19691903LESLES ANNÉESANNÉES- HÉROÏQUESLUMIÈRE 19901929 LUCIEN PETIT-BRETON Né le 18 octobre 1882 à Plessé (Loire-Atlantique), décédé le 20 décembre 1917 à Troyes.

l s’appelle de son vrai nom Lucien Mazan, mais I on a trouvé plus pratique de l’appeler par son surnom, le Petit Breton. On aurait pu aussi l’appeler le Petit Argentin, puisqu’il a passé son enfance à Buenos Aires où ses parents ont émigré à la fin du xixe siècle et où il a découvert les joies du cycle.

Le premier double vainqueur

Revenu en en 1902, Lucien Mazan, établi dans la région nantaise, découvre les grandes courses sur piste où il fait fureur en poussant de longs cris quand il se dresse sur les pédales pour

accélérer. On l’appelle alors « le Sauvage » Specta- teur des triomphes de sur le Tour en 1903 et 1904, Petit-Breton se lance à vingt-deux ans dans l’aventure et se classe 5e en 1905 de la course remportée par Trousselier. L’année suivante, il est 4e : pas de doute, il est bien un homme du Tour, mais est-il de taille à le gagner ?

L’édition 1907 lui donne la réponse. C’est le Tour d’une grande première, une étape hors de l’Hexagone : à Metz, en territoire allemand depuis 1871, que le gouverneur de la ville, le comte Zeppelin, a ouvert avec joie au Tour. Le grimpeur Émile Georget domine le passage des Vosges et des Alpes, mais il est sanctionné dans l’étape Toulouse-Bayonne pour avoir échangé sa machine avec celle d’un autre coureur après une crevaison à Auch. Il est rétrogradé à la dernière place alors que , deuxième du classement et

9 Tours de France. 1905-1908, 1910-1914. Vainqueur en 1907 et 1908.

18 qui réclamait son exclusion pure et simple, quitte quelques mois. Puis viennent Lapize, Garrigou, le Tour en signe de protestation. C’est ainsi que Drefraye et Thys qui remportent des éditions que Lucien Petit-Breton, vainqueur à Bayonne, se re- Petit-Breton abandonne encours de route… trouve leader de l’épreuve au départ de l’étape suivante. Une première place qu’il garde jusqu’à En 1914, Lucien Petit-Breton est un vétéran du Tour , une semaine plus tard. à trente-deux ans. Il abandonne à Nice, souffrant du dos. Rentré chez lui à Pénestin, dans le Morbi- Après sa victoire de 1907 assez heureuse, Lucien han, il y découvre quelques jours plus tard l’ordre Petit-Breton est rangé dans la catégorie des favoris de mobilisation générale, le 2 août 1914. Il se du Tour 1908. Il remporte l’étape de Metz, puis présente donc dès le lendemain matin à la ca- contrôle tous ses adversaires dans les Alpes. Il s’im- serne l’École militaire, à Paris. Soldat de 2e classe, pose à Bayonne, à Nantes et à Paris. Outre cinq agent vélocipédiste, puis conducteur automobile à victoires d’étapes, sur quatorze, il s’est toujours l’état-major, il échappe une première fois à la mort, classé parmi les quatre premiers, sauf à Bordeaux le 17 juin 1915. Une balle allemande fracasse le (10e). Sa victoire, dans un classement qui se fait pare-brise de la voiture qu’il conduit et lui frôle le encore aux points, ne souffre d’aucune contesta- visage… Son frère cadet Anselme, qui a disputé tion. Il est ainsi est le premier coureur à remporter le Tour avec lui en 1907, a été tué neuf jours deux fois le Tour. auparavant, dans l’Oise. Mais alors que son autre frère, Paul, est dans l’aviation et sortira indemne de la Guerre, le destin attend le double vainqueur du La mort au tournant Tour dans un virage en rase campagne. Le 17 dé- cembre 1917, à la nuit tombante, il est victime Les Tours de France suivants sont moins heureux d’un accident de la route : un cheval tirant une pour Lucien Petit-Breton qui ne termine plus jamais charrette de foin fait une embardée au passage la course à laquelle il participe pourtant jusqu’en de sa voilure et Lucien Petit-Breton est tué sur le 1914. François Faber, son dauphin de 1908, coup. Il avait trente-cinq ans. prend sa place l’année suivante, alors qu’il n’est pas au départ, ayant mis sa carrière en sommeil

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Jean Robic ! Et lorsque celui-ci défaille sur la route de Béziers, c’est son coéquipier de l’équipe de l’Ouest, Jean Malléjac, qui prend la relève.

