguisés en pèlerins qui voyagent à La Mecque, les hommes noirs restent l’objet du trafic. L’esclavage pratiqué au XXe siècle une fois découvert et prouvé, « c’est à bord du Pierre-Loti, qui, en cinq jours, rallie Marseille, que Joseph Kessel entreprend la rédaction du reportage tant espéré par Le Matin »466. Une semaine avant la publication du premier article, le journal consacre l’espace et les moyens à la publicité. Pour attirer le lectorat, le reportage sur le marché d’esclaves est rappelé chaque jour à la une, l’annonce étant accompagnée de photographies de Kessel et de ses compagnons.467 « Des milliers d’affiches portant le nom de Joseph Kessel couvrent aussi les murs de la capitale. »468 Se rendant compte de l’effet de la publicité, Le Matin vend les articles sous le titre « le prodigieux reportage de J. Kessel », dont le premier est suivi à la huitième page du journal d’une quinzaine de photos.469 Le portrait du grand reporter apparaît tout naturellement à la une avec d’autres photos du voyage ou de la caravane d’esclaves. Le premier épisode sort le 26 mai 1930 « à la une sur trois colonnes gauche, au royal emplacement jadis réservé à l’éditorial. Il occupe presque la moitié de la page […]. » 470 Il fait exploser les ventes du quotidien et contribue à la notoriété de Kessel. « D’un jour à l’autre, le nom de l’écrivain est connu même de ceux qui n’avaient jamais lu un de ses ouvrages et dans l’esprit du plus large public Kessel devient synonyme de grand reporter. »471 Le reportage, intitulé « Enquête de Joseph Kessel au pays proches où persiste encore la "traite" », est publié quotidiennement en vingt articles entre mai et juin 1930. Il connaît rapidement un énorme succès. « Il occupe chaque jour pendant près d’un mois trois colonnes en une, avec une ou deux photographies prises par Kessel. »472 « L’importance accordée à l’enquête, tant dans l’espace du journal, que par la fréquence […] de la parution, et la durée de la série, reste assez exceptionnelle mais reflète néanmoins le privilège dont bénéficient les grandes enquêtes confiées à des

466 COURRIERE, Y. Op. cit., p. 375-376. 467 Cf. MARTIN, M. Op. cit., p. 235. 468 COURRIERE, Y. Op. cit., p. 376. 469 Cf. HEURE, G. Op. cit., p. 15. 470 BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 185. 471 COURRIERE, Y. Op. cit., p. 376. 472 MARTIN, M. Op. cit., p. 237. 92

écrivains. »473 Le Matin à la suite de la publication du reportage augmente son tirage de 150 000 exemplaires474 et Kessel, le grand reporter, aide ainsi à relancer le journal qui se trouvait avant sa collaboration en mauvaise posture.475 « […] L’épice le plus fort que sert Kessel à ses lecteurs, c’est la révélation de l’immense écart qui sépare deux humanités, c’est la peinture qu’il fait des esclaves, dans une écriture travaillée, qui transfigure le réel. »476 Le reportage fournissant un sujet choquant qui prend ses sources dans la vie réelle, fascine le lecteur. « Soit narratives, soit descriptives, les légendes soulignent la dimension aventureuse de l’enquête […]. »477 Il est donc tout à fait concevable que, après avoir lu dans Le Matin le dernier épisode du 14 juin 1930, le public souhaite une suite du grand reportage sur le marché d’esclaves. A la demande du lectorat qui réclame justement cette aventure exotique pour oublier la crise économique américaine semblant menacer la France, Kessel publie le reportage « Les secrets de l’Arabie ». Il paraît, selon la même formule de publication, en neuf articles du 23 juin au 5 juillet dans Le Matin.478 Les épisodes rencontrent de nouveau un grand succès. « La matière de cet exceptionnel reportage est si riche que, sans "doublonner" le moins du monde, Kessel peut donner à son cher Horace de Carbuccia "Sous le ciel abyssin" à paraître dans Gringoire à partir du 29 août. »479 C’est par cet ensemble que Kessel ferme sa série des articles qui ont pour le sujet le commerce des hommes noirs. Le reportage fait date dans l’histoire du journalisme. Il devient en fait une source importante qui présente la problématique de l’esclavage et de la question raciale. Kessel y dévoile comment les esclaves sont perçus, souligne leur impuissance tout en étant en possession de leurs maîtres. N’ayant pas de droits, les esclaves ne peuvent pas se marier, ni fonder des familles. En s’occupant des femmes esclaves enceintes, le reporter révèle qu’il est inenvisageable qu’elles gardent leurs enfants nouveau-nés : tout de suite après leur naissance, n’appartenant pas à leurs mères noires, les petits sont vendus. S’inspirant des histoires racontées par les esclaves, il se penche dans ses épisodes aussi sur les punitions concrètes que leurs maîtres leur infligent. 480 Le reporter montre ainsi la

473 BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 186. 474 Cf. HEURE, G. Op. cit., p. 15. 475 Cf. MARTIN, M. Op. cit., p. 189. 476 Ibid., p. 238. 477 BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 186. 478 Cf. Ibid., p. 191. 479 COURRIERE, Y. Op. cit., p. 378. 480 Cf. KESSEL, J. Marché d’esclaves. « Dans la cour voisine ». Le Matin, 1er juin 1930. 93 situation désespérée de ces hommes considérés par la société locale comme un peuple résigné, peuple de la servitude.481 C’est surtout l’Abyssinie qui est décrite dans l’enquête comme le centre d’exportation des esclaves vers l’Asie.482 Puisque la race prédestine les hommes noirs à être esclaves,483 leur liberté est opprimée tout de suite quand ils donnent l’impression d’être libres. En autorisant n’importe qui à s’approprier d’eux, « chacun sait, en Ethiopie, que les hommes et les femmes au visage négroïde ne peuvent pas être libres »484. Bien que l’esclavage soit défendu officiellement par les autorités des pays, c’est cette pensée d’une position subordonnée ainsi que l’histoire du pays, les traditions et la religion qui permettent la survivance de ce phénomène. Le trafic étant interdit, son principe reste alors autorisé par le Coran.485 En dénonçant l’esclavage, ses pratiques et la traite qui survivent en Afrique, Kessel suscite des protestations des Ethiopiens.486 Pourtant, il ne se laisse pas décourager de sa lutte tout en accusant non seulement les pays concrets où l’esclavage persiste, mais aussi l’Europe qui semble ne pas savoir et/ou vouloir prendre des mesures convenables pour arrêter à jamais ces pratiques inhumaines.

3.3.2 Du reportage au récit Le reportage sous forme d’un témoignage frappant une fois résumé, il est évident qu’il dispose des valeurs journalistique et humaine. Et Kessel se rend très bien compte de l’originalité de son enquête. « Ses voyages en mer Rouge, en compagnie du pirate Henry de Monfreid ou sur les pistes des marchands d’esclave au Yémen, sont des expériences fortes de l’aventure, de la rencontre humaine. »487 L’auteur profite donc du vécu décrit dans le reportage pour l’immortaliser sous forme d’un récit « qu’il commence à rédiger dans les premiers jours de mai, à partir des notes prises au cours de l’expédition »488. L’élaboration du livre correspond à la publication du reportage dans le journal. Mais finalement ce n’est qu’en 1933 aux Editions de France que l’enquête est reprise en

481 Cf. KESSEL, J. Marché d’esclaves. « Le peuple de servitude ». Le Matin, 29 mai 1930. 482 Cf. KESSEL, J. Marché d’esclaves. « Premiers indices – premier accident ». Le Matin, 28 mai 1930. 483 Cf. KESSEL, J. Marché d’esclaves. « Dans la cour voisine ». Op. cit. 484 Ibid. 485 Cf. COURRIERE, Y. Op. cit., p. 375. 486 Cf. Ibid., p. 378. 487 NESSI, J. Op. cit. 488 BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 184. 94 volume. « Contrairement à la pratique la plus courante, Kessel garde en réserve le manuscrit du livre, qui ne sera publié qu’en 1933 sous le titre Marchés d’esclaves […]. »489 Faisant preuve d’une prévoyance et d’une patience tout à fait inhabituelles, il attend jusqu’à ce que le public ait oublié les articles du Matin et de Gringoire pour présenter encore une fois le sujet de l’esclavage. En travaillant sur le livre, Kessel commence par sélectionner les articles qui seront ensuite réordonnés. Il s’agit d’un récit de voyage qui reprend dans son ensemble le reportage paru dans Le Matin ainsi que d’autres articles sur le Yémen et la capitale de la reine de Saba publiés fin juin 1930 dans le même journal sous le titre « Les secrets de l’Arabie ». 490 Cette partie est « réinsérée dans "Marchés d’esclaves" à sa place naturelle dans la diégèse du voyage, entre le quinzième et le seizième article »491. La suite journalistique intitulée « Sous le ciel abyssin » parue dans Gringoire est écartée et ne fait pas partie de l’édition en volume. La structure du récit une fois préparée, l’auteur se met à l’écriture. Le livre est un plaidoyer pour la fin du commerce des hommes. Kessel en tant que redresseur de tort et chantre du peuple de la servitude condamne l’esclavage.492 En se consacrant vivement à la problématique de race qui est implantée dans la tradition géographique de certains pays, « Marchés d’esclaves se lit à la fois comme un précieux documentaire sur les modalités de la traite et comme un récit de voyage fort palpitant »493. Il comprend vingt-deux chapitres. En comparant le livre avec le reportage, bien que le contenu, les phrases et leur sens soient les mêmes, un lecteur attentif observe pourtant entre ces deux formes de petites différences. En rédigeant le récit, Kessel change de temps en temps de mots et omet surtout quelques expressions qui, présentes dans le journal, ne peuvent pas apparaître dans le livre. Concrètement c’est par exemple dans le reportage 8 où Kessel, à des fins livresques, supprime un supplément du journal où il mentionne qu’un bon journaliste doit défendre ses sources. Persuadé de l’importance de ne jamais les dévoiler ou même trahir ce qui est « la règle absolue du journaliste »494, Kessel renonce à cette idée dans le livre. Puis c’est aussi le mot « demain » écrit dans le reportage 11 renvoyant à

489 Ibid., p. 193. 490 Cf. Joseph KESSEL de par le monde. Terres d’écrivains [en ligne]. 2008. [cit. 2014-04-04]. Disponible sur : . 491 BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 194. 492 Cf. WEBER, O. Op. cit., p. 98. 493 TASSEL, A. Op. cit., p. 397. 494 KESSEL, J. Marché d’esclaves. « Saïd, le trafiquant ». Le Matin, le 2 juin 1930. 95 l’épisode prochain et inutilisable dans le volume, qui est remplacé par l’expression « plus loin » pour montrer la suite.495 Dans le reportage 12, la locution « j’ai dit hier » est de la même manière modifiée en « j’ai dit plus haut ».496 A part ces « petits mots », c’est aussi le travail sur la fluidité du texte qui fait l’objet de réflexions de Kessel. Dans la presse, les articles occupent plusieurs colonnes dont la première partie se trouve à la une et la deuxième à une autre page. Un épisode du journal correspond dans la plupart des cas à un sujet d’expédition qui finit par une nouvelle image ou par la mention d’une nouvelle scène. En créant ainsi un certain suspense pour le lecteur qui doit tourner la page dans le journal ou attendre demain pour lire la suite, Kessel est obligé de procéder d’une autre manière en écrivant le récit. En comparaison du reportage, c’est alors un découpage différent que Kessel choisit pour l’édition en volume. Dans le livre, n’ayant que très peu de possibilités pour continuer l’histoire, comme par exemple aller à la ligne ou commencer un nouveau chapitre, il n’hésite donc pas à découper le reportage pour motiver le lecteur. Kessel opère avec des épisodes parus dans le journal en les unissant ou divisant. Se rendant compte que la motivation à lire est différente pour le lecteur de la presse qui aura la suite demain et celui du livre qui, en observant l’ensemble, peut choisir quel motif l’intéresse, c’est alors probablement par cette technique que Kessel envisage de s’assurer la faveur du lecteur du récit. La réorganisation textuelle se montre sur l’exemple de l’épisode du bœuf égorgé qui, paru en deux livraisons dans le journal, ne fait qu’un seul chapitre dans le récit. Le cinquième reportage du journal publié sous le titre « Autour du bœuf égorgé » est donc réuni avec le sixième épisode intitulé « Sous le figuier sauvage ». En donnant naissance à un ensemble, le chapitre porte le nom du second article, « Sous le figuier sauvage ».497 C’est aussi le reportage 12, « Vers l’aventure », paru dans Le Matin le 6 juin 1930, qui se lie au reportage 13 « Gouri le tueur ». Les deux représentent un passage particulièrement dangereux de l’enquête. C’est pourquoi Kessel crée un seul chapitre qu’il intitule tout simplement « L’Aventure ». 498 Le troisième reportage du journal fournit par contre le sujet pour deux chapitres du récit. « Premiers indices premier

