IdeAs Idées d'Amériques

7 | Printemps/Été 2016 Cinéma et histoire dans les Amériques

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/ideas/1364 DOI : 10.4000/ideas.1364 ISSN : 1950-5701

Éditeur Institut des Amériques

Référence électronique IdeAs, 7 | Printemps/Été 2016, « Cinéma et histoire dans les Amériques » [En ligne], mis en ligne le 03 juin 2016, consulté le 22 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/ideas/1364 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ideas.1364

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Numéro coordonné par Alvar De La IIosa, Ignacio Del Valle, Vincent Dubreuil, Jean Kempf, Eduardo Morettin, Isabelle Vagnoux et Bertrand Van Ruymbeke en collaboration avec le comité de rédaction. Secrétariat de rédaction : Claire Bouffard.

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SOMMAIRE

Cinéma et histoire dans les Amériques Ignacio Del Valle Dávila et Eduardo Morettin

Cinema and History in the Americas Ignacio Del Valle Dávila et Eduardo Morettin

Cine e historia en las Américas Ignacio Del Valle Dávila et Eduardo Morettin

Cinema e história nas Américas Ignacio Del Valle Dávila et Eduardo Morettin

Allégorie historique et théâtralité chez Ismail Xavier

L’arrivée du colonisateur vue à travers le cinéma brésilien : O Descobrimento do Brasil (La découverte du Brésil, 1937) de Humberto Mauro Eduardo Morettin

Imagens de Marighella: o cineasta militante, a diretora-sobrinha, o mesmo herói Fernando Seliprandy

Un monument en 24 images par seconde : Ignacio Del Valle Dávila

Formas de la dominación social en las ficciones alegóricas y metafóricas realizadas en épocas de la dictadura y la postdictadura en Ana Laura Lusnich

Aproximações e tensões entre o ICAIC e a política cultural em Cuba Mariana Villaça

From “Plain Abe” to Mythical Mr. Lincoln. Constructing various representational modes of a screen icon Anne-Marie Paquet-Deyris

A representação do mal-estar da sociedade americana em Rocky e Os Embalos de Sábado à Noite Sérgio Alpendre

Le super-héros hollywoodien et l’ambiguïté référentielle du désastre après le 11 septembre 2001 Vincent Souladié

Perrault e a narrativa de travessias Henri Arraes Gervaiseau

L’exil et le retour dans les journaux filmés de Jonas Mekas et David Perlov Jennifer Cazenave

Entretien

The poetics of Los Angeles: Discussing the hyperreal capital of the world with Wanda Coleman Charles Joseph

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Éclairages

Les Jeux Olympiques 2016 à : problèmes et défis

Les Jeux Olympiques 2016 à Rio de Janeiro : problèmes et défis Vincent Dubreuil

Rio 2016: As olimpíadas da crise Luiz Antonio Machado da Silva

Rio 2016: Urban policies and environmental impacts Jules Boykoff et Gilmar Mascarenhas

Mondialisation et méga-événements à Rio de Janeiro : quand les enjeux de sécurité et d’urbanisation développent les logiques de marché dans les favelas Justine Ninnin, Alba Zaluar et Christovam Barcellos

La « reconquête » des favelas et les J.O. de Rio Hervé Théry

Les Jeux Olympiques 2016 et le tourisme à Rio de Janeiro Celso Castro

Le 4 juillet 1776 : Alors et à travers les siècles

Le 4 juillet 1776 : Alors et à travers les siècles Bertrand Van Ruymbeke

L’arrière-pays algonquien pendant la Révolution américaine Anne-Marie Libério

La déclaration d’indépendance des États-Unis et les premières émancipations hispano- américaines de Terre-Ferme Clément Thibaud

Révolution et commémorations : 1776, 1876, 1976 Françoise Coste

Comptes rendus

Patrick Howlett-Martin, La coopération médicale internationale de Cuba. L’altruisme récompensé Paris, L’Harmattan, 2015, 207 p. Alvar De la Llosa

Anne Deysine, La Cour Suprême des Etats-Unis. Droit, politique et démocratie Paris, Dalloz, coll. « Les sens du droit », 2015, 287p. François Vergniolle de Chantal

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Cinéma et histoire dans les Amériques

Ignacio Del Valle Dávila and Eduardo Morettin

1 Le cinéma est l’une des principales expressions artistiques et culturelles des XXe et XXIe siècles. C’est aussi un puissant moyen de communication de masse. Ces caractéristiques en font une source primaire d’un grand intérêt tant pour l’étude des projets politiques que pour celles des imaginaires collectifs au sein de communautés et dans des périodes historiques déterminées. Pour cette raison, nombreux ont été les chercheurs à s’intéresser à la relation entre cinéma et histoire.

2 Le dossier « Cinéma et histoire dans les Amériques » vise à comprendre le rôle joué par le cinéma dans la représentation du passé historique de différents pays du continent américain. Dans le même temps, par cette étude, nous entendons présenter diverses propositions pratiques sur les manières d’utiliser le cinéma comme source d’étude de l’histoire. Par conséquent, les articles proposent des analyses qui touchent tant aux débuts du cinéma qu’à ses tendances récentes : le cinéma dit muet, le passage du langage visuel au langage audiovisuel, le développement du mélodrame et du film historique, le film d'auteur des années 1960, le cinéma militant des années 1960 et 1970, et les documentaires autobiographiques des vingt dernières années. 3 Il n’est pas possible, en ces quelques pages, de récapituler de manière exhaustive les principales contributions théoriques qui envisagent le cinéma depuis une perspective historique. Nous nous limiterons à signaler quelques points d’inflexion dans le développement du champ de recherche. D’une manière générale, on peut affirmer que les films documentaires comme les films de fiction ont mis des décennies à trouver leur légitimité en tant que source pour l’histoire, et ce malgré leur important taux de pénétration – surtout pour la fiction – en tant que divertissement de masse associé à sa double condition d’art et d’industrie. Ce n’est qu’à partir des travaux de Marc Ferro des années 1970, publiés sous forme d’ouvrage en 1977 dans Cinéma et histoire, que sont systématisés des principes méthodologiques sur l’utilisation du cinéma comme source par l’historien. D’après lui, l’analyse des images en mouvement permettrait de lancer une « contre-analyse de la société », en révélant des zones de réalité latentes, « des zones non visibles du passé des sociétés ; révélant, par exemple, les autocensures et

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lapsus d’une société » (Ferro M., 2009 : 27). Bien que cette théorie ait été amplement discutée et critiquée ces trente dernières années, la défense qu’il fait de la valeur de l’image en mouvement comme « document historique » et « agent de l’histoire » dans une société qui la produit et la consomme demeure pertinente pour la recherche des relations entre cinéma et histoire (Ferro M., 2009 : 17). 4 Ce champ d’études s’est rapidement enrichi de la parution des livres de Pierre Sorlin : Sociologie du cinéma, (Sorlin P., 1977), et The Film in History. Restaging the Past (Sorlin P., 1980). Sorlin, particulièrement attentif aux relations entre le cinéma de fiction historique et la discipline historique, a cherché à démontrer que la représentation du passé par le cinéma laisse entrevoir les questions politiques contemporaines. D’un autre côté, comme l’a lui-même reconnu Sorlin, son intérêt dans les années 1980 pour la sémiotique en tant que méthode d’approche de l’analyse filmique semble moins pertinent aujourd’hui. 5 Au cours de la dernière décennie du XXe siècle et durant les deux premières du XXIe, les études associant cinéma et histoire se sont étendues et diversifiées. Au-delà d’une révision méthodologique, nombreux ont été les travaux qui se sont penchés sur l’analyse d’un film ou d’un contexte spécifique, et qui ont permis de vérifier la validité de ces principes généraux. Dans le contexte français, Michèle Lagny a interrogé le développement d’une méthodologie qui, sans abandonner l’analyse du texte filmique, considère indispensable à son interprétation l’insertion dans le contexte culturel et dans la tradition filmique, au-delà de la détermination des conditions politiques et économiques de la production (Lagny M., 2009). Dans une tout autre perspective, à partir du constat de la prolifération de « films en costumes », Pierre Beylot et Raphaëlle Moine se sont intéressés depuis les années 1980 aux relations entre le film historique de fiction et la notion de patrimoine historique et culturel (Beylot P., et R. Moine, 2009). Sylvie Lindeperg, de son côté, a développé le concept de micro-histoire en mouvement pour expliquer sa manière d’aborder Nuit et brouillard (Alain Resnais, 1955). Son travail sur ce documentaire mobilise autant l’analyse des formes cinématographiques que l’étude minutieuse du contexte dans lequel il a été produit et diffusé (Lindeperg S., 2007 : 8). Antoine De Baecque, pour sa part, développe le concept d’« histoire-caméra », par lequel il cherche à démontrer que le cinéma peut être considéré comme une forme d’histoire du fait de sa capacité à représenter le passé, à se transformer en archive du passé et à atteindre au moyen du montage de nouvelles formes de réflexion sur le passé reconstruit ou préservé sur la pellicule (De Baecque A., 2008 : 13). 6 Outre-Atlantique, les travaux de Robert Rosenstone ont eu une forte répercussion. Selon lui, les films historiques, y compris les fictions, modèlent notre conscience historique, conjointement à d’autres médias audiovisuels. Le principal objectif de Rosenstone est en effet d’enquêter sur la manière dont les films créent un monde historique (Rosenstone R., 2010). Dans sa tentative d’appréhender la construction d’un savoir sur le passé à travers le cinéma, l’auteur en vient à mettre sur le même plan le travail du cinéaste et celui de l’historien, bien que les règles d’interaction de leurs œuvres avec le passé soient différentes des règles de l’histoire écrite (Rosenstone R., 2010 : 22). La thèse de Rosenstone est qu’aussi bien l’histoire écrite que le cinéma sont des récits construits par convention au sein desquels il est possible de trouver des éléments imaginaires ou irréels. De cette manière, l’auteur insère la production universitaire tout comme les arts du spectacle dans une catégorie floue constituée de récits.

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7 Il faut également observer le renouvellement dans le domaine de l’histoire du cinéma. À partir du Congrès de Brighton, tenue sous l’égide de la Fédération Internationale des Archives du Film en 1978, la proximité des questions apportées par l’histoire culturelle allait permettre la proposition d’une méthode d’analyse filmique incluant la dimension historique. Comme l’écrit Tom Gunning, l’un des participants : Si les méthodes d’analyse des films comme systèmes de signification sont différentes de celles des films comme marchandise, elles ne s’excluent pas mutuellement et ne sont pas non plus en dernière instance indépendantes. […] Nous devons développer des méthodes d’analyse des films eux-mêmes qui incluent une dimension historique […] il est temps de mener une comparaison diachronique des films au sein de l’histoire (Gunning T., 1990 : 86). 8 Rosenstone, Ferro et Sorlin sont les principaux auteurs avec lesquels la recherche latino-américaine parvient à dialoguer. Cela peut s’expliquer, dans une certaine mesure, par la traduction de quelques-uns de leurs livres en portugais et en espagnol. Ce champ de recherche a commencé à se développer en particulier au Brésil, où depuis le milieu des années 1990, prolifère une littérature scientifique1. On peut mentionner les livres História e cinema (Capelato M. H., Morettin, E., Napolitano M. et al., 2007) ; Cinematógrafo: um olhar sobre a história (Nóvoa J., Biscouto Fressato S. et Feigelson K., 2009) ; História e Audiovisual, numéro spécial de la revue Estudos Históricos (Kornis M., 2012) ; le livre História e documentário (Morettin E., Napolitano M. et Kornis M., 2012) ; le dossier As imagens no tempo e os tempos da imagem de la revue Histórica, Questões & Debates (Bastos Kern M. L. et Kaminski R., 2014). On peut également mentionner diverses monographies, comme Canibalismo dos fracos (Freire Ramos A., 2002), à propos du film Os Inconfidentes (Joaquim Pedro de Andrade, 1972), ou Humberto Mauro, Cinema, História (Morettin E., 2013), ainsi que de nombreux articles, journées d’études, congrès, séminaires et projets de recherche.

9 Tout film dialogue avec la société et l’époque où il a été réalisé. Il incorpore et mobilise des imaginaires et des idéologies d’une société en conflit, tout en ayant potentiellement une incidence sur eux – en tant qu’agent historique. Nous porterons donc une attention particulière à la manière dont les films étudiés contribuent à la construction d’imaginaires sociaux et à la défense de discours et de projets politiques. Afin d’aborder le cinéma comme source pour l’histoire, il convient de prendre en compte sa spécificité artistique, ainsi que les caractéristiques propres au langage audiovisuel. Sinon, nous risquerions de l’analyser à partir d’une méthodologie héritée de l’écrit qui s’avère inadaptée pour rendre compte du cinéma comme document de son temps. L’enjeu est, précisément, de reconnaître le caractère spécifique du champ cinématographique. Par conséquent, il convient de souligner l’importance de l’analyse filmique comme outil à la fois pour étudier des documents cinématographiques et pour établir les problématiques qui guideront la réflexion. 10 Les articles du dossier recouvrent trois zones géographiques – l’Amérique du Sud, les Caraïbes et l’Amérique du Nord – et quatre espaces linguistiques – hispanophone, lusophone, anglophone et francophone. Nous avons privilégié l’étude de cas nationaux pour éviter le risque d’une vision généraliste et sans grande profondeur de la problématique abordée. Néanmoins, dans les cas d’expériences cinématographiques concrètes en lien avec l’exil et la migration, nous avons considéré qu’il était nécessaire de ne pas suivre ces repères nationaux afin de proposer un rapprochement transnational, car l’objet-même l’exigeait.

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11 Le dossier commence par le Brésil avec les articles d’Ismail Xavier, Eduardo Morettin et Fernando Seliprandy. Le premier étudie les relations entre allégorie historique et engagement dans les films du cinéaste Glauber Rocha (actif 1959-1980). Quant à Eduardo Morettin, il analyse les connexions entre discours historique et discours cinématographique dans la représentation de l’arrivée du colonisateur faite par Mauro à une époque où le gouvernement de Getúlio Vargas (1930-1945) était en quête d’une légitimation symbolique. Finalement, Fernando Seliprandy étudie les convergences et divergences entre deux documentaires qui traitent du guérillero : Marighella : retrato falado do guerrilheiro (Silvio Tendler, 2001) et Marighella (Isa Grinspum Ferraz, 2012). 12 Les films de fiction des années 1970 et 1980 font l’objet de deux articles sur le cinéma argentin. Dans le premier, Ignacio Del Valle Dávila analyse les relations entre le cinéma historique et le projet idéologique de la dictature dite « Révolution Argentine » (1966-1973), à partir du film El santo de la espada (Leopoldo Torre-Nilsson, 1970), à propos du héros de l’indépendance, José de San Martín (1778-1850). Ana Laura Lusnich, de son côté, étudie la prééminence d’allégories et de métaphores dans des films produits au cours de la dernière dictature argentine (1976-1983) et au début de la période post-dictatoriale (1983-1989), comme réflexion sur la terreur d’État et sur le contrôle social qui a caractérisé cette période. L’analyse de Lusnich se concentre sur les long-métrages Los miedos (Alejandro Doria, 1980) et Hay unos tipos abajo (Rafael Filipelli, Emilio Alfaro, 1985). 13 Mariana Villaça aborde la relation entre la politique culturelle du gouvernement cubain et l’influent Instituto Cubano del Arte e Industria Cinematrográfica (ICAIC), en montrant également les conflits internes entre la direction de l’institut et quelques cinéastes critiques à deux moments particulièrement tendus dans le champ culturel de l’île : 1968 et le début des années 1970. Les films Coffea Arábiga (Nicolás Guillén Landrián, 1968) et El otro Francisco (Sergio Giral, 1973) sont des objets privilégiés pour analyser ces relations. 14 Les articles d’Anne-Marie Paquet-Deyris, Sergio Alpendre et Vincent Souladié abordent des moments différents du cinéma des Etats Unis. Anne-Marie Paquet-Deyris étudie la représentation cinématographique du président Abraham Lincoln, à partir de trois films produits entre le début et la fin des années 1930 : Abraham Lincoln (D. W. Griffith, 1930), Vers sa destinée (Young Mr. Lincoln, John Ford, 1939) et Abraham Lincoln (Abe Lincoln in Illinois, John Cromwell, 1940). Les autres articles consacrés au cinéma hollywoodien étudient des relectures de ce que l’on appelle le rêve américain durant des moments de crise. Dans le premier, Sérgio Alpendre analyse les films Rocky (John G. Avildsen, 1976) et La fièvre du samedi soir (John Badham, 1977) qu’il considère comme des métaphores d’un moment de crise du capitalisme face au premier choc pétrolier. Enfin, Vincent Souladié fait une analyse critique des relations au niveau des images entre les films de super-héros produits après le 11 septembre 2001 et les attentats contre les tours jumelles de New York. 15 L’étude des relations entre cinéma et histoire en Amérique du Nord se referme sur l’analyse d’un film inséré dans l’espace linguistique francophone. Dans son article, Henri Gervaiseau analyse Le règne du jour (Pierre Perrault, 1967), en explorant la manière dont le déplacement entre des espaces sociaux et géographiques distants dessine un sentiment d’appartenance territoriale. Le dossier se ferme sur un article qui se rapproche d’expériences cinématographiques liées à la migration et à l’exil politique,

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avec un accent mis sur la circulation et les échanges transnationaux. Jennifer Cazenave aborde l’expérience de la migration et de l’exil à partir de l’étude de deux film-journals : Reminiscences of a Journey to Lithuania (Jonas Mekas, 1973) et Diary (David Perlov, 1973-1983). 16 L’ensemble du dossier propose une vision variée et complexe des relations entre cinéma et histoire sur le continent, à partir de cas spécifiques qui incluent aussi bien l’analyse de contextes nationaux que de circulations transnationales. Nous aimerions souligner que la perspective historique qui oriente ces études favorise une confluence productive entre des chercheurs du cinéma venus de différents horizons. La présence dans ce dossier de textes rédigés par des spécialistes en histoire, études cinématographiques, communication et esthétique marque cette orientation. 17 Le lecteur remarquera facilement que les approches et thématiques de bien des textes dialoguent entre eux. Ismail Xavier et Ana Laura Lusnich mettent l’accent sur l’importance de l’allégorie pour le cinéma ; les narrations de fondation sont abordées par Eduardo Morettin, Ignacio Del Valle Dávila et Anne-Marie Paquet-Deyris ; le film- essai par Jennifer Cazenave et Henri Gervaiseau ; le portrait hagiographique par Anne- Marie Paquet-Deyris, Ignacio Del Valle Dávila et Fernando Seliprandy ; les relations entre cinéma et projet révolutionnaire apparaissent chez Ismail Xavier et Mariana Villaça. 18 Malgré la multiplicité des problématiques abordées, tous les articles du dossier se caractérisent par la place centrale attribuée à l’analyse cinématographique pour la compréhension des phénomènes historiques au sein desquels s’inscrivent les œuvres étudiées. Nous n’avons pas jugé pertinent de réduire cette multiplicité de propositions à un nombre limité de thématiques. Il serait cependant possible de proposer quelques tendances générales. Toutes les contributions traitent directement de la relation entre art et politique, à différentes époques et sous différents formats. Dans ce sens, il est intéressant de relever que les travaux sur l’Amérique latine mettent l’accent sur l’apogée et sur la crise du cinéma engagé dans des projets révolutionnaires, ainsi que sur les relations plus ou moins tendues entre la production cinématographique et les gouvernements autoritaires. Pour ce qui est des articles sur les Etats-Unis, l’accent est plutôt sur la relation entre le développement du marché cinématographique, qui rend possibles des productions toujours plus spectaculaires depuis le début du XXe siècle, et la mise en place ou la révision de récits mélodramatiques des efforts et des ambitions de héros individuels. Ces récits sont liés à un imaginaire qui souscrit à la concurrence, la lutte pour l’ascension sociale et le succès, une caractéristique fondamentale de la société nord-américaine. 19 L’origine de ce dossier remonte aux derniers mois de 2013, lorsqu’une première proposition a été présentée à la revue IdeAs. Il s’agit d’une initiative liée au groupe de recherche « História e Audiovisual: circularidades e formas de comunicação » (Histoire et audiovisuel : circularités et formes de communication), coordonné par les professeurs Eduardo Morettin et Marcos Napolitano de l’Université de São Paulo. Dès le début, le choix a été fait d’intégrer des chercheurs venus d’autres espaces universitaires, afin de favoriser les échanges internationaux. Au-delà de l’attache institutionnelle, l’origine nationale des auteurs est particulièrement variée (brésilienne, française, argentine, franco-brésilienne, franco-américaine, espagnole- chilienne), ce qui peut être interprété comme le signe de l’internationalisation croissante de la recherche2. Au final, la pluralité des approches présentes dans ce

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dossier manifeste aussi la consolidation d’un champ d’étude tourné vers la réflexion entre le cinéma et les sciences humaines.

BIBLIOGRAPHY

Bastos Kern, Maria Lúcia et Kaminski, Rosane (org.), As imagens no tempo e os tempos da imagem, História Questões & Debates, n° 61, 2014.

Beylot, Pierre et Moine, Raphaëlle (dir.), Fictions patrimoniales, sur grand et petit écran, Bordeaux, PUB, 2009.

Capelato, Maria Helena ; Morettin, Eduardo ; Napolitano, Marcos ; Saliba, Elias Thomé (org.), História e cinema, São Paulo, Alameda, 2007.

De Baecque, Antoine et Chevalier, Philippe, Dictionnaire de la pensée du cinéma, Paris, Puf, 2012.

De Baecque, Antoine, L’histoire-caméra, Paris, Gallimard, 2008.

Ferro, Marc, Cinéma et histoire, 3ème éd., Paris, Gallimard, 2009.

Freire Ramos, Alcides, Canibalismo dos fracos, Bauru, EDUSC, 2002.

Gunning, Tom, « Non-continuity, Continuity, Discontinuity. A Theory of Genres in Early Films », in Thomas Elsaesser (éd.), Space, Frame, Narrative, Londres, BFI Publishing, 1990.

« História e Audiovisual: circularidades e formas de comunicação » : http:// historiaeaudiovisual.weebly.com/teses-e-dissertaccedilotildees.html, page consultée le 26 mars 2016.

Kornis, Mônica Almeida (org.), História e Audiovisual, Estudos Históricos, vol. 26, n° 51, 2013, http://lisa.revues.org/index846.html, page consultée le 31 mars 2016.

Lagny, Michèle, « O cinema como fonte da história », in Jorge Nóvoa, Soleni Fressato et Kristian Feigelson, (dir.), Cinematógrafo: um olhar sobre a história, Salvador, EDUFBA; São Paulo, Edunesp, 2009, p. 99-132.

Lindeperg, Sylvie, « Nuit et brouillard » un film dans l’histoire, Paris, Odile Jacob, 2007.

Morettin, Eduardo ; Napolitano, Marcos ; Kornis, Mônica Almeida (org.), História e documentário, Rio de Janeiro, Editora FGV, 2012.

Morettin, Eduardo, Humberto Mauro, Cinema, História, São Paulo, Alameda, 2013.

Nóvoa, Jorge ; Fressato, Soleni ; Feigelson, Kristian (org.), Cinematógrafo: um olhar sobre a história, Salvador, EDUFBA; São Paulo, Edunesp, 2009.

Rosenstone, Robert, A história nos filmes, os filmes na história, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marcello Lino, [éd. orig. History on Film/Film on History, Harlow, Pearson Education] São Paulo, Paz e Terra, 2010 [2006].

Sorlin, Pierre, Sociologie du cinemá : ouverture pour l'histoire de demain, Paris, Aubier Montaigne, 1977.

Sorlin, Pierre, The film in history : restaging the past, Oxford, Basil Blackwell, 1980.

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NOTES

1. La liste de ces travaux est disponible sur le site web du groupe de recherche « Histoire et Audiovisuel : circularités et formes de communication » : http:// historiaeaudiovisual.weebly.com/teses-e-dissertaccedilotildees.html, page consultée le 26 mars 2016. 2. Soulignons dans ce sens la trajectoire du Professeur Ismail Xavier – dont l’article ouvre le dossier –, l’une des principales références internationales sur l’œuvre de Glauber Rocha et l’étude de l’allégorie dans le cinéma latino-américain, dont les travaux ont été largement traduits en Europe, aux Etats-Unis et en Amérique latine. Les contributions de Xavier ont donné lieu à une notice sur lui dans le Dictionnaire de la pensée du cinéma (De Baecque A. et Chevalier P., 2012).

AUTHORS

IGNACIO DEL VALLE DÁVILA

D’origine espagnole et chilienne, Ignacio Del Valle Dávila est docteur en cinéma (Université de Toulouse – Jean Jaurès), et a réalisé un post-doctorat en histoire à l’Université de São Paulo. Il est actuellement professeur de troisième cycle de l’Institut d’Art de l’Université de Campinas (Unicamp), où il poursuit ses recherches sur le cinéma latino-américain avec une bourse de post- doctorat CAPES. Auteur des livres Cámaras en trance: el nuevo cine latinoamericano, un proyecto cinematográfico subcontinental (Santiago du Chili, Cuarto Propio, 2014) et Le Nouveau Cinéma Latino- américain (1960-1974) (Rennes, PUR, 2015). Il est membre du groupe de recherche CNPq « História e Audiovisual: circularidades e formas de comunicação » et du conseil de rédaction de la revue Cinémas d’Amérique latine.

EDUARDO MORETTIN

Eduardo Morettin est professeur d’Histoire de l’Audiovisuel de l’École de Communications et des Arts de l’Université de São Paulo. Il est l’auteur de « Humberto Mauro, Cinema, História » et l’un des organisateurs de « História e Cinema: dimensões históricas do audiovisual » (2ème éd., SP, Alameda Editorial, 2011), « História e Documentário » (RJ, FGV, 2012) et « Visualidades Hoje » (Salvador, Edufba, 2013). Membre du Conseil de la Cinémathèque Brésilienne depuis 2007, il est l’un des responsables du groupe de recherche « História e Audiovisual: circularidades e formas de comunicação » (site http://historiaeaudiovisual.weebly.com/). Il est chercheur CNPq (Prix de productivité niveau 2), ayant réalisé un post-doctorat à l’Université Paris I (2012).

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Cinema and History in the Americas Cinéma et histoire dans les Amériques Cine e historia en las Américas

Ignacio Del Valle Dávila and Eduardo Morettin Translation : Michael Hinchliffe

1 The cinema is one of the foremost artistic and cultural media of the 20th and 21 st centuries. It is also a powerful tool for mass communication. These factors have made it a primary source of great interest in the study of developments both in the political sphere and the collective imagination of given communities at specific historical periods. Hence the considerable number of researchers who have paid close attention to the relationship between cinema and history.

2 One aim of this “Cinema and History in the Americas” dossier is to reach a better understanding of the role played by the cinema in the representation of the historical past of various countries throughout the American continent. But at the same time, our purpose is also to put forward various practical propositions as to the ways in which the cinema may be used as source material in historical study. As a result, articles include studies looking at the beginnings of cinema or examining its more recent trends: silent films, the shift from visual to audiovisual language, the rise of melodrama and the historical film, the cinema d’auteur of the sixties, the political cinema of the sixties and seventies, and the autobiopics of the last twenty years. 3 No exhaustive account of the principal theoretical approaches to the cinema studied from a historical perspective is possible within the limits of the pages that follow here. We shall be confining ourselves to certain inflections of developments in the field. Overall it is safe to say that it took both documentary and fiction films decades to establish their legitimacy as a source for history, in spite of both their strong public penetration as mass entertainment — in the case of fiction especially — and their double status as artistic expression and industry. The methodological principles governing the use of cinema as source material for the historian were not systematized until the seventies, with the work of Marc Ferro, published in book form in 1977 as Cinéma et histoire (Cinema and History). Ferro contends that the study of the moving image may serve as a launching pad for what he calls a “counter-analysis of society”,

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whereby areas of latent reality are laid open, “invisible zones of the society’s past, revealing that society’s processes of self-censorship and lapsus” (Ferro M., 2009:27). Notwithstanding the extensive discussion and criticism to which Ferro’s theory has given rise during the last thirty years, his defense of the value of the moving image as an “historical document” and an “historical agent” within the society that produces and consumes it is still fully relevant for research into the relations between the cinema and history (Ferro M., 2009: 17). 4 To the field were soon added the studies produced by Pierre Sorlin: Sociologie du cinéma, (Sorlin P., 1977), and The Film in History. Restaging the Past (Sorlin P., 1980). Sorlin takes particular interest in the relationship between historical fiction in the cinema and history as an academic discipline and has attempted to show how representations of the past on the screen allow contemporary political topics to show through. However, as he himself has recognized, his 1980s interest in semiotics as a method for film analysis has lost much of its relevance today. 5 In the final decade of the 20th and the first two of the 21 st century, work bringing together cinema and history has become more extensive and diverse. Beyond revisions in methodology, a number of studies have concentrated on the analysis of a particular film or a specific context and have been able to verify the validity of general principles. Michèle Lagny, working in the French context, has looked at the development of a methodology which, without eschewing the analysis of the film’s text, holds that, over and above the determination of the political and economic conditions of production, an indispensable aspect of its interpretation must be its insertion into cultural context and cinematographic tradition (Lagny M., 2009). In a very different perspective, Pierre Beylot and Raphaëlle Moine, noting the proliferation of “period films”, have been interested since the 1980s in the links between historical fiction films and the notion of historic and cultural heritage (Beylot P. and R. Moine, 2009). Sylvie Lindeperg has developed the concept of micro-history in motion to explain her approach to Alain Resnais’ Night and Fog (Nuit et brouillard, Alain Resnais, 1955). Her work on the film calls equally on an analysis of cinematographic forms and a highly detailed study of the context of its production and distribution (Lindeperg S., 2007: 8). For Antoine De Baecque, the key concept is that of “camera as history”, whereby he seeks to show that the cinema can be seen as a form of history by virtue of its ability to represent the past, to become itself an archive of the past and, through the process of film editing, to arrive at new forms of reflection on a past reconstructed or preserved on film (De Baecque A., 2008: 13). 6 In the US, the work of Robert Rosenstone has made a considerable mark. For him, historical films including fiction, together with the productions of other audiovisual media, mold our consciousness of history. Rosenstone’s primary purpose is an enquiry into the ways in which films actually create an historical world (Rosenstone P., 2010).This attempt to apprehend how the cinema gives rise to knowledge of the past leads Rosenstone to juxtapose on the same plane the activity of the film-maker and the historian, despite the fact that the former’s work has a mode of interaction with the past different from the latter’s written word (Rosenstone R., 2010: 22). Rosenstone’s argument is that the cinema and written history constitute convention-governed narratives within both of which may be found elements either imaginary or unreal. In this way, he subsumes academic and spectacle-oriented history into a single blurred category based on narrative.

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7 Another factor to notice is the renewal in the field of cinema history. The Brighton Congress of the International Federation of Film Archives in 1978 highlighted the proximity between film and questions raised by cultural history and this led to methodological propositions for film analysis which included the historical dimension. In the words of Tom Gunning, a participant in the Congress: Although the methods of film analysis as signifying systems differ from those of films as market products, they are not mutually exclusive nor are they independent in the last resort. […]. We need to develop methods of analyzing films as such which include a historical dimension […] it is high time to conduct a diachronic comparison of films within history (Gunning T., 1990: 86). 8 Rosenstone, Ferro and Sorlin are the main authors with whom Latin American research has been able to enter into dialogue. This is partly owing to the fact that some of their work has been translated into Portuguese and Spanish. The field has developed particularly in where, since the mid-nineties, there has been an abundance of scientific literature1. Particular mention may be made of the following: História e cinema (Capelato M. H., Morettin, E., Napolitano M. et al., 2007); Cinematógrafo: um olhar sobre a história (Nóvoa J., Biscouto Fressato S. and Feigelson K., 2009); História e Audiovisual, a special issue of the journal Estudos Históricos (Kornis M., 2012); the book História e documentário (Morettin E., Napolitano M. and Kornis M., 2012); the dossier As imagens no tempo e os tempos da imagem in the journal Histórica, Questões & Debates (Bastos Kern M. L. et Kaminski R., 2014). Also worth mentioning are various monographies such as: Canibalismo dos fracos (Freire Ramos A., 2002), relative to the film Os Inconfidentes (Joaquim Pedro de Andrade, 1972), or Humberto Mauro, Cinema, História (Morettin E., 2013), together with a considerable number of papers, day conferences, congresses, seminars and research projects.

9 Any film is in dialogue with the society and the period in which it was made. It incorporates and brings into play the imaginations and ideologies of a society in conflict even as it has the potential to inflect them, by functioning as an historical agency. We shall therefore be paying close attention to the way in which the films under study contribute both to the construction of socially shared image systems and to the defense of political discourse or project. Prerequisite to using the cinema as source material for history is the necessity of taking into account a film’s artistic specificity as well as the characteristics inherent in audiovisual language. Failure to do so would be to risk analyzing films with a methodological array inherited from the written text, inadequate to the purpose of presenting the cinema as a document of and for its time. It is, therefore, very much a question of acknowledging the specific nature of cinematographic study. And a corollary of this is the need to stress the importance of film analysis as a tool both for the study of cinematographic documents and for the establishment of programmatic research guidelines. 10 The papers presented here cover three geographical zones —South America, the Caribbean and North America— and four linguistic spaces —Spanish, Portuguese, English, French. We have opted for the study of nation-based cases in order to obviate the risk of a generalist approach which would lack depth. However, when it came to concrete cinematographic experiences concerned with exile and migration, it was obviously necessary to forego national limits and adopt the transnational treatment the topic required.

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11 We begin with Brazil and the articles by Ismail Xavier, Eduardo Morettin and Fernando Seliprandy. Xavier looks at the relationship between historical allegory and commitment in the films of Glauber Rocha, active between the years 1959 and 1980. Morettin analyzes the connections between cinematographic and historical discourse in the representation of the colonizing power produced by Humberto Mauro at a time when the government of Getúlio Vargas (1930-1945) was in search of symbolic legitimization. Seliprandy studies convergences and divergences in the case of two documentaries about the guerilla fighter Carlos Marighella: Marighella: retrato falado do guerrilheiro (Silvio Tendler, 2001) and Marighella (Isa Grinspum Ferraz, 2012). 12 Two articles on Argentinean cinema deal with 1970s and 1980s fiction. In the first, Ignacio Del Valle Dávila studies the relationship between historical cinema and the ideological project behind the so-called “Argentine Revolution” dictatorship (1966-1973) as evinced in the film El Santo de la Espada (Leopoldo Torre-Nilsson, 1970) about José de San Martín (1778-1850), the hero of the country’s independence. In the second, Ana Laura Lusnich deals with the pre-eminence of allegory and metaphor in films made during the last Argentinean dictatorship (1976-1983) and in the early post- dictatorial period (1983-1989) as a reflection on the state-driven terror and social control characteristic of that period. Lusnich’s study concentrates on two feature films: Los Medios (Alejandro Doria, 1980) and Hay unos Tipos Abajo (Rafael Filipelli, Emilio Alfaro, 1985). 13 Mariana Villaça tackles the relationship between the cultural policy of the Cuban government and the influential Insituto Cubano del Arte e Industría Cinematográfica (ICAIC), bringing out as she does so the internal conflicts between the Institute’s direction and several critical filmmakers at two particularly tense moments in Cuba’s cultural landscape, 1968 and the early 1970s. Two films, Coffea Arábiga (Nicolás Guillén Landrián, 1968) and El Otro Francisco (Sergio Giral, 1973) provide her with cogent means to analyze these relationships. 14 The articles by Anne-Marie Paquet-Deyris, Sergio Alpendre and Vincent Souladié are concerned with different moments of US filmmaking. Paquet-Deyris gives a study of the cinematographic representation of President Abraham Lincoln in three films spanning the 1930s: Abraham Lincoln (D.W. Griffith, 1930), Young Mr Lincoln [French title: Vers sa destinée] (John Ford, 1939) and Abe Lincoln in Illinois (John Cromwell, 1940). The other two papers concern Hollywood films and take a look at revisions of the so-called American dream in moments of crisis. Alpendre studies Rocky (John G. Avilsden, 1976) and Saturday Night Fever (John Badham, 1977), films he considers as metaphors of a shock moment of capitalism when faced with the first oil crisis (1973). Souladié provides a critical analysis of the relationships between super-hero images in super- hero films made subsequent to nine eleven and the twin tower attacks. 15 Study of the relationships between cinema and history in North America closes with the analysis of a francophone documentary from Quebec. Henri Gervaiseau examines Le règne du jour (Pierre Perrault, 1967) with a view to looking at how displacement from one social and geographical space to another far away draws out a sentiment of territorial belonging. The collection itself closes with an article on the subject of cinematographic experiences linked to migration and political exile, with a focus on transnational circulation and exchange. Jennifer Cazeneuve tackles the experiences of migration and exile with the study of two “journal-films”: Reminiscences of a Journey to Lithuania (Jonas Mekas, 1973) and Diary (David Perlov, 1973-1983).

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16 This collection as a whole offers a varied and complex view of the relationship between the cinema and history on the American continent based on specific cases which include an analysis both of national context and transnational circulation. We would stress that the historical perspective giving these studies direction helps to bring about a productive commingling of researchers from different horizons. That we have here papers from specialists in the history of film, in cinematographic analysis, in communication and in aesthetics is a clear indication of the fact. 17 The reader will hardly fail to notice that the approach taken and the themes evoked in different pieces enter into dialogue. Ismail Xavier and Ana Laura Lusnich both stress the importance of allegory in film; founding narrative is a theme with which Eduardo Morettin, Ignacio Del Valle Dávila and Anne-Marie Paquet-Deyris are all concerned; the film as essay is important for Jennifer Cazeneuve and Henri Gervaiseau, as is the hagiographic portrait for Anne-Marie Paquet-Deyris, Ignacio Del Valle Dávila and Fernando Seliprandy; the linkage between film and revolutionary project appears in the pieces by Ismail Xavier and Mariana Villaça. 18 Over and against the multiplicity of questions involved, all the articles collected here share the same characteristic, the central position given to film analysis for an understanding of the historical phenomena within which the cinematographic works studied are inscribed. We did not consider at the outset that limiting the possible number of thematic approaches would be a valid proposition. However it now seems possible to pick out general tendencies. All these contributions deal, directly or indirectly, with the relationship between art and politics at different periods and in different forms. In this perspective, it is of interest to note that the pieces on Latin America bring out both the high point and the crisis of the cinema engaged in revolutionary projects, while also stressing the varying degrees of tension between cinematographic production and authoritative government. Where the pieces on the US are concerned, the main focus falls rather on the relationship between the expansion of the film market, which has made possible increasingly spectacular productions since the beginning of the 20th century, and the installation or revision of melodramatic narratives about the deeds and ambitions of individual heroes. These narratives are predicated upon an image system promoting competition, the struggle for social ascension and success, a basic characteristic of North American society. 19 This project originated in late 2013 when a first proposition was tendered to IdeAs, the initiative for which came from the research group “História e Audiovisual: circularidades e formas de communicação” (History and Audiovisual Studies: circulation and forms of communication), coordinated by professors Eduardo Morettin and Marcos Napolitano at São Paulo University. From the outset, the aim was to call on researchers from other academic institutions and thereby promote international exchange. But apart from the institutional diversity here, national origins are highly varied (Brazilian, French, Argentinean, Franco-Brazilian, Franco-American, Hispano- Chilean), a fact which bears witness to the increasing internationalization of academic research2. In the last analysis, the plurality evinced in this collection is also proof of the consolidation of a field of study bringing together thinking on the cinema and social science.

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BIBLIOGRAPHY

Bastos Kern, Maria Lúcia et Kaminski, Rosane (org.), As imagens no tempo e os tempos da imagem, História Questões & Debates, n° 61, 2014.

Beylot, Pierre et Moine, Raphaëlle (dir.), Fictions patrimoniales, sur grand et petit écran, Bordeaux, PUB, 2009.

Capelato, Maria Helena ; Morettin, Eduardo ; Napolitano, Marcos ; Saliba, Elias Thomé (org.), História e cinema, São Paulo, Alameda, 2007.

De Baecque, Antoine et Chevalier, Philippe, Dictionnaire de la pensée du cinéma, Paris, Puf, 2012.

De Baecque, Antoine, L’histoire-caméra, Paris, Gallimard, 2008.

Ferro, Marc, Cinéma et histoire, 3ème éd., Paris, Gallimard, 2009.

Freire Ramos, Alcides, Canibalismo dos fracos, Bauru, EDUSC, 2002.

Gunning, Tom, «Non-continuity, Continuity, Discontinuity. A Theory of Genres in Early Films», in Thomas Elsaesser (éd.), Space, Frame, Narrative, Londres, BFI Publishing, 1990.

«História e Audiovisual: circularidades e formas de comunicação» : http:// historiaeaudiovisual.weebly.com/teses-e-dissertaccedilotildees.html, page consultée le 26 mars 2016.

Kornis, Mônica Almeida (org.), História e Audiovisual, Estudos Históricos, vol. 26, n° 51, 2013, http:// lisa.revues.org/index846.html, page consultée le 31 mars 2016.

Lagny, Michèle, «O cinema como fonte da história», in Jorge Nóvoa, Soleni Fressato et Kristian Feigelson, (dir.), Cinematógrafo: um olhar sobre a história, Salvador, EDUFBA; São Paulo, Edunesp, 2009, p. 99-132.

Lindeperg, Sylvie, «Nuit et brouillard» un film dans l’histoire, Paris, Odile Jacob, 2007.

Morettin, Eduardo ; Napolitano, Marcos, Kornis, Mônica Almeida (org.), História e documentário, Rio de Janeiro, Editora FGV, 2012.

Morettin, Eduardo, Humberto Mauro, Cinema, História, São Paulo, Alameda, 2013.

Nóvoa, Jorge ; Fressato, Soleni ; Feigelson, Kristian (org.), Cinematógrafo: um olhar sobre a história, Salvador, EDUFBA; São Paulo, Edunesp, 2009.

Rosenstone, Robert, A história nos filmes, os filmes na história, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marcello Lino, [éd. orig. History on Film/Film on History, Harlow, Pearson Education] São Paulo, Paz e Terra, 2010 [2006].

Sorlin, Pierre, Sociologie du cinemá : ouverture pour l'histoire de demain, Paris, Aubier Montaigne, 1977.

Sorlin, Pierre, The film in history : restaging the past, Oxford, Basil Blackwell, 1980.

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NOTES

1. A list of these works is available online on the site of the research group “Histoire et Audiovisuel : circularités et formes de communication”:http://historiaeaudiovisual.weebly.com/ teses-e-dissertaccedilotildees.html. Page consulted 26 March 2016. 2. The academic career of professor Ismail Xavier, whose contribution opens the collection, may be cited as a case in point. He is one the main international autorities on the work of Glauber Rocha and on allegory in Latin American cinema and his work has been extensively translated in Europe, the United States and in Latin America. His work has given rise to an entry concerning him in the Dictionnaire de la pensée du cinéma [Dictiionary of Cinematographic Thought] (De Bacque A., and Chevalier P., 2012).

AUTHORS

IGNACIO DEL VALLE DÁVILA

Ignacio Del Valle Dávila is Spanish and Chilean in origin. He won a doctorate in film studies (University of Toulouse – Jean Jaurès) and carried out postdoctoral studies in history at the University of São Paulo. He at present teaches postgraduate students at the Arts Institute of the University of Campinas (Unicamp) while continuing research into Latin American cinema on a post-doctoral CAPES grant. He is the author of two books: Cámaras en trance : el nuevo cine latinoamericano, un proyecto cinematográfico subcontinental (Santiago du Chili, Cuarto Propio, 2014) and Le nouveau cinéma latino-américain (1960-1974) (Rennes, PUR, 2015). He is a member of the research group CNPq “História e Audiovisual: circularidades e formas de comunicação” and of the editoral board of the journal Cinémas d’Amérique latine.

EDUARDO MORETTIN

Eduardo Morettin is professor of Audiovisual History at the School of Communications and Arts, São Paulo University. He is the author of “Humberto Mauro, Cinema, História” and one of the organisers of “História e Cinema: dimensões históricos do audiovisual” (2nd ed, SP, Alameda Editorial, 2011), “História e Documentário” (RJ, FGV, 2012) and “Visualidades Hoje” (Salvador, Edufba, 2013). He has been a member of the Board of the Brazilian Cinema Library since 2007 and is one of the leading members of the group “História e Audiovisual: circularidades e formas de comunicação” (website http://historiaeaudiovisual.weebly.com). He is a CNPq researcher (Level 2 prize for academic output), having carried out a postdoctoral fellowship at the University of Paris 1 (2012).

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Cine e historia en las Américas Cinema and History in the Americas Cinéma et histoire dans les Amériques

Ignacio Del Valle Dávila y Eduardo Morettin Tradución : Marta Gómez

1 El cine es una de las principales expresiones artísticas y culturales de los siglos XX y XXI, además de un poderoso medio de comunicación de masas. Sus características lo convierten en una fuente primaria de gran interés para el estudio de proyectos políticos e imaginarios colectivos en el seno de diferentes comunidades y en periodos históricos determinados. Por ello, son muchos los investigadores que se han interesado por la relación entre cine e historia.

2 El objetivo del dossier «Cine e historia en las Américas» es entender el papel que ha desempeñado el cine en la representación del pasado histórico de distintos países del continente americano. Con este estudio también queremos presentar diversas propuestas prácticas acerca de las formas de utilizar el cine como fuente de estudio de la historia. Así pues, los artículos ofrecen una serie de análisis que abarcan tanto los inicios del cine como sus tendencias más recientes: el llamado cine mudo, el paso del lenguaje visual al lenguaje audiovisual, el desarrollo del melodrama y del cine histórico, el cine de autor de los años 60, el cine militante de los años 60 y 70, y los documentales autobiográficos de los últimos veinte años. 3 Es imposible resumir de forma exhaustiva y en pocas páginas las principales contribuciones teóricas que abordan el cine desde una perspectiva histórica. Por ello nos limitaremos a reseñar algunos puntos de inflexión dentro de la evolución de este campo de investigación. En términos generales, podemos afirmar que tanto las películas documentales como las cintas de ficción han tardado décadas en ser consideradas fuentes legítimas para el estudio de la historia y ello a pesar de su importante nivel de penetración –sobre todo en el caso de la ficción– como entretenimiento de masas, asociado a su doble naturaleza artística e industrial. Solo a partir de los trabajos de Marc Ferro en los años 70, materializados en la obra Cine e historia, publicada en 1977, empiezan a sistematizarse una serie de principios metodológicos sobre la utilización del cine como fuente de estudio para el historiador.

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Según Ferro, el análisis de las imágenes en movimiento podría permitir lanzar un «contraanálisis de la sociedad» al revelar zonas de realidad latente, «zonas no visibles del pasado de las sociedades, revelando, por ejemplo, las autocensuras y lapsus de una sociedad» (Ferro M., 2009: 27). A pesar de que esta teoría ha sido ampliamente debatida y criticada en los últimos treinta años, la defensa que Ferro hace del valor de la imagen en movimiento como «documento histórico» y «agente de la historia» en una sociedad que la produce y consume sigue siendo pertinente para la investigación de las relaciones entre cine e historia (Ferro M., 2009: 17). 4 Este campo de estudio se enriqueció rápidamente con la aparición de los libros de Pierre Sorlin Sociología del cine (Sorlin P., 1977) y The Film in History: Restaging the Past (Sorlin P., 1980). Sorlin, especialmente atento a las relaciones entre el cine de ficción histórica y la historia como disciplina, ha intentado demostrar que la representación del pasado a través del cine deja entrever cuestiones políticas contemporáneas. Por otro lado, como el mismo autor ha reconocido, su interés por la semiótica en los años 80 como enfoque metodológico del análisis fílmico parece menos pertinente en la actualidad. 5 Durante la última década del siglo XX y las dos primeras del siglo XXI, los estudios sobre cine e historia se han ampliado y diversificado. Además de una revisión metodológica, ha habido numerosos trabajos que se han centrado en el análisis de una película o de un contexto específico y que han permitido confirmar la validez de los principios generales. En el contexto francés, Michèle Lagny ha reflexionado sobre el desarrollo de una metodología que, sin abandonar el análisis del texto fílmico, considera indispensable para su interpretación la inserción de dicho texto en su contexto cultural y tradición fílmica, más allá de la identificación de las condiciones políticas y económicas de su producción (Lagny M., 2009). Desde una perspectiva distinta, a partir de la constatación de la proliferación de películas de época, Pierre Beylot y Raphaëlle Moine empiezan a interesarse desde los años 80 por las relaciones entre el cine histórico de ficción y la idea de patrimonio histórico y cultural (Beylot P., y R. Moine, 2009). Sylvie Lindeperg, por su parte, acuña el concepto de «microhistoria en movimiento» para explicar su manera de abordar la cinta Noche y neblina (Alain Resnais, 1955). Su trabajo sobre este documental abarca tanto el análisis de las formas cinematográficas como el estudio minucioso del contexto en el que fue producido y difundido (Lindeperg S., 2007: 8). Antoine De Baecque, por otro lado, desarrolla el concepto de «cámara histórica» a través del cual busca demostrar que el cine puede considerarse una forma de historia dada su capacidad de representar el pasado, transformarse en archivo del pasado y lograr, por medio del montaje, nuevas formas de reflexión sobre el pasado reconstruido o preservado en el celuloide (De Baecque A., 2008: 13). 6 Del otro lado del Atlántico, los trabajos de Robert Rosenstone tuvieron una enorme repercusión. Según Rosenstone, el cine histórico, incluidas las ficciones, modelan nuestra conciencia histórica, como también lo hacen otros medios audiovisuales. El principal objetivo del autor es investigar de qué modo el cine crea un mundo histórico (Rosenstone R., 2010). En su intento por entender cómo se construye el saber sobre el pasado a través del cine, llega a equiparar el trabajo del cineasta con el del historiador, pese a que las reglas de interacción de las obras cinematográficas con el pasado son distintas a las de la historia escrita (Rosenstone R., 2010: 22). La tesis de Rosenstone es que tanto la historia escrita como el cine son relatos construidos por convención dentro

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de los cuales es posible encontrar elementos imaginarios o irreales. De este modo, llega a incluir tanto la producción universitaria como las artes escénicas dentro de una categoría difusa constituida por relatos. 7 Cabe destacar asimismo la renovación experimentada en el ámbito de la historia del cine. A partir del Congreso de Brighton, celebrado en 1978 bajo la égida de la Federación Internacional de Archivos Fílmicos, la cercanía de las cuestiones aportadas por la historia cultural propiciaría la propuesta de un método de análisis fílmico que incluía la dimensión histórica. Como escribe Tom Gunning, uno de los participantes al congreso: Si bien los métodos de análisis de películas como sistemas de significado difieren de los de las películas consideradas como mercancías, dichos análisis no se excluyen entre sí, ni tampoco son, en última instancia, independientes. […] Debemos desarrollar métodos de análisis cinematográfico que incluyan la dimensión histórica. […] Es hora de llevar a cabo una comparación diacrónica de las películas a lo largo de la historia (Gunning T., 1990: 86). 8 Rosenstone, Ferro y Sorlin son los principales autores con los que interactúan los investigadores latinoamericanos. Ello responde en cierta medida al hecho de que algunas de sus obras se hayan traducido al portugués y al español. Este campo de investigación ha empezado a desarrollarse especialmente en Brasil, donde desde mediados de los años 90 prolifera una literatura científica1. Cabe destacar los libros História e cinema (Capelato M. H., Morettin, E., Napolitano M. et al., 2007), Cinematógrafo: um olhar sobre a história (Nóvoa J., Biscouto Fressato S. y Feigelson K., 2009) o História e documentário (Morettin E., Napolitano M. y Kornis M., 2012); História e Audiovisual, número especial de la revista Estudos Históricos (Kornis M., 2012) y el dossier As imagens no tempo e os tempos da imagem de la revista Histórica, Questões & Debates (Bastos Kern M. L. y Kaminski R., 2014). Pueden mencionarse también diversas monografías, tales como Canibalismo dos fracos (Freire Ramos A., 2002), sobre la cinta Os Inconfidentes (Joaquim Pedro de Andrade, 1972), y Humberto Mauro, Cinema, História (Morettin E., 2013), además de numerosos artículos, jornadas de estudio, congresos, seminarios y proyectos de investigación.

9 Cualquier película abre un diálogo con la sociedad y la época en la que ha sido realizada. Además, incorpora y moviliza los imaginarios e ideologías de una sociedad en conflicto, al tiempo que ejerce potencialmente una influencia sobre ellos como agente histórico. En este sentido, queremos incidir especialmente en cómo las películas analizadas contribuyen a construir imaginarios sociales y a defender discursos y proyectos políticos. Con el fin de abordar el cine como fuente para la historia, conviene tomar en consideración su especificidad artística, así como las características propias del lenguaje audiovisual. De lo contrario, nos arriesgamos a analizarlo con una metodología heredada de la escritura que resulta inadecuada para dar cuenta del cine como documento de su época. La cuestión central es precisamente reconocer el carácter específico del campo cinematográfico. Por ello, conviene subrayar la importancia del análisis fílmico como herramienta tanto para estudiar los documentos cinematográficos como para plantear cuestiones que sirvan para orientar la reflexión. 10 Los artículos del dossier abarcan tres zonas geográficas (América del Sur, el Caribe y Norteamérica) y cuatro áreas lingüísticas (hispana, portuguesa, anglófona y francófona). Hemos dado prioridad al estudio de casos nacionales para evitar el riesgo de caer en una visión generalista y poco profunda de la cuestión estudiada. Con todo, en el caso de determinadas experiencias cinematográficas relacionadas con el exilio y la

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migración, hemos considerado necesario no seguir estos criterios nacionales y proponer un planteamiento transnacional, dadas las exigencias de la cuestión en sí misma. 11 El dossier empieza por Brasil con los artículos de Ismail Xavier, Eduardo Morettin y Fernando Seliprandy. El primero analiza las relaciones entre alegoría histórica y compromiso en las películas del cineasta Glauber Rocha (activo de 1959 a 1980). Eduardo Morettin, por su parte, analiza las conexiones entre discurso histórico y discurso cinematográfico en la representación de la llegada de los colonizadores que realizó el cineasta Humberto Mauro en una época en la que el gobierno de Getúlio Vargas (1930-1945) buscaba una legitimación simbólica. Por último, Fernando Seliprandy estudia las convergencias y divergencias entre dos documentales sobre el guerrillero Carlos Marighella: Marighella: retrato falado do guerrilheiro (Silvio Tendler, 2001) y Marighella (Isa Grinspum Ferraz, 2011). 12 Las películas de ficción de los años 70 y 80 son el tema principal de dos artículos sobre el cine argentino. En el primero, Ignacio Del Valle Dávila analiza, a partir de la cinta El santo de la espada (Leopoldo Torre-Nilsson, 1970), las relaciones entre el cine histórico y el proyecto ideológico de la dictadura autodenominada «Revolución Argentina» (1966-1973) a propósito del héroe de la independencia José de San Martín (1778-1850). Ana Laura Lusnich, por su parte, estudia la preeminencia de alegorías y metáforas en las películas producidas durante la última dictadura argentina (1976-1983) y comienzos del periodo posdictatorial (1983-1989) como reflexión sobre el terrorismo de Estado y el control social que marcaron aquella época. El análisis de Lusnich se centra en los largometrajes Los miedos (Alejandro Doria, 1980) y Hay unos tipos abajo (Rafael Filipelli y Emilio Alfaro, 1985). 13 Mariana Villaça aborda la relación entre la política cultural del gobierno cubano y el influyente Instituto Cubano de Arte e Industria Cinematográficos (ICAIC), mostrando asimismo los conflictos internos entre la dirección del instituto y algunos cineastas críticos en dos momentos especialmente tensos de la vida cultural de la isla: 1968 y principios de los años 70. Las cintas Coffea Arábiga (Nicolás Guillén Landrián, 1968) y El otro Francisco (Sergio Giral, 1973) son dos buenos ejemplos para analizar dichas relaciones. 14 Los artículos de Anne-Marie Paquet-Deyris, Sérgio Alpendre y Vincent Souladié abordan distintos momentos del cine de Estados Unidos. La primera estudia la representación cinematográfica del presidente Abraham Lincoln basándose en tres películas producidas entre principios y finales de los años 30: Abraham Lincoln (D. W. Griffith, 1930), El joven Lincoln (John Ford, 1939) y Lincoln en Illinois (John Cromwell, 1940). Los otros dos artículos sobre el cine de Hollywood examinan distintas relecturas que se han hecho del llamado sueño americano en momentos de crisis. En el primero de ellos, Sérgio Alpendre analiza las cintas Rocky (John G. Avildsen, 1976) y Fiebre del sábado noche (John Badham, 1977), a las que considera metáforas de una época de crisis del capitalismo tras el primer choque petrolero. En el segundo, Vincent Souladié realiza un análisis crítico, en materia de imágenes, comparando las películas de superhéroes producidas tras el 11 de septiembre de 2001 y los atentados contra las torres gemelas de Nueva York. 15 El estudio de las relaciones entre cine e historia en Norteamérica concluye con el análisis de una película inscrita en el espacio lingüístico francófono. En su artículo, Henri Gervaiseau analiza la cinta Le règne du jour (Pierre Perrault, 1967) explorando la

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forma en que la travesía entre espacios sociales y geográficos distantes dibujan un sentimiento de pertenencia territorial. El dossier se cierra con un artículo sobre experiencias cinematográficas ligadas a la migración y al exilio político, y más concretamente, sobre la circulación y los intercambios transnacionales. Jennifer Cazenave aborda la experiencia de la migración y el exilio en su estudio sobre dos películas-diario: Reminiscences of a Journey to Lithuania (Jonas Mekas, 1973) y Diary (David Perlov, 1973-1983). 16 El dossier en su conjunto ofrece una visión diversa y compleja de las relaciones entre cine e historia en el continente americano a través de casos específicos que incluyen el análisis tanto de contextos nacionales como de movimientos transnacionales. Queremos resaltar el hecho de que la perspectiva histórica que orienta estos estudios ha favorecido una productiva confluencia entre investigadores del cine procedentes de horizontes diversos. Esta orientación se ha traducido en la publicación dentro del dossier de textos redactados por especialistas en historia, estudios cinematográficos, comunicación y estética. 17 El lector podrá advertir fácilmente la interacción entre enfoques y temáticas de muchos de estos textos. Ismail Xavier y Ana Laura Lusnich hacen hincapié en la importancia de la alegoría para el cine, mientras Eduardo Morettin, Ignacio Del Valle Dávila y Anne- Marie Paquet-Deyris se centran en los relatos fundacionales, Jennifer Cazenave y Henri Gervaiseau estudian el cine-ensayo, Anne-Marie Paquet-Deyris, Ignacio Del Valle Dávila y Fernando Seliprandy, el retrato hagiográfico, e Ismail Xavier y Mariana Villaça, las relaciones entre cine y proyectos revolucionarios. 18 A pesar de las múltiples problemáticas abordadas, todos los artículos se distinguen por la función central atribuida al análisis cinematográfico para comprender los fenómenos históricos en los que se enmarcan las obras estudiadas. No hemos considerado pertinente reducir la diversidad de propuestas a un número limitado de temáticas. No obstante, es posible plantear ciertas tendencias generales. Todas las propuestas abordan directamente la relación entre arte y política, en diferentes épocas y bajo distintos formatos. En este sentido, es interesante señalar cómo los trabajos sobre América Latina ponen de relieve el apogeo y la crisis del cine comprometido en proyectos revolucionarios, así como las relaciones más o menos tensas entre la producción cinematográfica y los gobiernos autoritarios. Por su parte, los artículos sobre Estados Unidos ponen el foco en el desarrollo del mercado cinematográfico –que desde principios del siglo XX se materializa en producciones cada vez más espectaculares− así como en la creación o revisión de relatos melodramáticos sobre los esfuerzos y ambiciones de héroes individuales. Dichos relatos se inscriben en un imaginario que comulga con la competitividad, la lucha por el ascenso social y el éxito como características fundamentales de la sociedad norteamericana. 19 El presente dossier se gestó a finales de 2013, cuando fue presentada una primera propuesta a la revista IdeAs. Se trata de una iniciativa vinculada al grupo de investigación «História e Audiovisual: circularidades e formas de comunicação» coordinado por los profesores Eduardo Morettin y Marcos Napolitano de la Universidad de São Paulo. Desde el principio, se decidió integrar a investigadores procedentes de diversos espacios universitarios con el fin de favorecer el intercambio internacional. Más allá de los vínculos institucionales, los autores tienen orígenes nacionales muy diversos (brasileño, francés, argentino, franco-brasileño, franco-estadounidense chileno-español), lo que puede interpretarse como un indicio de la creciente

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internacionalización de la investigación2. En definitiva, la pluralidad de enfoques en este dossier evidencia también la consolidación de un campo de estudio orientado hacia la reflexión sobre el cine y las ciencias humanas.

BIBLIOGRAFÍA

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Beylot, Pierre et Moine, Raphaëlle (dir.), Fictions patrimoniales, sur grand et petit écran, Bordeaux, PUB, 2009.

Capelato, Maria Helena ; Morettin, Eduardo ; Napolitano, Marcos ; Saliba, Elias Thomé (org.), História e cinema, São Paulo, Alameda, 2007.

De Baecque, Antoine et Chevalier, Philippe, Dictionnaire de la pensée du cinéma, Paris, Puf, 2012.

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Freire Ramos, Alcides, Canibalismo dos fracos, Bauru, EDUSC, 2002.

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Kornis, Mônica Almeida (org.), História e Audiovisual, Estudos Históricos, vol. 26, n° 51, 2013, http:// lisa.revues.org/index846.html, page consultée le 31 mars 2016.

Lagny, Michèle, «O cinema como fonte da história», in Jorge Nóvoa, Soleni Fressato et Kristian Feigelson, (dir.), Cinematógrafo: um olhar sobre a história, Salvador, EDUFBA; São Paulo, Edunesp, 2009, p. 99-132.

Lindeperg, Sylvie, «Nuit et brouillard» un film dans l’histoire, Paris, Odile Jacob, 2007.

Morettin, Eduardo ; Napolitano, Marcos, Kornis, Mônica Almeida (org.), História e documentário, Rio de Janeiro, Editora FGV, 2012.

Morettin, Eduardo, Humberto Mauro, Cinema, História, São Paulo, Alameda, 2013.

Nóvoa, Jorge ; Fressato, Soleni ; Feigelson, Kristian (org.), Cinematógrafo: um olhar sobre a história, Salvador, EDUFBA; São Paulo, Edunesp, 2009.

Rosenstone, Robert, A história nos filmes, os filmes na história, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marcello Lino, [éd. orig. History on Film/Film on History, Harlow, Pearson Education] São Paulo, Paz e Terra, 2010 [2006].

Sorlin, Pierre, Sociologie du cinemá : ouverture pour l'histoire de demain, Paris, Aubier Montaigne, 1977.

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Sorlin, Pierre, The film in history : restaging the past, Oxford, Basil Blackwell, 1980.

NOTAS

1. La lista de estos trabajos está disponible en la web del grupo de investigación «Historia y audiovisual: circularidades y formas de comunicación»: http://historiaeaudiovisual.weebly.com/ teses-e-dissertaccedilotildees.html, página consultada el 26 marzo de 2016. 2. Destaquemos en este sentido la trayectoria del profesor Ismail Xavier (su artículo abre el dossier), una de las principales referencias internacionales en el estudio de la obra de Glauber Rocha y de la alegoría en el cine latinoamericano y cuyos trabajos se han traducido ampliamente en Europa, Estados Unidos y América Latina. Sus aportaciones le han llevado a tener una entrada propia en el Diccionario del pensamiento del cine (De Baecque A. y Chevalier P., 2012).

AUTORES

IGNACIO DEL VALLE DÁVILA

De origen español y chileno, Ignacio Del Valle Dávila es doctor en cine por la Universidad de Toulouse – Jean Jaurès y ha realizado un posdoctorado en historia en la Universidad de São Paulo. Actualmente es profesor de tercer ciclo en el Instituto de Arte de la Universidad de Campinas (UNICAMP, Brasil), donde sigue investigando sobre el cine latinoamericano con una beca posdoctoral de CAPES (organismo brasileño de Coordinación del Perfeccionamiento del Personal de Nivel Superior). Autor de los libros Cámaras en trance: el nuevo cine latinoamericano, un proyecto cinematográfico subcontinental (Santiago de Chile, Editorial Cuarto Propio, 2014) o Le nouveau cinéma latino-américain: 1960-1974 (Rennes, PUR, 2015), es miembro del grupo de investigación CNPq «História e Audiovisual: circularidades e formas de comunicação» (Historia y Audiovisual: circularidades y formas de comunicación) y del consejo de redacción de la revista Cinémas d’Amérique latine.

EDUARDO MORETTIN

Eduardo Morettin es profesor de Historia audiovisual en la Escuela de Comunicaciones y Artes de la Universidad de São Paulo. Autor de «Humberto Mauro, Cinema, História», Morettin es coautor de História e Cinema: dimensões históricas do audiovisual (2ª ed., SP, Alameda Editorial, 2011), História e Documentário (RJ, FGV, 2012) y Visualidades Hoje (Salvador, Edufba, 2013). Miembro del Consejo de la Cinemateca brasileña desde 2007, es uno de los responsables del grupo de investigación «Historia y Audiovisual: circularidades y formas de comunicación» (http:// historiaeaudiovisual.weebly.com/). También es investigador en el CNPq (Premio de productividad nivel 2) y titular de un posdoctorado por la Universidad de París I (2012).

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Cinema e história nas Américas

Ignacio Del Valle Dávila e Eduardo Morettin

1 O cinema é uma das principais expressões artísticas e culturais dos séculos XX e XXI. Ele também é um meio de comunicação de massa poderoso. Suas características fazem dele uma fonte primária de um grande interesse, tanto para o estudo dos projetos políticos quanto para aqueles dos imaginários coletivos de certas comunidades e em períodos históricos determinados. Por esta razão, inúmeros pesquisadores se interessaram pela relação entre cinema e história.

2 O dossiê “Cinema e história nas Américas” visa a compreender o papel exercido pelo cinema na representação do passado histórico de diferentes países do continente americano. Ao mesmo tempo, através deeste estudo, nós apresentamos diversas proposições práticas sobre a maneira de utilizar o cinema como uma fonte de estudo da história. Por consequência, os artigos propõem análises que abordam tanto os primórdios do cinema quanto suas tendências recentes: o cinema mudo, a passagem da linguagem visual a audiovisual, o desenvolvimento do melodrama e do filme histórico, o filme de autores dos anos 1960, o cinema militante dos anos 1960 e 1970 e os documentários autobiográficos dos últimos vinte anos. 3 Não é possível, em algumas páginas, recapitular de maneira exaustiva as principais contribuições teóricas que abrangem o cinema numa perspectiva histórica. Nós nos limitaremos a destacar alguns pontos de inflexão no desenvolvimento desse campo de pesquisa. De modo geral, podemos dizer que tanto os documentários como os filmes de ficção levaram décadas para encontrar a sua legitimidade como uma fonte para a história, apesar de uma grande força de penetração - especialmente para a ficção - como entretenimento de massa, associado com a sua dupla condição de arte e de indústria. É somente a partir da obra de Marc Ferro, em 1970, publicado como livro em 1977, em Cinéma et histoire, que são sistematizados os princípios metodológicos do uso do cinema como uma fonte para o historiador. Segundo ele, a análise de imagens em movimento lançaria uma “contra-análise da sociedade”, apontando para zonas de realidade latentes, “áreas não visíveis do passado das sociedades; revelando, por exemplo, as auto-censuras e os lapsos de uma sociedade” (Ferro M., 009: 27). Embora esta teoria tenha sido amplamente discutida e criticada nos últimos trinta anos, a defesa que ele fez do valor da imagem em movimento, como um “documento histórico”

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e “agente da história” em uma sociedade que produz e consome, permanece relevante para a pesquisa das relações entre cinema e história (Ferro M. 2009 17). 4 Este campo de estudos enriqueceu-se rapidamente com a publicação dos livros de Pierre Sorlin: Sociologie du cinéma, (Sorlin P., 1977) e The Film in History. Restaging the Past (Sorlin P., 1980). Sorlin, particularmente atento à relação entre o cinema de ficção histórica e a disciplina histórica, procurou demonstrar que a representação do passado no cinema deixa entrever questões políticas contemporâneas. Por outro lado, como o próprio Sorlin o reconheceu, seu interesse na década de 1980 pela semiótica, como método de abordagem de análise cinematográfica, parece menos relevante hoje. 5 Durante a última década do século XX e nesse início do século XXI, os estudos que associam o cinema e a história têm se expandido e diversificado. Além de uma revisão metodológica, tem havido muitos trabalhos que abordaram a análise de um filme ou de um contexto específico, e que ajudaram a verificar a validade destes princípios gerais. No contexto francês, Michele Lagny questionou o desenvolvimento de uma metodologia que, sem abandonar a análise do texto fílmico, considera indispensável para a sua interpretação a inserção no contexto cultural e na tradição cinematográfica, além da determinação das condições políticas e econômicas de produção (Lagny M., 2009). Em uma perspectiva diferente, a partir da observação da proliferação de “filmes de fantasia”, Peter Beylot e Raphaelle Moine estavam interessados desde os anos 1980 na relação entre os filmes de ficção histórica e a noção de patrimônio histórico e cultural (Beylot P. e R. Moine, 2009). Sylvie Lindeperg, por sua vez, desenvolveu o conceito de micro- história em movimento para abordar Nuit et brouillard (Alain Resnais, 1955). Seu trabalho sobre este documentário mobiliza tanto a análise das formas cinematográficas quanto o estudo minucioso do contexto em que foi produzido e divulgado (Lindeperg S., 2007: 8). Quanto a Antoine De Baecque, ele está desenvolvendo o conceito de “história-câmera”, através do qual procura demonstrar que o cinema pode ser considerado como uma forma de história por causa de sua capacidade de representar o passado, para se transformar em arquivo do passado e criar, através da montagem, novas formas de pensar sobre o passado reconstruído ou preservado em filme (De Baecque A., 2008 : 13). 6 No exterior, as obras de Robert Rosenstone tiveram um forte impacto. Segundo ele, os filmes históricos, incluindo a ficção, moldam a nossa consciência histórica, juntamente com outros meios de comunicação audiovisuais. O principal objetivo de Rosenstone é de investigar em profundidade como os filmes criam um mundo histórico (Rosenstone R., 2010). Em sua tentativa de compreender a construção do conhecimento sobre o passado através do cinema, o autor trata de colocar no mesmo nível o trabalho do cineasta e do historiador, embora as regras de interação de suas obras com o passado sejam diferentes (Rosenstone R., 2010 : 22). A tese de Rosenstone é que tanto a história como o cinema são relatos construídos por convençõesn e nos quais é possível encontrar elementos imaginários ou irreais. Desta forma, o autor insere tanto a produção acadêmica como as artes de palco em uma categoria difusa constituída por narrativas. 7 Devemos também observar uma renovação no campo da história do cinema. A partir do Congresso de Brighton, realizado sob os auspícios da Federação Internacional de Arquivos de Filmes, em 1978, a proximidade das questões levantandas pela história cultural permitiu elaborar a proposta de um método de análise de filmes que inclui a dimensão histórica. Nas palavras de Tom Gunning, um dos participantes: Se os métodos de análises dos filmes como sistemas de significado são diferentes dos filmes como uma mercadoria, eles não são mutuamente exclusivos e não são

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independentes em última instância. [...] Precisamos desenvolver métodos para analisar os próprios filmes que incluem uma dimensão histórica [...]; é hora de realizar uma comparação diacrônica dos filmes no centro da história (Gunning T., 1990: 86). 8 Rosenstone, Ferro e Sorlin são os principais autores com os quais a pesquisa latino- americana consegue dialogar. Isso pode ser explicado, até certo ponto, pela tradução de seus livros em português e espanhol. Esse campo de pesquisa começou a crescer, em especial no Brasil, onde, desde meados da década de 1990, prolifera uma literatura científica1. Pode-se mencionar os livros História e cinema (Capelato M. H., Morettin, E., Napolitano M. et al., 2007) ; Cinematógrafo: um olhar sobre a história (Nóvoa J., Biscouto Fressato S. e Feigelson K., 2009) ; História e Audiovisual, número espcial da revsta Estudos Históricos (Kornis M., 2012) ; o livro História e documentário (Morettin E., Napolitano M. e Kornis M., 2012) ; o dossiê As imagens no tempo e os tempos da imagem da revista Histórica, Questões & Debates (Bastos Kern M. L. e Kaminski R., 2014). Pode-se também mencionar várias monografias como Canibalismo dos fracos (Freire A. Ramos, 2002), que se debruça sobre o filme Os Inconfidentes (Joaquim Pedro de Andrade, 1972), ou como Humberto Mauro, Cinema, História (Morettin E., 2013), bem como inúmeros artigos, jornadas de estudos, congresso, seminários e projetos de pesquisa.

9 Qualquer filme está em diálogo com a sociedade e com o tempo em que ele foi realizado. Ele incorpora e envolve imaginários e ideologias de uma sociedade em conflito, tendo ao mesmo tempo, potecialmente, uma capacidade de influênciá-los, como um agente histórico. Vamos prestar muita atenção à forma como os filmes estudados contribuem para a construção de imaginários sociais e à defesa de discursos e de projetos políticos. A fim de abordar o cinema como fonte para a história, deveremos ter em conta a sua especificidade artística e as características específicas da linguagem audiovisual. Se não o fizermos, poderíamos analisá-lo a partir de uma metodologia herdada da escrita, que se revela insuficiente para explicar o cinema como um documento de seu tempo. O desafio é justamente reconhecer a natureza específica do campo cinematográfico. Portanto, deve-se enfatizar a importância da análise do filme como uma ferramenta que permite não somente estudar o material cinematográfico como também estabelecer problemáticas que orientarão a reflexão. 10 Os artigos do dossiê observam três áreas geográficas – a América do Sul, o Caribe e a América do Norte - e quatro áreas de linguagem - hispanófona, lusófona, anglófona e francófona. Decidimos privilegiar o estudo nacional de caso para evitar o risco de uma visão geral, sem grande profundidade. No entanto, no caso das experiências cinematográficas concretas relacionadas com o exílio e migração, considerou-se que não é necessário seguir estas referências nacionais para oferecer uma fusão transnacional, porque o próprio objeto o exige. 11 O dossiê começa pelo Brasil, com os artigos de Ismail Xavier, Eduardo Morettin e Fernando Seliprandy. O primeiro explora a relação entre a alegoria histórica e o engajamento nos filmes do cineasta Glauber Rocha (ativo 1959-1980). Quanto a Eduardo Morettin, ele analisa as conexões entre a narrativa histórica e o discurso cinematográfico na representação da chegada dos colonizadores feita por Mauro num momento em que o governo de Getúlio Vargas (1930-1945) estava à procura de uma legitimação simbólica. Finalmente, Fernando Seliprandy examina as semelhanças e diferenças entre dois documentários que tratam do guerrilheiro Carlos Marighella:

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Marighella : retrato falado do guerrilheiro (Silvio Tendler, 2001) e Marighella (Isa Grinspum Ferraz, 2012). 12 Os filmes de ficção dos anos 1970 e 1980 são o objeto de dois artigos sobre o cinema argentino. Na primeira, Ignacio Del Valle Dávila analisa a relação entre o cinema histórico e o projeto ideológico da ditadura chamada “Revolução Argentina (1966-1973), a partir do filme El santo de la espada (, 1970), sobre a independência do heroi José de San Martín (1778-1850). Ana Laura Lusnich, por seu lado, estuda a preeminência de alegorias e metáforas nos filmes produzidos durante a última ditadura argentina (1976-1983) e no início do período pós-ditadura (1983-1989), como um reflexo do terror estatal e do controle social que caracteriza este período. A análise de Lusnich concentra-se nas longas-metragens Los miedos (Alejandro Doria, 1980) e Hay unos tipos abajo (Rafael Filipelli, Emilio Alfaro, 1985). 13 Mariana Villaça estuda a relação entre a política cultural do governo cubano e o influente Instituto Cubano del Arte e Industria Cinematrográfica (ICAIC), mostrando também os conflitos internos entre a gestão do instituto e alguns críticos cineastas em dois momentos particularmente tensos no campo cultural da ilha: 1968 e o início dos anos 1970. Os filmes Coffea Arábiga (Nicolás Guillén Landrián, 1968) e El otro Francisco (Sergio Giral, 1973) são objetos privilegiados para analisar estas relações. 14 Artigos de Anne-Marie Paquet-Deyris, Sergio Alpendre e Vincent Souladié se focalizam em diferentes épocas do cinema norte-americano. Anne-Marie Paquet-Deyris estuda a representação cinematográfica do presidente Abraham Lincoln, a partir de três filmes produzidos entre o início e o final de 1930: Abraham Lincoln (D. W. Griffith, 1930), Vers sa destinée (Young Mr. Lincoln, John Ford, 1939) e Abraham Lincoln (Abe Lincoln in Illinois, John Cromwell, 1940). Os outros artigos sobre o cinema hollywoodiano estudam as releituras daquilo que chamamos o sonho american, durante os momentos de crise. No primeiro deles, Sérgio Alpendre analisa os filmes de Rocky (John G. Avildsen, 1976) e La fièvre du samedi soir (John Badham, 1977) que ele considerada como metáforas de um momento de crise capitalista frente ao primeiro choque do petróleo. No segundo dessses artigos, Vincent Souladié faz uma análise crítica das relações, no que diz respeito às imagens, entre os filmes de super-heróis produzidos depois do 11 de setembro de 2001 e os ataques contra as Torres Gêmeas de Nova York. 15 O estudo da relação entre o cinema e a história na América do Norte fecha-se com uma análise de um filme inserido na área de língua francesa. Em seu artigo, Henri Gervaiseau analisa Le règne du jour (Pierre Perrault, 1967), explorando de que maneira os deslocamentos entre áreas sociais e geográficas remotas acabam formando um sentimento de pertença territorial. O dossiê temático é concluido por um artigo que dá em enfoque sobre experiências cinematográficas relacionadas com a migração e com o exílio político, insistindo na circulação e nos intercâmbios transnacionais. Jennifer Cazenave põe de manifesto a experiência da migração e do exílio a partir do estudo de dois “filmes-revistas”: Reminiscences of a Journey to Lithuania (Jonas Mekas, 1973) e Diary (David Perlov, 1973-1983). 16 Todo o dossiê tem uma visão variada e complexa das relações entre cinema e história do continente, a partir de casos específicos que incluem uma boa análise tanto de contextos nacionais quanto de circulações transnacionais. Nós gostaríamos de salientar que a perspectiva histórica que orienta esses estudos promove a confluência produtiva entre pesquisadores de cinema de diferentes origens. A presença, neste dossiê, de

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textos escritos por especialistas em história, por estudiosos de cinema, por especialistas em comunicação e estética, marca esta orientação. 17 O leitor facilmente observará que as abordagens e temas de muitos textos interagem uns com os outros. Ismail Xavier e Ana Laura Lusnich enfatizam a importância da alegoria para o cinema; as narrativas de fundação são aspectos privilegiados por Eduardo Morettin, Ignacio Del Valle Dávila e Anne-Marie Paquet-Deyris; o ensaio de filme consituem o cerno dos estudos de Jennifer Cazenave e Henri Gervaiseau; o retrato hagiográfico é estudado por Anne-Marie Paquet-Deyris, Ignacio Del Valle e Fernando Dávila Seliprandy; a relação entre cinema e projeto revolucionário é observada por Ismail Xavier e Mariana Villaça. 18 Apesar da multiplicidade de questões evocadas, todos os artigos são caracterizados pelo papel central atribuído à análise de filmes para a compreensão de fenômenos históricos, nos quais se inscrevem as obras estudadas. Nós não julgamos pertinente reduzir essa multiplicidade de propostas a um número limitado de temas. No entanto, seria possível propor algumas tendências gerais. Todas as contribuições expõem diretamente a relação entre arte e política, em momentos diferentes e em formatos distintos. Neste sentido, é interessante notar que os trabalhos sobre a América Latina focam na ascensão e na crise do cinema político em iniciativas radicais, bem como sobre as relações mais ou menos tensas entre a produção de filmes e os governos autoritários. Em relação aos artigos sobre os EUA, o foco é, diferentemente, na relação entre, por um lado, o desenvolvimento do mercado de filmes, que torna possível produções de filmes cada vez mais espetaculares desde o início do século XX, e, por outro, o desenvolvimento ou a revisão de histórias melodramáticas centrradas no esforço e nas ambições de herois individuais. Essas histórias estão relacionadas com um imaginário que remete à concorrência, à luta pelo progresso social e pelo sucesso, o que constitui uma característica fundamental da sociedade norte-americana. 19 A origem deste número remonta aos últimos meses de 2013, quando uma primeira proposta foi apresentada à revista IdeAs. Esta é uma iniciativa do grupo de pesquisa “ História e Audiovisual: circularidades e Formas de Comunicação” (História e Audiovisual: circularidades e formas de comunicação), coordenado por Eduardo Marcos Napolitano Morettin e professores da Universidade de São Paulo. Desde o início, a escolha foi feita para integrar cientistas de outras áreas acadêmicas, a fim de promover um diálogo internacional. Além da fixação institucional, a origem nacional dos autores é particularmente variada (brasileira, francesa, argentina, franco-brasileira, franco- americana, hispano-chilena), o que pode ser interpretado como um sinal de internacionalização crescente da pesquisa2. Por fim, a pluralidade dos enfoques deste dossiê evidencia a consolidação do campo de estudos centrados na reflexão entre o cinema e as ciências humanas.

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NOTAS

1. A lista desses trabalhos está disponível no site do grupo de pesquisa “História e Audiovisual: circularidades e formas de comunicação”: http://historiaeaudiovisual.weebly.com/teses-e- dissertaccedilotildees.html, página consultada no dia 26 de março de 2016. 2. Enfatizamos, nesse sentido, a trajetória do professor Ismail Xavier - cujo artigo abre o dossiê - uma das principais referências internacionais sobre a obra de Glauber Rocha e o estudo da alegoria no cinema latino-americano, cujos trabalhos têm sido amplamente traduzidos na Europa, nos EUA e na América Latina. As contribuições de Xavier fizeram com que ele fosse destacado no Dictionnaire de la pensée du cinéma (De Baecque A. et Chevalier P., 2012).

AUTORES

IGNACIO DEL VALLE DÁVILA

D’origine espagnole et chilienne, Ignacio Del Valle Dávila est docteur en cinéma (Université de Toulouse – Jean Jaurès), et a réalisé un post-doctorat en histoire à l’Université de São Paulo. Il est actuellement professeur de troisième cycle de l’Institut d’Art de l’Université de Campinas (Unicamp), où il poursuit ses recherches sur le cinéma latino-américain avec une bourse de post- doctorat CAPES. Auteur des livres Cámaras en trance: el nuevo cine latinoamericano, un proyecto cinematográfico subcontinental (Santiago du Chili, Cuarto Propio, 2014) et Le Nouveau Cinéma Latino-américain (1960-1974) (Rennes, PUR, 2015). Il est membre du groupe de recherche CNPq « História e Audiovisual: circularidades e formas de comunicação » et du conseil de rédaction de la revue Cinémas d’Amérique latine.

EDUARDO MORETTIN

Eduardo Morettin est professeur d’Histoire de l’Audiovisuel de l’École de Communications et des Arts de l’Université de São Paulo. Il est l’auteur de « Humberto Mauro, Cinema, História » et l’un des organisateurs de « História e Cinema: dimensões históricas do audiovisual » (2ème éd., SP, Alameda Editorial, 2011), « História e Documentário » (RJ, FGV, 2012) et « Visualidades Hoje » (Salvador, Edufba, 2013). Membre du Conseil de la Cinémathèque Brésilienne depuis 2007, il est l’un des responsables du groupe de recherche « História e Audiovisual: circularidades e formas de comunicação » (site http://historiaeaudiovisual.weebly.com/). Il est chercheur CNPq (Prix de productivité niveau 2), ayant réalisé un post-doctorat à l’Université Paris I (2012)

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Allégorie historique et théâtralité chez Glauber Rocha Alegoria histórica e teatralidade em Glauber Rocha Historical Allegory and Theatricality in Glauber Rocha

Ismail Xavier

Introduction

1 Dès le début des années 1960, le brésilien a suscité un débat critique autour du réalisme, vu par certains comme la meilleure option pour un cinéma politiquement engagé. Dans ce débat, la référence au néo-réalisme italien et aussi, chez les marxistes, au « réalisme critique » tel que Georg Lukács le concevait, s’est articulée à une polémique autour du style du cinéma moderne tributaire de la nouvelle-vague, et notamment de Godard. Le Cinema Novo est né de deux croisements: l’un, entre la cinéphilie et l’engagement politique; l’autre, entre le souci d’intervention immédiate et l’effort de réflexion sur la culture brésilienne inscrite dans une échelle historique plus large, en dialogue avec la tradition littéraire du mouvement moderniste des années 1920.

2 Dans ce contexte marqué par le combat entre réalistes et godardiens, cinéphiles et militants, Glauber Rocha a trouvé la meilleure résolution de ces tensions, avec son cinéma politique, moderniste, godardien, inspiré du théâtre de Brecht, attentif à l’histoire et, par sa volonté de tout inclure, allégorique. Cherchant toujours des éléments narratifs, dramatiques et iconographiques capables d’exprimer cette volonté, il a développé, du Dieu Noir et le diable blond (1964) à L’Âge de la terre (1980), une dialectique de totalisation et de fragmentation typique de l’allégorie moderne.

L’impact de Terre en Transe : l’allégorie et sa réception

3 Une inflexion décisive dans cette dialectique est produite par Terre en transe (1967), où l’allégorie baroque dans sa forme la plus canonique exprime la crise politique et

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culturelle de la gauche brésilienne après le coup d’État militaire de 1964. Ce film a secoué la culture brésilienne comme une expérience de choc se répercutant à la fois sur le cinéma, le théâtre et la musique populaire. À partir de 1968, l’allégorie a marqué profondément le débat esthétique au Brésil, lié surtout à la crise des projets de gauche et à la perte des illusions sur l’effet politique immédiat de l’art. À l’époque, grâce à la traduction de certains de ses textes, Walter Benjamin devenait une figure de référence, au Brésil comme ailleurs. Sa pensée devenait alors toujours plus influente dans les études littéraires et cinématographiques, et provoquait une réévaluation de la notion d’allégorie, associée à une vision de la modernité comme une configuration culturelle semblable à celle de l’Âge Baroque. Les deux époques auraient été prises par un sentiment de crise profonde, notamment dans leur rapport au temps historique et à la question de la légitimité du pouvoir, thème cher au drame baroque.

4 Le livre de Benjamin sur le drame baroque Origine du drame baroque allemand critique la téléologie chrétienne de l’histoire et aussi sa version sécularisée, incarnée par la notion bourgeoise de progrès. De ses réflexions sur le désenchantement baroque et de sa vision mélancolique de l’histoire surgit une théorie de l’allégorie, entendue comme une expression de la dimension temporelle de l’expérience fondée sur la notion de désastre, c’est-à-dire, sur le temps comme force de destruction et de corrosion. L’histoire est un champ de conflit et de violence permanents, non pas une chaîne purement logique d’événements assurant le déroulement graduel d’un destin de salut au long duquel toute douleur trouverait sa signification selon les desseins de la Providence ou, en termes hégéliens, selon « l’astuce de la raison ». Pour Benjamin, la conception de progrès dans l’histoire ne peut exister, en fait, que pour les vainqueurs : dominant les autres et contrôlant le processus social, ils peuvent en effet considérer le temps comme une expansion graduelle et ininterrompue de leurs projets. Par contre, pour les vaincus, il n’y a pas de téléologie, car leur temps se cristallise en expériences fragmentaires et projets avortés. 5 Projets avortés et fragmentation de l’expérience étaient des expressions récurrentes dans le débat brésilien en 1967-68, après la vision proposée par Rocha, dans Terre en Transe, de la vie politique à partir d’une notion de l’histoire comme désastre sans aucun horizon de rédemption, et d’une figuration du pouvoir remontant au drame baroque. Le film propose une juxtaposition d’époques dans sa structure dramatique, dans sa façon de concevoir les conflits de pouvoir et aussi dans son iconographie, par l’intégration ironique, à la mise en scène du cérémonial politique du XXe siècle, d’éléments typiques du XVIe et du XVIIe siècles : vers la fin du film, au moment de sa victoire, le personnage de Porfirio Diaz (dont le nom est emprunté à celui du célèbre dictateur mexicain) prend la parole. Leader du coup d’État au pays imaginaire d’Eldorado, il est couronné en costume et cravate (Fig. 1), en portant le manteau et le sceptre, symboles du pouvoir absolu. Celui qui tient la couronne est le personnage du Conquérant ibérique de l’époque des navigations et de la colonisation des Amériques. À la cérémonie de couronnement, prennent part Fuentes, le bourgeois habillé en costume du XXe siècle comme Diaz, et un groupe de gardiens habillés comme à une Cour du XVIIème, mais en même temps renvoyant directement aux habits de carnaval utilisés dans les défilés des écoles de samba parodiant la vie de l’ancienne noblesse.

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Fig. 1

6 À côté de la réference à Benjamin, cette juxtaposition chère à Rocha produit un effet d’étrangeté inspirée de Brecht et de sa méthode consistant à révéler la représentation, interrompre la scène et la commenter. Traditionnellement, l’allégorie est une façon de dénoncer la répresentation. Elle instaure un processus de signification qui suppose la présence d’une médiation, c’est-à-dire, d’un artefact culturel demandant des codes et des références spécifiques pour être lu, produisant des « conflits d’interprétations ». Ceux-ci constituent un terrain où des traditions contraires doivent se confronter ou se réconcilier, lutter pour leur « pureté » et leur domination ou converger afin de créer une nouvelle configuration de valeurs et de styles de pensée. Les allégories surgissent des controverses, et constituent un objet d’analyse toujours renouvelé (Fletcher A., 1970).

7 Dans son drame baroque, Rocha utilise l’allégorie comme expression de fractures historiques, observées de la perspective des vaincus, loin de toute idée de continuité et d’organicité de l’expérience, chère à la vision des vainqueurs. D’où son penchant pour l’excès, le déséquilibre formel, les juxtapositions grotesques et la fragmentation, qui s’accentue dans Cancer (1968/1972), son film expérimental le plus proche, jusqu’alors, des propositions de refus de la représentation, de la suspension du sens et de la déconstruction qui ont marqué le cinéma de la fin des années 1960 au Brésil et en Europe (pensons, par exemple, au Godard du groupe Dziga Vertov). À l’exception d’ Antônio das Mortes (1969), tous les films postérieurs de Rocha mettront en question la représentation cinématographique et s’attaqueront à l’illusion de l’image transparente. En cela, ils rejoindront une tendance internationale des cinéastes à exprimer un sens radical d’instabilité dans la culture moderne, condamnée à reconnaître que les significations, n’étant pas naturelles, peuvent être déplacées et détournées devant les forces historiques et les systèmes de pouvoir. 8 L’allégorie se fait à partir des analogies. Comme figure, elle appartient à l’axe de la ressemblance, de la métaphore. Cependant, étant donné la nature du langage, il n’y a pas de signes facilement « repérables » d’une intention allégorique. Les notions critiques de polysémie et d’ambiguïté nous permettent de voir que la chaîne intention-

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énonciation-interprétation est complexe, et maintes fois illusoire, car le langage crée des effets qui échappent au contrôle de l’émetteur, quelle que soit la structure du texte. Étant donné que nous vivons dans l’histoire, les conditions dans lesquelles nous pratiquons l’acte de lecture varient dans le temps et dans l’espace. Pour Paul de Man (1989 : 173-209), par exemple, les allégories constituent une espèce de « rhétorique de la temporalité », une façon de reconnaître la dissolution des processus d’identification et d’unité dans le temps, et donc d’affronter la discontinuité de l’expérience et d’exprimer un sentiment abyssal de l’irrécupérable. Cela est l’une des manières dont les allégories modernes, y compris les « allégories du cinéma » (pensons par exemple au livre de David E. James, Allegories of Cinema, 1989), font partie de la construction d’un « haut » modernisme réflexif et des diverses manifestations anti-institutionnelles de l’avant-garde douées d’une conscience linguistique très aiguë. 9 Dans son pôle le plus expérimental, celui de Pátio (1959), Cancer, Le Lion à sept têtes (1970), Claro (1975), Di-Glauber (1977) et L’Âge de la terre (1980), le cinéma de Rocha nous donne des exemples de montage où la discontinuité et l’énigme prédominent, mais sa dialectique de totalisation et de fragmentation inclut aussi des moments où le pôle de la progression narrative dessine une téléologie qui pourrait (si on faisait abstraction de ses contradictions internes) apparaître comme une « régression mythique » (au sens de Benjamin). L’allégorie chez Rocha ne se définit pas toujours en termes benjaminiens, ni en ceux d’un structuralisme enclin au métalangage ou à la déconstruction. Pour mieux cerner la question de la téléologie dans son cinéma, il nous faut penser aussi à Erich Auerbach (1993) et à ses analyses de l’allégorie instaurée par le christianisme, car Rocha oscille entre ces deux extrêmes, celui de la promesse du salut et celui du désenchantement baroque.

Allégorie, théâtralité et figurations de l’histoire dans le parcours de Rocha

10 Dans son itinéraire de cinéaste, Le Dieu noir fournit l’exemple le plus frappant d’une allégorie marquée par la « figure prophétique », pour employer l’expression d’Auerbach (1993 : 33-34). Le film n’exclut pas les dissonances et les contradictions, mais la logique de la prophétie domine le mouvement de son récit, du premier au dernier plan.

