8 DIE WARTE Donnerstag,den 13. November 2014

Histoire mouvementée du pays en 1914-1915 , Marie-Adélaïde et la Première Guerre mondiale

Un éclairage sur deux«oubliés»del'historiographie luxembourgeoise

DenisScuto* prospère que nous connaissons au- jourd'hui, les politiques suivies par le chef Sur quoi et sur qui les historiens d'un du gouvernement et la souveraine en pays écrivent-ils? Ou n'écrivent-ils 1914-1915 font désordre. pas? Et pourquoi? –Comment ex- Le discours de la manifest destiny amis pliquer que Paul Eyschen (1841- l'accent sur le consensus autour de la na- 1915), le Premier ministre luxem- tion luxembourgeoise en présentant les bourgeois qui détient toujours le re- doutes sur la viabilité de cet Etat et les conflits politiques comme l'exception, cord de longévité àceposte –plus comme non-luxembourgeois. Dans ce de 27 ans, de 1888 àsamort, en discours, la Première guerre mondiale 1915 –, le constructeur de l'Etat pèche par ses luttes intestines là où le moderne luxembourgeois, n'a droit Burgfrieden aurait dû régner. Dans ce qu'à 21 notices dans le catalogue discours, les choix diplomatiques du sujet de la Bibliothèque nationale? gouvernement Eyschen et de la Grande- Duchesse en 1914-1915, les conflits entre atriae inserviendo consumer:«Il a le gouvernement Eyschen et Marie-Adé- sacrifié toute sa vie au service de laïde, les actes de politique intérieure Psa patrie, le Grand-Duché de posés par la Grande-Duchesse ne collent », lit-on dans les journaux le pas avec le master narrative construit à lendemain de sa mort. Et pourtant, les partir de l'entre-deux-guerres. historiens ont moins publié sur Eyschen que sur ses successeurs Histoire-mémoire (ministre d'Etat pendant 16 ans) ou Pierre et histoire-science Werner (20 ans). L'historien Christian Calmes, dans un article de 1976, intitulé «Août 1914: Les Deux figures historiques largement protestations officielles luxembour- ignorées dans l'historiographie geoises contre l'invasion allemande», ex- «Das Land hat ein Recht darauf, daß ei- plique aux lecteurs que ces événements ne berufene Feder der Laufbahn dieses de 1914 étaient longtemps restés tabous Toten ein ausführliches Werk widmet. pour les hommes de sa génération: «Tout Denn die Geschichte seines Lebens ist cela changera àlasuite de la deuxième zum größten Teil die Geschichte unse- guerre mondiale du fait de l'attitude de res Landes», écrit la Luxemburger Zei- la Couronne, du Gouvernement et de la tung le 12 octobre 1915. Et pourtant, jus- population. N'ayant pas collaboré quand qu'à aujourd'hui, une seule longue no- sonna en Europe occupée l'heure de col- tice biographique, aux accents hagio- laboration, le pays et ses citoyens peu- graphiques, lui aété consacrée par Jules vent désormais se pencher sur les évé- Mersch dans le cinquième fascicule de nements du 2août 1914 sans risquer de sa Biographie nationale du pays de nuire au pays (préoccupation àlaquelle Luxembourg.1 Aucun des historiens im- les ressortissants d'un petit pays sont portants de l'époque contemporaine ne nécessairement très sensibles) et qui lui aconsacré une étude fouillée. explique un certain conformisme dans le Comment expliquer que 17 publica- domaine de la recherche historique.»3 tions seulement se sont penchées sur la En fait, ce n'est pas tant le confor- figure historique de la première souve- misme qui pose problème, mais la con- raine des Nassau-Weilburg née sur le sol fusion chez beaucoup d'historiens luxembourgeois, Marie-Adélaïde (1894- luxembourgeois du XXe siècle entre his- gations liées au statut de neutralité du 1924), alors que 140 s'intéressent àsa toire-mémoire et histoire-science. Chez La Grande-Duchesse Marie-Adélaïde pays, son principal souci est le même en soeur puînée, Charlotte, qui lui asuccé- Christian Calmes, l'histoire est un acte arégné de 1912-1919. 1888 qu'en 1913: ménager, ne pas froisser, dé sur le trône grand-ducal? de reconnaissance, d'hommage ou de ré- (Photo: Grieser) ne pas déplaire àl'Allemagne du Zoll- Ason avènement au trône en 1912, une habilitation des acteurs du passé. Cette verein.En1902, le Grand-Duché a, par plume de la gauche, Joseph Hansen, avait histoire-mémoire acomme premier de- anticipation, renouvelé l'union doua- écrit: «... voici que le patriotisme cessera voir de cimenter des identités collec- posent àleur examen. Que ces conclu- nière et la convention ferroviaire avec d'être une idée abstraite pour les Luxem- tives («nous Luxembourgeois») en jouant sions plaisent ou non au public ou aux l'Allemagne jusqu'en 1959. L'industriali- bourgeois: il prendra forme et corps.» Et sur des ressorts émotionnels. En suivant hommes politiques. sation du pays et, partant, l'accès àla pourtant, dans le beau catalogue rétro- le raisonnement de Christian Calmes, Cet article-ci vise, cent ans après les prospérité économique, s'est accomplie, spectif de l'exposition au Musée natio- l'historien doit prendre garde ànepas faits, àfaire le point sur ces événements sous l'ère Eyschen, dans une dépen- nal d'histoire et d'art consacré à«100 Joër «nuire au pays». Formulé autrement, àtravers une relecture et une réinter- dance multiple àl'égard du Reich: dé- Lëtzebuerger Dynastie» (1890-1990), le cette histoire-mémoire demande aux prétation, dans une optique d'explica- pendance àl'égard des matières pre- lecteur trouve des articles sur les règnes historiens de susciter et promouvoir tion et non de jugement, des études mières, des débouchés, des transports, du Grand-duc Adolphe, de Charlotte et l'amour de la patrie. d'historiens comme Christian Calmes et des capitaux, de la main d'oeuvre. de Jean, mais aucun sur Marie-Adé- Voilà pourquoi Calmes doit mobiliser Gilbert Trausch, mais aussi des do- L'historien Gilbert Trausch arelevé laïde.2 le mythe de la nation résistante de 1940- cuments diplomatiques allemands, fran- cette phrase révélatrice de Paul Dans l'historiographie luxembour- 1945 et le mythe de l'absence de colla- çais et anglais de l'époque. Eyschen àlaChambre des Députés en geoise, Paul Eyschen apparaît comme un boration pour justifier la première