2 Michel Crepel

Ma Légende du Vélo

Tome 2

Éditions EDILIVRE APARIS 93200 Saint-Denis – 2011

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ISBN : 978-2-8121-4861-3 Dépôt légal : mars 2011

© Edilivre Éditions APARIS, 2011

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Tour 1953 Bobet impérial, Malléjac au sommet !

Comme de coutume et en droite ligne de ce qui se fait depuis les origines chaque édition de la Grande Boucle apporte sont lot de surprises, d’innovations voir d’extravagances. Le pragmatique prime trop souvent sur l’équité sportive et , perfectionniste jusqu’aux bouts des orteils, contrairement à fervent traditionaliste, perdure dans sa fièvre de gigantisme. Cependant, en cette année 1953 se profile déjà le du cinquantenaire et les innombrables et invraisemblables aberrations enregistrées lors de la précédente « kermesse de juillet » firent tellement jaser dans les chaumières et ailleurs qu’elles ne furent pas reconduites. En effet, comment un « fluoriclasse » tel le « Campionissimo » avait il pu bénéficier de tant d’allégeance de la part d’un homme qui n’est plus à vanter pour son intégrité à fleur de peau. En fait, plus que les errances équivoques d’organisateurs zélés, s’est pleinement adapté aux circonstances des plus favorables de ce Tour 1952. L’exceptionnelle abondance de difficultés, la

5 conséquente place accordée aux bonifications allouées aux sommets des cols, la pléiade d’arrivées en altitude et enfin l’absence de têtes d’affiche tels Hugo Koblet, Ferdi Kubler et ne sont pas étrangers à l’abominable et implacable domination du Transalpin lors de cet exercice. Cependant, il ne fait pas le moindre doute que Coppi se serait adjugé sans coup férir sont deuxième doublés Giro Tour tant la supériorité affichée par l’Italien, dès lors que les pourcentages croissaient, apparaissait flagrante et sans ambiguïté mais peut être aussi ne l’aurait il pas emporté avec un tel matelas de minutes à savoir, près de trente sur son dauphin, l’inattendu représentant d’Outre Quiévrain, Stan Ockers. Lauréat de son cinquième et dernier Tour d’Italie devant le Suisse Hugo Koblet, après une belle empoignade, Fausto Coppi décide de faire l’impasse sur le Tour à l’inverse du Zurichois, grand triomphateur à l’été 1951. Rendu prudent, suite à ses joutes musclées face à l’Helvète retrouvée de 28 ans, Coppi, bientôt âgé de 34 ans ne se sent pas en mesure de doubler et de revivre l’apothéose hypothétique péninsulaire. En outre, sa relation balbutiante en compagnie de la « Dame Blanche » est sujette à bien des remous familiaux dont il se serait bien passé. C’est grâce à une pirouette nommée que le « Campionissimo » se sortira indemne d’une situation pour le moins embarrassante. L’animosité entre les deux hommes étant de notoriété publique, la présence de « Gino le Pieux » au sein de la Squadra en cette année 1953, dissipa tous les doutes concernant la venue ou non de Coppi. Les Français, pour leur part, sortaient d’un Giro catastrophique. Seuls le « Grand Fusil » et Roger

6 Pontet, le père d’Alex pistard émérite, termineront l’épreuve. Louison Bobet, quant à lui, bâchera lors de l’ultime étape, qui conduisait la caravane des rescapés de Bormio à Milan, victime du blizzard, qui s’était abattu sur la course et d’une blessure récalcitrante à la selle. Autant dire que Marcel Bidot, après pareil camouflet, n’en menait pas large au moment d’établir sa sélection. En outre, Bobet mal en point, Raphaël Geminiani, bien que transparent sur les routes Italiennes, s’était refait une santé en devenant Champion de France sur le très difficultueux circuit de Saint Etienne. Le leadership de l’équipe de France se retrouvait donc suspendu au bulletin de santé du « Boulanger de St Méen ». Pour couronner le tout, l’aube des années 50 voit apparaître de nouveaux coursiers à la réputation flatteuse tels le « mouflon » Luxembourgeois, ou le Belge « Fred » de Bruyne. La France n’est nullement en reste et des garçons comme les « régionaux » Roger Walkowiak et Roger Hassenforder pour le Nord-Est – Centre, Jean Malléjac pour l’Ouest, René Privat pour le Sud- Est ou André Darrigade pour le Sud-Ouest peuvent très bien et à tout moment éclore au grand jour. Après une ultime sortie de 150 bornes en vallée de Chevreuse, Louison Bobet donna, alors, son aval pour se présenter au départ de Strasbourg en leader patenté. Raphaël Geminiani, Lucien Teisseire, Antonin Rolland, Jean Le Guilly, Raoul Rémy, Nello Lauredi, Bernard Gauthier, Jean Dotto et Adolphe Deledda complèteront une sélection hétéroclite mais empreint de caractère et de dynamisme. A la lecture de celle-ci et du palmarès des individus qui la compose, une chose est certaine, néanmoins, elle ne brille pas pour son altruisme exacerbé et Louison

7 Bobet devra se montrer fort convaincant pour en devenir le leader unique. Il est à noté, pour la petite histoire, que ce Tour du cinquantenaire verra l’apparition du maillot vert récompensant, pour l’occasion, le « saute ruisseau » le plus régulier aux arrivées. Ce prix très convoité de nos jours aura comme dénomination, classement par points. Les premières étapes confirment cet état de fait à savoir, que la formation Française n’a de collectif que le moment privilégié où elle passe à table pour le dîner. En course c’est la gabegie. Pendant que le Suisse Fritz Schaer fait montre d’une belle autorité, lors des arrivées à Metz et Liège, en endossant pour la circonstance le premier maillot vert de l’histoire, les Français évoluaient en ordre dispersé jouant leur va tout au gré des évènements. Le scepticisme régnait au plus profond des entrailles des membres de l’équipe et même l’omniprésence de Bobet à l’avant de la course ne réussi pas à l’estomper. En revanche, les « régionaux » s’en donnent à cœur joie. Après la victoire en solitaire du Breton de Dirinon, Jean Malléjac à Caen, c’est à Roger Hassenforder de faire le « show », ceint de jaune de Caen à Pau. Ce dernier, encensé par un public fan de ses pitreries réalisées aux arrivées, fera oublier pour un temps au dit public, les déboires du club France. Après que « Biquet » eut porté pour la première fois en course le maillot jaune lors de sa démonstration dans le triptyque Pyrénéen, Tourmalet, Aspin, Peyresourde c’est au tour d’un autre « régional », déjà auréolé d’une victoire d’étape à Caen, Jean Malléjac de se vêtir du paletot tant convoité. L’abnégation et la régularité de ce Breton dur au mal lui offriront le merveilleu cadeau de conserver sa tunique d’or jusqu’à Briançon, terme de

8 la dix septième étape. Pourtant depuis le départ et durant toute la traversée des Pyrénées, un homme, sans faire de bruit tissait la toile qui allait le hisser bientôt au sommet de la hiérarchie. Faisant fi de toutes les difficultés de l’épreuve, des doutes orchestrés de manière collégiale par les suiveurs et journalistes de tout poil ainsi que des sarcasmes essuyés sans broncher au sein de son propre clan, Louison Bobet progressait nanti de l’acuité du champion qui se connaît par cœur. Six années que le Breton arpentait les routes de l’hexagone, cela forge un caractère et donne à un coureur de sa trempe, pétri de classe l’opportunité d’enfin asseoir sa suprématie. A Gap, veille de la terrible étape de l’Izoard, le vainqueur de la « Primavera » et de la « Classique d’Automne » 1951, se trouve en embuscade, en troisième position à seulement trois minutes de . Idéal pour un coureur qui n’a, pour l’instant, pas donné un coup de pédale superflu contrairement à « Tête de Pioche ». Le casque colonial sur le crâne, Jacques Goddet donne le signal de départ de cette dix huitième étape, Gap-Briançon, qui demeurera pour nombre d’entres nous comme un moment d’anthologie. Dès le départ, deux Nord-Est – Centre prennent la poudre d’escampette en un « Baracchi » de belle facture. Bernard Quennehen et Jean Dacquay, les deux fuyards, sont bientôt rejoint par un troisième larron. Fidèle à la consigne de Marcel Bidot, Adolphe Deledda ferme la marche. A l’approche du col de Vars l’avance du trio frise les dix minutes. Derrière, les hostilités tardes, les velléités offensives, la volonté d’en découdre sont embrumés même si on sent poindre la nervosité signe avant coureur d’un énorme