Vexé par la tournure de la course, Bobet affirme devant les autres coureurs de l’équipe de France qu’il se sent prêt à gagner : « Si vous m’y aidez, je vous abandonnerais mes prix », lâche-il. C’est la première fois qu’on fait une telle promesse, alors personne ne le contredit. Pourtant, cela fait six ans que Bobet n’arrive plus à toucher le Maillot jaune un changement de roue, il ne termine que 7e bien et il a 18 minutes de retard sur Malléjac… Il lui qu’ayant été le meilleur grimpeur, devant Coppi… faut donc frapper un grand coup dans les Alpes Dans la foulée, Bobet prend le départ du Tour pour rétablir la situation. L’étape Gap-Briançon s’y gonflé à bloc. Hélas, il tombe malade, une grosse prête. Après une bonne préparation de ses équi- angine, et même en remportant l’étape du Ventoux, piers, Bobet s’envole dans l’Izoard où l’attend un il n’est que 20e à Paris, très loin du Suisse Hugo spectateur pas comme les autres : ! Koblet qui a survolé la course. Cette fois le verdict Le Campionissimo, en short, avec son petit appa- tombe : Bobet est certes un champion, capable de reil photo au bord de la route, glisse, admiratif, au gagner toutes les classiques, mais il n’est pas un passage de l’homme de tête : « Il est beau, Loui- homme du Tour. Il est trop impulsif, trop sensible, son… » Bobet, retient son souffle pour répondre : trop généreux, pour tenir trois semaines. « Merci d’être venu ! » Vainqueur à Briançon, avec 5 minutes d’avance, Bobet peut enfin enfiler le Épuisé par ses cinq premières années dans le Maillot jaune. Malléjac a perdu 8’45’’ et finit peloton à courir du début à la fin de la saison, 2e à Paris. Bobet, sur les conseils de son soigneur Raymond Lebert, renonce à disputer le Tour 1952 pour se À vingt-huit ans, le pas est enfin franchi, le Tour est refaire une santé. Mais cela lui coûte de suivre la dompté. Et tant pis si des grincheux objectent que course de ses rêves durant tout le mois de juillet ses adversaires les plus prestigieux ont été éliminés à la radio. Le second triomphe de Fausto Coppi sur chutes (Koblet, Robic) ou étaient absents (Cop- ne fait que raviver son envie de la dompter enfin. pi, Kübler), Louison ne doute plus de sa destinée.

À la sixième tentative…

Louison Bobet se présente de nouveau au départ du Tour en 1953, à Metz, mais sans aucune garantie… L’équipe de France n’a pas une grande confiance en lui, et Geminiani, Lauredi ou Rolland sont autant leaders que Bobet. Mais c’est un autre Français qui électrise la course dans les Pyrénées : l’irréductible Breton

73 Un dernier Tour et puis s’en va Au départ du Tour 1986, à Boulogne-Billancourt, ce sont les retrouvailles Hinault-Fignon. Le Breton attaque le Parisien tous les jours et lui fait payer son arrogante supériorité de 1984. Il remporte le contre-la-montre de Nantes, 44’’ devant LeMond, et 3’42’’ devant Fignon. Tout en se disant comme promis équipier de l’Américain, Hinault fait le ménage. Tellement bien qu’à Pau, après la première étape de montagne où il s’est échappé avec , il prend le Maillot jaune, laissant LeMond à 5’25’’, alors que Fignon sombre définitivement. Son sixième Tour semble acquis ! Mais le lendemain, grisé par son succès, Hinault se lance dans une nouvelle échap- pée qui tourne au suicide. Il craque en fin de par- cours, LeMond attaque et gagne à Superbagnères. Le Breton sauve sa première place pour 40’’, mais la tendance est inversée.