495 Cf. KESSEL, J. Marchés d’esclaves suivi de L’Irlande révolutionnaire. Paris : Union générale d’éditions, 1984, p. 94. 496 Cf. Ibid., p. 98. 497 Cf. Ibid., p. 61. 498 Cf. Ibid., p. 97. 96 accident » publié dans Le Matin est divisé en chapitre III intitulé « Premiers indices »499 et chapitre IV « Le peuple de servitude ».500 Après la réorganisation du texte du reportage, les titres des chapitres subissent également quelques modifications. Dans le cas du troisième reportage déjà mentionné qui paraît dans le journal sous le titre « Premiers indices – premier accident », le texte porte dans le récit un titre plus court : « Premiers indices ».501 Aussi le reportage « Vers l’aventure » devient après la réorganisation, propre au chapitre XI, « L’aventure ».502 Kessel modifie également le titre de presse du reportage 15, « Le "Mousterieh" dans la tempête », en le réduisant dans le chapitre XIII à « Dans la tempête ».503 Le changement le plus radical concerne l’épisode 17. Son titre « Au Yémen où l’esclavage n’est pas défendu il n’y a pourtant nul esclave » est remplacé dans le chapitre XX par « Fausse piste ».504 A part la suppression et le remplacement de quelques mots et de petites modifications de l’organisation des épisodes, Kessel n’a pas recours à d’autres adaptations. Les différences entre le reportage et le récit une fois présentées, il se montre qu’il s’agit plutôt d’une recomposition, d’un montage que d’une réécriture.505 En modifiant le texte du livre, Kessel ne suit qu’un but : couper le récit du contexte journalistique. Sa tendance à détacher le récit de son trait journalistique fait ensuite de Marchés d’esclaves une sorte d’hybride. « Il se réintègre à l’œuvre kesselienne où il occupe dès lors une place ambiguë, entre l’écrit journalistique qu’il n’est plus tout à fait et le roman qu’il n’est pas encore. »506

3.3.3 Du reportage au roman L’expérience pendant le reportage sur l’esclavage est trop forte pour que Kessel se contente d’un simple récit. En proposant une vaste gamme des sujets et des motifs, l’enquête sur le marché d’esclaves inspire aussi Kessel romancier. Après le reportage et le récit qui malgré les modifications reste du point de vue thématique très proche du premier, c’est alors le roman qui, basé de nouveau sur le vécu du reporter, stimule le

499 Cf. Ibid., p. 47. 500 Cf. Ibid., p. 52. 501 Cf. Ibid., p. 47. 502 Cf. Ibid., p. 97. 503 Cf. Ibid., p. 114. 504 Cf. Ibid., p. 156. 505 Cf. BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 194. 506 Ibid., p. 196. 97 talent et l’universalité de l’auteur. L’œuvre représente un roman d’aventures que Kessel intitule Fortune carrée. Le titre renvoie à la voile de la dernière chance qui a sauvé la vie pendant l’enquête à Kessel et à son équipe. Il est donc une preuve incontestable que les racines de l’ouvrage consistent dans l’aventure de Kessel reporter. Les voyages en mer Rouge en compagnie du pirate Henry de Monfreid et sur les pistes des marchands d’esclaves étant des moments inoubliables d’aventures et de rencontres avec de fabuleux personnages, ils influencent Kessel à tel point qu’ils l’incitent à la création de ce roman. Fortune carrée s’inspire donc de la vie et de l’enquête réelle du grand reporter. L’histoire se déroule au Yémen, en mer Rouge, en Ethiopie, en Somalie et en Abyssinie. Copiant certains motifs et lieux de l’enquête, l’œuvre est alors désignée parfois comme une version romanesque du reportage Marché d’esclaves. L’auteur entreprend sa rédaction en 1931. L’ouvrage paraît un an plus tard aux Editions de France.507 Se rangeant parmi les plus grands romans d’aventures de Kessel, « l’idée lui est venue sur le plateau volcanique de Sanaa en voyant "le Moscovite" caracoler sur l’étalon de l’imam du Yémen »508. Une fois rentré de la mission, c’est le 8 novembre 1930 que le reporter écrivain se met à la création de l’ouvrage. « C’est dans la joie qu’il commence à écrire Fortune carrée. C’est dans la fureur qu’il l’achève. » 509 « Il le terminera, épuisé, en travaillant parfois cinquante heures d’affilée. »510 Consacrant au roman chaque jour beaucoup de temps et faisant le sacrifice de tout ce qui fait plaisir à Kessel, il finit par renoncer à la vie habituelle.

Abordant la fin de son récit, il lui devient même impossible de se nourrir, de dormir. Il ne peut plus s’arrêter. Soutenu par le café […] et par d’innombrables cigarettes, il termine Fortune carrée dans un rush final […] qui le laissera épuisé et pantelant. Jamais, lui semble-t-il, il n’a mis autant de lui-même que dans cet hymne à l’amitié, à la virilité, au danger fraternellement partagé.511

Une telle ardeur et l’enthousiasme prouvent sans doute de quelle importance est le roman pour son auteur. Quant au contenu, Kessel fait dans le roman l’espace à son expérience et à ses souvenirs de journaliste. Il y rend hommage à la grandeur et à la sauvagerie des terres exotiques tout en célébrant l’aventure et l’amitié, le plus beau des sentiments d’après

507 Cf. Ibid., p. 194. 508 COURRIERE, Y. Op. cit., p. 387. 509 Ibid. 510 HEURE, G. Op. cit., p. 66. 511 COURRIERE, Y. Op. cit., p. 389. 98 l’écrivain. « Du Yémen à l’Abyssinie, des hauts plateaux de Sanaa aux îles de la mer Rouge, Kessel jette toute sa fougue, toute sa sensibilité dans la description des décors. »512 L’effort de faire découvrir au lecteur chaque coin de l’Afrique et de l’Asie est finalement pourtant emporté par le goût de l’auteur pour l’aventure et la fraternité. « Les héros sont des baroudeurs du Proche-Orient, des aventuriers de la vente d’armes et du trafic en tout genre. »513 Les thèmes majeurs de l’œuvre pivotent donc sur le sens de l’aventure ainsi que sur l’amour d’autrui et l’amitié fraternelle. Fortune carrée se caractérise par plusieurs lignes d’action. Dans des cadres exotiques, le roman met en scène des personnages particuliers. En révélant leurs grandeurs et leurs faiblesses, ce sont des héros qui, montrant leur soif d’aventure, n’ont pas peur de la mort. Toute l’histoire repose sur les destins de trois personnages marquants. L’une des premières figures, c’est Igricheff, un missionnaire russe. Se trouvant au Yémen au service du régime communiste, il incarne le type de l’homme dont l’existence est inséparable du danger et de l’aventure. Après lui, c’est le contrebandier français Daniel Mordhom qui représente un personnage non moins important. Vivant en Ethiopie où il possède une plantation ainsi que son propre bateau, il est sans cesse en quête de l’aventure pour devenir riche. Philippe Lozère, un jeune homme plein d’espoir, complète le trèfle de bourlingueurs en rêvant de vivre un jour une vraie aventure. Le livre se compose de trois parties qui s’organisent autour des trois personnages. Chacune se divise en plusieurs épisodes. Le premier chapitre de l’œuvre est intitulé Chaïtane. Il se déroule au Yémen et présente la vie, le personnage et l’histoire d’Igricheff qui est alors la figure principale de cette partie. D’origine russe, Igricheff séjourne dans le pays en y opérant en tant que chef de la mission soviétique afin de réprimer la révolte locale. Il est accompagné de Hussein qui lui sert de garde, de serviteur et qui, en le protégeant, devient son compagnon fidèle. Jouissant de l’estime du peuple, Igricheff est très content de sa vie au Yémen. Au moment où il se prépare pour découvrir Mareb, il est rappelé par le régime soviétique à Moscou. La mission est terminée et Igricheff doit rentrer en Russie. Mais tenté par l’aventure et passionné par les récits d’aventures et de combats qu’Hussein lui raconte, il rompt avec l’armée

512 WEBER, O. Op. cit., p. 99. 513 Fortune carrée. Routard.com [en ligne]. 2002. [cit. 2014-04-04]. Disponible sur : . 99 soviétique et fuit Sanaa tout en étant poursuivi par les guerriers de l’imam pour avoir pris l’argent destiné à la mission. Suite à la décision de rester au Yémen, Igricheff se met en route au-devant de l’aventure et du danger. Avec Hussein, ils éprouvent chaque jour un moment fort qui encourage leur esprit de bourlingueurs. Ils découvrent des villes, traversent des territoires de guerre, font face aux attaques. Ils se battent aussi aux côtés des guerriers zaranigs contre les Yéménites. Pendant l’une des batailles, ils sont même capturés par le chef yéménite. Igricheff en tant que captif est obligé de lutter contre un guépard. Son combat de vie une fois gagné, les deux prisonniers sont finalement délivrés et libérés par une fille bédouine qu’Igricheff avait achetée pour Hussein. Tous les trois s’enfuient ensuite vers la mer Rouge. Mais le port est déjà occupé par les combattants yéménites. Exposés à un nouveau combat, ils sont sauvés au dernier moment en embarquant à bord d’un boutre où deux Français transportent clandestinement une cargaison d’armes. La deuxième partie s’appelle Le fils du vent et se déroule en mer Rouge. Elle décrit en majorité la vie à bord du boutre. Le héros principal de ce chapitre est représenté par le capitaine Daniel Mordhom qui voyage à travers le monde en compagnie de Philippe Lozère. Ces deux aventuriers français font connaissance d’Igricheff, d’Hussein et de Yasmina, la fille bédouine. Mordhom présente en revanche son équipage, ses marins noirs fidèles. Tous passent le temps à se raconter des histoires et leurs destins. Durant le trajet, ils rencontrent de nouveau diverses difficultés. Ils deviennent par exemple captifs d’Omar qui cherche Hussein et Igricheff pour avoir trahi le Yémen. Une fois sortis de l’ornière, ils font face à une autre réalité dangereuse sous forme d’une tempête qui les surprend sur la mer. Ils se battent contre le vent et la mer enragée. C’est grâce à la fortune carrée hissée à temps qu’ils survivent. Puis, se cachant devant la tempête à une île déserte, ils sont volés par des pirates. N’ayant plus de provisions ni gouvernail, ils doivent s’affronter contre les adversaires. Igricheff qui, selon la tactique des pirates, reconnaît des guerriers zaranigs, profite finalement de cette connaissance et négocie la paix pour que lui, Philippe, Mordhom et ses hommes puissent quitter l’île. Dans la troisième partie, l’équipage arrive en Afrique. Le chapitre intitulé La grande piste se déroule en Ethiopie et en Somalie. Ce récit héroïque a pour le personnage principal Philippe. Avec Igricheff, ils visitent la région de Mordhom dont ils

100 admirent la beauté, les paysages, les vallées merveilleuses. Après un repos de quelques jours, ils décident d’aller au-devant d’une autre aventure qui devrait leur apporter une grande richesse. Mais cette nouvelle expédition, très exigeante et très dangereuse, n’exclue pas un échec éventuel. Selon l’itinéraire, Mordhom et Philippe doivent se séparer : Mordhom pour gagner la mer, Philippe pour continuer sur la terre avec une caravane dont il devient le chef. Pendant l’expédition, c’est surtout Philippe et ses hommes qui heurtent de nouveau à plusieurs obstacles. Le passage par un territoire incertain agité par des guerres de tribus, la méfiance envers des guides étrangers qui représentent un grand danger pour la troupe, le terrain dur, des fois impénétrable, ne sont qu’un petit fragment de toutes les complications auxquelles ils sont exposés. En luttant contre le temps inexorable, le retard permanent, Philippe, abandonné par Igricheff, réussit finalement quand même à la mission. En retrouvant son ami Mordhom, ces deux aventuriers terminent ensemble l’expédition tout en devenant riches. Philippe, content de sa transformation et d’avoir prouvé en lui le sens de l’aventure, n’échappe pas pourtant à une fin tragique. Après qu’il est égorgé par Gouré, le guerrier danakil, cette infortune frappe Mordhom à tel point qu’il est résolu à regagner la France, son pays natal. Mais habitué déjà au caractère des pays africains et asiatiques, il reste finalement avec son équipage tout en continuant à sillonner la mer Rouge. L’histoire de l’œuvre une fois résumée, il se montre qu’elle est basée sur une pure aventure. Parmi ses symboles les plus marquants figurent le mouvement incessant, le danger et le hasard. Chaque personnage se laisse diriger par l’un ou plusieurs de ces motifs. Quant au mouvement, c’est Igricheff qui repart sans cesse. Du Yémen à travers la mer Rouge, il accompagne Mordhom et Philippe. A la fin, il quitte Philippe pour explorer de nouveaux lieux qui lui proposent une nouvelle aventure. En ce qui concerne le danger, Philippe en est un solide représentant. Faisant front au tueur danakil, il prouve un courage extraordinaire. Puis, c’est de nouveau Igricheff qui incarne l’homme n’ayant peur de rien. En échappant aux balles, se battant contre des guerriers ainsi qu’un guépard, il réussit à toutes les épreuves dangereuses. Le hasard devient un lien entre tous les trois héros. Errant parfois sans poser des questions sur l’itinéraire, ils poursuivent l’un l’autre en se laissant guider par le destin.514 Fondant l’histoire sur des motifs aventureux de base qui apparaissent dans le reportage sur le marché d’esclaves, il

514 Cf. BERTHE, J.-R. Op. cit., p. 39-52. 101 est incontestable que Fortune carrée représente « un roman d’aventure épique et vrai »515.