9 séisme. Soudain, alors que tous attendaient une mine dévastatrice, dont il a le secret, de Gilbert Bauvin bien aidé en cela par l’exode de ses deux compagnons de route, c’est au contraire un missile sol sol irradiant de Louison Bobet accompagné dans sa démarche par l’Espagnol Jésus Lorono qui met le feu aux poudres, au lieu dit Melezen dans l’ascension de Vars. Un moment en difficulté dans la roue de l’Ibère, le Breton l’abandonne bientôt à son triste sort dans la descente. Cette dernière, Bobet l’appréhendera de manière suicidaire. Tel un funambule il snobera pièges et rets de la chaussée mêlant audace et virtuosité à la limite de l’inconscience. Alors que Quennehen et Dacquay se laissent décramponner par Deledda afin de venir en aide à Bauvin à l’arrière, Louison Bobet rejoint le Franco-Italien de Villa Minozzo. Exhortant, en vain, son équipier carbonisé de demeurer à ses côtés, Bobet escalade désormais l’Izoard seul contre tous. Seul ? Non, au détour d’un lacet de la casse déserte, le Breton aperçoit un spectateur pas comme les autres, hallucination ? Que nenni ! D’un geste ample et bon enfant, Fausto Coppi, venu en voisin à l’image des tifosi, encourage celui qui voltige seul vers sa succession. A Briançon, les écarts sont abyssaux. Le Batave Jan Nolten, second, qui fit illusion l’espace d’un instant est relégué à plus de cinq minutes et trente secondes. Ensuite c’est l’hallali. Bien « coaché » par un « Grand Fusil » des grands jours qui musellera l’adversité avec vigueur, panache et intelligence, l’équipe de France aura su au moment opportun redoré un blason passablement écorné tout au long de l’épreuve. Louison Bobet parachèvera son œuvre en s’adjugeant l’ultime contre la montre. Cette victoire

10 acquise avec brio et panache ouvrira vraiment au Breton les portes de la notoriété. De coureur de « classiques » le « Boulanger de St Méen » perfectionniste jusqu’au bout des cales pieds a su, à force d’abnégation et de travail, se muer en coureur complet rivalisant de concert avec les plus grands escaladeurs mais aussi avec les plus atypiques rouleurs et même les plus légendaires finisseurs. La légende est en marche. J’ajouterai, pour clore ce chapitre, que j’adresserai un grand « coup de chapeau » à Jean Malléjac pour sa place inattendue, mais ô combien méritée, de dauphin.

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Tour 2003 « Tour du Centenaire »

La Grande Boucle, nom pour le moins désuet à l’orée du sobriquet, dont on a assez curieusement affublé et ce de manière tout a fait arbitraire le Tour de France est sur le point d’honorer son « Centenaire ». Un siècle de présence au firmament évènementiel planétaire, nombre de disciplines et non des moindres ne peuvent se targuer d’une telle aura. La sollicitude sans retenue accordée aux exploits des « Géants de la Route » confère aux hôtes de la prestigieuse « Vieille Dame » des responsabilités à nulle autre pareille. Cette levée 2003 s’avère être un parfait tremplin pour montrer à tous que la kermesse de juillet n’a pas usurpé sa troisième place en matière de spectacle universel, juste derrière les Jeux Olympiques et la Coupe du Monde de football. A ce titre quel sport représentatif à l’échelle mondiale peut s’enorgueillir d’un passé aussi extravagant qu’hétéroclite nanti d’une richesse unique où se mêlent exploits retentissants et drames pathétiques. Le cyclisme, sport ingrat, s’il en est, génère aussi bien les ambitions les plus inavouables que les désillusions

13 les plus inattendues. Son destin hors du commun, jalonné de joies et de gloire mais également de larmes et de souffrance, a perduré plus d’un siècle malgré les galères internes, les conflits des peuples et les affaires délictueuses. La « petite Reine », pourvue d’un patrimoine exceptionnel, demeure l’un des seuls sports disposant d’un public averti et passionné même dans les heures les plus sombres de son histoire. Ce dernier s’avère être d’une fidélité sans faille et pardonne bon gré mal gré tous les avatars et frasques de ses « galériens sur leur drôle de drakkars ». Pour toutes ces raisons, le Tour de France, phénomène social par excellence, est devenu, au fil des ans et des péripéties qui n’ont pas manqué d’agrémenter ponctuellement toutes ses éditions, l’immuable et grandiose feuilleton, voir saga, de nos étés enchanteurs. Pour ce « Centenaire », l’organisation a mis les petits plats dans les grands et un remake grandeur nature de la première édition va faire renaître de ses cendres des épisodes dantesques et épiques que nul inconditionnel n’a oublié même si rares demeurent ceux qui les ont vécu. L’occasion fait le larron, dit on, c’est ainsi, par exemple, que le parcours empruntera l’itinéraire initial que des sautes ruisseau inconscients, irresponsables et aventureux avaient inaugurés, non sans une certaine dose d’aliénation, un siècle auparavant. Ces pionniers deviendront, bien malgré eux, les architectes de la pierre angulaire, du fondement de ce que seront les Grandes Boucles à venir. L’œuvre conjointe d’Henri Desgrange « patron » de l’« Auto » et de « Géo » Lefèvre, son chef de rubrique « vélo », que seuls deux conflits mondiaux ont réussi à mettre en sommeil, a toujours

14 ouvertement passionné et fortement inspiré le littérateur. L’incontournable apôtre de la plume vélocipédique Pierre Chany aimait à citer, par exemple, l’inénarrable éditorialiste Louis Aragon. Celui qui, un jour, s’illustra en dépeignant, nanti d’une dévotion quasi mystique, les yeux de sa bien aimée « Elsa », rédigea dans les colonnes de son journal, « Ce Soir », un « billet d’humeur » qui fera date. La renaissance de la Grande Boucle, en 1947, et le patriotisme encore bredouillant après six années de turpitude, offriront au poète surréaliste et dadaïste l’occasion de clamer son amour invétéré et immodéré pour la kermesse de juillet : « Le Tour, c’est la fête d’un été d’hommes, c’est aussi une fête de tout notre pays, d’une passion singulièrement Française : tant pis pour ceux qui ne savent pas en partager les émotions, les folies, les espoirs… ». L’évènement est considérable, donc, et pour l’apparat et à l’instar des JO et des Mondiaux de ballon rond, un défilé à allure réduite des formations tient lieu de cérémonie d’ouverture dans les artères de la capitale. Les festivités se dérouleront ensuite à l’hôtel de ville au terme de cette farandole multicolore. L’organisation, Jean Marie Leblanc et Patrice Clerc, en tête, n’ont pourtant pas oublié un seul instant leur devoir de mémoire. Ainsi, si la fête bat son plein dans un Paris en effervescence, une grande manifestation du souvenir se déroule à Montgeron et plus précisément à l’auberge « Le Réveil Matin ». Ce lieu chargé d’histoire, choisit à l’ultime instant par Desgrange alors en proie à un Préfet de police récalcitrant, vit en effet les premiers coursiers de l’histoire s’élancer pour un périple osé, suicidaire et improbable. L’avenir et les « Géants de

15 la Route » nous démontreront, par la suite, qu’improbable n’est pas nécessairement synonyme d’impossible. Je vous fais grâce de tout le galimatias de cérémoniaux et de liesses communicatives qui n’ont pas manqué d’émailler les instants mémorables de cet anniversaire incommensurable pour, dès à présent, m’attacher au but de ma démarche initiale, la course. Malgré tout ce tintamarre médiato-évènementiel, celle-ci ne devrait pas déroger à l’éminent précepte maintes fois réitéré, enfin depuis quatre saisons à savoir, qui mettra fin à l’éclaboussante et récurrente domination du « Texan ». Cette main mise sur l’épreuve agace et a le don d’« horripiler » nombre de suiveurs et d’inconditionnels. Si dans la manière limpide et implacable de verrouiller puis d’irradier la course s’avère être nullement discutable, il en va tout autrement lorsqu’il s’agit de mesurer l’ampleur de la débâcle des adversaires de l’Américain. En effet, et même s’ils admettent de concert et nantis d’une certaine admiration le talent inouï de Lance Armstrong, aucun de ceux-ci ne s’expliquent, pourtant, rationnellement une telle fatalité. Peut être qu’inconsciemment ils omettent les fondamentaux de leur discipline en s’escrimant délibérément à faire la sourde oreille et à jouer les amnésiques alors que tous savent pertinemment combien l’Américain s’astreint à un entraînement de stakhanoviste. Les méthodes spartiates dont use, en effet, le natif de Plano lors de ses stages hivernaux en rebuteraient plus d’un. Les innombrables reconnaissances effectuées la plupart du temps en solitaire, lors de conditions climatiques apocalyptiques et autopsiées de manière chirurgicales par un entourage personnel des plus fidèles explique,