11 Dans la « figure prophétique » chrétienne, deux faits historiques séparés par le temps s’éclairent mutuellement, révélant une connexion spéciale. Le premier « préfigure » le second, qui accomplit la prophétie inhérente au premier. Cette opération allégorique établit une « relation verticale » entre deux événements complémentaires qui se produisent à différents moments de l’histoire, mais qui constituent des signes réitérés du déroulement d’un processus téléologique dans le temps. Ce qui est essentiel dans cette pratique chrétienne de l’allégorie, c’est sa dimension temporelle: le passage d’un fait historique à l’autre, en contraste avec la relation entre le récit et une abstraction atemporelle, présente dans la conception grecque de l’allégorie.1 12 Le schéma figuratif chrétien est une forme d’interprétation très particulière, lourde de conséquences pour la pensée occidentale, et notamment dans le développement d’une conscience historique qui s’oppose à la vision circulaire du temps propre à la culture classique. Elle implique aussi, et cela nous intéresse particulièrement, une nouvelle

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version du conflit d’interprétations : la vocation universelle du christianisme a exigé l’allégorisation d’autres systèmes symboliques appartenant à d’autres cultures. C’est à travers cette forme de lecture que l’alterité peut trouver sa place dans le Plan général de l’histoire forgé par le christianisme, qui conduit l’humanité au « Telos », terme final dans le destin du salut. Inversement, c’est aussi à partir de l’allégorie que l’Autre peut modifier ou subvertir les termes de ce Plan. 13 Dans sa structure narrative, Le Dieu noir suppose un plan général de l’Histoire et intègre en même temps des conflits insolubles qui nuancent sa téléologie du salut où le telos se confond avec la révolution sociale, assumée comme un événement décisif, immanent et imminent. Rocha y affirme les certitudes typiques du début des années 1960, exprimées par la formule de la prophétie : « le sertão deviendra la mer, et la mer deviendra le sertão ». En évoquant le passé du sertão, le film montre un processus comprenant des épisodes de l’histoire du Brésil séparés par des décennies, mais il les condense dans une aventure de courte durée qui représente le passage du temps comme un déplacement spatial, opération typique de l’allégorie. 14 Le pélérinage du couple de paysans, Manuel et Rosa, en quête de justice, se déroule en trois étapes: la première, celle du plan immédiat de la vie, où Manuel, exploité et leurré, affronte son patron, le proprietaire des terres et, après l’avoir tué, doit s’enfuir; la deuxième, messianique, où il suit le leader réligieux Sebastião, dont les rituels d’ascétisme préparent les fidèles au cataclysme qui viendra punir les pécheurs et sauver les purifiés; la troisième, où Manuel se convertit à la violence après avoir rencontré le bandit social du sertão, le cangaceiro, jusqu’à ce que celui-ci soit tué par un ambivalent représentant de l’ordre, , le tueur de cangaceiros. 15 Antôniodas Mortes est une personnification centrale de cette allégorie. Dans la condition d’agent historique qui, à la fois, réprime et libère les opprimés du sertão, il incarne un principe de contradiction de l’histoire. Son action étant nécessaire pour que Manuel avance vers une nouvelle étape dans son chemin vers la révolution, il apparaît comme un agent infaillible, dont les pouvoirs spéciaux vont bien au-delà, par exemple, de ceux d’un autre personnage de Rocha déjà évoqué ici, le conspirateur autoritaire Porfírio Diaz de Terre en transe, dont le rôle sera de figer le temps, et non pas d’incarner un principe moteur de la dialectique. Voyons maintenant la différence fondamentale de leur statut. 16 La première scène de Diaz, dix minutes après le début de Terre en transe, nous le montre dans un défilé triomphant, tel un ange sinistre des forces conservatrices d’Eldorado, figé en statue (Fig. 2). Une icône, avant d’être le principe moteur du coup d’État.

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Fig. 2

17 Au contraire, Antônio affirme directement le principe contradictoire de sa répression / libération des paysans, principe que la trame de l’histoire suggère dans Le Dieu Noir et qu’il énonce lui-même, lors de sa conversation avec l’aveugle Júlio (Fig. 3), le chanteur qui raconte l’histoire dont il est une figure symbolique.

Fig. 3

18 En réaffirmant la téléologie de l’histoire, les leaders auxquels le paysan adhère (Sebastião, puis Corisco) concluent à chaque fois une pensée ou une explication énonçant le lien entre leurs pratiques respectives et leur certitude prophétique selon laquelle « le sertão deviendra la mer et la mer deviendra le sertão ». À la fin, les deux étapes apparues comme nécessaires au progrès de la conscience de Manuel, et les deux leaders, Sebastião et Corisco, assumés comme deux figures de la révolte préfigurant, malgré leurs limites, l’accomplissement futur de la Révolution, le chanteur de cette

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rhapsodie peut alors reprendre l’énoncé prophétique et apporter son conseil, la morale de l’histoire, comme le fait toujours le narrateur de la tradition. Sa chanson est confirmée par l’irruption de l’image de la mer (Fig. 4), qui remplace brusquement sur l’écran celle du sertão.

Fig. 4

19 Dans le cinéma de Rocha, la vie sociale apparaît toujours comme un affrontement de crises dans un monde qui est déséquilibre, jeu de forces, dynamisme demandant une figuration dramatique vigoureuse et un travail de caméra et de montage capable d’absorber ses tensions. D’où son style singulier, qui fait de la dissonance un principe de cohérence formelle. Son regard est tactile, sensuel, et ses personnifications composent une grande cérémonie théâtrale que la caméra portée capte, toutefois, dans un registre documentaire. Tout accentue la tension entre les espaces ouverts de la nature et les diverses façons de délimiter la scène, de la séparer de ses alentours immédiats pour qu’elle puisse constituer « le lieu allégorique » accueillant les forces spéciales qui y agissent et se condensent, parfois dans une ambiance de transe. La théâtralité de Rocha qui nous intéresse ici transforme l’espace ouvert en microcosme où s’affrontent les forces dans un champ délimité. Contrariant les postulats d’une bonne partie des théories de la spécificité filmique, son cinéma n’y trouve pas sa force dans la simple exploration des espaces ouverts ou des instants ordinaires de la vie quotidienne, comme le voulait Kracauer dans sa Théorie du cinéma (1960 : 262-272), lorsqu’il affirmait l’incompatibilité du cinéma avec la tragédie ou les formes classiques du drame.

20 Condensation de traits appartenant à un système de valeurs ou d’idées, ou à des forces de la nature ou de la société, la personnification dans les films de Rocha définit des agents dont le conflit constitue une sorte de théâtre. Nous y voyons des forces qui dépassent le plan naturel et celui des connexions immédiates, car ce théâtre fait résonner les mythes ou un passé historique non révolu. L’interruption de la scène, à la Brecht, la délimitation de l’espace et le rituel des actions et des discours définissent une

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théâtralité qui s’affirme lorsque le spectateur est invité « à s’intéresser non point à l’avènement d’un spectacle mais à l’avènement, au cœur de la représentation, du théâtre même », comme dirait Jean-Pierre Sarrazac (2000 : 54). 21 Pátio (1959), son premier court métrage, est un petit joyau qui montre déjà cette structure où, graphiquement, le champ du jeu se circonscrit. Dans ce film, tout se concentre dans un seul espace, la terrasse d’une maison en haut d’une colline, un point d’où l’on voit la mer au fond (Fig. 5). Le choix de cet endroit permet au cinéaste d’explorer la tension entre l’espace ouvert (la colline, la plage, la mer) et la rigoureuse démarcation de la scène, réduite aux limites de la terrasse, qui a l’air d’un échiquier. Dans cet espace quadrillé nous suivons une chorégraphie muette de deux corps, l’un masculin, l’autre féminin. Entre la ritualisation des gestes et l’agilité de la caméra, la performance à ciel ouvert et la démarcation de la scène renforçant la théâtralité s’installe déjà la tension typique du cinéma de Rocha, qui réapparaîtra tout au long de son œuvre.

Fig. 5

22 La performance sur la terrasse-échiquier définit déjà la présence d’une force qui semble posséder, à un moment donné, la figure masculine. Certes, le mouvement des corps est aussi une figuration du désir, mais il semble aller au-delà au moment où la scène gagne une atmosphère de transe, la même qui se prolonge dans plusieurs scènes du Dieu noir et du Lion à sept têtes, et qui domine toute la vie politique d’Eldorado dans Terre en transe. Ce film, dès son ouverture, présente le développement le plus remarquable de la matrice spatiale inaugurée dans Pátio. Nous y voyons dès le début les tensions entre l’espace ouvert et la démarcation de la scène, entre la crise des personnages et la caméra qui les scrute comme si elle les touchait à tâtons. Nous voyons à nouveau la mer, les mouvements circulaires du regard et la plongée dans la terrasse au sol quadrillé du palais du gouverneur Vieira (Fig. 6).

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Fig. 6

23 Nous entendons la musique afro-brésilienne du rituel de candomblé. Le mouvement nous conduit à Eldorado, pays imaginaire; dans le palais du gouverneur de la Province, Vieira, le candidat aux élections présidentielles, reçoit des leaders putschistes l’ordre de démissionner. La terrasse devient maintenant l’espace d’un drame politique, une scène suspendue encerclée par la nature tropicale. La caméra plonge dans la confusion des gens sur place, en suivant Vieira et ses conseillers. La percussion, dans une cadence presque militaire, ponctue la scène. Le poète Paulo Martins, le protagoniste, arrive au palais et exige de Vieira une réaction au putsch, une résistance armée. Le gouverneur refuse et dicte à un assistant son discours de démission, que Paulo commente ironiquement, en regardant la caméra et en circonscrivant la scène avec son corps même. On reporte la confrontation. Exaspéré, Paulo déplore ce qui lui apparaît comme un très grave ajournement de l’histoire d’Eldorado, car il voit dans la démission de Vieira le refus d’un combat qui lui semble fondamental pour la construction de la nation.

24 Cette figuration de l’espace politique comme théâtre et pompe discursive, centrée ici sur la figure du leader populiste Vieira, sera reprise tout au long du film, soit dans les terrasses lors des meetings de Vieira, soit dans les images de la figure solitaire de Diaz, son rival de droite. La scène politique s’organise à partir de ces jardins suspendus, des trahisons et des intrigues de cabinet, comme dans le drame baroque. Terra em Transe tient sur le conflit de pouvoirs charismatiques et les jeux de masques, donnant à voir une figuration de la politique à portes fermées, à l’exclusion du peuple, comme dans les XVIe et XVIIe siècles, qui fournissent d’ailleurs l’iconographie de fond de l’espace allégorique et le défilé de toute une galerie de personnages politiques incarnant au long du film les forces en conflit. 25 La composition de cet espace circonscrit du jeu peut aussi s’appuyer sur la topographie, lorsque la nature offre non seulement un terrain de démarcation, mais aussi une forme à partir de laquelle le mouvement de caméra suggère une analogie anticipant le dénouement d’une certaine expérience.

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26 Revenons au Dieu Noir : fuyant la mort annoncée, après avoir perdu sa mère tuée par les hommes du propriétaire foncier, Manuel part au Mont Saint, où se trouvent Sebastião et ses fidèles. La caméra annonce la suite : elle décrit un mouvement partant d’un gros plan de la croix sur le tombeau de la mère de Manuel (Fig. 7) et se levant en panoramique ascendant jusqu’au sommet du mont où Sebastião lève la croix, entouré des pélerins qui le suivent. Ce mouvement de caméra suggère la ressemblance entre le tombeau de la mère et la colline du Mont Saint. Celui-ci sera l’espace et le théâtre de la mort.

Fig. 7

27 Dans Le Dieu noir, il y a beaucoup de moments d’agitation des personnages qui, dans des espaces circonscrits, agissent comme des possédés, dans une transe individuelle qui peut s’élargir pour marquer l’exacerbation hystérique des fidèles du village de Monte Santo guidés par Sebastião, ou les explosions de cruauté de Corisco. Ce sont des moments où chaque personnage affronte son propre délire. Mais, à côté de ces moments exaspérés où les gestes condensent tout, et la parole manque, il y a aussi d’autres agencements scéniques plus discursifs, où le corps de l’acteur, le regard de la caméra et la prise de parole donnent au film une saveur typiquement brechtienne. Le meilleur exemple est la séquence où Corisco reçoit Manuel et Rosa, venus à lui par les mains du narrateur de l’histoire lui-même, le chanteur aveugle, après le massacre au Mont Saint. Le cangaceiro évoque alors un autre massacre, plus ancien : celui de la bande de Lampião piégée par la police militaire. À ce massacre, Corisco avait survécu parce qu’il « a entendu le signe, l’avis du destin » selon ses mots, et il est parti avec sa femme Dadá et ses hommes de main. Dans son monologue, Corisco raconte la scène de son dernier dialogue avec Lampião où il est venu avertir son chef du danger imminent. Extraordinairement joué par l’acteur Othon Bastos, le monologue évoque le moment historique du massacre des cangaceiros en 1938. Corisco se montre à l’écran toujours

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comme la figure tragique se battant contre la disparition historique du cangaço. Il produit plus de discours et de réflexions que d’actions. Son rôle est de réaffirmer ses valeurs et de dénoncer le monde des injustices qui a déclenché la rébellion du bandit social. Le duo entre l’acteur et la caméra compose ici un plan-séquence inséré entre deux images de la rencontre entre les deux femmes (Rosa et Dadá), comme si le jeu de Corisco pouvait arrêter le temps, qui se recomposerait à la fin. Pour souligner la démarcation de l’espace, Rocha utilise le corps immobile, à la tête basse, d’un cangaceiro (une espèce de mort-vivant), en installant ainsi sur la caatinga 2 la scène où Corisco, avec sa voix et son corps, vient jouer, dans son rite de remémoration, les deux rôles, le sien et celui de Lampião (Fig. 8). Un exercice de théâtre épique.

Fig. 8

28 Dans Antôniodas Mortes (1969), ce dispositif de théâtre en plein air se définit parfois de façon minimaliste. Dans l’ouverture du film, l’élément essentiel est le rapport entre l’espace de la scène et le hors-champ, créé par une caméra fixe qui ne bouge jamais pendant le plan-séquence, produisant une tension entre champ et hors-champ. Il s’agit du retour de la figure d’Antôniodas Mortes. Dans ce film, il devient un héros qui accomplit sa mission historique, mais prend un air mélancolique dans un monde où la téléologie de la Révolution ne marche plus. Il devient l’icône d’un imaginaire de cangaceiros maintenant mis en cause.

29 Dans sa première apparition au tout début du film (Fig. 9), le mouvement aux pas lents et assurés d’Antonio das Mortes suggère l’accomplissement d’un destin de répétition de son rôle de tueur de cangaceiros. Ce rôle semble relever maintenant du « pur théâtre », comme dira Horácio, le colonel du village de Jardimdas Piranhas, face à la revolte qui le menace.3

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Fig. 9

30 Dans L’Âge de la terre, la dialectique de totalisation et de fragmentation atteint son paroxysme, car la mosaïque allégorique et les pièces qui la composent ne trouvent pas le bon agencement qui faisait la force des autres films de Rocha. Le mélange de genres rend encore plus hétérogène ce film conçu comme une fresque du Brésil contemporain. Ici, la conjugaison d’un registre à ciel ouvert et d’une démarcation de la scène trouve une autre modalité. Voyons un exemple. Nous sommes encore une fois sur la plage. Celle-ci est un espace sacré comme dans Barravento, mais ici la mise en scène du rituel repose sur le jeu des couleurs et des lumières venues de réflecteurs en plein jour, procédé qui projette les acteurs dans une autre sphère. La mer bleue est une présence symbolique, en continuité avec l’espace de la scène, mais hors de la portée des réflecteurs. Une sorte de toile de fond singulière de ce théâtre multiculturel exprimant le syncrétisme de la formation historique du Brésil, que Rocha souligne en explorant la convergence des mythes africains, amerindiens et européens (Fig. 10). Nous voyons le Christ-indien sur une plage de Bahia, en pleine interaction avec la religion afro- brésilienne, tandis que le Christ-noir, tel un prince africain, s’agite à Brasilia.

Fig. 10

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31 Des scènes comme celle du rituel à la plage montrent la façon dont, tout en coexistant avec le théâtre épique, il y a chez Rocha une expérience qui enrichit le débat politique par l’intégration du vecteur religieux de la culture populaire en tant que foyer de l’espoir face à la crise de l’histoire esquissée dès Terre en transe et dessinée dans sa version radicale dans le dernier film.

32 Le paradigme stylistique présent déjà dès Pátio débouche, après des développements successifs, sur un vigoureux « théâtre » capable de conjuguer l’analyse de conjonctures politiques particulières et la discussion renouvelée de vastes dynamiques culturelles et identitaires. Éloigné du réalisme, Rocha mobilise les « formes culturelles » – comme l’allégorie biblique, le drame baroque et les mythes africains – pour représenter des moments critiques de l’histoire comme autant de configurations dont l’énergie irradie comme une onde de choc pour bouleverser la vie des personnages. En ce sens, son dialogue avec Brecht, garant de l’étrangeté et de la distance critique, coexiste avec ses affinités avec le théâtre de la cruauté d’Artaud, où le corps et le geste produisent une expérience de choc, de retour du refoulé.

L’Histoire et les pulsions

33 Pour Rocha, l’art constitue cette expérience instauratrice. L’activité de l’artiste est un acte qui mobilise tous les sens et ne doit pas parier sur l’action exclusive du discours capable « d’éveiller la raison », d’éclairer les consciences. Il doit également donner voix aux pulsions inconscientes, particulièrement celles qui nourissent l’imaginaire populaire, source inestimable d’énergie pour la rébellion. Son cinéma privilégie les moments de décision, lorsque les structures sous-jacentes à la vie sociale s’expriment par des figures vivantes imprégnées de pathos, au-delà de la rationnalisation bureaucratique de la vie et du quotidien. D’où l’attrait de la possession, ou la thématisation réitérée du rapport entre pouvoir et charisme, entre l’espoir politique qui lit le passé comme prophétie en acte et la douleur devant la crise du présent observée comme un retour fantasmatique du passé. Rocha promeut à sa façon un réenchantement du monde (je pense ici à une inversion de la formule utilisée par Max Weber pour décrire la modernité comme le monde du calcul et de la rationnalité scientifique), un refus de la sécularisation de l’histoire et de l’analyse de la vie politique. Ce refus, à l’époque du cinéma muet, a marqué les allégories monumentales de Griffith (Intolerance, 1916), Lang (Metropolis, 1927) et Gance (Napoléon, 1927). Dans le cinéma moderne, elle marque les films de Bresson, Pasolini, Tarkovski et Manoel de Oliveira.

34 En cherchant le rituel dans son allégorie, Rocha a essayé de ré-instituer une expérience perdue dans la culture bourgeoise, comme Pasolini l’avait fait à sa façon. Voici un point fort de l’affinité entre les deux cinéastes, dans leur critique de l’ordre en vigueur et dans leur dialogue avec les formes de la culture populaire, ou même paysanne, où l’on voit une juxtaposition ambiguë du profane et du sacré. Pour résumer dans une phrase le sens de ces croisements inattendus, si richement exprimés par les tensions du style de Rocha, on pourrait lui appliquer l’auto-définition de Pasolini selon laquelle « en tant que marxiste, je vois le monde sous un angle sacré » (1965). 35 L’affinité avec Pasolini est remarquable, comme on l’a déjà noté maintes fois, et comme Rocha lui-même l’a explicité dans l’hommage qu’il a rendu à son collègue italien dans

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L’Âge de la Terre (1980), qui met en crise la téléologie de l'histoire (affirmée auparavant dans Le Dieu Noir, son chef-d'oeuvre de 1964). Son dernier film exprime sa conscience de cette crise par une allégorie où il reprend le mythe du Christ dans un registre différent de celui de Pasolini: tout en partageant sa condition de cinéaste de gauche qui affirme la lutte de classes, Rocha suggère que la transformation sociale doit canaliser une énergie venue non seulement de l’idéologie au sens classique du mot, mais aussi d’une révolte née de la vie dans toutes ses dimensions.

Conclusion

36 Sensible à l’« état des choses » auquel Rocha s'est confronté au long de son parcours, son œuvre a toujours cherché une position stratégique pour réaliser le potentiel subversif des contenus souterrains qui circulent dans la société, comme un grand théâtre condensé dans le corps vivant qui subit les effets d’un ordre social et d’une conjoncture historique particuliers.

37 La dissonance singulière et la théâtralité typiques de l’allégorie de Rocha, ainsi que sa façon particulière de conjuguer l’analyse du comportement de classe avec l’exploration d’un imaginaire qui réenchante le monde, produisent une rencontre de systèmes culturels en principe contradictoires, mais dont la juxtaposition, loin d’être une faiblesse, constitue au fond la force de son cinéma dans son affrontement avec l’histoire, son incomplétude et sa violence constitutive.

BIBLIOGRAPHY

Auerbach, Eric, Figura, Paris, Éditions Belin, 1993.

Benjamin, Walter, Origine du drame baroque allemand, Paris, Flammarion, 1985.

De Man, Paul, « The Rhetoric of Temporality », in Charles S. Singleton (dir.), Interpretation: Theory and Practice, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1989, p. 173-209.

Fletcher, Angus, Allegory: The Theory of a Symbolic Mode, Ithaca, Cornell University Press, 1970.

James, David E., Allegories of Cinema: American Film in the Sixties, Princeton, Princeton University Press, 1989.

Kracauer, Siegfried, Theory of Film: The Redemption of Physical Reality, Oxford, Oxford University Press, 1960.

Pasolini, Pier Paolo, « En tant que marxiste, je vois le monde sous un angle sacré », Les Lettres Françaises, nº 1098, 23 septembre 1965.

Pépin, Jean, Mythe et allégorie: les origines grecques et les contestations judéo-chrétiennes, Paris, Études Augustiniennes, 1976.

Ropars-Wuilleumier, Marie-Claire, « Le film comme texte », Le Français Aujourd’hui, nº 32, janvier 1976.

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Sarrazac, Jean-Pierre, « L’invention de la thêâtralité », in Critique du théâtre : de l’utopie au désenchantement, Belfort, Éditions Circé, 2000, p. 53-71.

NOTES

1. Je pense ici à la lecture de la mythologie par les philosophes du Ve siècle avant J.C., non pas comme vérité littérale ou référence à un passé factuel, mais comme un ensemble de messages codés qui transmettaient la sagesse antique et exprimaient une connaissance conceptuelle rendue tangible par le récit. Dans ce sens, le mythe de Saturne dévorant ses enfants peut apparaître comme une personnification allégorique du concept de temps. Voir Auerbach (1993) et J. Pépin (1976). 2. Type de végétation épineuse des régions arides du nord-est du Brésil (Note de l’édition) 3. Marie-Claire Ropars-Wuilleumier (1976) entreprend une analyse des dix premiers plans du film pour faire ses remarques sur le rapport entre mythe et histoire chez Rocha.

ABSTRACTS

This article focuses on the way in which Brazilian filmmaker Glauber Rocha develops his political intervention, between 1963 and 1979, conceiving his films as historical allegories. His cinema performs a dramatic condensation of the plot, punctuated by an epic commentary in voice over which de-naturalizes gestures and speeches, producing a strong effect of theatricality (Sarrazac). In 1964, he assumed the Christian figural allegory (Auerbach) as a formal pattern to recapitulate the peasant struggles which took place from 1889 to 1940 (Black God White Devil); in 1967, he took the baroque drama (Walter Benjamin) to transfigure his generation’s traumatic experience of the 1964 coup d’état (Land in Anguish); in 1979, he built a deconstructive allegory in his fresco of Brazilian life that gives a picture of what he saw as the “crisis of history” at those times (). A central leader of Cinema Novo, Rocha assumed the position of an author who embraced political struggle, but never renouncing his most profound aesthetic concerns in his dialogue with his contemporaries, like Godard and Pasolini. The Italian filmmaker has been perhaps his closest partner in his search for a political aesthetics inspired by Marxist thought but articulated with a movement towards a re-enchantment of the world in opposition to bourgeois rationality.

L’article examine la façon dont le cinéaste brésilien Glauber Rocha développe son intervention politique entre 1963 et 1979 en faisant appel aux allégories historiques. Son cinéma travaille la condensation dramatique de la trame, ponctuée par un commentaire épique qui dé-naturalise les gestes des acteurs dans des espaces circonscrits, capables de conférer à sa mise en scène un sens très fort de théâtralité (Sarrazac). Dans la clé de l’allégorie figurale chrétienne (Auerbach), il a revisité les luttes paysannes entre 1889 et 1940 (Le Dieu Noir et le diable blond, 1964); dans la clé du drame barroque (Walter Benjamin), il a figuré l’expérience traumatisante du coup d’État vécue par sa génération (Terre en transe, 1967); dans la clé d’une allégorie déconstructive, il a laissé une fresque de la crise de l’histoire présente (L’Âge de la Terre, 1979). Leader du Cinema Novo, Rocha s’est illustré comme un auteur qui a assumé la militance politique sans renoncer pour autant à ses inspirations esthétiques profondes dans son dialogue avec ses contemporains, tels Godard et

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Pasolini. Avec ce dernier, son compagnon le plus proche peut-être, Rocha a partagé une réflexion politique inspirée d'un marxisme articulé à un mouvement de ré-enchantement du monde contraire à la rationalité bourgeoise.

O artigo examina a forma como Glauber Rocha desenvolveu sua intervenção política entre 1963 e 1979 através de alegorias históricas. Seu cinema trabalha a condensação dramática da trama, pontuada por um comentário épico que promove a desnaturalização do gesto em espaços demarcados que conferem à sua mise-en-scène um forte senso de teatralidade (Sarrazac). Na chave da alegoria figural cristã (Auerbach), ele recapitulou as lutas camponesas entre 1889 e 1940 (Deus e o diabo na terra do sol, 1964); na chave do drama barroco (Walter Benjamin), figurou a experiência traumática do golpe vivida por sua geração (Terra em transe, 1967); na chave de uma alegoria desconstrutiva, compôs o afresco da crise da história presente (A idade da terra, 1979). Líder do Cinema Novo, Rocha se afirmou como um autor que abraçou a militância política sem, no entanto, renunciar a suas inspirações estéticas mais fundas no diálogo com seus contemporâneos, como Godard e Pasolini, sendo este talvez seu parceiro maior na reflexão política inspirada num marxismo articulado de forma tensa e vigorosa com um movimento de re-encantamento do mundo contraposto à racionalidade burguesa.

INDEX

Mots-clés: Glauber Rocha, allégorie historique, théatralité, Walter Benjamin, Erich Auerbach Palavras-chave: Glauber Rocha, alegoria histórica, teatralidade, Walter Benjamin, Erich Auerbach Keywords: Glauber Rocha, historical allegory, theatricality, Walter Benjamin, Erich Auerbach

AUTHOR

ISMAIL XAVIER

Ismail Xavier est professeur à l’Université de São Paulo (USP) ; auteur d’une douzaine d’ouvrages, au Brésil, en France, aux États-Unis et en Argentine, de théorie, histoire et critique de cinéma, dont : Glauber Rocha et l’esthétique de la faim (2008), Alegorias do subdesenvolvimento : Cinema Novo, Tropicalismo, Cinema Marginal (1993, 2012), Cinema brasileiro moderno (2001), O olhar e a cena : melodrama, Hollywood, Cinema Novo, Nelson Rodrigues (2003).

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L’arrivée du colonisateur vue à travers le cinéma brésilien : O Descobrimento do Brasil (La découverte du Brésil, 1937) de Humberto Mauro A chegada do colonizador vista pelo cinema brasileiro: O Descobrimento do Brasil, 1937, de Humberto Mauro The arrival of the colonizer analysed through Brazilian cinema: O Descobrimento do Brasil, 1937, from Humberto Mauro

Eduardo Morettin

1 L’objectif principal de cet article est d’analyser quelques aspects ayant trait à la représentation de l’histoire du Brésil au cinéma, considérée sous l’angle du thème de l’arrivée du colonisateur et de la question indigène, dans le film O Descobrimento do Brasil (La découverte du Brésil, 1937), de Humberto Mauro. À partir de ce tableau général, nous nous proposons d’examiner l’historiographie des relations entre cinéma et histoire, de voir dans quelle mesure cette discussion contribue à l’analyse de l’œuvre, et d’étudier, en particulier, les liens entre le discours historique et le discours cinématographique.

Récit et histoire dans le champ de l’image cinématographique

2 Il convient tout d’abord de présenter certaines démarches théoriques et méthodologiques relatives à l’univers que nous allons aborder. Les films constitueront le point de départ des questions concernant la relation entre cinéma et histoire. Ceci nous permettra d’éviter une discussion théorique excessive et distante du matériel qui lui sert de base, laissant à l’analyse filmique toute sa place dans le processus d’évaluation des images en tant que source historique.

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3 Ce choix montre qu’il s’agit aujourd’hui de se concentrer sur la spécificité du film en tant que source historique. Un aspect important de l’analyse que nous envisagerons dans cet article est ce que Sylvie Lindeperg présente, dans un texte initialement publié en portugais, comme étant encore « un territoire (…) assez inexploré (…) lié au moment singulier de l’enregistrement de l’image » (2013 : 10). Ce moment singulier s’attache à l’historicité de ces images, c’est-à-dire à la connaissance des conditions de leur production, des images existantes sur un événement donné et des questions historiques liées à l’événement représenté. Sans ces trois éléments, ce qui subsiste n’est qu’une déclaration de bonnes intentions quant à la dimension historique du cinéma. 4 Enfin, nous savons aussi que l’analyse filmique seule ne peut rendre compte de l’historicité du cinéma. Sylvie Lindeperg (2007) en fait la démonstration dans sa vaste et rigoureuse analyse de la genèse et de la circulation de Nuit et Brouillard (1955) d’Alain Resnais, sans pour autant écarter les questions esthétiques. Comme elle l’affirme, « l’intelligibilité de la fabrication de l’œuvre ne nuit pas nécessairement à la perception sensible qu’elle dispense » (p. 82). Il s’agit, enfin, de faire en sorte que l’histoire et l’art puissent « travailler ensemble afin de retrouver, jusque dans ses incertitudes, le film en train de se faire » (idem)1. 5 Envisager ces œuvres en tant que moyen de comprendre une époque implique également de rompre la distance généralement adoptée par les films de représentation historique qui, quand ils se prétendent authentiques ou fidèles à la reconstitution d’une époque, cherchent à créer l’illusion qu’ils nous mettent face au passé tel qu’il aurait été, comme s’il ne s’était produit aucune espèce de médiation entre l’événement et les images sur l’écran. Identifier la lecture qu’ils font du passé et établir les points de contact avec leur présent permet de problématiser cette volonté de montrer « l’histoire telle qu’elle a eu lieu ». 6 Dans beaucoup de films historiques, on célèbre les événements pour les intégrer à l’imaginaire d’une certaine société, comme c’est le cas de la « découverte du Brésil par les Portugais », perçue comme un acte fondateur de la Nation, ou de la création du Ku Klux Kan qui, dans The Birth of Nation (Naissance d’une Nation, 1915), de David Griffith, est montrée comme un instrument de cohésion nationale. Faisant partie d’un courant où l’on perçoit la volonté de repousser les limites de la circulation du savoir historique, dans lequel on attribue un nouveau rôle au travail de l’historien, le cinéma de fiction est intégré à un circuit de production et de maintien de la mémoire, cristallisé au XIXe siècle à travers les musées et les monuments accessibles au public. En ce sens le cinéma joue, au début du XXe siècle, un rôle civique, car il dialogue avec les espaces de célébration les plus divers, comme nous aurons l’occasion de le montrer ci-dessous. 7 Dans ce contexte, ces films reflètent le désir de justifier les actions du présent à la lumière des projections éclairées du passé et de garantir pour les générations à venir, l’efficacité de la construction symbolique qu’ils font d’un sujet, la permanence de leur image, grâce à des expositions constantes dans des espaces différents et pour de nombreux spectateurs. Dans ce but, ces œuvres constituent un effort de monumentalisation du passé2, et doivent être analysées en tant que monuments. Comme l’observe Jacques Le Goff, l’univers documentaire mis à la disposition de l’historien ne doit pas le dévier de son chemin, à savoir, celui de la « critique du document – quel qu’il soit – en tant que monument » (1984 : 102). Pour cet auteur, si on pense au travail du médiéviste à la recherche d’une histoire totale, il faut repenser la notion de document en soi car

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Le document n’est pas innocent. Il est avant tout le résultat d’un montage, conscient ou inconscient, de l’histoire, de l’époque, de la société qui l’ont produit, mais il l’est également des époques successives pendant lesquelles il a continué à vivre, peut-être oublié, pendant lesquelles il a continué à être manipulé, si ce n’est par le silence. Le document est ce qui reste, ce qui dure, et le témoin, l’enseignement (pour évoquer son étymologie) qu’il apporte doivent être analysés en premier lieu pour démythifier sa signification apparente. Le document est un monument. Il résulte de l’effort des sociétés historiques pour imposer à l’avenir – de façon volontaire ou involontaire – une certaine image d’elles-mêmes. (p. 103, italiques de l’auteur). 8 Ainsi, nous envisagerons le cinéma du point de vue historique : en tant qu’images- monuments3.

9 La recherche documentaire, nécessaire pour comprendre la trajectoire d’un film, ne correspond pas exclusivement à la contribution qu’offre l’histoire au processus d’intellection du cinéma car, dans ce cas, nous ne serions pas loin d’une histoire du cinéma et de ses productions traditionnelles, même plus approfondie. L’effort sera de dévoiler les projets idéologiques avec lesquels l’œuvre entre en contact et dialogue nécessairement, sans perdre de vue sa singularité dans son contexte. Rappelons encore qu’il ne faut pas considérer le cinéma comme le point de cristallisation d’une voie déterminée, le réceptacle inerte de divers chemins, de telle sorte que l’étude érudite prenne le pas sur les spécificités filmiques. 10 Nous allons à présent aborder la représentation de l’Histoire du Brésil dans La découverte du Brésil (1937), de Humberto Mauro. Le film s’insère dans un vaste contexte culturel visant à légitimer symboliquement le régime de Getúlio Vargas, qui gouverna le pays en tant que président entre 1930 et 1937, puis comme dictateur jusqu’en 1945.

La découverte du Brésil (1937), de Humberto Mauro : contexte historique et stratégies d’authenticité

11 Le film de Humberto Mauro, La découverte du Brésil (1937), fut d’abord conçu comme un court-métrage, produit par l’ICB (Institut du Cacao de Bahia), sur la région productrice de cacao dans l’État de Bahia, qui comprendrait une petite reconstitution de l’arrivée du colonisateur (Cinearte, 1936 : 10)4.

12 Dans le domaine cinématographique, le gouvernement de Getúlio Vargas adopta une série de mesures interventionnistes. La première fut le décret-loi du 4 avril 19325, qui, entre autres dispositions, nationalisait la censure. Celle-ci devait avoir un « caractère résolument culturel », et resta au début sous le contrôle du MESP (ministère de l’Éducation et de la Santé publique). Il devint également obligatoire d’inclure dans la programmation des films nationaux, ce qui allait être réglementé en 1934 grâce à la projection d’un court-métrage brésilien lors de chaque séance cinématographique. Un autre article prévoyait l’inclusion obligatoire dans la programmation des cinémas, d’un film considéré comme éducatif par la commission. Deux ans après l’approbation du décret, Vargas fit un discours dans lequel il soulignait la fonction du cinéma dans la société brésilienne d’alors. Pour lui, le cinéma était un facteur d’intégration nationale, rapprochant, « de par une vision incisive des faits, les différents groupes humains éparpillés à travers le vaste territoire de la république. […] Les habitants du sertão verront les métropoles dans lesquels se construit notre progrès et les citadins, les

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champs et les plateaux de l’intérieur, où se forme la nation à venir ». Vargas conclut en affirmant que le cinéma est un « livre d’images lumineuses » (non daté : 183-189). 13 En 1936 est créé l’INCE (Instituto Nacional de Cinema Educativo), organisme rattaché au MESP, qui avait pour directeur l’anthropologue Edgar Roquette-Pinto et pour responsable de la cinématographie Humberto Mauro, et répondait, d’une certaine manière, à cette dimension formatrice et civique que Vargas voyait dans le cinéma. 14 L’intention première de l’ICB était de veiller à l’application du décret de 1932, qui instituait l’obligation de projeter un court-métrage brésilien. Ainsi, les images à caractère institutionnel relatives à leur activité cible pourraient arriver jusqu’aux cinémas de Rio de Janeiro, capitale de la République à l’époque, et centre du pouvoir politique et économique du pays. La découverte du Brésil laissa de côté cet aspect documentaire pour s’insérer dans un projet de discussion plus vaste sur les possibilités de l’utilisation du cinéma à des fins éducatives6. Pour légitimer son intervention dans ce secteur, l’ICB fait appel à Afonso de Taunay et Edgar Roquette-Pinto7 pour définir la partie historique du film, ainsi qu’à Heitor Villa-Lobos, pour en composer la bande sonore8. Ainsi, La découverte du Brésil devint également un instrument de diffusion des symboles nationaux reconnu par l’État et, par conséquent, par les institutions culturelles qui en dépendaient. Les images cinématographiques acquièrent un statut similaire à celui d’autres media, comme les arts plastiques et les ouvrages didactiques. Un espace s’ouvre alors pour un projet de monumentalisation des héros de la patrie par le biais du cinéma. 15 Même si elle ne se réduit pas à un « exercice de propagande », l’œuvre de Mauro, étant donné son sujet et la vague d’autoritarisme qui régnait alors, s’adaptait parfaitement à l’idée d’un corps uni formé autour d’un but commun, et commandé par un chef qui se plaçait au dessus des divergences sociales éventuelles, et qui avait la charge de consolider l’État national. Comme nous le verrons, les images du film, telles que celle de la réception organisée pour les Indiens par les Portugais arrivés avec la caravelle de Pedro Álvares Cabral9, construisent une représentation harmonieuse du passé des Brésiliens, qui est représentative de la période à laquelle ces images ont été fabriquées. 16 Conformément au projet dans lequel s’insère La découverte, il était important de valider « scientifiquement » le discours cinématographique, en adoptant des stratégies d’authentification afin de distinguer le film éducatif des mélodrames de l’époque qui ne manifestaient aucune préoccupation pour la soi-disant vérité historique. La principale garantie de fidélité historique de La découverte du Brésil fut l’usage de La Lettre, un document écrit par Pero Vaz de Caminha, qui fait le récit du voyage maritime. L’idée des réalisateurs était de placer la source au premier plan, comme si La Lettre et, par conséquent, l’Histoire, pouvaient parler d’elles-mêmes, à l’instar de la stratégie déjà utilisée par David Griffith dans Naissance d’une Nation (1915)10. 17 La Lettre fut utilisée comme base d’élaboration pour plusieurs séquences. Bien qu’il ait été produit en plein essor du cinéma sonore, le film a fréquemment recours aux intertitres qui sont pour la plupart des transcriptions littérales du récit de Caminha. Ces transcriptions sont accompagnées de guillemets, ce qui dénote la préoccupation de faire référence aux sources, un procédé de la recherche historique transposé dans le discours cinématographique. 18 L’appui sur ce document va de pair avec la volonté de présenter le récit à travers le regard du secrétaire, comme si la correspondance entre son point de vue et celui de la caméra était suffisante pour attester de l’authenticité du film. Même dans les scènes

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dans lesquelles son regard ne se fond pas avec le point de vue de la séquence, la seule présence de Caminha représenterait le maillon qui relie la description faite dans le document textuel au film, et confirmerait l’autorité de la traduction de la source historique en images.

La rencontre entre les deux cultures et les « origines » de la Nation

19 Concentrons-nous à présent sur le premier contact entre les colonisateurs et les indigènes dans le film et la mise en scène de cette rencontre entre les deux cultures11.

20 Le spectateur apprend par les intertitres que le 24 avril, la flotte de Pedro Álvares Cabral se déplace en direction du lieu qui allait être nommé Porto Seguro, un mouvement que l’on peut suivre sur la carte. Puis, un plan général montre un groupe d’Indiens sur la plage. En contrechamp, Caminha observe avec attention ce qui se déroule sous ses yeux. On comprend ensuite qu’il n’observe pas ces indigènes, mais plutôt deux Indiens debout dans un petit canot. Le regard qui détermine la scène est celui du Portugais, car les Indiens sont filmés dans les deux plans depuis son point de vue. Dans la scène suivante, Cabral, à l’intérieur de sa caravelle, réunit son équipage. Il explique qu’il attendra les résultats de Afonso Lopes, parti sonder le territoire à sa demande, pour décider de ce qu’il fera. 21 Avant d’entamer la discussion sur ce passage, il serait utile d’examiner la façon dont cette rencontre, qui représente le deuxième contact avec les Indiens, est racontée par Caminha dans La Lettre. D’après le secrétaire, l’envoyé de Cabral [...] prit12 dans un canot deux de ces hommes de la terre [...]. Il les conduisit sur-le- champ, la nuit étant déjà tombée, auprès du capitaine qui les reçut avec beaucoup de plaisir et leur fit fête. (Cortesão, non daté : 204 ; édition bilingue : 22-23) 22 Il faut en premier lieu rappeler certains choix faits dans le récit filmique par rapport au témoignage de Caminha. On comprend immédiatement que le ton interrogateur qui caractérise la rencontre avec les Portugais est écarté dans le film. Le mot « pris », présent dans le récit du secrétaire, disparaît, et l’on voit ici deux Indiens monter de leur propre chef sur le canot de Afonso Lopes, qui ne fait usage d’aucune forme de contrainte pour parvenir à ses fins. Dans ce plan, simultanément à la rencontre, on entend la musique de chambre Nonetto (1923) de Villa-Lobos, dont les percussions font écho à des éléments de musique traditionnelle indigène que le compositeur avait entendus auparavant, et qui sont perceptibles dans ce passage.

23 Pour compléter ce tableau, éliminant une fois pour toutes la dimension coercitive qui caractérise l’accueil des Indiens dans La Lettre, Cabral, prévenu par Caminha de la présence du petit comité, ordonne avec enthousiasme : « Que l’on prépare tout pour les recevoir comme des invités d’honneur. » 24 Dans le récit du secrétaire, il s’agit d’un moment important parce qu’il offre la première description plus détaillée des Indiens. Caminha décrit leurs caractéristiques physiques et souligne qu’ils « sont nus, sans rien pour se couvrir ». Il est surpris qu’ils ne se « soucient nullement de cacher ou de montrer leurs parties honteuses, ils ont sur ce point la même innocence que pour ce qui est de montrer leur visage » (Cortesão, non daté : 204 ; édition bilingue : 22-23).

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25 Après avoir décrit les Indiens en détail, Caminha raconte de son point de vue la réception offerte par les Portugais sur le navire. Entre autres questions, il est important de signaler que cette réception fut imposée dans ce qui est l’espace symbolique du pouvoir du voyageur et il est symptomatique qu’elle n’ait pas eu lieu sur terre13. En même temps, l’espace de son déroulement est agencé de façon hiérarchique : d’un côté, les représentants de la civilisation, de l’autre, les « barbares ». On exhibe devant les Indiens ce que l’on considère comme des marques du progrès : la religion (les perles du chapelet) et l’État (le collier du capitaine). De plus, la nature de la communication entre les deux groupes est toujours de l’ordre de l’interrogatoire. L’Indien représente une source d’informations et de main d’œuvre potentielle14. 26 Penser cinématographiquement les « origines » de la nation constitue le sujet de la séquence suivante, qui est stratégique du point de vue des conséquences des relations entre Indiens et blancs sur la terre ferme, et qui sont directement liées au contexte politique de l’époque, comme nous le verrons plus loin. 27 Cette séquence nous introduit dans la pièce où se déroule la réception, deux Indiens se dirigent vers les membres de la flotte portugaise. Une fois que l’espace où le contact aura lieu est visuellement établi, le premier plan rapproché correspond au regard des visiteurs. Un plan panoramique permet de reconnaître Cabral, assis devant, Frère Henrique et Caminha juste derrière lui, parmi les autres. Cette information est importante car c’est le premier moment où La découverte du Brésil adopte le point de vue des Indiens et montre l’image du corps dirigeant de l’expédition, avec le plus important d’entre eux, Cabral, assis, et le religieux, à sa gauche. Ceci étant, le changement de point de vue n’implique pas une modification dans la représentation visuelle des personnages principaux de la flotte adoptée jusqu’à présent par le discours cinématographique. Le personnage de Cabral vu par les Indiens est présenté tel qu’il est entrevu auparavant. 28 Par ailleurs, toute la séquence est délimitée par le champ visuel qui est cadré ici, dans la mesure où elle sera construite autour de ces personnages. En ce qui concerne la présence de Caminha, le récit adopte souvent sa perspective, par exemple, pour que l’on puisse suivre les différentes scènes de la rencontre. De même, il est presque toujours à l’écran. Sa présence manifeste une tentative d’attester de la véracité du discours filmique, car il doit être montré en tant que témoin oculaire de l’événement, comme on l’a déjà observé. Tout ce que l’on voit ne correspond pourtant pas au regard de Caminha et révèle la présence d’un narrateur dans l’orchestration des points de vue mis en scène. 29 Les Indiens parlent en tupi pour apporter un sceau d’authenticité au film. Ils échangent quelques mots entre eux, mais ne peuvent être compris par ceux qui ne connaissent pas la langue indigène. À cet instant, la caméra est focalisée sur Cabral, et un des deux Indiens s’approche de lui, observant attentivement ses décorations. La musique vient alors souligner ce regard et ce plan rapproché. L’attention des Indiens, comme veut nous le suggérer l’organisation des points de vue du narrateur, se porte sur la chaîne en or du commandant, c’est-à-dire, le symbole de son pouvoir. Quand son point de vue coïncide momentanément avec celui des indigènes, le narrateur transforme subtilement ces deux visiteurs en personnages effectifs de l’histoire. En ce qui concerne ce regard, il est intéressant de noter que les Indiens sont attirés par les éléments représentatifs de la future perte d’autonomie de leur territoire, c’est-à-dire l’État, dans ce premier temps, puis la religion. Après avoir observé de près les décorations du

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capitaine, les Indiens pointent vers l’extérieur, comme s’ils voulaient indiquer l’existence d’or et de pierres précieuses sur le continent. En réponse à ce mouvement, Cabral, le frère et Caminha échangent des regards complices, convaincus que les gestes se réfèrent à ce qu’ils cherchent de fait : le métal précieux. C’est la seule scène dans laquelle il est fait allusion à des intérêts commerciaux. Du coup, La découverte du Brésil nous donne l’impression que la question était secondaire par rapport aux autres ; et même mieux, que l’intégration proposée aux Indiens était essentiellement d’ordre moral. Cette intégration ne devrait donc pas passer par une relation entre travail et capital, mais par l’assimilation de valeurs considérées comme atemporelles et liées à l’existence de l’État-Nation et de l’Église. 30 Dans cette scène, le récit filmique laisse entendre que l’indigène contribue ingénument et de son plein gré à l’entreprise de conquête, comme le représentent de façon idéalisée de nombreux films qui mettent en scène le contact entre natifs et hommes blancs15. Ingénument, car les Indiens ne peuvent comprendre le sens des regards échangés et ce qui leur échappe, c’est donc la portée des informations qu’ils viennent de fournir. Par le mouvement de visualisation des faits que produit le cinéaste en transposant le texte de Caminha, le récit efface d’autres interprétations possibles. L’affirmation : « C’est là ce que nous comprenions car tel était notre désir », à la fin de La Lettre (Cortesão, non daté : 204 ; édition bilingue : 26-27), disparaît ici, ainsi que d’autres passages, et renforce l’interprétation qui suggère une entente cordiale. 31 Les Indiens goûtent et refusent plusieurs aliments qui leur sont offerts. On assiste ensuite au contact visuel entre eux et Frère Henrique. En contrechamp, en plan américain, devant le drapeau du , le franciscain tient un chapelet à la main et embrasse la croix, qu’il tend aux Indiens. L’indigène prend le symbole de l’Église entre ses mains, geste marqué par la musique de Villa-Lobos qui commence à cet instant pour accentuer ce mode d’intégration entre cultures, tant désiré par les Portugais. Il s’assied alors à terre, il semble avoir sommeil, et, avant de s’allonger, donne l’objet à son compagnon, qui le rend au franciscain. 32 Ce contact représente l’introduction symbolique des Indiens dans l’univers européen, un acte d’initiation qui s’achèvera à la fin du film avec leur conversion, immédiatement après la mise en scène de la Première Messe. Rappelons qu’il s’agit d’un acte d’initiation parce que la croix n’est pas encore comprise comme un élément d’adoration d’une autre religion. Quant à la transposition filmique de La Lettre, on ne doit pas oublier l’effort du secrétaire pour écarter les doutes quant au sens effectif du geste de l’Indien puisque Caminha affirme que si l’Indien « voulait dire qu’il aurait aimé emporter le chapelet et aussi le collier, nous ne voulions rien entendre, car nous n’allions pas lui en faire présent » (Cortesão, non daté : 204 ; édition bilingue : 26-27). 33 Dans un certain sens, cette séquence présente les éléments qui vont déterminer le récit de l’occupation du territoire. Sous le couvert de la conquête matérielle et spirituelle, le récit essaie de renforcer les éléments qui suggèrent, avant même le débarquement des Portugais, une relation harmonieuse entre les deux races. Ainsi, La découverte du Brésil accentue le sens déjà exprimé visuellement dans le tableau Indiens à bord de la Caravelle de Cabral de Oscar Pereira da Silva, cité auparavant, pour ce qui est des relations pacifiques proposées par les Portugais. Le film veut à son tour renforcer encore davantage l’idée d’une telle entente et puise dans la lettre elle-même des éléments pour le faire. Il s’agit du dernier moment de cette séquence, où les « invités » dorment dans la caravelle du capitaine. D’après La Lettre, le capitaine donne des ordres pour qu’on

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leur mette des coussins sous la tête et qu’on les couvre, davantage pour cacher leurs « parties honteuses » que pour les protéger du froid. 34 Au début de cette dernière scène, les deux Indiens ont l’air d’avoir sommeil et s’allongent par terre. Cabral, d’un geste, demande aussitôt le silence et exige que tous sortent. Un à un – le franciscain y compris –, ils sortent lentement du champ de vision, obéissant à l’injonction du capitaine qui reste dans le cadre. Pour favoriser le repos des « invités », il fait éteindre les torches qui éclairaient les lieux, la caméra nous montre alors cette action qui marque la transition vers une représentation spatiale différente. Ceci pour deux raisons : premièrement, parce que la luminosité attire notre attention d’une autre manière sur les objets et les personnages, pour se focaliser sur les Indiens qui dorment paisiblement par terre, et sur le drapeau portugais ; deuxièmement, à cause d’une erreur au montage dans la continuité narrative : Frère Henrique, qui avait quitté la pièce dans la scène précédente, est de nouveau présent, restant aux côtés de Cabral et de la bannière de la Couronne portugaise. 35 La présence de Frère Henrique dans ces derniers plans était indiquée, en quelque sorte, au début de la séquence où les représentants de l’État et de l’Église étaient spécialement mis en valeur dans le récit de cette rencontre : on aperçoit le commandant et le religieux d’abord à travers le regard des Indiens. Puis, ils sont au centre de l’attention de ces derniers, soit en raison de leurs décorations et de l’indication conséquente des indigènes sur l’existence d’or, soit pour marquer le début du processus de conversion. Selon cette logique, il serait difficile de justifier l’absence du franciscain, étant donné son rôle dans le développement de la scène. Il assiste le commandant dans les attentions prodiguées aux indigènes au début de la séquence, afin que leur sommeil ne soit pas perturbé. Le capitaine place quelques coussins sous leur tête, pendant que Frère Henrique lui tend deux couvertures, et dans le dernier plan, le religieux les bénit, avec le drapeau portugais en toile de fond. 36 L’erreur de montage revêt une signification particulière car c’est la seule dans tout le film. Cette rupture met en évidence la présence du narrateur, dont la manifestation n’était jusqu’alors perceptible qu’à travers le choix de ce qui serait filmé, l’organisation des points de vue et l’usage de la bande-son. Ainsi, cette présence du religieux rend explicite l’idée d’harmonie déjà évoquée, unissant les conquêtes matérielle et spirituelle. Elle dévoile également la dimension de fabrication d’un discours qui se veut réel, et dont l’apparence est maintenue par le respect des codes du cinéma classique américain, que Mauro a adoptés. Cette affinité suppose justement le respect de la continuité, c’est-à-dire, de l’idée que les éléments agencés dans un plan doivent présenter une cohérence avec le plan suivant, et leur absence, leur modification ou leur transformation doivent avoir été expliquées auparavant pour que cette apparence de réalité ne soit pas rompue. Il faut donc éviter la présence de tout élément nous rappelant que nous avons à faire à un film et non à la réalité. 37 En outre, cette erreur de montage révèle des problèmes structurels dans le cinéma brésilien lui-même et met en évidence les difficultés de fabrication d’un film épique selon le modèle voulu par les producteurs de La découverte du Brésil. Roquette-Pinto avait déjà évoqué la disparité entre ce qui était conçu et les conditions précaires existantes, dans un rapport adressé à l’INCE, rédigé en février 1937, dix mois avant la première du film. Pour lui, Malheureusement, jusqu’à aujourd’hui, le cinéma national, tous genres confondus, souffre de terribles contingences comparables à celles d’un auteur qui devrait

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écrire une page d’art ou de sciences sur un morceau de papier précieux. Dans le cinéma brésilien, le vieux précepte de l’art poétique résumé dans le vers de Boileau ‘Copiez-le et le recopiez...’ est lettre morte : la pellicule vierge est trop chère pour que le cinéaste refasse dix ou vingt fois la prise. Si la chose marche à peu près la première fois... on en profite. Et le cinéma brésilien n’échappera à l’à-peu-près que lorsqu’il pourra disposer de film vierge à volonté. Aucun écrivain ou mathématicien n’accepterait les risques de composer une bonne page ou de résoudre un problème difficile sur une seule feuille de papier. C’est ce qui se passe ici, actuellement, dans le domaine du cinéma. (1937 : 4) 38 Le problème viendrait donc du manque de recours et d’infrastructure dont dispose le cinéma brésilien. L’histoire de la production de La découverte du Brésil, malgré le financement significatif dont disposait le film pour les standards de l’époque, illustre cette situation. La précarité regrettable et durement critiquée au cours des années 1920 et 1930 est manifeste, malgré le recours à des matériaux historiques et artistiques pour authentifier l’exactitude des faits dans la réalisation du film. Les insuffisances typiques de la cinématographie nationale rendront plus difficiles les conditions d’adhésion de l’ œuvre à l’imaginaire académique des XVIII e et XIX e siècles. On disposait pour La découverte de peu de pellicule vierge, comme le montre la fin de cette séquence, de sorte que sa production reste dans le statut de « l’à-peu-près » que déplorait l’anthropologue.

39 Ces problèmes mis à part, le travail de réalisation en soi n’était, quoi qu’il en soit, pas à la hauteur d’un film épique. L’économie dans le traitement de la construction du personnage du héros, la place plus grande accordée à la nostalgie et à la tristesse dans l’exposition des états d’âme de l’équipage et le choix tacite de nous tenir éloignés des drames internes de chaque personnage confèrent à l’œuvre un ton encore distant par rapport aux représentations faites sur ce thème dans d’autres media, tels que la peinture historique et la sculpture. Cette distance n’empêche pas, cependant, La découverte du Brésil de transmettre une interprétation de l’événement reflétant le travail historiographique déjà cité. Plus important encore, le film porte en lui les questions de son temps, qui se manifestent dans la mise en scène de relations harmonieuses entre blancs et Indiens, et par un effort de mobilisation des symboles nécessaires à la construction du sentiment national. La musique de Villa-Lobos dans cette séquence est un signe de cette adéquation avec l’époque contemporaine. 40 Une des rares critiques cinglantes de la séquence dans la caravelle et, par conséquent, de la représentation harmonieuse de ce passage nous vient de l’écrivain Graciliano Ramos16. Celui-ci y consacre plus de la moitié de son article, exprimant son inquiétude quant au point de vue adopté dans le film pour décrire cette rencontre. Malgré un éloge des acteurs qui interprètent les Indiens, Ramos dit que, même si le passage mis en scène est relaté dans la lettre de Caminha, il y a des distorsions à cause de l’inclusion de détails qui portent préjudice à la vraisemblance des faits. D’après l’auteur, Ces Portugais sont des saints, ils ont une expression de béatitude qui ne reflète aucunement l’exploitation qu’ils ont pratiquée sur les terres d’Afrique et d’Asie et, enfin, dans cet hémisphère. Si les Européens se sont comportés ainsi, ce sont les plus grandes canailles de l’univers car ils ont trompé, de façon vile, les malheureux qu’ils allaient ensuite exterminer. (1938 : 6) 41 En ce sens, Ramos signale les insuffisances de la traduction filmique de la lettre de Caminha, soulignant l’interprétation trompeuse du document quant au véritable rôle des Portugais dans leurs relations avec les indigènes, à savoir, un rôle négatif qui ne reçoit aucun traitement dans la mise en scène de Mauro.

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42 Le lien entre État et Église, entre musique et communion civile, suggéré dans le film, revêt une signification particulière dans le contexte immédiat de la sortie de La découverte du Brésil, et entretient un dialogue direct avec la lecture plus générale que l’œuvre fait de ce moment inaugural de la jeune nation. En 1937, le Jour du drapeau, célébré le 19 novembre, fut ajourné en raison de fortes chutes de pluie dans la ville de Rio de Janeiro. La fête civile fut repensée dans un nouveau cadre imposé par le coup d’État survenu le 10 du mois. Repoussé au 27 novembre, date à laquelle on célébrait l’échec du Complot communiste de 1935, l’événement prit une autre dimension, représentative, celle-là, du caractère impératif du collectif face au différent, au particulier et à l’individuel, comme une façon de justifier l’acte politique qui avait instauré la dictature et aboli les partis politiques, entre autres mesures d’exception. Contrairement à ce que le film met en images, on ne pourrait, par conséquent, atteindre l’harmonie nécessaire que par la force et la subjugation de l’autre. 43 Durant la cérémonie, on mit le feu aux drapeaux des États, destruction symbolique d’un régionalisme dénué de sens pour un État-Nation qui prônait le tout indivisible. Une à une, portées par les « jeunes filles » de l’Organização Católica Bandeirante, les torches alimentèrent un bûcher autour duquel tournait le spectacle. Dans son discours, enregistré dans le journal cinématographique qui immortalisa l’événement, Vargas déclara que « tout cela a été accompli afin de consolider l’unité politique et sociale du Brésil », « tout cela » faisant ici non seulement référence à la cérémonie, mais également au coup d’État et à ses développements. 44 L’association politico-religieuse trouve également sa place dans ce scénario, intitulé « Autel de la patrie », et conçu par le service des œuvres du MESP. Face à un drapeau monumental du Brésil, la messe fut prononcée à l’air libre par le Cardinal Sebastião Leme. Francisco Campos, idéologue du régime et ministre de la justice, prononça un discours. Par ailleurs, c’est Villa-Lobos qui fut chargé de la musique, dirigeant le chant choral et l’orchestre qui jouèrent la Messe de Saint-Sébastien, dont il était l’auteur, l’ Hymne national ainsi que l’Hymne au drapeau 17. Neuf jours plus tard, le film de Mauro sortait, avec la bande musicale signée par le même compositeur, dans le circuit commercial travaillant sur le mode allégorique les données que le présent lui fournissait18. 45 À ce moment comme à d’autres, le film participe d’une vision profondément conservatrice de l’Histoire, ce qui a des implications politiques claires, comme nous avons tenté de le démontrer, étant donné la façon dont est pensé l’espace de constitution de la Nation à l’époque, qui se caractérisait par l’union entre État et Église, afin de contrôler tout ce qui était susceptible d’aller à l’encontre de leurs desseins.

BIBLIOGRAPHY

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Cortesão, Jaime, « A carta de Pero Vaz de Caminha – Adaptação à linguagem atual », in A carta de Pero Vaz de Caminha. Com um estudo de Jaime Cortesão, Rio de Janeiro : Livros de Portugal LTDA, non

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daté, p. 193-241. Traduction française : La Lettre de Pero Vaz de Caminha au Roi Manuel sur la découverte de la « Terre de la Vraie Croix » dite aussi Brésil. Traduite du portugais & présentée par Jacqueline Penjon et Anne-Marie Quint (édition bilingue), Paris : Chandeigne, 2011.

« Decreto n. 21240 - de 4 de abril de 1932 », Revista Nacional de Educação, n° 1, octobre 1932, p. 4-16.

Didi-Huberman, Georges, Images malgré tout, Paris : Éditions de Minuit, 2003.

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Le Goff, Jacques, « Documento/monumento ». In Ruggiero Romano (dir.). Enciclopédia Einaudi. volume 1 – Memória – História?, Imprensa Nacional - Casa da Moeda, 1984, p. 95-106.

Lindeperg, Sylvie, « O caminho das imagens: três histórias de filmagens na primavera-verão de 1944 ». Estudos históricos. vol. 26, n° 51, 2013, p. 9-34.

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Ramos, Graciliano, « Uma traducção de Pero Vaz », Folha da Manhã, 7 avril 1938, p. 6.

Rancière, Jacques, « L’inoubliable », In: Comolli, Jean-Louis et Rancière, Jacques. Arrêt sur histoire, Paris: Editions du Centre Georges Pompidou, 1997, p. 47-70.

Roquette-Pinto, Edgar, « Cinema educativo – O relatório de sua viagem a Europa, apresentado pelo professor Roquette Pinto ao Ministro da Educação », Jornal do Comércio, 23 février 1937, p. 3-4.

Sorlin, Pierre, « L’énonciation de l’histoire ». In Jean Mottet (dir.), D. W. Griffith, Paris : L’Harmattan, 1984, p. 298-317.

Vargas, Getúlio, « O cinema nacional: elemento de aproximação dos habitantes do país », A nova política do Brasil, Rio de Janeiro : José Olympio, vol. III, non daté, p. 183-189.

Xavier, Ismail, « On Film and Cathedrals: Monumental Art, National Allegories and Cultural Warfare ». In Nagib, Lúcia ; Perriam, Chris ; Dudrah, Rajinder (dir.). Theorizing World Cinema. Londres : I.B.Tauris, 2011, p. 21-44.

NOTES

1. La production bibliographique portant sur la relation entre cinéma et histoire est immense. Comme nous l’avons dit, il s’agit ici de mettre l’accent sur un parcours et non de dresser une historiographie sur le sujet. 2. Voir Xavier, I., 2011 : 21-44. 3. Bien qu’il utilise les mêmes termes pour penser l’image cinématographique, Jacques Rancière emploie ces concepts de manière différenciée sans la dimension de critique historique définie par Le Goff, que, curieusement, il ne cite pas, malgré son influence majeure sur ces questions (cf., Rancière, 1997 : 55). Cette discussion prendra une autre tournure chez Didi-Huberman avec, entre autres, la notion d’image-fait et image-archive. Dans son analyse de quatre photographies prises par des membres du Sonderkommando à Auschwitz à l’intérieur et autour des chambres à

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gaz, l’auteur soutient que l’image revêt de fait cette dimension puisque « les clichés d’août 1944 sont à la fois des images de la Shoah en acte – fussent-elles extrêmement partielles, comme le sont en général les images – et un fait de résistance historique ayant l’image pour enjeu » (2003 : 96). Cette considération réaffirme leur dimension en tant qu’archives (p. 115-118). 4. Le film fut intégré à la collection de l’INCE (Institut national de cinéma éducatif) au début de 1938 et le logo de l’institution fut ajouté au générique d’introduction. Le sceau de l’INCE ajouté a posteriori reflète la convergence d’objectifs entre l’ensemble de sa production et le film de Mauro, ce qui est évident, non seulement étant donné la participation de presque toute l’équipe de l’institut, mais également en raison d’une certaine conception de l’histoire et du cinéma éducatif, commune aux deux parties. 5. « Decreto n. 21240 – de 4 de abril de 1932 », op. cit.. 6. Sur le projet de cinéma éducatif et les productions de films historiques de la première moitié du siècle, voir Eduardo Morettin, 1997, p. 249-271. 7. Afonso de Taunay était directeur du Museu Paulista, institution basée à São Paulo qui visait à préserver et transmettre l’histoire de l’État et de ses colonisateurs. Professeur renommé, il avait également écrit Historia Geral das Bandeiras Paulistas, ouvrage en onze volumes publiés entre 1924 et 1950, et des centaines d’articles sur les aspects les plus divers de notre histoire. Roquette-Pinto avait écrit Rondonia (1917), fruit de son travail d’ethnographe dans la mission Rondon au début des années 1910. Os nhambiquaras (1912) est l’enregistrement filmique qu’il fit de son premier contact avec les Indiens de la région Centre-Ouest du pays. Ces activités furent développées en association avec le Musée national, dont il fut le directeur entre 1926 et 1935. Tous deux étaient membres de l’Académie brésilienne des lettres et de l’Institut historique et géographique du Brésil qui étaient reconnues par l’élite dominante comme deux institutions portant et transmettant la tradition nationale du pays. 8. Il fut aussi chargé de l’orchestration de la musique du film. Le deuxième enregistrement de l’accompagnement musical de La découverte du Brésil, qu’il a lui-même interprété, ne sera accessible au public qu’entre 1954 et 1958 dans les disques regroupés sous le titre Villa-Lobos par lui-même, réédités en CD en 1991. 9. Cabral, commandant de l’expédition portugaise, est considéré comme le « découvreur » du Brésil. Le thème de la découverte s’est construit au cours du XIXe dans l’historiographie brésilienne, dans laquelle des historiens comme Francisco Adolfo de Varnhagen et Capistrano de Abreu, entre autres, ont joué un rôle important. Dans les années 1920, les trois volumes de l’ouvrage História da Colonização Portuguesa do Brasil, dirigé par les Portugais Carlos Malheiro Dias, Roque Gameiro et Ernesto de Vasconcellos, sont venus consolider les principales questions du débat historiographique. Pour de plus amples informations à ce sujet, voir Eduardo Morettin, 2000, p. 135-165. 10. Comme on le sait, Naissance se rapporte au travail de l’historien pour légitimer la lecture proposée. Pierre Sorlin affirma à propos du film que l’Histoire y est une donnée préexistante, concrète, une vérité préétablie (1984 : 300). 11. Le film est disponible sur Internet. Voir URL : https://www.youtube.com/watch? v=hKI4miH0lkI, consulté le 16 septembre 2015. La scène analysée se situe à 25 minutes, 45 secondes. 12. Les passages de La lettre cités dans cet article sont empruntés à la traduction française de Jacqueline Penjon et Anne-Marie Quint, sauf ici, où il importait de reprendre littéralement la version originale. En effet, pour Giucci, G., 1991, p. 55, prendre (en portugais : tomar) est ici un euphémisme pour signifier enlever et emprisonner. 13. Cette question, ainsi que d’autres réflexions sur La Lettre sont en bonne partie tirées ou s’inspirent du travail de Giucci, déjà cité.

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14. On trouve dans la lettre de Caminha de nombreux passages où il raconte la préoccupation des commandants de trouver la meilleure stratégie pour obtenir des informations sur la terre qu’ils viennent de découvrir. En discutant, par exemple, de ce qu’ils devraient faire pour cela, quelques jours avant de reprendre les mers pour Calicut, Cabral défend la proposition de s’emparer de deux Indiens de force, tandis que d’autres suggèrent de « laisser sur place deux (…) proscrits lorsque nous partirons d’ici » (Cortesão, J., non daté : 217 ; édition bilingue : 42-43). 15. Pour rester dans le contexte brésilien, nous pouvons citer No Rastro do Eldorado (Sur la trace de l’Eldorado, 1925), de Silvino Santos, et Ao Redor do Brasil (Près du Brésil, 1932), de Luiz Thomás Reis. Ces films portent sur le contact avec des groupes indigènes qui ont à faire à des missions géographiques, comme celle d’Alexander Rice dans l’œuvre de 1925, ou à la reconnaissance du territoire, comme dans la seconde, de 1932. Au sujet de No Rastro de Eldorado, voir Eduardo Morettin, 2011. 16. Au sujet de la diffusion et réception du film voir Eduardo Morettin (2012). 17. La Messe de Saint-Sébastien, dédiée au Frère Pedro Sinzig, fut composée entre décembre 1936 et janvier 1937, au moment même où Villa Lobos travaillait sur les suites de La découverte. Sa première représentation publique avait eu lieu quelques jours avant la cérémonie civile, le 13 novembre au Théâtre municipal, avec le Chœur des professeurs et des Écoles techniques secondaires Paulo de Frontin et João Alfredo (Voir Museu Villa-Lobos, 2009). 18. C’est le cinéaste Eduardo Escorel qui a fait le lien direct entre l’événement enregistré dans le journal filmé Bandeira do Brasil (1937), produit par A. Botelho Film, et La découverte, dans Imagens do Estado Novo, un documentaire encore inédit comprenant du matériel d’archives sur cette période. Au sujet de ce film, voir « Eduardo Morettin e Mônica Almeida Kornis entrevistam Eduardo Escorel », 2009, p. 119-120. Au sujet des commémorations du Jour du drapeau, voir « Festa da Bandeira », Jornal do Commercio, 28 novembre1937.

ABSTRACTS

The main objective of this article is to analyse some aspects related to the representation of the Brazil’s history in the cinema, such as the arrival of the colonizer and the natives theme in the film “O Descobrimento do Brasil (1937)”, directed by Humberto Mauro. From this general picture, we propose to study, in particular, the relationships between historical and cinematographic discourse.

L’objectif principal de cet article est d’analyser quelques aspects ayant trait à la représentation de l’histoire du Brésil au cinéma, considérée sous l’angle du thème de l’arrivée du colonisateur et de la question indigène, dans le film O Descobrimento do Brasil (La découverte du Brésil, 1937), de Humberto Mauro. À partir de ce tableau général, nous proposons d’étudier, en particulier, les liens entre le discours historique et le discours cinématographique.

O objetivo principal deste artigo é analisar alguns aspectos ligados à representação da história do Brasil no cinema, como os temas da chegada do colonizador e da questão indígena, no filme O Descobrimento do Brasil (1937), de Humberto Mauro. A partir deste quadro geral, nós propomos a estudar, em particular, as relações entre discurso histórico e discurso cinematográfico.

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INDEX

Mots-clés: cinéma et histoire, histoire du Brésil, Humberto Mauro, film historique, histoire du cinéma brésilien Palavras-chave: cinema e história, história do Brasil, Humberto Mauro, filme histórico, história do cinema brasileiro Keywords: cinema and history, Brazil’s history, Humberto Mauro, historical film, history of Brazilian cinema

AUTHOR

EDUARDO MORETTIN

Eduardo Morettin est professeur à l’Université de São Paulo (USP) et auteur de Humberto Mauro, Cinema, História (São Paulo, Alameda Editorial, 2012) et co-auteur de l'ouvrage collectif Eduardo Morettin, Elias Saliba, Maria Helena Capelato et Marcos Napolitano (dir.), História e cinema: dimensões históricas do audiovisual [2007] (2ème éd., São Paulo, Alameda Editorial, 2011). Adresse postale: Rua Beatriz Galvão, 100, ap. 32, São Paulo – SP, Brésil, CEP 01257-100 Adresse électronique: [email protected]

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Imagens de Marighella: o cineasta militante, a diretora-sobrinha, o mesmo herói Marighella Images: the militant filmmaker, the niece, the same hero Images de Marighella : le cinéaste militant, la réalisatrice-nièce, le même héros

Fernando Seliprandy

1 Muito se fala da guinada subjetiva do documentário nos últimos anos. Em linhas gerais, se antes os filmes adotavam uma postura impessoal e assertiva na construção de grandes narrativas, hoje predominariam os documentários em primeira pessoa, íntimos, cheios de hesitações ao narrar uma experiência difícil, obras que sempre se deparam com as impossibilidades do relato. No Cone Sul, esse fenômeno tem suas especificidades. A partir dos anos 2000, começam a surgir documentários realizados por filhos, sobrinhos ou netos de vítimas das ditaduras que assolaram a região dos anos 1960 aos 1980. Uma memória de segunda (ou terceira) geração vai se configurando no cinema, elaborada por aqueles que eram crianças durante os anos autoritários. A família passa a ser a lente através da qual se olha para a história. Tornam-se visíveis os traumas, as lacunas, as ausências.

2 A ideia aqui é pensar sobre essas questões a partir de dois documentários brasileiros dedicados à memória de uma das figuras mais emblemáticas da luta armada contra a ditadura e o capitalismo no país: Carlos Marighella, principal liderança da Ação Libertadora Nacional (ALN), autor do Minimanual do guerrilheiro urbano (1969), assassinado por agentes da repressão em uma emboscada em novembro de 1969. O primeiro filme chama-se Carlos Marighella: retrato falado do guerrilheiro (Silvio Tendler, Brasil, 2001); o segundo é Marighella (Isa Grinspum Ferraz, Brasil, 2011). Nos dois casos, os títulos surgem em momentos de efeméride em torno de Marighella: os noventa e os cem anos de seu nascimento. 3 Em um primeiro olhar, a década que separa esses dois lançamentos teria trazido muitas diferenças entre os documentários. As filiações geracionais e cinematográficas dos dois diretores estariam na matriz dessas distinções. Silvio Tendler nasceu em 1950 e, em

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1969, ano da morte de Marighella, já cursava Direito na PUC-Rio, dando os primeiros passos de sua carreira de cineasta. Nesse mesmo ano, Tendler começava também a ter os primeiros problemas com o regime. Desde o início de sua trajetória como documentarista, esteve ligado ao cinema político. Depois de uma passagem pelo Chile de Salvador Allende, em 1972 ele vai para Paris, onde entrou em contato com Chris Marker, no círculo da Société pour le Lancement des Œuvres Nouvelles (SLON), coletivo dedicado à produção de filmes militantes. Pouco após esse contato, Tendler esteve novamente no Chile e, de volta à França, participou da realização de La spirale (1976), filme sobre o golpe chileno (cf. Aguiar C. A., 2012). Ainda em Paris, estudou cinema e história, tendo escrito uma monografia sobre a obra de Joris Ivens (Brasil M. P., 2008: 31-40)1. Retornando para o Brasil, dedicou-se a uma produção documental voltada a figuras cujos projetos políticos foram derrotados no processo histórico nacional. São dessa época Os anos JK: uma trajetória política (1980) e Jango (1984) 2. Marighella: retrato falado do guerrilheiro dá continuidade a essa proposta do cineasta. 4 Isa Grinspum Ferraz, por sua vez, nasceu em 1958. A diferença de oito anos em relação ao nascimento de Silvio Tendler parece pouca, mas é significativa. Ferraz é sobrinha de Carlos Marighella e, em 1969, quando o tio foi assassinado pelo regime, ela tinha onze anos, era ainda uma criança. Formada em Ciências Sociais e Filosofia, ela inicia uma carreira na televisão a partir dos anos 1980, antes de dirigir seu primeiro longa- metragem, Marighella, documentário sobre o “tio Carlos”. Seu filme surge no contexto em que se observa no Brasil, a partir de 2010, uma sequência de lançamentos documentais de recorte familiar, dirigidos ou protagonizados por filhos ou parentes próximos de ex-militantes3. Marighella faria parte, em princípio, do novo cenário brasileiro de elaboração documental de uma memória de segunda geração da ditadura, de tom íntimo. 5 À primeira vista, esboça-se uma dicotomia entre os dois filmes sobre Marighella: de um lado, o documentário do cineasta militante, alguém que testemunhou em primeira mão a ditadura brasileira e resgata a figura de uma das principais lideranças da luta armada; de outro, o documentário da diretora-sobrinha, às voltas com as reminiscências infantis de um tio ausente, trazendo um olhar familiar de segunda geração. De um lado, o épico; de outro, o íntimo. De um lado, a convicção; de outro, a hesitação. Aparentemente, a guinada subjetiva separaria as duas obras. Mas essas são apenas as aparências. 6 Subjacente às análises está uma problematização da noção de “pós-memória”, termo muito citado quando se quer caracterizar a produção memorialística contemporânea realizada pela geração dos filhos (ou sobrinhos, ou netos) das vítimas das ditaduras do Cone Sul. Termo muito citado, mas nem sempre discutido. A noção de “pós-memória” foi cunhada por Marianne Hirsch (2008, 2012) no contexto dos debates estadunidenses acerca da rememoração do Holocausto pela geração seguinte à dos sobreviventes. De forma muito sumária, pode-se dizer que são três as premissas da noção, segundo Hirsch: em primeiro lugar, a ideia de que a “pós-memória”, ainda que indireta, é capaz de estabelecer uma memória viva e afetiva do passado; em segundo lugar, o pressuposto de que o espaço familiar é o ambiente privilegiado dessa transmissão; em terceiro lugar, a centralidade da fotografia como portadora da marca indicial dessa memória herdada (2008: 103-117). Conjugadas, essas três premissas acabam fazendo com que a noção de “pós-memória” flerte perigosamente com certa reificação, seja da memória viva, dos laços consanguíneos ou da indicialidade fotográfica. No fundo, os termos da ideia de “pós-memória” não deixam de carregar o risco de uma naturalização

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da condição geracional.4 A análise atenta de cada um dos filmes buscará, justamente, ir além das supostas filiações geracionais ou cinematográficas.

O Marighella do cineasta militante e da diretora- sobrinha

7 É claro que, além das aparentes dicotomias mencionadas, existem outras distinções entre os filmes: Marighella: retrato falado do guerrilheiro é um média-metragem, com 55 minutos, gravado em vídeo; Marighella, de Isa Grinspum Ferraz, é um longa-metragem, com 100 minutos, gravado em suporte digital.

8 No terreno das análises acadêmicas, Sara Alves Feitosa (2013) chega a identificar alguns cruzamentos entre as obras, mas destaca principalmente suas diferenças. Em artigo dedicado a três representações cinematográficas de Marighella – além dos dois documentários aqui analisados, também Carlos Marighella: quem samba fica, quem não samba vai embora (Carlos Pronzato, Brasil, 2011) –, Feitosa caracteriza o filme de Silvio Tendler como um “documentário clássico ou expositivo”, embora com algumas nuances, de um lado, e, de outro, o filme de Ferraz como um “documentário subjetivo” (2013: 277-278 e 280). Ou ainda, quando compara o uso do material de arquivo nesses dois casos: A voz das imagens de arquivo, especialmente nos filmes Retrato de um guerrilheiro (Tendler) e Marighella (Ferraz), embora por vezes utilizem-se das mesmas imagens- documento, constroem na montagem tipos de narrativas distintas, sendo a primeira um documentário expositivo e a segunda subjetivo ou poético. (Feitosa S. A., 2013: 282). 9 Em suas conclusões, Sara Alves Feitosa reconhece também distintos sentidos da memória entre esses dois filmes: Por fim, vale destacar que no filme de Tendler o que prevalece é o personagem Carlos Marighella como fio condutor da história de resistência dos excluídos no Brasil. […] enquanto que o filme de Ferraz oferece uma narrativa que transita entre o público e o privado, entre a trajetória do personagem histórico Carlos Marighella e o sujeito Carlos, tio da diretora. (Feitosa S. A., 2013: 286-287). 10 De fato, as diferenças entre um documentário convencional e um documentário subjetivo, entre a história de luta coletiva e a história privada parecem distinguir os filmes. Entretanto, caso o olhar se aproxime um pouco mais dos documentários, em uma análise meticulosa de suas imagens e estruturas narrativas, percebe-se que, ainda que existam distinções pontuais aqui e ali, o que se impõe são as analogias entre as obras. Minha hipótese é que há entre os dois filmes muito mais paralelos do que um primeiro olhar pode sugerir. Correspondências que somente são visíveis caso se avance para além dos pressupostos das filiações geracionais ou cinematográficas. Propõe-se a seguir uma análise comparativa dos documentários, atenta a três eixos temáticos que revelam de modo mais claro as analogias entre as imagens de Marighella propostas por Silvio Tendler e Isa Grinspum Ferraz.

O documentário de entrevista convencional

11 O primeiro paralelo que se sublinha aqui está ligado aos artifícios cinematográficos empregados nos filmes. Em um e outro caso, os realizadores lançam mão de recursos

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vinculados ao documentário de entrevista convencional5: os entrevistados dão seus depoimentos mais ou menos de frente para a câmera, com o diretor fora de quadro; as falas das testemunhas são fragmentadas e montadas de forma a construir uma coerência narrativa clara e linear; aquilo que é dito pelos entrevistados vai sendo ilustrado por inserções de imagens de arquivo, áudios, fotografias, jornais ou documentos de época; cada passo do relato é demarcado por legendas temáticas ou explicativas; há intervenções de uma voz over que vai pontuando a história (cf. Nichols B., 1991: 54; Ramos F. P., 2008: 24 e 41). Esses seriam os traços gerais dessa modalidade de documentário, observáveis nos filmes de Tendler e Ferraz.

12 O filme de Tendler pode ser identificado a essa tendência documental sem maiores ressalvas. Nele o mosaico de vozes vai compondo a biografia de Carlos Marighella de forma coesa e cronológica, com imagens ilustrativas ao longo da trajetória do relato. Como especificidade, nota-se que as tomadas das entrevistas têm alguma precariedade na iluminação, o som muitas vezes tem problemas, os cenários das entrevistas são “caseiros”, as inserções gráficas são simples. A estrutura do relato, contudo, é bem montada, a história de vida e de lutas de Marighella segue resolutamente rumo ao desfecho fatal. No fim, vem a denúncia da tortura, o balanço daquela experiência, sem que se abra mão da esperança. 13 Quanto ao filme de Isa Grinspum Ferraz, algumas considerações devem ser feitas para justificar sua identificação com o documentário de entrevista convencional. Não basta dizer que muitos de seus entrevistados coincidem com as testemunhas ouvidas no filme de Tendler, uma década antes. Tampouco é suficiente notar que nos dois casos os diretores recorrem a vozes de atores (Othon Bastos, no filme de Tendler; Lázaro Ramos, no de Ferraz) para declamar em over escritos e poemas de Marighella. No documentário de Tendler, é verdade, essa voz over tem mais peso, além de ler os textos de autoria do líder guerrilheiro, ela assume também a posição de autoridade da voz do saber em terceira pessoa. 14 O tema é mais delicado, não se limita a coincidências pontuais entre os dois documentários. Porque Marighella (Ferraz) anuncia-se, desde os primeiros minutos, como um documentário subjetivo, com a voz over da diretora que diz “meu tio”, com a inserção de fotografias pessoais da infância, com tomadas que emulam a textura do Super-8, com uma trilha sonora melodiosa que apela aos sentimentos. Um filme que seria movido pela dúvida ou, como diz Ferraz: “Porque eu sempre quis saber quem foi, afinal, Carlos, esse tio querido e proibido que viveu quase quarenta anos clandestino, sem deixar pistas.” A voz em primeira pessoa; as fotografias de família; o mistério acerca do parente querido. Recursos que podem ser encontrados em tantos outros documentários recentes de “segunda geração”, que procuram elaborar em chave reflexiva um trauma familiar no seu entrelaçamento com a história. 15 O tom privado da sequência inicial, contudo, logo é interrompido no filme de Ferraz. A primeira pessoa fica em suspenso enquanto se sucedem as entrevistas. De tempos em tempos, retorna a combinação da voz over em primeira pessoa com imagens familiares e trilha sonora melodiosa. Mas tais digressões em chave subjetiva servem sobretudo para pontuar o avanço da narrativa, demarcando a progressão linear dos depoimentos, das vozes em terceira pessoa fragmentadas pela edição. De resto, o que se vê são as tomadas das entrevistas em enquadramento convencional e com um fundo asséptico de estúdio. A produção é cuidadosa, há capricho na luz, no som, na pesquisa de imagens e documentos de época. Nota-se um esmero excessivo na conjugação das falas com

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inserções ilustrativas, exaustivamente ilustrativas. Diante da mera alusão a alguma ideia, surge apressadamente o plano que lhe dará visualidade, imagens documentais ou de ficção. 16 O que ocorre nesse caso não é tanto a modalidade performativa do documentário, mas a encenação da subjetividade. Talvez seja um equívoco falar em um “eu” mais real que outro, mas é certo que se pode falar em um “eu” cinematograficamente artificial. “Tudo é performance”, alguém poderia objetar. Contudo, vale lembrar que existe uma linha tênue que separa o “eu” como lugar da enunciação reflexiva, de um lado, e, de outro, o “eu” que é apenas “Eu”. No Marighella de Ferraz, os artifícios cinematográficos procuram passar a impressão da subjetividade reflexiva, mas tais expedientes, dispersos no filme, sucumbem ao fluxo contínuo de entrevistas, arrastados pela linearidade do relato. A hesitação da voz própria é uma impostação. O que prevalece no fundo é o discurso fílmico seguro de si, que se fia no mosaico de vozes testemunhais para construir uma imagem em nada fugidia de Marighella.

Os marcos biográficos

17 O segundo paralelo entre os documentários evidencia-se na organização da narrativa biográfica. O passo a passo da vida de Marighella segue o mesmo caminho no filme de Tendler e de Ferraz. Nesse sentido, é curioso cotejar a sequência de intertítulos e legendas temáticas em cada caso. No documentário de Tendler, ocorrem inserções de vinhetas animadas, acompanhadas pelo som de um berimbau, nas quais a silhueta sombreada de Marighella passa, deixando atrás de si, como que grafitado em um muro, as frases que vão pontuando a narrativa: “Não tive tempo para ter medo”; “De volta à clandestinidade”; “Tempo de amar”; “Um sopro de liberdade”; “Todo espectador é um covarde ou um traidor”; “A hora e a vez do Terceiro Mundo”; “A luta armada”; “Olas”; “Agora é tocar pra frente”; “ALN”; “Luta armada”; “O sequestro do embaixador norte- americano Charles Elbrick”; “Ou ficar a pátria livre, ou…”; “As marcas da maldade”; “Ou ficar a pátria livre, ou…” (novamente); “Marighella vive!”. A sucessão dos governos e dos principais eventos históricos vai sendo indicada por letreiros informativos.

18 No documentário de Ferraz, as legendas temáticas surgem em inserções que trazem ou tomadas de paisagens das cidades onde Marighella viveu, da antiga casa da família, de fotografias da infância da diretora, ou trechos de filmes de ficção – Macunaíma (Joaquim Pedro de Andrade, Brasil, 1969), Terra em transe (Glauber Rocha, Brasil, 1967) –, ou, ainda, planos com documentos de Marighella. As tomadas atuais trazem as marcas características do filme em Super-8, em uma estratégia de emulação de filmagens caseiras antigas já bem disseminada no documentário subjetivo contemporâneo. Acompanhando essas imagens, Ferraz, em voz over, narra algumas memórias infantis do “tio Carlos”: detalhes das vezes em que ele surgia na casa de sua família, para logo desaparecer na clandestinidade; lembranças de menina do medo da tortura; a entrega pela tia Clara Charf da mala com documentos de Marighella, quando o filme já estava em produção. O conteúdo das legendas segue a seguinte ordem: “Primeira pista: um mulato baiano”; “Segunda pista: prisão, tortura, liberdade”; “Terceira pista: clandestinidade”; “Quarta pista: terra em transe”; “Quinta pista: guerrilha”; “Sexta pista: comandante em chefe”; “Sétima pista: a caça mais cobiçada”. 19 Nota-se que, nessas legendas, enquanto a voz da diretora diz “eu me lembro”, o espectador é informado sobre qual será a próxima “pista” a ser investigada. Tal alusão a

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uma indagação em primeira pessoa tenta aproximar o filme das características do “documentário de busca”, como descritas por Jean-Claude Bernardet. Nesse caso, as “pistas” seriam as marcas da imprevisibilidade da tentativa de se desvendar a incógnita em torno do parente; o documentário registraria, antes de mais nada, o processo dessa busca ao mesmo tempo familiar e histórica; o êxito da procura nunca estaria garantido (Bernardet J.-C., 2005). Entretanto, no Marighella de Ferraz, essas sete “pistas”, no fim, funcionam como balizas bem definidas, e não como indícios a serem desvendados em uma busca de resultados incertos. Mais do que a explicitação de uma procura subjetiva, as memórias de infância evocadas pela voz em primeira pessoa da diretora são digressões, um desvio momentâneo da narrativa central. O que estrutura o relato não é essa voz hesitante que diz “eu”, mas sim as “pistas” que são, no fundo, os marcos firmes que organizam a biografia. 20 Se ambos os filmes aproximam-se ao balizar o relato com cartelas, havendo aí certa correspondência temática, é no teor da narrativa biográfica que os paralelos ficam mais evidentes. Da infância ao assassinato de Marighella, as fases da vida do personagem repetem-se: o mulato baiano, filho de pai italiano e mãe negra malê, com a revolta no sangue, herdeiro do anarquismo e das insurreições escravas; o garoto de aspirações intelectuais, que desde cedo fazia poesia; o comunista irreverente, que gostava de samba e carnaval; a prisão e a tortura durante o regime de Getúlio Vargas; a volta do Partido Comunista Brasileiro (PCB) à legalidade, a liberdade e a atuação como deputado constituinte; os amores, o nascimento do filho, o encontro com Clara Charf; o retorno à clandestinidade; a volta à legalidade sob o governo de Juscelino Kubitschek; a decepção e o choro diante das revelações dos crimes de Stálin; o apoio do PCB às reformas de João Goulart; o golpe de 1964 e o episódio de resistência à prisão, quando Marighella foi baleado por agentes da ditadura; a viagem a Cuba e a ruptura com o PCB; a opção pela luta armada; a formação da Ação Libertadora Nacional (ALN); as ações armadas da ALN, com destaque para a tomada da Rádio Nacional, em agosto de 1969; o sequestro do embaixador estadunidense Charles Burke Elbrick, em setembro de 1969, promovido pela ALN (junto com o MR-8) sem o conhecimento de Marighella; o recrudescimento da repressão como consequência do sequestro do diplomata; o cerco que se fecha sobre Marighella; a queda dos frades dominicanos; a emboscada na Alameda Casa Branca e a morte. 21 Na trajetória de vida narrada nos dois filmes, além da progressão dos eventos biográficos e históricos, algumas vezes se repetem também certas anedotas em torno de Marighella, quando não contadas pela mesma testemunha, com uma década de diferença entre as entrevistas. As marcas do tempo são visíveis nos rostos daqueles que deram seus depoimentos para Tendler e Ferraz, mas parece haver uma memória mais ou menos consolidada, a qual se ouve em 2001 e 2011. 22 Ademais, chama a atenção ainda o fato de que ambas as narrativas documentais reiteram a organização cronológica da vida de Marighella existente em relatos biográficos de outra natureza. Por exemplo, essa mesma trajetória do personagem pode ser encontrada no artigo publicado em 1999 por Cristiane Nova e Jorge Nóvoa (1999), em uma coletânea que organizaram alusiva aos trinta anos da morte do líder guerrilheiro; e, também, de certa forma, na biografia publicada por Mário Magalhães (2012)6. Nesses escritos, estão também os tópicos do mulato geneticamente revoltado, do comunista irreverente etc.

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23 Na verdade, Mário Magalhães foi consultor especial do documentário de Isa Grinspum Ferraz. Além disso, o Marighella de Ferraz inclui trechos de Marighella: retrato falado do guerrilheiro, de Silvio Tendler, devidamente listado nos créditos finais. Ou seja, as versões circulam entre si, mas as apropriações parecem ocorrer muito mais na chave da reiteração de uma memória já estabelecida de Marighella. Ora, apenas uma visão teleológica poderia supor que o relato de uma mesma vida supõe necessariamente as mesmas escolhas quanto aos tópicos a serem narrados. 24 No que toca à questão de um relato biográfico sedimentado, aquilo que talvez seja mais significativo no cotejamento entre os dois documentários é o tratamento dado aos testemunhos do filho de Marighella com Elza Sento Sé, Carlos Augusto Marighella, e da parceira que por mais tempo viveu com o líder guerrilheiro, Clara Charf. Nos dois filmes, os familiares de Marighella são sobretudo testemunhas. Filho e parceira falam lado a lado com ex-companheiros e historiadores, sem maiores inflexões. Quanto ao documentário de Tendler, dada sua proposta cinematográfica, isso não chega a causar estranhamento. Mas, no caso do filme da diretora-sobrinha, que anuncia um olhar familiar desde o início, dar o mesmo tratamento de entrevistado para os familiares – com os mesmos enquadramentos e a mesma situação convencional de depoimento – no mínimo sugere a inconsistência da proposta íntima enunciada. Aquilo de novo que poderia surgir sobre Marighella em uma abordagem mais próxima, privada, feita por alguém da família, fica abortado em prol de uma memória pública que já tem seus marcos, seus eventos e suas anedotas fixados.

A exaltação do herói guerrilheiro

25 Resta refletir sobre qual seria o significado dessa memória consolidada de Marighella. É aí que surge a terceira analogia entre os filmes. O tom da rememoração é celebrativo nos dois casos, na chave da exaltação do herói guerrilheiro. Há, entretanto, certo deslocamento entre os sentidos dessa exaltação em cada documentário, e isso fica patente na comparação entre suas sequências finais.

