Paul Eyschen, Marie-Adélaïde Et La Première Guerre Mondiale
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8 DIE WARTE Donnerstag,den 13. November 2014 Histoire mouvementée du pays en 1914-1915 Paul Eyschen, Marie-Adélaïde et la Première Guerre mondiale Un éclairage sur deux«oubliés»del'historiographie luxembourgeoise DenisScuto* prospère que nous connaissons au- jourd'hui, les politiques suivies par le chef Sur quoi et sur qui les historiens d'un du gouvernement et la souveraine en pays écrivent-ils? Ou n'écrivent-ils 1914-1915 font désordre. pas? Et pourquoi? –Comment ex- Le discours de la manifest destiny amis pliquer que Paul Eyschen (1841- l'accent sur le consensus autour de la na- 1915), le Premier ministre luxem- tion luxembourgeoise en présentant les bourgeois qui détient toujours le re- doutes sur la viabilité de cet Etat et les conflits politiques comme l'exception, cord de longévité àceposte –plus comme non-luxembourgeois. Dans ce de 27 ans, de 1888 àsamort, en discours, la Première guerre mondiale 1915 –, le constructeur de l'Etat pèche par ses luttes intestines là où le moderne luxembourgeois, n'a droit Burgfrieden aurait dû régner. Dans ce qu'à 21 notices dans le catalogue discours, les choix diplomatiques du sujet de la Bibliothèque nationale? gouvernement Eyschen et de la Grande- Duchesse en 1914-1915, les conflits entre atriae inserviendo consumer:«Il a le gouvernement Eyschen et Marie-Adé- sacrifié toute sa vie au service de laïde, les actes de politique intérieure Psa patrie, le Grand-Duché de posés par la Grande-Duchesse ne collent Luxembourg», lit-on dans les journaux le pas avec le master narrative construit à lendemain de sa mort. Et pourtant, les partir de l'entre-deux-guerres. historiens ont moins publié sur Eyschen que sur ses successeurs Joseph Bech Histoire-mémoire (ministre d'Etat pendant 16 ans) ou Pierre et histoire-science Werner (20 ans). L'historien Christian Calmes, dans un article de 1976, intitulé «Août 1914: Les Deux figures historiques largement protestations officielles luxembour- ignorées dans l'historiographie geoises contre l'invasion allemande», ex- «Das Land hat ein Recht darauf, daß ei- plique aux lecteurs que ces événements ne berufene Feder der Laufbahn dieses de 1914 étaient longtemps restés tabous Toten ein ausführliches Werk widmet. pour les hommes de sa génération: «Tout Denn die Geschichte seines Lebens ist cela changera àlasuite de la deuxième zum größten Teil die Geschichte unse- guerre mondiale du fait de l'attitude de res Landes», écrit la Luxemburger Zei- la Couronne, du Gouvernement et de la tung le 12 octobre 1915. Et pourtant, jus- population. N'ayant pas collaboré quand qu'à aujourd'hui, une seule longue no- sonna en Europe occupée l'heure de col- tice biographique, aux accents hagio- laboration, le pays et ses citoyens peu- graphiques, lui aété consacrée par Jules vent désormais se pencher sur les évé- Mersch dans le cinquième fascicule de nements du 2août 1914 sans risquer de sa Biographie nationale du pays de nuire au pays (préoccupation àlaquelle Luxembourg.1 Aucun des historiens im- les ressortissants d'un petit pays sont portants de l'époque contemporaine ne nécessairement très sensibles) et qui lui aconsacré une étude fouillée. explique un certain conformisme dans le Comment expliquer que 17 publica- domaine de la recherche historique.»3 tions seulement se sont penchées sur la En fait, ce n'est pas tant le confor- figure historique de la première souve- misme qui pose problème, mais la con- raine des Nassau-Weilburg née sur le sol fusion chez beaucoup d'historiens luxembourgeois, Marie-Adélaïde (1894- luxembourgeois du XXe siècle entre his- gations liées au statut de neutralité du 1924), alors que 140 s'intéressent àsa toire-mémoire et histoire-science. Chez La Grande-Duchesse Marie-Adélaïde pays, son principal souci est le même en soeur puînée, Charlotte, qui lui asuccé- Christian Calmes, l'histoire est un acte arégné de 1912-1919. 1888 qu'en 1913: ménager, ne pas froisser, dé sur le trône grand-ducal? de reconnaissance, d'hommage ou de ré- (Photo: Grieser) ne pas déplaire àl'Allemagne du Zoll- Ason avènement au trône en 1912, une habilitation des acteurs du passé. Cette verein.En1902, le Grand-Duché a, par plume de la gauche, Joseph Hansen, avait histoire-mémoire acomme premier de- anticipation, renouvelé l'union doua- écrit: «... voici que le patriotisme cessera voir de cimenter des identités collec- posent àleur examen. Que ces conclu- nière et la convention ferroviaire avec d'être une idée abstraite pour les Luxem- tives («nous Luxembourgeois») en jouant sions plaisent ou non au public ou aux l'Allemagne jusqu'en 1959. L'industriali- bourgeois: il prendra forme et corps.» Et sur des ressorts émotionnels. En suivant hommes politiques. sation du pays et, partant, l'accès àla pourtant, dans le beau catalogue rétro- le raisonnement de Christian Calmes, Cet