Paris-Roubaix. Les Dessous Du Pavé
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RENE DERUYK PARIS-ROUBAIX LES DESSOUS DU PAVÉ Préface de Laurent Fignon LA VOIX DU NORD Droits de traduction, reproduction et adaptation réservés pour tous pays. © La Voix du Nord 1990 Préface PARIS-ROUBAIX, c'est l'un des plus prestigieux monuments du cyclisme. C'est devenu, depuis pas mal d'années déjà, un mythe. Pourtant, c'est aussi et surtout la course de tous les paradoxes. Nous l'appelons aussi bien L'ENFER DU NORD que LA PLUS BELLE DES CLASSIQUES. Pas seulement parce qu'elle est française. Un petit peu mais pas seulement ! Ainsi n'est-il pas étonnant de trouver toutes sortes de commentaires à son égard. Roger DE VLAEMINCK l'a aimée d'amour au point de devenir le recordman de l'épreuve avec quatre victoires. Bernard HINAULT l'a dédaignée à maintes reprises et, pourtant, il est allé la remporter alors qu'il portait le maillot arc-en-ciel comme pour y ajouter du panache et du prestige. Avec PARIS-ROUBAIX, vous n'êtes jamais sûr de rien. Au moment où vous pensez l'avoir apprivoisée, la voilà qui se dérobe (en fait, c'est surtout le boyau qui se dérobe) et vous laisse dans le plus profond des désespoirs quand ce n'est pas avec la plus noire des rancoeurs. Combien de fois avez-vous entendu : « jamais plus je n'y retournerai, c'est trop injuste ! » Et l'année suivante, tout le gotha du cyclisme ou presque est au départ. Lorsque vous décidez de participer à cette course, il faut connaître les règles, les accepter dans leur ensemble et bien souvent, hélas ! s'y résigner. La règle, car en fait il n'y en a qu'une, est celle du tout ou rien. Tout, c'est par exemple quatre chutes, autant de crevaisons et un abandon sur découragement, malgré une forme du tonnerre de dieu - exemple : ma course de 1989 - Rien ressemble à 1988 où je n'ai pas eu le moindre incident à déplorer et où j'ai terminé troisième. Ainsi PARIS-ROUBAIX est fait d'innombrables exploits et de pas moins de drames. Tout cela contribue à alimenter la légende. Pourtant, il est une chose qui n'est jamais relatée dans les gazettes mais qui aide à créer ce mythe : ce sont les anecdotes. Heureux celui qui a pu assister à une de ces soirées interminables mais ô combien enrichissantes ! Où sont racontées les mésaventures des coureurs du peloton. De par sa configuration, PARIS-ROUBAIX est plus que toute course prédestinée à ce genre d'histoires. D'ailleurs en voici une des plus croustilleuses. Et puis non ! J'empiète déjà sur le livre. A vous de le découvrir tout seul ! LAURENT FIGNON Le départ du premier Paris-Roubaix, en 1896 (Ph. Serge Laget) LES PIONNIERS Le grand bi avait cédé la place au vélocipède, ultime avatar du sport cycliste. Les confrontations, pourtant, se déroulaient, la plupart du temps, dans des enceintes et offraient des types d'épreuves les plus diverses. Très répandue en Grande Bretagne, appréciée aux Etats-Unis et en Allemagne, suivie, en France, la discipline ne déchaînait pas, néanmoins, les foules. C'est alors qu'en 1891, des hommes ont, simultanément, un trait de génie : créer une course sur route de longue haleine, susceptible de frapper les imaginations et d'apporter, à domicile, le rêve de l'aventure. Avec l'appui du journal Véloce Sport, le vélo club bordelais fait naître Bordeaux-Paris, épreuve longue de cinq cent soixante-douze kilomètres. Dans le même temps, dans le Petit-Journal, important quotidien de la capitale, un nommé Jean-sans-Terre, en vérité Pierre Giffard, chef des Informations audit journal, révèle qu'il a concocté une course qui s'effectuera sur le trajet Paris-Brest-Paris, soit une randonnée de mille deux cents kilomètres. Giffard est un vélocipédiste ardent, qui, en 1892, fondera « Le Vélo », périodique, commandité par le marquis de Dion, pionnier de l'automobile en France, associé à l'ingénieur Bouton. Si Bordeaux-Paris, avec ses cinq cent soixante-douze kilomètres, effraie, Paris-Brest et retour semble fou. Un homme est-il capable d'accomplir une telle distance sur une « drôle de machine », sans dormir ? Bordeaux-Paris sera réservé aux amateurs : c'est la condition expresse mise par les Britanniques, qui, longtemps, considéreront le sport comme une activité noble et non pas comme un métier ; ils sont puissants, leur industrie vélocipédique est bien plus avancée que la nôtre. C'est le Londonien George-Pilkinton Mills, âgé de vingt-cinq ans, qui s'impose, à la formidable moyenne de 21,518 km ! (Il était, d'ailleurs, l'un des grands favoris). En cinq jours une heure et quarante-cinq minutes. Il devance ses compatriotes M.A. Holbein et S.F. Edge, respectivement de 1 h 10 mn 50 s et de 3 h 30 ; le premier Français est le Bordelais