3.3.4 Du réel vers l’imaginaire Quoique l’histoire du roman, en elle-même, fait référence au reportage Marché d’esclaves, nous analyserons de plus près des liens entre la réalité et l’imaginaire dans le sous-chapitre présent. En nous concentrant sur les éléments réels que le roman emprunte à l’enquête, nous présenterons d’abord les personnages concrets du roman dont les portraits correspondent aux figures marquantes rencontrées lors du reportage. Nous comparerons ensuite certains motifs du roman avec l’histoire de l’enquête en nous penchant sur des scènes de clé que Kessel reporter reprend dans son œuvre romanesque. Nous montrerons ainsi à quel point le roman ressemble à l’expédition réelle. Comme nous l’avons déjà mentionné, c’est le titre du roman qui évoque un moment fort de l’enquête sur l’esclavage. « Le titre "Fortune carrée" fait référence à la voile d’un bateau utilisée lors des tempêtes. Un peu la voile du hasard, du destin, de la chance… donnée importante dans toute aventure… »516 Partant de cette réalité, il est évident que Kessel a dès le début l’intention de créer son œuvre en la basant sur le vécu dont l’épice principale représentera le suspense. Résolu à remplir l’ouvrage par les motifs du danger et de l’héroïsme, il doit choisir aussi des figures convenables, capables d’exprimer leur esprit d’aventure. « Quant aux personnages, principaux ou secondaires, inutile d’inventer, il les avait tous rencontrés. » 517 C’est ainsi que « […] le contrebandier Mordhom se calque sur le modèle d’Henry de Monfreid et plusieurs des personnages rencontrés au cours du voyage réapparaissent, à peine transposés dans le roman »518. Influencé à jamais par les hommes dont il a fait connaissance pendant sa mission, ce sont alors les amis et les idoles de Kessel qui font vivre les pages du roman. Pour le décor, l’auteur s’inspire des pays qu’il a visités lors de l’enquête. Il réutilise les séquences descriptives les plus pittoresques. « Les représentations des paysages yéménites, éthiopiens et somaliens empruntées à Marchés d’esclaves sont sensiblement étoffés dans Fortune carrée. »519 Enchanté par la beauté sauvage des sites

515 Fortune carrée. Routard.com [en ligne]. Op. cit. 516 Fortune carrée. Ptitesouris [en ligne]. 2010. [cit. 2014-04-05]. Disponible sur : . 517 COURRIERE, Y. Op. cit., p. 387. 518 BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 196. 519 TASSEL, A. Op. cit., p. 394. 102 africains et asiatiques, Kessel continue à être leur admirateur dans le roman. « Tandis que Joseph Kessel et son équipe se déplacent en Ethiopie, puis à Djibouti et au Yémen, c’est le parcours inverse qui est romancé dans Fortune carrée […]. »520 Bien que Kessel romancier modifie l’itinéraire du voyage qui s’ouvre dans le livre au Yémen où le périple du journaliste s’est achevé, il garde pourtant la description de ces lieux tout en les dépeignant comme le paradis sur terre. Le roman Fortune carrée est désigné comme « une histoire virile […] tout organisée autour de deux personnages exceptionnels, hommes violents et sans attaches : Hakimoff et Henry de Monfreid »521. A part eux, ce sont Cadi Rahib, Omar, le sergent Hussein ou Gouri, le tueur aux bracelets de peau humaine, qui influencent l’histoire du roman. Même s’ils sont des fois transfigurés dans l’effort de l’auteur de les faire grandir, de leur donner de l’épaisseur, ces héros « sont assez originaux, assez puissants, leur itinéraire et leur destin assez exceptionnels pour dispenser l’auteur de toute fiction »522. L’un des premiers personnages du roman dont le caractère s’inspire d’un homme réel, est représenté par Igricheff. Lui, en tant que chef de la mission soviétique à Sanaa, fait penser tout de suite à Hakimoff qui séjourne dans le pays pour la même raison. Le cavalier d’origine russe que Kessel rencontre à la fin de son périple, prête à Igricheff presque toute son identité. En décrivant le destin d’Igricheff, Kessel raconte en fait l’histoire de vie de Hakimoff. C’est aussi Chaïtane, le cheval d’une beauté extraordinaire, qui réunit les deux hommes. En apprenant lors de l’enquête de la part de Hakimoff que les chaïtanes, fécondés par les démons des sables, sont les chevaux les plus résistants et les plus rapides de l’Arabie,523 Kessel réutilise ce trait dans le roman : « Et le cœur d’Igricheff se réjouit d’une joie plus pénétrante, plus sérieuse que celle de posséder un cheval incomparable. Ce démon que Chaïtane recelait dans ses flancs, son cavalier le portait aussi. »524 L’extrait prouve qu’il s’agit en réalité de Chaïtane, le cheval de Hakimoff. En présentant d’autres signes communs, la vie d’Igricheff décrite dans le roman est donc tout à fait celle que mène Hakimoff. C’est aussi l’un des membres de l’expédition sur l’esclavage qui sert à Kessel d’un modèle authentique pour créer l’une des figures marquantes du roman. Sous le

520 Sous le ciel abyssin. Overblog.com [en ligne]. Disponible sur : . 521 COURRIERE, Y. Op. cit., p. 387. 522 Ibid. 523 Cf. KESSEL, J. Marchés d’esclaves suivi de L’Irlande révolutionnaire. Op. cit., p. 155. 524 KESSEL, J. Fortune carrée. Paris : Pocket, 2012, p. 13. 103 nom fictif de Daniel Mordhom, le lecteur découvre en fait l’aventurier Henry de Monfreid. Le deuxième épisode du Matin intitulé « Monfreid l’Aventureux » devient donc une source d’informations non seulement sur l’ami de Kessel, mais aussi sur le héros romanesque. En comparant Monfreid dépeint dans le reportage et Mordhom décrit dans le roman, il est clair au premier regard que l’un renvoie à l’autre. Monfreid incarne un personnage légendaire du pirate de la mer Rouge dont l’amour pour ce coin du monde se fonde sur son sens de l’aventure. « Ethiopien d’adoption […], parlant l’arabe, il s’est fait musulman et connaît parfaitement ces régions de la mer Rouge où il a bourlingué durant vingt ans, tantôt pêcheur de perles, tantôt trafiquant d’armes et de drogue. » 525 Mordhom décrit son existence dans le roman ainsi : « J’ai essayé de tout, pêcher des perles, ramasser des nids d’hirondelles, planter du café. »526 Passé par les mêmes étapes que Monfreid, il devient finalement aussi contrebandier. Kessel, sur l’exemple de Mordhom, développe ensuite l’image du pirate aventurier : « J’ai appris à tout faire de mes mains […]. J’ai formé mes matelots, j’ai construit mon premier boutre, j’ai arrangé cette retraite, dressé mes serviteurs. J’ai appris l’arabe, le dankali, le somali, j’ai connu les princes abyssins, les chefs nomades, les émirs du Hedjaz, de l’Assir, les pirates du Yémen. » 527 Les deux en tant que contrebandiers d’armes représentent donc des personnages exceptionnels dont leur domicile est la mer. Mordhom ainsi que Monfreid parle l’arabe et les dialectes. Les deux aventuriers possèdent aussi un bateau et grâce à leurs expériences deviennent chefs d’un équipage de marins noirs. Le bateau de Monfreid qu’il a construit lui-même, porte le nom de l’Ibn-el-Bahar.528 Traduit en français, le boutre s’appelle le Fils de la Mer ce qui ressemble de façon voyante au titre de la deuxième partie du roman intitulée Fils du vent, en arabe l’Ibn-el-Rihèh.529 A part les qualités et les capacités caractéristiques qu’ont ces deux hommes en commun, Monfreid de même que Mordhom habite à Harrar. Les deux possèdent une propriété : Monfreid une minoterie, Mordhom une scierie. Malgré cette petite différence, leurs maisons ont un grand jardin qui fait des deux domaines un lieu de repos dont Kessel souligne l’atmosphère du paradis. En rendant visite à Mordhom, Kessel s’exprime dans le reportage à propos de ce lieu ainsi : « C’est vraiment l’un des endroits

525 MARTIN, M. Op. cit., p. 235. 526 KESSEL, J. Fortune carrée. Op. cit., p. 123. 527 Ibid., p. 206. 528 Cf. KESSEL, J. Marchés d’esclaves suivi de L’Irlande révolutionnaire. Op. cit., p. 43. 529 Cf. KESSEL, J. Fortune carrée. Op. cit., p. 113. 104 les plus doux du monde. Le climat des tropiques, tempéré par l’altitude, y fait régner, à l’ombre des caféiers et des bananiers, une chaleur égale, pénétrante et sans mordant trop vif. Un ruisseau, dont le "pirate", de ses mains expertes à tous les travaux, a détourné le cours, murmure à travers le vaste jardin. »530 Igricheff et Philippe qui, sur l’exemple de Kessel et ses compagnons, deviennent les hôtes de Mordhom, décrivent le lieu de cette façon : « Le domaine de Mordhom comprenait une vingtaine d’hectares. La moitié était en friche et la brousse couvrait le sol. Dans l’autre, un ruisseau coulait que l’aventurier avait de ses mains détourné de la colline par un barrage primitif. Il irriguait la terre rouge où poussaient des caféiers, des bananiers, des arbres à fruits tropicaux. » 531 Les deux extraits concernant la résidence ainsi que d’autres motifs prouvent donc des coïncidences frappantes entre le reportage et le roman. La conformité de la description de Monfreid avec celle de Mordhom est bien évidente. Les deux ont construit leur vie, ont crée leur existence sur l’aventure. Après avoir analysé le portrait de Monfreid et sa version romanesque sous forme de Mordhom, il se montre que Kessel ne cache pas du tout son intention de rapprocher autant que possible Daniel Mordhom d’Henry de Monfreid. Des personnages de moindre importance que Kessel a rencontrés durant l’enquête, réapparaissent également dans le roman. « Les noms des figures secondaires de Fortune carrée correspondent à des patronymes authentiques, ceux des guides et des portefaix recrutés par les membres de l’expédition à laquelle appartenait Joseph Kessel. »532 C’est donc par exemple le guide danakil Gouri, décrit dans le reportage 13 du 7 juin 1930 intitulé « Gouri le tueur », qui devient Gouré dans Fortune carré. Le portrait du guerrier avec qui la troupe de Kessel passe par un territoire dangereux, est repris dans le roman. De même que Gouri lors de l’enquête, Gouré romanesque représente un grand danger pour la caravane. Se vantant d’avoir déjà tué des hommes, il menace en vie Philippe à qui il refuse de se soumettre. Puisque les deux hommes ont plusieurs différends, toute la caravane doit faire attention au guerrier vindicatif. Des personnages importants pour l’enquête sur l’esclavage, Kessel décide de réutiliser dans son roman aussi le portrait de Saïd, le marchand d’esclaves. En donnant son portrait dans le reportage 8 du 3 juin 1930 sous le titre « Saïd, le trafiquant », l’auteur ne change rien dans sa description en l’introduisant dans Fortune carrée. Saïd,

530 KESSEL, J. Marchés d’esclaves suivi de L’Irlande révolutionnaire. Op. cit., p. 61. 531 KESSEL, J. Fortune carrée. Op. cit., p. 204. 532 TASSEL, A. Op. cit., p. 393. 105 le grand trafiquant, qui fait découvrir au reporter le principe du marché, la manière du commerce, est présenté de la même façon dans le roman : « — Saïd, puissant homme du pays d’Assir, présenta Mordhom en arabe. Le plus grand marchand d’esclaves et contrebandier d’armes de l’Abyssinie et de la Côte. »533 C’est aussi Cadi Rahib, le secrétaire de l’imam du Yémen, que le lecteur rencontre dans l’histoire du roman. Décrit dans le reportage 17 du 11 juin 1930 où Kessel informe sur l’arrivée à Sanaa, le personnage du secrétaire aux Affaires étrangères et de l’ancien diplomate turc534 inspire au romancier la figure de Cadi Djemal. Diplomate, chargé des relations avec l’étranger,535 occupe au Yémen alors le même poste que Rahib réel. Puis, de simples silhouettes dans le reportage comme par exemple le plongeur En-Daïré, le guerrier danakil Youssouf ou le jeune cuisinier somali Omar sont développés dans le roman. C’est surtout le personnage d’En-Daïré, décrit dans le reportage 15, qui devient important dans Fortune carrée. Le vrai chasseur de nids d’hirondelles, le tueur de requins,536 se montre dans le roman comme pêcheur de perles et un plongeur excellent. En tant que membre de l’équipage de Mordhom, profitant de ses expériences du plongeur, il détache l’ancre quand le bateau a été retenu dans un port à cause d’Igricheff. 537 En sauvant tout l’équipage, En-Daïré réveille l’admiration de la part d’Igricheff de même que Kessel a été fasciné par l’héroïsme du personnage réel. Hussein, garde, serviteur, peut-être surveillant qu’Igricheff a reçu de l’imam, 538 complète le tableau récapitulatif des personnages réels qui, caractérisés de plus près, ont une fonction narrative dans le roman. S’inspirant des hommes réels qui ont pris part au reportage sur le marché d’esclaves, Kessel procède de la même manière pour créer l’histoire du roman. En se rendant compte d’avoir éprouvé des moments forts, il reprend dans Fortune carrée certains motifs qui représentent les scènes les plus étonnantes ou les plus dangereuses du reportage. Celui qui se classe parmi les épisodes les plus marquants, décrit la cérémonie pendant laquelle les esclaves dévorent le bœuf égorgé. « L’épisode de la ripaille des esclaves […] est presque intégralement repris dans Fortune carrée. »539

533 KESSEL, J. Fortune carrée. Op. cit., p. 220. 534 Cf. KESSEL, J. Marchés d’esclaves suivi de L’Irlande révolutionnaire. Op. cit., p. 160. 535 Cf. KESSEL, J. Fortune carrée. Op. cit., p. 23. 536 Cf. KESSEL, J. Marchés d’esclaves suivi de L’Irlande révolutionnaire. Op. cit., p. 127. 537 Cf. KESSEL, J. Fortune carrée. Op. cit., p. 143-146. 538 Cf. Ibid., p. 17. 539 TASSEL, A. Op. cit., p. 396. 106

Paru dans Le Matin en tant que le reportage 5 et 6 le 30 et le 31 mai 1930, les deux articles, intitulés « Autour du bœuf égorgé » et « Sous le figuier sauvage », servent du modèle pour décrire dans le roman l’esclavage pratiqué dans ces régions. Pendant l’expédition, c’est Monfreid qui fait rassembler chez lui les esclaves. Grâce au pirate, Kessel et ses compagnons rencontrent donc pour la première fois ces hommes et femmes noirs à qui la tradition de ces pays impose une basse origine. Kessel dépeint cette rencontre exceptionnelle dans le journal ainsi :

