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Martial, Sernin, Trophime et les autres : à propos des évangélisateurs et des apôtres en Gaule Alain DlERKENS* Université Libre de Bruxelles Le culte de saint Martial, dont la vigueur est bien attestée au Vr' s., connaît un moment fort aux environs de l'an mil. Considéré d'abord comme un des sept évêques évangélisateurs de la Gaule au milieu du Iir s. (Grégoire de Tours), puis comme un des évêques désignés à Rome par saint Pierre pour porter la bonne parole en Gaule (Vita Martialis aniiquior, des environs de 850), Martial devient alors un parent de Pierre, un compagnon de Jésus, un véritable apôtre (notamment Vita Martialis prolixior). Cette prétention, défendue avec fougue par les moines de Saint-Martial de Limoges et amplifiée par Adémar de Chabannes, se heurte immédiatement à une série d'objections lourdes... avant d'être progressivement reprise, acceptée et de trouver une ultime (et éphémère) consécration au milieu du XIX'' s. lorsqu'en 1854, le culte apostolique de Martial obtient une fois encore Vapprobatur de Rome'. Je tiens à remercier chaleureusement Claude Andrault qui m'a fait l'amitié de m'inviter à son beau colloque sur Saint-Martial. Le bref article qui suit reprend les lignes de force de l'exposé que j'ai présenté à Poitiers le 26 mai 2005. Je voudrais dédier ces quelques lignes à la mémoire de Valérie Fortunier, décédée inopinément peu avant le colloque (8 mai 2005) ; cette jeune et dynamique historienne préparait une thèse de doctorat, sous la direction de Christian Lauranson-Rosaz, sur les mouvements de paix dans les « pays du centre de la Gaule » aux environs de l'an mil. Voir ses articles : V. Fortunier, « Les convenientiae aquitaines : un vecteur de la mutation féodale ? », dans J. Hoareau-Dodinau éd.. Résolutions des conflits : jalons pour une anthropologie historique du droit, Limoges, PULIM, 2003, p. 85-101 et (avec J. Péricard), « Odilon et la Paix de Dieu », dans D. logna-Prat, M. de Framond et Chr. Lauranson-Rosaz éds, Odilon de Mercœur, l'Auvergne et Cluny, Nonette, 2002, p. 117-134. ' Par ex. J. Staub, « Martialis », dans Lexikon fiir Théologie und Kirche, nouv. éd., t. VI, Fribourg, 1997, c. 1421. Saint-Martial de Limoges. Ambition politique et production culturelle (X'-XIlf siècles) Alain DIERKENS Telles sont les lignes de force, bien connues", d'une histoire complexe que je vais tenter de replacer brièvement dans son contexte historique. Pour ce faire, j'examinerai successivement les légendes sur les « évangélisateurs de la Gaule » et le vieillissement progressif de ces saints évêques jusqu'à en faire des contemporains de Clément, de Pierre, des apôtres et/ou du Christ ; le dossier particulier de saint Martial et, enfin, la spécificité du cas de Limoges. Les « évangélisateurs de la Gaule » Pour appréhender la question des légendes gallicanes et des évangélisateurs de la Gaule^, il faut partir d'un passage de l'œuvre de Grégoire de Tours. Dans le dernier quart du VI"^ s., Grégoire - qui s'appuie sur la Passif) Satiirnini, une Vie de saint Saturnin (Semin) composée à Toulouse dans la deuxième décennie du V s* - énumère sept évêques qui " Sur cette question difficile, la bibliographie est immense ; quelques titres seulement seront cités dans les notes qui suivent. Mais comment ne pas réserver une place particulière à un livre, à un catalogue et à deux articles ? On se référera donc, en priorité, à A. Kruger, Siidfranzôsisclie Lolialheilige zwischen Kirche, Dynastie und Stadt vom 5. bis zum 16. Jahrhimdert, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2002 (Beitràge zur Hagiographie, 2) ; J. Ehlers, « Politik und Heiligenverehrung in Frankreich », dans J. Petersohn éd., Politik und Heiligenverehrung im Hochmittelalter, Sigmaringen, Thorbecke, 1994 {Vortrâge undForschungen, 42), p. 149-175 ; M. Sot, « La Rome antique dans l'hagiographie épiscopale en Gaule », dans Roma antica nel Medioevo. Mito, rappresentazioni, sopravvivenze nella 'Respublica Christiana ' dei secoli IX-XIII, Atti délia quattordecesima Settimana internazionale di studio (Mendola. 24 - 28 agosto 1998). Milan, Via e Pensiero, 2001, p. 163-188 et au superbe catalogue Splendeurs de Saint-Martial de Limoges au temps d'Adémar de Chabannes, Limoges, Musée municipal de l'Évêché, 1995 (particulièrement les articles pénétrants de B. Barrière, dont « Adémar polémiste ou Martialis apostolus Christi », p. 65-77). ' Sur cette question, la bibliographie ancienne garde sa pertinence, en particulier L. Duchesne, Fastes épiscopaux de l'ancienne Gaule, 3 vol., 1907-1915 (pour le dossier de Martial, t. II, p. 105-117) ; dom H. Leclercq, «Légendes gallicanes», dans Dictionnaire d'Archéologie Chrétienne et de Liturgie, t. VIII, 1929, c. 2357-2440 et É. Griffe, « Les origines chrétiennes de la Gaule et les légendes clémentines », Bulletin de Littérature ecclésiastique, t. 56, 1955, p. 3-32. Dans la littérature plus récente, on réservera une place à