étude 1913, prononcée dans le contexte de petit homme d'Etat et Marie-Adélaïde critique de l'attitude du Gouvernement La politique étrangère l'achat d'engrais potassiques par les agri- comme une petite duchesse. Tout et de la Couronne en 1914. Le jugement de Paul Eyschen culteurs luxembourgeois: «Il n'y aura comme la Première guerre mondiale ap- de valeur positif sur la période de la Paul Eyschen, député depuis 1866, mi- plus de différence désormais entre le paraît dans le cadre luxembourgeois Seconde Guerre mondiale rend accep- nistre de la Justice depuis 1876, ministre Grand-Duché et les autres parties de comme la petite guerre en comparaison table une critique de la période de la Pre- d'Etat (et des Affaires étrangères) àpartir l'Empire d'Allemagne.»5 Les résistances avec la Seconde Guerre mondiale. mière Guerre mondiale. de 1888, aoeuvré toute sa vie pour ac- àcette «pénétration pacifique»6,àlager- Les raisons de cette triple mésestime Les historiens d'aujourd'hui refusent croître la prospérité du Grand-Duché de manisation du pays se développent dans sont àmon avis les mêmes. Eyschen, ce type d'histoire-mémoire, parce que Luxembourg dans le cadre du statut d'in- une partie de la presse et de l'opinion pu- Marie-Adélaïde et la Première guerre l'histoire-science obéit àd'autres prin- dépendance et de neutralité désarmée blique qui ne cache pas son aversion pour mondiale n'entrent pas harmonieu- cipes. Ils visent àanalyser, comprendre garanti par le Traité de Londres de 1867. le monde prussien et sa francophilie. sement dans le discours de la manifest et expliquer le passé et non àporter des Sa politique étrangère est imprégnée par L'attitude pro-allemande de Paul Eys- destiny du grand-duché de Luxembourg jugements de valeur sur les événements une perception réaliste de la position in- chen en politique étrangère transparaît qui aété élaboré au cours du XXe siècle. et les personnages historiques. Ils ten- ternationale du pays: le Grand-Duché se nettement dans l'immédiat avant-guerre Dans ce discours, pour lequel le Luxem- tent d'établir les faits grâce àlacritique situe dans la sphère d'influence politi- et au début de la guerre, de 1912 à1915. bourg était «manifestement destiné» à scientifique des sources et de ne tirer que et économique de l'Allemagne.4 Tout Dans le contexte de la montée des ten- devenir et rester ce pays indépendant et comme conclusions que celles qui s’im- en respectant scrupuleusement les obli- sions internationales la «question du Donnerstag,den 13. November 2014 v Nummer 29|2451 DIE WARTE 9 Paul Eyschen, Marie-Adélaïde et la Première Guerre mondiale

Luxembourg» refait surface et est posée La grande-duchesse Marie-Adélaïde Politique d'accommodement dans des articles de presse des pays voi- demande des explications àl'empereur avec l'occupant allemand sins.7 En 1913, la «Trierische Landeszei- Guillaume II. Bethmann Hollweg, le tung» soutient que la faiblesse des forti- chancelier, et von Jagow, le secretaire Dans son discours du Trône –rédigé par fications et de la garnison de Trèves d'Etat aux Affaires étrangères, répon- Eyschen –pour l'ouverture solennelle de créent une brèche dans le dispositif mi- dent que ces mesures militaires ne re- la Chambre des Députés, le 10 novem- litaire allemand, brèche rendue encore présentent pas un acte hostile àl'égard bre 1914, la grande-duchesse Marie-Adé- plus dangereuse par une neutralité du Luxembourg, mais une mesure pré- laïde officialise le maintien de la «politi- luxembourgeoise «à laquelle plus per- ventive pour protéger les chemins de fer que de neutralité» face aux Alliés comme sonne ne croit». La presse française spé- luxembourgeois contre l'armée fran- face aux Allemands qui ont justement cule de son côté sur un éventuel pas- çaise qui avancerait vers Luxembourg violé cette neutralité: «Le pays ne se con- sage des armées allemandes àtravers le (affirmation mensongère). En même sidère nullement délié des obligations lui Luxembourg et la Belgique pour con- temps, ils promettent des réparations imposées par le passé, il continuera àles tourner les fortifications françaises. Dans complètes pour les dégâts causés.12 remplir loyalement. Notre protestation plusieurs articles, notamment dans Le Au lieu de s'adresser aux puissances reste donc debout et Nous la mainte- Matin, le sénateur Henri Bérenger, garantes de 1867 pour faire respecter la nons dans toute sa teneur. (Bravo!)»15 popularise l'expression de «trouée du neutralité,Eyschen transmet le point de Protestations platoniques du gouver- Luxembourg». La question du respect – vue de l'envahisseur allemand, sans nement et de la grande-duchesse, ali- et du non-respect –delaneutralité commentaire ni protestation, aux mi- gnement sur les thèses mensongères de luxembourgeoise ne quitte plus le de- nistres des Affaires étrangères belge, l'envahisseur, concours apporté par vant de la scène de l'actualité politique. néerlandais, britannique, français, russe Eyschen au renvoi des ambassadeurs de Quelle est la position du ministre d'Etat? et autrichien. Sans dénoncer la viola- France et de Belgique, acceptation des in- Dans son traité de droit public luxem- tion de la convention ferroviaire de demnités comme prix de l'occupation, bourgeois, publié en Allemagne en 1890 1872. Sans mentionner que les troupes puis réception du Kaiser au palais grand- et réédité en 1910, Eyschen exprime sa françaises n'avaient nullement pénétré ducal et réception d'Eyschen àlatable de confiance dans le traité de Londres de 1867 le territoire luxembourgeois.Sans l'Empereur: pour les Alliés, pour la France et la garantie collective de la neutralité par donc souligner la fausseté de l'ar- et l'Angleterre, le Grand-Duché achoisi les puissances européennes.8 En cas de gument utilisé par l'envahisseur alle- son camp, celui de l'Allemagne. Dès le 8 violation de cette neutralité, il avertit – mand d'une attaque françaiseimmi- août 1914, le président de la République dans ce traité mais aussi dans des prises nente. Sans critiquer la proposition française, Raymond Poincaré, déclare à de position