Deux jours après notre arrivée, dans l’après-midi, nous vîmes venir, devant la terrasse où nous nous tenions, une vieille femme. […] Elle s’accroupit au bord du ruisseau qui bourdonnait gaiement et attendit avec une patience que l’on sentait inusable. Une autre, plus jeune, énorme, vint la rejoindre et s’assit également sur ses talons, en silence. Puis trois hommes […], puis d’autres femmes et d’autres hommes. Monfreid feignit de n’y prêter aucune attention. Mais déjà nous avions reconnu dans le groupe les traits et les gestes communs à tous ceux, à toutes celles, que nous avions vus ployer dans l’enceinte d’Harrar sous le faix de la servitude. — Des esclaves ! s’écria Lablache. Et il courut chercher son appareil photographique.540

Une rencontre semblable se déroule dans le roman. Kessel romancier y transpose sa propre expérience tout en décrivant la première rencontre de Philippe avec les esclaves dans le domaine de Mordhom :

De cette éminence Philippe aperçut […] des hommes et des femmes rangés en cercle et armés de fléaux. Sur eux flottait une poussière pourpre. Tout autour s’élevaient des monticules rouges. Quelques soldats abyssins surveillaient leur ouvrage. […] — Qu’est-ce que c’est ? demanda Philippe à Mordhom. — Les esclaves du Balambaras et d’autres chefs abyssins à lui prêtés pour battre sa récolte de dourah. — Des esclaves ? — Vous êtes passé trop vite dans le Harrar pour les reconnaître. Je vous en ferai voir de plus près.541 Ils étaient de tout âge, de toute corpulence. Pourtant, ils avaient tous entre eux une terrible similitude. Leurs muscles étaient lourds, leur nez camus, leurs lèvres épaisses, leur crâne rond. Leurs cheveux, qui mangeaient leur front bas, ressemblaient à de la laine grossière.542

Les esclaves une fois décrits, Kessel témoigne dans le journal de la situation où ils se jettent sur le bœuf que Monfreid leur a laissé préparer. Attaché au tronc d’un arbre, l’animal est très vite égorgé par les esclaves. Après l’avoir dévoré tout cru, de la viande ainsi que les entrailles, les esclaves, ivres de nourriture, se trouvent tout d’un coup dans une extase. La joie et l’énergie accumulée après le repas sortent d’eux tout en les faisant

540 KESSEL, J. Marché d’esclaves. « Autour du bœuf égorgé ». Le Matin, 30 mai 1930. 541 KESSEL, J. Fortune carrée. Op. cit., p. 213. 542 Ibid., p. 214. 107 danser. Le feu est ensuite un appel magique pour commencer une fête fantastique. Les esclaves dansent et chantent autour d’un figuier sauvage. Evoquant une sorte de rituel, toute la scène offre à Kessel et ses compagnons un spectacle fascinant qui révèle le caractère sauvage des hommes noirs.543 Ce moment fort du reportage est de nouveau repris dans le roman. Lorsque Mordhom offre à une troupe d’esclaves un bœuf, ils réagissent de la même manière comme les esclaves rencontrés par Kessel, lui-même.

La peau du bœuf fut enlevée en quelques instants par des ongles aussi lacérants que des griffes. La viande saignante, fumante, arrachée, passa de main en main. Les lèvres massives et la proie chaude ne faisaient plus qu’une chair, les mâchoires claquaient, les yeux chaviraient d’extase. Quand il ne resta plus rien à manger, les esclaves prirent les intestins, les pressèrent pour en faire sortir les excréments et les portèrent avec délice à leur bouche.544

Le feu provoque ensuite les mêmes réactions. « Immobiles un instant comme des chiens hurlant à la lune, les esclaves s’animèrent rapidement. Les femmes saisirent les bidons vides, scandèrent de leur martèlement et de leur voix la plus nue la plus simple des danses. Les hommes se formèrent en cercle, le grand diable se plaça au milieu et tous bondirent. »545 En comparant ces deux images de l’esclavage, l’une propre au reportage, l’autre romancée dans Fortune carrée, nous constatons que l’épisode central du journal devient une scène secondaire du roman. Kessel romancier prouve alors que, sans hésiter, il crée des motifs exotiques du roman volontairement sur l’expérience journalistique. Après l’esclavage, c’est aussi l’aventure liée au voyage qui réapparaît dans le roman. Le reportage 12, paru dans Le Matin le 6 juin 1930, intitulé « Vers l’aventure », a pour le sujet l’étape la plus périlleuse qui est décrite comme la grande piste. Il s’agit de la scène du choix par quel chemin se rendre pour suivre la caravane d’esclaves. Ayant deux possibilités, Monfreid et Gilbert Charles regagnent la mer tandis que Kessel et ses compagnons choisissent la voie de terre tout en étant obligés de passer par le territoire des issas et des dankalis qui sont en guerre. En se séparant, tous les membres de l’expédition veulent se retrouver dans une baie et puis rejoindre ensemble la caravane de Saïd.

Après bien des discussions, nous résolûmes le problème de la façon suivante : Lablache, Peyré et moi, nous dirigerions la caravane par voie de terre. Monfreid se rendrait à Djibouti, chargerait le ravitaillement sur son boutre, Mousterieh, irait faire une promenade à Obock, puis, trompant la

543 Cf. KESSEL, J. Marché d’esclaves. « Sous le figuier sauvage ». Le Matin, 31 mai 1930. 544 KESSEL, J. Fortune carrée. Op. cit., p. 215. 545 Ibid., p. 216. 108

surveillance, embarquant ses guides dankalis fidèles, irait mouiller au fond du golfe de Tadjourah, dans le Gubet Kharab, près de l’îlot du Diable.546

La même scène représente un moment important de l’histoire de Fortune carrée. La séparation de Mordhom et de Philippe décrite dans le troisième chapitre du roman se base alors sur la séparation réelle de Kessel et Monfreid durant leur voyage.

— Si je vous comprends bien […], l’expédition doit comprendre deux tronçons : l’un dirigé par vous cherche des guides à Obock, se rend par la mer à Gubbet-Kharab, déterre les caisses, les débarque sur la côte. A ce moment arrive l’autre convoi, celui des mulets, qui est venu par terre… — Oui, mais par un chemin terriblement difficile, dangereux, qui passe chez les Abyssins, les Issas, les Danakils, et près des postes français. Et ce chemin doit se faire en quatre jours.547

C’est finalement Philippe qui devient le chef de la mission terrestre. Avec ses hommes, ils traversent une partie de l’Ethiopie et de la Somalie. Tandis que ce motif occupe les premiers chapitres du reportage, il se trouve dans le dernier épisode du roman. De même qu’en réalité Kessel, Philippe et ses compagnons consacrent le temps nécessaire à la préparation de la caravane. Une fois en mouvement, ils doivent se battre contre plein d’obstacles. Le chemin exigeant, le terrain difficile, le temps qui passe trop vite, le retard à cause duquel ils n’ont pas le temps pour manger, ni pour se reposer, tout cela complique leur mission :

Pas un souffle d’air n’animait la solitude absolue des pierres noires. Philippe se sentait collé à sa selle, aux flancs mouillés de son mulet. La sueur ruisselait de son large chapeau, sur son visage ardent. Il croyait respirer du feu.548 C’était une épreuve sans nom ni mesure, une marche démoniaque, un tourment enflammé.549

Toutes ces circonstances d’un voyage très difficile mènent à la naissance des situations exacerbées. En forçant les hommes à continuer, Kessel ainsi que Philippe dans le roman doivent faire front aux guides étrangers qui refusent d’accepter l’itinéraire du chef de l’expédition. Se rendant compte que les guides pourraient les attaquer, les hommes les surveillent sans relâche. De même que lors de l’enquête, c’est dans le roman Gouré, le tueur, qui éveille la crainte la plus grande :

546 KESSEL, J. Marché d’esclaves. « Vers l’aventure ». Le Matin, 6 juin 1930. 547 KESSEL, J. Fortune carrée. Op. cit., p. 224. 548 Ibid., p. 243. 549 Ibid., p. 244. 109

— Dis-lui encore, reprit Gouré, que j’ai tué, ici même, des hommes du pays dankali, mais d’une autre tribu, parce qu’ils avaient voulu boire notre douma. J’en ai égorgé cinq, car je suis le plus grand guerrier depuis Gobad jusqu’au lac Assal. Et chacun le voit à mes joues.550 — Il y en a encore cinq à faire, continua Gouré, pour les Issas d’hier. Tous au poignard. Puis je chercherai ma vingtième victoire pour être illustre dans les récits de désert.551

En écoutant les menaces de Gouré, Philippe réalise que « retrouver Mordhom n’est plus désormais une affaire d’honneur, un jeu magnifique. C’est une question de vie ou de mort. »552 Le différend entre Gouré et Philippe correspond à celui entre le guerrier et Kessel. « Brièvement relaté dans le reportage, l’antagonisme se durcit dans le roman, où l’affrontement physique des deux adversaires précède l’assassinat de l’aventurier français. »553 Se montrant comme tueur, Gouri est finalement calmé par Kessel et ses compagnons. Ils sont sauvés également grâce à des messages de la part de Monfreid qui les attend non loin. Dans Fortune carrée, même si Philippe et Mordhom se retrouvent, le premier continue à être poursuivi par Gouré. « Maintenant, Philippe le sentait, rien ne retiendrait plus Gouré. Le besoin et la volupté du meurtre possédaient le sinistre visage. Philippe braqua son revoler sur lui. Au même instant, un fer acéré lui toucha la nuque. »554 Leur différend aboutit à la mort de Philippe. Gouré est finalement tué par les serviteurs de Mordhom qui vengent ainsi la perte de leur chef d’expédition. De la comparaison du motif de l’aventure lors du voyage repris dans le roman s’ensuit que Kessel romancier laisse travailler son imagination tout en transposant la réalité dans l’imaginaire. La scène de la tempête que Kessel reporter raconte dans le reportage 15, paru dans Le Matin le 9 juin 1930, intitulé « Le "Mousterieh" dans la tempête », se classe parmi les moments forts d’aventures aussi dans le roman. Le boutre de Monfreid appartient dans le livre à Mordhom. Exposé en mer Rouge aux caprices du temps, l’équipage doit se battre contre la tempête, la mer grosse. Les vagues qui représentent un grand danger, semblent ne jamais arrêter de se jouer avec le bateau. Quoiqu’il soit menacé en vie, Kessel, de même que Philippe dans le roman, observe avec admiration la beauté de ce spectacle :

550 Ibid., p. 274. 551 Ibid., p. 275. 552 Ibid., p. 284. 553 TASSEL, A. Op. cit., p. 393. 554 KESSEL, J. Fortune carrée. Op. cit., p. 286. 110

Quand le jour se leva, […] la mer ne s’apaisait point. Au contraire, elle nous apparut sous le soleil […] plus véhémente et furieuse que dans le clair-obscur de la nuit. Mais qu’elle était splendide ainsi ! Etait-ce l’influence de la lumière, du calme de l’équipage ou simplement ce magnétisme de la beauté dont j’ai dit ici le pouvoir, je ne pouvais penser au péril dont nous menaçaient les vagues échevelées.555

Confrontés au vent, Philippe et ses hommes, sur l’exemple de Kessel, se tirent de l’affaire en utilisant au dernier moment la fortune carrée.

Philippe remarqua alors une voile qu’il n’avait pas vue auparavant et sous laquelle marchait le boutre. Elle était rectangulaire et sa vergue supérieure faisait avec le mât une croix grise. — Daniel, que se passe-t-il ? demanda nettement Philippe. […] — Et ça ? Philippe montrait la voile toute gonflée et qui ressemblait à une bannière sur sa hampe. — Ça. C’est la fortune carrée.556

Déchirée par la tempête, la voile est finalement réparée et de nouveau hissée par En- Daïré. Philippe, inspiré en réalité par Kessel reporter, ainsi que les autres hommes qui forment l’équipage, doivent donc leur vie à ce petit morceau de tissu. A part les aventures éprouvées en Ethiopie, en Somalie et en mer Rouge, ce sont aussi les souvenirs gagnés au Yémen que Kessel reproduit dans Fortune carrée. Une fois arrivé à Sanaa, le reporter est fasciné par des légendes yéménites. L’histoire d’une ville mystérieuse de la reine de Saba que l’auteur apporte au lecteur dans le reportage XIX du récit Marchés d’esclaves, est reprise dans le roman. La ville, surveillée par les bédouins pour avoir caché des trésors de la reine, est décrite dans l’épisode ainsi :

Il y a quelque part, en Arabie du Sud, une zone inconnue, insoumise. […] Aucun homme de Sanaa ni du plateau qui porte la capitale n’a pas pu s’y rendre. Les Bédouins qui l’habitent ne permettent à personne de franchir la limite de cette sorte de cercle enchanté.557 Ils disent qu’on y voit encore des temples à peu près intacts et dont les colonnes et les ornements sortent de terre, que l’or et l’ivoire traînent parmi le sable, que des images de pierre de tous les dieux veillent autour des ruines mystérieuses.558

En rêvant de visiter ce lieu, Kessel reporter doit cependant y renoncer afin de terminer son enquête sur l’esclavage. Dans le roman, Kessel écrivain ne passe pas ce motif inaperçu. C’est Hussein, le serviteur, qui fait découvrir à Igricheff ce site mystérieux :

555 KESSEL, J. Marché d’esclaves. « Le "Mousterieh" dans la tempête ». Le Matin, 9 juin 1930. 556 KESSEL, J. Fortune carrée. Op. cit., p. 163. 557 KESSEL, J. Marchés d’esclaves suivi de L’Irlande révolutionnaire. Op. cit., p. 152. 558 Ibid. 111

Il y a, seigneur, peut-être à cinq jours de marche de Sanaa, peut-être à dix, personne ne le sait, […] la Ville. Nous l’appelons Mareb, mais elle a porté beaucoup d’autres noms dans les temps et les temps. La grande reine des vieux livres l’avait fait bâtir […]. Puis le sable a pris la Ville, mais les colonnes des palais et des temples sortent encore du désert. Tout l’or, toutes les pierres de la reine sont toujours là. Mais les Bédouins de ce pays savent que si quelqu’un touche à la Ville, la mort viendra sur leurs tribus. Ils gardent la ville des sables.559