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Dans une atmosphère très tendue entre Hinault et plus loin, alors il n’ira pas ! Huit participations, cinq LeMond au sein de , la course se victoires, sept podiums, vingt-huit étapes, soixante-dix- joue dans la première étape des Alpes. Au col neuf maillots jaunes, douze passages en tête de cols, du Granon, Hinault souffrant d’un mollet coince à le tout à l’instinct pour l’amour du jeu, le Blaireau nouveau, et laisse LeMond se parer de jaune avec vous salue bien ! 2’45’’ d’avance. Le lendemain, ils font cause com- mune sur l’Alpe d’Huez et passent la ligne ensemble. Pourtant, Bernard Hinault ne dit pas complètement La victoire qui revient à Hinault est à la fois belle et adieu au Tour. Pendant vingt ans, de 1987 à 2016, porteuse de quelques regrets… il s’occupera des relations publiques sur la Grande Boucle. Vingt ans passés aussi à attendre en vain, Hinault chatouille encore un peu l’Américain, mais mais sans la moindre vanité, un successeur français… le jeune carnassier ne laisse rien traîner, même s’il s’incline lors du dernier « chrono », de 25’’, à Saint- Étienne. À Paris, Hinault, 2e magnifique, enfile pour la première fois le maillot de meilleur grimpeur, mais c’est bien sa dernière apparition. Il va avoir trente- deux ans en novembre, et il avait dit qu’il n’irait pas

8 Tours de France. 1978-1982, 1984-1985. Vainqueur en 1978, 1979, 1981, 1982 et 1985.

165 Né le 12 août 1960, décédé le 31 août 2010 à Paris.

L’insolence de la jeunesse

’est une tuile qui vient de tomber sur l’équipe C de Cyrille Guimard, à trois semaines du Tour 1983. Bernard Hinault ne peut pas prendre le Impe qui ont subi la loi du Blaireau les années pré- départ. Le Breton doit se résoudre à une opération cédentes. Sans compter les mystérieux Colombiens au genou. Son leader sur le flanc, Guimard aligne qui viennent pour la première fois sur le Tour… donc une équipe sans vrai leader, mais avec des jeunes talentueux : Madiot, Fignon, Jules, Poisson, Au pied des Pyrénées, est en jaune. Zoe- Gaigne, Chevalier, encadrés par des anciens, Vigne- temelk à 1’24’’, Kuiper à 2’27’’. Mais la première ron, Didier, Bérard et Becaas. Une aubaine pour les étape de montagne chamboule tout. Dans l’enchaî- Zoetemelk, Van der Velde, Breu, Kuiper, Anderson, nement Aubisque, Tourmalet, Aspin, Peyresourde, Winnen, Kelly, Alban, Bernaudeau, Criquielion, Van Kelly s’effondre, l’Écossais Robert Millar s’impose en

178 solitaire à Bagnères-de-Luchon, devant un Espagnol Bernaudeau et 3’31’’ sur Peter Winnen. Rien n’est inconnu, Pedro Delgado, et un Français inattendu, fait, mais cela prend forme. Pascal Simon qui endosse le Maillot jaune avec une confortable avance de plus de 4 minutes sur Laurent À Morzine, Fignon finit 8e et devance encore ses Fignon, 7e de l’étape. Les favoris sont tous largués. rivaux. 10e du contre-la-montre d’Avoriaz, il maintient Fignon, coureur issu de la région parisienne, pro Winnen à 2’35’’. Entre Morzine et Dijon, il prend depuis une saison et qui n’a pas encore vingt-trois des bonifications pour porter son avance à 2’59’’ sur ans, enfile le Maillot blanc de meilleur jeune. On croit le grimpeur hollandais auquel il règle son compte lors que ce blondinet à lunettes a touché là son Graal. du dernier « chrono », à Dijon. Victoire d’étape pour le Parisien et l’Espagnol Angel Arroyo, son dauphin Mais le destin chamboule tout. Le lendemain, Pas- est pointé à plus de 4 minutes. Winnen est 3e, Van cal Simon chute et s’il rallie l’arrivée, on a compris Impe 4e, Alban 5e, Bernaudeau 6e et Kelly 7e. La qu’avec une omoplate fracturée, il n’ira pas au bout Tour a un nouveau roi, de vingt-deux ans et onze du Tour. Fignon n’a qu’à attendre son abandon, qui mois. C’est le plus jeune depuis Gimondi en 1965, survient dans la 17e étape alors que son retard n’était mais pas le moins ambitieux. plus que de 40’’. Mais pour récupérer la tunique jaune, Fignon doit encore se hisser au sommet de l’Alpe d’Huez. Bernaudeau et Winnen attaquent, Fignon s’accroche à Delgado et à Van Impe. « Je me suis défoncé comme jamais », dit-il au sommet où il termine 5e, mais devient premier au général. Son avance est de 1’08’’ sur Delgado, 2’33’’ sur