publiées dans la presse inter- d'indemnisation.13 l'ambassadeur de Belgique: «Ce pays n'a nationale –que le pays sera prêt àsedé- Le 3août, devant la Chambre des Dé- pas fait son devoir.»16 L'ambassadeur de fendre par des actes de résistance passive putés qui se réunit en session extraor- France àLaHaye tranche tout aussi clai- (p. ex. dynamitage des ponts, des tunnels).9 dinaire, Eyschen continue àfaire preuve rement, dans une note au ministre des Af- tember-Programm de Bethmann Hol- de compréhension pour l'occupant alle- faires étrangères, Delcassé, le 29 octobre lweg voit le Grand-Duché en Bundes- Paul Eyschen *** mand. Eyschen, surpris par l'invasion du 1914: «De mes conversations avec Eys- land du Reich. L'historien Gilbert (1841-1915), pays, tente désespérément de réinter- chen, il me reste l'impression que le gou- Trausch prête au chef du gouvernement Premier ministre Le gouvernement Eyschen et Marie- préter l'événement. Il développe lon- vernement luxembourgeois s'est accom- et àlasouveraine l'analyse et les calculs pendant 27 années Adélaïde face àl'invasion allemande guement le fait que les autorités alle- modé trop facilement et de la violation suivants: «Il est plus que probable que de 1888 àsamort. mandes auraient cru àde«fausses nou- du territoire luxembourgeois et des évé- les hommes politiques, les militaires et (Photo: Archives Dans beaucoup de manuels d'histoire, les velles» sur la présence de troupes fran- nements qui l'ont suivie.»17 les princes, àcommencer par le Kaiser, Luxemburger Wort) opérations militaires de la Première çaises au Luxembourg. Il croit ou feint Comment expliquer que le gouver- qui passent par le Luxembourg, ont fait guerre mondiale commencent le 2août de croire ensuite àune occupation seu- nement Eyschen, d'accord avec la comprendre –neserait-ce que par des 1914, par l'invasion du Grand-Duché de lement passagère du pays. Il nie le ca- grande-duchesse Marie-Adélaïde, s'en- insinuations ou par les silences emba- Luxembourg. En fait, les premiers sol- ractère militaire d'une occupation qu'il gage en août-septembre 1914 sur la voie rassés opposés àdes interrogations –à dats allemands ont violé la neutralité du définit comme respectueuse de l'auto- d'une politique d'accommodement avec Marie-Adélaïde et àPaul Eyschen ce qui territoire luxembourgeois dès le 1er août. nomie du pays: «Mais notre situation ac- l'occupant allemand? attendait le grand-duché en cas de paix Dans l'après-midi six automobiles tuelle présente un caractère spécial. Il y 1. D'abord, elle se situe dans le pro- victorieuse, ce dont peu de gens dou- avaient conduit àTroisvierges cinq of- aune occupation de fait, certainement, longement de la politique étrangère sui- taient àl'époque. D'où aussi le souci du ficiers et des soldats du 69e régiment de mais les droits luxembourgeois jusqu'ici vie par Eyschen depuis 1888 et qui vise gouvernement de ménager l'Allemagne. Trèves qui avaient occupé la gare et dé- n'ont pas subi de modification ni d'alté- avant tout ànepas déplaire àl'Allema- Mieux valait encore devenir un Bundes- truit 150 mètres de rails sur la voie fer- ration en droit. C'est un fait excessi- gne. Ensuite, comme beaucoup d'autres land qu'un Reichsland comme l'Alsace- rée menant vers la Belgique. Eyschen de- vement important.»14 Eyschen propose observateurs de l'été 1914, Eyschen et Lorraine. On conserverait au moins la mande des excuses de la part du gou- en d'autres mots publiquement un ré- Marie-Adélaïde croient en une victoire dynastie et une forme de gouvernement vernement du Reich et invoque le res- gime de coexistence avec l'occupant rapide de l'Allemagne. Et ils savent que luxembourgeois.»18 pect de la neutralité.10 allemand. La Chambre se rallie àladé- le sort du Grand-Duché sera entre les Le lendemain, àpartir de 4heures du marche du gouvernement. mains du vainqueur de la guerre. Le Sep- (suite page 10) matin, les troupes allemandes pénètrent sur le territoire luxembourgeois par les ponts de Wasserbillig et Remich et des fait divers en histoire, in: Le Luxembourg en 12 Livre gris luxembourgeois, Annexes, trains blindés avec des troupes et des *Denis Scuto est enseignant-chercheur àl'Uni- Lotharingie. Mélanges Paul Margue, Luxem- p. 4et5. munitions sont acheminés par chemin de versité du Luxembourg. Il aconsacré une étude bourg, 1993, p. 697-721. 13 Pour le détail voir l'article cité de Christian Cal- fer de Wasserbillig àLuxembourg. La àPaul Eyschen et la Première Guerre mondiale 5 cité chez: Trausch Gilbert, Le Luxembourg. mes: Août 1914: Les protestations officielles France a, de son côté, retiré ses troupes dans l'ouvrage collectif «1914-1918. Guerre(s) Emergence d'un Etat et d'une Nation, Anvers, luxembourgeoises contre l'invasion allemande, à10kmdelafrontière luxembourgeoise. au Luxembourg», qui sort ce mois-ci. 1989, p. 280. in: Hémecht, Revue d'histoire luxembourgeoise, Le gouvernement Eyschen se limite à 6 Zur Germanisierung Luxemburgs, Luxemburger 4/1976, p. 407-446. faire part de «ses protestations éner- 1 Mersch Jules, Paul Eyschen (1841-1915), in: Wort, 9.4.1906, p. 1. 14 Livre gris luxembourgeois, Annexes, giques» contre la violation du traité de Biographie nationale du pays de Luxembourg 7 Trausch Gilbert, Course cycliste..., p. 701ss. p. 10-11. Londres de 1867 (garantissant la neutra- depuis ses origines jusqu’à nos jours, Ve fasci- 8 Das Staatsrecht des Großherzogthums Luxem- 15 Id., p. 16. lité). cule, Luxembourg, 1953. burg. Bearbeitet von Herrn Dr. Eyschen, Frei- 16 cité chez: Trausch Gilbert, La stratégie du faib- Contrairement aux annonces avant- 2 100 Joer Lëtzebuerger Dynastie. Catalogue de burg i. Br., J. C. B. Mohr, 1890, p. 23 ss. le: Le Luxembourg pendant la première guerre guerre du Premier ministre, aucun acte l'exposition au Musée national d'histoire et d'art, 9 Das Staatsrecht des Großherzogthums Luxem- mondiale (1914-1919), in: Trausch Gilbert de résistance passive n'est posé de la part Luxembourg, du 30 novembre 1990 au 6jan- burg, von Dr. Eyschen, Tübingen, J. C. B. (dir.), Le rôle et la place des petits pays en