Igricheff, enchanté par le récit d’Hussein et passionné pour le merveilleux, veut, de même que Kessel, visiter Mareb. Pour l’apercevoir, il n’hésite pas à s’exposer au danger, à risquer sa vie. Mais finalement, sur l’exemple du reporter, il ne se met pas en route tout en éprouvant d’autres aventures que le Yémen lui offre. Kessel reste donc fidèle à son expérience journalistique et par rapport à ce motif, n’a pas recours à l’invention romanesque. En analysant les situations ainsi que les relations des personnages dans le roman, il est évident que l’amitié entre Daniel Mordhom et Philippe est en réalité l’amitié entre Kessel et Monfreid. « L’amitié qui unissait le jeune Philippe à Mordhom était l’exact reflet de celle nouée entre Kessel et Monfreid un an auparavant. »560 Aussi l’admiration de Philippe pour Mordhom est la même comme celle de Kessel pour Monfreid. Lors du grand reportage sur l’esclavage, Kessel, passant d’une aventure à l’autre, s’exprime par rapport à son vécu dans la presse ainsi : « Tous les romans d’aventures lus dans mon enfance, je le vivais en même temps, depuis notre entrée dans les gorges danakil. »561 Philippe qui incarne dans le roman Kessel reporter, pense, de même que l’auteur, avoir éprouvé un rêve d’enfance : « — Vous savez, Daniel, j’ai l’impression de sortir d’un songe, d’avoir rêvé que je vivais les histoires que je lisais dans mon enfance. »562 A part les motifs concrets, c’est aussi l’écriture du roman et la narration de l’auteur, qui laisse penser au motif journalistique. « Enfin, l’empreinte du reportage sur le roman est perceptible au niveau de la perspective narrative et de la modalisation des énoncés descriptifs. »563 En annonçant la description, Kessel utilise le présent. « Cette marque morphologique apparente certaines pages de Fortune carrée […] à des articles journalistiques. »564 « Plus généralement, chez Kessel, l’originalité de la description romanesque par rapport à sa source journalistique tient à la poétisation du style, et à la

559 KESSEL, J. Fortune carrée. Op. cit., p. 22. 560 COURRIERE, Y. Op. cit., p. 388. 561 KESSEL, J. Marché d’esclaves. « L’île sauvage ». Le Matin, 10 juin 1930. 562 KESSEL, J. Fortune carrée. Op. cit., p. 304. 563 TASSEL, A. Op. cit., p. 400. 564 Ibid., p. 353. 112 récurrence des notations traduisant les effets du paysage sur les personnages. »565 En donnant des portraits des indigènes ou en décrivant des sites exotiques, l’esprit du reporter qui réside dans Kessel, est donc bien présent dans le roman. Après tous les exemples, en résumant Fortune carrée, il est donc tout à fait justifié de le considérer comme un roman de pure aventure qui est basé sur le témoignage d’une réalité vécue. Kessel se souvient des personnages qu’il a rencontrés, des paysages qu’il a vus, des moments qu’il a vécus. Ces expériences du journaliste apparaissent dans le roman, un peu modifiées parfois, mais pourtant inspirées du vécu. Le roman est alors présenté à juste titre comme un fragment de la réalité. En introduisant le réel dans Fortune carrée, Kessel prouve le rapport entre le reportage et le texte romanesque. « Pour Kessel, le reportage joue le rôle d’un carnet de notes ou d’un dossier documentaire. Laboratoire du récit fictionnel, il fournit des modèles, des décors ou des arguments. »566 L’œuvre révèle « le monde intime de l’écrivain, les régions de sa vie inconsciente où l’imagination et le vouloir-vivre mêlent leurs profondes racines »567. Mais il faut souligner que, même si l’imaginaire caractérise son ouvrage, Kessel ne franchit jamais la frontière tout en continuant à fonder les motifs sur la réalité. En créant Fortune carrée ainsi qu’en le lisant, « […] nous ne passons donc jamais totalement dans la fiction, car un fil ténu nous ramène à l’univers du vraisemblable et l’espace ainsi ouvert offre un champ libre à l’imaginaire, celui de l’auteur, celui du lecteur »568. C’est ainsi que l’auteur se construit une position exceptionnelle dans le monde journalistique et littéraire. « Il concrétise une étape que l’on a rarement l’occasion de connaître, celle où le texte n’est déjà plus tout à fait vécu, mais pas encore de la fiction. »569 En utilisant cette technique, Kessel se fait maître de deux styles à la fois : jamais le grand reporter n’a été si proche de l’écrivain. En publiant le roman Fortune carrée ainsi que le récit Marchés d’esclaves, ses reportages survivent l’apparition unique dans les journaux et deviennent éternels. Il est donc tout à fait légitime que Kessel incarne encore aujourd’hui pour des générations de journalistes et écrivains voyageurs la tradition du grand reportage lié à l’écriture romanesque.

565 Ibid., p. 395-396. 566 Ibid., p. 407. 567 BERTHE, J.-R. Op. cit., p. 100. 568 Ibid., p. 34. 569 BOUCHARENC, M. L’écrivain-reporter au cœur des années trente. Op. cit., p. 198. 113

3.4 La technique de Joseph Kessel Après avoir montré sur les cas concrets des reportages et des livres le rapport entre la presse et la littérature dans l’œuvre de Joseph Kessel, nous en déduirons sa technique qui garantit cette affinité. C’est en s’inspirant de l’expérience vécue que Kessel lie le journalisme à la littérature. Si on analyse sa création, il est évident qu’à partir du même voyage, il publie plusieurs reportages pour créer ensuite un ou plusieurs romans. En y percevant certains avantages, en comprenant que cette pratique lui assure une certaine célébrité, de l’argent et surtout la faveur du public ainsi que des maisons d’édition, Kessel ne changera jamais son style. En passant d’un reportage à l’autre, « voyage, reportage, écriture, roman… […] ce devient une habitude. Kessel multiplie les ouvrages. Les éditeurs s’attachent à l’écrivain qui ne se gêne guère pour changer de maison, fidèle à sa tradition de liberté et, joueur dans l’âme, âpre au gain. »570 Grâce à sa technique Kessel reporter et romancier se fait une position exclusive dans le journal et dans la littérature. Admiré pour son travail qui réunit deux genres différents par les uns, il est critiqué par les autres. C’est surtout quelques écrivains français qui refusent le caractère littéraire dans l’œuvre de l’auteur. En le considérant surtout comme reporter, nombreux sont ceux qui ne souhaitent pas sa réception dans l’Académie française. « Ecrivain, Kessel ? Certains en son temps ne l’admettent que du bout des lèvres, préférant le ranger dans la catégorie des journalistes de talent afin de ne pas avoir à l’accueillir dans le cercle fermé des écrivains. »571 Malgré leurs critiques infondées, Kessel est au bout du compte élu. Plus tard, quand il reçoit la médaille du mérite littéraire, le différend par rapport à sa reconnaissance de l’écrivain est renouvelé.572 Etant attaqué durant sa vie même plusieurs fois de la part de certains écrivains qui n’acceptent pas l’idée qu’un reporter peut être un bon écrivain, Kessel répond à ses adversaires : « Pour moi, le reportage et le roman se complètent, sont étroitement liés. […] Et en vérité où commence donc, où finit le reportage ? Combien d’écrivains font de longues enquêtes avant d’écrire un roman ! Tout Zola, c’est un reportage. »573 En publiant ces mots dans le Combat du 5 juin 1969, il montre que lui- même se considère comme l’auteur qui appartient au monde du journal ainsi qu’à celui du livre.

570 WEBER, O. Op. cit., p. 77. 571 HEURE, G. Op. cit., p. 22. 572 Cf. Ibid. 573 Ibid., p. 21. 114

Les critiques qui mettent l’affinité des deux métiers en cause, se taisent au moment où le talent que Kessel a pour les deux genres, est officiellement reconnu. Une fois prouvé que ses ouvrages littéraires ont le même succès que ses reportages, Kessel devient un maître respecté et utilise cette technique de l’écriture double jusqu’à la fin de sa vie. Articles de journaux d’abord qui sont réunis quelques mois ou années plus tard dans des reportages pour fournir finalement la matière des romans d’aventures. Telle est la conception de travail de l’auteur. « Autant il aime se jeter dans l’écriture de reportage à son retour de voyage, autant Kessel laisse décanter ses souvenirs comme un vieux bordeaux lorsqu’il désire renouer avec le roman. » 574 Chez Kessel, c’est surtout l’aventure qui est littérairement féconde.575 Dans son œuvre, « il nous la livre à travers ses reportages romancés, et aussi à travers des ouvrages de compositions, où se mêlent le vécu, la réflexion et l’invention »576. L’auteur s’inspire surtout des descriptions, scènes et informations de ses reportages qui, sous la forme sous laquelle elles sont présentées dans l’œuvre littéraire, sont susceptibles de convaincre le lecteur de la vraisemblance du roman. Mais l’œuvre romanesque et l’œuvre de reportage n’étant jamais réellement et radicalement séparées, la question de la réalité ou de la fiction n’est jamais tout à fait claire. Après la mise en doute de Kessel reporter romancier, voilà une autre critique qui concerne la manière comment l’auteur travaille la fiction et la réalité. Kessel est parfois accusé de créer la littérature en retranscrivant automatiquement ses reportages parus dans les journaux. Sans apporter de nouveaux éléments, il construit prétendument son œuvre sur la réalité pure sans l’enrichir d’une pincée de fiction. Par contre certains critiques ne partageant pas ce point de vue, reprochent à Kessel tout le contraire : le caractère imaginaire de ses livres. En trouvant, d’après eux, l’inspiration dans l’imagination et en modifiant sa propre expérience de terrain, Kessel fait face aux accusations de relayer l’intérêt du reporter par celui du romancier.577 Quoique sa double carrière et sa technique fassent souvent l’objet des débats littéraires et journalistiques du XXe siècle, son œuvre, tant que le lecteur d’aujourd’hui l’analyse, montre que « […] l’invention romanesque chez Kessel est nourrie par des événements dont il a été le protagoniste ou le témoin, et par des histoires qu’il a

574 WEBER, O. Op. cit., p. 166. 575 Cf. HEURE, G. Op. cit., p. 23. 576 BERTHE, J.-R. Op. cit., p. 5. 577 Cf. Ibid. 115 recueillies » 578 . En acquérant beaucoup d’expériences, en vivant un grand nombre d’événements, ses romans d’aventures s’inspirent incontestablement de la réalité vécue. En liant alors la réalité à la fiction sous forme du reportage et du roman, Kessel est parfois considéré comme l’inventeur du roman-reportage. « Sous sa plume naît un genre nouveau : le roman-reportage, ou reportage romancé, variante du roman d’aventures classique, dans lequel le vécu du grand reporter inspire directement la fiction romanesque. »579 A part la combinaison de la réalité et de la fiction, c’est aussi l’esprit d’humanité qui garantit l’affinité des deux métiers de Kessel. En le développant dans le reportage ainsi que dans le roman, l’auteur prouve son statut du reporter romancier. Tout son œuvre est basé sur la curiosité, offre un « regard sur tous ceux qui nous entourent. Son appel au monde est une convocation, sa volonté de reconnaître les hommes de toutes races et de tout pays est impérieuse. »580 L’intérêt de l’auteur à l’homme est ainsi commun aux deux voies de Kessel. Ayant du respect pour l’amitié et aimant surtout la vie, « dans ses écrits, il jette tout son être, sa timidité maladive, ses coups de colère, sa bonté, son idéalisme, sa foi en l’homme, son sens de l’amitié, le plus beau sentiment que l’être humain peut éprouver avec l’amour »581. L’humanité et l’empathie réunissent donc le reporter et l’écrivain en une seule personne. Quant à la technique de l’écriture, elle naît de la combinaison des pratiques fréquentes journalistiques et littéraires. En tant que romancier, « de son métier de journaliste, il garde le goût de l’exactitude dans la peinture des paysages, le souci de stimuler l’attention du lecteur, et une nette prédilection pour les personnages et les sujets exceptionnels »582. En tant que reporter, il n’hésite pas à utiliser dans ses articles la technique romanesque. « Dans l’écriture, il brouilles les pistes, conte ses voyages avec un talent de romancier, écrit des romans avec un regard de grand reporter […]. »583 Passant d’un genre à l’autre, il se sert de ses reportages pour nourrir ses romans, change parfois les titres, retranche, laisse mûrir. En pratiquant ce modèle simple presque sans cesse durant toute sa vie, Kessel devient maître de l’union des deux genres. « Si le passage de l’écriture d’un genre à l’autre ne lui semble certainement pas

578 TASSEL, A. Op. cit., p. 389. 579 Auteurs du XXe siècle. Kessel Joseph. Rubriques à bac [en ligne]. [cit. 2014-03-14]. Disponible sur : . 580 HEURE, G. Op. cit., p. 11. 581 WEBER, O. Op. cit., p. 133. 582 TASSEL, A. Op. cit., p. 426. 583 WEBER, O. Op. cit., p. 103. 116 insurmontable, c’est qu’il en connaît les passerelles et sait les négocier à des rythmes différents. »584 La technique de Joseph Kessel une fois résumée, l’auteur, malgré des objections qu’on lui a faites en son temps, est aujourd’hui considéré à juste titre comme une vedette de l’union voyageur-reporter-écrivain. Ayant réussi sa double carrière ainsi que sa vie aventureuse, il mérite certainement l’intérêt du lecteur aussi bien que la reconnaissance pour toute sa contribution au reportage et au roman. Référence absolue des journalistes, grand reporter légendaire, et aussi un très bon écrivain, Joseph Kessel, qui a fait de sa vie remplie de reportages un vrai roman, restera sans doute un personnage marquant du journalisme et de la littérature français à jamais.

