Le Socialisme Sa Définition
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Émile Durkheim Le socialisme Sa définition. Ses débuts. La doctrine saint-simonienne source : http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/ Classiques_des_sciences_sociales/index.html Cette édition électronique a été réalisée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep deChicoutimi à partir de l'édition de 1928. Table des matières INTRODUCTION, par Marcel MAUSS LIVRE PREMIER : DÉFINITION ET ORIGINES DU SOCIALISME CHAPITRE I. Définition du socialisme Leçon 1 Leçon 2 CHAPITRE II. Socialisme et communisme Leçon 2 (fin) Leçon 3 CHAPITRE III. Le socialisme au XVIIIe Siècle Leçon 3 (fin) Leçon 4 CHAPITRE IV. Sismondi Leçon 5 LIVRE DEUXIÈME : SAINT-SIMON, SA DOCTRINE : L'ÉCOLE SAINT-SIMONIENNE CHAPITRE V. Saint-Simon. Vie et oeuvres Leçon 5 (fin) Leçon 6 CHAPITRE VI. La doctrine de Saint-Simon. Fondation du positivisme Leçon 6 (fin) Leçon 7 CHAPITRE VII. La doctrine de Saint-Simon (suite). - Origines historiques du système industriel Leçon 7 (fin) Leçon 8 CHAPITRE VIII. La doctrine de Saint-Simon (suite). - Organisation du système industriel Leçon 8 (fin) Leçon 9 Leçon 10 CHAPITRE IX. La doctrine de Saint-Simon (fin). - L'internationalisme et la religion Leçon 11 Leçon 12 CHAPITRE X. Saint-Simon (fin). - Conclusions critiques Leçon 12 (fin) CHAPITRE XI. L'École saint-simonienne. - Conclusions critiques du cours Leçon 13 Leçon 14 CONCLUSIONS DU COURS 2 INTRODUCTION Ce livre est le début d'une oeuvre qui n'a jamais été terminée. C'est la première partie d'une Histoire du socialisme, rédigée sous la forme de leçons. Le cours a été professé à Bordeaux, à la Faculté des Lettres, de novembre 1895 à mai 1896. Voici la place que ce travail occupe dans l’œuvre et dans la pensée de Durkheim. On sait de quels problèmes il est parti. C'est dès ses années d'École Normale, par vocation, et dans un milieu animé de vouloir politique et moral, d'accord avec Jaurès et avec son autre camarade Hommay (mort en 1886), qu'il se consacra à l'étude de la question sociale. Il la posait alors assez abstraitement et philosophiquement, sous le titre : Rapports de l'individualisme et du socialisme. En 1883, il avait précisé ; et c'étaient les rapports de l'individu et de la société qui devinrent son sujet. C'est alors qu'il parvint, par une analyse progressive de sa pensée et des faits, entre le premier plan de sa Division du travail social (1884) et la première rédaction (1886), à s'apercevoir que la solution du problème appartenait à une science nouvelle : la sociologie. Celle-ci était alors bien peu en vogue, surtout en France où les excès des derniers comtistes l'avaient ridiculisée. De plus, elle était loin d'être constituée. Car Comte, Spencer et même Espinas, et même les Allemands Schaeffle et Wundt n'en avaient donné que des philosophies. Durkheim entreprit cette oeuvre : lui donner une méthode et un corps. L'étude du socialisme fut donc interrompue. Cette tâche de méditation et d'érudition aboutit à la rédaction définitive (1888 à 1893) de La division du travail, au cours sur Le suicide (1889- 1890), au cours sur La famille (1888-1889), (1891-1893), à celui sur La religion (1894-1895). C'était toute la sociologie que Durkheim édifiait (Les règles de la méthode, 1896 ; Le suicide, 1897). La pensée de Durkheim avait pris sa forme définitive. Une science à fonder avait absorbé naturellement ses forces. Mais il ne perdait pas de vue son point de départ. Les questions sociales restaient au fond de ses préoccupations. La division du travail, Le suicide ont des conclusions morales, politiques et économiques sur le groupe professionnel. Le cours sur La famille se termina par une leçon (publiée dans la Revue philosophique de 1920) où il montre qu'il faut déférer au groupe professionnel une partie des anciens droits politiques et de propriété qu'avaient les groupes domestiques, si l'on veut que l'individu ne soit pas seul en face de l'État et ne vive pas dans une sorte d'alternative entre l'anarchie et la servitude. Le présent cours, le cours sur L'éducation morale (publié en 1925) reviennent sur la même idée maîtresse de l’œuvre proprement morale et politique de Durkheim. Il a encore repris cette question dans sa Morale civique et professionnelle (partie du cours de Physiologie du droit et des mœurs) que nous pensons publier après cet ouvrage. L'idée était d'ailleurs si importante qu'elle frappa les esprits. Ainsi Georges Sorel, esprit pénétrant, sinon érudit et juste, que nous connaissions depuis 1893, ne manqua pas de l'utiliser dans plusieurs articles du Devenir social. Plus tard le syndicalisme révolutionnaire s'est en partie nourri d'elle. Que ceci soit noté en passant et pour marquer un simple point