Eu- des autorités luxembourgeoises. Le 1er vier 1991, Luxembourg, 1990. Mohr, 1910, p. 22-23. rope au XXe siècle, Baden-Baden/Bruxelles, août au soir, le bourgmestre de Cler- 3 Calmes Christian, Août 1914: Les protestations 10 Télégramme d'Eyschen àvon Jagow, du 1er 2005, p. 54. vaux, Emile Prum, avait envoyé ce télé- officielles luxembourgeoises contre l'invasion août 1914, à21.15, reproduit dans: Livre gris 17 ANLux, Microfilms, Divers, Archives des Affaires gramme àEyschen: „6 autos oficiers al- allemande, in: Hémecht, Revue d'histoire lu- luxembourgeois. La neutralité du Grand-Duché étrangères , Guerre 1914-1918, Luxem- lemands 69 régiment Trèves ont occupé xembourgeoise, 4/1976, p. 416. pendant la guerre de 1914-1918. Attitude des bourg. force gare Troisvierges si me donnez or- 4 voir sur la politique étrangère de Paul pouvoirs publics, Luxembourg, janvier 1919, 18 Trausch Gilbert, La stratégie du faible..., dre ferai sauter cette nuit tous les ponts Eyschen: Trausch Gilbert, La course cycliste Annexes, p. 1. p. 67. chemin de fer territoire Clervaux.»11 Nancy-Luxembourg en 1913 et les relations du 11 Télégramme de Prum àEyschen, du 1er août Eyschen ne répond pas. Luxembourg avec la France et l'Allemagne. Le 1914, à20.25, ANLux, AE-00405, p. 17. 10 DIE WARTE Donnerstag,den 13. November 2014 v Nummer 29|2451

Retour sur deux parias de l'historiographie luxembourgeoise Eyschen, Marie-Adélaïde et la Première Guerre

(suite de page 9) craintes dans le cadre de son initiative ritoire belge occupé se heurtent àl'op- d'avoir reçu le Kaiser, même si la res- de médiation pour une paix de conci- position déterminée des Anglais.23 Pour ponsabilité politique en incombe à 2. Une politique de cohabitation ap- liation àBerne, àLaHaye et même au- eux, le Grand-Duché est un territoire Eyschen, et d'être inspirée par tout un paraît aux yeux du gouvernement dans près du Vatican, initiative qui échoue ennemi et il appartient àl'occupant al- entourage de conseillers allemands. l'intérêt de l'économie luxembour- sur toute la ligne, puisqu'elle est con- lemand de le ravitailler. La politique L'entourage de la Grande-Duchesse est geoise dépendante du Reich. La meil- damnée par la diplomatie belge et fran- d'accommodement du gouvernement en effet en 1914/1915 presque exclusi- leure illustration est fournie par le dos- çaise et qu'elle renforce la réputation et de la Grande-Duchesse est montrée vement allemand: le baron de Syberg- sier de l'industrie sidérurgique. Alors de germanophilie du ministre d'Etat.22 du doigt. Le 27 octobre 1914, le minis- Sümmern, grand chambellan; le baron que la société belge d'Ougrée-Mari- tre des Affaires étrangères britan- de Ritter-Grünstein, maréchal de la haye préfère fermer son usine de Ro- Un changement d'attitude nique, Edward Grey, écrit àson am- Cour; le baron de Brandis, veneur; de dange, les deux sociétés allemandes et peu crédible aux yeux des Alliés bassadeur àLaHaye, en réponse àla Bohlen et Halbach, écuyer de la Cour; l'Arbed luxembourgeoise veulent re- Apartir d'octobre 1914, Eyschen requête Eyschen en matière de ravi- le comte de Stolberg-Stolberg, cham- prendre la production. C'est Paul Eys- change donc d'attitude et multiplie les taillement: «We cannot facilitate food bellan de service; le baron de Dun- chen lui-même qui, le 11 septembre contacts diplomatiques avec les Alliés, going to Luxembourg. Luxembourg gern, chambellan; le baron de Thie- 1914, rend l'ambassadeur allemand von notamment pour régler la question de threw in its lot with Germany, not nen-Adlerflycht, chambellan; le comte Buch attentif àl'importance straté- l'approvisionnement du Grand-Duché unwillingly.»24 de Villers, chambellan; la baronne de gique de cette industrie: «Die teilwei- par l'intermédiaire de pays neutres. Il Les milieux diplomatiques anglais et Preen, grande maîtresse; la comtesse se Wiederaufnahme der luxembur- se rend àLaHaye et tente de con- français reprochent àMarie-Adélaïde de Montgelas, dame d'honneur; les ba- gischen Eisen- und Stahlindustrie ist vaincre les autorités néerlandaises, ronnes de Syberg-Sümmern et de nicht nur im Interesse der hiesigen Ar- mais aussi les diplomates français et Hirschberg, dames du Palais. Juste les beiterbevölkerung sondern auch in anglais de faire transiter les marchan- Marie-Adélaïde quittant la aides de camp, van Dyck et Speller, demjenigen der westfälischen Kohlen- dises par un port hollandais puis de les Chambre des députés après sa ainsi que le secrétaire pour les affaires industrie sowie der Heeresverwaltung acheminer via l'Allemagne vers le prestation de serment (18 juin du Grand-Duché, de Colnet d'Huart, sehr erwünscht. Dass die Förderung Luxembourg. 1912). Derrière elle trois dames sont des Luxembourgeois.25 der Kohlenindustrie auch in militäri- Cette tentative tout comme celle de de la Cour dont aucune n'est Le gouvernement Eyschen et Marie- schem Interesse liegt, brauche ich faire approvisionner le pays par la luxembourgeoise. Adélaïde ont recherché un arran- nicht besonders hervorzuheben.»19 Commission Hoover àl'image du ter- gement àl'amiable avec l'envahissseur Tout au long de la guerre, les usines al- allemand: Voilà la raison évoquée par lemandes et luxembourgeoises du le Foreign Office pour s'opposer àun Grand-Duché travailleront de façon ravitaillement par le biais de la «Com- directe ou indirecte pour l'effort de mission for relief in Belgium», prési- guerre allemand, montrant clairement dée par l'Américain Herbert Hoover. les limites de la politique de neutralité Le ministre des Affaires étrangères officiellement proclamée. Grey écrit àHoover, le 30 avril 1915: 3. Cette politique d'accommo- «As amatter of fact, Luxemburg suf- dement permet enfin aux autorités fers, not because she has protested, but luxembourgeoises d'espérer un trai- by the mere fact that Germany has tement clément de la population civile overrun her. So far as Iknow, any prot- par l'occupant militaire allemand. Il est she may have made has not led to s'agit d'un souci majeur de Paul any rupture of relations between her- Eyschen qui correspond