584 HEURE, G. Op. cit., p. 20-21. 117

PARTIE PRATIQUE

Après avoir montré, dans la partie théorique, sur l’exemple de Joseph Kessel et d’autres reporters écrivains, la relation étroite entre la presse et la littérature françaises, nous nous focaliserons maintenant sur une approche didactique. En développant quelques réflexions pédagogiques, nous présenterons comment le sujet du présent mémoire ou certains de ses fragments peuvent être appliqués dans l’enseignement en classe de FLE. Dans la partie pratique, nous proposons l’ensemble de trois fiches pédagogiques que nous concevons pour les apprenants de FLE dont le niveau varie de A2 à B2 selon le CECR (Cadre européen commun de références pour les langues). Puisque le sujet, qui prend sa source dans le journalisme et la littérature, peut paraître difficile aux apprenants, nous combinons dans certaines activités le français avec la langue tchèque pour rendre la compréhension et le travail plus facile. C’est par exemple le cas des exercices qui traitent l’esclavage moderne (fiche pédagogique 1). Nous y utilisons des articles parallèles, l’un en tchèque, l’autre en français, afin d’expliquer clairement ce sujet aux apprenants. La première fiche pédagogique se consacre au personnage de Joseph Kessel et présente aux apprenants brièvement son reportage Marché d’esclaves. Elle prévoit deux séances. En développant la problématique de l’esclavage qui est sans doute digne d’attention dans l’enseignement, les activités proposées soutiennent l’éducation multiculturelle, l’éducation à la tolérance. Elles contribuent ainsi à l’altérité et à l’ouverture d’esprit chez les apprenants. La deuxième fiche pédagogique s’inspire de la pédagogie de projet dont la réalisation exige trois séances à l’école et aussi un travail hors enseignement. Permettant aux apprenants de devenir reporters d’école, elle leur explique en quoi consiste le métier du reporter, quelle est la pratique du reportage. Le projet repose sur l’expérience personnelle que les apprenants gagnent pendant un échange scolaire thématique effectué à l’étranger. A part l’éclaircissement du genre, les activités, qui devraient motiver les apprenants à la lecture du journal, développent le sujet de l’interculturalité dans l’enseignement et soutiennent la coopération des apprenants de l’âge et des niveaux différents.

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La troisième fiche pédagogique travaille avec le reportage et le roman d’aventures. Sur l’exemple de ces deux genres littéraires, elle montre en trois séances aux apprenants que parfois, la frontière entre la presse et la littérature est vraiment très fine. Les exercices invitent les apprenants à activer leurs connaissances littéraires, à développer leur imagination. La fiche introduit ainsi des éléments littéraires dans l’enseignement dans le but d’éveiller auprès des apprenants l’intérêt pour le journalisme et la littérature. Conçue de manière systématique, la partie pratique combine donc plusieurs approches afin d’appliquer dans l’enseignement divers éléments propres au monde journalistique et à celui du livre. En encourageant les apprenants à lire, à travailler avec des sources journalistiques et littéraires, nos fiches pédagogiques tendent à introduire la presse et la littérature dans l’enseignement pour développer le littérisme chez les apprenants.

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FICHE PEDAGOGIQUE 1 FICHE D’ENSEIGNANT Séance 1

Thème : La société l’esclavage hier et aujourd’hui Objectifs pédagogiques : 1. Présenter brièvement Joseph Kessel et son reportage Marché d’esclaves. 2. Susciter l’imagination des apprenants. 3. Eveiller l’intérêt des apprenants pour l’auteur et le sujet. 4. Présenter la problématique de l’esclavage. 5. Soutenir l’éducation multiculturelle, l’éducation à la tolérance. 6. Exercer la lecture silencieuse. 7. Exercer la compréhension écrite. 8. Exercer la production orale. 9. Effectuer le travail en groupes, en ensemble de classe. Niveau : B1 B2 Public : adolescents Durée : 45 minutes Support, matériel : photos prises par l’auteur lors du reportage sur la piste des esclaves, titres des épisodes, mots clés du reportage, extraits des articles concernant l’auteur et l’œuvre, photocopies avec des consignes

Joseph Kessel Marché d’esclaves Les photos choisies

Source : Le Matin du 24 mai 1930 Source : Le Matin du 5 juin 1930 120

Source : Le Matin du 29 mai 1930 Source : Le Matin du 10 juin 1930

Source : Le Matin du 8 juin 1930

Les titres et les mots clés choisis

COMMERCE

TÉMOIGNAGE

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Les informations choisies Extrait n 1 Joseph Kessel, reporter Puis, en février 1930, il se lance sur la piste des esclaves en Éthiopie, au Yémen et en Arabie Saoudite. C’est à ce moment-là qu’il fait la connaissance du corsaire Henry de Monfreid, avec qui il va braver les interdits et les dangers pour mener à bien son expédition. La publication de son reportage « Marché d’esclaves » dans le quotidien Le Matin au printemps 1930 est un succès populaire. Grâce à son aventure, le tirage du quotidien monte à 150 000 exemplaires ! Source : NESSI, J. Joseph Kessel. Un témoin engagé. Routard.com [en ligne]. 2013. [cit. 2014-04-11]. Disponible sur : .

Extrait n 2 Joseph Kessel le récit Marchés d’esclaves En 1930 […] Joseph Kessel a vécu sa chasse aux trafiquants d’esclaves et le reporter devient alors aventurier. […] Des lettres et documents […] éclairent ce plaidoyer pour le droit de tous les hommes à l’humanité. Ce livre devient une rareté, c’est un ouvrage qui compte dans l’histoire de la littérature et du journalisme français. Source : Marchés d’esclaves. Babelio.com [en ligne]. 2012. [cit. 2014-04-11]. Disponible sur : .

Disposition de la classe : Il ne faut pas de disposition spéciale. Démarche : 1. Choisir des photos, des titres, des mots clés du reportage. 2. Trouver des informations sur l’œuvre et l’auteur, choisir les informations clées. 3. Préparer les photocopies pour les apprenants. 4. Distribuer aux apprenants travaillant en groupes les photocopies avec les images du reportage. 5. Laisser les apprenants réfléchir aux points communs des photos (voir fiche d’élève consigne 1). 6. Distribuer aux apprenants travaillant en groupes d’autres indices comme par exemple les titres et les mots clés du reportage pièce à pièce (à la demande du groupe).

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7. Sur la base du matériel donné, inviter les apprenants à discuter en groupes et à déduire ce que les matériaux expriment, ce qu’ils ont en commun. Poser des questions : Qu’est-ce que ces photos et ces mots expriment ? Qu’est-ce qu’ils ont en commun ? Qu’est-ce qu’ils peuvent représenter ? De quoi il s’agit ? Quel est leur sujet ? Laisser les apprenants inventer diverses théories et/ou des histoires (voir fiche d’élève consigne 2). 8. Présenter les idées des apprenants en ensemble de classe. 9. Distribuer aux apprenants les photocopies avec des informations sur l’auteur, le reportage et le récit. Laisser les apprenants comparer leurs idées / leurs histoires inventées avec la réalité (voir fiche d’élève consigne 3). 10. Faire découvrir aux apprenants Joseph Kessel et son reportage Marché d’esclaves, laisser les apprenants déduire la valeur journalistique et humaine de l’œuvre. Commentaire : Facile à préparer, les activités évoquent l’intérêt et suscitent l’imagination des apprenants.

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FICHE PEDAGOGIQUE 1 FICHE D’ELEVE Séance 1 Consigne 1 : Voici quelques photos. Observez-les attentivement, discutez. Qui se trouve sur ces photos ? Qu’est-ce qu’elles expriment ? D’où viennent-elles ? Qu’est-ce qu’elles ont en commun ?

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Consigne 2 Combinez les photos avec les mots que vous avez reçus. Essayez de décrire de quoi il s’agit ou d’inventer en groupe une histoire à partir des photos et des mots. Proposez des sujets, exprimez vos idées.

Consigne 3 Lisez les extraits ci-dessous. Comparez les photos et les mots avec de nouvelles informations.

Extrait n 1 Joseph Kessel, reporter Puis, en février 1930, il se lance sur la piste des esclaves en Éthiopie, au Yémen et en Arabie Saoudite. C’est à ce moment-là qu’il fait la connaissance du corsaire Henry de Monfreid, avec qui il va braver les interdits et les dangers pour mener à bien son expédition. La publication de son reportage « Marché d’esclaves » dans le quotidien Le Matin au printemps 1930 est un succès populaire. Grâce à son aventure, le tirage du quotidien monte à 150 000 exemplaires ! Source : http://www.routard.com/mag_dossiers/id_dm/82/ordre/2.htm.

Extrait n 2 Joseph Kessel Marché d’esclaves En 1930 […] Joseph Kessel a vécu sa chasse aux trafiquants d’esclaves et le reporter devient alors aventurier. […] Des lettres et documents […] éclairent ce plaidoyer pour le droit de tous les hommes à l’humanité. Ce livre devient une rareté, c’est un ouvrage qui compte dans l’histoire de la littérature et du journalisme français. Source : http://www.babelio.com/livres/Kessel-Marches-desclaves/101174.

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FICHE PEDAGOGIQUE 1 FICHE D’ENSEIGNANT Séance 2

Thème : La société l’esclavage hier et aujourd’hui Objectifs pédagogiques : 1. Présenter la problématique de l’esclavage. 2. Eveiller l’intérêt des apprenants pour le sujet. 3. Soutenir l’éducation multiculturelle, l’éducation à la tolérance. 4. Exercer la lecture silencieuse. 5. Exercer la compréhension écrite. 6. Exercer la compréhension orale. 7. Exercer la production écrite. 8. Exercer la production orale. 9. Effectuer le travail en groupes et en ensemble de classe. Niveau : B1 B2 Public : adolescents Durée : 45 minutes Support, matériel : liens sur Internet concernant le sujet, photocopies avec des consignes et des extraits des articles développant le sujet La bande-annonce du film : Twelve Years a Slave / Esclave pendant douze ans. Source : 12 Years A Slave Bande annonce VF (2014) [en ligne]. Affiché le 14 janvier 2014. [cit. 2014-04- 11]. Disponible sur : .

Corrigé possible de la consigne 2 : détenir libre serviteur

vendre fouet

esclave enlever libére r

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Extraits des articles sur l’esclavage moderne

Esclavage moderne : la République

tchèque mal classée en Europe

« Toute une série de L’esclavage moderne, qui recouvre le problèmes en lien avec travail forcé, le trafic d’enfants, la l’esclavage moderne existent en République tchèque […]. » servitude pour dettes ou encore le Daniel Hůle, membre de l’association trafic d’êtres humains souvent à des Člověk v tísni fins de prostitution, concernerait entre 36 000 et 40 000 personnes en V rámci Evropy patří Česká République tchèque. republika mezi země nejvíce ohrožené moderním otroctvím.

Podle organizace žije po celém světě v Moderní otroctví

otrockých podmínkách 29,8 miliónu lidí, z toho Walk Free Foundation 1,82 procenta je jich v Evropě. Země západní zahrnuje do definice Evropy mají celkově nejnižší riziko zotročení ze moderního otroctví všech regionů světa. Přispívá k tomu nízká nucené práce, prodej úroveň korupce, nejnižší úroveň diskriminace nebo zneužívání dětí, vůči ženám, vysoký respekt k lidským právům a dlužní otroctví, v rámci účinné a komplexní zákony proti otroctví. kterého jsou děti nuceny pracovat pro dospělé, kterým dluží jejich rodiče, či Malheureusement, l’esclavage existe obchodování s lidmi. partout, même aujourd’hui. Une des places la plus active du monde pour

l’esclavage des enfants est L’Afrique de l’ouest.

Source 1 : Česko patří mezi evropské země nejvíce ohrožené otroctvím. Novinky.cz [en ligne]. 2013. [cit. 2014-04-11]. Disponible sur : . Source 2 : MEIGNAN, P. Esclavage moderne : la République tchèque mal classée en Europe. Český rozhlas. 2013. [cit. 2014-04-11]. Disponible sur : . Source 3 : L’esclavage existe aujourd’hui ? Dans ce temps moderne ? Esclavage Modern [en ligne]. [cit. 2014-04-11]. Disponible sur : .

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La citation « Tout esclave a en ses mains le pouvoir de briser ses chaînes. » de William Shakespeare Extrait de Jules César

Source : Citations. Lefigaro.fr [en ligne]. [cit. 2014-04-11]. Disponible sur : .

Disposition de la classe : Il ne faut pas de disposition spéciale. Démarche : 1. Préparer les photocopies avec les consignes, les extraits des articles concernant le sujet. 2. Distribuer les photocopies aux apprenants. 3. Faire regarder aux apprenants la bande-annonce du film Twelve Years a Slave / Esclave pendant douze ans. Pour la première fois sans consignes (voir fiche d’élève consigne 1). 4. Laisser les apprenants commenter la vidéo, décrire ce qu’ils ont vu, entendu, compris… Ne pas leur révéler s’ils ont raison ou tort. 5. Faire regarder aux apprenants la bande-annonce pour la deuxième fois. 6. Laisser les apprenants compléter l’araignée sur la photocopie (voir fiche d’élève consigne 2). 7. Vérifier les mots écrits par les apprenants en ensemble de classe, compléter avec eux le champ lexical par d’autres expressions utiles à connaître pour que les apprenants comprennent le sujet et puissent exprimer leurs idées. 8. Laisser les apprenants discuter en groupe sur l’esclavage, leur proposer des questions auxquelles ils cherchent des réponses en présentant leurs opinions (voir fiche d’élève consigne 3). 9. Laisser les apprenants lire les extraits des articles sur l’esclavage moderne (voir fiche d’élève consigne 4). 10. Discuter avec les apprenants sur de nouvelles informations tirées des extraits. 11. Lire aux apprenants la citation concernant l’esclavage. Demander à eux de s’exprimer à propos de cette citation (voir fiche d’élève consigne 5).