d'histoire. Nous aurions fort à dire à ce sujet. Car, en cette affaire, nous Mines, un certain nombre d'entre nous du moins, plus que des témoins, de 1893 à 1906. Cependant, jusqu'en 1895, Durkheim ne put pas distraire un instant de ses travaux pour revenir à l'étude du socialisme. D'ailleurs même alors, quand il y revint, comme on le verra 3 dans ce livre, il ne se départit pas de son point de vue habituel. Il considéra cette doctrine d'un point de vue purement scientifique, comme un fait que le savant doit envisager froidement, sans préjugé, sans prendre parti. C'est le problème sociologique qu'il traite : pour lui, il s'agit d'expliquer une idéologie, l'idéologie socialiste ; et pour l'expliquer, il faut analyser les faits sociaux qui ont obligé quelques hommes comme Saint-Simon et Fourier, comme Owen et Marx à dégager des principes nouveaux de morale et d'action politique et économique. Ce cours d'ailleurs est, croyons-nous, un modèle d'application d'une méthode sociologique et historique à l'analyse des causes d'une idée. Mais, sous cette forme désintéressée de recherche, Durkheim satisfaisait un besoin de sa pensée morale et scientifique à la fois. Il cherchait à prendre parti et à motiver ce parti. Il y était incliné par une série d'événements, quelques-uns petits et personnels, quelques autres plus graves. Il se heurtait au reproche de collectivisme que lui assénèrent, à propos de sa Division du travail, des moralistes susceptibles et plusieurs économistes classiques ou chrétiens. Grâce à des bruits de ce genre, on l'écartait des chaires parisiennes. D'autre part, parmi ses propres étudiants, quelques-uns des plus brillants s'étaient convertis au socialisme, plus spécialement marxiste, voire guesdiste. Dans un Cercle d'Études sociales, quelques-uns commentaient Le Capital de Marx comme ailleurs ils commentaient Spinoza. Durkheim sentait cette opposition au libéralisme et à l'individualisme bourgeois. Dans une conférence organisée à Bordeaux, par ce Cercle et par le Parti ouvrier, Jaurès, dès 1893, glorifiait l'œuvre de Durkheim. D'ailleurs, si c'est Lucien Herr qui, en 1886-1888, convertit Jaurès au socia- lisme, c'est Durkheim qui, en 1885-1886, avait détourné celui-ci du formalisme politique et de la philosophie creuse des radicaux. Durkheim connaissait assez bien le socialisme dans les sources elles-mêmes : par Saint- Simon, par Schaeffle, par Karl Marx, qu'un ami finlandais, Neiglick, lui avait appris à étudier pendant son séjour à Leipzig. Toute sa vie, il n'a répugné à adhérer au socialisme proprement dit qu'à cause de certains traits de cette action : son caractère violent ; son caractère de classe, plus ou moins purement ouvriériste, et aussi son caractère politique et même politicien. Durkheim était profondément opposé à toute guerre de classes ou de nations ; il ne voulait de changement qu'au profit de la société tout entière et non d'une de ses fractions, même si celle- ci était le nombre et avait la force ; il considérait les révolutions politiques et les évolutions parlementaires comme superficielles, coûteuses et plus théâtrales que sérieuses. Il résista donc toujours à l'idée de se soumettre à un parti de discipline politique, surtout international. Même la crise sociale et morale de l'affaire Dreyfus, où il prit une grande part, ne changea pas son opinion. Même pendant la guerre, il fut de ceux qui ne mirent aucun espoir dans ce qu'on appelle la classe ouvrière organisée internationalement. Il resta donc toujours dans un juste milieu ; il « sympathisa », comme on dit maintenant, avec les socialistes, avec Jaurès, avec le socialisme. Il ne s'y donna jamais. Pour se justifier à ses propres yeux, à ceux de ses étudiants et, un jour, à l'égard du monde, il commença donc ces études. Le cours publie eut un succès très grand. La définition du socialisme qui fut publiée en résumé frappa Guesde et Jaurès qui se dirent d'accord avec Durkheim. Celui-ci préparait pour 1896-1897 un cours sur Fourier et sur Proudhon dont il possédait et avait étudié les oeuvres, comme il avait fait pour celles de Saint-Simon et des saint-simoniens. Il eût consacré une troisième année à Lassalle qu'il connaissait peu alors, à Marx et au socialisme allemand qu'il connaissait bien déjà. Il avait d'ailleurs l'intention de s'en tenir à l’œuvre des maîtres, à leur pensée, plus qu'au train de vie des individus et qu'aux événements de second rang. 4 Mais dès 1896, Durkheim, entreprenant L'Année sociologique, revint à la science pure ; l'Histoire du socialisme est restée inachevée. Il regretta toujours de n'avoir pu la continuer et de ne pouvoir la reprendre. Ce livre ne contient donc que la première partie : Définition, Débuts du socialisme, Saint- Simon. De plus il arrive un peu tard.