àlaposture self and Germany, nor to the abroga- de «père de la patrie» qui lui est attri- tion or suspension of any of her trea- buée déjà de son vivant et qu'il affec- ties with Germany. She is amember tionne. Dans une proclamation du 15 of the German Zollverein (...).»26 Le août 1914, signée non par le gouver- 3mars 1915, un autre diplomate anglais nement mais par le seul ministre d'Etat, avait adressé ce commentaire en ce dernier recommande àlapopula- marge d'un mémorandum sur le futur tion de continuer àfaire preuve d'une du Grand-Duché: «Luxembourg is attitude correcte àl'égard de l'occu- beginning to wish that it had not pant en insistant que «dans plusieurs acquiesced so tamely in the German pièces officielles des autorités alle- advance.»27 mandes, le Luxembourg aété déclaré (à suivre) un pays ami» contrairement àlaFrance et àlaBelgique où «plusieurs localités ont été réduites en cendres par les au- 19 Dossier ANLux, AE-00554: Usines du torités militaires allemandes».20 Grand-Duché –Production de matériel de L'attitude politique adoptée par le guerre, lettre citée chez: Trausch Gilbert, gouvernement et la grande-duchesse, Contribution àl'histoire sociale de la ques- partagée d'ailleurs par la Chambre et tion du Luxembourg 1914-1922, in: Hé- par l'opinion publique ne manque pas mecht, Revue d'histoire luxembourgeoise, de cohérence. Malheureusement pour 1974, p. 15. leurs calculs et leur politique, les pré- 20 ANLux, AE-00405, p. 451. visions d'une victoire rapide de l'Al- 21 Note de von Romberg àBethmann Hollweg, lemagne ne se réalisent pas. Avec le du 3décembre 1914 (Politisches Archiv des coup d'arrêt de la Marne (mi-septem- Auswärtigen Amts Berlin (PA AA), R8158, bre 1914), il devient vite clair que miser Luxemburg 1). sur l'Allemagne n'est plus nécessai- 22 Trausch, La stratégie du faible, p. 65. rement le bon choix. 23 Hoffmann Serge, Les difficultés de ravitail- Comme le souligne la correspon- lement du Grand-Duché pendant la pre- dance diplomatique française mais mière guerre mondiale, in: Galerie. Revue aussi allemande, dès l'automne 1914, le culturelle et pédagogique, 1985, n° 1, Premier ministre luxembourgeois p. 29ss. commence àenvisager une éventuelle 24 ANLux, Microfilms, Fonds Divers-260/5, Pro défaite allemande. Voici ce que rap- London: février-décembre 1914 (Copies de porte l'ambassadeur allemand àBerne, documents provenant des archives britan- von Romberg, au chancelier Beth- niques). mann Hollweg concernant un entre- 25 Annuaire officiel du grand-duché de Luxem- tien qu'Eyschen aeuavec le président bourg pour 1915, Luxembourg, 1915, de la Confédération helvétique Hoff- p. 43-46. mann, en novembre 1914: «Befürchtun- 26 ANLux, Microfilms, Fonds Divers-260/6, Pro gen hätte Eyschen nur geäußert für den London: janvier 1915-décembre 1915. Fall eines deutschen Rückzugs, da die 27 Minutes d'un diplomate anglais du Foreign Stadt Luxemburg, die sich durch ihre Office (paraphe: R. S.) commentant un mé- Lage außerordentlich zur Verteidi- morandum sur l'avenir du Luxembourg, AN- gung eigne, dann gewiß zu leiden ha- Lux, FD260/6, Pro London: janvier 1915- ben werde.»21 Eyschen mentionne ces décembre 1915. 4 DIE WARTE Donnerstag,den 20. November 2014 v Nummer 30|2452

Histoire mouvementée du pays en 1914-1915(2/2) Paul Eyschen, Marie-Adélaïde et la Première Guerre mondiale

Un éclairage sur deux «oubliés»del'historiographie luxembourgeoise

DenisScuto* nies. Ce faisant, elle ignore la montée d'une véritable classe politique au Deux figures largement ignorées Grand-Duché, reflétant l'élan puissant dans l'historiographie luxembour- de l'industrialisation du pays, compo- geoise sont Paul Eyschen, Premier sée en grande partie de bourgeois ministre pendant 27 années libéraux et des premiers sociaux- (1888-1915), et la Grande-Du- démocrates qui mettent en avant les chesse Marie-Adélaïde ayant ré- principes de démocratie et de souve- raineté du peuple, ainsi que l'appari- gné de 1912 à1919. Les péripé- tion de partis politiques: libéral, so- ties au cours des années 1914- cialiste, catholique. En 1912, l'immix- 1915 documentent une histoire tion royale en politique fait figure de mouvementée du pays au début vestige d'un temps révolu. de la Première Guerre mondiale. D'un autre côté, Marie-Adélaïde ne (Premièrepartie: voir Die Warte fait que se conformer àl'interpréta- no 29/2451du13novembre tion monarchiste du constitutionna- 2014) liste Eyschen. La souveraineté est exercée par la Grande-Duchesse seu- es tentatives de Paul Eyschen de le, mais elle abesoin de la collabora- reconquérir progressivement les tion avec la Chambre et le Conseil Lsympathies de la France échouent, d'Etat. La Grande-Duchesse, renforcée comme le montrent non seulement la dans ses convictions par son entou- question du ravitaillement du pays rage allemand et catholique conser- mais encore le dossier des bombar- vateur luxembourgeois, n'accepte pas dements aériens alliés. Le Grand-Du- le vote de la loi scolaire en 1912 et re- ché aété bombardé une première fois fuse dans un premier temps de la si- dans la nuit du 22 au 23 août 1914 par gner après son avènement au trône. la France. Un an plus tard, le 30 sep- C'est son droit. tembre 1915, la ville et les faubourgs Pour convaincre Marie-Adélaïde de de Luxembourg le sont ànouveau. signer et pour la protéger sur le plan Eyschen qui se trouve àBerne pour ob- La Grande-Du- institutionnel, Eyschen doit invoquer tenir l'accord de la France pour un ra- chesse Marie-Adé- la nécessaire collaboration de la vitaillement du Luxembourg par la laïde arégné de Chambre (et du Conseil d'Etat) et Suisse se rend le 3octobre auprès de 1912 à1919. brandir le spectre de la crise consti- l'ambassadeur de France pour de- (Photo: Grieser) tutionnelle. Il l'a bien expliqué en rap- mander des explications, en évoquant pelant le conflit autour de la signature les «populations luxembourgeoises qui de la loi scolaire devant la Chambre n'ont cessé d'être fidèles aux Alliés».28 en Belgique, continuent àassurer le Weilburg, la question des préroga- des Députés, le 22 janvier 