Jiel-Laval, cinquième, rejeté à 5 h 40 mn 33 s !... Paris-Brest et retour, lui, n'est pas fermé aux professionnels. La victoire récompense Charles Terront, l'un de nos plus brillants coureurs de fond de l'époque, qui fut un champion de grand bi, sur lequel, en 1888, avant de se tourner vers le vélocipède, il parcourut cent kilomètres, en 3 h 28 mn. Déjà, cependant, se profilent à l'horizon les batailles commerciales. « Charley » a pour adversaire principal le fameux Jiel-Laval, engagé par une « maison » solide, après sa bonne tenue dans Bordeaux-Paris. Terront, représentant la marque britannique Humber - son manager est son ancien adversaire, l'Anglais Duncan - utilise des pneus démontables (il crèvera cinq fois) et Jiel-Laval, soutenu par les cycles Clément, est équipé de pneumatiques collés, fabriqués par Dunlop, en Angleterre ; la majorité de leurs rivaux ont des pneus pleins. Attardé à 1 h 20 au virage de Brest, Terront s'imposera avec 9 h 28 mn d'a- vance sur son rival. Il est resté 71 h 35 en machine (moyenne 16,814 km). La légende des cycles est née. Bien que l'information circule mal, dans ces temps-là, « Charley » deviendra l'homme le plus populaire de France, fastueusement payé : lors d'un match mémorable, sur mille kilomètres (il laissa son adversaire à neuf kilomètres) avec Corre, à la Galerie des Machines, au Champ de Mars, à Paris, en février 1893, il toucha douze mille cinq cents francs-or ; le journal Vélo coûtait cinq centimes et un ouvrier des Forges gagnera, en 1898, huit francs par jour, (douze heures de travail) - chiffres Trois « anciens » au départ de 1898 : Jules extraits de « La Guerre Sociale » du 26 Dubois, Auguste Stéphane et Mercier avril 1898. Père (Ph. Serge Laget) Ces réussites, cet essor fulgurant du cyclisme sur route, dont l'audience s'est extrêmement élargie, va ouvrir des horizons nouveaux. Le vélodrome, installé dans le Parc Barbieux, à Roubaix, est la propriété de deux filateurs, Maurice Perez et Théophile Vienne. L'affaire est prospère, mais ces précurseurs de la mise en valeur d'une ville et d'une région, guidés, aussi, par l'amour qu'ils portent au cyclisme et par l'idée de donner vie à un bien qu'ils légueront à la postérité, songent à mettre sur pied une course entre Paris et Roubaix. En cette année 1896, Becquerel a découvert la radioactivité, le Sénat a repoussé l'impôt sur le revenu, tandis que Pierre de Coubertin s'apprête, aux côtés du roi de Grèce, Georges 1er, à ouvrir les Jeux olympiques de l'ère moderne, alors que les Goncourt accèdent à l'immortalité, au décès d'Edmond, dont le testament instaure le fameux prix littéraire. Nos deux filateurs de la « ville sainte des prolétaires », comme Jules Guesde a appelé Roubaix, en 1892, se sont assurés l'appui de Louis Minart, le rédacteur en chef de « Paris-Vélo », afin de gratifier la course du cachet et de l'envergure qu'elle devra mériter. Encore faut-il attirer les coureurs. Qu'à cela ne tienne, il la doteront richement : mille francs au premier, cinq cents au deuxième, trois cents au troisième, les neuf premiers étant récompensés. De fait, la plupart des grands coureurs, alléchés, ont répondu à l'appel. Comme pour Bordeaux-Paris et Paris-Brest et retour, les compétiteurs peuvent être entraînés par des personnes à vélo, tandem ou autres triplettes, sans limitation de nombre, services organisés ou gens de rencontre. Le course est réservée à deux catégories : les « internationaux » et les « Lillois », seconde fraction qui intéressent les coureurs de l'arrondissement de Lille. Cent dix-huit « internationaux » se sont engagés, mais ils ne seront que quarante-huit au départ. M. Huré, qui présente l'épreuve dans Paris-Vélo, connaît son affaire : il passe en revue les routiers susceptibles de vaincre, avant de désigner, comme favoris et dans l'ordre : l'Allemand Josef Fischer et les Français Maurice Garin et Paul Guignard. Choix judicieux. Fischer, âgé de trente et un ans, est le plus grand coureur allemand de son époque. Il est toujours, de nos jours, le seul routier germain a avoir conquis Paris- Roubaix et Bordeaux-Paris. Maurice Garin est né voilà vingt-cinq ans, nous aurons l'occasion d'en reparler. Quant à Paul Guignard, qui n'a que vingt ans, il est le futur roi du demi-fond ; il sera le premier à couvrir les cent kilomètres en moins d'une heure, derrière une moto coupe-vent, à Munich, le 15 septembre 1909. « Les motos de l'époque, dit René Jacobs, dans Gotha-Vélo, n'offrant pas un rendement suffisant pour de telles tentatives, son entraîneur, l'Allemand Franz Hoffmann avait monté, sur sa moto, un moteur Anzan, trois cylindres, semblable à celui utilisé, deux mois auparavant, par Louis Blériot, pour sa traversée aérienne de la Manche.