16 certainement plus que tout autre allégation gratuite car sans fondement avéré, l’outrecuidante supériorité de Lance Armstrong, l’été venu. Mais au delà de l’éternel et démoniaque conflit opposant les légitimes suspicieux invétérés pour le moins « Béthuniens » aux non moins légitimes suspicieux plutôt adeptes de Descartes, les dénégations des uns et les affirmations des autres, obsolètes dans les faits, trouveront un écho autrement plus instructif par ailleurs. Place, maintenant, est donc faîte à la compétition seule prééminence offerte au sport en général et au cyclisme, en particulier. Cette cuvée 2003 est de première grandeur, la participation pour le moins éloquente et la chaleur caniculaire qui règne sur l’hexagone annonce des défaillances spectaculaires voir fatales pour les plus « humbles » coursiers. Nul doute, au vue de ce qui vient d’être énoncé, que le podium érigé, tel une stèle de festivalier, sur les Champs Elysées aura fière allure. La conjoncture, de nos jours, étant ce qu’elle est et les impératifs extra sportifs, facteurs de réussite « plénipotentiaire » ce qu’ils sont, un départ de l’ancestral et symbolique « Réveil Matin » aurait, immanquablement, condamné une entrée en matière, disons « orgiaque » et fantasmagorique. Bref, le prologue concocté par l’« intelligentsia » d’ASO aura pour théâtre, le cœur de l’ancienne capitale Mérovingienne. De la Tour Eiffel à la « Maison de la Radio », tout un programme, le public aura, en effet, tout le loisir de déverser à sa guise son trop plein d’enthousiasme. Comme l’écrivait, un jour fort à propos Pierre Chany dans une de ses innombrables et pertinentes rubriques, « Un siècle après que

17 l’impeccable Monsieur Albran a agité son petit drapeau jaune frappé du logo de l’“Auto”, on ne se pose plus la question de savoir si un Français va s’imposer dans le premier exercice en solitaire, appelé prologue ! ». J’ajouterai, pour corroborer les propos d’un de nos maîtres, que nul n’est prophète en son pays et ce même si la pénurie perdure depuis bien trop longtemps. Toujours est-il que la mondialisation, vœux pieux d’Henri Desgrange, a fait son chemin depuis et personne n’est surpris outre mesure lorsque le coureur des Antipodes Bradley McGee franchit la ligne en grand triomphateur. Le « kangourou » de la Française des Jeux a profité à merveille des atermoiements, dus à un saut de chêne, de son homologue Britannique David Millar pour réaliser le temps canon qui le fera « premier canari » du « Centenaire ». Quant aux favoris, ils ont « fait le métier » en se positionnant très honorablement et assez sereinement dans le top dix à l’image d’un Jan Ullrich, quatrième, ou d’un Lance Armstrong, septième à moins de dix secondes. A propos de l’Allemand, pour la compréhension et une bonne lecture de la course, il est important de souligner que celui-ci appartient dorénavant à la formation Bianchi, chère au « Campionissimo » et au « Bergamasque ». L’« éviction » du berceau familiale, Telekom, s’est déroulée à l’amiable, avec la plus parfaite complicité et dans la réciprocité des sentiments investis et ressentis depuis tant d’années. Une saison sabbatique à soigner un genou récalcitrant et quelques frasques bien à l’image du « bonhomme » en étant la cause sine qua non. L’approche du Tour s’en est, indéniablement, trouvé chambouler à tel point qu’un mois précédant la kermesse de juillet, le

18 « Rouquin » ignorait encore à quel saint se vouer pour élaborer et bâtir une équipe digne de sa notoriété de lauréat potentiel au podium final. Les premières étapes dédiées depuis des lustres aux sprinters ne dérogent pas à la règle et hormis un succès de l’Australien Baden Cook, le deuxième jour, toutes celles-ci ont été « administrées », gérées et domestiquées de manière despotique par le Ligurien Alessandro Petacchi et sa cohorte de « carabinieris » de la Fassa Bortolo. En quatre occasions le géant de La Spezzia s’est outrageusement imposé. Un vrai récital de vélocité et de puissance mêlée, un régal. Entre temps, un contre-la-montre par équipe de soixante dix bornes va permettre aux grosses écuries de placer leurs pions afin de les hisser en haut d’une hiérarchie précaire encore trop disparate. A ce jeu de « siège musicale » d’un autre âge, la formation Américaine, du tenant du titre, l’US Postal est passée maître. Et c’est le plus naturellement du monde que les « Armstrongs’ Boys » s’imposent, sans coup férir, à Saint Dizier, creusant des écarts déjà conséquents sur ses rivales moins prédisposées à ce genre d’exercice de style. Si les Espagnols de la Once, drivée par l’incontournable et nébuleux Manolo Saiz, assidus et adeptes depuis longtemps de ce genre de défi limitent la casse en prenant la seconde place à trente secondes des tonitruants Yankees, les Allemands du Team Telekom, par exemple, se retrouvent rejeté à une minute et trente secondes. En fait, la surprise viendrait plutôt de la formation Bianchi, érigée de « bric et de broc » en un temps record et emmenée de « main de maître » par un omniprésent et surpuissant Jan Ullrich. L’Allemand n’abandonnera qu’un peu plus de quarante

19 malheureuses secondes dans l’affaire. Une larme en rapport à ce que les plus optimistes des suiveurs et inconditionnels de tous poils lui prédisaient. Au soir de cette étape et malgré les succès à venir de Sandro Petacchi les deux jours suivants, le classement général vient de s’affubler de sa configuration montagnarde. Si le Colombien de l’US Postal Victor Hugo Pena trône tel un « conquistador » tout de jaune vêtue au sommet de la pyramide, son leader Lance Armstrong se trouve idéalement placé, une minuscule seconde derrière, dans l’aspiration même du « Lilliputien » des Andes. Les autres favoris ? Le premier d’entres eux, L’Espagnol Joseba Beloki se situe à une trentaine de secondes juste devant l’Allemand Jan Ullrich. Quant au Kazakh Alexandre Vinokourov et au Transalpin Ivan Basso, ils sont relégués à, respectivement, une minute cinquante et deux minutes vingt secondes du « Prédateur Ricain ». Son compatriote Tyler Hamilton, lui, entretient le suspens depuis sa chute et sa fêlure de la clavicule, il a pris ses quartiers à une minute et quarante secondes. Enfin, l’Italien « Gigi » Simoni, après avoir fanfaronné sitôt le Giro en poche, il cravache à déjà plus de trois minutes. La première étape Alpestre donnera lieu au traditionnel « one man show » du Varois Richard Virenque. En revanche, cette fois ci, outre le fait de s’approprier le maillot à pois, traditionnelle quête de sa bombance, le grimpeur de la Quick Step se retrouvera ceint de la tunique jaune à Morzine. Au soir de l’arrivée dans la station Alpine et à la veille de se coltiner les vingt et un virages, le chamboulement au classement général est édifiant et même si les favoris se sont neutralisés, comme de coutume, toute