1914: «J'ai de- Il est intéressant de noter que le Pre- service au bénéfice des Allemands? tives royales en matière d'exercice du mandé que cette loi fût traitée comme mier ministre insiste sur l'attitude de Pour toutes ces raisons, une attitude pouvoir aété posée. Il est important toutes les autres. Elle avait reçu une la population luxembourgeoise et non de protestation ne saurait se justi- de rappeler que Paul Eyschen atou- forte majorité àlaChambre, le Con- des élites. Les sympathies de la popu- fier.»30 jours défendu une interprétation mo- seil d'Etat avait été unanime pour la lation pour cette France, où les jeunes Pour résumer: En jouant la carte de narchiste de la Constitution de 1868, proposer. Dans ces circonstances, le Luxembourgeois font leur Tour de l'Allemagne en août 1914, dans la li- dont il fut le rapporteur. Dans son traité refus de signature eût certainement été France et les jeunes Luxembour- gnée de la politique étrangère des dé- de droit public de 1890, ainsi que dans un acte des plus graves. (...) j'ai été vi- geoises se placent en service domes- cennies d'avant-guerre et dans le but la controverse qui l'oppose la même vement attaqué pour avoir conseillé à tique, et son aversion pour le monde de préserver l'indépendance du pays année àlaChambre des Députés àl'an- la Couronne de ne pas refuser la si- prussien sont connues des milieux di- ou du moins une forme d'autonomie cien ministre d'Etat Emmanuel Ser- gnature àcette loi. Mais, Messieurs, plomatiques. dans un futur Bundesland Luxemburg, vais et àAlexis Brasseur, Eyschen a c'eût été entraîner la jeune Souveraine La réponse du ministre des Affaires le gouvernement Eyschen et la Gran- souligné que le Grand-Duc est le seul dans une situation absolument inex- étrangères français, Théodore Delcas- de-Duchesse Marie-Adélaïde se re- détenteur de la souveraineté de l'Etat, tricable et soulever un des plus graves sé, le 7novembre àl'ambassadeur trouvent complètement isolés sur le qu'elle n'est donc pas partagée entre conflits, dont certainement nous n'au- français en Suisse sonne comme un ar- parquet international en 1915. La si- le souverain et la représentation lé- rions pas vu de sitôt une solution sa- rêt de mort de la part des Alliés de la tuation du Grand-Duché en cas de dé- gislative comme le soutiennent Bras- tisfaisante. (...) N'aurait-on pas ainsi politique de neutralité menée par le faite de l'Allemagne et de paix victo- seur et Servais. Pour Eyschen, elle est risqué de compromettre tout l'avenir gouvernement Eyschen et la Souve- rieuse est fortement compromise. exercée par le Grand-Duc seul, dans de la Souveraine de ce pays abso- raine depuis août 1914: «Il ne saurait Alors que la Grande-Duchesse conti- les limites tracées par la Constitution. lument constitutionnel?»33 être question d'adresser une lettre nue sur la voie qu'elle aempruntée, Ces droits du souverain ne sont d'après Marie-Adélaïde n'a pas seulement d'explication àM.Eyschen au sujet du comme le montrera e. a. l'annonce des lui tempérés par la Constitution que usé de ses prérogatives royales dans bombardement de la ville de Luxem- fiançailles de la princesse Antonia avec dans la mesure où le Grand-Duc est tri- la question de la loi scolaire. Après la bourg. M. Eyschen n'ignore pas que Rupprecht, prince héritier de Bavière, butaire de la collaboration directe ou victoire du Bloc des gauches aux élec- depuis le 24 juillet, les Allemands ont en août 1918,31 Paul Eyschen en est plei- indirecte de la Chambre et du Conseil tions législatives de juin 1914 et com- déclaré que le Grand-Duché de nement conscient et acherché en vain d'Etat. munales d'octobre 1914, Marie-Adé- Luxembourg était ,théâtre de guerre‘ une porte de sortie. La controverse n'a pas vraiment été laïde refuse la nomination aux postes (Kriegsschauplatz)29 et je ne sache pas tranchée par la Chambre en 1890. Dans de bourgmestre de personnalités de la que le Luxembourg ait protesté contre Conflits de politique intérieure entre la pratique, la question ne s'est ensuite gauche libérale ou social-démocrate. la décision prise par le Gouvernement le gouvernement et Marie-Adélaïde plus posée jusqu'en 1912, puisque les Les tentatives d'Eyschen et des mi- impérial allemand. Le Grand-Duché ne Aux revers en politique extérieure grands-ducs Adolphe et Guillaume IV lieux diplomatiques allemands pour saurait donc, àl'heure qu'il est, se qua- viennent s'ajouter les conflits entre le se sont abstenus de toute intervention faire revenir la Grande-Duchesse lifier de neutre. N'autorise-t-il pas, gouvernement Eyschen et Marie-Adé- dans la politique du gouvernement sur sa position et signer les nomina- d'autre part, les usines de Gelsenkir- laïde en politique intérieure. Ces pro- Eyschen. Mais la Grande-Duchesse tions échouent. L'attitude de la chen àEsch s/Alzette, celles de Dif- blèmes se solderont également par des Marie-Adélaïde entend exercer plei- Grande-Duchesse conduit àladémis- ferdange et les usines Duscher à échecs amers. nement ses prérogatives constitu- sion de Pierre Braun, ministre de l'In- Wecker àtravailler pour les Alle- Il convient de replacer ces conflits tionnelles et intervenir dans les dé- térieur, et de Charles de Waha, direc- mands? N'a-t-il pas accepté que les dans leur contexte historique. Lors- bats politiques. teur général des Travaux publics. Le employés des chemins de fer luxem- qu'en 1890, le trône grand-ducal est D'un côté, elle rompt avec la prati- 22 février 1915, Eyschen présente la dé- bourgeois, àl'inverse de ce qui se passe passé des Orange-Nassau aux Nassau- que constitutionnelle de deux décen- mission de son gouvernement àlaE Donnerstag,den 20. November 2014 v Nummer 30|2452 DIE WARTE 5