26 No filme de Silvio Tendler, logo após a narração do assassinato de Marighella, há uma espécie de balanço da experiência. Em primeiro lugar, após a legenda “As marcas da maldade”, surge uma sequência de depoimentos em que os entrevistados denunciam a barbaridade da tortura. Fala-se da sofisticação da repressão, da orientação das escolas de tortura dos EUA. Entra a inserção de um trecho de Le fond de l’air est rouge (Chris Marker, França, 1977), com imagens de instruções de combate à guerrilha dadas por um oficial estadunidense, a voz over reforça a informação. Voltam as entrevistas, descrevendo a tortura moral, a humilhação da violência brutal do regime. Surge então uma nova inserção, agora com fotografias de prontuários que registram corpos massacrados de guerrilheiros. A voz over, acompanhando essas fortes imagens, devolve a acusação de terrorismo ao regime. 27 Uma nova cartela pontua: “Ou ficar a pátria livre, ou…” morrer pelo Brasil, é o complemento que todo brasileiro conhece, pois se trata de um verso do refrão do Hino da independência do Brasil. Fica introduzida assim a série de depoimentos que afirmará a legitimidade da resistência armada. Os guerrilheiros não foram “inocentes úteis”, uma das testemunhas rebate. Fala-se da violência disseminada, dos ditadores como os verdadeiros desencadeadores da violência, sendo legítima a resistência de um povo. Fica dito ainda que aquela geração não era autodestrutiva, pois tentou construir algo.

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Afirma-se a ausência de arrependimento com relação ao engajamento armado. Escurece. Surge uma fotografia de Marighella sobre o fundo negro com a legenda: “Marighella vive!”. A voz over diz: “Se estivesse vivo, Marighella estaria completando noventa anos. Junto ao povo, lutando por pão, terra, trabalho, saúde, educação e cultura. Lutaria por liberdade e alegria para todos.” Entram os créditos finais, soa uma vocalização de A internacional. 28 Denúncia da tortura, afirmação da legitimidade da luta armada, a conjectura sobre o papel de Marighella nas lutas atuais. “Marighella vive!” porque a luta precisa continuar, tal é o sentido latente nessas sequências finais. Nesse aspecto, o documentário de Silvio Tendler aproxima-se de outra representação cinematográfica de Marighella, esta muito anterior. Trata-se de On vous parle du Brésil: Carlos Marighella (Chris Marker, França, 1970), realizado ainda no calor dos desdobramentos do assassinato do líder guerrilheiro (cf. Aguiar C. A., 2013; Lupton C., 2005). Nesse curta-metragem, um antigo companheiro de Marighella fala anonimamente. Em 1970, os riscos ainda existiam, o testemunho então não era apenas memória, mas principalmente denúncia. Encerrando o filme, a testemunha cita Marighella: “Se eu morrer, haverá outro para pegar o meu fuzil.” O curta-metragem é abertamente militante, de contrainformação, realizado pelo mesmo Chris Marker com quem Tendler travaria contato em Paris um pouco mais tarde, em 1972 (Brasil M. P., 2008: 37). O mesmo Chris Marker, aliás, de cuja obra Tendler faz inserções de trechos em seu Marighella: retrato falado do guerrilheiro. 29 Outras análises do filme de Tendler já identificaram sua representação de Marighella na chave heroica (Gutfreind C.; Stigger H., 2013; Carvalho G. S.; Gutfreind C., 2014). Contudo, o que se quer ressaltar aqui é que essa memória que celebra a militância é ainda uma memória “militante”, por assim dizer – e não há qualquer tautologia nessa afirmação, como se verá na comparação com o filme de Ferraz. Pode-se até questionar o convencionalismo estético do documentário de Tendler, mas nele, se há exaltação do herói guerrilheiro, ela se dá em prol dos embates contemporâneos. Em sua reflexão sobre essa obra, Marcia Paterman Brasil aborda tal conexão engajada entre passado e presente nos seguintes termos: Carlos Marighella é pensado no filme menos como um mártir do que como figura representativa de um esforço conjunto num determinado momento. Se a construção de memória histórica opera sobre um personagem identificado ao culto de um mártir, um equivalente brasileiro de Che Guevara, o tratamento dado por Tendler não o fossiliza, como as duas últimas sequências mostram. Tendler desvia de uma figura de herói modelar da esquerda, desconstrói a imagem de terrorista e retira dele novas lutas a serem guiadas no presente. (Brasil M. P., 2008: 108). 30 Já no filme de Isa Grinspum Ferraz, a celebração do herói se dá em função da hagiografia, quase que em sentido literal. Isso fica anunciado nos primeiros minutos do documentário, quando, logo após a sequência de apresentação, surge a vinheta de abertura com a tomada de uma imagem de São Jorge, a qual explode em câmera lenta. A escolha do ícone não é banal. São Jorge é o santo guerreiro do catolicismo – e aqui se tem mais um exemplo de que o filme não prima pela sutileza nas sugestões simbólicas. A tomada da explosão do santo em câmera lenta repete-se sucessivamente, a imagem é vista nos limites de uma faixa na tela, que se movimenta alterando o enquadramento. Na trilha sonora, ouve-se a batida “manguebeat” de Coco Dub, música de Chico Science & Nação Zumbi lançada originalmente em 1994. Surge em letra cursiva infantilizada (em outra impostação da “segunda geração”) o nome Marighella, sobre fundo negro. Assim como o ícone, as letras também se estilhaçam.

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31 A história se desenrola e, narrada a morte de Marighella, já próximo do fim do documentário, vem a sequência que faz o balanço de sua vida. Antonio Candido diz: “Para mim, Marighella é um dos heróis do povo brasileiro. É um santo do socialismo, um santo ateu, um santo sem Deus.” O impulso de sacralização do personagem, sugerido no início do filme pela vinheta de abertura, ganha, enfim, enunciação explícita. Vem em seguida a avaliação de José Luís Del Roio, que diz que não gosta da afirmação de que Marighella era um aventureiro. E segue em sua argumentação: “Foi um dos melhores quadros políticos do Brasil do século XX.” Ele pondera que, se Marighella cometeu erros, também erraram os Inconfidentes, os alfaiates negros da Bahia, Frei Caneca, os camponeses de Canudos e de Santa Catarina. Tudo isso devidamente ilustrado por imagens de arquivo. Del Roio conclui: “O que seria do Brasil sem eles? Seria mais rico ou mais pobre? Essa nação seria infinitamente mais pobre.” Imediatamente após essa fala, em corte seco, entra a mesma tomada da vinheta de abertura na qual a imagem de São Jorge explode. Só que agora a tomada da explosão é exibida de trás para frente, também em câmera lenta. Ou seja, pela reversão do plano, a imagem do santo guerreiro se recompõe, os estilhaços se unem novamente. Fecha-se o ciclo narrativo do documentário: após a fragmentação das vozes testemunhais pela edição, a imagem do ícone Marighella, o “santo do socialismo”, está reconstituída. Na trilha sonora, começa a soar o rap composto por Mano Brown especialmente para o filme, chamado Mil faces de um homem leal (Marighella) 7, com mixagem de registros em áudio da voz de Marighella. Tem lugar então um clipe que conjuga tomadas atuais de jovens colando cartazes de Marighella nas ruas (a passagem geracional da memória) e fotografias de arquivo, as quais mostram as “mil faces” do personagem. Prossegue o rap, entram os créditos finais. 32 A hagiografia amarra o relato, reiterada por símbolos e palavras. A biografia de Marighella proposta pela diretora-sobrinha é abertamente sacralizante, tal é a tônica da celebração do herói nesse documentário. 33 O tom apologético da fala de Antonio Candido para o documentário de Ferraz tem antecedentes. Em artigo publicado na já citada coletânea denominada Marighella: o homem por trás do mito (1999), significativamente intitulado “Um herói do povo brasileiro”, Candido desenvolve seu argumento: Eu diria que agora Carlos Marighella já não é apenas o grande revolucionário, admirado pelos que pensam e sentem como ele pensou e sentiu; mas um herói do povo brasileiro, admirado por todos os que aspiram a um estatuto humano para a vida do homem em nosso país. […] ele se encontra tal como a eternidade o transformou. Do homem que fez o mais alto sacrifício pelo povo brasileiro, isto é, o sacrifício da vida, surgiu a figura do herói modelar. Por isso, ele aparece não apenas como um grande lutador que honra a esquerda brasileira, mas também como um grande brasileiro que dá significado à luta pela igualdade e a liberdade de todo o nosso povo. (Candido A., 1999: 378). 34 Uma das críticas mais instigantes desse processo de mitificação da memória da resistência no Brasil vem sendo feita por Denise Rollemberg. Em texto no qual reflete sobre a construção das memórias de Carlos Lamarca e Carlos Marighella, ela avalia que, em grande medida, a repetição da afirmação de que esses dois líderes guerrilheiros são heróis do povo brasileiro acaba ocultando as colaborações e cumplicidades da sociedade com a ditadura. As duas figuras, ela argumenta, morreram isoladas, “a sociedade que estes homens quiseram transformar não os tinha como heróis, justiceiros, libertadores dos oprimidos”. (Rollemberg D., 2007: 14, grifo da autora).

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35 Para a autora, o esquecimento do lastro social do regime autoritário é o lado avesso da memória que celebra a resistência e seus heróis. Mitificados, os heróis terminam isolados da história. No mesmo movimento, a sociedade fica isenta de culpas. Em tal visão do passado, só há lugar para heróis e vilões, opressores e oprimidos. O povo odiava a ditadura que o reprimia. O povo estava ao lado daqueles que resistiam à opressão. Tais são duas ideias básicas dessa memória heroica e que remontam, segundo Rollemberg, aos erros de avaliação de conjuntura cometidos à época pelas esquerdas armadas (2007: 8 e 13-15). Diante das ilusões de ontem e dos mitos de hoje, a autora coloca uma questão fundamental: “Podemos refletir por que as esquerdas querem heróis e lendas; por que insistem na tese da resistência da sociedade à ditadura, aos seus princípios e práticas; por que têm negado o conhecimento da realidade.” (Rollemberg D., 2007: 14, grifo da autora). Aceitar a realidade das cumplicidades seria, no fundo, uma condição essencial para se compreender historicamente a fragilidade da “conciliação democrática” brasileira. 36 Entre a celebração engajada de Silvio Tendler e a celebração sacralizante de Isa Grinspum Ferraz, a principal inflexão da memória está na distinção fundamental entre a militância e a mitificação. Ambos os filmes exaltam o herói guerrilheiro. Porém, de um lado, tal exaltação é também a afirmação da continuidade da luta; de outro, a hagiografia não deixa de alimentar a problemática “conciliação” nacional brasileira, feita de anistias e amnésias.

Dois filmes, duas gerações, o mesmo herói

37 Silvio Tendler mantém em Marighella: retrato falado do guerrilheiro a coerência com sua obra, dedicada em boa medida aos heróis derrotados da história brasileira, cujas memórias são resgatadas em nome da luta presente. Nesse sentido, as conclusões de Marcia Paterman Brasil (2008) oferecem uma chave interessante para se pensar o lugar dessa obra no documentarismo atual. A autora identifica a narrativa didática e militante de Tendler como uma proposta tida como deslocada em tempos de fragmentação e descrença pós-modernas (Brasil M. P., 2008: 162-166). Um cinema “datado”, alguém poderia dizer.

38 Por outro lado, Isa Grinspum Ferraz tenta dar a seu Marighella um ar sintonizado com a tendência contemporânea do documentário íntimo e subjetivo de segunda geração. O cinema da “pós-memória”, como diria Marianne Hirsch (2008, 2012). Mas, no fim, os signos da subjetividade entram no seu filme de modo ornamental, no máximo como digressões. Ferraz recorre aos artifícios reflexivos desse cinema íntimo como uma fórmula, e não propriamente pela potência crítica da afirmação da primeira pessoa como lugar de enunciação. Olhado de perto, seu filme é um documentário de entrevista convencional, que repete a mesma memória hagiográfica tão comum quando o tema é a resistência. O cinema de sempre, de tom épico, mas em nova roupagem, travestido de enfoque íntimo. No fundo, o “tio Carlos” nunca deixa de ser Marighella, o herói guerrilheiro. 39 Talvez fosse impossível fazer uma história familiar e íntima de Marighella, alguém que viveu quase a vida toda na clandestinidade, de cujos atos mesmo a esposa muitas vezes não podia saber, por razões de segurança. O fato é que, no caso aqui analisado, a guinada subjetiva não chega a constituir uma fronteira que separe o cineasta militante e a diretora-sobrinha. As gerações se encontram em um mesmo estilo documental, em

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uma mesma narrativa biográfica, no tom de celebração da memória. Entre um filme e outro, entre 2001 e 2011, a imagem de Marighella não é de fato “atualizada”. 40 O corpo a corpo com os documentários mostra que os sentidos da memória devem ser buscados para além das supostas filiações geracionais ou cinematográficas. A noção de “pós-memória” já é problemática em si, dada sua tendência à naturalização dos laços de transmissão da memória entre as gerações. No caso específico aqui abordado, ela simplesmente não se aplica. Querer delinear uma dicotomia entre memória e “pós- memória” ao comparar os documentários de Tendler e Ferraz significaria, no fundo, aderir a uma etiqueta prévia e negligenciar aquilo que é visível nas imagens. Em suma, é fundamental que a natureza “pós” (moderna, memória ou o que seja) de um filme não esteja dada a priori. 41 E a questão pode ser ainda mais de fundo. Pois o diagnóstico generalizante que descreve a guinada subjetiva das artes e das ciências humanas na segunda metade do século XX não deixa de ser paradoxal. Afinal, esse diagnóstico estabelece uma grande metanarrativa sobre o fim das grandes narrativas (Prelorentzou R., 2015: 94). A análise desses dois documentários buscou aqui voltar aos detalhes, aos indícios nas imagens. Nesse caso, para ver que a história não é feita propriamente de guinadas, para enxergar aquilo que há de épico sob a aparência do íntimo, o que existe de fórmula por trás da imagem da novidade.

BIBLIOGRAPHY

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NOTES

1. As informações biográficas de Silvio Tendler aqui mencionadas estão baseadas na dissertação de Marcia Paterman Brasil (2008), publicada como BROOKEY, Marcia Paterman. História e utopia: o cinema de Silvio Tendler. Rio de Janeiro: Multifoco, 2010. 2. Para uma análise de Jango, cf. Napolitano, 2012. 3. Desse contexto de produção em tom familiar no documentário brasileiro contemporâneo dedicado à memória da ditadura, pode-se citar: Diário de uma busca (Flavia Castro, 2010), Uma

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longa viagem (Lúcia Murat, 2011), Repare bem (Maria de Medeiros, 2012), Os dias com ele (Maria Clara Escobar, 2012), Em busca de Iara (Flavio Frederico, 2013) e Orestes (Rodrigo Siqueira, 2015). Em Elena (Petra Costa, 2012), a abordagem da ditadura é apenas tangencial. 4. Beatriz Sarlo (2007) propõe uma crítica detalhada da noção de pós-memória. Cf. também Seliprandy, 2015. 5. Em comunicação apresentada paralelamente à redação deste artigo, Carvalho G. S.; Gutfreind C., 2014 também aproximaram os documentários de Tendler e de Ferraz a “um formato convencional de representação” (2014: 10). 6. Vale informar que atualmente está em fase de produção uma adaptação para o cinema da biografia escrita por Mário Magalhães (2012), a ser dirigida por Wagner Moura. Cf. http:// o2filmes.com.br/2823/Wagner_Moura_na_O2_filme_de_acao_sobre_Carlos_Marighella_vem_ai. Acesso em: 05 abr. 2016. 7. Para uma análise desse rap, cf. Botelho; Garcia; Rosa, 2015.

ABSTRACTS

This paper proposes a comparative analysis of two documentaries about the same historical character from Brazil: Marighella: retrato falado do guerrilheiro (Silvio Tendler, Brazil, 2001) and Marighella (Isa Grinspum Ferraz, Brazil, 2011). The aim is to discuss the nuances and parallels between the regards of the militant filmmaker and the niece to the biography of Carlos Marighella, the guerrilla leader murdered by the dictatorship in 1969. The theoretical background is the “subjective turn” of documentary film in the last years, the change from an epic and assertive cinema to a more intimate, reflexive cinema. The hypothesis is that, nevertheless the supposed generational or cinematographic affiliations of the filmmaker, the analogies between the two works are noticeable, mainly concerning three issues: the use of the interview-oriented documentary conventions; the coincidence of the plots of the biographic narrative; the celebratory approach to the memory of the guerrilla hero. Despite appearances, the “subjective turn” does not set the films apart. The film-makers’ generations are together in the construction of a consolidated memory of the resistance hero. But only by the careful filmic analysis one can see the epic behind the intimate appearance, and the formula behind an image of novelty.

O artigo propõe uma análise comparativa de dois documentários sobre a mesma figura histórica brasileira: Marighella: retrato falado do guerrilheiro (Silvio Tendler, Brasil, 2001) e Marighella (Isa Grinspum Ferraz, Brasil, 2011). O objetivo é pensar sobre nuances e paralelos entre os olhares do cineasta militante e da diretora-sobrinha para a biografia de Carlos Marighella, líder guerrilheiro assassinado pela ditadura em 1969. O problema teórico de fundo é a “guinada subjetiva” do documentário nos últimos anos, a passagem de um cinema épico assertivo para um cinema íntimo reflexivo. A hipótese é que, a despeito das supostas filiações geracionais ou cinematográficas dos diretores, as analogias se impõem entre as duas obras, principalmente em três eixos: o recurso aos artifícios do documentário de entrevista convencional; a coincidência dos marcos da narrativa biográfica; a exaltação da memória do herói guerrilheiro. Apesar das “roupagens” estéticas, a “guinada subjetiva” não separa os dois filmes. As gerações de cineastas se encontram na construção de uma memória consolidada do herói da resistência. Mas apenas a

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análise fílmica atenta permite que se veja aquilo que há de épico sob a aparência do íntimo, o que existe de fórmula sob a imagem da novidade.

Cet article propose une analyse comparée de deux documentaires sur la même figure historique brésilienne : Marighella: retrato falado do guerrilheiro (Silvio Tendler, Brésil, 2001) et Marighella (Isa Grinspum Ferraz, Brésil, 2011). L’objectif est de réfléchir sur des nuances et des parallèles entre les regards du cinéaste militant et de la réalisatrice-nièce sur la biographie de Carlos Marighella, chef guérillero assassiné par la dictature en 1969. Le problème de fond théorique est le « tournant subjectif » du documentaire au cours des dernières années, le passage d’un cinéma épique assertif vers à un cinéma intime réflexif. L’hypothèse est que, malgré les affiliations de génération ou cinématographiques supposées des réalisateurs, les analogies s’imposent entre les deux films, notamment à l’égard de trois sujets : l’usage des conventions du documentaire basé sur des entretiens ; la coïncidence de l’organisation du récit biographique ; enfin, la célébration de la mémoire du héros guérillero. En dépit des apparences esthétiques, le « tournant subjectif » ne sépare pas les deux films. Les générations de cinéastes se retrouvent dans la construction d’une mémoire consolidée du héros de la résistance. Mais ce qu’il y a d’épique sous l’apparence de l’intime, et ce qu’il y a de formule sous l’image de la nouveauté, n’est mis en évidence que par l’analyse filmique attentive.

INDEX

Palavras-chave: documentário, memória, pós-memória, Marighella, resistência, ditadura, Brasil Keywords: documentary, memory, postmemory, Marighella, resistance, dictatorship, Brazil Mots-clés: documentaire, mémoire, post-mémoire, Marighella, résistance, dictature, Brésil

AUTHOR

FERNANDO SELIPRANDY

Doutorando em História Social na Universidade de São Paulo (USP), Brasil. ([email protected])

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Un monument en 24 images par seconde : El santo de la espada Un monumento en 24 imágenes por segundo: El santo de la espada Um monumento a 24 imagens por segundo: El santo de la espada A monument at 24 images per second: El santo de la espada

Ignacio Del Valle Dávila

Cet article fait partie d’une recherche plus large sur le cinéma historique en Argentine, à Cuba et au Brésil pendant les années soixante et soixante- dix, effectuée dans le cadre d’un post-doctorat en histoire à l’Université de Sao Paulo. Elle a reçu une subvention de la Fundação de Amparo à Pesquisa do Estado de São Paulo (FAPESP).

Introduction

1 La guerre d’Indépendance est l’un des principaux sujets du cinéma historique argentin des années soixante et soixante-dix. Cependant, seul un film, El santo de la espada (Leopoldo Torre-Nilsson, 1970), a été entièrement consacré au principal chef militaire du processus d’émancipation nationale, José de San Martín. Cet article a pour objectif d’étudier les rapports entre la façon dont le héros est représenté dans le film et le projet idéologique conservateur de la dictature auto-proclamée « Révolution argentine » (1966-1973). Pour ce faire, nous étudierons dans un premier temps le contexte cinématographique dans lequel a été produit le long-métrage – caractérisé par une présence marquée de la censure et une certaine dépendance économique des cinéastes vis-à-vis des institutions cinématographiques. Ensuite, nous analyserons les rapports entre œuvre et dictature au niveau de la narration filmique, de la mise en scène et des personnages. Selon notre hypothèse, la représentation que propose Torre- Nilsson du général San Martín synthétise les vertus attribuées aux chefs militaires par la dictature et personnalise fortement le processus de l’Indépendance.

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2 À la fin des années soixante, le cinéma argentin a été confronté à un durcissement de la censure notamment avec le décret-loi 18019 de 1968. Ces restrictions de la liberté d’expression faisaient partie des politiques de contrôle social et culturel instaurées par la « Révolution Argentine ». Le mot révolution doit être compris au sens conservateur : remise en ordre nationaliste et catholique du pays suivie de réformes économiques libérales. Le durcissement de la censure a été accompagné par l’encouragement, de la part de l’Institut national de cinématographie, des productions qui exaltaient les traditions du pays, ses récits fondateurs et l’histoire de grands héros. Évidemment, ces films excluaient une interprétation critique du passé, au profit du renforcement du récit épique et patriotique qui, de manière plus ou moins explicite, faisait de l’armée la garante des valeurs fondatrices de la communauté nationale. À peu près au même moment que le péronisme révolutionnaire, une partie du syndicalisme et d’autres secteurs de la gauche faisaient trembler les bases de la dictature par le biais de grèves, de blocages et de soulèvements – notamment dans la ville de Córdoba en 1969 –, le régime encourageait les monuments audiovisuels sur le passé. Ces films offrent une évocation de certains « moments mémorables » (au sens d’épisodes conservés par la mémoire collective) du passé national qui s’insère dans la tentative de réorganisation conservatrice du pays par la dictature. Dans ce sens, il est possible de les envisager comme des « lieux de mémoire », une tentative, comme le dit Pierre Nora, de « bloquer le travail de l’oubli, de fixer un état de choses » (Nora P., 1984 : XXXV), tentative soutenue, dans ce cas spécifique, par le discours officiel. 3 Au tournant des années soixante et soixante-dix, de nombreuses productions cinématographiques ont été réalisées, que l’on pourrait désigner sous le terme de « cycle historico-fondateur »1 : Don Segundo Sombra (1969), Juan Manuel de Rosas (1972), de Manuel Antín, Bajo el signo de la patria (René Mugica, 1971) et la trilogie de Leopoldo Torre Nilsson : Martín Fierro (1968), El Santo de la espada (1970), Güemes, la tierra en armas (1971). Ces films, destinés aux salles commerciales, ont attiré les faveurs du public, tandis que le cinéma d’opposition, qui tentait de remettre en cause le capitalisme périphérique argentin et les formes cinématographiques hégémoniques, était, pour sa part, relégué aux circuits clandestins. Il serait sans doute réducteur de considérer ce cycle cinématographique uniquement comme le résultat de l’initiative des autorités, malgré le fait qu’il ait été aidé financièrement. Il s’avère plus pertinent de le voir comme une réponse des producteurs et des cinéastes argentins aux strictes directives culturelles de la dictature. (Lusnich A. L., 2005 : 410). Cela s’explique, en partie, par la dépendance du cinéma aux fonds de financement publics. Cependant, ces films ne sont pas une commande de l’État au sens propre, car les pouvoirs publics ne commandaient pas la réalisation d’œuvres d’art sur des sujets bien déterminés, mais encourageaient la réalisation de films sur certaines thématiques nationales. Les long-métrages du cycle ne sont pas non plus, nécessairement, le résultat d’une affinité idéologique stricte entre cinéastes et gouvernement. Il s’agit plutôt de « spectacles », grand public, qui surgissent d’une stratégie d’adaptation des producteurs et des cinéastes au discours idéologique des autorités. Les producteurs cherchent à faire des films qui peuvent être à la fois bien accueillis par le public et par les autorités – l’enjeu étant de produire des œuvres compétitives sur le marché et de continuer à recevoir le soutien des institutions publiques. 4 Nous avons choisi d’analyser El santo de la espada (1970) parmi les productions mentionnées plus haut, car il s’agit du seul qui trace le portrait du personnage majeur

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des récits fondateurs argentins : José de San Martín, le chef militaire à qui ont été attribués les titres de « père de la patrie » et « Libertador ». De plus, El santo de la espada a connu un succès sans équivalent dans l’histoire du cinéma argentin du XXe siècle, du point de vue du nombre d’entrées vendues. D’après Laura Radetich, le film a été vu par 2,8 millions de spectateurs, soit 15 % de la population argentine de l’époque (Radetich L., 2005/2006 : 60, 61). 5 À l’époque, de nombreuses écoles ont emmené leurs élèves voir le film en sortie pédagogique (Paladino D. et Maranghello C., 2010 : 37). En avril 1970 le journal La Prensa invitait ses lecteurs à aller voir le film avec leurs enfants. Le texte, dans la section « Conseils pour les parents », conjugue patriotisme et enthousiasme : La película “El Santo de la Espada”, que acaba de mostrarse al público, ofrece, aparte de sus valores artísticos, una contribución interesante y bien encarada en pro de la memoria del general San Martín [...]. El culto al padre de la Patria reviste para los niños un candor y una preferencia ejemplares, base sentimental del concepto histórico que el estudio y la reflexión madurarán con los años (La Prensa, 1970). 6 Cela laisse supposer qu’il a joué un rôle de premier ordre dans la construction d’un imaginaire autour de San Martín et de l’Indépendance, au moins pour les générations qui étaient à l’école au début des années soixante-dix2. Par ailleurs, nous savons, grâce à la presse de l’époque, que deux avant-premières ont été organisées pour les militaires (Crónica, 1970). De même, le ministère des Affaires étrangères a programmé une séance spéciale pour le corps diplomatique. Il est probable que le film ait été programmé aussi par quelques ambassades et délégations argentines à l’étranger – cela a été le cas à Panamá en septembre 19703 et à Copenhague en mai 1978 4. Ces initiatives montrent bien le caractère officiel qu’a eu le long-métrage comme « lieu de mémoire ».

Le saint et les ciseaux

7 La genèse du film est un bon exemple de la logique des rapports entre la dictature et les cinéastes qui se maintenaient dans le circuit commercial. Au début des années soixante, Torre Nilsson était la principale figure du cinéma argentin, aussi bien dans le pays qu’à l’étranger. Ses films étaient souvent sélectionnés dans les festivals latino-américains et européens, tels que Rio de Janeiro, Mar del Plata, Cannes, Berlin et Venise. Depuis la fin des années cinquante, Torre Nilsson était l’un des principaux responsables du renouvellement des formes cinématographiques dans son pays. En effet, son cinéma avait stimulé et inspiré les films d’autres cinéastes un peu plus jeunes – parmi lesquels Manuel Antín, Rodolfo Khun, David José Kohon, Lautaro Murúa, connus comme la Génération de 1960. Ce groupe hétérogène de réalisateurs indépendants et Torre Nilsson ont développé un cinéma intimiste, centré sur les conflits générationnels des classes moyennes qui étaient abordés de façon psychologisante (Aguilar, G., 2005 : 88-89). Leurs principales sources d’inspiration étrangères étaient la Nouvelle vague, les nouveaux cinémas européens – notamment des cinéastes tels que Bergman et Antonioni – et, au niveau théorique, la notion d’auteur cinématographique développée par la « politique des auteurs » des Cahiers du cinéma.

8 Entre 1965 et 1967, Torre Nilsson avait essayé d’internationaliser plus encore sa production en développant des coproductions avec les États-Unis. En 1965, il réalise Once upon a tractor, une commande de l’UNESCO ; le film est programmé par la chaîne de

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télévision nord-américaine ABC. L’année suivante, il filme The eavesdropper, coproduit avec le producteur nord-américain Paul Heller et distribué par Columbia Pictures. En 1967 enfin, il réalise deux nouvelles coproductions, cette fois avec le producteur André Du Rona : Monday’s child, tourné à Puerto Rico et The traitors of San Angel, au Mexique (Couselo J. M. : 1985). 9 Cependant, ces deux derniers films ne connaissent ni le succès commercial ni les faveurs de la critique. De retour en Argentine, Torre Nilsson se tourne vers le cinéma historico-fondateur qui était encouragé par l’Institut de cinématographie. L’origine de sa trilogie serait alors, d’après ses propres mots, une tentative commerciale de capter l’intérêt du public, après des échecs économiques. C’est ainsi qu’il le manifeste dans un article paru dans le journal espagnol Madrid fin 1968 : « Algunas de mis últimas películas no han tenido éxito de taquilla. Voy a dar una pausa al cine intimista para entregarme al épico » (Torre Nilsson cité par Sánchez A., 1968 : 19). 10 El santo de la espada a été produit par Torre Nilsson lui-même et par Marcelo Simonetti, avec l’un des budgets les plus ambitieux du cinéma argentin avant les années 1970 : 220 millions de pesos, si l’on en croit les chiffres de la presse nationale lors de sa sortie5. Pour attirer le public, deux stars de la télévision ont été embauchées pour jouer le rôle du couple principal : Alfredo Alcón et Evangelina Salazar. El santo de la espada est une adaptation libre de l’ouvrage homonyme de Ricardo Rojas (1933). Le synopsis a été développé par Ulyses Petit de Murat et Leopoldo Torre Nilsson. Quant au scénario définitif, il a été sous la coresponsabilité de Petit de Murat, Torre Nilsson, Luis Pico Estrada et Beatriz Guido6. Bien que la principale source soit la biographie écrite par Rojas, il se nourrit aussi d’autres ouvrages, notamment ceux de Pacífico Otero et Busaniche, ainsi que de la biographie écrite par Bartolomé Mitre, Historia de San Martín y de la emancipación sudamericana (1887), un classique de l’historiographie argentine du XIXe siècle. La plupart des dialogues ont été tirés du livre de Rojas et des documents historiques (Couselo J. M., 1985 : 181). 11 La production a été très contrôlée par les autorités. Elle a été supervisée par l’Instituto Sanmartiniano – comme toutes les œuvres sur San Martín. Cela a assuré le respect par le film de l’histoire officielle dans sa version la plus conservatrice, car l’Institut était associé aux militaires (Tal T., 2004 : 21, 25). Il y a en effet eu un « conseiller militaire », le général Andrés Fernández Cendoya. Dans le générique du long-métrage, avec une image fixe des Andes en arrière-plan, on peut lire les remerciements adressés à plus de dix institutions liées à l’armée et à la police. Cette longue liste permet de souligner le soutien technique des militaires pendant le tournage et, à la fois, d’inscrire le film comme œuvre « soutenue » et « encouragée » par le régime. L’image des montagnes renvoie à la traversée de la cordillère des Andes en direction du Chili entreprise par l’armée et que José de San Martín avait organisée et dirigée en 1817. Cependant, le rapport visuel entre la montagne et les institutions militaires des années soixante-dix suggère un lien entre la dictature et la « geste » émancipatrice de San Martín. 12 Pourtant, les rapports entre le régime et l’équipe de production n’ont pas toujours été faciles. Le dictateur Juan Carlos Onganía a vu le film avant sa sortie au cinéma, lors d’une projection privée dans la résidence présidentielle de Los Olivos. Il a ordonné de couper quelques scènes où Remedios, l’épouse de San Martín, prenait trop de libertés avec lui – sa compagne osait l’appeler « José », au lieu de « Général » – et d’autres où le héros est très malade – « los héroes no vomitan », aurait dit Onganía7 (Paladino D. et Maranghello C., 2010 : 37).

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13 Torre Nilsson avait connu des problèmes avec la censure, auparavant. En 1967, il avait été condamné à six mois de prison, peine ensuite réduite à trente jours de prison avec sursis, à cause de la publication de la nouvelle Seducción (Clarín, 1972). Puis en avril 1976, après le coup d’État de Jorge Rafael Videla, l’organisme de qualification cinématographique argentin dirigé par Miguel Paulino Tato a interdit la sortie de son dernier film, Piedra Libre (1976). Le réalisateur est resté en Europe jusqu’à la fin de l’interdiction, en août 1976. (La Razón, 1976). 14 Après la sortie du film El santo de la espada, Torre Nilsson a dû faire face aux critiques qui lui ont reproché de ne pas avoir eu de recul par rapport à la représentation traditionnelle du héros, si chère à l’histoire officielle. La réponse qu’il leur apporte début 1971 est particulièrement intéressante, car elle montre bien les objectifs du film : « Ce San Martín solennel de bronze, celui que l’on nous enseigne à l’école, est le seul que je connaisse. Je ne suis pas révisionniste » (Cité par Paladino D. et Maranghello C., 2010 : 37). On souligne, pourtant, la distance qu’il prend par rapport au film après la fin de la dictature, en 1973. Le 5 octobre de cette année-là, seulement une semaine avant le début du troisième gouvernement de Juan Domingo Perón, Torre Nilsson semble se désintéresser publiquement des enjeux idéologiques du cycle historico-fondateur : Lo que sigue después (de 1966) es una encrucijada donde empiezo a buscar otras fórmulas y otros contenidos, dados en gran parte por la específica situación que propone el país, una suma de situaciones políticas sociales y económicas dominadas entonces por el gobierno de la revolución de 1966, y un férreo y absurdo mecanismo censor. Pero yo no quiero irme de mi país y no sé hacer otra cosa que cine, de tal manera que me enfrenté con las urgencias de encontrar una salida y no necesariamente escapista. Así se explica “El Santo de la espada”, por ejemplo, donde me limito a aplicar mi oficio, lo cual me significa muchísimo más trabajo, porque cada película la hago con entera dedicación, poniendo todo mi esfuerzo; no filmo nunca de mala fe ni por compromiso. (Cité par Couselo J. M., 1985 : 180, 181. Nous soulignons). 15 S’il nous a paru pertinent de citer ces propos, c’est parce que le cinéaste justifie la réalisation de la trilogie historico-fondatrice – et notamment El santo de la espada – à partir du difficile contexte de censure de la « Révolution argentine ». À la lecture de ces mots, on pourrait comprendre qu’il s’est senti obligé de faire ces films en raison des circonstances politiques et culturelles du pays. Or, pendant les années soixante, Torre Nilsson était l’un des réalisateurs qui avait soutenu avec acharnement le besoin de faire un cinéma « d’auteur » en Argentine. Et voici qu’en 1973, après coup, évoquant le tournage de El santo de la espada, il assume tout juste un rôle de « metteur en scène » dans le film (« me limito a aplicar mi oficio »).

16 En somme, après la fin de la dictature, il semble ne pas assumer les répercussions idéologiques du film et vouloir attribuer au contexte de l’époque la responsabilité de son conservatisme. Cependant, c’est avant tout dans la mise en scène du long-métrage et dans sa structure narrative que le film propose la vision mythique et autoritaire de José de San Martín. Par conséquent, il nous semble nécessaire d’étudier ces aspects de plus près, c’est-à-dire d’analyser ce que veut dire « faire son travail » dans ce cas particulier.

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Un saint en contre-plongée

17 El santo de la espada commence avec une scène où San Martín, de retour en Argentine en 1823 après la campagne au Pérou, rencontre l’officier Manuel de Olazábal qui lui demande de continuer à travailler pour la consolidation de la nation argentine. Ensuite, le général commence à raconter en voix over sa vie et ses campagnes militaires depuis son arrivée à en 1812. La majeure partie du film est un racconto accompagné de temps en temps par cette voix. Ce racconto est divisé à peu près en quatre grandes parties : a) les campagnes en Argentine, b) la préparation de l’armée des Andes, c) la traversée des Andes et les batailles au Chili et d) la campagne au Pérou et la rencontre avec Simón Bolívar à Guayaquil. La première partie et la dernière sont évoquées de manière très synthétique, tandis que la deuxième et la troisième s’avèrent constituer le véritable cœur du film, avec une durée d’environ cinquante minutes. Ce choix est dû, peut-être, à la volonté de se centrer sur les passages de l’histoire où l’importance de San Martín, en tant que chef militaire, n’est pas remise en question par d’autres personnages8 – particulièrement Bolívar dans la dernière partie. À la fin, la narration revient à la rencontre entre San Martín et Olazábal, mais la voix over ne s’arrête pas. Le général décrit de manière très concise comment il a appris la nouvelle de la mort de sa femme. On le voit seul dans sa ferme, au centre de l’image. La solitude du héros est soulignée par le vent frappant sa silhouette, le crépuscule, une musique mélancolique à la guitare. Le film finit avec une image de la mer qui nous indique que San Martín va quitter le pays avec sa fille, mais on ne nous explique pas les raisons de son exil.

18 Étant donné que la voix over est celle du héros, le film se veut, dans une certaine mesure, comme une histoire de San Martín par San Martín – même si les lettres du général ne sont pas la source principale. Le Libertador semble être la seule personne appropriée et autorisée à raconter sa vie. El santo de la espada présente, alors, une vision du passé national univoque, où la colonne vertébrale du récit est la mémoire du héros. D’autres récits sur l’histoire et l’identité de la communauté nationale sont laissés de côté au profit de celui qui est attribué au « père de la patrie ». Comme l’a fait remarquer María Aimaretti pour d’autres films historiques latino-américains, nous sommes devant un récit qui représente « un héroe magnificado, cuya personalidad es la puerta de entrada al proceso histórico del que es su principal (y extraordinario) motor responsable » (Aimaretti M., 2014 : 276). La première séquence et la fin du racconto laissent supposer que le récepteur intradiégétique du récit de San Martín est le jeune Olazábal. Or les mémoires de San Martín s’adressent d’abord au militaire et, grâce à lui, au public, suivant une logique de transmission verticale. 19 Tout au long du film, on remarque que les personnages – notamment Remedios et dans une moindre mesure O’Higgins, Belgrano et d’autres – ont une certaine tendance à raconter à San Martín ce qu’il sait déjà, mais que le public ignore encore (ex. « Te han prometido el nombramiento de General en Jefe del Ejército de los Andes. »). Ces dialogues informatifs offrent au spectateur des données sur le contexte au fur et à mesure que l’intrigue se déroule. Il s’agit de données qui confirment la sélection et la progression d’événements qui constituent le récit des manuels scolaires (Tal T. : 2004). Dans ce sens, le film renforce par le biais du spectacle audiovisuel ce que le public adulte a appris à l’école. Dans le cas des enfants, il illustre ce qu’ils sont en train d’apprendre.

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20 Il en va de même pour la caractérisation physique du héros. L’uniforme, le chapeau, les favoris, le cheval renvoient à des représentations iconographiques et picturales du XIXe siècle qui ont construit l’imaginaire de San Martín. Du point de vue visuel, la monumentalisation du héros s’appuie aussi sur une constante asymétrie entre San Martín et les autres personnages : ils sont toujours plus bas que lui ou bien se situent sur un plan inférieur par rapport à lui. Lors des séquences où San Martín est accompagné par d’autres personnages, la caméra se situe au niveau des yeux de ces derniers et jamais au niveau de San Martín. C’est pourquoi il est souvent en contre- plongée, ce qui le magnifie. L’effet est intensifié lors de nombreuses prises du héros à cheval. 21 La première séquence concentre tous ces éléments. À la fin du générique, un plan rapproché taille montre San Martín, pour la première fois. Il est sur son cheval et habillé avec un poncho et un chapeau, en arrière-plan on voit les Andes. La caméra le montre déjà là en contre-plongée. Olazábal met un pied à terre et va jusqu’à San Martín qui monte à cheval. Le héros s’adresse à l’officier avec ces mots : « Olazábal, mon fils ». Le reste du dialogue sert à souligner la prééminence de San Martín sur ses proches : Olazábal: Señor hemos rogado tanto para que volviera. Lo necesitamos ahora más que nunca. San Martín: Vuelvo a Mendoza para terminar mis días como labrador. Olazábal: General, perdóneme. Pero se piensa que tiene una obra que terminar. San Martín: Esa reconvención ya me la han hecho otros. Y tienen mucha razón, pero más la tengo yo. Estoy cansado de que me llamen tirano. Que digan que quiero ser rey, emperador o hasta demonio. Además mi salud está muy deteriorada. Olazábal: No hay enfermedad ni calumnia que pueda con usted, mi general. 22 Tout comme le générique, le dialogue a pour toile de fond la cordillère des Andes. Ce choix sert à remémorer la célèbre expédition au Chili, même si la scène se situe quelques années plus tard. San Martín est prêt à prendre sa retraite et semble quelque peu fatigué. Pourtant, ses propos montrent que la raison de son état d’esprit n’est pas liée aux longues années de lutte, mais à l’incompréhension de ses concitoyens. Ils le considèrent comme un autocrate, malgré tous les sacrifices (« mi salud está muy deteriorada ») qu’il a faits au nom de la patrie. Bien que le héros se plaigne de l’attitude des Argentins, Olazábal – un militaire – est conscient de la grandeur de San Martín et lui demande encore plus de services au nom d’une nation qui semble être en danger9.

23 Il est assez significatif que San Martín établisse des liens d’appartenance et même de filiation au moment de reconnaître le militaire. La non-individualisation d’Olazábal au long du film – on ne sait pas qui il est, ce qu’il a fait ni d’où il vient – permet de le voir non pas comme un personnage, mais comme une métaphore de l’armée comme institution, qui est signalée, alors, comme l’héritière de San Martín. Or, étant donné ce rapport, la geste de San Martín devient la geste de l’armée elle-même. Cette geste qu’une société ingrate considère même comme une marque d’autoritarisme. Par le biais du rapport paternaliste envers Olazábal, instauré d’emblée par San Martín, ces propos légitiment métaphoriquement les interventions de l’armée en tant que « sacrifices » au nom de la patrie. 24 La simplicité des objectifs personnels de San Martín – devenir paysan à Mendoza – contraste fortement avec l’ampleur de sa mission militaire : la libération de l’Argentine, du Chili et du Pérou. Sa vie privée est toujours mise de côté en raison de la mission. Ces sacrifices personnels ont une dimension physique, car le héros a une santé fragile et il ne prend pas assez soin de lui : il a un sentiment d’obligation envers la patrie. Dans ce

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sens, il est significatif que le film montre deux fois le héros malade traversant la chaîne des Andes. 25 De même, le général ne semble nullement séduit par le pouvoir et les honneurs publics. Ainsi, quand son épouse Remedios raconte au général toutes les festivités qui ont été préparées à Buenos Aires après la victoire de Chacabuco, San Martín se contente de lui répondre que pour lui la seule récompense est de savoir qu’il a servi la patrie. Par ailleurs, il y a une constante méfiance de San Martín à l’égard des hommes politiques de Buenos Aires. Ils sont toujours en train de retarder sa mission : « Ya todo habría terminado, si Buenos Aires no nos hubiera dejado solos y yo podría haber entregado esta pesada carga en manos seguras y retirarme a un rincón a vivir como un hombre. » En même temps qu’il se montre particulièrement gêné par les stratagèmes et les conflits des hommes politiques – auxquels il prend soin de ne pas se mêler – il a une clairvoyance frappante en ce qui concerne la stratégie militaire pour libérer l’Amérique. 26 Dans le film, Buenos Aires et les hommes politiques sont presque toujours hors-champ. San Martín lui-même est un homme « hors-politique » et cela concourt à l’insertion de sa figure dans une tradition militariste. Pourtant, le film ne dit rien sur les motivations idéologiques du général. Son engagement dans la lutte est dû uniquement à un patriotisme qui ne s’explique jamais. Quelle est la patrie du héros ? L’Argentine, l’Amérique ? Que veut-il pour elle après l’Indépendance ? Il faut noter que les caractéristiques polémiques du personnage historique – sa jeunesse en Espagne, son appartenance à la franc-maçonnerie, ses idées monarchistes – ne sont pas évoquées. 27 Le portrait du héros est celui d’un homme à la vertu classique, se rapprochant du stoïque : modeste, juste, généreux, désintéressé, civique, patriote. Le titre du film – et de l’ouvrage de Rojas –, El santo de la espada, souligne ces caractéristiques et en même temps assimile le général à une tradition catholique. Nous sommes face à un saint militaire, un chevalier ascète10. La simplification de la personnalité et de la biographie de San Martín font de lui un homme mythique, et parce que mythique, dépolitisé – pour le dire dans les termes de Barthes11. D’après l’auteur : « Le mythe ne nie pas les choses, sa fonction est au contraire d’en parler ; simplement, il les purifie, les innocente, les fonde en nature et en éternité, il leur donne une clarté qui n'est pas celle de l’explication, mais celle du constat » (Barthes R., 1957 : 217). Dans ce sens, le San Martín de Torre Nilsson n’est pas complexe et la geste le concernant non plus. Le film se limite à constater son héroïcité, les caractéristiques qui font de lui le « père de la nation » ne sont pas mutables – le résultat d’un rapport politique au sens large qui se déroule dans un temps historique12 –, mais éternelles13.

Le peuple argentin et son « père »

28 La structure du film fait alterner deux types d’espace : les espaces privés (salons, salles de fêtes, chambres) et les espaces ouverts (souvent la campagne et, dans une moindre mesure, les quartiers généraux). Les premiers sont à la fois les lieux du pouvoir (le terrain privilégié pour la prise de décision des leaders) et le décor de la vie privée du héros (où, pour ainsi dire, reste enfermée son épouse) ; les seconds, les endroits où les décisions sont mises en œuvre : l’emplacement des batailles. Le passage de l’un à l’autre fait l’économie de la ville et du peuple. Cependant, l’une des constantes des films historiques est l’inclusion de scènes de contextes qui montrent des marchés, des rues et

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des places publiques. Ces séquences ont pour but d’aider à construire l’univers diégétique et de montrer « l’air du temps » – parmi les centaines d’exemples possibles, prenons celui des files de ravitaillement de Danton (Andrzej Wajda, 1983). Pourtant, il n’y a pas de marché, de place, de lieu de rencontre citoyenne, d’espace pour le débat public dans El santo de la espada. La ville, la vie publique, la chose publique (res publica) sont absentes, hors champ.

29 La plupart des images des couches populaires argentines se trouvent dans les séquences des préparatifs de l’expédition qui allait combattre l’armée espagnole, au Chili, en 1817. Ces préparatifs ont eu lieu aux alentours de Mendoza, mais la ville argentine est absente du film, on voit seulement le quartier général de San Martín et la campagne. Dans ces scènes, quelques paysans écoutent les ordres de San Martín, qui demande de nouveaux conscrits. La plupart du temps, ils sont filmés de dos. Ils comptent alors en tant que groupe passif de figurants. La communauté n’est représentée que quand le héros a besoin de l’intégrer à l’armée. Il faut souligner que c’est le héros qui intègre le peuple à son projet et non le peuple qui exprime sa volonté de devenir un acteur de premier ordre dans le mouvement indépendantiste. 30 La fidélité historique de cette manière de représenter le processus d’Indépendance est assez faible ; cependant, l’analyse d’un film historique ne doit pas se limiter à « confronter le film à ce qui “réellement s’est passé” » (Napolitano M., 2007 : 68). Comme le souligne Napolitano, s’il s’avère intéressant d’étudier les manipulations, les anachronismes et, plus généralement, la représentation du passé dans un film, ce n’est pas en raison d’une théorique « vérité historique » que le film peut respecter ou non. Il est plus pertinent de se demander quels rapports il existe entre ces choix narratifs et esthétiques d’un côté et les projets idéologiques de l’époque de production du film d’un autre. Dans ce sens, le choix de ne pas donner plus de place aux couches populaires semble en rapport avec l’objectif de ne pas présenter le peuple comme un acteur politique. 31 Certes, il y a quelques scènes courtes qui montrent un peuple un peu plus actif : ce sont les Chiliens qui réagissent face aux victoires et aux défaites de San Martín ; mais comme l’a dit Alejandra Fabiana Rodríguez « se trata de una masa indiscernible, emponchada y jubilosa, por debajo de los grandes hombres […]. Es el pueblo reducido al lugar de la admiración » (Rodríguez A. F., 2010 : 12). Le seul rôle de ces Chiliens est de chercher la bagarre contre les Espagnols, fêter les prouesses militaires du héros argentin et demander sa protection. Les suppliques d’un paysan chilien après une défaite de l’armée de San Martín illustrent bien ce rôle attribué au collectif : « Salve a la patria, mi general ». La réponse du général sert à renforcer sa position de guide militaire et moral: « No desesperen, vuestra patria todavía existe y triunfará. Nuestro ejército está intacto, ya verán ». 32 Il faut insister sur le fait qu’il s’agit de Chiliens, c'est-à-dire un peuple voisin. Même si le seul rôle attribué au peuple est de révérer le héros ou de le suivre, Torre Nilsson préfère ne pas montrer les masses argentines dans la rue. La prudence semble s’imposer dans un film produit dans le contexte des grèves et des manifestations contre la dictature du général Juan Carlos Onganía qui a gagné la vie publique argentine de manière assez violente à partir des révoltes dans la ville de Córdoba, en 1969. Le silence du film par rapport au rôle politique du peuple semble être une tentative pour éviter d’établir des liens entre la lutte pour l’Indépendance au XIXe siècle et la lutte contre la dictature en 1970.

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33 L’absence du peuple est contrebalancée par la présence de la vie privée du héros. Bien que San Martín soit presque aussi rigide avec sa femme, Remedios, qu’envers ses soldats – la tendresse et les insinuations d’approches érotiques sont exclues du film –, l’introduction d’une sous-trame mélodramatique sert à alléger la succession linéaire de batailles (Erausquin E., 2008 : 145). Ces scènes de la vie privée font du « père de la Nation » un homme marié, amoureux, un chef de famille selon le modèle traditionnel et catholique. 34 Dans ce sens, son principal sacrifice au nom de la nation a été de s’absenter du foyer, mais toujours avec l’intention de rentrer une fois sa mission accomplie. Ce sacrifice se termine de manière tragique dans le film, car son épouse va mourir en 1823, avant le retour de San Martín à Buenos Aires. De son côté, Remedios est une femme dévouée et fragile qui éprouve une véritable dévotion pour son mari et se charge des tâches traditionnellement attribuées à son genre : broder (parfois pour les soldats) et élever sa fille dans l’espace privé. D’une part, le film renforce donc une conception traditionnelle du rôle de la femme au moment où elle commençait à avoir un peu plus d’indépendance sociale (Tal T., 2004 : 25). D’autre part, El santo de la espada présente la famille du « père de la Nation » comme un modèle de famille et, surtout, comme une métaphore des origines de la « famille nationale ». 35 La famille de San Martín est la famille fondatrice de la Nation, ce qui renforce le rôle de « père de la Nation » attribué au général. Le motif de la descendance est présenté à travers la grossesse de Remedios, la naissance de la fille du couple, les images du bébé dans le berceau et celles de la petite fille âgée de trois ou quatre ans en train de jouer dans les jardins de la maison. Nous remarquons que la fille de San Martín est le premier enfant à apprendre, dans le film, l’histoire officielle de la nation : l’un des premiers mots qu’elle prononce est « Chacabuco », le nom de la première victoire de l’armée de San Martín contre les Espagnols au Chili (1817).

Conclusion

36 El santo de la espada est un monument audio-visuel qui regarde simultanément vers le passé et vers le présent. Il a été conçu comme un grand spectacle cinématographique pour le grand public argentin. L’exaltation patriotique s’exprime au moyen d’un budget très élevé pour une production nationale. Avec l’exhibition de nombreux décors, de somptueux costumes, le recours aux vedettes et les reconstitutions de grandes batailles, le film se veut digne des gloires militaires du passé tout en exaltant le temps présent où le cinéma argentin peut avoir accès à cet arsenal technique.

37 San Martín est représenté comme la synthèse mythique des valeurs traditionnelles de la nation et sa famille comme l’origine de celle-ci. Selon la logique hiérarchique du film, la communauté nationale doit honorer ce père et s’inspirer de ses sacrifices. Cependant, honorer le père signifie aussi honorer l’autorité des institutions militaires – celles-là mêmes qui ont contrôlé de très près tout le processus de production. Le film laisse très peu de marge à la communauté pour faire autre chose. Il n’y a pas de place pour des manières de concevoir le collectif basées sur la construction d’un espace public, hors de la vie privée. Ce n’est pas dans la masse populaire – ce groupe indifférencié de figurants du film – que le public doit se reconnaître ou aller chercher son identité collective, mais dans le foyer du héros, foyer présidé par la figure de l’autorité d’un grand militaire.

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Tal, Tzvi, « San Martin, from Bronze to Celluloid: Argentina's Liberator as Film Character », Film & History: An Interdisciplinary Journal of Film and Television Studies, Volume 34.1, Appleton, 2004, p. 21-30.

NOTES

1. Luis Ormaechea utilise le terme « cycle historico-folkloriste » (2008), Ana Laura Lusnich a donné au cycle une autre dénomination, « cine criollista-histórico ». Nous avons opté pour le terme « historico-fondateur » afin de souligner, en même temps, l’intérêt de ce cinéma pour des événements historiques marquants (selon la tradition positiviste) et pour des récits fondateurs qui font partie de la tradition littéraire argentine – par exemple le poème Martín Fierro de José Hernández (1872-1879). Lusnich reconnaît deux variantes du cycle : un cinéma « institutionnel- hégémonique » encouragé par les organismes d’État pendant la dictature et un cinéma « marginal-transgresseur » réalisé de manière plus ou moins clandestine par des cinéastes militants et qui essaye de déconstruire l’histoire officielle. (Lusnich A. L., 2005 : 410-419). Dans cet article je me concentrerai exclusivement sur l’analyse de la première variante. 2. Après aussi, car le film a été programmé plusieurs fois à la télévision en Argentine. 3. Le 9 septembre 1970, José Bustamante, secrétaire général du ciné-club Luis Buñuel, a envoyé en Argentine un mémorandum intitulé « Publicidad de la cinta El santo de la espada » (le destinataire est nommé « le colonel »). Le document contient des renseignements sur l’événement et des coupures de presse. (Bustamante J., 1970). 4. Lors du 26ème Congrès Mondial de Publicité organisé par l’International Advertising Association, selon le journal Clarín, la délégation argentine et l’Asociación Cívica Pro Exaltación de las Virtudes Heroicas del General San Martín ont organisé une projection du film (Clarín, 1978). 5. Ceci a été consigné dans un article du journal Periscopio, signé par « R. de C. » fin mars 1970. (R. de C. 1970). 6. Ulyses Petit de Murat, Luis Pico Estrada et Beatriz Guido ont collaboré à l’écriture de l’argument et du scénario des autres films historiques-fondateurs de Torre Nilsson. L’écrivain Beatriz Guido était la compagne du cinéaste et scénariste de ses films. 7. Le personnage historique souffrait de troubles gastriques. 8. Il est intéressant de souligner que le leader chilien, Bernardo O’Higgins, joue un rôle secondaire dans les parties consacrées à la campagne chilienne, notamment en ce qui concerne la préparation de l’armée des Andes. Au Chili, O’Higgins a été considéré traditionnellement comme le « libertador » du pays, alors qu’en Argentine la « libération » chilienne est attribuée à San Martín. Le film montre O’Higgins comme un homme brave et souligne son amitié avec José de San Martín, cependant son importance est secondaire. Nous remarquons que le général chilien est interprété par Lautaro Murúa, l’un des principaux comédiens et réalisateurs du cinéma argentin des années 1960-1970 et qui était d’origine chilienne. 9. Dans son analyse de cette séquence, Ormaechea a souligné le changement de l’ordre chronologique par rapport au texte de Rojas (Ormaechea L., 2008). 10. À l’origine le titre est un jeu de mots fait à partir du nom du héros.

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11. Estela Erausquin propose une autre lecture. Pour elle, le San Martín de Torre Nilsson est un « héros tragique » solitaire et obstiné. Mais à la différence de l’histoire d’autres « héros tragiques » il n’y a pas de chute à la fin, le héros ne succombe pas au destin. Il se retire, simplement, pour le bien de la patrie. (Erausquin E., 2008 : 147-148). 12. Dans le film, les attributs et les actions de San Martín ne semblent pas le fruit du « politique » selon Barthes: « ensemble des rapports humains dans leur structure réelle, sociale, dans leur pouvoir de fabrication du monde ». (Barthes R., 1957 : 217). 13. Santiago Juan-Navarro a souligné la tentation de « mythification » du passé – au sens de Barthes – du cinéma cubain qui représente l’Indépendance, à la même époque que le cycle historique argentin. (Juan Navarro S., 2008 : 143).

ABSTRACTS

This article intends to analyze the representation of the Independence of Argentina in the fiction feature film El santo de la espada (Leopoldo Torre Nilsson, 1970). Throughout this period, the film production was strongly controlled by the State – especially by the censorship laws –, at the same time, it led to the growth of the historical cinema. This genre spread an official version of history and of the foundational narratives that fit well with the nationalist speech of the dictatorship (1966-1973). These films give monumental aspect to the past in which the public could think, in an implicit or an explicit way, that the regime would be the successor and the guardian of the foundational values of the nation. Consequently, these films propose an exaltation of the Independence heroes’ military virtues and, at the same time, they don’t valorize the role played by the popular segments in the emancipation. El santo de la espada is undoubtedly the most popular successful film of this cycle (Radetich L., 2005/2006 : 60, 61).

Cet article se propose d’analyser comment est représentée l’Indépendance argentine dans le long-métrage de fiction El santo de la espada (Le saint à l’épée), réalisé par Leopoldo Torre Nilsson en 1970. Le film, qui traite des campagnes militaires du général José de San Martín, a été produit dans un contexte de contrôle de l’État sur le cinéma – notamment grâce aux lois de censure – et d’émergence du cinéma historique argentin. Notre hypothèse est que ce cinéma diffusait une version officielle de l’histoire et des récits de fondation nationaux en accord avec le discours nationaliste et conservateur de la dictature au pouvoir (1966-1973). Nous soutenons que ces films monumentalisent le passé et suggèrent directement ou indirectement que le régime militaire est l’héritier et le garant des valeurs fondatrices de la nation. Par conséquent, les films proposent une exaltation des vertus militaires des héros de l’Indépendance et, en même temps, ignorent le rôle joué par les couches populaires dans le processus d’émancipation. El santo de la espada est sans doute le film de cette vague du cinéma historique qui a connu le plus grand succès commercial (Radetich L., 2005/2006 : 60, 61).

Este artículo tiene como objetivo analizar cómo se representa la Independencia de Argentina en el largometraje de ficción El santo de la Espada (Leopoldo Torre Nilsson, 1970). El film, sobre las campañas militares del general José de San Martín, fue producido en un contexto de control del Estado sobre el cine –gracias principalmente a las leyes de censura– y de auge del cine histórico argentino. Nuestra hipótesis es que ese cine difundió una versión oficial de la historia y de los relatos fundacionales acorde con el discurso nacionalista y conservador de la dictadura

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(1966-1973). Postulamos que se trata de filmes que monumentalizan el pasado y sugieren de manera implícita o explícita que el régimen militar es el heredero y garante de valores fundacionales de la nación. En consecuencia, los filmes proponen una exaltación de las virtudes militares de los héroes de la Independencia y, al mismo tiempo, ignoran el rol jugado por los estratos populares en el proceso de emancipación. El santo de la espada es, sin duda, el filme de este ciclo de cine histórico que tuvo el mayor éxito comercial (Radetich L., 2005/2006 : 60, 61).

Este artigo tem como objetivo analisar a representação da Independência levada a cabo no longa- metragem de ficção El santo de la espada (Leopoldo Torre Nilsson, 1970). O filme, sobre as campanhas militares do general José de San Martín, foi produzido em um contexto de controle do cinema pelo Estado – especialmente por meio das leis de censura – e de emergência do cinema histórico argentino. Esse cinema difundiu uma versão oficial da história e dos relatos fundacionais em acordo com o discurso nacionalista e conservador da ditadura (1966-1973). Trata-se de filmes que levaram a cabo uma monumentalização do passado, na qual sugeria-se de maneira implícita ou explícita que o regime era herdeiro e guardião dos valores fundacionais da nação. Consequentemente, os filmes propõem uma exaltação das virtudes militares dos heróis da Independência e, ao mesmo tempo, não valorizam o papel desempenhado pelos estratos populares no processo de emancipação. El santo de la espada é, sem dúvida, o filme desse ciclo de cinema histórico que teve o maior sucesso comercial (Radetich L., 2005/2006 : 60, 61).

INDEX

Palabras claves: cine histórico, dictadura, censura, Independencia, Argentina, José de San Martín, Leopoldo Torre Nilsson Palavras-chave: cinema histórico, ditadura, censura, Independência, Argentina, José de San Martín, Leopoldo Torre Nilsson Keywords: historical cinema, dictatorship, censors, Independence, Argentina, José de San Martín, Leopoldo Torre Nilsson Mots-clés: cinéma historique, dictature, censure, Indépendance, Argentine, José de San Martín, Leopoldo Torre Nilsson

AUTHOR

IGNACIO DEL VALLE DÁVILA

D’origine espagnole et chilienne, il est docteur en cinéma (Université de Toulouse – Jean Jaurès) et a réalisé un post-doctorat en histoire à l’Université de São Paulo. Il est actuellement professeur de troisième cycle de l’Institut d’Art de l’Université de Campinas (Unicamp) où il poursuit ses recherches sur le cinéma latino-américain avec une bourse de post-doctorat CAPES. Auteur des livres Cámaras en trance: el nuevo cine latinoamericano, un proyecto cinematográfico subcontinental (Santiago du Chili, Cuarto Propio, 2014) et Le Nouveau Cinéma latino-américain (1960-1974) (Rennes, PUR, 2015), il est membre du groupe de recherche CNPq « História e Audiovisual: circularidades e formas de comunicação » et du conseil de rédaction de la revue Cinémas d’Amérique latine.

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Formas de la dominación social en las ficciones alegóricas y metafóricas realizadas en épocas de la dictadura y la postdictadura en Argentina Forms of social domination in the allegorical and metaphorical fictions made in times of dictatorship and post-dictatorship in Argentina Formes de domination sociale dans les fictions allégoriques et métaphoriques durant la dictature et la post-dictature en Argentine

Ana Laura Lusnich

Introducción. Los años de la dictadura y la transición a la democracia

1 El 24 de marzo de 1976 María Estela Martínez de Perón, presidenta a cargo del gobierno argentino desde 1974 luego de la muerte de su esposo, Juan Domingo Perón, fue depuesta por un golpe de estado que dio origen a una feroz dictadura. La Junta de Comandantes integrada por el teniente general Jorge Rafael Videla, el almirante Eduardo Emilio Massera y el brigadier general Orlando Agosti asumió el poder, designando como presidente de facto a Jorge Rafael Videla. En el curso de estos años los planes económicos priorizaron la especulación financiera y las deudas pública y privada se incrementaron de forma considerable. La Junta Militar impuso el terrorismo de estado que, más allá de perseguir el accionar de las facciones guerrilleras que surgieron en los años 70, se dedicó a destruir cualquier tipo de participación popular. El régimen militar ejerció la censura y la represión sobre las fuerzas democráticas de la sociedad, con especial atención en las organizaciones sindicales, los obreros, los estudiantes y los intelectuales, eliminando mediante el miedo y el terror las voces disidentes a las

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políticas dictatoriales (Masiello F., 2014). Con las elecciones nacionales realizadas el 30 de octubre de 1983 y la asunción a la presidencia de Raúl Alfonsín el 10 de diciembre de ese año, la Argentina iniciaría un lento y complejo proceso de recuperación de la democracia. En una primera fase, coincidente con la presidencia de Alfonsín en el poder1, se lograría revertir el silencio y la inhibición social a través de un dinámico debate intelectual y la apropiación del espacio público por parte de diferentes sectores de la sociedad. Sin embargo, la transición democrática estuvo sometida a múltiples tensiones y contramarchas generadas por el poder militar que aún contaba con un aparato en actividad que se oponía a la política de los derechos humanos del alfonsinismo2. Asimismo, las consecuencias y los traumas heredados de la etapa dictatorial (el exilio político, las desapariciones de personas, la desarticulación de las instituciones republicanas) perduraron por años interfiriendo en el desarrollo armónico de la vida política del país (Avellaneda A., 2014).

2 En su relación con los programas políticos y culturales de estas etapas de dictadura y transición a la democracia, el campo cinematográfico ofreció diferentes respuestas, convirtiéndose en un segmento activo, siempre atento a los hechos históricos. De acuerdo con las prácticas cinematográficas impuestas por la dictadura, que incluyeron la censura, la persecución e incluso la muerte de quienes se oponían abiertamente al régimen3, tanto como el otorgamiento de créditos y beneficios comerciales a quienes lo apoyaban, el panorama cinematográfico comprendido entre 1976 y 1983 incluyó dos tendencias cinematográficas disidentes (los documentales realizados en el exilio político y las ficciones hermético-metafóricas desarrolladas en el país) y una tercera que reunía a una serie variada de géneros que, en sus contenidos y perspectivas ideológicas, coincidían en avalar la idiosincrasia del gobierno militar destacando los valores de la familia tradicional, la pérdida de la cultura del trabajo y la naturalización de la violencia. Los documentales realizados en el exilio por grupos o realizadores independientes que se vieron forzados a dejar el país, se convirtieron en un baluarte de la denuncia de la violación de los derechos humanos, difundiendo en el exterior y con el apoyo de organismos internacionales los hechos de represión y tortura. De este conjunto surgieron los primeros audiovisuales que dejaron testimonio de la lucha emprendida por los familiares de las personas desaparecidas, en tanto otros se dedicaron a reflexionar en profundidad sobre el exilio y la condición de los exiliados políticos4. Ejercitando la resistencia al poder político en el escenario mismo de los hechos, por su parte, las ficciones hermético-metafóricas confrontaron el cine comercial producido a instancias de la ideología dominante, incitando la crítica transversal a las situaciones que se vivían en la Argentina mediante la construcción de relatos que evadían la estética realista-mimética. Frente a estas tendencias, el Estado privilegió financiar comedias familiares, comedias picarescas y films de aventura y/o acción, que en gran medida se organizaban narrativamente en torno a las actividades violentas emprendidas por comandos policiales, militares y paramilitares. Mediante estos films se contribuía a la promoción social de las Fuerzas Armadas (como ejemplos, Dos locos en el aire, Palito Ortega, 1976, se concentraba en la Fuerza Aérea; Brigada en acción, Palito Ortega, 1977, en tanto, destacaba el desempeño policial), e incluso se aceptaba el accionar de grupos de poder que hacían uso de las armas sin formar parte del Estado. Así funcionó una popular serie de películas interpretadas por tres agentes que se desempeñaban persiguiendo, secuestrando y asesinando personas, y que luego de unos meses de ocurrido el golpe de estado de 1976 daba a conocer su tercera

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producción titulada La aventura explosiva, con dirección de Ricardo Bauleo y Orestes Trucco. 3 Comparativamente, los primeros años de la postdictadura se caracterizaron por el incremento industrial por parte del Instituto Nacional de Cine, la abolición de la censura ejercida hasta ese entonces por el Ente de Calificación Cinematográfica y el crecimiento de los espectadores que consumían cine nacional. En lo concerniente a las modalidades textuales, los films de la transición compartieron el afán crítico y reflexivo, colaborando con la revisión del pasado reciente. Una de las vertientes cinematográficas que tuvo amplio desarrollo y aceptación fue la de las ficciones reparadoras (Noriega G., 2009), cuyo ejemplo paradigmático es La historia oficial (Luis Puenzo, 1985). Estas ficciones se caracterizaban por un marcado estilo realista que recuperaba los sucesos ocurridos en la dictadura, pretendiendo con estas referencias directas a los hechos recomponer el tejido social y contribuir al fortalecimiento del sistema democrático de gobierno (Visconti M., 2014). Significativo valor tuvieron asimismo los documentales de montaje realizados en la época del alfonsinismo (La República Perdida I y II, Miguel Pérez, 1983 y 1986, entre otros), destinados a recoger testimonios audiovisuales del pasado histórico nacional y, fundamentalmente, a enarbolar lo valores republicanos por sobre los sistemas de gobierno no representativos y dictatoriales (Aguilar G., 2012). Complementariamente, en este período inaugural de recuperación de la democracia las ficciones hermético-metafóricas originadas en los años tempranos de la dictadura continuaron vigentes y con una marcada productividad, proveyendo una perspectiva compleja de la realidad nacional que superaba las marcadas dicotomías y los estereotipos formulados por los films de las otras tendencias dominantes5.

Las ficciones hermético-metafóricas. Singularidades textuales

4 De acuerdo con el panorama histórico y cinematográfico descripto, es posible sostener que las ficciones hermético-metafóricas que constituyen el objeto de estudio de este trabajo constituyeron una tendencia cinematográfica alternativa que supo plasmar críticamente los conflictos principales de su tiempo histórico. En lo que respecta a los parámetros textuales que singularizan a esta tendencia, en una serie de artículos anteriores identificamos las orientaciones generales y las modalidades centrales que adoptaron el sistema narrativo y la puesta en escena6. En su carácter coyuntural e histórico dedujimos que la corriente participó de un doble movimiento que abarcaba la asimilación de los parámetros estéticos e ideológicos de la modernidad cinematográfica en el medio local y, con igual importancia, el ejercicio de la reflexión y el comentario transversal del contexto político y social del cual proceden (Lusnich A.L., 2011)7. Comprendimos que el rasgo principal que caracteriza a estas ficciones es la adhesión de los films a una función diferenciada y compensatoria, en la cual los acontecimientos representados y sus referentes se asocian mediante los recursos de la metáfora y la alegoría, alentando lecturas del presente histórico y de las principales marcas de época: el autoritarismo, el terror, la falta de expresión, el encierro. Advertimos que cada una de estas funciones predomina en diferentes niveles estructurales de los relatos. Entendidas como representaciones de ideas o conceptos generales u abstractos que reaparecen en los sujetos dramáticos o en objetos y/o componentes cercanos a estos

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(Fletcher A., 2002), las alegorías se localizan en la plano narrativo y en la configuración del sistema de personajes de los films estableciendo estructuras binarias de relaciones que se circunscriben a los términos oprimidos/opresores y víctimas/victimarios. Por su parte, la producción de metáforas se evidencia en el diseño de la puesta en escena y en la manipulación de las coordenadas espacio-temporales, funcionando en los films su definición estética tradicional -para la cual las metáforas establecen una relación de semejanza o cualidad común entre dos términos-, así como otras contemporáneas que sostienen que este tipo de operaciones se convierten en un mecanismo de emergencia y producción de contenidos y conocimientos que no se hacen presentes de forma directa por otros medios (Angenot M., 1982; Maillard C., 1992). En tercer lugar, desciframos que el uso del lenguaje cinematográfico en general, y de algunos recursos en particular, contribuyen al hermetismo o a la falta de claridad de las historias, personajes o puesta en escena, siendo este el caso de los contrastes luminosos, la ausencia de una luminosidad prístina y los encuadres extremadamente cerrados sobre los personajes, en aquellos films que tematizan el encierro o la opresión; o el uso de picado y contrapicado, en aquellos que materializan las jerarquías de poder y la confrontación entre víctimas y victimarios.

5 Respecto de las variantes principales que se fueron generando en el interior de la tendencia en los años de la dictadura y la postdictadura, ha sido posible constatar dos orientaciones generales, que se definen a partir del encapsulamiento o bien del despliegue de los sistemas narrativo y de puesta en escena (Lusnich A.L, 2014). La primera, que incluye los film La isla (Alejandro Doria, 1979), La nona (Héctor Olivera, 1979), Los pasajeros del jardín (Alejandro Doria, 1982), Los enemigos (Eduardo Calcagno, 1983) y Hay unos tipos abajo (Rafael Filipelli y Emilio Alfaro, 1985), representa situaciones de encierro y terror enmarcadas en casas de familia o en instituciones de salud que funcionan metafóricamente aludiendo a esos “otros” espacios -comisarías, cárceles, centros clandestinos de detención- en los cuales la tortura y el asesinato de personas se concretaba de manera efectiva. El caso de La isla es sintomático al respecto, debido a que las prácticas de la dominación de los ciudadanos aparecen localizadas en una clínica de salud mental, suministrando los médicos y enfermeros píldoras y otros tratamientos con el objetivo de la domesticación y la neutralización física y mental de los pacientes. La segunda modalidad reúne un conjunto de films -Los miedos (Alejandro Doria 1980), El poder de las tinieblas (Mario Sábato, 1979), Crecer de golpe (Sergio Renán, 1976), El hombre del subsuelo (Nicolás Sarquís, 1981), El agujero en la pared (David José Kohon, 1982), entre los más representativos- que operan mediante la expansión espacio-temporal y narrativa. Se elaboran así derroteros dramáticos complejos, en los que la huída y la necesidad de cambiar periódicamente de lugar determinan la posibilidad de sobrevivir. Estos films multiplican las posibilidades espaciales y temporales, incorporándose a la puesta en escena categorías topográficas novedosas (espacios superficiales y otros que se corresponden con las profundidades, como sucede en El poder de las tinieblas a través de escenas que transcurren en las calles y otras en los túneles por los que circulan los metros), o la alternancia de situaciones dramáticas que corresponden a momentos biográficos diferentes (El agujero en la pared combina el pasado y el presente del personaje, un fotógrafo que ha firmado un pacto con el diablo a cambio de dinero y de fama, diseñándose una suerte de rompecabezas que no adquiere una lógica narrativa coherente). En su efecto de corpus, comprobamos que estas dos versiones adquieren una función complementaria dado que en ellas se manifiestan el extenso mosaico de situaciones dramáticas que afloran de forma intempestiva en los

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años del gobierno militar (Lusnich A.L., 2014). Si se tienen en cuenta los desarrollos dramáticos y las resoluciones de las historias, se aprecia que la redención de los personajes o el hallazgo de una salida no aparecen como una posibilidad viable y concreta. De esta manera, junto con las disposiciones alegóricas y metafóricas mencionadas que transportan las situaciones dramáticas al presente histórico de la dictadura, cobra fuerza la presentación de los sujetos dramáticos a través de sus experiencias y vivencias personales. Determinados por las circunstancias individuales y/o colectivas en las cuales aparecen inmersos -aquellos que ofician como víctimas e incluso algunos de los que representan a los victimarios-, los sujetos dramáticos esbozan identidades fracturadas e inestables que los llevan al aislamiento del entorno familiar y social, al exilio o a la locura. 6 A partir de lo señalado, con la intención de conocer el grado de conocimiento y reacción de esta corriente cinematográfica respecto de las prácticas políticas y las situaciones de terror impuestas en los años de gobierno de facto, a continuación nos dedicaremos a desarrollar dos aspectos particulares. Uno de ellos procura analizar la representación de la dominación ejercida por el poder militar sobre los individuos y el conjunto social, con énfasis en los emplazamientos y/o los desplazamientos forzados o voluntarios de los sujetos dramáticos. El segundo comprende la identificación, en estas situaciones históricas asociadas al control y a la persecución social por parte del Estado, de subjetividades que se caracterizan por la fractura, la inestabilidad y la angustiosa necesidad de preservar la vida. Para desarrollar estos aspectos el análisis se centrará en dos films de la tendencia: Los miedos, Alejandro Doria, 1980, y Hay unos tipos abajo, Rafael Filipelli y Emilio Alfaro, 19858. Representativos de los dos tramos históricos en los que la tendencia analizada tuvo un una producción sostenida (Los miedos fue realizado en un momento en el que la dictadura recrudecía su poder coercitivo; Hay unos tipos abajo forma parte de los primeros años de la transición a la democracia), los films se destacan por otras dos situaciones en particular. Por un lado, exhiben las características de las dos orientaciones narrativas y de puesta en escena previamente mencionadas asociando la constricción de estos aspectos del texto fílmico a la forma del exilio interior (Hay unos tipos abajo) y su expansión a la del exilio exterior que lleva a los personajes a peregrinar hacia otro sitio que no es familiar (Los miedos). Por otra parte, los films articulan las categorías victimario/víctima y opresores/oprimidos de forma creativa y plural esbozando múltiples matices. Estos incluyen algunas formulaciones radicales (como sucede en Los miedos), que derivan en la confrontación física extrema e irreversible entre los propios sujetos oprimidos.

Los miedos. La experiencia de la diáspora, confrontación y supervivencia

7 Los miedos, film de Alejandro Doria estrenado comercialmente en Argentina el 14 de agosto de 1980, se organiza narrativamente en base al periplo de un grupo de personas que se ven obligadas a peregrinar de la ciudad de Buenos Aires -asolada por una peste desconocida- hacia el sur del país, espacio que promete la preservación de la vida9. En este escape colectivo el film tematiza y construye audiovisualmente la situación de la migración forzada de personas, resultado de la persecución política de la época, representando en la mudanza del espacio que se habita hacia otro distante y neutral la expatriación de un amplio número de argentinos a diferentes puntos del planeta. En el

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film el diagrama narrativo y el diseño de la puesta en escena exhiben marcados contrastes entre los lugares de procedencia y de destino. Las primeras secuencias se localizan en una ciudad azotada por la peste, que contiene edificios abandonados y en ruinas, y que es transitada por enfermeros/militares que se valen de altoparlantes, sirenas y disparos para controlar y perseguir a los ciudadanos. Su misión es sanear completamente el área, eliminar a quienes estén infectados o se transformen en una amenaza social. El sur argentino, los sucesivos parajes naturales que van integrando el periplo narrativo del grupo (un bosque petrificado, las salinas y la Playa Unión de la localidad de Puerto Madryn, situados en la provincia de Chubut) constituyen por su parte un escenario despojado e igualmente poco acogedor. Sus notas ambientales (espacios abiertos en los que no prospera la vegetación y predomina el viento) condicen con las circunstancias que generalmente caracterizan a los exiliados políticos. En su expresión individual y colectiva, los personajes asumen en estos espacios la condición de “sujetos nómades” que han perdido toda relación con lo que era permanente y estable, percibiendo lo nuevo como extraño y ajeno (Fernández Bravo Á. y Garramuño F., 2003). De acuerdo con las operaciones metafóricas efectuadas en el plano narrativo y en la puesta en escena, la situación del exilio forzado al exterior del país se recompone mediante el tránsito de los personajes a un entorno geográfico desconocido, alejado y distante, al que se llega superando numerosos límites y pasos fronterizos. En el film los sujetos dramáticos van desde el centro de la ciudad hacia sus alrededores, para luego encarar el viaje al sur. En esa segunda fase, atraviesan ríos, bordean bosques, atraviesan salinas y sortean diferentes escollos naturales. Por su parte, la provocación de la diáspora generalizada, que reúne a un conjunto de personas en iguales circunstancias, se atribuye a un poder local o nacional que decide hostigar y aniquilar a una porción de los habitantes. Las prácticas de control y dominación incluyen, como mencionamos, diatribas e injurias orales, difundidas con los altavoces, así como las acciones violentas que aíslan y eliminan a las personas sospechadas. Frente a este estado de cosas, la movilización y la huída se concibe como única salida posible.

8 Heterogéneo en su constitución, el grupo de personas que escapan al sur de la Argentina se encuentra integrado por siete personajes que representan géneros, generaciones e idiosincrasias diferentes: la vieja, la embarazada, la monja, la prostituta, el asesino, el deficiente mental y el futbolista. Presentándose como un muestrario de la sociedad argentina de la época -metonímicamente el asesino hace visibles las particularidades que en los años de la dictadura adoptaron los grupos de tareas10; luego del mundial de fútbol jugado en el país en 1978 el futbolista se encontraba en el centro de la escena nacional; las mujeres representan diferentes facetas de la femineidad-, el conjunto se desmadra de forma progresiva, siendo el personaje de la futura madre -y su hijo- los únicos sobrevivientes. En su travesía hacia el sur, el relato se concentra en las respuestas de los personajes frente al horror –la exigencia de abandonarlo todo con el propósito de sobrevivir-, siendo dos los aspectos sobre los cuales se focaliza y se reflexiona agudamente: la condición del exiliado y la exacerbación de un estado de terror que no cesa con el viaje. Respecto del primero de los temas los personajes que componen la caravana exhiben las dos notas que habitualmente caracterizan el estado del expatriado político: la experiencia solitaria y la ausencia de una identidad estable. Como explican los historiadores y teóricos que han investigado los fenómenos de los exilios y las diásporas, los sujetos nómades adoptan habitualmente una subjetividad fracturada y múltiple, que desencadena un proceso de hibridación y contingencia a través del cual se vivencia el desdoblamiento del yo y la ausencia de la armonización de

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los contrarios: el territorio de origen y, luego, el de llegada (García Canclini N., 2000). Edward Said comprende asimismo que esta condición discontinua del exilio provoca la desconexión con el grupo de pertenencia, el espacio común y la memoria colectiva. Se trata de una experiencia en líneas generales solitaria, que dependiendo de cada caso, puede distanciar a quien lo atraviesa de todas las relaciones y compromisos, y que aún puede desembocar en la pérdida de la perspectiva crítica y el coraje moral (Said E., 2005). En el film analizado, si bien los siete miembros del equipo componen en un principio un colectivo que se nuclea en torno a un mismo objetivo, el terror que los destaca y la inexistencia de lazos afectivos reales originan feroces enfrentamientos verbales y físicos que conducen al exterminio de la mayoría de ellos. Destacando el individualismo de los personajes por sobre el hallazgo de soluciones consensuadas y colectivas, cada personaje obra de acuerdo con su propia voluntad, aflorando las pasiones y los sentimientos personales que derivan en encuentros intensos, peleas y asesinatos. Al momento de llegada a la tierra de destino, representada por la costa patagónica en algún punto de su extensión, la madre y el discapacitado mental –los dos únicos integrantes que se mantienen con vida- tienen un último acercamiento. Luego de un balbuceo incomprensible, el deficiente mental ingresa sin retornar al Mar Argentino esbozando metafóricamente la actitud del sujeto que se sacrifica en honor del niño -la nueva vida, el futuro- que está por nacer. 9 La exacerbación del estado de terror, por su parte, se pone de manifiesto en el desempeño de los sujetos dramáticos y en el estilo interpretativo que los caracteriza. El film, al igual que la mayoría que compone la tendencia de las ficciones hermético- metafóricas, opera mediante el desplazamiento del canon realista históricamente dominante en el cine de comercial argentino tendiendo en cambio a la opacidad, el teatralismo y la afectación dramática. Como se señaló en la introducción del artículo, los films de esta tendencia recuperan los postulados del cine moderno que en los años 60 y 70 desafiaron la representación realista-mimética del mundo con la incorporación de la subjetividad, la multiplicación de los puntos de vista, el estilo indirecto libre y la gestualidad no imitativa, entre otras novedades11. Ahora bien, además de expresar un acto de rebeldía frente a los designios culturales hegemónicos que se mantenían intactos en las comedias y películas de aventuras y de acción filmadas durante el proceso, y aún en las ficciones reparadoras de la postdictadura, la asunción de una interpretación teatralista no mimética ofrecía otro campo de posibilidades expresivas. En su análisis del teatro argentino, refiriéndose a la etapa de la dictadura, Osvaldo Pellettieri sostuvo que lo mimético no alcanzaba entonces para mostrar la monstruosidad de lo que ocurría, y que el teatralismo “tiene la posibilidad de ser más fuertemente simbólico que el realismo, y de mostrar más con menos elementos” (Pellettieri O., 2008: 81). En esta dirección, los personajes de Los miedos adoptan una gestualidad no imitativa que elude la cotidianeidad y la espontaneidad a favor de una construcción diferenciada y original en la que los cuerpos asumen un protagonismo absoluto por sobre las palabras. Respecto del empleo de la palabra, cabe aclarar que no solo se la desvaloriza como mecanismo de diálogo y reflexión, sino que a su vez se la sustituye por sonidos guturales que acercan a los seres humanos a un estado salvaje. Sobre el comportamiento corporal, se hace hincapié en la crispación y la exaltación creciente, participando ambos aspectos en la experiencia desapacible de la migración forzada. Como ejemplo de estos usos, en uno de los primeros tramos de la huída, los personajes del asesino y de la monja se asocian y logran llegar a un espacio urbano neutral. La relación entre ambos aparece marcada por la desconfianza y la ausencia de

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diálogo. Especialmente, el personaje femenino no emite palabras sino gemidos y sonidos incomprensibles que dificultan la comunicación. Como consecuencia, el asesino la persigue y la asedia, extrapolando las conductas de los victimarios y de las víctimas al interior del grupo de exiliados. Por otra parte, la inclusión del personaje con discapacidad mental, mediante movimientos inquietantes y torpes, el balbuceo, la profusión de onomatopeyas y el babeo constante, presenta algunos puntos de contacto con las propuestas del teatro de la crueldad, en tanto el cuerpo agobiado metaforiza una doble opresión social. La que desde tiempos remotos se ejerce sobre individuos que padecen la enfermedad, y la que en el presente histórico en que se realizó la película impartía el gobierno militar argentino en los ciudadanos12. 10 Como es posible comprobar, la condición del exiliado político y la puesta en relieve del estado de terror que lo singulariza se relacionan en este film con una serie de tópicos que recorren las experiencias cotidianas del expatriado, que vive el desarraigo y la puesta en suspenso de sus actividades y de su vida familiar y social. En estas circunstancias, de acuerdo con lo expuesto por Ana Amado para el caso de algunos films argentinos realizados en los años 80 en torno a estos temas, se pone en juego la doble dimensión del extrañamiento personal de la patria y las alusiones a una patria dividida (política y socialmente), la ausencia obligada frente a la necesidad de recuperar el territorio (Amado A., 2009)13. En estas disyuntivas encuentran un sentido los enfrentamientos que se suceden entre los personajes y la imperiosa necesidad de preservar la vida de la madre, portadora de una nueva vida.

Hay unos tipos abajo. El exilio interior y la experiencia de la soledad

11 Hay unos tipos abajo, estrenado en Buenos Aires el 26 de septiembre de 1985 a casi dos años de la restauración de la democracia, tematiza y elabora audiovisualmente la variante del exilio interior. Dada las particularidades del film, en comparación con las otras respuestas que encaminaron los ciudadanos frente a la dominación estatal, esta modalidad del exilio abarca el aislamiento voluntario de aquellas personas que difieren o se oponen a la ideología dominante y a sus prácticas sociales y políticas. Ante la imposibilidad de salir del país pero tomando conciencia de la necesidad de recluirse con la finalidad de preservar la integridad moral y física, esta fue una de las decisiones adoptadas por un segmento amplio de los realizadores, actores y agentes cinematográficos en Argentina y en los países latinoamericanos que atravesaron regímenes militares despóticos y violentos (Camargo R., 2007)14.

12 Ante la sospecha de la vigilancia, Hay unos tipos abajo emplaza la vida cotidiana de un joven periodista gráfico (Julio) al perímetro conformado por su vivienda familiar y los alrededores15. Coincide con el film de Alejandro Doria analizado en el apartado anterior en representar el estado de terror vigente en los años del proceso militar, construyendo dispositivos narrativos y espectaculares muy precisos que manifiestan las reacciones y los estados emocionales de los sujetos inmersos en situaciones de vigilancia y persecución. Se diferencia, en tanto, en concentrar el desarrollo narrativo (al menos una gran parte del relato, con excepción de la última secuencia) a un espacio dramático acotado, visibilizando esta elección espacial las conductas esgrimidas por los victimarios (quienes intimidan y acorralan al protagonista) tanto como las réplicas de la víctima (aislamiento, soledad). El relato sitúa la historia en el último fin de semana

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del mundial de fútbol jugado en Argentina en 1978. Abstraído del campeonato que captura la atención de todo el país, el reportero es alertado por una vecina y luego por su pareja sobre la presencia de unos hombres misteriosos que vigilan la cuadra de su vivienda y que podrían ser integrantes de los grupos de tareas que funcionaban en esos años de dictadura identificando y secuestrando personas16. Partiendo de esta instancia angustiosa, el film pone en práctica un diseño narrativo y de puesta en escena destinados a constreñir dramáticamente las situaciones y a crear una atmósfera de suma opresión. En sus aspectos generales, la formulación espacial recurre a la confrontación de dos ámbitos contrapuestos, arriba/abajo, representando metafóricamente el primero la intimidad del departamento familiar y el segundo el mundo exterior amenazante. La puesta en escena se caracteriza por no ser ilustrativa sino expresiva y simbólica. En los espacios exteriores al hogar familiar abundan las escenas nocturnas en las cuales los contrastes luminosos, los espacios vacíos y el sonido en off de los pasos de los transeúntes inciden en la construcción de la subjetividad del periodista. Se suman, asimismo, la proliferación de las sirenas de los automóviles policiales y la presencia de personas en actitudes sospechosas, generalmente ejerciendo la observación y la vigilancia a una distancia prudente de sus víctimas y sin interactuar de manera evidente. El interior del hogar ofrece protección parcialmente, dado que el clima de amenaza y hostigamiento se proyecta incluso en esos espacios de privacidad. Como ejemplos, en el departamento de Julio abundan las puestas de cámara en picado y hasta las perspectivas cenitales que registran al personaje desde un ángulo superior del ascensor (cuando llega desde la calle y se dispone a ingresar a su vivienda) o desde una de las puertas del departamento (en los momentos en que se encuentra en las diferentes dependencias de su domicilio). Y aquellas que retratan su reflejo en el espejo del baño, exhibiendo la condición de vigilancia que permanece aún en la intimidad del hogar. Por otra parte, los permanentes cortes de luz y de la línea telefónica a los que se ve sometido el periodista, cruzan datos de la realidad de la época con la profusión de un efectivo clima de desfamiliarización de las situaciones y extrañamiento de la realidad. Así, la interrupción de los llamados telefónicos que Julio recibe diariamente no se interpreta como producto de un desperfecto técnico, sino ligada a actitudes que tienden a amedrantar la integridad emocional y moral del protagonista. 13 A partir de estos pocos datos del contexto, el reportero se sume en un estado de temor y paranoia creciente que tiene como consecuencias concretas el abandono del trabajo, de su pareja y de todo vínculo social. La vigilancia provoca en Julio un estado interior que desestabiliza y fractura su identidad. Motiva estas circunstancias la dualidad que caracteriza al personaje. Julio se presenta como un ciudadano común que no es afiliado a ningún partido político ni ha intervenido en acciones públicas; sin embargo la duda y la culpa lo sumen en un estado de angustia irreversible (Julio recuerda una situación de secuestro en la que no intervino directamente; en un diálogo con su pareja dice conocer casos de personas que han desaparecido). De acuerdo con este estado de terror, el desarrollo narrativo y dramático se caracteriza por la concentración dramática, la introspección y el aislamiento. Rafael Filipelli, uno de los directores del film, sostuvo sobre este personaje: “El hombre vaga y divaga y la película trabaja con el dato subjetivo del miedo” (La Nación, 1985). Julio decide replegarse sobre sí mismo y se dedica al hallazgo de los datos y las certezas que permitan explicar los motivos de la vigilancia. Pone en suspenso sus actividades laborales y se abstrae del fervor que provoca el inminente juego final de la copa del mundo que enfrenta a Argentina y Holanda. Su acotado itinerario dramático incluye recorridos sin rumbos certeros, que lo

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llevan de su casa a algunos puntos concretos (un quiosco de diarios, un café, la casa de su novia) para devolverlo a su departamento. La desesperación y el temor van pautando el crescendo dramático, dado que el personaje no logra dilucidar el cometido de los perseguidores, en tanto debe asumir a su vez la falta de solidaridad de algunos seres queridos (una pareja de amigos lo aloja unas horas en su casa y luego le exige que se retire). En su periplo dramático, es evidente que Julio emprende un viaje introspectivo, destinado a examinar sus sentimientos y sus impulsos, a ejercer la reflexión sobre su estado presente. Sin embargo, el peso del contexto y la inestabilidad personal lo inducen a sentirse enredado en una situación a la que no le encuentra salida. En los momentos en que Julio se dispone a reflexionar, ya sea en un bar o en su departamento familiar, el film ofrece indicios sobre la alteración y la fragmentación de la subjetividad del protagonista. En esas escenas la interpretación del personaje aparece despojada de los movimientos corporales cotidianos e incluso de la palabra, exacerbándose la presencia de un físico estático y frágil (Saura J., 2007). 14 En su secuencia final el film incluye un giro dramático-narrativo determinante. Ante la ausencia de respuestas y de soluciones posibles a la situación de dominación y control experimentada, Julio responde con el aislamiento absoluto. En estos tramos finales, la reclusión interior se transforma en ostracismo. Sin despedirse de su pareja, en el momento exacto en que Argentina gana el mundial de fútbol y los integrantes de la Junta Militar levantan el trofeo17, el periodista decide abandonar la ciudad sin un rumbo fijo. En las últimas imágenes lo vemos bajar de un tren, en una estación no identificable geográficamente, presumiblemente de la provincia de Buenos Aires. Sintomáticamente, quizás preso por el miedo, decide abandonar su máquina de escribir en el asiento del tren. Con esta actitud, pone en suspenso -temporariamente o de forma permanente, no lo sabremos- el curso de su vida, despojándose del objeto que lo representa y a través del cual expresa sus ideas.