20 la sainte journée, les positions sont loin d’être définitives. Cinq cols au programme de cette huitième étape, dont le Télégraphe, le Galibier et la montée vers l’Alpe d’Huez, donnent un bref aperçu des enjeux du jour. Copieux, âpre et « caniculairement » dantesque cette journée ? Elle le fut au delà de toutes espérances. Les favoris sont encore regroupés au pied du « Mont Batave ». Regroupés mais dans un état des plus « comateux » pour certains survivants de cette expédition apocalyptique. Les quatre ascensions précédant la montée finale ont laissé des traces indélébiles et rédhibitoires pour nombres de « galériens » ivres de fatigue et « cramés » autant par l’effort intense que par la chaleur accablante et étouffante de cet après midi d’enfer. La chaleur a inexorablement agi sur les organismes des plus humbles mais aussi sur la carcasse rougeoyante des plus aguerris. Jan Ullrich, en personne, adepte déclaré de pareille fournaise est la victime expiatoire mais innocente de maux d’estomac récurrents qui l’indisposeront lors de la dernière demi-heure, celle de toutes les affres voir de toutes les désillusions. Un groupe d’une vingtaine d’hommes se détache irrésistiblement dès les premiers lacets. La progression se fait sans heurte jusqu’au démarrage foudroyant de l’Espagnol d’Euskatel, Iban Mayo à mi-pente. La « gazelle Ibère » est irrésistible et accroît son avantage à chaque fouetté de sa pédalée feutrée. Derrière c’est l’hallali pour un grand nombre de rescapés. Alexandre Vinokourov de la Telekom, aérien et volontaire, fausse, à son tour, compagnie au groupe Lance Armstrong. Un Lance Armstrong sans réaction, phénomène rare, pour être souligné. Dans ce groupe,

21 figure, outre le Texan, un Basso appliqué, un fringant Hamilton pourtant bardé de strappes, un Beloki studieux et attentiste, un Mancebo juvénile ou encore un Laseika toujours aussi besogneux entre autres. Un peu plus loin à l’arrière Ullrich se démène comme un beau diable malgré le mal qui le tenaille en compagnie d’un Moreau, égal à lui-même. Ce sera peu ou prou le classement au sommet de l’Alpe et ce malgré les attaques effrénées, aussi inattendues qu’inespérées mais néanmoins vaines d’un Beloki exorcisé dans les derniers hectomètres. Le Texan, moins transcendant que de coutume, s’empare tout de même du maillot jaune au détriment d’un Virenque exténué par sa chevauchée de la veille. Le Varois, n’avait pourtant pas failli à sa réputation puisqu’il s’était adjugé les deux premiers prix de la montagne de la journée avant de disparaître irrémédiablement des communiqués. Sa collecte lui permettant d’envisager, nanti une certaine sérénité, de ramener un sixième maillot à pois à Paris, synonyme de record à égalité avec des sommités telles Frédérico Bahamontès et . Lance Armstrong en jaune, rien de bien hilarant au demeurant, excepter que les écarts enregistrés à l’issue de cette monstrueuse journée ne sont pas irrémédiables. Le « nouveau » Beloki pointe, en seconde position, à seulement quarante secondes du Texan. Pour leur part, Mayo, « Vino », Hamilton et Mancebo se retrouvent idéalement placés, en embuscade, à moins de deux minutes et seul finalement Jan Ullrich, malgré une superbe résistance, végète à deux minutes et dix secondes de l’Américain. Le lendemain, avec le Lautaret et l’Izoard au menu, les esprits vagabondent et la chaleur toujours

22 aussi lourde et oppressante a tôt fait d’annihiler les velléités offensives des uns et des autres. Les escarmouches et banderilles assénées avec parcimonies passées, le peloton, ou ce qu’il en reste, aborde le col de La Rochette, dernière difficulté de la journée. Difficulté est un bien grand mot, usurpé sans doute, pour cataloguer cet anodin raidar lorsque l’on a déjà franchit en deux jours et dans la foulée des monuments tels le Galibier, l’Alpe ou l’Izoard entre autre. Pourtant les organismes commencent à être passablement entamés. La canicule ajoutée aux stress et vicissitudes de la course ainsi que les difficultés incessantes, inhérentes aux étapes en haute altitude, ont depuis longtemps déversé sur le peloton de rescapés leur lot d’usure et d’érosion autant physique que psychique. Montée grand plateau, La Rochette explose soudain par l’entremise d’un « Vino » du dimanche qui, tel un « vampire » diurne sort de sa boîte et s’envole majestueusement. Derrière, c’est « Alamo », les attaques, démarrages et contres fusent de partout, un vrai 14 juillet, comme on en avait rarement connu depuis Mende en 95. Un 14 juillet fidèle à son entité tant l’impression grisante d’un feu d’artifice émanant des mouvements perpétuels en tête de course apparaissent alors multicolores et beaux. Armstrong doit faire face avec véhémence et efficacité à la coalition Beloki-Ullrich qui ne désespère nullement de « corriger » le présomptueux « Texan ». Devant le Kazakh caracole en tête de la course puis plonge, maintenant vers Gap, terme de l’étape, pas mécontent du tour qu’il en train de jouer à ses adversaires. Le groupe de poursuivants avec dans l’ordre Beloki, Armstrong et Ullrich enchaîne également la descente une quarantaine de secondes

23 derrière « Vino ». Le « trio infernal » tente de stabiliser l’écart avec le Kazakh qui a dors et déjà course gagnée. A quatre bornes de la banderole, le coureur de Manolo Saiz, Joseba Beloki, appréhendant sans doute mal un virage est alors victime d’une chute aussi spectaculaire que dramatique. Le goudron fondue, la roue arrière qui chasse immodérément, la vitesse excessive, un peu de tout cela sans doute, toujours est il que le coureur de la Once est maintenant vautré sur le bas côté de la route gisant à même le macadam. Des râles lancinants à la limite du supportables s’échappent de la commissure de ses lèvres comme pour nous faire partager sa souffrance et son désarrois. Tous les médias sont maintenant agglutinés tels des vautours autour de ce pauvre corps désarticulé et endolori. Les télés, dont la délicatesse n’est certainement pas la vertu première, passent et repassent les images jusqu’à l’indigestion. L’obscénité et l’indécence d’une telle démarche n’a d’égale que l’engouement déplacé qui anime celles-ci à relater le drame. J’en ai encore les larmes aux yeux. Cette malheureuse et malencontreuse chute aura surtout servi à immortaliser l’image d’un Lance Armstrong évoluant à son aise dans les labours. Quant à l’infortuné Joseba Beloki, il porte, encore aujourd’hui et à jamais (?) les séquelles de cette maudite journée. Après ce coup de force, Alexandre Vinokourov, pointe désormais à une minute de l’Américain, en lieu et place de Beloki. Surtout, il se positionne en adversaire privilégié d’Armstrong. Tous, suiveurs, coureurs et inconditionnels, louent, à juste titre, sa spontanéité, son aptitude à la bagarre, sa rage de vaincre, sa formidable générosité. Alors pourquoi

24 « Vino » ne serait il pas le « Bourguignon » des années 2000 ? Il est certain, en outre, que cette année semble enfin axée sur la rébellion, la mutinerie, la révolution de palais. Le Tour n’a, effectivement, jamais ô grand jamais été aussi attrayant, depuis l’avènement de l’hégémonie Texane, que cette édition du « Centenaire ». L’épisode Beloki, dont l’écho sera exploité à satiété par les médias de toutes natures, nuira, indéniablement, aux victoires de Jakob Piil et Juan Antonio Flécha à, respectivement, Marseille et Toulouse. Ces deux baroudeurs émérites ne tireront pas le meilleur parti de leur exploit, loin s’en faut. Pendant que la chronique s’attarde encore et toujours sur les malheurs du malheureux leader de la Once, le premier contre-la-montre de Cap Découverte se profile et commence sérieusement a interpeller puis attiser l’appétit des suiveurs. En effet, et même si la question apparaît « bateau » au premier abord, tous ont remarqué une certaine lassitude chez le « Texan ». En deux occasions, par exemple, l’Américain s’est laissé surprendre par ses adversaires sans pouvoir réagir prestement à ces attaques comme il avait immuablement coutume de le faire d’ordinaire. Tout est relatif, cependant, la chaleur qui sévit depuis le départ n’épargne personne, et surtout pas Lance Armstrong, réfractaire déclaré à ce genre d’atmosphère oppressante et caniculaire. Ce vendredi 18 juillet, le mercure affiche un quarante degré qui fait froid dans le dos (sic). Après un entraînement sur « home » au son bouillonnant et frissonnant d’une climatisation de fortune, l’Allemand Jan Ullrich, dont les soucis gastriques se sont estompés, enfourche sa monture et s’élance, pour quarante sept bornes, à même les charbons ardents en