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Prolongement : Ouvrir en classe une discussion sur la question de l’abolition de l’esclavage. Parler avec les apprenants de ce problème qui touche la société. Présenter des esclaves d’hier et ceux d’aujourd’hui. S’inspirer du film documentaire intitulé La Marche des esclaves qui commémore l’abolition officielle de l’esclavage ainsi que ses pratiques et formes aujourd’hui (disponible sur : http://www.wat.tv/video/marche-esclaves-2006-1ere- 4dkul_2g5zt_.html). Lors de la comparaison des portraits des esclaves mener les apprenants à s’exprimer avec du respect à propos des races humaines. Aborder le multiculturalisme, l’humanité. Soutenir ainsi l’éducation à la tolérance. Commentaire : Les activités développent les connaissances et les idées des apprenants sur l’esclavage hier et aujourd’hui, contribuent à l’altérité, à l’ouverture d’esprit.

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FICHE PEDAGOGIQUE 1 FICHE D’ELEVE Séance 2 Consigne 1 Regardez la vidéo. Ecoutez attentivement.

Consigne 2 Quels mots dans la vidéo concernent l’esclavage ? Complétez l’araignée ci-dessous.

Consigne 3 Pensez-vous que l’esclavage existe encore aujourd’hui ? Où ? Qui peut être un esclave ? Discutez en groupe.

Consigne 4 Lisez les extraits ci-dessous. Esclavage moderne : la République tchèque mal classée en Europe « Toute une série de L’esclavage moderne, qui recouvre le problèmes en lien avec travail forcé, le trafic d’enfants, la l’esclavage moderne existent en République tchèque […]. » servitude pour dettes ou encore le Daniel Hůle, membre de l’association trafic d’êtres humains souvent à des Člověk v tísni fins de prostitution, concernerait entre 36 000 et 40 000 personnes en V rámci Evropy patří Česká République tchèque. republika mezi země nejvíce ohrožené moderním otroctvím.

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Moderní otroctví Walk Free Foundation Podle organizace žije po celém světě v zahrnuje do definice otrockých podmínkách 29,8 miliónu lidí, z toho moderního otroctví 1,82 procenta je jich v Evropě. Země západní nucené práce, prodej Evropy mají celkově nejnižší riziko zotročení ze nebo zneužívání dětí, dlužní otroctví, v rámci všech regionů světa. Přispívá k tomu nízká kterého jsou děti úroveň korupce, nejnižší úroveň diskriminace nuceny pracovat pro vůči ženám, vysoký respekt k lidským právům a dospělé, kterým dluží účinné a komplexní zákony proti otroctví. jejich rodiče, či obchodování s lidmi.

Malheureusement, l’esclavage existe partout, même aujourd’hui. Une des places la plus active du monde pour l’esclavage des enfants est L’Afrique de l’ouest.

Consigne 5 Voici une citation de William Shakespeare. Consultez-la avec vos camarades de classe, cherchez des mots inconnus dans le dictionnaire. Exprimez brièvement votre point de vue.

« Tout esclave a en ses mains le pouvoir de briser ses chaînes. » de William Shakespeare Extrait de Jules César

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FICHE PEDAGOGIQUE 2 FICHE D’ENSEIGNANT Séance 1

Thème : Le reporter d’école Objectifs pédagogiques : 1. Présenter un genre journalistique spécifique : le reportage. 2. Eveiller l’intérêt des apprenants pour le journalisme, pour la pratique du reportage. 3. Inciter les apprenants à la pédagogie de projet, les motiver à apprendre par leur propre expérience. 4. Faire habituer les apprenants de l’âge et du niveau linguistique différents à s’exprimer l’un devant l’autre. 5. Effectuer le travail en groupes et en ensemble de classe, entre classes. Niveau : de A2 à B1 Public : adolescents Durée : 45 minutes Support, matériel : définitions de différents genres journalistiques, photocopies avec des consignes

A) C’est un article […] plus ou moins B) Il reste la meilleure école du spécialisé, publié à intervalles réguliers par une journalisme : on y apprend la même personne et sous une présentation recherche des informations, la spécifique. L’auteur peut être une personnalité maîtrise de l’interview selon les extérieure au journal, par exemple un interlocuteurs et l’apprentissage de spécialiste, un écrivain, etc. Dans tous les cas, l’écriture. Le journaliste rapporte ce le ton est personnel, souvent empreint d’ironie, qu’il voit et ce qu’il entend ; il agit en témoin : il regarde, il écoute, il se avec le souci d’une écriture soignée et renseigne et tente de comprendre recherchée. avant d’informer.

C) C’est un texte très court (une dizaine de lignes au maximum) où la part de commentaire est nulle. Il livre l’essentiel de l’information sur un événement donné.

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D) […] le journaliste raconte ce à quoi il assiste, avec des faits mais aussi des éléments d’ambiance. Témoin scrupuleux, le journaliste pense à interroger tous ceux qui peuvent fournir des informations et ne néglige aucune source. Source : Les différents genres journalistiques. UoM Communication Studies [en ligne]. 2007. [cit. 2014- 04-12]. Disponible sur : .

Disposition de la classe : Il ne faut pas de disposition spéciale. Démarche : 1. Choisir des informations pour expliquer aux apprenants ce que c’est un reportage. 2. Rassembler les apprenants de FLE des classes différentes dans une salle de classe (prévu 50 apprenants de trois années qui participeront à un échange scolaire thématique à l’étranger). 3. Présenter aux apprenants le projet : se faire passer pendant l’échange scolaire avec un lycée français pour un reporter, réaliser une enquête, observer le déroulement afin d’en écrire ensuite un reportage. 4. Faire réfléchir les apprenants aux caractéristiques du genre (voir fiche d’élève consigne 1). 5. Ecrire au tableau tous les mots que les apprenants associent au reportage, faire une liste. 6. Laisser les apprenants choisir des définitions du reportage (voir fiche d’élève consigne 2). 7. Expliquer aux apprenants de manière vivante en quoi consiste le métier du reporter, quelle est la pratique du reportage. Me servir des exemples, des jeux de rôles. 8. Faire prendre conscience aux apprenants que partir en reportage, c’est avoir à témoigner d’un événement, d’un fait ou d’une visite susceptible d’intéresser des lecteurs. 9. Inciter les apprenants à ne pas avoir peur d’une prise de notes, à être attentifs aux lieux (décor, couleur, odeur, bruits…), aux personnes rencontrées (observer et noter comportements, gestes et expressions, attitudes, voix, noms…) 10. Créer des groupes de reporters d’école. Vérifier que chaque équipe se compose des apprenants des classes différentes ayant un niveau linguistique variant de A2

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à B1. Donner aux apprenants toutes les informations nécessaires par rapport au projet (voir fiche d’élève consigne 3). Corrigé : B, D Commentaire : Les activités évoquent l’intérêt des apprenants.

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FICHE PEDAGOGIQUE 2 FICHE D’ELEVE Séance 1

Consigne 1 : Quels mots vous viennent à l’esprit quand on vous dit « REPORTAGE » ? Réfléchissez, notez vos idées. Travaillez en groupes.

REPORTAGE

Consigne 2 : Inspirez-vous des mots clés et trouvez la / les définition(s) du reportage. Coopérez entre classes, discutez ensemble.

A) C’est un article […] plus ou moins B) Il reste la meilleure école du spécialisé, publié à intervalles réguliers par une journalisme : on y apprend la même personne et sous une présentation recherche des informations, la spécifique. L’auteur peut être une personnalité maîtrise de l’interview selon les extérieure au journal, par exemple un interlocuteurs et l’apprentissage de spécialiste, un écrivain, etc. Dans tous les cas, l’écriture. Le journaliste rapporte ce le ton est personnel, souvent empreint d’ironie, qu’il voit et ce qu’il entend ; il agit en témoin : il regarde, il écoute, il se avec le souci d’une écriture soignée et renseigne et tente de comprendre recherchée. avant d’informer.

C) C’est un texte très court (une dizaine de lignes au maximum) où la part de commentaire est nulle. Il livre l’essentiel de l’information sur un événement donné.

D) […] le journaliste raconte ce à quoi il assiste, avec des faits mais aussi des éléments d’ambiance. Témoin scrupuleux, le journaliste pense à interroger tous ceux qui peuvent fournir des informations et ne néglige aucune source.

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Consigne 3 : Présentez-vous en groupes. Faites la connaissance des membres de votre équipe, puis découvrez le projet commun.

Qui : VOUS Quand et où : pendant votre échange scolaire en France Comment : Découvrez le milieu scolaire français. Observez attentivement le décor, les gens, leurs habitudes, leur comportement, leurs gestes et attitudes, des événements… Ecoutez bien ce que les gens disent, vous racontent. Réalisez une enquête. Posez des questions à vos camarades français sur l’école, l’échange, la ville, la vie en France, leurs loisirs… Utilisez des carnets de notes, des crayons, des appareils photographiques, notez tout ce qui vous paraît intéressant, prenez des photos… Coopérez en équipe. Devenez REPORTERS ! Pourquoi : Pour créer votre propre reportage ! A écrire après votre retour, entre 200 et 250 mots. Conseils : Planifiez votre travail avant le départ. Réfléchissez à votre stratégie, à votre technique. Préparez des questions en avance si vous voulez.

Source :

wm/antonbrand/antonbrand110 4/antonbrand110400107/92901 22-cartoon-reporter-running- 136 for-a-interview-isolated-on- white.jpg>. FICHE PEDAGOGIQUE 2 FICHE D’ENSEIGNANT Séance 2

Thème : Le reporter d’école Objectifs pédagogiques : 1. Eveiller l’intérêt des apprenants pour le journalisme, pour la pratique du reportage. 2. Inciter les apprenants à la pédagogie de projet, les motiver à apprendre par leur propre expérience. 3. Faire habituer les apprenants de l’âge et du niveau linguistique différents à coopérer. 4. Faire apprendre aux apprenants à collecter des informations, à raconter, à décrire, à s’expliquer. 5. Exercer la production écrite. 6. Effectuer le travail individuel, en ensemble de classe, en groupes, entre classes. Niveau : de A2 à B1 Public : adolescents Durée : 45 minutes Support, matériel : photocopies avec des consignes Disposition de la classe : Il ne faut pas de disposition spéciale. Démarche : 1. Réunir les apprenants après leur séjour en France, laisser les travailler d’abord individuellement, puis en équipes. 2. Faire l’exercice de mémoire pour trouver des moments forts de l’échange scolaire afin de les reprendre dans le reportage (voir fiche d’élève consigne 1). 3. Comparer les souvenirs des apprenants avec leurs notes prises durant l’enquête (voir fiche d’élève consigne 2). 4. A partir des carnets de notes dresser une liste d’informations qui formeront le canevas du reportage. 5. Définir l’objectif du reportage, préciser le(s) sujet(s), faire un projet du reportage (voir fiche d’élève consigne 3). 6. Résumer les caractéristiques de base du genre.

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7. Donner aux équipes toutes les instructions nécessaires pour que les apprenants puissent travailler sur leurs reportages hors enseignement (expliquer comment procéder, préciser la forme du produit final…). Commentaire : Les activités lient l’expérience personnelle à l’apprentissage, évoquent l’intérêt des apprenants, soutiennent la coopération des apprenants de l’âge et des niveaux différents, développent le sujet de l’interculturalité dans l’enseignement en classe de FLE, l’ouverture d’esprit des apprenants, transmettent des informations sur la culture française.

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FICHE PEDAGOGIQUE 2 FICHE D’ELEVE Séance 2

Consigne 1 : Travail de mémoire ! Retrouve et écris les moments les plus intéressants de l’échange scolaire. Utilise des mots clés ou des phrases courtes.

…………………………………………………………………………………………… …………………………………………………………………………………………… ……………………………………………………………………………………………

Consigne 2 : Travaillez en équipe. Comparez vos souvenirs avec vos notes dans le carnet. Choisissez les sujets que vous voulez reprendre dans votre reportage.

Consigne 3 : Faites le projet de votre reportage. Partagez et planifiez le travail en équipe qui va travailler sur quoi, comment, etc.

Recommandation : Choisissez une et/ou des photos. Essayez d’imiter un vrai reportage dans un journal : colonnes, photographie, titres…

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FICHE PEDAGOGIQUE 2 FICHE D’ENSEIGNANT Séance 3

Thème : Le reporter d’école Objectifs pédagogiques : 1. Faire apprendre aux apprenants à présenter le résultat de leur travail. 2. Faire apprendre aux apprenants à assumer la responsabilité du travail collectif. 3. Faire habituer les apprenants à évaluer un projet, leur travail. 4. Exercer la production orale. 5. Effectuer le travail en groupes, en ensemble de classe, entre classes. Niveau : de A2 à B1 Public : adolescents Durée : 45 minutes Support, matériel : photocopies avec des consignes Disposition de la classe : Il ne faut pas de disposition spéciale. Démarche : 1. Réunir les apprenants dans une salle de classe. 2. Informer les apprenants des critères d’évaluation (sujet, grammaire, lexique, cohérence) à appliquer pendant l’évaluation des travaux de leurs camarades de classe. 3. Laisser les apprenants présenter leur reportage : expliquer comment ils ont procédé, décrire quels motifs et moments de l’échange scolaire ils ont retravaillés dans leur texte. 4. Laisser les apprenants s’évaluer entre équipes (voir fiche d’élève consigne 1). 5. Laisser les apprenants évaluer leur propre travail autoévaluation (voir fiche d’élève consigne 2). 6. Exposer ensemble avec les apprenants tous les textes dans le vestibule de l’école. 7. Prendre une photo de tous les apprenants avec leurs reportages exposés. 8. Envoyer des copies des travaux des apprenants à l’école de partenariat française avec des photos prises lors de l’exposition. Commentaire : Les activités évoquent l’intérêt des apprenants, soutiennent la coopération des apprenants de l’âge et des niveaux différents, développent leur sens de

140 responsabilité du travail en groupe, contribuent à l’évaluation et à l’autoévalutation des apprenants.