article-ci vise, cent ans après les prospérité économique, s'est accomplie, spectif de l'exposition au Musée natio- l'historien doit prendre garde ànepas faits, àfaire le point sur ces événements sous l'ère Eyschen, dans une dépen- nal d'histoire et d'art consacré à«100 Joër «nuire au pays». Formulé autrement, àtravers une relecture et une réinter- dance multiple àl'égard du Reich: dé- Lëtzebuerger Dynastie» (1890-1990), le cette histoire-mémoire demande aux prétation, dans une optique d'explica- pendance àl'égard des matières pre- lecteur trouve des articles sur les règnes historiens de susciter et promouvoir tion et non de jugement, des études mières, des débouchés, des transports, du Grand-duc Adolphe, de Charlotte et l'amour de la patrie. d'historiens comme Christian Calmes et des capitaux, de la main d'oeuvre. de Jean, mais aucun sur Marie-Adé- Voilà pourquoi Calmes doit mobiliser Gilbert Trausch, mais aussi des do- L'historien Gilbert Trausch arelevé laïde.2 le mythe de la nation résistante de 1940- cuments diplomatiques allemands, fran- cette phrase révélatrice de Paul Dans l'historiographie luxembour- 1945 et le mythe de l'absence de colla- çais et anglais de l'époque. Eyschen àlaChambre des Députés en geoise, Paul Eyschen apparaît comme un boration pour justifier la première étude 1913, prononcée dans le contexte de petit homme d'Etat et Marie-Adélaïde critique de l'attitude du Gouvernement La politique étrangère l'achat d'engrais potassiques par les agri- comme une petite duchesse. Tout et de la Couronne en 1914. Le jugement de Paul Eyschen culteurs luxembourgeois: «Il n'y aura comme la Première guerre mondiale ap- de valeur positif sur la période de la Paul Eyschen, député depuis 1866, mi- plus de différence désormais entre le paraît dans le cadre luxembourgeois Seconde Guerre mondiale rend accep- nistre de la Justice depuis 1876, ministre Grand-Duché et les autres parties de comme la petite guerre en comparaison table une critique de la période de la Pre- d'Etat (et des Affaires étrangères) àpartir l'Empire d'Allemagne.»5 Les résistances avec la Seconde Guerre mondiale. mière Guerre mondiale. de 1888, aoeuvré toute sa vie pour ac- àcette «pénétration pacifique»6,àlager- Les raisons de cette triple mésestime Les historiens d'aujourd'hui refusent croître la prospérité du Grand-Duché de manisation du pays se développent dans sont àmon avis les mêmes. Eyschen, ce type d'histoire-mémoire, parce que Luxembourg dans le cadre du statut d'in- une partie de la presse et de l'opinion pu- Marie-Adélaïde et la Première guerre l'histoire-science obéit àd'autres prin- dépendance et de neutralité désarmée blique qui ne cache pas son aversion pour mondiale n'entrent pas harmonieu- cipes. Ils visent àanalyser, comprendre garanti par le Traité de Londres de 1867. le monde prussien et sa francophilie. sement dans le discours de la manifest et expliquer le passé et non àporter des Sa politique étrangère est imprégnée par L'attitude pro-allemande de Paul Eys- destiny du grand-duché de Luxembourg jugements de valeur sur les événements une perception réaliste de la position in- chen en politique étrangère transparaît qui aété élaboré au cours du XXe siècle. et les personnages historiques. Ils ten- ternationale du pays: le Grand-Duché se nettement dans l'immédiat avant-guerre Dans ce discours, pour lequel le Luxem- tent d'établir les faits grâce àlacritique situe dans la sphère d'influence politi- et au début de la guerre, de 1912 à1915. bourg était «manifestement destiné» à scientifique des sources et de ne tirer que et économique de l'Allemagne.4 Tout Dans le contexte de la montée des ten- devenir et rester ce pays indépendant et comme conclusions que celles qui s’im- en respectant scrupuleusement les obli- sions internationales la «question du Donnerstag,den 13. November 2014 v Nummer 29|2451 DIE WARTE 9 Paul Eyschen, Marie-Adélaïde et la Première Guerre mondiale Luxembourg» refait surface et est posée La grande-duchesse Marie-Adélaïde Politique d'accommodement dans des articles de presse des pays voi- demande des explications àl'empereur avec l'occupant allemand sins.7 En 1913, la «Trierische Landeszei- Guillaume II. Bethmann Hollweg, le tung» soutient que la faiblesse des forti- chancelier, et von Jagow, le secretaire Dans son discours du Trône –rédigé par fications et de la garnison de Trèves d'Etat aux Affaires étrangères, répon- Eyschen –pour l'ouverture solennelle de créent une brèche dans le dispositif mi- dent que ces mesures militaires ne re- la Chambre des Députés, le 10 novem- litaire allemand, brèche rendue encore présentent pas un acte hostile àl'égard bre 1914, la grande-duchesse Marie-Adé- plus dangereuse par une neutralité du Luxembourg, mais une mesure pré- laïde officialise le maintien de la «politi- luxembourgeoise «à laquelle plus per- ventive pour protéger les chemins de fer que de neutralité» face aux Alliés comme sonne ne croit».