Consideraciones finales

15 En su devenir histórico el cine argentino se pronunció de diferentes maneras respecto de los hechos sucedidos durante la última dictadura militar, coparticipando en esta tarea la ficción y el documental en sus diferentes disposiciones estéticas e ideológicas. Sobre estas modalidades cinematográficas los historiadores y críticos han depositado frecuentemente su atención en el período inmediatamente posterior a la caída del régimen, dilucidando la emergencia de ficciones de corte realista -las ficciones reparadoras mencionadas en la introducción de este artículo- y de una serie de documentales de montaje que enarbolaban, cada uno a su manera, los valores del republicanismo y de la pacificación social. En algunas oportunidades, estableciendo una periodización más amplia sobre el tema de la transición política de la dictadura a la democracia, se han advertido ciclos cinematográficos más extensos que incluso se extendieron al presente histórico de la Argentina. Exponente de estas reflexiones, Ana Amado organizó la producción cinematográfica de las tres últimas décadas de acuerdo con la incidencia de las estrategias públicas de la memoria del terrorismo de estado. Teniendo en cuenta la expresión simbólica de las demandas de justicia esgrimidas por la sociedad y las iniciativas procuradas por el Estado a tales efectos, contempló la sucesión de las siguientes etapas histórico-cinematográficas: a. coincidente con la recuperación de las instituciones democráticas en los años 80, un primer ciclo defendió

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la narrativa de las “víctimas inocentes” impulsada por las ficciones realistas o reparadoras; b. en los años 90, década en la que el proceso social de elaboración del pasado reciente movilizó acciones de signo diferente y estuvo plagado de tensiones y contramarchas, el campo del cine dio a conocer narrativas que recogieron la experiencia política de los militantes y el relato de sus hijos destacándose la inflexión hacia nuevas dimensiones que articulaban la autobiografía, el testimonio y la suspensión de los límites entre ficción y documental y, c. el nuevo siglo, que en sus primeros años estuvo atravesado por las consecuencias de las políticas neoliberales que culminaron en un agudo estallido político y social (la crisis del 2001 y los años subsiguientes), con sus principales expresiones audiovisuales en las series televisivas (Okupas, 2001; Tumberos, 2002) y en la ópera prima de Lucrecia Martel, La ciénaga, de 2001 (Amado A., 2009). Sobre estas problemáticas, Jésica Stites Mor ofreció una reflexión más audaz, al definir la “cultura de la transición” como la búsqueda de la justicia social que se sostiene en la revisión constante de las memorias colectivas traumáticas o interrumpidas. Expandiéndose en el tiempo, en opinión de la autora, la transición antecede los años del último régimen militar, delimitándose a lo largo de las décadas tres generaciones de cineastas que la expresan de forma acabada: la primera generación, activa a fines de los años 60 y proscripta por otro régimen militar (el encabezado por el general Juan Carlos Onganía ), se caracterizó por haber sido testigo de los movimientos revolucionarios que se extendieron en Argentina y América Latina en ese tramo de la historia; la segunda generación, contemporánea al retorno de la democracia en 1983, estuvo involucrada con las políticas de la memoria que surgieron y se desarrollaron en los años del alfonsinismo; la tercera, surgida durante la crisis política y económica que vivió el país en torno al año 2001, se distingue por ser radical en sus acciones y por elegir el documental político-militante como medio de expresión popular (Stites Mor J., 2011).

16 Como es posible advertir a través de estas menciones y referencias suficientemente inclusivas, las ficciones hermético-metafóricas analizadas en este artículo no poseen un lugar protagónico en el panorama de los films que históricamente se posicionaron ejerciendo la crítica y la resistencia al poder militar18. Entre los factores que explican esta ausencia, es clave señalar que la circulación de los films que integran la tendencia ha sido sumamente restringida en las últimas décadas, tanto en la televisión y las salas cinematográficas (comerciales y de arte), como en los espacios académicos. Coyuntura que no facilitó la revisión de las películas y el conocimiento de sus propuestas expresivas y semánticas. En segundo lugar, las particularidades de producción y exhibición que presentaron los films (algunos tuvieron financiamiento estatal, la mayoría estreno comercial, solo algunos enfrentaron la censura) interfirieron, a nuestro juicio, en la inclusión de la tendencia en el horizonte de los films que confrontaron el régimen militar, valorándose en líneas generales, para los años de la dictadura especialmente, las realizaciones de los directores y colectivos cinematográficos que funcionaban de manera marginal o clandestina. La complejidad textual que singulariza a la corriente, la opción por una estética que confronta los modelos realistas-naturalistas y la consecuente representación oblicua del contexto político-social de referencia, son otros componentes que pudieron haber intervenido en la falta de trascendencia pública de la corriente. En otros términos, como han expresado algunos teóricos contemporáneos sobre las operaciones metafóricas y alegóricas, la producción de conocimientos por estas vías puede resultar clarificadora y concluyente; sin embargo, es necesario que se decanten las interpretaciones o que

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transcurra el tiempo para que estas aparezcan o se reafirmen (Angenot M., 1982; Maillard C., 1992). 17 Sintetizando las novedades señaladas en los apartados que articulan este trabajo, sostenemos que el valor de la tendencia radica en conciliar la audacia en sus niveles estético e ideológico. En el plano expresivo los films retoman los postulados del cine moderno argentino, especialmente de las vertientes que tendían a la opacidad y a la innovación en los planos narrativos y de puesta en escena. Articulaba con estas decisiones la perdurabilidad de un proyecto cinematográfico surgido en los años sesenta y puesto en cuestión por las políticas culturales y cinematográficas impuestas por el régimen militar. La puesta en funcionamiento de las prácticas alegóricas y metafóricas como principios constructivos de los relatos es otro aspecto a destacar, dado que incide en la formulación de relatos e imágenes potentes que desafían la referencialidad directa a favor de la complejidad y la multiplicación de los sentidos. Por otra parte, como se ha procurado exponer a partir del estudio de Los miedos y Hay unos tipos abajo, las perspectivas semánticas que ofrecen los films de la corriente no incluyen concesiones a la opinión pública de la época ni a las formas ficcionales tradicionales, eliminando cualquier tipo de resolución positiva o tranquilizadora. En esta perspectiva se visualiza la intención crítica y reflexiva de la tendencia, la decisión de incluir en los debates, con igualdad de responsabilidad, a los diferentes segmentos sociales. Y la de oponerse a las modalidades probadas o pasatistas que dominaron el panorama cinematográfico en los años de la dictadura y la postdictadura. 18 Sobre los dos films analizados fue de interés reconocer en ellos algunas de las formas a partir de las cuales se representó el control y la dominación social ejercida por el Estado y sus consecuencias directas, que abarcaron no sólo el exilio en sus distintas variantes sino a su vez los estados visibles de alteración y fragmentación de las identidades. Metodológicamente, estos films permitieron explicar la operatividad de las alegorías y de las metáforas en los diferentes niveles de los relatos (con especial atención en el plano narrativo, el diseño de la puesta en escena y la constitución del sistema de personajes). De esta manera, fue factible asociar la configuración de relatos expandidos en su plano narrativo y de puesta en escena a la figura del exilio exterior y la de los relatos constreñidos a la del exilio interior. Estas situaciones, caracterizadas en estos dos casos mediante la sumatoria de espacios dramáticos y geográficos (Los miedos) y el juego de espacios opuestos (arriba/abajo, en Hay unos tipos abajo), son afines a las propuestas de los restantes films que componen la tendencia, estableciéndose un efecto de corpus que tiende a la homogeneidad sin caer en el estereotipo.19 La representación de las víctimas y de los victimarios es otro dato a tener en cuenta, ya que los films presentan múltiples resoluciones distintivas y versátiles. Los miedos y Hay unos tipos abajo depositan su foco de interés en las figuras de las víctimas, trabajando de forma fragmentaria e indirecta la representación de los victimarios (ya hemos visto que Los miedos aluden a un poder institucional representado por individuos que ofician capturando y asesinando personas; y que Hay unos tipos abajo reduce el desempeño dramático de los victimarios/grupos de tarea); en tanto, otros films de la corriente que nos ocupa trasladan la función de los victimarios/opresores a algún integrante de la familia (la abuela de La nona, la figura materna de Los enemigos), y que incluso, ejerciendo una mayor actitud crítica, se abala la hipótesis de la movilidad o el intercambio entre las figuras de la víctima y el victimario (hemos visto que al interior del grupo de migrantes, en Los miedos, se reproducen las prácticas de la coerción y la violencia). Finalmente, si se tiene en cuenta el panorama cinematográfico de las épocas

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estudiadas, con la particular aceptación de las tendencias realistas, es evidente que los films presentan una serie de novedades en lo que respecta a los estilos de actuación. Los miedos otorga singular potencia a la corporalidad y a los encuentros físicos y controversiales entre los personajes; de forma que: “La película brilla por sus elementos más experimentales y abstractos: las sesiones de llantos y alaridos, la brutalidad del paisaje, la fisicalidad de las actuaciones, el fin del mundo inscripto en los cuerpos de los actores” (Buenos Aires Rojo Sangre, 2013). En tanto, Hay unos tipos abajo se detiene en un personaje que se retrae sobre sí mismo al punto de desnaturalizar su relación con el mundo. En su conexión con los espectadores, estas formas de actuación exhiben de forma extrema los estados interiores de los sujetos dramáticos, estableciendo un comentario crítico, desesperado y muy poco moralizador sobre las situaciones y conflictos que estos atraviesan.

BIBLIOGRAPHY

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NOTES

1. Los historiadores y analistas políticos han interpretado la postdictadura argentina acotada al gobierno de Raúl Alfonsín o contemplando la larga duración, extendiéndose hasta la actualidad. Justifican estas posiciones diferentes hechos irrefutables : el gobierno de Alfonsín se esforzó por restituir el poder a las instituciones republicanas ; sin embargo, debido a que numerosas situaciones históricas -el juicio y la condena a los militares implicados en delitos de lesa humanidad- se resolvieron en las décadas subsiguientes, con fuertes tensiones y contramarchas, la opción por prolongarla hasta estos días tiene sus aciertos. 2. Al momento de asumir la presidencia, Raúl Alfonsín dispuso la creación de la Comisión Nacional de Desaparición de Personas (CONADEP), destinada a recibir pruebas y denuncias sobre hechos y delitos ocurridos en época de la dictadura y remitirlas a la justicia, averiguar el destino o paradero de las personas desaparecidas, ubicar a los niños desaparecidos y/o sustraídos a la tutela de sus padres, y emitir un informe final. Asimismo, ese informe funcionó como antesala a los juicios a los responsables de los delitos cometidos en esos años. 3. Más allá del accionar de la censura, la autocensura y la persecución a numerosos directores, actores y técnicos, tres realizadores fueron asesinados en los años de la dictadura : Pablo Szir, Enrique Juárez y Raymundo Gleyzer. 4. Entre otros ejemplos, Esta voz... entre muchas, filmada en México por Humberto Ríos en 1979, y Todo es ausencia, realizada por Rodolfo Kuhn en Europa en 1984, se dedican a denunciar los delitos y las desapariciones ocurridas en Argentina y a recoger los primeros testimonios de las Madres de Plaza de Mayo. Por su parte, Reflexiones de un salvaje, filmada por Gerardo Vallejo en España en 1978, reflexiona sobre el motivo del exiliado, esta vez relacionando la experiencia del director con la de sus antepasados que emigraron desde Europa a Argentina en tiempos de crisis económica.

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5. La historia oficial ha sido emblemática en los años de la recuperación democrática, ya que se la consideró portadora de ideas simplistas sobre el pasado reciente. Incluso se llegó a sostener que su historia -una mujer que descubría que la madre biológica de su hija adoptiva había sido una joven desaparecida por los militares- se articulaba a partir de la Teoría de los dos demonios vigente en la época, la cual alineaba con igualdad de responsabilidades el terrorismo insurgente y la violencia ejercida por el Estado. 6. Nos referimos a los artículos « Opacidad, metáfora, alegoría : nuevas estrategias discursivas y marcas de la ideología imperante en el cine ficcional del período 1976-1983 », 2011, y « De la resistencia al duelo : las ficciones sobre las dictaduras realizadas en Argentina y Chile entre 1973 y 1990 », 2014. 7. En Argentina, el origen y el desarrollo de las operaciones metafóricas y alegóricas se sitúan en los años 50 y 60, con las realizaciones de Leopoldo Torre Nilsson, León Klimovsky y Carlos H. Christensen. En ese contexto, la hipertrofia de los recursos narrativos (los procesos de fragmentación, opacidad narrativa, multiplicidad del punto de vista, desajuste respecto de las normas genéricas) y espectaculares (la complicación espacial y temporal de los relatos, la obstrucción de los encuadres), fueron interpretados como síntomas de la llegada de la modernidad al país, constituyéndose una retórica inmanente al campo cinematográfico local. 8. Los miedos : Dirección : Alejandro Doria. Guión : Alejandro Doria y Juan Carlos Cernadas Lamadrid. Intérpretes : Tita Merello, Soledad Silveyra, Miguel Angel Solá, Sandra Mihanovich, Aníbal Morixe, Lito González, María Leal. Estreno : 1980, prohibida menores 18 años. Hay unos tipos abajo : Dirección : Rafael Filipelli y Emilio Alfaro. Guión : Antonio Dal Masetto, Rafael Filipelli y Emilio Alfaro. Intérpretes : Luis Brandoni, Luisina Brando, Soledad Silveyra, Marta Bianchi, Emilio Alfaro, Elsa Berenguer. Estreno : 1985, prohibida menores 13 años. 9. El film está inspirado en Diario del año de la peste, de Daniel Defoe, obra de la cual se retoma la perplejidad de los personajes ante la peste y la estructura episódica y de crónica que facilita recoger y reconstruir el peregrinar de los sujetos dramáticos. 10. En el contexto del gobierno militar, los grupos de tareas se encontraban conformados por miembros de las diversas Fuerzas Armadas y de los cuerpos de seguridad del Estado, cumpliendo las funciones del secuestro, la tortura y los eventuales asesinatos y desapariciones de los objetivos señalados por la dictadura (opositores políticos, guerrilleros, intelectuales, dirigentes gremiales, familiares y amigos de todos estos), además de la gestión de los distintos centros clandestinos de detención. 11. Estrategias narrativas y espectaculares que caracterizaron a los directores y grupos modernizadores en Argentina desde mediados de los años 50, desde los tempranos antecedentes a la Generación del Sesenta, el Grupo de los Cinco y Hugo Santiago, entre otros. 12. El teatro de la crueldad, en las variantes propuestas por Antonin Artaud, Peter Weiss y Harold Pinter, plantea que la obra dramática debe dejar una huella duradera en el espectador. Los recursos atañen a la puesta en escena y a la interpretación del actor particularmente, para ello se suelen modificar las disposiciones habituales del escenario y se encamina una actuación que reduce la palabra hablada a favor de la gestualidad y los movimientos. 13. En su libro, Ana Amado analiza varios films realizados en Argentina en los años 80 sobre la problemática del exilio : El exilio de Gardel (Fernando Solanas, 1986), Sentimientos ; Mirta de Liniers a Estambul (Jorge Coscia y Guillermo Saura, 1989) y Las veredas de Saturno (Hugo Santiago, 1989). 14. Raúl Camargo describe el estado del medio cinematográfico en Chile en el curso de la dictadura militar que se extendió entre 1973 y 1990, siendo la mayoría de la medidas tomadas en esta área (clausura de las escuelas de cine, reducción de la producción y de los subsidios, censura, persecución) extensibles a lo vivido en los países de la región que estuvieron sometidos a procesos dictatoriales (Argentina, Brasil, Uruguay, entre otros). En este contexto, las respuestas de los directores, actores y técnicos disidentes se dividieron. Muchos de ellos partieron al exilio,

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otros optaron por la reclusión y la suspensión de las actividades, los pocos continuaron en actividad con un discurso crítico. Quienes pudieron hacerlo, al no contar con el financiamiento estatal, recurrieron a fondos propios o al ejercicio de la publicidad como medio de vida. 15. El film adapta el cuento homónimo de Antonio Dal Masetto. El autor coescribió el guión junto con Alfaro y Filipelli y en 1998 lo publicó en formato novela. La presencia activa de la muerte y la represión que se ejercía de manera silenciosa sobre el cuerpo social son dos matrices que conectan las obras. 16. Es evidente que Julio y su pareja conocen el accionar de estos grupos parapoliciales. En sus conversaciones, utilizan los vocablos “levantarlo”, “intimidarlo” y “listas negras”, haciendo referencia a las actividades ilegales que en los años de dictadura se ejecutaban por fuera del estado de derecho. 17. Este momento culmine del campeonato de fútbol se ve en un televisor que Julio posee en su departamento, siendo un claro indicio de época. 18. Mejor suerte tuvieron otros exponentes cercanos a la tendencia estudiada –la filmografía de Hugo Santiago, el Grupo de los Cinco activo en los primeros años de la década del ´y conformado por Alberto Fischerman, Ricardo Becher, Raúl de la Torre, Néstor Paternostro y Juan Bautista Stagnaro-, que captaron el interés de los críticos y los estudiosos en múltiples oportunidades. 19. Si se revisan los films de la corriente, los que giran en torno de los tópicos del asedio y la reclusión de los sujetos dramáticos (La isla, La nona, Los pasajeros del jardín, Los enemigos) contraponen espacios abiertos y cerrados y algunas variantes topográficas asociadas (adentro/ afuera, arriba/abajo). Por su parte, los que tematizan y construyen audiovisualmente el escape y la huída como respuestas al estado de terror (El poder de las tinieblas, Crecer de golpe, El hombre del subsuelo, El agujero en la pared, amplifican las líneas espacio-temporales de manera considerable. En todos los casos, el desarrollo narrativo y la puesta en escena ponen en evidencia de forma expresiva y potente los estados de ánimo de los victimarios.

ABSTRACTS

During last Argentine militar dictatorship (1976-1983), and first period of the post-dictatorship (1983-1989), the hermetic-metaphoric fictions constituted an alternative cinematographic tendency that showed the main conflicts of that time in a reflexive and critical way. The construction of opaque tales that evading the realistic-mimetic representation and the primacy of the allegorical and metaphorical operations as constructive principles were two textual features that gave uniqueness to the trend. With the intention of knowing the permeability of this cinematographic line in respect of the political practices and the situations of terror imposed in the years of non-constitutional governments, the present work proposes to analyze the representation of the domination against individuals and the society, with emphasis in the emplacements and/or the displacements of dramatical subjects and the reference to situations of internal and external exile. The second objective of the paper includes the identification, in these historical situations associated to discipline and social extreme control, of subjectivities characterized by fracture and instability. The development of both aspects will be focused on two outstanding films of the trend: Los miedos [“Fears”] (Alejandro Doria, 1980) and Hay unos tipos abajo [“Some guys downstairs”] (Rafael Filippelli and Emilio Alfaro, 1985).

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Durante la última dictadura militar argentina (1976-1983) y en la primera fase de la postdictadura (1983-1989), las ficciones hermético-metafóricas constituyeron una tendencia cinematográfica alternativa que supo plasmar los conflictos principales de la época de forma reflexiva y crítica. La construcción de relatos opacos que evadían la representación realista-mimética y la preeminencia de las operaciones alegóricas y metafóricas como principios constructivos fueron dos características textuales que le dieron singularidad a la tendencia. Con la intención de conocer la permeabilidad de esta línea cinematográfica respecto de las prácticas políticas y las situaciones de terror impuestas en los años de gobierno de facto, el presente trabajo analiza la representación de la dominación ejercida por el Estado sobre los ciudadanos y el conjunto social, con énfasis en los emplazamientos y/o los desplazamientos de los sujetos dramáticos y la alusión a las situaciones del exilio interior y exterior. En segundo lugar, el artículo se propone identificar, en estas circunstancias históricas asociadas al control social extremo, subjetividades que se caracterizan por la fractura y la inestabilidad. El desarrollo de ambos aspectos estará centrado en dos films destacados de la corriente: Los miedos (Alejandro Doria, 1980) y Hay unos tipos abajo (Rafael Filipelli y Emilio Alfaro, 1985).

Pendant la dernière dictature militaire argentine (1976-1983), et ensuite, dans la première phase de la post-dictature (1983-1989), la fiction hermético-métaphorique s’est avérée une tendance cinématographique alternative qui a montré les principaux conflits de l’époque de manière réflexive et critique. Cette tendance se caractérise par le développement de récits chiffrés et éloignés de la représentation réaliste et mimétique, et qui donnent une importance toute particulière à des éléments allégoriques et métaphoriques. Ce travail se propose d’étudier la perméabilité de cette tendance cinématographique par rapport aux pratiques politiques et aux situations répressives et traumatiques imposées par le gouvernement de facto. Pour ce faire, premièrement, nous analyserons la représentation de la domination exercée par l’État sur les individus et la société, en soulignant les positions et/ou les déplacements des sujets dramatiques et les références à l’exil intérieur et extérieur. Deuxièmement, l’article cherche à identifier de subjectivités fracturées et instables – dans le contexte historique caractérisé par un extrême contrôle social. Ces aspects seront analysés à partir de deux films importants de cette tendance: Los miedos (Alejandro Doria, 1980) et Hay unos tipos abajo (Rafael Filipelli et Emilio Alfaro, 1985).

INDEX

Mots-clés: Cinéma argentin, dictature, post-dictature, fiction, allégorie, métaphore, discipline sociale Palabras claves: Cine argentino, dictadura, postdictadura, ficción, alegoría, metáfora, dominación social Keywords: Argentine Cinema, dictatorship, post-dictatorship, fiction, allegory, metaphor, social domination

AUTHOR

ANA LAURA LUSNICH

Ana Laura Lusnich es doctora en Filosofía y Letras con mención en Artes, Facultad de Filosofía y Letras, Universidad de Buenos Aires. Investigadora independiente del Consejo Nacional de Investigaciones Científicas y Tecnológicas (CONICET) y profesora adjunta de la Carrera de Artes,

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Facultad de Filosofía y Letras, Universidad de Buenos Aires. Puán 470, Ciudad Autónoma de Buenos Aires, CP 1424. [email protected]

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Aproximações e tensões entre o ICAIC e a política cultural em Cuba Approaches and tensions between the ICAIC and cultural policy in Cuba Approches et tensions entre l’ICAIC et la politique culturelle à Cuba Aproximaciones y tensiones entre el ICAIC y la política cultural en Cuba

Mariana Villaça

Introduction

1 Neste artigo apresentamos de forma sucinta algumas conclusões a que chegamos em nossa pesquisa de doutorado1, na qual abordamos a história do Instituto Cubano del Arte e Industria Cinematográficos (ICAIC) e sua relação com a política cultural do governo pós-Revolução, tomando as obras cinematográficas como espaço privilegiado para a compreensão dos dilemas estéticos e embates ideológicos vividos pelos cineastas cubanos. Para discutir o papel do ICAIC como formulador e negociador da política cultural2, optamos, neste artigo, por focar duas de suas produções cinematográficas, realizadas em diferentes momentos : Coffea Arábiga (Nicolás GuillénLandrián, 1968) e El otro Francisco (Sergio Giral, 1973).

2 Na pesquisa que empreendemos, a análise dos filmes permitiu entrever, por meio da identificação das opções formais, das ambiguidades e dos diálogos políticos ali presentes (de forma mais ou menos evidente), as tensões que permearam as relações da direção do ICAIC com os realizadores e de ambos com o governo cubano. Tais relações foram bastante complexas e permeáveis ao longo das últimas quatro décadas do século XX. Alfredo Guevara, que por mais tempo personificou a função de diretor do ICAIC, nem sempre protegeu os cineastas das determinações ou represálias do governo ; não obstante, nem sempre agiu como simples « correia de transmissão » das ordens oficiais. Devido aos limites deste artigo, nos furtaremos a analisar sua fundamental e ambígua atuação política na história do ICAIC (tarefa que requereria mais espaço para exemplos e reflexões). Tampouco nos dedicaremos a tratar diretamente de conflitos entre cineastas e representantes do governo que vieram a público em Cuba, os quais

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abordamos em nossa tese de doutorado. Neste trabalho, optamos por tentar mostrar, em duas produções, como se evidenciam essas tensões ao se procurar atender a política cultural « oficial » e como se perfazem sentidos ambíguos que emanam das saídas encontradas pelos cineastas para expressarem sua arte sem contrariar explicitamente as expectativas governamentais depositadas no ICAIC. Assim,nos valemos do exame dessas produções, acatando a premissa de que o filme pode « abrigar leituras opostas acerca de um determinado fato », revelando dilemas ideológicos e estéticos de forma privilegiada (Morettin, 2009 : 42, 1964). 3 Ainda que o cinema cubano pós-revolucionário tenha sido controlado pelo Estado, cabe enfatizar que os projetos encomendados ao ICAIC que emanaram dos organismos governamentaisforam, em alguns casos, ressignificados ou traduzidos de forma ambígua nas obras. Além disso, é preciso considerar que a política cultural cubana pós- Revoluçãonão foi unívoca e nem partiu exclusivamente das altas esferas do poder : na prática, ela não correspondeu exatamente ao discurso enunciado pelo governo, uma vez que foi conformada pela dinâmica das relações institucionais,pessoais e pelas micro políticas culturais elaboradas no interior de instituições muito influentes, como o ICAIC e a Casa de las Américas3. A análise desses dois filmes, a nosso ver, permite dimensionar tais considerações. Antes disso, no entanto, cabem algumas observaçõespreliminares sobre o ICAIC.

ICAIC e governo : adesão e resistência

4 O ICAIC foi a primeira instituição cultural criada após a Revolução,em 1959,com a finalidade de produzir uma arte capaz de atingir um público amplo, incluindo a população não letrada, sendo entendida como um privilegiado « instrumento de opinión y formación de laconsciencia individual y coletiva »4. A atuação desse Instituto, no entanto, não se resumiu a de mero veículo de pedagogia política: foi palco de constantes tensões e debates. Algumasvezes, a direção do Instituto atuou como mediadora entre os projetos dos cineastas e as determinações do governo, tornando possível a realização de obras « aceitáveis » oficialmente, ainda que passíveis de restrições na exibição5. Atrelado ao governo cubano e carregando as vantagens e desvantagens de ser uma instituição estatal num contexto autoritário, o ICAIC desenvolveu uma política de barganha que acompanhou e se moldou às mudanças políticas do regime. Nesse sentido, podemos afirmar que desempenhou um papel paradoxal na constituição da política cultural cubana, exercendo um jogo de adesão e resistência.

5 O peso do ICAIC no cenário político e cultural cubano facilmente se confirma no fato de sua direção ter participado ativamente de todos os eventos que definiram os rumos da política cultural em Cuba. Para além dessa atuação, é preciso lembrar a explícita importância conferida ao cinema, pelo Estado, e as largas dimensões desse Instituto, que abrigou uma grande quantidade de cineastas, artistas e intelectuais. O ICAIC se tornou gradativamente um espaço vocacionado a acolher algumas personalidadesdo meio artísticoe intelectual malvistas pelo governo e ali colocadas à prova, caso do escritor Jesús Díaz, que lá permaneceu numa espécie de « exílio interno »por quase vinte anos. O mesmo observamos em relação a alguns artistas considerados oficialmente « suspeitos » de serem contrarrevolucionários (ou, ao menos, pouco comprometidos politicamente) como Silvio Rodríguez, um dos músicos convidados a

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constituir o Grupo de Experimentación Sonora del ICAIC(1969-1976), sem falarmos em cineastas estrangeiros um tanto ambíguos em suas orientações políticas e estéticas, como Glauber Rocha, também recebido no ICAIC6. Ao mesmo tempo, o Instituto correspondeu plenamente a muitas demandas oficiais, como se vê, por exemplo, no empenho institucional ininterruptamente despendido para a realização do Noticiero ICAIC Latinoamericano, ou na convocação dos cineastas para que realizassem filmes de conteúdo histórico que atendessem às comemorações dos « CienAños de Lucha », no contexto do programa de mobilização popular denominado Ofensiva Revolucionaria, no final dos anos sessenta (Del Valle Dávila, 2014 : 102-108 ; 127-132). 6 A plural constituição do ICAIC evidencia omicrocircuito cultural gerado pelo próprio Instituto, que repercutiu no ecletismo de sua produção, com claros desdobramentos políticos. Tal ecletismo se confirma, já nos anos 1960, na original cartazística produzida7, na ousadia de suasmostras de cinema estrangeiro, nas pouco convencionaistrilhas sonoras compostas pelo Grupo de Experimentación Sonora, nas conturbadas mesas-redondas e cine-debatesorganizados pelo Instituto e, por fim,no teor crítico ou ambíguo de diversos filmes que, somados, significaram pressão ou velada resistência às diretrizes oficiais da política cultural. 7 Sustentar esse ecletismo foi possível graças à natureza da relação do Instituto com o governo, mediante a qual este se configurou como uma instituição privilegiada8.O ICAIC, apesar de tutelado pelo Estado, já nasceu gozando de uma relativa autonomia, não estando subordinado a nenhuma instância política do meio cultural até 1975, quando foi feita uma grande reestruturação do aparelho estatal por ocasião do I Congresso do Partido Comunista de Cuba, e criou-se o Ministério da Cultura (MINCULT). Mesmo após essa mudança,o Instituto continuou com certos privilégios na cena cultural e política cubana, uma vez que seu diretor passava a ser, automaticamente, o vice-ministro da Cultura. 8 Como instituição estatal, o processo de conformação do corpo de integrantes do ICAIC, ao longo dos anos 1960,apresenta características interessantes. Apesar do forte vínculo com a cúpula do governo que, ao longo dos anos sessenta, se tornou praticamente equivalente à cúpula do Partido Comunista de Cuba (fundadooficialmente em 1965), a maioria dos profissionais que integraram o Instituto não era afiliada do Partido Comunista, o que resultou num quadro peculiar de inserção no Estado, sem o grau de compromisso ideológico esperado num cenário de monopartidarismo. 9 Esse dado pesou, naturalmente, em determinados momentos de atrito e negociação entre o ICAIC e as autoridades políticas, ao observarmos diferentes tratamentos conferidos aos cineastas, segundo seu nível de engajamento. Aqueles que, mesmo não sendo afiliados do Partido Comunista, ostentassem certas provas de seu envolvimentona Revolução, possuíam mais chance de atuarem como realizadores. O status dos cineastas junto ao ICAIC e ao governo era assim determinadopelo peso de certos capitais simbólicos, como a prática de militância no passado, o grau de participação no processo revolucionário, bem como o parentesco com alguma autoridade ou o prestígio internacional individualmente conquistado. 10 A fim de melhor mapearmosas oscilações elimites da tolerância da direção do Instituto para com os cineastas, no tocante aos experimentalismos ecríticas presentes em certos filmes, focamos, em nossa tese, diversos casos que ajudam a examinarmomentos e comportamentos diversos do Instituto em relação às diretrizes da política cultural oficial. Como já anunciamos, neste artigo nos deteremos no documentário CoffeaArábiga

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(1968) e nofilme de temática « histórica »El otro Francisco (1973). Ambos fundem, em alguma medida, o estilo documental com a linguagemdo cinema de ficção e utilizam pitadas mais ou menos carregadas de crítica política em suas obras. Devido às vicissitudes dos contextos históricos nos quais cada um foi produzido, bem como ao perfil de cada um dos cineastas, são casos que refletem diferentes marcos de negociação entre os realizadores e a direção doICAIC, bem como diferentes níveis de tensão entre este organismo e as demandas do governo9. 11 O primeiro caso,CoffeaArábiga,trata-se de um curta-metragem documentaloficialmente encomendado ao Instituto, que foi realizado, entretanto, de forma provocativa e esteticamente experimental. O documentário gerou um grande mal-estar entre a direção do ICAIC e as autoridades políticas, teve sua exibição pública proibida, mas o cineasta contou com novas oportunidades para se « redimir »como realizador e permaneceu no Institutopor vários anos, ainda que sob condições especiais, antes queoutras « ousadias » provocassem sua definitiva expulsão. 12 O segundo caso, El otro Francisco, éum longa-metragem realizado após o I Congresso Nacional de Educação e Cultura, em 1971, evento que marca o início de uma postura muito mais rígida do governo no que se refere à liberdade de expressão, inaugurando um período de acirrado autoritarismo e grande impacto no meio cultural que ficaria conhecido como Quinquênio Gris10. Esse filme, ao contrário do anterior, atendeu satisfatoriamente às expectativas do governo e não sofreu nenhum tipo de restrição, mas apresentava críticas políticas sutis em sua estrutura narrativa. Seu realizador, anos mais tarde, radicalizaria seus questionamentos e acabaria optando pelo exílio nos Estados Unidos, mesmo destino de Nicolasito.

Coffea Arábiga

13 No início dos anos 1960,polêmicas que tiveram seu início no ICAIC , como o « Caso P.M. »e a « Crise de 1963 »foram momentos especiais de afirmação políticado Instituto no cenário cultural, uma vez que suscitaramdiscussões amplas sobre a relação entre arte e política que rapidamente extrapolaram as fronteiras do meio cinematográfico e catalisaram a atenção dos dirigentes11.Uma onda de entusiasmo pela liberdade de criação e de expressão foi abafada, nessa época, pelas determinações de que a propaganda e a educação políticas, traduzidas pela arte « da Revolução »deveriam ser prioridade. Alfredo Guevara, presidente do ICAIC desde sua fundação, que antes se portava como um entusiasta dos experimentalismos e combatente voraz do realismo socialista, se posicionou gradualmente ao lado do governo e aos poucos foi adaptando seu discurso a fim de demonstrar total adesão ao projeto político em voga12.

14 No decorrer desse processo que estabeleceu regras cada vez mais rígidas para as artes, a maioria dos cineastas, sem outras alternativas, acompanhou a direção aderindo ao discurso oficial em seus pronunciamentos ou simplesmente silenciando como figuras públicas, muito embora, na prática, nem sempre cumprissem a « agenda » da política cultural governamental em suas realizações fílmicas. Esse foi o caso de Nicolás GuillénLandrián (1938-2003), o Nicolasito, considerado um enfant terrible do meio cinematográfico cubano, nos anos 1960, cujos ousados documentários tiveram orçamentos aprovados e foram finalizados no ICAIC, ou seja, contaram com aval institucional, ainda que no mais das vezes sequer chegassem a público.

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15 Seu documentário Coffea Arábiga se situa num momento de clivagem da política cultural. Nesse polêmico curta-metragem feito para a campanha do cultivo de café nos arredores de , que não chegou a ser exibido à população, encontramos uma mescla de criatividade e didatismo permeada de ironia e subjetividade.Convém destacar que Nicolasito, sobrinho do famoso « poeta nacional de Cuba »e dirigente comunista, Nicolás Guillén, teve uma carreira ascendente rápida dentro do Instituto. Seu caso nos permite perceber a política interna do ICAIC e a relevância do protecionismo político que garantiu sua permanência ali por cerca de dez anos, ainda que desde o início dos anos 1960 suas obras fossem consideradas, no mínimo, difíceis eousadas, e seu comportamento fosse taxado de inadequado. Nicolasito afrontou, em vários momentos, as convenções do ICAIC e a política cultural do governo. No próprio ano de 1968 foi acusado de tramar, com a cineasta Sara Gómez e outros intelectuais, a redação de um manifesto de lançamento de um movimento negro cubano, sendo por isso proibido de participar do Congresso Cultural de Havana, evento que prenuncia as duras determinações apresentadas no I Congresso Nacional de Educação e Cultura, em 1971 (Miskulin, 2009 : 185). Nicolasito e todo o grupo almejavam discutir abertamente a questão do negro no país (tema inaceitável para o governo, que declarara não haver racismo em Cuba após a Revolução). 16 O nível de afrontamento – moral, comportamental e político – dos filmes e do indivíduoNicolasito, logo atribuído a problemas psiquiátricos, ultrapassou o limite do tolerável e criou impasses na negociação da direção do ICAIC com o governo. Isso não só o impediu de ter seus filmes divulgados como implicou sua lenta expulsão do ICAIC, seguida do apagamento de seu nome da memória oficial da cinematografia cubana, memória essa que foi recuperada – e parcialmente redimida – após o cineasta ter falecido, em 2003, nos Estados Unidos13. 17 Coffea Arábiga, que deveria seguir a linha dos documentários « científicos populares », foi encomendado pelo ICAIC a Nicolasito a título de concessão deuma « segunda chance »,após um período em que o cineasta havia sidosubmetido à prisão e tratamento psiquiátrico. Deveria abordar um programa de plantio de café, o plancafetalero, que vinha sendo executado na região chamadaCordón de La Habana, no contexto da Ofensiva Revolucionaria, campanha de mobilização nacional cujo objetivo era promover um salto do país em direção à sua autonomia econômica. Esse plancafetalero, entretanto, antes que o documentário fosse finalizado, deu evidentes sinais de fracasso : a região não se mostrou conveniente para tal produção e o despreparo dos improvisados cafeicultores comprometeria penosamente a colheita. 18 Ainda assim, o documentário foi finalizado e aparentava ser « politicamente correto »em sua sinopse. Porém, logo nos primeiros momentos, a narração fragmentada, sua trilha sonora incomum e as rápidas intervenções em forma de animação gráfica, como um contradiscurso à imagem, denunciavam a presença de uma forte dose de irreverência e ironia na abordagem pretensamente « didática ». Vale dizer que o filme é hoje considerado um dos mais insólitos feitos na Ilha (Paranaguá, 2003 : 216).Mais do que tratar de café, Nicolasito abordava ambiguidades da sociedade cubana : o permanente legado do escravismo, o pouco entusiasmo da população pelo trabalho voluntário, a relação das massas com o líder Fidel (o « culto à personalidade »), o papel dos meios de comunicação, além de outros temas delicados. 19 O cineasta utilizava algumas estratégias formais como a reiteração – verbal e imagética – para dotar certos elementos de significação ambígua. Isso se observa no

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enquadramento, por exemplo, de um sol a pino, causticante, em diversas cenas, bem como na repetição de closes em rostos cansados e atônitos que fitam a câmera. Além disso, movimentos corporais reprisados e outras propositais insistências dos movimentos de câmerasugerem circularidade,morosidade, tédio, enfim, sensações pouco estimulantes num documentário que deveria ser instrutivo e mobilizador. Ao parodiar, em alguns momentos, o linguajar técnico comum nos curtas educativos, exagerando nos efeitos gráficos e sonoros para reiterar as informações,Nicolasito ridicularizava o caráter excessivamente pedagógico desses documentários « científicos ». 20 Igualmente provocativa no filme era a trilha sonora, constituída, dentre algumas citações musicais, por trechos das canções Flyinge The FoolontheHill(ambas de 1967), dos Beatles, que estavam proibidos se serem veiculados na Ilha, sob a alegação de que difundiam um gênero musical imperialista. The FoolontheHilléexecutada inicialmente em versão instrumental e em versão cantada como coroamento das cenas finais, momento em que seutítulo é exibidona tela (em inglês e em espanhol), logo após imagens da praça da Revolução lotada, onde vemos populares olhando para o alto palanque de Fidel, a sua espera. Nessa sequência, legendas ainda anunciavam: « dizem que era um tolo o homem na colina que olhava o sol se pôr ».A sugestiva frase admitia várias interpretações, inclusive a de que todos aqueles cidadãos passivos exerciam papel de tolos, dedicando-se a trabalhos « voluntários »infrutíferos,como já sucedera com outras campanhas governamentais. 21 Após o fracasso dessa obra, Nicolasito, amparado por sua situação de parentesco e pelo reconhecimento de seu inegável talento como cineasta porseus pares, ainda realizaria outros polêmicos documentários – caso de Taller de Línea y 18 (1971) e Nosotros en el Cuyaguateje (1972) –que apenas agravaram sua reputação e chegaram, inclusive, a ser usados como provas de acusação no julgamento de sua postura contrarrevolucionária, por transparecer diversionismo ideológico 14. Nicolasito foi expulso do ICAIC, em 1973. Após um longo período de ostracismo na Ilha, atuando como pintor amador, exilou-se em 1989 nos Estados Unidos, onde realizou seu último trabalho, MiamiDowntown, codirigido por Jorge EgusquizaZorrilla15.

El otro Francisco

22 As determinações de política cultural divulgadas em 1971 afetaram a relação do Instituto com o governo, e sua autonomia diminuiu sensivelmente. O cinema passou a ser mais controlado, a revista Cine Cubano deixou de circular por alguns anos e os cineastas tiveram que se prender mais às temáticas oficiais, dentre as quais se incluía a história de Cuba, numa perspectiva que enfatizava a interpretação da Revolução como um coroamento de lutas históricas, desde o período colonial16.

23 Ainda assim, vários realizadores não se restringiram ao discurso panfletário e desenvolveram formas de abordar os impasses da sociedade cubana. Alguns filmes baseados em temas históricos teceram, a partir da discussão da identidade nacional, críticas entremeadas de exortações, adotando caminhos tortuosos para abordar debates contemporâneos. Esse é o caso de El otro Francisco, longa-metragem de estreia de Sergio Giral (1937-), que adere ao discurso oficial mas deixa em sua obra algumas brechas pelas quais o espectador poderia vislumbrar certas inquietações com os rumos tomados pelo país.

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24 O filme explora o tema da escravidão, que passou a ser muito estimulado a partir do final dos anos 1960, tanto por sua adequação às comemorações oficiais dos « Cem Anos de luta », como pelo interesse do governo em valorizar o negro como integrante fundamental da sociedade cubana, num contexto em que todos deveriam se sentir igualmente identificados e prontos a colaborar com as metas fixadas e a defesa do país. Nesse contexto, Giral produziu uma trilogia sobre a escravidão, inaugurada por El otro Francisco (1973), ao qual se seguiram : Rancheador (1975) e Maluala (1979). Assim como se nota na trajetória de Nicolasito, questões relacionadas ao lugar donegro na sociedade cubana – particularmente certas permanências históricas herdadas do regime escravista– se fazem marcadamente presentes nos filmes de Giral. 25 El otro Francisco se destaca no conjunto dos chamados negrometrajes 17, pois, usando de intertextualidade entre literatura e cinema, problematiza a construção da memória histórica. O filme, inspirado em Francisco (1838), o primeiro romance cubano antiescravista, de autoria de Francisco de Anselmo Suárez y Romero, trata do amor impossível entre os escravos Francisco e Dorotéa, ambos criados na casa senhorial de um engenho, que são separados e sofrem perseguições do filho do patrão (Ricardo Mendizábal), que deles se vinga por não ser correspondido em seu amor por Dorotéa. 26 Ainda que na obra literária houvessem descrições realistas de ambientes, costumes e dos maus-tratos impostos aos escravos, seu tom era marcadamente romântico, olhar que se estendia à perspectiva política reformista do autor. Um dos objetivos do cineasta foi, então, criticar esse romance novecentista, mostrando o quanto o escritor possuía uma visão ingênua e idealista da escravidão. Para isso buscou confrontar a narrativa literária com uma exposição didática – ao gosto marxista – dos diversos interesses econômicos e políticos que orientavam o sistema escravista. Paralelamente, também recriou no filme alguns episódios biográficos do escritor e abordou a recepção do romance, representando tertúlias nas quais este teria sido lido e debatido. Esses dois universos – o do escravo Francisco e o do escritor Francisco – são mostrados separadamente, no início, mas ao longo do filme se mesclam, e personagens de um e de outro meio social acabam contracenando. 27 Há praticamente dois filmes dentro do mesmo : inicialmente Giral explora a história do casal em sua vertente trágica e melodramática, tal como o livro, e depois faz uma segunda leitura que chama de « realista », e que tem grande influência brechtiana. Na perspectiva de desconstruir o romance (propondo « outro Francisco », como sugere o título), usa a metalinguagem para sugerir diferentes abordagens e desfechos da história18.Assim, em diversos momentos da segunda parte do filme, temos um narrador onisciente que interrompe, paralisa a cena e apresenta novos dados e estatísticas que reorientam a visão do espectador, mostrando as inverdades históricas contidas na obra original. Esse narrador esmiúça também as motivações e limitações ideológicas do escritor, sugerindo, por exemplo, que este teria sido obrigado a fazer concessões para conseguir publicar. Salienta a conveniência política de se construir, naquela época,uma imagem idealizada dos escravos e desmascara os interesses econômicos de diversos abolicionistas. É feita, portanto, uma espécie de contextualização histórica « dialética »do séculoXIX, cujas características lembram o momento presente cubano : as metas de produção, o acirramento do controle sobre o trabalho, o apelo ao sacrifício coletivo e as limitações da liberdade do intelectual, que é obrigado a se adequar às expectativas daqueles que o patrocinam.

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28 Nos momentos finais , o cineasta propõe uma análise das razões do suicídio do escravo Francisco, que ocorre no livro como um ato desesperado de amor, ao estilo Romeu e Julieta. Apresenta duas hipóteses explicativas : o suicídio como prova da covardia de Francisco – explicação com a qual parece não concordar –ou como uma forma trágica de « resistir », uma vez que muitos escravos se suicidavam por não suportarem sua condição. Giral, ao tocar nesse tema delicado em Cuba, propunha uma interpretação que pressupunha a tensão entre o indivíduo e a sociedade, dando razão ao primeiro. 29 Em seguida, há um desfecho « politicamente correto »para a história original, no qual a justiça se cumpre e os escravos se rebelam heroicamente. São listadas inúmeras rebeliões escravas durante todo o século XIX e surge na tela o seguinte texto de encerramento, moldado ao discurso da celebração da Nação e do culto aos heróis nacionalistas : Vários anos haveriam de passar e muitos horrores aconteceriam antes que a vanguarda revolucionária rompesse a barreira da cor. Céspedes, Agramonte, Martí, Maceo, Gómez e muitos outros patriotas uniram brancos e negros, e fundiram todas as forças em sua luta pela libertação e pela independência da Ilha, em sua luta por criar nossa Nação [tradução nossa]. 30 Ainda assim, ao tocar nas contradições da sociedade cubana do século XIX, ao explorar certos tipos, ao formular certas perguntas sobre o que era « falso » e « verdadeiro »,o filme suscitava ao espectador certos dilemas do presente (acerca, por exemplo, da identidade do « verdadeiro revolucionário ») e sugeria que nem tudo é o que aparenta ser. A autocensura do escritor Francisco (obrigado a fazer concessões), o excesso de pedagogia e de estatísticas na versão fílmica mais « realista » do romance, bem como a existência de interesses ocultos por trás de todos os discursos enunciados na tramafaziam eco a acontecimentos recentes – particularmente oCaso Padilla19–e valorizavam a questão do « ponto de vista ».

31 Giral, com Techo de vidrio (1981) 20 e ao longo dos anos 1990, em María Antonia (1991) continuou se enveredando pela adaptação de obras literárias e teatrais para o cinema, e acirrou a crítica política e social em seus filmes. Nos anos 1990, após realizar seu sexto longa-metragem, exilou-se nos Estados Unidos onde realizou, entre outras obras,o documentário Cuba : The BrokenImage (La imagen rota, 1995), em franco tom de denúncia, a partir de depoimentos e entrevistas a ex-profissionais do ICAIC, que narram sua trajetória de vida, as dificuldades enfrentadas na Ilha e suas experiências no exílio, nem sempre bem-sucedidas.

Considerações finais

32 Nicolasito eGiral criaram e dialogaram com as balizas políticas, estímulos e demandas vigentes em cada época. Suas obras não ficaramimunes às polêmicas edebates que imperavam no meio culturalem cada um dos momentos : mais que isso, podem e devem ser lidas como partes constitutivas desse conflituoso processo.

33 Os exemplos abordados nos dão alguma medida das dificuldades enfrentadas pelos cineastas cubanos, que se tornam evidentemente maiores nos anos 1970 se comparadas à década anterior, e do comportamento pendular da direção do ICAIC em relação ao governo. Este, quase sempre,ostentou um discurso de reiteração da política cultural do governo, principalmente quando o autoritarismo recrudesceu, mas possibilitou que nos filmes produzidos sob sua tutelainstitucional,determinadas ousadias críticasfossem

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explicitadas ou sugeridas, conforme a conjuntura e a situaçãomais ou menos favorável do realizador no jogo político de adesão eresistência. Nesse Instituto identificamos, assim,a existência deum « cabo de guerra » envolvendo três polos distintos (governo, direção do ICAIC, cineastas), que nos ajuda a compreender os matizes e diferentes graus de crítica política que compõem suas produções e seu discurso oficial. Nesse Institutotiveram lugar tanto obras de forte teor propagandista, muito afinadas com a políticagovernamental,como filmes permeados por críticas sutis ou descaradas, nos quais o historiador vislumbra rico material para a compreensão da peculiar política cultural que, na prática, se desenhou em Cuba. As obras dos dois cineastas que mobilizamos neste artigo demonstram que criar e agir dentro do registro da ambiguidade, com maior ou menor ênfase, constituiu-se o caminho possívelpara os cineastas cubanos que, até não mais conseguirem, permaneceram na Ilha.

BIBLIOGRAPHY

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Filmografia

Coffea Arábiga (Cuba, 1968) ; P&b, 18’. Série Documentales Científico-Populares ; Diretor : Nicolás Guillén Landrián ; Roteiro : Nicolás Guillén Landrián e Miguel Zárraga ; Fotografia : LupercioLopez ; Edição : Iván Archa ; Música : Armando Guerra (canções de Beatles, Pello el Afrocán e Jazz Crusaders).

El otro Francisco (Cuba, 1974) ; color, 100’. Diretor : Sergio Giral. Roteiro : Sergio Giral (adaptação do romance Francisco, de Anselmo Suárez y Romero). Fotografia : Livio Delgado ; Música : Leo Brouwer. Atores : Miguel Benavides, Ramón Veloz, Alina Sánchez, Margarita Balboa, Adolfo Llauradó, Alden Knight. Prêmios recebidos : Melhor atuação masculina a Miguel Benavides no IX Festival Internacional de Moscou (1975), prêmio de direção e melhor filme no II Festival de Cinemada Jamaica (1975), prêmio Cacho de Ouro no V Festival Internacional de Cinema de Santarém (Portugal, 1975), prêmio Teatro no XVI Festival de Cartagena (Colômbia, 1976).

NOTES

1. A tese foi publicada sob o título Cinema Cubano. Revolução e Política Cultural. São Paulo : Alameda, 2010. O presente texto é uma versão ampliada da comunicação apresentada no ColloqueInternational« Paradoxesducinémacubain (1959-2009) », organizado pelo Prof. Emmanuel Vincenot, na Universidade François Rabelais, em Tours (França), em fevereiro de 2009. 2. Sobre o amplo conceito de política cultural, ver Urfalino, Philippe, « A história da política cultural »,in Jean-François Sirinelli, Jean PierreRioux, Para uma história cultural. Trad. Lisboa, Estampa, 1998, p. 293-305 ; e Coelho, Teixeira, Dicionário crítico de política cultural, São Paulo, Fapesp/Iluminuras, 1999. 3. O sociólogo José JoaquínBrunner define política cultural como uma constelação móvel de circuitos culturais que se encadeiam entre si e se enredam à sociedade por dentro, definição com a qual concordarmos. Na « constelação » do campo cultural cubano, ICAIC e Casa de Las Américas foram « planetas », dotados de vários satélites e com órbitas independentes que se cruzaram em diversos momentos. Brunner, J.J., América Latina : cultura y modernidad, México (D.F.), Grijalbo/ Conaculta, 1992, p. 252-253 ; 279-281. 4. Ley n. 169, de 24 de marzo de 1959. Disponível em: https:// cinecubanolapupilainsomne.wordpress.com/2008/08/15/ley-no-169-de-creacion-del-icaic/. Acesso em 10 de junho de 2015. Uma análise dessa lei pode ser encontrada em Del Valle Dávila, Ignacio. Cámaras en trance. El nuevo cine latinoamericano. Un proyecto cinematográficosubcontinental. Santiago de Chile, Editorial Cuarto propio, 2014. pp. 87-90. 5. Vários filmes de Nicolás GuilénLandrián, por exemplo, tiveram concluída sua realização mas, a exemplo do que ocorreu com Coffea Arábiga, sequer chegaram a estrear. Mesmo após a censura a este último, Nicolasito contou com novas oportunidades nos anos seguintes para continuar filmando e teve tais produções, que também não se limitavam às temáticas encomendadas, finalizadas. Estranhamentos, negociações e acordos também foram constantemente presentes na trajetória de Tomás Gutiérrez Alea. Seu filme Hasta CiertoPunto é paradigmático dessa relação de negociação

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que implicou em cerceamentos e adaptações durante a elaboração do roteiro e a produção do filme, bem como restrições veladas na temporada de exibição (Villaça, Mariana. « Crítica e engajamento político no cinema cubano : ousadias e limites de Hasta CiertoPunto ». Revista ArtCultura, Programa de Pós-graduação em História, Universidade Federal de Uberlândia, vol.8,n. 13, jul-dez/2006, p. 225-242). 6. Abordamos detidamente a história do Grupo de Experimentación em Polifonia Tropical. Experimentalismo e engajamento na música popular. (Brasil e Cuba, 1967-1972), São Paulo, Humanitas/ FFLCH-USP, 2004. Sobre a experiência de Glauber Rocha no ICAIC, ver artigo de nossa autoria, « America Nuestra – Glauber Rocha e o cinema cubano ». Revista Brasileira de História. Viagens e Viajantes, vol. 22, no 44, 2002, p. 489-510. 7. Sobre a cartazística cubana, ver: Castro, Claudia Gomes de . « Imagens da Revolução Cubana. Os cartazes de propaganda política do Estado socialista (1960-1986) ». Dissertação de Mestrado em História. Belo Horizonte, UFMG, 2006 e Vega, Jesús (comp.),El cartel cubano de cine, La Habana, Letras Cubanas, 1996. 8. Segundo Raymond Williams, a condição privilegiada favorece a postura de enfrentamento ou questionamento do status quo e, por isso, tais instituições são mantidas geralmente apartadas, sob « graus de distância relativamente fixados », de acordo com o prestígio de seus porta-vozes (intelectuais e artistas) junto ao governo ou ao partido hegemônico.Williams, R.,Cultura, Rio de Janeiro, Paz e Terra, 1992. 9. O jornalista e crítico cubano Juan Antonio García Borrero possui várias publicações em que trata da história do cinema cubano, abordando casos considerados polêmicos e tensões entre dirigentes e cineastas, envolvendo, inclusive os estrangeiros que estiveram no ICAIC. Na época em que desenvolvemos nossa pesquisa de doutorado, no início dos anos 2000, o Guía crítica del cine cubano de ficción por ele organizado (La Habana, Editorial Arte y Literatura, 2000), foi uma valiosa referência para o mapeamento dos filmes que suscitaram debates na imprensa cubana. Destaco, ainda, suas obras posteriores: Intrusos en el paraíso. Los cineastas extranjeros en el cine cubano de los sesenta. Granada: Editorial Juan de Andalucía, 2009 ; La edad de la herejía (Santiago de Cuba, Editorial Oriente, 2002) ; Rehenes de la sombra. Ensayos sobre el cine cubano que no se ve. (Madrid, Festival de Huesca- Casa de América de Madrid – Filmoteca de Andalucía, 2001). 10. Sobre as resoluções desse Congresso e a discussão acerca da duração do suposto « quinquênio », termo ao qual alguns estudiosos contrapõem a expressão « decênio negro », ver Miskulin, Silvia Cezar, Os intelectuais cubanos e a política cultural da Revolução (1961-1975), São Paulo, Alameda, 2009, p. 227-237. 11. O Caso P.M, em 1961, e a Crise de 63 foram momentos de efusivo debate acerca dos rumos da política cultural em Cuba, diretamente vinculados ao meio cinematográfico, pois discutiam a proibição da exibição de determinadas obras no país (nacionais – caso do curta documental P.M., de Sabá Cabrera-Infante e Orlando Jiménez Leal – e estrangeiras – como La dolcevitta, de Federico Fellini e El Ángel exterminador, de Luis Buñuel). Sobre o Caso P.M, ver o capítulo 5 de Miskulin, S. C. Cultura Ilhada : imprensa e revolução cubana (1959-1961), São Paulo, Xamã, 2003, p. 159-193. Sobre a Crise de 1963, ver o capítulo 3 de Villaça, M.,Cinema Cubano. Revolução e Política Cultural,São Paulo : Alameda, 2010, p. 143-159. 12. Alfredo Guevara (1925-) dirigiu o ICAIC entre 1959 e 1982, e entre 1992 e 2000. Nesta função e como diretor da revista do Instituto, Cine Cubano, produziu uma grande quantidade de ensaios, artigos, cartas e manifestos, em que se pode acompanhar as variações de suas ideias e posicionamentos. Boa parte dessa produção se encontra publicada em coletâneas sob sua autoria ou supervisão, tais como Para presentar 50 años de arte nuevoen Cuba. La Habana, Letras Cubanas, 1980 ; Revolución es lucidez, La Habana, Ediciones ICAIC, 1997, Tiempo de Fundación,

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Madrid : Iberautor/Festival Internacional del Nuevo Cine Latinoamericano, 2003, García, Yaíma (ed).Y si fuera una huella? Epistolario, Madrid, Ediciones Autor/Festival Internacional del Nuevo Cine Latinoamericano, 2008. 13. López y Guerra, Humberto,« Guillén el Bueno ». Madrid, Revista Hispano Cubana, n o 18, invierno 2004, p. 225-227. Zayas, Manuel. « Ustedes han visto la muerte? »Miradas. Revista del Audiovisual, 5 de julio de 2003. Também disponível em: https:// manuelzayas.wordpress.com/2007/03/19/ustedes-han-visto-la-muerte/. Acesso em 10 jun 2015. PetuskyCoger, Laura ; Ríos, Alejandro ; Zayas, Manuel. « El cine postergado ». Encuentro en la red, 02 de septiembre de 2005. Disponível em : http:// arch1.cubaencuentro.com/entrevistas/ 20050904/74540a9e00385c591a45bac12d946245.html. Ver também o dossiê organizado por Julio Ramos e Dylon Robbins em : http://www.lafuga.cl/introduccion-a-guillen- landrian/656. Acesso em 10 jun 2015. 14. Além desses dois documentários citados, Nicolasito realizou Desde La Habana (1969), Unreportajeenelpuertopesquero (1972) e Para construir una casa (1972). 15. Sobre a trajetória de Nicolasito, particularmente suas últimas décadas de vida, existem os documentáriosCafé con leche (un documental sobre Guillén Landrián), de Manuel Zayas (Cuba : Escuela Internacional de Cine y Televisión, 2003, 30’), e El fin pero no es el fin, de Jorge Egusquiza Zorrilla e Víctor Jiménez (EUA, 2005, 22’). 16. Essa perspectiva é nítida nos discursos de Fidel Castro (ver, por ex.: Castro, Fidel, « La guerra de 68 : cien años de lucha », Casa de las Américas, ano IX, núm. 50, sept-octubre 1968, p. 3). Esteve também presente nos projetos artísticos que se vincularam às comemorações do Centenário da Independência e foi legitimada por intelectuais e historiadores que, nesse momento, dedicavam estudos e obras sobre o passado escravista, como Miguel Barnet, Manuel Moreno Fraginals e José Luciano Franco. 17. O termo negrometraje, apelido bem-humorado, de origem imprecisa, era usado pela plateia cubana para referir-se originalmente aos três mencionados filmes de Sergio Giral da década de 1970 voltados à temáticas da escravidão e da negritude. MaribelRivero crê que os negrometrajes tenham sido influenciados por uma filmografia norte-americana denominada Blaxploitation que abordava a questão dos direitos civis e do ativismo negro norte-americano. Rivero, Maribel. « Talco negro. Expresiones de ascendencia africana en la cinematografía cubana : trazos del viejo cinema ». La Gaceta de Cuba, n. 4, julio-agosto 2005, p. 17. Ver tambémCort, AishaZakyia. Negrometraje, Literatura and Race in Revlotionary Cuba.Dissertation submitted to the Emory Universityof the requirements for the degree of Doctor of Philosophy in Spanish. Atlanta, 2010. 18. José Antonio Évora atribui tal estratégia à colaboração de Tomás Gutiérrez Alea na realização do filme. Évora, J. A., Tomás Gutiérrez Alea, Madrid, Cátedra/ Filmoteca Española, 1996, p. 202. 19. Sobre o Caso Padilla e sua repercussão, ver Villaça, M. Cinema cubano (...) Op. Cit., p. 267-275 ; Miskulin, S. Os intelectuais cubanos (...) Op. Cit., p. 213-220, e Croce, Marcela (org.), Polémicas intelectualesen América Latina : del« meridiano intelectual » al Caso Padilla (1927-1971), Buenos Aires, Simug, 2006. 20. Esse filme, com roteiro de Manuel Cofiño, foi mal recebido pela crítica e pelas autoridades, permanecendo « engavetado » por cerca de oito anos. Há poucas informações sobre sua censura, mas é sabido que o filme tocava em temas polêmicos, como os privilégios dos burocratas e o desvio de dinheiro público. García Borrero, J. A., Guía Crítica del Cine Cubano de Ficción, La Habana, Editorial Arte y Literatura, 2001, p. 331.

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ABSTRACTS

This article attempts to rethink some of the conclusions reached in my doctoral research on the history of the InstitutoCubano del Arte e IndustriaCinematográficos (Cuban Institute of Art and Cinematographic Industry) (ICAIC). The article assesses the relationship between the institution and the cultural policies of the post-revolution government, taking the films produced by the ICAIC as prerogative to understanding the aesthetic dilemmas and ideological confrontations experienced by Cuban intellectuals and filmmakers. This relationship is analyzed by considering two films produced by the ICAIC at different times :CoffeaArábiga (Arabica Coffee) (NicolásGuillénLandrián, 1968) and El otro Francisco (The Other Francisco) (Sergio Giral, 1973). Through the identification of formal options, ambiguities and political dialogues of the time, this analysis provides an understanding of the tensions that permeated the relationship between the Board of the ICAIC and the filmmakers, and between both of the latter and the Cuban government. The starting point of this study is that the ICAIC participated directly in the creation of cultural policy at the national level, while developing its own micro-politics, which contributed to its configuration as a « privileged institution » in the Cuban cultural scene, according to Raymond Williams’concept. As part of a necessary political game of adhesion and resistance, the filmic production of the ICAIC reflected government campaigns and demands while giving birth to ideological projects, dilemmas and questions that reverberated within the guidelines of cultural policy.

Este artigo busca retomar algumas das conclusões a que chegamos em nossapesquisa de doutorado sobre a história do Instituto Cubano del Arte e Industria Cinematográficos (ICAIC). Abordamos a relação entre ainstituição e a política cultural do governo pós-Revolução, tomando os filmes como obras privilegiadas à compreensão dos dilemas estéticos e embates ideológicos vividos pelos cineastas e intelectuais cubanos. Neste trabalho, tal relação será analisada considerando duas produções cinematográficas do Instituto realizadas em diferentes momentos : Coffea Arábiga (Nicolás GuillénLandrián, 1968) e El otro Francisco (Sergio Giral, 1973). A análise destes permite entrever, pela identificação das opções formais, das ambiguidades e dos diálogos políticos ali presentes, de forma mais ou menos evidente, as tensões que permearam a relação da direção do ICAIC com os realizadores e de ambos com o governo cubano. Partimos do princípio de que o ICAIC participou diretamente da constituição da política cultural, em nível nacional, ao passo que desenvolveu uma micropolítica própria, o que contribuiu para sua configuração como « instituição privilegiada » no cenário cultural cubano, segundo conceito de Raymond Williams. Como parte de um necessário jogo político de adesão e resistência, a produção fílmica do ICAIC atendeu a campanhas e demandas governamentais, enquanto deixou transparecer projetos ideológicos, dilemas e questionamentos que repercutiram nas diretrizes da política cultural.

Cet article reprend certaines des conclusions auxquelles nous sommes arrivées dans notre travail de doctorat sur l’histoire de l’Instituto Cubano del Arte e Industria Cinematográficos (ICAIC). Nous aborderons le rapport entre cette institution et la politique culturelle du gouvernement post-révolutionnaire, en prenant les films comme des œuvres privilégiées pour la compréhension des dilemmes esthétiques et des conflits idéologiques vécus par les cinéastes et les intellectuels cubains. Pour ce faire nous analyserons deux productions cinématographiques de l’Institut réalisées à différents moments : Coffea Arábiga (Nicolas Guillén Landrián, 1968) et El otro Francisco (Sergio Giral, 1973). L’analyse de ces films laisse entrevoir, d’une manière plus ou moins évidente, grâce à l’identification des options formelles, à leur ambiguïté et aux dialogues politiques présents, les tensions qui ont caractérisé la relation de la direction de l’ICAIC avec les réalisateurs et des deux agents avec le gouvernement cubain. Nous partons du constat de la participation

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directe de l'ICAIC à la constitution de la politique culturelle nationale. Mais en même temps il a développé une propre micro-politique ce qui contribue à sa configuration comme « institution privilégiée » sur la scène culturelle cubaine selon le concept de Raymond Williams. L’ICAIC s’est livré à un jeu politique nécessaire d’adhésion et de résistance. C’est pourquoi la production cinématographique de l'ICAIC a répondu aux demandes gouvernementales et à ses campagnes, en même temps qu’elle a laissé apparaître des projets idéologiques, des dilemmes et des questionnements qui ont eu des répercussions sur les directives de la politique culturelle.

Este artículo busca retomar algunas de las conclusiones a las que llegamos en nuestrainvestigación de doctorado sobre la historia del Instituto Cubano del Arte e Industria Cinematográficos (ICAIC). Abordaremos la relación entre esa institución y la política cultural del gobierno pos-Revolución, tomando los filmes como obras privilegiadas para la comprensión de los dilemas estéticos y de los conflictos ideológicos vividos por los cineastas e intelectuales cubanos. Para ello nos centraremos en dos producciones cinematográficas del Instituto realizadas en diferentes momentos : Coffea Arábiga (Nicolás Guillén Landrián, 1968) y El otro Francisco (Sergio Giral, 1973). El análisis permite entrever, por la identificación de las opciones formales, de la ambigüedad y de los diálogos políticos allí presentes, de forma más o menos evidente, las tensiones que permearon la relación de la dirección del ICAIC con los realizadores y de ambos con el gobierno cubano. Partimos del principio de que el ICAIC participó directamente en la constitución de la política cultural a nivel nacional, mientras desenvolvió una micro-política propia, lo que contribuyó a su configuración como « institución privilegiada » en el escenario cultural cubano, según concepto de Raymond Williams. Como parte de un necesario juego político de adhesión y resistencia, la producción fílmica del ICAIC atendió a campañas y demandas gubernamentales, mientras dejó trasparecer proyectos ideológicos, dilemas y cuestionamientos que repercutieron en las directrices de la política cultural.

INDEX

Mots-clés: cinéma cubain, Révolution cubaine, politique culturelle, Nicolás Guillén Landrián, Sergio Giral, ICAIC Palavras-chave: cinema cubano, Revolução Cubana, política cultural, Nicolás Guillén Landrián, Sergio Giral, ICAIC Palabras claves: cine cubano, Revolución cubana, política cultural, Nicolás Guillén Landrián, SergioGiral, ICAIC Keywords: Cuban cinema, Cuban revolution, cultural policy, Nicolás Guillén Landrián, Sergio Giral, ICAIC

AUTHOR

MARIANA VILLAÇA

Professora de História da América no Departamento de História e no Programa de Pós Graduação em História da Escola de Filosofia, Letras e Ciências Humanas da Universidade Federal de São Paulo (UNIFESP). End: Rua do Rosário, 382, Guarulhos –SP, CEP 07111-080, Brasil. Email: marimaviathotmail.com; mariana.villacaatunifesp.br

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From “Plain Abe” to Mythical Mr. Lincoln. Constructing various representational modes of a screen icon De « Abe le Commun » au mythique Monsieur Lincoln. Construction de modes de représentation d’une icône de l’écran Del “Abe el sencillo” al mítico Sr. Lincoln. Construyendo modos de representación de un icono de la pantalla

Anne-Marie Paquet-Deyris

Introduction

1 The first exercises in Lincoln screen iconography started in the early 1900s, most notably with the tableau shot at the close of Edwin Porter’s 1903 Uncle Tom’s Cabin produced by the Edison Film Company and representing Lincoln freeing a slave, and with Essanay Studios’ 1908 The Life of Abraham Lincoln, a lost print likely to have been the first work featuring Abraham Lincoln’s entire life. These early movies, quite a few of which were never retrieved, whether silent or talking, seem intent on representing the modes of construction of a historical giant. Their visual modes and grammar differ as do the aspects of Lincoln’s legend underlined in the movies, from his Frontier-like tenacity in achieving his goals to his visionary capacity, but the aim seems to be constant, if not obsessional, to feature him as what David Donald calls the “ideal hero in classical mythology”1. To various extents, the filmic narratives all evince some hagiographic dimensions. This peculiar aspect is a potent source of fascination when analyzing the Lincoln-related films from the origins of cinema to the present time. Even Steven Spielberg’s 2012 Lincoln, while portraying the scheming and devious actions of the president, eventually launches in the final coda into an ode to the Great

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Emancipator’s extraordinary fight for the 13th Amendment and the freedom of the slaves and his charismatic personality.

2 As the period of the Civil War receded further into the past, Lincoln’s image seemed to become less salient in American life and cinema. The intense proximity between the American people and its sixteenth president seemed to stem from a number of essential reasons. When photography was invented in 1836, Lincoln quickly realized what great political impact it could have on electors. He started visiting photographic studios on a regular basis so that the general public could get acquainted with his distinctive face. These first attempts were consistent with the launch of the Lincoln Cent in 1909 for the first Lincoln 100th anniversary. It further contributed to making available his slowly- constructed image. Born at the end of the nineteenth century, cinema was to adopt quite naturally the different variations on Lincoln’s image and adapt them to the needs of its new moving pictures. The interaction between these iconic agents and moments in American history was intensified by the close connection of the Lincoln persona with the Civil War period which also happened to be the first significant conflict ever to be documented in photographs in America. These different media seem to have somehow manufactured various modes of fascination with Lincoln. Historian Mark Reinhart underlines: [Lincoln] was a natural subject for “moving pictures” since he had been such a memorable subject for “still pictures”. Also, the same could be said for the Civil War itself. [...] Because the Civil War was such a crucial and dramatic period in American history, coupled with the fact that it had taken place only several decades before, it was perfect subject matter for the new entertainment industry. [...] Lincoln had become a legend in the minds of many Americans. They viewed his life story as a personification of the American spirit, embodying the virtues of intelligence, compassion, resolve and love of country. (Reinhart, M., 1999: 7) 3 As irreversible shifts in the historical landscape of the United States, the Civil War and the birth of cinema thus provided a favorable backdrop for complex representations of Lincoln’s figure. And because of the nature of the new medium, imagery, iconic postures and “props” started taking center stage, signaling the man’s larger-than-life and highly symbolic dimension. Through the decades and up to World War II, Lincoln’s literal canonization eventually bears little if any resemblance to the actual man. The trend strikingly intensifies starting with three central films, D. W. Griffith’s 1930 Abraham Lincoln, John Ford’s celebrated 1939 Young Mr. Lincoln and John Cromwell’s 1940 Abe Lincoln in Illinois which already inscribe on screen a certain hagiographic and melodramatic vein which extends all the way to Timur Bekmambetov’s 2012 Abraham Lincoln: Vampire Hunter.

4 Which adaptive strategies have the film directors used to shape Lincoln’s figure over the years?

Fanciful constructs and the displacement of “a man”

5 Asserting the central position of this iconic figure in the filmic narrative and in the frame from the start seems to have been Griffith, Ford and Cromwell’s main preoccupation. Yet the construction of the hero had already begun years before since, as Thompson and Reinhart show in their filmographies, many “Lincoln” films were produced in the first decades of the twentieth century. Ford for instance also made The Prisoner of Shark Island about Samuel Mudd, Lincoln’s assassin’s doctor, in 1936. In the

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1930s, the shaping of the leader’s persona was still in full swing not only on screen, but also in the theatre. Abe Lincoln in Illinois starring Raymond Massey as Lincoln was actually a successful play on Broadway for which Robert Sherwood got the Pulitzer Prize for Drama in 1939 before turning it into a screenplay for John Cromwell in 1940.

6 What the directors seemed to be interested in was rather the variety of ideological processes of heroic construction at work than the production of some accurate historical pieces documenting Lincoln’s “life and work”. But why and how did such deliberately unsatisfying biographical sketches come to structure entire films? 7 Each movie actually starts with the literal or metaphorical birth of a man. In Griffith’s first talkie, Abraham Lincoln, the artificial dimension of Lincoln’s first appearance is staged in a highly melodramatic and expressionistic manner with the camera panning on a wintry landscape with bare desolate trees and a savagely howling wind and eventually focusing on the proverbial log cabin while the intertitle “February 12, 1809” registers on screen. As it goes in to disclose the newborn, it then frames the exhausted face of the dying mother naming her son “Abraham” before a dissolve to an hourglass in close-up and a slightly low angle-shot. The hourglass shot foreshadows the mother’s death and a new intertitle announces: “The story of a man begins”. Because this highly stylized initial scene superimposes the birth and death motifs, it already categorizes the filmic narrative as belonging to the melodramatic rather than the strictly historical genre. And somehow, by contiguity, and by playing on the spectator’s knowledge of Lincoln’s fate, this programmatic opening sequence also inscribes the death of the hero even before he can actually be construed as a hero. The motherless boy who clears himself a path through the Wilderness and grows up against all odds to become a formidable leader draws pathos from the onset. In all three movies, the founding scene is the mother’s death and the brief but potent references made to her fleeting presence and virtual haunting also inscribe the sense of predestination attached to Lincoln’s persona. John Ford chooses to emphasize this eery dimension by focusing on an introductory intertitle characteristic of the silent era and quotes American poet Rosemary Benet’s verse: 8 If Nancy Hanks Came back as a ghost, seeking news Of what she loved most, She’d ask first “Where’s my son? What’s happened to Abe? What’s he done?” “You wouldn’t know about my son? Did he grow tall? Did he have fun? Did he learn to read? Did he get to town? Do you know his name? Did he get on?” 9 By projecting the absent mother’s questioning perspective into the filmic narrative, Ford introduces the spectator to his own version of the Lincoln genesis. Even though off-screen, Nancy Hanks’ is a powerful emotionally-involved voice and hence functions

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as a model spectator asking the hermeneutic questions which will precipitate the narrative flow: “What’s he done?”, “Do you know his name?” The very formulation of the last question already signals the sacrificial, Christ-like dimension of her son’s destiny and provides a framework for his future accomplishments. Somehow these programmatic lines already push Lincoln into manhood and maturity in the same way as he will be drawn by Destiny. As Tad Gallagher says in his analysis of John Ford’s movies: The myth of Lincoln also controls the character’s freedom. The nineteenth-century theater had bequeathed an onerous tradition to Lincoln depictions, one that films had been thoroughly exploiting, too, and Ford capitalizes on the tendency of any Lincoln movie to be an apotheosis of its own genre, with conventional mythic elements and shorthand narration. As with his later cavalry epics, Ford’s starting point is less actual historic fact than inherited myth, which he reinterprets via history2. 10 Actor Henry Fonda who had first turned down the Lincoln part eventually accepted it after viewing himself in full makeup in the test footage. He reportedly told an interviewer: “I felt as if I were interpreting Christ himself on film”. The biblical echo of the last but one question, “Do you know his name?”, harks back to David’s words in Psalms, “And they that know thy Name will put their trust in thee: for thou, LORD, hast not forsaken them that seek thee” (Ps. 9:10). It also helps cast Lincoln in the role of the Great Defender, a virtually holy figure already heralding the greatest part he will be remembered for that of the Great Emancipator. Some characters, like the Clay women as their sons and husbands are charged with murder in the Ford adaptation, will indeed call out to Him and call his name when lost and in pain. In her insightful article, “The Image of Patriarchal Power in Young Mr. Lincoln (1939) and Ivan the Terrible, Part I (1945)”, film analyst Marsha Kinder underlines the prophetic aspect of the mother’s words: Our identification with her perspective will soon be strengthened by the appearance of another maternal spectator in the text, Abigail Clay, whom Lincoln will explicitly identify with his own mother and who will play a similar spectatorial role in lovingly assessing her own two sons as well as the young Lincoln. [...] she’s the one who poses the hermeneutic questions that control the narrative (“What’s he done? ...Did he get on?”) and which draw us into the spectatorial project of reconciling the two contradictory images of Lincoln that are familiar to us all: “plain Abe,” her humble son, vs. “the Great Emancipator”, whom she didn’t live to see. [Kinder, 30] 11 It actually looks as if there were no escaping the mythologizing process when dealing with Lincoln’s cinematic persona. The cunning, fiercely ambitious dimension of the character is glossed over, if not excised early on. Young commonfolk Lincoln is already half turned into a dream creature with the mystic and gloomy aura of the legend: Ford’s preliminary narrative programme displaces humble Abe from the common ground of his extraction to relocate him in some alien dimension mainly signaled by the treatment of visual codes in the film. In each movie, physical stature becomes the index of Lincoln’s power, even before Lincoln actually registers on screen. When Nancy Hanks asks, “Did he grow tall?” in the poetic prologue, she already successfully imposes the idea of growth−both physical and symbolical−as the nexus of any biographical sketch of Lincoln: How can a humble farm boy be turned into a historical giant? Of course the question also has a definite metafilmic ring to it, since answering it has been every director’s problem when working on a reconstruction of Abraham Lincoln’s life

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and death. Kinder persuasively argues that the question was already at the heart of the original 1935 Howard Estabrook story outline which was never adapted for the screen: He went from the bottom to the top. How did he do it? The answer is a timely parallel of a modern question more vital than ever now; how can the common man get ahead? We should maintain the underlining thread that carries the greatness of our theme, never losing the magic of the humble man who rises above the herd and then reaches down to help others. This is the punch that gives the picture “size” and conveys the feeling that we are in the presence of one of the great men of the world. (p. 1) The language in this passage (particularly the phrases I have underlined) clearly shows the valorizing of physical codes as a source of pleasure and success in the Hollywood industry’s thinking. [Kinder, Note 8, 48)] 12 Each of the three filmmakers seems to deal with the question in a similar and ambiguous way. They all toy with the literal and figurative senses of “tall” and “great” so that Lincoln’s size is both a source of embarrassment and a marker of his innate superiority. In John Cromwell’s 1940 Abe Lincoln in Illinois, Raymond Massey, who was also playing Lincoln in the eponymous Broadway play at the time, is offered the opportunity to be the Whig party candidate for the Illinois state legislature. When a Whig official tells him, “You’ll be associating with all the finest lawyers in this state. You’ll grow!”, Lincoln playfully answers, “I thought I’d grown too much already!”.

Framing a dehistoricized image

13 D. W. Griffith also uses actor Walter Huston’s height to the same effect in the sequence at the Springfield law firm when Lincoln is invited to be the presidential candidate. Slowly unwinding himself, Huston grows erect and towers above his interlocutors, thanking them in an awkward way before leaving for dinner and reaching a decision. The momentous gathering with the Republican politician and his associate who is looking up to him dissolves into the next iconic scene as it unfolds in a majestic low- angle shot. Lincoln, with his customary small-town lawyer “stove-pipe” top-hat on, is being led down the stairs by his two sons and the scene clearly inscribes the film’s semiotic project: returning over and over again to the key sign of his greatness so as to validate his heroic dimension. This style of actual framing of the Lincoln figure is a recurrent motif in all three movies. The rapid shift from the domestic to the public sphere functions as a visual annoucement of the man’s political stature−a phrase to be taken in its etymological sense of belonging to the city and the res publica. As the camera frames Lincoln in the staircase, it also materializes the head-on collision of the private and the public spheres. As the door opens onto the outside world, Lincoln’s intimacy has already been compromised.

14 John Ford would remember this peculiar way of projecting an already mythologized image of Lincoln’s on screen. In his silent 1924 masterpiece The Iron Horse, he had Lincoln support the construction of the first transcontinental railroad despite the builders’ hardships and the CivilWar. He portrayed him as a unifier not only of North and South, but also East and West. In a celebrated echo in the course of his 1939 film Young Mr. Lincoln, he also pays homage to Griffith’s mastery of visual codes and captures Lincoln in virtually the same position, facing the camera and an unseen crowd in a slightly low-angle shot, just before his transformation into a historical giant. With the double-framing effect achieved by a spectacular play on light and shadow, Lincoln suddenly−and literally−steps into the light. The boundary between intimacy and the

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public world is then forever erased. A door opens and the young lawyer’s tall stature is illuminated. He is framed by a series of doorjambs capturing him poised on a symbolic threshold. As someone starts shouting, “the crowd’s waiting!” and the cheering suddenly replaces the quasi-silence, Lincoln hesitantly takes off his hat and steps forward as if pulled by some invisible and irresistible force. Intent on capturing the exclusive birth of the hero, Ford never once focuses on the crowd. And the fact that is not shown already inscribes off screen a different public, no longer strictly from Springfield, Illinois, but from all over America. 15 In a 1970 well-known analysis of John Ford’s Young Mr. Lincoln, the Cahiers du Cinéma editors3 collectively underlined the fact that Ford’s treatment of the Lincoln figure starting with his “eastern/western” The Iron Horse was turning it into some sort of universal referent usable in any particular historical situation. And precisely because Abraham Lincoln is this time the main protagonist of the filmic narrative, he can only be captured as being loosely connected to the historical context. Under the fifth heading of their essay, in the section called “Ford and Lincoln”, the Cahiers editors specify: As long as Lincoln appears in Ford’s fiction as a myth, a figure of reference, a symbol of America, his intervention is natural, apparently in complete harmony with Ford’s morality and ideology; the situation is different in a film like Young Mr Lincoln where he becomes the protagonist of the fiction. We will see that he can only be inscribed as a Fordian character at the expense of a number of distortions and reciprocal assaults (by him on the course of fiction and by fiction on his historical truth).4 16 Distortions of historical facts are then what John Ford, but also D. W. Griffith and John Cromwell alike, most play with. In this perspective, the treatment of Lincoln’s political opinions and great discourses is characteristic of the reformulation of his historical persona. Virtually every purple-patch in the three movies is meant to redouble the actual effects Lincoln’s speeches had on the audience, but not necessarily their exact circumstances and chronology. As Melvyn Stokes underlines, some of Lincoln’s speeches, including the Lincoln-Douglas debates of 1858, are summarized in Griffith's 1930 biopic in a series of one-sentence exchanges5. Somehow, Lincoln’s speeches provided the textual foundation of the myth which could forever expand precisely because they offered the kind of universal message reusable by Americans and other citizens alike throughout the ages and mostly in times of crisis. At the end of Abe Lincoln in Illinois, before leaving Springfield, Lincoln delivers his last speech in a melancholy, almost tragic tone. The scene actually foreshadows his universally known 1863 Gettysburg Address. The camera frames his weary face in close-up, already inscribing on screen his foreknowledge that he will some day join “those who here gave their lives that the nation might live”. Cromwell also has Raymond Massey deliver this farewell address in the same awed and deafening silence as that which welcomed the President’s two-minute speech at the Soldiers' National Cemetery on November 19th, 1863. His telling the crowd “I now leave not knowing when or whether ever I may return” and the recurrence of his gloomy line “And this too shall pass away” already function as the prophetic discursive and visual signs of his tragic ending. Though somewhat static, the camera alternates between medium close-ups of Lincoln speaking gravely, close-ups of individual electors listening intently and medium long shots of sections of the crowd looking up to him. Standing on the train platform as it slowly departs for Washington

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D.C. before the film's final fade-to-black, Lincoln is already captured in the final hieratic pose he will be most often represented in post-mortem.

17 Because Abe Lincoln in Illinois was a great success, by 1940 RKO Radio Pictures had become widely instrumental in “mythologizing” the presidential persona. One of Lincoln’s military advisors, Edwin M. Stanton, allegedly said on the President’s deathbed, “Now he belongs to the ages”. The scene immortalizes Lincoln as a political and cinematic giant. As a serviceable figure, Lincoln was indeed to be constantly recycled in times of crisis to extol national unity so that the actual circumstances under which he did act as the Great Conciliator were eventually obscured and forgotten. Moviegoers of the Depression era used him for instance as an inspiration to surmount the economic hardships paralyzing the American economy at the time and above all as an icon of self-reliance, talent and compassion. Advertised as the perfect example of “Democracy in action,” Frank Capra’s 1939 Mr. Smith Goes to Washington makes explicit the connection between finding strength and inspiration in times of crisis and the Lincoln figure when the young idealistic senator played by James Stewart finds refuge in the Lincoln Memorial. Cromwell’s own reconstructed figure seems to be the direct heir to “the Essential American” Walt Whitman paid homage to in his 1865 poem added as an appendix to Leaves of Grass: 18 O Captain! My Captain! rise up and hear the bells; Rise up-for you the flag is flung—for you the bugle trills; For you bouquets and ribbon'd wreaths—for you the shores a-crowding; For you they call, the swaying mass, their eager faces turning; 19 Abe Lincoln in Illinois focuses more intently on the public speaker. Four speeches structure the film and design a hero slowly turning into a master of politics, from the backwoods of New Salem, Illinois, when Lincoln first runs for the state legislature, to Springfield on the night of his election to the Presidency. Somehow the image of the orator drives the filmic narrative which never stops chronicling what playwright Robert Sherwood and screenwriter Grover Jones call in an intertitle announcing a fast-paced montage sequence, the “years that marked the growth of a man, and of a nation”. Lincoln is briefly framed delivering a speech at the State’s Assembly. The spectator, however, cannot hear the speech, as if Lincoln’s emblematic posture sufficiently inscribed on screen the powerful impact of his rhetoric, which hence increasingly distanciates him from any personal trajectory. By the end of the movie, as the statesman’s stature and heroic legend grow, the private dimension is virtually erased. 20 In a seminal article on “The Lincoln Myth”, Melvyn Stokes ties the birth of such a mythologizing process to the first biographical texts ever written on Abraham Lincoln: The first major architects of the construction were John Nicolay, formerly Lincoln’s secretary, and John Hay. The Century magazine published their biography of Lincoln over two and a half years at the end of the 1880s and, in 1890, with the serial ended, as a book in ten volumes (Nicolay and Hay). Not only was the Hay and Nicolay study of monumental size, it encapsulated a particular view of Lincoln as an ideal hero and semi-mythical character.6 21 What Nicolay and Hay seemed to have achieved, along with other biographers and hagiographers, is to root the process of mythic crystallization in authoritative and essential texts. Lincoln’s secretaries initiated the construction process of the President’s reputation and image, which was not yet taken as given in the 1860s and until the 1880s. The fact that these first texts were actually published serially in a

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popular medium naturally helped disseminate them, but it also added to the public fascination for such a homegrown legend. Stokes quotes historian Eric Goldman who observes that “Lincoln, although the object [at the time of his death] of a great deal of immediate sentimentality, did not become the unassailable Abraham Lincoln of the schoolbooks until two decades after his murder”7. So that the competing and, at times, contradictory written versions of Lincoln’s life fostered a manifold mythical and folkloric Lincoln. Yet Goldman barely seems to acknowledge the development of Lincoln as the merciful “Great Heart” who pardoned quite a few southern enemies or northern soldiers who fell asleep on their watches or deserted, especially in stage productions, and the emphasis on his democratic, western qualities as evoked at the end of the nineteenth century by William Herndon and Ida M. Tarbell. Building on Tarbell’s early representation of Lincoln as the quintessential Westerner in her 1897 biography Abraham Lincoln, originally published as a series in McClure’s Magazine, poet and historian Carl Sandburg chose to focus on Lincoln the man as a poetic, folkloric construct and to scrutinize his moral development as revealed by his acts and words. His two-volume biography, Abraham Lincoln. The Prairie Years (1926) and Abraham Lincoln: The War Years (1939), also contributed to removing Lincoln’s figure from the flow of History. Whether such or such aspect of Lincoln is emphasized, it is always the result of a fictional graft process in which his figure ends up symbolizing quintessential American values such as generosity, reconciliation with America’s “other” ethnic groups like Indians and African Americans.

22 Curiously enough however, although the figure seems to be plagued with some form of arrested (grand) development, these diverse Lincoln versions gave cinema leeway for endless variations. And it is precisely because he was both fascinated by and eager to be instrumental in the making of an American icon that Griffith wanted Sandburg to write the screenplay of his 1930 biopic. It was eventually adapted by another poet, Stephen Vincent Benét, for financial reasons. But Sandburg’s canonical Lincoln constantly resurfaces on screen. In a similar trend, Cromwell’s 1940 movie is loosely based on Robert Emmet Sherwood’s Abe Lincoln in Illinois: A Play in Twelve Scenes (1937), another one of those preexisting grand narratives. In the foreword to his friend’s play, it is also Sandburg who underlines the peculiar nature of such a combination of legend and drama, actual sources and a-historical reconstruction: Of natural, personal, human legends the one of Lincoln will probably last as long as any known—and the end of the world is a long time. For many years, probably, many centuries, there are to be biographies about Lincoln—and dramas. “Abe Lincoln in Illinois” by Robert E. Sherwood is the first full-statured drama that has come around the legend. Also it is the first shaped by a playwright who went to the main studies derived from basic source materials—and delved extensively himself in the actual sources. The extent to which he realized his responsibility—in availing himself of a dramatist’s license to depart from the facts—is soberly told in his supplementary notes.8 23 The hybrid nature of the literary source mirrors the mixed re-mediation of the cinematic treatment. Lincoln’s figure is also used as an obvious mouthpiece and vector of the American Dream and the intersemiotic process of adaptation similarly involves some measure of freedom in creating the folk myth of indigenous greatness. As we saw, with Ford’s 1924 The Iron Horse, the politician’s figure had already been associated for

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quite some time with the moving − if not the talking pictures. The screenwriters and directors had consistently explored the man’s heroic potential.

24 Congruent with the traits journalist Ida Tarbell drew on in her seminal biography published by McClure's magazine in instalments, most movies focused on the early life of the Western hero. The Westerner’s peculiar background somehow provides the substratum necessary to the actualization of greatness and the aura of divine guidance surrounding the pioneer’s figure cuts him off from the actual flow of History. Paradoxically, while linking him with central historical moments such as the coming into effect of Lincoln's Provisional Proclamation of Emancipation in January 1863 or the dedication of the cemetery at Gettysburg in November 1863, it also erases any clear connection to specific historical events in most films. The body of Lincoln Americana historian David Turley calls Lincolniana almost seems to function by itself, virtually independently of any clearly-marked period in the history of the Nation. It can thus be reinvested more easily in any filmic narrative. From D. W. Griffith’s 1915 Birth of a Nation to Frank Capra’s 1939 Mr. Smith Goes to Washington, fragments of Lincoln’s actions and discourses are thus staged over and over in contexts having sometimes little to do with Lincoln’s spirit and logic at the time. In Griffith’s version for instance, the fact that a young soldier who fell asleep on the frontline is granted a presidential pardon operates more as the signal of Lincoln’s innate generosity than as a historically accurate fact. This popularized side of Lincoln has actually been a traditional filmic trope since the earliest silent one-reel “Lincoln” films. 25 In Griffith, Ford and Cromwell’s movies, it is mostly the treatment of the legend and the tone that differ, each fictional logic being constructed around a particular facet of the central mythic hero. Ford’s Lincoln-Fonda walking up the hill toward his destiny against some stormy sky9 and the cut to the president’s marble statue by Daniel Chester French at the Lincoln Memorial and Cromwell’s portentous fade-to-black at the end both function as distinct visual and aural echoes of Griffith’s melodramatic concluding sequence. The dark-hued tracking shot of Lincoln’s log cabin dissolves into a series of majestic master shots of the very same Memorial. In all three films, the solemn bars of the Battle Hymn of the Republic both put an end to the filmic diegesis and call for the infinite space of myth to open up and constantly recycle and refine this grand narrative. 26 In most Lincoln movies until World War II, this carefully constructed glorious image actually defines Lincoln’s big-screen portrayals for mainstream audiences. World War II propaganda movies would however modify the relation of history to filmic representation. Paradoxically, Lincoln’s mythical figure then started being reformatted and its intensity began dwindling. Contemporary television broadcasts pick up where the movies’ ideological projects and mythologizing constructions left off. So that the goal of programmes such as Harvard Professor Henry Louis Gates, Jr.’s 2009 Looking for Lincoln, is clearly to interpret evidence and to assess the validity of the Lincoln legend as the DVD jacket announces: As Looking for Lincoln demonstrates, the Lincoln legend grew out of controversy, hurt feelings, greed, love, anger, clashing political perspectives, power struggles, and considerable disagreement over how our 16th president should be remembered. 27 Through the decades, the directors of the “history films” Robert Rosenstone defines as “evok[ing] and mak[ing] meaningful the world of the past”10 have negotiated different “rules of engagement with the past”11. In the three movies of the corpus, they have

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demonstrated the persistence of Lincoln’s cinematic persona as a stable point of reference through the changes in American society. Whatever aesthetic, generic and methodological choices the filmmakers have used to introduce the central character in the various filmic narratives, they seem to have only marginally reformatted his image, mainly concentrating on the major impact he had, and continues to have, on the production of American history. Whatever “the contradictions of our relationship to history-telling and the fantasy of history”12, Lincoln is invariably inscribed on screen as the Great Builder of the Nation.

BIBLIOGRAPHY

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NOTES

1. David Donald in Lincoln Reconsidered (New York: Vintage, 1999: p. 149), quoted by Melvyn Stokes (2011). 2. Tad Gallagher, John Ford. The Man and his Films, p. 164. 3. Editors of Cahiers du Cinéma, N° 223, Aug; 1970, pp. 29-47; translated in Screen, Vol. 13, N° 3, Autumn 1972, pp. 29-43. 4. Id., “John Ford’s Young Mr Lincoln [A collective text by the Editors of Cahiers du Cinéma]”, p. 13. 5. Melvyn Stokes, “Abraham Lincoln and the Movies,” in American Nineteenth Century History, vol. 12, no. 2 (June 2011), 212. 6. Melvyn Stokes, “The Lincoln Myth”, http://iris.ucl.ac.uk/iris/publication/104259/1, 14/02/2010. 7. Melvyn Stokes in “The Lincoln Myth”, quoting Eric Goldman, The Tragedy of Lyndon Johnson, London, Macdonald, 1969, p. 13. 8. Carl Sandburg in « Foreword by Carl Sandburg » to Sherwood’s Abe Lincoln in Illinois: xi. 9. Definitely a standard scene in Ford’s movies as the director will reuse virtually the same sequence at the end of his 1940 adaptation of Steinbeck’s The Grapes of Wrath, with Tom Joad- Henry Fonda solemnly disappearing up a path in the distant chiaroscuro of the new dawn. 10. Robert Rosenstone, History on Film. Film on History, p. xi. 11. Ibid. 12. Marita Sturken, “Reenactment, Fantasy, and the Paranoia of History: Oliver Stone’s Docudramas”, p. 24.