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LES1991 ANNÉES D’OMBRES 2010 Né le 19 novembre 1969 à Casablanca (Maroc).

l ne manque pas de culot, ce petit Varois de I vingt-deux ans qui dispute son premier Tour en 1992. Imposé par son sponsor RMO au départ de Saint-Sébastien, malgré son inexpérience, il part à l’aventure dans la première étape qui traverse les Pyrénées. Les 255 km et le col de Marie-Blanque l’en dépossède à son tour. 25e finalement à Paris, ne lui font pas peur, il se retrouve seul avec un Es- Virenque a déjà tout compris. C’est un showman avé- pagnol aussi inconnu que lui, Javier Murguialday et ré qui court sans calculer ses efforts. 19e en 1993, si c’est ce dernier qui gagne à Pau, Virenque prend le voici à nouveau à l’avant en 1994, quand il le Maillot jaune avec près de 5 minutes d’avance gagne à Luz-Ardiden, en partant dans le col de sur les cadors. En une journée, il a franchi le mur Peyresourde, à plus de 100 km de l’arrivée et tenant de la notoriété, pour toute sa carrière. jusqu’au bout à plus de 4 minutes. Il est 2e du général derrière Indurain alors que le Suisse , malade, abandonne. Virenque Le roi des pois résiste bien dans les Alpes, mais s’écroule dans le contre-la-montre en côte d’Avoriaz (18e à 6 minutes Obligé de céder le lendemain sa 1re place à son d’Ugrumov !) et termine 5e à Paris – mais avec le coéquipier Pascal Lino, Virenque, longtemps 2e du Maillot à pois cette fois, un maillot qu’il conserve en Tour derrière le Breton, porte le Maillot à pois de 1995, 1996 et 1997, augmentant chaque année meilleur grimpeur, avant que une popularité qui devient immense.

218 d’imploser. La course se termine vaille que vaille, sans Virenque et quelques autres, dont l’image est irrémédiablement ternie.

Pourtant Richard Virenque survit à cette catastrophe. Son rêve de gagner le Tour s’est certes envolé à jamais, mais il est au départ du Tour 1999, contre l’avis des orga- nisateurs. 8e à Paris, il y remporte son 5e Maillot à pois ! Vainqueur d’étapes encore en 2000 (à Mor- zine), en 2002 (au Ventoux), en 2003 (à Morzine, à nouveau) et en 2004 (à Saint-Flour, le 14 juil- let), toujours en solitaire après Le Tour 1997 marque son apogée. La France, en une longue échappée dans les cols, sa véritable manque de champions, l’idolâtre : c’est le « Virenque- signature. Il est aussi porteur du Maillot jaune une mania » autour de « Richard cœur de lion » ! 9e du Tour journée en 2003, mais sans plus jamais s’intéresser 1995, 3e du Tour 1996 qui a vu au classement général qu’il laisse à la voracité de rendre les armes, la course semble désormais à sa Lance Armstrong. Mais uniquement au classement de portée à vingt-sept ans. Mais il tombe sur la montagne, remporté pour les sixème et septième qui impose son talent dans les Pyrénées. Virenque fois en 2003 et en 2004. Une fois de mieux que est battu, mais il est le seul à résister à l’Allemand, Bahamontes et Van Impe, un sacré record… en remportant une étape d’anthologie à Courchevel puis en étant à deux doigts de le renverser dans les Vosges. 2 e à Paris, devant Marco Pantani, il rêve de la 1re place à présent.

Le séisme Festina ne l’a pas abattu Richard Virenque est donc dans la peau du favori du Tour 1998, entouré d’une équipe Festina où Zül- le, Dufaux, Brochard, Hervé, Moreau et Stephens marchent tous très, très fort. Mais une bombe éclate quelques jours avant le départ de Dublin : son soi- gneur Willy Voet est arrêté en possession d’un for- midable stock de produits dopants. Après quelques jours, l’évidence ne peut plus être niée : cet arsenal était destiné aux coureurs du Tour. Voet puis le direc- teur sportif, Bruno Roussel, sont envoyés en prison, et l’équipe Festina est mise hors course après la sixième étape. Les dénégations de Virenque et des siens n’y changent rien, c’est tout le cyclisme qui est en train

12 Tours de France. 1992-2000, 2002-2004.

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