E Grande-Duchesse.34 Un nouveau l'autorisation d'acheter en Suisse et de Duchesse, la lance dès son premier repartir sur de nouvelles bases avec les gouvernement Eyschen est formé; les faire acheminer au Luxembourg plu- discours dans la mêlée politique, Alliés, vainqueurs de la guerre... M libéraux Thorn et Leclère remplacent sieurs dizaines de wagons de riz et de comme ne manque pas de le souligner Braun et De Waha. Au grand soula- pâtes.39 l'ambassadeur allemand von Buch: *Denis Scuto est enseignant-chercheur àl'Uni- gement des milieux diplomatiques al- 2. Il aprolongé son séjour en Suisse «Den größten Teil der Rede des versité du Luxembourg. Il aconsacré une lemands qui voyaient en Eyschen un dans l'espoir d'assurances françaises Staatsministers nahmen Ausführun- étude àPaul Eyschen et la Première Guerre ami de l'Allemagne, un garant de sta- quant àl'arrêt des attaques aériennes. gen darüber ein, was die Frau Groß- mondiale dans l'ouvrage collectif «1914- bilité du pays occupé et un protecteur Mais il doit finalement partir sans avoir herzogin getan hätte, um die sich ihr 1918. Guerre(s) au Luxembourg», de la Grande-Duchesse, malgré son reçu de réponse et sans se faire d'illu- entgegenstellenden Schwierigkeiten qui sort ce mois-ci. grand âge et sa santé fragile: sions sur l'attitude future de la France. zu überwinden, wodurch er den Red- 28 Télégramme de Beau àDelcassé du 3octo- «Ob Eyschen bei seinem hohen Al- Le 6octobre, il dépose àl'ambassade nern der liberalen Parteien die Mög- bre 1915 (ANLux, Microfilms, Divers, Archi- ter und seiner Gichtkrankheit den de France une protestation formelle lichkeit bot, sich direkt gegen die Kro- ves des Affaires étrangères, Guerre 1914- Anstrengungen einer zweiten Minis- puis repart pour Luxembourg. Les ne zu wenden. Es ist dieses dann auch 1918, Luxembourg). ter-Krisis aber gewachsen ist, ist mir bombardements continueront tout au reichlich geschehen und immer dabei 29 Les protestations du gouvernement luxem- sehr zweifelhaft. Sein völliges Aus- long de la guerre (136 bombar- betont worden, daß, nachdem einmal bourgeois contre la décision allemande de scheiden aus dem Ministerium wäre dements, 53 morts). der Staatsminister selbst die Krone in traiter le Grand-Duché de théâtre de guerre aber sehr zu bedauern, denn er ist der 3. Ason retour, sa tentative de faire die Debatte hineingezogen hätte, auch ont été aussi platoniques que celle du 2-3 einzige Mann, der im Lande Einfluss accepter le candidat du gouver- ihrerseits nicht anders gehandelt wer- août 1914 contre la violation de la neutralité genug hat, um Ruhe und Ordnung auf- nement, Edouard Oster pour le poste den könnte.»42 et ne sont rendues publiques qu'en 1919. recht zu erhalten.»35 de directeur de l'Ecole normale par la Ensuite, comme le gouvernement 30 Télégramme de Delcassé àBeau du 7octo- Les milieux diplomatiques alle- Grande-Duchesse échoue dans la soi- Loutsch n'obtient pas la majorité àla bre 1915 (ANLux, Microfilms, Divers, Archi- mands sont provisoirement rassurés. rée du 11 octobre 1915. En refusant, Chambre, Marie-Adélaïde décide de ves des Affaires étrangères, Guerre 1914- Eyschen reste aux commandes et un li- Marie-Adélaïde exerce ànouveau les dissoudre le parlement dans l'espoir 1918, Luxembourg). béral connu pour sa germanophilie, prérogatives royales que la Constitu- que les élections donnent une majo- 31 voir àcesujet: Trausch Gilbert, L'accession , devient ministre. Tou- tion lui accorde, selon l'interprétation rité àladroite catholique. Mais, comme au Trône de la Grande-Duchesse Charlotte tefois les conflits entre Marie-Adé- de Paul Eyschen. l'avait prévu l'ambassadeur allemand en janvier 1919 dans sa signification histo- laïde et le gouvernement Eyschen au- dès février 1915, la gauche reste majo- rique, in: Hémecht. Revue d'histoire luxem- tour des questions de nominations 1915: Clap fin pour Eyschen ritaire et ne pardonnera jamais ce bourgeoise, 2/1979, p. 149-172. continuent. et Marie-Adélaïde qu'elle ressent comme un «coup 32 Calmes, Christian, Le duel Eyschen-Servais La mort de Paul Eyschen est direc- d'Etat» de la Grande-Duchesse. Le 11 sur le caractère de la Constitution de 1868, L'affaire Oster tement liée àces revers. Officiel- janvier 1916, un vote de méfiance de la in: Id., Au fil de l'histoire, Luxembourg, C'est le refus de nommer le candidat lement, il meurt des suites d'une crise majorité de gauche oblige le gouver- 1977, p. 9-48. du gouvernement pour le poste de cardiaque, dans sa maison rue Chi- nement Loutsch àdémissionner. 33 Compte rendu de la Chambre des Députés, directeur de l'Ecole normale, Edouard may, dans la nuit du 11 au 12 octobre Quelques mois après la mort de son CRCD, 1913-1914, p. 878-879. Oster, professeur àl'école industrielle 1915, à0.30 heures, horaire indiqué dans protecteur, la Grande-Duchesse, en te- 34 Der Sturz des Ministeriums, Escher Tageblatt, et commerciale de Luxembourg et at- l'acte de décès, cosigné par ses cou- nant àgouverner elle-même, ses ad- 23.2.1915, p. 1. taché de gouvernement, qui fait dé- sins Théodore Risch, avocat, et Joseph versaires politiques de la gauche, mais 35 Note de von Buch àvon Bethmann Hollweg, border le vase.36 Edouard Oster avait Wurth, directeur de banque, le bourg- aussi ses conseillers et alliés de la du 24 février 1915 (PA AA, R8171, Luxem- été le précepteur de la princesse de mestre de la ville de Luxembourg, La- droite ont accompli ce que Eyschen burg 3). 1908 à1912. Il ne s'agit pas d'un anti- croix, et les ministres Thorn et Mon- avait réussi àéviter: «entraîner la jeune 36 voir àcesujet le récit d'Edouard Oster: Ein clérical. Le refus de Marie-Adélaïde genast..40 D'après des rumeurs colpor- Souveraine dans une situation abso- Blatt aus unserer zeitgenössischen Ge- d'accepter cette nomination s'expli- tées dès les lendemain et qui persis- lument inextricable». Tirant les leçons schichte, in: Les Cahiers Luxembourgeois, que par le manque de ferveur reli- tent jusqu'à aujourd'hui, il se serait sui- de cet échec, elle quitte le devant de 5/1949, p. 9-16. gieuse d'Oster –iln'aurait pas fait ré- cidé. La question n'a jamais été tran- la scène politique, mais trop tard: elle 37 Note non datée envoyée àlaDirection poli- gulièrement ses Pâques. La Grande- chée. L'historien de la tradition oran- reste dans le collimateur de la gauche tique et commerciale du ministère des Affai- Duchesse veut imposer un prêtre, giste, descendant de notables