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ABSTRACTS

The first exercises in Lincoln screen iconography started in the early 1900s, most notably with the tableau shot at the close of Edwin Porter’s 1903 Uncle Tom’s Cabin produced by the Edison Film Company and representing Lincoln freeing a slave, and with Essanay Studios’ 1908 The Life of Abraham Lincoln, a lost print likely to have been the first work featuring Abraham Lincoln’s entire life. These early movies, quite a few of which were never retrieved, whether silent or talking, seem intent on representing the modes of construction of a historical giant. As historian Mark Reinhart underlines “[Lincoln] was a natural subject for ‘moving pictures’ since he had been such a memorable subject for ‘still pictures’”. How then is the Lincoln persona shaped in three central films, D. W. Griffith’s 1930 Abraham Lincoln, John Ford’s celebrated 1939 Young Mr. Lincoln and John Cromwell’s 1940 Abe Lincoln in Illinois which inscribed on screen a certain hagiographic and melodramatic vein and had a long-lasting effect on the inscription of President Lincoln on screen? And how does the spectator relate to the directors’ adaptive strategies and play on the certainty or ambiguity of the historical account?

Les premières inscriptions de Lincoln à l’écran commencent au début du 20ème, principalement avec La Case de l’Oncle Tom d’Edwin Porter sorti en 1903. Produit par Thomas Edison, il présente Lincoln libérant un esclave. En 1908, les studios Essanay produisent La Vie d’Abraham Lincoln, film depuis perdu qui, le premier, retrace l’intégralité de la vie de Lincoln. Ces films muets et parlants, disparus ou toujours visibles, mettent en scène les modes de construction d’un géant de l’Histoire. De quelle façon cette légende lincolnienne s’est-elle consolidée ? Nous nous pencherons plus spécifiquement sur trois films qui ont marqué la représentation de la figure du président Lincoln, devenu un « sujet naturel » pour le cinéma, comme le souligne l’historien Mark Reinhart : Abraham Lincoln de D. W. Griffith sorti en 1930, Vers sa destinée (Young Mr. Lincoln) de John Ford de 1939 et Abraham Lincoln (Abe Lincoln in Illinois) de John Cromwell sorti en 1940 ont tous trois marqué l’histoire du cinéma et infléchi la représentation du président à l’écran en introduisant une veine hagiographique et mélodramatique. Comment le spectateur construit-il son propre rapport à l’histoire dans ces oeuvres entre greffe fictionnelle, vérisimilitude et approche parfois quasi-documentariste de la vie du 16ème président des Etats-Unis ?

Las primeras representaciones fílmicas de Lincoln se realizaron a principios del siglo XX, entre ellas se destaca La cabaña del Tío Tom de Edwin Porter (1903), producida por Edison Film Company, que representa a Lincoln liberando a un esclavo. En 1908, los estudios Essanay produjeron La Vida de Abraham Lincoln, esta película, que hoy se ha perdido, fue la primera, en seguir la vida entera del presidente. Estos filmes mudos o sonoros, perdidos o existentes, ponen en escena los modos de interpretar a un gigante de la historia. ¿Cómo se ha desarrollado la construcción del mito de Lincoln? Vamos a abordar más específicamente tres películas que han marcado la historia de la representación del decimosexto presidente de los Estados Unidos –que se ha convertido en un «tema natural» para el cine según el historiador Mark Reinhart–, Abraham Lincoln dirigida por D. W. Griffith (1930), la famosa Young Mr. Lincoln dirigida por John Ford (1939) y Abe Lincoln in Illinois de John Cromwell (1940). Esos tres filmes han configurado una tradición hagiográfica y melodramática. ¿Qué relaciones construye el espectador con estas obras que discurren entre recreaciones ficcionales, verosimilitud y a veces un enfoque casi documentalista sobre la vida de Lincoln?

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INDEX

Palabras claves: Lincoln, cinema, representación, historia, Estados Unidos Mots-clés: Lincoln, film, représentation, histoire, Etats-Unis Keywords: Lincoln, film, representation, history, United States

AUTHOR

ANNE-MARIE PAQUET-DEYRIS

Professeur d’études filmiques et sérielles anglophones, Université Paris Ouest, Dépt d’Anglais, 200 avenue de la République 92001 Nanterre Cedex, [email protected]

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A representação do mal-estar da sociedade americana em Rocky e Os Embalos de Sábado à Noite The representation of the malaise of American society in Rocky and Saturday Night Fever La représentation du malaise de la société américaine dans Rocky et La Fièvre du Samedi Soir

Sérgio Alpendre

Introdução e contexto

1 A intenção deste artigo é investigar o momento cinematográfico dos Estados-Unidos, entre 1975 e 1978, quando a sociedade passava por uma crise econômica e moral advinda de acontecimentos marcantes, e em que medida o mal-estar da época é sensível em dois filmes menos autorais ou incisivos: Rocky – Um Lutador (John G. Avildsen, 1976) e Os Embalos de Sábado à Noite (John Badham, 1977).

2 Rocky marca o início do estrelato de Sylvester Stallone, e foi vencedor do Oscar de melhor filme de 1976; Os Embalos de Sábado à Noite é um testemunho da disco, estilo musical mais influente da época ao lado do punk rock, e é o filme que confirmou John Travolta como um astro de primeira grandeza naquele momento. Os longas estão ligados pelo momento histórico, mas também porque o produtor de Embalos, Robert Stigwood, tentou, desde cedo, fazer uma versão disco para Rocky1. 3 Para seguirmos um caminho mais seguro, partiremos da ideia apresentada por Ismail Xavier na introdução de Sertão Mar, na qual o pesquisador analisa as obras iniciais de Glauber Rocha (Barravento e Deus e o Diabo na Terra do Sol) com o propósito de “identificar como, nos filmes analisados, as características de imagem e de som se põem como respostas a demandas que vêm da esfera do político e do social, e como também elementos de outra natureza entram no jogo que constitui a obra” (Xavier I., 2007 : 15).

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No primeiro parágrafo da introdução, ao comentar a tão falada estética da fome do cinema novo brasileiro, Xavier de certa forma ilumina o nosso caminho: Da fome. A estética. A preposição “da”, ao contrário da preposição “sobre”, marca a diferença: a fome não se define como tema, objeto do qual se fala. Ela se instala na própria forma do dizer, na própria textura das obras (Xavier I., 2007 : 13). 4 Fredric Jameson chega à tese de que toda obra de arte contemporânea – seja da alta cultura e do modernismo, ou da cultura de massa e comercial – contém como impulso adjacente, embora na forma inconsciente amiúde distorcida e recalcada, nosso imaginário mais profundo sobre a natureza da vida social, tanto no modo como a vivemos agora como naquele que – sentimos em nosso íntimo – deveria ser (Jameson, 1979 : 34-35). 5 Ideia semelhante, que nos servirá igualmente, é a escrita por Kracauer. Segundo o pensador alemão, O lugar que uma época ocupa no processo histórico pode ser determinado de modo muito mais pertinente a partir da análise de suas discretas manifestações de superfície do que dos juízos da época sobre si mesma. Estes, enquanto expressão de tendências do tempo, não representam um testemunho conclusivo para a constituição conjunta da época. Aquelas, em razão de sua natureza inconsciente, garantem um acesso imediato ao conteúdo fundamental do existente. Inversamente, ao seu conhecimento está ligada sua interpretação. O conteúdo fundamental de uma época e os seus impulsos desprezados se iluminam reciprocamente (Kracauer F., 2009 : 91). 6 O trecho acima diz mais respeito a um trabalho de historiador do que à análise de uma obra de arte, mas pensamos que pode nos servir também para analisar os filmes escolhidos, pois neles podemos encontrar essas “discretas manifestações de superfície” sobre as quais escreveu Kracauer, além de elementos escondidos que apenas uma visão detalhada poderia encontrar.

7 Rocky e Os Embalos de Sábado à Noite marcaram, de maneiras diferentes, uma época em que os parâmetros de sucesso encontravam-se em rápida mudança, e o estilo independente ganhava em paralelo uma face mais comercial (em relação à face mais experimental, de Jonas Mekas, Andy Warhol, Hollis Frampton, Robert Kramer entre outros). Os dois filmes (que não são bem independentes, mas tiveram orçamentos pequenos se comparados aos filmes característicos dos grandes estúdios)2 representam, como podemos concluir pelo desempenho de ambos nas bilheterias3, o que o público queria ver na época: histórias que vislumbravam uma esperança para aqueles tempos críticos e negativos. 8 Rocky - Um Lutador tem diversas imagens das ruas de Filadélfia, onde a história se passa. São ruas sujas, com mendigos e vagabundos agrupados em pleno dia. Além disso, há um sentimento de fracasso profissional que perpassa o filme, com personagens desiludidos, mutilados espiritualmente por experiências malogradas do passado. A redenção final do boxeador vivido por Stallone não esconde a melancolia evidente nas cenas em que ele tenta recuperar a velha forma, ou nos momentos em que é humilhado e ofendido. 9 Os Embalos de Sábado à Noite é o retrato mais famoso da era disco, e também um dos mais realistas, ao que nos parece. Filmes como Studio 54 (Mark Christopher, 1998) e Os Últimos Dias da Disco (Whit Stillman, 1998), e até mesmo Até Que Enfim é Sexta-Feira (Robert Klane, 1978), que é praticamente contemporâneo a Embalos, tendo estreado poucos meses depois, retratam esse estilo musical e comportamental como um momento de felicidade generalizada e inconsequente, quando a sociedade americana mergulhou

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com tudo nas discotecas e suas noitadas regadas a bebida, sexo e cocaína. Interpretar dessa forma é enxergar apenas a superfície das coisas. O filme de John Badham nos ajuda a perceber que a música disco era na verdade um escape da realidade dura das ruas. Como nos musicais da Grande Depressão, nos quais a crise econômica era geralmente tematizada de maneira explícita, o mal-estar está presente em quase toda a duração do filme que serviu de catapulta para o fenômeno da música disco, seja no entorno que cerceia a vida de Tony Manero, o personagem de John Travolta, seja nas dificuldades por que passam diversos personagens do filme. 10 Esses dois filmes indicam que, para que o mal-estar fosse sentido, não era necessário mostrar soldados violentos ou mutilados, como em A Outra Face da Violência (John Flynn, 1977), Amargo Regresso (Hal Ashby, 1978) e O Franco Atirador (Michael Cimino, 1978), ou investigações usando escutas eletrônicas, como no sublime A Conversação (Francis Ford Coppola, 1974), ou ainda o sofrimento de protagonistas que se encaixavam em alguma das chamadas minorias (negros, homossexuais, imigrantes, mulheres), como o casal homossexual vivido por Al Pacino e Jon Casale em Um Dia de Cão (Sidney Lumet, 1975). É na direção de explorar elementos menos óbvios de representação desse contexto que este artigo se apresenta. 11 Como vimos anteriormente, além da Guerra do Vietnã, um conflito complexo e extremamente duro, com batalhas em densas florestas asiáticas, em que os EUA foram política e moralmente derrotados, outros acontecimentos foram determinantes para a prevalência de um mal-estar na sociedade americana, o que foi crucial para o delineamento de opções estéticas e temáticas nas produções cinematográficas dos anos 1970, especialmente em algumas realizadas a partir de 1975. Houve, por exemplo, a crise do petróleo, em outubro de 1973, quando a OPEP (Organização dos Países Exportadores de Petróleo) iniciou um embargo como represália ao apoio dado pelos Estados Unidos a na Guerra do Yom Kippur. Isto causou um grande impacto na economia norte-americana, e uma recessão que, segundo o historiador Sean Purdy, “seria o primeiro de uma série de choques econômicos periódicos que continuaria até o século XXI” (Purdy S., 2007 : 238). Esse choque fez com que o governo adotasse posturas e medidas de ajuda social insuficientes para remediar o problema. Um escândalo político viria se somar ao panorama no ano seguinte, causando a renúncia do presidente (1969-1974). Tal escândalo, que ficaria conhecido como Watergate (e que se iniciou, ainda tímido, em 1972), aprofundaria a crise moral em que mergulhava a sociedade americana, influenciando também as produções artísticas do período. Além disso, havia as reivindicações das chamadas minorias por igualdades sociais e por reconhecimento de seus direitos, que começaram a gerar insatisfação por parte das porções conservadoras da sociedade americana, especialmente da ascendente direita cristã (que se tornaria extremamente forte nos anos 1980). Essas reivindicações, bem como a reação a elas ou a dificuldade em atendê-las (e entendê-las) plenamente, ajudariam a estabelecer o tom crítico e amargo adotado por boa parte dos filmes da época. Era um momento em que o cinema, segundo Peter Lev, tematizava a morte dos anos 1960, das utopias e esperanças daquela década: A “morte dos anos 1960” (sixties) tornou-se um tema proeminente em filmes americanos em 1974-1976, quando os catastróficos eventos de Watergate e a crise do petróleo, assim como a aparente falta de mudança social nos Estados Unidos sugeria que o momento de otimismo social estava realmente acabado. Vários filmes - Chinatown, Nashville, A Trama, Um Lance no Escuro, Shampoo, Um Estranho no Ninho - descreviam a perda de idealismo e uma onipresente sensação de corrupção moral e

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política. Os anos 1960 foram lamentados em uma série de filmes memoráveis. A tendência continuou, com filmes do fim dos anos 1970 e entrando na década de 1980, documentando e criticando a contracultura dos anos 1960 (Lev, P., 2000 : 61). 12 Eis o contexto em que surgiram os filmes de Avildsen e Badham. Após uma série de acontecimentos que começavam a enterrar as utopias da contracultura já nos anos 1960, reverberando nos anos 1970 e influenciando continuamente o cinema produzido na época.

13 Rocky e Os Embalos de Sábado à Noite marcam, cada qual, um ano específico. 1976 e 1977: estamos portanto num biênio crucial do que o crítico e historiador francês Jean- Baptiste Thoret chamou de “momento do desencanto (1972-1979)”, em que Os cineastas são os mesmos, os atores também, mas entre Voar é com os Pássaros [1970] e Nashville [1975] (Robert Altman), entre Meu Ódio Será Sua Herança [1969] e Elite de Assassinos [1975] (Sam Peckinpah), entre O Pequeno Grande Homem [1970] e Um Lance no Escuro [1975] (Arthur Penn), entre Ensina-me a Viver [1971] e Shampoo [1975] (Hal Ashby), algo se quebrou. Os filmes ainda são muito belos, talvez ainda mais belos, mas o olhar em relação ao mundo mudou. Após a explosão, o arrefecimento. O sufocamento dos movimentos de contestação e da contracultura, o fim da Guerra do Vietnã e do alistamento, os escândalos políticos e a recessão econômica mergulharam a América em um período de dúvida e recuo (Thoret, JB., 2009: 33, nossa tradução). 14 Dentro desse período de arrefecimento, ou de relaxamento, no qual identificamos o mal-estar com o qual trabalhamos neste artigo, a poderosa engrenagem de Hollywood encontrou, no sucesso de Tubarão (Steven Spielberg, 1975) Rocky e Guerra nas Estrelas (George Lucas, 1977), principalmente, o incentivo primordial para fazer com que os interesses financeiros voltassem a dominar os meios de produção, colocando em plano secundário os sonhos autorais e contestatórios dos diretores da Nova Hollywood. Haveria cada vez menos espaço para o risco e a invenção.

15 O momento histórico da segunda metade dos anos 1970 já possibilita entrevermos a reviravolta comercial (do blockbuster) que faria de Hollywood novamente uma potência econômica e imperialista. O século XXI e sua pobreza estética são um belo exemplo de onde tudo foi dar. A arte e o desejo de compreender o mundo hoje fazem parte da minúscula exceção em Hollywood, e cineastas com mais personalidade são obrigados a buscar recursos alhures. Contudo, se o período em questão, a segunda metade dos anos 1970, pode ser considerado o início de uma infantilização irreversível do cinema hollywoodiano, ainda podemos notar, em algumas produções que vão daquele momento até meados dos anos 1990, um resquício da crítica encontrada nos filmes do auge da Nova Hollywood, ou ao menos um retrato do mal-estar pelo qual a sociedade americana passava na época. É o caso, acreditamos, de Rocky – Um Lutador e Os Embalos de Sábado à Noite.

Rocky, o azarão de Filadélfia

16 Rocky - Um Lutador, de John G. Avildsen, com produção de Robert Chartoff e Irwin Winkler para distribuição da United Artists, ganhou o prêmio principal da academia num ano em que um dos indicados era Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976), filme de maior prestígio, que já havia vencido a Palma de Ouro em Cannes e que mostrava um retrato mais direto da situação econômica e do trauma no Vietnã e Watergate. Os outros indicados eram Esta Terra é Minha Terra (Hal Ashby, 1976), um filme histórico,

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além de Todos os Homens do Presidente (Alan J. Pakula, 1976) e Rede de Intrigas (Sidney Lumet, 1976), filmes que esmiúçam o jornalismo americano (impresso no primeiro caso, televisivo no segundo).

17 A preferência por um retrato que terminasse de maneira mais positiva é sintomática. A indústria cinematográfica americana sempre preferiu os heróis que lutam contra as dificuldades e vencem na vida aos heróis que desenvolvem um processo de catarse pela violência, sem que estivesse envolvido no processo algo edificante, que reestabelecesse uma moral ou uma sensação de oportunidade (no caso de Rocky, a da segunda chance). Ainda que Taxi Driver termine de maneira ligeiramente positiva (muitos poderiam dizer, com razão, ironicamente positiva), o clima de desesperança é mais forte e evidente. 18 Rocky foi lançado em dezembro de 1976, no crepúsculo de um ano em que os americanos comemoravam o bicentenário da independência dos Estados Unidos da América. Na história do filme que se tornou a maior bilheteria do ano e o grande vencedor dos Oscars concedidos no ano seguinte, estamos inicialmente em novembro de 1975, com os preparativos para as comemorações dos 200 anos da chamada América. Destas comemorações, dentro do filme, faz parte a luta contra o campeão mundial para a qual o herói treina incessantemente. 19 Os festejos, fora do filme, mas incidindo de forma indireta na indústria do cinema, intensificaram-se nos dias próximos ao 4 de julho que marca a data da assinatura da Independência, e caíram como uma luva dentro de um processo de tentativa de recuperação econômica e moral de uma sociedade ainda ferida pelos traumas recentes. 20 Gordon Arnold resumiu bem a situação em que tais festejos se inseriam: Durante o verão de 1976, espectadores da televisão foram apresentados com muitas notícias e reportagens especiais sobre o bicentenário dos Estados Unidos. A ocasião do aniversário de 200 anos estabeleceu um palco onde toda a História dos EUA podia ser mostrada. Dirigir a atenção à história americana como um todo não desmanchava a incômoda percepção do fracasso nacional no Vietnã. Ao estender a reconsideração de importantes eventos de um passado distante, contudo, desenvolveu-se um processo no qual a Guerra do Vietnã pudesse ser vista apenas como um único episódio dentro da grande narrativa (Arnold G., 2006: 40, nossa tradução). 21 Frank P. Tomasulo, que elaborou para o livro American cinema of the 1970s um texto que fala exclusivamente do cenário americano (cinematográfico, mas não só) de 1976, conta, de forma análoga à de Arnold, o cenário político da ocasião: Em seu ano do bicentenário, os Estados Unidos estavam arruinados pela desilusão e desconfiança do governo. O escândalo Watergate e a evacuação do Vietnã ainda estavam frescos na mente de todos. Forçado a lidar com esses eventos traumáticos, combinados com a letargia da economia (8,5% de desempregados), com a escassez de energia e com altas de preço de 5 a 10% na OPEP, além do declínio do dólar americano na bolsa internacional, a psique americana sofria com um clima de desespero e, seguindo uma célebre frase do novo governador da Califórnia Jerry Brown no ano anterior, “expectativas reduzidas” (Tomasulo F., 2007: 157, nossa tradução). 22 Após anos de dominação4 de filmes críticos, politizados e extremamente negativos em relação ao American way of life5, 1976 marcou o fortalecimento de uma série de feel good movies, com histórias de superação e otimismo, dos quais o mais emblemático, pelo imenso e inesperado sucesso, é justamente Rocky.

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23 Para mostrar uma história de superação, contudo, é necessário mostrar também o que se está superando. Rocky se insere, dessa maneira, num imenso grupo de filmes que capta um mal-estar na sociedade sem necessariamente se contaminar por ele, terminando em chave positiva, como nos filmes de Frank Capra dos anos 1930 (durante o New Deal de Roosevelt). A crise está lá estampada, mas a conquista pessoal de um herói da classe trabalhadora acaba suplantando-a. É a melhor maneira de se lidar com as dificuldades: insuflar-se de um clima em que a recuperação, a segunda chance e a oportunidade são fatores atingíveis para todos em meio às dificuldades de um período difícil da história. 24 Rocky mostra diversas imagens das ruas de Filadélfia, onde a história se passa. São ruas sujas, com desocupados e vagabundos agrupados em pleno dia (não vemos violência no filme além da que acontece nos ringues, mas Rocky menciona o perigo que existe para uma mulher andar por ali). Há um sentimento de fracasso profissional que perpassa toda a primeira metade do filme, com personagens desiludidos, mutilados espiritualmente por experiências malogradas do passado. A redenção final do boxeador vivido por Stallone, que consegue aguentar até o fim da luta sem ser derrubado pelo grande campeão, não esconde a melancolia evidente nas cenas em que ele tenta recuperar a velha forma, ou nos momentos em que defende um emprego mais simplório e condenável do que lutar boxe profissionalmente (o de coletar dívidas para um agiota local), ou ainda quando testemunha as brigas de seu amigo com a irmã. 25 O ginásio onde os boxeadores do bairro treinam sob o olhar de um velho instrutor transpira decadência. O lixo parece se espalhar por todos os lados da cidade (refletindo o estado de desânimo moral após Vietnã e Watergate), assim como os desocupados (lembrando da alta taxa de desemprego que a economia americana apresentava então). A melancolia está em cena, seja na escuridão das redondezas, no trem que passa encobrindo a cantoria dos desocupados (que cantam para espantar o frio e a infelicidade), nos subempregos dos habitantes, nos devedores que mal têm como se sustentar mas precisam pagar suas dívidas, ou no frigorífico em que o melhor amigo de Rocky trabalha (numa Filadélfia gelada, entrando no inverno, esse homem é obrigado a passar parte de seus dias dentro de um frigorífico). 26 Filadélfia foi a cidade onde se reuniu o congresso das colônias americanas que decidiram pela Declaração de Independência, assinada em 4 de julho de 1776. É, portanto, o lugar ideal para se narrar uma história de superação que é lançada no circuito comercial americano no último mês do ano em que o país comemora seu bicentenário. 27 Podemos dividir o filme em duas partes. A primeira mostra o lutador, nos seus trinta anos, fracassado, que parece ter jogado fora sua única oportunidade de ser alguém. Ao ser escolhido para lutar contra o campeão dos pesos-pesados, tem uma improvável segunda chance. Ele aceita, começa a treinar, mas não acredita no seu potencial. Ao mesmo tempo, envolve-se com a irmã do amigo Paulie, uma moça muito tímida que trabalha numa pet shop. Num primeiro momento, são várias as cenas do filme que refletem o mal-estar da sociedade na época: a crise econômica (são muitos os personagens que vivem de subempregos, e o número de desocupados nas ruas é grande), o desgaste moral pela derrota no Vietnã e pela vergonha de Watergate (algo mais subjetivo, que chama nossa atenção nas cenas que refletem a solidão dos personagens, mas também na timidez excessiva, envergonhada, de Adrian, ou no aspecto francamente decadente de Paulie, um beberrão ainda mais incapaz do que

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Rocky), o cansaço da maioria WASP – sigla em inglês para “branco, anglo-saxão e protestante” – com as reivindicações das chamadas minorias e suas conquistas (perceptível sobretudo na presença de boxeadores negros dentro do ginásio, mas também na configuração da equipe do grande campeão Apollo Creed). 28 Na segunda parte, quando Rocky percebe que deve treinar muito para não passar vexame, temos a fase “getting strong now”6, do treinamento. Rocky aos poucos vai ganhando velocidade, força, agilidade, subindo rapidamente as escadarias de um museu como se estivesse conquistando o mundo, tendo a música disco-triunfalista de Bill Conti ao fundo. É como se a primeira parte fosse o cinema americano dos anos anteriores, um cinema do desemprego, da crise econômica e moral, do retorno dos soldados de uma guerra fracassada, do mal-estar; e a segunda representasse o cinema que se inauguraria com o bicentenário, de afirmação, otimismo, um retorno à crença do sonho americano (the american “creed”).

New York, falência moral: Os Embalos de Sábado à Noite

29 Além de ser um estilo musical marcado pela batida dançante e por melodias festivas, a disco music é um estado de espírito circunscrito a uma época específica, cujo auge coincide, nos Estados Unidos, onde surgiu (primeiro em Nova York, indo depois para todo o país), com os anos em que o democrata Jimmy Carter foi presidente. A disco está presente em diversos filmes americanos cujas histórias se ambientam parcial ou integralmente nesse período (1977-1980). O primeiro grande sucesso a explorar o estilo foi justamente Os Embalos de Sábado à Noite, produzido pela RSO de Robert Stigwood, o nome por trás dos Bee Gees, e distribuido pela Paramount.

30 Mas se Rocky – Um Lutador, de John G. Avildsen, mostrou, no final de 1976, a superação de um mal-estar e a confirmação da narrativa americana, ressignificando, com isso, o cinema hollywoodiano como o escape necessário a um público já muito machucado pela realidade, Os Embalos de Sábado à Noite, concebido por seu produtor como uma versão musical de Rocky (o que podemos confirmar pela análise de sua estrutura e de elementos da narrativa), sabotava de certo modo a adesão automática da Hollywood de então aos feel good movies (adesão que o Oscar de melhor filme dado a Rocky anunciava) e o retorno à fábrica dos sonhos da Hollywood de outrora. Sabotava por dois motivos: a) não era bem um feel good movie afinal, pois debaixo da música e da dança existia todo um contexto social, moral e econômico que insistia em aparecer; b) fez grande sucesso a despeito de seu teor adulto e do clima geral pesado, mostrando que ainda era possível, num contexto de preocupação com as bilheterias, ser crítico e questionador, desde que esses elementos viessem em embalagens mais palatáveis (e contrabalançadas com sinais de alegria e esperança). De fato, este veículo para John Travolta e para a música disco dos Bee Gees era bem mais crítico, realista e negativo, no tom geral, do que o ganhador do Oscar de melhor filme de 1976. E principalmente porque, ao contrário de Rocky, em Os Embalos de Sábado à Noite a trama se tornava mais “barra pesada” no final, com o inferno moral em que se encontrava o protagonista tornando-se mais evidente. 31 Quando Os Embalos de Sábado à Noite estreou, sua trilha sonora, em boa parte composta e executada pelos Bee Gees, já era um estouro de vendas, catapultando o filme para o topo da bilheteria. Trata-se de um drama em que a dança e a música entram como

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escape de um mundo pesado demais para ser suportado e compreendido por um jovem de 19 anos (a idade do protagonista Tony Manero). Vemos, inicialmente, Tony andando numa rua do Brooklyn, gingando ao som dos Bee Gees. Ao chegar à loja de tintas onde trabalha, Tony enfrenta a dura realidade daqueles que batalham por dinheiro para o fim de semana. Em casa, depois de um dia de trabalho, a dureza persiste. Seu pai está desempregado e a mãe é estritamente católica, de um modo que o irrita. Para completar, ela prefere sensivelmente o irmão mais velho de Tony, que é padre. Tony só se sente à vontade na pista de dança da discoteca de seu bairro, onde encontra amigos, garotas que o veneram, e onde se apaixona por uma dançarina talentosa que não corresponde a esse seu sentimento. Ela só quer saber de gente descolada de Manhattan. Mesmo assim, ela aceita fazer dupla com ele em um concurso de dança. Eles passam a ensaiar, e ela resiste como pode às investidas do garanhão. Aos poucos, Tony vai percebendo que aquele mundo, aquele ambiente em que é rei, está apodrecido, mergulhado em preconceitos arcáicos e num sexismo intolerável. Sente-se parte disso e faz o possível para se afastar desse mundo. Torna-se, a exemplo da moça pelo qual se apaixonou, um candidato a alpinista social. Pensa, como ela, que a solução está em Manhattan, do outro lado da ponte do Brooklyn que vemos no primeiro plano do filme. 32 O mal-estar da sociedade americana na segunda metade dos anos 1970, como já vimos, estava presente também nesses divertimentos à primeira vista inconsequentes. É algo que observamos, por exemplo, em qualquer cena em que o personagem de John Travolta está com sua família, ou nos momentos finais, quando sentimos um irreversível desequilíbrio na relação dele com os amigos. Numa primeira impressão, Os Embalos de Sábado à Noite é unicamente o registro cinematográfico da era disco enquanto esta se encontrava no auge. Como é característico do gênero, um filme de celebração da dança e do corpo, de sublimação pela música. Mas existe uma série de questionamentos, geralmente centrados no personagem de John Travolta, sobre a situação americana (moral, econômica, social) da época. A conclusão, a respeito do surpreendente sucesso de Rocky (que, contudo, foi um sucesso menor que o de Embalos), de que o público estava cansado de filmes críticos em relação à sociedade e ao país, não pode fazer com que fechemos os olhos para as possibilidades de leituras questionadoras que alguns filmes comerciais, insuspeitos numa primeira impressão de oferecer mais do que aparentam, revelam em suas entrelinhas, e muitas vezes mesmo numa primeira camada. Vejamos como isso se dá nos maiores sucessos do ano. Guerra nas Estrelas (George Lucas, 1977), por exemplo, pode ser interpretado como uma fábula anti- imperialista, se pensarmos no poderio econômico do império comandado por Darth Vader oprimindo as nações que vivem em planetas desérticos (ecos da então recente crise do petróleo e do estremecimento dos EUA com os países árabes)7. O protagonista de Contatos Imediatos do 3º Grau (Steven Spielberg, 1977), interpretado por Richard Dreyfuss (que no mesmo ano atuou no sucesso A Garota do Adeus, de Herbert Ross), abandona a esposa e três filhos para ter uma nova experiência com os extraterrestres, ressaltando a irresponsabilidade e a alienação de uma geração e assinalando uma obsessão spielberguiana que seria retomada em muitos de seus filmes: a ausência do pai. Fora que há uma sensação de imperfeição dominante na Terra, e de se aprender como viver melhor com os extraterrestres. Isso para ficarmos nos dois maiores sucessos comerciais do ano. O primeiro deles, Guerra nas Estrelas, ultrapassando Tubarão (Steven Spielberg, 1975) e “tornando-se o filme mais rentável de todos os tempos” (Biskind P., 2009: 356).

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33 Claro que o terceiro maior sucesso de 1977, justamente Os Embalos de Sábado à Noite, teria também esses elementos, para lembrar aos espectadores que não havia um mar de rosas fora das salas de cinema. Mesmo a diversão, durante o domínio da Nova Hollywood, poderia conter alguma dose de questionamento e negatividade. O pai de Tony Manero (personagem principal de Embalos) não se torna ausente como o de Contatos Imediatos do 3º Grau, mas está desempregado há um bom tempo, o que obriga a mãe a fazer um grande esforço para salvar as economias familiares. O clima na mesa de jantar, por esse motivo, nunca é dos mais agradáveis. E este é apenas um dos sinais da realidade que invade esse musical dos novos tempos, de crise econômica e moral da sociedade americana8, marcado pelas experiências estéticas das décadas anteriores (câmera na mão, cenas de rua, ambiguidade na história e nos personagens), pela maneira de filmar estabelecida pelos jovens diretores da Nova Hollywood. 34 Os Embalos de Sábado à Noite foi na época um veículo para o então candidato a astro John Travolta e uma espécie de registro da era disco, onda musical e comportamental marcada por um visual alegre (ternos brancos ou de cores fortes, adereços brilhantes, camisas de golas enormes e sapatos plataforma) e por uma música simples e dançante. Apesar desse enganoso invólucro, e do incrível sucesso comercial que o filme obteve, percebemos, em suas engrenagens, sinais evidentes do mal-estar que então perpassava a consciência americana. Os Embalos de Sábado à Noite sucedeu Rocky – Um Lutador na missão de oferecer um horizonte mais positivo ao público, cansado da crítica e da negatividade vinda dos diretores da chamada Nova Hollywood. Seu lado tenebroso era difícil de se esconder, mas o apelo da dança, a trilha já famosa dos Bee Gees e o carisma de John Travolta carregaram o filme ao triunfo. Além disso, há um lado para cima que é forte no filme. Se compararmos o final de Shampoo, um dos maiores sucessos de bilheteria de 1975, realizado por Hal Ashby (diretor associado à Nova Hollywood), com o final de Os Embalos de Sábado à Noite, notamos que a desilusão foi substituída pela esperança, sem que o final do último seja necessariamente positivo. Em Shampoo, o protagonista termina sozinho, vendo sua amada partir com outro homem, mais velho e melhor estabelecido profissionalmente, do alto de um penhasco (o retrato do isolamento e do desencanto). Ou seja, a vida mais libertária típica dos anos 1960 (lembremos que a história de Shampoo se passa em 1969) é preterida no filme em favor de uma vida mais segura ao lado de um homem maduro, valores que voltariam a predominar, aos poucos, durante os anos 1970, e principalmente nos anos 1980. Embalos, por outro lado, termina com um abraço de amizade entre o protagonista e a mulher pela qual ele se apaixonou. Não é, evidentemente, um filme todo “para cima”, nem mesmo um filme em que predomine esse lado (que é forte, conforme mencionado acima, mas não dominante). A época em que foi realizado parecia não permitir tamanho otimismo, a não ser em filmes para um público juvenil, o que não é bem o caso - acabaria se tornando um filme para esse público, para sorte dos produtores e apesar das intenções do diretor John Badham de fazer um filme mais sério, por causa do apelo da música disco entre os jovens. 35 Pensando na importância do filme como documento de época, e tomando como base sua repercussão comercial, é importante lembrar que muitos de seus aspectos adultos (linguagem vulgar, nudez, cenas de estupro, suicídio) impediram que fosse um sucesso ainda maior. Em um capítulo de Lost Illusions que versa sobre os blockbusters, David A. Cook escreveu, seguindo caminho aberto por J. Hoberman, que Os Embalos de Sábado à Noite “foi também o primeiro filme para a juventude pós-anos 1960 com uma história

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contemporânea e atraiu um novo mercado jovem” (Cook D., 2002: 55, nossa tradução). Mais adiante, Cook relata que um estudo feito em 1977 pela MPAA (Motion Picture Association of America) indicava que 57 % dos espectadores de cinema do país tinham de 12 a 24 anos. o que significa que uma grande porção da audiência em potencial para Os Embalos de Sábado à Noite foi excluída devido às fortes cenas de sexo e à linguagem chula (Cook D., 2002: 55, nossa tradução). 36 Grease – Nos Tempos da Brilhantina (Randal Kleiser, 1978), outra produção da RSO com distribuição da Paramount, fez um sucesso ainda maior sendo bem mais adolescente (e inconsequente), e por esse motivo Embalos teve um relançamento quase dois anos depois, com todo o conteúdo adulto extraído do filme. Tirando as cenas adultas da versão R-Rated de Os Embalos de Sábado à Noite para tal relançamento, a Paramount conseguiu anular boa parte do interesse do filme, restando apenas a música e a dança e o carisma de John Travolta. Seria um prenúncio da Hollywood infantilizada de hoje?

BIBLIOGRAPHY

Arnold, Gordon, The afterlife of America's war in Vietnam: changing visions in politics and on screen, Jefferson, NC, McFarland & Company, 2006.

Biskind, Peter, Como a geração sexo, drogas e rock and roll salvou Hollywood, Rio de Janeiro, Intrínseca, 2009.

Cook, David A., Lost Illusions: American Cinema in the Shadow of Watergate and Vietnam, 1970-1979, Berkeley, University of California Press, 2002.

Coursodon, Jean Pierre e Tavernier, Bertrand, 50 ans de cinéma américain, Paris, Nathan, 1995.

Jameson, Fredric, Marcas do Visível, Rio de Janeiro, Graal, 1995.

Kracauer, Sigmund, O ornamento da massa, São Paulo, Cosac & Naify, 2009.

Lev, Peter, American Films in the '70s - Conflicting Visions, Austin, University of Texas Press, 2000.

Purdy, Sean, “Rupturas do Consenso: 1960-1980”, in Leandro Karnal (dir..), História dos Estados Unidos: das origens ao século XXI, São Paulo, Editora Contexto, 2007.

Schatz, Thomas, Hollywood Genres, New York, McGraw Hill, 1981.

Thoret, Jean-Baptiste, Le cinéma américain des années 70, Paris, Cahiers du Cinéma, 2009.

Tomasulo, Frank, “1976: Movies and Cultural Contradictions”, in Lester Friedman (dir.), American cinema of the 1970s: themes and variations, New Brunswick, NJ, Rutgers University Press, 2007, 157-204.

Xavier, Ismail, Sertão Mar, São Paulo, Cosac Naify, 2007.

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NOTES

1. Segundo Jean Pierre Coursodon e Bertrand Tavernier: “o conceito do filme [Os Embalos...] é sem dúvida o resultado de um lampejo de gênio do produtor Robert Stigwood que, ao ver a receita de Rocky nas bilheterias, teve a ideia de fazer uma versão disco. Bastava substituir o boxe pela dança e o ringue pelo baile de sábado à noite. Norman Wexler [roteirista do filme] tece um plágio astucioso do modelo, transpondo ou parafraseando a maior parte das etapas dessa história de sucesso arquetípica. Bastava encontrar um ítalo-americano igualmente plebeu e inculto, mas carismático para o exercício de um talento físico (o gestual da dança disco substitui aquele do boxe).” (Coursodon JP., Tavernier B., 1995 : p. 292, nossa tradução). 2. Segundo o site imdb.com, Rocky teve orçamento de aproximadamente 1 milhão de dólares. Os Embalos de Sábado à Noite custou 3 milhões. É praticamente o triplo de Rocky, mas se comparado ao orçamento das duas maiores bilheterias de 1977 (Os Embalos seria a terceira maior bilheteria), esse valor é considerado baixo: Contatos Imediatos do 3º Grau custou 20 milhões, aproximadamente, enquanto Star Wars, a maior renda do ano, custou 11 milhões (página consultada em 20 de junho de 2016). 3. Rocky foi o filme mais visto de 1976, e arrecadou 56,5 milhões de dólares enquanto esteve em cartaz nos Estados Unidos. Os Embalos de Sábado à Noite, por sua vez, arrecadou 74,1 milhões, e ficou em 3º lugar (Cook D., 2002: 500-501). 4. Alguns autores questionam essa dominação, notadamente David Bordwell. Penso, contudo, que ela se dá sobretudo se forem considerados os filmes mais falados e elogiados do período. 5. Um outro momento de crítica profunda ao american way of life pode ser observado no ciclo de melodramas familiares dos anos 1950, sobretudo em filmes de Douglas Sirk e Vincente Minnelli (Schatz T., 1981). Outros momentos dessa crítica podem ser apontados dentro da História do Cinema Americano, mas o ciclo de melodramas, bem como o período da Nova Hollywood, nos parecem os mais incisivos. 6. No ápice da música tema, composta por Bill Conti, ouvimos um coro feminino cantando “getting strong now”, coincidindo com a parte final do clipe em que Rocky vai aperfeiçoando-se nos treinos. 7. A analogia de Peter Biskind é um pouco diferente e bem interessante; é baseada nas declarações de Lucas de que o imperador do mal seria o presidente Nixon: “o vasto e poderoso Império só pode ser os Estados Unidos (mais especificamente Hollywood), e o bando maltrapilho de rebeldes com suas armas improvisadas, feitas de cacos, elásticos e goma de mascar, o vietcongue (ou os moleques da Nova Hollywood).” (Biskind P., 2009: 359). 8. Podemos traçar um paralelo com o momento de frutificação do gênero musical, no início dos anos 1930, quando a crise econômica era ainda maior, mas respirava-se um grande esforço político para a ultrapassagem da crise durante o New Deal de Roosevelt. Os musicais de então eram delirantes, alegres, esteticamente ousados, mas existia constantemente uma preocupação em situar o filme dentro dos problemas da época. Os produtores de espetáculo, por exemplo, viam-se não raro sem verba para realizar seus shows, por causa da crise econômica e do recuo de possíveis patrocinadores. À época, estava na moda o backstage musical, ou seja, musicais em que os números apareciam diegeticamente, como se fossem parte de um ensaio ou do show propriamente dito.

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ABSTRACTS

In this article we seek to investigate to what extent the malaise of American society between 1975 and 1978, caused by a series of events of the seventies (end of the Vietnam War, protest movements of social minorities, the OPEC crisis and Watergate, among others), was represented in commercial films made in Hollywood without auteurist ambitions. The films analyzed in this piece are Rocky (John G. Avildsen, 1976) and Saturday Night Fever (John Badham, 1977).

Neste trabalho investigamos em que medida o mal-estar da sociedade americana, entre 1975 e 1978, causado por uma série de acontecimentos dos anos 1970 (fim da Guerra do Vietnã, reivindicações das chamadas minorias sociais, crise da OPEP e Watergate, entre outros), foi representado em filmes comerciais feitos dentro de Hollywood e sem maiores ambições autorais. Os filmes analisados neste trabalho são: Rocky - Um Lutador (John G. Avildsen, 1976) e Os Embalos de Sábado à Noite (John Badham, 1977).

Dans cet article, nous examinons dans quelle mesure le malaise de la société américaine, entre 1975 et 1978, provoqué par une série d'événements dans les années 1970 (fin de la guerre du Vietnam, revendications des minorités sociales, crise de l'OPEP et Watergate, entre autres), a été représenté dans les films commerciaux, réalisés à Hollywood et sans grandes ambitions. Les films analysés sont Rocky (John G. Avildsen, 1976) et La Fièvre du Samedi Soir (John Badham, 1977).

INDEX

Mots-clés: histoire, cinéma américain, Hollywood, malaise, années 1970, Stallone, Travolta Palavras-chave: história, cinema americano, mal-estar, anos 1970, Stallone, Travolta, Hollywood Keywords: history, American cinema, Hollywood, malaise, ’70s, Stallone, Travolta

AUTHOR

SÉRGIO ALPENDRE

Sérgio Eduardo Alpendre de Oliveira (Sérgio Alpendre) é Crítico de cinema, pesquisador e professor. É doutorando em Cinema pela Universidade Anhembi-Morumbi e Mestre em Meios e Processos Audiovisuais pela ECA-USP. Av. Cons. Rodrigues Alves, 315/33 Vila Mariana – São Paulo/SP/Brasil CEP: 04014-011 [email protected]

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Le super-héros hollywoodien et l’ambiguïté référentielle du désastre après le 11 septembre 2001 Hollywood Superheroes and the Referential Ambiguity of Disaster after 9/11 El superhéroe hollywoodense y la ambigüedad referencial del desastre después del 11 de septiembre de 2001 O super-herói hollywoodiano e a ambiguidade referencial do desastre após o 11 de setembro de 2001

Vincent Souladié

Introduction

1 Au lendemain du 11 septembre 2001, le milieu des comic books éprouva deux principaux types de réactions incarnées respectivement par DC Comics et Marvel : la mise en berne du récit super-héroïque, c’est-à-dire l’impuissance déclarée des éditeurs à « incorporer [à l’histoire] le tragique événement »1 (Lance Eaton, 2009 : 109), ou bien la mise en crise de la figure super-héroïque, c’est-à-dire la participation fictionnelle du super-héros au deuil d’un événement qu’il n’a pas su empêcher, devenant une « figure fragile et sujette aux caprices de l’humanité »2 (Lance Eaton, 2009 : 109). Publié par DC Comics, 9-11: September 11th 2001 ne met exceptionnellement en scène aucun super-héros mais fait appel à une kyrielle d’auteurs maison pour relater les exploits de secouristes new- yorkais, les véritables héros de la réalité. Publié par Marvel, Amazing Spider-Man vol. 2 voit son personnage principal se recueillir devant Ground Zero et prêter main forte aux sauveteurs. À Hollywood, en revanche, alors que la première vague de films de super- héros battait son plein, une logique de prudence encouragea provisoirement l’autocensure, et de nombreux films en cours de production se virent amputés de tout élément narratif ou visuel pouvant contrevenir à l’illusion de la fiction par leur rappel involontaire des événements du 11 septembre. Pour ce qui nous concerne, une scène des Indestructibles (The Incredibles, Brad Bird, 2004) fut coupée au montage : l’un des

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super-héros de l’intrigue y mesurait la portée de ses pouvoirs en provoquant par mégarde l’effondrement d’un immeuble abandonné. Pour Spiderman (Sam Raimi, 2002), c’est le matériel promotionnel qui fut corrigé. La première bande-annonce du film montrait l’homme-araignée piéger des criminels héliportés en tendant une toile entre les tours jumelles du World Trade Center.

2 L’analogie entre les images de l’attentat et l’ordinaire du spectaculaire hollywoodien semblait si évidente qu’elle imprégna nombre de regards spectatoriels. Stephen Prince cite des témoignages de critiques cinématographiques hantés par les images au point de repérer dans tous les films sortis après 2001 des réminiscences des attentats : « Le sentiment de saturation et de stupéfaction déclenché par le 11 septembre s’est révélé à la fois puissant et tenace, et les studios hollywoodiens ont naturellement pris peur à l’idée de se lancer sur ce terrain chargé d’émotions, où l'imagerie récente du 11 septembre était si intrinsèquement bouleversante »3 (Prince, 2009 : 3). Le spectaculaire catastrophique retrouva pourtant vite ses droits, mais après la date fatidique du 11 septembre, tout cinéaste hollywoodien appelé à mettre en scène des séquences de destruction à grand spectacle prit le risque de se confronter à une comparaison, quasi inévitable désormais, avec le souvenir des attentats. Plutôt que le genre du cinéma- catastrophe, c’est la fiction super-héroïque qui nous intéressera ici, pour l’engagement performatif de ses surhommes amenés à affronter des catastrophes à leur démesure. Nous souhaiterions montrer comment les situations spectaculaires dans lesquelles ces figures sont mises en scène les conduisent souvent à affronter des périls fictifs, spécifiques à la diégèse, mais dont la source référentielle semble indistinctement ancrée dans la réalité historique contemporaine. Le régime de représentation du spectaculaire commémore-t-il le souvenir des attentats de 2001 (résilience, revanche, catharsis) ou fait-il office d’agrément dramatique second pour définir subsidiairement l’identité du super-héros (coïncidence, stéréotype, amalgame) ?

Croisements référentiels

3 La plupart des super-héros ont dépassé leur seule condition d’êtres de papier pour devenir des figures populaires de la culture anglo-saxonne avant même d’avoir vu leurs aventures transposées sur grand écran. Leurs caractéristiques identitaires n’échappent donc guère à la connaissance du public américain qui se déplace en salle pour admirer leurs exploits filmés. Comptant parmi les séquences récurrentes et attendues dévolues au genre, l’action hors-norme grâce à laquelle le personnage éponyme met en œuvre ses pouvoirs au service d’une action d’envergure, expose sa présence au monde diégétique et interagit avec lui à découvert et constitue en cela un épisode anticipé. Ses qualités physiques et morales, la nature de sa suprématie sur les hommes et les éléments, la connivence ou la défiance qu’il inspire, le concours qu’il apporte à la régulation de l’ordre, sont examinées par cette démonstration de force qui ancre sa figure superlative dans le monde diégétique.

4 Comme l’a par exemple relevé Stephen Keane, le film Superman (Richard Donner, 1978) fait intervenir le super-héros dans un contexte narratif et esthétique imprégné par les films-catastrophe, un genre très exploité dans les années soixante-dix, dont l’émergence fut souvent associée aux tourments sociologiques de l’époque, et qui à la fin de cette décennie se voit reformulé comme ici dans des blockbusters combinant action et science-fiction (Keane, 2006 : 46). Le déraillement d’un train et l’effondrement

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d’un barrage fourniront ainsi une double épreuve au héros en guise de climax final spectaculaire. Plus tôt dans le film, lorsque Superman sauve Loïs Lane de la chute d’un hélicoptère accidenté au sommet d’un gratte-ciel, la mise en scène énumère les tropes esthétiques récemment popularisés par La Tour Infernale (The Towering Inferno, John Guillermin, 1974) : l’énonciation anxiogène (contre-plongées spectaculaires de l’édifice rectiligne, miniaturisation de la victime en péril dans le point de fuite du cadre, plongées vertigineuses depuis le point de vue de cette dernière, reaction shots des badauds impuissants) et la stimulation nerveuse du découpage (chaque nouveau raccord semble annoncer la chute fatale de la victime mais chaque fois la retarde). Lorsque la figurine rouge et bleue de Superman apparaît dans le cadre, sa trajectoire dessine devant les arêtes verticales agressives de l’immeuble une sécante diagonale qui instaure un nouvel équilibre visuel. Par contraste, la mise en scène fait de lui le vecteur physique de l’optimisme en lui faisant interrompre le programme esthétique dépressif du film-catastrophe. Le super-héros intercepte sa promise dans sa chute, et lui apparaît aussitôt comme un preux et séduisant bienfaiteur. Le cadrage centré de son buste dans le cadre en plan rapproché, le trait d’humour tranquille qu’il échange avec un passant avant de s’élancer, les plans de la foule en liesse, participent à façonner la figure d’un héros stable et rassurant, en accord avec les préceptes du comic book. 5 Depuis 2001, les « séquences de catastrophe-et-sauvetage »4 sont toujours employées pour illustrer l’action magistrale du super-héros, mais se voient parfois interprétées par certains commentateurs à la lumière de leur contexte socio-historiques et d’une possible référence aux événements tragiques du 11 septembre. Les grands édifices urbains mis en danger ainsi que la connivence du super-héros avec les pompiers, les militaires américains et la foule en liesse fournissent des figures narratives attendues qui constituaient déjà bien avant le 11 septembre l’ordinaire de la fiction super- héroïque, filmée ou dessinée. Pour autant, Sébastien Boatto envisage ces épisodes scénaristiques comme des « images-réparation […] qui, inconsciemment, pansent les traumatismes occasionnés par le 11 septembre » (Boatto, 2009 : 130). Aussi enclin soit-il à généraliser « la forte signification politique » (Boatto, 2009 : 130) de toutes ces séquences dans le cinéma de super-héros post-11 septembre, l’auteur montre pourtant que ce n’est pas tellement le contenu de l’action qui produirait cette référence, consciente ou non, mais surtout le régime esthétique qui lui est consacré. En l’occurrence, une séquence de sauvetage de Spiderman 3 (Sam Raimi, 2007), dans laquelle l’homme-araignée rattrape in extremis une jeune fille chutant du haut d’un gratte-ciel éventré, rappellerait par le choix de ses cadrages certains plans du documentaire 9/11 : The Twin Towers (Richard Dale, 2006). Ajoutons que plusieurs plans en plongée sur les secouristes désarmés au pied de la tour semblent calquer la composition et la clarté lumineuse de quelques plans de World Trade Center (Oliver Stone, 2006). Le film affronterait donc moins les images du 11 septembre lui-même que ses refigurations fictionnelles. Or, par nécessité narrative, pour compléter les carences énonciatives des images en direct de l’événement, ces reconstitutions ont puisé leurs images dans un socle de poncifs eux-mêmes hérités du spectaculaire hollywoodien. Travaillé par le rappel de ces représentations, le souvenir de l’attentat se conjugue alors au récit super-héroïque comme une référence indirecte. Lorsque le corps plongeant de Spiderman, accompagné avec grâce par une caméra sur balancier, défie la pesanteur de la chute et s’immisce parmi les signes visuels de la catastrophe, l’articulation esthétique des deux régimes visuels nous semble fonctionner sur le même principe que pour le Superman de 1978 : la puissance rassurante du super-héros est

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valorisée à l’écran par son contraste hyperbolique avec les éléments les plus pessimistes qui irriguent l’imaginaire contemporain (jadis le film-catastrophe, aujourd’hui les représentations du 11 septembre). C’est toujours à la croisée de ces régimes d’images partagées que le super-héros revendique la légitimité de sa présence à l’écran. Il construit son identité filmique en affrontant des périls à sa démesure, susceptibles de trouver un point d’accroche stimulant dans l’expérience spectatorielle.

Insistance et mise à distance du souvenir

6 Dans Superman Returns (Bryan Singer, 2006), le scénario transpose une péripétie du comics Man Of Steel, scénarisé et dessiné par John Byrne et Dick Giordano (1986). Lors de sa toute première apparition, le super-héros rattrape, retient, et dépose à bout de bras sur la pelouse d’un stade de baseball bondé une navette en détresse qui était prête à s’écraser sur les spectateurs. Kartik Nair affirme que cette séquence produit une « image audacieuse, arrivant à peine cinq ans après le 11 septembre »5 (Nair, 2013 : 21), mais qu’elle se réapproprie le souvenir de l’attentat en garnissant l’image d’emblèmes nationaux (le sigle de la NASA, le stade de base-ball, les couleurs rouge et bleu du costume du sauveur, l’hymne national joué par la fanfare) et en ôtant « au 11- septembre sa dimension urbaine »6 (Nair, 2013 : 21). Dan Hassler-Forest avance pour sa part que cette « réécriture de la calamité »7 déplace la menace aérienne dans un lieu de compétition sportive pour offrir à Superman un public diégétique prêt à applaudir l’exploit de son héros et encourager le spectateur à une participation émotionnelle (Hassler-Forest, 2012 : 60). De même, « le baseball incarnant un sentiment fortement transhistorique d’‘américanité’, ce lieu entraîne des associations nostalgiques qui ramènent à un passé indéterminé défini comme celui de ‘l’innocence’, plutôt qu’aux notions de classes, de géopolitique, ou d’idéologie »8 (Hassler-Forest, 2012 : 60). Superman Returns convoquerait donc lui aussi le souvenir de l’attentat mais en le mettant tout de suite à distance par soustraction de réalité, dédramatisation et décontextualisation, et par hypertrophie des seules valeurs positives fédératrices qu’il a encouragées, la ferveur nationaliste et la célébration des héros, de façon à procurer un spectacle plaisant et impressionnant.

7 Toutefois, si les signes référentiels du 11 septembre sont occultés, comme le montrent ces deux auteurs, en quoi cette séquence se rapprocherait-elle encore du tragique événement plutôt que des morceaux de bravoure spectaculaires élaborés par Hollywood depuis des décennies ? Il nous semble dans ce cas précis que le souvenir du 11 septembre, aussi difficile à éviter qu’il est difficile à mesurer pour les producteurs dès lors qu’est mobilisé ce genre de situation à grand spectacle, a pu servir de contrepoint à l’apparition super-héroïque pour offrir un climax d’envergure face auquel Superman gagne une puissance plus mesurée que triomphante. Dans cette séquence en effet, l’événementialité du corps hors-norme de Superman se dessine sous la forme évanescente d’un tracé pictural rouge et bleu traversant brièvement le cadre. Cette figuration plastique travaille le désir du spectateur à l’égard de la figure super- héroïque en retardant son entrée en scène, elle la révèle en même temps qu’elle la dissimule. Mais en comparaison avec le Superman de 1978, la mise en scène fait le choix de la modération, elle ne grave pas immédiatement à l’image l’icône magistrale, elle tarde à centrer son personnage dans le cadre, à lui définir une posture. Au corps totem de 1978 succède en 2006 un corps lacunaire et fragmentaire, d’abord une simple

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empreinte picturale et chromatique abstraite, une icône en devenir. La référence équivoque au 11 septembre ferait alors office d’agent dramatique propre à exposer le héros à un défi impérieux face auquel il ressort victorieux mais encore fragile, une caractéristique identitaire connue des lecteurs9, que le film prendra justement pour parti d’actualiser à l’écran à la faveur des signes les plus contemporains du danger.

Spectacle et réalité du désastre

8 Intrinsèquement lié à une ville qu’il a souvent pour charge de protéger, le super-héros y affronte tous les dangers la menaçant. La représentation de la catastrophe urbaine offre un pouvoir de sidération depuis toujours exploité par le cinéma. New York constitue en cela une cible de choix, régulièrement détruite par le cinéma-catastrophe (Deluge, Felix E. Feist, 1933), le cinéma de propagande anti-rouge (Invasion USA, Alfred E. Green, 1952), ou le cinéma de science-fiction (Independence Day, Roland Emmerich, 1996). Après le 11 septembre, elle sert de site d’accueil pour les combats à grande échelle des Quatre Fantastiques (Tim Story, 2004), de chacun des Spiderman (Sam Raimi, 2002, 2004 et 2007), de L’Incroyable Hulk (Louis Leterrier, 2008), de Watchmen (Zack Snyder, 2009), de Avengers (Joss Whedon, 2012), voire de Man of Steel (Zack Snyder, 2013), où la ville imaginaire de Metropolis décalque le modèle architectural de Manhattan. La déprédation urbaine souffre dans les premiers temps de la décennie d’une stratégie de l’esquive. Dans Les Quatre Fantastiques et Spiderman, le site d’accueil urbain reste encore intact, indifférent aux exploits physiques des héros éponymes. Plus tard, Les Quatre Fantastiques et le Surfeur d’Argent (Tim Story, 2007) et G.I. Joe (Stephen Sommers, 2010) délocalisent respectivement les scènes de catastrophe dans le centre de Londres et de Paris, et non pas sur le sol américain où se situe l’essentiel du récit. En 2009, Watchmen déréalise l’explosion nucléaire terroriste qui ravage Manhattan. Zack Snyder y choisit une iconographie-catastrophe elliptique, éloignée à la fois des images du 11 septembre et du dessin réaliste du roman graphique originel (Watchmen, Alan Moore et Dave Gibbons, 1987) : une lumière bleu pâle balaie les édifices qui se soulèvent au ralenti, figeant la représentation dans une violence uniquement suggérée.

9 Passage quasi obligé du récit super-héroïque hollywoodien, la séquence de catastrophe urbaine s’intensifie au fil des années et se voit progressivement gagnée par la ressemblance avec le modèle du 11 septembre. Symptomatiquement, la géographie de la ville est exploitée avec transparence dans Batman Begins (Christopher Nolan, 2005), Avengers et The Amazing Spiderman (Marc Webb, 2012), dans lesquels un immense gratte- ciel, chaque fois fictif, est la cible de forces maléfiques. Celui-ci est toujours épargné in extremis grâce à l’action des super-héros. Dans Wolverine (X-Men Origins: Wolverine, Gavin Hood, 2009), en revanche, l’affrontement final des deux clans rivaux de « mutants » se déroule sur le site de la centrale nucléaire américaine de Three Mile Island, dont les deux immenses cheminées s’effondrent verticalement dans un nuage de fumée grise, exactement cadré comme la chute médiatique des tours jumelles. Plus explicitement encore, dans Avengers et Man of Steel, la lutte intestine des surhommes en pleine ville multiplie les images de chaos urbain, explosion des façades d’immeubles sur lesquelles s’écrasent des projectiles volants, retournement des rues en nuages de gravats ou effondrement d’édifices publics. Plus de dix ans après les événements, le souvenir visuel du 11 septembre n’est plus évité, il configure plus explicitement l’imaginaire de la terreur dans lesquels s’inscrivent les fictions super-héroïques.

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10 Man of Steel imite les images tournées en direct le 11 septembre et les convertit en une somme de tics visuels : tremblé du cadre, zoom dans l’axe d’une explosion, imprécision de la mise au point, souillures de l’objectif par des particules de poussière grise, soit les effets d’une destruction montrée de façon oblique, une esthétique catastrophiste apparue avant le 11 septembre mais dont Geoff King a montré la montée en puissance dans le cinéma hollywoodien depuis 2001 (Geoff King, 2005 : 56). Le plus souvent saisi au vol par la caméra, le corps de Superman échoue à imposer dans le cadre sa stature iconique, il demeure le plus souvent en défaut d’incarnation. Alors qu’il lutte dans les airs contre sa nemesis, les gratte-ciels de la ville s’effondrent autour des civils, les piégeant sous les décombres et les laissant à leur propre sort, victimes d’un conflit auquel ils doivent résister par eux-mêmes. De la même façon, les derniers plans de Avengers montrent comment la population new-yorkaise se remet du cataclysme dont l’assemblée de super-héros vient de la sauver : des images télévisées diégétiques imitent les bulletins d’information post-11 septembre. On peut y voir les New-yorkais porter le deuil des victimes dans la rue puis remercier face à la caméra leurs mystérieux bienfaiteurs costumés. L’action spectaculaire fait coexister la dimension surhumaine des super-héros et leur impuissance à surmonter toute la réalité du drame. Leurs exploits positifs sont ainsi minimisés par l’ampleur du chaos funeste qu’il n’ont su prévenir. Si le super-héros a toujours pour fonction de rassurer le public, il gagne en consistance par humilité, sans priver les hommes de leur part tragique de réalité.

Déchéance solennelle et résonance

11 Dans The Dark Knight (Christopher Nolan, 2008), Batman se recueille en silence, impuissant et mélancolique, sur les ruines de l’édifice où sa promise vient de trouver la mort. Devant ce Ground Zero fictionnel, Christopher Nolan offre à la figure héroïque une plage de lyrisme neurasthénique. Là encore, ces ruines extériorisent la caractéristique identitaire principale de Batman, sa part tragique et pessimiste, en la croisant avec un régime visuel contemporain. Au sujet de Superman Returns, le cinéaste Bryan Singer confie avoir envisagé un moment de conduire le super-héros éponyme devant Ground Zero. « J’avais une scène dans le script que je n’ai pas tournée, et que je n’allais probablement jamais tourner, où Superman – après avoir volé dans la nuit pour secourir des gens – se serait dressé à l’aube devant Ground Zero. Il se serait tenu là comme pour dire ‘‘Si j’avais été présent, cela ne serait jamais arrivé’’ »10 (O'Sullivan, 2006). Le Superman de Singer ne se rend finalement pas à Manhattan dans le film, un lieu sans doute trop chargé historiquement pour justifier une réappropriation fictionnelle qui ne soit pas jugée déplacée. En revanche, le héros se trouve confronté à la menace d’un imposant îlot rocheux maléfique, flottant dangereusement dans l’océan Atlantique près des côtes américaines. À propos de la séquence où Superman se rend sur la surface de ce site sinistre, Dan Hassler-Forest remarque que « les images de ce continent désolé rappellent étrangement les photographies familières des décombres de Ground Zero »11 (Hassler-Forest, 2011 : 144). Le héros vient affronter ici ses propres démons, et faillit devant ses adversaires. Bryan Singer cadre en plongée la minuscule silhouette du super-héros au centre de ce paysage excavé pour mieux nous donner à penser, à distance de son corps et de sa puissance figurative, tout son silence intérieur. Plus tard, en un geste final sacrificiel, le héros soulève et projette hors de la

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stratosphère cette masse nuisible, avant de laisser lourdement retomber sur Terre sous les yeux des humains sa silhouette fragile et déchue.

12 Selon la lecture métaphorique de Cynthia Erb, « le film envisage le site de Ground Zero comme une sorte de masse cancéreuse, et l’on souhaite que la masse soit amputée et jetée dans l’espace »12 (Erb, 2009 : 245-246). Pourtant, plutôt que d’envisager ces films de super-héros comme des symptômes de l’actualité socio-historique, à laquelle ils viendraient apporter une réponse fictionnelle, il nous semble plus prudent de considérer que leurs analogies dramatiques et figuratives nourrissent l’imaginaire du film, lui donnent caution. Comme nous l’avions mentionné, les éléments dramatiques de Superman Returns et The Dark Knight cités ci-dessus sont partiellement transposés des comics, respectivement The Death of Superman et The Dark Knight Returns (Frank Miller et Klaus Janson, 1986). Les films ne constituent pas selon nous une métaphore de l’actualité, mais ils en absorbent, en exploitent, en redistribuent en revanche les schèmes figuratifs pour bâtir la fiction sur un espace iconographique partagé, dans lesquels les spectateurs peuvent reconnaître, de fait, l’humeur de leur temps. En somme, au lieu d’avancer que ces films auraient des choses à dire sur leur époque, il nous paraît plus déterminant de reconnaitre qu’ils offrent des outils d’expression figuratifs pour traduire aisément la fiction par l’actualité des images. Ainsi, la métaphore fonctionne dans le cadre diégétique, l’accablement du héros est identifié par l’avatar iconique de Ground Zero, espace familier dévasté qui l’accueille et l’oppresse, mais la réciprocité de cette métaphore, le film comme discours sur son époque, reste, à nos yeux, le résultat d’une instrumentalisation du discours filmique.

Conclusion

13 Il nous paraît en fin de compte plus probant de repérer combien la coïncidence de ces actions super-héroïques avec le 11 septembre ouvre l’image, de sorte que le stéréotype fictionnel est possiblement transformé par le discours critique en une réminiscence de l’événement. De même que les images médiatiques de la catastrophe ont un temps convaincu certains spectateurs qu’ils assistaient à une fiction, certains films d’après le 11 septembre semblent pouvoir convaincre symétriquement qu’ils rejouent la réalité. Plutôt que de considérer les images médiatiques des attentats du 11 septembre comme une matrice, il convient de se demander si elles n’agiraient pas plutôt comme un point de dérivation où les paradigmes de la réalité et de la fiction s’entrecroisent indistinctement. Après 2001, ce type d’action nous semble donc se soumettre à une ambiguïté référentielle. Tendue entre l’intention spectaculaire et l’intention discursive, entre la démesure ludique du divertissement et l’allégorie des angoisses culturelles contemporaines, l’action super-héroïque peut à la fois se référer au souvenir des attentats et faire lien, par nostalgie ou continuité, avec les traditions fictionnelles du passé. Hollywood semble chercher l’équilibre le plus adéquat pour que le souvenir du 11 septembre ne devienne pas inconvenant et pour que son oubli ne paraisse pas indécent. L’homologie, quand elle est reconnue, ne met pas forcément en danger l’investissement du spectateur dans la narration mais tend au contraire à convoquer la familiarité de son regard pour nourrir l’imaginaire fictionnel. Rechercher ce que cet univers filmique fictif pourrait avoir à nous communiquer sur notre réalité actuelle consiste selon nous en un retournement de problématique, puisqu’il ne s’agit pas

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vraiment ici de percevoir la réalité à travers la fiction mais de traduire la fiction avec les signes de la réalité que nous croyons percevoir dans l’image.

BIBLIOGRAPHY

Ouvrages

Boatto, Sébastien, « Du surhomme à Superman : évolution de la figure du héros dans le film d’action post-moderne », in Claude Forest (ed.), Théorème, n° 13, 2009, 121-131.

Eaton, Lance, « Spotlight Essay / Books : Comics Books », in Sarah E. Quayt et Amy M. Damico (dir.), September 11 in Popular Culture: A Guide, Santa Barbara : Greenwood, 2010.

Erb, Cynthia Marie, Tracking King Kong: A Hollywood Icon in World Culture, Detroit, Wayne State University Press, 2009.

Hassler-Forest, Dan, Capitalist Superheroes: Caped Crusaders in the Neoliberal Age, Alresford : Zero Books, 2012.

Hassler-Forest, Dan, « From Flying Man to Falling Man », in Véronique Bragard, Christophe Dony et Warren Rosenberg (eds.), Portraying 9/11. Essays on Representations in Comics, Literature, Film and Theatre, Jefferson, McFarland & Company, Inc., 2011.

Keane, Stephen, Disaster Movies, The Cinema of Catastrophe, Londres : Wallflower Press, 2006 [2001].

King, Geoff (dir.), The Spectacle of the Real, from Hollywood to Reality TV and Beyond, Bristol, Portland : Intellect, 2005.

Nair, Kartik, « Plummeting the pavement : the fall of the body in Spider-Man », in Todd A. Comer et Lloyd Isaac Vayo (eds.), Terror and the Cinematic Sublime: Essays on Violence and the Unpresentable, Jefferson et Londres : McFarland & Company, 2013, p. 15-28.

O'Sullivan, Michael, « For Singer, a Hero With Many Faces », , 30 juin 2006, consulté le 02 septembre 2012, http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/ 2006/06/29/AR2006062900799.html

Comic books

9-11, September 11th 2001. The world's finest comic book writers and artists tell stories to remember (Collectif, DC Comics, 2002)

Amazing Spider-Man vol. 2 (John Romita Jr., Marvel Comics, 2001)

The Dark Knight Returns (Frank Miller et Klaus Janson, DC Comics, 1986)

The Death of Superman (Dan Jurgens, Roger Stern, Louise Simonson, Jerry Ordway, and Karl Kesel, DC Comics, 1992-1993)

Man Of Steel (John Byrne et Dick Giordano, DC Comics, 1986)

Watchmen (Dave Gibbons et Alan Moore, DC Comics, 1986-1987)

Filmographie

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11-Septembre - Dans les tours jumelles (9/11 : The Twin Towers, Richard Dale, Dangerous Films, 2006)

The Amazing Spiderman (Marc Webb, Columbia Pictures, 2012)

Avengers (Joss Whedon, Walt Disney Studios Motion Pictures, 2012)

Batman Begins (Christopher Nolan, Warner Bros., 2004)

The Dark Knight (Christopher Nolan, Warner Bros., 2008)

The Dark Knight Rises (Christopher Nolan, Warner Bros., 2012)

Deluge (Felix E. Feist, RKO, 1933)

G.I. Joe : Le Réveil du Cobra ( G.I. Joe : The Rise of Cobra, Stephen Sommers, Paramount Pictures, 2010)

Indestructibles (The Incredibles, Brad Bird, Walt Disney Pictures, 2004)

L’Incroyable Hulk (The Incredible Hulk, Louis Leterrier, Marvel Studios, 2008)

Independence Day, (Roland Emmerich, 20th Century Fox, 1996)

Invasion USA (Alfred E. Green, Columbia Pictures, 1952)

Man of Steel (Zack Snyder, Warner Bros., 2013)

Les Quatre Fantastiques (Fantastic Four, Tim Story, 20th Century Fox, 2004)

Les Quatre Fantastiques et le Surfeur d’Argent (Fantastic Four : Rise of the Silver Surfer, Tim Story, 20th Century Fox, 2007)

Spiderman (Sam Raimi, Columbia Pictures, 2002)

Spiderman II (Sam Raimi, Columbia Pictures, 2004)

Spiderman III (Sam Raimi, Columbia Pictures, 2007)

Superman (Richard Donner, Warner Bros., 1978)

Superman Returns (Bryan Singer, Warner Bros., 2006)

La Tour Infernale (The Towering Inferno, 20th Century Fox & Warner Bros., John Guillermin, 1974)

Watchmen (Zack Snyder, Warner Bros., 2009)

Wolverine (X-Men Origins: Wolverine, Gavin Hood, 20th Century Fox, 2009)

World Trade Center (Oliver Stone, Paramount Pictures, 2006)

NOTES

1. . « DC Comics acknowledged that they were not capable of incorporating the tragic event ». [Cette citation, ainsi que les suivantes, ont été traduites par l’auteur]. 2. . « Marvel simply positions its superheroes as just as fragile and subject to the whims of humankind ». 3. . « The feelings of being overwhelmed and stunned that 9/11 triggered proved to be both powerful and tenacious, and the Hollywood studios were understandably fearful about intruding into such emotion-laden territory, one where the recent imagery of 9/11 was so inherently upsetting ». 4. . « Disaster-and-rescue sequences ». 5. . « A bold image, coming merely five years after 9/11 ». 6. . « Superman Returns has taken the urban out of 9/11 » .

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7. . « Rewriting of calamity ». 8. . « With baseball embodying a strongly transhistorical sense of "American-ness", the location activates associations of nostalgia that reach into a hazy past define in terms of "innocence" rather than class, geopolitics, or ideology ». 9. . The Death of Superman (Dan Jurgens, Roger Stern, Louise Simonson, Jerry Ordway, et Karl Kesel, 1992-1993). 10. . « I had a scene in the script which I never shot, and I probably was never going to shoot, where Superman would be standing – after flying around rescuing people at night – would be standing at dawn at Ground Zero. Sort of standing there, almost as if to say, 'If I had been here, this might not be.' ». 11. . « The images of this desolate continent seem eerily reminiscent of the familiar photos of the rubble at Ground Zero ». 12. . « The film envisions Ground Zero site as a cancerous mass and the wish is that the mass be cut out and hurled into space ».

ABSTRACTS

After 9/11, the figure of the superhero portrayed by Hollywood films was the subject of metaphorical readings, according to which the perilous situations depicted were seen to reflect contemporary cultural concerns and sometimes even to provide answers. Yet the representation of disaster has long been a transhistorical and transgeneric feature of both super-heroic fictions and Hollywood blockbusters. Reading too much meaning in these cinematic spectacles thus remains a highly questionable practice. As the figure of the superhero is typical of the ambiguous intersections between fiction and contemporary visual representations of reality, this article argues that the notion of referential ambiguity can serve to foreground the tension between oblivion and citation at stake in these Hollywood fictions, as well as the contradiction between establishing a distance with the event and exploiting the memory of it.

Après le 11 septembre 2001, la figure du super-héros mise en scène par Hollywood fait l’objet de lectures métaphoriques qui voudraient voir dans les périls catastrophiques qu’il affronte au cours de ses aventures des allégories ou des réponses aux angoisses culturelles contemporaines. La représentation du désastre constitue pourtant une constante transgénérique et transhistorique de la fiction super-héroïque comme du cinéma à grand spectacle américain. La surdétermination du spectaculaire contemporain par son contexte sociohistorique demeure ainsi relative et discutable. La figure du super-héros étant familière des croisements équivoques entre images de la fiction et images contemporaines de la réalité, la notion d’ambigüité référentielle voudrait ici mettre l’accent sur les tensions entre oubli et citation, mise à distance et instrumentalisation du souvenir de l’événement à l’œuvre dans ces fictions hollywoodiennes.

Después del 11 de septiembre de 2001, la figura del superhéroe puesta en escena por Hollywood ha sido objeto de lecturas metafóricas que querrían ver en los peligros catastróficos que el protagonista enfrenta a lo largo de sus aventuras, alegorías o respuestas a las angustias culturales contemporáneas. Sin embargo, la representación del desastre constituye una constante transgenérica y transhistórica tanto en las ficciones de superhéroes como en los grandes espectáculos cinematográficos estadounidenses. La sobredeterminación del espectáculo

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contemporáneo por su contexto socio-histórico resulta, por ello, relativa y discutible. En la figura del superhéroe son frecuentes los intercambios equívocos entre imágenes de ficción e imágenes de la realidad contemporánea, por ello, a través de la noción de ambigüedad referencial se buscará destacar las tensiones entre olvido y cita, distanciamiento e instrumentalización del recuerdo de los eventos, desarrolladas en esas ficciones hollywoodenses.

Depois do 11 de setembro de 2011, a figura do super-herói encenada por Hollywood tem sido objeto de leituras metafóricas que procurariam ver nos perigos catastróficos que ele enfrenta ao longo de suas aventuras, alegorias ou respostas às angústias culturais contemporâneas. Porém, as representações do desastre constituem uma constante trans-genérica e trans-histórica tanto das ficções de super-heróis como dos grandes espetáculos cinematográficos estado-unidenses. A sobredeterminação do espetáculo contemporâneo pelo seu contexto sócio-histórico é, por isso, relativa e discutível. Na figura do super-herói são frequentes os cruzamentos equívocos entre as imagens de ficção e as imagens da realidade contemporânea, dessa forma, através da noção de ambiguidade referencial se procurará dar destaque para as tensões entre esquecimento e citação, distanciamento e instrumentalização da lembrança dos eventos, veiculadas nas ficções hollywoodianas.

INDEX

Mots-clés: 11 septembre 2001, super-héros, Hollywood, catastrophe, spectaculaire, ville, ambiguïté référentielle Palavras-chave: 11 de setembro de 2001, super-herói, Hollywood, catástrofe, espetacular, cidade, ambiguidade referencial Palabras claves: 11 de septiembre de 2001, superhéroes, Hollywood, catástrofe, espectacular, ciudad, ambigüedad referencial Keywords: September 11 2001, superheroes, Hollywood, disasters, spectacular, city, referential ambiguity

AUTHOR

VINCENT SOULADIÉ

Docteur en études cinématographiques, Vincent Souladié enseigne l’histoire et l’esthétique du cinéma à l’Université Toulouse II Jean Jaurès. Il y a soutenu une thèse portant sur l’esthétique du cinéma américain après le 11 septembre 2001. Ses recherches portent principalement sur l’identité formelle du cinéma américain contemporain, autour des questions de l’événement, de la catastrophe ou de la défiguration. Il a notamment consacré des articles à ces questions dans les revues Éclipses, Murmures et Entrelacs.

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Perrault e a narrativa de travessias Perrault et le récit de parcours Perrault and the narrative of journeys Perrault y la narrativa de travesías

Henri Arraes Gervaiseau

O presente artigo é fruto parcial de pesquisa apoiada pela FAPESP, a quem agradeço pelo apoio recebido.

Introdução

1 O deslocamento de pessoas, dentro do território de um país, e de um país para o outro, e as suas implicações humanas e sociais, são questões centrais da história contemporânea, desde pelo menos meados do século XIX. Estes fenômenos têm sido objeto de estudos recorrentes no campo das ciências humanas e sociais. Também constituiram, muito cedo, um foco de interesse para os cineastas.

2 Para além da produção dos filmes de viagem do entre guerras que tão acertadamente Bazin apontou como remetendo a uma etnografia do explorador1, é a partir do advento do cinema moderno (que surge dos escombros da Segunda Guerra), que se delineiam novos caminhos para a produção que historicamente foi sendo denominada de documentária, e se configuram novas abordagens, de cunho mais ensaístico, no que concerne filmes envolvendo deslocamentos espaciais. 3 No contexto do processo de descolonização que se sedimenta a partir daquele período histórico, parece se tornar mais claro para alguns realizadores mais inquietos que a travessia de espaços sociais e geográficos distantes de suas vivencias habituais é potencialmente capaz de estimular, nos personagens, o exercício da comparação entre modos de vida e de estar no mundo. 4 Nas abordagens mais instigantes que se delineiam no campo do documentário, a partir da segunda metade do século XX, se configura uma maior compreensão daquilo que poderíamos denominar a dimensão antropológica do deslocamento espacial.

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5 Efetivamente, como nos lembra de Certeau, que retoma considerações de Merleau- Ponty sobre a dimensão antropológica do espaço, a experiência existencial do espaço exprime uma estrutura essencial do ser humano, como ser situado em relação com um meio – um ser situado por um desejo, indissociável de uma direção de existência, e plantado no espaço de uma paisagem (Certeau M. de, 2004 : 202). 6 A organização de viagens com os personagens, na abordagem cinematográfica do cineasta quebequense Pierre Perrault, é um frutífero modo de estimular, no espírito dos mesmos, comparações entre um antes e um depois e de favorecer a emergência de narrativas a respeito das passagens entre este antes e este depois. Além disso, a travessia de espaços sociais e geográficos distantes de suas vivências cotidianas, estimula o exercício da comparação entre modos de vida e de estar no mundo, e toca, diretamente, no caso dos personagens de Perrault, na questão central do pertencimento2. 7 Experiências de alteridade são colocadas em jogo, na travessia do percurso, suscetíveis de transformar o individuo que se desloca, e de constituí-lo, como outro, na sua relação consigo próprio e com outrem. 8 É o que acontece em filmes de Perrault tais como Le règne du jour (1967), Un pays sans bon sens (1970), C’était un québecois en Bretagne, madame (1977), Les voiles en bas et en travers (1983), La grande allure (1984). 9 Menos celebrado do que Pour la suite du monde (1962), Le règne du jour, entretanto, é um dos filmes mais originais do grande realizador quebequense. É por isso que o escolhi para abordar as questões sintetizadas acima. 10 Num primeiro momento, evocarei, de modo sucinto, uma das estratégias de filmagem envolvidas, para, em seguida, centrar-me na construção da narrativa e nos procedimentos de montagem.

Colocar em situação, uma estratégia de filmagem

11 Uma das mais inovadoras estratégias de filmagem adotadas por Perrault foi a colocação em situação dos personagens, a partir, evidentemente, do estabelecimento prévio de uma relação de confiança entre o cineasta e as pessoas que desejava filmar. Não se tratava, como no caso do velho sonho do cineasta soviético Dziga Vertov, de surpreender e registrar o movimento aleatório de indivíduos em diversas situações do dia a dia. Ainda menos, como no caso do cineasta americano Robert Flaherty, de uma atenta re-encenação de gestos e de situações que remeteriam a modos de vida que não mais existiam, com vistas a dar a impressão, para o espectador, que esses gestos e essas situações haviam ocorrido espontaneamente, de modo casual, frente à câmera3.

12 A estratégia de abordagem central de Perrault é a de colocar as pessoas a serem filmadas em situação. Como apontou Marsolais, nos filmes do diretor quebequense, as pessoas vivem situações que a câmera capta no próprio momento do seu surgimento (Marsolais G., 2007). Trata-se, com a cumplicidade dos envolvidos, de colocá-los no coração de uma ação que libera uma palavra intensamente vivida, palavra que emerge, na maior parte das vezes, em situações de diálogos. Como Michel Marie sublinhou, os personagens são filmados « em situação de palavras, em fragmentos de suas vivências » (Marie M., 1984 : 50). Eis porque Perrault denominava a sua abordagem cinematográfica de cinema do vivido.

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13 Neste quadro, é marcante como já apontava Alburni, a propósito de Le règne du jour, « o extremo respeito com o qual os seres são filmados » (Alburni R., 1969 : 60), notadamente, em cenas tão difíceis como as de uma intimidade conjugal num casal de idosos. 14 Deve ser destacado, no que tange este filme, a opção por inventar uma viagem a França envolvendo vários personagens de uma mesma família, não apenas o ancião Alexis, mas ainda Marie, a sua esposa, Leopold, seu filho, e Marie-Paule, a sua nora. Esta opção irá permitir que o referido grupo compartilhe experiências no curso da viagem e ulteriormente, de expor para o espectador como uma mesma experiência é percebida de modo diferencial por aqueles que a viveram. Na medida em que os relatos das vivências, pelos protagonistas, ocorrem com uma gama bastante variada de interlocutores, a diferença dessas percepções torna-se mais aparente. 15 Ao convidar o pequeno grupo familiar a atravessar o oceano para conhecer a terra do seus ancestrais, Perrault atendia, em primeiro lugar, a um antigo sonho de Alexis. Para o ancião, a viagem constituía a oportunidade única de uma busca da genealogia de sua família e da descoberta de rastros das viagens, no século XVI, do navegador Jacques Cartier, primeiro francês a explorar e escrever sobre o território que veio posteriormente a ser chamado de Canadá. Como mostra bem, também, o filme anterior de Perrault, Pour la suite du monde (1962), Alexis tinha verdadeira veneração pela figura mítica do grande explorador.

Construção da narrativa e procedimentos de montagem

16 Um dos aspectos mais inovadores do filme é o da colocação em relação, através da montagem, de complexos feixes de relações temporais entre as situações mostradas no filme. Há um jogo recorrente na ordenação da sucessão das cenas que constituem o relato para o espectador, das etapas do percurso.

17 Irei usar os termos antes, durante e depois para designar cenas que ocorrem antes, durante e depois da viagem. Após o segmento de abertura, que dura aproximadamente dez minutos, se sucedem, até o final do filme, uma série de sequências, diferenciadas por títulos que aparecem na tela, seja com letras brancas sobre fundo preto, seja em sobreimpressão sobre alguma imagem inicial da sequência. Há um vai e vem recorrente no tempo, no curso do desenrolar do filme, no interior das sequências, entre estes tempos. A predominância de um ou de outro se altera no decorrer da narrativa. 18 É grande a complexidade das configurações temporais compostas pela montagem. Cenas que ocorrem no durante e no depois da viagem podem estar centradas na narrativa de um antes muito anterior à viagem da família, tais como a prisão, a deportação para Buchenwald e a volta para casa de Martin, garde-chasse. 19 O antes se configura, de início, na primeira parte da sequência de abertura do filme. Assistimos então ao convite à viagem, feito por um padre e à aceitação do mesmo pela família, que desde sempre residia na Isle-aux-Coudres, situada no meio do rio Saint- Laurent, um dos maiores rios do mundo. O padre é um parente não muito próximo do casal, autor de um estudo sobre os moradores do Canadá com nome de Tremblay, sobrenome mais usual no país e nome de família do casal. A segunda parte da abertura,

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de transição, mostra a passagem por Nova Iorque em que a família reencontra em um aquário, um marsuíno4. 20 Mesmo neste antes da viagem, já há uma configuração singular: a primeira cena, em que assistimos a uma conversa entre o padre e o casal composto por Alexis e Marie, aconteceu na realidade após a terceira, em que o padre chega na casa do casal, ausente, e pergunta para a pessoa que o atende, na porta de entrada, se é ali que mora o Alexis. 21 Na primeira cena da conversa de Alexis com o padre, Alexis lhe diz que Marie e ele tiveram muitos filhos: « criamos 16 filhos; temos o primeiro que é Leopold. Temos setenta e dois netos e sete bisnetos. Isto povoou o Canadá ». Um pouco mais adiante, Leopold matiza « é preciso mais dos que Tremblay para constituir um povo ». 22 Apesar da ponderação do Leopold, é notável a dimensão épica que o relato adquire desde a primeira fala de Alexis, com a sua sugestão bem humorada de que foram os Tremblay que povoaram o Canadá. Para Alexis, através da saga dos Tremblay, é a história do povoamento do seu país que se desenha. 23 Cabe ressaltar uma dimensão épica de outra natureza, de cunho mais brechtiano, neste filme de Perrault, que não se contenta, como já mencionado, em expor os acontecimentos da viagem tomados na cronologia do seu desenvolvimento (Didi- Huberman G., 2009). 24 À semelhança de Brecht, na arquitetura de composição do seu filme, Perrault prende-se menos aos episódios da estória do que à « rede de relações que se esconde, por detrás dos acontecimentos, já que há sempre uma outra realidade por detrás da que se descreve5 ». Por isso introduz rupturas e interrupções no relato das múltiplas ocorrências e situações de diálogos da viagem. Trata-se de interromper a aparente fluidez do desenrolar, produzir descontinuidades narrativas, de tal sorte que as situações se critiquem dialeticamente umas as outras, se entrechoquem, para melhor apontar diferenças, e suscitar confrontos e comparações. 25 Uma grande liberdade norteia também o processo de composição das inter-relações entre as falas dos personagens e as imagens que as acompanham. Por vezes, o narrador encontra-se na França, mas o espectador vê imagens da Isle-aux-Coudres, ou o narrador já se encontra de volta na ilha, e vemos imagens da França (Marsolais G., 2007 : 19).

Desenvolvimento da narrativa

26 Entre as já citadas cenas de Marie e Alexis conversando com o padre e da chegada deste último na casa do casal de anciões, encontram-se outras duas, em que ouvimos uma canção. Aparecem então os créditos iniciais do filme.

27 Enquanto ouvimos a canção, vemos alguém andando numa estrada empoeirada e, em seguida, de longe, três pessoas no meio de um campo florido, que saberemos, em seguida, serem Alexis, Marie e o seu filho Leopold. 28 Na letra da canção, o sujeito da enunciação se dirige exclusivamente a Marie, a quem solicita reiteradamente (dis-moi Marie) que responda às suas dúvidas existenciais. E que neste início de filme e da canção, o tema da travessia (bout de chemin), do sofrimento que ela envolve (bout de misère), e do envelhecimento (est-ce parce qu’on vieillit) são postos em destaque, bem como o da reminiscência (et le temps de temps d’enfances [...] me

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revient comme un présent) e da inevitável finitude da vida (Parce que c’est de vivre pourtant qu’on meurt). 29 Na segunda metade da abertura, Alexis dialoga com o proprietário americano do aquário de Nova Iorque, e lhe dá a notícia da sua iminente viagem ao berço dos seus ancestrais. O americano não entende de início o significado da palavra berço, em francês, o que permite uma acentuação do significado desta viagem, por Alexis, e a evocação da figura de Pierre Tremblay, ancestral mítico da família, que emigrou do antigo condado francês do Perche para o Canadá no século XVII. 30 Na sequência seguinte, La v’lá ta France, bem como na próxima, predomina o durante. Nas cenas no convés do navio que os leva para a França, destaca-se o da aproximação do porto do Havre. Ouvimos então a voz off de Leopold gritando para o seu pai Alexis a frase que dá título à sequência: « Aqui está a sua França ». Quando tal frase é dita, o porto encontra-se submergido na bruma, e de fato ninguém vê grande coisa. Através da montagem, abre-se um primeiro elemento de incerteza sobre o tipo de reconhecimento que a viagem irá permitir. 31 A sequência seguinte, Percherons du 20ème siécle, centra-se em diálogos ocorridos em duas aldeias do Perche. 32 O primeiro acontece na residência de Madame Montagne, autora de um estudo sobre a história da emigração percheronne, que hospedou os Tremblay. Este diálogo é comentado, através da inserção, no meio da sequência, de um outro diálogo, ocorrido no depois, entre Alexis e o amigo Grand Louis, interlocutor central para Leopold e Alexis. 33 Ao contar para o seu amigo, que tinha permanecido na Isle-aux-Coudres, a sua visita a casa da Madame Montagne, Alexis salienta a sua dificuldade de entender os discursos da referida senhora, discursos que ele qualifica como sendo « um pouco distantes uns dos outros ». É de se notar que este trecho de conversa entre os dois amigos parece ter sido extraído da cena que serviu de base para composição de uma sequência que aparece na última parte do filme, justamente intitulada Reflexões sobre a linguagem. 34 Perrault, através da fragmentação dos registros desta cena, desta montagem a distância, para retomar o termo consagrado pelo grande cineasta armênio Pelechian, procede, ironicamente, de modo semelhante a Madame Montagne, mantendo os seus discursos « um pouco distantes uns dos outros », o que não facilita a compreensão do espectador. 35 Ao estranhamento suscitado pelo diálogo dos Tremblay com Madame Montagne, sucede, no mesmo local, a descoberta da diferença de condição, de Monsieur Clément, meeiro e morador de área rural do Perche, frente aos visitantes, agricultores e pequenos proprietários, como a maioria dos seus conterrâneos da Isle-aux-Coudres. 36 Na sequência subsequente, La fête du cochon, a dimensão comparativa dos modos de produção da subsistência se amplia, já que agora também envolve usos e costumes a eles relacionados. O segmento é marcado por um intenso vai e vem entre cenas envolvendo a experiência de Leopold com a carneação de um porco, durante a estadia da família junto a agricultores no Perche, e os comentários que surgem, depois da viagem, durante um ato similar de carnear, nos diálogos do mesmo Leopold com seus amigos da Isle-aux-Coudres, que nunca foram a França. 37 No final da sequência, por ocasião da descrição, por um agricultor francês, do aproveitamento de todas as partes do porco, mesmo as menos nobres, ocorre um diálogo em que se caracteriza pela primeira vez no filme, o conservadorismo de Alexis,

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e a sua oposição aos tempos modernos, que constituiriam um reino da gaspille (da gastança). 38 A maioria das cenas da sequência seguinte, intitulada Alexis relève la trace de ses ancêtres ocorrem no durante, em diversas localidades do Perche, e envolvem episódios da busca de Alexis pelos rastros do ancestral mítico da família, Pierre Tremblay. Um dos momentos de maior emoção da sequência, é para ele, o da visita da fazenda onde Pierre Tremblay teria nascido. Nesta ocasião beija apaixonadamente Marie após esta responder a uma indagação sua a respeito do seu contentamento de estar ali, e confessar seu menor interesse pelo assunto, mas afirmar o seu contentamento de ver o seu marido contente. 39 Na sequência seguinte, Les filles de La Rochelle et la mode de Paris, que se inicia mais ou menos na metade do filme, há quase predominância de cenas que ocorrem no depois frente às do durante. Alternam-se cenas de um diálogo ocorrido entre Alexis e o seu filho Leopold, ao observar o movimento de barcos e pessoas no porto de La Rochelle, com comentários e diálogos, após a viagem, de Marie, Alexis, e Leopold. Frente à observação de modos antigos de remar (la godille) em La Rochelle, Leopold sublinha que pescadores franceses ainda preservam muito mais costumes do tempo antigo do que os da sua terra. Alexis, ao concordar com o seu filho, recorre novamente ao termo de reino, salientando que o seu acabou. 40 Cabe observar que a palavra reino é bastante usada, ao longo do filme por Alexis, e constitui uma espécie de noção ou categoria, que serve não apenas para delimitar um período, mas ainda designa um modo de ser predominante naquele período, caracterítisco de uma geração. 41 Logo após ter declarado, « Eu, meu reino acabou », Alexis destaca a importância da transmissão de conhecimentos entre gerações. Dirigindo-se a Leopold, acentua: « Na sua viagem, você vai aprender um pouco, talvez, para ensinar aos seus filhos. Você não está na terra só para passear ». 42 Como mostra essa passagem, Perrault evoca, em Le règne du Jour, uma memória transgeracional, que remete, em última instância, ao triplo reino que caracteriza esta memória, segundo Paul Ricoeur: o reino dos predecessores, o dos contemporâneos e o dos sucessores6. No caso da família Tremblay, protagonista do filme, poderíamos dizer, em primeira instância, que Alexis e Marie constituem a figura dos predecessores; contemporâneo, neste quadro, é Leopold, filho do casal, já cinquentão no filme; e sucessores são os netos e bisnetos do casal de anciões, com quem vemos Alexis conversar em diversas passagens do filme. Para Alexis, o reino dos antepassados é o do seu grande ancestral mítico, Pierre Tremblay, e, mais longe ainda, é o do navegador Jacques Cartier. Como ficará cada vez mais claro, ao longo do filme, Alexis tem, com o reino dos antepassados, e com o seu próprio reino, uma relação passadista, impregnada de nostalgia por um mundo perdido. 43 Um outro tipo de relação com o passado surge na cena seguinte, em que Marie, já de volta na Isle-aux Coudres, no depois, exalta simultaneamente a beleza da França e da nossa terra, e comenta que naquele país existem muitos « antigos negócios que jamais vimos, porque somos demasiado jovens, nós outros no Canadá ». 44 Cabe notar aqui o uso do pronome nós. É um eu coletivo que se exprime pela voz de Marie, que como pessoa humana, como indivíduo, tem perfeita consciência de que é velha. A juventude da qual ela fala aqui é a do novo mundo, de onde ela vem.