l'exposé très clair de M. Aubrun, L 'ancien diocèse de Limoges, des origines au milieu du XP' siècle, Clermont-Ferrand, Institut d'Études du Massif Central, 1981, surtout p. 73-86. La thèse de B. Beaujard, Le culte des .maints en Gaule. Les premiers temps, d'Hilaire de Poitiers à la fin du VF siècle. Cerf, 2000, s'inscrit dans une perspective plus « positiviste » et réserve une moindre part aux débats historiographiques (voir cependant les p. 203-242 sur les sources). BHL 7495-7496. Éd. P. Cabau, « Opusculum de passione ac translatione sancti Saturnini episcopi Tolosanae civitatis et martyris. Édition et traduction provisoires », Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France, t. 61, 2001, p. 59-77 ; à préférer à celle de Krûger, Siidfranzdsischeop. cit., p. 362-366. Sur la date et les circonstances de rédaction de cette Passio : surtout A.-V. Gilles-Raynal, « L'évolu• tion de l'hagiographie de saint Saturnin de Toulouse et son influence sur la liturgie », Cahiers de Fanjeaux, t. 17. Liturgie et musique, IX-XIV siècles, Toulouse, Privât, 26 Martial, Sernin, Trophime et les autres auraient été envoyés, sous le consulat de Dèce et Gratus (donc vers 250), pour évangéliser la Gaule : Gatien à Tours, Paul à Narbonne, Austremoine à Clermont, Trophime à Arles, Saturnin à Toulouse, Denis à Paris et Martial à Limoges. Seuls deux d'entre eux subiront le martyre (Denis et Sernin) mais tous les sept - martyrs ou confesseurs - sont unis en Dieu : et sic tatn isti per martyriiim quam hii per confessionem in caelestibus pariter siinl coniimcti^. Par ailleurs, Grégoire ajoute, çà et là, dans son immense œuvre hagio• graphique, des renseignements sur le culte ou les miracles de certains de ces saints ; il évoque ainsi brièvement Martial et ses deux disciples venus d'Orient dans son Liber in gloria confessorum''. Quant à l'origine géographique de ces évêques, Grégoire est relativement vague. La formule qu'il utilise à propos de Sernin au chapitre XLVIl de son Liber in gloria martynm - une ordination épiscopale ab apostoloriitn discipitlis - suggère un rapport avec Rome, mais peut renvoyer à Pierre, à Paul ou au successeur de Pierre sur le siège épiscopal de Rome, Clément'. Les mots discipuli apostolonim désignent déjà Trophime d'Arles, Paul de Narbonne et Daphnus de Vaison dans un texte des environs de 500, la première Passion de saint Denis (la Passio sanctorum martyrum Dionysii, Rustici et Eleutheri, dite Gloriosae en raison des premiers mots du prologue), qui présente Denis comme envoyé en Gaule par saint Clément**. Cette idée que les évêques missionnaires de Gaule sont les successeurs directs des apôtres se retrouve également dans la plus ancienne Vita de sainte Geneviève, rédigée vers 520^. Mais, si un consensus se dégage pour faire venir ces sept évêques de Rome, les versions divergent pour savoir si c'est à Clément ou à Pierre lui- même que revient leur désignation. Le dossier particulier de Trophime, brûlant dans la première moitié du V s. en raison du conflit qui opposait alors Arles et Vienne pour la primatie des Gaules, contient des lettres pontificales de Zosime et de Léon 1" qui font de lui non seulement le premier 1982, p. 359-379 et « Origine et diffusion du culte de saint Saturnin de Toulouse », dans Saint-Sernin de Toulouse. IX Centenaire, Association du IX'' Centenaire de Saint-Semin, 1996, p. Al-11, ainsi que Kriiger, Sûdfranzosische..., op. cit., p. 273- 320. ' Grégoire de Tours, Historiarum litiri decem, I, 30, éd. B Krusch et W. Levison, Monumenta Germaniae Historica. Scriptores Rerum Merovingicarum, t. 1, 1, Hanovre, 1951, p. 23. Grégoire de Tours, Liber in gloria confessorum, XXVII, éd. B. Krusch, MGH SS.R.M., t. 1,2, Hanovre, 1885, p. 314-315 : sanctus Martialis epi.uopus a Romanis mis.ws episcopis.. Grégoire de Tours, Liber in gloria martxrum, XLVII, éd. B. Krusch, MGH SS.R.M., t. 1,2, p. 70-71. BHL 2171. Éd. B. Krusch, dans MGH Auctores Antiquissimi, t. IV, 2, Hanovre, 1885, p. 101-105. " BHL 3334. Éd. B. Krusch, dans MGH SS.R.M., t. III, Hanovre, 1896, p. 204-238 et 685-686. Sur ce texte : M. Heinzelmann et J.-C. Poulin, Les vies anciennes de sainte Geneviève de Paris. Études critiques. Honoré Champion, 1986. 27 Alain DIERKENS évêque d'Arles, mais encore le premier apôtre des Gaules, envoyé de saint Pierre lui-même'". Michel Sot a bien mis en évidence la tendance à vieillir et à « romaniser » les évangélisateurs de la Gaule". Par le fait même de recourir de plus en plus fréquemment à Pierre plutôt qu'à Clément, la tentation est grande de les rattacher directement à l'action apostolique en Terre Sainte ou, éventuellement, en Asie Mineure (via saint Paul) et de les identifier avec certains de ces soixante-douze disciples dont parlent les Écritures (Luc 10, 1 : « après cela, le Seigneur en désigna encore soixante-douze [disciples] et les envoya deux par deux en avant de lui ») ou avec l'un ou l'autre protagoniste des événements rapportés par le Nouveau Testament.