25 guise de macadam. Pendant que le « Teuton » progresse avec une efficacité retrouvée, Lance Armstrong se prépare à se soumettre aux ordres du starter. Ullrich, faisant fi de l’environnement surchauffé, semble dans un grand jour. Son aérodynamisme est parfait, la souplesse de sa pédalée onctueuse, les jambes tombent telles des bielles, la machine Allemande, à son régime de croisière, fait merveille. L’Américain pour sa part, mouline comme à son habitude et ne paraît pas se ressentir de la chaleur. Elaborer une comparaison des deux styles seraient pour le moins arbitraires tant les deux champions sont à l’opposé l’un de l’autre. En fait, seul le chrono est à même de déceler celui des deux qui possède l’efficacité la plus efficiente. Et à la lecture des premiers pointages, pas de doute, Jan Ullrich est sur le point de réaliser un chrono du feu de dieu. L’Allemand ne relâchera jamais son étreinte tout au long des quarante sept bornes tant et si bien que sitôt la ligne d’arrivée franchit, Lance Armstrong médusé ne pourra que constater les dégâts. Une minute et trente secondes de débours, jamais l’Américain n’avait encore essuyé pareil camouflet dans un exercice où il excelle. Même si Santiago Botero l’avait devancé en 2002 pour onze secondes, jamais il ne s’était senti autant humilié. Pourtant nous savions tous l’Allemand capable de pareil exploit. Le plus gros moteur de tous les temps a, une fois n’est pas coutume, lâché les chevaux sans état d’âme et sans retenue et c’est tout excepté une surprise. Toujours est il qu’au soir de l’étape, Jan Ullrich a fait momentanément taire les grincheux et par la même occasion donné un grand coup de botte dans la fourmilière à tel point qu’au classement

26 général il pointe désormais en seconde position à un peu plus de trente secondes de Lance Armstrong, toujours en jaune. Alexandre Vinokourov, quant à lui, auteur d’une honorable performance à Cap Découverte demeure sous la minute, en troisième position. Deux hommes sous la minute, derrière le « Texan », à ce stade de l’épreuve, ce n’était plus arrivé depuis des lustres et rarement, tout au long de ses « pèlerinages estivaux », nous avions été à pareille fête. L’enchaînement avec les Pyrénées ne permet, ni aux coursiers, encore moins aux « technocrates des bilans » de dresser un bilan voir un état des lieux sur les bénéfices des uns et les désillusions des autres. D’ailleurs, il est de notoriété publique que le serpentin multicolore assume mal la critique infondée et les démonstrations souvent impertinentes et fallacieuses des « ébats journalistiques » d’aujourd’hui. Les coureurs de nos jours n’ont plus l’admiration sans borne que pouvait porter leurs paires à l’égard des Blondin, Chapatte, Chany et consorts. Qui oserait les blâmer ! Les commentaires vont bon train, cependant, au moment d’aborder la première étape Pyrénéenne qui mènera les pelotons de la « Ville Rose » au Plateau de Bonascre. Que dire de cette fin d’étape palpitante et exaltante dans son final si ce n’est que les adversaires de Lance Armstrong en général, et Jan Ullrich en particulier ne se sont pas montrés des plus entreprenants. En effet, derrière l’Espagnol Carlos Sastre parti en éclaireur, le reste de la troupe se contenta d’assurer un tempo rapide, certes, mais loin d’être démoniaque. Finalement seul le final donnera matière à s’enthousiasmer quelque peu. Le coureur du

27 Team CSC ayant course gagnée, « Vino » se dressant alors sur les pédales, tel un albatros trop longtemps demeuré au sol, s’en alla toute voile dehors sans autre forme de procès. Derrière, après le moment de stupeur passé due à la soudaineté du démarrage du Kazakh, Jan Ullrich emboîta le pas de son ex-futur équipiers de la Telekom. Ce fut alors grandiose. L’Allemand, lancé telle une catapulte, fit rougir les pignons jusqu’à l’incandescence à tel point que Lance Armstrong, prompt d’ordinaire à répondre aux attaques du « Teuton », se retrouva scotché au macadam comme un vulgaire « lampion ». Arrachant un braquet de mammouth le monstre de Rostock avale dans la foulée le Kazakh bondissant et s’en va cueillir une seconde place synonyme de bonifications alléchantes. Le « Texan », un moment en grosse difficulté, parviendra, dans un dernier effort, à limiter l’hémorragie à une vingtaine de secondes. Quelle erreur de ne pas avoir lancé les hostilités plus tôt. Aujourd’hui encore on peut se demander ce qui serait advenu du « Texan » si d’aventure une attaque magistrale avait été déclenchée au deuxième tiers de l’ascension. Les jours qui se succèdent font indubitablement le jeu de l’Américain. En mal de récupération depuis Cap Découverte et diminué par la forte chaleur qui l’indispose, Lance Armstrong dispose, au matin de la grande étape Pyrénéenne, d’un capital fluet de quinze second sur Jan Ullrich. Mince et énorme à la fois. Les six cols au menu de cette quatorzième étape seront l’occasion pour « Gigi » Simoni de démontrer, fort tard cependant, que ses aptitudes en haute montagne ne sont nullement usurpées. Vainqueur à Loudenvielle d’un sprint où il règle avec autorité et malice Richard

28 Virenque et le Suisse Laurent Dufaux, adversaires- partenaires pour la circonstance, le leader de la Saeco aura, au moins rempli son contrat à défaut d’avoir mis à exécution ses allégations du mois de juin. A l’arrière, « Vino » est de nouveau sorti du groupe des favoris mais parviendra, cette fois ci, à conserver une partie de son avance jusqu’à l’arrivée. Au classement général, les positions se resserrent dangereusement pour l’Américain. En effet, à la veille d’appréhender la dernière étape de montagne digne de ce nom, Ullrich et « Vino » campent désormais dans l’aspiration même du « Texan » à savoir, quinze et dix huit secondes. Du jamais vu ! Pourtant à l’aube de cette quinzième étape, l’atmosphère a changé, le ciel est gris, le plafond nuageux est des plus bas et l’impression d’oppression s’est atténuée. La canicule s’est doucettement estompée et les coureurs, sur la ligne de départ à Bagnères de Bigorre semblent ressentir cette mutation. Le faciès des rescapés du « Centenaire » apparaît des plus hétéroclites. Si Armstrong se montre détendu et serein comme à son habitude, un rictus d’anxiété orne les traits de Jan Ullrich. Ce changement de condition météorologique serait elle prémonitoire d’un changement physiologique de certains coureurs. Pas impossible. Même si dans l’entourage de l’Allemand on semble tout misé sur le dernier chrono de Nantes pour effacer l’ardoise de quinze secondes, on sent Ullrich impatient d’en finir. Trop impatient ? Dès le départ les échauffourées sont légions, les sans grades ne disposent plus de beaucoup d’échéances pour glaner le sésame libérateur synonyme de gloire éternelle. Dans Aspin le Colombien Santiago Botero et Sylvain Chavanel

29 prennent la poudre d’escampette. Les deux hommes s’entendent comme larrons en foire, les relais sont efficaces et dans le même temps le peloton frileux et apathique ronronne. Ce train de sénateur sied à merveille à l’entreprise des deux rebelles. Dans les premiers lacets du Tourmalet, les dix minutes dans l’escarcelle, le duo se désunis et, surprise c’est Botero qui donne des signe de « moins bien ». Cogitant un court instant sur la conduite à tenir, « MImosa » préfère la folie à la galère et se lance alors dans une chevauchée solitaire aussi improbable que courageuse. Derrière, Moreau, Sastre et Mayo sont sortis du groupe des favoris et maintiennent un écart de circonstance. Puis, Jan Ullrich s’arrache, la chaîne est tendue comme un arc, les muscles saillants de ses mollets donnent un aperçu de l’effort extraordinaire qu’il vient d’impulser. Lance Armstrong ne bronche pas. Ullrich poursuit son festival rejoint et dépose le trio sorti peu avant. Il reste huit bornes avant le sommet du toit du Tour, n’est ce pas un peu présomptueux ? Toujours est-il que l’écart stagne maintenant. Mieux, à la pédale, bien posé à l’arrière de sa selle Armstrong reprend petit à petit du terrain à son rival et avec l’aide de Mayo, revenu dans son sillage, recolle enfin à la roue arrière du « Teuton ». Tout reste à faire. Derrière, « Vino » a subi un coup de buis assassin sur l’attaque tranchante de l’Allemand, le Kazakh a brutalement décroché et végète dorénavant quelques lacets en amont. Un regroupement s’opère dans la descente et hormis « Vino », toujours retardé, tous les favoris, Ullrich, Armstrong, Hamilton, Basso, Mayo, Zubeldia et Moreau sont présents. Sylvain Chavanel progresse