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45 Pouco depois, em outra cena da mesma sequência, Leopold, em diálogo com Grand Louis, irá reafirmar essa juventude do novo mundo, em que o progresso ocorreria bem mais rápido, frente a esta França da qual a família acaba de chegar. 46 Cabe notar também que depois de ter aparecido sublinhando a juventude do Canadá, a qual se sente pertencer, Marie ressurge, sublinhando o conservadorismo do seu marido: « Meu marido sempre foi antigo. Isto faz com que, agora velho, é ainda mais antigo. Eu, eu não admito tudo o que ele diz. Não fico contente ». 47 O conservadorismo de Alexis, efetivamente, na sequência, fica explícito nos seus diálogos com o filho, Grand Louis, e Marie. O ancião reclama sucessivamente dos excessos de máquinas, na modernidade, das vestimentas curtas das mulheres, e dos tempos atuais, piores do que os do início de sua vida de casal. 48 Marie se opõe com firmeza a esta visão idealizada de um passado de fato cheio de privações, e a este rancor contra um presente que, embora modesto, sabe que é materialmente melhor do que ontem. Entendemos que embora seja velha, não se considera antiga, como Alexis, nem moderna, mas do seu tempo. Por isso, a anciã afirma, que é preciso « admitir o dia como ele advém ». 49 O termo de dia é usado tanto por Alexis quanto por Marie, mas a valorização do presente, subjacente à referida afirmação, e este modo de situar-se, intuitivamente, no tempo histórico do contemporâneo (quando Marie declara: « eu sou do meu tempo ») é característico de Marie. 50 O equilíbrio entre durante e depois é maior na sequência seguinte La chasse à l’épouvante, no início da segunda metade do filme7. No confronto fugaz com « descendentes de altos dignitários que não falam com todo mundo », como diz Leopold, torna-se clara não apenas a origem territorial mas a origem social dos ancestrais da família. 51 Há inicialmente alternância entre, por um lado, cenas de caça numa floresta envolvendo senhores bem vestidos, um guarda-caça, que para eles trabalha, e o Leopold, puxando uma matilha de cães; e, por outro lado, cenas em que Leopold comenta o ocorrido na ocasião, de volta na Isle-aux-Coudres, para amigos. Por vezes o seu comentário, no depois, torna-se over, e integra-se a visão do desenrolar da cena do durante. 52 Na segunda parte da sequência ainda vemos cenas de caça. Agora constituem pequenas inserções dentro de planos do dialogo de Alexis e Leopold com Martin, o guarda-caça, que aponta que aqueles que outrora emigraram da região para o Canadá deviam ser operários, gente do campo, ou plebeus (« des roturiers ») – categorias que na hora Alexis designa resumidamente como pertencentes às classes baixas, terminologia usada, segundo ele, no Canadá. Por isso, talvez, sugere Martin, quando esses descendentes de nobres identificaram os Tremblay como descendentes desses emigrantes, se sentiram incomodados e não desejaram falar com eles. 53 É notável, contrariamente, a vontade de Martin, plebeu, ele também, de conversar com a família Tremblay. E com eles compartilhar lembranças, em particular da sua deportação para o campo de concentração de Buchenwald, do qual é um sobrevivente, contrariamente aos poucos integrantes das altas classes da região que entraram para a resistência, foram deportados e não sobreviveram, na sua maioria, em função da sua menor lida com trabalhos manuais, segundo ele. 54 Cabe mencionar, de passagem, algo marcante, em muitos filmes de Perrault envolvendo viagens, que é este sentimento de pertencimento dos personagens ao mundo plebeu,

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des travaillants – os verdadeiros notáveis, segundo Hauris Lalancette, personagem principal do filme Era um quebequense na Bretanha, minha senhora! 55 Um trecho da conversa do Leopold com seus amigos, no depois, em que salienta que as suas primeiras conversas na França foram sobre a guerra, introduz a sequência seguinte, O reino dos soldados, em que se evoca não apenas um passado histórico, mas um tipo de lembrança emocionada que a experiência vivida da história suscita. 56 O uso do termo dia, aqui, ganha outra conotação, quando no cemitério que a família foi conhecer, o grupo conversa com uma senhora de idade, que lhes conta a morte de um próximo, ao combater os alemães. E comenta : « para ele, morrer na primavera, assim, no final de tarde de um belo dia, ele não podia desejar algo melhor ». 57 Na continuidade da visita ao cemitério, Marie sublinha que os franceses do lugar onde se encontram têm « lembranças que nos não temos », lembranças da guerra, que guardaram, para « os emocionar, mais do que nós », reconhecendo, deste modo, uma alteridade histórica na experiência existencial dos franceses frente à experiência de vida dos quebequenses. 58 O final da emocionante, embora contida, subsequente retomada pelo guarda-caça Martin da narrativa do seu aprisionamento e da sua sobrevivência à tragédia da deportação – quando Alexis exalta a sua notável coragem de homem francês, coragem que, segundo ele, não se encontraria no Canadá –, desemboca na narrativa complementar da longa espera de sua volta, pela esposa. Frente ao comentário de Alexis que ela deve ter se angustiado muito, a mulher afirma com veemência o seu pertencimento à nação francesa, base de sua resistência pessoal à dor da então muito provável morte do seu marido: « Eu era francesa 100 % ». 59 Já fora da casa de Martin, vemos então Alexis, profundamente impactado e pleno de admiração pela coragem deste humilde casal, confidenciar a Leopold, que « nós – subentendido os canadenses –, nos não temos mais sangue francês », sangue francês que será tema de uma das últimas sequências do filme. 60 Em, seguida, na sequência, Alexis relève la trace de Jacques Cartier, assistimos a uma discussão entre Marie e Alexis, ocorrida em Saint-Malo, porto de partida do referido explorador bretão do século XVI. A discussão ocorre em função do desejo de Alexis, que se revela rapidamente irrealizável, da construção, por um artesão local de uma réplica em miniatura da embarcação de Cartier. O ancião se justifica afirmando a sua vontade de transmitir esta lembrança da viagem aos netos. Marie discorda, salientando que a nova geração não têm mais o mesmo apego à figura do explorador. 61 No contexto do diálogo, novamente, evidencia-se a inquietude de Alexis quanto à efetividade da transmissão do que considera a herança das referências históricas que constituem o seu sentimento de pertencimento enquanto canadense francês, bem como a efetividade da transmissão de algo que remete a uma dimensão mais intima, própria de cada pessoa, poeticamente designada por ele como constituindo o seu natural. 62 Assistimos, na mesma sequência, a outra discussão, ocorrida antes da viagem, frente aos pedidos de presentes dos netos. Aqui, outra diferença se explicita, entre os dois cônjuges, que envolve a menor disponibilidade financeira de Marie. Entremeando planos desta cena, são inseridos planos do depois, em que Alexis entrega presentes para os netos numa grande reunião familiar. 63 Marie preocupa-se em preservar alguma quantia para o seu enterro, pela própria consciência aguda que tem da sua velhice e da maior proximidade então da morte

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(Marie: « penso em morrer um dia »). Alexis, dispondo de maiores recursos, se prontifica, de modo um tanto machista, a atender aos pedidos dos netos. E ainda zomba da esposa, dizendo que ela não hesita em tirar dinheiro da carteira dele, afirmação frente à qual ela responde com firmeza: « Não te incomoda dizer isto frente ao mundo [...] mesmo se não é verdade? ». Entremeando planos desta cena, situada no antes, como apontado, são inseridos planos do depois, em que Alexis entrega os presentes. 64 A sequência seguinte, Réflexions sur le langage, é a primeira, até agora, a situar-se inteiramente no depois, inaugurando, de certo modo, o movimento final do filme, onde o depois irá predominar, apesar da existência, nesse movimento final, de outros tempos. 65 Estas reflexões, a posteriori, sobre a linguagem, iniciam-se com comentários sobre a diferença de costumes (os banheiros nos bares de Paris) e sobre os nomes diferentes dados às coisas nos dois países. Ao final da sequência, assistimos a uma bem humorada conversa entre Alexis e Grand Louis. Grand Louis primeiro enumera uma série de diferenças do falar, entre a França e o Canadá, entre a gente da cidade de Montréal e os habitantes da ilha em que se encontram. Em seguida, aponta para a diferença do falar entre duas pessoas (no caso, entre ele e Alexis), sublinhando, a seu modo, as dificuldades de comunicação que podem surgir em qualquer diálogo inter-subjetivo. 66 A sequência significativamente intitulada Ah que les beaux jours sont courts, é a mais lírica de todas. É também aquela onde, em função da experiência de alteridade que a viagem representou para ambos, o mistério da intimidade de Marie e das suas eventuais metamorfoses parece tornar-se mais opaco para Alexis. 67 A primeira parte da sequência ocorre no depois. Nela, basicamente, entretanto, se evoca um antes bem anterior à viagem, que é o da chegada de Marie, para se casar com Alexis. A chegada é contada do ponto de vista dela. Alexis parece escutar pela primeira vez esta narrativa. Entremeando o final do depoimento, surgem algumas fotos em que Marie aparece jovem e linda. Estes inserts também jogam com a memória do espectador, já que em uma delas, está com a mesma aparência fisionômica, de penteado e de figurino que numa foto do início do filme. Neste momento, Marie alude, radiante, ao nascimento dos seus primeiros filhos. 68 Segue-se uma longa cena de Marie andando na neve, enquanto ouvimos, em off, o segundo trecho da canção composta para ela por Perrault. A canção enfatiza a fugacidade do passar dos dias, a simultânea apreciação do valor da duração do instante vivido e a convocação da lembrança, no passado, do cair da neve, quando Marie, então jovem noiva, apaixonada, enfrentando muitas dificuldades na sua viagem, desembarcou na Isle-aux-Coudres, para se casar com Alexis. 69 Como sempre no final de cada trecho, volta o refrão que sublinha a inevitável finitude da vida (« Porque é de viver, entretanto, que se morre »). Como que respondendo à suplica do enunciador (« Diga-me Marie »), a primeira parte dessa sequência termina-se com a lembrança enigmática de algo que a impressionou até o ultimo grau naquele dia em que chegou. Eis então que, em uma das únicas vezes em que ouvimos a voz de Perrault no filme, surge em off a pergunta: « faz quanto tempo? ». Marie responde: « 56 anos », tempo próximo a duração do seu casamento. 70 Na segunda parte da sequência, há um jogo maior de alternância entre o antes, o muito antes da viagem, o durante, e o depois. O eixo, aqui, é a discussão pelo casal do significado da viagem para Marie, e, em última instância, da capacidade de Alexis de se doar a ela.

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71 Esta segunda parte se inicia com a inserção de um novo trecho do primeiro diálogo a que assistimos no filme, entre o padre e Alexis, no qual este último salienta que a viagem para a França será a viagem de núpcias que eles nunca tiveram. Seguem-se varias cenas, no navio, em que Alexis faz todo um charme e um jogo duro, sobre a possibilidade ou não de dar um dispositivo de espelhos similar ao que Marie está alegremente desfrutando na cabine. Na última destas cenas, Alexis lembra a promessa que há 56 anos, ele tinha feito, de « se entregar totalmente a ela », como se esta doação constituísse, então, o maior presente que ele poderia oferecer-lhe. Em seguida, Marie comenta que « se lembra deste presente ». Alexis, então pergunta se este era um presente aceitável. Sorrindo, Marie responde, enigmática, para nova surpresa e inquietude do seu marido, que ela não podia revelar este segredo, um segredo só dela. 72 A alegria dela, ao se casar, no filme, parece patente. Não tanto nas fotos antigas, em que aparece jovem, linda e elegante. Mas nas palavras da nova canção que a ouvimos, então, cantar. 73 Ressalta, na letra, a ênfase, novamente, na fugacidade do passar dos dias, no caso felizes ou belos, e a alusão ao fato que uma senhorita se deixou levar, que poderia ser, no caso, a própria Marie, na época de sua juventude: « Souriante et légére. Je la soulevais de terre. Mam’zelle s’est laissée faire. Que les beaux jours sont courts ». 74 A sequência seguinte, De l’acharnation, do ponto de vista da sua configuração temporal, passa-se quase toda no depois, quando o casal descobre que sem o seu consentimento, um dos filhos mandou matar uma égua velha. Aqui, encontra-se mais uma vez trazida a questão da finitude da vida, e, pela primeira vez, a ideia de um momento crepuscular da existência. 75 Deixem viver os velhos, parece apontar na sequência, Alexis. Que eles possam dispor dos agrados da velhice (« agréments des vieux jours »). Seja o trator do Grand Louis, ou o relógio de pêndulo antigo do Alexis. A compra deste último objeto, na França, e a sua inutilidade aparente inicial, no Canadá, encontram-se no centro da sequência subsequente, Les monuments inutiles. 76 É marcante, nas cenas, a impaciência do Alexis, que se acha enganado, porque o relógio comprado na França, inicialmente, não parece funcionar. De modo muito evidente, o ancião tem consciência, que lhe dói, que não lhe restam muitos anos de vida (« se Deus me deixar viver pelo menos dois anos mais », exclama, então em meio a sua fúria). Chega a querer destruir o relógio, monumento inútil, com um machado, no que é impedido por Leopold e Marie. 77 O penúltimo segmento Le sang français, composta por um plano sequência de uma conversa entre Alexis e Grand Louis, na volta da viagem, dialoga com a sequência intitulada Le règne des soldats, na qual sangue francês já designava metaforicamente algo como uma herança histórica. 78 Em última instância aqui, estão em questão, a condição e o futuro do país ao qual pertencem. No qual, eles, canadenses com ancestrais franceses, desejam ver os seus direitos, a sua parte, reconhecida. Alexis, que considera que ainda tem sangue francês, deseja que frente aos canadenses ingleses, os canadenses franceses possam obter maior reconhecimento. O desejo que ele verbaliza, em última instância, é o de que a França venha retomar o Canadá. 79 Outra é a posição de Grand Louis. Para falar como o personagem Michel Garneau, em outro filme de Perrault, « ao dizer o dizer do alhures de onde é », Grand Louis acaba por

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apontar poeticamente, na sua fabulação, para a singularidade americana do seu povo, ao salientar que junto à diminuta porção de sangue francês que corre em suas veias, há um pouco de Pepsi, de Coca Cola e de Seven Up8. 80 A última sequência, La chanson de Marie, do ponto de vista da ação, relaciona-se com instalação, que, ao cabo, revela-se bem sucedida, do relógio de pêndulo em um cômodo da casa. Esta ação se desenvolve enquanto ouvimos o último trecho da Canção de Marie. Parece retornar, de modo ainda mais singelo, neste final, o leitmotiv da inquietude existencial frente à perspectiva da finitude corporal e da subsequente transmutação dos seres pela natureza (« Dis Marie [...] dis ce que tu penses de la terre qui reprendra nos visages pour en faire des feuillages »). 81 Talvez não seja por acaso que as últimas palavras da canção sejam: « Mas nada mais nos acontecerá do que a vida que vivimos. Para que o tempo passe ». Esta presença do tempo que passa é muito concretamente marcada pela feliz expressão de Marie na última imagem do filme, ao constatar que o relógio finalmente está funcionando (« Elle marche », subentendido, l’horloge).

Considerações finais

82 Se, no decorrer do percurso que a narrativa constitui, o espectador se defronta, de modo recorrente, com os mais variados exercícios de comparação, pelos personagens, entre costumes e modos de vidas de regiões da França e da Isle-aux-Coudres, ressalta entretanto, no final da travessia e do filme, o sentimento, ao cabo, reforçado, de pertencimento a um território do novo mundo que possui uma singularidade histórica frente à experiência nacional francesa. Sentimento compartilhado, no caso, principalmente por Marie e o seu filho Leopold, e expresso com grande força poética por Grand Louis, que não efetuou a viagem, mas soube captar os seus ecos nas falas dos seus amigos viajantes.

83 Ao término da travessia, contrariamente, Alexis parece ainda mais preso a uma idealização do passado. O seu sentimento mais forte de pertencimento relaciona-se ao reino dos antepassados, e ao velho mundo que, de certo modo, a França representa para Marie e Leopold. Além disso, como vimos, Alexis sai da experiência da viagem emocionalmente desestabilizado frente à repentina descoberta, aos oitenta anos, de insuspeitadas diferenças de percepção, entre ele e a sua esposa, sobre a experiência de vida em comum e sobre a própria experiência humana de passagem do tempo. 84 A última cena do filme, em que vemos Marie sorrir, frente ao relógio pontuando a passagem do tempo, mostrando o tempo presente passando, aponta para a continuidade da vida, e para o fato de que tanto Alexis quanto Marie ainda estão juntos, imersos no reino do dia. 85 A sabedoria de admitir « o dia como ele advém », e esta abertura ao imponderável da vida, a sua vivacidade, é entretanto, neste filme, como mostramos, próprio da Marie. Ao defrontar-se, junto com Alexis, com situações e pessoas estranhas ao seu contexto de vida habitual, Marie situa-se de modo diferente do seu marido. 86 Na volta da viagem, o ineditismo da experiência favorece o confronto de pontos de vistas do casal, e uma revisão da história em comum, de onde surge progressivamente, para Alexis e para o espectador, uma outra Marie, que parece então ter se apropriado

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mais plenamente de sua própria história enquanto mulher, esposa, mãe e habitante do novo mundo. 87 Le règne du jour antecede o momento de maior politização da questão do pertencimento na filmografia de Pierre Perrault, que se sedimenta, como apontou Desjardins, a partir da filmagem do seu filme seguinte, Les voitures d’eau (1968). E se fortalece, sobretudo, no curso do processo de realização dos dois filmes subsequentes, Un pays sans bon sens (1970) e L’Acadie, l’Acadie ?! (1971). 88 Entretanto, para além da heterogeneidade das experiências existenciais vivenciadas, das modificações operadas nos modos de sentir e estar no mundo dos personagens envolvidos na travessia, O reino do dia, através da enigmática composição de sua narrativa, contribuiu – assim como Para a continuação do mundo, mas de modo bem diferente – para a constituição de um lugar de memória, ou seja, de transmissão, para uma herança quebequense, até então sem lugar de inscrição. 89 « Uma herança que não foi precedida de nenhum testamento », para retomar a frase de um contemporâneo do guarda-caça Martin, o poeta René Char, ele também integrante da resistência francesa contra a ocupação alemã9.

BIBLIOGRAPHY

Alburni, Robert, « La rage de l’expression » (critique du film Le Règne du jour), Cahiers du cinéma, n° 208, janvier 1969, p. 60-61.

Bazin, André, « O cinema e a exploração », in André Bazin, O que é o cinema, São Paulo, Editora Cosacnaify, 2014, p. 47-56.

Certeau, Michel de, A invenção do cotidiano. I. Artes do fazer, Rio de Janeiro, Vozes, 2004.

Char, René, Fureur et mystère, Paris, Gallimard, 1967.

Didi-Huberman, Georges, Quand les images prennent position. L´oeil de l´histoire, Vol. I, Paris, Les Éditions de Minuit, 2009.

Garneau, Michèle, « Ce qui nous rattache au temps: le réveil du passé chez Pierre Perrault et Fernand Dumont », in Michèle Garneau e Johanne Villeneuve (dir.), Traversées de Pierre Perrault, Québec, Éditions FIDES, 2009, p. 109-138.

Gervaiseau, Henri Arraes, O abrigo do tempo. Abordagens cinematograficas da passagem do tempo, São Paulo, Alameda, 2012.

Marie, Michel, « Le direct et la parole », in Roger Odin e Jean-Charles Lyant (dir.), Cinémas et réalités, Saint-Etienne, Universidade de Saint-Etienne, 1984, p. 47-56.

Marsolais, Gilles, La trilogie de l’Isle-aux-Coudres, in Denys Desjardins (dir.), L’Oeuvre de Pierre Perrault, Volume I, La trilogie de l’ Île aux Coudres. Textes et témoignages, Montréal,ONF, 2007, p. 9-20.

Filmografia

Lafond, Jean Daniel, Les traces du rêve (1986)

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Perrault, Pierre, Le règne du jour (1967)

Perrault, Pierre, Les voitures d’eau (1968),

Perrault, Pierre, Un pays sans bon sens (1970)

Perrault, Pierre, L’Acadie, l’Acadie ?! (1971)

Perrault, Pierre, La grande allure (1984)

Perrault, Pierre, C’était un québecois en Bretagne, madame (1977)

Perrault, Pierre, Les voiles en bas et en travers (1983)

Perrault, Pierre, La grande allure (1984)

NOTES

1. Em que mais do que tudo o que conta são as vicissitudes do percurso do viajante ocidental na travessia de países distantes (Bazin A., 2014 : 50). 2. Michel Serres diz que acredita que Pierre « tenta uma viagem no espaço, no tempo e no corpo social ». A fala do renomado filósofo francês está incluída em Les traces du rêve (1986), belíssimo filme de Jean Daniel Lafond sobre Pierre Perrault e a sua obra (a declaração está mais ou menos em 55min10s.). 3. Sobre Vertov e Flaherty, ver Gervaiseau (2012). 4. Pescado em Para a continuação do mundo. 5. Me apoio aqui em Didi-Huberman e na síntese que efetua do pensamento de Brecht a respeito do teatro épico, a partir das reflexões de Walter Benjamin (Didi-Huberman G., 2009 : 60). 6. Segundo Michèle Garneau, que cita Paul Ricoeur, Le règne du Jour é o filme de Perrault que mais dá a ver essa memória transgeracional (Garneau M., 2009 : 117). 7. A referida sequência começa em 1h06mn3s, e o filme dura 1h58mn19s. 8. A fala de Garneau encontra-se em La Grande allure (1984), entre 13mn35s e 14mn15s. 9. A frase do René Char é: « A nossa herança não é precedida de nenhum testamento. No original francês : « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament » (Char R., 1967 : 102).

ABSTRACTS

The organization of journeys with characters is a fruitful way to stimulate, in their minds, comparisons between one before and one after. The adoption of such an approach allows not only to reveal the becoming of characters, but also to favor the emergence of narratives related to the passages between before and after the journey. Besides, the crossing of social and geographic spaces distant of their daily experience can stimulate the exercise of comparison between ways of life and of being in the world. This affects directly the central issue of belonging of the characters in the movies of Quebec filmmaker Pierre Perrault. In this paper, we approach these questions through the discussion of Perrault’s movie Le règne du jour (1967).

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A organização de viagens com os personagens é um frutífero modo de estimular, no espírito dos mesmos, comparações entre um antes e um depois do percurso. A adoção de uma tal abordagem permite não apenas evidenciar um devir, mas ainda favorecer a emergência de narrativas a respeito das passagens entre esse antes e esse depois. Além disso, a travessia de espaços sociais e geográficos distantes de suas vivências cotidianas estimula o exercício da comparação entre modos de vida e de estar no mundo, e toca diretamente, no caso dos personagens dos filmes do cineasta quebequense Pierre Perrault, na questão central do pertencimento. Neste artigo, abordamos essas questões a partir da discussão do filme Le règne du jour (1967).

L’organisation de voyages avec des personnages est une fructueuse manière de stimuler, dans leur esprit, des comparaisons entre un avant et un après. L’adoption d’une telle approche permet non seulement de donner à voir le devenir des personnages, mais encore de favoriser l’émergence de récits relatifs aux passages entre cet avant et cet après du parcours. En outre, la traversée d’espaces sociaux et géographiques distants de leur vécu quotidien est susceptible de stimuler l’exercice de la comparaison entre des modes de vie et d’être au monde, et touche directement, dans le cas des personnages des films du cinéaste québecois Pierre Perrault, la question centrale de l’appartenance. Dans cet article, nous abordons ces questions à partir de la discussion du film Le règne du jour (1967).

La organización de viajes con personajes es un fructífero modo de estimular, en el espíritu de los mismos, comparaciones entre un antes y un después. La adopción de tal abordaje permite no sólo evidenciar un devenir, sino también favorecer la emergencia de narrativas con respecto a los pasajes entre este antes y este después del viaje. Además, la travesía de espacios sociales y geográficos distantes de sus vivencias cotidianas estimula el ejercicio de la comparación entre modos de vida y modos de estar en el mundo, y toca, directamente, en el caso de los personajes de las películas del cineasta quebequense Pierre Perrault, la cuestión central de la pertenencia. En este artículo, abordaremos estas cuestiones a partir de la discusión de la película Le règne du jour (1967).

INDEX

Mots-clés: Perrault, documentaire, appartenance, voyage, passage Palavras-chave: Perrault, documentário, pertencimento, viagem, personagem, narrativa, passagens Palabras claves: Perrault, documental, pertenencia, viaje, pasaje Keywords: Perrault, documentary film, belonging, journey, passage

AUTHOR

HENRI ARRAES GERVAISEAU

Cineasta, pesquisador e professor livre-docente do Departamento de Cinema, Televisão e Rádio da Escola de Comunicação e Artes da Universidade de São Paulo. Atualmente, o seu principal tema de investigação é o filme documentário como meio de expressão da experiência do deslocamento.

CTR-ECA-USP Avenida Prof. Lúcio Martins Rodrigues, 443- Cidade Universitária. CEP: 05508-900. São Paulo, SP, Brasil [email protected]

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L’exil et le retour dans les journaux filmés de Jonas Mekas et David Perlov Exile and Return in the Diary Films of Jonas Mekas and David Perlov O exílio e o regresso nos filmes-diários de Jonas Mekas e David Perlov

Jennifer Cazenave

Introduction

En juillet 1944, alors qu’il tente de rejoindre Vienne après avoir quitté sa Lituanie natale, Jonas Mekas commence un journal intime qu’il tiendra jusqu’en août 1955 et publiera en 1991 sous le titre Je n’avais nulle part où aller. S’adressant à un lecteur anonyme dans une entrée datée du 10 janvier 1948, il écrit : « Je vous invite à lire tout cela comme des fragments de la vie d’un homme. Ou comme la lettre d’un exilé qui se languit de son pays » (Mekas, J., 2004 : 139). Nouant ici un lien entre l’expérience de l’exil et l’écriture d’un journal, Mekas fait référence à une décennie marquée par l’errance : en 1944, œuvrant dans la résistance, il doit quitter précipitamment son village natal de Semeniškiai pour échapper aux Allemands. Accompagné de son frère Adolfas, il espère rejoindre la capitale autrichienne mais leur train est détourné vers un camp de travail forcé près de Hambourg, où ils sont internés jusqu’en 1945. Dans l’immédiate après-guerre, ils passent par plusieurs camps de « personnes déplacées » en Allemagne avant de s’installer New York à l’automne 1949. Mekas acquiert alors sa première caméra et commence à capter des instantanés de son quotidien d’exilé. Il s ’ensuit deux décennies plus tard un premier journal filmé, Walden (Diaries, Notes and Sketches), une œuvre de trois heures où le cinéaste commente en voix off des images accumulées entre 1964 et 1968. Ce film s’apparente à « une lettre d’exil » hantée par le souvenir d’un pays perdu (James, D. 1997 : 29), comme en témoigne l’intertitre « Je pensais à ma maison » placé à la troisième minute1.

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Figure 1. « Je pensais à ma maison »

(Walden, 03:11)

À l’image de Je n’avais nulle part où aller, cette première œuvre témoignant de l’expérience de l’exil fait du journal filmé son lieu d’inscription. C’est aussi par le biais de ce genre ici revendiqué grâce au sous-titre Diary, Notes and Sketches que Mekas représente son voyage vers le pays natal. Intitulé Reminiscences of a Journey to Lithuania (1972), ce deuxième journal filmé donne à voir ses retrouvailles avec sa famille, sa maison d’enfance et son village lituanien après une absence de vingt-cinq ans. À ce retour succède Lost Lost Lost (Jonas Mekas, 1976), un portrait du quartier de Williamsburg à Brooklyn et de la communauté d’immigrants lituaniens que Mekas monte à partir d’images filmées entre 1949 et 1963. En 1976, le cinéaste rebaptise aussi son premier journal Walden, alors que Diaries, Notes and Sketches devient rétrospectivement le titre d’un projet filmique autobiographique à vie, qui compte à ce jour sept journaux filmés (Rollet, P., 2013 : 10 ; 87-88). Au moment où Mekas rassemble à New York ses premiers travaux sous le titre de Diaries, Notes and Sketches, le cinéaste israélien David Perlov s’attelle depuis trois ans déjà à la réalisation d’une œuvre monumentale composée de six chapitres intitulée Diary. Revendiquant à son tour cette variante de l’autobiographie filmique, il tisse une chronique de son quotidien à et de ses voyages à l’étranger qu’il dote au moment du montage d’un commentaire off enregistré en deux versions, anglais et hébreu. Tels les premiers volets du cinéma personnel de Mekas, le journal filmé de Perlov révèle une trajectoire transnationale inscrite sous le double signe de l’exil et des Amériques. Né à Rio de Janeiro en 1930, il grandit à Belo Horizonte où il connaît une enfance marquée d’abord par l’absence du père, puis par l’arrachement au foyer familial : contraint de quitter sa mère Ana par la force de circonstances non élucidées dans son film, il part vivre à l’âge de dix ans chez son grand-père à São Paulo. À cette enfance ponctuée d’exils « internes » se succèdent le départ de Perlov pour Paris en 1952, puis celui pour Israël en 1958. Dans Diary, Perlov révèle son déracinement à travers plusieurs voyages vers les lieux de son passé, à la fois ceux de son exil volontaire en France et ceux de sa jeunesse au

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Brésil. Les premiers retours effectués par le cinéaste rappellent inévitablement le retour de Mekas au pays natal dans Reminiscences of a Journey to Lithuania. Inversement, le motif d’un espace autobiographique transnational reliant entre eux ces deux journaux filmés fait écho au « cinéma accentué », un terme proposé par Hamid Naficy pour désigner la production cinématographique de sujets exilés et diasporiques vivant en Occident. À partir d’un corpus international, Naficy expose les grandes lignes d’un style dit « accentué » par lequel des cinéastes transnationaux comme Mekas donnent à voir et à comprendre l’expérience du déracinement. Ce style se définit avant tout par un penchant autobiographique et nostalgique, une propension à l’autoréflexivité, à la voix off et au plurilinguisme et, aussi, une hybridité formelle visant à problématiser les frontières séparant la fiction et le documentaire, le public et le privé, le collectif et l’individuel (Naficy, H., 2001 : 22-26). Au-delà de ces figurations, Naficy propose le voyage comme fil rouge de ce cinéma situé à la croisée du local et du mondial. Englobant le chemin vers l’exil, le retour chez soi, l’errance et la traversée des frontières, ce thème est notamment analysé par le biais du voyage vers la terre natale effectué par Mekas dans Reminiscences of a Journey to Lithuania (229-230). La filmographie autobiographique de Mekas se voit aussi qualifiée de « cinéma exilique exemplaire » (141) par Naficy qui assimile des œuvres comme Reminiscences of a Journey to Lithuania ou Lost Lost Lost non pas au journal filmé mais au film épistolaire, un geste théorique justifié par la présence d’intertitres qui font des films de Mekas « des cartes postales audio-visuelles ou un flipbook accentué » (141)2. Or, à la fois dans son journal écrit devenu Je n’avais nulle part où aller et par le sous-titre original de Walden, Mekas situe l’inscription du déracinement dans la pratique du journal. Si, à son tour, le titre de l’œuvre de Perlov lie irrémédiablement le déracinement et le journal filmé, ne faudrait-il pas s’interroger sur la spécificité de ce genre cinématographique comme moyen de représenter l’exil ? Afin de répondre à cette question, il s’agira ici d’effectuer un parcours généalogique du journal intime puis d’étudier les espaces autobiographiques transnationaux mis en scène dans Reminiscences of a Journey to Lithuania et Diary. Soit par le retour en Lituanie de Mekas, soit par l’exil de Perlov en Israël, notre analyse comparative dépassera le cadre de l’identité cinématographique dans les Amériques pour penser dans une perspective transnationale et générique le cinéma accentué de Naficy.

Du journal de bord au journal filmé

Dans un ouvrage intitulé Un journal à soi. Histoire d’une pratique, Catherine Bogaert et Philippe Lejeune proposent « un voyage au pays du journal » (2003 : 7) qui mène le lecteur à travers l’histoire de cette écriture personnelle avant d’aboutir à ses déclinaisons modernes : le journal en peinture, le journal filmé, le blog. Bogaert et Lejeune s’attardent sur les prédécesseurs du journal écrit, à commencer par le journal de bord, un registre tenu par le capitaine d’un vaisseau qui y note régulièrement les détails techniques de la navigation (30). Pratique liée à la conquête de l’espace, le journal de bord compte parmi ses plus grands auteurs le navigateur Christophe Colomb. Tenu lors de son voyage vers les Amériques, ce document aujourd’hui perdu mais dont il existe encore une copie abrégée révèle un registre qui incorpore des observations sur le quotidien à bord du navire. Ainsi, l’entrée datée du 9 septembre 1492 citée dans l’ouvrage de Bogaert et Lejeune témoigne du désarroi ressenti par les

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matelots quand « ils perdirent complètement de vue la terre » (31). À cette chronique de la vie en mer se succèdent deux autres « ancêtres du journal personnel » (44) : le journal de voyage et le livre de raison, dans lequel une famille enregistre son histoire et son quotidien pour préserver une mémoire de génération en génération (36-37). Tout en marquant le passage vers une véritable écriture de soi, le journal intime s’inscrit dans la lignée du livre de raison par sa dimension individuelle et collective : une chronique de soi, des autres et de son époque, le journal relève d’une volonté de préserver le quotidien pour un jour le transmettre. De même, à l’instar du journal de bord et du journal de voyage, l’écriture de soi est définie par Bogaert et Lejeune comme « une écriture vagabonde » qui se reflète dans un mode d’inscription mobile – le cahier. Ce cahier (tout comme la caméra) représente « une chambre portative » qui permet de (se) délimiter « un espace intime dans les lieux les plus fréquentés » (72). Journal et espace sont intrinsèquement liés : écriture errante qui se prête à l’expérience du voyage, la pratique du journal permet d’établir momentanément un espace à soi. Inversement, le diariste se constitue comme un sujet dispersé car situé à la croisée de l’intime et du monde, du présent et du passé, de l’écriture et du souvenir. Comme le note Timothy Corrigan dans son analyse de Lost Lost Lost, cette dispersion spatio- temporelle contamine à son tour l’enregistrement du journal filmé, qui est « sujet à de nombreux départs et arrêts, pauses et accélérations » (2011 : 134)3. S’inscrivant dans l’entre-deux du temps et du mouvement, cette « écriture vagabonde » fait écho à l’expérience de l’exil, cette existence vouée à l’errance que Julia Kristeva compare à « un train en marche, un avion en vol, la transition même qui exclut l’arrêt » (2008 : 18). Chez Mekas, la pratique du journal trouve un point de départ dans ce mouvement vers l’exil puisqu’il entreprend un journal écrit au moment même de sa fuite. « C’est notre huitième jour de voyage », écrit-il dans la première entrée datée du 19 juillet 1944 (1991 : 27). Tandis qu’il commence à filmer sa vie d’immigrant aux États- Unis seulement quelques mois après son arrivée, sa condition d’étranger trouve depuis sa pleine expression dans le journal filmé. Comme le note avec justesse Patrice Rollet au sujet de Diaries, Notes and Sketches, « Il existe pour Jonas Mekas un rapport essentiel entre l’expérience de l’exil et celle du cinéma. La barrière de la langue, les bouffées de solitude, le rejet insidieux par le pays d’adoption, condamnent l’étranger à la surface des êtres et des choses » (2013 : 24). Si la caméra ne peut filmer le monde que de l’extérieur, la condition même de l’étranger est bien celle de « l’enracinement impossible » (Kristeva 1988 : 18), d’une existence marquée par la non-appartenance aux êtres et aux choses. La caméra constitue néanmoins un moyen de contrer cette exté riorité en permettant au ciné-diariste de poser un regard sur ce monde, d’y inscrire un « je » en captant des images et, donc, de s’approprier un autre paysage au milieu de l’exil. Chez Perlov aussi, la découverte du cinéma suit de près son arrivée à Paris en 1952. Venu étudier la peinture, il se tourne rapidement vers le septième art et travaille d’abord comme assistant d’Henri Langlois. Puis, il collabore avec le réalisateur né erlandais exilé Joris Ivens avant de diriger un premier court-métrage, Tante Chinoise et les autres (1957). Une fois installé en Israël en 1958, il se consacre au cinéma documentaire, réalisant notamment le court-métrage In Thy Blood Live (1962) sur la destruction des Juifs d’Europe et Jérusalem (1963), un portrait de la capitale israélienne. Contrairement à Mekas, qui capte immédiatement des images de sa vie d’exilé, Perlov n’entreprend de documenter son quotidien qu’à partir de 1973. Un autre exil le mène

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néanmoins au cinéma personnel. Une figure importante de la « Nouvelle Sensibilité » en Israël entre 1965 et 1974 – un courant cinématographique centré sur la réalité sociale et situé en marge du cinéma conventionnel alors dominé par les comédies populaires –, Perlov en est venu au journal filmé à la suite des échecs de ses films de fiction dans les circuits commerciaux (Schweitzer, A. 1997 : 8-9 ; 242). Marginalisé en tant que cinéaste, il expérimente des modes de production alternatifs, comme en témoigne son commentaire off dans le premier plan de Diary 1973-1983 : « Mai 1973. J’achète une caméra. Je commence à filmer moi-même et pour moi-même. Le cinéma professionnel ne m’attire plus » (00:17-00:31). Le journal de Perlov s’inscrit dans la lignée d’un contre-cinéma issu des années soixante-dix qui détourne les conventions cinématographiques afin de remettre en question des normes (sociales, culturelles, politiques) reproduites par le cinéma commercial ou hollywoodien (Hayward, S., 2013 : 93-94). Cette même marginalisation sous-tend le développement du journal filmé au sein d’un cinéma expérimental issu de la Seconde Guerre mondiale et émanant, dans un premier temps, des États-Unis. Un cinéma dit « underground » car situé en marge des modes de production et de diffusion dominants, l’avant-garde nord-américaine donne lieu à une floraison d’écritures filmiques personnelles rendues possibles grâce à l’apparition de caméras légères et bon marché dans les années cinquante. Alliant le subjectif et le subversif – pour reprendre l’équation de Dominique Noguez (2010 : 32) –, ce cinéma expérimental voit apparaître, entre autres, Window Water Baby Moving (Stan Brakhage, 1959), dans lequel le réalisateur filme l’accouchement de sa femme dans leur maison, et le premier journal filmé de Mekas. À partir des années soixante, ce cinéma migre au-delà de ses frontières nord- américaines pour devenir un « village global » (comme le nomme joliment Jan- Christopher Horak4), emportant avec lui cette tendance autobiographique et notamment l’écriture de soi adoptée par Mekas. « Autre courant international du cinéma expérimental : le journal filmé », note Raphaël Bassan dans son abécédaire consacré aux avant-gardes filmiques (2014 : 33). A l’instar de Noguez, pour qui « le journal de Jonas Mekas est le premier qui ait été publiquement revendiqué comme tel et qui ait un peu circulé dans le monde » (2010 : 274), Bassan voit en Mekas un véritable pionnier et en son premier journal filmé une œuvre matrice. Cette histoire dont il expose ici les grandes lignes compte également Joseph Morder, ciné-diariste français dont la trajectoire transnationale trouve un point de départ dans les Amériques et plus précisément en Équateur où il passe son enfance avant d’arriver à Paris à l’âge de treize ans. Il acquiert quelques années plus tard une caméra lui permettant de capter des images de son quotidien et commence à monter, sonoriser et projeter publiquement ce matériel brut dès les années soixante-dix, une période durant laquelle « Morder transforme la notion de film amateur en celle de film indépendant » (208)5. Si Bassan inclut également l’œuvre monumentale de Perlov, il convient d’ajouter Journal inachevé (Marilú Mallet, 1982) dans lequel la réalisatrice chilienne féministe du contre-cinéma relate son exil à Montréal à la suite du coup d’état contre Salvador Allende en 1973.

La mémoire des lieux

Marquée par la présence des Amériques, cette histoire du journal filmé témoigne d’une extériorité double : celle au pays natal et au cinéma dominant. Ces quatre cinéastes

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exemplifient le cinéma exilique que Naficy définit à travers des films réalisés « indépendamment, en dehors du système des studios ou de l’industrie de films commerciaux, en utilisant des modes de production interstitiels ou collectifs pour critiquer ces entités » (2001 : 10). Dans le cas du journal filmé, cette extériorité engendre le passage hors du studio et vers des lieux de tournage à la fois intimes et anonymes : la maison et le monde. Ces deux espaces sont reliés entre eux par la fenêtre, ce lieu interstitiel évoquant la position même de l’étranger à jamais situé entre le pays natal et le pays d’adoption. Dans Diary, le plan inaugural capté par Perlov montre, précisément, une fenêtre. Révélant un premier regard qu’il pose sur le monde, cette image laisse entrevoir le mouvement même du journal filmé : celui du « je » vers le monde, les choses et les êtres.

Figure 2. Le premier plan de Perlov

(Diary, Chapitre 1, 00:12)

Comme le note Gregorio Gutiérrez, la caméra de Perlov s’apparente à « une pendule qui oscille entre l’intérieur et l’extérieur » (2008 : 209). Ainsi, la maison et ses fenêtres occupent-elles une place primordiale tout au long de son œuvre autobiographique. Du foyer partagé à Tel Aviv avec sa femme Mira et leurs filles jumelles Naomi et Yael aux appartements de ses proches en France et au Brésil, Perlov met en scène par le biais de ces lieux domestiques la dimension intime du journal. Cependant, dans la centralité de l’espace familial s’articule aussi une volonté de transmettre une mémoire du quotidien. « On écrit aujourd’hui mais en pensant à demain », remarque Remi Hess dans son étude du journal intime (1998 : 15). Alors que Naomi et Yael apparaissent par leur présence comme les destinatrices du journal de Perlov, cette chronique du quotidien devient au fil des années la chronique d’une transmission intergénérationnelle. Dans un premier temps, les deux filles s’installent chacune à leur tour à Paris, suivant ainsi les traces d’un père qui filme leur vie en exil lors de ses propres retours. Dans un deuxième temps, Yael commence à partir de 1981 à travailler sur le montage du journal filmé de son père afin – nous dit le cinéaste dans le troisième chapitre Diary – « d’apprendre de [lui], de travailler à [ses] côtés » (20:01-20:05).

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Tout en articulant un même rapport entre l’intérieur et l’extérieur, Reminiscences of a Journey to Lithuania s’inscrit sous le signe d’un mouvement inverse : le premier lieu du journal n’est pas le foyer, mais le monde. Le film s’ouvre sur des images tournées, précise Mekas en off, « au début de l’automne 1957 ou 1958 » (00:01-00:06) pendant une promenade en forêt dans la région des Catskills. Filmant le pays de l’exil presque une décennie après son arrivée, ces prises de vues présagent le voyage vers la maison d’enfance en Lituanie. Le montage alterne ici entre des plans de Mekas et son frère Adolfas et des plans de deux garçons qui les accompagnent. Tels de jeunes doubles des frères Mekas, les deux garçons permettent un va-et-vient entre le présent et le passé, le temps de l’exil et celui de l’enfance. De même, cette juxtaposition dans la forêt signale un héritage remontant à l’enfance de Mekas : celui d’un amour pour les paysages champêtres lituaniens, des paysages enfin retrouvés lors de son retour en 1971. À ce décor bucolique s’ajoute le commentaire en voix off du cinéaste, qui évoque alors l’étrange sensation de ne plus s’être senti seul à New York, une sensation survenue pour la première fois lors de cette promenade durant laquelle il ne pensait plus au passé. « Pour un instant, j’oubliais [silence] mon [silence] pays. C’était le commencement de mon nouveau pays », se souvient Mekas dans son anglais d’adoption6.

Figure 3. Les deux garçons durant la promenade

(Reminiscences of a Journey to Lithuania, 00:25)

Par cette phrase ponctuée de silences, qui masquent ici la douleur de l’étranger, le cinéaste greffe sur un décor hanté par le pays natal l’évocation d’un sentiment d’enracinement soudainement ressenti après une décennie d’exil en Amérique, un exil qui commence dans le quartier de Williamsburg à Brooklyn où les frères Mekas habitent en 1949 et où ils tournent leurs premiers films. À cette promenade succède dans Reminiscences of a Journey to Lithuania un retour en arrière à partir de ces premiers instantanés montrant un Williamsburg peuplé d’enfants, de vieillards et d’immigrés. Mekas insère d’abord des plans de visages anonymes de cette communauté d’exilés, puis du quartier. Dans son commentaire, il évoque le recouvrement dans cette ville de son histoire personnelle marquée par la Seconde Guerre mondiale. Il tisse ainsi une

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brève chronique de l’étrangeté ressentie au fil des ces premières années d’exil, d’une extériorité qui – pour reprendre la formule de Rollet (24) – le « condamn[e] à la surface des êtres et des choses », une extériorité ici dénotée par les visages et les rues sans noms de New York parcourus par la caméra. Cette préface de Reminiscences of a Journey to Lithuania aboutit en 1952, l’année où Adolfas est mobilisé et temporairement envoyé en Europe. Voyage qui présage le retour des frères Mekas en Lituanie deux décennies plus tard, ce départ est précédé de plans de Brooklyn accompagnés par la voix du ciné- diariste qui désigne alors la condition même de l’étranger, celle d’une existence marquée par la nostalgie du pays perdu : « Dès l’instant où nous sommes partis, dit Mekas en off, nous nous sommes mis en route pour chez nous et nous sommes toujours en route pour chez nous. Je n’ai toujours pas fini mon voyage » (08:13-08:30). Dans ce journal filmé, la voix qui commente les images enregistrées signifie par sa forme même ce voyage interminable. Rappelant la position interstitielle de l’étranger entre le pays natal et la terre d’accueil, entre le passé et le présent, la voix de Mekas erre – invisible – entre les images sans jamais appartenir à un véritable lieu. De même, énoncés dans son anglais d’adoption, ces souvenirs réduisent la langue maternelle de Mekas au silence et fait redoubler l’absence du pays natal qui hante son film. Enfin, se voulant une mémoire des images, cette voix qui commente des plans enregistrés des années auparavant introduit une distance spatio-temporelle qui, tout en rappelant l’expérience exilique, désigne aussi le double temps de l’écriture du journal filmé : le temps de la captation d’images (ou du regard posé sur le monde dans l’instant présent) et le temps du montage (ou du regard rétrospectif posé sur les images du passé). Par le biais du montage, la voix relie le passé et le présent, ainsi que les trois parties de Reminiscences of a Journey to Lithuania : la préface décrivant l’exil new yorkais ; le retour au pays natal intitulé « 100 brèves apparitions de la Lituanie » ; une postface composée d’images filmées lors d’un séjour à Vienne, cette ville que les frères Mekas espéraient rejoindre en 1944. Ces trois temps du souvenir sont entrecoupés d’intertitres et parfois dotés de morceaux de musique. Comme le note Naficy dans son analyse des figurations de l’exil chez Mekas, la voix, les intertitres et la musique participent à l’élaboration d’une énonciation transversale reflétant « la complexité et l’ambiguïté de la subjectivité exilique » (144). Intégrant des intertitres qui datent les différents épisodes de Diary, le journal filmé de Perlov est aussi doté d’un commentaire en voix off. Disponible soit en hébreu soit en anglais – deux versions écrites et lues chacune par le cinéaste –, ce commentaire témoigne tout autant d’une subjectivité exilique fragmentée. Alors que ce recours à deux langues rappelle le multilinguisme propre au style « accentué » décrit par Naficy, le déplacement hors-champ de la langue maternelle du cinéaste – le portugais – laisse entrevoir le silence qui définit l’existence de l’étranger pour Kristeva : « Ne pas parler sa langue maternelle. Habiter des sonorités, des logiques coupées de la mémoire nocturne du corps, du sommeil aigre-doux de l’enfance. Porter en soi comme un caveau secret […] ce langage d’autrefois qui se fane sans jamais vous quitter » (26-27). À l’image de cette absence-présence linguistique, la langue maternelle inaudible de Perlov désigne le déracinement du cinéaste, alors que le commentaire en voix off œuvre par sa présence invisible à cette même mise en scène de l’exil. Toutefois, dans l’œuvre de Perlov, il revient à la musique de révéler tant la langue maternelle que la mémoire des lieux de l’enfance. Ainsi, lorsqu’il revient à São Paulo pour la première fois en vingt ans en février 1974, le retour au pays natal s’ouvre sur une série de travellings filmés à l’intérieur d’une voiture et montrant les rues anonymes de son adolescence alors que l’

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Alia de Bach résonne. « Étranger ici, étranger là-bas, étranger partout. Je rentrerai bien à la maison, mon cœur, mais là aussi je suis un étranger » (13:50-14:00), déclare alors Perlov, citant Stranger Here de la chanteuse folk américaine Odetta. À l’image de sa propre extériorité, Perlov empreint le paysage natal retrouvé d’une étrangeté par le biais de cette chanson américaine, une étrangeté renforcée au fil de ce retour au Brésil à travers le commentaire du cinéaste ajouté au moment du montage et énoncé en anglais et en hébreux. Inversement, dans les segments de son journal tourné s en Israël, la musique se greffe sur les paysages de l’exil pour signifier le pays natal. Dans ce premier chapitre de Diary, la musique accompagne ainsi les visites effectuées par Fela et Julio, un couple d’amis de São Paulo. « Leur maison là-bas fait partie de ma réalité » (35:28-35:32), explique Perlov avant de filmer dans son appartement à Tel Aviv Julio puis Fela qui s’adressent à lui en portugais. Parlant brièvement dans cette langue, Perlov demande alors à Fela de chanter un air de leur jeunesse. Or, originaire d’Uruguay et donc exilée au Brésil, Fela chante non pas en portugais mais en espagnol. À cette langue qui désigne un autre lieu d’Amérique Latine succède un deuxième recouvrement de la langue maternelle du cinéaste lorsque Fela joue un disque rapporté du Brésil. Soudainement, seule la voix off de Perlov est audible : « J’écoute la musique mais semble incapable de l’entendre. Comme si je devenais sourd à ces sons familiers » (38:08-38:15), explique-t-il. Cette chanson du pays natal passée sous silence dans Diary fait alors surgir un souvenir d’enfance évoqué lui aussi par la bande sonore : le battement des tambours que Perlov entendait près de chez lui à Belo Horizonte se superpose à l’image. Lors de leur visite suivante pendant l’été 1981, qui est filmée dans le troisième chapitre de Diary, Fela joue à nouveau un disque brésilien dans l’appartement du cinéaste. Bien qu’audible, il s’agit d’un morceau instrumental qui, dénué de paroles, déplace une nouvelle fois la langue maternelle de Perlov. Cependant, cet air fait à nouveau surgir la mémoire des lieux de son enfance au Brésil. Alors que la musique retentit, Perlov exprime en voix off le sentiment qu’elle éveille en lui : « Je pressens le début d’un long voyage vers chez moi. La maison et la cour, à Belo Horizonte » (30:03-13:12). À partir d’une bande sonore où s’entremêlent le plurilinguisme, la musique et une langue maternelle presque réduite au silence, Perlov tisse ainsi dans Diary un espace autobiographique transnational marqué par l’expérience de l’exil et dont l’évocation du foyer à Belo Horizonte en devient l’expression la plus intime.

Histoires intimes et collectives

Le long voyage vers la maison d’enfance au Brésil se fait l’écho du retour interminable de l’étranger décrit par Mekas à la fin de la préface de Reminiscences of a Journey to Lithuania. Ce retour, le cinéaste l’effectue en août 1971 avec son frère Adolfas. Décliné, à l’image de la nature fugace du temps, sous « 100 brèves apparitions de la Lituanie », chacune séparée par un intertitre numéroté, le voyage de Mekas rappelle le premier séjour de Perlov à São Paulo : accompagnés d’un chant folklorique lituanien, les plans inauguraux prennent la forme de travellings filmés à l’intérieur d’une voiture montrant un paysage champêtre.

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Figure 4. Le retour en Lituanie

(Reminiscences of a Journey to Lithuania, 10:45)

Afin de remonter le temps pour y retrouver celui de l’enfance, Mekas entremêle dans les premiers instants du retour le mouvement de la musique, de la voiture et du film. Ce triple mouvement faire surgir des images-souvenir où le passé et le présent bifurquent par le biais du regard que le cinéaste pose sur ces paysages, telle la subjectivité qui « s’ajoute » pour Gilles Deleuze à la matière même de l’image (1985 : 67). Entrecoupés d’intertitres désignant les différentes apparitions éphémères du pays natal, ce chant et cette première séquence de plans filmés en Lituanie aboutit à la septième « apparition » : l’intertitre « Maman (née en 1887) », puis des images montrant une femme âgée traversant un jardin. « Et là était Maman et elle attendait. Elle attendait depuis vingt-cinq ans » (13:27-13:41), dit alors Mekas dans son anglais d’adoption, rendant sa voix audible pour la première fois parmi les paysages lituaniens. Il s’ensuit une huitième « apparition » : l’oncle, cet homme qui suggère aux frères Mekas en 1944 « de partir vers l’ouest ». Comme le révèle le commentaire durant la seizième « apparition », c’est dans la maison de cet oncle et plus précisément dans son grenier que Mekas habitait durant la guerre alors qu’il faisait ses études ; c’est aussi dans ce grenier qu’il gardait une corde pour s’enfuir par la fenêtre au cas où les Allemands venaient l’arrêter. Dans Reminiscences of a Journey to Lithuania, le souvenir de la Seconde Guerre mondiale se greffe sur le lieu intime incarné par la maison. Le « je » du journal filmé de Mekas apparaît donc comme un « sujet dans l’histoire », pour reprendre la définition proposée par Michael Renov d’un cinéma autobiographique qui trouve dans son étude un point de départ dans Lost Lost Lost. Inversement, pour Renov, cette coïncidence entre une histoire intime et une histoire collective transforme le journal filmé en « une pratique d’inscription par laquelle le domaine du sujet et celui du monde qui l’enveloppe sont mutuellement constitutifs » (2004 : 112)7. Diary témoigne de ce même mouvement entre le sujet et l’histoire, notamment lorsque Perlov effectue un premier voyage à Paris en septembre 1977 après une absence de vingt ans. Passant par Bruxelles, il rejoint la capitale française en train. Là, filmant le quai depuis un train en marche, il associe dans son commentaire ce moyen de transport

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à un double passé : celui d’une Europe marquée par la Shoah et celui d’un déracinement personnel inscrit sous le signe d’un voyage en train sans retour de Belo Horizonte à São Paulo, silencieusement désigné par l’évocation de « ces trains – distants mais jamais oubliés – de mon enfance au Brésil » (43:46-43:52). Tandis que Perlov tisse un espace transnational au travers de l’image symbolique d’un train, ses retours à Paris sont à leur tour situés à la croisée d’histoires intimes et collectives. Perlov effectue quatre autres voyages dans cette ville entre 1981 et 1983 où, d’un séjour à l’autre, il filme à la fois des êtres et des lieux de son passé, notamment le cinéaste Joris Ivens et le premier immeuble à Saint-Germain-des-Prés où Perlov s’installe en 1952. Or, tel un écho de l’allusion à la Seconde Guerre mondiale dans la gare de Bruxelles, l’ ultime séjour que le cinéaste effectue dans cette ville entre mars et juillet 1983 fait à nouveau surgir le souvenir de la Shoah. Ce retour est entrecoupé de plusieurs courts séjours en Europe, dont un premier à Cologne où Perlov révèle un souvenir intime : au moment de l’occupation allemande, sa femme Mira (alors âgée de sept ans) quitta la Pologne pour échapper aux déportations. À cette évocation de la destruction des Juifs d’Europe s’ensuivent deux rencontres singulières à Paris : celles avec le cinéaste Claude Lanzmann et l’écrivain André Schwarz-Bart. Perlov s’entretient avec le cinéaste français par le biais de sa fille Yael, qui travaille comme assistante-monteuse sur Shoah (1985). Filmé dans la salle de montage, Lanzmann évoque l’éthique de la représentation à partir de laquelle il construit son film, une éthique, précise-t-il, fondée sur « une identité absolue [...] entre la morale et l’esthétique » (32:40-32:49). Désignant l’omission totale d’images d’archives dans Shoah, cette éthique est mise en scène à travers un entremêlement de voix et de lieux : les paroles des témoins et des plans montrant des camps d’extermination dénués de traces dans l’instant présent. À son tour, Diary s’articule autour de l’éthique énoncée par Perlov au commencement de son film par lequel il établit un rapport analogue entre morale et esthétique : « filmer moi-même et pour moi-même ». Le journal de Perlov juxtapose ainsi le lieu et la parole, notamment les voyages vers les villes de son passé et le commentaire en voix off par lequel il évoque des souvenirs. En outre, réalisant leurs œuvres monumentales au même moment (Lanzmann commence Shoah en 1973), l’entrecroisement de leurs trajectoires se cristallise autour de la mémoire de la destruction des Juifs d’Europe. Parallèlement à son journal, Perlov filme la survivante Rivka Yosselevska8 dans son documentaire Souvenirs du procès Eichmann (1979). Cette dernière refuse au même moment d’être filmée pour Shoah, comme le révèle le récit de la genèse du film que Lanzmann livre dans ses mémoires (2009 : 485). Tandis que le plus récent documentaire de Lanzmann, Le dernier des injustes (2013), fait référence au célèbre roman de Schwarz-Bart, l’écrivain apparaît dans ce même chapitre de Diary. Un ami rencontré à Paris avant la publication de son roman hanté par la Shoah, Le dernier des justes (1959), Schwarz-Bart suggère à Perlov au début des années soixante-dix de réaliser un journal filmé9. Lorsqu’il parle devant la caméra du ciné- diariste en 1983, l’écrivain relate des bribes d’histoires d’enfance. Or, directement après cette rencontre, le cinéaste filme la façade de la Gare de l’Est et révèle en voix off un tout autre souvenir raconté jadis par l’écrivain : celui des nuits passées par Schwarz- Bart dans une gare après la guerre à attendre le retour de ses parents qui ne sont jamais revenus des camps. Dans Diary, l’histoire de la Seconde Guerre mondiale fait donc surgir d’autres histoires intimes. L’histoire personnelle de Perlov, qui a des origines lointaines en Ukraine10, n’est, quant à elle, suggérée que silencieusement et visuellement à travers l’image de la pierre tombale de son grand-père paternel. Située

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dans le cimetière juif de São Paulo et filmée à l’occasion du premier retour au Brésil en 1974, cette tombe est recouverte d’inscriptions non seulement en portugais et en hébreu mais aussi en yiddish. Par le biais de cette langue signifiant l’Europe de l’Est et sa mémoire traumatique, les traces d’un passé historique révélé pleinement à Paris en 1983 se greffent momentanément sur l’histoire familiale de Perlov. À l’image de cette surface en pierre, une certaine extériorité hante le retour du cinéaste vers les lieux de son enfance brésilienne dans le premier chapitre de Diary. Lors de ce même séjour à São Paulo, parcourant le quartier de son adolescence, Perlov s’arrête pour filmer par le biais d’un plan fixe un pâté de maisons : « Ma maison, ma chambre, ma fenêtre », dit-il avant qu’un gros-plan sur une fenêtre identifie parmi ces habitations celle de son grand-père. En tant qu’« étranger là-bas » à São Paulo, Perlov ne peut filmer le retour au foyer de son adolescence que de l’extérieur, de même qu’il ne peut se rapprocher de sa fenêtre que par le biais d’un mouvement de caméra.

Figures 5 et 6. La maison et la fenêtre de Perlov à São Paulo

(Diary, Chapitre 1, 14:27-14:33)

Telle la distance qui caractérise ce retour vers un lieu intime, il convient de noter que la dictature militaire au Brésil entre 1964 et 1985 est passée sous silence dans Diary. Ne l’évoquant ni lors de ce premier voyage en 1974 ni lors du second durant l’été 1983, Perlov relate un autre passé national dans son journal filmé : celui du trafic d’esclaves africains vers le Brésil à partir du XVIe siècle. Mentionnée lors du deuxième séjour au pays natal, auquel l’ultime chapitre de Diary est entièrement consacré, cette histoire collective surgit par l’intermédiaire d’un chant : en route pour Belo Horizonte, Perlov s’arrête dans la cité coloniale d’Ouro Preto où il filme l’extérieur d’une église construite, explique-t-il, « en l’honneur de ces Noirs qui servaient de passeurs d’esclaves venant d’Afrique » (42:58-43:07) ; au montage, il couple ce plan avec le premier morceau de « O Canto dos Escravos [le chant des esclaves] » interprété par la chanteuse de samba Clémentina de Jesus. À ces images et à ce chant se succède l’unique retour à Belo Horizonte, un retour que les tambours du « Canto dos Escravos » semblent anticiper. Or une limite hante encore une fois les lieux intimes de l’enfance. Perlov ne peut filmer l’appartement dans lequel il a vécu avec sa mère que de l’autre côté de la rue. De même, la seule représentation possible de cette femme qui constitue dans son journal « un personnage rarement évoqué et comme encerclé d’une brume » (Felman, I., 2011 : 4611) est celle de sa tombe que le cinéaste parcourt de près avec sa caméra, d’abord frontalement puis de dos. Couplée à ces multiples mouvements indécis, cette surface recouverte d’inscriptions en hébreu et en portugais qui désignent une histoire familiale transnationale, traduit à ce moment-là du journal une perte irrécupérable : celle de la mère et de l’enfance.

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Contrairement à Diary, le retour au pays natal dans Reminiscences of a Journey to Lithuania s’articule non pas autour de la perte, mais autour des retrouvailles avec la maison natale et la mère. Telle l’image bachelardienne de la maison, le foyer chez Mekas incarne « le pays de l’Enfance Immobile, immobile comme l’Immémorial » (Bachelard, G., 1961 : 25). Si la maison est ici représentée comme un lieu figé dans l’enfance et le souvenir où Mekas et son frère, tels de grands enfants, courent dans le jardin et dans les champs, la mère incarne à son tour ce temps immobile. Du foulard autour de son visage à l’accomplissement des tâches ménagères de manière traditionnelle, la mère renvoie à ce temps qui s’est arrêté au moment de l’exil de Mekas (Turim, M., 1992 : 206-207). Tandis que le retour filmé en Lituanie prend la forme de cent « apparitions » marquées par un mouvement tremblé et saccadé, ce temps-déjà-arrêté qu’incarnent à la fois la mère et la maison se cristallise au travers d’un plan fixe capté le dernier jour. Filmant sa mère préparant le petit déjeuner dehors, Mekas entre soudainement dans le champ, s’agenouille à côté d’elle pour remettre du bois dans le feu, avant de lancer un regard furtif vers l’objectif. Telle la caméra tout à coup immobile, l’image se fige ici dans un paysage immémorial : le passé et le présent convergent au moment où Mekas jette un coup d’œil à la caméra, alors que le mouvement d’un « je » hors-champ vers l’intérieur du cadre permet au cinéaste de remonter le temps pour retrouver celui de l’enfance et plus précisément « une enfance qu’ont interrompu brutalement la guerre, la fuite, la captivité, l’émigration » (Noguez, D., 2010 : 102). Si la place initialement vide aux côtés de la mère désigne cette histoire intime brisée par la Seconde Guerre mondiale, la récupération de l’enfance par le cinéma s’opère dans le passage de Mekas vers le visible et face à la caméra, qui enregistre dans l’instant présent une ultime image-souvenir.

Figures 7, 8 et 9 : Mekas et sa mère

(Reminiscences of a Journey to Lithuania, 56:45-56:59)

Conclusion

S’interrogeant sur la prépondérance du cinéma personnel chez les expérimentalistes, Dominique Noguez conclut : « On viendrait au journal […] faute de mieux (faute de temps, faute de moyens, faute d’audience) » (2010 : 274). Comme en témoigne leur affiliation à « cet autre cinéma, minoritaire et comme étranger à lui-même » (Rollet, P., 2013 : 24) que sont le cinéma avant-gardiste de Mekas ou le contre-cinéma de Perlov, ces deux réalisateurs en sont venus au journal filmé par la force d’une certaine exclusion du cinéma commercial. Or, s’articulant autour de l’exil et du retour, Reminiscences of a Journey to Lithuania et Diary suggèrent aussi qu’on viendrait à ce genre filmique par la force de cette non-appartenance qui définit l’expérience de l’étranger selon Kristeva (1988 : 17-18). Bien qu’une distance irrémédiable sépare les voyages respectifs au pays natal de Perlov et de Mekas – celui du premier est marqué par une

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extériorité aux lieux et aux êtres tandis que le second met en scène les retrouvailles avec la mère et le foyer –, leurs œuvres donnent à voir et à comprendre cette « écriture vagabonde » incarnée par le journal comme figuration la plus intime du déracinement, notamment celui associé aux histoires traumatiques du XXe siècle. Au-delà de Mekas et Perlov ou même Morder et Mallet, il est ainsi possible de discerner dans l’histoire du journal filmé d’autres chroniques du quotidien inscrites sous le signe de l’exil et du retour, notamment celles de Boris Lehman (À la recherche du lieu de ma naissance, 1990) et, plus récemment, Flávia Castro (Lettres et révolution, 2010). À l’image de Reminiscences of a Journey to Lithuania et Diary, ces films transnationaux révèlent à leur tour des trajectoires familiales irrémédiablement liées à l’histoire collective, que ça soit la Seconde Guerre mondiale et la Shoah pour Lehman ou la dictature militaire au Brésil pour Castro.

BIBLIOGRAPHY

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Filmographie

Mekas, Jonas, Reminiscences of a Journey to Lithuania [1972], Paris, Re:Voir, 2012. DVD.

Perlov, David, Diary, Paris, Re:Voir, 2006. DVD.

NOTES

1. Toutes les traductions en français des paroles des films proviennent de la traduction présente sur les DVD. 2. Traduction réalisée par l’auteur. 3. Traduction réalisée par l’auteur. 4. Horak, Jan-Christopher, « Introduction. History in the Gaps », in Jan-Christopher Horak (dir.), Lovers of Cinema. The First American Film Avant-Garde, 1919-1945, Madison, The University of Wisconsin Press, 1995, p. 3. Traduction réalisée par l’auteur. 5. Voir aussi l’article que Dominique Bluher consacre au cinéaste, « Les journaux filmés de Joseph Morder » in Véronique Campan et Catherine Rannoux (dir.), Le journal aux frontières de l’art, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2005, p. 177-194. 6. « There was a moment when I forgot my home. This was the beginning of my new home » (02:46-03:03). 7. Traduction réalisée par l’auteur. 8. Survivante des massacres commis par les Einsatzgruppen [unités mobiles d’extermination] – aujourd’hui connus sous le nom de la Shoah par balles –, Rivka Yosselveska a témoigné au procès Eichmann le 8 mai 1961. 9. « La décision claire et nette de faire un journal et de l’appeler "journal" est à l’origine d’un entretien que j’ai eu avec André Schwartz-Bart qui se trouvait chez nous [en Israël] avec sa femme Simone, lors de la guerre [de Kippour en 1973] » (Irma Klein et Uri Klein, « Un entretien avec David Perlov (extraits) », in Mira Perlov et Pip Chodorov (dir.), Diary de David Perlov, Paris, Re:Voir Vidéo, 2006, p. 43). 10. Luiz Nazario, O Cinema Errante, p. 41. 11. Traduction réalisée par l’auteur.

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ABSTRACTS

This article retraces two parallel trajectories of the diary film through an analysis of Reminiscences of a Journey to Lithuania (Jonas Mekas, 1972) and Diary (David Perlov, 1973-1983), two contemporaneous autobiographical works centered on both the experience of exile and the return to the homeland. Taking as a point of departure the theories developed by Hamid Naficy in his study of exilic cinema, we will undertake a comparative analysis of the transnational spaces constructed by Mekas and Perlov and ultimately reflect on the specificity of the diary film as a mode of representing exile.

Cet article se propose de tracer deux trajectoires parallèles du journal filmé à travers l’analyse de Reminiscences of a Journey to Lithuania (Jonas Mekas, 1972) et de Diary (David Perlov, 1973-1983), deux œuvres autobiographiques contemporaines marquées tant par l’expérience de l’exil que par celle du retour au pays natal. À partir des thèses développées par Hamid Naficy dans son étude du cinéma exilique, il s’agira d’entreprendre ici une étude comparative des espaces transnationaux mis en scène par Mekas et Perlov et d’interroger la spécificité du journal filmé comme moyen de représenter l’exil.

Este artigo tem como objetivo esboçar duas trajetórias paralelas do filme-diário através de uma análise de Reminiscências de uma viagem para a Lituânia (Jonas Mekas, 1972) e de Diário (David Perlov, 1973-1983). A partir das teorias desenvolvidas por Hamid Naficy no seu estudo do cinema de exílio, nos propomos a empreender uma análise comparativa dos espaços transnacionais construídos por Mekas e Perlov e interrogar a especificidade do filme-diário como modo de figuração do exílio.

INDEX

Mots-clés: Jonas Mekas, David Perlov, journal filmé, exil, mémoire, autobiographie, cinéma transnational Palavras-chave: Jonas Mekas, David Perlov, filme-diário, exílio, memória, autobiografia, cinema transnacional Keywords: Jonas Mekas, David Perlov, diary film, exile, memory, autobiography, transnational cinema

AUTHOR

JENNIFER CAZENAVE

Jennifer Cazenave (300 Pulteney Street, Geneva, NY 14456 USA ; [email protected]) est actuellement post-doctorante dans le département d’études françaises et francophones à Hobart and William Smith Colleges (États-Unis). Diplômée en études cinématographiques et en littérature comparée de Northwestern University et l’Université Paris 7-Diderot, ses recherches portent sur la représentation de l’histoire et de la mémoire dans le cinéma documentaire.

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Entretien

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The poetics of Los Angeles: Discussing the hyperreal capital of the world with Wanda Coleman Poétiques de Los Angeles : À propos de la capitale mondiale de l'hyperréel, une discussion avec Wanda Coleman Poéticas de Los Ángeles: una discusión sobre la capital mundial del hiperrealismo con Wanda Coleman

Charles Joseph

Born in 1946 in Los Angeles, Wanda Coleman (née Evans) grew up in Watts when it was still a WASP suburb. She witnessed the ‘white flight’ which turned the neighborhood into what many would start to call a ghetto, and experienced the increasing oppressiveness of an urban-led segregation that would affect each area of her life. She lived the Watts rebellion from the inside and witnessed the 1992 riots from further away, but those events crystallized notions of illusion, history and narratives upon which most of her work has been grounded. Sometimes known as the “L.A. Blueswoman” or the “unofficial poet laureate of Los Angeles,” Wanda Coleman was a poet whose many voices uttered uncompromising truths in order to serve her one ultimate goal: rehumanize the dehumanized. She thus produced a work made of ten books of poetry, two short story collections, two books of essays, one novel, three records and countless articles through which she mapped the Angeleno society as she lived it, writing it vividly through voiced experiences, invoking thus literary images to battle the superimposed built imagery created by the city’s dream factory.

As I started to work on my PhD dissertation entitled “Being and Writing (from) Los Angeles: Wanda Coleman,” I was able to come into contact with Coleman herself via email through her publisher. We corresponded quite often over five years and she always made herself available to answer my many interrogations, enquiries and requests. Thanks to an AFEA research grant, I was able to work in Los Angeles

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for over a month in 2011 and met Wanda Coleman for the first time then. The following interview was conducted at the Sheraton Suite Hotel of San Diego on Saturday October 8th, 2011, the first time that we met in person. Wanda Coleman was invited to the San Diego book fair and agreed to spend some time and talk with me before and after her reading. In this exchange, Coleman leads us through her poetics and how her journey and struggle in Los Angeles has shaped her motivations and her authorship. Wanda Coleman passed away in Los Angeles in November 2013.

Charles Joseph: Let’s maybe start with a broader enquiry regarding the literary landscape in which you evolve and which you built around you. There are numerous references within your work of other authors and poets but I think there are a lot more that do not appear in the pages of your books, could you expand a little more on them ? Wanda Coleman: I tend to be rather conservative when it comes to people. I am basically an introvert. (I call myself a “functional extrovert” to account for my public performance aspect.) It takes a long time for me to make friends. But once I do, I stay a friend for a very long time. My closest friends who are also poets are Stephen Kessler, a prize-winning translator in Spanish, who now lives in Santa Cruz, California and is a long-time resident of the region. Originally from L.A., he and his new wife Daniela (a poet and translator in French and Rumanian) are personal friends and know a good deal about my private trials through phone calls and letters. I have given Stephen written permission to some day publish our correspondence. I believe I owe him that. He has been an extremely good friend to me, even when we disagree. We have known one another since 1979. My dearest friend of forty years is nearing her 80th birthday. Her name is Sylvia Rosen and was the former director of the Valley Contemporary Poets reading series with poet Nan Hunt. We met in Diane Wakowski’s Cal Tech poetry workshop circa 1971. She later studied privately with Clayton Eshleman, after I studied with Clayton in his Writing workshop in the Reseda-Sherman Oaks area, circa 1973. Another friend who was almost a lover, was poet F.A. Nettelbeck. He was very close to Stephen. He died in January of this year. My other poet friends/mentors are deceased: John Thomas and his wife Philomene Long-Thomas. He was a mentor and introduced me to the works of Pound, Elliot and Bukowski (one of his buddies). She became my friend at the end of her life. My friend-in-poetry, e.e. miller is one of the literary marchers of Washington D.C., a professor at Bennington and Howard University but our correspondence appears in The Riot Inside Me so you might already know about him. Allen Ginsberg liked my work and invited me to Naropa, and to read with him in Oakland. He included me in two of his last anthologies, one published in France, by the way. CJ: What about the Los Angeles-based literary scene…? It suffered rather signifcantly from the city’s entertainment-industry that hid the vibrant literary culture growing underneath. The Beyond Baroque became a rallying place for many authors of the city, was it for you as well? WC: You’re absolutely right and yes it was. There are a number of poets who have been friends, enemies and surrogate classmates as I like to call them. Since I have unfortunately never been able to complete my formal education, I like to refer to those poets who gravitated to the Beyond Baroque Literary Center in Venice Beach

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as classmates—people who I liked or disliked in varying degrees and who moved in and out of my literary life as I lived the city: Paul Brooks, Jack Grapes, Laurel Ann Bogen, Bill Mohr, Harry Northop, Holly Prado, Eloise Klein Healy, Kate Braverman, Dennis Cooper, Jim Krusoe, Bob Flanagan, Rod Bradley (also a fine photographer), Manazar Gamboa, Robert “Greenie” Greenfield, LeLand Hickman—all “classmates.” There were two younger poets who used to hang out at Beyond Baroque on workshop nights and sometimes I would talk to them when no one else would. They became a rock group, “X”—Exene Cervenka and John Doe. I think of them as distant acquaintances, people I read and performed with in the 80s (Twin Sisters) along with Henry Rollins (Black Flag). There are a couple of poets who comprised “the Long Beach” faction, and gravitated around Elliot Fried and Gerald Locklin. They are Charles Harper Webb and Ron Koertge. When poet David St. John came to town, and settled in L.A., we eventually crossed paths and like one another at a busy distance. Some of the younger generation: actor, S.A. Griffin; rock star Beck, actress Amber Tamblyn. Among my general L.A. poetry community “classmates”: I count Luis Rodriguez, Michael C. Ford (one of the first persons to publish me), David Trinidad (now living in Chicago), Lewis McAdams (L.A. River activist), Doug Messerli, Israel Helpern and his ex-wife Liza Jane Braude, and Pamala “LaLoca” Karol. A generation before us, John “Bill” Harris originally published BACHY, considered by many to be L.A.’s first serious poetry magazine; he is a senior member of that class and one of the founders of the Beyond Baroque Wednesday night workshop. Comedienne Suzanne Lummis (granddaughter of Charles Fletcher Lummis, first City Editor of the Los Angeles Times and one of the founding fathers of L.A.) showed up on the scene in the late 70s, and is a friend-in-poetry for me and my husband Austin Strauss. Linda Albertano, who toured with Alice Cooper back in the day, is another friend-in-poetry. I love performing with her; although, it’s rare—the last time we were on stage together was for Allen Ginsberg’s 1997 memorial at the V.A. Hospital in west L.A. As for Black poets, there weren’t many. L.A. is very hard on the African-American spirit, and toward the end of the 20th Century, the men tended to leave the city as soon as possible, unable to tolerate “the heat”—the constant harassment by the LAPD. And the male poets weren’t readily embraced in at Beyond Baroque— depending on who the director was at any given point. A new generation of Black poets have sprung up, but they are much my junior and are so many I can’t possibly know them all. The Black poets and men of color I was acquainted with were people I met and/or hung out with prior to 1975: Kamau Daaood, Eric Priestly, Quincy Troupe (now lives in New York, and who invited me there for a publication part of Renaissance Noire, the magazine he edits. When he left California behind a scandal, I took his heat—most Whites in the literary circles assuming we were close buddies), Odie Hawkins (, mainly a novelist, martial arts specialist, and still a friend—seen rarely), The Watts Prophets—who did the first-ever rap record titled Rap. There are several older Black women, who are younger than me, who are known as poets: Merilene Murphy, Hazel Clayton Harrison, Lynn Thompson and Pamela Ward. Michelle T. Clinton (Black Angeles, High Blood Pressure) came to town in the 80s, only to suffer an “identity crisis”, have a nervous breakdown and disappear back to

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her home town of Berkeley. Harryette Mullen and I have jockeyed around on the same stomping ground since the 70s. Our encounters are rare but we are acquainted across the distance. I was on a panel she moderated at the New School in San Francisco, for a literary conference at which I presented my paper “On Theoloniousism,” in which I put forth my writing theory of “the jazz principle.” Among the new Black Male Talent: Michael Datcher, Anthony Lee, and Douglas Kearney. While on my last trip to New York, I got to holler at poet-performer Jayne Cortez, who looked as beautiful as ever! She knew/dated my first husband, Jerry Coleman, and we double-dated with her and Horace Tapscott back in the day, before she married Ornette Coleman. Other Black poets I have interacted with include Willie Sims, Arthur Pfister, Keith Antar Mason (originally from St. Louis, now goes by the name “Raven”), K. Curtis Lyle, Paul Beatty (now in NYC), playwright Lynn Manning (who is blind, and who I gave private lessons to for a brief spell in the late 80s), Emory Evans (from Studio Watts in the 60s) and Kalamu ya Salaam (from New Orleans)— Doris Davenport and Ruth Forman (appeared on the Poetry Connexion). Old poetry friends and associates cross the racial boundaries: Chungmi Kim (Korean), Reuben Martinez, Sesshu Foster, Dan Kwong, Russell Leong, Jimmy Baca. You may see my work in the publications or anthologies they have edited in the past. Chungmi lives in the D.C. area, now but when she comes to this coast we try to get together. Sesshu is also a translator and well-acquainted with Stephen Kessler who introduced me to his work. Dan Kwong followed my performance energy and is associated with the Highways Performance space. A new friend-in-poetry is Truong Tran (see our correspondence in Letters to Poets, Firestone & Lomax, Editors). As I have traveled, I have made poet-friends, people I like if maintaining the relationship is almost impossible: performance marcher and Nuyorican Café/Bowery Poetry Club founder Bob Holman, poet Karl Gartung and his wife Anne Kingsbury in Milwaukee at Woodland Pattern, Ammiel Acalay at CUNY, Afaa Michael Weaver, Ralph LaCharity, Jeffrey Renard Allen, Tara Betts, Rachel Levine (from Chicago, now in Berkeley, on the periphery of my private life, she and her husband John Holman), Barry Silesky in Chicago (Another Chicago Magazine). Activist-poet Bobbi Sykes in Sydney, Australia. So I guess I’ve been terribly social for an introverted poet… CJ: I guess you also came into contact with a tremendous amount of other poets while working at the KPFK radio station for “The Poetry Connexion” show? WC: Indeed, for 14 years I co-hosted the Pacifica Radio interview program with my husband poet-painter Austin Strauss. We did over 400 shows and met as many poets and more during that time, between 1981 and 1996. (Between the two of us, we virtually know one or more persons in every English Department on every campus in the state of California.) Among those poets peripheral to my life were poet-artist Gordon Wagner (and wife Virgina), Robert “Bob” Peters, Terri Kennedy, Yvonne Dela Vega, Deena Metzger, Jesus Papoleto Melendez, Nicola Manning, Henry Morro, Martha Ronk, Peter Schneidre, Marilyn Chin, Jack Skelly, Max Benevidez, John/Jack Brander, Jim Cushing, Pete Fairchild, Joel Lipman (who featured Austin and I in a documentary TV show), Sharon Dubiago (a friend of Philomene Long’s), Paul Hoover and his wife Maxine Chernoff, Mazizi Kunene, Lois Red Elk, Irish-American poet Tim Joyce, South African activist and poet Dennis Brutus, and Jack Micheline.

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Other than Charles Bukowski and Carl Rakosi, some of my sibling writers at Black Sparrow Press also touched my life privately: Lucia Berlin, Michael Lally, Diane Wakoski (mentor), and Jenny Pommy Vega. I had a brief communication with Kenneth Fearing just before he died. I consider the work of Jack Spicer among my readerly influences. Other friends-in-poetry include Paul Nelson (SPLAB) in Washington State, long time family friend Kika Warfield, Kush Cloudhouse in San Francisco, Murray Wolfe (and his wife Charlene, now in Iowa) who published my Dicksboro Hotel collection, Frances Dean Smith (deceased, part of the original Beyond Baroque organizers and Bukowski’s ex-wife, mother of his only child Marina), Tim Congdon, Max Schwartz (now in Sacramento), Billy Jones and Penny Gasaway. Kate Gale and her husband Mark Cull of Red Hen Press have been friends-in-poetry and we are mutual supporters. CJ: In Bathwater Wine you wrote your poem “The Sacred History of the Gone” after Henri Coulette, isn’t he also one of your biggest influences given that he was the only formal teacher you had in you career? WC: Absolutely yes. Henri Coulette whose poetry class I entered at Cal State L.A. in Fall 1964, is perhaps the most important influence of them all. I had to drop out, but managed to complete my studies and earn a “C”. He taught me the value of frank unbiased criticism, one thing that I try to perpetuate when I am now occasionally teaching. When I’m teaching, I’ve often encouraged students to be able to walk in someone else’s shoes. If you’re gonna be a good writer that’s one quality to possess. CJ: Empathy ? WC: Yes, you need that or to be somewhat of an empath anyway. D.H. Lawrence was one of the best to legitimately write in the voice of a woman, or to present female characters that, to me, seemed legitimate as women and worked as women. And there aren’t too many… The opposite is even rarer. You know, it’s become sort of a thing with comedians to cross gender and play at being a woman or at being feminine…or if they’re straight being gay, I mean it’s ironic because homosexuals have been acting since the job! And it’s the same with African Americans. Having to present yourself as something other than what you are in order to work! So there’s that acting within the acting, and sometimes that can be crippling to one’s craft. I think that writing however, tends to give one an advantage as a writer if you can transcend your own circumstances… CJ: And I guess facing the page, being on one’s own may be easier to master one’s mind, one’s craft and one’s projection rather than being part of a troop and being a comedian having so many influences coming from one’s immediate surroundings. Being a writer, those influences are emanating from one’s mind, from one’s experience so I guess this is what you mean when you’re talking about transcending oneself and one’s circumstances? WC: Yes, the circumstances are one thing but you sort of have to transcend the self. I enjoy when I’m teaching writing courses, challenging my students if they haven’t done it already, to be in the skin of someone else, legitimately be in the skin, not just be “companattitude” , or feedback or stereotypes about the other.

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CJ: Are you able to pinpoint those who are remaining on the surface? When you’re asking them to write like that, do you fnd in their writings some archetypal identity construct that they use? WC: Sometimes, especially if they’ve had strong emotional experiences. One young man, in one of the last courses I taught at CalArts, one young man’s mother had just died, so he was in the process of grieving, and a lot of times anger accompanies death, the death of a loved one, because you’re angry at the world, you’re angry at them, you may be angry at God, you may be angry at a great number of reasons. This individual focused on his father, his anger was all on his father because his mother died of lung cancer and his father was a smoker. So his rage finally came out in something he brought to the session, and I thought that, you know, I’m not really into therapy, I don’t feel that when I’m teaching I should act as a therapist, but I just addressed his situation with an anecdote about my father dying of lung cancer and he never smoked. So that at some point he was gonna have to reconsider this feeling about putting that blame on his father, and that at some point he’s gonna have to walk into his father’s shoes so to speak. CJ: Your texts and poems, your work in general stands and speaks for itself so I won’t necessarily ask too many things about specifc pieces you wrote, what is more interesting is the overall articulation of the various formats you published over the years and the poetics motivating them, and how these poetics are linked with the city itself… WC: Ooh… untranslatable right?! CJ: In various interviews you gave a motto, or more appropriately a leitmotiv, that your primary objective as a poet, as an author is to rehumanize the dehumanized. Why don’t we start from there? WC: I have never published the phrase “rehumanize the dehumanized” except in proposals for teaching courses at various universities, during academic lectures, and in various biographical notes—some online. I started using this phrase sometime in the early 1980s when I began teaching writing workshops. I needed a phrase that encapsulated a type of writing process I favored. I used it to describe what I was doing in poems like “Emmett Till”, and specifically poems I wrote that filled in the cultural gaps in newspaper articles (like my take on Latasha Harlins and the riots following the beating of Rodney King by police officers) where the victims or perpetrators were Blacks (as in my poem “David Polion”). I made up the phrase, as far as I know, and thought I was being original. However, as I often say when I lecture, there is such a thing as “simultaneity of thought (La simultanéité de la pensée).” Like- minded individuals come up with the same idea or thought independent of one another in different parts of the world. This process, favored by intellectuals in academe—and once relatively easy to document—has become “confused” or “complicated” by the digital paradigm shift and the success of the internet where communication of ideas is instant and the idea of originality exploded. In this case I used this phrase before hundreds of Americans for over a generation. When working on IMAGOES, John Martin, my publisher at Black Sparrow Press, was amazed when he read several of the poems and commented: “Wanda, no one has ever said that before!,” as if the notion of a young Black woman having a brain in her head, and saying something original, was completely foreign to him. In fact, I believe one of my ongoing problems, inherent in racism, is that people do not believe I am a thinker. They prefer to believe I intuit the poem or the story—or that someone else (like Austin) is really writing them, or helping me write them. Fortunately, I

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published a good deal of work before I met Austin in 1981 and had already established my local reputation as a poet and writer. It is highly probable that others began to use that phrase also and it began working its way into the American vocabulary. I have done this with other phrases, popularizing phrases I’ve heard in the ghetto for years, or coined on (for example: pimpmobile—a word I heard in the 70s, muthafatha or motherfather as one word which I made up, and my much-borrowed title “American Sonnet”—used by other poets without giving me credit). I like to play on American adages or sayings. One of my favorites is a variation on “Wham, Bam, Thank you Ma’am” an old phrase that I believe originated in a bawdy couplet, author unknown. During the early 80s when feminism was raging, I had lots of fun when lecturing by changing it to “Wham, Bam, Thank you Sam.” That phrase has worked its way into our slang vocabulary, and I’ve even had other women say it back to me—remarkably! Several observers of the literary scene have called me a catalyst and a barometer. I seem to have the gift of influencing those around me without necessarily being involved in the action myself, for example, my brief friendship with Charles Manson discussed in “Love-ins with Nietzsche” in The Riot Inside Me. I think I also have the gift of sensing shifts in the social dynamics of the body politic and emotional social currents. CJ: Can you single out one period or one event that made you change your perspectives from self-preservation and a claim for respect towards the more global scale of rehumanization of L.A. territory? When did this shift, this change occur to you as a black woman and/or as a writer? Was it motherhood? 1992 South Central riots? Growing oppression by exponentially developing mass-media? All of the above, accumulating over one another? WC: The shift started early with the televised exposes of Malcolm X. Knowing that such a man existed was like having spring water poured over my parched psyche. Racism as I encountered in the Unified Los Angeles School System had nearly murdered my spirit. This budding awareness was further encouraged during my first marriage which corresponded with the mid-to-end 1960s. My first husband Charlie Jerome (Jerry) Coleman gave me my first lessons on how the world really worked— particularly our American Government. He was very political and reintroduced me to my own people’s history—knowing more about it than I had ever known or been exposed to, either at home or in school. My parents didn’t know as much in quite the same way he did. We spent most of our days in L.A.’s political underground—from the NAACP Youth Council to the Black paramilitary, associating regularly with Betty Little, Malcolm’s cousin and her husband Jamal Hakim. Jerry spent a brief spate with Ron Karenga as one of his “henchmen.” It was quite a time. By the end of our marriage I had begun to outgrow Jerry, my knowledge outstripping his—which was a contributing factor to our break-up. As a single Mom, I began to experience the hard realities of “dehumanization” as they became personal. As the years ensued and I chased my dreams in Hollywood as a scriptwriter, I began to understand that Hollywood censored my stories (and virtually any stories about the 1960-70s and political unrest—most of these stories (dramatic—only comedies were allowed), when told, done so with independent funding outside Hollywood; which is still true today.) Growing up in the southwest, I have always had an understanding of the importance of Image. But Hollywood put a spin on those lessons that I could not have anticipated. So you can nail my mounting awareness to the periods between 1964 and 1979—particularly February 1972 and

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August 1974 when I edited the first six issues of the Black men’s magazine Players which featured black female nudes. By 1975 the shift was complete. CJ: Racial matters also came into play as to how they biased your experience of the Angeleno American dream, didn’t they? You mentioned earlier how long it has been for academics to be able to seriously study the dynamics of the African American community in Los Angeles outside the prism of the 1965 or 1992 riots? WC : Indeed Charles… Here it is 2010, and I had to get this old to live this long to see a book on black Los Angeles1. And in talking about how black L.A. is the largest concentration of African Americans in the country outside of Cook County, Illinois, and I’ve had a very hard time communicating with my fellow African Americans in all the parts of the country and that’s forced me to wonder, why is that? Someone said to me when I was travelling, “Oh I didn’t know that there were any blacks in Los Angeles”. Yeah! So I’ve had to fight through my relationship to the city, I’ve had to survive in it, and fight it, and to fight to survive in it, and then fight the city itself at the same time, in order to become.. well to Become, which has been extremely debilitating I don’t think I’ve won the battle, I think I lost more! CJ: Would you say that the battle was lost before it began? WC: Well, yeah, certainly if you judge by the economy, but you could say that about the nation itself, that the war was over a long time ago. I think that’s one of the reasons why voices like mine are so significant and have such a difficult time being heard. I received a letter from a friend talking about her discomfort with me and apologizing for it. It took her a number of years away from me, and it took her another interracial relationship for her to appreciate who I was. Even though I was living with her. At the time I was teaching down here (San Diego) and I was staying with her at her place, and it was very hard for her, we liked each other but it was very hard for us to connect, she’s coming from a wealthy upbringing white upper class, and I’m, well, you know, at the exact opposite of that and L.A. kind of came between us in that way… The city or rather, this layer of Hollywood superimposed on it… You have this layer of illusion and people embracing the illusion layered on top of you. You have the usual things that may keep on in a subculture, first the skin color, you know, your slave origin, you have those problems, then you have gender, then you have the fact that I’m, you know a working class poor worker, and then there’s this other thing about having to break through all of these layers, to use my intellect to get through all these layers. But the one that stuck the hardest was that of the city because I feel like it prevented me to connect properly with other African Americans… How do you get through this morass? And to explain that to someone who’s from Harlem or D.C. or Chicago, or from other world centers, that can be a little bit difficult because most Americans define African Americans by certain criteria. People have certain expectations when they meet you, you’re being judged by that, and the Los Angeles criteria on top of the rest was the one that ostracized me the most. It makes it extremely difficult, you’re almost forced to find some way to break through all that glamour to be heard, like a boil. You have to somehow lance that right away and express the poison in order to have effective communication. CJ: I won’t give into the overall Maya Angelou controversy, much has been said on that if not everything. But what you’re also referring to here makes me think of that article you frst published in KONCH Magazine and later included in The Riot Inside Me entitled “Black on Black : Fear and Reviewing in Los Angeles.” It concluded on the fact that you received much more attention about your review of Angelou’s book rather than on your own poetry, and

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that this literary “black on black crime” revived an inherent fear rooted deep within the African American community, intellectual and otherwise, do you still believe that almost ten years after? WC: Well, I don’t know… Good question. The paradigm might seem like they’ve changed over the last few years but I believe that fear hasn’t dissipated just because of Obama… Fear has governed the African American existence in this nation. Even today, when I encounter most African Americans, they are afraid. Underneath. They don’t want to admit it, they don’t wanna look at that or acknowledge it. But there is this fear that’s there, and it comes larger, and comes out of the experience in the south, it comes out of slavery, this fear of separation, not only from our nation in which or where you’re origins are and then Africa, but from your most intimates thoughts, from your parents, your sisters and brothers, all those things you identify with. But I was born and raised in the West. For some reason or other, for African Americans, the idea of coming west has become synonymous with a sort of emancipation, with the western territory as opening up, but I digress. My parents raised me totally without this fear. They too, believed that Los Angeles, West of West, was as opened up about race as they could find. They settled in the Watts neighborhood when they were the only African-American couple in a 4 block radius. They taught me, they constantly were reinforcing me, “I’m as good as anyone”, they didn’t tell me about racism. It told me about itself. It came along eventually, but the first five years of my life were fear-free. Until I entered the public school system, I thought of myself as this wonderful preacher, getting ready to explore the earth! And I didn’t have any fear, I was utterly fearless. So when I encountered these people who were rooted in fear, that set us apart. I can recognize, I appreciate that fear, I understand it, but I don’t share it. CJ: Do you think that Education, as you mentioned the school system, has done its role in order to try and dissipate that fear? Or do you think it only kept it up by not addressing it more directly? WC: I think the problem is to the extent that it is in the classroom or even in the overall school district organization or repartition. It’s all part of say, an African American defense mechanism. They can close themselves off to the white world, that’s a defense mechanism, you rejected me, I reject you. So you enter a home of an African American and you look on the bookshelf and you only see books by African Americans. You look into what they listen to and you only see African American artists. Only African American content, the art on the wall is by African Americans, or they put together, pastiche themselves, a lot of times it’s not unusual to go in and the only whites you will see will be one of the Kennedys, or both of them, you know, Robert Kennedy and John Kennedy. So the images, the world that they create, reflects them because they can’t truly open up to the outside world. If you turn on television, there’s nothing on it that truly reflects the African American experience. Very little. And since Obama has been elected, my girlfriend and I we just roared, but I’ve never seen so many African Americans in front of the camera in my Life! But behind the cameras, there’re still these huge disparities. So that’s another lie for you. What you see on the screen, again that’s going back to Hollywood, that’s the illusion! CJ: I’d like to continue on Hollywood and how they’ve been building African-American archetypes on screen… archetypes that have been around for so long that they became sort of internalized over the years or should I even say over the decades. Now, while I’ve been here, I had the opportunity to watch some American TV, and I watched a lot of BET,

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Black Entertainment, and on this channel I was expecting the programs to reflect the African American community outside those archetypes, and I was very distraught to see all these clichés about African Americans on screen on a channel that is supposedly ‘for’ African Americans. WC: Well, Hollywood doesn’t think racism is sexy... So therefore stories that deal essentially with it are muted or dulled or dumbed-down or made palatable so they can make money out of it, so it will be mainstream or, what is the term for it… It has “crossover value”. The dominant culture people, whites will watch it, they won’t be offended, they won’t be upset, that’s why you only see African American men who look like idiots. You know, even the rappers, they don’t even look like that. There are plenty of good looking African American males around, you know, a lot of them in prison, and they got these clowns to put on a show. Now to be fair, I’m glad that these people are working there, making money, they’re supporting their families, they’re doing all those good things that a person should do, but goddamn! I would like to see something that’s real! Now, right, granted, no one’s reality is on television, but there are reflections, there are echoes, something that isn’t gonna make me feel ashamed or embarrassed, or want to get up and kick in the television set. And BET is basically exploitation of a mainstream dumbed-down version of the African American community as a whole. Now that is a business, they are selling an image. CJ: But do you think that what is showed on channels like BET are really shaping minds as to how African Americans should conduct, behave, act, like, don’t like, feel, etc..? WC: The subliminal effect of receiving those similar clichés non-stop are, I think, completely underrated… it’s terrible. And it makes it very hard if you do not conform to those expectations. When I show up, I’m expected to act or conduct myself in certain ways. For example, Satchmo, I can’t stand Satchmo, Louis Armstrong, the trumpeter, ok. When I was a kid in the 1950’s, I just cringed every time he came on, I hated this, everything he stood for, everything he was, except the trumpet playing itself, because I was raised to be a musician, I understand music, I enjoy good musicianship, but the rest of it I could not use. And a few people have pushed him as, you know, he was a great trumpeter right, but they have pushed him as a cultural icon, so I have to turn on TV, or turn on the radio, or turn on cable to listen to jazz, and there’s Satchmo. We went for Thanksgiving about a year ago, we went to a friend’s house, he thought he was impressing me, he bought like a 5 cd set of Satchmo. And we’re sitting there, and I’m eating, first my ear perked up and I thought, “uh-oh, there’s Stachmo”, and I don’t say anything, because I think that the song is gonna go off, and I can survive one song. Then another one comes on. And then another one. And I said: “What is THAT?! Who soared me back into the 1950’s, take that shit off! Turn that shit off, isn’t there anything else?!” And I, you know, I don’t like being impolite to people, especially when I’m in their house and eating their food! But he didn’t understand, he thought that because I’m black I would like Satchmo, or gravitate toward him, but no no no no… And I can’t make the same assumptions about my fellows when I travel, that gets me, that’s gotten me into some big trouble. Just because someone is African American or Black doesn’t mean they understand racism! Because that’s a sophisticated, complex, a systemic thing that permeates everything in America. And many of these people wouldn’t know it if it bit them. They wouldn’t understand – most African Americans they’re just in the soup, they don’t know what the soup consists of. They can’t interpret it - or understand, when you ask them questions, they’ll rely on their experience or the experience of

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people they’ve known, that way they can give you some sort of explanation or context, but most of them, they’re not sociologists, they’re not philosophers, they’re not great thinkers, and that’s what it takes to really understand this enormous THING. CJ: But this enormous thing like you said, is frmly rooted in emotional impulses… How to understand something that can hardly be made sense of? Especially when you’re the recipient of this hate? When one sees people protesting with banners of Obama caricatured as a monkey, there is nothing rational to make out of it… WC: Free speech is a bugger! These people are at root racists. But of course they can rationalize… CJ: Can they? One must act on pure emotionalism to dare make those opinions that public because if we pay attention to what they’re actually saying, it just doesn’t make much sense… WC: But has it ever made any sense? It isn’t about sense, it isn’t about logic. Again, you’re right, it’s a purely emotional thing. It’s as simple as being on the school ground. Because that’s where I learned about racism and differences. I was in kindergarten, and the teachers organized these little dances and things for boys and girls to interact, and when I reached out to take this little white boy’s hand he said “I cannot touch you, you’re a nigger”. So it’s as simple as that. My first love, my first sort of romance, I was seven years old, my family was the first black family to move in to our neighborhood, South Los Angeles, and so I was the oldest of 4 children, and I didn’t have anybody to play with when we first moved in, and so - we lived from the nearest cross street, we were about third down the block, there was a house on the corner on the north-west corner, where the two streets intersected McKinley and 89th Street. There was a little house on that corner, and there was a little blond boy in that house, he was ten years old at the time. He would come out of his house, and look down, he crossed the street, and he would look and he would see me in the yard, and I didn’t have anyone to play with either, so I’m out there, and we were looking down the block at each other. So I come to the edge of my lawn, and onto the sidewalk and I’m looking and he’s looking, and he’s bold enough, he crosses the street and he starts to come down the block, so everyday he gets a little closer. And pretty soon, we’re playing together ok. He’s name was Jarrell. He could come into my house, he could come after school and have cookies and milk with me, he was so bold he used to come by the bedroom window, where me and my brothers slept, he would come in there, by the clanky bedroom window on Saturday mornings, we could watch cartoons together, or go play out in the backyard where we had lots of fruit trees and things. Or we could read comic books together. But I couldn’t go in Jarrell’s house. If I went down the street, to his house, I could sit on his steps but I couldn’t come inside. And when I asked my mother about that, you know, she finally asked me about him, and she couldn’t really explain to me, Jarrell couldn’t either. And we had really got a relationship, he taught me math, he was a math-head and I had problems at school with that so he would help me. He would teach me how to solve my math problems and what not, but I couldn’t go into his house. Those boundaries. They’re invisible, but they’re very real. CJ: And politics don’t seem to be doing much to try and make those boundaries disappear, do they? WC: Yeah right, exactly! There’s no effective, or let’s put it this way, the effectiveness of the American left is highly in question as a whole. You know, the Left that’s left.