libéraux, àl'intérieur du pays et, dans cette res étrangères français (ANLux, Microfilms, l'abbé Thill, ce que le gouvernement Auguste Collart, évoque la rumeur de guerre nouvelle qui n'oppose plus des Divers, Archives des Affaires étrangères, Eyschen refuse àunmoment où le suicide du ministre d'Etat et fait le lien princes mais des nations, des Alliés à Guerre 1914-1918, Luxembourg) clergé boycotte la loi de 1912. Le 11 oc- entre sa mort, l'affaire Oster et l'échec l'extérieur. La voie qui mène àson ab- 38 Hoffmann Serge, Les difficultés de ravitail- tobre 1915, de retour d'un voyage offi- de ses démarches auprès des Alliés: dication en janvier 1919 est ainsi lar- lement du Grand-Duché pendant la Pre- ciel en Suisse, Eyschen fait une der- «Wäre Eyschen am Leben geblieben, gement tracée dès 1914-1915. mière Guerre mondiale, in: Galerie. Revue nière démarche pour convaincre la hätte er die Sache bestimmt einzu- culturelle et pédagogique, 1985, n° 1, p. 29 Grande-Duchesse. En vain. La démis- renken gewußt. Zwar erzählte man, die Deux citations en guise d'épilogue 39 Télégramme du 3octobre 1915 de Beau au sion du gouvernement est imminente. Haltung der Großherzogin habe ihn in Le 20 décembre 1918, le ministre des Quai d'Orsay; Télégramme du 4octobre Mais dans la nuit, le ministre d'Etat eine solche Verzweiflung gebracht, Affaires étrangères français Stephen 1915 de Beau au Quai d'Orsay, Dépêche meurt. daß er vor Aufregung gestorben sei. Pichon tire le bilan de l'attitude poli- de Beau àDelcassé du 5octobre 1915 Les observateurs avisés ne man- Andere behaupteten sogar, er habe sich tique du Grand-Duché pendant la (ANLux, Microfilms, Divers, Archives des quent pas de faire le lien avec le con- aus Gram vergiftet. Die bei Eyschen guerre, du point de vue des Alliés, lors Affaires étrangères, Guerre 1914-1918, flit ouvert avec la souveraine, comme festgestellte Abgespanntheit dürfte d'une entrevue avec le ministre d'Etat Luxembourg). en témoigne cette note diplomatique aber vielmehr auf die Gespräche zu- Emile Reuter: «Le Gouvernement 40 Archives de la ville de Luxembourg, Registre française: rückzuführen sein, die er in der français ne croit pas possible d'avoir des décès 1915. «M. Eyschen asuccombé àune crise Schweiz mit Politikern der alliierten des rapports ou des négociations avec 41 Collart, Ausguste, Sturm um Luxemburgs cardiaque causée par des questions in- Länder geführt hatte. Waren ihm nicht le Gouvernement de la Grande-Du- Thron. 1907-1920, Luxembourg, 1991 térieures. La Grande-Duchesse Marie- Vorwürfe gemacht worden über seine chesse qu'il considère comme s'étant (1ère édition 1959), p. 168-169. Adélaïde est toujours sous l'influence Haltung den Deutschen gegenüber und gravement compromise avec les en- 42 Lettre de von Buch àBethmann Hollweg, du de sa dame d'honneur, la comtesse de die Ratschläge, die er der Großherzo- nemis de la France.»43 Le maintien de 13 novembre 1915 (PA AA, R8171, Luxem- Mongelas (fille du ministre de Bavière gin bezüglich der Behandlung des l'indépendance du Grand-Duché dans burg 3). àDresde), ainsi, bien entendu, que sous deutschen Kaisers gegeben hatte?“41 la nouvelle Europe de 1918/1919 passe 43 Version communiquée par le Quai d'Orsay celle des Allemands; sa mère s'en rend La soirée du 11 au 12 octobre 1915 par le remplacement de Marie-Adé- aux ambassadeurs de France àBruxelles, à bien compte, mais n'y peut rien. On me conduit en même temps àlamort po- laïde par Charlotte. Mais il faudra at- Londres et àWashington. dit d'autre part que M. Eyschen est litique de la Grande-Duchesse. Le dé- tendre encore un an et un référendum 44 Mantoux Pierre, Les délibérations du Con- mort en rentrant d'une séance très cès de Paul Eyschen la prive des ser- populaire avant que la France et la Bel- seil des Quatre (24 mars-24 juin 1919), orageuse àlaCour (...).»37 vices de son seul véritable protecteur gique ne reconnaissent en janvier/fé- Paris, 1955, t. 1, p. 148. En fait, Eyschen meurt après avoir institutionnel. Les premiers actes de la vrier 1920 la nouvelle Grande-Duches- encaissé en ce début octobre 1915 un Grande-Duchesse, une fois affranchie se. triple échec: de l'encadrement d'Eyschen, sont Le 19 avril 1919, àlaConférence de Portrait dessi- 1. Après le véto de la France et de la symboliques. Le 22 octobre, les mem- Versailles, Clemenceau, président du né de Grande-Bretagne àlatentative du gou- bres restants du gouvernement Conseil français, dit au roi Albert de Paul Eyschen vernement luxembourgeois de faire Eyschen, Mongenast –chargé de for- Belgique: «Je refuse de négocier avec (1841-1915), approvisionner le pays par la Com- mer un nouveau gouvernement –, le gouvernement actuel du Drand-Du- Premier mi- mission Hoover, Eyschen en personne Thorn et Leclère démissionnent en ché qui est un gouvernement alle- nistre pendant amultiplié les voyages pour acheter raison des divergences de vue sur l'af- mand.» Le roi Albert lui répond qu'«il 27 années des vivres dans les pays neutres (Pays- faire Oster. Alors que la gauche dis- yaeuunchangement dans le per- de 1888 Bas, Suisse). Son voyage en Suisse se pose d'une majorité àlaChambre, la sonnel. M. Eischen n'est plus au pou- àsamort. fait àunmoment où les autorités Grande-Duchesse nomme un homme voir.»44 Comme l'abdication de Marie- luxembourgeoises savent que la ré- de la droite, Hubert Loutsch, àlapré- Adélaïde, la mort, volontaire ou non, colte de 1915 ne suffit pas àfaire la sou- sidence du gouvernement, le 6no- de Paul Eyschen apparaît encore, trois dure jusqu'à la prochaine récolte.38 Or, vembre 1915. Trois jours plus tard, le 9 ans et demi après les faits, comme le les exportations suisses dépendent novembre 1915, lors de l'ouverture de sacrifice politique nécessaire pour tirer également du bon vouloir des Alliés. la Chambre, son nouveau Premier mi- un trait sur la politique pro-allemande Eyschen se voit contraint de négocier nistre, en énumérant et défendant les suivie au début de la Première Guerre avec l'ambassadeur français àBerne différentes initiatives de la Grande- mondiale par le Grand-Duché et pour