30 toujours à l’avant de la course et dispose encore de cinq minutes d’avance. L’apothéose est en marche ! Nous sommes, maintenant, dans la montée vers Luz Ardiden la bien nommée. A dix bornes environ de la banderole d’arrivée, Iban Mayo tente de provoquer ses adversaires en plaçant une mine à un endroit où le pourcentage de la pente s’accroît brusquement. En pure perte, Armstrong et Ullrich sont à la parade et recollent promptement suivis bientôt par la meute en ordre dispersé toutefois. L’Américain n’a pas du tout mais alors pas du tout apprécié le comportement de l’Ibère et lui fait savoir en démarrant énergiquement dès la jonction. Son sprint échevelé est tellement bouillant et saccadé qu’au détour d’un virage le guidon du « Texan » se prend dans la besace d’un spectateur par trop curieux. La chute est inévitable et l’Américain choit lourdement entraînant dans son sillage Mayo qui, collé à son boyau arrière n’a rien vu venir. Seul Ullrich dans un réflexe étonnant parvient à éviter la gamelle. C’est la stupeur dans la caravane mais aussi sur le bord de la route et dans les foyers. Plus de peur que de mal cependant, tant et si bien que nos deux valeureux « voltigeurs » se retrouvèrent en selle en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire. Entre temps, les adversaires des deux hommes se sont fait le devoir d’attendre les retardataires respectant en cela l’adage, la règle non paraphé qui veut que l’on n’attaque jamais un homme à terre ! Comprendra, qui pourra ou voudra ! En attendant, pour un coureur « diesel » tel le « Rouquin », cette mésaventure comportait un certain nombre de risques que l’intéressé, indécrottable « gentil », a semble-t-il décidé d’assumer. A peine

31 étions nous remis de nos émotions qu’un second incident allait procurer une frayeur sans nom à Armstrong. En remontant la file des coursiers du groupe de tête, le Texan déchaussa brutalement et grâce à un numéro de funambule digne des « Bouglione » parvint à éviter une nouvelle chute. S’en était trop pour l’Américain vert de rage. En vérité, Lance Armstrong connu plus de malédictions ce jour là que lors de tous ses succès dans la Grande Boucle réunis, c’est tout dire. Revenu du « Diable Vauvert » donc, celui-ci se replaça tant bien que mal dans le sillage des hommes de tête. A peine remis de ses émotions, Mayo place une seconde mine. Subodorant le Texan en indélicatesse chronique, le Basque joue le tout pour le tout. Pas vraiment une bonne idée lorsque l’on connaît la rage qui étreint l’Américain dès que l’adversité vient contrarier ses légitimes ambitions. Mayo n’a pas pris dix mètres qu’Armstrong se porte à sa hauteur et sans même le toiser irradie l’Espagnol et atomise le reste du groupe. Sans réaction, les adversaires du « Texan » éberlués sont incapables de relancer la mécanique. En revanche celle du maillot jaune apparaît bien huilée et tourne à plein régime. Ullrich, qui n’avait pas eu le temps nécessaire pour reprendre son allure de métronome, d’avant les incidents, est la première victime de l’ulcération de l’Américain. L’Allemand arrive néanmoins à accélérer l’allure et imprime maintenant un train d’enfer à ses compagnons d’infortune. Les coureurs du groupe de poursuivants sautent les uns après les autres à la manière d’un jeu de « saute puce » et seuls Mayo et Zubeldia parviennent à force de courage et d’abnégation a garder la roue du « Teuton ». Mais l’Allemand a

32 perdu une quarantaine de secondes sur l’Américain lors de sa remise en route poussive. C’est exactement le temps qui séparera les deux hommes au sommet, comme quoi. Lance Armstrong consolide son maillot jaune mais ne pavoise pas pour autant. Prudent, il sait d’où il revient et l’expérience calme les ardeurs. Et puis une minute et sept secondes d’avance lorsque l’on en a déboursé un tiers de plus lors du chrono de Cap Découverte, il n’y a pas matière à faire le malin, du moins pas encore. Pourtant on imagine mal l’Allemand, dont on connaît le moral friable, sortir indemne d’un tel coup du sort. L’ultime étape accidentée de ce Tour du « Centenaire » sera le théâtre d’un solo de l’éclopé de l’épreuve, l’Américain Tyler Hamilton. Ne ressentant pas outre mesure le mal lancinant qui devrait pourtant le tarauder, le coureur de Bjarn Riis se lance, après avoir au préalable déposé, de fort belle manière, ses compagnons d’échappée dans l’ascension du Bagarguy, dans un raid éperdu qui le verra triompher, malgré un fort vent de face, à Bayonne deux minutes devant un peloton réglé, pour l’occasion, par le « Kaizer » . Décidemment l’homme est une nature divine. , quant à lui, fera la nique au en arrivant seul, le lendemain, à Bordeaux, patrie ancestrale et symbolique des finisseurs de tous horizons. Enfin, l’Espagnol Pablo Lastras signalera sa présence, dans la course, en profitant au mieux de la confusion et des coalitions nées d’une échappée de seize hommes, pour finalement fausser compagnie à tout son monde sans aucun remord. A Pornic, au matin de cet avant dernière étape le classement est inchangé. Une minute et sept secondes

33 séparent toujours les deux belligérants. A l’instar de l’étape de Luz Ardiden qui avait vu le destin d’Ullrich basculé en sa défaveur, les augures ne sont pas favorables aux desseins de l’Allemand. En effet, la météo est exécrable, il pleut « comme vache qui pisse » et le vent tourbillonnant promet un contre la montre abracadabrantesque. On sait, dès lors, que le Tour, l’Allemand ne le gagnera pas aujourd’hui et par voie de conséquence, pas cette année. En outre, Jan Ullrich, comme à son habitude, n’a pas reconnu le parcours et par temps de pluie un tel manquement aux plus élémentaires règles du coureur professionnel est rédhibitoire. Deux jours de temps maussade contre dix huit jours de canicule, seront suffisants à Lance Armstrong pour remporter son cinquième Tour et ainsi égaler « Maître Jacques », le « Cannibale », le « Blaireau » et le « Roi Miguel ». Plus que toute autre discipline, le contre la montre exige pour que la parité et l’échelle des valeurs s’expriment, des conditions météorologiques optimales pour tous les participants. Hors, la chaussée rendue glissante par la pluie, la tenue de route contrariée par un vent tenace et tournoyant ne permet pas les écarts que l’on aurait pu enregistrer sur une route sèche et sans le moindre souffle de vent. La minute et sept secondes s’avère être, dans ce cas précis, un obstacle insurmontable même pour un rouleur de la trempe de Jan Ullrich. Pourtant, il va tout tenter, le bougre. Faisant fi des lois de l’équilibre, il progresse de manière linéaire, bien en ligne. En avance au quarantième kilomètre, il appréhende alors mal un rond point, tente en désespoir de cause une « Candeloro » survitaminée et enchaîne hélas sur une « Joubert » du plus bel effet qui, comme chacun sait, se termine neuf fois sur dix

34 sur la chaussée détrempée. Il se relève promptement et repars aussitôt abandonnant au passage, et ce définitivement, ses illusions de victoire final et de succès d’étape. A l’inverse du patinage, le cyclisme offre rarement une chance de se rattraper. Lance Armstrong alerté par la « cavalerie » mise à sa disposition par sa formation, se relève alors, hume le parfum de la victoire chèrement acquise et se contente de terminer à sa main évitant ainsi les innombrables pièges. Pour preuve de son angoisse, on le verra franchir la ligne en lançant un point rageur signe assez significatif d’un profond et salvateur soulagement. La messe est dite. Pour l’anecdote, l’Ecossais David Millar parviendra a arracher une victoire qui l’avait fuit le premier jour dans ce même exercice. Après la victoire honorifique du Français Jean Patrick Nazon, sur les Champs Elysées, le Tour du « Centenaire » connaîtra une apothéose digne de sa légende. Même si l’édition du « Centenaire » fut, et de loin, le meilleur cru de ces dix dernières années, celle-ci laissera longtemps un goût amer d’inachevé. Une charge émotionnelle de tous les instants, un suspense haletant, toujours en éveil dont le mano a mano exceptionnel entre l’Américain et l’Allemand fut la pierre angulaire, les drames humains dont Beloki et Hamilton furent les « ambassadeurs », bien malgré eux, toute cette débauche de sentiments mêlés ne saurait faire oublier le malaise insidieux et profond ressenti par nombre de suiveurs et inconditionnels de tous bords à l’issue de l’épreuve. Jan Ullrich aurait il remporté la victoire si d’aventure il n’avait pas connu de problème gastrique