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What remains of it and let’s face it, it is the political party that is most likely to tackle the race issue. Whereas the Republicans are very well funded, and are very highly organized and are very effective. Contrasts. Because the stake for them is giving up their wealth and of course they don’t want to. People who aspire to that are their allies. So that is how the new natural order needs to be kept, that’s really at the root of the war! And it so happens that because of the peculiar history of this country, that that war is rooted within racism. Racism is the root. We got to that by talking about the fear. For example the fear of loss of identity as well as the fear of separation. For example in Los Angeles when housing opened up in the late fifties that was blamed for destroying what there was of a very strong black community in the city. People are still trying to hold on to the Degnan2 area for example which is full now, Africans from other parts of the world have settled into that area. There you have Africans who are Spanish speaking or French speaking, on top of their native dialects, coming into that area, a real Afro melting pot. The African American population has been pushed out of the city after the 1992 riots, that was one of the things that happened in the aftermath of the events, far from the media focus that was long gone. To disperse was the new rule, so you don’t have a concentrated community of African Americans to move against you, so to speak, so the landlords have been very effective in pushing African Americans into bedroom communities, Rancho this, Cucamonga, or Palmdale, we’re living there now because you can’t get jobs, they make the city unlivable for you, and force you out of it. And that’s essential of what has happened in post riot 1992 Los Angeles. It happened before that after the riots of 1965, and before that, just the act of opening up housing, because housing was segregated, we had red lines, my parents could not live in other parts of the city, they had to live in South, which became South Los Angeles and later South Central and is now going back to South Los Angeles again. To take away its Black identity, even that has to be taken away, we cannot have anything that is holding… CJ: Changing names is the most effective way of erasing any hold over a past history, it’s the best way to start fresh and forget about what occurred there before. To that extent, Los Angeles has become expert in its branding and rebranding strategies as it relied on them from its very start, didn’t it? And in that case the very name had to change to erase any traces of African American identity and the turmoil it can evoke… WC: Exactly! So there’s this constant upheaval, disruption, disconnection, disjunction, all these things are part of my work. So I’m focusing on how, since I’ve lived this, since I’ve lived the city. I mean even Farrakhan (Louis Farrakhan) was run out of L.A. One of L.A. talk-show hosts was knocked off the air for having Farrakhan on his program. I’m not especially comfortable myself with Farrakhan preaching again a separate but equal philosophy, and I don’t know, since I’ve only seen Farrakhan speak a couple or three times, and listen to him, and I really have not been in that kind of inner black circle, so I really don’t know what he really thinks and what he’s really about. As far as the Black Muslim community and the Nation of Islam is concerned, it’s been pretty much uprooted and forced out of Los Angeles in the similar way Motown was forced out of Detroit and came to Los Angeles. So I couldn’t argue the strengths or weaknesses, well, I don’t see any strength in the Black Muslim community, I only see the weaknesses because they have an economic philosophy; and the only way that philosophy could be successful is as if they were able to bring the Black community together, some sort of cohesiveness. But the dominant mainstream culture has gotten wise and well aware of that and they’re going to see to

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it that that cohesiveness doesn’t take place. We’re not gonna have any more Harlem. We’re not gonna have any more South Centrals, we’re not gonna have any more South Sides of Chicago. CJ: So dispersion became the new rule to abide to? WC: That’s right and we’re not gonna have that anymore. So, in the light of that, the Black community becomes this sort of psychological and amorphous thing, and the nature of L.A. is already amorphous. With all the pools of ethnocosms. I mean there’s no coincidence. Let’s take a very clear example about how that cohesiveness doesn’t work within the African American community… To get a liquor license in the state of California, if we go back a generation, it was $50, 000. Well, no one ever seemed to be able to amass the $50, 000 to buy a liquor license except Chinese, Japanese, Filipinos, Armenians, a few Mexicans here and there, and Jews, because those are the only merchants, with Persians and Koreans, who are able to share investments in order to share profits. It seems that the same strategy has been impossible to get within the African American community! Because that poison was put in our community, so to speak, with the exploitation, the economic exploitation that takes place, governed by the merchant class… There was no Black merchant class. Ethiopians have, little by little, developed a merchant class here, there are Black entrepreneurs, there are African Americans who managed to amass money and fortunes, BUT how come things don’t change effectively? You’ve got, you know, gazillionnaire Oprah, you got gazillionnaire Tyler Perry, you got athletes who have, you know, “beaucoups bucks”… why doesn’t it really change? What is it, at the root of this country, that the African American community has crystallized at the core of our collective identity to make that cohesiveness virtually impossible to articulate? Huh? Like anybody else, African Americans can amass money, but the money is not effective. It’s not effective. Why? Why? Why?... That is the question. As a postwar baby growing up in Los Angeles, I’ve witnessed things getting better and better for other communities, Asians in particular, but also for the Latinos, and it has nothing to do with their growing number… Why not us? And so I’m constantly examining this, I’m watching all this take place, I’m asking these questions, and that creates that tension, those tensions, Our wealth provide me with a wealth of material. So I never have to worry about running out of things to write about. I could use running dry, I could run out of a few things, it wouldn’t hurt! CJ: Do you think that the amorphousness of the city, as you described it, has been an increasing factor in Los Angeles for this lack of unison within the African American community, even though Watts and South Central/South L.A. were and still are predominantly African American neighborhoods? WC: I think so because in those neighborhoods you mentioned, there are no places where African Americans can get together to think and talk it out. And so to speak, outside of the African American community, it has also been very hard for local artists and authors to find a voice outside of Hollywood, especially when Hollywood does not want you! We don’t have any Algonquins, you know, the famous hotel in New York, so people getting together and clustering together and having this rubbing up against each other, and having this dynamic take place of interchange and intellectual development. It’s been very difficult to develop the same dynamics in here, in Los Angeles. It has happened to an extent, but it is governed by the terrain, it’s governed by your ability to get in that car and drive there. You gotta go to it because it’s not stationary. It’s not in one place, like the city itself it’s fragmented and

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scattered. There have been many attempts and there still are, there are still people doing things. Now the Getty just started this huge initiative for visual arts, organizing all these galleries from around the world, inviting people from around the world to look at art in Los Angeles. Now this started at the Pompidou in France! See if the Pompidou hadn’t looked at Los Angeles you see, here we are, 5 years later, with the Getty and the Museums, LACMA etc., all organizing this Pacific Standard Time event together, but that wouldn’t have happened if it hadn’t happened at the Pompidou first in 2006. CJ: Oh really? I’ve seen the exhibit you’re talking about and I was not surprised about the vivid local artistic scene which I had already partially encountered when I lived here, but I was quite pleasantly surprised to see that similar works I saw in very small, barely surviving galleries back in 2003 were suddenly gaining visibility through this exhibit. What I was absolutely not aware of was the impact that this exhibit could have on Los Angeles. You really believe that without this sudden spotlight on the Los Angeles artistic scene in Paris, the Pacifc Standard Time would not have had the magnitude it does? WC: Oh absolutely. We’re still very, in a sense and very paradoxically, Eurocentric here. Here in Los Angeles as in the rest of the U.S. Even among African Americans. France has been very important in our history, and in our psyche, and in our cultural development. France and Great Britain. Those two countries, because of being world powers at one time, and dominating western culture have affected us, and so many Americans always have one eye on Europe. And in terms of artistic value, the New York scene was able to break free of any European validation, but as for the rest of the U.S., not so much... If you consider ASCO3 Gronk or Harry Gamboa, two Los Angeles chicano artists ok, I have a Gronk napkin, I asked Gronk to do a drawing on a napkin for me once, I have it in a scrapbook somewhere.... But, these artists had to have their work recognized outside of the United States first before they became famous within the States. And that mechanism is still at work. For some artists it’s gonna be Italy, for some it’s gonna be somewhere in Spain, or elsewhere and then they come back here and you get your dues. Very similar with New York for Los Angeles! For years here, it’s all I’ve heard! “Wanda, go to New York”, “Wanda, got to New York”, “Go to New York”, “Go to New York”. I don’t have bus fare “Go to New York”, I don’t have plane fare “Go to New York!” I’ve got children, I’ve gotta work, I’ve gotta feed my kids “Go to New York!” So, going to New York, which is seen and valued as the cultural heart of the United States, has always been presented to me as the endgame. From New York you can access the rest of the world, it’s much easier. Someone told me: “Wanda, if you can’t go there, at least get a P.O. Box in New York!” Didn’t have no money to do that either, so I just had to tough it out here in Southern California because I couldn’t travel, I couldn’t get to those places. I always had to make the choice between real food and cultural food. CJ: Has it become the new normal for local Angeleno artists to work here frst, perfect their craft on their turf to then delocalize to New York in order to get recognized before coming back once success had been achieved? WC: It has! It still works. Going out there and getting a reputation. Or if you’re lucky like Brett Easton Ellis, Less Than Zero, well, as soon as he got famous, he was in New York! Or, Walter Mosley, it’s very interesting. Walter, when he was going to Crossroads4 school and he was a student, I came to his school and I read my poems there and talked to the students, and he was one of those students, and he later said

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that I influenced him and he decided he would learn how to write, he would pursue his writing and as soon as he got famous, he fled to New York also. So… I’m still here. CJ: Was there any resentment growing on your part for never making it there, getting the validation from somewhere else…? Or outside of any New York validation, did the L.A. cultural scene suffocate you at times? Does it still? WC: Well, it’s starting to change here. Finally!! We have the internet, we have technology so communications have opened up to a large extent. You know, I would go to somewhere and I would say “I’m the major African American voice in the 2nd largest city of the United States” and they would stay mute, like “what does that mean?” because for a lot, they haven’t heard of me. When I get to New York, it’s rarely on business, and I’ve been to Manhattan more than a few times, but I never lived there, I haven’t invested myself in that cultural terrain. Aside from that, if we ponder what happened locally…I have to say, the Los Angeles Times has governed the cultural turf here for a long time and it’s been very racist at its root. Even when I worked for the paper it didn’t support me, I wasn’t made a part of it, I was still kept separate from it. It doesn’t review my books for the most part. Maybe two of my books have been reviewed favorably by the L.A. Times, but then I had to be a part of the organization PEN, if I wasn’t a member of PEN5, my books didn’t get reviewed. So there are all these dynamics going on and the Los Angeles Times now with the technological change, there isn’t even book reviews. So the opportunity for me to get that is even less than it was a generation ago. That has been a contributing factor to a lot of fine writers who live here in the West. Across the demographics, the Los Angeles Times has had a great impact on my generation of Los Angeles writers. Now if a writer or an artist in New York and they do their work there, immediately, if they have any sort of recognition, they’re immediately embraced by the local critics, they’re considered citizens of the world. But if you have recognition in Los Angeles, you’re considered a citizen of Los Angeles, see? It’s hard to even become a Californian! You know?! Or an American! You’re put in this, again, a stereotype, or this box that says L.A. on it, you’re put in that. You’re parochial, you’re local, all the negatives amassed... CJ: But why would being a local writer be such a negative? Many American authors strongly attached to a place, New York, New Orleans, Chicago to cite but a few, have been celebrated in accordance to this connection and critically acclaimed at the same time, no? WC: Indeed! But in L.A., locality being so infused by Hollywood that culture is deemed inexistent or if it exists, inconsistent. Being an African American woman in that box, can you imagine? If we take a step back and look at the writers who’ve won the nobel prize, would you call them parochial? They were in their place. I don’t think this man who just won the prize, Tomas Tranströmer, he’s only written about 200 pages of text that he’s had published, he was in his little space and didn’t go anywhere, and he’s being honored worldwide and most of the world has never heard of him. But somehow, if I were in the same position it would be a negative. I wouldn’t be worthy of such a prize. That’s a negative for me. If I stayed in my place and only write 200 pages, what, I’m nuts! Some of these things can be embraced, others cannot. I found out from a judge one day that I got denied a prize, a literary prize, because my prose was poetic. You can’t take a literature course without some professor somewhere waxing eloquently about how this writer’s prose is POETIC! But when it comes to me, all of a sudden, it’s a negative… And I like playing with form, this book was Native in a Strange Land, that was the book that I’m talking about here.

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CJ: Yes, the frst book of essays you published about Los Angeles and your experience of the city? WC: That’s the one yes. But the poetic vibe of those essays was somewhat disconcerting for some and it cost me a prize because writing a book infused with poetic about my life in Los Angeles was apparently too destabilizing for some… Because I write on multiple forms, that I like to think of myself as a fusionist. I like to go in and out of forms, and I love rhythm, I started out as a musician, so I have an ear for music, and I like to do musical things, even within my prose. Now, and I do things that some people can’t hear, because they don’t have the ear or the same musical jazz background. The piece you mentioned earlier, “Angel Baby Blues”, which is based on a traditional blues song. In it, I’m doing a cultural reversal: “a man is a two-face, a worrisome thing who’ll leave you to sing the blues.” It’s the “blues in the night”. So I’m doing that, I’m taking those rhythms, and I’m interweaving them into my texts like in “Angel Baby Blues” and I’m giving you a clue by reversing the lyrics in the song, I’m telling the reader that that’s what I’m doing, this is the code, this is the key for you to unlock this particular door, the writing door that I’m gonna go through, this aesthetic door. Here’s the clue, you know, here’s the piece when I talk about being an angel, baby. CJ: Now if we come back to the general purpose of your work which is to “rehumanize the dehumanized” and look at it maybe a little more retroactively, would you say that you are what the city expects you to be, or what the city needs you to be? WC: Probably what the city needs me to be. What the city expects me to be is dead! And I’m not dead yet! I’m getting there, I will get there eventually but… I think that metaphorically speaking, yeah it expects me to be dead, dead as a talent, dead as a voice. It has not afforded me squat, I’ve had to make my own way, I wasn’t given anything, I couldn’t complete my education, it was too expensive. So I was never able to make enough money to pay for my education, my grades weren’t good enough for scholarships, that’s a whole new story… First of all, how do you learn when you’re in class with racists as instructors? Are they really going to teach you anything? Are you going to pay money that needs to go to the landlord, or to the utilities, or to buy your kids clothes or feeding them, you really gonna pay to have some racist professor not do his job and not teach you anything? Really?! That’s where I came to terms with education. What decided me to drop out of college, was that I was driving- I mean, you know, L.A.! You have to DRIVE to get there! So I’m driving all the way to the San Fernando Valley or to Hollywood or wherever, to go to school from South Central, I have to spend money on gas I can’t afford, I have to buy books I can’t afford, I try to look decent given the fact that I can’t afford clothes. One day I got sick in class, I wasn’t eating, I was going 3 to 4 days without food so that my kids could eat, and still doing this rhythm of working two jobs and going to school too. And I got sick in class I’m sitting there and I’m starting to moan and go down my chair… I come down with a virus of some sort. The people who were around me then treated me like I was a junkie in withdrawal… And no one volunteered to help me in that classroom. Except one woman who finally volunteered, she found me about 15 years later and told me her father was a leftist! Ah! And she was the only one who volunteered to take me down. I don’t know where she took me, I don’t even remember, I only remember that I had my mother to meet me there, I think there was a hospital in the area, and I went to the ER there, she took me there, and left me there. But that made me wonder, why am I torturing myself? What am I doing this for? Because I want to be a poet? A

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writer? And I wanna make money, and raise my family… Also I was taking a film course to the school that is now CSUN, before that it was San Fernando Valley Junior College or something like that, and when I went to that classroom to sit down among the other students, there were only two blacks in the classroom, and the chair of department was teaching that class. When I came in, it was like, he went immediately rigid. Whenever I would come in the classroom, he would get rigid. He would be teaching everybody but if his eyes would just go over me, he would get this little like “uh, I’m looking at it, oh my God”. You know. He would wince, and tried not to look at me. He would spend the whole hour standing there, trying not to look in my direction, and not meet my gaze. And I’m sitting there, and I’m thinking: “I’m paying this man, paying his salary, but why am I here? What for? I’m paying for something I’m not gonna get?!” That’s what happened to my education. Now rehumanize the dehumanized…ultimately that phrase goes directly back to the Los Angeles Times, I can’t tell you how often reading the paper infuriated me… The first black reporter hired by the Los Angeles Times was hired, off the street, following the Watts riots in 1965. And subsequently, when stories appeared, when they appeared which is rarely, but they’re usually crime stories that appear on the Blacks, that relate to the Black community. There’s no context for these stories. So our truth is always absent from context. So I’m reading this story about this incident, and I say: “there are things missing here”. Knowing an African American in a given situation, there’s a lot we don’t know about the story, we’re just getting the surface, the result, the mistake if it were one to begin with. We’re getting what is digestible to the middle-class white reader who picks up his newspaper. But there are other things here that that reader needs to know. So literally I started clipping, I started saving these clips, these newspapers clips, and some of them have become poems. The poem, my poem consists of the context. The context that’s missing becomes my fictional material. CJ: Do you somehow feel like it’s your responsibility to provide that context? WC: Well, if I can see it, it’s the responsibility of whoever sees, to provide the answer, right? Not everyone does, some people who see don’t provide any, they exploit the situation. In my case, I have opted not to exploit it. It’s an individual call, an individual choice. Because I’ve seen myself there… empathy comes right back at us! But apart from empathy, all that has happened to me, where I’m in a situation, and I’m dehumanized. That essentially defines the mechanism, how racism works. I enter a store, it’s immediately assumed I’m guilty of something so I’m suddenly being watched. Why am I being watched, because it is assumed that I’m going to steal something. I’m a thief so, when I approach a store, I’m a customer, but when I go through those doors, I’m a THIEF! What’s changed? What happened in that space, in those seconds and when I entered the building? I didn’t change! What changed? The environment changed. So outside of this environment I’m a customer, inside, I’m a thief. CJ: But then again, have you ever been to places in the US where you didn’t feel that way? WC: Rarely. I mean, even getting on a plane, I’m a terrorist! I was a terrorist on my first local flight to San Francisco! First time I got on a plane, circa 1964 or 65. I was searched, my bags were searched. All the things that the people have to go through now and oh my god, it so tickles at times, because the rest of the nation has finally joined me thanks to those brainwashed imbeciles who drove those airplanes through the world-trade center!

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CJ: That’s what it took for people to understand what it feels like to be assumed guilty. WC: Yes, that’s what it took for the rest of America to start to experience what I have to experience since 1962 and here we are in 2011. See? When I was 20, 20 odd years old, I was already a terrorist. And if I had to get ready to go fly somewhere, I had to be searched as if I were entering a jail. They did everything but delouse me. And it was very interesting because the two white people I was travelling with were not searched. And they were the guilty ones. I mean the woman had some dope on her! She was dirty. And I didn’t even smoke! But she had marijuana on her. But I was the one who was searched. This thing of image that Hollywood puts up that’s so important, it has to be paid attention to. Significantly. I was looking at television last night and they announced the Nobel Peace prize that went to the three women. And when you looked at the three, one was old, one was very round made of ovals kind of like an African woman, the other one was a very dark-skinned woman… there they were, three dark skinned-women and looking amazing! Now I’m looking at these three images and I’m thinking that it would be lovely to see more images like that in the media. You don’t see images like that here except on select networks. You don’t see leaders of color. Now when we were in Paris particularly, one of the things that I loved doing was watching television there, so that I could see what the leaders of the world looked like in other countries! I saw people that I didn’t see here at home. But at the same time, the only image I saw of a black woman in Paris was Martin Lawrence in a fat suit for his Big Mama movie... In the metro, there was this big poster of this stupid movie, another stupidity that he’s forced to make if he wants to live. That was the only image, a man in a fat suit, dressed up, pretending to be a woman, that’s the only image of a woman of color I saw the whole time I was in France. How’s that for conveying a completely false imagery and imaginary of African Americans, even transcending borders?! CJ: That’s the power of Los Angeles, isn’t it? WC: It is and well, with all its power, it will not take any kind of responsibility for it. Maybe it will one day, but I won’t be there to see it. CJ: I’m an optimist, so let’s say that I’ll be around to see that! Now, how would you say that all those paradigms we discussed about Los Angeles and racism have manifested in the city as of late ? Observing the city’s political and cultural life from a distance, it seems that the enclaves are seriously starting to shift, for better or for worse, with the downtown renewal program pushing the homeless population that huddled there out of its streets, or the scattering of some communities like that of the African Americans as you have previously commented upon… Aren’t there new patterns appearing, new habits taking roots? WC: Exactly. You know, the Watts Towers Art Center is in trouble or was in trouble, I haven’t followed the last developments… I used to play on those when I was a kid, we used to sneak out of the house at night when I staying at the babysitter’s. She lived on the 104th street and that was just three blocks from the towers. And so at night we would go out like this little gang and we’d go down to the towers and play there at night. And climb them whatever because Simon Rodia he’d get paid on Friday nights and he’d go cash his check and get drunk. An so we watched him sort of stagger around the house and as soon as he left, we’d run in there and start climbing. And what has happened is that in dispersing the African American community that huddled in South Los Angeles, the Watts Towers Art Center is endangered because it represents a community that is no longer there… See it would be wonderful to have

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an open society, but our society is only opened to certain people and our country is very hypocritical and two faced about immigration. In Southern California, especially in Los Angeles, Latinos have been brought to help and disperse us. They helped disperse the African American specifically. When we decided to change from our apartment post 1992 riots, we discovered that landlords wouldn’t call you back if you didn’t have a Spanish accent. If you called and they detected that your voice or your manner of speaking was African American, they wouldn’t call you back. So we decided to play a little game… My sister in law is from Toulon. So we have her call instead, just to find out, as an experiment. So she would call and they would call her back. But if one of us called, no answer. Same with renting. With Austin we were trying to get an apartment in a certain area of town and we went, we had set up an appointment to meet the landlord, we were standing outside the building and I said: “Austin, they’ve been here. They’re here, but they see us, and they’re gonna leave us standing here.” So that kind of discrimination is still practiced in Los Angeles, regardless of what the law says. There are still these red lines. There are still these divisions taking place, they just find a way to get around the law to get around the punishment because discrimination has been made a crime. It’s not enforced. It still goes on. So here come these poor Mexican or Nicaraguan people, and coming to the United States, they think that they’re going to be allowed into this open society, that the society is gonna welcome them, and they get here and they find out it isn’t. They’re being used, they serve a purpose, they have taken jobs that once sustained the Black community. All those little jobs, working at the fast food place, working at the car wash, those kind of temporary jobs that people would take until they could move on to something better, now people come and they’re in these jobs forever! It’s better to have a job than none! So they come here and they stay in those jobs so that’s what’s happened. So if you’re an African American, if you had a job at a place where people were racist, well you could always quit and go back to the car wash, quit and go back to the juke joint, quit and go back to whatever. That subculture was supported and sustained by those kind of low-leveled jobs. You can’t do that anymore, they’re not there anymore to sustain you. So if you quit, you’re just fucked! There’s no place for you to go! Except the streets and there are plenty! That’s why there are so many homeless Americans. Because they can’t go back to those jobs, and when they want to go back to those jobs, people have accommodated. I went to a publisher and I wanted to be hired and he gave me a test. He gave me two tests. The first test was in English. Well, when I was in the revolution in the 60s, I memorized an English book, a grammar book. So when he gave me the quiz, I was like 99% and he couldn’t believe it. He said: “No one has ever passed this test in my entire business life! You’ve got the highest score of anyone I’ve ever seen!” And I said: “Oh thank you”. But did I get the job? He couldn’t stand it. So what did he do, he went back and he gave me a math test. For an editing job! So it would bring my score average down! Then he had an excuse, then he came back and said “well I can’t hire you because you’re only average in math. It brought your score down.” See, THAT is the way the game is played. There will always be some reason why not. Constantly shifting, I refer to that in the title of my book African Sleeping Sickness which is after a virus which is similar to the one in the movie The China Syndrome, a virus that morphs, so the minute you cure it, it takes another shape and continues to

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proliferate, that’s what racism is like. Every time you think you’ve cured it, or you solved it, it morphs. So you will never be able to overcome it. You know, the first time I came into contact with racism in a very violent way was when I entered the American school system, and when I got out of it, when I graduated, I read plenty of books on hypnosis. And one night I stood in front of a mirror and practiced those methods on myself. I self-hypnotized myself into forgetting all that I had to go through, not the events themselves or the anger they stirred, but the pain they inflicted on me… CJ: did it work? WC: You’re talking to me now…

NOTES

1. She refers to Darnell Hunt and Ana-Christina Ramon’s book Black Los Angeles: American Dreams and Racial Realities. 2. Degnan is a street in the Crenshaw District of Los Angeles, which includes the Baldwin Hills. It was a very racist, exclusively white part of town until the Baldwin Hills dam burst in 1963, the winter before I graduated High School. Whites vacated the area en mass and Blacks were allowed to buy the very nice homes and properties they left behind. By 1964 Blacks were literally partying in the streets, celebrating the largest upscale African American community in the city’s history (other than Sugar Hill in the Adams area and Altadena, next to Pasadena). The area was flooded with middle and upper class Blacks and street fairs and celebrations took place in the “downtown” or plaza section of the community off 43rd and on Degnan (plaza’s are rare in Los Angeles. There are only two true cultural hearts that I know of, Degnan and Olvera Street). Clubs, art galleries, shops and restaurants opened. For 40 years—until a new immigrant population of blacks from other parts of the world began to settle there—the area was the city’s center of Black culture other than what survived in Watts-Willowbrook and Compton. Those areas are now largely Latino because land owners and real estate rogues have run Blacks out of our old strong holds. There has been a conscious effort among black community leaders to keep the Crenshaw District largely African American. This effort seems to be failing. It is an area I have often visited over the years, as a consumer and to read my poetry, but I could never afford to live there. 3. Artist collective from East Los Angeles. 4. “Crossroads” is a private K-12 school located in Santa Monica (what used to be called an elementary or grade school when I was a child). It is considered one of the best schools of its kind in California. Like many private schools, the parents of its students are primarily high-powered professionals—many in the entertainment business. I have been invited to read my poetry at Crossroads 6-7 times over the decades. Two of the former students who have “looked me up” after achieving some success as writers, and thanking me for my inspiration, are crime novelist Walter Mosley and actress-poet Amber Tamblyn (daughter of actor-dancer Russ Tamblyn). 5. P.E.N. (pronounced the same as “pin”) is a writer’s organization. They’ve taken out the periods which abbreviate Poets, Essayists and Novelists. They are now called PEN, and their headquarters is PEN American Center. They have chapters all across the country. I was given an honorary membership to the L.A. chapter in 1983, then became a vice president years later. It’s always

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been very influential here, more so than the WGAw (Writer’s Guild of America, west) or the more recently formed Writers’ Union. I believe that at least two of my books (definitely A War of Eyes) were reviewed because of my membership and vice presidency. I am usually mentioned when the topic of Los Angeles writers is generally discussed—as one of the few African Americans still living and working in this city. Otherwise, the book editors at the Los Angeles Times have not had my books reviewed.

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CHARLES JOSEPH

Charles Joseph completed a Ph.D. in American Studies; his dissertation, entitled Being and Writing (from) Los Angeles: Wanda Coleman, examines the complex and evolving relationship between the work of the African-American author and the city that harbored her birth, life and death through the prism of cultural studies. He has simultaneously developed an interest in the implications and practices of the entertainment industry based in Los Angeles on the city’s history and the shaping of its socio-cultural identity, as well as its influential role on the mass transmedia. He has published articles in Les Chantiers de la Création, ORDA, Conserveries Mémorielles, ANGLES and Urbanities.

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Éclairages

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Éclairages

Les Jeux Olympiques 2016 à Rio de Janeiro : problèmes et défis

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Les Jeux Olympiques 2016 à Rio de Janeiro : problèmes et défis

Vincent Dubreuil

1 En accueillant du 5 au 21 août 2016 les XXXIe Jeux Olympiques, le Brésil devait entrer dans l'histoire à plusieurs titres. D'abord en accédant au cercle restreint de la petite vingtaine de pays ayant déjà organisé les Jeux depuis 1896, date de la première Olympiade "moderne" voulue par Pierre de Coubertin. Ensuite, comme étant seulement le deuxième pays de l'hémisphère sud à les organiser, après l'Australie à deux reprises à Melbourne en 1956 puis à Sydney en 2000. Ce sera également la première fois qu'un pays lusophone accueillera les Jeux, avec un record de plus de 10 000 athlètes et plus de 200 délégations nationales prévues. Le choix par le CIO en 2009 venait effectivement consacrer l'accession du Brésil dans les pays "qui comptent" : une économie en plein essor parmi les BRICS, un modèle social de mélange des cultures et des origines, l'émergence d'une diplomatie active, un président, à l'époque, doté d'un grand prestige, autant d'arguments qui ont compté pour le choix final d'attribuer les J.O.2016 à la ville de Rio de Janeiro, et donc au Brésil.

2 L'ensemble des textes ici rassemblés font tous le constat du renversement complet de la situation du pays entre 2009 et 2016. L'optimisme et l'euphorie, ont cédé la place à la "crise" (L.A.M. da Silva) qui revêt une multitude de facettes : crise économique (chômage, inflation, dette,...), crise morale et politique (corruption, scandales financiers, impeachment), crise sociale avec une situation de violence et d'insécurité urbaines toujours préoccupante, crise sanitaire avec la recrudescence des cas de dengue et de zika propagés par le moustique Aedes aegypti. À l'heure de boucler ce dossier, on ne sait même pas qui ouvrira les J.O. en raison de la procédure de destitution en cours de l'actuelle présidente Dilma Rousseff. Deux ans après la Coupe du Monde de football, quatre ans après le sommet de l'environnement RIO+20, ce nouveau mega-event (J.Ninnin, A.Zaluar, C.Barcellos) risque donc de renvoyer au monde l'image d'un pays en proie à de graves difficultés et en plein doute. 3 Au-delà de ces considérations nationales, la réception d'une telle manifestation était aussi pour la ville de Rio de Janeiro l'occasion de renouer avec son passé de capitale, rôle qu'elle a cédé à Brasilia sur le plan politique et à São Paulo sur le plan économique.

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Ce devait être aussi l'occasion de repenser la ville, dans son rapport à l'espace, à sa nature, à ses habitants, les cariocas. Les sites olympiques, présents autour de quatre pôles dans l'agglomération ont ainsi conduit à des restructurations des quartiers, des infrastructures et des transports, aujourd'hui loin d'être achevés, contrairement aux équipements sportifs (J.Boycoff, G.Mascarenhas). La question des favelas et de leur "pacification" a été l'élément le plus médiatisé (H.Théry), l'action visant, le plus souvent, à déplacer les problèmes plus qu'à vraiment chercher à les résoudre. Finalement, la place du secteur touristique, en remettant au centre la culture et la nature exceptionnelles de la cidade maravilhosa (C. Castro), peut laisser imaginer que la ferveur et l'optimisme des Brésiliens sauront, autour de cet évènement, redonner l'espoir à une ville et à tout un peuple.

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VINCENT DUBREUIL

Vincent Dubreuil est Professeur de Climatologie à l'Université Rennes 2 où il dirige le laboratoire COSTEL (Climat et Occupation des Sols par Télédétection) de 2001 à 2007. Ses travaux portent sur les risques (sécheresse) et les changements climatiques en France et au Brésil de l'échelle locale (îlots de chaleur urbain) à l'échelle régionale (impact de la déforestation en Amazonie sur le climat) et utilisent de manière privilégiée les données de satellites. Il coordonne ou participe à plusieurs projets de recherches en collaboration avec le Brésil (CNRS, COFECUB, H2020, FAPESP...).

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Rio 2016: As olimpíadas da crise

Luiz Antonio Machado da Silva

Introdução

1 Começo lembrando o que nem sempre está presente na reflexão: os Jogos Olímpicos são um longo processo polissêmico e imprevisível e não um acontecimento unívoco, não obstante as antecipações que tentam unificar seu “legado” provável. Eles engajam uma multiplicidade de agentes com seus interesses, opiniões e divergências, que vão muito além dos atletas, organizadores e públicos das disputas esportivas. Como qualquer processo que não é autoctone, os Jogos Olímpicos abrem horizontes de confrontos diversificados para si mesmos e reconfiguram, onde ocorrem, o caráter sempre multifacetado da luta social rotineira. Assim, a análise não pode (ou não deveria) se orientar para uma avaliação sintética, como é o caso da orientação da maior parte das discussões públicas antes e depois do evento.

2 Sua forma é a de um enclave tensionado pelo contexto onde se situa. Comparações históricas são úteis apenas se contrastivas, já que, apesar de um certo acúmulo nos critérios de escolha do local e nos protocolos organizativos, a tentativa de autonomizar sua realização nunca pode isolar o processo de seu contexto particular. 3 Também é indispensável ter em mente que estudos sobre processos específicos, quando eles estão em pleno andamento – como é o caso deste pequeno texto – são aceitáveis e mesmo necessários. Entretanto, trata-se de ensaios especulativos que não podem ser confundidos com os modelos típicos da ciência social, os quais se sustentam em uma pretensão de validade empírica inacessível às cogitações sobre o significado histórico- social do que ainda está em fluxo. 4 Uma última observação preliminar. Os Jogos são um processo deflagrado por instituições internacionais envolvidas na política esportiva, que selecionam uma cidade-sede entre as que se candidatam a abrigá-los. Neste sentido, são um enclave postulado, pois tudo se origina com a candidatura dos países, os quais se guiam estrategicamente pela expectativa de “sucesso” na escolha, justificada pelas “vantagens” antecipadas. Os órgãos nacionais responsáveis devem orientar suas

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propostas de modo a contemplar a variedade de interesses das agências internacionais responsáveis pela escolha da sede e supervisão do processo. Todo o processo é delicado e polissêmico, além de imprevisível em seu desenrolar. Tudo que se pode dizer sobre o quadro geral das divergências é que as agências internacionais levam tanto mais vantagem nas variadas disputas de poder quanto menos fortes as instituições nacionais mas, além disso não ser regra imutável, os confrontos oscilam em um continuum em que permanecem nos bastidores a momentos de divergência mais acirrada que envolvem ameaças públicas.

Os Jogos Olímpicos no Rio

5 É inquestionável a diferença entre o clima político-econômico envolvendo o Brasil na época da escolha da sede dos Jogos de 2016 (o país esbanjava esperança e era louvado como um dos BRICS) e a conjuntura atual (provável impeachment da presidente, recessão, desemprego, crise sanitária de grande proporção). Hoje, até mesmo a opção de candidatar-se provavelmente seria impensável. Esta inflexão produziu duas importantes consequências conjugadas:

6 as enfraquecidas instituições nacionais encarregadas de organizar os Jogos tiveram reduzida a capacidade de defender as expectativas do governo nacional. A crise política interna levou à perda de apoio ao Executivo e ao Legislativo por parte da maior parte das camadas médias, portadora de tendências anti-estatais e moralistas; esse esvaziamento tem logrado carregar consigo parte das camadas populares (Le Monde Diplomatique/Brasil, 2016, esp. Texto de Boito Jr.; Singer, 2012; sobre o tema da vigilância, cfr. Cardoso, 2013). O resultado tem sido a marcada subordinação das instituições e empresas nacionais, quase como se o Rio de Janeiro tivesse sido alugado pelos órgãos internacionais encarregados da organização dos Jogos Olímpicos no Rio de Janeiro, os quais vêm impondo seus interesses com desenvoltura. Apesar de até certo ponto “normal”, esta é uma inegável distorção relativa à expectativa brasileira de de horizontalizar a composição dos interesses envolvidos e garantir vantagens ao final do processo. 7 b) Na economia ocorreu inflexão equivalente, porém envolvendo atores e interesses de prazo mais curto, as duas dimensões ligando-se antes por afinidade eletiva do que por relações causais diretas. As empresas que aceitaram (ou forçaram) o convite para compartilhar os investimentos necessários pensando nos benefícios futuros, paulatinamente se tornaram temerosas dos efeitos negativos da contabilidade global do evento. Tem havido inúmeras especulações desses agentes a respeito de uma quebra da frequência esperada de público, prioritáriamente internacional, mas também nacional, da ordem de 20% em relação às expectativas iniciais, o que é uma boa medida do temor envolvido nos resultados financeiros dos Jogos Olímpicos. Muitas empresas estão, no momento, dedicadas à redução de possíveis prejuízos antecipados, o que pode resultar em uma self fulfilling prophecy. Por motivos óbvios, tem havido apenas uma discreta divulgação pela mídia desses movimentos, porém eles são amplamente conhecidos. 8 Ademais, têm havido comentários a respeito de possíveis desistências de atletas já selecionados para participar das competições, visando proteger-se da epidemia de aedes aegypti, embora até o momento parece que nenhuma confirmada em definitivo. Esta é uma decisão-limite, difícil para atletas que vêm se preparando desde muito antes da virada representada pela crise sanitária. Mas o simples fato de existirem boatos e

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entrevistas cogitando de desistências é propaganda altamente negativa para a frequência aos Jogos no Rio e, portanto, um reforço para os receios dos capitais investidos. 9 Neste momento, considero inadequado, discutir em maior detalhe quais as prováveis consequências político-econômicas que advirão da realização dos Jogos. Quanto às consequências políticas, além de certamente multifacetadas como venho sugerindo, elas precisarão ser reavaliadas depois do turning point da crise, já que seu auge, a decisão sobre o impeachment da presidente, ocorrerá antes das competições e sem dúvida afetará a continuação do processo. Quanto às consequências econômicas, muita pesquisa terá que ser realizada para permitir aproximações razoáveis, necessariamente parciais, sobre que tipos de empresas, públicos e atores coletivos, ganhou ou perdeu com a realização dos Jogos de 2016. A expressão “aproximações razoáveis” implica a necessidade de considerar, em cada caso, a possibilidade de consequências que não se configuram como jogos de soma zero, em um cenário quase certo de aguda recessão.

Os Jogos do Rio e as camadas populares

10 Como deixa entender Boito Jr. no artigo citado, as camadas populares, seja a fração que tem acompanhado a classe média, seja a fração mais combativa, têm sido empurradas para atitudes mais reativas e defensivas do que protagonistas. De fato, enquanto parte delas não adota uma postura independente, os movimentos sociais minoritários, diante da(s) crise(s), têm tido cada vez maior dificuldade de publicização do que consideram seus interesseS e de vocalização de suas opiniões e reivindicações nas arenas institucionais.

11 Seja-me permitido oferecer, muito esquematicamente, dois exemplos.

12 Sérgio Magalhães, presidente da seção Rio de Janeiro do Instituto dos Arquitetos do Brasil, tentou, sem sucesso, sugerir que as interferências urbanas necessárias para abrigar os Jogos deveriam concentrar-se na região central, apresentando dois fortes argumentos: a) redução dos custos de preparação da cidade, combinando remodelação/ reforma de estruturas já existentes com novas construções nos espaços centrais vazios e/ou degradados realizando a muito esperada revitalização do centro da cidade e recuperando sua perdida função residencial; b) redução dos custos atuais e futuros dos investimentos em transportes através da densificação da ocupação urbana. 13 Entretanto, apesar da reputação de competência do IAB/Rio, a discussão sobre essa possibilidade foi sumariamente descartada: quase sem debate, a decisão das instituições organizadoras brasileiras foi de que a maioria das obras seria realizada na área de expansão urbana, a fronteira oeste do Rio de Janeiro, para onde se tem dirigido a maior parte do capital imobiliário. Não tanto a decisão final em si mesma, mas o bloqueio da análise da alternativa acima mencionada, é uma clara indicação da prevalência dos interesses da construção imobiliária e dos capitais ligados aos transportes urbanos e às obras civis que os acompanham. 14 É claro que a produção da cidade não poderia deixar de ser afetada por processos da dimensão dos Jogos Olímpicos. Mas note-se que a opção de investir na periferia seguirá o padrão tradicional de urbanização do Rio de Janeiro. Muito esquematicamente, ele se caracteriza por um crescimento aos saltos da mancha urbana – são deixados espaços vazios ou de muito baixa densidade entre as áreas já urbanizadas e os novos espaços

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ocupados. As glebas intermediárias ficam retidas como reserva de valor, à espera de que os próprios ocupantes dos loteamentos (em geral eivados de irregularidades) se mobilizem para obter serviços públicos e outros melhoramentos, os quais também beneficiarão as áreas intermediárias, provocando uma sobrevalorização das propriedades retidas. Com os investimentos nos Jogos, a sobrevalorização será imediata, apesar dos problemas jurídicos e construtivos que vêm se acumulando. 15 Esse processo tem provocado uma súbita transformação das relações sociais na fronteira atingida pelas atividades ligadas ao Jogos Olímpicos, cujos moradores originais fazem parte das camadas populares e, dada a rarefação da ocupação, têm dificuldade de articular movimentos de publicização de suas demandas. Isso não implica sugerir que os atores são inertes diante de forças político-econômicas muito superiores. Há indicações de que esses grupos desenvolvem com rapidez estratégias para obter as pequenas vantagens que estão a seu alcance ou, ao menos, não se deixar tragar pela avalanche que se abate sobre eles. Note-se que a sociabilidade local é também afetada pelo que os moradores mais antigos consideram uma “invasão”, o aumento repentino e crescente da presença de trabalhadores atraídos pelas obras1. Paralelamente ao ajustamento às imposições de poderes supra-locais, isso provoca intensa alteração nas relações de vizinhança, quebrando a unidade rotineira das interações nas localidades e introduzindo ou aumentando a desconfiança entre os moradores, dada a presença de estranhos. Finalmente, mencione-se que, diante de transformações que fragilizam os controles sociais costumeiros, abre-se um terreno fértil para a expansão do mundo do crime que, portanto, acompanha a própria colonização da fronteira urbana – abrindo um leque de disputas e conciliações entre os traficantes de drogas ilícitas e as milícias2. 16 Durante muitos anos as disputas em torno da regulação fundiária e construtiva do desenvolvimento urbanístico do Rio de Janeiro ocorreram em duas frentes, a ocupação das periferias durante o processo de formação do capital imobiliário e do mercado de terra e a ocupação dos interstícios centrais não construídos, por uma pobreza urbana progressivamente inflada com as migrações associadas à modernização econômica do país. Esquematizei o impacto sobre a periferia da cidade derivado da escolha de privilegiá-la na realização dos Jogos. Resta comentar os conflitos que, por envolverem as áreas centrais, sempre foram mais visíveis: os que tematizam o “problema da favela” (Machado da Silva, 2002). 17 Nesta questão, opunham-se duas perspectivas opostas sobre o que fazer com a ocupação irregular de muitas áreas intersticiais, desinteressantes para a incorporação imobiliária: “remoção” x “urbanização”. Essa profunda divergência sobre a orientação básica a ser , que não deixa espaço para arranjos intermediários, afeta uma ampla fração das camadas populares desde o início da modernização da cidade, iniciada por volta dos anos 1930 e intensificada no Pós-Guerra. As posições oficiais, muitas vezes ambíguas e contraditórias, variaram durante esses quase cem anos segundo as macro- conjunturas político-econômicas e a força relativa das organizações locais, defensoras da “urbanização” contra a “remoção”. Com o fim da ditadura militar e a promulgação da “Constituição Cidadã” de 1986, parecia que a “remoção” havia se tornado uma alternativa restrita a casos muito especiais, de modo que o peso do “problema da favela” na agenda pública reduziu-se à medida em que as populações faveladas sentiam-se cada vez menos ameaçadas. Infelizmente, o quadro mudou.

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18 A decisão de concentrar as atividades construtivas demandadas pelos Jogos na periferia da cidade implicou a necessidade de uma ampla intervenção sobre as condições de mobilidade urbana, o que, é preciso sublinhar, vem ao encontro de uma antiga reivindicação muito generalizada. De fato, este é um dos problemas seculares da cidade, fortemente relacionado com sua localização, espremida entre a montanha e o mar, problema que se agrava na medida do crescimento populacional e das soluções automotivas que o regime de modernização econômica sempre privilegiou. Os grandes investimentos indispensáveis para a circulação que a realizacão dos Jogos na periferia impõe, podem ser considerados benéficos de um ponto de vista macro-social (este foi um dos argumentos que sustentaram a escolha vitoriosa da localizacão dos Jogos). No entanto, a implementação desses projetos reavivou a opção oficial pela “remoção”; caso emblemático dessa ameaça, que a resistência tenaz dos moradores levou à cobertura da grande mídia, é o da Vila Autódromo (Magalhães, 2013). Sempre que uma localidade interpõe-se ao traçado previsto para as obras viárias, a “remoção” tem sido a escolha oficial, sob o argumento do “interesse público”, por sua vez sustentado pelas afirmativas de custo financeiro mais baixo, abstraído seu impacto social e o efeito político do retorno das ideias de “remoção”.

Palavras finais

19 Este texto não comporta conclusões: desde o começo ele aposta na incerteza, na ambiguidade e na impossibilidade de apresentar sínteses unívocas a propósito de um processo amplo e complexo como os Jogos Olímpicos, especialmente considerada(s) a(s) crise(s) atual(is), posteriores à escolha do Rio como sede.

20 Gostaria de deixar explícito que, no que considero uma visão crítica ponderada, tentei pensar ao mesmo tempo o significado, para a produção da cidade, do impacto dos Jogos sobre, de um lado, os atores ligados à acumulação econômica, suas esperanças e angústias; e, de outro, sobre as vicissitudes da reprodução social das camadas subalternas. Tudo, é evidente, da forma esquemática que a dimensão do texto impõe. 21 Pela mesma razão de falta de espaço, deixei de fora o impacto, para as agências internacionais da escolha do Rio de Janeiro como sede das próximas Olimpíadas.

BIBLIOGRAPHY

Le Monde Diplomatique/Brasil, “Organizar a resistência”, Ano IX, no 104, março de 2016 (esp. artigo de Armando Boito Jr.)

Singer, André, Os sentidos do Lulismo, São Paulo, Companhia das Letras, 2012.

Cardoso, Bruno, “Megaeventos esportivos e modernização tecnológica: planos e discursos sobre o legado em segurança pública”, Horizontes Antropológicos, Porto Alegre, ano 19, n. 40, p. 119-148, jul./dez. 2013.

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Machado da Silva, L. A.: “A continuidade do ‘problema da favela’”, In: Oliveira, Lucia Lippi de (Org.): Cidade: História e Dasafios, Rio de Janeiro, FGV, 2002, p. 220-237.

Magalhães, Alexandre Almeida de, Transformações no “problema favela” e a reatualização da “remoção” no RJ, Tese de doutorado, IESP/UERJ, 2013.

NOTES

1. Saliente-se que também não é possível uma avaliação polarizada sobre o impacto da preparação dos Jogos Olímpicos no mercado de trabalho. Desde o início da preparação da cidade em 2011, ocorreu um grande e constante crescimento dos empregos temporários, em geral de baixa qualificação, que absorveram um significativo contingente das camadas populares. Por outro lado, justamente em um momento de crescimento alarmante do desemprego, o fim dessas atividades, segundo o jornal O Globo (04/04/2016), estará eliminando apenas no próximo mês (escrevo no início de abril) cerca de 30.000 postos de trabalho temporário. Como avaliar o resultado líquido entre um movimento positivo constante e uma reversão brusca? Com a crise, não há esperança de vivermos uma situação ideal, em que a massa de capital mobilizado pelos Jogos seria capaz de manter produtivamente o novo contingente de trabalhadores ativos. 2. Grupos paramilitares constituídos por policiais, ex-policiais, bombeiros, informantes, organizados segundo o modelo aproximado das máfias, cobrando “proteção” ao comércio, monopolizando atividades econômicas básicas (transporte alternativo, venda de gaz, etc.) e justificando sua ação como forma de defender as localidades onde atuam da presença do tráfico e, ironicamente, da violência urbana em geral.

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LUIZ ANTONIO MACHADO DA SILVA

IESP/UERJ, Pesquisador do CNPq, [email protected]

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Rio 2016: Urban policies and environmental impacts

Jules Boykoff and Gilmar Mascarenhas

Introduction

1 Rio de Janeiro has a storied record of supporting environmental action. The city twice hosted the United Nations Conference on Environment and Development: in 1992 when it was more widely known as the “Earth Summit” and in 2012, when it was called “Rio+20.” During this time period, the International Olympic Committee (IOC) amplified its rhetorical commitment to environmental sustainability, although host-city follow- though was routinely lacking. This historical backdrop raised the question: could the Rio 2016 Olympics sync ambitious rhetoric with ecological progress? The answer has been an emphatic “no.” For various reasons, Olympic organizers and city officials have failed to achieve every major environmental legacy they promised ahead of the 2016 Games, which take place from August 5 to 21.

2 In the twenty-first century, Olympic hosts are expected to proclaim a lofty list of “legacy” projects that will remain after the Games, programs and infrastructure that will purportedly benefit the host city years into the future. In the modern era, several Olympic “legacy” projects gleam green. The Rio 2016 Games exemplify this trend. To marshal public support, organizers declared more than twenty-five legacies: about half either directly addressed environmental issues (e.g. remediation of Guanabara Bay’s notorious waters) or indirectly signaled environmental benefits (e.g. building up public transport networks like the Bus Rapid Transit [BRT] system) (Santos Junior et al 2015). 3 The original Rio 2016 candidature, submitted to the IOC in 2009, emphasized environmental commitment. The Olympic bid pledged, “The 2016 Games will accelerate several important environmental projects bringing direct benefits to local communities including regeneration of urban areas, air quality improvement and reduced consumption of non-renewable natural resources” (Rio 2016, 2009, Vol. 1, 37). Bidders advanced a “‘Green Games for a Blue Planet’ vision for the Rio Games” (95) that

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combined the resources of federal, state, and local governments. In this article we examine the evidence and find that these promises, in general, have not been met.

A panoramic view

4 To many cariocas these bold environmental promises had a haunting ring. In the competition to stage the 2007 Pan-American Games, bidders vowed water cleanup and upgraded housing, but after hosting the Pan-Ams, the waterways stayed polluted and, it turns out, the athlete village was built on environmentally delicate peat land (Curi, Knijnik, and Mascarenhas 2011). Environmental assurances remained unfulfilled.

5 Rio’s Olympic bid promised to finally follow through and clean up Guanabara Bay, which will host the sailing competition, and of the Lagoa Rodrigo de Freitas, which will be home to rowing, canoeing, and kayaking. And bidders declared that two sanitation programs—at Barra-Jacarepaguá in western Rio and at Guanabara Bay in the east— would “result in more than 80% of overall sewage collected and treated by 2016” (Rio 2016, 2009, Vol. 1, 97). However, as the Games neared, it became clear that these ambitious projects were not on pace. In April 2015 around forty tons of dead fish mysteriously appeared at Lagoa Rodrigo de Freitas. This followed two months after a similar calamity in Guanabara Bay where another massive fish die-off occurred (Wade 2015). Rio Governor Luiz Fernando Pezão stunned many when he publicly pushed back the estimated finish date for Guanabara Bay’s cleanup from 2016 to 2035 (Barchfield 2015). 6 Given the inability to solve the environmental woes of Guanabara Bay, some suggested transferring the sailing competition to Buzios, approximately 150 kilometers from Rio. A number of Olympic committees, including from the US, supported the move, but they were rebuffed by Games organizers (Dolzan 2015). In light of the ever-changing dynamics, the World Sailing Federation forged a Flexibility Plan to reduce the risks for athletes (Estado de São Paulo, 2016). 7 Olympic organizers also broke their promises related to tree planting. To offset carbon emissions, Rio 2016 pledged to plant 24 million trees by 2016 (Rio 2016, 2009, Vol. 1, 33). Carlos Minc, the State of Rio de Janeiro’s Secretary for the Environment, escalated the promise to 34 million trees (Konchinski 2015). However, the “Rio 2016 Sustainability Report” issued in 2014 conspicuously made no mention of the tree-planting initiative. Instead, Rio organizers heralded the launch of its “Embrace Sustainability” program, with Dow—the “official chemistry company of the Olympic Games”—the program’s inaugural member (Rio 2016 Organizing Committee 2014). By Spring 2015, environmental officials admitted that only 5.5 million trees had been planted and that Rio 2016 was on track to plant only around 8 million trees before the Games commenced, merely a third of the 24 million enumerated in the bid and less than a quarter of Minc’s promise (Konchinski 2015). 8 The Olympic golf course also raised environmental questions. Golf was returning to the Olympics after a 112-year hiatus. This development was widely welcomed by Rio 2016 project managers, which was no surprise, considering that the city has been governed by urban entrepreneurialism for the past two decades (Harvey 2011; Vainer 2000; Mascarenhas 2011). This urban management model is notable for its ‘market-friendly’ attitudes and for public policies—like public-private partnerships—that aggressively attract and enable private investment. The construction of Rio’s Olympic golf course is

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a classic example of such public-private partnerships, configured alongside real-estate interests and tailored to meet their needs. The sport of golf implies a particular social status that chimes with these class interests. Conveniently, golf also demands significant chunks of quiet green space; this, in turn, enhances real-estate values (Bale 1993). 9 Building a new golf course for the Olympics was optional. Rio already has two elite courses—Gávea Golf Club and Itanhangá Golf Club—that have staged major tournaments. In fact, Rio Olympic bidders touted this history (Rio 2016, 2009, Vol. 2, 165). One could fathom renovating one of the existing courses to meet Olympic standards. But Rio’s Olympic Delivery Authority claimed Gávea Golf Club lacked the space to expand and Itanhangá Golf Club did not have necessary drainage and irrigation. Olympic officials argued that fixing up Itanhangá would have been just as costly as building a brand new course (Autoridade Pública Olímpica 2015). 10 Olympic organizers were fortunate to have numerous potential locations to choose from for the new golf course, including inside the Deodoro Olympic area situated inside a working-class suburb of Rio. But the new course was instead built in Barra da Tijuca, a wealthy western suburb that doubles as a high-end real-estate zone. The goal was clear: to maximize profits. To pull this off, Rio Mayor Rio Eduardo Paes hatched an audacious political maneuver made easier by the Olympic state of exception. In an emergency session just before Christmas 2012, Paes shepherded to passage a seemingly innocuous “Complementary Law 125” that was full of dubious maneuvers including the circumvention of environmental impact reports and the sidestepping of cumbersome public hearings. Beyond this, Mayor Paes orchestrated a massive real-estate deal that looked like a pretext for land speculation: private developers covered the cost of the golf course’s construction in exchange for the right to build 140 luxury apartments around the course and garner all the profits from their sale (Hodges 2014). 11 The golf course’s location was also controversial. Again, environmental issues were downplayed. The course overlapped Marapendi Nature Reserve, an ecologically sensitive area protected by law since 1959 that was home to numerous threatened species. In building the course, vegetation and natural habitat was decimated. This sparked intense resistance from activist groups like “Golfe Para Quem?” (“Golf For Whom?”) and “Ocupa Golfe” (“Occupy Golf”). The groups brought together biologists and environmental lawyers to rally alongside street activists to try to halt the construction. The government heavily repressed the movement and the project proceeded apace. The entire episode clanged dissonantly against Rio 2016’s proclaimed environmental ethos and the specific ecological promises it laid out in its Olympic bid (Boykoff 2016). 12 To be sure, the Olympics have jumpstarted some positive environmental developments. The extension of the Metro—known as Linha 4—will ease travel between the notorious stretch of snarled traffic between the tourist-friendly Zona Sul and the Olympic epicenter in Barra da Tijuca. Although construction is woefully behind schedule, after the Games, Linha 4 will remain in place for cariocas to use—part of a “sustainable transport legacy” (Rio 2016, 2009, Vol. 3, p. 97). The introduction of VLT transport system (tramway), with electric low-noise vehicles is also positive. Yet, a road-oriented, high-polluting urban policy, remains in place, including through the BRT system, the city’s main mobility project.

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Conclusion

13 The 2016 Rio Olympics bring into sharp focus the gap between environmental word and deed. While the UN’s recent environmental plan (2015, 10)—“Transforming Our World: the 2030 Agenda for Sustainable Development”—asserts that “Sport is…an important enabler of sustainable development,” we have seen that the IOC—a close UN ally—has allowed sport to enable greenwashing. In Rio, green branding has trumped material environmental change. Neither Guanabara Bay, nor the local lakes and rivers have been decontaminated to the degree promised. By March 2015, the Brazilian press reported that none of the major environmental projects related to the Olympics would be finished before the Games began (Konchinski 2016).

14 An academic consensus has emerged that in practice, sports mega-events like the Olympic Games are not sustainability enhancers, despite the rhetoric emerging from the IOC and local organizing committees. Hosting the Olympics does not automatically translate into positive environmental legacies after the event. As John Karamichas (2013, 203) asserts, “no causality was identified between Olympic Games hosting and improvements in the EM [ecological modernization] capacity of the host nation.” Environmental accountability is seriously lacking. Even in a place like Rio, with its rich history of environmental concern, a gaping chasm exists between green rhetoric and reality.

BIBLIOGRAPHY

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AUTHORS

JULES BOYKOFF

Professor in political science at Pacific University in Oregon. boykoffatpacificu.edu

GILMAR MASCARENHAS

Associate professor in urban geography of the State University of Rio de Janeiro, ETTERN-IPPUR/ UFRJ. Leader of Research Group "Cities and Sports Mega-events". gilmasc2001atyahoo.com.br

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Mondialisation et méga-événements à Rio de Janeiro : quand les enjeux de sécurité et d’urbanisation développent les logiques de marché dans les favelas

Justine Ninnin, Alba Zaluar and Christovam Barcellos

Introduction

1 A Rio de Janeiro, l’accueil des méga-événements participe à la fabrique actuelle de la ville, en imposant à la municipalité de repenser la politique de sécurité et la planification urbaine. Ainsi, la Coupe du Monde de 2014 et les Jeux Olympiques de 2016 provoquent et accélèrent les mutations urbaines. Dans un contexte de valorisation de l’image de marque de la ville, les favelas sont au cœur des actions publiques : elles doivent être mises en valeur à la fois en préservant leurs architectures vernaculaires, en les urbanisant, en les sécurisant et en les régularisant.

2 Longtemps stigmatisées et considérées comme un « problème urbain », les favelas sont devenues, après plus d’un siècle d’existence, un élément incorporé au paysage carioca : elles sont bel et bien des expressions de la ville et habiter la favela est une manière de vivre en ville à Rio de Janeiro. Son nom a même changé parce que de plus en plus la favela est appelée « communauté ». Les plus proches du centre-ville, de l’aéroport, du port et des routes prèsdes nouveaux espaces olympiques font aujourd’hui l’objet de politiques dans le domaine de la sécurité, des aménagements urbains et du développement socio-économique. Si les actions de développement urbain bénéficient à toute une partie de la population qui voit ses conditions de vie s’améliorer, d’autres n’en profitent pas, voire en pâtissent. Rio de Janeiro est une ville singulière : elle ne grandit et ne se diversifie pas selon une dynamique centre/ périphérie mais plutôtentre

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littoral/ intérieur, ayant plus de mille favelas distribuées dans tous ses quartiers, même les plus aisés.

Logique de marché et manque de participation de la population dans la planification urbaine

3 Alors que les pouvoirs publics affirment la mise en place de démarches dites participatives, le poids de la société civile dans les politiques de développement urbain reste limité. Certains acteurs privés connectés à des réseaux politico-économiques exercent d’importantes pressions sur la planification urbaine, ce qui limite l’influence des habitants sur la politique de la ville. La difficulté de mettre en place une réelle participation est en effet due en partie au pouvoir incontestable de l’élite économique etsouligne la difficulté de faire émerger un consensus, même partiel. Pour qualifier le primat de l’urbanisation « de marché » dans les villes en général, François Ascher(2001) parle d’« urbanisation ad hoc » qui soumet la politique urbaine aux intérêts privés du marché. Selon l’auteur, on est passé d’un urbanisme moderne, qui tentait de répondre à l’intérêt général à un urbanisme postmoderne qui répond de moins en moins à l’intérêt collectif face à la multiplication et la fragmentation des acteurs et des intérêts. C’est justement le manque de consensus concernant les besoins d’aménagements qui crée certaines tensions entre les diverses forces et mouvements de la société civile, le secteur privé et les pouvoirs publics. Ceci n’est pas spécifique à cette ville, car comme le souligne David Harvey, l’urbanisation a régulièrement produit de l’exclusion : « dès leur origine, les villes se sont bâties grâce aux concentrations géographiques et sociales de surproduit. L’urbanisation a donc toujours été, en un sens, un phénomène de classe. » (Harvey, 2011, pp. 9-10). Les populations pauvres sont peu présentes dans le débat global sur le modèle de ville que l’on cherche à construire et la place des citoyens dans les prises de décisions est d’autant plus restreinte par le contexte d’urgence lié à l’accueil des méga-événements qui nécessite une transformation rapide de la ville, de ses infrastructures, équipements et services.

4 Les favelas sont historiquement situées dans des zones abandonnées de la ville, des vides urbains, ou des zones à risque, et donc déconsidérées par rapport au reste de la ville, qui est curieusement désignée comme « l'asphalte ». Les investissements de l'Etat, même limités à certaines favelas de la ville, produisent un différentiel de revenu,exploitépar les spéculateurslocaux et servent des revenus indirects (Harvey, 2011). En outre, ce marché est régulé par des structures de pouvoir local, en complément, mais pas en contradiction avec les règles en vigueur dans la ville (Magalhães, 2012). 5 En s'inscrivant dans une stratégie d’accueil des méga-événements, Rio de Janeiro cherche à s’intégrer dans un réseau international de villes. Les aménagements urbains entrent dans une logique d’attraction des entreprises et des capitaux.La ville était considérée en décadence à partir du transfert de la capitale fédérale pour Brasília en 1960 mais aussi à cause du processus de désindustrialisation et de la montée de la violence urbaine dans les années 1980. L’une des stratégiesde la municipalité pour regagner de la croissance économique est de devenir une référence dans l’accueil de méga-événements : des événements sportifs, mais aussi religieux (e.g. les Journées Mondiales de la Jeunesse en 2013), festifs (e.g., le réveillon et le Carnaval) et politiques (e.g., la conférence des Nations Unies « Rio + 20 » en 2012). Ces méga-événements

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constituent pour la ville un formidable outil de communication à l’échelle planétaire, les investissements dans l'aménagement urbain ont alors une portée symbolique et politique.Les méga-événements apparaissent régulièrement comme de « véritables catalyseurs des mutations urbaines qu’ils provoquent ou accélèrent » (Holz, 2011, p. 73). 6 Les favelas se trouvent au cœur des actions publiques, car elles témoignent d’un certain désordre urbain découlant de l’incapacité des pouvoirs publics à répondre efficacement aussi bien au problème de sécurité qu’à celui de la croissance de sa population. Elles sont un défi pour l’organisation de la ville, du fait de leur précarité, de leur illégalité ou de leur informalité, mais aussi parce qu’une partie d’entre elles empiètent sur des espaces naturels, détériorant certains sites protégés et produisant de réelles menaces pour leurs habitants (inondations, éboulements de terrain, etc.). De plus, en raison de l’image d’insécurité qu’elles véhiculent, les favelas situées à proximité des zones touristiques sont pointées du doigt comme des obstacles à l’attractivité de la ville. Comment remettre sur le marché des terrains longtemps dévalorisés alors qu’ils ont des atouts importants du fait de leur localisation ? C’est notammentau moyend'actions territorialisées de sécurisation et d’urbanisation que les pouvoirs publics cherchent à intégrer ces espaces dans la ville formelle. La politique dite de « pacification » va dans ce sens, en mettant en place une police dite « communautaire » : les Unités de Police de Pacification (UPP), accompagnée d’aménagements urbains et de programmes de développement socio-économique. 7 Globalement, les actions publiques ne sont pas mises en œuvre de manière homogène sur l’ensemble du territoire carioca et concernent le plus souvent des territoires stratégiques et symboliques de la ville et certains espaces restent à l’écart de ces projets (Bautès N. & Soares Gonçalves R., 2011).

Les déplacements de population

8 Si une grande partie des déplacements de population provenant de quartiers d’habitats précaires est liée aux risques environnementaux (éboulement, inondation etc.), l’organisation des méga-événements et le besoin d’espace pour les aménagements urbains ont également intensifié le déplacement d’habitants, qui sont alors relogés dans des logements sociaux ou indemnisés, soulevant de nombreuses polémiques et controverses. En effet, de nombreuses organisations ont réussi à se mobiliser afin de dénoncer des déplacements qu’ils considèrent comme forcés, abusifs et violents, que ce soit par le caractère précipité des procédures, l’usage de la force ou la violence psychologique liée au fait de devoir renoncer à son lieu d’habitation. Selon les données du Comitê Popular da Copa e Olimpíadas do Rio de Janeiro(2014), 4 772 familles auraient été déplacées entre 2010 et 2014 à Rio de Janeiro, ces données étant toutefois à utiliser avec précaution sachant qu’il manque un certain nombre d’informations comme les déménagements dûs aux éboulements ou aux inondations.

9 Une autre forme de déplacement de population, plus insidieuse, résulte directement des logiques de marché qui sous-tendent les politiques urbaines. Pacifier, urbaniser et régulariser les favelas deviennent des instruments de valorisation qui permettent au marché de jouer pleinement dans ces espaces. On peut faire l’hypothèse que cette logique de marché ouvre à une partie des habitants de ces favelas de nouvelles opportunités, mais qu’à l’inverse, elle laisse de côté tous ceux qui ne peuvent pas faire

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face à la spéculation et sont contraints de déménager :en effet, en créant de nouvelles opportunités économiques, la régularisationdes favelas se traduit par une augmentation générale du coût de la vie pour leurs habitants (électricité, impôts sur la propriété foncière,), spéculation immobilière, hausse des loyers, hausse des prix des commerces, etc.). Plus les favelas se sécurisent, s’urbanisent et se régularisent, plus elles se valorisent et attirent un nouveau profil de population. 10 Certains chercheurs comme Michael Chétry et Jean Legroux (2014) vont jusqu’à parler de la permanence d’une logique ségrégationniste des pouvoirs publics envers les populations à bas revenus, qui s’ancrent dans une approche politique ambigüe envers les favelas oscillant entre éradication et intégration. Toutefois, si la compétition pour l’espace est indéniable et pénalise toute une partie de la population en situation précaire (faible indemnisation, relogement excentré, etc.), l’usage du terme de ségrégation apparaît toutefois trop radical puisqu’il laisse supposer que les pouvoirs publics imposeraient un lieu aux populations à bas revenus. Or, le marché agit plus comme un acteur autoritaire que l’État.La ségrégation laisse imaginer l’existence de limites nettes entre les espaces suivant leur composition socio-économique, or les frontières sont loin d’être imperméables. Cette compétition pour l’espace souligne combien l’espace urbain est un territoire de conflits et de contestation. Aussi, les conflits dans ces territoires sont tout autant le produit d’acteurs extérieurs exerçant des pressions (politiciens, promoteurs immobiliers, pouvoirs publics, etc.) que d’acteurs locaux appartenant à des catégories plus aisées.

Méga-événements : quels bénéfices pour la population ?

11 L’accueil des méga-événements serait une source d’importants profits économiques, par leur capacité à attirer des capitaux privés et permettrait aussi un renouveau urbain qui pourrait engendrer des retombées électorales. Les aménagements réalisés doivent correspondre aussi bien aux besoins liés à ces évènements qu’à ceux plus globaux de la ville (Holz, 2011). Ainsi, l’héritage des méga-événements est tout autant matériel (infrastructures, équipements), qu’économique et social. Ils participent àla création de nouvelles conditions de production, de circulation et de consommation qui profitent à de nombreux citoyens, notamment à certains habitants de favelas.

12 Malgré un discours qui prône le recours au marché pour financer cette rénovation urbaine, on constate que les différents travaux mobilisent d’importants fonds publics. Or une partie de ces travaux n’a pas d’impact direct sur l’amélioration des conditions de vie de la population et certains investissements sont qualifiés « d’éléphants blancs », les dépenses étant supérieures aux bénéfices attendus, en particulier pour certains stades dont la construction et l’entretien sont excessivement coûteux (Moussavi J., 2014 ; Matheson VA & Baade R.A., 2004). De plus, les profits réalisés dans le cadre des méga- événementssont souventfacilités par un assouplissement des mesures législatives. Ce régime d’exception bénéficie tout autant aux organisateurs internationaux et locaux, qu’aux entreprises du bâtiment, de l’immobilier, des travaux publics et aux pouvoirs publics. On constate notamment que l’essentiel des travaux est confié à un petit nombre d’entreprises (OAS, Odebrecht, Camargo Corrêa et Andrade Gutierrez) qui ont participé au financement des campagnes électorales et sont impliquées dans de récents scandales de corruption.

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13 Les sommes impressionnantes investies par l’État dans l’organisation des méga- événements posent donc question en termes de priorités, multipliant les mécontentements et les tensions sociales. L’accueil de méga-événements apparaît alors comme un cadre propice aux revendications concernant les droits de l’homme, comme ce fut le cas dernièrement en Afrique du Sud lors de la Coupe du Monde de Football en 2010, ou en Chine lorsdes Jeux Olympiques de 2008. 14 L’autre question qui concerne la population est celle de la violence. Un grand effort a été fait ces dernières années pour assurer la sécurité dans certaines zones de la ville qui seront utilisées pendant les Jeux Olympiques. La carte ci-dessous montre la répartition des favelas, les zones destinées pour les Jeux Olympiques ainsi que la densité de mortalité par homicide.

Figure 1: Zones destinées aux Jeux Olympiques à Rio et les principaux conflits entre groupes armés

Densité des homicides selon l'Institut de Securité Publique (ISP) ; Domaines armés et mouvements d'occupation des favelas d'après Barcellos, Christovam et Zaluar, Alba, Homicides and territorial struggles in Rio de Janeiro favelas, Rev. Saúde Pública. 2014, vol. 48, n°1, p.94-102. Alba Zaluar et Christovam Barcellos

15 Notre recherche a montré que les tirs, les conflits armés, les taux d’homicides ont été vraiment réduits avec la nouvelle politique des UPP. Mais la mise en œuvre du programme a été trop rapide pour inclure un plus grand nombre de favelas. Le résultat est que les policiers militaires ont répété les mêmes erreurs antérieures dans la répression armée des trafiquants qui sont eux-mêmes lourdement armés et qui multiplient les échanges de tirs pour garder ou prendre le contrôle de points de vente de drogue. Le contrôle par la force des narcotrafiquants et la violence qui en découle a perduré après l’implantation des UPP mais les confrontations armées continuent plutôt autour qu’à l’intérieur même de certaines favelas de Rio de Janeiro. Les taux d’homicide ont diminué jusqu'en 2014 puis ils ont augmenté surtout dans les régions périphériques pauvres plus proches de la baie et de l’aéroport. Dans ce contexte, les habitants sont déçus et divisés parce que la majorité ne veut ni du contrôle armé des trafiquants ni des

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tirs des policiers et ils attendent encore les programmes éducatifs, culturels et sportifs que le gouvernement a promis.

16 Malgré la violence qui découle des différentes formes de contrôle armé des favelas, elles restent le terreau de projets communautaires éducatifs, culturels et fédérateurs. La diversité et la richesse de ces espaces sont source de curiosité qui amène de plus en plus de touristes à les visiter. C’est pourquoi l’enjeu de la sécurité est primordial principalement dans une période comme celle des Jeux Olympiques, où des milliers de touristes vont arpenter la ville. Dans ce sens, les Jeux Olympiques constituent un défie en plus pour la ville, ni le premier ni le dernier que les citoyens doivent faire face.

BIBLIOGRAPHY

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Magalhães, Alex Ferreira, « O direito à cidade nas favelas do Rio de Janeiro: conclusões, hipóteses e questões oriundas de uma pesquisa », Cadernos da Metrópole, Vol. 14, no 28, 2012. P. 381-413.

Matheson, Victor et Baade, Robert, “Mega-sporting events in developing nations: playing the way to prosperity?”, South African Journal of Economics, vol. 75. no 5, 2004, p. 1085-1096.

Moussavi, Julien, « Coupe du Monde de la FIFA 2014 au Brésil : est-ce vraiment rentable ? », BSI- economics, 5 juin 2014, http://www.bsi-economics.org/372-coupe-du-monde-fifa-2014-bresil- rentable. Page consultée le 10 juin 2016.

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AUTHORS

JUSTINE NINNIN

UMR Prodig, École doctorale de géographie de Paris, Université Paris 1

ALBA ZALUAR

Instituto de Estudos Sociais e Políticos (IESP), Universidade do Estado do Rio de Janeiro

CHRISTOVAM BARCELLOS

Fundação Oswaldo Cruz (Fiocruz)

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La « reconquête » des favelas et les J.O. de Rio

Hervé Théry

Introduction

1 Depuis des années, les pouvoirs publics avaient pratiquement renoncé à exercer leur autorité dans les favelas de Rio et à y assurer les services que l’on pourrait attendre de la deuxième ville du Brésil, la vitrine offerte au monde, notamment aux touristes qui y affluent et, cette année, l'accueil des Jeux Olympiques. Le narcotrafic y avait si bien prospéré que c’étaient de fait ses chefs qui y faisaient régner l’ordre nécessaire à la bonne marche de leur commerce de drogues, « protégeaient » les commerçants en échange d’une contribution financière, et tenaient leurs habitants par un mélange de menace et de distribution de petits services, pour s’assurer leur bienveillance ou au moins leur silence. Pourquoi en ont-ils entrepris la « reconquête » ?

Les favelas et la ville

2 Cest que les favelas représentent une part croissante de la population de la ville. En vingt ans, entre 1991 et 2010, la populationde cesbidonvillesest passée d'un peu moins de 900 000 àprès d'un million et demi d'habitants, uneaugmentationde plus de 65 %. Les favelas du sud et du centre de la ville, enclavées dans des zones urbaines consolidées, ne peuvent plus s’étendre, mais leur population continue à croître, par la construction de nouveaux étages au-dessus des logements précédents, non sans risque puisque les maisons, construites sans architecte sur des terrains en pente, ne supportent pas toujours ces surcharges. Dans la zone ouest de Rio, elles se sont en revanche beaucoup étendues en conquérant de nouveaux espaces, ce qui a eu de forts impacts sur l’environnement, notamment dans le parc national de Tijuca, la plus grande forêt urbaine au monde.

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3 Au total, les favelas ont ainsi vu leur part dans la population de la ville (6,5 millionsd'habitants, 12 millions dans l'agglomération urbaine au recensement de 2010, le dernier en date) passer d’un peu moins de 10 % en 1960 à 22 % en 2010. La population des favelas progresse beaucoup plus vite que celle des quartiers de l’« asphalte », pour reprendre la façon dont les habitants appellent le reste de la ville.

Population des favelas par AP (zones de planification) 1991-2010

1991 2000 2010 % Variation 2000-2010

en favela en favelas hors favelas

Total 882 483 1 092 476 1 443 773 23 19 5

AP 1 - Centro 85 182 76 787 28 060 27 28 4

AP 2 - Zona Sul 127 104 146 538 58 305 33 15 -1

AP 3 - Zona Norte 480 524 544 737 149 014 23 11 -1

AP 4 - Barra/Jacarepaguá 72 182 144 394 13 310 6 53 28

AP 5 - Zona Oeste 117 491 180 020 34 369 13 15 8

Source : Estimation IPP à partir du recensement IBGE de 2010

Les six plus grandes favelas en 2010

Favelas AP* Domiciles Population

Rocinha 2 23 347 69 156

Maré 3 20 897 64 056

Rio das Pedras 4 22 131 63 453

Alemão 3 18 226 60 555

FazendaCoqueiro 5 14 266 45 366

Vila Cruzeiro 3 9 791 35 971

Source : Estimation IPP à partir du recensement IBGE de 2010 *Aire de planifcation.

4 Parmi les nouvelles favelas, un tiers se sont installés dans les régions de Barra da Tijuca et Jacarepaguá, proches des sites olympiques. La croissance y a été rapide, avec des taux de 7,5 % par an à Jacarepaguá et de près de 10 % à Barra da Tijuca, presque six fois plus vite qu’au cours de la période précédente. À ce rythme, la majorité de la population de Jacarepaguá vivra dans les favelasen 2024.

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Les premières grandes opérations

5 Cette situation a été une des raisons majeures du lancement d’une opération de « reconquête » des favelas de Rio de Janeiro. Ce mot a été utilisé pour caractériser ce qu’a connu la ville dans les derniers jours de novembre 2010, de véritables scènes de guerre entre les forces de sécurité brésiliennes et des centaines de trafiquants de drogue retranchés dans le complexe de favelas de la Vila Cruzeiro et du Complexo do Alemão. Les premières ont lancé un véritable assaut dans ce groupe de bidonvilles, au cours duquel au moins quarante personnes ont été tuées. La presse suivant de très près les troupes de choc, des images spectaculaires ont été aussitôt publiées, comme, par exemple, celles que l’on peut encore voir sur le site du Boston Globe, The Big Picture 1.Le journal O Dia du 29 novembre 2011 racontait : « La police brésilienne a hissé le 28 novembre, en signe de victoire, le drapeau national au sommet d’un bastion de narcotrafiquants situé dans le nord de Rio. En l’espace de deux heures, quelque 2 600 hommes, parachutistes et troupes de choc de la police, appuyés par des blindés et des hélicoptères, ont pris le contrôle du Complexo do Alemão, un ensemble de quinze favelas dans lequel vivent 400 000 personnes » et conclut : « Il s’agit d’une journée historique pour les honnêtes citoyens de Rio. »

6 Peu après, les télévisions et les quotidiens, les grands hebdomadaires brésiliens et étrangers ont publié des reportages-choc, comme L’Express, qui titrait « Scènes de guerre à Rio : la police reprend une favela avec des blindés », Le Point « Les blindés investissent les favelas à Rio de Janeiro ». Paris-Match, sous le titre « De violents combats entre trafiquants et policiers dans les favelas de Rio de Janeiro ont fait un mort et une dizaine de blessés » écrivait : « Le calme est semble-t-il revenu dans les favelas du nord de Rio. Le renfort de 4 500 hommes n’aura pas été de trop pour maîtriser une situation explosive […] La municipalité, qui accueillera successivement le Mondial de football en 2014 et les Jeux olympiques d’été en 2016, a tenu à rassurer sur sa capacité à contrôler les violences afin d’assurer la sécurité de ces deux évènements planétaires. » Et le journaliste cite José Beltrame, secrétaire à la Sécurité de l’État de Rio : « “C’est un problème d’une région, dans un quartier bien précis de la ville. Ce n’est pas Rio de Janeiro” »

Une occupation en trompe-l’œil ?

7 Après l’occupation de Vila Cruzeiro, et du Complexo do Alemão, le ministre de la Défense, NelsonJobim, avait déclaré : « Cela montre que le Brésil a le sens de la responsabilité et qu’il est capable de résoudre ses problèmes avant de recevoir de grands événements ». En réalité, la police et les militaires étaient entrés dans le Complexo do Alemão sans grande résistance. Pour les narcotrafiquants, tenter de résister vraiment aurait été un suicide, faisant de nombreux morts parmi les bandits, les militaires mais aussi les résidents pris dans les échanges des tirs. Des tonnes de drogue ont été saisies, des trafiquants ont été arrêtés, des armes légères confisquées, mais peu de chose par rapport à l’arsenal des bandits, qui avaient même des mitrailleuses anti-aériennes, comme s’en sont rendus compte plusieurs fois les hélicoptères de la police.

8 Selon un observateur bien informé, Reinaldo Azevedo, « depuis le début du siège, les forces de sécurité négociaient avec le banditisme. Joseph Jr., de l’ONG AfroReggae, a été

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l’une des personnes qui ont fait le pont. L’occupation n’a été décidée qu’après qu’un accord ait été conclu, il a été établi que les forces de sécurité pourraient “envahir” la zone sans résistance. Les bandits ont accepté de ne pas trop résister et l’État leur a donné le droit de s’échapper ». 9 Cette reconquête était évidemment indispensable et devra se poursuivre dans d’autres favelas de Rio, trop longtemps abandonnées par les pouvoirs locaux. Elle était attendue depuis au moins vingt ans par des habitants otages du trafic de drogue qui ne supportaient plus de voir tous les actes de leur vie quotidienne régis par les trafiquants : les commerçants ont été plusieurs fois sommés de fermer leurs magasins quand un chef de gang était tué dans un règlement de compte, le trafic a progressivement accaparé la distribution du gaz, de l’eau, de l’électricité et l’accès – piraté – à Internet et à la télévision numérique. 10 Mais une fois cette réoccupation acquise, il aurait fallu faire un travail de police approfondi pour arrêter les trafiquants, ce qui n’a pas été fait jusqu’à présent dans les treize bidonvilles pacifiés lors des précédentes opérations. Toujours selon Reinaldo Azevedo, « dans onze d’entre eux, le trafic fonctionne normalement. La logistique a changé, ainsi que le comportement des trafiquants de drogue, des droits minimums sont garantis par la police, mais le commerce de drogues est resté inchangé. Les soldats des trafiquants deviennent inutiles dans les bidonvilles où les UPP (Unités de police de pacification) sont arrivées, ils ont déménagé vers les bidonvilles où les policiers ne sont pas encore présents ». 11 Au-delà de cette opération spectaculaire – et conçue pour l’être –, que peut-on attendre de l’avenir ? La reconquête des favelas par les pouvoirs publics va-t-elle se poursuivre ? 12 Elle s’est déjà prolongée en 2011, où la cible a été la favela de Rocinha, la plus peuplée de Rio. Elle comptait en 2010, selon les données du Recensement, 68 530 habitants, et sa population y a augmenté de 23 % en dix ans. Sa reconquête a commencé le dimanche 13 novembre 2011, menée par la Police militaire de l’État de Rio de Janeiro (PM) et les fusiliers marins. Un an plus tard une Unité de police pacificatrice (UPP) permanente y a été inaugurée avec 700 policiers communautaires spécialement formés, la 28e unité installée dans l’une des 750 favelas de Rio. Comme on ne peut circuler en voiture que dans 20 % de la favela, les policiers patrouillent en moto et à pied dans les quartiers, aidés par cent caméras de surveillance. « La police est ici et va y rester pour toujours », a promis le gouverneur de Rio lors d’une cérémonie tenue au pied de la favela, sous une passerelle blanche conçue par l’architecte de Brasília, Oscar Niemeyer. 13 De nouvelles opérations ont été menées au début du mois d’octobre 2013 dans huit favelas du Complexo do Lins, dans la proche zone nord (proche du quartier de Méier). Puis le dimanche 30 mars 2014, la Police Militaire a occupé, toujours dans la Zone Nord, les bidonvilles du « complexe de Maré », qui compte dans ses quinze favelas un peu moins de 130 000 habitants, pour y installer la 39e UPP de Rio. La région, une des plus violentes de la capitale, est considérée comme stratégique car située entre la LinhaVermelha, la LinhaAmarela et l’Avenida Brasil – les principales artères de la ville – et l’aéroport international Tom Jobim (Galeão). Il n’y a eu aucun affrontement lors de l’occupation, 102 personnes avaient été détenues depuis le 22 mars, quand avaient commencé les préparatifs de l’opération. 14 Une fois encore, les drapeaux du Brésil et de l’État de Rio de Janeiro ont été déployés, symbolisant la reprise du territoire par l’État. Le Secrétaire à la sécurité publique, José Mariano Beltrame, a annoncé le 28 avril 2015 que les prochaines favelas occupées

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seraient Pedreira e Chapadão, Lagartixa et Quitungo, proches du ComplexoEsportivo de Deodoro où auront lieu onze épreuves olympiques des jeux de 2016 et quatre épreuves para-olympiques.

Une stratégie sélective

15 Si l’on reporte les informationssur la carte, on perçoit en effet une claire stratégie territoriale. Les premières UPP ont été créées dans la zone de planification 1 (AP1), aux abords du centre, et dans la zone 2, celle qui couvre la zone sud, riche et touristique. Elles ont été disposées de façon à couvrir chacune une ou plusieurs des petites favelas qui se nichent sur les morros, les mornes tropicaux qui hérissent cette région de relief tourmenté.

La reconquête des favelas de Rio de Janeiro

16 La conquête de la Vila Cruzeiro et du Complexo do Alemão inaugure une nouvelle phase, celle de la reconquête des grands ensembles de favelas de la zone nord, plus plane et plus pauvre, mais d’où l’on accède facilement au centre et qui menace la route vers l’aéroport. Après quoi on a repris le contrôle de la Rocinha, aux confins de la zone 4 ; il restera à finir la récupération de celle-ci, où la croissance rapide des favelas fait de l’ombre aux nouveaux quartiers chics de la Barra da Tijuca. La zone 5, pauvre et lointaine, pourra attendre, l'essentiel sera fait, dégager les accés aux installations olympiqueset éviter que des incidents ne gâchent le bon déroulement des Jeux.

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BIBLIOGRAPHIE

Beyer, Antoine, « L’échéance des Jeux Olympiques de 2016 et les stratégies de restructuration du transport métropolitain de Rio de Janeiro », Confins 12 | 2011, URL : http://confins.revues.org/ 7087 ; DOI : 10.4000/confins.7087

Chetry, Michael, « L’insertion des habitants des favelas de Rio de Janeiro dans la ville : le cas des pratiques de consommation et de loisirs », Confins [13 | 2011, URL : http://confins.revues.org/ 7244 ; DOI : 10.4000/confins.7244

Théry, Hervé, Le Brésil, pays émergé, collection Perspectives géopolitiques, Armand Colin, ISBN : 9782200278281, 2014, 304 p.