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FICHE PEDAGOGIQUE 2 FICHE D’ELEVE Séance 3

Consigne 1 : Ecoutez et observez attentivement les présentations des reportages. Evaluez en équipe les travaux de vos camarades de classe.

Reportage Présentation Points Commentaire (0-10 points) (0-10 points) ensemble Equipe n 1

Equipe n 2

Equipe n 3

Equipe n 4

Equipe n 5

Consigne 2 : Evalue toi-même ton travail. Colorie les crayons et complète la phrase.

Mon travail en équipe : Le projet était …

Mon expression écrite :

Ma présentation :

Source : .

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FICHE PEDAGOGIQUE 3 FICHE D’ENSEIGNANT Séance 1

Thème : Entre presse et littérature Objectifs pédagogiques : 1. Eveiller l’intérêt des apprenants pour le journalisme et la littérature. 2. Montrer aux apprenants que parfois, la frontière entre la presse et la littérature est très fine. 3. Inciter les apprenants à réfléchir sur divers genres littéraires. 4. Exercer la production orale. 5. Effectuer le travail en groupes, en ensemble de classe. Niveau : B1 B2 Public : adolescents Durée : 30 minutes Support, matériel : cartes avec des mots clés concernant le reportage et le roman d’aventures, photocopies avec des consignes

Cartes imagination

témoignage enquête littérature

fiction héros terrain

observer pays lointain décrire

prendre des risque écrivain notes

journalisme récit de vie interviewer

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prendre des actualité photos réalité

exotisme péripétie courage

suspense voyage

Disposition de la classe : Il ne faut pas de disposition spéciale. Démarche : 1. Diviser les apprenants en quatre groupes. 2. Donner à chaque groupe de petites cartes avec des mots clés concernant le reportage et le roman d’aventures. 3. Demander aux apprenants de classer les mots en les mettant soit dans la catégorie « reportage », soit dans « roman d’aventures » (voir fiche d’élève consigne 1). 4. Laisser les apprenants consulter le résultat de leur travail : chaque groupe regardera le classement fait par un autre groupe (voir fiche d’élève consigne 2). 5. Comparer les classements des groupes en ensemble de classe, faire justifier le choix des apprenants, discuter avec eux sur l’ambiguïté de certains mots clés qui peuvent appartenir aussi bien au reportage qu’au roman d’aventures. 6. Résumer avec les apprenants les caractéristiques de base des deux genres à partir des connaissances gagnées pendant les cours de la langue et littérature tchèque (ne pas entrer en détail ; voir fiche d’élève consigne 3). Corrigé : Les mots susceptibles d’appartenir aussi bien au reportage qu’au roman d’aventures décrire, héros, pays lointain, exotisme, risque, écrivain, réalité, courage, voyage, suspense. Commentaire : Les activités introduisent des éléments littéraires dans l’enseignement en classe de FLE.

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FICHE PEDAGOGIQUE 3 FICHE D’ELEVE Séance 1

Consigne 1 : Voici deux termes et des petites cartes avec des mots. Classez les mots, mettez-les soit sous « reportage », soit sous « roman d’aventures ». Travaillez en groupes.

ROMAN REPORTAGE D’AVENTURES

Consigne 2 Allez regarder le travail de vos camarades d’écoles. Comparez leur classement avec le vôtre. Réfléchissez sur votre choix (pourquoi vous avez mis un tel mot sous un tel terme) et justifiez-le.

Consigne 3 Résumez les caractéristiques de base du reportage et du roman d’aventures.

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FICHE PEDAGOGIQUE 3 FICHE D’ENSEIGNANT Séance 2

Thème : Entre presse et littérature Objectifs pédagogiques : 1. Eveiller l’intérêt des apprenants pour le journalisme et la littérature. 2. Inciter les apprenants à réfléchir sur divers genres littéraires : le reportage et le roman d’aventures. 3. Développer l’imagination des apprenants. 4. Exercer la production écrite. 5. Effectuer le travail en groupes. Niveau : B1 B2 Public : adolescents Durée : 45 minutes Support, matériel : photocopies avec des consignes et une image

Source : .

Disposition de la classe : Il ne faut pas de disposition spéciale. Démarche : 1. Diviser les apprenants en quatre groupes. 2. Laisser les apprenants observer l’image choisie (voir fiche d’élève consigne 1). 3. Déterminer deux « groupes de reporters », deux « groupes d’écrivains ». 146

4. Demander aux apprenants de créer un plan du reportage / du roman d’aventures en français (noter des mots clés à utiliser afin développer le sujet de l’image en tel ou tel genre ; voir fiche d’élève consigne 2). 5. Demander aux apprenants d’essayer d’écrire un court extrait d’un reportage / d’un roman d’aventures à partir de l’image choisie en tchèque (voir fiche d’élève consigne 3). Commentaire : Les activités introduisent des éléments littéraires dans l’enseignement en classe de FLE.

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FICHE PEDAGOGIQUE 3 FICHE D’ELEVE Séance 2

Consigne 1 : Voici une image. Regardez-la ensemble. Décrivez-la, discutez en groupe.

Consigne 2 : Faites un plan pour un reportage / un roman d’aventures. Quelles idées voulez-vous développer dans votre texte ? Ecrivez des mots clés en français. Travaillez en groupe.

Consigne 3 : Ecrivez un court extrait du reportage / du roman d’aventures en tchèque (15 lignes) à partir de l’image ci-dessus. Inventez un événement, une histoire… Restez fidèles au genre !

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FICHE PEDAGOGIQUE 3 FICHE D’ENSEIGNANT Séance 3

Thème : Entre presse et littérature Objectifs pédagogiques : 1. Eveiller l’intérêt des apprenants pour le journalisme et la littérature. 2. Inciter les apprenants à réfléchir sur divers genres littéraires : le reportage et le roman d’aventures. 3. Montrer aux apprenants que parfois, la frontière entre la presse et la littérature est très fine. 4. Effectuer le travail en groupes et en ensemble de classe. Niveau : B1 B2 Public : adolescents Durée : 45 minutes Support, matériel : les travaux des apprenants Disposition de la classe : Il ne faut pas de disposition spéciale. Démarche : 1. Distribuer les productions écrites des apprenants. 2. Laisser les apprenants travaillant en quatre groupes présenter leurs textes créés pendant la séance dernière. 3. Comparer deux versions des extraits des reportages avec deux versions des extraits des romans d’aventures en ensemble de classe. 4. Discuter avec les apprenants sur leurs textes, se montrer des qualités et des défauts propres à leurs productions écrites. 5. Evaluer avec les apprenants s’ils ont réussi à rester fidèles à la forme et aux caractéristiques du genre attribué. Commentaire : Les activités introduisent des éléments littéraires dans l’enseignement en classe de FLE.

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Conclusion

Le but de notre mémoire a consisté dans l’effort de prouver des rapports étroits et inséparables entre la presse et la littérature. Pour ce travail, nous avons donc choisi le genre du reportage que nous avons présenté en tant qu’une source importante pour la création littéraire de divers auteurs. Nous avons décidé de montrer l’union du monde journalistique et littéraire sur l’exemple de Joseph Kessel, reporter romancier. Par l’analyse de son reportage Marché d’esclaves que nous avons comparé avec deux ouvrages, le récit et le roman d’aventures Fortune carrée, nous avons voulu justifier notre hypothèse que le reportage, genre journalistique, se trouve très près de l’art littéraire. Pour entrer doucement dans le sujet, nous avons commencé notre travail par une courte esquisse des caractéristiques de la presse française au XIXe et XXe siècle. En nous intéressant aux éléments littéraires présents dans le journal, nous avons voulu montrer que la partie littéraire de la presse trouve sa justification dans l’histoire. Afin de soutenir cette théorie, nous avons présenté des cas concrets des grands écrivains français que nous avons montrés comme des journalistes extraordinaires. En nous penchant sur les rapports entre la presse et la littérature de manière complexe, nous avons eu l’intention d’ébaucher leur première rencontre commune avant de nous livrer au genre journalistique concret. Le reportage et le personnage du reporter sont devenus les sujets principaux de la deuxième partie de notre mémoire. Nous nous sommes intéressés non seulement à l’évolution, aux définitions et aux pratiques du genre, mais aussi aux caractéristiques du métier. Dans l’effort de présenter en détail le genre et ses représentants, nous avons donc rassemblé des points communs du reportage avec un texte littéraire ainsi que des qualités du reporter. Tout cela pour nous en servir plus tard à des fins analytiques ou pédagogiques. Nous n’avons pas oublié de mentionner de grands noms du reportérisme français comme par exemple Albert Londres ou Andrée Viollis. Par des figures concrètes des reporters et des écrivains se trouvant à la frontière entre le reportage et la littérature, nous avons complété le portrait plus ou moins théorique du reporter écrivain. Nous avons consacré la troisième partie qui forme la base de notre mémoire, au reporter romancier Joseph Kessel. C’est sur cette personnalité marquant à la fois le monde journalistique et littéraire que nous avons voulu manifester l’union idéale entre

150 reportage et littérature. Nous avons d’abord présenté la vie et l’œuvre de l’auteur en ne dirigeant notre attention que sur les informations les plus importantes pour révéler son esprit du grand reporter et écrivain. Ensuite, quant à la partie analytique dont le but était de prouver que le genre du reportage inspire à Kessel l’invention romanesque, nous l’avons commencée par la description de la réalité vécue que l’auteur avait publiée dans la presse sous forme du reportage intitulé Marché d’esclaves. Nous avons continué par la comparaison de l’enquête avec son édition en volume, le récit Marchés d’esclaves. Après avoir montré de petites différences entre ces deux versions, nous avons fermé notre analyse par la comparaison du reportage avec le contenu du roman d’aventures Fortune carrée. Ces ouvrages une fois mis en contexte, nous avons affiché nos résultats gagnés par l’analyse et l’observation détaillée du personnage de Kessel tout en en déduisant sa technique significative. C’est ainsi que nous avons récapitulé l’énorme contribution de Joseph Kessel grâce à qui nous sommes aujourd’hui autorisés à confirmer que la littérature confine à la presse française. Nous avons clos le présent mémoire par la proposition de quelques réflexions pédagogiques qui touchent soit le sujet des œuvres analysées, soit les genres choisis. En nous nous rendant compte de ce que la connaissance des éléments littéraires et de la presse complètent le profil d’érudition des apprenants, nous avons présenté des activités basées sur l’introduction des deux médias dans l’enseignement en classe de FLE. En développant par nos exercices l’imagination des apprenants aussi bien que leur littérisme, nous avons prouvé donc l’importance de la présence des livres et du journal dans la formation des apprenants. Il faut souligner qu’en écrivant ce mémoire, nous n’avons abordé qu’un segment de domaines possibles à être traités par rapport à la frontière entre la presse et la littérature. En nous intéressant aux reporters français, nous avons découvert que nombreux étaient les reporters qui, de même que Joseph Kessel, s’occupaient du sujet de l’esclavage lequel a été repris ensuite sous diverses formes littéraires. C’était aussi souvent des femmes reporters qui apportaient une autre vision de ce thème. D’après nous, il pourrait être très intéressant de concentrer l’attention justement sur cette diversité de regards tout en expliquant les caractéristiques de base du reportérisme féminin et masculin. Persuadés de l’originalité de cette comparaison, nous arrivons même à nous imaginer qu’un tel sujet est susceptible de devenir un thème idéal pour une thèse de doctorat.

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Bibliographie et sitographie

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Résumé

Diplomová práce Reportáže Josepha Kessela na rozhraní mezi tiskem a literaturou se zabývá vztahem mezi francouzským literárním světem a světem novin. Cílem práce je nastínit vzájemnou propojenost obou sfér, která je ilustrována na žánru reportáž. Teoretická část práce na příkladu vybraných francouzských spisovatelů (Dumas, Balzac, Zola, Colette, Cendrars, Aragon, …) a velkých francouzských reportérů (Londres, Viollis) dokazuje funkčnost vztahu tisk-literatura. Pozornost přitom zaměřuje na francouzského spisovatele, reportéra Josepha Kessela, který je ideálním příkladem novináře-romanopisce, jehož dílo se nachází právě na rozhraní mezi tiskem a literaturou. Skrze analýzu jeho děl Marché d’esclaves a Fortune carrée práce ukazuje, jak námět publikovaný v novinách může vést až k vytvoření literárního díla, které svým stylem a obsahem spadá pod dobrodružnou literaturu. Praktická část práce následně představuje pedagogický potenciál, jenž se v tématu a žánru skrývá. Metodické listy nabízí konkrétní reflexe, jak lze vybraný žánr a literární text využít pro účely FLE.

This thesis Reports of Joseph Kessel on the interface between the press and literature deals with the relationship between the French literary world and the world of newspapers. The aim is to outline the interdependence of the two spheres, which is illustrated in the genre of reportage. The theoretical part of the work on the example of selected French writers (Dumas, Balzac, Zola, Colette, Cendrars, Aragon, …) and major French reporters (Londres, Viollis) demonstrates the functionality of printing-related literature. Attention is focused on the French writer, journalist Joseph Kessel, who is the perfect example of a journalist-novelist whose work is currently on the interface between the press and literature. Through analysis of his works Marché d’esclaves and Fortune carrée work is shown how the story published in the newspaper can lead to the creation of a literary work that its style and content falls under adventure stories. The practical part then presents pedagogical potential, which in theme and genre is hiding. Methodological notes offer concrete reflection of how the selected genre and literary text could be used for the purpose of FLE.

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