35 de l’« Alpe », où il perdit plus d’une minute dans l’affaire, si l’Allemand avait attaqué plus tôt dans Bonascre ou encore si celui-ci s’était tenu sur la réserve dans le Tourmalet ou enfin si la pluie ne s’était pas invitée au bal nous privant ainsi d’un épilogue dantesque ! Cela fait beaucoup de si vous en conviendrez excepté que ceux-ci auraient très bien pu être gommés avec un peu plus de réussite, de chance voir de jugeote de la part de l’encadrement de la formation « Teutone ». La réussite, Lance Armstrong, lui, l’a épousé et choyé soigneusement et chaleureusement lors de ses mésaventures de Gap et de Luz Ardiden, il a su invoquer et louer « Neptune » dans les moments important, suffisant, ma foi, pour franchir le « Rubicon ». Enfin, quelle influence, le triomphe de l’Allemand aurait il eu sur l’avenir du Tour et par voie de conséquence sur celui de l’Américain ? Les mouches auraient elles changé d’âne ? Les rêves utopiques, dans le cyclisme, demeurent à jamais un des privilèges de ce sport tant décrié.

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Argentin Moreno, « Il Furbo »

Son surnom « Il Furbo » vient de son désintéressement, relatif, des épreuves auxquelles il participe, et pour lesquelles il n’éprouve aucune envie d’y jouer un rôle. C’est ça , le Vénitien, né à San Dona Di Piave en 1960, sélectionnait rigoureusement les courses capables de lui sourire. C’est ainsi qu’il s’était fixé, tous les mondiaux auxquels il participerait, quelques classiques, et non des moindres, triées sur le volet, auxquelles il s’astreignait un entraînement de « Spartiate » afin d’arriver à ses fins. Le bilan est mitigé, quoiqu’éloquent ! Mitigé car il n’a jamais réussi, totalement, à conquérir le cœur des tifosis. Mitigé, encore, parce que la course reine des Italiens, la « Primavera » – Milan-San Remo, s’est toujours refusée à lui, même en ce printemps 92, où la réussite, semblait enfin lui sourire, quand un empêcheur de tourner en rond, nommé , vint lui ôter ses derniers espoirs de vaincre sur la via Roma. Toutefois, son palmarès, à une époque où les chasseurs de classiques sont légion, est en tout point remarquable ! Le Transalpin était,

37 avant tout, l’homme des « Ardennaises », quatre succès dans la « Doyenne » – Liège-Bastogne-Liège, dont trois successivement (1985, 86, 87 91), viennent étayer ces affirmations. Mais pas seulement Liège- Bastogne-Liège ! Au crépuscule de sa carrière, il s’offre trois victoires dans la Flèche-Wallonne (1990, 91, 94) ! En 1991 il s’octroie, également le « Week- end Ardennais », avec le score parfait, en ayant réussi le doublé. La classique « des Feuilles Mortes » – Tour de Lombardie aura également ses faveurs, car la topographie de la Lombardie est étrangement similaire aux Ardennes belges, mais il s’y imposera qu’en une seule occasion (1987). Reste les championnats du monde, où « l’homme des circuits » fera parler sa science du train, des accélérations meurtrières, des démarrages en côte époustouflants et meurtriers pour ses adversaires. Il détient, à ce sujet le record, conjointement avec André Darrigade et Georges Rousse, d’avoir réussi la performance d’être sue le podium de trois Mondiaux successifs (Lauréat en 1986, il sera le dauphin de Stephen Roche en 87, après avoir terminé sur la troisième marche du podium derrière Joop Zoetemelk et Greg Lemond en 1985), mais le plus extraordinaire, est que ces trois « places » ont été acquises les mêmes années que ses trois premiers succès dans Liège- Bastogne-Liège !! Il est certain, néanmoins, que Moreno Argentin, est passé à côté de quelque chose de grand ! En effet, si l’Italien avait préparé toutes les classiques de la même manière que les « Ardennaises », il est évident que celui-ci aurait été, sans aucun doute, le dauphin des « Rois » tels ou ! Son festival dans le Tour des Flandres – « Ronde Van Vlaaderen » 90,

38 est encore très présent dans les mémoires pour se convaincre que le transalpin avait toutes les cartes en main pour étoffer son registre, en y ajoutant quelques « Epreuves du Nord » !

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Hommage à « La Balle »

La malchance, Franco Ballerini en avait fait un moteur lorsqu’il était coureur à la lisière des années 80-90. Elle le rendait malheureux et chagrin et c’est souvent dépité et meurtri qu’il quittait la scène où celle-ci l’avait frappé malencontreusement ou bien insidieusement. Comme en cette année 1993 quand, les bras levés vers le ciel, on lui signifiait quelques instants plus tard que « Gibus » lui avait « volé » son rêve, son « Graal ». Dominateur comme rarement tout au long de leur chevauchée en duo, Gilbert Duclos Lasalle n’avait du son salut qu’à cette hargne, cette abnégation qui caractérisait si bien le Béarnais. Dix fois, cent fois, il avait failli lâcher prise derrière la « grosse cylindrée » monstrueuse de puissance du Toscan qui avalait et digérait les « pavetons » nanti d’un appétit et d’une boulimie non feinte. Depuis le « Gitan », jamais je n’avais assisté à pareille domination que celle exercée par Franco Ballerini lors de tous les « Enfer du Nord » auxquels il participait. Sans cette malchance récalcitrante et les combines d’équipes auxquelles il appartenait, nul

41 doute que son palmarès dans la « Reine des Classiques » aurait été tout autre. Cela vaut, également, pour Roger de Vlaeminck, bien évidemment. « Je ne reviendrai jamais ! » Tels furent ses mots à sa descente de vélo. Deux ans plus tard pourtant, en 1995, Franco Ballerini croit enfin connaître la forme de sa vie et tous, suiveurs, journalistes et coureurs en font leur favori au même titre qu’, impérial l’année précédente sous l’apocalypse. En guise d’épreuve préparatoire, l’Italien de la formation , s’adjuge le Het Volk avec maestria et autorité rejetant ses futurs adversaires du week end Pascal, , Andrei Tchmil, et autres Wilfried Nelissen ou aux rôles de comparses. Or, quatre jours avant la date fatidique, lors de Gand Wevelgem remportée par le Danois Lars Michaelsen, Franco Ballerini est victime, en compagnie de Johan Museeuw et du Canadien Steve Bauer, d’une lourde chute qui le laissera l’épaule très endolorie. Appréhender les pavés dans un tel état relève de l’utopie, entendons nous ici ou là. Museeuw, quant à lui, souffre du genou et se retrouve, bien malgré lui, sensiblement dans la même galère que l’Italien. Patrick Lefévère, qui se veut optimiste, le sait mieux que quiconque, « il n’y a que trente pour cent de chances de le voir au départ de Compiègne. Cependant, mieux vaut pour nous un demi-ballerini que pas de Ballerini du tout ! ». C’est dire si le « boss » des Mapei avait foi en son coureur. Les favoris ou présumés tels pour la victoire sur le vélodrome sont peu ou prou les mêmes depuis l’aube des années 90. Seule la forme et la condition physique