NOTES

1. Voir : http://archive.boston.com/bigpicture/2010/11/rios_drug_war.html

AUTEUR

HERVÉ THÉRY

Directeur de recherche émérite au CNRS, Professor visitante na Universidade de Sao Paulo (USP), [email protected]

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Les Jeux Olympiques 2016 et le tourisme à Rio de Janeiro

Celso Castro

1 Le 2 octobre 2009, lorsque Rio fut choisi pour accueillir les Jeux Olympiques de 2016, devançant les villes concurrentes, à savoir Madrid, Tokyo et Chicago, le Brésil a vécu un moment d’euphorie nationale. La ville avait déjà essayé, sans succès, d'accueillir les Jeux Olympiques de 2004 et de 2012. Le pays, un des BRICS, de plus en plus important sur la scène mondiale, arrivait aussi, petit à petit, à résoudre des problèmes économiques et sociaux de longue durée. Je me rappelle que ce jour-là, une dame qui venait faire la cuisine une fois par semaine à la maison, me dit d’avoir la certitude de la réussite brésilienne : “Regarde bien ces trois là-bas – qu’est-ce qu’ils sont fameux!”, dit- elle, en pointant vers la télévision au moment où il y apparaît le président Lula, Pelé et Paulo Coelho. Dans la politique, dans l’économie, dans le sport et dans la culture, le Brésil était en vogue.

2 Le dernier membre de la délégation brésilienne à parler avant l’annonce de la décision fut le président Lula. Son discours indiqua nettement les principales images de soi que le pays voulait transmettre. Lula mentionna le Brésil en tant que pays formé par des gens de tous les continents, “fiers de leurs origines, et plus fiers encore de se sentir brésiliens. Nous ne sommes pas seulement un peuple mélangé, mais un peuple qui aime beaucoup son mélange; c’est la source de notre identité”1. Ensuite, il revendiqua les Jeux Olympiques pour le pays dans ces termes: “Je le dis tout à fait franchement: notre heure est arrivée! Parmi les dix majeures économies du monde, le Brésil est le seul pays qui n’a jamais accueilli les Jeux Olympiques et Paralympiques. Parmi les pays qui candidatent aujourd’hui, nous sommes le seul qui n’a jamais eu cet honneur. Pour les autres, il ne sera rien que des Jeux Olympiques de plus, pour nous, c’est une chance unique. Elle augmentera notre amour-propre, raffermira les récentes conquêtes, stimulera de nouvelles avancées.” 3 Lula a plaidé cette candidature pas seulement pour le Brésil, mais pour toute l’Amérique du Sud, continent qui n’avait jamais auparavant accueilli les J.O. Il conclut son discours en disant: “Rio est prêt. Ceux qui nous auront donné cette chance ne

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seront pas déçus. Soyez-en certains: les Jeux Olympiques de Rio seront inoubliables, soyez sûrs de la passion, de la joie et de la créativité du peuple brésilien.”

4 Dans une interview aux journalistes étrangers peu après l’annonce du choix de Rio, Lula, euphorique, a dit: “Ce pays a besoin d’une chance au XXI siècle, qu’il n’a pas eue au XXe. [...] C’est le jour de célébrer, parce que je me dis que le Brésil est sorti de son sort de pays de deuxième classe. Du respect, c’est bon, nous en donnons et nous aimons en recevoir. Et, aujourd’hui, nous recevons le respect que les gens ont commencé à avoir pour le Brésil. […] Je vous avoue que si je meurs maintenant, la vie aura déjà valu la peine d’être vécue. Puisque Rio de Janeiro et le Brésil ont prouvé au monde que nous avons conquis une citoyenneté absolue, réellement absolue. Personne ne doute maintenant de notre grandeur économique, de notre grandeur sociale, de notre capacité de présenter un programme […].” 5 Remarquons qu’un peu plus d’un an après cet événement, Lula a fini son deuxième mandat à la présidence avec plus de 80% d’avis positifs de l’opinion publique, la plus grande proportion jamais obtenue parmi tous les présidents brésiliens – ce qui a favorisé la réussite de son successeur, Dilma Rousseff, actuellement dans son deuxième mandat.

6 Six années et demie se sont passées depuis lors, et le scénario pour le Brésil ne pourrait être plus sombre. Au matin du 3 mai, alors que j’écris ce texte, la présidente Dilma reçoit la flamme olympique et allume la torche, lors d’une cérémonie solennelle au Palais du Planalto, à Brasilia. Dans un court discours, Dilma dit que la flamme olympique va “illuminer la vision d’un pays hospitalier”. Elle a, ensuite, mentionné l’instabilité politique vécue par le pays, qu’elle définit comme “une période très difficile, vraiment critique de l’histoire de la démocratie”, affirmant toutefois que le Brésil saura offrir une réception magnifique aux athlètes et aux visiteurs.2 7 Le 5 août, jour de la cérémonie d’ouverture des Jeux, son procès d’impeachment ayant été validé par le Sénat Fédéral, elle sera donc éloignée de la présidence 180 jours durant, en attendant le jugement définitif. La crise politique immobilise le gouvernement depuis plusieurs mois, et les dénonciations de corruption au sein de l’appareil de l’État se succèdent à une vitesse vertigineuse. Il existe déjà d’innombrables condamnations en Justice. 8 En ce qui concerne l’économie, les choses ne vont pas mieux. Le Brésil vit sa deuxième année de récession, qui se prolongera peut-être par une autre année encore, soit la plus longue récession de son histoire. Le moustique Aedes aegypti contribue à ce sombre tableau en étant responsable d’épidémies de maladies comme la zika, la dengue et la chikungunya. Même si les mois d’août et septembre, quand les Jeux auront lieu, sont historiquement des mois de plus faible incidence de ces maladies, l’image d’un lieu insalubre s’est déjà répandue chez les visiteurs potentiels. Cette image a été renforcée, encore récemment, par un essor de grippe causé par le virus H1N1. Le pays vit, enfin, une augmentation de la criminalité et de la violence de la Police, en plus d’une nouveauté pour le Brésil: les soucis au sujet d’une éventuelle action du terrorisme international pendant les Jeux. 9 Une dernière série d'interrogations concerne le fait que plusieurs travaux publics prévus pour les Jeux Olympiques ont pris du retard, et ne seront inaugurés – si cela arrive – qu’au dernier moment. Le maire de Rio, Eduardo Paes, élu en 2008 et re-élu en 2012 (avec l’appui du PT, parti de Lula) a critiqué la “mauvaise humeur” des pessimistes et a dit qu’il n’y a “que de petits détails” qui manquent. Cet optimisme du maire fut

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durement atteint le 21 avril dernier, jour férié national, par une vague géante qui a détruit une partie de la voie cyclable récemment inaugurée sur la fameuse avenue Niemeyer, construite sur la mer et faisant partie de l’héritage olympique; deux cyclistes qui y passaient à ce moment ont été tués. 10 Nature et culture semblent, ainsi, conspirer contre le succès des Jeux Olympiques.

*

11 Officiellement, le Ministère du Tourisme considère 2016 comme “l’Année olympique pour le tourisme” sur tout le territoire brésilien. Malgré le fait que les Jeux Olympiques et Paralympiques soient concentrés à Rio, le relais de la flamme olympique passera par plus de 300 villes brésiliennes, par toutes les unités de la fédération, en commençant par Brasilia, le 3 mai. L’un des directeurs du Ministère du Tourisme souligne le fait que “les J.O. n’appartiennent pas seulement à Rio, mais à la totalité du peuple brésilien, qui va montrer ce qu’il a de meilleur. Le passage de la flamme olympique sera un moment décisif pour exposer au monde la variété et la beauté de nos destinations touristiques”. À la même époque, le Ministre du Tourisme3 a rappelé, dans une interview, d’anciens événements, comme Rio+20, la Journée Mondiale de la Jeunesse et la Coupe du Monde comme des évidences du savoir-faire brésilien pour l’organisation réussie des événements de grande portée (« megaeventos » selon les brésiliens). Il a dit également que les Jeux pourraient aider le Brésil à surmonter la crise économique et à placer le pays dans la wish list des principaux émetteurs de touristes du monde: “Le Brésil doit recevoir jusqu’à 500 000 touristes étrangers pendant la période des Jeux Olympiques et Paralympiques. Il est important de mettre en évidence qu’au- delà de l’attraction de touristes internationaux, les événements de grande portée exposent le Brésil au marché mondial. Les compétitions ont une fin, mais le gain de l’image reste. Il ne faut pas oublier que nous aurons, selon le Comité Olympique International, 25 mille professionnels de la communication en train de projeter des images du Brésil pour le monde entier.”4 12 Le résultat économique potentiel des Jeux doit être relativisé. Au cours de l’année de la Coupe du Monde au Brésil (2014), le pays a ainsi reçu moins de 6,5 millions de touristes internationaux pour une recette de moins de US$ 7 milliards pour ce secteur. En terme de comparaison latino-américaine, le tourisme au Mexique, pour la même année, avait rapporté US$ 17 milliards de dollars. Cependant, comme le montrent les discours de Lula à l’occasion du choix de Rio et, de nos jours, ceux des principaux gestionnaires du tourisme, il ne s’agit pas seulement d’un "business": ce qui est en jeu sont des images beaucoup plus profondes sur l’importance du tourisme pour l’image de la ville de Rio et, par extension, pour le Brésil, dans la mesure où la ville continue d’être sa destinée touristique principale – la “capitale touristique du Brésil”.

*

13 Dans une perspective plus longue, au delà des aléas de l’actualité, l’histoire du tourisme à Rio aide à mieux comprendre quelques mécanismes symboliques activés à l’occasion des J.O.. Même si elle a cessé d’être la capitale politique du pays depuis 1960, Rio maintient une aura de “capitalité”, d'importance fondamentale en termes symboliques pour le pays. À la manière d’une métonymie, tout au long du XX siècle et même au

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début du XXIe, la ville a joué le rôle d’image de capitale touristique du pays: le “coeur” du Brésil, comme le chante l’hymne officiel de la Ville Merveilleuse.

14 En tant que secteur économique, le tourisme se développe à Rio de Janeiro principalement à partir des années 1920. La “vocation” ou “nature” touristique de Rio, affirmée depuis lors, est, en vérité, un processus de construction historique et culturel qui comprend la création d’un système intégré de signifiés à travers desquels la réalité touristique d’un lieu est établie, entretenue et négociée. Ce système de signifiés s'est modifié au cours du temps, mettant en lumière certains éléments à certaines périodes, tandis que d’autres restent dans l’ombre. Dans les guides de voyages des années 1930, par exemple, sont présentés surtout le Centre-ville et les places; dans ceux d’aujourd’hui, on y découvre surtout la Zone Sud et les plages. 15 Au cours du dernier siècle, toutefois, malgré les changements, quelques représentations sont restées. Premièrement, l'idée que Rio aurait “naturellement” un destin touristique privilégié, grâce à ses beautés naturelles et à la vitalité de sa culture; ce qui reste alors difficile à expliquer, à part la distance vis à vis des principaux centres d’émission de touristes, est pourquoi la ville a toujours occupé, en termes absolus, une position périphérique dans les préférences de voyage, même comparée à d’autres destinations lointaines. Deuxièmement, la supposition que l’activité touristique aurait un grand potentiel économique pour la ville. Troisièmement, l’importance du tourisme pour l’identité même du carioca, l’habitant local – une Ville Merveilleuse (Cidade Maravilhosa) qui doit être admirée. Enfin, ces éléments coexistent avec d’autres représentations négatives, notamment celle d’une ville marquée par de graves problèmes sociaux: la croissance désordonnée, la désorganisation urbaine, le développement intensif des bidonvilles («favelização») et, principalement, la violence. La sensualité et le glamour se transforment aussi souvent en érotisme, et Rio court aussi le risque d’être vu comme un paradis sexuel. 16 Au début du XXIe siècle, les secteurs publics et privés ont réalisé de grands investissements pour mettre Rio de Janeiro dans le circuit des événements de grande portée, tels que des spectacles musicaux, des événements du monde de la mode et des compétitions sportives internationales. Le point d'orgue est venu avec le choix, en 2009, de Rio comme siège des Jeux Olympiques de 2016 après deux décennies d’optimisme en ce qui concerne le Rio touristique. En 2011, la ville est revenue sur tous écrans du monde sur les ailes de l’ara Blu, personnage principal du film Rio. L’intention semble être de remplacer l’image, usée, de paradis tropical par celle de la ville émergente et moderne, riche de diversité culturelle, capable de surmonter le problème de l'insécurité avec la politique de “pacification” des favelas cariocas. 17 Ce qui est aujourd’hui perçu comme “nature touristique” de la ville n’est, par conséquent, qu’un moment dans un long processus toujours inachevé de construction culturelle. Dans l’espace d’un siècle, nous pouvons remarquer l’existence de différentes facettes de la réalité touristique de la ville: le Rio glamour, le Rio exotique, le Rio sensuel, le Rio violent, le Rio plein d’espoir sur l’avenir. Même si, au cours du temps, l’une ou l’autre de ces facettes prédomine, il ne faut pas les voir comme une succession chronologique linéaire. Toutes, dans une certaine mesure, se superposent, devenant des lectures concurrentes de la réalité touristique de la ville. Ce sont toutes, à des moments différents, à des endroits différents, des portraits possibles de Rio de Janeiro. 18 C’est sur ce tableau de fond historique que l’on peut mieux comprendre le mélange de joie et d’appréhension avec lequel Rio reçoit les Jeux Olympiques. Le rêve du Brésil de

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laisser derrière soi l’éternel “pays du futur”, d'acquérir finalement la place de premier plan toujours imaginée par les brésiliens, est menacé par le cauchemar de se présenter une fois de plus comme une “république bananière”. Les Jeux auront, pour le bien et pour le mal, un effet décisif sur l’amour-propre et pour l’image de soi des cariocas et des brésiliens par extension. 19 Malgré cela, comme plusieurs sondages internationaux l’ont déjà rapporté, le brésilien continue à être un des peuples les plus optimistes du monde5. Même si des petits groupes lèvent le mot d’ordre “Il n’y aura pas de JO” (“Não vai ter Olimpíada”),6 ils sont (du moins jusqu’à présent) franchement minoritaires, et probablement, à l’exemple du mouvement “Il n’y aura pas de Coupe”, de 2014, échoueront dans leurs intentions. Malgré la crise – mot omniprésent aujourd’hui dans toutes les dimensions de la vie nationale – il faut s'attendre à ce que finalement, conformément au dicton national selon lequel “Dieu est brésilien”, tout ira bien qui finira bien.

APPENDIXES

Suggestions de lecture : Castro, Celso, “The tourist nature of Rio de Janeiro, Brazil”. Disponible sur http:// www.academia.edu/19936335/The_Tourist_Nature_of_Rio_de_Janeiro Castro, Celso, Guimarães, Valéria Lima, Magalhães, Aline Montenegro (orgs), História do turismo no Brasil, Rio de Janeiro, Ed. FGV, 2013. Oliven, Ruben e Damo, Arlei Samo, “O Brasil no horizonte dos megaeventos esportivos de 2014 e 2016: sua cara, seus sócios e seus negócios”, Horizontes antropológicos, Porto Alegre, ano 19, n° 40, p. 19-63, jul./dez. 2013. Disponible sur http://www.scielo.br/pdf/ ha/v19n40/a02v19n40.pdf

NOTES

1. Discours de Lula – http://www.youtube.com/watch?v=A5zrPRusLcY&feature=related 2. http://oglobo.globo.com/esportes/sem-falar-em-impeachment-dilma-prega-tolerancia-em- cerimonia-da-tocha-19217809#ixzz47bYSEcJB 3. Tous les deux seront probablement écartés de leurs postes pendant les Jeux, dans le cadre de la procédure d’impeachment. 4. Pour les citations ci-dessus, voir le site officiel du Ministère du Tourisme: http:// www.turismo.gov.br 5. Selon l’Institut Ipsos, en octobre le Brésil était à la deuxième place dans le ranking international: http://www.ipsos.com.br/arquivos_download/Ranking_Estadao.pdf 6. Voir, par l’exemple, la communauté sur ce nom au Facebook : https://www.facebook.com/ naovaiterolimpiada/

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AUTHOR

CELSO CASTRO

Professeur de l’Escola de Ciências Sociais da Fundação Getulio Vargas et un des organisateurs de História do turismo no Brasil (Rio de Janeiro, ed. FGV, 2013).

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Éclairages

Le 4 juillet 1776 : Alors et à travers les siècles

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Le 4 juillet 1776 : Alors et à travers les siècles

Bertrand Van Ruymbeke

1 Le 4 juillet 1776, le Congrès Continental, qui se réunit à Philadelphie, en Pennsylvanie, depuis 1774, adopte la Déclaration d’Indépendance. Treize colonies britanniques d’Amérique du Nord, du New Hampshire à la Géorgie, deviennent des « États libres et indépendants ». Mémorable, l’année 1776 se révèle une année pivot. Reprenons les faits.

2 En 1763, à l’issue de la guerre de Sept Ans, la Grande-Bretagne bat les Français et conquiert la Nouvelle-France. Lors des négociations du traité de Paris, elle reçoit aussi la Floride des Espagnols. Désormais seuls maîtres à l’est du Mississippi, les Britanniques réorganisent leur empire nord-américain. Ils créent la province du Québec, dont la limite méridionale pénètre dans le Pays de l’Ohio, au sud des Grands Lacs, et deux provinces en Floride (La Floride Orientale et la Floride Occidentale). Victorieuse mais terriblement endettée, la Grande-Bretagne, qui a besoin de nouvelles ressources financières, met en place, pour la première fois, une taxe fiscale sur les colonies, avec le vote du Stamp Act (1765). Les colons américains ne l’acceptent pas. S’ensuivent une guerre pamphlétaire, des violences à l’encontre des agents de Sa Majesté dans les principales villes portuaires et un boycott des produits britanniques. Première victoire pour les Américains : en 1766 le Parlement abroge le Stamp Act mais vote aussi le Declaratory Act, s’autorisant désormais à légiférer pour les colonies « dans n’importe quel domaine que ce soit ». 3 Après une période de relative accalmie, intervient la Boston Tea Party en décembre 1773. Londres a décidé de sauver de la banqueroute la East India Company, qui finance et organise alors la colonisation de l’Inde, en lui attribuant l’exclusivité du marché nord- américain pour son thé. Un groupe de Bostoniens grimés en Amérindiens jette par- dessus bord la cargaison de thé des navires de la Compagnie ancrés dans la rade. La réaction britannique est brutale : le port de Boston est fermé et la ville occupée militairement. L’intention de Londres est de couper le Massachusetts des autres colonies avec ces mesures ciblées, appelées Lois Coercitives à Londres et Lois Intolérables de l’autre côté de l’Atlantique. Cette stratégie ne fonctionne pas. Les

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colonies restent solidaires. En avril 1775, la guerre éclate et en juin le Congrès nomme le Virginien George Washington commandant en chef des forces américaines. 4 Les six premiers mois de l’année 1776 s’avèrent décisifs. En janvier, le Britannique Thomas Paine, à Philadelphie depuis 1774, publie son Common Sense. Un brûlot anti- monarchique qui rend l’indépendance des colonies non seulement souhaitable mais possible. Progressivement, le sens du mot indépendance ou independency, change de sens. Alors qu’il signifiait jusqu’alors non pas une indépendance vis-à-vis du Parlement mais une dépendance vis-à-vis de la Couronne, il prend son sens d’indépendance vis-à- vis de la métropole. En juin 1776, le Virginien Richard Henry Lee soumet au Congrès une résolution proposant aux Treize Colonies de devenir « des États libres et indépendants ». Une Déclaration d’Indépendance est de suite rédigée, principalement par l’éloquent planteur virginien Thomas Jefferson. Le 4 juillet, le Congrès adopte cette Déclaration dans une version débattue et remaniée. Les Treize Colonies deviennent les États-Unis d’Amérique. Toute négociation avec Londres est désormais exclue, un point de non-retour a été atteint. 5 Le dossier que nous présentons ici se propose d’étudier tout d’abord l’impact de cet événement auprès des Amérindiens et dans les colonies hispano-américaines. Puis un troisième article analyse comment et dans quels contextes, les Américains ont commémoré ce moment d’indépendance à la fois en 1876, 1976 et 2016. 6 Comme pendant la guerre de Sept Ans (1754-1763), les nations amérindiennes jouèrent un rôle-clé dans le conflit qui oppose les colons américains aux Britanniques. Une grande activité diplomatique doit être déployée par chaque camp afin de gagner telle ou telle nation à sa cause. Les nations amérindiennes sont très nombreuses, d’un poids militaire inégal et ont chacune entretenu des relations différentes avec les colons installés sur leurs terres. D’une manière globale, les Amérindiens ont plutôt soutenu les Britanniques mais la situation varie grandement de groupe à groupe et de région en région. Dans son article, Anne-Marie Libério nous propose un gros plan sur les Delawares, nation algonquine du « Pays de l’Ohio ». L’étude souligne la complexité des rapports entre les nations amérindiennes et la nouvelle république américaine, où se mêlent inextricablement l’héritage et la présence britanniques, la spéculation foncière, l’expansion du peuplement, les campagnes militaires et l’activité missionnaire et diplomatique. 7 Quel impact et quelle influence le 4 juillet 1776 a-t-il connu dans les colonies hispano- américaines ? Voici une question essentielle pour l’histoire des Amériques à laquelle répond Clément Thibaud dans son essai. Les indépendances dans les colonies espagnoles d’Amérique furent-elles davantage influencées par 1776, 1789 ou 1810-1812 (événements de Cadix) ? Au-delà de ce débat historiographique, Clément Thibaud analyse le cas du Venezuela en notant mutatis mutandis une analogie avec les États-Unis dans le processus constitutionnel. On y observe d’ailleurs la même ambiguïté sur le sens du mot indépendance. Quant à la Déclaration d’Indépendance du Venezuela, elle s’inspire sans équivoque de celle de Jefferson. Clément Thibaud souligne aussi l’importance au Venezuela du modèle républicain états-unien, lui-même inspiré par les écrits de Montesquieu. 8 Françoise Coste nous projette plus loin dans le temps en 1876 et en 1976, lorsque les États-Unis fêtent leur Centenaire et leur Bicentenaire respectivement. En 1876, les Américains sont à un tournant de leur histoire : la guerre de Sécession a mis fin à l’esclavage et l’après-guerre, appelé Reconstruction, se termine. L’Amérique commence

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alors sa mue de pays essentiellement agricole en puissance industrielle, économique, et financière, une métamorphose qui s’accomplira sur un demi-siècle jusqu’à la Première Guerre mondiale. Comme le montre Françoise Coste, cette nouvelle Amérique est incarnée par l’Exposition du Centenaire qui se tient à Philadelphie, ville de la Déclaration d’Indépendance et désormais grand centre industriel. Le Centenaire voit une Amérique réconciliée – surtout entre blancs-, optimiste et triomphante, au lendemain de la plus grave crise de leur histoire. Un siècle plus tard, l’Amérique va mal, atteinte et affaiblie par le scandale du Watergate, les séquelles de la désastreuse et très contestée guerre du Vietnam, la contre-culture, les émeutes dans les campus universitaires, et le choc pétrolier. L’Amérique ne semble plus triompher ni rayonner. Un Bicentenaire morose qui voit s’imposer l’individualisme et la grande consommation. Comme le souligne Françoise Coste, à l’inverse du Centenaire, le Bicentenaire se distingue par la parcellisation et la communautarisation du phénomène commémoratif, tout en réussissant néanmoins à préserver intact un message patriotique uniforme. 9 Devenu fête nationale états-unienne, la 4 juillet 1776, au-delà du contexte anglo- américain spécifique, s’avère un événement non seulement atlantique mais aussi planétaire dans son influence, notamment textuelle, sur la longue durée, comme l’a remarquablement montré l’ouvrage de David Armitage, The Declaration of Independence. A Global History (Cambridge, Mas., 2008). Le présent dossier nous fait réfléchir à certains aspects de cette question.

AUTHOR

BERTRAND VAN RUYMBEKE

Bertrand Van Ruymbeke est professeur de civilisation américaine à l’Université de Paris 8 et membre senior de l’Institut Universitaire de France. Il est auteur de l’Amérique avant les États-Unis. Une histoire de l’Amérique anglaise (2013, nouvelle édition poche 2016) et de From New Babylon to Eden. The Huguenots in France and their Migration to Colonial South Carolina (2006). Il a coordonné The Atlantic World of Anthony Benezet (1713-1784). From French Reformation to North American Quaker Antislavery Activism (2016), A Companion to the Huguenots (2016), Réforme et Révolutions (2012), Les huguenots et l’Atlantique (2009-2012), Naissance de l’Amérique du Nord. Les Actes fondateurs (2008), Constructing Early Modern Empires. Proprietary Ventures in the Atlantic World 1500-1700 (2007), Protestantisme et Autorité (2005) et Memory and Identity. The Huguenots in France and the Atlantic Diaspora (2003).

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L’arrière-pays algonquien pendant la Révolution américaine

Anne-Marie Libério

Introduction

1 Malgré les bouleversements subis par les nations amérindiennes pendant l’époque coloniale, les gouvernements tribaux décidèrent majoritairement, le plus souvent indépendamment les uns des autres, mais également par le biais de coalitions, de s’allier aux Britanniques pendant la Révolution américaine. Au même titre que les colons, ces Amérindiens furent désignés comme « loyalistes » ou « Tories ». Le parti adverse, favorable à l’indépendance des treize colonies, était composé des insurgés (« insurgents ») ou « patriotes ».

2 Si l’alternative loyaliste peut à première vue sembler paradoxale pour les Amérindiens, elle s’explique en partie par les garanties que la Couronne britannique leur offrit, à l’issue de la guerre de Sept Ans, et suite au soulèvement de plusieurs nations indiennes, appelé rébellion de Pontiac1. Par la Proclamation royale d’octobre 1763, la métropole détermina que les Appalaches serviraient de frontière entre Amérindiens et Européens, afin de limiter l’empiètement des colons sur le pays indien. En outre, la métropole rendit obligatoire le recours à une licence, octroyée par les officiers de la Couronne à quiconque tentait obtenir des parcelles au-delà de la frontière. Cette mesure servait à empêcher la spéculation foncière, conduisant fréquemment à la spoliation des autochtones. 3 Même si les Britanniques n’eurent pas les moyens militaires suffisants pour faire appliquer la Proclamation royale, en comparaison, aux yeux des Amérindiens loyalistes, les insurgés apparaissaient bien moins enclins à freiner l’installation des Américains convoitant les territoires qui leur appartenaient. Si la protection des terres fut au centre des préoccupations des autochtones, l’assurance que leur souveraineté serait respectée à l’issue de la guerre motiva aussi leur décision, lorsqu’ils durent choisir entre les deux camps, ou se tenir à l’écart du conflit.

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4 Du point de vue de la jeune nation, sortie victorieuse mais fortement endettée de la guerre, les terres de l’Ouest représentaient l’une de ses richesses principales. Benjamin Franklin et George Washington eux-mêmes s’intéressaient à la spéculation foncière à l’ouest des Appalaches2. Sans attendre l’issue du conflit, les États-Unis tentèrent de s’approprier des terres indiennes, par le biais de la diplomatie. Dès les premières années de son existence, la jeune république tenta en effet de véhiculer l’image d’une nation disposée à négocier avec les autochtones sur un pied d’égalité, comme elle le faisait avec les nations étrangères. Les Amérindiens, dont le rapprochement avec les Britanniques parvint par endroits à ébranler la confiance des insurgés pendant les campagnes militaires, ne devaient pas envisager la nouvelle nation comme une menace pour leurs droits souverains. 5 Sous le couvert de la « légalité » et de la « philanthropie », comme le soulignait Alexis de Tocqueville (Tocqueville, 1835, p. 346-347), le gouvernement fédéral conserva le système des traités, initié au XVIIe siècle. Les États-Unis perpétuèrent également le déroulement des sessions précédant la signature des traités, instauré par les représentants de la Couronne et des assemblées coloniales. Les négociations conclues pendant la Révolution reposèrent ainsi sur les échanges entre les représentants du Congrès Continental, la délégation amérindienne (dont la légitimité représentative fut souvent exagérée par les Américains), et les commandants des forts militaires à proximité desquels les discussions avaient lieu3. Historiens et anthropologues s’accordent sur le fait que les traités indiens furent « importants parce qu’ils marquent les premiers efforts de la jeune nation à exercer son indépendance en termes de diplomatie »4. 6 Cependant, comme en témoigne la Déclaration d’Indépendance, la méfiance et l’inimitié furent très tôt exprimées par les dirigeants américains. Outre l’accusation portée globalement contre les autochtones de s’allier au roi George III, les Pères Fondateurs les décrivirent comme des « sauvages sans pitié, dont la manière bien connue de faire la guerre est de tout massacrer sans distinction d’âge, de sexe ni de condition5 ». 7 Nous analyserons ci-après le rôle de différents acteurs, Euro-Américains et Amérindiens, appartenant aux sphères religieuse, diplomatique et militaire, dont le dessein fut de persuader les nations dans leur ensemble, ou parfois simplement quelques individus, d’adopter la cause loyaliste, celle des insurgés, ou enfin, de renoncer à s’engager militairement dans le conflit. Nous nous intéresserons en particulier aux interactions avec les Delawares de l’arrière-pays (ou « backcountry »), dans la région de l’Ohio (ou « Ohio Country »).

Alliances et souveraineté

8 Alliés aux Français pendant la guerre de Sept Ans, les Delawares et les Shawnees (deux nations de la famille linguistique algonquienne) perdirent une partie importante des terres accordées dans les années 1730 par les Iroquois, dont ils recevaient la protection en échange de leur soumission aux Six Nations6. En cédant les terrains de chasse des Shawnees lors du traité de Fort Stanwix de 1768, les Iroquois obligèrent les trois clans delawares et les Shawnees à se déplacer et à recomposer de nouveaux villages7.

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9 En raison de cet affaiblissement, et par l’influence des pasteurs moraves pacifistes dirigés par David Zeisberger et John Heckewelder, arrivés en 1772 dans l’Ohio Country, les représentants des clans delawares s’entendirent pour rester à l’écart de la guerre jusqu’en 1778. Toutefois, les Delawares ne percevaient pas non plus les insurgés comme des alliés présentant un réel avantage. Dans leurs échanges commerciaux et diplomatiques, les Delawares interprétèrent la pauvreté des présents et des marchandises que les Américains leur fournissaient comme du mépris, de la négligence ou un signe de dénuement qui décrédibilisaient les patriotes8. Ces derniers ignoraient de fait la portée diplomatique des présents, qu’ils assimilaient à une forme de corruption des représentants amérindiens. Thomas Jefferson conserva cette idée, et déclara par exemple en 1802 que les États-Unis devaient faire appel à « la bonne volonté […] des chefs au moyen de largesses »9. 10 L’alliance avec les insurgés fut finalement l’œuvre du chef delaware Quequedegatha, appelé White Eyes ou George White Eyes par les moraves et les Britanniques. Par l’argument que les Delawares étaient sur le point d’être attaqués par des nations autochtones hostiles, il persuada son peuple qu’une alliance avec les Américains pouvait renforcer leurs défenses. Les représentants des deux autres clans, Captain Pipe (ou « Hopocan ») et Captain John Killbuck, l’accompagnèrent aux négociations de Fort Pitt, qui aboutirent au traité du 17 septembre 177810. Les États-Unis et les Delawares s’engageaient en premier lieu à se « pardonner mutuellement » et pour toujours, les attaques qu’ils s’infligèrent dans le passé (article 1). Outre la promesse d’assurer aux Delawares et à leurs descendants leurs droits territoriaux (article 6), les Américains impliquaient les Amérindiens à leurs côtés face à la Grande-Bretagne (article 3). Comme preuve de leur bonne volonté envers leurs alliés, les États-Unis promettaient de construire un fort « à leurs frais », où des soldats américains défendraient les femmes et les enfants delawares, pendant que les « meilleurs guerriers » de la nation combattaient les Britanniques : les États-Unis sont engagés dans une guerre juste et nécessaire, pour défendre […] leur liberté et leur indépendance, contre le roi d’Angleterre […] et comme le roi possède encore plusieurs forts […], dont la reprise est d’une grande importance pour la paix et la sécurité des parties contractantes, et comme la meilleure route pour les troupes des États-Unis vers certains de ces forts consiste à traverser les terres de la nation delaware, les dits représentants […], acceptent par le présent document d’accorder la libre circulation à travers leur nation aux dites troupes, et de [leur] procurer des provisions de maïs, viande, chevaux […]11.

Jeux d’échelles (locale et intertribale)

11 Cette entente, conclue dans la sphère diplomatique, reflétait mal les réalités des échanges entre Amérindiens et Américains. Lorsque l’on retrouva White Eyes sans vie au début du mois de novembre 1778 près de Pittsburgh12, et même si la cause de sa mort (variole ou assassinat) ne fut pas clairement établie13, les Delawares réagirent comme si le décès du chef était à imputer aux Américains de l’arrière-pays, dont les autorités fédérales ne parvenaient pas à contrôler les actions, et qui ne se sentaient pas concernés par les traités signés avec les autochtones. L’historien Richard White décrivit les motivations des habitants euro-américains de la frontière, comme étant fort éloignées de celles des dirigeants britanniques et américains14 :

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les patriotes […] de l’arrière-pays perdirent des parents et des biens par la faute des Indiens, et la plupart d’entre eux se mirent à les haïr. Ils tuaient des Indiens (autant amis qu’ennemis, là où ils en trouvaient) sans réellement penser aux conséquences de leurs gestes pour la cause révolutionnaire. Quant aux Tories de l’arrière-pays, leur loyauté envers le roi comptait souvent moins que le désir de se venger de dommages privés sur leurs voisins révolutionnaires. 12 Comme les Euro-Américains, les Amérindiens ajustèrent leurs alliances en fonction de l’évolution des affaires locales, qui les concernaient au plus près, plutôt que d’un sentiment de loyauté envers l’une ou l’autre des factions impliquées dans la guerre d’indépendance. L’une des priorités des guerriers delawares devint alors de venger White Eyes, ce qui impliquait un changement de camp. Ils allaient désormais défendre les Britanniques, non pas parce qu’ils voulaient faire obstacle à l’indépendance et aux aspirations des Américains, mais parce qu’ils imaginaient que les Britanniques nuiraient moins que les insurgés à leur propre souveraineté, et à la légitimité de leurs chefs. En raison de ce retournement, s’ensuivirent plusieurs mois de représailles, jusqu’au massacre de Gnadenhutten (Ohio), où une milice tua « plus de 90 Delawares, dont un tiers de femmes et 34 enfants » de la mission morave, en mars 178215. Selon John Heckewelder qui n’était pas présent, mais auquel un jeune rescapé laissé pour mort raconta les faits, les insurgés de l’arrière-pays ne les considéraient « pas comme des chrétiens […], ils étaient tous déclarés ennemis et guerriers »16.

13 En somme, la guerre qui opposa les Britanniques aux Américains et à leurs alliés vint s’ajouter aux affaires antérieures, conduites par les autochtones entre eux et avec les Européens (pasteurs, marchands, diplomates – allemands, français, espagnols, écossais, anglais), en pays indien. Des peuples aussi puissants que les Six Nations, qui se divisèrent et s’entretuèrent pendant la guerre, ne retrouvèrent jamais l’influence dont ils bénéficiaient avant la Révolution, même s’ils démontrèrent des capacités d’adaptation des deux côtés de la frontière, tels que les Mohawks loyalistes, exilés au Canada17. 14 Dans les interactions avec les Euro-Américains, la Révolution eut aussi des conséquences désastreuses qui compliquaient les questions de la terre et de la souveraineté, en y ajoutant la problématique ethno-raciale. Comme le rappelle Richard White, « tout enfant élevé de la sorte apprend à haïr un Indien, parce qu’il en entend toujours parler comme d’un ennemi »18. 15 Même si le gouvernement fédéral, en particulier sous la présidence de Thomas Jefferson, continua d’appuyer les initiatives de pasteurs visant à « civiliser » les autochtones19, leur permettant de se maintenir à l’est des Appalaches, puis à l’est du Mississippi après l’achat de la Louisiane en 1803, pendant la trentaine d’années qui suivirent la Révolution, la peur du « sauvage sans pitié » de la Déclaration d’Indépendance se perpétua à la fois dans l’imaginaire collectif et les actions locales. Le rejet des autochtones, perçus comme ennemis de la République, culmina sous l’administration jacksonienne, par la politique du déplacement forcé des peuples du Sud-Est vers l’État actuel de l’Oklahoma, sous contrôle militaire, faisant ainsi échouer sans ambiguïté à la fois diplomatie et terrain(s) d’entente à l’est du Mississippi.

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NOTES

1. Élise Marienstras, « Les réprouvés de la Révolution : nations indiennes et guerre d’indépendance », in Élise Marienstras et Bernard Vincent (dir.), Les Oubliés de la Révolution américaine : femmes, Indiens, Noirs, quakers, francs-maçons dans la guerre d'Indépendance, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1990, p. 26-27 ; Richard White, The Middle Ground, Indians, Empires and Republics in the Great Lakes Region, 1650-1815, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 269-314 2. Colin G. Calloway, « La révolution américaine en territoire indien », Annales historiques de la Révolution française, n° 363, janvier-mars 2011, p. 133 3. Vine Deloria, Jr. et Raymond J. DeMallie, « Pre-Revolutionary War Treaty Making », Documents of American Indian Diplomacy. Treaties, Agreements, and Conventions, 1775-1979, vol. 1, Norman, OK, University of Oklahoma Press, 1999, p. 12 4. ibid. 5. United States, « In Congress, July 4, 1776. The Unanimous Declaration of the Thirteen United States of America, Baltimore, in Maryland : Printed by Mary Katharine Goddard, 1777 », in Library of Congress, Continental Congress Broadside Collection, Documents from the Continental Congress and the Constitutional Convention, 1774-1789, https://www.loc.gov/item/90898037/, page consultée le 20 juillet 2016 6. Hermann Wellenreuther, « White Eyes and the Delawares' Vision of an Indian State », Pennsylvania History: A Journal of Mid-Atlantic Studies, vol. 68, n° 2, printemps 2001, p. 142 7. Marienstras, op. cit., p. 32 8. White, op. cit., p. 380 9. Andrew A. Lipscomb (dir.), The Writings of Thomas Jefferson, volume 14, Washington, D.C., The Thomas Jefferson Memorial Association, 1903, p. 376 10. Charles J. Kappler, « Treaty with the Delawares, 1778 », Indian Affairs : Laws and Treaties, volume 2, Washington : Government Printing Office, 1904, p. 3 11. ibid. 12. Entrée du journal de David Zeisberger, datée du 20 novembre 1778, « we received news in a letter from Colonel Gibson that […] Colonel White Eye had died not far from Pittsburgh 15 days ago », Zeisberger, 2005, p. 481 13. White, op. cit., p. 385-386 ; Earl P. Olmstead, David Zeisberger : A Life among the Indians, Kent, Ohio, The Kent State University Press, 1997, p. 285 14. White, op. cit., p. 378 15. John Heckwelder, A Narrative of the Mission of the United Brethren among the Delaware and Mohegan Indians, Philadelphia, Published by McCarty & Davis, 1820, p. 321 16. ibid., p. 317 17. Alan Taylor, Divided Ground : Indians, Settlers, and the Northern Borderland of the American Revolution, New York, Knopf, 2006 18. White, op. cit., p. 366 19. William G. McLoughlin, The Cherokees and Christianity, 1794-1870, Essays on Acculturation and Cultural Persistence, Athens, Georgia, University of Georgia Press, 1994

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AUTHOR

ANNE-MARIE LIBÉRIO

Anne-Marie Libério est doctorante en études nord-américaines sous la direction de M. Bertrand Van Ruymbeke à l’Université Paris 8. Elle travaille sur les interactions entre les pasteurs anglicans de la Society for the Propagation of the Gospel et les esclaves, les Amérindiens et les colons dissidents des colonies de Caroline du Sud et de New York au XVIIIe siècle.

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La déclaration d’indépendance des États-Unis et les premières émancipations hispano-américaines de Terre-Ferme

Clément Thibaud

Introduction

1 The Independence of Spanish America, de Jaime Rodríguez O. 1, est aujourd’hui l’un des ouvrages les plus influents sur les indépendances hispano-américaines tant aux États- Unis que dans certains pays d’Amérique latine. Selon lui, ni l’indépendance américaine, ni 1789, ni les révolutions de Saint-Domingue, ni l’émancipation haïtienne n’auraient partie liée avec la création d’une dizaine de républiques dans le sud de l’Amérique. La Révolution espagnole de Cadix (1810-1812) s’imposerait comme la cause paradoxale et unique des mouvements émancipateurs dans les Indes espagnoles.

2 Pourtant, si l’on s’intéresse à l’espace bolivarien, soit grosso modo, la Colombie et le Venezuela actuels, le processus sécessionniste y suivit une trajectoire proche de celle qui conduisit à la création des États-Unis. Tout commence en 1811, avec la constitution d’États fédérés et la création de deux confédérations, celles des Provinces-Unies de Nouvelle-Grenade et du Venezuela. Ces gouvernements autonomes élirent des conventions pour se doter de chartes écrites. L’analogie avec la constitutionnalisation des treize colonies de l’Amérique du Nord et leur indépendance était patente. Ces lois fondamentales furent les premières du monde hispanique, avant même la promulgation de la constitution de Cadix. Sur le modèle de l’article VII de la charte du Massachusetts, toutes revendiquaient le droit de se doter du type de gouvernement qui conviendrait le mieux aux peuples, ouvrant la possibilité d’une abolition de la monarchie2. S’il n’était pas un modèle constitutionnel, le précédent nord-américain servit d’emblée à penser une souveraineté médiane, située entre celle du droit international et l’autonomie, dans le cadre du fédéralisme.

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3 La constitutionnalisation des États provinciaux fit le lit de la république, mais contrairement au précédent des États-Unis, cela ne voulait pas dire que ces corps politiques renonçaient à jamais à retourner dans le giron de l’empire. Sauf, peut-être, au Venezuela, où la déclaration d’indépendance correspondit à des causes dont l’historiographie a simplifié la complexité en la rapportant à la pression qu’aurait exercée la Société patriotique de Caracas, supposément jacobine, sur le Congrès vénézuélien. Le point de bascule fut le rapport de l’ambassadeur du congrès vénézuélien auprès du président Madison, « dont le contenu produisit la motion sur la nécessité de l’Indépendance3 ». Les congressistes y virent un signal positif de la part des États-Unis, malgré le caractère dilatoire de la réponse du secrétaire d’État Monroe. S’il accueillait favorablement la création de nouvelles républiques au Sud, Monroe doutait de leur capacité à soutenir leur indépendance. L’espoir mis à tort dans le soutien de la grande République du Nord fut néanmoins l’ébranlement nécessaire pour que les Vénézuéliens prennent le risque de rompre avec le roi, l’Espagne et la monarchie. 4 Rédigée par l’avocat métis Juan Germán Roscio, la déclaration d’indépendance du Venezuela reprenait les termes de celle des États-Unis. Elle était, en réalité, une déclaration de guerre aux « gouvernements intrus » de l’Espagne. La confédération vénézuélienne, comme le congrès continental de 1776, y réclamait la reconnaissance de sa souveraineté par les autres nations et l’exercice des droits afférents : diplomatie, droit de déclarer la guerre et de faire la paix, commerce international. L’exorde final paraphrasait la déclaration de Jefferson et Franklin. 5 Mais le plus important était que, sans le dire expressément, ce texte créait de facto une république sans roi. Ce pas était gigantesque tant l’adhésion à la monarchie avait été exaltée dans toutes les cités de l’Amérique espagnole à la nouvelle de l’invasion napoléonienne et des abdications bourboniennes de 1808. La crainte que cette rupture inspirait était tout à fait justifiée comme le montre la suite des événements. Cités et provinces se soulevèrent pour résister au régime impie, à la « diablocratie ». C’est pour éteindre cette guerre civile commençante que le précédent nord-américain fut à nouveau mobilisé. Il s’agissait de montrer que la république était tout aussi divine que le royaume, contrairement à ce qu’affirmait partout la propagande royaliste. Il fallait mettre en scène le transfert de sacralité du roi au nouveau souverain, le peuple. Dans ce but, le gouvernement révolutionnaire publia un Manifeste que fait au monde la confédération du Venezuela. Rédigé également par Roscio, ce texte, avec beaucoup d’autres, s’appuyait sur les répertoires intellectuels du républicanisme exclusiviste pour justifier la compatibilité du nouveau régime avec la religion. 6 Que faut-il entendre par républicanisme exclusiviste ? Une forme de pensée antimonarchique, fondée sur une conviction centrale : la royauté est mauvaise dans son principe et corruptrice dans ses effets4. Il ne s’agissait plus de condamner tel ou tel despote, sans égard pour la forme du régime où prospérait la tyrannie, mais tous les rois, en tous lieux. Ceux du passé, du présent et de l’avenir. Ce courant, jalonné par le Paradise Lost de Milton et le Common Sense de Paine, s’appuyait sur une certaine interprétation de l’histoire sacrée. Selon cette tradition, l’Ancien Testament fait de la royauté un châtiment que Dieu envoya aux juifs pour les punir de vouloir former une nation comparable aux autres5. Ce répertoire d’idées et de concepts, présent au cours des deux révolutions anglaises du XVIIe siècle et fondamental pour comprendre la Révolution américaine, devait se diffuser largement en Terre-Ferme.

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7 Comment la rhétorique de la « République des Hébreux » a-t-elle pu accoster sur les rivages de l’Amérique du Sud ? Certes, elle n’était pas inconnue de la tradition hispanique6. Mais dans sa modalité révolutionnaire, elle emprunta deux axes privilégiés : le premier, créole, parcourait un triangle dont les arêtes étaient Caracas, Carthagène et Bogotá ; le second, atlantique, reliait la capitale du monde républicain d’alors, Philadelphie – et la « catholique » Baltimore – avec les cités patriotes. Cette connexion hémisphérique du républicanisme éclaire la présence des références nord- américaines lors de la création des premiers États sans roi du monde hispanique. Ce lien s’était affirmé avec l’ouverture du commerce impérial aux neutres en 1797. Les navires et les consuls de l’Union arrivèrent en force dans les ports de la Terre-Ferme, d’autant que la flotte de guerre espagnole avait été quasiment détruite au Cap Saint- Vincent (1797) et à Trafalgar (1805). Philadelphie abritait, de plus, de nombreux exilés du sous-continent. Ceux-ci y publièrent des ouvrages de réflexion politique dont beaucoup soutenaient la cause républicaine et les droits de l’homme. Santiago Puglia ouvrit un cycle promis à un grand avenir avec son Desengaño del hombre, publié en 1794. D’autres Hispano-américains hétérodoxes y traduisirent et publièrent des ouvrages mis à l’index7. C’est à partir de cette communauté d’exilés que les répertoires renouvelés de la « République des Hébreux » se diffusèrent en Terre-Ferme. Avec le temps, Philadelphie devint une capitale de la cause républicaine en Amérique espagnole, sous l’impulsion du journal de William Duane, Aurora. Le milieu local y observait d’ailleurs les événements hispano-américains avec attention. The Weekly Register de Baltimore fut l’un des premiers journaux à célébrer la déclaration d’indépendance vénézuélienne8. 8 Un nom revient souvent dans les ouvrages favoris de ce réseau intellectuel, celui de Thomas Paine. Les ouvrages du Britannique jalonnent en effet la progression de l’exclusivisme républicain. Il faut suivre la piste de Manuel García de Sena, dont le frère fut président de l’État de Barcelona, membre de la confédération vénézuélienne. García de Sena résidait à Philadelphie où il publia, dès 1811, la traduction de plusieurs textes du révolutionnaire britannique, sous le titre La Independencia de la Costa Firme justificada por Thomas Paine treinta años ha9. L’ouvrage comprenait la première partie de Common Sense, consacrée à la critique de la constitution anglaise. Il démontrait la sacralité du régime républicain par une lecture serrée des livres de Samuel. L’ensemble était complété par la Dissertation on the First-Principles of Government et les Dissertations on Government, the Affairs of the Bank and Paper Money. L’ouvrage comprenait aussi certains grands textes de la Révolution américaine, comme la Déclaration d’indépendance, les Articles de confédération, et différentes constitutions nord-américaines : Connecticut, New Jersey, Pennsylvanie, Virginie, et celle de l’Union. Ce livre circula et fut amplement cité ; il fut une source importante pour tous ceux qui pensaient que le cours de la Révolution américaine devait inspirer celui des émancipations hispano- américaines, notamment sur le plan constitutionnel.

« Nouveau républicanisme » et indépendances croisées

9 Un autre lien identificatoire unit les indépendances nord et sud-américaines ; il passe par le baron de la Brède. « Montesquieu fit pour la fin du XVIIIe siècle ce que Machiavel avait fait pour son siècle, il fixe les termes dans lesquels le républicanisme devait être discuté10 ». Le jugement de Judith Shklar est valable pour l’Amérique hispanique au

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début du XIXe siècle. Car ce n’était pas tant le nom de Montesquieu qui faisait autorité que son œuvre lue au prisme de la Révolution américaine qui passionnait les patriotes qui imaginaient les premières institutions républicaines. Ceux-ci connaissaient l’histoire des États-Unis à travers les ouvrages écrits ou traduits en français par un ensemble d’auteurs liés par leur commune admiration pour l’Esprit des lois : Filangieri ou, plus tard, Destutt de Tracy. La référence au précédent nord-américain, lu au prisme du débat des Lumières sur la naissance des États-Unis, colore ainsi l’adoption du fédéralisme en Terre-Ferme. Aux yeux des jeunes gouvernements républicains, la gloire des États-Unis démontrait également que le régime antimonarchique était indiqué pour construire une société civile fondée sur la reconnaissance des droits naturels. La réussite économique de l’Union montrait les limites du républicanisme classique lorsqu’il opposait luxe et vertu.

10 Pour comprendre les liens entre les références à Montesquieu et aux États-Unis, on prendra pour guide la longue introduction qu’a donnée l’un des premiers républicains de la région, Miguel de Pombo, à l’une des traductions de la constitution américaine. Né à Popayán en 1779, Miguel appartenait à l’une des familles de propriétaires terriens et de négociants parmi les plus prospères de la Nouvelle-Grenade. En décembre 1811, sans doute, en plein débat sur le fédéralisme et la réforme de la première constitution monarchique du Cundinamarca, Miguel publia une traduction de la constitution américaine de 1787. Il fit précéder ce fort volume, exceptionnel à cette époque par son ampleur – 200 pages – d’un Discours préliminaire sur le système fédératif de 120 pages. Avec les écrits de Roscio11 et le Discours d’Angostura de Simón Bolívar, il s’agit de l’un des seuls plaidoyers explicites en faveur de la forme républicaine de gouvernement au cours des révolutions de la Terre-Ferme bolivarienne. Pombo y inscrit sa réflexion dans le cadre du « nouveau républicanisme ». Ses réflexions se nourrissaient du débat français sur la Révolution américaine, dans la version qu’en donnèrent Raynal ou Brissot et Clavière, et repris par le compilateur espagnol Estala. 11 Sur le fond, Miguel de Pombo cherchait à prouver trois points à l’heure où l’indépendance du Venezuela avait ébranlé la Nouvelle-Grenade. Un : l’ère des républiques n’appartenait pas au passé classique. Deux : la Nouvelle-Grenade remplissait les critères de suffisance pour former une république indépendante et viable. Trois : l’Amérique était vouée à devenir le continent de la liberté. 12 Génies illustres de Washington, de Franklin, qui si justement avez reçu le titre de Législateurs du Nouveau Monde, écrivait-il, avec votre sagesse et vos vertus, vous avez illustré l’esprit et formé le cœur de vos Concitoyens, pour qu’ils ne succombent pas en défendant la glorieuse cause de l’indépendance ! Les Américains du Sud invoquent vos noms en pareilles circonstances ; venez au milieu de nous ; enseignez-nous à aimer la modération, la frugalité, le désintérêt, l’union et autres vertus qui sont la base des Républiques ; et montrez-nous la voie par laquelle, suivant les pas de vos chers compatriotes, nous réussirons à toucher le même point de prospérité12 ! 13 Comme ses contemporains, Pombo n’inscrivait pas la révolution dans la perspective d’un « patriotisme créole », à vrai dire introuvable, ni ne s’intéressait à la création d’une identité néo-grenadine. Pour lui, le projet de régénération républicaine concernait par définition toute l’Amérique. Il ne visait pas un peuple ou un territoire particulier, mais l’humanité entière. Les États-Unis préfiguraient une transformation universelle. Comme en attestent les efforts d’un Bolívar après la victoire militaire de 1824 pour confédérer les nouvelles républiques indépendantes, l’Amérique, dans son

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entier, figurait l’espace politique où s’inscriraient les progrès d’une liberté politique dont l’humanité se montrait désormais capable.

NOTES

1. J. E. RODRÍGUEZ O., The Independence of Spanish America, Cambridge, New York, Cambridge University Press, 1998 et J.E. RODRÍGUEZ O., « Sobre la supuesta influencia de la independencia de los Estados Unidos en las independencias hispanoamericanas », Revista de Indias, janvier 2011, p. 691‑714. 2. Acta de Federación de las Provincias Unidas de la Nueva Granada, 27.XI.1811, préambule. 3. Session du 2.VII.1811. 4. J. HANKINS, « Exclusivist republicanism and the non-monarchical republic », Political Theory, n° 38 (4), 2010, p. 452-482. 5. I Samuel 8, 6. 6. G. ENTIn, La République en Amérique hispanique. Langages politiques et construction de la communauté au Rio de La Plata, entre monarchie catholique et révolution d’indépendance, thèse de l'École des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, 2011. 7. S. Puglia, El desengaño del hombre, Philadelphie, En la imprenta de Francisco Bailey, calle alta no. 116, 1794. M. HENRY, « Les premières publications révolutionnaires des exilés hispano-américains aux États-Unis », Transatlantica [En ligne], 2 | 2006, mis en ligne le 07 juillet 2006, Consulté le 2 juin 2016. URL : http ://transatlantica.revues.org/1146. 8. The Weekly Register, 14.IX.1811, n° 2. 9. La Independencia de la Costa Firme justificada por Thomas Paine treinta años ha. Extracto de sus Obras traducido del Inglés al Español por D. Manuel García de Sena, Philadelphie, T. y J. Palmer, 1811. 10. J. N. SHKLAR, « Montesquieu and the new republicanism », G. BOCK, Q. SKINNER et M. VIROLI (éd.), Machiavelli and Republicanism, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, pp. 265‑280, ici p. 265. 11. Patriotisme de Nirgua et abus des rois (1811) ; Le triomphe de la liberté sur le despotisme (1817). 12. Discours préliminaire…, op. cit., p. 36.

AUTHOR

CLÉMENT THIBAUD

Clément Thibaud, maître de conférences en histoire contemporaine, travaille sur l’histoire de l’Atlantique ibérique au XIXe siècle et l’histoire de la race à l’âge des révolutions dans l’espace caraïbe insulaire et continental. Il est l’auteur d’Un Nouveau Monde de républiques. L’invention des premiers États sans roi du monde hispanique (2016), La Academia de Charcas y la Independencia de América (1776-1809) (2011), La Majestad de los Pueblos (2010), Républiques en armes. Les armées de

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Bolívar dans la guerre d’Indépendance en Colombie et au Venezuela (2006) et coordonnateur de Couleurs, esclavages, libérations aux Amériques 1804-1860 (2013), L’Atlantique révolutionnaire, une perspective ibérique (1756-1865)(2013), Les empires atlantiques entre Lumières et libéralisme (1763-1865) (2009), Las revoluciones en el mundo atlántico: una perspectiva comparada (2006).

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Révolution et commémorations : 1776, 1876, 1976

Françoise Coste

Introduction

1 Le fait que les États-Unis soient une nation jeune ne les empêche pas d’avoir un fort sens de leur histoire collective, qui se traduit par une pratique commémorative forte. Dans la conclusion de ses magistraux Lieux de Mémoires, Pierre Nora voit dans ce recours à la commémoration le signe de la nature démocratique d’un pays : Le phénomène [commémoratif] […] touche toutes celles des sociétés contemporaines qui se vivent comme historiques, c’est-à-dire fondées sur la liberté instituante des hommes et non pas régies par une volonté divine et qui, à ce titre, ont substitué les grandes dates de leur propre histoire à celles de la commémoration chrétienne1. 2 Aux États-Unis, deux « grandes dates » se détachent nettement : la guerre de Sécession (1861-1865) et, surtout, la Révolution du 4 juillet 1776. Celle-ci a particulièrement été célébrée lors du Centennial de 1876 et du Bicentennial de 1976.

3 Comme le montrent bien Bernard Cottret et Lauric Henneton, dans leur livre Du bon usage des commémorations, ce type d’événement présente une forte polysémie : il se fonde sur « le caractère apparemment cyclique du temps » afin de combiner réflexion sur le passé, message sur le présent, et projection vers l’avenir. Il est également l’occasion pour une société d’exprimer « une stratégie d’affirmation identitaire plus ou moins consciente »2. Cette grille d’analyse est très pertinente dans le cas américain. Le Centennial et le Bicentennial peuvent en effet être compris comme des instantanés, des autoportraits de l’Amérique qui, au-delà de la surface festive, en disent beaucoup sur ce que le pays pensait de lui-même, 100 et 200 ans après sa naissance.

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1876

4 Après la Guerre de Sécession, certains Américains se mirent à réfléchir à la meilleure façon de fêter le centenaire de la Révolution, qui se profilait à l’horizon. L’idée germa d’organiser une exposition universelle à Philadelphie, où avait été signée la Déclaration d’Indépendance3. La décision fut entérinée par le Congrès en 1871, même si l’essentiel du budget de l’exposition vint de fonds privés4. D’emblée, la dimension patriotique de l’exposition devint sa principale raison d’être, dans une visée clairement comparative. Il faut dire que les années d’après-guerre avaient vu l’essor considérable de l’industrie américaine. L’idée était donc de faire du Centennial une vitrine de la nouvelle puissance des États-Unis par laquelle les Américains pourraient, selon les termes de la résolution du Congrès annonçant l’événement, démontrer l’ampleur des « ressources naturelles du pays, son développement et ces avancés dans les arts qui servent l’humanité, par rapport à celles des nations plus anciennes »5.

5 La Centennial Exhibition, qui accueillit près de dix millions de visiteurs entre mai en novembre 1876, fut donc conçue comme un temple voué au progrès technologique — son nom officiel était « the International Exhibition of Arts, Manufactures and Products of the Soil and Mine »6. Le pavillon le plus symbolique était Machinery Hall, où étaient exposées une myriade d’innovations techniques — c’est pendant le Centennial que Edison procéda par exemple à l’une des premières démonstrations publiques du téléphone7. Le clou du spectacle y était une gigantesque machine à vapeur, le Corliss steam engine. Ce géant de métal devint le symbole de la supériorité américaine, comme ces lignes de l’écrivain William Dean Howells, parues alors dans The Atlantic Monthly, l’illustrent : The Corliss engine does not lend itself to description […]. It rises loftily in the centre of the huge structure, an athlete of steel and iron with not a superfluous once of metal on it; the mighty walking-beams plunge their pistons downward, the enormous fly-wheel revolves with a hoarded power that makes all tremble, the hundred life-like details do their office with unerring intelligence. In the midst of this ineffably strong mechanism is a chair where the engineer sits reading his newspaper. […] he is like some potent enchanter there, and this prodigious Afreet is his slave who could crush him past all semblance of humanity with his lightest touch. […] One thinks only of the glorious triumphs of skill and invention; and wherever else the national bird is mute in one’s breast, here he cannot fail to utter his pride and content. It would be a barren place without the American machinery. All that Great Britain and Germany have sent is insignificant in amount when compared with our own contributions8. 6 L’enthousiasme pour le Centennial n’était cependant pas unanime. Deux groupes en particulier étaient particulièrement conscients de ne pas bénéficier des valeurs démocratiques promises par la Déclaration de 1776, les Noirs et les femmes. Leurs représentants les plus éminents tentèrent de marquer leur colère. Dans un discours resté célèbre, lors du centenaire de l’Abolition Society of Pennsylvania, Frederick Douglass attaqua en 1875 les célébrations à venir : « The Centennial of seventy-six stands for patriotism; ours stands for philanthropy. One stands for nationality; the other stands for universal humanity. One stands for what is transient; the other stands for what is permanent. »9. De leur côté, les militantes de la National Woman Suffrage Association, amenées par Susan B. Anthony, organisèrent une contre-manifestation à Philadelphie, le 4 juillet 1876. Et pourtant, même ces voix discordantes ne surent échapper à l’élan patriotique : bien qu’il n’ait pas eu le droit de prendre la parole, Douglass accepta de

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rejoindre la tribune officielle, aux côtés du président Grant, lors de la cérémonie d’ouverture de la Centennial Exhibition10; quant aux militantes féministes, elles semblèrent presque s’excuser de troubler la liesse nationale, tant elles tinrent à insister sur leur fierté patriotique avant de défendre leur cause : While the nation is buoyant with patriotism, and all hearts are attuned to praise, it is with sorrow we come to strike the one discordant note. […] Surveying America’s Exposition, surpassing in magnificence those of London, Paris, and Vienna, shall we not rejoice at the success of the youngest rival among the nations of the world? […] And we do rejoice, in the success thus far, of our experiment of self-government. […] Yet we cannot forget, even in this glad hour, that while all men of every race, and clime, and condition, have been invested with the full rights of citizenship, under our hospitable flag, all women still suffer the degradation of disfranchisement11. 7 Le centenaire de la Révolution laisse ainsi une impression plutôt réussie. S’il suscita certes des critiques, ces dernières ne trouvèrent pas suffisamment d’écho pour troubler la fierté du jeune pays en train de conquérir le monde.

1976

8 Le contexte du Bicentennial de 1976 est, lui, très différent. Du début à la fin, la commémoration se déroula en effet dans l’ombre de la guerre du Vietnam. Ainsi, quand il signa en 1966 la loi créant l’organisme en charge de l’organisation du bicentenaire, l’ American Revolution Bicentennial Commission (ARBC), le président Johnson prit soin de souligner le parallèle suivant : « Today, the Vietnamese people are fighting for their freedom in South Vietnam. We are carrying forward our great heritage by helping to sustain their efforts »12. Les dix années suivantes furent tumultueuses, à la fois pour les États-Unis et pour l’ARBC.

9 Pendant que la défaite militaire se profilait en Asie, les débats sur les commémorations de 1976 prirent un tour compliqué. La Commission dut abandonner les deux projets qu’elle avait initialement envisagés : une nouvelle exposition universelle à Philadelphie et la construction d’un « Bicentennial Park » dans chaque état du pays. Dans les deux cas, c’est leur prix prohibitif qui précipita l’échec de ces idées13 — on était loin de l’esprit triomphant de 1876. Pire encore, au début des années 1970, l’ARBC se retrouva sous le feu nourri des critiques : alors qu’une commission d’enquête du Congrès souligna son inaction, elle fut aussi accusée d’être trop proche de l’administration Nixon, de ne pas travailler en tandem avec les autorités locales et d’ignorer les demandes des minorités ethniques14. 10 Devant ce fiasco, l’ARBC fut dissolue en 1973 et remplacée l’année suivante par l’ American Revolution Bicentennial Administration (ARBA). La feuille de route de cette nouvelle instance prit en compte les attaques à l’encontre de l’ARBC. Décision fut prise d’intégrer plus de voix noires parmi ses membres et de complètement décentraliser la commémoration15. Contrairement à 1876, la célébration n’aurait pas de vaisseau amiral dans un endroit précis, afin de pouvoir associer le plus grand nombre d’Américains à l’événement. In fine, des festivités (feux d’artifice, discours, création d’un musée ambulant dans un « Freedom Train »…) furent organisées dans plus de 12 000 « Bicentennial communities »16. Systématiquement, les organisateurs tentèrent de mobiliser tous les groupes sociaux et raciaux du pays, comme les femmes et les immigrés17.

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11 Le souci d’ouvrir le plus possible la commémoration était un geste profondément politique. Les responsables de l’ARBA et le président Ford avaient conscience du contexte délétère dans lequel le Bicentennial allait prendre place. La défaite au Vietnam représentait une blessure à l’orgueil américain difficilement susceptible de générer l’enthousiasme. Quant au Watergate, il avait mis à mal la confiance du peuple dans le gouvernement fédéral, et la personne même du président Gerald Ford était l’incarnation de la faillite des institutions dans les années 197018. L’humeur américaine était donc complexe, d’où des initiatives alternatives, comme la création en 1971 de la People’s Bicentennial Commission (PBC) par un militant d’extrême-gauche Jeremy Rifkin. Le but du PBC était d’organiser un bicentenaire participatif, une commémoration populaire où les Américains redécouvriraient les racines radicales de la Révolution19. Dans cette atmosphère de morosité et de colère, l’administration Ford et l’ARBA voyaient dans une mobilisation large et diversifiée le meilleur moyen de faire renouer le peuple avec son patriotisme traditionnel. Le Bicentennial pouvait ainsi devenir une formidable opportunité : des commémorations partagées et réussies permettraient de tourner la page du tumulte des années 60 et 70. Le but de l’ARBA était en ce sens fondamentalement conservateur, comme le reconnut John Warner, son président : « [Americans will] honor the great men who forged and then steered a nation so strong and so flexible that one revolution has proved enough »20. 12 Finalement, les célébrations de 1976 parvinrent à imposer un message positif sur les États-Unis. Comme en 1876, les contre-manifestations s’avérèrent en effet, au bout du compte, plutôt futiles, les critiques ne pouvant s’empêcher d’exprimer leur admiration pour les héros traditionnels de la Révolution. Un groupe de militants noirs appela par exemple ses membres à célébrer « la philosophie et les aspirations des premiers révolutionnaires américains comme Jefferson, Paine et Sam Adams »21 ; même les tracts distribués par la PBC retombaient dans une vision conventionnelle de 1776, articulée autour de Tom Paine, du Boston Massacre et de la Boston Tea Party, de Patrick Henry et Jefferson, de Lexington et Concord22. Malgré les craintes et les tensions, le Bicentennial, comme le Centennial un siècle auparavant, se conclut sur un relatif consensus commémoratif, comme si la force d’attraction de la Révolution était toujours irrésistible. 13 Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que, aujourd’hui, la perception du 4 juillet 1776 semble bien plus apaisée que par le passé. Les déclarations du président Obama lors d’une cérémonie à la Maison Blanche, pour le 240ème anniversaire de la Déclaration d’Indépendance, le 4 juillet 2016, illustrent bien cette évolution. Obama a certes rappelé que les promesses de la Révolution n’avaient pas encore été toute tenues : [The 4th of July] involves us recognizing that there are still people in this country who are going hungry -- and they're not free because of that. There are still people in this country who can't find work -- and freedom without the ability to contribute to society and put a roof over your head or look after your family, that's not yet what we aim for (Obama B., 2016). 14 Mais c’est un ton résolument et fièrement patriotique qui, globalement, a guidé le président ce soir-là. Evoquant avec émotion « the American family », il a comparé les États-Unis à « un miracle ». Et quinze ans après le 11 septembre, la dimension militaire de ce « miracle » est frappante. Obama a ainsi rappelé que la Révolution était née d’une guerre (« […] how incredibly lucky we are that people, generations ago, were willing to take up arms and fight for our freedom. ») et que la vie même du pays tenait, encore aujourd’hui, à sa puissance militaire : « We all know that our freedoms are dependent

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on an incredible group of men and women in uniform and their families who look out for us every single day. »23. Les leçons du 4 juillet 1776 résonnent encore donc avec pertinence au XXIème siècle.

NOTES

1. Pierre Nora, Pierre, Les lieux de mémoire (Paris, Quarto Gallimard, 1997), p.4687-4688. 2. Bernard Cottret et Henneton, Lauric, « La commémoration, entre mémoire prescrite et mémoire proscrite », in Bernard Cottret et Lauric Henneton (Dir.), Du bon usage des commémorations, Histoire, mémoire et identité, XVIe-XXIe siècle (Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010), p. 14, 15. 3. Tout le monde n’était cependant pas convaincu : de nombreux Représentants et Sénateurs se montrèrent très réticents à organiser une telle manifestation, la jugeant trop onéreuse pour certains, inutiles pour d’autres (une critique venant tout particulièrement des élus des États ne faisant pas partie des 13 colonies et qui ne se sentaient donc pas directement concernés par les événements du 4 juillet 1776). De plus, le centenaire venant si peu de temps après la Guerre de Sécession, les États du Sud refusèrent de participer à l’exposition (Faith K. Pizor, « Preparations for the Centennial Exhibition of 1876 », Pennsylvania Magazine of History and Biography, Vol. 94, No. 2, April 1970, p.214-215, 216-217. https://journals.psu.edu/pmhb/article/view/42622, page consultée le 13 juin 2016 ; Harold M. Hyman, « Review: Observations Observed, or Centennials Revisited », Reviews in American History, Vol. 1, No. 2, Jun. 1973, p.229; Lyn Spillman, « When Do Collective Memories Last? Founding Moments in the United States and Australia », Social Science History, Vol. 22, No. 4, Winter 1998, p. 454-455). 4. John Bodnar, Remaking America, Public Memory, Commemoration, and Patriotism in the Twentieth Century, Princeton (Princeton University Press, 1994), p.29; Spillman, op.cit., p. 454. 5. Cité dans Sean Dennis Cashman, America in the Gilded Age, From the Death of Lincoln to the Rise of Theodore Roosevelt (New York, New York University Press, 1993), p.6,8. 6. Hélène Quanquin, « 1776-1876 : Un autre 4 Juillet, Commémorations afro-américaines et féministes », in Bernard Cottret et Lauric Henneton (Dir.), Du bon usage des commémorations, Histoire, mémoire et identité, XVIe-XXIe siècle (Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2010), p. 122. 7. Ethan Robey, « Review: Bruno Giberti, Designing the Centennial: A History of the 1876 International Exhibition in Philadelphia », Isis, Vol. 95, No.2, June 2004, p. 304; Cashman, op.cit., p.22. 8. William Dean Howells, « A Sennight of the Centennial », The Atlantic Monthly, July 1876, p.96, http://ebooks.library.cornell.edu/cgi/t/text/pageviewer-idx? c=atla;cc=atla;rgn=full%20text;idno=atla0038-1;didno=atla0038-1;view=image;seq=0098;node=atla0038-1%3A13, page consultée le 13 juin 2016. 9. Frederick Douglass, « Address at the Centennial Celebration of the Abolition Society of Pennsylvania », 1875, https://www.loc.gov/resource/mfd.23002/?sp=4, page consultée le 13 juin 2016. 10. Philip S. Foner, « Black Participation in the Centennial of 1876 », Phylon, Vol. 39, No. 4, 4 th Quarter 1978, p. 283-284.

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11. National Woman Suffrage Association, « Declaration and Protest of the Women of the United States by the National Woman Suffrage Association », 4 juillet 1876, http://memory.loc.gov/rbc/ rbpe/rbpe16/rbpe160/16000300/001dr.jpg, page consultée le 13 juin 2016. 12. Lyndon Baines Johnson, « Letter to the President of the Senate and to the Speaker of the House Proposing the Establishment of an American Revolution Bicentennial Commission », 10 mars 1966, Public Papers of the Presidents of the United States (Washington, United States Government Printing Office, 1967), p.121. 13. Bodnar, op.cit., p.230-231. 14. Bodnar, op.cit., p.231; Jill Lepore, The Whites of their Eyes, The Tea Party’s Revolution and the Battle over American History (Princeton, Princeton University Press, 2010), p.65. 15. David Ryan, « Re-enacting Independence through Nostalgia – The 1976 US Bicentennial after the Vietnam War », Forum for Inter-American Research, Vol. 5.3, December 2012, http:// interamericaonline.org/volume-5-3/ryan/, page consultée le 13 juin 2016. 16. Bodnar, op.cit., p.231-233; Spillman, op.cit., p.457; Ryan, op.cit.. 17. Spillman, op.cit., p.460, 466. 18. Ryan, op.cit.. 19. Bodnar, op.cit., p.234-235; Lepore, op.cit., p.65. La PBC était également extrêmement critique de la dimension commerciale du Bicentennial ; il faut dire que les difficultés financières de l’ARBA l’avaient poussé à signer de nombreux contrats de sponsoring et de merchandising avec de grandes entreprises privées, comme Pepsico, General Motors ou American Airlines (Bodnar, op.cit., p.233, 235). 20. Bodnar, op.cit., p.227, 234. 21. Traduit par l’auteur. 22. Spillman, op.cit., p. 467. 23. Barack Obama, « Remarks by the President at Fourth of July Celebration », The White House, July 4, 2016, https://www.whitehouse.gov/the-press-office/2016/07/04/remarks-president- fourth-july-celebration, page consultée le 14 juillet 2016.

AUTHOR

FRANÇOISE COSTE

Françoise Coste est agrégée d’anglais, ancienne élève de l’ENS Fontenay-Saint Cloud et docteur en civilisation américaine. Elle est Maître de Conférences à l’Université de Toulouse – Jean Jaurès et a publié de nombreux articles sur l’histoire politique des États-Unis. Sa biographie de Ronald Reagan, Reagan, parue chez Perrin, a reçu le prix de la biographie politique de l’année en 2015.

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Comptes rendus

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Patrick Howlett-Martin, La coopération médicale internationale de Cuba. L’altruisme récompensé Paris, L’Harmattan, 2015, 207 p.

Alvar De la Llosa

REFERENCES

Patrick Howlett-Martin, La coopération médicale internationale de Cuba. L’altruisme récompensé, Paris, L’Harmattan, 2015, 207 p.

1 S’ouvrant sur une allocution de Fidel Castro prononcée en mai 1998 à Genève dans le cadre de la fondation de l’OMS, on pouvait craindre qu’on ne se trouve devant un énième ouvrage de propagande en faveur du régime castriste. Or, il n’en est rien, bien au contraire, l’ouvrage de Patrick Howlett-Martin est à la fois pondéré et fort bien informé. L’auteur, membre de la diplomatie française, propose un travail marqué par la richesse des chiffres et des données. La bibliographie est ample (60 pages sur 207), les sources cubaines et étasuniennes dominent, mais aussi africaines et françaises ; les articles provenant de revues médicales abondent, et les sites internet sont favorisés, ce qui est à la fois garant de qualité scientifique et facilite la consultation d’une partie des sources.

2 Après des années de silence médiatique, la qualité du système d’intervention médical cubain est désormais reconnue, notamment depuis la lutte contre le virus Ébola. Cuba a été le plus grand bailleur de fonds et le plus grand fournisseur de personnel médical qualifié. Cela fut, on s’en souvient, reconnu en octobre 2014 par le secrétaire d’État américain John Kerry qui, dans un communiqué officiel, célébrait l’envoi de 165 médecins et infirmiers cubains en Afrique de l’Ouest. Toujours fin 2014, dans un éditorial inattendu de la part d’un journal qui n’a jamais eu la dent tendre avec la politique de La Havane, le New York Times (« Cuba’s Impressive Role on Ebola », 19 octobre 2014) écrivait des mots qui allaient prendre tout leur sens à la mi-décembre

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2014 : « This should serve as an urgent reminder to the Obama administration that the benefits of moving swiftly to restore diplomatic relations with Cuba far outweigh the drawbacks ». La qualité de l’action humanitaire cubaine aurait donc, entre autres éléments, aidé à la restauration de relations rompues depuis 1961. 3 Pour l’auteur, le développement spectaculaire du système médical cubain est justement dû à la carence de médecins et de spécialistes qui préférèrent émigrer au début de la Révolution plutôt que de voir leur niveau de vie baisser. La moitié des 6912 médecins abandonnent une île où les deux tiers des hôpitaux se concentrent dans la capitale, alors que la moitié de la population vit dans les campagnes. Face à ce manque et ce déséquilibre, l’État développe un système de formation rapide qui recrute de jeunes campagnards plus au fait des conditions de vie tropicale. La coopération internationale débute en 1963 en Algérie où la décolonisation a provoqué le départ des médecins français. Aujourd'hui, le personnel de santé cubain à l’étranger est supérieur à celui de toutes les nations du G-8. L’auteur explique ce phénomène unique avec une abondance de données, et par un ample panorama de l’état de la santé dans diverses régions du Tiers monde. Il compare les situations afin de mieux comprendre les raisons du déploiement de l’action médicale cubaine, et il a soin de la placer dans la réalité planétaire. L’abondance de données extraites d’une étude contrastée de sources variées (institutionnelles ou médicales) dévoile des réalités inattendues et met en relief l’absurdité de l’aide internationale trop souvent dictée, voire imposée, par la Banque mondiale ou le FMI à nombre de pays sans ressources. Si la coopération médicale cubaine est née d’une volonté d’intervention politique dans le cadre de la décolonisation, elle a su évoluer jusqu’à la professionnalisation qu’on lui reconnaît aujourd'hui, concentrant désormais 80% de son action en Amérique latine et non plus en Afrique. Dans les pays d’Amérique latine les plus démunis, l’aide médicale s’accompagne de campagnes d’alphabétisation. 4 Sans angélisme, l’auteur révèle que cette coopération est aussi devenue une source de devises pour l’État cubain puisque, hormis pour les pays les plus indigents, elle est facturée. En 2013, elle a rapporté environ 8,2 milliards de dollars, soit plus que le tourisme. En revanche, si le coût financier n’est pas évalué, on sait que le Venezuela prend en charge le transport et une partie de la logistique dans le cadre de l’organisation ALBAMed. 5 Howlett-Martin s’attarde sur l’École latino-américaine de Médecine (ELAM), sa fondation, son fonctionnement et les raisons de sa réussite, notamment l’offre d’études faite à des jeunes gens issus de milieux défavorisés et provenant de divers pays du monde. Il remarque aussi comment ce système international se heurte parfois à des mentalités paysannes très différentes d’un pays à l’autre. Commence alors un catalogue détaillé des lieux d’exercice et des spécialités déployées selon les régions (enfants de Tchernobyl, lutte contre la cécité en Amérique latine, handicapés, procédures d’urgence face aux catastrophes naturelles (ouragan Mitch, séisme à Haïti ou au Pakistan). 6 Les pages consacrées aux études de médecine aux États-Unis montrent que le coût exorbitant des études provoque une course à la spécialisation et une installation dans les beaux quartiers urbains afin de les rembourser. Cette réalité, et d’autres, permet de comprendre l’enjeu que représente la formation à Cuba d’étudiants étasuniens issus de communautés défavorisées qui se heurtent d’ailleurs au Trading with the Ennemy Act de 1917.

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7 La pratique de la médecine est indissociable des médicaments. Face aux restrictions imposées à l’Île par l’embargo étasunien, et face au coût prohibitif des médicaments produits par les grandes multinationales, l’ALBAFarma a été créé avec les partenaires économiques de l’ALBA (Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique, 2004). Les relations entre les grandes entreprises pharmaceutiques et le système bancaire international, voire les fonds de placement, provoquent une disparité du prix des médicaments, même entre les États-Unis et le Canada. Cuba développe avec ses partenaires ses productions sur des segments de marchés délaissés parce que jugés non rentables par les grandes compagnies pharmaceutiques. Se pose alors le problème des produits génériques et de la législation adoptée lors de l’Uruguay Round de 1986-1994. L’auteur offre une vision globale des rapports entre les institutions internationales, l’industrie pharmaceutique et les enjeux au niveau mondial, cela afin de mieux comprendre le créneau dans lequel le système médical cubain internationalisé se glisse. La projection cubaine dépasse le cadre latino-américain bien au-delà de l’ALBA. À partir de 2014, ALBAMed régule et enregistre des médicaments produits à l’échelle régionale, pendant qu’ALBAFarma les achète et les distribue. 8 Les diverses actions déployées en Haïti, en Amérique centrale, en Équateur, en Bolivie, au Brésil, au Venezuela, et même en Argentine et en Uruguay, pays réputés développés, sont passées en revue. L’action médicale cubaine en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie et dans le Pacifique fait l’objet d’un long développement, tant les lieux et les actions sont nombreux et spécifiques. L’accueil est parfois très hostile notamment au Brésil, voire en Bolivie, au Venezuela et en Amérique centrale, où les médecins locaux voient d’un très mauvais œil l’arrivée de nouvelles pratiques. Dans ce contexte, l’auteur attire aussi l’attention sur les diverses raisons qui facilitent la fuite des cerveaux médicaux qui affecte le Tiers monde. Dans le cas cubain, l’adoption aux États-Unis du Cuban Medical Professional Parole Program a permis en 5 ans de débaucher entre 1600 et 8000 médecins cubains engagés principalement au Venezuela, en Bolivie et en Colombie. Mais leur intégration hors de l’Île est rendue difficile, comme celle des étudiants de l’ELAM quand ils reviennent dans leurs pays. Le niveau de formation est jugé insuffisant. Moyen de les tenir à l’écart ou réalité ? Au-delà de positions idéologiques anti-communistes, les médecins cubains sont aussi victimes de préjugés racistes contre les Noirs. 9 Le revers de la médaille existe évidemment. Cuba a formé un nombre élevé de médecins généralistes aux dépens de spécialisations médicales. L’action extérieure est souhaitée par les autorités qui peuvent ainsi rentabiliser un nombre sans doute trop important de médecins dans l’Île. Cette générosité à l’égard de l’extérieur entraîne des critiques. Les départs provoqueraient une perte de qualité des soins et une pénurie de spécialistes. Au-delà des consultations, les prestations hospitalières laisseraient à désirer. Les équipements de certains services seraient vétustes. De plus, la réalité médicale cubaine n’échappe pas aux contrecoups des bouleversements que l’Île subit depuis 1991. Le salaire d’un médecin dépasse rarement les 64 euros, alors qu’il atteint beaucoup plus dans les secteurs liés au tourisme et aux activités privées qui en découle. Dans les années à venir, un départ massif de médecins est à craindre. Le tourisme médical n’est pas encouragé par les autorités car il se concentre surtout sur la chirurgie esthétique et le dentaire. La continuation de la formation est mise en danger par des États africains qui ne versent pas à leurs étudiants la partie de la bourse qui leur correspond, et par les difficultés à faire valider leurs diplômes au retour. Par ailleurs, l’éclat de l’action

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cubaine se verrait aujourd'hui terni par la spectaculaire progression de l’action médicale chinoise, notamment en Afrique. Un millier de médecins chinois travaillent dans 42 pays. Au cours des 10 dernières années, Pékin a construit 30 hôpitaux en Afrique, et en a modernisé des dizaines. La Chine possède des moyens financiers et techniques sans commune mesure avec l’indigence cubaine, au-delà du fait que la majeure partie des financements en matière de santé destinés aux pays en développement provient de fonds étasuniens et européens. Mais arrivent-ils à destination ? Par ailleurs, les récents développements de l’actualité en Amérique latine, autant que la baisse du cours du pétrole, remettent en cause la prolongation du financement vénézuélien. Finalement, les bienfaits du système de santé cubain ont contribué à rapprocher l’Île des caractéristiques européennes, parmi elles, le vieillissement de la population. Comme le signale l’auteur, au moment où les dirigeants cubains entreprennent des réformes inévitables, les acquis sociaux et l’altruisme médical ne seront-ils pas emportés par la transformation des structures économiques ?

*

10 Ce livre s’inscrit dans le vaste cadre des relations nord-sud, il n’offre pas une vision idyllique mais un juste regard sur un travail difficile rendu éprouvant dans bien des cas par les catastrophes naturelles comme par l’opposition des élites locales, mais toujours gratifié par l’accueil des populations locales démunies.

11 Par l’abondance des données et le sérieux de ses sources, l’ouvrage de Patrick HOWLETT-MARTIN se révèle indispensable à tous ceux qui veulent comprendre les raisons de la survie du régime cubain, le rayonnement international de ce petit pays et sa capacité à développer une action diplomatique atypique, celle-là même que le 19 avril 2009 à Port-of-Spain, Barack Obama qualifiait, en lui rendant hommage, de soft- diplomacy.

AUTHORS

ALVAR DE LA LLOSA

Professeur en civilisation latino-américaine, Université Lyon 2

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Anne Deysine, La Cour Suprême des Etats-Unis. Droit, politique et démocratie Paris, Dalloz, coll. « Les sens du droit », 2015, 287p.

François Vergniolle de Chantal

REFERENCES

Anne Deysine, La Cour Suprême des Etats-Unis. Droit, politique et démocratie, Paris, Dalloz, coll. « Les sens du droit », 2015, 287p.

1 Au moment où la France commence à se familiariser avec un nouveau type de contrôle de constitutionnalité depuis l’introduction de la « Question Prioritaire de Constitutionnalité » (QPC) en 2008, l’ouvrage d’Anne Deysine, juriste et professeur émérite de l’Université de Nanterre, tombe à point nommé pour expliciter les enjeux liés à ce contrôle ex post qui, aux États-Unis, est pratiqué depuis 1803. La décision historique de cette année-là créa le pouvoir moderne de « Judicial Review », donnant ainsi une ampleur inédite à l’action discrétionnaire de la Cour. Depuis lors, et comme le souligne l’ouvrage, ses pouvoirs s'étendent, de manière presque tentaculaire, à tous les aspects non seulement politiques, mais aussi, économiques et sociétaux, qui animent le débat public.

2 En effet, la Cour Suprême est non seulement l’institution centrale du Judiciaire américain en ce qu’elle est au sommet de la hiérarchie des normes (et cumule ainsi les fonctions respectives du Conseil Constitutionnel, de la Cour de Cassation et du Conseil d’État sous la Ve République française), mais elle est aussi au cœur de « l’œil du cyclone » (storm center) politique, comme l’a expliqué David O’Brien dans un manuel classique. Elle est libre de se prononcer sur n’importe laquelle des questions du débat public, de l’avortement au port d’armes en passant par la réforme de l’assurance- maladie, voire sur des élections elles-mêmes, comme elle le fit en 2000 avec la décision Bush v. Gore. Cet « activisme », qui a connu une intensité et des colorations différentes

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suivant les époques, est redevenu la nouvelle norme de la vie politique américaine depuis qu’Earl Warren, Chief Justice de 1954 à 1969, mena une « révolution des droits » dans les années soixante. Le passage de la Cour dans le camp des conservateurs à partir du milieu des années quatre-vingt ne fit que modifier l’orientation de l’activisme, sans revenir sur son intensité. 3 Le livre s’inscrit dans la tradition d’analyse pluridisciplinaire du « judicial politics », qui ne sépare pas droit et politique (p. 33), puisqu’il s’agit à la fois d’étudier « la Cour suprême en action et de l’intérieur » (p. 36), tout en évaluant sa dynamique au sein de la séparation des pouvoirs. La question globale qui anime l’ouvrage est une interrogation sur la nature politique de la Cour Suprême et son rôle dans la démocratie américaine, comme l’indique le sous-titre « droit, politique et démocratie ». Comme le dit justement A. Deysine, le caractère « intrinsèquement politique » de la Cour ne doit pas conduire à « en déduire qu’elle est nécessairement antimajoritaire ou antidémocratique », car ce « serait tomber dans une facilité trompeuse » (p. 37). Le plan est divisé en six chapitres. Ils abordent la place de la Cour dans le paysage constitutionnel (chapitre 1), la nomination des Justices (chapitre 2), l’autonomie du Judiciaire (chapitre 3), le processus de décision et « l’art de composer avec les contraintes » (chapitre 5) ; enfin, les chapitres 4 et 6 portent sur les interventions de la Cour dans les domaines politico-économiques et, plus largement, sur le rapport entre la Cour et la démocratie américaine. On a pu apprécier tout au long de ces pages la démarche didactique qui vise à clarifier le mode de fonctionnement interne de la Cour Suprême, les multiples critères qui guident les juges et les contraintes qui pèsent sur eux. Encore plus intéressant, l'auteur met également un point d'honneur à présenter les différentes philosophies interprétatives qui nourrissent les conceptions des juges, de la notion d’une « constitution vivante » (living constitution) à l’originalisme. Ce faisant, A. Deysine s'appuie sur un grand nombre de décisions bien connues en veillant pour l'essentiel à éviter les explications trop techniques et en se concentrant sur le contenu politique et juridique des textes. 4 Le lecteur est ainsi amené à comprendre les débats sur des sujets aussi variés que les innovations juridiques de la Cour Warren dans les années soixante, à commencer par la création d’un « droit à la vie privée », nulle part mentionné dans la Constitution mais pourtant décisif pour la reconnaissance ultérieure d’un droit national à l’avortement grâce à la décision Roe v. Wade de 1973. A. Deysine revient également sur les différentes facettes de la contre-révolution conservatrice lancée par Rehnquist dès qu’il devint Chief Justice en 1986 et poursuivie par son successeur en 2005, John Roberts. Si le bilan est sans doute en retrait par rapport aux attentes des conservateurs les plus ardents, il n’en reste pas moins que la Cour conservatrice a su atteindre un certain nombre de ses objectifs. Par exemple en menant une redéfinition des relations fédérales – avec les décisions Lopez de 1995 ou Printz en 1997 – ou en accroissant la marge de manœuvre des États dans l’application du droit à l’avortement avec la décision Casey (1992). La Cour Roberts, pour sa part, a d’abord donné l’impression de s’en tenir à des interprétations étroites de la loi afin d’éviter toute confrontation sur des enjeux de substance politique avec les pouvoirs élus, comme le montra son attitude vis-à-vis de la réforme de l’assurance-maladie (National Federation of Independent Business et al. v. Sebelius, 2012). Mais cette prudence est peut-être en train de disparaître. La Cour Roberts est la plus conservatrice au moins depuis les années trente et l’influence de la Federalist Society en son sein est à son maximum. Ainsi, Sebelius valida le « mandat » au titre du pouvoir fiscal du Congrès, sauvant ainsi l’essentiel de la réforme d’Obama, mais annula la

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disposition sur l’expansion de Medicaid en mettant en avant qu’il s’agissait d’une « coercition » des États (commandeering) et que cela allait contre le Xe Amendement et les décisions New York et Printz. Le droit à l’avortement a été encadré avec Gonzales v. Carhart (2007), qui accepta le Partial-Birth Abortion Act de 2003, et demeure un enjeu des plus sensibles, comme en témoignent la décision Burwell v. Hobby Lobby Stores (2014), qui mêle autonomie des entreprises, liberté religieuse et accès à l’avortement, ou le débat en cours sur la définition des « entraves » (burden) acceptables avec le cas Whole Woman’s Health v. Hellerstedt qui porte sur des restrictions adoptées au Texas en 2013. Par ailleurs, les décisions en matière de financement des campagnes (Citizens United, 2010), sur le droit individuel à porter des armes (Heller, 2008 ; McDonald, 2010), sur le Voting Rights Act (Shelby, 2013) sur la discrimination positive (Schuette, 2013) ou encore sur la séparation des Eglises et de l’Etat (Town of Greece, 2014), laissent peu de doute sur la poursuite d’un agenda conservateur. 5 Le rôle décisif que la Cour a ainsi pu avoir ne doit pas pour autant laisser croire qu’il existerait un quelconque « gouvernement des Juges » aux États-Unis. Si l’expression est entrée dans le vocabulaire français en 1921 grâce à l’ouvrage éponyme d’Edouard Lambert, elle est née, comme nous l’assure A. Deysine, en Amérique (p. 32). L’ouvrage souligne à de nombreuses reprises la multiplicité des contraintes qui pèsent sur le Judiciaire fédéral. Son pouvoir est en fait relativement fragile dans la mesure où sa base constitutionnelle est étroite. La Constitution de 1787 conférait à la Cour un pouvoir assez réduit, qui reposait pour l’essentiel sur les compétences énumérées à l’Article III et la « clause de suprématie » (Supremacy Clause) de l’Article VI. C’est sous l’impulsion de son premier grand Chief Justice, John Marshall (1801-1835), que la Cour a su élargir ses compétences dans les premières années de la jeune république, à un moment où un certain flou entourait encore le fonctionnement du récent texte constitutionnel. La décision Marbury v. Madison de 1803 fut une sorte de coup de force légal au terme duquel la Cour s’auto-attribua ce qui jusqu’alors était contenu en pointillés dans la clause de la suprématie, c’est-à-dire la capacité de juger de la constitutionnalité des lois. 6 Le pouvoir de la Cour est non seulement un « construit », mais il est contingent. L’ouvrage illustre abondamment les différents types de contraintes qui pèsent sur les décisions de la Cour. La Cour dépend, lors de la nomination de ses membres, des deux autres pouvoirs, la Présidence et le Sénat, transformant ainsi le choix d’un Juge en un enjeu politique de premier plan. Mais c’est aussi en son sein que la Cour est confrontée à des tensions. A. Deysine montre en particulier que les « majorités » conservatrices des dernières décennies sont fluctuantes car les oppositions y sont vives. Par ailleurs, la Cour est une institution qui est particulièrement à l’écoute de l’opinion publique. Les Juges sont grands consommateurs de sondages et, pour la plupart, ne se lancent dans un revirement de jurisprudence qu’avec circonspection. La règle cardinale du « stare decisis », c’est-à-dire du précédent, est en effet la condition sine qua non du respect de la Cour par l’opinion et de la construction de la légitimité du Judiciaire fédéral. L’un des aspects les plus intéressants de l’ouvrage réside d’ailleurs dans son analyse de « l’affaiblissement de la règle du précédent » (p. 215-218). C’est en effet un des enjeux les plus importants de la Cour, qui, sous l’influence de la Federalist Society, grande association de juristes conservateurs, pourrait être tentée de privilégier un respect originaliste de la constitution au détriment du simple mode de décision que constitue le respect du précédent. Le potentiel quasi-révolutionnaire d’une telle démarche tient en haleine les analystes de la Cour Suprême et l’ouvrage d’A. Deysine permettra au lecteur,

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spécialiste ou simplement intéressé, d’avoir les clés de lecture nécessaires pour saisir les enjeux à venir, à commencer par le remplacement du Justice Antonin Scalia, héraut du bloc conservateur et originaliste, décédé en février dernier.

AUTHORS

FRANÇOIS VERGNIOLLE DE CHANTAL

Professeur, Paris Diderot, LARCA – UMR 8225

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