42 des uns et des autres permettent d’établir, bien arbitrairement toutefois, une hiérarchie. Si Andrei Tchmil apparaît encore plus costaud que lors de la dernière édition, où il s’était déjà montré impressionnant de puissance, Museeuw, lauréat du « Ronde » une semaine plus tôt et qui rêvait du doublé réalisé par le seul « Gitan » en 77, est dans l’expectative. Demeure les éternels « bouffeurs de pavés » que sont les Belges Johan Capiot, Wilfried Peeters, Jo Planckaert, , la cohorte Italienne, Fabio Baldato, , Stefano Zanini, Maximilian Sciandri ou , le Russe Vjatcheslav Ekimov, l’Allemand voir les hexagonaux « Gibus » ou Frédéric Moncassin. Après une sortie de cent trente bornes du côté de Courtrai, la veille du départ de Compiègne, France Ballerini se déclare apte, de même que le « Lion des Flandres ». Lefévère peut enfin dormir. Ce « Paris Roubaix » 1996 fut limpide comme rarement. Une centaine de coureur s’extirpe en tête à la sortie de la « Trouée d’Arenberg ». Celle-ci rendue rapide, mais pas moins dangereuse, du fait de conditions climatiques favorables a été appréhendée et franchie tout en puissance. Sur les longs bouts droits qui mènent à Templeuve, l’Allemand Bert Dietz fausse compagnie à la meute. Le Telekom se voit bientôt adjoindre Ekimov, le revenant Vanderaerden et le Mapei de service Tafi. Alors que la formation de Patrick Lefévère, en tête de peloton, accélère l’allure, Capiot, en vieux filou leur file sous le nez au lieu dit Seclin. Pas pour très longtemps, néanmoins. Le Belge se voit, en effet repris, par la patrouille composée de Bortolami et Ballerini, en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire. A Templeuve Johan Capiot chute et

43 doit se contraindre à laisser filer le « baracchi » Transalpin lancé à toute vapeur. Le duo ne tarde pas à tomber sur le râble des quatre fuyards. Six coureurs en tête donc à ce moment de la course dont trois Italiens de la Mapei et quarante cinq secondes d’avance sur le gros de la troupe. A trente deux bornes du vélodrome, sur une anodine portion de pavés succédant à l’abominable laminoir de Templeuve, « La Balle » place une mine et s’envole. Bien protégé par Tafi et Bortolami, le Toscan avale le macadam à la manière d’un requin ses proies à savoir, un appétit « gargantuesque ». Le festival Ballerini est en marche et personne, même pas la malchance, ne viendra contrarier la belle machine virevoltant de pavé en pavé à la manière de son idole, le « Cecco ». Depuis , effectivement, rares ont été ceux ayant laissé une telle impression de puissance et de virtuosité et déjoué de manière cynique les pièges et rets de l’« Enfer ». Après six heures trente d’une course rondement menée, Franco Ballerini peut désormais donner libre cours à une joie non dissimulée. Il tenait enfin son « Graal » ! Tchmil et Museeuw, arrivés deux minutes après le héros du jour, complèteront un podium du plus bel effet. « C’est le plus beau jour de ma vie. Jamais jusqu’à aujourd’hui je n’ai oublié ma cruelle déception de 1993. J’aime Paris Roubaix et cette entrée sur le vélodrome est magique. C’est une chose réellement incroyable ! » « Franco le Maudit » entrait de plein pied au Paradis. Le Toscan remettra le couvert de façon encore plus « arrogante » en 1998, puis qu’il laissera son second Andrea Tafi à plus de quatre minutes, puis arrêtera la compétition pour devenir bientôt sélectionneur de la

44 Squadra Azura. A l’image d’une « Joconde » bien née, , il se montrera aussi réaliste et pugnace que sur sa monture puisqu’il mènera au maillot irisé des « fluoriclasse » tels le « Roi Lion » Mario Cipolinni, le « Grillon » , deux fois et . Je le subodorai enfin épargné à jamais par la malchance……………………

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Gino Bartali, « Gino le Pieux »

En ce milieu des années trente, l’Europe est tiraillée par les idéologies rétrogrades de leurs gouvernements, ce qui entraîne, par la même occasion, la frilosité du peloton à s’expatrier hors de ses frontières. C’est dans ce climat malsain que parvient, en France, les rumeurs insistantes de l’émergence d’un phénomène italien. On dit de ce « lutin » (1,71m pour 70kg) qu’il escalade les cols avec une aisance voire une désinvolture impressionnante. On dit, encore, que ses démarrages, dans ces mêmes cols, sont d’une fulgurance extrême. Il n’en faut pas plus à l’inénarrable Henri Desgrange, alors « patron » du Tour de France, pour usé de tous les stratagèmes afin d’aligner, au départ de son épreuve dès 1937, la nouvelle coqueluche transalpine (le dérailleur, apparu en 1925, est finalement autorisé). Et pour un coup d’essai, cela s’avère un coup de maître ! En montagne, Gino Bartali, est une classe au-dessus de ses adversaires potentiels, il les domine de façon outrageuse, il déploie toute la panoplie du parfait grimpeur, accélérations dévastatrices, démarrages foudroyants,

47 rythme incroyablement soutenu lors de l’escalade. Ce Tour 37 il l’écrase de toute sa classe naissante jusqu’à sa chute malencontreuse du côté de Barcelonnette, qui le condamnera à l’abandon ! Duel au sommet avec Fauto Coppi le « Campionissimo » En 1938 l’italien fait, donc, figure d’épouvantail. Sa démonstration dans la grande étape Alpestre scelle à jamais l’icône légendaire d’un coureur seul au sein des montagnes majestueuses ! Cette étape où il jaugea ses adversaires dès les cols d’Allos et de Vars, avant de s’envoler sur les pentes du célèbrissime Izoard, a été marquée par une anecdote savoureuse. A l’amorce de son démarrage dans l’Izoard et dans les lacets suivant celui-ci, il a un signe de condescendance vis-à-vis de ses derniers compagnons d’échappée, qui en dit long sur le respect qu’entrenait l’italien envers ses valeureux adversaires. En 1940, un empêcheur de tourner en rond, va irrémédiablement changer les données du problème. En effet l’éclosion au plus haut niveau, à l’aube des années quarante, d’un autre transalpin du nom de Fausto Coppi va engendrer une rivalité au sein de la péninsule sans nulle autre pareille ! A l’instar de l’antagonisme Anquetil-Poulidor, au début des années soixante, celui opposant Bartali à Coppi restera gravé, à jamais, dans la mémoire des tifosis ! Et le duel débute d’entrée de saison 40 où Gino remporte la « Primavera » – Milan-San Remo deuxième de ses quatre triomphes sur la via Roma. Coppi prend sa revanche sur le Giro de cette même année en triomphant d’un Bartali, accablé par la malchance et d’une chute irrémédiable.

48 Cinq années de conflit réduiront au silence toute poursuite des hostilités entre les deux hommes, mais à la reprise de la compétition en 1946, Bartali s’offre un troisième Giro au nez et à la barbe du futur « Campionissimo ». Loin de se décourager Coppi prend sa revanche dès la saison suivante, mais Bartali le ridiculise, peu de temps après, à l’occasion du , où Fausto, en méforme concède la bagatelle de quarante minutes à Gino. En 48 Bartali « l’homme de fer » remporte sa deuxième Grande Boucle dix ans après son premier succès (record inégalé et sans aucun doute inégalable) en l’absence de Coppi, néanmoins.

L’ascendant de Fausto Coppi sur un Gino Bartali vieillissant Leur duel homérique « à toi, à moi » perdurera encore trois années durant lesquelles les tifosis hilares et fiers se monteront les uns contre les autres au rythme des prouesses de leur élu. Mais en 1949 Bartali a maintenant 35 ans et rend six années à son jeune rival, et inexorablement la balance va penchée en faveur du nouveau « Campionissimo » tout frais émoulu triomphateur d’un Giro d’anthologie. Dans l’étape Cuneo-Pinerolo de ce Giro 49, qui traverse les Alpes françaises, Fausto Coppi, « à la pédale » va définitivement mettre le « vieux » Gino à la raison. Dans l’Izoard, clin d’œil du destin, le grand Fausto commence son œuvre qui se poursuivra dans le Mont Genèvre, traversera Sestrières, en héros, pour terminer l’étape en triomphateur 11mn52 devant un Gino Bartali, nullement déméritant, mais usé et fatigué par trop de campagnes.

49 L’épilogue et la fin d’une belle histoire Pour Gino, les Grands Tours, c’est terminé. Coppi plus jeune et plus résistant en a fait son terrain de chasse privilégié. Alors le « vieux » grégario se concentre uniquement sur les classiques, et c’est ainsi qu’il clôturera sa carrière, de la plus belle des manières qui soit, en enlevant pour la quatrième fois, et qui plus est au sprint, Milan-San Remo 50, et enfin à 38 ans deviendra Champion d’Italie. On peut, toutefois, ajouter sans grand risque de se tromper, que l’interruption due au conflit mondial de 1941-46, a sans aucun doute nuit à la richesse d’un palmarès, somme toute conséquent, mais qui aurait pu certainement être beaucoup plus en rapport avec les énormes qualités de ce coureur hors paire.

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